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French Pages 320 [313] Year 2022
L'écriture chinoise
Zhitang YANG-DROCOURT
LÉCRITURE CHINOISE
Zhitang YANG-DROCOURT
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Table des matières
Introduction
9 I SAVOIR
1. Les principes de l’écriture linguistique
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1. L’écriture, un artefact bouleversant 20 — 2. On commença par dessiner le monde et la pensée 21 — 3. Quand la parole devient visible… 24 — 4. Vous avez dit « écriture phonétique » ? 26 — 5. « Les deux voies de la lecture » 28 — 6. Les unes très complexes, d’autres plus simples 29 — 7. Toutes les orthographes sur la même ligne ! 29 — 8. Écrire est une autre paire de manches 31 — 9. Saussure à la rescousse de la spécificité chinoise 32 — 10. « Mythe idéographique » 33 — 11. La prétendue transcendance de l’écriture sur l’oral 35 — 12. Des caractères chinois qui n’écrivent pas le chinois 37 — 13. Au-delà des frontières 38
2. L’évolution graphique du chinois archaïque
41
1. Ce que racontent les légendes 41 — 2. Les Shang, premiers scripteurs chinois 43 — 3. On ne se fiera pas à l’apparence… 46 — 4. Les Zhou, apogée des inscriptions sur bronze 49 — 5. Premier manuel de normalisation ? 50 — 6. Les Royaumes combattants, chacun sa manière d’écrire ! 52 — 7. Les Qin, héritiers et unificateurs 55
3. L’évolution graphique à partir de l’époque des Han 1. Les Han qui « excellaient aux écritures » 59 — 2. Évolution ou création ? 61 — 3. La « chancellerie », transformation par jeux de pinceau 63 — 4. La « cursive », plus rapide, plus simple et plus libre 67 — 5. Et les calligraphes entrèrent en scène 70 — 6. La « courante » qui ne court pas 72 — 7. La « cursive moderne » : quel élan débridé ! 74 — 8. Vers la « régulière » : il n’y a qu’un pas à franchir 75 — 9. La suite de l’histoire... sans suite 77 — 10. On grave et on imprime ! 79 — 11. Invention des polices d’imprimerie 80
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L’écriture chinoise
6
II COMPRENDRE
4. Le fonctionnement du système ancien
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1. Dictionnaire de Xu Shen 88 — 2. Théorie des « liùshū » 90 — 3. Les écritures archaïques qui alignent des signes hétéroclites 93 — 4. Phonogrammes, procédé désormais privilégié 99 — 5. Et si l’on classait les caractères autrement ? 101 — 6. Vers un syllabaire… mais « imparfait » 104 — 7. « Chercher du sens à partir du son » 107 — 8. Un système délibérément sémiographique 111 — 9. Le graphème sémantique est un indice visuel 113 — 10. Longévité et vitalité des caractères sémantiques 116 — 11. Dissection sémantique des caractères : entre le plaisir et le casse-tête 119
5. L’alourdissement du système et son usure au fil du temps
121
1. La vie éternelle des caractères 122 — 2. Les indispensables et les sophistiqués 123 — 3. Chaque scripteur était un Cang Jie potentiel 125 — 4. Qui dit usage dit usure 128 — 5. Pourquoi se compliquer la vie quand on peut faire simple ? 131 — 6. Libian : quand on ne se souciait plus de l’image… 133 — 7. La cursivité oblige… 138 — 8. Quelques complications étaient tout aussi nécessaires 141
6. Les mesures de normalisation anciennes et modernes
145
1. L’orthographie, une affaire d’état impériale 146 — 2. Les graphies vulgaires eurent aussi droit de cité 148 — 3. Premières tentatives de l’époque moderne 152 — 4. La simplification officielle, aboutissement d’un long processus 156 — 5. Tout n’était pas dûment réfléchi 159 — 6. À quand une écriture commune ? 162 III APPRENDRE
7. Le chinois moderne standard à l’écrit
169
1. Le chinois, oui… mais quel chinois ? 170 — 2. De la verticale à l’horizontale 172 — 3. Caractères et syllabes : comme les grains d’un chapelet 174 — 4. Caractères et morphèmes : une concordance unitaire presque parfaite 17706 — 5. Syllabe et morphème : une homophonie étendue 178 — 6. La mission de l’écriture en caractères 180 — 7. Caractère et mot : la concordance devient plus rare 183 — 8. Le mot graphique pose problème 186 — 9. Mot ou « non-mot » ? La frontière est mouvante et floue 187 — 10. Le chinois, « écriture à dominante sémiographique » 189
8. Le caractère et le morphème 1. Qu’est-ce qu’un « zì » ? C’est selon… 194 — 2. Des binômes et des polynômes 196 — 3. Que signifie ce caractère ? Euh… rien ! 199 — 4. Sous la même apparence se cachent des réalités différentes 201 — 5. Ceux qui ne sont différents qu’en apparence 202
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Table des matières
9. Un système hétérogène et mixte
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205
1. Pour mieux comprendre ces plurisystèmes 206 — 2. « Pourquoi l’écrit-on comme ça » ? 208 — 3. À l’entrée ou à la sortie ? Il faut choisir… 210 — 4. Corpus, critères et méthode 212 — 5. Ce que peut révéler la graphie d’un caractère 214 — 6. Que reste-il des anciens caractères sémantiques ? 218 — 7. Les phonogrammes sont-ils encore efficients ? 221 — 8. Reconsidérons-les à leur juste valeur 223 — 9. Que les liens de famille se resserrent ! 226 — 10. Des phonogrammes viables mais bancals 228 — 11. Il y en a qui sont, hélas, démotivés… 230
10. L’acquisition du chinois écrit
235
1. Le poids de deux traditions 236 — 2. Libérer l’oral du carcan de l’écrit 238 — 3. Adieu aux bombardements massifs 240 — 4. Surtout lecteurs ou scripteurs ? 242 — 5. Faut-il viser l’écriture ou l’écrit ? 245 — 6. Vers une acquisition raisonnée, active et autonome 247 — 7. Eh bien, faire confiance aux apprenants 251 — 8. L’écriture chinoise est-elle réellement si difficile ? 253
Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
257
Index des phonogrammes
291
Bibliographie
303
Index
307
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Introduction
A
doptant une approche pédagogique, ce livre s’adresse à tous ceux qui s’inté‐ ressent, de près ou de loin, à l’écriture chinoise sous son aspect proprement linguistique : comment se présente ce système de signes écrits, comment il fonc‐ tionne, quelle est son histoire et quel est son état présent, quelles sont les notions élé‐ mentaires à connaître quand on veut apprendre ou enseigner cette écriture. Le lecteur y trouvera quantité d’informations et d’explications qui lui permettront de compléter ses connaissances ou de satisfaire sa curiosité, qu’il s’agisse d’apprentissage, de la pré‐ paration de matériaux d’enseignement ou, tout simplement, d’un désir d’enrichissement culturel personnel. Ses plus anciens documents connus étant datés des alentours du xive siècle avant notre ère, l’écriture chinoise est l’une des premières inventions humaines du genre, à côté des cunéiformes sumériens, des hiéroglyphes égyptiens et des glyphes mayas. Sans être l’aînée de cette « bande des quatre », elle est néanmoins la seule qui soit restée vivante. Certes, trois millénaires durant, elle a beaucoup évolué, mais elle n’a jamais cessé d’être en usage et n’a pas connu de changements fondamentaux. Comme le dit Leroi-Gourhan, préhistorien et ethnologue : « L’écriture chinoise représente un état d’équilibre unique dans l’histoire humaine, celui d’une écriture qui a permis (malgré tout) de traduire assez fidèlement les mathématiques ou la biologie sans perdre la pos‐ sibilité du recours au plus vieux système d’expression graphique1 ». Plus encore. Dès le début du xxie siècle, face à l’omniprésence de la technologie numérique, la vieille dame a retrouvé une incroyable vitalité : elle devient même le
1. Leroi-Gourhan André. Le Geste et la Parole, 1re partie, Technique et langage. Paris : Albin Michel, 1964, p. 289.
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L’écriture chinoise
vecteur favori et privilégié de la communication virtuelle et numérique, servant quoti‐ diennement à des centaines de millions de sinophones1 mass-médiatisés : traitements de textes, corpus numériques, sites internet, e-mails, forums, chats, blogs, microblogs et SMS, tout peut s’écrire en caractères chinois. Pourtant, les Chinois éprouvent comme un complexe face à leur écriture : d’une part, ayant véhiculé un immense patrimoine, elle constitue un véritable creuset de leur identité culturelle après avoir représenté un puissant moyen unificateur pour les autorités impériales ; et d’autre part, elle a été et continue à être tour à tour, selon les époques et les contextes sociaux, l’orgueil national ou une vieillerie à abolir, un domaine sacré intouchable ou l’ennemi public numéro un, une matière d’études inépuisable ou un sujet ultra-sensible provoquant des débats virulents. Dans le passé, savoir lire et écrire fut l’apanage des devins et des scribes avant de devenir celui des lettrés et des mandarins. Pendant plus de deux mille ans, le wényán 文 言, immuable langue classique à usage exclusivement graphique et, par-là même, très éloignée de la langue qu’on parlait à chaque époque, fut l’unique moyen d’accès au savoir. On calligraphiait, on gravait des stèles, on recopiait, on imprimait, on compilait des dictionnaires… toujours dans l’intention de consacrer et de fixer à jamais cette écriture héritée des Anciens et, avec elle, les textes fondateurs qu’elle consignait. Parlant de nombreux idiomes régionaux dépourvus de toute forme écrite, la population, pour qui l’écriture restait totalement obscure et inaccessible, lui vouait néanmoins un culte aveugle et inconditionnel. Cette situation séculaire ne fut mise en cause qu’à partir de la fin du xixe siècle. Ulcérés par les échecs cuisants que les canons des « barbares » étrangers infligeaient à la Chine des Qing, des intellectuels réformistes, soucieux d’éduquer la population pour moderniser la nation, lancèrent avec véhémence les « Mouvements pour une langue nationale ». Pointant du doigt ces caractères délirants, considérés alors comme l’origine de tous les maux et qu’il fallait absolument abolir, ils élaborèrent des alphabets, publièrent des périodiques de vulgarisation et ouvrirent des écoles d’alphabétisation. Les projets aboutissaient péniblement quand ils n’étaient pas mort-nés, car la résistance de la tradition était tout aussi forte, et les guerres successives empêchaient toute réforme officielle.
1. Nous entendons par « sinophone » et par « Chinois » tout locuteur natif du chinois moderne, quelle que soit son appartenance civile et ethnique.
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Introduction
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Au début des années 1950, les communistes arrivés au pouvoir poursuivirent les actions inachevées : l’écriture fut de nouveau sur la sellette et sa réforme devint même une affaire d’État, hautement politisée. Après de longues préparations, des discussions menées à l’échelle du pays, des tâtonnements voire des revirements radicaux, les caractères usuels furent, en partie, officiellement simplifiés, et le hànyŭ pīnyīn 汉语 拼音, un nouveau système de romanisation, fut mis en place afin de standardiser la prononciation du pŭtōnghuà 普通话, la langue commune. Pour la première fois dans l’histoire de la Chine, l’enseignement primaire devint obligatoire et gratuit, au moins dans son principe. Vint l’ère informatique. Au départ, certains spécialistes, chinois et étrangers, étaient convaincus que l’ordinateur serait le « fossoyeur de l’écriture chinoise ». En effet, pour élaborer des méthodes de saisie des caractères, on commença par imaginer de grands claviers spéciaux dotés de … cent cinquante touches ! Puis, en 1983, le cap décisif fut franchi, avec un résultat époustouflant. Grace à la méthode dite wǔbǐ 五笔, les Chinois ont montré au monde qu’ils pouvaient saisir jusqu’à cent caractères par minute, avec un seul et même clavier... tout simplement QUERTY. Néanmoins, toute médaille a son revers. Plus le numérique se répand, plus la situation de la pratique scripturale devient préoccupante. Dans le quotidien, l’écriture n’a jamais été aussi maltraitée : on emploie des caractères non standard, on les déforme, on « écrit comme des cochons » et, aujourd’hui, rares sont ceux qui pratiquent encore la calligraphie. Pis encore. La population souffre d’une amnésie collective : à force d’utiliser le clavier, il arrive de plus en plus souvent que, le stylo suspendu en l’air, on fouille en vain sa mémoire à la recherche de la graphie exacte de tel ou tel caractère. La jeune génération, comme partout dans le monde, s’ingénie à inventer à son tour une écriture numérique et ésotérique dite « martienne » huŏxīngwén 火星文, dont l’aspect n’a plus grand chose à voir avec le chinois. Toujours est-il que, de même que l’orthographe est source de débat chez les franco‐ phones, l’écriture chinoise est un sujet tout aussi sensible qui déchaîne les passions. C’est comme un bien commun : tout le monde se sent concerné et chacun a son mot à dire. Parallèlement aux travaux étatiques de normalisation, l’opinion publique n’a jamais cessé de débattre. De nos jours notamment, la Toile offre des forums et des réseaux sociaux à l’échelle nationale voire au-delà des frontières, où la question de l’écriture revient périodiquement sur le devant de la scène. Il en est qui cherchent des méthodes de simplification graphique toujours plus radicales, d’autres souhaitent en revanche restaurer les caractères traditionnels ; certains réclament encore leur abolition et leur remplacement par un alphabet, d’autres, beaucoup plus nombreux, montent au créneau
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L’écriture chinoise
pour défendre farouchement ce patrimoine : on insiste sur sa « richesse culturelle unique au monde », on rappelle que c’est un « précieux héritage légué par nos ancêtres » et, à chaque nouvelle découverte archéologique faite sur le sol chinois, on n’hésite pas à faire remonter l’acte de naissance de cette écriture jusqu’à 5000, voire 7000 ans ! En Europe, c’est à partir de la seconde moitié du xvie siècle que l’on commença à entrevoir la Chine et sa civilisation, notamment grâce aux lettres envoyées par les mis‐ sionnaires jésuites qui s’y étaient implantés. Par amour de Dieu, ceux-ci s’attelèrent courageusement à l’étude du chinois, parlé et écrit, avec la seule aide des locuteurs autochtones. Tout leur paraissait alors étrangeté et mystère, à commencer par cette écriture qui dépassait tout ce qu’ils pouvaient imaginer. Comme l’écrivit l’un d’eux, Louis Lecomte, ils se demandaient parfois s’ils « n’aimeraient pas mieux travailler aux mines que de s’appliquer durant quelques années à ce travail, le plus dur et le plus rebutant qu’on puisse expérimenter en matière d’études ». Ce même Lecomte, d’ailleurs, crut voir dans l’écriture chinoise « la source de l’ignorance des Chinois parce qu’ils emploient toute leur vie à [son] étude et qu’ils n’ont presque pas le temps de songer aux autres sciences, s’imaginant être assez savants quand ils savent lire1 ». Dès lors, on commença à considérer que l’écriture chinoise était un cas unique, et on la jugea « primitive », contrairement aux écritures alphabétiques qui présentaient beaucoup plus d’avantages. Ces a priori que les missionnaires ressentaient obscurément ont été développés, théo‐ risés et schématisés, notamment à partir du début du xixe siècle, par les frères Schle‐ gel. Ces derniers établirent une typologie des langues reléguant le chinois parmi les langues « sans aucune structure grammaticale », ni déclinaisons, ni conjugaisons, ni mots dérivés, qui « doivent présenter de grands obstacles au développement des facultés intellectuelles ». Et la faute en incombait à son écriture, puisque, selon August Schlegel, « si la langue chinoise présente ce phénomène, peut-être n’a-t-il pu être réalisé qu’à l’aide d’une écriture syllabique très artificiellement compliquée, et qui supplée en quelque façon à la pauvreté primitive du langage2 ». Aujourd’hui, la Chine n’est plus si loin ni les Chinois si bizarres. L’enseignement du chinois se développe de façon impressionnante dans le monde. Chaque année en France, des milliers de personnes, jeunes et moins jeunes, se lancent dans l’étude de cette langue. Beaucoup y réussissent très bien, sans y passer leur vie ni y laisser leur peau, et c’est
1. Louis Lecomte, dans Nouveaux mémoires sur l’état présent de la Chine 1687-1692. Texte établi, annoté et présenté par Frédérique Touboul-Bouyeure. Paris : Phébus, 1990, p. 226-234. 2. August W. von Schlegel. Observations sur la langue et la littérature provençales. Paris : Librairie grecque-latineallemande, 1818, p. 14.
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Introduction
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heureux ! Cependant, malgré l’accès facile aux informations, aux connaissances et à de multiples outils d’apprentissage qu’offre la nouvelle technologie, sa réputation de « langue difficile » perdure et les idées reçues sur certains aspects du chinois sont encore très répandues et bien ancrées dans les esprits. C’est au point qu’un jour, une personnalité politique française, reçue par l’ambassa‐ deur de Chine, a pu doctement déclarer devant l’assemblée des invités : « La langue chinoise est stable. Des caractères attestés il y a trois mille ans sont toujours en usage de nos jours… ». Peu importe que notre orateur ait parlé par conviction ou simplement pour faire plaisir à son hôte, ou pour les deux raisons à la fois, cette petite phrase, si banale, à laquelle l’assistance n’a guère prêté attention, n’a pas manqué de faire sourire les linguistes présents. En effet, comment serait-il possible qu’une langue vivante puisse rester « stable » plus de trois mille ans durant ? Cet « oubli de la langue1 » ou, autrement dit, la confusion entre la langue et son écriture, n’a rien de surprenant. On le sait : les membres d’une société qui possède une longue tradition scripturale n’ont souvent le sentiment d’avoir affaire avec la langue que lorsqu’ils la voient écrite noir sur blanc. On peut douter de ce qu’on a entendu, pas de ce qu’on a sous les yeux. Cette prééminence de l’écrit sur la parole est foncièrement culturelle : autrefois, savoir écrire était synonyme de pouvoir, de puissance et d’éduca‐ tion ; aujourd’hui, une orthographe parfaite ou presque parfaite est considérée comme une preuve de compétence, à laquelle on accorde parfois plus d’importance qu’aux idées exposées ! Aussi, lorsqu’il s’agit du chinois, lorsqu’on se trouve en présence de ces carac‐ tères qui ont traversé les millénaires et semblent receler dans leur graphie complexe tant de mystères, comment s’étonner qu’on ait du mal à concevoir cette langue autre‐ ment qu’écrite ? Bien plus, on se plaît à admirer ces caractères pour leur seul aspect esthétique et on s’ingénie à les interpréter en remontant jusqu’à leur genèse, tant et si bien que l’on oublie un fait majeur : à savoir que, plus prosaïquement, ils sont là aussi pour servir de moyen de communication au quotidien. En sinologie traditionnelle et en études chinoises modernes, l’écriture chinoise est le plus souvent présentée comme une com‐ posante incontournable de la civilisation chinoise. On analyse sa portée mythologique, historique, philosophique et sociale, ou bien on décrypte la graphie de caractères isolés dans une optique anthropologique, archéologique, psychologique ou esthétique. Ces études, souvent savantes et brillantes, ne laissent pas insensible le grand public, toujours
1. Viviane Alleton. L’écriture chinoise, le défi de la modernité., Paris : Albin Michel, 2008, p. 227.
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L’écriture chinoise
fasciné par la singularité ou l’altérité. La nature et la fonction première de l’écriture se trouvent ainsi éclipsées par le halo culturel qui l’entoure. Cette vision non linguistique de l’écriture n’est pas sans effet sur les travaux acadé‐ miques. Malgré les mises au point de certains spécialistes, il n’est pas rare aujourd’hui que l’on continue à présenter, par ignorance ou par confusion terminologique, le chinois moderne comme une « langue idéographique ». Et dans l’enseignement, il n’est pas rare que, pour stimuler l’intérêt des débutants ou des profanes, on mette surtout en avant, de façon ludique, l’aspect exotique d’un nombre très limité des prétendus « idéogrammes », laissant dans l’ombre tous les autres, pourtant majoritaires. L’insistance excessive sur la spécificité de l’écriture chinoise va aussi de pair avec l’idée d’une primauté absolue de l’écrit sur l’oral. Sous le poids de la tradition pédago‐ gique classique, il arrive encore que l’on enseigne le chinois comme s’il s’agissait d’une langue morte : on apprend d’abord le vocabulaire écrit en caractères, puis le texte, et enfin, on fait « pratiquer » l’oral tout en gardant vocabulaire et texte sous les yeux. Dans ce type de cours qui se veut d’« expression orale », la main et l’œil sont ainsi associés à des compétences qui ne sollicitent que … la bouche et l’oreille. Tout se passe comme si l’apprentissage n’avait ni consistance ni résultats tangibles, tant qu’on ne fixe pas noir sur blanc ces messages oraux, si fugitifs. C’est par une telle démarche qu’on surestime et qu’on exagère même les difficultés de l’écriture chinoise, au point que l’on va parfois jusqu’à confondre le moyen et la fin : l’écriture à elle seule tient lieu d’expression écrite et se trouve nécessairement en perpétuel conflit avec la production orale. Elle devient, pour les uns, le but même de l’apprentissage, et pour les autres, un carcan handicapant. Or, faut-il rappeler ce fait essentiel qu’une langue vivante est d’abord orale et que c’est la maîtrise de la structure linguistique qui doit commander la compétence écrite ? Savoir écrire des caractères, même s’ils sont corrects et joliment formés, n’aura de sens que si le message écrit est compréhensible. En ce qui concerne la compétence à l’écrit, j’ai rencontré dans l’exercice de mon métier divers types d’étudiants : sans parler de ceux, bien sûr, qui, pour le plus grand bonheur des enseignants, réussissent sur tous les plans, certains s’expriment très bien à l’écrit, mais font des erreurs de caractères ; d’autres forment, sans erreurs, de magnifiques caractères, mais les alignent dans un charabia que personne ne comprend. Peut-on encore parler, dans ce dernier cas, d’étude du chinois ? Aussi devrait-on se poser les vraies questions : les erreurs de caractères sont-elles spécifiquement imputables à la seule complexité de l’écriture chinoise ? Ne sont-elles pas tout simplement humaines ? Si certaines d’entre elles sont récurrentes, sont-elles
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Introduction
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forcément plus persistantes que les fautes d’orthographe, régulièrement commises en français par une partie de la population francophone ? Loin de moi l’idée de préconiser le laxisme face aux erreurs ou même de dévaloriser la compétence en écriture ; il s’agit juste de démystifier l’écriture chinoise. Alors seulement on pourra l’aborder non plus comme un objet de curiosité, mais comme un objet d’apprentissage et un outil de communication. Un dernier mot qui s’adresse plus particulièrement aux étudiants en chinois : ce livre est le fruit lentement mûri de mes propres expériences, expériences acquises au fil de cours magistraux donnés pendant une dizaine d’années devant des centaines d’étudiants débutants. Je ferai des propositions pédagogiques susceptibles de vous aider dans la compréhension de la structure des caractères, mais, il ne s’agit, en aucun cas, d’une méthode pour simplifier ou accélérer l’apprentissage. Car, il s’avère que, contrairement à un entraînement intensif de l’oral qui est parfaitement envisageable, une accélération dans l’acquisition de l’écriture chinoise n’a jamais donné de bons résultats : un temps de « décantation » et d’assimilation est nécessaire. S’il existe une réelle différence entre l’étude du chinois et celle de l’espagnol, c’est que le chinois demandera certainement un peu plus de temps et de travail, si l’on veut aussi l’écrire. Maîtriser le chinois, même à l’écrit, n’est pas sorcier. Beaucoup y ont réussi, et vous y réussirez aussi, à condition de travailler avec régularité, persévérance et, surtout, intelligence.
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Partie I
Savoir
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1 LES PRINCIPES DE L’ÉCRITURE LINGUISTIQUE
L
’écriture chinoise évoque immanquable‐ ment, dans l’esprit de chacun, des milliers de caractères, couramment appelés « idéo‐ grammes », tous différents et tous plus compliqués les uns que les autres. On leur oppose volontiers l’alphabet latin qui, étant phonétique, n’a besoin que de vingt-six lettres pour écrire tous les mots. C’est un fait qu’on ne saurait mettre en doute. Or, selon les linguistes, toutes les écritures, si diverses soient-elles, présentent des points communs qui les rapprochent et qui vont nous permettre de parler ici de « l’écriture linguistique » stricto sensu, de même qu’on peut en parler au sens philosophique, anthropologique, his‐ torique, littéraire ou esthétique.
Figure 1. Le mot « écriture » en français, en chinois, en arabe, en coréen, en russe et en hindi.
Ce premier chapitre se propose donc de présenter brièvement les principes univer‐ sels de la linguistique de l’écrit, principes qu’il est nécessaire de connaître si l’on veut bien comprendre la véritable nature de l’écriture chinoise.
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I. Savoir
1. L’ÉCRITURE, UN ARTEFACT BOULEVERSANT Le langage articulé, produit naturel du corps et du cerveau de l’espèce humaine, a été acquis par notre ancêtre homo sapiens il y a 100 000 à 200 000 ans1. L’écriture, elle, est l’invention de groupe d’hommes parlant une même langue. Les traces les plus anciennes qui nous en soient parvenues proviennent des régions mésopotamiennes et de la vallée du Nil. Datant du quatrième millénaire avant notre ère, son histoire est donc, au minimum, vingt fois moins longue que celle du langage. Quoi qu’il en soit, la naissance d’une écriture n’est concevable que si la langue qu’elle transcrit a atteint sa maturité. Contrairement à la parole, l’écriture, autre mode de transmission du langage, n’est pas indispensable à la communication humaine. Des quelque sept mille langues vivantes qui se parlent à travers le monde, il semblerait qu’un tiers seulement soit réellement doté d’une forme écrite2. Même dans les communautés qui écrivent, les enfants d’âge préscolaire et les analphabètes s’expriment par la même langue, mais ne l’écrivent pas. Tout individu parle avant d’apprendre à écrire et, normalement, on parle plus que l’on n’écrit, bien que l’avènement du numérique soit en passe d’inverser cet ordre, du moins chez certains marginaux. Cela dit, l’écriture n’en demeure pas moins une invention humaine qui bouleverse radicalement l’ordre social et entraîne de profonds changements scientifiques et intel‐ lectuels, en même temps, qu’elle symbolise le début de l’Histoire. Sans que l’on sache exactement comment, sa naissance a toujours eu une motivation économique, culturelle ou religieuse, ce qui lui valait de jouir par la suite d’un prestige et d’une représenta‐ tion valorisante au sein de la communauté. Longtemps apanage des seuls scribes et des classes dominantes, elle incarnait l’accès au savoir et au pouvoir. Jusqu’à une époque récente, malgré une scolarité généralisée, peu de gens écrivaient dans leur vie quotidienne. Pendant la deuxième moitié du xxe siècle, l’écriture a même semblé plus ou moins reléguée au second plan par le magnétophone, la radio et la télévision, nouveaux moyens de diffuser et de conserver la parole.
1. Jean-Marie Hombert, Gérard Lenclud. Comment le langage est venu à l’homme. Paris : Fayard, 2014. 2. Selon Ethnologue, Languages of the World (24e édition, 2021), 57 % environ des langues ont développé un système d’écriture, mais, pour beaucoup d’entre elles, il est impossible d’estimer si l’écriture est effectivement utilisée. https://www.ethnologue.com.
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1. Les principes de l’écriture linguistique
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De nos jours, en revanche, s’opère une nouvelle donne : la percée vertigineuse de la technologie numérique est en train de changer radicalement nos comportements sociaux. L’écriture revient en force sur le devant de la scène et joue un rôle primordial dans les communications d’un type nouveau. Tout le monde ou presque se met à écrire, numériquement et chaque jour en plus grand nombre : internautes, tweeters, facebookeurs, blogueurs ou autres textoteurs. À tel point qu’on ne cesse d’explorer les potentialités scripturales pour réinventer une langue entièrement graphique – le cyberlangage – qui est, paradoxalement, fondé sur les ressources offertes par la parole.
2. ON COMMENÇA PAR DESSINER LE MONDE ET LA PENSÉE Mettons pour l’instant de côté légendes et mythologies selon lesquelles l’écriture aurait été donnée aux hommes par une volonté divine, ou concoctée par un génie hors du commun. L’archéologie a découvert, un peu partout dans le monde, là où vivaient les premiers hommes, des dessins représentant des êtres ou des objets, mais aussi des signes abstraits, gravés ou peints sur des parois de grottes, des rochers, des outils, des armes, des os d’animaux ou des poteries. S’il est fort probable que ces « signesimages », souvent isolés et dispersés, aient eu du sens pour leurs auteurs ou même pour une communauté entière ; s’il est vrai que certains d’entre eux présentent de vagues ressemblances avec des signes plus tardifs (figure 2) ; s’il est tout à fait légitime de supposer que ce sont des traces d’un état embryonnaire d’une future écri‐ ture, il serait toutefois imprudent d’employer, à ce stade, le terme d’écriture, tant la filiation de ces signes avec une écriture aboutie reste difficile, voire impossible à établir.
Figure 2. Signes gravés sur os (≈ 8600 av. n. è.), découverts en 1987 au village de Jiahu, Henan. Musée du Site de Jiahu.
La tradition lettrée chinoise distingue dès son origine deux notions, wén 文 et zì 字 1 : wén, justement, désigne ces signesimages – qui auraient été inventés par Cang Jie 仓颉, créateur légendaire de l’écriture chinoise –, ils sont censés reproduire les formes du monde visible. En revanche, les zì,
1. Les deux caractères combinés forment le mot moderne « écriture ».
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« mots écrits1 », sont apparus plus tard, lorsque les signesimages, toujours plus nombreux, ont été peu à peu associés à la prononciation de la langue. En effet, pour les linguistes, il existe une différence fondamen‐ tale entre, d’une part, les signesimages, autrement dit les « pictogrammes » et les « idéo‐ Figure 3. Inscriptions hiéroglyphiques, temple à Deir elgrammes », qu’ils soient paléoli‐ Bahari (Haute-Egypte). thiques ou de création moderne, et, d’autre part, un véritable sys‐ tème de signes que l’on peut appeler « écriture ». Les premiers permettent d’exprimer la pensée, des idées ou même des sentiments, alors que le second est un moyen d’expres‐ sion langagière. Les Amérindiens nous ont laissé quantité de messages dessinés parfois fort complexes, mais, en dépit d’un degré certain de conventionalité et de symbolisation, ces messages restent une « écriture des pensées » ou une « écriture du contenu »2 sans lien avec le langage. Car la différence n’est pas tant dans l’aspect graphique des signes ou dans leur degré de schématisation que dans la structure interne d’un système : les hiéroglyphes égyptiens constituent bien une écriture malgré leur apparence hautement iconique et figurative, alors que, conventionnels et souvent abstraits, les signes universels que nous employons aujourd’hui, tels que 1, 2, 3, +, =, &, @, ♀, ♥, ✆… restent de véritables pictogrammes ou idéogrammes, destinés à transmettre un message en évoquant direc‐ tement le sens dans l’esprit du récepteur. Devant le logo d’une cigarette barrée d’un trait, les locuteurs d’idiomes différents comprennent tous le même message, mais chacun l’énonce dans sa propre langue. En revanche, vous avez beau reconnaître, parmi ces hiéroglyphes (figure 3), une chouette, des scarabées ou un serpent, leur aspect graphique très réaliste n’aidera nullement à comprendre le message.
1. Françoise Bottéro. Revisiting the wén and the zì: The Great Chinese Characters Hoax. In Bulletin of the Museum of Far Eastern Antiquities 74, 2004, p. 14-33. 2. Ignace J. Gelb. Pour une théorie de l’écriture. Paris : Flammarion, 1952/1973, p. 41.
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Dans un même ordre d’idée, considérons l’exemple donné par Qiu Xigui1, l’un des plus grands spécialistes de l’écriture ancienne : en admettant à la rigueur qu’un lecteur lambda soit susceptible de reconnaître un cerf dans ce signe isolé , seul un paléo‐ graphe saura lire 大鹿 « grand cerf » devant la séquence , puisque l’image de « l’homme aux bras écartés » ne représente pas l’homme, mais correspond au mot « grand ». Ainsi, les signes graphiques ne constitueront une écriture linguistique que lorsque leur enchaînement se réfèrera, non pas à des pensées libres, diffuses et « mul‐ tidimensionnelles »2, mais à une suite de mots que le scripteur aligne en fonction de la langue qu’il parle. Certes, avant qu’un système d’écriture soit mis en place, il aura fallu une très longue période de tâtonnement et de mûrissement, sans parler d’une conjoncture favorable de facteurs écono‐ nb (dét.) m pr miques et socioculturels propres Le maître (est / était) dans la maison à chaque communauté. Cette conjoncture s’avère décisive pour Figure 4. Une phrase écrite en hiéroglyphes égyptiens. que se déclenche le besoin d’écrire la parole au lieu de dessiner les idées. Dès lors, il ne suffit plus de tracer un cercle marqué d’un point en son centre pour signifier « soleil » ou de dessiner des jambes pour exprimer l’idée de « venir », il faut aussi intégrer dans une chaîne écrite les mots gram‐ maticaux et les noms propres, signes impossibles à représenter par des images, mais indispensables à la formulation des phrases. En Égypte, un pas de géant fut franchi au moment où les scribes décidèrent d’utiliser un dessin existant, « chouette » par exemple, pour représenter non pas le volatile, mais un son de leur langue, en l’occurrence, la consonne m, qui signifie « dans » en égyptien ancien : la séquence « chouette + maison » prit dès lors le sens de « dans la maison ». Ce processus, que les linguistes appellent « phonétisation », est fondé sur le principe du rébus, connu de tous les enfants : devant l’image d’un chat et d’un pot, on prononce [ʃa] [po] en faisant totalement abstraction de leurs signifiés.
1. Qiu Xigui. Wenzixue gaiyao [L’écriture chinoise]. Beijing : Shangwu Yinshuguan, 1988/2015, p. 3. 2. André Leroi-Gourhan. 1964, op. cit. p. 270-272.
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Toutes les écritures anciennes, sans exception, sont passées par ce stade : on récupère les signes préexistants, qu’ils soient pictogrammes, idéogrammes ou symboles abstraits, et on les aligne dans une chaîne écrite en leur attribuant soit une valeur sémantique soit une valeur phonétique. Ainsi, selon W. Davies1 , le premier signe (figure 4) est un « bili‐ tère » qui représente deux consonnes, nb, signifiant « maître, seigneur » ; le deuxième, un homme assis, est un déterminatif sémantique « humain » qui, associé au précédent, permet de lever une éventuelle ambiguïté ; la chouette, comme l’on a dit, signifie ici « dans » ; le quatrième signe est un logogramme correspondant au mot « maison2 ». L’aspect physique de ces hiéroglyphes reste toujours pictographique, mais leur fonction au sein du système ne l’est plus. C’est d’ailleurs en découvrant la valeur phonétique des hiéroglyphes que Champollion a pu réussir en 1822 son déchiffrement révolutionnaire. Ainsi, le principe de l’écriture est donc de « faire entrer, par l’usage du dispositif linéaire, l’expression graphique dans la subordination complète à l’expression phoné‐ tique3 ». Les systèmes sumérien, égyptien, chinois ou maya, malgré leurs fortes dissem‐ blances graphiques, fonctionnent tous de manière semblable : en dépit des irrégularités, des incohérences ou des ambiguïtés qui sont inévitables lors de la phase de mise en place, ce sont tous des « systèmes mixtes » mélangeant des logogrammes – qui sont souvent des « récupérations » de pictogrammes ou d’idéogrammes existants –, à des phono‐ grammes et à des déterminatifs. Mais, quelle que soit leur façon de noter les mots, leur lecture linéaire se doit de coïncider, grosso modo, avec les éléments d’un discours.
3. QUAND LA PAROLE DEVIENT VISIBLE… Selon ce principe, les mots des énoncés phoniques – la parole – peuvent être trans‐ crits « à la lettre », et ceux des énoncés graphiques – l’écriture – doivent être pronon‐ çables à l’oral. C’est dans ce sens que la « phonographie », qui consiste à écrire les sons de la parole, est considérée comme le fondement de toute écriture linguistique.
1. W. V. Davies. Les hiéroglyphes égyptiens. In L. Bonfante et al., La naissance des écritures. Paris : Seuil, 1990, p. 155. 2. Dans un contexte différent, ce même signe « maison », en l’absence du trait vertical tracé en dessous, peut être utilisé comme un bilitère représentant uniquement la valeur phonétique de pr. Cf. W. Davies, ibid. 3. Leroi-Gourhan, op. cit.
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Or, l’écriture est loin d’être, comme l’affirme Saussure, une simple « image du mot parlé1 ». Tout en s’articulant avec la parole, elle acquiert, grâce à un autre encodage, une relative autonomie. Si le code graphique a pour base le code oral, tout les sépare en raison de leur différence de vocation et de moyens de production, de transmission et de réception. L’acte de la parole se déroule sur l’axe temporel. En effet, on ne saurait prononcer deux mots à la fois et encore moins ravaler ce qui vient d’être dit. De manière générale, on parle en situation, en présence et à l’intention d’un ou de plusieurs récepteurs. Pour donner du sens, on utilise les ressources prosodiques qui sont propres à l’oral : l’intonation, l’accentuation, le volume sonore, le rythme, la pause, le débit, et pour certaines langues, les tons. La communication orale ne sollicite d’autres supports que nos organes vocaux et notre ouïe. Le code écrit, en revanche, exige toujours un sup‐ port matériel et un outil. Ce sont des moyens visuels et graphiques qui sont déployés, tels que l’ortho‐ graphe, la majuscule, l’espace entre les mots, la ponc‐ tuation, la typographie, la mise en page, la couleur et la taille des caractères, etc. Disposée dans un espace bidimensionnel, l’écriture est libre de rompre la linéarité de la parole. Vous pouvez disposer les mots Figure 5. Guillaume Apollinaire « La colombe poignardée et le jet d’eau », comme vous le souhaitez (figure 5) ou lire une liste Calligramme. dans l’ordre qui vous semble bon. La production étant d’office en différé et souvent hors situation, le message écrit peut se transmettre à travers le temps et l’espace, aussi bien en l’absence de l’émetteur que de génération en génération. En tant que système, l’écriture reste relativement stable et reflète souvent un état antérieur de la langue, telle qu’elle était parlée dans un passé plus ou moins lointain. La parole, elle, est en perpétuel changement et son évolution peut être perceptible même sur une période courte. Nous savons que l’orthographe du français moderne regorge
1. Ferdinand de Saussure. Cours de linguistique générale. Paris : Payot, 1967/1995, p. 45.
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de vestiges historiques : les diphtongues médiévales au, ou, eu ou les « lettres muettes » qui ne sont plus prononcées, ont été conservées à l’écrit. Cette rigidité est encore plus évidente dans l’écriture chinoise, qui porte toujours en elle les reliquats d’un héritage vieux de trois mille cinq cents ans. Cependant, une autorité politique peut très bien décider de réformer l’orthographe voire d’instaurer du jour au lendemain une écriture différente, comme l’a fait Atatürk pour le turc, alors que la même autorité n’a que très peu de prise sur la parole de sa population. La grammaire du « bon usage » se fonde également sur le seul code écrit, qui deviendra la norme de la langue et la référence en matière d’enseignement. Ce code est d’ailleurs susceptible, en retour, d’exercer son influence sur l’oral. Le français offre l’exemple typique d’une langue qui « se singularise par cette grammaire écrite qui accompagne l’oral en permanence », car, à cause des liaisons obligatoires à l’oral, « le francophone parle comme il écrit, plus exactement parle l’écrit1… ».
4. VOUS AVEZ DIT « ÉCRITURE PHONÉTIQUE » ? Les écritures dites phonétiques, qu’elles s’écrivent avec les lettres latines o, ô, au, eau, le syllabaire japonais カキクケコ, les jamos coréens 한글 ou l’abjad arabe ابتث, ont la réputation d’être économiques et faciles à maîtriser. Dans la mesure où on aura appris l’orthographe et les règles de prononciation, on peut, en principe, prononcer n’importe quel mot sans avoir besoin d’en connaître nécessairement le sens. Prenez un texte truffé de jargon scientifique ou technique, même si vous n’y comprenez goutte, rien ne vous empêchera de lire tous les mots à voix haute. Ces écritures semblent fondées sur un principe unique : découpage des sons de la chaîne orale, à savoir les « signifiants », en unités phonétiques – phonèmes ou syllabes –, puis affectation d’une unité graphique à chacun de ces segments. Comme les phonèmes sont en nombre limité dans le langage humain, il suffit d’un nombre également limité de signes graphiques pour les écrire. Un lien bidirectionnel est a priori établi entre les deux codes : une graphie égale une phonie et vice versa. C’est la « phonographie ». Or, ce n’est qu’un a priori. Dans la réalité, il n’existe aucune langue vivante dont l’écriture soit strictement phonétique. On n’écrit jamais exactement comme on parle : en français si on peut dire chteuldone, il faut écrire je te le donne. Le seul alphabet
1. Alain Borer. De quel amour blessée, réflexion sur la langue française. Paris : Gallimard, 2014, p. 189.
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qui respecte scrupuleusement le principe phonographique est l’alphabet phonétique international (API), conçu pour noter de manière précise et univoque les sons réellement prononcés ou à prononcer. Mais, l’API ne saurait servir d’écriture ou de moyen de communication écrite. Pas plus que le pīnyīn, système de transcription phonologique du chinois moderne standard, ne saurait remplacer l’écriture chinoise en caractères. Pourquoi ? Parce que la vocation première de l’écriture, même alphabétique, ne consiste pas simplement à noter les sons de la parole ; parce que, si une écriture dite phonétique « collait » de trop près à la langue parlée, son usage serait fâcheusement restreint dans le temps et dans l’espace, pour la simple raison que l’oral évolue avec les années et varie selon les régions. Il est donc d’une importance primordiale que l’écriture garde une autonomie et une stabilité, même relatives, par rapport à la parole et, surtout, qu’elle forme un message résolument visuel, destiné à être lu. Ainsi, il ne suffit pas d’écrire les sons, il faut aussi faire voir les mots. Bien que, depuis longtemps, la triphtongue /eaw/ de l’ancien français ne soit plus prononcée comme telle, ce n’est sûrement pas par conservatisme orthographique qu’on continue à écrire eau au lieu d’un simple o phonétique. « Par essence, une écriture doit être plus claire que l’oral, […]. C’est peu important pour celui qui s’exprime, mais c’est très important pour celui qui est censé recevoir le message, surtout par écrit et à distance. Tout est, en fait, un problème de lecture1. » Pour remplir efficacement cette mission de clarté visuelle, une convention graphique est nécessaire. C’est l’orthographe. Pour être efficace, celle-ci a tout intérêt à bien différencier graphiquement ses signes. Plus les signes sont distincts et discernables visuellement, plus forts seront les signaux que notre perception rétinienne enverra au cerveau, et plus grande la facilité qu’auront nos neurones à analyser et à saisir le message. C’est pourquoi le français choisit d’écrire encre et ancre, fin et faim, ou et où : ces différences, si menues soient-elles, rendent ces mots immédiatement identifiables à la lecture. Ce principe, appelé « sémiographie », qui consiste à écrire le signe, permet donc de faire voir aussi le sens du mot en lui attribuant une graphie bien distinctive. Toute orthographe doit trouver un compromis plus ou moins heureux entre les deux principes, phonographique pour son fondement et sémiographique pour sa forme graphique. C’est une loi universelle.
1. Nina Catach. L’écriture en Europe : nos écritures sont-elles vraiment alphabétiques ? In Rina Viers (éd.). Des signes pictographiques à l’alphabet. Karthala/Association Alphabets, 2000, p. 281.
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5. « LES DEUX VOIES DE LA LECTURE » Voyons maintenant ce phénomène sous l’angle du mécanisme de la lecture. Selon les recherches menées en neurosciences et en psychologie cognitive, notre cerveau est fait de telle manière qu’au cours de la lecture, il réagit à la fois à « l’écriture des sens » et à « l’écriture des sons ». « Lorsque nous lisons des mots rares, nouveaux, à l’orthographe régulière, voire des néologismes inventés de toutes pièces, notre lecture passe par une voie phonologique qui décrypte les lettres, en déduit une prononciation possible, puis tente d’accéder au sens. Inversement, lorsque nous sommes confrontés à des mots fréquents ou irréguliers, notre lecture emprunte une voie directe, qui récupère d’abord le mot et son sens, puis utilise ces informations pour en recouvrer la prononciation1 ». Ainsi, dans la lecture, les deux voies sont activées et, en fonction de la régularité des mots écrits et de notre fami‐ liarité avec eux, les neurones des sons et ceux du sens travaillent en collaboration, mais de manière alternative. Néanmoins, un « lecteur expert » ne lira pas de la même manière qu’un « lecteur apprenti » : il aura acquis une « connivence suffisante » avec les mots écrits. En lisant un texte dont les mots lui sont devenus pour la plupart familiers, le lecteur expert empruntera le plus souvent la voie directe en allant au sens du mot, reléguant ainsi au second plan la voie phonologique, qui n’en restera pas moins latente. D’où la possibilité pour lui de « lire en diagonale » ou, comme on dit en chinois, d’« embrasser dix lignes d’un coup d’œil2 ». « Parvenue à ce niveau de traitement cognitif, toute écriture devient, par définition, une sémiographie3. » Il s’avère que, chez le lecteur d’une écriture alphabétique comme chez celui d’une écriture graphiquement plus complexe telle que le chinois, ces « deux voies de la lec‐ ture » fonctionnent de manière très similaire, à quelques minimes variations près. Tout compte fait, « les réseaux cérébraux de la lecture constituent un invariant anthropolo‐ gique qui fait partie intégrante de la nature humaine. Par-delà la diversité des règles particulières de transcription des sons, tous les lecteurs font appel au même réseau anatomique de régions cérébrales4 ».
1. Stanislas Dehaene. Les neurones de la lecture. Paris : Odile Jacob, 2007, p. 68. 2. yīmù-shíháng 一目十行. 3. Jean-Pierre Jaffré. Écriture et structures linguistiques : propos sur un éternel conflit. In Bottero F. et Djamouri R. (éd.). Écriture chinoise, données, usages et représentations. Paris : EHESS/CRLAO, 2006, p. 245. 4. Stanislas Dehaene, ibid. p. 165.
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6. LES UNES TRÈS COMPLEXES, D’AUTRES PLUS SIMPLES Le traitement sémiographique qui consiste à faire voir la forme des mots devient d’autant plus crucial et indispensable qu’une langue est riche en homophones, qui sont des mots différents de prononciation identique. C’est bien le cas du chinois, mais aussi, certes dans une moindre mesure, celui de l’anglais et du français. Sur ce plan, ces trois langues sont tout à fait comparables. Pour écrire ces langues, le principe phonographique et la nécessité sémiographique se trouvent, à des degrés variables, en conflit : si on cherchait l’économie et la simplicité phonographiques, ce serait inévitablement au détriment de la clarté visuelle et de l’univocité du message. Par exemple, peut-on imaginer une graphie unique en lieu et place des dizaines de caractères chinois qui se prononcent tous shì ? Que gagnerait-on à écrire so les quatre mots français sot, saut, sceau et seau ? La lecture, quoique toujours possible, en serait sensiblement ralentie et ardue, et l’ambiguïté du message inévitable. En revanche, quand, pour faciliter la lecture, on est obligé d’attribuer à chacun de ces homophones une graphie différente, il est certain que l’orthographe devient de facto plus compliquée et plus difficile à produire et à maîtriser. Mais toutes les langues ne rencontrent pas ce problème. Pour certaines, comme l’italien, l’allemand, le coréen ou le syllabaire japonais, l’orthographe est plus simple, puisque la correspondance entre la graphie et la phonie y est presque systématique. Bien sûr, l’écart entre l’écrit et l’oral existe aussi dans ces langues, mais en une bien moindre mesure. Tout dépend de la structure propre à chaque langue. En italien, par exemple, les homophones monosyllabiques sont très rares, tandis que les variations morphologiques sont toujours clairement prononcées : on peut très bien écrire, tels qu’on les entend, amo, ami, ama, amiamo, amate, amano sans se poser de questions quant à la correction orthographique.
7. TOUTES LES ORTHOGRAPHES SUR LA MÊME LIGNE ! À partir de ces constats, les linguistes, au lieu de continuer à opposer ou à classer les différents types d’écriture, ont préféré examiner leur degré de « compromis » quant au traitement phonographique et sémiographique, autrement dit, la transparence ou l’opacité de leur orthographe : certaines orthographes, tout en satisfaisant au principe d’écriture du sens, restent relativement transparentes dans leur écriture des sons.
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D’autres, en revanche, sont plus ou moins opaques. De ce point de vue, on propose d’aligner les différents types d’orthographe sur un seul continuum (tableau 1). Tableau 1. Degré de transparence orthographiquea.
Syllabaire japonais Italien
Chinois Allemand
Français
Kanji japonais
Anglais
Transparent
Opaque
a. D’après Ludovic Ferrand, Pauline Ayora. Psychologie cognitive de la lecture. Reconnaissance des mots écrits chez l’adulte. Bruxelles : De Boeck, 2007, p. 82, légèrement modifié et simplifié.
C’est alors que l’on découvre combien l’anglais et le chinois sont proches, tous deux étant placés vers le pôle d’opacité, suivis de près par le français ! À ce propos précisément, Nina Catach n’hésite pas à comparer l’anglais avec le chinois, le français avec l’égyptien ancien, attribuant à ces quatre écritures l’étiquette commune de « plurisystème ». Ce terme signifie qu’elles sont « mixtes » à plusieurs niveaux, qui tiennent compte à la fois du son et du sens. Autrement dit, aucune des quatre n’est entièrement phonographique, et encore moins idéographique ! L’auteure va jusqu’à se demander : « Nos écritures (en Europe) sont-elles vraiment alphabétiques1 ? » Cette complexité orthographique est due, d’une part, à la structure de ces langues, qui les oblige à différencier leurs nombreux homophones et à combler le manque plus ou moins grand de variations morphologiques, et d’autre part, à un héritage historique dont elles ont du mal à se débarrasser. D’où les déboires rencontrés par toute tentative de réforme des écritures.
1. Nina Catach, op. cit.
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8. ÉCRIRE EST UNE AUTRE PAIRE DE MANCHES Si on se contentait de lire un message écrit, une orthographe, même totalement opaque, ne poserait guère de problème. Mais, a priori, tout lecteur est aussi scripteur. Le problème commence dès que l’on se met à écrire. Quand un enfant ne peut écrire, grosso modo, comme il parle, l’apprentissage est nécessairement plus long et la production écrite plus difficile. Les scripteurs de français sont confrontés dès leur plus jeune âge à ces nombreuses distorsions entre la graphie et la phonie ainsi qu’aux variations morphologiques non prononcées qu’ils doivent analyser et « marquer » tout au long de leurs phrases écrites. Quand on pense que l’orthographe française pose tant de problèmes aux écoliers, aux enseignants, aux usagers adultes et aux autorités politiques, qu’elle représente pour une partie de la population tant de souffrances et d’épreuves, et que, même adulte, nul ne peut prétendre à l’infaillibilité scripturale, peut-on réellement dire que le français s’écrit avec seulement vingt-six lettres et que c’est une simple écriture « phonétique » ou « alphabétique » ? Comparativement, les caractères chinois présenteraient même certains avantages : ils sont acquis un à un, certes, mais une fois pour toutes, puisqu’ils resteront invariables en toute circonstance. De plus, il n’existe nul accord en nombre ou en genre, aucune désinence variable selon le temps, le mode et la personne, pas de signes muets qui apparaissent uniquement à l’écrit... Tout compte fait, la prétendue difficulté du chinois écrit ne devient-elle pas toute relative ? C’est ainsi qu’en 1822, Abel-Rémusat encourage ses étudiants : « C’est un fait reconnu maintenant par des hommes dont le témoignage est d’un grand poids en ces matières, que l’écriture chinoise, dont l’étude occupait, disait-on, les lettrés pendant toute leur vie, peut s’apprendre comme toute autre, et ne demande pas de plus grands efforts d’atten‐ tion ni de mémoire. Toutes les difficultés qu’on éprouve proviennent de ce système insolite, auquel on a besoin de se faire, en se déshabituant de quelques préjugés d’enfance, qu’un esprit judicieux a bientôt surmontés1. » Mais, avant que l’on examine dans les détails cette écriture, il est nécessaire de déblayer le terrain en « combattant », selon le mot d’Abel-Rémusat, quelques idées reçues qui, hélas, courent toujours.
1. Jean-Pierre Abel-Rémusat. Élémens de la Grammaire chinoise. Préface. Paris, Imprimerie royale, 1822, p. xxvijxxviij.
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9. SAUSSURE À LA RESCOUSSE DE LA SPÉCIFICITÉ CHINOISE Au début des années 1990, on assista en Chine à la montée en puissance d’un courant académique défendant la spécificité chinoise. Un périodique emblématique, intitulé « La culture de l’écriture chinoise », s’en fit la tribune. Le mot d’ordre, on l’aura compris, était d’accorder la primauté à l’aspect culturel de l’écriture. Pour défendre leur position, ses partisans ne ratent jamais une occasion pour sortir cette citation de Saussure, père de la linguistique moderne1 : Il n’y a que deux systèmes d’écriture : 1° Le système idéographique, dans lequel le mot est représenté par un signe unique et étranger aux sons dont il se compose. Ce signe se rapporte à l’ensemble du mot, et par là, indirectement, à l’idée qu’il exprime. L’exemple classique de ce système est l’écriture chinoise. 2° Le système dit communément « phonétique », qui vise à reproduire la suite des sons se succédant dans le mot. La réputation de Saussure aidant, cette typologie binaire est largement admise comme incontestable. D’où deux expressions chinoises, très problématiques mais reprises à l’envi : biăoyì wénzì 表意文字 « écriture exprimant les idées » et biăoyīn wénzì 表音文字 « écriture exprimant les sons ». On est persuadé que toutes les écritures du monde peuvent être ainsi étiquetées et qu’il suffit de les opposer pour faire ressortir la spécificité chinoise : le chinois, en effet, à lui seul, représente tout le premier groupe. Puisque son écriture n’est pas phonétique, elle ne saurait être qu’idéographique. Selon cette logique, le terme « écriture idéographique » en vient, par défaut, à désigner l’écriture chinoise. D’autres auteurs, sans doute un peu gênés par l’infondé de ce terme, proposent celui d’une « écriture non alphabétique », comme s’ils pouvaient ainsi contourner le problème. Or, un fait important est négligé ou ignoré par ceux qui exploitent à leur profit cette citation : Saussure professait à l’époque où, en Chine, la seule forme écrite usitée était le wényán, et ses propos sur le chinois n’ont pu que se fonder sur les connaissances qu’il avait de cette langue graphique et savante, caractérisée par le monosyllabisme des mots.
1. Ferdinand de Saussure. Cours de linguistique générale. Paris: Payot, 1916/1995, p. 47.
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Ce contexte étant précisé, il suffit de lire attentivement la citation pour constater que l’auteur lui-même n’emploie pas le mot « idéographie » dans le sens propre d’une « écriture des idées », puisque, dit-il, « ce signe se rapporte à l’ensemble du mot, et par là, indirectement, à l’idée qu’il exprime ». La deuxième moitié de cette phrase nous paraît aujourd’hui complétement superflue, mais elle sert vraisemblablement à reprendre, faute de mieux à l’époque, le vieux terme « idéographique » pour l’opposer à « phonétique ». Par ailleurs, Saussure ne manque pas d’ajouter, un peu plus loin, que « les écritures idéographiques deviennent volontiers mixtes : certains idéogrammes, détournés de leur valeur première, finissent par représenter des sons isolés ». C’est exactement ce qui s’est passé dans l’écriture chinoise. Le terme inexact d’« idéographie » fut remplacé plus tard par ceux de « word wri‐ ting » ou « logographic writing », proposés et développés par Bloomfield1. Une « écriture des mots » est un système où chaque mot est représenté par un signe différent. Selon cette définition, le chinois classique est bel et bien une écriture logographique. Au fond, c’est aussi l’idée de Saussure. De là à déclarer que le chinois – sans autre précision – est l’unique écriture idéogra‐ phique, il y a un sournois tour de passe-passe. Paradoxalement, face à une mondialisa‐ tion envahissante, ces Chinois sont en train de raviver, plus ou moins consciemment, un mythe de l’écriture chinoise, tel qu’il est né il y a quelques siècles… en Europe.
10. « MYTHE IDÉOGRAPHIQUE » Nous avons vu, dans l’introduction, comment les missionnaires catholiques étaient convaincus de la supériorité des alphabets sur le système chinois. Parallèlement à cette conviction, on vit naître – dans l’esprit naissant des Lumières et d’après le peu d’infor‐ mations dont on disposait alors – une illusion d’un tout autre ordre : on pensait que les Chinois utilisaient une « écriture des idées » susceptible d’être directement déchiffrée sans passer par la parole. Le philosophe allemand Leibniz projeta même de concevoir « une espèce d’écriture universelle » en prenant le chinois pour modèle2. Ces deux posi‐ tions apparemment opposées, l’une, déploration sur la primitivité du chinois, et l’autre, idéalisation de son écriture « idéographique », se rejoignent en fait sur le fond, toutes
1. Leonard Bloomfield. Language. New York: Henry Hold and Company, 1933/1956, p. 285. 2. Par la suite, il renonça à cette idée, ayant acquis des connaissances plus poussées sur le sujet.
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deux partant de la même méprise : en faisant une équation systématique entre syllabe, caractère et mot, on prend l’écriture pour la langue et, de là, chaque caractère repré‐ sentant un mot, donc une idée. Ce n’est qu’au début du xixe siècle que des savants entreprirent de véritables études sur la Chine et sur sa langue, marquant ainsi la naissance de la « sinologie moderne ». Abel-Rémusat, titulaire de la première chaire de « Langue et littérature chinoises et tartares-mandchoues » créée en 1814 au Collège royal de France, fut le premier à com‐ battre ces idées reçues1. Conforté dans sa conviction par l’exploit de Champollion, qui venait de rendre publiques ses fabuleuses découvertes sur la véritable nature des hié‐ roglyphes égyptiens, il affirme que les prétendus idéogrammes sont des mots et non pas des images d’idées : « [Les Chinois] ont combiné deux à deux ou trois à trois les figures primitives, et ils ont formé par ce procédé une innombrable multitude de signes com‐ posés qui offrent des symboles ingénieux, des définitions vives et pittoresques, des énigmes d’autant plus intéressantes que le mot n’en a pas été perdu, et qu’on n’est pas réduit, comme à l’égard des hiéroglyphes égyptiens, à le deviner en s’abandonnant aux rêves de son imagination2 ». Plus tard, un écho venu d’outre-Atlantique se fit entendre. Peter S. Duponceau, sino‐ logue et américaniste, publia en 1838 une première mise au point, proprement linguis‐ tique cette fois, sur la nature de l’écriture chinoise : « Une langue purement idéographique sans lien avec les mots énoncés ne peut exister… L’écriture chinoise n’est pas autre chose qu’une fidèle représentation de la langue parlée, dans la mesure où les signes visibles ont été créés pour représenter des sons audibles3. » Néanmoins, les voix de ces savants qui possédaient une réelle connaissance, voire une maîtrise du chinois, ne furent qu’à peine entendues. La piste de l’exotisme et de l’insolite ayant été tracée, elle sera suivie par le plus grand nombre. Désormais, l’écriture chinoise ne cessera d’alimenter les discussions les plus diverses, voire les spéculations les plus fantaisistes, tant et si bien qu’on verra se former peu à peu un concept purement
1. Zhitang Drocourt. Abel-Rémusat et sa pensée linguistique sur le chinois, actes du Ve congrès de la SERD, (2013) « Le xixe siècle et ses langues », 24-26 janvier 2012, https://serd.hypotheses.org. 2. Abel-Rémusat. Sur les caractères figuratifs. In Mélanges asiatiques, tome second. Paris : Librairie orientale de Dondey-Dupré père et fils, 1826, p. 43. 3. Nous traduisons. Cf. Letter from Peter S. Du Ponceau to Captain Basil Hall, R.B.N, datée du 7 juillet 1828 et incluse, dix ans plus tard, dans l’appendice de A Dissertation on the Nature and Character of the Chinese System of Writing, in a letter to John Vaughan, esq. Philadelphia: The American Philosophical Society, 1838, p. 112.
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occidental de la question, tandis que prendra corps une « rêverie idéographique »1 ou un « mythe »2, qui aura la vie dure. Jusqu’à nos jours, cette étiquette d’écriture « idéographique », ou « idéogrammique », terme plus moderne mais pas plus heureux, n’en reste pas moins ancrée dans les esprits. Systématiquement appliquée au chinois, tant dans le discours courant que dans les écrits académiques, elle continue à alimenter d’autres idées reçues.
11. LA PRÉTENDUE TRANSCENDANCE DE L’ÉCRITURE SUR L’ORAL Il n’est pas rare de lire ou d’entendre que le système chinois, « contrairement à notre système occidental, ne s’appuie pas sur un alphabet fondé sur des sons, mais sur des symboles qui ont des significations précises. Résultat : des Chinois qui ne parlent pas le même dialecte peuvent se comprendre à travers l’écriture3 ». Ce genre de discours, repris dans des versions plus ou moins fantaisistes4, reflète une confusion de notions. Certes, il est un fait que les sinophones, si différents soient leurs parlers régionaux, lisent tous les mêmes textes écrits en caractères et qu’ils peuvent aussi communiquer entre eux par écrit s’ils ne parlent ni la langue commune ni celle de leur interlocuteur. Mais, cette possibilité de communiquer par l’écrit n’est pas due à la seule écriture en caractères : ces scripteurs-lecteurs lisent et écrivent la même langue écrite. Il n’y a là rien d’étonnant ni de particulier et le chinois moderne n’est pas un exemple unique : il en allait de même pour le wényán en Chine ancienne, pour le latin en Europe médiévale, pour le sanscrit en Asie et, de nos jours encore, pour l’arabe littéraire. Ce sont des écritures correspondant à une langue véhiculaire ou « lingua franca ». Basée sur le chinois véhiculaire, langue de forme haute, la « langue écrite moderne » constitue un tronc commun, partagé par l’ensemble de la communauté sinophone. Les
1. Claude Hagège. L’homme de paroles. Paris : Fayard, 1985, p. 107. 2. John De Francis. The Chinese Language: Fact and Fantasy. Hawaii: University of Hawaii Press, 1984. 3. « Et si on écrivait tous en chinois ? » 13/01/2018 sur https://www.slate.fr/. L’article est un résumé de la vidéo publiée sur le site de BBC radio, intitulée Should we all write in Chinese? 4. Certains vont jusqu’à raviver la vieille hypothèse d’une « écriture universelle » en prétendant que, grâce à « cette écriture ‟hors langue”, il est possible à chacun d’entre nous d’entretenir une correspondance en écriture chinoise avec un Chinois, même si nous ne savons parler aucune des langues chinoises ». Cf. « L’essentiel sur l’invention de l’écriture ». In Marianne, le 19/01/2016. https://www.marianne.net/debattons/billets/l-essentielsur-l-invention-de-l-ecriture.
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particularités régionales, de forme basse, en sont les ramifications. Entre le tronc et ses branches, les écarts lexicaux – parfois syntaxiques – sont plus ou moins marqués selon les régions. Ces écarts sont notamment dus aux usages que les locuteurs font de leurs langues : appartenant au registre courant et soutenu, le vocabulaire de la langue commune, orale ou écrite, se prête plus convenablement aux sujets politiques, culturels, sociaux ou scientifiques et convient mieux aux circonstances formelles ou professionnelles, tandis que les régionalismes, relevant du langage populaire, sont réservés à la vie quotidienne et à des cercles relativement restreints1. Bien qu’ils soient perméables l’un à l’autre, le premier représente en quelque sorte la forme épurée de la langue, tandis que les seconds sont sensiblement plus riches en expressions idiomatiques, dont beaucoup ne s’écrivent pas. De ce fait, le chinois écrit, enseigné à l’école, n’est pas acquis de la même manière par tous : un enfant dont la langue première est le pŭtōnghuà écrira quasiment comme il parle, alors qu’un petit Cantonais devra, lui, apprendre à parler et à écrire une seconde langue. La prononciation des caractères constitue un autre argument pour ceux qui défendent la thèse de la transcendance : un caractère ou un texte peuvent être pronon‐ cés différemment dans chacune des langues régionales. Saussure lui-même le fait remarquer : « les mots chinois des différents dialectes qui correspondent à une même idée s’incorporent également bien au même signe graphique2 ». Prenons au hasard un caractère, 家 par exemple : tout le monde comprend le sens « maison, famille », mais chacun, selon l’idiome qu’il parle, a la possibilité et la liberté de le prononcer différem‐ ment. Cela est aussi valable pour la lecture d’un texte, un poème de l’époque des Tang, par exemple. Mais, à une condition : il doit s’agir des mots du chinois commun. Ce ne sont donc pas des caractères que l’on prononce, mais bien des mots. Une fois de plus, c’est la langue écrite, et non l’écriture elle-même, qui transcende. D’ailleurs, on observe un phénomène similaire en Europe : Français et anglais se partagent des mots homographes comme fruit, pigeon, bicycle, architecture, lieutenant,
1. En effet, parmi un millier de mots les plus usités dans la vie courante, 10 % seulement sont communs au cantonais et au pékinois, alors que la proportion est exactement inverse quand il s’agit du vocabulaire socio‐ culturel contemporain. Cf. Zhitang Yang-Drocourt, op. cit. p. 69. 2. Op. cit. p. 48.
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signature, etc. Ils les écrivent de la même façon et les prononcent chacun à leur manière, mais personne ne trouve ce fait singulier ou surprenant.
12. DES CARACTÈRES CHINOIS QUI N’ÉCRIVENT PAS LE CHINOIS En l’absence de langue véhiculaire, en revanche, il n’y a point de transcendance. Des mots proprement régionaux, même s’ils sont écrits en caractères chinois, ne sont plus compréhensibles par les Chinois qui ne parlent pas la langue en question. Citons ici quelques mots cantonais : 闭翳 bai3ngai3 « s’inquiéter », 焗亲 guk6can1 « inso‐ lation », 掟 煲 deng3bou1 « séparation (d’un couple) », 夹万 gab3man6 « coffre-fort », etc. La connaissance de ces caractères n’aura aucune utilité pour ceux qui ne parlent pas cette langue, puisqu’ils servent à écrire des signifiés totalement différents qui ne correspondent pas, reprenons l’expression de Saussure, « à une même idée » que le chinois véhiculaire. Ainsi, débarquant à Hongkong, un Pékinois ou un Shanghaien, à moins qu’ils ne parlent aussi le cantonais, ne comprendront pas grandchose à la lecture d’un journal local1. Ils par‐ viendront tout au plus à en saisir les grandes lignes en s’appuyant sur les mots du tronc commun, dispersés çà et là au fil du texte.
甲:我知影汝喙箍佫咧搐啊。 乙:汝勿愛 佇遐「牛椆內惡牛母」,共 我講徦無一地仔好。 甲:台灣有四季分明的天氣,佫有種作 的好地理,稻仔大粒佫飽穗,果子甘甜好 氣味。 乙:有什麼果籽汝嘛紹介二項仔予阮鼻 芳一下。 甲:面巾傳好便,呣通等下喙瀾滴徦規 塗跤! 乙:我敢有赫「枵鬼」!
Figure 6. Extrait d’un blog taïwanais.
De même pour le min du sud de Taïwan, appelé « langue vulgaire taïwanaise », à laquelle les autorités proposent de donner une forme écrite officielle2. C’est sans compter que d’autres personnes, dans un esprit rebelle, composent des textes en attribuant aux caractères des valeurs différentes, tant phonétiques que sémantiques. Ces textes, entiè‐ rement en chinois au premier coup d’œil (figure 6), ne sont pas pour autant
1. C’est la seule communauté qui possède une presse écrite en yuèyŭ 粤语, langue locale. 2. Il semble que ce projet, promu depuis une dizaine d’années, ne fait pas encore consensus.
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compréhensibles pour tous, y compris même les locuteurs de cette langue min. Au fond, c’est tout le contraire d’une lingua franca. Ainsi, ce qui transcende l’oral n’est pas l’écriture en caractères, mais bien une langue commune écrite. Dire que l’écriture chinoise transcende les langues régionales, cela revient presque à dire que l’alphabet latin transcende le français, l’italien, le finnois ou le turc. C’est confondre la matière première avec l’objet que l’on fabrique à partir de cette matière.
13. AU-DELÀ DES FRONTIÈRES Pour reprendre l’expression chère aux promoteurs d’une prétendue supériorité scripturale chinoise, qu’en est-il alors de la « zone culturelle de l’écriture chinoise1 » ? En effet, on met en avant le fait que, dans le passé, le Japon, la Corée et le Vietnam ont tous adopté l’écriture chinoise avant d’inventer leur propre système. En Occident éga‐ lement, ceux qui défendent la thèse d’une écriture idéographique avancent des argu‐ ments semblables : « Ce système d’écriture par l’association d’une idée et d’un caractère peut facilement être utilisé par d’autres langues que le chinois2 ». Or, l’expression même de « zone culturelle » trahit déjà une confusion de notion. Là non plus, ce n’est pas la seule écriture qui s’est diffusée dans cette zone, mais bien les textes fondateurs chinois qui véhiculaient une culture et une pensée. Les anciens lettrés japonais, coréenss et vietnamienss maîtrisaient tous le wényán, mais ils l’utilisaient bel et bien comme une langue étrangère. C’était certes une langue graphique, mais elle n’était pas muette : la preuve en est qu’en japonais moderne, la plupart des kanjis, caractères empruntés au chinois, conservent encore clairement les traces de la pronon‐ ciation chinoise, qui était la leur à l’époque où ces caractères furent empruntés, à savoir entre les vie et viie siècles pour le vocabulaire bouddhique et confucéen, puis au xive siècle pour celui des moines Zen3. Une troisième grande vague d’emprunts survint vers la fin du xixe siècle, cette fois-ci dans le sens inverse : ce sont plusieurs centaines de mots japonais relatifs à la société moderne qui ont été intégrés dans la langue chinoise, direc‐ tement sous forme des caractères.
1. hànzì wénhuà quān 汉字文化圈. 2. In « Apport de l’écriture chinoise à la culture japonaise », sur Chine informations, https://chine.in. 3. Philip Philipsen. Sound business. The reality of Chinese Characters. New York: iUniverse, 2005, p. 4-6.
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Précisément en raison de ces « emprunts » histo‐ riques, les lecteurs de cette « zone » – notamment entre les Chinois et les Japonais –, peuvent en effet comprendre les caractères, voire les mots que leurs écritures partagent, 馬 « cheval », 馬車 « calèche » ou 馬術 « équitation », par exemple, et ce, sans passer par la prononciation. Ces caractères paraissent alors comme de parfaits idéogrammes, comparables aux chiffres 1, 2, 3. Cependant, ici, on ne fait, en réalité, que les regarder comme des images isolées, hors contexte. Dès qu’il s’agit des mots propres à chaque langue, les caractères communs aux deux langues, comme 馬上 « tout de suite » en chinois ou 馬鹿 « imbécile » en japonais, ne seront plus compris ni des uns ni des autres, et encore moins les phrases dont ils feront partie. La considération des caractères isolés, l’arrêt sur image, est donc sans rapport avec la langue écrite.
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Figure 7. Alphabet coréen de 1443, intitulé Prononciation correcte enseignée au peuple (1re page).
Contrairement à ce que beaucoup prétendent ou imaginent, les caractères, inventés par les Chinois pour écrire le chinois passent très difficilement dans une autre langue. Tout le monde sait que les kanjis, empruntés au chinois, restent dans l’écriture japonaise les signes phonologiquement les plus opaques. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le roi Sejong, quand il décida en 1443 de créer l’alphabet coréen, put déclarer : « Les sons de notre langue sont différents de ceux de la Chine, et ne sauraient être communiqués par cette écriture. De ce fait, trop nombreux sont les gens du peuple qui veulent exprimer quelque chose mais n’y parviennent pas bien. Déplorant cette situation, j’ai décidé de créer ces vingt-huit signes, accessibles à tous, afin de faciliter leur usage courant1 » (figure 7). En résumé, toutes ces idées reçues sont issues d’une seule et même méprise : on prend l’écriture pour la langue et le caractère pour un symbole. Espérant que ces obstacles ont été désormais levés, nous pouvons enfin entrer dans le vif du sujet.
1. Nous traduisons.
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2 L’ÉVOLUTION GRAPHIQUE DU CHINOIS ARCHAÏQUE
C
e chapitre et le suivant se proposent de retracer l’évolution graphique de l’écri‐ ture chinoise au fil des siècles. Il s’agit là d’un examen sur ce qu’on appelle les zìtĭ 字体, que nous choisissons de traduire par « graphismes ». Ce terme renvoie à l’aspect purement graphique que prennent les caractères, tels que l’on peut les obser‐ ver dans les documents représentatifs de la pratique courante d’une époque. Un gra‐ phisme commun et dominant reflète donc l’usage collectif et social de l’écriture, qu’il est utile de distinguer d’une part du « genre » calligraphique et d’autre part du « style » personnel d’un tel ou tel calligraphe. Cependant, nous le verrons, ces deux fonctions de l’écriture, l’une communicative et l’autre esthétique, ne sont pas toujours dissociables. Quant aux « graphies » des caractères, zìxíng 字形, à savoir la façon dont un caractère est conçu pour représenter un mot, nous les aborderons au chapitre 4. Là aussi, ces deux approches distinctes de l’écriture, le graphisme et la graphie, sont étroitement liées, étant donné qu’un changement du premier entraîne très souvent une modification de la seconde.
1. CE QUE RACONTENT LES LÉGENDES Dans l’état actuel des connaissances, les plus anciens écrits en chinois qui nous sont parvenus datent du xiiie siècle avant notre ère. Cependant, ces documents révèlent un état déjà assez avancé d’une véritable écriture, ce qui laisse penser que son histoire a
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débuté bien plus tôt. À la question « quand et comment l’écriture chinoise a-t-elle été inventée ? », la réponse, comme c’est le cas dans toute civilisation ancienne, est surtout apportée par les légendes. Les textes anciens se rapportant à la haute antiquité mentionnent maintes fois l’usage de cordelettes nouées ou d’encoches gravées sur bois en tant que moyens mnémotech‐ niques. Certains spécialistes modernes pensent voir les traces de ces pratiques dans les graphies anciennes de quelques mots, comme « vingt », « quatre », « sept » ou « dix ». Or, le lien nécessaire entre ces techniques et le développement d’une écriture n’a pas été attesté, ni chez les Incas qui utilisaient bien des « quipus », système fort sophistiqué de cordelettes nouées, ni chez certaines tribus d’Océanie ou chez les Lisu, une ethnie non han du Yunnan, qui connaissaient encore cette pratique jusqu’à une époque récente. La première mention de l’écriture proprement dite, on la trouve dans l’œuvre de Xun Zi 荀子, un philosophe du iiie siècle avant notre ère. Il évoque un dénommé Cang Jie 仓 颉, et le présente, très raisonnablement d’ailleurs, comme celui qui, à force de ténacité et de persévérance, aurait réussi à unifier les diverses formes d’écriture imaginées par de nombreux scripteurs amateurs. Mais, très vite, dans d’autres récits, le nom de Cang Jie commence à être associé à l’invention même de l’écriture. Tout compte fait, il fallait bien un personnage hors du commun pour assumer une aventure aussi extraordinaire. On lui attribua même un titre officiel : historio‐ graphe de l’Empereur Jaune, l’un des cinq souverains légendaires de la préhis‐ toire chinoise. Et c’est en observant les constellations célestes, les reliefs ter‐ restres ainsi que les empreintes laissées par les oiseaux et les quadrupèdes, que Can Jie aurait inventé l’écriture. Sa créa‐ Figure 8. Cang Jie, inventeur légendaire de l’écriture tion était dotée d’une telle puissance que, chinoise d’après une gravure du xviie siècle. lorsqu’elle fut accomplie, le ciel fit pleu‐ voir du millet, les démons pleurèrent la nuit et même les dragons se cachèrent dans les profondeurs des eaux. Par la suite, un texte dont l’authenticité et la date sont jugées
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2. L’évolution graphique du chinois archaïque
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douteuses1 n’hésite pas à le décrire comme un demi-dieu, né avec deux paires d’yeux et présentant une physionomie majestueuse digne d’un souverain (figure 8). La légende de Cang Jie s’est perpétuée dans la tradition chinoise : déjà sous le règne de l’empereur Qin Shihuang 秦始皇 (221-207), le premier manuel de caractères chinois standardisés, conçu par son ministre Li Si 李斯, fut intitulé Cang Jie pian 仓颉篇 « Livre de Cang Jie » . Au xxe siècle, on a donné son nom à une méthode de saisie informatique en caractères élaborée à Taïwan. En Chine, plusieurs endroits s’autoproclament comme son lieu de naissance, ou de mort, et ont construit des temples qui lui sont dédiés.
2. LES SHANG, PREMIERS SCRIPTEURS CHINOIS Qu’en est-il historiquement parlant ? D’après l’historiographie chinoise, la dynastie Shang (xviiexie siècles av. n. è.) « possédait des registres et des décrets2 ». De nos jours, cette assertion n’est plus guère mise en doute : on sait que les mots diǎn 典 « registre » et cè 册 « décret » existaient bel et bien à cette époque et que leurs graphies, et , repré‐ sentaient des livres, jiăndú 简牍, tels que les Chinois les fabriquaient à l’époque, c’est-à-dire un assem‐ blage de lattes de bambou ou de bois reliées par des ficelles (figure 9). Par ailleurs, la graphie du mot yù 聿 « instrument d’écriture » figure, quant à elle, une main tenant un pinceau . Bien sûr, nous ne retrouvons aucune trace maté‐ rielle de ces objets périssables datés de l’époque, mais les campagnes archéologiques, effectuées depuis plus d’un siècle ici et là en Chine du Nord, confirment qu’il existait, dès les premiers temps des Shang, une pratique liée au maniement du pinceau : des signes picturaux et scripturaux ont été découverts sur des
Figure 9. Un spécimen du jiăndú daté de l’époque des Han.
1. Il s’agit du Chunqiu yuanming bao《春秋·元命苞》, considéré comme un « classique » apocryphe. 2. 惟殷先人,有典有册。《尚书·多士》. In Shangshu [Classique des documents] (viiie siècle av. n. è. ?).
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supports très variés tels que poterie, pierre, jade ou corne. Cependant, ces signes plus ou moins isolés restent, dans l’état actuel des connaissances en tout cas, des vestiges recelant encore tout leur mystère. Leur trop faible quantité et l’ignorance où nous nous trouvons quant aux circonstances de leur production ne permettent aucune interpré‐ tation sérieuse et fiable. Ainsi, la genèse de l’écriture chinoise et les premières phases de son développement, que l’on est amené à situer au début des Shang, voire plus tôt, restent pour l’heure hypothétiques. En fait, ce que nous possédons de plus riche en documentation, à savoir de véritables textes, ne datent que d’une période tardive de leur règne. Une petite partie de ces textes se rencontrent dans les « inscriptions sur bronze » jīnwén 金文. En effet, il s’avère que, possédant une haute maîtrise de la tech‐ nique du bronze, les Shang ont fabriqué quantité d’instruments rituels, pour la plupart des récipients de toute forme. Ces objets comportent souvent des dessins emblématiques représentant des noms tri‐ baux ou les noms des ancêtres à qui étaient destinées les offrandes. Les textes proprement dits sont rares, et les plus longs, qui sont aussi plus tardifs, ne comptent pas plus d’une quarantaine de caractères. Celui que l’on voit ci-contre (figure 10) relate qu’un dénommé Li (ou Feng1) a pu offrir ce vase yŏu 卣 à l’ancêtre Muxin grâce à la récompense que lui Figure 10. Inscriptions sur le vase avaient valu ses exploits2. Au vu de l’aspect gra‐ nommé Xiaozi Li ( Feng?) you, xie siècle phique suffisamment soigné et parfois très compli‐ av. n. è., Anyang. qué de ces caractères, on pense qu’ils ont été tracés au pinceau avant d’être gravés sur le moule de fonderie en argile. Différentes dans leur aspect et dans leur mode de production, les « inscriptions sur carapaces de tortue et sur os » jiăgŭwén 甲骨文, présentent l’écriture la plus connue, la plus importante et la plus représentative des Shang (figure 11). Ces pièces, souvent des fragments, ont été pour la plupart exhumées des ruines de Yin 殷, la dernière capitale des Shang, située à Xiaotun 小屯, au nord-ouest de l’actuelle ville d’Anyang 安阳 dans le
1. L’interprétation n’est pas unanime concernant ce nom propre. 2. Yinzhou jinwen jicheng [Recueil des inscriptions sur bronze des Shang]. Institut d’archéologie de l’Académie des Sciences sociales de Chine. Hongkong : The Chinese University Press, 2001, p. 161.
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2. L’évolution graphique du chinois archaïque
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Henan. Cette cité fut fondée aux alentours de 1300 avant notre ère et occupée pendant deux cent soixante-dix ans environ. Or, cette écriture chinoise ancestrale, enfouie après l’abandon du lieu, fut totalement oubliée et ignorée de l’historiographie chinoise pendant trois millénaires et ce, jusqu’en 1899. Auparavant, ces os d’animaux gravés de curieuses inscriptions avaient déjà été déterrés, tantôt fortuitement, tantôt parce qu’on les cherchait expressément : certains faisaient partie des collections de quelques antiquaires, d’autres avaient été vendus aux pharmaciens sous le nom d’« os de dragon » en vertu de leurs prétendues propriétés médicinales. C’est tout à fait par hasard que quelques pièces tombèrent entre les mains du mandarin Wang Yirong 王懿荣. Cet érudit, spécialiste en écriture ancienne, y reconnut les précieux témoi‐ Figure 11. Inscriptions sur carapaces de tortue. gnages d’une écriture archaïque et commença à les collecter. L’année suivante, Wang se suicida d’humiliation et de colère, suite à la prise de Pékin par les alliés occidentaux. Son ami Liu E 刘鹗 reprit sa collection et publia un ouvrage, qui révéla au public l’existence des jiăgŭwén en tant qu’écriture des Shang. Entreprises à partir de 1928, des campagnes archéologiques ont permis d’exhumer et de répertorier à ce jour cent cinquante mille pièces environ. Ce sont en majorité des fragments comportant peu ou pas d’inscriptions. En revanche, lorsqu’elles sont entières ou presque, les textes peuvent atteindre plusieurs dizaines de caractères. De la totalité des quelque quatre mille signes différents, un quart environ a pu être déchiffré et a reçu l’aval du milieu académique1. Grâce aux études paléographiques et grammaticales menées depuis plus d’un siècle, ces connaissances, quoique limitées, ont rendu possible en grande partie la lecture des jiăgŭwén, les signes non déchiffrés concernant notam‐ ment des noms propres ou des figures abstraites. Ces textes relatent principalement des actes de divination effectués par la maison royale des Shang. C’est la raison pour laquelle ils sont connus en Occident sous le nom
1. Selon les spécialistes, un caractère peut être considéré comme « déchiffré » dans deux cas de figure : soit on parvient à établir son lien avec sa forme moderne sur les plans graphique et sémantique ; soit, en l’absence d’un équivalent moderne, on connaît sa composition graphique, son emploi ou son sens dans le contexte.
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d’inscriptions « divinatoires » ou « oraculaires ». Selon des procédés rigoureusement préétablis, on préparait des carapaces de tortue ou des omoplates de bovidés, on y faisait des perforations d’une forme standardisée sur lesquelles on appliquait ensuite l’extré‐ mité d’une tige de bois enflammée. Sous l’effet de la chaleur, des craquelures apparais‐ saient sur l’autre face. Un devin ou, le plus souvent, le roi lui-même les examinait et les interprétait, puis faisait graver ses pronostics à côté des craquelures. Toutes sortes de questions à l’adresse des puissances surnaturelles – dieux, démons ou ancêtres – étaient soumises à la divination : y aurait-il pendant la décade prochaine des soucis ou des malheurs ? Pleuvrait-il ? La récolte serait-elle bonne ? Gagnerait-on la bataille contre telle ou telle tribu ? Tel rêve du roi était-il de bon ou de mauvais augure ? L’enfant né de telle Dame était-il du roi ? Souvent, après l’événement, la confirmation des résultats y était ajoutée a posteriori. Grâce à ces inscriptions, nous possédons aujourd’hui sur la société des Shang de précieux renseignements dans des domaines aussi divers que la politique, la structure sociale, la religion, l’agriculture, la chasse, les actions militaires, l’astrologie, la naissance, la médecine, etc.1 Il est évident que ces pratiques scripturales ont été motivées, au départ, non dans l’intention de noter la parole, mais par des raisons religieuses ou culturelles. C’est d’ailleurs le cas de tous les systèmes endogènes anciens. Cependant, ces motivations non linguistiques n’ont pas empêché que l’écriture, une fois mise en place, soit utilisée à d’autres fins et évolue, suite aux changements sociaux, vers un véritable système de signes linguistiques. En effet, on constate que les graphies irrégulières et instables des premières périodes se sont progressivement régulées pour devenir plus simples et moins figuratives et que, du seul besoin divinatoire, ont émergé peu à peu de véritables discours écrits relatant, par exemple, les résultats d’une campagne militaire sans la présence d’aucune formule divinatoire2.
3. ON NE SE FIERA PAS À L’APPARENCE… Malgré leur apparence iconique, les inscriptions divinatoires constituent, dans l’ensemble, un système d’écriture logographique, c’est à dire une « écriture des mots ».
1. Pour une analyse plus détaillée des procédés divinatoires et de la portée culturelle des inscriptions divina‐ toires sur la pensée chinoise, Cf. Léon Vandermeersch, Les deux raisons de la pensée chinoise, divination et idéographie. Paris : Gallimard, 2013, 201 p. 2. Léon Vandermeersch, ibid. p. 49-51.
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En théorie, dans un tel système, les signes graphiques correspondent à des mots mono‐ syllabiques de la langue : un caractère représente un mot et un mot ne s’écrit qu’avec un seul caractère. Mais, dans la réalité, une écriture aussi régulière n’a jamais existé. Les jiăgŭwén, produit d’un système encore immature, présentent évidemment des irrégularités : d’abord, on y rencontre quelques mots dissyllabiques écrits distinctement par deux signes ; et, inversement, un nombre assez grand1 de signes qui fusionnent deux mots en un et qu’on appelle « caractères combinés » héwén 合文. Enfin, il arrive aussi que des mots proches par le sens soient écrits de manière identique. Malgré ces irrégu‐ larités, l’alignement des caractères obéit à une véritable syntaxe, ce qui permet aux grammairiens modernes d’en rétablir le sens, de les analyser et de les comprendre. Sur cette fameuse pièce n° 137 (figure 11)2, une des plus complètes et des mieux déchiffrées, trois formules de divination ont été inscrites en colonnes que délimitent des traits séparateurs, dont la lecture se fait verticalement, de gauche à droite. Voici la retranscription en caractères modernes de la formule du milieu (1) : (1) 癸丑卜,争贞:旬亡禍?王占曰:有祟有夢。甲寅允有來艱。左告曰:有逸芻自温,十人 又二。 « (Jour) guĭchŏu divination, (par) Zheng : N’y aura-t-il pas de malchances durant la prochaine décade ? Le roi a pronostiqué disant : Il y aura des malheurs. (J’ai) eu un rêve. (Le lendemain, jour) jiăyín il se produisit effectivement un événement fâcheux. Zuo l’a annoncé disant : Des esclaves (chargés de) couper des herbes se sont enfuis du (lieu dit) Wen, (ils sont) au nombre de douze3. » Transcrivant principalement des formules prédéfinies de divination, les jiăgŭwén présentent les particularités d’une « langue graphique »4, à savoir exclusivement desti‐ née à la vue : elle est à la fois laconique, concise et répétitive. La syntaxe, du type SVO
1. Estimé à plus de trois cents. Cf. Liu Haiqin. 2008. Jiaguwen hewen panduan fangfa de chubu yanjiu [Etude préliminaire sur la méthode d’identification des hewen dans les jiaguwen]. In. Chuantong Zhongguo yanjiu jikan, disiji [Recueil des études sur la Chine traditionnelle, vol. 4]. Shanghai : Shanghai renmin chubanshe. 2. Guo Moruo et al. Jiaguwen heji [Recueil général des jiaguwen]. 13 volumes. Beijing : Zhonghua Shuju, 1978-1983. 3. Nous traduisons. Les caractères 逸 et 温 de ce texte se prête à des interprétations différentes. Notre traduction est basée sur deux articles : (1) Qiu Xigui. Yinxu jiaguwen kaoshi si pian. Shi wen. « Quatre textes sur le déchif‐ frement des jiaguwen : interprétation du caractère wen ». In Li Xueqin et al. Haishang luncong, er [Recueil Haishang II]. Shanghai : Fudan Daxue Chubanshe, 1998. (2) Wang Ziyang. Shuo jiaguwen zhong de yi zi « Sur le caractère yi des jiaguwen », 2008, http://www.fdgwz.org.cn/Web/Show/573. 4. Nous empruntons ce terme à Vandermeersch (op.cit.). Mais l’auteur l’emploie à propos du wényán, chinois classique.
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« sujet-verbe-objet », est relativement simple, souvent relâchée et peu régulière. On remarque de fréquentes élisions et, sporadiquement, des inversions ou une altération de l’ordre syntaxique général. Les mots sont souvent polyvalents : le même mot peut représenter le substantif « poisson » ou le verbe « pêcher », un verbe peut être actif ou causatif signifiant, par exemple, « venir » ou « faire venir »1. Certes, il est légitime de supposer qu’un même mot écrit puisse avoir deux prononciations, mais nous n’avons évidemment pas la moindre idée de la forme phonique de cette langue. Cependant, les parties du discours telles qu’on les rencontrera dans le chinois archaïque postérieur y sont déjà présentes, y compris même un grand nombre de mots grammaticaux : pronoms, prépositions, adverbes, conjonctions, particules modales, etc. Tout compte fait, cette langue écrite s’avère assez proche de celle que les Zhou inscriront sur le bronze à partir du xie siècle avant notre ère. Par ailleurs, c’est aussi dans les jiăgŭwén que l’on trouve pour la première fois la notation des jours à l’aide du cycle sexagésimal2. Le support osseux, l’usage d’instruments graphiques durs et pointus ainsi que la hâte avec laquelle ils ont été exécutés expliquent le graphisme raide et anguleux des jiăgŭwén. En effet, comparé à celui qu’on observe sur les objets de bronze datés de la même époque, il est moins soigneusement formé, et les graphies des caractères sont moins complexes et souvent moins figuratives. Les nombreuses variantes d’un même caractère sont vraisemblablement dues à l’initiative personnelle des scribes. Même l’orientation des signes peut changer afin de s’adapter à l’alignement vertical et à l’espace disponible. On constate également au fil du temps une tendance progressive à simplifier la graphie de certains mots. Autant de raisons pour lesquelles les inscriptions oraculaires sont, en tant qu’une écriture, considérées comme une « variante vulgaire » par rapport aux inscriptions sur bronze, beaucoup plus formelles et soignées3.
1. Zhang Yujin. Jiaguwen yufaxue [Grammaire des jiaguwen]. Shanghai : Xuelin chubanshe. 2. Ce système calendaire traditionnel, qui combine les dix « troncs célestes » tiāngān 天干 et les douze « branches terrestres » 地支 dìzhī, a été utilisé trois millénaires durant avant d’être remplacé, au début du xxe siècle, par le système grégorien. 3. Qiu Xigui, op.cit. p. 48.
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4. LES ZHOU, APOGÉE DES INSCRIPTIONS SUR BRONZE Au début de leur règne, les Zhou continuaient à procéder au même type de divination sur des supports osseux. Leur écriture est très similaire à celle des Shang, tant dans sa forme que dans son contenu.
Figure 12. Tripode Maogong (-827), 497 caractères répartis à l’intérieur et à l’extérieur.
Mais, ce sont les inscriptions sur des objets de bronze divers et variés qui constituent la part la plus représentative de leur écriture. Initiée par les Shang, cette pratique sera progressivement portée à un très haut niveau tant en quantité qu’en qua‐ lité (figure 12). Cela s’observe jusqu’au milieu du ve siècle avant notre ère, aussi bien sous le règne des Zhou occidentaux que pendant la première période des Zhou orientaux, dite des « Printemps et Automnes ».
Des quelque 12 000 pièces comportant des ins‐ criptions et qui ont été exhumées dans des sites répartis sur une aire géographique relativement large, la majorité date des Zhou occidentaux. Hor‐ mis les caractères devenus illisibles, plus de 2 800 graphies différentes ont été répertoriées, parmi lesquelles 78 % environ peuvent être considérées comme déchiffrées. Les 22 % restant sont des signes très rarement utilisés, quand ce ne sont pas des hapax1. On appelle ces inscriptions jīnwén, jīn 金 signi‐ fiant « métal » en chinois archaïque. On les connaît aussi sous le nom de zhōngdǐngwén 钟鼎 文, parce qu’on les retrouve fréquemment sur des cloches, zhōng, sur des instruments rituels dǐng,
Figure 13. Extrait des inscriptions sur le tripode Dayuding qui comporte un texte de 291 caractères (-1003, Shaanxi).
1. Zhang Zaixing. Cong zipin kan Xi Zhou jinwen wenzi xitong de tedian [Examen des caractéristiques des inscriptions sur bronze des Zhou occidentaux sous l’angle de la fréquence]. Yuyan yanjiu, 1, 2004, p. 84-88.
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tels que tripodes ou quadripodes, et également sur des instruments de musique. D’autres pièces, tels que vases, plateaux, outils ou armes, peuvent aussi être recouverts d’ins‐ criptions. Les textes deviennent plus longs, certains atteignent jusqu’à plusieurs cen‐ taines de caractères (figure 13). Exécutés sur un support imputrescible, ils relatent les événements importants concernant rois et dignitaires, tous considérés comme mémo‐ rables et méritant d’être transmis aux générations futures : cérémonies rituelles, sacri‐ fices, offrandes, banquets, nominations, donations, victoires militaires, chasses, contrats, pactes d’alliance, etc. Pendant une première phase notamment, les graphies, similaires à celles des bronzes des Shang, conservent encore une forte iconicité et parfois même une tendance à la complexité. Quant au graphisme, les traits comportent des courbes et des arrondis, qui se terminent souvent par un plein suivi d’un délié. L’inégalité dans l’épaisseur des traits est telle qu’ils deviennent par endroits des carrés ou des ronds pleins. Néanmoins, ce type de tracé, encore très proche du dessin, va se transformer, vers la première moitié du xe siècle : les traits, désormais plus proches de la ligne, s’affinent et se redressent, et les pâtés disparaissent.
5. PREMIER MANUEL DE NORMALISATION ? D’après des textes historiques postérieurs, c’est sous le règne du roi Xuan des Zhou (827-782) que vit le jour un compendium de caractères, intitulé « Livre de Shi Zhou » Shĭ Zhòu piān 史籀篇. Le titre de cet ouvrage a donné lieu à des interprétations aussi diverses
Tableau 2. Exemples des graphies zhòuwén et jīnwén des Zhou occidentaux. Moderne
登 員 則
Bronze
Zhòuwén
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que variées. Selon l’une d’elles1, le livre serait l’œuvre d’un certain Zhou, ayant la fonc‐ tion d’historiographe, shĭ. De ses quinze chapitres, neuf se sont transmis jusqu’aux Han avant d’être totalement perdus. Du contenu de ce livre, seules quelque deux cents gra‐ phies nous sont parvenues par l’intermédiaire de leur reproduction – plus ou moins fidèle ? – consignée dans un dictionnaire du iie siècle, signé de Xu Shen 许慎, un lettré des Han orientaux2. Estimant que ce sont des graphies usitées à l’époque du roi Xuan, l’auteur les a nommées zhòuwén 籀文 « graphies de Zhou3 » pour les différencier des gŭwén 古文, « graphies antiques » qui sont, selon Xu et ses contemporains, encore plus anciennes. Il a fallu attendre l’archéologie moderne pour pouvoir comparer les zhòuwén avec les inscriptions que l’on rencontre sur des objets exhumés datés de la fin des Zhou occidentaux et du début des Prin‐ temps et Automne. En effet, on remarque entre eux de grandes similitudes (tableau 2) : tracé appliqué et soigné, traits arrondis et fort réguliers et aussi com‐ plexité de certaines graphies4. Autant de caractéris‐ tiques qui jouent en faveur de l’hypothèse selon laquelle les zhòuwén auraient été élaborés à partir des formes régulières des inscriptions sur bronze tout en se référant à celles des inscriptions oracu‐ laires. À partir de ce constat, on a tendance à penser que le « Livre de Shi Zhou » serait très probablement le fruit d’une volonté royale visant à imposer une écriture standardisée dans le domaine de l’enseigne‐ ment, mais aussi pour la transmission.
Figure 14. Caractères gravés sur une cloche. Carillon du Zengyihou (ve siècle av. n. è.).
Cependant, dès le début de la période des Printemps et Automne (777-476), on assiste au déclin du pouvoir central face à la montée en puissance des princes feudataires et à
1. Qiu Xigui, op. cit. p. 54. 2. On trouvera une présentation plus détaillée de son dictionnaire dans le chapitre 4. 3. Appelés également dàzhuàn 大篆. Mais, par la suite, ce terme a été employé de manière fort confuse, certains auteurs allant jusqu’à y ranger tous les graphismes antérieurs à l’époque pré-impériale. C’est la raison pour laquelle Qiu recommande de l’éviter (op. cit. p. 57). 4. Qin Guangquan. Zhouwen jikao – Jian lun Zhou Qin zhuanshuti de yanhua [Un examen des zhouwen – l’évo‐ lution de l’écriture de gravure des Zhou et des Qin], mémoire de Master de l’Université normale du Jiangsu, 2013, https://i.cnki.net/#/.
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l’établissement des États hégémons. Bien que l’on pratique toujours l’inscription sur bronze – à une moindre échelle et souvent par la gravure directe –, l’influence des pratiques régionales commence à se manifester progressivement. Un exemple nous est fourni par le carillon des soixante-cinq cloches rituelles (-443), découvert dans la tombe de Zeng Yi hou 曾 乙 侯 , marquis Yi de Zeng, située dans le Hubei (figure 14). Directement gravés puis dorés, les 3 755 carac‐ tères d’un texte consacré à la théorie musicale présentent en effet un graphisme très particulier : leur forme est déli‐ bérément étirée et leurs traits sont le plus souvent courbés, ondés, voire sinueux.
Figure 15. Le graphisme en « oiseau et insecte » sur une épée de Goujian, roi des Yue (520-465).
Dans les États méridionaux, apparaissent même des graphismes ornementaux maniéristes. Celui qu’on appelle « écriture en oiseau et insecte », niăochóngshū 鸟虫书, en est assez représentatif : les signes sont surchargés et ornés de volutes aux formes animalières – oiseaux, insectes ou pois‐ sons (figure 15). Ce sont certes des usages marginaux, mais ils annoncent déjà une tendance artistique dans l’acte scrip‐ tural.
Sur la base des inscriptions sur bronze, considérées comme une écriture orthodoxe ou « de prestige1 », zhèngtĭ 正体, les Zhou orientaux vont voir fleurir parallèlement diverses variantes dites « vul‐ gaires » ou « populaires » sútĭ 俗体.
6. LES ROYAUMES COMBATTANTS, CHACUN SA MANIÈRE D’ÉCRIRE ! Pendant l’époque dite des « Royaumes combattants » (476-221), eurent lieu d’inces‐ santes rivalités guerrières entre les États, dont les suzerains s’autoproclamaient rois. Cette période fut marquée par d’importants changements politiques et sociaux, par un
1. Olivier Venture. La question des « écritures chinoises » à l'époque des Royaumes combattants. In Arts asia‐ tiques, tome 61, 2006, p. 35.
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grand essor économique et technique ainsi que par un remarquable épanouissement culturel et intellec‐ tuel, autant de facteurs qui entraînèrent un dévelop‐ pement sans précédent de la pratique scripturale. Celle-ci se répand et se démocratise – certes au sein d’une élite – et, en même temps, se diversifie forte‐ ment en fonction des usages régionaux. Aujourd’hui, les paléographes s’accordent géné‐ ralement sur un classement en « cinq systèmes », à savoir, les systèmes de Qín, de Qí, de Yān, de Jìn et de Chŭ, ainsi nommés par référence non aux États, mais à des aires d’influence représentatives1. Cependant, un écart important s’étant creusé entre le système de Qin et les quatre autres, on a pris l’habitude de nom‐ mer le premier « écriture des Terres de l’Ouest » et les autres « écritures des Terres de l’Est »2. À l’Est, parallèlement aux caractères qui sont gra‐ Figure 16. Un exemple de « Houma mengshu » (≈550 av. n. è. Shanxi). vés à l’aide d’un instrument dur et pointu, d’autres graphismes apparaissent, que l’utilisation du pin‐ ceau rend sensiblement différents. On dispose en ce domaine d’une riche documenta‐ tion de première main datée des ve et ive siècles avant notre ère. À Houma 侯马 dans le Shanxi, on a découvert en 1965 quelque cinq mille tablettes de pierre ou de jade, dont plus de six cents comportent encore très lisiblement des caractères tracés au cinabre (figure 16). Ce sont des pactes d’allégeance conclus entre les chefs locaux et les princes de Jin 晋, vraisemblablement vers la fin des Printemps-Automnes ou le début des Royaumes combattants. En outre, sous le terme général de « lattes en bambou des Chu des Royaumes combattants », on a regroupé, en lots importants, des pièces exhumées des fouilles : citons notamment ceux de Baoshang 包山 et de Guodian 郭店 dans le Hubei, ceux acquis par le musée de Shanghai au marché des antiquaires de Hongkong (figure 17) ainsi
1. La plupart des spécialistes préfèrent ce classement à l’appellation des « écritures des six États » liùguó wézì 六国文字, qui, elle, fait référence aux États hégémons de l’époque. 2. He Linyi. Zhanguo wenzi tonglun (dingbu) [Sur les écritures des Royaumes combattants (compléments)], Nankin, Jiangsu jiaoyu chubanshe, 2003, p. 86.
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qu’une donation faite par un ancien élève à l’université de Qinghua. La majorité de ces documents sont des copies d’ouvrages philosophiques et historiques. Le graphisme de l’écriture au pinceau se présente sous deux aspects très différents selon le contenu des textes et la circonstance de la production : il peut être soit appliqué et solennel, soit brouillon et bâclé. Dans le deuxième cas, les traits, tracés rapidement et sans application, sont d’une épaisseur inégale qui laisse transparaître la souplesse du pin‐ ceau. Le plus souvent, le scripteur appuie au début d’un trait, puis soulève rapidement le pinceau, de sorte qu’épais au début ou en leur milieu, certains traits se terminent en une fine pointe. D’où le nom que lui a été donné de « graphie en têtard » kēdŏuwén 蝌蚪文. Ces for‐ mes manuscrites, malgré leur diversité, res‐ tent tout de même des variantes de l’écriture de gravure orthodoxe. Selon Qiu1, le terme de Figure 17. Écriture sur bambou (iiie siècle « graphie antique » attribué par les lettrés des av. n. è., État de Chu). Han à une écriture beaucoup plus ancienne, ne désigne en réalité que ces graphismes informels et vulgaires. En effet, c’est à partir de cette époque que l’écriture connaîtra véritablement deux ou plusieurs « graphismes synchrones », destinés à des usages différents : l’un est formel, régulier, appliqué et solennel, tandis que l’autre est informel, libre et peu soigné. Le second, tributaire du premier, s’en démarque comme étant sa variante vulgaire. Cependant, ces divergences de graphisme ou même de graphies ne concernent en réalité qu’une partie des caractères. Elles n’étaient pas assez prononcées pour nuire à l’intercompréhension entre les États, pas plus qu’elles n’altéraient l’intégrité du modèle commun légué par les Zhou2. Par ailleurs, les écritures disparates des Royaumes com‐ battants, qui s’écartent de plus en plus de la traditionnelle écriture sur bronze,
1. Qiu Xigui, op. cit. p. 60-61. 2. Cela n’empêcha pas, dans le cadre d’un processus de sinisation, l’adoption de l’écriture chinoise par d’autres communautés linguistiques de l’époque, tels que les Wu et les Yue. Cf. Venture, op.cit.
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constituent une phase transitoire, quoique unique, dans l’histoire. En effet, lors de l’uni‐ fication du pays, toutes les formes trop différentes de celle qui sera officiellement adop‐ tée seront prohibées, et elles disparaîtront progressivement de l’usage.
7. LES QIN, HÉRITIERS ET UNIFICATEURS Tribu originaire du grand Ouest, les Qin occupaient, pendant la période des Royaumes combattants, l’ancien territoire des Zhou occidentaux. En raison de sa situa‐ tion géographique éloignée qui l’isolait des « Terres de l’Est », cet État végéta pendant un certain temps dans une situation relativement arriérée avant de prendre, au ive siècle avant notre ère, rang d’État hégémon puis de première puissance. Unique système des « Terres de l’Ouest », son écriture s’avère comparativement plus conservatrice et plus fidèle à la tradition ortho‐ doxe des Zhou occidentaux. Comme partout ailleurs, elle avait pour supports des objets en bronze, des pièces de monnaie, des sceaux et des poteries, mais on la connaît surtout par ses inscriptions gravées sur pierre ou tracées au pinceau sur bambou, deux procédés qui don‐ neront lieu à deux graphismes très différents l’un de l’autre. Parmi les inscriptions lapidaires, probable‐ ment les plus anciennes de l’histoire, on peut Figure 18. Un des tambours de pierre des Qin, citer celles qui sont gravées sur les dix « tam‐ (vers la fin des Printemps et Automnes ou le début de l’Empire). bours de pierre » shígŭwén 石鼓文 (figure 18) et sur les stèles, notamment celles laissées par les deux empereurs des Qin lors de leur voyage à travers le pays, ainsi qu’un texte appelé « Imprécations contre Chu » zŭ Chŭ wén 诅楚文 1. Les caractères, malgré leur propre évolution au fil du temps vers la régularité, l’équilibre et l’uniformisation, ont été très visiblement influencés par les zhòuwén des Zhou occidentaux. Puis, pendant la période des Royaumes combattants, cette tendance conformiste fait que l’écriture des Qin
1. Ces stèles n’ayant pas survécu, on les connaît seulement sous forme d’estampages datés des Song.
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s’écarte de plus en plus des autres systèmes, tant et si bien que lors de l’unification du pays par le premier empereur Qin, en 221 avant notre ère, il s’avéra urgent et impératif pour le nouveau régime d’unifier les graphies et le graphisme de l’écriture afin de gou‐ verner. Les Qin s’appuyèrent tout naturellement sur leur propre écriture de prestige lorsqu’ils entreprirent de concevoir plusieurs compendiums, dont le plus fameux demeure le « Livre de Cang Jie » Cāng Jié piān 仓颉篇, signé du premier ministre Li Si 李斯. Contrairement à ce que prétend la tradition, Li Si n’a pas créé l’écriture des Qin, mais il en a fait une normalisation. Cet acte, le premier sans doute de nature officielle dans l’histoire, s’inscrit d’ailleurs dans une politique plus générale : standardisation des poids et mesures, ainsi que de l’écartement d’essieu, adoption d’une monnaie unique, toutes mesures qui résument la politique centralisatrice de l’Empire.
Figure 19. Estampage de la stèle « Langya » découverte à Shandong en 1922, dont l’écriture en « petite sigillaire » est attribuée à Li Si.
Ouvrons ici une parenthèse pour apporter une précision terminologique : ces nouvelles « graphies de gravure »1 élaborées par les Qin prendront a posteriori, sous les Han, le nom de xiăozhuàn 小篆, ce qui les distinguait de ses variantes antérieures qui reçurent dès lors le nom de dàzhuàn 大篆. Aujourd’hui, dans les ouvrages en langues occidentales, ces deux termes sont systématiquement traduits par « petit sceau » et « grand sceau », ou « petite sigillaire » et « grande sigillaire », car ils seront largement employés, beaucoup plus tard, dans la gravure de sceaux ou d’autres objets en pierre et en métal. Conscients donc, qu’il s’agit d’anachronismes, nous utiliserons néanmoins le terme de « sigillaire » comme un pis-aller à défaut d’alternative consensuelle.
D’un aspect général pompeux et rigoureux, le graphisme de la petite sigillaire est caractérisé par la forme légèrement rectangulaire des caractères, un tracé maniéré et une disposition compliquée, voire sophistiquée des composants (figure 19). Comparée
1. Le sens de zhuàn 篆 est sujet à discussion : notre traduction est basée sur l’interprétation selon laquelle ce caractère serait une variante de 瑑 zhuàn « graver sur jade ». Cf. Qiu, op. cit. p. 72.
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aux inscriptions lapidaires, l’écriture se fait moins figurative tout en restant encore très archaïque. En effet, les caractères paraissent plutôt dessinés avec des lignes que tracés avec des traits d’écriture. Ces lignes, d’une épaisseur parfaitement uniforme sans pleins ni déliés, sont courbées, arrondies et même flexueuses. Il est aisé d’imaginer le soin et le temps qu’exigeait leur exécution. C’est sans doute la raison pour laquelle, dans la réalité, malgré son orthodoxie, ce graphisme n’a été que très marginalement utilisé pour la simple communication. Parallèlement, à l’instar des systèmes des « Terres de l’Est », on rencontre aussi, dans les documents de l’État de Qin, une variante vulgaire qui se démarque sensiblement de l’écriture de gravure. De précieux vestiges, datant pour la plupart de la fin des Royaumes combattants, ont été retrouvés en très grande quantité à partir des années 1970, dans les tombes de plusieurs sites, notamment dans le Hubei et le Hunan. Ce sont surtout des documents d’usage courant : textes de loi, décrets, almanachs et même correspondances épistolaires. Tableau 3. Les graphies de la « petite sigillaire » et de leur variante vulgaire sous les Qin. Moderne
Petite sigillaire
州
立
明
書
Variante vulgaire des Qin
En fort contraste avec la petite sigillaire et tout aussi distincts des écritures vulgaires des systèmes de l’Est, ces caractères, tracés au pinceau sur bambou et de manière assez appliquée, présentent une forme bien carrée, des traits droits, étirés et angulaires ainsi qu’une tendance à la simplification graphique (tableau 3). Comme ailleurs, cette variante vulgaire, baptisée plus tard « chancellerie Qin » Qínlì 秦隶, s’est développée de manière spontanée : elle était utilisée en parallèle avec la sigillaire orthodoxe. Son usage est non seulement attesté dans des documents écrits sur bambou, mais aussi, à partir du milieu du ive siècle avant notre ère, sur des armes ou des sceaux de bronze, objets pourtant pérennes et officiels. Tout se passe comme si, mise au point par des scribes
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surchargés de travail, cette variante informelle, plus commode et plus facile à tracer, était aussi de temps à autre tolérée par la classe dirigeante1, malgré son statut peu glorieux. Quand on sait que, par la suite, cette variante vulgaire sera adoptée par les Han et qu’elle servira de base à leur écriture orthodoxe, on est en droit de penser que, dans une certaine mesure, les Qin ont plus largement contribué à unifier l’écriture du pays par l’usage répandu d’une écriture spontanée que par leur petite sigillaire officielle. Depuis les inscriptions oraculaires des Shang jusqu’à la sigillaire normalisée des Qin, ces écritures archaïques sont dans l’ensemble caractérisées par leur graphisme de « gravure », plutôt dessiné qu’à proprement parler écrit, ainsi que par leurs graphies encore très imprégnées de leur origine pictographique. En tant que graphisme dominant, ces formes, issues d’une lignée antique, seront progressivement abandonnées, cédant la place à une variante vulgaire – la future « chancellerie » –, apparue à partir du milieu de l’époque des Royaumes combattants tant à l’Est qu’à l’Ouest. Cette évolution illustre la rupture qui s’est faite entre les écritures dites « archaïques » et celles que l’histoire considère comme « modernes ».
1. Tang Lan. Zhongguo wenzixue [L’écriture chinoise]. Shanghai guji chubanshe, 2005, p. 165.
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3 L’ÉVOLUTION GRAPHIQUE À PARTIR DE L’ÉPOQUE DES HAN
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es quelques siècles suivants ont vu s’opérer, sur la base de la chancellerie Qin, le passage progressif des « écritures archaïques » gŭwénzì 古文字 vers les écri‐ tures dites « modernes » jīnwénzì 今 文 字 . Celles-ci sont considérées comme « modernes » par rapport à toutes celles que nous avons vues jusqu’ici, mais elles le sont aussi en raison de leur très grande similitude avec les graphismes toujours usités aujourd’hui. Autrement dit, après cette longue période mouvante, il n’y aura plus de changements significatifs. Mis à part le fait que les mutations graphiques étaient contraintes ou favorisées par les outils et les supports matériels couramment employés, elles ont été surtout motivées et déclenchées par un besoin collectif de rendre l’acte d’écrire plus facile et plus rapide tout en assurant la lisibilité du message pour le plus grand nombre. À ces facteurs pragmatiques s’ajoute une prise de conscience de l’aspect purement esthétique de l’écriture, qui incitait les lettrés à s’emparer des graphismes communs pour les améliorer et les porter jusqu’à la perfection d’un « genre » calligraphique.
1. LES HAN QUI « EXCELLAIENT AUX ÉCRITURES » Certes, la dynastie des Han nous a laissé un nombre assez important d’inscriptions lapidaires sur stèle, mais ce sont les lattes de bambou et les planchettes de bois qui restaient les principaux supports de l’acte scriptural courant. Dans une bien moindre
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mesure, on utilisait aussi le tissu de soie, beaucoup plus coûteux. Quant au papier, des vestiges archéologiques permettent d’en faire remonter l’usage, en tant que support
d’écriture1, au début du IIe siècle, époque à laquelle sa qualité aurait été améliorée grâce à Cai Lun 蔡伦, un haut fonctionnaire contrôleur des ateliers impériaux, à qui la tradition attribue l’invention même du papier. Contrairement à la petite sigillaire des Qin issue d’une mesure normative impériale, les graphismes des Han évolueront plutôt selon un processus spontané, déclenché depuis le bas de l’échelle sociale, à une époque où l’écrit était présent au quotidien. Mais, une « politique linguistique » que l’on pourrait dire tolérante a certainement favorisé ces changements profonds. Des textes anciens mentionnent maintes fois que tel empereur Han ou telle dame de la cour « excelle aux écritures ». Ces passages, souvent élogieux, laissent penser que la haute société avait un goût très prononcé pour les exercices d’écriture, non seulement en « chancellerie Han », qui était, somme toute, l’écriture courante de l’époque, mais aussi en écritures anciennes dont les connaisseurs commençaient à se faire rares2. Ce goût de la cour pour l’écriture explique aussi les mesures prises dans les domaines éducatif et administratif : on élabora plusieurs manuels d’écriture pour enfants ; on créa des écoles de village ; la sélection des hauts fonctionnaires par « recommandations » se vit complétée d’examens écrits ; certains de ces examens étaient même spécifiquement destinés aux jeunes gens de douze à seize ans, et exigeaient la maîtrise de plus de cinq mille caractères en six graphismes différents3. Enfin, l’empereur Wudi 汉武帝 (141-87) fonda l’« Université impériale » tàixué 太学, destinée à former des érudits suivant la seule pensée confucéenne, désormais promue doctrine officielle. Encouragée par les autorités, la population qui participait à la production écrite ne cessait de croître. On y comptait nombre d’excellents scripteurs maîtrisant aussi bien les graphismes anciens que modernes. Cependant, que ce soient les scribes et les fonc‐ tionnaires, dont l’écrit était le pain quotidien, ou les lettrés qui pratiquaient l’écrit dans leurs études, tous s’écartaient insensiblement du graphisme officiel : les premiers, parce qu’en simplifiant ils y trouvaient un allégement dans l’accomplissement de leurs lourdes
1. L’apparition du papier dans la région nord-ouest est attestée dès le ier siècle avant notre ère, mais pour des usages autres que scriptural. 2. Tomiya Itaru 冨谷至. « Shishu » kao [Un examen des expressions « shishu »]. In Xibei daxue xuebao, 1, 1983, p. 45-50. 3. Xu Shen. Préface de Shuowen jiezi. Cf. chap. 4.1.
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tâches administratives, les seconds, parce qu’engagés dans « la voie du pinceau et de l’encre »1, ils étaient sans cesse en quête de nouvelles formes. Tous ces facteurs réunis, l’époque des Han présentait une conjoncture très favorable où, parallèlement au respect du graphisme officiellement reconnu, une grande créativité se donnait libre cours dans la pratique informelle ou privée. Tous les graphismes dits « modernes » ont pris racine et ont mûri pendant ces quatre siècles, successivement et parfois même simultanément.
2. ÉVOLUTION OU CRÉATION ? Ainsi, en même temps que les mesures éta‐ tiques venaient d’en haut, les nouvelles formes, à l’inverse, apparaissaient sous les pinceaux de ceux qui, en bas de l’échelle, écrivaient par obligation. Globalement parlant, ont coexisté, à chaque période, un graphisme de prestige, considéré comme formel et officiel, et une variante vulgaire et informelle, spontanément mise au point. Le premier était réservé à la gravure des stèles, aux rapports destinés à la hiérarchie supérieure, à la composition ou aux examens, tandis que la seconde était utilisée pour tous les écrits de la vie courante, tels que correspondances personnelles, comptes, contrats, brouillons, aide-mémoire, etc. Après Figure 20. Statuettes représentant deux scripteur et l’autre vérificateur un temps plus ou moins long de mûrissement, scribes, l’un est (Jin, début ive siècle). celle-ci finissait soit par supplanter le premier pour devenir à son tour l’écriture officielle‐ ment reconnue, soit par devenir un genre à part et s’élever au rang de calligraphie. Or, nombre de textes anciens citent, a posteriori, les noms de quelques lettrés en leur attribuant l’invention de tel ou tel genre nouveau : ainsi, Cheng Miao 程邈 aurait inventé la « chancellerie » lorsqu’il était prisonnier ; Zhang Zhi 张芝 a été qualifié de
1. hàn mò zhī dào 翰墨之道. L’expression est de Zhang Huaiguan 张怀瓘 des Tang (VIIIe siècle) dans son traité Shuduan 《书断》.
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« dieu de la cursive » ; Wang Xizhi 王羲之 et son fils Wang Xianzhi 王献之 auraient mis au point la « cursive » moderne ; à Liu Desheng 刘德升 fut discerné le titre d’« ancêtre de la courante » et à Zhong Yao 钟繇 celui d’« ancêtre de la régulière », etc. Le prestige dont jouissaient les lettrés et la consécration de la calligraphie aidant, ces légendes se sont transmises jusqu’à une époque très récente avant d’être relativisées. Aujourd’hui on s’accorde à dire que le rôle de ces calligraphes a plutôt consisté à porter à un haut niveau de maîtrise un graphisme commun déjà répandu et abouti. Autrement dit, l’apparition d’un excellent calligraphe maîtrisant à la perfection tel ou tel graphisme serait précisément le signe que ce même graphisme a atteint sa pleine maturité grâce à l’usage social1. À cela s’ajoute un autre fait non négligeable : étant donné que la majorité des œuvres calligraphiques de cette époque ne nous sont connues que par des copies, rares sont celles qui peuvent être authentifiées comme originales. Seuls les objets archéologiques révèlent ce qu’était au quotidien la vraie pratique scripturale d’une multitude de scripteurs, renvoyant ainsi au statut de légende les prétendues créations personnelles des calligraphes. En effet, il n’est pas rare de constater, sur les pièces issues d’un même site, la présence simultanée de plusieurs graphismes plus ou moins proches et parfois inextricablement mêlés. Ce phénomène de « graphismes synchrones »2, déjà présent dans certains docu‐ ments de l’État de Qin3, prit une proportion démesurée à partir des Han orientaux : on y rencontre principalement une « chancellerie » tracée de manière plus ou moins appli‐ quée et d’une main plus ou moins sûre, encore un peu de « sigillaire » – vestige du passé –, on y constate déjà la présence d’une « cursive » brouillonne et bâclée, ainsi que d’une « courante », plus sage et plus lisible ; on y trouve enfin une « régulière » à l’état embryonnaire4. Chacun de ces graphismes figure soit sur des pièces séparées, qui
1. Wang Fengyang. Hanzi xue [L’écriture chinoise]. Changchun, Jilin wenshi chubanshe, 1998, p. 208-210. 2. Ibid. p. 179. 3. Sur les documents exhumés à Shuihudi 睡虎地, à Zhoujiatai 周家台 et à Liye 里耶. Cf. Wang Xiaoguang. Jiandu canzhi suo zhanshi de richang shuxie jiqi shushi yiyi [La pratique scripturale au quotidien révélée par les écrits sur bambou ou bois et sur bribes de papier ainsi que son apport à l’histoire de l’écriture]. In Zhonguo shuhua, 2014, 3, p. 75-79. 4. Il est à préciser que tous ces termes désignant les graphismes différents ont été attribués a posteriori, une fois connu leur état d’aboutissement ultérieur.
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mettent en valeur la personnalité ou la compétence des divers scripteurs, soit sur une même pièce où ils sont alors l’œuvre d’une seule main1. Par ailleurs, on remarque que les documents portant une signature sont souvent écrits avec plus de soin, contrairement à ceux, plus nombreux, qui sont issus de mains anonymes. Tout se passe comme si les formes nouvelles et libres étaient d’abord mises au point par des scribes subalternes. Diffusées ensuite dans l’administration, ces formes semblent avoir été peaufinées et améliorées par les fonctionnaires gradés et finalement employées dans les documents officiels adressés à la hiérarchie supérieure. Ainsi, le passage d’un graphisme à l’autre ne s’opère pas – comme on l’a longtemps pensé –, au fil du temps et sous l’impulsion de créations personnelles, il est bien plutôt le résultat de la pratique spontanée d’une masse de scripteurs anonymes. Voyons maintenant ces graphismes l’un après l’autre, non pas dans un ordre stricte‐ ment chronologique, mais en suivant la logique de leur évolution.
3. LA « CHANCELLERIE », TRANSFORMATION PAR JEUX DE PINCEAU Lìshū 隶书, littéralement « écriture des scribes » ou de « la chancellerie »2, tel est le nom donné au graphisme vulgaire apparu dans l’État de Qin puis adopté par les Han. Le mot lì désignait à l’époque les employés subalternes de l’administration, notamment les gardiens de prison. Il est donc très probable que ce graphisme a été ainsi nommé en référence aux tâches scripturales que ces scribes devaient exécuter constamment et en grande quantité. Loin de se référer à un modèle préalablement fixé, la « chancellerie », terme que nous adoptons désormais pour sa commodité, a connu plusieurs variantes3 entre les Qin et la fin des Han orientaux, chacune étant la marque d’une période ou/et d’un contexte d’emploi spécifique. Ce fut, tout d’abord la « chancellerie ancienne » gŭlì 古隶, que l’on observe notamment dans les documents des Qin et de la première période des Han
1. Liu Tao. Changsha Dongpailou donghan jiandu de shuti yu shuxiezhe [Les écritures sur bambou et sur bois de Dongpailou à Changsha et leurs scripteurs]. In Zhongguo shufa, 2014, 5, p. 119-137. Cf. également Liu Shao‐ gang. Cong Wuyi-Guangchang jian kan shuti yanbian de jige wenti [Quelques questions sur l’évolution gra‐ phique après examen des lattes provenant de la Place Wuyi]. In Shufa, 2016, 1, p. 53-63. 2. Emprunté à Jean-François Billeter. L’art chinois de l’écriture. Genève : Skira, 1989. 3. Qiu Xigui, op.cit. p. 80-87.
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occidentaux, et qui porte encore très visiblement les empreintes de la sigillaire. Sur cette base, on voit se former peu à peu la « chancellerie Han »1 Hànlì 汉隶 qui atteint sa maturité au cours du ier siècle avant notre ère. Sans doute favorisé par un perfectionne‐ ment décisif du pinceau2, c’est un graphisme sophis‐ tiqué, régulier et solennel, réservé aux documents officiels ou aux inscriptions lapidaires. Quant à la « chancellerie vulgaire » tōngsú lìshū 通 俗 隶 书, employée parallèlement à la précédente, c’est celle de la pratique quotidienne, plus simple et moins appliquée. Ce graphisme vulgaire poursuivra sa Figure 21. Un document sur soie propre évolution et donnera naissance, vers le milieu exhumé à Mawandui. des Han orientaux, à la « nouvelle chancellerie » xīnlìtĭ 新隶体, un graphisme transitoire qui conduira à l’émergence d’autres formes plus tardives et plus modernes. Des documents en bambou et en soie ont été découverts dans des tombes d’aristo‐ crates ou de riches personnalités. Les plus connus sont ceux découverts dans les sépul‐ tures explorées dans les années 1970 sur le site de Mawangdui 马王堆 dans le Hunan (figure 21). Ce sont, pour la plupart, des inventaires funéraires et des copies d’ouvrages classiques. Ces textes, exécutés par différents scripteurs au fil de dizaines d’années, à savoir depuis les Qin impériaux jusqu’au début des Han occidentaux, révèlent un état graphique typique d’une période transitoire : sauf une petite partie qui est encore tracée en sigillaire, ils sont principalement écrits en chancellerie ancienne, parfois dans un mélange des deux. Cependant on y perçoit déjà quelques signes avant-coureurs de la chancellerie Han3. Dès le début du xxe siècle, d’importants lots d’ouvrages en lattes de bois ont été découverts dans plusieurs sites de la région nord-ouest, notamment à Juyan 居延 en Mongolie intérieure, à Dunhuang 敦煌, Jiuquan 酒泉 et Wuwei 武威 dans le Gansu ainsi qu’à Loulan 楼兰 près du Lop Nor dans le Xinjiang (figure 22). Ces vestiges, laissés par des garnisons lors des expéditions militaires menées contre les Xiongnu à partir du
1. Appelée aussi « écriture bāfēn » 八分书. 2. Jean-François Billeter, op. cit. p. 75. 3. Tian Zhen. Qianxi Mawandui Han boshu shuti xingtai [Une analyse de la morphologie graphique des docu‐ ments sur soie de Mawandui]. In Yishu pinjian, 5, 2016, p. 224-225.
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règne de Wudi jusqu’aux Jin occidentaux au IVe siècle, ont été enfouis sous les sables et se sont bien conservés grâce au climat sec de la région. Il s’agit principalement de documents d’usage courant, dus à des scribes subalternes. Vu la très longue période sur laquelle ces écrits ont été exécutés, on n’y rencontre pas que les chancelleries, vulgaire ou régulière, dans leur parfaite maturité, mais on y constate aussi l’usage mixte des formes naissantes1. Plus récemment, entre 1996 et 2004, des fouilles ont été effectuées à Changsha, dans le Hunan, aux lieux-dits Zŏumălóu 走 马 楼 et Dōngpáilóu 东牌楼. Les dizaines de milliers de lattes de bambou nous révèlent ce qu’était la pratique scripturale au quotidien dans la région sud, vers la fin du iie siècle, c’est-à-dire sous les Han orientaux et surtout au royaume de Wu pendant la période des « Trois Royaumes ».
Figure 22. Lattes de bois exhumées à Juyan, datées du ier siècle av. n. è.
Très différentes, en revanche, sont les ins‐ criptions sur falaises ou sur stèles, dont une dizaine de pièces nous sont parvenues, complètes ou fragmentaires. Ces textes lapidaires, destinés à perdurer, ont été réalisés avec beaucoup de soin et d’application. Leur gra‐ phisme, représentatif de la chancellerie des Han, montre ainsi non seulement ce qui devait être considéré à l’époque comme l’écriture officielle et solennelle, mais aussi les styles artistiques très personnels des scripteurs. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces stèles sont devenues plus tard des références prisées de ceux qui pratiquent la cal‐ ligraphie (figure 23). Véritable écriture « manuscrite » au sens propre du terme, la chancellerie Han marque une rupture radicale avec la petite sigillaire. Tout les oppose, en effet, quant à leur exécution et à leur ductus, à savoir les directions dans lesquelles les traits sont tracés
1. Dong Wenqiang. Hanjian shufa yishu jiqi jiazhi gaishu [Un aperçu sur les graphismes des hanjian et sur leur valeur artistique]. In Shufa, 1, 2016, p. 64-68.
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et l’ordre dans lequel ils se succèdent. Il s’agit désormais d’un ductus plus instinctif, plus fluide et donc plus naturel, qui obéit aux mou‐ vements physiques du corps humain et aux contraintes imposées par la souplesse d’un pinceau. Ainsi, les courbes de la sigillaire deviennent des droites, les arrondis se trans‐ forment en angles, les lignes flexueuses que l’on dessinait en continu ont été rompues pour devenir des traits séparés, et l’épaisseur des traits, au lieu d’être uniforme, varie en fonc‐ tion de leur tracé et de leur emplacement. Grâce à ces transformations, l’acte d’écrire devient enfin opérationnel. La chancellerie Han, cependant, reste un graphisme appliqué. Par rapport aux écritures archaïques, on a énormément gagné en flui‐ dité et en naturel, mais pas beaucoup en vitesse. En effet, les trois étapes d’exécution Figure 23. Estampage d’une bribe des Stèles Xiping shijing « Classiques en pierre de des traits, à savoir attaque, développement et Xiping » gravées entre 175 et 183, dont terminaison, sont minutieusement opérées : l’écriture a été attribuée au lettré Cai Yong. l’attaque est souvent arrondie avec la pointe « cachée », à tel point qu’on la compare à une « tête de ver à soie » cántóu 蚕头, alors que la terminaison de certains traits, notamment les « jetés vers la droite » et les « horizon‐ taux », devient un plein fortement appuyé suivi d’un délié prolongé et relevé vers le haut, ressemblant à la « queue d’hirondelle » yànwĕi 燕尾 (tableau 4). Les caractéristiques facilement reconnaissables de la chancellerie Han sont donc ses effets emphatiques, ses « traits ondés »1 ainsi que son profil anguleux et étiré en largeur, traits qui s’expliquent sans doute, à l’origine, par le désir de caser verticalement le plus grand nombre de caractères possibles sur l’étroit support que sont les lattes de bambou. Le passage de la sigillaire, écriture ancienne, à la chancellerie, écriture moderne, a provoqué, quant à la graphie des caractères, beaucoup d’altérations et de simplifications. Ce phénomène, appelé « altération par la chancellerie » lìbiàn 隶变 a fait disparaître, en
1. Billeter Jean-François, op.cit. p. 75.
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Tableau 4. Graphismes en « petite sigillaire » et « chancellerie Han »a. Petite sigillaire Chancellerie Han Régulière moderne
永
來
事
令
字
a. Lin Hongyuan et al. Zhongguo shufa da zidian [Grand dictionnaire de la calligraphie chinoise]. Shanghai, Guanghua chubanshe, 1980.
même temps que les dernières traces de l’aspect iconique de l’écriture, celles de la moti‐ vation sémantique et phonétique d’un grand nombre de caractères. Nous l’examinerons au chapitre suivant.
4. LA « CURSIVE », PLUS RAPIDE, PLUS SIMPLE ET PLUS LIBRE Le terme căoshū 草书, « cursive », possède deux acceptions qu’il convient de consi‐ dérer séparément. Le qualificatif căo 草 signifiait et signifie toujours « grossier, peu soigné, bâclé », d’où son sens dérivé d’« esquisse, ébauche »1. Dans cette acception, căoshū renvoie à toute production manuscrite que l’on exécute de manière très rapide et peu soignée et ce, pour des raisons strictement pragmatiques. Pendant ces siècles de grands changements, on rencontre, à chaque phase, un graphisme cursif qui se forme spontanément sur la base de l’écriture régulière, qui s’emploie comme une variante vulgaire de celle-ci et qui en demeure tributaire. La deuxième acception, plus étroite, désigne un genre en calligraphie. Inspiré du graphisme commun utilisé dans les ébauches, il connaît ensuite, sous le pinceau des calligraphes, un perfectionnement sty‐ listique et mène à une nouvelle codification des graphies.
1. La traduction littérale par « style d’herbe » (car, selon certains, son allure est « agitée comme l’herbe dans le vent ») est une interprétation moderne basée sur le sens du nom căo 草 « herbe », homonyme de l’adjectif căo dans căoshū.
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Mais, dans un cas comme dans l’autre, la forme cursive, en raison des difficultés liées à son exécu‐ tion et à son déchiffrement par autrui, a toujours été secondaire et même marginale. Les premiers documents dont le graphisme pré‐ sente une certaine cursivité datent de la fin des Royaumes combattants, notamment sur les lattes de bambou des Qin et des Chu. C’est une cursive déri‐ vée de la sigillaire. Sous les Han, elle se formera à partir de la chancellerie vulgaire, que les scribes utilisaient dans les brouillons ou autres documents informels : par manque de temps et par commodité, ils traçaient les caractères si rapidement et si négli‐ gemment que ceux-ci présentent tout naturelle‐ ment une certaine cursivité (figure 24). Les procédés sont multiples : un trait long devient un diăn 点 « point », beaucoup plus court ; un « brisé » angulaire prend la forme d’une courbe, plus facile à tracer ; plusieurs traits se voient ratta‐ chés l’un à l’autre ; des composants contigus peuvent même être reliés entre eux, le trait final du premier se confondant avec le trait initial du second ; des composants complexes sont abrégés, simplifiés, remplacés parfois par un seul trait, d’autres sont carrément supprimés, et enfin, le ductus peut aussi varier en fonction de la cursivité.
Figure 24. Extrait du document sur bois nommé Wu si maju ce. Han orientaux, exhumé à Juyan.
Ayant ainsi abandonné le tracé « trait par trait », la cursive permet une exécution plus fluide encore, au cours de laquelle on soulève moins le pinceau, ce qui a pour conséquence de diminuer ou d’estomper, sans les faire totalement disparaître, les attaques arrondies et les terminaisons appuyées de la chancellerie. Le ductus devient même visible grâce aux « crochets » ou aux « pointes » que produit le mouvement du pinceau quand il enchaîne un trait avec le suivant. Il faut cependant noter que les libertés prises par les scripteurs ne pouvaient être que relatives et limitées : tant que l’écriture se fixe pour vocation première la communication, tout changement apporté aux graphies se doit d’être conventionnel. La graphie nouvelle d’un caractère ou même d’un composant ne pourra subsister et se diffuser que si elle est communément reconnue.
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Toujours est-il que, dans les dernières années des Han occidentaux, cette façon d’écrire négligée et commode donna naissance à une cursive plus ou moins codifiée1. C’est à partir du début des Han orientaux que quelques lettrés du nord-ouest, notamment Du Du 杜度 et Cui Yuan 崔瑗, s’inspirant de ces graphies cursives déjà en usage, les appli‐ quèrent à la calligraphie suivant, cette fois, une démarche délibérée. En effet, la cursivité, née à l’origine d’un geste naturel cherchant la facilité, va devenir au contraire une forme sciemment recherchée pour sa technique de tracé et son aspect esthétique, objectifs paradoxalement peu acces‐ sibles à la masse. On raconte que l’empereur Zhangdi des Han 汉章帝, fasciné par l’écriture de Du, lui ordonna même de rédiger ses rapports dans cette forme nouvelle. Ce fut le début d’une prise de conscience en ce qui concerne l’art d’écrire. Dès lors, la cursive, élevée au rang de véritable genre calligraphique, fut un temps très en vogue parmi les lettrés, qui s’adonnaient à son exercice avec une telle ardeur que certains esprits les voyaient d’un très mauvais œil2.
Figure 25. Extrait du Jijiuzhang de Shi You (iiie siècle), considéré comme un modèle de la « cursive ancienne », transmis par copie et gravé sur pierre au xve siècle : en partant de la droite, les 1re et 3e colonnes sont en cursive, avec en regard, aux 2e et 4e colonnes, les mêmes caractères en régulière.
Contrairement à l’écriture des brouillons telle qu’on l’observe sur les lattes de bois, le genre cursif est soigné et conventionnel. Les caractères, régulièrement espacés et d’une taille à peu près égale entre eux, conservent une par‐ faite unicité (figure 25). Les procédés de simplification de leurs graphies suivent un encodage plus ou moins régulier. Toutes raisons pour les‐ quelles on lui donnera plus tard le nom de « cursive régulière3 » zhāngcăo 章草. C’est
1. Li Yongzhong. Caoshu huafen siyi [Mon point de vue sur les différents types de cursive]. In Shoudu shifan daxue xuebao, 5, 2008, p. 23-29. 2. Zhao Yi 赵壹 (fin iie siècle) a ainsi signé un pamphlet fameux Fei chaoshu 非草书 « Contre la cursive », dans lequel il dénonce la futilité des lettrés qui passent leur temps à pratiquer ce graphisme en délaissant les écritures anciennes orthodoxes. 3. Le sens du mot zhāng 章 prête beaucoup à controverse. Sachant qu’il a, entre autres, le sens de « règle » ou « règlement », on a aujourd’hui tendance à interpréter zhāngcăo dans cette acception.
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Zhang Zhi 张芝 ( ? -192), surnommé « Dieu de la cursive », qui porta, semble-t-il1, ce genre à sa perfection.
5. ET LES CALLIGRAPHES ENTRÈRENT EN SCÈNE Après quatre siècles de stabilité, la chute de la dynastie des Han orientaux en 220 signifie la fin d’un empire unifié. Avec la disparition d’une structure administrative centralisée, s’effondrèrent à la fois le symbole cosmologique du pouvoir impérial et la domination du confucianisme, sa doctrine fondatrice. Avec les dynasties qui suivirent2, la Chine traversa une période d’éclatement territorial, marquée par des troubles poli‐ tiques et militaires, des désordres sociaux, des invasions par les « barbares » du Nord, sans compter les exodes de population qui suivirent la fuite de la cour vers le Sud. Dans ce contexte social et sous l’influence grandissante du taoïsme et, plus tard, du bouddhisme nouvellement introduit en Chine, une élite de lettrés, mécontente ou dégoûtée de la réalité, se détourna de la morale et des conventions traditionnelles pour cultiver un esprit totalement nouveau. Ils étaient très enclins à l’hétérodoxie comportementale, à l’évasion, à l’érémitisme et au raffinement spirituel. C’est aussi l’une des périodes les plus fécondes de la culture chinoise. Nombreuses sont les œuvres qu’elle nous a laissées : poésie, fiction, critique littéraire et calligraphie. Acte idéal de culture de soi réunissant la concentration de l’esprit, l’intégration des mouvements du corps à l’exaltation d’une expression personnelle, la calligraphie faisait en effet partie intégrante du bagage d’un lettré. C’est à l’époque des Jin orientaux, au sud du bas Yangtse, que, hissée à la hauteur d’un art majeur, elle connut un premier et brillant épanouissement. Considéré comme le plus grand calligraphe de tous les temps, Wang Xizhi 王羲 之 (321-379) est la figure emblématique de cette élite. Descendant d’une famille aristo‐ crate et lui-même ancien mandarin de haut rang, ce lettré talentueux se retira de la cour, vers la fin de sa vie, pour se consacrer entièrement à la culture de soi et à la calligraphie. Lui et son septième fils Wang Xianzhi 王献之 (344-386) ont joué un rôle décisif dans la
1. Aucune œuvre authentique de cet artiste ne nous est parvenue. 2. À savoir, les Wei 魏 (220-265) ou les Trois royaumes 三国, les Jin occidentaux 西晋 (265-316), les Jin orientaux 东晋 (317-420) et les dynasties du Nord et du Sud 南北朝. Seuls les Jin occidentaux connurent une unification de courte durée.
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codification des graphismes communs alors en usage et les ont portés à un niveau de perfection rarement égalé. Sur le plan matériel, l’essor de la calligraphie fut certainement conditionné voire favorisé par les progrès réalisés dans la fabrication du papier. Même si on connaît aujourd’hui des prototypes de papier datés des Han occidentaux, il s’avère que son usage en tant que support scriptural ne commença à se répandre qu’à partir de la fin des Han orientaux. Il connut ensuite un développement très rapide au début des Wei. Par rapport à la latte de bambou, un papier de bonne qualité signifie une surface plus lisse, plus large et parfaitement plate, qui offre au calligraphe des possibilités sensiblement plus nom‐ breuses quant au maniement du pinceau. Les ouvrages anciens mentionnent très sou‐ vent l’usage du papier à cette époque et ce, dans tout type de documents : décrets officiels, textes administratifs, calligraphie, composition littéraire, etc.1 Les supports traditionnels – bambou, bois ou soie – constituèrent encore des alterna‐ tives pendant une longue période avant d’être définitivement abandonnés vers la fin des Jin orientaux, au ve siècle. Quant à l’évolution graphique, ce sont désormais les calligraphes qui vont jouer un rôle prépondérant : les nouvelles formes, ils ne les inventent pas, mais les récupèrent dans les graphismes communs et les améliorent. Une fois mises au point sous leurs pinceaux, elles influencent en retour l’usage social. En effet, dans les documents de la pratique courante de la fin des Han orientaux, on remarque plusieurs graphismes plus ou moins « dynamiques », qui se situent à des degrés variables entre la lisibilité et la cursivité, se rapprochant soit de la « nouvelle chancellerie », soit de la « cursive régulière ». Ces graphismes intermédiaires et transi‐ toires se sont, un temps, influencés réciproquement et il est difficile, voire impossible de les distinguer les uns des autres ou de les étiqueter selon les critères modernes. C’est grâce aux calligraphes que ces formes en gestation vont donner trois nouveaux genres, qui n’atteindront que plus tard à la perfection, et qu’on a nommés, a posteriori, « courante », « cursive moderne » et « régulière ».
1. Wu Dashun. Han Wei Liuchao zhizhang faming yu shuxie jincheng kaolun [L’invention du papier et l’évolu‐ tion des actes scripturaux sous les Han, les Wei et les Six dynasties].In. Library theory and practice : 1, 2013.
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6. LA « COURANTE » QUI NE COURT PAS À partir du milieu des Han orientaux, alors que la cursive avait encore le vent en poupe, un autre graphisme « vulgaire », plus lisible et plus conventionnel, commença à apparaître dans les documents d’usage courant. Basé sur les graphies de la nouvelle chancellerie, il s’inspirait de la cursive, qui lui fournissait son dynamisme, en même temps qu’il s’en démarquait, étant plus proche de la « régulière » déjà en cours de formation. Sous les WeiJin, ce graphisme en gestation, qui Figure 26. Correspondance signée de Li Bo, chef de garnison à Loulan, adressée au roi de Yanqi (Qarašahr) datée du prenait des formes diverses selon milieu ive siècle et découverte en 1909 par le moine japonais le style personnel du scripteur, Zuichō Tachibana. pouvait encore être confondu avec une chancellerie nouvelle, hâtivement tracée. Néanmoins, certaines productions, anonymes ou signées, montrent déjà une remarquable maîtrise (figure 26). Il faudra attendre l’époque des Jin occidentaux pour que ce graphisme soit accepté et apprécié par les calligraphes. Ce genre nouveau est appelé « courante » xíngshū 行书. Dans son traité de calligraphie, Zhang Huaiguan 张怀瓘 (viiie siècle) le compare à un homme qui « marche » xíng, ce qui le distingue de la chancellerie, laquelle ressemblerait à un homme debout, et de la cur‐ sive qui, elle, évoquerait un homme qui court1. En effet, entre la chancellerie posée et soignée, et la cursive rapide et simplifiée, il y a la place pour un rythme médian qui permet d’associer la rapidité et la lisibilité. Une écriture dite « courante » peut ainsi se rapprocher plus ou moins tantôt d’une régulière tantôt d’une cursive. Elle est née pour
1. Liùtǐ shūlùn 六体书论 [Traité des six genres calligraphiques]. In Quan Tang Wen, vol. 0432.
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répondre à ces deux principes – rapidité et lisibilité – qui sont la base même de toute écriture pratique1. Cependant, la tradition offre une version diffé‐ rente des origines de la « courante » : elle aurait été mise au point par Liu Desheng 刘德升, un calligraphe de la fin du iie siècle. Outre le fait que nous ne savons pas grand-chose de ce personnage, aucune de ses œuvres n’a pu être authentifiée. On cite aussi Zhong Yao 钟繇 (151-230), son élève, dont certaines œuvres semblent hésiter entre la courante et la régulière. Mais, la palme revient incontestablement à Wang Xizhi : la postérité a décerné à sa fameuse « Préface au recueil du Pavillon des Orchidées » Lantingjixu 蘭 亭集序 (figure 27), le titre de « première ‟courante” d’ici-bas2 ». Composée en 353 lors d’une fête cham‐ pêtre réunissant quarante et un de ses amis lettrés dans le paysage pittoresque du lieu-dit Lanting, il s’agit de l’œuvre la plus vénérée et la plus copiée de toute l’histoire de la calligraphie chinoise3. Dès lors, le modèle étant ainsi posé, la courante tendra vers une codification plus conventionnée qui lui permet‐ tra, en retour, d’être diffusée dans l’usage social.
Figure 27. Extrait de la Préface du Lantingji, attribué à Wang Xizhi. Copie du calligraphe Chu Suiliang (596-658).
Située à mi-chemin entre la régulière et la cursive, la courante combine les allures de l’une et de l’autre. Son principe consiste en une exécution continue et coulante, qui amène à délaisser volontiers les attaques et les terminaisons « indirectes » de la chan‐ cellerie au profit des terminaisons « directes »4 de la cursive, le tout étant exécuté, cependant, avec une certaine retenue. Ainsi, le scripteur laisse paraître, de temps à autre, la traînée – si ténue soit-elle – que produit la pointe du pinceau en passant d’un trait à l’autre ou d’un composant à l’autre. Les composants peuvent être abrégés, mais
1. En français, le mot même de « courante » peut aussi évoquer l’idée d’une écriture de la pratique courante. 2. tiānxià dìyī xíngshū 天下第一行书. 3. Nancy Berliner. Jardins, coupes flottantes et autres évocations de Wang Xizhi. In Le Pavillon des Orchidées, l’art de l’écriture en Chine. Fan Di’an, Lao Zhu, Fu Hongzhan, Yang Yingshi, André Kneib, Jean-Marie Simonet (éd.). Europalia international / Fonds Mercator : Bruxelles, 2009, p. 22. 4. Billeter Jean-François, op. cit. p. 69.
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contrairement à ce qui se passe pour la cursive, le procédé ne déforme pas l’aspect général du caractère. Tout en préservant la lisibilité, l’exécution de la courante est plus rapide et plus natu‐ relle. C’est la raison pour laquelle elle est restée, jusqu’à nos jours, le graphisme manus‐ crit le plus pratiqué par quiconque possède une bonne maîtrise de l’écriture chinoise.
7. LA « CURSIVE MODERNE » : QUEL ÉLAN DÉBRIDÉ ! À partir de la cursive régulière, voici qu’émerge une nouvelle forme plus libre encore, qui tend cette fois-ci à rompre l’unicité des caractères. Observées dans les documents sur bois ou bambou, ses prémices manifestent un élan dynamique et débridé ainsi qu’une simplification radicale des graphies. Au lieu d’être étirée horizontalement sur sa largeur comme en chancellerie, les caractères s’allongent verticalement, et semblent suivre un mouvement d’enchaînement rapide. Datés du milieu du iiie et du début du ive siècle, des documents sur bois et sur papier découverts à Juyan 居延, révèlent une éton‐ nante maîtrise de ce nouveau graphisme chez certains scripteurs anonymes1 (figure 24). Puis, à l’instar de la cursive ancienne et de la courante, la « cursive moderne » jīncăo 今草, telle qu’on la nommera plus tard, a été adoptée et améliorée par des lettrés pour atteindre sa maturité vers le milieu des Jin orientaux2. Ce sont encore Wang Xizhi et son fils Wang Xianzhi, qui, selon la tradition, auraient porté ce genre calligraphique à son point de perfection (figure 28). Une nouvelle étape fut franchie lorsqu’ils terminèrent le dernier trait horizontal d’un caractère par un crochet orienté vers le bas, dans un mou‐ vement qui conduisait tout naturellement le pinceau vers le début du caractère suivant. Le ductus et la disposition verticale des lignes de texte sont ainsi associés dans un geste fluide. Or, plus la cursivité est forte et délibérée, moins les caractères sont susceptibles d’être compris par le plus grand nombre. C’est pourquoi, cette cursive qui « court », bien qu’issue de l’usage quotidien, n’y sera jamais répandue et se verra bientôt réservé à la seule calligraphie. À partir des Tang, vers les viie et viiie siècles, face à la courante et à
1. Luo Wenlong. Cong Loulan jian zhi zhong tanxi Sanguo, Xijin shiqi jincao chengshu chengdu [Un examen sur le degré de maturité de la cursive moderne sous les Trois Royaumes et les Jin occidentaux à travers des docu‐ ments sur lattes et sur papier découverts à Loulan]. In Yishu keji, 2015, p. 86-87. 2. Xuan Minhua. Lüelun caoshu shengshuai zhi you [Brèves discussions sur l’essor et le déclin des cursives]. In Shufa, 8, 2015, p. 62-67.
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la régulière, soutenues et encouragées par les autorités, le genre cursif, marginalisé, devien‐ dra un pur exercice d’expressivité personnelle, dont la « cursive folle » de Zhang Xu 张旭 ou de Huaisu 怀素 fournit les exemples les plus extra‐ vagants. Néanmoins, la simplification des graphies par la cursive et, surtout, la nouvelle codifica‐ tion de celles-ci n’ont pas été sans conséquence sur la pratique manuscrite des scripteurs en général. Par la suite, beaucoup s’en sont inspi‐ rés pour créer des graphies simples et, pour‐ tant, plus lisibles. Nous verrons, au chapitre 6, qu’un grand nombre des composants de base imposés par la simplification officielle moderne sont issus des graphies cursives de cette époque.
Figure 28. Extrait de Jixue ninghan tie en cursive moderne attribué à Wang Xizhi.
8. VERS LA « RÉGULIÈRE » : IL N’Y A QU’UN PAS À FRANCHIR Si, au ive siècle, le pays divisé connaît de profondes différences « entre la Chine du Nord guerrière, populaire, presque illettrée, pénétrée par les influences de la steppe et des confins sino-tibétains, et la Chine du Yangzi, aristocratique et raffinée, avec ses cénacles, ses ermitages et sa vie de Cour1 », ce contraste tend à s’atténuer pendant les Dynasties du Nord et du Sud (420-589), notamment suite à la sinisation des Wei du Nord (386-534) et à l’expansion du bouddhisme. Dans le Sud, la nouvelle chancellerie, graphisme dominant dans l’usage courant des Jin orientaux, se rapproche davantage de la courante, en abandonnant certaines carac‐ téristiques de la chancellerie. Puis, il suffit de peu pour qu’une « courante » exécutée de manière plus appliquée mène à un graphisme plus posé. C’est ce qu’avait déjà fait Zhong Yao 钟繇 (151-230) dans l’écriture de son Xuanshibiao 宣示表 (figure 29). Destiné à être présenté à l’empereur, ce texte formel, qui nous est connu par des estampages tardifs,
1. Gernet Jacques. Le monde chinois. Paris : Armand Colin, 1972, p. 181.
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montre un graphisme nouveau, considéré aujourd’hui comme l’ancêtre de la régulière1. Il connut par la suite une nouvelle mise au point sous les pinceaux de Wang Xizhi et de son fils. D’où l’expression « régulière de Zhong et de Wang2 », qui associe ce genre naissant à ses deux initiateurs. Au Nord, après le transfert en 493 de la capitale à Luoyang sous le règne de l’empereur Xiaowen des Wei du Nord, les inscriptions lapidaires atteignirent de manière fulgurante un apogée qui ne fut, cependant, que de courte durée. Une vingtaine de textes gravés notamment, parmi les milliers qui se trouvent dans les « grottes de Longmen » au Henan, présentent un remar‐ quable aspect esthétique (figure 30). Ce graphisme est un pastiche de la chancellerie, caractéristique des stèles Figure 29. Extrait de Xuanshibiao de Zhong Yao. Estampage de Song des Han, contredit par une influence contemporaine, d’après, selon la tradition, une celle de la régulière naissante pratiquée par les calli‐ copie de Wang Xizhi. graphes du Sud. Il est si particulier que, plus de mille ans plus tard, les lettrés des Qing le considérèrent comme un genre calligraphique à part entière, auquel ils donnèrent le nom de « Stèles des Wei » Wèibēitĭ 魏碑体 3. Ces deux genres contemporains, plus ou moins imprégnés des traces de la chancel‐ lerie et plus ou moins affectés par les différences régionales, se fondirent progressive‐ ment en un genre unique qui recevra, plus tard, le nom de kăishū 楷书, « régulière », littéralement « écriture modèle ». En régulière, les caractères adoptent une forme légèrement rectangulaire, étirée en hauteur. Les terminaisons emphatiques et les traits ondés de la chancellerie sont aban‐ donnés, remplacés par des droites ou des « droites coudées », de sorte que les formes rectilignes dominent nettement4. Bien que son exécution soit plus naturelle et plus douce, la régulière, contrairement à la courante, marque bien les attaques et les terminaisons par la pointe cachée ou par un arrêt suivi d’un retour. Quant au ductus, l’influence de
1. Qiu Xigui, op.cit. p. 97-99. 2. Zhōng Wáng kăitĭ 钟王楷体. 3. Li Xiangjun. Weibei yu Nanbeichao shiqi kaishu de yanjin qushi [Les stèles des Wei et l’évolution de l’écriture régulière à l’époque des Dynasties du Nord et du Sud]. Hengshui xueyuan xuebao, 12, 2015, p. 79-86. 4. Billeter Jean-François op. cit. p. 76.
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la courante est évidente. Les traits consécutifs par‐ viennent à s’enchaîner dans un mouvement naturel grâce à quelques innovations : les « crochets » qui terminent un trait horizontal ou vertical, voire une courbe, les « relevés vers la droite », les « points » de différentes formes, etc. Se prêtant à une exécution relativement rapide, la régulière présente de plus un admirable aspect esthétique ainsi qu’une parfaite lisibilité. Elle devien‐ dra LE modèle idéal et jouira jusqu’à nos jours d’une longévité exceptionnelle.
9. LA SUITE DE L’HISTOIRE... SANS SUITE Après trois siècles ou presque de division, la brève dynastie Sui (581- 618) marquera un début d’unifica‐ tion du pays. Les Tang (618-907) succèderont aux Sui, puissants, prospères et rayonnants.
Figure 30. Estampage de Shipinggong zaoxiangji (vie siècle). Grottes de Longmen.
Sous les Sui, la « régulière » poursuivit son évolu‐ tion et prit un aspect plus unifié et plus mûr, mais ce fut au début des Tang qu’elle acquit sa forme définitive grâce à la pratique des calligraphes. L’appréciation que l’empereur Taizong 唐太宗 en personne porta à la « régulière » de tel ou tel maître, l’apparition des premiers traités sur le « maniement du pinceau » bĭfă 笔法, signés non seulement de grands lettrés, mais aussi de l’empereur, contribuèrent à la normalisation de ce nouveau genre devenu très officiel, et qui fut appelé, durant la première moitié des Tang, « écri‐ ture orthodoxe » zhèngshū 正书 ou « écriture véritable » zhēnshū 真书. Pour la première fois dans l’histoire, un genre calligraphique se voyait doté de règles strictes qui ne laisseront que peu de place à la fantaisie et à l’innovation. Le contexte social aidant, alors que l’on assiste à un retour de la morale confucianiste dans les règles
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censées régir la conduite des lettrés, ce graphisme deviendra le seul autorisé aux candidats lors des concours mandarinaux1. Les Tang n’ont certes pas manqué d’excellents calligraphes. Ouyang Xun 欧阳询 (557-641) (figure 31), Yan Zhenqing 颜真卿 (708-785) et Liu Zongyuan 柳宗 元 (773-819), pour ne citer que les plus connus, nous ont laissé un grand nombre d’inscriptions lapidaires, mais, en dépit de leurs styles très personnels, tous pratiquaient la même régulière. Si l’on conçoit aisé‐ ment qu’un pouvoir central soit parvenu à imposer une forme unique d’écriture, il n’en reste pas moins étonnant que, malgré les vicissitudes de l’histoire, des contextes sociaux variables, des besoins nou‐ veaux, malgré l’augmentation du nombre total de caractères, malgré les réformes opérées aux xxe Figure 31. Extrait de la stèle siècle et l’abandon du pinceau au profit des instru‐ Jiuchenggong liquanming de Ouyang Xun (632), estampage des Song du ments « durs », la régulière ait pu conserver son Nord. hégémonie pendant plus de mille ans. Une fois fixés par les Tang, sa forme et son ductus n’ont plus évolué ni même varié jusqu’à nos jours. Autrement dit, l’évolution graphique s’est définitivement arrêtée, et n’a pas connu de suite2. Certains expliquent ce phénomène par un fait technologique majeur : l’invention de l’imprimerie. Dès la fin des Tang, en effet, on imprime au moyen de blocs de bois gravés, une technique que l’on appelle de nos jours « xylographie ». Un texte sacré daté du ixe siècle en fait foi (figure 32). Car, il semble que les bouddhistes chinois « furent les pre‐ miers à déclencher l’offensive technologique », ayant besoin de beaucoup plus de copies que les copistes ne pouvaient en produire3.
1. Le Gānlù zìshū 干禄字书 de Yan Yuansun 颜元孫 (cf. chap. 6.2) avait précisément vocation à servir de modèle aux candidats et ce, non pas pour permettre une appréciation de leur style personnel, mais pour s’assurer qu’ils étaient capables de répondre aux besoins de l’administration centrale. 2. Il est évident que les graphies des caractères, elles, vont subir d’incessantes simplifications spontanées dans les manuscrits et de nombreuses interventions de normalisation. Nous y reviendrons plus loin (chapitres 5 et 6). 3. Robert K.G. Temple. China, land of discovery. Multimedia Productions, 1986. Quand la Chine nous précédait (Tr. en français). Paris : Bordas, 1987, p. 111.
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Figure 32. Frontispice du Sutra du Diamant, le plus ancien livre imprimé sur papier daté de 868, découvert à Dunhuang par Aurel Stein en 1907.
L’hypothèse paraît fort plausible quand on pense que les mutations des graphismes anciens ont toujours été provoquées par un quasi « instinct de survie » de la part des scribes professionnels, croulant sous le poids de leur tâche quotidienne. À partir du moment où un graphisme porté, au fil des siècles, à la perfection tant esthétique que pragmatique, a pu être fixé et diffusé grâce à l’imprimerie, le besoin d’innovation gra‐ phique ne s’est plus fait sentir1.
10. ON GRAVE ET ON IMPRIME ! Sous les Song (960-1279), l’imprimerie en xylographie connut un rapide développe‐ ment. En 971, l’empereur Taizu 宋太祖 ordonna l’impression du Tripitaka, dont les treize
1. Chen Zhenlian. Kaishu chengxing hou shuti yanjinshi zouxian zhongjie de lishi yuanyin chutan – shufa yu yinshuashu guanxi zhi yanjiu (xuqian). [Sur les raisons de la fin de l’évolution graphique après la formation de la régulière – le rapport entre la calligraphie et l’imprimerie (suite)]. In Shufa zhiyou, 3, 2001, p. 10-15.
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mille planches gravées ont nécessité douze ans de travail, assumé par une importante équipe ouvrière. Les textes fondateurs du confucianisme et les classiques de la médecine furent aussi gravés et imprimés. On vit apparaître des imprimeurs privés et parfois même des familles d’imprimeurs. Les techniques devinrent très au point et la main d’œuvre ne cessa de croître. Naquirent ensuite les caractères mobiles. C’est donc vers le début du xie siècle que Bi Sheng 毕升, un graveur d’humble origine, a utilisé des caractères mobiles en terre cuite. Ses inventions ont été décrites en détail par le polymathe Shen Kuo 沈括 (1031-1095) dans son ouvrage Mèngxī bĭtán 梦溪笔谈. Pourtant, bien que les Ming et les Qing aient continué leur fabrication, en bois ou en bronze désormais, cette technique révolution‐ naire ne s’est jamais réellement développée en Chine, contrairement à ce qui s’est passé en Corée. Certains pensent que la haute maîtrise de la xylographie, son coût défiant toute concurrence dans les grands tirages et l’existence d’une masse de graveurs qualifiés sont les principales raisons de cet arrêt technologique1. Vinrent les temps modernes. Dès le xvie siècle, les missionnaires jésuites semblent avoir utilisé à Macao des équipements d’imprimerie typographique sans que cela ait eu la moindre répercussion en Chine. Tout au long de la première moitié du xixe siècle, suite à la naissance de la sinologie moderne et aux activités des missionnaires protestants en Asie, les Français, les Anglais et les Américains procédèrent à plusieurs reprises à la fabrication de caractères chinois métalliques pour imprimer des ouvrages comportant du chinois. Mais, ce n’est qu’à partir de la fin du xixe siècle que les Chinois commencèrent à s’initier à cette technologie avec des équipements importés du Japon ou de l’Occident.
11. INVENTION DES POLICES D’IMPRIMERIE L’évolution graphique dans l’imprimerie ne rappelle en rien celle de l’écriture manuscrite. Les changements de graphisme sont plutôt dus à un désir de création, qui n’apparaît d’ailleurs que tardivement. À l’origine, les caractères étaient gravés par des artisans d’après les modèles fournis par des copistes qui, de leur côté, imitaient souvent les styles réguliers des grands maîtres d’antan. Néanmoins, ni les copistes ni les graveurs ne sont des calligraphes. La
1. Zheng Yefu. Huozi yinshua de qiyuan [L’origine de l’imprimerie en caractères mobiles]. In Beijing shehui kexue, 9, 2015, p. 4-20.
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gravure, même si elle a pour modèle un graphisme manuscrit, tend inévitablement à prendre peu à peu une forme plus uniformisée et moins personnelle. C’est ainsi que, vers le début du xiiie siècle à Lin’an 临安, capitale des Song du Sud, la « Maison Chen »1, un imprimeur-libraire, éditait des ouvrages dans un graphisme particulier, une sorte de « régulière » adaptée à la gravure (figure 33). Il faut attendre les Ming pour voir apparaître un graphisme propre à la seule xylographie. On procé‐ dait alors – et à grande échelle – à de fidèles repro‐ ductions de textes imprimés par les Song. Ainsi, paradoxalement, cette police inventée par les Ming prit le nom de « style Song2 » Sòngtĭ 宋体, bien qu’elle s’en éloigne de Figure 33. La dernière page d’un ouvrage gravé et signé par la « Maison par la forme stan‐ Chen » dans un style qui inspirera la dardisée qu’elle future « Imitation Song ». adopte. Carrés et régulièrement espacés, les caractères présentent un aspect mécanique, qui permet une très bonne lisibi‐ lité et un agencement optimal (figure 34). Les traits horizontaux ont une épaisseur plus fine que les traits verticaux. Comme ils sont parfaitement rectilignes3, ils se croisent à angle droit. Le début et la fin des traits sont systématiquement marqués d’empattements, imitation quasi géométrique des pleins et des déliés, inspirés de la régulière, leur modèle d’origine. Très vite, cette police fut introduite au Japon, où elle prendra le nom de « style de la dynastie Ming » minchōtai. Les Japonais l’employaient encore dans la deuxième moitié du xixe siècle avant de fabriquer
Figure 34. Première page du Nan Qi shu, « Livre des Qi du Sud » imprimé au xve siècle à Nankin, sous l’égide de l’Académie impériale des Ming.
1. Chénzhái shūjí pù 陈宅书籍铺. 2. Ainsi, certains préfèrent l’appeler « style Ming » Míngtĭ 明体 pour éviter la confusion. 3. Rappelons que les « horizontaux » en régulière sont légèrement remontants vers la droite.
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leurs premiers lots de caractères chinois mobiles. C’est encore cette police qu’employèrent les Occidentaux lorsqu’ils eurent à composer des ouvrages comprenant des caractères chinois. En 1909, la Commercial Press1, première maison d’édition moderne créée en 1897 à Shanghai, insatisfaite de la police Songti qu’elle avait achetée au Japon, la seule alors disponible, entreprit d’en créer de nouvelles. Ce fut le tout début des caractères d’impri‐ merie de fabrication chinoise, d’abord en « régulière », puis en « caractères à tête car‐ rée » fāngtóuzì 方头字. Ces derniers semblent être inspirés d’une police japonaise, Goshikku-tai « style gothique », créée une vingtaine d’années plus tôt en imitation d’une police occidentale sans empattement, dite aussi « sans serif »2. Les caractères ont la même structure qu’en Songti, mais les traits, relativement épais, ne se terminent pas en pointe et ne comportent ni plein ni délié. Nous la connaissons aujourd’hui sous le nom de « style noir » hēitǐ 黑体. Peu après, en 1916, les frères Ding, tous deux lettrés et descendants d’une grande famille bibliophile, estimant que la police Mingchōtai fabriquée au Japon était rigide et disgracieuse, inventèrent et fabriquèrent une nouvelle police. Elle s’inspirait du style du calligraphe Ouyang Xun, que l’on rencontre déjà dans les textes imprimés par la « Mai‐ son Chen » des Song du Sud. C’est pourquoi elle fut brevetée sous le nom d’« Imitation Song » Fǎngsòngtǐ 仿宋体 3. Dès sa mise sur le marché, elle remporta un franc succès tant en Chine qu’au Japon, où elle sera appelée Sōchōtai, à savoir « style de la dynastie Song »4. De nos jours, ces quatre polices (tableau 5) sont les plus couramment employées dans l’imprimerie et en écriture numérique. Mais chacune assume plus ou moins une fonction différente. Le Songti, appelé Míngtĭ à Hongkong et parfois aussi à Taïwan, est utilisé pour le corps de texte dans les ouvrages généraux et la presse papier ; le Fangsongti est devenu la police des documents administratifs officiels, celui des préfaces, des citations ou autres parties secondaires, quand il s’agit de les distinguer du corps de texte ; le Heiti, en
1. Shangwu yinshuguan 商务印书馆. 2. Li Shaobo. Zhongguo heitizi yuanliu kao [Sur l’origine du style Heiti en Chine]. In Xin xibu, 3, 2011, p. 38-43. 3. Dont le nom complet était Jùzhēn făng Sòng tĭ 聚珍仿宋体. Le mot Jùzhēn, signifiant littéralement « rassem‐ blement de trésors », désigne simplement les caractères mobiles huózì 活字. Il a été proposé en 1773 par l’empe‐ reur Qianlong qui trouvait peu gracieux ce terme technique. 4. Sun Mingyuan, Li Bingshi, Huang Ying. Yi mu wei qian, Juzhen fang Songti de kaifa jiqi zhoubian [Remplacer le bois par le plomb, l’exploitation de la police Juzhen fang Songti et son développement]. In Zhuangshi, 9, 2015, p. 106-109.
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Tableau 5. Différentes polices d’imprimerie.
宋体
仿宋体
黑体
楷体
Sòngtǐ
Fǎngsòngtǐ
Hēitǐ
Kǎitǐ
raison de son fort impact visuel, s’emploie le plus souvent dans les titres, les publicités, les affiches ou même dans le corps de texte, où il joue un rôle semblable à celui des caractères gras ; le Kǎitǐ 楷体 enfin, étant la seule police proche de l’écriture manuscrite, sert notamment à imprimer des manuels scolaires destinés à l’école primaire et des livres pour enfants. Dans ce chapitre, nous avons vu que, de la fin des Royaumes combattants jusqu’aux Dynasties du Nord et du Sud, les graphismes de l’écriture chinoise ont connu de fortes mutations qui les ont menés de la sigillaire jusqu’à la régulière. Ces mutations ont été déclenchées par deux facteurs apparemment contradictoires mais corrélatifs : pratique quotidienne et recherche calligraphique. En effet, à chaque époque, s’impose d’abord un graphisme de prestige, plus ou moins normalisé, destiné à l’enseignement et aux usages formels. Officiel et cérémonieux par nature, il reste relativement stable et n’entre guère dans l’usage courant. Résultat : des formes dites « vulgaires » naissent de manière spontanée qui, à la longue, finissent toujours par représenter la tendance dominante d’une époque. Une prise de conscience collective quant à l’aspect esthétique de l’écriture aidant, ces graphismes communs et secondaires, instables et irréguliers au début, connaissent par la suite un mûrissement en suivant un modèle calligraphique qui fait autorité. Dès lors, la nouvelle forme est susceptible de devenir à son tour le graphisme officiel communément accepté.
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Partie II
Comprendre
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4 LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME ANCIEN
N
ous allons maintenant aborder l’écriture chinoise sous un angle différent, proprement linguistique cette fois-ci, pour voir comment les caractères ont été conçus par les scripteurs d’autrefois et selon quels principes fonctionnait le système, autrement dit, comment les caractères représentaient les mots de la langue. Notre attention se portera sur la « graphie » des caractères, zìxíng 字形, notion à la fois distincte et corrélative de la notion de graphisme, telle que nous l’avons présentée dans les chapitres 2 et 3. Si le graphisme fait référence à l’apparence générale que présente une écriture, la graphie, elle, se rapporte à la structure interne d’un caractère donné, à savoir les traits ou les éléments qui le composent ainsi que leur agencement à l’intérieur de ce caractère. Contrairement à l’évolution d’un graphisme commun, qui implique nécessairement l’ensemble des caractères, le changement dans les graphies, s’il y a lieu, se fait au « cas par cas » ou « par série » quand il impacte plusieurs caractères comportant un élément commun et récurrent. Les exemples ci-dessous montrent bien ce rapport entre graphisme et graphie (tableau 6). Comme on peut le voir, les graphies de ces trois caractères, une fois dépouillées de l’iconicité archaïque, vestige de leur lointaine origine pictographique, ont connu d’une part une tendance générale à l’abstraction et à la schématisation, et d’autre part, des changements propres à chacune d’elles : (1) shān 山 « montagne », en dépit de l’évolution du graphisme, conserve durablement son profil, et sa structure interne n’a guère été altérée par le peu de variations ; (2) yún 云 « nuage », lui, possède, en plus
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II. Comprendre
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Tableau 6. Changements de graphisme et de graphie.
Graphisme pron. / sens (1)
(2)
(3)
shān
« montagne »
yún
« nuage »
quán
« source »
Archaïques
Petite sigillaire
Chancellerie
Courante
Régulière
山
山
山
/
雲
云
雲/云
泉
泉
泉
de sa forme simple, une graphie complexe 雲, révélant une opération de surcharge graphique, phénomène dont nous parlerons plus loin ; et enfin, (3) quán 泉 « source » est un caractère qui a subi une altération graphique : représentant une grotte à l’inté‐ rieur de laquelle semble tomber des gouttes d’eau, sa forme archaïque a laissé place à 白 bái « blanc », lors de son passage à la chancellerie. Bien que toujours associé à shuĭ 水 « eau », le caractère a perdu partiellement sa motivation d’origine. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de présenter d’abord un ouvrage fondamental ainsi qu’une très ancienne théorie chinoise de l’écriture.
1. DICTIONNAIRE DE XU SHEN Le Shuōwén jiĕzì 说文解字, littéralement « Expliquer les graphies et analyser les mots écrits1 », est un dictionnaire étymologique des caractères, le tout premier dans son genre. Il est signé de Xu Shen 许慎 (58-147), un haut fonctionnaire des Han orientaux. Fruit d’un long labeur de vingt et un ans, l’œuvre fut présentée à l’empereur en l’an 121 par le fils de l’auteur, lui-même alors très malade. La version que nous connaissons aujourd’hui
1. Françoise Bottéro. Théories chinoises sur l’écriture. In Dossiers d’HEL, SHESL Écriture(s) et représentations du langage et des langues, 9, 2016, p. 6-20.
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4. Le fonctionnement du système ancien
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date du Xe siècle et a été complétée1, augmentée, révisée et réorganisée par les frères Xu Xuan 徐铉 et Xu Kai 徐锴 sous les Tang du Sud. Depuis lors, les éditions successives n’ont plus cessé, souvent accompagnées d’annotations dues à des lettrés renommés et surtout, à partir de l’époque des Qing, d’un index facilitant la recherche. Divisé en quinze chapitres, dont le dernier comporte une postface de l’auteur, le dictionnaire offre plus de dix mille entrées, soit 9 353 caractères et 1 163 graphies variantes, appelées « caractères en double » chóngwén 重文. Les caractères sont répartis en 540 bù 部, « catégories » ou « sections », dont chacune est représentée par un compo‐ sant, appelé « tête de catégorie » bùshŏu 部首, que l’on traduit couramment par « clé » ou par « radical2 », des traductions beaucoup moins heureuses. Tous les caractères regroupés dans une catégorie comportent donc le même composant, souvent doté de sens. Ainsi, 牛 niú « bovidé » est la « tête » d’une catégorie comprenant quarante-cinq membres : elle figure en effet soit à la gauche du caractère comme dans 牡, 犅, 特, 牝, 犢, 㸬, 犙, soit dans la partie inférieure, comme dans 犖, 犨, 牟, etc. Grâce à cette méthode, l’auteur réussit, en principe, à classer la totalité des caractères de son époque, au prix de quelques difficultés dont il nous fait d’ailleurs part dans sa postface3 et d’une tren‐ taine de catégories « vides » ne comprenant qu’un seul caractère4. Se donnant pour mission de fournir le juste sens des caractères afin que ses contem‐ porains puissent comprendre correctement « le fondement des Classiques et des Arts »5, Xu Shen choisit de prendre pour base les graphies standardisées de la « petite sigillaire », jugées plus proches des caractères anciens6. Sous chaque entrée, l’auteur explique le sens du mot, s’attache à en « disséquer » la graphie, à la justifier. Très souvent, il tente d’indiquer – selon les termes des liùshū « six procédés de formation des carac‐ tères » – le rapport entre le sens, le son et la graphie : c’est ce qu’on appellera plus tard en linguistique la « motivation ». Puis, de temps en temps, il propose une lecture du
1. Les frères Xu ont notamment ajouté à tous les caractères la notation phonétique dite fănqiè 反切, méthode utilisée à partir du vie siècle. 2. Venant de l’anglais, ce terme risque de laisser entendre que la « clé » permet d’engendrer un groupe de caractères, alors qu’elle a été le plus souvent adjointe postérieurement. 3. Par exemple l’impossibilité pour Xu Shen de classer les caractères dont il ne connaît pas le sens. 4. Elles sont au nombre de trente-six. Ce sont pour la plupart des idéogrammes ou des pictogrammes, donc des caractères indécomposables. Cf. Françoise Bottéro. Sémantisme et classification dans l’écriture chinoise, les sys‐ tèmes de classement des caractères par clés du Shuowen jiezi au Kanxi zidian. Collège de France. Paris : De Boccard, 1996, p. 68. 5. wén zì zhĕ jī yì zhī bĕn 文字者经艺之本. Traduction de Bottéro, ibid. p. 39. 6. Signalons en passant que Xu Shen et ses contemporains ignoraient jusqu’à l’existence même des inscriptions sur os des Shang, ensevelies depuis quinze siècles.
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II. Comprendre
caractère en utilisant un homophone. En dernier lieu, il donne, lorsque cela est possible, la ou les graphies plus anciennes en zhòuwén ou en gŭwén (cf. chap. 2.5). Outre cette façon de classer les caractères qui, par la suite, a servi de modèle à beaucoup d’autres dictionnaires, l’ouvrage de Xu Shen a été reconnu par la postérité comme une œuvre essentielle de la tradition lettrée. Il a permis aux générations suivantes de comprendre l’étymologie des mots anciens, de connaître la prononciation de l’époque, de s’appuyer sur elle pour étudier les textes fondateurs, etc. À tel point qu’il a fini par devenir une matière d’examen dans les concours mandarinaux. Il constitue même, de nos jours, un sujet d’études en soi.
2. THÉORIE DES « LIÙSHŪ » L’importance de cet ouvrage ne se limite pas à sa seule partie lexicographique. Par la fameuse formule « liùshū » 六书 (« six » + « écrire »), qu’il présente dans sa postface, Xu Shen a contribué à la formation d’une théorie de l’écriture chinoise dont la portée se fait encore sentir aujourd’hui. Pourtant, dans les textes les plus anciens, d’autres, avant lui, avaient déjà fait mention de ces liùshū. Les « Rituels des Zhou », qui datent vraisem‐ blablement de l’époque des Royaumes combattants, les évoquent, sans explications, comme un des « six arts1 » liùyì 六艺 que doivent apprendre les fils des hauts dignitaires. Reprenant le même passage, Xu Shen, cependant, est le premier à en dire un peu plus sur leur contenu en les énumérant avec des dénominations différentes et dans un ordre différent. En quoi consistent ces liùshū ? Aux traductions couramment rencontrées, « six types de caractères » ou « six espèces de graphies », nous préférons celle proposée par Fran‐ çoise Bottéro, « six façons de mettre par écrit (les mots)2 ». En effet, il ne s’agit pas, pour Xu Shen, d’établir une typologie des caractères qu’il a répertoriés dans son dictionnaire, mais de définir les différentes façons de les former ou de les utiliser. Autrement dit, l’auteur tend à montrer comment les créateurs des caractères ont procédé pour écrire tel ou tel mot de leur langue.
1. Les cinq autres sont les rituels, la musique, le tir à l’arc, la conduite de char et l’algèbre. 2. 2016. Op. cit.
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Voici grosso modo ce que l’on peut comprendre des explications de Xu Shen, à vrai dire quelque peu obscures1 : – La première (façon) s’appelle zhĭshì 指事, et consiste à « se référer [pictoriellement] à quelque chose » : on peut comprendre ces caractères d’un simple coup d’œil et per‐ cevoir leur signification après examen. Ainsi shàng 上 « dessus » et xià 下 « dessous ». – La deuxième s’appelle xiàngxíng 象形, et consiste à « symboliser une forme phy‐ sique » : on reproduit la chose par le dessin en suivant le pourtour de son profil. Ainsi rì 日 « soleil » et yuè 月 « lune ». – La troisième s’appelle xíngshēng 形声, et consiste à « indiquer la forme et la pronon‐ ciation » : on crée une désignation (un caractère) en partant de la chose à représenter, que l’on complète par une image (phonétique). Ainsi jiāng 江 « Fleuve Yangzi » et hé 河 « Fleuve jaune ». – La quatrième s’appelle huìyì 会意, et consiste à « associer des idées » : on combine le sens des catégories [sémantiques] que l’on juxtapose afin de faire voir ce qu’elles désignent. Ainsi wŭ 武 « arme » et xìn 信 « confiance ». – La cinquième s’appelle zhuănzhù 转注, et consiste à « gloser en tournant (?)2 » : on établit une catégorie (sous laquelle) [les graphies] qui ont le même sens sont rassem‐ blées. Ainsi kăo 考 « ancêtre » et lăo 老 « âgé ». – La sixième s’appelle jiăjiè 假借, et consiste à « emprunter [une graphie pour une autre] » : comme ce mot écrit n’existe pas à l’origine, on s’appuie sur sa prononciation pour (faire référence à) la chose. Ainsi lìng 令 « ordre, commandant » et zhăng 長 « chef ». D’une concision déroutante, comme d’ailleurs la plupart des textes anciens, ce court passage de cent quatorze mots n’était pas plus aisé à comprendre pour les lettrés d’autrefois qu’il ne l’est pour les érudits d’aujourd’hui. La cinquième catégorie, notam‐ ment, semble avoir suscité, au fil du temps, pas moins de neuf interprétations diffé‐ rentes3 ! Si, les frontières entre certaines des six catégories restent assez floues, il est maintenant communément admis que les quatre premières concernent effectivement les diverses façons de créer des caractères, alors que les deux dernières portent plutôt sur la manière d’utiliser des caractères déjà créés. Sans compter le fait qu’au temps des Han, la théorie de l’écriture n’en était qu’à son balbutiement et que les analyses faites
1. Notre traduction s’inspire des deux traductions de F. Bottéro 1996, op. cit. p. 21-23 et 2016, op. cit. 2. Le texte étant très obscur, on se contente ici d’une traduction littérale. Il s’agit peut-être des homonymes. 3. Qiu Xigui, op. cit. p. 105-106.
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II. Comprendre
par les lettrés de l’époque avaient évidemment leurs limites, on subodore même qu’ils se sentaient obligés de respecter la sacro-sainte division en six catégories, établie par le Zhou Li 周礼 1. Cela dit, le texte n’en demeure pas moins fondamental dans l’histoire. Par rapport à ses prédécesseurs qui cherchaient avant tout à trouver du sens à chacun des composants d’un caractère, Xu Shen a été le premier à montrer « le rôle du phonétisme dans l’écri‐ ture »2. En effet, parmi les six façons qui permettent de « mettre les mots par écrit », il donne une importance égale à celles qui s’appuient sur les sons de la langue – la 3e xíngshēng et la 6e jiăjiè – et à celles qui se réfèrent uniquement au sens, la 2e xiàngxíng et la 4e huìyì3. Aujourd’hui, tout en reconnaissant l’importance historique des liùshū, les spécialistes proposent d’autres typologies. Dans un ouvrage qui fait aujourd’hui autorité, Qiu Xigui répartit les caractères archaïques en trois grandes catégories, biăoyìzì 表 意 字, xíngshēngzì 形声字 et jiăjièzì 假借字, trois termes que Mattos et Norman traduisent en anglais par « semantographs », « phonographs » et « loadgraphs »4. Désormais, nous adopterons cette typologie ainsi que ces traductions que nous francisons par « séman‐ togrammes », « phonogrammes » et « emprunts ». Il est vrai que la traduction « phonogramme » peut paraître, de prime abord, assez éloignée de xíngshēngzì qui signifie littéralement « caractère sémanto-phonogramme ». Mais, nous le verrons plus loin, ce terme ancien, bien que devenu conventionnel, ne rend pas lui-même un compte exact de la vraie nature de ce type de caractères. Par ailleurs, sous les Han, des auteurs contemporains de Xu Shen font aussi référence aux liùshū, mais sans utiliser le même terme. Pour eux5, il est plutôt question de « symboliser la prononciation » xiàngshēng 象 声 ou d’« être en accord avec la prononciation » xiéshēng 谐声, deux notions beaucoup plus justes, car elles mettent l’accent sur la fonc‐ tion phonographique de cette catégorie de caractères6.
1. Dans le Zhou Li, en effet, le nombre six est plus que symbolique : il comporte six chapitres, parle des six sections des fonctionnaires, des six arts, etc. 2. F. Bottéro. 2016, op. cit. 3. Ibid. 4. Qiu Xigui. Chinese Writing. Translated by Gilbert L. Mattos & Jerry Norman. The Society for the Study of Early China. New Haven C.T: Birdtrack Press, 2000, 547 p. 5. Citons Ban Gu 班固 et Zheng Zhong 郑众. 6. F. Bottéro, 2016, op. cit.
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3. LES ÉCRITURES ARCHAÏQUES QUI ALIGNENT DES SIGNES HÉTÉROCLITES Pour comprendre le fonctionnement du système et les moyens utilisés par les créateurs de caractères, nous allons commencer par un examen de l’écriture archaïque, telle que nous la connaissons, notamment par les inscriptions oraculaires des Shang. En effet, on trouve déjà dans ces inscriptions à l’allure de dessins, la base des principaux procédés mentionnés par Xu Shen, et ce sont ces mêmes procédés qui vont constituer une « machine à caractères » très productive durant les siècles suivants.
a. Sémantogrammes ou caractères sémantiques (biăoyìzì 表意字) Cette catégorie inclut trois des six « façons » exposées par Xu Shen, à savoir celles qui consistent à « se référer [pictoriellement] à quelque chose », à « symboliser une forme physique » et à « associer des idées ». Si les linguistes modernes les regroupent en une seule catégorie, c’est que le point commun à ces trois « façons » réside dans le fait que, de par leur graphie, ces caractères visent tous à rendre le sens des mots en faisant abstraction de leur prononciation. Ils sont dotés chacun d’une prononciation, mais leur graphie ne la fait nullement apparaître. Leur opacité phonographique est donc totale. Dans le discours commun en Occident, on les appelle « pictogrammes » et « idéo‐ grammes », termes linguistiquement parlant si problématiques que nous ne les pren‐ drons pas à notre compte. Car, ces deux types de signes, qu’on appelle également « signes-image » et « signes-idée », sont censés représenter directement des choses ou des idées appartenant au monde réel sans passer par une langue donnée : en font partie les chiffres arabes, les émoticônes, le symbole d’interdiction de fumer, la plupart des signaux routiers, etc. Ce n’est évidemment pas le cas des caractères chinois. Cependant, le procédé de création des sémantogrammes est semblable à celui qui permet l’évolution de la pictographie paléolithique vers une proto-écriture. Vu leur pro‐ portion relativement importante dans les inscriptions oraculaires, on peut légitimement penser qu’une partie au moins des sémantogrammes avaient une origine lointaine et existaient bien avant d’être intégrés au système. Ce sont donc très probablement des « récupérations ». À partir du moment où on aligne les signes en une phrase en tant que mots écrits, ils acquièrent une nouvelle fonction et deviennent des « logogrammes » ou des « signes-mots », donc des signes linguistiques. La différence fondamentale entre un ancien pictogramme isolé et un logogramme, c’est que le second possède nécessairement une valeur phonétique : c’est le signifiant du mot qu’il écrit.
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II. Comprendre
Mais, tous les sémantogrammes ne sont pas des pictogrammes. Rappelons que Xu Shen donne deux exemples de zhĭshì, (上) « dessus » et (下) « dessous », qui sont des formes assez abstraites. On pourrait aussi bien citer (一) « un », (二) « deux », (三) « trois », (四) « quatre », ou encore, (小) « petit », (圆) « rond » et (方) « carré ». Nombre de sémantogrammes sont de nature figurative, étant plus ou moins évoca‐ teurs de la forme physique de l’objet désigné. Citons par exemple, (人) « être humain », (女) « femme », (首) « tête d’homme », (身) « ventre », (疋) « pied », (山) « montagne », (水) « eau », (禾) « plante graminée », (豕) « cochon », (鳥) « oiseau », (龜) « tortue », (宀) « maison », (門) « porte », (衣) « veste », (鬲) « chaudron », (矢) « flèche », etc. D’autres, de manière moins directe, font référence à une qualité, à un état de chose ou à une action : un homme écartant les bras (大) signifie « grand » ; l’image de la « lune » (月) sert aussi à écrire le mot (夕) « soir » ; la main droite (又) prend le sens de « côté droit ». Certains signes, enfin, ont été spécialement créés pour la divination, tels que (卜) « divination », (贞) « (poser) le mandat » ou (占) « (poser) le pronostic ». En combinant deux ou plusieurs de ces éléments de base, on obtient des caractères composés, plus complexes. C’est le procédé huìyì qui consiste, selon Xu Shen, à « associer des idées », que l’on traduit par « agrégat sémantique » ou « syssémantogramme », terme que nous adoptons désormais1. En voici quelques exemples : la graphie du mot « malade » représente un homme transpirant couché sur un lit (疒) ; celle de « se battre » montre deux personnes qui s’agrippent au visage (鬥) ; le mot « rattraper, atteindre » est représenté par une main posée sur une personne (及) ; le mot « sor‐ tir », par un pied posé à l’extérieur d’une grotte (出) ; le verbe « expirer, souffler » montre un homme à genoux surmonté d’une grande bouche ouverte (欠), etc. Il arrive aussi qu’un même élément soit redoublé, voire triplé, et agencé au sein d’un seul carré virtuel. Ainsi, (林) « bois, bosquet » regroupe deux « arbres » (木) ; l’image de deux personnes dos à dos (北) signifie « dos, endosser » ; trois charrues (協) forment le mot « labourer ensemble »2. Sur le plan productif, le procédé de création par le sens se révèle lourd, complexe et peu économique, puisque chaque mot nouveau exige une invention nouvelle. De
1. De l’anglais syssemantographs: sys- signifie en grec « ensemble ». Cf. Mattos & Norman, op. cit. p. 185. 2. Tout caractère de ce type ne conduit pas nécessairement à une notion de quantité : le signe représentant quatre poissons dans l’eau (漁) correspond, semble-t-il, à un nom propre de personne. Cf. Wolfgang Behr. Problem of « syssemantic » (HUÌYÌ) characters. In Bottéro F. et Djamouri R. (éd.). Écriture chinoise, données, usages et représentations, Paris : EHESS/CRLAO, 2006, p. 94-95.
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plus, il achopera rapidement sur la notation des noms propres, des mots grammaticaux ou des notions abstraites, tous impossibles à « représenter ». En réalité, aucun système d’écriture, même les plus anciens, ne s’est avéré entièrement fondé sur ce seul principe. On pourra parfaitement faire comprendre un message en alignant des petits dessins, comme beaucoup de peuples le font, mais on ne pourra écrire de la sorte les unités de la parole. Pour remédier à ce défaut, les scripteurs anciens ont dû trouver d’autres solutions.
b. Emprunt (jiăjièzì 假借字) A l’instar d’autres systèmes anciens un peu partout dans le monde, on a donc eu recours au principe du rébus. Totalement différent de celui qui préside la formation des sémantogrammes, il correspond, à quelques différences près1, au jiăjiè de Xu Shen, qui consiste à « emprunter une graphie pour une autre » : pour écrire un mot qui n’a pas de graphie propre, au lieu d’en créer une nouvelle, on « emprunte », par commodité ou par nécessité, celle d’un homophone ou d’un quasi homophone. Ainsi, au lieu de construire le signifié du mot, un emprunt se réfère avant tout à son signifiant. Le principe est donc fondé sur une démarche délibérément phonétique, dont l’existence constitue, à elle seule, une preuve du lien qui unit la langue et l’écriture. Cette méthode a été appliquée avec une grande aisance par les scripteurs des jiăgŭwén. Les emprunts sont surtout d’une grande utilité pour écrire les noms propres, bien que, dans ce cas, ils aient une durée de vie relativement courte : la graphie de 木 mù « bois » a servi à écrire le nom de lieu Mu, comme dans tián Mù 田木 « cultiver un champ à Mu », mais cet emprunt n’a plus été repris dans d’autres contextes, dès lors que la condition d’énonciation et le référent avaient changé ou disparu. Il en va tout à l’inverse pour les mots grammaticaux, dont certains se sont perpétués jusqu’en chinois moderne : la même graphie (自) peut signifier « soi-même » ou « depuis » sans pour autant perdre son sens original de « nez », le sémantogramme (其) qui désigne l’objet « panier », a été emprunté pour écrire le marqueur du futur ou d’emphase ; le pronom personnel 我 « je, moi » adopte la graphie , qui représente une hallebarde ; « aisselles » (亦), deux traits ajoutés sous les bras écartés d’un homme, sert à écrire l’adverbe « aussi » ; celui de 萬 « dix mille » emprunte la graphie pictographiquee « scorpion », etc.
1. Les jiăjièzì de Xu Shen ne sont pas tous des emprunts phonétiques. Il inclut également, selon F. Bottéro, des « extensions de sens ». Cf. 2016, op. cit.
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En dépit d’interprétations modernes fantaisistes qui voudraient à tout prix en donner des explications sémantiques, ces emprunts, répétons-le, n’ont été possibles qu’en raison d’une « connexion » phonétique entre deux mots. Il s’avère que tous les mots gramma‐ ticaux des jiăgŭwén, mots indispensables à la syntaxe, ainsi que les concepts abstraits tels que les « tronc célestes » tiāngān 天干 et les « branches terrestres » dìzhī 地支 du système calendaire, sont obtenus par la voie d’emprunt. Sun Yirang 孙怡让, un philologue du xixe siècle, considère jiăjiè comme « le fondement de la création des caractères1 ». La méthode était révolutionnaire. Elle résolvait ce casse-tête hérité de la paléogra‐ phie, celui des inventions sémantiques et, en même temps, elle permit au système, en le phonétisant, d’évoluer vers sa maturité. Les signes n’étaient plus réduits à leur rôle originel qui consistait à dessiner le monde, mais intégrés dans la disposition linéaire de la parole. Néanmoins, un problème majeur subsistait : utilisés à grande échelle et sur une longue période, les emprunts, certes très commodes, nuisent fâcheusement à la clarté du message. Pour le lecteur, il n’est jamais aisé de savoir si la graphie 自 est employée dans son sens premier de « nez » ou dans ses sens empruntés de « soi-même » ou de « depuis », autrement dit, seul le contexte permet de savoir, dans le meilleur des cas, s’il faut la comprendre sémantiquement ou la lire phonétiquement. Les graphies « empruntées » constituent l’une des caractéristiques les plus mar‐ quantes des textes écrits en chinois archaïque et en chinois ancien. Pour la postérité, elles représentent autant de difficultés voire d’obstacles à la compréhension de ces textes, surtout quand les emprunts font double emploi avec des caractères déjà existants et qu’ils sont devenus interchangeables. C’est le phénomène appelé tōngjiă (cf. chap. 5.4). Étant donné que ni les caractères sémantiques ni les emprunts ne sont suffisamment opérants pour constituer à eux seuls un système efficace, un troisième type de caractères fut inventé, qui se révéla beaucoup plus performant.
c. Phonogrammes (xíngshēngzì 形声字) Pour lever les ambiguïtés générées par les emprunts ou au moins les réduire, les scripteurs eurent l’idée de différencier le mot emprunteur du mot prêteur en ajoutant, au premier ou, plus rarement, au second, un élément sémantique. Ce procédé rappelle
1. Yu Wang Zizhuang lun jiajie shu [Discussions avec Wang Zizhuang sur les jiajie]. In Xu Jialu (éd.) Zhouqing shu lin [Recueil de Zhouqing]. Beijing : Zhonghua shuju, 2010, 307.
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celui que l’on observe dans l’ancien égyptien, où le déterminatif jouait, lui aussi, un rôle de marqueur sémantique (figure 4). Avec une différence cependant : en chinois, cet ajout est intégré à sa base pour former avec elle une seule graphie « composée ». Le caractère reste toujours phonétique, mais, contrairement à ce qui se passe dans un emprunt, sa graphie est différenciée : ce dernier étant nécessairement formé d’une base phonétique et d’un ajout sémantique. Ces deux éléments, qui composent un phonogramme, seront désormais appelés « graphème pho‐ nétique » et « graphème sémantique » ou, pour simplifier, « le phonétique » et « le sémantique1 ». Voyons quelques exemples : dans un premier temps, le sémantogramme (翼) « aile » « prête » sa graphie au mot « lendemain », en raison de leur prononciation iden‐ tique2. Puis, pour les distinguer l’un de l’autre, on ajoute au second le sémantique (日) « soleil », ce qui donne (翌) « lendemain ». De la même façon, phonétiquement très proches3, les mots (貝) « cauris » et (敗) « vaincre » ne sont devenus graphiquement distincts qu’à partir du moment où on a ajouté au second le sémantique ( 攵) « battre », représentant une main tenant un bâton. Mais il arrive aussi que le sémantique soit ajouté au prêteur, et non à l’emprunteur : c’est ainsi que le pictogramme (且) « ancêtre », qui figure vraisemblablement un autel, ayant été emprunté pour écrire la conjonction « de plus », on a créé, pour distinguer le premier du second, une nouvelle graphie 祖 « ancêtre », en adjoignant au caractère prêteur le sémantique 示, relatif aux rites religieux.
1. Des précisions terminologiques sont ici nécessaires : (1) en linguistique, le terme « graphème » désigne un élément graphique, ou un groupe d’éléments, qui correspondent à une unité phonétique ou sémantique. (2) en chinois, le phonétique correspond aux termes modernes de shēngfú 声符 ou shēngpáng 声旁, strictement équi‐ valents, et le sémantique, beaucoup plus problématique, se dit yìfú 义符 ou yìfú 意符, deux homophones, ou encore, xíngpáng 形旁 ou yìpáng 意旁. Ces quatre derniers termes, malheureusement utilisés comme s’ils étaient interchangeables, comportent en fait des morphèmes de sens très différents, à savoir, 义 « sens », 意 « idée » et 形 « forme ». Nous reverrons ce problème plus loin. 2. Les deux mots se prononceraient *ɢʷrəp (l’astérisque est ici un signe conventionnel utilisé dans les travaux de la reconstruction du chinois ancien). Sauf précision contraire, nous nous référons à l’ouvrage de William H. Baxter et Laurent Sagart. Old Chinese, a new reconstruction. New York: Oxford University Press, 2014, 449 p. 3. 貝 se prononcerait *pˤa[t]-s et 敗 *pˤra[t]-s.
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II. Comprendre
Certainement séduits par ce nouveau procédé simple, ingénieux et très productif, les scripteurs l’ont appliqué plus largement pour « phonétiser » davantage une partie des sémantogrammes. Les méthodes sont diverses : – Ajout d’un phonétique au lieu d’un sémantique : à l’intérieur du sémantogramme « catastrophe » qui représente le déluge, l’introduction du phonétique (才) a per‐ mis de construire (災), un phonogramme1. – Remplacement d’un des sémantiques par un phonétique : le syssémantogramme « battre » , qui représente une main brandissant un bâton, va connaître une variante (攴), où le bâton a été remplacé par le phonétique (卜)2. – Modification d’un élément existant pour en faire un phonétique : le sémantogramme « rêver » représente un homme aux yeux ouverts couché sur un lit . Dans la nou‐ velle graphie (夢), l’ajout de (眉) « sourcil » semble moins motivé par un souci de réalisme que par la valeur phonétique qu’il apporte3. – Transformation due à un acte conscient ou inconscient du scripteur : le sémanto‐ gramme (年) « récolte » était, à l’origine, composé de « homme » et de « céréales ». Par la suite, il a suffi de très peu pour que devienne « mille », qui joue, lui, le rôle de phonétique4. Sans parler des motivations culturelles qui sont, certes, tout aussi déterminantes, la naissance des « phonogrammes » trahit deux impératifs linguistiques, indispensables au développement et à la perpétuation de l’écriture logographique : nécessité de noter les sons tout en faisant correspondre les signes aux mots entiers. Encore balbutiante et très instable dans les jiăgŭwén – quoiqu’on puisse déjà l’observer en proportion non négligeable5, cette combinaison sémantico-phonétique s’avérera finalement être LA solution chinoise.
1. 災 se prononcerait *[ts]ˤə et 才 *[dz]ˤə. 2. 攴 se prononcerait *pʰoːɡ et 卜 *pˤok. 3. 夢 se prononcerait *C.məŋ-s et 眉 *mr[ə][r]. 4. 年 se prononcerait *C.nˤi[ŋ] et 千 *s.n̥ˤi[ŋ]. 5. Les études exhaustives répertorient 250 à 330 caractères de ce type, soit 23 à 30 % de la totalité des signes déchiffrés. Les écarts sont dus aux méthodes employées et à la diversité des interprétations. Cf. Luan Weiquan. Gu hanzi xingshengzi fazhanshi jianlun [Brève histoire des phonogrammes dans l’écriture ancienne]. Thèse de doctorat, université du Sud-ouest, 2010, p. 17.
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4. PHONOGRAMMES, PROCÉDÉ DÉSORMAIS PRIVILÉGIÉ Les inscriptions sur bronze des Zhou occidentaux restent encore une écriture très archaïque. Bien qu’elle emploie plus de 2 800 caractères différents, la majorité d’entre eux sont des noms propres, des mots rares voire des hapax. Les variantes graphiques sont nombreuses, et peuvent atteindre la dizaine pour un seul mot, comme par exemple le cas de bǎo 寶 « trésor ». Ce sont là les caractéristiques d’un système encore instable, immature, peu économique et peu opérationnel. Cependant, malgré un air de famille avec le graphisme des Shang, celui des Zhou tend à se débarrasser de certaines propriétés paléographiques que lui a léguées son ancêtre. Ainsi, on cherche davantage à distinguer graphiquement les mots différents, comme 足 « pied » et 正 « partir en guerre », alors qu’ils partageaient auparavant une graphie commune ; des caractères qui combinaient en une seule graphie un mot dissyllabique, héwén 合文, vestiges de la phase initiale du système, tendent à disparaître ; certains composants répétitifs à l’intérieur d’un caractère se voient également supprimés ou remplacés, etc. Mais, le changement le plus significatif s’opère dans les nouvelles créations. Certes, les scripteurs Zhou continuent à utiliser les quelques 500 caractères tels que transmis par les Shang et parmi lesquels les sémantogrammes les plus usuels ont été pieusement conservés. Mais, on constate que, parmi les caractères nouveaux, le procédé purement pictographique, trop primaire et trop laborieux, commence à être négligé sinon aban‐ donné. Seuls les « syssémantogramme » huìyìzì 会意字, tout en restant marginaux, feront preuve d’une grande longévité. La tendance dominante consiste à progresser dans les deux procédés phonétiques, beaucoup plus opérationnels : on continue à utiliser la méthode des « emprunts » pour sa commodité et, surtout, on crée de nouveaux « phonogrammes » pour la facilité de leur conception et leur clarté visuelle, quitte à entraîner de facto une complication graphique. Il arrive même qu’un sémantogramme reçoive une surcharge sémantique : à la base cóng (从) « suivre » qui représente deux hommes l’un suivant l’autre, on ajoute les sémantiques 止 « pied » ou 彳 « marche », voire les deux à la fois comme dans 從. Paradoxalement, la nouvelle graphie devient un nouveau phonogramme : c’est la base 从 qui représente maintenant son phonétique. Pour que le procédé puisse fonctionner en série, certains sémantogrammes anciens vont acquérir le statut de « sémantique » et s’appliquent à un grand nombre de carac‐ tères et ce, grâce à des sèmes génériques de leur signifié. Citons rén 人 « humain », kŏu
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II. Comprendre
口 « bouche », mǎ 馬 « cheval », quǎn 犬 « chien », niǎo 鳥 « oiseau », zŏu 走 « courir », yǔ 雨 « pluie », rì 日 « soleil », chē 車 « char », yì 邑 « ville », zhú 竹 « bambou », yán 言 « parole », yè 頁 « tête », etc. Tout en restant des mots à part entière, ils créent d’office des classes de mots lorsqu’ils sont utilisés en tant que sémantique. Par exemple, tous les mots désignant des chevaux, quelle que soit leur race ou leur robe, comporteront le graphème 馬 « cheval »1. L’élément décisif qui permet de considérer que l’écriture chinoise entre progressive‐ ment dans l’ère du phonétisme réside dans les faits que, de plus en plus, les nouvelles créations ne se font plus par ajout ou transformation, mais par l’association directe de deux caractères, l’un assumant la fonction de sémantique et l’autre, celle de phonétique. La prolifération des phonogrammes aura une conséquence directe sur la structure interne du système : à mesure qu’augmente leur proportion dans la masse totale des caractères, on assiste à un déclin de la création des sémantogrammes, désormais plus ou moins délaissée. Selon une statistique exhaustive2, les phonogrammes représentaient 29 % de la totalité des caractères déchiffrés sur les jiăgŭwén des Shang, tandis que les inscriptions sur bronze des Zhou occidentaux en compteront déjà 60 %. De plus, à ne considérer que les 929 caractères nouvellement créés pendant cette période, ce pour‐ centage s’élèvera à 82 %. C’est bien la preuve d’une régulation interne au sein d’un système qui va clairement privilégier ce procédé. Par la suite, le système continuera à évoluer et à s’enrichir. Dès la période des Printemps et Automnes et chez les Qin notamment, les phonogrammes représentent plus de 95 % dans la création des six cents caractères nouveaux. Des 9 353 caractères recensés par Xu Shen, 85,1 % sont des phonogrammes. Ce procédé n’a été stoppé ni par les transformations de la chancellerie, ni par les évolutions ultérieures du graphisme et se poursuivra jusqu’aux temps modernes. En résumé, c’est l’« emprunt phonétique » qui a déclenché le développement du système et c’est l’ajout du sémantique, entre autres, qui a permis la conception d’un grand nombre de caractères nouveaux, enrichissant ainsi le lexique essentiellement monosyllabique du chinois archaïque.
1. Le classement du dictionnaire de Xu Shen s’appuie en grande partie sur ces sémantiques. 2. Jiang Xuewang. Cong xizhou jinwen kan hanzi gouxing de yanhua [L’évolution des procédés de formation des caractères à travers les inscriptions sur bronze des Zhou occidentaux], in Guji zhengli yanjiu xuekan , 2, 2003.
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5. ET SI L’ON CLASSAIT LES CARACTÈRES AUTREMENT ? De ces caractères composés d’un phoné‐ tique et d’un sémantique, on peut parfaite‐ ment faire un autre classement, à partir, cette fois, de leur prononciation ou, plus précisé‐ ment, de leur rime syllabique. Il sera complé‐ tement différent de celui de Xu Shen, lequel était principalement établi à partir des séman‐ tiques. C’est la démarche suivie, à partir du viie siècle, par les nombreux « dictionnaires de rimes » yùnshū 韵书 1 qui ont jalonné l’histoire de la lexicographie chinoise (figure 35). Ce fai‐ sant, on dégage non pas des « clés », mais des « groupes de rimes » yùnbù 韵部 ou des « séries phonétiques » xiéshēng xìliè 谐 声 系 列 , qui regroupent les caractères homophones. Un aperçu de ce classement aidera à se faire une idée du fonctionnement linguistique de l’ancien système.
Figure 35. Une page de Guang Yun 廣韻 Rimes augmentés (1008).
Contrairement aux « clés », ces « séries » sont aujourd’hui très peu connues du grand public et ce, pour une raison très simple : la prononciation du chinois moderne n’a plus grand-chose à voir avec celle des époques anciennes, suite à l’évolution de la langue et aussi à l’altération graphique subie par une partie des caractères. Même devant un phonogramme reconnu comme tel, un lecteur-scripteur du xxie siècle a parfois du mal à percevoir le rapport entre la prononciation de son phonétique et celle du mot qu’il est censé noter.
1. Ils avaient pour principale vocation de codifier la « prononciation correcte », que les lettrés devaient utiliser dans la composition poétique et dans la lecture des classiques. Pour plus de détails, Cf. Zhitang Yang-Drocourt. Parlons chinois, chap. 3. Paris : L’Harmattan, 2007, 384 p.
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II. Comprendre
C’est grâce aux travaux de reconstruction phonologique, menés depuis bientôt un siècle par des linguistes chinois et occidentaux1, que l’on parvient aujourd’hui à retrou‐ ver les rimes de la poésie antique, à comprendre le sens exact de certains caractères dans leur contexte et à donner ainsi une lecture plus pertinente des textes anciens. Le Grammata Serica Recensa2, signé de Bernhard Karlgren, sinologue suédois, est un dic‐ tionnaire de reconstruction du chinois ancien et du chinois médiéval, qui a été long‐ temps l’ouvrage de référence dans ce domaine. L’auteur y propose plus d’un millier de ces séries phonétiques3. Par exemple, le caractère (求) qiú « fourrure », représentant vraisemblablement une queue d’animal, a été emprunté pour écrire le mot « chercher à, demander à », qui avait une prononciation similaire, noté *g’i̯ ôg par Karlgren. Plus tard, pour distinguer les deux mots, on lui ajoutera le sémantique (衣) « veste » pour obtenir une nouvelle graphie du mot « fourrure », (裘). Ce phonogramme créé à partir de la base phonétique *g’i̯ ôg 求 fut suivi d’autres. Voici, dans un ordre légèrement différent4, les caractères que Karlgren montre dans sa série n° 1066 (tableau 7). À cette série de mots du chinois ancien, on peut encore ajouter d’autres caractères créés ultérieurement, bien que beaucoup ne soient plus usités de nos jours : 毬 « balle », 梂 « gland, fruit du chêne », 盚 « boîte », 莍 « tubérosité d’un fruit », 蛷 « forficule », 殏 « fin, mort », 㞗 « sexe masculin » en langue vulgaire, 䟵 « piétiner », 㤹 « rancunier », 㐜 « haine », et aussi 鯄 qui désignait un poisson, 㛏, utilisé dans un prénom féminin, 䣇, un nom de lieu, 㟈, celui d’une montagne ou 浗, celui d’une rivière, etc. Tous de pronon‐ ciation similaire, ces caractères constituent une très grande famille de phonogrammes. Le phonétique jouait un tel rôle que les scripteurs, qui disposaient d’une relative liberté, n’hésitaient pas à le modifier pour mieux l’adapter à l’évolution de la langue ou aux régionalismes. Baxter et Sagart donnent l’exemple suivant5 : dans les documents exhumés datant des Royaumes combattants, le mot wén « entendre » pouvait s’écrire
1. Sans parler des philologues des Qing qui nous ont laissé d’importants ouvrages philologiques, appelés xùngūxué 训诂学, on citera ici notamment les pionniers modernes, Li Fang-kouei, Chou Fa-Kao, Wang Li, Bern‐ hard Karlgren et, plus récemment, William Baxter et Laurent Sagart, etc. 2. Karlgren Bernhard. Grammata Serica Recensa. Stockholm: The Museum of Far Eastern Antiquities, Bulletin n° 29, 1957/1964, 332 p. 3. 1 206 séries exactement, dont certaines n’incluent qu’un seul caractère. 4. Nous avons très légèrement modifié l’ordre de présentation en mettant à la fin les deux derniers caractères dont les prononciations diffèrent. 5. Op.cit. p. 62.
Fourrure
Sens ancien
qiú
Chinois moderne Vêtement
*g’i̯ ôg
Chinois archaïque
Sémantique ajouté
裘
Caractère
Pierre précieuse
Jade
qiú
*g’i̯ ôg
球
Pressé, urgent
Soie
qiú
*g’i̯ ôg
絿
Cauris Pot de vin, soudoyer
Long et courbé (corne)
qiú
*g’i̯ ôg
賕
Corne
qiú
*g’i̯ ôg
觩
Métal
Burin
Collecter, rassembler, rencontrer
qiú
*g’i̯ ôg
銶
Marche
qiú
*g’i̯ ôg
逑
Accessoire ornemental
Homme
qiú
*g’i̯ ôg
俅
Tableau 7. Les phonogrammes cités dans GSR de Kalgren, série no 1066.
Aider, secourir
Frapper
jiù
*ki̯ ôg
救
Remplir de terre
Main
jiù
*ki̯ ôg
捄
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II. Comprendre
sous deux formes, soit 昏 hūn « crépuscule », un emprunt phonétique1, soit 䎽, augmenté du sémantique 耳 « oreille ». Mais, suite à une évolution phonologique2, ces graphies sont devenues inadéquates pour continuer à noter efficacement le mot. Ainsi, à partir des Qin, la nouvelle graphie 聞 fut créée, dont le phonétique 門 mén « porte » était mieux adapté. L’exemple nous montre clairement que la toute première préoccupation des créa‐ teurs de caractères était bien la phonétisation du système, non seulement à une époque où la pratique scripturale était en plein essor, mais aussi durant les siècles suivants. L’emploi durable de la méthode d’emprunt et la création massive de phonogrammes sont en effet les caractéristiques les plus saillantes de cette écriture.
6. VERS UN SYLLABAIRE… MAIS « IMPARFAIT » Les exemples que nous venons de voir donnent l’impression qu’il existait en chinois ancien une sorte de syllabaire ou, plus exactement, un répertoire de phonétiques constitué d’un millier d’éléments, dans lequel il suffisait, pour obtenir un nouveau caractère, de sélectionner la syllabe adéquate et de lui associer un sémantique. La réalité est, hélas, beaucoup plus complexe, et il faut bien reconnaître que la série de qiú 求 que nous avons choisie est presque exceptionnelle, tant elle est régulière et homogène. En effet, le système des phonétiques chinois n’est pas comparable à un véritable syllabaire, dont les signes notent effectivement les sons que l’on doit prononcer, comme par exemple la syllabe [ka] qui s’écrit カ en japonais et ካ en amharique. Contrairement au chinois moderne, l’ancien chinois possédait un nombre plus important de phonèmes, et sa structure syllabique était plus complexe. Selon Baxter et Sagart3, la prononciation des caractères peut prendre des formes très variées, puisqu’une « racine » syllabique est susceptible de comporter un ou plusieurs affixes, voire une « présyllabe ». Nous les résumons comme indiqué tableau 8. Selon les auteurs, cette complexité syllabique montre que, comportant des préfixes, des suffixes, voire des infixes, le chinois ancien est doté d’une morphologie dérivation‐ nelle assez riche et productive. En modifiant légèrement la structure syllabique, on
1. En raison de leur prononciation proche, respectivement *mu[n] et *m̥ ˤu[n]. 2. Son initiale *m̥ˤ- s’est transformée en une fricative [h] ou [x]. 3. Op.cit. p. 318-319.
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Tableau 8. Différentes structures syllabiques en chinois ancien selon la reconstruction phonologique.
Structures syllabiques
Syllabe simple
Initiale Syllabes complexes
Rime
Exemples
Initiale : une seule consonne Rime : une simple voyelle « noyau »
*na (rú) 如 « comme »
Précédée d’une consonne « préinitiale »
*s.rəm (sēn) 森 « forêt »
Précédée d’une présyllabe « mineure » comportant la voyelle légère *ə1
*mə.lat (shé) 舌 « langue »
Suivie d’une médiane *r
*mraŋ (míng) 明 « lumineux »
Fermée par une coda consonantique
*lek (yì) 易 « échanger »
Fermée par une occlusive glottale
*mˤraʔ (mă) 馬 « cheval »
Fermée par une consonne suivie d’un *toŋʔ (zhǒng) 腫 « enflé » coup de glotte, « postcoda » 1. Dans ce cas précis, certains parlent même d’un mot dissyllabique comportant un préfixe. C’est la raison pour laquelle les auteurs considèrent que le chinois ancien n’était pas, comme on l’a toujours pensé, une langue monosyllabique où chaque syllabe s’écrivait sous forme d’un caractère et correspondait à un mot.
obtient un nouveau mot : ainsi, le préfixe *m- assume, entre autres, la fonction de chan‐ ger le nom en verbe, comme 背 *pˤək-s (bèi) « dos » et 背 *m-pˤək-s (bèi) « tourner le dos » ; le suffixe *-s permet de créer des noms à partir des verbes, comme 磨 *mˤaj (mó) « broyer » et 磨 *mˤaj-s (mò) « meule », ou de transforme un adjectif en verbe, comme 惡 *ʔˤak (è) « mauvais, laid » et 惡 *ʔˤak-s (wù) « détester », etc. Ce bref rappel phonologique, qui semble avant tout s’adresser à des initiés, est loin d’être hors sujet et revêt, au contraire, une grande importance dès lors qu’on veut comprendre les principes qui, à l’époque, ont présidé à l’invention des caractères. Car, sous l’apparence d’un caractère bien carré dont les éléments constituants donnent souvent l’impression d’obéir à une logique sémantique, on découvre ainsi une réalité phonologique fort complexe. Il est donc tout à fait légitime de se demander comment les caractères chinois sont en mesure de noter des syllabes qui peuvent comporter jusqu’à sept phonèmes, tel *Cə.sərʔ (să) 灑 « asperger » et pourquoi, en revanche, le caractère 曬 « exposer au soleil », doté du même phonétique 麗, se prononce simplement – certes tout est relatif ! – *sre-s (shài). La réponse est que, si les scripteurs antiques semblent avoir cherché à rendre aussi exactement que possible certains aspects de la prononciation des mots, ils en ont laissé bien d’autres de côté. En fait, les phonétiques notaient la prononciation d’un caractère
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II. Comprendre
tantôt exactement, tantôt de manière approximative et imprécise. Contrairement à un syllabaire du type japonais, le système chinois présente maintes « imperfections ». En effet, au lieu de noter une syllabe donnée, les phonétiques chinois représentent plutôt des « syllabes types » avec « une certaine position d’articulation pour leur initiale, une certaine voyelle principale et une certaine coda1 », autant de variables qui ne sont pas prises en compte par l’écriture. Par exemple, le seul phonétique 皮 *P(r)aj (pí) « peau » sert à noter plusieurs syllabes différentes, en l’occurrence, 彼 *pajʔ (bǐ) « cela », 疲 *[b](r)aj (pí) « fatigué », 破 *pʰˤaj-s (pò) « détruire » ou 跛 *pˤajʔ (bǒ) « boiter ». Les prononciations de ces caractères relèvent des syllabes de structures bien différentes, puisque celles-ci peuvent avoir ou non une présyllabe, avoir ou non un suffixe, et de plus, la consonne labiale *P elle-même peut être sourde, sonore ou aspirée, pharyngale ou non. En même temps, il arrive que certaines syllabes soient notées par des phonétiques dif‐ férents voire interchangeables, et que d’autres, ne possédant aucun phonétique adéquat, se contentent d’un pis-aller approximatif. Dans un autre registre, la graphie même des phonétiques – et des sémantiques aussi – ne reste pas non plus inaltérable malgré leur rôle primordial dans un phonogramme. Elle peut être allègrement tronquée et ce, par souci de simplification, d’esthétique ou d’équilibre. Par exemple, selon Xu Shen, la graphie en zhòuwén qiū « automne » était bien un phonogramme, composé du sémantique 禾 « plante graminée », modestement calé à l’angle en haut à gauche, et du phonétique jiao, fort complexe, occupant les 3/4 de l’espace. Cette graphie fut, en petite sigillaire, radicalement simplifiée par (秋), dans laquelle de son noble phonétique il ne reste plus que 火 huŏ « feu », inapte à noter le son du caractère. C’est pour une raison différente que 删 shān « couper, supprimer », un syssémanto‐ gramme « livre + couteau », fut amputé de sa partie droite pour que seul 册 cè serve de phonétique dans 珊 shān et 姗 shān2. De ces opérations chirurgicales, il résulte qu’on ne retrouve plus le son de ces caractères en regardant ce « phonétique »3. Ce phénomène, loin de se limiter à des cas isolés, est si répandu qu’il a même reçu un nom chez Xu Shen,
1. Baxter et Sagart, op.cit. p. 65. 2. Les deux exemples sont donnés par Qiu Xigui, op.cit. p. 157. 3. Bien sûr, il est possible de retrouver leur son, sans passer par l’étymologie, en faisant une « remise en série » d’au moins deux membres présentant un air de famille : c’est bien le cas des deux shān cités ci-dessus, auxquels s’ajoutent en plus 栅 shān/zhà et 跚 shān. Nous y reviendrons dans le chapitre 9.8 au sujet des phonogrammes du chinois moderne.
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celui de « phonétique abrégé » shĕngshēng 省声. Plus tard, le procédé continuera à être appliqué sur des caractères en chancellerie et en régulière. En bref, pour les spécialistes, si ce « syllabaire », ou ce lot de phonétiques, servait effectivement de base à l’écriture du chinois ancien, il s’avère imprécis, aléatoire, incons‐ tant et même variable selon les régions. Par la suite, en dépit d’une tendance, due à la régulation phonologique, vers une notation plus précise et plus performante, l’écriture chinoise ne parviendra jamais à une adéquation parfaite entre les phonétiques et les caractères qu’ils notent. Le principe d’emprunt phonétique, lui non plus, ne sera jamais exploité jusqu’au bout, autrement dit, il n’aboutira jamais à une phonographie complète, comme celle qu’ont élaborée des écritures du Proche-Orient. Les Chinois persévéreront dans leur propre procédé de phonétisation, très sophistiqué et très complexe, donc peu économique et, surtout, peu efficace pour noter exactement les sons de la parole. C’est que, une force majeure, culturelle cette fois-ci, viendra réduire et même stopper les améliorations ultérieures que l’on aurait pu apporter à ce syllabaire déjà imparfait au départ : suite à la première standardisation impériale de l’écriture, puis à la consécration sous les Han des textes fondateurs écrits en langue classique, l’écriture qui véhicule ces textes se verra, elle aussi, consacrée. Fixée en un état donné, notamment à partir du graphisme de « la régulière », elle restera globalement inchangée pendant des siècles, indépendamment de l’évolution de la langue et des variétés régionales. La conséquence est évidente : Comment les phonétiques, définitivement figés, pourraient-ils rendre compte d’une prononciation des caractères qui, elle, ne cesse d’évoluer au fil du temps ?
7. « CHERCHER DU SENS À PARTIR DU SON » Unique élément contribuant au phonétisme du système, le phonétique, pourtant, ne sert pas seulement à noter la prononciation. Dans certains d’entre eux, on peut déceler en même temps un vague lien sémantique avec le sens du mot. C’est ce que nous dit cette fameuse formule de Confucius : zhèng, zhèng yĕ 政,正也. « Gouverner, c’est rectifier (les erreurs)1 ». Ici, zhèng 正 « redresser, droit », tout en étant le phonétique de zhèng 政 « gouverner », semble lui apporter en plus le sens de
1. « Entretien de Confucius », chapitre XII.
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II. Comprendre
« rectitude ». Cette façon, très ancienne, d’« expliquer le sens d’un mot par celui d’un homophone » est appelée shēngxùn 声训. Pour la linguistique moderne, il ne s’agit pas exactement du sens de ces deux mots, mais de l’un de leurs « traits sémantiques », ou « sèmes », qu’ils ont en commun. Dans son dictionnaire, Xu Shen aborde ce phénomène sous un angle différent. Ana‐ lysant certains caractères sémantiques, l’auteur explique d’abord le sens du mot, puis celui de chacun de ses deux composants, X et Y, avant de préciser que Y « indique aussi la prononciation ». Par exemple, concernant 忘 wàng « oublier », il explique que « 忘 signifie "ne plus savoir", composé de 心 xīn "cœur" et de 亡 wáng "s’enfuir". C’est un caractère huìyì. 亡 indique aussi la prononciation ». Ailleurs, sous l’entrée 婢 bì « servante », on lit « femme humble, composé de 女 nǚ "femme" et de 卑 bēi "humble". 卑 indique aussi la prononciation », etc. Vu la présence d’un phonétique, on ne saurait considérer ces caractères comme des sémantogrammes ; mais, ils se distinguent aussi des phonogrammes proprement dits, puisque leur phonétique semble contribuer au sens global du caractère. Comment expliquer une telle contradiction1 ? C’est que ces phonogrammes n’ont pas été créés par la voie classique de l’« emprunt », mais par « dérivation ». Pour mieux comprendre ce processus, il faut inverser l’ordre de la filiation : 亡 wáng « s’enfuir » et 卑 bēi « humble » sont des caractères de base, à partir desquels ont été créés, avec l’ajout d’un sémantique, les phonogrammes 忘 wàng « oublier » et de 婢 bì « servante ». Résultat : les paires de mots « s’enfuir » et « oublier », « humble » et « servante », sont non seulement homophones, mais partagent de plus le sème commun de « disparaître » ou d’ « humble ». Ce phénomène prendra une certaine ampleur lorsque l’on regroupe plusieurs carac‐ tères de la même série phonétique. Le linguiste Wang Li en a compilé un dictionnaire entier2. Voici l’exemple de 張 zhāng « tirer un arc, étendre » : il est composé du séman‐ tique 弓 « arc » et du phonétique 長 zhăng3 qui signifie, en l’occurrence, « grandir, pous‐ ser ». De cette base 長 et de son dérivé 張, on peut en effet dégager le sème commun de « (se) faire plus grand ». Si, une telle analyse peut paraître un peu forcée, le doute ne serait plus de mise devant la série d’homophones : 脹 zhàng « gonfler, enfler », 漲 zhăng
1. Les commentateurs anciens ont trouvé une réponse qui n’en était pas une en les appelant xíngshēng jiān huìyì 形声兼会意 « à la fois phonogramme et sémantogramme ». 2. Wang Li. Tong yuan zidian [Dictionnaire des mots d’origine commune]. Beijing : Shangwu Yinshuguan, 1982, 695 p. 3. Wang le note par tiang. Chez Baxter et Sagart, 長 et 張 sont respectivement noté par *C.traŋ et *traŋʔ.
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« (eaux) monter » et 帳 zhàng « tenture ». De même pour 叉 chā/tsheai « fourchette, piquer avec une fourchette », dont la graphie ancienne montre des doigts écartés (pour saisir un objet ?) : il existe un lien sémantique évident, celui de « fourcher », dans les homophones qu’il engendre : 杈 chà « branches d’arbre », chà 汊 « bras d’une rivière », 釵 chāi « épingle à cheveux » ou 衩 chà « échancrure ». Ce phénomène peut même concerner des homophones ayant des phonétiques graphiquement différents : liú 旒 « frange d’une bannière », liù 溜 nom d’une rivière et liú 流 « couler, courant » expriment tous le sème de « serpenter, onduler ». Ce sont donc des « caractères apparentés »1 ou des caractères dérivés de la même « racine »2, tout comme la série jardin > jardinet, jardiner, jardinier et jardinage. La dérivation lexicale est un phénomène linguistique universel, mais elle se mani‐ feste de manière particulière en chinois ancien, « langue graphique » par excellence : ses mots sont très majoritairement monosyllabiques et un monosyllabe s’écrit sous forme d’un caractère unique. Sa morphologie dérivationnelle, quoique relativement développée, s’opère le plus souvent au sein de la syllabe – par la modification tonale ou phonématique –, mais ne cherche pas à rallonger une racine à l’instar de ce que le fran‐ çais peut faire dans jardin–age3. Tout doit donc se jouer à l’intérieur de ce carré virtuel atomique afin de préserver l’équation parfaite entre la syllabe et le caractère. Grâce au jeu « phonétique + sémantique », les scripteurs anciens sont ainsi parvenus à multiplier les créations. Il est intéressant de noter en passant que cette solution proprement chinoise est en fait à l’encontre de la vision saussurienne, dans la mesure où le signifiant et le signifié de ces mots apparentés n’entretiennent pas un rapport « arbitraire », mais clairement « motivé ». Ou plus précisément, si le mot racine est, admettons-le, un signe arbitraire, les dérivés, tout aussi atomiques, ne le sont pas. Au contraire, ces derniers ont été générés par les sons de la langue, alors que la dérivation du type jardinage est fondée, grâce à l’ajout d’un morphème, sur la motivation sémantique.
1. Laurent Sagart. L’emploi des phonétiques dans l’écriture chinoise. In Françoise Bottéro, Redouane Djamouri (éd.). Écriture chinoise, données, usages et représentation. Paris : EHESS-CRLAO, 2006, p. 44. 2. yŭ gēn 语根 selon Shen Jianshi. Cf. Wenzi xingyi xue (texte inachevé) [Étude sur l’analyse sémantique d’après les graphies]. In Ge Xinyi, Qi Gong (éd.). 1986. Shen Jianshi xueshu lunwenji [Recueil des études de Shen Jianshi]. Beijing : Zhonghua shuju, p. 391. 3. Certes, il ne faut pas oublier la création des « syllabes redoublées » et des « dissyllabes liés », mais ces méthodes étaient relativement moins employées.
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Fréquemment employée par les lexicographes anciens, la méthode consistant à « expliquer le sens par le son1 » a fini par inspirer, au xie siècle, une théorie dite « de la partie droite » yòuwénshuō 右文说. Ce terme est apparu pour la première fois dans les écrits de Wang Shengmei 王圣美, mandarin de l’époque des Song, qui suggère très som‐ mairement que, dans un caractère, la partie gauche indique lèi 类, « classe » ou « caté‐ gorie », et la partie droite yì 义, « sens »2. Pour autant, il n’aborde pas la question de fond concernant la relation entre la racine et les dérivés. Par la suite, cette théorie a été reprise, approfondie voire sans cesse améliorée, mais il a fallu attendre la deuxième moitié de l’époque des Qing, époque marquée, entre autres, par une philologie florissante, pour que l’on arrive enfin à de nouvelles connais‐ sances. Selon Duan Yucai 段玉裁, l’un des plus grands savants de ce temps, « dans toute l’histoire, la parole précède l’écriture. Ainsi, parmi les neuf mille caractères, quand (il s’en trouve plusieurs dont) la prononciation est identique, on peut sûrement (leur) trou‐ ver un sens commun »3. Puis, ce sont Yang Shuda 杨树达 et Shen Jianshi 沈兼士, premiers linguistes du xxe siècle qui ont marqué de réelles avancées. Ce dernier, dans un long article sur le sujet, précise ainsi : « Ce que l’on peut appeler ‟théorie de la partie droite” concerne une série de caractères ayant le même phonétique et partageant le plus grand commun diviseur sémantique. Si on peut donner de ces caractères une explication d’ensemble, c’est qu’ils contiennent un concept principal commun4 ». Les études portant sur la prononciation des caractères dérivés d’origine commune ont largement contribué à la compréhension étymologique des mots anciens. Cependant, vu la complexité de ce vieux système et la difficulté que l’on rencontre dès lors que l’on tente d’y retrouver la vraie racine et les caractères qui lui sont réelle‐ ment apparentés, l’assertion de Duan selon laquelle on peut systématiquement « cher‐ cher du sens à partir du son » s’avère beaucoup trop catégorique. Beaucoup s’y sont trompés et se trompent encore en donnant des interprétations erronées voire fantai‐ sistes. Car, force est d’admettre que, suite aux changements subis, non seulement les caractères ayant le même phonétique n’appartiennent pas nécessairement à la même
1. yĭshēng-qiúyì 以声求义. 2. « Pour tout caractère, sa classe est à gauche, son sens est à droite ». Il ne faut pas prendre cette assertion à la lettre, sachant que les phonétiques peuvent avoir d’autres emplacements. 3. Nous traduisons. Cité dans Shen Jianshi, op. cit. 4. Nous traduisons. Shen Jianshi. Youwenshuo zai xunguxue shang zhi yange jiqi tuichan [« Théorie de la partie droite » dans les études étymologiques : historique et explication]. In Ge Xinyi, Qi Gong (éd), 1933, op. cit. p. 82.
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famille, mais, de plus, les phonogrammes dérivés de la même racine ne s’écrivent pas toujours avec le même phonétique1. En revanche, à l’encontre de la tradition instaurée par Xu Shen qui, dans son classe‐ ment des caractères, donne le premier rôle aux sémantiques, les lettrés des Qing, suivis par les linguistes modernes, ont enfin placé les sons à l’origine et au cœur de ce système. L’importance que l’on accorde désormais au rôle des phonétiques a conduit à un renou‐ vellement épistémologique des connaissances sur la nature même de l’écriture chinoise, notamment celle des phonogrammes, les plus nombreux et les plus représentatifs. Cette remise en cause est telle que, de nos jours, certains proposent même de remplacer le terme xíngshēngzì 形声字, littéralement « caractère sémantique et phonétique », vieux de deux mille ans, par … shēngxíngzì 声形字, « caractère phonétique et sémantique »2 ! Ce disant, n’oublions pas que l’écriture chinoise se situe radicalement à l’opposé d’une écriture comme celles de l’espagnol ou du coréen. Si les anciens scripteurs semblaient s’ingénier à rendre les sons de la langue dans leurs créations, il leur était impensable et impossible d’avoir recours à un procédé à dominante phonétique.
8. UN SYSTÈME DÉLIBÉRÉMENT SÉMIOGRAPHIQUE Commençons par un bref rappel historique. En unifiant le pays en 221 avant notre ère, le premier empereur des Qin fonda une machine d’État dotée d’une administration puissamment centralisée. En dehors des conquêtes militaires, l’une de ses entreprises unificatrices consista à imposer à tout l’empire une écriture commune, en l’occurrence la petite sigillaire, qui remplaça les divers graphismes des anciens royaumes. Cette première normalisation de l’écriture a eu une conséquence de grande portée : la fixation et la stabilisation de la langue écrite commune. En effet, l’adoption d’une écri‐ ture unifiée a permis, dans un premier temps, de diffuser d’un bout à l’autre de l’empire les très nombreux décrets émanés du pouvoir central ; puis, dès l’avènement des Han, de consigner et de transmettre les œuvres classiques des époques pré-impériales. La vénération officielle dont jouissaient ces textes fondateurs a fait prévaloir jusqu’à la forme écrite de leur langue, qui se vit consacrée comme une fin en soi. Les lettrés passeront leur vie à les réciter et à composer exactement à la manière des maîtres
1. Qiu Xigui, op. cit. p. 172-173. 2. Wu Shihong. Lun gai « xingsheng » wei « shengxing ». [Proposition de remplacer « xingsheng » par « shengxing »]. Journal of Zhejiang normal university, 2, 2003, p. 76-80.
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anciens, en « chinois classique ». Cette langue écrite et savante, le wényán, littéralement « langue des textes », devait donc servir de modèle à toute composition lettrée ou officielle digne de ce nom. Élément unificateur et identitaire, elle sera considérée comme l’incontestable tronc commun de la civilisation chinoise. Hissée sur un piédestal, elle ne connut pratiquement plus de changements significatifs au fil des siècles ; et la mise en place sous les Tang du système des concours mandarinaux ne fera que la rendre institutionnelle et inaltérable et ce, jusqu’au début du xxe siècle. Ce chinois classique, selon Claude Hagège, était « un troisième registre, s’ajoutant au couple d’opposition écrit/oral déjà présent1 ». Car, il ne sera jamais parlé en tant que moyen de communication ; à tel point que, lu à voix haute, un texte écrit en wényán a fini par ne plus être intelligible à l’audition et que, pour passer d’un registre à l’autre, il faut aujourd’hui un travail de traduction ! Exerçant ainsi une puissante force centripète, le wényán réussira à maintenir sa prééminence sur toute autre forme de la langue : aussi bien sur la langue commune, vivante et changeante, que sur les idiomes régionaux. Ceux-ci, échappant à la nécessité et à la contrainte d’un quelconque codage graphique, se diversifièrent, se multiplièrent et, comme sous l’effet d’une force centrifuge, s’éloignèrent de plus en plus les uns des autres. En un mot, le wényán est une langue exclusivement destinée à la vue2. C’est dans ce sens – et uniquement dans ce sens – que l’on peut parler d’une « langue graphique3 ». Du point de vue linguistique, c’est la véritable raison d’être de cette écriture délibéré‐ ment sémiographique : chaque caractère, tout en représentant une syllabe prononcée, fait voir distinctement un mot ou un morphème. La création très productive de phono‐ grammes, obligatoirement formés d’au moins deux graphèmes, eux-mêmes plus ou moins complexes, a eu pour conséquence directe la complexification graphique : comme nous l’avons vu, avec l’ajout du sémantique 雨 « pluie » au pictogramme archaïque 云 () yún « nuage », le phonogramme 雲 ne s’écrit plus en quatre traits mais en douze. Sur le plan phonologique, si l’adéquation, en chinois archaïque, entre le caractère et la syllabe peut paraître un peu bancale à cause de la complexité de ladite syllabe, cette situation paradoxale va s’effacer en raison d’une simplification, étape par étape, du
1. Claude Hagège. L’homme de paroles. Paris : Fayard, 1985, p. 113. 2. Il est évident que ses mots possèdent aussi leurs signifiants, appelés dúshū yīn 读书音 « prononciation de lecture » et sans cesse codifiés dans les dictionnaires à partir du vie siècle. 3. Proposé dans ce sens par Léon Vandermeersch (2013, op. cit. p. 9). Mais, le terme est souvent abusivement employé pour parler du chinois moderne.
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système phonologique : en premier lieu, le chinois médiéval est devenu une langue à tons, puis, les syllabes se sont débarrassées des préfixes tout en conservant les consonnes médianes et les occlusions finales ; enfin, avec la disparition de ces deux dernières caractéristiques, la syllabe du chinois moderne s’est trouvée réduite à la simple structure que nous lui connaissons aujourd’hui, « initiale + finale + ton » ou « finale + ton ». Ces changements profonds sont dus aux contacts linguistiques que la Chine a connus durant deux millénaires, notamment lors des multiples occupations du Nord par divers peuples altaïques. En bref, la base du système écrit a été jetée par les inscriptions divinatoires des Shang, ses grands contours ont été fixés vers l’époque des Royaumes combattants, puis il a été plus ou moins sacralisé par la première standardisation des Qin. Après quelques altérations lors du passage à la « chancellerie », les caractères resteront globalement très stables à partir de la « régulière ». C’est ce même système qui est toujours usité de nos jours. La langue elle-même a énormément évolué, mais l’écriture a su s’adapter à tous les changements, à de vrais bouleversements parfois, sans pour autant jamais trahir ses principes originels. C’est à bon droit que, considérant la concordance unitaire de l’écriture avec la struc‐ ture de la langue, J.-F. Billeter parle d’un « puissant arrimage » : « L’écriture chinoise est faite pour noter de manière naturelle et complète le vocabulaire chinois et celui-là seul. Elle est en outre conçue pour reproduire la structure du chinois. Entre la suite des caractères de la phrase écrite et la chaîne des monosyllabes de la phrase parlée, l’équi‐ valence est parfaite et constante…1 ». Cette écriture endogène, inventée par les Chinois pour écrire le chinois, est certainement la raison profonde d’une longévité jamais égalée et de son étonnante vitalité actuelle.
9. LE GRAPHÈME SÉMANTIQUE EST UN INDICE VISUEL Pour que l’écriture chinoise soit qualifiée de sémiographique, il faudrait que le gra‐ phème sémantique y joue un rôle important. Or, ne serait-ce que par sa petite taille dans un phonogramme, on voit bien qu’il n’y occupe pas la place centrale, bien au contraire : si le graphème phonétique est tout à fait susceptible d’indiquer le son d’un caractère et même, le cas échéant, un sème commun que ce caractère partage avec les autres
1. L’art chinois de l’écriture. Genève : Skira, 1989, p. 13.
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membres de sa famille, le sémantique, lui, ne nous dit rien sur son sens exact. Les exceptions existent, mais elles se comptent sur les doigts d’une main1. Au phonogramme dont il fait partie, le sémantique doit, en principe, apporter l’un de ses sèmes génériques tels que « poisson », « oiseau », « métal », « marche », « parole », « main », etc. Ces concepts très vagues deviennent en revanche pertinents dans une série de caractères apparentés, à condition que l’on l’associe à celui porté par le phonétique. Dès lors, grâce à un sème spécifique, porté par le phonétique, et un sème générique, celui du sémantique, le sens du caractère devient perceptible et analysable. Ainsi, la racine 叉 chā « fourche » engendre des dérivés comme 杈 chà « branche » (« fourche » + « arbre »), 汊 chà « bras d’une rivière » (« fourche » + « cours d’eau »), 衩 chà « échan‐ crure » (« fourche » + « vêtement »), etc. C’est bien ce que Wang Shengmei a suggéré dans sa « théorie de la partie droite ». En fait, cet exemple, certes très parlant, a été choisi parmi les plus évidents et les plus faciles, alors qu’en réalité, la recherche sur les mots d’origine commune n’a jamais été à la portée de tous, et elle l’est encore moins aujourd’hui. Dans le fonctionnement du système, le phonétique et le sémantique jouent des rôles fondamentalement différents. Le premier, grâce à sa valeur phonétique et à son sème partagé, permet de construire de manière « endocentrique2 » de véritables familles de mots parentés, alors que le sémantique ne fait que regrouper des éléments disparates, dont le rapport est difficile voire impossible à établir. En effet, lors de la mise en place du système, en même temps que se précisait et se développait le rôle des phonétiques, le sens des sémantiques tendait, au contraire, à s’élargir et à devenir toujours plus vague et plus général. Sur le plan graphique également, ils prirent des formes de plus en plus abstraites : si celui de l’eau, en sigillaire, représente encore visiblement un « cours d’eau », ce n’est plus le cas en chancellerie 氵. Au fur et à mesure des nouvelles créations, ce graphème commence à figurer aussi dans des caractères comme liú 流 « couler », gài 溉 « laver » ou qiăn 淺 « (eau) peu profonde », n’ayant qu’un rapport lointain avec son sens d’origine. C’est que, lors de la création d’un phonogramme, le choix du sémantique restait beaucoup plus libre, étant loin d’être fondées sur une quelconque taxinomie et pouvant même ne dépendre que de l’intuition de l’inventeur ou, au mieux, de son raisonnement.
1. On peut citer par exemple 船 chuán « bateau » ou 爸 bà « père ». 2. Notion que nous empruntons à Xu Tongqiang, qui considère d’ailleurs le rôle des sémantiques comme « exocentrique ». Cf. Yuyan lun [De la langue]. Dongbei shifan daxue chubanshe, 1997, p. 299-303.
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Par exemple, parmi les caractères ayant comme sémantique chóng 虫 « bestiole », on trouve aussi bien des insectes, des vers que des crustacés voire des coquillages ; si quăn 犭/犬 « chien, animal » sert de sémantique dans des noms d’animaux divers et variés, tels que « chat », « cochon », « lion » ou « hérisson », il figure aussi dans des adjectifs renvoyant à des qualités attribuées à tel ou tel animal, comme « cruel », « violent » ou « rusé ». Par ailleurs, beaucoup de sémantiques ne font que suggérer un sème générique au lieu de le dénoter : dans qīng 清 « clair, limpide », tāng 汤 « soupe, potage », jiǔ 酒 « alcool », zhī 汁 « jus » ou hàn 汗 « sueur », le sémantique « eau » n’offre tout au plus qu’un sème de « liquide ». Alors, sachant que le sème porté par les phonétiques n’est pas toujours perceptible, à quoi servent réellement les sémantiques sinon à faciliter le classement des mots dans un dictionnaire ? Rappelons que les sémantiques ne sont entrés que tardivement dans la composition des phonogrammes, dont la fonction véritable était de différencier le phonogramme du caractère racine dont il est issu, et par-là, une série de caractères dérivés. C’est en effet sous le terme de « graphie différenciée » fēnbiéwén 分别文 que Wang Jun 王筠, un philo‐ logue des Qing, désigne les créations tardives auxquelles un sémantique a été ajouté ou intégré dans le seul but de les distinguer des caractères originels1. Ce rôle de différenciation est primordial pour la clarté du message lu. Pour être efficiente dans la perception visuelle du lecteur, une écriture linguistique doit non seulement noter phonétiquement les mots, mais rendre en même temps la lecture aisée et rapide. C’est ainsi que nous pouvons lire avec aisance des phonogrammes graphiquement ressemblants comme qīng 清 « limpide », qĭng 请 « inviter », qíng 晴 « ciel dégagé », qíng 情 « sentiment », etc. En chinois, l’efficacité de ce rôle est telle qu’on peut effectivement voir les caractères isolés (2) – et seulement les voir tels quels – comme des images2. C’est un sujet assez complexe, qui mériterait sans doute de discussions plus poussées, mais nous nous contentons ici d’un seul exemple :
1. Li Yunfu, Jiang Zhiyuan. Cong « fenbiewen » « leizengzi » yu « gujinzi » de guanxi kan houren dui zhexie shuyu de wu jie [Un examen des rapports entre « caractères différenciés », « caractères surajoutés » et « carac‐ tères gujin » pour rectifier les erreurs d’interprétation moderne de ces termes]. In Suzhou daxue xuebao, 3, 2013, p. 133-138. 2. « Isolés » dans le sens de « hors contexte » ou « arrêt sur l’image ». Car, le mécanisme de la lecture est sensi‐ blement différent.
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(2) 鵁鶄鸂鶒满晴沙 jiāojīng xīchì măn qíng shā « Une plage ensoleillée peuplée de hérons et de canards mandarins. » Dans ce vers de Du Fu 杜甫 (712-770), les quatre premiers caractères, 鵁鶄鸂鶒, représentent deux dissyllabes devenus aujourd’hui désuets, dont peu de personnes connaissent encore le sens. Peu importe. S’ils restent fortement imagés, étant suscep‐ tibles d’évoquer immédiatement, chez un lecteur lambda, l’image d’un rassemblement d’oiseaux, c’est juste grâce à la séquence quatre fois marquée du même sémantique « oiseau » 鳥. Quant aux dictionnaires, comme celui de Xu Shen et tous ceux qui ont suivi son modèle, on comprend maintenant pourquoi le classement par « clés » ne pouvait avoir d’autre intérêt que lexicographique, sans parler du fait qu’une bonne partie des clés n’ont aucun sens ou ont totalement perdu leur sens d’origine. En effet, les notions de « sémantique » et de « clés », si souvent confondues et assimilées, ne se recoupent que très partiellement. En dehors des dictionnaires, il n’y a pas lieu de parler de « classes sémantiques de caractères » ni de « clés ». En conclusion, le graphème sémantique d’un phonogramme est devenu, dans le système actuel, un indice visuel, dont la première fonction est bel et bien distinctive et différentielle. Ce point de vue proprement linguistique risque de décevoir, de déplaire voire de choquer la sensibilité de certains, car elle ébranle leur propre conception de l’écriture chinoise, conception qu’ils ont reçue comme un héritage culturel.
10. LONGÉVITÉ ET VITALITÉ DES CARACTÈRES SÉMANTIQUES Diamétralement à l’opposé de cette analyse linguistique, une tradition très ancienne a perduré au fil des siècles et connaît même un regain de vitalité de nos jours. Elle consiste à voir du sens partout dans un caractère. Il n’y a là rien de surprenant. En effet, parmi les différents types de caractères, certains sont bel et bien des huìyìzì « syssémantogrammes », dont tous les graphèmes peuvent et doivent être interprété selon leur sens en faisant totalement abstraction de la prononciation. Par exemple, 禾 hé « plante graminée » associé à 刀 dāo « couteau » donne
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利 lì « acéré » ; 雀 què « moineau » est formé de 小 xiăo « petit » et de 隹 zhuī « oiseau » ; trois 日 rì « soleil » superposés donnent 晶 jīng « lumière, éclat », etc. Partout dans le monde, les paléographies ont eu recours à ce procédé : pour obtenir un nouveau signe, on rassemble deux ou plusieurs pictogrammes existants et ce, uniquement en fonction de leur sens. Suivant un principe de « compositionnalité », c’est l’activation de la valeur sémantique de chaque graphème qui permet de générer le sens global du caractère. Mais, ces signes sémantiques n’ont rien à voir avec les logos proprement idéogra‐ phiques dont le sens est a priori transparent : un lecteur ne pourra saisir le sens d’un caractère sémantique ni même le deviner, s’il ne l’a jamais rencontré auparavant. Une vraisemblable « logique » sémantique entre les graphèmes, si elle existe, ne saurait être interprétée qu’a posteriori et ce, dans le meilleur des cas. Bien que ces syssémantogrammes soient minoritaires par rapport à l’immense majo‐ rité des phonogrammes, ils n’ont jamais été abandonnés ni remplacés. Au contraire : dans l’histoire de l’écriture, ils ont toujours contribué à entretenir la flamme d’une cer‐ taine tradition. À l’époque médiévale déjà, de nouveaux huìyìzì sont apparus, comme le montrent ces exemples relevés dans les manuscrits de Dunhuang1 (tableau 9). Tableau 9. Exemples de nouveaux syssémantogrammes médiévaux. Graphème 1
Graphème 2
Variante huìyì
Graphie standard
不 négation
+
見 « voir »
覔
覓 mì « chercher »
囗 enceinte d’une ville
+
王 « roi »
囯
國 guó « royaume »
文 « texte »
+
子 « enfant »
斈
學 xué « élève »
更 « de nouveau »
+
生 « vivre »
甦
蘇 sū « revivre »
Précisons que l’on n’a pas affaire ici à la création de nouveaux caractères, mais à des « variantes » yìtĭzì 异体字, conçues et utilisées en parallèle avec leurs graphies standard. Il semble bien que des scripteurs anonymes aient cherché avant tout à « redonner du sens » à des caractères dont l’étymologie, devenue obscure ou opaque au fil du temps, leur échappait. C’est en quelque sorte une « remotivation ». Pour ce faire, ils ont préféré s’attacher au seul sémantisme des graphèmes, selon le modèle existant, connu de tous, en faisant complètement abstraction de la prononciation.
1. Galambos Imre. Popular Character Forms (Súzi) and Semantic Compound (Huìyì) Characters in Medieval Chinese Manuscripts. In Journal of the American Oriental Society, 131.3, 2011, p. 395-409.
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II. Comprendre
En dépit de la réprobation des savants, qui les considèrent comme des « caractères vulgaires » súzì 俗字, en dépit de leur marginalité par rapport à l’écriture orthodoxe, ce genre d’inventions aura la vie dure. Elles sont le plus souvent nées d’une main anonyme, et beaucoup plus rarement, d’une volonté des autorités. C’est ainsi que, pendant son règne, l’impératrice douairière Wu Zetian 武則天 (624-705) en a imposé plus d’une, selon sa propre pensée religieuse et politique. Quand elle-même se choisit un nouveau prénom, Zhào « illumination », au lieu d’employer la graphie d’usage 照, un simple phonogramme, elle forgea 曌, un syssémantogramme composé de 明 « clarté » – qui lui-même associe 日 « soleil » et 月 « lune » – et de 空 « ciel ou vacuité1 ». Si ce goût pour la composition sémantique se manifeste de temps à autre dans la création des caractères, il se traduit plus particulièrement dans les interprétations étymologiques. Nombreux sont ceux qui, s’appuyant sur leur seule imagination, expli‐ quèrent et expliquent le pourquoi et le comment d’un caractère en le décortiquant sur le seul plan sémantique. Comme la prononciation ancienne n’était plus connue depuis des siècles et qu’un grand nombre de phonétiques avaient perdu leur pertinence, les interprétations sémantiques, plus accessibles et plus tentantes, avaient toute chance de proliférer. Un exemple représentatif nous est fourni par les « Explications des caractères » Zìshuō 字说 de Wang Anshi 王安石 (1021-1086), un dictionnaire perdu probablement sous les Yuan, dont quelques passages seulement nous ont été transmis grâce à des citations. Proposant l’explication de quelque six cents caractères, l’ouvrage était destiné à faciliter une meilleure compréhension des œuvres classiques. Quel que soit le caractère qu’il explique, Wang adopte une démarche « cent pour cent huìyì » et donne du sens à chacun des graphèmes. S’il arrive que ses interprétations tombent juste quand il s’agit de véri‐ tables caractères sémantiques, elles deviennent farfelues voire absurdes quand il les applique à des phonogrammes. Par exemple, 裘 qiú « fourrure », composé du séman‐ tique 衣 yī « vêtement » et du phonétique 求 qiú « chercher », est interprété par l’auteur comme un huìyìzì, puisque, dit-il, « la fourrure, servant de vêtements pour couvrir l’homme, est très recherchée » ; de même, 波 bō « vague », composé du phonétique 皮 pí « peau » et du sémantique « eau », serait, selon lui, « la peau de l’eau2 », etc. Grâce à la
1. Françoise Bottéro. « Les graphies énigmatiques de l'impératrice Wǔ Zétiān ». In Études chinoises. Vol. XXXII-2, 2013, p. 67-99 2. Selon Shen Jianshi (1933), les membres de cette série, tels que 颇 bō « biaiser », 坡 pō « pente », 跛 bō « boi‐ ter », 波 bō « vague », partagent en fait le sème commun de « pencher, en biais ». Cf. In Ge Xinyi, Qi Gong (éd.), op. cit. p. 127-128.
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4. Le fonctionnement du système ancien
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position sociale de Wang, son dictionnaire fut, un temps, très en vogue avant d’être récusé par la classe lettrée tout entière. Ce n’est certainement pas un hasard si Wang Shengmei, son contemporain et peut-être même son disciple, s’en est détourné pour proposer sa propre « théorie sur la partie droite », imparfaite mais plus pertinente pour l’époque.
11. DISSECTION SÉMANTIQUE DES CARACTÈRES : ENTRE LE PLAISIR ET LE CASSE-TÊTE Par la complexité de ses traits, le sémantisme réel ou virtuel de ses graphèmes et sa disposition dans un espace bidimensionnel, l’écriture chinoise se prête idéalement à des considérations proprement spatiales et physiques, dès que l’on se met à disséquer les caractères comme des images. C’est dans ces ressources linguistiques partagées par la communauté que la tradition huìyì puise sa vitalité. À cela s’ajoute le culte sacro-saint que la population a toujours voué à l’écriture : on croyait dur comme fer à sa puissance surnaturelle et à son pouvoir. À tel point qu’il existait une pratique divinatoire, cèzì 测字, qui consistait à interpréter l’avenir d’après un caractère choisi au hasard. Dans un autre registre, devinettes, jeux de mots ou logogriphes sont également légion et se transmettent de génération en génération. Ces particularités ont généré au fil du temps une forte représentation collective de l’écriture qui, au fond, fait partie de la culture proprement chinoise. Mais différente est la même démarche appliquée à l’enseignement. Là aussi, la lecture sémantique des caractères trouve toujours de fervents adeptes, tant elle est facile et fascinante. Au lieu de se lancer dans des recherches étymologiques compliquées, fastidieuses et inaccessibles au grand public, il suffit de laisser libre cours à sa propre imagination pour activer le sémantisme virtuel inhérent aux graphèmes. C’est ce qu’on appelle « étymologie fantaisiste ». La méthode d’apprentissage du chinois Cracking the Chinese Puzzles1, en constitue un bel exemple moderne. Son auteur, Ann Tse Kai 安子介, était un industriel et homme d’affaires hongkongais. Parallèlement à ses nombreuses activités tant commerciales, sociales que politiques, il a mené, pendant de longues années, des réflexions sur l’écri‐ ture chinoise, qui l’ont conduit à publier un grand nombre d’ouvrages de vulgarisation.
1. T. K. Ann. Cracking the Chinese Puzzles. 5 vol. Hongkong, Stockflows Co Ltd, 1982.
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II. Comprendre
Dans cette volumineuse méthode destinée à « expliquer » 5 888 caractères, il reprend en fait la démarche initiée par Wang Anshi, mais l’exploite de manière encore plus audacieuse et plus systématique. Partant du postulat selon lequel plus de 90 % des caractères chinois sont des « idéogrammes », mais que les relations sémantiques entre les éléments qui les composent ne sont pas toujours très claires, l’auteur se propose de rétablir ces relations en se fiant à sa seule inventivité personnelle. De son propre aveu, il lui arrive de se creuser la tête pendant plusieurs jours pour trouver la solution d’un caractère un peu « résistant »1. Un véritable casse-tête chinois, comme l’annonce le titre de sa méthode ! Certes, l’auteur ne s’est jamais référé aux études savantes et reconnues comme telles, qu’elles soient anciennes ou modernes, mais il n’avait pas non plus la prétention de fournir de véritables étymologies2. Au contraire, il proclame très clairement et à maintes reprises que sa méthode est pédagogique, pragmatique et même ludique, et qu’elle est conçue à l’intention des « Occidentaux anglophones » dans le but de leur faciliter « l’apprentissage du chinois comme langue seconde ». Il s’agit au fond d’une mnémo‐ technique consciencieusement mise au point et motivée par un désir sincère d’aider l’apprenant. Or, la publication en 1990 d’une version chinoise, abrégée, de son ouvrage eut des conséquences qu’Ann lui-même ne prévoyait sans doute pas. Souvent nourris d’un vif sentiment nationaliste en faveur d’une « exception chinoise », les partisans de « l’écri‐ ture idéographique », enthousiastes de la méthode de Ann, n’hésitèrent pas à la qualifier de « théorie scientifique », de « pensée académique », de « système de connaissances » voire de « contribution chinoise à la civilisation humaine » laquelle permettait enfin de « réhabiliter l’écriture chinoise, injustement accusée par les Occidentaux, et depuis plus d’un siècle, d’être un système arriéré3 ». L’arrière-pensée de tels propos est on ne peut plus claire.
1. Ann Tse Kai. Pi wen qie zi ji [Disloquer les caractères]. Hongkong, Ruifu youxian gongsi, 1987, p. 213. Cité dans Liu Dehui. Su xingyixue shuping [Commentaire sur les analyses vulgaires des idéogrammes], Journal of Zhuzhou teachers college : 1, 2003, p. 5-10. 2. Il reconnaît très honnêtement que « j’avais effectivement accumulé vingt à trente piles d’ouvrages de réfé‐ rence, mais, je les ai tous abandonnés dès le début de ma rédaction, ne voulant pas que les idées des autres viennent "polluer" les miennes ». Nous traduisons. In Ann Tse Kai, 1987, op. cit. Cité dans Zeng Ming. 1987. An Zijie de xi zi fa [La méthode d’analyse des caractères d’Ann Tse Kai]. https://www.macaudata.com/macaubook. 3. Li Tao. Dangdai hanzixue de dianjizhe zhaoxue hanzi yuan’an di yi ren [Sur le fondateur des études contem‐ poraines consacrées à l’écriture chinoise – l’homme qui, le premier, a réfuté les accusations portées contre l’écriture chinoise]. Hanzi Wenhua, n° 4, 1993, p. 10-12.
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5 L’ALOURDISSEMENT DU SYSTÈME ET SON USURE AU FIL DU TEMPS
A
yant pour principal moteur la pratique quotidienne des scripteurs et s’étalant sur une si longue période, l’évolution du système chinois est une question extrê‐ mement complexe, tant « (notre) langue et (notre) écriture entretiennent un rapport confus et enchevêtré1 ». Nous allons examiner ici plus particulièrement trois phénomènes : un accroissement surnuméraire de caractères, des emplois abusifs d’une partie d’entre eux et une altération graphique de grande ampleur. Ce sont autant de traces d’usure, que nous pouvons retrouver dans le système actuel.
Paradoxalement, si l’évolution du graphisme, qui se fait aussi de manière naturelle, était tout de même commandée par une recherche de perfection, qu’elle soit indivi‐ duelle ou collective, celle du système n’est, en revanche, jamais allée de pair avec une quelconque intention de progrès ou de rationalisation. Tout se passe comme si la beauté du caractère passait avant sa rationalité. Certes, l’histoire a été ponctuée d’interventions étatiques en orthographie, mais celles-ci n’ont jamais été réformatrices. Au contraire. À chaque fois, on partait de l’état des choses en vigueur, héritage que l’on devait pieusement préserver, et on se contentait de rectifier certaines graphies vulgaires ou populaires, considérées comme des écarts ou des entorses. Même la simplification officielle des années 1950, la plus révolutionnaire dans tous les sens du terme, n’a touché qu’une minorité de caractères.
1. Nous traduisons. Shen Jianshi. Yu Ding Shengshu lun Shiming ju zi zhi yilei shu [Discussion avec Ding Sheng‐ shu sur le sens du caractère ju dans le Shiming]. In Ge Xinyi, Qi Gong (éd.), 1937, op. cit. p. 205.
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II. Comprendre
Aujourd’hui, l’écriture chinoise n’est ni dégradée ni affaiblie, mais simplement usée. Sans parler du fait que le chinois n’a jamais eu la vocation d’être un système rigoureux, toute écriture « vivante » s’use à l’usage à l’instar d’une langue vivante. Il n’y a rien de choquant ni de honteux à constater qu’après tant de siècles d’usage, il présente de très nombreuses traces d’usure, d’autant que son irrationalité, voire ses bizarreries, ne l’empêchent nullement de bien fonctionner.
1. LA VIE ÉTERNELLE DES CARACTÈRES Commençons par une question fréquemment posée : combien y a-t-il de caractères ? La réponse est multiple, car il faut prendre en considération trois paramètres différents : la totalité des caractères recensés par les dictionnaires, le maximum qui est réellement usité de nos jours et le minimum qu’un lecteur-scripteur doit connaître dans la commu‐ nication au quotidien. Or, il y a un monde entre le premier et le dernier. La « Liste des caractères standard en vigueur1 », publiée en 2013 par le gouverne‐ ment chinois contient 8 015 caractères, répartis en trois niveaux selon leur fréquence : (I) 3 500 caractères très usuels ; (II) 3 000 moyennement usuels et (III) 2 015 plus rares, ces derniers concernant notamment les noms propres et les caractères utilisés par des textes anciens, toujours présents dans les manuels scolaires. Ces chiffres donnent déjà un ordre de grandeur. Mais, au quotidien, 2 000 caractères environ, parmi les plus usuels, suffisent à un lecteur-scripteur moyen, alors que les écrivains, anciens ou modernes, utilisent en général 3 000 à 4 000 caractères différents dans leurs œuvres2. En revanche, pour ce qui est du nombre des caractères existants, les dictionnaires traditionnels peuvent inclure jusqu’à 85 000 entrées3, soit vingt à trente fois plus qu’il n’en faut pour écrire la langue ! Si on arrive aujourd’hui à ce chiffre délirant, c’est parce que, selon la tradition suivie par la lexicographie chinoise, un caractère, une fois créé et entré dans le circuit, ne tombera jamais dans l’oubli. Certes, ils disparaissent de l’usage quand, avec le temps, ils ne sont plus connus de personne ni employés nulle part, mais ils restent toujours
1. Tōngyòng guīfàn hànzì biǎo 通用规范汉字表. 2. Cette performance est une constante, sachant que chaque époque a son propre lot de caractères usités. 3. Ce record des dictionnaires imprimés est tenu par le Zhonghua zihai [Mer des caractères chinois]. Zhonghua shuju & Youyi chubanshe, 1994, 1784 p.
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5. L’alourdissement du système et son usure au fil du temps
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pieusement consignés dans les dictionnaires. Depuis le Livre de Cang Jie des Qin au iiie siècle avant notre ère, en passant par le Shuowen jiezi de Xu Shen et jusqu’au Dictionnaire Kangxi du xviiie siècle, la démarche a toujours été la même : non seulement les lexico‐ graphes incluent dans leurs ouvrages les caractères répertoriés par leurs prédécesseurs, mais ils y rajoutent le lot par eux recueilli dans les écrits plus récents. En conséquence, le nombre total de caractères ainsi cumulés n’a cessé d’augmenter. Restant fidèles à la tradition et tirant profit de l’ère informatique, nos contemporains sont même parvenus à construire un dictionnaire numérique atteignant à plus de 100 000 caractères1 ! Admettons que les lexicographes, pris par la folie de grandeurs, cherchent à surpas‐ ser les anciens en compilant « le plus grand dictionnaire de tous les temps », mais, dans les faits, ces chiffres, quoique sensationnels, ne signifient pas grand-chose en eux-mêmes. Pour le sujet qui nous intéresse ici, l’important est de savoir quels sont ces caractères sans cesse ajoutés et pourquoi une telle prolifération.
2. LES INDISPENSABLES ET LES SOPHISTIQUÉS Même si le chinois ancien était parfaitement en mesure de créer des dissyllabes par dérivation, tels que 蜘蛛 zhīzhū « araignée », 参差 cēncī « de longueur inégale » ou 霏霏 fēifēi « forte (neige ou pluie) », ceux-ci ne représentaient qu’une minorité. La langue était caractérisée par un monosyllabisme dominant, qui avait besoin, a priori, d’un nouveau caractère à chaque fois qu’il fallait écrire un nouveau mot. On créait donc les caractères par nécessité lexicale. C’était, d’abord, les caractères liés aux contextes historiques : les noms propres de personne ou de lieu, par exemple, qui sont, d’ailleurs, pour la plupart, des hapax, mots qui ne paraissent qu’une seule fois et dans un seul texte. D’autres caractères ont été conçus pour répondre aux besoins d’une époque et d’une société donnée, comme la centaine de mots qui désignent les chevaux de robe ou de taille différentes ou les ovidés de races diverses, etc. Enfin, suivant le processus de renouvellement naturel du lexique, certains mots plus anciens ont été remplacés par des synonymes plus récents. La désuétude de ces « caractères historiques » était relativement rapide, mais ils restent toujours indispensables aux études philologiques. C’est la raison pour laquelle
1. Chiffre de la 6e version en 2017 du Dictionary of Chinese Character Variants, élaboré à Taïwan par le ministère de l’Éducation de la République de Chine et libre d’accès : http://dict.variants.moe.edu.tw
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II. Comprendre
ils représentent encore un quart environ des caractères modernes normalisés, classés comme des « caractères rares ». Viennent ensuite les caractères indispensables à la clarté du message. En chinois archaïque, comme nous l’avons vu précédemment, une proportion importante de mots polysémiques ou homonymiques nuisait à la communication. Ainsi, quantité de nou‐ veaux phonogrammes ont été créés qui ont permis de les différencier. S’agissant de deux homophones sans lien sémantique mais distingués par la graphie, on les appelle « homophones différenciés1 » comme 要 yào « vouloir » et 腰 yāo « hanches », 然 rán « ainsi » et 燃 rán « brûler », etc. Ils sont distingués des « caractères apparentés diffé‐ renciés2 » qui sont, eux, liés par dérivation, comme 取 qǔ « prendre » et son dérivé 娶 qǔ « prendre pour épouse » ou 受 shòu « prendre » et 授 shòu « donner »3. Si, dès le départ, les caractères ont pu se multiplier au fur et à mesure des besoins grandissants du lexique, c’est bien grâce à cette « solution chinoise » que représentent les phonogrammes : plus besoin de se creuser les méninges pour concevoir des caractères sémantiques qui, de toute façon, ne menaient pas bien loin. Il suffisait, au contraire, de puiser dans le répertoire – certes limité, mais tout est relatif ! – de sémantiques et de phonétiques pour obtenir en un tour de main un nouveau caractère. La potentialité était quasi infinie, d’autant que les caractères existants étaient susceptibles à leur tour de servir de phonétiques dans une nouvelle composition plus complexe, comme on le voit, par exemple, dans le cas de 古 gǔ et ses descendants, tous homophones : 古 engendre d’abord 固 gù, puis celui-ci donne à son tour 痼 gù, 錮 gù, 棝 gù, 鯝 gù, etc. Une telle facilité dans la production a eu une conséquence directe sur le lexique : en chinois ancien, on n’a pas créé seulement le strict minimum, mais aussi beaucoup de caractères très sophistiqués. Ne serait-ce que pour dire « regarder », on s’est offert le luxe d’une dizaine de mots : 睒 shăn « regarder brièvement », 睗 shì « regarder rapidement », 䀣 bì « regarder droit », 睨 nì « regarder de biais », 睇 dì « regarder de haut », 睼 tí « regar‐ der au loin », 盻 xì « regarder avec haine », 瞏 qióng « regarder avec surprise », 䁈 qĭ « regarder pour examiner », 瞗 diāo « regarder minutieusement », 䁴 zhàn « regarder en changeant d’expression », etc. Contrairement aux mots indispensables, ces créations sophistiquées sont vite devenues désuètes ; elles sont tombées dans l’oubli au fur et à mesure que la création lexicale prenait une autre direction.
1. tóngyīn fēnhuàzì 同音分化字. 2. tóngyuán fēnhuàzi 同源分化字. 3. Du fait de leur rapport diachronique, les lettrés anciens nomment également ces paires « caractère ancien » et « caractère moderne » gǔjīnzì 古今字.
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En effet, vers la fin des Royaumes combattants, le lexique général entama son processus de dissyllabisation, dont le rythme s’accéléra à partir des Han occidentaux. Désormais, la dérivation phonologique, privilégiée en chinois archaïque, cèdera la place à la composition : on va combiner deux monosyllabes anciens pour former un nouveau mot plus long. Ainsi, les monosyllabes signifiant « regarder » ayant chacun un sens extrê‐ mement précis ont été remplacés par des dissyllabes qui les « paraphrasent » : on dira 直視 zhíshì « regarder droit », 省視 xĭngshì ou 审視 shĕnshì « regarder pour examiner », etc. Ces « mots composés » représentent une économie considérable : les morphèmes qui entrent dans leur composition deviennent récurrents, puisque « réutilisables » dans d’autres mots. A priori, il n’est plus du tout nécessaire de créer de nouveaux caractères pour enrichir le lexique. Alors, pourquoi les scripteurs anciens ont-ils continué à créer encore et encore ? Que sont tous ces caractères qui encombrent les dictionnaires mastodontes ? Outre les facteurs socioculturels qui placent l’écrit au-dessus de tout, la principale raison est que, mis à part les caractères indispensables, éphémères ou sophistiqués, il faut aussi compter avec les superflus, beaucoup de superflus. Ces superflus sont surtout des « variantes graphiques », à savoir deux ou plusieurs graphies disponibles pour écrire le même caractère, qui sont parfaitement interchan‐ geables dans le même contexte grammatical. Si, en français, on ne peut à peine citer que clef et clé, ou cacahuète et cacahouète, en chinois, c’est une pléthore de variantes qui ont été créée au fil du temps. Elles sont estimées à 40 % de la totalité des caractères, soit 20 000 environ au bas mot1 !
3. CHAQUE SCRIPTEUR ÉTAIT UN CANG JIE POTENTIEL Certes, l’écriture appartient à la communauté tout entière, mais la pratique scriptu‐ rale, elle, reste toujours un acte individuel. En l’absence d’une normalisation officielle et même en parallèle avec elle, chaque scripteur était toujours libre d’apporter son grain de sel. À une seule condition : que la nouvelle graphie puisse être lue et comprise par les lecteurs. À moins qu’on ne cherche sciemment à créer un code secret.
1. Estimation de Wang Fengyang, 1989, op. cit. p. 539. Elle était basée sur le Zhonghua da zidian [Grand diction‐ naire des caractères chinois] qui n’inclut que 54 000 caractères.
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II. Comprendre
En revanche, né d’une initiative personnelle, un nouveau caractère ou une variante, dont l’usage est au début sporadique et ponctuel, aura toute chance d’être admis et récupéré par d’autres scripteurs, s’il apparaît comme une meilleure façon d’écrire tel ou tel mot : une graphie plus simple, plus facile et, parfois aussi, plus esthétique. Une fois entré dans le circuit, il deviendra récurrent et collectif. Lorsque, à ces actes spontanés, s’ajoutent l’adoption par la classe lettrée ou la validation par les autorités, l’usage courant devient la norme. De nombreux facteurs extralinguistiques peuvent conduire un scripteur à la liberté créatrice : son niveau de maîtrise de l’écriture, ses habitudes dans le choix des graphies, l’influence de sa langue maternelle régionale, la tendance en vogue à son époque, sa conscience plus ou moins forte de la norme, etc. A cela pouvaient s’ajouter des causes imprévues au moment de son acte, difficiles à appréhender aujourd’hui : simple erreur commise au moment du tracé, proscription de tel caractère en raison, par exemple, d’un tabou, soumission aux usages de son temps ou de sa région. Car, jusqu’à une époque récente, des graphies différentes étaient souvent créées par des scripteurs chacun de son côté, étant éloignés dans l’espace. Du point de vue sociétal, la division du pays, l’affaiblissement du pouvoir central, l’influence d’un dialecte de prestige ou la naissance d’un nouveau graphisme sont autant d’éléments qui favorisent la diversification scripturale. Comme le dit Hu Shi 胡适, « dans l’évolution de la langue et de l’écriture, les réfor‐ mateurs se trouvent en général parmi le petit peuple1 ». Venues d’« en bas », ces varia‐ tions de graphies sont à double tranchant : ranimées perpétuellement d’un dynamisme et d’une vitalité, elles provoquent et entraînent l’écriture dans son évolution, mais en même temps, sans contraintes ni règles, elles risquent de perturber l’efficacité de la communication et de surcharger inutilement le système. Les jiaguwen, système encore instable, nous fournissent déjà quantité d’exemples de variations : un seul et même mot peut prendre à l’écrit plusieurs dizaines de formes diffé‐ rentes. Rappelons que, plus tard, Xu Shen, qui n’a pas eu connaissance de ces inscriptions, répertorie déjà dans son dictionnaire plus d’un millier de variantes, appelées chóngwén 重文 : elles proviennent pour la plupart de l’ancienne écriture de gravure ou de la petite sigillaire des Qin, sinon, il s’agit simplement des altérations de la chancellerie.
1. Hu Shi. Préface dans Hanzi gaige hao [numéro spécial sur la réforme de l’écriture]. Guoyu yuekan, 7, vol. 1, 1923.
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La production augmentait au fur et à mesure que la pratique scripturale se démo‐ cratisait. Très souvent, les nouvelles créations avaient une belle longévité devant elles, étant utilisées parallèlement avec une ou plusieurs graphies existantes. Leur « période d’essai » pouvait être plus ou moins longue avant que l’une des graphies d’un même caractère soit acceptée comme conventionnelle ou validée comme standard. Cependant, la portée des mesures de normalisation étant très limitée, les graphies variantes n’ont jamais cessé de circuler ni même de proliférer dans l’usage courant. Là aussi, la méthode des phonogrammes était toujours privilégiée. Tout procédé était permis : transformation, ajout, suppression, substitution ou reconstruction. Ainsi, pour écrire le mot guō « marmite », on a essayé 鍋 ou 鈛 avec deux phonétiques différents ; on a aussi utilisé deux sémantiques différents, comme 褲 ou 絝 kù « pantalon », 歌 ou 謌 gē « chanter », 睹 ou 覩 dŭ « voir » ; ou bien, on a directement formé un nouveau pho‐ nogramme, comme 惕 ou 悐 tì « prudent », 村 ou 邨 cūn « village ». Il arrive aussi qu’on utilise, tout en partant du même principe de production, une « matière première » dif‐ férente : à un ancien caractère sémantique, on a ainsi ajouté un autre sémantique, comme 從 ou 从 cóng « suivre », 曝 ou 暴 bào « exposer au soleil ». Et enfin, on a cherché à créer un nouveau phonogramme à la place d’un caractère sémantique existant, comme 傘 ou 繖 săn « parapluie », 泪 ou 淚 lèi « larme », 灾 ou 烖 zāi « catastrophe », etc. Dans un esprit différent, on peut aussi modifier l’agencement spatial d’une graphie sans toucher à sa conception : 群 ou 羣 qún « troupeau », 鵝, 鵞 et 䳘 é « oie », etc1. Au vu de ces exemples, on pourrait avoir l’impression que toute création, y compris celle des variantes, était dûment réfléchie pour obtenir des phonogrammes motivés, donc parfaitement analysables. C’est à la fois illusoire et irréaliste. Le chinois aurait été un système raisonné et rationnel, si tous les caractères pouvaient rentrer dans ce cadre. La réalité est beaucoup moins glorieuse. Le surplus colossal de caractères cumulé au fil du temps met en évidence un fait de société : l’immense prestige de l’écriture conduisait l’inconscient collectif jusqu’à l’excès et à la démesure. Pourquoi se limiter à deux ou trois variantes si, pour une raison ou une autre, on a envie d’en créer davantage ? Il semble bien que plus le caractère est complexe, plus il est susceptible de générer des variantes. Une simple recherche dans le Dictionary of Chinese Character Variants2 nous montre que 龍 lóng « dragon » dispose de
1. Dans tous ces exemples, la première des deux graphies est aujourd’hui considérée comme standard. 2. Dictionnaire numérique édité par le ministère de l’Éducation de Taïwan, 2012. http://dict2.variants.moe.edu .tw/variants/
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II. Comprendre Tableau 10. Exemples des variantes du caractère 龜 guī « tortue »
cinquante et une graphies différentes et 龜 guī « tortue », de cent quatre ! Mais, à y regarder de plus près, nous remarquons que beaucoup d’entre elles ne se distinguent que par un détail infime qu’un œil profane aurait de la peine à discerner (tableau 10). Tout donne à penser que les scripteurs s’accordaient plus facilement de la liberté dans les détails, tant que la silhouette du caractère reste préservée ! Le traditionnel « Tableau de cent longévités » nous fournit un autre exemple de cette liberté sans limite (figure 36). Cadeau d’anniversaire offert à une personne âgée, cette œuvre calligraphique doit comporter cent graphies différentes du seul mot 壽 shòu « longévité » ! Sans cesse réinventés, ces tableaux rarement identiques ne se composent jamais exactement des mêmes gra‐ phies. Certaines d’entre elles sont tel‐ lement fantaisistes et éloignées de la norme qu’elles ne sauraient être lues et comprises hors contexte. On l’aura compris, ces variantes qui peuvent atteindre une quantité extravagante n’ont pas été conçues dans le but de communiquer : elles s’inscrivaient dans la tradition culturelle fondée sur l’écriture.
4. QUI DIT USAGE DIT USURE
Figure 36. Gravure sur roche de cent graphies de shòu « longévité » (1229). District Yongfu, Guangxi.
Une écriture vivante n’est pas une science exacte, et ancienne, elle l’est encore moins. Le système chinois, dès ses débuts, avec ses signes hété‐ rogènes et disparates, ses divers
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procédés de création, son instabilité graphique et ses approximations phonologiques, était loin d’être rigoureux ou bien pensé. La pratique quotidienne, ensuite, fut cause d’une usure naturelle, parfois même volontaire. Plus le nombre de scripteurs augmente et plus l’acte d’écrire se répand, plus l’écriture est susceptible de souffrir de traitements anarchiques. En premier lieu, les caractères existants peuvent souffrir d’emplois abusifs. Nous n’entendons pas par-là ces erreurs ponctuelles que faisaient et font toujours les scrip‐ teurs, mais l’usage collectif et consensuel à une époque donnée. Les caractères appelés tōngjiăzì 通假字 en sont un bel exemple. Dans les documents des Qin et des Han, on rencontre souvent des mots difficiles à comprendre dans le contexte donné. En fait, à l’époque, la méthode d’emprunt était si facile à appliquer que les scripteurs s’en servaient non seulement pour créer des mots nouveaux, mais aussi, pour remplacer un mot existant par un homophone. Le « trou de mémoire » serait l’explication la plus plausible : pressé par le temps, le scripteur remplace la graphie usuelle par celle du premier homophone qui lui vient à l’esprit. Résultat : deux, voire plusieurs caractères différents servaient à écrire un seul mot. Ce phénomène est si dif‐ férent du véritable « emprunt » que l’on préfère parler de « graphies empruntées » ou « graphies interchangeables ». Par exemple, la graphie de 蜚, désignant un insecte, se trouve en lieu et place du mot 飛 fēi « voler, s’envoler » ; on écrivait 有 « avoir » à la place de 又 yòu « de plus », 視 « voir » au lieu de 示 shì « montrer », 倍 « doubler » pour 背 bèi « dos » ou 蚤 « puce » pour 早 zăo « tôt » ! Pour peu que l’usage s’en empare, cet emprunt fortuit deviendra une variante du mot qu’il double. Certains abus, sans cesse relayés, ont fini par perdurer jusqu’à nos jours et sont devenus difficiles à interpréter. C’est ainsi que, dans l’expression 不毛之地 bùmáo-zhīdì « terre où aucune culture n’est possible1 », máo 毛 « poil » a été employé à la place de miáo 苗 « jeune pousse » en raison de leur homophonie en chinois ancien2. Le phénomène ne concernait pas uniquement les monosyllabes, mais aussi des mots plus longs, notamment ceux qui ont une origine phonographique. C’est par exemple le cas des « dissyllabes liés3 » liánmiánzì 联绵字, des onomatopées ou des emprunts à une
1. Les quatre mots signifient littéralement : ne pas/poil/de/terre. 2. Lu Zongda, Wang Ning. Gu hanyu ciyi dawen [Questions et réponses sur les sens des mots du chinois ancien]. Beijing, Zhonghua shuju, 1986/2018. 3. Selon une hypothèse aujourd’hui largement acceptée, le chinois ancien semble bien posséder des groupes de consonnes, tels que pl, tl, kl, disparus depuis. Ainsi, certains monosyllabes ont pu générer des « dissyllabes liés » dont le sens reste le même : de 孔 [klu] « trou » est dérivé 窟窿 [kulu] ; 浑 [xlun] « en bloc » a donné 囫囵 [xulun], etc.
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II. Comprendre
langue étrangère. Ces dissyllabes ayant été notés d’après leurs sons, le choix de leurs graphies s’avérait plus libre et plus aléatoire. A priori, il était possible de créer ou de choisir n’importe quel caractère sans se soucier de son sens. Par exemple, le dissyllabe lié 踌躇 chóuchù « hésitant », dérivé du monosyllabe chóu, pouvait s’écrire sous forme de 踟蹰, 峙躇, 踯躅, 跢跦, 次且, 首施, 首鼠 1, dont la plupart ont été exclusivement créés pour écrire ce même mot. D’autres mots utilisaient des caractères existants, comme 茉 莉 mòlì « jasmin », mot emprunté au sanscrit, qui s’est autrefois écrit 末利, 抹历 ou 没利, et le nom de pays « Inde » connaissait même des dizaines de versions différentes2 ! Les causes d’une telle prolifération peuvent être multiples : des graphies empruntées – volontaires ou involontaires –, des interprétations personnelles, des différences régio‐ nales de prononciation, des déformations phonétiques dans la transmission, des dépla‐ cements sémantiques, etc3. Souvent, une liberté excessive ou une interprétation erronée pouvait aussi conduire le scripteur à modifier une graphie existante. Nous avons là des altérations graphiques, les usures les plus importantes que le système ait subi tout au long de l’histoire. Par-là, nous entendons une modification de graphie, partielle ou complète, qui a fait perdre au caractère sa motivation originelle. Autrement dit, un caractère originairement conçu selon une certaine logique se voit démotivé et devient inanalysable. Par exemple, composé de « glace » et d’« eau », le sémantogramme 冰 bīng « glace » perd sa motivation quand on l’écrit sous la forme contractée de 氷 ; la variante 㳟 du phonogramme 恭 gōng « respect » remplace le sémantique « cœur » par « eau » ; quant à 牢 láo « enclos à bétail », son sémantique « toit » est devenu « grotte » dans 窂. Irrationnelles et anarchiques, ces altérations détruisent, certes inconsciemment mais sans complexe, le bien-fondé d’une bonne partie des caractères. Les normalisations effectuées à différentes époques n’ont cessé de prendre pour cible ces « caractères vulgaires » súzì 俗字 ou « caractères manuscrits » shŏutóuzì 手头字, pour les rectifier ou au moins les signaler, mais ces efforts ne les empêchaient pas de survivre ni même de jouir d’certaine popularité, voire d’une belle longévité. Quelques-unes ont même été récupérées et sont devenues aujourd’hui des caractères standard.
1. Les exemples sont de Wang Fengyang, op.cit. p. 426. 2. Dong Xingmao, 1992, op. cit. 3. Dong Xingmao, Jia Qihua. Lianmianci chengyin tuiyuan [Les origines de la formation des dissyllabes liés]. Gu hanyu yanjiu, 1, 1997.
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En revanche, d’autres modifications graphiques, beaucoup plus anciennes, n’ont jamais été perçues comme des altérations, parce qu’elles étaient déjà collectivement acceptées et même validées par les autorités. Ce sont notamment les graphies spontané‐ ment simplifiées.
5. POURQUOI SE COMPLIQUER LA VIE QUAND ON PEUT FAIRE SIMPLE ? Eh oui, cet adage est aussi valable quand il s’agit d’écrire. Tant que la pratique de l’écriture reste manuelle, le scripteur, pressé par le temps ou tout bonnement paresseux, cherchera à alléger sa tâche. Lorsqu’il invente une variante « vulgaire », il veut juste écrire de manière plus simple un mot sans s’embarrasser du moindre souci de régularité, de légitimité ou de rationalité. C’est un penchant naturel des humains, quels que soient les outils utilisés – instruments de gravure, pinceaux, stylo ou touches de clavier : plus près de nous, le français des SMS en est une belle preuve ! En ce qui concerne le chinois, la tendance à simplifier les graphies a commencé en même temps que le développement du système et s’est poursuivie jusqu’à la campagne officielle de simplification des années 1950, sa dernière étape. Contrairement à celle-ci, la simplification spontanée venant d’en bas était un processus très lent, qui se traduisait sur deux plans : une simplification du graphisme commun qui touchait tout le système et une simplification des graphies qui se faisait au cas par cas ou par série, quand il s’agit d’un composant récurrent. La coexistence de graphies couramment employées et de leurs variantes simplifiées est déjà attestée dans les inscriptions oraculaires des Shang, c’est-à-dire avant même que le système se stabilise. Si la graphie de shuĭ « eau » prenait le plus souvent la forme , elle a été réduite au minimum, soit à un seul trait, dans plusieurs noms de rivière comme (潢) huáng « Rivière Huang », (沁) qìn « Rivière Qin »1, etc. Certes, ces tentatives de simplification sont encore très timides, mais elles s’appliquent d’ores et déjà à une petite série de caractères. Exécutées de façon plus rigoureuse et selon une exigence plus formelle, les inscrip‐ tions sur bronze des Zhou n’ont pas repris la plupart de ces variantes. Mais, le principe,
1. Chrystelle Maréchal. Trois mille ans de simplification des caractères chinois. In Études chinoises, vol. XXXII-2, 2013, p. 41-65.
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II. Comprendre
lui, a perduré. Ainsi, aux graphies très pictographiques de ou chē « char », dans lesquelles les détails de l’objet désigné sont encore présents, on préférera désormais celle de , « une simplification spontanée qui s’est démarquée en remportant l’adhésion des scribes dès la fin des Zhou1 ». En effet, les Royaumes combattants, ayant chacun « ses propres parlers aux prononciations différentes et sa propre écriture aux graphies par‐ ticulières2 », connurent une simplification spontanée de leurs écritures d’une ampleur, selon certains auteurs, jamais égalée. Les documents exhumés nous révèlent une explosion de nouvelles variantes, sou‐ vent issues d’un graphisme « hâtif », dont la tendance dominante est très clairement simplificatrice. Nombreux sont les procédés : suppression d’un ou deux traits lorsqu’il y en a plusieurs ; suppression des composants répétitifs3 ; simplification à l’extrême d’un composant déjà simple ; suppression d’un sémantique ou d’un phonétique ; « emprunt » d’un composant plus ou moins similaire en remplacement d’un autre, etc. Tout est bon pour pouvoir écrire plus vite. L’anarchie scripturale était telle que lors de l’unification par les Qin, la plupart de ces variantes n’ont pas survécu. La petite sigillaire, fruit de la première normalisation étatique, n’en procéda pas moins à une simplification relative des inscriptions archaïques. Des « dessins », picto‐ graphiques ou idéographiques, tels que mù « œil », lǎo « vieux », hŭ « tigre » ou shòu « donner, recevoir4 », ont cédé la place à , , et , signes abstraits moins représentatifs mais plus simples à écrire ; des détails, figurant à l’intérieur de tel carac‐ tère, ont été omis, comme dans wén « tatouage, texte » qui devient ; quelques élé‐ ments répétitifs ont été supprimés, c’est le cas de guŏ « fruit » devenu . Cependant, se voulant conservatrice et orthographique, cette écriture officielle des Qin continue à « dessiner » à l’aide des lignes flexueuses, comme on le voit par l’exemple de chóng « bestiole, ver ». Ce graphisme est resté très complexe, peut-être même l’est-il devenu davantage suite à la création de nouveaux phonogrammes : c’est certainement une des raisons qui font qu’il n’a jamais été réellement employé dans la pratique quotidienne.
1. Chrystelle Maréchal, op. cit. 2. Xu Shen. Traduction de Françoise Bottéro, 1996, op. cit. p. 26. 3. Rappel terminologique : un composant concerne tout élément constituant d’un caractère. Différent d’un graphème, il n’est pas nécessairement porteur de son ou de sens. Ainsi, le terme « composant » est utilisé dans l’analyse graphique d’un caractère, tandis que celui de « graphème » ne concerne que le sémantique et le pho‐ nétique (cf. chap. 9.5) 4. Deux mains de part et d’autre d’une barque.
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La « chancellerie », nouveau graphisme vulgaire utilisé en parallèle avec la sigillaire officiellement préconisée, suivait alors une orientation opposée. Le passage progres‐ sif de « l’écriture de gravure » archaïque à la chancellerie, premier graphisme dit « moderne », est synonyme d’une forte simplification et d’une altération non moins forte d’un grand nombre de graphies. Surtout, le nouveau graphisme et les nouvelles graphies ont délibérément aban‐ donné la ressemblance originelle, si ténue fût-elle, qui les liait encore aux objets désignés. Il s’avère que les considérations étymologiques ne pesaient guère voire plus du tout dans les nouvelles créations. Tout se passait comme si, dans un esprit pragmatique et libéré de toute contrainte, les scribes ne se souciaient plus de préserver la motivation des caractères, souci qui, somme toute, restera un vœu pieux. En effet, se trouvant déjà à mille lieues de l’ancien principe de « dessiner les choses du monde », ils ne faisaient qu’écrire des mots de leur langue et ce, à l’aide de caractères qui leur paraissaient à la fois lisibles et faciles à tracer. S’étalant sur une période de quatre siècles environ, ce passage révolutionnaire a bouleversé l’histoire de l’écriture chinoise au point qu’il est couramment désigné sous un terme spécifique, lìbiàn 隶变, que l’on traduit par « transformations par la chancel‐ lerie » ou – moins employé mais fort commode – par « libianisation1 ».
6. LIBIAN : QUAND ON NE SE SOUCIAIT PLUS DE L’IMAGE… Ces opérations faites à coups de pinceau présentent autant de régularités plus ou moins généralisées que d’irrégularités observées au cas par cas. Nous n’en pouvons donner ici qu’un aperçu, présenté selon les diverses façons dont les graphies anciennes ont été simplifiées et transformées2.
a. Remplacement des lignes ad hoc par des traits récurrents Nous avons vu comment les graphismes archaïques utilisaient un millier de lignes flexueuses ad hoc pour, selon Xu Shen, « tracer des courbes suivant les contours des choses ». Et c’est la chancellerie qui va couper le cordon ombilical qui reliait encore
1. De l’anglais « libianization » proposé par T. K. Ann.1987, op. cit. p. XIV. 2. Pour éviter les détails fort complexes des graphies effectivement constatées pendant cette époque, nous prenons ici celles de la petite sigillaire standardisée comme représentatives des anciens graphismes et celles de la chancellerie Han comme la forme aboutie après la libianisation.
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l’écriture du vieux principe. Sur ce plan, seule une poignée de caractères n’a pas été radicalement affectée, comme par exemple 日 rì « soleil » : certes, la nouvelle graphie n’a plus rien à voir avec l’objet désigné, mais sa structure originaire reste à peu près préservée et le changement encore traçable, surtout si on passait par en sigillaire. Dans l’écrasante majorité des cas, en revanche, les quelques dizaines de traits droits récurrents ont eu raison des dernières traces iconiques de l’écriture. Ainsi, la nouvelle graphie de 女 nǚ « femme », composée désormais de trois traits, く, 丿, 一, et placée de manière équilibrée dans un carré virtuel, n’a plus grand-chose à voir avec celle des inscriptions des Shang , qui montre un être humain de profil assis sur ses talons, les mains croisées devant lui, graphie que la sigillaire avait déjà considérablement modifiée. On peut également citer xīn « cœur » , à qui les lignes donnaient une unité, mais que leur remplacement par quatre traits séparés de 心 a désagrégé. Ayant été directement provoquées par le changement du graphisme, les transforma‐ tions de ce type concernent l’ensemble des caractères, y compris ceux qui ont été peu affectés. Ce changement radical et généralisé a servi de base à d’autres façons d’opérer qui ont, elles, défait la structure interne d’une partie des caractères.
b. Simplification en série des composants récurrents En sigillaire, le signe conserve toujours la même graphie, qu’il s’agisse du caractère lui-même shuǐ « eau » ou du sémantique « eau », comme dans hé « Fleuve jaune ». La chancellerie fera une distinction graphique entre ces deux éléments de nature diffé‐ rente : non seulement beaucoup de sémantiques ont été simplifiés en série, mais tous ont été réduits en taille pour n’occuper qu’un tiers d’espace dans le carré. Ainsi, on écrira désormais 水 shuǐ « eau » et 河 hé « Fleuve jaune ». Très fortement transformé, le séman‐ tique 氵 perd totalement sa forme d’origine et, par-là, sa valeur phonétique. N’ayant plus d’existence autonome, il est devenu ce que nous appelons un « composant subor‐ donné », puisqu’il se trouve toujours à gauche d’un autre composant et à l’intérieur d’un caractère. Il en est de même pour le sémantique chuò « marche » : il conservait encore sa forme dans jìn « avancer », alors que, dans la nouvelle graphie 進, il se voit réduit à 辶, qui ne possède plus de prononciation1. De plus, le même composant peut prendre deux formes différentes, en fonction de son seul emplacement dans le carré : le sémantique « cœur » 心 conserve sa forme
1. On le désignera sous le nom de zŏuzhīpáng 走之旁.
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d’origine dans 志 zhì « volonté », mais se transforme en composant subordonné 忄, lorsqu’on le place à gauche comme dans 情 qíng « sentiment ». Partant toujours du principe de simplification, la chancellerie tend aussi à réduire le nombre total des sémantiques pour mieux « rentabiliser » ceux qui ont été conservés. C’est ainsi que le sémantique « soie » qui se trouve à droite dans mián « long fil » – cas très rare – a été remplacé par 糹 « soie », un graphème sensiblement plus fréquent qui se place à gauche1, ce qui donne désormais 綿. Malgré leur radicalité, ces modifications en série peuvent être considérées, somme toute, comme des opérations régulatrices, d’autant qu’elles concernent un nombre assez important de caractères. Mais, tout n’a pas été fait dans la rationalité et la logique.
c. Suppression ou substitution des composants Ce type d’opération porte un coup fatal à l’étymologie d’un « syssémantogramme », dans la mesure où tous ses éléments sont indispensables à la compositionnalité du sens global. Dans les écritures archaïques, on utilisait souvent deux ou plusieurs composants identiques au sein d’un même caractère, soit pour donner une image de la réalité comme les deux roues dans chē « char » ; soit pour symboliser la multiplicité comme dans xīng « étoile ». En chancellerie, certaines de ces répétitions ont été autant que possible supprimées. Les graphies du mot léi « tonnerre » nous montrent cette simplification effectuée en deux étapes : à l’origine, les deux graphies du jiăgŭwén, et , représentent un éclair avec de part et d’autre des composants identiques symbolisant probablement le grondement. Puis, la petite sigillaire procède à une première transformation avec l’ajout du sémantique yŭ « pluie » et trois composants identiques disposés en-dessous, mais assimilés au caractère tián « champ », ce qui a causé une première perte de motivation originale. Enfin, la chancellerie a réduit la graphie à 雷, composée désormais de « pluie » et de « champ ». Parfois, le principe sémantique a été préservé grâce à un « bricolage » ingénieux. Par exemple, formé de quatre composants superposés, « soleil », « sortir », « mains jointes » et « riz », le caractère bào « (sortir le riz pour) l’exposer au soleil » deviendra, après
1. Dong Xianchen. Donghan bei liwenzi yanjiu [Études sur l’écriture en chancellerie des stèles des Han orientaux]. Thèse de doctorat. Chongqing, université du Sud-ouest de Chine, 2012, p. 90.
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une légère simplification, 暴, dont les trois composants restants, 日 « soleil », 共 « offrir (avec les deux mains) » et 米 « riz », continuent à assumer chacun son rôle sémantique. Néanmoins, ce résultat, plutôt heureux à nos yeux d’aujourd’hui, n’était pas la priorité des scribes des Han. Le plus souvent, ils n’avaient d’autre souci que de préserver grosso modo la silhouette du caractère : la graphie archaïque de xiāng « parfumé » est composée de kŏu « bouche », de hé « plante graminée » augmenté de petits points autour, symbolisant vraisemblablement le parfum qui en émane. En sigillaire elle est devenue , un nouveau sémantogramme combinant shù « millet » et gān « doux, sucré », qui reste fidèle à l’idée selon laquelle « le parfum provient du goût des céréales ». Puis, la nouvelle graphie en chancellerie 香 défait cette composition, au moins partiellement : s’il est logique de simplifier la graphie en rétablissant 禾 hé « plante graminée » en partie haute, il l’est beaucoup moins de substituer 日 rì « soleil » à gān « sucré ».
d. Différentiation d’un même composant Un même composant peut prendre en chancellerie des formes différentes au point de se confondre avec d’autres. L’opération ayant été menée à grande échelle, on la désigne sous le terme spécial de « différentiation par la chancellerie » lìfēn 隶分. Par exemple, selon la transformation régulière, le sémantique « mains jointes » devra prendre deux formes, 廾 ou , de même que « feu » deviendra normalement 火 ou 灬, mais tout ne s’est pas passé comme il fallait, il y a eu des « accidents » (tableau 11) : ces deux sémantiques ont pris des formes vaguement ressemblantes, mais qui ne peuvent être interprétées comme tels. Dès lors, on ne sera plus en mesure de comprendre le pourquoi de ces caractères.
e. Assimilation des composants différents Dans leur élan simplificateur, les créateurs de nouvelles graphies n’hésitaient pas à employer une seule forme, plus simple, pour écrire des composants différents. L’opéra‐ tion étant le contraire de la précédente, on l’appelle « fusion par la chancellerie » lìhé 隶 合. Ainsi, fŭ « tertre » et yì « bourg », deux sémantiques sans lien aucun entre eux, ont été confondus et ont pris la forme unique de 阝. A une différence près néanmoins : 阝 « tertre » se place toujours à gauche comme dans 阻 zŭ « obstacle », 阝 « bourg », toujours à droite comme dans 郡 jùn « préfecture ». Surtout, trop de détails tue le détail ! Les scribes voulaient en finir avec l’intérieur alambiqué et enchevêtré de certaines graphies. Sans parler du temps qu’il fallait pour les
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tracer, ces détails superflus empêchaient aussi une différentiation visuelle aisée pour la lecture. Dans plusieurs cas, ils ont eu l’idée de les remplacer par des traits droits croisés sans que la transformation porte trop préjudice à la silhouette du caractère. Ainsi, les trois « intérieurs » différents de hán « froid », de sāi « obstruer » et de xiāng « seconder » ont pris la forme unique des traits croisés : 寒, 塞 et 襄. Tableau 11. Deux exemples de la différentiation d’un même composant (les irrégularités sont marquées en grisé). Avant
Après
廾
大
Exemples
Avant
Après
Exemples
弄
火
炙
興
灬
然
奂
小
尉
舉
赤
丞
丞
La méthode se révéla si commode qu’elle a été utilisée sans modération (tableau 12). Les nouvelles graphies sont certes plus faciles à tracer et plus aérées visuellement, mais ce nouveau composant récurrent compromet toute explication étymologique des caractères en question, que ce soit sur le plan sémantique ou phonétique.
Tableau 12. Assimilation des composants différentsa. Petite sigillaire
Composants d’origine (en graphisme moderne)
秦
奉
奏
泰
春
a. Cf. Qiu Xigui, 1988, p. 90.
Nouveau composant
Exemples
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II. Comprendre
En résumé, la libianisation a répondu globalement au développement du système et aux besoins scripturaux de la société. Certes, ces opérations peuvent paraître pour le moins audacieuses quand elles n’offusquent pas la sensibilité de certains, tant la rupture est grande entre les écritures archaïques et modernes. Mais elles ne doivent pas occulter un fait majeur : la chancellerie, malgré son graphisme radicalement différent de la sigillaire, n’est pas une autre écriture. S’il y eut simplification et altération, elles ne portèrent jamais atteinte à la communication au risque de ne plus être reconnues par les lecteurs. Comme certains lettrés d’autrefois, les puristes d’aujourd’hui estiment que la libiani‐ sation est responsable de la perte totale ou partielle de la motivation d’un bon nombre de caractères, comme le montrent les nombreux chefs d’accusation, « déformations », « erreurs », « usage vulgaire », etc. Si on peut comprendre les agacements des lettrés du passé qui ne pouvaient avoir un point de vue évolutif, les critiques émises de nos jours sont le plus souvent fondées sur un prétendu principe idéographique, principe utopique et idéalisé qui n’a jamais été celui du système chinois. Sachant que, vers la fin des Han orientaux, les graphies nouvelles de la chancellerie ont été, dans l’ensemble, récupérées dans les inscriptions lapidaires des stèles, on peut considérer la phase de post-libianisation comme l’officialisation de ce graphisme d’origine vulgaire. Dès lors, si les variantes n’ont pas cessé pour autant de voir le jour, elles sont devenues plus marginales, en même temps qu’enseigné aux enfants, le graphisme dit « régulière » avait tendance à se fixer comme modèle. Mais, c’était sans compter avec la naissance de la « courante » et de la « cursive ». Sur‐ tout, le développement de ces graphismes par les calligraphes poussera la simplification jusqu’à l’extrême. Débuta alors, dans la pratique manuscrite, un courant simplificateur dont la vitalité s’est maintenue jusqu’aux temps modernes.
7. LA CURSIVITÉ OBLIGE… Qui dit « cursivité » dit traits reliés ou attachés : sous l’élan que prend la main du calligraphe, le pinceau ne quitte le papier que rarement, voire plus du tout. Le ductus « trait par trait » étant ainsi abandonné, les traits s’enchaînent sans solution de conti‐ nuité, reliés par la traînée que laisse le pinceau en passant de l’un à l’autre. Souvent, pour faciliter un enchaînement efficace, le calligraphe change délibérément l’ordre des
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traits que l’on suivait traditionnellement. La graphie prend alors un aspect très différent de celui de la régulière (tableau 13)1. Tableau 13. Comparaison des graphies en cursive et en régulière. Mots
yĕ « aussi »
shān « montagne »
kĕ « possible »
zì « caractère »
也
山
可
字
Graphies avec cursivité Graphies en « régulière »
Mais, que se passe-t-il pour les caractères plus complexes ? Comment écrit-on « en attaché » ceux qui sont composés d’une dizaine de traits sans risquer de produire des amas inextricables ? Une seule réponse est possible : en simplifiant la graphie. Les calligraphes créèrent ainsi des graphies propres à la cursive à ce point simplifiées qu’elles ne sont guère reconnaissables par les profanes (tableau 14). En dépit de son allure très libre, la cursivité était a priori conduite selon des règles et engendrait des graphies codifiées. Mises à part certaines excentricités que l’on rencontre dans la « cursive folle », les divers scripteurs suivaient globalement les modèles communs. C’est la raison pour laquelle, récupérées par la population, beaucoup de ces graphies simplifiées ont perduré dans l’usage courant. Les manuscrits découverts près de Dun‐ huang au début du xxe siècle constituent des preuves de première main. Remarquable‐ ment conservés dans une grotte scellée, les 50 000 documents écrits, datés du ive au xie siècle, consignent sous formes diverses et variées une pratique scripturale informelle et spontanée (figure 37). Parmi ces documents, les textes chinois2, écrits en régulière ou en courante, sont caractérisés par une pléthore de graphies vulgaires et simplifiées, dont la proportion peut atteindre plus de 40 % dans un seul et même texte3. Très prisées de la population et pleines de vitalité, ces graphies manuscrites conti‐ nuèrent à se transmettre de génération en génération et ce, jusqu’aux temps modernes.
1. Les exemples en graphies cursives des tableaux 13 et 14 proviennent des inscriptions lapidaires, datées majoritairement de l’époque des Jin. Ils ont été extraits de Lin Hongyuan et al., 1980, op. cit. 2. Certains textes sont écrits en d’autres langues : le tibétain, l’ouigour, le khotanais, le sogdien, le sanscrit, etc. 3. Xiao Qian. Dunhuang xiejuan zhonggu suzi yanjiu [Études des graphies vulgaires médiévales dans les manus‐ crits de Dunhuang]. Mémoire de master, université normale de Nankin, 2014, p. 17-19.
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II. Comprendre
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Tableau 14. Graphies sensiblement simplifiées en cursive. shū « livre »
chē « véhicule »
niăo « oiseau »
cháng « long »
hán N. pr.
lóng « dragon »
Graphies « régulières » selon le standard ancien
書
車
鳥
長
韓
龍
Graphies « régulières » selon la simplification moderne
书
车
鸟
长
韩
龙
Mots Graphies avec cursivité
Un petit livre intitulé « Compendium des graphies vulgaires depuis les Song et les Yuan »1, publié en 1930, répertorie 6 240 graphies vulgaires pour 1 604 caractères, soit en moyenne 3,9 par caractère. Ces variantes ont été relevées dans les versions xylogra‐ phiées de douze ouvrages de la littérature populaire, composées sur une période de neuf cents ans environ au cours des quatre dernières dynasties : les Song, les Yuan, les Ming et les Qing. D’une part, il existe une évidente continuité entre une grande partie de ces graphies vulgaires et celles qui ont été révélées par les manuscrits de Dunhuang, ce qui signifie que l’on peut faire remonter leur origine au ive siècle ; d’autre part, un scripteur d’aujourd’hui remarquera souvent leur similitude avec des caractères simplifiés modernes, comme 宝, 办, 虫, 爷, 鸡, 刚, 点, 妇, 灯,etc.2 En effet, la simplification cursive et vulgaire a largement inspiré les promoteurs de la réforme de l’écriture au xxe siècle. C’est ainsi qu’ils ont pu déclarer : « Depuis les Song et les Yuan, il existe une sorte de caractères simplifiés vulgaires, anciennement appelés pòtĭ 破体 ou xiăoxiĕ 小写… Nous devons les généraliser pour rendre plus facile l’acte d’écrire3 ». La méthode d’adaptation
1. Liu Fu, Li Jiarui. Song Yuan yilai suzi pu 宋元以来俗字谱 [Compendium des graphies vulgaires depuis Song et Yuan]. 3e édition. Wenhai chubanshe, Taipei, 1930/1978. 2. D’après une statistique, 286 graphies sont identiques avec des caractères simplifiés officiels et 191 sont très proches ou ressemblantes. Cf. Qiu Longsheng. Song Yuan yilai suzi pu yu jiantizi [« Compendium des graphies vulgaires depuis Song et Yuan » et les caractères simplifiés]. In Liyun xuekan, wenxuejuan, 2014, p. 290-308. 3. Préface de Guoyin changyongzi hui [La prononciation standard des caractères courants], publiée en 1932 par le ministère de l’Éducation.
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5. L’alourdissement du système et son usure au fil du temps
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Figure 37. Extrait d’un manuscrit de Dunhuang, où on reconnaît de nombreuses graphies simples.
était très simple : à partir des graphies en cursive, il suffit de « détacher » les traits liés pour les transformer en régulière (tableau 13 et 14).
8. QUELQUES COMPLICATIONS ÉTAIENT TOUT AUSSI NÉCESSAIRES Si la simplification du graphisme a constitué une tendance générale et irréversible depuis la sigillaire jusqu’à la « régulière » – dernier graphisme toujours en vigueur –, celle des graphies, en revanche, ne s’est pas faite en une ligne droite. Car, trop simplifier
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II. Comprendre
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entraîne un risque de voir proliférer des graphies trop proches l’une de l’autre et donc pas assez distinctives visuellement. Prenons cet exemple en chinois moderne (3) : (3) a. 设法解决 shèfă jiějué « chercher une solution pour résoudre (le problème) » b. 没法解决 méifă jiějué « ne pas avoir de solution pour résoudre (le problème) » Les deux premiers caractères, 设 et 没, se démarquent par une différence graphique si minime qu’un lecteur chinois, même expert, devrait y regarder à deux fois, surtout si ces énoncés sont cités hors contexte. L’écriture doit donc chercher un équilibre entre une relative simplicité d’exécution et la meilleure adéquation possible à la parole tout en assumant une différentiation claire des mots. En fait, le deuxième principe contrebalance en quelque sorte le premier. Par conséquent, la tendance simplificatrice était ponctuellement complétée voire conditionnée par ce processus contraire qu’est la complexification de certaines graphies. La simplification s’opère notamment sur les graphies existantes, alors que la complexification contribue à la création nouvelle. L’une cherche la rapidité et l’efficacité dans la production, la seconde la précision et le détail en vue de la réception. Bien que contradictoires, les deux tendances sont nécessaires et complémentaires. Dès l’époque archaïque, quelques opérations ont été faites dans ce sens. Par exemple, trop ressemblants, èr « deux » et shàng « dessus » sont devenus 二 et 上. Vu que yuè « lune » et xī « soir » partageaient la même graphie, on les a distingués en écrivant 月 et 夕 1. Mais, le principal procédé de complexification est autre. Si, aujourd’hui, nous avons hérité d’une écriture très complexe, qui n’a jamais renoncé à son principe de sémiogra‐ phie majeure pour prendre la voie unique de la simplification, c’est notamment à cause des phonogrammes. Avec l’ajout du sémantique ou, parfois, du phonétique, quantité de caractères à composant unique, relativement simples, devinrent d’office des graphies
1. Là aussi, tout n’a pas fonctionné suivant des règles précises comme une science exacte. D’autres paires similaires ont très bien survécu jusqu’aujourd’hui, comme 土 tŭ « terre » et 士 shì « lettré », 日 rì « soleil » et 曰 yuē « dire », 人 rén « homme » et 入 rù « entrer », 已 yǐ « déjà », 己 jǐ « soi-même » et 巳 sì « sixième ».
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5. L’alourdissement du système et son usure au fil du temps
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complexes. Ainsi, yún « nuage » est devenu 雲, on a créé 貫 guàn « enfiler » pour remplacer , 枝 zhī « branche » à la place de 支, etc. Dans certains cas, la complexification est due à une surcharge de composants : l’ajout de deux sémantiques a transformé cóng « suivre » en 從. Parfois, ces ajouts se font par étapes : dans les trois graphies du mot àn « rivage », 厂 > 厈 > 岸, il y a d’abord eu l’ajout du phonétique, puis celui du sémantique. À l’encontre de la simplification, les phonogrammes, surtout ceux qui ont été créés lors de l’explosion lexicale, à l’époque des Royaumes combattants, remplissent parfaite‐ ment la deuxième mission de l’écriture : non seulement les « caractères différenciés » représentent mieux les mots différents ou les sens différents du même mot, mais ils sont aussi plus facilement reconnaissables à la lecture. De surcroît, un phonogramme, déjà complexe, était susceptible d’en générer un autre, ce qui donne plusieurs « générations », de plus en plus complexes : 甫 fǔ > 尃 fū > 溥 pǔ > 薄 bó > 礴 bó. Cependant, composé du sémantique 鼻 « nez » et du phonétique 囊 náng, le fameux phonogramme aux 36 traits 齉 nàng « parler du nez (à cause d’un rhume) », l’un des plus complexes de tous, montre qu’une complexification peu raisonnable ne pose aucun problème à son créateur ni à ses usagers. Tout comme ce qui se passe avec la simplification, la complexification graphique a joué un rôle régulateur plus ou moins efficace, plus ou moins réfléchi, donc plus ou moins rationnel. Quoi qu’il en soit, les modifications spontanées de graphies existantes, traces d’usure du système, n’ont jamais cessé tout au long de l’histoire. Pour le meilleur et pour le pire.
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6 LES MESURES DE NORMALISATION ANCIENNES ET MODERNES
S
i les choix finalement adoptés par l’ensemble des scripteurs conduisaient parfois à une autorégulation du système, ces actes spontanés et isolés ne pouvaient, même avec la meilleure volonté du monde, assurer à eux seuls la stabilité et l’optimisa‐ tion de tout un système. Car, spontanéité est aussi synonyme d’irréfléchi, d’impulsif ou d’excessif. On constate qu’après chaque période de troubles ou de division territoriale, la pratique scripturale se trouvait dans une situation anarchique incontrôlée, marquée notamment par la prolifération des variantes inconsidérées. Vu que l’écriture chinoise était considérée comme le véhicule des textes fondateurs et par là, comme l’élément unificateur d’une civilisation, son intégrité représentait pour toutes les dynasties une affaire d’État prioritaire. Les empereurs se voyaient en garants d’une sacro-sainte mission historique. Grâce à la stabilité des structures sociales de la Chine impériale, l’écriture n’a cessé d’être consolidée pour atteindre à un haut degré de sophistication, qu’aucun changement de dynastie, aucune révolte, ni même les invasions par des peuples non han n’ont pu affecter. Tous les pouvoirs politiques, représentés par la classe lettrée, étaient parfaitement conscients de l’enjeu que représentait la codification de l’écriture et de sa « prononciation correcte » zhèngyīn 正音. Les interventions dans le domaine orthographique eurent donc lieu systématique‐ ment lors de la réunification du pays par un pouvoir central fort. Des dictionnaires normatifs et des manuels de caractères destinés à l’enseignement virent le jour, souvent commandés par les autorités, mais émanant aussi d’initiatives personnelles.
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II. Comprendre
1. L’ORTHOGRAPHIE, UNE AFFAIRE D’ÉTAT IMPÉRIALE Sans compter le Shi Zhou Pian des Zhou dont nous savons aujourd’hui peu de chose, l’unification de l’écriture sur l’ordre de l’empereur des Qin fut la première du genre. Prenant pour modèle l’écriture du royaume des Qin, conservatrice et respectueuse de la tradition des Zhou, les graphies standardisées en petite sigillaire mirent fin aux gra‐ phies vulgaires qui pullulaient dans les six autres royaumes. Pour assurer la mise en place des nouvelles graphies, l’empereur ordonna la compilation et la diffusion de trois compendiums de caractères, destinés respectivement aux scripteurs lambda, aux scribes de son administration et aux fonctionnaires de la cour. De plus, au cours de ses déplacements à travers le pays, il laissa lui-même un peu partout des poésies commé‐ moratives, que l’on grava sur des stèles d’après le modèle de la petite sigillaire conçue par Li Si. Les mesures fortes furent si bien exécutées que cette écriture standard ne comportait quasiment pas de variantes1. Dynastie éphémère, les Qin n’eurent pas le temps de consolider leur œuvre ni de prendre position par rapport à la montée irrésis‐ tible de la chancellerie, mais leur politique de normalisation de l’écriture a durablement inspiré les dynasties suivantes. Les Han se montraient très exigeants sur les compétences orthographiques de leurs fonctionnaires. Dans la haute administration, une faute, ne fût-ce que d’un seul trait, était susceptible de valoir à son auteur de sévères sanctions2. Reprenant globalement le Cang Jie pian des Qin, plusieurs manuels de caractères furent élaborés, dont le Xunzuan pian 训纂篇 de Yang Xiong 揚雄 est plus important. L’ouvrage, daté de la fin du ier siècle avant notre ère et perdu depuis, entendait donner suite au Cang Jie pian par l’ajout de deux mille caractères supplémentaires, jugés « utiles ». Mais, une fois de plus, ces tra‐ vaux n’eurent pas les résultats escomptés. Le changement de dynastie, les troubles sociaux de fin de règne, les querelles académiques concernant les textes fondateurs entre les deux écoles, « ancienne » et « moderne », les bouleversements causés par le passage à la chancellerie, sont autant de facteurs qui ont relégué à l’arrière-plan le contrôle de la pratique scripturale. C’est d’ailleurs dans ce contexte social que vit le jour le dictionnaire de Xu Shen, visant à expliquer la véritable étymologie des caractères afin d’assurer une meilleure
1. Sun Yongchang, Li Jianguo. Qin Han shiqi de hanzi guifan [Normalisation de l’écriture sous les Qin et les Han]. Journal of Guangzhou University, vol. 4, n° 6, 2005, p. 34-43. 2. Ibid.
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6. Les mesures de normalisation anciennes et modernes
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compréhension des Classiques. Cependant, à son époque, l’écriture en petite sigillaire relevait déjà d’un passé lointain, et c’est une chancellerie teintée de la régulière voire de la courante que l’on pratiquait tous les jours. Devant une situation totalement anarchique, la cour des Han orientaux entreprit alors sa dernière œuvre de normalisation, et elle durera huit bonnes années entre 175 et 183. Il s’agit des textes des « Cinq classiques », calligraphiés par Cai Yong 蔡邕 dans une chancellerie très appliquée et gravés sur quarante-six stèles, que l’on appellera plus tard « Classiques sur pierre (du règne) Xiping » (figure 23, p. 66)1. On relate que, dès qu’elles furent dressées devant l’université impériale, la sensation fut telle que « les milliers de véhicules des visiteurs et des copieurs créèrent l’embouteillage dans la rue »2. Mais le succès fut de courte durée. La dynastie était à son déclin et, surtout, à l’instar des travaux précédents, cette normalisation a posteriori a pris du retard par rapport à la pratique de la société. Les quatre siècles suivants, fortement troublés, furent jalonnés par l’invasion des « Barbares », l’exode massif de la population, une succession rapide de pouvoirs éphé‐ mères et, enfin, la division territoriale en Dynasties du Sud et du Nord. Dans le domaine de l’écriture, sous l’impulsion de plus en plus forte de la calligraphie naissante, la « courante » connut une grande vogue et la « chancellerie » s’orienta vers la « régulière ». Les graphies avaient alors tendance à la simplification cependant qu’apparaissaient en nombre, y compris sur les stèles et dans les copies des Classiques, des variantes vulgaires, voire fantaisistes. En conséquence, plusieurs dictionnaires de caractères furent compilés grâce à des initiatives personnelles. On peut notamment citer, sous les Jin, le Zilin 字林 de Lü Chen 吕忱 qui compte plus de douze mille caractères en chancellerie et, sous les Liang au vie siècle, le Yupian 玉篇, premier dictionnaire en régulière, signé de Gu Yewang 顾野王. Suivant le modèle de Xu Shen, ces dictionnaires avaient vocation à servir de référence en codifiant les graphies « correctes » sur les plans phonétique et sémantique. Mais, avec une nouveauté de grande importance : les auteurs prirent soin d’y intégrer aussi les autres graphies en les signalant comme étant « anciennes », « rares », « variantes » ou « vulgaires ». Cette démarche inspirera une longue tradition lexicographique, appelée « étude des graphies » zìyàngxué 字样学.
1. Xīpíng shíjīng 熹平石经. 2. Fan Ye (ve siècle). Hou Hanshu, Cai Yong zhuan. [Le livre des Han postérieurs : biographie de Cai Yong].
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II. Comprendre
2. LES GRAPHIES VULGAIRES EURENT AUSSI DROIT DE CITÉ Lors de l’unification du pays par les Tang, la question de l’écriture était depuis fort longtemps délaissée, mais le sys‐ tème des concours mandarinaux venait d’être instauré par les Sui. Dans ce contexte, les travaux de normalisation engendrés par une forte conscience linguistique ont effica‐ cement répondu aux besoins urgents du pouvoir central et de la société. De brillants travaux furent entrepris sur l’orthographie. Sans jamais s’écarter du dogme qui consistait à rétablir scrupuleusement les graphies correctes des Classiques, les auteurs surent tenir compte de l’usage social et adaptèrent leur position à l’air du temps. En effet, après les fortes alté‐ rations de la chancellerie, la régulière commençait de s’imposer. Il fallait tenir compte de cette évolution. Ces travaux font preuve d’une grande pertinence dans le recensement et le signalement systématiques des « gra‐ phies standards » zhèngzì 正字, des « variantes usuelles » Figure 38. Estampage d’un extrait du Ganlu Zishu tōngzì 通字 et des « graphies populaires » súzì 俗字. Plu‐ calligraphié par Yan Zhenqing. sieurs lettrés de renom, tous appartenant à la même famille, On y constate des groupes de graphies ressemblantes, ont signé les plus importants d’entre eux. Les principes de accompagnées de la mention base furent exposés par le grand érudit Yan Zhitui 颜之推 « en haut vulgaire, au milieu usuelle, en bas standard » (531-591 ?) dans ses fameuses « Admonitions familiales des Yan1 ». Son exemple et ses enseignements furent durable‐ ment suivis par ses descendants : son fils cadet Yan Minchu 颜愍楚 compila la « Rectifi‐ cation des écritures vulgaires2 » concernant cent quatre caractères courants ; son petitfils Yan Shigu 颜师古, outre son « Texte établi des cinq Classiques3 », version officielle écrite en régulière, signa les « Graphies selon Yan4 », premier ouvrage portant spécifi‐ quement le titre de zìyàng ; et enfin, Yan Yuansun 颜元孙, petit-neveu de ce dernier, fut
1. Yánshì jiāxùn 颜氏家训. Il a également signé d’autres livres de caractères tels que le Xùnsú wénzì lüè 训俗文字 略 et le Zhèng súyīn zì 正俗音字. 2. Súshū zhèngwù 俗书正误. 3. Wŭjīng dìngbĕn 五经定本. 4. Yánshì zìyàng 颜氏字样.
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l’auteur du « Livre de caractères pour accéder à un émolument officiel1 », rédigé pro‐ bablement vers 685-688 et destiné, comme son titre l’indique, à servir de modèle dans les concours mandarinaux. Le volume présente 804 groupes de caractères incluant au total 1 656 graphies. Par exemple, pour le groupe cōng « entendre », les graphies de 聡 et 聦 sont signalées comme étant « usuelles », et celle de 聰 comme « standard ». Plus tard, ce livre fut copié par son propre neveu, le grand calligraphe Yan Zhenqing 颜真卿, et gravé sur stèle (figure 38), devenant ainsi, dans l’histoire de l’orthographie, une œuvre de référence qui s’est transmise jusqu’à nous. Dans un esprit différent, achevé en 775, et fruit d’une com‐ mande impériale, l’ouvrage de Zhang Shen 张参 « Écriture des cinq Classiques »2 (figure 39) se donne pour principe de présenter la seule graphie standard, suivie, dans certains cas, soit d’une variante « interchangeable » tóng 同, soit d’une graphie « erronée » è 讹. Pour garantir sa pérennité, le texte fut d’abord copié sur un mur, puis gravé sur bois et enfin, un demi-siècle plus tard, gravé sur une stèle qui fut dressée à l’inté‐ rieur du Collège impérial.
Figure 39. Extrait du Wujing Wenzi de Zhang Shen. Sous la graphie standard, la graphie de la petite taille est signalée
Toujours dans un souci nor‐ comme « erronée ». matif, des travaux lapidaires se sont poursuivis jusqu’en 837, aboutissant à un ensemble de cent quatorze stèles sur lesquelles furent gravés douze textes classiques, appelés « Classiques sur pierre (du règne) Kaicheng3 », les plus anciens de ce genre qui nous soient intégralement parvenus. Lorsque, à partir des Song, des variantes non conformes réapparurent en nombre sur
1. Gānlù zìshū 干禄字书. 2. Wŭjīng wénzì 五经文字. 3. Kāichéng shíjīng 开成石经.
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II. Comprendre
les xylogravures qui se multipliaient, ces stèles servaient toujours de référence ortho‐ graphique. À partir du début du xie siècle, la xylographie et surtout l’impression en caractères mobiles révolutionnèrent la production des livres. La police Songti devint le standard des livres imprimés. Dans un esprit à la fois pointilleux, raffiné et savant, caractéristique de l’époque, se formèrent de nouvelles disciplines telles que les métiers de l’édition, la bibliophilie et la bibliographie. Mais les Song nous ont notamment légué de grands dictionnaires, tant phonologiques qu’orthographiques. Parmi ces derniers, vit d’abord le jour, en 1013, la réédition largement révisée et augmentée du Yupian de Gu Yewang, couramment connue sous le nom de « Nouvelle version du Yupian »1, puis, en 1066, le Lèipiān 类篇, fruit de vingt-sept années de travail d’un groupe de lexicographes et super‐ visé par le grand lettré Sima Guang 司马光. Parallèlement à ces travaux officiels, se succédaient, grâce à des initiatives indivi‐ duelles, des compilations de très nombreux dictionnaires de caractères ou d’ouvrages sur l’écriture. La classe lettrée, davantage soucieuse de pratique sociale et d’enseigne‐ ment, se lançait spontanément dans la défense de l’orthographe. À titre d’exemples, Guo Zhongshu 郭忠恕 (? – 977), plus connu pour ses peintures, a conçu l’ouvrage en trois volumes, intitulé Pèixī 佩觿 « Poinçon (d’ivoire) à la ceinture », jugeant son ouvrage aussi indispensable à l’apprentissage des caractères que ce poinçon2, symbole de l’âge adulte. En effet, son ouvrage se démarque par un souci « pédagogique », qui regroupe des caractères se ressemblant entre eux donc prêtant à la confusion, accompagnés d’indi‐ cations phonétiques et sémantiques. Très différent, le « Miroir de main dans la niche du dragon »3, achevé en 997 par Shi Xing Jun 释行均, un moine bouddhiste de la dynastie des Liao, est un important diction‐ naire qui reprend, quant à lui, la tradition de l’étude des graphies des Tang. Les quatre volumes incluent quelque vingt-six mille graphies, classées par clés et par tons, puis annotées selon qu’elles sont « standard », « interchangeable », « variante », « moderne », « ancienne », « vulgaire » ou « erronée ». Sous les Song du Nord, le « Recueil pour la
1. Jīnbĕn Yùpiān 今本玉篇 ou Sòngbĕn Yùpiān 宋本玉篇 « Version Song du Yupian ». 2. Poinçon d’ivoire ou de jade utilisé pour défaire les nœuds, appelé xi 觿, que les adultes portaient à la ceinture comme un objet d’ornement. 3. Lóngkān shǒujìng 龙龛手镜.
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restauration du passé1 » de Zhang You 张有 et la « Lecture erronée des caractères2 » de Wang Fen 王雰 sont beaucoup moins ambitieux, et visent plutôt à corriger les erreurs. Plus tard, les quatorze volumes du « Recueil des caractères3 » (1615) de Mei Yingzuo 梅膺祚 marquèrent une nouvelle étape : les 504 catégories de Xu Shen ont été réduites à 214, classées en fonction du nombre de leurs traits ; puis, dans chaque catégorie, les caractères, eux aussi, ont été classés des plus simples aux plus complexes. Ce classement remarquablement opérationnel a été suivi par la plupart des lexicographes ultérieurs et ce, jusqu’aux temps modernes. Les 33 179 caractères, parmi lesquels figurent un grand nombre de graphies vulgaires, sont accompagnés de la notation phonologique et des explications sémantiques. Sa facilité d’emploi et ses notations claires valurent à ce dic‐ tionnaire une grande popularité à l’époque et lui confèrent une place unique dans l’his‐ toire lexicographique. Enfin, c’est durant le xviiie siècle, sous les Qing, qualifié de « Renaissance chinoise4 », que les études de la langue et de l’écriture, entre autres disciplines, atteignirent leur apogée. Sur l’ordre de l’empereur Kangxi, contemporain de Louis XIV, démarra la com‐ pilation du « Dictionnaire Kangxi »5, premier du genre à porter le nom d’un règne (figure 40). Cette œuvre colossale en douze volumes fut achevée en 1716, soit six ans après sa mise en chantier, grâce à une équipe d’une vingtaine de savants. En utilisant pour la première fois l’intitulé zìdiăn, littéralement « caractère + canon », l’empereur déclara dans la préface que ce dictionnaire, en servant de règle aux fonctionnaires et au petit peuple, devra « montrer (au monde) sa gouvernance sous une écriture com‐ mune »6, manifestant ainsi une nouvelle prise de conscience sur le rôle de l’orthographie. Le principe normatif et prescriptif de l’ouvrage est on ne peut plus clair : ses 47 035 entrées sont classées en 214 catégories, accompagnées, de manière quasi exhaustive, d’indications phonologiques et d’explications sémantiques. Les sources ou les références ont été tirées, autant que possible, des grands classiques de tous les temps. Les graphies standard sont également suivies de leurs variantes, qu’elles soient interchangeables, anciennes, vulgaires ou erronées.
1. Fùgŭbiān 复古编. 2. Zìshū wùdú 字书误读. 3. Zìhuì 字汇. 4. Expression est de Liang Qichao en 1920 dans son Qingdai xueshu gailun. Il existe une traduction en anglais. Cf. C. Y. Hsü. Intellectual trends in the Ching period. Harvard University Press, 1959, 171 p. 5. Kāngxī zìdiăn 康熙字典. 6. zhāo tóngwén zhī zhì 昭同文之治. Nous traduisons.
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II. Comprendre
Figure 40. Une page du Dictionnaire Kanxi (1716).
Si, trois cents ans plus tard, malgré ses nombreuses erreurs, somme toute inévitables, ce dictionnaire est encore considéré comme le summum de l’histoire lexicographique, c’est qu’il a su brillamment faire la synthèse de ceux qui l’ont précédé tout en les sur‐ passant et, en même temps, bâtir un modèle durable pour ceux qui vont le suivre.
3. PREMIÈRES TENTATIVES DE L’ÉPOQUE MODERNE Selon une opinion largement répandue, les caractères chinois simplifiés tels qu’on les connaît aujourd’hui serait l’œuvre du gouvernement de la RPC après son avènement en 1949. Cette vision, simpliste et souvent partisane, mérite une mise au point. Certes, le décret sur la simplification graphique, adopté en 1956 puis modifié et ratifié en 1986, fut une opération officielle d’une ampleur sans précédent. De plus, appliquée dès lors à l’échelle du pays, elle a eu une conséquence durable sur le système d’écriture.
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Néanmoins, cette action moderne, et même révolutionnaire, n’a pas été la première ni dans son principe ni dans ses méthodes. Tout a commencé bien avant. Nous l’avons vu, la plupart des graphies simples existaient déjà depuis la nuit des temps dans la pratique quotidienne et se trouvaient même répertoriées dans les dic‐ tionnaires. Par ailleurs, on constate fréquemment que telle ou telle graphie populaire a été récupérée et officialisée, car, selon Maréchal, « parler de graphies officielles implique d’être conscient qu’à telle époque, telle graphie normative pouvait parfois ne plus l’être par la suite, et vice-versa1 ». L’auteure cite le cas de (袖) xiù « manche », signalée par Xu Shen comme étant la forme « populaire » de la graphie standard (褎). Or, en 1013, le Yupian présente cette forme simplifiée comme l’unique graphie de ce mot. Elle est donc, à son tour, devenue standard. Mais, ce n’est qu’au début du xxe siècle que s’est réellement formée une conscience linguistique quant à la nécessité de simplifier l’écriture. En 1909, Lu Feikui 陆费逵, péda‐ gogue et éditeur, a publiquement recommandé d’« adopter les caractères vulgaires dans l’enseignement général2 ». Ce fut une première dans l’histoire. Lancé au moment où les « Mouvements pour une langue nationale » connaissaient une grande effervescence, cet appel généra plusieurs projets de réforme : citons, après celui de Lu Feikui lui-même en 1922, ceux de Qian Xuantong 钱玄同 en 1922 et en 1935, de Rong Geng 容庚 et de Chen Guangyao 陈光尧 en 1936, presque tous reposant sur le principe consensuel de ne sim‐ plifier que les caractères usuels et de créer le moins possible de nouveaux. Pour ce faire, les auteurs proposaient de récupérer des graphies anciennes ou de transformer les graphies actuelles en se référant à plusieurs sources : les manuscrites qui circulaient depuis l’époque des Song et des Yuan, les calligraphies écrites à la « cou‐ rante » ou à la « cursive », les stèles et les manuscrits anciens, et même le Shuowen si certaines de ses graphies étaient plus simples3 (tableau 15, p. 155). L’appel à la réforme fut entendu par de nombreux intellectuels de renom. La presse réformiste monta au créneau. Au printemps 1935, une dizaine de périodiques adoptèrent trois cents « gra‐ phies manuscrites » en frappant de nouveaux caractères d’imprimerie en plomb. Porté par cet élan venu d’en bas, le ministère de l’Éducation, avec l’accord très favo‐ rable du président Chiang Kai-Shek, publia en août de la même année une première
1. Chrystelle Maréchal. 2013, op. cit. p. 55. 2. Putong jiaoyu yingdang caiyong sutizi. C’est le titre d’un article qu’il a publié dans Jiaoyu zazhi, no 1. 3. Qian Xuantong. 1922. Jiansheng xianxing hanzi de bihua an [Projet sur la simplification des traits dans les caractères usités]. In Xin qingnian, vol. 7, no 3.
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II. Comprendre
série de 324 « graphies simples », dont la majo‐ rité sont des « récupérations » de graphies vul‐ gaires1 (figure 41). Le décret stipula que cette liste devrait être appliquée dans l’impression des manuels scolaires et des ouvrages destinés au grand public. Ce fut, dans toute l’histoire, le premier projet de simplification officiellement promulgué. Mais, c’était sans compter sur la résistance des défenseurs de la tradition sécu‐ laire. À peine publié, le décret suscita, au sein même du gouvernement2, une opposition si virulente qu’il fut suspendu six mois plus tard. Au début des années 1950, l’ironie de l’his‐ toire voulut que, quasiment au même moment, mais chacun de son côté, les deux gouverne‐ ments, celui, nationaliste, de Taïwan et celui, communiste, de la RPC, aient envisagé de remettre le sujet sur la table. Les deux leaders, Chiang Kai-Shek et Mao Zetong, en donnaient personnellement les directives. L’objectif était le même de part et d’autre : rendre l’écriture de base plus accessible à la population. Mais à une différence près : à Taïwan, on projetait une sim‐ Figure 41. Première page (sur trois) du projet de simplification de 1935. plification progressive du système existant, alors que, pour les communistes, la simplifica‐ tion ne devait être qu’une phase transitoire dans la réforme qui, tôt ou tard, devrait conduire à la création d’un alphabet proprement chinois voire à une romanisation. Devant une opération d’une telle ampleur, l’opinion publique s’enflamma des deux côtés, mais différemment. À Taïwan, face aux protestations de ceux qui souhaitaient le
1. Plus précisément, 219 sont identiques ou très proches de celles transmises depuis les Song et les Yuan. 2. L’opposition venait notamment de Dai Jitao, un haut dignitaire dont l’avis comptait beaucoup pour Chiang.
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6. Les mesures de normalisation anciennes et modernes
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Tableau 15. Huit méthodes de la simplification selon Qian Xuantong (1922). Méthodes de simplification
Exemples
Graphies standard
Graphies envisagées
1. Alléger les graphies complexes en conservant leur silhouette globale
shòu « longévité » guī « tortue »
壽 龜
寿 龟
2. Adopter les graphies en « courante » ou « cursive » en les écrivant sous forme de « régulière »
dōng « Est » wéi « faire »
東 為
东 为
3. Supprimer un ou plusieurs composants
suī « bien que » shēng « bruit »
雖 聲
虽 声
4. Remplacer le composant compliqué par un plus simple
liú (Nom de famille) huān « joyeux »
劉 歡
刘 欢
5. Restaurer la graphie ancienne
cóng « suivre » lĭ « rite »
從 禮
从 礼
6. Remplacer un phonétique compliqué par un homophone plus simple
yùn « transporter » fén « tombeau »
運 墳
运 坟
7. Inventer une nouvelle graphie simple « motivée »
zào « fourneau » xiăng « sonner »
竈 響
灶 响
8. Utiliser la méthode d’emprunts phonétiques
jīng « frayeur » jĭ « combien »
驚 幾
京 几
maintien du statu quo, le camp réformiste menait publiquement un débat sur la néces‐ sité de la simplification, accompagné d’une argumentation remarquablement poussée, dont la revue « Chine libre » était le porte-parole1. Même si le gouvernement en était l’instigateur initial et qu’une grande majorité des personnes sondées y étaient favorables2, le projet n’aboutira jamais. Pour une raison simple, mais hautement politique : lorsque les autorités taïwanaises eurent vent, dès 1956, de la réforme simultanément menée de l’autre côté du détroit et surtout, du projet de romanisation, objectif final des communistes, elles dirent halte à toute discussion sur
1. He Zhuo’en, Jiao Hui. Shang shiji wushi niandai Taïwan Ziyou Zhongguo zazhi dui hanzi jianhua de huyu [Appel à la simplification des caractères par la revue Chine libre dans les années 1950 à Taïwan]. In Fujian luntan, 2, 2014, p. 115-119. 2. 7 315 contre 4 807 selon un sondage mené par le journal Lianhe bao en avril 1955. Chiffre cité par Chou FaGao dans son article Lun jiantizi [Sur les graphies simples] publié dans Ziyou Zhongguo en août 1955. Cf. ibid.
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II. Comprendre
la question. Bien plus, pendant les décennies qui suivirent, les gouvernements successifs de Taïwan ont fermement préservé les « graphies standard1 » à travers divers travaux normatifs, tirant ainsi un trait sur leurs deux premières tentatives de simplification.
4. LA SIMPLIFICATION OFFICIELLE, ABOUTISSEMENT D’UN LONG PROCESSUS Au début des années 1950, la vie politique était encore relativement détendue en Chine. Même s’il n’existait aucune opposition ouverte et directe contre le principe de la réforme, des voix se firent tout de même entendre contre la romanisation ou tout projet d’un alphabet. Encouragées par le nouveau régime, les discussions auxquelles participait le grand public portaient plutôt sur les formes concrètes que pouvait prendre une nouvelle écriture. En même temps, car il y avait urgence2, furent menés les travaux de simplification. Après quelques tergiversations d’ordre politique, les linguistes soumirent aux autorités et à la population cinq propositions successives qui, maintes fois modifiées, aboutirent en janvier 1956 au « Projet de simplification des caractères3 ». Celui-ci porte sur 515 caractères et 54 composants, dont 258 adoptent une graphie identique à celle publiée par le projet de 1935. Parallèlement, un millier de variantes, surcharge inutile pour le système, furent supprimées. Après sa publication progressive en quatre étapes, ce projet continua à être peaufiné et surtout élargi jusqu’à devenir en 1964 la « Liste complète des caractères simplifiés4 ». En 1977, vers la fin de la « Révolution culturelle », l’ébauche d’un second projet vit le jour avec 853 nouvelles graphies simplifiées. Mais, cette fois-ci, la simplification était si radicale et si éloignée de l’usage social qu’elle choqua la sensibilité de la population. En 1986, le gouvernement enterra finalement cette ébauche en même temps qu’il ratifiait la liste de 1964, accompagnée de légères modifications. Cette dernière reste toujours en vigueur. Quant à la romanisation envisagée dans les années 1950, elle n’est
1. Zhèngzì 正字. 2. À l’époque, les illettrés représentaient 80 % de la population chinoise. 3. Jiănhuàzì fāng’àn 简化字方案. 4. Jiănhuàzì zǒngbiăo 简化字总表.
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6. Les mesures de normalisation anciennes et modernes
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plus d’actualité, bien que ses défenseurs, devenus très marginaux, n’aient pas perdu tout espoir. Par rapport au projet de 1935, les différences réelles se font sentir sur trois plans : – l’ampleur : les 2 235 graphies de la « Liste complète » représentent désormais presque un tiers des caractères modernes1. Elles sont de deux types : les graphies simples empruntées au passé et celles qui ont été nouvellement « simplifiées » par le projet2, et dont la majorité sont des simplifiés en série3 ; – l’application : devenues standard, ces graphies sont imposées dans l’enseignement et l’imprimerie ; – la durée : usitées depuis les années 1950 à l’échelle du pays, elles ont eu une conséquence non négligeable sur le système. Tableau 16. Quelques exemples de caractères simplifiés.
Mot
Ancienne graphie
Graphie simplifiée
1
chí « en retard »
遲
迟
2
zhōng « horloge »
鐘
钟
3
băo « trésor »
寶
宝
4
chén « poussière »
塵
尘
5
jiù « ancien, usé »
舊
旧
6
làn « pourri »
爛
烂
7
yán « sel »
鹽
盐
8
yào « médicament »
藥
药
9
yī « médecine »
醫
医
Vu le réel allégement graphique d’un bon nombre de caractères usuels (tableau 16)4, cette simplification répondait non seulement au besoin urgent d’éduquer
1. Calcul basé sur les quelque 8 000 caractères du Xīnhuá zìdiǎn 新华字典, petit dictionnaire moderne grand public. 2. Ce qui correspond à deux termes distincts, jiăntĭzì 简体字 et jiănhuàzì 简化字. 3. Par exemple, 馬 mă « cheval » étant devenu 马, tous les caractères le comportant ont été simplifiés de la même manière, comme dans 闯,驾,骑,冯, etc. Il en est de même pour les caractères dont tous les composants sont concernés : c’est le cas de 纜 lăn « câble », qui prendra désormais la nouvelle forme de 缆. 4. Les graphies anciennes s’écrivent en moyenne en 15,6 traits. La simplification a réduit ce chiffre à 10,3.
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II. Comprendre
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la population, mais aussi à cette tendance globale à l’autorégulation dont le système avait, depuis toujours, fait preuve. Au fond, elle représente l’aboutissement d’un très long processus. Même si le nombre des graphies simplifiées peut paraître important, l’opé‐ ration n’affecte pas pour autant le système lui-même. Tout compte fait, selon le linguiste Zhou Youguang, seules 521 graphies ont été modi‐ fiées une à une. Et parmi elles, seules 111 sont le fruit de la nouvelle simplification, toutes les autres n’étant que réemploi d’anciennes variantes1. Voici la répartition des prove‐ nances de ces 521 graphies (tableau 17)2. Cependant, à l’examiner rétrospectivement, cette simplification officielle présente d’évidents défauts. On lui reproche aujourd’hui d’avoir été élaborée dans la précipita‐ tion et, faute d’une réflexion mûrie, d’avoir manqué de vision à long terme. Les résultats obtenus manquent de régularité, de logique et de cohérence. Or, nul n’ignore que l’irré‐ gularité d’un système multiplie les difficultés de l’apprentissage et de la mémorisation. Tableau 17. Répartition des provenances des 521 graphies simplifiées selon Maréchal. Nombre de caractères concernés
Pourcentage
Pré-Qin (avant 221)
67
13 %
Qin-Han (221 av. – 220 apr.)
92
18 %
Trois royaumes, Jin, Dynasties du Nord et du Sud (220-589)
32
6%
Sui, Tang, Cinq dynasties (581-960)
29
6%
Song, Liao, Jin, Yuan (960-1368)
80
15 %
Époque d’apparition des graphies simples
Ming, Qing, Taiping tianguo (1368-1911)
53
10 %
Ière République (1912-1949)
57
11 %
République populaire (1949-1956)
111
21 %
Total
521
100 %
1. Zhou Youguang. Zhou Youguang yuwen lunji [Recueil d’articles de Zhou Youguang sur la langue et l’écriture]. Shanghai : Shanghai wenhua chubanshe, vol. 2, 2002, p. 119. 2. Chrystelle Maréchal, 2013, op. cit. p. 64.
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6. Les mesures de normalisation anciennes et modernes
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5. TOUT N’ÉTAIT PAS DÛMENT RÉFLÉCHI Tableau 18. Exemples des séries de graphies simplifiées illogiques. Graphèmes phonétiques
啇 dí
襄
xiāng
柬
jiǎn
Exemples (les graphies inchangées sont mises entre parenthèses) Avant : Après : Avant : Après : Avant : Après :
敵 dí
敌 讓
ràng
让
揀
jiǎn
拣
適
滴
适
(滴
shì
dī
釀
嚷
niàng
練
liàn
练
煉
炼
摘
嘀)
rǎng
(嚷
liàn
嘀
壤
rǎng
酿
摘
zhāi
壤
諫
jiǎn
(谏
闌
lán
阑
dí
瓤
ráng
瓤)
瀾
lán
澜)
Les chefs d’accusation sont même assez nombreux, en voici trois parmi les plus importants. En premier lieu, la réforme a été conduite suivant deux principes a priori « économiques » mais contradictoires : d’une part, on prétendait « s’adapter aux us et coutumes1 » en récupérant le maximum de graphies vulgaires existantes et, d’autre part, on voulait « simplifier en série par analogie2 ». Or, si le deuxième principe permet de générer, selon une certaine logique, un grand nombre de graphies, il se heurte à l’illo‐ gisme des us et coutumes. Car, issues d’actes spontanés, les graphies vulgaires ont été souvent créées de manière fantaisiste et irréfléchie. L’adoption au cas par cas de l’un ou l’autre principe a inévitablement conduit à l’absence de régularité. À ce flottement s’ajoute aussi l’indécision sur la limite dans laquelle devait s’appliquer la simplification en série3. On remarque aussi qu’un grand nombre de caractères affectés sont loin d’être
1. yuēdìng-súchéng 约定俗成. 2. lèituī 类推. 3. Su Peicheng. Chongxin shenshi jianhuazi [Un réexamen des caractères simplifiés]. In Beijing daxue xuebao, n°1, 2003, p. 121-128.
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II. Comprendre
usuels, alors que des caractères plus courants n’ont pas été simplifiés1 ou, tout simple‐ ment, ne peuvent l’être2. Résultat : les exceptions, assez nombreuses, ont brisé l’homo‐ généité des anciennes séries de phonogrammes (tableau 18)3. En outre, cherchant à réduire davantage le nombre de caractères courants, on a eu recours à la vieille méthode des « emprunts » : la même graphie, en l’occurrence la plus simple, servira à écrire deux homophones. Ainsi, la graphie 后 hòu continue à écrire le mot « reine », mais en plus elle remplace celle de 後 hòu « après » ; 面 miàn « face, côté » assume aussi la graphie de 麵 miàn « farine, nouille », etc. Le résultat est encore plus fâcheux concernant les mots qui n’ont pas exactement la même prononciation : la seule graphie 发 remplace 發 fā « émettre », suivant la pratique usuelle, mais aussi 髪 fà « cheveu », qui se prononce avec un ton différent. Une opération de ce type a créé à la fois deux nouveaux homophones et un nouveau caractère à deux prononciations. Ces « distorsions », bien que courantes dans une écriture vivante, ne sont jamais très heu‐ reuses pour le bon fonctionnement du système4. Un demi-siècle plus tard, lorsqu’ils ont commencé la conversion automatique entre les caractères simplifiés et les non simpli‐ fiés, les informaticiens se sont bien arraché les cheveux pour résoudre les problèmes que posait « un simplifié correspondant à deux voire à plusieurs non simplifiés » et vice versa. Enfin, pour les puristes, défenseurs de la cohérence de l’écriture, la simplification a contribué à détruire la motivation sémantique ou/et phonétique d’un bon nombre de caractères. Certes, il faut reconnaître que quelques nouvelles graphies ont été conçues avec ingéniosité suivant le modèle des « phonogrammes » comme 迟 chí « retard » ou 钟 zhōng « horloge » ; d’autres forment de nouveaux « syssémantogrammes », comme 尘 chén « poussière » ou 灭 miè « éteindre ». Ces nouvelles graphies, parfaitement motivées, ont l’avantage d’être plus faciles à écrire et à retenir. Mais, elles sont relative‐ ment rares. On a parfois abusé de l’usage généralisé des composants totalement immotivés. L’exemple le plus parlant est 又 yòu « encore », allègrement mis à profit pour se
1. Comme 赢 yíng « gagner », 餐 cān « repas », 藏 cáng « cacher », 繁 fán « complexe », 橘 jú « mandarine », etc. 2. On le voit bien dans le tableau 18 : 滴,摘 et 嘀 ne peuvent être simplifiés suivant le modèle de 敌 ou 适, étant donné que 活,括 et 咶 sont des caractères existants. 3. Pour mieux comprendre le fonctionnement de ces séries, Cf. chap. 9.8-11. 4. C’est certainement la raison pour laquelle quelques rares cas ont fait l’objet d’une réhabilitation en 1986 : le remplacement par l’unique 复 des trois caractères, 覆 fù « renverser », 復 fù « revenir » et 複 fù « double » a été révisé, le premier est redevenu standard.
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substituer à une multitude de composants différents. Les graphies affectées deviennent certes plus simples, mais dans aucun de ces cas, le composant 又 ne valorise ni sa prononciation ni son sens (tableau 19). Devenu ainsi une simple « marque immotivée », il défait partiellement ou totalement la motivation des caractères concernés. Tableau 19. La polyvalence de 又 dans les caractères simplifiés. Mot
dèng jǐn guān hàn jī shù fèng duì shèng nom « ne… « observer » Han « gallinacé » « arbre » « phénix » « juste » « saint » pr. que »
Av.
鄧
觀1
漢
鷄
僅
樹
鳳
對
聖
Apr.
邓
观
汉
鸡
仅
树
凤
对
圣
Bien entendu, la démotivation des caractères par la simplification graphique est loin d’être un phénomène moderne et le système chinois avait connu auparavant bien d’autres altérations plus graves. Mais, résultats d’une opération officielle – donc effectuée, par définition, en connaissance de cause –, ces nouvelles graphies immotivées sont de nature bien différente et, sans être puriste, on peut en effet le déplorer. De nos jours, cette simplification officielle est devenue une réalité bien ancrée dans l’usage en Chine, à Singapour et en Malaisie2. Malgré ses insuffisances et ses défauts, elle ne pose aucun problème majeur. De nombreuses pistes de réflexion ont été proposées pour l’optimiser en partie, mais la rétrogradation qui consiste à l’abolir pour revenir « à l’ancienne », comme le réclame régulièrement une partie de l’opinion, n’est ni souhai‐ table ni réaliste. La vraie question est ailleurs. Sachant que les autorités de Taïwan et de Hongkong3 ont, elles aussi, entrepris leurs propres normalisations, nous nous trouvons aujourd’hui devant une réalité absurde : la coexistence de trois lots de graphies standard, partielle‐ ment différents, mise à part une nouvelle augmentation du nombre total des caractères.
1. Le problème est que le composant 雚 n’a pas pour autant disparu des caractères courants. On continue à écrire 罐 guàn « pot », 灌 guàn « irriguer », etc. 2. À Singapour le chinois est l’une des quatre langues officielles. Le projet chinois de la simplification y a été partiellement introduit en 1969, puis définitivement adopté en 1976. La diaspora chinoise en Malaisie a suivi l’exemple en 1981. 3. Nous ne parlerons pas de la situation de Macao où la normalisation ne semble pas avoir été menée jusqu’au bout.
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II. Comprendre
Les écarts, même s’ils peuvent paraître insignifiants à des lecteurs possédant un certain niveau d’instruction et surmontables pour d’autres, posent de réels problèmes quant au traitement automatique des langues (TAL) et rendent compliquée l’intercommunication écrite entre ces entités géopolitiques séparées. Par exemple, un accord officiel signé entre la Chine et Taïwan nécessite deux versions, tout se passant comme si les deux parties parlaient des langues différentes.
6. À QUAND UNE ÉCRITURE COMMUNE ? Suite à la simplification officielle en Chine et en raison des cloisonnements géogra‐ phiques et des conflits idéologiques, la tradition d’une écriture commune à tout le pays, qui avait perduré depuis le iie siècle avant notre ère, a été rompue. Avec l’ouverture de la Chine à partir des années 1980, les régionalismes propres à chacune des trois entités géopolitiques se sont fait subitement sentir, surtout sur les plans graphique et lexical1. Néanmoins, il est naïf et infondé de penser que les scripteurs taïwanais et hongkon‐ gais ont persisté à utiliser toutes les « graphies non-simplifiées »2. L’histoire a bien mon‐ tré comment le penchant naturel des scripteurs les pousse à rechercher une écriture toujours plus simple et plus facile. Certes, la simplification officielle de grande envergure n’a pas eu lieu dans ces territoires, mais les graphies simples et même simplifiées n’ont pas pour autant disparu de la pratique quotidienne, pas plus qu’elles ne sont absentes des listes standardisées. Les incessantes querelles qui opposent diamétralement les simplifiées de Chine et les non-simplifiées de Taïwan et de Hongkong, querelles attisées par les réseaux sociaux, sont toujours teintées d’idéologie ou de couleurs politiques. En réalité, au lieu d’être antithétiques, ces standardisations réalisées séparément pour‐ suivent, chacune à sa manière, les réformes lancées par les « Mouvements pour une langue nationale » des années 1920-1930, réformes dont personne n’a jamais renié le principe. Seule leur comparaison, graphie par graphie, permet de mesurer la réelle ampleur des écarts.
1. De légers écarts phonétique et grammatical existent aussi, mais ne constituent pas de réels obstacles à la communication. 2. Nous ne dirons pas les « graphies complexes », traduction littérale de fántĭzì 繁体字, un terme imprécis. En effet, usité seulement en Chine, il y est compris comme l’opposé de jiănhuàzi 简化字 « graphies simplifiées » et désigne les graphies considérées comme standard ou usuelles avant la simplification officielle.
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À Taïwan, les autorités ont mené et mènent toujours une politique appelée « lire les gra‐ phies standard et écrire les graphies simples1 », ce qui permet de se conformer au besoin socié‐ tal de simplification tout en évitant d’emboîter le pas à la RPC. Les premiers travaux sur l’écri‐ ture ont démarré en 1973 : il s’agissait de nor‐ maliser, d’une part, les graphies des caractères usuels destinées à l’imprimerie et, d’autre part, celles recommandées à la population dans la pratique manuscrite. En 1978, fut d’abord publiée une liste de 3 999 graphies manus‐ crites selon le graphisme dit « courante2 » (figure 42). Ayant vocation à être distribué aux élèves à partir de la 5e année de l’école pri‐ maire – à « chacun un exemplaire » selon les autorités –, le petit livre tient non seulement compte des résultats de la simplification de 1935, mais inclut également un grand nombre Figure 42. Une page des « Modèles standard de graphies simplifiées par analogie. Ensuite, de l’écriture ‟Courante” » publiés en 1978 à Taïwan. en 1982, une liste de 4 808 « caractères stan‐ dard » d’imprimerie zhèngtĭ 正体 est entrée en vigueur après trois ans d’essai. Une étude de comparaison3 montre que, 41 % des caractères de cette « Liste stan‐ dard » possèdent une graphie identique à celle qui a cours de l’autre côté du détroit, et que 39 % d’autres présentent de légères différences qui n’affectent guère voire aucune‐ ment la lecture. Parmi ces différences, certaines ne concernent qu’un ou deux traits, telles que 吕-呂, 户-戶, 兑-兌, 届-屆, 没-沒, d’autres résultent de la simplification en série d’un composant comme 纟- 糹, 讠-言, et d’autres encore sont en fait des graphies iden‐ tiques mais simplement différenciées par le nombre de traits selon lequel on est censé les écrire, comme par exemple, 及 que l’on doit écrire en trois traits selon la norme
1. shífán xiĕjiăn 识繁写简 ou shízhèng shūjiăn 识正书简. Ici, fán 繁 ou zhèng 正 désignent les caractères standard non simplifiés, et jiăn 简 les caractères simplifiés. 2. « Modèles standard de l’écriture courante » Biāozhǔn xíngshū fànběn 标准行书范本. 3. Fei Jinchang. Haixia liang’an xianxing hanzi zixing de bijiao fenxi [Analyses comparatives des graphies de caractères actuellement en usage des deux côtés du Détroit]. In Yuyan wenzi yingyong : 1, 1993, p. 37-48.
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II. Comprendre
chinoise, mais en quatre à Taïwan. D’après ce constat, il reste un millier de graphies réellement incompatibles, ce qui donne l’impression d’un nombre non négligeable. Mais, on obtient un autre résultat en examinant les « Modèles de l’écriture en cou‐ rante », qui comptent jusqu’à 1 587 graphies simples et simplifiées en série, et qui sont absentes de la « Liste standard1 ». Autrement dit, si on compare ces modèles de graphies manuscrites avec les graphies standard en vigueur en RPC, plus de 86 % sont identiques ou similaires2. Marquée par une triglossie, la situation scripturale de Hongkong est différente : on y rencontre trois types d’écrit, l’anglais, le chinois moderne et, dans une moindre mesure, le cantonais. La normalisation du chinois moderne a eu lieu en 1986 avec la publication d’une liste de quelque 5 000 graphies standard, destinées aux manuels scolaires jusqu’au niveau collège3. 92 % de ces graphies non simplifiées sont identiques à celles de Taïwan, le reste ne s’en distingue que par des détails insignifiants. À partir de ces études, on constate que les écarts, quoique importants, ne sont pas insurmontables. Surtout ils se font de moins en moins sentir à l’ère numérique : la production écrite en simplifiés ou en non-simplifiés ainsi que leur conversion ne tiennent plus qu’à un clic ou à une touche de clavier. En ce qui concerne au moins les caractères usuels, la majorité des lecteurs, qu’ils soient en Chine ou hors de Chine, sont capables – avec certes un degré d’aptitude variable – de les lire dans les deux formes. La réunification, à plus ou moins long terme, de l’écriture chinoise a suscité échanges et discussions dans le milieu académique, notamment dans les années 1990. Mis à part ceux qui préfèrent le maintien du statu quo en arguant qu’il est impossible pour chaque partie d’abandonner son système du jour au lendemain, d’autres prennent des positions radicalement opposées en voulant soit imposer la simplification partout puisqu’elle répond au besoin de l’évolution ; soit revenir à l’écriture traditionnelle au moins pour la lecture ; soit carrément passer à l’alphabet une bonne fois pour toutes. Mais, lorsque, toute arrière-pensée idéologique écartée, on se penche sur les détails de ces écarts, des propositions plus constructives permettent d’entrevoir la faisabilité d’une nouvelle nor‐ malisation, qui devrait être fondée sur un principe consensuel : il faut que l’écriture soit
1. Zhao Chao. Taïwan “Biaozhun xingshu fanben” xingshu zixing de fenxi yu bijiao [Analyses et comparaison des graphies « courante » dans les « Modèles des graphies manuscrites » de Taïwan]. Mémoire de master. Jiangxi shifan daxue, 2017, p. 9. 2. Deng Zhangying, Huang Yanping. « Shouxie xingshu fanben » Zhong de jiantizi yanjiu [Les graphies simples dans les « Modèles des graphies manuscrites en Courante »]. In Taïwan Yanjiu : 4, 2012, p. 55-59. 3. « Liste des graphies des caractères usuels » Chángyòngzì zìxíng biǎo 常用字字形表.
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à la fois simple et efficace tant pour l’apprentissage, la lecture que pour l’usage courant. À partir de ce postulat, on pourrait envisager d’optimiser le système en supprimant ce qui est illogique et en s’inspirant de ce qui s’est avéré positif, qu’il s’agisse des simplifiés ou des non-simplifiés1. Ces travaux, certes longs et minutieux, permettraient au moins de réduire les écarts et de faire entrer l’écriture chinoise dans une nouvelle ère. Or, depuis plusieurs décennies, toutes ces propositions ne sont formulées que dans les discours et sur le papier. La réforme de l’écriture est décidément une affaire d’État. À l’heure actuelle, la question « à quand une écriture commune ? » n’est pas près de trouver une réponse ni même de se poser.
1. Fei Jinchang, 1993, op. cit.
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Partie III
Apprendre
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7 LE CHINOIS MODERNE STANDARD À L’ÉCRIT
D
ans cette troisième partie de l’ouvrage, nous aborderons l’écriture chinoise sur le plan synchronique, à savoir dans son état actuel. Nous nous attacherons à brosser un tableau général de l’écriture moderne en nous appuyant sur les résultats obtenus tant par les recherches académiques que par nos propres investiga‐ tions. Nous tenterons de répondre à trois questions principales : quelles sont les spéci‐ ficités du chinois moderne à l’écrit ? Quels sont les différents types de caractères qui constituent le système actuel ? Quel doit être la place du chinois écrit dans l’apprentis‐ sage et quel est son enjeu pour l’enseignement ? Malgré le titre « Apprendre », notre approche restera linguistique, et c’est à partir de celle-ci que nous ferons des propositions didactiques. Car, paradoxalement, dans l’apprentissage d’une langue étrangère, les connaissances linguistiques ne sont nulle‐ ment indispensables, et on peut très bien parler plusieurs langues sans être pour autant linguiste. Néanmoins, ces connaissances seront bénéfiques et utiles aux apprenants adultes qui suivent un programme académique sans possibilité d’immersion, surtout s’ils s’engagent dans un parcours universitaire. Dès lors, une compréhension globale du fonctionnement du système favorisera leur apprentissage qui, loin de rester passif, deviendra raisonné, actif et méthodique. Par ailleurs, pour maîtriser cette écriture réputée difficile, il n’existe pas de méthodes magiques permettant de contourner les difficultés. Chacun devra mettre en œuvre sa propre démarche et ce, en fonction de son profil d’apprenant, de ses objectifs ou
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III. Apprendre
simplement de ses penchants personnels. La bonne méthode sera, pour chacun, celle qui lui convient et qui lui réussit. Pour les enseignants, en revanche, sans connaissances linguistiques de base, il n’y aura point de didactique adéquate ni d’enseignement intelligent. Les « méthodes » empiriques qui reposent sur l’expérience du métier s’avèrent très peu fiables, surtout à long terme. Même s’ils se font rares, il est encore de ceux pour prôner la bonne vieille méthode consistant à faire copier et recopier « jusqu’à ce que ça rentre ». D’autres se veulent, en outre, les défenseurs d’une supposée spécificité idéographique du chinois qui s’opposerait radicalement aux systèmes alphabétiques. Ces positions sont plutôt fondées sur des idées reçues que sur des réflexions didactiques. Avoir une vision objective et impartiale sans arrière-pensée n’est pas chose facile, si l’on n’a pas une vision claire de la réalité. Commençons, dans ce premier chapitre, par examiner les spécificités du chinois standard moderne à l’écrit.
1. LE CHINOIS, OUI… MAIS QUEL CHINOIS ? Ce n’est pas pour jouer sur les mots, mais c’est un fait que « le chinois », ce terme français, général et neutre, comme d’ailleurs son équivalent dans d’autres langues euro‐ péennes, n’a pas d’équivalent… en chinois. Ou plus précisément, il peut correspondre à plusieurs mots chinois1, nés de circonstances différentes, adoptés par des communautés différentes et destinés à des usages différents. Ici, sans entrer dans les détails, voyons seulement les termes concernant le chinois commun ou la « langue commune natio‐ nale »2. En Chine ancienne, la classe lettrée, les hauts fonctionnaires ainsi que, plus tardive‐ ment, les commerçants voyageurs ont toujours parlé une langue véhiculaire qui trans‐ cendait les patois. À l’époque des Ming, on nommera cette langue commune guānhuà 官话 « parler des fonctionnaires » ou « parler officiel ». Les missionnaires jésuites, qui évangélisaient la Chine, traduisirent vers le xvie siècle ce mot par « chinois mandarin » ou ses équivalents dans d’autres langues européennes. Aujourd’hui, ces traductions sont
1. Pas moins de huit termes rien que pour le chinois moderne. Cf. Zhitang Yang-Drocourt. Parlons chinois. Paris : L’Harmattan, 2007, p. 130-136. 2. mínzú gòngtóngyŭ 民族共同语.
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7. Le chinois moderne standard à l’écrit
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toujours usitées aussi bien dans le discours commun que dans les travaux académiques, ceux, du moins, qui sont rédigés dans des langues autres que le chinois. Chez les sinophones, en revanche, plus personne n’utilise ce mot dans son acception initiale1. Il fut enterré dès 1911 à l’initiative des intellectuels réformistes, puis, remplacé par le terme guóyŭ 国语 « langue nationale » suite aux travaux de normalisation entre‐ pris sous la République. Certes, en dépit du changement de dénomination, de l’évolution naturelle de la langue et des mesures de normalisation, il s’agissait toujours d’une même « langue commune nationale ». C’est elle en qui se trouve l’origine de plusieurs variétés actuellement usitées. Au début des années 1950, le gouvernement de la RPC décida de la renommer pŭtōnghuà 普通话, mot qui signifie littéralement « parler usité partout ». Bien que le terme fût apparu dès le début du xxe siècle, les traits spécifiques de ce parler, tels qu’on les connaît aujourd’hui, ne se sont en réalité formés que peu à peu, notamment en cal‐ quant la prononciation et la façon de parler employées par les présentateurs des radios officielles, qui étaient alors le seul moyen médiatique de masse. La population, généra‐ lement monolingue, ne parlait que des patois, très différents d’une région à l’autre. En 1958 vit le jour le « Plan de transcription phonétique du chinois2 ». Cette romani‐ sation phonologique, pīnyīn 拼音 en abrégé, toujours en vigueur, est destinée à codifier et à diffuser le pŭtōnghuà, qui est désormais la seule langue censément employée dans l’administration, l’enseignement et les médias. Depuis la fin des années 1970, malgré la forte diffusion dont elle jouit grâce à la libre circulation de la population, la plupart des gens parlent plutôt une de ses multiples variétés, teintées de couleurs régionales. Les dialectes3, quant à eux, perdent rapidement du terrain, notamment chez les jeunes générations. Après des décennies de séparation, les communautés sinophones vivant hors du continent parlent également cette langue commune, qui se distingue néanmoins du pŭtōnghuà standard de Chine.
1. Aujourd’hui, le terme académique de guānhuà fāngyán 官话方言 « groupe mandarin » n’est employé qu’en dialectologie. Il sert à nommer le groupe dialectal le plus important du pays, phonologiquement proche de la langue commune. 2. Hànyŭ pīnyīn fāng’àn 汉语拼音方案. 3. Appelées fāngyán 方言 « dialectes » par les Chinois eux-mêmes, certaines de ces langues régionales, notam‐ ment celles du Sud et du Sud-est, présentent des systèmes phonologiques si distincts qu’il n’y a pas d’intercom‐ préhension possible. C’est pourquoi les linguistes préfèrent les considérer comme des « langues sinitiques ».
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III. Apprendre
À Taïwan, l’appellation guóyŭ a été conservée et, pendant une longue période, ce parler a conservé des caractéristiques assez proches de celles qui sont issues de la réforme des années 1930. Puis, elle a, peu à peu, pris une nouvelle forme typiquement régionale. Bénéficiant, elle aussi, de mesures de promotion et de standardisation, la « langue nationale de Taïwan » est aujourd’hui très largement maîtrisée par la popula‐ tion de l’île, y compris les autochtones, principalement locuteurs du min du Sud et du hakka. À Hongkong, après sa rétrocession à la Chine, l’ancienne situation diglossique – l’anglais en tant que « forme haute » et le cantonais, « forme basse » – a peu à peu cédé la place à une triglossie partiellement répandue : la variété cantonaise du pŭtōnghuà gagne du terrain, notamment dans les écoles et le milieu professionnel. La situation est similaire à Macao, mais à une différence près : la langue de forme haute avait été le portugais en lieu et place de l’anglais. En Asie du Sud-Est, les diasporas sinophones sont pour la plupart trilingues : leurs membres parlent la langue officielle du pays où ils vivent, leur langue dialectale et un chinois commun plus ou moins spécifique à chaque communauté. En dépit des écarts qui peuvent exister, il est d’usage de désigner ces variétés sud-asiatiques par le terme général de huáyŭ 华语 « langue chinoise ». En bref, les sinophones, qu’ils vivent en Chine, à Taïwan, à Hongkong ou dans d’autres parties du globe, parlent tous un chinois commun, auquel ils donnent des noms divers. Les différences régionales, aisément perceptibles surtout sur les plans phonétique et lexical, ne constituent pas pour autant des obstacles à l’intercommunication. Pour notre part, nous avons choisi de faire porter nos analyses sur l’une des variétés de cette langue commune, le pŭtōnghuà, et sur son pendant, « langue écrite moderne », dont nous avons longuement parlé au chapitre 1. En un mot, il sera question du « chinois moderne », oral et écrit, tel qu’il est défini comme standard en RPC.
2. DE LA VERTICALE À L’HORIZONTALE Traditionnellement, la phrase chinoise s’écrivait en lignes verticales et, dans un texte, de droite à gauche. Cette disposition est restée inchangée pendant plus de trois millénaires.
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7. Le chinois moderne standard à l’écrit
Figure 43. Extrait d’un texte manuscrit de Lu Xun, Lianhuan tuhua bianhu [Plaidoirie des bandes dessinées], publié dans Wenxue yuebao, nov. 1932.
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Figure 44. Dispositions alternées dans un journal taïwanais.
Sous l’impulsion des intellectuels réformistes, le changement fut notamment marqué par la publication en 1909 d’un petit livre dont les lignes étaient, pour la première fois, imprimées à l’horizontale, et se lisaient de gauche à droite1. En 1917, Qian Xuantong 钱 玄同 plaidait publiquement la cause en arguant qu’une telle disposition était mieux adaptée à la physiologie de l’œil et au mouvement de la main qui écrit. De surcroît, toujours selon Qian, elle faciliterait l’éventuelle inclusion, dans un texte chinois, de mots originaux d’une écriture alphabétique occidentale2. Ce deuxième argument, bien qu’évoqué brièvement par l’auteur, avait, en fait, la plus grande importance. En effet, dans les publications de l’époque, nombreux étaient les
1. Le Yīnyùn jìhào 音韵记号 de Liu Shi’en 刘世恩, un projet d’alphabet pour écrire le chinois. 2. Lettre ouverte à Chen Duxiu, publiée en 1917 dans Xin Qingnian, vol. 3, n° 3.
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III. Apprendre
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textes qui comportaient ponctuellement des mots en alphabet latin, et leur intégration au milieu des caractères disposés en lignes verticales était loin d’être une mince affaire (figure 43). Dès lors, l’imprimerie commença à expérimenter la nouvelle disposition, notamment pour les titres d’ouvrages et les affiches publicitaires, alors que, pendant une très longue période en-core, la plupart des gens continuaient à écrire comme auparavant. En 1955, la typographie horizontale fut définitivement adoptée en RPC dans la presse officielle, puis progressivement généralisée dans les éditions et l’enseignement. À l’heure actuelle, mise à part la calligraphie qui s’exécute toujours à l’ancienne, la typographie verticale ne se pratique plus que dans la réimpression des livres anciens et, parfois, dans la presse écrite, dont la mise en page peut combiner les deux types d’agencements. À Taïwan, depuis la dernière décennie, la tendance générale est aussi d’utiliser la disposition horizontale ou mixte (figure 44).
3. CARACTÈRES ET SYLLABES : COMME LES GRAINS D’UN CHAPELET Dans une phrase écrite, qu’elle soit disposée à la verticale ou à l’horizontale, les caractères chinois ne s’alignent pas à la façon des mots d’un alphabet : chaque caractère se présente en tant qu’élément individuel, disposé dans un carré virtuel et séparé de ses voisins par des intervalles égaux. Comparables aux grains d’un chapelet, ils forment ainsi une chaîne continue, qui n’est rompue que par les signes de ponctuation. L’autonomie unitaire des caractères est le fondement même de l’écriture chinoise. Bien plus, elle correspond à d’autres unités insoupçonnées. Voyons cette phrase nominale1, que l’on écrit normalement comme suit (4) : (4) 今天晚上,很好的月光。 « Ce soir, un beau clair de lune »
1. Le début du Journal d’un fou《狂人日记》de Lu Xun (1918).
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7. Le chinois moderne standard à l’écrit
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Pour rendre visible la concordance unitaire entre les différentes composantes de la langue, nous plaçons cette phrase maintenant dans un tableau, où les caractères sont volontairement séparés les uns des autres (tableau 20). Aux deux premières lignes, il est aisé de constater que le caractère, unité du code gra‐ phique, correspond de manière exacte à la syllabe, unité du code oral. Plus exactement, cela signifie que la chaîne orale est constituée d’une suite de syllabes, et que chaque syllabe est notée à l’écrit par un caractère. Cette équation exacte est due à la structure de la langue elle-même. En effet, le pŭtōnghuà compte 28 « phonèmes » – c’est ainsi qu’on appelle les sons pertinents susceptibles d’avoir du sens –, soit 22 consonnes et 6 voyelles. Ces voyelles, en se combinant, forment 39 noyaux vocaliques, appelés « finales ». Quant aux consonnes, elles se placent toujours, sauf une1, avant les finales, d’où leur nom d’« ini‐ tiales ». Composées de ces initiales et/ou de ces finales, les syllabes ne prennent que deux formes : soit une initiale suivie d’une finale, comme da, mian, chuang, soit une finale seule sans initiale, comme ang, en, ou. Puis, dans l’une ou l’autre forme, la syllabe est chapeautée par un ton, une hauteur mélodique relative, comme dā, dá, dă, dà. Grâce au ton qui les marque et à l’absence de liaison, la frontière entre les syllabes est assez nette à l’oral, ce qui leur donne une existence autonome. On pourrait aussi les comparer aux grains d’un chapelet, ce qu’on ne saurait faire avec des mots français comme travaille ou coccinelle, dont la segmentation syllabique s’avère parfois laborieuse. Si, en chinois ancien, à cause d’un système phonologique plus complexe et d’une écriture encore fluctuante, la concordance unitaire entre la syllabe et le caractère n’était qu’approximative et imparfaite, elle caractérise en revanche parfaitement le chinois moderne, où chaque syllabe prononcée est notée par un caractère entier, ni plus ni moins. Mais, il n’est pas de règle sans exception, et ce beau tableau en comporte, bien que légères, quelques-unes. D’une part, une syllabe s’écrit parfois en deux caractères. C’est le cas des mots qui se terminent par le suffixe -r, comme huār « fleur » ou nàr « là-bas ». Ce suffixe est une voyelle rétroflexe [R], semblable à la fin de sir ou poor prononcé à l’américaine. Bien que non syllabique, il peut être porteur de sens ou de connotation2. C’est la raison pour
1. La consonne -ng, qui ne forme que des voyelles nasales. 2. Caractéristique du parler de Pékin ainsi que certaines variétés du chinois du Nord, le suffixe -r peut changer le sens du mot, comme nà « celui-là » et nàr « là-bas », ou apporter la connotation de « petit » ou/et « agréable ».
4
3
2
1
Mots
jour
tiān
天
aujourd’hui
ce
jīn
Syllabes Morphèmes
今
Caractères
soir
soir
wăn
晚
/
shang,
上,
très
très
hĕn
很
bon
bon
hăo
好
sub.
sub.a
de
的
lumière
guāng
光
clair de lune
lune
yuè
月
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a. « Subordinateur », un mot grammatical reliant le déterminant au déterminé dans un groupe nominal.
Code oral
Code graphique
Tableau 20. Concordance unitaire entre caractère, syllabe, morphème et mot.
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III. Apprendre
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7. Le chinois moderne standard à l’écrit
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laquelle il possède une forme graphique empruntée, -儿. Ainsi, les monosyllabes huār et nàr peuvent être écrits, au libre choix de l’auteur, 花 et 那 ou 花儿 et 那儿. D’autre part, plus rarement, un seul caractère peut correspondre à l’oral à deux syllabes. Citons, entre autres, 浬 « mile nautique » ou 吋 « inch » : le premier se prononce hăilĭ « mer + li (mesure) » ; le second, yīngcùn « britannique + cun (mesure) ». Cependant, depuis la mesure normalisatrice de 1977, on écrit hăilĭ 海里 et yīngcùn 英寸 en deux carac‐ tères, sans que l’ancienne orthographe ait totalement disparu du circuit, susceptible de se trouver toujours dans les éditions plus anciennes.
4. CARACTÈRES ET MORPHÈMES : UNE CONCORDANCE UNITAIRE PRESQUE PARFAITE Voyons maintenant la troisième ligne (tableau 20) où, visiblement, le caractère correspond, à peu d’exceptions près, au « morphème ». Précisons que ce terme linguistique désigne un segment minimal porteur de sens, soit le plus petit signe linguistique. Malgré son aspect jargonneux, il renvoie à un fait de langue courant et universel. En français, par exemple, dans la série des mots jardinet, jardinier, jardinage, jardi‐ nerie, chaque locuteur reconnaît non seulement jardin, doté d’un sens précis, mais com‐ prend aussi le sens de -et, -ier, -age et -erie, désinences non moins nécessaires qui signifient, en l’occurrence, « petit », « humain masculin », « action de » et « magasin spécialisé en ». Ce ne sont pas des mots, mais bel et bien des éléments significatifs, donc des « morphèmes1 ». Si jardin constitue un seul morphème, tous les autres mots du groupe en comportent deux. Bien entendu, les morphèmes, en français, ne se mani‐ festent pas toujours de façon aussi évidente, mais tout locuteur est capable de créer des mots nouveaux grâce à l’existence de ces éléments morphémiques, et passera, sans même s’en rendre compte, de blog à blogueur, de confinement à déconfinement et à reconfinement, etc. En chinois moderne, en revanche, il existe une quasi-concordance unitaire à ce niveau, car, l’écrasante majorité des morphèmes chinois, soit plus de 93 % d’entre eux,
1. Ce terme inclut en réalité deux catégories distinctes : les « grammèmes », mots grammaticaux, et les « lexèmes », qui forment les unités lexicales. Mais, nous avons choisi de ne pas faire cette distinction dans le présent ouvrage.
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III. Apprendre
correspondent à une syllabe à l’oral et à un caractère à l’écrit. Ce qui revient à dire que, le plus souvent, le caractère représente une unité minimale de sens. Ici le lecteur peut légitimement se demander : Ne suffit-il pas de dire qu’en chinois la syllabe correspond à un caractère qui, lui, possède un sens ? A quoi sert ce troisième niveau avec un terme à la sonorité barbare ? C’est que cette notion est indispensable à notre examen, dans la mesure où le « carac‐ tère » peut s’avérer trompeur. Mis à part le fait que le caractère appartient au seul code graphique, il faut aussi signaler qu’au fond, il ne saurait être systématiquement assimilé à un signe linguistique au sens strict : primo, le même signe – donc même signifiant et même signifié – peut s’écrire par des caractères différents, ce sont des « variantes graphiques » ; secundo, le même caractère peut servir à écrire plusieurs morphèmes différents, c’est ce qu’on appelle des « homographes » ; tertio, tous les caractères ne sont pas porteurs de sens. S’il existe plusieurs dizaines de milliers de caractères, il n’y a pas autant de morphèmes en chinois moderne. Ces irrégularités seront discutées dans le chapitre suivant. Pour l’heure, nous allons en faire abstraction et supposer qu’un caractère note effectivement un morphème.
5. SYLLABE ET MORPHÈME : UNE HOMOPHONIE ÉTENDUE Vu la concordance unitaire entre les trois premières lignes, la question qui se pose maintenant est de savoir combien il y a de syllabes disponibles pour prononcer tous ces caractères ou, au moins, les morphèmes qui se comptent par milliers. C’est précisément ici que se manifestent les spécificités du chinois dans son rapport entre langue et écriture. Comme vu précédemment, les 21 initiales et les 39 finales forment les syllabes du pŭtōnghuà. Mais, leurs combinaisons se trouvent limitées par de nombreuses incompa‐ tibilités : par exemple, les initiales j, q, x ne précèdent jamais les voyelles ouvertes a, o, e, u ; et c’est exactement le contraire pour zh, ch, sh, r et z, c, s, qui sont en revanche incompatibles avec les voyelles fermées i et ü. En fin de compte, on n’obtient que 414 combinaisons de base1. Ce ne sont pas encore des syllabes, mais des « formes quasi syllabiques2 », puisqu’il leur manque encore le ton, composant indispensable au chinois.
1. C’est un chiffre indicatif. Ces combinaisons constituent une liste fermée, mais pas figée. Dans l’évolution de la langue, certaines peuvent apparaître et d’autres disparaître. 2. Rygaloff Alexis. Le chinois. In Langage. Encyclopédie de la Pléiade. Paris : Gallimard, 1968.
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Une fois spécifiés les quatre tons et les syllabes légères1, les syllabes du pŭtōnghuà sont maintenant complètes, « prêtes à emploi ». Là non plus, leur nombre total – estimé à 1 300 environ2 – ne correspond pas au produit arithmétique de 414 multiplié par quatre, puisque des cases vides existent aussi à ce niveau. Par exemple, s’il est toujours possible de prononcer tour à tour gei aux quatre tons, seule la syllabe gĕi au troisième ton possède un sens. En résumé, la forme orale du pŭtōnghuà se résume à ces quelque 1 300 unités pho‐ nologiques de base. Autrement dit, quoiqu’on dise dans cette langue, on ne dispose que de ce petit lot de matériaux sonores. Quant aux morphèmes du chinois moderne, leur nombre est estimé à un peu plus de dix mille3. L’ensemble de ces morphèmes se par‐ tagent les 1 300 syllabes, qui leur servent de signifiants. Jusque-là, rien de très surprenant, puisque le langage humain est précisément caractérisé par ce principe d’économie qui consiste à utiliser peu de sons pour exprimer une infinité de messages. Ce qui est spécifique au chinois, c’est le monosyllabisme de ses morphèmes. En effet, lorsqu’on a affaire à un syllabaire comme celui du japonais, on voit que les syllabes, a priori vides de sens, se combinent entre elles pour former des mots qui sont, eux, doués de sens. En chinois, au contraire, chacune des syllabes est d’emblée associée à un ou plusieurs morphèmes, tous monosyllabiques : gĕi signifie d’office « donner » ; kāi « ouvrir » ou « essuyer » ; xiào « rire », « piété filiale », « école », « effet », « hurler », etc. Lorsque dix mille morphèmes ne disposent, à l’oral, que d’un millier de syllabes, il est logique d’y rencontrer un nombre important d’homophones. Pour s’en faire une idée, il suffit d’une simple opération de division : en moyenne, une syllabe sert de signifiant à huit morphèmes. Mais, ce résultat mathématique ne signifie pas grand-chose, car le partage est tout sauf égalitaire : certaines syllabes ne servent qu’à supporter un ou deux signifiés, tandis que d’autres doivent en supporter plusieurs dizaines, tous homophones.
1. qīngshēng 轻声. L’expression courante « ton léger » n’est pas heureuse, qui risque de laisser penser qu’il existe un 5e ton en chinois moderne. 2. Ce chiffre est aussi approximatif, qui peut varier entre 1 192 et 1 443 selon les dictionnaires. Les écarts sont dus à l’inclusion ou non de certaines interjections consonantiques et d’autres syllabes relevant des régiona‐ lismes. 3. 10 442 selon une analyse effectuée sur les 6 763 caractères d’un corpus informatisé. Ce chiffre nous donne un ordre de grandeur, il n’est pas exhaustif ni figé. Cf. Yuan Chunfa, Huang Changning. Jiyu yusu shujuku de hanyu yusu ji gouci yanjiu [Une étude sur les morphèmes chinois et la formation lexicale, basée un corpus de morphèmes]. In Yuyan wenzi yingyong, 3, 1998.
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III. Apprendre
L’homophonie monosyllabique en pŭtōnghuà est si étendue qu’elle constitue quasi‐ ment la règle et que seule une poignée de morphèmes y échappe. Néanmoins, ce phénomène qui pourrait paraître gênant ne pose en général que peu de problèmes dans la communication orale. En effet, le monosyllabisme se situe le plus souvent au niveau des morphèmes. Les mots, eux, sont majoritairement des dissyllabes ou des polysyllabes. Par ailleurs, les circonstances de l’énonciation et les ressources prosodiques permettent d’éviter la plupart des ambiguïtés, sauf quand il s’agit d’un mot rare, trop ancien ou trop récent. Dans ces cas seulement, le risque de confusion avec un homophone n’est pas exclu et le locuteur sera, éventuellement, contraint de donner les précisions nécessaires. Il arrive même que l’énonciation des noms propres, elle, ne se fasse pas sans une telle précision. Si les patronymes français ont souvent besoin d’être épelés, c’est parce qu’ils ont une orthographe individualisée, mais si un Chinois dénommé Zhang ou Wen est obligé d’en faire autant, c’est à cause de l’existence des homonymes. Mais, dira-t-on, comment alors « épeler » en chinois ? Tout simplement en indiquant le caractère corres‐ pondant. En effet, que l’on s’appelle Zhang 张 ou Zhang 章, Wen 闻 ou Wen 文, c’est une affaire si sérieuse qu’aucune confusion n’est permise.
6. LA MISSION DE L’ÉCRITURE EN CARACTÈRES Le code graphique du signe linguistique remplira sa mission là où une phonographie pure et simple se montrerait imparfaite voire déficiente. Sachant que le français moderne compte environ 1 200 groupes d’homophones et que son écriture permet d’en marquer une partie1 grâce aux moyens orthographiques, et ce sont ces moyens qui permettent de distinguer ver, vers, vert et verre, ou chante, chantes et chantent. Comment le chinois avec ses homophones sensiblement plus nom‐ breux saurait-il s’en tirer autrement qu’à l’aide de ses caractères ? Ce n’est pas un hasard si les Chinois anciens ont inventé une écriture si complexe et ce n’est pas non plus par goût pervers pour la complication que les Chinois modernes tiennent coûte que coûte à préserver ce système.
1. D’autres homophones, les homographes, ne sont pas différenciés, comme avocat (fruit) et avocat (homme de loi).
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À cause de cette homophonie si étendue, il n’est pas exagéré de dire que le morphème chinois n’est pas complet sans une forme graphique. Et celle-ci ne résoudra pas le problème si elle est purement phonétique. Même s’il est possible d’écrire un texte chinois entièrement en pinyin, la lecture s’avère extrêmement ardue sans parler des nombreux risques d’ambiguïté. Seuls les caractères sont susceptibles de différencier visuellement les homophones. Selon une étude1 effectuée dans le « Dictionnaire du chinois moderne » (désormais DCM), un dictionnaire de taille moyenne destiné au grand public2, on y rencontre, d’une part, les syllabes les plus lourdement chargées, en tant que signifiants, yì, xī et bì, qui correspondent respectivement aux 92, 82 et 70 caractères homophones, et d’autre part, 197 caractères seulement, soit 2 % à peine de la totalité, possèdent en propre un signi‐ fiant, différent de tous les autres. Mais, ce phénomène surprenant doit être quelque peu relativisé : les dizaines de caractères homophones ne sont pas tous des mots et donc ne peuvent tous être direc‐ tement employés dans une phrase. Par exemple, ces différents yì, 艺, 忆 ou 易 ne servent qu’à construire des mots plus longs, tels que 艺术 yìshù « art », 回忆 huíyì « se remémorer », 容易 róngyì « facile », etc. Pour prendre l’exacte mesure de l’homophonie en chinois moderne, il est donc plus judicieux d’examiner uniquement les mots. C’est là qu’une étude a pu montrer que 4 753 mots monosyllabiques (désormais : monosyllabes), soit 96,6 %, possèdent au moins un homophone3 ! Voici, en premier lieu, quelques exemples parmi les plus usuels. Aucune de ces listes n’est évidemment exhaus‐ tive, elles peuvent s’allonger au fur et à mesure que l’on y inclut des mots moins fré‐ quents (5) : (5) a. shì 是 « être » / shì 事 « affaire » / shì 试 « essayer » / shì 室 « salle » / shì 市 « ville » b. bù 不 « ne…pas » / bù 布 « tissu » / bù 部 « part » / bù 步 « pas » c. kè 克 « gramme » / kè 刻 « graver » / kè 客 « hôte » / kè 课 « cours » Ce sont des « homophones hétérographes », identiques à l’oral mais différenciés à l’écrit. Les homophones peuvent aussi être des « homographes », des mots différents
1. Su Xinchun, Lin Jinzhan. Putonghua yinjie shu ji zaizi liang de tongjifenxi [Statistique et analyse sur le nombre de syllabes en putonghua et celui de leur support graphique]. In Zhongguo yuwen, 3, 2006. 2. Xiàndài hànyŭ cídiăn 现代汉语词典. Sa 5e édition répertorie 1 342 syllabes, toniques et légères, inclut 10 863 entrées en caractères et 65 000 mots. 3. Dai Jiantao. Xiandai hanyu tongyinci yanjiu [Étude des homophones en chinois moderne]. Université normale du Sichuan, thèse de doctorat, 2008, p. 20.
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III. Apprendre
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sans aucun lien entre eux, mais identiques à l’oral et à l’écrit (6). Cette catégorie « défaillante » en sémiographie est moins importante en nombre : (6) a. shēng 生 « naître » / shēng 生 « cru » b. bié 别 « quitter » / bié 别 « épingler » / bié 别 « ne…pas (impératif) » Plus encore, l’homophonie n’affecte pas les seuls monosyllabes, elle frappe aussi jusqu’aux dissyllabes. Là, l’ampleur est moindre et ne concerne que 18 % d’entre eux1, même si le groupe le plus important, gōngshì, peut compter jusqu’à huit membres ! Voyons quelques exemples selon leurs différentes structures (7) : (7) a. Les deux mots ont un sens assez proche en raison de la présence d’un mor‐ phème commun : bìxū 必须 « falloir » / bìxū 必需 « nécessaire » jièxiàn 界线 « frontière » / jièxiàn 界限 « seuil, limite » xīnsuān 心酸 « avoir le cœur brisé » / xīnsuān 辛酸 « triste, peiné » b. Les deux mots comportent un morphème commun, mais celui-ci n’a pas le même sens dans l’un ou l’autre mot : fùnǚ 妇女 « femme » / fùnǚ 父女 « père et fille » tóngnián 童年 « enfance » / tóngnián 同年 « la même année » gōngzhèng 公正 « juste, impartial » / gōngzhèng 公证 « certifier l’authenticité » c. Les deux mots ne présentent aucun lien autre que phonétique : gŭlì 鼓励 « encourager » / gŭlì 谷粒 « graine de céréale » fēnglì 风力 « force du vent » / fēnglì 锋利 « tranchant, acéré » shùmù 树木 « arbre » / shùmù 数目 « chiffre » Globalement, les très nombreux homophones du chinois moderne sont donc effica‐ cement distingués à l’écrit et c’est grâce à cette forte sémiographie que l’écriture remplit sa mission dans la communication graphique et visuelle.
1. Dai Jiantao, op. cit. p. 20-22.
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7. Le chinois moderne standard à l’écrit
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7. CARACTÈRE ET MOT : LA CONCORDANCE DEVIENT PLUS RARE Revenons maintenant à notre tableau (tableau 20) où, à la quatrième ligne, celle des mots ou des « unités lexicales », apparaissent enfin des décalages irréguliers. Contrai‐ rement à une idée reçue tenace, un caractère, en dépit du sens qu’il possède, n’est pas systématiquement un mot. Au contraire. Le plus souvent, il doit se combiner avec d’autres caractères pour former un mot plus long. Le lexique du chinois moderne est majoritairement dissyllabique et polysyllabique. Tout repose sur le jeu de combi‐ naisons : les caractères étant des matières premières préfabriquées et invariables, un nombre relativement restreint et stable suffit pour qu’on puisse fabriquer autant de mots nouveaux qu’on voudra. Cette potentialité productive est a priori infinie. En effet, même si, en chinois classique, le couple « caractère-mot » reste quasiment indissociable, le lexique vernaculaire s’est depuis très longtemps engagé dans un proces‐ sus de dissyllabisation. Suite à cette évolution, s’il arrive que l’équation caractère-mot perdure en chinois moderne – citons, entre autres, l’exemple de 天 tiān « jour, date » –, force est de constater que, dans la majorité des cas, cette concordance unitaire et statutaire s’est perdue. C’est ce qui est arrivé à 今 jīn « présentement, en cours » qui, ayant perdu son statut de mot, ne sert plus qu’à former d’autres dissyllabes, comme 今年 jīnnián « cette année » ou 如 今 rújīn « de nos jours ». Autrement dit, malgré son autonomie à la fois phonétique et graphique, il est en fait devenu un « morphème non autonome », comparable à une désinence du français. Pour simplifier, nous appellerons désormais ces caractères des « non-mots ». Car, pour qu’un caractère soit aussi un mot, il doit remplir trois conditions : avoir un son, un sens et une catégorie grammaticale – nom, verbe, adjectif, préposition, etc. C’est cette troisième condition que 今 ne possède plus en chinois moderne : il ne pourra être employé seul dans une phrase en tant que « partie du discours ». Ce statut est vérifiable dans le DCM, où son entrée n’est accompagnée d’aucune de ces indications grammaticales. Ainsi, pour dire « ce soir » ou « le journal d’aujourd’hui », des séquences telles que *今晚上 jīn wănshang ou *今的报纸 jīn de bàozhĭ seraient agrammaticales. Par ailleurs, le statut de mot ou de non-mot dépend également de la signification du caractère en question. Le même caractère, s’il est polysémique, peut être un mot dans un sens et, dans l’autre, un non-mot. Prenons l’exemple de 书 shū : il est employé en tant que mot dans le sens de « livre » (8a), mais devient un non-mot, lorsqu’il
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III. Apprendre
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signifie respectivement « écrire » (8b), « graphisme » (8c), « correspondance » (8d) et « document » (8e) dans ces mots composés : (8) a. 一本书,我的书,买书,看书… yī-bĕn shū, wǒ de shū, măi shū, kàn shū… « un livre », « mon livre », « acheter un/des livre(s) », « lire un/des livre(s) »…
b. 书法 shūfă « écrire + art » « calligraphie »
c. 楷书 kăishū « modèle + graphisme » « la régulière » d. 情书 qíngshū « amour + lettre » « lettre d’amour » e. 证书 zhèngshū « prouver + document » « certificat » Le lexique du chinois moderne est constitué, dans des proportions inégales, de monosyllabes, de dissyllabes et de quadrisyllabes. Des mots encore plus longs existent aussi, mais ils sont moins nombreux. Ce sont des constituants « préfabriqués » de la phrase qui, quelle que soit leur fonction, restent invariables en toute circonstance. Commençons par les monosyllabes. Transmis depuis la nuit des temps, les monosyl‐ labes « héréditaires » représentent le fonds lexical du chinois moderne. Ils sont stables, usuels et très productifs. Y figurent d’une part la majorité des « mots vides », constituants grammaticaux indispensables à l’articulation phrastique et, d’autre part, des « mots pleins » désignant des notions élémentaires relevant des connaissances humaines. Certes, de nos jours, ces mots n’occupent qu’une faible part à l’état statique, soit 12 % environ dans les dictionnaires1, mais à l’état dynamique, en revanche, ils représentent la majorité des mots employés dans le discours, oral ou textuel. C’est indéniablement la part la plus représentative, la plus indispensable et la plus productive du lexique.
1. Résultat sur lequel s’accordent plusieurs statistiques basées sur des dictionnaires ou des listes de mots usuels.
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7. Le chinois moderne standard à l’écrit
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Les dissyllabes – deux syllabes à l’oral et deux caractères à l’écrit – sont sensiblement les plus nombreux : ils représentent environ 70 % du lexique. En raison de leur prédo‐ minance numéraire, le chinois moderne est caractérisé par un fait particulier : si, devant un caractère isolé, un apprenant doit toujours se demander s’il a affaire à un mot ou à un non-mot, la question ne se posera plus à partir des dissyllabes, qui possèdent automatiquement leur liberté syntaxique. Sur le plan sémantique, un monosyllabe est souvent polysémique (9a), alors que les dissyllabes le sont beaucoup moins (9b). Plus le mot est long, plus sont nombreux les morphèmes qui le composent, et plus son sens est précis : (9) a. 一个包 yī-ge bāo « un + Cl + bāo » « un colis » ? « un paquet » ? « un sac » ? « une excroissance » ? b. 邮包 yóubāo « colis », 包裹 bāoguŏ « polochon », 书包 shūbāo « cartable », 背包 bēibāo « sac à dos », 皮包 píbāo « sac à main », 脓包 nóngbāo « pustule »… La longueur des mots est donc un paramètre déterminant, à la fois pour leur liberté syntaxique et leur risque polysémique. Nous pouvons illustrer ce rapport comme indiqué dans le tableau 21. Tableau 21. Rapport entre la longueur des mots, la liberté syntaxique et le risque polysémique Longueur des mots
Monosyllabe
Dissyllabe
Polysémie
+
−
Liberté syntaxique
−
+
Quant aux polysyllabes, à savoir les mots de trois syllabes et plus, ils représentent environ 15 % du lexique. Les trisyllabes sont plutôt des créations modernes, très souvent générés par l’ajout d’un morphème à un dissyllabe existant, sous les deux formes pos‐ sibles : 2 + 1 ou 1 + 2. Enfin, il faut compter avec les expressions phraséologiques, parmi lesquelles, les fameux quadrisyllabes, chéngyŭ 成语, souvent appelés à tort « proverbes », occupent une place très importante. Majoritairement d’origine ancienne et très prisés dans les discours tant oraux que textuels, ce sont des « formules » ou des « clichés » – sans la connotation péjorative qui s’attache généralement à ces termes. Quant aux proverbes proprement dits et aux autres locutions, malgré leur longueur variable, ils sont également considérés comme des unités lexicales à part entière.
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III. Apprendre
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Nous voilà devant un autre phénomène spécifiquement chinois : dans une phrase écrite, les caractères se succèdent, séparés les uns des autres par des intervalles égaux, tandis que les mots, de longueur inégale, ne comportent aucun repère graphique. Une disposition qui peut rappeler la scriptio continua du latin. De là les difficultés qu’on pourra rencontrer dans l’interprétation d’un message écrit.
8. LE MOT GRAPHIQUE POSE PROBLÈME Dans le flux parlé, les ressources prosodiques – ton, accent d’intensité et d’insistance, intonation, groupe rythmique, courte pause éventuelle – contribuent conjointement à marquer les frontières des mots et, la situation d’énonciation aidant, la clarté du message est en général assurée. Dans (10a) et (10b), deux phrases qui sont constituées exactement des mêmes mots, peuvent avoir deux sens différents que seul l’accent d’insistance (ici souligné) permettra de distinguer : (10) a. wǒmen / wǔ-ge / rén / yī zǔ nous / cinq-Cl / personne / un groupe « Nous cinq formons un groupe. » b. wǒmen wǔ-ge rén yī zǔ « (Pour) nous, c’est cinq personnes par groupe. » Privée de ces moyens sonores, la phrase écrite de cette même suite de mots (11) est ainsi interprétable dans un sens ou dans l’autre. (11) 我们五个人一组。 a. « Nous cinq formons un groupe. » b. « (Pour) nous, c’est cinq personnes par groupe. » Ce phénomène, plutôt rare, existe également dans d’autres langues, mais ce qui est spécifiquement chinois, c’est le risque d’ambiguïtés généré par l’enchaînement à égale distance des caractères. En effet, tout élément qui prend place dans la chaîne écrite, qu’il soit non-mot, mot ou groupe de mots, y est traité de manière identique. En conséquence, la phrase est parfois susceptible de deux interprétations selon la façon dont le lecteur segmentera les mots (12-13) : (12) a. 美国/会/采取/针对性/措施。 měiguó / huì / căiqŭ / zhēnduìxìng / cuòshī
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7. Le chinois moderne standard à l’écrit
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USA / pouvoir / prendre / ciblé / mesure « Les USA prendront certainement des mesures ciblées. »
b. 美/国会/采取/针对性/措施。 měi / guóhuì / căiqŭ / zhēnduìxìng / cuòshī USA / Congrès / prendre / ciblé / mesure « Le Congrès américain a pris des mesures ciblées. » (13) a. 这里/白/天鹅/很多。 zhèli / bái / tiān’é / hěn duō ici / blanc / cygne / très nombreux « Ici, il y a beaucoup de cygnes blancs. »
b. 这里/白天/鹅/很多。 zhèli / báitiān / é / hěn duō ici / jour / oie / très nombreux « Ici, il y a beaucoup d’oies pendant la journée. » Devant (12 a/b), gros titre d’un journal, le lecteur devra lire l’article pour choisir entre les deux sens possibles. Quant à (13), si ce type de message a peu de chance d’être énoncé hors contexte, il met en évidence un problème auquel le traitement automatique des langues devra se confronter constamment. Et le problème ne s’arrête pas là. La longueur des mots ainsi que leur segmentation sont, de plus, corollaires du registre de la langue. Plus la langue est soutenue, plus son vocabulaire est proche du chinois classique. Dans un registre écrit, un caractère considéré, en langue courante, comme un non-mot peut très bien « retrouver » son statut de mot en tant que monosyllabe. Autrement dit, le même caractère pourra, dans un texte, faire partie d’un mot plus long, et dans un autre texte, un mot à part entière.
9. MOT OU « NON-MOT » ? LA FRONTIÈRE EST MOUVANTE ET FLOUE Appelé shūmiànyŭ 书面语, la « langue écrite » n’est pas à confondre avec le code graphique de la parole. Tout énoncé oral, même de style familier ou vulgaire, est susceptible d’être mis à l’écrit et noté en caractères. On en trouve couramment des exemples dans les messages échangés sur les réseaux sociaux, les forums en ligne,
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III. Apprendre
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les sous-titrages de certaines interviews, les manuels de conversation et jusque dans certaines œuvres littéraires. La langue écrite, elle, fait référence à un registre ou à un « niveau de langue », plus ou moins éloigné de la langue courante ou familière. Son emploi est recommandé dans tout type de documents formels – textes administratifs, ouvrages scientifiques, correspon‐ dances et discours officiels –, mais aussi dans les messages courts destinés au public, tels que titres d’articles de journaux, annonces, affiches, notices, factures, contrats, écriteaux, enseignes, etc. En bref, elle est omniprésente dans la vie de tous les jours. Par définition, c’est une langue réservée à l’usage écrit, donc à la vue. Certes, on peut l’entendre à l’oral, mais seulement dans le cadre d’un discours formel et cérémonieux, très différente, donc, de la langue châtiée, qu’un francophone pourrait indifféremment employer dans la conversation courante comme dans une harangue officielle. Le vocabulaire de ce chinois soutenu puise, pour l’essentiel, dans le répertoire commun des caractères modernes, mais il « réactualise » un fonds important de mono‐ syllabes anciens, y compris des « mots vides ». En même temps, il possède son propre stock de dissyllabes, qui sont de véritables doublets des monosyllabes courants. Par exemple, selon le contexte et le registre, on utilisera le monosyllabe ou son « doublet dissyllabique », 昂贵 ángguì « onéreux », 贫穷 pínqióng « pauvre » et 寻找 xúnzhăo « cher‐ cher » au lieu de 贵 guì, 穷 qióng et 找 zhăo. Ces paires sont, par définition, synonymes, mais ne sont nullement interchangeables dans le même contexte. C’est aussi un domaine où le nombre de syllabes joue un rôle important dans la syntaxe. Reprenons l’exemple de 今 jīn « présentement, en cours ». C’est un non-mot en chinois moderne, comme le montre l’exemple (4) où il fait partie du dissyllabe 今天 jīntiān « aujourd’hui ». Mais, dans (14), il redevient un monosyllabe qui, à lui seul, signifie « aujourd’hui » : (14) 淘宝台湾今关平台 1 Táobăo Táiwān / jīn / guān / píngtái Taobao Taïwan / aujourd’hui / fermer / plate-forme « (Le site) Taobao Taïwan ferme (dès) aujourd’hui sa plate-forme. »
1. Version numérique de « Now 新闻 » (news.now.com), un site taïwanais, du 15/10/2020.
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7. Le chinois moderne standard à l’écrit
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Il en est de même pour 晚 wăn du même exemple (4). En langue courante, adjoint du suffixe 上 shang, il signifie « soir1 ». Dans (15), en revanche, il forme avec 今 jīn un dis‐ syllabe du registre écrit, 今晚 jīnwăn « ce soir » : (15) 首相今晚直播演说 2 shŏuxiàng / jīnwăn / zhībō / yănshuō premier ministre / ce soir / en direct / discours « Discours en direct du Premier ministre ce soir. » Ainsi, selon le registre utilisé, certains caractères, même très usuels, changent de statut et, parfois, de sens. Les frontières entre un mot monosyllabique et un non-mot ne sont donc pas définitives, mais plutôt mouvantes et floues. Reste une chose importante à savoir, qui relativise quelque peu cette fluctuation : a priori, on ne mélange pas les différents registres dans un même discours.
10. LE CHINOIS, « ÉCRITURE À DOMINANTE SÉMIOGRAPHIQUE » Pour conclure cette description du chinois écrit moderne, on se doit de donner une définition qui rende un compte exact de sa nature : quels termes employer pour parler de ses particularités ? Cette question, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre pendant des décennies, n’a toujours pas reçu de réponse consensuelle. Cependant, nul ne saurait contester ce fait essentiel : les caractères modernes, malgré la disparité de leurs modes de formation – caractères sémantiques, emprunts ou phono‐ grammes –, sont tous fondés sur un même principe : la phonographie. Cela implique qu’en plus d’une graphie et d’un sens, ils doivent avoir aussi une prononciation qui correspond au code oral de la langue. Aucun caractère ne permet d’accéder directement au sens à la manière des pictogrammes, dont la portée est universelle. Ce principe constitue l’infrastructure de toute écriture linguistique et le chinois ne fait pas exception. Le procédé même des emprunts, procédé phonétique si largement utilisé lors de la mise en place du système, en constitue une preuve irréfutable.
1. En langue courante, employé seul, c’est un adverbe qui signifie « tard ». 2. Version numérique de « 東方日報 », un journal malais. https://www.orientaldaily.com.my/index.php/news/ nation/2020/11/07/373900.
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III. Apprendre
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Tableau 22. Graphème phonétique zhŭ 主. Prononciation
Graphie
Sens du sémantique
Sens du morphème
zhù
住
homme
« habiter »
zhù
注
eau
« verser »
zhù
柱
bois
« colonne »
zhù
驻
cheval
« camper »
zhù
炷
feu
« encens »
zhù
蛀
ver
« ronger »
zhù
拄
main
« s’appuyer »
Tableau 23. Graphème phonétique zhōng 中. Prononciation
Graphie
Sens du sémantique
Sens du morphème
chōng
冲
glace
« infuser »
zhòng
种
graminée
« planter »
zhōng
忠
cœur
« fidèle »
zhōng
钟
métal
« horloge »
zhōng
盅
récipient
« tasse »
zhŏng
肿
chair
« enfler »
zhōng
衷
vêtement
« intérieur, pensée »
Mais, il est évident que le chinois ne possède pas la même transparence phonogra‐ phique que telle ou telle écriture fondée sur un alphabet ou un syllabaire. On pense, en premier lieu, à la totale opacité d’une partie de ses caractères, qui d’ailleurs n’ont jamais eu la vocation d’indiquer la prononciation par leur graphie. Ces sémantogrammes « muets », bien qu’ils soient très peu nombreux et très peu opérationnels dans la construction de la phrase, marquent en revanche les esprits, si durablement et de façon si indélébile qu’ils parviennent à occulter la réalité. Deuxièmement, la faible efficacité phonographique affecte aussi les phonogrammes qui, n’ayant jamais suivi l’évolution du système phonologique, ne sont plus très fiables avec le temps. Et pourtant, malgré ces distorsions, la phonographie n’en reste pas moins
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7. Le chinois moderne standard à l’écrit
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constatable parmi ces derniers, qui représentent plus de 80 % des 7 000 caractères modernes en vigueur. Bien entendu, leur régularité et leur pertinence sont fortement variables d’une série à l’autre. En voici deux exemples choisis parmi les plus parlants (tableaux 22 et 23). Presque parfaits, ces exemples montrent comment les inventeurs de caractères chinois tenaient à noter les sons à l’aide des phonétiques et, en même temps, qu’ils différenciaient les homophones grâce aux sémantiques. À l’instar des mots français comme ancre et encre, ou et où, leurs différences graphiques, même minimes, sont pourtant essentielles pour distinguer les mots et faciliter ainsi la lecture. On a donc vu se construire, sur une base phonographique, une sémiographie systématique, raisonnée et parfois même sophistiquée. Du chinois ancien au chinois moderne, tout a énormément évolué – système phonologique, syntaxe, une bonne partie du lexique, graphismes et graphies –, seul ce principe de forte sémiographie est resté inchangé, et c’est lui qui constitue réellement la caractéristique dominante du chinois. En bref, le système n’a jamais été idéographique, et il l’est encore moins aujourd’hui. Bien que très différent de celui qu’on observe dans une écriture alphabétique, le phonétisme existe bien en chinois et n’est même pas totalement opaque. Par quel terme définir cette écriture sans tomber dans le vieux piège binaire qui oppose l’idéographie à la phonographie et, en même temps, comment marquer la différence sensible qui la sépare des écritures alphabétique ou syllabique ? Certains auteurs ont proposé le terme d’« écriture morpho-syllabique1 », qui permet en effet de souligner deux de ses particularités : les caractères représentent des seg‐ ments syllabiques de la parole et correspondent, dans l’écrasante majorité des cas, à des morphèmes. Mais, cette définition, qui marque déjà une avancée remarquable, n’est pas satisfaisante, car, au fond, elle n’indique que la concordance unitaire entre le signifiant et le signifié sans rien dire de plus sur l’écriture elle-même. Pour notre part, nous proposons une autre définition, celle qui placerait le chinois à sa juste place par rapport aux autres systèmes. Selon le seul et unique critère de la balance « phono-sémiographique », le chinois est indéniablement une « écriture à (forte)
1. yǔsù yīnjié wénzì 语素音节文字.C’est la définition retenue par le très officiel document intitulé Yŭyán wénzì gōngzuò băití [Les 100 questions sur la langue et l’écriture] publié en 1995 par la Commission d’État des travaux sur la langue et l’écriture de la RPC.
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III. Apprendre
dominante sémiographique1 » – ce qui signifie, en même temps, qu’elle est très faible‐ ment phonographique. Cette formule permettrait de faire ressortir à la fois sa nature fondamentale d’écriture linguistique et sa particularité la plus saillante. Si on veut la reformuler en chinois, rien de plus simple : au lieu d’inventer un autre terme susceptible de relever plus ou moins du jargon, remplaçons simplement, dans la traditionnelle expression 表意文字 biăoyì wénzì « écriture idéographique », le caractère 意 yì « idée » par 义 yì, qui renvoie, lui, au « sens linguistique ». Loin de nous l’intention de faire un jeu de mots, il se trouve qu’on a affaire – une fois de plus – à de parfaits homophones !
1. biăoyìxìng (jí)qiáng de wénzì 表义性(极)强的文字.
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8 LE CARACTÈRE ET LE MORPHÈME
C
e chapitre, transitoire et relativement court, constitue un travail de « démi‐ nage ». Il prépare le terrain au suivant, qui sera consacré à la description pro‐ prement dite des différents types de caractères. En effet, pour que cette description soit pertinente et appropriée, il faut, au préalable, relever les distorsions qui existent entre les caractères et les morphèmes, sujet brièvement évoqué au chapitre précédent et laissé en attente. Il s’agit, au fond, d’examiner les décalages qui peuvent exister entre l’apparence graphique et la réalité linguistique. C’est donc LE chapitre dans lequel la notion de « morphème » devient réellement indispensable.
Car tous les caractères ne permettent pas d’établir une équation terme à terme avec les signes linguistiques qu’ils sont censés représenter. Bien que les écarts ne concernent qu’une minorité de caractères, ils risqueraient bien de brouiller ou d’occulter la réalité dans une analyse linguistique, et dans l’apprentissage, d’orienter l’apprenant sur une fausse piste. En effet, n’est-il pas courant d’entendre dire que le mot 法国 făguó (fă + pays) « France » signifie « pays de la loi » ? Sachant que 法 fă, qui signifie effectivement « loi », est, dans ce nom propre, purement phonétique, on comprendra que ce genre d’interprétations présente précisément une confusion notionnelle entre le « caractère » et le « morphème ». Qu’ils soient reliquats historiques ou conséquences d’interventions modernes, les écarts font partie intégrante des caractéristiques propres à une « écriture vivante », autant dire que c’est un phénomène normal.
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III. Apprendre
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1. QU’EST-CE QU’UN « ZÌ » ? C’EST SELON… Selon les Chinois anciens, le 字 zì « caractère » est à la base de tout écrit, et ce sont les zì qui « génèrent les phrases ; puis les phrases, en s’accumulant, constituent un texte »1. C’est donc la seule entité autonome, tangible et perceptible, réunissant un son, un sens et une graphie. Toutes les études anciennes en phonologie, philologie, rhétorique et lexicographie sont fondées sur la seule connaissance des zì. La concordance unitaire entre syllabe et caractère est depuis toujours si bien ancrée dans leur inconscient collectif, qu’elle conditionne jusqu’à la conception que les sino‐ phones se font de leur langue. Voici deux exemples, empruntés à Chao Yuen Ren2 (16-17) : (16) 你敢说一个“不”字! nĭ găn shuō yī-ge bù zì « Si tu osais prononcer une seule fois (litt. un seul caractère) non ! » (17) 他对那件事一个字没提。 tā duì nà-jiàn shì yī-ge zì méi tí « Il n’a pas soufflé mot (litt. un seul caractère) de cette affaire. » Ici, l’acception de zì dépasse largement le seul cadre de l’écrit, pouvant désigner aussi bien une syllabe prononcée qu’un message entier. C’est la raison pour laquelle Chao considère le zì des sinophones comme un « mot sociologique », dans la mesure où il occupe la même place socioculturelle que le word des anglophones ou le mot des francophones. La vision des linguistes est un peu différente. En Chine ancienne, le terme zì pouvait déjà s’appliquer à des unités plus longues, telles que les « dissyllabes liés » liánmiánzì 联绵字. Il s’agit au fond d’une unité linguistique irréductible, qu’elle s’écrive en un caractère ou en deux. Au début du xxe siècle, parallèlement à 词 cí « mot », notion occidentale fraîchement introduite en Chine, certains linguistes continuent à s’en tenir à ce zì séculaire, mais en le redéfinissant « au sens grammatical ». Selon eux, c’est la « dernière unité autonome
1. Phrase de Liu Xie 刘勰, écrivain et critique littéraire du ve siècle, dans son ouvrage Xenxin diaolong 《文心雕 龙》 [Cœur de la littérature et la Sculpture des dragons]. Nous traduisons. 2. A Grammar of spoken Chinese. University of California Press/Cambridge University Press, 1968, p. 137.
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8. Le caractère et le morphème
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de sens1 », qu’elle soit représentée par un ou plusieurs « caractères carrés ». Dans le même ordre d’idée, d’autres linguistes ont même lancé, vers la fin des années 1990, un contre-courant académique appelant à rejeter le « point de vue indo-européen » qui dominait depuis un siècle les travaux linguistiques sur le chinois et, à abandonner, dans la foulée, les termes de « mot » et de « morphème ». Ils considèrent que, dans cette langue isolante et « à dominante sémantique » qu’est le chinois, le « zì », depuis toujours, cons‐ titue dans l’esprit des sinophones l’unique réalité linguistique : il doit donc le rester jusque dans les analyses syntaxiques modernes. À l’instar de leurs prédécesseurs, ils voient dans le zì une « unité structurelle de base2 » qui peut être aussi bien monosylla‐ bique, dissyllabique que polysyllabique. Vu ces diverses acceptions du terme zì, il nous est nécessaire d’adopter une position claire et sans équivoque : lorsque nous parlons de l’écriture chinoise, zì ne désigne rien d’autre que ce signe écrit, unitaire et basique, censé correspondre à une syllabe signi‐ fiante. Ainsi, la phrase (14) 淘宝台湾今关平台 compte d’office huit caractères, alors qu’elle est constituée de quatre mots définis « au sens grammatical3 », de longueurs inégales : « Taobao Taïwan4 », « aujourd’hui », « clôturer » et « plate-forme ». Cependant, le « caractère » ainsi défini n’est pas à confondre avec sa « graphie », c’est-à-dire, la forme graphique qu’il est susceptible de prendre. Un caractère, en effet, peut avoir une seule graphie ou plusieurs. La même phrase (14), réécrite en graphies non simplifiées 淘寶臺灣今關平臺, ne change ni de sens ni de prononciation, puisque, graphie simplifiée ou non, elle est écrite avec les mêmes caractères. L’existence des variantes graphiques suffit à prouver que les notions de zì, comme celle de caractère, ne sont pas toujours pertinentes en analyse linguistique. Si, dans certains contextes précis, un caractère représente bien un morphème, la correspon‐ dance « caractère-syllabe-sens » ne saurait être systématiquement établie. Sous l’appa‐ rence des caractères, se cache souvent une autre réalité. Si nous reprenons l’exemple (14), nous constatons que le caractère 台 (ou 臺) y apparaît à deux reprises, mais, alors que le premier tái ne sert qu’à noter phonétiquement une des deux syllabes du nom
1. Cf. Jin Zhaozi. Guowenfa zhi yanjiu [Études de la grammaire du chinois écrit]. Beijing, Shangwu yinshuguan, 1922/1983, p. 41-43. Nous traduisons. 2. Xu Tongqiang. Yuyan lun [Sur la langue]. Changchun : Dongbei shifan daxue chubanshe, 1997. 3. Cf. Jin Zhaozhi. Ibid. 4. C’est la raison sociale d’une entreprise, donc un nom propre indivisible.
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III. Apprendre
Taïwan1, le second signifie, lui, « terrasse, estrade ». Dans une analyse linguistique, il est impossible de les traiter comme s’ils étaient un seul et même « caractère ». Pour toutes ces raisons, nous sommes obligés, n’en déplaisent à certains, d’utiliser le terme « morphème » et de le distinguer utilement du caractère : en l’occurrence, le second 台/臺 correspond bien à un morphème, mais le premier est vide de sens. La notion de morphème est à l’étude de l’écriture ce que celle d’atome est à la chimie. Elle s’avère nécessaire si l’on veut en comprendre la structure. C’est un outil d’analyse.
2. DES BINÔMES ET DES POLYNÔMES Rappelons qu’en chinois moderne, environ 93 % des morphèmes sont monosylla‐ biques, et correspondent bien à une syllabe et à un seul caractère. Les 7 % restants sont dissyllabiques voire polysyllabiques et induisent donc un décalage entre le nombre des caractères et celui des morphèmes. Appelons ici « binômes » ou « polynômes » ces séquences de deux ou de plusieurs caractères. Bien que leurs membres paraissent autonomes et distincts les uns des autres, étant formés d’autant de syllabes que de caractères, ils ne servent qu’à noter des unités lexicales uniques et indivisibles. Cette « insécabilité » sémantique est comparable à celle qu’on observe dans des mots comme jardin, méthode ou nécessaire, qui, n’étant autre chose que des radicaux sans désinence, ne se prêtent pas à l’analyse morphémique, contrairement à jardin-ier, méthod-ique ou nécessaire-ment. Les caractères qui entrent dans la composition de nos polynômes, si on les isole, perdent totalement leur sens ou prennent un sens différent dans un autre mot. En voici les différents types selon leurs catégories grammaticales ou leurs origines : I. Les onomatopées polysyllabiques, comme 嘀嗒 dīdā « tic-tac », 哗啦啦 huālālā « patatras », 叽叽喳喳 jījī-zhāzhā « cui-cui, blabla », etc. Censées imiter des sons, naturels ou artificiels, les onomatopées résultent nécessai‐ rement d’un procédé strictement phonologique. On les écrit avec plusieurs caractères, spécialement créés ou empruntés parmi des caractères existants, mais ils ne forment le mot qu’en faisant bloc. Certaines onomatopées sont construites avec les mêmes caractères, mais diversement ordonnées. C’est ainsi qu’à côté de 哗啦啦 huālālā , il existe
1. « Taïwan » est aussi phonétique, provenant de Tayouan, nom qu’a donné à l’île les Siraya, un peuple autoch‐ tone.
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aussi 哗啦 huālā, 哗哗啦啦 huāhuā-lālā et 哗啦哗啦 huālā-huālā, qui sont autant de mots différents. II. Les polysyllabes d’origine étrangère phonétiquement transposés comme 浮屠 fútú « Bouddha, stûpa », 咖啡 kāfēi « café », 雨果 yŭguǒ « (Victor) Hugo », 波尔多 bō’ĕrduō « Bordeaux », 歇斯底里 xiēsīdǐlǐ « hystérie », 柴可夫斯基 cháikĕfūsījī « Tchaïkovski », etc. Il existe plusieurs méthodes pour intégrer un emprunt étranger, mais la « transpo‐ sition phonétique » est la plus directe, la plus simple et, dans la mise à l’écrit des noms propres, la plus largement employée. En effet, il suffit d’adapter, souvent de manière approximative, les sons du mot d’origine à des sons de syllabes chinoises, puis, de choisir les caractères correspondants en veillant, autant que possible, à ce qu’ils aient un sens neutre. Il s’agit donc d’emprunter leur son, et rien que leur son1. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en l’absence de consensus ou de norme, l’intuition du traducteur dans le choix des caractères et même dans la segmentation syllabique peut conduire à des résultats très différents pour un même mot2. III. Les « dissyllabes liés » liánmiáncí 联绵词. Certains d’entre eux notent deux syllabes distinctes, comme 慷慨 kāngkài « généreux », 仿佛 făngfú « sembler », 糊涂 hútú « abruti, stupide », 玫瑰 méiguì « rose », 葡萄 pútao « raisin » ou 垃圾 lājī « ordure » ; d’autres sont des « syllabes redoublées3 », comme 猩猩 xīngxing « orang-outang », 蒙蒙 méngméng « flou, brumeux », 区区 qūqū « insignifiant », 纷纷 fēnfēn « en grand nombre et dans le désordre » ou 喃喃 nánnán « murmurer, marmonner », etc. Souvent reconnaissables grâce à leurs caractères créés pour l’occasion et à leur pro‐ nonciation marquée par un redoublement – soit syllabique, soit partiel sous forme d’allitération ou d’assonance –, la plupart de ces mots ont une origine ancienne, et leur filiation est devenue très complexe à établir4. Néanmoins, on peut les répartir grosso modo en deux types. D’une part, ceux qui sont de formation phonologique : les anciens idéophones, les dissyllabes créés par dérivation phonologique et par la transposition
1. Toute tentative de traduction « mot à mot », certes possible, conduira à un non-sens total : 雨果 yŭguǒ « Hugo » signifiera alors « pluie + fruit ». 2. Le nom du 45e président des USA est transposé en RPC par 特朗普 tèlăngpǔ, alors que, partout ailleurs, on le dénomme 川普 chuānpǔ. 3. 叠音词 diéyīncí. Elles sont à distinguer d’autres mots d’apparence similaire, comme 爸爸 bàba « papa », 常常 chángcháng « souvent » ou 谢谢 xièxie « merci », qui sont, eux, des chóngdiécí 重叠词, mots complexes obtenus par la « réduplication » d’un morphème. 4. Dong Xingmao. Lianmianci chengyin zhuisu (zhiyi) [Les origines des dissyllabes liés (1)]. In Journal de l’Uni‐ versité normale du Fujian, 3, 1992, p. 55-59.
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phonétique d’un emprunt ancien. D’autre part, ceux qui résulte du figement de deux morphèmes anciens de sens proche et qui sont parfaitement analysables : par exemple, dans 匍匐 púfú « ramper », pú signifiait à l’origine « avancer en s’appuyant sur ses mains » et fú « à plat ventre ». Si púfú est considéré comme un binôme en chinois moderne, c’est que les deux membres qui le composent sont associés depuis si longtemps que leurs sens respectifs ne sont plus perçus : jamais employés l’un sans l’autre, ils ne peuvent plus avoir de sens qu’en étant liés. IV. Les dissyllabes ayant entièrement perdu leur motivation pour diverses raisons, comme 滑稽 huájī « comique », 秋千 qiūqiān « balançoire », 马虎 măhu « distrait, négli‐ geant » ou 张罗 zhāngluo « s’occuper d’une tâche, vaquer à », etc. Ils sont caractérisés par le fait que, pris séparément, chacun des deux caractères possède un sens et que certains, même, sont des mots à part entière. C’est ainsi que les deux caractères qui composent le mot 马虎 măhu, ce mot qui amuse beaucoup les apprenants étrangers, signifient respectivement « cheval » et « tigre » ! Mais, qu’on ne se demande pas pourquoi et qu’on se méfie aussi de la « légende » qui circule à son propos. Linguistiquement parlant, ils perdent ici leur sens d’origine en ne conservent que leur valeur phonétique. La démotivation d’un dissyllabe peut avoir des raisons multiples, qu’il faudrait retracer au cas par cas. Elle peut être causée par une circonstance de leur création oubliée aujourd’hui, par un changement ou une déformation de la prononciation, par un glissement sémantique, par une influence dialectale ou tout simplement par une graphie trompeuse, etc. Dans tous les cas, leur étymologie échappant complètement à un lecteur moderne moyen, ils ne sont plus analysables. En conclusion, dans tous ces types de binômes et de polynômes, le sens individuel de chaque caractère ne contribue pas à celui du mot. Ce sont de parfaits exemples illustrant l’inadéquation entre les caractères et les signes linguistiques qu’ils notent. Du fait de leur globalité sémantique, on les considère soit comme des dissyllabes ou des polysyllabes à morphème unique, d’où nos expressions « binômes » et « polynômes », soit, du point de vue lexicologique, comme des « mots simples » dissyllabiques ou polysyllabiques.
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3. QUE SIGNIFIE CE CARACTÈRE ? EUH… RIEN ! Devant un caractère inconnu, la toute première réaction d’un lecteur, sinophone ou non, est immanquablement de s’interroger sur sa signification et ce, avant même de connaître sa prononciation. Tout se passe comme si tout caractère était censé avoir une signification propre et que celle-ci l’emporte sur toute autre information le concernant. D’ailleurs, connaître ou conjecturer le sens d’un caractère sans même savoir le prononcer est chose assez courante chez les sinophones. Or, le fait est que les caractères ne sont pas tous porteurs de sens. Ceux qui ne veulent rien dire sont certes minoritaires, mais loin d’être des exceptions. Voyons en premier lieu les binômes, notamment ceux d’origine ancienne. Certains d’entre eux se sont vu attribuer des caractères spécifiquement créés, comme par exemple 忐忑, 葡萄 et 鞑靼 : le premier est un dissyllabe dérivé, le second un emprunt étranger et le troisième la transposition d’un nom propre ; tous trois sont de formation entièrement phonologique. Néanmoins, les caractères qui les écrivent ne sont pas pour autant destinés à noter les syllabes tăn, tè, pú, táo et dá – syllabes qui servent ailleurs de signifiants à d’autres morphèmes. Ils ne sont là que pour noter les mots tăntè « inquiet », pútao « raisin », dádá « Tartare », et rien d’autre que ces mots. Chacun est réservé à un usage exclusif. Dans un dictionnaire comme le DCM, où ces caractères possèdent leur propre entrée, on ne trouvera que l’indication de leur prononciation et un renvoi à leur binôme, aucune information sur leur sens. Car, séparé de l’autre, chacun de ces caractères est vide de sens. La seconde moitié du xixe siècle et le début du xxe siècle voient encore naître des caractères de ce genre, mais dans une bien moindre mesure : le procédé ne sert plus qu’à transposer phonologiquement des polysyllabes étrangers. C’est le cas de 咖啡 kāfēi « café », une création complète des deux caractères, ou celui de 啤酒 píjiŭ « bière », mot « hybride » (bière + alcool), où seul le caractère 啤 a été de nouvelle création. En position isolée, 咖, 啡 et 啤 sont donc des caractères non signifiants. Parmi les caractères vides de sens, il faut aussi compter une partie de ceux qui servent à écrire les noms de famille. Si 王 Wang ou 李 Li utilisent les caractères qui signifient aussi « roi » ou « prunier », il est inutile de demander à Monsieur 刘 Liu ou à Madame 赵 Zhao le sens de leur patronyme : ils s’écrivent avec des caractères exclusivement réservés à cet usage. En tant que noms propres, ils peuvent avoir un « référent » – telle ou telle personne ainsi nommée –, mais ils n’ont pas de signification par eux-mêmes.
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Les toponymes, également, sont de deux types. Certains utilisent des caractères communs, comme 北京 Beijing, qui signifie « Capitale du Nord », 湖南 Hunan « Au sud du lac » ou 黄河 Huanghe « Fleuve jaune », mais beaucoup d’autres, transmis depuis la Chine ancienne, utilisent des caractères spécifiquement créés. Certains noms abrégés de province, par exemple, tels que 赣 Gan, 粤 Yue, 蜀 Shu ou 滇 Dian s’écrivent avec des caractères hérités des toponymes anciens et ne servent qu’à désigner les provinces actuelles, en l’occurrence, le Jiangxi, le Guangdong, le Sichuan et le Yunnan. Enfin, un caractère peut perdre son sens pour diverses raisons – emprunt, mégarde ou confusion – dont la filiation n’est pas toujours aisée à établir. Par exemple, 裳 cháng, qui désignait, en chinois ancien, la longue jupe portée par un homme ou une femme, a perdu avec le temps sa signification, et ne sert plus aujourd’hui qu’à écrire la syllabe légère shang dans 衣裳 yīshang « vêtement ». Citons un autre exemple, celui du caractère 戛, qui a connu un sort inattendu suite à la transcription du nom de… Cannes. En effet, très tôt, bien avant la normalisation moderne, on avait transcrit phonétiquement ce nom propre par 戛纳 gānà. Or, 戛 est un caractère existant1, dont l’unique prononciation connue et normalisée est jiá. De nos jours, la ville française étant devenue très connue du public chinois, nombreux sont les locuteurs qui, logiquement, l’appellent jiánà et ne comprennent pas pourquoi d’aucuns s’obstinent à prononcer gānà. La réponse est assez simple : si nous ne savons plus qui était le premier traducteur du mot, nous avons tout lieu de penser que c’était un locuteur du hakka pour qui ce caractère se prononçait bel et bien /kat/. Pour mettre fin à cet imbroglio, le DMC a inclut, dans sa 6e édition, une entrée 戛 gā, exclusivement réservée au nom de Cannes. Ainsi, le même caractère, selon qu’il se prononce jiá ou gā, est signi‐ fiant ou vide de sens. Dans tous ces cas de figure, le caractère en question possède un signifiant qui n’est autre que son « image sonore » ou sa prononciation, mais pas de signifié. Autrement dit, il correspond à une syllabe, pas à un morphème.
1. Hormis ses sens désuets, il forme notamment le mot 戛然 jiárán « s’arrêter d’un coup ».
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4. SOUS LA MÊME APPARENCE SE CACHENT DES RÉALITÉS DIFFÉRENTES Paradoxalement, bien qu’il existe un énorme surplus de caractères, il arrive souvent qu’un même caractère serve à noter plusieurs morphèmes différents. Ce phénomène, appelé « homographie », est souvent accompagnée d’une homophonie. Les homographes homophones sont des morphèmes différents, qui s’écrivent et se prononcent de façon identique, comme car1 « autobus » et car2 « parce que », avocat1 le fruit et avocat2 l’homme de loi. Ils sont à distinguer des mots polysémiques, sensiblement plus nombreux, comme le mot souris qui peut renvoyer à l’animal ou à l’accessoire informatique qui fait référence à ce petit rongeur. Néanmoins, la frontière entre les deux types de mots n’est pas toujours clairement tracée et, surtout, l’un n’exclut pas l’autre : il arrive que chacun des homographes, comme sens1 « sensation » et sens2 « direction », soit également polysémique. A priori, seuls les homographes bénéficient d’une entrée séparée dans les dictionnaires. C’est au fond une question de traitement lexicographique. Dans le DCM, le même caractère 生 est ainsi présenté sous quatre entrées sépa‐ rées (18) : (18) a. 生 1 shēng (verbe) « naître, vivre » ; b. 生 2 shēng (adjectif) « cru, inconnu » ; c. 生 3 shēng « élève, rôle masculin (de l’opéra) » ; d. 生 4 shēng (adverbe) « durement ». Souvent, trompé par l’apparence graphique, on est tenté d’échafauder des explica‐ tions tirées par les cheveux pour trouver une origine commune ou un lien sémantique quelconque aux mots du groupe. Or, l’étude synchronique raisonne autrement. Sans parler de leurs sens éloignés, le critère grammatical ne permet aucun rapprochement : trois des quatre shēng (a, b et d) sont des monosyllabes parfaitement libres appartenant à des catégories différentes, alors que (c) est un non-mot et ne peut assumer qu’un rôle de « formant » à l’intérieur d’un mot. Sur le plan phonétique, du moment que les homographes sont des hétérophones qui se prononcent différemment, on peut être certain qu’ils n’ont plus rien de commun entre eux. Ce phénomène existe aussi en français, mais les exemples sont si rares qu’ils donnent surtout prétextes à des facéties verbales, comme il convient qu’ils convient leurs amis ou les poules du couvent couvent.
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En chinois, en revanche, parfois appelés « caractères à multiple prononciation1 », ils sont loin d’être aussi affectés et marginaux : dans le DCM, environ 1 500 entrées pos‐ sèdent un ou plusieurs homographes, homophones ou hétérophones2. Selon une autre statistique, sur les 3 000 caractères les plus fréquents, 320 correspondent à deux mor‐ phèmes au moins3. En voici deux exemples (19-20) : (19) a. 长 1 cháng (adjectif) « long » ; b. 长 2 zhăng (verbe) « croître, grandir » ; c. 长 3 zhăng « chef » ; (20) a. 着 1 zhāo (nom) « jeu, astuce » ; b. 着 2 zháo (verbe) « toucher, subir » ; c. 着 3 zhe (suffixe aspectuel) ; d. 着 4 zhuó « atteindre, appliquer, s’habiller ». L’évolution et l’usure de la langue ne sont pas les seuls responsables de l’existence des homographes. La simplification officielle des années 1950-60 en a ajouté un nouveau lot : tel caractère notant le morphème X a été remplacé par celui de l’homophone Y, choisi pour sa graphie relativement plus simple. Dès lors, X et Y, deux morphèmes sans lien aucun, partagent le même caractère (cf. chap. 6.5).
5. CEUX QUI NE SONT DIFFÉRENTS QU’EN APPARENCE Ce sont les fameuses « variantes graphiques », question longuement discutée dans notre examen historique.
1. 多音字 duōyīnzì. Ce terme n’est pas heureux. Les véritables caractères à deux prononciations sont ceux que l’on appelle 文白异读 wénbái yìdú : le même caractère se prononce différemment selon les registres différents. Par exemple, on dit, en pékinois, 削皮 xiāopí « éplucher », mais 剥削 bōxuē « exploiter (des humains) », 掉色 diàoshăi « déteindre », mais 颜色 yánsè « couleur », où 削 et 色 possède exactement le même sens. La première prononciation de chaque paire relève du registre familier et régional. 2. Su Xinchun, Liao Xinling. Xiandai hanzi de fanwei jiqi shuxing biaozhu. [Nomenclature des caractères du chinois moderne et la définition de leur registre]. In Hanzi wenhua, 2, 2001. 3. Luo Can. Sanqian zi yu yusu, ci de guanxi jiqi yufa, yuyi lei. [Les 3 000 caractères dans leurs rapports avec morphèmes et mots, ainsi que leur typoligue grammaticale et sémantique]. Mémoire de master, université de Jinan, 2013, p. 10.
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Rappelons qu’il s’agit de la mise à l’écrit d’un seul et même morphème sous dif‐ férentes formes graphiques. En général, une de ces graphies est considérée comme standard et les autres comme ses variantes. Toutes, elles sont interchangeables, quel que soit le contexte, sans que leur substitution entraîne de changement phonétique, sémantique et grammatical, à l’instar des mots français clé ou clef. Nous avons vu comment les variantes graphiques ont pu proliférer et se diffuser sans que nul ne s’en inquiète, jusqu’à ce que les autorités fassent de l’orthographe une véritable institution. Certes, le système actuellement en vigueur en RPC a exclu du circuit un très grand nombre de variantes qui finiront par tomber dans l’oubli, mais son nouveau lot de graphies simplifiées n’a fait que grossir le nombre total des caractères usités. Car, la force de l’usage est tel que jamais le phénomène ne disparaîtra : reléguées au rang de variantes, les graphies non simplifiées constituent toujours une norme non seulement dans les communautés établies hors du continent, mais aussi en Chine, notamment dans les rééditions des ouvrages anciens et les dictionnaires ainsi que dans les pratiques manuscrites telle que la calligraphie. Pour ces raisons, les dictionnaires sont contraints à inclure les variantes non conformes mais qui survivent encore. C’est ainsi que le DCM présente trois graphies différentes de lĭ dans ses sens de « doublure ; dans, intérieur » (21) : (21) a. 里 graphie simplifiée standard ; b. 裏 graphie non simplifiée standard ; c. *裡 variante vulgaire. Lorsqu’il s’agit d’un même mot qui s’écrit avec des caractères différents, comme (22), le dictionnaire indique (a) comme standard ou « recommandé », tandis que (b) et (c) font simplement l’objet d’un renvoi à la forme (a) : (22) a. 原原本本 yuányuánběnběn « relater (un événement) de A à Z ». b. 源源本本 voir a. c. 元元本本 voir a. Par ailleurs, les outils numériques actuels offrent tant de facilités aux scripteurs qu’il leur suffit d’un clic pour passer d’un système à l’autre. On rencontrera donc fréquemment deux ou trois graphies pour le même morphème, toutes usitées et ce, certainement encore pour longtemps.
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En conclusion, qu’il s’agisse de notations purement phonologiques, d’homographes ou de variantes graphiques, le fait que l’on dispose de différents modes pour écrire les mêmes mots, met en évidence un phénomène important, à savoir qu’il peut exister un écart entre le caractère et le morphème qu’il note. À part son intérêt linguistique dans la description du système, cette description peut recevoir une application pédagogique. Il est vrai que, dans l’apprentissage, on pourra se passer sans complexe de cette notion purement linguistique qu’est le morphème, mais, on aura tout intérêt à savoir que, lorsqu’on s’interroge sur le sens d’un mot ou d’une expression en référence aux caractères qui les composent, on n’a pas affaire à des formules mathématiques. Dans l’écriture, A ne représente pas forcément la valeur de A et A + B n’égale pas toujours AB. Un caractère peut être trompeur, étant susceptible d’écrire seulement un son ou, décidément, un autre signe sans lien aucun.
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9 UN SYSTÈME HÉTÉROGÈNE ET MIXTE
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ontrairement au japonais, dont les kanji, les hiragana et les katakana se laissent aisément distinguer les uns des autres grâce à leurs caractéristiques graphiques propres, les caractères chinois, paraissant formés sur un modèle unique, donne‐ raient facilement à penser qu’ils fonctionnent tous de la même façon. Impression fausse car, du point de vue linguistique, l’écriture chinoise moderne est aussi un système mixte ou un « plurisystème1 », dans la mesure où les signes qui le composent sont de nature diverse, et entretiennent des rapports différents avec les morphèmes. Autrement dit, ils notent ces derniers de différentes façons et avec une pertinence très variable. Sachant que le chinois ancien est globalement constitué de trois types de caractères, « sémantogrammes », « emprunts » et « phonogrammes », il est temps de savoir ce qu’ils sont devenus aujourd’hui : si les anciens sémantogrammes étaient censés évoquer directement le sens, qu’en est-il de leurs graphies actuelles ? Si les phonogrammes occupaient une place majoritaire, dans quelle mesure restent-ils encore efficients en chinois moderne ? Et enfin, que sont devenus les caractères qui ont subi des altérations dans le passé et aux temps modernes ? Il s’agit donc d’établir une nouvelle typologie des différentes composantes du système dans leurs états présents. Cela reviendra à faire l’inventaire d’un héritage reçu tel quel.
1. Nina Catach. Que faut-il entendre par système graphique du français ? In Langue française, 20, 1973, p. 44.
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1. POUR MIEUX COMPRENDRE CES PLURISYSTÈMES Un examen typologique de ce genre n’aurait aucun sens si on l’effectuait sur une écriture phonétiquement transparente ou presque, telle que l’italien, le turc, le coréen ou le syllabaire japonais : leurs signes graphiques ayant une équation quasiment terme à terme avec la prononciation, ces écritures remplissent leur mission sans artifice ni sophistication. Rien de tel quand on examine les écritures plus ou moins opaques comme les kanjis japonais, le chinois ou l’anglais. De même pour le français : comment peut-on imaginer que ses nombreux homophones, tant morphologiques que lexicaux, prendront tous la même forme écrite, [so] ou [il] par exemple ? Certes, une telle écriture simplifierait la tâche du scripteur, mais elle rendrait impossible la vie du lecteur. Aussi, sur cette base phonographique, l’écriture est-elle contrainte d’apporter ses « fioritures » : sot, seau, seaux, saut pour distinguer les [so] et il, ils, île, îles1 pour les [il]. Ce principe « différen‐ tiel » éloigne nécessairement l’écriture de la parole qui, pourtant, constitue sa base. L’orthographe actuelle du français, assez complexe car regorgeant d’irrationalités et d’illogisme, est une « écriture de compromis », faisant un équilibre plus ou moins heu‐ reux entre ces deux principes : écrire le son en même temps que le sens. Si elle pose problème, c’est qu’un tel système est difficile à apprendre et à maîtriser. C’est donc dans une visée pédagogique de formation des maîtres que les linguistes ont procédé, pendant les années 1970-1980, à la description complète des orthographes de l’anglais et du français2. Les résultats de ces recherches ont permis de mieux com‐ prendre comment fonctionnent ces « plurisystèmes », où se situent leurs irrégularités et, enfin, quels sont les problèmes spécifiques que pose leur acquisition. Des travaux similaires ont été faits pour le chinois, mais différemment, puisqu’il s’agissait, en premier lieu, de faire le tri des innombrables caractères pour ne retenir que ceux qui sont réellement employés de nos jours. Une base « normalisée » a été éta‐ blie en 1988, grâce à la publication d’une liste de 7 000 caractères modernes standard
1. L’accent circonflexe de ces deux derniers mots a été supprimé dans l’orthographe rectifiée de 1990. 2. Citons notamment les études de G. Sampson en 1985 pour l’anglais et celles de l’équipe HESO du CNRS pour le français. Cf. Nina Catach. Pour une théorie de la langue écrite, 1988, Presse du CNRS.
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en vigueur aujourd’hui et, de cette liste, on a extrait les 3 500 caractères d’usage cou‐ rant, dont 2 500 sont considérés comme très usuels1. Dans l’enseignement du chinois langue étrangère en Chine, le concept didactique des « niveaux-seuils » a vu le jour vers le milieu des années 1980. Des études menées sous l’égide du Hanban2 et qui s’appuient sur la fréquence d’emploi des caractères ont abouti, en 1992, à la publication du « Programme par niveau des connaissances du vocabulaire et des caractères chinois3 ». Ce document présente 2 905 caractères et 8 822 mots, répar‐ tis en quatre niveaux. Ses principes étaient simples : enseigner, en premier lieu, les caractères les plus fréquents et les plus utiles, puis progresser par étape jusqu’à ceux qui le sont un peu moins. Servant de référence à la conception des matériaux pédago‐ giques et des tests de niveau – couramment connus sous le nom de HSK4 –, ce programme a été sans cesse révisé et réédité de façon à suivre l’évolution très rapide du lexique contemporain. Une version révisée et augmentée de ce document a été publiée en 20105, qui porte désormais la mention de la « norme nationale ». Les quatre « niveauxseuils » y sont définis pour 1 100 syllabes, 3 000 caractères et 11 092 unités lexicales. C’est cette dernière liste qui nous servira de corpus pour analyser les types de caractères et établir les familles des phonogrammes6. Une fois ce « strict minimum » clairement établi, se pose la question de son ensei‐ gnement. Comment faciliter l’apprentissage de cette écriture réputée difficile ? Indépen‐ damment du nombre relativement élevé de caractères qu’il faudra acquérir un à un et de leur structure graphique relativement complexe, où se situent ses « points faibles » ? Existe-il des régularités qu’il sera bon de mettre en valeur et d’exploiter pour le plus grand profit des apprenants ?
1. Il s’agit respectivement de Xiandai hanyu tongyongzi biao [Caractères en usage du chinois moderne], de Xiandai hanyu changyongzi biao [Caractères d’usage courant du chinois moderne], élaborés par la Division de l’écriture chinoise de la Commission d’État sur la langue et l’écriture de la RPC. 2. L’abréviation courante du Guojia duiwai hanyu jiaoxue lingdao xiaozu bangongshi « Bureau national pour l'enseignement du chinois langue étrangère », organisme dépendant du ministère chinois de l’Éducation. 3. Liu Yinglin (éd.) Hanyu shuiping cihui yu hanzi dengji dagang. Beijing : Beijing yuyan xueyuan chubanshe, 363 p. 4. Hànyǔ shuǐpíng kǎoshì 汉语水平考试 5. Hanyu guoji jiaoyu yong yinjie hanzi cihui dengji huafen [Graded Chinese Syllables, Characters and Words for the Application of Teaching Chinese to the Speakers of Other Languages] (2010). Éd. Le Hanban et le ministère de l’Éducation de la RPC. Beijing yuyan daxue chubanshe : Beijing, 358 p. 6. Précisons que si le nombre des caractères de ces différentes listes se situe toujours entre 2 500 et 3 500, c’est que leurs contenus se recoupent majoritairement et que les écarts représentent uniquement des caractères moins fréquents.
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Pour répondre à ces questions, il faut, au préalable, bien connaître la « motivation » des caractères modernes. Par ce terme nous entendons le lien logique que l’on pourra établir ou percevoir entre le morphème et sa forme graphique. La connaissance de ce lien aidera grandement un apprenant adulte dans son approche intellectuelle. Plus prosaïquement, elle répondra à la toute première question qu’il (se) pose devant un caractère inconnu, à savoir « pourquoi écrit-on tel caractère de telle manière » ?
2. « POURQUOI L’ÉCRIT-ON COMME ÇA » ? Pour expliquer la logique d’un caractère, on juge souvent nécessaire de retracer son évolution historique. Faisons donc un essai en prenant l’exemple de 里 lĭ cité plus haut. Sous cette seule graphie, le DCM donne quatre entrées distinctes – toutes homo‐ graphes donc –, dont trois lĭ homophones et un li atone. Les trois premiers sont ainsi présentés : 里 1 lĭ (nom) « doublure » ; (loc.) « dans, intérieur », 里 2 lĭ (non-mot) « rue, quartier ; pays natal » et 里 3 lĭ (mesure de longueur). Et le dernier, 里 li (suf. loc.) « intérieur ». Comment expliquer cette graphie d’une part et, d’autre part, des sens et des emplois si divers ? Autrement dit, pourquoi utilise-t-on cette forme unique pour écrire tant de mots ou de non-mots ? La réponse peut paraître décevante. Car, s’il y a logique, elle ne concerne que 里 2 et que dans son sens ancien de « demeure, habitat ». En effet, c’était, à l’origine, un sémantogramme « motivé », com‐ posé de deux graphèmes superposés, 田 tián « champ » et 土 tǔ « terre ». Selon l’étymolo‐ gie traditionnelle, les « habitats » se trouvent là où il y a de la « terre » et des « champs ». Néanmoins, cette logique s’est perdue et ce, très vite, dès que le caractère a pris le sens de « rue, quartier ». À cela s’est ajoutée une modification de sa graphie, ses deux graphèmes d’origine s’étant agrégés pour ne plus former qu’un élément unique et indivisible, ce qui l’a définitivement éloignée de sa motivation originelle. En ce qui concerne ses homographes, 里 1 et 里 li, sensiblement plus usuels de nos jours, toute explication étymologique sera vaine : la dernière opération simplificatrice s’est tout bonnement servie de cette graphie unique pour la substituer à 裡 lĭ et à 裏 li, deux phonogrammes pourtant parfaitement explicables. La substitution a été à double tranchant : l’acte scriptural est certes devenu plus simple, mais la motivation a disparu et un lot de nouveaux homonymes a été ajouté. Certes, c’est regrettable, mais il faut
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reconnaître que la démotivation de 里 2 et 里 3 avait débuté bien avant et que ces aléas, faisant partie des usures de l’écriture, sont à accepter tels quels. Voilà, grosso modo, la filiation de notre 里. Un tel historique répond-il à la question que pose un apprenant ou apporte-il un quelconque bénéfice dans son apprentissage ? Aucunement. Pour lui comme pour nous tous, la graphie actuelle de 里 est devenue « immotivée » et inexplicable, n’ayant de lien ni phonétique ni sémantique avec les morphèmes qu’elle note. Entre l’étymologie que l’on cherche à tracer et la motivation que l’on entrevoit, il existe une différence de fond. Pour que l’analyse de la motivation effectuée sur l’écriture moderne soit réellement utile, elle doit se baser sur le principe synchronique, et l’étymologie ne pourra être prise en compte que si elle reste encore valable dans la graphie actuelle. Car, un système d’écriture est un fabuleux artefact et, contrairement à la parole, toute graphie avait, a priori, une motivation initiale : un scribe invente un « sémanto‐ gramme » lorsqu’il pense à représenter ou à symboliser le sens du mot ; il ne cherche à noter que le son lorsqu’il « emprunte » la graphie d’un homophone ; il crée un « phono‐ gramme » lorsqu’il tient à accompagner le son d’un indicateur sémantique. Dans tous les cas, il y a une « logique » dans sa conception. Si on écarte les causes accidentelles, rares sont les caractères inventés au hasard. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Xu Shen prétend être en mesure de donner une explication à chacun des caractères de son Shuowen jiezi, véritable dictionnaire étymologique. Qui dit étymologie dit étude de l’ori‐ gine des mots. Cherchant à se rapprocher le plus possible de la « base » des graphies1, l’auteur se plaçait donc du côté des inventeurs. Or, la recherche étymologique parfaitement fondée relève d’un idéal et ce, même à l’époque de Xu Shen. Tant que l’écriture est en usage, la démotivation est un processus inéluctable et normal, car le système phonologique évolue, le sens des mots s’enrichit, change ou se perd, le graphisme se transforme et les graphies s’usent au quotidien. Même s’il arrive qu’un scripteur cherche à « remotiver » une graphie, ces tentatives de bonne volonté restent sporadiques et insignifiantes face à la force des usages collectifs. Dans un système remontant à la plus haute Antiquité, le rendement phonographique et/ou sémiographique des anciennes graphies ne pouvait aller qu’en s’affaiblissant. On peut comparer ce système d’écriture à une machine au fonctionnement perpétuel et qui ne se serait jamais arrêtée : d’un côté, à l’entrée, les anciens inventeurs l’ont
1. N’oublions pas que les plus anciennes graphies connues de Xu Shen se limitent à quelques guwen et zhouwen des Zhou.
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III. Apprendre
chargée de graphies fraîchement créées, puis la machine, c’est-à-dire, la pratique des scripteurs de toutes les époques, a brassé, façonné, fignolé, composé, surchargé ou, au contraire, dégrossi… Après de multiples traitements en tout temps et en tout genre, beaucoup de ces graphies ont été abîmées. Résultat : de l’autre côté, à la sortie, nous autres les lecteurs-scripteurs d’aujourd’hui, nous les retrouvons souvent méconnaissables ! Nous n’en comprenons plus le pourquoi ni le comment. Ces graphies altérées ont donc été « démotivées » et sont devenues « immotivées ». De sorte que le professeur pourrait, sans rougir, répondre à l’élève : « On l’écrit comme ça et il n’y a pas à demander pourquoi » !
3. À L’ENTRÉE OU À LA SORTIE ? IL FAUT CHOISIR… Si les connaissances étymologiques sont indispensables aux études sur la Chine ancienne, tant philosophique, littéraire, archéologique et historique que linguistique, elles le sont beaucoup moins, voire pas du tout, à la compréhension de l’état actuel du système d’écriture. Pour l’immense majorité des usagers, l’étymologie d’un caractère, une fois perdue, ne présente plus aucune utilité ni aucun intérêt dans leur production écrite. N’est-il pas absurde et inutile d’apprendre à un francophone, dans l’espoir de faciliter sa maîtrise orthographique, que les graphèmes eu, oi et œ se prononçaient effectivement, au xie siècle, comme des diphtongues ? De même, à quoi sert à l’apprenant de savoir que 里 était composé de « terre » et de « champ » et signifiait « demeure, habitat », ou que 我 wŏ « je, moi » était un emprunt phonétique, dont la graphie archaïque représentait une sorte de hallebarde ? Mais, ce point de vue, sans doute trop réaliste aux yeux de certains, est loin d’être communément partagé. Force est de constater que, dans l’enseignement de l’écriture chinoise aux débutants, l’évocation étymologique des graphies anciennes – qui se limitent d’ailleurs exclusivement à une poignée de sémantogrammes triés sur le volet – constitue souvent une étape incontournable. Les enseignants se délectent de ces explications « savantes » et les étudiants s’en émerveillent tout autant. La démarche est souvent jugée bénéfique en ce qu’elle attise le désir et l’intérêt des apprenants au début d’un apprentissage réputé insolite, long et difficile. Soit, pourquoi pas ? À condition d’avoir la lucidité de reconnaître que, s’il y a bénéfices, ils ne sauraient être que psychologiques et non pédagogiques. Dans le discours commun également, une présentation de ce genre (figure 45) semble incontournable, chaque fois qu’il est question de l’écriture chinoise. Même dans les
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travaux académiques – les thèses universitaires par exemple –, il suffit que le sujet touche de loin ou de près à la langue chinoise pour que l’aspect « pictogra‐ phique » de son écriture ancienne et les liùshū de Xu Shen soient immanquablement évoqués. Tout se passe comme si l’écriture Figure 45. Quelques pictogrammes couramment montrés moderne découlait directement au début de l’apprentissage. de son état archaïque et que ceci seul permettait d’expliquer cela. La synchronie et la diachronie sont allègrement confondues. Or, dès les années 1920, Shen Jianshi écrivait : « Les savants chinois avaient depuis toujours tendance à suivre aveuglement les Anciens ou à s’enfermer dans une seule théorie consacrée… Aujourd’hui, nous pensons à bon droit non seulement que l’ouvrage de Xu est susceptible d’être mis en doute, mais que l’on peut même écarter, pour le moment, les liùshū (on n’a là que des principes hypothétiques quant à la création de caractères, mis au point par la postérité et qui ne sauraient être considérés comme les modèles préexistants selon lesquels l’écriture a été créée)1 ». La position de certains linguistes modernes est aussi sans équivoque sur la question. Ils utilisent expressément le terme 造字法 zàozìfă « façons de créer les caractères » quand ils parlent de l’étymologie, et celui de 构字法 gòuzìfă « façons dont sont formés les carac‐ tères » s’il s’agit d’analyser la structure interne des graphies actuelles, car, « quel que soit le principe qui a présidé la création d’un caractère et quel que soit les changements que celui-ci a subis au fil des ans, l’examen de sa graphie actuelle en lien avec sa pro‐ nonciation et son sens relève du domaine synchronique de gòuzìfă2 ». Il est temps de changer d’attitude. Plaçons-nous à la sortie de la machine et regardons la réalité en face, même si elle peut paraître moins séduisante.
1. Shen Jianshi. Wenzi xingyixue [Études sur la graphie et le sens des caractères]. Il s’agit d’un cours que l’auteur professait à l’université de Pékin au début des années 1920, op. cit. p. 383. Nous traduisons. 2. Su Peicheng. Xiandai hanzi de gouzifa [Structure des caractères modernes]. In Yuyan wenzi yingyong, 3, 1994, p. 71-75.
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III. Apprendre
4. CORPUS, CRITÈRES ET MÉTHODE Pour obtenir une vision globale de l’écriture standard moderne, il ne serait évi‐ demment pas réaliste d’analyser la totalité des caractères existants, pas plus qu’il ne serait judicieux de sélectionner de manière subjective des caractères plus ou moins représentatifs. Seul un corpus à la fois restreint et objectif, composé de caractères réellement employés au quotidien, permet d’obtenir des résultats solidement fondés. Pour ce faire, nous avons choisi le Graded Chinese Syllables, Characters and Words for the Application of Teaching Chinese to the Speakers of Other Languages (désormais Graded Chinese)1, document officiel spécifiquement destiné à l’enseignement du chinois comme langue seconde. Il contient une liste 3 000 caractères standard d’usage courant, répartis en quatre niveaux dont les deux premiers regroupent 1 800 caractères parmi les plus usuels. Selon les auteurs, le choix des caractères et leur classement par niveaux ont été fondés sur leur fréquence d’emploi, à partir non seulement des dictionnaires usuels, mais surtout d’une masse gigantesque de données dites « dynamiques », recueillies dans les discours contemporains, tout media confondus2. Or, malgré cette objectivité affichée, les données sur lesquelles s’est fondé ce corpus ne sont pas parfaitement neutres. Principalement journalistiques, elles sont de fidèles reflets des discours officiels propres à la RPC. En conséquence, les mots « fréquents » qui en sont extraits ainsi que les caractères qui les notent ne sont pas exempts de colorations politiques, quand elles ne ressortissent pas tout simplement à la langue de bois. Force est de constater que, mis à part ses caractères usuels et très usuels qui figurent également dans la liste des 3 500 établie en 19883, le Graded Chinese en inclut aussi une dizaine d’autres qui n’en font pas partie. Parmi ces « hors liste » (ici soulignés), figurent des mots plus récents, certes, comme 时髦 shímáo « à la mode » ou 温馨 wēnxīn « amical, réconfortant », et surtout ceux qui sont très médiatisés, mais jamais employés dans la vie de tous les jours, tels que 对弈 duìyì « rivaliser (comme aux jeux d’échec) », 崛起 juéqĭ « s’élever très haut (dans le monde) », 瞩目 zhŭmù « attirer l’attention (du monde entier) » ou 威慑 wēishè « dissuader (militairement) ». Par ailleurs, les classements n’échappent pas non plus aux contraintes de ces a priori politiques : des mots aussi
1. Cf. chap. 9.1. 2. À savoir, radios, télévisions, presses écrites et numériques, manuels scolaires, etc. Préface, p. II. 3. Cf. chap. 9.1.
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courants que 猫 māo « chat » et 狗 gŏu « chien » n’apparaissent qu’au niveau II, dans le même lot que 党 dăng « parti politique » ! Toutefois, faute de mieux, c’est la seule liste répondant à nos critères, puisqu’elle regroupe, selon les auteurs, 99,75 % des caractères que l’on peut rencontrer dans les discours contemporains1. Ainsi, son indéniable intérêt pédagogique l’emporte sur les « défauts » qu’elle présente, d’autant que ceux-ci peuvent aussi être vus, par d’autres, comme des jugements subjectifs et personnels. Ce sont donc ces 3 000 caractères que nous avons analysés un à un et classés en différents types selon leur façon de noter les morphèmes et leur degré de motivation. Néanmoins, nous avons dû prendre en compte un fait important que les auteurs de la liste peuvent, eux, se permettre d’ignorer, à savoir qu’un caractère ne correspond pas toujours à un morphème et inversement. En effet, lorsqu’un caractère sert à écrire plus d’un morphème, sa motivation peut varier en fonction du sens des morphèmes. Par exemple, le seul caractère 都, prononcé dōu ou dū, correspond à deux morphèmes sans lien aucun entre eux : « tous » ou « ville, capitale ». Vu la différence de leur prononciation et de leur sens, on ne peut pas les analyser de la même façon : le premier, dōu « tous », est immotivé, puisque, dans cette graphie, aucune logique, ni phonétique ni sémantique, ne permet d’expliquer pourquoi on l’écrit ainsi. En revanche, lorsque ce même caractère se prononce dū pour signifier « ville, capitale », on est devant un phonogramme presque parfait : il est, en effet, explicable à la fois par son sémantique « ville » et par son phonétique de la série « du » (cf. chap. 9.9). Pour nous, ce caractère doit être répertorié et analysé deux fois. De même pour 没, classé une première fois comme immotivé dans sa prononciation méi « ne pas avoir », puis une deuxième fois comme semi-motivé, lorsqu’il s’agit du morphème mò « submerger », en raison de la pertinence de son sémantique « eau ». En même temps, afin d’éviter des analyses trop alambiquées et un nombre de carac‐ tères trop éloigné de la liste de départ, nous avons choisi de limiter ces « traitements dif‐ férenciés ». Ainsi, lorsqu’un caractère s’avère avant tout comme un bon phonogramme, la défaillance de son sémantique ne sera pas prise en compte. Par exemple, nous ne distinguerons pas les deux morphèmes, 种 zhǒng « sorte, espèce » et 种 zhòng « planter, cultiver », bien que le premier ne possède pas de pertinence sémantique. Il en est de même pour les caractères entièrement immotivés : ils ne seront comptés qu’une seule fois, quels que soient leur prononciation, leur sens et leur fréquence. C’est, entre autres,
1. Op. cit. p. XI.
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le cas de 兴 xìng « enthousiasme » et 兴 xīng « prospérer », qui se distinguent par leurs tons, ou même celui de 给 gĕi « donner » et 给 jĭ « fournir », qui ont des prononciations différentes. En prenant ces précautions d’équilibriste, nous obtenons un corpus de 3 040 caractères-morphèmes, qui ne présente, par rapport à la liste originelle, qu’un surplus léger mais raisonnable de 40 caractères. Enfin, faut-il rappeler que, dans ce genre d’examen, les cas de distorsion, ceux notamment des binômes et des polynômes, qui se combinent « provisoirement » pour former un autre mot, ne sont pas pris en compte. Ainsi, 雨 yŭ et 果 guǒ seront uniquement considérés dans leur sens propre de « pluie » et de « fruit », même si la séquence des deux sert aussi à écrire le nom de Hugo. Il va sans dire que seront également exclues les variantes non reconnues par l’orthographe en vigueur : parmi les trois lĭ (21), seule la graphie standard 里 figure dans notre corpus.
5. CE QUE PEUT RÉVÉLER LA GRAPHIE D’UN CARACTÈRE Le caractère étant défini comme un signe ternaire possédant une graphie, une prononciation et une signification, sa pertinence se traduit par un lien éventuel entre sa graphie, extrinsèque et observable, et ce que celle-ci comporte d’intrinsèque, à savoir, le son ou le sens et, au mieux, les deux à la fois. De même que l’on doit, dans le cadre d’une écriture alphabétique, analyser la motivation du mot graphique en termes de lettres ou de groupes de lettres, il faut décomposer un caractère chinois en éléments constituants plus petits, susceptibles de révéler ces liens phonétiques ou sémantiques. Mais, tous les caractères ne se prêtent pas à une telle décomposition. Il en est qui, étant formés d’un « composant unique » dútĭzì 独体字, sont irréductibles et indivisibles. Notre corpus en compte 198. Citons, par exemple, 一 yī « un », 二 èr « deux » et sān 三 « trois » qui, tous, ne font qu’un en dépit de leurs traits isolés, mais il faut aussi compter avec des caractères d’apparence plus compliquée, tels que 水 shuĭ « eau » ou 雨 yŭ « pluie », eux aussi indécomposables. C’est la raison pour laquelle on les appelle aussi « graphies globales ». Si motivation il y a, elle consiste à faire voir directement, par une « image », le sens du mot, à la manière des trois nombres ci-dessus. Inutile de dire que ces cas sont très rares. Nous y reviendrons plus loin.
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À une écrasante majorité, les caractères chinois sont de structure complexe, formés de deux ou de plusieurs éléments. Ce sont des hétĭzì 合体字. Voyons 湖 hú « lac », que l’on peut analyser comme suit (tableau 24) : Tableau 24. Décomposition du caractère 湖 en graphèmes.
湖
氵
hú « lac »
« eau » (sémantique)
胡
hú « Barbare du Nord » (phonétique)
Cette décomposition permet de montrer qu’on a là un phonogramme parfaitement motivé : à gauche, le sémantique 氵 « eau » donne un indice catégoriel sur le sens de « lac », et sa partie droite 胡 hú assume la fonction de phonétique en indiquant exactement la prononciation du mot. Bien que ce phonétique soit lui-même un caractère entier, son sens de « barbare du Nord » est ici totalement annihilé, seule sa valeur phonétique est activée. Outre les phonogrammes, les syssémantogrammes, quoique peu nombreux, sont aussi des caractères motivés. Selon le principe de formation des caractères sémantiques, chacun de leurs éléments constituants doit jouer un rôle sémantique et suggère conjoin‐ tement le sens du caractère. C’est le cas de 库 kù « hangar » (tableau 25), formé de 广 « abri » et de 车 « véhicule ». Cette fois, c’est la valeur phonétique de 车 qui est annihilée : Tableau 25. Décomposition du caractère 库 en graphèmes.
库
广
kù « hangar »
« abri » (sémantique 1)
车
chē « véhicule » (sémantique 2)
Lorsqu’aucun de ses éléments n’est explicable de la sorte, le caractère est immotivé. Dans 听 tīng « écouter » (tableau 26), il n’y a ni phonétique ni sémantique. Même si ses deux éléments, 口 et 斤, peuvent se rendre fonctionnels et utiles dans d’autres caractères, ils n’apportent ici ni leur valeur phonétique ni leur sens. Ils n’assument qu’une simple
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fonction distinctive sur le plan graphique en permettant de distinguer 听 de quelques caractères qui lui ressemblent, tels que 昕 ou 吹. Tableau 26. Décomposition du caractère 听 en graphèmes.
听
口
tīng « écouter »
kŏu « bouche » (marque 1)
斤
jīn « la livre » (marque 2)
La démotivation peut n’être que partielle. Dans 雷 léi « tonnerre », l’élément 雨» pluie » reste valable contrairement à sa partie inférieure 田 « champ ». Dans 球 qiú « ballon », par contre, le seul phonétique 求 qiú est efficient, alors que son sémantique « jade » ne l’est pas. En bref, le degré de motivation d’un caractère dépend de la pertinence de ses compo‐ sants en tant que marqueurs phonétique et/ou sémantique, appelés donc « graphèmes », conformément à la terminologie en linguistique générale. Car, il arrive souvent que les caractères complexes puissent se décomposer en éléments encore plus petits. Aux « graphèmes », composants « de surface » obtenus dès la première décomposition, s’opposent les « composants » bùjiàn 部件, terme qui désigne les plus petites unités structurelles d’un caractère, qui ne possèdent pas nécessairement de valeur phonétique ou sémantique. Ils se cachent parfois « en profondeur », et on ne les obtiendra qu’après plusieurs décompositions successives. Analysé selon cette méthode, le caractère 湖 aura quatre composants au lieu de deux, 氵, 十, 口 et 月. Ce procédé, utile et nécessaire dans l’apprentissage et dans la programmation informatique de l’écriture, se révèle inadéquat dans la description fonctionnelle qui est la nôtre, puisque, en l’occurrence, le phonétique 胡, ainsi désagrégé, perdra toute sa pertinence. Néanmoins, il arrive qu’un caractère complexe, formé de trois graphèmes au moins, a été construit non pas d’un phonétique de base, mais à partir d’un phonogramme existant. C’est ce phonogramme entier qui lui sert de phonétique : par exemple, 米 mĭ sert de phonétique à 迷 mí, lequel génère à son tour 谜 mí. Il y aura donc deux façons d’analyser ce dernier caractère : on peut considérer soit qu’il a 迷 mí pour graphème phonétique, soit qu’il comporte en réalité un « phonétique primaire » 米 mĭ, au niveau inférieur. Cette deuxième solution, celle que nous adoptons dans notre liste des phonogrammes (voir
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annexe) présente l’avantage de réduire le nombre total des phonétiques et elle permet de regrouper certains phonogrammes que rapproche leur prononciation. L’analyse en graphèmes n’est pas une invention moderne, elle correspond globale‐ ment à une notion ancienne, appelée 偏旁 piānpáng « graphèmes latéraux » : dans la structure binaire « gauche + droite » d’un caractère, structure typique des phono‐ grammes, piān désigne le graphème de gauche et, páng, celui de droite, chacun d’eux correspondant généralement au sémantique et au phonétique. De nos jours, le champ que recouvre cette notion s’est élargi et on l’applique également à d’autres structures graphiques. Mais, dans le discours courant, le terme piānpáng est souvent associé voire assimilé à celui de 部首 bùshŏu « têtes de catégorie ». Cette confusion fréquente vient sans doute du fait que beaucoup de piānpáng, notamment les sémantiques, servent aussi de bùshŏu dans la plupart des dictionnaires. Mais c’est là leur seul point commun et plusieurs aspects les distinguent. Primo, les « têtes de catégorie » n’apparaissent que dans les dictionnaires de concep‐ tion traditionnelle et ne sont pas toutes des éléments latéraux : certaines ne sont que de simples traits, tels que 一 ou 丿, dont la seule fonction consiste à classer les « graphies glo‐ bales » ; d’autres, en revanche, sont des caractères entiers comme 青, 鼓 ou 鼻, divisibles quant à eux en éléments. Secundo, tous les caractères d’un dictionnaire sont classables et classés sous leurs « têtes de catégorie », mais, comme nous venons de voir, tous ne sont pas décomposables en éléments. Et tertio, le nombre des éléments latéraux est sensiblement plus important – estimé à 1 500 à 1 600 –, puisque les phonétiques y sont également inclus, alors que les têtes de catégorie d’un dictionnaire se limitent à deux cents environ.
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III. Apprendre
6. QUE RESTE-IL DES ANCIENS CARACTÈRES SÉMANTIQUES ? Pas grand-chose, à vrai dire, et même quasiment rien de ceux qui sont si souvent cités et montés en épingle (figure 45). En effet, à quelques exceptions près, les graphies origi‐ nelles de ces « sémantogrammes à graphème unique1 » ont été définitivement altérées, dénaturées, faussées, et cela ne date pas d’hier. Souvent issus des anciens pictogrammes, ces caractères cherchent soit à représenter, par une graphie figurative, le contour physique des êtres ou des choses, soit à symboliser un concept abstrait. Leur motivation a donc été bâtie sur un lien immédiat entre la figure et le sens. Or, ce lien s’est avéré si fragile et si instable qu’il a suffi de peu pour le défaire. Dès que l’écriture a abandonné son iconicité, la plupart des sémantogrammes sont devenus immotivés : dès que le caractère a pris la nouvelle graphie 水, il est devenu impossible à la postérité de comprendre pourquoi on écrit ainsi le mot « eau »2. Certes, tout ne s’est pas perdu. Un petit nombre de « caractères abstraits » comme 上 shàng « dessus » ou 下 xià « dessous », a subi peu d’altération et reste à peu près explicable. Il en va de même pour quelques caractères plus ou moins figuratifs, comme 串 chuàn « enfilade », 田 tián « champ », 网 wǎng « toile, filet » ou, à la rigueur, 雨 yŭ « pluie ». Quelques-uns sont même de création plus tardive, comme 凹 āo « concave », 凸 tū « convexe », 丫 yā « fourche » et 卡 kă/qiă « épingle ; coincer, bloquer ». Toujours est-il que ces caractères sont rares et ne constituent qu’une part minime et marginale des caractères modernes. Selon nos critères, volontairement larges et souples, en incluant des cas limites tels que 口 kŏu « bouche, ouverture », 门 mén « porte » ou 鼎 dǐng « tripode », leur nombre total ne dépasse pas la trentaine. Ils ne forment même pas 1 % de notre corpus, autant dire qu’ils sont négligeables. L’écrasante
1. Selon notre propre définition, nous les nommons 独体表义字 dútĭ biăoyìzì, où 义 yì « sens » remplace 意 yì « idée ». 2. Une mise au point est ici nécessaire : si ce caractère figuratif est considéré comme motivé, cela ne signifie pas pour autant qu’il reproduit fidèlement la forme d’un cours d’eau, mais seulement que cette graphie nous permet de comprendre, a posteriori, pourquoi son inventeur a choisi d’écrire ainsi le mot « eau ». Cette moti‐ vation est en fait intuitive et personnelle, ayant été établie par le seul inventeur. Si celui-ci avait effectivement l’intention de « faire du sens grâce à une figure » (以形表义 yĭxíng-biăoyì), le lecteur, lui, ne pourra jamais « connaître le sens rien qu’en regardant la graphie » (见形知义 jiànxíng-zhīyì), si ressemblante et si vivante soitelle. Cette expression chinoise, devenue presque idiomatique à force d’être répétée, est trompeuse voire dan‐ gereuse : mis à part le fait qu’elle fait naître une confusion entre pictogrammes et signes linguistiques, lesquels ont un fonctionnement radicalement différent, elle fait sournoisement croire à l’apriorité, alors que le lien entre la figure et le sens ne peut devenir « évident » qu’a posteriori.
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majorité des graphies globales doit être considérée comme des « marques immotivées », jìhàozì 记号字. La « défiguration » d’un ancien sémantogramme, comme « eau », n’a rien de désolant ou de dramatique. Elle a juste rendu sa graphie inexplicable, mais ne l’empêche nullement de rester pleinement opérationnel dans l’écriture en tant que mot graphique, doté d’un sens et d’un son, et peu importe qu’on l’écrive , ou 水. De plus, il fonctionnera en tant que graphème à l’intérieur, notamment, des syssémantogrammes. En effet, ces derniers, qui appartiennent à un autre type de caractères sémantiques, ont connu un sort meilleur. Leur motivation originale s’est relativement mieux conser‐ vée et ce, grâce à leur mode de création, différente de celle des caractères figuratifs : ils sont composés de deux graphèmes au moins et chacun des graphèmes doit assumer une fonction sémantique au sein du caractère. Leur conception peut être relativement simple. Elle se fait de plusieurs manières : soit par la répétition du même graphème, comme 林 lín « bois », formé de deux « arbres », ou 晶 jīng « brillant, scintillant », composé de trois « soleils » ; soit par un agencement spatial des graphèmes, comme 库 kù « hangar » où 车 « véhicule » est mis sous 广 « abri », 尖 jiān « pointu » dont 小 xiăo « petit » est en haut et 大 dà « grand » en bas ; soit par une lecture syntaxique des graphèmes, comme 劣 liè « faible, mauvais », qui combine 少 shăo « peu » et 力 lì « force », 歪 wāi « pencher, de travers », composé de 不 bù « ne…pas » et de 正 zhèng « droit ». Parfois, le sens est suggéré par association d’idées : 舌 shé « langue » plus 甘 gān « doux » donne logiquement 甜 tián « sucré », 你 nǐ « tu » complété de 心 xīn « cœur » donne ainsi 您 nín, vouvoiement de politesse. Enfin, quelques-uns de ces syssémantogrammes utilisent toujours des « figures », comme on le voit dans la partie haute de 巢 cháo « nid d’oiseau » ou de 垒 lěi « amonceler ». On peut aussi inclure les quelques « déictogrammes », 本 bĕn « racine », 末 mò « cime » ou 刃 rèn « tranchant », car, ils suivent au fond le même principe de composition, même si le second « graphème » ne consiste qu’en un trait simple. Très souvent, le sens du mot est généré autrement, sans lien évident avec ce que les graphèmes représentent ou désignent : « soleil » à l’intérieur de « porte » donne 间 jiān/ jiàn « intervalle, espace », en faisant référence à la lumière filtrée par les interstices de la porte ; dans 休 xiū, un « humain » adossé à un « arbre » conduit au sens de « s’arrêter, se reposer » ; 突 tū, qui combine 穴 « grotte » et 犬 « chien », n’a rien à voir avec la niche de l’animal, mais renvoyant au mouvement brusque qu’il fait pour en sortir, sert à écrire le mot « subitement ».
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III. Apprendre
Ce qui diffère foncièrement le syssémantogramme d’un caractère figuratif, c’est que sa motivation n’est pas fondée sur l’image, mais sur le sens intrinsèque des graphèmes qui le composent. L’inventeur ne cherche plus à représenter quelque chose : il échafaude une « logique » qui lui est propre et l’impose telle quelle au mot. Le lien entre le sens des graphèmes et celui du mot entier est devenu indirect et latent. Si les graphèmes 氵 et 目 ne sont plus en mesure d’évoquer l’image de l’eau ni celle d’un œil, le syssémantogramme 泪 lèi « larme », lui, restera toujours motivé, à condition que soit préservé le schéma « eau » + « œil » = « larme ». Dans ce cas, le sens inhérent aux deux graphèmes ainsi que celui du mot constituent trois paramètres indispensables à la motivation du mot. Or, il suffit que l’une de ses pièces se détériore pour que tout l’échafaudage s’effondre. L’altération des graphies, due surtout à la libianisation, en est la cause principale. Par exemple, jí « attraper, atteindre », qui montre une « main » posée sur un « humain » , deviendra plus tard une graphie globale 及, dans laquelle aucun des deux graphèmes n’est plus ; si 赤 chì « rouge » ne se prête plus à l’analyse, c’est parce que l’on n’y retrouve ni « grand » ni « feu » de sa graphie ancienne . D’autres graphies ont été simplifiées : la motivation de 見 jiàn « voir » (« œil + humain ») disparaît dans la nouvelle graphie 见 ; 集 jí « rassembler » est devenu immotivé depuis qu’il ne reste plus qu’un seul « oiseau » au-dessus de l’arbre au lieu des trois qui y perchaient à l’origine. La perte du sens originel du mot entraîne naturellement une démotivation : 闪 shăn (« porte » + « humain ») signifiait « épier (regarder par l’entrebâillement de la porte) », mais cette graphie n’est plus compréhensible dans son sens actuel « étinceler » ; la motivation de 社 shè « sacrifices offerts au dieu du sol » (« rite » + « sol ») n’est plus, dès lors que le caractère a pris le sens de « société, association ». Souvent, le changement de sens est accompagné d’une altération graphique, ou vice versa. C’est le cas de (無) wǔ « danser », qui représente un « humain » aux quatre membres écartés, tenant en ses mains des « queues d’animal (?) », figure et sens que le caractère – et à plus forte raison sa graphie simplifiée 无 – ne possède plus dès lors qu’il sert à écrire le mot vide « ne pas avoir ». La graphie actuelle de 先 xiān « devant, avant » (« bovin » + « enfant ») est devenue inexplicable, alors qu’il signifiait en fait « aller » et s’écrivait sous forme de (« sortir » + « humain »). Même quand la logique originale du caractère est bien préservée, elle n’est plus for‐ cément accessible à tous. Pour un contemporain lambda, 友 yǒu « ami » est difficilement analysable à partir de 𠂇 « ? » et de 又 « encore, de nouveau », peu de personnes savent que ces graphèmes représentent respectivement une « main gauche » et une « main droite », et que le caractère prenait ainsi le sens de « main dans la main ». Pour 取 qǔ
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« prendre, obtenir », c’est le contexte historique de sa création qui est révolu : en effet, ses deux graphèmes, « oreille » + « main », se réfèrent au geste du guerrier coupant l’oreille d’un ennemi en guise de trophée, image qui peut paraître, aujourd’hui, quelque peu incongrue. En revanche, il arrive que quelques-uns des anciens syssémantogrammes soient « remotivés » grâce à une nouvelle graphie plus simple ou à une nouvelle logique, mieux adaptées à l’air du temps. Même, de nouveaux caractères continuent à être créés plus tardivement et ce, jusqu’à la simplification moderne. Certains ont été très bien conçus, facile à écrire et à mémoriser : 尘 chén « poussière » (« petit » + « terre »), 孙 sūn « petitfils » (« enfant » + « petit »), 灭 miè « éteindre » (un trait au-dessus de « feu »), 宝 băo « trésor » (« toit » + « jade »), 笔 bĭ « pinceau » (« bambou » + « poil »), 灾 zāi « catas‐ trophe » (« toit » + « feu »), etc. Mais, ce sont plutôt des exemples isolés, conçus au cas par cas, sans régularité. Car, ne l’oublions pas, les caractères de conception sémantique, qu’ils prennent une graphie globale ou composée, ont été très vite relégués au second plan dans le système. Et la tendance était irréversible1. Selon notre examen, les syssémantogrammes, toujours analysables dans leurs gra‐ phies actuelles, se limitent à 120 environ2, soit 4 % de notre corpus.
7. LES PHONOGRAMMES SONT-ILS ENCORE EFFICIENTS ? Globalement oui, malgré les pertes qu’ils ont également subies. Par rapport aux caractères sémantiques, c’est, sans aucun doute, une des composantes du système dont la motivation est la mieux préservée. Car, les phonogrammes ont été créés plus tardivement, non seulement après les anciens sémantogrammes sur la base desquels ils ont été conçus, mais aussi à partir du moment où les signes primitifs étaient déjà devenus des mots graphiques. Autrement dit, les graphèmes se sont vus intrinsèquement dotés d’une valeur phonétique ou séman‐ tique, indépendante de leur valeur figurative. Dès lors, de nouveaux phonogrammes n’ont plus cessé de voir le jour et ce, jusqu’aux temps modernes. Il faut surtout souligner
1. Selon Huang Dekuan, si les jiaguwen comportaient plus de 70 % de caractères sémantiques, ils ne sont plus que 6,13 % à l’époque des Song dans leurs graphies en régulière. Cf. Hanzi gouxing fangshi de dongtai fenxi [Une analyse dynamique des modes de formation des caractères]. In Anhui daxue xuebao, 4, 2003, p. 1-8. 2. Pour tout type de caractères, nous préférons donner des chiffres approximatifs sachant que certains juge‐ ments peuvent être plus ou moins subjectifs.
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III. Apprendre
le fait que leur conception, basée sur le phonétisme de la langue, obéissait à une logique plus solide et qui s’avérera de mieux en mieux prise en compte dans les créations ultérieures. Plus celles-ci sont tardives, plus grande est leur efficience. Dans le système actuel, il existe de parfaits phonogrammes, comme 湖 hú « lac » (« eau » + hú), 歌 gē « chanson » (gē + « souffler »), 骑 qí « chevaucher » (« cheval » + qí), 抬 tái « soulever, porter » (« main » + tái), 认 rèn « connaître » (« parole » + rén), etc. C’est aussi le cas des noms désignant les éléments chimiques, dont la plupart ont été traduits et mis à l’écrit entre le xixe et le xxe siècle, suivant un modèle unique : selon l’état solide, liquide ou gazeux de l’élément, quatre sémantiques ont été employés, à savoir, 钅 « métal », 石 « pierre », 气 « gaz », 氵/水 « eau », tandis que les phonétiques ont été choisis conformément à la prononciation moderne. Citons, par exemple, 氧 yăng « oxygène » (« gaz » + yáng), 镁 mĕi « magnésium » (« métal » + mĕi), 碘 diăn « iode » (« pierre » + diăn) ou 溴 xiù « brome » (« eau » + xiù). L’équation entre le phonétique et le caractère étant presque parfaite, on peut effectivement lire celui-ci en se fiant à celui-là. Cependant, cet idéal de perfection est difficile à concilier avec un système usé. N’oublions pas que, dès le départ, les créateurs anciens n’ont appliqué le principe phono‐ graphique que de manière très approximative (cf. chap. 4.6) et que les caractères chinois ne permettent pas une « mise à jour » systématique qui suivrait l’évolution de la langue. Si on ajoute à cela les altérations graphiques, les changements de sens des caractères, les simplifications, etc., on comprendra que la démotivation des phonogrammes, quoique moindre, était tout aussi inévitable et normale. On rencontre donc aujourd’hui dans les phonogrammes maintes imperfections, soit dans l’indication sémantique soit dans la notation phonétique. Là aussi, il est nécessaire de distinguer les phonogrammes qui ont été conçus autre‐ fois en tant que tels de ceux qui ont conservé cette étymologie jusque dans leurs graphies actuelles. Par définition, un caractère ne peut être considéré comme phonogramme que s’il est doté d’un phonétique toujours efficient selon la prononciation moderne standard. Or, lorsque certaines études prétendent que les phonogrammes occupent toujours 80 à 90 % des caractères modernes, c’est qu’elles confondent la synchronie et la diachronie et prennent en compte les phonogrammes de conception ancienne1.
1. C’est ce genre de traitement qui a guidé, entre autres, les auteurs du Quan gongneng changyongzi zi dian [Dictionnaire tout-en-un des caractères d’usage courant], dans lequel les phonogrammes ont été systématique‐ ment définis d’après la prononciation ancienne. Cf. Zhang Yujin, Gao Hong (éd.), Liaohai chubanshe, 2000, 1432 p.
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Certains auteurs, en revanche, se focalisent sur les irrégularités phonétiques, éta‐ blissent jusqu’à huit paramètres et classent les phonogrammes selon que l’équation phonétique est parfaite, partielle ou nulle (tableau 27). Le nombre des phonogrammes chute alors tragiquement pour descendre à 30 % environ1. Tableau 27. Les huit paramètres validant ou invalidant les phonogrammes selon certains auteurs. Prononciation Phonogrammes Réguliers
Semi-réguliers
Irréguliers
Initiale identique
Finale identique
Ton identique
1
+
+
+
2
+
+
−
3
+
−
+
4
+
−
−
5
−
+
+
6
−
+
−
7
−
−
+
8
−
−
−
Ces deux positions extrêmes sont à éviter, l’une étant trop laxiste et l’autre trop sévère. Aucune ne permet de faire ressortir la réelle validité des phonogrammes modernes.
8. RECONSIDÉRONS-LES À LEUR JUSTE VALEUR Injustement pris pour des parents pauvres par rapport aux caractères sémantiques, les phonogrammes n’ont pas reçu l’intérêt qu’ils méritent, alors que ce sont les seuls caractères véritablement exploitables dans l’acquisition et ce, à tous les niveaux. Notre approche consistera, avant tout, à montrer comment on peut revaloriser l’effi‐ cience phonétique de ces caractères, quitte à « réactiver » ceux qui ont été généralement négligés. Nous analyserons les phonogrammes en fonction de quelques critères simples, le but étant obtenir une vision globale sans tomber dans des calculs mathématique‐ ment précis. Au préalable, il convient de rappeler les quelques caractéristiques des phono‐ grammes chinois :
1. Long Yuguang. HSK yi zhi siji hanzi liju qingkuang yanjiu [La motivation des caractères du HSK (niveaux 1-4)]. In Wenjiao ziliao, 3, 2020, p. 6-10.
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III. Apprendre
En ce qui concerne les graphèmes sémantiques, répétons qu’ils n’ont pas pour mission d’indiquer le sens des caractères, mission somme toute impossible. Certes, ils peuvent véhiculer des informations pertinentes et utiles, notamment quand il s’agit d’indices catégoriels tels que 钅 « métal », 鱼 « poisson », 疒 « maladie » ou 鸟 « oiseau », mais ces informations sont, le plus souvent, vagues, floues et imprécises. Certains graphèmes, comme 亻 rén « humain », couvrent des champs sémantiques si larges qu’ils deviennent de vrais passe-partout. D’autres, en revanche, peuvent nous paraître incongrus aujourd’hui, comme le sémantique « chenille, insecte » dans 虾 xiā « crevette ». D’autres encore sont devenus inexplicables, tel que la « soie », qui figure dans la plupart des noms de couleur. Pourtant, malgré ces défaillances sémantiques, les caractères peuvent conserver une pertinence parfaite sur le plan phonétique, qualité première et essentielle des phono‐ grammes. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé que, tant que le phonétique est valable, le phonogramme doit être considéré comme motivé et régulier, même si son sémantique manque de précision, voire de bien-fondé, défauts que l’on peut relativiser, minimiser et tolérer, dans la mesure où ils n’affectent nullement le rôle indispensable du sémantique qui est d’assumer, par sa présence même, la différentiation graphique entre les phonogrammes homophones. Quant aux phonétiques, ils occupent, dans l’écrasante majorité des cas, la place cen‐ trale dans le caractère. Mais, ils ne sont pas censés être lus ou prononcés d’après leurs graphies à la manière d’un alphabet. Sans la connaissance préalable de leur prononcia‐ tion, les caractères resteront désespérément muets. Même la connaissance d’un nombre important de phonétiques ne suffit pas, car ceux-ci ne sont pas censés livrer une pro‐ nonciation exacte des caractères. Aucun signe extérieur ne nous permet de détecter une éventuelle irrégularité ou exception. L’équation parfaite existe, comme nous venons de le voir, mais il y a danger à être trop confiant1 ! Dès lors qu’on ne peut se fier ni à leur sens ni à leur prononciation, on est en droit de se demander en quoi consiste l’efficience et l’utilité des phonogrammes. La réponse ne surprendra pas, puisqu’elle peut s’appliquer à n’importe quel type de caractères : c’est la connaissance de leur motivation qui facilitera la mémorisation et la remémoration. Autrement dit, on apprend et retient plus facilement un caractère, si on sait l’expliquer.
1. Un ancien dicton dit xiùcái shízì dú bànbiā 秀才识字读半边 « un demi-lettré ne lit les caractères que d’après leur moitié », qui, précisément, se moque de ceux qui lisent, à leur risque et péril, les caractères inconnus en se fiant systématiquement à leur phonétique.
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La seule différence en ce qui concerne un phonogramme, c’est que, comportant un phonétique en mesure, ou presque, de « sonner » comme le caractère, il se rattache à la parole et n’est pas complétement muet comme l’est un caractère sémantique. C’est le son qui rappellera la forme graphique. Grâce à cet aspect phonétique, l’acquisition deviendra logique et raisonnée. Pour tester comment un phonétique peut plus ou moins « sonner », prononcez à voix haute ces exemples (23)1 : (23) 丁 dīng (graphème phonétique) a. 灯 dēng b. 亭 tíng c. 订 dìng d. 盯 dīng On constate qu’à mesure qu’on descend de (a) à (d), l’affinité entre le caractère et le phonétique augmente, car ils possèdent respectivement (a) la même initiale, (b) la même finale, (c) la même syllabe de base, et qu’enfin, (d) est un phonogramme parfait. Quel est l’élément qui « sonne » le plus dans une syllabe ? C’est, bien sûr, la rime. Pour qu’un phonogramme soit pertinent, il doit, avant tout, rimer avec le phonétique, et ce n’est pas une initiale légèrement différente (b), encore moins un ton différent (c), qui risque d’affecter cette pertinence. De ce fait, on ne saurait rejeter en bloc ces deux « cas irréguliers », sous prétexte que leurs phonétiques ne sont pas parfaits. Partant de ce constat, nous distinguerons trois grandes catégories de phonogrammes, établies en fonction du lien de « parenté » – direct, proche ou lointain – qu’il entretient avec le phonétique. Quelques-uns ont des parents encore plus lointains, mais pas nécessairement sans intérêt. Dans tous les cas, les tons ne seront pas pris en compte ni la pertinence informationnelle des sémantiques. Selon ces critères, nous avons effectué, dans notre corpus de 3 040 caractères, un relevé exhaustif des phonogrammes et constitué une liste qui figure à la fin du pré‐ sent ouvrage. Cependant, une telle liste n’aura aucun sens, si elle est faite, comme d’habitude, dans l’ordre alphabétique du pinyin comme le font les dictionnaires, ou en suivant l’ordre
1. Dans cette section, puisqu’il s’agit de vérifier la seule efficience phonétique, nous avons choisi de ne pas indiquer le sens des caractères.
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III. Apprendre
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d’apparition des mots dans le texte d’une leçon. Ces présentations, utiles et nécessaires dans un cas comme dans l’autre, ne prennent pas en compte un des aspects particuliers des phonogrammes : ils ont été créés en série à partir d’un ancêtre commun qui est leur phonétique. Pour retrouver leur pertinence, il faut les regrouper et reconstituer ces séries ou ces familles. Le rapprochement des phonogrammes apparentés dans une « mise en série » est tout aussi important, voire plus, que l’évaluation même de leur pertinence phonétique. Il permet, en effet, de rassembler et de valoriser un maximum d’éléments. Par exemple, lorsque l’on remarque que, dans 英 yīng, c’est le graphème 央 yāng qui occupe la place du phonétique, on doute légitimement de sa viabilité. Or, le doute sera levé si l’on le rapproche d’un « consanguin », en l’occurrence 映 yìng. Les deux caractères se servent dès lors de référence mutuelle, comme s’ils vérifiaient leur air de famille dans un « miroir ». C’est précisément parce qu’on les a toujours abordés en ordre dispersé, jamais par familles, on n’accorde pas aux phonogrammes leur juste valeur, et leur régularité, même si on la constate de temps à autre, semble insaisissable.
9. QUE LES LIENS DE FAMILLE SE RESSERRENT ! En termes de liens de parenté, on parle de descendance directe, de parents proches ou lointains. Il en va de même pour nos phonogrammes. Voici, à titre d’exemples, deux familles regroupées autour de leurs ancêtres respectifs. Elles sont suffisamment nombreuses et différentes pour illustrer les différents cas de figure que l’on peut rencontrer (tableau 28). I. Les « ancêtres » Malgré leur capacité reproductive qui leur a permis de construire chacun une famille assez nombreuse, ils ne sont pas spontanément considérés comme des phonétiques valables et pour cause : (24) 艮 gĕn/gèn1 est un caractère très peu usité que l’on rencontre rarement dans les textes et, a priori, jamais au cours des premières années d’études. En revanche, les pho‐ nogrammes qu’il a générés sont extrêmement usuels et font partie des tout premiers
1. Désormais, nous indiquerons de cette manière les deux prononciations que possède un caractère, elles cor‐ respondent nécessairement à deux morphèmes distincts.
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Tableau 28. Familles de phonogrammes générées par 艮 et 者. I II III
IV
V
(24) 艮 gĕn/gèn
(25) 者°zhĕ
a
跟 gēn 根 gēn
a
/
b
恳 kĕn 垦 kĕn
b
奢 shē
c
很 hĕn 狠 hĕn 恨 hèn
c
/
d
眼 yăn
d
暑 shǔ 署 shǔ
屠 tú
e
艰 jiān
e
猪 zhū 煮 zhǔ 诸 zhù 著 zhù
都 dū 赌 dǔ 堵 dǔ 睹 dǔ
f
银 yín (垠 yín 龈 yín)
f
都 dōu
qu’on apprend. À cause de ce décalage, l’efficience phonétique de la série se trouve occultée et n’est jamais mise en valeur. (25) 者° zhĕ se trouve dans une autre situation : c’est un caractère courant, mais s’il est ici marqué d’un ° et si la ligne (a) reste vide, cela signifie qu’en tant que phonétique, il n’a donné aucun descendant direct. Ce sont, hélas, des choses qui arrivent. De ce fait, on perçoit difficilement, de prime abord, le grand rôle qu’il assume ailleurs. II. Les « descendants directs » (24a) Leur prononciation est identique à celle du phonétique, abstraction faite du ton. Ces deux phonogrammes sont donc quasi parfaits, facilement repérables et exploitables, même en position isolée. À condition, bien entendu, que la prononciation de 艮 soit préalablement connue. III. Les « familles proches » (24b/c et 25b/c) Bien que ces phonogrammes se démarquent de (a) par leurs initiales, celles-ci sont néanmoins très similaires puisqu’elles appartiennent au même groupe consonantique : g, k et h sont des dorso-vélaires, zh et sh des apico-palatales. Héritage de ce « syllabaire imparfait » que constitue le chinois ancien (cf. chap. 4.6), le phénomène est assez fré‐ quent en chinois moderne, y compris dans notre corpus relativement restreint. Vu leur affinité avec les (a), ces cousins germains sont incontestablement des parents proches.
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III. Apprendre
IV. Les « familles lointaines » (24d/e et 25d/e) Au lieu de parenté ostensiblement affichée, leur prononciation est si éloignée de celle de l’ancêtre que l’on a du mal à les rapprocher1. C’est la raison pour laquelle ils sont injustement mis à l’écart. Et pourtant, ils sont susceptibles de constituer des familles si nombreuses – plus nombreuses parfois que la famille proche (25) ! – qu’il serait regret‐ table de les ignorer. Une fois reconstituée, la grande famille fait preuve d’une incontes‐ table efficience phonétique. V. Les « parents lointains solitaires » (24f et 25f) Très éloignés également, ils se distinguent précisément des précédents (d/e) par leur solitude. Néanmoins, dans (24f), 银 yín, apparemment unique, s’avère intéressant dès qu’on élargit le corpus, car il est alors en mesure de « rappeler » à lui et de « regrouper » d’autres phonogrammes moins usuels. Dans (25f), on peut, à la rigueur, rapprocher 都 dōu des du (25e) en raison de leur initiale identique. Néanmoins, il sera toujours considéré comme un phonogramme « altéré » ou semi-motivé.
10. DES PHONOGRAMMES VIABLES MAIS BANCALS La « remise en série » parvient donc à ramener à la vie de famille les phonogrammes jusque-là dispersés le long du chemin. Leur efficience phonétique, souvent difficile à cerner, se voit ainsi réactivée et remotivée. Elle devient surtout explicable et exploitable. Cette revalorisation n’est pas rien, puisque près de 1 700 phonogrammes ont été ainsi authentifiés et répertoriés2 et qu’ils représentent 55 % de notre corpus3. Cette proportion est sans aucun doute très encourageante. De plus, parmi ces phonogrammes valables, on compte 940 descendants directs et plus de 330 parents proches, dont l’efficience est percevable. Les autres sont des parents lointains, qui pourront devenir intéressants s’ils sont judicieusement valorisés.
1. Relevant de l’étymologie, les raisons de cette « déviation » sont nombreuses et complexes, dont la principale est celle l’évolution du système phonologique : les phonétiques pertinentes lors de la conception ne le sont plus en chinois standard moderne. 2. Sans compter les « parents lointains solitaires ». 3. Elle est comparable à celle obtenue par d’autres études. S’appuyant sur des critères probablement plus larges, l’étude de l’université normale de Beijing obtient 66 % de phonogrammes dans un corpus de 2 905 caractères. Cf. Feng Liping. Duiwai hanyu jiaoxue yong 2905 hanzi de yuyin zhuangkuang fenxi [Analyse phonétique des 2 905 caractères destinés à l’enseignement du chinois aux étrangers]. In Beijing shifan daxue xuebao, 6, 1998, p 94 -101.
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Ce disant, il n’y pas lieu d’être trop enthousiastes. Les phonogrammes chinois n’ont rien de commun avec ceux d’un alphabet. Chargés d’un passé très lourd, ils ont aussi un fonctionnement très lourd, précisément à cause de la lourdeur de leurs phonétiques. En effet, comme on l’a dit précédemment, ces derniers ne sont pertinents et fiables que partiellement et souvent de façon approximative. A cela s’ajoute le fait qu’en tant que « syllabaire », ce lot de caractères s’avère très peu économique. En premier lieu, leur nombre est beaucoup trop important : 700 environ pour les quelque 1 700 phonogrammes ! La majorité des séries ne comptent que deux à quatre membres, ce qui montre la faible rentabilité des phonétiques. Pis encore, 25 % d’entre eux ne comptent qu’un descendant unique, soit direct comme 董 dǒng et 懂 dǒng, 哥 gē et 歌 gē, 北 bĕi et 背 bēi/bèi, soit indirect comme 士 shì et 志 zhì, 亲 qīn et 新 xīn ou 早 zăo et 草 căo. Certes, les phonétiques ont été plus productifs dans le passé en générant quan‐ tité de phonogrammes, mais la plupart des descendants ont perdu une partie de leurs consanguins, qui ne sont plus usités en chinois moderne et, à plus forte raison, dans le registre courant1. Ensuite, tous les phonétiques ne sont pas aisément reconnaissables. Sans parler d’une petite poignée quelque peu trompeuse, dont les membres prennent et la forme et la place des sémantiques, comme 刂 dāo (到 dào), 礻 shì (视 shì), 钅 jīn (锦 jĭn) ou 饣 shí (饰 shì), 180 environ sont des caractères très peu usuels ou désuets, voire carrément inusités. Vu qu’ils ne s’emploient jamais dans les écrits modernes, leur pertinence phonétique n’a aucune chance d’être perçue, encore moins exploitée. Par exemple, lorsque l’on apprend, l’un après l’autre, des caractères aussi courants que 快 kuài, 块 kuài, 决 jué et 缺 quē, on est loin de se douter que ce sont bel et bien des phonogrammes, qui ont pour phonétique un caractère ancien inusité : 夬 guài/jué. Enfin, une quinzaine de « phonétiques tronqués » sont encore plus déroutants : ce ne sont point des caractères entiers, mais des « morceaux » de caractères qui, a priori, ne se prononcent pas. Étrange, mais pas exceptionnel, ce phénomène relève soit du procédé ancien appelé « phonétique abrégé » (cf. chap. 4.6), soit des créations faites par simple analogie d’après un modèle existant. Seule la mise en série ou le rapprochement permettent de regrouper, d’après leur air de famille, les homophones générés par ces pseudo-phonétiques. Citons, par exemple, les 浆 jiāng, 奖 jiăng, 桨 jiăng et 酱 jiàng : leur partie supérieure, identique dans tous les cas, paraît bien occuper la place du
1. Par exemple, de la série 求 qiú citée précédemment (cf. chap. 4.5), il ne reste plus que trois membres dans notre corpus.
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III. Apprendre
phonétique, si ce n’est qu’elle est imprononçable. Il s’agit, en réalité, du caractère 将 jiāng/ jiàng, mais privé de son composant 寸, le reste étant censé servir de phonétique ! D’autres cas sont quelque peu différents comme celui de 班 bān, un caractère d’origine séman‐ tique1 dont aucun graphème n’était phonétique et qui n’en a pas moins généré un homophone 斑 bān. De même pour 弟 dì et 第 dì, 卓 zhōu et 桌 zhōu, tout se passe comme si l’exactitude de la graphie importait peu, pourvu qu’on dispose d’une silhouette res‐ semblante. Pourtant, forts d’une efficacité phonétique, ces cas bancals ne sont pas sans intérêt pédagogique. L’ancien système n’est pas responsable de tout, la simplification moderne y a aussi ajouté son lot d’incohérences : des variantes supprimées du circuit, telles que 異 yì et 復 fù, continuent à vivre en assumant le rôle de phonétique dans 翼 yì et 覆 fù, caractères qui, eux, figurent dans la liste. Si 柬 jiăn est lui-même un caractère courant et s’il sert de phonétique dans 谏 jiàn, il subit, en revanche, une opération simplificatrice dans un autre descendant direct, 拣 jiăn, ainsi que dans deux parents lointains, 练 liàn et 炼 liàn. La grande famille 雚 guàn/huán, démembrée, connaît un sort plus tragique encore : le simple 又 qui l’a remplacé a rompu le lien avec ses nombreux descendants, directs et indirects, tels que 观 guān, 欢 huān, 权 quán ou 劝 quàn, tous devenus partiellement ou totalement immotivés. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ait disparu ainsi du circuit, puisqu’il continue à exister dans des caractères courants 灌 guàn et 罐 guàn. En conclusion, les phonogrammes restent globalement efficients et constituent la composante principale de l’écriture moderne. Mais, vu la complexité et la lourdeur de ce « syllabaire », leur valorisation nécessitera un « traitement de faveur », question qui sera discutée au chapitre suivant.
11. IL Y EN A QUI SONT, HÉLAS, DÉMOTIVÉS… Jusqu’ici, il a été question des caractères motivés, qu’ils soient sémantogrammes à graphème unique, syssémantogrammes ou phonogrammes. Ces trois composantes du système, toutes explicables d’une manière ou d’une autre dans leurs graphies actuelles, totalisent plus de 1 850 caractères et représentent 60 % de notre corpus. Quant au reste, ce sont des caractères totalement ou partiellement démotivés.
1. Composé de « couteau » au milieu de deux « jades » pour signifier « partager (le jade) ».
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Il existe, avant tout, une zone grise d’entre-deux où se trouvent les semi-démotivés ou, plus exactement, les semi-motivés. Du point de vue pédagogique, ces caractères présentent un intérêt relativement moindre, mais ne sont pas tout à fait inexploitables. On peut les ranger en deux sous-catégories selon la validité de leur phonétique ou de leur sémantique. Les semi-motivés phonétiques, dont le nombre total ne dépasse pas 140, sont ces « parents lointains isolés » dont il était question précédemment. Ce sont des phono‐ grammes quelque peu détériorés, mais qui sont restés « allitérés » ou « rimés » : les premiers, tels que 绿 lǜ (录 lù), 呢 ne (尼 ní) ou 讲 jiăng (井 jǐng), n’ont en commun avec leurs phonétiques que leurs initiales, tandis que les seconds, comme 让 ràng (上 shàng), 崇 chóng (宗 zōng) ou 造 zào (告 gào), ont la même rime que leurs phonétiques sans qu’il soit pour autant légitime de les rattacher à leurs familles respectives. Ils resteront toujours « solitaires ». Vient ensuite le groupe de 330 semi-motivés sémantiques, qui ne sont explicables que par leurs graphèmes sémantiques. Parmi eux, on compte une cinquantaine d’anciens sémantogrammes à moitié altérés : dans 朵 duŏ « bouton de fleur » ( ? + « arbre ») ou 眉 méi « sourcil » ( ? + « œil »), les parties supérieures se sont vues démotivées suite à la perte de leur iconicité ; pour d’autres, c’est la logique même de leur composition qui est devenue difficile à expliquer, tels que 家 jiā « maison » (« toit » + « cochon » ?), 哭 kū « pleurer » (« faire du bruit » + « chien » ?) ou 弄 nòng « faire, bricoler » (« jade » ? + « mains »). Beaucoup d’autres sont des phonogrammes altérés, qui ont perdu toute possibilité d’être rattachés à leur famille. Un caractère comme xù 绪, par exemple, ne trouvera pas sa place dans la famille de 者 (25). Néanmoins, son sémantique 纟 « soie » reste plus ou moins valable : le caractère a perdu son sens d’origine de « bout du fil de soie », mais il signifie toujours « tête, commencement ; fil de pensée ». Pour l’apprenant, même ce peu d’information est toujours bon à prendre. Les caractères qui ne sont plus explicables ni sur le plan phonétique ni sur le plan sémantique sont considérés comme définitivement démotivés. Ils constituent, hélas, un groupe assez important de 730 membres. Parmi eux, se trouvent, en premier lieu, les caractères d’origine sémantique, à savoir, d’une part, les anciens sémantogrammes à graphème unique, ceux précisément que l’on aime tant citer (figure 45), et d’autre part, les syssémantogrammes de conception ancienne. Comme nous l’avons dit plus haut, c’était, au sortir de la phase archaïque, la composante la plus fragilisée de tout le système.
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III. Apprendre
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Tableau 29. Les proportions des différentes composantes des 3 040 caractères d’usage courant.
I II
Types de caractères Caractères sémantiques
Phonogrammes
III Caractères semi-motivés
IV Caractères immotivés
Total
(≈) % 5,1
55,8
15,1
Sous-catégories
(≈) %
Sémantogrammes à graphie globale
18,3
Syssémantogrammes
81,7
Descendants directs
55,1
Parents proches
19,2
Parents lointains
25,7
Semi-motivés phonétiques (Parents lointains solitaires)
29,6
Semi-motivés sémantiques
70,4
24
100
On y trouve ensuite une bonne partie des emprunts phonétiques. Mais, ils diffèrent de tous les autres par le fait que leur démotivation a eu lieu au moment même de leur emprunt. En effet, dès que (其) qí « panier » a été emprunté pour écrire le pronom personnel de la 3e personne qí, sa graphie, toute figurative qu’elle était, s’est vue aussitôt démotivée. La perte a été tout aussi radicale en ce qui concerne le syssémantogramme (然) rán « brûler » (« chair » +« chien » + « feu ») : dès lors qu’il a servi à écrire le mot vide « ainsi ». Certes, pour donner aux mots empruntés une nouvelle forme écrite, on a créé des phonogrammes, en l’occurrence, 箕 jī « panier » et 燃 rán « brûler », mais l’opé‐ ration n’a pas été systématique. Ainsi, il arrive que la même graphie, 没 par exemple, serve à écrire à la fois le mot prêteur, mò « submerger », et le mot emprunteur, méi « ne… pas », tandis que dans beaucoup d’autres cas, comme 我 wǒ « moi, je » ou 那 nà « cela », seuls les emprunteurs ont survécu. Enfin, font partie des « immotivés » les anciens phonogrammes qui ne sont plus en mesure d’indiquer ni le son ni le sens. Par exemple, le sens moderne de 治 zhì « administrer, soigner, traiter » ne justifie plus sa graphie composée de (« eau » ? + tái ?) ; il est également difficile d’expliquer celle de 软 ruăn « doux, mou » (« véhicule » ? + qiàn ?) ou celle de 稳 wĕn « stable » (« céréale » ? + jí ?). L’évolution du système phonologique, l’altération graphique, le changement sémantique des mots, la simplification moderne sont autant de causes qui ont entraîné la démotivation de ces caractères. Il n’y a là rien d’anormal ni d’étonnant.
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9. Un système hétérogène et mixte
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Le tableau 29 récapitule les pourcentages approximatifs des différentes composantes, que nous avons volontairement arrondis à un chiffre après la virgule. Car, il vise notamment à offrir une vision globale de ces 3 040 caractères modernes standard d’usage courant. C’est à partir de cette vision que pourront être menées des réflexions didactiques et des propositions pédagogiques.
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10 L’ACQUISITION DU CHINOIS ÉCRIT
E
n 1814, la création au Collège royal de la chaire « Langues et littératures chi‐ noises et tartares mandchoues », confiée à Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832), a marqué le début, en France, de l’enseignement du chinois dans un cadre insti‐ tutionnel et académique. Puis, à partir de 1840, des cours de chinois seront dispensés à l’École des langues orientales vivantes, l’actuel INALCO. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Littéralement transformé, l’enseigne‐ ment du chinois dans le supérieur en France – pour ne parler que de ce que nous connaissons le mieux – n’a plus grand-chose à voir avec celui qu’on pratiquait au xixe siècle, ou même encore dans des années 1980-1990, époque où le nombre d’étudiants commençait à s’accroître considérablement. Trois grandes étapes, grosso modo, ont été franchies : dans un premier temps, le chinois était enseigné comme le latin, à savoir comme une langue morte réduite à son seul aspect écrit1. Vint ensuite une période où la pratique orale, bien qu’intégrée dans le programme, restait toujours subordonnée à l’écrit. Enfin, on a vu se développer progressivement, depuis la fin des années 1990, une didactique propre au chinois qui, tout en tenant compte de ses spécificités écrites, se construit avant tout dans une visée communicative. Néanmoins, en ce qui concerne l’enseignement de l’écriture elle-même, il reste encore du chemin à parcourir. Si, aujourd’hui, l’approche consistant à limiter l’ensei‐ gnement à un nombre restreint de caractères, sélectionnés en fonction leur fréquence,
1. Cet enseignement conçu autour des seuls textes, classiques et modernes, n’a nullement empêché la formation d’éminents sinologues français, dont une bonne partie, avec tout le respect que nous leur devons, ne parlaient pas cette langue.
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III. Apprendre
fait à peu près consensus, la question se pose toujours de savoir comment rendre leur apprentissage plus efficace, plus actif et mieux organisé. Dans ce chapitre, après une présentation sur les divers aspects spécifiques de l’acquisition du chinois écrit, nous ferons quelques propositions de principe dans ce sens, propositions qui découlent des analyses par nous menées sur les 3040 caractères d’usage courant (cf. chap. 9.4).
1. LE POIDS DE DEUX TRADITIONS Longtemps, deux lourdes traditions ont pesé sur l’enseignement du chinois dans le supérieur : l’une est française, l’autre chinoise. La première est représentée par la méthode classique de « grammaire-traduction », méthode qui a perduré plusieurs siècles durant, d’abord dans l’enseignement des langues mortes, puis dans celui des langues vivantes étrangères1. On travaille sur des textes littéraires originaux ; on fait apprendre par cœur des listes de vocabulaire, on met l’accent sur la lecture avant de terminer la leçon par des exercices écrits « passifs » qui sont les incontournables « thème et version ». Les cours de chinois n’échappaient pas à ce canevas : la sacro-sainte « culture de la traduction » y trône en si bonne place que, jusqu’à une époque récente, les examens écrits se résument aux seules épreuves de thème et de version. Dès le niveau intermé‐ diaire, on travaille sur des textes chinois authentiques, truffés de caractères inconnus et de mots nouveaux. Les étudiants passent d’abord par un laborieux « déchiffrage », caractère par caractère, avant d’aboutir à une traduction proprement dite. Quant au thème, c’est leur pire cauchemar : les phrases à traduire sont artificiellement fabriquées et sciemment semées d’embûches, ceci dans le seul but de faire ressortir les différences grammaticales et syntaxiques entre le français et le chinois. Les étudiants se trouvent passivement dans « une situation de handicap, voire d’échec permanent2 ». Cette culture de la traduction a des conséquences directes sur leur propre méthode de travail : beaucoup prennent l’habitude d’utiliser systématiquement, voire à outrance,
1. Christian Puren. Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues. Paris : Nathan-CLE International, 1988, p. 24-33. 2. Hewson Lance. L’avenir du thème à l’université. In Ballard Michel (éd.). La traduction à l’université, recherches et propositions didactiques. P.U. de Lille, 1993.
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les dictionnaires bilingues destinés aux traducteurs confirmés1 et ignorent jusqu’à l’existence même des « dictionnaires d’apprentissage », pourtant spécialement conçus pour les apprenants comme eux. Dans ce va-et-vient constant entre les deux langues, les interférences interlinguales et interculturelles étaient inévitables. À cette tradition française s’ajoutait le poids de la culture chinoise, profondément marquée par son héritage scriptural. L’originalité de son système d’écriture allait de pair avec la primauté absolue de l’écrit sur l’oral. Pour résumer les objectifs pédagogiques, on aimait à répéter l’expression chinoise, tīng shuō dú xiĕ 听说读写, qui signifie littéra‐ lement « écouter, parler, lire, écrire ». Bien que la formule semble globalement coïncider avec les compétences telles que définies par le CECRL2 en termes de « réception/produc‐ tion orale » et de « réception/production écrite », la réalité était tout autre : l’écrit domi‐ nait l’oral et la production se confondait avec la réception. Aux yeux des enseignants, il semblait inconcevable d’aborder cette langue sans recourir à son support graphique et textuel : jusque dans les cours intitulés « compré‐ hension orale » et « conversation », on se sent obligé – souvent à la demande des étudiants – d’écrire noir sur blanc tout ce qu’on dit et tout ce qu’on fait entendre. On est rassuré une fois que ces messages sonores, si fugitifs et si peu tangibles, ont été « matérialisés » sous forme de caractères. Une compétence qui sollicite l’oreille et la bouche se voit « formatée » par celle qui s’appuie sur l’œil et sur la main. Dans les cours d’écrit, tous les caractères présentés dans une leçon étaient censés être maîtrisés, tant en réception qu’en production. Il arrive que la performance dans le tracé manuel des caractères soit si fortement exigée qu’elle devienne même un objectif en soi. La priorité donnée à l’écrit avait au moins deux conséquences directes chez les apprenants : leur faible niveau général dans la communication orale et leur « indiges‐ tion » finale d’un grand nombre de caractères et de mots peu fréquents. Lorsque, par malheur, les cours au sein d’un même établissement n’étaient pas coordonnés entre eux et que chaque enseignant donnait comme supports ses propres textes, les étudiants se trouvaient, à chaque cours, pris sous un bombardement massif de caractères nouveaux. Seuls les plus vaillants survivaient.
1. Citons notamment le Dictionnaire concis français-chinois chinois-français publié en Chine par Shangwu yin‐ shuguan (Presse commerciale). Petit et pratique, il connaissait un franc succès auprès des étudiants : un jour, nous en avons aperçu un spécimen littéralement réduit en lambeau à force d’usage… Sachant que sa proprié‐ taire était en très grande difficulté dans ses études, c’est dire les dégâts qu’a pu causer cette façon de travailler. 2. Cadre européen commun de référence pour les langues, élaboré en 2001 par le Conseil de l’Europe.
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III. Apprendre
2. LIBÉRER L’ORAL DU CARCAN DE L’ÉCRIT Un tel objectif, faut-il le préciser, si ambitieux soit-il, ne convient pas forcément à tous les cursus ni à tous les apprenants. Il en est qui peuvent très bien, sans se soucier de la moindre compétence orale, apprendre seulement le chinois écrit, dans le but, par exemple, d’entreprendre une étude philologique ou paléographique ; d’autres n’apprendront que l’écriture, comme le font certains qui pratiquent la calligraphie. L’inverse est également vrai : il arrive qu’un adulte parle chinois sans savoir le lire, mais cela ne peut guère se réaliser que s’il se trouve en immersion totale pendant de longues années. Cependant, étudier le chinois pour pouvoir non seulement le lire mais aussi dialoguer avec des natifs, c’est, sans aucun doute, la ferme intention ou, au moins, le souhait d’une écrasante majorité des étudiants qui commencent chaque année un cursus de chinois à l’université. Face à ce besoin, mener de front l’étude de l’écrit et l’entraînement à l’oral devient une nécessité. Une telle démarche, néanmoins, qui n’a rien de sorcier si l’on apprend l’italien, constitue la problématique centrale de l’étude du chinois en raison d’un écrit incommensurablement plus compliqué par rapport à l’oral. Caractérisé par sa forte opacité phonographique, sa complexité graphique et le mode d’acquisition spécial qu’il exige, l’écrit est plus long à maîtriser, et la durée de l’apprentissage est d’autant moins compressible qu’elle dépend du niveau atteint. Car, pour apprendre les caractères, on n’aura d’autres moyens que de les acquérir un à un et ce, jusqu’à ce qu’on en ait assimilé un nombre respectable. Pour comprendre ou formuler un message écrit, ne serait-ce que le plus banal, il faut connaître tous les caractères qui le composent. Paradoxalement, les plus usuels ne sont pas néces‐ sairement les plus simples à écrire, ni les plus faciles à retenir, ni même les plus transparents phonétiquement. D’après notre relevé, 42 % des 900 caractères du niveau I sont immotivés et illogiques, donc inexplicables par leur sens et par leur prononciation. En conséquence, à la phase d’initiation, l’écriture se trouve d’office au centre de toutes les attentions et de tous les efforts, souvent au détriment d’autres aspects de la langue. C’est précisément là le nœud du problème. On le sait bien, le chinois n’est pas constitué de caractères, mais de mots qui sont, eux, ordonnés en une phrase suivant des règles grammaticales. Ce n’est pas en traçant des caractères que l’on se familiarisera avec l’ordre des mots, mais bien par l’écoute et la pratique orale. L’entraînement à l’oral et l’apprentissage de l’écrit obéissent à deux
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logiques différentes1 : le premier, basé sur l’acquisition du vocabulaire et des structures grammaticales, relève du fonctionnement même de la langue, tandis que le second, exigeant la mémorisation des caractères un à un, se tra‐ vaille en fait à un autre niveau. En effet, l’expression idiomatique « ne pas savoir ali‐ gner trois mots » dans telle ou telle langue révèle préci‐ sément un fait de langue universel : les mots d’une phrase, prononcée ou écrite, s’alignent selon une dimension linéaire, et ils se succèdent non seulement un à un, mais aussi, un seul à la fois.
他必須把放牧的馬群趕 到林帶裏去。他騎在馬上, [……] 在馬群周圍奔馳,叱 呵和指揮離群的馬兒。
Ce n’est pas le cas de l’écriture, qui n’obéit pas à une telle contrainte. Un caractère – pour ne parler que du Tā bìxū bǎ fàngmù de chinois –, formé de traits et de composants, est, lui, dis‐ mǎqún gǎndào líndài lǐ qù. Tā qízài mǎshàng, zài mǎqún posé dans un espace bidimensionnel. Faisons un test à zhōuwéi bēnchí, chìhē hé l’aide du caractère mă « cheval », peu importe qu’on zhǐhuī lí qún de mǎ’ér. écrive 马 ou 馬 : lorsque vous le travaillez, vous devez Il lui fallut conduire les chevaux jusqu’au bois. Sur sa pénétrer dans son « intérieur », pour analyser sa compo‐ monture, il galopait autour sition, pour le tracer trait par trait, etc. Dès lors, vous le du troupeau, […] hélait et diri‐ geait ceux qui tentaient de sortez de son environnement syntaxique et linéaire. Vous s’éloigner. (Nous traduisons.) avez même tout loisir de contempler sa calligraphie (figure 46 en haut) et de laisser aller votre imagination Figure 46. En haut : le caractère 馬 calligraphié par Zhang Ruitu jusqu’à y percevoir un cheval avec ses quatre jambes en (xviie siècle). En bas : un extrait mouvement et sa crinière au vent2. Or, tant que vous ferez de Ling yu rou [Âme et chair] de cet « arrêt sur image », vous laisserez automatiquement Zhang Xianliang (1981). de côté la syntaxe, la grammaire voire la prononciation du caractère. En revanche, si vous lisez ce passage (figure 46 en bas) dans une lecture linéaire et dynamique, les quatre occurrences de 馬 – en gras dans le texte en pinyin – seront prises à chaque fois comme des signes globaux, dont vous oublierez les jambes et la crinière ! Lire et regarder sont donc deux actes qu’il est impossible de fusionner. Seul le premier est de nature langagière.
1. Monique Hoa. C’est du chinois ! Avant-propos. Paris : Éditions You-Feng, 1999, p. 1. 2. Nous avons bel et bien lu quelque part ce genre de propos.
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III. Apprendre
C’est pour cette raison que, la didactique du chinois vise, avant tout, à la disjonction entre ces deux logiques, entre la syntaxe et l’écriture, entre l’oral et l’écrit1. Plusieurs méthodes très novatrices ont vu le jour, dont la plus audacieuse propose deux manuels parallèles, l’un pour l’oral et l’autre pour l’écrit, chacun des deux progresse indépen‐ damment l’un de l’autre, à son rythme propre2. D’autres sont moins catégoriques et plus éclectiques. Mais, c’est le même principe qui fait consensus : on fera dire le mot avant de le faire écrire et ce, avec un décalage variable. Surtout, l’apprenant ne sera plus obligé d’écrire tout ce qu’il a besoin de dire. Dans les deux cas, le pinyin fera l’affaire pour combler le vide. Le chinois ne sera enfin enseigné comme une langue vivante que si on parvient à libérer l’oral du carcan de l’écrit.
3. ADIEU AUX BOMBARDEMENTS MASSIFS C’est aussi dans cet objectif qu’il est nécessaire de restreindre le nombre de caractères à apprendre et d’imposer des plafonds selon les niveaux. Soutenir qu’il existe plusieurs dizaines de milliers de caractère chinois tous différents les uns des autres est un non-sens total. Ces chiffres n’ont de réalité que dans les dictionnaires qui incluent de manière exhaustive tous les caractères, morts ou vivants, puisque ces mastodontes ont été délibérément conçus en s’appuyant sur la rupture entre l’écriture constatable et la réelle pratique langagière. Personne ne connaît tous ces caractères, même pas les savants les plus érudits, et personne n’en éprouve le besoin. Il y a un monde entre les caractères qui existent dans les dictionnaires et ceux qui sont réellement usités à chaque époque. Bien que ces der‐ niers varient suivant l’évolution du lexique, leur nombre, lui, ne change guère au fil de l’histoire. Grâce à une technique dite « fouille de textes », l’intelligence artificielle révèle que les grands auteurs, tels que Confucius (vie siècle av. n. è.), Sima Qian (iie av. n. è.), Cao Xueqin (xviiie) ou Lao She (xxe), qu’ils écrivent en chinois classique, prémoderne ou moderne, n’ont employé qu’une moyenne de quelque 3 000 « caractères différents » ou « vocables ».
1. Pour plus de détails sur cette question, cf. Bernard Allanic. Le débat sur la place attribuée aux caractères dans l’enseignement du chinois langue étrangère et l’émergence d’une école française de la disjonction oral/écrit. In B. Bouvier-Laffitte, Y. Loiseau (éd.). Polyphonies franco-chinoises. Paris : L’Harmattan, 2015, p. 1-16. 2. Monique Hoa, op. cit.
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Quant à la population, faute de statistiques sur sa pratique, nous prendrons comme référence le nombre de caractères dont les autorités recommandaient la connaissance lors de la campagne contre l’illettrisme. La liste de 1993, par exemple, contient 2 000 caractères, divisés en deux groupes avec 1 800 caractères de base et 200 facultatifs1. Pour les enfants, les anciens manuels d’initiation, tels que le « Classique des mille carac‐ tères » Qiānzìwén 千字文 (vie siècle) et le « Classique des trois caractères » Sānzìjīng 三字 经 (xiiie siècle), proposaient des textes limités à un millier de caractères différents. De nos jours, les écoliers du primaire sont censés savoir écrire, au bout de six ans d’études, 2 500 caractères et en reconnaître 3 000. Pourquoi a-t-on besoin de ces limites quantitatives ? Simplement parce que l’acqui‐ sition d’un nombre important de caractères n’est pas forcément synonyme d’un bon niveau de compétence écrite. Il s’avère même que plus on apprend de caractères, moins il s’en trouve qui aient une réelle utilité dans la lecture. Selon Zhou Youguang2, qui appelle ce phénomène « le taux dégressif de l’efficience des caractères3 », les 1 000 caractères les plus fréquents couvrent déjà 90 % des caractères que l’on rencontre dans les publications courantes, et 2 400 suffisent pour en couvrir jusqu’à 99 %. Au-delà, plus ce nombre augmente, moins l’efficience est probante, puisque l’augmentation du « taux de couverture » deviendra de plus en plus faible. Autrement dit, pour lire la presse et les ouvrages généraux, la maîtrise des caractères rares n’apportera que très peu de bénéfices, disproportionnés par rapport aux efforts fournis. Ainsi, au lieu de s’acharner à faire avaler quantité de caractères que les apprenants ne parviendront jamais à digérer tous, mieux vaut se contenter de faire rencontrer encore et toujours les caractères essentiels, utiles et fréquents. Comparés aux objectifs fixés pour l’éducation des locuteurs natifs, le répertoire de 3 000 caractères proposé par The Graded Chinese, document destiné à l’enseignement du chinois langue seconde (cf. chap. 9.4), vise en fait un niveau très élevé, trop élevé même pour être atteignable par la plupart des établissements hors de Chine. Néanmoins, sachant que cette liste est divisée en quatre niveaux, comprenant respectivement 900 + 900 + 900 + 300 caractères, il est parfaitement envisageable de les programmer en fonc‐ tion des besoins et des faisabilités. D’ailleurs, selon les auteurs, les deux premiers
1. Su Peicheng. Xiandai hanzixue gangyao [Précis d’études sur l’écriture chinoise moderne]. Beijing : Beijing Daxue chubanshe, 1994, p. 45. 2. Zhou Youguang. Zhongguo yuwen zongheng tan [Discussions en long et en large sur la langue et l’écriture chinoise], Beijing : Renmin jiaoyu chubanshe, 1992, p. 156. 3. hànzì xiàoyòng dìjiălǜ 汉字效用递减率.
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III. Apprendre
niveaux, définis comme « vulgarisation » et « intermédiaire », suffisent « dans un pre‐ mier temps » pour servir d’« indicateur quantitatif » dans la conception des cursus et des matériaux pédagogiques1. Où en est-on réellement dans les établissements d’enseignement supérieur en France ? Vu qu’un cursus de chinois, qu’il soit du type LLCE, LEA ou LANSAD2, souffre de deux contraintes : nombre d’heures de cours limité et absence totale d’environne‐ ment d’immersion, sans compter le fait que la plupart des étudiants suivent un cursus parallèle ? Force est de constater que même ce nombre de 1 800 caractères des niveaux I et II est déjà trop élevé par rapport à l’objectif pédagogique auquel peuvent prétendre la plupart des cursus universitaires3. A-t-on manqué d’ambition ? Vaudrait-t-il mieux aller plus loin pour augmenter le niveau général ? La réponse est non. Limiter le nombre maximal de caractères à enseigner est un choix délibéré très important de la didactique du chinois. Les méthodes les plus récentes ont unanimement adopté cette position : les caractères y sont soigneusement sélectionnés en fonction de leur fréquence et programmés selon une progression raisonnée. Les caractères les plus usuels sont prioritaires. Bien sûr, à partir d’une base bien solide, les étudiants plus motivés ou ceux qui pous‐ seront leurs études plus loin auront parfaitement la capacité d’en acquérir davantage et pourquoi pas jusqu’à 3 000 ?
4. SURTOUT LECTEURS OU SCRIPTEURS ? Pour ce qui est de l’écrit, deux compétences différentes sont encore à distinguer : la reconnaissance des caractères dans la lecture et la capacité de les reproduire par l’écriture. Lire et écrire sont deux activités qui ne relèvent pas du même mécanisme psychocognitif : lire consiste à décoder, écrire à encoder. On peut très bien être un bon lecteur, mais commettre des fautes d’orthographe. En lecture, la reconnaissance visuelle
1. Op. cit. Notice. p. 2 2. Ces sigles désignent respectivement les cursus suivants : Langues, Littératures et Civilisations Étrangères ; Langues Étrangères Appliquées ; LANgues pour Spécialistes d’Autres Disciplines. 3. Sauf, sans doute, la licence LLCE de l’Inalco, un cursus de quatre ans avec, en sus, une année préparatoire. En effet, les trois volumes de sa Méthode de chinois, utilisés jusqu’à la fin de L2, traitent une totalité de 1 422 caractères « actifs ». Il est donc probable – car les statistiques manquent – qu’on atteigne le nombre de 1 800 environ à la fin de L3.
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des signes suffit pour accéder au sens et à la compréhension. Comme il s’agit d’une représentation mentale stockée dans la mémoire, cette reconnaissance ne sollicite que des informations partielles sur les signes, car le cerveau traite ces derniers comme des formes globales ou des images en faisant abstraction de certains de leurs détails, tels que l’ordre des lettres dans un mot français ou l’agencement alambiqué d’un caractère chinois. En revanche, lorsqu’il écrit, le même lecteur est obligé d’avoir la connaissance exacte et précise de ces signes pour pouvoir les reproduire dans tous leurs détails. C’est une performance bien supérieure à celle requise par la lecture. De manière générale, la reconnaissance est plus facile que la connaissance, la réception plus facile que la pro‐ duction. Et cela n’est pas spécifique au chinois, car « il existe une asymétrie de perfor‐ mance attestée dans tous les systèmes orthographiques1 ». Dans l’apprentissage d’une langue, première ou seconde, l’importance de la lecture n’est plus à démontrer. Les didacticiens considèrent celle-ci comme une activité langa‐ gière à part entière, puisqu’elle met en œuvre une large palette de connaissances tant linguistiques que culturelles. Cette activité est d’autant plus importante dans l’apprentissage du chinois que, lire et comprendre un message écrit consiste non seulement à reconnaître les caractères, mais aussi à découper leur continuum en mots. Ceux-ci étant entièrement dépourvus de repère visuel, il appartient au lecteur de les identifier au cours de sa lecture et ce, même dans une phrase simple dont le sens pourrait paraître parfaitement limpide (cf. chap. 7.8, ex. 13). Une lecture aisée est certes proportionnée à la maîtrise des caractères, mais aussi à celle des mots. Elle ne deviendra fluide que si on possède aussi un vocabulaire suffisamment riche. C’est ce que résume très bien l’auteure d’une thèse qui, après avoir mené une enquête auprès des étudiants sur leur compétence en lecture, conclut en ces termes : « le rapport entre le nombre de caractères connus et la compréhension du texte n’est pas univoque. En effet la connaissance des caractères ne garantit pas la compréhension des mots, pas plus que la compréhension des mots ne suffit à assurer une bonne compréhension des phrases, laquelle fait intervenir d’autres facteurs comme la syntaxe, la culture, les stra‐ tégies du lecteur, ses capacités de mémorisation, etc.2 ».
1. Michel Fayol, Jean-Pierre Jaffré. L’orthographe. Coll. Que sais-je ? Paris : PUF, 2014, p. 61. 2. Wang Hong. Le « niveau-seuil » de la compréhension écrite du chinois langue seconde. Thèse de doctorat, 2017, consultable sur le site HAL thèses en ligne, sur https://tel.archives-ouvertes.fr/, p. 302.
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III. Apprendre
Dans leur future vie professionnelle, nos apprenants auront surtout besoin de comprendre et de lire du chinois écrit – enseignes et affiches dans la rue, messages courts de tout genre, presse, œuvres littéraires ou documents spécialisés. En revanche, à une époque où l’écriture numérique est omniprésente, ils auront rarement besoin de tracer manuellement des caractères, et seront encore plus rarement amenés à écrire à la main de longs textes. Même les natifs ne le font plus guère ! Que se passe-t-il quand on « écrit » sur un clavier d’ordinateur ou de téléphone ? Cela ne change pas grand-chose si on écrit du français, car la connaissance orthographique reste toujours nécessaire, puisque les lettres d’un mot sont écrites ou saisies une à une. Quand il s’agit du chinois, en revanche, cela change tout. Les caractères numériques étant des « préfabriqués » prêts à l’emploi, on n’aura plus besoin de se soucier de leurs détails, lorsqu’on les saisit par leur prononciation, c’est-à-dire, par le biais du pinyin le plus souvent : il suffit de les reconnaître sur l’écran, puis, le cas échéant, de choisir parmi les homophones proposés. Cela signifie que l’écriture numérique sollicite aussi la reconnaissance, au moins celle des caractères. Devant une telle perspective, la réception écrite devrait paraître, loin devant la production, comme la première compétence à développer. On aurait donc tout intérêt à inciter les apprenants à lire seuls en dehors des cours. On commencera par leur proposer une « lecture scolaire », encadrée et guidée, pour faire naître, dans un premier temps, la confiance en soi et la motivation, puis, on les orientera vers une « lecture de plaisir ». Ce pilotage est d’autant plus nécessaire que peu nombreux sont ceux qui prennent l’initiative de se lancer spontanément dans l’aventure. Et pourtant, il s’avère qu’un bagage d’un millier de caractère suffit pour qu’un apprenant motivé devienne un lecteur autonome, c’est-à-dire, celui qui lira de son plein gré des textes authentiques1. Si ce volet n’est pas encore suffisamment pris en compte dans nos enseignements, on constate tout de même, dans les manuels les plus récents, une prise de conscience qui va dans ce sens. Celle-ci se traduit par la distinction désormais faite entre les caractères « actifs » et « passifs » : tous les caractères rencontrés ne sont plus traités de la même manière, ni selon les mêmes exigences. Lorsque, pour le besoin communicatif et informationnel d’un texte de leçon, il est nécessaire d’y faire apparaître certains caractères compliqués et peu fréquents, on les met « en attente » : ils sont d’abord traités comme des caractères passifs, censés être seulement reconnus à la lecture. Plus
1. Wang Hong. Ibid.
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tard, dans une leçon ultérieure ou à un niveau plus avancé, ils seront, éventuellement, devenus actifs. Pour l’heure, ce procédé semble servir avant tout à réorganiser l’ordre dans lequel on fait apparaître des caractères nouveaux en fonction de leur degré de difficulté et de leur fréquence d’emploi. D’ailleurs, la distinction entre les deux types de caractères reste encore timide, et ne touche qu’un nombre assez restreint d’entre eux. Mais, c’est déjà une belle avancée vers une véritable distinction entre la réception et la production.
5. FAUT-IL VISER L’ÉCRITURE OU L’ÉCRIT ? Venons-en maintenant à la production manuelle, phase indispensable à la maîtrise de l’écrit. Car, tout au long de leurs études, les apprenants sont constamment invités à écrire : travail personnel, exercices et contrôles sont autant d’occasions où la compé‐ tence à tracer correctement des caractères est impérative. Néanmoins, ce ne sont pas simplement des caractères qu’ils sont censés écrire, mais du chinois. Former de beaux caractères, c’est bien, mais c’est loin d’être suffisant. Là aussi, on devra « rectifier le tir » en prenant conscience de ce que l’enseignement de l’écriture ne doit en aucun cas occulter la véritable mission pédagogique qui est de développer la compétence du chinois écrit. Si ces deux aspects sont liés, séparée de l’écrit, la maîtrise de l’écriture seule ne saurait être considérée comme une compétence linguistique en soi. La confusion entre les deux est, hélas, chose courante. Dans le discours commun ou dans certains ouvrages de vulgarisation, il n’est pas rare d’entendre ou de lire ce genre d’assertion selon laquelle la phrase chinoise est constituée de mots, que ces mots s’écrivent à l’aide d’un ou de plusieurs caractères – jusqu’ici tout va bien –, puis, que les caractères sont, à leur tour, composés d’éléments qui, eux, sont formés des traits. C’est bien ce que ce schéma (figure 47) cherche à illustrer. Parfois, on va en sens inverse, en partant des traits jusqu’à la phrase, mais toujours en suivant une ligne droite ! Malgré son apparence claire et logique, cette vision du chinois induit ses lecteurs en erreur. De graves erreurs. Dans ce schéma, sans compter le fait que les clés des diction‐ naires sont prises pour les composants des caractères et que les trois chiffres affichés – 8 traits, 214 clés et plus de 80 000 caractères – sont tous inexacts, on confond allègrement des éléments appartenant à deux niveaux d’articulation différents : ceux qui relèvent de la structure interne des caractères – traits et composants – et ceux qui appartiennent
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III. Apprendre
246 Phrases
Mots
80 000 caractères
214 clés
小王子问了我很多问题,但却好像从未听见我问他的问题。 小
王子
问
了
王
子 zĭ fils
wèn demander
wŏ je, moi
玉
子
门
戈
wáng roi
问
我 我
à la langue écrite, à savoir, les mots et les phrases. Selon cette logique, le phrase chinoise sera constituée, à la base, de simples traits. Espérons qu’il y a peu de lecteurs assez naïfs pour le croire !
Voici le schéma modifié et sim‐ plifié pour mieux faire com‐ prendre la différence entre ces 8 traits deux niveaux et ces deux compé‐ tences (tableau 30) : les traits et Figure 47. Extrait d’une méthode d’apprentissage des les graphèmes forment les carac‐ caractères chinois. tères, mais leur composition s’opère en dehors de la langue écrite, puisque seuls les caractères possèdent le statut de signes linguistiques et sont dotés d’un signifiant et d’un signifié. Mais, étant appelés à former, à leur tour, les mots au niveau de la langue, les caractères se trouvent en fait dans une sorte de zone tampon, située entre deux niveaux d’articulation. Autrement dit, l’écriture est à la fois le produit fini des traits et des composants et la matière première de la langue écrite. Cela dit, nous n’avons nullement l’intention de minimiser la place de l’écriture dans l’apprentissage. Durant la phase d’initiation notamment, les enseignants savent pertinemment qu’ils doivent avant tout inculquer aux apprenants les grands principes du tracé manuel et ce, par un travail de copie certes répétitif mais indispensable, si l’on veut jeter les bases, dans le mémoire kinesthésique, d’un futur « automatisme ». Ces grands principes, propres au chinois, qu’il convient de respecter de manière rigoureuse et intransigeante, ce sont les formes d’une trentaine de traits, la manière de les tracer, l’ordre des traits qui composent chacun des caractères, la forme, enfin, des composants élémentaires ainsi que leur disposition spatiale au sein de ces mêmes caractères. Il s’avère que les apprenants qui auront pris de bonnes habitudes dès le départ deviendront rapidement opérationnels, et seront capables d’écrire correctement et, même, pour certains d’entre eux, d’avoir une belle écriture. Dans la réalité, cet aspect, disons « mécanique », de l’écriture reçoit sans problème toute l’attention nécessaire. Les cahiers d’exercices d’écriture, qui représentent une aide très utile, ne manquent pas sur le marché. En revanche, l’aspect fonctionnel de l’écriture
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Tableau 30. Distinction entre la langue écrite et l’écriture.
Discours
Langue écrite
Phrases
(linéaire)
Mots
Caractères
Écriture
Composants élémentaires
(bi-dimensionnelle)
Traits
– les rôle sémantiques et phonétiques des graphèmes – est le plus souvent négligé. Autant dire que l’enseignement de l’écriture s’arrête à mi-chemin, resté qu’il est à sa phase mécanique. Il faut maintenant l’orienter vers une nouvelle étape : la compréhension du fonctionnement de ce système qu’est l’écriture chinoise moderne.
6. VERS UNE ACQUISITION RAISONNÉE, ACTIVE ET AUTONOME Un lecteur attentif l’aura remarqué, nous tenons à démolir, tout au long de cet ouvrage, l’approche « idéographique » de l’écriture chinoise, une idée reçue profon‐ dément ancrée dans les esprits. Bien que, de nos jours, peu de personnes pensent réellement que les caractères sont de véritables « idéogrammes » qui permettent un accès direct au sens, beaucoup cherchent, souvent malgré eux, à ne souligner que la nature sémantique des caractères et ce, même quand il s’agit des phonogrammes. Pendant la phase d’initiation, les sémantogrammes sont presque les seuls à faire l’objet d’explications minutieuses et individualisées. Aux dires des enseignants, ces « dis‐ sections », qui se veulent ludiques et mnémotechniques, sont d’autant mieux accueillies qu’elles semblent stimuler l’intérêt des débutants et leur faciliter la mémorisation. Admettons-le. Mais, la suite se révèle, hélas, plus douloureuse : plus les étudiants avancent dans leurs études, plus ils rencontrent de caractères impossibles à interpréter et, paradoxalement, moins ils sont guidés, faute d’approches alternatives. A posteriori, l’approche initiale leur apparaîtra comme un leurre. Résultat : pour continuer à mémoriser les caractères, nombre d’étudiants se contentent toujours du simple recopiage mécanique, LA méthode séculaire et infaillible.
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III. Apprendre
Le problème est que, si elle fonctionne chez certains, d’autres, semble-t-il, y sont réfrac‐ taires et n’obtiennent que des résultats médiocres même après des copies répétitives. Il est donc légitime de se poser cette question : « Outre leur capacité de mémoire, proba‐ blement manquent-ils de connaissances sinographiques pertinentes, ou bien le lien entre les connaissances n’a pas encore été établi1 ». En quoi consistent ces connaissances ? Les sémantogrammes, quoique fascinants et exotiques, sont si peu nombreux qu’ils présentent peu d’intérêt pédagogique. Il est bon de savoir les analyser et de comprendre le rôle des « clés », mais ces connaissances res‐ tent très limitées. Les seuls caractères réellement exploitables sont les phonogrammes, beaucoup plus nombreux qu’on ne l’imagine. Aussi a-t-on tout intérêt à exploiter pleinement et ce, dans la mesure du possible, les fonctions qu’assument au sein des caractères les graphèmes sémantiques et phonétiques. Seule la prise en compte conjointe des deux permettra d’apprendre, par séries, des caractères que regroupent le sens ou le son. Ces connaissances ne pourront qu’être bénéfiques aux apprenants : elles rendront la mémorisation moins mécanique et moins passive, y compris pour ceux qui réussissent par le recopiage répétitif. Voyons, en premier lieu, les graphèmes sémantiques. Les manuels se contentent généralement de présenter un certain nombre de « clés », à savoir « têtes de catégories », soit sous forme d’une liste, soit en regard de chacun des caractères nouveaux. Ce traitement pose deux problèmes : primo, les graphèmes sémantiques et les « clés » étant deux notions distinctes (cf. chap. 9.5), certains graphèmes sont laissés de côté ; secundo, rarement accompagnée d’explications, la présentation des clés se résume à une traduction ou à une paraphrase : on signale simplement que 口 signifie « bouche » ou que 攵 représente « une main tenant un bâton ». Or, ces graphèmes peuvent souvent couvrir un champ sémantique très large et leur rôle au sein des caractères ne se limite pas toujours à apporter leur sémantisme. Par ailleurs, tout n’est pas aussi limpide, certains d’entre eux ayant un sens indirect et implicite. C’est ce que montre ici la « carte d’identité » du graphème 口 kǒu (tableau 31), qui récapitule, d’une part, les nombreux sèmes qu’il peut activer en tant que sémantique et, d’autre part, les autres fonctions qu’il est susceptible d’assumer. L’examen de ce tableau permet de faire les remarques suivantes : (1) En tant que graphème sémantique
1. Li Jing. Stratégies d’apprentissage des sinogrammes chez les apprenants francophones. Thèse de doctorat, soutenue en 2014 à l’Inalco, p. 136.
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Tableau 31. « Carte d’identité » du graphème 口 kǒu « bouche ». II. Fonction figurative
I. Fonction sémantique
III. Fonction phonétique
1. Objet transperçable ou transpercé 中 zhōng « centre, milieu » 串 chuàn « enfilade, brochette »
扣 kòu
2. Actes de la bouche 吃 chī « manger » 含 hán « garder dans la bouche »
2. Boîte ou autre contenant 合 hé « fermer »
3. « bec, trompe (d’insecte) » 鸣 míng (oiseau) « chanter » 叮 dīng (insecte) « piquer »
3. Construction architecturale 宫 gōng « palais » 高 gāo « haut »
4. Actes vocaux 喊 hăn « crier » 唱 chàng « chanter » 哭 kū « pleurer » (吅 : « bruyant »)
4. Ficelle 束 shù « botte, bouquet »
5. Actes de la parole 问 wèn « interroger » 告 gào « annoncer » 吓 hè « menacer »
6. Particules ou interjections 吗 ma « est-ce que » 哪 nă « lequel ? » 喂 wèi « Allo ! »
1. « bouche » 嘴 zuĭ « bouche »
« boutonner »
IV. Fonction distinctive
只 zhǐ « ne… que »
古 gǔ
« antique »
嗅 xiù
« renifler »
« bouche », 口 possède un sens très large, étant susceptible d’activer plusieurs sèmes différents ; (2) il sert parfois de simple « image » pour représenter la forme physique des objets, dans ce cas, il perd totalement le sens de « bouche » ; (3) il peut même avoir fonction de graphème phonétique ; (4) dans d’autres caractères, il n’est analysable ni par son sens ni par sa prononciation, mais assume seulement une fonction distinctive sur le plan graphique. Ainsi, pour faire comprendre la motivation de tous ces caractères montrés dans le tableau, il ne suffit pas de dire que le graphème 口 signifie « bouche ». En partant de ce
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III. Apprendre
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seul sens, en se limitant à cette fonction exclusive, on risquera de s’empêtrer dans des explications bancales, peu convaincantes voire fantaisistes. Quant aux graphèmes phonétiques, l’enseignement les traite trop souvent en parents pauvres : jamais ils n’ont bénéficié du traitement de faveur qu’on réserve aux « clés ». Sous prétexte de leur inefficacité, on les relègue injustement au second plan, voire dans une obscurité totale. Et il semble que les apprenants, eux aussi, quand ils cherchent à mémoriser les caractères par le biais des « composants », ils se réfèrent tous aux fameuses « clés », et n’évoquent jamais les phonétiques1 ! Et pourtant, ces derniers sont aussi chargés d’informations intéressantes. Mais, comme ils représentent les ancêtres d’une ou de plusieurs familles, ce ne sont pas des « cartes d’identité » qu’il leur faut, mais des « livrets de famille ». Nous avons vu précédemment les exemples de gèn et de zhĕ (cf. chap. 9.9). Voici une autre grande famille regroupée autour de 佥 qiān (tableau 32). Comme on peut le remarquer, la majorité de ces caractères appartiennent aux deux premiers niveaux, tels qu’établi par le Graded Chinese. L’intérêt pédagogique de leur activation en série ne fait donc aucun doute. Tableau 32. « Livret de famille » du phonétique 佥 qiān (Les chiffres indiquent leurs niveaux de fréquence et « hl » signifie « hors-liste »)
佥 qiān Même groupe de consonnes Descendant direct
签 2 qiān
Même rime
Parents proches
检 1 jiăn 捡 2 jiăn 剑 2 jiàn 俭 3 jiăn (睑 hl jiăn)
Parents lointains
险 1 xiăn
验 1 yàn
脸 1 liăn 敛 4 liăn (殓 hl liăn)
Ainsi, « cartes d’identité » pour les sémantiques et « livrets de famille » pour les phonétiques, ce sont là les véritables « clés » qu’il faut fournir aux apprenants. Mais, c’est plus facile à dire qu’à faire. Il existe deux obstacles qui pourront frei‐ ner cette initiative, l’un relève de contraintes « logistiques », l’autre des impératifs qu’impose la progression pédagogique.
1. Li Jing, op. cit. p. 170.
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En premier lieu, contraint par un programme chargé et par un nombre d’heures limité, aucun cursus, universitaire ou autre, ne saurait se permettre d’intégrer les études de graphème aussi détaillées, quelque intéressante que puisse être l’opération. De même pour les apprenants, qui ont déjà suffisamment de choses à apprendre et de compétences à acquérir, sans devoir ingurgiter, en plus, ces connaissances supplémentaires et paral‐ lèles, dont il faut bien reconnaître qu’elles sont accessoires et facultatives ! Le deuxième obstacle est que ces informations accompagnent difficilement la pro‐ gression de l’enseignement. Le problème vient surtout des phonétiques, car, comme nous l’avons mentionné, un grand nombre d’entre eux sont des caractères rares, désuets ou peu usuels, comme 艮 gèn et 佥 qiān. D’autres, même si ce sont des caractères usuels, ils le sont moins que les phonogrammes qu’ils génèrent. C’est ainsi, par exemple, que l’usage de 者 zhĕ est moins fréquent que 都 dōu/dū. Résultat : suivant la progression des cours, on rencontre des phonogrammes avant – parfois même bien avant – leur phonétique, ce qui ôte tout intérêt à ce beau projet. Que faire ?
7. EH BIEN, FAIRE CONFIANCE AUX APPRENANTS C’est la toute première attitude qu’il faut adopter. Les enseignants ne sont pas ceux qui savent tout, pas plus que les apprenants seraient ceux qui ne connaissent rien. Commençons par cesser d’exagérer les difficultés de l’écriture chinoise et de vouloir tout expliquer. On fera confiance aux apprenants dans leur capacité à étudier en autonomie et à élaborer chacun ses propres stratégies d’apprentissage. N’oublions pas qu’ils sont là pour apprendre le chinois, certes, mais aussi pour apprendre à apprendre. Au lieu de procéder à des dissections, caractère par caractère, opérations fastidieuses et souvent inutilement compliquées, nous proposons de fournir d’emblée la clé qui leur permettra de gérer à leur guise un maximum de ressources. Lorsqu’ils rencontreront tel ou tel caractère, ils n’auront qu’à consulter ces « cartes d’identité » des sémantiques ou ces « livret de famille » des phonétiques. C’est précisément dans cet esprit que nous avons élaboré une sorte de « dictionnaire de rimes », intitulée « Série de phonogrammes fréquents du chinois contemporain », que l’on trouve à la fin de l’ouvrage. Elle permet de montrer l’efficience phonographique de plus de 2 000 caractères usuels et d’offrir ainsi une nouvelle vision sur l’écriture moderne. Mais, c’est avant tout un outil de travail.
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III. Apprendre
D’abord pour les enseignants : non seulement les phonogrammes ne seront plus enseignés dans l’ordre dispersé, et surtout, ils deviennent facilement explicables. Les seules précautions à prendre consistent à veiller à la progression. En effet, il n’est pas judicieux ni nécessaire de livrer toutes les informations en une seule fois, celles-ci devront correspondre à un niveau prédéfini. Il reviendra aux enseignants et aux concepteurs de manuels de mesurer les bonnes doses. Ensuite pour les apprenants dans leur travail autonome. Ce qu’il faut préciser, c’est qu’ils n’auront nul besoin d’emmagasiner ces connaissances. Lorsqu’ils rencontrent un nouveau caractère, il suffit de consulter le « dico-rimes » pour voir s’il s’agit bien d’un phonogramme. Si oui, cette information leur facilitera la mémorisation du caractère en question. Cette façon de procéder les incitera à étudier en autonomie sans se voir infliger une surcharge de travail. Reste encore un hic et pas le moindre : sachant que ces informations ne concernent que les caractères motivés et semi-motivés, que fait-on des caractères totalement démo‐ tivés et non explicables ? Là aussi, on peut faire confiance aux apprenants, car ils ont plus d’un tour dans leur sac : une enquête effectuée auprès de 124 étudiants des quatre niveaux d’études a recensé pas moins d’une cinquantaine de « stratégies »1 ! C’est dire combien les méthodes de travail peuvent fortement varier d’un individu à l’autre. Cette variation traduit les nombreux facteurs qui entrent en jeu dans leur apprentissage : profil, style, sexe, âge, motivation, formation intellectuelle et niveau d’études, etc. En présence d’un caractère qui ne s’explique pas, mieux vaut inciter les apprenants à mobiliser leur propre imagination et leurs propres ressources en vue de la mémorisa‐ tion. D’autant que les explications bancales ou fantaisistes laborieusement échafaudées par l’enseignant ne sont pas forcément celles qui leur conviennent et qui peuvent réellement les aider.
1. Ces stratégies diverses et variées sont plus ou moins personnelles, l’auteure de l’enquête les regroupe en dix grandes « catégories ». Cf. Li Jing, op. cit. p. 151.
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8. L’ÉCRITURE CHINOISE EST-ELLE RÉELLEMENT SI DIFFICILE ? Si vous posez la question aux apprenants, ce n’est certainement pas un avis unanime. Force est de constater que, contrairement à ce que l’on imagine, une fois qu’ils ont mis au point leurs propres stratégies de mémorisation, la plupart d’entre eux ne font que très peu de fautes de caractères dans leur production écrite et certains n’en font presque jamais. C’est surprenant mais vrai1. Cette prétendue difficulté est plutôt un préjugé ancré dans l’esprit des enseignants. Dans ce milieu, on est convaincu et on répète à l’envi que l’écriture chinoise, si éloignée de celle du français, est trop difficile pour les apprenants francophones, bien que cette déclaration ne soit jamais vérifiée avec preuve à l’appui. Partant de ce postulat et avec la meilleure volonté du monde, on cherche à proposer quantité de méthodes spécifiques pour aider à surmonter ces prétendues difficultés. Tout se passe comme si l’écriture chinoise était un système rationnel, ingénieux et très bien pensé et qu’il était trop banal ou trop insipide de reconnaître ses failles ou ses irré‐ gularités. Sans parler du fait qu’elles sont souvent accompagnées d’une arrière-pensée « culturelle », ces démarches spécifiquement centrées sur l’écriture offrent une vision trompeuse de la réalité et, surtout, ne sont pas outre mesure efficaces pour améliorer la compétence en chinois écrit. L’orthographe des caractères chinois est-elle réellement si difficile ? Plus difficile que celle du français ? Tout compte fait, nos apprenants sont des adultes déjà bien entraînés, quoique de manière différente, puisqu’ils ont dû acquérir l’orthographe... française. La comparaison entre les deux n’a rien d’incongru : la langue écrite du français a, elle aussi, la réputation d’être « l’une des plus difficiles au monde », et d’aucuns la considèrent même comme « une autre langue ». Quand on pense que l’orthographe française représente pour une partie de la population tant de souffrances que, même adulte, nul ne peut prétendre à l’infaillibilité scripturale ; quand on constate que sa réforme pose tant de problèmes aux usagers, aux enseignants et aux autorités, la difficulté du chinois écrit devient alors toute relative :
1. En 2015, nous avons examiné les copies d’un contrôle de fin de 3e année, durant lequel aucun document écrit n’était autorisé. Il s’agit d’une rédaction de 300 caractères sur un sujet imposé. Voici les résultats : parmi les 59 copies ayant obtenu une note supérieure ou égale à 10/20, quinze (40 %) ne comportent aucune faute de carac‐ tères et six (10 %) ne présentent, au maximum, que 5 à 6 fautes.
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254
III. Apprendre
un caractère reste quant à lui invariable en tout contexte, et peut être acquis une fois pour toutes. Curieusement, cette spécificité chinoise est rarement mise en avant ! Loin de nous l’intention de nier les difficultés auxquels les apprenants peuvent se heurter. Mais, tout le monde s’accorde pour dire que ces difficultés se concentrent notamment à la phase d’initiation tant dans l’acquisition mécanique que dans la compréhension intellectuelle. En effet, comme nous venons de le voir, les premiers caractères qu’on apprend sont pour la plupart difficiles à écrire et, de surcroît, inexplicables. Mais, cette situation va s’inverser au fur et à mesure qu’on avance dans les études : d’une part, on écrira beaucoup plus aisément après s’être fait la main et, d’autre part, parmi les nouveaux lots de caractères qu’on rencontrera, ceux qui sont motivés – surtout les phonogrammes – prendront une proportion de plus en plus grande et l’emporteront progressivement sur les semi-motivés et les immotivés, comme le montrent les résultats issus de nos analyses (tableau 33). Tableau 33. Pourcentages des caractères immotivés, semi-immotivés et motivés selon les niveaux.
N’est-ce pas une belle perspective qui est susceptible de donner du courage et de l’optimisme ? C’est, en tout cas, celle que se proposait de montrer le présent ouvrage. En guise de conclusion, voici quelques mots de Nina Catach qui, bien que concernant l’orthographe française, résument parfaitement notre propre position, à savoir que nous devrons rendre à l’apprentissage de l’écriture « sa juste place, qui n’est pas petite,
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10. L’acquisition du chinois écrit
255
ni non plus démesurée, en tant que forme nationale d’écriture d’une langue, comparable en importance (et en complexité) à la prononciation pour l’oralité1 ».
1. Nina Catach. L’orthographe. Paris : PUF, 1978, p. 111.
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes » Dāngdài chángyòng xíngshēngzì xìliè 当代常用形声字系列
Rassembler les phonogrammes en famille, ou en série, selon leurs graphèmes pho‐ nétiques relève d’une longue tradition lexicographique. Suivant le principe de ces dictionnaires anciens qu’on appelle yùnshū 韵书 « livres de rimes », nous avons constitué ces 618 familles regroupant plus de 2 000 phonogrammes du chinois contemporain. Le nombre total des familles ainsi que le choix de leurs membres étant volontairement restreints au registre courant, ce petit « Dico-rimes » n’a donc pas pour vocation d’être complet. Ainsi, la liste demeure ouverte à d’autres éléments, moins fréquents ou rares, qui pourraient s’y inscrire. En premier lieu, nous avons utilisé comme référence la liste des 3 000 caractères destinés à l’enseignement du chinois langue seconde, intitulé Graded Chinese Syllables, Characters and Words for the Application of Teaching Chinese to the Speakers of Other Language (2010)1, dans laquelle nous avons relevé de manière exhaustive plus de 1 700 phonogrammes. Puis, ce résultat a été augmenté de quelque 300 autres phonogrammes moins courants mais qui figurant bien parmi les 3 500 caractères de la Liste des carac‐ tères usuels du chinois moderne (1988)2. Ces ajouts complémentaires se sont avérés
1. Hànyǔ guójì jiàoyù yòng yīnjié hànzì cíhuì děngjí huàfēn 汉语国际教育用音节汉字词汇等级划分. Pour plus de détails, cf. chap. 9.4. 2. Xiàndài hànyǔ chángyòngì biǎo 现代汉语常用字表, cf. chap. 9.4.
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L’écriture chinoise
258
nécessaires, notamment pour la mise en série des « parents lointains », lorsqu’on n’en trouve qu’un cas isolé dans la première liste. Utilisé de manière pertinente, ce dico-rimes serait un bon outil de travail pour les enseignants et les apprenants. Il permet en effet de comprendre plus facilement le lien de parenté des phonogrammes avec leur ancêtre et avec les autres membres de la famille. Lorsque ces caractères seront progressivement devenus compréhensibles et explicables, on ne les considèrera plus comme des électrons libres dans un ordre dispersé, mais dans des séries raisonnées. Sachant que les phonogrammes représentent la majorité des caractères en usage, l’acquisition du chinois écrit deviendra alors plus logique, plus méthodique et plus efficace.
D’EMPLOI • MODE Index des phonogrammes (cf. page 291) Il inclut les 1 700 caractères issus de notre liste de référence, classés par l’ordre alphabétique de leur prononciation en pinyin. Le chiffre en regard de chaque caractère indique son numéro de série dans le dico-rimes, par ex. : ba3 把 7.
Dico-rimes Colonne I : numéro de série C’est le numéro du graphème phonétique, soit « l’ancêtre » de la famille. ● Dans la majorité des cas, il est attribué à un seul phonétique. Ainsi, le numéro 7 ne
concerne que bā 巴 ainsi que toute sa famille, dont ba3 把 fait partie.
● Lorsque deux ou plusieurs phonétiques portent le même numéro, comme kě 可 et
gē 哥, tous deux numérotées de 243, le premier est un « phonétique primaire » et le second, son descendant ou son dérivé. Il s’agit au fond de la même famille.
Colonne II : graphie(s) du phonétique Les phonétiques sont classés par l’ordre alphabétique selon leur prononciation. Les homophones sont ensuite classés en fonction de leur nombre des traits, allant du plus simple au plus compliqué. ● La prononciation du phonétique est basée sur celle du putonghua et notée en
pinyin. Les prononciations multiples d’un caractère ne sont indiquées que si elles sont pertinentes en tant que phonétiques, comme 参 cān/sēn. ● Lorsque le pinyin est accompagné de °, comme 必 bì°, cela signifie que ce phoné‐ tique ne possède aucun « descendant direct » dans nos deux listes.
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
259
● Un caractère rare et désuet servant de phonétique est signalé par un astérisque, comme 夬 * guài/jué. ● Un phonétique « tronqué », ou un sémantique assumant le rôle de phonétique, sont indiqués par deux astérisques comme, ** ou 礻**. Aucun de ces deux cas ne
possède de prononciation. ● Lorsqu’un phonétique a perdu sa prononciation suite à la simplification, sa graphie
non simplifiée est donnée entre parenthèses et accompagnée de sa propre prononciation, comme 孪** (龻* luán).
Colonne III : prononciations de base générées par le phonétique.
Un phonétique génère souvent plusieurs prononciations différentes, qui corres‐ pondent à celles de ses descendants. Ce ne sont pas des syllabes proprement dites, puisque les tons ne sont pas pris en compte. Colonne IV : phonogrammes appartenant à la même famille. Ils sont distingués en plusieurs sous-groupes en fonction de leur lien de parenté avec leur ancêtre : ● dd : descendants directs ; ● pp : parents proches ; ● pl : parents lointains.
Les chiffres en exposant, comme pp1 et pp2, indiquent deux ou plusieurs sousgroupes du même statut. Cf. : cette mention peut concerner deux cas différents : ● soit un caractère que l’on peut utilement rapprocher de la famille, même si son lien
de parenté n’est pas attesté ; ● soit un caractère simplifié que l’on ne peut rattacher à sa famille que sous sa graphie non-simplifiée. Dans ce cas, celle-ci est donnée entre parenthèses. Les membres au sein du même sous-groupe sont classés en fonction de leur fré‐ quence d’usage, allant du niveau I vers le niveau IV selon le Graded Chinese. Les caractères d’une taille plus petite et d’une police différente proviennent de notre liste complémentaire. Ne faisant pas partie des caractères à apprendre en priorité, ils ne sont pas inclus dans l’Index.
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L’écriture chinoise
260 I 1
II
III
阿
12 a
ā 2
艾 安 敖*
dd 啊 a 啊 ā
bā
7
8
巴
pl 胖 pàng
an
dd 按 àn 案 àn 鞍 ān 氨 ān 庵 ān
包
bao
dd 抱 bào 胞 bāo
ao
14
dd 傲 ào 熬 áo
ao
dd 澳 ào 懊 ào
ba
dd 扒 bā 叭 bā
pa
pp 趴 pā
10
ba
dd 把 bă 爸 bà 吧 ba 吧 bā 芭 bā 靶 bă 疤 bā 笆 bā
bā
pa
犮*
ba
dd 拔 bá 跋 bá
bai
dd 百 băi 柏 băi
18
11
白
pai
pp 拍 pāi
bo
bái
pl1 伯 bó 泊 bó 舶 bó
po
pl2 迫 pò 魄 pò
pa
pl3 怕 pà 帕 pà
ban
dd 班 bān 斑 bān
ban
dd 搬 bān
般 bān
pp 跑 păo 泡 pào 炮 pào 刨 páo 袍 páo 咆 páo
保
bao
dd 堡 băo 煲 băo 褒 bāo
bao
dd 曝 bào 爆 bào
bei
dd 碑 bēi
bēi
pi
pl 啤 pí 脾 pí
北
bei
dd 背 bēi 背 bèi
bei
dd 狈 bèi
bei
dd 悖 bèi
bo
pl 脖 bó 勃 bó
bo
dd 渤 bó
bei
dd 惫 bèi
pen
pp1 喷 pēn
fen
pp2 愤 fèn
ben
dd 奔 bēn 奔 bèn
暴 卑
běi
pp 爬 pá 耙 pá
**
pao
bào 17
19
贝 bèi
孛* 20
bèi
勃 bó
21
备 bèi
贲* 22
饱 băo 苞 bāo 雹 báo
bāo
băo
bá
9
dd 伴 bàn 拌 bàn 绊 bàn pp 判 pàn 叛 pàn 畔 pàn
16
八
ban pang
ào 6
半
pan
15
奥
pl 协 xié 胁 xié
bàn
13
áo 5
xie
dd 哎 āi
ān
4
办 bàn°
ai
ài 3
IV
喷
bēn° **
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
23
本
ben
běn
24
啚*
兵
dd 笨 bèn
bīng° 33 bi
dd 鄙 bĭ
宾
bĭ
匕 比 bĭ
必
bi
宓*
dd 比 bĭ 34
bi
dd 毕 bì 毙 bì 秕 bĭ 庇 bì
pi
pp 批 pī 屁 pì
mi
pp 秘 mì 泌 mì
mi
dd 密 mì 蜜 mì
bi
dd 鼻 bí 痹 bì
36
畀* bì
28
敝* bì
29
扁 biǎn
30
便
bi
dd 弊 bì 蔽 bì
bie
pl 憋 biē 鳖 biē
38
dd 遍 biàn 编 biān 蝙 biān 匾 biǎn
39
bian pian
bing
dd 柄 bǐng 病 bìng
并
bing
dd 饼 bǐng
ping
bìng
pp 瓶 píng 屏 píng
pin
pl 拼 pīn
卜
bu
dd 补 bǔ
pu
bǔ
pp1 扑 pū 仆 pú 朴 pǔ
fu
pp2 赴 fù
不
huai
丙
辡* biàn
pp 篇 piān 偏 piān 骗 piàn 翩 piān
bian
bian ban
dd 辩 biàn 辨 biàn 辫 biàn
32
biāo
biao
布
bu
dd 怖 bù
cai
dd 材 cái 财 cái
cái
chai
pp 豺 chái
采
cai
dd 彩 cǎi 菜 cài 踩 cǎi 睬 cǎi
才
41
参 cān shēn
can chan shen
pp 瓣 bàn cf.
猋*
huan
cǎi
dd 鞭 biān
办 (辦) bàn
dd 飙 biāo
42
怀 huái 坏 huài cf. 还 hái pl2 还 huán 环 huán pl1
bù°
bù
40
biàn
31
37
cf. 乒 pīng 乓 pāng
dd 滨 bīn 缤 bīn 鬓 bìn
mì
27
pp 宾 bīn
bin
bǐng
35
bì° 26
bīn
bì 25
bin
261
仓
cang
cāng
qiang
chuang
dd1 惨 cǎn pp 掺 chān dd2 渗 shèn dd 苍 cāng 舱 cāng 沧 cāng pl1 创 chuàng 创 chuāng 疮 chuāng pl2 枪 qiāng 抢 qiǎng 呛 qiàng
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L’écriture chinoise
262
43
44
45
臧* cáng zàng
曹
cang
dd1 藏 cáng
zang
dd2 藏 zàng
cao
dd 槽 cáo
cáo
zao
pp 糟 zāo 遭 zāo
册
shan
pl 删 shān 珊 shān 栅 zhà / shān
cè°
46
47
48
曾 céng zēng
差 chā chāi°
臿*
55
56
查 chá
57
51
毚
( * chán)
产
ceng zeng seng
dd1 蹭 cèng dd 2 增 zēng 赠 zèng 憎 zēng
58
pp 僧 sēng 59
cuo
昌
pl 搓 cuō 磋 cuō
cha
dd 插 chā
cha
dd 碴 chá
zha
pp 渣 zhā 喳 zhā
尝
chan
54
cháo
pp 辙 zhé
chen zhen shen
dd 晨 chén pp 振 zhèn 震 zhèn
chun
cf. 唇 chún
zheng
pp 蒸 zhēng 拯 zhěng
chan
cheng
dd 城 chéng 诚 chéng 盛 chéng
dd 搀 chān 馋 chán
dd 铲 chǎn
chao
dd 唱 chàng 倡 chàng 猖 chāng
呈
cheng
dd 程 chéng 逞 chěng
sheng
dd 剩 shèng
chi
dd 迟 chí
niu
pl 扭 niǔ 纽 niǔ 钮 niǔ
chu
dd 础 chǔ
chū
zhuo
pl 拙 zhuō 茁 zhuó
豖*
zhuo
pl 琢 zhuó 啄 zhuó
乘 chéng shèng
尺 丑 出
畜
xu
chù / xù
dd 偿 cháng
dd 潮 cháo 嘲 cháo
sheng
pp 盛 shèng
chù° 65
chang
chéng
chǒu°
64 chang
成
chǐ
63
cháng
朝
61
62
chāng 53
dd 撤 chè 澈 chè
zhe
chéng
60
chǎn 52
丞*
che
chéng°
**
50
辰 chén
chā 49
**
66
川 巛* chuān°
dd1 搐 chù dd2 蓄 xù
xun
pl1 训 xùn 巡 xún 驯 xùn
shun
pl2 顺 shùn
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
67
68
垂
chui
dd 锤 chuí 捶 chuí
chuí
shui
pp
春
chun
dd 蠢 chŭn 椿 chūn
chūn 69
此 cĭ
70
71
次
ci
dd 雌 cí
zi
pp 紫 zĭ
cì
zi
朿*
ci
dd 刺 cì
ci
pl 策 cè
cong
dd 葱 cōng
从
cong
dd 丛 cóng
song
cóng
pp1
zong
耸 sǒng 2 pp 纵 zòng
崔
cui
dd 催 cuī 摧 cuī
cōng
73
74
cuī
75
dd
ce
匆
毳*
80
82
83
84
寸 沓*
qiao
78
dá
79
大 dà
dan
dān shàn°
chan
tan
85
cun
dd 村 cūn
87
ta
dd 踏 tà
da ta
da
cf. 答 dá / dā dd 达 dá
pp2 阐 chăn 禅 chán 蝉 chán pp 檀 tán
shan
pl2 擅 shàn
旦
dan
dd 但 dàn 担 dān 胆 dăn
dàn
tan
pp 坦 tăn 袒 tăn
当
dang
dd 挡 dăng 档 dàng 裆 dāng
dao
dd 叨 dāo 到 dào
dao
dd 倒 dăo 倒 dào
dao
dd 捣 dăo
deng
dd 瞪 dèng 凳 dèng 蹬 dēng
pl1 颤 chàn
dāo
岛 登 dēng
cheng
氐*
di
dd 低 dī 底 dĭ 抵 dĭ
di
dd 滴 dī 嘀 dí 嫡 dí
di
dd 缔 dì 蒂 dì
ti
pp 蹄 tí 啼 tí
pl 橙 chéng 澄 chéng
dī
dd 搭 dā 瘩 da / dá pp 塔 tă
pp1 弹 tán
dăn°
dăo
88
dd 弹 dàn 掸 dăn
tan chan
到 86
dd 袋 dài 贷 dài
亶*
刀 刂**
pl 撬 qiào 橇 qiāo
dá°/ tà
荅*
单
dào
cùn
77
dai
dāng
cuì° 76
代 dài
81
瓷 cí pp 资 zī 咨 zī 姿 zī
cì 72
睡 shuì
89
啇* dí
90
263
帝 dì
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L’écriture chinoise
264
91
弟 dì
92
刁
di ti
diao
diāo
丁 dīng
ding ting
东
ting
董 斗
dong
dd 懂 dǒng
dou
dd 抖 dǒu 蚪 dǒu
dǒu 97
豆
dou
dd 逗 dòu 痘 dòu
du
dd 渡 dù 镀 dù
dòu 98
度 dù
99
100
耑*
duan
duān zhuān°
chuai
段 duàn
dd 停 tíng
dd 冻 dòng 栋 dòng
dǒng 96
dd 顶 dĭng 订 dìng 叮 dīng 盯 dīng 钉 dīng 钉 dìng
chuan
dd 端 duān pp 喘 chuăn
多
tui
103
朵
pl1 锐 ruì
shui
pl2 税 shuì 说 shuì
yue
pl3 悦 yuè 阅 yuè
duo
dd 哆 duō
duo
dd 躲 duǒ 垛 duǒ 跺 duò
duo
dd1 堕(墮) duò
duǒ
陏 /隋 104
duò / suí sui
dd2 随(隨) suí
duo
dd1 惰 duò
sui
dd2 髓 suĭ
e
dd 鳄 è 愕 è
er
dd 饵 ĕr
bo
pl1 拨 bō
fā°
po
pl2 泼 pō
伐
fa
dd 阀 fá 筏 fá
**
105
pp 蜕 tuì
rui
duō
咢* è
106
耳 ĕr
107
108
发
fá
109
pl 揣 chuāi 揣 chuăi 踹 chuài 110
duan
兑 duì°
dd 叼 diāo
dong
dōng 95
pp 梯 tī 剃 tì 涕 tì
101
pp 厅 tīng 亭 tíng
tíng 94
cf. 第 dì
102
93
亭
dd 递 dì
番
fan
111
pp 潘 pān
fān
pan
凡
fan
dd 帆 fān 矾 fán
fan
dd 樊 fán
fán
dd 锻 duàn 缎 duàn
dd 翻 fān
棥* fán
cf. 藩 fān
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
樊
pan
fán 112
反 făn
方 fāng
fan
dd 饭 fàn 返 făn 贩 fàn
ban
pp 板 băn 版 băn 扳 bān
fang
dd 房 fáng 防 fáng 访 făng 放 fàng 仿 făng 芳 fāng 妨 fáng 肪 fáng 纺 făng 坊 fāng 肪 fáng
pang
113
páng
115
dd 螃 pánɡ pang bang
非
fei
fēi
pai
分 fēn
116
风
bei
fen pen
丰
bāng
dd 啡 fēi 匪 fĕi 绯 fēi 诽 fĕi 菲 fēi pp 悲 bēi 辈 bèi
119
dd 份 fèn 氛 fēn 纷 fēn 粉 fĕn 吩 fēn 芬 fēn 忿 fèn pp 盆 pén pl1
feng
bang
dd 锋 fēng 峰 fēng 蜂 fēng 逢 féng
feng
dd 缝 féng 缝 fèng
féng
peng
pp 篷 péng 蓬 péng
夫
fu
dd 肤 fū 扶 fú 麸 fū 芙 fú
fei
pl1 肺 fèi
pei
pl2 沛 pèi
fu
dd 袱 fú
fu
dd 浮 fú 俘 fú 孵 fū
fu
cf. 佛 fó
féng
逢
fū
120
巿* fú°
121
伏 fú
122
孚* fú
123
弗* fú
124
dd 疯 fēng 讽 fĕng 枫 fēng
pl 邦 bāng 蚌 bàng dd 帮 bāng 绑 băng 梆 bāng
畐* fú / bì
fei
fu bi
dd 拂 fú pl 费 fèi 沸 fèi dd1 福 fú 富 fù 幅 fú 副 fù 辐 fú 蝠 fú dd2 逼 bī dd 辅 fŭ 脯 fŭ
扮 bàn 颁 bān pl2 盼 pàn
cf. 凤 fèng bang
feng
pl 排 pái 徘 pái
pan
fēng°
邦
pp 榜 băng 傍 bàng 膀 băng 磅 bàng 谤 bàng 镑 bàng
ban
fēng
117
118
pp 旁 páng
旁
114
夆*
pp 攀 pān
265
甫
fu
pp1 捕 bŭ 哺 bŭ
bu
fŭ
pu
pp2 铺 pū 葡 pú 铺 pù 浦 pŭ 脯 pú 圃 pǔ cf. 蒲 pú
125
旉*
fu
dd 敷 fū
fu
dd 傅 fù 缚 fù
bo
pl 博 bó 搏 bó 膊 bó
fū
尃* fū
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L’écriture chinoise
266
溥* pŭ° 126
父
bu
pp 簿 bù
bo
pl 薄 bó
fu
dd 斧 fŭ
fu
dd 府 fŭ 咐 fù 附 fù 符 fú
fù
付 fù 127
府
fu
fŭ
复
fu
fù 128
復*
fu
dd 腐 fŭ 俯 fŭ
133
134
129
135
干
gan
dd 赶 găn 杆 gān 肝 gān 杆 găn 竿 gān 秆 ɡǎn
kan
gān
pp1 刊 kān
han
pp2 汗 hàn 罕 hăn 旱 hàn
130
旱
han
hàn
厈*
an
132
甘
gao
dd 搞 găo 稿 găo 膏 gāo 篙 gāo 镐 găo
**
hao
dd 豪 háo 毫 háo
豪
hao
dd
gao
dd 诰 gào pp1 靠 kào
hao
gào
pp2 浩 hào 皓 hào
ku
pl1 酷 kù
gu
pl2 梏 gù
cao
pp 糙 cāo
ge
dd 隔 gé
ge
dd 格 gé 胳 gē 阁 gé 鸽 gē
造 zào°
鬲* gé
dd 捍 hàn 焊 hàn 悍 hàn
dd 岸 àn
各
ke
gè
luo
lu lao
dd 柑 ɡān
gān
pp 酣 hān 邯 hán
阁
**
gan
干(乾) gān 干(幹) gàn
路
han
pp 韩 hán
pp 客 kè 坷 kē 苛 kē pl1 路 lù 赂 lù pl2 络 luò 骆 luò 洛 luò pl3 酪 lào 烙 lào
138
cf.
嚎 háo 壕 háo
告 136
137
pp 蒿 hāo
kao
han
倝
dd 糕 gāo
hao
gan
( * gàn)
gao
gāo
àn 131
dd 刚 gāng 钢 gāng 纲 gāng 岗 găng
háo
dd 覆 fù
dd 钙 gài
羔 高
dd 腹 fù
gai
gài
gang
gāo
fù
丐
冈 gāng
ge
dd 搁 gē
lu
dd 露 lù
gé
lù
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
洛
luo
luò
139
艮* gèn
gen ken hen yin
dd 落 luò dd 跟 gēn 根 gēn
垦 kĕn 恳 kĕn 2 pp 很 hĕn 狠 hĕn 恨 hèn 痕 hén pl 银 yín 龈 yín 垠 yín
gong kong
pp1
工
hong
pp2 红 hóng 虹 hóng
gōng
kang jiang
140
xiang
kōng
巩
pl3 江 jiāng
弓 gōng
142
公 gōng
143
共 gòng
144
勾 gōu
项 xiàng
dd 控 kòng
qiang
pl 腔 qiāng
kong
pp 恐 kǒng
gong
dd 躬 gōng
hong
pp 弘 hóng
gong song
gong hong
hu
pp1 苦 kŭ 枯 kū
dd 菇 gū
hu
dd 湖 hú 糊 hú 蝴 hú 葫 hú
yu
pl 欲 yù 浴 yù 裕 yù
hua
pl 滑 huá 猾 huá
gu
pl1 孤 gū
guā°
hu
pl2 弧 hú 狐 hú
夬*
jue
dd 决 jué 诀 jué
guài jué
que
pp1 缺 quē
kuai
pp2 快 kuài 块 kuài
kuai
dd 筷 kuài
guan
dd 馆 guăn 管 guăn 棺 guān
guan
dd 贯 guàn
guan
dd 惯 guàn
hú 146
谷 gŭ°
147
骨 gŭ°
148
149
瓜
快 kuài 150
官 guān
pl 松 sōng 讼 sòng 颂 sòng
毌* 151
pp 洪 hóng 烘 hōng 哄 hōng 哄 hǒng 哄 hòng dd 沟 gōu 构 gòu 购 gòu 钩 gōu
gu
胡
dd 蚣 gōng
dd 供 gōng 恭 gōng 拱 gǒng 供 gòng
姑 gū
guàn
贯 guàn
152 gou
gŭ
pp2 胡 hú 145
pl2 扛 káng
kong
gǒng° 141
空 kōng 空 kòng
pl1 缸 gāng 杠 gàng 肛 gāng
pl4
空
ku
dd 姑 gū 故 gù 估 gū 固 gù 辜 gū 沽 gū 咕 gū
pp1
dd 功 gōng 攻 gōng 巩 gǒng 贡 gòng 汞 gǒng
gang
古
gu
雚* guàn huán
guan
dd 灌 guàn 罐 guàn cf.
欢(歡) huān
267
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L’écriture chinoise
268
光
huang
guāng° 153
晃 广
huang
kuang
guăng°
155
圭*
gui
guī
wa
卦
gua
gua
guà 156
规
158
鬼
pp 矿 kuàng 旷 kuàng dd 桂 guì 闺 guī 硅 guī pl2 哇 wā 娃 wá 蛙 wā 洼 wā
害
165
函
166
dd 褂 guà
kui
巷 hàng xiàng°
禾
pp 窥 kuī dd 瑰 guì
guĭ
kui
pp 魁 kuí 愧 kuì 傀 kuĭ
贵
kui
pp 溃 kuì 馈 kuì
161
呙* guō wǒ
郭
168
gun
合 hé
果 guǒ
pp 该 gāi
he
pl1 核 hé 阂 hé
ke
pl2 咳 ké 刻 kè
xia
pl 瞎 xiā 辖 xiá
han
dd 涵 hán
gang
pp 港 găng
he
dd 和 hé 和 hè
he
dd 盒 hé
dd 滚 gŭn
锅 guō pp 祸 huò dd2 窝 wō 涡 wō 蜗 wō
170
kuo
pp 廓 kuò
171
guo
dd 裹 guǒ
ke
pl 棵 kē 颗 kē 课 kè
guo wo
ge
pp 鸽 gē
ha
pl1 哈 hā 蛤 há
qia
pl2 恰 qià 洽 qià
he 169
guō° 162
gai
hán
dd1
dd 喝 hē 喝 hè 褐 hè
曷*
ke
pp 渴 kĕ
e
pl1 遏 è
hé
jie
pl2 揭 jiē 竭 jié
xie
pl3 歇 xiē 蝎 xiē
he
dd 鹤 hè
hei
dd 嘿 hēi
mo
pl 墨 mò 默 mò
heng
dd 哼 hēng
gŭn
160
dd 孩 hái 骇 hài
hài°
pl1 挂 guà 卦 guà
gui
衮*
164
hai
hé
guì°
159
亥
dd 幌 huăng
167
guī° 157
163
hài
huăng 154
pp 晃 huăng 恍 huăng 晃 huàng
寉* hè
黑 hēi
172
亨* hēng
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
173
厷*
hong
dd 宏 hóng
叀*
184
侯
hou
hóu 175
乎 虎
hu
户
hu
hu
化
hua
dd 花 huā 华 huá
奂* 巟*
皇
hua
dd 哗 huá 桦 huà dd 换 huàn 唤 huàn 焕 huàn 痪 huàn 涣 huàn
huang
dd 荒 huāng
huang
dd 慌 huāng 谎 huăng
huang
dd 凰 huáng 煌 huáng 蝗 huáng 惶 huáng
灰
hui
dd 恢 huī
hui
dd 绘 huì
gui
pp 刽 guì
huī 183
芦 lú 颅 lú 庐 lú
huan
huáng 182
会 huì
dd 慧 huì
hun
dd 婚 hūn
huo
dd 伙 huǒ
或
188
huo
huò
几
189
191
dd 极 jí 级 jí 圾 jī
jí
xi
pp 吸 xī
吉
jie
pl 结 jiē 结 jié 洁 jié 秸 jiē
ji
dd 即 jí 既 jì
ji
dd 唧 jī 鲫 jì
gai
pl1 概 gài 溉 gài
kai
pl2 慨 kài
ji
dd 嫉 jí
ji
dd 记 jì 纪 jì 忌 jì
qi
pp 起 qĭ 岂 qĭ
即**
皀* jí)
192
即 jí
既 jì° 193
疾 jí
194
国(國) guó
ji
jí°
(
cf.
dd 机 jī 肌 jī 饥 jī 讥 jī 叽 jī
及
190
dd 惑 huò
ji
jī
huāng 181
火
187
huāng
荒
昏
186
dd 护 hù 沪 hù pl 炉 lú
huàn
180
dd 唬 hŭ
hù
huá
179
dd 呼 hū
lu
华
hui
huǒ
huà 178
彗*
185
hūn
hŭ 177
dd 候 hòu 猴 hóu 喉 hóu
huì
hū 176
dd 惠 huì
huì
hóng 174
hui
269
己 jĭ
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L’écriture chinoise
270
加
195
jia
jiā
家
196
jia
jiā
夹
197
jiā
叚*
198
jiă / xiá
dd 架 jià 驾 jià 枷 jiā
嘉 jiā
dd 嫁 jià 稼 jià
206
dd 颊 jiá 荚 jiá
xia
pp 峡 xiá 狭 xiá 侠 xiá dd1 假 jiă 假 jià
xia
dd2 霞 xiá 暇 xiá
见
jian
dd 舰 jiàn
jiàn
xian
pp 现 xiàn
建
jian
dd 健 jiàn 键 jiàn
jiang
dd 将 jiāng 奖 jiăng 酱 jiàng 浆 jiāng 桨 jiăng 将 jiàng
jiang
dd 蒋 jiăng
jiang
dd 僵 jiāng 疆 jiāng 缰 jiāng
jiang
dd1 降 jiàng
xiang
dd2 降 xiáng
交
jiao xiao
dd 郊 jiāo 饺 jiăo 较 jiào 胶 jiāo 狡 jiăo 跤 jiāo 绞 jiăo
jiāo
yao
pp 校 xiào 效 xiào
jiàn
jia
jia
205
**
将
207
( jiāng)
将 jiāng
199
甲
jia
dd 钾 jiă
xia
pl1
匣 xiá
jiă
ya
pl2
押 yā 鸭 yā
jian
dd 简 jiăn 涧 jiàn
间
200
jiān
兼
201
jiān°
戋* jiān
202
贱
pp1 谦 qiān 歉 qiàn pp2 嫌 xián
qian xian zhan
204
践 jiàn 贱 jiàn 钱 qián 浅 qiăn 2 pp 线 xiàn pl 盏 zhăn 栈 zhàn dd
监
lan
pl1 蓝 lán 篮 lán
gan
jiān°
pl2 尴 gān
kan
pl3 槛 kăn
柬 jiăn) 阑* lán
jian lian
lan
滥 làn
212
dd 瀾 lán cf. 兰(蘭) lán
jiàng xiáng
焦
jiao
dd 蕉 jiāo 礁 jiāo
jiāo
qiao
pp 瞧 qiáo 憔 qiáo
敫*
jiao
dd 缴 jiăo
yao
pl 邀 yāo
jiao
dd 搅 jiăo
jiăo 213
觉 jiào
dd 拣 jiăn pl 练 liàn 炼 liàn
夅*
pl 咬 yăo 211
dd 溅 jiàn
(
210
pp1
jian
**
209
xian jian
畺* jiāng
qian
jiàn
203
208
214
皆 jiē°
xie kai
cf.
阶(階) jiē
pp 谐 xié pl 楷 kăi 揩 kăi
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
卩* jié
215
㔾*
jie
dd 节 jié
xie
pp 卸 xiè
fan
**
224
pl 犯 fàn 氾 fàn
jié°
氾*
225 fan
dd 范 fàn
fàn
216
疌*
226 jie
dd 捷 jié
jié 217
介
227
戒 jiè
219
今
jie
220
jie
dd 诫 jiè
xie
pp 械 xiè
qin
222
dd 近 jìn
jīn
xin
pp 欣 xīn
欣
xian
堇* jĭn
京 jīng
jĭng
dd 阱 jĭng
jĭng
jin
pl 进 jìn
敬
jing
dd 警 jĭng
jìng
qing
pp 擎 qíng
竟
jing
dd 境 jìng 镜 jìng
jiu
dd 纠 jiū
jiu
dd 究 jiū 鸠 jiū
jiu
dd 灸 jiŭ 玖 jiŭ 疚 jiù
dd 锦 jĭn
qin
pp 钦 qīn
jin
dd 谨 jĭn
qin
pp 勤 qín
jing
231
liang
九 久 臼
jiu
jiù
居
233
pl 影 yĭng
cf.
旧(舊) jiù
dd 据 jù 剧 jù 锯 jù
ju
dd
ju
dd1 沮 jŭ
qu
pp1 蛆 qū
且
cu
pp2 姐 jiĕ
zu
jŭ / qiĕ°
zhu
pl1 粗 cū
匊*
菊 jú 鞠 jū
jū
234
jie ying
dd 舅 jiù
ju
jū
dd 景 jĭng 惊 jīng 鲸 jīng pl 凉 liáng 谅 liàng 晾 liàng
丩*
jiŭ
pl 掀 xiān 锨 xiān
jin
pp 轻 qīng 氢 qīng pl 劲 jìn
jing
jiŭ
232
223
景
229
pp 琴 qín
jin
钅** (金 jīn)
jin
dd 经 jīng 径 jìng 颈 jìng 茎 jìng
jiū
230
xīn°
221
dd 界 jiè 阶 jiē 芥 jiè 228
jīn°
斤
井
qing
jìng
jiè 218
巠
( * jīng)
jing
271
pl2 租 zū 组 zŭ 祖 zŭ 阻 zŭ 诅 zŭ pl3 助 zhù
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L’écriture chinoise
272
235
句 jù
236
巨 jù
237
具
ju
dd 拘 jū 驹 jū
gou
pl 狗 gǒu 够 gòu 苟 gǒu
ju
dd 距 jù 拒 jù 炬 jù 矩 jù
qu
pp 渠 qú
ju
jù 238
角
240
pp 确 què
军
yun
pl1
hun
jūn°
pl2
hui
晕 yūn 浑 hún 荤 hūn pl3 挥 huī 辉 huī
君
qun
pp 群 qún 裙 qún
247
pl 形 xíng 刑 xíng 邢 xíng
248
jūn° xing
kāi° 241
242
刑
xing
dd 型 xíng
xíng
jing
pp 荆 jīng
康
kang
dd 慷 kāng 糠 kāng
kāng kang 243
亢* kàng
丂* kăo / qiăo 244
245
que
开
考 kăo
qiao
dd 窍 qiào
可
ke
dd 苛 kē 坷 kē
ge
kĕ
pp1 哥 gē
he
pp2
哥
ge
dd 歌 gē
he
dd 荷 hé
ken
dd 啃 kĕn
kou
dd 扣 kòu
ku
dd 裤 kù
kua
dd 跨 kuà 垮 kuă 挎 kuà 胯 kuà
gun
pp1 棍 gùn
kūn°
hun
pp2 混 hùn
困
kun
dd 捆 kŭn
gē
jué°
239
dd 俱 jù 惧 jù
巧 qiăo
hang ang keng
dd 抗 kàng 炕 kàng pp 航 háng 杭 háng pl1
肮 āng 坑 kēng 吭 kēng
何 hé 246
肯 kĕn
口 kǒu
库 kù
249
夸 kuā
250
251
昆
kùn 252
pl2
kao
dd1 考 kăo
qiao
dd2 巧 qiăo
253
kao
dd 烤 kăo 拷 kăo 铐 kào
254
剌
la
là
兰
lăn
dd 喇 lă cf. 辣 là
lan
dd 栏 lán 拦 lán 烂 làn
lan
dd 揽 lăn 缆 lăn 榄 lăn
lán
览
河 hé 何 hé 呵 hē
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
255
劳
lao
láo 256
老
dd 姥 lăo
lei
dd 蕾 lĕi 擂 lèi
luo
pl 螺 luó 骡 luó
lăo 257
雷 léi
258
累 lèi°
dd 粮 liáng
dd 捞 lāo 涝 lào 唠 láo
lao
**
260
离 里
历 厉 利
265
268
两
270
liang
271
列
li
dd 历 lì 荔 lì 272
林
liao
dd 沥 lì 雳 lì 273
li
li
274
cf. 黎 lí dd 粒 lì
lì
pl 拉 lā 垃 lā
拉
la
dd 啦 lā
dd2 僚 liáo 潦 liáo 嘹 liáo 缭 liáo 撩 liáo 燎 liáo 镣 liào dd 烈 liè 裂 liè 咧 liē 咧 liĕ
lin
dd 淋 lín 琳 lín
ling
dd 陵 líng 凌 líng 菱 líng
ling
dd 零 líng 领 lĭng 铃 líng 龄 líng 岭 lĭng 伶 líng 玲 líng 蛉 líng 翎 líng
líng
dd 励 lì dd 梨 lí 犁 lí 莉 lì 俐 lì 痢 lì
夌*
cf. 俩 liă / liăng
lie
lín li
dd 辆 liàng
dd1 疗 liáo 辽 liáo
liè
la
lián
dd 梁 liáng 粱 liáng
li
li
连
liang
**
liăo)
lā 266
dd 廊 láng 榔 láng
dd 理 lĭ 厘 lí 狸 lí 哩 lĭ 鲤 lĭ
lì
立
lang
dd 璃 lí 篱 lí 漓 lí
lì 264
郎 láng
li
lì 263
lang
了 (尞*
lì 262
liáng
pl 浪 làng 郎 láng 朗 lăng 狼 láng 琅 láng
liăng
lĭ
力
pp 娘 niáng 酿 niàng
niang
dd 愣 lèng 楞 léng / lèng
leng
lí 261
良
liang
267
269 259
275
令 lìng
lin
刘
liu
dd 浏 liú
liu
dd 流 liú 琉 liú 硫 liú
liu
dd 溜 liū 瘤 liú 遛 liù 榴 liú 馏 liú
pl 邻 lín 拎 līn
liú
276
㐬* liú
lian
dd 莲 lián 链 liàn
273
276
留 liú
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L’écriture chinoise
274
278
翏*
miu
pp 谬 miù
liù°
279
龙
long
lóng
280
隆
long
dd 窿 lóng
lou
dd 楼 lóu 搂 lǒu
lü
pl 缕 lǚ 屡 lǚ
lóng 281
娄 lóu
282
㔷*
dd 咙 lóng 笼 lóng 聋 lóng 笼 lǒng 拢 lǒng 垄 lǒng 胧 lóng
屚* 录 lù
孪**
龻
285
( * luán)
弯 仑
篓 lǒu
292
罗
dd 陋 lòu
lou
dd 漏 lòu
294
吕
lu
dd 碌 lù
lü
pl 绿 lǜ 氯 lǜ
luan
dd 孪 luán 峦 luán
wan
pl 弯 wān
wan
dd 湾 wān
297
lun
dd 论 lùn 轮 lún 伦 lún 抡 lūn 沦 lún
298
dd 逻 luó 萝 luó 啰 luō 锣 luó 箩 luó
299
dd 侣 lǚ 铝 lǚ
300
luo
lü
lǚ 289
虑 lǜ
pl2 糜 mí 蘼 mí
磨
mo
dd 蘑 mó
ma
dd 吗 ma 妈 mā 码 mă 骂 mà 蚂 mă 玛 mă
du
pl 读 dú 牍 dú
man
dd 满 măn 瞒 mán
man
dd 慢 màn 馒 mán 漫 màn 蔓 màn 幔 màn
mao
dd 髦 máo
mao
dd 茅 máo
mao
dd 贸 mào 铆 măo
mao
dd 貌 mào
mao
dd 帽 mào
mei
dd
马 卖
瞒** 㒼
( * măn)
曼 màn
luó 288
pl1 摩 mó 磨 mó 魔 mó
mi
mài°
lou
lún 287
má
mă
293
wān 286
dd 嘛 ma
mo
mó 291
lòu 284
ma
290
lòu
283
麻
295
毛 máo
296
矛 máo
卯* măo
皃* mào
冒 mào
眉 méi
lü
dd 滤 lǜ
媚 mèi 楣 méi
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
301
每 mĕi
302
门 mén
冡* 303
mei hui
men wen
meng
蒙 孟 米
meng
307
免
meng
309
mi
dd 猛 mĕng 锰 mĕng
dd 迷 mí 眯 mī 咪 mī 317
mi
dd 谜 mí 318
mian wan
面
mian
dd 勉 miăn 娩 miăn 冕 miăn pl 晚 wăn 挽 wăn dd 缅 miăn 腼 miăn
miao
dd 描 miáo 瞄 miáo
miáo
mao
pl 猫 māo 锚 máo
名
ming
dd 铭 míng
明 末 mò
mò
mu
某
mou
dd 谋 móu
mǒu
mei
pl 媒 méi 煤 méi
母
mu
dd 姆 mŭ 拇 mŭ
mu
dd 沐 mù
mu
dd 穆 mù
na
dd 哪 nă 哪 na 娜 nà
nà
nuo
pl 挪 nuó 娜 nuó
乃
nai
dd 奶 năi
năi
reng
pl 仍 réng 扔 rēng
难
tan
pl 摊 tān 滩 tān 瘫 tān
na
pl 纳 nà 呐 nà 钠 nà
ni
dd 泥 ní 昵 nì
ni
dd 逆 nì
nie
dd 捏 niē 涅 niè
木 㣎*
319
那
nán° 320
内 nèi°
pl 模 mú 幕 mù 墓 mù 募 mù 慕 mù 暮 mù
321
尼 ní
322
屰* nì
meng
míng° 311
dd 朦 méng 檬 méng
dd 模 mó 摸 mō 膜 mó 漠 mò 寞 mò 馍 mó 摹 mó
mù
míng 310
dd 蒙 mēng 蒙 méng
316
miăn
苗
313
mo
mù
miàn 308
pl 闻 wén 问 wèn
315
mí
306
dd 们 men 闷 mēn 闷 mèn
莫
mŭ
mĭ
迷
312
314
mèng
305
pl 悔 huĭ 诲 huì 晦 huì
méng
méng 304
dd 梅 méi 霉 méi 酶 méi 莓 méi
275
pl 盟 méng 萌 méng
323
圼* niè
mo
dd 抹 mǒ 沫 mò 茉 mò
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L’écriture chinoise
276
324
聂 niè
325
宁
nie
dd 镊 niè
she
pl 摄 shè 慑 shè
农
ning
327
nong
nu
nú
壮 **
爿
328
( * pán°)
壮 zhuàng
朋 péng
zhuang
330
媲** 皮 pí
332
bō
bi
piao
piào
biao
平
ping
床(牀) chuáng
peng beng
dd 棚 péng 鵬 péng 硼 péng pp 崩 bēng 绷 bēng 337
beng
338 dd 膨 péng 澎 péng
pi
dd 媲 pì
bi
pp 蓖 bì
pi bi bo
dd 披 pī 疲 pí
339
dd 菠 bō
po
pp 婆 pó
dd 评 píng 苹 píng 坪 píng
苹
ping
dd 萍 píng
pou
dd 剖 pōu
pl 抨 pēng 砰 pēng
咅*
bu
pl1 部 bù
pu
pl2 菩 pú
pǒu
bei
pl3 倍 bèi 焙 bèi
pei
pl4 陪 péi 培 péi 赔 péi
mei
pl 玫 méi 枚 méi
pu
dd 谱 pŭ
qi
dd 漆 qī
xi
pp 膝 xī
qi
dd 凄 qī
qi
dd 脐 qí 荠 ji
qí
ji
pp 济 jì 挤 jĭ 剂 jì 荠 jì
奇
qi
dd 骑 qí 崎 qí
ji
qí
pp 寄 jì 畸 jī
yi
pl 椅 yĭ 倚 yĭ
攵* 普 桼* qī
340
妻 qī
341
pl2 破 pò 坡 pō 颇 pō
bo
pp 膘 biāo
peng
pŭ
pp 彼 bĭ pl1 波 bō 玻 bō 跛 bǒ 簸 bǒ
dd 漂 piào 漂 piāo 飘 piāo 瓢 piáo
pū°
dd 蹦 bèng
peng
dd2 避 bì 壁 bì 臂 bì 璧 bì
píng
píng
336
po
波
pl 状 zhuàng 壮 zhuàng 妆 zhuāng
zhuang dd 装 zhuāng
péng 331
dd 努 nŭ 怒 nù
cf.
bēng
彭
dd 浓 nóng 脓 nóng
票
pi
335
329
崩
dd 拧 níng 拧 nĭng 柠 níng 泞 níng 狞 níng 334
nóng
奴
辟 pì / bì
níng 326
333
dd1 僻 pì 譬 pì 劈 pī 霹 pī
342
齐
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
343
344
其
qi
dd 期 qī 欺 qī 旗 qí 棋 qí
qí
ji
pp 基 jī 箕 jī
乞
qi
dd 迄 qì
yi
pl 屹 yì
qĭ 345
气
qi
咠*
亲
jie
dd 接 jiē
xin
pp 新 xīn
xin
dd 薪 xīn
qin
dd1 侵 qīn 寝 qĭn
jin
dd2 浸 jìn
qīn
dd 汽 qì
新 xīn
ji
pp 辑 jí 缉 jī
千
qian
dd 迁 qiān
jian
qiān
pp1 歼 jiān
xian
pp2 纤 xiān
356
qì°
347
妾* qiè°
355
qì
346
354
357
**
青
qing
348
佥*
jian
qiān
lian
xian yan
pp1 检 jiăn 捡 jiăn 剑 jiàn 俭 jiăn pp2
jing
顷
qing
dd 倾 qīng
jiu
pp 揪 jiū
qiū°
chou
pl 愁 chóu 瞅 chǒu
349
前
jian
求
qiu
dd 球 qiú 裘 qiú
qiú
jiu
qián°
pp 救 jiù
350
遣
qian
区
qu
qiăn
351
352
360
dd 谴 qiăn
361
dd 嵌 qiàn
chui
qiàn
pl1 吹 chuī 炊 chuī
kan
pl2
qiao
dd 桥 qiáo 侨 qiáo 荞 qiáo
切 qiē
jiao
358
pp 剪 jiăn 箭 jiàn 煎 jiān
qian
qiáo
353
验 yàn
欠
乔
qĭng
险 xiăn
pl1 脸 liăn 敛 liăn pl2
358
362
砍 kăn 坎 kăn
pp 骄 jiāo 娇 jiāo 轿 jiào 矫 jiăo
qie
dd 窃 qiè
qi
pl 沏 qī 砌 qì
秋
364
pp 静 jìng 精 jīng 睛 jīng 靖 jìng
dd 躯 qū 驱 qū 岖 qū
qū
ou
pl 殴 oū 呕 oŭ 欧 oū 鸥 oū
屈
jue
pl 掘 jué 倔 jué 崛 jué 倔 juè
qu
dd 趣 qù 娶 qŭ
qŭ
ju
pp 聚 jù
去
que
pl1 却 què
qie
pl2 怯 qiè / què
qū° 363
dd 请 qĭng 清 qīng 情 qíng 晴 qíng 蜻 qīng
qīng
dd 签 qiān qian
277
取
qù°
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L’écriture chinoise
278
365
全 quán
**
quan
dd 痊 quán
shuan
pl 拴 shuān 栓 shuān
quan juan
券 quàn 拳 quán pp 卷 juăn 卷 juàn
juan
dd 倦 juàn 圈 juàn
quan
pp 圈 quān
366
卷 juàn
367
囷*
dd
377
378
pp 菌 jūn
jun
pp 俊 jùn 峻 jùn 竣 jùn 骏 jùn
379
380
368
qūn° 369
然 rán
370
人
371
刃
ren
容
ren
戎* 柔
ren
rong
闰 rùn
pp 刹 chà
彡*
shan
dd 衫 shān 杉 shān
shan
dd 膳 shàn
shan
dd 煽 shān
善 扇
dd 任 rèn
dd 忍 rĕn 韧 rèn 纫 rèn
pp1
**
chang
pp2 掌 zhăng
( shàng)
zhang
pl1 党 dăng
常
dang tang
pl2 堂 táng 躺 tăng 趟 tàng 淌 tăng 倘 tăng 棠 táng
chang
dd 嫦 cháng
tang
dd 膛 táng
cháng
dd 溶 róng 熔 róng 榕 róng 蓉 róng
rong
堂
dd 绒 róng 384
勺
zhuo
sháo rou
dd 揉 róu 蹂 róu 385
run
dd 润 rùn
常 cháng 敞 chăng
shang
táng
róu 376
shā
shàn
dd 认 rèn
róng 375
dd 刹 shā
cha
383
róng
374
sha
杀
尚
rèn 373
dd 嗓 săng
shàn
dd 燃 rán
rén 372
sang
桑
dd 赏 shăng 裳 shang
rén
壬*
381
382 ran
pl 寨 zhài
shān
qūn°
夋*
dd 赛 sài 塞 sāi
zhai
sāng
眷 juàn
jun
sai **
dd 芍 sháo / shuò pl 灼 zhuó 酌 zhuó
舌
she
dd 舍 shè 舍 shĕ
huo
shé
pl1 括 kuò
kuo
pl2 活 huó
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
活
kuo
huó°
申
shen
dd 神 shén 伸 shēn 审 shĕn 绅 shēn 呻 shēn
shen
dd 婶 shĕn
397
shen
dd 深 shēn
398
kan
pl 堪 kān 勘 kān
399
sheng
dd 胜 shèng 牲 shēng 甥 shēng 笙 shēng
shēn 386
审 shĕn
罙*
387
知
pp 阔 kuò
396
甚 shèn°
生 shēng
389
星 390
xing
失
die
shī°
pl1
tie
pl2
十
392
shí **
393
dd 醒 xĭng 腥 xīng 猩 xīng pp 秩 zhì
shi
shī
食 shi)
跌 diē 迭 dié 铁 tiĕ
dd 狮 shī
394
shi
dd 什 shí / shén
zhi
pp 汁 zhī
shi
矢 shĭ°
士
zhi
pp 志 zhì
shi
dd 视 shì
**
示 shì)
(
氏
zhi
shì°
市
400
式 是 shì
402
耆*
shi
zhi
只(衹) zhĭ
shi
dd 试 shì 拭 shì
shi
dd 匙 shi
chi
pp 匙 chí
di
pl1 堤 dī 提 dī
ti
pl2 提 tí 题 tí
shi
dd 嗜 shì
shou
dd 授 shòu
shì 403
404
dd 饰 shì
受
chou
pp 畴 chóu 筹 chóu
dao
shòu°
pl1 祷 dăo
tao
pl2 涛 tāo
殳*
yi
pl 役 yì 疫 yì
寿
shū°
dd 驶 shĭ
pp 知 zhī
cf.
dd 柿 shì
shì
401
dd 纸 zhĭ
shi
shì
405
shĭ
395
pp 痴 chí
shòu
(
史
zhī
pl 星 xīng 姓 xìng 性 xìng
zhi
师
391
xing
dd 智 zhì 蜘 zhī
chi
shì°
shēn 388
zhi
406
疋* shū
shu chu
dd 疏 shū cf. 梳 shū pp 楚 chŭ
279
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L’écriture chinoise
280
疏
dd 蔬 shū
417
shu
dd 熟 shú
418
zhu
dd 嘱 zhŭ 瞩 zhŭ
419
shu
shū
407
孰* 属 shŭ°/ zhŭ
409
术
shu
shù
束 欶* sòu shuò° 411
庶
412
shù
厨
su
率 舜* 朔* 厶* sī
si
dd 撕 sī 嘶 sī
si
dd 祀 sì
shi
pp 诗 shī 侍 shì 恃 shì
巳* 寺 叟*
dd 嗽 sou
sǒu
shu
pl 漱 shù
肃
chi zhi
zhe
pl 遮 zhē 蔗 zhè
shu
pp
厨(㕑) chú
chu
cf.
树(樹) shù
422
萧 祘*
pl2 峙 zhì dd 搜 sōu 艘 sōu
shou
pp 瘦 shòu
xiao
pl 萧 xiāo 啸 xiào 箫 xiāo
xiao
dd 潇 xiāo
suan
dd 蒜 suàn
sui
dd 遂 suì
sui
dd 隧 suì
xiāo
423
pl1 持 chí
sou
sù°
suàn chu
shuai
dd 橱 chú
dd 摔 shuāi 蟀 shuài
㒸* 424
suì
遂 suì
shun
dd 瞬 shùn
425
**
suo
dd 锁 suǒ 琐 suǒ
su
pl 塑 sù 溯 sù
426
索
suo
dd 嗦 suō
dd 私 sī
427
duo
pl1 舵 duò
tuo
pl2 鸵 tuó 驼 tuó
suǒ
shuò°
416
斯
pl 速 sù
shùn
415
pp 词 cí 伺 cì 祠 cí
sou
shuài
414
dd 述 shù 秫 shú
421
chú 413
sī
sì°
shù°
尌*
dd 饲 sì 伺 sì
ci
sì
420
shù 410
si
sī
shú 408
司
si
它 tā°
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
428
429
**
台 tái
430
太
ta tai
dd 抬 tái 胎 tāi 苔 tāi
dai
pp 怠 dài
tai
tài
431
覃*
dd 塌 tā 蹋 tà
441
442
dd 态 tài 汰 tài
432
dd 潭 tán 谭 tán 444
tan
tàn 433
唐
tang
táng
434
匋*
435
田
436
忝*
dd 碳 tàn dd 糖 táng 塘 táng 搪 táng dd 掏 tāo 萄 táo 淘 tāo 陶 táo
dian
pp 甸 diàn 佃 diàn
tián°
tian
廷 tíng
438
439
440
同
tong
tóng
dong
童
tong
dd 添 tiān 舔 tiăn
dd 挺 tĭng 蜓 tíng
pp 顿 dùn 吨 dūn 盹 dŭn 炖 dùn 钝 dùn
乇*
tuo
dd 托 tuō
wa
dd 挖 wā
穵*
wang mang
pl 忙 máng 盲 máng 芒 máng 氓 máng
芒
mang
dd 茫 máng
wang
dd 望 wàng 汪 wāng 枉 wăng 旺 wàng
máng
王 446
dd 铜 tóng 筒 tǒng 桐 tóng
wáng
kuang
狂
guang
pp 逛 guàng
kuang
dd 筐 kuāng 框 kuàng 眶 kuàng
危
wei
dd 桅 wéi
gui
wēi
pl1 跪 guì 诡 guĭ
cui
pl2 脆 cuì
韦
wei
dd 围 wéi 伟 wĕi 违 wĕi 纬 wĕi 苇 wĕi
匡*
pp 洞 dòng
kuāng
447
dd 瞳 tóng
tóng
土
tu
dd 吐 tŭ 吐 tù
du
pp 肚 dù 杜 dù
448
449
dd 忘 wàng 妄 wàng
wáng 445
庭 tíng 艇 tĭng
zhuang pl 撞 zhuàng 幢 zhuàng
tŭ
dun
kuáng° ting
dd 囤 tún
tún
亡
tiăn 437
tun
wā
tao
táo
屯
dd 腿 tuĭ 褪 tuì
tuō
tán
炭
tui
tuì
443 tan
退
281
wĕi
hui
委
wei
wĕi
pl 狂 kuáng
pl 讳 huì dd 萎 wĕi 魏 wèi
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L’écriture chinoise
282
魏
wei
wèi 450
为
wei
452
未
dd 味 wèi
wèi
mei
pl 妹 mèi 魅 mèi 昧 mèi
畏
wei
dd 喂 wèi 偎 wēi
wei
wèi 454
尉
缊* wēn yùn
456
文 wén
457
458
我
wei
dd
慰 wèi 蔚 wèi 465
wen
dd 温 wēn 瘟 wēn 466
460
yun
wen fen
o
dd 蕴 yùn
wu
dd 鹉 wŭ
wŭ
fu
pl 赋 fù
勿
wu
dd 物 wù
wen
wù
pl1 吻 wĕn 刎 wĕn
hu
pl2 忽 hū 囫 hú
务
wu
dd 雾 wù
xi
dd 牺 xī
xī
qi
pp 栖 qī
析
xi
dd 晰 xī
武
西
dd 纹 wén 蚊 wén 紊 wĕn
昔
xi
dd 惜 xī
cuo
xī
pl1 错 cuò 措 cuò
la
pl2 蜡 là 腊 là
耤*
ji
dd 籍 jí
xi
dd 稀 xī
xi
dd 熄 xī 媳 xí
xi
dd 溪 xī
xi
dd 嬉 xī
467
pp 坟 fén
jí
pl1 哦 ò
e
pl2 饿 è 鹅 é 娥 é 俄 é 蛾é
468
乌
wu
dd 呜 wū 坞 wū
469
wu
dd 芜 wú
wú
fu
pl 抚 fŭ
吴
wu
dd 误 wù 蜈 wú
wú
dd 晤 wù 捂 wŭ 悟 wù 梧 wú
xī
wǒ
无
wu
吾*
wù
wū 459
463
dd 谓 wèi 猬 wèi
wēn 455
462
464
wèi
昷*
dd 伍 wŭ
wŭ
wèi 453
dd 伪 wĕi
wei
胃
wu
wŭ 461
wèi 451
五
dd 巍 wēi
希 xī
息 xī
470
奚* xī
471
喜 xĭ
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
472
下
xia
xià 473
先 xiān
xian
dd 宪 xiàn
xi
pl 洗 xĭ 铣 xĭ
咸
jian
pp 减 jiăn 碱 jiăn
gan
xián°
pl1 感 găn
han
pl2 喊 hăn
474
感 臽* xiàn 476
相
han
襄* xiāng
478
享
dd 陷 xiàn 馅 xiàn
yan
pl 焰 yàn 阎 yán
xiang
xiang rang
chun
xiăng° 479
向 象
xiang
chao
pp 抄 chāo 吵 chăo 炒 chăo 钞 chāo
miao
pl1 秒 miăo 妙 miào
shăo°
sha
眇*
miao
dd 渺 miăo
sha
dd 鯊 shā
xiao
dd 哮 xiào
xiào
jiao
pp 教 jiào 酵 jiào
解
xie
pp 懈 xiè 蟹 xiè
xie
dd 泻 xiè
xin
dd 芯 xīn
xiong
dd 汹 xiōng 匈 xiōng
xiong
dd 胸 xiōng
nao
pl 脑 năo 恼 năo
482
dd 想 xiăng 箱 xiāng 厢 xiāng 湘 xiāng
沙 shā 483
484
孝
xiè / jiĕ°
dd 镶 xiāng pl 嚷 răng 壤 răng 攘 răng 瓤 ráng
485
pl 醇 chún 淳 chún
486
写 xiĕ
心 凶
dd 响 xiăng
xiōng xiang
xiàng
481
pl 少 shăo
xīn
xiàng 480
少
pp 憾 hàn 撼 hàn
xian
xiāng
477
shao
xiăo°
pl2 沙 shā 砂 shā 纱 shā
miăo
găn°
475
小
dd 吓 xià 虾 xiā
肖
xiao
xiāo
shao
qiao
dd 像 xiàng 橡 xiàng
487
dd 消 xiāo 销 xiāo 削 xiāo 宵 xiāo 硝 xiāo pp 悄 qiāo 俏 qiào 峭 qiào
匈 xiōng
㐫* xiōng° 488
秀
xiu
xiù
pl 稍 shāo 梢 shāo 哨 shào 捎 shāo 489
臭 xiù
xiu
283
dd 绣 xiù 锈 xiù pl 诱 yòu 莠 yǒu dd 嗅 xiù
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L’écriture chinoise
284
490
虚
xu
xū 491
需
503 ru
pl 儒 rú 蠕 rú
xu
dd 婿 xù
xuan
dd 喧 xuān
xuan
dd 炫 xuàn
xian
pp 弦 xián 舷 xián
xū°
492
胥*
妟*
dd 墟 xū
504
宣 xuān
494
玄 xuán
495
旬
dd 询 xún 殉 xùn
xun
dd 迅 xùn 讯 xùn 汛 xùn
xún
496
卂*
505
497
ya
yá
498
厓*
ya
dd 呀 ya 鸦 yā 芽 yá 雅 yă 讶 yà 蚜 yá
507
亚
dd 崖 yá 涯 yá 508
501
yan
dd 颜 yán 谚 yàn
yang
dd 秧 yāng 殃 yāng 鸯 yāng
央
羊
ying
yang
yáng
xiang
肠**
yang
( yáng)
chang tang
pl 英 yīng 映 yìng dd 样 yàng 养 yăng 洋 yáng 氧 yăng 痒 yăng 漾 yàng pl 详 xiáng 祥 xiáng 翔 xiáng dd 扬 yáng 杨 yáng pl1 场 chăng 肠 cháng 畅 chàng pl2 汤 tāng
tang
dd 烫 tàng
tāng
dang
pp 荡 dàng
卬*
yang
dd1 仰 yăng
ang
dd2 昂 áng
yao
dd 吆 yāo
you
pl 幼 yòu 幽 yōu
yăng áng
dd 哑 yă
dan
pl1 淡 dàn 氮 dàn
yán°
tan
pl2 谈 tán 毯 tăn 痰 tán
yāo
㕣*
dd 沿 yán
夭
yao
dd 妖 yāo
yan
xiao
yāo
pl1 笑 xiào
ao
pl2 袄 ăo
约
yao
dd 药 yào
yo
pl 哟 yō
炎
yăn 502
彦*
ya
yà 500
dd 堰 yàn
汤
yá 499
yan
昜
xùn
牙
匽*
yāng
506 xun
dd 宴 yàn
yàn
xù 493
yan
yàn
奄 yăn
cf. 铅 qiān / yán
yan
dd 淹 yān 掩 yăn 腌 yān
an
pl 俺 ăn
509
510
511
幺*
yāo yuē°
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
jiao 512
尧*
qiao
pl2 翘 qiào 跷 qiāo
xiao
pl3 晓 xiăo
yáo°
shao
pl4 烧 shāo
rao
513
肴
pl5
524
525
饶 ráo 绕 rào 526
yao
dd 摇 yáo 谣 yáo 遥 yáo
527
dao
pl1 蹈 dăo 稻 dào
yăo°
tao
pl2
516
要
yao
dd 腰 yāo
舀
yào
517
耶*
ye
yē 518
519
也
chi
pl1 池 chí 驰 chí 弛 chí
yĕ°
ta
pl2 他 tā 她 tā
枼*
die
夜 衣
ye
夷
yi
523
yí
529
530
531
yi
dd 弈 yì 奕 yì
ji
pl 迹 jì
yi
dd1 译 yì 绎 yì
ze
dd2 择 zé 泽 zé
ti
pl1 踢 tī 惕 tì 剔 tī
yì°
xi
pl2 锡 xī
異*
yi
dd 翼 yì
yi
dd 溢 yì
yi
dd 毅 yì
亦
睪
( * yì / zé)
易
pl 碟 dié 谍 dié 蝶 dié cf.
叶(葉) yè
益 yì
532
dd 液 yè 腋 yè 掖 yē
dd 依 yī 裔 yì 534
yi
yí
宜
dd 议 yì 仪 yí 蚁 yĭ
**
528
533
yī 522
yi
义
豙* yì
yè 521
爷(爺) yé
pl 挨 āi 挨 ái 唉 ài 埃 āi
yì
dd 椰 yē cf.
ai
矣*
yì
yè 520
滔 tāo
dd 艺 yì 亿 yì 忆 yì
yì
yáo 515
yi
yĭ°
pl 淆 xiáo
䍃*
乙 yĭ
xiao
yáo
514
pl1 浇 jiāo 侥 jiăo
535 yi
dd 谊 yì
因
yin
dd 姻 yīn 茵 yīn
yīn
yan
pl 烟 yān 咽 yàn 咽 yān / yè
阴
yin
dd 荫 yīn
冘*
zhen
pl1 枕 zhĕn
chen
pl2 忱 chén
yín°
shen
pl3 沈 shĕn
yīn
dd 姨 yí 胰 yí
285
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L’écriture chinoise
286
536
㐆*
yin
dd 殷 yīn
546
隐
yin
dd 瘾 yĭn
547
ying
dd 鹰 yīng
548
ying
dd 营 yíng 莹 yíng 荧 yíng 莺 yīng 萤 yíng
549
yong
dd 泳 yǒng 咏 yǒng
550
yong
dd 拥 yōng 佣 yōng 庸 yōng
551
dd 勇 yǒng 涌 yǒng 踊 yǒng 蛹 yǒng
552
yĭn
538
䧹*
539
540
𤇾
( yíng)
永 yǒng
用 yòng 541
甬* yǒng
542
攸*
yong tong
you
pl 通 tōng 痛 tòng 桶 tǒng 捅 tǒng
尤 yóu
you
dd 优 yōu 忧 yōu 犹 yóu
jiu
pl 就 jiù
544
zhou
pl1 轴 zhóu
chou
yóu
pl2
xiu di
545
dd 油 yóu 邮 yóu
由
右 yòu
you
yú°
tu
pl2 途 tú 涂 tú
俞*
yu
dd 愉 yú 喻 yù 愈 yù 逾 yú 渝 yú 榆 yú
yu
dd1 遇 yù 愚 yú 寓 yù 隅 yú
禺* 舁*
ou
dd2 偶 ǒu 藕 ǒu
yu
dd 舆 yú
yu
dd 渔 yú
yu
dd 屿 yŭ
yu
dd 预 yù 豫 yù
yŭ
shu
pl 舒 shū 抒 shū
肙*
juan
pl 捐 juān 鹃 juān 绢 juàn
yuan
dd 园 yuán 远 yuăn
yuán
wan
pl 完 wán 玩 wán 顽 wán
完
yuan
pl 院 yuàn
yuan
dd 圆 yuán
yuan
dd 愿 yuàn 源 yuán
魚 yú
与 yŭ
553
予
yuān°
元 555
宙 zhòu
抽 chōu 3 pl 袖 xiù pl4 笛 dí 迪 dí dd 佑 yòu
pl1 叙 xù 徐 xú
yú
554
you
xu
余
yú / ǒu
dd 悠 yōu
yōu 543
dd 宇 yŭ 吁 yù 迂 yū 吁 yù 芋 yù
yú
yīng **
yu
yú
yĭn 537
于
wán 556
员 yuán
557
原 yuán
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
558
爰*
yuan
dd 援 yuán
huan
pl1 缓 huăn
yuán
nuan
pl2 暖 nuăn
夗* 559
yuan
wan
dd 怨 yuàn 鸳 yuān
戉*
dd 碗 wăn 腕 wàn 惋 wăn 豌 wān 婉 wăn
570
571 yue
dd 越 yuè
yuè 561
云
yun
dd 运 yùn 酝 yùn 耘 yún
yun
dd 韵 yùn
yún
jun
pl 均 jūn 钧 jūn
匝*
za
dd 砸 zá
yún 562
563
匀
则
572
扎** 乍
𢦏**
zai
zāi 565
赞
zan
zàn 566
早 zăo°
567
573
蚤
568
pp 扎 zā
zha
dd 炸 zhà 诈 zhà 炸 zhá 榨 zhà
dd 瞻 zhān
shan
pp 赡 shàn
斩
zhan
dd 崭 zhăn
zan
zhăn
pp 暂 zàn
can
pl 惭 cán
zhàn 574
zhan shan dian tie
喿*
zao
dd 澡 zăo 噪 zào 燥 zào 躁 zào
zăo
sao
pp1 操 cāo pp2 臊 sào
dd 站 zhàn 战 zhàn 粘 zhān 沾 zhān 毡 zhān pp 苫 shān pl1 点 diăn 店 diàn 玷 diàn
dian
dd 惦 diàn 掂 diān
zhang
dd 障 zhàng 彰 zhāng 樟 zhāng
zhang
dd 张 zhāng 账 zhàng 胀 zhàng 帐 zhàng
zhang
dd 涨 zhăng
diàn
pp 草 căo
pp 骚 sāo 搔 sāo
pl 昨 zuó 作 zuò
pl2 贴 tiē 帖 tiĕ
dd 攒 zăn
sao
cao
dd 扎 zhā 扎 zhá 轧 zhá
za
zhan
占
575
zăo°
zha
詹*
店 cao
pp 侧 cè 测 cè 厕 cè
zuo
zhān
dd 载 zăi 栽 zāi 载 zài pp 裁 cái
ce
zhà
zā
564
dd 藻 zăo
zé°
yuàn
宛
zao
zăo 569
wăn
560
澡
章 zhāng
长 zhăng 576
张 zhāng
287
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L’écriture chinoise
288
577
丈
zhang
zhàng
578
579
zhao
zhāo
shao
zhào° 580
折 zhé
584
chao
dd 招 zhāo 照 zhào 沼 zhāo 昭 zhāo pp1 pp2
超 chāo 绍 shào
朕* 585
pl1 桃 táo 逃 táo
tao tiao
pl2 跳 tiào 挑 tiāo 挑 tiăo
zhe
dd 哲 zhé 浙 zhè
shi
pl 逝 shì 誓 shì
者
zhu
pl1 煮 zhŭ 诸 zhū 猪 zhū 著 zhù
shu
zhĕ°
pl2
du
pl3 都 dū 堵 dŭ 赌 dŭ 睹 dŭ
she
tu 581
586
诸
chu
zhū°
贞
zhen
zhēn
征
真 zhēn 583
颠 diān
shen
pp 慎 shèn
dian
pl1 颠 diān
tian
pl2
589
支
填 tián
593
誊(謄) téng
dd 挣 zhèng 挣 zhēng 睁 zhēng 筝 zhēng 狰 zhēng
jing
pl 净 jìng 静 jìng
zheng
dd 证 zhèng 政 zhèng 整 zhĕng 征 zhēng 症 zhèng 怔 zhèng
cheng
pp 惩 chéng
zhi
dd 芝 zhī
zhi
dd 枝 zhī 肢 zhī 吱 zhī pp 翅 chì
ji
pl1 技 jì 妓 jì
qi
pl2 歧 qí
zhi
dd 织 zhī 职 zhí 帜 zhì
zhī
shi
pp 识 shí
执
只
zhi
dd 挚 zhí
zhí
shi
pp 势 shì
直
zhi
dd 值 zhí 植 zhí 殖 zhí 置 zhì
zhi
dd 址 zhĭ 趾 zhĭ
chi
pp 齿 chĭ 耻 chĭ
zhí
dd 巅 diān
cf.
chi
zhī
591
pl 腾 téng 滕 téng
zheng
zhī
592 dian
之
pp 趁 chèn
dd 藤 téng
zhēng°
590 dd 镇 zhèn
争
dd 珍 zhēn 诊 zhĕn 疹 zhĕn
teng
zhèng
dd 侦 zhēn
zhen
teng
587
dd 薯 shŭ 曙 shŭ
pp 储 chŭ
滕
正
588 shu
shen
zhèn°
zhēng
pl4 屠 tú
shŭ
582
暑 shŭ 署 shŭ
zhen
téng
pp 奢 shē
署
㐱* zhĕn
召 兆
dd 仗 zhàng 杖 zhàng
止 zhĭ
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Séries de phonogrammes fréquents du chinois contemporain ou petit « Dico‑rimes »
594
旨
zhi
dd 指 zhĭ 脂 zhī
zhi
dd 致 zhì 窒 zhì 侄 zhí
shi
pp 室 shì
zhong
dd 钟 zhōng 种 zhǒng 忠 zhōng 肿 zhǒng 种 zhòng 衷 zhōng 仲 zhòng 盅 zhōng
zhĭ 595
至 zhì
596
中 zhōng
chong
zhui 605
606
shui
pp 谁 shuí
dui
pl1 堆 duī
zhuī
tui
pl2 推 tuī
wei
pl3 维 wéi 唯 wéi
zhuo
dd 桌 zhuō
chuo
pp 绰 chuò
dao
pl1
diao
pl2
zi
dd 滋 zī
ci
pp 慈 cí 磁 cí
zi
dd 字 zì 仔 zĭ 籽 zĭ
zong
dd 综 zōng 踪 zōng 粽 zòng
cong
pp 聪 cōng
zhuó
pp 冲 chōng 冲 chòng 597
598
599
州
zhou
dd 洲 zhōu
zhōu
chou
pp 酬 chóu
周
chou
pp 绸 chóu 稠 chóu
diao
zhōu°
pl1 调 diào 碉 diāo 雕 diāo
tiao
pl2 调 tiáo
朱
zhu
dd 珠 zhū 株 zhū 蛛 zhū
shu
pp 殊 shū
zhū
⺮** 600 (竹 zhú) 601
主
zhu
602
zhua
专 zhuān
604
庄 zhuāng
zhuan
609
chuan
zhuang zang
奏
613
pp 传 chuán 614
dd 揍 zòu
zòu
cou
pp 凑 còu
足
cu
pp 促 cù
卒
zui
pl1 醉 zuì
cui
zú°
pl2 翠 cuì 粹 cuì 悴 cuì
sui
pl3 碎 suì
族
cu
pp 簇 cù
zui
dd 嘴 zuĭ
zú°
615
掉 diào 悼 dào
zou
zú°
dd 抓 zhuā
pl 脏 zāng 脏 zàng 赃 zāng
总 zǒng°
dd 住 zhù 注 zhù 驻 zhù 柱 zhù 拄 zhŭ 蛀 zhù
dd 桩 zhuāng
宗 zōng
dd 筑 zhù
dd 转 zhuăn 转 zhuàn 砖 zhuān 传 zhuàn
子 zĭ
612
zhuă
603
608
611 zhu
兹* zī
610
zhŭ
爪
607
dd 锥 zhuī 椎 zhuī
隹*
卓
289
觜* zuĭ
DROCOURT-9782200633653BAT.pdf (Col DROCOURT-63365) - 29-08-22 15:33:29
L’écriture chinoise
290
616
尊
zun
zūn 617
左 zuǒ
zuo
dd 遵 zūn
dd 佐 zuǒ
618
坐 zuò
zuo
dd 座 zuò
cuo
pp 挫 cuò 锉 cuò
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Index des phonogrammes
a1 啊
1
ban3 版
112
beng1 崩
329
bo1 波
332
a5 啊
1
ban4 伴
13
beng1 绷
329
bo1 玻
332
ai1 哎
2
ban4 扮
115
beng4 蹦
329
bo2 伯
9
ai1/2 挨
525
ban4 拌
13
bi1 逼
124
bo2 勃
20
ai4 唉
525
ban4 瓣
31
bi2 彼
332
bo2 博
125
an4 岸
130
bang1 帮
117
bi2 鼻
27
bo2 搏
125
an4 按
3
bang1 邦
117
bi3 比
25
bo2 泊
9
an4 案
3
bang3 榜
113
bi3 鄙
24
bo2 脖
20
ang1 肮
243
bang3 绑
117
bi4 壁
333
bo2 膊
125
ang2 昂
508
bang3 膀
113
bi4 弊
28
bo2 舶
9
ao2 熬
4
bang4 傍
113
bi4 毕
25
bo2 薄
125
ao4 傲
4
bang4 磅
113
bi4 毙
25
bu3 哺
125
ao4 澳
5
bang4 谤
113
bi4 痹
27
bu3 捕
125
ba1 叭
6
bang4 镑
113
bi4 臂
333
bu3 补
36
ba1 吧
7
bao1 煲
15
bi4 蔽
28
bu4 怖
38
ba1 扒
6
bao1 胞
14
bi4 避
333
bu4 部
336
ba1 芭
7
bao3 堡
15
bian1 编
29
cai2 材
39
ba2 拔
8
bao3 饱
14
bian1 鞭
30
cai2 裁
564
ba3 把
7
bao4 抱
14
bian4 辨
31
cai2 财
39
ba3 靶
7
bao4 曝
16
bian4 辩
31
cai3 彩
40
ba4 爸
7
bao4 爆
16
bian4 辫
31
cai3 睬
40
ba5 吧
7
bei1 悲
114
bian4 遍
29
cai3 踩
40
bai3 柏
9
bei1 碑
17
biao1 飙
32
cai4 菜
40
bai3 百
9
bei1/4 背
18
bie1 憋
28
can2 惭
573
ban1 扳
112
bei4 倍
336
bin1 滨
33
can3 惨
41
ban1 搬
11
bei4 惫
21
bin1 缤
33
cang1 沧
42
ban1 斑
10
bei4 狈
19
bing3 柄
34
cang1 舱
42
ban1 班
10
bei4 辈
114
bing3 饼
35
cang1 苍
42
ban1 颁
115
ben1/ben4 奔
22
bing4 病
34
cang2 藏
43
ban3 板
112
ben4 笨
23
bo1 拨
107
cao1 操
568
DROCOURT-9782200633653BAT.pdf (Col DROCOURT-63365) - 29-08-22 15:33:29
L’écriture chinoise
292 cao1 糙
136
cheng2 程
59
ci2 磁
607
dao4 到
85
cao2 槽
44
cheng2 诚
58
ci2 词
417
dao4 悼
606
59
ci4 刺
cao3 草
566
cheng3 逞
71
dao4 稻
515
ce4 侧
569
chi2 痴
395
cong1 聪
610
deng 蹬
87
ce4 厕
569
chi2 弛
518
cong1 葱
72
deng4 凳
87
ce4 测
569
chi2 持
420
cong2 丛
73
deng4 瞪
87
46
chi2 池
518
cou4 凑
611
di1 低
88
cha1 插
48
chi2 迟
61
cu1 粗
234
di1 堤
401
cha4 刹
379
chi2 驰
518
cu4 促
612
di1 提
401
chan1 掺
41
chi3 耻
593
cu4 簇
614
di1 滴
89
chan1 搀
50
chi3 齿
593
cui1 催
74
di2 笛
544
chan2 禅
81
chi4 翅
589
cui1 摧
74
di2 迪
544
chan2 馋
50
chong1/4 冲
596
cui4 粹
613
di3 底
88
chan3 铲
51
chou1 抽
544
cui4 翠
613
di3 抵
88
chan3 阐
81
chou2 愁
359
cui4 脆
447
di4 第
91
chan4 颤
82
chou2 畴
404
cun1 村
76
di4 缔
90
chang1 猖
52
chou2 稠
598
cuo1 搓
47
di4 蒂
90
chang2 偿
53
chou2 筹
404
cuo1 磋
47
di4 递
chang2 嫦
383
chou2 绸
598
cuo4 挫
618
dian1 巅
583
chang2 常
383
chou2 酬
597
cuo4 措
467
dian1 颠
583
chang2 肠
507
chou3 瞅
359
cuo4 错
467
dian3 点
574
chang3 场
507
chu2 厨
412
da1 搭
78
dian4 店
574
chang3 敞
383
chu2 橱
412
da1/2 答
78
dian4 惦
574
chang4 倡
52
chu3 储
581
da2 达
79
dian4 甸
435
chang4 唱
52
chu3 楚
406
dai4 怠
429
diao1 叼
92
ceng4 蹭
91
chang4 畅
507
chu3 础
63
dai4 袋
80
diao1 雕
598
chao1 抄
482
chuai1/3 揣
99
dai4 贷
80
diao4 掉
606
chao1 超
578
chuai4 踹
99
dan1 担
83
diao4 调
598
chao1 钞
482
chuan2 传
603
dan3 胆
83
die1 跌
390
chao2 嘲
54
chuan3 喘
99
dan4 但
83
die2 碟
519
chao2 潮
54
chuang1 创
42
dan4 弹
81
die2 谍
519
chao3 吵
482
chuang4 创
42
dan4 淡
500
die2 迭
390
chao3 炒
482
chui1 吹
351
dang3 党
383
ding1 叮
93
55
chui1 炊
351
dang3 挡
84
ding1 盯
93
chen2 晨
56
chui2 捶
67
dang4 档
84
ding1/4 钉
93
chen4 趁
584
chui2 锤
67
dang4 荡
507
ding3 顶
93
cheng2 城
58
chun2 醇
478
dao1 叨
85
ding4 订
93
cheng2 惩
587
chun3 蠢
68
dao3 捣
86
dong3 懂
95
cheng2 橙
87
chuo4 绰
606
dao3 祷
404
dong4 冻
94
cheng2 澄
87
ci2 慈
607
dao3 蹈
515
dong4 栋
94
cheng2 盛
58
ci2 瓷
70
85
dong4 洞
438
che4 撤
dao3/4 倒
DROCOURT-9782200633653BAT.pdf (Col DROCOURT-63365) - 29-08-22 15:33:29
Index des phonogrammes
293
dou3 抖
96
fang3 仿
113
fu3 腐
127
gen1 根
139
dou4 逗
97
fang3 纺
113
fu3 辅
125
gen1 跟
139
du1 都
581
fang3 访
113
fu4 傅
125
gong1 功
140
du2 读
292
fang4 放
113
fu4 副
124
gong1 恭
143
du3 堵
581
fei1 啡
114
fu4 咐
127
gong1 攻
140
du3 睹
581
fei1 绯
114
fu4 富
124
gong1 躬
141
du3 赌
581
fei3 匪
114
fu4 缚
125
gong1/4 供
143
du4 杜
440
fei3 诽
114
fu4 腹
128
gong3 巩
140
du4 渡
98
fei4 沸
123
fu4 覆
128
gong3 拱
143
du4 肚
440
fei4 肺
120
fu4 赋
462
gong4 贡
140
duan1 端
99
fei4 费
123
fu4 赴
36
gou1 沟
144
duan4 锻
100
fen1 吩
115
fu4 附
127
gou1 钩
144
dui1 堆
605
fen1 氛
115
gai1 该
163
gou3 狗
235
dun1 吨
442
fen1 纷
115
gai4 概
192
gou4 够
235
dun3 盹
442
fen1 芬
115
gai4 溉
192
gou4 构
144
dun4 炖
442
fen2 坟
456
gai4 钙
129
gou4 购
144
dun4 顿
442
fen3 粉
115
gan1 尴
203
gu1 估
145
duo1 哆
102
fen4 份
115
gan1 竿
130
gu1 姑
145
duo3 躲
103
fen4 愤
22
gan1 肝
130
gu1 孤
148
duo4 堕
104
feng1 峰
118
gan1/3 杆
130
gu1 沽
145
duo4 舵
427
feng1 疯
116
gan3 感
474
gu1 菇
145
e2 俄
457
feng1 蜂
118
gan3 赶
130
gu1 辜
145
e2 娥
457
feng1 锋
118
gang1 刚
133
gu4 固
145
e2 鹅
457
feng2 逢
118
gang1 纲
133
gu4 故
145
e4 遏
169
feng2/4 缝
118
gang1 缸
140
gua4 卦
155
e4 饿
457
feng3 讽
116
gang1 钢
133
gua4 挂
155
e4 鳄
105
feng4 凤
116
gang3 岗
133
guan1 棺
150
er3 饵
106
fu1 孵
122
gang3 港
166
guan3 管
150
fa2 阀
108
fu1 敷
125
gang4 杠
140
guan3 馆
150
fan1 帆
110
fu1 肤
119
gao1 糕
134
guan4 惯
151
fan1 翻
109
fu2 俘
122
gao1 膏
135
guan4 灌
152
fan3 返
112
fu2 幅
124
gao3 搞
135
guan4 罐
152
fan4 犯
215
fu2 扶
119
gao3 稿
135
guan4 贯
151
fan4 范
215
fu2 浮
122
ge1 哥
245
guang4 逛
446
fan4 贩
112
fu2 福
124
ge1 搁
138
gui1 瑰
157
fan4 饭
112
fu2 袱
121
ge1 歌
245
gui1 闺
155
fang1 芳
113
fu2 辐
124
ge1 胳
138
gui4 桂
155
fang2 妨
113
fu3 俯
127
ge1 鸽
168
gui4 跪
447
fang2 房
113
fu3 府
127
ge2 格
138
gun3 滚
159
fang2 肪
113
fu3 抚
459
ge2 阁
138
gun4 棍
250
fang2 防
113
fu3 斧
126
ge2 隔
137
guo1 锅
160
DROCOURT-9782200633653BAT.pdf (Col DROCOURT-63365) - 29-08-22 15:33:29
L’écriture chinoise
294 guo3 裹
162
hong2 红
140
hui4 绘
183
jian1 煎
349
ha1 哈
168
hong2 虹
140
hui4 讳
448
jian3 俭
348
hai2 孩
163
hou2 喉
174
hun1 婚
186
jian3 减
474
hai4 骇
163
hou2 猴
174
hun2 浑
239
jian3 剪
349
han1 酣
131
hou4 候
174
hun4 混
250
jian3 拣
204
han2 涵
165
hu1 呼
175
huo2 活
385
jian3 捡
348
han2 韩
132
hu1 忽
463
huo3 伙
187
jian3 检
348
han3 喊
474
hu2 弧
148
huo4 惑
188
jian3 简
200
han3 罕
130
hu2 湖
145
huo4 祸
160
jian4 健
206
han4 憾
474
hu2 糊
145
ji1 圾
190
jian4 剑
348
han4 捍
130
hu2 胡
145
ji1 基
343
jian4 溅
202
han4 撼
474
hu3 唬
176
ji1 机
189
jian4 箭
349
han4 旱
130
hu4 护
177
ji1 畸
342
jian4 舰
205
han4 汗
130
hu4 沪
177
ji1 缉
346
jian4 贱
202
han4 焊
130
hua1 花
178
ji1 肌
189
jian4 践
202
hang2 杭
243
hua2 华
178
ji1 讥
189
jian4 键
206
hang2 航
243
hua2 哗
178
ji1 饥
189
jiang1 僵
208
hao2 毫
135
hua2 滑
147
ji2 即
192
jiang1 将
207
hao2 豪
135
hua2 猾
147
ji2 嫉
193
jiang1 江
140
hao4 浩
136
huai2 怀
37
ji2 极
190
jiang1 浆
207
he1 呵
245
huai4 坏
37
ji2 籍
467
jiang1 疆
208
he1/he4 喝
169
huan2 环
37
ji2 级
190
jiang3 奖
207
he2 何
245
huan2 还
37
ji2 辑
346
jiang3 桨
207
he2 核
163
huan3 缓
558
ji3 挤
341
jiang4 将
207
he2 河
245
huan4 唤
179
ji4 剂
341
jiang4 酱
207
he2 盒
168
huan4 换
179
ji4 寄
342
jiang4 降
209
he2 荷
245
huan4 焕
179
ji4 忌
194
jiao1 娇
352
he2 阂
163
huan4 痪
179
ji4 技
589
jiao1 浇
512
he2/he4 和
167
huang1 慌
180
ji4 既
192
jiao1 礁
211
he4 鹤
170
huang1 荒
180
ji4 济
341
jiao1 缴
212
hei1 嘿
171
huang2 凰
181
ji4 纪
194
jiao1 胶
210
hen2 痕
139
huang2 煌
181
ji4 记
194
jiao1 蕉
211
hen3 很
139
huang3 恍
153
ji4 迹
527
jiao1 跤
210
hen3 狠
139
huang3 谎
180
jia1 嘉
195
jiao1 郊
210
hen4 恨
139
huang3/4 晃
153
jia2 颊
197
jiao1 骄
352
heng1 哼
172
hui1 恢
182
jia3/4 假
198
jiao1/4 教
483
hong1 烘
143
hui1 挥
239
jia4 嫁
196
jiao3 搅
213
hong1/3/4 哄
143
hui1 辉
239
jia4 架
195
jiao3 狡
210
hong2 宏
173
hui3 悔
301
jia4 稼
196
jiao3 矫
352
hong2 弘
141
hui4 惠
184
jia4 驾
195
jiao3 绞
210
hong2 洪
143
hui4 慧
185
jian1 歼
347
jiao3 饺
210
DROCOURT-9782200633653BAT.pdf (Col DROCOURT-63365) - 29-08-22 15:33:29
Index des phonogrammes
295
jiao4 轿
352
jiu4 舅
231
kao3 考
244
kuo4 括
385
jiao4 较
210
ju1 拘
235
kao4 靠
136
kuo4 阔
385
jiao4 酵
483
ju1 鞠
233
ke1 棵
162
la1 垃
265
jie1 接
354
ju2 菊
233
ke1 苛
245
la1 拉
265
jie1 揭
169
ju3 沮
234
ke1 颗
162
la3 喇
252
jie1 阶
217
ju4 俱
237
ke2 咳
163
la4 腊
467
jie1/2 结
191
ju4 剧
232
ke3 渴
169
la4 蜡
467
jie2 捷
216
ju4 惧
237
ke4 刻
163
la4 辣
252
jie2 洁
191
ju4 拒
236
ke4 客
138
la5 啦
265
jie2 竭
169
ju4 据
232
ke4 课
162
lan2 拦
253
jie2 节
215
ju4 炬
236
ken3 啃
246
lan2 栏
253
jie3 姐
234
ju4 聚
363
ken3 垦
139
lan2 澜
204
jie4 界
217
ju4 距
236
ken3 恳
139
lan2 篮
203
jie4 诫
218
ju4 锯
232
keng1 吭
243
lan2 蓝
203
jin3 谨
222
juan1 捐
554
keng1 坑
243
lan3 揽
254
jin3 锦
221
juan3/4 卷
366
kong1/4 空
140
lan3 缆
254
jin4 劲
224
juan4 倦
366
kong3 恐
140
lan4 滥
203
jin4 浸
356
juan4 圈
366
kong4 控
140
lan4 烂
253
jin4 近
220
jue2 决
149
kou4 扣
247
lang2 廊
267
jin4 进
225
jue2 崛
362
ku1 枯
145
lang2 狼
267
jing1 惊
223
jue2 掘
362
ku3 苦
145
lang2 郎
267
jing1 睛
357
jue2 诀
149
ku4 裤
248
lang3 朗
267
jing1 精
357
jue2/4 倔
362
ku4 酷
136
lang4 浪
267
jing1 经
224
jun1 均
562
kua3 垮
249
lao1 捞
255
jing1 茎
224
jūn1 菌
367
kua4 挎
249
lao2 唠
255
jing1 荆
241
jun1 钧
562
kua4 跨
249
lao3 姥
256
jing3 景
223
jùn4 俊
368
kuai4 块
149
lao4 涝
255
jing3 警
226
jùn4 峻
368
kuai4 快
149
lei3 蕾
257
jing3 阱
225
jùn4 竣
368
kuai4 筷
149
leng4 愣
259
jing4 净
586
jùn4 骏
368
kuang1 筐
446
li2 厘
261
jing4 境
227
kai3 慨
192
kuang2 狂
446
li2 梨
264
jing4 径
224
kai3 楷
214
kuang4 旷
154
li2 璃
260
jing4 镜
227
kan1 刊
130
kuang4 框
446
li3 理
261
jing4 静
586
kan1 勘
388
kuang4 矿
154
li4 励
263
jing4 颈
224
kan1 堪
388
kui1 窥
156
li4 历
262
jiu1 揪
359
kan3 槛
203
kui2 魁
157
li4 粒
265
jiu1 灸
230
kan3 砍
351
kui4 愧
157
lia3 俩
269
jiu1 究
229
kang1 慷
242
kui4 溃
158
lian2 莲
266
jiu1 纠
228
kang2 扛
140
kui4 馈
158
lian3 敛
348
jiu4 就
543
kang4 抗
243
kun3 捆
251
lian3 脸
348
jiu4 救
360
kao3 烤
244
kuo4 廓
161
lian4 炼
204
DROCOURT-9782200633653BAT.pdf (Col DROCOURT-63365) - 29-08-22 15:33:29
L’écriture chinoise
296 lian4 练
204
lu2 芦
177
mao4 貌
298
mo3 抹
311
lian4 链
266
lu4 碌
284
mao4 贸
297
mo4 寞
312
liang2 凉
223
lu4 赂
138
mei2 媒
313
mo4 沫
311
liang2 梁
268
lu4 路
138
mei2 枚
337
mo4 漠
312
liang2 粮
267
lu4 露
138
mei2 梅
301
mo4 墨
171
liang4 谅
223
luan2 孪
285
mei2 煤
313
mo4 默
171
liang4 辆
269
lun1 抡
286
mei2 玫
337
mou2 谋
313
liao2 僚
270
lun2 伦
286
mei2 霉
301
mu2 模
312
liao2 潦
270
lun2 轮
286
mei4 妹
451
mu3 姆
314
liao2 疗
270
lun4 论
286
mei4 媚
300
mu4 募
312
liao2 辽
270
luo2 萝
287
mei4 昧
451
mu4 墓
312
lie1/3 咧
271
luo2 螺
258
mei4 魅
451
mu4 幕
312
lie4 烈
271
luo2 逻
287
men1/4 闷
302
mu4 慕
312
lie4 裂
271
luo4 络
138
men5 们
302
mu4 暮
312
lin1 拎
274
luo4 落
138
meng1/2 蒙
303
mu4 沐
315
lin2 淋
272
lv3 侣
288
meng2 朦
303
mu4 穆
316
lin2 邻
274
lv3 屡
281
meng2 盟
310
na3 哪
317
ling2 凌
273
lv3 缕
281
meng2 萌
310
na4 呐
320
ling2 铃
274
lv3 铝
288
meng3 猛
304
na4 纳
320
ling2 陵
273
lv4 滤
289
mi2 密
26
na5 哪
317
ling2 零
274
lv4 绿
284
mi2 谜
305
nai3 奶
318
ling2 龄
274
ma1 妈
291
mi2 迷
305
nao3 恼
487
ling3 岭
274
ma3 码
291
mi4 泌
26
nao3 脑
487
ling3 领
274
ma4 骂
291
mi4 秘
26
ni2 泥
321
liu1 溜
277
ma5 吗
291
mi4 蜜
26
ni4 逆
322
liu2 流
276
ma5 嘛
290
mian3 勉
306
niang2 娘
267
liu2 浏
275
man2 瞒
293
mian3 缅
307
niang4 酿
267
liu2 瘤
277
man2 馒
294
miao2 描
308
nie1 捏
323
liu4 遛
277
man3 满
293
miao2 瞄
308
ning2/3 拧
325
long2 咙
279
man4 慢
294
miao3 渺
482
niu3 扭
long2 窿
280
man4 漫
294
miao3 秒
482
niu3 纽
long2 聋
279
man4 蔓
294
miao4 妙
482
nong2 浓
326
long2 胧
279
mang2 忙
445
ming2 铭
309
nu3 努
327
long2/3 笼
279
mang2 氓
445
miu4 谬
278
nu4 怒
327
long3 垄
279
mang2 盲
445
mo1 摸
312
nuan3 暖
558
long3 拢
279
mang2 芒
445
mo2 摩
290
nuo2 挪
317
lou2 楼
281
mang2 茫
445
mo2 模
312
o4 哦
457
lou3 搂
281
mao1 猫
308
mo2 磨
290
ou1 欧
361
lou4 漏
283
mao2 茅
296
mo2 膜
312
ou1 殴
361
lou4 陋
282
295
mo2 蘑
290
ou3 偶
549
lu2 炉
177
mao2 髦 mao4 帽
299
mo2 魔
290
ou3 呕
361
62 62
DROCOURT-9782200633653BAT.pdf (Col DROCOURT-63365) - 29-08-22 15:33:29
Index des phonogrammes
297
pa1 趴
6
pi4 譬
333
qi3 起
194
qing3 请
357
pa2 爬
7
pian1 偏
29
qi4 汽
345
qiu2 球
360
pa4 帕
9
pian1 篇
29
qi4 砌
353
qu1 躯
361
pa4 怕
9
pian4 骗
29
qi4 迄
344
qu1 驱
361
pai1 拍
9
piao1 漂
334
qia4 恰
168
qu2 渠
236
pai2 徘
114
piao1 飘
334
qia4 洽
168
qu3 娶
363
pai2 排
114
piao4 漂
334
qian1 签
348
qu4 趣
363
pan1 攀
111
pin1 拼
35
qian1 谦
201
quan1 圈
366
pan1 潘
109
ping1 乒
33
qian1 迁
347
quan2 拳
366
pan4 判
13
ping2 坪
335
qian1 铅
501
quan4 券
366
pan4 叛
13
ping2 屏
35
qian2 钱
202
que1 缺
149
pan4 畔
13
ping2 瓶
35
qian3 浅
202
que4 却
364
pan4 盼
115
ping2 苹
335
qian3 谴
350
que4 确
238
pang1 乓
33
ping2 萍
335
qian4 嵌
351
qun2 群
240
pang2 旁
113
ping2 评
335
qian4 歉
201
qun2 裙
240
pang4 胖
13
po1 坡
332
qiang1 枪
42
ran2 燃
369
pao2 刨
14
po1 泼
107
qiang1 腔
140
rang3 嚷
477
pao2 袍
14
po1 颇
332
qiang3 抢
42
rang3 壤
477
pao3 跑
14
po2 婆
332
qiang4 呛
42
rang3 攘
477
pao4 泡
14
po4 破
332
qiao1 悄
481
rao2 饶
512
pao4 炮
14
po4 迫
9
qiao2 侨
352
rao4 绕
512
pei2 培
336
po4 魄
9
qiao2 桥
352
ren3 忍
372
pei2 赔
336
pou1 剖
336
qiao2 瞧
211
ren4 任
371
pei2 陪
336
pu1 扑
36
qiao3 巧
244
ren4 认
370
pei4 沛
120
pu1/4 铺
125
qiao4 俏
481
ren4 韧
372
pen1 喷
22
pu2 仆
36
qiao4 撬
75
reng1 扔
318
pen2 盆
115
pu2 菩
336
qiao4 窍
244
reng2 仍
318
peng1 抨 peng2 棚 peng2 篷 peng2 膨 peng2 蓬 peng2 鹏 pi1 劈 pi1 批 pi1 披 pi2 啤 pi2 疲 pi2 脾 pi4 僻 pi4 媲
335
pu2 葡
125
qiao4 翘
512
rong2 溶
373
329
pu3 朴
36
qie4 窃
353
rong2 绒
374
118
pu3 浦
125
qie4(que4) 怯
364
rou2 揉
375
330
pu3 谱
338
qin1 侵
356
ru2 儒
491
118
qi1 凄
340
qin1 钦
221
rui4 锐
101
329
qi1 期
343
qin2 勤
222
run4 润
376
333
qi1 栖
465
qin2 琴
219
sai1 塞
377
25
qi1 欺
343
qin3 寝
356
sai4 赛
377
332
qi1 沏
353
qing1 倾
358
sang3 嗓
378
17
qi1 漆
339
qing1 清
357
sao1 骚
567
332
qi2 旗
343
qing1 轻
224
sao4 臊
568
17
qi2 棋
343
qing2 情
357
seng1 僧
46
333
qi2 歧
589
qing2 擎
226
sha1 刹
379
331
qi2 骑
342
qing2 晴
357
sha1 沙
482
DROCOURT-9782200633653BAT.pdf (Col DROCOURT-63365) - 29-08-22 15:33:29
L’écriture chinoise
298 sha1 砂
482
shi4 柿
399
su4 溯
415
tao1 淘
434
sha1 纱
482
shi4 视
397
su4 速
410
tao1 滔
515
sha1 鯊
482
shi4 誓
580
suan4 蒜
423
tao2 桃
579
shan1 删
45
shi4 试
400
sui2 随
104
tao2 萄
434
shan1 煽
382
shi4 逝
580
sui3 髓
104
tao2 逃
579
shan1 衫
380
shi4 饰
393
sui4 碎
613
tao2 陶
434
shan4 擅
82
shou4 授
403
sui4 遂
424
teng2 腾
585
shan4 膳
381
shou4 痩
421
sui4 隧
424
teng2 藤
585
shan4 赡
572
shu1 抒
553
suo1 嗦
426
ti1 剔
529
shang3 赏
383
shu1 梳
406
suo3 锁
425
ti1 梯
91
shao1 捎
481
shu1 殊
599
ta1 他
518
ti1 踢
529
shao1 梢
481
shu1 疏
406
ta1 塌
428
ti2 提
401
shao1 烧
512
shu1 舒
553
ta1 她
518
ti2 题
401
shao1 稍
481
shu1 蔬
406
ta3 塔
78
ti4 剃
91
shao3/4 少
482
shu2 熟
407
ta4 踏
77
ti4 惕
529
shao4 哨
481
shu3 暑
581
tai1 胎
429
ti4 涕
91
shao4 绍
578
shu3 曙
581
tai2 抬
429
tian1 添
436
she1 奢
581
shu3 署
581
tai4 态
430
tian2 填
583
she3/4 舍
385
shu3 薯
581
tai4 汰
430
tian3 舔
436
she4 慑
324
shu4 述
409
tan1 摊
319
tiao1/3 挑
579
she4 摄
324
shuai1 摔
413
tan1 滩
319
tiao2 调
598
shen1 伸
386
shuan1 拴
365
tan1 瘫
319
tiao4 跳
579
shen1 深
387
shuan1 栓
365
tan2 弹
81
tie1 贴
574
shen1 绅
386
shui2 谁
605
tan2 潭
431
tie3 帖
574
shen2 神
386
shui4 睡
67
tan2 痰
500
tie3 铁
390
shen3 审
386
shui4 税
101
tan2 谈
500
ting1 厅
93
shen4 慎
583
shun4 瞬
414
tan3 坦
83
ting2 亭
93
shen4 渗
41
shun4 顺
66
tan3 毯
500
ting2 停
93
sheng1 牲
389
si1 撕
418
tan4 碳
432
ting2 庭
437
sheng4 剩
60
si1 私
416
tang1 汤
507
ting3 挺
437
sheng4 盛
58
si4 伺
417
tang2 堂
383
ting3 艇
437
sheng4 胜
389
si4 祀
419
tang2 塘
433
tong1 通
541
shi 匙
401
si4 饲
417
tang2 糖
433
tong2 铜
438
shi1 狮
391
song1 松
142
tang2 膛
383
tong3 捅
541
shi1 诗
420
song3 耸
73
tang3 倘
383
tong3 桶
541
shi2 识
590
song4 讼
142
tang3 淌
383
tong3 筒
438
shi3 驶
394
song4 颂
142
tang3 躺
383
tong4 痛
541
shi4 侍
420
sou1 搜
421
tang4 烫
507
tu2 屠
581
shi4 势
591
sou1 艘
421
tang4 趟
383
tu2 涂
547
shi4 嗜
402
sou4 嗽
410
tao1 掏
434
tu2 途
547
shi4 室
595
su4 塑
415
tao1 涛
404
tu3/4 吐
440
DROCOURT-9782200633653BAT.pdf (Col DROCOURT-63365) - 29-08-22 15:33:29
Index des phonogrammes
299
tui1 推
605
wen3 吻
463
xian4 陷
475
xing2 型
241
tui3 腿
441
wen3 紊
456
xian4 馅
475
xing2 形
241
tuo 托
443
wen4 问
302
xiang1 厢
476
xing3 醒
389
wa1 挖
444
wo1 窝
160
xiang1 箱
476
xing4 姓
389
wa1 蛙
155
wo1 涡
160
xiang1 镶
477
xing4 性
389
wa2 娃
155
wu1 呜
458
xiang2 祥
506
xiong 胸
487
wa5 哇
155
wu3 伍
461
xiang2 翔
506
xiong1 汹
487
wan1 湾
285
wu3 捂
461
xiang2 详
506
xiu4 嗅
489
wan1 弯
285
wu4 悟
461
xiang2 降
209
xiu4 绣
488
wan2 完
555
wu4 晤
461
xiang3 响
479
xiu4 袖
544
wan2 玩
555
wu4 物
463
xiang3 想
476
xiu4 锈
488
wan2 顽
555
wu4 误
460
xiang4 像
480
xu1 墟
490
wan3 惋
559
wu4 雾
464
xiang4 橡
480
xu2 徐
547
wan3 挽
306
xi1 吸
190
xiao1 宵
481
xu4 叙
547
wan3 晚
306
xi1 嬉
471
xiao1 消
481
xu4 婿
492
wan3 碗
559
xi1 惜
467
xiao1 潇
422
xu4 蓄
65
wan4 腕
559
xi1 晰
466
xiao1 销
481
xuan1 喧
493
wang1 汪
446
xi1 溪
470
xiao1/xue1 削
481
xuan4 炫
494
wang3 枉
446
xi1 熄
469
xiao1 萧
422
xun2 讯
496
wang4 妄
445
xi1 牺
465
xiao2 淆
513
xun2 询
495
wang4 忘
445
xi1 稀
468
xiao3 晓
512
xun2 巡
66
wang4 旺
446
xi1 膝
339
xiao4 啸
422
xun4 汛
496
wang4 望
446
xi1 锡
529
xiao4 效
210
xun4 训
66
wei2 唯
605
xi2 媳
469
xiao4 校
210
xun4 迅
496
wei2 围
448
xi3 洗
473
xiao4 笑
510
xun4 驯
66
wei2 维
605
xia1 瞎
164
xie1 歇
169
ya1 押
199
wei3 伟
448
xia1 虾
472
xie2 协
12
ya1 鸦
497
wei3 伪
450
xia2 侠
197
xie2 胁
12
ya1 鸭
199
wei3 纬
448
xia2 峡
197
xie2 谐
214
ya2 崖
498
wei3 萎
449
xia2 狭
197
xie4 卸
215
ya2 涯
498
wei3 违
448
xia2 辖
164
xie4 懈
484
ya2 芽
497
wei4 味
451
xia2 霞
198
xie4 械
218
ya3 哑
499
wei4 喂
452
xia4 吓
472
xie4 泻
485
ya3 雅
497
wei4 慰
454
xian1 掀
220
xin1 新
355
ya4 讶
497
wei4 谓
453
xian1 纤
347
xin1 欣
220
ya5 呀
497
wei4 魏
449
xian2 嫌
201
xin1 芯
486
yan1 淹
502
wen1 温
455
xian2 弦
494
xin1 薪
355
yan1 烟
533
wen1 瘟
455
xian3 险
348
xing1 星
389
yan1/ye4 咽
533
wen2 蚊
456
xian4 宪
473
xing1 猩
389
yan2 沿
501
wen2 纹
456
xian4 现
205
xing1 腥
389
yan2 阎
475
wen2 闻
302
xian4 线
202
xing2 刑
241
yan2 颜
504
DROCOURT-9782200633653BAT.pdf (Col DROCOURT-63365) - 29-08-22 15:33:29
L’écriture chinoise
300 yan3 掩
502
yi4 艺
524
yu3 宇
546
zao4 噪
568
yan4 咽
533
yi4 裔
521
yu3 屿
552
zao4 燥
568
yan4 宴
503
yi4 议
526
yu4 吁
546
zao4 躁
568
yan4 焰
475
yi4 译
528
yu4 喻
548
ze2 择
528
yan4 验
348
yi4 谊
523
yu4 寓
549
ze2 泽
528
yang1 殃
505
yin1 姻
533
yu4 愈
548
zeng1 增
46
yang1 秧
505
yin1 殷
536
yu4 欲
146
zeng4 赠
46
yang2 扬
507
yin1 荫
534
yu4 浴
146
zha1 扎
570
yang2 杨
507
yin2 银
139
yu4 裕
146
zha1 渣
49
yang2 洋
506
yin3 瘾
537
yu4 豫
553
zha4 榨
571
yang3 仰
508
ying1 英
505
yu4 遇
549
zha4 诈
571
yang3 养
506
ying1 鹰
538
yu4 预
553
zha4/2 炸
571
yang3 氧
506
ying2 荧
539
yuan2 园
555
zhai4 寨
377
yang3 痒
506
ying2 莹
539
yuan2 圆
556
zhan1 沾
574
yang4 样
506
ying2 营
539
yuan2 援
558
zhan1 瞻
572
yang4 漾
506
ying3 影
223
yuan2 源
557
zhan1 粘
574
yao1 妖
510
ying4 映
505
yuan3 远
555
zhan3 崭
573
yao1 腰
516
yong1 佣
541
yuan4 怨
559
zhan3 盏
202
yao1 邀
212
yong1 庸
541
yuan4 愿
557
zhan4 战
574
yao2 摇
514
yong1 拥
541
yuan4 院
555
zhan4 站
574
yao2 谣
514
yong3 勇
541
yue4 悦
101
zhang1 张
576
yao2 遥
514
yong3 咏
540
yue4 越
560
zhang1 彰
575
yao3 咬
210
yong3 泳
540
yue4 阅
101
zhang3 掌
383
yao4 药
511
yong3 涌
541
yun1 晕
239
zhang3 涨
576
ye1 椰
517
yong3 踊
541
yun4 蕴
455
zhang4 仗
577
ye4 液
520
you1 优
543
yun4 运
561
zhang4 帐
576
yi1 依
521
you1 幽
509
yun4 酝
561
zhang4 杖
577
yi2 仪
526
you1 忧
543
yun4 韵
562
zhang4 胀
576
yi2 姨
522
you1 悠
542
za1/zha2 扎
570
zhang4 账
576
yi3 倚
342
you2 油
544
za2 砸
563
zhang4 障
575
yi3 椅
342
you2 犹
543
zai1 栽
564
zhao1 招
578
yi4 亿
524
you2 邮
544
zai3/4 载
564
zhao3 沼
578
yi4 屹
344
you4 佑
545
zan3 攒
565
zhao4 照
578
yi4 弈 yi4 役 yi4 忆 yi4 毅 yi4 溢 yi4 疫 yi4 绎 yi4 翼
527
you4 幼
509
zan4 暂
573
zhe1 遮
411
405
you4 诱
488
zang1 赃
604
zhe2 哲
580
524
yu2 愉
548
zang1/4 脏
604
zhe2 辙
55
532
yu2 愚
549
zang4 藏
43
zhe4 浙
580
531
yu2 渔
551
zao1 糟
44
zhen1 侦
582
405
yu2 渝
548
zao1 遭
44
zhen1 珍
584
528
yu2 舆
550
zao3 澡
568
zhen3 振
56
530
yu2 逾
548
zao3 藻
568
zhen3 枕
535
DROCOURT-9782200633653BAT.pdf (Col DROCOURT-63365) - 29-08-22 15:33:29
Index des phonogrammes
301
zhen3 诊
584
zhi3 址
593
zhu3 嘱
408
zhuo2 琢
64
zhen4 镇
583
zhi3 指
594
zhu3 拄
601
zhuo2 酌
384
zhen4 震
56
zhi3 纸
398
zhu3 煮
581
zi1 咨
zheng1 征
587
zhi4 峙
420
zhu3 瞩
408
zi1 姿
70
zheng1 挣
586
zhi4 帜
590
zhu4 住
601
zi1 滋
607
zheng1 蒸
57
zhi4 志
396
zhu4 助
234
zi1 资
70
zheng1 睁
586
zhi4 挚
591
zhu4 柱
601
zi3 仔
608
zheng1 筝
586
zhi4 智
395
zhu4 注
601
zi3 紫
69
zheng3 拯
57
zhi4 秩
390
zhu4 筑
600
zi4 字
608
70
zheng3 整
587
zhi4 窒
595
zhu4 著
581
zong1 综
609
zheng4 挣
586
zhi4 置
592
zhu4 驻
601
zong1 踪
609
zheng4 政
587
zhi4 致
595
zhua 抓
602
zong4 粽
609
zheng4 症
587
zhong1 忠
596
zhuan1 砖
603
zong4 纵
73
zheng4 证
587
zhong1 衷
596
zhuan3/4 转
603
zou4 揍
611
zhi1 枝
589
zhong1 钟
596
zhuan4 传
603
zu1 租
234
zhi1 汁
392
zhong3 肿
596
zhuang1 妆
328
zu3 祖
234
zhi1 知
395
zhong3/4 种
596
zhuang1 桩
604
zu3 组
234
zhi1 织
590
zhong4 仲
596
zhuang1 装
328
zu3 阻
234
zhi1 肢
589
zhou1 洲
597
zhuang4 壮
328
zui3 嘴
615
zhi1 脂
594
zhou2 轴
544
zhuang4 幢
439
zui4 醉
613
zhi2 值
592
zhou4 宙
544
zhuang4 撞
439
zun1 遵
616
zhi2 植
592
zhu1 株
599
zhuang4 状
328
zuo2 昨
571
zhi2 殖
592
zhu1 猪
581
zhuo1 拙
63
zuo3 佐
617
zhi2 职
590
zhu1 珠
599
zhuo1 桌
606
zuo4 作
571
zhi2 芝
588
zhu1 诸
581
zhuo2 灼
384
zuo4 座
618
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L’écriture chinoise
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Bibliographie
305
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Index
A Abel-Rémusat, 31, 34, 235 agrégat sémantique, Voir syssémantogramme allitération, Voir shuāngshēng Alphabet phonétique international (API), 27 Ann Tse Kai 安子介, 119 Anyang 安阳, 44 archéologie, 21, 43, 45, 51, 62 assonance, Voir diéyùn
B
Bi Sheng 毕升, 80 biăoyì wénzì 表意文字(le terme), 192 biăoyìxìng jíqiáng de wénzì 表义性(极)强的文字, 191 biăoyìzì 表意字, Voir sémantogramme Bloomfield Leonard, 33 bùjiàn 部件, Voir composant bùshŏu 部首, 89, 116, 151, 217, 248
C
Cai Lun 蔡伦, 60 calligraphe, 61 Cai Yong 蔡邕, 147 Cheng Miao 程邈, 61 Cui Yuan 崔瑗, 69 Du Du 杜度, 69 Huaisu 怀素, 75 Liu Desheng 刘德升, 62, 73 Liu Zongyuan 柳宗元, 78 Ouyang Xun 欧阳询, 78 Wang Xianzhi 王献之, 62, 70, 74 Wang Xizhi 王羲之, 62, 70, 73–74, 76 Yan Zhenqing 颜真卿, 78, 149 Zhang Huaiguan 张怀瓘, 72 Zhang Xu 张旭, 75
Zhang Zhi 张芝, 61, 70 Zhong Yao 钟繇, 62, 73, 75 calligraphie, 11, 203 genre, 59, 61, 67, 69, 76 genre vs style, 41 rôle, 63 style personnel, 65, 72, 78 style vs genre, 41 Cang Jie 仓颉, 21, 42 Cang Jie pian 仓颉篇, 43, 56 cantonais, Voir yuèyŭ căoshū 草书, 67, 70 codification, 75, 139 ductus, 68, 138 jīncăo 今草 (cursive moderne), 74 kuángcăo 狂草 (cursive folle), 75 simplification, 141 zhāngcăo 章草 (cursive régulière), 69 caractère, - actif, 244 - ancien et moderne, Voir gŭjīnzì - apparenté, Voir tóngyuánzì - démotivé, 138, 220, 232 - dérivé, Voir tóngyuánzì - en double, Voir chóngwén équation avec la syllabe, 174 équation avec le morphème, 177 - historique, Voir lìshĭzì - immotivé, 161, 215, 231, 238, 252 - motivé, 230 - moyennement usuel, Voir cìchángyòngzì - passif, 244 rapport avec la graphie, 195 rapport avec le morphème, 193 rapport avec le mot, 183 - rare, Voir hănjiànzì - remotivé, 117, 221 - sémantique, Voir sémantogramme
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L’écriture chinoise
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- semi-motivé, 231 statistique, 123, 240 taux dégressif de l'efficience, 241 - très usuel, Voir chángyòngzì - vide de sens, 199 CECRL, 237 Champollion Jean-François, 24, 34 chancellerie (graphisme), Voir lìshū chángyòngzì 常用字, 122, 207 Chao Yuen Ren 赵元任, 194 chéngyŭ 成语, 185 Chiang Kai-Shek 蒋介石, 153 chinois classique, Voir wényán chinois mandarin (le terme), Voir guānhuà chóngwén 重文, 89, 126 cí 词, 194 cìchángyòngzì 次常用字, 122 clé (dictionnaire), Voir bùshŏu code graphique, 25, 29 code oral, 25 composant, 214 - élémentaire vs graphème, 216 - subordonné, 134 vs graphème, 132 compositionnalité, 117, 135, 219 concours mandarinaux, Voir kējŭ coréen, 38–39 corpus, 214 courante (graphisme), Voir xíngshū cursive (graphisme), Voir căoshū cursus de chinois, 242 cyberlangage, 21
D
dàzhuàn 大篆, 51, 56 déictogramme, 219 dérivation phonologique, 104, 108 déterminatif, 24, 97 diachronie, 211, 222 dialecte, 171 diaspora sinophone, 172 dictionnaire, - de Gu Yewang 顾野王, 147, 150 - de Lü Chen 吕忱, 147 - de Mei Yingzuo 梅膺祚, 151 - de rimes, Voir yùnshū - de Yan Minchu 颜愍楚, 148
- de Yan Shigu 颜师古, 148 - de Yan Yuansun 颜元孙, 148 - de Yang Xiong 揚雄, 146 - de Zhang Shen 张参, 149 Kangxi 康熙字典, 151 - numérique, 123 dictionnaire d’apprentissage, 237 didactique du chinois, 235, 240 diéyùn 叠韵, 197 différenciation graphique, 27, 97, 115, 180, 206 dissyllabe lié, Voir liánmiáncí dōngtŭ wénzì 东土文字, 53 Duan Yucai 段玉裁, 110 Dunhuang 敦煌, 64, 117, 139 Duponceau Peter S., 34 dúshū yīn 读书音, 112 dútĭzì 独体字, 214, 218
E écriture, acquisition, 31 - alphabétique, 30 - de gravure, 54, 56–57 - des langues régionales, 37 - des mots, Voir logographie - des Qin, 55 - des scribes, Voir lìshū - endogène, 46 endogène, 113 - linguistique, 24 - numérique, 244 - orthodoxe, Voir zhèngtĭ, 77 - vulgaire, Voir sútĭ écriture à (forte) dominante sémiographique, Voir biăoyìxìng jíqiáng de wénzì 表义性(极)强的文字 écriture chinoise, définition, 113 thèse de sa transcendance sur l’oral, 39 écriture de gravure, 126 écriture du chinois moderne, définition, 189 écriture idéographique, 30, 32, 35, 38, 170, 191– 192, 247 naissance d’un mythe, 33 écriture linguistique, 19 écriture morpho-syllabique (le terme), 191 écriture non alphabétique, 32 écriture phonétique, 26
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Index
écritures, - archaïques, Voir gŭwénzì - des Terres de l’Est, Voir dōngtŭ wénzì - des Terres de l’Ouest, Voir xītŭ wénzì - modernes, Voir jīnwénzì emprunt lexical, 39, 129 emprunt (phonétique), 92, 96, 232 étude des graphies, Voir zìyàngxué étymologie, 90, 146, 198, 208–209, 211, 228 étymologie fantaisiste, 119 expliquer le sens par la prononciation, Voir shēngxùn
F
fāngyán 方言, 171 făntĭzì 繁体字, 160, 162 fēnbiéwén 分别文, 115, 124 formule quadrisyllabique, Voir chéngyŭ
G
gòuzìfă 构字法, 211 Graded Chinese, Voir Hànyŭ dĕngjí huàfēn grand sceau (graphisme), Voir dàzhuàn grande sigillaire (graphisme), Voir dàzhuàn graphème, vs composant élémentaire, 216 graphème (le terme), 97 graphème phonétique, 97, 101, 106, 224, 231, 250 - abrégé, Voir shĕngshēng lourdeur, 230 - primaire, 216 sème, 111 graphème sémantique, 97, 99, 113, 116, 224, 231, 248 graphèmes latéraux, Voir piānpáng graphie, 41, 88 - à composant unique, Voir dútĭzì altération, 88, 121, 138 altération par la chancellerie, Voir lìbiàn - antique, Voir gŭwén - complexe, 112 complexification, 112, 143 - composée, 97 - de Zhou, Voir zhòuwén démotivation, 216, 218 - différenciée, Voir fēnbiéwén - empruntée, Voir tōngjiăzì - en oiseau et insecte, Voir niăochóngshū - en têtard, Voir kēdŏuwén
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- figurative, 210, 218 - globale, Voir dútĭzì - interchangeable, Voir tōngjiăzì motivation, 208 - non simplifiée, Voir făntĭzì rapport avec le caractère, 195 remotivation, 160 - simple, Voir jiăntĭzì - simplifiée, Voir jiănhuàzì - standard (Chine ancienne), Voir zhèngzì - standard (Taïwan), Voir zhèngtĭzì - variante, Voir yìtĭzì, 89 - variante manuscrite, Voir shŏutóuzì - variante vulgaire, Voir súzì vs graphisme, 87 graphisme, - commun, 59 - orthodoxe, Voir zhèngtĭ - synchrone, 54, 62 vs graphie, 87 - vulgaire, Voir sútĭ, 54 graphisme (le terme), 41 groupes de rimes, Voir yùnbù guānhuà fāngyán 官话方言, 171 guānhuà 官话, 170 gŭjīnzì 古今字, 124 guóyŭ 国语, 171 guóyŭ yùndòng 国语运动, 10, 153, 162 gŭwén 古文 (graphie antique), 51, 54, 90 gŭwénzì 古文字, 59, 100
H
Han 汉代, 70 occidentaux 西汉, 64, 125 orientaux 东汉, 64, 69, 72, 147 Hànjiǎn 汉简, Voir jiăndú hănjiànzì 罕见字, 122, 124 Hànyŭ dĕngjí huàfēn 汉语等级划分, 212, 241 hànzì wénhuà quān 汉字文化圈, 38 hiéroglyphe égyptien, 9, 22, 34 homographe, hétérophone, 202 homophone, 201 homophone, 29, 108, 160, 181 - dissyllabique, 182 - hétérographe, 181 - homographe, 181 - monosyllabique, 181 Hongkong, 82, 172
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L’écriture chinoise
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HSK 汉语水平考试, 207 huáyŭ 华语, 172 huìyìzì 会意字, Voir syssémantogramme tradition, 120 huŏxīngwén 火星文, 11
I idéogramme, 22, 93, 117 imprimerie, 80, 153, 174 invention, 78 inscriptions, - divinatoires, Voir jiăgŭwén - lapidaires, 55, 65, 76, 78 - oraculaires, Voir jiăgŭwén - sur bronze, Voir jīnwén - sur carapaces de tortue et sur os, Voir jiăgŭwén
J Japon, 81 japonais, 38 kanji, 29, 38, 205 syllabaire, 29, 179, 206 jiăgŭwén 甲骨文, 48, 98 jiăjièzì 假借字, Voir emprunt (phonétique) jiăndú 简牍, 43 Chŭjiăn 楚简, 53, 68 Hànjiǎn 汉简, 65 jianfán-zhīzhēng 简繁之争, 162 jiănhuàzì 简化字, 162 jiăntĭzì 简体字, 154 jìhàozì 记号字, Voir caractère immotivé jīnwén 金文, 44, 49, 99 jīnwénzì 今文字, 59
K
kăishū 楷书, 75, 77 Karlgren Bernhard, 102 kēdǒuwén 蝌蚪文, 54 kējŭ 科举, 78, 112
L langue, - commune nationale, Voir mízú gòngtóngyŭ - écrite, Voir shūmiànyŭ - écrite moderne, Voir xiàndài shūmiànyŭ - nationale, Voir guóyŭ - régionale, 36
- sinitique, 171 - véhiculaire, 35 - vernaculaire, 36 langue chinoise (le terme), 170 langue écrite commune, 111 langue graphique, 47, 109, 112 Lantingji xu 兰亭集序, 73 lattes de bambou ou de bois, Voir jiăndú lecteur, - apprenti, 28 - expert, 28 lecture, 27–28, 115, 242 légende, 43, 62 Leibniz G. W., 33 lexème, 177 lexicographie, 122 lexique, chinois ancien, 124 chinois moderne, 183–184 dissyllabisation, 125, 183 Li Si 李斯, 43, 56 liánmiáncí 联绵词, 123, 129, 197 lìbiàn 隶变, 66, 138, 220 libianisation, Voir lìbiàn lingua franca, 35, 38 linguistique de l’écrit, 19 lìshĭzì 历史字, 123 lìshū 隶书, 67 ductus, 65 gŭlì 古隶 (chancellerie ancienne), 63 Hànlì 汉隶, 67 Qínlì 秦隶 (chancellerie Qin) », 57 tōngsú lìshū 通俗隶书 (chancellerie vulgaire), 64 xīnlì 新隶 (nouvelle chancellerie), 64 Liu E 刘鹗, 45 liùshū 六书, 92, 211 huìyì 会意, 91 jiăjiè 假借, 91, 95 xiàngxíng 象形, 91 xíngshēng 形声, 91 zhĭshì 指事, 91 zhuănzhù 转注, 91 Livre de Cang Jie, Voir Cāng Jié piān Livre de Shi Zhou, Voir She Zhou pian 史籀篇 logogramme, 24, 93 logographie, 46, 98 Lu Feikui 陆费逵, 153
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Index
M Malaisie, 161 mandarin (dialectologie), Voir guānhuà fāngyán Mao Zetong 毛泽东, 154 Mawangdui 马王堆, 64 min du Sud, Voir mĭnnányŭ mĭnnányŭ 闽南语, 37 missionnaires jésuites, 12, 80 mízú gòngtóngyŭ 民族共同语, 170 mòjí bùjiàn 末级部件, Voir composant élémentaire monosyllabisme, 32, 109, 123, 180 morphème, 195–196 non autonome, Voir non-mot notion, 177 mot, ambiguïté, 186 binôme, 196 - d'origine étrangère, 197 dissyllabe, 185 - grammatical, 95 - graphique, 186 longueur, 185 monosyllabe, 184 polynôme, 196 polysyllabe, 185 - simple, 198 Mouvements pour une langue nationale, Voir guóyŭ yùndòng
N
niăochóngshū 鸟虫书, 52 niveau de langue, Voir registre de la langue niveau-seuil, 207 nom propre, 95 non-mot, 183, 187 normalisation, 107 Chine ancienne, 50, 56, 111, 132, 152 Hongkong, 164 - sous la RPC, 11 Taïwan, 163
O onomatopée, 129, 196 orthographe, 13, 27, 29 - du français, 15, 25, 31, 206, 253
P paléographie, 93, 96
311
papier (usage), 60, 71 partie droite (théorie de la), Voir yòuwénshuō patronyme, 199 petit sceau (graphisme), Voir xiăozhuàn petite sigillaire (graphisme), Voir xiăozhuàn phonétique (le), Voir graphème phonétique phonétisation, 23, 96, 104 phonétisme, 92, 100, 111 phonogramme, 92, 100, 115, 124, 215, 221, 230, 248 famille, 226 pourcentage, 228 prolifération, 143 phonographie, 24, 26, 107, 190 opacité, 30, 93 transparence, 29 piānpáng 偏旁, 217 pictogramme, 22, 93 pinceau, 43, 64 pīnyīn 拼音, 11, 27, 171 plurisystème, Voir système d’écriture mixte police d’imprimerie, făng Sòngtĭ 仿宋体 (style Imitation Song), 82 fonction, 82 Hēitǐ 黑体 (style noir), 82 Minchōtai, 81 Míngtĭ 明体 (style Ming), 81–82 Sòngtĭ 宋体 (style Song), 81, 150 polysémie, 185 production écrite, 31, 242 prononciation correcte, Voir zhèngyīn prononciation de lecture, Voir dúshūyīn pŭtōnghuà 普通话, 11, 36, 171 homophonie, 178 nombre de syllabes, 178 structure syllabique, 113
Q
Qian Xuantong 钱玄同, 153, 173 Qin 秦代, 58 Qin Shihuang 秦始皇, 43, 56, 146 querelle entre les simplifiés et les non-simplifiés, Voir jianfán-zhīzhēng 简繁之争
R rapport entre l'oral et l'écrit, 239 rébus, 23, 95 reconstruction phonologique, 102
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L’écriture chinoise
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réforme sous la 1re République, 156 réforme sous la RPC, 162 registre de la langue, 36, 112, 187 régulière (graphisme), Voir kăishū romanisation, 154–155 romanisation du chinois moderne standard, Voir pīnyīn
S Saussure Ferdinand (de), 25, 109 écriture chinoise, 32, 36–37 Schlegel August, 12 scriptio continua, 186 sémantique (le), Voir graphème sémantique sémantogramme, 92, 95, 218, 247 sème, 108 sémiographie, 27, 112, 115, 191 séries phonétiques, Voir yùnbù Shang 商代, 46 Shen Jianshi 沈兼士, 110, 211 Shen Kuo 沈括, 80 shēngfú 声符, Voir graphème phonétique shēngpáng 声旁, Voir graphème phonétique shĕngshēng 省声, 229 shēngxùn 声训, 108 shŏutóuzì 手头字, 130, 153 shuāngshēng 双声, 197 shūmiànyŭ 书面语, 35, 187 Shuōwén jiĕzì 说文解字, 88, 92 signe-idée, Voir idéogramme signe-image, Voir pictogramme signe linguistique, 93 signifiant, 95 signifié, 95 signe-mot, Voir logogramme Sima Guang 司马光, 150 simplification graphique, - par la cursive, 75, 139 sous la 1re République, 154 sous la RPC, 162 - spontanée, 133 Singapour, 161 sinologie moderne, 34 sinophone, 10, 172 six façons de mettre par écrit (les mots), Voir liùshū
Song 宋代, 80 stèles des Wei, Voir Wèibēi stratégie d'apprentissage, 252 structure syllabique, chinois ancien, 104 pŭtōnghuà, 113, 175 Sui 隋代, 77 Sun Yirang 孙诒让, 96 sútĭ 俗体, 48, 52, 58, 61 súzì 俗字, 117, 121, 128, 130, 140, 148 syllabaire, - chinois ancien, 107, 227 - chinois moderne, 229–230 - japonais, 104, 179, 206 synchronie, 211, 222 syssémantogramme, 94, 99, 116, 215, 219 système d’écriture, autorégulation, 142, 145 description, 206 mise en place, 23 - mixte, 24, 30, 205
T Taïwan, 82, 154, 164, 172 Taïwanais, 37 Tang 唐代, 79, 148 tête de catégorie, Voir bùshŏu thème et version, 236 tōngjiăzì 通假字, 96, 129 tōngyòngzì 通用字, 207 tóngyuánzì 同源字, 109 tōngzì 通字, 148 toponyme, 200 trait sémantique, Voir sème traitement automatique des langues (TAL), 160, 162 typographie, 25 - à l’horizontale, 173
U unité lexicale, Voir mot
V variante graphique, Voir yìtĭzì variante usuelle (Chine ancienne), Voir tōngzì vietnamien, 38
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Index
W
Wang Anshi 王安石, 118 Wang Jun 王筠, 115 Wang Shengmei 王圣美, 110, 119 Wang Yirong 王懿荣, 45 Wei du Nord 北魏, 76 Wei, Jin et dynasties du Sud et du Nord 魏 晋南北朝, 77 Wèibēi 魏碑, 76 wényán 文言, 10, 32–33, 35, 38, 107, 112, 183, 187 wénzì 文字, 21 wǔbǐ 五笔, 11
X
xiàndài shūmiànyŭ 现代书面语, 172 xiăozhuàn 小篆, 56, 58 xíngpáng 形旁, Voir graphème sémantique xíngshēngzì 形声字, Voir phonogramme xíngshēngzì 形声字 (le terme), 92, 111 xíngshū 行书, 74, 163 xītŭ wénzì 西土文字, 53, 55 Xu Shen 许慎, 51, 88, 92, 108, 116, 146 xylographie, 78, 81, 150
Y
Yan Zhitui 颜之推, 148 Yang Shuda 杨树达, 110 yìfú 义符, Voir graphème sémantique yìfú 意符, Voir graphème sémantique
313
yìpáng 意旁, Voir graphème sémantique yìtĭzì 异体字, 117, 125, 127, 202 yòuwén shuō 右文说, 110, 119 yuèyŭ 粤语, 37 yùnbù 韵部, 101 yùnshū 韵书, 101 yŭsù 语素, Voir morphème
Z
zàozìfă 造字法, 211 zhèngtĭ 正体, 52, 61 zhèngtĭzì 正体字, 156, 163 zhèngyīn 正音, 145 zhèngzì 正字, 148 zhōngdǐngwén 钟鼎文, Voir jīnwén Zhou occidentaux 西周, 51, 100 Zhou orientaux 东周, Printemps et Automne 春秋, 49 Royaumes combattants 战国, 55, 68 Zhou Youguang 周有光, 158, 241 zhòuwén 籀文, 51, 55, 90 zhuànwén 篆文, Voir écriture de gravure zì 字, définition, 194 zìtĭ 字体, Voir graphisme zìxíng 字形, Voir graphie zìyàngxué 字样学, 147, 150 zone culturelle de l’écriture chinoise, Voir hànzì wénhuà quān
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Crédits photographiques
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