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French Pages 284 [259] Year 2022
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u ,vc siècle déjà, fuyant les vanités du monde, des ascètes chrétiens se retirent dans les déserts d'Égypte afin de mieux approcher Dieu. Leur ferveur, sans faille, attire des adeptes qui, autqur d'eux, forment des communautés de moines. Au-delà de la foi, des problèmes bien matériels apparaissent. .. Comment harmoniser la vie d'ùn grand nombre de personnes réunies dans un espace défini et clos ? La solution ? Une règle, celle que saint Benoit écrira, au ,,,c siècle, pour organiser la vie spirituelle et matérielle de ses moines du Mont-Cassin, et un plan, dit « de Saint-Gall » , qui, au 1x" siècle, déterminera un habitat monastique idéal. Ainsi, dès l'aube du Moyen Âge apparaît un modèle de cohérence entre une éthique de vie et une esthétique de l'architecture, à la convergence de la foi, de l'économie, du progrès des techniques et du développement durable. C'est sur ce schéma quasi immuable que Clunisiens et Cisterciens, Fontevristes et Grandmontains couvriront l'Europe médiévale d'un important réseau de monastères. • Les origines du monachisme occidental • Les principaux ordres monastiques au Moyen Àge • La communauté monastique • Le monastère médiéval, cité idéale • La France des abbayes médiévales C laude \VENZLER a tra\'ai llé pendant près de quarante ans dans le domai ne du patrimoine arc hitec tural, au ministère de la Culture. Tech ni cien des Ser\'ices culturels et des bâtiments de Fra nce, hi storien de l'architecture, il a partagé sa passion de l'architecture avec le grand public en animant des visites -conft.; rences, des ateliers pédagogiques ou des dasses du Patrimoine. Il est aussi l'auteur de nombreuses monographies, la plupart parues aux Éditions Ouest-France.
Photo de couverture en haut: Sain t Bernard enseignant ù des moines cisterciens. Dét,lil d'un e miniature du m ili eu X\'' siècle, par jean Fouquet. Ch,rntill y. nnN \.· Condl~. Fr kh I c .. .,i ni;/J kg im.t~l'"·
Photo de couverture en bas: Sal le capitu laire de l'abbaye cistercienne de I:!:pau (Sarthe),
ISBN: 978-2-7373-8831-6
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CLAUDE WENZLER
LES ., ABBAYES ., MEDIEVALES
Éditions OUEST-FRANCE
SOMMAIRE 9
AVANT-PROPOS 15
LES ORIGINES DU MONACHISME OCCIDENTAL
39 LES PRINCIPAUX ORDRES MONASTIQUES AU MOYEN.ÂGE 95 LA COMMUNAUTÉ MONASTIQUE 123 L'ABBAYE MÉDIÉVALE, CITE IDÉALE 211 LA FRANCE DES ABBAYES MÉDIÉVALES 261 CONCLUSION 265
GLOSSAIRE 274 INDEX DES NOMS DE LIEUX 277 ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE 279 MONOGRAPHIES 280 CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
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Abbaye de I.:Épau (Sarthe). Aux portes de la ,;ue du Mans, cette abbaye a été fondée. vers 1229. grâce aux largesses de la reine Bérangère (1163-1230), fille du roi Sanche de avarre, dit « le Sage », et devenue veuve de Richard Cœur de Lion en 11 99. Ce joyau de l'architecture cisterci enne a conservé de nombreux bâtiments. dont le chauffoir, le scriptorium, la salle capitulaire, le dortoir, l'abbatiale et sa sacristie.
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Religieux à l'abbaye du Mont-SaintMichel (Manche). Foyer spirituel de renom, l'abbaye du Mont-Saint-Mich el a été, avec Rom e et Sa int-Jacques-deCompostelle. l'un des plus importants pèlerinages de l'Occident médiéval. Aujourd'hui devenue un haut lieu touristique, elle conserve sa vocation de prière et d'accueil, avec la présence d'une communauté religieuse.
Cité idéale, vouée à la médiation et à la prière, l'abbaye médiévale nous est parvenue telle que l'avaient souhaité ceux qui la construisirent: hors du temps, hors du monde, en rupture complète avec l'agitation de notre société moderne.
UNE ARCHITECTURE POUR LA PRIÈRE ET LA SPIRITUALITÉ ... Souvent établies dans des sites grandioses et retirés, les abbayes médiévales restent, encore de nos jours, imprégnées de sérénité et de mystère. rorganisation de leur espace, l'agencement et le plan de leurs bâtiments, les jeux de lumière sur leurs pierres ou la résonance de la voix sous leurs voûtes constituent à eux seuls des symboles d'une rare puissance, dont le profane souvent ne perçoit que des bribes. La vie même de leurs habitants fascine toujours. Pourquoi certains moines étaient-ils appelés « frères blancs » et d'autres « frères noirs»? Pourquoi ce silence, auquel ils s'astreignaient? Que faisaient-ils au scriptorium ou dans la salle capitulaire? Pourquoi tel escalier est dit« des matines» et tel passage « ruelle des convers »? Les questions que se pose le visiteur d'un monastère sont nombreuses ... Dans nos mémoires collectives, l'abbaye serait romane, tout comme la cathédrale serait gothique. Il nous faut cependant nuancer cette affirmation. Certes, les moines et leurs monastères sont au cœur du monde rural pendant la période romane (xe au x11• siècle) et le resteront pendant tout le Moyen Âge. Mais, à l'époque gothique (fin du x11• siècle au début du xv,•), le monde citadin se recentre autour de la cathédrale. Et, tout comme il existe des cathédrales romanes (Angoulême, Avignon, Arles 1), il existe aussi des abbayes gothiques (Royaumont, La Chaise-Dieu). Monument complexe, l'abbaye médiévale apparaît comme l'expression d'un mode de vie où chacun doit être en harmonie avec soi et avec son prochain, avec la nature et avec le divin. On comprendra aisément que l'abbaye interroge l'homme d'aujourd'hui, empreint lui aussi d'aspirations spirituelles, difficiles à satisfaire dans un monde individualiste, matérialiste et peu respectueux de l'environnement naturel. Là encore, le monastère se révèle tel qu'il avait été conçu au Moyen Âge: faisant la jonction entre le profane et le sacré, le visible et l'invisible, invitant à la recherche de la perfection.
1 Un index en fin d'ouvrage (page 274) permet la localisation des sites mentionnés dans le texte.
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AVANT-PROPOS
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Abbaye du Mont-Saint-Michel (Manche). C'est en 708 que l'évêque d'Avranches, Aubert, voit par trois fois apparaître l'archange saint Michel, qui lui ordonne la construction d'une église sur le Mont-Tombe. Le sanctuaire, consacré en 709, sera plusieurs fo is reconstruit, agrandi, remanié. Défiant les lois de l'équilibre, l'abbaye du Mont-Saint- Michel est une prouesse technique. Elle constitue également l'un des exemples les plus remarquables de l'architecture religieuse et militaire de l'époque médiévale.
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Abbaye de SaintBenoît-sur-Loire (Loiret). Fondée vers 651, l'abbaye de Fleury voit sa notoriété croître lorsque des moines y déposent, vers 660, les reliques de saint Benoît, qu'ils sont allés chercher au mont Cassin. Dès lors, l'abbaye Saint-Benoît de Fleury devient un haut lieu de pèlerinage. Son école, son scriptorium et sa bibliothèque participeront également à sa notoriété.
À l'aube du Moyen Âge, le monde monastique s'organise autour de la Règle, que saint Benoît a écrite pour ses moines du Mont-Cassin, et d'un plan, dit« de Saint-Gall», qui détermine un habitat monastique idéal. Ainsi apparaît un modèle de cohérence entre une éthique de vie et une esthétique de l'architecture, à la convergence de la foi, de l'économie et de ce que l'on nomme aujourd'hui le développement durable.
LES PREMIERS TEMPS
Les débuts du christianisme sont particulièrement difficiles. Pendant près de trois siècles (du 1er au me siècle), c'est dans la clandestinité que les premiers adeptes du Christ vivent leur foi : hors de question pour eux de suivre publiquement l'exemple de Jésus ou de vivre en communautés sans s'exposer aux persécutions romaines. Lorsque l'empereur Constantin (272 -337) promulgue l'édit de Milan en 313, les chrétiens, dont le nombre n'a cessé de grandir malgré les répressions, peuvent enfin apparaître sans crainte, au grand jour. Pour l'empereur, la mesure n'est pas DE LA BASILIQUE ANTIQUE !ll seulement une manifestation de tolérance. Il À L'ÉGLISE CHRÉTIENNE !2l entrevoit l'opportunité d'une civilisation méditerranéenne nouvelle, où le christianisme vien drait remplacer les institutions romaines décadentes. Favoriser le christianisme, contribuer à son organisation, c'est aussi le maintenir sous le contrôle de Rome et, peut-être même, s'en faire un allié politique. (1) Dans ce contexte, l'empereur favorise la construction des premières églises chrétiennes. Leur architecture s'inspire de la basilique romaine, sorte de tribunal et de bourse de commerce, où la foule trouve une vaste halle, ouverte en permanence à l'activité des marchands et, dans son prolongement, une abside réservée aux juges. Constantin en fait le modèle de la basilique chrétienne : les fidèles (2) se rassembleront dans la nef pour participer Abside aux cérémonies religieuses, tandis que, dans D Autel Nef principale l'abside, l'évêque (episcopus) siégera sur la D Bas-côtés Croisée des transepts cathèdre, symbole de sa juridiction spirituelle. D Bras du transept D Narthex Dans cette permanence, une innovation importante apparaît : depuis toujours, les
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cultes antiques excluaient le peuple du temple, espace sacré réservé aux divinités et aux seuls prêtres. Ainsi, les édifices religieux n'avaient pas besoin d'être bien grands. En se réunissant en assemblée (ecclesia) pour célébrer leur culte, sous l'autorité de l'évêque et à l'intérieur du bâtiment, les chrétiens ont besoin d'un espace plus vaste. La pratique religieuse va s'en trouver bouleversée. Cette pratique ayant cessé d'être illégale, les disciples du Christ ne tardent pas à devenir majoritaires, d'autant plus que l'édit de Théodose, en 380, fait du christianisme la religion officielle de l'Empire. Si la vie spirituelle est devenue plus facile, la ferveur, quant à elle, perd de son intensité : les persécutions cessant, les martyrs disparaissent et, avec eux, les exemples de ces sacrifices qui ouvrent les portes de la sainteté. Apparaissent alors des ascètes qui, retirés dans les solitudes désertiques d'Égypte, offrent à Dieu une nouvelle forme de sacrifice : la mortification, le renoncement aux futilités de la société et le détachement des biens terrestres. Ces premiers moines (du grec monos, seul) ou ermites (du grec eremos, désert) mènent une vie de prière et de travail, en quête de Dieu. À l'écart du monde, retirés dans des huttes précaires, ils ne consomment ni viande ni vin, pratiquent la chasteté et, solitaires ou en communautés, inaugurent l'ère d'un monachisme spécifiquement chrétien.
Désert du Sinaï, en Égypte. Après le temps des persécutions, les premiers moines et ermites se retirent, aux m' et 1v' siècles, dans les déserts d'Égypte, de Syrie et de Palestine, pour y vivre leur foi d'une manière radicale.
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À LA RECHERCHE DU MARTYRE PERMANENT À la suite de l'édit de Constantin (313). l'abandon des persécutions à l'encontre des disciples de Jésus conduit certains chrétiens à refuser le christianisme institutionnel romain et à se détourner du monde, pour rechercher le« martyre permanent». On les rencontre principalement, du 111" au v11• siècle, en Égypte, en Syrie et, d'une façon générale, dans tout l'est du bassin méditerranéen. Tous ont comme occupations essentielles la prière permanente, le retrait du monde du monde et l'ascétisme. Si certains optent pour la vie communautaire, qui sera à l'origine du monachisme, d'autres choisissent la solitude. Les plus communs de ces ascètes solitaires s'imposent des conditions de vie extrêmes. Ils ont pour compagnons naturels l'hostilité de leur cadre de vie, la frugalité de leur alimentation, la pauvreté de leur habitat le plus souvent réduit à une simple grotte, un modeste abri de branchages ou de pisé. Certains vivent dans des abris sans toiture, pour rester exposés aux intempéries, et d'autres, plus radicaux encore, vivent nus et hors de tout habitat. Certains s'imposent un silence absolu, s'interdisant toute communication orale. D'autres choisissent de garder la tête baissée, les yeux rivés au sol. .. Quant aux plus rigoureux, ils explorent toutes les formes possibles de l'ascèse, corporelle et spirituelle, en s'imposant des mortifications parfois singulières ... Les « sidérophores » sont entravés de lourdes chaînes ou lestés de lourdes charges de métal. Ils sont ainsi courbés en permanence, obligés parfois de se déplacer à quatre pattes. Les« acémètes » refusent le sommeil ou en limitent la durée. Les « moines brouteurs » ou bosci, consomment directement les ressources végétales que leur offre la nature et rejettent la viande, le pain, le vin et toute cuisson des aliments. Les« stationnaires» s'obligent à la station debout en permanence, acceptant tout au plus un repos de quelques heures, la nuit. Les « dendrites » passent leur vie dans les arbres. Les « reclus » se font enchaîner à un rocher ou une muraille, ou choisissent de s'enfermer dans un espace clos et restreint (arbre creux, grotte, tombeau, puits asséché ... ), se nourrissant de ce que leur apporte le voisinage. Il y a enfin les « stylites », qui passent des années entières sur une étroite plate-forme établie en haut d'une colonne, exposés aux intempéries, se nourrissant de l'eau et de la nourriture que les fidèles leur font passer par une échelle ou une corde. Ils sont à la fois« stationnaires», puisque limités dans leurs déplacements, et « reclus », puisque confinés dans un espace restreint.
Saint Siméon le Stylite. Sur le mont Laïloun, à l'ouest d'Alep, en Syrie, saint Siméon, dit le Stylite, est mort en 459, en position de prière, sur le sommet d'une colonne où il avait passé trente-sept années. Sa renommée s'éten dra dans tout l'Occident et un important complexe monastique sera construit sur le lieu. Icône de 1465.
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Antoine (v. 251 -356) est l'un de ces premiers « Pères du désert », le type même de l'anachorète entièrement voué à une ascèse de perfection. Retiré dans le désert de Haute-Égypte, il fonde une communauté vers 280 et mène une vie exemplaire. Un autre, Pacôme (v. 292346), baptisé en 313, fonde vers 320, à Tabennèse, le premier monastère communautaire pour lequel il édicte quelques préceptes destinés à organiser une vie collective. Des textes comme la Vie de saint Antoine, écrite par son disciple et biographe Athanase (296 -373), ou les Collationes, par Jean Cassien (350 -435), font connaître l'existence et la foi de ces « Fous de Dieu » qui vivent dans le désert. Le récit de leur vie hors norme suscite d'autant plus de curiosité et d'admiration que leurs auteurs font état de miracles et de faits légendaires ou merveilleux. Ce faisant, ils alimentent une immense vénération populaire pour les Pères du désert et suscitent de nouvelles vocations. Le mouvement s'amplifie donc et, d'Égypte, gagne la Palestine, !>Empire byzantin, !>Italie ... À la fin du 1v" siècle, le monachisme s'implante en Gaule à la faveur d'un miracle: Martin (v. 316-397), soldat romain affecté en Gaule durant l'hiver 337, déchire son manteau pour le partager avec un miséreux qui grelotte de froid; la nuit suivante, le Christ lui apparaît en songe, portant le lambeau d'étoffe sur l'épaule ... Martin se convertit alors à la religion chrétienne et se met au service de l'évêque de Poitiers, le futur saint Hilaire. Puis, souhaitant se retirer du monde pour vivre dans l'ascèse, à l'exemple des Pères du désert, il obtient de l'évêque de s'installer à Ligugé, à peu de distance de Poitiers. L'endroit, isolé et boisé, voit ainsi naître, vers 361, le premier monastère de Gaule, futur royaume de France. Devenu évêque de Tours, saint Martin fonde, non loin de sa cité épiscopale, sur la rive nord de la Loire, l'abbaye de Marmoutier (372), où il établit quatre-vingts religieux... Page de gauche
Saint Antoine (v. 251-356). À la mort de ses parents, Antoine le Grand abandonne tous ses biens aux pauvres et se retire dans la solitude de la Thébaïde, au sud de l'Égypte. Menant une vie d'ascète, il attire tellement de disciples qu'il est considéré comme le père du monachisme chrétien. Encore appelé Antoine du désert, Antoine d'Égypte ou Antoine l'Ermite, il se serait éteint vers 356, à l'âge de cent cinq ans.
Saint Martin (v. 316-397). En 621, Martin, soldat romain converti au christianisme, fonde Ligugé, au sud de Poitiers. C'est le premier monastère établi en Europe. En 371, il devient évêque de Tours. Il fonde, aux portes de la ville, l'abbaye de Marmoutier, vers 372. I.:influence qu'il exerce sur la chrétienté naissante est décisive : plus de quatre mille églises en France lui sont dédiées. Il est le plus souvent représenté à cheval, en soldat romain, coupant la moitié de son manteau avec son épée pour le partager avec un pauvre.
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Abbaye de Lérins (AlpesMaritimes). Vers 410, saint Honorat (v. 375-430) fond e, sur l'une des îles de Lérins, un monastère qui comptera parmi les plus illustres de la chrétienté. La communauté suit d'abord la Règle des Quatre Pères, édictée par Honorat, puis adopte la règl e de saint Benoît en 660. Pour se protéger des attaques répétées que mènent les Sarrasins, les moines entrepren nent, à la fin du xr' siècle, la constru ction d'un e to ur fortifiée, qu'ils aménageron t par la suite en un véritab le monastèrerefu ge.
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Le monachisme poursuit sa progression avec saint Honorat. D'origine gallo-romaine, Honorat s'installe vers 410, avec quelques compagnons, dans la plus petite des îles de Lérins, alors déserte et désolée. Il y fonde une communauté qui encouragera à la christianisation, non seulement de la Provence, mais aussi d'autres régions de Gaule, et même d'Irlande et d'Angleterre. En effet, du milieu du ve siècle au milieu du vie, de nombreux
Saint-Victor à Marseille (Bouches-du- Rhône). En 41 6, après un long séjour en Égypte, Jean Cassien (v. 360-435) fond e un monastère à Marseille, à proxi mité des tombes de martyrs chrétiens de la vi lle. J.: un d'entre eux, saint Victor, mort vers 303, donnera son nom au monastère. Jean Cassien demeurera à Marseille jusqu'à ses derniers jours. Il est l'auteur de nombreux textes qui insp ireront le monachism e occidental.
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moines de Lérins deviendront évêques, comme Hilaire d'Arles (mort en 449), Eucher de Lyon (mort vers 450) , Loup de Troyes (mort en 479), Césaire d'Arles (mort en 542), etc. C'est de Lérins, où il s'était formé, qu'un moine gallois, saint Patrick, partira vers 460 pour évangéliser les Irlandais dont il deviendra le patron ... Auparavant, vers 415, Jean Cassien, l'auteur des Collationes, avait fondé l'abbaye Saint-Victor, alors hors des murs de Marseille. Et en 435, Romain installait son monastère à Condat, dans le Jura.
PREMIERS PRINCIPES DE VIE COMMUNAUTAIRE Le charisme des « Fous de Dieu » attire très vite de nombreux disciples : les uns se tournent vers la solitude - ce sont les ermites, ou anachorètes-, tandis que d'autres, les cénobites, expérimentent une vie plus communautaire. Pour ces derniers, dont les groupements comptent parfois plusieurs centaines d'individus, il faut bien déterminer des principes de vie collective conciliant exigences matérielles et spiritualité.
Monastère Sainte-Catherine (Égypte). Fondé au 1v" siècle, à 1570 mètres d'altitude, sur les pentes du mont Sinaï, le monastère Sainte-Catherine est l'un des plus anciens monastères de la chrétienté. Il est toujours en activité et abrite une précieuse collection d'icônes. Sa biblioth èque de manuscrits anciens est la plus importante dans le monde, après celle du Vatican.
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Pacôme (v. 292-346) avait déjà rédigé, pour le monastère de Tabennèse qu'il avait fondé vers 320, quelques préceptes prônant la recherche de Dieu à travers la prière, la récitation constante de la parole de Dieu, le renoncement au péché, au monde, à la famille, le partage sans réserve des biens matériels, etc. Ces premiers principes seront repris et développés par saint Basile et saint Benoît. Saint Basile (v. 330-379), lettré de tradition chrétienne, évêque de Césarée de Cappadoce, a voyagé en Syrie, en Mésopotamie et en Égypte où il a analysé
Saint Pacôme (v. 292-346).
Né dans un village voisin de Kénèh, en Haute-Égypte, saint Pacôme est d'origine modeste et païenne. Converti au christianisme et gagné par l'ascétisme, il fonde, vers 320, un premier monastère chrétien à Tabennèse, sur les rives du Nil. Le nombre important de ses adeptes le conduit à les répartir dans neuf autres monastères, pour lesquels il élabore La Règle. Rédigée en copte, elle fixe les principales caractéristiques de la vie cénobitique. Traduite par la suite en grec, en syriaque et latin, elle inspirera d'autres règles.
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les formes de vie ascétique pratiquées par différentes communautés. Son périple lui inspire, vers 357, une série de règles morales (Regulae brevius tractatae) : prééminence de la vie spirituelle des moines, renoncement total au monde, obéissance à l'abbé (de l'araméen abba, père), réforme des mœurs, pauvreté, chasteté, charité fraternelle. Fils d'un fonctionnaire romain, saint Augustin (354-430) se convertit tardivement à la religion chrétienne et est baptisé en 387. Il sera nommé évêque d'Hippone, en Algérie, en 396. Homme cultivé, il n'a jamais eu l'intention de fonder un mouvement monastique. Mais, pour répondre à la demande d'une petite communauté, il écrit une « lettre » qui constitue une sorte de règle. Cette Lettre comprend deux parties : d'une part, un modèle de réglementation de la vie religieuse et, d'autre part, une longue série de conseils relatifs à la vie d'une communauté féminine. C'est cette seconde partie qui demeure plus particulièrement attachée à son nom. La règle de saint Augustin, dont le plus ancien manuscrit connu date du vne siècle, fixe aussi les bases de la vie de toutes les communauSaint Augustin (354-430). Né à Thagaste (actuelle Souk Ahras, tés de chanoines. en Algérie) dans une famille bourgeoise, baptisé en 387, il est L'ensemble de ces premiers textes pose, nommé évêque d'Hippone (Algérie) en 396 et le restera jusqu'à sa mort. Il défendra sa conception du christianisme à travers dès le milieu du 1v" siècle, les fondements d'innombrables lettres, sermons, traités, et son œuvre immense de l'organisation monastique médiévale. jouera un rôle décisif pour la pensée chrétienne occidentale. De nombreux points demeurent cependant à préciser: comment organiser la vie en communauté ? quels principes adopter pour guider les moines vers la perfection chrétienne? comment vivre une ascèse digne du Christ? Pendant longtemps encore, les communautés procéderont par expérimentation, établissant, chacune de son côté, ses propres prescriptions sur la nourriture, l'habillement, le partage du temps entre la prière et le travail, la discipline et la charité. Autant de communautés, donc, que de coutumes, dans un monde dont l'organisation se structure lentement, pragmatiquement.
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SAINT BENOÎT DE NURSIE, PÈRE DES MOINES D'OCCIDENT Le promoteur d'une organisation véritable de la vie monastique apparaît à l'aube du v,e siècle: il s'agit de saint Benoît de Nursie (v. 480-547) . Ce que nous connaissons de sa vie nous est principalement transmis par le livre II des Dialogues que Grégoire le Grand rédigea vers 593 ou 594, soit moins de cinquante ans après la mort de saint Benoît. Issu d'une famille noble de la région de Nursie, en Ombrie, Benoît interrompt les études qu'il avait entreprises à Rome pour se consacrer au service de Dieu. À l'exemple des premiers moines, il se retire d'abord auprès d'un groupe de prêtres à Enfide. Là, saint Grégoire lui attribue un prodige : la reconstitution miraculeuse d'un ustensile en terre cuite, malencontreusement brisé en tombant. Dès lors, sa notoriété devient un obstacle à la vie ascétique qu'il souhaitait mener. Aussi décide-t-il de se retirer définitivement du monde en s'installant près de Subiaco, sur les ruines d'une ancienne villa élevée par Néron. Peu à peu, des disciples le rejoignent, tandis que des moines le réclament à la tête de leur monastère de Vicovaro. Il devient leur abbé, entreprend de réformer la communauté, mais soulève une telle opposition que certains moines tentent de l'empoisonner.
Saint Benoît, fondateur de l'ordre bénédictin. La règle qu'il écrit pour ses moines, inspirée par les Sa intes Écritures, repose sur quatre prin cipes essen tiels : la modération, la gravité, la douceur et l'austérité. Elle aura un impact majeur sur le monachisme occidental et inspire encore aujourd'hui la vie des moniales et des moines du monde enti er. Détremp e et or, par Nardo di Cione, milieu du x11~ siècle.
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Benoît regagne donc sa solitude où de nouveaux disciples le rejoignent. Devant leur nombre croissant, et pour rester fidèle à l'idéal du monachisme primitif, il crée douze communautés de douze moines chacune, comme Moïse avec ses douze tribus et le Christ avec ses douze apôtres. Il place chaque communauté sous la responsabilité d'un abbé et assure la direction de l'ensemble, ainsi que celle d'un treizième monastère accueillant les novices auxquels il dispense son enseignement. I:hostilité du clergé local semble décider Benoît à transférer sa communauté au mont Cassin, où un nouvel établissement voit le jour vers 529, sur l'emplacement d'un temple romain dédié à Jupiter et Apollon. Une seconde fondation, destinée aux moniales, suit assez rapidement, non loin, à Terracina: c'est l'œuvre de sainte Scholastique (v. 480-543), sœur de saint Benoît, traditionnellement considérée comme la fondatrice du monachisme féminin.
Mont Cassin (Italie). Berceau de l'ordre bénédictin, le monastère du Mont-Cassin a été fond é par Benoît de Nursie, en 529, sur l' emplacement d'un temple dédi é à Apollon. Maintes foi s saccagé ou détruit au cours des siècles, il est complètement rasé par les bombardements alliés en février 1944. Entre 1948 et 1956, le monastère sera reconstruit à l'identique (« là où il était et tel qu'il était »). suivant le programme de l'abbé Ildefonso Rea.
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LE MESSAGE DE SAINT BENOÎT C'est donc au Mont Cassin que saint Benoît de Nursie s'attache à rédiger la règle qui porte son nom, la Regula Benedicti. Faisant la synthèse des expériences vécues jusqu'alors et s'inspirant d'une règle anonyme légèrement antérieure, la Regula Magistri (ou Règle du Maître), sans doute rédigée entre 500 et 530, il pose en 73 chapitres précédés d'un prologue les principes d'une vie monastique idéale. La Regula Magistri confirme les mérites de la vie communautaire, déjà admis dès le 1v" siècle par Basile de Césarée: si l'érémitisme peut être une voie adaptée à ceux qui sont suffisamment forts pour lutter seuls « contre les vices de la chair et des pensées», il ne peut convenir à des moines« ordinaires». Par conséquent, c'est dans la communauté que ces derniers doivent rechercher la perfection, sous la direction de l'abbé élu par eux (la Règle du Moines priant. La règle de saint Benoît donne, dans onze de ses chapitres, une description minutieuse des rites qui constituent !'Opus Dei ou Œuvre de Dieu. Ainsi la règle organise l'office divin, les cérémonies, les processions ... qui rythment la journée du moine. Tout au long de celle-ci, la prière, individuelle ou collective, tient une place majeure. Miniature anglaise, 1498.
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Maître le faisait désigner par son prédécesseur). Si cette élection implique
l'obéissance à celui-ci, elle fait aussi de lui le père de la communauté: à ce titre, il doit avoir« la tendresse d'un père» envers ses enfants et entretenir avec eux une relation spirituelle de maître à disciples. Tout comme la tradition des monastères orientaux se fonde sur la contemplation et l'ascétisme le plus rigoureux, la règle de saint Benoît confère une grande valeur au travail manuel. Elle définit le cadre de vie des moines en partageant leur temps entre deux activités essentielles: le travail manuel et la prière (en moyenne, par jour et en été, six heures pour le premier et huit heures pour la seconde). La règle prescrit également la ponctualité, le respect des saisons liturgiques et l'obligation de silence. Dans son traité, Benoît insiste aussi sur la nécessité de la conversion des mœurs. Il prône la pauvreté, la chasteté et le renoncement au monde qui permettent de se consacrer pleinement à la lecture divine (lectio di vina) et à l' œuvre de Dieu (Opus Dei). La nécessité de l'ascèse et de la discipline est largement développée. Rien n'est laissé au hasard: la nourriture, en quantité suffisante, mais sans excès« afin que le moine ne soit jamais surpris par l'indigestion»; le sommeil, tout habillé, en conservant sa ceinture« afin d'être toujours prêt»; les outils et objets du monastère,« dont l'abbé gardera un inventaire»; les fautes, ou manquements, dont l'auteur est« réprimandé publiquement devant tous les frères»; le besoin de se confier auprès de l'abbé ou d'anciens moines« qui savent guérir leurs propres blessures et celles d'autrui, sans les découvrir ni les divulguer». La règle de saint Benoît de Nursie apparaît donc comme une œuvre soigneusement pensée et solidement architecturée. Rigoureuse lorsqu'il s'agit de la discipline, exigeante quant au respect des promesses, stricte sur la tenue de l'office divin, elle se distingue cependant par le souci de miséricorde, d'harmonie et d'humanité qui l'inspire. L'ensemble est toujours envisagé avec discretio, c'est-à-dire un discernement, une sagesse et une tempérance qui en font toute l'originalité. Pendant près de deux siècles, cette règle va rester en concurrence avec d'autres, et en particulier avec celle de saint Colomban (v. 540-615), ce moine irlandais missionnaire qui prône un ascétisme sans compromission. Il rédige entre 591 et 610 sa Regula monachorum (Règle des moines), dont les principes particulièrement sévères sont appliqués dans les monastères qu'il fonde en Franche-Comté
Saint Colomban (v. 540-615). Selon la tradition celtique, après avoir quitté son Irlande natale, il aurait débarqué en 585, près de Saint-Malo. Ayant traversé les territoires francs, il fonde plusieurs monastères au sud des Vosges, dont celui de Luxeuil, qui rayonnera dans toute l'Europe au v11' siècle. Saint Colomban y rédige, entre 591 et 610, une règle monastique d'une extrême exigence, caractérisée par des pénitences sévères, contrairement à celle de saint Benoît de Nursie, qui prône un ascétisme modéré.
L ES O RI GI N ES D U M O N A C H I SM E O CCI D ENTA L /
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(Annegray vers 585, Luxeuil vers 590, Fontaine vers 595). La Regula monachorum séduit de nombreuses abbayes mérovingiennes comme Jouarre ou Jumièges. Mais, de plus en plus largement diffusée à partir de l'époque carolingienne, la Regula Benedicti voit son influence grandir : à l'époque romane, après avoir rallié la plupart des disciples de saint Colomban, elle devient la pierre angulaire du monde monastique et s'impose à la quasi-totalité des monastères occidentaux. Sans doute doit-elle son succès à sa qualité, à son approche exhaustive de la vie quotidienne et spirituelle des moines, ainsi qu'à la sagesse et à la mesure de ses recommandations. Ses principes sont assez généraux pour être mis en pratique dans toute fondation monastique et sa souplesse n'interdit aucune des adaptations que peut exiger une particularité locale. Jamais contestée, ce sera encore elle que les réformateurs de la vie monastique invoqueront, du milieu du x 1e au début du x11e siècle, pour leurs nouvelles institutions de Cîteaux ou de Fontevraud. Abbaye de Baumeles-Messieurs (Jura). Bien que les faits ne soient pas historiquement vérifiés, la tradition attribue à saint Colomban la fondation d'un premier monastère à Baume, au v1' siècle. Plusieurs fois dévasté, il est confié, en 890, à l'abbé Bernon, qui y applique la règle de saint Benoît. Et c'est de Baum e-les Messieurs q ue l'abbé Bernon partira, avec quelques compagnons, pour fonder Cluny en 910.
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MONASTÈRES MÉROVINGIENS ET CAROLINGIENS Avant même d'avoir tous adopté les préceptes de saint Benoît, les monastères du haut Moyen Âge développaient déjà des orientations communes : civilisation, éducation, conversion des hommes, mais aussi défrichement des forêts et mise en culture des terres. Ils attiraient d'autant plus le monde laïque qu'ils palliaient fréquemment, en ces temps encore troublés, les structures déficientes de l'État romain. Le monastère est alors un havre de paix stable et accueillant pour une société qui a de grandes difficultés à assurer ses besoins les plus élémentaires, comme sa subsistance, sa sécurité, sa santé et son éducation. Initialement centre de prière, le monastère n'a pas tardé pas à devenir un lieu de culture. Ses religieux, pratiquement les seuls lettrés del' époque, entretiennent des écoles et contribuent à l'alphabétisation. Constituant le trivium, la grammaire, la rhétorique et la dialectique sont la base de l'enseignement.
AB BA VE S M ÉDIÉVALES
Moine enseignant. À partir de l'époque ca rolin gienne, conformément aux prescriptions de Charlemagne et de son successeur, Louis le Pieux, les monastères prennent en charge la transmission du savoir et l'enseignement. Reposant sur une base religieuse et sur l'héritage antique, cet enseignement est principal ement destiné à former les religieux et les élites laïques. À partir du x11' siècle, une impulsion nouvelle se ra donnée à l'enseignement, avec l'émergence d'écoles épiscopales qui donneront naissance aux universités. Enluminure 1464 /1 480.
LES OR I GIN ES DU MON AC HIS ME OCCIDENTAL /
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Après le trivium, le quadrivium est l'étude de l'arithmétique, l'astronomie, la géométrie et la musique. Parfois encore, on enseigne le droit, la médecine et les lettres classiques. Bien évidemment, la plus grande partie de ces enseignements se fait en latin, langue commune à tous les lettrés d'Occident. Le monastère est aussi devenu une importante exploitation agricole, car la générosité des fidèles contribue à augmenter son patrimoine foncier: pour
Abbaye de Saint-Philbertde-GrandLieu (LoireAtlantique). Fondé vers 815, le monastère est détruit par les Vikings en 847. Afin de préserver les précieuses reliques de saint Philibert, jusqu'alors abritées dans la crypte de l'abbatiale, les moines les transporteront à Tournus, en Bourgogne. Une nouvelle église sera construite à Saint-Philbert-deGrand -Lieu, à partir du 1x' siècle. Malgré des remaniements ultérieurs, notamment à l'époque romane, elle reste un témoin rare et tout à fait représentatif de l'architecture carolingienne.
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M ÉDI ÉVA LES
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un laïc, fonder un monastère ou lui offrir des terres est signe de grande piété. En contrepartie, le donateur obtient généralement la permission d'y établir sa sépulture, s'assurant ainsi la quasi-certitude d'une rémission de ses péchés. Mais, si le monastère trouve un grand intérêt dans de tels usages, il y perd aussi une grande partie de sa liberté en se liant progressivement avec le pouvoir et l'aristocratie naissante ... Certains bienfaiteurs peu scrupuleux ne se priveront pas d'ingérences parfois abusives, considérant le monastère comme leur bien particulier. Ils nommeront par exemple à sa tête des abbés laïcs dépourvus de tout sentiment religieux, ou s'établiront au monastère comme dans leur propre demeure. C'est dans ces conditions que le monachisme connaît, entre le milieu du \ '11 1• siècle et le milieu du 1x•, un essor fulgurant, avec quelque quatre cent vingt fondation s dans l'Empire. Une telle expansion n'était possible sans une certaine osmose avec le monde profane. L'organisation rigoureuse et le succès de ces monastères vont séduire l'empereur Charlemagne luimême, qui voit en chacun d'eux un modèle d'administration pour son Empire et en chacun des moines un auxiliaire possible du pouvoir ou un administrateur efficace. Mais l'Empire est vaste et faire reposer son administration sur de multiples monastères vivant en toute indépendance et sur des modes différents n'apparaît assurément pas comme la meilleure stratégie à adopter pour une politique visant à réunifier des territoires dispersés.
Bien que son nom fasse référence au pape Grégoire I" (v. 540- 604) , Je célèbre chant grégorien semble apparaître au v111' siècle. C'est un chant monodique (tout Je chœ ur chante à l'unisson), diatonique (sans altérations) , a capella (sa ns accompagnement d'instrument), basé sur une rythmique verbale (ce sont les paroles et les mots qui donnent le rythme) . À l' époque carolingienne, le chant grégorien connaît un formid able essor, grâce au rôle décisif des monastères qui le diffusent. Enluminure fra nçaise,
début du "'' siècle.
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VERS UNE RÈGLE UNIQUE Abbaye d'Aubazine (Corrèze). Daté du XI I I' siècle, ce tombeau est celui de saint Étienne (1085-1159), fondateur et premier abbé d'Aubazine. Détail montrant des moines en prière.
Afin de consolider l'Empire chrétien d'Occident, Charlemagne entreprend donc de fédérer tous ces monastères dans un mode de vie monastique unique. Dans ce but, il envoie un émissaire à l'abbaye du Mont-Cassin qui détient la règle de saint Benoît dans sa formulation originelle. Celle-ci avait déjà tendance à s'imposer; elle sera maintenant recopiée et largement diffusée, faisant ainsi force de loi. Après Charlemagne, Louis le Pieux, poursuit efficacement l'entreprise et s'appuie plus particulièrement sur son conseiller, Witiza (v. 750-821), fils du comte wisigoth de Maguelonne. Witiza a passé une partie de sa jeunesse à la cour de Pépin le Bref, père du futur Charlemagne. Devenu moine vers 774, sous le nom de Benoît, il s'est retiré au monastère de Saint-Seine près
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de Dijon. Mais les désordres et l'indiscipline qui y règnent le contraignent à quitter cet établissement. Il gagne alors le Languedoc où il fonde, vers 780, le monastère d'Aniane (Witiza sera d'ailleurs appelé plus tard saint Benoît d'Aniane). Sa communauté est régie dans un premier temps par l'austère règle de saint Basile, puis, vers 787, elle adopte la règle de Benoît de Nursie. La réussite de cette fondation, ainsi que les relations privilégiées que Benoît entretient avec l'aristocratie franque lui valent la confiance et la protection de Charlemagne et de son successeur, Louis le Pieux. Charlemagne accorde à l'abbaye d'Aniane le privilège de l'immunité (interdiction faite aux fonctionnaires publics de pénétrer sur un domaine bénéficiant de l'exemption). Louis le Pieux charge saint Benoît d'organiser le concile d'Aix-la-Chapelle, en 819, dans le but de regrouper le plus grand nombre de monastères sous la règle qu'il pratiquait avec succès dans le sien. Le premier Chapitre général des moines d'Occident va donc réunir tous les abbés de l'empire carolingien et, sous la direction de Benoît d'Aniane, la règle bénédictine y sera discutée, analysée et commentée. Il ressortira des débats que la vocation première des moines doit être le service de Dieu et qu'ils doivent consacrer l'essentiel de leur temps à la prière et à la liturgie. Joignant la pratique à la théorie, Louis le Pieux, pour l'occasion, fait construire un « monastère-école » à Inden, non loin d'Aix-la-Chapelle. Toutes les abbayes devront y envoyer deux de leurs religieux afin qu'ils s'y forment dans l'observance d'une règle unique, celle de saint Benoît de Nursie, telle qu'elle fut analysée lors du Chapitre général. Les religieux ainsi formés devront la propager ensuite dans leurs propres établissements. Ainsi épaulé par le pouvoir impérial, Benoît d'Aniane est donc à l'origine d'une large diffusion de la Regula Benedicti dans les monastères de l'Empire. La réussite de son entreprise sera telle, que moins de deux siècles plus tard, il n'y aura plus guère d'établissements en Occident qui ne se soient ralliés à son observance.
L'ÂGE D'OR DES MONASTÈRES Le processus d'unification entamé par saint Benoît d'Aniane est achevé aux alentours de l'an mil. La quasi-totalité des établissements monastiques d'Occident vit alors selon les préceptes du père des moines d'Occident. Ces abbayes « bénédictines» occupent pleinement leur place dans la société féodale; elles y demeureront solidement ancrées jusqu'au x11° siècle. Sur le plan spirituel, les vocations ne manquent pas. Effectivement, après la grande peur de l'an mil, le peuple montre une foi inébranlable et une immense ferveur. Il faut conjurer la hantise de l'enfer, assurer le salut de l'âme, et les fidèles se pressent dans les églises. En quête d'absolu ou de
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Abbaye de Cadouin (Dordogne), cloître, fin xv< siècle. Console ornée de moines en prière.
perfection, ils revêtent l'habit monacal, ou encore, espérant gagner le pardon, prennent le bourdon de pèlerin sur les chemins de Montmajour ou du Mont-Saint-Michel, de Compostelle ou de Rome. Curieusement, sur le plan social, les monastères reproduisent la hiérarchie du monde dont ils sont censés se retirer: les abbés et prieurs qui les dirigent sont le plus souvent issus de la noblesse, milieu habitué au pouvoir et à la domination. Les moines, essentiellement affectés, depuis le concile d'Aix-laChapelle, au chant liturgique et aux travaux intellectuels, doivent être lettrés ; ils sont donc généralement recrutés dans les classes moyennes. Quant aux convers et frères laïcs, chargés des tâches matérielles permettant le bon fonctionnement de la communauté, ils disposent d'un statut proche de celui des serfs, mais sont assurés d'une relative sécurité et d'une nourriture suffisante chaque jour. D'un point de vue économique, les abbayes deviennent des propriétaires fonciers importants, souvent à la tête d'immenses domaines. Les terres sont exploitées avec intelligence et leur permettent de subvenir à leurs besoins.
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Notre-Dame-sous-Terre, abbaye du Mont-Saint-Michel (Manche). Datée du 1x' siècle, Notre- Damesous-Terre est la partie la plus ancienne de l'abbaye. Elle s'élevait, à l'origine, à l'air libre, puis a été englobée, au x1' siècle, dans les fond ati ons de la nef de l'abbati ale.
En alimentant le négoce et les fo ires, elles assurent leur prospérité, to ut en contribuant à la richesse générale. Les abbayes jouent aussi un rôle civilisateur capital, notamment dans la vie intellectuelle, culturelle et artistique. Elles fascinent le monde féodal, car elles constituent les seuls îlots de savoirs dans un territoire où nobles et serfs se retrouvent le plus so uvent égaux dans l'ignorance. Elles conservent et perpétuent les savoirs dans les scriptoria, où les moines recopient inlassablement les textes hérités de !'Antiquité, les livres saints, ainsi que des ouvrages théologiques ou scientifiques. De plus, elles contribuent à la diffusion des connaissances, en échangeant leurs manuscrits et en entretenant des écoles, comme en son temps le leur prescrivait Charlemagne. Enfin, comme rien n'est trop beau pour honorer Dieu, le monastère, qui est sa maison, se doit de manifester l'amour que lui portent les moines. Ces derniers vont réapprendre l'art de travailler la pierre, un art porté à un haut niveau de perfection pendant !'Antiquité, mais oublié depuis la chute de Rome et les invasions barbares. Encore maladroits au début du xe siècle, ce sont eux qui parviendront, en quelques décennies, à maîtriser la pierre et les volumes jusqwà leur donner cette pureté absolue qui caractérise !>architecture romane.
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Abbaye de Royaumont (Val-d'Oise). Elle est construite entre 1228 et 1235 par la volonté de Louis IX, futur saint Louis, et de sa mère, Blanche de Castille. Sa construction, particulièrement rapide, et ses dimensions témoignent de l'appui royal. Le roi s'y retire d'ailleurs régulièrement pour vivre à la manière d'un moine. Il y fera inhumer un de ses frères et trois de ses enfants. Malgré la destruction de son église en 1792, Royaumont offre un remarquable témoignage de l'architecture gothique cistercienne.
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À partir du vi• siècle, les ordres monastiques se succèdent, marquant le siècle par leur foi et leur influence dans le domaine social, économique et politique. Tous ont essayé de maintenir et de restaurer une observance plus stricte des règles fondatrices édictées par saint Benoît, diversement interprétées. Pourtant, aucune de leurs tentatives de réforme n'aboutira durablement.
LES ANCIENNES ABBAYES BÉNÉDICTINES Si l'Empire carolingien favorisa la prospérité des monastères, sa dislocation, au 1x• siècle, en ruina la plupart, tandis que les invasions normandes et sarrasines jetèrent les moines sur les chemins de l'exil. Pourtant, le relèvement sera rapide et le siècle suivant sera celui du renouveau monastique. Les abbayes anciennes, comme celle de Fleury-sur-Loire fondée vers 651, celle de Fécamp, vers 658, celle du Mont-Saint-Michel, vers 709, celle de Saint-Bénigne à Dijon, vers 871, se relèvent à partir du x• siècle. Sous l'impulsion d'abbés énergiques, elles reconstituent leurs domaines fonciers, retrouvent des revenus appréciables et restaurent la vie claustrale. Bien qu'elles ne soient liées par aucun lien juridique et qu'elles ne constituent pas un ordre monastique à proprement parler, elles forment une« famille » qui diffuse largement un idéal commun, inspiré par la règle de saint Benoît de Nursie. Mais cette prospérité retrouvée n'est guère propice à l'austérité monacale et elle est de plus convoitée par les laïcs. Nombre d'abbés ont tendance à négliger ou à contourner les exigences de la règle originelle. Leur autorité est souvent fragilisée par les prétentions des évêques et du pouvoir laïque. La discipline se relâche ... C'est l'abbaye de Cluny qui entreprend une réforme capitale. Pour échapper à l'emprise des évêques et des laïcs, Cluny fera de son abbaye et de toutes ses filiales la propriété du Saint-Siège, échappant ainsi à toute autre juridiction. Maison mère, elle institue une gouvernance centralisée en soumettant à l'autorité de son abbé tous les établissements qu'elle fonde ou qu'elle réforme. C'est ainsi que l'ordre clunisien deviendra le premier des ordres monastiques, au sens où nous l'entendons aujourd'hui.
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Moine copiste. Pendant une grande partie du Moyen Âge, les moines sont pratiquement les seuls détenteurs du savoir, qu'ils conservent et transmettent en recopiant des manuscrits. La tâche est longue et minutieuse : il n'est pas rare que plusieurs moines travaillent simultanément aux différents feuillets d'un même ouvrage. Miniature française, milieu ~V' siècle.
LES PRINCIPAUX ORDRES MONASTIQUES AU MOYEN ÂGE
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CLUNY, LA RICHESSE AU SERVICE DE DIEU Consécration de l'autel de l'abbaye de Cluny en 1095. On peut voir, à gauche, le pape Urbain Il, ancien moine de Cluny, qu i bénit le nouveau maître-autel en présence de l'abbé Hugues de Semur et de ses moines (à droite). Miniature, fin x11' siècle.
En 910, le duc d'Aquitaine Guillaume 1er cède au Saint-Siège la terre de Cluny, dans le diocèse de Mâcon : l'abbé de Baume-les-Messieurs, Bernon (v. 860-927) , formé à la règle revue par saint Benoît d'Aniane, est chargé d'y fonder un monastère. Cette fondation marque un tournant important dans l'histoire du monachisme occidental. En effet, dès le début de son histoire, Cluny devient le cœur d'un véritable empire monastique, tandis que l'ordre clunisien, structuré à l'image de la société féodale, devient l'un des principaux piliers du monachisme bénédictin 2• L'abbaye de Cluny, tout comme l'ordre clunisien, aura sur le monde occidental des x1° et x11° siècles une influence considérable, particulièrement dans les domaines de la politique, de la culture et des arts. Dès 912, très peu de temps donc après sa fondation, Cluny bénéficie déjà de l'exemption: l'abbaye et l'ordre sont désormais placés sous la protection directe et exclusive du Saint-Siège. C'est là une protection appréciable à un moment où les évêques deviennent de véritables
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2 li convient de préciser que, à tort, on réserve souvent la qualifi cation de « Bénédi ctins » aux seuls moines et établissements de Cluny. En fait, la plupart des abbayes médi évales sont, de fait, bénédictines, car elles suivent la règ le de sa int Benoît de Nursie, sans pour autant être fédérées et sans être rattachées à Cluny.
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AB BA VE 5 M ÉDI ÉV ALE 5
L E5 PRI N CI PA U X ORDRE5 M ONA 5 TI Q U E5 A U M OYEN ÂGE /
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L'abbaye de La Sauve-Majeure (Gironde) est une abbaye bénédictine fondée en 1079. Riche et puissante, elle sera, à son apogée, à la tête d'une cinquantaine de prieurés, dont quelques -u ns en Aragon et en Angleterre. Située sur la Via Turonensis (voie de Tours), elle est une halte appréciée par les pèlerins se dirigeant vers Compostelle.
MONASTÈRE, ABBAYE OU PRIEURÉ? Bien souvent, on utilise indifféremment les mots : monastère, abbaye, prieuré ou couvent, pour désigner tout habitat collectif de religieux . Si la distinction est parfois subtile, les quelques notions ci-dessous permettront de mieux comprendre ce que recouvre chacun de ces termes.
MONASTtRE Un monastère est un établissement religieux qui accueille des moines (ou des moniales). Ils y vivent en communauté, appliquent une règle commune, sont liés par des vœux de religion : stabilité dans le monastère (clôture), obéissance, conversion des mœurs (pauvreté, chasteté). À l'écart du monde et dans la claustration, ils mènent une vie de prière, de contemplation et de travail.
ABBAYE Une abbaye est un monastère placé sous la direction d'un abbé auquel chaque membre de la communauté doit obéissance. En général, cette communauté est composée de religieux qui ont fait le choix de quitter la société pour se consacrer à la religion : ce sont des moines, qui ont prononcé leurs vœux de religion . Lorsque la communauté est féminine, composée donc de moniales, le monastère est dirigé par une abbesse .
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PRIEURÉ
Ce terme désigne un monastère dirigé par un pri eur. Il est placé sous la dépendance directe de l'abbaye qui l'a créé sur son domaine foncier ou l'a obtenu en donation. Il est le plus souvent établi en mi lieu rural. Ses moines gèrent sur place le temporel et en envoient les revenus à l'abbaye. Lorsque l'établissement est composé de moniales, il est d irigé par une prieure. COUVENT
Le couvent abrite une communauté religieuse composée de clercs réguli ers ou de religieux non soumis à la clôture monastique (religieux des ordres mendiants, chanoines) . Le couvent, généralement établi en ville, est plus ouvert sur le monde que le monastère. À la différence de celui-ci, il n'est pas placé sous la responsabilité d'un abbé ou d'un prieur, ma is sous celle d'un supérieur, ou d'une supérieure dans le cas d'un couvent féminin . Assez proche du monastère dans son organisation architecturale, il montre souvent des spécificités pour s'adapter aux missions de l'ordre auquel il est attaché (la préd ication, l'enseignement, l'assistance aux pauvres, le soin des malades, le secours aux pèlerins, etc.). Ces activités ne constituent pas la vocation première des ordres monastiques, qui les traitent en dehors de la clôture.
Cunault (Maine-et-Loire). D'abord dépendance de Saint-Philibertde- Grand-Lieu en Vendée, Cunaul t devient un prieuré de l' abbaye bourguignonne de Tournus en 875. Sa prieurale Notre Dame, bâtie entre le x1' et le x111' siècle, est l'une de plus belles églises romanes d'Anjou.
LES P RI N CI PA U X O RORES M O N A ST I Q U ES A U M OVE N Â GE /
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Abbaye de Cluny (Saône-et-Loire). Fondée en 910, l'abbaye de Cluny rayonnera sur l'Europe pendant tout le Moyen Âge. Son abbatiale, la Maior ecclesia (la plus grande église), témoigne de la puissance de l'ordre. Construite entre 1088 et 1130, ses dimensions exceptionnelles en font l'église la plus importante de toute la chrétienté, avant l'édification de Saint-Pierre de Rome au xv1' siècle.
46/LES
ABBAYES MÉDIÉVALES
potentats qui abusent parfois de leurs prérogatives. Il en va de même des puissants seigneurs, qui prétendent étendre leur domination aux maisons religieuses établies sur leurs terres et dont ils convoitent bien souvent les revenus .. . Ainsi, l'ordre clunisien, soustrait aux ingérences seigneuriales et épiscopales, jouissant d'une large indépendance matérielle et spirituelle, assurera au Saint-Siège, à titre de réciprocité, un utile soutien pour contrer des évêques et grands féodaux trop ambitieux. En 931, l'abbaye de Cluny obtient le privilège de placer sous sa dépendance directe les monastères qu'elle fonde ou qui s'y rattachent. Autour d'elle, maison mère, un véritable empire monastique s'organise, dont les ramifications s'étendront jusqu'en Angleterre et en Espagne. Abbayes d' obédience et prieurés sont soumis à l'autorité exclusive de l'abbé de Cluny et c'est lui qui en nomme les supérieurs. En raison de l'importance de l'ordre, du nombre de ses établissements, de l'effectif de ses religieux et de son organisation centralisée, les abbés qui se succèdent à la tête de Cluny sont puissants. Le plus souvent issus de l'aris tocratie, ils sont habitués à l'exercice du commandement, entretiennent généralement d'excellentes relations avec le pouvoir et obtiennent des privilèges pour leurs monastères. Ils connaissent aussi, pour la plupart, une exceptionnelle longévité qui inscrit leur action dans la durée. Hommes de religion, certes, mais aussi véritables suzerains, ils exercent une autorité directe sur l'ensemble de leurs prieurs et abbés, qui leur rendent l'hommage de vassalité. Et c'est l'abbé de Cluny qui, seul, nomme tous les prieurs de l'ordre et les abbés des monastères rattachés à l'ordre, contrairement à l'esprit de la règle de saint Benoît qui prévoit que tout abbé« [... ] aura été élu d'un commun accord, selon la crainte de Dieu, par la communauté[ ... ]» C'est à l'abbé Hugues de Semur (1049-1109) que l'on attribue le mérite de porter le mouvement clunisien à son apogée. Diplomate averti, il fonde de nombreux établissements et en fait entrer d'autres dans le giron de Cluny. Les donations ne cessent d'affluer et le domaine foncier de s' étendre, garantissant la prospérité matérielle del' ordre. La sagesse et l'habileté de l'abbé Hugues propagent la grandeur de l'ordre au-delà des frontières: à sa mort, en 1109, on comptera 1184 «maisons », dont 883 en France. Dès la fondation de Cluny en 910, ses religieux reprennent les directives de Benoît d'Aniane en consacrant l'essentiel de leur temps aux activités de l'esprit et surtout à la liturgie. Celle-ci occupe la plus grande partie de la journée : les offices sont longs, leur fréquence importante. L'éclat des cérémonies est rehaussé par le
Moine bénédictin de Cluny. Pour saint Benoît, !'Opus Dei (Œuvre de Dieu) est primordial dans la vie des moines. Ceux de Cluny e n font leur occupation première et consacrent la quasi-totalité de leur temps à la liturgie et à la prière. Le travail manuel, prévu par la règle de saint Be noît, se limite le plu s souvent à la cop ie de manuscrits ou à l' enluminure. Les activités artisanales et agricoles sont laissées à des serviteurs laïcs ou à d es salariés.
LES PRINCIPAUX ORDRES MONASTIQUES AU MOYEN ÂGE
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PROGRAMME ARCHITECTURAL DE CLUNY Pour les moines de Cluny, rien n'est trop beau pour glorifier Dieu, ni dans la liturgie ni dans l'architecture. Ils atteignent cet idéal à la fin du x1• siècle : pendant près de soixante années, grâce à l'habile gouvernement de l'abbé Hugues de Semur (1024-1109), l'abbaye n'a cessé de recueillir privi lèges et dons. L'ordre y a trouvé non seulement sa subsistance, mais aussi des fonds considérables. Cette richesse permet d'ouvrir, à la maison mère, un chantier gigantesque pour la construction d'une église à la mesure de son influence et de son ambition. Les premières abbatiales (appelées, par les archéologues, Cluny I et Cluny Il), construites par les abbés Odon (927-942) et Mayeul (9941049). sont jugées trop petites : elles laisseront place à Cluny Ill. Ce sera la plus grande église d'Occident : 187 mètres de long, double transept, quatre clochers majeurs, deux tours de façade, une quinzaine de chapelles, une immense nef divisée en cinq vaisseaux, des voûtes culminant à 30 mètres de haut... À une époque où les plus grands éd ifices religieux ne dépassent guère les 100 mètres de long, l'entreprise est démesurée ! Elle débute en 1088 pour
Abbaye de Cluny (Saône-et-Loire). Restitution de l'abbatiale, dite « Cluny III ». Le monument, dressé entre 1088 et 1130, est gigantesque, magistral. Ses ambitions sont à l'image du rayonnement de l'ordre cl unisien. Cluny III inspirera la construction de nombreuses églises médiévales.
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D E L' A L I M ENTAT 10 N D ES FRA N ÇA I S
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Voûtes du grand transept de l'abbatiale. Abbaye de Cluny (Saône -et-Lo ire).
s'achever près d'un siècle plus tard , après avoir tout de même fragilisé dangereusement les finances de l'ordre. Mais, à Cluny, Dieu sera célébré avec le faste le plus grandiose ! Et dans tout l'empire clunisien, les moines noirs bâtissent pour gagner le Ciel et édifier les âmes. D'innombrables splendeurs architecturales sont érigées : Beaulieu-sur-Dordogne, La Charité-sur-Loire. Moissac, Paray-leMonial. Vézelay, etc. Leur majesté et leur diversité font la fierté de notre patrimoine monumental. La diversité de ces constructions peut surprendre . Contrairement à ce que laisse supposer l'organisation fortement centralisée des Clunisiens, ils n'imposent à leurs établissements aucune spécificité architecturale, aucun programme iconographique. Leurs bâtiments sont ceux de leur époque, de leur région et. bien évidemment. de leurs revenus. Seul le concept de l'ensemble monastique échappe à la diversité et demeure celui proposé par le plan type de Saint- Gall (voir page 131). Dans la liturgie comme dans l'architecture, les Clunisiens aiment le faste. Ils affectionnent les églises spacieuses pouvant accueillir des foules, les tran septs saillants et les chœurs profonds adaptés aux cérémonies fastueuses, les clochers ostentatoires dont les carillons portent au loin le rythme des heures. Ils multiplient les absidioles rayonnantes pour les messes privées, les cryptes pour le culte des reliques . Ils développent les déambulatoires pour faciliter les processions et la circu lation des pèlerins . Grands amateurs d'art. ils commandent d'importants programmes sculptés et peints, qui participent à l'édification des fidèles et des religieux. Ces « livres » de pierre et de couleur sont. de surcroît, la manifestation d'une aisance matérielle certaine.
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luxe des vêtements, la richesse des objets de culte, la splendeur des édifices. Les « moines noirs» (les Clunisiens étaient vêtus de cette couleur) consacrent pratiquement tout leur temps aux psaumes; ils les mémorisent dans d'interminables répétitions, les chantent à l'office dans l'église ou en procession à chacun de leurs déplacements, les lisent encore dans le cloître pour nourrir leur méditation. Dans leur scriptorium, ils recopient d'innombrables manuscrits et les ornent de splendides enluminures. Les bibliothèques sont donc bien fournies et favorisent une vie intellectuelle intense. Toutes ces activités spirituelles et intellectuelles permettent aux moines de respecter le labo rare préconisé par la Regula Benedicti, tout en leur épargnant le travail manuel jugé peu valorisant. Ce travail manuel, indispensable, car il assure la vie matérielle de la communauté, revient aux convers, qui sont des religieux d'origine modeste, généralement illettrés, et aux paysans, qui travaillent les terres du monastère. Et ce travail va rapidement permettre aux établissements clunisiens de devenir très riches. Il sera donc facile, d'une part, d'assurer la splendeur des offices et, d'autre part, d'édifier des bâtiments religieux majestueux magnifiant la puissance de Dieu. Est-ce à dire que tout va pour le mieux dans l'ordre clunisien? La prospérité peu à peu entraîne une dérive et suscite des reproches. On ne tarde pas à réprouver les fastes ostentatoires, l'oisiveté des moines et maints excès qui constituent autant d'entorses à l'esprit de la règle de saint Benoît. Les « seigneurs de Cluny» s'attirent de sévères critiques. L'austère saint Bernard tonne sans ménagements:« [... ] l'Église resplendit dans ses murs et elle n'a rien pour ses pauvres. Elle revêt d'or ses pierres et abandonne ses fils tout nus. Aux dépens des miséreux, on régale les yeux des riches[ ... ] » rapogée de Cluny, au tournant du x11e siècle, va donc coïncider avec une remise en question de son modèle. De nombreux réformateurs, mystiques exaltés et en quête d'absolu, encore fascinés par les Pères du désert, revendiquent un retour à la vie érémitique afin de retrouver les sources du christianisme et la pureté originelle de la foi . Sans abandonner les principes généraux de la règle de Benoît de Nursie, des expériences souvent originales sont tentées ... Ici, on met l'accent sur la contemplation; là, sur l'ascèse ou la pauvreté. Partout, on renoue avec la tradition du désert. Robert de Turlande fonde l'ordre des Casadéens en Auvergne (1043), Étienne de Thiers, celui des Grandmontains en Limousin (1076), Bruno de Hartenfaust, l'ordre des Chartreux dans le Dauphiné (1084), Robert de Molesme, celui des Cisterciens en Bourgogne (1098), Robert d'Arbrissel, celui des Fontevristes en Anjou (1100) et Hugues de Grenoble, celui des Chalaisiens en Dauphiné (1101). À cette même logique de réforme répondent encore d'autres fondations, moins connues, car éphémères ou ultérieurement rattachées à un ordre plus
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important: Tiron, fondée à Thiron-Gardais en Normandie (1109) par Bernard d'Abbeville; Savigny, fondée en Normandie par Vital de Mortain (1112) ; et Aubazine, fondée en Limousin par Étienne (1142), ces deux dernières affiliées aux Cisterciens en 114 7. S'opposant aux fastes excessifs de Cluny et à sa compromission avec le pouvoir féodal, toutes ces fondations, rapprochées et successives, se lancent donc dans l'aventure d'une pureté monastique retrouvée. En reprenant, pour l'essentiel, la doctrine de saint Benoît de Nursie, elles afficheront, à l'origine surtout, une rigueur et une pauvreté sans concessions.
LA CHAISE-DIEU, UNE ABBAYE SOUS PROTECTION PONTIFICALE En 1043, rentrant d'un pèlerinage au Mont-Cassin, un chanoine de la collégiale Saint-Julien de Brioude, Robert de Turlande (v. 1001 -1067), décide de quitter l'agitation du monde. Avec deux compagnons, il fonde, dans les solitudes forestières du Livradois, un modeste ermitage : la Casa Dei (maison de Dieu), qui devient une abbaye en 1050. Appliquant la règle de saint Benoît dans toute sa rigueur originelle, l'abbaye de La Chaise-Dieu sera, dès 1052, sous la protection du roi Henri 1er. En 1095, le pape Urbain II consacre solennellement l'abbatiale et déclare l'abbaye nullius diocesis ; placée sous la protection du SaintSiège, La Chaise- Dieu sera exemptée de tout impôt et dégagée de tout pouvoir seigneurial ou épiscopal.
Abbaye de La Chaise-Dieu (Haute- Loire). Fondée au milieu du x1' siècle, la Maison de Dieu (Casa Dei) est établie à 1 080 mètres d'altitude, dans les monts du Livradois. !.:abbaye de La Chaise-Dieu est chef de l'ordre casadéen qui, au Moyen Âge, rivalise en Auvergne avec les puissants clunisiens.
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Église de La Chaise-Dieu (Haute-Loire). L'ensemble du monastère sera reconstruit au x1v" siècle. Son abbatiale Saint-Robert, élevée entre 1344 et 1352, de par la volonté du pape Clément Vl, est de style gothique languedocien. On peut y voir des stall es du x1v" siècle, un jubé, une fres que sur le thème de la danse macabre, du x,~ siècle.
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Richement dotée par les plus grandes familles d'Auvergne, comme les Mercœur, les Polignac ou les comtes de Vodable, l'abbaye prospérera et essaimera rapidement, d'abord en Auvergne, puis dans tout l'ouest de l'Europe. En 1067, à la mort de son fondateur (canonisé dès 1070), l'abbaye de La ChaiseDieu compte quelque trois cents moines. L'ordre, dit « casadéen », compte dix monastères et plus de trois cent quarante prieurés. La Chaise-Dieu est alors décrite comme « le miroir de la perfection monastique ». En Auvergne, elle rivalise avec Cluny et Cîteaux, lui disputant possessions et influences. Mais c'est surtout au xrv" siècle que La Chaise-Dieu connaît son heure de gloire, lorsque Pierre Roger de Beaufort, ancien moine de l'abbaye devenu pape en 1342 sous le nom de Clément VI, décide, vers 1344, d'y installer son tombeau. Depuis Avignon, il finance, sur sa fortune personnelle, la démolition de l'ancienne église romane et entreprend la construction de l'abbatiale que nous connaissons aujourd'hui. Il s'y fera inhumer en 1353. La nouvelle église, d'une architecture gothique austère, mais d'une grande majesté, sera achevée une vingtaine d'années après sa mort, sous le pontificat de son propre neveu, Grégoire XI. Ce dernier y ajoutera la tour Clémentine, fortifiée à la manière d'un donjon et inspirée de l'une des tours du Palais des papes d'Avignon.
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L'abbaye Saint-Robert est alors un ensemble de bâtiments assez hétéroclites, loin de son plan primitif calqué sur le plan rationnel de SaintGall. Une enceinte, percée de portes et ponctuée de tours de garde, renferme sur deux hectares l'abbatiale et le cloître autour duquel s'ordonnent les habituels espaces conventuels : salle capitulaire, réfectoire, dortoir, bibliothèque. Un peu plus loin sont établis les logis de l'abbé, du cellérier, du prieur, l'infirmerie, les écuries. Près d'une porte, l'aumônerie a été voulue, par saint Robert, suffisamment spacieuse pour s'ouvrir à de très nombreux nécessiteux. L'hôtellerie, pour sa part, accueille les hôtes de marque, les voyageurs aventurés dans cette contrée reculée, les pèlerins attirés par le tombeau du fondateur. Aux portes de l'abbaye, comme pour la plupart des fondations bénédictines, s' installent paysans, artisans, marchands, etc. Ils peuplent un bourg prospère et profitent directement ou indirectement des activités du monastère. La tour Clémentine de La Chaise-Dieu (Haute-Loire). Pourtant, déjà, l'ordre casadéen Appuyée contre l'abbatiale, la tour Clémentine sera achevée par le pape commence à décliner. Entre 1348 et Grégoire XI, neveu de Clément VI , à la fin du x1v< siècle. Elle est parfois 1419, le pays est ravagé par la peste appelée« tour de la Trésorerie», ce qui semble indiquer qu'ell e abritait le Trésor du monastère. La tour Clémentine est aussi un signe noire qui décime la population. Entre ostentatoire de puissance et constitue un éventuel refuge pour 1337 et 1453, la guerre de Cent Ans, les moines en cas de danger. opposant la France et l'Angleterre, ruine le royaume. C'est dans ce contexte difficile que l'ordre de La ChaiseDieu voit, comme de nombreux autres établissements monastiques, le tarissement de ses recrutements, la fermeture de nombreux prieurés et des difficultés financières croissantes. En 1516 est signé, entre François J•r et le pape Léon X, le concordat de Bologne, qui permet au roi de nommer lui-même évêques et abbés. C'est l'instauration du régime de la « commende », elle place à la tête de La ChaiseDieu certaines figures de l'histoire de France, comme Richelieu, Mazarin
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Le cloître de La Chaise-Dieu (Haute-Loire). Le cloître, de style gothique languedocien, a été construit à la fin du x1v" siècl e. Il a hélas perdu deux galeries !
ou le Cardinal de Rohan, qui s'approprient une grande part des revenus de l'abbaye et fragilisent son économie. À la Révolution, comme de nombreuses abbayes, La Chaise- Dieu, bien appauvrie, est saisie au titre de « bien national ». Sa fermeture se fait sans incident en février 1790, tandis que ses quelque quarante derniers moines, relevés de leurs vœux, sont dispersés. Dom Pierre Terrasse, dernier prieur, est
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même désigné maire! Il veillera à ce que l'inventaire des biens du monastère soit correctement dressé et organisera la dispersion de 5 850 volumes de l'importante bibliothèque vers Saint-Flour et Brioude. L'église abbatiale sera relativement épargnée par les révolutionnaires, mais les vastes bâtiments conventuels, laissés à l'abandon, seront saccagés, avant d'être vendus aux enchères en 1793.
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Abbaye de La Chaise-Dieu (Haute-Loire). !.:abbatiale SaintRobert est construite au x1v~ siècle, financée par le pape Clément VI. Sa façade granitique, d'une grande austérité, dégage une impression de force et de puissance, accentuée par la verticalité des deux tours latérales et des imposants contreforts.
PROGRAMME ARCHITECTURAL DE LA CHAISE-DIEU En traduisant dans leurs constructions l'extrême austérité à laquelle ils se soumettaient, les Cisterciens et les Grandmontains ont donné naissance à une architecture caractéristique de leur ordre. Du fa it de leur spécificité, les Chartreux ont adopté une organisation architecturale originale. Bien souvent, donc, on est tenté de penser que, comme eux, chaque ordre monastique a adopté un programme architectural spécifique. Force est de constater que, d'une façon générale, la plupart des ordres monastiques médiévaux construisaient leurs établissements en suivant la tradition des bâtisseurs des lieux où ils s'implantaient. C'est donc une architecture locale que l'on peut observer. Les
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constructions sont caractérisées par les matériaux tirés des forêts et carrières voisines. Leurs formes et leurs dispositions sont influencées par les traditions régionales. Leurs dimensions sont adaptées à l'effectif de la communauté .. . L'unique constante de tous ces monastères reste leur plan qui se calque, au plus près, sur celui de Saint-Gall (voir page 131). plus ou moins développé, selon l'importance de la communauté et son aisance financière. Il est ainsi difficile de définir une Abbaye de La Chaise-Dieu (Haute-Loire). architecture propre à l'ordre casaConstru ite pour remplacer l'ancien édi fice roman, l' abbatiale gothique déen. L'ancien monastère roman de La Chaise- Dieu est un vaste édifice couvert de voûtes sur croisées voulu à La Chaise-Dieu par Robert d'ogives. Longue de 75 m ètres, large de 24, haute de 19 (donc plus large de Turlande a disparu, remplacé que haute), elle est bâtie sur le plan des églises-halles : sa nef et ses collatéraux donnent l'impression d'un vaisseau unique et ample. par un ensemble gothique. Mais la plupart des bâtiments que l'on peut aujourd'hui découvrir datent du xv11• siècle. On les doit aux Mauristes, qui s'installent à La Chaise-Dieu en 1640 et réorganisent les bâtiments conventuels dont beaucoup sont dans un état de grand délabrement. Pourtant. c'est un remarquable témoignage d'architecture monastique gothique que nous offre encore l'ancienne abbaye. Son abbatiale Saint-Robert nous est parvenue telle qu 'elle a été construite entre 1344 et 1352, par la volonté du pape Clément VI. Imposante et austère, elle est de style gothique rayonnant fortement inspiré de l'architecture méridionale (nef plus large que haute, collatéraux de faible ampleur, l'ensemble donnant l'impression d'un vaisseau unique et ample). Au chevet de l'abbatiale se dresse la tour Clémentine, construite entre 1355 et 1378. De plan carré. elle est fortifiée, dotée d'un four et d'un puits. C'est un véritable ouvrage défensif. Les moines casadéens y trouvent refuge en 1562, lorsque les huguenots attaquent l'abbaye. Cette tour n'est pas sans rappeler celles du « Palais Vieux » d'Avignon, où ont résidé les papes Clément VI et Grégoire XI. protecteurs de l'abbaye. Construit entre la fin du x1v• siècle et le tout début du xv1•, le cloître est, lui aussi, de style gothique. Il n'a conservé que deux galeries, celle accolée à l'abbatiale étant surmontée de la bibliothèque du monastère. Gothique encore, l'ancien réfectoire des moines est construit dans la seconde moitié du xv• siècle. Il sera converti en chapelle au x1x• siècle (chapelle des Pénitents). Peu de traces de l'enceinte médiévale subsistent. hormis l'une des portes d'entrée : c'est la porte du For qui, au xv• siècle. fermait la grande cour de l'abbaye où se trouvaient les étables, les écuries, les greniers et les granges.
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GRANDMONT, À LA RECHERCHE DE L'AUTHENTIQUE PAUVRETÉ Fils du vicomte de Thiers, Étienne (v. 1040-1124) devient l'élève de Milon, futur archevêque de Bénévent, en Italie. Son protecteur lui fait découvrir, en Calabre, une communauté d'ermites. Il est séduit par leur modèle de vie. Attiré en Limousin par l'évêque du diocèse de Limoges, Étienne se retire, vers 1076, à Muret et y observe un érémitisme rigoureux. Des témoignages lui attribuent des mortifications douloureuses, comme des prosternations, face contre terre, si longues et si nombreuses que l'ermite en était livide et présentait des cals, non seulement aux genoux et aux coudes, mais aussi au front et au nez! Son exemple attire quelques disciples. Ces derniers, avec l'aide de l'évêque de Limoges, construisent un ermitage qui remplace les huttes de branchages primitives. Et peu après la mort d'Étienne, la communauté se transfère à Grandmont , non loin de Muret. Les « Bonshommes » y perpétuent l'ascétisme exigeant de leur maître et forment l'ordre de Grandmont qui essaimera avec succès, principalement dans le duché de Guyenne, où il sera sous la protection du roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt, et de son épouse, Aliénor d'Aquitaine.
Saint Étienne de Muret et Hugues de La Certa. Cette plaque émaillée (x111' siècle) ornait le maître -autel de l'abbaye de Grandmont. Elle montre saint Étienne (vers 1040-1124), fo ndateur de l'ordre des Grandmontains, appuyé sur son tau. Il est en conversation avec l'un de ses adeptes tenant La Règle, Hugues de Lacerta (1071-11 57), un ancien chevalier croisé venu rejoindre la communauté.
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C'est entre 1140 et 1150 qu'Étienne de Liciac (1139-1163), quatrième prieur de Grandmont, rédige, avec Hugues de La Certa (1071 -1157), l'un des disciples préférés du fondateur, le Liber sententiarum dont découle la règle de l'ordre. Cette règle d'un radicalisme extrême est fondée sur les enseignements que le maître donnait à ses Bonshommes. Elle définit un ordre caractérisé par un détachement total des biens terrestres. De nombreuses prescriptions vont dans ce sens, afin d'éviter les conflits souvent liés au négoce et aux droits de propriété. Les premiers Grandmontains ne possèdent donc ni livres, ni archives, ni troupeaux, ni domaines fonciers. De la seule terre délimitée par l'enclos de leur monastère (appelé « celle»), ils devront tirer leur subsistance. Afin de ne pas s' attirer l'animosité du clergé régulier, ils n'exerceront aucun ministère paroissial. Dès ses origines, l'ordre de Grandmont présente une administration délibérément sommaire. Chaque communauté est composée de quelques moines de chœur voués à la contemplation et à la liturgie, tandis que des convers prennent en charge les travaux matériels. Rien de bien surprenant; c'est l'habituelle répartition des tâches dans la plupart des monastères de l'époque. Mais Grandmont, cependant, montre un trait tout à fait original: si le prieur du monastère est effectivement l'unique détenteur de l'autorité spirituelle, l'entière responsabilité du temporel incombe aux convers:« [... ] pour libérer les clercs de tout souci du temporel, pour qu'ils soient voués exclusivement à la contemplation [...],nous remettons le soin temporel du monastère aux seuls convers[ ... ]» (Art. 54 de la règle de Grandmont). Cette prédominance des convers sera vécue par les religieux de chœur comme une pratique de l'humilité prescrite par saint Benoît et adoptée par Étienne de Muret. Les premiers temps de l'ordre s'accommodent donc des principes du Liber sententiarum : les religieux entretiennent le souvenir de leur
Religieux de l'ordre de Grandmont. Le costume des Grandmontains est à l'image de l'austérité de leur ordre : une modeste tunique de couleur sombre et une ample cape, à capuche, de toile grossière et noire. Gravure du xv1e siècle.
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Prieuré de ChassayGrammont (Vendée). Ce prieuré, fondé par Richard Cœur de Lion au x11' siècle, est conforme à l' espri t de pauvreté et de simplicité de l'ordre fondé par Étienne de Muret. li est l'un des établissements grandmontains les plus complets en France.
Prieuré de Saint-Michel de Grandmont (Hérault). Établi sur les contreforts du Larzac, en un lieu occupé pa r l'homme depuis le Néolithique, le prieuré SaintMichel nous est parvenu dans un état de conservati on exceptionnel. Son église et son cloître, tout particulièrement, montren t une grande sobriété architecturale et refl ètent la règle des Bo nshommes.
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fondateur ascétique, et leurs communautés, aux besoins matériels peu importants du fait d'effectifs limités, se gèrent aisément. L'ordre se développe rapidement: il compte déjà 12 « celles » au milieu du x11• siècle, 74 en 1163, 88 en 1170, quelque 100 établissements au début du x111• siècle. À son apogée, à la fin du x111• siècle, il comprend 144 celles en France, 2 en Navarre et 3 en Angleterre, avec un effectif total de 882 religieux. Une telle expansion implique une gestion plus structurée, ce dont les convers profitent pour alléger les interdictions initialement imposées concernant la propriété de terres, de revenus et de troupeaux. Ils confortent progressivement leurs prérogatives temporelles et financières, ce que les moines de chœur finissent par supporter de moins en moins. Les conflits se multiplient entre les uns et les autres et finissent par nécessiter l'intervention des papes Clément III et Honorius III. Finalement, en 1317, le pape Jean XXII mettra fin aux dissensions en abrogeant le fameux article 54, comme « contraire à la paix ». L'institution est alors réorganisée en profondeur. Un chapitre des religieux est institué, qui assouplit la rigidité des structures initiales. Le supérieur de la maison mère, c'est-à-dire de Grandmont, n'est plus un prieur, mais un abbé, et les établissements sur lesquels il a autorité prennent rang de prieurés. Leur nombre est ramené à 39, dont on équilibre la population en y répartissant l'ensemble de l'effectif. L'ordre se maintiendra jusqu'en 1772. En effet, la Commission des réguliers, créée par Louis X.V pour remédier au malaise général touchant alors les ordres monastiques, ordonne, entre 1768 et 1773, la suppression de quelque 425 monastères, dont la trentaine de maisons grandmontaines qui n'abritaient plus que 110 Bonshommes.
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PROGRAMME ARCHITECTURAL DE GRANDMONT L'architecture grandmontaine montre une homogénéité rare, due à l'expansion rapide de l'institution et à la modestie de ses établissements, dont les plus importants n'accueillent guère plus d'une vingtaine de religieux . La celle (monastère grandmontain) est donc à échelle humaine. Plan type Sa construction n'impliquant pas un chantier gigantesque, d'une celle les travaux sont généralement menés assez rapidement. grandmontaise Sa simplicité est caractéristique et révélatrice de la rigueur 1 Portique 2 Église de l'ord re. On peut encore l'apprécier dans les petits 3 Cloître monastères de Saint- Jean-des- Bonshommes, Combe4 Salle capitulaire roumal, Puy- Chevrier et Saint-Michel-de-Grandmont. 5 Salle commune Aucun des bâtiments conventuels n'échappe à ce parti 6 Cellier général d'austérité. Même dans l'église, tout décor sculpté 7 Réfectoire 8 Cuisines semble banni. Tout au plus observe-t-on, ici ou là, quelques 9 Passage chapiteaux sobrement sculptés en feuilles d'eau. Il y a peu 10 Cellier d'ouvertures : les portes et fenêtres sont percées là où la 11 Passage et parloir nécessité l'impose, sur des modules semblables. La celle 12 - Passage vers le reprend le schéma de Saint-Gall (voir page 131). mais ne cimetière 13 Escalier dispose d'aucune dépendance hors du carré monastique. du dortoir Tout se concentre autour du cloître : bâtiments cultuels, 14 Dortoir (étage) espaces communautaires, locaux ag ricoles, l'ensemble for15 Logis des hôtes mant un quadrilatère extrêmement compact (en général, (étage) 40 mètres su r 40 à l'extérieur). Le monastère apparaît avec toute la rusticité d'une grosse exploitation agricole médiévale . ; L'église ne se distingue ni par sa .. 1 hauteur ni par ses volumes. Il n'y a pas de tour pour la cloche, tout au plus un petit chevalet métallique ou un petit campanile. Seul le chevet, qui fait saillie sur l'alignement de l'aile est, rompt la compacité de l'ensemble. À l'inté rieur, la nef est voûtée d 'un berceau continu brisé, 3 ne dépassant guère les 9 à 10 mètres de haut. Le choeur est toujours un peu plus large que la nef 9 dont les murs latéraux sont aveugles. L'éclairage est assuré par une baie unique sur le pignon ouest et, 5/1 4 8 7 dans l'abside, par un triplet, c'est-à-dire trois baies verticales identiques, étroites à l'extérieur et très largement ébrasées à l'intérieur. 6 10 lOm L'église ne comprend que deux portes. L'une permet l'accès depuis l'extérieur et est toujours
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Prieuré Saint-Michel de Grandmont (Hérault). Cloître. Parmi les prieurés grandmontains qui nous sont parvenus, Saint-Michel de Grandmont, fondé vers 1128, est l'un des mieux préservés. C'est aussi, avec son architecture d'une grande sobriété, l'un des plus représentatifs . Son cloître, du milieu du x 11 1• siècle, montre une caractéristique arch itecturale propre à l'ordre : l'escalier montant au dortoir des mo ines prend naissance dans la galerie est, à proximité de la salle cap itulaire.
abritée par un portique appuyé sur le mur extérieur nord : elle permet aux Bonshommes d'accueillir leurs visiteurs. La seconde porte de l'église ouvre directement sur le cloître, couvert à l'origine d'une simple charpente. De la galerie du cloître, un escalier mène au dortoir, sa première marche au niveau de la porte du chapitre . C'est là une autre caractéristique grandmontaine, car, dans les autres monastères, l'escalier est à l'intérieur du corps de bâtiment.
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LA GRANDE CHARTREUSE, SOLITUDE ET COMMUNAUTÉ Bruno de Hartenfaust (v. 1030-1101), né à Cologne dans une famille noble, est un lettré qui a étudié la théologie à l'école épiscopale de Reims, puis à Tours. Rappelé à Reims par l'archevêque Gervaise, il en dirige l'école épiscopale de 1057 à 1075. Il y enseigne, également, et compte parmi ses élèves Eudes de Châtillon, qui deviendra pape sous le nom d'Urbain Il, ainsi que Hugues, futur évêque de Grenoble, qui le soutiendra dans son entreprise. C'est en 1084 que Bruno arrive, avec six compagnons, en Dauphiné, au lieu-dit de la Grande Chartreuse, qui donnera son nom à l'institution. Saint Bruno en prière. Bruno de Hartenfaust (vers 1030-1101 ). Après avoir expérimenté l' érémitisme auprès de Robert de Molesme (fondateur de l'ordre cisterci en). saint Bruno désire mener une vie plus ascétique encore. li se retire en 1084 dans le massif alpin de la Chartreuse, où il donne naissance à l'ordre des Chartreux (ou ordre cartusien), caractérisé par une vie de solitude. App elé à Rome comme conseiller par le pape Urbain Il, saint Bruno finira par se retirer en Calabre, où il fon dera une nouvelle comm unauté cartusienne, SainteMarie-de-la-Torre.
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Grande-Chartreuse (Isère).
L'aspect sauvage et la solitude de l'endroit répondent à ses attentes. Dans ce « désert », il installe un premier ermitage, à l'origine de l'ordre des Chartreux dont l'indépendance sera reconnue par le pape Urbain II dès 1090. La même année, il doit quitter son monastère à la demande du Saint-Père qui le prend pour conseiller. Mais le pape est chassé de Rome par les armées de l'empereur Henri II de Franconie, et Bruno renoue avec la vie érémitique en fondant Sainte-Marie-de-La-Torre, en Calabre, sur une terre que lui a cédée le roi Roger II de Sicile. Le reste de sa vie s'y écoulera. Saint Bruno n'a laissé aucune règle rédigée et ne suivra pas celle de saint Benoît, adoptant certes les principes du cénobitisme, mais les combinant avec ceux d'un érémitisme radical. La tradition de l'accueil et de l'hospitalité, propre à la famille bénédictine, sera donc particulièrement limitée à la Grande Chartreuse, car elle est en opposition avec la solitude extrême qui caractérise l'idéal de vie cartusienne.
Établie à SaintPierre-de-Chartreuse, à 1 200 mètres d'altitude, au fo nd d'un vallon désertique, la communauté cartusienne suit une règle rigoureuse qui impose un e clôture perpétuell e, le silence absolu, des jeûnes réguliers. Les religieux y vivent en quasiautarcie, travaillant manuellement pour assurer leur subsistance, expl oitant sur leur domaine les droits d'eau, la fo rêt et le minerai de fer.
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Le prieur Guigues transmettant les nouveaux statuts de l'ordre. Cinquième prieur de la Grande Chartreuse, Guigues (1083-1136), dit « le Chartreux », a joué un rôle primordial dans le développement de l'ordre cartusien. C'est so us son priorat que furent fondées les chartreuses de Portes (Ain). Écouges (Isère). Durbon (Hautes-Alpes), SylveBénite (Isère) et Meyriat (Ain). Saint Bruno, fo ndateur de l'ordre, n'ayant rédigé aucune règle, c'est à la demande de ces nouvelles maisons que Guigues rédigera les Consuetudines Cartusiae (Coutumes de Chartreuse) entre 1121 et 1127.
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Moines chartreux. La vie des Chartreux repose sur un équilibre entre érémitisme (ils so nt retirés la plus grande partie de leur temps dans un e cellule) et cénobitisme (ils partagent collectivement les offices chantés). Miniature des frères Limbourg, Les Très Riches Heures du Duc de Berry, xv' siècle.
Saint Bruno n'avait nullement l'intention, semble-t-il, d'instituer un ordre monastique. D'ailleurs, il n'a fondé que la Grande Chartreuse, en France, et La Torre, en Italie. Ce n'est qu'après sa mort que se créent de nouveaux ermitages, sur le modèle de la Grande Chartreuse: Portes, Saint-Sulpice à Thézillieu, Meyriat en Bugey. À la demande des prieurs de ces filiales, Guigues l"' (1109-1136), le cinquième prieur de la Grande Chartreuse, rédige les Consuetudines Cartusiœ (Coutumes cartusiennes), qui serviront dès lors de règle à tous les établissements. Achevées en 1127, celles-ci condensent en un texte ordonné les exigences de saint Bruno. Si, à l'origine, ces établissements sont indépendants, ils sont regroupés à partir de 1140 sous l'autorité d'un ministre général (le prieur de la Grande Chartreuse, chef d'ordre) et d'un chapitre général comprenant les prieurs de chaque chartreuse (monastère relevant de la maison mère). Ainsi structuré, l'ordre connaît un succès certain, mais il se démarque nettement de ses contemporains: une extrême prudence lui fait opter pour une politique foncière limitant la dispersion et l'accroissement de son patrimoine (173 maisons seulement en Europe au xrn• siècle) comme de ses effectifs (chaque maison comprenant en moyenne une douzaine de moines et une quinzaine de convers, dirigés par un prieur). Car il s'agit, en simplifiant la gestion des biens du monde, d'éviter les dissensions et de se consacrer pleinement à la seule richesse qui vaille: celle de l'esprit, celle de Dieu.
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Plan d'une cellule de chartreux
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porte. guichet. salle. cheminée. chambre. f - oratoire. g - latrines. h - promenoir. i - jardin. j - atelier . k - rangement. 1- galerie du grand cloître. m - jardin et cimetière.
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•m • • • • PROGRAMME ARCHITECTURAL DE LA GRANDE CHARTREUSE La singularité de l'ordre de la Grande Chartreuse est de concilier les exigences d'une vie à la fois érémitique et cénobitique. En découle une synthèse dont les exigences spécifiques sont ingénieusement traduites par une architecture qui échappe quelque peu au modèle proposé par le plan de Saint -Gall (voir page 131). Toute chartreuse associe, dans un ensemble monastique nécessairement important, quatre quartiers distincts. L'un est destiné à la vie érémitique, un autre, à la vie communautaire, le troisième, aux convers et le dernier, aux hôtes. L'ampleur d'un tel établissement est donc imposée non par l'importance de l'effectif ou par l'ambition, mais par l'originalité de l'ordre. Le quartier des Pères chartreux est appelé « maison haute ». Il consiste en un ensemble de celles, petites habitations individuelles rassemblées dans une enceinte. Chaque celle ouvre sur le cloître, qui est donc nécessairement important. À la Grande Chartreuse, le cloître se développe sur 215 mètres de long pour 23 mètres de large, afin que 35 celles puissent s'y rattacher. Chaque religieux occupe une celle qui comporte, le plus souvent. deux niveaux. Au rez-de-chaussée, on trouve une galerie - ou un promenoir-. un petit jardin, un bûcher, un atelier pour travailler manuellement et, parfois, des latrines individuelles. Près de la porte ouvrant sur le cloître, un petit guichet permet de faire parvenir au religieux sa nourriture et tout ce dont il a besoin ou dont il a fait la demande. Deux pièces à l'étage composent l'habitation à proprement parler. L'une, dite« Ave Maria», est ornée d'une statue de la Vierge devant laquelle le moine récite un Ave Maria chaque
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fois qu'il passe ; c'est l'oratoire. L'autre est la cellule du Chartreux ; souvent issu de l'élite intellectuelle de son temps, il y consacre la plus grande partie de sa réclusion à l'étude et à la copie de livres, ainsi qu'à la méditation. La celle constitue une sorte d'ermitage individuel où le Chartreux, seul, vit, prie, mange et dort. Il n'en sort que pour la messe quotidienne, le dimanche, les jours de grande fête, les jours d'enterrement ou lors de l'installation d'un nouveau supérieur. Il partage alors avec ses frères une vie plus sociable, dans un deuxième quartier appelé « petit cloître ». dont les dispositions plus traditionnelles relient entre eux tous les bâtiments communautaires classiques (chapitre. réfectoire et église). Ainsi, le Chartreux, doublement retiré, une première fois dans la grande clôture de son monastère et une seconde fois dans l'univers restreint de sa celle, reste, malgré tout. uni à sa communauté. Les convers. quant à eux, occupent un troisième quartier, la « maison basse » ou « corroirie ». généralement située en ava l de la chartreuse. Là, outre les habituels espaces conventuels et une église, se trouvent les ateliers. bâtiments agricoles et granges qui assurent la maintenance et l'approvisionnement de la chartreuse. Enfin, comme dans tout monastère, une hôtellerie est souvent prévue pour les pèlerins et visiteurs de passage. Elle forme un ultime quartier, un peu à l'écart de la chartreuse. afin de ne pas troubler la solitude des moines.
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Plan type d'une chartreuse 12345678-
église. chapelle. petit cloître. réfectoire. grand cloître celle. jardinet. jardin -cimetière.
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CÎTEAUX, LE RÊVE DE L'ABSOLUE PERFECTION L'épopée cistercienne commence en 1098. Quelque vingt moines, guidés par l'abbé Robert (v. 1029-1111), quittent leur communauté de Molesme pour fonder un nouveau monastère plus conforme à leurs vœux. Ils choi sissent de l'implanter dans le diocèse de Chalon-sur-Saône, sur des terres marécageuses où abondent des cistels (joncs) . Ces cistels donneront leur nom à l'ordre de Cîteaux. Dès ses origines, la fondation s'oriente vers un mode de vie en totale opposition avec Cluny, optant pour le retrait total du monde, la contemplation dans le silence, la prière dans le dénuement et le détachement de toute contingence matérielle. Et, puisqu'ils n'ont pas de gros besoins matériels, les moines devront vivre en autarcie, grâce à leur seul travail. Après des débuts difficiles, Cîteaux assied solidement ses bases, grâce à Étienne Harding, un Anglais qui en était devenu l'abbé en 1109. Réorganisant la communauté, Étienne rédige la Carta caritatis (Charte de charité) qui, à la manière d'une règle monastique, codifie les principes régissant les maisons de l'ordre. Il rétablit une observance rigoureuse de la règle de saint Benoît qu'avaient quelque peu adoucie les Clunisiens. Dans un esprit de réforme, il rejette tout ce que ne prévoit pas la règle bénédictine : les ornements liturgiques, le recours à des salariés, aux dîmes, aux transactions commerciales, à toute source d'enrichissement quel' on reprochait aux Clunisiens. Le monastère cistercien se suffira à lui-même grâce à l'exploitation de son patrimoine foncier par les « moines blancs » (ainsi appelés parce que vêtus de blanc) travaillant de leurs propres mains !
Robert de Molesme. Entré à quinze ans au monastère de Montier-la- Celle, Robert de Molesme (v. 1207- 11 IO) devient abbé de Saint-Michel de Tonnerre, où il ne parvient pas à imposer un strict respect de la règle bénédictine. Il fond e Molesme vers 1075, mais il ne peut empêcher le laxisme de gagner la communauté. En !098, il obtient l'autorisation de l'archevêque de Lyon, légat apostolique, de fond er un nouvel ordre. Il se retire avec une vingtaine de moines à Cîteaux. I.:ordre cistercien , à l'austérité assumée, est alors créé .
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Le modèle de filiation cistercien est à l'opposé de celui de Cluny, qui repose sur le principe de la centralisation. À l'inverse de l'abbé de Cluny, véritable seigneur qui règne sans partage sur la totalité des maisons de son ordre, Étienne Harding imagine un système de filiation simple : Cîteaux, « abbaye mère », a eu par essaimage quatre « filles » (La Ferté, Clairvaux, Pontigny et Morimond), chacune constituant une abbaye de plein exercice et non d'obédience. Chaque abbaye« fille» sera, à ce titre, dirigée par son propre abbé. Il importe évidemment de préserver l'unité de l'esprit cistercien. À ce souci doit répondre une visite annuelle de« l'abbé-père» de Cîteaux. Quand, à leur tour, ces quatre filiales seront à l'origine de nouvelles fondations, elles reproduiront dans leurs lignées ce principe d'administration. Outre les essaimages des abbayes« filles»,« petites-filles» ou« arrièrepetites-filles », la famille cistercienne s'élargit aussi par affiliation. Effectivement, il arrive parfois que des ermitages ou des monastères d'une autre observance demandent leur rattachement à l'une des« descendantes » de Cîteaux, le plus souvent pour se relever de graves crises financières. Ces établissements, rattachés à l'ordre cistercien, en adoptent bien sûr la Carta caritatis. Toutes ces abbayes cisterciennes sont libres, dans leur gestion et la nomination de leur abbé. Afin d'éviter que cette autonomie ne mette en péril l'unité spirituelle de l'institution, un chapitre général est institué à la tête de l'ordre pour réunir annuellement l'ensemble des abbés. Dans un esprit d'égalité et de fraternité, ils débattent alors des affaires générales de l'ordre. L'une des figures marquantes de l'ordre cistercien sera Bernard de Fontaine (1090-1153). Né dans une famille noble, il arrive en 1112 à Cîteaux, en compagnie d'une trentaine de chevaliers, amis et parents. L'abbaye, fondée peu auparavant par Robert de Molesme, est alors dirigée par l'abbé Étienne Harding. L'enthousiasme du nouveau venu est tel que, en 1115, l'abbé l'envoie « essaimer » avec douze moines.
Saint Bernard et les moines de Cîteaux. Bernard de Fontaine (1090 - 1153) devient moine à Cîteaux, en 1112, à l'âge de vingt-deux ans. Il fonde l'abbaye de Clairvaux à 25 ans
et en est élu abbé. li y impose une discipline rigoureuse. Porté par des convictions inflexibles, un charisme exceptionnel, une élocution redoutable, il exerce une forte influence sur l'ordre des Cisterciens et sur la vie de ses contemporains. Il conseille les rois et les papes, prêche la deuxième croisade, fonde en 1128, avec Hugues de Payens, l'ordre du Temple. Il est l'auteur de nombreux écrits sur la religion et les affaires de son temps. Enluminure française, vers 1500.
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Ainsi naît l'abbaye de Clairvaux, en Champagne, dont Bernard devient l'abbé et à partir de laquelle il insuffle un formidable élan à l'ordre. Son expansion est alors fulgurante: 73 maisons en 1134, environ 350 à sa mort en 1153, 525 à la fin du x11e siècle, plus de 700 à la fin du x111° siècle ... Les « moines blancs» sont présents dans la chrétienté occidentale tout entière. L'exceptionnel charisme de Bernard, son profond mysticisme et son ascétisme rigoureux expliquent la rapidité avec laquelle il impose son autorité. Moine exemplaire et abbé exigeant, il déploie, malgré une santé plutôt médiocre, une activité phénoménale en veillant personnellement sur son abbaye de Clairvaux et sur chacune de ses filiales. Orateur et écrivain de talent, il laisse, outre différents traités théologiques, quelque cinq cents lettres et de nombreux sermons. Sa pensée s'y révèle, mélange parfois surprenant de sévérité et d'humanisme. En imposant à l'ordre une discipline austère et une règle de vie fondée sur la prière, la charité et le dépouillement absolu, il conduit les Cisterciens à un haut niveau de spiritualité et conforte leur spécificité. En conflit avec l'ordre de Cluny dont il dénonce sans ménagements le relâchement de la discipline, la richesse des églises et la pompe de la liturgie, Bernard impose au monachisme de son temps une véritable remise en question. Une telle personnalité ne peut être contenue par les frontières de la seule théologie cistercienne. Bernard influence l'Europe entière, tant dans les affaires de l'Église que dans le monde laïque. Il aide les religieux-soldats du Temple à élaborer une règle conciliant impératifs militaires et usages monastiques, règle qu'il fait approuver par le concile de Troyes en 1128 et qui ne manque pas de points communs avec celle des Cisterciens. Puis, entre 1130 et 1135, il plaide avec succès la cause d'innocent II dont l'autorité et l'élection sont contestées par l'antipape Anaclet II. Et, à l'appel d'Eugène III, son ancien disciple de Clairvaux, il prêche la deuxième croisade à Vézelay en 1146. L'une des particularités de l'ordre cistercien est la grande compétence qu'il a su acquérir sur le plan économique. En effet, l'abbaye cistercienne, comme la majorité des abbayes médiévales, est rurale, mais elle fonctionne comme une véritable entreprise. Son patrimoine foncier ne cesse d'ailleurs d'augmenter. Les seigneurs, soucieux de leur devenir dans l'au-delà, cèdent ou offrent des terres à ces moines d'une grande rigueur qui ne manqueront pas de prier Dieu pour eux ... Les Cisterciens défrichent et mettent en culture de vastes domaines autour de leurs monastères. Champs, forêts, vignobles, pâturages sont exploités avec intelligence. On pratique la culture céréalière, la sylviculture, l'élevage d'immenses troupeaux de vaches ou de moutons, dont on exploite le lait, la laine et le cuir. Les moines blancs se montrent polyvalents en intervenant dans de nombreux secteurs d'activité. Performants, ils établissent des unités de pro duction spécialisées, les granges, réparties sur le territoire, pour rationaliser
Abbaye d'Aubazine (Corrèze). Saint Bernard , voulant que « rien ne détourne l'œil de l'idée de Dieu », prône le dépouillement artistique et s'oppose en cela à la doctrine clunisienne. Nul faste dans la liturgie, nul ornement dans l'architecture cistercienne. Tandis que l'art du vitrail explose dans de nombreux édifi ces religieux, les vitraux cisterciens se caractéri sent par l'emploi de grisailles non figurati ves, de motifs géométriques ou de végétaux stylisés.
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l'exploitation de leurs domaines: telle grange produira des céréales, telle autre du fer, du sel, du vin ... À l'origine, le domaine foncier cistercien devait seulement permettre de subvenir aux besoins limités des religieux qui appliquaient radicalement la règle, et l'agriculture était alors conçue comme un instrument d'ascèse. Mais, le succès aidant, l'entreprise devient gigantesque, dégageant des profits d'autant plus importants que la consommation monastique reste faible. Il faut donc se résoudre à transformer les surplus dégagés pour assurer leur conservation et à négocier les excédents de production qui résultent d'une gestion trop parfaite. Et, paradoxalement, c'est précisément ce succès économique qui éloignera peu à peu les Cisterciens de l'idéal monastique qu'ils avaient choisi et les ramènera dans le système qu'ils avaient tant décrié et qu'ils avaient voulu fuir. Dépassée par sa réussite, l'institution cistercienne éprouve de plus en plus de difficultés à maîtriser sa fortune et à surveiller ses immenses domaines qui, souvent, débordent largement les frontières du royaume. L'exploitation de ce domaine foncier en perpétuelle expansion ne s'accommode plus guère del' obligation de travailler faite aux moines, car le premier devoir que leur impose la règle est de se consacrer avant tout à la liturgie et aux nombreuses prières. Il faudra donc, dès 1120, faire quelques entorses aux principes initiaux en admettant dans l'ordre des frères convers et des salariés, plus spécialement chargés des travaux matériels. L'étendue du patrimoine, le nombre des établissements, le dynamisme économique et politique
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impliqueront un rapprochement important avec la société laïque. Cela se traduira par un affaiblissement spirituel préjudiciable à l'institution ... En devenant puissants, en présentant aux laïcs un modèle, une référence, les abbayes cisterciennes et leurs abbés influents s'impliquent de plus en plus dans les affaires d'un monde dont ils étaient pourtant censés se retirer. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'ils se fassent les auxiliaires du pouvoir temporel ou spirituel. Ainsi, aux environs de 1200, ils sont déjà plus d'une centaine de moines et d'abbés à avoir quitté le« désert » cistercien pour l'Église séculière où ils deviennent évêques et cardinaux. Certains Cisterciens deviennent conseillers, émissaires ou légats de Rome, quand ils n'accèdent pas euxmêmes au Saint-Siège, comme Benoît XII, ancien abbé de Fontfroide, ou Eugène III, ancien moine de Cîteaux. Et l'ordre, défenseur de l'orthodoxie, prêtera toujours main-forte à la papauté dans sa lutte contre les hérésies cathares, albigeoises et vaudoises. Tout ce qui précède montre à quel point les buts initiaux, fondateurs de l'ordre, ont évolué, rendant celui-ci méconnaissable dans sa nature, ses préoccupations et ses aspirations. Ce qui a fait le succès de Cîteaux entraînera aussi son déclin: il n'aura guère fallu plus d'un siècle pour que la grande aventure cistercienne touche à sa fin, du moins dans les orientations que lui avaient données Robert de Molesme, Étienne Harding ou Bernard de Fontaine ...
Grange de Fontcalvy (Aude). Cette grange fortifiée est l'une des vingt-quatre granges rattachées à l'abbaye cistercienne de Fontfroide.
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PROGRAMME ARCHITECTURAL DE CÎTEAUX Grâce à une économie saine et prospère, les abbés cisterciens ont rapidement connu cette aisance financière qui permet d'investir dans la pierre et de mener à bien des programmes de construction en un temps relativement court. C'est ainsi que s'explique l'unité de style des monastères cisterciens, la plupart construits pendant l'époque romane, apogée de l'ordre. Reprenant les dispositions du plan de Saint-Gall (voir page 131), l'architecture cistercienne ne constitue pas un style spécifique à proprement parler, mais propose un idéal conforme à l'esprit de la règle. Ainsi l'église
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cistercienne est-elle globalement comparable à ses contemporaines . Cependant, ses formes sont d 'une grande perfection, transcendées par la pureté de l'art roman . Ses dimensions n'ont rien d'ambitieux, mais sont adaptées aux besoins de la communauté. Les nefs sont le plus souvent à chevet plat percé de trois lancettes. Cette disposition passe pour l'une des caractéristiques de l'architecture cistercienne, car saint Bernard considérait la ligne droite comme l'expression de la rigueur et de la fermeté, à l'inverse de la courbe, traduisant la sensualité ou la mollesse. Ce chevet plat est effectivement adopté dans de nombreux monastères cisterciens (Aulps, Fontenay, Noirlac, Silvacane, Sylvanès, Fontmorigny, Mègemont) et plus particulièrement dans ceux construits à l'époque de saint Bernard . Mais il n'est pas l'apanage des moines blancs, car on peut l'observer dans d'autres églises non cisterciennes. Et inversement, certaines églises cisterciennes, sans renier leur parti de simplicité, sont dotées d 'absides hémisphériques (Le Thoronet, Flaran, Sénanque, Aiguebelle) ou polygonales (Aubazine, Fontfroide, Léoncel) . La rectitude dans l'architecture était, vraisemblablement, un souhait de saint Bernard. La plupart des églises cisterciennes se contentent d'un petit clocheton de pie r re (Le Thoronet, Sénanque, Sylvanès, Fontfroide), voire d 'un discret clocher-mur (Fontenay). Là encore, les Cisterciens font preuve de pragmatisme. La cloche qui appelle les moines à la prière doit être suffisamment légère pour être actionnée par un seul religieux . Ainsi, la tour abritant la cloche peut être de dimension raisonnable. Le véritable génie des Cisterciens en matière d'architecture est d'avoir su traduire l'esprit de l'ordre et sa volonté d'ascèse, en éliminant l'ostentatoire, le superflu, l'inutile. Il n'y a rien, dans les monastères cisterciens, qui puisse rappeler la richesse clunisienne : ni chapiteaux historiés, ni tympans sculptés, ni vitraux étincelants, ni peintures murales, ni clochers arrogants, ni chevets somptueux, ni démesure, ni désordre. La beauté réside dans la nudité des murailles, dans l'harmonie des proportions, dans la simplicité des lignes et des volumes. Qu'elle soit destinée au logement des moines, à la célébration du culte ou au travail, la construction cistercienne est prévue pour défier le temps. Aucune concession n'est faite, ni sur la qualité des matériaux ni sur la perfection de la mise en œuvre.
Abbaye de Cîteaux (Côte-d'Or). Restitution de l'abbaye, dans so n état vers 1500. Fondée en 1098 par Robert de Molesme, l'abbaye de Cîteaux est vendue au titre de Bien national en 1791. Elle est en grande partie détruite. Aujourd'hui, elle a retrouvé son rang d'abbaye chef d'ordre et ses moines, les Cistercienstrappistes, perpétuent sa tradition.
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FONTEVRAUD ET LES SERVANTES DU CHRIST Le retour à des formes de vie religieuse érémitique qui s'opère à partir du milieu du xi° siècle, par réaction contre Cluny, inspire parfois des fondations des plus surprenantes, comme Fontevraud, en Anjou. À l'origine de cette abbaye, on trouve Robert d'Arbrissel (v. 1045-1116), théologien vagabond et mystique, doué d'un exceptionnel talent de prédicateur. Robert est né près de Rennes, dans le petit village d'Arbrissel. Son père avait été prêtre, chose qui n'était pas inhabituelle à l'époque. Robert étudie quelque temps à Paris, puis regagne la Bretagne où, pendant quatre ans, semble-t-il, il sera archiprêtre de l'évêque de Rennes. On le retrouve ensuite, vers 1095, ermite dans la forêt de Craon, à la limite de la Bretagne et de l'Anjou. Doué d'une rare éloquence, Robert attire de nombreux disciples et organise une première communauté qu'il fixe sur la terre de La Roë, concédée par le seigneur local. Son charisme hors du commun est remarqué par le pape Urbain II qui le charge de prêcher la croisade en tous lieux. Robert entreprend donc, à l'extrême fin du XIe siècle, de parcourir l'ouest du pays, dénonçant les désordres du monde et les vices de l'Église. Au cours d'un périple qui lui fait traverser la Bretagne, le Maine et l'Anjou, il entraîne dans son élan près de 2 000 personnes, hommes et femmes de toutes Fondation de l'abbaye de Fontevraud. Prêcheur itinérant, Robert d'Arbrissel (vers 1045-1116) est nommé prédicateur apostolique par Je pape Urbain II. Entraînant avec lui de nombreux adeptes, hommes et femmes, il fond e, en 1101 , en Anjou, l'abbaye de Fontevraud. La personnalité singuli ère de Robert et l'originalité de son monastère attireront la défiance de l' Église. Malgré tout, l' ordre fontevriste rayonn era jusqu 'à la Révolution. Gravu re. XVIIIe
siècle.
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conditions, selon les chroniqueurs de l'époque. Mais cette foule hétéroclite ne peut se satisfaire indéfiniment de la précarité del' errance et Robert doit la fixer en un lieu. La tradition le fait arriver à Fontevraud, en 1099. Le « désert » est alors idéal pour sédentariser ses Pauperes Christi (Pauvres du Christ), qui seront à l'origine de l'un des ordres les plus singuliers de l'histoire du monachisme, celui des Fontevristes, institué en 1101. Comme à la naissance de la plupart des abbayes médiévales, les Pauperes Christi vivent d'abord dans des huttes précaires réparties autour d'un oratoire. Les femmes sont soumises au régime de la clôture ; les hommes, plus libres, partagent leur temps entre la prière et le travail, selon qu'ils sont prêtres ou laïcs. De temps à autre, Robert quitte la communauté et prêche; son enthousiasme fait affluer les dons, indispensables à la construction en dur. Dès ses origines, Fontevraud connaît la prospérité, grâce à l'appui de la petite noblesse angevine qui voit nombre de ses membres y prendre l'habit monastique. Alimentés par des donations considérables, les chantiers progressent à Fontevraud et les fondations de prieurés se multiplient. L'ordre connaît les faveurs du Saint-Siège : le pape Pascal II l'approuve en 1106 et lui accorde le privilège del' exemption en 1113. Calixte II se déplace en personne pour consacrer, en 1119, le chœur et le transept de l'abbatiale. À la mort de Robert, en 1116, l'ordre compte environ 3 000 moines et moniales et une bonne vingtaine de prieurés. Au milieu du XIIe siècle, ils sont près de 5 000,
I:abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire) est un immense complexe monastique. Sa grande originalité est d'accueillir, conformément aux souhaits de son fondateur, hommes et femm es, dans des établisse ments séparés : le GrandMoûtier pour les veuves et les vierges, la Madeleine pour les femmes repenties, SaintJean-de-l'Habit pour les religieux, Saint-Benoît pour les malades, Saint-Lazare pour les lépreux.
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Pétronille de Chemillé (fin x1• siècle-1149), première abbesse de Fontevraud. Robert d'Arbrissel, précurseur du féminisme, fonde la spiritualité fontevriste sur les dernières paroles du Christ sur la Croix, s'adressant à Jean et à Marie : « Mère, voici ton fils, fils, voici ta mère ». Rappelant la servitude des apôtres à la Vierge Marie, Robert confie la direction de l'ordre à une abbesse, Pétronille de Chemillé, et assujettit les moines aux religieuses. Cet assujettissement sera souvent contesté au cours des siècles, mais il sera maintenu jusqu'à la suppression de l'ordre, à la Révolution. Gravure du xv11e siècle.
répartis dans une centaine de maisons, dont quelques-unes en Angleterre, en Espagne et en Italie. Fontevraud, chef d'ordre, est alors à son apogée et les Plantagenêts, qui l'ont pris sous leur protection, font de son abbatiale leur nécropole. Avant sa mort en 1116, dans le prieuré d'Orsan qu'il a fondé en terre berrichonne, Robert d'Arbrissel édicte quelques« prescriptions brèves et impératives» pour son ordre. Bien qu'il en soit le fondateur, il se fait appeler magister (maître), titre qui correspond mieux à sa vocation profonde de prédicateur, et non« abbé». Il choisit pour devise de l'abbaye les ultimes paroles de Jésus s'adressant, sur la croix, à sa mère et à saint Jean: (( Mère, voici ton fils, fils, voilà ta mère» et pose le principe qu'à l'exemple de saint Jean, serviteur jusqu'à sa mort de Marie, les religieux devront servir les religieuses. Les moines fontevristes devront donc l'obéissance aux servantes du Christ, dont ils dépendront en tous points, et seront soumis à l'autorité d'une abbesse. Cet assujettissement des moines aux moniales fait toute l'originalité de l'ordre de Fontevraud. Les moines chercheront par la suite, à plusieurs
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reprises, mais en vain, à s'en affranchir. Robert d'Arbrissel en avait-il prévu l'éventualité ?Toujours est-il que, refusant la dignité abbatiale pour lui-même et préférant la prédication, il confie, en 1115, la responsabilité de l'institution à une femme, issue de la noblesse angevine, Pétronille de Chemillé. Il lui reviendra de mettre en pratique les préceptes du fondateur et de structurer un monastère, séparant strictement les frères (appliquant la règle de saint Augustin) et les moniales (suivant la règle de saint Benoît). Les premières abbesses et grandes-prieures de Fontevraud sont toutes issues de la petite noblesse angevine: il importe en effet qu'il s'agisse de femmes dotées d'un fort caractère pour s'imposer à tous, habituées à gouverner, connaissant aussi les affaires temporelles pour gérer au mieux les intérêts de la maison. Puis, rapidement, l'ordre confirme un caractère de plus en plus aristocratique: les 38 abbesses qui se succéderont de 1115 à la suppression de l'ordre en 1793 seront toutes de haute naissance, 16 seront des princesses, dont 5 du sang des Bourbons.
Église abbatiale Sainte-Marie de l'abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire). Dès sa fon dation, l'abbaye s'attire la protect ion des comtes d'Anjou, pui s cell e des Plantagenêts, qui font de l'église Sainte-Marie leur nécropole : les gisants d'Henri II (11 33-1182), d'Aliénor d'Aquitaine (1122-1204), de Richard Cœur de Lion (11571199) et d'Isabell e d'Angoul ême (11881192) sont toujours visibles dans l'abbatiale.
LES PRINCIPAUX ORDRES MONASTIQUES AU MOYEN ÂGE
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PROGRAMME ARCHITECTURAL DE FONTEVRAUD À l'observation des bâtiments médiévaux de Fontevraud ou de ses prieurés, il est difficile de déceler les traces d'une architecture spécifiquement fontevriste. Tout comme la règle de l'ordre reprend les préceptes de saint Benoît, le plan de l'abbaye reproduit le schéma trad itionnel inspiré par Saint-Gall (voir page 131). Quant au traitement architectural des bâtiments conventuels, on y retrouve l'ampleu r et le raffinement que les moines clunisiens mettent alors en œuvre dans leurs constructions du Val de Loire. Échappe à ce constat la grande église abbatiale qui doit les coupoles périgourdines de sa nef à l'influence directe d'Aliénor d'Aquitaine, protectrice du monastère angevin. Ce qui fait l'originalité de la maison mère réside dans la coexistence de plusieurs monas tères d'hommes et de femmes, évidemment séparés, mais regroupés à l'intérieur d'une enceinte unique. Dès les origines de l'ordre, la diversité de la communauté est instituée et son fondateur l'organ ise en quatre couvents : le Grand-Moûtier - ou Sainte-Marie - pour les vierges et les religieuses de vocation, Sainte-Madeleine pour les pécheresses repenties et les femmes retirées du monde, Saint-Jean-de-l'Habit pour les hommes et Saint-Lazare pour les lépreux. À cela s'ajoute une importante infirmerie, appelée Saint-Benoît...
Abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire). I.:abbatiale Sainte-Marie est construite en deux campagnes, aux partis architecturaux fortement contrastés. Parfait reflet de l'art roman en Val de Loire, le chœur et le transept, érigés entre ll05 et ll 19, sont d'une architecture dépouillée, conforme à la volonté ascétique du fondateur, Robert d'Arbrissel. La nef, construite après la mort du fondateur, achevée vers 1130, est couverte d'une file de coupoles (emprunt architectural à l'Aquitaine) . Elle montre un riche décor sculpté, d'inspiration saintongeaise.
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Prieuré de Lencloître (Vienne).
Cette juxtaposition de monastères féminins et masculins, aussi nouvelle qu'elle puisse sembler, n'est pourtant pas une innovation absolue. On connaît de semblables dispositions au v• siècle en Égypte et au 1x• siècle chez les Celtes. Elle est cependant exceptionnelle, d'autant plus que la direction de l'ensemble est placée sous l'autorité exclusive d'une abbesse. Si Fontevraud, abbaye chef d'ordre, apparaît dès les premières années du x11• siècle comme l'un des plus vastes complexes monastiques du pays, ses prieurés sont le plus souvent de modestes établissements adaptés à la vie rurale et à son économie. Leur silhouette générale est celle de n'importe quelle petite maison religieuse de l'époque (Relay, L'Encloître-en-Chaufournais, La Puye, Orsan, dont peu de vestiges subsistent). Leur style est celui de la région où ils sont implantés : Villesalem, en Poitou, montre par exemple une église tout à fait représentative de l'architecture romane poitevine. La principale caractéristique des fondations de l'ordre est de répartir, comme à la maison mère, religieuses et moines dans des espaces conventuels distincts. Cette disposition n'est plus guère visible dans les prieurés fontevristes qui nous sont parvenus . Quant au nombre des prieurés de l'ordre, à l'époque la plus prospère, il ne dépasse guère la centaine. La majeure partie des moines et moniales est fixée à Fontevraud et. de toute évidence, l'essaimage n'est pas la priorité de l'abbesse. Celle-ci consacre à la maison mère toutes les ressources de l'ordre. animée par la farouche volonté de hisser Fontevraud au niveau des plus aristocratiques abbayes du royaume. Cette exigence perdurera pendant près de sept siècles et. pendant près de sept siècles, cet objectif sera atteint.
Le prieuré de Lencloître est fondé par Robert d'Arbrissel entre 1106 et 1109. Comme la plupart des dépendances de Fontevraud, maison mère, il est prévu pour accueillir vingt à trente religieux ou religieuses, répartis en deux couvents distincts, dirigés par une prieure. Celui des moniales nous est parvenu relativement complet : d'une remarquable homogénéité, il présente beaucoup de similitudes avec Fontevraud, à tel point qu'il pourrait avoir été construit par les mêmes bâtisseurs.
LES P RI N CI PA U X O RD RES M O NAS TI Q U ES AU M OYEN Â GE /
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CHALAIS, DES ERMITES BERGERS ET BÛCHERONS ...
Abbaye NotreDame de Chalais (Isère). En 1101, l'évêque de Grenoble installe une petite communauté à Chalais, sur le versant sud du massif de la Grande Chartreuse. Malgré l'extrême pauvreté qui fonde leur spiritualité, les premiers « ermites de Chalais » attirent de nombreux adeptes et doivent établir de nouvelles maisons. L'ordre de Chalais est ainsi institué en 1148.
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En 1101, l'évêque de Grenoble, Hugues de Châteauneuf (1053 -1132) établit quelques hommes à Chalais, au-dessus de Voreppe, à 940 mètres d'altitude, sur les contreforts sud du massif de la Grande Chartreuse, où saint Bruno s'était déjà installé quelques années auparavant. Voulant retrouver l'esprit de la règle de saint Benoît, les premiers« ermites de Chalais» vivent unis par la prière, à l'écart du monde. La petite communauté, connaissant une certaine renommée, sera érigée en abbaye en 1124. Pressée par l'afflux de postulants, elle essaime dans le Dauphiné, à Almeval et Aubevaux, puis en Provence. L: ordre de Chalais est institué en 1148. Il se dote alors d'une règle pour garantir l'unité de son esprit dans toutes ses filiales : la Charte de charité de Chalais, qui repose sur la règle de saint Benoît, augmentée de coutumes cisterciennes et, bien sûr, complétée par les propres traditions des « ermites ». Chalais devient alors abbaye mère d'un véritable ordre monastique qui comprendra, à son apogée, dix abbayes et trois prieurés dans le sud-est de la France.
A B B AY E5 M ÉD I ÉV A L E5
Très tôt cependant, la pauvreté et des dysfonctionnements affaiblissent l'ordre, tandis que grandit l'influence de Cîteaux et de la Grande Chartreuse. La fin du x11 ,e siècle voit le déclin de l'institution. En 1303, l'évêque de Grenoble remet la maison mère de Chalais à la Grande Chartreuse, tandis que ses filles sont absorbées par d'autres communautés. Seule Boscodon gardera son autonomie et restera chalaisienne jusqu'au XV° siècle. Dans la lignée des Bénédictins, les« ermites de Chalais» vivent en communauté, dans une grande pauvreté, à l'écart des voies de communication : l'isolement est la condition première de leur vie spirituelle. Assurant leurs maigres besoins matériels par des travaux de fore stage et par l'élevage ovin, ils sont généralement implantés en montagne, où ils s'établissent, soit à proximité d'un cours d'eau qui permet l'acheminement du bois dont ils font commerce, soit à proximité des chemins de transhumance empruntés par leurs troupeaux de moutons. Pratiquant l'autarcie, ils ne se nourrissent que du produit de leurs élevages, potagers et vergers.
Abbaye de Boscodon (Hautes-Alpes). À peine deux siècles
après sa fondation, l'ordre de Chalais connaît le déclin, miné par la pauvreté et la dissension. En 1303, la maison mère de Chalais est rattachée à la Grande Chartreuse et ses filiales sont reprises par d'autres communautés. Seule Boscodon, fondée en 1142, conservera son indépendance et restera chalaisienne jusqu'au x,< siècle.
LES PRIN CI PAU X ORDRES MON ASTIQUES AU MO VEN ÂGE /
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PROGRAMME ARCHITECTURAL DE CHALAIS L'ordre de Chalais connaîtra une existence éphémère. Fondé au tout début du x11• siècle, il ne compte qu'une douzaine de maisons. établies dans un cadre géographique limité au Dauphiné et à la Provence : Almeval. Boscodon, le Laverq, Prads, Clausonne, Claircombe, Valbonne ... Beaucoup d'entre elles seront rattachées, dès le x111•, à d'autres institutions monastiques, et. au xV° siècle, l'ordre est définitivement absorbé par la Grande Abbaye de Boscodon (Hautes-Alpes). Chartreuse. Du fait de la brièveté de Nef de l'abbatiale. Les bâtisseurs de Notre-Dame de Boscodon ont tracé son plan en s'appuyant sur des figures géométriques simples et symboliques, son existence et du faible nombre de comme la croix, le carré, le cercle. Dans l'abbatiale, ni chapiteaux, ses établissements. l'ordre de Chalais ni sculptures, ni vitraux, ni peintures. Seules la pureté des lignes, l'harmonie n'a laissé que de rares témoignages des volumes et la qualité de la maçonnerie sont les caractéristiques de son architecture. de ce chef-d'œuvre de l'architecture romane, fortement inspiré Tout comme ils s'inspirent de l'ordre par l'art cistercien. de Cîteaux dans son esprit et dans ses constitutions, les ermites de Chalais semblent influencés par les Cisterciens pour leurs bâtiments. Relevant de l'art roman, les édifices chalaisiens montrent certes des proportions plus modestes, adaptées à la faiblesse de leurs effectifs et à l'extrême pauvreté qu'ils recherchent. Mais on y retrouve la même sobriété, le même usage de matériaux locaux, la même préférence pour les formes et les volumes simples, les lignes épurées, les angles droits, la même absence de décor. L'église chalaisienne type, remarquablement illustrée par Boscodon, adopte généralement le plan « bernardin » souvent mis en œuvre par les Cister-
ciens : croix latine avec chevet plat. bras du transept ouvrant sur des chapelles quadrangulaires ... Une disposition qui n'est certes pas l'apanage des seuls Cisterciens, mais qu'ils ont souvent adoptée.
Abbaye de Boscodon (Hautes-Alpes). Fondée en 1142 par les « ermites de Chalais», l'abbaye de Boscodon demeure un exemple rare de l'art de bâtir chalaisien. Son architecture repose sur un dépouillement conforme à la doctrine de l'ordre et n'est pas sans rappeler les édifices cisterciens des premiers temps.
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FIN DE LA GRANDE ÉPOPÉE MONASTIQUE Qu'ils soient clunisiens, cisterciens, fontevristes ... , les différents ordres monastiques ont évolué en suivant sensiblement les mêmes étapes. Tout d'abord, des débuts difficiles, mais conformes à l'idéal d'austérité et d'extrême pauvreté des Pères du désert. Ensuite, une période d'apogée durant laquelle ces idéaux sont partagés par de nombreux fidèles qui contribuent à l'essor et à la prospérité del' ordre. Pour terminer, une période de décadence spirituelle, pendant laquelle l'ordre, devenu trop riche, trop important, trop puissant, rompt avec ses idéaux et finit par perdre une grande partie de son mysticisme et de son attrait ... I.;ordre de Cluny est à son apogée au X' siècle et décline au xi° siècle. Les ordres de Cîteaux, Fontevraud, Chalais, la Grande Chartreuse, La Chaise-Dieu ... , nés précisément d'une réaction à ce déclin, ont tous connu leur période dorée au x.11e siècle, soit très peu de temps après leur fondation, puis subissent un lent déclin dès les premières années du XIIIe siècle. Progressivement, mais inévitablement, ceux qui avaient fondé leur succès sur leur opposition à Cluny finissent par adopter les travers et les excès qu'ils dénonçaient. On assiste donc au renouvellement constant d'un modèle renaissant de ses propres cendres.
Abbaye de Boischaud (Dordogne). À la guerre de
Cent Ans (x1v" et xv" siècles) succèdent le régime de la Commende et les Guerres de Religion (xv1' siècle). NotreDame de Boischaud, fondée au xiie siècle, voit, comme de nombreux monastères, son histoire marquée par tous ces tourments. En 1790, à la fermeture de l'abbaye, un seul moine l'habite encore.
L ES P RI N C I PA U X O RD RES M O N A STI Q U ES A U M OY EN ÂGE /
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Plus grave encore, les monastères et leurs religieux connaissent, à partir du milieu du x111• siècle, une désaffection progressive. Les ordres mendiants, comme les Carmes, les Augustins, les Dominicains ou les Franciscains, font leur apparition et ce sont eux qui, désormais, prônent le retour à la pauvreté évangélique, comme l'avaient fait, en leur temps, les Cisterciens, les Fontevristes, les Grandmontains ... Aussi récents qu'ils soient, ces rivaux sont des concurrents redoutables, car ils apportent une véritable nouveauté. À la différence des moines qui sont des « contemplatifs », les religieux des ordres mendiants sont des « actifs ». Au contact des populations, ils se consacrent à la prédication et à l'enseignement. Ils agissent hors des enceintes monastiques, partout où la civilisation est en voie de progression. Ainsi, à partir du xrnesiècle, ils officient non plus en milieu rural où le monde monastique avait étendu sa suprématie, mais dans les villes en pleine expansion où la cathédrale s'impose comme l'édifice religieux par excellence. En fait, les temps changent... Et le Grand Schisme d'Occident, entre 1378 et 1417, divise et déstabilise l'Église en opposant deux papes, l'un à Rome, l'autre en Avignon. De plus,
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M ÉD I ÉV A L ES
divers malheurs frappent la France des x,ve et xve siècles, le pire étant la guerre de Cent Ans (1339-1453). Elle entraîne pillages, désolation, épidémies, famines. Touchant directement les populations, la guerre n'épargne pas les monastères. Ils sont saccagés pour leurs richesses, et leurs occupants sont massacrés. Indirectement aussi, le conflit franco-anglais a porté un lourd préjudice aux communautés monastiques. Les donations se raréfient, les exploitations agricoles, dévastées, ne produisent plus assez pour dégager des revenus et les richesses s'amenuisent jusqu'à disparaître. Faute de moyens , les bâtiments ne sont plus entretenus et ne sont plus relevés lorsqu'ils sont en ruines. Comme les monastères ne sont plus attrayants, les cloîtres sont désertés. L'institution monastique ne parvenant plus à subvenir aux besoins les plus élémentaires des moines et moniales, les abbés et les prieurs sont contraints de fermer les yeux sur les infractions à la règle de clôture et de pauvreté. Par nécessité, les religieux multiplient les allées et venues entre le monastère et le monde extérieur pour chercher dans leurs familles une certaine sécurité, quand ce n'est pas tout simplement leur subsistance. À leur retour, ils introduisent dans l'abbaye d'abord le nécessaire, puis le superflu: livres, œuvres d'art, linge, meubles ... qui sont gardés en propre. L'esprit de pauvreté disparaît, la propriété privée gagne du terrain, on « oublie » de mettre en commun biens et ressources. Même les offices ont tendance à être considérés comme des charges particulières par leurs titulaires qui les gèrent à leur guise, sans rendre de comptes à la communauté. Le relâchement spirituel sape maintenant la discipline monastique et le service divin. Quant au recrutement, ceux que le service de Dieu séduit encore se dirigent vers ces ordres mendiants qui prêchent en ville. On ne se bouscule plus aux portes des abbayes: Cluny, qui comptait environ trois cents moines en 1300, voit son effectif tomber à une modeste soixantaine en 1450 !
Abbaye des Châteliers (Île de Ré, CharenteMaritime). Fondée vers 1150, l'abbaye connaît une histoire tumultueuse. Elle est ravagée par les Anglais en 1294, puis à deux reprises pendant la guerre de Cent Ans (1388 et 1462) et, enfi n, pendant les Guerres de Religion (en 1574). Ses occupants abandonneront alors définitivement l' abbaye.
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Abbaye de Vauclair (Aisne). Fondée en 1134, l'abbaye cistercienne de Vauclair con naît, comme de nombreux monastères, bien des vicissitudes, pendant les guerres (de Cent Ans, puis de Religion). Mais ce seront les conflits de la Première Guerre mondiale qui détruiront la quasi-totalité de ses bâtiments, en 1917.
Dernier facteur de ce lent déclin: la commende. Elle permettait, à l'origine, de pourvoir temporairement à l'absence d'abbé dans un monastère. On confiait alors celui-ci, jusqu'à l'élection d'un nouvel abbé, à un administrateur désigné par le pape ou par l'évêque. En dédommagement, l'administrateur percevait les revenus traditionnellement réservés à l'abbé. Le système dérive, hélas! Les papes en usent, notamment lors du Grand Schisme opposant Rome à Avignon, pour nommer à la tête des abbayes des laïcs attachés à leur cause. Si la commende peut être un instrument de pouvoir pour les papes, elle peut tout autant l'être pour les rois. Ainsi, en 1438, Charles VII impose la Pragmatique Sanction de Bourges, qui fait du roi le gardien des droits de l'Église dans le royaume, lui permet de contrôler toute nouvelle nomination d'abbé et limite les prérogatives du pape. En 1516, le concordat de Boulogne concède même à François Jer le pouvoir de nommer les titulaires des sièges ecclésiastiques dans son royaume. Ce privilège sera durablement exploité par ses successeurs pour récompenser séculiers ou laïcs, tous issus de la noblesse et fidèles serviteurs de la Couronne ! La charge d'abbé est alors très convoitée, car elle permet un enrichissement certain et facile. :C abbé commendataire perçoit jusqu'à un tiers des bénéfices de son abbaye et peut cumuler plusieurs charges dans des abbayes différentes. Ce haut dignitaire n'est pas tenu de suivre la règle de son ordre ni même de résider de façon permanente dans son abbaye. Les abbés deviennent des « abbés de cour » qui, pour beaucoup, restent en dehors de toute préoccupation spirituelle. La ferveur mystique et collective du Moyen Âge appartient désormais au passé!
92 / HISTOIRE DE L'ALIMENTATION DES FRANÇAIS
À CHACUN SA RÈGLE! LES ORDRES MONASTIQUES OU CONTEMPLATIFS
.........
ORDRES MONASTIQUES Ordre
Date de fondMlon
londallur
Cluny
910
Guillaume le Pieux (v. 875-918)
La Cha ise-Dieu
1043
Robert de Tu rlande (v. 1001-1067)
Saint Benoît
Saint Benoît
Grandmont
1076
Saint Etienne de Mu ret (v. 1045-1124)
Saint Benoît
Grande Chart reuse
1084
Saint Bruno (v. 1030-1101)
Règle des Chartreux
Cîteaux
1098
Robert de Molesme (v. 1029-1111)
Saint Benoît
Fontevraud
1100
Robert d'Arbrissel (v. 1047-1116)
Saint Benoît et saint Augustin
Chalais
1101
Hugues de Grenoble (1053-1132)
Saint Benoît
LES ORDRES APOSTOLIQUES
.........
ORDRES RELIGIEUX Ordre
Date de fondation
,_.........
Prémontrés
1120
Saint Norbert de Xanten (v. 1085-1124)
Sa int Augustin
Saint Berthold (1155-1195)
Sa int Albert de Jérusalem
Carmes
V.
1185
Franciscains
1209
Saint François d'Assise (1181-1226)
Saint François d'Assise
Dominicains
1215
Saint Dominique de Guzmàn (v. 1170-1221)
Saint Augustin/Saint Dominique
Augustins
1243
Innocent IV (v. 1185- 1254)
Saint Augustin
Templiers
1129
Hugues de Payens (1074-1136)
Saint Benoît/Règle du Temple
Les ordres contemplatifs sont constitués de religieux qui ont prononcé des vœux et vivent généralement en communauté, retirés du monde. Ils se consacrent essentiellement à la prière, à la méditation, et observent une règle monastique commune. Les communautés (chapitres) de chanoines, qui se développent à partir du x1• siècle, combinent vie de prière et vie apostolique. Elles assurent souvent, dans les grandes églises et les cathédrales, le service liturgique et la gestion du temporel. Les chanoines ne sont pas des moines, car ils ne sont pas retirés du monde. Mais, comme les moines, ils suivent une règle, le plus souvent celle de saint Augustin, complétée de statuts propres à chaque communauté. Les Carmes, les Franciscains, les Dominicains et les Augustins sont des ordres dits« mendiants», car ils ne possèdent aucune propriété (ni individuellement ni collectivement), et dépendent de la charité publique pour vivre. Leur essor coïncide avec le développement des villes au x111• siècle, où ils sont le plus souvent établis en milieu urbain. Ils se différencient des ordres contemplatifs en ce qu'ils ne vivent pas retirés du monde et ont, au contraire, un engagement apostolique direct dans la société civile.
LES P RI N CI PA UX O RD RES M O NA ST I Q U ES AU M OYEN ÂGE /
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Double page précédente
Abbaye de Conques (Aveyron). L'histoire de ce monastère, dont la fondation semble remonter à la fin du viiie siècle, est étroitement liée aux reliques de sainte Foy. Longtemps conservées dans un monastère d'Agen, elles feront la fortun e des moines de Conques qui les rapportent en Rouergue vers 866. Étape maj eure du chemin de SaintJacques-de-Compostelle, l'abbatiale, reconstruite entre 1040 et 1130, est un chef-d'œuvre de l'architecture romane.
Selon la parole de saint Benoît, le monastère apparaît comme une famille et articule toute sa vie autour de la prière et du travail manuel. Dans l'obéissance et le silence, le respect mutuel et la crainte de Dieu, chacun y trouve son rang et son rôle, chacun y vit sa foi et la partage avec toute la communauté, placée sous la direction bienveillante de l'abbé.
LES COMPOSANTES DE LA COMMUNAUTÉ MONASTIQUE Le terme de monastère s'applique à tous les bâtiments utilitaires et cultuels destinés à une communauté de moines ou de moniales, c'està-dire à des religieux vivant retirés du monde. On veillera donc à les distinguer d 'autres religieux vivant dans le siècle, comme les chanoines, les religieux des ordres mendiants, les religieux-soldats de l'ordre du Temple ... Le terme de monastère s'applique ainsi à une abbaye ou à un prieuré. L'abbaye est dirigée par un abbé qui, dans les établissements importants, sera assisté d'un prieur, d'un sous-prieur et des doyens (sorte de conseil des sages choisis pour leurs mérites). Le prieuré, d'importance généralement moindre, est rattaché à une abbaye. Il est dirigé par un prieur, lui-même placé sous l'autorité de l'abbé dont dépend sa maison. Une abbaye est dite« chef d'ordre» lorsque son abbé dirige l'ensemble des abbayes et les abbés d'un même ordre. Elle est dite « maison mère » lorsque ses religieux fondent un nouvel établissement.
Représentation de l'abbé Durand de Bredon sur l'un des piliers du cloître de l'abbaye de Moissac (Tarn-et-Garonne). Ce moine de l'abbaye de Cluny fut désigné par l'abbé Odilon de Mercœur en 1048 pour diriger le monastère de Moissac, affilié aux clunisiens. La tradition rapporte que Durand se montrait bavard et plaisantait volontiers, ce qui n'est guère conforme à l'exemplarité que doit montrer tout abbé. Après sa mort, en 1071, il serait apparu en songe, la bouche écumante, à Hugues de Cluny qui décréta alors sept jours de silence et de prière à ses moines, pour assurer le salut du défunt !
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A B BAYE5 M ÉD I ÉVA LE5
LA COMMUNAUTÉ MON ASTIQUE /
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ENVIRONNEMENT MONASTIQUE
La Couvertoirade (Aveyron) . est une commanderie établie au x11' siècle par les religieuxsoldats de l'ordre du Temple, sur le causse du Larzac. Elle est située près d'une voie qui descend vers la côte méditerranéenne, lieu d'embarquement vers l'Orient et la Terre Sainte.
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Au x• siècle, Cluny est, en Occident, le premier ordre véritablement organisé d'après la règle édictée par saint Benoît de Nursie (480-547) . Face aux Clunisiens, qui ont de cette règle une observance modérée, se dressent ceux qui veulent l'appliquer dans toute sa rigueur. Ainsi naîtra Cîteaux, en 1098, dont le fondateur, saint Robert, prône une grande austérité et un profond attachement à la règle. . D'autres encore refusent le « relâchement » qui se manifeste dans les maisons clunisiennes. Robert de Turlande fonde l'ordre de La Chaise-Dieu (1052). saint Bruno, celui de la Grande Chartreuse (1804). saint Étienne de Muret, celui de Grandmont (1074). Robert d'Arbrissel. celui de Fontevraud (1100) et Hugues de Grenob le, celui de Chalais (1101) . S'inspirant de la règle bénédictine ou adoptant leurs propres coutumes, tous participent du même renouveau monastique, du même désir d'un retour à une vie ascétique et en retrait du monde. À la même époque, les anciennes abbayes, comme Fleury-sur-Loire ou Saint-Bénigne à Dijon, se réforment aussi, dans l'esprit de la règle bénédictine. Elles constituent leurs propres familles, sans pour autant se ranger dans le giron de Cluny. Puis apparaissent quelques maisons, comme La Sauve-Majeure (1079). Savigny (1112) ou Tiran (1114) : contemporaines de Cîteaux, elles s'en inspirent tout en gardant leur autonomie. À partir du x1• siècle, ces ordres monastiques, dits « contemplatifs », car retirés du monde, voient apparaître la concurrence des ordres « apostoliques », directement engagés dans la société civile. Sont ainsi fondés les ordres des chanoines réguliers qui suivent la règle de saint Augustin : Saint-Rut (1040). le Grand Saint-Bernard (vers 1050), Saint-Antoine-enViennois (1089) et les Prémontrés (vers 1120). Et, dans les villes, de multiples institutions conventuelles, étroitement liées aux chanoines des cathédrales, prennent en cha rge les hôtels-Dieu, les hôpitaux, les léproseries .. . Quant aux ordres « militaires », ils sont surtout représentés en France par l'ordre du Temple, fondé en 1129. Ses membres, les Templiers, se sont donné pour mission d'assurer la sécurité des pèlerins et de protéger les lieux saints. Notons que le terme
AB BA YE5 M ÉDI ÉVALE 5
de moines-soldats dont on les qualifie souvent est impropre. Il s'agit bien de religieux, mais ils ne sont pas moines, pu isqu'ils ne vivent pas cloîtrés. Enfin, le x111• siècle voit se développer les ordres « mendiants », qui fuient la solitude des campagnes pour s'établir dans les villes alors en pleine expansion. Ne possédant théoriquement aucun bien, ni individuellement ni collectivement. ils vivent de la charité publique. Ils se vouent au service des pauvres et se consacrent à la prédication de l'Évangile. Ce sont les Franciscains, les Dominicains, les Augustins, les Minimes ... Tous ces ordres religieux, différents de par leurs missions et leurs champs d'action, ont établi dans la France médiévale un important réseau d 'établissements, dont l'impact est toujours visible dans nos paysages.
LA COMMUNAUTÉ MON A5 TIQUE
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Moines chantant. Les moines de chœur, ou moines profès, prononcent trois vœux : le vœu de stabilité les engage à demeurer jusqu'à la mort dans l' état monastique et dans leur monastère, le vœu de conversion des mœurs leur impose le renoncement au monde et le respect des princip es de la vie monastique (incluant la chasteté et la pauvreté individuelle) , et le vœu d'obéissance, qui implique la soumission à la règle et à l'abbé. Cultivés, connaissant le latin, ils sont essentiellement chargés de la liturgie. Par ailleurs, ils s'adonn ent également à quelques travaux manuels et ont des responsabilités particulières. Enluminure française, x 111 ' siècle.
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La communauté monastique comprend plusieurs catégories de personnes, comme les moines de chœur et les frères convers ou lais. Les moines de chœur partagent l'essentiel de leur temps entre le travail intellectuel, la prière et la célébration des offices aux différentes heures canoniales. Ils sont profès, c'est-à-dire qu'ils ont prononcé les vœux solennels de pauvreté, de chasteté, d'obéissance et de stabilité. Ce dernier vœu signifie qu'ils s'engagent à demeurer dans la clôture du monastère jusqu'à leur mort. Les frères convers (du latin conversus, converti) ou frères lais (du latin laïcus, laïc) sont issus des classes laborieuses et ont la charge des tâches matérielles du monastère. Choisissant, de leur plein gré, de se mettre au service de Dieu, ils se différencient des oblati, qui sont des enfants « offerts » ou confiés par Jeurs parents à un monastère, à charge pour l'établissement d'en assurer l'éducation et la formation religieuse.
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~ · 12 C'est au x 11e siècle que le rôle des convers et des lais devient capital pour l'organisation des monastères médiévaux et leur prospérité. Les ordres monastiques ayant adopté un mode de vie rural et autarcique, l'exploitation de leurs domaines agricoles exige une main-d'œuvre nombreuse, compétente et relativement libre dans ses déplacements. Cette exigence, qui ne peut être satisfaite par les moines de chœur, soumis au rythme de la liturgie, à la prière commune et à la clôture, justifie donc le recours aux convers. Recrutés dans les milieux modestes et ruraux, les convers ont fait l'objet d'une conversion radicale et sont des religieux à part entière, même s'ils ne possèdent pas les qualités intellectuelles permettant de devenir moines de chœur. Ils portent d'ailleurs un habit différent, ne prêtent qu'un simple vœu d'obéissance, ne sont astreints qu'à un nombre limité de prières quotidiennes, le plus souvent apprises par cœur. Leur rôle est néanmoins capital, puisqu'ils assurent les travaux matériels nécessaires à la vie de la communauté, à sa bonne marche, à son administration, à son autonomie. Ils sont souvent amenés à sortir hors du monastère, ne serait-ce que pour se rendre dans l'une des multiples exploitations agricoles dont ils ont la responsabilité. D'un statut proche de celui des convers, se confondant souvent avec eux, les frères lais sont des personnes d'origine modeste, attirées par la vie religieuse sans pour autant disposer des qualités intellectuelles leur permettant
Moine moissonnant. Principalement destinés aux tâches matérielles nécessaires à la bonne marche du monastère, les convers se font paysans (laboureurs, bergers, bouviers, vachers, porchers ... ) ou artisans (forgerons, menuisiers, meuniers, boulangers .. .). Leur activité est importante : elle permet à la communauté de vivre en autarcie, tout en permettant aux moines de chœur de consacrer l'essentiel de leur temps à l'Office divin. Enluminure fran çaise, début du x11' siècle.
LA COMMUNAUTÉ MON AS T10 U E /
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Enfant confié par ses parents à un monastère. Il arrive que des familles confient un enfant au monastère, parce qu'elles ne peuvent pas ou ne veulent pas l'assumer. I.:enfant devient alors oblat (du latin oblatus, offert). Pris en charge matériellement et spiritu ellement par les religieux, il doit se soumettre, comme eux, aux principes de la vie monastique et à la règle, avec les aménagements qu'impose son jeune âge. En contrepartie, les familles , quand elles le peuvent, font un don au monastère. Sur cette enluminure, on distingue le père qui tend une bourse à l'abbé (reconnaissable à sa crosse).
de devenir moines. Ils apportent néanmoins leur contribution au monastère en s'acquittant de tâches matérielles nécessaires à la bonne marche de la communauté. Ils n'ont pas obligation de participer à l'office du chœur. Le monastère ouvre aussi ses portes à des non religieux. Parmi eux, on trouve les oblats. Leur origine remonte aux premiers temps du christianisme, lorsqu'il était d'usage d'offrir à Dieu un ou plusieurs enfants en les confiant à un monastère. Cette pratique, qui pouvait donner lieu à des abus, ne sera pourtant supprimée que tardivement, par le concile de Trente (1545-1563). Au v 111 e siècle, l'oblature concernait même les adultes: un homme ou une femme pouvait abandonner sa propre personne et ses biens matériels à un monastère, en échange d'une assistance spirituelle et matérielle. Ces candidats à l'oblature s'engageaient alors à réformer leur vie en adoptant les préceptes de la règle et en participant à la prière commune. Souvent, ils se voyaient également confier une petite tâche matérielle utile à la communauté. Le monastère peut également recruter, à l'extérieur de ses murs, des salariés, des artisans, des gens de loi, des gens d'armes ... Chacun participera, selon ses compétences, à la vie de la communauté. Ainsi, pour certains travaux, urgents ou nécessitant une main-d'œuvre nombreuse, on sollicitera la paysannerie locale qui viendra renforcer les convers. Le monastère est en général un employeur important et recherché. Il engage artisans ou praticiens dont le savoir-faire ou les compétences techniques font défaut aux religieux: vitriers, tisserands, potiers, tonneliers, cordiers, charpentiers, serruriers, forgerons,
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Enluminure,
vers
1300-1315.
102 f LE S A B BAYE S
M ÉD I ÉV A L ES
maréchaux, charretiers, laboureurs, bouviers, forestiers, chasseurs, meuniers ... Il appointe médecins, chirurgiens et officiers qui feront respecter ses droits (juges, sénéchaux, avocats ... ), gens d'armes qui assurent la sécurité et la police sur son domaine. Ces personnes, vivant des commandes du monastère, s'installent souvent à proximité immédiate de l'enceinte et forment un bourg dont la prospérité se confondra avec celle du monastère. Qu'il s'agisse des statuts ou des espaces de vie, l'institution monastique établit des séparations nettes et précises entre les différentes catégories de personnes vivant en son sein. Partageant un idéal commun, chaque groupe remplit une mission propre, organise son emploi du temps, adapte son mode de vie à ses objectifs. Il y a les religieux de chœur, qui prient et méditent de façon quasi permanente, et les convers, qui labourent, sèment, récoltent au rythme des saisons. Il y a les novices, qui s'essaient à la vie monastique, et les malades, qui ne peuvent en suivre l'ascèse. Tous constituent de petits groupes qui vivent sur des rythmes spécifiques et dans des quartiers distincts. On procède même parfois au dédoublement de certaines structures, voire, pour les abbayes les plus importantes, à la construction de véritables monastères annexes. Cette ségrégation sociale peut sembler paradoxale dans des établissements prônant la fraternité. Elle était toutefois indispensable de permettre à chacun de vivre son existence en conformité avec son statut.
Abbaye de Baume-lesMessieurs (Jura). Le monastère est conçu comme une cité idéale, visant la perfection architecturale, mais aussi humaine. li a pour vocation de faire vivre en harmonie un groupe de moines, avec une organisation sociale basée sur les principes de la règle.
LA COMMUNAUTÉ MON AS TIQUE /
103
LA HIÉRARCHIE MONASTIQUE Quelle que soit son importance, une abbaye ou un prieuré est un organisme complexe, une société miniature avec son organisation, sa hiérarchie, ses individus, aux vocations, attributions et activités parfois très diverses. Dès le v1° siècle, la règle de saint Benoît précise cette organisation et définit les attributions et responsabilités de l'abbé, du prieur, du cellérier, du maître des novices. Cette ébauche de hiérarchie, suffisante aux premiers temps du monachisme, se complétera, au fil du temps, de nombreux autres officiers, chargés d'aider l'abbé à gouverner les moines et à gérer la bonne marche du monastère. On peut ainsi distinguer ceux qui dirigent le monastère ou contribuent à son gouvernement (l'abbé, le prieur, les doyens, le chancelier) et ceux qui organisent sa vie spirituelle (le préchantre, le sacristain). Il y a ceux qui sont chargés de l'intendance du monastère (le cellérier, le camérier) et ceux qui dirigent les services internes (le bibliothécaire, le maître des novices, l'infirmier). Certains ont un office lié à l'accueil, à l'hospitalité et à la charité (le portier, l'hôtelier, l'aumônier) et d'autres un office lié à la discipline (les surveillants, les visiteurs). Dans le cas d'abbayes importantes, les titulaires de ces différents postes délèguent une partie de leurs responsabilités à des adjoints ou à des aides, dont certains peuvent d'ailleurs être des laïcs rémunérés. A contrario, dans les monastères modestes, ces postes tendent à se confondre. Quel que soit le poste qui lui est confié, le moine doit s'en montrer digne et l'occuper dans l'intérêt de toute la communauté. Et« [... ] s'il arrivait que l'un d'eux, venant à s'enfler de quelque orgueil, se rendît digne de répréhension, on le reprendra une première fois, une seconde et une troisième fois. S'il ne veut pas s'amender, qu'on le destitue et qu'à sa place on mette un autre qui en soit digne[ ... ] » (chap. 11)3. Voyons donc l'ensemble des fonctions qui concourent au fonctionnement harmonieux d'un monastère. Notons que la référence au Christ est omniprésente dans les différentes occupations des personnes attachées au monastère. Elle est révélatrice de l'éthique qui doit guider chacun, en conférant à chaque activité une dimension spirituelle essentielle.
3 Les citations en italiques sont tirées, sauf mention particulière, de la règle de saint Benoît, traduite du latin par Dom Guéranger. Traduction revue en 1977.
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Le supérieur, l'abbé (abba) L'abbé, selon saint Benoît,« [... ] est réputé tenir dans le monastère la place du Christ[ ... ] » (chap. 2). Père du monastère, il guide les moines et les âmes. Organisateur de la vie communautaire, il veille à ce que nul ne manque de quoi que ce soit... Plus de la moitié des chapitres de la règle soulignent son rôle personnel et prééminent au sein de la communauté, en précisant chacun de ses gestes quotidiens, son attitude, son rang dans les cérémonies, sa place symbolique dans la liturgie. Et, si la règle lui donne beaucoup de pouvoirs, car « [.. .]Il importe que l'Abbé ait entre les mains la pleine administration de son monastère[ .. .] » (chap. 65), elle prend aussi la précaution de les tempérer en lui rappelant la bienveillance, l'humanité et la modération qu'il doit montrer en toutes occasions. Il convient donc d'interpréter ces pouvoirs comme des responsabilités :« [.. . ] Quel que soit le nombre des frères confiés à ses soins, qu'il tienne pour certain qu'au jour du Jugement il devra rendre compte au Seigneur de toutes ces âmes[ ... ] » (chap. 2) . Maître de son abbaye et de ses moines, comme le seigneur est maître de son fief et de ses vassaux, l'abbé peut être parfois tenté d'adopter un mode de vie seigneurial. Cela d'autant plus qu'il est lui-même d'origine noble, habitué au commandement et aux manières du monde. À la façon d'un véritable seigneur féodal, il porte un blason, dispose de revenus propres et préfère recevoir ses hôtes en son logis particulier plutôt qu'au réfectoire. Abbé (reconnaissable à sa crosse), accompagné de deux moines. Aux premiers temps du cénobitisme, les moines s'en remettaient à l'autorité d'un patriarche, souvent appelé abba (père). Au
v ie
siècle, saint
Benoît organise la vie monastique et accorde une grande importance à l'abbé. Il est le représentant du Christ, le père de la communauté, qu'il doit guider sur la voie de la sainteté par sa sagesse, son exemplarité, sa bienveillance. Enluminure anglaise, Xl\,e siècle.
LA CO M MUN AU TÉ MON ASTIQUE /
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Le prieur (prior} ou prévôt (praepositus} Page de droite
De gauche
à droite, sceaux de Martin (milieu xm' siècle) et de
Guillaume de Montbard (milieu x1v' siècle), abbés de Fontenay (Côte-d'Or). L'abbé, comme tout seigneur, dispose d'un sceau où sont gravées, en creux, son effigie, ses armoiries et sa devise, ou celles de son abbaye. t:empreinte de ce sceau dans la cire, apposée sur un document, permettra de l'authentifier. Le chancelier du monastère, qui est souvent le secrétaire de l'abbé, assure généralement la garde de cet objet précieux.
Le prieur, adjoint de l'abbé, le remplace en cas d'incapacité temporaire (absences, mais aussi maladie ou vieillesse). Au premier rang des officiers (obaedentiaril), il pourrait donc empiéter sur les prérogatives de l'abbé, devenir un rival potentiel, vouloir l'évincer, ce qui serait fortement préjudiciable à la communauté. L'essentiel du chapitre de la règle précisant le rôle du prieur consiste donc à le mettre en garde contre de telles tentations. La règle précise que le prieur« [... ] exécutera donc avec révérence tout ce qui lui aura été enjoint par son Abbé, ne fera rien qui soit contraire à sa volonté ou à ses règlements; car plus il est élevé au-dessus des autres, plus il doit soigneusement observer les préceptes de !'Abbé[ ... ] » (chap. 65). Les monastères importants comptent plusieurs prieurs, appelés hiérarchiquement: grand-prieur, sous-prieur, prieur en troisième. Dans les petits établissements dépendant d'une abbaye, le prieur représente l'abbé et devient le supérieur de la petite communauté.
Les doyens Le risque qu'un unique prieur soit tenté de se substituer à l'abbé et provoque de graves désordres conduit saint Benoît à préférer que« [... ] le service
du monastère soit assuré par des doyens, selon les ordres de /'Abbé; la charge étant partagée entre plusieurs, un seul n'aura pas l'occasion de s'enorgueillir [ ... ] » (chap. 65). Lorsque l'abbé doit prendre une décision difficile ou lourde de conséquences, il interroge les doyens, qui forment une sorte de conseil des sages:« [... ] on ne devra choisir pour doyens que ceux avec lesquels !'Abbé peut en toute sûreté partager son fardeau ; et ils ne seront point élus selon le rang d'ancienneté, mais d'après les mérites de leur vie et la sagesse de leur doctrine [ ... ] » (chap. 21). Le conseil expose son point de vue sans toutefois pouvoir l'imposer, car« [... ] il dépendra de !'Abbé de prendre le parti qu'il jugera le plus salutaire[ ... ]» (chap. 3). À Fontevraud, les moniales qui constituent ce conseil autour de l'abbesse prennent le nom de« discrètes». Cela peut s'expliquer par l'obligation d'une grande réserve, peut-être parce que leurs fonctions les mettent en relation avec le monde extérieur. À moins que cette dénomination ne soit une référence à la discretio, c'est-à-dire la modération, à la tempérance et à la sagesse, souvent évoquées dans la règle de saint Benoît à propos des religieux dont les offices exigent une certaine rigueur.
Le chancelier (scriptor, notarius, cancellarius} Le chancelier est chargé de rédiger les documents administratifs du monastère et de les rendre officiels en y apposant les sceaux de l'établissement ou de l'abbé. Il conserve généralement les matrices de ces sceaux dans un coffre particulièrement protégé dont l'ouverture n'est possible qu'avec
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trois clefs différentes : il en détient une, de même que l'abbé et un autre religieux à la fiabilité reconnue. Le chancelier est souvent l'archiviste du monastère et le secrétaire de l'abbé: c'est donc un moine de confiance et un proche du pouvoir. Il est souvent assisté d'un frère« marguillier» (matricularius) qui tient à jour les différents registres ainsi que la matricule. À l'origine, la matricule était la liste des nécessiteux aidés par le monastère.
Le préchantre (P,raecantor} ou premier chantre (cantor} Le préchantre est spécialisé dans le chant liturgique et dirige, dans cette activité, les moines de chœur. C'est lui qui donne le rythme des offices, ralentissant ou accélérant le chant, selon les besoins. Sa compétence en la matière lui permet d'assister le maître des novices dans l'enseignement de la musique. Enfin, et sans doute parce que les manuscrits liturgiques ont été pendant longtemps les seuls livres du monastère, il a, dans les établissements trop modestes pour être pourvus d'une véritable bibliothèque, la charge des livres de l' armarium du cloître. Il peut être assisté d'un succentor, dont la mission principale est de rappeler à l'ordre les moines somnolents pendant les offices de nuit.
Moine chantant. Le chant, sur lequel repose l'essentiel de la liturgie monastique, est le domaine réservé du chantre. C'est lui qui entonne le début de chaque prière chantée, lui donne son rythme et son ton. Compte tenu de l'importance accordée par les moines à l'office chanté, le chantre compte parmi les premiers dignitaires du monastère. Bien souvent, il a aussi la responsabi lité de l'armariurn , où sont rangés graduels, antiphonaires, missels et au tres ouvrages liturgiques. Enluminure all emande, fin du x1v" siècle.
LA COMMUNAUTÉ MON ASTIQUE /
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Le sacristain ou sacriste (sacrorum custos} À l'origine, comme son nom l'indique, le sacristain détient la respon-
sabilité des vases sacrés. Mais ses attributions, beaucoup plus larges, concernent aussi les ornements du sanctuaire, les vêtements et les linges nécessaires à la liturgie. Il veille à l'entretien de l'église, à son maintien en bon ordre, à son éclairage, tout comme il le fait souvent pour un certain nombre d'espaces monastiques (le réfectoire, l'hôtellerie et la maison de l'abbé). Le sacristain peut être assisté d'un sous-sacriste, à qui incombent généralement la sonnerie de la cloche et le réglage de l'horloge. Cette mission doit être exécutée avec le plus grand sérieux, car le respect des heures canoniales, et donc celui des offices, en dépend. Le sacristain et son assistant peuvent également assurer le gardiennage de l'église et, le cas échéant, de son Trésor, qui peut toujours attiser la convoitise de quelque rôdeur mal intentionné. À cette fin, le sacristain habite le plus souvent une petite loge aménagée dans un recoin de l'église. Au fil du temps, il se voit attribuer un logis particulier, établi, comme à Fontevraud, non loin de l'abbatiale.
Le cellérier (cellararius} Dans les monastères primitifs, le cellérier avait la responsabilité de tous les biens matériels de la communauté, c'est-à-dire, en raison de la pauvreté à laquelle s'astreignaient les religieux, peu de choses. Il lui incombait également de distribuer, répartir et partager, en fonction des besoins de chacun. Là encore, les quantités étaient modestes compte tenu de l'ascétisme rigoureux auquel était soumise la communauté. Dans sa règle, saint Benoît souhaite « [.. .] qu'il ne néglige rien. Qu'il ne soit ni avare, ni prodigue, ni dissipateur des biens du monastère; mais qu'il fasse toutes choses avec mesure et conformément aux ordres de /'Abbé[ ... ]» (chap. 31).
Lorsque, plus tard, le monastère se développe jusqu'à devenir une structure importante, le cellérier se voit attribuer un rôle majeur. Il en devient le gestionnaire, gérant tous les achats de la communauté, assurant les rentrées de numéraires liés à la vente des excédents de la production monastique. De son efficacité dépend donc la prospérité de la maison ou, inversement, sa ruine! Moine goûtant son vin. Le cellérier est chargé de l'approvisionnement du cellier en denrées alimentaires, dont le pain et le vin. Par extension , il veille à tout ce qui concerne l'intendance du monastère. Véritable gestionnaire, il organise et contrôle le travail d'une équipe parfois nombreuse de convers et de salariés laïcs. Dans les établissements les plus importants, il est assisté de religieux plus particulièrement affectés à certains domaines, comme les cuisines, le réfectoire, la boulangerie, le vestiaire, les jardins, les vignes, etc. Miniature française , x 111' siècle.
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Moine pratiquant la tonsure. Le camérier (ou chambrier) est chargé non seulem ent de la comptabilité du monastère, mais aussi du confort des religieux. C'est lui qui prévoit l'eau chaude dont les moines ont besoin pour se raser et pratiquer cette tonsure si caractéristique. C'est également le camérier qui conserve le rasoir destiné à ces pratiques qui se font, silencieusement, dans le cloître. Miniature, début du
x 111"
siècle.
Administrateur, il a la responsabilité du« personnel technique», c'està-dire des convers et des salariés laïques qui assurent l'intendance et la production du monastère. Dans ce domaine, sa tâche est considérable : aussi dispose-t-il de nombreux assistants, dont le réfectoriste (refectorarius), le cuisinier (coquinarius), le boulanger (pistor), le cellérier du vin (cellararius vini), le grainetier (granatarius) spécialement chargé de l'ensemencement des terres, le jardinier (hortulanus), le gardien des viviers (magister piscium), le maître des granges (grangiarius) , le maître des vignes, le connétable, chargé des écuries ...
Le camérier (ou chambrier, ou chambellan} Le camérier doit son nom à la chambre (camera) où l'on dépose l'argent, les archives, les titres de propriété, les reliques et autres biens précieux de la maison. Il est le comptable du monastère. À sa principale mission, qui consiste à recevoir et gérer les fonds du monastère, s'ajoute celle d'assurer un certain confort aux religieux. À ce titre, il prévoit l'eau chaude dont les moines ont besoin pour se raser et leur fournit un rasoir, veille à l'entretien de leur dortoir et de leurs couchages, à l'état de leurs vêtements et de leurs chaussures ... Son assistant, le sous-camérier, est chargé d'installer les lampes dans le dortoir, de les allumer à la nuit tombante, et de les éteindre au lever du jour.
110/LES ABBAYES MÉDIÉVALES
Le bibliothécaire (armarius) Dans les monastères d'une certaine importance, le bibliothécaire est le religieux responsable des livres, voire de l'ensemble de l'activité liée aux livres. Il détient l'un des postes les plus importants du monastère. Important sur le plan spirituel, car la plus grande partie de ces livres contiennent toute la liturgie et renferment un savoir immense. Important également sur le plan matériel, car la copie de ces ouvrages peut s'avérer source de revenus. Le bibliothécaire garde en permanence sur lui la clef de la bibliothèque ; aucun livre ne peut être emprunté à son insu ! La consultation de certains ouvrages exige même l'autorisation de l'abbé, autorisation qu'il lui appartient de vérifier. Et l'abbé lui témoigne de sa confiance en lui octroyant l'une des trois clefs ouvrant le coffre des sceaux.
Moine occupé par sa lecture. Tout monastère dispose d'ouvrages nombreux qui , pendant une grande partie du Moyen Âge, sont con servés dans différents lieux, là où le besoin s'en fait ressentir... Cette « dispersion >) es t gérée par I' armarius, qui range dans ses coffres les ouvrages les plus précieux ou attache avec des chaînes ceux qui sont destinés à une consultation sur place. À partir du xv< siècle, la tâche de l'armarius est facilitée par la généralisation des bibliothèques telles que nous les connaissons aujourd'hui, rassemblant en un lieu unique tous les livres du monastère. Enluminure française,
vers 1330.
LA COMMUNAUTÉ MONASTIQUE/
111
Le maître des novices (senior) Dès les débuts du monachisme, celui qui désire entrer au monastère ne peut le faire que de façon progressive et à la suite d'une longue réflexion :
Sa demeure sera durant quelques jours dans le logis des hôtes: après quoi on l'établira dans la maison des novices, où il méditera, prendra ses repas et dormira [... ] » (chap. 58) . On s'assurera de sa réelle vocation: « [... ] On désignera pour avoir soin de lui un ancien qui soit apte à gagner les âmes, qui le surveille en tout et s'inquiète avec sollicitude s'il cherche véritablement Dieu [...] » (chap. 58) . Ce n'est qu'au terme d 'une période probatoire de « [ . .. ]
douze mois que le novice pourra entrer définitivement au monastère, s'il en manifeste toujours le désir et s'il en a été jugé digne. Au Moyen Âge, le maître des novices est à la tête de ce qui ressemble à un véritable service de formation interne. Il est chargé d'initier les nouvelles recrues à la vie quotidienne du monastère. Il doit expliquer la signification des traditions et des rites qu'ils auront à perpétuer tout au long de leur future vie monastique, des gestes à effectuer, des habits à porter. Le maître des novices veille aussi à l'instruction des jeunes recrues. Il leur apprend à lire, à écrire et à chanter. Il les forme à la compréhension des textes sacrés en leur commentant les Saintes Écritures ou les œuvres des Pères de l'Église.
Moine enseignant. Choisi pour sa sagesse et son aptitud e à gagner les âmes, le maître des novices doit savoir co mmuniquer avec les jeunes novices qu'il est chargé d 'initier à la vie au monastère. Im prégné de la discipline monastique, il les forme à« l' œ uvre de Dieu », à la lectio divina, et veill e à leur instru ction. M iniature, x111~ siècle.
112/LES
ABBAYES MÉDIÉVALES
Abbaye de Seuilly (Indre-et-Loire).
L'infirmier (infirmarius) La responsabilité du maître de l'infirmerie est lourde, si l'on en juge par cet article de la règle: « [ ... ]Avant tout et par-dessus tout, on prendra soin
des malades, et on les servira comme s'ils étaient le Christ en personne [... ] » (chap. 36). Sa charge de travail varie en fonction de l'effectif global du monastère: plus cet effectif est élevé, plus les patients sont nombreux, plus l'infirmerie est importante. Les patients ne sont pas que des malades : il y a aussi les blessés, les moines âgés et séniles, les infirmes, les déprimés, les moines qui viennent de subir une saignée ... Et ses compétences sont souvent sollicitées à l'extérieur du monastère. Bien qu'il puisse parfois avoir recours à un praticien laïc, l'infirmier pos sède lui-même les notions d'une médecine empirique. Il connaît les vertus des simples (plantes médicinales), qu'il cultive dans un petit jardin proche de l'infirmerie et dont il pourvoit l'apothicairerie. D'une manière générale, il veille à ce que ses hôtes ne manquent de rien et bénéficient d'un régime adouci, justifié par leur santé déficiente. Son travail est placé sous la vigilance de l'abbé qui« [... ] veillera avec la plus grande sollicitude à ce que les cellériers et les infirmiers n'apportent aucune négligence dans le service des malades[ ... ]» (chap. 36).
Un jardin d'inspiration médiévale a été reconstitué autour de l'abbaye tourangelle, fondée à la fin du x1' siècle. Dans les monastères, l'infirmarius, qui prend en charge les malades, dispose souvent, outre l'espace consacré aux soins et la pharmacie, d'un jardin de simples (plantes médicinales), dont il fait un usage abondant. Il n'est pas rare que ses connaissances dans le domaine de la médecine bénéficient aussi aux voyageurs, pèlerins, populations locales, voire parfois au bétail!
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Porterie de l'abbaye de Fontenay (Côte-d'Or). Au point de renco ntre entre le monde extérieur et le monas tère, le portari us occupe un poste stratégique : il exerce une mission d'accueil, mais aussi de filtrage, contrôlant le double mouvement des entrées et des sorti es. Si la règle recommande pour cette mission « un sage vieillard » doté de qualités hospitalières, on le choisit souven t pour son ap ti tude à juger de la qualité des visiteurs et ... pour sa carrure, qui écartera les im portu ns !
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Le portier (portarius) Le portier, dont le logement se trouve à la porterie du monastère, est un « [ ... ] sage vieillard qui sache recevoir et rendre une réponse, et d'une maturité qui le préserve de courir çà et là [... ] » (chap.65).
Il renseigne les visiteurs et les pèlerins, contrôle les allées et venues dans le monastère, veille à ce qu'aucun religieux n'en sorte sans raison valable ni sans y avoir été préalablement autorisé par l'abbé. Cette fonction, ordinairement assurée par un moine, est parfois confiée à un laïc, voire à quelques sergents, comme à l'abbaye de Marmoutier qui dispose d'une véritable salle d'armes au-dessus de l'une de ses entrées.
L'hôtelier (hostiliarius, hospitalarius) L'hôtelier gère l'hôtellerie du monastère. Sa tâche exige évidemment un grand sens de l'accueil et de l'hospitalité, car « [... ] On recevra comme le Christ lui-même tous les hôtes qui surviendront[ ...] » (chap. 53) . Sa fonction suppose aussi rigueur et clairvoyance afin de débusquer ceux qui, animés de mauvaises intentions ou cherchant à profiter du gîte et du couvert, pourraient coûter cher à la communauté.
ABBAYES MÉDIÉVALES
Le« coutumier», recueil des usages propres à chaque monastère et qui en complète la règle, insiste sur les qualités que doit montrer le père chargé de l'hôtellerie. L'hôtelier doit faire preuve de diligence, de manières élégantes, d'un maintien respectable et avoir la parole facile et agréable. Il doit veiller à ce que les hôtes ne manquent de rien, à ce que leur confort soit assuré en proposant des lieux, des couvertures et des paillasses, de la vaisselle d'une propreté irréprochable. L'hôtelier doit s'assurer, au départ des visiteurs, qu'ils n'ont rien oublié et. .. rien emporté qui ne leur appartiendrait pas! L'hôtellerie est la vitrine du monastère. En réservant un accueil de qualité aux voyageurs, la charité est pratiquée, Dieu est honoré et la renommée de l'abbaye en partie assurée.
L'aumônier (eleemosynarius) L'aumônier est chargé de distribuer les aumônes aux pauvres, mendiants, pèlerins, orphelins, veuves, lépreux et autres indigents dont la société médiévale ne manque pas : « [... ] On recevra avec une sollicitude et un soin parti-
culier les pauvres et les voyageurs étrangers, parce que c'est principalement
Salle des hôtes de l'abbaye du Mont-Saint-Michel (Manche). Chôtelier (hostiliarius, hospitalerius) est chargé d'accueillir les hôtes qui résident au monastère, pour une durée plus ou moins longue. Il veille à leur confort et les invite à partager la vie de la communauté. La salle des hôtes, au MontSaint-Michel, témoigne de la qualité de l'accueil réservé aux invités de marque : ses deux cheminées imposantes laissent supposer qu'ils ne manquaient ni de nourriture ni de chauffage!
LA COMMUNAUTÉ MONASTIQUE/
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Punition corporelle d'un moine. t:institution monastique ne souffre ni la négligence ni l'indiscipline ! La délation est encouragée, vécue comme un moyen de progresser vers la perfection. Certains moines sont même chargés de veiller à ce que rien ne s'oppose à ce long cheminement vers la perfection. Les manquements sont sanctionnés par des peines adaptées à la gravité de la faute : privation de nourriture, prières, travaux pénibles ... Les punitions corporelles, comme la flagellation, ne sont pas exclues. Les cas les plus graves sont punis par l'isolement au cachot. Miniature française,
X\,e
siècle.
en leur personne qu'on reçoit le Christ[ ... ] » (chap. 53). Ces distributions sont d'autant mieux accueillies que la population est touchée de façon quasi constante par la misère et la faim, et que le monastère est la grande institution caritative de l'époque. Généralement, l'aumônier offre chaque jour aux miséreux les aliments qui n'ont pas été consommés au réfectoire. Parfois, il organise, grâce aux vivres puisés dans les réserves du monastère, des distributions exceptionnelles, destinées à célébrer une fête particulière ou à aider les plus misérables à surmonter un temps de disette. La tâche de l'aumônier est particulièrement difficile et ingrate, car il côtoie une détresse souvent extrême. Il doit donc faire preuve d'une charité fraternelle, d'une compassion réconfortante, d'une grande justice dans la répartition des aumônes. Il se doit également d'apporter nourriture et réconfort à ceux qui, grabataires, ne peuvent parvenir jusqu'au monastère.
Les surveillants La vie monastique place les religieux sur la voie de la perfection. Encore faut-il qu'ils ne commettent aucune faute, aucune erreur, ce qui n'est guère facile, car la règle et les coutumiers sont exigeants. Les occasions de pécher sont innombrables et le moine doit se corriger en permanence. La règle avait ainsi institué le principe de l'autosurveillance, au moyen du« chapitre des coulpes» et de la delatio qui, dans la salle du chapitre, donnent aux moines une occasion quotidienne de s'amender. La règle recommande, dans de nombreux chapitres, que l'abbé veille à l'encadrement des plus jeunes:« [... ] Il aura soin néanmoins de laisser avec les frères un ou deux anciens, pour le maintien de la discipline[ ... ] » (chap. 56). Cette disposition est sans doute à l'origine des surveillants. Ils sont choisis parmi les plus anciens et les plus sages des moines. Il y a ainsi les circatores, qui veillent« curieusement» (c'est-à-dire avec soin) à ce que l'emploi du temps monastique soit respecté, à ce que chacun se rende à l'office aux heures prévues et travaille comme il doit le faire. Il y a ce moine qui circule la nuit, lanterne à la main, dans le dortoir, pour y confondre celui qui aurait oublié de se lever pour l'office nocturne. Il y a le succentor, assistant du chantre, qui circule entre les stalles pendant l'office de nuit pour y débusquer le frère endormi. Il y a l'investigatorqui, dans certains monastères, relève, sur ses tablettes, les manquements et fautes commis par les religieux pour les dénoncer au chapitre. De telles pratiques, destinées à soutenir la discipline monastique et donc à maintenir les moines sur les voies de la perfection, induisent inévitablement un climat de suspicion dans le monastère. Ceux qui les exercent ne comptent pas forcément parmi les plus sympathiques! Mais ces pratiques n'en sont pas moins encouragées par la règle:« [.. .] Qu'on ait soin avant tout de désigner
un ou deux anciens, qui seront chargés d'aller par le monastère aux heures où
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les frères vaquent à la lecture, et de voir s'il ne se rencontre point par hasard quelque frère nonchalant qui, au lieu de s'appliquer à la lecture, se livrerait à l'oisiveté ou à des entretiens frivoles[ ... ] » (chap. 48).
Les visiteurs (visitatores} ou vicaires généraux Les visiteurs sont des inspecteurs qui peuvent exercer sur la vie des religieux une réelle influence. Ils interviennent à la demande de la maison chef d'ordre dont ils représentent l'autorité, pour enquêter dans tout monastère confronté à un problème quelconque ou à une dissension. I.;abbé et ses aides seront entendus, chacun des moines pourra être interrogé individuellement, les obligations ou devoirs des uns et des autres seront rappelés. Les visiteurs assurent également la cohésion de l'ordre, l'unité de son esprit, en visitant toutes les maisons dans le cadre d'un contrôle ordinaire. Il s'agit alors d'une véritable inspection de l'état matériel des lieux, du déroulement de la vie conventuelle dans tous ses aspects matériels et spirituels, et du respect de la règle et des ordonnances édictées par l'abbé chef d'ordre. Évidemment, l'arrivée des inspecteurs dans le monastère est généralement mal ressentie, car, comme toute inspection, elle peut être justifiée par la suspicion de problèmes. Elle sera le plus souvent suivie de soucis (réorganisation de la maison) ou de sanctions diverses pouvant aller jusqu'au déplacement d'un religieux dans un autre monastère, la destitution de certains officiers, voire de l'abbé lui-même.
LE RYTHME DU TEMPS MONASTIQUE Moines chantant l'office. Les offices rythment les activités des moines tout au long de la journée et de la nuit. Entre ces temps voués à la liturgie s'intercalent des temps de lecture, de méditation, de travail manuel, ainsi que quelques moments consacrés aux repas, à des soins personnels ou au repos. Miniature anglaise, début du xv< siècle.
Au Moyen Âge, c'est le soleil qui rythme le temps, avec un cycle court marqué par l'alternance jour/nuit et un cycle long résultant de l'alternance des saisons. Sur son observation et suivant l'habitude romaine, on continue à partager le temps en comptant douze heures de jour et douze heures de nuit. La première heure du jour est annoncée par le lever du soleil et la douzième, par son coucher. La durée de ces périodes est très approximative et aussi très variable : seuls les équinoxes comportent des jours égaux aux nuits, répartissant sur vingtquatre de nos heures actuelles les douze heures de nuit et les douze heures de jour. Au solstice d'été, la durée du jour s'étirant sur seize à dix-huit de nos heures, ces« heures» valent donc quatre-vingts à quatre-vingt-dix de nos minutes. Inversement, au solstice d'hiver, le jour répartissant ses douze heures sur six à huit de nos heures, elles ne valent plus que trente à quarante de nos minutes. Entre les offices, qui sont les temps forts de la journée, s'intercalent des séquences de lecture, de méditation (lectio divina), de travail manuel (généralement la copie de manuscrits), de repas et de soins personnels.
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Le découpage de la journée monastique n'est cependant pas rigide. L' emploi du temps d'un religieux varie en effet en fonction de multiples critères, comme le rythme naturel des saisons (qui détermine une certaine luminosité et des conditions climatiques particulières) , les jours de la semaine (le dimanche donnant lieu à une liturgie plus importante) et les cycles liturgiques (marqués par le Carême, la Noël, la Pentecôte ... ). Enfin, il peut varier aussi en fonction d'une interprétation plus ou moins rigoureuse de la règle.
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LA JOURNtE MONASTIQUE À notre époque, la journée compte un cycle unique comprenant vingt-quatre heures, débutant au milieu de la nuit à minuit (ou O h). Les moines organisent la leur en deux cycles de douze heures : celui du jour, qui débute au lever du soleil (vers 6 heures), et celui de la nuit, qui débute au soleil couchant (vers 18 heures). Avant que n'apparaissent, au xve siècle, les premières horloges. le temps se mesure donc« à la romaine», selon la position du soleil. et la durée des heures évolue au fil des saisons ! Le découpage de la journée monastique varie en fonction de l'époque, du monastère. de l'ordre et des saisons. L'exemple ci-dessous, qui pourrait concerner la période d'équinoxe, soit la mi-avril et la mi-septembre, n'a qu'une valeur indicative. Il s'agit là de donner une idée approximative de l'emploi du temps d'un moine. La journée monastique compte cinq à six heures de prières et d'offices, et sept à huit heures de travail. Le temps de sommeil est d'environ huit heures, entrecoupées par les offices nocturnes. Les moines prennent deux repas par jour, en silence : le déjeuner (prandium), vers midi, et le dîner (cena), vers 18 ou 19 heures. Au monastère. c'est la cloche qui règle la vie de la communauté, appelant les moines pour ces offices qui rythment leur journée : • vers minuit : Vigiles ou Matines • vers 3 heures : Laudes • vers 6 heures, au lever du jour : Primes • vers 9 heures : Tierce (à la 3• heure) et. vers 10 h : Messe conventuelle • vers midi : Sexte (à la 6• heure) • vers 15 heures : None (à la 9• heure) • vers 18 heures : Vêpres • vers 19 heures. au coucher du soleil : Complies
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Les religieux faisant del' Opus Dei leur priorité, la durée des offices ne doit souffrir aucune amputation, même si leur horaire varie. Le temps accordé aux occupations de la vie quotidienne est, pour sa part, déjà limité au strict nécessaire et ne peut guère varier. Seul le temps accordé au sommeil et au travail permet d,équilibrer la journée monastique. Selon la course du soleil dans le ciel, le moine profitera des longues journées d'été pour travailler plus et des longues nuits d'hiver pour dormir davantage. Dans ce contexte, on comprend que la mesure du temps a toujours eu une importance capitale pour les moines: « [ ... ] La charge d'annoncer l'œuvre de Dieu,. tant de jour que de nuit, appartiendra à !'Abbé qui l'exercera par lui-même, ou la confiera à un frère tellement soigneux, que tout se fasse aux heures réglées[ ... ]» (chap. 47). Le plus souvent, ce moine de confiance sera le sacristain et sa mission ne sera pas des plus aisées ! Car, si la mesure du temps est l'une des grandes préoccupations de l'homme médiéval, elle l'est encore plus pour le moine, qui cultive la ponctualité comme une vertu. Dans ce domaine, la Regula Magistri, qui, au début du vie siècle, préconise de fixer l'heure du réveil au moment où le coq chante, ne lui est pas d'un grand secours ... Pendant de longs siècles, la mesure du temps devient son obsession. Il se heurte à l'absence de soleil ou à l'obscurité de la nuit lorsqu'il souhaite mesurer le temps à l'aide d'un cadran solaire ou de l'ombre d'un quelconque repère. Veut-il compter les heures en observant les astres? Cela n'est envisageable que la nuit, et encore faut-il un ciel dégagé ... Les repères donnés par la longueur d'un cierge en combustion? Trop imprécis quand on aspire à la perfection. La clepsydre, ou horloge à eau, connue depuis !'Antiquité, restera donc, pendant des siècles, l'instrument le plus sûr, jusqu'à l'apparition, au début du x1v" siècle, de l'horloge mécanique. Dès lors, le significator horarum pourra sonner la cloche aux heures voulues !
Cloches de l'abbaye d'Aubazine (Corrèze). La mesure du temps, dont dépend la régularité des offices, est de la responsabilité du significator horarum. Gardien du temps, il sonne une cloche pour prévenir les frères de l'imminence d'un office.
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Abbaye Saint-Martindu-Canigou (PyrénéesOrientales). Fondée au x1' siècle, l'abbaye bénédictine Saint-Martin occupe un site grandiose, à 1 055 mètres d'altitude, sur les contreforts occidentaux du massif du Canigou. Classée monument historique dès 1889, elle est un remarquable témoignage du premier art roman catalan.
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C'est pour la construction d'une véritable cité de Dieu que fut tracé, dans les premières années du ix• siècle, un plan proposant un habitat monastique idéal. Ce plan, dit de Saint-Gall, et la règle de saint Benoît s'imposeront progressivement jusqu'à créer, au tournant de l'an mil, le cadre spirituel et architectural d'un microcosme d'une perfection remarquable.
LE SITE À la fin du x1• siècle, le mythe du « désert » nourrit encore la spiritualité des ermites et cénobites à la recherche des principes du christianisme primitif. Mais le« désert» occidental n'a rien de comparable aux étendues inhospitalières d'Égypte, jadis occupées par les premiers anachorètes des m• et rv" siècles. De plus, même si la densité d'habitants sur notre territoire reste faible, il est déjà largement peuplé. Les communautés religieuses médiévales choisiront donc des lieux à l'écart de la civilisation, des sites naturellement isolés; il pourra s'agir d'une île (celles de Lérins, le MontSaint-Michel), d'un lieu marécageux (Montmajour) ou escarpé, difficilement accessible (Saint-Martin-du-Canigou, la Grande Chartreuse). Le plus souvent, le « désert » sera une forêt profonde, habituel refuge des serfs fugitifs et autres exclus, des brigands et des loups ... La forêt médiévale reste un espace marginal, troublant, imprégné de mystères et de légendes plus ou moins effrayantes. Elle offre aux moines la solitude et le retrait du monde sur lesquels se fonde leur ascétisme, mais également les quelques baies et plantes dont ils ont besoin pour survivre et le bois qui servira à la construction de leur futur monastère. Elle peut aussi susciter la crainte et la peur, que les moines combattent par la prière, à la manière des Pères, autrefois confrontés aux dangers des déserts égyptiens. Les moines ont une prédilection toute particulière ·pour les espaces boisés situés à la limite des diocèses. C'est là que les terres restent inhabitées, abandonnées à la forêt ou aux taillis. Là, ils peuvent s'installer sans déranger, avec, de plus, la perspective d'en faire l'acquisition ou de les recevoir en dons, pour les mettre en culture. Il convient toutefois de ne pas se méprendre sur la solitude recherchée par les moines. La plupart du temps, elle n'est que relative. La présence d'une route ou d'un fleuve, à proximité des grands monastères, n'est généralement pas un hasard. Les monastères s'établissent à l'écart de la société, mais ne s'en coupent pas tout à fait, en se ménageant la possibilité d'utiliser les voies fluviales et routières qui mènent vers le monde afin de gérer au mieux leurs productions et leurs transactions. Le cas de Fontevraud est exemplaire pour ce qui concerne le choix du site. L'endroit était suffisamment retiré pour que la communauté s'y installe sans
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déranger personne, tout en assurant sa propre tranquillité. Son environnement forestier offrait des ressources abondantes en bois. À la limite des diocèses d'Angers, Tours et Poitiers, l'abbaye n'était qu'à quelques lieues des seigneuries de Montsoreau, Saumur, Chinon, Montreuil-Bellay: des évêques et des seigneurs, elle pouvait espérer des dons, des protections et des appuis. Proche des routes et de la Loire, alors navigable, le site disposait ainsi d'un bon réseau de communication. Enfin, il était alimenté par plusieurs sources. L'eau est primordiale pour toute fondation. Comme toujours au Moyen Âge, et plus particulièrement pour un monastère, elle a une valeur symbolique.L'eau de la source, c'est l'eau de la Genèse, l'eau du baptême, l'eau qui lave du péché originel. Elle doit être de bonne qualité, pour être consommée par la communauté, et suffisamment abondante, pour irriguer les cultures, alimenter les viviers, actionner les meules, les foulons et les maillets des moulins, et évacuer les immondices des latrines et des égouts. L'eau est un élément tellement déterminant que beaucoup de monastères connaissent d'abord une implantation provisoire, afin d'apprécier les
Abbaye du Thoronet (Var). Fondée au x11' siècle, l'abbaye Notre Dame du Thoronet est, avec Sénanque et Silvacane, l'une des « trois sœurs provençales ». Retirée dans un site sauvage de l'arrière-pays varois, elle est une parfaite illustration de la simplicité et du dépouillement qui caractérisent l'ordre cistercien.
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Plan de Saint-Gall. Conservé à la Stiftsbibliothek Sankt Gali en (bibliothèque de !'Abbaye de SaintGall, en Suisse), ce plan date du début du 1x' siècl e. Il est composé de cinq parchemins cousus ensemble, et mesure 11 3 cm de long par 78 cm de large. Figurant un monastère idéal, il est com me une représentation graph iqu e de la règle de sa int Benoît. Il est d 'ailleurs destin é à être diffusé, au même titre que la règle.
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ressources hydrauliques locales. Les moines, et plus particulièrement les Cisterciens, se sont d'ailleurs avérés experts en hydrologie (captation de sources, assèchement de marécages, irrigation, construction de barrage, création de canaux, de retenues, de réseaux d'alimentation en eau courante, de collecteurs d'eaux usées ou pluviales). Tous ces aménagements liés à l'eau attestent de leur savoir-faire en la matière. La toponymie souligne régulièrement l'importance de l'eau: Fontfroide (Fons frigida) , Fontevraud (Fons Evraldl), Fontaine-Guérard, Trois Fontaines, Sénanque (Sana aqua), Aiguebelle, Clairvaux, Vauluisant, Valbonne, Valmagne ... sont autant de noms évocateurs de l'eau et des vallées où elle circule.
LE PLAN Un monastère ne se résume pas à un cloître accolé à une église. Ce qui le caractérise, c'est la distribution immuable des différentes fonctions dans les bâtiments qui forment le « carré monastique ». Cette distribution est établie selon des critères fonctionnels certes, mais aussi sociologiques, afin de permettre une vie communautaire ordonnée. Le plan est la manifestation
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tangible de la vie monastique, de ses exigences spirituelles et matérielles, et de sa rupture avec le monde temporel. Il traduit dans l'espace la règle de saint Benoît qui stipule que « [... ] Le monastère, s'il est possible, doit être établi de
manière que l'on y trouve toutes les choses nécessaires, c'est-à-dire l'eau, un moulin, un jardin, une boulangerie et les divers métiers qui s'exercent à l'intérieur, en sorte que les moines n'aient aucune nécessité de courir au-dehors, ce qui n'est aucunement avantageux à leurs âmes[ ... ] » (chap. 66). La cohérence de cette organisation ne se manifeste véritablement que dans les premières années du 1xe siècle, à travers un document exceptionnel, le plan de Saint-Gall, dessiné vers 820 pour l'abbé Gozbert, qui désirait reconstruire son abbaye, à Saint-Gall. Ce plan ne verra pas sa concrétisation, mais, diffusé en même temps que la règle de saint Benoît, il fera école dans tout le monde monastique. Il conditionnera l'architecture des monastères,
Abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire). Du 1x• siècle jusqu 'au milieu du XVlHe, l'organisation spatiale du plan de Saint-Gall s'impose dans toutes les abbayes d'Europe, disposant autour du cloître les différents espaces qui forment le« carré
monastique
».
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Plan type d'un monastère 1 - église. 2 - porte des morts. 3 - cimetière. 4 - escalier des matines. 5 - sacristie. 6 - armarium. 7 - salle capitulaire. 8 - escalier de jour vers le dortoir. 9 - dortoir des moines. 10 - latrines. 11 - parloir. 12 - passage vers les jardins. 13 - salle des moines ou scriptorium. 14 - noviciat. 15 - chauffoir (avec cheminée). 16 - réfectoire. 17 - chaire du lecteur. 18 - cuisine (avec cheminée et puits). 19 - parloir des convers. 20 - galerie de la collation ou du manda tu m. 21 - jardin du cloître. 22 - fontaine. 23 - ruelle des convers. 24 - escalier vers le dortoir des convers. 25 - dortoir des convers. 26 - cellier. 27 - passage/ parloir des convers. 28 - réfectoire des convers. 29 - collecteur des égouts.
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du 1x• siècle jusqu'au milieu du xv111•. Bien que son application concrète demande parfois quelques aménagements, toutes les abbayes occidentales, reproduiront cette organisation fonctionnelle et sociale, parfaitement adaptée à leur destination, pendant près d'un millénaire.
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AB BAYES M ÉDI ÉVALES
L'ENCEINTE La clôture apparaît, sous des formes plus ou moins marquées, comme une nécessité dans toutes les traditions religieuses. Il s'agit de matérialiser un espace sacré, voué au culte de la divinité. Cette nécessité s'impose à plus forte raison lorsque des religieux choisissent de se retirer de la vie sociale. À la naissance du monachisme, la solitude d'un désert suffisait à tenir le moine à l'écart du monde. La clôture était symbolique, mais elle délimitait un espace serein, propice à la prière et à la méditation. Plus tard, lorsque les communautés s'amplifieront et s'organiseront, le retrait se matérialisera de façon plus tangible, par la « grande clôture». Il s'agira, dans un premier temps, d'une palissade de bois et de branchages et, par la suite, d'une véritable enceinte de maçonnerie. Cette« grande clôture » permet à la communauté, ainsi que le prescrit la règle, de « [... ] s'éloigner des manières du siècle [... ] » (chap. 4), afin dese concentrer sur un objectif unique, l'union à Dieu. Elle empêche les tentations extérieures de s'infiltrer dans le monastère, fait obstacle aux rumeurs pernicieuses et déstabilisantes, protège la chasteté des moines et des moniales et les aide à respecter leur vœu de stabilité, c'est-à-dire leur engagement de ne pas quitter le monastère. La clôture s'impose aussi comme un indispensable rempart contre la convoitise de ceux qui, tentés par les richesses matérielles de l'abbaye, s'adonneraient à quelque larcin. Elle est également un rempart contre les bandes armées qui ne manquent pas d'écumer les campagnes pendant les périodes troublées. À partir du x11,e siècle, les établissements monastiques, tout comme les villes et châteaux, sont donc entourés d'une enceinte qui n'a plus rien de symbolique et qui emprunte beaucoup à l'architecture militaire. À sa maçonnerie de qualité s'ajoutent de multiples éléments défensifs : mâchicoulis, tours, tourelles, échauguettes percées d'archères (Cluny, Marmoutier, Mazan ... ). Des douves et ponts-levis renforcent parfois le dispositif (Saint-Benoît-sur-Loire). Une salle de garde (Marmoutier) ou un véritable châtelet (MontSaint-Michel) peuvent en défendre l'entrée. Parfois même, le monastère se dote de tours refuges ou de do njons (Montmajour, La Chaise-Dieu, Lérins) . Le terme de clôture s'applique également à la partie du monastère strictement réservée aux religieux. En effet, pour des raisons essentiellement matérielles, de nombreuses personnes extérieures sont amenées
Tour d'enceinte de l'abbaye de Mazan (Ardèche).
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SAINT-GALL, UN MODÈLE D'ORGANISATION Conséquence d'une généralisation de la règle bénédictine, les monastères organisent leur espace. Un plan idéal apparaît au début du 1x• siècle, faisant vraisemblablement suite à de multiples expérimentations. C'est le plan dit« de Saint-Gall», ainsi nommé parce que conservé dans l'abbaye de Saint-Gall, en Suisse. Il a été tracé vers 820 par Heito (évêque de Bâle et abbé de Reichenau), pour l'abbé Gozbert qui envisageait la reconstruction de son abbaye, à Saint-Gall. Au centre du dispositif, l'église, longue d'une centaine de mètres, oriente son chevet au soleil levant, tandis que le cloître s'appuie contre sa nef, côté sud. Ce cloître délimite un jardin carré, dont le centre est marqué par une fontaine. Ses quatre galeries commandent l'accès aux édifices claustraux : le sanctuaire, la salle des moines, le réfectoire, les parloirs, et tout ce qui constitue l'habitat des moines(« carré monastique »). À l'est de l'église se trouvent un noviciat. des infirmeries, le cimetière (faisant également office de verger) et les jardins. Au nord, des quartiers sont aménagés pour l'accueil des visiteurs extérieurs (une aumônerie, une hôtellerie, une école). Au sud, l'espace est destiné à l'économie du monastère (ateliers, bâtiments liés à l'élevage et à l'agriculture). Tous les détails de la vie spirituelle et matérielle des moines ont été étudiés, de la disposition des différents bâtiments les uns par rapport aux autres jusqu'à l'ordonnancement des tables dans le réfectoire ou des plantes à cultiver dans les jardins. Les multiples espaces sont judicieusement imbriqués pour répondre aux exigences d'une économie en circuit presque fermé, capable, pour l'essentiel, de satisfaire par elle-même à ses propres besoins. Seul le domaine situé hors de l'enclos monastique n'a pas été représenté sur le plan de Saint-Gall; il aurait été difficile de représenter des parcelles en culture ou des vignobles, des prairies et des pâturages, des vergers et des forêts, des viviers et des étangs, des granges et des moulins ... parfois fort éloignés du monastère. On peut penser, comme semble le confirmer sa conception précise et géométrique, que le plan de Saint-Gall constitue une sorte d'exercice architectural, destiné à synthétiser dans un programme type l'ensemble des prescriptions de la règle de saint Benoît de Nursie. Sa perfection est telle qu'il sera proposé, à la suite du concile d'Aixla-Chapelle (819), de même que la règle de saint Benoît comme modèle à tous les monastères occidentaux. Sa mise en application sur le terrain demandera parfois quelques aménagements. Mais, dans ses lignes de force, le plan de Saint-Gall fera école dans tout le monde monastique, conditionnant son architecture du 1x• siècle jusqu'au milieu du xv111•.
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Le plan de
Saint-Gall propose un modèle d'organisation. On estime que l'ensemble, véritable complexe» monastique, peut abriter quelque cent vingt moines, cent vingt visiteurs et cent cinquante artisans et ouvriers agricoles. Pendant près d'un millénaire, toutes les abbayes occidentales adopteront cette organisation fonctionnelle et sociale, en l'adaptant à leurs besoins propres.
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PLAN DE SAINT-GALL (INTERPRÉTATION) ~ abbadale • 1 - chœur. 2 - bras du transept. 3 - croisée des transepts. 4 - nef. 5 - collatéral ou bas-côté. 6 - atrium. 7 - tour. F.space des religieux• 8 - scriptorium. 9 - sacristie. 10- four à hostie. 11 - salle des moines. 12 - dortoir (à l'étage). 13 - latrines. 14 - bains. 15- réfectoire. 16 - vestiaire (à l'étage). 17 - cuisines. 18- celliers. 19- entrepôts (à l'étage). 20 - parloirs. 21 - cloître. lnftnnerles • 22 - église. 23 - cloître et bâtiments conventuels. 24 - cuisines et bains. 25 - maison des saignées. 26 - pharmacie.. Noviciat • 27 - église. 28 - cloître et bâtiments conventuels. 29 - cuisines et bains. Activités agricoles• 30 - logement du gardien des volailles. 31 - volailles. 32 - logement des jardiniers. 33 - grange. 34 - écuries et étables. 35 - logement des convers et des domestiques. • Activités artisanales • 36 - logement des artisans. 37 - ateliers : forgerons, orfèvres, tanneurs, tourneurs. peintres, armuriers, camériers, selliers, bourreliers, cordonniers, meuniers, boulangers, tourneurs... Activités d'accueil• 38 - entrée. 39 - logement des portiers. 40 - maison et suite des hôtes de marque. 41 - école extérieure. 42 - logement des maîtres d'études. 43 - logement des hôtes ecclésiastiques. 44 - aumônerie et accueil des pèlerins. 45 - soins aux pauvres. Maison abbatiale • 46 - logement de l'abbé et intendance Jardins • 47 - jardin claustral. 48 - jardin des simples. 49 - verger et cimetière. 50 - potager.
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Entrée de La Chaise-Dieu (Haute-Loire). Porte du For.
à pénétrer dans l'enceinte (artisans et salariés de toutes sortes, pèlerins, visiteurs, hôtes de marque ... ). Il faut donc établir, à l'intérieur de l'enceinte formée par la « grande clôture » du monastère, une seconde clôture, sévèrement respectée, pour que ne soit pas troublée la spiritualité des religieux. Cette seconde clôture renferme généralement le cloître, la salle capitulaire, le scriptorium, le dortoir, le réfectoire et autres lieux à l'usage exclusif des religieux. De l'espace ainsi délimité, ils ne peuvent en principe sortir de leur plein gré, et toute personne extérieure s'en voit interdire l'accès. Par conséquent, cette seconde clôture comprend aussi, dans l'église accessible aux visiteurs et aux populations voisines, une partie strictement réservée aux religieux.
L'ENTRÉE L'importance de cet espace et des services qui y sont regroupés varie en fonction de l'ampleur du monastère, de l'activité économique qu'il génère, de l'attraction qu'il exerce, de sa volonté d'ouverture sur l'extérieur et de la fréquentation des routes voisines. On y trouve invariablement la porterie, généralement un simple corps de bâtiment quadrangulaire (La Hambye, Longpont, Fontenay, Charroux), dans lequel sont ouvertes deux portes. La plus importante, charretière, permet le passage des attelages et des animaux, tandis que la plus petite est réservée aux piétons. Certaines porteries, comme le « portail de la Crosse », à Marmoutier, sont même de véritables petites forteresses avec herse, échauguettes et salle de garde, autant de dispositifs dissuasifs destinés à impressionner les visiteurs indésirables et à sécuriser l'espace monastique. La porterie est en principe l'unique percée dans la grande clôture. Toutefois, les monastères les plus importants peuvent en montrer plusieurs. Sa fonction dans l'abbaye est majeure. C'est un lieu de passage, certes, mais aussi un espace d'accueil pour les fournisseurs de l'établissement, les religieux amenés à voyager, les pèlerins, les hôtes de passage et les pauvres auxquels le monastère donne l'aumône. Elle est placée sous la vigilance du frère portier, qui« [... ] doit avoir son logement près de la porte, afin que ceux qui arrivent le trouvent toujours présent pour leur rendre réponse[ ... ] » (chap. 66). Toujours dans l'espace de l'entrée, on trouve un oratoire, la« chapelle des étrangers», qui accueille tous ceux qui ne font pas partie de la communauté (les hôtes de l'abbaye, les pèlerins, les voyageurs). Ils résideront généralement à l'hôtellerie et disposeront, à proximité, d'écuries, d'abreuvoirs pour leurs montures et de greniers à foin. L'accueil des hôtes est très important pour l'abbaye et la règle consacre un chapitre à ce propos:« [... ] on recevra avec une sollicitude et un soin
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particulier les pauvres et les voyageurs étrangers[ ... ] » (chap. 53). Cet accueil s'impose encore plus dans les abbayes situées sur des lieux de pèlerinage. Les monastères importants, et ceux situés sur une route de pèlerinage, disposent parfois de plusieurs structures d'hébergement, afin d'offrir un service hôtelier « à la carte ». Il convient en effet de séparer ceux qui séjournent plusieurs jours et ceux qui, le plus souvent pèlerins, ne font qu'une courte étape. On sélectionne également les hôtes en fonction de leur statut social, comme au Mont-Saint-Michel, où les pauvres sont reçus dans la salle de !'Aumônerie et les plus fortunés dans la salle dite « des Hôtes ».
Porterie de l'abbaye de Longpont (Aisne).
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I.;hôtellerie du monastère se compose généralement d'une cuisine et d'un réfectoire, ainsi que d'un dortoir. Dans les monastères masculins, les femmes ne ont pas accueillies et dans les maisons féminines, les hommes ne le sont pas. I.; ensemble de ces locaux d'accueil constitue, à l'intérieur de l'enceinte, une sorte de sas entre le monde séculier et le monde régulier, entre le profane et le sacré. C'est un lieu d'échange, dont l'animation aurait pu troubler le recueillement de la communauté, si on n'avait pris soin de l'établir à l'écart du« carré monastique», c'est-à-dire de l'habitat des moines de chœur, ou de l'en séparer par une vaste cour utile à la manœuvre des attelages.
LE LOGIS ABBATIAL Non loin de la porterie, non loin du monde séculier, mais bien dans l'enceinte du monastère est établi le logis abbatial. Si l'abbé est le père spirituel de la communauté et dispose à ce titre d'une cellule personnelle, il est aussi un puissant seigneur et bénéficie, dans les monastères importants, d'une demeure digne de son rang. Dans l'esprit de la règle de saint Benoît, l'abbé doit pouvoir dignement recevoir ses hôtes:« [... ] La cuisine de l'abbé et des hôtes sera à part, afin que les frères ne soient pas troublés par l'arrivée des hôtes qui surviennent à des heures incertaines[ ... ] » (chap. 53). Sur le plan de Saint-Gall (rxe siècle), l'abbé dispose déjà d'un logement particulier, au nord de l'église, dans l'espace affecté aux personnes étrangères au monastère.
Palais abbatial de l'abbaye de Cluny (Saône-et- Loire).
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Moines chantant à l'office. Miniature française, xv' siècle.
À la fin du Moyen Âge, l'abbé, d'origine aristocratique, généralement bien intégré dans le système féodal, a parfois une conception particulièrement large, au-delà même de ce que prévoit la règle, de l'accueil dû par le monastère à ses invités. Le logis abbatial devient alors un véritable palais, où l'abbé vit en compagnie d'une petite cour et de serviteurs, au détriment de la sérénité religieuse et de l'exemplarité qu'il est en devoir d'incarner. Par son architecture et son décor soigné, pour le moins inattendus dans un établissement monastique, cette demeure rivalise parfois avec les plus belles constructions civiles de l'époque. Citons pour exemple les palais abbatiaux de Jean de Bourbon et de Jacques d'Amboise, à Cluny. Du même esprit relèvent encore les hôtels particuliers que certains supérieurs vont jusqu'à construire en ville, au cœur du monde séculier, pour y défendre leurs propres intérêts ou ceux de leur monastère. À Paris, l'hôtel dit« de Cluny» est ainsi reconstruit à la fin du XV' siècle pour accueillir dans la capitale les abbés clunisiens.
L'ÉGLISE Centre de la vie spirituelle, l'église est, de tous les édifices du monastère, celui qui sera construit en premier et bénéficiera des soins les plus attentifs. Dressée symboliquement sur le point le plus élevé du site, l'église s'identifie de l'extérieur par son volume (le plus important du monastère) et par ses tours, dont les cloches appellent les moines aux huit offices quotidiens : « À l'heure de l'Office divin, dès qu'on entendra le signal, on quittera tout ce qu'on a dans les mains et on se rendra en toute hâte, avec gravité néanmoins, afin de ne pas donner aliment à la dissipation» (chap. 43). L'église monastique est généralement de plan basilical, c'est-à-dire en forme de croix latine. Comme l'immense majorité des églises, elle est symboliquement orientée vers l'est, vers le soleil levant, pour honorer le Dieu du jour nouveau. Toutefois, il arrive qu'il soit impossible de respecter cette règle, en raison par exemple de la configuration du site: c'est le cas de Sénanque, établie dans une vallée très étroite. Dans ses formes et ses volumes, elle est le plus fidèle reflet de l'ordre. Ainsi, pour les Clunisiens qui considèrent que rien n'est trop beau pour assurer le service de Dieu, l'architecture sera ambitieuse, aux espaces multiples et au décor soigné. À l'inverse, pour les Cisterciens, la priorité du service divin aura pour écrin une architecture dépouillée de tout artifice. Pour les Grandmontains, l'église sera modeste et d'une grande simplicité. Indépendamment de ses divisions structurelles (chœur architectural ou sanctuaire, nef, collatéraux, transepts, déambulatoire), l'église monastique comporte plusieurs espaces; à l'image de l'abbaye, où vivent séparément une
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communauté de religieux et une autre de non religieux, la nef est divisée en plusieurs parties: l'une réservée aux moines de chœur, une autre, aux moines convers, et la troisième, aux visiteurs et populations locales. Comme dans toutes les églises, le chœur liturgique abrite l'autel devant lequel officient les prêtres et, pour que chacun puisse bien les observer de quelque endroit qu'il se trouve, celui-ci est surélevé de quelques marches. Dans l'épaisseur du mur sud, une niche-crédence renferme les burettes et un petit lavabo est destiné à la purification des vases sacrés et aux ablutions rituelles. Lorsque l'église n'est pas dotée d'une sacristie, d'autres niches sont aménagées dans le mur sud. Elles sont fermées par des portes en bois et ervent au rangement des vases, des livres utilisés pour le culte, de la« réserve eucharistique» et des reliques de l'abbaye. À l'avant du sanctuaire, le chœur liturgique est matérialisé par deux rangées de stalles qui se font face. C'est là que le moine de chœur passe l'essentiel de son temps (une moyenne de 8heures par jour):«[ ... ] Qu'on ne préfère donc rien à l'Œuvre de Dieu [... ] » (chap. 43). Il y occupe une place déterminée par son ancienneté de vie au monastère. Cette ancienneté détermine la place de chacun, non seulement à l'église, mais aussi au réfectoire ou dans la procession : « Les
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Chœur de l'abbatiale de l'abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire).
frères garderont leur rang dans le monastère, selon l'ordre qu'établit entre eux /'époque de leur conversion [...] » (chap. 43). Ainsi donc, non seulement le moine aura les mêmes voisins de stalles pendant toute sa vie religieuse, mais il les retrouvera, où qu'il se trouve dans le monastère. Le chœur des moines comprend aussi un arrière-chœur réservé aux moines affaiblis par l'âge, la maladie, l'infirmité ou une saignée. r_; ensemble du chœur liturgique empiète généralement sur la nef; il ne correspond donc pas toujours parfaitement au chœur architectural. Le transept coupe perpendiculairement la longueur del' église et lui donne a forme de croix latine. Quelques chapelles y sont établies, toujours orientées vers le levant. Elles sont destinées aux moines qui, ordonnés prêtres, o nt l'obligation de célébrer, chaque jour, leur messe privée. Les portes donnant sur cette pa rtie de l'église sont peu nombreuses, mais essentielles dans la vie du moine. L'une co rrespond à ses activités diurnes en assurant la liaison entre l'église et les différents espaces communautaires du monastère. Une autre, percée dans le mur sud, utilisée seulement la nuit, relie l'église au dortoir. On accède à cette
Escalier des matines, dans l'abbatiale de Fontenay (Côte-d'Or).
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Chevet de l'abbatiale de Paray-le-Monial (Saône-et-Loire).
porte en montant l'escalier dit« des matines » ou« escalier de nuit » (Silvacane, énanque, Le Thoronet ou !'Épau) . Les moines empruntent cet escalier, large et souvent droit, en procession, pour les offices nocturnes. À l'opposé, dans le transept nord (Fontenay, Flaran), la « porte des morts » ouvre sur la dernière demeure des religieux, le cimetière, situé généralement au chevet de l'église. La nef est souvent encadrée de collatéraux (ou bas-côtés). À la nécessité d'accueillir parfois un grand nombre de personnes s'ajoute celle, structurelle, de contrebuter la poussée du voûtement central. Les convers, séparés des moines de chœur par la« clôture haute», occupent les travées ouest de la nef. Ils peuvent uivre les offices et reprendre ensuite leurs activités en empruntant une porte donnant sur un passage, la « ruelle des convers », conduisant à leurs quartiers. Parfois, les dernières travées ouest de la nef sont ouvertes aux personnes extérieures (populations locales, visiteurs et pèlerins, hôtes du monastère, salariés, etc.), accueillies pour la messe du dimanche ou lors des grandes occasions. Un certain nombre d'églises monastiques (Saint-Benoît-sur-Loire, SaintPhilbert-de-Grand-Lieu, Flavigny-sur-Ozerain, Jouarre, Noirmoutier, Saint'.\1ichel-de-Cuxa) possèdent une crypte. D'abord simple espace souterrain à l' image des catacombes romaines où se réunissaient les premiers chrétiens, la crypte contient, juste sous l'autel du sanctuaire, la« confession», nom donné au tombeau d'un martyr, car, à travers sa mort, il avait « confessé », c' est-à-dire déclaré sa foi dans le Christ. Dans sa forme, la crypte évoluera rapidement pour former un couloir permettant aux pèlerins et aux moines de circuler autour des reliques, de les voir et de les toucher. Puis, avec l'adjonction de chapelles rayonnantes, elle inspirera les déambulatoires qui apparaîtront dans les églises à la fin du xe siècle, permettant une circulation pratique et solennelle lors des processions.
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Nef de l'abbatiale de Noirlac (Cher).
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LA SACRISTIE
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La sacristie (ou sacraire) est le plus souvent en communication directe avec l'église, grâce à une petite porte ouvrant sur l'extrémité sud du transept (Fontenay). Cette pièce est habituellement de faibles dimensions, voûtée, parcimonieusement éclairée, ou même sans fenêtre. On y prépare le pain et le vin, utilisés lors de l'office. On y range aussi les objets de culte, livres, vases, vêtements et linges liturgiques, dans des niches creusées dans les murs ou dans des armoires en menuiserie. À Aubazine, une remarquable armoire du xne siècle est ainsi-toujours en place, exemplaire rarissime et célèbre de ce type de mobilier. Dans le cas de monastères modestes, la sacristie peut aussi héberger les fonctions de bibliothèque, de chambre du Trésor, voire de cartulaire. Parfois, lorsqu'elle n'est pas localisée à l'extrémité du transept nord de l'église, la« porte des morts» se trouve près de la sacristie. Elle ne s'ouvre que pour laisser le passage, après l'office des morts, à la dépouille du moine décédé et donne accès au cimetière de la communauté, situé au chevet de l'église. Le défunt y est inhumé dans l'axe symbolique estouest (le même que l'église), la tête du côté du soleil levant.
Armoire liturgique (seconde moitié du xn' siècle) d'Aubazine (Corrèze).
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Reliquaire dit « de
Pépin»
(1x'-x' siècles) dans l'abbaye de Conques (Aveyron).
LA CHAMBRE DU TRÉSOR Le culte des reliques de martyrs et de saints prend son essor en même temps que le christianisme, à partir de 313. Saint Basile (v. 330-379) y contribue grandement, lui qui enseigne que« [... ] celui qui touche les os d'un martyr participe à la sainteté et à la grâce qui y réside [... ] ». Rapidement, cette vénération s'étendra aux vêtements et à tout objet perpétuant le souœ nir du saint. Elle pourra même conduire à des excès, comme au rv" siècle, à Candes, au confluent de la Loire et de la Vienne, l'enlèvement rocambolesque du corps de saint Martin, à peine décédé, et son transport à Tours (dont il avait été l'évêque). Toute relique assure la renommée de l'église ou du monastère qui la posède. Les pèlerins se pressent pour manifester leur ferveur, des infortunés qui viennent demander guérison ou secours. À leur départ, tous laissent une offrande. Les reliques représentent donc une source importante de revenus, variables selon la notoriété du saint ou du martyr. Et, malgré une interdiction fo rmulée par le Saint-Siège au vr11e siècle, l'habitude de « morceler» le corps des saints pour en multiplier les reliques est rapidement prise. Il s'ensuit, pendant tout le Moyen Âge, de nombreux achats, fractionnements, échanges, mais aussi des fraudes de toutes sortes: falsifications et découvertes de nou\'eaux corps de saints évidemment présentés comme authentiques ...
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Grilles fermant le chœur. Abbaye de Conques (Aveyron).
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Et le vol n'est pas exclu : ainsi, les reliques de sainte Foy d'Agen passant, au ,xe siècle, dans des conditions pour le moins douteuses, en la possession des moines de Conques, dont elles ont assuré la prospérité. Toutes ces reliques constituent un véritable trésor, tant pour leur valeur spirituelle que par la richesse des reliquaires dans lesquels on les conserve. Conques nous montre aujourd'hui encore un ensemble unique en France de ces châsses, en or ou en argent, rehaussées de pierres rares et d'émaux, somptueux chefs-d'œuvre d'orfèvrerie. Hélas, si la possession de ce véritable trésor est signe de prospérité, elle devient aussi source de préoccupation ! Aussi la chambre (camera) qui les abrite, dite « du Trésor », le plus souvent située au-dessus de la sacristie ou parfois dans la crypte, est-elle organisée comme un véritable coffre-fort aux portes massives, garnies de grosses serrures forgées. Cette pièce, pouvant abriter également les vases et objets liturgiques les plus précieux, ainsi que,
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parfois, les chartes de fondation, les titres de possession et autres docu ments administratifs importants, est sans doute la plus protégée de tout le monastère. Le culte des reliques explique l'apparition dans l'église de certaines dispositions architecturales, comme l'aménagement d'une crypte annulaire sous le chœur, pour faciliter la déambulation des pèlerins autour de la tombe du saint, ou l'apparition, à la fin du xe siècle, du déambulatoire, qui permet aux pèlerins une circulation facile autour du sanctuaire pour y admirer le Trésor exposé à sa pieuse curiosité. Si tout est mis en œuvre pour faciliter la dévotion, tout est également fait pour décourager d'éventuelles convoitises. Les niches sont munies de grilles ou grillages, les reliquaires sont fixés sur des socles ou enchaînés à la muraille ... À Conques, des grilles (x11e siècle) séparent le déambulatoire du sanctuaire. Assurant une protection efficace, elles ont été forgées, d'après la tradition, avec les chaînes de prisonniers miraculeusement délivrés par sainte Foy. Elles constituent un remarquable témoin de l'art de ferronnerie au XIIIe siècle.
LE CHARTRIER (OU CARTULAIRE) Dans les monastères d'importance, le chartrier est la salle où sont conservés les actes de propriété et de donations, les titres de privilèges et autres a rchives administratives de valeur. Pour en faciliter la consultation, ces documents sont souvent réunis, en totalité ou sous forme d'extraits, dans des registres (prenant parfois la forme de rouleaux), appelés« cartulaires »: aussi désigne-t-on parfois le chartrier sous ce nom. Une charte égarée, et la jouissance d'un droit ou d'une possession peut être contestée, voire perdue. Il n'est pas rare que les descendants de riches donateurs tentent de réfuter la générosité de leurs aïeux à l'égard d'un monastère et engagent des procédures judiciaires pour récupérer ce qui leur semble dû. On comprendra donc que, tout comme la chambre du Trésor, cette salle fasse l'objet d'une grande surveillance et de multiples précautions. Il est d'ailleurs courant que sa porte soit munie de trois serrures différentes et qu'il faille trois religieux différents pour l'ouvrir (généralement l'abbé, le prieur et le cellérier, chacun possédant la clef d'une eule serrure). L'emplacement du chartrier n'est pas aisé à repérer dans le monastère. ouvent voûté plutôt que charpenté, afin de se prémunir contre un incen die, il constitue parfois une annexe de la sacristie. Mais on le trouve plus fréquemment à l'étage, au-dessus de la sacristie, en haut de l'escalier des matines, au niveau du dortoir des religieux.
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LE CLOÎTRE
Cloître. Abbaye de Saint-Michel de Cuxa (PyrénéesOrientales) .
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Aux origines du monachisme, les règles de saint Pacôme et de saint Basile prescrivaient déjà aux moines de respecter la clôture (claustrum), terme désignant initialement l'enceinte à ne pas franchir. L'idée de rassembler dans cette clôture les différentes parties du monastère et de les organiser autour d'une cour centrale bordée d'une galerie - le cloître - ne paraît guère antérieure à l'époque carolingienne. Le plan de Saint-Gall semble être la première manifestation de cette disposition qui traduit, au ,xe siècle, le souci d'établir une clôture stricte entre le monde extérieur et le monastère, tout en épargnant aux moines les intempéries dans leurs nombreux déplacements entre l'église et les différents espaces conventuels. Si l'église abbatiale est, par sa vocation liturgique, l'édifice majeur du monastère, le cloître, lui, en est le bâtiment le plus important pour sa structure, puisqu'il conditionne le plan d'ensemble. Le cloître s'appuie le plus souvent contre le mur sud de la nef de l'église et profite ainsi d'un ensoleillement optimal. Plus rarement, il s'appuie contre le mur nord, comme on peut l'observer dans certaines abbayes méridionales (Fontfroide, Sénanque, Silvacane, Le Thoronet). Dans ce cas, il semble donc que l'on ait cherché à bénéficier de l'ombre de l'église.
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Inspiré du modèle de la villa gallo-romaine à atrium, le cloître est de plan carré, ou proche du carré, et présente quatre galeries ouvertes sur un espace central aménagé en jardin. Dans leur formule la plus simple, les galeries du cloître sont abritées sous une charpente reposant sur des arcades ou des piliers, mais, à partir du x,,esiècle, on généralisera leur voûtement. Citons les cloîtres charpentés de Moissac, du Mont-Saint-Michel, de Lavaudieu et ceux, voûtés, qui sont légion : Sénanque, Mazan, Cadouin, Fontenay, Noirlac, Fontfroide, Silvacane, Valmagne, Saint-Michel-de-Grandmo nt, Lérins, La Chaise- Dieu, Le Thoronet ... La galerie orientale est la plus fréquentée par les moines, car elle dessert l'église, où ils se rendent au moins huit fois par jour, et aussi toutes les pièces où e déroule leur vie communautaire (salle capitulaire, salle des moines, chauffoir) . La galerie qui lui fait face, ne desservant aucune salle, ne présente pas de porte. Elle fait simplement écran au quartier des convers dont elle est séparée par un passage appelé « ruelle des convers ». La galerie appuyée contre la nef de l'église est souvent appelée « galerie du mandatum ». Elle doit son nom à la prière « mandatum novum do vobis [... ] » que chantent les moines en se lavant réciproquement les pieds, le samedi, en igne de charité. Elle est parfois nommée« galerie des collations », car les moines 'y installent, en fin de journée, sur les bancs de pierre (Cadouin), pour écouter la lecture d'un passage des Collationes de Jean Cassien.
Cloître, galerie des collations. Abbaye de Cadouin (Dordogne).
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La galerie opposée à l'église, et donc à la galerie de la collatio, est une galerie« utilitaire» qui dessert traditionnellement le réfectoire et la cuisine. En général, le cloître est le lieu où les moines pratiquent, aux beaux jours, la lectio divina. Cela explique qu'il abrite souvent une niche murale, l'armarium claustri (Fontenay, Cadouin), où sont rangés quelques livres destinés à leur éducation. Au x11e siècle, Guerric, abbé cistercien du monastère d'Igny, près de Reims, encourageait ses moines à la lecture : « Tous les livres que vous lisez sont autant de jardins où vous vous promenez». Lorsque le monastère est modeste, cette niche suffit à renfermer tous les livres de la communauté et, si elle devient trop petite, des livres sont également rangés dans la sacristie toute proche. Le cloître, lieu de méditation, symbolise la condition du moine. Ses galeries fermées sur l'extérieur illustrent son retrait, tandis que la percée visuelle qu'il dégage vers le ciel incite à l'élévation del' âme. C'est aussi un espace pratique, qui offre aux moines un dégagement ample, à l'abri des intempéries. Plus prosaïquement encore, les moines y effectuent de petits travaux de couture, y font sécher, au soleil, les feuillets rédigés au scriptorium. Ils profitent de l'eau de la fontaine pour de menues toilettes et pour laver leurs vêtements qu'ils étendent ensuite sur la pelouse.
LE LAVATORIUM Aux abords immédiats de la galerie sud du cloître se trouve un lavabo (Zavatorium) ou une fontaine. Parfois unique point d'eau potable du monastère, le lavatorium offre aux moines une eau potable qui provient, chaque fois que cela est possible, non pas d'une rivière, mais d'une source à l'abri de toute pollution. Le lavatorium joue un rôle symbolique. Image permanente du baptême, il invite le moine, qui se lave les mains et le visage avant son entrée au réfectoire, à méditer sur la purification de son âme et de son cœur. Sur un plan pratique, sa situation à proximité de la cuisine permet aux moines d'y puiser l'eau nécessaire à la préparation des repas. Le lavatorium permet aussi aux moines de se laver, de pratiquer la« rasure » directement dans le cloître ou dans le chauffoir, après y avoir porté l'eau qui a été réchauffée au préalable à la cuisine. On se rase la barbe mutuellement, à l'aide d'un rasoir conservé par le camérier. La fréquence de cette opération varie selon les monastères. Si certains coutumiers font état de cinq à six rasages par an, d'autres préconisent un rasage tous les quinze jours. Toute l'iconographie monastique médiévale montre des moines glabres, ce qui laisse imaginer l'importance accordée au rasage. Inversement, de nombreux textes évoquant les convers les dénomment barbatii («barbus»), soulignant une utilisation fort restreinte du rasoir!
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Lavabo dans le cloître de l' abbaye du Thoronet (Var) .
Quant à la tonsure, caractéristique du moine, elle se fait aussi dans le cloître. Silencieusement ou en récitant des psaumes, on se coupe réciproquement les cheveux, aux ciseaux, de manière à former une couronne jusqu'au milieu de l'oreille, en souvenir de la couronne d'épines infligée au Christ avant sa crucifixion.
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LA SALLE CAPITULAIRE
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Tous les problèmes du monastère sont à régler le plus rapidement possible, afin de ne pas donner lieu à des rumeurs ou conflits dommageables à la vie spirituelle. Ils font donc l'objet d'une assemblée quotidienne. Ces problèmes peuvent être des affaires importantes engageant l'avenir du monastère, des tensions internes générées par la promiscuité communautaire ... L'assemblée débute généralement par une partie liturgique (prières, lecture de l'Évangile du jour, d'un chapitre, ou capitulum, de la règle) . C'est précisément la lecture de ce chapitre qui a donné son nom à cette réunion spécifique, puis, par extension, à l'ensemble des moines qui y participent, et enfin, au lieu même où elle se tient, la salle du chapitre ou salle capitulaire. Une partie à caractère administratif traite ensuite les affaires matérielles. C'est l'occasion, pour les officiers du monastère, de rendre compte de leur
oe tion et, pour l'abbé, d'informer les religieux des affaires de la maison: « [...] routes les fois qu'il y aura, dans le monastère, quelque affaire importante à traier, l'abbé convoquera toute la communauté, puis il exposera lui-même ce dont il s'agit » (chap. 3). On échange sur les choix que doit faire la communauté en matière économique ou matérielle et on procède au vote lorsqu'il s'impose. On y fait également la lecture des courriers destinés à la communauté. L' un des temps forts de cette assemblée prend le nom de « chapitre des coulpes ». Il oblige chaque moine à s' accuser publiquement de ses manquements à la règle. L'extrême précision régulant la vie monastique et la perfection exigée par la règle donnent aux moines d'innombrables occasions de pécher. Peu d'entre eux échappent à l'auto-accusation, procédure disciplinaire qu'il convient de vivre comme un moyen conduian t à la perfection. Mais le moine peut aussi profiter de l'occasion pour dé noncer toute faute commise par l'un de ses semblables et que ce dernier n' aurait pas confessée: c'est la
delatio. La salle capitulaire est enfin le témoin des grands moments qui marquent la vie du monastère. Au décès de l'abbé, ou à sa déposition, ou à sa démission, la communauté s'y réunit pour procéder à l'élection de son successeur. De même, tout nouveau postulant à la vie monastique y est accueilli cérémonieusement. Tout comme l'église est au cœur de la vie spirituelle du moine, la salle capitulaire est au centre de sa vie sociale. La perfection de son architecture traduit son ambition : son volume, le plus souvent inscrit dans l'alignement du transept de l'église, est couvert de voûtes remarquables reposant au centre sur deux colonnes (Fontenay, Le Thoronet, Noirlac, Aubazine). Quelques-unes de ces salles se singularisent toutefois par leur situation perpendiculaire à la galerie du cloître (La Hambye, Lessay) et font, côté est, une saillie polygonale à la façon d'une abside.
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Salle capitulaire de l'abbaye de Fo ntdouce (Charente-Maritime).
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Salle capitulaire. Abbaye de la Hambye (Manche) .
La salle capitulaire est ceinturée par une double rangée de banquettes en bois ou en pierre (Le Thoronet, Sénanque, Fontfroide, Ganagobie, La Hambye) sur lesquelles s'installent les religieux. L'abbé trône face à l'entrée. Cette entrée, au centre de la galerie orientale, est tout à fait caractéristique. De part et d'autre d'une porte monumentale, une grande baie ou plus souvent deux baies géminées (Fontenay, !'Épau, Flaran, Sylvanès, Valmagne, Le Thoronet) laissent la lumière pénétrer dans la salle. Ces baies manifestent aussi un désir de transparence, car elles permettent aux
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convers et aux novices de suivre le chapitre depuis le cloître et d'écouter l'enseignement donné par l'abbé. Comme à l'église et dans les différentes parties du monastère, moines de chœur et convers sont séparés. Ces derniers, privés du droit de vote, n'ont pas « voix au chapitre » et ne sont pas admis dans la salle capitulaire. Toutefois, une exception est faite en deux circonstances: lors de leur demande d'entrée au noviciat et le jour de leur profession. Pour autant, on vient de le voir, ils ne sont pas tenus à l'écart des débats qui s'y déroulent.
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LE PARLOIR (OU AUDITORIUM)
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Saint Benoît n'avait pas formellement interdit l'usage de la parole, car il ne voyait aucune signification mystique dans le fait de se taire, mais il encourageait au silence et en indiquait la signification: « [... ] C'est donc au maître qu'il convient de parler et d'instruire: se taire et écouter sied au disciple [ ... ] » (chap. 6). Si ce silence n'est pas un impératif absolu, il doit être vécu comme une expérience permanente de retrait, de privation, et donc comme un projet d'ascension spirituelle. C'est pourquoi « [... ] les moines doivent en tout temps s'appliquer au silence[ ... ] » (chap. 42), afin d'établir un dialogue mystique avec Dieu. Tous les coutumiers consacrent au moins un chapitre au silence, exigeant qu'il soit scrupuleusement respecté à l'église et dans le cloître, au réfectoire et au dortoir, ainsi que pendant de nombreuses activités, y compris lors de la saignée, de la taille des cheveux ou de la fabrication des hosties! S'il ne peut faire autrement, « [... ] un moine parle doucement et sans ricaner, humblement et avec gravité, disant peu de paroles et qui soient raisonnables [ ... ] » (chap. 7) , en s'abstenant bien entendu de toute plaisanterie douteuse: « [... ] Quant aux bouffonneries, aux paroles oiseuses et qui ne sont bonnes qu'à provoquer le rire, nous les condamnons à tout jamais et en tout lieu[ ... ] » (chap. 6). Il est évident que l'on ne peut s'astreindre à un silence total et permanent. rabbé et le prieur doivent donner aux moines, individuellement ou en petits groupes, des consignes, des instructions concernant leur travail, des précisions quant à leur emploi du temps. Le maître des novices doit s'entretenir avec ses nouvelles recrues avant de les accueillir dans la communauté ... Tous ces échanges indispensables se déroulent au parloir (ou auditorium, parce qu'on y écoute). On sait peu de choses du parloir, mais la plupart des monastères présentent, dans le voisinage de leur salle capitulaire, un retrait, sorte de passage, couloir ou petite pièce (Fontenay, La Hambye, Silvacane, Le Thoronet) qui semble correspondre à cette destination. Il s'agit d'un espace strictement utilitaire, sans caractère architectural particulier, si ce n'est qu'il présente, en principe, un voûtement identique aux salles contiguës (chapitre et salle des moines). Lorsqu'il sert de passage, il permet une circulation entre le cloître et les jardins. Les moines peuvent y attendre que le cellérier leur confie les outils nécessaires au jardinage. En vertu de la ségrégation touchant les convers, ceux-ci disposent de leur propre parloir, qui se trouve, en toute logique, dans leur quartier, à proximité des cuisines ou des celliers.
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~JJ L'ARS SIGNORUM, LE LANGAGE PAR SIGNES
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Le silence joue un rôle majeur dans les communautés monasiques, car il facilite la méditaion contemplative, contribue a l'élévation du niveau de spiritualité et permet aussi d'évier nombre de péchés ... La règle de saint Benoît. écrite vers l'an 540, lui consacre d'ailleurs son sixième chapitre. Les moines s'abstiennent donc de parler dans l'église. la cuisine. le réfecoire ou les dortoirs. Quelques échanges, réduits au minimum, sont parfois olérés dans le cloître, et la réunion quotidienne, dans la salle du chapitre, permet à chacun de s'exprimer sur des questions ecclésiastiques ou liées a la vie quotidienne. Ce silence imposé limite les échanges des moines entre eux, ainsi qu'avec oute autre personne, puisqu'il ne leur est pas permis d'adresser la parole aux frères laïcs, aux novices et encore moins aux personnes extérieures ! ëme s'il est primordial dans la vie des moines, ce silence représente une véritable contrainte, qu'ils doivent parfois contourner pour la bonne marche de leurs occupations quotidiennes. Aussi ont-ils développé un langage par signes, autorisé, lui, par la règle de saint Benoît : « ... Si cependant on avait besoin de quelque chose, on le demandera par signes plutôt que par la parole .] » (chap. 38). S1 ce mode de communication semble fort ancien, ce sont les moines lrich et Bernard qui établissent. à la fin du x1• siècle, un premier descriptif de quelque 150 signes utilisés à Cluny. Les mots y sont classés par catégories (moines ayant une charge spécifique, alimentation et boisson, vëtements, objets liturgiques et livres, prières et offices, outils et ustensiles, bâtiments ... ). Ce premier témoignage d'un système véritablement codie. qui aujourd'hui nous renseigne très utilement sur la vie quotidienne des moines, sera intégré au coutumier de l'abbaye. L'expansion de Cluny contribuera sans doute à diffuser la pratique des signes aux siècles suivants, chaque monastére adaptant le modèle clunisien à ses propres usages. Les Cisterciens, intransigeants avec le respect du silence imposé par la règle, semblent l'avoir particulièrement utilisé. Ars signorum (art des signes), plutôt qu'un véritable langage, consiste en un système qui permet l'échange d'informations pratiques tout en respectant obligation de silence. Il concerne essentiellement les activités matérielles du moine dans son quotidien. Bien évidemment. il ne doit servir à aucune conversation futile, moquerie ou plaisanterie. Son apprentissage fait partie de formation des novices. Avec le relâchement qui s'installe progressivement dans les monastères à la fin du Moyen Âge, l'observance d'un silence absolu devient moins rigoureuse. le langage par signes est peu à peu abandonné et. au 11• siècle, rares sont les religieux qui en font encore l'usage.
Cette enluminure (vers 1220-1230) montre un moine en conversation, taquiné par un diable, caché dans son dos. Elle met en garde contre la parole, ,·éritable danger et incitation au péché. A la parole, on doit préférer Je silence, « l'instrument des bonnes œuL'res )),
selon saint Benoît.
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LE SCRIPTORIUM
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Comme la librairie, le scriptorium souligne l'importance que le monastère accorde aux livres, importance déjà confirmée, vers 1170, par l'ancien adage « Claustrum sine armario quasi castrum sine armamentario » (« Un monastère sans livres est une place forte sans armement »). Mais, jusqu'à l'invention de l'imprimerie, le livre reste un produit rare: religieux et princes doivent se prêter ou s'échanger leurs manuscrits, parfois pour de longues périodes (des prêts sur cinq ou dix ans sont courants). afin de les recopier. La copie de manuscrits implique que les abbayes disposent soit de revenus suffisants pour acheter les matériaux que réclament les copistes, essentiel-
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lement des peaux de mouton, soit qu'elles en assurent elles-mêmes la production. Il leur faut donc, dans ce cas, entreprendre l' élevage d'un troupeau uffisant. Ainsi, Clairvaux, fondée en 1115, se dote dès 1121 d'une grange pécialisée dans l'élevage et dont le cheptel compte pas moins de 3 000 têtes vers 1224. L'investissement est d'ailleurs rentable! Le monastère dispose ainsi de peaux pour son scriptorium, et en plus, il utilise la laine pour ses ateliers et la viande pour ses cuisines et son hôtellerie. La production de ces peaux exige cependant que certains moines soient pécialisés. L'élevage ne pose guère de problèmes aux convers, qui sont sou,·ent issus d'un milieu rural et sont habitués aux activités agricoles. Mais ils doivent se former pour maîtriser le métier de parcheminier : dépecer les bêtes, laver les peaux, en décoller la toison, les tendre ensuite sur un châssis, puis les préparer à l'écriture en les ponçant et en les blanchissant à la craie. Tout cela requiert un savoir-faire qui ne s'improvise pas. Il faut enfin que l'abbaye compte, parmi ses moines, les copistes qui maîtrisent l'écriture. Leur tâche est fastidieuse. Un moine habile ne recopie guère plus de quatre ou cinq pages par jour, guère plus de quarante ouvrages au cours de sa vie - il lui faut souvent plus d'un an pour recopier la Bible ! Chaque jour, il dispose de peu de temps pour travailler, compte tenu du temps consacré aux offices et des limites liées à la luminosité. Dans ce labeur, il s'use les yeux et se déforme le dos. Lapratique de la copie est donc souvent vécue comme une véritable ascèse. Toutefois, ce travail. .. de Bénédictin, activité monastique par excellence, a permis de sauver et de transmettre toute la mémoire des premiers auteurs chrétiens, mais aussi grecs (Platon et Aristote) ou latins (Cicéron, Virgile, Térence ou Pline .. . ). Globalement, la copie est à son apogée entre les x• et x11• siècles. Les très nombreuses abbayes fondées à cette époque génèrent une énorme demande de livres que seul ce système artisanal de reproduction peut satisfaire. Le schéma est identique pour tous
Scriptorium. Abbaye de Fontenay (Côte-d'Or).
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les monastères. Ceux-ci n'ouvrent leurs ateliers de copie qu'une bonne vingtaine d'années après leur fondation, car leurs moines sont d'abord occupés par le défrichement de leurs terres et par la construction de leurs bâtiments principaux. Durant cette phase d'installation, les moines se contentent des livres indispensables à la liturgie, qu'ils empruntent ou achètent éventuellement à d'autres monastères ... Quand la fondation est assurée, le scriptorium peut être organisé. Il connaîtra une grande effervescence, le temps de pourvoir la bibliothèque de tous les ouvrages nécessaires : psautiers, antiphonaires,
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j vres saints, œuvres des Pères de l'Église et bien d'autres ouvrages d'aueurs antiques ... Puis, au bout d'une cinquantaine d'années, l'activité ralentit ettement, quand elle ne cesse pas totalement, puisqu'il n'est plus utile de continuer à produire. ce schéma échappent bien évidemment les établissements dont la cop ie est une spécialité et fait l'objet d'un commerce très lucratif. C'est le de l'abbaye de Saint-Gall qui, au 1x0 siècle, affecte cent vingt moines approximativement les trois quarts de son effectif!) à cette activité .. . Le - riptorium est alors une vaste salle, dotée de nombreuses fenêtres devant
Scriptorium. Abbaye de Sylvanès (Aveyron).
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lesquelles sont installées les écritoires, afin de bénéficier de la lumière naturelle. Le travail y est organisé en vue d'une production optimale : copistes, correcteurs, enlumineurs, préparateurs d'encres, relieurs ... se répartissent des tâches extrêmement spécialisées et complémentaires. Parfois, lorsque le monastère fait de la copie de manuscrits sa principale activité, un petit cloître doté de cellules est aménagé pour le travail délicat des copistes (Clairvaux). Certains scriptoriums, d'ailleurs, deviennent réputés pour la qualité de leur production, riche de lettrines, rinceaux et miniatures, et s'imposent en créant leur propre style (Mont-Saint-Michel, Clairvaux, Cîteaux ... ).
LA LIBRAIRIE Saint-Benoît prescrit que ses moines « [.. . ] à heures fixes S>appliquent à la lecture des choses de Dieu[ ... ]» (chap. 48). Le monastère attache donc la plus grande importance aux livres, d'autant plus que l'essentiel de la liturgie est fondé sur la lecture. Après la chute de l'Empire romain, le monastère est l'endroit où se concentrent les lettrés. En dehors de ses murs règne un analphabétisme quasi général, qui n'épargne même pas certains grands personnages : la plupart des rois mérovingiens et carolingiens ne savent pas écrire leur nom et signent laborieusement leurs actes par un simple monogramme! Dans ce contexte, les religieux se trouvent être à peu près les seuls dépositaires de la culture livresque. Ils sont les seuls à posséder des livres, des ouvrages pour la prière et la méditation, pour l'enseignement dans les écoles qu'ils entretiennent. Ils sont les seuls à pouvoir lire, étudier et commenter les textes antiques. Les livres sont rares et précieux. Pour cette raison, ils sont rangés dans des coffres ou des armoires (armaria) fermés à clef. C'est là l'origine des librairies monastiques ou, pour employer un terme moderne, des bibliothèques. Elles apparaissent dès l'époque carolingienne, comme à Fleury-surLoire (aujourd'hui Saint-Benoît-sur-Loire) ou à Saint-Martin de Tours. On y conserve de nombreux manuscrits et c'est donc grâce aux monastères que
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eront sauvées la plupart des œuvres majeures des auteurs de !'Antiquité et, à travers elles, une grande partie de la culture antique. À l'époque médiévale, dans les petits établissements, les livres sont rangés en fonction de leur utilisation : les ouvrages servant à la liturgie sont plutôt rangés dans la sacristie, ceux servant à la méditation et à l'instruction des moines dans l'armarium du cloître ... Dans certaines abbayes, la librairie peut se confondre avec le scriptorium. Elle est alors cet espace privilégié qui, meublé de tables, d'écritoires, de rayonnages, est affecté à la lecture et à la copie et, d'une façon plus générale, aux travaux intellectuels. Même si les plus grandes abbayes possédaient
La librairie (ou bibliothèque) , au-dessus de la galerie du cloître. Abbaye de La Chaise-Dieu (Haute-Loire).
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Librairie (ou bibliothèque) de l'abbaye de Cîteaux (Côte-d'Or).
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déjà un fonds de manuscrits important, il faudra attendre l'invention de l'imprimerie, permettant la multiplication des livres, pour qu'une salle - la librairie - soit spécialement consacrée à leur rangement. Au ,xe siècle, l'abbaye de Saint-Gall est riche de quelque quatre cent vingt ouvrages: un fonds particulièrement important pour l'époque, mais qui tient au fait que l'abbaye est alors spécialisée dans la copie de manuscrits. Au milieu du xne siècle, Cîteaux détient une centaine de« codices » (le codex, contrairement au rouleau longtemps en usage, permet de relier les feuillets de parchemins écrits sur deux faces). À la même époque, Clairvaux compte environ trois cent cinquante manuscrits et, vers 1200, ce sont plus de quatre cents ouvrages qui sont conservés à l'abbaye de Corbie. Plus tard, à la fin du xv" siècle, l'abbaye de Saint-Denis comptera près de mille cinq cents ouvrages. Ces nombreux livres, dont le monastère a besoin tant pour l'édification de ses moines que pour l'instruction de ses élèves, coûtent une véritable fortune, car ils nécessitent la peau de nombreux moutons pour le parchemin et de très nombreuses heures de copie. Ils constituent un trésor placé sous la garde du bibliothécaire (ou armarius) . Ce dernier range les exemplaires les plus précieux dans des coffres ou des armoires, fermés à clef, quand il n'attache pas leurs reliures avec des chaînes aux pupitres de lecture.
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LA SALLE DES MOINES
Salle des Moines
Salle multi-usages, elle se situe non loin de la salle capitulaire, dans l'aile prolongeant le transept de l'église. Son volume, spacieux, est généralement divisé en deux nefs par un alignement de colonnes portant ses voûtes (Foncenay, Les Vaux de Cernay). Si les travaux les plus importants, les plus pénibles, les plus vitaux pour le monastère sont effectués par les convers, il reste de quoi faire pour les moines de chœur: petites tâches domestiques, petits travaux manuels, artisciques, nettoyage, entretien ou réparation de petits outils, reprise de vêtements ... Ces occupations sont indispensables aux moines, car «[... ] L'oisiveté e t l'ennemie de l'âme. Les frères doivent donc à certains moments s'occuper au travail des mains[ ... ] » (chap. 48). Dans l'esprit de la règle, chacun doit -'appliquer à son travail avec humilité, sans tirer aucune fierté personnelle d' une habileté ou d'un savoir-faire particulier. Dans les monastères modestes, c'est dans cette salle également que l'on -'adonne à la copie, car seuls les établissements les plus importants ou ceux qui font de la copie un commerce fructueux possèdent un espace dédié à celte activité. Cela explique que la salle des moines reçoive une lumière abondante grâce à de nombreuses baies ouvertes, côté est, et dispose souvent d'un point de chauffage.
de l'abbaye de Vauxde-Cernay (Yvelines) .
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LE CHAUFFOIR Chauffoir. Abbaye de Sénanque (Vaucluse) .
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Au Moyen Âge, le froid représente une épreuve pour tous et les religieux semblent l'endurer avec une volonté de mortification particulièrement déterminée. Si le plan de Saint-Gall prévoit plusieurs points de chauffage, vraisemblablement justifiés par la rigueur des hivers helvètes, saint Benoît, pour sa part, ne fait aucune référence aux moyens de lutter contre le froid, précisant tout au plus que « [... ] Pour les vêtements que l'on donnera aux frères, on aura égard à la qualité et à la température des lieux qu'ils habitent [ .. . ] » (chap. 55) . Malgré l'absence d'un quelconque interdit dans la règle, force est de constater qu'à partir du x1e siècle tout monastère ne semble posséder qu'une seule salle chauffée, le chauffoir (calefactorium), en sus des cuisines et de l'infirmerie. Mais peut-être disposait-on de réchauds portatifs ou de braseros en divers points ... Quoi qu'il en soit, le chauffoir est facilement identifiable dans le monastère médiéval. C'est la seule salle pourvue d'une cheminée et elle est généralement contiguë au scriptorium, quand elle ne se confond pas avec lui. Cette proximité facilite d'ailleurs le travail minutieux des copistes : les jours d'hiver, ils y préparent leurs encres de couleurs, à base de terres, de pierres, de fleurs comme le safran, de racines comme celle de la garance,
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et il leur est permis de venir se dégourdir les doigts à la chaleur de la ch eminée. Il arrive aussi que le chauffoir devienne l'annexe de l'infirmerie. C'est là que les religieux peuvent subir la saignée. Initialement, celle-ci était pratiquée elon les« besoins», en pratiquant une incision à un emplacement déterminé par le mal à soigner et en fonction de la position des astres dans le ciel. Puis, peu à peu, elle se pratiquera« préventivement», suivant un rythme variable elon les ordres. On imagine l'empirisme del' opération ! Surtout sil' on sait que les moines sel' administraient réciproquement et que, pendant quelques jours, celui qui l'avait subie bénéficiait d'un régime amélioré: accueilli à l'infirmerie, il y recevait une nourriture meilleure et plus abondante, disposait d'un temps de repos plus long et se voyait dispensé des offices nocturnes. Il pouvait même bavarder avec d'autres saignés ou avec les hôtes de passage! L'un des plus curieux chauffoirs visibles aujourd'hui est celui de Longpont, datant du xme siècle. Sa voûte repose sur quatre piliers centraux, disposés de manière à soutenir la hotte d'un imposant foyer central. Il s'agit là d'un dispositif peu commun, le plus grand nombre de chauffoirs étant dotés de impies cheminées prises dans l'épaisseur des murailles (Fontenay, Noirlac).
Chauffoir. Abbaye de Longpont (Aisne).
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LE RÉFECTOIRE
Page de droite
Réfectoire. Abbaye de Villefranche-deRouergue (Aveyron ).
Réfectoire. Abbaye de Fontfroide (Aude).
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Desservi par la galerie du cloître opposée à l'église, il s'étend le plus souvent sur toute la longueur de la galerie. Certains réfectoires se développent perpendiculairement à la galerie (Royaumont, Noirlac), afin de ne pas occuper toute la place entre le bâtiment des moines et celui des convers. Comme les moines médiévaux construisent leur abbaye dans une perspective d'expansion, ils conçoivent leur réfectoire comme une salle importante (40 mètres de long sur 13 mètres de large, à Royaumont, 40 mètres sur 20, à Saint-Germain-des -Prés). Il s'agit toujours d'un espace à l'architecture soignée, noble, solennelle, qui semble faire pendant à l'église. Parmi les plus remarquables réfectoires médiévaux, notons ceux du MontSaint-Michel et de Saint-Wandrille, chacun comportant un unique vaisseau couvert d'une charpente spectaculaire, et ceux de Royaumont, Noirlac et Saint-Martin-des-Champs à Paris, dont les deux nefs sont couvertes de voûtes reposant sur une file de colonnes centrales. Le partage du repas, codifié dans son déroulement, respecte un rituel et s'apparente à un office religieux. Avant d'entrer dans le réfectoire, les religieux se lavent les mains à la fontaine du cloître, dans un geste de purification, et veillent à ne pas arriver en retard pour ne pas manquer la prière qui marque le début du repas. Ils se placent, debout, près de leur siège, devant de longues tables alignées parallèlement aux murs, sans vis-à-vis et en fonction de leur ancienneté au monastère. Ils attendent, silencieux, immobiles, l'arrivée de l'abbé qui présidera le repas. Celui-ci ayant prononcé le De Verbo Dei, le repas peut commencer. Les moines mangent en silence, les yeux baissés sur leur écuelle, et remercient d'une inclinaison de la tête les « semainiers » qui les servent. Ceux-ci prennent les plats au passe-plat, souvent appelé« pro vidence », qui est aménagé dans le mur séparant le réfectoire de la cuisine. Pendant le repas, le refectora rius, le responsable du réfectoire, circule entre les tables pour vérifier que les religieux ne manquent de rien, que les rations sont suffisantes. Il supervise le travail des « frères de semaine », chargés tour à tour du service et de la propreté des lieux.
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LA TABLE DES MOINES
Le repas monastique. Dans le réfectoire, généralement l'une des plus vastes salles du monastère, les moines prennent place à de longues tables disposées en U. Sous la présidence de l'abbé, qui partage parfois le repas avec les hôtes de la communauté, tous observent le plus grand silence. Depuis une chaire, un moine fait à voix haute la lecture de textes édifiants. Miniature de !'Horloge de la Sapience, vers 1455-1460.
Si les moines sont pauvres et ne possèdent rien en propre, le monastère, en revanche, est l'une des institutions les plus riches de la société médiévale. Ses troupeaux lui fournissent la laine, le cuir, du lait pour le fromage. De ses viviers et pêcheries, il tire le poisson dont il fait une abondante consommation. Ses moulins alimentent les réserves de farine et ses vignes produisent le vin des celliers. Alors que l'immense majorité de la population laïque a pour préoccupation première de se nourrir, les moines échappent généralement à toute pénurie alimentaire. Ils peuvent compter sur des repas réguliers et une nourriture abondante que seule la règle de l'ascèse limite. Saint Benoît prévoit que l'on serve deux plats différents aux religieux, « [. .. ] en sorte que celui qui ne pourra manger d'un mets puisse faire son repas avec /'autre [ ... ] » (chap. 39) et, lorsque l'on en dispose, des fruits, ainsi que du vin, en quantité raisonnable. Généralement, les restes du déjeuner (prandium) sont accommodés pour le repas du soir (cena) et ce qui n'aura pas été consommé sera donné en aumône aux pauvres. Bien qu'aucune référence biblique n'interdise la consommation de viande, elle est pourtant rejetée dans la tradition des Pères du désert, accusée de favoriser les passions et la luxure. Elle est, de plus, coûteuse, et s'en nourrir va à l'encontre du vœu de pauvreté auquel les moines sont soumis. Bref, elle est un obstacle à la vie spirituelle et à la prière et« [... ] tous absolument s'abstiendront de la chair des quadrupèdes [... ] » (chap. 39). Une seule exception est cependant admise : « [. .. ] on accordera l'usage de la viande aux malades et à ceux qui sont tout à fait débiles, afin de réparer leurs forces. Mais aussitôt qu'ils seront rétablis, ils reprendront l'abstinence accoutumée[ ... ] » (chap. 36). Cette interdiction est parfois transgressée ... Et souvent, à défaut de viande de mammifères, on se contente de volailles et de poissons. On imagine l'austérité qui devait régner sur la plupart des tables monastiques lorsque l'abbé se montrait intransigeant avec les prescriptions de la règle ! L'interdiction de consommer de la viande restera longtemps l'un des sujets de débat récurrents dans les monastères médiévaux. Il faudra attendre 1335 pour que le pape Benoît XII autorise enfin son apparition dans les menus des moines. Et pourtant, les moines du Moyen Âge, et plus particulièrement les Clunisiens, déploieront une véritable ingéniosité dans le domaine culinaire. À l'exemple de leurs contemporains laïques, ils ne dédaigneront ni les épices, qui sont un luxe rare (poivre, safran, cannelle, cumin, muscade ... ). ni les herbes aromatiques (cerfeuil, persil, fenouil, aneth, ail...), ni les condiments (sel, huile, vinaigre, moutarde ... ). Ils se montreront également exigeants dans la qualité de leur production viticole.
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Tout ce cérémonial se déroule s ilencieusement : « [ ... ] Qu'on observe un complet silence à table
et qu'on ny entende ni chuchotement ni parole, mais seulement la uoix du lecteur[ ... ] » (chap. 38). Le lecteur est désigné chaque semaine par l'abbé pour faire à voix haute la lecture d'un ouvrage d'histoire ou de spiritualité, au contenu édifiant :
[... ] La lecture ne doit jamais manquer à la table des frères pendant leurs repas [... ] » (chap. 38). La règle prévoit même une répartition des textes selon les périodes del' année, permettant aux religieux d'entendre la lecture intégrale del'Ancien et du . 'ouveau Testament au cours d'une année. Mais on lit aussi d'autres ouvrages, en latin, puis, progresivement, à partir du x1v" siècle, en langue vernaculaire. Le lecteur dis pose d'une chaire, souvent encastrée dans l'épaisseur du mur ou en encorbellement (Royau mont, Villefranche-de-Rouergue, Saint-Martin-des-Champs). Le repas prend fin au signal de l'abbé : la communauté se lève alors et prononce une action de grâce avant de se retirer. Le lecteur peut ensuite, à son tour, prendre le sien, en même temps que les moines semainiers de la cuisine et du service.
LES CUISINES
La chaire
du lecteur, dans le réfectoire. Abbaye de Royaumont (Val-d'Oise).
Limplantation des cuisines dans le monastère répond à la logique du tra\·ail. Elles sont évidemment contiguës au réfectoire, établies dans l'angle -ud-ouest du cloître, non loin du bâtiment des convers qui les desservent. A proximité, on trouve souvent les réserves, les celliers, les fours à pain, le bûcher qui alimente les différents foyers. Les cuisines disposent généralement d'une alimentation en eau et d'un écoulement pour les eaux usées.
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ABBAYES MÉDIÉVALES
En prévention du risque d'incend ie, important au Moyen Âge, les cuisines sont toujours voûtées et constituent fréquemment un bâtiment totalement isolé des autres. Le plus souvent, lorsque l'espace e t limité, elles sont directement accolées au réfectoire avec lequel elles communiquent par laépoque médiévale, l'ensemble d'une unité de production, le plus souvent agricole. Outre les bâtiments d'exploitation à proprement parler, la grange monastique doit offrir aux convers qui la desservent tous les services dont ils ont besoin : un hébergement et de quoi préparer leur repas, ainsi qu'un lieu pour réciter les prières qu'ils ont apprises, puisqu'ils ne rejoignent leur monastère que le dimanche ou les jours de fête. Théoriquement, on ne trouve pas de granges à plus d'une quinzaine de kilomètres d'un monastère, le trajet aller-retour devant pouvoirs' effectuer dans la journée. Mais il ne s'agit que d'un principe général, car Aubazine entretenait
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une grange à La Morinière, sur l'île d'Oléron, pour la production de sel: les convers-saulniers (ou sauniers) ne devaient donc pas souvent effectuer les 250 kilomètres séparant les deux sites ! Les granges les plus modestes sont dotées d'un dortoir, d'un réfectoire et, naturellement, d'un oratoire. À la manière d'un monastère en réduction, les granges les plus éloignées et les plus importantes comportent également, en plus, une petite maison d'hôtes, un four à pain, un jardin avec quelques arbres fruitiers, le tout contenu dans une enceinte dotée d'une porterie. La plupart de ces fonctions sont parfois regroupées dans un immense bâtiment à la porte duquel une lampe brûle, la nuit, dans une petite niche, en signe d'hospitalité. Certaines granges peuvent ainsi, du fait de leur importance, passer pour de petits monastères. Pourtant, jamais une grange ne deviendra une abbaye ni même un prieuré, car sa vocation est à la fois précise et indispensable : assurer au monastère la production dont il a besoin. La grange est un espace affecté au travail manuel des convers : elle ne peut convenir ni à la liturgie ni aux travaux intellectuels des moines de chœur. Elle ne dispose donc ni de cimetière, ni de clocher, ni d'autel dans son oratoire. Ainsi, toute confusion e t définitivement écartée : la grange restera dépendante de son abbaye. La grange est placée sous l'autorité du cellérier de l'abbaye, représenté sur place par le« maître de grange» (grangiarius). Son effectif est généralement peu élevé, mais parfaitement adapté à son fonctionnement ordinaire. Le monastère dépêchera un renfort chaque fois que cela sera nécessaire : des co nvers ou des salariés se joignent alors à l'équipe en place, le temps de certains travaux saisonniers, par exemple. Le bâtiment principal, qui correspond à la grange selon la terminologie actuelle, offre un vaste espace : celle de Cornay développe un rectangle de 47 mètres sur 31, soit une emprise au sol de 1457 mètres carrés; Vaulerent, avec 72 mètres sur 23, porte sa surface à 1656 mètres carrés ; la grange de Meslay se déploie sur 60 mètres de large pour 25 mètres de long et une -urface de 1 500 mètres carrés. Le volume interne, destiné au stockage, est divisé en plusieurs vaisseaux par des alignements de poteaux de bois ou de colonnes de pierres qui soutiennent d'impressionnantes charpentes. Dans bien des cas, ces bâtiments traverseront les siècles sans trop de dommages : admirablement conçus pour les tâches auxquelles ils sont destinés, beaucoup conserveront, bien longtemps après la Révolution, leur vocation -IITicole . . ombre de monastères, essentiellement cisterciens, organisent leur production en fonction de particularités géologiques ou climatiques, et ·e granges (au sens d'exploitations) sont souvent spécialisées : Vaulerent, dépendant de Chaalis, Cornay de Clairvaux et Saint-Ouen-l'Aumône, de Pontigny sont des granges céréalières, le Clos-Vougeot, Colombé-le-Sec
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Grange de Hautecombe (Savoie). Grange batelière, ou« grange d'eau >) , conçue pour la décharge des barques et le stockage (à l'étage) des provisions des moines de l'abbaye de Hautecombe.
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et Fontcalvy, relevant respectivement de Cîteaux, Clairvaux et Fontfroide, ont une vocation viticole. Autre dépendance de Chaalis, Commelles est une grange spécialisée dans la fabrication de tuiles et carreaux en terre cuite. Relevant de Clairvaux, la grange de Marsal se spécialise dans la production de sel. L'abbaye de Hautecombe se dote d'une grange d'eau permettant le mouillage des bateaux sur les rives du lac du Bourget et, à l'étage, le stockage des marchandises. Certaines granges sont fortifiées, comme Galinières, la Masse et Gaussan. On connaît aussi des granges pastorales, d'autres minières ou forestières. Un monastère peut disposer de plusieurs granges : Chaalis en a compté dix-sept, Aubazine vingt, Fontfroide vingt-quatre. Signe de la réussite de son système d'exploitation, l'ordre cistercien compte plus de six mille granges dans toute l'Europe ! Certaines affichent des performances remarquables. On estime par exemple qu'au xme siècle, la grange de Vaulerent, avec ses trois cent quatre-vingts hectares, offrait un rendement avoisinant les seize quintaux de blé à l'hectare !
AB BA Y ES M ÉD I ÉV A LES
Des moines pêchent, à la ligne et au filet, dans une pièce d'eau, devant la Grande Chartreuse. Miniature française. x,~ siècle.
LES VIVIERS A défaut de viande, que la règle n'autorise qu'avec des restrictions, les moi nes font une grande consommation de poissons. Le poisson de mer sardines, morues, harengs ... ) est importé en barriques: l'approvisionnement, la fraîcheur et la qualité sont loin d'être garantis! Les moines préerent donc les poissons d'eau douce et privilégient les espèces « nobles» omme le brochet, l'anguille, la lamproie, le saumon ... Pour subvenir à ses besoins, le monastère, lorsqu'il se trouve non loin d'un fleuve , y possède énéralement des pêcheries où les moines (ou leurs salariés) pratiquent
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la pêche au filet. Le plus souvent, il dispose aussi dans son enceinte d'un ou plusieurs viviers (vivarium), grands bassins maçonnés où est pratiquée la pisciculture (Saint-Guilhem, Fontmorigny et Aubazine). Mais la plupart des établissements préfèrent ne pas encombrer un espace déjà fortement occupé et profitent d'un ruisseau ou d'une rivière du voisinage pour créer à l'extérieur un ou plusieurs étangs. C'est le cas à Fontevraud, où un petit ruisseau alimente, à un kilomètre et demi du monastère, trois pièces d'eau communicantes s'étirant sur approximativement deux hectares. Sous la direction du « maître des poissons » (magister piscium). on élève dans les viviers de multiples espèces (carpes, truites, tanches, perches, barbeaux ... ). Le poisson sera préparé à la cuisine du monastère et le surplus sera vendu sur le marché. La pisciculture monastique ne manque pas d'ingéniosité. Les poissons sont souvent élevés dans des viviers différents selon les espèces (on prendra soin, par exemple, d'isoler les brochets, redoutables prédateurs) ou l'âge (les alevins sont séparés pour ne pas être dévorés par leurs congénères adultes).
LE COLOMBIER À l'origine, le« droit de pigeon » tient compte de la nécessité de ne pas nuire à son voisin. Seigneurs et roturiers doivent posséder un certain nombre d'arpents de terre cultivée (et non en friche) aux alentours de leur pigeonnier, afin que les futures récoltes de leurs voisins ne soient pas ravagées par les volatiles. C'est aussi la raison pour laquelle la population de pigeons d'un colombier dépend des titres de son propriétaire et de l'étendue de son domaine. Mais cette louable préoccupation va peu à peu disparaître et le colombier deviendra une prérogative seigneuriale, symbole de domination territoriale et source de mesures vexatoires pour les moins fortunés. Comme les seigneurs féodaux, les religieux bénéficient du « droit de pigeon » et entretiennent souvent sur leurs terres un colombier, non seulement comme symbole de leur privilège, mais aussi pour des raisons pratiques. Les fientes de pigeon (la colombine) constituent une fumure qui améliore efficacement les sols en culture. Leurs œufs sont appréciés sur les tables monastiques et, si saint Benoît proscrit formellement la consommation de viande issue de quadrupèdes, il ne fait pas allusion aux volailles et autres volatiles qui échappent donc à l'interdit. Le plan de Saint-Gall prévoit d'ailleurs un espace important réservé à l'élevage des oies et des volailles, destinées à agrémenter la table de l'abbé et des religieux. Le colombier du monastère, encore appelé fuye ou fuie dans certaines régions comme le Val de Loire, ne présente pas de caractéristiques le différenciant de celui des seigneurs féodaux. Il est tout à fait semblable à ceux que
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l'on trouve dans sa région, à proximité de quelque château voisin. Il s'agit, en oénéral, d'une tour circulaire ou carrée, couverte d'une toiture conique ou à quatre pans. Il ne comporte que deux ouvertures : une petite porte à la base, qui permet aux convers d'y pénétrer pour l'entretenir ou y prélever les œufs, et une petite lucarne ou un petit passage dans la partie supérieure, pour la circulation des pigeons. L'élévation extérieure est lisse, ceinturée à mi-hauteur ou à sa jonction avec la toiture, par une moulure ou un ressaut en forte saillie qui empêche les rongeurs, belettes, fouines et autres petits prédateurs terrestres de grimper jusqu'à l'ouverture réservée aux volatiles. La muraille est épaisse, tant pour la solidité du colombier que pour y maintenir, à l'intérieur, une température constante. Plusieurs centaines de boulins y sont creusés, qui correspondent chacun à une petite loge abritant un couple de pigeons. Ces loges sont accessibles par une échelle pivotant autour d'un axe central. C' est sur ce modèle que sont construits les colombiers de Fontenay, de . 1ortemer ou de Lencloître. Celui de Fontevraud, plus insolite, est semi-troolodytique, en partie creusé dans le calcaire d'une petite falaise.
Villeron (Oise). Colombier, dans la grange monastique de Vaulerent.
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LE VIGNOBLE Dans la tradition chrétienne, le vin, utilisé lors de la célébration de la messe, symbolise le sang du Christ, ce qui lui donne une importance capitale. Mais les moines n'y voient pas qu'un symbole ! Aux premiers temps du monachisme, les règles des premières communautés interdisaient le plus souvent la consommation ordinaire de vin, la tolérant tout au plus à l'occasion de certaines fêtes. Saint Benoît, plutôt tenté lui aussi, comme ses prédécesseurs, de l'interdire, la tolérera pourtant dans les repas quotidiens: « [ ... ] le vin ne convient aucunement aux moines; mais comme on ne peut
le persuader aux moines de notre temps, convenons du moins de n'en pas boire jusqu'à satiété[ ... ] » (chapitre 40). Ajoutons à cela que le vin est cher, en partie à cause de son transport. Aussi les moines, fidèles à leurs principes de pauvreté et d'autarcie, évitent d'en acheter, préférant planter de la vigne à proximité de leurs monastères. Ils opèrent avec une telle ardeur et une telle science qu'ils ont à l'origine de la plupart des vignobles de qualité que l'on connaît aujourd'hui en Europe. Ainsi, aux origines du Chablis et du célèbre Clos-Vougeot trouve-t-on les Cisterciens, et à celles du Beaune, du Meurault, du Vosne-Romanée et du Bourgueil, les Clunisiens. Et c'est encore
Clos Vougeot (Côte-d'Or). Le domaine du Clos Vougeot, exploité dès le xn• siècle par les moines de Cîteaux, est, aujourd'hui encore, un haut lieu de la viticulture bourguignonne.
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peut aisément se convertir en numéraire. Aussi s'emploient-ils à perfectionner la viticulture et la vinification, et à commercialiser les excédents. Produit par les monastères, le vin fait l'objet, au Moyen Âge, d'un négoce local, mais aussi national. Le plus souvent, c'est le transport fluvial (sur la Loire, la Garonne, la Dordogne, la Seine, la Marne, l'Yonne, l'Oise, le Rhin ... ) qui achemine les précieuses futailles vers leurs destinataires, car la voie d'eau reste plus sûre et plus rapide que les routes. Et les vins de Bordeaux, réputés, sont expédiés en Angleterre, en Flandre ou en Hollande par la voie maritime. Le vin vendu par les moines est apprécié tant pour sa qualité que pour son prix, souvent moins élevé que dans le commerce « classique ». En effet, non seulement le monastère est souvent exonéré des taxes et péages divers qui frappent le négoce, mais, en plus, il respecte la prescription de saint Benoît: « [.. . ] Que
jamais le mal de l'avarice ne se glisse dans les prix de vente ; mais au contraire que l'on vende toujours un peu moins cher que les séculiers[ ... ] » (chap. 57) . On notera
La grange monastique cistercienne du Clos Vougeot (Côte-d'Or) , entièrement dédiée à la viticulture, conserve quatre 'gigantesques pressoirs à cabestan, en chêne, chacun d'une capacité de quatre tonnes de raisin. Son cellier pouvait contenir jusqu'à 2 000 pi èces de vin (une pièce est un fût de 228 litres) .
aux moines que l'on doit les vins d'Anjou, du Beaujolais, du Bordelais, de Châteauneuf-du-Pape et de Saint-Pourçain ... Indiquons par ailleurs que l'on pouvait, au Moyen Âge, trouver des vignes sur certaines parties du territoire où elles sont aujourd'hui absentes : Lille, Rennes, Beauvais .. . et que les vins « français », c'est-àdire issus de l'île-de-France, étaient réputés. Très vite, les moines comprennent l'intérêt de posséder un vignoble performant, offrant une production importante et de qualité, dont le surplus
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ici l'habileté du « Père des moines » qui tire une ligne d'action de deux exigences souvent contradictoires : celle de la morale et celle de l'efficacité commerciale. Cette prescription, qui s'étend à toutes les marchandises vendues par le monastère, soulèvera de vives protestations chez les marchands locaux, qui ne verront pas dans cette pratique l'acte de générosité, mais tout au contraire la concurrence déloyale. Au monastère, le vin est consommé pur ou additionné d'eau. Il est parfois « amélioré », comme le clairet que l'on prépare avec du vin rouge et du miel, et l'hypocras, à base de vin rouge miellé dans lequel infusent cannelle, coriandre et amandes douces. Et le vin chaud, aromatisé de cannelle et de sucre, est d'autant plus prisé en hiver que le monastère n'est guère chauffé ... Parfois, aussi, la communauté connaît la pénurie, voire l'absence permanente de vin : « [... ] Si la pauvreté du lieu ne permettait pas que l'on pût se pro-
curer la susdite mesure de vin, mais beaucoup moins, ou même rien du tout, ceux qui résident là devront bénir Dieu et ne pas murmurer [... ] » (chap. 40) . Cette injonction de saint Benoît éclaire assez sur l'importance que le vin a prise dans les monastères! Ainsi donc, lorsque le terroir de ne prête pas à la viticulture (Bretagne ou Normandie), l'infortuné religieux devra se contenter de cidre, ou, dans les régions nordiques, de bière.
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Tournus (Saône-et-Loire). Abbaye SaintPhilibert. Fondation vers 875. Le monastère tient son origine des moines de Noirmoutier qui, fuyant les invasions normandes, s'installent à Tournus en 875, avec les reliques de leur fondateur, saint Philibert. Ils y créent un centre monastique important, régi par la règle bénédictine, mais indépendant de Cluny pourtant tout proche. I.:abbatiale, construite entre 1108 et 1120, est l'un des monuments majeurs de l'architecture romane française. Le monastère a conservé de nombreux éléments (cloître, réfectoire, cellier, salle capitulaire ... ).
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L'ORDRE DE CLUNY En Bourgogne, l'abbaye de Cluny, fondée en 910, est la maison mère d'un ordre puissant et prospère qui compte, à la fin du x1!° siècle, environ mille établissements couvrant largement l'Europe occidentale. À la maison mère, comme dans les maisons qui en dépendent, les «, moines noirs » glorifient Dieu dans la splendeur des offices et la magnificence des églises. L'architecture clunisienne est soignée, le décor sculpté à l'honneur: portails, tympans et chapiteaux sont les supports privilégiés d'une abondante sculpture, le plus souvent d'excellente facture. L'Assemblée constituante abolissant, en 1790, les vœux religieux et supprimant le clergé régulier, les Clunisiens sont chassés de leurs établissements. L'ordre est supprimé et ses biens fonciers confisqués pour être vendus au profit de la nation. Quelques sites clunisiens : Baume-les-Messieurs (Jura) - Beaulieusur-Dordogne (Corrèze) - Carennac (Lot) - Cluny (Saône-et-Loire) Ganagobie (Alpes-de-Haute-Provence) - La Charité-sur-Loire (Nièvre) Lérins (Alpes-Maritimes) - Massay (Cher) - Moissac (Tarn-et-Garonne) - Paray-le-Monial (Saône-et-Loire) - Saint-Martin-des-Champs (Paris) Souvigny (Allier) - Vézelay (Yonne)
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Cluny (Saône-et-Loire). Abbaye Saint-Pierreet-Saint-Paul. Fondation en 910. Façade du palais du pape Gélase (x 1v' siècle). L'abbaye, siège de l'ordre clunisien, connaît un développement considérable et rayonnera sur toute l'Europe, avec plus de 1400 établissements sous son autorité. Vendue comme bien national en 1798, l'abbaye est démantelée et son abbatiale quasiment détruite. Mais les vestiges qui nous sont parvenus révèlent le gigantisme de l'établissement.
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Beaulieu-sur-Dordogne (Corrèze). Abbaye Saint-Pierre. Fondation en 898. D'abord bénédictine, l'abbaye sera placée sous l'autorité de Cluny de 1076 à 12 13. [;abbatiale, étape sur le chemin de SaintJacques, est reconstruite aux x11' et x111' siècles, sur le plan des églises de pèlerinage. Le tympan sculpté sur le mur sud fait sa renommée : chef-d'œuvre de l'art roman sculpté vers 1130-1 140, il représente la Seconde Parousie (deuxième retour du Christ sur Terre avant le Jugement Dernier).
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La Charité-surLoire (Nièvre).
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Prieuré Notre-Dame. Fondation en 1059. Sur les bords de la Loire, le prieuré clunisien de La Charité-sur-Loire est une étape majeure sur le chemin de Saint-Jacques-deCompostelle. Il doit d'ailleurs son nom à la charité que les moines prodiguaient aux jacquets. « Fille aînée de Cluny », l'abbatiale de La Charité-sur-Loire, édifiée aux x1• et x11' siècles, est un joyau de l'architecture romane. Pouvant accueillir jusqu'à cinq mille fidèles, elle est aussi l'une des plus grandes églises romanes d'Europe, après l'immense Cluny 111.
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Charlieu (Loire). Abbaye Saint-Fortuné. Fondation vers 875. Rattachée à Cluny vers 930-940, l'abbaye a connu trois reconstructions successives de son église, aux 1x', x' et x1' siècles. De la dernière ne subsistent que la façade, un narthex et une travée. Les trois portails (début x11' siècle) que l'on peut encore y vo ir sont adm irables par la qualité de leur sculpture. Charlieu conserve également de remarquables éléments conventuels du xv< siècle : cloître, salle capitulaire, parloir. ..
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Moissac (Tarnet-Garonne). Abbaye Saint-Pierre. Fondation au Vill e siècle. Rattachée à Cluny en 1047, l'abbaye de Moissac, sur la via Podiensis vers Compostelle, devient, au xue siècle, l'un des plus importants monastères du sud-ouest de la France. I.:abbaye doit aujourd 'hui sa renommée à l' excep tionnell e qualité de sa sculpture. On l'admire notamment sur le tympan du portail sud , qui illustre la Parousie du Christ (sculptée entre 1110 et 1130). On l'apprécie également sur les soixanteseize chapiteaux du cloître (datés de 1100).
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Paray-le-Monial (Saône-et-Loire). Prieuré Notre-Dame. Fondation vers 975. Paray-le-Monial deviendra prieuré de Cluny en 1090 et le restera jusqu'à la Révolution. La construction de l'église actuelle est entreprise au début du x11' siècle. Malgré des dimensions plus modestes et un parti architectural simplifi é, elle est fortement inspirée de Cluny Ill et en reproduit les caractères principaux. Chef-d'œuvre de l'art roman en Bourgogne, Notre-Dame est aussi typique de l'art clunisien.
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Paris. Abbaye Saint-Martindes-Champs. Fondation vers 1060. Construite sur l'emplacement présumé d'un miracle de saint Martin, l'abbaye est alors située aux portes de Paris, en pleine campagne, et prend le nom de Saint-Martin-desChamps. En 1079, le roi Philippe l" la place sous l' autorité de Cluny dont elle devient la « deuxième fille ». Son abbatiale (x11• et x111' siècles) est l'une des plus anciennes églises de Paris. Son réfectoire, construit vers 1230, montre des dimensions exceptionnell es (12 m x 42 m).
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Souvigny (Allier). Prieuré Saint -Pierre- et -Saint -Paul. Fondation en 915. Souvigny était l'une des cinq füles aînées de Cluny. Aux xi' et Xll' siècles, son rayonnement est immense, tant sur le plan spirituel que temporel. Construite sur le modèle de Cluny III, son église prieurale est imposante : longue de 84 mètres, elle est dotée d'un double transept et de doubles bas-côtés.
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Vézelay (Yonne). Abbaye SainteMadeleine. Fondation à la fin du 1x' siècle. Établie sur la « colline éternelle », l'abbaye se place, en 1050, sous le vocable de sainte Madeleine dont elle possède les reliques, tandis que Cluny en prend la gouvernance. Construite entre 1120 et 1150, l'abbatiale, entre autres réputée pour le tympan de son narthex, est un édifice majeur de l'art roman. Elle est aussi le point de départ de la Via Lemovicensis (Voie limousine). l'un des quatre principaux chemins vers Compostelle.
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L'ORDRE DE LA CHAISE-DIEU La Chaise-Dieu (Haute-Loire). Abbaye Saint-Robert. Fondation en 1043. Chef de l'ordre casadéen, l'abbaye de La Chaise-Dieu, fondée par Robert de Turlande, connaît son apogée au x1 v< siècle. Le vieux monastère roman est alors détruit, laissant place à des édifices gothiques. Ancien moine casadéen devenu pape, Clément VI s'en fait le protecteur et finance, en particulier, la construction de la grande abbatiale.
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L'abbaye de La Chaise-Dieu est fondée en 1043, sur un haut plateau granitique, entre les monts du Livradois et ceux du Velay. Maison mère del' ordre casadéen, sous la protection du Saint-Siège, l'abbaye connaît la prospérité. À son apogée, elle compte près de cent quarante prieurés, dont quelques-uns en Italie et en Espagne. Complètement reconstruite au x1v" siècle, elle conserve de remarquables bâtiments gothiques, comme son abbatiale ornée d'une fresque sur le thème de la Danse macabre, ainsi qu'une imposante tour fortifiée. Beaucoup des bâtiments conventuels quel' on peut voir aujourd'hui ont été élevés aux XVIIe et XVIIIe siècles, par la congrégation de Saint-Maur, à laquelle les Casadéens sont rattachés en 1640. L'ordre de La Chaise-Dieu disparaîtra en 1790 : la maison mère et ses dépendances, vendues au titre des biens nationaux, seront en grande partie démembrées et leurs moines dispersés. Quelques sites casadéens : Brantôme (Dordogne) - Gaillac (Tarn) - La Chaise-Dieu (Haute-Loire) - Lavaudieu (Haute-Loire) - Saint-Nectaire (Puyde-Dôme)- Saint-Robert (Corrèze) -Trizay (Charente-Maritime)
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Brantôme (Dordogne). Abbaye Saint-Pierre. Fondation en 769. Sous l'impulsion de Charlemagne, une communauté de religieux s'install e à Brantôme. Avant que les premières constructions ne soient entreprises, au x' siècle, les moines viven t dans des grottes aménagées dans une falaise. En 1080, la communauté passe sous l'autorité de l'abbé de La ChaiseDieu qui la réforme. Retrouvant une certaine prospérité, l'abbaye Saint-Pierre devient une étape pour les pèlerins se dirigeant vers Saint-Jacques -deCompostelle.
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Lavaudieu (Haute-Loire). Prieuré Saint-André. Fondation vers 1052-1057. C'est pour répondre aux vocations féminines que Robert de Turlande, fondateur de La Chaise-Dieu, installe un monastère de moniales à Saint-André-de-Comps, non loin de Brioude. Bénéficiant de nombreuses donations, le prieuré casadéen connaît son apogée au x 11' siècle : de cette époque nous sont parvenus l'église, le cloître et le réfectoire. Au xv< siècle, le site sera appelé Val/us Dei (Vallée de Dieu), appellation qui deviendra par la suite Lavaudieu.
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Trizay (Charente-Maritime). Prieuré Saint-Jean-l'Évangéliste. Fondation dans la seconde moitié du XI' siècle. Ce prieuré, situé en Saintonge, est une dépendance de l'abbaye auvergnate de La ChaiseDieu. Il a conservé sa salle capitulaire, un cellier, un réfectoire et un dortoir. Son église montre d'importants vestiges. Entreprise à la fin du XI' siècle, elle présente la singularité d'être co nstruite sur un plan octogonal.
Saint-Robert (Corrèze). Prieuré de Saint-Robert. Fondation au début du XII ' siècle. Le prieuré, que l'ordre casadéen établit à Murel, est placé sous le patronage de saint Robert de Turlande, fondateur de l'ordre. Le village prendra par la suite ce nom . Seul vestige d u prieuré, l'église, du x11' siècle, a perdu sa nef pendant les Guerres de Religion.
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~ORDRE DE GRANDMONT Fondé dans le Limousin en 1076, l'ordre de Grandmont est caractérisé par la recherche d'un détachement total des biens matériels et par l'originalité de ses statuts, qui donnent aux convers l'entière responsabilité du temporel. Protégé par les Plantagenêts, il développe un réseau de quelque cent cinquante petits prieurés (dont trois en Angleterre et deux en Espagne). Il est supprimé en 1772 par la commission des réguliers. Un temps abandonnées, les maisons grandmontaines sont vendues comme biens nationaux après la Révolution. La plupart disparaîtront sous le pic des démolisseurs, comme Grandmont, chef d'ordre, en 1817. Longtemps converti en exploitation agricole, le prieuré Saint-Michel, près de Lodève, nous est parvenu dans un état de conservation exceptionnel : il constitue un remarquable témoignage de l'architecture grandmontaine. Quelques sites grandmontains : Chassay-Grammont (Saint Prouant, Vendée) - Comberoumal (Aveyron) - Grammont (Vendée) - Notre-Dame de !'Ouye (Les Granges-le-Roi, Essonne) - Saint Jean des Bonshommes (Yonne) - Saint-Michel-de-Grandmont (Hérault)
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Saint-Michel de Grandmont (Hérault). Prieuré Saint-Michel. Fondation en 1128. Saint-Michel est un établissement de l'ordre de Grandmont dont le siège était à Grandmont en Limousin. Si la maison mère a disparu, Saint-Michel reflète fidèlement l'esprit de l'ordre. La celle (ou prieuré selon la terminologie grandmontaine), des x11' et x111' siècles, est adaptée à une petite communauté et présente une architecture stricte, dépouillée, parfaitement fonctionnelle.
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Saint-Prouant (Vendée). Prieuré de Chassay-Grammont. Fondation vers 1195. Fondé, selon la tradition, sous l'impulsion de Richard-Cœurde-Lion, ce prieuré est, avec Saint-Michel de Grandmont, l'un des mieux conservés et des plus représentatifs de l'ordre grandmontain. Pratiquement complet, il ne lui manque que le cloître.
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Les Granges-leRoi (Essonne).
Sauvigny-le-Bois (Yonne) Prieuré Saint-Jean-des-Bonshommes. Fondation vers 1200-1205. Appelé Notre-Dame de Charbonnières jusqu'au xv" siècle, ce prieuré a perdu la quasi-totalité des édifices qui le constituaient au xm' siècle. Les bâtiments restants sont, pour la plupart d'entre eux, en ruines. Seule l' église demeure intacte, remarquablement conservée. Ses dispositions architecturales et sa grande simplicité sont caractéristiques de l'architecture des Bonshommes de Grandmont.
Prieuré Notre-Damede-l'Ouye. Fondation en 1163. Construit à la demande du roi Louis VII qui le confie à l'ordre des Grandmontains, le prieuré Notre-Damede-l'Ouye occupe vraisemblablement l' emplacement d'un sanctuaire préexistant. Contrairement à ce que l'on observe habituellement dans les prieurés de cet ordre, Notre-Damede-l'Ouye montre des dimensions relativement importantes, sans doute parce qu'elle est une fondation royale.
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L'ORDRE DE LA GRANDE CHARTREUSE Fondé en 1084, dans le massif de la Grande Chartreuse, l'ordre des Chartreux (ou ordre cartusien) combine l'érémitisme (mode de vie des ermites) et le cénobitisme (mode de vie communautaire des moines). Pour vivre l'absolue solitude, les chartreuses (on nomme ainsi les monastères de l'ordre) sont le plus souvent établies dans des lieux retirés. À la fin du x1v" siècle, l'ordre compte cent cinquante maisons réparties à travers toute l'Europe occidentale. À la veille de la Révolution, soixante-huit chartreuses sont encore en activité sur le territoire, abritant près de mille cent cinquante religieux. Ils en seront chassés par les révolutionnaires et leurs bâtiments, démantelés. En 1816, les moines pourront cependant regagner le monastère de la Grande Chartreuse. À nouveau expulsés manu militari en 1903, en vertu des lois anticléricales d'Émile Combes, ils le réintégreront définitivement en 1940. Quelques sites cartusiens :La Grande Chartreuse (Isère) - La Verne(Var) Le Reposoir (Haute-Savoie) - Valbonne (Gard) - Villefranche-de-Rouergue (Aveyron) - Villeneuve-lès-Avignon (Gard)
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Grande Chartreuse (Isère). Fondation en 1084. Ce vaste ensemble monastique est la maison mère de l'ordre cartusien (ou de la Grande Chartreuse), fondé par saint Bruno. Son implantation dans un site reculé et ses disposions architecturales en font le type même des monastères de cet ordre particulièrement ascétique.
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Saint-Paulet-de-Caisson (Gard) Chartreuse de Valbonne. Fondation en 1204. En défrichant et en assainissant un vallon marécageux concédé par l'évêque d'Uzès, les moines chartreux feront de terres ingrates la va/lis bona, Valbonne. Les tuiles vernissées (habituellement utilisées en Bourgogne) qui recouvrent ses toits confèrent un aspect insolite à ce monastère provençal.
Collobrières (Var). Chartreuse de la Verne. Fondation en 1170. La chartreuse de la Verne est perchée sur une barre rocheuse au cœur du massif des Maures. I..:ensemble monastique, monumental, couvrant près de deux hectares, a été plusieurs fois ravagé par des incendies, mais il a toujours été reconstruit! Il reste donc peu d'éléments de la période médiévale, la plupart des bâtiments actuels ayant été reconstruits aux xv11' et xvrn' siècles.
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Villefranche-deRouergue (Aveyron). Chartreuse Saint-Sauveur. Fondation vers 1450. C'est grâce au legs d'un riche marchand de Villefranche-de-Rouergue que la chartreuse SaintSauveur sera construite, entre 1452 et 1462, aux portes de la ville. Chef-d'œuvre du gothique flamboyant, l'ensemble est remarquablement conservé. li organise, autour de son grand cloître (l'un des plus vastes de France), les ermitages des chartreux, leur petit cloître, l'église, la salle capitulaire et le réfectoire.
Villeneuve-lès-Avignon (Gard). Chartreuse Notre-Dame-du-Val-de-Bénédiction. Fondation en 1356. Elle doit son origine au pape Innocent VJ qui donnera à l'ordre cartusien les terres et le palais qu'il possédait à Villeneuve-lès-Avignon. Cette chartreuse, l'une des plus grandes de France, était prévue pour une quarantaine de religieux. Elle se compose de trois cloîtres, autour desquels se déploient les cellules de moines, l'église, le réfectoire, la salle capitulaire et d'autres espaces monastiques.
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L'ORDRE DE CÎTEAUX Fondé au cœur de la Bourgogne, à Cîteaux, en 1098, l'ordre cistercien se construit sur un respect absolu de la règle de Saint Benoît. Il prône un ascétisme sévère qu'exprime l'architecture de ses monastères. Pour assurer son autarcie, il organise une économie agricole efficace et diversifiée, comme en témoignent les nombreuses « granges » qui parsèment encore nos campagnes. Le succès de l'ordre cistercien est incontestable: près de sept cents maisons à la fin du xrne siècle, plus de mille huit cents au xvie ... Les« moines blancs» sont présents dans toute la chrétienté occidentale. En 1790, l'Assemblée nationale vote la suppression de l'ordre. Malgré la disparition de leur maison mère, dont on démolit les bâtiments pour en tirer les matériaux, une douzaine d'établissements parviendront à maintenir la tradition cistercienne en Europe. À ce jour, Cîteaux a retrouvé son rang d'abbaye chef de l'ordre des Cisterciens-trappistes. Quelques sites cisterciens :Aubazine (Corrèze) - Beaulieu-en-Rouergue (Tarn-et-Garonne) - Boquen (Côte -d'Armor) - Cadouin (Dordogne) Chaalis (Oise) - Cîteaux (Côte-d'Or) - Clairvaux (Aube) - Escaladieu (Bonnemazon, Hautes-Pyrénées) - Flaran (Gers) - Fontaine-Guérard (Eure) Fontenay (Côte-d'Or) - Fontfroide (Aude) - Fontmorigny (Cher) - Hautecombe (Savoie) - L'Épau (Sarthe) - La Ferté (Saône-et-Loire) - Léoncel (Drôme) Longpont (Aisne) - Maubuisson (Val-d'Oise) - Mazan (Ardèche) - Molesme (Côte-d'Or) - Morimond (Haute-Marne) - Noirlac (Cher) - Pontigny (Yonne) - Royaumont (Val -d 'Oise) - Savigny (Manche) - Sénanque (Vaucluse) Silvacane (Bouche-du-Rhône) - Silvanès (Aveyron) -Thoronet (Var) -Valmagne (Hérault) - Vaucelles (Nord) -Vauluisant (Yonne) - Vaux-de-Cernay (Yvelines)
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Cîteaux (Côte-d'Or). Abbaye Notre-Dame. Fondation en 1098. I.:abbaye de Cîteaux, fondée, par Robert de Molesme, berceau et chef de l'ordre des Cisterciens, rayonnera dans toute l'Europe, comptant jusqu'à mille quatre cents monastères à son apogée. Pratiquement détruite entre la Révolution et la première moitié du x1x' siècle, elle ne conserve de l'époque médiévale que la galerie du cloître des copistes (x111' siècle) et la bibliothèque (1509).
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Beaulieu-en-Rouergue (Tarn-et-Garonne). Abbaye Notre-Dame ou abbaye de Belloc. Fondation en 1144. Initialement constituée de bâtiments modestes, l'abbaye sera reconstruite au x111' siècle. La salle capitulaire, le cellier et l'abbatiale de style gothique méridional témoignent de cette époque. Son cloître du x1v" siècle sera détruit au x1x' siècle. I:ensemble montre un appareillage soigné et une ornementation épurée, en parfaite concordance avec les préceptes cisterciens.
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Fontenay (Côte-d'Or). Abbaye Notre-Dame. Fondation en 1188. Seconde « fille » de Clairvaux, l'abbaye de Fontenay est fondée par saint Bernard. Remarquable par l'homogénéité, l'harmonie et la simplicité de ses bâtiments, elle est restée intacte après avoir traversé neuf siècles d'histoire. Aujourd'hui, dans son environnement naturel préservé, elle dégage toujours une grande spiritualité. Déjà classé Monument historique en 1862, ce haut lieu de l'art cistercien roman est inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO en 1981.
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Fontfroide (Aude). Abbaye Sainte-Marie. Fondation en 1093. Dans le massif des Corbières, l'abbaye de Fontfroide est établie près d'une source dont elle tire son nom (Fons frigida ou Source fraîche). D'abord bénédictine, elle se rattache, vers 1145, à l'ordre de Cîteaux. Fontfroide jouera un rôle crucial pour l'Église au x111' siècle, lors de la croisade contre les Cathares. Au x1v' siècle, l'un de ses abbés sera élu pape, sous le nom de Benoît XII. I.:ensemble du monastère, remarquablement conservé, étire ses constructions du x11' au xv1 11' siècle.
Léoncel (Drôme). Abbaye Sainte-Marie. Fondation en 1137. Ce sont douze moines cisterciens venus de Bonnevaux (près de Vienne) qui, en s'installant dans ce val du Vercors, fonderont l' abbaye de Léoncel. Si la plupart des bâtiments monastiques ont disparu, SainteMarie a pu conserver son abbatiale dont la construction commence au milieu du x11' siècle. D'une grande sobriété, elle oppose un chœur roman à une nef de style gothique primitif.
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Noirlac (Cher). Abbaye de Maison-Dieu. Fondation en 1136. Fondée par un groupe de moines venus de Clairvaux en un lieu nommé MaisonDieu, l'abbaye prendra le nom de Noirlac, en 1290, à cause des eaux noires d'un lac voisin. La plus grande partie des bâtiments a été construite aux x11' et x111' siècles. Vendue comme bien national après la Révolution, manufacture de porcelaine au x1x• siècle, l'abbaye est rachetée par le département du Cher en 1909. Aujourd'hui restaurée, elle constitue un ensemble monastique remarquable, fidèle reflet de la spiritualité cistercienne.
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Sénanque (Vaucluse). Abbaye Notre-Dame. Fondation en 1148. « Fille » de Mazan, en Ardèche, l'abbaye de Sénanque est la quatrième fondation cistercienne en Provence, après Le Thoronet, Aiguebelle, Silvacane. Elle nous est parvenue dans sa quasi- intégralité. L'ensemble des bâtiments monastiques, d'une grande qualité, d'une extrème sobriété, constitue un exceptionnel joyau de l'architecture romane, et illustre parfaitement la pensée cistercienne à ses débuts.
Silvacane (Bouches-du-Rhône). Abbaye Sainte-Marie. Fondation en 1144. Installée sur le bord de la Durance, dans un marécage, elle doit son nom de Silva Cannorum (forêt de roseaux) aux roseaux qui y abondent. Silvacane forme, avec Le Thoronet et Sénanque, le groupe des« trois sœurs provençales» qui témoigne d'une implantation solide de l'ordre cistercien en Provence. I.:abbaye, comme ses sœurs, montre une architecture simple, rigoureuse, fonctionnelle, en parfaite harmonie avec l'esprit cistercien et avec la règle prônée par saint Benoît.
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Le Thoronet (Var).
Abbaye Notre-Dame. Fondation en 1157. Construite entre 1160 et 1230, par des cisterciens venus de Mazan, en Ardèche, l'abbaye du Thoronet se présente aujourd'hui, dans un environnement sauvage, telle qu'elle était au Moyen Âge. Tous ses bâtiments dégagent une impression d'unité et de sérénité. Leur dénuement, leur pureté, leur simplicité sont parfaitement conformes à l'esprit de saint Bernard. · Et, pour cela sans doute, l'abbaye du Thoronet apparaît comme le plus parfait exemple d'architecture cistercienne.
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Sylvanès (Aveyron). Abbaye Sainte-Marie. Fondation en 1136. Pour faire pénitence de sa violence et de son avidité, le seigneur du Lodévois, Pons de Léras, visite Compostelle et de nombreux autres sanctuaires. Touché par la grâce divine, il fon de l'abbaye de Sylvanès dont il obtient l'affiliation à Cîteaux. Construits, pour la plupart, du milieu du xu' au milieu du x111' siècle, quelques très beaux bâtiments nous sont parvenus, dont l'abbatiale romane, une partie du cloître, la sacristie, la salle capitulaire et le scriptorium.
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Valmagne (Hérault). Abbaye Sainte-Marie. Fondation en 1138. D'abord dépendante de Cadouin, l'abbaye est rattachée à l'ordre cistercien en 1145. Du milieu du x11' au milieu du x1V" siècle, elle sera l'une des plus riches d'Occitanie. Pour remplacer l'ancienne abbatiale romane devenue exiguë, une nouvelle église est construite entre 1257 et 1300, vraisemblablement par des architectes du nord de la France. Elle unit la rigueur cistercienne et l'élancement des grandes cathédrales alors dressées dans les provinces septentrionales.
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L'ORDRE DE FONTEVRAUD C'est en Anjou, à une lieue de la Loire, qu'est fondée en 1101 l'abbaye de Fontevraud, d'abord protégée par les comtes d'Anjou, puis par les Plantagenêts et enfin par la Maison de Bourbon. Elle présente la singularité d'avoir été, dès ses débuts, le siège d'un ordre double, réunissant dans une même structure cinq couvents distincts pour les moines et les moniales. Et, cas unique dans l'histoire du monachisme, tous seront dirigés par une femme, l'abbesse! À son apogée, au milieu du x 11 e siècle, l'ordre compte près de cinq mille religieuses et moines, répartis dans une centaine de maisons, dont quelquesunes en Angleterre, en Espagne et en Italie. L'ordre fontevriste est supprimé à la Révolution. Devenue établissement pénitentiaire entre 1804 et 1963, l'abbaye échappe à la démolition et son classement au titre des Monuments historiques, dès 1840, par Prosper Mérimée, permet de préserver ses édifices les plus remarquables. Elle est aujourd'hui le plus grand ensemble monastique subsistant en Occident. Quelques sites fontevristes: Fontevraud (Maine-et-Loire) - Lencloître (Vienne) - Longpré (Aisne) - Orsan (Cher) - Villesalem (Vienne)
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Fontevraud (Maine-et-Loire). Fondation en 1101. Maison mère et chef de l'ordre des Fontevristes, l'abbaye a pour principale originalité d'associer des communautés de femmes et d'hommes sur un même site, en leur attribuant toutefois des quartiers distincts. !.:ordre, soutenu à ses débuts par la noblesse locale, sera protégé par les Plantagenêts qui feront de Fontevraud leur nécropole. Il accueillera de nombreuses moniales issues de l'aristocratie et restera dirigé, jusqu'à la Révolution, par des abbesses, toutes de haute naissance.
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Fontevraud (Maine-et-Loire). Prieuré Saint-Benoît. Fondation au XII ' siècle. Fontevraud est l'une des plus vastes cités monastiques d' Europe. Des couvents distincts étaient affectés aux religieuses de vocation , aux veuves et aux femmes retirées du monde, aux frères et aux convers, aux lépreux. Des grandes infirmeries, appelées Saint-Benoît, accueilla ient les moniales malades. Au xv11' siècle, les infirmeries médiévales sero nt remplacées par les bâtiments que l'on co nnaît actuellement, mais on conservera la petite chapelle, de style gothique angevin , de la second e moitié du x11' siècle.
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Lencloître (Vienne). Prieuré de Lencloître. Fondation vers 1106-1109. Institué par Robert d'Arbrissel, fondateur de Fontevraud, ce prieuré comprend, comme la plupart des établi ssements fontevristes, deux couvents juxtaposés (Sainte-Marie pour les moniales, Saint-Jean-de-l 'Habit pour les moines). Placés sous l'autorité d'une prieure locale, ils dépendent directement de la maison mère. Le couvent des religieuses, aujourd'hui restauré, constitue un ensemble relativement complet, dont l'église (milieu x11' siècle) est de style roman poitevin. Du couvent des moines ne subsistent que des vestiges, difficilement repérables.
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Villesalem (Vienne). Prieuré Notre-Dame. Fondation vers 1109. Conformément à la règle fontevriste, ce prieuré comprend à l'origine deux couvents, l'un pour des moniales et l'autre pour des moines. I..:ensemble est placé sous l'autorité d'une prieure. Les vestiges en sont aujourd'hui rares, mais l'église des moniales, édifiée en 1130 et 1140, a traversé les siècles. Bien que sa façade occidentale soit en partie masquée par un bâtiment conventuel du xv11' siècle, c'est un joyau de l'art roman poitevin qui présente un remarquable ensemble sculpté ..
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L'ORDRE DE CHALAIS L'abbaye Notre-Dame-de-Chalais, fondée en 1101 non loin de la Grande Chartreuse, sera la maison mère de l'ordre chalaisien qui comptera, à son apogée au début du x 111e siècle, une quinzaine de maisons, principalement établies en Dauphiné et en Provence. Les Chalaisiens constituent de petites communautés qui tirent leurs maigres revenus du pastoralisme et de la sylviculture. L'histoire de cet ordre sera brève. Dès la fin du x m e siècle, l'ordre décline, confronté à la faiblesse de ses ressources et à des dysfonctionnements. En 1303, l'abbaye de Chalais est intégrée à la Grande Chartreuse, toute voisine, et la plupart de ses« filles » seront reprises par d'autres communautés. Pourtant, l'ordre se maintient encore, à travers quelques maisons, comme Boscodon, qui deviendra chef d'ordre et restera chalaisienne jusqu'au XV° siècle. Quelques sites chalaisiens: Boscodon (Hautes-Alpes) - Notre-Dame-deChalais (Voreppe, Hautes-Alpes) - Valbonne (Alpes-Maritimes)
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Voreppe (Hautes-Alpes). Abbaye Notre-Dame de Chalais. Fondation en 1101. Notre-Dame est la maison mère de l'ordre chalaisien qui connaît Je déclin dès le x111' siècle. Nombre de ses maisons sont alors affiliées à d'autres ordres et Notre-Dame devient, en 1303, un prieuré affilié à la Grande Chartreuse. t:aspect du monastère est alors modifié, mais son église, bâtie au début du x11' siècle, est un très bel édifice roman, d'un style épuré, proche de l'art cistercien.
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Boscodon (Hautes-Alpes). Abbaye Notre-Dame. Fondation en 1142. Fondée par des moines venus de Chalais, l'abbaye de Boscodon devient chef de l'ordre en 1303, quand la maison mère est affiliée à la Grande Chartreuse. Malgré une histoire mouvementée, l'abbaye conserve intacte son église de l'époque romane comme la plupart des autres bâtiments conventuels. Son architecture sobre et le traitement épuré des murs, caractéristiques des constructions chalaisiennes, sont inspirés par l'art cistercien.
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Valbonne (AlpesMaritimes). Abbaye Notre-Dame. Fondation vers 1199. Parfait exemple de l'architecture chalaisienne, le monastère est de petite taille, adapté à une communauté ne comprenant qu'une vingtaine de religieux. En 1346, à la suite du déclin de l'ordre chalaisien, Valbonne est affiliée à l'abbaye de Lérins. Son abbatiale privilégie la modestie des matériaux, la pureté des lignes, l'harmonie des volumes. Son clocher est une adjonction du x1x' siècle.
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Le Moyen Âge a été l'âge d'or des abbayes. L'important réseau qu'elles ont tissé à travers l'Europe illustre l'efflorescence prodigieuse du sentiment religieux à cette époque. Elles ont traversé les siècles avec des fortunes diverses. Celles qui nous sont aujourd'hui parvenues témoignent d'une histoire exceptionnelle.
Abbaye de Saint-Martindu-Canigou (PyrénéesOrientales). Cloître.
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À l'écart d'un monde souvent agité, les moines jouent pendant des siècles un rôle majeur dans l'histoire religieuse et culturelle de l'Occident, faisant de leurs abbayes des hauts lieux de foi, d'ascèse, de création artistique et d'érudition. Au cœur du monde rural pendant tout le Moyen Âge, au faîte de leur puissance aux x,• et x11e siècles, ils seront concurrencés au siècle suivant par le clergé épiscopal et les ordres mendiants qui règnent sur l'espace urbain et y organisent les pratiques religieuses. À fin du Moyen Âge, de grands désordres frappent le royaume : les famines et les épidémies (1348 à 1419), le Grand Schisme d'Occident (1378 à 1417). la guerre de Cent Ans (1339 à 1453). etc. Le relâchement spirituel et le laxisme sapent le service divin et la discipline monastique. Les vocations se raréfient, les abbayes se vident. Ce déclin s'accélérera avec le régime de la commende, généralisé par le concordat de Boulogne (1515). L'aube du Grand Siècle semble pourtant annoncer une embellie. Les anciens ordres se réforment, de nouvelles congrégations apparaissent. Celle de Saint-Maur, instituée en 1618, compte, à la fin du xv11• siècle, quelque 190 abbayes bénédictines, dont certaines prestigieuses (Bec-Hellouin, le Mont-Saint-Michel, Saint-Benoîtsur-Loire). À Cîteaux, Armand Le Bouthillier de Rancé (1626-1700)
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entreprend une réforme radicale qui donnera naissance à l'ordre des Cisterciens de la Stricte Observance, dont les moines sont appelés« trappistes». Mais la Révolution française sonne le glas de toutes les institutions monastiques. Entre 1789 et 1794, les derniers religieux sont chassés de leurs établissements. Leurs bâtiments sont vendus au titre des biens nationaux et connaîtront des heures bien sombres. Aujourd'hui, après des fortunes diverses, les abbayes médiévales se sont adaptées à des temps nouveaux. Certaines renouent avec leur vocation initiale, accueillant des communautés de religieux, tout comme autrefois. Beaucoup ouvrent leurs portes au public et proposent des visites. Elles sont parfois organisées en itinéraires thématiques qui incitent à leur découverte: « Sites clunisiens », la « Route européenne des abbayes cisterciennes », la « Route historique des abbayes normandes »... D'autres deviennent des centres de pratiques culturelles, accueillent des concerts ou des festivals de musique sacrée qui suscitent un grand intérêt chez nos contemporains. Et, comme autrefois, toutes continuent à fonder l'image et l'identité d'une région.
Abbaye de la Grainetière (Vendée). La salle capitulaire, vue du cloître.
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Abbaye de SaintGuilhem-le-Désert (Hérault). La fondation de l'abbaye Saint-Sauveur, vers 804, est due à Guillaume (Guilhem) de Gellone, cousin de Charlemagne. Après une longue carrière militaire, Guillaume se retire en ces lieux, fondant un monastère auquel Charlemagne offrira un fragment de la Vraie Croix. Dès lors, le rayonnement spirituel du monastère s'affirme. Saint-Sauveur devient un lieu de pèlerinage important et une halte privilégiée sur le chemin de Saint-Jacques-deCompostelle.
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Abbaye de Conques (Aveyron). Détail du tympan, sur le portail occidental.
Le vocabulaire lié au monastère est riche : il concerne à la fois les moines, l'institution monastique et l'architecture. Ce glossaire n'est donc pas exhaustif. Il a pour but de vous familiariser avec le vocabulaire technique couramment employé en histoire et architecture religieuses. Les plus curieux d'entre vous consulteront avec profit les définitions plus complètes dans Vocabulaire de /'Architecture - Principes d'analyse scientifique (Imprimerie nationale, 1988) . Abbatial: qui est relatif à la dignité de l'abbé. Abbatiale (église) : église d'une abbaye. Abbatiat : 1- gouvernement d'un abbé. 2- durée de ce gouvernement. Abbaye : monastère autonome, dirigé par un abbé ou une abbesse. Abbé, abbesse: supérieur(e) d'une abbaye. Abside: dans une église, partie située à l'opposé de la nef, après la croisée du transept, et formant l'extrémité orientale du choeur. Le plus souvent, elle est de plan hémisphérique, mais elle peut aussi être polygonale ou tout simplement quadrangulaire. Absidiole : petite chapelle hémisphérique, située sur le pourtour d'une abside principale. Anachorète : moine ou ermite vivant dans la solitude, par opposition au cénobite, vivant en communauté. Apothicairerie : pharmacie médiévale. Armarium : petite niche murale destinée au rangement de livres. Atelier : espace utilitaire réservé, dans le monastère, pour que les moines puissent y effectuer leurs différents travaux manuels et agricoles. Auditorium, ou parloir : espace dans le monastère où l'usage de la parole est permis. Aumônerie : espace dans le monastère réservé à l'accueil des pauvres. Aumônier : moine chargé de l'aumônerie. Autel : table liturgique destinée à la célébration d'un office. Bas-côté, ou collatéral: : dans une église, vaisseau parallèle à la nef centrale, ordinairement plus étroit et moins élevé que la nef. Bains : espace réservé à l'hygiène corporelle. Basilical: qui a le plan d'une basilique, c'est-à-dire la forme d'une croix latine. Basilique: dans !'Antiquité, bâtiment public rectangulaire dont l'une des extrémités s'achevait en hémicycle et dont les chrétiens s'inspireront pour construire leurs églises. Plus tard, ce terme désignera une église dotée par le Saint-Siège d'une dignité particulière. Bénédictin: 1- relatif à saint Benoît. 2- religieux vivant suivant la règle de saint Benoît et, par une extension abusive, les religieux de l'ordre de Cluny. Bernardin: relatif à saint Bernard.
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Bibliothécaire : moine responsable de la bibliothèque. Bibliothèque, ou librairie : espace réservé au rangement des livres. Boulin: dans le colombier, petite loge où vit un couple de pigeons. Cachot : espace destiné à la réclusion imposée comme châtiment. Camérier : moine essentiellement chargé des affaires comptables du monastère. Campanile : petit clocher. Capitulaire (salle) : salle où se déroule le chapitre, c'est-à-dire l'assemblée quotidienne de la communauté monastique. Carré monastique: ensemble formé par les différents espaces monastiques directement regroupés autour du cloître, à l'exclusion des dépendances. Cartulaire: recueil d'actes administratifs relatifs aux propriétés, droits, privilèges, etc. d'une abbaye. Désigne aussi la salle où sont conservés ces documents, salle appelée aussi chartrier. Cartusien : relatif à l'ordre de la Grande Chartreuse. Catacombes : espaces souterrains servant de cimetière, dans !'Antiquité romaine. Casadéen : relatif à l'ordre de La Chaise-Dieu. Celle: 1- Dans l'ordre de la Grande Chartreuse, ce terme désigne l'habitat individuel du religieux. 2 - Dans l'ordre de Grandmont, ce terme désigne l'ensemble du monastère. Cellerie : espace dans le monastère réservé au rangement du matériel, des vêtements, des outils ... Cellérier: religieux responsable de la gestion de la cellerie et, plus généralement, du temporel d'un monastère. Cellule : au sens monastique, petite chambre individuelle. Cénobite : moine ou ermite vivant en communauté, par opposition à l'anachorète, vivant dans la solitude. Chaire du lecteur: dans le réfectoire, aménagement architectural où prend place le moine qui fait la lecture pendant le repas commun. Chalaisien : relatif à l'ordre de Chalais Chancelier: moine chargé de conserver les sceaux de l'abbaye. Chanoine : religieux vivant en communauté, mais qui, à la différence d'un moine, exerce des activités dans le monde ou appartient au clergé d'une église ou d'une cathédrale. Chapelle: 1- petit édifice religieux, isolé et doté d'un autel. 2- partie annexe d'une église (ou d'un autre édifice), comportant un autel. Chapelle des étrangers: chapelle située près de la porterie, à l'entrée du monastère, et destinée aux hôtes. Chapitre : réunion quotidienne de la communauté. Par extension, le terme désigne non seulement les membres réunis, mais aussi la salle où se déroule cette assemblée.
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Chapitre des coulpes : séquence du chapitre pendant laquelle les moines confessent publiquement leurs fautes. Chartreuse: monastère de l'ordre de la Grande Chartreuse. Chartreux: religieux de l'ordre de la Grande Chartreuse. Chartrier, ou cartulaire : local où sont conservés les cartulaires et autres actes administratifs relatifs aux propriétés, droits, privilèges, etc. d'une abbaye. Chauffoir : l'unique salle chauffée pour le confort des moines, dans un monastère médiéval. Chef d'ordre: qualifie un monastère qui a autorité sur l'ensemble des établissements d'un ordre. Chevet: à l'extérieur d'une église, partie qui correspond au chœur. Chœur architectural, ou sanctuaire: partie de l'église située à l'opposé de la nef, en arrière du transept (si l'église en présente un, ou en arrière de la nef s'il n'y a pas de transept), où se tient le clergé affecté à cette église, dont le prêtre qui officie, et où se trouve l'autel principal. Chœur liturgique: partie de l'église où se tiennent les moines de chœur. Il correspond approximativement au chœur architectural, mais peut empiéter sur la nef. Cistercien : 1- relatif à Cîteaux. 2- religieux de l'ordre de Cîteaux. Claustral : relatif au cloître. Clerc : qui appartient à la hiérarchie de l'Église catholique. À partir du x1!° siècle, ce terme désigne aussi une personne lettrée. Clocher: ouvrage généralement important (par opposition au campanile), destiné à recevoir des cloches. Clocher-mur: clocher modeste, consistant en un simple pan de maçonnerie percé d'une ou deux baies où sont installées les cloches. Cloître : 1- ensemble de quatre galeries couvertes formant un promenoir autour duquel sont distribués les différents espaces qui forment le carré monastique. 2- par extension, espace situé dans le carré monastique. Clôture: 1- enceinte délimitant le monastère. 2- à l'intérieur d'un monastère, espace strictement réservé aux religieux et dont l'entrée est interdite à toute personne extérieure. Clôture haute : dans une église monastique, structure séparant les moines de chœur des convers ou des personnes extérieures. Clunisien: 1 - relatif à Cluny. 2 - religieux de l'ordre de Cluny. Collatéral, ou bas-côté : dans une église, vaisseau parallèle à la nef. Collégiale : église d'une communauté de chanoines réguliers. Colombier : tour, de plan circulaire ou carré, destinée à abriter un nombre important de pigeons. Parfois appelé fuye ou fuie. Le terme de pigeonnier désigne un petit édifice ou un aménagement n'abritant que quelques couples de pigeons.
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Commende: usage en pratique dès l'époque mérovingienne et qui devient un droit avec le concordat de 1516, selon lequel le roi, revendiquant une autorité sur un monastère ou un évêché, s'en approprie les biens et les distribue à un laïc de son choix, qu'il nomme abbé ou évêque. Commendataire (abbé) : laïc bénéficiant du titre d>abbé et des revenus d>une abbaye. Complies: dernier office de la journée monastique, célébré entre 18 h et 19 h. Confession: tombe d'un chrétien mort martyrisé pour avoir confessé sa foi, généralement placée sous l'autel d'une église. Conventuel : relatif à une communauté religieuse, à un couvent. Convers: religieux d'origine le plus souvent modeste, affecté aux travaux manuels et domestiques, à la différence du moine de chœur, occupé à la liturgie. Corroirie ou maison basse: dans une chartreuse, quartier réservé aux convers. Coutumier : recueil des prescriptions propres à un établissement monastique ou à un ordre, dont il précise et complète la règle. Couvent: 1- maison religieuse. 2- établissement où vivent des religieux relevant d'ordres mendiants. Cuisine : espace réservé à la préparation des repas. Déambulatoire : sorte de couloir annulaire établi autour du chœur architectural d'une église. Delatio: dénonciation en public, lors du chapitre, d'une faute commise par un frère et que celui-ci n'a pas confessée. Discipline: flagellation administrée à un moine comme châtiment corporel d'une quelconque faute. Dortoir : espace réservé au sommeil des moines. Doyens : moines désignés pour leur sagesse afin de former un conseil autour de l'abbé. Enceinte : 1- muraille qui délimite un espace. 2- par extension, espace contenu par cette muraille. Ermitage : lieu solitaire habité par un ermite. Ermite: moine qui vit retiré du monde, dans la solitude. Escalier des matines : escalier reliant directement le dortoir au transept de l'église, utilisé par les moines pour se rendre aux offices nocturnes. Exemption : privilège qui soustrait un ordre à la juridiction dont il relève normalement, pour le placer sous la protection directe et exclusive du Saint-Siège. Fontevriste : 1- relatif à Fontevraud. 2- religieux ou religieuse de l'ordre de Fontevraud. Fuye ou fuie : voir colombier. Galerie des collations : nom parfois donné à la galerie du cloître appuyée contre la nef de l'église où les moines se réunissent pour écouter la lecture d'un passage des Collationes de Jean Cassien.
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Galerie du mandatum: nom parfois donné à la galerie appuyée contre la nef de l'église, car les moines s'y réunissent le samedi pour la cérémonie du mandatum. Grandmontain: 1- relatif à Grandmont. 2- religieux del' ordre de Grandmont. Grange: 1- unité de production d'un monastère, située hors de son enceinte. 2- espace destiné au stockage. Hôtelier: moine chargé de l'hôtellerie du monastère. Hôtellerie : dans le monastère, espace destiné à l'accueil des hôtes. Immunité : dans le cadre monastique, protection accordée par le pouvoir aux monastères bénéficiant del' exemption, interdisant aux fonctionnaires publics de pénétrer sur leur domaine. Infirmerie : partie du monastère destinée aux soins et à la convalescence des moines. Infirmier: moine chargé de l'infirmerie. Jardins: espaces cultivés à l'intérieur de l'enceinte monastique. Lai : religieux servant ou affecté à des travaux manuels ou administratifs. Laïc, laïque: qui n'a pas d'appartenance religieuse. Latrines : commodités. Laudes: ou matines, premier office de la journée monastique, célébré avant le lever du jour, vers 3 h du matin. Lecteur: moine désigné pour faire la lecture pendant la durée du repas pris commun. Lectio divina: pratique spirituelle, consistant en la lecture et la méditation des textes sacrés. Librairie: voir bibliothèque. Logis abbatial: logis de l'abbé. Maison basse ou corroirie : dans une chartreuse, quartier réservé aux convers. Maison haute : dans une chartreuse, quartier réservé aux Pères chartreux. Maison mère: établissement monastique à partir duquel de nouvelles maisons ont été fondées. Maître de grange: moine chargé de la gestion d'une grange monastique. Maître des novices: moine chargé du quartier des novices et de la formation de ceux-ci. Maître des poissons : moine chargé des viviers. Matines : voir Laudes. Mauriste: religieux de la congrégation bénédictine de Saint-Maur, fondée en 1618 et réputée pour un haut niveau d'érudition. Saint Maur (v. 512- v. 584) était un disciple de saint Benoît. Messe: office célébré vers 6 h. Moine : homme lié par des vœux religieux, vivant en communauté dans un monastère et soumis à la clôture. Moine blanc: religieux de l'ordre cistercien, nommé ainsi en raison de la couleur des vêtements qu'il porte.
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Moine de chœur : religieux lettré, affecté à la liturgie, à la différence du convers, chargé de travaux manuels et domestiques. Moine noir: religieux de l'ordre de Cluny, nommé ainsi en raison de la couleur des vêtements qu'il porte. Monachisme : état de moine, vie monastique. Monastère: ensemble des bâtiments contenus par une enceinte, où vit une communauté de moines ou de moniales. Moniale : femme liée par des vœux religieux, vivant en communauté dans un monastère et soumise à la clôture. Moutier : monastère. Nécropole : 1- cimetière antique. 2- dans un établissement monastique, cimetière réservé aux sépultures de personnages de haut rang, généralement les bienfaiteurs du monastère. Nef: 1- partie centrale d'une église, se développant entre sa façade et le carré du transept. 2- par extension, volume architectural dont le développement s'effectue en longueur. None : office célébré à la neuvième heure de la journée monastique, vers 14oul5h. Novice : postulant à la vie monastique, en période de formation au noviciat. Noviciat: 1- partie du monastère affecté à l'accueil et à la formation des novices avant leur entrée définitive dans l'ordre. 2- période de formation du novice. Oblat: enfant donné à Dieu par ses parents ou adultes' offrant au monastère. Il partage la vie des moines, mais n'est pas lui-même moine. Offices: cérémonies liturgiques comprenant les matines (ou laudes), prime, messe, tierce, sexte, none, vêpres, complies, vigiles. Opus Dei : l'œuvre de Dieu, c'est-à-dire le travail que les moines de chœur doivent à Dieu: il s'agit donc des offices. Oratoire: petit espace dépourvu d'autel, réservé à la prière et non à la célébration d'un office. Ordre: ensemble de religieux vivant en communauté et respectant les prescriptions de leur règle. Ordres mendiants : communautés de religieux apparaissant au x 111e siècle, implantées en milieu urbain et se consacrant essentiellement à la prédication et à l'enseignement : Franciscains, Dominicains, Augustins, Carmes ... Parloir, ou auditorium : espace dans le monastère où l'usage de la parole est autorisé. Pigeonnier : voir colombier. Porte des morts: porte située dans l'église ou le cloître, donnant accès au cimetière de la communauté. Porterie: bâtiment situé à l'entrée du monastère, permettant l'accès au monastère.
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Portier : moine posté à la porterie, chargé de l'accueil des personnes extérieures au monastère et du contrôle des allées et venues entre l'extérieur et l'intérieur du monastère. Préchantre : moine chargé de diriger le chant et de régler la liturgie. Prieur: le prieur claustral est un moine désigné pour assister l'abbé à la tête d'une abbaye. Le prieur conventuel est le supérieur d'un prieuré ou d'un monastère qui n'a pas la qualité abbatiale. Prieural (ou priorat) : qui est relatif au titre de prieur ou à un prieuré. Prieuré : monastère dépendant d 'une abbaye. Il est dirigé par un prieur représentant l'autorité abbatiale. Prime : office célébré à la première heure de la journée monastique, vers 5 h du matin. Profès : moine qui, après son noviciat, a prononcé ses voeux. Providence: petit guichet faisant office de passe-plat, entre la cuisine et le réfectoire. Quartier des convers: habitat des convers, indépendant de celui des moines de choeur. Réfectoire : espace réservé au repas commun. Règle: texte précisant les principes de vie et d'organisation d'une communauté religieuse, tant sur le plan spirituel que matériel. Régulier: qui est régi par une règle. Ruelle des convers : couloir entre le quartier des convers et la galerie ouest du cloître, à l'usage exclusif des convers. Sacristain : moine essentiellement chargé des vases, livres et ornements liturgiques et, plus généralement, de l'entretien de l'église. Sacristie: local situé à proximité du transept sud de l'église, servant au rangement des vases sacrés, vêtements et livres liturgiques ... Saint-Gall (plan de) : plan type d'un monastère, proposé au monde monastique à partir du ,xe siècle. C'est sur son modèle que sont élevés la quasitotalité des monastères occidentaux. Salle des moines : salle où les moines de choeur effectuent de petits travaux manuels. Salle des morts : dans l'infirmerie, salle où est déposée la dépouille d 'un mort. Sanctuaire, ou chœur architectural: partie de l'église située en arrière du transept (si l'église en présente un, ou en arrière de la nef s'il n'y a pas de transept), où se tient le prêtre qui officie et où se trouve l'autel principal. Satisfaction : sanction légère obligeant le moine à incliner la tête en signe d'humilité. Scriptorium : espace affecté à la copie de manuscrit et à toutes les activités qui s'y rattachent.
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ABBAYES MÉDIÉVALES
Séculier: relatif au« siècle », à la vie civile, au monde extérieur à l'abbaye. Semainier: moine affecté à une tâche (lecture au réfectoire, service au réfectoire ou à la cuisine) pendant une semaine. Sexte: office célébré à la sixième heure de la journée monastique, vers midi. Spirituel: qui relève de la spiritualité, par opposition au temporel, qui relève des choses matérielles. Stalles: sièges en bois à haut dossier, disposés de part et d'autre du chœur liturgique d'une église, en vis-à-vis, et où les moines de chœur prennent place pour chanter les offices. Surveillant : moine désigné pour veiller à ce que ses frères respectent bien les prescriptions de la règle et les coutumes de l'ordre. Temporel : qui relève des choses matérielles, par rapport au spirituel. Tierce : office célébré à la troisième heure de la journée monastique, vers 9hdu matin. Transept : vaisseau perpendiculaire à la nef, le tout formant une croix. Trésor: reliquaires et reliques, objets liturgiques que les religieux exposent à certaines occasions. Il est ordinairement conservé dans une salle dite « chambre du Trésor», où l'on dépose également les chartes, titres de propriété, actes de donation ... Vaisseau : espace intérieur d'un édifice, se développant sur une longueur importante et sur une bonne hauteur. Une nef ou un collatéral peut ainsi être appelé « vaisseau ». Vêpres: office célébré en fin d'après-midi, entre none et complies, vers 17 h. Vigiles : office célébré au milieu de la nuit, vers 2 h du matin. Visiteurs: moines chargés par la maison mère de visiter, c'est-à-dire d'inspecter les établissements qui dépendent de celle-ci, afin de régler d'éventuels problèmes ou de s'assurer que la règle et les coutumes y sont bien respectées. Viviers: pièces d'eau, bassins ou étangs destinés à la pisciculture. Vœux: c'est la promesse solennelle qui engage le moine à vivre dans la pauvreté, la chasteté et l'obéissance. S'y ajoute l'engagement de stabilité qui oblige le moine à vivre dans la clôture monastique.
GLOSSAIRE
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INDEX DES NOMS DE LIEUX Les pages indiquées en caractères gras renvoient aux photos. Agen (Lot-et-Garonne) 96, 144 Aiguebelle (Drôme) 79, 126, 182, 248 Aix-la-Chapelle (Allemagne) 35, 130, 193 Alep (Syrie) 19 Almeval (Isère) 86, 88 Angoulême (Charente) 10 Aniane (Hérault) 35 Angers (Maine-et-Loire) 125 Annegray (Haute-Saône) 30 Arbrissel (Ille-et-Vilaine) 80 Arles (Bouches-du-Rhône) 10 Aubazine (Corrèze) 34, 34, 51, 74, 75, 79, 121, 121, 142,142,151,200,202,204,242 Aubevaux (Isère) 86 Aulps (Haute-Savoie) 79 Avignon (Vaucluse) 10, 52, 57,90, 92 Avranches(Manche) 13 Bâle (Suisse) 130 Baume-les-Messieurs (Jura) 30, 30, 42, 103, 103, 212,213,213 Beaubec (Seine-Maritime) 194 Beaulieu-en-Rouergue (Tarn-et-Garonne) 242, 244,244 Beaulieu-sur-Dordogne (Corrèze) 49,220,222,222 Beauvais (Oise) 208 Bec-Hellouin, Le (Eure) 178,212,262 Bénévent (Italie) 58 Boischaud, Villars (Dordogne) 89, 89 Bonnemazon (Hautes-Pyrénées), l'Escaladieu 242 Bonnevaux (Isère) 246 Boquen (Côte-d'Armor) 242 Boscodon (Hautes-Alpes) 87, 87, 88, 88, 211, 256, 258,258 Bourgueil (Indre-et-Loire) 171 Brantôme (Dordogne) 230,231,231 Brioude (Haute-Loire) 51, 55,232 Cadouin (Dordogne) 36, 36, 147, 147, 148, 197, 197,242,251 Caen (Calvados) 212 Candes (Indre-et-Loire) 143 Carennac (Lot) 220
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Cerisy-la-Forêt (Manche) 212,214,214 Césarée (Turquie) 24, 28 Chaalis (Oise) 199, 201, 202, 242 Chaise-Dieu, La (Haute-Loire) 10, 51, 51, 52, 52, 53,53, 54/55,54, 56,56,57,57,89,93,98, 129,132, 133,147, 160/161 , 161,230,230,232,233 Chalais, Voreppe, (Isère) 50, 86, 86, 87, 88, 89, 93, 98,256,257,257,258 Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) 70 Charité-sur-Loire, La (Nièvre) 49,220,223,223 Charlieu (Loire) 224, 224 Charroux (Vienne) 132,212 Chassay-Grammont (Vendée), Saint-Prouant 60, 60,234,236,236 Chinon (Indre-et-Loire) 125 Cîteaux (Côte-d'Or) 30, 52, 70, 73, 77, 78, 78, 79, 87, 88,89,93,98,160,162, 162,202,206,212,242, 243, 243,246,250,262 Clairecombe (Hautes-Alpes) 88 Clairvaux (Aube) 73, 75, 126, 157, 160, 162, 172, 172,183, 184,194,201,202,242,245,247 Clausonne (Alpes-de-Haute-Provence) 88 Clos-Vougeot, Le (Côte-d'Or) 201, 206/207, 206, 208,208 Cluny (Saône-et-Loire) 30, 40, 42/43, 42, 46, 46, 47, 48,48, 49,49,50,51,52, 70, 73, 75,80,89,91,93, 96, 98, 129, 135,135, 136, 155, 178, 180, 180, 181, 181,184,196,211,212,213,219,220,221,221,222, 223,224,225,226, 227,228,229 Cologne (Allemagne) 64 Colombé-le-Sec (Aube) 201 Comberoumal (Aveyron) 62, 234 Commelles (Oise) 202 Compostelle (Espagne) 10, 36, 44, 96,215,222,223, 225,229,231,250,263 Condat, Saint-Claude (Jura) 23 Conques (Aveyron) 94/95, 96, 143, 143, 144, 144, 145,198, 198,212,215,215,264/265,266 Corbie (Somme) 162, 212 Cornay(Ardennes)201 Couvertoirade, La (Aveyron) 98/99, 98 Craon (Mayenne) 80 Cunault (Maine-et-Loire) 45, 45 Déols (Indre) 217
Dijon (Côte-d'Or) 35, 40, 98, 212 Durbon (Hautes-Alpes) 66 Écouges (Isère) 66 Enfide (Italie) 26, Épau, r.; (Sarthe) 10, 141, 152, 173, 242 Fécamp (Seine-Maritime) 40 Ferté, La (Saône-et-Loire) 73,242 Flaran (Gers) 79,141,152,172,211,242 Flavigny-sur-Ozerain (Côte-d'Or) 141, 212 Fleury-sur-Loire (Loiret) ou Saint-Benoît-sur-Loire 14/15, 16,40, 98, 129, 141,160,212,262 Fontaine-lès-Luxeuil (Haute-Saône) 30 Fontaine-Guérard (Eure) 126, 242 Fontdouce (Charente-Maritime) 150/151, 151,212 Fontcalvy (Aude) 77, 77, 202 Fontenay (Côte-d'Or) 79, 106, 114, 114, 132, 139, 139,141,142, 147, 148,151,152,154, 156/157, 157, 163, 165, 172, 173, 173, 191, 191 , 192, 193, 193, 194,194,205,242,245,245 Fontevraud (Maine-et-Loire) 30, 80, 81, 81, 82, 83, 83,84,84,85,89,93,98, 106,108,124,126,127, 127,138,139, 170,171,171,179,179,184,186,192, 197,204,205,211,252,253,253, 254,254,255 Fontfroide (Aude) 77, 79, 126, 146, 147, 152, 166, 166,202,242,246,246 Fontmorigny (Cher) 79, 194, 204, 242 Fourcheret (Oise) 199, 199 Gaillac (Tarn) 230 Galinières (Aveyron) 202 Ganagobie (Alpes-de-Haute-Provence) 152,220 Gaussan(Aude)202 Graînetière, La (Vendée) 263, 263 Grammont (Vendée) 234 Grande Chartreuse, La (Isère) 64, 65, 65, 66, 68, 86, 87,88,89,93,98, 124,203,203,238,239,239,256, 257,258 Grandmont (Haute-Vienne) 58, 59, 60, 93, 98,234, 235,236,237 Granges-le-Roi (Essonne), Notre-Dame de !'Ouye 234,237,237 Grenoble (Isère) 64, 86, 87 Guebwiller (Haut-Rhin) 216 Hambye, La (Manche) 132, 151, 152/153, 152, 153, 154, 194/195, 195,212 Hautecombe (Savoie) 202, 202, 242 Hippone (Algérie) 25 Igny (Marne) 148 Inden (Allemagne) 35 Jouarre (Seine-et-Marne) 30,141,212 Jumièges (Seine-Maritime) 30,212,214,214 Lavaudieu (Haute-Loire) 147,211,230,232,232 Laverq (Alpes-de-Haute-Provence) 88
Lencloître (Vienne) 85, 85, 205, 252, 255, 255 LEncloître-en-Chaufournais (Indre-et-Loire) 85 Léoncel (Drôme) 79, 242, 246, 246 Lérins (Alpes-Maritimes) 22, 22, 23, 124, 129, 147, 220,259 Lessay (Manche) 151 Ligugé (Vienne) 21 Lilles (Nord) 208 Limoges (Haute-Vienne) 58 Lodève (Hérault) 234 Longpont(Aisne) 132,134, 134,165,165,242 Longpré(Aisne)252 Luxeuil (Haute-Saône) 29, 30 Mâcon (Saône-et-Loire) 42 Maguelonne (Hérault) 34 Mans, Le (Sarthe) 10 Marmoutier (Indre-et-Loire) 21, 114, 129, 132, 171, 200,212 Marsal (Moselle) 202 Marseille (Bouches-du-Rhône) 22, 22, 23, 212 Massay (Cher) 220 Masse, La (Aveyron) 202 Maubuisson (Val-d'Oise) 178, 242 Mazan(Ardèche) 129,129,147,242,248,249 Mègemont (Puy-de-Dôme) 79 Meslay (Indre-et-Loire) 200,200,201 Meyriat (Ain) 66 Moissac (Tarn-et-Garonne) 49, 96, 97, 147, 212, 220,225, 225 Molesme (Côte-d'Or) 70, 242 Mont-Cassin (Italie) 16, 27, 27, 28, 34, 51 Montier-la-Celle (Aube) 70 Montmajour (Bouches-du-Rhône) 36, 124,129, 212 Mont-Saint-Michel, Le (Manche)lO, 11, 12/13, 13, 36,37,37,40,115, 115,124,129,134,147, 160,166, 192,196,196,211,212,262 Montsoreau (Maine-et-Loire) 125 Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) 125 Morimond (Haute-Marne) 73, 194, 242 Mortemer (Eure) 194, 205 Murbach (Haut-Rhin) 212, 216,216 Muret (Haute-Vienne) 58 Noirlac (Cher) 79,140, 141,147,151,165,166,172, 173,183, 183, 242, 247, 247 Noirmoutier (Vendée) 141 , 212, 219, Nursie (Italie) 26 Oléron, île d' (Charente-Maritime) 201 Orsan (Cher) 82, 85, 252 Ottmarsheim (Haut-Rhin) 212 Ourscamp (Oise) 185, 185 Paray-le-Monial (Saône-et-Loire) 49, 141,141,220, 226,226
INDEX DES NOMS DE LIEUX
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Paris 80, 136, 166, 220, 227 Poitiers (Vienne) 21, 125 Pontigny (Yonne) 73, 183, 201, 242 Pontlevoy (Loir-et-Cher) 171 Portes (Isère) 66 Prads (Alpes-de-Haute-Provence) 88 Puy-Chevrier (Indre) 62 Puye, La (Vienne) 85 Reims (Marne) 64,148 Ré, île de (Charente-Maritime) 91, 91 Reichenau, La (Allemagne) 130 Rennes (Ille-et-Vilaine) 80,208 Relay (Indre-et-Loire) 85 Reposoir, Le (Haute-Savoie) 238 Rhuys (Morbihan) 211, 212, 217,217 Roë,La(Mayenne)80 Rome (Italie) 10, 16, 26, 36, 37, 46, 64, 65, 77, 90, 92 Royaumont (Val-d'Oise) 10, 38/39, 40, 166, 169, 169,176,177,178,178,182,189,189,242 Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret), voir Fleury-sur-Loire Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) 162,184,212 Saint-Florent (Maine-et-Loire) 171 Saint-Flour (Cantal) 55 Saint-Gall (Suisse) 16, 49, 53, 57, 62, 68, 78, 84, 124, 126,126,127,130,131 , 131, 135,146,159,162,164, 177,181,184,188,204 Saint-Germain-des-Prés (Paris) 166 Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault) 204, 212, 260/261, 263 Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) 29 Saint-Martin-des-Champs (Paris) 166, 169, 220, 227,227 Saint-Martin-du-Canigou (Pyrénées -Orientales) 122/123, 124,212,262,262 Saint-Michel-de-Cuxa (Pyrénées-Orientales) 146, 146,212,217,217 Saint-Michel-de-Grandmont (Hérault) 60, 61, 63, 63,147,186,187,234,235,235,236 Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme) 230 Saint-Ouen-l'Aumône (Val-d'Oise) 201 Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique) 32, 32,45,212 Saint-Robert (Corrèze) 230,233,233 Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne) 212,218,218 Saint-Seine (Côte-d'Or) 34,212 Saint-Wandrille (Seine-Maritime) 166,212 Sainte-Catherine (Sinai1 23, 23 Sainte-Marie de la Torre (Italie) 64, 65, 66 Salagon (Alpes-de-Haute-Provence) 212 Saumur (Maine-et-Loire) 125, 171
276/LES ABBAYES MÉD IÉVALE S
Sauve-Majeure, La (Gironde) 44, 44, 98, 212 Sauvigny-le-Bois (Yonne), Saint -Jean-desBonshommes 62,234,237, 237 Savigny (Manche) 51, 98,242 Puye, La (Vienne) 85 Ré, île de (Charente-Maritime) 91 , 91 Reichenau, La (Allemagne) 130 Sénanque (Vaucluse) 79, 125, 126, 136, 141, 146, 147,152,164,164,172,173,242,248,248 Seuilly (Indre-et-Loire) 113, 113 Silvacane (Bouches-du-Rhône) 79, 125, 141, 146, 147,154,242,248,248 Souvigny (Allier) 220, 228, 228 Subiaco (Italie) 26 Sylvanès(Aveyron)79, 152, 158/159,159,172,242, 250,250 Sylve-Bénite (Isère) 66 Tabennèse (Égypte) 21, 24, Terracina (Italie) 27 Thézillieu (Ain) 66 Thiers (Puy-de-Dôme) 58 Thoronet, Le (Var) 79, 125, 125, 141, 146, 147, 149, 149,151,152,154,173,174,175,182,242,249,249 Thiron-Gardais, Tiran (Eure-et-Loir) 51, 98 Tonnerre (Yonne) 70 Toulouse (Haute-Garonne) 215 Tournus (Saône-et-Loire) 32, 45,212,219,219 Tours (Indre-et-Loire) 21, 44, 64,125, 143,160,215 Trizay (Charente-Maritime) 230, 233,233 Trois-Fontaines (Marne) 126 Valbonne (Alpes-Maritimes) 88,256,259,259 Valbonne (Gard) 126, 238, 240, 240 Valmagne (Hérault) 126, 147,152,242,251,251 Vaucelles (Nord) 183, 242 Vauclair (Aisne) 92, 92 Vauluisant (Yonne) 126, 242 Vaux-de-Cernay (Yvelines) 163, 163, 242 Vendôme (Loir-et-Cher) 171,212 Verne, La (Var) 240, 240 Vézelay (Yonne) 49, 75, 220, 229, 229 Vicovaro (Italie) 26 Villefranche-de-Rouergue (Aveyron) 166, 167, 169, 238,241,241 Villeneuve-lès-Avignon (Gard) 190, 190, 192, 238, 241,241 Villeron (Oise), Vaulerent 201, 205, 205 Villesalem (Vienne) 85, 252, 255, 255
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A B BA YES M ÉD I ÉVALES
MONOGRAPHIES Presque tous les monastères ouverts au public proposent à leurs visiteurs une monographie. En voici quelques-unes: - Éditions Ouest-France (Rennes, Ille-et-Vilaine), dans leur collection « Monuments » : Beauport, Boscodon, Cluny, Fontenay, Fontevraud, Jumièges, L'Épau, La Chaise-Dieu, Le Mont-Saint-Michel, Le Thoronet, Maubuisson, Moissac, Noirlac, Paray-le-Monial, Royaumont, Saint-Benoît-sur-Loire, Saint-Denis, Saint-Guilhem-le-Désert, Saint-Michel-de-Frigolet, Saint-Savin, Silvacane, Tournus, Vézelay ... - Éditions Gaud (Moisenay, Seine-et-Marne), dans les collections« Monuments et histoire» et« Le Monde cistercien » : Bec-Hellouin, Caen, Cîteaux, Conques, Fontenay, Fontevraud, Fontfroide, Ganagobie, La Grande-Chartreuse, Longpont, Saint-Savin-sur-Gartempe, Saint-Wandrille, Sénanque, Valmagne, Vaucelles, Vaux-de-Cernay ... - Zodiaque (La Pierre-qui-Vire, Yonne), dans sa collection« Les Travaux des mois»: Conques, Le Mont-Saint-Michel, Les Sœurs provençales, Saint-Benoît-surLoire, Vézelay ... Pour se plonger dans l'univers des monastères médiévaux ECO (Umberto), Le Nom de la Rose, Le livre de poche, Grasset, 1983 POUILLON (Fernand), Les Pierres sauvages, Seuil, 1964
MONOGRAPHIE 5 /
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CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
Hervé Champollion / akg images : pages 8-9, 11, 14-15, 17, 22 bas, 32, 34, 37, 49, 51, 52, 53, 54-55,56,57,60,61,65, 74, 77,87,88, 115,121, 122-123, 125,129,134,138,139,140,142,146, 147,149,150, 152-153, 156, 158-159, 161,162, 163, 164,165, 166,167,169,170,171,172, 173, 176, 178, 180, 181, 183, 185, 187, 189, 190, 192 (Bibliothèque d'Avranches), 193, 196,199,200, 206-207, 208,214 bas, 215,216,217,218,223, 224,229,230,231,232,233 haut, 235,236,239, 241, 243, 244, 246 bas, 247, 249, 250, 258, 259, 262,263. Ilya Shimanskiy / Adobe Stock: pages 12-13. Plans de l'auteur: pages 16, 62, 68, 69, 128, 131, 136,142,143,145,146,148,150,154,156,163, 164,166,169,172,181,182. Yvan Travert / akg images: pages 18, 30, 46, 97, 135, 195, 214 haut, 221,226, 228. akgimages:pages20,21,26,33,41,64,66, 71, 76, 101, 111, 126. Bruno Barbier / akg images : pages 22 haut. Erich Lessing/ akg images: pages 23, 264-265. Philippe Maillard / akg images : page 24. Michel Dieuzaide / akg images : page 25. Bildarchiv Monheim /akg-images: pages 27, 84,245. British Library / akg images: pages 28, 31, 72, 102,105,109,110,119,137,155. Hippolyte Gance!: page 29. De Agostini / Albert Ceolan / akg images : pages 36, 94-95, 103, 197. Catherine Bibollet / akg images: pages 38-39, 90,113,205, 237 haut, 251.
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A BBA YES M ÉD I ÉVALES
Album/ Joseph Martin /akg images : pages 43,227. Bernd I Adobe Stock: page 44. Alfons Rath /akg images: pages 45, 127. De Agostini / Biblioteca Ambrosiana / akg images: page 47. Florent Pey / akg images : pages 48, 78. Jean-Claude Varga/ akg images: page 58. lnterfoto / Sammlung Rauch / akg images : page 59. Rysan34 / Adobe Stock: page 63. World History Archive/ akg images: pages 67, 203. Collection del' auteur: pages 80, 179. CDA /Guillot/ akg images: pages 81, 254. Fototeca Gilardi / akg images : page 82. Schütze / Rodemann / akg images : pages 83, 141,219,248 bas, 253. Photos de l'auteur: pages 85, 114, 133, 255. Picture-alliance / Godong / akg images : pages 86,257. Xavier Planche / Adobe Stock: page 89. Sergii Zinko / Adobe Stock: page 92. Picture alliance / Zoonar / akg images : pages 99,222. Stefan Diller / akg images : page 100. Orsi Battaglini / akg images: page 107. Album / Prisma / akg images : page 112. Bibliothèque Royale de Belgique : pages 117, 168. Paul M.R. Maeyaert / akg-images: page 143. Jean-Marie Maillet/ Adobe Stock: page 144. Olivier Martel / akg images : page 175.
Florent/ Adobe Stock : page 191. Jürgen Raible / akg images: page 194. Michel Gounot / Godong / akg images : page 198. Monique Pouzet / Adobe Stock: page 202. Jefwod / Adobe Stock: page 213. L. M. Peter / akg images : page 225. Philippe Graille Photo / Adobe Stock: page 233 bas. Thierry/ Adobe Stock: page 237 bas. Bernard Girardin / Adobe Stock : page 240 haut. Rainer Hackenberg / akg images : page 240 bas. Von Linden / akg images : page 246 haut. Fred de Noyelle/ Godong / akg-images: page 248 haut. Fovivaphoto / Adobe Stock: pages 260-261.
CRÉDITS PHOTO GRAPHIQUES /
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TABLE DES MATIÈRES SOMMAIRE
7
AVANT-PROPOS
9
LES ORIGINES DU MONACHISME OCCIDENTAL Les premiers temps . . Premiers principes de vie communautaire. . . . . . . . Saint Benoît de Nursie, Père des moines d'Occident . . . . Le message de saint Benoît . . Monastères mérovingiens et carolingiens . . . . . . . . . Vers une règle unique . . . L'âge d'or des monastères.
15 .16
. 23 . 26 . 28 . 30 . 34 . 35
LES PRINCIPAUX ORDRES MONASTIQUES AU MOYEN ÂGE 39 Les anciennes abbayes bénédictines . . . ... ... . . . . .... ... . .. 40 Cluny, la richesse au service de Dieu ........................... 42 La Chaise-Dieu, une abbaye sous protection pontificale ..... ...... . . . 51 Grandmont, à la recherche de l'authentique pauvreté ..... . . . ..... 58 La Grande Chartreuse, solitude et communauté . .... . ... . . . . . ........ 64 Cîteaux, le rêve de l'absolue perfection ... . . .. ..... . ........... . 70 Fontevraud et les servantes du Christ ... .. ....... . . .... ..... . . . 80
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A 8 8 AYE 5 M ÉDI ÉVA LE 5
Chalais, des ermites bergers et bûcherons .... ........ .. . . . .. ....... 86 Fin de la grande épopée monastique . 89
LA COMMUNAUTÉ MONASTIQUE 95 Les composantes de la communauté monastique ................... . ... 96 La hiérarchie monastique .......... 104 Le rythme du temps monastique ... 118 L'ABBAYE MÉDIÉVALE, CITE IDÉALE 1 23 Le site . . ... . .. . .... . ... ........... 124 Le plan ............... . . . .. . ...... 126 L'enceinte ............ . . . .. . .... . . 129 L'entrée ........................ . . 132 Le logis abbatial. ... . . . . . ........ . . 135 L'église .. .. .. . .. . .... ... . . .. . ... . . 136 La sacristie ....................... 142 La chambre du trésor . . ............ 143 Le chartrier (ou cartulaire) ........ . 145 Le cloître ............. ... . .. ...... 146 Le lavatorium ................ . ... . 148 La salle capitulaire ............... . 150 Le parloir (ou auditorium) ......... 154 Le scriptorium ....... ... . . ........ 156 La librairie ........... ... . . . .. .... . 160 La salle des moines ..... . ...... . .. . 163 Le chauffoir ...... . .. . ............ 164 Le réfectoire ....... . . . ......... . .. 166 Les cuisines . ......... . .. ... ... .. . 169 Le dortoir .. . .............. . . . . . .. 172 Les bains et les latrines . ........ .. . 177 La cellerie . . . ... . ................. 178
Le noviciat . .. . . . . . . . .. .... . . . . . .. 181 Le quartier des convers . ..... . .. . . . 182 Linfirmerie .. . ................. . .. 184 Le cimetière ... .. . . ... ... ... . . . ... 186 Les jardins .... .. .. . . . . .. . .. . . . . . .. 188 Les cachots .......... . ............ 190 Les ateliers ....................... 193 Le domaine abbatial. ... .. ......... 195 Les forêts .. .. . . . ... .. . .. .... ... . .. 197 Les granges .................. . . . . . 199 Les viviers ............ . .... ... .. . . 203 Le colombier ..................... 204 Le vignoble . .. . . .. ........ . ...... . 206
LA FRANCE DES ABBAYES MÉDIÉVALES 21 1 Les abbayes bénédictines . ...... . .. 212 Lordre de Cluny ........... .. ... .. 220 LOrdre de La Chaise-Dieu ... . ...... 230 LOrdre de Grandmont . . ......... . . 234 LOrdre de la Grande Chartreuse .... 238 Lordre de Cîteaux . . . .... . .. . . . . . .. 242 Lordre de Fontevraud . . ..... . ... .. 252 L ordre de Chalais ................. 256 CONCLUSION
261
GLOSSAIRE
265
INDEX
274
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
277
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
280
TA B LE D ES MATI ÈRES /
283
Éditions OUEST-FRANCE Éditeur Matthieu Biberon Coordination éditoriale Caroline Brou Conception graphique et m ise en page Studio graphique des Éditions Ouest-France Cartographie Patrick Mérienne Photogravure Graph&Ti, Rennes (35) Impression SEPEC, Péronnas (01) - 08311230127
© 2022, Éditions Ouest-France - Édilarge SA, Rennes ISBN: 978-2-7373-8831-6 N° d'éditeur : 10926.01.2,5.03.23 Dépôt légal : mars 2023 Imprimé en France ed itions.ouest-fra nce.fr
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