Léon Sédov, fils de Trotsky, victime de Staline 2708230220, 9782708230224


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Léon Sédov, fils de Trotsky, victime de Staline
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fils de Trotsky, victime de Staline

Léon Sedov, fils de Trotsky, victime de Staline

Collection « L A PART DES HOMMES » dirigée par Claude Pennetier

Déjà parus :

Gracchus Babeuf, avec les Égaux Jean-Marc Schiappa Lissagaray, la plume et l'épée René Bidouze

Jules Guesde, l’apôtre et la loi Claude Willard Moi, Clément Duval, bagnard e t anarchiste présenté par Marianne Enckell

Eugène Varlin, chronique d'un espoir assassiné Michel Cordillot

Madeleine Pelletier, uneféministe dans l’arène politique Charles Sowerwine et Claude Maignien Clara Zetkin, féministe sans frontières Gilbert Badia

A paraître :

— Eugène Descamps — Marceau Pivert — Renaud Jean

Pierre BROUEÉ

LÉON SEDOV, FILS D E TROTSKY, VICTIME

D E STALINE

Collection « L A P A R T D E S H O M M E S »

Les Éditions Ouvrières 1 2 , avenue Sœur-Rosalie

7 5 0 1 3 Paris

Tous droits réservés © Les Éditions Ouvrières, 1993 I S B N 2-7082-3022-0 ISSN 1158-8004

Imprimé en France

Printed in France

Présentation

C’est le 1 6 février 1938, dans la clinique Mirabeau de la rue Narcisse-Diaz dans le XVe arrondissement de Paris, qu'est mort u n émigré russe d e condition médiocre, hospitalisé sous le n o m de Léon Martin, ingénieur. Son véritable n o m était Lev (Léon) Lvovitch Sedov. Il était le fils de Lev Davidovitch Sedov, n é Lev Davidovitch Bronstein, connu e n politique sous le n o m de Lev Davidovitch Trotsky. L a presse n'a pas fait grand cas de son décès aussitôt expliqué officiellement par u n e péritonite consécutive à une crise d'appendicite rapidement suivie de complications. L'homme, jeune — il avait 3 2 ans —, avait mis e n garde l'opinion pour le cas o ù il mourrait subitement : il assurait qu’il n'avait envie n i de disparaître n i de se suicider mais qu’il craignait d'être assassiné par les hommes de Staline. S o n père avait é t é le compagnon d e Lénine, l'homme qui avait dirigé, e n octobre 1 9 1 7 , l a révolution victorieuse à Petrograd, créé l'Armée rouge e t emporté la

longue et terrible guerre civile contre les appuyés p a r

«

«

Blancs

»

les impérialistes ». Vaincu p a r Staline

dans l a lutte a u sein d u parti bolchevique a u pouvoir à Moscou, exclu d e c e parti, il avait connu l'exil inté-

rieur avant d'être chassé d'URSS. A u moment o ù son fils mourait, il vivait a u Mexique, le seul pays qui avait accepté de le recevoir et avait empêché que le monde soit pour l u i , c o m m e il l'avait prédit, u n e « planète sans visa ».

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Le fait d'avoir été le fils de Trotsky exigeait-il a priori l’intérêt des historiens ? Sedov avait-il sa place dans

la série des biographies que les Éditions ouvrières ont commencé à publier s u r des militants ouvriers, dont

le rôle fut peut-être plus largement connu dans leur temps ?

Trotsky, après tout, avait e u quatre enfants. L a sœur aînée s'était incontestablement suicidée sous les coups des persécutions de Staline. L a deuxième était morte de tuberculose, la maladie des pauvres, dans le pays o ù son père avait conduit la révolution. Son plus jeune frère venait d'être passé par les armes sur ordre de Staline, mais o n n e l'apprit que cinquante ans plus tard. Tous auraient peut-être mérité d'être étudiés. Biographe de Trotsky, j e m e suis posé la question que j e viens de soulever pendant les premières années de m a recherche. Mais j e m e suis très vite convaincu qu’il faudrait u n jour, après avoir livré bataille pour rétablir la vérité sur le père et le restaurer dans sa dimension historique, donner a u fils la place qui avait été la sienne. N o n parce que cet homme, mort jeune, était u n enfant d u sérail des révolutionnaires russes, n é quand

son père était e n prison, l'ayant accompagné e n exil et même sur le front, ayant connu tous les vieux-bolcheviks, joué avec tous leurs enfants, à commencer par son camarade d u Kremlin, Jakov Staline, fils de leur voisin. Plus d'un d e ces j e u n e s gens a , apparemment,

connu la même jeunesse, l a même adolescence de« fils de chef » et une poignée d'entre eux ont réussi avec b e a u c o u p d e c h a n c e à s'infiltrer

aux postes de

commande et àjouir des privilèges des hommes de leur caste.

Plus d’un autre, fils de communiste de s a génération, fasciné par le modèle d u héros révolutionnaire présenté par son père, s'est engagé dans la lutte contre la dictature stalinienne, a vécu, des années durant, une grande traque dont il était le gibier et est mort 8

Présentation

fusillé o u abattu, la plupart d u temps e n secret. Plus d’un communiste de son âge a été pourchassé dans le monde entier et a été u n jour o u l’autre finalement assassiné — sur ordre de Staline — par des équipes spéciales d e tueurs.

Pourquoi Sedov émerge-t-il de cette obscure armée d’une génération liquidée ? D e toute évidence pas seulement parce qu’il était le fils de Trotsky bien que ce que son père a raconté et ce que les collaborateurs de Trotsky ont écrit plus tard de lui, aient contribué à l e faire connaître mais parce que, parmi ces homrnes,

dans ce cadre historique d'une révolution qui traverse une grave crise puis dégénère, il fut sans doute celui qui eut l'horizon historique et universel le plus vaste, qui comprit le mieux et le plus tôt les règles d u tourbillon dans lequel il était entraîné et qui vécut d’un bout à l’autre sa tragédie les yeux ouverts.

A partir de 1929, exilé volontaire, il avait laissé derrière lui s a compagne e t s o n fils auquel il n’a jamais cessé d e penser. Il a aimé plusieurs femmes e t n’a

jamais été heureux. Il a v u assassiner les hommes qu'il aimait e t respectait depuis s o n enfance. Il pleurait e n apprenant leur exécution. Il s e cachait pour vivre e t

tout acte militant, plusieurs fois par jour, le mettait e n danger de mort. Il n e croyait plus qu'il verrait la victoire mais il s'est battu jusqu'au bout. Assassiné à trente-deux ans, il était déjà prématurément vieilli p a r les privations, l a

fatigue, la tension. I l s'appelait Lev Lvovitch Sedov. I l est connu e n France sous le n o m d e Léon Sédov. Les siens l'appe-

laient Liova. Il était le fils de Trotsky : « Cet étudiant prolongé, qui était aussi u n révolutionnaire professionnel de la noble façon qui n’ins-

pire q u e d u respect, cet h o m m e d e trente a n s qui 9

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

cumulait e n lui l'expérience de deux générations et de plusieurs pays, n e mangeait pas à sa faim et n’a sans doute jamais dormi tout son soûl. Mais il faisait peur

a u maître d u Kremlin. » !

1. Pierre Broué, « Ljova le Fiston (ci-après C L T) n° 13, 1983. 10

»,

Cahiers Léon Trotsky,

CHAPITRE PREMIER

U N ENFANT A I M É

Liova est n é à Petersbourg le 2 4 février 1906.

Sa mère, Natalia Ivanovna Sedova, 2 4 ans, étudiante révolutionnaire d u groupe Iskra animé par Lénine, avait été exilée à Paris. S o n père, Lev Davidovitch

Bronstein, qui commençait à être connu sous le n o m

de Trotsky, avait 2 8 ans. Militant révolutionnaire, il avait déjà connu la prison et l'exil. I l avait été marié à une autre révolutionnaire russe, Aleksandra Lvovna Sokolovskaia, dont il avait e u deux filles, Zinaïda et Nina. A u lendemain d e l a Révolution russe d e 1 9 0 5 a u

cours de laquelle il avait été président et animateur d u Soviet de St-Petersbourg, il avait été emprisonné à la forteresse Pierre-et-Paul, puis à celle des Croix, dans la capitale, et préparait son procès dans sa cellule. Le couple n’était pas marié et l'enfant porta donc le n o m de sa mère. Il le conserva, avec une tout autre signification, quand ils se furent mariés selon les lois soviétiques après la révolution qui fit d u n o m de famille l’objet d’un choix personnel des enfants comme des parents. Le père et les enfants prirent le n o m de la mère. Trotsky s’appela donc désormais légalement Lev 11

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Davidovitch Sedov, ses enfants respectivement Lev

Lvovitch Sedov et Sergéi Lvovitch Sedov. Nous n e savons pas quand l'enfant et le père se sont rencontrés. Trotsky indique dans M a Vie que sa f e m m e lui rendait visite dans sa cellule deux fois par semaine, mais mentionne seulement que c'est a u cours de l'une de ses visites qu’elle lui annonça la naissance de

l'enfant. C’est évidemment seule qu’elle avait fait le voyage depuis Térioki — o ù elle s'était réfugiée après l'arrestation de Lev Davidovitch — à Samino o ù elle retrouva son compagnon après sa spectaculaire évasion de Sibérie et son retour dans u n traîneau tiré par des rennes jusqu’au chemin de fer. Ils allèrent ensemble, avec l’enfant — c’est la première occasion o ù son père le mentionne dans M a Vie — à Ogbliou, pas loin d’'Helsingfors (aujourd’hui Helsinki). Cette cohabitation n e dura pas : le père embarqua sur u n bateau qui le menait e n Occident, et Natalia le rejoignit sans le fiston a u lendemain d u congrès d u parti à Londres. Quelques mois plus tard, après u n séjour à deux à Berlin et des vacances e n Bohême, Natalia repartit chercher Liova. Vienne, Zurich, Paris, Barcelone, New York, le camp canadien de concentration d'’Amherst, furent les étapes de leur errance commune a u cours d’un exil de dix ans. En-dehors des absences professionnelles o u militantes d u père, le noyau familial, enrichi de la naissance de Sergéi, dit Sérioja, deux ans après Liova, demeura uni à travers la tourmente. Liova fit la connaissance de sa grande sœur, Zinaïda, d e quatre ans plus âgée q u e lui, q u e

leurs communs grands-parents paternels avaient amenée à Vienne o ù elle vécut quelque temps avec eux.

Elle aussi adorait son père.

Celui-ci avait — privilège rare chez les émigrés — u n emploi stable qui leur procurait u n niveau de vie correct, mais p a s le luxe : il était correspondant e n 12

U n enfant aimé

Occident d’un journal de Kiev, Kieuvskaia MysLl Optimistes, il s'installèrent d'abord à Vienne e n banlieue,

à Hütteldorf, dans une villa de Hüttelbergerstrasse 5 5 dont la mère garda u n souvenir ébloui : montagnes enneigées, jardin. C’est là que naquit Sérioja. Mais il fallut déménager a u printemps, le montant d u loyer ayant doublé. L a famille se fixa alors à Sievering, banlieue plus « démocratique » , écrit Natalia Ivanovna. à l'intérieur de laquelle ils durent déménager encore plusieurs fois, essentiellement pour des raisons financières : d’abord Sieveringerstrasse — 19, (ils durent e n partir à cause d'ennuis avec des voisins) nous n e savons rien de plus. Ils allèrent quelque temps habiter deux pièces dans la maison de Joffé, Frieselgasse, 40. Puis ils s’établirent à Rodlergasse-25/11, o ù ils demeurèêrent jusqu’à leur départ précipité e n 1914!. Les difficultés financières provenaient surtout de ce que Trotsky dépensait u n e petite fortune à soutenir le journal qu'il écrivait, imprimait à Vienne et envoyait e n Russie, avec l’aide d e son a m i A . A . Joffé, la fameuse Pravda de Vienne. En-dehors de Joffé, ils avaient d'autres amis très chers, le couple Kliatchko, Semion

Lvovitch, vieux révolutionnaire russe expulsé de France, e t s a femme A n n a Konstantinovna, ainsi q u e

leurs enfants et aussi le célèbre marxologue D . B . Riazanov dont l a calvitie parfaite suscitait l'admiration et l'envie de Sérioja. Trotsky connaissait beaucoup de monde déjà dans la social-démocratie autrichienne, allemande et bien entendu russe. Kamenev lui rendit

une fois visite, envoyé par Lénine dans une période de tension et de négociations entre groupes. Natalia Ivanovna parle de ses enfants et de la vie qu'ils ont connue à Vienne. « Nos enfants parlaient le russe et e n même temps l'allemand. A ujardin d'enfants et à l’école,

1. Les indications ci-dessus ont été données récemment par u n intéressant article d'Alfred Mansfeld, « Trockij Wien », Archiv, Vienne, 1992.

13

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

ils s'expliquaient e n allemand ; à l a maison, jouant ensemble, ils continuaient à parler la même langue ; mais, dès que leur père o u moi les interpellions, ils revenaient à l'emploi d u russe. Lorsque nous leur parlions allemand, ils éprouvaient une certaine gêne e t répondaient e n russe. A u cours des dernières années, ils s’assimilèrent le parler viennois et le possédèrent merveilleusement.

Ils aimaient à fréquenter la famille Kliatchko,

dans laquelle le maître d e maison, s a femme et leurs enfants déjà grands avaient pour eux nom-

bre d’attentions, leur montraient bien des choses intéressantes et leurfaisaient d e beaux cadeaux. N o s enfants

a i m a i e n t b i e n Riazanou, l e

commentateur bien connu d e Marx. Riazanou, qui habitait alors à Vienne frappait l'imagination d e nos garçons par ses prouesses d e gymnaste et leur plaisait par tout le bruit qu’ilfaisait. (...). Lorsque Liovik entra à l'école, la question d u catéchisme se posa. Selon la loi autrichienne d e l’époque, les enfants devaient être éduqués jusqu’à quatorze a n s dans l a foi d e leurs pères.

Comme il n’y avait aucune indication d e religion dans nos papiers d'identité, nous choisimes pour nos enfants la confession luthérienne, religion qui nous parut la plus portative pour leurs jeunes épaules, pour leursjeunes âmes. L e dogme d e Luther était enseigné par une institutrice, dans l’école même, mais en-dehors des heures de classe proprement dites. Ces leçons plaisaient à Liovik, cela s e voyait à s a frimousse, mais il n ejugeait p a s utile d e s'exprimer longuement là-dessus. A l a maison, u n soir,

comme il était déjà couché,j e l'entendis chuchoter quelque chose dans son lit. J e lui demandai d e quoi il parlait. Il me répondit : « C’est une prière, tu sais ; d y a d e très jolies prières. C'est comme des vers. »

2. N.I. Sedova in L. Trotsky, M a vie (ci-après NDS/LDT, MV), éd. Rieder, t . I , pp. 82-83. 14

Un enfant aimé

Liova semble avoir bénéficié d’une éducation attentive. Une fois les travaux scolaires et, e n supplément, les exercices de russe terminés, tous sous le contrôle d u père, il disposait d’une grande liberté dont il profitait avec son frère et leurs petits camarades viennois. Cet enfant plein d'entrain se donnait tout entier à ce qu’il faisait, s'enthousiasmait, s'acharnait à surmonter les difficultés qu’il rencontrait. II avait plus de pondération et heureusement moins d'esprit de contradiction que son petit frère qui, à six ans, se fit proprement casser l a figure e n criant tout seul « Vivent les Serbes ! » devant une bande de gamins qui hurlaient « Mort aux Serbes » , sur la pelouse d u quartier de Sievering a u début d’août 1914.35 Quelques jours plus tard, c'était la guerre.

À 18 h 10, le 3 août, le père et la mère, avec Liova et son frère, s’installaient dans le train qui allait les conduire à Zürich : grâce à leurs amis social-démocrates, ils avaient été prévenus qu’en tant que « sujets ennemis » , ils allaient être arrêtés par les autorités autrichiennnes et internés le lendemain. L'aventure commençait, une aventure de trois ans, la guerre, qui allait se prolonger par la révolution russe.

L a ville suisse n'allait être qu’une première et brève étape. Bientôt le père partit pour Paris, toujours

comme correspondant de la Kieuvskaia Mysl Une fois installé, dans u n garni d’un hôtel de la rue d'Odessa avant de devenir locataire d’un appartement près d u parc Montsouris, rue de l'Amiral Mouchez, toujours dans le 14€, il fit venir la famille. Entretemps, Liova s'était déjà adapté à une langue nouvelle, le dialecte zurichois, qu'il parlait correctement quand il partit a u

3. L. Trotsky, M V II, p . 86. 15

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

bout de six mois : l'allemand était alors enseigné à Zürich comme langue étrangère. Voilà Liova parisien. Les parents ont découvert u n e

école russe, boulevard Blanqui, qu’il v a fréquenter avec Sérioja jusqu’en 1916, même quand ils se seront éloignés, habitant dans une villa prêtée, à Sèvres. Ils seront e n revanche tout près de l'école quand ils reviendront habiter à Paris rue Oudry. Le père avait conservé à Paris la direction des travaux scolaires des enfants et, dans la mesure d u possible, organisé son propre travail e n fonction de cette tâche prioritaire. Il était pourtant souvent absent, e n voyage, près d u front, quand il allait rendre visite à des hôpitaux militaires de province, o u lorsqu'il prenait part à une conférence, comme celle de Zimmerwald. Les heures que Liova passait e n classe, son père les passait e n bibliothèque, lisant inlassablement e t s e familiarisant

avec les écrits sur les choses militaires, se tenant a u courant de l'actualité par la lecture des journaux, participant aux réunions de rédaction o u autres. A Paris, très vite, Liova parle couramment le français qu’il a appris avec ses petits camarades e n quel-

ques mois : dans M a Vie, Trotsky écrit qu’il a plus d’une fois « envié la désinvolture » avec laquelle les deux garçons parlaient français. Liova s’est v u confier par le père une responsabilité importante : e n allant à l’école avec Sérioja, il dépose tous les jours ses articles — écrits la nuit — à l'imprimerie qui fabrique le quotidien internationaliste de Paris Naché Slovo. Le lien est très fort entre l'enfant et le père qu’il admire profondément, d'une admiration proche de l’adoration.

Le choc est d'autant plus dur quand, le 1 1 octobre 1916, la police se présente rue Oudry et emmène le père pour l'expulser d u territoire français e n direction de l'Espagne. Naché Slovo a une influence considérable sur les ouvriers russes de France, sur les soldats d u corps expéditionnaire russe, et indirectement, comme

l'assure u n rapport de la police française, sur les travailleurs français. Trotsky est à peine e n Espagne 16

U n enfant aimé

qu’il y est arrêté : la police française l'avait dénoncé aux autorités espagnoles comme u n dangereux « terroriste ». Cette séparation brutale fut durement ressentie. Pourtant les enfants crânèrent, se cachèrent sous leurs draps pour pleurer « clandestinement » la nuit, comme écrit le père à u n ami.

Sa correspondance montre qu’il recevait d'eux des lettres affectueuses. Liova s’efforçait de montrer qu’il était u n grand garçon, qu’il épaulait sa mère et qu’il avait la certitude de bientôt revoir son père. Le 2 2 décembre 1916, ce fut chose faite. Trotsky débarqua à Barcelone d u train de Madrid, et après quelques heures o ù o n le retint à l a direction d e l a police,

rejoignit ses enfants à l'hôtel. Il paraît qu’il y a quelques années, u n vieux Barcelonais se souvenait encore d' « u n vrai monsieur habillé de blanc avec u n chapeau d e paille, passant avec ses fils par les Ramblas et le

port

».4

Liova avait retrouvé son père.

Cette fois, ils se lançaient ensemble pour une grande aventure, le voyage e n bateau pour New York. Partis le 2 5 décembre 1916 de la capitale catalane, ils arrivèrent le 13 janvier 1917 e n vue de la statue de la Liberté. Le voyage avait été riche e n expériences et e n informations. Les enfants avaient déjà choisi leur camp dans ce monde o ù l’on souffrait et o ù l’on mourait et dont ils avaient déjà éprouvé l'injustice, l'arbitraire et l a cruauté. Ils dédaignèrent les « stars » d u pont des passagers, dont le poète et boxeur Arthur Cravan était le plus notable. Leur grande joie fut d’avoir découvert sur le bateau u n « républicain » espagnol — le m o t même les enchantait —, u n chauffeur, qu’ils considérèrent 4. José Guttierez Alvarez,

Espagne »,

«

Les Péripéties de Trotsky e n

CLT n° 10, juin 1982.

17

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

comme leur ami et à qui ils portèrent des raisins tout e n écoutant ses professions d e foi politiques avec u n

intérêt passionné, parce qu'ils le sentaient proche des idées familiales. Liova — qui connaissait maintenant les mots espagnols les plus courants — rapporta à son père les déclarations de politique générale de leur nouvel ami : « T u sais, l y à u n homme d e chauffe qui est très gentil ; c’est u n républicain. Comme il a beaucoup voyagé d'un pays à l'autre, il parle dans une langue à lui (...). NH nous a tout très bien expliqué. Il a dit Alfonso (Alphonse XII) et après

il a fait : p a n - p a!n» S Mais bientôt l'Amérique effaça le bateau, la m e r et la république espagnole. New York fut pour les deux enfants u n sujet d’émerveillement inépuisable. Liova restait e n arrêt devant les gratte-ciels et s’efforçait d’en compter les étages, se perdant toujours et recommen-

çant sans cesse, avec l’aide u n peu hésitante d u petit frère. Il s'enthousiasma pour tout ce qui était à l'époque signe de la « modernité » américaine, le montecharge automatique et surtout le téléphone. Il fréquent a pendant deux mois une école américaine et y acquit très vite des rudiments d'anglais. Les deux enfants firent seuls de longues promenades. Ils aimèrent aussi l'automobile o ù u n ami d u père les promenait de temps e n temps : «

Son chauffeur était u n magicien, u n titan, u n

surhomme. L a machine obéissait a u moindre

geste. L e plus grand bonheur était d e se trouver assis à côté d e lui. »6 L a nouvelle de la révolution e n Russie transporta de joie les enfants. Ils savaient que le père lui consacrait tous ses efforts et y plaçait toutes ses espérances. Ils

5 L. Trotsky, M V II, p. 134. 6. Ibidem, p . 145. 18

Un enfant aimé

avaient compris que cela signifiait le retour — même si ce n’était pas vraiment u n retour pour le plus jeune, n é e n exil, et si Liova était parti trop jeune pour avoir le moindre souvenir de son pays. C’est dans l'enthousiasme qu'ils embarquèrent le 2 7 mars sur le Kristianiafjord, qui transportait aussi u n agent secret britannique chargé d e les surveiller et, si possible, d'empêcher leur retour. Aussi, bientôt, ce fut u n nouveau drame. Le 3 avril, u n détachernent de l a marine britannique baïonnette a u canon, montait à

bord d u bateau qui faisait escale à Halifax. Leurs chefs sommèrent les Trotsky et sept autres Russes voyageant avec eux de débarquer. Ils refusèrent et les marins les débarquèrent de force sans ménagement. Le père raconte : « Comme une dizaine d e matelots m e tenaient et m e portaient, m o n fils aîné courut à m o n secours et, frappant u n officier d e son petit poing, me cria : “ Faut-il le taper encore, papa ? " IL avait onze ans. Il venait d e prendre s a première leçon sur la démocratie bourgeoise. »*

U n auteur canadien, qui n e les a jamais rencontrés, s e contente d e nous raconter c e q u e Liova e t s o n frère,

assignés avec leur mère à résidence, Market Street, chez l'interprète russe de la police de Halifax, le fruste David Horowitz, ont « p u voir » pendant les dix premiers jours d e l'internement d u père : l e va-et-vient des

ouvriers e n semaine, le ballet des voitures à cheval

samedi et dimanche et tous les produits agricoles d u

grand marché couvertB. L a réalité était beaucoup moins riante. Liova et son frère n e pouvaient sortir sans la compagnie d'un « ange gardien » et, tous les jours, avec leur mère et une

7. Ibidem, pp. 149-150. 8 . Philip Blakeley, « Trotsky i n Halifax

»,

The Atlantic Advo-

cate, novembre 1964.

19

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

parente d e leur « hôte », Fanny Horowitz, ils allaient

pointer » à la police. A u bout de dix jours, le régime qui leur était imposé fut assoupli et la famille s'installa à l'Hôtel d u Prince George.

«

Pendant ce temps, Trotsky, interné dans u n camp de prisonniers de guerre allemands à Amherst, y menait l'agitation révolutionnaire internationaliste, parlait de son camarade Karl Liebknecht (l'homme qui venait de dire : « L’'ennemi est dans notre propre pays ») aux marins allemands et mettait le camp sens dessus dessous.

L'opinion internationale était alertée. Le gouvernement provisoire russe fut obligé de protester. Le 2 6 avril, Trotsky fut libéré sous les acclamations de ses co-détenus de quelques jours, retrouva femme et enfants heureux de le récupérer après cette grosse émotion et tout le monde repartit sur le Helig Olaf o ù il y avait encore u n agent secret britannique que les enfants n e devaient pas parvenir à démasquer.

À l’arrivée à Petrograd, gare de Finlande, Liova a une nouvelle vive émotion : u n e grappe d'hommes se jette sur s o n père e t l'empoigne. Recommence-t-on ici l e

drame de Halifax ? Non. A u contraire. O n le porte e n triomphe. L'enfant se détend : o n veut d u bien à son père.

Liova n e le sait pas, mais e n arrivant à Petrograd, il est entré e n plein dans l'Histoire. E t le merveilleux, à ses yeux d'enfant, c’est q u e s o n père incarne l'Histoire,

v a de réunion e n meeting o ù o n l'acclame : il est pour lui le héros de cette révolution qui l’a attendu.

I l v a s'y immerger. Enfant choyé, curieux, informé, attaché à ses parents, il est soudain privé d'eux, suroccupés et qui le laissent e n grande partie livré à lui-même avec son petit frère. Autour de lui, c’est la Révolution qu'il identifie à son père et sur la victoire 20

U n enfant aimé

de laquelle il porte toute sa passion brûlante, s a capacité d'enthousiasme, s a fièvre d e dévouement.

Il fait dès lors son expérience de façon indépendante, suivant le fil de la révolution, la lutte contre la guerre, les hommes comme Lénine qu'il admire parce qu’ils sont les amis d u père. Il se bat à son rang, à sa place d'enfant. Sa mère travaille d’abord a u syndicat des ébénistes ; après Octobre, elle travaillera à la direction des musées. Elle n’est libre que le soir. Le père, lui, est partout, sauf à la maison o u juste pour u n passage-éclair. O n entend parler de lui. Liova aime ceux qui l’aiment, hait ceux qui le haïssent, lui et ses amis. L a famille a été quelque temps hébergée chez l'ancien « serrurier » Loguinov, compagnon de 1905, e n réalité étudiant riche redevenu le bourgeois Sérébrovsk y qui se révèle patriote. Les Trotsky quittent sa maison. L'homme invite les enfants, leur fait servir u n magnifique goûter, cherche à les séduire. Pour lui être agréable, Liova lui parle d u dernier discours de Lénine et l'homme répond que Lénine est u n espion allemand. C'en est trop pour le petit Liova qui bondit et clame que

C’est une cochonnerie » ®. Les relations cessent. Les enfants sont amèrement déçus a u lendemain de l'échec prolétarien des « journées de juillet » à Pe«

trograd, dermni-insurrection prématurée pour le reste d u pays, quand le père est arrêté et Lénine e n fuite : «

Qu'est-ce q u e c'est q u e cette révolution, di-

saient-ils d'un ton d e reproche à leur mère, si o n enferme papa tantôt dans u n camp d e concentration et tantôt e nprison ? Leur mère était d'accord avec eux, leur disant que ce n’était pas encore la vraie révolution. Mais des gouttes amères d e scepticisme s’infiltraient e n eux. » 1 0

9 . L'Trotsky, M V II, p. 134. 10. Ibidem, p . 165.

21

Léon Sedov, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Leur mère les emmène, pour les mettre u n peu à l'écart d u tumuilte et des dangers, à Térioki, dans une famille o ù ils sont d’abord très heureux, nageant et péchant à longueur dejournée. Mais, à table, des hôtes ont traité Lénine et Trotsky d'agents allemands et les enfants, armés l’un d’un couteau et l’autre d’une chaise, se sontjetés sur les insulteurs. Elle les retrouve le soir, enfermés dans leur chambre comme deux assiégés, n'ayant pas mangé de la journée, « accroupis dans u n coin, partagés entre une morne fureur et une sorte d e désespoir », méditant l'évasion e t le retour à

pied. Elle préfère les ramener à Petrograd.!! Ils vont rendre visite à leur père e n prison, lui apportent des vivres e t écoutent ses leçons d'enthousiasme e t d e

patience. Mais la mère est horrifiée quand elle découvre qu'ils voyagent sur les tampons des trams. Comme a u temps de Vienne, il faut faire le coup de poing. A l'école, de petits camarades traitent Liova d'agent allemand (ailleurs o n dirait de « Boche »). O n le surnomme« le fils d u Président » . Il cogne et n’a peur de rien n i de personne. L'école, bouleversée par la révolution, est plus u n champ de bataille qu’un lieu d'éducation et d'instruction. Liova v a oublier toutes ses connaissances livresques, et même les langues qu'il parlait allégrement. Mais il s'instruit et se trempe à l’école d e l a rue, a u croisement entre les masses q u i aiment s o n père e t ceux qui le haïssent a u moins aussi

fort. Il monte la garde devant l’idole paternelle qu’il n e voit que rarement mais se sent à ses côtés quand il se bat pour lui et contre ceux qui le calomnient. L a mère réussit à obtenir l'autorisation de les faire manger avec elle, à la cantine d u syndicat des menuisiers-ébénistes.

Elle raconte qu’un jour il arriva à midi avec la main droite ensanglantée. Les compagnons de table lui demandèrent c e qui lui était arrivé e t il répondit simple-

ment qu'il avait été mordu par le jeune Kerensky, fils d u chef d u Gouvernement provisoire : 11. N.l. Sedova in Victor Serge, Vie et Mort de Trotsky (ci-après NIS, VS/VMT), p . 53. 22

U n enfant aimé « J e lui

e n ai mis une dans les dents. »!2

Bien sûr, les enfants ont leurs amitiés. Nadejda, la fille d u premier mariage d'A.A. Joffé, Nina, la fille de V.V.Vorovsky, sont dès cette époque les grandes amies de Liova. Ils voient souvent leurs grandes sœurs, Zina et Nina, les filles d u premier mariage de Trotsky, et leur mère, Aleksandra Lvovna, qui demeure très proche de leur père et à laquelle Liova s'attache beaucoup. Ils se font leurs propres relations. Ils vont par eux-mêmes faire connaissance d’un homme jeune qui sera leur véritable ami et marquera de son empreinte le destin de la famille entière. Ils rencontrent e n effet à l'Institut Smolny, centre d u gouvernement, le marin révolutionnaire Nikolaï Georgiévitch Markine. Trotsky a raconté cet épisode capital de la vie de Liova qui, plus tard, militant de l’Opposition, adoptera le pseudonyme de N.G. Markine : « Lorsquej e fus sorti d e la prison d e la “démocratie révolutionnaire”, nous nous installâmes

dans u n petit logement que louait la veuve d'un journaliste libéral, dans une grande maison bourgeoise. L apréparation d'Octobre battait sonplein. J e devins président d u soviet d e Petrograd. M o n n o m était décliné d e toutes les façons dans la presse. Dans l'immeuble que nous habitions, nous étions d e plus e n plus cernés par une muraille d'hostilité et d e haine. Notre cuisinière Anna Ossipova, devait subir les attaques des ménagères lorsqu'elle s e rendait a u comité domiciliaire pour chercher d u pain. M o nfils était persécuté à l’école (...) Lorsque m a femme revenait (...), le portier principal l'acompagnait d'un regard haineux. C'était u n supplice que d e monter l'escalier. D eplus e nplus souvent, notre logeuse téléphonait pour savoir si ses meubles n'avaient p a s été mis a u pillage. Nous aurions voulu changer d'appar-

12. Natalia Sedov Trotsky, « Father and Son » , Fourth International, août 1941.

23

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

tement, mais o ù a l l e r? Il n'y en avait pas un de libre e n ville. L a situation devenait d eplus e nplus

intolérable. E t voici qu’un beaujour — u n beaujour, vrai ment — ce blocus cessa, comme si quelqu'un était venu l'enlever d u revers d e la main. L e portier principal, a u retour d e m afemme, lui adressa le salut auquel n'avaient droit que les plus influents des locataires. A u comité domiciliaire, le painfut délivré sans retards et sans menaces. Personne n e nousfermait plus laporte a u nez, e n lafaisant claquer. Q u i donc était parvenu à c e résultat ? Quel magicien ?

Cefut l’œuvre d e Nikolaï Markine. ILfaut parler de lui, car c’est grâce à lui, grâce à une collectivité de Markine, que la révolution d'Octobre a triomphé. Markine était u n marin d e la Baltique, canon nier et bolchevik. (...) J e n e savais encore rien d e son existence qu'il avait déjàpris sur lui d e veiller sur notre famille. Il avait fait connaissance avec nos garçons, leur avait offert à l'Institut Smolny, d u thé et des tartines ; plus généralement, il leur avait dispensé les petites joies dont ce temps rigoureux était s i avare. Sans e n avoir l'air, il

venait voir si tout marchait bien chez nous. J e n e soupçonnais p a s son existence. P a r nos garçons,

p a r Anna Ossipova, il sut que nous vivions dans u n camp ennemi Il vint jeter u n coup d'œil chez le portier principal et a u conseil domiciliaire ; j e crois qu’il n e vint pas seul, mais avec u n groupe

de marins. Il dut trouver des mots trèspersuasifs, car tout changea brusquement autour d e nous. C’est ainsi qu'avant Octobre, u n e dictature d u

prolétariat, pour ainsi dire, s’établit dans notre maison bourgeoise. C e n’est que plus tard que nous avons appris que nous le devions à u n marin

de la Baltique, ami de nos enfants. » ! 3

1 3 . L.Trotsky, MVII, pp. 166-167.

24

U n enfant aimé

Nikolaï Georgévitch!4 avait 2 4 ans. Avant d’être mobilisé dans la marine, il était monteur électricien. Il traitait les enfants e n égaux, leur faisait des confidences sur le grand chagrin d'amour qui l’assombrissait parfois, leur enseignait la vie telle qu’il la connaissait, le combat. Dans les caves de Smolny, il leur apprit à manier les armes à feu et à tirer : il savait combien c'était utile dans la vie. Trotsky écrit encore : « Ce tendre ami, qui avait ouvert e n égal son âme à nos enfants était également u n vieux loup

de mer et u n révolutionnaire, u n véritable héros, comme dans le plus merveilleux des contes. »15 C’est pour sa vie qu’ils tremblent dans les journées d'Octobre, quand l'intrépide marin, à la tête d'un détachement armé affronte l a pègre qui pille les caves

nobles et bourgeoises et détruit les stocks de vins fins et de liqueurs. Ils l'attendent chez lui avec angoisse. Déjà pourtant Markine leur échappe. Trotsky se l’attache comme secrétaire général aux Affaires étrangères quand il e n est commissaire d u peuple, a u

lendemain de l'insurrection victorieuse. Markine qui fait tourner le ministère, met u n terme à la grève des hauts fonctionnaires, arrête quelques « résistants » trop bruyants, décide et réalise la publication de documents diplomatiques jusque-là secrets. Q u a n d Trotsky devient commissaire d u peuple à l a

Guerre, après la paix de Brest et quand menace la guerre civile, il collabore avec lui à la formation de l'Armée rouge et guerroie sur tous les fronts. Il est chargé des « missions spéciales » a u commissariat d u peuple à la Marine. Il v a commander la flotille de la Volga a u moment de la grande bataille de Kazan.

Nous avons peu d'informations sur la vie de Liova dans les semaines qui suivent Octobre, les derniers

14. Nous suivons ici Trotsky. Certains ouvrages soviétiques

l’appellent aussi Nikolai Grigoriévitch. 15. L. Trotsky, MVII, p . 169. 25

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

mois de la vie familiale à « Piter » . Nous le retrouvons u n peu plus tard à Moscou, dans l'aile Cavalier, a u Kremlin, o ù habite désormais la famille quand le gouvernement transporte son siège à Moscou. Liova a

douze ans quand il s'installe avec ses parents dans cet appartement qui lui plaît parce que c'est là qu'est le bureau d u père, tout proche donc, quand il travaille à Moscou, e t surtout parce qu'il est assez spacieux pour

qu’on y joue. Cela n e l'empêchera pas pourtant, dans les bagarres avec Sérioja, de rouler à terre dans la pièce contiguë et d'interrompre ainsi brutalement une discussion entre commissaires d u peuple dont c’est la

salle à manger. Nous avons une belle photo de la famille, les quatre enfants avec les Rosmer, sur l’escalier devant chez eux. Liova prend sa part aux protestations familiales contre les retours nocturnes e n auto d u voisin Staline, ce qui n e l'empêche pas d'être lié avec Jakov, son fils.

L a guerre civile, il l'a vue. À force d'insistance, il a obtenu de son père la permission de l'accompagner parfois, avec u n blouson de cuir noir, sans doute u n peu trop grand pour lui, et des témoins s'en souvenaient, dans les années vingt. L'élève-officier Alexandre Barmine l’a aperçu, avec son père, venu rendre visite à ses hommes dans les tranchées tenues par

l'Armée rouge devant Gomel, après une offensive vic-

torieuse de l’armée polonaise d u général Haller!6. C'était le père, arrivé avec le fameux train, qui avait arrêté la débâcle par son énergie, son courage et son souffle. Ce n’était pas une guerre e n dentelles avec des m œ u r s d e salon. À c e spectacle, écrit s o n père, il s’est

16. Alexandre Barmine, Vingt Ans a u Service d e l'URSS, p. 113.

26

U n enfant aimé «

imprégné d'émotions fortes

»

et a parfaitement

compris « le pourquoi de cette lutte sanglante »17. Mais la guerre lui a aussi porté u n premier coup, aussi rude que définitif, l a mort d e l'ami. A u lendemain

de la bataille de Sviajsk o ù sa flotille avait joué u n rôle déterminant, Markine était à bord d u vapeur VaniaKommunist sur la Kama quand il a été mitraillé par les Blancs, le 1 € octobre 1918. Le père a raconté :

« Lorsque j e

reçus l a dépêche qui m’annonçait

s a mort, ce fut comme s i une colonne d e granit s’écroulait devant moi : — Garçons, garçons, Markine a été tué.

Devant moi, deux faces pâles, tendues par les crispations d’une douleur soudaine (...). Deux petits corpsfrissonnèrent longtemps sous leurs cou-

vertures, dans le calme d e la nuit, lorsque la sinistre nouvelle nousfut parvenue. L a mère seule entendit leurs sanglots d’inconsolables. » ! 8

Cet énorme chagrinmarqua-t-il pour Liova, à douze ans, la fin de l’enfance ? Les limites des phases successsives de la vie d'un être humain sont floues sur le plan psychologique et s'interpénètrent le long d'une ligne qui est loin d’être droite. Le n o man's land qu'on appelle adolescence se situe entre une enfance et u n âge adulte qui disparaissent et resurgissent : seule la vie sociale, avec ses règles et ses limites légales, cartes d'alimentation, majorité civile, réductions sur les transports, nous e n désigne aujourd'hui le cadre strict : o r la Russie vivait alors une révolution et Liova vivait dans la révolution, par elle et pour elle.

17. L. Trotsky,

«

Léon Sedov, le Fils, l'Ami, le Militant

»

(20

février 1938) ci-après LLS. F A M ) Œuvres, t . 1 6 , p . 180. 18. L. Trotsky, M V I I , p.169.

27

CHAPITRE 2

U N E ADOLESCENCE A U C Œ U R D E L A RÉVOLUTION

I l peut sembler étonnant que nous manquions d'informations sur l’adolescence de notre personnage alors que nous e n avons sur son enfance, ce qui est tout le contraire d e c e qui arrive e n général a u x biographes. Les raisons e n sont simples. L a première est q u e l e

fils et le père vivent dès lors à une certaine distance l’un de l’autre. Le père n e suit plus le fils que de loin e n loin : l a place de Liova se réduit dans M a Vie et, de façon générale, dans toutes les sources centrées autour d e Trotsky.

Mais la seconde a u n caractère infiniment plus tragique. Car tous les amis personnels et les camarades de Liova, tous ceux qui ont peu o u prou partagé sa vie d'étudiant et de militant, d’abord a u Komsomol — les Jeunesses communistes — , puis dans l'Opposi-

tion de gauche, sont morts très jeunes, sans avoir p u témoigner, la plupart d u temps exécutés dans les prisons e t les camps d e Staline : c’est u n e génération

exterminée, « piétinée sans qu'il e n reste de trace », écrit Trotsky qui souligne que Liova lui-même était u n 29

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

rescapé : il n'avait échappé que par miracle a u massa-

cre de sa génération dejeunes révolutionnaires, d u fait

qu’il l’avait accompagné en exil.!

Liova est u n garçon d'apparence très douce, sentimental, agréable dans les rapports humains. Pourtant, il surprend. Son premier trait de caractère est une volonté farouche d'indépendance matérielle, qui peut étonner de la part d’un enfant qui aime profondément et admire plus encore ses parents. C’est pourtant e n quittant ses parents, e n refusant leur aile protectrice, e n assumant

la responsabilité de sa vie qu’il veut leur rester fidèle et se conformer à leur modèle.

I l est e n effet profondément imprégné des aspirations égalitaires de la jeunesse de l'époque. Très jeune, à 12 o u 13 ans, il refuse d'utiliser la voiture de fonction d e s o n père, m ê m e pour l a partager avec lui. Il n e veut

pas jouir des avantages matériels que comporte inévitablement la fonction élevée d u père — et qu’il n e conteste pas. Mais il pense qu’en profiter, si p e u q u e

ce soit, serait jouir d'un privilège d û à sa naissance, ce qu’il refuse catégoriquement.

Il est encore très jeune — 1 5 ans — quand il décide de quitter l'appartement de l'aile Cavalier a u Kremlin pour aller vivre dans une « Commune » , u n foyer prolétarien misérable avec garçons et filles de son âge — cette forme de vie collective qu’expérimentent alors les tout jeunes gens des grandes villes à la recherche d’un « style de vie communiste » : o n dort e n dortoirs, o n fait une cuisine collective, une lessive collective, o n partage tous les frais, tous les objets d'usage étant le

1. L. Trotsky, LLS . FAM, p. 168. 30

U n e adolescence a u c œ u r d e l a Révolution

bien de tous, chacun donnant sa part de travail pour tous. Ses parents n’approuvent pas ce départ : ils n e s’y opposent pourtant p a s et laissent faire à s a guise

ce fils qu’ils n’ont pas réussi à convaincre. Le plus jeune, lui, s'embauchera dans u n cirque. L'une des aspirations de Liova est de donner u n peu plus que les autres : brillant élève, supérieurement doué e n mathématiques, il est évidemment u n précieux répétiteur o u professeur à domicile pour ses camarades d’origine ouvrière, issus des rabfaki, les facultés ouvrières, a u sortir de l'atelier o u de la mine, qui ont bénéficié d’un enseignement intensif de rattrapage, mais ont parfois de la peine à suivre. Pourrait-il les aider s’il n e vivait pas avec eux ? Il a le sens d u devoir et se le formule à lui-même, sans consulter personne. Ainsi, ses privilèges individuels, son instruction et son aptitude a u travail intellectuel, reviennent-ils à la collectivité à travers ses heures de travail bénévole pour aider ses camarades. O n découvre dans ses archives les noms de quelques-uns d e ses condisciples à l'Institut

supérieur

technique o ù il commence très jeune des études d’ingénieur : Boris Viaznikovtsev, dont nous reparlerons, et d'autres, dont nous n e connaissons, par les lettres échangées e n déportation, que noms o u prénoms, initiales o u signes convenus. Les femmes comptent beaucoup dans la vie d u jeune Liova qui est à la fois u n « chaud lapin » et u n « c œ u r d'artichaut », sentimental, romantique e t e n

même temps porté sur les plaisirs d u sexe. Nadejda Joffé m'a raconté qu’il eut une grosse déception avec son amie d'enfance Nina Vaclavova Vorovskaia, qui lui préféra finalement, à son grand chagrin, son ami Tcheslav Kozlovsky, de deux ans plus âgé, dirigeant des Komsomols. Après cette déception, il v a de ferme e n femme, papillonnant, conquérant, éclectique, « baratineur » , sentimental aussi et prêt à s'enflammer. À la fin de 1925, il s'éprend pour de b o n d’une magnifique jeune femme blonde — dont les photos 3l

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

illuminaient les pages poussiéreuses des dossiers de Stanford quand van Heijenoort et m o i les avons ouverts pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle. Elle s'appelle Anna Metallikova. Ils se marient, dans la grande passion, semble-t-il, et il leur naît bientôt, e n octobre 1926, u n enfant, prénommé Lev comme son père et son grand-père et qu'on appellera Liulik o u encore Levoutchka.

Liova est bien entendu tout entier tourné vers l'action politique, ce qui signifie, à l'époque, le parti communiste. Son organisation de jeunesse, le Komsomol, fixe e n 1920 la limite d'âge inférieure d'admission dans ses rangs à quatorze ans : il lui manque u n a n pour être admis. Qu’à cela n e tienne : il v a falsifier son âge pour n e pas rester au-dehors une année de plus. D'ailleurs il est depuis longtemps volontaire pour toutes les tâches bénévoles que le parti demande : il déblaie la neige après les chutes importantes et dans le froid, il v a dans les gares aider à décharger les wagons pour préserver a u plus vite les denrées périssables ; plus tard, il v a même participer, e n sa qualité d'élève-ingénieur, à la réparation des locomotives e n panne. Il répond à toutes les « mobilisations d u tra-

vail

»

pour u n e main-d'œuvre gratuite sur u n point

névralgique d u front économique, et, bien sûr, il est d e tous les « samedis communistes » , jours o ù les communistes donnent à la collectivité leur temps de repos. E n plus de la propagande qu’il doit conduire auprès de ses camarades étudiants, il est chargé de la construction d u Komsomol parmi les ouvriers boulangers de Moscou et y consacre beaucoup de temps. Il participe e n outre à toutes les campagnes dites « de liquidation de l'analphabétisme » dans les faubourgs et les campagnes. 32

U n e adolescence a u cœur d e l a Révolution

Mais il est aussi fasciné par les hommes qu'il rencontre chez ses parents, les vieux-bolcheviks de l'époque héroïque, des hommes comme le fameux mécanicien Ivan Nikititch Smirnov, surnommé « l a conscience d u parti » , le géant Nikolaï Ivanovitch Mouralov, agronome, ancien condamné à mort pour le meurtre d'un policier lyncheur, l'intellectuel fascinant qu’est Khristian Rakovsky, révolutionnaire cosmopolite, l'ami le plus proche d u père, et le vieux compagnon de Vienne,

le père de Nadejda, Adolf Abramovitch Joffé, très malade et si doux, avec tant d'autres qui sont ses héros car il voit incarnées e n eux les qualités de son père et celles de Markine. Ces hommes sont les proches et les compagnons d'armes de son père. Pourtant la vie d u fils de Trotsky n e pouvait pas être le développement linéaire d'une jeunesse de pionnier communiste continuée par u n e ascension dans l’appa-

reil. Bientôt la crise qui se développe à l'intérieur d u parti v a lui donner l’occasion de donner toute s a mesure. Le pays connaît de graves difficultés économiques, le mécontentement s'exprime ouverternent dans les échelons inférieurs d u parti. L a bataille est déclenchée par u n rapport de Dzerjinski, le chef de la Tchéka, qui veut obtenir que les membres d u parti dénoncent les fauteurs de troubles et notamment les organisateurs de grèves. Trotsky voit là le signe d'une profonde dégradation d u parti. Le 8 octobre 1923, il adresse une protestation qui met e n cause le régime interne d u parti, la méthode de choix des secrétaires, la bureaucratisation : « L e régime

actuel est beaucoup plus éloigné d e

l a démocratie ouvrière que le régime e n vigueur

aux moments les plus critiques d u communisme d e guerre (...) L a bureaucratisation d u parti s'est développée dans des proportions inouïes (...) J e considère qu'il est non seulement d e m o n devoir mais aussi d e m o n droit d e faire connaître cette situation à tout membre d u parti quej e considère

33

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

comme suffisamment préparé, expérimenté e t maître de soi. #

Une semaine plus tard, 4 6 vieux-bolcheviks, informés par lui de son initiative, adressent a u comité central une lettre dans laquelle ils écrivent notamment : « O n observe une division croissante entre une hiérarchie d e secrétatres, les fonctionnaires d u parti recrutés par en-haut, e t la masse d u parti qui n e participe pas à s a vie commune (...). INfaut abolir le régimefractionnel (...), ilfaut le remplacer par u n régime d'unité entre camarades et d e

démocratie interne d u parti. Parmi eux, avant tout des gens proches de Trotsky, Sérébriakov et Préobrajensky, anciens secrétaires d u parti, I.N. Smirnov, N.I. Mouralov, L.G. Piatakov, B . M . Eltsine, dont beaucoup sont des familiers, héros et modèles de Liova dans son enfance. L a direction, après une longue discussion, adopte finalement une résolution de compromis e n faveur d u « Cours nouveau », le rétablissement dans le parti de la démocratie ouvrière. Staline la commente dans une assemblée publique d u parti mais l'interprétation « autoritaire » qu’il e n donne paraît inacceptable à Trotsky qui l'écrit et le dit publiquement. Le compromis n’est plus possible. L a discussion reprend alors, officiellement, dans les colonnes de laPravdacomme dans de grandes assemblées générales.

Pour Liova, l'expérience v a être cruelle. Les jeunes des rabfaki, les étudiants e n général, surtout ceux qui sont d'origine ouvrière, sont e n faveur de Trotsky et des « 4 6 » qui ont aussi gagné la majorité d u comité central des Komsomols. L'appareil frappe, révoque A.A. Konstantinov qui a publié dans le journal d u parti trop

2. AHLH et Broué, Trotsky, p. 371. 3 . AHLH, trad angl, E.H. Carr, Interregnum, pp. 376-371. 34

U n e adolescence a u cœur d e l a Révolution

de textes de l'opposition dans la « tribune ». Il reprend la majorité d u CC des Komsomols e n expédiant a u fin fond de la Sibérie et de l'Asie centrale, pour les affecter à des tâches de parti, les camarades qui animent ce courant afin de le mettre e n minorité dans l'organisme dirigeant.

A u cours d u débat sur le « Cours nouveau » , Liova s'engage immédiatement et entièrement dans l'activité de l'Opposition. Son père écrira, plus tard : « Il serait injuste d e n e voir là rien d e plus que l'influence d e ses parents. Après tout, quand à avait quitté u n confortable appartement a u Krem-

lin pout cefoyer affamé,froid et sale, il l’avaitfait contre notre volonté, m ê m e s i nous n e l'en avions

p a s empêché. Son orientationpolitique était déterminéepar ce même instinct qui l’incitait à préférer les tramways bondés aux limousines d u Kremlin. L aplate-forme d e l'Opposition a seulement donné une expressionpolitique aux traits organiques d e s a nature (...) Il retrouva le chemin d e ses amis boulangers. »*

E t le père de compléter le portrait d u fils oppositsionner: «Ainsi, à 1 7 ans, a commencé s a vie pleine-

ment consciente d e révolutionnaire. Il a vite asstmilé l’art d u travail conspiratif, des réunions clandestines, d e la publication et d e la diffusion e n secret des documents d e l’Opposition (...). L eplus gros d e son temps, d e sesforces, d e son cœur, il

les consacrait à la cause de la révolution.

4. L. Trotsky, LLS. FAM, p. 180 5. Ibidem 35

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Le jeune homme est d’une grande lucidité. Sans doute est-il le premier à avoir compris le sens d e

l'absence de son père, que Staline a réussi à abuser, aux funérailles de Lénine. Le monde entier et tous les Soviétiques sauront q u e Trotsky n’était p a s l à c e jour-

là. Sedov est moins inquiet des conséquences de cette absence que de la facilité avec laquelle Staline a p u tromper Trotsky. Respectueux mais pas servile, il l’a écrit.

Staline a réussi à remporter la victoire par des trucages qui réduisent à presque rien le nombre de délégués de l’Opposition et e n manipulant les votes, comme à Moscou o ù il s’arroge la victoire officiellement alors qu'il était battu dans les urnes comme o n l'a découvert récemment. L a résolution votée par la XII€ conférence stigmatise l'opposition comme « une déviation » d'inspiration menchevique. Liova n’est p a s d e ceux qu'’impressionne cette victoire. Mais il n’est p a s

n o n plus d u côté de ceux qui conseillent à Trotsky d'envoyer u n o u deux régiments balayer le secrétariat de « fraudeurs ». Il croit, contre Staline, qu’il a identifié comme l'ennemi principal a u sein d u régime, à la discussion et à l’action politique, a u x masses, plus

qu'aux régiments. Comment douter cependant que l'anime aussi dans ce combat u n sentiment personnel ? Ce père qu’il admire et aime de toutes ses forces, que tous lesjeunes communistes glorifiaient hier et qui incarnait à leurs yeux les plus prestigieuses légendes, est aujourd'hui calomnié, vilipendé parfois, par les mêmes qui auraient volontiers la veille célébré son « culte » . Liova hait les bureaucrates responsables de ces palinodies, les chefs d'orchestre de cette campagne de calomnies et de cette honteuse dégradation de la vie politique: il les hait parce qu'ils haïssent et salissent son père comme le faisaient hier les officiers tsaristes de Térioki o u l'ingénieur Sérébrovsky. Son ardeur et s a combati36

U n e adolescence a u cœur d e l a Révolution

vité sont telles que le père e n sourit et, évoquant u n conte d’Andersen, l'appelle « le brave petit tailleur ».6

Dans les trois années qui suivent, l'opposition subsiste e n tant que réseau, sans intervenir contre la direction dans des articles o u des interventions publiques, échangeant des idées par lettre o u dans des réunions amicales, sans chercher à recruter. Trotsky essaie de tenir ses camarades à l'écart de la deuxième bataille, la « discussion littéraire » , e n fait féroce attaque de l'appareil contre son livre Leçons d'Octobre et début de la campagne de calomnies contre lui. Il s'agit de préparer, de la consolider sur le plan des idées. D e par s a position familiale, Liova y est presque a u centre.

Les héros qu’il avait tant admirés sont devenus ses compagnons d'armes, l'estiment et le traitent e n égal. Il n’en profite que pour s'instruire, apprendre, se préparer. Il a autour de lui à l'Institut u n noyau de camarades gagnés à la cause et qu’il contribue à former, a u cœur de l’opposition.

À la fin de 1925, la politique menée par Staline, soutenu par Boukharine, d'encouragement aux paysans aisés et de freinage de l’industrialisation, commence à provoquer dans les centres ouvriers u n mécontentement qui se transmet aux cadres d u parti. L'organisation de Leningrad, derrière Zinoviev soutenu par Kamenev, revendique une nouvelle politique e n faveur de la classe ouvrière. Elle multiplie les avances à Trotsky, et révèle notamment une partie des procédés illégaux employés contre lui précédemment. Les amis

de Trotsky se divisent : faut-il o n n o n s'’allier « à Leningrad » ? Trotsky observe sans mot dire la défaite de la « nouvelle Opposition » de Zinoviev et de Kamenev, e n décembre 1925, puis se décide pour l'alliance. Nous ignorons ce que pensa Sedov de cette question. Bien entendu, il est toujours là quand la fusion de l'Opposition de gauche dite « de 1923 » — la sienne,

6. Natalia Sedov Trotsky, « Father and Son », loc.cit.

37

Léon Sedouv, fils d e Trotsky, victime d e Staline

celle d u père — et de la « Nouvelle Opposition » , « de Leningrad » , — celle de Zinoviev et Kamenev — donne naissance à l’ « Opposition unifiée » . Ses dirigeants pensent q u e le moment est venu d'opérer u n e sortie

dans le parti, d’y imposer la discussion. L'opération, mise e n route à l’automne 1926 dans les cellules ouvrières de Moscou et de Leningrad, rencontre apparemment une certaine sympathie de la part des ouvriers, mais ces derniers n e s e décident p a s à l a

défendre contre les violences et les chahuts organisés par les fonctionnaires de Staline. L'opposition unifiée, divisée devant ces attaques, doit battre e n retraite et s'engager à n e plus mener de bataille « fractionnelle » sous peine d'être exclue. Liova n e se décourage pas pour autant, et la naissance de sonbébé n e le détourne pas de la lutte oppositionnelle. L'Opposition unifiée se relance à l'assaut a u printemps de 1927, après que la tragédie chinoise — l'écrasement d u PC et le massacre des cadres ouvriers par Tchiang Kaï-chek, que l'IC avait soutenu jusqu’au bout — ait apporté à ses dirigeants une confirmation aussi douloureuse qu'éclatante. Zinoviev et Kamenev sont convaincus que le parti v a leur donner raison et que la victoire est à leur portée. Trotsky est moins optimiste. L’Opposition engage la lutte à la fois dans le parti et autour de lui, par sa Plate-Forme et dans des réunions a u domicile d'ouvriers. L a lutte est farouche pendant des mois et Staline plusieurs fois e n difficulté, ses proches amis refusant à plusieurs reprises de le suivre, doit recourir aux méthodes de la provocation policière qui justifie arrestations et exclusions, pour l'emporter finalement. Les dirigeants de l'Opposition puis leurs partisans sont exclus et bientôt exilés.

Cette période est décisive pour la formation de Liova. À 2 1 ans, il devient par ses mérites propres et son travail militant, s a volonté de lutter, son acharnement patient, u n des principaux dirigeants de l’Opposition unifiée dans les rangs d u Komsomol, responsable d e l e u r travail p o u r M o s c o u , a u x c ô t é s 38

U n e adolescence a u cœur d e l a

Révolution

d'I. Ia.Vratchev qui la dirige a u sein de l'organisation d u parti dans la capitale. A u moment o ù l a répression commence à frapper

les oppositsionneri, il faut envoyer d u renfort aux camarades de l'Oural dont l'organisation a été décapitée p a r des arrestations. L e « centre » envoie S.V. Mrat-

chkovsky, n é a u bagne de parents bagnards, héros de la guerre civile, responsable à Moscou d u travail dans l'Oural, l'ouvrier A.G. Beloborodov, qui est aussi commissaire d u peuple de Russie, le grandjournaliste L.S. Sosnovsky, l'ingénieur R.V. Baranov, à peine plus âgé que lui. Lev Sedov leur est adjoint pour conduire le travail dans le Komsomol. Belle preuve de confiance, et aussi qu’il n’est pas seulement, dans l’'Opposition unifiée, « le fils de son père » . Il semble avoir fait merveille dans cette mission de confiance qui demeurera pour lui u n des grands moments de sa lutte ouverte contre l'appareil bureaucratique.

E t voilà que le problème de !’ « indépendance » — la sienne — vient se poser d e façon aiguë et certainement

inattendue pour lui. Quoi de plus normal, a u retour

de sa mission dansl'Oural, que de retourner vivre avec sa femme Anna et son petit garçon Liulik, d'être u n des dirigeants de l'Opposition comrne les autres, d’en faire autant e t m ê m e plus q u e les autres sans pour autant

briser s a vie personnelle ?

Mais il a définitivement compris dans l’Oural que l e duel engagé par Staline contre Trotsky est u n e lutte à

mort, que le Gensek (secrétaire général) Staline veut museler son père, faire taire sa voix, écho de la révolution, le chasser d’abord, le supprimer ensuite, effacer jusqu'à son ombre. Et, de tous les compagnons de combat de Trotsky, il est sans doute le seul à avoir déjà compris que Staline cherche à l'isoler pour le détruire. C’est pourquoi il est avec lui dans l'appartement de Beloborodov à la Maison des Soviets o ù il s’est réfugié après avoir quitté le Kremlin de sa propre initiative. Il est là quand les hommes d u GPU viennent littéralement emporter Trotsky pour le conduire de force e n 39

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

exil sous escorte : c’est lui qui donne l'alarme, criant « O n emporte le camarade Trotsky » , une information aussitôt répercutée qui n e permettra pas cependant de répéter le 19 janvier 1928 le succès de la veille, o ù une manifestation avait empêché s a déportation forcée.

Liova a décidé de rester avec son père. Il demande donc à accompagner ses parents e n exil. Pourquoi ? L a question se pose, bien sûr, e t l a réponse, a u premier

abord, n’est pas évidente. Il est passionné par ses études pour lesquelles il est très doué. Il les aban-

donne, à u n a n et demi d u diplôme terminal. Il aime sa compagne. Il chérit son petit garçon dont il est si fier et qu’il venait montrer aux grands-parents a u Kremlin quand il avait une heure devant lui. E t il prend le risque de les quitter pour longtemps. Il est féru de son indépendance et il y renonce. Pourquoi ? L a réponse donnée par Trotsky dans l'article consacré à Sedov après s a mort est évidemment exacte mais trop ramassée peut-être pour apparaître vraie : «

Sans une minute d'hésitation, il s'est arraché

à s a jeune famille et à son école, pour partager notre sort e n Asie centrale. Cefaisant, il agissait non seulement e n tant que fils, mais surtout e n tant que camarade d'idées. Il était essentiel, à tout prix, d'assurer notre liaison avec Moscou. »? E n fait, c’est parce qu’il était l e fils d e Trotsky q u e

Liova a p u le suivre, l'accompagner et empêcher son isolement total. À ses qualités personnelles, indispensables dans ce rôle, s'ajoutait le lien d u sang que la bureaucratie n'avait pas encore à l’époque la force de mépriser. O n arrêta les secrétaires de Trotsky qui

7. L. Trotsky, LLS.FAM p. 181. 40

Une adolescence a u cœur d e l a Révolution

avaient tenté de le suivre et o n les déporta, mais o n laissa Liova suivre son père. Il n'existait qu'une mince chance que ce fût possible et elle résidait dans le fait qu’il était son fils. E t il le fit, parce que, e n tant que camarade, il savait qu’une présence auprès d u père était indispensable et que lui seul pouvait jouer ce rôle d'assistant et de garde. Les devoirs d u camarade et les possibilités offertes par sa qualité de fils se combinaient alors pour formuler impérativement une solution qu’il adopta sans hésiter. Il partit. Le voyage démontra avec éclat qu'il avait e u raison. C'est lui qui s'arrangea à Samara pour aller acheter les affaires de toilette que ses parents, enlevés de force et par surprise, n'avaient pas prises avec eux. C’est lui

qui découvrit a u buffet d u train ses deux amis, les deux secrétaires de son père, I.M.Poznansky et N.M.Sermouks, installés devant u n échiquier et réussit à leur transmettre les instructions d u père. Tous deux furent arrêtés quelques jours plus tard, l'un à Tachkent, l'autre à Alma-Ata même. N i les parents n i Liova n e devaient revoir ces deux amis fidèles.

Voilà donc le père, la mère et le fils e n exil à Alma-Ata, dans des conditions qui n e sont n i pires n i meilleures que celles des milliers d’autres oppositsionneri éparpillés principalement dans la partie asiatique d e l'URSS, au-delà d e l'Oural. C’est s u r les épaules d e

Liova que v a reposer désormais tout l'aspect matériel d u combat de Trotsky contre Staline. Les commentateurs qui glosent à l'infini sur l’ « erreur » de Staline de n’avoir pas fait assassiner Trotsky, alors que cela lui était à ce moment politiquement impossible, n e semblent pas avoir remarqué que c'est e n autorisant Liova à accompagner ses parents qu'il a commis s a bourde la plus énorme. Il arrive même aux tyrans sanguinaires d e sous-estimer les jeunes h o m m e s qui sont prêts à

donner leur vie dans la lutte contre eux.

41

CHAPITRE 3

L E G R A N D VIZIR D'ALMA-ATA

Les trois exilés — o n dit alors « déportés » — s'installent à Alma-Ata, o ù l a vie quotidienne n’est p a s

facile, que ce soit d u fait de la poussière o u de la malaria. Les proscrits y sont coupés d u monde : dans le meilleur des cas, une lettre met u n mois pour venir de Moscou, mais le sort de certains de leurs camarades est pire, bien pire. Sur leurs premiers jours dans cette « capitale » , Natalia Ivanovna Sedova raconte : « Liova, dès le matin, partit e n reconnaissance. Il parcourut la ville et avant tout alla voir lespostes et télégraphes, u n endroit qui devaitprendreplace a u centre même d e notre existence. Il découvrit

également l a pharmacie. Infatigable, il rechercha

tous les objets dont nous aurions besoin, des plumes, des crayons, d u pain, d u beurre, des bougies (...). Notre liaison avec le monde dépendait uniquement d e notrefils. O n nous apportait à manger d'une stolovaia voisine. Liova courait toute l a journée. Nous l'attendions avec impatience. I apportait les journaux. Il nous donnait aussi telle o u telle informa43

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline tion intéressante sur les u s e t coutumes d e l a

ville. » Les deux hommes sont cependant d'accord pour trouver leur nouveau lieu de résidence idéal sur u n point a u moins : il offre des ressources infinies et enthousiasmantes pour la pêche et la chasse.

Le père et le fils se livrent donc ensemble à ce passe-temps qu'ils aiment tous les deux et dont ils rendent compte dans les lettres aux amis. O n retiendra particulièrement deux parties de chasse, l’une à la mi-mars, d e deux jours, d’où ils ont rapporté quatorze canards mais ont eux-mêmes été dévorés tout crus p a r

de terribles moustiques kirghizes, l'autre d’une semaine, passée sous l a tente avec des températures d e

— 10’, d'où ils ont rapporté deux oies et une quarantaine de canards. A u début de 1928, ils ont des projets plus ambitieux. Malgré une déclaration initiale d’ « intentions pacifiques et de non-agression » à l'égard des tigres qui hantent les abords d u lac Balkhach, ils se décident finalement à une expédition punitive contre ces prédateurs qui ont fait beaucoup de dégâts et de victimes les derniers temps. Liova fourbit les armes. Mais Staline, « allié objectif » des tigres prédateurs, n e leur laissera pas le temps de mener à bien cette expédition. Leur liberté de mouvement peut abuser. C’est que, quand ils partaient à des parties de pêche o u de chasse, Liova e t s o n père n e pouvaient rencontrer qui

que ce soit dans cet espace immense et vide et la distance à elle seule leur servait d'isolateur. Pourtant

Trotsky a pensé pendant u n temps à tenter l’évasion : il a raconté à van Heijenoort que Liova et lui avaient étudié sur des cartes le chemin pour atteindre la frontière chinoise, à 250 kilomètres de là.

1 . NIS, LT/MVII p. 291.

44

L e grand vizir d'Alma-Atat

E n réalité, ils étaient étroitement surveillés et leur maison d u 7 5 rue Krassine à Alma-Ata était, elle, entourée de maisons habitées par des gens d u GPU et il e n était de même pour la datcha — une petite baraque dans les collines —, une « vannerie » comme disent les gens d u pays.

Liova avait trouvé une dactylo qui tapait les textes que Trotsky avait écrits à la main o u qu'il lui dictait. Tout le monde savait qu’elle devait rendre compte tous les jours a u GPU. Le courrier arrivait avec u n retard plus o u moins important, provoqué par de longues stations dans le « cabinet noir » o ù l'on recopiait les

lettres, n o n sans e n retenir quelques-unes. C'est ainsi que celle qui annonçait la gravité de l’état de santé de Nina, l a deuxième fille d e Trotsky, e n train d e mourir de tuberculose — o n disait alors de « phtisie galopante » — fut retenue pendant 7 4 jours. S o n père

n’apprit s a mort qu'avec plusieurs semaines de retard alors qu’il ignorait même qu’elle fût malade. Khristian Georgiévitch Rakovsky, lui aussi déporté, avait réussi à lui faire parvenir la triste nouvelle. Avant tout, les deux hommes travaillent. Trotsky écrit études, articles, thèses. Liova organise les relations extérieures, c'est-à-dire les rapports avec les

autres déportés, soit par courrier direct, soit avec le « centre » de Moscou, alors dirigé par B.M. Eltsine, et avec les oppositionnels des autres partis de l'Internationale. Il lui faut pour cela reprendre l'étude des langues étrangères — français, allemand, surtout mais aussi anglais —, u n domaine dans lequel il a presque tout oublié. Il travaille comme u n forcené. Son père écrira s u r c e point : « Son travail à Alma-Ata, pendant cette année, fut réellement inestimable. Nous l’appelions notre

45

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

ministre des affaires étrangères, ministre d e l a

police, ministre des communications. »

Sa mère confirme e n écrivant qu'il avait la direction de « la correspondance qui prit bientôt u n développement formidable ». Ses fichiers conservés dans les archives de Harvard permettent de déterminer qu’il était e n relation avec 107 « colonies » — lieux de déportation — et 4 3 1 adresses dont beaucoup correspondant à des groupes plus o u moins importants, pouvant atteindre une vingtaine d’exilés. D'avril à octobre 1928, les exilés d'Alma-Ata ont reçu près de 1000 lettres et documents politiques et 700 télégrammes. Ils ont de leur côté envoyé 800 lettres et 500 télégrammes. Incapable de faire face seul à toute cette correspondance, Liova devra organiser des réseaux région a u x prenant appui s u r d e plus petits e t animés p a r

des « dirigeants historiques » : Rakovsky, Mratchkovsky, Sosnovsky, Mouralov, Préobrajensky. Informations diverses, mises e n contact, discussions d'idées, tout cela s e trouve a u x archives d e Harvard, Hoover e t

Amsterdam, dans une correspondance passionnante dont Liova était le maître d'œuvre : examen critique d u passé, réflexion sur l'expérience d u pouvoir, petites nouvelles de la vie quotidienne et de l a répression, débat sur les grands problèmes d u jour : tout ce que nous évoquerons plus tard dans ce domaine sera passé par ses mains. Mais là n e s'arrêtait pas s a tâche. Sa mère poursuit : «Il était également garde d u corps. C'est lui qui

rassemblait les documents dont L D avait besoin pour ses travaux : il fouillait les réserves d e la bibliothèque, s eprocurait d e vieuxjournaux, recopiait des textes. Il menait tous les pourparlers avec les chefs d e l'endroit, s’occupait d'organiser des chasses, veillait sur le chien et sur l’état des

2. L. Trotsky, LLS/FAM, p. 181.

46

L e grand vizir d'Alma-Atat

armes. E n outre, il étudiait avec assiduité la géographie économique et les langues étrangères. »

Elle raconte la vie quotidienne : « Liova, pendant desjournées entières, n e sortait pas d e s a chambre (...), tapait, corrigeait ce qui avait été tapé par la dactylo, mettait sous enveloppe, expédiait o u recevait le courrier, recherchait lespassages qu'on avait besoin d e citer. U n invalide nous apportait à cheval d e l a ville la

correspondance. Vers le soir, LD, assezfrêquem-

ment, partait avec sonfusil et son chien, gagnait les montagnes, accompagné tantôtpar moi, tantôt par Liova. O n rentrait rapportant des cailles, des ramiers, des bartavelles o u des faisans. Tout

allait bienjusqu’à l’accès habituel d e malaria. * Le plus difficile était alors la liaison clandestine avec le centre, la transmission de documents que l’on n e pouvait évidemment pas confier aux aléas d u courrier et a u cabinet noir. Le centre fonctionnait sous la direction d u vieux Boris Eltsine, dit Staritchok o u encore Otets, père d'un des secrétaires de Trotsky, Viktor Borissovitch, et lui-même longtemps militant bolchevique de l’Oural. Nous savons par I.Ia. Vratchev q u e mille canaux acheminaient des informations e t

que Galina Sérébriakova, épouse de Sokolnikov, lequel était encore dans les allées d u pouvoir, fit parvenir a u « centre » des informations précieuses®. Elle devait plus tard le payer fort cher.

L'homme-clé de l'appareil illégal pour la liaison avec Alma-Ata était u n métallo de Moscou, Mikhaïl Bodrov. Sur les instructions d u Centre, ce vieux-bolchevik avait abandonné son travail et plongé dans la clandestinité, se laissant pousser u n e vraie barbe d e moujik.

3 . NIS, LT/MVII, p . 2 9 1 .

4. NIS i n LT/MV, p . 295 5 . Pierre Broué, « Entretien avec Ivan Vratchev », C L T 46,

juillet 1991. 47

Léon Sedou, fils de Trotsky, victime de Staline

Il s'était procuré une troïka, attelage à trois chevaux, et, deux fois par mois, amenait de Bichbek, terminus de la voie ferrée, le courrier qu'y avait apporté u n messager de Moscou. Puis il ramenait à Bichbek les lettres et les documents qui venaient d'Alma-Ata et les remettait à u n homme qui allait à Moscou. À sept o u huit reprises, il vint aussi des courriers spéciaux. Trotsky raconte : « Les rencontrer n’était p a s chose facile. Nous étions logés dans une maison entourée d e tous côtés d'institutions d u GPU et d'appartements d e ses agents. Les liaisons extérieures reposaient entièrement sur Liova. Il quittait la maison tard par une nuit d e pluie o u d e neige, o u bien, trompant la vigilance des espions, il s'échappait dans lajournée, d e la bibliothèque, pour rencontrer les agents d e liaison à l'établissement d e bains publics, o u dans desfourrés profonds aux environs d e la ville, o u encore a u marché oriental où se pressait une foule d e Kirghizes, avec leurs chevaux, leurs ânes et leurs marchandises. Chaque fois il revenait frémissant et heureux avec uneflamme guerrière dans les yeux et son précieux butin caché sous ses vêtements. Ainsi, pendant une année, échappa-t-il à tous les ennemis Mieux encore, il entretenait avec ces ennemis, nos “camarades” d’hier, les rapports les plus

“corrects”, presque amicaux, montrant u n selfcontrôle e t u n tact constants e t nous protégeant

soigneusement d e tout conflit extérieur. L'intermédiaire obligatoire entre Liova et Bodrov o u les messagers » était u n fonctionnaire de la ville, sympathisant o u plus probablement, membre, de l'Opposition, que Sedov avait déniché à Alma-Ata a u bout «

d e quelques semaines e t q u e les documents q u e nous

connaissons n e désignent que par la lettre D . C’était à lui que Bodrov remettait le courrier lors des rendez-

6. L. Trotsky, LLS/FAM. pp. 181-182.

48

L e grand vizir d’Alma-Atat

vous a u marché de la ville. D e Sedov à D . , la communication se réduisait à indiquer date, heure et lieu d u rendez-vous par une combinaison complexe entre la couleur des fleurs et la place d u pot sur le rebord d'une fenêtre de la maison de la rue Krassine. D . signalait qu'il voulait u n rendez-vous e n faisant, lui aussi, apparaître u n pot de fleur sur une fenêtre. C'était Liova qui avait conçu et monté cet ingénieux système de communication — qui tint, malgré le GPU — , mais dont les homrmnes qui étaient les maillons furent tous, tôt o u tard, assassinés par Staline.

Ainsi fonctionna — de mieux e n mieux — et e n grande partie grâce a u lien avec Alma-Ata — , l'organisation clandestine de l’'Opposition de gauche. Nous sommes informés des interventions dans les assemblées d'usines de ses dirigeants ouvriers dont nous citons délibérément les noms pour les arracher à l'oubli, les travailleurs communistes Nefel, Stoukolkine, Novikov, Korfman, Jakovenko. Nous sommes informés d u déroulement des grèves et manifestations dans les usines, d u déroulement des manifestations de masses de Tiflis contre les déportations, de l’agitation et des grandes grèves de Kiev. Ces hommes parviennent à éditer et diffuser u n sérieux et régulier

Biulleten informatsii ronéotypé, de « directives d u centre » , de tracts — 1 0 000 exemplaires pour le 7 novembre 1928. Ainsi purent être menés e n déportation le débat sur les « mesures d’urgence » de Staline, — la confiscation des grains des koulaks, la discussion sur le projet de programme de l'Internationale communiste, la « déclaration » des oppositsionneri a u VIe congrès de l’Internationale communiste. Celui-ci fut d’ailleurs u n franc succés pour l'appareil clandestin d e l’Opposition. N o n

seulement il y eut u n oppositionnel — indonésien — 49

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

pour défendre à la tribune la ligne de l’Opposition de gauche, mais les membres de l'Opposition furent capables de rendre compte à Trotsky de conversations privées sur la situation de l'IC avec des gens comme l'Italien Palmiro Togliatti (Ercoli) et le Français Maurice Thorez. L a Critique d u Projet d e Programme d e l'IC rédigée par Trotsky circule parmi les délégués et

l'Américain James P. Cannon, avec le Canadien Maurice Spector, s'en approprient u n exemplaire pour le rapporter dans le Nouveau Monde afin d'y construire l'Opposition de gauche à leur retour. Ils devront pour cela enivrer u n délégué australien pour lui dérober son exemplaire : chacun devait remettre le sien, numéroté, et c'était la seule protection qu’ils avaient trouvée. Sur le rôle de Liova, c’est encore son père qui témoigne : « L a vie idéologique d e l'Opposition bouillonnait alors comme u n chaudron. C'était l'année d u VIe congrès d e l'Internationale communiste. Dans les

colis de Moscou arrivaient des dizaines de lettres, articles, thèses, d e camarades, connus o u i r connus. Dans les premiers mois, jusqu’au changement brutal d e la politique d u GPU, d e n o m breuses lettres arrivaient aussi par la poste officielle des divers lieux d e déportation. Dans ce matériel brut, il fallait opérer une soigneuse discrimination. C’est dans ce travail quej'eus l'occasion d e réaliser, non sans surprise, combien ce petit garçon avait grandi sans que j e m’en aper-

çoive, comme il savait bienjuger les hommes — il connaissait beaucoup plus d'oppositionnels que moi —, combien sûr était son instinct révolutionnaire, lui permettant d e distinguer sans hésitation le vrai d ufaux, lefondamental d u superficiel. Les yeux d e s a mère, qui connaissait mieux son fils, brillaient d e fierté pendant nos entretiens. »/

7 . Ibidem, p . 182.

50

L e grand vizir d'Alma-Atat

Bien entendu, cela n e pouvait aller sans frictions et parfois même conflits aigus. Trotsky le dit à travers u n euphémisme amusant : « N i à cette époque, n i plus tard dans l'émigration,- il faut le direfranchement — mes rapports avec Liova n'étaient d’un caractère égal et pla-

cide. Les désaccords entre les deux hommes n e semblent pas, a u moins d'après ce que dit le père, avoir relevé de problèmes généraux et politiques. Ce sont plutôt des heurts qui s e sont produits à propos d e questions

de personnes ; il semble même que l'on puisse parler à ce propos d’une sorte de conflit des générations. Mais il y avait aussi le caractère très particulier de Trotsky. Voici ce qu'il écrit à ce sujet : «Non seulement j'opposais à ses appréciations catégoriques, souvent irespectueuses, d e cer-

tains “vieux” d e l'Opposition, des corrections auss i catégoriques e t des réserves, mais encore j e

manifestais à son égard l'attitude exigeante et formaliste qui m e sontpropres dans les questions pratiques. »? Il poursuit : « À cause d e ces traits, peut-être utiles et même indispensables pour u n travail sur une grande échelle, mais tout à fait insupportables dans les

relations privées, mes proches ont souvent connu des moments difficiles. Et, comme le plus proche

d e tous lesjeunes était monfils, il a e u ordinairement plus à supporter que les autres. » ! 0 Par ailleurs, témoignages et indices relevés dans la correspondance de Sedov, surtout dans ses lettres à sa mêre, montrent que c'était bien le caractère « insup-

8 . Ibidem. 9 . Ibidem.

10. Ibidem, pp. 182-183. 51

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

portable » des exigences et d u formalisme paternels qui le faisait souffrir et qu’il considérait lui aussi, mais avec conviction et m ê m e parfois rage, comme « insupportables ». Trotsky poursuit : «À

u n œil superficiel, il pourrait même sembler

que nos rapports étaient empreints d e sévérité o u d e distance. Mais sous cette apparence vivait et brûlait laflamme d’un profond attachement mutuel, fondé sur quelque chose d’incomparable-

ment plus grand que les liens d u sang: la solidarité des idées et des jugements, des sympathies e t des antipathies, des joies et des souffrances vécues ensemble, et des grandes espérances qui nous étaient communes. E t cet attachement mutuelflamba parfois avec tant d e chaleur que cela récompensait nos trois destins d e la petite usure

d u travail quotidien. » ! ! J e n e crois pas ici à ce que Trotsky, sur la défensive par rapport à des reproches qu'il n e peut pas n e pas s'adresser, assure dans cette bien belle phrase. Il n’y a pas entre le fils et le père une « apparence » qui dissimulerait la réalité d’un profond « attachement mutuel » . Il y a la réalité, leur affection mutuelle, la communauté des jugements et des réactions spontanées, des sympathies et des antipathies, des joies et des souffrances, des grandes espérances. E t il y a aussi, e n même temps, les exigences, le formalisme tâtillon insupportable de Trotsky avec ses proches collaborateurs, et ici avec son fils, qui tendent les rapports à les faire craquer et ont fait peser sur les nerfs de Sedov u n fardeau si accablant qu’il n’a cessé d’être e n conflit avec lui-même pendant toutes ces années d'exil.

Liova n e pouvait — d u fait même qu’il était ce qu’il était — « avoir raison » contre son père, et l’on

11. Ibidem, p . 183. 52

L e grand vizir d'Alma-Atat

comprend la souffrance que pouvait éprouver cet homme jeune, si souvent coincé, voire ridiculisé, par le père, le sentiment d’une injustice permanente due à son incapacité sans remède à s'imposer à celui qu'il admirait jusqu’au fond de son âme, qui était son héros, son modèle et son père, dirigeant de leur cause dans le vaste monde e n même temps que son bourreau intime. Tout cela n e dura pas. L a bureaucratie n e pouvait tolérer cet état de choses. Trotsky, même à Alma-Ata, demeurait opposant et proposait une politique alternative. À la suite d u VI€ congrès de l'IC, Staline dut reconnaître qu'il l’avait sous-estimé, ainsi que l'Opposition de gauche, puisque celle-ci fonctionnait, alors que Trotsky et Sedov étaient e n exil. Il entreprit donc de neutraliser les militants de l'Opposition par des mesures d'organisation qui n e firent qu’accroître l’arbitraire bureaucratique. L’autocritique de nombreux ex-opposants, exigée sous une forme standardisée n e nourrit que la peur que l’on avait d u maître. Ses hommes de main démontrèrent avec u n éclat renouvelé leur servilité : personne n e pouvait avoir raison « contre le parti » , entendons « contre Staline ».

Tirant les conclusions des succès remportés par l'Opposition de gauche depuis son exclusion d u parti, constatant que l'exil intérieur n'avait pas désarmé Trotsky, et qu’il avait largement diffusé ses idées malgré la répression, Staline décida d’abord de couper tout lien entre les oppositionnels. Le GPU arrêta pratiquement tout leur courrier à partir d'octobre 1928. Les déportés appelèrent cela, très justement, « le blocus postal » , u n blocus différencié puisque la correspondance d e ceux des déportés qu'inspirait Jaroslavs-

ky, l'homme de Staline, fut la seule à franchir les mailles d u filet policier, les livrant ainsi à l'isolement 53

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

et à la démoralisation. Trotsky reçut finalement e n décembre la visite d’un haut fonctionnaire d u GPU qui lui apportait l’ultimatum de Staline : renoncer à toute activité o u être expulsé d'URSS. Il refusa avec hauteur. Pour Liova, la question posée l'année précédente était réitérée, avec une acuité accrue. Ilrépondit e n 1929 comme il avait répondu e n 1928. Puisque Trotsky, refusant d e s'engager à cesser ses

activités, allait être expulsé d’URSS, il allait le suivre, sachant bien qu’il engageait plus profondément encore son destin personnel dans leur cause commune qui passait alors par « le service d u père » comme il disait à sa mère. Peut-être le GPU espérait-il quelque hésitation qui aurait animé le début d’une querelle de famille : ce serait pour cette raison — bien sûr, pas par humanité — qu'il aurait autorisé Sergéi, le frère et Anna, l'épouse d e Sedov, à venir attendre les voyageurs

à Alma-Ata et à les accompagner dans une partie de leur voyage. E n fait, la commune admiration des deux frères pour la grandeur d u père rapprocha ces deux jeunes hommes qui avaient divergé les années précédentes, Liova servant son père et sa cause, Sérioja le défiant et rejetant « la politique ».

Pour Anna Metallikova, qui restait e n URSS avec le petit Liulik, il n'y avait pas n o n plus de décision définitive et il n’y eut p a s d e rupture : elle n e quittait

pas l'URSS, mais y restait seulement pour le moment, et il semble bien que Liova et elle aient projeté des retrouvailles à l'étranger et, a u minimum, des séjours de l'enfant. Il n’est donc pas d u tout certain que Trotsky ait raison d'écrire :

«Unefois d eplus, sans hésitation, Liova décida d e nous suivre e n s’arrachant à jamais à s a femme et à sonfils qu’il chérisssait. »12

12. Ibidem, p . 183. 54

L e grand vizir d'Alma-Atat

E n fait, il semble bien que Liova partit avec l'espoir que s a famille serait réunie e n exil le plus tôt possible. I l savait pourtant parfaitement qu'il prenait le risque d'être « séparé à jamais » de ces deux êtres et il le prenait e n toute conscience à cause de l'intérêt supérieur, à savoir la cause de la révolution mondiale et d u communisme qu'incarnait ce père, si admirable et pourtant si « insupportable ».

55

CHAPITRE 4

PLAQUE TOURNANTE E T JOAILLERIE

Trotsky écrit à propos de leur arrivée à tous les trois e n Turquie :

« U n nouveau chapitre s'ouvrait dans notre vie sur une page blanche : relations, connaissances, amitiés, ilfallait reconstruire tout, d e nouveau. Et, d e nouveau, notre fils devint tout pour nous : notre intermédiaire dans les rapports avec le monde extérieur, notre garde, notre collaborateur, notre secrétaire comme à Alma-Ata, mais à une échelle beaucoup plus grande. Notre travail littéraire e n commun commença. M e s archives e t m a

bibliothèque étaient entièrement entre les mains

de Liova. Il connaissait bien les œuvres de Marx, d’Engels e t d e Lénine, connaissait à merveille

mes livres et manuscrits, l’histoire d u parti et d e la révolution, l’histoire des falsifications thermidoriennes. Dans le chaos même d e la bibliothèque publique d'Alma-Ata, il avait déjà étudié les collections d e l a Pravda des années soviétiques e t

e n avait tiré les citations et les extraits indispensables. Sans cette documentation précieuse et sans les recherches qu’il fit plus tard dans les 57

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

archives et les bibliothèques, d'abord e n Turquie, ensuite à Berlin, etfinalement à Paris, aucun des ouvrages quej'ai écrits a u cours des dix dernières années n’eût été possible (...). S a collaboration,

incalculable quantitativement, n'était pourtant nullement d e caractère “technique”. L e choix, qu’il opérait d e façon indépendante, des faits, des citations, des caractérisations, déterminait souvent la méthode d e m o n développement ainsi que mes conclusions (...). Une telle collaboration n’étaitpossible queparce que notre solidarité d’idées était entrée dans notre chair et notre sang. L e n o m d e m o nfils devrait e n toutejustice figurer à côté d u mien danspresque tous les livres quej'ai écrits depuis 1928. »! L'étude de l a correspondance entre l e s deux hommes, l'examen des dossiers de coupures de presse confirme totalement ici les souvenirs de Trotsky et valide entièrement son témoignage. Il faut ajouter — nous n e le mentionnerons plus par la suite — qu’une partie d e leur correspondance est consacrée a u x pro-

blèmes de la recherche des éditeurs, de la signature des contrats, d u contrôle d u texte et de la traduction. D e façon générale, Trotsky écrit et Sedov règle les questions d e publication pendant toutes ces années.

Il était dans ces conditions difficile pour Liova d’exprimer ses propres qualités d'écrivain. Pourtant, l’unique article historique à base d'archives jamais écrit par lui, « Staline et l'Armée rouge » o u « comment o n écrit l'histoire » (1930) a été reconnu par les spécialistes soviétiques contemporains comme Madarne Vilkova, chargée de sa réédition dans le cadre d u livre L'Ecole

stalinienne de la Falsification, comme le travail de valeur d’un authentique historien?.

1. Ibidem 2. L. Trotsky, postface de Stalinskaia skola falsifikatsii, p. 296.

58

Plaque tournante etjoaillerie

Sedov s’en prend là à u n article de Vorochilov paru dans la Prauvda, qui se propose, assure-t-il, de « rafraichir les souvenirs des camarades sur le passé » . Il rappelle que l'auteur faisait partie, avec Staline, d u « groupe de Tsaritsyne » , qui se caractérisait selon lui par l'hostilité aux spécialistes de ses membres, e n majorité d'origine rurale. Résumant l'histoire militaire de la guerre civile, Sedov écrit que ce groupe devint le porte-parole des « pires des commandants » , ignorants mais refusant d'apprendre, recherchant toujours une explication des revers dans la trahison d’un autre et réagissant avec haine à la seule mention de la science militaire.

Liova démontre que, sur le front Sud, Staline se comporta obstinément avec indiscipline et déloyauté. Trotsky obtint son rappel et l'envoi de Vorochilov e n Ukraine. Quelques mois après, tout recommengçait. Pressé par Trotsky, Lénine exigea que cessent e n Ukraine « chaos, agitation et querelles e n priorité » , et qu’on y obéisse aux ordres de Trotsky. Liova montre, textes à l'appui, que Vorochilov falsifie dans son article les télégrammes échangés par Lénine et Trotsky quand il les cite et qu’il e n passe sous silence d'autres, sans doute trop significatifs et contraires à sa version. Staline a été chargé d'enquêter sur les causes d’un grave revers, la reddition de Perm. Vorochilov écrit qu’elle a été due « aux méthodes criminelles d’administration d u front par le conseil militaire de la république » que dirige Trotsky. E n revanche, il affirme sans rire que l a visite d e Staline à Viatka provoqua la reprise, p a r les troupes rouges, d’Ouralsk, à 1 0 0 0

kilomètres de là. Vorochilov assure qu’il résume l’histoire d u front Sud. Sedov montre qu’il la falsifie. Il cite les documents authentiques qui contredisent les affirmations de Vorochilov. Celui-ci e n reproduit certains passages, mais sans les dater, ce qui déforme o u masque leur sens. Sedov relève sous sa plume u n « voyage de Staline » qui n’a pas e u lieu et le prouve. Il cite de larges extraits 59

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

de la correspondance entre Lénine et Trotsky et conclut: «Tels sont lesfaits. O npeut apporter autant d e faits semblables que l’on veut. L efait que Vorochilov aujourd’huiait à “rafraîchir” des inventions n e fait que prouver qu'en dépit d e tout, cesfaits sont

encore tropfrais dans la mémoire d u parti. »* *

+

Dès son arrivée e n Turquie, Liova redevint aussi o u plutôt continua d'être lefactotum. Il fut aidé dans cette tâche, il est vrai — , et de façon importante — par l'arrivée de militants étrangers. Certains, raconte Trotsky, lui réclamèrent e n arrivant le remboursement de leur voyage. D'autres e n revanche se mirent à la disposition de celui qu'ils appelaient, à la russe, « le Vieux » o u LD. E n premier lieu, parmi ceux d u type militant, Raymond Molinier, qui disposait, sinon de fonds illimités, d u moins de liaisons et de connaissances e n affaires, o ù il jouissait d'un énorme entregent, d’un fantastique culot et d'un sens d u commerce. Il réussit d u premier coup à gagner e n Turquie pas m a l d'argent destiné à l'installation de Trotsky pour lequel il trouva aussi l a première villa o ù il habita après s o n départ d u consulat russe.

Mais l'amitié que Liova noua immédiatement avec Raymond Molinier l'impliqua rapidement dans des querelles à la fois personnelles et fractionnelles auxquelles il était loin d'être préparé. I l s'agissait e n définitive de querelles de personnes o u de sectes infiniment plus nocives que les grands combats politiques qu’il avait jusque là connus. Schématiquement, Raymond Molinier et son alter ego Pierre Frank, qui de-

3 . Ibidem, p . 224. Traduction française d e cet article, CLT

13. 60

Plaque tournante etjoaillerie

vaient se proclamer pendant u n temps l ' « aile prolétarienne

»

d e l’Opposition française, s'opposèrent a u x

autres co-fondateurs de l'Opposition, le vétéran Alfred Rosmer, a m i personnel d e Trotsky, et, de leur génération, Pierre Naville et Gérard Rosenthal et leur groupe issu d u mouvement surréaliste. Sur le plan personnel, Liova est lié à Gérard Rosenthal qui sera désormais pour lui « Gérard, sinistre individu » . Sur le plan politique, Liova prend parti pour Raymond Molinier. Avec ardeur. E n septembre 1931, alors qu’il a quitté la Turquie, il explique à Berlin la situation de la Ligue française à son ami Erwin Ackerknecht, dit Bauer, sans beaucoup de nuances. Après avoir énuméré toutes les « questions » sur lesquelles l’opposition française s’est divisée, il tranche : « Sur

toutes ces questions — sans exception —

le groupe d e Molinier-Frank a e u raison ; c'est pourquoi et seulement pourquoi, comme tu le sais d’ailleurs très bien toi-même, ce groupe a été soutenupar L D et d'autres camarades. L e groupe Molinier-Frank a, dès le début d e la Ligue, montré qu’ils sont d e véritables communistes et qu'ils ont l'esprit révolutionnaire. Pendant que les autres restaient à la maison, ils distribuaient des tracts, intervenaient dans les assemblées d u parti etc. L e groupe Naville-Rosmer à la direction signifie la mort d e la Ligue comme organisation révolutionnaire. NHn’y a e n France qu’une seule direction e t c'est cette direction que nous soutenons. »* Quelques réserves tout d e mêrne vis-à-vis d u groupe

Molinier, mais vraiment légères e n comparaison d u poids dont il accable Rosmer et Naville : « Nous n’idéalisons pas ce groupe, comme, j e l'espère, eux-mêmes ne s’idéalisent pas. Ils sont à mes yeux trop inclinés vers l'agitation tandis

4. Archives Institution Hoover, Stanford (ci-après AIH), L. Sedov à Bauer, septembre 1931. 61

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

que nos tâches sont essentiellement propagandistes. Aussi le travail collectiffait défaut (...) et o n néglige u n peu le travail d'organisation e n général. » Trotsky n e le lui reproche pas son engouement pour ce groupe, qui est surtout le résultat de l’'ascendant qu’a pris sur lui Raymond Molinier. Lui-même d'ailleurs s e laisse assez longtemps duper, pour n e p a s dire

manipuler, car Molinier l'impressionne par son allant, sa combativité, son inventivité. Il conseille seulement à son fils de « modérer » dans les conflits internes celui qu’il désigne par l'expression « ton ami » . Liova n e semble p a s l'avoir fait. Il rapporte ainsi à s o n père les

informations envoyées par Molinier et Frank, souvent des racontars, alimente ses réserves contre ce qu'il a appelé « le navillisme ». Pierre Naville réagit : dans une lettre d u 2 0 juillet 1930, il parle d' « entreprise systématique de dénigrement » à son égard, de la « manière déloyale et franchement malhonnête, d u rôle joué par le camarade Fran-

kel et Léon (Liova) e n accord avec Molinier »°. Liova et le secrétaire tchécoslovaque J a n Frankel laissent traîner des numéros de L a Révolution surréa-

liste avec des écrits de Naville, espérant ainsi choquer Trotsky. Rétrospectivement, cela paraît terriblement vain. Pourtant, c’était surtout infiniment dangereux. Ainsi Molinier écrit fièrement à Liova qu’une petite rencontre internationale v a organiser le travail de leur fraction : il n e sait évidemment pas qu’avec lui et Pierre Frank, les autres participants à cette réunion, l'Ukrainien Okun dit Mill et les frères Sobolevicius, dits Sénine et Roman Well, sont tous trois agents d u GPU dans le mouvement oppositionnel, gagnés a u cours des mois o u entrés e n tant que tels pour« infiltrer» !

5. Archives Houghton Library, Harvard (ci-après AHLH), P. Naville à Trotsky, 2 0 juillet 1930. 62

Plaque tournante etjoaillerie

L'affaire s e complique bientôt, après le premier

départ de Molinier, revenu e n France a u bout de quelques semaines : il a e n effet laissé auprès de Trotsky et Natalia, pour les aider à la fois comme secrétaire dans son travail de correspondance et

comme aide-cuisinière, sa jeune femme de 32 ans, née Jeanne Martin des Pallières, belle, dure, passionnée et dominatrice. Jean van Heijenoort nous a raconté e n termes fleuris le début de l a liaison entre elle et Liova : « Par une chaude nuit turque, Jeanne et Liova devinrent amants. Jeanne n e considérait cela que comme une aventure d’uri soir. Liova prit l'affaire

bien plus a u sérieux e t menaça m ê m e d e s e

suicider st Jeanne n e vivait pas avec lui. Ils restèrent ensemble. Par la suite, Jeanne lui devint très attachée. # Trotsky n’est pas moraliste. Il comprend qu'un couple puisse se défaire. Mais V a n nous dit qu’il fut très irrité contre Liova à cause de cette liaison. Il n'était e n effet pas heureux de cette affaire qui risquait de provoquer des tensions dans son entourage entre des hommes dont il pensait avoir également besoin. Savaitil que, côté Naville, o n accusait même Raymond Molinier d’avoir tout organisé pour mettre sa femme dans le lit de Liova et, par elle, acquérir de l'empire dans l'entourage d u Vieux ? Liova n e pardonnera jamais ce type d'accusations. Molinier conservait sur s a femme u n gros ascendant politique et personnel. L a correspondance nous montre u n Liova hanté par la crainte qu’il la lui « reprenne » et suppliant son père d'organiser les choses de façon que Molinier n e puisse la rencontrer. Jeanne continue d e s o n côté à essayer

d'intoxiquer Trotsky lui-même e n attribuant certains documents, rédigés par de simples syndicalistes « alliés », à Naville et à ses proches.

6 . Jean van Heijenoort, Sept A n s auprès d e Trotsky, p . 4 3 .

63

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Sur le plan politique, Liova continue à s'occuper de la correspondance et des liaisons avec « le pays » , ce qui implique d’abord de trouver partout des « boîtes à lettres » sûres et des hommes de confiance. L e courrier arrive parfois directement e n Turquie sous forme de cartes postales moins contrôlées que les lettres. Le gros de ces dernières arrive par courrier normal à Berlin et à Paris. Le grand rapport sur la vie des « bolcheviksléninistes » détenus dans l'isolateur de Verkhnéouralsk rédigé notamment par l'historien G.la. Iakovine, est arrivé écrit sur de minuscules feuilles qui ont été cousues dans la doublure d’un manteau de fourrure. Natalia Ivanovna Sedova se souvient : « A u début u n minimum d e contact s e maintint avec la Russie (...). Des sympathisants d e l'Oppo-

sition, fonctionnatres des missions soviétiques à Paris et à Berlin, transmettaient des messages, communiquaient des écrits (...). Peu à peu ces communications se raréfièrent. E n 1931, elles cessèrent à peu près complètement. Nous eümes ainsi connaissance d uprocès-verbal d e la séance d u bureau politique a u cours d e laquelle, sur proposition d e Staline, notre expulsion d e l'URSS avait été décidée. » -

L a cause principale de ce tarissement d u courrier mais aussi d e l a raréfaction des contacts tenait bien

sûr a u perfectionnement des méthodes d u GPU qui avait à p e u près réussi à briser e n U R S S les hommes

qui, comme Karl Dukis, le tchékiste letton, avaient été dans le GPU les points d'appui de Trotsky. Le GPU s'employait aussi à terroriser d'avance les cadres et militants susceptibles de le rejoindre. Mais il y eut aussi la terrible crise de l'Opposition de gauche e n 1928, a u lendemain de l'expulsion de Trotsky, le retournement de Radek, s a déclaration de

7 . N . I . Sedova,

64

VS/VMT;

p . 203.

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soumission a u parti, avec Préobrajensky et Smilga e n juillet ; e n octobre, une autre vague de militants les imita, derrière Ivan Nikititch Smirnov, Mratchkovsky et Ter-Vaganian. L a vague de capitulations engloutit a u moins le diplomate Bessonov qui était l'un des agents de l'Opposition à Berlin (où Pierre Naville se souvient de l'avoir rencontré e n tant que tel), et devait paraître à l’un des procès de Moscou. Elle entraîna aussi Solomon Kharine, dit Joseph, de l a mission commerciale à Paris, plaque tournante de son travail e n Occident. L a maladie emporta Nina Vorovskaia qui, à Berlin o ù elle avait vainement tenté de soigner sa tuberculose, avait rendu d'immenses services. E n 1930, il y avait sans doute moins de partisans de l’Opposition dans les représentations diplomatiques et commerciales à l'étranger que d'agents infiltrés par Staline dans ses rangs à elle : l'agent Lepoladsky, dit Melev, de la mission de Berlin, par exemple, soufllait sur le feu des querelles internes, intoxiquant Pierre Frank sur Landau, qu’il accusait de détourner la correspondance russe adressée à Trotsky o u Sedov. Ce fut pour Liova une année très rude. N o n seulem e n t des h o m m e s qu'il estimait e t admirait c o m m e

Ivan Nikititch Smirnov et Ivar Tenissovitch Smilga, des hommes avec qui il avait milité a u sein de l’Opposition comme Beloborodov, et Mratchkovsky, lâchaient pied — e n gros la majorité des vieux-bolcheviks de l’Opposition — , mais aussi, l'un après l’autre, ses

jeunes camarades, de façon brutale et souvent inattendue. O n peut imaginer comment il réagit lorsque

Boris Viaznikovtsev qui était son ami et lui adressait d e virulentes critiques « d e gauche », jugeant trop

conciliatrice » la position de Trotsky et de Rakovsky à l'égard de Staline, se rallia brutalement et capitula avec les derniers fidèles de son temps d'étudiant et de militant komsomol. «

Liova était le porte-parole de son père, mais il apparaissait aussi — et légitimement — comme celui des oppositsionneri russes, ses camarades. Ainsi dans s a protestation contre Urbahns — l'un des premiers 65

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

oppositionnels après avoir été u n chef de la Gauche allemande d u KPD — qui avait dépensé pour son organisation, u n e « fraction publique » , le Leninbund allemand, l'argent collecté dans toute l'Europe, avant

l'exil de Trotsky, pour u n « Fonds Trotsky » destiné aux exilés russes. Ainsi quand, contre Urbahns et son Leninbund, il prit la défense de la « Déclaration » de Rakovsky de l'été 1929 autour de laquelle se rassemblaient les débris de l’'Opposition de gauche russe

E t puis il y eut l'affaire Blumkine. Natalia Ivanovna donne la version officielle de Trotsky et des siens à l'époque : «

Léon Sedouv passait u n jour dans une rue

d'Istanbul. Quelqu'un, q u i venait derrière lui, l u i jeta autour d u cou l a crosse d’une canne e t l'em-

brassa aussitôt e n riant : Jakov Blumkine, u n des grands soldats d e l'Armée rouge, u n des agents les plus remarquables d u contre-espionnage soviétique, spécialisé dans les missions e n Orient. Terroriste socialiste-révolutionnaire e n 1918, Blumkine avait tué l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou, le comte von Mirbach — puis il s'était rallié a u parti bolchevique. Aventureux et intelligent, u n peu poète, auteur d'études sur les stratèges français, s o n activité d'agent secret n e lui

avait p a s permis d e prendre part à l a lutte politi-

que e n Russie. Il partageait les vues d e l’'Opposition. IL vint deuxfois nous voir, estimna que nous avions besoin d’une vingtaine d'hommes sûrs pour notre protection, nous avertit que des agressions se préparaient, se chargea d e remettre des lettres à nos rares amis demeurés à Moscou. À son retour e n Russie, il fut trahi par unefemme, condamné à mort e n secretpar le GPU, c'est-à-dire par le bureau politique, et exécuté. U n sursis d'exécution lui fut accordé afin qu’il pût écrire 66

Plaque tournante etjoaillerie

sommairement ses mémoires. Il mourut courageusement. »8 Ce texte appelle u n certain nombre de remarques. D'abord, après l'assassinat de l'ambassadeur von Mirbach, une provocation pour le reprise de la guerre avec l'Allemagne, Blumkine fut condamné à mort par les bolcheviks. C'est Trotsky, venu le rencontrer dans sa cellule, qui le gagna a u bolchevisme et obtint sa grâce, qui resta initialement secrète. Il entra immédiatement dans l'Armée rouge, fut effectivement membre de ses services de renseignements mais après avoir travaillé a u secrétariat de Trotsky pendant la guerre civile et à ses Ecrits militaires ensuite. Il avait pour Trotsky u n grand attachement personnel mais avait des relations amicales avec des « capitulards » comme Radek.

I l est aussi tout à fait possible que la rencontre dans la rue n'ait pas été fortuite. Aucun visiteur étranger n e se trouvait alors chez Trotsky, qui avait peut-être fait le vide chez lui e n vue de cette visite. Son passage à Constantinople était e n outre u n détour sur le chemin de son retour e n URSS. Ses chefs hiérarchiques connaissaient d’ailleurs sa sympathie pour les idées de l'Opposition de gauche, dont il les avait informés, ainsi que son attachement à Trotsky qui était notoire. O n peut supposer qu'il était déjà e n liaison avec Trotsky et que sa visite avait été prévue. O u encore qu’il vint de son propre chef se mettre a u service de l’exilé. Selon la version donné à l'époque à Moscou par l’Opposition de gauche, il aurait été dénoncé par Radek lui-même. Mais, selon d’autres informations, il aurait été dénoncé

par une femme à qui il tenait énormément et qui était u n redoutable agent d u GPU, Elisaveta (Liza) Zaroubina, dite Elena. Les archives d u K G B trancheront ce débat qui n’est d'ailleurs pas totalement contradictoire.

8 . NIS/LS VMT, p . 204.

67

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Une note de Sedov retrouvée dans ses papiers à Stanford atteste e n outre que c’est Blumkine qui a rédigé le 2 avril 1929, chez Trotsky, la nécrologie concernant l'officier de l'Armée rouge E.A. Dreitser sur lequel n i Trotsky n i Liova n'avaient d'information autre que celle de sa mort. Elle n e règle pas tout, car la nouvelle était fausse et qu’on peut très bien penser qu’elle avait été lancée de Moscou par le GPU pour « piéger » Blumkine que l'on savait lié à Dreitser — et

savoir s’il avait rendu visite à Trotsky®.

Liova, pendant toute cette période, maintient le contact avec l'URSS, u n contact désormais très lâche, épisodique par la force des choses, mais réel. Convoyé par Raymond Molinier, l’un de ses hommes d'URSS est même venu e n Turquie e n septembre 1932 sous son n o m de guerre de Vetter, afin de rencontrer Trotsky. Juif d'origine russe élevé e n France, nommé Jakov Kotcherets et surnommé « le Français » , traducteur e n russe de Louis Aragon sous le pseudonyme de Jacques Renaud o u Reynaud, cet homme semble avoir été pendant quelques annnées le lien entre Sedov et les oppositionnels encore e n liberté, celui à qui il envoya périodiquement des « courriers ». Il semble que Sedov ait été tenu a u courant des capitulations fictives destinées à réintégrer dans l a vie des militants d e l'Oppo-

sition d'accord avec son organisation: tel fut, semblet-il, le cas de N.I. Mekler et Ilya Rosengaus, mais aussi de R.S. Farbman (Rafaïl) et de l'ancien collaborateur de Trotsky, Grigori Stopalov.

9. A H I , Sedov : note d u 2 avril 1929.

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Plaque tournante etjoaillerie

E n septembre 1932, lorsque la situation commence à faire envisager son départ d'Allemagne, il écrit à son père résurné, e n u n sens, bilan de son activité : « L'organisation d e ces voyages, leur utilisation, leur transmission, tout cela a demandé à

chaquefois de nombreuses heures de réflexion et de travail, u n travail presque de “joaillier” (...) Souvent, il faut non seulement “donner des instructions”, mais aussi e t avant tout convaincre.

Personne (sauf une exception) n’est venu d e luimême, il a fallu les trouver e t les attirer. J'ai maintenant u n “agent” permanent qui vient quelquefois. J'ai pleine confiance e n lui D e tous les voyages là-bas, aucun n e s’est fait “de lui-même”.

J'écris là-dessus dans l'unique but de préciser m o n sort d e ce point d e vue. M o n départ d'Europe signifierait d efait l a liquidation d e nos liens, tout c e qu’on pourrait conserver, c e serait quelque

correspondance unilatérale venant d e là-bas. C’est l'avis des amis d e Moscou qui sont dans

l'abattement. Ils “estinent” indispensable quej e reste e n Europe. »!19 Le secret sur les courriers a été bien gardé. Nous connaissons seulement les n o m s d e Robert Caby, qui

alla s'informer sur le sort de Victor Serge, et de l'Allem a n d Retzlaw qui fit sans doute l’un des derniers voyages organisés par Liova à Berlin, entre l’arrivée d'Hitler à la chancellerie et son propre départ pour Paris, donc e n février 1933. Il e n a laissé u n bref récit dans ses mémoires : il avait à Moscou deux rendezvous précis avec deux mots de passe, l'un devant la statue de Pouchkine, boulevard Tverskoy, l'autre dans le hall d'entrée de la Maison des syndicats. Quelques mots, le temps de transmettre a u contact les amitiés de Sedov et ils se séparent. Moins de quinze jours plus tard, à Berlin, Liova lui transmet les salutations des

10. AHLH, L. Sedov : lettre fin septembre 1932.

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Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

deux clandestins dont il ne sut jamais qui ils étaient!!. Le plus souvent, ces courriers voyageaient dans des groupes organisés par des sociétés culturelles o u de loisirs dépendant d u KPD o u d u trust Münzenberg. Ils avaient pour mission d'aller porter o u chercher u n document à u n endroit précis o ù u n oppositsionner soviétique, muni de leur signalement, le recevait o u le leur remettait. C’est tout. U n autre allait chercher la réponse o u le message de là-bas. Il n’y avait pas de messager aller-retour, mais des messagers aller et des messagers retour. Liova, clandestin consommé, cloisonnait a u maximum. I l n e semble pas qu'aucun de ses messagers soit jamais « tombé ».

L'une des tâches particulièrement importantes de Liova à partir de la Turquie fut la parution régulière d u

Biulleten oppositsii qui publiait essentiellement les articles de Trotsky. O n se souvient que le numéro 1, entièrement préparé, fut envoyé par lui à Salomon Kharine, dit Joseph, à Paris et que ce dernier l’'apporta dans le panier de sa « réconciliation » avec le parti — à l'ambassade de la rue de Grenelle!2. Il n e semble pas qu’il fut difficile de le reconstituer.

Liova collabora lui-même à son bulletin, rédigeant pour lui des articles pertinents consacrés e n général à l'URSS, histoire et actualité, et à la situation des « bolcheviks-léninistes ». I] les signait « Markine » . Le vieux militant allemand Anton Grylewicz assurait l'administration. L a « correspondance » de Russie y tenait une place importante. Il m’a été possible de constater à travers les archives de Harvard et celles de Stanford

11. Karl Retzlaw, Spartakus, p . 356. 12. Pierre Broué, « U n Provocateur à Paris : l'affaire Kharine », CLT, 7 / 8 , 1981.

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qu’une partie seulement de ces prétendues « lettres » étaient bien des copies — purgées des détails trop révélateurs — de lettres réellement adressées a u bulletin par des voyageurs et des correspondants fidèles. L'un de ces derniers signait Tenzov — u n pseudonyme qui n e semble pas avoir été percé. C'était u n vieux-bolchevik, ami notamment de V.D. Kasparova qui avait dirigé l'administration de l'Armée rouge. Il semble avoir travaillé quelque temps à Londres à l’ambassade o u à la légation. Son n o m commençait pas « Ten » et se terminait par « zov » — d’où son pseudonyme, qui mécontentait Sedov parce que trop facile à percer. Pendant longtemps encore, jusqu’en 1933, une correspondance importante provenait d e N . N . Perevertsev, q u e Liova appelait « Pierre », l'ancien opposition-

nel dont le GPU avait saisi à la fin de 1927 des lettres que lui avait adressées Trotsky. Déporté, il réussissait de temps e n temps, avec des complicités, à quitter le lieu de déportation pour aller quérir des informations e n ville, les envoyait, puis revenait. A u fur et à mesure que la correspondance se raréfie, Sedov « fabrique » de plus e n plus de lettres d'URSS à partir des rapports qui, lui parviennent, soit de Russes, soit d'étrangers

comme l'Américain J o h n

Becker, u n précieux ingénieur qui voyage beaucoup et que sa profession a mis e n contact avec Mratchkovsky, devenu directeur d'usine. C’est dans les notes d e

Becker que sont découpés des récits de voyage o u encore des anecdotes provenant de Mratchkovsky, que Sedov isole pour les présenter c o m m e des extraits d e

lettres différentes. Le mode de « fabrication » de ces lettres n’enlève rien à leur valeur. Bien des historiens d'hier et d'aujourd'hui « découvrent » dans les archives des faits déjà décrits dans le courrier d u Biulleten oppositsii. L e B O est diffusé systématiquement par courrier, adressé aux ministères et organes d u parti et des syndicats, aux organismes culturels, universités, bi{1

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

bliothèques, clubs etc. o ù une personne avertie peut éventuellement le lire etc. Il est aussi tiré dans u n e

édition spéciale miniaturisée sur papier pelure, les «

petits », qui sont transportés e n U R S S notamment

par des marins d'Anvers et de Hambourg avant 1933. Staline e n tout cas a l u tous les numéros d u B O avec une extrême attention. O n l’a l u aussi dans les isolateurs et les prisons.

Le B O est l'organe des trotskystes, des « bolcheviksléninistes » comme ils s'intitulent fièrement. Liova y donne des articles qui reposent sur la presse et les informations qu’il reçoit d u pays.

Le 2 8 mars 1930, il e n signe u n sur « L a Dissolution d u Parti dans la Classe ». Il rappelle la décision de faire u n e campagne pour u n nouveau recrutement massif

dans le PCUS. L a presse parle de « lame de fond », d’afflux massif ». L'objectif proclamé est que le parti, qui v a atteindre les deux millions de membres, soit constitué pour moitié d'ouvriers. L a presse fait apparaître qu’il s'agit le plus souvent d'adhésions collec«

tives, sans aucun contrôle sérieux, par ateliers voire par usines, d e vraies fournées. L e premier résultat est

l'entrée e n masse d'« illettrés politiques » dans le parti, comme le souligne u n correspondant ouvrier de la

Pravda. Le deuxième est que le critère décisif de l’admission est la double question d u travail productif et de la « discipline modèle » d u postulant. Peu importe désormais « l'esprit de parti » puisqu'on n e recrute que des exécutants. Il conclut : «

Par ailleurs, l'ouvrier sans parti dans une

usine n e voit p a s une grande différence entre lui

et l'ouvrier qui est membre d u parti. Pourquoi n e pas y entrer, ce sera bienplusfacile, se dit-il. E n privant les membres d u parti aussi bien que les sans parti d e tout droit, e n les écrasant dans s a 72

Plaque tournante etjoaillerie tenaile bureaucratique, l'appareil des usurpateurs afait des uns et des autres des exécutants qui n'ont pas droit à la parole. N i les ouvriers d u parti, n i les sans parti n’osent décider, critiquer o u délibérer. L'ouverture toute grande des portes d u parti efface les distinctions entre le parti et la classe. L e parti cesse d'être une avant-garde, il cesse d'être u n parti. Mais c'est précisément ce que veut l'appareil. E n même temps que le parti s e dissout dans la classe, l'appareil s'élève d'autant plus au-dessus d'eux. Ces deux processus sont parallèles, l’un complétant l'autre. A u sommet, l'appareil devient une institution au-dessus d u parti, incontrôlée, infaillible, donnant des ordres — à la base, le parti n'existe plus. L e développement ultérieur d e ce processus, c’est le déclin, la mort d uparti e n tant queparti : il nousfaut êtrefrancs sur ce point et l’affirmer d e toute notre détermination. »15

Sur les militants exilés o u emprisonnés, Liova donne des informations abondantes et détaillées. Sous le titre « L a Répression contre les bolcheviks-léninistes » , signé N. Markine, il parle des déportés obscurs brutalement arrêtés et aussi des plus connus parmi les emprisonnés de l'Opposition : «

L a perquisition serrée qui a e u lieu chez le

camarade Rakousky a été racontéepartout e t elle est bien connue. C’est contre lui, e n tant que chef

de l'Opposition russe que les staliniens concentrent leur haine. Gravenent malade, atteint d'une maladie d e cœur et d e malaria, Rakousky, loin d'être transféré dans u n climat plus clément comme l'avaient ordonné les médecins, a êté

transféré d’Astrakhan à Barnaoul. L e camarade

Rakousky, qui est âgé d e cinquante-sept ans,

dont quarante consacrésà la luttepour le communisme, a passé u n hiver très pénible, son orga-

1 3 . L. Sedov, « L a Dissolution d u Parti dans l a Classe », 10,

avril 1930. Signé N. Markine. 13

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

nisne malade devant supporter des froids de — 40° et - 50°. L'isolement dans lequel il est tenu est plus rigoureux que pour quiconque. L ejeu d e

Staline est clair : lentement, mais sûrement, e n finir avec Rakousky. C’est dans une situation encoreplus pénible que se trouve u n chef éminent

d e l'Opposition, u n vieux-bolchevik, le camarade L.S. Sosnousky. Il est incarcéré à l a prison d e Tomsk, à u n régime d'isolement plus sévère que n’en ont jamais connu les prisons d u tsarisme pour les condamnés à mort. Aucune correspondance n e lui est permise, aucun envoi autori sé, aucune relation avec les autres détenus : il doit faire s a promenade accompagné d'un agent

spécial d u GPU. C’est dans des conditions semblables que s e trouve u n autre vieux bolchevik : B.M. Eltsine, atteint d’une tuberculose des os. »!4* Dans son article « L a Vie de l'Opposition e n Prison et e n Exil » , novembre 1930, il résume les débats politiques qui divisent les oppositsionnerien exil o u e n prison. Rakovsky veut « conserver le rythme de développement de l'industrie » . D'autres camarades estiment que leur devoir est de critiquer impitoyablement les rythmes de la bureaucratie, pas de les maintenir. U n e autre question est âprement débattue : celle d u

caractère social et des perspectives de l'Etat soviétique, ainsi que celle d e l a nature sociale de la bureaucratie, « phénomène jusqu’à présent inconnu dans l'histoire et qui n'a donc p a s été analysé encore p a r l a pensée

marxiste» : «

Jusqu'à quel point peut-on considérer la bu-

reaucratie comme u n e classe o u embryon d e

classe ? L a bureaucratie peut-elle devenir une classe ? »

14. L. Sedov, « L a Répression contre les bolcheviks-léninistes », B.O. 14 août 1930. Signé Markine. 74

Plaque tournante etjoaillerie

Rakovsky parle de la possibilité de « la transformation de l’Etat prolétarien e n Etat bureaucratique (avec des vestiges communistes »). Il vient d'écrire, concernant la bureaucratie : « Sous nos yeux s'est formée et se forme une grande classe d e gouvernants avec ses propres

divisions internes, qui se multiplie par la voie de la cooptationpréparée, directe et indirecte (promotion bureaucratique, système d'électionsfictif). L a base d’appuit d e cetteforme sociale originale est une espèce originale, elle aussi, d e propriété pri vée, à savoir la possession d u pouvoir d'Etat. L a bureaucratie “possède l'Etat e n propriété pri vée” », écrivait Marx (Critique d u Droit d e Hegel). Liova indique que la colonie des déportés de Kolpatchevo a répondu à Rakovsky que la bureaucratie n’était p a s e t n e serait jamais u n e classe : « L a bureaucratie, couche dirigeante d e la société, dégénèrera ; elle est le germe d’une classe capitaliste qui domine l'Etat et possède collectivement les moyens d e production. »

Autre divergence. Rakovsky a lancé le mot d'ordre de « comité central de coalition (gauche, centre et droite) » , « voie concrète, écrit u n camarade, bien qu’imparfaite (...) pour l'abolition complète d u monopole politique des centristes » . U n autre camarade parle d e « l'état avancé d e l a dégénérescence bureaucratique d e l'appareil », c’est-à-

dire de « l’encerclement bureaucratique de la dictature prolétarienne » . Il redoute que les excès n e discréditent le principe même de la politique de collectivisation et d'industrialisation, c’est-à-dire tout l’enseignement de Lénine. Liova conclut : « Par la faim, par le froid, le blocus, les violences, les coups et les pelotons d'exécution, le

centrisme [stalinien — PB] essaie d’obliger les

plusfaibles à capituler et condamne les plusforts 75

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

à la ruine. Seule la classe ouvrière peut déjouer ce plan. C’est son devoir, c'est s a tâche. E n e n finissant avec la gauche, Staline veut e nfinir avec la Révolution d'Octobre. Il faut le comprendre. Il

faut l'empêcher. Il nefaut pas le permettre !. »15

Les rapports entre Liova et son père semblent avoir empiré pendant la période initiale d u séjour à Prinkipo puis avec l a liaison avec Jeanne, mais nous n'avons à c e sujet q u e p e u d'informations car les échanges à c e

sujet n'étaient pas écrits. Nous savions par V a n et j'ai retrouvé plus tard à Stanford la demande de visa pour retourner e n URSS que Liova adressa e n août 1929 a u consulat d'URSS à Constantinople. Quelle était sa signification ? Sans doute u n désir de rupture personnelle de la part de Liova, o u la tentation de revoir son fils. Mais il faut être net : nous n e savons rien d e plus

côté Sedov. Le général-historien Volkogonov nous apprend que Staline ricana et annonça qu’après le « fiston » , ce serait bientôt « le vieux » qui demanderait à revenir. Il n e saisit donc pas l’occasion de se débarrasser ainsi d e Liova e t c e dernier n e reçut aucune réponse. Staline semble avoir beaucoup regretté plus

tard cette négligence puisqu'il chercha pendant des années à l'enlever o u à le tuer. Quelle est l a véritable raison d u départ d e Liova,

avec Jeanne, pour Berlin, le 1 8 février 1 9 3 1 ? Trotsky assure, après l a mort d e s o n fils : « S a mère et moi insistions pour qu'il revint, à l'étranger, à la science abandonnée. Pendant ce temps une équipe d e jeunes collaborateurs d e divers pays avait étéformée à Prinkipo, e n étroite

15. L. Sedov, « L a vie de l'Opposition en Prison et e n Exil », The Militant, 34, 1 décembre 1930.

76

Plaque tournante etjoaillerie

collaboration avec m o nfils. Il n e consentit à partir que devant l'argument d e poids qu'en Allemagne ilpourrait rendre d’inappréciables services à l'Opposition d e gauche internationale. »!© Les premières lettres envoyées de Berlin par Liova montrent e n effet le peu d'enthousiasme qu’il éprouve pour sa nouvelle résidence, malgré le chaleureux accueil des amis berlinois d u père, Franz Pfemfert, l’écrivain et photographe expressionniste, qu’il n e semble guère apprécier pourtant, et Aleksandra Ramm, la traductrice, son épouse, dont il écrit qu'ils ont le pire caractère qu'il ait jamais connu. Il est clair qu'il a la nostalgie de Prinkipo et aussi qu'il juge Berlin beaucoup trop proche de Paris o ù il y a Molinier avec l'influence qu'il continue à exercer sur Jeanne.

Dans l'intervalle, tout — moral et perspectives — a changé brutalement avec la rencontre qu’il fait, a u mois d e mai, dans le magasin K D W à Berlin, d'Ivan

Nikititch Smirnov, venu e n voyage dans le cadre de ses fonctions de directeur d’une usine d'automobiles à Nijni-Novgorod. Ils se reconnaissent, se parlent et concluent u n accord dont nous n e savons pas grand chose, sauf qu’il portait sur l'échange de documents et des projets de travail e n commun. Le général Volkogon o v a v u dans les archives d e Moscou le compte rendu d e cette conversation fait p a r Liova à s o n père. Il l’a

dans u n premier temps cité dans le manuscrit russe d e s o n Trotsky, puis s’est ravisé e t a biffé c e passage

de l'édition russe et sans doute des traductions à venir. Ivan Nikitich Smirnov, u n de ces « bolcheviks de fer » profondément humains que Liova a tellement admirés, est revenu à l’action politique et dirige main-

16. L. Trotsky, LS.FAM, p. 184. [7

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

tenant u n groupe que Liova v a appeler celui des « trotskystes ex-capitulards ». Avec lui, pas m a l de ceux qui avaient renié l’Opposition e n 1928, et aussi beaucoup de jeunes qui l'ont fait « par tactique » et l'ont rejoint après l a destruction d u dernier « centre bolchevik-lé-

niniste » . L e professeur Naourmov, qui a participé à la commission qui a réhabilité I.N. Smirnov et les gens de son « groupe » , m'a dit que l'âme e n était s a première femme Aleksandra Nikolaievna Safonova. Sedov, outre Smirnov et Safonova, connaît nombre d'entre eux, de R.V.Baranov, qui était avec lui dans l'Oural, à A.A. Konstantinov, « capitulard tactique », le Kostia d'One Long Night, le beau livre de Maria Mikhai-

lovna Joflé, la veuve de l'ami de Trotsky, sur Vorkouta, e n passant par Karl Ivanovitch Grünstein qui fut aussi l'ami de son père, Palatnikov, qui travailla dans son secrétariat, Bolotnikov, qui avait été l'organisateur d u travail de l'Opposition a u VI€ congrès de l'IC, le jeune théoricien Ter-Vaganian et bien d'autres, dont le théoricien d e l a capitulation d e 1928, qui revenait alors vers l’Opposition, E.A. Préobrajensky1!7.

Liova revient ainsi e n plein dans l'histoire et la politique soviétique. Dans les mois qui suivent, une liaison fonctionne avec I N Smirnov et le Biulleten oppositsii publie de nouveau des lettres politiques authentiques, provenant de son groupe, y compris u n rapport de Smirnov lui-même. Les informations foisonnent. O n sait q u e Smilga, proche d u groupe e t q u i

reçoit trop de visites a u goût de Staline, a été invité à quitter Moscou. O n sait que Mratchkovsky et P.V. Perevertsev ont élaboré une plate-forme o ù des projets d'action — que Liova juge sérieux — se dissimulent derrière des phrases de capitulation.

17. Ces indications se trouvent dans la correspondance de Sedov ; les membres d u groupe arrêtés, a u nombre d e 85, sont

énumérés dans

«

O tak vazynaemoi kontrrevoljutsionnoi trot-

skistoi gruppe Smirmova N .l., Ter-Vaganian, V.A., Preobrajens-

kogo E.A. i drugikh », Izvestija TsK KPPS, n° 6, 1991, pp.78-81. 78

Plaque tournante etjoaillerie Il connaît aussi l'activité d'autres groupes. Une opposition s’est formée chez les komsomols staliniens, le groupe des « gauchistes » o u encore des « Jeunes Turcs » qu’inspirent V V . Lominadze, Lazar Chatskine et J a n Sten, le regain d'activité d u groupe Zinoviev-Kamenev qui regrette une fois de plus d’avoir rompu avec l’Opposition de gauche et critique la politique suici-

daire d u Comintern en Allemagne, le groupe des zino» , Safarov et Tarkhanov, enfin.

viévistes « de gauche

Liova est aussi informé de l'existence de ce groupe curieux qu’il appelle les « droitiers », alors que ceux-ci n’en sont qu'une composante : il s’agit de la Ligue marxiste-léniniste, que dirige Martemian Rioutine, vieil adversaire de l'Opposition de gauche, lequel rend maintenant hommage à Trotsky. L a « Ligue » recrute trotskystes et anciens trotskystes dans la lutte contre Staline : Sedov la confond visiblement avec le groupe d e Slepkov d'ex-droitiers à l’évolution identique, e t les

appelle e n bloc « le groupe des droitiers ». Liova est dans son élément. Il écrira plus tard a u secrétariat international cette phrase à la fois modeste et tromphante : « I N . Smimou e t d'autres qui nous ont quittés

dans le temps sont revenus. »18 E n 1932, la crise apparaît a u grand j o u r e n URSS. Staline est e n difficulté, mais il v a frapper à temps. Il frappe Zinoviev, Kamenev, Sten pour n’avoir p a s d é -

noncé Rioutine. Mais il n e peut obtenir d u bureau politique la condamnation à mort de ce dernier, seulement emprisonné, de même qu’un autre groupe n é de la décomposition de la « droite » boukharinienne, animé par A.N. Slepkov, u n combattant qui n'hésite

18. L. Sedov, « L a situation d e l'Opposition d e gauche e n

URSS

»

(nd, mai 1934), rapport a u SI. Archives J . Rous et

Tamiment Library, New York.

79

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

pas à reconnaître que Trotsky a e u raison sur bien des

points19. C’est u n vieux-bolchevik d u commerce extérieur, Holzman, envoyé par I.N. Smirnov, qui rend visite à Liova à Berlin e n septembre : il apporte la grande nouvelle. L'action de Smirnov et de son groupe ont abouti à la constitution d’un « Bloc des Oppositions » qui réunit avec lui les groupe Zinoviev-Kamenev et Sten-Lominadze. Le « bloc » étudie les actions à mener, une alliance avec les « droitiers » , et compte largement sur la protection de ceux qu'il appelle « les libéraux » a u sommet de l’appareil20. U n autre vieux-bolchevik, ancien membre de la commission centrale de contrôle, le LettonIouri Gaven, autorisé à venir soigner sa tuberculose e n Allemagne, écrit à Trotsky. Sedov publie sa lettre dans le B O sous la signature de Gromovoi et le rencontre. Il appartient à u n autre groupe, organisé par le vieux-bolchevik Ossinsky, confirme ce qu'a dit Holzman sur le rôle d u groupe Smirnov, l'existence d u Bloc des Oppositions,

les perspectives offertes par une alliance générale2!. Liova et s o n père s'affrontent e n camarades. Faut-il

reprendre le mot d'ordre de Rioutine :

«

Chasser Sta-

line » ? Liova e n est partisan. Il écrit : « I l faut avant tout chasser la direction actuelle, chasser Staline. Seule leur liquidation peut amener la victoire. »

Trotsky rétorque qu’il faut dire : «

A bas le régime d e pouvoir personnel!

»

19. Boris Starkov , « Delo Riutina », & L.P. Petrovsky, « Pos-

lednyi rot front », Oni ne moltchani, Moscou 1991. 20. Pierre Broué, « Trotsky et le Bloc des Oppositions 1932 »,

CLT, juin 1984. 2 1 . AIH, lettre d e Gromovoi (Gaven) le 1 5 septembre e t notes

de Sedov sur leur entrevue. 80

Plaque tournante etjoaillerie

Liova répond : « Il faut lier étroitement les mots d'ordre d e “Chasser Staline” et d e “A bas le régime d e pouvoir personnel”, expliquerpourquoi le premier découle inévitablement et directement d u second, mais il n e faut pas les opposer : personne n e le comprendrait. “Nous n e sommes p a s pour chasser Staline, mais nous sommes contre le régime d e pouvoir personnel” Cela n e v a pas. C’est

justement parce que nous sommes contre le rê-

gime d epouvoirpersonnel que nous sommes pour chasser Staline. » Trotsky appelle les alliés d u Bloc à s'exprimer ouvertenent, à signer leurs documents. Inquiet de toute accusation qui le ferait apparaître comme u n homme qui cherche revanche et vengeance, n e voulant surtout pas effrayer, il dit que les mots d'ordre de l’Opposition doivent tenir compte d u « m u r » qui la sépare actuellement des masses. Il écrit : « Nous nous contentons d'exiger la réintégration d e l'Opposition d e gauche dans leparti. Nous sommes prêts, aujourd’hui comme dans lepassé,

à collaborer avec lafraction a u pouvoir. »22 Nous ignorons lequel a convaincu l'autre. L a discussion s'arrête. Holzman avait parlé d’une dénonciation d u groupe de Smirnov à la police. Lui-même est arrêté a u retour et les documents destinés à Smirnov découverts. Les membres d u groupe sont arrêtés, condamnés à de lourdes peines de prison. Il n e peut plus y avoir d e bloc puisque les chefs d e tous les groupes alliés sont e n prison o u e n exil. Il n’est m ê m e p a s s û r q u e s a première réunion s e soit tenue.

Après ces arrestations, Liova commente la situation dans u n texte d u mois de novembre. Il s'attend à ce

22. AHLH novembre-décembre 1932, échange Trotsky-Sedov. 81

Léon Sedou, fils de Trotsky, victime de Staline que « les droites » — aussi bien Slepkov que Rioutine, qu’il croit dans le même groupe — jouent u n rôle important : « Pour une évaluation d e l'opposition d e droite, o n n e doit pas perdre d e vue u n seul instant que

l'on ne peut, à l'étape actuelle, la comparer avec son modèle occidental. E n URSS, les droites n e sont pas u n groupuscule opportunisre d e “cadres”, mais une grande masse politiquement informelle. Leur noyau principal a conservé, après la capitulation d e ses chefs, ses propres cadres à l'intérieur d uparti. C’est vers eux qu'est attirée la masse d e ceux que mécontente la politique ultragauchiste d e Staline. Parmi les droites — comme dans l'appareil lui-même, ily a non seulement des révolutionnaires honnêtes mais aussi une foule de futurs adhérents de l'Opposition de gauche. L'obscurité maintenue dans leparti, son évolution sous u n e pression bureaucratique fantastique

empêchent une évolution normale. L'inpasse

dans laquelle on a conduit l'Union soviétique exige p a r ailleurs une retraite. Dans cette phase conjoncturelle, tous les courants d u parti se sont unis. L a différenciation des droites est inévitable, mais il s’agit d'unprocessus à venir plutôt qu'’ac-

tuel. »23

Le dernier signe de la crise de Moscou viendra quand Liova sera e n France. U n des médecins d u

Kremlin, le D r Levine, entre e n contact avec lui par

l'intermédiaire de Marcel Body, u n vétéran d u groupe communiste français de Moscou de 1917, pour lui dire que les « libéraux » de Moscou, qui sont a u bureau politique, veulent savoir si Trotsky accepterait que lui

2 3 . AHI, Sedov : lettre d e décembre 1932.

82

Plaque tournante etjoaillerie

e t ses camarades soient réintégrés a u parti sans q u e

le droit de fraction y soit reconnu. Nous ignorons le contenu de cette discussion et de la réponse de Liova24. Car, avec 1933 et l a victoire d u nazisme, c’est tout s o n réseau de communications avec l'Union soviétique par

l’intermédiaire d'émissaires camouflés dans les organisations allemandes d'amis de l'URSS qui s'effondre d'un coup, isolant définitivement les gens qui ont appartenu à l'Opposition russe.

Pourtant, peu après le départ de Liova e n France, son ami Barton, signant Bôhm, lui écrit de Berlin pour lui annoncer « l’arrivée d u Russe B . » et la nécessité de l'épauler dans la tâche qui a été la sienne, créer des groupes locaux d’opposition?S. Face à la terrible menace de l'Allemagne hitlérienne, Staline joue la carte d e l'Union sacrée, arrache l a capitulation d e Khristian

Rakovsky, de L.S. Sosnovsky et de V . D . Kasparova, les derniers « vieux » connus de cette Opposition.

Dans u n rapport adressé a u secrétariat international de l'Opposition de gauche après la capitulation de Rakovsky et de Sosnovsky, Liova écrit ces lignes terribles : «

Mais s i Rakouvsky trouve quand m ê m e des

partisans, il n e faudra pas s’en étonner. Il faut plutôt s'étonner que les bolcheviks russes tiennent encore, car “tenir” e n URSS maintenant s i

gnifie non lutter, non vivre avec une perspective révolutionnaire, mais s e sacrifierpassivement, a u

n o m d e l'avenir, a u n o m d e l a continuité historique

de l’internationalisme révolutionnaire. » 2 8 S a lucidité e t s o n absence d'illusions n e l’'empê-

chent pas de réfléchir et d'analyser la réalité sociale soviétique sous le régime bureaucratique. Dans une

24. Marcel Body, « Pages d'Histoire et de Sang », L e Réfractaire, n ° 3 7 , 1988.

25. AIH, lettre de Bôhm à Schwarz, 2 4 avril 1933. 26. L.L. Sedov, « L a situation… », loc.cit.

83

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

étude qui paraîtra e n 1935, Liova fait une remarquable analyse d u mouvement stakhanoviste, noblement ignorée par les spécialistes pendant u n demi-siècle et aujourd'hui encore. Il y démontre le caractère bureaucratique d u phénomène et son objectif qui est de diviser la classe ouvrière par des différenciations sala-

riales et de lui faire accepter le travail aux pièces dont l'abolition avait été l’une des grandes conquêtes révo-

lutionnaires : il est là a u cœur de la compréhension d u stalinisme, quand il écrit : « L'argent et le salaire aux pièces, à l'époque pré-stalinienne, n'ont jamais été considérés

comme des catégories d u communisme ni même d u socialisme. Le “salaire aux pièces”, Marx le définissait comme leplus propre d u mode capitaliste de production » (Le Capital). Seul u n bureaucrate, qui a perdu toute pudeur

marxiste, peut présenter ce reculforcé d u « socia-

lisme » soi-disant réalisé vers l'argent et le salaire aux pièces (et par conséquent vers le renforcement de l'inégalité, de la surtension d e la force ouvrière et l'allongement d e lajournée d e travail) comme « la préparation d u passage a u communisme » (Staline, Pravda, 2 2 novembre 1935)27.

Le 2 décembre 1934, Sergéi Mironovitch Kirov, dauphin mais sans doute rival de Staline, est assassin é à Leningrad. Le bras de l'homme d u Kremlin est derrière le revolver de l'assassin. Liova n e semble pas l'imaginer dans les « notes sur l'assassinat de Kirov » qu'il rédige dès le 6 décembre : il pressent seulement que Staline pourrait avoir laissé faire afin de tenter d'imputer le meurtre à l’Opposition?8.

E n fait le coup de feu de Nikolaiev — l'homme qui t u a Kirov — annonce le crépitement des mitrailleuses

27. L.L. Sedov, « Stakhanovskoe dvijenie », Biulleten Oppositsil n ° 4 7 ; janvier 1936.Trad. fr. CLT, 13. 2 8 . L.L. Sedov, Notes sur l'assassinat d e Kirov (décembre 1932), AHLH.

84

Plaque tournante etjoaillerie qui extermineront les quelques milliers de trotskystes survivants dans une clairière proche de la briquetterie d e Vorkouta.

Pour e n arriver là, tous les survivants — Liova compris — auront à vivre u n long calvaire.

85

CHAPITRE 5

E N ALLEMAGNE P O U R L'INTERNATIONALE

E n cherchant à convaincre Sedov de se rendre e n Allemagne pour y achever ses études, Trotsky avait beaucoup insisté pour qu’il n’abandonne pas le « travail russe » qu’il était le seul à pouvoir mener. Il n e pouvait néammoins tourner le dos n i a u travail allem a n d n i a u travail international. L’offensive des nazis contre la république de Weimar était aussi une tentative de détruire le mouvement ouvrier le plus avancé de l'Europe continentale.

O r le PC allemand (KPD) menait une politique suicidaire que lui dictait e n personne Staline à travers les organes de l'Internationale. Alors que le parti socialdémocrate (SPD) se contentait de haranguer l'Etat et d e supplier le gouvernement d e réprimer les nazis, l e

KPD faisait d u SPD l'ennemi numéro 1, affirmait qu’il était devenu « social-fasciste » et que « l'arbre nazi n e devait p a s cacher l a forêt social-démocrate ». Il réservait le plus gros d e ses attaques a u x socialistes, pro-

clamait qu’aucune alliance n’était possible avec leurs chefs. Cette politique, qu’il appelait cyniquement celle d u « front unique à la base » , était e n réalité une 87

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

politique de division et de refus d u front unique e n u n moment o ù u n tel front défensif était le seul moyen de tenir tête aux nazis et de favoriser l’évolution vers la gauche des socialistes allemands et des travailleurs qu'ils influençaient. L'avenir de la révolution, à terme, se jouait e n Allemagne aussi bien que celui de l'Union soviétique. I l passait a u x yeux d e Sedov p a r l a construction d’une

solide section allemande de l’Opposition de gauche capable de « redresser » la ligne d u KPD et de l'entrainer à de réelles actions de front unique, démonstrations nécessaires pour convaincre les ouvriers alle-

mands. Certains de ses militants obtinrent d'importants succès locaux dans cette voie, comme Helmut Schneeweiss qui avait organisé à Oranienburg des groupes ouvriers de défense unissant le SPD, le K P D et le SAP nouveau parti (parti socialiste ouvrier) n é d'une scission à droite des socialistes et renforcé par d'anciens communistes. Il fallait aussi construire partout de solides sections de l'Opposition internationale pour mener à l'échelle d u monde la lutte contre la contre-révolution stalinienne. Liova s’y consacra.

Rien n'était facile pour lui : il vivait avec Jeanne de l'argent envoyé par le père — qui n e roulait pas sur l'or. Vêtements usagés, logements sordides et froids, pensions médiocres et nourriture

d e pauvre, longues

marches à pied, étaient son lot quotidien. Le tabac le tourmentait beaucoup car ce grand fumeur n'aimait pas les cigarettes allemandes, d'ailleurs trop coûteuses pour lui, ce qui l’obligeait à faire perpétuellement la chasse a u x cigarettes russes, ajoutant ainsi u n tourment — et u n danger — aux autres. Il connut de tels moments de pénurie qu’il envoya même à son père — il s'en excusa plus tard — une lettre sans timbre, car

il n'avait pas de quoi l’affranchir. 88

E n Allemagne pour l'Internationale

Il fut pourtant u n étudiant studieux et ponctuel aux cours de la Technische Hochschule, une grande école polytechnique, o ù il fut admis pour l'année universitaire 1931-1932, et dans laquelle il dût recommencer depuis le début ses études d'ingénieur. Il y signait avec u n soin scrupuleux les feuilles de présence. Sa seule absence fut provoquée par u n séjour à Paris afin de s'y

faire opérer d'un strabisme gênant. L'affaire, menée par Gérard Rosenthal et son père le D r Georges Rosenthal, dirigeant d u parti radical, n e fut pas facile à régler, les autorités policières françaises se souciant peu d'accueillir e n France ce jeune communiste qui était, à n’en p a s douter, u n révolutionnaire convain-

cul.

Elles cédèrent pourtant, peut-être, aux amitiés maçonniques d u D r Rosenthal et n'avaient pas d û manquer d'être impressionnées par les personnes qui s'étaient portée garantes de lui : Madame de SaintPrix, fille d e l’ancien Président d e la République Ernile

Loubet et mère d u poète — communiste avant l'heure — Jean de Saint-Prix, mort prématurément, le physicien Paul Langevin et le président de la Ligue des Droits de l'Homme, le professeur Victor Basch. L'opération se passa bien. Son séjour à Paris permit à Liova de récupérer Jeanne qui l'avait momentanément quitté. Leur couple n’est pas sorti de la zone des tempêtes. L'amour reste, mais aussi les crises, les brouilles, les disputes violentes. Liova connaît les affres de la jalousie quand Jeanne repart à Paris pour quelques se-

maines parce que son mari a fait u n chantage a u suicide o u quand Molinier annonce s o n prochain pas-

sage à Berlin, sur la route de Constantinople. Plus tard, a u milieu de 1931, c’est la rupture : Jeanne retourne à Paris — mais « pas à Molinier » , précise-t-il. D’après les confidences de Liova à sa mère, le couple

1. Archives de la Préfecture de Police, Paris.

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

bat alors sérieusement de l’aile et Liova commence à

faire des commentaires acides sur les frères Molinier et leurs rapports avec Jeanne : il considère qu’une rupture définitive avec elle, bien que difficile à vivre, serait « le salut » pour lui, mais ajoute qu’elle n e s'en remettrait pas. Il assure qu’il a gardé malgré tout s a « joie de vivre ». Quelques mois plus tard, Jeanne est de nouveau à Berlin, « pour longtemps », assure-t-il à s a mère, précisant toutefois que « cela peut changer d u jour a u lendernain » . Ils sont arrivés ensemble d e Paris après son opération aux yeux. Il écrit qu'ils sont heureux, sans plans d'avenir. Mais deux mois après, il recommence à désespérer : Raymond n e cesse d'appeler Jeanne a u téléphone pour l'adjurer de revenir, et « elle meurt » sous ses yeux, terrifiée à l’idée d'ouvrir une lettre de son mari. Il craint que la tension, trop forte, n e la conduise a u suicide. Liova se tourna à s o n arrivée, s u r les conseils d e

son père vers le couple Pfemfert. Franz, poète expressionniste, communiste « d e gauche » , avait conservé d e tout tenps des relations personnelles avec Trotsky et son épouse Aleksandra R a m m traduisait e n allemand les travaux de ce dernier. Liova assure qu'il eut avec eux une patience infinie. Bien qu'ils aient v u d’un mauvais œil s a concurrence qui brisait l'exclusivité d e leurs rapports avec Trotsky, ils lui rendirent de grands services sur tous les plans. Liova assura plus tard à sa mère qu'en deux ans il avait été la seule personne à n e p a s se quereller avec les Pfemfert, dont c'était l a spé-

cialité, et à s'être répété e n français, tout e n rongeant son frein : « À quoi b o n ? »

Il se fit ensuite des relations dans le milieu russe, avec l'étudiant Oskar Grossmann, qu’il recruta pour la section de l'Opposition allemande, le menchevik de gauche Grigori Bienstock et quelques autres. I l noua des relations précieuses avec le menchevik Boris Nico-

laievsky, déjà l’un des hommes dont la documentation sur l'URSS était sans égale. Il retrouva une amie russe, 90

E n Allemagne pour l'Intenationale

Dina Männhof, mariée à u n Berlinois et devenue psy-

chanalyste. Il milita surtout a u sein de la section allemande et se lia particulièrement à Eugen Bauer, le D r Erwin Ackerknecht, qu'il fit venir de Leipzig à Berlin pour l'aider quand il eut compris qu’il devrait s'occuper aussi de la section allemande, et aussi Otto Schüssler, emballeur de livres d'art, qu’il allait envoyer à son père comme secrétaire. Il fit aussi la connaissance, bien entendu, des militants étrangers qu'il n e connaissait pas, et qu'il recevait, le Français Pierre Frank, mais aussi l'Espagnol Juan Andrade, qui prit des vacances à Berlin, a u grand

scandale de Trotsky, le Grec Mitsos Yotopoulos — Witte o u Vitte — envoyé par les archéiomarxistes (ou « marxistes des archives » , u n groupe qui avait rompu avec l'IC e n 1924 et rejoint récemment l'Opposition de gauche) a u secrétariat international. À Vienne, il avait repris contact avec l a veuve d e l’ami Kliatchko, A n n a

Konstantinovna. Il écrivait : «Une “vieille dame” sereine, comme Anna Konstantinouvna, vaut mieux que des milliers d e jeunesses ! J e suis sur-le-champ tombé amoureux d'elle. »2

Anna Kliatchko vivait alors avec l’une de ses filles, Lina Semionovna. Liova retrouva aussiRaïssa Epstein, camarade de son père e n sa jeunesse, épouse d u psychanalyste D r Alfred Adler et aussi J . Frank-Graef qui s'était appelé Esquire à Prinkipo de son témps. Il alla rendre visite à M a x Adler qui le reçut fort bien.

2 . AIHS Amsterdam, L. Sedov : lettre d u 2 8 février 1 9 3 1 .

91l

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

U n peu moins d’un a n après son arrivée, il dut accueillir à Berlin sa sœur Zinaïda venue soigner ses poumons. Les soins attentifs d u D r M a y vinrent à bout des dégâts commis par les médecins de Constantinople qui lui avaient fait u n pneumothorax e n se trompant de poumon. Mais e n même temps que ce mieux apparaissaient les symptômes de troubles mentaux. Trotsky n e se rendait pas compte de la situation réelle, tranchait e n médecin et e n pédagogue autoritaire de ce qu'il n e connaissait pas, envoyant des lettres qui aggravaient l’état de Zina. Liova, lui, la plaint sincèrement e t ses lettres a u x parents, qu'il n e parvient p a s à convaincre, sont empreintes d'une immense e t

bouleversante compassion pour son aînée si fragile. E t pourtant, que peut-il faire, militant jusqu’ à 1 5 heures

par jour et potassant cours et manuels la nuit ? Après la disparition de Zina, il doit veiller sur le petit garçon de cette dernière, son neveu Vsiévolod Volkov, dit Siéva, âgé seulement de 7 ans. Il l’aime parce qu'il est « gentil et doux » , mais, après la mort de sa mère, l’enfant a des problèmes de santé et il faut bientôt l'envoyer à Vienne dans u n pensionnat sous surveillance médicale. Liova n'avait pas besoin de ces charges qui l'accablent moralement. L a police berlinoise accroît encore la tension e n le convoquant souvent pour lui faire subir des interrogatoires serrés, e n menaçant de l'expulser et surtout e n soumettant à l a m ê m e épreuve Jeanne e t Zina, cette

dernière profondément bouleversée par ce genre d'épreuve. Liova est bouleversé par la haine que ces policiers éprouvent pour s o n père.

D'autres tâches longues et difficiles se présentent inopinément. Ainsi le projet de voyage de Trotsky pour suivre u n e cure balnéaire e n Tchécoslovaquie v a occuper Liova pendant plusieurs mois car le passage des frontières pour se rendre e n Bohême par voie de terre pose à Trotsky des problèmes inextricables. E t voilà Liova lancé dans les milieux de l'aviation, les avions privés, les tarifs aériens et les règlements internatio92

E n Allemagne pour l'Internationale

naux. Finalement, le gouvernement tchécoslovaque refuse le visa qu'il avait à moitié promis : que de tenps et d'efforts perdus ! Il faut ajouter les soucis qu’on n e porte pas e n bandoulière mais qui n e vous ravagent pas moins e n permanence dès que l'esprit est libéré d'une préoceupation. Anna n'écrit plus. Il semble — mais ce n'est pas certain —, à travers une lettre qu’il adresse à Natalia Ivanovna, qu’elle se soit remariée. Bien entendu, il assure q u e cela n e l'atteint p a s particulièrement puis-

qu'il est lui-même e n ménage avec Jeanne. Il répète que c’est pour lui une tragédie que d'être privé de nouvelles de Liulik qui a maintenant cinq ans et dont il a u n moment espéré que sa mère consentirait à le lui confier e n Occident. O r il n’en est plus question. V a n m'a dit qu'Anna

était remariée avec u n stalinien*. Liova se désespère. Il le répète dans ses lettres à sa mère. Il aime son petit et celui-ci lui manque, il s'inquiète de l'éducation qu’il reçoit. Ne risque-t-il pas de subir des déformations qui n e pourront être rattrapées ? E n d'autres termes, s'il le retrouve u n jour, n e sera-t-il pas pour lui u n étranger ? D e plus, la sœur d'Anna s’est mariée à Aleksandr Poskrebytchev, u n homme de confiance de Staline. Liova confiera plus tard à une amie chère qu’il a peur qu’on ait appris à l'enfant à le haïr.

L a première décision prise lors de son arrivée avait été le transfert d u Biulleten à Berlin sous son contrôle direct. I l commença à s’en occuper mais quelquesjours

plus tard, la nouvelle de l'incendie qui avait ravagé la

3 . Madame Vilgelmina Slavoutskaia, ancienne permanente

de l'Internationale de la jeunesse communiste (KIM), m'a dit avoir rencontré Anna Metallikova dans u n e prison d e Moscou e n 1936.

93

Léon Sedov, fils d e Trotsky, victime d e Staline

villa de Prinkipo dans la nuit d u 28 février a u 1€"mars 1 9 3 1 lui imposa des tâches supplémentaires. Une grande partie de la bibliothèque avait été détruite par le feu. Il fallait reconstituer le fonds des livres et instruments de travail, dictionnaires, encyclopédies,

manuels. Trotsky n'avait évidemment pas les moyens de faire face à une telle dépense et c'était à Sedov de trouver des solutions, presque a u coup par coup, de solliciter l'aide extérieure sans donner le sentiment que Trotsky mendiait et sans payer. Il tint cette gageure. Mais le 2 1 avril, trois mois après son arrivée, il écrivait à sa mère qu’il vivait comme e n Turquie « d u point de vue des distractions » , qu’il n'avait pas encore fait une seule sortie et qu'il n e connaissait pas Berlin.

Trotsky lui avait demandé de n e pas s’enfoncer dans le travail allemand. Pourtant, a u fur et à mesure que Liova lui envoyait des informations sur ses rencontres,

ses expériences, s a connaissance des militants, il l’y enfonçait lui-même. L a section allemande était dans u n triste état : deux fractions s'opposaient dont celle de la majorité de la direction, inspirée par Landau. Liova le rencontra, estima qu’il n e comprenait rien et que la scission avec lui était inévitable. Trotsky, e n dehors de cette affaire, semblait particulièrement préoccupé p a r le comportement d e s o n ancien secrétaire,

Jakob Frank dit Graef, et par ce qu’il appelait « le groupe de Leipzig », l'ancien groupe d'« Unité communiste » animé par les deux frères Sobolevicius, Abram et Ruvin dits respectivement Adolf Senin (en France, Sénine) et Roman Well, plus tard démasqués comme agents d u GPU, comme Frank-Graef. Dans l’un et l'autre cas, il n’en était p a s a u soupçon mais a u

malaise devant des analyses à contre-courant de celles de l'Opposition internationale et des siennes et surtout leur politique de scission délibérée et rapide d'avec Landau. A Liova de regarder de plus près et de voir plus

clair. À la fin de mars, Liova apprend à son père la venue des deux frères à Berlin et l’on peut prévoir que Roman Well v a prendre après la scission la direction de la 94

E n Allemagne pour l'Internationale

section. Il semble e n tout cas très pressé. Liova multiplie les contacts : il a, a u sujet des livres, rencontré le fameux « camarade Thomas », l’ancien chef d u secrétariat d'Europe occidentale (WES) de l'IC, qui lui ouvre les contacts avec le parti socialiste de gauche le SAP dans lequel il v a se lier avec Boris Goldenberg, u n jeune homme prometteur, et l'économiste Fritz Sternberg. Il a u n e discussion très sérieuse avec les vétérans spar-

takistes Paul Frôlich et Jakob Walcher qui sont la gauche de la KPO (Opposition d u PC) brandlérienne et rejoindront le SAP l'année suivante. Il a la chance de bénéficier de la protection d’un professeur social-démocrate allemand, Hermann Heller, qui, dit-il, « bien que social-démocrate et professeur » , est u n « gars merveilleux » , qui aplanit pour lui toutes les difficultés administratives pour ses études. I l fait la connaissance de l'ancien dirigeant d u PC allemand, Werner Scholem, u n homme de grande qualité selon le père. Il le convainc de collaborer à la presse de l'Opposition de gauche, qu'il rejoindra e n 1933. Il rencontre Karl Korsch, sans résultat. Il connaît aussi très vite tous les militants qui comptent dans la section allemande. J'ai parlé plus haut de sa liaison immédiate sur le terrain politique puis rapidement sur le plan personnel avec le D r Ackerknecht. C’est sous son influence et l'autorité de Trotsky que se constitue dans la section allemande u n « groupe-tampon » , u n centre conciliateur, qui entraîne une partie de ceux qui suivaient jusqu'à présent Landau. Les relations avec le père semblent inchangées. A u printemps 1931, Liova le croit fâché contre lui. Il assure Natalia Ivanovna de sa bonne volonté, l'adjure de lui dire confidentiellement ce que le père lui reproche et n e lui dit pas. Dans le cours de l’année, des querelles reviennent à plusieurs reprises entre e u x e t

Liova n e cède pas. Liova pense qu'on n e peut aboutir à rien à Autriche avec Josef Frey, véritable caractériel. Trotsky veut à tout prix que Liova trouve le moyen d e

l'associer a u travail de l’Opposition internationale. Trotsky trouve que Liova met trop de temps à contacter 95

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Scholem alors que, pour Liova, c'est Scholern qui n’est pas pressé de le rencontrer n i même de reprendre une activité politique. Trotsky, sur la base d'informations venues de Paris, est exaspéré contre l'Américain Becker qu'il accuse d'être u n agent de démoralisation de l’Opposition à cause de ses relations avec certains capitulards russes. Liova continue à l’'employer et à le couvrir.

Trotsky, ayant envoyé à la section américaine une somme importante prélevée sur ses droits d'auteur, alors que cette dernière a une dette importante a u Biulleten oppositsil , Liova n e mâche pas ses mots: il y a à Berlin des camarades qui n’ont pas de quoi manger parce qu'ils font vivre le Biulleten, c'est « une honte » que de donner de l'argent à la section américaine. Trotsky, dont Liova pense, de façon générale, qu’il lui manque le « sens des proportions » , qu’il recommande pourtant e n toute occasion à tous, s'offre le luxe d'une leçon d e détente :

«Mon cher garçon, excuse cette rebuffade. Mais nous sommes engagés dans une telle lutte sur le terrain des principes que, dans tous les autres rapports, nous pouvons e t devons manifester es-

prit d e conciliation et attention, et dans tous les cas s'abstenir d’une attitude hautaine et d’une dureté excessive. »* Liova s'excuse, lui aussi, mais tient bon, écrivant dans u n e lettre à Natalia Ivanovna : « N e soyez pas fâchés d e m a lettre “américaine”. J e suis profondément, inébranlablement convaincu que c’est moi qui a i raison. »°

Quatre mois plus tard, le 1 1 mars 1932, beau joueur, Trotsky écrit à Liova qu’en effet, malgré le

4. AHLH, Trotsky: lettre à Sedov, début décembre 1931. 5. AHI, Sedov : lettre d u 1 “ janvier 1932. 96

E n Allemagne pour l'Internationale

versement de son subside, les Américains n’ont pas payé leur dette et que c'est inadmissible. Nous n e savons rien sur la rencontre entre Liova et ses parents, dans le train qui traversait la France à la

fin de 1932. Tous deux revenaient de Copenhague, où Trotsky avait été invité par les étudiants socialistes à parler de la évolution russe, et o ù il avait rencontré nombre de ses partisans. Nous savons seulement qu’un désaccord d'ordre pratique sur la manière de continuer le voyage malgré le sabotage des autorités françaises, les opposa. O n peut supposer surtout, car

nous n'avons sur ces deux points aucun document écrit, qu'ils parlèrent de la visite de l'envoyé de Smirnov et de la mort de Zinoviev dont le bruit s'était répandu, o u bien qu'ils ont poursuivi leur querelle ! Le 1€'janvier 1933, Sedov écrit une lettre d'excuses sur u n ton humble parce que sa mère lui a envoyé une lettre de vifs reproches : Trotsky n’a pas reçu les livres dont il avait besoin et il perd son temps, n e pouvant plus travailler. Tout montre q u e Liova a mauvaise

conscience. Il a pourtant normalement envoyé les livres dont le retard o u la disparition n e peuvent lui être

imputésé.

Avec la scission et la réorganisation d u secrétariat international, c'est Trotsky lui-même qui avait ouvert la perspective de son transfert à Berlin et de l'entrée e n son sein de Liova. Ce fut sans doute l’une des périodes les plus difficiles de la vie politique de ce dernier. L a situation e n Allemagne s'aggravait tous les jours et le danger nazi, dans la rue et dans les urnes,

6 . Institut

international d'histoire sociale, Amsterdam, Se-

dov : lettre à N.l. Sedova, 1 “ janvier 1933. 97

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

continuait de grandir. Liova e n fit l’expérience dans son institut. Les nazis rassemblaient quelque 7 0 % des étudiants pour hurler « Les Juifs dehors ». L a division qu’entretenaient les dirigeants socialdémocrates et communistes staliniens rendait impossible toute réaction dans une société terrorisée par les violences de la « peste brune » : les nazis marchaient vers le pouvoir. O r ce n'étaient pas de simples réactionnaires : leur but était d’écraser pour des décennies le mouvement ouvrier allemand et le mouvement démocratique, l'instauration d'une dictature terroriste raciste. Attentif, Liova relève e n septembre 1932 qu'ils ont atteint leur apogée et qu’ils sont condamnés à prendre le pouvoir à court terme s'ils veulent préserver leur cohésion. L'offensive est donc proche. L'Opposition d e gauche allemande est numérique-

ment faible : quelques centaines d'éléments. Mais elle compte des personnalités de grande valeur, vétérans, militants ouvriers, intellectuels, courageux et lucides : ils devraient se battre de toutes leurs forces pour « redresser » la ligne d u KPD, mobiliser les travailleurs communistes e n faveur d u front unique des organisations ouvrières, galvaniser la résistance, préparer avec les masses le recours aux armes qui s'impose. Certains, comme Ackerknecht et quelques autres, vont de meeting e n meeting, d'autres se battent dans leurs cellules, d’autres enfin, comme Schneeweiss à Oranienburg et le jeune Held dans la Ruhr, organisent des groupes de défense ouvrière, des milices pour défendre les quartiers ouvriers des raids et des parades des SA.

Mais l’Opposition compte aussi — et à s a tête — des agents d u GPU, avec toutes les conséquences sur la vie interne. Trop de militants n e s'intéressent qu’aux luttes fractionnelles qui déchirent le parti, à la lutte pour le pouvoir à l'intérieur de cette minuscule organisation, l'ennerni est pour eux l'homrne de la tendance adverse. Le gros des sympathisants, rebutés par ces mœurs fractionnelles sectaires se tient à l'écart. Le poids de la dégénérescence de l'URSS et de l'IC pèse 98

E n Allemagne pour l'Internationale

lourdement sur les épaules de cette génération découragée. L'Opposition allemande n’a p a s suffisamment d e

force et n e peut avoir l'autorité qu'il faudrait pour organiser u n e véritable résistance à ceux que Trotsky appelle parfois les « liquidateurs » et leur arracher le pouvoir dans le Parti communiste. Seul, peut-être S e d o v— qui s'appelle Ludwig, Alex, et à la fin, Schwarz — semble y croire encore. Il recrute personnellement n o n seulement Werner Scholem, ancien dirigeant de l a Gauche allemande, mais aussi Karl Ludwig, u n militant remarquable, ancien journaliste à Volkswille, qui a réussi à créer u n groupe d'opposition indépendant et clandestin dans u n des districts de la grande banlieue berlinoise, avec plus de vingt membres. Il garde le contact avec Friedberg-Retzlaw d u M-Apparat (l'appareil militaire) d u PC.

Liova n’a aucun désaccord avec la ligne préconisée par son père, la propagande pour le front unique, la réalisations de segments de cette politique, la lutte pour conquérir les militants d u KPD, se battre de l'intérieur pour « redresser » sa politique. Il lui envoie des informations sur ses propres contacts, les réalisations de l'Opposition, beaucoup de coupures de la presse ouvrière, mais aussi le point s u r les tractations

entre groupes de droite, u n discours de Hitler qui annonce l'offensive, u n mot de von Schleicher sur lequel il faut marteler la propagande, etc. Il donne rarement son opinion sur la situation allemande e n tant que telle, écrivant pourtant qu’elle est très grave, dans une lettre à son père d'avril 1932, puis laissant e njuillet exploser sa rancœur contre ceux qu’il appelle « les chéfaillons » des partis ouvriers dans une lettre à s a mère : «

Quelle vile bande que cette social-démocratie !

D e toute m a vie j e n'avais jamais rien v u d e tel (sauf dans les livres) et quelle stupidité trresponsable, criminelle, d uParti communiste. Thälmann 99

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

(PC) devrait être pendu à côté d e Severing SPD), mais ce n’est pas demain la veille. »?

Dans le même temps, la crise couve a u sein de l'opposition internationale. Le Russe Pavel Okun, dit Mill o u Obin, a été placé auprès d u SI (Secrétariat international de l’Opposition) d u fait de ses connaissances linguistiques et pour qu'il traduise les documents russes émanant de Trotsky à ses camarades d u SI. Est-il u n agent ? U n ambitieux u n peu dérangé ? U n brouillon mégalomane ? Son passage a u SI, o ù il se mêle de tout, crée une extraordinaire confusion. Finalement, il v a négocier avec le GPU de la rue de Grenelle et remet informations et documents e n échange d'un visa de retour e n URSS. C'est une répétition de l'affaire Kharine. O n le retrouve signant une « déclaration » dans la Pravda d u 19 décembre 1932. Tout le monde, finalement, a été surpris. Mais l'Opposition n’est pas a u bout de ses peines. Ses deux dirigeants Sénine et Roman Well sont, eux, de vieux agents d u GPU, formés à cette tâche e n URSS, entrés e n tant que tels dans la Ligue internationale pour s’eflforcer de la détruire de l’intérieur. Plus dangereux donc que des gens comme Kharine, FrankGraef qui les ralliés, o u Mill, lesquels n e sont sans doute devenus les jouets d u GPU qu'au terme d’un processus de décomposition. Roman Well est le dirigeant de la majorité de la section allemande et l'homme fort d u SI. Devant lui, n e le prenant pas vraiment a u sérieux, Liova a tenporisé, avec la bénédiction de son père, tandis q u e Bauer-Ackerknecht lançait des as-

sauts maladroits et répétés. Les agents ont autour d'eux des fidèles, Büchner, de Leipzig, Horst Sprengel, de l'organisation de Berlin, plus « ultras » et plus agressifs qu'eux. Trotsky, soupçonneux, a e u à Copenhague e n novembre u n e longue discussion avec Sénine dont il a conclu qu’il était confus, mais honnête.

7. AHLH, Sedov : lettre à N.I. Sedova, 2 7 juillet 1932.

100

E n Allemagne pour l'Internationale

Staline sent que les nazis risquent d'arriver bientôt a u pouvoir. Il sait que l’Opposition v a l’accuser d'avoir trahi, car s a politique a été menée et critiquée a u grand jour. Il veut donc avoir les mains libres, e n être débarrassé a u moins e n Allemagne. Dès le début de décermnbre 1932, Well se répand e n critiques, déclarant « radicalement faux » u n article de Trotsky sur l'URSS. Puis il développe a u secrétariat international d u 1 5 décembre une ligne qui revient à assurer que l'Internationale est e n train de se redresser, que l’'Opposition de gauche a disparu e n Russie, que Sedov et Bauer désinforment Trotsky et s'efforcent d'empêcher le nécessaire rapprochement avec la ligne officielle. Trotsky demande immédiatement leur exclusion, mais quand son message arrive à Berlin, les partisans

de Well ont jeté le masque, e n publiant u n numéro spécial de Die permanente Revolution, qui annonce le ralliement de l’Opposition à la ligne de Moscou, et sa décision de se dissoudre. Ils y proclament « la faillite des perspectives d e Trotsky s u r l'Allemagne e t l'Union

soviétique » . Le texte est suivi de plusieurs centaines de signatures de militants de l'Opposition dont la plupart n’ont jamais e u connaissance d e s o n existence.

L a colère de Trotsky explose … contre Sedov qu’il accuse d e n'avoir p a s pris Well a u sérieux e t d e l'avoir

laissé aller jusqu’au sabotage sans jamais chercher à l'arrêter. Sedov rétorque qu'il a certes été conciliateur, mais qu'il n’est pas le seul et que son père lui a plus d’une fois prêché la modération à l'égard des deux frères, c e qui est exact. E n fait l’opération tourne court

dans l'organisation, qui n e suit pas Well. E n revanche elle jette u n réel discrédit sur l’Opposition de gauche à l'extérieur a u moment o ù celle-ci n'aurait certainement pas besoin de ce nouveau coup. Sur le strict terrain de l’organisation, Liova est optimiste. Il y a maintenant 750 militants actifs. L'Allemand des Sudètes Fritz Bergel, dit Barton, vient d'être envoyé pour renforcer l'appareil car il est u n spécialiste des questions financières. Fritz Belleville, théoricien reconnu et orateur écouté, vétéran estimé, vient d u Leninbund 101

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

rejoindre l'Opposition de gauche. Les contacts se multiplient avec les militants d u SAP, eux aussi partisans d’un front ouvrier unique contre le nazisme. Karl Ludwig et Werner Scholem doivent devenir des dirigeants de poids. D e nouveaux dirigeants sont apparus dans les combats récents et le jeune Heinz Epe, dit Walter Held, a été appelé de la Ruhr pour diriger la politique à l'égard d u SAP et de son aile communiste qu’il apparaît possible de conquérir.

Pourtant ce mois de janvier 1933 v a s'ouvrir sur la première d'une série de catastrophes qui vont durem e n t atteindre Liova — e t dont s o n père n e s e remettra

jamais vraiment.

Selon les lettres de Liova à la famille, Zina v a mieux à la fin de l'année 1932. L a tuberculose semble terminée et elle n’a plus de pneumothorax. Le psychiatre juge que son état v a s'améliorant. Elle a encore des comportements bizarres, mais, dans l'ensemble, elle commence à contrôler sa vie. Malheureusement la lucidité revient avec la guérison et par conséquent une infinie tristesse. Elle espérait e n quittant l'URSS retrouver ce père qu'elle chérit. Ces retrouvailles ont été brèves. Depuis s a maladie, il n e cesse de la morigéner, l'accuse d'être irresponsable, égoïste, hystérique. E n fait, il n e comprend pas de quoi elle souffre et prétend régler l a maladie p a r des préceptes moraux d e compor-

tement. Surtout, maintenant qu'il la juge « guérie », il exige qu’elle retourne e n URSS vivre auprès de sa mère, ce dont elle n e veut à aucun prix. Enfin elle e n veut à son père comme d’une trahison d’avoir confié leur correspondance à tous deux — si personnelle — a u psychiatre, le D r Kronberg. Elle e n conclut qu’il n e l’aime p a s — c e qui est

évidemment faux — et surtout qu’il n’a plus confiance e n elle — ce qui est inévitable avec la nature de sa 102

E n Allemagne pour l'Internationale

maladie. Elle était venue participer a u combat d u père comme le fait depuis des années le petit frère Liova, et elle est rejetée : elle e n conçoit beaucoup d'amertume et d’envie, avec le sentiment d'être victime d’une injustice. Depuis qu’elle est à Berlin, c’est Liova lui-même qui fait involontairement office de bourreau, n e lui proposant aucune tâche, n e l'associant e n rien à son travail russe. Il sait pourquoi : il a d û se défendre âprement contre les accusations très vives n o n seule-

ment d u père, mais de la mère, parce qu’il lui a fait taper des documents se rapportant à u n e entreprise secrète — ce que, assure-t-il, elle n e pouvait comprendre, mais o ù ils voient, eux, une grave imprudence. O r Zina n’est pas une jeune femme quelconque. Elle a été à seize ans rédactrice e n chef d u journal des Komsomols de Petrograd. Membre d u parti, elle a enseigné dans une de ses écoles, avant de militer dans les rangs de l’Opposition avec son mari P.I.Volkov. Elle comprend parfaitement la situation allemande, la marche des nazis a u pouvoir, lit avec u n intérêt passionné les articles d u père, rêve d e prendre s a part à

ce combat qu’elle pressent et dont elle pense qu’il peut et doit, à partir de la réaction attendue des travailleurs, déboucher sur la révolution prolétarienne e n Allemagne. O r elle pense qu'elle e n est exclue d'avance. Liova comprend mais n’en peut mais.

L'arrivée de son petit Siéva, qu’elle aime tendrement, n e v a pas la détourner de ses idées noires. Elle prend soin d e lui, bien sûr, mais continue à ruminer s o n malheur, dont ses troubles psychiques, qu'elle

comprend, n e sont pas le moindre des éléments. Des coups terribles lui viennent maintenant de l'extérieur. Elle a été déchue de la nationalité soviétique, ce qui lui ferme la porte d u retour, la sépare définitivement de son mari, de sa mère et surtout de s a petite fille, Aleksandra, née avant Siéva, d’une brève union avec u n oppositionnel. Elle est avisée qu’elle est expulsée d u territoire allemand et que son visa n e sera pas renouvelé (le Russe Volkogonov vient d e nous appren-

dre que cette mesure avait été prise par le gouver103

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

nement von Schleicher sous la pression de l'ambassade soviétique).

L'idée de quitter le territoire allemand lui fait horreur comme une désertion. Liova se bat, harcèle les amis avocats et obtient u n sursis. Il sait qu’il n'arrachera pas plus. Elle repousse avec fureur sa suggestion de se rendre à Vienne: elle n’a rien à y faire. E t pour finir, elle découvre qu’elle est enceinte — personne n e sait de qui, elle n’a confié sa grossesse qu'à Jeanne, sans autre détail, et il est clair que, là aussi, elle est

seule. A u matin d u 5 janvier 1933, elle prépare Siéva pour l’école, termine les lettres qu’elle destine aux siens, calfeutre avec soin toutes les issues e t ouvre le gaz.

Liova est prévenu de la découverte de son cadavre ; éperdu, il n e peut empêcher la police d’emporter les papiers, à l'exception des lettres cachetées portant une adresse. Il n e peut se décider à prévenir le père et télégraphie donc à la mère e n lui confiant la tâche d'annoncer l'accablante nouvelle : « ZINA S'EST SUICIDEE. ALEKSANDRA LVOVNA PLATON DOIVENT ETRE INFORMES J E N E LEUR DIS RIEN STOP SIEVA N E SAIT PAS L A MORT D E ZINA I L EST AVEC NOUS. »8

J'ai e u la tâche d'expliquer personnellement, le 17 novembre 1 9 8 8 , à Aleksandra Zakharovna, fille d e Zinaïda, demi-sœur d e Siéva, les circonstances e t l a date d e l a mort d e s a mère.

Voilà Liova chargé de famille. Ce petit garçon, qui est son neveu et qu'il aime bien, quoiqu'il n e soit pas facile, v a lui prendre encore quelques heures dans sa vie qui e n manque tragiquement. L a mort de Zina accapare l'attention de Trotsky pendant quelques jours o ù il écrit s a Lettre ouverte accusant Staline, qui

8. AHLH, Sedov : Télégramme d u5 janvier 1933. 104

E n Allemagne pour l'Internationale lui a enlevé s a nationalité, e t v o n Schleicher, qui l'a

expulsée, d’avoir poussé sa fille a u suicide. Puis il se retourne contre Liova dont il lui semble qu’il a tendance, dans les textes qu’il consacre à la mort de sa sœur, à dissimuler le fait qu’elle s'est suicidée, c’est-àdire à estomper la responsabilité des coupables. Il revient ensuite à sa « négligence » , sa « sous-estimation » de l’action de Well et des autres. Il parle de sa « passivité criminelle ». N i lui n i Liova n e savent encore qu’ils ont e u affaire à des agents de Staline infiltrés dans leurs rangs.

Liova écrit à sa mère le 2 4 janvier : « Papa m'a envoyé une lettre injuste, presque monstrueuse, écrite avec dépit (pourquoi ?) comme s’il essayait d e trouver dans m apersonne l'unique responsable d e ce qui s’est produit, oubliant complètement toute l'histoire d e cette afJaire, sonpropre comportement, etc. Jeanne et moi sommes complètement bouleversés par cette petite lettre —j e n e luirépondraipas, unepolémique

n e pourrait qu’aggraver l a situation, e t dans ces

conditions, à quoi bon une polémique. J’écrirai encore sur ces questions, mais seulement pour toi personnellement. Loin de le féliciter pour les succès de recrutement qu'il lui annonce — u n groupe d'une vingtaine de militants à Dienslaken, des dizaines dans toutes les villes de la Ruhr, des cadres partout — Trotsky lui dit qu’il redoute l'entrée dans l a section « d'éléments nou-

veaux, pas éprouvés et hâtivement recrutés, et parmi eux quelques agents staliniens ».

9. AHI, lettre à NIS d u 24 janvier 1933. 105

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

L e même mois de janvier, Ivan Nikitich Smirnov, E.A. Préobrajensky et 8 7 membres de leur groupe, dont R.I. Baranov, son compagnon dans l'Oural, Tcheslav Kozlovsky, son ancien rival e n amour, sont arrêtés. C’est la fin d u groupe des « trotskystes ex-capitulards » et de tout « Bloc des Oppositions » e n URSS. Le même mois de janvier, le Président de la République Hindenburg appelle Hitler a u pouvoir. Le chef de bande des nazis devient Chancelier d u Reich. C'est l'épreuve de vérité pour le parti allemand et l'Interna-

tionale communiste. Le verdict de Trotsky est impitoyable: la « catastrophe allemande » est leur faillite et ils sont la cause de « la tragédie d u prolétariat allemand » , battu sans avoir combattu. Dans le « dialogue » avec le père, c’est désormais la voix de Liova qui domine, une voix froide d’analyste qui reflète aussi le désespoir de millions d'hommes et sa propre sensibilité d’être humain. Le 3 février, il écrit : « L e parti

manifeste une totale impuissance. Ce

q u e nous sommes e n train d e vivre ressemble à

une reddition d e la classe ouvrière devant le fascisme. L e Parti, épuisépar s a politiquefausse, est tout près d'ajouter u n échec cardinal e n ces jours historiques. A u sommet — désorientation, personne n e sait quoi faire ; à l a base — o n n e

croitpas à sespropresforces. U ngrandfatalisme, peut-être surtout dans le SPD. J e crois que nous sommes maintenant dans les jours et semaines décisifs. S i une action vigoureuse d e l a classe ouvrière — qui n e peut être dans son développement autre chose que la révolution prolétarienne — n e s e produit p a s maintenant, une déjfaite effroyable est inévitable. Une telle action n'est pas encore exclue, mais selon moi elle n’est guère vraisemblable désormais. E t c’est précisément à cause d u caractère révolutionnaire d’une action contre Hitler, que le SPD veut à tout prix éviter, que l a « perspective » d u SPD est quelque chose d'incroyable. « Nous attendrons les élec106

E n Allemagne pour l'Internationale

tions d e mars. S iHitler a la majorité, o n verra. S'il entreprend quelque chose contre la Constitution,

c’est alors (!) que nous commencerons à agir ». L'interdiction d e la manifestation d u SPD. Il serait stupide d e s'imaginer que Hitler v a employer les mêmes méthodes avec le SPD et le KPD. I v a les diviser, d’abord pour battre plus facilement le K P D et permettre aux chefs d u SPD d e réitérer le 4 août. Les nazis défilent e n musique dans les rues. Iln'y a pas d e policiers. Ils sont eux-mêmes la police. Ils arrêtent déjà les gens dans l a rue (pour le moment, ce n e sont que des incidents isolés mais d e toute façon nous n’en sommes qu’au début) et les emnmènent a u poste d e police. Schneeweiss, par exemple, à Oranienburg — l’un des rares endroits d'Allemagne o ù l'on disperse les manifestations nazies — les nazis sont allés a u commissariat d e police e t ont exigé s o n arres-

tation. Quand l a police n e l'apas arrêté, les nazis ont répondu : “Bon, nous lui casserons la tête nous-mêmes”. U n camarade m ’ a parlé d e son usine (1200 ouvriers, e n majorité sous influence communiste) : a u comité d'usine, 7 communistes et 5 SPD ; par ailleurs 1 2 membres seulement dans la cellule ; les communistes, sur instructions d’en haut, ont proposé une grève-spectacle d’une

demi-heure ; le SPD a répondu : “Nous ne nous engageons pas dans des actions isolées; adressez-vous à notre centre” ; les communistes, e n dépit d e leur influence dominante, n’ont pas été capables d e provoquer cette grève d’une demi-

heure ; l'instructeur d u comité d u KPD est venu accuser la cellule de se traîner derrière le SPD. » ! 9 D'autres lettres sont consacrées à la restructuration de l’organisation. Avec le passage dans la clandestinité ; c’est l'argent qui manque le plus. O n est arrivé

à tirer u n tract à 1 0 000 exemplaires et à le diffuser clandestinement, mais e n partie seulement à cause de l’arrestation d’un transport. Le 12 février, il donne de

10. AHI, Sedov : lettre d u 3 février 1933.

107

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

bonnes nouvelles sur l'organisation : Karl Ludwig a amené dix ouvriers d u Parti et espère e n gagner encore 3 0 à 40. U n cercle de jeunes de l'opposition communiste s’est créé à Berlin. Les nouveaux affluent, o n prend des contacts. Il donne des détails sur la crise mortelle d u KPD : « L e Parti allemand — selon ce que racontent les gens bien informés — a u n million d e marks d e déficit pour s a seule section d e presse. L a moitié a été gaspillée pour des dépenses futiles. Dans certains districts ils e n sont à révoquer leur sucdème o u septième trésorier : l'un après l’autre — voleurs. C’est caractéristique, bien sûr d e l’'ampleur d u chômage mais aussi d e la démoralisation à l'intérieur d u parti. Une anecdote : dans u n district d e Berlin, le parti organise u n exercice d ’ “alarme” ; sur 70, 1 4 personnes viennent. Ils mènent une campagne, critiquent, organisent une deuxième “alarme” : il

e n vient 12.

U n des plus fameux combattants d u parti [Erich Wollenberg — PB] (une année d e prison

pour agitation dans l'armée) était e n train d e passer chez nous ; ayant apparemment deviné ce qui s epassait, o n l'a convoqué “là-bas”, il y est allé et a été obligé d'y rester. » ! ! Les nouvelles d u 2 5 février montrent u n développement inquiétant de l a répression. Il écrit e n français : «

L e journal n'est pas encore interdit, mais

l'imprimerie est toujours occupée par la police et, paraît-il, o n peut l'occuperjusqu'aux élections — pour tout détruire après o u l’interdire ? Aujourd’huij e viens d'apprendre — cela doit encore être vérifié — que le Vorwärts a été occupé: le rythme est inoui Ce rythme et l'action vigoureuse contre les SPD donnent à m o n avis à toute la chose u n aspectforcé. “Normalement”, il serait avantageux

1 1 . AHI, Sedov : lettre d u 1 2 février 1933.

108

E n Allemagne pour l'Internationale

à m o n avis pour les nazis d e liquider d’abord le communisme et d e s'occuper ensuite des SPD. L e fait qu’ils se précipitent tellement e t mènent une action d e grande envergure doit probablement avoir ses causes a u sein d e la coalition. Les nazis doivent avoir pour but tout à fait proche d e liquider les deutsch-nationalen. C’est probablement surtout cela qui les pousse à cette accélération forcée. Malheureusement, personne n e possède d'informations sur les affaires intérieures à la

coalition. On dit que Papen a menacé de démission si o n continue cette campagne contre le

Centre, interdiction desjournaux catholiques, bagarres, etc., e t q u e c'est à cause d e cela qu'on a

entrepris une certaine retraite à l'égard d u Centre. »

U n peu plus tard, le même jour, il écrit, e n allemand cette fois : « Les deux derniers Permanente Revolution n° 7 et 8, ont été confisqués. L e 7 avait déjà été

expédié e t il n’ont trouvé que quelques exem-

plaires. A u contraire le 8 a été confisqué à l’imprimerie même (1000 exemplaires seulement étaient déjà partis). Les planches ont probablement été détruites. Les fonctionnaires étaient installés

dans l'imprimerie de hier soir jusqu'à cet aprèsmidi. L e journal a été confisqué sans qu’ils sachent son contenu, juste sur la base d e ce qu’il est (...) L'existence d u Biulleten est également e n danger. » ! 3 Le même jour, dans une lettre à sa mêre e n russe, il se plaint que son père n’écrive pas. Il écrit : « Papa n e

semble pas avoir une idée tout à fait

claire d e c e qui s e passe ici. J e n e sais m ê m e p a s

s i j e pourrai sortir le Biulleten. L'imprimerie est occupée (...) C’est la même question avec l a Per12. AHI, Sedov: lettre d u 2 5 février 1933, e n russe. 1 3 . AHI, Sedov: lettre d u 2 5 février 1 9 3 3 , e n allemand.

109

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

manente : son existence n’est plus qu’une question d ejours. »!14 Le 3 mars, après l'incendie d u Reichstag, il informe ses parents qu'il prendra sans les consulter les décisions qui s'imposent, notamment celle de quitter l’AIlemagne s’il le juge nécessaire. Il explique encore : « D'Istanbul, est-ce que papa et toi vous sentez toute la tension des esprits ici ? L'attente d'un soulèvement des nazis, et d’un contre-coup des nationalistes allemands avec l’aide d e la Reichswehr ; les pogroms ; les arrestations, à grande échelle maintenant, d’opposants hétérogènes, Scholem, mais aussi Ossietsky, n efont qu'aggraver la tension. N y a e u quelques pertes dans l'organisation allemande : Hippe et deux d e son groupe, Schôler, quelques membres d e l'organisation e n province aussi. Ce n’est que le début. »15

I l continue à s'occuper des livres dont son père a besoin. Il m e t ici o u l à u n e note qui montre c e que vit

l'Allemagne : le lynchage d'un rabbin par les SA, les tortures dans les commissariats, l a haine que les nazis ont pour Trotsky, l’infiltration, qui se démasque, de nazis dans les cadres d u KPD. Il obtient le visa français, sur l'intervention cette fois d u ministre Anatole de Monzie, « de Monsieur » comrne ils l’appellent entre eux. Il envoie Jeanne — revenue entretemps — e n

éclaireuse, vêtue de ses plus beaux atours. Une partie des archives d u SI est tout simplement enveloppée dans des lingeries de soie achetées pour la circonstance et placées dans la valise. Elle-même est « tapissée » —, « farcie » , écrira-t-elle!6, des documents qu’il faut à tout prix sauver, ce qui lui donne u n

14. AHI, Sedov : lettre d u 2 5 février, e n russe à s a mère. 15. AHI, Sedov : lettre d u 3 mars 1933.

16. Jeanne Martin des Pallières, « Lettres à Jean van Heijenoort », C L T 4 , octobre 1979.

110

E n Allemagne pour l'Internationale

embonpoint inhabituel qui n'attire pas l'attention de

la police allemande. Les derniers jours ont été dangereux et Liova l’a échappé belle à plusieurs reprises. Erwin Ackerknecht m'’a raconté e n particulier une réunion dans son bureau de médecin-chef d'hôpital psychiatrique, avec Frankel et Liova. Les SA arrivent sans crier gare, braquent tout le monde. Le médecin-chef se met alors à hurler dans le plus pur style d'officier prussien contre les malotrus qui le dérangent dans son travail de direction et sabotent le service de santé de la grande nation allemande. Intimidés, les SA se retirent. Liova

télégraphie le 24 mars qu’il part!7.

Le 25, il est à Paris. L a correspondance de sa mère et de son père trahit u n immense soulagement. Ils ont jusqu’au bout tremblé pour leur fiston, attendu dans l'angoisse le télégramme annonçant qu’il avait franchi la frontière et qu’il était à Paris. Pourtant Liova a continué la polémique contre sonpère dans une longue lettre/confidence à sa mère d u 7 février — la plus complète : « J e viens juste d e recevoir votre lettre. Quelle calamité ! Vous n e m'avez absolument p a s compris (...). J e n e veuxpasfatrefigure d’imbécile ridicule : “Papa n e m'apprécie pas”, car ce n'est

p a s l a question. Mais p a r exemple, cettefameuse

nuit d e Marseille, Papa demandait des conseils à tout le monde mais pas à moi, et pourtant j e fus le “premier” et le seul, autant quej e m e souvienne, à proposer le voyage d e retour p a r l'Italie.

Iy a

d'innombrablesfaits d e ce genre. J e m e souviens, lors d u retour d'Alma-Ata, quand j'ai pour la

17. AHI, Sedov : télégramme 24 mars 1933. 111

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

première fois avancé une suggestion concernant Istanbul, papa m'a volé dans les plumes. E t pourtant ce qu’il faut, c’est plus d e patience à l'égard des autres. Personne n epeut rien apprendre par la seule soumission. Mais toutes ces questions qui sont e n elles-mêmes et pour ellesmêmes des questions d'organisation, sont secondaires ; il estpossible et tout àfait admissible d'avoir des divergences d e vues. S ij e n e suis pas convaincu p a r des arguments, il faut m e laisser m e convaincre moi-même et n e pas m e tomber dessus avec u n chargement d e briques ; même sans briques, e nfait, j e continuerai à défendre le point d e vue d e papa (comme dans l'affaire Frey o ù j e n'étais pas d'accord avec lui et où, exceptionnellement, c’est moi qui avais raison) . Maisj e reviens à la question. C'est tout à fait incorrect, écrit dans l'esprit d e quelqu’un qui cherche u n bouc émissaire, ce que papa m'a écrit sur les affaires e n Allemagne. C’est cela et cela seulement quej'avais à l'esprit. Papa m'accuse non seulement d e dilettantisme, mais d e désorganisation, dans u n certain nombre d e questions factuelles qui, simplement, n e correspondent pas à la réalité. Erwin e t moi avonsfait tout c e q u e nous pouvions e t sans notre

présence, les choses auraient été bienpires. Que

Well ait publié u n faux, ce n’était pas en notre pouvoir d e l'empêcher (.….) Les accusations contre nous sont sans fondement à 9 0 %. J e peux le prouver sans difficulté. E n lisant la lettre d e papa écrite a upoison, à la méchanceté,j e ressentais ce q u ej'ai plus d’unefois ressenti : c’est sur l a tête

des “meilleurs” et des plus “dignes d e confiance”

de ses proches qu’il place u n stigmate d'échec ; cela n e peut guère être la bonne méthode et cela n e contribue pas à la cause (car cela opprime les “meilleurs” a u lieu d e leur permettre d e s’élever d'eux-mêmes). E t dans le cas donné, le ton m ê m e était simplement monstrueux (précisément e n re-

lation avec celui qui avait fait le maximum (...) Tout cela, maman, mine les relations. C’est ainsi. Tout cela, c’est pour moi d u passé. J e suis obligé 112

E n Allemagne pour l'Internationale

de l'écrire puisque vous ne m'avez pas compris, » 1 8 E n arrivant à Paris à la gare de l'Est, le 5 mars a u petit matin, Liova allait retrouver les problèmes des études, de la pauvreté, de Jeanne, de l’Opposition internationale, se plonger dans la section française et continuer à porter le lourd sac des reproches de son père. C'était ainsi, disait-il lui-même. Mais il n’était pas encore arrivé a u bout d u voyage.

Qu'il est long, qu'il est loin, ton chemin, papal» «

1 8 . A H I , Sedov : lettre d u 7 février 1933.

113

CHAPITRE 6

FRANCE : SOUS L E CANON D E S TUEURS

Gérard Rosenthal, qui lui avait donné e n Turquie ses premières leçons de boxe, est l’un de ceux qui l'accueillent à Paris les bras ouverts : sa générosité et son grand cœur sont légendaires parmi ses camarades. Il trace u n croquis très vivant de l'homme et de ses problèmes : «À

trente ans (...) Liova gardait s a vivacité d’un

jeune animal, u n débit gai e t brouillon qu’il inter-

rompait pour interroger d u regard o u ronger ses ongles.

Trotsky lui inposait dans le travail des ext gences toujours plus impérieuses des obligations toujours plus rigoureuses, sans forcer sur les manifestations sentimentales. Liova s'efforçait d e le satisfaire dans le cours d e son existence malaisée, prudente, isolée, matériellement très gênée et que le caractère d e s a compagne n e r e n d a i t p a s t o u s l e s j o u r s joyeuse. » ! 1. Gérard Rosenthal, Avocat d e Trotsky, p.187.

115

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

L'arrivée de Liova coïncidait avec le premier tournant de Trotsky, qui venait de proclamer la faillite d u K P D et l a nécessité d’un nouveau parti communiste

allemand. Quelques mois plus tard, il allait élargir cette analyse à l'Internationale, tout entière faillie d’après lui, et appeler à lutter pour une nouvelle Internationale qui, par la force des numéros, était la IVe. Liova n’a pas e u , pour suivre le père dans cette voie, les problèmes qu'ont e u s nombre d e ses cama-

rades: il avait, lui, vécu la faillite d u PC allemand. Tout a u plus insiste-t-il auprès de Trotsky pour que les nouvelles formules n e soient pas énoncées de façon trop tranchante et abrupte afin de permettre l’adaptation des militants et sympathisants formés à l’école de l a lutte p o u r l e

«

redressement ».

Le séjour e n France fut aussi pour Liova l'occasion d’un tournant personnel. C’est probablement peu après son arrivée qu’il rencontra la jeune femme qui allait être son dernier amour. Rencontre banale à propos d'un nouvel appartement. Liova et Jeanne se sont d'abord logés à l'hôtel, dans u n premier temps a u Royal Malesherbes, boulevard d u même nom, puis à l'hôtel, 1 place de la Sorbonne. Le 13 avril, ils s’installent a u 2 passage de Dantzig, dans u n invraisemblable logement de L a Ruche, dont Jeanne écrira des années plus tard à van Heijenoort : « L a Ruche est très connue à Paris pour avoir été surtout la demeure d e nombreux artistes peirntres et sculpteurs : c'était, dans une vaste cour, u n amas sans aucun ordre d e bâtisses e n bois, vestiges d'une exposition universelle d ej e n e sais plus quelle année ; il y a beaucoup d'ateliers à L a Ruche ; c’était très primitif, personne n’avait l'eau chez lui, Léon et moi, nous y sous-louions l'atelier

d'artiste d'unpeintre qui était partipour Antibes, s a femme ayant hérité d’une villa ; nous avions

Jfait connaissance d e ce peintre par Maurice Parijanine.

»

2. Jeanne Martin des Pallières, noort

116

»,

CLT, 4 , octobre 1979.

«

Lettres à Jean van Heije-

France :

Sous l e

canon des tueurs

Le peintre mentionné ici par Jeanne est André Savanier, u n ami de Rosmer et qui fréquentait ses proches, dont Parijanine, traducteur de Trotsky. Liova et André deviennent bons amis. Sa jeune femme, Hélène, peintre elle ausssi, transforme la villa d’Antibes e n une pension de famille o ù Liova vivra d'importants moments de s a vie. Il est possible que Liova et Hélène se soient rencontrés pour la première fois à Paris u n peu avant le 1 3 avril 1933 o ù s’est fait l'emménagement. Hélène, qui m'a d'elle-même remis — geste qui mérite considération e t respect — toute l a

correspondance de Liova, n’a pas voulu répondre à des questions et j'ai respecté s a volonté. D'après cette correspondance, le début de la liaison est à placer à l'été de 1936, o ù Liova, suivi de sa « garde rapprochée » d'agents d u GPU, passa quelques jours de vacances dans la « Villa Marie » , pension antiboise tenue par Hélène. Nous n e savons pas si le contact avait été conservé pendant les trois années précédentes. Il se poursuivit e n tout cas jusqu’à la mort de Liova.

L a première initiative de Liova à Paris a été de retrouver des livres russes et c e n e fut p a s très difficile.

Avec beaucoup d'autres Russes fuyant le nazisme victorieux, Boris Nicolaievsky s’était réfugié à Paris o ù il allait bientôt installer, rue Michelet, une annexe de l'Institut international d'Histoire sociale d'Amsterdam récemment fondé par le professeur Posthumus. C’est probablement là que Liova trouva le plus d'ouvrages russes. Comme à Berlin, il copiait des citations, prenait des notes et envoyait le tout à son père. Il souffrait terriblement de la coupure avec l'URSS. Une dernière lettre d e Vetter lui avait annoncé, p e u avant s o n dé-

part, de nouvelles arrestations, Rafaïl (Farbman), N.N. 117

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Perevertsev, Nina Ostrovskaia3. Il n e doutait pas que Vetter lui-même fût tombé peu après aux mains d u GPU qui devait bien avoir réussi à faire parler quelqu’un.

Il eut pourtant de la chance dans sonmalheur. Trois hommes qui avaient connu les prisons, la déportation et l'Opposition de gauche réussirent à sortir d'Union soviétique. Le Croate Ante Ciliga fut le premier, parce que, citoyen italien, il fut « réclamé » par Mussolini, avec qui Staline souhaitait maintenir d e bons rapports.

Le deuxième fut le grand écrivain belgo-russe de langue française, Kibaltchitch dit Victor Serge, pour qui une puissante campagne s'était développée chez les intellectuels. L e troisième était u n ouvrier arménien,

ancien officier de l'Armée rouge, A.A. Davtian, dit Tarov, qui s'était évadé e n Perse et arriva finalement

e n Europe après plusieurs années et u n séjour prolongé e n Inde, faute de moyens pour payer u n passage. Les relations de Liova avec Tarov furent très mauvaises : l'Arménien avait u n caractère impossible, des ambitions de grand écrivain et le traitait comme u n galopin. Liova le qualifie de « fou » et de « mythomane ». Ces trois hommes étaient porteurs d'importantes informations. Ciliga, e n brossant le tableau de la vie politique dans l'isolateur de Verkhnéouralsk a u début des années trente, donnait une précieuse contribution à l'histoire de l’'Opposition de gauche et Liova retrouvait dans son récit les noms de ses amis et camarades, de son beau-frère Nevelson, de bien d'autres aussi, le récit des héroïques grèves de la faim menées par les «

trotskystes

»

pour obtenir les droits d e détenus poli-

tiques. O n retrouvait E.B.Solntsev, G.la. Iakovine, l’ancien secrétaire d e Trotsky, I . M . Poznansky, l'homme de Leningrad, F.N. Dingelstedt, ancien d u parti à Cronstadt e n 1917, organisateur e n prison de grèves de la faim.

3 . AHI, Vet(ter) : Lettre à Sedov, 2 mars 1933.

118

France : Sous le canon des tueurs

Victor Serge arriva, parla de la mort récente d'E.B. Soilntsev, d u rôle joué dans les grèves de la faim pour le statut de prisonnier politique, par Dingelstedt et le Leningradois G. Ja. Iakovine, mari de l'historienne

Pankratova. Il était moins informé qu'il n'essayait de le faire croire. C’est ainsi qu'il avait connu Vetter sous son vrai n o m de Kotcherets et A.A. Konstantinov, et n'avait nullement pressenti le rôle qu'ils jouaient, a u point que Liova dut supprimer des commentaires désobligeants et injustes sur eux e n publiant ses lettres. O n apprenait pourtant beaucoup par lui, la prison o ù I.N.Smirnov tenait, le destin d u « vieux » Boris Eltsine, celui des anciens « jeunes » Vassili Pankratov, marin de Cronstadt et d u tchékiste manchot Khanaan Pevzner, qui avaient été déportés à Orenbourg avec lui. Il rapportait aussi des rumeurs qui pour certains étaient

des certitudes sur l'appartenance des frères Sobolevicius a u NKVD.

Tarov, lui n'avait pas connu l'élite des déportés trotskystes, mais il racontait des récits de brutalité, des épisodes de résistance, les pièges tendus aux détenus par le GPU, le rôle des provocateurs e n prison et e n exil. D e tout cela, Liova faisait son miel : o n commençait maintenant à connaître u n e vérité qu’il pressentait e t q u e certains documents, confirmés avec éclat par ces

témoins, avaient déjà esquissée.

L a question des prisonniers politiques e n URSS, celle des prisonniers politiques dans le monde capitaliste — comme l'Indien M.N. Roy o u le Chinois Chen Duxiu — , de plus e nplus nombreux à être abandonnés

par le Secours rouge, calomniés par l'IC et ses partis, devait être posée car elle constituait u n magnifique 119

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

tremplin pour démontrer que Staline était le fossoyeur de la révolution. E t Liova de commencer à démarcher les intellectuels parisiens pour constituer u n comité de défense des prisonniers politiques : u n travail de défricheur qui allait être bien utile à partir d'août 1936. Ses premiers contacts, il les prend avec les hommes et les femmes, amis de son père, qu’il a connus et admirés quand il était enfant. Il rencontre Marcel Martinet et n’est pas déçu par ce grand malade, fidèle à son passé et à ses amitiés politiques. Il voit aussi, et c’est de sa part une preuve de finesse, Marguerite Rosmer, qui lui avait apporté l'appui de Madame de Saint-Prix. Elle est bouleversée de la rencontre. Elle peut lui ouvrir bien des portes. Il est ému, lui aussi. Il rencontre, nous l'avons dit, Maurice Parijanine, mais aussi Maurice Wullens, Henry Poulaille, le monde des écrivains révolutionnaires qui ont gardé de son père u n souvenir a u cœur.

Bien entendu, il n e perd pas le contact avec l’Allemagne, suit de près le travail de son ami Erwin Ackerknecht, qui est resté sur place, suit aussi le développement de la crise d u KPD dans l’émigration. Friedberg/Retzlaw, l'homme de l'appareil militaire qu’il a une fois utilisé pour une mission e n Russie, est à Paris et lui raconte les discussions animées d u « Club communiste allemand » , présidé par Willy Münzenberg, sur l'ampleur et la nature, voire l'existence même de la défaite. L'homme — désormais Karl Erde dans nos sources — a jeté le masque pour discuter des questions fondamentales avec u n vieux militant qui cherche, Paul Schwenk, l’ancien responsable de la

fraction communiste au Landtag de Prusse*. * +

4. AHI, Sedov: lettre d u 2 6 avril 1933.

120

France : Sous le canon des tueurs

Bientôt, c’est la « divine surprise » . U n e initiative de Parijanine, une démarche auprès d u député radical Guernut, ont abouti à l'octroi d u visa pour la France à son père et à sa mère. Liova est joyeux, s'active e n vieux conspirateur, prépare le débarquement à la barbe des journalistes et d u GPU, fait filer ses parents à l’anglaise sur la route de Royan o ù o n n e les retrouvera pas, tandis que les journalistes cherchent à Royat l'homme a u pince-nez : u n malheureux sosie y sera malmené par des nationalistes. Venu à Royan avec Jeanne, Liova veille à l'installation, la sécurité, la garde, les communications. C’est lui qui v a informer et aiguiller les invités étrangers qui, e n août, rendent visite à Trotsky et préparent avec lui la Déclaration des Quatre pour une nouvelle Internationale, ainsi que les autres visiteurs, dont André Malraux, qui fera d e cette visite u n beau texte®. L a reprise d e contact avec le père a été

bonne et bienfaisante. Trotsky l'écrit à Natalia après lui avoir raconté une discussion générale : « Liovousiatka est venu m e voir dans m a chambre ; il y a e u d’abord quelques phrases insignitfiantes, puis j e lui a i dit quelque chose à propos d e moi-même, il a mis s a tête sur m o n épaule, m ' a étreint e n m e disant « Papotchka, j e t'aime bien fort ». Tout à fait comme u n petit garçon. J e l'ai étreint bienfort etj'ai serré m ajoue contre s a tête. Il a senti que j'étais ému et il est sorti d e la chambre sur lapointe des pieds. Ily a e u ensuite u n entretien, mais ce n’était plus d u tout u n entretien politique, a u contraire, c'était une discussion calme et d’un ton « intime ». Tous les yeux m e regardaient avec tant d'affection et j e m e sentais d e nouveau le starets (le Vieux), sans amertume, plutôt avec une certaine chaleur, peutêtre légèrement mêlée d e tristesse. Pendant cet entretien,j'ai souvent attrapé le regard brillant d u

5. André Malraux, Marianne, 2 5 avril 1934, reproduit dans

CLT n° 12, 1982.

121

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

petit Liova qui se posait sur moi. I n’a pas bonne mine ; il est pâle, il a u n teint terreux (...) J e regrette que Liova s’en aille ; ici o n m e traite très bien, mais tout d e même, il n'y apersonne qui soit tout à fait mien. Pendant les mois qui suivent, tout est mieux. Installé à Barbizon, Trotsky participe a u travail d u secrétariat international, suit les choses de près, argumente sans ultimatum, car il n’a plus la hantise d u délai et d u malentendu. Liova se sent e n confiance. D'autant plus que ses vieux complices et camarades des plus dures journées d'Allemagne, sont là. Erwin est secrétaire d u SI, Frankel e n est membre et milite à Paris. Sedov, représentant de l'Opposition russe, est militant à part entière et n o n plus bouc émissaire unique. C’est toujours lui qui organise pour Trotsky les rencontres importantes, avec l'Italien Carlo Rosselli, avec Ruth Fischer, que Trotsky veut et v a gagner. Il est présent aux rencontres avec les alliés, à l a conférence de décembre 1933 d u « Bloc » pour la nouvelle Internatio-

nale. Cette période exceptionnelle n e dure pas. 1934 annonce le retour des gros nuages. Le « Bloc des Quatre » n o n seulement n'avance pas vers la création de la IV€ Internationale, mais se délite sous l'impact de la reculade d u SAP qui e n avait semblé u n instant le moteur. Frankel est expulsé de France. Bauer quitte l’Opposition avec fracas à la suite d’un désaccord : Liova et lui garderont pourtant des liens personnels d'amitié. Aprês les incidents de Barbizon — l'arrestation d u secrétaire Klement à moto sans lumière e t l a

découverte » de la présence de Trotsky — et l’ « expulsion » formelle de ce dernier d u territoire français, commence l'errance d u père — de la villa « de réserve » louée par Liova à Lagny jusqu'à Chamonix et Lyon, puis son installation dans l'Isère chez l’instituteur «

6 . AHLH, lettre de Trotsky, 19 septembre 1933.

122

France : Sous le canon des tueurs

Laurent Beau. Liova fait fréquemment le voyage de Domène. Mais e n fait il est de nouveau seul. O r la France est loin de constituer pour lui u n refuge agréable. D'abord il y a Raymond Molinier. Les deux hommes certes n e se disputent plus Jeanne depuis que Raymond s’est mis e n ménage avec l a Rourmaine Véra Lanis, mais c’est bien pire. Depuis longtemps, à cause de ses chantages et de ce qu'il considère comme une déloyauté — la pression incessante sur les nerfs de Jeanne pour la briser a u début de leur liaison — Liova éprouve beaucoup d'hostilité personnelle contre Raymond et son frère Henri. O r les relations de ces derniers avec Trotsky se sont singulièrement détériorées. A l'été de 1933, par l'Italien Blasco, Trotsky a appris la vérité sur l'Institut de recouvrement de Molinier, la façon très particulière dont il se fait payer les traites impayées qu’il a rachetées à bas prix, la terreur qu'il fait peser parfois sur de petites gens, débiteurs qu'il vole cyniquement. O n comprend sa réaction devant la révélation que c'est souvent « cet argent-là » qui l'a aidé à vivre, lui, et aussi l'organisation. Tout cela semble donner raison à Rosm e r qu'il a désavoué dans ses attaques contre Molinier. Avec ce dernier, les relations sont plus que froides. Molinier cherche à voler de ses propres ailes. O r Jeanne, revenue à Paris, est retombée sous l'influence de celui qui est toujours son mari. N o n que des relations de couple se soient à nouveau nouées entre eux. Mais elle est sa disciple la plus aveugle, inconditionnellement « moliniériste ». Lorsque l a rup-

ture devient u n fait acquis, que Molinier a lancé son journal L a Communeà la fin de 1935 — ce qui ouvre à la voie à une scission durable — , la position de Liova est intenable. Il vit avec la femme et la disciple fanatique de celui que son père considère désormais comme u n aventurier et, pire, comme u n sérieux adversaire de s a politique et de son organisation. Quand les deux organisations rivales se sont cristallisées e n groupes hostiles, chacun jetant quand il le peut les journaux 123

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

de l’autre à la Seine, la situation est pire encore pour lui, car à la tête de l’organisation des partisans de Trotsky se trouve Pierre Naville, qu’il n'aime guère et qui le lui rend bien.

Frankel expulsé de France, Bauer parti, Sedov est complètement isolé a u SI o ù ses camarades manquent d'expérience et de caractère. Il est de nouveau coincé. Dans sa vie politique, parce que Trotsky lui reproche sa faiblesse tantôt avec les u n s et tantôt avec les autres, et finalement, comme toujours, le rend responsable de tout ce qui arrive de négatif et aussi parce que Jeanne lui récite tous les jours ce qu'il considère comme « le catéchisme moliniériste » et ses réquisitoires impitoyables contre « le Vieux ». Il est également plus que m a l à l'aise sur le plan personnel parce que Jeanne lui fait — n o n sans quelque raison, semble-t-il, mais c’est pour lui u n besoin profond que de « courir » les filles — d'épouvantables scènes de jalousie. I l vit de nouveau une vie de privations et de misère et pour la troisième fois recommence a u niveau d u baccalauréat, à zéro, les études supérieures qu'il avait partiellement menées à bien e n URSS puis e n Allemagne. Siéva vit avec eux et la tension est telle qu'il peine des heures à s'endormir et rêve de la visite d’une dame très douce qui vient le voir parfois et dont les caresses et la voix endorment son angoisse : Lola Estrine, dont m a promesse d e garder le silence sur ces visites maternelles a été rendue caduque p a r s a mort.

E t puis il y a toujours les gens d u GPU, devenu OGPU, bientôt NKVD, mais qui sont toujours les mêmes services, spécialistes de la « chasse aux trotskystes » et tueurs professionnels. À Berlin, Liova était marqué de près : outre Frank-Graef, qu’il fréquentait à titre personnel, il rencontrait pratiquement tous les jours le principal agent de Staline dans le mouvement 124

France : Sous le canon des tueurs

oppositionnel e n Allemagne, Roman Well et avec lui sans doute quelques autres. Il y avait beaucoup de chances pour que l'OGPU envoie auprès de Sedov u n nouvel agent pour le surveiller et éventuellement l’éliminer. Il est a posteriori évident que l a meilleure solution était de lui envoyer avec u n peu d'habileté et par u n intermédiaire sûr u n Russe. À la fois parce que Sedov, replié sur lui-même dans son hostilité « aux Français », accueillait avec enthousiasme et sans m é -

fiance quiconque était russe et avait même tendance à le parer de toutes les vertus, par opposition aux Français qui avaient à ses yeux tous les défauts possibles et parce que c'était dans le travail russe qu'il avait le plus pressant besoin de collaborateurs qualifiés.

À l'été 1934, Boris Nicolaievsky, à qui il avait demandé d e lui trouver u n e collaboratrice à mi-temps,

lui présenta une jeune femme de trente-six ans, émigrée, d'une famille de mencheviks, Lilia Ginsberg, épouse de Samuel Estrine (plus tard remariée à David l o u . Dallin), qui travaillait avec lui e t e n qui il avait toute confiance. Ancienne avocate, elle parlait quatre

langues, disposait de son temps et fut pour Liova, à qui la lia une solide amitié, une collaboratrice précieuse. Avant de travailler avec Nicolaievsky, elle avait été employée à la légation commerciale de l'URSS.

Après u n séjour dans sa famille aux Etats-Unis, elle revint e n mars 1935 et poursuivit sa collaboration avec lui, sous le pseudonyme de Lola. I l paraissait extraordinaire à beaucoup q u e cette

jeune femme, qui avait u n long passé menchevique, se fût, après quelques mois d e travail avec Sedov, procla-

mée « bolchevik-léniniste » a u point de devenir u n des piliers d u « groupe russe de Paris » de la IVE Internationale. Elle était également titulaire d’un passeport soviétique, très régulièrement renouvelé par les autorités soviétique. Ces deux éléments la rendirent suspecte à plus d'un et particulièrement à Pierre Naville. Les documents publiés par le récent biographe russe de Trotsky, le général Volkogonov, semblent 125

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

l’innocenter : cette femme que le NKVD désigne par le n o m de code de « Sosedki » (la voisine) était e n réalité la caution involontaire de Zborowski, le véritable agent, qu'elle avait connu par Sedov à l'époque de son retour des Etats-Unis. Il avait s u gagner sa confiance et son amitié et elle lui était utile sans le savoir. Elle le défendit presque jusqu'au bout après l'avoir efficacement protégé.

L'homme avait été recruté par l'agent B-1877. Dans le service de de l'OGPU, dirigé par Moltchanov dont il dépendait — le GUG —, il était appelé Tioulpan, M a c et Kant, et Etienne dans le mouvement trotskyste®. Son véritable n o m était Mordka Grigoriévitch Zborovsky, mais il préférait utiliser le prénom de Marc o u Mark et s'orthographier Zborowski. Il était n é à Ouman, dans le goubernÿa de Kiev, le 2 0janvier 1908 et avait émigré e nPologne , à Lodz, avec ses parents, Hirsch Zborovsky et Hilda Tepitzka, à l'âge de treize ans. Il avait été militant d u PC polonais, et avait fait u n a n de prison pour avoir dirigé une grève. Sur la façon dont il était entré a u service d u GPU, il existe aujourd’hui deux versions : l a sienne, celle qu'il a présentée le 3 octobre 1 9 5 5 , a u moment o ù il

venait d'être démasqué, dans une rencontre à New York avec le couple Dallin et Elsa Bernaut, la veuve d'un communiste polonais assassiné par le NKVD e n 1937, version qu'il a grosso modo soutenue devant la commission sénatoriale qui l'interrogea les 2 9 février et 2 mars 19569. L'autre est celle qu’a présentée le général Volkogonov sur la base de l'examen par lui d'une partie des dossiers d u GPU le concernant!0,

7. D.Volkogonov, Trotsky, vol. II p.133. 8. Ibidem, p. 134. 9. Hearing before the Subcommittee to investigate the administration o fInternal Security Act and other internal security laws of Committee o f the Judiciary United States Senate, 1956 (4 & 5). 10. D.Volkogonov, op.cit., p p 133 sq.

126

France : Sous le canon des tueurs

Zborowski a assuré à ses anciens amis et à la commission d u Sénat qu'’arrivé e n France e n 1933 il s’était fixé à Grenoble o ù il avait employé dans u n hôtel. Il devait travailler dur pour pouvoir faire des études, ce qui était sa suprême ambition. C’est là qu’il aurait rencontré u n jardinier de l'hôtel (version 1955), u n touriste (version 1956), d u n o m d’Afanassiev qui lui avait conseillé de faire ses études e n URSS et, dans ce

but, de s'adresser à l'ambassade soviétique. Là, o n lui expliqua qu’il devait « gagner » le droit de faire ses études e n URSS e n « aidant le pouvoir soviétique » à combattre ses ennemis e n France. L a commission sénatoriale indique qu’il arriva e n France e n 1928, fit des études de médecine à Rouen de 1928 à 1930, de philosophie à Grenoble e n 19321933, d'histoire et de sociologie e n Sorbonne de 1933 à 1934, d'ethnologie e n 1931-1938, il était à l'Ecole des Hautes études e n 1938, obtenant la même année la licence ès-lettres et u n diplôme d’ethnologie. Il y a des « trous » et des imprécisions dans ce travail. Il fut donc selon toute vraisemblance recruté à Grenoble par l'agent B 181. C’est alors qu’il fut mis e n contact à Paris avec u n homme des services qui lui expliqua qu’il aurait à s’infiltrer chez les trotskystes français pour les surveiller. A Paris, il adhéra à leur groupe, assista à leurs réunions, diffusa L a Vérité pendant toute l'année 1934 et envoya des rapports qu'il jugeait inintéressants. Ce n’est qu'au début de 1 9 3 5 qu'il avait reçu mission d e surveiller Liova dont il aurait jusque l à ignoré l'existence e t l a présence e n France. Il n'eut aucune peine à le trouver puisqu'il lui

fut présenté — à la Sorbonne — par Jeanne elle-même. Liova avait besoin d’un collaborateur. Ce militant qui connaissait le russe était le bienvenu. Il travailla dès lors avec Durand — e n réalité, Sedov dont il gagna la confiance. Avec lui aussi, Lilia Ginsberg, Madarne Estrine, dite Lola.

L a routine continua jusqu'à u n rendez-vous a u printemps de 1936 avec u n haut responsable dont il 127

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

pense qu'il s'agissait de M.S. Spiegelglass, adjoint d u chef d u NKVD, ex-GPU, Jagoda, qui lui dit brutalement qu’il n'avait rien à faire des informations qu’il transmettait sur Naville et Molinier. Il exigeait des éléments sur les trotskystes russes, citant Ivan Nikititch Smirnov, Olberg et l’Autrichien Landau : les trotskystes, selon lui, avaient partie liée avec les Allemands et complotaient pour renverser le pouvoir soviétique. Il fallait démasquer ce complot a u plus vite. E n b o n stalinien, Zborowski rectifia sa position et s'appliqua avec zèle à sa nouvelle mission. Telle est la version Zborowski. L a version présentée par Volkogonov à partir des archives d u K G B est u n peu différente. Selon lui e n effet, Zborowski avait fui la police polonaise à Berlin, puis, toujours avec s a femme, avait émigré à Paris. Il n e fait aucune mention de Grenoble. L e couple connaît la plus noire misère. C'est à l'été 1933 que Zborowski aurait été recruté, e n France, par l'agent B - 1 8 7 ; le texte mentionne l'agent Aleksandr Sevastianovitch Adler. Zborowski a rempli de nombreux questionnaires et rédigé une biographie particulièrement détaillée pour le NKVD. Les services de ce dernier ont enquêté d e façon approfondie s u r tous ses proches. Il était

apparemment dès ce moment destiné à gagner la confiance de Sedov. Volkogonov cite des rapports sans e n donner les dates. L'un signale que Zborowski s’est lié d'amitié « avec l’'amie de Sedov » — Jeanne — et que c’est ainsi qu’il a p u entrer dans l a section russe e n

qualité de « secrétaire personnel » de ce dernier.

Dans u n premier temps, il semble que l'activité de Zborowski ait surtout été celle d’un agent de renseignement. Il réussit à avoir connaissance de papiers importants des archives de Trotsky : dans u n passage de son manuscrit russe qui n’est curieusement pas 128

France : Sous le canon des tueurs

reproduit dans son livre, Volkogonov, comme j e l'ai déjà signalé, mentionne la présence, dans les archives d u K G B de Moscou des rapports de Sedov sur son entretien avec I.N. Smirnov et avec E.S. Holzman. Il cite de nombreuses lettres de Trotsky photographiées par Zborowski et envoyées à Moscou et surtout le manuscrit de L a Révolution trahie, dont il nous assure que Staline l’eut entre les mains et fut à même de le lire attentivement bien avant sa publication e n Occident. D e la même façon, il réussit à découvrir dans une lettre banale de Trotsky son adresse e n Norvège et la fournit à ses chefs — lesquels, rappelons-le, n'avaient pas été capables de le repérer quand il habitait Royan, Liova ayant réussi à semer tout le monde e n faisant débarquer ses parents à Cassis et e n laissant le bateau arriver à Marseille sans eux. Les deux rapports sont voisins. Peut-être e n effet Zborowski a-t-il été recruté à Grenoble, bien q u e les

listes d'étrangers résidant légalement n e comportent pas son nom, alors qu’il assure à la commission sénatoriale y avoir été sous sa véritable identité. S i ce recrutement s’est bien passé e n 1933, le fait qu’il ait e u lieu à Grenoble n’a pas de signification précise. S'il avait e u lieu à partir de juin 1934, cela aurait révélé la présence d’un noyau des services dans cette ville, voisine de Domène qui abritait alors Trotsky. Le géné-

ral a raconté à u n chercheur étranger qu'il y avait dans les archives d u K G B toute l a correspondance reçue o u

envoyée par Trotsky pendant son séjour à Domène. L e courtier arrivait-il à Paris pour lui être remis par les « courtiers » , Van, Liova, Molinier et autres ? O u bien passait-il par la poste de Grenoble, adressé à u n homme comme Alexis Bardin, professeur à Grenoble, « converti » par Trotsky ? Nous n e savons pas.

D e toute façon, une lecture attentive révèle une différence qui saute aux yeux. Le récit de Zborowski a

banalisé son aventure. Il y a là des hasards, des responsables plus o u moins sérieux, des tournants brusques e n fonction d u patron d u moment. N i 129

Léon Sedov, fils d e Trotsky, victime d e Staline

l’homme, n i ses chefs n'apparaissent comme des agents compétents et bien organisés. Bien différente est l'image qui se dégage d u rapport de Volkogonov. O n a recruté u n homme qui était déjà stalinien et dont o n sait que la jeune femme, Rynka Levi, était a u moins aussi fanatique que lui, o n l’a contrôlé, vérifié, « briefé » , formé et informé. C'était évidemment normal puisqu’on le destinait à une mission de la plus haute importance et que par-dessus le marché — Zborowski l’a reconnu devant la commission sénatoriale — son activité et sa mission exacte, identique depuis son recrutement, étaient connues personnellement de Staline. L a version Zborowski est celle d’un coupable qui se défend. L a version Volkogonov est u n résumé sans dates d e pièces d'archives vraisemblablement acca-

blantes. Pis encore et n’en déplaise aux esprits faux o u foncièrement malhonnêtes qui, aujourd'hui encore, défendent l' « anthropologue » Zborowski comme une « victime » de la « chasse aux sorcières » et d u « maccarthysme » aux Etats-Unis, ce sont de toute évidence les renseignements donnés par Zborowski qui ont attaché aux talons de Liova une bande de tueurs qui n e sera découverte qu'après l'assassinat d e Reiss,

— l'agent Ludwig — , qu'elle a perpétré. Comment autrement auraient-ils trouvé si vite son adresse de vacances à Antibes, à l'été 1936 ?

I l y a là Sergéi Iakovlévitch Efron, ancien officier blanc, mari de la poétesse Maria Tsvetaeva, le tueur international et chevalier d'industrie, ancien hôtelier à Prague et tenancier de bar chic à Belgrade, le Monégasque Roland Abbiate dit François Rossi, des Russes blancs, Smirensky, Tchistoganov, Pozdniakov, des Français, Martignat, Ducomet. L'un d'eux, le Russe Piotr Schwarzenberg, dont l'activité légale à Paris est l’Union russe pour le Rapatriement, a recruté pour c e

groupe très spécial une de ses maîtresses, la jolie Suissesse Renata Steiner. Quand Sedov part a u mois de juillet passer quelques jours à la Villa Marie près d'Antibes dans la 130

France :

Sous l e

canon des tueurs

pension que tient Hélène, Renata Steiner y vient également. L a jeune femme cherche à se lier à Sedov, l'invite à aller nager avec lui a u large, lui propose une promenade e n bateau. Dans une lettre à Hélène, e n 1937, il évoque « la petite Suissesse de l'an dernier à

l'air innocent et provincial «

»,

qui était, explique-t-il,

venue pour m a précieuse personne avec d'autres

encore »1\, Deux des tueurs, ses complices, Russes blancs passés a u NKVD, Sergéi Efron et Dimitri Smirensky, sont à Antibes, dans une pension voisine. C’est probablement le goût qu’il a pour Hélène, avec la présence de Jeanne, jalouse, qui préserve Liova de cette Suissesse belle femme et qui s'annonce facile. Ce n’est là q u e l a première tentative d e mener contre lui u n e opération dont o n n e sait si c'était u n enlèvement o u

u n assassinat. A u point d e départ se trouvait l'informateur Zborowski, l'œil et le pilote des tueurs à qui il avait donné l'adresse et le numéro de téléphone de la Villa Marie — nous savons par Lola qu'il l'avait. Le cercle se resserre autour de Liova. Molinier qui, e n difficulté financière, fait parfois le taxi, voit u n soir le collègue qui le précède charger Roman Well. Il les suit et voit le client descendre dans la rue Lacretelle o ù Liova est venu habiter a u 2 6 , et s'engouffrer dans l e couloir d u 2 8 . O n découvrira plus tard qu’il s e

rendait a u 2 8 , dans u n appartement loué par Podzniakov, u n ancien officier de l’armée Wrangel passé a u GPU o ù il était le spécialiste de la disparition des cadavres!2, chez deux hommes de la bande d’Efron, Ducomet et Smirenski — qui occupaient l'appartement contigu de celui de Sedov.

11. Lettres à Hélène, collection privée (copie à Harvard), lettre d u 2 novembre 1937. 12. Cyrille Henkin, L'Espionnage soviétique, Paris 1981, p . 54. O n trouve dans ce livre d’un ancien d u KGB passé à l'Ouest des portraits des gens de la bande qui étaient tous de ses amis et connaissances, et aussi des informations sur leur destin : tous se sont réfugiés e n URSS y ont été arrêtés puis exécutés.

131

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Molinier comprend qu'il est de son devoir d'avertir Liova. Il n e trouve chez lui qu’Etienne (Zborowski) qui promet évidemment de transmettre cette précieuse information, ce qu'il se garda de faire, et « de faire le nécessaire ». E t Liova vécut jusqu'à ses derniers jours dans cet appartement o ù il n e savait pas qu'il était surveillé e n permanence par la bande d’'Efron.

Lola écrivait e n 1975 e n évoquant la mémoire de son a m i Liova :

«Au début d e l'été 1936, à m a grande surprise, Sedouv e t Etienne m'annoncèrent qu’ils avaient tous les deux décidé d’aller e n Espagne. Tous deuxparaissaient très enthousiastes. Bien entend u nous n'avions p a s à cette époque l'idée qu’Etienne (Zborowskiÿ avait ordre d e ses patrons d'attirer Sedou e n Espagne. À cette époque, la vague d e s enlèvements e t l'extermination d e s

antistaliniens n'étaient pas encore connus. » ! 3 Hypothèse gratuite, diront les belles âmes qui défendent l ' « anthropologue » e n qui ils veulent voir une victime de la chasse aux sorcières. Faut-il rappeler la disparition e n Espagne de Kurt Landau et d u secrétaire et a m i de Trotsky Erwin Wolf ? Faut-il rappeler l'assassinat d’'Andreu Nin, qu’on a enterré d e nuit,

après l'avoir affreusement torturé à Alcalâ de Henares, dans la cave de la maison de deux grands bourgeois membres d u PC, le général d'aviation Ignacio Hidalgo de Cisneros et sa femme, Constancia de la Mora Maura, censeur à Madrid et petite-fille d u politicien réactionnaire Antonio Maura ? Les staliniens clamaient que Nin était vivant,

«

à

Salamanque o u à Berlin » — chez Franco o u chez

13. Cet article signé d u pseudonyme de L. Iakovlev, fut écrit e n mai 1975 à New York e t était destiné à une publication d’écrits

de Sedov par les éditions Pathfinder à laquelle celles-ci ont renoncé. Le regretté George Weissman m'a envoyé le manuscrit qui a paru e n traduction française dans C L T 1 3 , 1983.

132

France : Sous le canon des tueurs

Hitler. Faut-il rappeler les révélations récentes de la télévision catalane le 6 novernbre 1992, sur la base de documents des archives de Moscou, le rapport d u général NKVD Aleksandr Orlov (Lev Feldbine) rendant compte à Staline et se faisant u n mérite personnel de ce meurtre commis de sa main ? L a mort et l'amour se côtoient dans la vie de Sedov. C’est probablement a u moment o ù la bande d u GPU le guettait à Antibes qu’il a découvert la passion qui le dévorait pour Hélène — et qu'elle partageait. Après leur séparation brutale et son départ d'Antibes, il lui écrit le 2 8 septembre 1936 : « Je

voudrais tant q u e notre amour n e soit p a s

une douleur, n ipour vous, nipour m o i — o n a déjà tant d e douleurs — mais une grande joie, u n bonheur, qu’il nous donne et non qu'il nous prenne. »14 Il rassure aussi l a bien aimée : «Ne

vous inquiêtez pas pour moi ! Jusqu'à prê-

sent, j'ai e u une grande chance, pourquoi m e

trahirait-elle maintenant ? C’est u npeu comme a u jeu — il faut être fataliste, ce qui n’empêche pas

d’être prudent. »15 Fataliste ? Prudent ? Le canon des tueurs est posé sur sa nuque.

Il n e lui reste même pas dix-huit mois à vivre.

14. Lettres à Hélène, 2 8 septembre 1936.

15. Ibidem.

133

CHAPITRE 7

L A PLUME CONTRE L E S PROCÉS D E MOSCOU

Le 1 9 août 1936 commence à Moscou le procès des seize. À côté d'hommes presque inconnus, d'un obscur ancien membre d e l'Opposition d e gauche à Berlin, qui

avait tenté de partir à Prinkipo comme secrétaire, V.P. Olberg, il y a sur le banc des accusés Zinoviev, Kamenev et leurs amis proches. Mais il y a aussi, et c'est pour Liova u n grand choc, les deux hommes qu'il a rencontrés à Berlin, IN.Smirnov et Holzman, et d'autres membres d u groupe des « trotskystes ex-capitulards », d e ceux qui étaient revenus à l'Opposition d e

gauche, Ter-Vaganian et Mratchkovsky, avec lequel J o h n Becker avait été e n contact.

L'acte d'accusation, l u le premier jour, repose sur l e s aveux des accusés qui, selon lui, reconnaissent

avoir conspiré contre la vie des dirigeants soviétiques, e n particulier Kirov, et avoir préparé d’autres assassinats dont celui de Staline : ils reconnaissent avoir constitué u n e organisation terroriste. Tous, m ê m e

Smirnov, avec qui, dit-on, Jagoda est venu négocier dans sa cellule, font e n gros les aveux demandés, 135

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

malgré parfois quelques éphémères tentatives de résistance. L a première réaction de Sedov, rappelé e n hâte d'Antibes p a r Lola et Zborowski dès l a nouvelle d e

l'ouverture d u procès, est l'incrédulité. Après l'interrogatoire d'I.N. Smirnov, il écrit à ses parents, probablement le 2 1 août, une lettre codée — que nous citons ici e n clair pour l a commodité d u lecteur — confiée e n mains propres à v a n Heijenoort qui l a portera e n

Norvège : «

1. A u sujet d e Smirnov. Vous vous rappelez

certainement comment les choses s e prêsen-

taient. Puisqu’il estime lui-même nécessaire d e n e rien cacher, bien plus, d e raconter d e pures fables, il m e semble que j e dois moi-même dire précisément et exactement ce qu’il e nfut. E n m’en tenant d’une manière générale à ce principe qu’il n efaut pas pour autant nuire à qui que ce soit. J e n e vois pas clairement ce qu'il e n est d e

Holzman. E n son temps, Smirnouv m'avait envoyé u n homme — quej'ai rencontré — qui s'appelait également Holzman. Il avait apporté une lettre et u n article économique quifut publié dans le Biulleten. I[ n’est pas question d e tout cela dans ce qu’il a dit jusqu’à présent. A u contraire, il cite u n e

autre ville [Copenhague — PB] e t une autre personne [Trotsky — PB] — qu'il prétend avoir vue. J e crois pourtant que c'est le m ê m e Holzman e t

que la suite des choses nousfournira les explications nécessaires. 2 . A u sujet d'Olberg. Vous connaissez ses débuts e t j'espère q u e dans quelques jours nous

aurons sur lui des renseignements plus détaillés. J e n’ajouterai qu'une chose : lorsqu'en Allemagne les subordonnés d e Grzesinski [les policiers — PB] s'intéressaient à m o i e t l’interrogeaient s u r

mes amis, le n o m d’Olberg était toujours a u centre des questions —j e suppose qu'ils s’intéressaient particulièrement à lui soit parce qu’ils savaient, soit parce qu’ils soupçonnaient qu’il était avec Jagoda [à 'OGPU — PBI). Pendant quelques an136

L a plume contre les procès d e Moscou

nées, j e n’ai plus entendu parler d e lui. Mais assez récemment, il y a six mois o u u n p e u plus,

j'aireçu une lettre d e lui, d e la ville o ù J a n réside [Prague — PB|). Cette lettre disait e n gros : « Cher (nom et patronyme), j e sais que dans le passé, vous vous intéressiez beaucoup aux li vres ; j e vous informe quej'ai beaucoup d e livres intéressants (...) quej e pourrais vendre à u n bon prix».

Comme l'expéditeur n e m'était p a s vraiment sympathique, j e n'ai pas répondu à s a lettre (...). Cette lettre, cela v a d e soi, avait été dictéepar des gens compétents dans u n but défini. 3. J'attire votre attention sur lefait que Gaven, q u e vous connaissez également, n'est p a s impli

qué dans cette affaire. L a seule explication à cela, m e semble-t-il, est qu'il avait u n comportement ferme, qu’il n ’ a commis aucune bassesse e t qu'il

s’est donc trouvé en-dehors d e l'affaire. Peut-être devrais-je moi aussifaire par écrit u n témoignage détaillé e t exact, réfutant point par point toutes les accusations ? J e crois qu’en c e qui concerne H o l m a n e t Smirnou, il faut dire c e qu’il e nfut e n réalité e t n e p a s

parler seulement d e ce quipourrait nuire à tel o u tel. Mais, pour entrer dans tous ces détails, ilfaut disposer d e tous les éléments. Or, dans l a phase actuelle, il n’est guère possible d e donner à la presse autre chose que des réfutations d'ordre général et les interviews que vous donnez. A ufait, Holzman avait dit que Smimouv s’attendait à être arrêté d’un jour à l’autre, car o n avait découvert u n provocateur dans s o n entourage (je

peux le dire avec précision).

»!-

Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, l'incompréhension de Liova devant les aveux de Smirnov et Holzman révèle une sous-estimation d u stalinisme

1. AHLH, lettre de Sedov, 2 1 août 1936, portée à Trotsky par v a n Heijenoort.

137

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

— qu'il était pourtant l’un de ceux qui l'avaient à l'époque le plus profondément analysé et compris. Il semble également qu'il n e s'attendait pas n o n plus à l'exécution des accusés. Selon ce qu’a raconté ensuite Orlov, Zborowski, dans u n rapport à Moscou, signala qu’il était avec Liova, « le fiston » (synok), comme o n l'appelait dans les services, quand ce dernier, achetant u n quotidien, y découvrit que les seize condamnés avaient été exécutés à Moscou. Il éclata e n sanglots, criant littéralement de douleur e n pleine rue. Il faut ajouter que ce désespoir étonna beaucoup Zborowski qui, lui, n’était pas, o n s’en doute, u n sentimental?. E n revanche, Liova avait compris avant m ê m e l e

verdict la signification d u procès pour son père et pour lui-même. E n ce qui le concernait l u i , il l’écrivit à Hélène. A son père, il écrivait dans la mêrne lettre citée ci-dessus : « L e problème le plus urgent, c’est la réorgani sation d e votre vie. Il faut également vous prépa-

rer sérieusement à l'éventualité d'une action terroriste contre vous, car vous êtes intouchable par des méthodes “légales”. II me semble que votre nouveau mode d'existence doit comprendre tous les éléments d e Barbizon, c'est-à-dire l'incognito, plus tous les éléments des iles [Prinkipo — PBI, c'est-à-dire une maison d u même genre et trois collaborateurs a u moins. Cette question bute bien sûr sur le manque d e moyens. J e n e doute pas que, dans les circonstances présentes, les moyens soient trouvés dans les délais les plus brefs. Nous avons envoyé une lettre circulaire aux amis qui ont les moyens, Roberts e t les autres [H.R. Isaacs, qui assurait l a liaison avec l a sec-

tion américaine

— PB).

U n fonds spécial sera

créé, qui devra être alimenté régulièrement. Mais

2. Voir notamment le compte rendu de l'entretien entre Lola Dallin, Elsa Bernaut et Zborowski dans Michel Lequenne, « Les Demi-aveux de Zborowski », CLT, 13, mars 1983. 138

L a plume contre les procès d e Moscou

cela demandera sans doute quatre à cinq semaines très difficiles. Peut-être faudrait-il, outre

le porteur d e la présente lettre [van Heijenoort —

PB], vous envoyer quelqu'un »*.

I l plonge aussitôt dans le travail, e n étroite liaison épistolaire avec le père. Le 2 7 août, il lui réclame une réponse sur la question de Smirnov, Holzman, Gaven, dont nous savons qu'il les a bienrencontré. Il se permet même de l'ironie à l'égard d u père qu’il vouvoie comme il parle de lui-même à la troisième personne, pour déjouer les éventuels lecteurs : « Dans l’un d e vos interviews, vous avez indt qué que vous n’aviez aucun lien, ni direct, n i détourné, avec le pays. Ce dernier point peut prêter à confusion, carj e présume que l'organisation o u ses représentants avaient d e tels liens — s ij e n e m e trompe pas. »*

Nous n'avons malheureusement pas la réponse de Trotsky. A u cours des semaines qui suivent, ils travaillent ensemble, préparent les démarches e n direction de la Fédération syndicale internationale (FSI) et de l'Internationale ouvrière socialiste (IOS) pour leur demander d e prendre l'initiative d’une commission d'en-

quête internationale sur les procès de Moscou. Liova rend compte d e s o n travail, d e celui d e Rosenthal e t

Marguerite Rosmer. Sollicitées, les « stars » d u barreau se sont dérobées, M€ de Moro-Giafferri le premier, puis M€ César Campinchi, qui, tous deux se disent « unitaires » et n e veulent pas « diviser » . Mais M€ Henry Torrès maintient sa signature. Malgré la pression de Pierre Naville, lié d'amitié à lui depuis longtemps,

3 . AHLH, Trotsky : lettre d u 2 1 août 1936. 4 . ALHK, Sedov : lettre d u 2 7 août 1936.

139

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

André Gide refuse de faire partie d’un groupe organisé, mais il aidera à lutter contre le procès, surtout par son ouvrage Retouches à m o n Retour d e l'URSS. O n sent pourtant u n orage qui se prépare. Trotsky est impatient : rien n e v a assez vite. I l est mécontent

aussi d u rapport que vient de faire M€ Raymond Rosenmark, u n « expert » de l a Ligue des Droits de

l'Homme qui a fait une défense et illustration des procès, une apologie de l'aveu e n général pour conclure à la culpabilité des condamnés et à l a régularité de la procédure. Trotsky se plaint de n e pas savoir s’il est «

limité, ignorant o u vendu ». Mais il pense q u e c'est

u n sérieux revers. Il écrit qu’on n’a pas fait le siège des dirigeants de la Ligue et moins encore des stars d u barreau, qu’il fallait essayer de convaincre. Il voudrait q u e l a petite commission d e travail comporte u n orga-

nisateur et suggère Henri Molinier. Pour Liova, c’est une offense. Le 3 novembre, il répond qu'il n e faut pas

dramatiser : le rapport Rosenmark n’est pas adopté, la Ligue doit rencontrer lui-même, Victor Serge, etc. avant d’en débattre. Il écrit à son père : «

Il me semble que, dans votre isolement et

aussi d ufait d e votre éloignement, vous êtes plus ému qu’il n’y a lieu de l’être. E n revanche, s u r l’entrée d'Henri Molinier dans s o n

groupe de travail, il est intraitable : « E n ce qui concerne Henri, il est vraiment absolument hors d e question, d e l’impliquer dans le travailpersonnellement. J e n'aurais bien entendu rien contre lui, mais les conditions n e nous le permettent d’aucunefaçon. Sonfrère e nfera une

grande exploitation et nos camarades y verront u n témoignage. L e mal sera bien plus grand que toute utilisation possible, que vous surestimez. L'hommea vieilli, il estfatigué, etc. Concrètement,

5 . AHLH, Sedov: lettre d u 3 novembre 1936.

140

L a plume contre les procès d e Moscou c e q u e j e propose, c'est q u e nous essayions d e

mieux travailler, ce pour quoi il nous faut u n certain délai. »

Tout v a être brutalement interrompu. Liova avait incontestablement sous-estimé les moyens « légaux » de nuire à son père et la couardise d’un gouvernement norvégien attaqué à la fois par la droite et par le PC pour l ' « asile » accordé à Trotsky. L a pression d u gouvernement soviétique sur Oslo, les menaces de boycottage économique, l'insistance de l'ambassadeur Jakoubovitch aboutissent à empêcher Trotsky de se défendre e n lui interdisant toute initiative. Erwin Wolf, venu le rejoindre pour l'aider et le garder, est expulsé brutalement e t sommairement e n m ê m e temps q u e

Jean van Heijenoort qui l'avait précédé. Une loi à effet rétroactif — o n l’appellera la « première loi Trotsky » — lui interdit d’intenter des procès e n Norvège. Une deuxième lui interdit la même démarche dans tout pays étranger.

Finalement, il est assigné à résidence, pratiquement interné dans une baraque de Sundby, cependant que le chef d u bureau des passeports, le fasciste Konstad, retient les lettres qui pourraient servir à la défense des accusés des procès d e Moscou, à l a sienne e t à celle d e Sedov. U n contact précaire est maintenu p a r l’intermé-

diaire de Walter Held, devenu « secrétaire » de l'avocat norvégien de Trotsky, Puntervold. Gérard Rosenthal fait le voyage de Paris à Sundby. Liova parvient tout de m ê m e à faire parvenir à s o n père le bouquet d e roses

rouges qu'il lui destine a u double anniversaire de sa naissance et de la victoire de l'insurrection d'Octobre. Mais il v a faire mieux encore, acceptant, malgré ses scrupules et ses appréhensions, d e remplacer Trotsky

pour écrire la brochure nécessaire contre les procès. C e sera l e Livre rouge s u r les Procès de Moscou, u n 141

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

plaidoyer méthodique et passionné qui est resté le point de départ de toute critique solide d u procès des seize, o ù il démolit pierre par pierre l'accusation stali-

nienne présentée par le procureur Vychinsky. Liova avait conscience de l'importance de ce travail qui reposait bien sûr sur les quelques remarques faites par Trotsky avant d’être réduit à l'impuissance, mais aussi sur sa propre enquête et son analyse. Il écrit e n effet dans la préface datée d u 2 6 octobre 1936 : « L'auteur d e ces lignes est aussi l’un des accusés d u procès d e Moscou. Il a le droit d e s e défendre. Mais u n double devoir s’inposait surtout à lui. L e devoir d u seul accusé resté e n liberté, rétablir la vérité : le devoir d e défendre l'honneur

de Trotsky. L e véritableprocès, celui desfusilleurs d e Moscou, n e fait q u e commencer. Nous n’avons d’autres armes que l a vérité. Nous poursuivrons notre

tâche jusqu’au bout, sans faiblesse, quelles que soient les difficultés à surmonter. L a vérité sefera. Il n e restera pas pierre sur pierre d e la monstrueuse machination stalinienne. L'effroyable responsabilité e n retombera sur les thermidoriens

de Moscou. L e crime d e Staline apparaîtra tel qu’il est, l'un des plus grands de l'Histoire moderne.

Il commence par analyser les raisons pour lesquelles Staline avait besoin d'en venir à pareille extrémité, l'organisation d’un tel procès. Il place a u premier

rang les raisons de politique intérieure : « Le

socialisme est édifié, les classes sont abo-

lies, proclame la doctrine officielle d u stalinisme. “Le socialisme est édifié” et jamais encore l’Union soviétique n'a connu une telle inégalité, actuellement, presque vingt ans après la révolution d’Oc-

6 . L. Sedov, L e Livre rouge sur le procès d e Moscou (ci-après LRPM), 1936; cité ici d’après la reproduction dans CLT 14, juin 1983, avec pagination originelle ; ici p . 8.

142

L a plume contre les procès d e Moscou

tobre : des salaires d e 1 0 0 roubles et des salaires

de 8 à 1 0 000 roubles. Les uns vivent dans de misérables baraques, ils ont des souliers éculés ; d’autres ont des automobiles somptueuses et vivent dans des appartements magnifiques. Les uns luttent pour s e nourrir, eux et leur famille ; d’autres ont leur voiture, des domestiques, une maison d e campagne dans l a banlieue d e Moscou, une villa a u Caucase, etc . “Les classes sont abolies”, mais quoi d e commun entre la vie d'un directeur d e trust et celle d’un manœuvre ? Celle d’un maréchal et celle d'un kolkhozien ? Certes, même maintenant, une certaine inégalité serait encore inévitable, mais, et c’est là toute la question, cette inégalité s'accentue d'année e n année,

prenant les proportions les plus monstrueuses, et l’onfait passer cela pour… le socialisme. Dans les domaines les plus divers, l'héritage d e l a révolution d'Octobre est e n train d’être liquidé. L'intenationalisme révolutionnaire fait place a u culte d e la patrie dans le sens le plus étroit. E t patrie signifie avant tout autorités. O n réintroduit les grades, les décorations, les titres. O n rétablit la caste des officiers avec les maréchaux e n tête. Les vieux ouvriers communistes sont rejetés à

l’arrière-plan ; la classe ouvrière est scindée e n couches différentes, l a bureaucratie mise sur le

“bolchevisme sans parti”, sur le stakhanovisme, c’est-à-dire sur l'aristocratie ouvrière, le contremaître et, avant tout, sur le spécialiste et l'administrateur. O n rétablit l’ancienne famille petitebourgeoise qu’on idéalise d e l a façon l a plus

conventionnelle ; malgré les protestations générales, o n interdit l'avortement, c e qui, dans les

conditions matérielles difficiles, signifie l'esclavage d e lafemme, le retour aux temps d'avant la révolution. O n a abrogé le décret d e la Révolution d'Octobre sur l’école nouvelle. L'école estréformée sur le modèle d e la Russie tsariste : o n réintroduit l’uniforme pour les élèves, non seulement pour enchainer leur indépendance, mais aussi pour Jfaciliter la surveillance hors d e l’école. Pour apprécier u n élève, o n s e base sur ses notes d e con-

143

Léon Sedov, fils d e Trotsky, victime d e Staline

duite, o n s'oriente vers l'élève docile et soumis, et non pas vers l'écolier vivant et indépendant. L a vertufondamentale d e la jeunesse, c'est aujourd’hui “le respect des aînés” à côté d u “respect d e l'uniforme”. O n a créé toutes sortes d'inspecteurs pour surveiller la conduite et les mœurs d e la jeunesse. O n a dissous l'association des vieuxbolcheviks et celle des anciensforçats politiques. Elles rappelaient trop le “maudit” passé révo-

lutionnatre. D a n s le domaine d e l'économie, c'est u n e

marche à vive allure vers la droite, o n rétablit le marché, le système d e l’équilibre financier des entreprises, le travail auxpièces. Après l'abolition administrative des classes, la direction stalinienne e n est venue à miser sur les gens aisés : c’est sous c e signe q u e s'effectue l a différenciation entre les kolkhozes e t à l'intérieur d e s kol-

khozes. »

I l poursuit son analyse e n soulignant le nombre croissant de prostituées, d’enfants abandonnés, la rigueur d'une répression dirigée maintenant contre le prolétariat lui-même. « Par tous les moyens, la bureaucratie s’approprie une part énorme d u revenu national. Elle a quelque chose à défendre ! L a bureaucratie soviétique, qui s'engraisse et prospère, défend avec rage ses privilèges, s a vie “aisée et heureuse”, contre les masses privées d e droits.

Staline se heurte a u mécontentement des travailleurs, à leur volonté d e j o u e r u n rôle politique, à leurs

protestations contre l'inégalité sociale, « violentes contradictions qui déchirent l'Etat soviétique ». Staline cherche à terroriser les travailleurs et pour cela, à exterminer les « trotskystes » qui sont pour lui le plus

7. Ibidem, pp. 9-10. 8. Ibidem, p. 11. 144

L a plume contre les procès d e Moscou

grand danger. Il vise la mince couche de son appareil qui est encore constituée de vieux-bolcheviks sensibles a u souvenir e t à l a tradition d'Octobre. Il veut, p a r les

procès, tuer politiquement l’Opposition de gauche et Trotsky, le principal accusé e n fait, afin d'ouvrir sans obstacles la voie de la réaction. Sedov assure qu’à l'extérieur Staline n e se contente pas de rompre avec le passé révolutionnaire d u pays, mais qu’il le fait dans l'intérêt de la réaction mondiale : « C’est lafin d e la révolution mondiale, dit Staline. L a bourgeoisie peut et doit maintenant compter avec Staline comme avec u n allié sérieux, comme avec le chef d’un Etat national. »?

L'un des objectifs des procès est de démontrer a u monde capitaliste que Staline n'est plus d u côté de la révolution. Sedov affirme qu'il serait prêt à « pactiser sans hésitation avec Hitler, sur le dos de la classe ouvrière allemande et internationale » ! 9 et que donc, pour toutes ces raisons, il doit tuer Trotsky et tous ses partisans dans le monde, la IV€ Internationale. Sedov rappelle que les « bolcheviks-léninistes » ont depuis des années averti et mis e n garde contre une répression et « des amalgames sanglants » de la part d e Staline. Il rappelle les provocations montées contre

l'Opposition e n 1927, il rappelle l'exécution de Blumkine et de deux oppositsionnerien 1929 et surtout que Trotsky, a u moment de l'assassinat de Kirov, avait dit qu’on devait s'attendre à « de nouveaux amalgames encore plus monstrueux » et signalé que l’un d'eux avait été consommé a u procès d e Kamenev à l'été 1 9 3 5 dont l a presse n'avait p a s parlé.

Pour lui, l e lien entre l e meurtre d e Kirov e t l e procès

n’est évidemment pas dans la personne des accusés d u procès des seize, mais dans le rôle d u GPU dans

9. Ibidem, p. 14. 1 0 . Ibidem, p . 1 5 .

145

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

l'assassinat de Kirov et la mise e n scène d u procès. Il ironise d'ailleurs sur le caractère invraisemblable d’une « conspiration » de laquelle tout le monde parlait à tous et à tout propos, selon les aveux des accusés. Pour lui : « Ni

Zinovieu, n i Kameneu, n i aucun autre des

vieux-bolcheviks, n’ont rien e u à voir avec l’assassinat d e Kirov. »!1

L a comparaison entre les deux procès Zinoviev-Kamenev de janvier 1935 et d'août 1936 le conduit à d'intéressantes remarques. Dix-neuf personnes ont été

condamnées lors d u premier. O n n’en retrouve que quatre dans le procès des seize. Les autres condamnés de 1935 n e sont même pas cités comme témoins. L a comparaison des aveux des quatre entre 3 5 et 3 6 fait apparaître de notables différences dont l'accusation n e s’est apparemment pas souciée. Sedov souligne par ailleurs que les quatre ont été condamnés sur la base d'actions visant à prendre le pouvoir « par soif d u pouvoir personnel » et que, depuis leur mort et à partir d u 12 septembre, ce mobile a été remplacé par celui

de leur « volonté de rétablir le capitalisme »!2. Il souligne enfin que le fameux « consul letton » dont Jacques Duclos avait assuré qu’il était l'intermédiaire entre Trotsky et le meurtrier Nikolaiev a purement et simplement disparu de l'acte d'accusation de 193513. Montrant q u e les seize sont e n réalité d’une part onze vieux-bolcheviks, qui apparaissent c o m m e « des

hommes b r i s é s , écrasés, répondant d ' u n e voix éteinte », « des gens traqués et complètement épuisés »,

11. Ibidem, p 29. 12. Ibidem, pp. 31-35. 13. Ibidem, pp. 35-36. 146

L a plume contre les procès d e Moscou

et cinq jeunes comparses qui « se conduisent avec aisance et désinvolture, ont le visage frais et presque serein » : ceux-là sont les indicateurs!4. E n étudiant le groupe des accusés, il montre que pour 1 2 personnes — dont Gaven — leur cas a été disjoint. 4 1 sont mentionnés comme ayant participé à la conspiration et leurs noms ont disparu, puisqu'ils n e sont pas accusés e t q u e leur cas n'a p a s été disjoint.

Sa conclusion est que, outre les « agents » , seuls des hommes qui avaient été brisés a u cours de l'enquête ont comparu devant les juges et que tous les autres dont le n o m a disparu sont ceux qui ont tenu b o n sous la torture et ont été fusillés pour l'exemple o u tout simplement par représailles!5. Il démontre combien le travail a été bâclé puisque les numéros des dossiers des inculpés révèlent précisément les « trous » creusés e n cours d'enquête e t qu'on n’a p a s pris l a peine d e reboucher e n renumérotant tous les dossiers des ac-

cusés!6.

Après une démonstration irréfutable, à travers la longue liste des attentats reprochés aux accusés, mais qui n’ont jamais e u lieu!/”, Sedov commence à ébranler sérieusement l'édifice. Sur plusieurs points, il porte à l'accusation de Staline des coups dont elle n e se relèvera pas. Holzman a « avoué » avoir rencontré Sedov à Copenhague, à l'hôtel Bristol. O r Sedov est e n mesure de prouver par des documents officiels que n o n seulem e n t il n’est p a s allé à Copenhague et qu’il est resté à

Berlin, mais encore que l'hôtel Bristol, fermé e n 1917, a été démoli et n'existe plus!8. Il s'offre u n peu d'ironie facile à l'égard des histoires de lettres à l'encre chimique, révélées une première fois et qui redeviennent

14. Ibidem, p.37. 15. Ibidem, p. 46. 16. Ibidem, pp. 53-54. 17. Ibidem, pp. 77-87. 18. Ibidem, pp. 88-94. 147

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

invisibles pour la réexpédition avant d'être révélées une deuxième fois, fait sans précédent, écrit-il, n o n seulement dans l'histoire des révolutionnaires, mais

dans la nature!°.

Contre ceux qu'il tient pour des « pharisiens » , qui ironisent sur la « faiblesse » et la « lâcheté » des vieuxbolcheviks qui se sont livrés aux « aveux » et délibérément salis, il maintient leur honorabilité et l'inégalité d u combat. À ceux qui s'étonnent que Rakovsky ait demandé la mort pour les seize, il rétorque : « Comme s i Rakousky pouvait s'échapper de dessous la pesante meule bureaucratique qui a broyé les anciens révolutionnaires. »20

Il écrit à propos des condamnés : « Même chez les inculpés, il s'est trouvé u n dernier reste d e forces, une dernière goutte d e dignité. S i brisés qu'ilsfussent, aucun des vieuxbolcheviks n'a pris, n e pouvait prendre sur lui l'accusation d’être “en liaison avec la Gestapo”. Nous pensons — et cela peut paraître paradoxal à quijuge les choses superficiellement — que la force morale intérieure d e Zinoviev et d e Kamenev dépassait considérablement le niveau moyen, quoiqu’elle s e soit trouvée insuffisante dans des conditions absolument exceptionnelles. Des c e n taines e t des milliers d e chefs communistes, socialistes et autres, qui s'adaptent à la bureaucratie soviétique o u a u capitalisme, auraient été incapables d e supporter même la centième partie d e la pression continue et effroyable à laquelle furent soumis Zinoviev, Kameneu et les autres. »21

19. Ibidem, p . 100-103. 20. Ibidem, p . 44-45. 2 1 . [bidem, p. 47. 148

L a plume contre les procès d e Moscou

Notre lecteur est sans doute étonné de n e pas trouver trace dans le Livre rouge d u « groupe Smirnov » et d u « bloc des oppositions » , dont nous avons longuement parlé dans le chapitre 5. E t surtout s'il se souvient de la détermination affichée par Liova dans s a letre d u 17 août de « dire ce qui s'était vraiment passé ». C’est qu'il a changé d'avis après la réponse de Trotsky. Pour le Livre rouge, la capitulation de Zinoviev et de Kamenev n'est que la suite logique de leurs capitulations politiques successives devant Staline : il souligne

que c'est là la suite de leur rupture avec Trotsky et l'Opposition de gauche et leur dénonciation e n janvier 1928. Il parle de Smirnov, Mratchkovsky, Ter-Vaganian c o m m e si leur cas était semblable, bien qu’ils aient rompu u n a n plus tard — e n 1 9 2 9 — e t sans l a

moindre allusion à ce « retour à l'Opposition » dont Liova avait lui-même informé ses camarades. Il écrit : « Staline s'arrêta à

d'anciens oppositionnels d e

gauche, Smirnou, Mratchkouvsky, Ter-Vaganian. Ceux-ci avaient ouvertement rompu avec l'opposition d e gauche depuis 1929, c’est-à-dire depuis 7 ans ! Et, e n l'absence d e tout trotskyste authenti-

que (...), Staline fut contraint d e se contenter d e pseudo-trotskystes, d'autant plus que l’un d’entre eux, I.N. Smirnou, avait rencontré par hasard à Berlin Sedou, ce qui lui donnait a u moins le prétexteformel d e parler d e “liaison avec l’étranger”. »

Plus loin, il s'efforce de démontrer qu’il n’a pas existé de groupe Smirnov alors que nous savons par tous les documents d'archives p a r ses propres lettres

que ce groupe a réellement existé et qu'il n e l'avait pas oublié le 17 août. Démentant ce qu’il avait annoncé à s o n père, à l'époque, s u r le groupe Smimov e t notamm e n t l'arrestation d e ses membres, mais aussi c e q u e

nous e n savons aujourd'hui par leur réhabilitation :

22. Ibidem, p . 5 5 .

149

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

« Smimouv fut arrêté seul. Aucun d e ses amis intimes n efut arrêté ; quelques-unsfurent seulement déportés. Ce seulfait montre que le GPU — à la suite d e l'instruction sur l'affaire Sminouv — jugeait établi que s a liaison “avec l'étranger” avait e u u n caractère purement individuel, qu’il n’existait aucun “centre” o u “groupe” organisé autour

d e Smimnou. Sinon les arrestations auraient été beaucoup plus étendues et ce n’est pas Smirnou seulement qui aurait été condamné à l'internement dans u n isolateur. »23 Liova se gausse de l'accusation qui s'est bel et bien servie la naissance d u bloc e n 1932 et la même fait durer — a u prix d'un certain étirement — jusqu’en 1936 afin de lui attribuer les actes terroristes dans la période comprise entre ces deux dates. C'est ainsi que le procureur général affirme que Smirnov aurait été membre d u «centre » d u bloc alors qu'il était e n prison. Mais Liova va beaucoup plus loin et cherche à démontrer qu’il n’y a pas e u et n e pouvait y avoir de « bloc des oppositions ». Il écrit : «

L a lassitude générale et le mécontentement

commençaient à s'exprimer a u grand jour. Les ouvriers recouraient d eplus e nplusfréquemment

à la grève ; à Ivanonovo-Voznessensk, il y eut d e grands mouvernents parmi les ouvriers. Des kolkhoziens défendirent les armes à la main leur récolte et leurs biens contre les paysans non collectivisés. Dans le Caucase et le Kouban sévissait une petite guerre civile permanente. L e trouble, le mécontentement et la méfiance crois-

sante à l'égard d e la direction s’infiltraient aussi dans l'appareil. On pouvait entendre d e tous côtés, parmi les vieux-bolcheviks, les ouvriers, les jeunes communistes, que Staline menait le pays

à la ruine.

23. Ibidem, p . 99.

150

L a plume contre les procès d e Moscou

C’est dans cette situation que s e sont trouvés les anciens dirigeants d e l'Opposition d e gauche qui s'étaient séparés d'elle. Après avoir capitulé à différents moments, il s'étaient tous sincèrement efforcés, a u moins a u début, d e s'adapter à l'appareil stalinien, espérant prendre part à la lutte pour l'industrialisation, à la lutte contre le koulak. Mais la crise économique et politique aiguê les éloigna d e l'appareil stalinien. Mi-involontairement naquit e n eux u n certain sentiment oppositionnel, le besoin d e parler entre eux, d e critiquer ouvertement la direction stalinienne. C’est ainsi qu’en 1932 o nput observer u n certain réveil, d’ailleurs assez faible, des groupes qui avaient autrefois capitulé devant Staline : le groupe d e Zinovieuv et d e Kameneu, le groupe des anciens staliniens d e gauche Lominadze-StenChatskine (ceux qu’on appelait les “gauchistes”), d e Smimouv et d e ses amis, et aussi quelques droitiers, Rioutine, Slepkou et autres. Mais il n e faut p a s exagérer c e réveil. Pour l a majorité, il

garda u n caractèrepurement intime, “dominical”. O n n’alla pas plus loin que les conversations “ à cœur ouvert”. O nrêvait qu'il serait bon d’avoir une autrepolitique o u une autre direction. Vraisemblablement, les hommes des différents cercles et groupes recherchèrent u n rapprochement personnel des liaisons l'un avec l’autre. Les plus audacieux ont peut-être dit qu’il serait bon d efaire u n “bloc”, mais il est probable qu’on n'en vint même pas à dire cela. Aujourd’hui — quatre ans après ! — Staline tire d e tout cela u n “bloc” et même u n “centre unifié” terrroriste(.…) L'opposition d e gauche accordait a u réveil d e ces groupes u n e importance surtout symptomati-

que. Bien entendu cela pouvait servir d e point d e départ a u retour d e Zinovieu, Kameneuv, Smimou et autres, sous le vieux drapeau des bolcheviks-

léninistes, mais il n’enfut rien. » . 2 *

24. Ibidem, pp. 65-66. 151

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Il précise même que les bolcheviks-léninistes russes n'entrèrent dans aucun bloc avec aucun de ces groupes, alors que nous savons par lui que Smirnov, craignant leur infiltration par le GPU, avait d'avance refusé tout contact avec eux.

Pourquoi, de la part de Liova, cet acharnement à nier c e qui s'était réellement passé, après ses inten-

tions belliqueuses ? Rien de plus simple: il n’était pas question, après le procès, e t connaissant o u imaginant

les tortures employées, de lâcher quelque vérité que ce soit qui eût p u être envoyée a u visage d'un inculpé qui aurait jusque là nié. Les mensonges de Liova étaient destinés à protéger des camarades qui résistaient. Mais il n e croyait pas à leur éternité et c’est lui-même, petit Poucet moderne, qui a semé de cailloux blancs ce parcours dans ses archives qui nous permet de refuser de le croire aujourd'hui. Il admit donc la rencontre avec I . N Smimov : pur hasard, conversation tout à fait banale, dans laquelle ce dernier parle à titre personnel, pas a u n o m d'un groupe et dit qu'il n e croit pas à la possibilité d'agir de l'opposition. Quant à Holzman, Liova admet aussi l'avoir rencontré, mais celui-ci n e lui apporta, assuret-il, qu'un article de Smirnov qu'il publia dans le Biulleten. Nous savons qu'il avait apporté aussi une lettre de Smirnov et que, l'ayant rappelé à Trotsky e n août, il n e pouvait l'avoir oublié. E n fait, il pensa que, dans les conditions concrètes données, l a lutte pour l a

vérité passait aussi par de pieux mensonges. Qui oserait l'en blâmer ? Quelqu’ u n e n tout cas qui n e sait pas quelles souffrances étaient infligées aux suspects dans les caves de la Loubianka.

Trotsky fut enchanté de ce travail. Natalia Ivanovna raconte qu’en le lisant il marmonnait « Juste, très juste. Le bon gars! »25 Il devait écrire u n peu plus tard

25. Natalia Sedov Trotsky, « Father and Son », loc.cit. p . 197. 152

L a plume contre les procès d e Moscou

cet hommage a u premier « travail littéraire » de son fils, qui venait de mourir : «Nous nous trouvions alors, avec m afemme, e n Norvège, pieds et poings liés, cibles d e la plus monstrueuse des calomnies. Il existe certains degréês d eparalysie o ù les êtres voient, entendent et comprennent tout, mais sont incapables d e remuer u n doigt pour écarter u n danger mortel ; c’est à une semblable paralysie politique que le g o u v e r n e m e n t “ s o c i a l i s t e ” norvégien nous contraignit. Dans ces conditions, le livre d e Léon fut pour nous u nprésent inestimable la première et cinglante réplique aux falsificateurs d u Kremlin. J e m e souviens que les premières pages m’en parurent plutôt ternes : c'est qu’elles répétaient une appréciation politique d e l'ensemble d e la situation e n URSS déjàfaite précédemment. Mais à partir d u moment o ù l'auteur a abordé son analyse personnelle d u procès lui-même, j e m e suis senti saisi tout entier. Chaque nouveau chapitre m e paraissait meilleur que le précédent. “Bravo Levousiatka”, disions-nous, m a f e m m e e t moi. “Nous avons u n défenseur ! ” C o m m e ses

yeux devaient briller d e joie e n lisant nos louanges chaleureuses ! »26 Contraint p a r l a nécessité, Liova v a écrire d'autres textes importants à partir d u moment o ù le père, embarqué pour l e Mexique, est injoignable, quelque

part sur l'Atlantique. C’est l'annonce d u deuxième procès, qu’on commence à appeler le procès Piatakov-

Radek qui le décide.

Il fait une analyse serrée d u procès de Novosibirsk, d u 19 a u 2 2 novembre — prétendu sabotage dans les

2 6 . L . Trotsky, LS/FAM, op.cit., p. 187.

153

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

mines de charbon — qui e n constitue e n quelque sorte la préface et la répétition générale. Il e n tire des pronostics, qui se révêleront exacts, sur les prochains accusés d'un nouveau grand procès : Radek, Piatakov, Sérébriakov, Sokolnikov, Mouralov. Il prévoit également que la liaison avec « la Gestapo » y sera affirmée par l'accusation et confirmée par des accusés?7.

L a continuité est assurée par l'accusation selon laquelle les accusés ont obéi aux « directives » d’un « centre trotskyste » et le lien avec le procès des seize par de prétendues directives données à Piatakov par I.N. Smirnov et L . L Sedov. Piatakov est aussi accusé d'avoir rencontré Sedov à Berlin. Sedov proteste qu’il l'a seulement croisé dans la rue : Piatakov a tourné la tête. Quant à lui, n e pouvait parler à u n homme qu'il considérait comme traître et renégat. Il l'a d'ailleurs écrit à ses parents.

L a n o n condamnation à mort d’un accusé allemand qui se proclame national-socialiste et se dit agent de la Gestapo, Stickling, amène sous la plume de Liova cette réflexion qui porte : «

L'homme qualifié officiellement d’agent d e l a

Gestapo, est grâcié pour n e p a s mécontenter Hit-

ler, tandis que les vieux bolcheviks Zinovieuv, Kameneu, Smirnou sont fusillés. 2 8 L'enchaînement des procès combiné aux exécutions après condamnation à huis clos o u plus simplement sans jugement le conduit à aller u n pas plus loin qu’à propos des seize et à donner à cette épuration une importance essentielle dans le déroulement de la réaction stalinienne et de son développement e n contrerévolution préventive, dans le cas de ce que l'historien

27. AHLH, L. Sedov

«

A Propos d u procès d e Novosibirsk »,

trad. fr. CLT 14, pp. 142-158. 2 8 . Ibidem, p . 145.

154

L a plume contre les procès d e Moscou

Mikhaïl Gefter appelle aujourd'hui « une guerre civile permanente » 2 9 . « Tous les accusés staliniens et les candidats accusés, les anciens trotskystes, les anciens z t

noviévistes, les anciens droitiers, ont e n commun

d'avoir tous capitulé devant Staline. Tous ont été o u sont devenus des ennemis d u trotskysme. L'autocratisme stalinien n'est même p a s capable d'assimiler d e tels individus ! Les témoins d u procès précédent, les survivants d e la révolution et d u bolchevisme, les disciples et les collaborateurs d e Lénine, les fondateurs d u pouvoir soviétique, représentent tous u n danger pour Staline, sinon actuellement, d u moins pour l'avenir. Les accusés staliniens n e sont p a s nos amis. Mais o n n epeut penser sans angoisse que Staline veut les noyer dans la boue et le sang. L a Pravda écrivait il n'y a p a s longtemps : “On n e peut croire

u n seul mot d’un ancien oppositionnel, pas u n seul”. Cetteformule n e sert qu’à couvrir u n autre mot d'ordre, infiniment moins sentimental :“On n e peut laisser e n vie aucun oppositionnel, p a s u n seul” ». C'est ainsi que Staline règle ses comptes avec ceux des oppositionnels qui ont capitulé. Avec quelle cruautéféroce extermine-t-il e n cachette les véritables oppositionnels, les quelques milliers d e bolcheviks-léninistes qui remplissent les isolcteurs et les camps d e concentration d e l'Union soviétique ? » 0

À la Ligue des Droits de l'Homme, dont le rapport scandaleux de son conseil juridique, l'avocat M€ Ray-

29. Mikhaïl Gefter, « Staline est mort hier », L a Seule Issue, 1989, pp. 60-98.

30. AHLH, L. Sedov, « A Propos » … , p . 158.

155

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

mond Rosenmark, concluant à la validité des aveux des seize et à leur culpabilité, vient d'être publié sans que les défenseurs des accusés aient été entendus, il adresse une longue lettre-mémorandum dans laquelle il reprend patiemment tous les arguments qui démolissent la thèse de l'accusation. Son texte, précise-t-il, n'est « pas une plaidoirie, mais u n contre-réquisitoire ».

Le militant professionnel donne ici a u juriste une bonne leçon d'histoire. L'avocat a cru pouvoir affirmer q u e contester les aveux d'accusés était « sans précé-

dent dans les annales judiciaires » . Liova lui répond posément e n évoquant dans l'Histoire cette institution bien connue, basée uniquement sur des aveux et spécialisée dans leur extorsion, tout simplement l'Inquisition Il rappelle que Galilée dut ainsi avouer que la terre n e tournait pas et qu'on envoya a u bûcher d'innombrables pauvres femmes accusées d'être des sorcières. Il se paie même le luxe de citer le grand juriste allemand Lohsing pour contredire l ’ « expert » parisien. Puis il reprend s a démonstration, sélection

des accusés e n fonction de leur docilité, invraisemblance de la thèse sur l'assassinat de Kirov. Il écrit même : « U n ouvrier trotskyste russe a écrit que s i a b absurdo o n supposait que les trotskystes avaient

effectivement voulu tuer Staline, renonçant a u marxisme, il serait mort depuis longtemps sans qu'il soit nécessaire de mobiliser d e s dizaines d e

personnes, d efatre d'innombrables voyages, des

conférences. N'est-ce pas évident ? » 3 ! Comparant le balai des sorcières aux lettres à l'encre chimique de Trotsky, reconstituant d'après l’acte

31. AHLH, L. Sedov, « Lettre a u CC de la Ligue des Droits de

l'Homme et à la Ligue », Bulletin d'information et d e Presse d u comité pour l'enquête sur le procès d e Moscou et la défense d e la liberté d'opinion dans la révolution, n° 12, supplément », p . 7. 156

L a plume contre les procès d e Moscou

d'accusation et les aveux l’itinéraire d'une lettre écrite à l'encre chimique, développée à Moscou par Dreitser,

que celui-ci a révélée et envoyée e n clair à Mratchkovsk y qui l’a reçue invisible (sic). Il conclut : « Comment cela a-t-il p u s e produire ? L a rêponse est fort simple. Cette lettre n'a jamais été écrite n i développée, car elle n’ajamais existé. »*2

I l réfute aussi u n mensonge pour lequel il n'avait pas les éléments a u moment d u Livre rouge : il démontre e n effet que le passeport d’Olberg, « faux passeport » selon l'accusation et « fourni par les trotskystes » , était e n réalité u n véritable passeport qu'il a effectivement acheté avec des fonds provenant de sa famille et de la vente de sa bibliothèque. Revenant sur la calomnie qui lie les trotskystes à la Gestapo, il donne une nouvelle leçon d'histoire, rappelle les accusations lancées contre Lénine e n 1 9 1 7

d'être u n « agent de l'Allemagne » , Marx accusé d'être u n agent de Bismarck et d’avoir comploté contre la vie de Napoléon III. I l cite le grand historien français Alphonse Aulard pour qui les thermidoriens « n e se contentèrent pas d'avoir tué Robespierre et ses amis », mais « les calomnièrent e n les représentant a u x yeux de la France comme des royalistes et des gens vendus à l'ennemi ». Il rappelle les accusations lancées contre

Cromwell. I l ironise parfois avec une férocité justifiée par la cynique prétention de l'expert e n « droit» : «

J e n e puis qu'en passant aussi souligner c e

fait extraordinaire, “sans précédent dans les annales”, que, dix-neufans après la révolution d’Octobre, il s'avère, si l'on e n croit les comptes rendus d u procès, que tous les hommes qui ont dirigé l a

lutte libératrice d e l’ouvrier russe, qui ont dirigé la révolution et organisé la victoire dans la guerre civile, qui ont permis à la Russie tsariste abîmée

dans la barbarie de se transformer e n une Russie

3 2 . Ibidem, p . 10.

157

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

nouvelle devant laquelle se sont ouvertes d'im menses perspectives, aient p u devenir des “bandits”, des “parvenus”, des “agents d e l a Gestapo”. Parmi les accusés d u procès, o n compte cinq membres sur sept d uBureaupolitique d e Lénine, l'état-major d e la révolution russe. O n compte également dix-neuf anciens membres d u CC, des plus e n vue, lafinefleur d uparti bolchevique, dont les noms sont inséparablerment liés à l'histoire d u

mouvernent révolutionnaire. N'est-ce pas extraordinaire, n'est-ce pas invraisemblable, inacceptable, impossible a priori ? Qui croit aujourd’hui que Robespierre, Marat et d'autres aient p u être des “aventuriers” o u des gens à la solde d e l'étranger ? M . Rosenmark peut-être ? 3 S a conclusion n’est p a s moins percutante : « E t la Ligue des Droits d e l'Homme ? L'homme e n question, celui qu'elle défend, c’est leprocureur Vychinsky, pour n e pas parler d e son patron.

Par toute son attitude, la publication d e ce rapport, la Ligue perd à mes yeux qualité pour mener une enquête sur le procès d e Moscou. J e n e peux n i n e veux plus, d e quelque manière que c e soit, avoir affaire à votre enquête. Lorsquej'ai

demandé à être entendu, j e n'ai pas cru avoir

affaire à une Ligue d'esprit anti-dreufusard.

C'était une erreur. J e la corrige par ce document. » 4

À la veille d u procès Radek-Piatakov, le 2 5 janvier, il publie u n article dans le Manchester Guardian, touchant pour la première fois, e n ce qui le concerne, le

33. Ibidem, p . 13 34. Ibidem, p . 17.

158

L a plume contre les procès d e Moscou

large public de langue anglaise. Il attire l'attention sur le fait que, contrairement a u décret spécial d u l e r décembre 1934, les seize ont été autorisés à faire appel.

Il poursuit : « Ce droit d'appel était considéré par les accusés comme la garantie d e leur pardon. Mais le comité n’apas utilisé sonpouvoir. Les accusés ont été horriblement trompés. Il n e fait pas de doute qu'on emploiera la même méthode a u procès d e Piatakou, Sokolnikouv et autres. Il sera d’autant plus facile d e les abuser que la majorité d’entre eux, sinon la totalité, étaient déjà e n prison o u avaient été arrêtés (comme, par exemple, Radek et Piatakou) avant la fin d u procès Zinoviev et,

dans l'isolement strict de leur prison, n'ont même pas aujourd'hui idée d u sort de Zinoviev, Kamenev, Smimou et les autres. »35 Quant a u x

«

rencontres

»

et « conférences », il écrit :

« Piatakov est accusé e nparticulier d’avoir participé à u n e conférence qui s e serait tenue à Berlin e n 1 9 3 1 et a u cours d e laquelle Piatakou, Smirnou (qui a déjà été exécuté) et l'auteur d e ces lignes auraient prétendument discuté le plan d’une tentative contre la vie d e Staline. Tout cela est bien entendu purementfantaisiste. A u cours des neuf dernières années,j e n’ai v uPiatakouv qu’une seule fois, tout à fait par hasard dans une rue (Unter den Linden) d e Berlin — e n 1931 0ou1932, j e n e

sais plus exactement. Q u a n d il m ' a aperçu, Piatakov s ’ e s t immédiatement détourné, faisant

mine d e n e pas m e connaître. Cefut m o n unique rencontre avec Piatakouv a u cours des neuf dernières années ! Selon des commentateurs offi

ciels, cette “conférence” s’est déroulée “sous les auspices d e la Gestapo”, e n dépit d u fait qu’en 1 9 3 1 la Gestapo n'existait pas encore. D e telles

35. L. Sedov, « Le Trotskysme e n Russie », Manchester Guardian, 25 janvier 1937, CLT, 14, p . 161.

159

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

erreurs sont caractéristiques d e l'appareil judiciaire soviétique. »*© A u lendemain d u procès Piatakov-Radek, dans une lettre a u Manchester Guardian apparemment p a s p u -

bliée, il commence par u n bilan : « L e deuxième procès d e Moscou s’est achevé. Staline poursuit s a campagne d'extermination

des vieux-bolcheviks. Les vies d e treize êtres humains sont anéanties sur décision d u tribunal. E t combien d e dizaines, d e centaines, ont été exécu-

tés e n secret et sans décisionjudiciaire ? Combien seront encore exécutés ? Telle est l’horrible réalité

stalinienne. 7 Il attire l'attention sur u n fait capital : « Dans s a déclarationfinale, Radek a posé une question très risquée : sur quelles preuves l'accusation s’appuie-t-elle ? E t il répond que ces

preuves n e sont constituées q u e p a r ses propres

aveux et ceux d e Piatakou, car, dit-il, “les déclarations d e tous les autres accusés reposent sur nos déclarations”. E t il est vrai qu’il n'existe par ailleurs pas la moindre preuve, le moindre docu-

ment, la moindre déclaration émanant de témoins non impliqués dans l’affaire. »*8

À ce sujet, il s'en prendà la déposition d u journaliste Romm. Ce dernier a assuré devant le tribunal de Moscou que c'était lui, Liova, qui avait arrangé pour lui une rencontre avec Trotsky a u Bois de Boulogne. Cette rencontre avait e u lieu et Trotsky y était venu accompagné de son fils. O r Liova se dit e n mesure de prouver de façon irréfutable que Trotsky — venant de Cassis directement — est demeuré sans interruption à Royan jusqu'au mois d'octobre. Quant à lui, il dis-

36. L. Sedov, ibidem, p . 1 6 1 3 7 . Ibidem. 3 8 . Ibidem.

160

L a plume contre les procès d e Moscou

pose de témoins pouvant assurer que dans la période de fin juillet o ù R o m m assure l'avoir v u avec Trotsky a u bois de Boulogne, il était bien près de son père, mais à Royan. Après avoir réitéré son témoignage a u sujet de la prétendue « rencontre » avec Piatakov, il démolit u n autre p a n de l'accusation et des aveux de Piatakov qui prétendait avoir pris u n avion allemand à Berlin pour Oslo; le directeur de l’aéroport d’Oslo a e n effet attesté qu’aucun avion n'avait atterri dans cette période, décembre 1935, à Oslo et qu’un appareil norvégien, qui s'est posé, n'avait p a s d e passager-

Dans le magazine Confessions, e n février 1937, Liova publie u n article intitulé « J’accuse ». Après avoir rappelé et brièvement résumé le bilan d u

premier

procès et introduit le deuxième, il poursuit : « L'histoire se répète : ils [les nouveaux accusés — PB] dénoncent e n particulier Boukharine, Rykou, Rakousky, etc. qui viennent d’être arrêtés. L a mêmeprocédure v a suivre. Après une nouvelle instruction secrète, nous aurons u n nouveau grand procès dont les accusés principaux seront certainement Boukharine, que Lénine appelait “l'enfant chéri d u parti” et Rykou, qui a remplacé Lénine à la présidence d u conseil des commissaires d u peuple. »39

Pour la revue « grand public » dans laquelle il publie c e t article, il revient s u r l a question des aveux après avoir souligné : « Pas

une ombre d e documents, d e preuve ma-

térielle. Pourtant les accusés avouent. Ils réitèrent leurs aveux avec ostentation, avec acharne-

ment. »40

3 9 . L. Sedov, « J'accuse », Confessions, n° 10, 4 février 1937. 40. Ibidem.

161

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

L'explication qu’il donne des aveux est la bonne, celle que nous confirmeront des décennies plus tard Khrouchtchev et ses successeurs : «Toute lajustice soviétique e n matièrepolitique s e réduit à une enquête dirigée par le GPU dans le secret le plus absolu. Les accusés sont souris à des tortures morales qui laissent loin derrière elles les méthodes d e l'Inquisition. Hs subissent des interrogatoires d e 4 8 heures sans interruption, sans sommeil, sans qu'il leur soitpossible d e prendre aucune nourriture. Pendant ces intermi nables interrogatotres, les juges s e relaient pour oposer les mêmes questions. O nfait pression sur les accusés e n les menaçant sur l a vie d e leur

femme, d e leurs enfants. # 1

Il revient sur la « sélection » des hommes jugés e n public, l'amalgame sur le banc des accusés entre vieux-bolcheviks et personnages louches. Il explique de façon très convaincante : « U n seul avocat averti, présent, pourrait e n se jouant rutner l'accusation. Il lui suffirait d e poser une série d e questions précises sur les conditions

matérielles auxquelles font allusion les inculpés.

Q u e deviendrait le témoignage d e Piatakov sur s o n voyage à Oslo s'il devait répondre à d e s

questions comme celles-ci : “Avec quels papiers avez-vous voyagé ? O ù votre avion s'est-il posé ? D e quels papiers l'avion était-il muni ? Comment, p a r qui, avez-vous été mis e n rapport avec Trots-

k y ? Quel jour ? Quelle heure ? Trotsky était-il accompagné d e quelqu'un ? ” Nous voyons donc

que l'accusation n e repose que sur des abstractions et que, chaque fois qu'il s'agit d e preuves concrètes, elle s'écroule. # 2

4 1 . Ibidem 4 2 . Ibidem

162

L a plume contre les procès d e Moscou

Il donne la première analyse d u rôle de Radek à son procès : « Ses traits d e caractère le désignaient pour jouer le rôle le plus difficile a u procès d e Moscou avec une habileté et uneperversité d'esprit inégalables. A u procès, Radek feint d e défendre certaines valeurs politiques. Il nie les accusations secondaires. Il polémique contre le procureur, le ridiculise parfois, donnant ainsi aux yeux d e certains observateurs l'inpression qu’il lutte. Tout cela n’est qu’unjeupour donnerplus d epoids aux accusations fondamentales, que non seulement Radek reconnaît, mais encore qu’il s'efforce d’étayer. Auteur d'innombrables anecdotes dont Staline goûtait très p e u la saveur, très spirituel, entre u n aveu et une plaisanterie macabre, Ra-

dek, conformément a u x ordres d u GPU, dénonce

Boukharine, Rykou et les autres. * 3 Après avoir parlé de la lettre retenue pour la maladie d e Nina, d u suicide d e Zina, il mentionne s o n frère Sérioja qui sera bientôt exécuté — mais o n n e l'a appris

que récemment — , souligne qu'il a été arrêté alors qu’il était « tout à fait en-dehors de la politique, (...) même connu personnellement de Staline avec le fils duquel il avait d’étroites relations d'amitié pendant plusieurs années » . Mais il conclut — et c'était parfaitement juste — sur lui-même : « E nfaisant d e moi u n des principaux accusés des deux derniers procès, Staline poursuit u n but précis. Il est probable qu'il n e s'en tiendra p a s à des accusations. J e veux donc prévenir l'opinion

publique que j e n e suis nullement enclin à me suicider nià disparaître. Siquelque chose arrivait, c’est d u côté d e Staline et non ailleurs, qu’il faudrait en rechercher la cause. »44

4 3 . Ibidem 4 4 . Ibidem

163

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Avec l'installation a u Mexique de Trotsky, ce dernier avait retrouvé toute s a liberté d e s'exprimer e t Liova n e

voulut plus être le porte-parole. Le 3 mars 1937, le journal Marianne oppose dans sa nouvelle rubrique « deux sons de cloche » , u n dirigeant et éminent journaliste d u PCF, « M . Gabriel Péri, dont o n sait le talent et les convictions, a u fils de Trotsky ».

O n cherchera e n vain u n argument neuf sous la plume de Péri, qui annonce d'emblée la couleur e n écrivant : «

Celui quifut a u centre d e l'accusation et que

le procureur Vychinsky désigna comme le “criminel essentiel”, Léon Trotsky, est entouré des témoignages d e sympathie d e tous les ennemis

traditionnels de l'URSS et d u socialisme.‘Pas de problème d e conscience : (...). Pourquoi les aveux ? L a réponse est claire : c’est l'irréfutabilité

des preuves qui a contraint les inculpés à la confession”. » (sic}h5 E t d e ressortir les phrases passe-partout s u r l'in-

vraisemblance de ces procès, les « aveux » d u Japan Times qui justifie l'activité d'espionnage d u SR japonais, d u fait q u e le gouvernement nazi n’a p a s protesté. I]

v a jusqu’à écrire : « L'URSS vient (...) d e disloquer la machine d e l'espionnage hitlérien. D u coup, elle a non seulement écarté u n danger: e n l'écartant elle a servi

l a cause des pays qui, comme l a France, sont liés

à elle par des traités, mais elle a d e surcroit attiré l'attention et la vigilance d e tous les gouvernements pacifiques sur le péril que représente la machination nazie. S i l e sens national n’était à ce

4 5 . Gabriel Péri, Marianne, 3 mars 1937.

164

L a plume contre les procès d e Moscou

point perverti chez certains “nationaux”français, s i les intérêts d e clan n e l'emportaient pas chez e u x sur le souci d e l a sécuritéfrançaise, l a France tout entière devrait exprimer s a reconnaissance à

l'URSS. L a vigilance soviétique a conjuré u ngrave péril pour la démocratie et pour la Paix. »48

Très calme, à partir de quelques exemples bien choisis, Liova rétorque e n montrant que « les précisions sont le coup de grâce pour la justice de Staline », q u e le gouvernement hitlérien a toujours pratiqué avec

celui de Staline u n front unique contre Trotsky. Il oppose à Péri les analyses faites par Trotsky sur le nazisme. S a conclusion : «

S i l'accusation est vraie, c'est-à-dire que les

chefs d e l a Révolution d'Octobre, les organisateurs d e la victoire d e l'Armée Rouge, les constructeurs d e l'Etat soviétique et d e son économie, les dirigeants d e l'Internationale communiste étaient tous des traîtres, que reste-t-il encore d e la révolution et d u bolchevisme ? Quelle garantie peut-on avoir que les autres, ceux qui sont aujourd’hui encore desjuges etpas encore des inculpés, n e sont pas, eux aussi, des traîtres ? 4

Alors, de quoi s'agit-il ? Liova répond très simplement ce qu’il pense : « Ce n e sont pas là “affaires russes” comme certains le prétendent. Ces procès non seulement

discréditent l'Union soviétique, arment ses ennemis, mais empoisonnent l'atmosphère morale d u

mouvement ouvrier et d e la démocratie. C’estpour leur défense que la vérité doit êtreproclamée tout entière. 4 8

4 6 . Ibidem.

4 7 . L. Sedov, ibidem. 4 8 . Ibidem.

165

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Liova v a écrire u n dernier article sur les procès*9, à la suite d’un article d u journal géorgien Zaria Vostoka sur la condamnation à huis clos par le tribunal de Tiflis de plusieurs communistes géorgiens, dont Mdivani et Okoudjava, leaders de la résistance nationale à la russification stalinienne, soutenus par Lénine et défendus par lui contre Staline à partir de 1922, longtemps membres de l'Opposition de gauche. Sans doute est-ce là u n échec d u GPU : ces hommes, qui n’ont pas avoué, ont été jugés — s'ils l'ont été — à huis clos.

Ils étaient accusés d'espionnage, de sabotage a u » et

compte des « milieux fascistes d’un Etat étranger de la

« préparation

d'actes terroristes ». L a Pravda n’en

a même pas parlé. Mais Liova cite e n référence u n article de Béria sur ce procès dans lequel il est question des « bavardages de Mdivani et autres » sur le régime prétendument

«

intolérable », s u r l’utilisation d e cer-

taines méthodes « tchékistes » , sur la prétendue térioration » de la situation des travailleurs.

«

dé-

Il commente : « L e bavard dévoile ici

une partie d e la vérité. » ° 0

Sa conclusion est entièrement valable aujourd'hui : « L’affaire Mdivani-Okoudjava,

comme les exé-

cutions incessantes e n Extrême-Orient soulève le voile très léger qui couvre l’orgie sanguinatre qui

sévit dans toute l'Union soviétique. Il n’y a presque aucune ville, aucune usine, aucune institution o ù les “ennemis d u peuple” n’ont été répri més. Des dizaines et des dizaines d e milliers d'arrestations, des milliers et des milliers d’exécutions d e bolcheviks d e la génération d’Octobre, o u d'avant Octobre ! Sous les balles d u bourreau est tombé encore u n groupe de vieux-bolcheviks,

49. L. Sedov,

«

L'Affaire Mdivani-Okoudjava », B O 56-57,

1937. Trad. fr. d'Isabelle Longuet, CLT 14. 50. Ibidem, p . 169. 166

L a plume contre les procès d e Moscou

combattants d e la révolution d'Octobre, disciples

de Lénine. Mais la signification de l'affaireMdiva-

n i est plus profonde : elle met u n terme à la lutte commencée e n 1922-1923 par Lénine, iênternationaliste, contre Staline, nationaliste thermidorien, » !

5 1 . Ibidem.

167

CHAPITRE 8

PROCÉS DE MOSCOU : LA CONTRE-ENQUÊTE D a n s u n premier temps, c’est évidemment Trotsky

qui devait écrire la brochure contre le procès. C’est lui également qui impulsa et centralisa le travail de « défense » et e n particulier les procès e n diffamation que des avocats intentèrent e n son n o m aux différents journaux qui le calomniaient à propos des procès. Mais, d e m ê m e qu'il dût renoncer à rédiger le Livre rouge, de mêrne il laissa bientôt Liova centraliser l'enquête pour tous les procès o u plutôt les contre-procès

envisagés. O n parla d’un procès à Oslo, bien sûr, d'un autre à Bâle, d'un troisième à Prague. Rien n’était encore prévu à Paris.

Avec u n certain retard, Liova prend l'initiative, s'appuyant sur le comité de défense des prisonniers politiques qu’il avait précédemment mis sur pied. Le 1 6 septembre 1 9 3 6 , il s'adresse à Marcel Martinet pour lui parler des « tentatives désespérées » qu’il fait, avec 169

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

V a n et Gérard Rosenthal, « pour recueillir a u moins une partie de l'“intelligentsia” française » . Il précise : « Nous pensons qu’ilfaut faire u n appel assez modéré, peut-être même très modéré afin d e permettre le plus d e signatures possibles et cet appel devra avoir comme conclusion et comme revendi cation immédiate, d'après moi, que l'opinion publiqueprolétarienne, démocratique, mondiale doit

créer une commission d'enquête qui aura l’autori té nécessaire pour examiner toutes les pièces qu'on lui soumettra, entendra les témoins, etc. Nous pensons qu'il faut centrer sur cette revendication. Quant à l a structure d e cette commission (personnalités o u représentants d e s organi-

sations ouvrières), la question, d'après moi, peut rester ouverte. Cela dépendra d e nos succès. » Il écrit à l'ami d e s o n père : « Ce n'est pas nous qui pouvons e n avoir l'initiative publique, j e m'adresse à vous, m o n cher camarade Martinet, pour vous demander d eprendre sur vous la rédaction d’un pareil appel et d e le signer e n premier. Personne n e saura la faire mieux que vous et la tâche d e détruire cet ignoble amalgame a une telle importance que nous tous, qui sommes d u mouvement ouvrier, n e doutons

pas

q u e v o u s y apporterez

votre entier

Concours. » !

Le 2 3 septembre, Sedov écrit que le comité est prêt à démarrer ce qui semble indiquer qu’il a reçu le texte q u e Martinet a intitulé

« Appel

a u x H o m m e s» e t qui v a

être signé d'écrivains, de syndicalistes et de politiques : les poètes André Breton, Benjamin Péret et Jacques Prévert, les écrivains Georges Bataille, Jean Giono, Galtier-Boissière, Henry Poulaille, Charles Vildrac, Jules Romains, Léon Werth, Maurice Wullens, les

1. Archives Martinet, Sedov : lettre à Marcel Martinet, 1 6

septembre 1936, i n CLT 3, juillet 1879. 170

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

philosophes Alain et Félicien Challaye, les syndicalistes, les époux Bouêt, Pierre Monatte, Maurice Dommanget, Georges Dumoulin, Robert Louzon, l'anthropologue Paul Rivet, les socialistes Edouard Depreux, Daniel Guérin, Magdeleine et Maurice Paz, André Philip, l’avocate Betty Brunschwig, les enseignants Robert Jospin, Elie Reynier, Léon Emery, René Lalou, Andrée Limbour, Georges Michon, et aussi quelques « trotskystes » comme Pierre Naville et Gérard Rosenthal, et les « amis » , Marcel Martinet, Alfred et Marguerite Rosmer?.

Les difficultés commencent, car, pour n e pas lui donner une connotation par trop « trotskyste » , Sedov et Rosenthal ont accepté de n e pas être a u comité, ainsi que Souvarine, trop « marqué » , mais Magdeleine Paz se bat pour faire coopter e n revanche le menchevik Fedor Dan, ce que Liova juge inacceptable dans ces conditions. U n mois sera perdu dans cette discussion. E n fait, Liova veut démonter les faux et Magdeleine Paz — sans doute derrière elle le parti socialiste — faire le procès d u « bolchevisme ». Finalement le travail s’organise, alors que Trotsky s'impatiente et n e cesse de houspiller Liova par lettre o u télégramme. L a secrétaire d u comité, professeur et jeune militante d u POI, Andrée Limbour, s'avère très efficace, mais le gros d u travail repose sur les épaules de Gérard Rosenthal qui apparaît e n public, d e Liova e t Jean v a n Heijenoort qui,

eux, restent e n coulisses. Sous l'impulsion d e Victor

Serge, qui collabore également, par correspondance, le comité s'appellera « pour l'enquête sur les procès d e

Moscou et pour la défense de la liberté d’opinion dans l a révolution ».

2 . Gérard Roche, « Défense et Contre-Enquête e n France », C L T 3 , juillet 1979.

171

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Dans la nuit d u 6 a u 7 novembre 1936, e n tout cas, se produit u n événement qui fait savoir à tous que

l'affaire est sérieuse. Sous la pression de son père, qui craignait pour ses archives, Liova e n avait confié u n e

partie importante, jusque là déposée chez Lola, à la bibliothèque de la rue Michelet, annexe de l'Institut d'histoire sociale d'Amsterdam, e n d’autres termes, à Boris Nicolaievsky. Les cambrioleurs savaient quels cartons contenaient les archives de Trotsky et y sont allés tout droit, sans fouiller le reste. Pour percer la porte, ils ont utilisé u n matériel jusqu'alors inconnu e n France. Liova l'annonce à son père par télégramme puis dans une lettre o ù il mentionne aussi une rumeur des milieux russes selon laquelle il serait lui-même agent d u GPU et trahirait son père. Trotsky et Liova désignent aussitôt le GPU derrière les cambrioleurs. Mais il n‘y a absolument aucun indice. Quant à l a question des éventuelles complici-

tés, elle est réglée par l'absurde. Lola et « Etienne » Zborowski sont eflectivement soupçonnés tous les deux par la police française. Mais Liova se porte garant d'eux e t particulièrement d e Zborowski, très fortement

soupçonné, mais qui a chez lui des archives qu’il devait apporter rue Michelet et qui n e l’a pas fait, ce qui les a par conséquent préservées d u vol. L a police recule. E n fait, c’est bien Zborowski qui a signalé l a présence d e

ces archives, de chez Lola et qu’il a partiellement apportées, de l'appartement de Lola à l'annexe de Nicolaievsky, mais il se plaint très fort à ses chefs d u NKVD qu'on ait fait le coup e n risquant de le mettre e n danger.

Le 8 novembre, Liova qui se rend a u Palais, constate qu’il est suivi. A u Palais, Gérard Rosenthal, informé par ses soins, fait arrêter sur place le « fileur » , u n Russe blanc d u n o m d'Anatoli Tchistoganov qui attend son« client » dehors. Il nie et parle de hasard. L a police le relâche. U n a n plus tard, o n apprendra qu’il fait

partie d'un gang de tueurs d u GPU sous le pseudonyme de « Lunettes ». 172

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

L'enquête de la police française n’aboutira pas. Avait-elle vraiment le désir d'aboutir et de risquer u n incident avec l'URSS pour les caisses de documents appartenant à u n révolutionnaire qu’elle avait contribué à faire expulser d u pays ? O n peut e n douter. E n tout cas, Liova n’a pas de doute. Ecrivant le 8novembre à Friedrich Adler, le secrétaire de l'Internationale ouvrière socialiste, à qui il demande son aide pour organiser u n e Commission d'enquête internationale, il as-

sure : « L e GPU voulait s'emparer d e ces archives d e Trotsky, non pas évidemment parce qu'il pensait y trouver quelque chose d e “terroriste” — mieux que quiconque, il savait que cela n'existait pas — mais ce dont il manque énormément, c’est d e jJaits, d e dates et d’autres données concernant

Trotsky qui puissent lui servir à donner dans u n prochainprocès u n caractère d e vraisemblance à des accusations montées par lui. Ce cambriolage montre d e nouveau — si c'était vraiment nécessaire — que le GPU n e s’arrête vraiment devant rien. E t tout cela n’est qu’un commencement. Staline a déjà réussi à faire in-

terner Trotsky, sur la base defaux, et le prochain coup sera d'aboutir à son extradition (même pour m a modeste personne, j e commence à craindre

quelque chose dans le genre d’une koutiépovade) [le général blanc Koutiepov avait été enlevé e n France et transporté e n URSS o ù il fut exécuté — PB]. J e voudrais répéter encore qu'il n’est p a s

question d e trotskysme, mais d e méthodes criminelles qui n e peuvent laisser indifférent aucun socialiste o u communiste honnête et leur imposent à tous d e réagir. »* Nous savons maintenant définitivement, après les premières publications de documents des archives d u N K V D que l'opération a été tout entière menée par le

3 . AHLH, Sedov : lettre d u 8 novembre 1936.

173

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

service « Action » d u NKVD dont le chef Pavel Anatoliévitch Soudoplatov avait aussi Trotsky et Liova dans sa ligne de mire. Le général Volkogonov a récemment révélé que l'opération « archives » avait été préparée sur les informations de Zborowski et menée à bien d'un bout à l’autre par une équipe de spécialistes venus de Moscou et dirigés par l'agent d u service Iakov Isako-

vitch Sérébriansky* : peut-être s'agit-il de ce « Sérébrianni » dont Zborowski a juré devant la commission sénatoriale américaine qu’il n e savait rien. E n ce cas il faudrait conclure que les agents d u FBI étaient sourds o u illettrés.

En-dehors mêrne des dangers bien réels que le GPU fait peser sur l u i , la responsabilité de Liova devient écrasante. S o n père avait e n effet jusqu’à présent prévu

plusieurs procès avec ses amis de plusieurs pays et veillé lui-même à leur préparation. E n Tchécoslova-

quie, avec les avocats J a n G. Adler et le juriste des Droits de l'Homme Friedrich Bill, e n Suisse, avec M€ Strobel, est obligé de renoncer à cette tâche. Il lui écrit e n effet le 10 novembre : «Tu dois prendre e n considération que le ministre d e la Justicefait saisir toutes les lettres importantes qui s e rattachent à m a défensepersonnelle (.…). J e suis à présent complètement sans défense face aux calomniateurs, aux cambrioleurs e t a u x crapules d e toutes sortes. IL te faut donc agir d e t apropre initiative e tfaire savoir ces choses à tous

les amis. U n nouveau marathon commençait pour Liova. Il devait écrire des dizaines de lettres chaque jour expli-

4. D.A. Volkogonov, Trotsky I I , p . 315. 5. AHLH, Sedov : lettre d u 1 0 novembre 1936.

174

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

quant le plus clairement possible dans une langue qui n’était pas la sienne ce qu'il attendait d u témoin qu’il interrogeait, le point de son témoignage qui était important, la façon dont il devait témoigner, faire légaliser s a signature sur son témoignage. Il devait évidemment rester prudent, faire e n sorte qu’une lettre de lui, détournée o u volée, n e permette pas de l’accuser de dicter des témoignages o u d'influencer le témoin. Il fallait aussi des pièces officielles, des attestations de ministères, des passeports tamponnés, des livrets scolaires, des registres de présence, le détail des communications aériennes, les horaires de chemin de fer, les réservations, la presse qui donnait parfois des informations.

Il fallait tout vérifier, l'existence de l'hôtel Bristol, le passage d'un avion d'Allemagne e n Norvège, la date de l a venue de Piatakov o u d’un autre e n Allemagne, la correspondance entre s a mère et Edouard Herriot pour

l'obtention pour lui d’un visa français e n 1932. C’était parfois très long, trop long, désespérément lent a u rythme d u courrier, des hésitations o u de la négligence des correspondants. Ce travail de titan devait aboutir à des résultats positifs : reconstituer jour par jour le voyage automobile entre Cassis et Royan e n retrouvant hôteliers et restaurateurs — Jean Beaussier e t Raymond Leprince

referont le voyage e n voiture —, obtenir le témoignage de tous les hôtes de St-Palais sur les jours et heures de leur arrivée, de leurs rencontres avec Trotsky, l’aspect d e c e dernier, s o n état d e santé, les autres personnes présentes. L e séjour à Copenhague fut recons-

titué de même, l e s lieux, les communications à l'intérieur de la maison, les visiteurs, les journalistes, les cinéastes. Les choses étaient difficiles car il fallait souvent demander le témoignage de certains émigrés dont la signature n e pouvait être légalisée et qui craignaient

aussi très souvent de se compromettre. Cette correspondance se trouve dans les archives de Liova à la 175

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline Hoover Institution d e Stanford. Elles méritent e n elle-

même l'attention d’un chercheur e n vue d'une publication. Le NKVD (ex-GPU) continue à se dépenser. Les avocats les moins politiques abandonnent les contreprocès, o ù ils s'étaient engagés, sous le coup de la peur et vraisemblablement de ses menaces, peut-être de chantage. C’est le cas d u Suisse Erwin Strobel et d u Tchécoslovaque Friedrich Bill.

Pourtant Liova n'oublie aucun de ses devoirs. Le 3 décembre, il écrit à sa mère u n petit compte rendu sur la vie de son neveu Siéva, dont il est de fait le père adoptif depuis le suicide de Zinaïda. Il donne des nouvelles d’abord de ses progrès e n français et de ses études qui se présentent bien; il écrit : « Dans l'ensemble, c'est u n bon garçon, bien mieux qu’à son arrivée, tendre, affectueux. Il s’intéresse à beaucoup d e choses, pense à ce qui arrive. Il est arrivé d e Vienne o ù il était retombé e n arrière vers ce qu'il était avant, mais aujour-

d’hui, il est pris par tout ça. Ce n'est pas d u tout u n stupide petit imbécile, mais u n garçon sérieux e n qui o n peut déjà avoir confiance. Par exemple,

son instructeur dans les Faucons rouges (du PS) o ù il est inscrit, nous a dit que Siéva n'avaitjamais voulu donner son adresse, bien qu'ils aient beaucoup insisté depuis le début, quand ils n e savaient rien d e lui, et continuaient à la lui demander sans cesse. J e pense qu'il est heureux avec nous et qu'il se sent complètement chez lui. A propos, son instructeur des Faucons, vient avec quelques amis d’être exclu p o u r cause d e “trotskysme” par la bureaucratie socialiste. Parce qu'ils avaient beaucoup trop d'influence sur les Faucons les plus âgés. Siéva n’est pas encore exclu. #

6. AHLH, Sedov à s a mère : lettre d u 3 décembre 1936.

176

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

U n autre conflit pointe à l'horizon. Liova, espérant toujours convaincre, veut absolument donner son témoignage à la Ligue des Droits de l'Homme. Trotsky est fermement opposé. Il lui écrit le 12 décembre : « Quant

à M . Basch [le président d e l a L D H —

PB], nous devons lui tourner le dos et le traiter comme il le mérite, c’est-à-dire par le mépris. Toute autre attitude serait une grosse erreur. » " Liova, l u i , écrit le 1 6 , sans avoir reçu cette lettre,

mais informé par Rosenthal. Il n e pense pas que la publication d u rapport Rosenmark dans les Cahiers de la L D H le 15 novembre soit u n élément nouveau. Il explique qu'il s’est longtemps battu pour être entendu,

qu’il y a e u six reports de date et que maintenant la date est fixée. Comment se dérober sans déclaration accusatrice ? D e plus il n’est pas certain qu’il soit sage de rompre avec la LDH. Il préfère une lettre violente à une rupture. Il propose finalement d'écrire une lettre de rupture le lendemain de son audition. Le 17, ayant reçu la lettre de son père, il cède : « Quant à moi, j e suis également obligé d e renoncer à m o n audition. J e vais écrire une lettredéclaration, très longue et très énergique, pour expliquer mes raisons. M a situation n’est bien entendupasfacile après l'insistance quej'aimise à être entendu, mais tant pis ! »ê

Dans les jours qui suivent, les récriminations d u père portent sur le « dilettantisme » avec lequel il accuse Liova d'avoir traité les questions d'édition. Pendant tout c e temps, ses rapports continuent. Il

parle des 2 000 personnes réunies à Paris dans une réunion privée, d u fait que ce sont les liens d’amitiés datant de leur séjour communà l'Ecole normale supérieure qui font que le ministre des Affaires étrangères

7. AHLH, Trotsky à Sedov: lettre d u 12 décembre 1936. 8. AHLH, Sedov : lettre d u 17 décembre 1936. 177

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Yvon Delbos, à la demande de Marcel Martinet, a donné des ordres pour qu'onretrouve dans les archives de son ministère les documents dont la défense a besoin pour le contre-procès. L a dernière lettre de Liova e n 1936 contient d’importantes informations sur l'URSS, montrant qu’il y conservait des liens. Il écrit :

«Nous avons quelques informations très importantes sur Kirou (dont des échos, embellis et grossis ontparu dans Sotsialistitchesky Vestnik). Complètement dignes defoi. Kirov s'était opposé à l'exécution d e Rioutine et à la répression s a n glante d e manière générale — j e ne sais pas s i c'était pour tous, mais e n tout cas pour les droit tiers. Son meurtre a été considérépar les droitiers e nparticulier à cause d e ([une ligne effacée], pour nous, pour cela, ce fut une immense perte. L a question d e savoir s’ilpensait aux siens o u à ceux qu’il avait privés n’est pas claire . Il n’est pas exclu que tout cela avait quelque chose à voir avec la droite, mais aussi les zinoviévistes dans la mesure o ù ils avaient capitulé, rampant à plat ventre etc. D'unefaçon o u d’une autre, cefait jette une lumière nouvelle sur l'assassinat d e Kirov. J'ai beaucoup pensé à cette question et j'incline à penser que le cochon d e Gori [Staline — PB] n’a p a s joué seulement avec la tête d e Kirou, mais qu'il a joué, sinon sur la perte d e cette tête, a u minimum l'espoir que Kirov serait tué. ”

Décembre 1936, Trotsky embarque pour le Mexique o ù le général Cârdenas lui a accordé l'asile sur intervention de ses camarades américains et mexicains, d u peintre Diego Rivera et d u général Mügica. Sedov est

9. AHLH, Sedov : lettre d u 2 7 décembre 1936.

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Procès d e Moscou : L a contre-enquête

plus qu'inquiet : il pense qu'on peut trouver a u Mexique, comme le lui a dit Shachtman, « u n assassin pour quelques poignées de dollars, et que Trotsky n’en sortira pas vivant. Trotsky n’est apparemment pas tout à fait rassuré n o n plus et mesure les risques de la traversée dans les conditions o ù elle se fait. Il envoie à son fils une lettre o ù perce s o n émotion : « S'il nous arrive quelque chose e n route o u ailleurs, toi et Serge, vous serez mes héritiers. Cette lettre doit avoir valeur testamentaire. IL s’agit comme t u sais bien des paiements futurs pour mes livres dans les différents pays : à part cela, j e n'ai rien. S i tu rencontres Serge, tu lui diras tout ; o n n e l'apas oublié et o n n e l’oublie pas u n seul instant ; son livre sur le moteur est toujours sur la table d e maman, qui vous aime bien tous les deux. Maintenant elle fait d e nouveau ses paquets. Ce n’est pas la premièrefois, m o npetit. L a différence est seulement qu'on n’est pas devenusplusjeunes. N'importe ! A ufond, o n est restés

les mêmes tous les deux. T u embrasseras Sieva pour nous deux. » ! 0 L a première lettre que Liova envoie à ses parents consacre u n long développement à ce problème de sécurité qui le préoccupe tant. Il leur écrit : «

Sans connaître les conditions a u Mexique, j e

n e peux bien entendu exprimer aucune opinion concrète, mais j'ai peur q u e ces conditions soient

les pires possible. L a tradition d e recourir a u revolver dans des situations où, e n Europe, o n recourt a u poing, l'existence d u gangstérisme, y compris d u gangstérisme politique — tout cela exige impérativement l'organisation l a plus

stricte, la plus scientifique, e n matière d e protection. Il est mieux d e n e pas avoir d e contact avec les camarades locaux. Qui sait la sorte d e gens

10. AHLH, Trotsky : lettre à Sedov, 1 8 décembre 1936.

179

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

qui sont dans leurs rangs ? E t e n réalité c'est précisément sur ce terrain que l'on peut avoir aussi des complications avec le gouvernement (…). E nplus d e Van, o n vous envoie J a n [Frankel — PB). D u point d e vue d e la protection, la question a maintenant u n caractère tout à fait nouveau. Il serait bien entendu ridicule même d e faire des comparaisons — ce sont les meilleurs que nous ayions. L a santé de Jan n e luipermettra pas d efaire u n travail, des tâches d e secrétariat etc. mais lui permettra d e s e consacrer entière-

ment aux questions d e sécurité. J e propose donc de luipermettre d e se consacrer entièrement aux questions d e sécurité. Donc j e propose qu'il s'occupe d e cette affaire, e n le libérant d e tout autre souci J e pense que laformule la meilleure, c’est la combinaison Barbizon (l'incognito, plus une forte garde nuit et jour, u n système d’alarme électrique, comme celui qu’utilisent les banques américaines ; des chiens), mais avec la discipline l a plus stricte. Vivre chez Diego seulement d e façon officielle — e nfait n ejamais être là et cacher l’adresse à tous sans exception ; la question d e vie o u d e mort n’ajamais encore été posée aussi directement qu’aujourd’hui » ! ! Il leur parle aussi de la curieuse tournure qu'a pris l'enquête sur l'affaire des archives : « M a situation est assez douteuse : j e suis à moitié soupçonné que cette affaire ait été m o n affaire (je l’ai donnée à la Gestapo). A u cours d e l’interrogatoire d e plusieurs personnes, la police a dit brutalement qu’ils possédaient desfaits qui

prouvaient q u ej'étais e n contact avec l a Gestapo

déjà d u temps o ùj'étais e n Allemagne. L a police a travaillé très dur pour essayer (probablement à

l'initiative d u GPU par des intermédiaires) de retourner contre moi cette affaire des archives.

11. AHLH, Sedov: lettre de janvier1937. 180

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

Apparemment le gouvernement l'en a empê-

chée. »12 Le NKVD (ex-GPU) aussi v a faire une reconnaissance a u Mexique e n mars 1937. Ce sont des tueurs qui font le voyage, dont celui d u groupe Efron, Roland Abbiate dit François Rossi. Il vole, sur le bateau de L a Havane à Vera Cruz, le passeport d'un homme d’af-

faires américain, Caroll George Quinn!5. Par ailleurs, J a n Frankel découvre que, sur le bateau qui le mène a u Mexique, a embarqué à Naples le frère de Well, Sénine. Ce dernier tente de prendre contact avec lui : ce n’est qu'à ce moment que Trotsky et Liova ont enfin la certitude que les deux frères sont d u NKVD, ce que la police américaine confirmera plus tard e n les arrêtant pour espionnage!4. E n attendant, il fallait que le NKVD fût ruderment bien renseigné pour envoyer u n des siens prendre le bateau à Naples, itinéraire par lequel Frankel se rendait a u Mexique secrètement.

Soudoplatov a plusieurs fers a u feu. Ayant appris — par Zborowski évidemment — que Sedov a rendezvous le 2 1 janvier à Mulhouse à l'Hôtel d u Parc, il dépêche trois membres de la bande d’Efron, la Suissesse Steiner, Ducomet e t Smirenski, les trois qui

étaient déjà sur ses talons à la Villa Marie.

Liova avait été livré par Zborowski, mais la grippe l’a sauvé. Elle l'a e n eflet contraint d'annuler par télégramme le 2 0 son rendez-vous avec l'avocat Strobel et des camarades suisses. Les trois tueurs, usant de

12. Ibidem

13. Archives d u ministère de l'Intérieur, Mexico. 1 4 . AHLH, Frankel : déclaration d u 2 6 février 1937. 181

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline ruses pour n e p a s s e faire repérer, passent trois jours

à Mulhouse à attendre et reviennent bredouille, rappelés télégraphiquement par Sergéi Efron, enfin inform é de l'annulation. C’est Renata Steiner qui racontera tout quelques mois plus tard aux policiers suisses. Zborowski se défendra énergiquement devant l a commission sénatoriale américaine d’avoir aidé à tendre u n guet-apens mortel. Il s'agissait seulement, selon lui, de les enlever tous les deux, Liova et lui. Destination URSS, ce qui était quand même u n assassinat, n’en déplaise à ses inconditionnels défenseurs!5.

Zborowski est u n homme effacé et même terne, plutôt taciturne, qui n e semble jamais passionné n i même intéressé. Il adopte toujours les points de vue de Sedov et de Trotsky. Depuis qu'il est arrivé dans le cercle de Liova, il se heurte à Pierre Naville qui n e

désarme pas : il a d û renoncer à ce qu’on enquête sur s o n passé mais le traite toujours e n suspect. Elsa

Poretski les a connus e n 1937 après l'assassinat de son mari Ludwig. Elle écrit des deux hommes, Etienne (Zborowki) et Naville: « Il était toujours misérablement vêtu et paraissait souffrir des soupçons d e ses camarades. Naville, qui le haïssait d’une haine indélébile, n e cessait d e le “persécuter” et ce, à seule fin d e détruire la confiance et l a cohésion d u groupe. Ainsi s e plaignait Etienne, qui, à son tour, accusait Naville d e chauvinisme et d'antisémitisme, mais s’accrochait à son travail par dévouement pour la cause. Incapable d e l'exclure des réunions confidentielles, Naville insista pour qu’on allât le chercher e n voiture à l a dernière minute afin qu’il n e sûtjamais o ù s e tiendrait la réunion. Etienne (Zborowski), protestant, se plaignait que Naville voulait ébranler la confiance que Sedouv et

15. Hearing, 64, p . 70. C'est à Lola et Elsa qu'il a assuré avoir compris qu’il s'agissait d e leur enlèvement à tous deux. (cf. Lequenne, loc. cit.).

182

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

Trotsky plaçaient e n lui, affirmant d’ailleurs que, quoi queNaville dit, il n'y arriveraitjamais. Il avait parfaitement raison sur c e point. Sedov n o n seu-

lement avait confiance e n lui, mais le défendait et blämait Naville pour tous les bruits qui couraient

dans le groupe sur le compte d'Etienne. IL me dit m ê m e u n jour :

— J e dois défendre Etienne. Ils n e l'aiment pas, ils n’ont pas confiance en lui, mais ils ne le connaissentpas aussi bien que moi. J e sais à quel point il est dévoué a u Vieux et à moi, et j e sais qu’ilferait tout pour nous et pour l’organisation. J epensais quant à moi que Naville, a u dévouement fanatique, exagérait et gênait la vie d u groupe, d'autant qu'il n epouvait avancer aucune preuve à l’appui d e ses accusations. » 1 6 Liova écrit à s o n père qu'il n e peut p a s accepter les

méthodes employées et l'attitude adoptée à son égard : « J e considère comme incorrectes et nuisibles tes lettres adressées à différents endroits dont l'unique conséquence n e peut être que d e m e discréditer e n tant que travailleur. Dans les derniers temps, j'ai d û assurer — dans des condi tions très difficiles — une partie d u travail qui t'incombe, sans l'autorité indispensable et l'appareil dont tu disposes, et sans même avoir assez d'argent pour acheter des timbres pour poster mes lettres. J e croyais pouvoir compter sur ton appui, a u moins vis-à-vis d e ceux à quij'ai réclamé des dizaines de fois des dépositions, des

informations, etc. E t pourtant, c’est précisément de moi que tufais une cible et tu parles à tout le monde, d epartout, d e m a “criminelle négligence”, que t u n'as rien à faire avec Paris, etc. Que, parlant d e Paris, tu aies e n tête moi personnelle-

16. Elisabeth K . Poretski, Les Nôtres, p . 271. Son vrai n o m est Bernaut, Poretski, celui d e son compagnon et Reiss celui

qu’elle lui attribua à sa mort et qui lui resta. 183

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

ment, ce peut être v u même par celui qui a la vue la plus basse. Si, comme j e te l'ai déjà écrit, j e porte m a responsabilité pour le retard qui s'est produit à propos d e Copenhague, cela n ejustifie d’aucune manière ton attitude avec moi. »!7 À Natalia Ivanovna, depuis toujours sa confidente, il vient d'écrire qu’il cherchait u n travail e n usine pour pouvoir les aider matériellement et elle lui a répondu qu’il ferait mieux d'écrire. Il exprime e n réponse une longue plainte : « Que reste-t-il d e m a force d’autrefois ? (...). Ecrire, c’est devenu très difficile pour moi ; il m e faut lire, étudier, réfléchir, ce qui exige d u temps (..). Depuis que j e suis e n émigration, j'ai été continuellement chargé d e corvées techniques et autres. J e n e suis qu'une bête d e somme, rien d e plus. J e n'apprends rien, j e n e lis pas. » ! 8

1937, c’est le début des défections d'URSS et aussi des assassinats. L a première victime connue est Erwin

Wolf, le secrétaire de Trotsky, l'époux de Hjordis, la blonde norvégienne, fille de leur hôte à Honefoss. A u lendemain des Journées de Mai, cette insurrection spontanée des ouvriers de Barcelone contre le pouvoir e t l e s provocations d’une police infiltrée

par les

hommes de Staline, Wolf se porte volontaire pour représenter le S I à Barcelone. Mais il avait pris une part active a u contre-procès e t représentait u n e cible

rêvée pour les tueurs. Arrêté une première fois par u n agent d u NKVD qui sert dans la police catalane, l'Allem a n d Hubert von Ranke, u n naïf, qui le remet e n liberté puisque ses papiers sont e n « règle » , il est de

17. AHLH, Sedov : lettre à Trotsky, 19 janvier 1937. 18. AHLH, Sedov lettre d e 1937.

:

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Procès d e Moscou : L a contre-enquête

nouveau arrêté. L'ordre émane d’Ernô Gerô, dit Pedro, représentant de l'IC et homme d u NKVD!®. Cette fois, son compte est bon. Officiellement remis e n liberté, il disparaît. Mort o u vivant, personne n e le reverra, pas plus que Nin, enlevé e n prison, torturé et assassiné. Liova raconte à Hélène une rencontre avec celle qui, sans le savoir, est sans doute, déjà, la veuve de W o l f: « Hier j e suis sorti — pour la première fois, j e crois, depuis m o n retour d e l a côte (que j'ai touJours aimée et dont maintenantj e suis amoureux). Nous avons été (naturellement) à l'Exposition : la

famille e t u n e jeune camarade, u n e ravissante

blonde aux yeux d'enfant. Elle est la compagne

d’un ami à moi —perdu, enlevé par le G(PU). Sij e suis sorti, c’est pour la faire sortir u n peu, la distraire. Cela était bienpénible, lapauvre enfant n e se rend pas compte d e la situation (que j e considère sans espoir aucun), elle n e comprend p a s parce qu’elle n e peut p a s comprendre cette

chose trop terrible pour elle. »20 E n 1936, u n important agent soviétique, le Polonais Nathan Markovitch Poretski, nommé Ludwig dans son service, avait envoyé aux trotskystes u n avertissement connu sous le n o m d’ « avertissement Ludwig» : « Prenez garde. L e GPU a pris à Moscou la décision d e détruire dans le monde entier et par tous les moyens les communistes oppositionnels les plus marquants qui luttent contre la trahison d e Staline. »2!

Ludwig est u n vieux communiste, entré dans les services e n 1921. Il a beaucoup séjourné à l'étranger, sa dernière mission étant la fourniture d’armes à l'Espagne contre Franco. Il est révulsé par les purges, les procès, l'orientation d u régime stalinien. Après le

19. Témoignage personnel d'Hubert von Ranke. 20. L. Sedov : lettre à Hélène, 2 novembre 1937. 21. Cité par Gérard Rosenthal, op. cit, p . 207.

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Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

deuxième procès de Moscou et devant la surveillance dont il est l'objet, puis son rappel à Moscou, il décide de faire le pas. Le 1 7 juillet 1937, il écrit une lettre à Moscou annonçant sa rupture avec le PCUS et son adhésion à la cause de la I V Internationale. Il écrit notamment : « L a vérité s’ouvrira u n chemin, lejour d ujugement est bien plus proche qu'on n e le croit a u

Kremlin. Le jour où le socialisme international jugera les crimes commis depuis dix ans, n’est

pas loin. Rien n e sera oublié. Le

“Chef génial, le

Père des Peuples, le soleil d u socialisme”, rendra des comptes. Pour la révolution chinoise vaincue, pour le plébiscite rouge e n Allemagne, pour la

défaite d uprolétariat allemand, pour le social-fas-

cisme et le Front populaire, pour les confidences qu’il afaites à M . Howard, pour son approbation prévenante à M . Laval — toutes choses géniales. Ceprocès-là serajugé a u grandjour et bien des témoins morts et vivants y comparaîtront. Tous parleront et cette fois diront la vérité, toute la vérité. Tous comparaîtront — les calomniés et les innocents fusillés — et le mouvement ouvrier international les réhabilitera, ces Kameneuv et ces Mratchkovsky, ces Smirnou et ces Mouralouv et

les Drobnis, les Sérébriakou, les Mdivani, les Okoudjava, les Rakouvsky et les Andrés Nin, “espions et agents d e l'ennemi et saboteurs et agents

d e la Gestapo”. Pour que l'URSS et le mouvement ouvrier international n e succombent pas sous les coups d e la contre-révolution et d u fascisme, la classe ouvrière doit venir à bout d e Staline et d u stalinisme. Ce mélange d u pire opportunisme dénué d e principes avec le mensonge e t le sang menace d’em-

poisonner le mondejusqu'aux dernièresforces d e la classe ouvrière. A bas le mensonge d u “socialisme dans u n seul pays” !

Retour à l'internationalisme de Lénine. Ironie de l'Histoire. Jadis la bourgeotsiepuisait dans ses rangs les Cavaignac et les Galliffet, les 186

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

Trepou et les Wrangel. Aujourd'hui, c'est sous la glorieuse direction des deux Internationales que les prolétaires remplissent eux-mêmes le rôle d e

bourreaux de leurs propres camarades. E n avant vers d e nouveaux combats pour le socialisme et la révolution prolétarienne ! Pour la construction d e la I V Internationale ! »22

L a réaction est foudroyante. L'adjointe d u chef d u NKVD à Paris, Véniamine Beletzky, l'attachée à la légation commerciale Lydia Grosovskaia, remet e n effet sa lettre e n mains propres à l'homme chargé de l’épuration des services, M.S. Spiegelglass, qui se trouve à Paris. Ludwig n e dispose plus d u délai sur lequel il comptait e t il l'ignore. L a traque commence.

I l a rendez-vous pour le 6 septembre à Reims o ù il doit rencontrer Sneevliet et Liova. Il n'ira pas. L a veille, e n Suisse, près de Chamblandes, il est tombé sous les coups de la « bande d’ Efron » , qui l'avait cherché dès sa rupture et finalement retrouvé grâce à la trahison d'une de ses collaboratrices, Gertrud Schildbach, à qui il avait imprudemment fait confiance. Il s’est farouchement défendu avant de mourir, le corps criblé de balles et une poignée de cheveux gris dans la main. O n trouve sur lui u n passeport tchécoslovaque a u n o m de Hans Eberhardt : quelques jours auparavant, une lettre anonyme avait dénoncé Eberhardt à la police suisse comme espion et « trafiquant de drogue et de valutas »(sic). L'enquête découvrira que deux équipes de tueurs étaient à l’œuvre. C’est celle d'Abbiate qui a frappé. Celle d u Russe blanc Vadim Kondratiev, u n

arni d u fameux généralblanc Skobline passé a u NKVD, était e n embuscade, a u cas où…

L'enquête suisse est correctement menée. O n découvre la bande et certains des prévenus parlent. C’est

22. Lettre de Ludwig a u comité central d u PCUS, le 17 juillet 1937, cité selon l'ouvrage d e s a veuve, E.K.Poretski, Les Nôtres, p . 17.

187

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

ainsi qu’on apprend que Renata Steiner a filé Sedov avant Reiss, qu’elle était dans s a pension de famille à Antibes et qu’elle l'attendait à Mulhouse avec deux tueurs. Sedov sait maintenant qu'il est devenu gibier.

U n fait positif cependant : c’est tout de même la fin de la « bande d’Efron » . U n certain nombre de ses membres ont été arrêtés e n France o u e n Suisse. Les

autres réussissent à gagner l'URSS o ù ils seront fusillés, comme Efron, Abbiate et Schwarzenberg : le Service Action de Staline efface les traces de ses crimes. L a veuve de Ludwig, qui a déclaré sonmari sous le n o m d'Ignace Reiss — qui lui restera à titre postume —, manque de peu d'être empoisonnée, ainsi que son fils,

par une boîte de chocolats à la strychnine apportés par la dénonciatrice Gertrud Schildbach, qui n e se décide finalement pas à les lui donner. Lydia Grosovskaia, arrêtée, puis mise e n liberté provisoire, glisse sans peine entre les mains de la police française qui n’a finalement attrapé que d u menu fretin. Gérard Rosenthal écrit a u juge d'instruction le 2 4 janvier : « E nprésence de la mise e n liberté surprenante

d e Lydia Grosouvskaia e t devançant les évêne-

ments, j'avais e u l'honneur d e vous demander dès le 1 3 janvier d e bien vouloir procéder à son audition dans une affaire o ù successivement Gertrud Schildbach, Serge Efron, Beletzky et Grosovski, son mari, bien que réclamés par la justice suisse, avaient p u prendre l a fuite.

Aujourd'hui la disparition d e Lydia Grosovskaia constitue u n défi impudent d u GPU à la justice d e ce pays. Mais elle comporte u n aveu cynique et éclatant. Les protecteurs d e Lydia Grosouskaia, qui, at-

tachant certainement plus d e prix à son silence qu'à s a liberté, avaient mis e n œuvre d epuissants moyens d'action, ont bravé l'opinionpublique »3.

23. Lettre de G . Rosenthal, in G . Rosenthal, op.cit., p.217.

188

Procès d e Moscou : L a contre-enquête Les autorités françaises n e savent-elles p a s qu’elles

ont affaire à une bande organisée qui dispose de moyens d'Etat — qui loue des autos d e luxe, prend

l’avion, couche dans les grands hôtels, paie rubis sur l’ongle n'importe quelle caution — et dont o n estime qu’elle a dépensé a u moins 300 000 francs — une somme énorme — pour assassiner Ludwig ? O u bien a u contraire le savent-elles e t tiennent-elles compte

d’une certaine raison d'Etat ?

O n peut comprendre le bouleversement de Liova. Il n’était pas à Paris, malade, comme o n l'a dit, mais quelque part d u côté d'Antibes, depuis le 6 août, et n e rentrera que le 15 septembre. E t c'est pourquoi Zborowski a négocié, e n vain d'ailleurs, le report d u rendez-vous entre Ludwig et lui, fixé à Reims. D'autre part, ce qu’il sait de Ludwig le conduit à admirer l'homme, héros d u communisme dont la lettre a u CC démontre

l'immense courage moral qui l'anime. Il recule toujours le moment d'écrire à Elsa, la veuve de Ludwig et, mère de son enfant. I l lui écrit finalement une très belle lettre venue de la tête autant que d u cœur : « E n commettant cet assassinat, nos ennemis n e se sont pas seulement vengêés ; mortellement effrayés eux-mêmes, ils ont voulu tuer u n militant d e très grande valeur, engagé dans la bataille pour régénérer le mouvement ouvrier mondial, lequel a subi là une grande perte. Notre devoir à tous est d e conserver la mémoire d u défunt, pour les générations futures, pour l'Histoire (...). Tant que le mouvernent ouvrier n e peut traduire e n

jugement les tueurs e t l'assassin qui les a armés, faire connaître lesfaits est notre seule arme. Nous

avons engagé toutes nosforces pour que le maxi m u m d e matérielpuisse être imprimé et pour que le tirage soit le plus important possible. # 4

24. AHLH, Sedov : lettre à Elsa , 27 septembre 1937. 189

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Mais l'assassinat exige qu'on enquête sérieusement. Liova se heurte à Sneevliet, le chef d u RSAP hollandais, u n ancien d u Comintern, autoritaire et ombrageux, qui était depuis des années lié à Ludwig et qui semble bien l'avoir conseillé lors de sa rupture.

Mal conseillé, dit Trotsky, qui pense que Ludwig a joué a u plus fin alors qu’il lui fallait faire connaître publiquement s a rupture avec assez d'éclat pour se placer sous la protection de l'opinion publique. Liova explique à Trotsky qu'il n'a jamais p u rencontrer Ludwig n i prendre contact avec lui et que Sneevliet le « chaperonnait » efficacement, notamment quand il était à Paris et qu’on le lui a caché. Le conflit avec Sneevliet aboutit à une rupture. Mais il y a a u moins u n élément positif. Elsa, la veuve de Ludwig, a fini par rencontrer Sedov. Elle v a collaborer avec lui. Dans son groupe, elle sera Darna. Elle écrira des années plus tard dans ses mémoires : «

Sedou vint m e saluer (...). Cette première ren-

contre engendra entre nous c e type d’amitié q u e

j e n e croyais plus possible. Nous nous embrassûâmes, comme c’est la coutume entre communistes russes e t nous parlâmes russe, c e q u e j e

n’avais p a s e u l'occasion d e faire depuis longtemps. À m e s yeux, Sedov était u n communiste

russe, exactement pareil à ceux que nous avions laissés derrière nous. Tout e n lui le disait : ses gestes, s o n langage, s o n aspect général très

russe, s a compassion, s a sollicitude, l'intérêt qu’il prit à mon fils, l'offre qu’il m e fit d e m'aider comme il lepouvait m e mirent aussitôt à l'aise. »25

Elle a témoigné aussi de ce que fut la vie quotidienne d e Liova dans ces dures années d’exil e t d e terreur : « M o n amitié avec Sedov était toute récente. Nous n e nous étions connus que quelques mois, mais cela avait suffi pour créer entre nous une

25. E.K. Poretski, op. cit, pp. 276-277. 190

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

amitié éternelle. Dans m apropre détresse,j e m'étais attachée à cet homme, plusjeune que moi d e plusieurs années mais qui unissait e n lui la maturité et l a compassion. Maturité bien naturelle : s a vie n’avaitjamais ressemblé à celle des autres, qui, même e n luttant, avaient toujours e u le temps

d’enjouir. Depuis s apremièrejeunesse, il n'avait connu que la terreur et chaque condamnation à mort prononcée e n URSS l’ébranlait personnellement. »

Elle poursuit : « Dans son livre, Krivitsky écrit : (J’appris à) admirer le fils d e Léon Trotsky comme une forte personnalité (...). Encore trèsjeune, il était exceptionnellement doué, séduisant, a u courant d e tout, efficace. Lors des procès d e Moscou, o n l’accusa d e recevoir d e vastes sommes d'argent d uMikado. J e le vis mener l'existence typique des révolutionnaires, peinant chaque jour pour la cause d e l'opposition et souvent à court d’argent. »

Elle poursuit : « Portrait véridique. Sedou n e savaitjamais o ù trouver l'argent pour payer à l'imprimeur le pro-

chain numéro d u BO. Il vivait dans u n appartement très modeste, misérablement meublé — à part u n vieux coffre normand dont il était trèsfier — avec s afemme et son neveu Siéva, lefils d e s a sœur qui s'était suicidée à Berlin (...).

Nous allions d e temps à autre chez lui. IL préparait le dîner puis, celui-ci achevé, fumait une cigarette. U njour,j e remarquai le soin avec lequel il rangeait les mégots. Il m e regarda et bougonna : — C’est autant d e moins quej e dépense àfumer. IL e n bourrait la pipe. Ilne pouvait e n effet rien se permettre d e dépenser pour lui. L e salaire d e s afemme devaitfaire vivre toute s a petitefamille et il était clair qu'ils avaient beaucoup d e peine à joindre les deux bouts (...). U njourj e lui demandai qui était ceMarkine, qui écrivait dans le B O des articles si remarquables, 191

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

qui, par leur profondeur d e vue sur les problèmes soviétiques, n e le cédaient qu’à Trotsky lui-même. J'avais toujours pensé que c'était le pseudonyme

d’unpersonnagepolitique important. Sedou sourit et, avec une certaine fierté, m e dit que c'était lui qui signait d e ce n o m (...). Chaque fois qu’il le pouvait, Léon Sedouv s e réfugiait dans les mathématiques, domaine qu'il aimait réellement mais dans s a courte vie débor-

dante d'activité, il n’en trouva guère le temps. Il rêvait parfois d ujour o ù il pourrait consacrer son temps a u x mathématiques, mais savait q u e c e

jour, s’il venaitjamais, étaitfort éloigné et que la cause qu'il servait réclamait pour le moment toutes ses journées et tous ses efforts. Même lorsqu'il était très jeune, e n Allemagne, avant la venue d'Hitler a u pouvoir, c’était lui qui discutait avec les oppositionnels russes venus d'URSS, son père se trouvait à Prinkipo et il savait que ces

hommes ne le considéraient que comme lefils de Trotsky et non comme une personnalité indéperndante. IL est toujours malaisé d’être le fils d’un père célèbre. D eplus, Trotsky appela Sedou à le suivre et à le représenter. Aussi se sentait-il incertain dans ses rapports avec autrui. Il pensait même que les militants d e son groupe (et sur ce point, m e semble-t-il, il avait tort) le considéraient plus comrme lefils d e Trotsky que comme Léon Sedouv. E n dehors d e songroupe c'était malheureusement le cas, mais ceux qui le connaissaient et travaillaient avec lui s efondaient sur ses qualités et non sur ses origines. L a personnalité d e sonpère n'en pesait p a s moins lourdement sur lui comme sur

tout autre qui travaillait avec lui. Cela n’empêchait pas Sedou d'être souvent e n désaccord avec son père et d'être beaucoup plus qu’un porte-parole

d e Trotsky. Des facteurs personnels compliquaient s a vie. S a femme Jeanne Martin des Pallières, très dévouée à l u i e t à Trotsky, soutenait s o n ancien mari

Molinier dans la querelle qui divisait la I V Internationale en France. Femme exaltée et très auto192

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

ritaire, elle tentait par tous les moyens d e l'isoler d e ses amis opposés à Molinier. Souvent e n désaccord avec son père, il considérait — même s i

c'était à tort — que ses camarades n'avaient pas entièrement confiance e nlui.Fréêquemment brouillé avec s afemme, Sedou se sentait seul. Etienne (Zborowski était toujours inconditionnellement avec son père et lui. Sedov considérait ce soutien comme u n signe d u dévouement e t d e l a loyauté

d’Etienne, qui devint son ami intime, et, e n conséquence, il le défendit contre la suspicion croissante qui montait lentement contre lui dans le groupe. Les trotskystes français avaient pleinement confiance e n lui et le respectaient. S i Gérard Rosenthal avait donné la lettre que Krivitsky voulait m e faire parvenir, à Serge e t n o n à Sedou, c'est

que, s’ils avaient une grande confiance e n ce dernier, ils se méfiaient d e s afemme et pensaient qu’informée d e la lettre, elle aurait immédiatement averti le groupe Molinier… Toutes les tensions internes d u groupe, les désaccords fréquents avec son père, les difficultés extrêmes d e la vie quotidienne rendaient la vie d e Sedouv insupportable. O n comprendfacilementpourquoi, dans ces circonstances, Etienne, l'agent d u NKVD, qui faisait s i bien son travail, put gagner s a confiance

absolue. 2 6 Natalia Ivanovna témoigne que Liova souffrait alors de terribles insomnies d u fait de la tension nerveuse alors qu'il avait toujours été, sauf e n 1924-1925, u n très grand dormeur. Liova a continué pendant tout ce temps à travailler à l a contre-enquête. Il a accepté, c o m m e Trotsky le lui

demandait, de subordonner son travail à celui de la commission d'enquête créée aux Etats-Unis sous la présidence d u D r John Dewey, célèbre philosophe et

26. Ibidem, pp. 284-287. 193

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

pédagogue libéral. Mais les accrochages ont été nombreux et sévères. Il s’est indigné qu'on lui demande de recueillir le témoignage d'Henri Molinier. Le 1 7 janvier, il télégraphie à son père : « RELATIONS EXISTANTES RENDENT ABSOLUM E N T IMPOSSIBLE TACHE HENRI STOP LUI A I ECRIT QUATRE LETTRES AFFAIRE ROYAN SANS REPONSE IMPOSSIBLE TRAVAILLER SOUS COUPS TELEGRAMMES. »27

E n fait, il n’y a entre eux que des désaccords mineurs. Par exemple, Trotsky, dès la nouvelle de l'assassinat à Paris de l'économiste Dimitri Navachine (attribué depuis à l a Cagoule), dénonce la main d u GPU. Sedov n e le suit pas. Il a écrit à son père le 1 e r février 1938 : « Etant sur place, à la police, et dans une enquête officielle, sansfaits précis,j e n epouvaisp a s dire d e façon aussi catégorique que Navachine a été tué par le GPU. #28

I l n e dit p a s à cette époque q u e l a police a commencé

d’abord par le soupçonner lui d’avoir assassiné o u fait assassiner Navachine, qu’elle tient pour u n homme de Moscou, à titre d e « vengeance » pour le vol des archives. I l a d'ailleurs été immédiatement convoqué

dans le cadre de l'enquête. Suite d’une intox d u GPU ? Ce n’est pas impossible. Par ailleurs, certainsjournaux assurent que Navachine, ami de Sedov, gardait le « trésor trotskyste» !

Le 15 février, nouveau drame. Le père télégraphie : « LEON DOIT IMMEDIATEMENT E N M O N N O M

TRANSMETTRE AFFAIRE COPENHAGUE À HENRI STOP LETTRE HENRI SUIT STOP N'ACCEPTE AUCUNE OBJECTION. »29

27. AHLH, Sedov : télégramme à Trotsky, 17 janvier 1937. 28. AHLH, Sedov: lettre d u 1 ‘ février 1937. 29. AHLH, Trotsky, télégramme à Sedov, 15 février 1937.

194

Procès d e Moscou : L a contre-enquête Liova tient b o n : « J'ai reçu ton télégramme. Indépendamment d e mon attitude à l'égard de ton ordre,j e ne peux l'exécuter pour des considérations pratiques. J'inagine que, même e n temps de guerre, l y a des cas où u n ordre ne peut pas être exécuté. J'inagine aussi que dans les rapports organtsationnels il n e s'agit pas d'ordres, à plus forte

raison à cette distance et par télégramme. »30

Cette fois c’est Trotsky qui semble céder et lui instruit de demander à Henri Molinier de collecter les dépositions des membres de son organisation. Mais il sollicite aussi Naville de travailler à semblable collecte. O r ce dernier, selon Sedov, fait comme-s'il l'avait chargé de toute l'affaire à la place de Liova. Ce dernier réagit très violemment. Il est fou de colère contre Naville dont il pense qu’il essaie de l'écarter alors qu’il n’a selon lui fait jusqu'à présent qu'avec désinvolture et négligence ce que lui, lui a demandé. Dans une lettre à Wolf, il dresse u n long réquisitoire contre l u i $ ! . Il v a jusqu’à appeler Naville « le cochon »,

dans une lettre à Rudolf Klement32. Il refuse même, pendant des semaines — c'est encore plus grave car ils étaient liés d’une belle amitié —, d'adresser la parole à Gérard Rosenthal simplement parce que celui-ci a appelé Jeanne « Jeanne Molinier »33. L’épuisement physique agit sur le moral et même le mental. D e son côté, Trotsky est de plus e n plus exigeant, irritable, e t dépasse lui aussi les limites permises. D e s

retards sont qualifiés par lui de « crime », « négligence révoltante » , ressemblant à u n « sabotage ». Il ira jusqu’à écrire le 15 février 1937 cette phrase révoltante d'injustice :

30. AHLH, Sedov : lettre à Trotsky d u 17 février 1937. 31. AHLH, Sedov ; lettre à Wolf, 2 1 avril 1937. 32. AHLH, Sedov: lettre à Klement, 9 mai 1937. 3 3 . Témoignage d e Van.

195

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

« Il

m’est

difficile d e dire d’où m e viennent les

pires coups, d e Paris o u d e Moscou. »3*

Liova s'explique longuement et avec des arguments forts. Il est vrai que l'impatience de Trotsky le conduit finalement à des initiatives qui sèment le désordre. Ainsi, a u moment o ù l’on chargeait Jean Beaussier, u n homme qui s'entend aussi bien avec les moliniéristes qu'avec les navillistes, de la responsabilité des dépositions, Trotsky envoyait à Naville des instructions que Beaussier ignore. Il cite les gens qui n e répondent pas et n e rectifient pas ce qu’on leur demande de changer dans la forme : ainsi Pierre Frank qui a résisté presque u n mois à trois « notes » par semaine. E t puis il y a ceux qui se dérobent : ainsi Fritz Sternberg, Jakob Walcher surtout, l’ancien premier allié d u « Bloc des Quatre ».

I l n'est pas rancunier et seule la tristesse perce dans une remarque d u 2 7 avril 1937 : « M o n cher papa, tu continues à m e soumettre à l'ostracisme… Voilà déjà plus d’un mois que j e

n'ai pas reçu une lettre de toi. »35

Pourtant Liova est finalement venu à bout d’une tâche énorme e t q u e les relations entre militants ren-

daient plus que difficile. Quand Trotsky entreprend de subordonner le travail de tous les comités a u travail d e celui d e N e w York, il s'incline e t travaille avec zèle

pour la commission Dewey. Il v a donner lui-même son i m p o r t a n t t é m o i g n a g e à l a sous-commissionÊ, « commission rogatoire » , qui siège à Paris d u 1 2 m a i a u 2 2 juin 1 9 3 7 , sous l a présidence d e M e Delépine,

34. AHLH, Trotsky : lettre à Sedov, 15 février 1937.

35. AHLH, Sedov : lettre d u 2 7 avril 1937. 196

Procès d e Moscou : L a contre-enquête u n avocat socialiste e t d e l'avocat socialiste italien

Modigliani. Elle constituera l’un des piliers de l'enquête.

Gérard Rosenthal raconte : «

Léon Sedov répondit à toutes les questions

avec précision e t pertinence. Mais s o n passé d e jeune révolutionnaire e t s o n existence presque

recluse, enfin son caractère timide et sauvageon le préparaient mal à afficher d e l'assurance devant le grave aréopage. Hochant s a grande barbe grise, Modigliani m e prit à part : “C’est vous qui lui avez composé le Livre rouge.” J e le détrompai énergiquement. 3 6

Les « commissaires » prennent leur tâche a u sérieux et n e le ménagent pas . Il sera même u n peu « bousculé » sur certains points. Dans l'épisode d u groupe Smirnov et d u Bloc des oppositions, il est effectivement

mal à l'aise car il voudrait cacher la vérité sans la déformer totalement et cela n’_échappe p a s a u x commissaires qui le harcèlent.

Il affiche dès le départ sa position : « Ayant été nommé et visé dans les deuxprocès d e Moscou,j e déclare avant tout quej e plaide non coupable. J'entends même porter à m o n tour des

a c c u s a t i o n s . J e désire q u e l a C o m m i s s i o n

m'adresse toutes les demandes qu'ellejugera bon d e m'adresser parce q u e j e tiens à c e q u e l a

lumière la plus complète soit faite sur le rôle que j'ai jouë o u pas joué dans les affaires dont il s’agit. 3 7 L a commission lui remet alors u n questionnaire préparé d'avance et il entreprend d'y répondre. L a première question concerne s o n entrevue d e 1 9 3 2 avec I.N. Smirnov. Il précise :

36. Gérard Rosenthal, op.cit., p . 187.

37. AHLH, publication dans CLT, 42,juillet 1990, pp. 80-114. 197

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline « Il est exact que, dans les comptes rendus d u premier procès d e Moscou, d'août 1936, l'accusé Smirnou a déclaré quej e l'avais rencontré a u mois d e mai (1931) à Berlin, maisj e dois préciser que cette rencontre n’a e u lieu qu'au mois d ejuillet d e

la même année. J e doispréciser que leprocès-verbal ne dit pas même que cette rencontre aurait e u lieu a u mois d e mai et qu’il se borne à dire que Smirnou s'était rendu à Berlin a u mois d e mai. E n tout cas, cette rencontre a été due à u n pur hasard. J e sortais d u magazin K D W d e la place Wittenberg lorsque, sur laporte,j e m e suis heurté à Smimov. J e tiens à préciser q u e j'ai connu

Smirnou dès m o n adolescence parce que Smirnou était e n rapport avec m afamille. Par la suite, j'ai continué à avoir des relations avec lui parce que nous travaillions ensemble dans l'Opposition d e gauche. Mais e n 1929, Smimou ayant quitté l’Opposition d e gauche, non seulement il n'y a e u par l a suite aucune relation entre nous, mais j e l'ai

considéré comme u n adversaire. J e dois préciser que, lorsque Smirnov quitta l'Opposition d e gauche, il a fait dans la Pravda une déclaration publiquepar laquelle il se séparait d e l'Opposition d e gauche. Il était donc tout àfait inpossible que notre rencontre ait été préparée entre nous. »*8 Jacques Madaule lui demande s i l a rupture n'aurait pas été « une feinte » — ce qu’en Russie o n appelle «

capitulation tactique ». Sedov répond q u e l a sugges-

tion a été faite, « mais pas pour Smirnov » . E n fait, les Allemands de l'Opposition ont publié dans leur journal une lettre de Nin expliquant que Smirnov n’a capitulé que pour bénéficier d’un peu de liberté dans l’action… oppositionnelle. Mais personne, dans la commission, n e le sait.

Modigliani l'interroge alors sur les circonstances de la rencontre et revient sur la date. Liova répond :

3 8 . Ibidem, p . 82.

198

Procès d e Moscou : L a contre-enquête « Pour bien établir que notre rencontre à Berlin a été la conséquence d’un pur hasard, j e tiens à noter que, selon le résultat d u procès d u mois

d'août (1936), Smirnov était à Berlin depuis le mois d e mai (1931) ; il aurait donc p u avoir avec moi une rencontre bien avant le mois d ejuillet s i l u i o u mot avions e u l'intention d e nous rencontrer. E t e nfait nous avons été surpris tous les deux a u moment o ù nous nous sommes vus et ce n'est qu'après une certaine hésitation qu'il a répondu affimativement à la demande quej e lui ai adressée le premier s’il voulait parler avec moi et c’est seulement à la suite d e s o n consentement q u e

nous avons arrangé alors u n rendez-vous qui s ’ e s t tenu à m o n domicile le m ê m e jour o u le

lendemain J e suis à même d e préciser que ce rendez-vous a e u lieu pendant le mois d e juillet, dans la première quinzaine, parce quej e m e rappelle qu’il a été question entre nous alors d’un article paru

dans le Courrier socialiste, publication menchevique paraissant à Berlin, dans lequel o n discutait les résultats d u congrès qu'avait tenu à Tours le parti SFIO e n 1920, article qui avait la date d e quelques jours auparavant.

Pour le cas o ù l’on voudrait vérifier ce que j e viens d e dire à l'égard d e notre rencontrefortuite à la sortie d u magasin berlinois,j e tiens àpréciser que Smirnou était accompagné d’une petite fille, fille d e Safonova, et que moi-même j'étais accompagné d e m a compagne Martin des Pallières. »*9

Madaule lui demande pourquoi il a voulu converser avec Smirnov. Liova répond qu'il voulait des renseigne-

ments sur la situation e n URSS. Il les a eus : « L e tableau que Smimoufaisait d e la situation e n URSS était tout à fait sombre. C'était l’époque d e la dékoulakisation et les résulltats s'avéraient

3 9 . Ibidem, pp. 8 2 - 8 3 .

199

Léon Sedov, fils d e Trotsky, victime d e Staline

tels qu'on pouvait voir qu'elle avait mené à une crise très grave, et surtout Smimouv s'arrêta à souligner le traitement que subissaient non seulement les koulaks mais aussi les petits e t moyens paysans déportés e t quelquefois, comme

à Arkhangelsk, o ù rien n'était aménagé pour les recevoir, d e telle façon que des épidémies se produisaient. Smimnou e n arrivait à se demander s i d e tels résultats et d e telles méthodes auraient p u amener quelqu’un à se demander s’il n'y avait pas là la conséquence d'un véritable sabotage. Smirnou marquait que, dans l'industrie, les choses n'allaient pas tout aussi mal, mais qu'il y avait une disproportion et défaut d e matériaux et u n véritable manque de coordination. » * ° Liova précise aussi que Smirnov lui a parlé de plusieurs « affaires » , confirmant par exemple le rôle joué par Karl Radek dans l'arrestation, suivie de son exécution, de Jakov Blumkine. Concernant l'attitude de Smirnov à l'égard de l'Opposition de gauche, il déclare : «Je

tiens à préciser que, soit e n déclarant net-

tenent qu’il n'étaitp a s d’accord avec Trotsky, soit

e n se servant des expressions “vous” et “nous”, Smirnou insistait très justement sur s o n désac-

cord vis-à-vis d u mouvement trotskyste, quoiqu'il n'ait pas cru devoir préciser quel aurait été son programme et s a tactique. A m o n avis, il n’en avait pas. »*! Liova se souvient aussi d'avoir parlé à Smirnov d e

la situation e n Espagne et e n Allemagne, d u refus des staliniens de pratiquer le front unique et d u « plébiscite » de Prusse o ù ils avaient voté avec les nazis. Sur

la fin de l'entretien, il dit :

40. Ibidem, p . 83. 41. Ibidem, p . 84. 200

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

« E n conclusion d e notre entretien,j'en arrivai à demander à Smirnou s’il était disposé à me faire parvenir à l'avenir des renseignements sur ce qui s e passait e n URSS. Smirnouv n'a répondu n i oui n i non et s'est borné à noter les adresses quej e lui a i données pour le cas o ù il aurait voulu m'écrire et, à cet effet, il a été question de son côté d’un mot d e passe. Plus précisément, il m e déclar a e n plaisantant que si quelqu’un venait m e trouver, il s e serait présenté a u n o m d e Galia qui était justement le n o m d e la petite fille qui l’accompagnait lorsque nous nous sommes rencontrés. »*?

À la deuxième session de la commission rogatoire, le syndicaliste des postes Jean Mathé revient sur la question de Smirnov. Comment se fait-il que Sedov ait p u ignorer sa présence à Berlin de m a i à juillet ? Liova répond :

«Smirou, quoiqu'il ait par le passé occupé des postes assez importants, n’étaitpas à ce nomentlà à Berlinenmission nipolitique, ni diplomatique. I L y était e n s a qualité d e directeur d’une usine o u d’un groupement d'usines pour la production d e machines agricoles. Ce qui explique selon moi pourquoi j e n'avais pas entendu parler d e la présence d e Smirnou à Berlin et j e dois même ajouter q u ' à c e moment, j e n e connaissais p a s

encore suffisamment l’allemandpour pouvoir sui vre régulièrement l a presse allemande. »#3

Mathé fait alors remarquer que Smirnov était u n personnage important e t qu’il est surprenant qu'il ait

engagé cette conversation politique — surtout s’il n’était pas d’accord avec lui comme l'affirme Sedov — et 42. Ibidem, p . 85. 43. Ibidem, p . 86. 201

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

ait parlé aussi sévèrement d u régime stalinien. Liova, à l'aise, répond, e n fait e n cédant d u terrain : « J e désire faire remarquer avant tout qu’il aurait été concevable que Smirnou ait senti le besoin d’être plus prudent s’il s'était agi pour lui d e rencontrer quelqu'un dont il aurait p u supposer qu’il s'agissait d’un agent provocateur (...). Smirnov savait parfaitement que ce n'était pas le cas avec m o i (...). J e pense donc que Smimnouv n’avait pas à être plus prudent qu'il n e l'a été. Mais j e tiens à faire remarquer qu'au moment d e la rencontre due a u pur hasard, Smimov a d û être poussé à accepter d e n e pas se détourner d e moi soit par u n mouvement psychologique bien expli cable, soitpour les autres raisons quej e vais dire. Psychologiquement, il est inpossible qu'à ce moment Smirnou n e se soit pas souvenu d e la longue période pendant laquelle il avait marché avec nous, ce qui a d û le pousser à n e pas se cabrer devant m o n invitation. Mais j e crois que ce qui a

décidé Smimnou à s'entretenir avec moi, ç a a été

lefait que, touten ayant capitulé devant legouvernement stalinien, il n’en estjamais arrivé à accepter comme n epouvantfaire aucune remarque, tout ce qui se passait e n URSS. Bien a u contraire, il jugeait qu’un tas d e choses n’allaient pas comme elles auraient d û aller. Mais son idée était qu’il était impossible d e lutter et que, tout e n n'approuvant pas toutes les décisions et les agissements d u régime stalinien, il valait mieux attendre u n changement dans le bon sens. Pour tout dire, la pensée et la conduite d e Smimouv pouvaient être qualifiées d e passives, ce qui explique comment et pourquoi il parvenait à concilier s a désapprobation d u régime avec s a renonciation à la lutte et, plus précisément,j e crois pouvoir affirmer que Smimou, tout e n ayant capitulé, avait certainement conservé certaines idées qui nous étaient communes. # 4

44. Ibidem, pp. 86-87.

202

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

Mathé livre alors le fond de sa pensée : il se demande« si, de part et d'autre, il n'y a pas e u l'intention de n e pas se borner à u n simple échange d’'informations et de vues :

»

« I l demande donc à Sedou d e dire très précisément s i a u moins d e s a part, il n’y a p a s e u l'intention, nonpas seulemen d e se renseigner sur

les conditions de l'URSS, mais de tâcher d’amorcer des rapports susceptibles d’amorcer u n commencement d'opposition à l’intérieur d e l'URSS. »45

Questionhabile d'unhomme expérimenté à laquelle Sedov répond par u n petit bluff : « Pour ce qui a trait à la prudence qui aurait d û guider Smirnou, ce qui s'est passé par la suite a prouvé que Smimov n e courait pas u n risque

tellement grand e n s e rencontrant avec moi, car,

e n fait, notre rencontre s’est produite e n juillet 1 9 3 1 et Smimnouv n'a été arrêté que le 1€"janvier 1 9 3 3 . Pour c e qui a trait à m e s intentions, j e n ' a i aucune difficulté à reconnaître, commej e l ’ a i déjà

Jfait, quej e désirais créer des rapports nous permettant d e recevoir des informations dont l’importance pour la propagande e t l'orientation, d e l'êtranger, n'a p a s besoin d'être soulignée. Mais il

n e faut pas oublier que nous avons e n URSS depuis 1923 une organisation q u i n’ajamais cess é d efonctionner e t quifaisait à c e moment aussi le travail d e distribution d e tracts e t d e recrute-

ment et d epropagande conformes à nos objectifs. Il n'était donc pas nécessaire pour moi d'avoir recours à Smirnouv pour commencer u n mouvement d'opposition qui existait déjà. J'aurais p u peut-être désirer obtenir que Smirnou entre à nouveau e n rapport avec notre organisation, mais, comme j e l'ai déjà dit, Smirnouv écarta toute possibilitépour lui d'entrer e n rapport avec ceux qu'il

45. Ibidem, p . 87. 203

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

désignait par les mots “vos camarades” o u le

qualificatif “trotskystes”-

48

C'est e n principe terminé pour le contre-interrogatoire de Liova sur sa rencontre avec Smirnov. Il n’a commis finalement qu’une seule erreur, celle d e dire

que Smirnov disait « vous » et « nous », avouant par là implicitement que Smirnov parlait n o n e n son n o m personnel, mais a u n o m d'un groupe. Mais ce n’est pas grave e n définitive car il a fallu exactement cinquantecinq ans pour qu’une lectrice attentive, Anne Bauduin, s'en aperçoive e n publiant le texte de la déposition de Liova dans le numéro 4 2 des Cahiers Léon Trotsky.

À la troisième session, le 2 1 mai, le contre-interrogatoire porte sur l’entrevue avec Holzman. Sedov témoigne : « Je

crois pouvoir dire que cefut fin septembre

o u commencement octobre 1932. J e n'avais ja-

mais connu personnellement Holzman, mais j e savais qu’il était u n militant bolchevique. C’est exact qu’il s’est présenté e n m e déclarant qu’il venait d e lapart d e Smirmov m'apporter les saluts d e Galia, e tj e dois préciser qu'il s’est présenté e n

m e déclarant explicitement qu'il venaitpersonnel lement d e la part d e Smimnouv et pas comme délégué d’une organisation (...). N est exact qu’il

m'apporta u n document pour Léon Trotsky, document quej'ai naturellement lu après notre entretien et qui a même été publié dans le numéro 3 1 d e novembre 1932 d u Bulletin de l'’Opposition, page 29. Ce document n’était qu'un exposé sur la situation économique e n URSS et il était sans signature, car c'est moi, e n le publiant, qui a i apposé comme signature la syllabe Ko. faisant

4 6 . Ibidem, p . 8 7 .

204

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

allusion a ufait que Trotsky, e npolémiquant avec Smirmnou, s'était exprimé d efaçon à le comparer à u n sonneur d e cloche. J e n'ai pas conservé l'ori ginal d e ce document, mais j'affirme que son caractère était tel qu’il résulte d e la publication qui e n a étéfaite, c’est-à-dire d'un rapport sur la situation économique sans aucune discussionpo-

litique.

»47

Holzman, selon lui, lui a parlé aussi de l'invasion de l'ivraie dans les champs, d u mauvais état des tracteurs, de la famine. Il lui a parlé aussi de la réduction des investissements dans l'industrie, de la médiocrité des transports par fer, et d u mécontentement général qui e n découlait. Il lui a parlé de l’activité de Rioutine, de Zinoviev et de Kamenev. Il n’y a pas e u entre eux d'échange de chiffres et le texte remis par Holzman était dans u n étui à lunettes. Sedov répète qu’il n'est pas allé à Copenhague, contrairement a u témoignage d'Holzman. Puis il raconte à nouveau l'histoire d u visa français et de sa traversée de la France avec ses parents. Il remet à l a commission s o n passe-

port avec les mentions voulues, deux cahiers de devoirs d e l a Technische Hochschule, avec des timbres

de date qui excluent u n voyage à Berlin a u moment o ù Trotsky était à Copenhague.

À la 4€ session, il parlera des 2 5 témoignages légalement enregistrés, faits par des personnes présentes

à Copenhague. Sur une remarque de Madame Marthe Chabrun à propos d e Smirnov, il assure :

« J e pense donc que Smimouv n'a p a s pensé sortir d e son attitudepassive lorsqu'il m'a envoyé le mnémorandum dontj'ai parlé. E n tout cas, il est bienpossible qu’à la suite d e circonstances, il ait cru devoir faire quelque chose d e plus que d e garder son attitude passive. # 8

47. Ibidem, p . 89. 48. Ibidem, p . 94. 205

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Il répond ensuite à des questions sur quelques-uns des personnages d u procès, Bermann, qu'il n e connaît pas, Grylewicz qu’il connaît et estime, Kunt qu'il n e connaît p a s e t dont m ê m e le n o m lui est inconnu, e t

Fritz David dont il a entendu parler, mais qu'il n e connaît pas. Interrogé sur Olberg, il raconte sa candidature comme secrétaire de Trotsky et le refus de l'embaucher c o m m e secrétaire parce q u e suspect. Plus

tard il eut recours à ses services pour acheter des livres, mais, lors de la scission, Olberg était parti avec

Landau et sa réintégration fut refusée. Il dément avoir e u des relations étroites avec Olberg et mentionne — nous savons déjà cela — l'intérêt des policiers allemands pour Olberg. Par la suite, il reprend des explications bien connues sur le passeport d'Olberg, l’emprisonnement d e Smirnov e t autres.

À l'approche de la fin, Jean Mathé revient à la charge. Selon lui, « o n n e peut pas tirer la conclusion que Sedov ait préparé avec les autres personnes ci-dessus indiquées des actes terroristes, mais il est difficile de croire que ses rapports avec eux ont été aussi

anodins que Sedov l’a dit

».

Liova répond :

« Pour ce qui est d e Smirnou, j e tiens à dire d e nouveau que, tout e n étant notre adversaire, il n’était pas d u tout aussi acharné que d’autres et que, pour m a part, j e n e trouve rien d’extraordtnaire à ce qu'on ait e u recours à lui étant donné surtout qu’il était certes parmi les mieux rensei gnés. E nfait, Smirnou n’a p a s refusé d e s’entretenir avec moi sur les questions qui nous intéressaient (...). Il n e faut pas oublier enfin que les

rencontres avec Smimou s e sont produites juste-

ment a u commencement d e la période dans laquelle nos rapports directs avec nos camarades

de l'intérieur commençaient à être très difficiles, si même ils n'étaient pas devenus déjà impossibles. »

49. Ibidem, p . 102.

206

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

A u cours de la 7€ session, le 7 juin, Sedov répond aux questions concernant Piatakov et leur prétendue rencontre Unter den Linden o ù ils n’ont fait que se croiser dans la rue. Il décrit l'itinéraire d u personnage, démontre les impossibilités matérielles auxquelles se heurte l'accusation. Il parle de N.I. Mouralov, qui fut l'ami de son père, mais qui, dans son interrogatoire, décrit Sedov comme affligé d’un strabisme qui avait depuis longtemps disparu. Il démolit, témoignages à l'appui, le témoignage de R o m m sur leur prétendue rencontre, fin juillet, avec Trotsky a u bois de Boulogne. Grâce a u courage et à la ténacité de Liova, le travail de la commission rogatoire française vaut bien celui de la sous-commission de Coyoacân. C’est, pour lui, malgré bien des sujets d'amertume, une consolation et u n sujet de fierté.

C'est pendant les travaux de la commission rogatoire que le monde a appris l'arrestation d u maréchal Toukhatchevsky et des meilleurs chefs de l'Armée rouge, e n m ê m e temps q u e l e u r exécution. Trotsky a

réagi aussitôt par u n article intitulé « L a Décapitation de l'Armée rouge » qu’il envoie à Liova pour publication dans le Biulleten. Mais Liova a maintenant sur ce genre d'affaires u n œil de professionnel et il le soumet à une critique rigoureuse.

Trotsky assure que Kamenev a été condamné à 5 ans de prison à l’été 1935. E n réalité il a été condamné à 5 a n s suppplémentaires c e qui portait s a peine, avec

celle reçue e n janvier, à 1 0 ans de prison. Trotsky a écrit que Gamarnik s'était suicidé le 1€' juin 1937. Liova, lui, pense que c’est le 3 1 mai. Trotsky écrit aussi que Toukhatchevsky et les autres généraux ont été arrêtés le 7 juin. E n fait ils l’ont sans doute été a u moment o ù Gamarnik s'est suicidé. 207

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Trotsky cite Vitovt Poutna et Vitali Primakov parmi les officiers arrêtés e nmême temps que Toukhatchevsky. E n réalité, Poutna a été arrêté a u moment d u procès Zinoviev et Primakov pendant le procès RadekPiatakov. Mentionnant ceux des généraux qui sont d'anciens trotskystes, Trotsky cite à juste raison Gamarnik et Poutna, mais oublie Primakov qui fut u n militant actif.

Enfin, Trotsky semble avoir adopté l a version stalinienne selon laquelle les généraux ont réellement comparu devant u n tribunal militaire et Liova dit que tout indique qu'ils ont été jugés in absentia et que Staline n’a pas pris le risque de mettre face à face les h o m m e s qu'il désigne et compromet e n disant qu'ils

ont été « les juges » et leurs frères d'armes à fusiller. Puis il se livre à une critique de fond : « J e suis u n peu troublé par le point sur l’Allemagne. T u écris par exemple que certains généraux auraient p u “se sentir engagés”, t u admets l'existence d’une orientation allemande, bien que conditionnelle, dans l'Armée rouge. Ce m e semble plutôt risqué. Il n’y a aucun fait pour confirmer cette hypothèse. L e fait d e l’admettre, même sous uneforme subtile, affaiblit à m o n avis la défense. N e serait-ilpasplus correct d'admettre que l'Allemagne était attachée à 1 0 0 % par u n cheveu, a u même degré précisément que dans l'affaire d e Zinoviev et Kameneu et celle d e Piatakou et Radek. Ton hypothèse, qu'“ils s e sentaient personnellement engagés” et qu'“il est possible que plusieurs d’entre eux soient allés plus loin qu'ils ne l'escomptaient a u départ”, la question de

“savoir avec q u i marcher, l'Allemagne o u l a

France”, s i elle s'était posée e n 1933 o u 1934, aurait e u plus d e sens. Mais maintenant, alors que plusieurs années s e sont écoulées depuis

l’exacerbation des relations soviéto-allemandes, alors que la question Allemagne o u France a été réglée depuis longtemps — ton hypothèse n e m e paraît p a s très convaincante. O u alors l a question

a été entièrement reposée d e nouveau, c'est-dire 208

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

qu'il y a une orientationfrançaise et une orientation allemande dans les sommets soviétiques. Penses-tu qu'une telle hypothèse soit vraisemblable ? Il m e semble que le comportement d e Hitler exclut, dans la période actuelle, toute possibilité

de tendances semblables sous des formes le moins d u monde sérieuses (...). E n u n mot, il me semble que la question est définie d efaçon décisive nonpar des raisons extérieures mais par des raisons intérieures. »°0

L'article fut légèrement retouché. Quelques jours plus tard, Liova complétait l'information d u père après le passage à Paris d'une personnalité soviétique « n o n politique ». Il écrit : « L'affaire Toukhatcheuvsky a été le résultat d e “l’activité” d e Radek. C’est là le “troisième centre” dont Radek parlait à sonprocès. O n a trouvé chez l’un des militaires (peut-être Gamarnik) des documents prouvant l'existence d’un complot contre Staline. Toukhatchevsky a avoué qu'il voulait écarter Staline pour des considérations patriotiques. Il a nié tout le reste. »°1

Sans doute n e se fait-il pas trop d'illusions sur ce qui l'attend, bien qu’il soit tout à fait aveugle à l'égard

de Zborowski, à qui il semble avoir fait une totale confiance et qu’il défend avec d'autant plus d’acharnem e n t q u e ses vieux adversaires, c o m m e Pierre Naville,

puis le Hollandais Sneevliet, commencent à le soupçonner et surtout à le dire. Avant tout, il a une profonde hostilité à l'égard des trotskystes français, « les Français

»,

comme il dit avec mépris. E n revanche il a u n e

50. AHLH, Sedov : lettre d u 1 “ juillet 1937. 51. AHLH, Sedov : lettre d u9 juillet 1937. 209

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

immédiate connivence avec u n Russe. Zborowski a s u jouer de son isolement et parfois de sa détresse. Il est son unique confident. Redressons cependant u n e exagération fréquente

chez les auteurs qui touchent cette question, reprise sans preuves par Volkogonov. Il raconte que Zborowski savait tout des archives et qu’il avait la disposition d u fichier des adresses russes. Sur cette question, Lola m'a assuré très fermement : «Il estfaux qu'Etienne ait p u trahir autre chose que Sedov o u des archives : les adresses d u B O qu’il avait étaient celles d e l'extérieur d e la Russie. Sedov cloisonnait tout. Il était seul à savoir, par exemple, qui allait e n Russie, les gens qui e n sortaient etc. J e n e savais pas ce que faisait Etienne et réciproquement. E nfait, pour “savoir”,

il aurait fallufaire parler L D et Liova. »>2 Quant aux archives, u n rapport de Zborowski contenu dans les archives d u K G B et cité par Volkogonov, atteste que ce n’est qu'après la mort de Liova qu'il apprit, de la bouche de Lola, précisément, qu'elles étaient e n réalité divisées e n trois parties.

Pourtant, les rapports qu’il adresse a u NKVD et dont le général Volkogonov n’a apparemment cité qu’une petite partie dans son livre, sont psychologiquement saisissants, stupéfiants. Ils permettent de saisir sur le vif ce qu’est cette besogne vile, l’espionnage privé, la traque d'un homme vivant, la préparation de son assassinat par u n ami qui jouit de sa confiance. Ils montrent qui était Zborowski.

Le général est capable de passer des documents sous silence, mais j e n e le crois pas capable de falsifier u n document. Il nous montre Zborowski inquiet parce

qu’il pense que Sedov médite de lui confier une mission

5 2 . Notes prises par moi lors d e m o n entretien avec Lola

Dallin à New York, le 3 février 1980. 210

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

de confiance e n URSS et laisse entendre qu'il s’agit d'assassiner Staline. Q u a n d il est seul avec lui, il arrive

à Sedov de se laisser aller et de clamer a u visage de Zborowski que, maintenant, « il faut tuer » Staline pour que s'arrête cette bacchanale. L'espion rapporte consciencieusement à ses chefs, n o n sans doute sans

l'embellir u n peu, ce précieux

«

aveu ». E t puis il y a

cette terrible soirée dont il fait le récit à ses chefs avec une évidente auto-satisfaction : Liova ivre, énumérant ses échecs, sa misère morale, ses frustrations, ses amours malheureuses, sa vie quotidienne de besoin et de poison. Il n e croit plus à rien n i à personne, clamet-il, si l’on e n croit Zborowski. Seulement « à l'alcool et aux femmes ». Saluons le métier d u maître espion qui s’est trouvé a u bon moment près de Liova, quand l'alcool comme u n torrent ravageur emportait tout sentiment et toute idées, balayait sa personnalité complexe et si délicate. Mais nous le savons, c’est le même homme qui s’est usé a u service de son père et de leur cause commune, le même amoureux qui envoyait à Hélène des lettres sentimentales. Ne laissons pas l’espion se venger e n

salissant encore post-mortem sa victime. Plusieurs camarades et amis écrivent à Trotsky a u sujet de Liova. Ce sont notamment Lola, Zborowski (mais oui, c’est u n « a m i »), et aussi le Polonais Pinchas Minc. Les premiers disent à Trotsky que Liova vit à Paris sous la gueule des mausers, à portée de main des tueurs e t , e n quelque sorte, survit à l’aveuglette c o m m e l’a montré s o n rendez-vous manqué avec l a mort à

Mulhouse. Ils lui disent qu’il faut le retirer de Paris, le replier sur le Mexique pour le préserver à tout prix. Minc le décrit épuisé, conscient d u danger permanent,

mais convaincu d'être irremplaçable : il n’a, écrit-il, aucune chance face a u GPU et pourtant c’est u n homme « capable, courageux, énergique: il nous faut le sauver » . Seuls ses parents peuvent le convaincre.

Pour Liova, il n’est pas question d'aller a u Mexique : ce serait fuir le champ de bataille, o ù l’on peut effectivernent recevoir une balle mais o ù il faut être. Il pense 211

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

qu’il n’a pas le droit de quitter l'Europe, de se placer hors de portée de ses camarades soviétiques, de laisser à Staline le champ libre. Trotsky est de son avis. D'ailleurs, le Mexique serait aussi dangereux que la France. Il n e veut pas que Liova vienne s'enfermer dans la « demi-prison » de Coyoacân. « Voilà m o n petit tout ce quej e peux te dire. Ce n’est pas beaucoup, mais (...) c’est tout. Il tefaut garder maintenant tout l'argent qui te vient des éditeurs. J e t'embrasse. Ton Vieux. »°3

O n peut d'ailleurs se demander si, par Zborowski, le GPU et son « service action » n'étaient pas derrière cette initiative. Le départ de Liova, ce pouvait être aussi celui de Zborowski : le GPU aurait u n homme dans la maison, e t pourrait d’un seul coup se débarrasser d e

ses trois objets de terreur, le père, le fiston et les archives. E t nous savons par Volkogonov que le GPU médita, une fois Sedov disparu, d'envoyer Zborowski aux Etats-Unis. Avec u n peu d'avance, les deux hommes cloués sur la même cible ? Autant de gagné.

Mais les soucis de Liova étaient d’un autre ordre. Hélène à qui il écrivait rarement — mais comment écrire à une femme aimée quand o n n’en a pas le temps ? « J e pense

souvent à vous, la nuit, quandj e n e

dors pas, quand j e m e réveille le matin, chaque

fois que m a tête est u n p e u libre ; j e pense aussi que, s i vous étiez près d e moi, vous n e seriez jamais heureuse ; j e suis trop “machine”, trop esclave d e m o n travail qui est s i inépuisable que

53. AHLH, Trotsky : lettre d u 18 novembre 1937. 212

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

J'en suis écrasé (...). I l n efaut pas, m o n amie, il n e faut pas se laisser entraîner par des pensées tristes et douloureuses. Croyez-motl, s ij e faisais ainst, j e n e pourrais pas, j e crois, vivre (...). Non, m o npetit, il n efaut p a s s e désespérer, nous nous TeverTons,

nous serons encore ensemble,j'en suis

sûr, sûr (….). M o n amour doit être sage, e t c e n’est

pas toujoursfacile. 4 E t puis il pense à son père dont il se sent responsable, toujours. Le 3 juillet 1937, il écrit à van Heijenoort : « J'ai écrit à Natalia Ivanovna a u sujet d e la chasse, pêche, sport, etc. J e suis profondément

convaincu q u e c e n'est p a s u n e utopie e t avec u n

p e u d'initiative énergique, vous pourrez organiser quelque chose d e semblable. Or, comme t u sais, seul u n repos actif (chasse, etc. ?) est u n repos effectif pour L D {Trotsky- PB]. E t la question d'organiser u n repos pour L D est une question capitale, aussi capitale que le sommeilpour quel qu’un qui dort insuffisamment. »55

Le 17, il interroge, anxieux à cause des visiteurs mexicains : « N’es-tu p a s

trop optimiste concernant l a sécu-

rité ? L a venue des amis locales (sic), cela n e pourra-t-il pas devenir une source d'’ennuis ? (...) Parmi eux peut se glisser aussi quelqu’un d e pas comme il faut. »°6

Il y a u n petit trou dans sa correspondance militante, car — cela n’est pas facile à trouver — , il s’est absenté pendant u n mois, d u 6 août a u 15 septembre 1937 et nous savons, par une confidence de Lola a u père, qu'il a habité successivement dans plusieurs

54. Lettre à Hélène, datée « lundi » — sans doute e n octobre — mais quelle année ? 55. AHLH, Sedov: lettre à van Heijenoort, 3 juillet 1937. 56. tbidem : lettre à van Heijenoort, 17 juillet 1937. 213

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

pensions de famille, dans la région d'Antibes. O n peut donc légitimement supposer qu’il a revu Hélène — ce qui se laisse u n peu deviner à travers sa correspondance des mois qui suivent.

Le 2 5 septembre, il revient à la charge : « L a question d e la sécurité reste toujours pour moi la chose laplus inquiétante. Nos méthodes et principes d u passé n e valent pas grand chose dans la situation actuelle. Joseph (Staline) tire à gauche et à droite sans s e soucier le moins d u

monde des répercussions que cela peut avoir. L a vigilance doit être exceptionnelle ; si auprès de vous peuvent vivre quelques Américains (pas seulement) p a s très capables pour le travail, mais e n

tant que gardes, il faut le faire absolument : Connaissez-vous vos voisins inmédiats ? On devra faire une enquête là-dessus, surtout s’il y a e u d u changement. Extrême prudence e n ce qui concerne les déplacements. Que rien n e se sache d'avance ou, dans la mesure o ù c’est inévitable, le plus tardpossible, heure d e départ, lieu, etc. J e n e peux p a s t'écrire e n détail sur ces questions mais ilfaut considérer ceproblème non seulement comme essentiel et décisif, mais comme u n problème scientifique. Cela demande une étude et u n e organisation minutieuse. Autrement, c’est comme dans u n jeu d e hasard. S i rien n'arrive,

c’est parce que l’adversaire n efait rien. > " C'est vers cette époque q u e surgissent dans s a vie

deux nouveaux transfuges, tous deux vieux communistes. Alexandr Barmine, ancien officier de l'Armée rouge entré dans la diplomatie, était chargé d'affaires à Athènes. Il a ressenti durement les procès et est devenu fortement anti-stalinien. Il n’a pas obéi à son rappel à Moscou et a gagné Paris. Il rencontre Sedov et il y a entre les deux hommes comme une sorte de

57. Ibidem, Sedov, lettre à van Heijenoort, 25 septembre 1937. 214

Procès d e Moscou : L a contre-enquête

coup de foudre » . Sedov le croit sincère et dit qu'il est d'une fibre de vrai bolchevik ». Barmine écrit dans ses

«

«

souvenirs : « U n homme jeune encore, négligemment vêtu comme u n ouvrier parisien, prématurément fatigué, mais plein d e vie, l'esprit aiguisé, le rire prompt et cordial, vient m e retrouver : Léon Sedou (….) Il m’interrogea avidement : “Tous ces mensonges, toutes ces impostures insensées, expliquez-moi donc comment l'on peut y croire ? Y croyiez vous l'année passée ?” J'interrogeai à m o n tour et j'apprenais énormité sur énormité. (.…) Léon Sedov plaisantait sur ce thème, mais avec

u n e immense amertume. Nous nous trouvämes e n

désaccord surplusieurspoints, mais il approuvait sans réserve m o n intention d'éviter dans m a déclaration d e faire tort à notre pays et n e pas

confondre l'URSS avec le régime stalinien. »°8 L'autre nouvel arrivant est d’un tout autre tissu. Shmuel Ginzburg, dit Walter, o u encore Krivitsky, a été longtemps u n collègue de Ludwig à qui le liait une amitié d’enfance. Ludwig lui a parlé de ses projets de défection. Il a assisté a u conseil de guerre o ù a été décidée la mort de Ludwig. Il a vainement tenté de le prévenir e n faisant sonner le téléphone, sans parler. Liova écrit à son père à son sujet le 19 novembre 1937. «

Walter essayait de nous contacter depuis plu-

sieurs semaines. Mais il craignait l a provocation dans m o n entourage et, psychologiquement, cela lui était difficile. “Quelle est l'attitude d e Trotsky face à des gens comme nous ? Quelle confiance pouvez-vous avoir e n moi ?” ont été ses premières paroles. C’est u n ami intime d eReiss (Ludwig). Ils sont d e la même ville et travaillaient ensemble depuis 1 5 ans. Ily a quelques années, ils voyaient

clairement la situation mais n e pouvaient “se résoudre à rompre avec l'appareil”. Walter avait

58. A . Barmine, op. cit, pp. 55-56.

215

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

refusé d e sejoindre à la déclaration d e Reiss. L a question d e s a famille devait jouer beaucoup. L e GPU tenta d'utiliser Walter pour liquider Reiss. Il refusa e tfut rappelé à Moscou (...). Tous ses amis avaient été arrêtés. Il s'attendait lui-même à l'être d'unjour à l'autre. Mais o n l'envoya à l'étranger. Pourquoi ? Parce que, d'après lui, la panique aurait saisi l'appareil à l'étranger sion n'avait laissé partir personne. »°9 Liova explique que c'est ainsi que Walter a été compromis dans de « sales affaires » , contre les trotskystes mais qu'il s'en consolait e n pensant qu’il s'agissait d’abord de défendre l’Union soviétique. Il exécutait les ordres, « déchiré par le doute » . Liova s’indigne parce que « certains camarades mettent des gants blancs et refusent de se commettre avec u n tel individ u ». Lui, Liova, pense que Walter va donner la clé de la psychologie thermidorienne, de l'homme soviétique d'aujourd'hui. Il explique à s o n père : « Son expériencepourrait montrer la voie à d’autres. Ty e n a beaucoup. Avoir des rapports avec lui, c’est poser le problème d'avoir des rapports avec les autres. Car d’autres membres d e l'appareil stalinien viendront aussi vers nous. Nous n e pouvons les repousser à cause d e leur passé. Il faut établir une tactique e n direction d e ces gens-

là. 6 0

Tel sera le sens d'un article écrit e n décembre 1937 « D e Thermidor, retour à Octobre ? A

sous le titre

propos d e l a rupture avec le stalinisme des camarades

Barmine et Krivitsky ». Il souligne d'abord que ces gens n e rompent pas à droite, mais « qu’ils agissent e n tant que communistes, font ce pas e n a u n o m d u socialisme et des intérêts de la classe ouvrière » . Il poursuit :

59. AHLH, Sedov : lettre d u 1 9 novembre 1937. 60. Ibidem.

216

Procès d e Moscou : L a contre-enquête « Pour apprécier correctement la rupture des camarades Barmine et Krivitsky avec le Kremlin, il faut la considérer comme u n élément d e ce profond et sanglant processus d e liquidation des vieux cadres qui se déroule e n ce moment e n URSS. L'appareil grâce auquel Staline s'est hissé à s a hauteur présente, grâce auquel il a brisé e n URSS les ailes d e la révolution, a rallié, dans une mesure non négligeable, des gens qui étaient sincèrement convaincus, a u moins a u début, qu’on n epouvait rienfaire d’autre, que la direction actuelle — tout e n usant d e méthodes qu’ils n’ap-

prouvaient p a s — assurait tout d e m ê m e l a

marche d e l'URSS vers le socialisme. Une partie considérable d e ce vieil appareil, qui était entrée a u parti avant la révolution o u à son départ, a manifesté depuis longtemps une sourde résistance à Staline. Mais a u cours des dernières années — celles des procès d e Moscou — ils ont éprouvé uneprofonde angoisse et une indignation croissante vis-à-vis d e la politique et des méthodes d e Staline (...). Intérieurement, ils n e pouvaient se détacher totalement d u bolchevisme, pourtant, qu'ils l'aient o u non voulu, ils ont aidé à s a liquidation. Ex-révolutionnaires, ils sont deven u s d e sfonctionnaires dociles ; critiquant Staline

dans u n cercle restreint — toujours plus restreint — ‘ls l'ont souvent hai.… en-dehors d e leurs heures d e service. E npublic ils ont toujours dissimulé ce qu’on exigeait d'eux, ils ont évité d e commettre eux-mêmes des bassesses, mais ils n’avaient n i l a conviction n i le courage nêces-

saires pour les combattre (...). Sous la chape d e

l'époque thermidorienne, ces gens ont conservé leur veine bolchevique. C'est ce qui a déterminé leur sort ultérieur (.….). Sur le chemin de la liquidation d e la révolution et dans s a lutte pour conserver le pouvoir, il n e restait plus à Staline rien d'autre que d'achever dans l'appareil la s a n glante épuration commencée avec le procès Zinovieu. L e conflit tragique avec l afraction d e l'appa-

reil, qui avait conservé le lien avec l a révolution

(.…) se règle maintenant par le mauser d u bour217

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

reau dans les catacombes d u GPU(...) Les bolcheviks-léninistes n e sontp a s des sectaires. Ils n'ont

aucune exclusive à l'égard de quiconque est disposé à travailler la main dans la main avec tous ceux qui, sur la base d u bolchevisme, mèneront le combat contre le stalinisme (...). Leur fermer les portes signifierait repousser tous ceux qui doutent et qui hésitent dans les bras d e Staline (...). Nous pouvons constater avec satisfaction que, si l’on e n juge d'après les camarades Barmine et Krivitsky, les gens que Staline appelle “trotskystes” n e nous sont pas étrangers et que nous allons à l'avenir

travailler fraternellement, avec nombre d’entre eux, à une tâche commune.

Les camarades Barmine et Krivitsky ontfait u n grandp a s e n rompant avec le stalinisme. Mais il reste l'essentiel, “tout recommencer”, comme l’écrivait Reiss, pour “sauver le socialisme”. Il faut trouver le chemin qui nous ramènera vers le mouvement ouvrier révolutionnaire, sous le drapeau des vieux-bolcheviks, sous le drapeau d e Lénine. »61 C'était u n article plein d’optimisme et de combativité raisonnée. C'était aussi s o n dernier article.

6 1 . L. Sedov, « D e Thermidor, Retour à Octobre ? », BO,

60/61, 1 9 3 7 , CLT 1 3 , p . 125. 218

CHAPITRE 9

VERS L A MORT

L'année 1938 commence chargée de nuages. D e t o u s côtés. Mécontent d e n'avoir p a s reçu u n e lettre dont Liova avait mal écrit l'adresse, irrité d e l a compo-

sition et d u retard d u dernier Biulleten, Trotsky envoie à Liova u n véritable ultimatum : o u bien il accepte ses conditions de régularité et les règles qu'il fixe, o u il abandonne à « New York » l a publication d u Biulleten. I l est très mécontent q u e Liova sous-estime, selon lui,

le travail de la commission — et son verdict. Il est enfin très méfiant à l'égard de Walter (Krivitsky) et reproche à Liova d’avoir été avec lui bien trop accommodant.

Liova lui a suggéré de recevoir Walter à Coyoacân. Le 1 4 février, il écrit à Natalia Ivanovna :

«Il est tout àfait impossible d e recevoir W(alte)r chez nous. Pourvu qu’il n efassepas une saloperie à Liova! »!

1. AHLH, Trotsky : lettre d u 1 2 février 1938.

219

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Plus généralement, Trotsky s'attend à une attaque d u côté d u GPU. Il écrit à Henri Molinier qu’il se demande si ce n'est pas le GPU qui se dissimule derrière les attentats à l a bombe contre le patronat français: « Dans la situation actuelle où, d'un côté, tout le monde est préoccupé par le danger d e guerre et où, d e l'autre, Staline n’a moralement pas grand chose à perdre, le GPU donnera toute s a mesure. »

À George Novack et Felix Morrow, deux Américains organisateurs de s a défense, il écrit : « Leur objectifle plus sérieux est d'enlever Léon Sedov. J e n e sais pas ce qui se cache derrière les tentatives “terroristes” d eParis. J e crois tout àfait possible que le bras d u GPU soit impliqué dans ce jeu sinistre, avec l'objectif d’impliquer les trotskystes français dans quelque complot “terro-

riste” . 3 I l donne lui-même l'exemple d'une attitude offensive, jusqu’au fond des choses, e n télégraphiant à Rosenthal qu’il faut, dans l’affaire d u meurtre de Ludwig et celle d u vol des archives, « soumettre à interrogatoire, a u moins comme témoin, Jacques Duclos, vice-président de la Chambre, vieil agent d u GPU »4.

Liova n’est pas d'accord. Il l'écrit. Pour lui, il n'y a aucune raison d'attribuer les attentats de l'Etoile a u GPU. O n saura bientôt qu'ils sont l'œuvre de ceux qu’on appellera les Cagoulards, comploteurs de droite, assassins et franquistes français. Comme dans le cas de Navachine, Trotsky pense à une manipulation que Sedov rejette. Concernant Duclos, il regrette que son

2. AHLH, Trotsky : lettre d u 2 1 septembre 1937. 3. AHLH, Trotsky : lettre d u 2 5 septembre 1937 4. AHLH, Trotsky : télégramme à Rosenthal, 12 novembre 1937.

220

Vers l a mort

père ait p u reprendre contre Duclos l'accusation lancée par le dirigeant, devenu fascisant, Jacques Doriot. L a réponse de Trotsky à Liova est vive. Que Doriot, qui fut membre d u B P d u PC, dénonce Duclos comme agent d u GPU est normal : cet ancien dirigeant est informé. E t l'on comprend pourquoi Trotsky a écrit « vieil agent »: il voulait signifier par l à qu’il savait depuis l'époque o ù il était a u pouvoir que Duclos était des « services » — comme o n appelle dans l'appareil le GPU-NKVD. Sur les attentats, il explique qu'il n e les a jamais attribués aux staliniens, mais que ces derniers e n revanche — l'Humanité notamment — ont prétendu y voir la main des trotskystes : «

Q u a n d les stalinistes ont commencé à attri-

buer ces actes aux trotskystes, nous avons dit qu'il est possible que les stalinistes y soient pour quelque chose, c'est-à-dire qu'ils aient agi p a r l’intermédiaire d e terroristes d e droite e n s’assu-

rant la possibilité d e créer u n complot judiciaire contre nous. Cet avertissement était absolument

nécessaire. » ° N o u s n'avons d e cette lettre qu'une copie. Liova n e l ' a p a s reçue et elle a sans doute été saisie p a r l a police.

Une lueur cependant, dans ce tableau d'orage, Liov a a la promesse d'être embauché dans quelques mois c o m m e collaborateur à l'Institut international d'histoire sociale d'Amsterdam S o n travail ? Etudier l’his-

toire de l’Opposition d e gauche. Apparemment, seules Natalia e t Hélène étaient dans l a confidence.

À la mi-janvier 1938, Liova ressent des malaises et d e fortes douleurs abdominales. L a consultation d’un

5. AHLH, Trotsky : lettre d u 15 février 1938. 221

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

médecin est lourde pour sa bourse. Aussi accepte-t-il la suggestion de Lola de s'adresser à s a belle-sœur. Cette dernière, Fanny Trachtenberg, dite Tranchenka, compagne de son frère Rafael Ginsberg, est comme lui, docteur e n médecine de l’université d'Iéna. Réfugiée à Paris après l'arrivée de Hitler a u pouvoir, elle n'a pas d'équivalence de son diplôme e n France et exerce donc « illégalement » la médecine, avec l'aide complice de médecins d'origine russe exerçant légalement leur profession. Les pauvres n e monnaient p a s leurs services entre e u x e t Liova n'aura p a s à payer. I l accepte cette généreuse proposition. L e DrTrachtenberg diagnostique u n

début d'appendicite, fait poser de la glace, ordonne d u repos et u n temps d'observation, prescrit u n régime. Tout s'arrange très vite : l'alerte est passée. Seuls sont a u courant, Jeanne, Lola et bien entendu Zborowski que Lola a informé sous le sceau d u secret. Le 8 février, vers 1 7 heures, alors que Liova est chez lui, nouvelle crise très violente cette fois. Le D r Trachtenberg prescrit la glace sur le ventre et d'attendre jusqu’au lendemain. Elle revient le lendemain avec son mari, le D r Rafael Ginsberg, frère d e Lola. Ils n e sont

pas certains qu’il s'agisse d'une appendicite, préconisent le transfert dans une clinique o u u n hôpital. Avec l'accord de Jeanne, Lola appelle Zborowski à la rescousse. Q u a n d ils s e retrouvent pour aller ensemble

chez Liova, Lola le met a u courant : la maladie est sérieuse, u n e opération est nécessaire. L e problème est

qu’il faut trouver une clinique présentant toutes les garanties pour s a sécurité.

Dans l'intervalle, le D r Trachtenberg a appelé u n de ses confrères installés, le D r Adolphe Simkov, u n chirurgien d'origine russe, émigré après la révolution.

Celui-ci par solidarité et eu égard à ses relations avec elle, consent à opérer gratuitement le malade dont il

6 . AHLH, rapport d e Jeanne, 1 7 février 1938.

222

Vers la mort

ignore e n principe l'identité. Lui-même conseille de s'adresser pour l'hospitalisation à l a clinique Mirabeau, rue Narcisse-Diaz, avec laquelle il traite fréquemment, y opérant, y envoyant des malades. Les relations sont explicables : la clinique est dirigée par u n Russe, le D r Boris Girmounsky, et il y a des Russes dans le personnel. Jeanne justifiera ce choix e n disant qu’il y avait « peu de Russes »?. E n réalité, cette clinique, comme d'ailleurs toutes les cliniques russes, qu'il semble que l'on ait avant tout recherché, pose de gros problèmes : elle est certes conciliante e t n e se penche p a s d e trop près s u r les

diplômes des médecins et l'identité des malades, mais elle fait partie d u milieu que Liova devrait fuir comme la peste, celui des Russes blancs dans lequel il sait mieux que personne que la NKVD a introduit partout ses agents. O n n e saura que des années après la guerre que le D r Boris Girmounsky a dirigé le service médical d'un camp de détenus e n URSS — signe de liens avec l e G P U — , qu'il est sorti légalement d e s o n pays et que,

p e u après son arrivée, il a acheté comptant, p o u r six millions, l a clinique Mirabeau, ce qui n'est pas à la

portée d u premier réfugié russe venuë. Avec l’appui de Jeanne, Liova a donné l a consigne d u silence. Personne d'autre q u e Lola et Zborowski n e

doit être a u courant. Jeanne applique la directive avec toute l a rigueur dont cette fille d’officier est capable. « Les Français » n e seront p a s prévenus, m ê m e p a s Gérard Rosenthal dont le père est u n e sommité médicale et dont l a consultation e t les conseils seraient

utiles. Les deux Russes n e protestent pas : ils sont entre e u x et c'est bien, e n tout c a s rassurant p o u r Liova.

7. Ibidem 8. AHLH, rapport de police. Les documents officiels ont disparu, mais il reste à Harvard leurs copies, remises par Gérard Rosenthal à Trotsky. 223

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Zborowski l’a raconté lui-même, par écrit, à ses « camarades » trotskystes. C’est lui qui téléphone à la clinique Mirabeau pour demander qu’on leur envoie une ambulance. I l l'attend sur le trottoir e n bas. Il n e faut pas attirer l'attention de la concierge. Mais il n'est pas question pour les infirmiers que Liova descende l’escalier à pied et ils l'emmènent de son appartement sur u n brancard qu’on enfourne dans l’'ambulance : o n n’a pas réussi le départ discret qu'il souhaitait. Jeanne croit apercevoir u n habitant de la rue qu’elle considère comme suspect et qu'on n e retrouvera pas. Il était u n peu plus dé 1 7 heures quand Liova est arrivé à la clinique Mirabeau. Jeanne l’a accompagné dans l’ambulance. Lola et Zborowski ont suivi e n taxi ° . Jeanne inscrit Liova à la clinique sous le n o m de de nationalité française, ingénieur. Ce n'est que le 15, la veille de sa mort, que le D r Girmounsk y dit avoir appris de la bouche de Jeanne la véritable identité d u malade. Le personnel infirmier a s u e n tout cas qu'il était russe car le D r Simkov s'adressait à lui e n russe, Liova ayant pris l'initiative d'utiliser cette langue. Le D r Simkov, lui, savait qu'il avait affaire a u « fils de Trotsky » , l'ayant appris de la bouche d u D r Trachtenberg juste avant l’hospitalisation de Liova ; c’est lui qui e n a informé le D r Thalheimer, après la « Léon Martin » ,

première opération.

Avisé par la clinique, le D r Simkov arriva aussitôt et, après une conférence avec le D r Trachtenberg, décida le renvoi de l'opération a u lendemain. Impressionné cependant par l'identité d u malade, il fit appel pour consultation à u n chirurgien, très connu dans la profession, qui opérait aussi dans cette clinique, le D r Marcel Thalheirmer. Celui-ci, arrivé peu après, diagnostiquait une appendicite, alors que Simkov penchait pour une occlusion intestinale. Le D r Thalheimer ac-

9 . Rapport d e M . Zborowski pour Trotsky.

224

Vers la mort

ceptait, à la demande de son collègue, d'opérer luimême et le faisait immédiatement, pour profiter de l'absence de fièvre. Liova fut donc opéré dans la soirée d u 9 février vers 1 0 heures. O n lui enleva l’appendice, légèrement infecté, o n lui sectionna une bride qui devait être selon les médecins la cause d'une occlusion intestinale et « une forte formation purulente » a u niveau de la bride. Le lendemain, malgré l'interdiction de Jeanne, Zborowski alertait le leader des trotskystes français e t d u secrétariat international, Jean Rous,

pour l'informer, mais sans lui indiquer dans quelle clinique Liova se trouvait.

Zborowski a reconnu devant la commission d u Sénat américain qu'il avait informé ses supérieurs d u NKVD de l'hospitalisation de Liova. À la question de savoir s'il avait donné aussi le n o m d e l'hôpital o u d e la clinique, il a répondu par u n aveu de biais e n disant « Probablement ». Aussitôt après le meurtre, il a assuré aux camarades français de Liova et aux enquêteurs qu’il n e l'avait jamais revu à la clinique. Liova était très faible après son opération. Jeanne montait la garde, interdisant les seules visites possibles, celles de Lola et de Zborowski. Elle était très nerveuse, exigeant par exemple le remplacement d'une infirmière russe qu'elle accusait de parler russe avec Liova c e qui était exact, nous savons pourquoi — e t

d'écouter ce qu’il disait dans son délire, e n russe. Elle exigeait pour lui une infirmière française, ce qui était u n peu surprenant après avoir choisi u n e clinique russe. Lola rendit à Liova une brève visite le 12 février, a u cours de laquelle, nettement mieux, il lui fixa u n rendez-vous de travail, avec Zborowski, dans s a chambre, pour le 1 4 février. Tout semblait donc aller a u mieux et la guérison était e n vue, puisque les préoccupations d e travail ressaisisaient Liova. Zborowski sem-

blait blessé de n'avoir p u lui rendre visite. Mais tout allait rebondir dans la nuit d u 13 a u 14. Cette nuit-là, si l’on e n croit le récit de Jeanne, répétant ce que lui a dit le personnel de la clinique : 225

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline « Sedov

s'était, paraît-il, brusquement levé, de-

mi-nu, vêtu seulement d’un veston d e pyjama, était allé dans la chambre d e malade voisine (chambre n° 1 0à trois lits), avait mangé l’une des oranges placées dans cette chambre, s'était couché sur l’un des lits d e cette chambre qui était libre, puis était ressorti, s e promenant dans les couloirs, dans s a chambre n ° 15, revenant ensuite dans la chambre n°10, puis, allant pour finir s’allonger sur le divan d e nuit situé dans u n office contigu à s a chambre. »!9 Dans une autre note, elle précise que les infirmières l'avaient trouvé « n u et délirant et dans des conditions sur lesquelles la lumière n’a pas été faite, dans une pièce voisine qu'il aurait, paraît-il, souillée alors d'excréments ». À la police, elle assure qu’il était dans u n état de « surexcitation très anormale » . Zborowski souligne que la crise s’est produite après qu’on lui ait fait « u n e piqûre de somnifère » : il est le seul. Cette clinique, avec ses va-et-vient de nuit de m a lades graves peu vêtus, fait décidément très « désordre » . Aussi le directeur présente-t-il à la police une version plus décente à tous égards : « L e malade avait commencé à délirer et s'était levé. Il était dans une chambre voisine et c’est le malade qui se trouvait dans cette chambre qui a appelé l'infirmière. O n a aussitôt appelé une garde particulière. 1 y a six chambres à l'étage. L'infirmière d e service s e tient à l’office et s e rend

dans les chambres seulement s i elle est appelée o u s i elle a des prescriptions à exécuter. »!1 L'infirmière russe, M m e Eismont, v a confirmer avec u n peu plus de détail, toujours devant la police, et elle est, de plus, témoin oculaire :

10. AHLH, Madame Elena Eismont : témoignage à la police. 11. AHLH, réponses d u D r Girmounski aux policiers. 226

Vers la mort « C’est moi qui étais d e service d'étage dans la nuit a u cours d e laquelle le malade s’est levé et a pénétré dans une chambre voisine. Alertée par l'occupant d e cette chambre, j e m’y suis rendue, mais le malade n e s'y trouvait plus ; il s'était rendu dans le couloir d e l'office. Avec l'aide d’une

garde, nous l'avons ramené dans s a chambre, puis o n a fait venir une garde particulière. L e

malade délirait, mais à aucun moment il n’aparlé e n russe : il parlait toujoursfrançais. L a chambre d u malade était souillée d’excréments, sur le lit, sur le plancher, sur lesfauteuils. J’ai dit à l’infirmière d e jour, q u i m ' a remplacée, c e qui s’était

passé dans la nuit, afin, qu’elle metre le médecin a u courant. »!2

E n fait, les contradictions fourmillent et vont alimenter les soupçons de Jeanne sur les voisins de chambre de Liova, sur les infirmières aussi. Certaines infirmières assurent que Sedov parlait e n russe dans son délire, d’autres qu’il n e parlait qu’en français. L'une d'elles aurait dit à Jeanne qu’on avait trouvé Liova gisant sur le sol sans connaissance. Une autre, qu’on l’a trouvé sur le sofa. O n n e sait plus si les excréments étaient dans sa chambre n° 15 o u la voisine, le n° 10. Jeanne, informée, accourt. L a clinique a prévenu le D r Thalheimer qui est venu, lui aussi. Elle le presse de questions. Il e n pose à s o n tour : « Il

semble s'être produit u n accident post-opé-

ratoire quej e n e m'explique pas. Lui a-t-on admi-

nistré des barbituriques ? Cet homme n'a-t-iljamais manifesté l'intention d e s e suicider ? L e

malade n’était-ilpas accoutumé à l'usage de toxtques dont la privation a p u provoquer la crise ?

12. AHLH, Mme Eismont : deuxième déposition. 227

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

S'il y a intoxication, c e n e peut être qu'une auto-

intoxication. » ! 5

Simkow et lui, visiblement inquiets, s'occupent d u malade, donnent « des soins » dont nous ignorons la nature. L a température est d’une fantastique irrégularité, sautant de 36° à 41°5 pour redescendre brutalement. Même arythmie cardiaque, le pouls disparaissant p a r instants. Les médecins sont inquiets d e c e dernier symptôme. L e soir, ils prescrivent u n e trans-

fusion de sang, qui est faite par u n spécialiste, le D r Ich Wall. Liova a retrouvé une certaine forme et, pendant l'opération, il plaisante avec médecins et infirmières. Le pouls revient ensuite. Liova assure qu’il est « bien » . Informé de tout cela, Zborowski enfreint une fois de plus les consignes — o n le comprend de tous points de vue — et se décide à alerter Gérard Rosenthal vers 2 0 heures. L a nuit n’est pas très bonne et le lendemain, le malade apparaît très faible, dans u n état alarmant. Jeanne téléphone à Lola pour lui dire que Liova v a très mal, qu’il « étouffe » . Lola et Zborowski vont ensemble à la clinique. L e D r Trachtenberg leur confirme la gravité de l’état d u malade, leur annonce pour l’aprèsmidi 1 8 h 4 5 une conférence entre Thalheimer, Simkov et u n médecin spécialiste connu des maladies de l'intestin, le D r Gutmann. Puis Zborowski e t Lola décident

d'aller voir Jean Rous et de tout lui dire. E n route, Zborowski, lequel, décidément, pense à l'avenir, lance l’idée que peut-être le brutal changement de l’état de Liova serait d û à u n empoisonnement : il dit qu’il faut demander aux médecins de conserver les excréments pour des analyses. Puis, sur les conseils de Rous, ils

13. AHLH, cité par Jeanne, rapport.

228

Vers la mort

vont a u Palais voir Gérard Rosenthal et lui demander de faire venir son père à la consultation médicale de la

fin d'après-midi — ce que le D r Rosenthal accepta immédiatement.

Le D r Guttman a fait pratiquer tout de suite une radio et découvert une « occlusion intestinale basse ». Malgré l’état précaire d u malade, il décide, pour le faire

enfin évacuer, après presque une semaine de

«

blo-

cage » , de lui faire u n anus artificiel par lequel s’écoulera, selon Jeanne, environ « u n litre et demi de matières liquides noirâtres ». Après le conseil médical, le D r Rosenthal confie aux amis » que l'état de Liova est très grave mais pas désespéré, qu'il a encore 2 5 % de chances de s'en sortir. I l leur reproche aussi très vivement de n e pas l’avoir averti, dès le début, de ce qui arrivait à Liova. «

Quand o n mène Liova à la radio, il a l'air inconscient, comme dans le coma, et n e reconnaît pas ses a m i s . L e s m é d e c i n s d é c i d e n t d'opérer u n e deuxième fois, cette fois pour l’occlusion intestinale probable. Deuxième transfusion sanguine. C’est u n transfuseur qui donne son sang, u n jeune médecin russe, le D r Marshak, qui opère. Les médecins, inquiets pour le cœur de leur patient, décident de n e faire qu’une petite anesthésie locale.

Gérard Rosenthal, qui est là avec Rous, raconte comment il vit pour l a dernière fois son ami. Il écrit : « Quand o n transporta Léon Sedov sur une table roulante, dans la laque blanchie des couloirs, vers la salle d'opération, j e le vis pour la dernière fois. Il était allongé, pâle et inerte, le regard perdu, les mains jointes sur la poitrine et la respiration haletante. Rien n’indiqua qu’il nous reconnut. Ses yeux cillèrent seulement quand le

chariot pénétra dans la salle mieux éclairée. »14 14. AHLH, rapport de Gérard Rosenthal, qu'il a partiellement repris dans son livre Avocat d e Trotsky.

229

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Pourtant, Liova est conscient pendant toute l'opération, par moments très douloureuse ; courageux

comme à l'ordinaire, il trouve encore le moyen de plaisanter. Raymond Molinier arrive à la clinique dans la soirée, annonçant qu’il va passer la nuit. Gérard Rosenthal poursuit : « L'opérationfut longue. Les chirurgiens lajugèrent efficace. Ils déclarèrent que, si le malade trouvait dans les forces d e s a jeunesse les

moyens de résister 4 8 heures, l'espoir était préservé, »15

C’est Jeanne qui poursuit le récit de cette lente et longue agonie : « Après l'opération, Léon s e sent très soulagé, il a toute s a conscience ; le pouls est toujours très mauvais ; le ventre est dégagé des gaz qui le suffoquaient ; il y eut aussi u n lavage d'estomac par la bouche pour évacuer les gaz qui restent. Léon a e u par la suite une deuxième transfusion d e sang, d e Jeanne cette fois, après examen d e

s o n sang. U n e troisième

transfusion étant jugée

nécessaire in extremis, Raymond, qui était là,

propose le sien mais les docteurs n'ayant pas le tenps d'examiner son sang, étant donné l’urgence extrême, Jeanne est utilisée une deuxième fois. Cependant l'état s'aggrave toujours, Léon sufJfoque, il a une soif extrême et o n le nourrit d’eau par des piqûres o u par l'anus naturel. Une quantité innombrable d e piqûres remontantes d e d i verses sortes lui sont faites ; presque pas d e piqûres calmantes à cause d e l’état d u cœur, malgré les douleurs endurées e t le manque total

d e sommeil. Léon a été examiné également le 15 par le Docteur Rosenthal, père d e Gérard Rosenthal, qui le considère tout d e suite à p e u près comme perdu.

1 5 . Ibidem

230

Vers la mort

Léon semble entré dans le coma le 1 6 entre 3 et 4 heures d u matin (...). A partir d e ce moment, il semble n e plus la reconnaître et n e répondplus aux questions : il se plaint sans arrêt et il semble à Jeanne que ce soit déjà u n râle. D e petites tâches noires apparaissent déjà sous s a peau et

sous ses ongles ; les mains et les pieds étaient glacés depuis deux jours sans qu'on pût les réchauffer. L a dernière transfusion d e sang, le dernier sérum, les dernières piqûres sont faits jusqu'aux derniers instants.

Il est mort mercredi à 11 h 4 0 d u matin ; seul le Docteur Simkou assistait à lafin avec la doctoresse amie et Jeanne ; le Docteur Thalheimer était déjà reparti — n e voyant plus rien à faire (...) ; Léon n e s’est pas douté u n seul instant, a u cours de toute s a maladie, de la gravité d e son état. Aux derniers moments, les docteurs disaient : « U n miracle peut s e produire s i l'organisme réagit

mais o n n e peut rienfaire d'autre. » ! 6

Liova est mort.

Le j o u r même, sous prétexte de l’enquête, la police perquisitionne chez lui et emporte des kilos de documents qu'on n e reverra pas : correspondance TrotskyLénine, originaux o u copies des documents pour les procès, correspondance autour des procès, fichier d u GPU préparé par Sedov, livres d'adresses, livres de comptes, talons de chèque, manuscrits, notes de Krivitsky, articles de Barmine, dossier de la correspondance d'Elsa, déclaration par laquelle elle affirme que Sneevliet refuse de lui rendre les mémoires de Ludwig, les documents intéressant Zina et Siéva, une importante correspondance e n français de Trotsky

16. AHLH, rapport d e Jeanne.

231

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

avec Rakovsky, des matériaux sur le séjour à Dom è n e . . . O ù sont passés ceux d e ces documents qui

intéresseraient l'historien ? Liova a u n bel enterrement, 2 OO00 personnes, avec

le chant de l'Internationale, des fleurs, des drapeaux rouges, des camarades de plusieurs générations, de la ferveur et des larmes, des orateurs de plusieurs pays. Il eût sans doute été sensible à la belle éloquence d u « sinistre individu » , son cher Gérard, parlant — c'était u n vrai symbole — a u n o m d u Comité d'enquête sur les procès de Moscou et la liberté d'opinion dans la révolution. Il rappelle le travail de titan effectué sous la menace directe des tueurs, et s'écrie : « Combien d e révolutionnaires, e n URSS doi vent la vie à son action contre les procès d e

Moscou ? Qu'a-t-il contribué à sauver d e l a révo-

lution elle-même ? L a perquisition opérée sur ses papiers par la policefrançaise lejour d e s a mort marque bien la dernière page d e s a vie : l'existence d’un jeune révolutionnaire, fils d e la révolution d e 1905 et d'Octobre. E t son cycle nous apparaît plus éclatant à l'heure o ù les produits d e la dégénérescencefuient comme les rats hors d u navire.

L a contre-révolution a épuisé e t abattu Léon Sedov. Son action a été efficace. Notre douleur et notre révolte nous confient la charge d e la poursuivre. Nous reportant à la maison d e Coyoacän o ù le grand guide révolutionnaire e t s a compagne

Natalia Sedova sont atteintspar ce nouveau coup, nous pouvons reprendre presque dans tous ses termes la dernière phrase d'Engels sur la tombe de Marx : la mort d ufils de Léon Trotsky afrappé les ouvriers révolutionnaires “dont l'immense chapelet, dans le monde, v a des mines d e Sibérie, par

l’Europe, jusqu’au Mexique”. »1”

17. AHLH, dossier pour Trotsky, G . Rosenthal, allocution a u cimetière.

232

Vers l a mort

V a n Heijenoort nous a donné l'inoubliable récit de l'arrivée de l a nouvelle à Coyoacân, d u réflexe d u père et de la mère s’enfermant dans leur chambre, pour n’en ressortir que terriblement vieillis mais avec u n texte magnifique à la gloire de « Léon Sedov, le Fils, l’Ami, le Militant » , et ce double cri déchirant : « Léon était le seul qui nous avait connus jeunes ; il faisait partie d e nos vies depuis qu'il avait pris conscience d e lui-même (...). Jeunesse révolutionnaire d e tous les pays, accepte le souvenir d e notre Léon, adopte-le, comme tonfils, il enest digne, et que désormais ilparticipe invisible à tes luttes puisque le sort lui a refusé le bonheur

de prendre part à la victoirefinale. » ! 8 Marguerite Rosmer explique a u x parents, ses amis,

dans une belle lettre, « pourquoi nous l’aimions» : « Nous aimions Liova pour beaucoup d e raisons : pour le don absolu d e lui-même qu'il vous avait fait, une fois pour toutes, et pour ce qu’il y avai d e compréhensife t d'humain dans s a nature tendre et délicate que j e connaissais bien car, dans nos relations fréquentes, ces derniers 1 8

mois, nous n’avions p a s à nous placer sur l'âpre

plan politique, mais sur celui d e l’amitié et d e la compréhension réciproques. »!2

Alfred Rosmer, envoyant à Coyoacân u n bouquet de témoignages que nous avons largement cités donne s o n avis sur l a question d u

«

comment ? » :

« Vous verrez qu'il est parlé à plusieurs reprises d’une grande fatigue dont se plaignait parfois Liova, d’un état d e fièvre qui n e le quittait guère et s efaisait sentir surtout e nfin d ejournée. Mais

cela n e contredit nullement c e q u e vous avez

affirmé : que rien, absolument rien, rien d e normal, n e pouvait expliquer unefin aussi soudaine,

18. L. Trotsky, LS/FAM, pp. 179, 194. 1 9 . AHLH, M . Rosmer : Lettre d u 1 6 février 1938.

233

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

aussi prématurée. Fatigue et fièvre étaient les conséquences naturelles d e la vie que devait mener Liova ces derniers mois, surtout depuis l’assassinat d'Ignace Reiss (Ludwig), quand il s e savait sans cesse épié e t surveillé, qu'il devait

constamment se préoccuper d'éviter de tomber dans les traquenards et guet-apens qui lui étaient tendus, quandil eut lapreuve qu'un des membres

des “tueurs” d u GPUétait venu s'installer dans le voisinage immédiat d e son logement. Tout cela, joint à une lourde besogne quotidienne, était bien d e nature à provoquer e t entretenir u n e certaine

excitation nerveuse. Mais c'était e n même temps une raison supplémentaire d e rassembler ses forces, d e tendre s a volonté pour mener la lutte, s e défendre mais aussi attaquer. E t l'organisme

d’un homme de trente ans, sain et vigoureux, supporte aisément pareilles épreuves. »20 Liova est à peine enterré q u e commence l a lutte

pour convaincre magistrature et police française de rechercher les traces, toutes les traces possibles, d’une intervention criminelle, d'un assassinat de Liova dont Trotsky est persuadé qu'il n’est p a s mort d e maladie.

Les inititatives u n peu brouillonnes de Jeanne, qui confond souvent l'essentiel et l'accessoire, n'arrangent certes pas les choses. Mais l'essentiel n’est pas là. Comment n e pas sentir dans ces institutions d'ordre de la République française le peu de considération qu’elles ont pour ces petites gens excités — les « trots-

kystes » — qui dénoncent comme criminel l’un des chefs de gouvernement de ce monde ? Jean Rous et Gérard Rosenthal, e n tant que défenseurs, adressent note sur note a u juge d'instruction

réclamant examens, enquêtes, avec la perspective de retrouver les assassins et n o n de clore u n dossier concernant u n e mort venue naturellement après u n e

20. AHLH, lettre d'Alfred Rosmer présentant le dossier à

Trotsky. 234

Vers la mort

maladie. Ils n e parviennent pas à remuer la machine. E t la dialectique de Trotsky, sa force de persuasion, sa parfaite connaissance de ce dossier qu'il plaide sur les causes de la mort de son fils et aussi des pratiques criminelles d u GPU, n e parviendront pas n o n plus à faire prendre a u sérieux leur thèse par les autorités

françaises. Il écrit le 19 juillet 1938 : « Les criminels seront découverts, Monsieur le Juge ! L'étendue des crimes est trop grande. U n trop grand nombre d e personnes et d'intérêts — ceux-ci souvent contradictoires — y sont impliquées : les révélations ont déjà commencé. E t elles feront apparaître que les fils qui partent d e la série des crimes mènent a u GPU et à travers le GPUà Stalinepersonnellement. J e n epeux savoir s i la justice française prendra dans ces révélations unepart active. J e le souhaiteraisfort et suis prêt à l'aider d e toutes mes forces. Mais d’une façon o u d’une autre, la vérité sera découverte. D e ce qui vient d’être exposé, il découle avec une pleine évidence que l'instruction d e l’affaire

de la mort de Sedou n'a presque pas encore commencé. E n accord avec toutes les circonstances d e l'affaire etlesparolesprophétiques

de mon fils le 4 février 1937, l'enquête n e peut manquer d e partir d e la présomption que la mort n ’ a pas e u u n caractère naturel. Les organisateurs d u crimefurent les agents d u GPU, pseudo-fonctionnaires d e s institutions soviétiques à

Paris. Les exécuteurs furent les agents de ces agents, pris dans les milieux d’émigrês blancs, d e

stalinistes français o u étrangers etc. L e GPU n e pouvait manquer d'avoir ses agents dans une clinique russe o u dans son voisinage immédiat. Telles sont les voies dans lesquelles doit se diriger l’enquête si, commej e veux l'espérer, elle cherche à découvrir le crime et non à suivre la ligne d e

moindre résistance. »2!

21. AHLH, Trotsky, lettre a u juge d'instruction Pagenel, 19 juillet 1938. 235

Léon Sedou, fils de Trotsky, victime de Staline

Le front d u refus de l'enquête est sans doute soudé par des éléments divers. Politique étrangère qui fait que les dirigeants d u pays n e veulent pas courir le risque d'une rupture avec le gouvernement de Staline sur une question qu’ils jugent « mineure ». Manque d'imagination des policiers, des magistrats mais aussi des médecins qui croient les uns et les autres plus e n ce qui fait leur routine quotidienne qu'aux évênements extraordinaires qui vont occuper la une des journaux. Crispation des médecins cramponnés à leur diagnostic, à la justesse d u traitement qu’ils ont ordonné et qui n e peuvent p a s envisager d e s'être trompés, m ê m e

et surtout d’avoir été trompés. Tout ce mélange ultraconservateur bloque les coups de Trotsky et permet à ceux qui auraient les moyens de faire ouvrir une véritable enquête de se retirer et de se laver les mains de cette affaire. Feuilletant le dossier de police dont le double — remis par Gérard Rosenthal à Trotsky — se trouve

dans les archives de ce dernier à Harvard, alors que les originaux de Paris ont été détruits o u volés dans les

locaux même de la police, o n trouve dans les dépositions e t rapports des affirmations péremptoires qui

montrent bien les obstacles qu’il faudrait surmonter pour mener u n e enquête correcte. C'est u n véritable tir

de barrage. Le D r Trachtenberg : « A m o n avis, Sedov est mort des suites de sa maladie, qui était très grave ». D r Gutmann: « Il s'agissait évidemment d'une complication, post-opératoire e n c e qui concerne les symp-

tôrmnes que j'ai observés ». Dès le 2 0 février, le célèbre D r Paul, médecin légiste, avait remis u n rapport déclarant que la mort de Sedov était le « résultat d'une péritonite généralisée avec vaste collection purulente siégeant e n arrière de l’appendice », ajoutant que « ces lésions pouvaient être le

résultat d'une crise d'appendicite compliquée d’une bride intestinale » . Des experts, désignés par le juge Pagenel, ont procédé à une nouvelle autopsie et u n nouvel examen viscérologique et ont conclu dans leur rapport d u 1 8 juin : 236

Vers l a mort « Nous n'avons relevé a u cours d e l'autopsie d u corps d e M . Sedou, a u cours d e l'enquête médicale, dans le dossier ; aucun fait d e nature à permettre d e penser qu'on n e se trouve pas e n

présence d’une mort naturelle. » 2 2 Pourtant les toxicologues, spécialistes réputés, les

Drs Chevalier et Kohn-Abrest, soulignaient qu'ils faisaient référence à l’état actuel de leurs connaissances, n'excluaient pas que la mort pût être due à u n poison « n o n ordinaire », qu'ils n'avaient pas, « les moyens » de découvrir, surtout s'il s'agissait de « poisons indécelables ». Car la pharmacopée de Staline avait des ressources ignorées des toxicologues français : n’a-t-on

pas récemment appris, par les Nouvelles d e Moscou le meurtre à Munich, e n mars 1953, d’un ancien secrétaire de Trotsky, Wolfgang Salus, tué par u n poison « à effet retardé » . « L'ennemi » , écrit le ministre Ignatiev a u x successeurs d e Staline, « n e s'est aperçu d e rien

et les docteurs ont conclu à une mort naturelle. » Mais certains médecins o u policiers français n e sont pas modestes o u manquent d'imagination. Comme le souligne Gérard Rosenthal, l'enquête de la police avait été « conduite sans rigueur » , avec des notations « frustes, superficielles et rudimentaires » , dès qu’elle touchait aux problèmes politiques russes. E n fait surtout, elle jugeait absurde toute enquête qui n’était pas justifiée et e n quelque sorte initiée et légitimée par les conclusions de médecins légistes. Q u e faire contre les experts ? Pour arranger les choses, Jeanne écrivait à Trotsky que Gérard Rosenthal avait fait une déclaration publique affirmant qu’il n e croyait pas a u crime, c e qui était faux.

L a mort accidentelle et tragique des deux enfants d u D r Simkov, étouffés dans une sablière, servit aussi de repoussoir à la plainte de Trotsky. L a bonne presse

22. AHLH, rapport des toxicologues Drs Chevalier et KohnAbrest.

237

Léon Sedou, fils de Trotsky, victime de Staline

à ragots parla de

«

vengeance des trotskystes

»,

attri-

bua une affirmation semblable au D r Simkov qui démentit, tandis que Trotsky, alerté, le prenait à partie sans ménagements. L à aussi, une lettre de Jeanne avait déformé la réalité. Le 13 février 1939, le juge Pagenel rendit son ordonnance de non-lieu. L'appel présenté par les avocats fut rejeté le 2 4 mars. L a question était apparemment close. E t pourtant…

E n tout cas, la mort de Liova ouvrait toute une série de péripéties o ù ses amis politiques allaient devoir affronter pendant de longs mois, e n conséquence de sa mort, Jeanne, la veuve sans doute folle de chagrin, soutenue par les frères Molinier et leurs partisans. A u lendemain de sa mort, les Molinier annoncèrent que Liova avait rédigé u n testament le 9 février, quand il sut qu’une opération était à l'ordre d u j o u r et qu’il l’avait confié à Jeanne. Marguerite Rosmer s'étonna dans une lettre à Trotsky parce que, juste après la mort, Jeanne lui avait demandé si elle savait si Liova avait fait u n testament. Trotsky écarta toute querelle sur c e point. Liova laissait à s a compagne tout c e qu'il

possédait. Le document fut remis à Henri o u Raymond Molinier. Ce document fut apporté, l'enveloppe ouverte, à u n e réunion à laquelle elle avait convoqué Jean

Rous, Gérard Rosenthal, Alexis Bardin et autres dirigeants d u POI, le parti de Liova. Il leur fut l u par Henri Molinier, dirigeant d u PCI, avec Raymond, son frère, toujours mari de Jeanne. Le point le plus sensible, c’étaient les papiers, les archives conservées par Sedov, qui étaient aussi, à bien des égards évidemment, des papiers de Trotsky. Jeanne s'engageait à les remettre e n personne à Trotsky.

E n réalité, c'était le début d’un long conflit qui

culmina en septembre 1939 avec la venue en France des Américains Cannon et Shachtman mandatés par 238

Vers l a mort

Trotsky pour récupérer ses papiers. Jeanne refusait de les leur confier, disant que c'était sa mission à elle de les remettre e n mains propres à Trotsky. Elle jouait aussi sur les mots avec une distinction peu honnête entre papiers « de Sedov » et papiers « de Trotsky ». Quand elle restitua finalement des caisses de papiers, tout le monde — y compris Trotsky — crut qu’elle avait rendu l’ensemble des papiers qui avaient été confiés

par Trotsky à Sedov o u qui, dans le cours d u travail commun, s'étaient momentanément trouvés entre ses mains. Il n’en était rien. U n e partie avait été confiée par Sedov à Nicolaievsky sans que personne le sache. L'historien assura n'avoir e n sa possession aucun document de Trotsky o u de Sedov et les vendit, avec ses propres archives, à la Hoover Institution. Ces papiers — dont j'avais la quaSi-certitude qu'ils étaient à Hoover, ce dont j e suis heureux d'avoir p u convaincre les responsables — n e furent découverts que cinquante ans plus tard, à la mort de sa veuve, dans le bureau de cette dernière à Hoover, et furent immédiatement identifiés et classés par Jean van Heijenoort, prévenu le jour même, et par m o i qui fus alerté par téléphone et vins aussitôt. U n e autre partie des archives enfin se trouvait, elle,

entre les mains de Jeanne. Elles n e furent pas restituées pour des raisons q u e nous ignorons, s e retrou-

vèrent finalement à l’Institut international d'histoire sociale d'Amsterdam auquel elles furent vendues e n 1939 o u 194C, le secret commercial ayant jusqu'à présent protégé l'identité d u vendeur — sans doute u n proche de Jeanne. Mais les suites de la mort de Sedov n'avaient pas fini de susciter des tempêtes dans le verre d’eau des querelles entre « trotskystes » français. Il n e s'agissait plus désormais de papiers mais d’un enfant, le jeune Vsiévolod Platonovitch Volkov, dit Siéva, petit-fils de Trotsky, dont o n se souvient que sa mère Zinaïda l’avait amené d'URSS à Prinkipo puis qu'il l'avait rejointe à Berlinjuste avant son suicide. Son oncle Liova 239

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

l'avait recueilli et Jeanne, arguant d'un amour maternel — que l'enfant, toujours laissé seul le soir, n'avait guère éprouvé — , prétendait maintenant le garder et refusait de l'envoyer a u Mexique auprès d u grand-père qui le réclamait bien légitimement et dont elle dissimulait les lettres à l'enfant. Trotsky refusa de le lui donner, comme elle le réclamait brutalement, « tout de suite et pour toujours ». Le conflit s'envenime puisque Jeanne, sous prétexte de « garder » l'enfant, v a le placer sous la fausse identité de Stève Martin, dans une pension religieuse à Guebwiller o ù elle n e lui rend pas visite et o ù ses petits camarades le persécutent e n l e traitant d e « Boche ».

Gérard Rosenthal finit par retrouver s a trace et Marguerite Rosmer v a le chercher par u n rude temps d'hiver et le ramène à Paris.

Jeanne alerte alors la grande presse — e n l’occurrence le grand reporter Alexis Danan — toujours avide de salir Trotsky à qui elle assure que Trotsky a fait enlever son « petit-fils naturel » et qu’il v a le faire mourir dans son bunker de Coyoacân. Elle v a m ê m e e n justice arguant que Trotsky n'avait épousé légalement n i la grande-mère de Siéva n i la mère de Liova, et que Zinaïda n'avait pas été mariée avec Platon Volkov, père de Siéva. Finalement Trotsky parvient, malgré une compréhensible répugnance, à faire la preuve des filiations contestées. Jeanne est déboutée et l'enfant, accompagné par les fidèles Rosmer, atteint le Mexique, o ù il sera blessé e n m a i 1940 a u cours de l'attaque contre la maison et l a personne de Trotsky d'un commando armé dirigé par le peintre mexicain

David Alfaro Siqueiros, connu pour son fanatisme stalinien. Dans ce conflit, le POI avait soutenu Trotsky et le PCI les Molinier et Jeanne.

240

Vers l a mort

Avec l'arrivée de Siéva a u Mexique o ù les Rosmer l’ont conduit, il n'y a désormais plus d’enjeu dans la méchante guérilla menée a u n o m de « la camarade Jeanne ». D'ailleurs, le monde entrera bientôt dans la guerre mondiale, la vraie.

Les gens de la IVE Internationale s'y sont préparés. Les trotskystes russes doivent e n principe gagner les Etats-Unis, et ils vont y arriver, tant bien que mal. Ils n e savent pas que le gros des agents d u GPU, ceux e n tout cas qu'ils connaissent, doivent également démé-

nager. Lola, qui s'est remariée avec le menchevik David Iou. Dallin, arrive à New York, dans les premières, rejoint l'équipe d u Biulleten, qui survit quelque temps autour de Sara Weber, une ancienne secrétaire de Trotsky. Mais la publication disparaît rapidement. Il faudrait u n Liova pour u n pareil projet. E t il n’y e n a plus.

Les agents d u GPU traversent aussi l'Atlantique et arrivent a u début de la guerre. Deux d’entre eux nous sont familiers. Le D r Robert Soblen, psychanaliste, est l’ancien Roman Well, et Jack Soble, son frère, l’ancien Sénine.

Puis Zborowski arrive. O n n’a pas oublié Etienne. Les autorités américaines sont soupçonneuses. Lola e t

son mari vont lui trouver des cautions, de bons citoyens fortunés qui se portent garants pour lui sans le connaître. Il a bien de la chance car, a u m ê m e moment, des milliers de réfugiés communistes o u simplement de gauche, qui sont loin d’avoir ses états de service auprès de Staline, se voient impitoyablement refouler. Lui, m u n i d’un visa e n règle, peut librement circuler à partir d u 3 0 décembre 1941.

Mais c’est ainsi. Liova n’est plus qu'un souvenir vague, sauf pour Natalia, Hélène, Jeanne, bien sûr. Chez les trotskystes, c’est u n acte de foi d'affirmer qu’il a été assassiné par le GPU, mais il y a de moins e n moins de trotskystes, surtout de ceux qui l'étaient e n 1938. D e braves gens se moquent d'eux de bonne foi, 241

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

sans méchanceté. D'autres les prennent pour des obsédés. D e toute façon, la question est réglée sur le plan judiciaire. Sur le plan politique, o n peut penser qu’elle glisse dans l'oubli. E t pourtant elle v a être réouverte. Trotsky avait raison : « Les criminels seront découverts, Monsieur le

Juge.

»

Qui l'eût cru, de ceux qui adorent si fort le fait accompli et n e célèbrent que les vainqueurs ?

242

CHAPITRE 1 0

L A LONGUE MARCHE VERS L A VÉRITÉ

Bien entendu, c'est la découverte que Zborowski était u n agent d u NKVD infiltré qui a posé une question et suggéré que le mystère pouvait bien être éclairci u n jour. Des hommes, e n tout cas, s'y sont attachés. L'ouverture des archives russes, l'accès de certains privilégiés à celles d u K G B ont fait le reste et donné raison à Trotsky. Liova a bel et bien été assassiné par le NKVD, ex-GPU, cette machine impitoyable dont Zborowski fut pendant tout le temps qu'il passa près de lui u n rouage infernal.

O n comprend bien que, dans le mouvement trotskyste, Zborowski n’était pas sorti intact de l'affaire de la mort de Liova, malgré les ingénieuses positions qu'il avait prises a u cours des quelques jours décisifs. D a n s

u n e note rédigée sur le coup, Jeanne affirme sa confiance totale e n Lola et parle des réserves qu'elle a 243

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline depuis toujours à s o n égard à lui — mais n'est-ce p a s

elle qui l’a présenté à Liova ? Naville, pour sa part, continue à le soupçonner et à mettre e n garde contre lui. Boris Nicolaievsky, désormais, le tient à l'écart et le suspecte fortement. L a vie dans le groupe russe est infernale : trois personnes sont soupçonnées, et s'ac-

cusent les unes les autres, Lola elle-même, Zborowski e t Victor Serge qui n’est p a s d u groupe mais a commis

quelques maladresses et indiscrétions a u moment de l'affaire Reiss. Rien de sérieux n'est pourtant entrepris pour surveiller vraiment Zborowski comme u n homme qu'on suspecte d'être u n agent d u NKVD. Lui, e n tout cas, s'inquiète fort et demande à ses supérieurs de Moscou de n e rien faire qui puisse gêner Lola dont son maintien au

«

travail russe

»

car s a présence et l a confiance

qu’elle lui fait constituent sa meilleure protection. Ainsi s'explique q u e Lola ait gardé j u s q u ' a u b o u t u n passeport soviétique dont l a possession l a rendait

suspecte aux yeux de certains : pas agent elle-même mais utile à l'agent !

U n épisode n’est pas encore éclairci à ce sujet. À la fin de 1938, une lettre anonyme envoyée par l'assassin de Nin, Alexandre Orlov — qui a fait défection dans l'intervalle —, met Trotsky e n garde contre u n agent — ce n e peut être que lui — avec une description précise et e n citant son faux prénom de Mark. Trotsky adresse alors à ses camarades français, par l'intermédiaire de l'Américain James P. Cannon, une lettre qui préconise u n e enquête sérieuse e t discrète : « Il est absolument nécessaire d’établir la filature d’une manière discrète et efficace. Il me semble qu'ilfaut mettre dans l'affaire Nicolaievsky. Il faut créer une commission d e trois : Rosmer, Gé-

rard et Nicolaievsky, en y associant pour la filature deux o u troisjeunes, individuellement, sous u n secret absolu. Si l'information se vérifie, ilfaut

s'assurer la possibilité de le dénoncer à la police française comme voleur des archives dans des 244

Une longue marche vers la vérité

conditions telles qu’il n e puisse pas s'évader (...). Accusez immédiatement réception. » ! Cette lettre a été retrouvée des années plus tard dans les archives a u local des trotskystes américains. Peut-on penser qu’elle a été interceptée et dissimulée u n temps par la secrétaire de Cannon, Sylvia Franklin, agent d u NKVD elle aussi ? Peut-on imaginer que Cannon ait bien répercuté ses informations sur Paris mais qu’elles n e sont p a s parvenues à leur destina-

taire ? E n tout cas, soupçonné, puis dénoncé, Zborowski n e sera pas surveillé. Sans réponse n i des Français n i de Cannon, Trotsky v a penser que c'était une provocation montée contre u n de ses rares collaborateurs russes et passe à l’ordre d u jour. Il n’y attache finalement pas plus d'importance qu'à une autre lettre anonyme dans laquelle Lola est accusée de chercher à l'empoisonner a u cours de son séjour a u Mexique, chez lui.

E n réalité, Zborowski a continué

Lo

à

exercer des

responsabilités importantes. D a n s u n premier temps,

il a été chargé de protéger Krivitsky, lequel n e parvenait pas alors — et pour cause — à semer ses anges gardiens d u NKVD. Principal rédacteur et chargé de l'édition d u Biulleten Oppositsii, il est devenu le responsable d u « groupe russe » d e Paris et à c e titre représente la « section russe » a u x instances internationales

de la IVe. Il participe e n 1938 a u congrès de fondation de l a Internationale. Mais là, l'acharnement de Naville

[Ve

p o u r qu'on le tienne à l'écart aboutit à c e qu'il n e soit prévenu qu’au dernier moment e t conduit à Périgny,

o ù se tient le congrès, sans avoir s u auparavant o ù il se tenait. Il accède cependant a u secrétariat interna-

tional a u titre de la « section russe » . Il échange une trentaine de lettres avec Trotsky dans cette période. Il

1. AHLH, Trotsky : lettre d u 1 “ janvier 1939.

245

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

s'efforce de brouiller définitivement Trotsky et Sneevliet qui le soupçonne et a dit de lui : «

Ce sale petit Polak est u n agent stalinien ! #

Pour réaliser sa besogne de diversion et de division, il insiste sur les responsabilités de Sneevliet dans la tenue de Ludwigà l'écart de Liova, souligne sa duplicité dans les changements incessants de date et de lieu d u rendez-vous prévu. I l raconte aussi que Sneevliet a mis e n circulation des bruits imputant à « Gil » (Sedov) la responsabilité finale d u meurtre de Ludwig : résultat imparable. Trotsky stigmatise l'attentat à l'honneur de son fils assassiné — attentat commis par Sneevliet ! L a correspondance de Lola avec Trotsky permet de se rendre compte d u j e u qu'Etienne (Zborowski) jouait a u sein d u « groupe russe » et e n particulier des soupçons qu'il lançait a u sujet d'éventuelles liaisons entre le G P U et celui qu’on appelait alors « Literator », c’est

dire Victor Serge. Mais Zborowski menait aussi le m ê m e j e u avec l'Internationale, écrivant par exemple à

Trotsky e n m a i 1939 : « Pour les Français, c’est comme s i nous n’existions pas. »

Il quitta Paris a u moment de l'exode e n 1940, pour Vic-en-Bigorre, le midi de la France, perdant apparemment tout contact avec les trotskystes et aussi le NKVD. Il réussit à gagner les Etats-Unis et nous avons v u que Lola et son nouveau mari, David Dallin, lui e n facilitèrent l'entrée e n décembre 1941. Il assure que le NKVD le « retrouva » à Seagate. O n peut douter légitimement qu'ils s e soient jamais perdus. S o n transfert a u x Etats-Unis avait été prévu.

Pendant plusieurs années, il travaille a u sein d u groupe trotskyste français de New York o ù van Heije-

2 . Cité par Lola Dallin dans son entrevue avec moi. 3. AHLH, Zborowski : lettre à Trotsky, 1 mai 1939.

246

Une longue marche vers la vérité

noort l’a retrouvé sans plaisir et sans haine. Puis o n le change d'orientation et de milieu. Sur instructions d u NKVD, toujours avec l'aide de ses amis, il réussit à travailler auprès d u fameux Kravtchenko — il a « choisi la liberté » e n mars 1944 — qui échappa de justesse à une tentative d'enlèvement o u d’assassinat le lendemain d u jour o ù il le rencontra pour la première fois : les dirigeants d u Kremlin redoutaient ses révélations. I l faut reconnaître à Zborowski a u moins l’art de se placer. David Dallin écrit à son sujet : « Chaque agent d e la police secrète soviétique a son affectation spécifique, e n fonction d e s a personnalité. L e mince binoclard a u parler doux Mark Zborowski n’est n i u n voleur ni u n tueur : il

n e sait m ê m e p a s tirer a u revolver o u forcer u n e

serrure. Mais il est u n maître dans l’art de s’infiltrer, rapportant d e l'intérieur les secrets des groupes politiques anti-soviétiques (...). NI n e vole pas, il dit o ù les documents peuvent être volés ; il n e tue pas mais donne les coordonnées d e ceux qui ont été condamnés. »*

À la fin de la guerre, les trotskystes l'ont perdu de vue, mais il est toujours e n contact avec les Dallin. Il

travaille avec succès dans le domaine de l'anthropologie e t commence à penser à u n e carrière d e chercheur :

ses travaux sont estimés des spécialistes. I l assure qu’il n'avait pas rompu avec le NKVD mais s'en croyait oublié. À u n e réception chez s a protectrice, Margaret

Mead, il proteste contre les rumeurs qui commencent à circuler sur lui et clame son innocence totale.

4. David Dallin, « Mark Zborowski, Soviet Agent » , The New Leader, 19 mars 1956. 247

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

E t puis, e n 1955, c'est pour lui l a catastrophe. Le vieux menchevik Rafaïl Abramovitch décide de rendre visite à Alexandre Orlov (Feldbine) pour obtenir si possible quelques renseignements sur l e sort d e s o n

fils Marc Rein enlevé à Barcelone e n 1937 et probablement assassiné. Les deux hommes parlent, surtout Orlov. Quand il mentionne puis décrit l'homme « planté » auprès de Sedov et nommé Mark, le vieux menche-

vik bondit : il connaît l'existence de cet homme-là. Il se trouve aux Etats-Unis. C'est Zborowski, l'ami des Dallin. Abramovitch organise une rencontre d'Orlov avec les Dallin, pour qu'il les convainque de qui est Zborowski. Chacun se méfie de l'autre. Lola a le sentiment qu'’Orlov craint d’être empoisonné. Lola n’est pas prête à le croire et soudain, u n e anecdote dont l e Russe se

souvient : il l'a apprise par les rapports de Zborowski à Moscou, Liova fondant e n larmes dans l a rue e n apprenant l'exécution des seize. C'était vrai, Lola l e

savait. Elle est désormais convaincue. Les Dallin, avec u n temps d'hésitation, avertirent le FBI, puis Elsa Bernaut Poretski, la veuve de Ludwig, qui n e les crut pas. Elsa, interrogée p a r l e F B I s u r

Zborowski, prévint ce dernier. I] demanda une entrevue à Lola : elle eut lieu le 3 octobre 1955, chez les Dallin, avec Zborowski, Lola et Elsa. C’est David J . Dallin qui a pris le procès-verbal publié dans les Cahiers Léon Trotsky n° 13 par Michel Lequenne, qui le tenait de Lola, dans le cours d’un article intitulé « Les Demi-Aveux de Zborowski » . Il résumait e n ces termes l'intention d e Zborowski e n venant à cette réunion : « L e but d e s a visite était d e témoigner que, jusqu’à la fin d e 1936, il avait été u n trotskyste convaincu et qu’il avait travaillé e n qualité d'agent

de la NKVD parmi les trotskystes avec la volonté d'aider à démasquer les trotskystes comme des contre-révolutionnaires, des comploteurs, des agents des nazis qui se fücaient pour but le ren-

versement d u pouvoir soviétique. Ce n’est qu'après avoir examiné e n détail avec Sedov les ma248

Une longue marche vers la vérité

tériaux d u premier procès d e Moscou qu'il était arrivé à la conclusion que les accusations lancées à Moscou étaient mensongères et qu’il avait modifié son opinion, tant sur les trotskustes que sur les staliniens. Il avait toutefois continué à travailler pour le NKVD dans la mesure o ù il avait peur d e rompre avec eux. Mais, selon ce qu’il affirmait, depuis cette époque, il s’était efforcé d e cacher a u NKVD une partie d e celles dont ils disposaient, les donnant avec retard pour n e pas gêner les

intéressés etc. »° Puis il fait u n récit de sa vie qui variera peu désormais dans les interrogatoires d u FBI o u aux sénateurs. Ce qui est intéressant e n revanche, ce sont les réponses qu'il fait quand o n lui demande le rôle qu'il a j o u é dans telle o u telle affaire o ù l’on a v u o u deviné la m a i n d e l a NKVD. S u r l e séjour d e Sedov à Antibes, o ù

le NKVD a installé Steiner dans sa pension, il n e dit rien, mais il est clair que l'information n e pouvait venir que de lui. Sur le guet-apens tendu à Mulhouse il a assuré qu'on se proposait de les « kidnapper » tous les deux e n vue d’un procès à Moscou o ù il aurait servi de « témoin » . Il assure qu’il a empêché le voyage de Sedov e n lui cachant la lettre de Suisse : Sedov n’est plus là pour le contredire. D e plus, c'était pour lui une protection car il commençait à comprendre le sort réservé

aux « agents » qui témoignaient dans les procès. I l affirme n’avoir donné aucune information sur Ludwig (Reiss) qui ait p u aider le NKVD dans sa traque. Pourtant, dans s a correspondance conservée à Hoover,

Lola, sous le n o m de Paulsen, explique à Trotsky que c’est Zborowski qui a remplacé Sedov, malade, pour négocier le rendez-vous qu'il avait pris avec Sneevliet. E t le GPU a envoyé ses tueurs aux deux endroits o ù il savait q u e Ludwig pouvait être.

5. Reproduit par Michel Lequenne, « Les Demi-aveux de Zborowski », C L T 13, mars 1983.

249

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Il dit « n e plus se souvenir » s’il a informé le NKVD d u départ d’Erwin Wolf pour l'Espagne, ce qui est vraiment très peu vraisemblable. Il assure que toute

l'affaire d u meurtre de Klement s’est déroulée en-dehors de lui. Quant à l a présence de Liova à la clinique Mirabeau, dont il essaie d’abord de faire croire qu'il l’ignorait, alors que nous avons sa déposition de 1938 qui dit le contraire, il affirme n e l'avoir signalée qu'après la mort de Liova, puis assure qu'il « n e se souvient pas » . Il reconnaît avoir informé sur les déplacements de Krivitsky et nie tout rôle dans les développements qui ont abouti à l'exécution e n URSS de Walter Held, de sa femme et de son petit enfant.

D e façon générale, o n comprend, étant donné le nombre des crimes de sang commis après 1936, qu'il se présente comme u n ami des trotskystes qui « sabotait » les directives d u NKVD. Mais il invoque des défaillances de mémoire invraisemblables. Il raconte aussi des épisodes inconnus : o n lui aurait proposé a u printemps 1 9 3 7 d'envoyer s a femme accoucher à Mos-

cou. O n lui aurait aussi demandé peu après d'emmener « le fiston » dans u n restaurant à la campagne, et de le saoûler afin qu’on puisse le kidnapper. Il dit avoir menti pour expliquer qu'il n'avait pas p u entraîner Liova à la campagne.

Il semble qu’il était beaucoup plus bavard après être passé entre les mains d u FBI qui n e s’intéressait que

peu d'ailleurs aux aflaires « trotskystes ». David J. Dallin raconte qu’il fut confronté par le FBI avec les frères Sobolevicius, les anciens Roman Well, devenu le D r Robert Soblen, et Adolf Senin devenu Jack Soble — sans rapports avec Martin Sobell comme l'ont écrit divers auteurs — , arrêtés e n 1957 dans l'affaire d’un important réseau d'espionnage dont ils étaient les 250

Une longue marche vers la vérité

pièces maîtresses. Il affirma n e pas connaître Soblen, mais fut démasqué, ce qui lui valut l'accusation de « parjure ». Il fut, selon Dallin, accablé par Soble qui multiplia les détails sur son activité et il finit par devenir très coopératif. Devant la commission sénatoriale, il est accablé par le témoignage d'Orlov, ex-haut fonctionnaire d u NKVD, exécuteur et bourreau de Nin, qui dit avoir appris son existence et son rôle à Moscou. Il admet les fautes qu’il pense « vénielles » comme l'information s u r l e s archives e n expliquant que c’étaient là des concessions qu'il devait faire pour garder la confiance de ses chefs, mais il répète qu'il ignorait qu'on allait les voler et qu’il protesta parce que cela lui faisait courir des risques, puisqu'il était l’une des quatre personnes informées. Il avoue avoir informé le NKVD de la clinique o ù était Sedov mais n e plus se rappeler s'il avait appelé l’ambulance. Interrogé sur la mort de Sedov, il dit : «

Il y avait la supposition qu’il y avait des

circonstances mystérieuses, mais, autant que j e

sache, selon l’autopsie, il est mort d epéritonite. » $ Devant des sénateurs ignorants des questions traitées et peu sûrs d'eux-mêmes, il confond, apparemment délibérément, les voyages de Reims et de Mulhouse — le premier étant u n jalon sur la route qui menait Ludwig à son assassinat e n Suisse — , mais assure n'avoir rien s u des déplacements de Ludwig. Il explique a u x sénateurs qu'au début il s'est dérobé

mais qu’ensuite il a

«

collaboré à fond avec le FBI ».

Finalement jugé pour parjure, condamné à cinq ans de prison, Zborowski fut l’objet d'une campagne de défense des libéraux, animés par l’anthropologue Margaret Mead qui s'efforça de le présenter comme une innocente vitime de la chasse aux sorcières. Mais

6 . Hearing , 4 , p . 9 2 .

251

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

l'important était acquis. L'on avait une piste qui étayait l'hypothèse, depuis longtemps abandonnée de tous, sauf des fidèles de Trotsky, de l'assassinat de Liova par la NKVD. Mais n i les trotskystes américains, n i Jean van Heijenoort, n e purent, e n cette période de « chasse aux sorcières » , obtenir que Zborowski soit soumis à des interrogatoires sérieux par des gens compétents sur son activité a u sein « des trotskystes » : pour les enquêteurs américains d u FBI, c'était là péché véniel. Elsa Poretski parle d u tribunal qui le jugea : « Son procès n'apporta pas grande lumière sur ses activités. L e juge avait décidé d'écarter tout

c e qui n e s e rapportait p a s directement à l'accusation d efaux témoignage e t repoussa toutes les

tentatives des témoins, dont John (Jean) van Heijenoort, l’ancien secrétaire d e Trotsky, pourposer des questions sur ses activités politiques. Pendant les interruptions d e séances, d e nombreux ethnologues camarades d e combat d’Etienne (Zborowski) venaient tapageusement démontrer leur amitié à celui qu’ils considéraient manifestement comme la victime d’unprocès politique. Après leprocès, u n éminent ethnologue américain m e dit : — Nous nous refusons à voir organiser des

sacrifices humains dans ce pays. » ”

Après la découverte que Zborowski était u n agent de Staline, Gérard Rosenthal, dans Avocat d e Trotsky,

faisait le point de la question : « L a version généralement admise veut que le fils d e Léon Trotsky ait succombé dans une clini-

q u e parisienne dans d e s circonstances q u i demeurent éminemment suspectes. Cette version

abandonne a u doute une part excessive.

7. Elisabeth K. Poretski, Les Nôtres, p . 292. 252

Une longue marche vers la vérité

Il est certain que lefils d e Trotsky, tout comme Léon Trotsky, était poursuivi et dénoncé par la haine implacable d e Staline et d e son appareil. Il est certain, comme l a mort d e Léon Trotsky le

prouve, que cette persécution comportait l a poursuite d e leur destruction physique. IL est certain que les machinations ourdies dans ce but étaient patientes, nombreuses, constantes et plus articulées que les pièces d e toute horlogerie. IL est certain que Sedou se trouvait depuis plus d e deux ans a u centre d'une toile tissée autour d e lui par les tueurs d u GPU et qu’au moins une tentative d’assassinat précise et concrète avait été perpétrée contre lui IL est certain que le confident et garde d u corps d e Léon Sedou a, pour le moins, informé le GPU d e s a maladie et d e son transfert

dans une cliniqueprivée, dont la surveillance était banale, sinon déficiente. Il est certain que le GPU s ' y est intéressé. Il est certain que le milieu hospitalier couvert par l'émigration russe offrait u n terrain d'élection aux entreprises d u GPU. IL est certain que l’évolution d e la maladie, loin d’être normale, a présenté des anomalies qui ont provoqué la perplexité des médecins. Dans ces conditions, dont personne n’a connu o u réalisé la réunion, il apparaît objectivement et raisonnablement qu’il existe des charges suffi santes pour l'accusation d’assassinat. E t il y a le reste. L a découverte tardive d u rôle

remplipar Etienne (Zborowski) valide entièrement

l'affirmation de Trotsky sur la certitude d’autres machinations encore demeurées dans l'ombre. »8

Il ajoutait à ce « point » le témoignage de deux agents. Jack Soble (Sobolevicius qui avait été aussi Sénine) affirma a u procès de Zborowski que l’assassinat de Sedov avait bel et bien été perpétré. Mercader, l'assassin de Trotsky, dont l'identité réelle n'avait pas

8 . Gérard Rosenthal, op.cit., pp. 271-272.

253

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

encore été découverte, affirma a u juge d'instruction que le GPU avait tué Sedov. Là

*

#

Depuis, l'enquête semblait a u point mort. Pour u n numéro spécial des Cahiers Léon Trotsky que j e préparais sur Liova, deux médecins dont la sympathie pour Liova e t s o n père n e pouvait être mise e n doute,

Jean-Michel Krivine et Marcel-Francis Kahn, m e proposèrent pourtant u n article intitulé « L a Mort de Léon Sedov » pour lequel ils étudièrent avec leur optique d e

médecins le dossier de Harvard dont j e leur avais confié copie. Leur conclusion m e surprit énormément. Appuyés sur les progrès de l a médecine et les vieilles rumeurs d u milieu médical, les d e u x médecins concluaient que Léon Sedov était mort d u « syndrome péritonéal d u cinquième jour » et que sa crise d'agitation était « caractéristique d'un état de suppuration

péritonéale »°. Convaincus que Liova a été m a l soigné pour l'époq u e , d u fait d e l'insuffisance d e l a réanimation e t d u

caractère

«

tardif et incomplet

»

de la deuxième inter-

vention, les auteurs concluaient à la mort naturelle

entre les mains d’un chirurgien, le D r Thalheimer, qui n'était pas la hauteur de s a réputation dans le « monde » et

q u e ses pairs avaient surnommé« l’ouvre-

bière » . Conscients de la présence d u GPU autour d u mourant, nos auteurs concluaient que la nature et le chirurgien avaient dispensé d'agir les tueurs aux aguets.

Sollicité par les deux auteurs, Gérard Rosenthal publia u n e « mise a u point » laconique dans le même numéro :

9. Jean-Michel Krivine & Marcel-Francis Kahn, « L a Mort de Léon Sedov », C L T 1 3 , mars 1983.

254

Une longue marche vers la vérité « 1. L a thèse d e la péritonite d u 5 ° jour est proposée quarante-cinq ans après les faits, per-

sonne n e l'avait encoreformulée.

2. Cette éventualité est très rare. 3. Il est très difficile d e discuter d e symptômes cliniques quarante-cinq ans plus tard, sans voir

le cadavre. 4. D'autres faits existent qui sont des charges très graves :

— Sedouv avait été condamné à mort deuxfois par

Staline. — Sedov a été filé implacablement pendant plusieurs années. — L a clinique était restée entre les mains d’exilés

russes dont le milieu est infesté par le GPU. — Il s’est avéré que Zborowski a tenufidèlement a u courant le GPU d e la présence d e Sedov dans

la clinique. — Les assassinats d e Reiss et d e Trotsky ont montré q u e les machinations d u GPU s o n t complexes, raffinées, et peuvent s’étendre sur plusieurs années. — Plus que la démonstration scientifique, obligatoirement hasardeuse, d e Krivine et Kahn, des

éclaircissements doivent être apportés par laproduction quarante-cinq ans après, des rapports remis à ses chefs (y compris Staline) par ZborowSki » Trois ans plus tard, j e rencontrai à San Francisco u n journaliste américain. Il m e dit avoir e u u n contact avec l a CIA. L'un d e ses agents, M . R., lui avait expliqué q u e , très hostile a u F B I q u i avait saboté des enquêtes

comme celle sur Zborowski, il était prêt à m e donner — e n tant qu’historien — des informations sur la mort de Sedov, dont l'essentiel était qu’il avait été empoisonn é par une orange remise par u n agent d u NKVD. M . R.

1 0 . Ibidem.

255

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

souhaitait m e rencontrer, comme spécialiste de Trotsky, à Washington dans u n congrès scientifique, et m e donner documents et détails. Il m'a bel et bien rencontré. Avec deux collègues, il s’est installé à m a table à la cafétéria, mais il n'a pas été question de documents n i de détails nouveaux. Ces messieurs devaient avoir changé d'avis car ils étaient plutôt intéressés, m e semble-t-il, par des questions plus actuelles. L'orange de Sedov servait sans doute seulement d’appât. J e pense qu’ils ont été aussi déçus q u e m o i par notre entretien.

E t puis il y a e u la perestroika et la glasnost. L'ouverture des archives. Celles qui contiennent les secrets d u NKVD et d u Service Action, les rapports de Zborowski, le rapport final e n particulier qui a annoncé à Staline le succès de l'opération, « la mort d u fiston » sont dans celles d u KGB. Aujourd'hui, o n peut avec de l'argent accéder aux archives d u KGB. Mais cet argent correspond à des moyens d’État, pas à ceux d'un seul, voire de plusieurs, historiens. L'Espagne et la Catalogne ont payé pour les rapports d'Orlov sur l'assassinat d'Andreu Nin. Quel gouvernement paierait pour Liova ? Il fallait attendre. C'est cette année qu'a paru la biographie de Trotsky d u général Dmitri Volkogonov, proche conseiller d u Président Eltsine. Il a accès aux archives d u K G B et a p u notamment dépouiller systématiquement le dossier de Zborowski. Il donne de ses rapports de longues citations, malheureusement e n général n o n datées. Nous y avons trouvé de nombreuses et précieuses indications concernant les informations données par Zborowski à Moscou sur l’activité de Sedov et de Trotsky. Mais le général ménage ses effets. Bien qu’il ait étudié les rapports terminaux e t connaisse d e toute

évidence toute l'affaire, il n e les mentionne n i n e les cite dans ses dernières lignes sur Sedov. Il se contente d'assurer qu’il a la conviction que Sedov a été tué par les services soviétiques e t qu’il n e pense p a s q u e

Zborowski ait pris part à l'assassinat. 256

Une longue marche vers la vérité

Cette remarque vaut aveu et reconnaissance d u crime. Le général a bien évidemment l u les rapports et n e veut pas les déflorer — pour une infinité de raisons q u e nous pouvons imaginer mais p a s encore connaî-

tre —, d'où cette façon très particulière de confirmer l'hypothèse d u crime. E t il est bien entendu — tous les partisans de la thèse d u crime d u NKVD e n étaient déjà convaincus — que Zborowski n'y a pas mis personnellement les mains. Sa présence a u sommet de la IVe Internationale était trop utile pour que ses patrons lui fassent prendre de tels risques. O n n e pouvait se priver de recourir éventuellement à lui pour pénétrer dans la maison de Trotsky à Coyoacân. Il resta, pour l'assassinat de Sedov, dans le rôle de rabatteur et informateur qu'il avait e u pour les archives et probablement pour Reiss, et qu’il aurait e u si le piège d e Mulhouse et les autres avaient fonctionné. E n est-il moralement moins

criminel ? L a question se pose, aujourd'hui que l’on publie de lui u n ouvrage que des gens honorables et compétents estiment être de qualité. J e n’ai rien contre la publication de livres même écrits par u n homme comme Zborowski. Mais j e trouve inacceptable qu'un éditeur, e n 1992, ose le présenter sur la jaquette comme l'innocente victime de la chasse aux sorcières et d u « maccarthysme » , alors qu'il fut u n des plus malfaisants et des plus efficaces chasseurs de ces « sorcières » qu’étaient les « trotskystes » pour Staline et ses hommes de main. Monsieur le directeur des éditions Plon, à qui j'ai fort poliment écrit pour lui faire part de m a surprise n’a pas daigné m e répondre. J e n e vois pas d'explication à cette opération de blanchiment d’un maître fourbe, et a u silence qui a suivi m e s remarques. À ceux qui célèbrent les mérites scientifiques d’un Zborowski — dont, j e le répète, j e n e souhaite p a s q u e

les travaux soient soumis à une quelconque censure — , il faut répondre comme l’a fait excellemment Philippe Videlier dans u n récent article : 257

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline « Les cultures, disait Margaret Mead [dans la préface d u dernier livre de Zborowski-PB] sont les créations les plus remarquables d e l'être humain (...). œuvres maîtresses d e l'humain, elles sont également s a marque la plus fragie ». I importe donc d e savoir qu'avant d e travailler à la reconstitution idéale d e la culture shtetl, Mark Zborowski avait travaillé e n policier à la destruction matérielle d’une autre culture : la culture socialiste, marxiste et universaliste, dont Staline fut le fossoyeur. » ! 1

Les circonstances qui ont permis les révélations de Volkogonov nous ont valu très récemment une nouvelle confirmation d u crime de Staline contre la vie de Liova. Les anciens hauts fonctionnaires d u K G B Igor Préline et Evgenii Soloviev travaillent à u n film sur l'histoire de leur institution. Ils connaissent, eux qui ont été de « l a maison » , n o n seulement les documents, mais les hommes, qu'ils ont interviewés et filmés.

Interrogés par u n hebdomadaire français, ils ont répondu sans détours. Oui, Sedov a été assassiné p a r

les gens d u Service Action. Le général Pavel Anatoliévitch Soudoplatov, l'homme qui organisa l'assassinat de Trotsky, le leur a confirmé devant la caméra. L e « Vieux » autant que le « Fiston » étaient dans sa ligne de mire, et leur assassinat a u cœur de sa mission!2. A u moment o ù o n leur a posé la question, les deux kagébistes interviewés n'avaient pas de souvenir précis de la façon dont les tueurs avaient opéré, et l’un d'eux suggère quelque chose comme l’arrachage de tuyaux e n réanimation. N o u s savons que, s u r c e point, bien

des techniques étaient utilisables, depuis la simple boisson jusqu'à l'orange dont o n m'a dit que la CIA

11. Philippe Videlier, « L'Etrange Cas d u D r Zborowski et de M . Etienne », Le Monde diplomatique, décembre 1992. 12. « D'Anciens Cadres d u KGB révèlent », L'Evènement d u Jeudi, 4 2 1 , 2 6 novembre 1992.

258

Une longue marche vers la vérité

pensait qu'elle avait été l'instrument d u crime. L a question est e n définitive secondaire. E n tout cas, elle sera bientôt réglée.

Il reste que Trotsky avait raison contre les experts, les magistrats et tous les commentateurs raisonnables d u monde, et que Gérard Rosenthal avait raison contre Jean-Michel Krivine et Marcel-Francis Kahn. Ces derniers écrivaient e n conclusion de leur enquête : « Sedou et Trotsky nous sont très chers mais la vérité nous est encore plus chère. »\3

Il se trouve que la vérité était d u côté de Trotsky et d e Liova, qui, o n s’en souvient, avait proclamé d'avance

qu’en cas de décès subit, l'explication de sa mort se trouverait dans la politique d’assassinats de Staline.

C’est bien ainsi. L a grande et belle figure de Liova, Léon Sedov, fils de Trotsky, le fiston (synok), souffrait de cette fin marquée par la poisse, une péritonite entre les mains d’un mauvais chirurgien, qui faisait pour toujours de lui le fils à papa qui n'avait e u de chance n i dans l a vie n i dans l a mort. Nous sommes mainte-

nant certains qu'il mourut, comme son père deux ans plus tard, des mains des tueurs dépêchés par Staline et commandés par le même Soudoplatov qui jouit e n c e moment d e s a retraite à Moscou et mourra sans

doute de vieillesse. Staline a tué le père et le fils et les a réunis à jamais dans la mémoire des hommes. Ce jeune homme mérite une place importante dans l'histoire des communistes qui ont combattu le stalinisme a u prix d e leur vie.

13. J.M. Krivine & M.F. Kahn, loc. cit.

259

Conclusion

I l faut maintenant tenter de répondre aux questions posées et justifier par nos découvertes ce choix d'écrire une biographie de Sedov.

À cet égard, il nous semble que les faits énumérés et analysés a u cours des pages qui précèdent ont donné à Sedov la carrure d u théoricien et de l'analyste politique qui justifierait déjà ce choix. Mais il faut répondre à l’autre question soulevée dans l a présenta-

tion. Pourquoi lui ? Pourquoi pas u n autre des enfants de Trotsky, dont le sort fut tragique, qui suivirent tous e n définitive leur père sur sa route difficile et moururent tous avant lui ?

O n n e peut répondre à cela qu’en termes d'examen d'un « bilan de vie » — une expression à tous égards préférable à « destin » — tant pour Liova que pour les trois autres enfants de Trotsky. Nina est morte tuberculeuse à vingt-six ans ans. Jeune mère d e famille aimante, aimée d’un jeune

compagnon proche de Trotsky, elle s'est éteinte dans la tristesse de la séparation imposée par l'exil, loin d u père et dans des conditions particulièrement douloureuses puisqu'elle mourut le 2 4 juin 1928 et qu'il n e l’apprit que soixante-treize jours plus tard. C’est finalement banal pour une femme de s a génération dans u n peuple épuisé, ravagé par les maladies mortelles des pauvres, dans l'atmosphère délétère de l'arbitraire policier et d u sadisme bureaucratique. L e cas de Zina est plus complexe et se prêterait sans doute à une biographie préparée par une personne 261

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

ayant de solides connaissances médicales et psychologiques. L'aînée s’est lancée dans la vie sur les traces d u père. Elle fut la très jeune rédactrice e n chef d u

journal des JC dans la ville dont il présidait le soviet. Cette trajectoire fut brisée par la maladie contractée a u chevet de sa petite sœur. Elle lui fut interdite après le début de ses troubles mentaux à u n moment o ù Trotsky et son fils aîné étaient engagés dans le travail clandestin a u pays. C’est ainsi qu’est survenue la tragédie de Zina : ses aspirations à l’action et à la lutte collective furent rejetées. L a talentueuse enseignante de l’école d u parti, la brillante propagandiste de l’Opposition de gauche fut exclue de l'action dont elle avait tant rêvé. Repoussée par son père d'abord, puis par son frère qu’elle adorait et jalousait tant, elle e n mourut. Son suicide, le 4 janvier 1933, l'exprima son refus de l'exclusion et de la vie de désespérance solitaire qui aurait été son lot. Sérioja a refusé l'autorité intellectuelle d’un père qu'il admirait, comme si elle était u n joug. Contre la politique, il a choisi la science. C’était sa façon à lui de servir l'humanité. Professeur d'université à 2 9 ans, il

s’est sans doute cru u n instant sur la voie de la réalisation de ses aspirations les plus profondes. Mais, comme Zina, il reçut sur les épaules tout le poids de la répression contre son père et de la terreur réfractée sur la famille. Arrêté, e n camp puis e n prison, de son propre gré, dans l'ambiance terrifiante o ù les hommes vulgaires et même simplement mal armés, devaient aller jusqu’au bout d u reniement, il revint à Trotsky. Pas a u père dont il s’était affranchi, mais à qui il gardait son amour filial, mais a u politique qui inspirait tant de courage à ses compagnons de misère. C’est avec eux, qu’il choisit librement sous le joug d u NKVD, qu’il mourut — avec toute la dignité de ses camarades « trotskystes », ces hommes qui tombaient pour les idées dont il avait reproché à son père de leur sacrifier sa famille. Il fut fusillé le 2 9 octobre 1937. Ses parents s'en doutèrent mais n e le surent jamais. Nous n e le savons nous-mêmes que depuis peu. 262

Conclusion

Liova, lui, n'a jamais atteint d'objectif vraiment personnel, exclusif de l’action collective, bien qu'il s'en soit plusieurs fois cru proche. Il renouvela à plusieurs reprises son choix : se donner tout entier à la cause révolutionnaire, s e sacrifier personnellement e n s e

mettant a u service de l'homme qui l'incarnait déjà quand il avait quinze ans, son père. celui-ci l’a souligné : bien que l'objectif commun, le redressement de la I I Internationale devenu la construction de la IVe, n'ait pas été atteint de leur vie, il n'en a pas dévié. Plus important, l’œuvre de Trotsky le militant, l'historien, l'analyste de l'URSS, l'apôtre de la révolution mondiale n'aurait p u être réalisée sans Liova, sans ce qu’il a fait avec lui et pour lui. O n peut même affirmer sans crainte q u e , sans s o n fils, Trotsky n’aurait p a s été c e

qu’il fut entre 1928 et 1940. C’est pourquoi les deux hommes devaient avoir le même biographe. Trotsky et Sedov, c'est l’un de ces militants à deux têtes tels qu’on e n rencontre dans le mouvement révolutionnaire de ce siècle, homme et femme comme les Rosmer, père et fille comme les anarchistes espagnols Urales et Montseny, frère et sœur comme tant d'autres. A u terme de leur vie, l'un n’est p a s concevable sans l'autre.

J'entends bien l'ironie et les sarcasmes de certains lecteurs de la longue plainte qui monte des lettres de Liova à s a mère Natalia Ivanovna, récriminations d'un

collaborateur épuisé, tarabusté, souvent morigéné, parfois humilié : complainte douloureuse d u fils qui se croit m a l aimé et n e se sent pas reconnu comme camarade à part entière.

Ils ont tort. Nulle œuvre ne peut être réalisée sans sacrifices majeurs. Dans les conditions données, ceux de Liova n e pouvaient être qu’'immenses, et il e n était pleinement conscient. Pour cet homme jeune, la déci263

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

sion de se battre signifiait à elle seule le faim, le froid, la solitude affective. Comment la cause qui les imposait n’aurait-elle pas exigé e n plus le sacrifice total, celui que faisaient tous les jours des milliers de ses camarades ? Liova était convaincu que, dans le moment donné, seul Trotsky pouvait mener à bien la tâche historique de l'humanité. Comment eût-il p u refuser le dévouement absolu exigé par l'ampleur de l'enjeu ? Plus d’une fois dans ses lettres d u fond de son chagrin, Liova a laissé entrevoir la conscience qu'il avait de n'être pas celui qui avait reçu la pire des affectations et combien il sentait sa propre force et sa lucidité à son poste, a u regard d u dénuermnent et certainement d u désespoir des combattants des avantpostes ! D'une lettre à l'autre, d’une interrogation de la mère, d'une algarade d u père, à une révolte d u fils, o n peut suivre leur vie une et indivisible. À chaque étape de leur histoire commune, les deux hommes, que lie u n e admiration aussi profonde qu’orageuse, l a vie,

c'est-à-dire le combat commun, l'a toujours emporté sur les conflits personnels. Pas de Sedov sans Trotsky. Pas n o n plus de Trotsky sans Sedov. Après tout, n e s'appelaient-ils pas tous deux, légalement, d u même nom, qu’ils avaient tous les deux choisi librement, celui de Lev Sedov ? Quel éditeur réalisera la suggestion de Trotsky de signer les livres d'exil de leurs deux noms ? Grenoble, le 8 décembre 1 9 9 2 .

264

ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

Archives : Trotsky Papers, Houghton Library, Harvard — Lettres :

Trotsky à Sedov, 10091 à 10248. Sedov à Trotsky, 4773 à 4952. Sedov à autres, 1 3 1 5 4 à 1 3 3 7 4 (dont O N . I . Sedoca, 1 3 2 3 1 à 13281.

Autres à Sedov, 12592 à 13153. — Notes de L. Sedov, 12592 à 13153. — Minutes d u Secrétariat international 16412 à 16256. — Notes sur la mort de Sedov, par L. Estrine (15549), Jeanne Martin (17015), G. Rosenthal (17145). — Négociation sur les archives, 17013, 17016 à 178018. — Rapports de police sur le vol des archives, D 357. — Rapports divers sur l a mort d e Sedov, 1 7 0 1 5 (J. Mar-

tin), 17045 (Rosenthal), 17090 (police judiciaire), 17388, etc. — Notes des avocats a u juge Pagenel, etc. Trotsky Collection, Institut toire sociale, Amsterdam,

international d’His-

— Lettres

Trotsky à Sedov, 1-382.

Sedov à Trotsky, 192 à 364, 383-588. Sedov à autres, 4 3 1 à 5 8 8 (dont N . I . Sedova, 4 4 0 à 578). 265

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

Autres à Sedov, 3 8 1 à 4 1 6 .

Fonds Nicolaievsky, Hoover Institution,

Stanford.

— Lettres

Trotsky à Sedov, 3 0 6 308 (84 à 98), 309 ( 1 à 115), 3 1 0 ( 1 à 106), 3 1 1 ( 1 à 17). Sedov à Trotsky, 306 (18 à 69). Sedov à autres, 364, ( 1 à 140), 3 6 5 , ( 1 à 118), 306, ( 1 à 1 0 6 ) , 3 0 7 , ( 1 à 1 0 6 ) , 3 0 8 ( 1 à 93).

Autres à Sedov, 3 5 7 (1 à 129), 2 5 8 ( 1 à 133), 359 ( 1 à 1 3 7 ) , 3 6 0 ( 1 à 1 6 0 ) , 3 6 1 ( 1 à 129) — dont, d e N.1. Sedova, ( 2 1 à 1 2 9 ) , 3 6 2 , ( 1 à 1 6 2 d e N . I . Sedova, 6 3 à 121), 3 6 3 ( 1 à 12).

Ouvrages — de Léon Trotsky, M a Vie, 3 vol., 1930. — de Natalia Sedova, extraits de mémoires inédits ci-dessus et dans Victor Serge,Vie et Mort d e Léon

Trotsky, 1952.

Souvenirs d e contemporains Heijenoort, Jean van, D e Prinkipo à Coyoacaän. Sept ans auprès de Trotsky, Paris 1978. Poretski, Elsa, L e s Nôtres. Vie e t Mort d’un agent soviétique, Paris, 1 9 6 9 .

Rosenthal, Gérard, Avocat d e Trotsky, Paris, 1975.

Etudes e t Essais Broué, Pierre, Trotsky, 1988.

Volkogonov, Dmitri, Trotsky, Moscou, 1992, 2 vol. Cahiers Léon Trotsky, n° 13 & 14, mars 1983, « Léon Sedov (1906-1938) ». 266

Orientation bibliographique

Pour les autres ouvrages et notamment les revues, nous nous permettons, pour des raisons de place, de renvoyer aux notes de bas de pages. Entrevues

Merci à tous ceux qui m'ont aidé à rétablir cette vérité ici, et à faire connaître Liova : Jean van Heijenoort et Gérard Rosenthal, bien sûr, mais aussi Elsa Bernaut Porestki, la veuve de Ludwig (Ignace Reiss), Lola Dallin, qui a accepté à 8 2 ans, que j e la soumette à u n véritable interrogatoire, le D r Fanny Trachtenberg, le D r Erwin Ackerknecht (Bauer), Jean Beaussier, Alfonso Leonetti, Jean Rous, tous disparus aujourd'hui, ainsi qu’à Nadejda Joffé, Raymond Molinier, Pierre Naville et Siéva Volkov, qui sont heureusement toujours des nôtres. Merci aussi à tous ceux qui ont contribué aux numéros spéciaux des Cahiers Léon Trotsky sur Sedov e n 1983, Michel Lequenne, MarcelFrancis Kahn, Jean-Michel Krivine. Merci enfin à Claude Pennetier qui a voulu que ce livre sorte maintenant, et a soumis m o n texte à une critique rigoureuse e t positive.

267

INDEX

DES PRINCIPAUX NOMS CITÉS (On a excepté les noms d'auteurs et ceux des signataires français de l'« Appel aux Hommes » de 1936, trop nombreux)

ABBIATE, Roland, dit François

Rossi, (1905-1939), p . 130, 187, 188 ABRAMOVITH, Rafail A . Rein,

dit, (1880-1963), p. 248 ACKERKNECHT, E r w i n , d i t Bauer, Eugène, (19061990), p . 6 1 , 9 1 , 9 5 , 98,

111, 112, 120, 122, 124 ADLER, Alfred (1870-1937), p. 91 ADLER, F r i e d r i c h , ( 1 8 7 9 1960), p. 173

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269

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

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p . 193, 196 DINGELSTEDT, F . N . ,

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270

ELTSINE, B . M . , (1879-1937), p . 34, 4 5 , 4 7 , 74, 1 1 9

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111, 122, 124 FRANKUIN, Sylvia Callen, ép., (1915), p. 245 FREY, Josef, (1882-1954), p . 95, 112 FRôLCH, Paul, (1884-1953),

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p . 222 GINSBERG, Lilia, voir Dallin. GIRMOUNSKY, Boris, ( 1 8 8 3 ) , p . 223, 2 2 6 GOLDENBERG, B o r i s , ( 1 9 0 5 -

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Jean

van,

( 1 9 1 9 - 1 9 8 5 ) , p . 4 4 , 76, 1 1 6 , 1 2 9 , 1 3 6 , 1 3 9 , 141, 170, 171, 190, 213, 233, 246, 252 Herp, Walter, ( 1 9 1 0 - 1 9 4 2 ) , p . 98, 1 0 2 , 1 4 1 , 2 5 0 HELIER, H e r m a n n , ( 1 8 9 1 1933), p. 95 HERRIOT, E d o u a r d , ( 1 8 7 2 1957), p. 175

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von,

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Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline

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LÉNINE,

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KLEMENT, Adolf, dit Rudolf,

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L.S.,

(1849-

1914), p . 13, 14, 9 1 KLIATCHKO, S.L., p. 9 1 KOHN-ABREST, Dr, p . 237 KOoNDRATIEV, V a d i m ,

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Ignace Reiss, d i t , ( 1 8 9 9 -

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KONSTANTINOV,

KORFMAN, Boris, p . 4 9

KORSCH, Karl, (1886-1961), p. 95

Lupwic, Karl, (7? -1942), p . 99, 1 0 2 , 108

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MARAT, J e a n - P a u l , ( 1 7 4 3 -

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272

Walter, dit,

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Index des principaux noms cités MARKINE, N.G., (1893-1918), p . 23-25, 27, 3 3 MARSHAK, Dr, p . 229 MARTIGNAT, Charles, (1900),

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Wilhelm

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(1887-

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George,

(1905-

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273

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline OSSIETSLY, Carl von, (1889-

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(1903-

1991), p . 6 1 , 89, 115, 139, 141, 170-172, 177, 188, 193, 195, 223, 229, 230,

Index des principaux noms cités 232, 234, 236-238, 240, 244, 252 ROSMER, Alfred, (1877-1964), p . 26, 6 1 , 233, 241, 244 ROSsMER, Marguerite, (18791962), p . 2 6 , 1 2 0 , 139, 233, 238, 240, 2 4 1 RossELUu, Carlo, ( 1 8 9 9 1937), p. 1 2 2 Rous, Jean, (1908-1985), p. 228, 234, 238 Roy, M.N., (1887-1954), p. 1 1 9 Rykov, A.l., (1881-1938), p . 163 SAFAROV, G . l . , (1891-1942),

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275

Léon Sedou, fils d e Trotsky, victime d e Staline SMIRNOV, I . N . , (1881-1936),

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(1893-

1964), p . 5 0 TOoRRÈS, Henry, (1891-1966), p . 139 TOUKHATCHEVSKY, M.N., (1893-1937), p. 207, 209 TRACHTENBERG, D r Fania, (1899), p . 2 2 2 , 2 2 8 , 2 3 6 TRANCHENKA, c f . T r a c h t e n -

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p . 187 TroTskY, L.D., (1879-1940), passim. TSVETAEVA, Maria, p . 1 3 0 URBAHNS, H u g o , ( 1 8 9 2 1946), p . 6 6 VAN, cf. Heijenoort, van. VETTER, cf. Kotcherets.

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VoLxov, P.1., (1898-1936), p . 103 Vorxov, V.P., (1926), p . 92, 103, 104, 176, 179, 231, 239-241 VoROCHILOV, K.E.,

(1881-1969), p . 5 9 VorovsKAILA, N . V . ,

(1908-1931), p. 31, 6 5

Index des principaux noms cités Vorovsxy, V.V., ( 1 8 7 1 - 1 9 2 3 ) ,

p. 23 VRATCHEV, I . Ia, (1894), p. 3 9 VYCHINSKkYy,

A.E.,

(1883-

1955), p . 142, 158, 164 WALCHER, J a k o b ,

(1887-

1970), p . 95, 196 WALL, Ich, Dr, p . 228 WEBER, Sara Jacobs, dite,

(1900-1976), p. 2 4 1 WELL, Ruvin Sobolevicius, dit Roman, dit Robert Soblen, (1900-1962), p . 6 2 , 9 4 , 100, 1 0 1 , 1 0 5 , 1 1 2 , 1 1 9 ,

125, 131, 191, 241, 250 Wo.r, Erwin, (1902-1937), p . 132, 141, 184, 1 8 5 WOLLENBERG, Erich, ( 1 8 8 9 1973), p . 108

WRANGEL, P.N., (1878-1928), p . 187 WULLENS, Maurice,

(1894-

1945), p . 1 2 0 YoTouPOULOSs, M i t s o s ,

dit

Witte, (1901-1965), p. 9 1 ZAROUBINA, Elizaveta, dite Liza, dite Ellena, p. 6 7 ZBOROWSKI,

M.G., dit Marc,

dit Étienne, dit Tioulpan, dit Kant, dit Mak, (19081990), p . 1 2 6 - 1 3 2 , 138, 172-174, 181-183, 193, 209, 2 1 0 - 2 2 7 , 2 4 1

ZiNovIEV, G.E., (1883-1936), p . 37, 38, 79, 80, 96, 146, 148, 151, 159, 205, 208, 217

21717

Table d e s matières

Présentation

p. 7

..….….….….….…..…....….…...…...….…....cscccesssecncauce

Chapitre 1 : U n enfant aimé .….….….….….….….…..……..…….…. p . 1 l

Chapitre 2 : Une adolescence a u cœur de l a Révolution

p. 29

..…..…..…...….........ccrcenereerencrcere

Chapitre 3 : Le grand vizir d’Alma-Ata .………. p . 43 Chapitre 4 : Plaque tournante et joaillerie …

p. 57

Chapitre 5 : E n Allemagne, pour l'Internationale

p. 87

..……….….….…......…....….…rcrscercenceure

Chapitre 6 : France, sous le canon des tueurs

p . 115

..….….…..…............…..….…cerererrccnennes

Chapitre 7 : L a plume contre les procès d e MOSCOU

p. 135

...….............sncscccencencrnencencrnencere

Chapitre 8 : Procès de Moscou : la contreENQUÊtE

p. 169

....…................noncccccerrcenccenccrenen00s

Chapitre 9 : Vers l a mort ..…..….….......…....……….…….……. p . 2 1 9

Chapitre 1 0 : L a longue marche vers la vérité nen e e p . 243 ...….............rcrrecrscrerenensre

Conclusion SOUrCES Index

p. 261

...….….….…................…rcrcrrerccncrneneere

:...............nnnnncn

:..............ncsccscconcrrccnsernsonerencenernecn

cena ca

necrnancrennecenecnnence

p. 265 nee p . 2 6 9

Cet ouvrage a été mis en pages par EDI (Études e t Documentation Internationales)

29, rue Descartes — 75005 PARIS — Tél. : (1) 43 29 55 20

Achevé d'imprimer en mai 1993 dans les ateliers de Normandie Roto Impression s.a. 61250 Lonrai N° d’éditeur : 4754 — N° d’imprimeur : 13-1033 Dépôt légal : mai 1993

Si l’assassinat de Léon Trotsky par Mercader en août 1940 est bien connu, on ignore trop souvent que sonfils etprincipal collaborateur, Lev (Léon enfrançais) Sedov, mourut d a n s . des circonstances suspectes à Paris le 1 6février 1938. Seuls les historiens spécialisés débattaient des conditions de son décès : péritonite ou assassinat maquillé. C’est de Moscou que vient la solution au moment où des chercheurs russes ont accès aux archives du K.G.B. et constatent que Sedov a été victime

du «Service action » dirigépar Soudoplatov pour le compte de Staline. Il s’agissait non seulement de toucher Trotsky en éliminant celui que les services appelaient« lefiston»,

mais aussi de se débarrasser de l’organisateur du« travail russe » a u sein d u mouvement trotskyste, i qui avait été a u centre des accusations Moscou et, en Europe, l’avocat plus es condamnés. gthalia Ivanovna Sedova Naître en 1 de

eye

et de Léon Trotsky

fers enprison — n’annonçait

pieux que Pierre Broué, pas une vie paisible. pouvait suivre lafamille célèbre historien de T r la Révolution russe, en exilpuis à Moscoupel pour saisir lapersonnalité B o u n e communiste. de sonpère Sedovpartagea le deuxièm t s’en séparer, qu’il seconda. Même lorsqu’ stafort, à Berlin comme à Paris, le l i parfois tendu, toujours inte ’un desplus grands Il n’étaitpas simple d’être le plus aimés et des révolutionnaires du siècle, s et leplus combattu, plus haïs, u n desplus comb jusqu’à sa mort et celle des. M;

{

Pierre Broué, professeur

est l’auteur de nombi

91

rocès de Moscou(Julliard, 1964), allemande(Minuit, 1971), L'Assassinat

Irotsky(Complexe,1980), Trotsky (Fayard,1968). sen

>

e à l’Université de Grenoble,

rages dont : LaRévolution inuit, 1961), LePartibolchevique

9"782708"230224

Les Editions Ouvrières ISBN : 2-7082-3022-0 SODIS : 9112845