358 105 12MB
French Pages 392 [386] Year 2001
Le Niger ,
Etat et démocratie
(Ç)L'Harmattan,
2001
ISBN: 2-7475-0303-8
Sous la direction de Kimba IDRIS SA
Le Niger ,
Etat et démocratie
L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris France
L 'Harmattan Inc. 55, nIe Saint-Jacques Montréal (Qc) CANADA H2Y 1K9
L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE
L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALLE
Collection Sociétés Africaines et Diaspora dwigéeparBabacarSALL Sociétés Africaines et Diaspora est une collection universitaire à vocation pluridisciplinaire orientée principalement sur l'Afrique et sa diaspora. Elle complète la revue du même nom et cherche à contribuer à une meilleure connaissance des réalités historiques et actuelles du continent. Elle entend également œuvrer pour une bonne visibilité de la recherche africaine tout en restant ouverte et s'appuie, de ce fait, sur des travaux individuels ou collectifs, des actes de colloque ou des thèmes qu'elle initie.
Déjà parus Patrice YENGO (sous la direction de), Identités et démocratie, 1997. Mickaëlla PERINA, Citoyenneté et sujétion aux Antilles francophones. Post-esclavage et aspiration démocratique, 1997. I. VANGU NGIMBI, Jeunesse, funérailles et contestation socio-politique en Afrique. Le cas de l'ex-Zaïre, 1997. Mariella VILLASANTE DE BEAUVAIS, Parenté et politique en Mauritanie, 1998. P. NOUDJENOUME, La démocratie au Bénin 1988-1993, 1998. Harris MEMEL - FOTÊ, Les représentations de la santé et de la maladie chez les Ivoiriens, 1998. Florent Valère ADEGBIDI, Susciter l'engagement au travail en Afrique, 1998. Anne-Claude CAVIN, Droit de la famille burkinabè : le code et ses pratiques à Ouagadougou, 1998. Denise BRÉGAND, Commerce caravanier et relations sociales au Bénin, 1998. Kusm AGGARWAL, Amadou Hampâté Bâ et l'africanisme, 1998. Jean-Claude JEAN, Marc MAESSCHALCK, Transition politique en Haïti, 1998. Aka KOUAMÉ, Éducation et emploi des femmes à Abidjan, 1999. Philippe NOUDJENOUME, La démocratie au Bénin, 1999. Laurence BOUTINOT, Migration, religion et politique au Nord Cameroun, 1999. Mamadou Abdoulaye NDIA YE, Alpha Amadou SY, Africanisme et théorie du projet social, 2000. Léon MAT ANGILA Musadila, La catégorie de la faute chez les Mbalas (Bantous) - Paul Ricoeur en débat, 2000.
Sommaire 6
Liste et titres des auteurs Avant propos
...
Kimba IDRlSSA
La formation
...
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de l'Etat
La dynamique de la gouvernance : administration, politique et ethnicité au Niger. Kimba IDRlSSA
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La dynamique de l'Etat post colonial au Niger. Mahaman TIDJANI ALOU
...
......
.......
....
...85
Les politiques publiques de gestion des ressources ligneuses au Niger: les logiques d'hier et celles d'aujourd'hui. Boubacar YAMBA
..........
L'Etat et la coopération internationale: coopération bilatérale du Niger.
..
de quelques aspects de la
Dagra MAMADOU
La problématique
.12 7
.173
de la démocratie
Société nigérienne et démocratie: les racines psychosociologiquesd'une mentalité populaire dévoyéemais strictementrationnelle. Adamou BARKE
225
La démocratisation au Niger: bilan critique. Abdoulaye NIANDOU SOULEYE
.. .......
.. .....
...... ..
..287
L'évolution politique et constitutionnelle récente du Niger. Laouel Kader MAHAMADOU
.321
Femmes et politique au Niger: Présence et représentations. Fatimata MOUNKAILA
.353
Liste et titres des auteurs Kimba IDRISSA, professeur, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université Abdou Moumouni de Niamey. Dagra MAMADOU, maître de conférence (Droit), Faculté des Sciences Economiques et Juridiques, Université Abdou Moumouni de Niamey. Fatimata MOUNKAILA, maître-assistant (Lettres Modernes), Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université Abdou Moumouni de Niamey. Adamou BARKE, maître-assistant (Psychologie), Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université Abdou Moumouni de Niamey. Laouel Kader MAHAMADOU, maître-assistant (Droit), Faculté des Sciences Economiques et Juridiques, Université Abdou Moumouni de Niamey. Abdoulaye NIANDOU SOULEYE, maître-assistant (Sciences Politiques), Faculté des Sciences Economiques et Juridiques, Université Abdou Moumouni de Niamey. Boubacar YAMBA, maître-assistant (Géographie), Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université Abdou Moumouni de Niamey. Mahaman TIDJANI ALOU, Docteur en Sciences Politiques, Chargé de cours à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université Abdou Moumouni de Niamey.
Maquette
(PAO)
Lawali DAMBO, Cartographe, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université Abdou Moumouni de Niamey.
Avant propos La réalisation d'un ouvrage de référence pluridisciplinaire en sciences sociales sur le Niger apparaît aujourd'hui comme une urgence et une nécessité d'autant plus fondées que la complexité de l'évolution socioéconomique et politique de ce pays ne peut être amplement démêlée qu'à travers une approche multidimensionnelle. Les réflexions se situent dans la longue durée. L'ouvrage se propose depuis des horizons divers (histoire, sociologie, science politique, géographie, psychologie, droit) de jeter un éclairage sur l'histoire contemporaine du pays. A l'aube du XXlè siècle, le moment semble venu, en effet, de marquer un temps de Réflexion-Bilan sur le XXè siècle et de dégager les perspectives d'avenir. C'est à ce prix qu'une nouvelle problématique sur le devenir du Niger G'écarte à dessein le terme "développement") peut voir le jour et c'est aussi déjà une façon d'atITonter la XXlè siècle. L'Etat et la démocratie constituent les thèmes centraux de l'analyse.
1. La question
de l'Etat
Il ne s'agit point de céder à ce phénomène de mode qui, après les crises liées à l'application des programmes d'ajustement structurel, a ramené à nouveau l'Etat au centre de la réflexion depuis l'avènement des nouvelles démocraties en Afrique. Ces travaux sont forts intéressants. Mais il y a aussi et surtout une réalité de portée générale. L'Etat est le lieu privilégié pour l'étude de l'anatomie de la société. Il est le lieu d'expression et de cristallisation des contradictions sociales, celui où se règle le mécanisme du fonctionnement du système social. Kimba Idrissa analyse la dynamique de la gouvernance, à travers les phénomènes de continuité et de rupture, entre les différents âges historiques (précolonial, colonial et post-colonial) et à l'intérieur de ces âges, qui donne à l'Etat nigérien contemporain ses caractéristiques spécifiques particulièrement dans les domaines du politique et de l'administration. Mahaman Tidjani Alou explique les spécificités de la trajectoire de l'Etat nigérien postcolonial dans la diversité de ses niveaux de perception
(historique, économique, politique, culturel, etc...), les contraintes de son développement, les péripéties de sa construction et les différents cycles de sa croissance étant autant de problèmes liés à la formation de l'Etat. Cela conduit à des interrogations sur les substrats sociaux, économiques, politiques et culturels qui servent de bases à l'identification et l'analyse des groupes sociaux sur lesquels l'Etat a fondé sa domination sur les sociétés nigériennes ainsi que les alliances stratégiques qu'il a dû établir pour asseoir son pouvoir. Cette étude introduit en somme la question de la régulation du pouvoir d'Etat et de son mode de fonctionnement et va au-delà des préoccupations juridiques dominantes qui caractérisent l'analyse de l'Etat en sciences politiques. Il n'y a pas d'Etat durable sans un environnement viable. Au Niger, « environnement» signifie problèmes de vie ou de survie immédiate, nuance significative par rapport aux définitions des pays développés posées en termes de qualité de vie et de l'avenir de la planète. Au Niger, l'environnement c'est la disparition des ressources naturelles ou tout au moins les déséquilibres grandissants non régulés de façon endogène entre ces ressources et les besoins. La question de l'Etat et de l'environnement est abordée par Boubacar Yamba à travers une étude des théories et pratiques de gestion des ressources forestières de la période coloniale jusqu'à nos jours. Les nombreux programmes de protection et de restauration des milieux mis en place n'ont eu que des résultats peu encourageants. La plupart des stratégies mises en oeuvre apparaissent comme la sanction des échecs plutôt que le fruit d'une politique forestière concertée. Elles ont été créées le plus souvent pour répondre à une pression extérieure exercée par les bailleurs de fonds. Dagra Mamadou identifie le contexte du réseau de coopération bilatérale et les structures mises en place à cet effet, apprécie les résultats obtenus et dresse les perspectives à un moment où l'impératif d'intégration africaine s'impose - et est reconnu et accepté - comme une urgence pour les Etats du continent. A la différence des grands Etats et à l'image des pays pauvres, l'action diplomatique du Niger n'a jamais eu pour objectif une affirmation de puissance: elle a, au contraire, toujours consisté à oeuvrer en faveur du développement économique, social et culturel de la Nation. Toutes les initiatives et actions dans ce domaine ont pour l'essentiel concouru à tisser
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un réseau de coopération en vue d'atteindre, l'indépendance économique du pays.
puis
de consolider
2. La problématique de la démocratie L'avènement du multipartisme au Niger, l'ampleur des conflits inter et intra-partisans pendant le processus de démocratisation, le retour de l'armée sur la scène politique depuis le coup d'état du 27 janvier 1996, imposent au moins une analyse critique du phénomène démocratique nigérien sinon un bilan qui permettrait d'envisager des perspectives nouvelles. Barké Adamou apporte la preuve de l'ancrage séculaire de la logique de gestion démocratique des rapports inter communautaires dans la société nigérienne. En effet, certaines institutions socioculturelles dont l'existence remonte à la période précoloniale, organisent la coopération intercommunautaire et inter-familiale sur le mode de la gestion démocratique du pouvoir. Cela suppose que les dispositions cognitives qui animent les interactions sociales matérialisant une telle coopération soient nécessairement structurées sur le schéma de la logique inhérente à toute gestion démocratique du pouvoir à savoir: la reconnaissance à chaque partenaire de la coopération, d'une certaine parcelle de pouvoir qu'il a le droit d'exploiter librement pour retirer le plus d'avantages possibles de cette coopération. Les structures cognitives qui animent ces institutions sont de nos jours encore vivaces particulièrement en milieu rural. De ce fait la démocratie, dans sa version moderne, ne pose pas toujours, comme on a tendance à le croire, des préoccupations majeures de reconversion des mentalités en milieu rural relativement aux rapports inter-ethniques. Abdoulaye Niandou Souley aborde l'avènement du pluralisme politique et de la compétition électorale par une analyse des causes internes et des facteurs externes à la base de la revendication démocratique et se penche ensuite sur les enjeux de la démocratisation, les forces politiques en présence et les perspectives d'avenir. La revendication démocratique est intervenue dans un contexte autoritaire qui s'est relaxé, c'est-à-dire sur fond de décrispation politique. Elle a trouvé un environnement international favorable, caractérisé par l'effondrement des modèles idéologiques dans les pays dits du "socialisme réel". Les forces en présence, quant à elles, se classent entre les partisans de la démocratisation et ceux qui y opposaient une résistance. 9
S'y ajoute le jeu concomitant des démocraties occidentales. Ces différents acteurs se sont déterminés et positionnés en fonction des enjeux à la fois économiques et politiques de la démocratisation. Cependant, s'agissant de ses effets, tout porte à croire qu'il s'agit d'une démocratisation mal comprise aussi bien par les acteurs du "haut" que par ceux du "bas". C'est aussi une démocratisation qui cherche encore sa voie (crise de la troisième République et Coup d'état militaire du 27 janvier 1996), et qui a surtout besoin de ressources pour se légitimer. C'est par ailleurs une démocratisation qui n'a pas encore changé la logique de fonctionnement de l'Etat. Pour l'instant, elle suit son cours avec une évolution en dents de scie, autrement dit, avec des hauts et des bas. Laouel Kader Mahamadou présente la démocratie nigérienne à l'épreuve du coup d'état militaire du 27 janvier 1996. Il identifie les ressorts juridiques de la douloureuse cohabitation qui bloqua pendant longtemps le fonctionnement des institutions de la troisième République et s'interroge sur l'impact réel du coup d'état et sur les nouvelles orientations du nouveau régime. Dans ce processus démocratique, Fatimata Mounkaïla démontre combien les femmes nigériennes sont absentes du partage des responsabilités politiques et administratives. Des lendemains de la deuxième guerre mondiale (qui marquent la naissance du nationalisme nigérien moderne) à aujourd'hui, les femmes semblent n'avoir été que des silhouettes perdues au milieu des acteurs de la politique du pays. Elles n'ont depuis ces dates, obtenu ni nom, ni renom politique en effet, alors même que les éléments potentiels sont nombreux qui devraient favoriser leur émergence. Comment expliquer que leur rôle politique s'amenuise alors que le passé précolonial et colonial regorge de figures féminines emblématiques? Comment expliquer le faible impact de leurs actions alors qu'elles ont montré de différentes manières et à diverses occasions leur capacité de mobilisation? Quels sont les obstacles qui s'opposent à la promotion politique des nigériennes et quelle est la logique qui sous-tend le sort qui leur est fait dans ce domaine? Ce que nous espérons, en tous les cas, c'est que les thèmes abordés ici apparaîtront au lecteur aussi importants qu'ils aient été ressentis par leurs auteurs, au cours des discussions passionnées qui se sont succédées au fil des séminaires organisés par le groupe de travail, et qui ont permis d'amender ou d'affiner les textes proposés. 10
Nous regrettons toutefois que des textes élaborés entre juin 1995 et avril 1996 soient édités si tard, et que certaines idées ou suggestions, novatrices à l'époque, puissent à présent apparaître moins originales. Les textes présentés demeurent cependant suffisamment stimulants et doivent inciter à nourrir les débats et à approfondir la réflexion. Autant qu'il l'a été pour nous, nous souhaitons que cet ouvrage puisse être, pour le lecteur, une source d'idées, de curiosités et d'inquiétude. Niamey, le 20 février 1999 Pr Kimba IDRISSA Université Abdou Moumouni
de Niamey (NIGER).
Il
Première partie
La formation de l'Etat
Kimba IDRISSA
La dynamique de la gouvernance : administration, politique et ethnicité au Niger Kimba IDRISSA Faculté des Lettres et SciencesHumaines UniversitéAbdou Moumouni de Niamey. Après l'indépendance proclamée le 3 août 1960, l'histoire politique du Niger a été caractérisée par une quinzaine d'années de parti unique (19601974) et autant de régime militaire (avril 1974 -juillet 1991). Cette histoire politique dont la monotonie n'était interrompue que par quelques complots avortés intéressa peu les chercheurs. A y regarder de près, cet immobilisme politique n'est qu'une apparence car en réalité, depuis la proclamation de la République à nos jours, le Niger a connu plusieurs expériences en matière de construction de l'Etat-nation: parti unique, parti-Etat, Société de Développement, Conférence Nationale, démocratie pluraliste, régimes militaires. Tout ceci est passé inaperçu. Or voici que le Niger déftaie la chronique depuis l'avènement d'une démocratie issue de la Conférence Nationale, en posant des actes inédits dans l'histoire politique du continent: renversement d'alliance au sein de la classe politique, dissolution de l'Assemblée Nationale, cohabitation "à la ftançaise", etc... J'ai essayé de comprendre ces données du Niger contemporain dans leur filiation historique en me référant à un passé proche - la colonisation - qui permet de situer l'analyse dans la moyenne durée afm de cerner le plus étroitement possible les phénomènes de continuité et de rupture entre les différents âges historiques (colonial et post-colonial) ainsi qu'à l'intérieur de ces âges. La colonisation c'est fini, c'est dépassé. Ce n'est plus qu'un triste et lointain souvenir. Plus de 60 % de nigériens ne l'ont pas connue. Elle apparaît comme une sorte de parenthèse que l'indépendance serait venue refermer. Malheureusement, malgré les apparences, la période coloniale telle qu'elle a été vécue par les populations afticaines est probablement aujourd'hui la séquence la plus mal connue de toute l'histoire du continent. Comme phénomène historique, la formation de l'Etat nigérien relève d'un processus complexe d'interactions multiples. Et comme tout Etat postcolonial, le Niger est le produit d'un héritage dans lequel la part de la colonisation pèse encore lourdement sur les structures actuelles et bloque les
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réformes entreprises. Le cadre territorial, fruit du partage de l'Afrique, les institutions politiques et administratives conçues arbitrairement, l'éducation assez "française" de l'élite moderne, la politisation de l' ethnicité etc... sont autant de legs encore vivaces du passé colonial. Trente cinq ans d'indépendance n'ont pas réussi à effacer ces traces. On ne s'est pas beaucoup interrogé sur le poids et le mode d'intervention de la colonisation dans l'évolution contemporaine du Niger. Or toute préparation de l'avenir ne doit-elle pas se nourrir de la connaissance du passé? Aujourd'hui, à la fm du XXè siècle, à l'heure du bilan et des perspectives d'avenir, on doit s'inspirer de la connaissance de ce passé proche, car les problèmes actuels du Niger sont directement liés au processus de colonisation et de décolonisation. Le devoir d'agir sur le présent et de construire l'avenir impose une évaluation critique de notre héritage historique, sans complaisance. L'objectif n'est pas de faire une narration de "l'histoire coloniale" du Niger, comme il n'est pas non plus dans mon propos d'analyser la réalité politique nigérienne en privilégiant abusivement les causes "externes" au détriment des causes "internes". Le but est de rassembler, d'analyser et de livrer les éléments nécessaires à la compréhension de la réalité contemporaine du Niger: quelle est la part de l'héritage colonial dans le Niger d'aujourd'hui, au plan administratif, politique, socioculturel? Qu'est-ce qui a changé ( les éléments de rupture avec le passé) et qu'est-ce qui est resté le même ( les éléments de permanence) ? Sur ce dernier point, quels sont les éléments de gouvernance c'est-à-dire les modes de comportement, de gestion des affaires publiques, les pratiques politiques et sociales, les groupes ainsi que les structures les plus représentatifs? Comment l'Etat post-colonial a-t-il adopté et/ou adapté un tel héritage? Autant de questions qui offrent l'occasion de formuler une nouvelle problématique sur le devenir du Niger.
1. L'Héritage géopolitique
et administratif
1. 1. Le cadre territorial et le contexte régional L'héritage le plus important et qui est resté inchangé est sans doute la situation géopolitique, c'est-à-dire, le cadre territorial et le contexte régional dans lequel évolue le pays. Au Niger, plus qu'ailleurs peut-être, toute
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approche des questions socio-politiques et économiques ne peut ignorer cette réalité. Le cas du Niger est en effet un exemple parfait du caractère arbitraire et irrationnel du découpage des frontières de l'Afrique. Pure création coloniale, confectionnée de toutes pièces, dernière-née du groupe A.O.F., sans potentialités économiques évidentes, la colonie du Niger était destinée, à première vue, à jouer un rôle essentiellement stratégique. A ce propos, certains auteurs ont considéré sa conquête et son occupation comme un "hasard, inutile et arbitraire" ( Lecoeur, 1969 : 24 ), un "accident" de "1'histoire" ( Buchanan, 1921 ). Pourtant sa conquête soulève enthousiasme, ambitions et rivalités, car il s'y greffe plusieurs mythes qui aiguisent les convoitises. D'abord les géographes arabes du Moyen-âge qui font du Sahara et de tout le Soudan de l'époque - c'est-à-dire toute l'Afrique occidentale intérieure depuis le Haut Sénégal jusqu'au lac Tchad - une "légende géographique" aux richesses immenses. A leur suite, les explorateurs européens puis les technocrates du chemin de fer transsaharien se passionnent aussi pour ces contrées inexplorées et mal connues. La conquête suscite beaucoup d'espoirs quant aux bénéfices à en tirer. Outre ces groupes d'intérêts, plusieurs autres (industriels, militaires, hommes politiques) ont joué, à différents niveaux, des rôles divers, mais tout aussi importants, qui aboutissent à l'intégration du pays dans la zone d'influence françaisel. Aussi, le territoire fut-il découpé sur les cartes de la façon la plus artificielle qui soit, à la suite de l'accord franco-britannique du 5 août 1890, qui fait d'un tracé allant de Say sur le fleuve à Barrouwa sur le lac Tchad, la ligne de démarcation entre les possessions françaises (au nord de la ligne) et les possessions anglaises (au sud). Les considérations économiques ont été les plus grands objets de polémique. Quelques instants après la ratification, Lord Salisbury, Premier ministre du gouvernement britannique, lance ce fameux commentaire qui a fait par la suite couler beaucoup d'encre; 1 Le Sahara, cette immensité désertique, mystérieuse et inaceessible, dans la perspective de la construction d'un chemin de fer transsaharien, devait servir de pont, de point de transit pour le commerce entre la Méditerranée et le Soudan. Des données surréalistes amplifièrent les mythes économiques. Ainsi la population du Soudan était estimée à 100 millions d'habitants et son commerce à au moins trois cents millions de francs par an. (Kanya-Forstner, 1969 : 61) et (Four, 1892). Sur les mythes industriels et commerciaux qui présidèrent aux projets du chemin de fer transsaharien et transafricains, voir: (Idrissa, 1987) et (Idrissa, 1996).
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"Quiconque regarde la carte et mesure les degrés, aura le sentiment que la France a établi son autorité sur une étendue considérable de territoire. Vous devez cependant juger d'une terre, non seulement par son développement mais par sa valeur. Cette terre est ce qu'un agriculteur appellerait une "terre très légère", c'est-à-dire le sable du Sahara. Donc la valeur de la part sur laquelle la France asseoit ses prétentions est de ce fait diminuée... Les terres laissées à la France sont des sols légers, très légers. Le coq gaulois qui aime à gratter la terre, y pourra user ses ergots... Quant à nous, la région riche, elle demeure." (cité par Fourage, 1979 : 79 et Gibbons, 1916 : 327). La conquête, puis l'occupation du territoire donnent raison à Salisbury. Les mythes de richesses s'émoussent progressivement. A la base de cette désullision, il faut mentionner l'aridité du climat, l'enclavement et l'immense étendue du pays, mais surtout l'absence de produits d'intérêt extra-afticain d'une part et d'autre part, les énormes problèmes de pacification. Que faire? Abandonner le territoire ou le disloquer pour intégrer ses parties dans les structures déjà existantes? Tel a été, à un moment, le dilemme. En fm de compte, il est impossible de reculer à cause de la nécessité de nouvelles extensions pour protéger et consolider les acquis. Le Niger "est un territoire de sacrifices, un mal obligé que nous supportons peut-être pour nous soustraire à un mal plus grand...,,2 Dès lors, l'occupation du Niger n'a, aux yeux du gouvernement ftançais, d'intérêt que politique et stratégique. Le Niger demeure ainsi pendant longtemps, essentiellement un complément dans la construction d'un empire ftançais en Aftique, une marche ftontière du désert, un trait d'union entre les possessions ftançaises d'Aftique et, enfm, une couverture militaire et politique vis-à-vis du Nigéria. Dès cette époque, le mobile stratégique constitue la justification majeure de la présence ftançaise au Niger. Cette importance stratégique est illustrée d'ailleurs par les propos du sénateur Borg, envoyé spécial d'Houphouët Boigny à Georges Condat président de l'Assemblée territoriale du Niger, peu avant le référendum du 28 septembre 1958 : "D'ailleurs il fallait être fou pour croire que nous ftançais, nous allions laisser partir le Niger. En perdant la Guinée, nous perdons des richesses. 2 Archives Nationales du Niger, Niamey: Rapport N° A74 du Lieutenant- Colonel Noël sur la situation politique du 3è territoire militaire, 1er trimestre 1903. 18
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Cela peut se remplacer. Mais si nous perdons le Niger, nous perdons l'Algérie. Nous ouvrons la voie à Nasser. Nous permettons la création d'un Grand Etat musulman de Lagos aux frontières algériennes."(Sawaba, 1961 : 43). L'espace nigérien contrôle en effet, trois issues clés en Afrique: d'abord la porte du désert qui donne accès au Maghreb et à la Méditerranée et protège les hinterlands algérien et tunisien contre les menaces anglaises, ensuite la porte du Tchad qui donne sur l'Afrique centrale et le Machrek, enfin la porte du fleuve qui occupe une position centrale en Afrique occidentale et donne accès à l'Atlantique. Les motivations politiques et de prestige l'emportent donc progressivement sur les raisons économiques. D'où la marginalisation du territoire, son sous-équipement et son maintien tardif au stade de colonie de réserve. Le processus de la formation territoriale illustre amplement ces propos. Le tracé n'a pas tenu compte des conditions locales. Il a été, en définitive, le fruit de l'arbitraire et du hasard, sans logique et sans aucune vue à long terme sur l'avenir économique. Le Niger apparaît comme un axe de communication démesurément long faisant la jonction entre les possessions trançaises d'Atrique du nord, de l'ouest, du centre et le Golfe de Guinée. C'est que les colonisateurs ont considéré le territoire non comme une colonie en devenir à laquelle il fallait assurer les conditions d'une viabilité future mais comme un complément dans la construction impériale. Les délimitations ont contribué à éroder les valeurs traditionnelles, à affaiblir les liens communautaires, à modifier les conditions économiques et à éloigner en outre des sociétés symbiotiques. Aucun des groupes ethniques qui y vivent n'a son extension complète dans le pays: les haoussa au Nigeria et au Bénin, les kanouri au Nigéria, au Tchad et au Cameroun, les toubou en Libye et au Tchad, les touareg au Mali,en Algérie et en Libye, les zarma et songhay au Mali et au Bénin, les gourmantché au Burkina Faso, les arabes en Algérie, en Libye et au Tchad. C'est le résultat bizarre issu des seuls intérêts des colonisateurs français et anglais. Trois données au moins font du Niger un cas particulier sur le plan de l'héritage territorial. D'abord, les frontières qui n'offrent aucun débouché sur la mer et dont quatre d'entre elles (Tchad, Libye, Algérie, Mali) sont tournées vers le désert. La principale frontière, celle du Nigéria, voit dès 1913, l'institution d'une barrière douanière qui accentue l'absurdité du 19
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découpage colonial (Idrissa, 1996). Toute la politique coloniale, tant économique qu'administrative, a consisté à isoler le Niger de son exutoire naturel, le Nigéria. Un dessein pour le moins irréaliste car peut-on effacer des liens séculaires consacrés par I'histoire, la géographie, la parenté et des intérêts communs bien compris? Ensuite, ce découpage colonial a placé le Niger entre deux univers culturels - l'Affique saharienne et l'Affique sahélienne ou, pour être plus prosaïque, l'Affique blanche et l'Afrique noire - ayant leur centre de gravité à l'extérieur du territoire. D'où la menace de forces centripètes qui pourraient conduire certains groupes à se détacher de l'ensemble nigérien. La Libye, d'une part, et dans une moindre mesure l'Algérie et le Nigéria de l'autre, constituent les centres de gravité de ces ensembles socioculturels. Enfin, la trop grande étendue du territoire, disproportionnée par rapport aux ressources intérieures qui ne peuvent pas couvrir les frais d'entretien. Cette question capitale a été au centre des préoccupations de toutes les administrations depuis la conquête jusqu'à l'indépendance: comment démembrer ou restructurer la colonie du Niger pour en faire un territoire à dimensions humaines dont les normes tiendraient compte au plus juste des affinités ethniques et politiques et des nécessités économiques? Plusieurs propositions sont faites dans ce sens (de Benoist, 1979 : 43-45, 117-126) : la fusion avec le Dahomey, dans la perspective de l'achèvement du chemin de fer Cotonou-Malanville; la fusion avec le Tchad en un gouvernement d'Affique centrale; la fusion des régions riveraines du fleuve avec le Dahomey et le Togo; la fusion des régions sahariennes avec celles de Mauritanie et du Soudan etc... Ce sont là les données et les réalités géopolitiques héritées de la colonisation. Des faiblesses, certes, mais qui ne sont pas immuables. Comment les régimes et les gouvernements successifs du Niger indépendant se sont-ils accommodés de ces contraintes? Comment construire et consolider une économie précaire, une unité ffagile dans un tel environnement géopolitique tout en préservant son indépendance? La question des frontières a été bien gérée par tous. En dehors des revendications territoriales du Dahomey de l'époque sur l'île de Lété en 1965 et de celles de la Libye (Bellot, 1980) sur les confms nord-est du Niger - autour de l'oasis de Toumo à la fin des années 1970 - il n'y a pas eu de contentieux ffontaliers majeurs. En ce qui concerne le Nigéria, les gouvernements successifs ont tous tenu compte de l'importance économique
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et du poids politique de ce puissant voisin. En effet, le gros de l'ethnie haoussa se trouve au Nigéria et elle représente plus de la moitié de la population du Niger. Tous les agriculteurs et commerçants situés sur cette frontière longue de 1500 km allant du fleuve Niger au lac Tchad sont attirés par le Nigéria, non seulement à cause de son économie de libre entreprise, mais aussi pour des raisons historiques et culturelles. Une telle analyse révèle l'enjeu que constitue pour les dirigeants: non seulement l'intégration des régions du centre et de l'est du pays dans l'ensemble nigérien, mais aussi l'équilibre de la nation à travers les relations avec son immense voisin du sud. Lors de la guerre civile du Nigéria, le président Diori Hamani se range aux côtés du gouvernement fédéral malgré les pressions de la France qui soutient la sécession biafraise (Martin, 1991). C'est assurément là un point de rupture important par rapport à la politique coloniale. Quant à la grande étendue du territoire, une fois l'indépendance acquise, il n'est plus question, évidemment, de la restructurer ou de la démembrer. Il faut désormais l'administrer dans les limites des frontières coloniales.
1.2. L'héritage administratif L'actuel Etat nigérien est I'héritier des structures administratives mises en place par la France lors de la constitution de son empire colonial. La mise en place de cette infrastructure administrative constitue une phase-clé dans le processus d'élaboration et d'organisation de l'Etat colonial3. Aujourd'hui encore, trente cinq ans après l'indépendance, les legs de l'administration française pèsent lourdement sur les structures et les tentatives de construction nationale. Les conditions particulières de l'accession à l'indépendance ont amené le Niger - comme les autres pays de l'empire colonial français - à procéder à l'adoption pure et simple des institutions de la métropole, placage intégral et parfois absurde sur un corps social et des structures de production différents, par leur nature et leur évolution 3 La colonie formait en effet, une entité équivalant à celle de l'Etat, bien que présentant des caractéristiques précises: elle était coupée du noyau central dont elle dépendait sur le plan hiérarchique; elle était érigée sur la base d'un rapport de commandement avec un code distinctif et une culture du pouvoir sous l'égide d'une classe gouvernante spécialisée dans l'exercice du service colonial; elle était façonnée par sa vocation de domination.
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historique, de la réalité française. Les difficultés que rencontre l'administration à "coller" au pays ne sont pas sans rapport avec cette inadaptation aux réalités nationales. Du passé administratif colonial, le Niger a hérité de la langue de travail, des techniques et méthodes administratives, des lois et règlements qui, bien qu'ils aient fait leur preuve en France, ne sont pas toujours adaptés aux réalités locales. Le système colonial français, caractérisé par son autoritarisme et sa volonté de génocide culturel, ne peut pas placer parmi ses objectifs, la construction d'une nation nigérienne ou même un renforcement de l'unité nationale. Héritière du système jacobin de l'Etat centralisateur, l'administration française a bloqué l'épanouissement des diversités socioculturelles. L'établissement de l'administration coloniale au Niger a été un processus extrêmement lent et long. Même si les premiers traités de protectorat ont été signés par les chefs locaux à partir des années 1890, c'est-à-dire, six ans après que les Français installent leurs premiers postes dans l'ouest, c'est quinze ans plus tard qu'ils s'établissent de façon permanente dans le nord et c'est seulement vingt ans après que les régions Kanouri sont soumises à l'administration coloniale. La conquête du Tibesti, entamée en 1914, va être interrompue par la guerre. D'abord troisième territoire militaire, puis territoire militaire, le Niger n'accède au rang de colonie avec une autonomie administrative et financière qu'en juillet 1922. Les limites territoriales ne sont définitivement fixées qu'en 1947, date à laquelle les cercles de Fada et Dori sont restitués à la Haute-Volta. C'est une administration sommaire, économique et peu coûteuse qui va être mise en place, afin de gérer aux moindres frais un pays dont l'intérêt n'est plus que politique et stratégique. La première organisation territoriale répond à des impératifs militaires: occuper effectivement au plus vite les territoires reconnus comme appartenant à la France à la suite des accords internationaux, pacifier les régions et assurer la sécurité des routes commerciales. C'est d'abord les régions riveraines du fleuve qui sont investies, à partir des colonies du Soudan (actuel Mali) et du Dahomey (actuel Bénin). Elles ont été les premières à être intégrées dans les nouvelles structures politiques et administratives, qui vont évoluer selon un axe ouestest puis sud-nord, c'est-à-dire dans le sens de la progression de la conquête. Le découpage administratif comprend de la base au sommet: les postes, les secteurs, les cercles, les résidences, les régions. A partir des années 1930,
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avec les progrès de la "pacification" et des communications (routes et réseau télégraphique), l'administration devient plus lâche et le découpage ne comprend plus que les cercles divisés en subdivisions. La caractéristique principale de cette administration, c'est la prédominance de son caractère plutôt militaire que civil et plutôt politique qu'économique. Cette administration militaire fut autoritaire et sous-qualifiée. Elle apparaît moins unie, moins disciplinée qu'on ne le croit généralement. Malgré leurs avantages et privilèges, leur arrogance, leur brutalité, les militaires n'étaient cependant pas des super-hommes. On le voit à travers leur soif de puissance, leur appétit du gain, s'employant à spéculer sur le change pour retirer de substantiels bénéfices ou à faire des économies sur leur alimentation au risque de nuire à leur santé. Enfin les militaires, à l'évidence, ne furent pas de méticuleux gestionnaires. Les violations des règlements financiers témoignent de leur répulsion à s'encombrer de procédures. Bref: les militaires étaient des pragmatiques, peu soucieux des principes et plutôt préoccupés par la résolution au jour le jour de problèmes concrets, quotidiens. Même après le passage du territoire au régime civil et la création de la colonie en 1922, l'administration a conservé cette allure militaire. Jusqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, Agadez, Bilma et Nguigmi sont des cercles militaires. Ce clivage dans l'organisation territoriale et ce caractère mixte de l'administration (militaire/civil) donnent l'impression d'une colonisation inachevée qui présente au moment de l'indépendance trois niveaux d'occupation de l'espace: l'ouest, première région conquise et passée au régime civil dès 1913, le centre demeuré tiède et réservé, et enfin le nord et l'extrême Est, maintenus sous régime militaire et toujours hostile. Les lignes de ce clivage entre, d'une part, une "colonie du sud" anciennement conquise, sous administration civile et proche du gouvernement central et, d'autre part, une région nord sous régime militaire, ont survécu à la colonisation. Les régimes qui se sont succédés après l'indépendance ont maintenu ce caractère mixte de l'administration et ont placé des militaires à la tête de certaines circonscriptions. C'est le président Kountché, chef d'un régime militaire, qui renoua avec cette tradition. Ce clivage nord-sud fut une permanence de la période et explique sans doute la naissance de la rébellion touareg à la fin des années 80.
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En tant qu'institution-clé de l'organisation du pouvoir et de l'administration des sociétés précoloniales, la chefferie dite traditionnelle a été massivement mise à contribution pour asseoir le système colonial. Les chefs ont été des auxiliaires précieux, surtout au Niger, où l'on opta dès le départ pour une administration sommaire et peu coûteuse. Faute de moyens, dans un territoire aussi vaste avec des populations dispersées et difficilement accessibles parfois, et surtout avec lesquelles la communication pose problème, la chefferie constitue une aubaine, une structure administrative gratuite que l'on ne tarde pas à exploiter. Le terme chef - européen et péjoratif - est ambigu. Il peut désigner aussi bien le souverain d'un Etat solidement structuré que le petit notable qui règne sur un village. Outre qu'il est l'émanation du monde rural, son prestige dû à sa richesse ou sa position sociale et personnelle peut être utilisé au service de l'administration. Les chefs constituent en ce sens la classe politique rurale. Alors que les "évolués" sont considérés comme déracinés, les chefs sont au contraire appréciés pour leur enracinement dans la communauté villageoise avec laquelle ils ont des contacts directs et confiants. Malmenée quelques fois, surtout aux premières heures de la colonisation, la chefferie n'a jamais été sacrifiée ou ignorée. Dans l'ensemble, partout, les Français sont contraints d'utiliser de manière intensive, les chefs surtout en période de crise (révolte, recrutements militaires pendant les guerres, le régime de Vichy, famines, etc...) et beaucoup moins qu'en période de calme et de prospérité. L'administration coloniale a voulu faire de cette institution un organe d'action et de consultation d'abord à travers les conseils de notables créés dans les cercles à partir de 1919. Présidée par le commandant de cercle, cette assemblée consultative donne son avis surtout sur les charges de colonisation que la population doit supporter: impôt et taxes diverses, réquisitions de main-d'œuvre, recrutement etc... Les conseils ont été inefficaces car les notables n'émettent pas leur opinion personnelle, préférant s'en remettre au membre le plus influent, en l'occurrence le commandant de cercle. Ensuite, la chefferie a été dotée de textes législatifs définissant ses attributions et ses avantages. Des statuts sont élaborés en 1932 précisant les conditions de recrutement des chefs, leur rémunération et leur formation. Un arrêté du Il janvier 1936 fixe leur statut et les divise en 3 catégories: chef de village ou de tribu, chef de canton ou de groupement, chef de province. Par la suite, plusieurs autres actions allant dans le sens d'une amélioration de leur formation - un chef doit savoir lire et écrire selon 24
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l'une des conditions de recrutement - sont envisagées: en 1937, projet d'attribution aux principaux chefs du pays d'un secrétaire ayant de bonnes connaissances des pratiques de l'administration coloniale et qui doit assurer une collaboration étroite de la chefferie avec le cercle; projet de création à l'Ecole Primaire Supérieure de Niamey d'une section pour fils et neveux de chefs, mais il resta sans suite. Avec la seconde guerre mondiale, plus de la moitié du personnel européen de commandement est mobilisé. La responsabilité et l'autorité des chefs sont accrues. En 1942 est promulgué un nouveau code pénal indigène frappant d'une peine pouvant aller jusqu'à 6 mois de prison le délit d'opposition à leur autorité. Enfm, un arrêté local du 3 juillet 1944 classe les chefferies de province et de canton en catégories et échelons, et fixe les soldes afférentes ainsi que les conditions d'avancement. L'octroi de soldes substantielles vise à les faire participer de manière plus effective et plus active à l'administration territoriale. Cependant, la rémunération des chefs du Niger fut une misère par rapport à celle des chefs de la Côte d'Ivoire par exemple. Enfin, si des textes législatifs, même timides, ont tenté de redresser la situation des grandes chefferies, il n'en est pas de même pour les petits, c'est-à-dire, la multitude de chefs de village en contact direct avec la population. Leur situation fut des plus dures. Incapables de faire face aux charges qui leur sont demandées, compte tenu de l'extrême pauvreté de leurs administrés, nombre d'entre eux durent abandonner leur fonction laissant les français avec une sérieuse crise de commandement. Quoiqu'il en soit, et malgré toutes les vicissitudes qu'elle a dû vivre, la chefferie a conservé un rôle non négligeable dans la gestion des affaires publiques. Elle constitue un maillon essentiel du monde rural. Le rôle de relais dans le contexte des populations locales que lui assigna l'administration coloniale a été maintenu après l'indépendance, de sorte que le canton, placé sous l'autorité de son chef: représente aujourd'hui l'échelon de base de la structure politique et administrative. Depuis l'indépendance, tous les régimes apportèrent leur soutien à l'institution en même temps qu'ils envisagent de réhabiliter, rénover et moderniser la profession. Sous le régime du président Baré, un conseil des sages rappelant curieusement le conseil des notables de l'ère coloniale, a été créé. Sur proposition du dit conseil, la commission constitutionnelle du forum pour le renouveau démocratique a retenu la création d'une deuxième chambre législative qui serait constituée, entre autres, de chefs traditionnels et représentants des 25
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minorités. Ces nouvelles institutions viendraient renforcer, à leur tour, le rôle de la chefferie dans la gestion des affaires du pays. La chefferie sert donc encore à l'encadrement de la majeure partie du peuple nigérien et chacun reconnaît qu'elle est susceptible de contribuer à l'élaboration d'un système administratif mieux adapté au pays, à la fois "moderne" et "national". Certes, toutes les chefferies n'ont pas connu la même histoire et toutes ne pèsent pas du même poids sur le plan traditionnel. Cela tient essentiellement aux conditions de leur création. Certaines plongent leurs racines dans un passé immémorial tandis que d'autres ne sont que des créations artificielles et relativement récentes (Séré de Rivières, 1967). Aussi tous les cantons ne reposent-ils pas sur la même base sociale et leurs chefs ne pèsent pas tous d'un poids identique. Leur autorité varie beaucoup d'un cas à l'autre, selon l'histoire particulière de chacun et les conditions de son choix. Les chefs de province jouissent d'un grand prestige. Toutefois, ils sont peut-être moins proches de la réalité du terrain que peuvent l'être certains chefs de canton qui entretiennent un contact plus direct avec les villageois. Enfm, la chefferie villageoise, bien que ne représentant pas un pouvoir fort - car ne disposant d'aucun moyen de coercition pour faire respecter ses décisions - remplit cependant un rôle essentiel comme porte-parole d'une volonté générale et comme un arbitre dont les avis s'appuient sur le droit coutumier afm de régler les conflits entre les individus. Elle est aussi, depuis longtemps, directement ou par le relais de la chefferie de canton, l'intermédiaire entre la population paysanne et l'administration (Sidikou : 11-13). L'Etat post-colonial, comme son prédécesseur, est demeuré dans l'ensemble un Etat de "l'indirect rule" c'est-à-dire un Etat minimal où l'essentiel du travail d'encadrement, d'administration de la justice, de collecte des taxes, de relais et de collecte des informations est encore assuré en milieu rural, à des degrés divers, et à différents niveaux, par les chefs. Cette situation liée à des considérations historiques et socioculturelles fait qu' aujourd 'hui encore le nigérien s'identifie à ces terroirs traditionnels plutôt qu'à l'Etat-Nation. Le terroir est en effet, une entité physique et socioculturelle homogène et concrète dans laquelle s'épanouit le nationalisme ethnique. Cela expliquerait peut-être pourquoi, d'une part, ni l'Etat colonial, ni l'Etat-Nation, n'a pu intégrer ou plutôt capter- pour reprendre l'expression de Goran Hyden(1980) - la masse de la paysannerie dans ses institutions et pourquoi, 26
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d'autre part, la société résiste en cherchant à préserver son identité fondamentale et en privilégiant l'appartenance au terroir. Les institutions administratives coloniales et post-coloniales constituent le réceptacle de cette double dialectique, le lieu d'affiontement de ces deux logiques, celle de la captation et de la résistance. De ce point de vue, il y a un extraordinaire phénomène de permanence car la résistance des sociétés à l'Etat entamée depuis l'époque coloniale continue toujours. Dans sa stratégie de conquête de la société, l'Etat colonial s'est exclusivement appuyé sur les ressources administratives. C'est un système étatique caractérisé par l'hégémonie de l'administration dans le fonctionnement de l'Etat sans recours aux institutions politiques de type électif (Assemblée ou parti politique). Dans cet Etat administratif (Bourmaud, 1991 : 245-246), les flux qui relient l'Etat à la société sont monopolisés par l'Administration, d'où la grande difficulté de légitimation pour l'appareil d'Etat. Comment imposer d'en haut une organisation bureaucratique à un tissu social ignorant dans la plupart des cas un tel mode de gestion publique? Si l'Etat colonial s'ouvre à des institutions de type électif à partir de 1945, il n'est pas mis fm pour autant à cette longue période de tension entre la société et l'Etat. Sitôt mis en place, l'Etat indépendant va prendre une forme particulière, caractérisée par le développement d'une idéologie de l'intérêt commun, la répression des intérêts particuliers et l'interdiction de leur expression au nom de la nécessaire unité nationale. Cette forme d'Etat bonapartiste4 prévalut aussi bien dans le régime à parti unique que dans le régime militaire et ne prit fm qu'avec l'avènement de la démocratie dans les années 1990. Même durant cette période, le recours à des institutions politiques électives - en tant que moyen permettant de légitimer l'administration comme bras séculier de l'Etat - n'a pas permis à celle-ci d'assurer le contrôle social et de se faire accepter par la société. La raison de ce blocage est simple et n'est d'ailleurs pas spécifique au seul cas du Niger. La greffe du modèle de l'Etat occidental ne pouvait pas prendre sur des sociétés relevant d'une autre histoire et ayant une tradition et une conception différentes du pouvoir. Cette greffe, faite de l'extérieur, grâce à l'importation de concepts et d'institutions étrangers à la culture du 4 Ce système a été décrit par Magnant pour le Tchad de l'après indépendance (Magnant, 1991 : 178).
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peuple n'a donc pas pris. Car, même en Europe, le modèle a une longue histoire et il n'a pu être intégré, assimilé et intériorisé qu'à travers un héritage culturel patiemment élaboré et par strates successives. Comment ce modèle administratif: basé sur les principes d'unité, de centralisation du pouvoir, de l'individualisme, de la comptabilité économique, de la bureaucratie et lié à la primauté de l'écrit pouvait-il faire bon ménage avec des sociétés nègro-afticaines où prédominent la pluralité du pouvoir et de l'espace, la communauté familiale, base du système de gestion à la fois économique, social et politique, la vertu du verbe, la civilisation de l'oralité et enfin une conception complexe du réel où coexistent le monde visible et le monde invisible? L'Etat post-colonial reste profondément marqué par la volonté d'hégémonie et l'autoritarisme de l'Etat colonial-lui-même héritier du modèle occidental - dont il a emprunté le style de commandement péremptoire et sans partage qu'il applique dans d'innombrables occasions. Le profil charismatique et totalitaire des dirigeants actuels est bien un héritage de l'administration coloniale et non une tendance naturelle de la tradition afticaine. Certains regrettent d'ailleurs cette dureté issue des habitudes de l'Etat colonial, soutiennent que les mentalités afticaines ne peuvent s'accommoder de régimes démocratiques et militent en faveur de l'instauration d'Etat forts. En fait, ce "pouvoir fort" de l'époque coloniale était le seul moyen de gérer la combinaison monstrueuse de ces deux types de pouvoir. Et, naturellement, puisque cet "Etat-monstre" existe toujours - à défaut d'une réforme radicale de l'Etat-Nation, condition d'une stabilité politique et d'un développement économique - la tentation ou le risque d'un pouvoir totalitaire sont toujours grands6. S C'est en particulier l'idée de Crawfort Young: "La "dureté" issue des mentalités et des habitudes de l'Etat colonial a été sapée de l'intérieur par la "clémence" inhérente au système politique patrimonial et clientéliste qui a permis à la société civile de s'infiltrer dans l'Etat, de passer outre à ses restrictions autoritaires et de transformer finalement son apparence despotique en une carapace creuse" (Young, 1990 : 45). 6 Je mets Nations au pluriel parce que la réalité, ce n'est pas la Nation, mais plutôt les Nations, les nationalités et les peuples.
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Dans ce contexte, l'Etat nigérien - comme les autres Etats africains d'ailleurs - s'il n'est pas un échec est au moins d'une fragilité dramatique car il n'a pas pu réaliser la mission qui présida à sa création: le dépassement de la contradiction entre les sociétés "traditionnelles" et le modèle occidental. Que l'on soit sous le règne du parti unique, du régime militaire ou d'une démocratie pluraliste, les principes culturels "traditionnels" - c'est-à-dire pluralistes - gouvernent toujours les rapports sociaux. Nul n'ignore, en effet, la forte pesanteur des relations sociales dans le système d'administration ni cette "économie de l'affection" très forte au niveau du tissu social africain, faite de solidarités spontanées, où prédomine l'efficacité sociale au détriment de la rationalité bureaucratique et de l'efficacité économique. On a ainsi parlé d'''Etat clément"7, de système politique clientéliste8, patrimonial et néo-patrimoniaI9. Clémence, clientélisme et patrimonialisme constituent la revanche des sociétés sur l'Etat. C'est grâce au clientélisme, qu'elles ont pu intégrer le mode d'organisation étatique. En effet, d'un point de vue abstrait, l'Etat colonial se défmit en premier lieu par l'impersonnalité de ses règles. Avec l'indépendance, l'Etat désormais "africanisé", renoue avec la forme 7 Le concept de 'l'Etat clément" est dû originellement à Gunnar Myrdal, Asian drama, New-York, Panthéon, 1968, I, p. 66 (traduction ftançaise : Le drame de l'Asie: Enquête sur la pauvreté des Nations, Le Seuil, 1976). Il a été repris et développé par Hyden: "Les mécanismes de l'Etat clément représentent l'antithèse du type d'efficacité économique nécessaire à la croissance et au développement. Le phénomène de l'Etat "clément" se révèle particulièrement néfaste dans le cas de l'Attique en raison de son secteur public tentaculaire. L'appareil gouvernemental ne se borne pas à assurer les services publics de base, à percevoir les impôts et à maintenir l'ordre public, mais il se mêle aussi de toutes sortes d'activités économiques, avec souvent de très fâcheuses conséquences". (Hyden, 1983 : 65). 8 Selon la définition classiquement adoptée, le clientélisme est conçu comme "un rapport de dépendance personnel non lié à la parenté, qui repose sur un échange réciproque de faveurs entre deux personnes, le patron et le client, qui contrôlent des ressources inégales"(Médard, 1976 : 104). 9 Dans le système patrimonial, les dirigeants traitent toutes les affaires politiques, administratives ou économiques comme s'il s'agissait d'affaires personnelles. TIy a une confusion entre domaine privé et domaine public. Sur la question voir (Roth, 1968) et (Médard, 1980, et 1983, 1991).
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personnalisée, relationnelle et "affective" du pouvoir. L'équilibre social ancien cherche à se perpétuer à l'intérieur du nouveau système politique. Sous Diori Hamani, les ministres étaient choisis en fonction de leur capacité à s'affirmer comme leaders d'un espace politique local. La plupart d'entreeux étaient chefs ou issus de familles de chefs. Et puis des fonctionnaires deviennent chefs, des chefs deviennent ministres. Ainsi, l'Etat légué par le colonisateur renoue avec les valeurs de I'héritage précolonial et se reconstruit sur la base de ces valeurs. Progressivement, appareil administratif et pouvoirs traditionnels tendent à se confondre, à fusionner. Le nouvel appareil d'Etat a désormais une double légitimité: celle du colonisateur et celle de la tradition africaine Cette utilisation de la chefferie à des fins politiques n'a pas toujours profité à l'institution surtout sous le régime Diori, comme l'explique Garba Sidikou, Secrétaire Général de l'association des chefs traditionnels. "Au lendemain de l'indépendance, la chasse aux sorcières qui a suivi l'évincement du SAWABA, les règlements de comptes consécutifs à la mise en place du parti unique, surtout la subordination des instances administratives à celles du parti et aussi le remplacement des administrateurs par des militants parfois sans formation ni scrupules, ont abouti à la mise à l'écart, sans aucune délicatesse, des chefs qui avaient pourtant aidé le RDA à accéder au pouvoir. Les commissions villageoises, cantonales et provinciales de l'époque coloniale ont été remplacées par les structures du parti (comités de quartier, de villages et de cantons) et les conseils des notables au niveau des circonscriptions administratives par des conseils d'arrondissement sans les chefs... Les chefs... sont ainsi écartés de l'exercice du commandement pour n'être sollicités que pour les tâches les moins reluisantes de police (en cas de litige ou conflit) et de récupération des impôts ou des cotisations qu'aucun comité de parti ne s'est offert pour accomplir."{Sidikou, s.d. : 12) A l'Etat administratif succède donc un Etat clientéliste, mais d'un clientélisme administratif qui devient une réalité de l'appareil d'Etat jusqu'au coup d'état militaire d'avril 1974. En 1960, en effet, la première tâche a été d'occuper les postes abandonnés par le colonisateur. Le parti unique (Parti Progressiste Nigérien) occupe tous les espaces institutionnalisés et les démembrements de l'Etat (départements ministériels, Sociétés d'Etat ou mixtes, collectivités locales) deviennent le 30
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moyen privilégié de s'attacher les clientèles notamment à travers l'accès aux emplois. D'où le gonflement de l'administration et l'omniprésence de l'Etat. Les problèmes actuels du sur-effectif de l'administration trouvent sans doute là leur origine. Le caractère clientéliste explique ainsi l'une des caractéristiques majeures des gouvernances de l'après indépendance: la personnalisation du pouvoir. D'où l'importance des réseaux clientélistes et de prébendes basés sur une élite qui y est étroitement enracinée mais qui n'hésite pas à abandonner les régimes dès que les ressources patrimoniales commencent à fondreIO. Tout cela laisse la voie ouverte à une nouvelle forme de corruption sournoise et subtile, née avec l'indépendance et qui constitue aujourd'hui une des plaies majeures de l'administration Il. L'occupation d'une quelconque parcelle de pouvoir donne droit à l'extorsion d'un dû pour services rendus. Cette dimension prédatrice de l'administration explique sans doute la désaffection des populations à l'égard de l'Etat (Bratton et Van de Dalle). Un autre aspect de ces faits de permanence et de rupture entre les Etats colonial et post-colonial réside dans le mode d'organisation de l'espace politico-administratif qui concentre dans la capitale et les principaux centres urbains les services publics et les pouvoirs de décision. Cet aspect si souvent négligé, est pourtant me semble-t-il, au centre de la problématique de la "nouvelle gouvemance" à savoir la répugnance des autorités centrales à déléguer leur pouvoir à des institutions extérieures. Le refus de la décentralisation de l'autorité entre les mains d'institutions indépendantes de gouvernance locale fait qu'une bonne partie de l'énergie sociale du pays est gaspillée à cause d'un manque de liaison entre un centre tout-puissant et des 10 La prébende est définie comme "un office de l'Etat qu'un individu se procure soit par un examen oral, soit comme récompense pour des services loyaux rendus à un seigneur ou un dirigeant". (Joseph, 1987 : 55). Il Je ne nie pas l'existence de phénomènes de corruption sous la colonisation. Les interprêtes, courroies de transmission et interlocuteurs privilégiés du commandant blanc en matière d'administration, ont profité de cette situation stratégique pour se livrer à des extorsions de biens. Wangrin, le personnage du roman d'Amadou Hampaté Ba décrit fidèlement ce système: L'étrange destin de Wangrin ou les roueries d'un interprête africain, Paris, Union Générale d'Edition, Collection 10/18, 1973.
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communautés périphériques. La désaffection des populations à l'égard de l'Etat réside aussi dans cette absence de structures gouvernementales indépendantes fonctionnant à l'échelon local (Hyden, 1992). Le Niger voudrait y remédier avec un nouveau découpage administratif proposé en mars 1996 par une commission spéciale qui prévoit la création de 13 régions, 55 départements, 155 arrondissements et 774 communes dont 156 urbaines et 618 rurales. Il se pose cependant trois gros problèmes: les moyens fmanciers pour rendre opérationnelles les futures unités administratives, les moyens de protection de cette jeune et authentique démocratie locale afin qu'elle ne soit pas confisquée par l'élite et les citadins, la formation des élus et des citoyens. Ce refus de la décentralisation est également en relation avec la marginalisation de la société civile, qui est un des traits des gouvernements de l'après indépendance. La vie politique et la vie associative étaient plus actives et plus diversifiées sous la colonisation. Le régime de parti unique et le régime militaire ont tous freiné toute activité politique indépendante qui souhaiterait se faire jour hors du réseau institutionnel tenu en main par l'Etat (P.P.N./R.D.A., Mouvement National pour la Société de Développement MNSD/Parti-Etat). Le faible niveau de culture politique constaté aujourd'hui est sans doute en rapport avec le muselage des partis politiques et associations pendant trente ans. La justice dont le fonctionnement est entravé par les difficultés de l'instauration d'un véritable Etat de droit est aussi un aspect de la question. L'administration coloniale eut à modifier profondément les structures de la justice traditionnelle. Elle prit en charge la justice pénale et laissa le règlement des affaires civiles et coutumières à la chefferie tout en organisant progressivement ce domaine. La justice alors en vigueur qui a eu le mérite d'être écrite était surtout conçue et appliquée par rapport aux intérêts du colonisateur. Aujourd'hui encore, la juxtaposition de trois sources de droit (coutumier, islamique et français) ne facilite pas le rapprochement entre les justiciables et la justice, surtout lorsque celle-ci s'obstine à garder son accoutrement d'une époque révolue, à refuser l'utilisation des langues nationales et à marginaliser les droits coutumier et islamique à travers lesquels se reconnaît pourtant l'écrasante majorité des nigériens. Même avec l'avènement de l'ère démocratique, l'Etat de droit est à consolider. Il est d'autant plus fragile que les dirigeants eux-mêmes ont tendance à en ignorer les normes. D'où la persistance des vestiges d'autocratie et d'hégémonie de l'Etat colonial et la menace toujours plus grande de la dérive totalitaire. 32
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Dans tous les cas, la démocratie n'a apporté aucun changement à la logique de fonctionnement de l'Etat. Enfm, on ne peut clore ce chapitre sur l'héritage administratif sans évoquer l'extraordinaire déficit de communication entre administrateurs et administrés, entre les dirigeants et le peuple, de l'époque coloniale à nos jours, accentuant ainsi la coupure nette entre une élite qui doit sa position privilégiée à la seule connaissance de la langue française et la masse de la paysannerie. Tout comme l'ancien commandant de cercle blanc, aujourd'hui encore, beaucoup de responsables des unités administratives ont recours à des interprètes pour s'adresser au peuple même lorsqu'ils sont locuteurs natifs de la langue de la région. La réhabilitation des langues, ou plus globalement celle de la culture, constitue sans doute la première exigence d'une administration qui "colle" aux réalités nationales et qui se veut au service du peuple. C'est aussi la condition d'un développement politique véritable.
2. L'héritage politique Comme l'administratif: le volet politique présente aussi, à certains égards, une remarquable continuité tant sur le plan des acteurs, de la participation du peuple à la chose publique que sur celui des enjeux de politique intérieure. Cependant des événements marquants (coup d'état militaire de 1974, avènement d'une démocratie pluraliste à partir de 1990) ont, dans certains domaines, marqué une rupture radicale notamment en renouvelant les données du scénario politique. Mais avant tout, il convient de connaître et de comprendre les fondements de cette vie politique moderne depuis ses premiers balbutiements.
2. 1. Les réformes
institutionnelles
et les mutations
politiques Le système colonial étant un régime d'exception, on ne peut parler de vie politique normale avant les premières libéralisations de 1946. La loi de juillet 1901 limitait déjà les regroupements des africains en associations dans les colonies. L'administration coloniale chercha à mettre en place un appareil dépolitisé et s'efforça d'expulser la politique de toutes les
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manifestations de la vie des populations autochtones. Les réformes issues de la conférence de Brazzaville ( janvier-février 1944 ) étaient plus sociales que politiques car, non seulement il n'y avait aucune perspective même lointaine d'indépendance ou de self-government, mais la fidélité au principe de l'assimilation fut renforcée. L'accélération de l'évolution politique a été l'œuvre de la Quatrième République dont la constitution consacre la création de l'Union Française nouvelle appellation de l'Empire colonial - formée de la République et des territoires d'outre-mer - nouvelle appellation des colonies. En tant que territoire et membre de l'Union Française, le Niger peut désormais acquérir une représentation politique propre, tant au niveau local qu'au sein de la République. C'est le point de départ d'une profonde mutation institutionnelle et d'une véritable vie politique. Le décret du 25 octobre 1946 institue, pour la première fois au plan local, une assemblée représentative, appelée Conseil général, sur le modèle des assemblées des départements français. La loi électorale retient le principe du double collège. Le premier collège (étendu) composé des "citoyens de statut civil" (les Européens) élit dix conseillers généraux avec deux circonscriptions électorales et le deuxième collège (restreint) regroupant les "citoyens ayant conservé leur statut personnel (essentiellement les autochtones) en élit vingt avec huit circonscriptions. Les élections se déroulent les 15 décembre 1946 et 5 janvier 1947. Les partis politiques étant encore embryonnaires, ce sont les chefs qui sont élus. Un des leurs, Moumouni Aouta Zarmakoye, chef de province de Dosso, devient premier président du Conseil général. Les réformes politiques contenues dans la constitution de 1946 s'avèrent limitées. D'abord parce que dans la réalité la ligne de démarcation entre citoyens et sujets subsiste dans son fond. La distinction entre citoyens de statut local et citoyens relevant du code civil français est à peu près conforme à l'ancien régime de ségrégation régi par le code de l'indigénat. Ensuite, compte-tenu de la taille relativement modeste de l'électorat africain et du nombre limité d'africains admis dans ces assemblées, on était loin du principe républicain de : un homme une voix. Enfm, malgré ces réformes, les commandants de cercle ou de subdivision demeurent toujours les vrais chefs de ['empire. Face à un conseil territorial encore très faible, ils continuent à exercer plus ou moins les mêmes fonctions d'avant-guerre, 34
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même si les colonies en devenant des territoires d'outre-mer ne sont plus gouvernées par des décrets administratifs mais par des lois votées par le parlement. Au Niger, plus tardivement que dans les autres colonies, il faut attendre les années 1950 pour voir se mettre en place une nouvelle génération d'administrateurs de haut niveau, des technocrates sortis de l'Ecole Nationale de la France d'Outre-Mer (ENFOM), qui va se rallier au changement avec plus ou moins de bonne grâce, et qui après l'indépendance gardera encore une bonne place dans le nouvel Etat indépendant. Les transformations institutionnelles se poursuivent sous la pression des luttes menées localement, de la montée des nationalismes avec la multiplication des foyers de tension (guerres d'Indochine et d'Algérie) et des cadres de concertation (Conférence de Bandung). La loi du 6 février 1952 transforme le Conseil général en assemblée territoriale, tout en maintenant les deux collèges: 15 conseillers pour le premier, 35 pour le second, élus en mars 1952. En 1954, Niamey, Maradi et Zinder sont érigées en communes mixtes. En 1955, le parlement vote une loi créant 26 communes de plein exercice en A.O.F. dont une seule pour le Niger (Niamey). Zinder devient commune de moyen exercice. Mais finalement, pour éviter tout risque de conflit sanglant en Afrique noire, le gouvernement français engage avec la loi-cadre du 26 juin 1956 une plus grande libéralisation du régime politique qui va conduire à l'autonomie. La loi-cadre met en place dans les territoires des assemblées élues au suffrage universel et au collège unique dotées de pouvoir délibérant. Elle institue des conseils de gouvernement investis de pouvoirs de décision en matière d'administration locale. Pour la première fois, on peut parler d'une participation "nationale" à la gestion des affaires du pays, même si cette participation est limitée aux problèmes locaux et toujours sous le contrôle de l'autorité coloniale puisque le Président du Conseil de Gouvernement reste de droit le Gouverneur du territoire. Une timide politique de décentralisation est également amorcée avec la désignation de représentants élus de chaque cercle comme membres des conseils locaux de notables qui prennent désormais la forme d'assemblées délibérantes statuant sur les questions importantes de la vie des cercles, notamment la taxe de cercle instituée en 1951. Après 1955, chaque cercle dispose de l'autonomie financière.
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2.2. Les pratiques politiques Si les premières élections ont été dominées par les influences personnelles des notables et chefs traditionnels, compte tenu de la faible assise des partis politiques, la situation va évoluer rapidement. En effet, les nouvelles règles du jeu imposent les Hévolués H comme les seuls leaders possibles, les seuls interlocuteurs valables d'un point de vue culturel. L'ambiguïté de la nouvelle situation donne l'impression d'un transfert d'autorité des chefs traditionnels vers les nouveaux députés. Le premier parti politique, le Parti Progressiste Nigérien (P.P .N) voit le jour le 12 mai 1946 et devient section locale du Rassemblement Démocratique Africain (R.D.A) en septembre 1947 avec comme principaux leaders Diori Hamani, Djibo Bakary, Boubou Hama et Issoufou Saïdou Djermakoye. Des divergences diverses (orientation politique, questions de personne, modalités d'alliance avec la chefferie ou l'administration) entraînent des scissions successives qui donnent naissance à plusieurs partis: l'Union Nigérienne des Indépendants et Sympathisants (U.N.I.S) le 31 mai 1948, le Bloc Nigérien d'Action (B.N.A) et l'Union Progressiste Nigérienne (V.P.N) en mars 1953, l'Union Démocratique Nigérienne (V.D.N) en 1954 qui devient plus tard le Mouvement Socialiste Africain (M.S.AlSAWABA) en 1957 (Chaffard, 1965). Quels furent les traits dominants de cette fièvre politique et comment la situation a-t-elle évoluée depuis l'indépendance? 2.2.1. Au niveau des chefs Les réformes politiques d'après-guerre ont, dans un premier temps, sérieusement ébranlé les chefferies traditionnelles. La baisse de leur prestige et de leur autorité face à l'émergence de l'élite moderne a été surtout nette dans les régions où elles n'ont aucune tradition organique et où l'on assiste à une véritable crise de l'autorité12. Mais par la suite, elles se sont ressaisies et 12 Cela apparaît clairement dans les rapports politiques dès le début de l'année 1946. "En ce qui concerne les chefs, il me semble que peu nombreux sont ceux qui ont compris que leur sort se joue et qu'ils risquent, avant longtemps, de faire figure de "ci-devants". Tous sentent cependant que le commandement devient plus difficile qu'auparavant et s'en plaignent. TIen est peu, à mon sens qui sauront s'adapter à la
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ont concurremment adapté leur action à la ligne des réformes de structure en cherchant à prendre part à la politique, dont elles ont subi les effets, par la voie d'élections au Conseil général ou même au Grand Conseil d'AOF. A partir de cette époque, la chefferie va jouer un rôle déterminant et constant dans l'équilibre politique du pays, soutenant tantôt l'un tantôt l'autre des partis, suscitant même la création d'un parti politique au gré de leurs intérêts et sous l' œil toujours complice de l'administration coloniale. Plusieurs exemples illustrent ce fait majeur de cette vie politique. - Dès la naissance du P.P.N en 1946, Issoufou Saïdou Djermakoye, issu de la chefferie de Dosso, est choisi comme premier responsable en raison surtout du prestige que lui confèrent ses origines aristocratiques. - Les déclarations extrêmement critiques que le P.P.N.IR.D.A. formule à l'endroit de la chefferie favorisent - entre autres - la création d'un parti de notables suscité par l'administration. L'V.N.I.S., dirigée par Issoufou Djermakoye, Georges Condat et Zodi Ikhia regroupe surtout des chefs de canton ou apparentés, tous conseillers généraux. Pure création de l'administration ou réaction d'autodéfense des chefs? Probablement les deux à la fois. Dans tous les cas, le succès de l'U.N.I.S. est fantastique. Dès juin 1948, il remporte la majorité des sièges du 2ème collège du Conseil général (15 contre 5 au R.D.A) et aux élections pour le Conseil de la République en novembre. En 1952, l'V.N.I.S., toujours fortement soutenu par les chefs, connaît à nouveau un succès éclatant en emportant 34 des 35 sièges du second collège à l'Assemblée territoriale (de Benoist, 1982 : 96). - La tentative de regroupement des chefs se matérialise en janvier 1949 par la création d'une "Association de Chefs Coutumiers" dont les statuts sont fixés au premier congrès des chefs à Zinder ( 30 janvier - 3 février 1949). L'Association, regroupant les chefs de province, de canton et de groupement, est probablement une réaction de défense face aux menaces situation nouvelle. Très sollicités et probablement en butte à la flatterie, ils n'auront pas assez de caractère pour maintenir leur barque face au courant; d'autre part, n'est-il pas à craindre que cette attitude ne leur fasse également perdre la confiance du commandement européen, et ainsi le meilleur soutien qui leur reste." Archives Nationales du Niger, Niamey, 15-2-46, cercle de Niamey, Bulletin politique mensuel, mars 1946.
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de certains partis politiques, dirigés par l'élite moderne et aux pressions de l' administration. - L'élargissement de l'assise de l'D.D.N. de Djibo Bakary dans le centre et l'Est du pays à partir de 1955 n'a été possible qu'après le ralliement des grandes chefferies historiques du Gobir, du Katsina et du Damagaram (Raynaut, 1990). Le ralliement lui-même intervient en 1957 à la suite de la formation du Sawaba, né d'une fusion entre l'D.D.N. et le B.N.A. de Condat et Djermakoye (Fuglestad, 1975). Djibo Bakary obtient une assise nationale grâce à un puissant soutien des chefs. - Enfin, au moment du référendum sur le régime de la communauté en septembre 1958, les chefs se désolidarisent de Bakary, entraînant l'exB.N.A., coalition du P.P.N..IR.D.A. et de tous ceux qui sont favorables au OUI. Djibo Bakary est battu. Le poids du chef sur l'échiquier politique reste imperturbable. Il sort victorieux de cette profonde mutation qui l'a fait passer d'auxiliaire de l'administration à un puissant agent électoral dont la force est désormais reconnue et sollicitée même par les partis les plus extrémistes. Le rôle des chefs en tant qu'intermédiaires de l'administration ainsi que les pratiques qui en découlent ne s'estompent point avec l'indépendance. Cependant, avec l'institution de fait d'un parti unique dont les comités locaux prennent le pas sur les structures coutumières, la chefferie est étroitement surveillée d'abord, puis progressivement dépouillée de ses prérogatives, au profit des nouveaux dignitaires politiques locaux. Mais elle n'en est pas pour autant exclue ni des structures du parti ni de l'appareil du nouvel Etat au sein duquel elle occupe une place de premier rang sous le régime de Diori Hamani. Ce dernier, fort conscient de sa dette envers la chefferie, va associer tous les membres de celle-ci aptes à exercer de hautes fonctions: ministres, députés, ambassadeurs, membres du Bureau Politique du parti, etc. En outre, le parti de Diori s'appuie largement sur les chefs pour obtenir une plus grande légitimation populaire dans le centre et l'Est du pays où le SAWABA bénéficie d'une forte implantation d'autant plus que les premières années de l'indépendance sont accompagnées par une incertitude politique et des troubles armés.13 13 Après avoir perdu les élections au référendum et à l'assemblée territoriale où il
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L'alliance entre la chefferie et le régime Diori commence à s'effriter à partir de 1964 lorsque le pouvoir opte pour un développement participatif et autogérée. Il s'agit de confier les leviers du développement au paysan en l'affianchissant de toute forme de dépendance (chefferie, peseurs et commerçants-traitants d'arachide, etc.) et en lui assurant la formation adéquate: alphabétisation, animation, gestion coopérative, etc. Les chefs se sentent tout de suite menacés puisque désormais les paysans-animateurs sont les interlocuteurs privilégiés des services de développement. Cette nouvelle élite n 'hésite pas, en certains endroits, à affronter ouvertement la chefferie surtout lorsque la légitimité historique de celle-ci est douteuse. La terrible famine de 1974 accentue le divorce. Au moment du coup d'état, les militaires prennent rapidement conscience de la grande influence de la chefferie non seulement à la campagne mais aussi dans les villes comme Dosso, Maradi et Zinder et de la nécessité de se la concilier. Tout comme Diori à ses débuts, Kountché a eu besoin d'une légitimité, d'une reconnaissance populaire que cet important groupe de pression pouvait lui apporter. Dès octobre 1974, à l'ouverture du congrès de l'Association des chefs traditionnels, le Conseil Militaire Suprême s'engage à réhabiliter, moderniser l'institution et à moraliser son accès certainement dans le dessein de mieux la contrôler. La chefferie est l'objet d'une constante sollicitude. L'abolition des partis politiques fait des chefs les seuls maîtres locaux, la seule "représentation" des populations auprès des autorités. De nombreux textes réglementaires les concernant sont adoptés. Un arrêté du 15 septembre 1981 modifie les règles relatives à la nomination et à la révocation des chefs qui ne sont plus élus mais nommés par le ministre de l'intérieur sur proposition du préfet en ce qui concerne les chefs de province, de canton ou de groupement nomade et par décision du sous-préfet après enquête pour le chef de village ou de tribu n'obtient que 6 sièges contre 50 au P.P.N/R.D.A, Djibo Bakary s'exile à Dakar en février 1959, puis à Bamako en juillet. Bénéficiant d'une aide accrue de la part des autorités maliennes, du Ghana, du gouvernement provisoire de la République algérienne en exil, de la Chine, du Viêtnam du nord et de la Guinée. En mai 1962 il s'établit à Accra. TIenvoie des commandos armés au Niger pour semer des troubles et pousser la population à la révolte entre 1964 et 1966. Ces actions échouent lamentablement dans le sang. Voir MORILLON (J.P.): "La tentative insurrectionnelle du Sawaba au Niger", Est et Ouest, 342, mai 1965, pp. 20-22. 39
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nomade. Le chef devient magistrat de l'ordre administratif: Si la désignation peut mettre l'institution à l'abri de la corruption, il y a d'un autre côté le risque de nuire à l'institution et de limiter ses capacités de mobilisation et de légitimation en portant au pouvoir des hommes redevables aux seules autorités administratives (Abba, 1990 : 58-59). Le statut juridique des chefferies est amélioré par le décret 83/139/PCMS/MI du 13 octobre 1983 et leur association dynamisée. Elle est intimement associée à toutes les structures de concertation et de décision de la Société de Développement dont les chefs deviennent les présidents au niveau de leurs collectivités. Par la suite, le président de l'Association des chefs traditionnels devient membre de droit du Bureau exécutif national, instance suprême du nouveau parti unique: le Mouvement National pour la Société de Développement (M.N.S.D./Parti-Etat). Mais pour les concepteurs de la Société de Développement, il apparaît difficile de concilier l'existence de la chefferie, féodale et conservatrice par essence, incapable de se remettre en cause, avec la démocratie que prône la nouvelle institution. Aussi, avait-on suggéré à court terme la tenue d'élections libres et démocratiques au niveau de toutes les structures de celle-ci - y compris la chefferie - et la non élection des chefs au niveau des présidences. Les mesures envisagées à moyen terme sont plus radicales. La chefferie devrait disparaître par voie d'extinction (plus de remplacement en cas de décès ou de révocation) d'autant plus que la suppression de l'institution s'est opérée sans heurts dans des pays comme la Guinée, le Mali et le Sénégal avec lesquels le Niger partage un héritage culturel communl4. Utopie ou vision prophétique? La Société de Développement aurait-elle pu arriver jusqu'à cette ultime recommandation? Difficile de répondre. Dans tous les cas, les régimes qui lui ont succédé à la faveur de l'avènement d'un pluralisme politique depuis 1991 semblent bien s'accommoder de la chefferie. Après la Conférence Nationale qui l'a marginalisée (deux délégués à l'Association des chefs traditionnels alors que l'Union des Scolaires Nigériens en est pourvue de cent et que chaque parti politique en compte 14), la chefferie est à nouveau l'objet d'une constante sollicitude dès 14 République du Niger, Conseil National de Développement, Commission de Réflexion sur la Charte Nationale; Rapport de la sous-commission n° 6, Administration et Politique.
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la phase de la transition, dans la perspective de l'organisation des premières élections démocratiques au Niger. Bien que la constitution lui interdise l'adhésion à un parti politique, la chefferie a mis tout son poids dans la balance politique sous la troisième République et même aux dernières élections des 7 et 8 juillet 1996. Courtisés de toutes parts, les chefs envoient, sous le manteau, des consignes de vote à leurs administrés pour soutenir leur candidat. Dans cette bataille politique confuse où tous les coups sont permis, lorsque le chef est acquis à un parti, le parti concurrent s'appuie sur une notabilité (le plus souvent un concurrent malheureux du chef) pour drainer une partie de l'électorat. Tout laisse penser que les partis politiques de l'ère démocratique ont tiré la leçon du rôle et de la place de la chefferie dans la vie politique pendant plus de 40 ans: une force politique incontournable. 2.2.2. Au niveau de l'action du colonisateur Elle a été constante et décisive tout au long de cette recomposition permanente du paysage politique nigérien. L'administration coloniale a joué avec doigté du double clavier des partis et des chefs et a su orchestrer artistement tout ce tumulte au gré des changements politiques en France. Dès 1947, après la révocation des communistes du gouvernement français, le gouverneur Toby entreprend la guerre aux dirigeants du P.P.N.IR.D.A. considérés comme des "agents de Moscou" et suscite la formation d'un parti concurrent, l'U.N.I.S. Ce parti de notables doit ses succès éclatants aux élections à l'appui de l'administration et des chefs. Le "désapparentement" des parlementaires R.D.A à l'égard du Parti communiste français n'atténue pas l'hostilité de l'administration puisqu'elle fait perdre à Diori son siège de député en 1951 en faveur de l'U.N.I.S. apparentée à l'Union Démocratique et Socialiste de la Résistance (D.D.S.R.) de René Pleven et François Mitterrand. Al' élection législative anticipée de janvier 1956, Diori retrouve son siège de député grâce à un gros coup de pouce de Toby. Ce dernier quitte le Niger en décembre 1954. Puis, arrive le Socialiste (S.F.LO), Jean Ramadier dont le premier objectif sera l'implantation des socialistes au Niger. Les socialistes n'aiment pas les partis des chefs, ces "féodaux", ce qui exclut Condat et Djermakoye. Djibo Bakary qui vient de créer l'U.D.N. pourrait faire l'affaire d'autant plus qu'il a cherché un appui à Paris auprès du Parti radical qui l'éconduit et qu'il est l'objet de poursuites judiciaires; il risque la prison et, surtout, l'inéligibilité. Ramadier marchande: l'V.D.N. devient socialiste et adhère à la S.F.I.O. Et les poursuites judiciaires sont 41
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annulées. C'est, entre autres, grâce à l'appui du gouverneur Paul Bordier, successeur de Toby, que Djibo Bakary est élu maire de Niamey et que le B.N.A. intègre son partil5. C'est aussi grâce à l'appui de Bordier que le Niger devient un fief du M.S.AlSawaba en remportant la grande majorité des sièges, 41 contre 19 au R.D.A lors des premières élections au suffrage universelle 31 mars 1957.16 C'est enfm grâce à l'administration coloniale et aux maladresses de Bakary que le P.P.N.lR.D.A., qui n'est plus qu'un parti régional, reprend du terrain à l'occasion du référendum. On connaît l'histoire. Djibo est politiquement liquidé parce qu'il s'est opposé de front aux intérêts français (Bakary, 1992) en prônant le ''NON'', mais aussi victime de ses propres faiblesses, de ses propres contradictions (Raynaut, 1990). Alors que la victoire du Sawaba est acquise compte tenu de son assise nationale, de la solide alliance avec la chefferie, de sa puissante organisation en Samarya, du soutien de la grande majorité des travailleurs et des syndicats, l'administration coloniale se jette dans la campagne et renverse la tendance avec l'arrivée à Niamey le 28 août 1958 du gouverneur Don-Jean Colombani. A quinze jours du référendum, Colombani déploie les gros moyens pour soutenir Diori: avion de commandement, voitures des services administratifs, armée, argent, urnes bourrées etc... Le OUI l'emporte avec 78,4% des suffiages exprimés. Le Niger reste dans la sphère d'influence française, un "pays du champ.17 Dès lors, Diori va s'appuyer sur un groupe de conseillers français connus à Niamey sous le label de "mafia corse" et dont les principaux personnages sont Colombani l'ancien gouverneur désormais officiellement responsable 15 C'est la thèse de Chaffard (1965) et Gaillard (1990). Mais d'aucuns (Djibo, 1992 et TaIba, 1984) soutiennent que ce succès est la "conséquence d'une alliance qui a mis ensemble les électeurs du monde rural, avec l'aide des chefs de canton (acquis au B.N.A) et ceux des syndicats et de la jeunesse urbaine (acquis à l'V.D.N) et devenus plus nombreux du fait de l'introduction du suffiage universel plutôt que le :&uitd'une action de l'administration". C'est aussi la position de l'intéressé (Bakary, 1992). 16 Le M.S.A qui regroupe tous les partis socialistes africains n'a que 21 élus dans tout le reste de l'AOF. C'est dire que le Niger est un véritable bastion du M.S.A. 17 Selon le vocabulaire du ministère de la coopération.
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du marché de l'arachide du Niger en France mais aussi intermédiaire entre les deux gouvernements, et Nicolas Leca directeur du cabinet du président de 1959 jusqu'au coup d'état militaire. Plus de 90 coopérants français contrôlaient la structure de l'administration centrale nigérienne; ce qui faisait du gouvernement du Niger de l'époque, le moins africanisé d'Afrique francophone (Fuglestad, 1975 : 388). Cette pesante et indiscrète présence française dont l'existence d'une base militaire n'est qu'un des reflets, expliquerait, entre autres, la montée de la contestation estudiantine du début des années 1970. D'aucuns ont avancé une complicité française dans le coup d'état qui a renversé le régime de Diori Hamani (Fuglestad, 1975 et Raynaut, 1990). Ce dernier, bien que porté au pouvoir par la France et fidèle allié par la suite en témoigne son rôle actif en faveur de la Francophonie - n'en a pas moins pris à plusieurs occasions des libertés vis-à-vis de son tuteur (Baulin, 1986) : prise de position en faveur du gouvernement fédéral du Nigéria dans le conflit du Biafra (1967-1970), ouverture du pays à l'aide canadienne et refus de participer à la stratégie gaulliste de soutien aux indépendantistes du Québec, demande de révision à la hausse de la rémunération de l'uraniumI8, signature d'un accord d'assistance mutuelle avec la Libye, rupture des relations diplomatiques avec Israël en 1973 et rapprochement avec le bloc arabe, demande de révision en août 1972 des accords de coopération en vigueur depuis 1962. Tous ces facteurs ont, sans doute, contribué à faciliter le coup d'état, mais ils ne constituent pas des conditions suffisantes. Dans tous les cas, les militaires ne chercheront pas à se soustraire à l'influence française et encore moins à la remettre en cause. C'est sans doute l'une des raisons de la stabilité du régime Kountché. 18 Selon Raynaut (1990 : 13), "les négociations sur l'uranium étaient entrées dans une phase particulièrement cruciale depuis le début 1974; une délégation française conduite par Yves Guéna était attendue à Niamey le 18 avril. Le coup d'Etat survint juste quatre jours avant. De là à voir plus qu'une coïncidence dans ce qui s'est passé, il est d'autant plus facile à franchir le pas que l'inertie du détachement français présent au Niger peut difficilement être considérée comme fortuite".
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2.2.3. Au niveau des consultations
électorales
Si le train des réformes de 1947 a suscité une certaine fièvre politique, ce sont surtout les intellectuels, c'est-à-dire les "évolués" qui en ont été les animateurs. Le phénomène a été essentiellement urbain avec néanmoins quelques tentatives à partir de 1954 - surtout avec l'U.D.N. - de sensibiliser l'électorat rural. Mais pendant longtemps, de larges secteurs du pays restent en dehors du circuit. Jusqu'à l'indépendance, les consultations électorales se caractérisent par un fort taux d'abstention (voir ci-contre le tableau des élections de 1946 à 1995). En mars 1952, on enregistre un taux d'abstention de près de 85% dans les circonscriptions nomades de NGuigmi et d'Agadez. Même après l'introduction du sufftage universel, le taux de participation reste extrêmement faible (28,68 pour les élections à l'assemblée territoriale du 31 mars 1957). Cet absentéisme est justifié et traduit la lassitude d'une population sollicitée par des consultations électorales très rapprochées. On compte une dizaine d'élections entre 1946 et 1959. La masse de la population s'est, en général, assez profondément méprise sur le véritable sens des réformes, sinon sur leur portée pratique; elle avait cru comprendre une sorte de libération de tous devoirs vis-à-vis de l'autorité et un déplacement forcé par des circonstances difficiles à préciser, mais impératives sans doute, pour la puissance tutélaire, des pouvoirs antérieurs du commandement territorial vers les nouveaux dépositaires exclusifs du législatif et du judiciaire. Elle a cru les élus chargés de veiller à l'exécution de cette "libération" envers les autorités françaises ou traditionnelles. Elle s'est aperçue que l'autorité effective ne changeait que dans son dispositif, et que l'organisation administrative ne disparaissait pas. D'où un certain désarroi qui n'a pas éliminé la tendance désormais durement ancrée, à douter de tout pouvoir.
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LES ELECTIONS AU NIGER 1946-1996 Inscrits
%
Votants Nombre
43760
2,01
21288
SuflTages Taux de exprimés part. % 48,64 20,735
55835
20309
36,3
94986
56696
59,68
106083
51094
48,1
697488
311361
44,6
305985
354189
28,68
345557
1320174 1707044
493953 1680570
37,41 98,35
474778 1678912
1942774
1910626
98,20
1907673
3508204
3334913
95,06
3329654
3900881 3995751
2207220 1307682
56,58 32,72
2166920 1252257
4082076
1328152
32,54
1292457
4376021
1530198
34,97
1446106
34,94
1516530
Corps électoral
Première Assemblée Nationale
Pop totale 2168000
10 novo 1946
Conseil Général: 15 déco 1946 2168000 (2ème Collège) Deuxième Assemblée Nationale 17juin 1951 Assemblée territoriale 30 mars 1952 (2ème Collège) Troisième Assemblée Nationale: 2janvier 1956 Assemblée territoriale 31 2415000 mars 1957 (sufftage universel) Référendum: 28 sep. 1958 Elections présidentielles 30
1234914
51,13
55967
septembre 1965 (*)
Elections présidentielles
1er
octobre 1970
Elections présidentielles Ali 7246000 Saibou 10 déco 1989 Constitution du 26 déco 1992 Elections législatives 14 février 1993 Elections présidentielles: 27 février 1993 (1 er tour)
législatives Elections anticipées 12janvier 1995 Constitution du 12 mai 1996 (*) La première novembre 1960 Sources:
fois, Diori Hamani
4409169 a été élu Président
1540709 de la République
par l'Assemblée
le 9
-
1 Annuaire statistique de l'A OF, années 1950 à 1956, tomes 1 et 2. 2 - Haut Commissariat Général économique, mars 1959.
de la République
à Dakar:
Bulletin
3 - «La République du Niger ». Notes et études documentaires, française, n02638, février 1960.
statistique
et
La documentation
4 - « Le Niger », Revue encyclopédique de l'Afrique, Supplément au n05, 1960. 5
- Niger,
Recensement
général
de la population
1977
et 1988.
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Après l'indépendance, en effet, en dehors de la rituelle unanimité des régimes monopartisans (élections de Diori Hamani en 1965 et 1970 et de Ali Saioou en 1989), les résultats affichés montrent bien un très faible taux de participation dont les 30% semblent être le taux plafond de la période coloniale à nos jours. L'avènement d'une démocratie pluraliste n'a pas perturbé cette constante, en témoignent les élections de février 1993 à mai 1996. A quoi faut-il attribuer ces fortes abstentions? Problèmes d'organisation, manque de moyens fmanciers, exode temporaire et difficultés matérielles dans les campagnes, immaturité politique ou analphabétisme? Il y a certainement de tout cela. La désaffection que l'on croyait imputer aux restrictions du droit de vote, n'a fait que croître depuis l'instauration du suffrage universel et même depuis la Conférence Nationale qui aurait dû entraîner un engouement plus grand pour la chose publique. C'est que jusqu'à aujourd'hui, la politique est un phénomène urbain. La grande masse est peu touchée parce que désabusée par les promesses démagogiques et par l'absence de solution aux problèmes matériels aigus qu'elle vit quotidiennement. Comme jadis la décolonisation, la démocratie aussi a été surtout le fait des intellectuels. Il n'y a pas eu au Niger de "soulèvement
vert". 19 19 "Soulèvement vert" ou green uprising est défini comme la montée dans un Etat colonial ou postcolonial d'un mouvement politique basé dans la campagne pour disputer le contrôle du gouvernement aux partis politiques à fondement urbain. Cf: HUGHES (A). "From green uprising to national reconciliation: the People's Progresive Party in the Gambia 1959-1973", Canadian Journal of African Studies, vol IX (1).
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2.2.4. Au niveau de la stratégie
de mobilisation
populaire
Pendant les dix premières années du pluralisme politique de la période dite de "l'autonomie interne", la politique était cantonnée dans les villes. C'est avec l'D.D.N. qu'on assiste à une véritable ouverture en direction du monde rural. La stratégie de mobilisation populaire de Djibo Bakary a deux composantes: une composante urbaine, qui s'appuie sur les syndicats et une composante rurale s'appuyant sur des formes d'organisations traditionnelles. Il s'agit de la reviviscence d'associations coutumières de jeunes gens (Samarya), n'existant jusque-là qu'à l'état fragmentaire. Sous le couvert de ces associations, regroupant en réalité des hommes de tous âges, de toutes conditions, le parti organise à son profit des sections politiques de villages et de quartiers, réunissant sous son égide les éléments actifs et dynamiques de la population. Les Samarya qui ne sont plus des associations de jeux et d'entraide (Raulin, 1971),deviennent des groupements politiques, destinés à régénérer les vieux cadres, à gérer les affaires publiques et peut-être à se substituer aux autorités traditionnelles, à moyen ou long terme, notamment dans les villages. Le Sarkin Samari (responsable du groupe) est en fait le délégué et le propagandiste du parti. Il vend les cartes d'adhésion et réunit les souscriptions. Il est l'agent de base pour la constitution des cellules. De l'avis de plusieurs administrateurs coloniaux, de 1955 à 1958, l'D.D.N. apparaît comme le parti le plus dynamique et le mieux structuré du territoire. Qu'est-il resté de cette formidable machine électorale? A l'indépendance, le président Diori, ayant hérité d'un territoire hétéroclite et dirigeant un parti politique sans légitimité intérieure puissante, va se poser d'abord en créateur de nation. Il adopte une stratégie de type populiste (Colin, 1990), mais avec un objectif de participation populaire, en développant des actions de Promotion humaine et d'Animation rurale. Le monde rural est organisé principalement autour de coopératives paysannes. Cette stratégie de "participation populaire au développement", visait à responsabiliser les communautés villageoises, à travers des animateurspaysans, soutenus par l'encadrement administratif et technique et relayés par des coopératives autogérées. Les comités d'animation villageois rappellent à bien des égards les Samarya de Djibo Bakary. Ce processus doit conduire, à terme, à l'émergence d'un nouveau pouvoir paysan, intégrant désormais un système décentralisé, participatif et remontant (P.P.N./R.D.A,
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1974). Les pressions des caciques du parti, jointes à une atmosphère de corruption dans l'entourage du président, ouvrent la voie à l'avènement des militaires. Curieusement, ce sont les militaires qui vont renouer, 20 ans plus tard, avec le schéma d'organisation en Samarya, comme pour se démarquer du régime qu'ils viennent de renverser. Consciente qu'elle ne peut se passer d'une reconnaissance populaire, l'armée met en place les structures de la Société de Développement (Robinson, 1992 : 217-229) dont les objectifs, paradoxalement, rejoignaient à bien des égards ceux de la "participation populaire au développement" du président Diori20, en même temps qu'elles se réclament de la tradition populaire (Robinson, 1991). Ce néotraditionalisme, caractérisé par le recours à la tradition populaire en matière de stratégie de mobilisation, a été une constante des structures politiques au Niger. A la différence toutefois que, dans la tradition, les composants venaient de l'initiative locale et étaient indépendants de l'Etat. Malgré tout, plusieurs partis du régime démocratique se sont inspirés de ce schéma. Dans ce contexte, en matière d'idéologie politique, on n'a guère avancé au Niger. Cela expliquerait sans doute le faible niveau de culture politique des citoyens. 2.2.5. A propos
du faible niveau de culture
politique
Sous la colonisation, outre la faible propension des populations pour l'exercice du droit de vote, on a aussi noté une tendance à ne voter que pour des personnalités bien connues, avec un particularisme très net dans le choix. Commentant les élections à l'Assemblée Nationale Constituante du 21 octobre 1945, le commandant du cercle de Niamey donne ses impressions sur le vote du milieu européen (1er collège). "Qu'on le veuille ou non, la question s'est posée sur le plan social. Les électeurs ont surtout voté (à quelques exceptions près) en tenant compte, parfois des liens d'amitié ou des relations qu'ils avaient avec les candidats, mais surtout de la couleur de la peau de ceux-ci". 20 Comme sous Diori, c'est le service d'animation rurale qui s'est vu confier la mission de créer un réseau de conseils de développement locaux.
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A propos du collège des non-citoyens, le même problème se pose: "Tenant, en toute objectivité, à me renseigner après le vote, j'ai interrogé un chef de canton lettré. Il m'a répondu qu'on leur avait dit "qu'il valait mieux être commandé par un noir que par un blanc". Sans commentaires..."21. Si en 1945, on peut concevoir que le niveau de la culture civique, politique et idéologique laisse à désirer, plus proche de nous la situation ne s'est guère améliorée. Sous le régime de la Société de Développement, une étude réalisée en 1985, sur la participation populaire dans l'ouest du Niger, a révélé que 34,3% de l'échantillon de 500 personnes interrogées ignorent l'existence de leurs propres conseils de développement de village. Dans le même échantillonnage, 46,8% ne savent pas pourquoi on les a créés, tandis que 79,2% affirment ne pas connaître le fonctionnement de leurs conseils locaux (Sidikou et Charlick, 1985). Cette désaffection est sans doute en relation avec le contexte de régime d'exception et le fait que les structures soient de pures créations de l'Etat. Avec l'avènement de la démocratie, la tendance générale a été le "voteargent" ou le "vote-terroir". La région d'origine et les moyens fmanciers du leader importent plus que le programme ou le projet de société du parti. Les relations personnelles, familiales ou d'affaires dominent les élections. Cela inclut également l'achat des consciences, la corruption. L"'achat" des cartes électorales de citoyens potentiellement favorables au concurrent a été rapporté à plusieurs reprises. Par pauvreté, par manque de conscience politique ou simplement pour se livrer à un "mode populaire d'action politique" (Bayart, 1989), ces électeurs préfèrent monnayer leur droit de vote plutôt que de voter pour des candidats considérés tout compte fait, comme "tous pareils". Cette attitude est probablement en relation avec le comportement des politiciens. En effet, au cours de cette évolution, la politique est apparue comme un moyen de promotion économique. Dès 1946, les politiciens sont apparus comme une caste privilégiée soucieuse d'une amélioration constante de leur standing (deuxième loi Lamine Gueye de 1950) et non comme d'authentiques représentants des populations nigériennes et défenseurs des 21 Archives Nationales du Niger, Niamey, 15-2-44 : Cercle de Niamey, rapport politique mensuel, mois d'octobre 1945.
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intérêts de celles-ci.. Les réformes politiques ont permis, au plan sociologique, la transition d'une petite bourgeoisie bureaucratique vers une bourgeoisie politique bien établie et auto-suffisante. La tendance autocratique et charismatique du pouvoir apparaît nettement aussi chez cette nouvelle "élite". Ni l'indépendance ni même l'ère démocratique n'ont changé fondamentalement cet état de choses. L'Etat apparaît toujours comme le principal pourvoyeur des richesses disponibles et la politique est le meilleur moyen de se hisser aux postes stratégiques et à "forte intensité de prébendes". La nomination à ces postes dépend plus des rapports personnels entretenus avec les responsables politiques que de la compétence technique. Le poste devient une récompense politique. Alors que le travail constituait le principal champ de compétition sous la colonisation, voilà qu'avec l'indépendance le militantisme supplante le savoir-faire professionnel pour l'accès aux emplois publics. Sous le régime du P.P.N.IR.D.A., la devise était: "militantisme d'abord, diplôme ensuite". Le caractère pléthorique du premier gouvernement de la troisième République (29 membres) procède sans doute de l'obligation qu'il y avait de récompenser tous les neuf partis de l'Alliance des Forces de Changement ayant contribué à la victoire. Par la suite, on a parlé de "partage du gâteau", de "Wassosso"22. Les risques encourus par ce système de gouvernement sont évidents et jurent avec les principes d'une démocratie véritable. Ils s'appellent clientélisme, népotisme et bien sûr... sans parler des dérives ethniques, une question capitale à laquelle on arrive maintenant.
3. La question
ethnique
La thèse selon laquelle les conflits ou violences ethniques constituent le principal moteur du développement historique des peuples africains commence à être rejetée. Elle demeure, néanmoins, l'idée dominante dans la 22 L'expression est de Sanoussi Jackou, député de la Convention Démocratique et Sociale (C.D.S./Rahama), parti de l'ex-président de la République Mahamane Ousmane. Elle signifie en haoussa à la fois le mouvement de ruée sur une chose convoitée et l'action de luttes entre différentes factions pour s'arroger la plus grosse part.
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perception de la dynamique et du changement dans les communautés politiques africaines, même lorsqu'elle n'est pas explicite23. L'ethnicité est en fait un phénomène complexe, marqué par l'ethnocentrisme, une conscience et une identité communes ainsi que par l'exclusivisme. A l'instar de tout autre phénomène social, elle est sujette à des mutations. En effet, elle peut changer de forme, de place et de rôle dans la vie d'une société. Son contenu peut s'enrichir de nouveaux éléments. Ses liens avec d'autres phénomènes sociaux peuvent se modifier. Par ailleurs, l'ethnicité à l'état pur n'existe pas; elle est toujours associée à des considérations d'ordre économique, politique, juridique, religieux et social qui constituent, parallèlement, ses composantes essentielles. L'appréhension totale du phénomène ethnique n'est donc pas possible si l'on ne saisit pas correctement sa genèse sur le plan de I'histoire. Au Niger, les écrits sur la question sont rares (Nicolas, 1975, Fuglestad 1983; Raynaut, 1990; Grégoire, 1990; Bourgeot, 1991). Récemment encore, les autorités politiques ont dénoncé la montée des particularismes et de l'intolérance ethnique et religieuse24 notamment. Les nigériens le pensent tout bas, mais rares sont ceux qui le crient tout haut. On le chuchote plutôt dans les salons feutrés de l'élite politique. Certes, au Niger, il n'y a pas eu de conflit "ethnique" sanglant - je ne considère pas la rébellion touareg comme tel. D'ailleurs, d'aucuns considèrent le Niger comme l'un des pays africains qui se distingue par une "certaine cohésion ethnique et culturelle" (Gaillard, 1990). Il convient cependant d'en parler, sans polémique ni passion et non pas seulement parce que la question se situe dans l'air du temps avec le développement de foyers de tension "ethnique" à travers le monde (Bosnie, Tchétchénie, Congo, Rwanda/Burundi, Corse, Basque, Pérou, etc...). Le thème est effectivement d'actualité. Occulté par trente années de régimes monopartisans et d'exception, il ressurgit avec la crise économique et la démocratisation. On ne peut le nier et le passer sous silence dans une 23 Encore que les récentes violences entre hutu et tutsi au Rwanda et au Burundi viennent de relancer le débat sur le"nationalisme ethnique". 24 Déclaration de politique générale du Premier Ministre Mahamadou Issoufou, mai 1993.
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réflexion de ce genre orientée vers la prospective sociale car le danger de l'ethnicité est plus que jamais réel pour la démocratie. Quels sont les fondements historiques du phénomène? Comment s'est-il maintenu et développé dans ses cas concrets, en l'occurrence pendant la colonisation, les premières années d'indépendance puis le contexte de démocratie pluraliste? Dans quelle mesure les clivages régionaux constituent-ils un élément dynamique des premières divisions politiques du Niger? Dans quelle mesure le clivage est/ouest c'est-à-dire haoussa/zarma, est-il pertinent dans l'analyse de la vie politique au Niger?
3. 1. La situation précoloniale L'histoire précoloniale de l'espace nigérien est dominée par des relations séculaires de cohabitation et d'échanges économiques, culturels et sociaux qui renforcent l'interdépendance entre les différents groupes de population: zarma, toubou, peul, gourmantché, arabes, haoussa, kanouri étaient d'abord des populations agraires des différents foyers de peuplement qui se sont installés progressivement depuis 3000 ans entre la boucle du Niger et le lac Tchad d'une part, entre l'Aïr et la plaine de Sokoto, d'autre part.
L'ancienneté du peuplement 25 a permis à ces populations de se côtoyertrès 25 On situe l'arrivée des premiers peuplements humains dans le sud du Sahara bien avant la formation et l'éclatement de l'Egypte antique (IVème millénaire avant Jésus-Christ). La découverte de nombreux matériaux préhistoriques (bifaces, hacheraux) dans l'Adrar Bouss (Aïr nigérien) et des restes d'Homo Sapiens à Asselar (Mali) atteste sans contexte de la présence d'Archamtropiens dès 750 000 ans avant Jésus-Christ. C'est dans le Sahara, encore humide à cette époque, que vivent la plupart des populations de notre pays. Au illème millénaire avant notre ère, les contraintes de l'environnement, notamment la détérioration du régime pluviométrique, entraînent un processus de désertification qui amène les populations à engager d'intenses mouvements de migration selon un axe nord/sud et est/ouest à la recherche de zones plus humides et plus hospitalières. Les groupements haoussa atteignent leurs lieux d'habitation à partir du Xllème siècle. fis s'installent dans les régions de l'Ader, du Gobir, du Damagaram, de l'Arewa. Le groupe kanouri se concentre autour du lac Tchad. D'importants groupements touareg, après la fondation du sultanat de l'Aïr au XVème siècle, descendent dans le Koutous, le Bomou, le Damergou, l'Azaouak, l'Ader, le Gobir, le Tagazar et l'Imanan. Une partie du groupe Zarma aborda au début de ce millénaire les confins du Zarmaganda.
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tôt, de se connaître, d'échanger et de se fondre parfois. En outre, l'espace nigérien va se révéler progressivement comme un carrefour de plusieurs riches civilisations africaines. C'est sa situation géographique, zone de transit, carrefour entre la Méditerranée au nord et le golfe de Guinée, point de passage des principales routes commerciales transsahariennes se prolongeant jusqu'en pleine zone forestière, qui fait de l'espace nigérien "un melting-pot" où se rencontrèrent et parfois fusionnèrent ethnies, cultures et économies du Soudan et de l'Afrique du nord. Cet environnement favorable à la circulation des hommes accueille très tôt de grandes civilisations26. Dans ce complexe économique et social, les structures politiques, lignagères et sociales étaient diversifiées et correspondaient à un certain niveau de forces productives. Quasiment partout, on est passé d'une organisation tribale27, qui coïncidait alors avec le groupe ethnique, à des entités politiques plus étendues et pluriethniques, sous la pression de quatre principaux facteurs: les migrations, les échanges commerciaux, les guerres et l'islam. Partout aussi, on est passé de rapports de production régentés par des liens de parenté, avec une hiérarchisation sociale peu marquée, à des systèmes complexes, dominés par des rapports marchands et des sociétés de classes. Selon l'évolution de leur histoire, selon leur ouverture aux groupes extérieurs ou leur repliement parfois quasi-autarcique, les sociétés nigériennes présentaient toute une gamme de systèmes politiques, où dominait tantôt la tutelle des groupes de parenté, ou bien celle des générations partagées en classes d'âge, tantôt l'emprise des associations religieuses, tantôt, enfm, l'influence de chefs ou de monarques équilibrée Les peuls qui quittèrent le Sahara en direction de la vallée du Sénégal vont se diriger vers l'Est et atteindre l'espace nigérien au Xllème siècle. Puis par petites vagues entre les XVème et XVillème siècles, ils s'installent dans la région du fleuve, et les autres parties du territoire. 26 Les gravures et les peintures rupestres datent du néolithique, la métallurgie du cuivre est mise au point dès 1360 avant notre ère à Azelik et celle du fer dès 924 avant notre ère dans le massif de Termit, ainsi que l'art des figurines de terres cuites. Ces deux techniques sont les plus anciennes connues à ce jour dans toute l' Aftique de l'ouest. Dès cette époque, comme le montrent les tableaux exposés dans notre musée national, les hommes ont domestiqué le boeuf: pratiqué l'inhumation rituelle, l'élevage des chevaux et attelé des chars. 27 Il ne s'agit pas bien sûr de la "tribu" de l'idéologie coloniale.
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par l'action de conseils plus ou moins oligarchiques ou démocratiques. Chez les haoussa (à l'exclusion de l'Arewa), on a eu affaire à des institutions politiques parmi les plus élaborées d'Afrique noire: un système basé sur le développement de la Cité-Etat (birane, birni) à partir d'une civilisation urbaine, marqué par une forte hiérarchisation sociale et un dynamisme commercial. On trouve aussi des structures politiques où la base sociale et territoriale du pouvoir est réduite et dominée par les relations de parenté. Il s'agit de petites unités essentiellement rurales, des chefferies paysannes constituées par un ou deux villages et quelques hameaux des alentours, avec une organisation peu hiérarchisée, de type patriarcal, caractérisée par la prééminence des premiers des patriarches. C'est le cas au Zarmaganda, dans l'Anzourou et au Tondi Kangué. Ce modèle peut évoluer, selon les circonstances locales, vers une forme plus centralisée, où le pouvoir est aux mains d'une aristocratie villageoise, accaparée par une famille ou un groupe de familles. On le trouve dans le Zigi, le dallol, la zone du fleuve et la rive gourma septentrionale. Dans toutes ces situations, l'ethnicité - c'est-à-dire la référence à une communauté culturelle possédant une relative unité territoriale, une tradition mythico-historique et un type d'organisation sociale et spatiale, ne posait aucun problème car les contacts entre les membres des différents groupes ethniques étaient essentiellement régis par des intérêts économiques ou par la position politique: un schéma de domination/subordination. En effet, l'autorité politique n'est pas déterminée par l'identification à un ancêtre ou à des rites communs,
l'un des critères qui défmisse la parenté28
. Le
pouvoir
politique est lié à l'exercice d'une autorité qui procure une puissance: économique, militaire ou religieuse. Ces moyens religieux, matériels ou militaires déterminent à leur tour une prééminence qui peut se traduire par 28 La notion de parenté utilisée par de nombreux anthropologues a&icanistes amène à une vision idéaliste et métaphysique de la société. Elle cache la dynamique de l'émergence des systèmes politiques et obscurcit la structure des relations politiques et sociales et principalement leur base matérielle. Autrement dit, la notion de parenté ne permet pas de rendre compte du processus par lequel s'opère d'abord la constitution d'une classe ou d'un groupe dominant ensuite de la façon dont ce groupe dominant acquiert le contrôle des moyens matériels d'existence, c'est-à-dire la richesse, le pouvoir intellectuel et magico-religieux, la puissance militaire et enfin un territoire.
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des rapports de sujétion, de suzeraineté, de clientèle etc. Les groupes ou les individus sont défmis par rapport aux autres ou entre eux-mêmes non seulement par la parenté mais aussi par un critère fondamental à savoir leur position stratégique dans la division sociale du travail (matériel ou intellectuel), position qui leur confère le pouvoir de contrôle et d'usage de la force. C'est à travers ce processus qu'émerge une classe politique contrôlant des états de plus en plus larges. En outre, la question démographique joue un rôle-clé dans le processus de formation de l'Etat, car le pouvoir politique de l'époque était plus un pouvoir sur les hommes qu'un pouvoir sur la terre. La force et la richesse de l'Etat résidaient dans sa capacité d'intégration d'autres communautés, ce qui lui permet de mobiliser de gros contingents militaires et d'amasser une grande masse d'impôts et de taxes. La soumission d'autres communautés permettait aussi un développement des échanges, d'idées, de techniques, de biens, de modes de vie, de cultures ainsi que le brassage linguistique et le cosmopolitisme. Bref, les guerres n'avaient d'autres buts que le contrôle des ressources économiques et humaines. L'image d'une Aftique précoloniale déchirée par les guerres ethniques et pendant longtemps diffusée par l'idéologie coloniale pour justifier la conquête, n'est plus aujourd'hui admise. Au Niger, par exemple, on a qualifié de "guerres ethniques" ou de lutte de libération les guerres zarma/peul du XIXè siècle (Urvoy, 1936 : 110-117)29. Ces désignations ne sont pas conformes à la réalité des faits historiques. Il s'agit plutôt d'une lutte contre une oppression politique et économique exercée par une certaine classe aristocratique et maraboutique. Les populations zarma n'ont refusé ni l'islam, symbolisé alors par l'élément peul, ni le partage de la riche vallée du dallol bosso et la cohabitation avec ces populations de pasteurs. Les conflits commencèrent lorsque Boubacar Loudoudji voulut transformer une autorité morale et religieuse en une sujétion politique (Idrissa, 1981 : 104). Dans le contexte d'alors, l'appartenance ethnique était étouffée, contenue. On a même assisté à des cas d'assimilation, lorsqu'un groupe ethnique l'emportait sur les autres: c'est le cas du peuplement ancien du Damagaram, d'origine kanouri et qui a été culturellement assimilé 29 Cf. GADO (B.) : Le Zarmatarey : vagues des migrations, formation des provinces historiques, avènement des Wangari, mémoire de maîtrise, Université de Paris VIII, 1976, pp. 173-230. 55
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pacifiquement par les haoussa dont la langue devient prédominante dès le XVlème siècle. C'est aussi du métissage de magoumi, de tribus païennes (les so) et d'esclaves que s'est formée une nation qu'on appelle Bomou et un peuple, les kanouri. L'ancêtre mâle des arawa est issu du Bomou. Par conséquent, si l'on se réfère à I'histoire, le groupe ethnique en tant que formation sociale n'est pas une entité homogène même sur le plan linguistique et culturel. Par exemple, à l'intérieur du groupe haoussa, que de subtilités linguistiques et culturelles entre celui de l' Arewa, de l'Ader, du Damagaram, de Kano, du Kebbi etc... Les uns n'ont pas connu d'Etat et sont demeurés longtemps un peuple de guerriers-chasseurs animistes, fermé et replié sur lui-même, les autres ont atteint un stade d'organisation sociopolitique complexe avec un sens aigu du commerce et des relations internationales. Entre les deux, il y a ceux qui sont en situation intermédiaire. Les éléments constitutifs du groupe ethnique évoluent avec la société de sorte qu'on ne peut parler ici d'ethnie pure. Partout, la tendance générale a toujours été le métissage. Ces Etats pluriethniques ont conçu très tôt un système d'administration dans lequel chaque groupe socio-ethnique a son représentant. Parfois, les descendants d'une dynastie évincée ou de groupes conquis conservent une place importante: les dourbawa à Katsina, les anna au Gobir et dans le Konni, les sandi à Dosso. Dans les capitales, les communautés étrangères ont leurs quartiers et leurs responsables: Sarkin Fou/ani pour les peul, Sarkin Zongo pour les haoussa, Sarkin Tourawa pour les arabes, Sarkin abzinawa ou Manzo pour les touareg etc ... dans le Damagaram précolonial. L'administration fonctionne selon les principes de la déconcentration et de la décentralisation et en règle générale, les affaires locales sont traitées de manière autonome, sous la supervision d'un représentant qui a délégation du pouvoir central. La Sarauta (système politique en pays haoussa) s'est développée, consolidée et maintenue grâce à une redéfmition des positions et des rôles des clans princiers, des prêtres et des leaders des communautés soumises. Ils sont récompensés pour leur loyauté à travers l'attribution de fonctions et titres, intégrés à la structure de l'Etat au fur et à mesure de son extension. Des mécanismes de pacification des rapports intercommunautaires existaient aussi. Ils furent efficaces car ils tiraient leur force de traditions sociohistoriques auxquelles chacun devait être soumis. La parenté à plaisanterie
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est apparue, en effet, comme un des facteurs d'unité et de consolidation des relations inter-groupes. Elle relie deux groupes se rattachant à des ancêtres communs (historiques ou mythiques) ou liés par des vicissitudes de l'histoire (guerres, famines etc...). Dans le premier cas, il s'agit d'une parenté biologique ou réelle (OUpar filiation). Dans le second cas, on a affaire à une parenté fictive, c'est-à-dire qu'on se dit parent, on se considère et on se comporte comme tel, même si en fait aucun lien de consanguinité n'existe entre l'un et l'autre. La parenté à plaisanterie se traduit par une alliance et des rituels de plaisanterie mutuelle, inscrits profondément dans la culture de chaque groupe. Généralement, le schéma est le suivant: deux individus sont impliqués dans une quelconque affaire qui se dénoue grâce à la magnanimité, au courage ou à la bonne volonté de l'un d'eux. Ils effectuent un cérémonial d'alliance (souvent autour du lait) et promettent le châtiment divin à celui de leurs descendants qui les trahirait. Ce pacte des ancêtres protège encore cette institution contre les fluctuations de la conjoncture politique. Le symbolisme du lait, la protection magique et la sanction du surnaturel, sont garants de sa stabilité et de la perpétuation du pacte. La parenté par plaisanterie relie pratiquement tous les groupes et sous-groupes ethniques du Niger peul/kanouri, peul/arawa, kanouri/arawa, zarma/gobirawa etc... Elle atteste de l'ancienneté d'une longue coexistence entre ces populations, coexistence qui a favorisé l'émergence d'une institution qui tempère les conflits, renforce la solidarité, qui contribue au maintien de la paix et à l'interpénétration des cultures.
3.2. La politisation de l'ethnicité L'avènement du colonialisme va donner de nouvelles dimensions au phénomène ethnique. D'abord le Niger lui-même en tant qu'Etat est un produit du colonialisme, on l'a vu, qui a réuni différents groupes ethniques sous un même régime politique. Ce processus était en soi des plus arbitraires puisque, dans certains cas, le groupe ethnique était divisé en différentes parties gouvernées par différentes puissances coloniales30 ou placées sous la tutelle de gouvernements différents relevant d'une même puissance 30 Les haoussa et les kanouri entre le Niger, le Nigéria et le Cameroun, les arabes entre le Niger et la Libye.
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coloniale31. Ensuite ce fut l'entrée en scène des effets contradictoires de la "politique indigène", de l'urbanisation et des rapports marchands. La politique du "diviser pour régner" et de la corruption (les cadeaux politiques) exacerbèrent les rivalités inter-groupes. Dès 1895, le commandant Toutée, décrivant l'organisation socio-politique dans la vallée du Niger, tentait déjà de formuler les principes de base d'une politique d'administration qui joua habilement sur la diversité et les inimitiés ethniques. "Je résume mon impression en disant que la vallée depuis Say est une petite Egypte. La seule erreur que je puisse commettre c'est de la dire "petite". Peut-être est-ce une grande Egypte... Si nous voulons nous établir sur les bords du fleuve, il faudra tenir compte de l'organisation sociale de la région qui est assez compliquée. Trois races se juxtaposent ou se superposent dans un état d'équilibre instable qui dure pourtant depuis une trentaine d'années. Cette situation est exactement celle où Bonaparte trouve l'Egypte à la fm du siècle dernier. Des Fellah constituant la masse laborieuse, des Turcs sans autorité réelle, administrant le pays par habitude, des Mamlouks jouissant d'une liberté et d'une autorité acceptée à regret par les deux autres ttactions de la population. Sur le Niger, les Fellah sont remplacés par les Touareg... On trouvera des éléments très suffisants pour l'administration indigène chez les Sonrays qui fournissent déjà dans la plupart des villages le second chef. Quant aux Touareg, qui ont à hauteur de Sinder leur principal centre de puissance, on ne peut que les combattre et les expulser. A leur fanatisme musulman, ils joignent en effet contre nous une animosité tout à fait laïque. Seuls Blancs établis dans le pays, exploitant le prestige de leur race pour obtenir par la terreur tout ce qu'ils désirent des habitants du pays, ils comprennent depuis longtemps que ce système d'exploitation disparaîtra le lendemain de notre installation dans le pays. Ce sont des méconciliables"32. Le colonisateur s'employa à stimuler chez les groupes leurs sentiments ethniques et profitait de toutes les occasions pour répandre le mythe qu'ils 31 Les gourmantché entre le Niger et le Burkina Faso, les dendi entre le Niger et le Bénin, les songhayentre le Niger et le Mali, les arabes entre l'Algérie et le Niger. 32 Archives Nationales de France, Paris, Microfilms, 1G 185, 200 Mi 664, Mission Toutée. Notes pour le gouverneur général de l'AOF, Paris le 18 septembre 1895.
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sont différents les uns des autres; que les uns sont supérieurs aux autres à cause de leur organisation socio-politique et leur niveau d'acquisition des biens socio-économiques. "Les sédentaires sont nos administrés les plus intéressants comme étant actuellement les plus utiles, les seuls travailleurs et producteurs formant la masse qui verse la plus grande partie de l'impôt et constitue la forte majorité des habitants de l'ensemble du Territoire militaire du Niger... Dans la politique intérieure de ce territoire, il est indispensable d'être guidé par cette considération qui doit avoir pour nous la force d'un principe... on doit les (les sédentaires) admettre dans ce qui n'est pas contraire à l'humanité en s'efforçant de les améliorer progressivement tout en les maintenant adaptés
à leur mentalité".33 L'entretien conscient d'une tension entre populations nomades et sédentaires a été une constante de cette politique. Les occupants français ne toléraient pas le mode de vie des touareg qui se singularise par la razzia, le nomadisme, l'élevage itinérant et une forte hiérarchisation sociale. Ce genre de vie n'est guère compatible avec un système étatique moderne pour lequel le contrôle des hommes, du territoire et des ressources constitue le pivot de toute politique. Il fallait donc disloquer l'aristocratie touareg: briser les liens de vasselage en encourageant l'autonomie des tribus dépendantes, disloquer les confédérations et mettre en place une politique de sédentarisation forcée. Des unités artificielles appelées "groupements" furent créées et soustraites de la juridiction des sédentaires (Idrissa, 1987; 373). Les différences ethniques sont bien mises en relief et amplifiées alors que ce qui unit les groupes, les similitudes, sont soigneusement omises. La mise en exergue de ces différences ethniques avait un impact d'autant plus grand qu'elle frappait les consciences. C'est pourquoi le colonisateur s'attelait à cette tâche dans les lieux de grand rassemblement: chantiers de travaux forcés et centres de recrutement militaire (Idrissa, 1995). Le recrutement militaire, en particulier, fut l'occasion de procéder à une "classification" des groupes ethniques selon leurs "aptitudes physiques" et leurs "capacités guerrières" : 33 Rivet (Commandant) : Notice illustrée sur le Territoire militaire du Niger et le bataillon de tirailleurs de Zinder, Paris, Henri-Charles Lavauzelle, 1912, p. 157.
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"Il importe de signaler qu'une grande partie de la population sédentaire (Haoussa en particulier) montre plus d'aptitudes commerciales que d'enthousiasme guerrier et que l'éducation militaire de ces races demandera de la persévérance"34. "Les résultats de ce recrutement [...] ont mis en valeur les aptitudes physiques des gens du Djermaganda et du dallol maouri; elles ont par contre témoigné la répugnance que ces derniers, toujours indépendants, ont à servir"35. "La race des Peulh de ce canton (Bimi Ngaouré) est peu apte au service militaire en raison des tares physiques héréditaires: syphilis, tuberculose etc... "36. "Les nomades [...] ont été fort contingents pour nos troupes. Je répugnance au métier des armes médiocres, devoir les contraindre prématurée"37.
épouvantés à l'idée de fournir des n'ai pas cru, tant en raison de leur que de leur valeur militaire des plus par force à une mesure que j'estime
"Le Haoussa qui a peu de goût pour le service militaire et dont toutes les facultés se tournent plutôt vers le commerce, a toutes les qualités pour faire un bon soldat, endurance, vigueur, souplesse de caractère et résistance à la marche [...] Les habitants du cercle de Nguigmi ont toujours témoigné une répugnance pour le service militaire; la proximité du territoire anglais permettant aux béribéris et aux mobeurs de se mettre rapidement à l'abri de toutes réquisitions qu'ils estiment gênantes"38. 34 Archives Nationales du Sénégal, Dakar, 2GI4-14, Niger à AOF : Rapport politique, 4ème trimestre 1914, p. 9 cité par Idrissa, 1987, p. 1366. 35 Archives Nationales du Sénégal, Dakar, 2GI5-12, Niger à AOF : Rapport politique, 1er trimestre 1915, p. 4, cité par Idrissa, 1987, p. 1366. 36 Archives Nationales du Sénégal, Dakar, 2GI5-12, Niger à AOF : Rapport politique, 2ème trimestre 1915, p. 5, cité par Idrissa, 1987, p. 1385. 37 Archives Nationales du Sénégal, Dakar, 2GI5-12, Niger à AOF : Rapport politique, 4ème trimestre 1915, p. 8, cité par Idrissa, 1987, p. 1408. 38 Archives Nationales du Sénégal, Dakar, 4D60, Capitaine Lacordaire:
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L'administration coloniale exigeait que soit inscrit sur tout formulaire officiel, l'origine ethnique des concernés. Ce procédé, bien sûr, favorisa l'enracinement de la conscience ethnique d'autant plus que c'est à cette occasion que ces populations conscientisèrent leur différence. En comparant, en classant et en hiérarchisant, on va droit au conflit car le pouvoir colonial juxtapose d'une part des groupes "arriérés" et d'autre part des groupes "avancés" , des groupes faits pour la guerre et des groupes faits pour le commerce, des "groupes faits pour gouverner" et des "groupes de dominés", des "groupes dociles" et "loyaux" sur lesquels il faut s'appuyer et des groupes plutôt "indépendants" qu'il faut frustrer ou marginaliser. Ce raisonnement machiavélique donne l'impression aux groupes dits "arriérés" et marginalisés d'être en retard sur les autres. D'où le développement de la compétition - qui peut aller jusqu'à la violence - entre les groupes ethniques pour se mettre dans les bonnes grâces du colonisateur. Frantz Fanon a déjà traité de cette violence entre colonisés, à propos de l'Algérie: "Ils (les colonisés) ont tendance à se servir réciproquement d'écran. Chacun cache à l'autre l'ennemi national. Et lorsque fatigué après une dure journée de 16 heures, le colonisé s'affale sur sa natte et qu'un enfant à travers la cloison de toile pleure et l'empêche de dormir, comme par hasard, c'est un petit algérien... Lorsque après l'avoir évité des semaines durant il se trouve un jour coincé par le caïd qui lui réclame des impôts, il ne lui est même pas donné le loisir de haïr l'administration européenne; le caïd est là qui sollicite cette haine et c'est un algérien.. .Les vétérinaires pourraient éclairer ces phénomènes en évoquant le fameux "peck-order" constaté dans les basses-cours. Le maïs qui est distribué est en effet l'objet d'une compétition implacable. Certaines volailles, les plus fortes, dévorent toutes les graines tandis que d'autres moins agressives maigrissent à vue d'œil. Toute colonie tend à devenir une immense basse-cour."39 Le développement de la compétition conduisant à l'exacerbation des conflits est consciemment entretenu à travers la politique consistant soit à réduire au strict minimum l'autorité des chefs récalcitrants ou réservés soit à regrouper plusieurs chefferies indépendantes en une seule, placée sous l'autorité d'un sur les opérations de recrutement de novembre 1915, p. 2. Cité par Idrissa, 1987, p. 1412. 39 FANON (F.) : Les Damnés de la terre, Paris, Maspéro, 1976, pp. 226-227. 61
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chef docile nommé. L'administration coloniale entretient délibérément cette situation d'extrême tension, jouant sur les subtilités ethniques, pour fmalernent s'enorgueillir du rôle d'arbitre entre des groupes qu'elle a ellemême opposés. Le pouvoir colonial traça une frontière entre, d'une part, des populations de l'ouest (zarma-songhay) composées de guerriers et d'esclaves, essoutllées à la fin du XIXè siècle par plusieurs décennies de guerre contre les peul et les touareg, les premières à être conquises et soumises, plus réceptives à l'influence française à travers le recrutement militaire et l'école, et, d'autre part, des sociétés de l'est (haoussa, kanouri) paysannes, commerçantes et fortement hiérarchisées plutôt distantes et réservées vis-à-vis des français. Selon Fuglestad, après s'être appuyés sur les populations de l'Ouest, pendant les 30 premières années de leur domination, les français vont par la suite s'intéresser indistinctement à tous les groupes ethniques des régions du Niger. Ils conclurent que les haoussa n'étaient pas "intéressants", de leur point de vue, parce qu'ils étaient demeurés obstinément ''traditionalistes'' c'est-à-dire réfractaires à l'influence européenne. En outre, les Français ont toujours considéré les haoussa avec une certaine suspicion en raison de leurs relations avec le Nigéria anglais et surtout de leur extrême dépendance visà-vis de ce pays. Ce fut, semble-t-il, une des raisons du transfert de la capitale de Zinder à Niamey en 1927. Enfm, dans un souci de "rééquilibrer" la colonie et afin de réduire la supériorité numérique des haoussa, les subdivisions peul et songhay de Téra et Say furent intégrées au Niger la même année. C'est ainsi que les haoussa furent pénalisés et au moment des réformes politiques de 1946, il n'y avait que peu d"'évolués" parmi eux. Naturellement, bien que numériquement plus importants, ils vinrent à être dominés politiquement par les zarma-songhay (en même temps que les peul, les touareg, les kanouri et les autres) qui constituaient la majorité de la nouvelle élite politique et petite bourgeoisie urbaine. C'est ainsi aussi que les leaders militaires, qui prirent le pouvoir en 1974, étaient en majorité des zarma-songhay (Fuglestad, 1983 : 191-245). Nous voici donc au coeur du problème: la part du fait colonial dans ''l' ethnisation" des premières divisions politiques nigériennes. La colonisation a certes exacerbé les différences ethniques - c'est un fait qui vient d'être établi. Mais a-t-elle aussi contribué à la politisation de l' ethnicité ?
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Dès les réformes politiques de 1946, l'administration coloniale s'employa à classer les différents groupes ethniques selon leur comportement vis-à-vis de la nouvelle situation: "Les réactions n'ont pas été partout analogues. Il y a plusieurs tendances. Sans opposer le Niger-est au Niger-ouest, on constate que les populations haoussa, paisibles et laborieuses, et sans doute aussi mieux encadrées, forment à l'est un bloc sur lequel les propagandes ont eu moins de prise que sur le bloc Zarma de l'ouest de tempérament individualiste et parfois ttondeur. A l'extrême est les Toubou de Nguigmi ou Bilma continuent à demeurer hors du jeu, dans leurs solitudes désertiques. Sur la rive droite du Niger, le bloc Gourmantché de Fada réagit en particulariste, soucieux de ne pas être absorbé. Les Touareg d'Agadez - Tahoua forment un autre groupe, non pas entièrement indifférent mais qui, par instinct racial autant que par tradition, se sait très à l'écart de la masse sédentaire et ressent vaguement qu'il y a un déséquilibre à son détriment, accentue parfois sa position d'isolement. Enfm, la population Peul, qui forme souvent des groupes importants, déploie les ressources de sa subtilité et de sa méfiance pour préserver son organisation patriarcale de la contagion du modernisme politique,,40. Les premiers leaders du premier parti politique nigérien étaient tous zarma ou songhay et originaires de l'ouest du pays. C'est indéniable. Dans ce premier mouvement politique qui se considérait comme représentant d'une "nation en gestation", l'appartenance à un groupe ethnique représentait une forme dangereuse et réactionnaire; c'est par la suite que le rythme accéléré de la décolonisation a fait naître de nouvelles appréhensions chez tous ceux qui avaient senti le risque de domination de certains groupes spécifiques et la répartition entre ethnies des ressources postcoloniales. La "diversification ethnique" de la vie politique débute en 1948 avec la création de l'U.N.I.S. localisé à l'Est, à base ethnique et appelé à l'époque "parti haoussa" ou parti indépendant du Niger-Est. C'est la première référence formelle à la région (Niger-Est) comme catégorie politique et à l'identité ethnique (les haoussa) comme élément de mobilisation politique. En effet, l'U.N.I.S. fut une pure création de l'administration coloniale en vue d'abattre le P.P.N.lR.D.A. 40 Archives Nationales de France, section Outre-mer, Dos 15, C3449, Niger: rapport politique annuel, 1946, p. 1-2. 63
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proche du parti communiste ftançais et considéré comme un parti de l'ouest. Dès l'annonce en juin 1948 d'élections complémentaires pour l'attribution d'un second siège de député au Niger, le gouverneur Toby s'emploie à créer une dissidence au sein du P.P.N.IR.D.A. en encourageant une demidouzaine de ses membres originaires de l'est du pays à remettre en cause la décision du comité central et d'exiger ce second siège pour leur région. Afin de donner plus de chances de succès à l'opération, Toby convoque à Niamey les chefs traditionnels les plus influents de l'est de la colonie et les convainc de la nécessité de créer un "parti de l'est", anti-communiste et favorable à la chefferie41. C'est ainsi que naquit l'U.N.I.S. à un congrès à Maradi au mois de mai. Nous connaissons la suite des événements. Tout rassemblement du P.P.N.lR.D.A. est interdit sur l'ensemble du territoire par un arrêté du gouverneur en date du 9 février 1950 et l'U.N.I.S., occupant tout le terrain, devient la principale force politique jusqu'en 1952. La naissance de l'U.D.N en 1954 va bouleverser la vie politique nigérienne. Bien qu'ayant à sa tête un originaire de l'ouest, le parti élargit rapidement son influence dans le centre et l'est du pays - sans doute avec l'aide de ses lieutenants originaires de ces régions - qui deviennent ses fiefs. Les résultats des élections législatives du 2 janvier 1956 indiquent une implantation essentiellement régionale sinon ethnique des partis. Le P.P.N.IR.D.A. est majoritaire dans les cercles de l'ouest: Téra avec 73% des suffrages, Niamey avec 58%, Tillabéry avec 63,5%, Filingué avec 84% et Dogondoutchi avec 70%. L'UDN l'emporte nettement dans le centre et l'est: Maradi avec 72%, Tahoua avec 45,8%, Zinder avec 44% et Tessaoua avec 42%. Initiée et appuyée par l'administration coloniale, la politisation de l'ethnicité a bien commencé avec la génération des politiciens de l'aprèsguerre, et a été favorisée sans doute par le développement des villes. Le phénomène ethnique s'épanouit principalement dans les centres urbains et dans les villages proches des villes abritant différentes ethnies. Là, l'interaction entre les membres des divers groupes ethniques est importante 41 Le groupe des six ressortissants de l'Est est constitué de : Georges Mahaman Condat, Djougou Sangaré, Mamoudou Yaroh, Amani Saley, Nouhou Ibrahim et Brah Dandiné. En ce qui concerne les chefs de canton conviés par le gouverneur, il s'agit des sultans de Zinder et d' Agadez, du chef de province de Maradi, des chefs de canton d'llléla et de Madaoua.
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et I'hostilité entre individus rivalisant devient pratiquement la norme. La concurrence ainsi que l'insécurité sociale et économique renforce les intérêts individuels et égoïstes. Ce sont également les villes qui ont vu naître les premières associations à caractère régionaliste. Face à l'insécurité sociale et à la concurrence pour le contrôle des ressources matérielles, les individus se regroupent par affinité linguistique et socio-culturelle réelle ou apparente. Ces associations connurent un développement spectaculaire surtout après la seconde guerre mondiale42. En même temps qu'elles reposent sur des affmités régionales, elles avaient aussi un caractère corporatiste, social, culturel, sportif confessionnel ou d'entraide. Elles s'arrogèrent des rôles que les syndicats allaient remplir par la suite et jouèrent des fonctions sociales, économiques et culturelles indispensables aux travailleurs. Même les partis politiques à leur début (V.N.I.S et P.P.N) se proposaient d'être des organes d'entraide et d'assistance pour leurs membres (article 2 des statuts du P.P.N). C'est par exemple, l'association qui aide son membre à trouver un emploi, à constituer un petit capital et qui entreprend toutes les démarches nécessaires auprès de l'administration. Ce rôle est toujours dévolu aux "évolués" de l'époque. Certains en profitèrent pour conforter leur position sociale et acquérir pouvoir et influence. D'où le développement de la compétition entre« évolués» pour le contrôle des ressources fmancières et économiques. C'est grâce au contrôle de celles-ci que ce segment de la population va acquérir une position stratégique dans la division sociale du travail, lui permettant d'influencer largement le mouvement social et politique à travers le gouvernement et l'administration et d'imposer sa vision du monde, son mode d'existence et ses aspirations. En effet, les luttes entre factions de cette petite bourgeoisie urbaine favorisèrent également l'apparition, la persistance et le développement de la conscience ethnique. Cette classe, devenue politique, ne 42 Les grands travaux publics réalisés à Niamey au cours de l'exécution des plans de 1947 à 1960 ont entraîné le développement d'un prolétariat urbain important et de petits cadres de métier, venus même des colonies voisines, notamment à l'époque le Dahomey et le Burkina Faso. Cf Institut d'Etudes du Développement Economique et Social (I.E.D.E.S.) : Les investissements publics nationaux et extérieurs dans les pays francophones d'Afrique tropicale, 1946-1960, Paris, 1964. BEAUSSOU (J.J.) : "La planification économique dans la colonie du Niger", Annales de l'Université de Niamey, 1980.
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jouant aucun rôle au niveau de la production et incapable de mobiliser le peuple sur la base d'un programme national, préférait compter sur les affinités ethniques. Au racisme colonial, elle opposait le nationalisme, mais pour contrecarrer la concurrence de ses concitoyens, elle recourait à l'usage du mythe de l'identité ethnique tel qu'il a été préfabriqué par le pouvoir colonial. En effet, la rivalité entre les factions de la petite bourgeoisie s'accentua dès que fut entrevue la possibilité d'autonomie et de leur accès au pouvoir étatique. L'Etat colonial offiait dès lors les possibilités d'acquérir des richesses personnelles et le pouvoir ainsi que la possibilité d'utiliser arbitrairement ce pouvoir et ces richesses. La politique prit alors l'allure d'un jeu de chiffies à plusieurs zéros aux enjeux très élevés et dans la lutte qui s'ensuivit la démagogie ethnique fut considérée comme légitime. Le prébendalisme n'était pas absent du jeu politique dans l'Etat colonial. A l'indépendance, le P.P.N.IR.D.A. qui n'était qu'un parti régional, va tenter d'élargir sa base et de couvrir l'ensemble du territoire selon un schéma d'organisation de masse précédemment décrit. L'ouverture ne fut qu'apparente car pendant 18 ans (de 1956 à la chute du régime), le bureau politique du parti à été entièrement contrôlé par des originaires de l'ouest (zarma, songhay ou mawri) du pays43. Le sawaba, après son interdiction, tenta de soulever les parties centrales et orientales du pays en axant sa propagande sur la caporalisation du pouvoir par cette oligarchie de l'ouest. Quoi qu'il en soit, ce clivage est/ouest a été bien contenu ou du moins étouffé sans doute en raison d'une politique d'intégration des différentes forces sociales et politiques (chefferies, syndicats, jeunesse, anciens combattants, partis politiques etc) au sein du parti unique. La politique de promotion des cadres a été surtout fonction de l'aval du parti unique. Bien entendu, le terroir d'origine joua aussi un rôle souterrain. En évoquant ce clivage est/ouest, certains auteurs font référence à un "partage en quelque sorte tacite des pouvoirs politique et économique et un 43 Le bureau politique était composé comme suit: Président: Boubou Hama; 1er vice-président: Diamballa Maiga; 2èmevice-président: Malam Toulou; Secrétaire général: Diori Hamani; Secrétaire adjoint: Dandobi Mahamane; Secrétaire politique: Courmo Barcourgné; Secrétaire économique: Noma Kaka; Secrétaire social: René Delanne; Trésorier général: Barkiré Halidou; Secrétaire à la propagande: Issa Garba ; Secrétaire de séance: Abdou Gaoh.
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équilibre subtil entre ces deux pôles aux mains respectives des deux principaux groupes ethniques que sont les djermas et les haoussas" (Grégoire, 1990 : 61). Poursuivant son analyse Grégoire écrit: "Un des aspects marquants de la présidence de Seyni Kountché a toutefois été son désir de rééquilibrer le secteur privé nigérien: il considérait en effet que les marchands haoussas avaient un poids trop important dans le pays et qu'il convenait par conséquent d'encourager les commerçants djermas. Ceux-ci dont les capitaux propres étaient insuffisants bénéficièrent de crédits de la BDRN44 et parfois d'une certaine complaisance dans l'attribution de contrats et commandes de l'Etat. Ils ne réussirent toutefois pas vraiment dans les affaires (beaucoup d'entre-eux sont actuellement fortement endettés), faute sans doute de "savoir-faire" et de relations suffisamment étroites avec les Nigérians. Cette initiative, si elle avait été couronnée de succès, pouvait remettre en cause les grands équilibres du pays: la formation d'un groupe de puissants commerçants djermas aurait pu en effet être mal perçue non seulement par les alhazai de Maradi et de Zinder mais aussi dans l'ensemble de l'est du Niger qui aurait alors estimé qu'un certain rapport de force était rompu car les Djermas avaient désormais une position trop hégémonique" (Grégoire, 1990 : 65-66). La thèse est séduisante mais fort dangereuse car elle rappelle étonnamment la classification coloniale tendancieuse avec une approche dichotomique opposant un Niger économique à un Niger politique, un Niger utile à l'autre Niger. Ce serait réduire le problème à l'opposition entre une minorité dominante et une majorité qui lui serait assujettie. Elle n'a aucune réalité politique car depuis l'indépendance les zarma aussi ont acquis une position confortable dans le monde des affaires, tout comme des haoussa ont pu accéder à des postes prestigieux de l'Etat. Enfm, il me semble que les zarma n'aient pas perçu l'accession de Mahamane Ousmane à la magistrature suprême comme une "position trop hégémonique" En tous les cas cette rupture des "grands équilibres" ou du "rapport des forces" s'est opérée sans aucun problème. A l'instar d'autres pays a&icains, le Niger a su mener une politique d'équilibrage ethnique à travers une répartition des portefeuilles ministériels répondant à un souci étudié de dosage des terroirs. Tous les 44 Banque de Développement de la République du Niger. (B.D.R.N.)
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gouvernements sont minutieusement structurés de façon à équilibrer les différents groupes ethniques et régions du pays avec comme principe de base la représentation proportionnelle. Toutefois, on n'est jamais arrivé à des situations extrêmes, constatées ailleurs où l'entrée en fonction d'un nouveau responsable entraîne depuis le planton jusqu'au chef de cabinet, le remplacement de l'ensemble du personnel en fonction d'une appartenance ethnique homogène.
3.3. Ethnicité, crise économique et démocratie L'ethnicité a pris des dimensions nouvelles avec la crise économique et le processus de démocratisation que connaît le Niger depuis la fin des années 1980. On ne peut bâtir une explication satisfaisante du phénomène ethnique qu'en se référant d'abord à la structure socio-économique et politique de la société, et à la concurrence voire la lutte entre les différents groupes pour le contrôle des ressources matérielles et politiques. Du début des années 1990, à nos jours, le Niger a connu une morosité économique et une crise financière d'une ampleur inédite, caractérisées par l'irrégularité des salaires, l'arrêt des investissements et l'annulation de divers projets et commandes qui bénéficiaient au secteur privé et enfin une hausse vertigineuse du coût de la vie suite à la dévaluation du tranc CFA. Au plan politique, on arrive au terme de 30 ans de régimes autoritaires avec un pouvoir militaire aux abois contronté à un profond malaise social matérialisé par une intense revendication démocratique. C'est dans ce contexte de rareté matérielle, de crise aiguë de subsistance, et d'extrême tension politique et sociale qu'apparaissent les premiers partis politiques de l'ère démocratique. Les programmes de ces partis sont souvent identiques et parfois similaires à celui du parti au pouvoir. Dans de telles conditions, la référence à l'ethnie et au terroir est le principal moyen pour les partis de justifier leur existence, faute de rivaliser à partir de programmes.
C'est à l'occasion
de l'ouverture
démocratique
-à
la veille de
la Conférence Nationale - que va se créer un vaste tissu associatif à l'échelle des préfectures, des sous-préfectures, des cantons et des villages regroupant les Ressortissants résidant en ville principalement à Niamey: Association des Ressortissants de Zinder, Association des Ressortissants de Say, Association des Ressortissants de Tibiri etc... Certaines d'entre elles sont déguisées en associations culturelles telle que l'Association Mutualiste et 68
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d'Action Culturelle(AMACA) présidée par Mahamane Ousmane et d'où sortira plus tard la Convention Démocratique et Sociale (C.D.S./Rahama) qui en fait regroupait majoritairement des ressortissants de l'Est à la veille de la Conférence Nationale. C'est à la même période que voit le jour le Club des Amis de Moumouni Adamou Zarmakoye (CAMAD) dont le noyau principal est constitué de ressortissants de l'ouest. Le multipartisme va amplifier cette dynamique d'ancrage au terroir chez les intellectuels, à la faveur de la compétition politique45. D'où, l'éclosion de partis microethniques facilitée par ailleurs par des circonscriptions électorales qui ont un caractère géographique et souvent une certaine homogénéité ethnique. Obtenir l'appui d'un groupe ethnique correspond donc à l'acquisition d'une circonscription politique et le moyen le plus rapide et le plus sûr de s'attirer des partisans consiste à cristalliser leur conscience ethnique. L'inexpérience même de la procédure électorale donne encore plus de poids à la politique ethnique, en instaurant la crainte et l'insécurité et un climat apocalyptique autour de l'élection au scrutin. Certains partis politiques, défendant plutôt les intérêts des haoussa ont brandi l'épouvantail du parti zarma. Le slogan était: "Trois à zéro, ça suffit", en référence aux trois présidents zarma qui se sont succédés au pouvoir. Il semblerait aussi que le slogan "Tchendji" (changement) de la CDS ne visait rien d'autre que l'alternance ethnique. La petite bourgeoisie qui constitue l'élite politique fixe des frontières ethniques régionales et considère ces zones comme des réservoirs d'avantages où seuls ceux d'entre eux qui sont du terroir, de la même ethnie "les fils du pays", peuvent puiser. C'est la logique du terroir, c'est à dire "un ensemble de stratégies de conquête et de conservation des positions du pouvoir au niveau national, mais qui fait du terroir d'origine une carte maîtresse, une rampe de 45 Le phénomène n'a cependant pas eu autant d'ampleur qu'au Bénin, où le milieu rural a pu investir le champ politique depuis une dizaine d'années déjà, grâce à une dynamique politico-sociale d'incitation des cadres à retourner au village initiée par Kérékou et s'articulant avec la création d'associations à base régionale qu'utiliseront plus tard les leaders politiques pour créer leur parti. Alors qu'au Bénin c'est le pouvoir lui-même qui a jeté les premiers jalons de la logique du terroir en 1979 avec l'élection de commissaires du peuple (députés) représentant des terroirs, au Niger, il me semble que c'est le multipartisme qui a amplifié le phénomène sous la houlette des partis politiques. Cf: BAKO-ARIF AR! (N) : "Démocratie et logiques du terroir", Politique africaine, 1995, p. 10-12.
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lancement sur l'échiquier national". (Bako Arifari, 1995 : 8). A tous ceux des autres régions qui veulent également profiter de l'électorat du terroir, on oppose une résistance farouche au nom de l'ethnicité, c'est une donnée permanente du jeu politique. C'est la protection des intérêts du terroir qui fait la force politique des chefs. C'est ainsi que progressivement les liens ethniques remplacent l'allégeance nationale. Les ressources de l'Etat ne sont pas considérées comme le bien commun de l'ensemble des citoyens, mais plutôt comme un gâteau que peuvent partager les groupes ethniques au prorata de leur force électorale. Les masses se laissent prendre au jeu de cette manipulation politico-ethnique et se divisent en camps ethniques dans l'espoir des miettes du gâteau que leur leader respectif va leur envoyer. Dans la mesure où ces camps ethniques s'identifient plus à des groupes spécifiques conscients de la légitimité de leur droit à prendre la part qui leur revient, l'Etat lui-même est considéré comme appartenant à quelques privilégiés et non à l'ensemble des citoyens. On revient, encore une fois, au Wassosso précédemment évoqué. D'ailleurs, la crise institutionnelle qui a ébranlé la troisième République et engendré le coup d'état militaire du 27 janvier 1996, est due à un déséquilibre prolongé dans la répartition des hauts emplois et des richesses entre les divers partis politiques46. Les partis ne bénéficiant pas des privilèges de ce népotisme, ont crié "à l'exclusion". Aussi, constate-t-on que la manipulation de la 46 C'est la cohabitation extrêmement conflictuelle entre le Président Mahamane Ousmane et son Premier Ministre Hama Amadou qui a engendré la crise avec les affiontements quotidiens de deux forces et deux légitimités: le Président et l'Alliance des Forces du Changement! AFC (regroupement des partis de la mouvance présidentielle) d'un côté, la majorité parlementaire et le gouvernement de l'autre. Mais les vicissitudes de la troisième république avaient déjà commencé avec le premier gouvernement. La politique de "partage" a débuté avant même le scrutin du deuxième tour des élections présidentielles de mars 1993, lorsque les neuf partis politiques de l'A.F.C. ont décidé au second tour de soutenir Mahamane Ousmane, d'attribuer le poste de Premier Ministre à Mahamadou Issoufou et de faire élire Adamou Moumouni Djermakoye à la tête de l'Assemblée Nationale. Par la suite, l'opposition conduite par le MNSD/Nassara a protesté contre la marginalisation et l'exclusion de ses cadres de l'appareil d'Etat. Jusqu'au coup d'Etat du 27 janvier 1996, les nominations aux emplois supérieurs de l'Etat ont constitué le principal champ de confTontation entre les acteurs politiques.
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masse du peuple sur une base ethnique ne se fait ni en raison de son ignorance politique ni en raison du système de parenté. Cette manipulation s'opère principalement par des mécanismes économiques. Dans ces conditions, l'accès au pouvoir étatique c'est-à-dire au gâteau est facilité par le recours aux sentiments ethniques lors des élections politiques s'appuyant sur des collèges électoraux ethno-régionaux. Les résultats des premières élections législatives de l'ère démocratique (14 février 1993) montrent une implantation essentiellement régionale, voire ethnique. L'électorat est concentré autour des terroirs d'origine des leaders des partis. L'Alliance Nigérienne pour la Démocratie et le Progrès (ANDP/Zaman Lahiya) de Adamou Moumouni Djermakoye perçue comme le porte-parole des zarma, obtient 83,3% de ses suffiages dans l'Ouest du Niger (Niamey, Dosso, Tillabéry) où est concentré ce groupe de population. La Convention Démocratique et Sociale dirigée par Mahamane Ousmane, considérée comme représentant essentiellement des intérêts haoussa, obtient 63,2% de ses sufttages dans les seules circonscriptions de Maradi et Zinder, bastions du pays haoussa. Près de 50% des sufttages obtenus par le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS- Taraya) proviennent du département de Tahoua d'où est originaire Mahamadou Issoufou, leader de ce parti. Tous les sièges de députés attribués aux départements sont revenus à des ressortissants de ces régions, l'exception étant Niamey la capitale, considérée comme n'appartenant à personne. Aux élections présidentielles du 27 février 1993 (premier tour), chacun des candidats réalise son meilleur score dans sa région d'origine: Moumouni Djermakoye Adamou obtient 43,40% des voix du département de Dosso contre 22,83% à Tandja Mamadou, 17,49% à Mahamane Ousmane et 8,73% à Mahamadou Issoufou. Ce dernier obtient à son tour 40,83% des voix du département de Tahoua contre 1,80% à Moumouni Djermakoye Adam ou, 18,74% à Mahamane Ousmane et 32,96% à Tandja Mamadou. Dans le département de Zinder, Mahamane Ousmane réalise un score sans appel: 63,73% des voix contre 2,46% à Moumouni Djermakoye Adamou, 19,15% à Tandja Mamadou et 6, Il % à Mahamadou Issoufou. Enfin, c'est la circonscription de Zinder dont est originaire Mahamane Ousmane qui lui a permis de triompher au deuxième tour des élections présidentielles (27 mars 1993) avec 118.759 voix d'avance sur Tandja Mamadou alors qu'il en obtient seulement 124.058 de plus que lui au plan national. Le fait démocratique multipartisan s'articule avec la logique du terroir qui détermine dans une large mesure les 71
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formes d'expression des sufITages et aussi les élus. Dans de telles conditions, "voter n'est pas simplement un acte civique d'expression de l'opinion d'un citoyen mais aussi et surtout un acte de solidarité et un rituel de confirmation: confirmation de la solidarité villageoise momentanée en fonction des attentes, confmnation aussi de l'alliance scellée par le fils du terroir avec d'autres représentants de terroir"(Bako-Arifari, 1995 : 18). Le président élu dans un tel contexte ne peut se départir de cette logique. D'où, immanquablement, le partage du "gâteau" entre alliés et l'exclusion des autres. En principe c'est la règle dans toute démocratie car celle-ci implique l'alternance au pouvoir et aux hauts emplois de l'Etat d'une majorité et d'une opposition. Mais la différence fondamentale ici est que l'alternance n'est pas fondée sur un changement de programme politique. Lorsque au cours d'élections libres le citoyen se détermine de façon autonome par rapport à une ethnie et un terroir et non pas par rapport à un projet de société, où est la démocratie et où est l'Etat? Quelles sont les perspectives d'avenir ? En guise de conclusion: bilan et perspectives Les contradictions multiples dont l'Etat du Niger est le lieu, trouvent leurs racines dans I'histoire récente. L'Etat en gestation est mis au défi de trouver des moyens créatifs et positifs pour débloquer la situation actuelle. Ce n'est pas en énonçant quelques formules simplistes que les difficultés seront surmontées. De même, aucun expert ne peut présenter une charte défmitive en vue d'un redressement. On peut, toutefois, avancer quelques réflexions qu'il faut considérer comme une contribution au débat sur la question. Le premier élément de celle-ci est, me semble-t-il, relatif à la configuration de l'Etat auquel aucun des régimes successifs n'a apporté de solution quant aux handicaps hérités de la colonisation. Celle-ci nous a légué un espace confectionné de toutes pièces. Faut-t-il "faire avec ?" On doit plutôt repenser l'organisation de cet espace afm de renforcer les capacités de gestion de l'Etat et laisser s'épanouir la diversité. La tendance actuelle consistant à accroître le nombre de circonscriptions administratives n'est pas de nature à consolider l'intégration politique et économique des régions. Elle aboutit à une prolifération de structures politiques et administratives qui grèvent les
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charges de l'Etat et amène une valorisation des critères ethniques aux dépens des critères nationaux47. Le second élément est la capacité des gouvernants à réconcilier Etat et société par la mise en place d'institutions gouvernementales locales indépendantes et autonomes. Il ne s'agit pas seulement de l'extension de l'autorité centrale au niveau local, mais surtout de la reconnaissance et du soutien des dirigeants locaux authentiquement élus. Cette redistribution des responsabilités doit se faire à un rythme qui permette le renforcement de l'autonomie des initiatives locales, compte-tenu du niveau des revenus dans le pays. Ce sera sans doute l'un des facteurs de promotion et de consolidation de la démocratie. Il faut en effet, renouer avec la tradition a&icaine qui non seulement donne droit mais aussi oblige les citoyens de discuter des problèmes de la cité. La participation des populations constitue aujourd'hui l'un des défis majeurs à la démocratie, même dans les pays développés. Les citoyens veulent être acteurs de leur présent et construire eux-mêmes leur avenir. Dans ce système de gouvernements locaux, les institutions traditionnelles, y compris la chefferie, peuvent jouer un rôle de premier plan. Mais leur contribution au développement du pays dépendra de leur caractère démocratique et de leur degré de responsabilité. Le principe fondamental de la légitimité populaire et la sauvegarde des libertés ne peuvent s'accommoder d'un système basé sur l'inégalité des hommes. Le dernier point a trait aux rapports sociaux et à l'exercice de la citoyenneté. Le sentiment ethnique est un fait réel. On ne peut le nier. Mais il est récent, souvent artificiel et revêt plutôt un caractère instrumental qu'une forme exclusive de l'identification. Ce qu'on appelle ailleurs nations, nationalités ou peuples ressemblent fort à des ethnies, considérées à tort comme une singularité de l' A&ique. On a bien écrit sur l'Europe des ethnies (Héraux, 1971) et sur l'Amérique des ethnies (Sowell, 1983). Si l'administration coloniale a été la première à exacerber les différences ethniques et à initier la politisation de l' ethnicité, il me semble que les 47 L'accroissement du nombre des Etats au Nigéria a été un des facteurs de la crise financière et de la montée du sentiment ethnique. Cf BACH (D.) : "Fédéralisme et modèle consociatif: l'expérience nigériane", in MEDARD (J.-F-), Etats d'Afrique Noire, Paris, Karthala, 1991, pp. 117-140.
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dirigeants et l'élite du Niger post-colonial s'en sont fort bien accommodés. L'explosion urbaine, la situation de pauvreté quasi-absolue et le multipartisme ont aggravé la situation. Le phénomène ethnique, même s'il ne se pose pas ici en termes de conflit, ne constitue pas moins une menace pour la cohésion sociale et la survie de l'Etat, pour trois raisons au moins. D'abord, la politisation de l'ethnicité, loin de s'intégrer à une ''transition'' vers la démocratie, participe à la reproduction et/ou à la consolidation de régimes autoritaires et népotistes régis par le jeu des solidarités familiales, régionales, tribales et autres à l'intérieur de l'Etat. Ensuite, elle bloque, à travers des votes-terroir - commencés sous la colonisation et poursuivis sous la démocratie - les mécanismes de la représentation populaire par l'appauvrissement du débat politique, ce qui menace la cohésion même de la société et son avenir. Enfin, elle inhibe sinon annihile la capacité des individus à exercer leur citoyenneté, c'est-à-dire, non seulement des devoirs et des obligations vis-à-vis de l'Etat, mais aussi des droits sur lui: droits politiquement valorisables, sous la forme de la démocratisation de l'accès aux privilèges de I'Etat (emplois, marchés, etc.) ou de services publics que sont l'accès à l'éducation ou à la santé ou enfin du droit général à la protection, à la sécurité et à l'assistance. Que faire? Comment réduire les insuffisances, les aberrations, les greffes mal acceptées par le corps social? Il n'y a pas de solutions techniques car le Niger, à l'instar des autres Etats afticains postcoloniaux, ne dispose plus ni de la faculté d'agir en toute liberté, ni des moyens de concevoir, fmancer et mettre en oeuvre, de façon autonome, de véritables projets sociaux ou des politiques sociales. Jusqu'aujourd'hui encore, on pense que la "modernisation" entamée depuis la colonisation et poursuivie avec la mise en oeuvre de politiques néo-libérales, préconisées par les institutions financières internationales, aboutirait à un bien-être général et consoliderait la structure de l'Etat. Par exemple, l'urbanisation, la scolarisation, la communication, les facilités de transport conduiraient à l'intégration de divers groupes ethniques. Rien de tel ne s'est produit et force est de constater que l'attache ethnique a non seulement subsisté mais s'est amplifiée. Même le passage à la démocratie et au multipartisme n'a rien changé. Le pays est l'un des plus pauvres de la planète et l'Etat a atteint un niveau de déliquescence avancé. Il n'y a pas non plus de solutions sectorielles car dans l' Attique d'aujourd'hui, les affaires sociales et
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politiques sont, en même temps, des affaires économiques. Faut-il sombrer dans l'afro-pessimisme? Assurément non. De tout ce qui précède, il ressort que l'ethnicité n'est que la traduction du problème politique dans son ensemble. La résolution du problème politique sera, sans doute, la meilleure façon de la réduire. Car c'est une question de pratique politique, d'éducation et de génération. Question de pratique politique parce que c'est toujours l'élite qui manipule le sentiment ethnique pour se rendre crédible, pour se faire élire. C'est cette élite qui se positionne sur des bases crypto-personnelles plus que sur les bases d'intérêt national et qui bloque l'appareil d'Etat. L'élite doit poser le problème de sa propre responsabilité devant l'Histoire. On doit arriver à inventer l'équivalent de ces fonctions publiques européennes se situant au-dessus de la mêlée et qui constituent la plus solide base de l'indépendance de l'Etat: corporations fermées sur elles-mêmes, maîtresses de leur propre recrutement, pourvues d'une idéologie de l"'intérêt général" qui justifie leur liberté d'action vis-àvis de tous les "intérêts sociaux". Il y'a là aussi une question d'éducation car il a été prouvé qu'un système d'enseignement intégré et démarqué de I'héritage culturel colonial peut avoir des retombées positives sur l'identification à la nation et non à l'ethnie dans les zones rurales, contrairement aux milieux urbains48. En effet, un système éducatif profondément ancré dans le terreau national et orienté vers la solution de ses problèmes, une réconciliation de l'enfant avec son milieu et aussi son environnement, constituent sans doute un moyen efficace pour connaître et aimer son pays et participer plus tard à son développement. Enfm, une question de génération. La génération actuelle de dirigeants et de cadres doit se départir du mimétisme aliénant dans lequel s'est installé la précédente issue de la décolonisation et qui a conduit en droite ligne à une politique d'assimilation. Gouverner et développer ne signifient ni la transposition de systèmes politiques et sociaux conçus ailleurs pour d'autres réalités culturelles ni la satisfaction de besoins immédiats. Ces manières de diriger ont créé la césure entre les gouvernants et les populations. La génération actuelle doit se dégager de la contrainte du modèle occidental, de placages mal compris et mal adaptés et commencer à ré-interroger et redéfmir les 48 Voir à ce propos, GREY (R.): "Determinants of national identification in Ethiopia, a research note ", The African Review, vol. ill, N° 1, 1973.
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concepts, c'est-à-dire les fondements mêmes du pouvoir et du développement. Cela doit commencer - il était grand temps - par une interrogation sur les logiques sociales et culturelles dans la réalité contemporaine du Niger et une réévaluation de nos valeurs traditionnelles afin de privilégier celles qui sont porteuses de renouveau et de progrès. On devrait oublier l'utilisation abusive qui a été faite du fait ethnique (ethnisme ou tribalisme, ethnicité ou tribalité) et retenir ce qui en fait une richesse inhérente à la diversité des cultures. Il s'agit d'accoucher de constitutions neuves, innovantes, reposant sur un principe fondamental: la conciliation de l'unité et de la diversité. C'est un défi à nos juristes. Le réalisme impose de partir de la complexité du social pour affirmer l'impératif du pluralisme dans tous ses aspects: culturel, social, politique, économique, juridique. Concilier unité et diversité veut dire modifier la forme de l'Etat pour l'ajuster aux réalités sociales. Cela implique aussi une nouvelle gouvernance à l'intérieur de laquelle s'épanouissent des institutions (celles de la puissance publique et celles de la société civile) qui permettent de surmonter les contradictions multiples de l'Etat aujourd'hui. C'est la première étape pour surmonter les crises institutionnelles, économiques et sociales, réduire les heurts corporatistes et les revendications identitaires, tous ces maux qui menacent l'idée même de la République et de l'intérêt commun. C'est la condition pour relever le grand défi d'aujourd'hui: assurer à la fois la stabilité politique et le développement économique. Le régime autoritaire est d'emblée disqualifié. Reste le régime démocratique. Mais quelle démocratie? Contrairement à ce qui a existé pendant longtemps au Niger, la démocratie ne se réduit pas simplement et seulement à l'alternance au pouvoir ou aux aspects juridico-politiques d'ailleurs trop souvent empruntés à des systèmes étrangers. La démocratie ne se décrète pas. Elle est le résultat de luttes sociales. La démocratie est une pratique, une pratique politique et sociale qui s'inscrit dans la longue durée. Elle ne suit pas une évolution linéaire; elle a des hauts et des bas. Elle n'est jamais définitivement acquise. C'est un processus permanent de construction et de reconstruction. C'est une opération de conquête permanente contre le pouvoir, lorsqu'on est dans l'opposition, mais surtout contre soi-même lorsqu'on possède le pouvoir. Dans ces conditions, elle doit être appréciée comme un moyen et avoir une valeur en soi; une valeur philosophique, c'est-à-dire des exigences
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intrinsèques. Il reste à inventer la démocratie économique, la démocratie sociale, la démocratie culturelle. Bref une démocratie véritablement représentative qui réconcilie l'élite avec le peuple, et procède d'un examen des rapports sociaux réels, une démocratie authentique qui tient compte du vécu historique, de la culture démocratique et de la mentalité institutionnelle du citoyen, car tous les grands flux politiques et idéologiques projetés de l'extérieur ont été impuissants à résoudre les problèmes du Niger. Enfin, une démocratie dynamique, tournée vers l'avenir et ouverte sur le monde extérieur. Cela suppose la rupture avec une démocratie clientéliste basée sur le "vote terroir", la négociation et l'achat des consciences, la rupture avec une démocratie de chasseurs de prébendes qui bloquent une évolution harmonieuse des institutions et une participation populaire massive, consciente et responsable.
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au Niger
Par Mahaman TIDJANIALDUI Docteur en sciencepolitique L'intitulé de cette étude, si l'on ne prend garde, pourrait prêter à confusion. En effet, formulé tel quel, il peut laisser supposer l'existence d'une certaine spécificité de l'Etat nigérien qui le différencierait des autres Etats africains. Il peut aussi donner à comprendre qu'un clivage net et une rupture indiscutable existent entre l'Etat colonial et l'Etat post colonial. Au demeurant, cette dernière supposition semble connaître une certaine fortune chez certains spécialistes de la politique africaine qui reconnaissent volontiers des traits autonomes et spécifiques à l'Etat africain post colonial2. Pourtant, même si de tels débats paraissent dignes d'intérêt, et pertinents dans leurs analyses, l'ambition ici affichée reflète surtout le choix d'étudier l'Etat issu des indépendances africaines des années 603. Ce qui n'exclut nullement dans le déroulement de cette recherche les inévitables incursions dans la période pré-coloniale et dans la période coloniale. Il va de soi qu'en raison de l'état actuel des connaissances sur la question, il ne sera guère possible d'en attendre des résultats défmitifs. Tout au plus, se fixera t-on pour le moment des visées exploratoires et, dans la mesure du possible, tentera t-on des systématisations partielles pour mieux cerner la dynamique de l'Etat au Niger. Cependant cette prudence préalable ne doit pas occulter le fait qu'en sciences sociales, de manière générale, la question de l'Etat suscite un intérêt certain. L'histoire demeure assurément son site le plus fécond, si l'on I Je remercie J.P. Olivier de Sardan, Nassirou Bako Arifari et Mamoudou Gazibo pour leurs remarques et suggestions. 2 Mbembé, A, Notes provisoires sur la post-colonie, in Politique Africaine, 1996 ou encore Mwayila, T, De l'Etat post-colonial à l'Etat-espace. Contribution à la théorie générale de l'Etat., in Afrique 2000, mai 1991. Ces deux auteurs se sont en effet lancés dans la caractérisation de l'Etat amcain post colonial. 3 Bénot, Y, Indépendances africaines, 2 volumes, Paris, Maspéro, 1975.
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en juge par certaines recherches récentes effectuées sur le terrain européen4. La question n'en reste pas moins étudiée en Afrique5. En effet, l'Etat africain a largement été investigué par les chercheurs. On peut sans conteste affirmer que c'est un sujet favori de la science politique. Naguère perçu, sous l'impulsion des théories développementalistes, comme un élément moteur dans le processus de développement économique et social, il s'est posé ces dernières années, sous la poussée de la pensée libérale, des questions sur sa place et son rôle dans la société6. Au Niger, la question de l'Etat revêt un intérêt tout particulier pour le chercheur en science politique. En effet, bien que l'Etat soit devenu une réalité incontournable au sein des sociétés nigériennes, peu d'études lui ont été consacrées. Les chercheurs qui ont abordé la question ne l'ont traitée qu'en biais, à travers d'autres objets. Aussi tout bilan de la recherche sur l'Etat au Niger devra nécessairement opérer une revue systématique de l'ensemble des travaux déjà effectués en sciences sociales afm d'y repérer des «traces d'Etat». Un tel exercice, pour fastidieux et laborieux qu'il puisse paraître de prime abord, demeure possible. Bien que la recherche en sciences sociales se soit peu développée au Niger, il existe néanmoins une historiographie assez importante par la qualité et la quantité des données qu'elle rapporte sur le Niger au XXème siècle. En termes de sources, il serait possible de distinguer plusieurs catégories: les recherches en sciences sociales proprement dites: qu'il s'agisse de 4 Cf: pour des références récentes, Sahlins P, Frontières et identités nationales. La France et l'Espagne dans les Pyrénées depuis le XVII ème siècle. Paris, Belin, 1996. Schulze H. Etat et nation dans l'histoire de l'Europe, Paris, le Seuil, 1996. 5 Dlukoshi AD, Laakso L.(eds.) Challenges to the Nation-State in Africa, Nordiska Afrikainstitutet, Uppsala, Motola, 1996. 6 Qu'on pense au numéro récent de Politique Africaine: Besoin d'Etat, Politique Africaine, n061, mars 1996. TIfaut dire que le débat sur le rôle de l'Etat a été suscité et encouragé par les bailleurs de fonds comme la Banque mondiale. TIfaut aussi faire référence au dernier rapport de la Banque Mondiale qui est fort significatif à cet effet. Cf: Banque Mondiale, Rapport sur le Développement dans le Monde, L'Etat dans un monde en mutation, Washington, 1997.
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travaux d'universitaires, sur l'histoire de la colonisation 7 ou sur des thématiques particulières, notamment celles qui abordent des politiques publiques bien définies8, on trouve là une source de références qu'aucune recherche sur l'Etat ne pourrait se permettre d'occulter. Quant aux ouvrages de vulgarisation, s'ils traitent du Niger dans sa globalité, ils abordent nécessairement l'Etat en traitant des questions diverses relatives notamment aux institutions politiques et administratives. A partir de celles-ci, on peut non seulement situer les différentes étapes du développement de l'Etat, mais aussi les formes particulières de la dynamique de sa production. Enfin, les mémoires et souvenirs d'acteurs politiques constituent des sources d'un autre type qui, bien que peu développées, constituent un réservoir fort utile où l'on trouve des informations parfois inédites et complémentaires aux sources précédentes. On avait déjà les mémoires d'anciens administrateurs coloniaux.9 Ce répertoire s'enrichit aujourd'hui de ceux des personnalités ayant occupé au sein de l'Etat des positions importanteslO. Ces dernières sources permettent d'avoir accès au point de vue des acteurs et d'obtenir ainsi des données inédites. C'est fort de ces sources que je vais tenter de faire ressortir, à la lumière des hypothèses mises à jour par la sociologie de l'Etat, les spécificités de la trajectoire de l'Etat nigérien post colonial, à travers notamment sa 7 cf Salifou, A, Colonisation et sociétés indigènes au Niger. De la fin du XIXè siècle au début de la deuxième guerre mondiale. 2 volumes, thèse d'Histoire, Université de Toulouse Le Mirail ,1977. Idrissa, K., La formation de la colonie du Niger (1880-1922): des mythes à layolitique du «mal nécessaire »,6 volumes, thèse de doctorat d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines, Université de Paris7, 1987. Fuglestad, F, History of Niger, 1850-1960, Cambridge University Press, 1983. 8 Cf Tidjani Alou, M. S, Les politiques de formation en Afrique francophone. Ecole, Etat et sociétés au Niger, 2 volumes, thèse de sciences politiques, Université de Bordeaux 1, 1992. 9 Delavignette, R, Le service africain, Paris, Gallimard, 1946 10 Par exemple, Mayaki, A, Les partis politiques nigériens de 1946 à 1958: Documents et témoignages, Niamey, Imprimerie nationale du Niger, 1991. Kaziendé, L, Souvenir d'un enfant de la colonisation, Niamey, LEP Issa Béri, 6 volumes.
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configuration particulière, son mode de fonctionnement et le rythme de sa transformation dans un espace international de plus en plus globalisé. Cette orientation n'est pas neutre. Elle connote une distance par rapport aux thèses évolutionnistes et développementalistes dans ce qu'elles ont de téléologiques. L'Etat ne sera guère considéré comme une fm organisationnelle à laquelle les formes d'organisation politique observables dans les pays africains devront nécessairement tendre. Il faut aussi comprendre ce choix comme un refus de s'inscrire dans certaines perspectives à la mode qui nient l'existence de l'Etat en Afrique. Ici, il s'agira de considérer qu'avec la colonisation un processus de construction étatique s'est enclenché et s'est poursuivi après l'indépendance sans que l'on observe une rupture fondamentale entre les deux périodes. Il est clair qu'à ce niveau chaque situation imprime ses spécificités et son rythme. Et c'est dans cet esprit que nous avons voulu situer cette recherche. Il serait impossible ici de s'adonner à une revue des résultats de la sociologie de l'Etat dans leur ensemble. On ne retiendra tout au plus que ses principales hypothèses, desquelles on postule une valeur heuristique, féconde pour l'analyse de la dynamique de l'Etat post colonial au Niger. On sait à cet égard que l'Etat nigérien n'est pas l'aboutissement d'un processus endogène. Il n'est pas né d'un processus interne de différenciation et de monopolisation du pouvoir comme ce fut le cas dans certains pays européens
bien connusIl. Il ne s'est pas non plus greffé, comme au Burundi, sur un Il A propos de la France, N. Elias, dans son ouvrage, La dynamique de l'occident, Calmann Levy, 1975, montre que l'Etat est la résultante de l'effet de composition de la guerre que menaient les seigneurs les uns contre les autres: l'élimination des plus faibles par les plus forts a provoqué une réduction radicale du nombre des unités politiques en compétition et une augmentation corrélative de leur dimension. Ce changement d'échelle de la compétition politique a entraîné à son tour l'émergence progressive de la notion de public opposé à celle de privé et partant d'un Etat centralisé. D'autres auteurs ont, pour leur part, insisté sur le rôle fondateur de la guerre ou encore du capitalisme. c£ Tilly C, Capital et contrainte dans la formation de l'Europe, 990-1990, Paris, Aubier, 1990. c£ également J.F. Médard (sous la direction) Etats d'Afrique noire: formations, mécanismes et crises, Paris, Karthala, 1991. Voir notamment, la conclusion de l'ouvrage, p355 et suivantes. Pour des développements plus détaillés sur la sociologie de l'Etat, voir B Badie et P Birnbaum, Sociologie de l'Etat, Paris, Grasset, 1979. Ce dernier ouvrage, bien que 88
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pôle interne préalablement unifiél2. Il a dû se constituer, comme bien d'autres Etats, en assemblant
une mosaïque de sociétés différentes
Al' origine, l'Etat nigérien s'identifiait
13
.
à une structure particulière de
pouvoir incarnée par une autorité14, en l'occurrence l'autorité coloniale, qui tentait d'imposer sa domination sur les ensembles sociaux qui occupaient l'espace nigérien. Il fallut pour cela user de procédés divers: guerres, reterritorialisation et autres actions multiples. Ce ne fut que progressivement qu'il prit une forme plus « conventionnelle », sans qu'on puisse affirmer qu'il soit devenu une réalité indiscutable. A cet effet, la science politique regorge de sobriquets qui soulignent les doutes émis par différents auteurs, quant à l'existence même de l'Etat africain. Ces réactions sont souvent déduites d'analyses de situations singulières et conjoncturelles qui sont ensuite abusivement élargies à l'échelle continentale. Certains chercheurs vont parfois jusqu'à s'interroger sur la pertinence d'un tel objet d'étude. Loin d'emboîter le pas à ce type de démarche, on préfère lui substituer une autre qui admet d'emblée que « l'Etat présente une certaine réalité en
Afrique» 15, en dépit des crises qui le secouent celles-ci pouvant se situer dans la perspective plus large d'un processus d'étatisation
16.
D'une manière générale en Afrique, ce processus se présente comme une tentative d'« unification des marchés politiques pré-coloniaux », enserrés à l'intérieur de frontières bien délimitées sous l'action volontariste d'un pouvoir colonisateur. Cette unification s'apparente à «un processus de daté, constitue une somme incontestable de références fort utiles pour qui veut aborder l'Etat dans une perspective sociologique. 12 Pabanel J.P, Le Burundi, un Etat d'origine traditionnel, in JF Médard, 1991, op. cit, p.277 13 Lacoste, Y, Géopolitiques internes en Aftique, Hérédote, n046, 1987. 14 Cette autorité fut d'abord militaire. Elle se «civilisa» progressivement avant d'être appropriée par les élites autochtones. 15 Médard, JF, 1991, op cit. 16 Ibid.
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formation d'une communauté politique à partir d'entités qui, auparavant, n'avaient pas ou peu de liens politiques». « Cette intégration entamée sous la colonisation et toujours en cours, est une dimension du processus général de la formation de l'Etat post colonial» 17.On a donc affaire ici à une figure imposée « de l'extérieur par l'extérieur», ce qui implique, au départ tout au moins, l'idée d'une rupture culturelle induite par l'imposition d'une structure exogène de domination. Dans cet esprit et pendant longtemps, l'Etat a été analysé comme un pur « produit d'importation »18, une « pâle copie» du modèle géniteurl9. Mais les analyses s'acheminèrent assez rapidement vers la prise en compte des dynamiques endogènes20. Cet apport semble avoir été suscité par une utilisation plus systématique, en science politique, de certains résultats de la recherche anthropologique appelant à la prise en compte de la triple histoire des sociétés afticaines : pré-coloniale, coloniale et post coloniale21 . De fait, il devient clairement établi aujourd'hui que l'Etat, né de l'histoire européenne, « apparaît comme le seul type d'organisation politique possible 17 Bakary, T, Côte d'Ivoire, l'étatisation de l'Etat, in Médard, p.60 18 Badie B, L'Etat importé. L'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992 19 Badie B et Binrbaum, p1979. 20 Faure Y.A, De l'édification institutionnelle à la construction de l'Etat en Afrique noire, thèse de doctorat soutenue sur un ensemble de travaux, 1982.cf en particulier le dernier chapitre présentant une synthèse des différentes publications. 21 Balandier G, Le contexte sociologique de la vie politique en Afrique Noire,Revue française de science politique, XI (3), septembre 1959, p598-609. L'auteur utilise la même démarche pour l'analyse des classes sociales en formation, in Sens et puissance, PUF, 1982, p266-281. Cet appel reçut quelques échos: en 1972, Coulon fait remarquer qu' «en Afrique noire, le système politique nouveau n'affecte pas dans son entier l'espace politique de la société ». Coulon C, Système politique et société dans les Etats d'Afrique noire. A la recherche d'un système conceptuel nouveau, Revue française de science politique, oct 1972, pl 050-1 051. Et rappelons avant lui, la distinction introduite par Zolberg entre les secteurs modernes et les secteurs résiduels. Cf Zolberg, A, The structure of politique conflict in the new states of tropical Africa, American Political Science Review, mars 1968, p70-87.
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dans un contexte international qui constitue avant tout un système d'Etat ». Et à ce niveau, le processus de sa formation n'a aucune influence. A propos du champ a:&icain, l'étatisation est analysée comme directement liée au processus de colonisation et de décolonisation. Cette approche présente le double avantage d'associer la problématique de l'Etat importé à celle de son appropriation par les acteurs politiques autochtones à qui l'on reconnaît désormais une autonomie relative22. Il convient de préciser qu'il ne s'agira pas ici d'évaluer les performances de l'Etat nigérien, et encore moins d'en livrer un plaidoyer légitimateur. Cette recherche s'acharnera plutôt à éclairer la dynamique de l'Etat postcolonial au Niger dans une perspective qui se veut historique et hors de toute téléologie développementaliste. Deux axes orienteront nos analyses. Ces axes constituent des hypothèses de travail suffisamment admises par la sociologie politique de l'Etat23 pour servir de points d'ancrage à l'analyse qui va suivre. D'un coté, l'Etat s'incarne dans des institutions qui le symbolisent, le distinguent des autres et rendent son action effective. L'analyse de sa dynamique prendra forme, dans cette hypothèse, à travers l'étude de son processus d'institutionnalisation. D'un autre coté, l'Etat ne prend forme qu'à partir du moment où il se distingue clairement des sociétés sur lesquelles il impose sa domination. L'analyse de sa dynamique dans ce senslà se confondra avec l'étude de son processus d'autonomisation.
1.
Dynamique de d' institutio nnal isation
processus
et
l'Etat
Une défmition de l'Etat, devenue aujourd'hui classique, pourrait servir de point de départ à cette analyse. Pour Weber, «l'Etat est une entreprise politique de caractère institutionnel lorsque, et tant que sa direction administrative revendique avec succès le monopole de la contrainte physique 22 Cf Médard,
1991, p358
23 Badie B et Birnbaum introduisent pp 49-108.
P,
1979,
notamment
toutes
les
discussions
qu'ils
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légitime. »24. Notre problème ici n'est pas de transposer cette défmition pour le cas singulier de l'Etat nigérien, mais plutôt de comprendre le processus par lequel cet Etat essaie d'accéder à cette position de monopole. Comment arrive-t-il à concentrer « différentes espèces de capitaux, capital de la force physique ou d'instruments de coercition (armée, police), capital économique, capital culturel ou, mieux, informationnel, capital symbolique, concentration qui, en tant que telle, constitue l'Etat en détenteur d'une sorte de méta-capital, donnant pouvoir sur les autres espèces de capital et sur leurs détenteurs »25. L'analyse du processus d'institutionnalisation de l'Etat post colonial au Niger privilégiera donc deux axes interdépendants: d'une part, l'Etat nigérien s'institutionnalise à travers la formation et l'organisation d'un espace qui lui sert de point d'ancrage territorial; d'autre part, son institutionnalisation prend forme à travers la mise en place progressive d'une structure bureaucratique qui lui permet d'exercer ses prérogatives de puissance publique.
1. 1. La formation d'un espace nigérien C'est donc d'abord la conférence de Berlin de 1885 et ensuite les accords successifs entre la France et la Grande Bretagne en vue de la délimitation de leurs zones d'influence respectives en Afrique centrale qui serviront de base à l'établissement des limites territoriales de l'Etat du Niger26. 24 Weber M, Economie et société, Plon, Tome 1, 1971, p57 25 Bourdieu P, Raisons pratiques. Sur la théorie de l'action, Le Seuil, 1994 26 Voici la liste des différents accords:
-Accord ftanco-anglais
de 1890 (déclaration du 8 août 1890) qui avait fixé dans leurs grandes lignes les zones d'influence respectives de la France et de la Grande Bretagne en Attique Centrale.
- Convention
de Paris du 14 juin 1894 précisant les limites respectives des zones d'influence des deux puissances.
- Convention de Londres de 1904 portant fixation de nouvelles limites. - Convention de Londres du 29 mai 1906, officialisant le tracé actuel des ftontières du Niger, qu'une mission ftanco-anglaise, dirigée par le Major O'Sheez et le Capitaine Tilho, allait préciser et borner. 92
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Tous les peuples établis sur les espaces territoriaux se trouvaient ainsi enserrés spatialement sous une domination unique correspondant à celui qu'occupera plus tard le Niger. Certains de ces peuples ont pu appartenir à un même ensemble politique à un moment donné, mais beaucoup d'entre eux relevaient de centres politiques indépendants les uns des autres. C'est donc une nouvelle dynamique qui s'enclenche autour de l'Etat et qui tente d'asseoir les bases d'un nouvel ordre. Ainsi, ce processus de centralisation qui donnera plus tard naissance à un Etat de type unitaire, ou tout au moins qui en a la vocation, se cristallisera assez rapidement par la mise en place d'instruments de gestion administrative, orientés vers la domination effective des espaces conquis et leur mise en valeur proprement dite. C'est ainsi que furent d'abord superposées de nouvelles structures de pouvoir sur les entités préexistantes. Elles-mêmes furent recomposées sur de nouvelles bases. 1.1.1. La superposition
de nouvelles
structures
de pouvoir
Au-delà de la structure initiale de domination qui fut installée dans le centre qui allait devenir la capitale27, la puissance coloniale s'attacha à imposer des normes de pouvoir entièrement nouvelles. Les principes et les méthodes mis en œuvre, comme l'observe R. Pourtier pour le Gabon, relèvent d'une raison territoriale d'État dont l'application représente un transfert pur et simple du modèle français. L'indépendance n'a apporté sur ce plan aucune rupture fondamentale 28. L'Etat post colonial n'a fait qu'emboîter le pas de la structure qui l'a précédé. La logique ici est celle de l'encadrement progressif du territoire par sa fragmentation sur le plan administratif à travers une occupation systématique du territoire. C'est dans ce sens que furent implantés les centres qui allaient servir de point d'appui à l'Etat dans ses entreprises de pénétration territoriale. Ces 27 Je fais référence ici exclusivement aux structures centrales du pouvoir, telles qu'elles découlent de la constitution: le gouvernement de la république, au sens que lui donne J.L Quermone, Le Gouvernement de la France sous la Vème république, Paris, Dalloz, 1983 28 R Pourtier, p346.
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centres, d'importance variable, devaient contrôler en principe des espaces territoriaux plus restreints, à savoir les cercles et les secteurs qui les composent. En 1919, les secteurs furent remplacés par les subdivisions. Cette organisation territoriale en cercles et subdivisions sera maintenue jusqu'en 1964. De nouvelles dénominations voient le jour. Les départements remplacèrent les cercles et les anciennes subdivisions deviennent des arrondissements. On institue par ailleurs des communes. Les départements sont dirigés par les préfets, nouveau titre octroyé aux commandants de cercles. Les préfets représentent l'autorité de l'Etat à l'échelle du département et exercent à ce titre un pouvoir de tutelle sur l'ensemble des collectivités territoriales par le biais des sous-préfets, maires et chefs de poste, nommés à cet effet à la tête des arrondissements, des communes et des postes administratifs. A l'échelon inférieur, se trouvent les anciennes entités pré-coloniales recomposées dans de nouvelles formes plus appropriées aux perceptions et aux intérêts des nouveaux dominants. 1.1.2. La recomposition
des espaces
pré-coloniaux
Cette recomposition ne fut pas automatique. Elle se fit progressivement au rythme de la mise en domination. On sait qu'elle fut lente. Hormis les poches de résistance, l'administration coloniale, jusqu'en 1930, et même plus tard, ne réussissait toujours pas à contrôler en profondeur les régions conquIses. Evidemment, on gardera à l'esprit le caractère hétérogène des espaces précoloniaux, qui n'avaient ni la même forme d'organisation, ni la même importance politique. Il en découlait des conséquences sur le type de recomposition qui s'opéra. Deux catégories d'effets de recomposition sont repérables dans ce processus: des effets politiques et un effet institutionnel.
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1. 1.2. 1. Les effets politiques Le premier effet politique de cette recomposition des espaces pré-coloniaux fut la rupture des allégeances préexistantes. Cette rupture s'est traduite par l'institutionnalisation de nouveaux rapports centrés autour du pouvoir colonial qui devient ainsi le suzerain suprême. Ainsi les anciennes périphéries à logique guerrière comme le Damagaram29 quittent le giron bornouan, et perdent leur souveraineté sur les espaces qui leurs étaient tributaires. De même, les dépendances de Sokoto furent ralliées au nouveau pouvoir, comme le furent celles du Bornou situées à l'extrême sud-est du Niger. Quant aux zones instables, c'est-à-dire celles qui étaient dans une situation de conflits perpétuels, elles fmirent par être soumises au nouveau pouvoir . L'une des manifestations de ce changement d'allégeance fut, pour le colonisateur, de s'arroger le pouvoir de nommer les chefs locaux, prérogative qui relevait jusqu'alors, soit des attributions des anciens suzerains, soit des coutumes locales. Dans le premier cas par exemple, le souverain du Bornou perdit son pouvoir de nommer ou d'adouber les rois des entités politiques qu'il dominait. La situation du Damagaram est très significative à cet égard. Le contrôle de la zone par le pouvoir colonial est allé de pair avec la nomination d'un nouveau chef, sensé être plus favorable à sa cause30. On pourrait relever d'autres exemples semblables repérables dans toutes les régions du Niger. La même logique s'imposa également dans le cas où la nomination du chef rélevait d'une tradition avérée. C'est ainsi qu'à Dosso, dans le Zarmatarey, la première nomination faite par le pouvoir colonial en 1902, mis fin à la pratique rotative qui consistait à choisir alternativement les rois parmi les 29 C'est nous qui avions introduit, à propos du Damagaram, la notion de périphérie à logique guerrière, voir Tidjani Alou M.S, 1992. Voir aussi, du même auteur L'espace nigérien et ses Etats, à paraître. 30_
C'est le colonisateur qui nomma Amadou Dan Bassa à Zinder pour remplacer son frère Amadou Kouran Daga, tout comme il fit nommer Barmou à la tête du sultanat de Tessaoua en remplacement de son frère Mijinyawa
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chefs de famille des différents lignages issus de l'ancêtre fondateur en l'occurrence Boukar et son fils Bouyaki. Il s'établit de fait une nouvelle forme de légitimité, basée sur la reconnaissance de l'autorité du pouvoir colonial. Cette situation plaçait les chefs devant une double alternative: Soit le chef s'y soumettait, soit il était destitué et remplacé par un autre jugé plus efficace pour appuyer la nouvelle politique. En tout état de cause, il s'agissait, comme l'observe E. De La Tour pour l'Aréwa, de mettre en place un pouvoir local parfaitement adapté aux besoins de l'Etat colonial tout en gardant ses racines sociales traditionnelles. Le second effet politique, qui est d'ailleurs concomitant au premier, s'inscrit dans le processus de monopolisation de la violence par le pouvoir colonial. En instituant son ordre et en obligeant les souverains locaux à se soumettre, le colonisateur, et plus tard ses successeurs à la tête de l'Etat post colonial, mirent fin aussi aux logiques de guerre et de prédation qui avaient structuré l'espace nigérien au XIXe siècle. Les conséquences d'une telle recomposition ne furent pas uniformes. Dans certains cas, le résultat immédiat fut de mettre fin à des guerres. Dans d'autres, il permit de rompre avec les rapports tributaires qu'entretenaient certaines entités entre elles suite à des guerres. Ainsi, se trouvaient sapée une des bases importantes sur lesquelles reposait l'économie. L'abolition de l'esclavage lui donne le coup de grâce. Ainsi, on peut considérer que la monopolisation de la violence participe du processus de centralisation du pouvoir d'Etat colonial et post colonial qui, dans sa démarche unificatrice, établit un nouveau rapport tributaire La prétention de cette démarche est de lier le nouvel Etat aux populations des espaces qu'il a conquis. Le pouvoir d'Etat institue aussi de manière solennelle ses emblèmes d'identification qui le distinguent symboliquement des autres Etats dans les relations internationales. Il rend aussi l'usage de ces symboles exclusifs sur son espace de domination. Dans l'Afrique des indépendances, ces emblèmes
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qui s'assimilent à des espèces d'actes de naissance, comprennent un hymne national, un drapeau, des armoiries et une devise31. Dans cette perspective, les souverains soumis ne pouvaient que servir d'intermédiaires attitrés de l'Etat dans ses prétentions hégémonistes. Le pouvoir d'Etat s'impose donc en nouveau pouvoir, unique et centralisé, seul autorisé à nommer les chefs locaux32. Il se pose aussi en destinataire unique des impôts que ceux-ci seront amenés à prélever. De même, l'Etat circonscrit les limites de l'espace territorial qu' il leur a octroyé. Cette recomposition des espaces précoloniaux fut par conséquent cadrée dans des institutions déterminées. 1. 1.2.2. Les effets institutionnels La soumission des anciennes entités politiques au pouvoir colonial généra une nouvelle carte politique. Certaines entités furent carrément dissoutes et d'autres furent créées, sans toujours reposer sur une base préexistante33. C'est ainsi que les institutions politiques pré-coloniales furent uniformisées dans le nouvel étau de la chefferie administrative, comme le relais ultime du pouvoir colonial34. 31 Pour le Niger, l'article 1 et 2 de la constitution de la 4èmeRépublique donne des détails sur ces aspects de la symbolique de l'Etat. 32 Séré de Rivières E, La chefferie au Niger, Revue Penant. 1967. L'auteur montre comment certaines missions de reconnaissance ont procédé à la désignation de certains chefs. La pratique ne fut pas fondamentalement remise en cause. 33 Séré de Rivières E, Histoire du Niger, Paris, Berger Levrault, 1965. TI est intéressant de lire les pages de l'ouvrage sur la formation des unités territoriales, notamment les développements que l'auteur consacre à la recomposition des espaces pré coloniaux, telle que le colonisateur l'opéra au début de la période coloniale. Voir p207-257. Une telle recherche devrait être systématiquement poursuivie pour montrer le processus d'accaparement et d'institutionnalisation du pouvoir d'Etat sur les espaces territoriaux précoloniaux. 34 J.P. Olivier de Sardan, Les sociétés Songhay-Zarma, p.213. Selon Olivier de Sardan, le terme chefferie fut utilisé par les premiers explorateurs et conquérants pour désigner les institutions politiques qu'ils avaient trouvé sur place. Le terme
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J. Lombard distingue trois niveaux de chefferie 35 :
-
Les chefferies supérieures, dont les titulaires furent, sauf cas exceptionnels dans les débuts, dénués de tout pouvoir administratif Ils furent considérés par le pouvoir colonial comme des notables, dont l'influence et le prestige coutumiers étaient suffisamment grands, pour qu'ils aient droit à sa reconnaissance officielle. Cette reconnaissance se traduisit par l'attribution d'une pension, à l'exclusion de tout autre privilège. - Les chefferies de canton dont les titulaires détinrent les seuls pouvoirs d'administration territoriale accordés par le colonisateur à une autorité africaine. Les pouvoirs ne furent définis avec quelques précisions que plusieurs années après et dans les débuts se limitèrent à ceux accordés à un agent fiscal. Le chef de canton fut considéré avant tout comme un exécutant intermédiaire entre l'administrateur et la population. Le caractère administratif des chefferies de canton fut souligné par leur appartenance, sinon à un cadre, car ils ne furent jamais reconnus comme des fonctionnaires, du moins à un système hiérarchique autorisant des promotions successives. En outre, ils devaient être désignés par le gouverneur, sur proposition du commandant de cercle et parfois avec l'accord du chef supérieur, lorsque celui-ci existait. Enfin ils reçurent une solde et un pourcentage sur le montant de l'impôt perçu. Ainsi, le chef de canton fut avant tout un agent administratif: il ne fut que secondairement un "représentant coutumier". - Les chefferies de village étant placées sous la dépendance des chefs de canton, leur rôle administratif fut moins marqué, sinon comme second relais du système fiscal. Le chef y conserva ses attributions coutumières et son caractère représentatif, puisque dans le système traditionnel, la nature de ses pouvoirs était démocratique et que son autorité dépendait beaucoup plus de l'assentiment de son groupe que de sa nomination par fut ensuite appliqué occupants
aux structures politiques nouvelles édifiées par les
35_ J. Lombard, Autorités traditionnelles et pouvoirs européens en Afrique Noire~ Presses de la Fondation Nationale de sciences politiques, n° 152, 1967, p 109110. 98
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le commandement supérieur. Le colonisateur, dans la mesure du possible, essaya de conserver ce mode de désignation faisant dépendre celle-ci de l'accord de l'Administrateur, chef de circonscription. Au Niger, les anciens souverains se métamorphosèrent soit en chef de province, soit en chef de canton contrôlant plusieurs villages qui avaient aussi leurs chefs. Cette hiérarchie n'implique pas une géographie stable, puisque la création des unités relevait du pouvoir d'Etat colonial. En fait, la tendance est à un émiettement progressif de toutes ces unités qui sont défaites et refaites par les détenteurs du pouvoir d'Etat, au gré des circonstances. Le pouvoir post colonial hérite de cette structure recomposée qu'il ne modifia pas fondamentalement. Cet encadrement territorial, d'un type nouveau, établit un mode de gestion de l'espace, centré sur l'action de l'Etat qui tente d'asseoir les bases d'un nouvel ordre basé sur la production d'un espace public et de son élargissement comme moyen d'ancrage de l'Etat et de légitimation de ses actions.
1.2. Genèse et structure de la bureaucratie
36
L'Etat opère autour d'actions variées qui participent toutes de la mise en place progressive de structures bureaucratiques particulières. Le but de celles-ci est «d'imposer comme universel et universellement applicables dans le ressort d'une nation, c'est-à-dire dans les limites des frontières d'un pays un ensemble commun de normes coercitives »37. Dans le cas de l'Etat nigérien (mais cela est vrai pour la plupart des Etats africains), cette logique se présente comme un processus continu de construction dont le but est 36 Les développements qui vont suivre s'inspirent en grande partie pour les informations que j'utilise pour la période coloniale, des recherches effectuées par K. Idrissa dans le cadre de sa thèse de doctorat d'Etat. Supra. J'ai également utilisé les informations rapportées par Séré de Rivières dans les deux ouvrages qu'il a consacré au Niger, respectivement en 1950 et en 1965. 37 Bourdieu P, Réponses. Pour une anthropologie réflexive (avec Loïc Wacquant), Paris, Le Seuil, 1992, p 96
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d'asseoir des structures étatiques particulières avec lesquelles les populations ne sont pas toujours familiarisées. D'un coté, les exigences du contrôle d'un territoire bien défmi mais non encore définitivement acquis obligent les détenteurs du pouvoir à instituer des bureaucraties dans divers domaines comme le maintien de l'ordre et la communication. De l'autre, l'Etat dans ses phases de développement successives procède par la promotion d'activités particulières comme l'administration générale, la santé, l'enseignement et l'impôt qui lui permettent d'asseoir une domination moins ouvertement coercitive dans le nouvel espace qu'il a conquis. En général, ce sont des structures mises en place pendant la colonisation qui furent maintenues et développées après l'indépendance. 1.2.1. Actions de l'Etat et contrôle territorial Le contrôle territorial constitue une activité essentielle de l'activité étatique, quelle que soit sa forme et son enracinement. Dans le cas du Niger, sa superficie particulièrement grande rend la fonction encore plus importante. Elle a été un souci constant de l'administration coloniale. Elle demeure une préoccupation vitale pour l'administration post coloniale. Ce n'est guère un hasard si, dès le début de la période coloniale, furent mises en place, des structures idoines qui seront d'ailleurs maintenues après la colonisation. Les exigences du contrôle territorial génèrent des bureaucraties spécifiques dans le domaine du maintien de l'ordre et dans le domaine de la communication.. 1.2. 1. 1. Contrôle territorial et coercition Il marque la nécessité de garantir durablement la soumission des populations sur les espaces conquis par la mise en place de corps administratifs propres à assurer cette fonction de maintien de l'ordre. C'est un terrain privilégié pour l'expression de la violence physique légitime dont parlait Weber. Et comme le montrait Tilly pour l'Europe, « les dirigeants ont réussi à faire pencher la balance en faveur de l'Etat au détriment des citoyens armés et de leurs rivaux. »38 Dans le cas du Niger, c'est d'abord le colonisateur qui monopolisa l'exercice de la violence en instituant ses forces 38 Tilly C, Capital et contrainte dans la formation de l'Europe. 990-1990, Paris, Aubier, 1990.
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de maintien de l'ordre dont allait hériter, après l'indépendance, l'Etat post colonial. C'est ainsi que, dès le début de la période coloniale, plusieurs structures furent mises en place pour assurer cette fonction. Elles se développeront très rapidement pour donner à l'Etat post colonial son armature actuelle.
- Des tirailleurs à l'armée nationale Le premier bataillon de tirailleurs sera formé dès 1902. Il sera réparti dans les principaux postes militaires installés sur le territoire. Les tirailleurs étaient des soldats réguliers de l'armée coloniale et formaient l'essentiel des troupes d'occupation coloniale. Après la deuxième guerre mondiale, ils seront intégrés dans l'armée de l'Union trançaise avant de constituer l'embryon de la future armée nationale.
- Des méharistes
aux goumiers
Ils naissent de la nécessité d'assurer la police saharienne en protégeant le commerce transsaharien contre les razzias touareg et toubous. On palliait ainsi aux insuffisances techniques des tirailleurs. Ces méharistes constituèrent les premiers éléments d'infanterie montée à chameau" et plus tard les "pelotons méharistes". Les méharistes deviendront des goumiers après l'indépendance, mais ce corps armé sera dissout après le coup d'état de 1974. - Des gardes-cercles
aux gardes républicaines
Ils furent institués en 1905 pour remplacer les milices locales créées un an plus tôt. Ils devinrent vite la principale force de police coloniale, se transformant ainsi en une sorte de "gendarmerie locale", et à ce titre, chargés de la police et de l'exécution des ordres de l'administration. Les gardes-cercles formèrent dès la première décennie de la colonisation l'essentiel du contingent des auxiliaires de l'occupation coloniale. Ce fut le corps qui demeura le plus au contact de la population, chargé qu'il était du recensement, de l'impôt, du courrier, de la sécurité de l'autorité coloniale, de la garde des prisons civiles et des convois. Les gardes cercles se transformeront après l'indépendance en gardes républicaines Elles se démultiplieront et se transformeront aussi au rythme des mutations intervenues dans la gestion des territoires coloniaux. On verra ainsi naître
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une police et une gendarmerie nationale. On peut considérer que dans le cadre des activités de contrôle territorial, l'Etat post colonial se développera en consolidant les forces de maintien de l'ordre. Leur caractère budgétivore a déjà été reconnu. L'ère des régimes militaires, n'a fait que confirmer cette tendance, en servant de levain à un discours fort galvaudé donnant ainsi l'image de l'Etat dont l'existence est garantie par ces forces là39. 1.2.1.2. Contrôle
territorial
et communication
La communication couvre au moins deux activités distinctes: les postes et télégraphes et l'établissement d'un réseau routier40. Il faut reconnaître qu'il s'agit assez souvent d'activités occultées dans l'analyse de l'Etat en Afrique. Les juristes se sont intéressés surtout aux régimes politiques africains et à l'organisation administrative, sans effieurer ces facteurs liés à l'importance de la communication. Quant aux économistes, s'ils ont insisté sur l'importance de ce facteur, c'est assez souvent pour montrer son rôle dans le développement économique. Mais ce sont les historiens qui ont le plus contribué à attirer l'attention sur l'importance des routes. La science politique ne l'a que très timidement prise en compte dans ses analyses. Pourtant l'analyse du système de communication pourrait constituer un site fécond pour comprendre comment l'Etat arrive en fin de compte à mettre en œuvre un contrôle effectif plus durable et continu sur son territoire. - Les postes
et télégraphes
Ils assurent la fonction de communication dans l'espace conquis, qu'ils permettent de contrôler régulièrement et rapidement. Cette activité devient d'autant plus stratégique que l'espace à contrôler est vaste et dans certaines régions difficiles d'accès. La poste permettait de transmettre les courriers, notamment les actes réglementaires de tous ordres; et grâce au télégraphe, le chef du territoire pouvait s'informer quotidiennement de la situation à 39 Est-ce cela qui légitime le discours idéologique selon lequel « l'armée est garante de l'unité nationale» ? 40 Ces deux axes ne sont pas exclusifs. Cependant, il faut reconnaître que dans le cas du Niger, le développement d'un réseau routier a été déterminant. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit le seul facteur susceptible de jouer un rôle dans ce sens. Sans doute dans d'autres situations, le réseau aérien ou encore le réseau ferroviaire a dû jouer un rôle aussi déterminant que celui du réseau routier au Niger. 102
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l'intérieur du pays, transmettre des ordres, de même qu'on peut le joindre en cas d'urgence. Le service des postes et télégraphes fut créé en 1909 et comportait dès 1910, 42 centres à l'intérieur du pays. Le cadre local "indigène" des postes et télégraphes fut institué le 24 août 191041. Dès 1913, de nouveaux services font leur apparition pour compléter le service des postes et télégraphe: il s'agit de la télégraphie sans fil et du téléphone. Ce secteur se développera très rapidement pour faciliter la communication entre les différents points d'ancrage de l'Etat. A partir de 1958, l'intégralité du territoire sera couverte par la télégraphie sans fil. La même année, on ne compte pas moins de 35 bureaux répartis sur tout le territoire. Un office des P. et T. sera crée en 195942. Aujourd'hui, ce secteur d'activités de l'Etat est en pleine expansion. Il se développe à un rythme rapide en raison des progrès techniques réalisés dans ce domaine et permet ainsi à l'Etat de résoudre ses problèmes de communication tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
- L'établissement d'un réseau routier La première décennie de la colonisation fut caractérisée aussi par la recherche d'une route viable reliant l'Ouest à l'Est du territoire. Il fallait aussi relier les circonscriptions entre elles, en les désenclavant progressivement, afm d'assurer leur ravitaillement régulier. L'établissement d'un réseau routier se présentait alors comme un impératif de survie, devenant de fait une activité que l'Etat colonial devait privilégier. L'Etat post colonial en fera un axe prioritaire de sa politique, l'objet étant de favoriser les échanges interrégionaux multiformes, afin de créer les bases minimales d'une unité nationale qu'il lui resterait à bâtir. Toujours dans le domaine de la communication, un réseau routier relativement bien développé sillonnera de plus en plus le territoire sous le contrôle du service des travaux publics. Le transport aérien a été développé mais sans parvenir à se substituer au transport routier. Ces réseaux de
41 Idrissa K, 1987, p313-316. 42 Séré de Rivières E, 1965, p289
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communication permettent la création d'emplois mécaniciens, techniciens, contrôleurs, ingénieurs etc.
divers:
chauffeurs,
Au- delà de ces actions orientées plus directement vers le contrôle territorial, d'autres pistes apparaissent et se développent pour donner au nouvel Etat toute sa légitimité. 1.2.2. les logiques nigériennes
de l'enracinement
étatiques
dans les sociétés
S'il n'est pas possible de les identifier toutes, on retiendra du moins celles qui apparaissent comme les plus significatives. On retiendra particulièrement plusieurs axes de réflexion: la mise en place progressive d'une structure bureaucratique et l'imposition normative 1.2.2.1. Mise en place progressive
d'une structure
bureaucratique
Il s'agit ici d'aborder certains aspects de la dynamique de l'Etat qui se rétèrent plus directement au paquet de politiques mises en œuvre par l'Etat dans divers secteurs de la vie socio- économique. Certes ces politiques participent indirectement du contrôle territorial par les actions qu'elles réalisent ou qu'elles sont censées réaliser sur toute l'étendue du territoire. Mais elles nous intéressent ici en ce qu'elles sont conduites par l'Etat et promeuvent de nouvelles valeurs, orientées vers la production d'une société plus conforme à l'image que se font les détenteurs du pouvoir de l'Etat. Comme le remarquait si bien Gilbert et Saez43, la colonisation, consiste aussi à soigner et à enseigner. Mais on y ajouterait volontiers d'autres activités toutes aussi significatives telle que l'administration générale et la collecte des impôts, qui lui servent de levain légitimateur. Cependant, au Niger, compte tenu de la situation militaire qui a longtemps prévalu, il faut reconnaître que ces activités n'existèrent que de manière embryonnaire, et cela dans certains zones seulement, elles-mêmes sous le contrôle de l'armée d'occupation. Elles furent donc exercées par des officiers ou des sous-officiers et parfois par leurs collaborateurs indigènes, en tant qu'activités annexes. Plusieurs domaines furent couverts dès le début de la
43 Gilbert C et Saez G, L'Etat sans qualité!). PUF, 1982, p20.
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colonisation: administration générale, fiscalité, enseignement pour ne citer que quelques exemples significatifs. On sait que l'administration générale fut une des premières actions qu'avaient conduit les troupes d'occupation pendant les premières périodes de la colonisation. Initialement, cette fonction était assurée par les interprètes, les commis et écrivains expéditionnaires. Ces corps se transformeront en se démultipliant par une spécialisation toujours plus accrue sur la base des mutations observables au niveau des structures administratives. A travers la fiscalité, entrent en jeu d'autres logiques inséparables des systèmes de domination de type étatique. En effet, l'institutionnalisation de l'impôt, qu'il soit perçu en nature ou en numéraire, constitue la conséquence la plus directe de l'assujettissement à l'Etat. On sait que sous cet angle, les choses ne vont pas de soi en raison des diverses formes de résistance que les populations manifestent face à l'impôt. Bien qu'il ait subi des changements, l'impôt demeure quasiment immuable dans ses principes. Et aujourd'hui encore, l'Etat cherche à construire les bases d'un impôt librement consenti. C'est sans doute un des sites privilégiés d'observation de la dynamique de I'Etat44 . Enfm, l'enseignement contribue assurément, à travers la multiplication des écoles, à la reproduction de la logique bureaucratique par la gigantesque administration qu'il produit mais aussi par les valeurs promues par les programmes scolaires. Ces valeurs sont celles de l'Etat. Elles sont enseignées de la même manière dans toutes les écoles du pays. Cette logique mise en place par le système colonial a été parfaitement récupérée par l'Etat post colonial qui en a fait un outil de son enracinement au sein des sociétés nigériennes. L'administration générale, la fiscalité et l'enseignement ne constituent que des exemples qui montrent comment l'Etat s'enracine à travers une logique 44 Pour Bourdieu, il est probable que la perception générale des impôts ait contribué à l'unification du territoire, ou, plus exactement, à la construction, dans la réalité et dans les représentations de l'Etat comme territoire unitaire, comme réalité unifiée par la soumission aux mêmes obligations, op. cit, pIll.
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de développement bureaucratique qui contribue à l'élargissement domaines d'intervention.
de ces
Ces domaines s'élargiront progressivement pour concerner de nombreux domaines de la vie socio-économique. Ici, la logique bureaucratique prend forme à travers les structures qui sont mises en place pour prendre en charge la gestion des activités étatiques. Pendant la colonisation, ces structures s'incarnent dans des services distincts mais tous liés au gouvernorat de la colonie puis du territoire. Ces services se sont mus en ministères dès que la loi-cadre devint effective. Ces ministères maintenus après l'indépendance constitueront l'armature de l'administration publique nigérienne. C'est là un des aspects déterminants de la dynamique de l'Etat post colonial au Niger. En effet, l'Etat pénètre les sociétés nigériennes par le canal de l'administration publique qui, à travers ses démembrements, lui sert de relais indispensable à sa prétention « d'exercer la violence légitime. » "Toutes ces activités s'unifient dans leur rapport à l'Etat, colonial et postcolonial, dont elles forment l'armature. 1.2.2.2. l'imposition normative L'imposition normative fait référence à tout un ensemble de pratiques, pas nécessairement visibles, mais qui symbolisent l'Etat, en donnant à son action une homogénéité. L'Etat génère à cet effet des codes divers qu'il diffuse au sein des sociétés en s'attendant qu'elles se les approprient et qu'elles les intériorisent. Il s'agit au fond de favoriser des conduites répétitives, de créer des habitudes, afin de les banaliser dans la vie quotidienne. Ce faisant l'Etat façonne les structures mentales et impose les principes communs de vision et de division. Il impose aussi des formes de pensée, contribuant par-là à construire ce que l'on désigne communément comme l'identité nationale45. A ce niveau, l'Etat procède par l'addition de codes divers dont la prétention est de couvrir tous les aspects de la vie économique et sociale dans l'espace qui relève de sa juridiction. Ces codes dépassent le champ proprement juridique pour intégrer la langue, le temps, l'Etat civil, le système métrique, au fond tout un ensemble de procédures dont le but est aussi d'institutionnaliser l'Etat dans toutes ses dimensions. 45 Bourdieu P, 1994.
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L'Etat nigérien dans ce sens peut être compris, au-delà des institutions et des politiques qui lui donnent forme, comme drainant avec lui tout un ensemble de normes qu'il tente de banaliser au sein des sociétés nigériennes. On sait que bien des pratiques aujourd'hui banalisées lui sont imputables. La langue constitue assurément l'un des outils les plus visibles de cette imposition normative. L'Etat s'exprime dans une langue unitaire aux prétentions glotophages et qui lui sert de médium dans ses relations multiformes avec les sociétés nigériennes. L'origine de la langue n'a guère d'importance dans la perspective d'analyse de l'Etat. Ce qui paraît déterminant à ce niveau, c'est le fait qu'il érige une langue en langue unitaire au détriment des autres, et qui le symbolise dans son existence et dans ses rapports avec la société. Pensons aussi, en ce qui concerne le temps par exemple, à la perception annuelle qu'on en a. Le caractère réductible de l'année en 12 mois, et le mois en 30 jours. Chaque jour se déroule en 24 heures et chaque heure compte 60 minutes et chaque minute 60 secondes. Il est clair qu'une telle perception prend naissance avec la colonisation et cherche depuis à se banaliser au sein des sociétés nigériennes. Elle va de pair avec par exemple la diffusion de l'horloge et de la montre. Elle a comme champ d'expression privilégiée la ville et les différents points d'ancrage de l'Etat, qu'ils s'incarnent dans l'administration ou à l'école ou à travers les heures d'information à la radio ou à la télévision. Ainsi, l'Etat s'approprie le temps universel qu'il diffuse dans ses différents domaines d'activités. Si le temps étatique reste à ce jour faiblement approprié46, et cela, même dans ses champs d'expression privilégiés, c'est que c'est l'Etat lui-même qui s'enracine faiblement au sein des sociétés nigériennes. On pourrait faire des observations similaires dans d'autres domaines, qui mettent bien en évidence cette dialectique entre normes étatiques et normes 46 La manifestation de cette faible appropriation s'exprime par exemple par la conception très fluide du temps observée au sein des sociétés afticaines. Cette fluidité, loin de refléter une quelconque incapacité, rend compte surtout de l'existence d'autres référents temporels qui entrent en concurrence avec le temps étatique et dont les manifestations quotidiennes sont plus que jamais persistantes, comme le montre très bien le rapport au temps dans l'administration publique.
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sociétales dont la cohabitation reflète des rapports de force réels. C'est le cas de la monnaie en numéraires de l'Etat, qui supplante les pratiques de troc ou les monnaies locales dans les régions où elles existaient. C'est aussi le cas de l'état civil qui permet à l'Etat d'enregistrer et d'attester les naissances, les mariages et les décès. On sait à cet égard, que ces pratiques, bien que rendues obligatoires par la loi, sont loin d'avoir été appropriées par les populations. Cette difficile appropriation des normes étatiques prend parfois des dimensions conflictuelles, à l'image de ce qu'on observe aujourd'hui au Niger pour le code rural ou le code de la famille. Le code rural veut faire prévaloir des normes juridiques étatiques dans un environnement qui se spécifie par la pluralité des droits positifs. L'adoption d'un code rural applicable sur toute l'étendue du territoire, en uniformisant les normes juridiques, remet en cause beaucoup de droits acquis et les intérêts qui leur sont liés. On comprend dès lors pourquoi de nombreuses difficultés bloquent son entrée en vigueur effective. De même, en ce qui concerne le code de la famille, bien que les problèmes à résoudre soient de nature différente, on perçoit aisément les conflits qui émergent entre un droit étatique englobant et un droit islamique fortement implanté et ayant dans bien des cas réussi à supplanter bien de coutumes locales. On pourrait multiplier les exemples qui rendent compte de toute cette dynamique mais l'objet n'est pas de faire un recensement exhaustif Il s'agit surtout d'attirer l'attention sur les dimensions faiblement mises en perspective dans l'analyse de l'Etat en Afrique. Cependant, ce processus d'institutionnalisation, ne saurait suffire à rendre compte de la dynamique de l'Etat post colonial. Il est indispensable d'introduire un autre aspect qui permettra d'observer le type d'Etat qui a pris forme au Niger.
2. Dynamique de l'Etat et processus d'autonomisation L'analyse de l'Etat ne peut faire l'économie de son processus d'autonomisation. Car, comme l'observe Birnbaum, à la suite de Weber47 et 47 A ce niveau encore une fois les analyses de Max Weber gardent toute leur actualité quand il considère que l'Etat prend forme réellement à partir du moment où
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Tilly48, il est important de clarifier ses rapports avec la démocratie, la république ou la nation, ses liens avec les classes ou les élites, son devenir en fonction de l'engagement ou de la passivité des citoyens, en raison aussi de la mobilisation des mouvements sociaux qui tentent de lui porter atteinte ou encore l'émergence de pouvoirs partisans qui prétendent à leur tour incarner une nouvelle légitimité49. Ce problème est d'autant plus pertinent que beaucoup d'états, même ceux qui sont considérés aujourd'hui comme les plus modernes demeurent l'otage de certains groupes ou encore sont capturés à l'usage exclusif de quelques-uns50. Dans les Etats a&icains, l'absence d'une clarification nette de ces rapports a poussé plusieurs auteurs à survaloriser certains facteurs au détriment d'autres. On va jusqu'à nier purement et simplement l'existence même de l'Etat africain. A cet égard, ces auteurs n'ont jamais considéré le Niger comme un cas singulier. Les développements qui vont suivre nous permettront au contraire de comprendre le degré d'autonomisation de l'Etat qui est en train de s'y construire. Il est clair à ce niveau que les qualificatifs ne manquent pas pour qualifier le type de dynamique qui s'est enclenchée. il réussit à mettre un terme à toute appropriation privée de la puissance publique..., autrement dit quand il revendique avec succès le monopole de la violence légitime. C£ Weber M, Economie et société, Plon, 1971, p57. 48 On pourrait retenir ici la définition que Tilly donne de l'Etat: «organisation qui contrôle la population occupant un territoire défini dans la mesure où elle est différenciée des autres organisations opérant sur le même territoire, où elle est autonome, où elle est centralisée et où ses subdivisions sont coordonnées les unes par rapport aux autres. }}Il est intéressant ici de relever les fragments en italique. Tilly C., The formation of national state in western Europe, Princeton University press, 1975 p70. 49 Birnbaum P, L'action de l'Etat, différenciation et dédifférenciation, in Grawitz M, Leca J, Traité de science politique, tome 3, Paris, PUF, 1985, p643-682. 50 Il faut interroger la sociologie des élites politiques pour voir combien cette idée leur est sous-jacente. A cet égard, on peut se référer par exemple aux recherches de Poulantzas sur l'Etat capitaliste en France ou encore à celles de Mills W sur le complexe militaro-industriel aux Etats-Unis pour comprendre que le débat sur l'autonomisation ne concerne pas que les Etats africains.
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« Proto Etat »51 pour montrer son caractère balbutiant, « Etat périphérique »52 pour mettre en avant son caractère dépendant, « Etat prédateur »53 pour afficher son caractère corrompu, « Etat (néo)patrimonial »54 pour montrer son mode de gestion personnalisé, « Etat parti» pour montrer sa capture par un ou plusieurs partis politiques. On pourrait aisément prolonger cet inventaire pour montrer toutes les controverses que suscite l'Etat africain chez les spécialistes de science politique. Mais ce n'est pas le but de notre propos. Il s'agira plutôt de comprendre le type d'Etat qui est en cours d'institutionnalisation au Niger. Plusieurs axes de réflexion peuvent être identifiés pour comprendre le processus d'autonomisation de l'Etat post colonial au Niger. En général, ce problème permet de poser tout d'abord la question des rapports de l'Etat avec les forces socio-politiques en compétition dans le champ politique nigérien, mais aussi celle de ses bases économiques. Malgré tout, il faut reconnaître que l'analyse systématique du pouvoir politique et de sa gestion durant les différentes phases de l'histoire du Niger reste à faire. C'est dire que dans les pages qui suivront, on s'attachera surtout à proposer un essai d'interprétation qui seront approfondies par la suite. 51 Jacquemot P, Le proto-Etat afticain. Quelques réflexions autour de l'histoire contemporaine du Mali in Rôle de l'Etat dans les pays du Tiers-Monde, Revue TiersMonde, Tome XXIV, n° 93, janvier-mars 1983, Paris, PUF, 1983. 52 Vergopoulos, K., l'Etat dans le capitalisme périphérique, in Rôle de l'Etat dans les pays du Tiers-Monde, Revue Tiers-Monde, Tome XXIV, n° 93, janvier-mars 1983, Paris, PUF, 1983. 53 Darbon D, l'Etat prédateur, Politique Africaine!J.n039 54 Médard J.F, l'Etat néo-patrimonial en Afrique noire, in Médard J.F. Etats d'Afrique Noire. Formations, mécanismes et crises, Paris, Karthala, 1991. Du même auteur, L'Etat patrimonialisé,_Politique Africaine, n039
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2. 1. Etat et champ politique: l'Etat capturé Il ressort de l'analyse historique que l'Etat au Niger, dans sa version coloniale et post coloniale, a toujours été capturé par des groupes sociaux spécifiques qui l'ont utilisé à leurs propres fins. L'Etat colonial, on le sait, a vite établi une connexion avec les aristocraties locales pour asseoir sa domination. Cette alliance intégra par la suite les « évolués», produits du système scolaire institué par la colonisation. Dans ce contexte, l'Etat mis en place fonctionna dans une logique de production et de reproduction du système colonial. Il s'agissait alors d'installer ce système et de créer les conditions de sa consolidation. L'Etat post colonial fut lui aussi très vite accaparé par une frange de l'élite politique qui participa à l'animation de la vie politique sous la quatrième république française. L'Etat fut alors mis sous la coupe d'un parti politique, le RDA qui devait exercer le pouvoir jusqu'au coup d'état de 1974. Non seulement ce parti accaparait les principales positions de pouvoir au sein de l'Etat, mais il le faisait à l'exclusion de tout autre. C'est l'adhésion au parti unique qui déterminait la participation à l'élite et la cooptation aux positions de pouvoir dans l'appareil d'Etat. En outre, le RDA, comme le fit le colonisateur, associa les aristocraties locales consentantes à la gestion du pouvoir. Cette alliance se traduisit d'abord par le maintien du statut que l'Etat colonial leur avait octroyé. Par ailleurs, certains chefs traditionnels participèrent à la gestion du pouvoir politique en qualité de membre du gouvemement55. Il faut noter que la tendance du parti au pouvoir a été aussi de s'assurer une main mise sur les syndicats des travailleurs en contrôlant minutieusement le recrutement de leur personnel dirigeant. Dans cette dynamique, l'Etat fonctionna selon des logiques du parti et des groupes connexes sans s'y différencier dans la réalité, en raison du dédoublement fonctionnel des deux structures. 55 C'est le cas par exemple de Samna Maizoumbou (Tibiri, Doutchi) ou Amadou Issaka (Kantché) pour ne citer que ceux-là.
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Le régime militaire avait eu l'ambition de restaurer l'autorité de l'Etat et d'élargir les bases de sa légitimité en l'élargissant à d'autres groupes sociaux hors de toute affiliation partisane ouvertement affichée. Toute référence partisane fut ainsi bannie. L'Etat tout entier reposait sur l'autorité du Conseil Militaire Suprême (CMS), nouvelle instance du pouvoir. D'organe collégial qu'il était, le CMS se concentra au fil du temps en la seule personne de son président qui contrôla désormais l'intégralité du pouvoir d'Etat. Il était alors permis de parler de pouvoir personnalisé à ce stade du régime militaire56. Par la suite, le régime militaire, qui se «civilisa» progressivement, tenta une nouvelle démarche qui se voulait participative et qui était orientée, à l'exclusion des partis politiques, vers une ouverture sur la société civile que le régime voulait comme un reflet de la société nigérienne dans tout ce qu'elle avait d'authentique. C'est à ce titre que P. Robinson avait qualifié le régime de corporatisme néotradionnel57. C'est ce corporatisme qui sera récupéré pour servir de base au MNSD58, parti-Etat, formule explicitement arborée dans la constitution de la deuxième république59. Les conditions étaient ainsi créées pour enclencher les dynamiques déjà observées pour le parti unique. Ainsi, l'histoire politique du Niger indépendant, avant l'enclenchement du processus démocratique, montre qu'il a existé un lien très étroit entre l'Etat et le régime politique, favorisant de fait une faible autonomisation du dernier par rapport au premier, en raison soit de la personnalisation du pouvoir (le régime s'incarne dans la personne du président), soit en raison 56 Charlick R, Personal rule and survival in the sahel, Westview, Dartmouth, 1991. Dans son analyse du pouvoir d'Etat au Niger, il privilégie la variable personnelle qu'il tente de vérifier sous les règnes de Diori Hamani, Seyni Kountché et Ali Seybou. . 57 Robinson P. T, la légitimation populaire et la gouvemance militaire au Burkina Faso et au Niger: les grandes contradictions in Goran Hyden, et Michael Bratton (textes réunis par), Gouverner l'Afrique. Vers un partage des rôles, Nouveaux Horizons, 1992. 58 Mouvement National pour la Société de Développement 59cf article 19: «La direction du pays repose sur le principe de l'unicité de direction de l'Etat et du Mouvement ».
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de sa monopolisation par un parti politique (le régime s'incarne dans un parti politique). Dans les deux cas, l'Etat a été régi selon des principes arrêtés par les détenteurs du pouvoir politique. Il faut reconnaître que cette capture de l'Etat a empêché son autonomisation au Niger, et la démocratisation qui s'est enclenchée à partir de 1990 a dû composer avec cette donnée. En effet, les partis politiques qui ont accédé au pouvoir en 1993 ont totalement accaparé l'Etat en occupant ou en contrôlant toutes les positions de pouvoir. Sans doute, l'une des meilleures illustrations de cette capture aura été la politique de «partage» qui a prévalu dans l'occupation des postes administratifs monopolisés par les partis au pouvoir. L'appareil d'Etat s'en est trouvé fortement politisé et subséquemment faiblement autonomisé. Ces tendances, contrairement à ce qu'affirment certains auteurs, ne peuvent en aucun cas accréditer l'idée d'un pouvoir monopolisé par une ethnie, si tant est qu'on peut construire ce concept sur des bases sérieuses. En effet, le Niger se prête mal à ce type d'analyse, en raison de son histoire, faite de brassage de tous genres. L'Etat colonial s'était principalement appuyé sur les aristocraties locales et les évolués. L'Etat post colonial maintient le même type d'assise sociale, bien qu'elle se soit transformée dans sa forme. L'Etat post colonial la consolida cependant, en tentant de l'élargir à d'autres groupes. L'analyse des bases sociales de l'Etat post colonial montre la forte diversité de l'élite au pouvoir, tant dans sa composition ethnique que dans son origine professionnelle. Il est vrai qu'une autonomie de l'Etat ne s'improvise pas. Plus il existe des règles qui organisent l'Etat dans son fonctionnement et dans l'accès aux postes administratifs, plus la marge de manœuvre du pouvoir politique se trouve réduite étant balisée par des normes strictes juridiquement sanctionnées. Une telle dynamique, allant dans le sens d'une autonomie progressive de l'Etat par rapport au pouvoir politique, aurait pu devenir effective avec la phase de la démocratisation. Ce processus de capture de l'Etat par les groupes sociaux organisés est également observable à d'autres échelles. De fait, l'espace public se rétrécit. Cette dynamique qu'on pourrait observer dans beaucoup de secteurs d'activité de l'Etat, semble avoir pris de l'emprise ces dernières années, la crise de l'Etat aidant. L'exemple le plus intéressant qu'on pourrait identifier
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dans les phases actuelles de mutation, s'illustre dans l'incapacité de l'Etat à conduire les politiques qu'il défmit en raison de la résistance que lui opposent certaines manifestations corporatistes. Les syndicats de certaines entreprises publiques, face aux politiques de privatisation souhaitées par le gouvernement, se comportent en propriétaires, bloquant ainsi toute immixtion de l'Etat dans leur gestion comme si les travailleurs s'étaient progressivement appropriés ces entreprises. On peut relever plusieurs cas de figure où ces syndicats ont eu raison de l'Etat qui a dû reculer à plusieurs reprises face à leur intransigeance. On peut alors considérer les entreprises publiques comme des espaces étatiques totalement capturés par des syndicats qui réussissent ainsi à imposer l'idée que les travailleurs qu'ils défendent, sont des propriétaires légitimes60.
2. 2. Etat et champ économique: l'Etat rentier La question de l'Etat rentier nous conduit de plain-pied dans les problèmes liés aux bases économiques de l'Etat post colonial. Le Niger ici n'échappe pas à une observation largement évoquée à propos de l'Etat africain. Il ne produit pas des richesses, il en prélève et en use. Certains l'ont qualifié d'Etat prédateur61 pour stigmatiser cette pratique de ponction, de prélèvement systématique. D'autres préîerent la notion plus élégante d'Etat rentier pour qualifier l'Etat africain. Il faut reconnaître pour le cas du Niger, si l'on considère les ressources qui assurent le fonctionnement normal de l'Etat, que beaucoup d'éléments peuvent accréditer cette thèse de l'Etat rentier. Qu'il suffise de considérer les grandes périodes de son développement. 60 Cf les débats récents autour de TELECEL pour l'OPT, de la CNPA pour l'ORTN ou à propos du dossier de la privatisation en ce qui concerne la NIGELEC. 61 Darbon D. L'Etat prédateur, Politique Africaine, n039, p37-45. Ou encore Fottorino E, Guillemin C, Orsenna E, Besoin d'Afrique, notamment p 36-38 et p57-58
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2.2.1. Pendant
la période
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coloniale
En termes de ressources, l'Etat colonial, en l'absence de toute rente agricole ou minière, comme c'était le cas dans certaines des colonies voisines du Niger, a dû assurer le fonctionnement de son administration en utilisant les prélèvements obligatoires, en nature d'abord puis en numéraire par la suite, et les travaux forcés. Les politiques de mise en valeur permirent par le biais des subventions publiques, à partir des années 30, de réaliser certains des grands ouvrages. On peut citer à titre d'exemple le collège moderne de Niamey, aujourd'hui lycée Issa Korombé ou l'hôpital de Niamey. Par ailleurs, c'est durant la période coloniale que se sont développées les premières cultures d'exportation, notamment l'arachide. Mais ce n'est que plus tard, pendant la période post coloniale qu'elle prendra de l'ampleur. 2.2.2.
Depuis
l'indépendance
L'accès à l'indépendance permet à l'Etat, en plus des prélèvements obligatoires, épheumisés dans leur dénomination, d'utiliser d'autres ressources pour son fonctionnement. Ces dernières, bien qu'elles se soient démultipliées dans leur contenu, furent progressivement déclassées pour servir de simples appoints à une série diversifiée de rentes62. C'est ainsi que dans les années 60, l'arachide, principale culture d'exportation, devint le support le plus producteur de l'économie nigérienne. Toute la politique du gouvernement dans le domaine agricole a tendu à la développer dans le but d'accroître les recettes de l'Etat en devises63. Pour assurer sa commercialisation, l'Etat créa la SONARA, reconnue comme l'entreprise publique la plus florissante de l'époque. Cette rente s'amenuisa 62 Charlick p 89-128. Il s'agit d'une synthèse de l'histoire économique du Niger. Voir aussi Decoudras P.M, l'aide internationale, Politique Africaine, n043, 1990. L'auteur parle de la rente de l'arachide, de la rente de l'uranium et de la rente de l'aide internationale. 63 Aminou T, Les politiques agricoles au Niger, in Actes du séminaire d'économie et de sociologie nigérienne, ORSTOM, Université de Niamey, Année 1993-1994, p4852.
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progressivement en raison de la sécheresse qui s'est durablement installée vers la fm des années 60. Dans les années 70, l'exploitation des ressources uranifères du pays, suite aux chocs pétroliers, permirent au Niger d'accéder à une autre rente. L'exportation de ce minerai permit à l'Etat de multiplier ses recettes en devises bien plus que ne l'aurait permis l'arachide. Le Niger renoua alors au crépuscule des «Perspectives décennales », avec le Plan du développement. Ce fut, pour l'Etat, l'occasion d'engager et de diriger d'ambitieux programmes de développement sur la base de ses ressources propres mais aussi en utilisant les dettes contractées auprès des Etats et des organismes privés. C'est l'époque de l'endettement. La rente de l'uranium favorisa l'élargissement du secteur public à travers le recrutement massif de fonctionnaires, l'accroissement des budgets alloués à l'éducation et à la santé. L'Etat accrut également ses secteurs d'intervention s'intéressant à tous les aspects de la vie économique et sociale. De même, il conforta les bases de sa légitimité en faisant la promotion de jeunes cadres dans la haute fonction publique et en produisant une classe d'entrepreneurs, sur la base de pratiques distributives dans le cadre de l'adjudication des marchés publics et à travers la gestion des licences d'importation. Durant cette période, le développement de l'Etat nigérien s'est nourri massivement de la rente uranifère, sans que l'on crée les conditions de pérennité des ressources extraites. La baisse des recettes de l'uranium, due à la chute brutale des prix, et à la diminution progressive de la demande accéléra le tarissement de cette rente. L'Etat dut alors s'engager dans les politiques d'ajustement structurel (PAS), condition nécessaire à l'accès aux ressources extérieures, dans le cadre de l'aide au développement. En l'absence d'une rente minière, suffisamment prisée sur le marché, l'Etat nigérien, dans sa dynamique, devint alors dépendant des ressources qu'il pouvait capter dans le cadre de ses politiques de coopération. Il rentra dans une autre phase de son développement rentier, basé cette fois, non pas sur l'agriculture ou les mines, mais sur l'aide extérieure. Alors que le premier programme de réformes au début des années 1980 se passa sans soubresaut majeur (et le régime politique de l'époque n'était sans doute pas étranger à cela), le second, pour sa part, continue d'affronter la résistance des syndicats.
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Il est intéressant de s'appesantir quelque peu sur les effets des PAS sur la dynamique de l'Etat. La mise en œuvre de ces politiques permet de poser le problème du rôle de l'Etat. Souvent analysée comme un moyen d'ajuster l'Etat aux ressources qu'il est capable de générer, leur mise en œuvre effective se traduit le plus souvent par la prescription d'une cure d'amaigrissement. L'Etat doit en effet «compresser» son personnel, privatiser les entreprises publiques, se concentrer, en somme, sur des tâches plus traditionnelles comme le maintien de l'ordre, la défense, l'éducation, etc. Ainsi, le PAS est conçu comme devant, à terme, limiter les espaces de prédation de l'Etat. Or le paradoxe qu'on observe est que les PAS sont mis en œuvre dans des Etats en construction, faiblement enracinés dans leur espace de domination et peu intériorisés par les acteurs sociaux. Ce paradoxe invite à réfléchir sur les démarches utilisées dans ces politiques de réformes. Il faut de toutes façons craindre que la diabolisation de l'Etat n'occulte sa nécessité bien réelle. Il ne faut pas que le besoin d'un « mieux d'Etat» se transforme en une remise en cause du modèle lui-même sans que l'on ait pensé à d'autres alternatives. Au fond, bien de germes font penser que l'Etat au Niger traverse une période de turbulence, faisant penser à l'existence d'une crise réelle qu'il faut analyser dans ses aspects les plus déterminants.
2.3. Etat et loyautés concurrentes: L'Etat en crise Bien des facteurs accréditent l'hypothèse d'une crise de l'Etat au Niger, emboîtant ainsi le pas à un discours suffisamment galvaudé par la science politique africaniste. Il faut dire qu'au départ, les politologues s'étaient surtout préoccupés de l'enracinement ou encore de son appropriation privée. Le discours sur la crise de l'Etat reste largement tributaire des difficultés multiformes qui le secouent et auxquelles la presse donne un large écho et qui pose la question de sa recomposition. Ce discours est multiforme et intègre des dimensions variées qui embrassent l'intégration, la mondialisation ou encore l'incapacité à réguler les conflits sociaux générés par les nombreux problèmes auxquels il est tous les jours confronté. Le cas nigérien pourrait parfaitement fournir quelques éléments d'analyse pour étayer et donner sens à cette observation devenue somme toute assez
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actuelle, tant est désolant le spectacle que les Etats afticains donnent à voir dans leur processus de formation. 2.3.1. Dynamique de l'Etat et intégration Il n'est pas nécessaire d'insister outre mesure sur les dynamiques d'intégration en cours sur le continent, sinon pour montrer les processus qu'ils tentent d'impulser, dont le but est d'insérer progressivement les espaces étatiques dans des ensembles plus vastes. Les théoriciens fonctionnalistes en matière de relations internationales avaient déjà montré le rôle de l'intégration dans l'établissement d'une paix durable sur la scène internationale actuelle. Et l'intégration, depuis Mitrany64 continue d'avoir ses chantres. Et pour fmir les Etats eux-mêmes ont fmi par se convaincre de l'importance de l'intégration pour leur survie dans la dynamique actuelle de la globalisation. En Afrique, cette volonté s'est affirmée avec l'adoption du plan d'action de Lagos dont les recommandations se sont traduites dernièrement par l'adoption du traité de Abuja instituant une Communauté Economique Africaine (CEA). A ce propos, une étude récente faisait remarquer que « l'avenir du Niger ne peut plus se concevoir en dehors d'un espace régional intégrant à la fois les autres pays de la zone franc et le Nigéria ». Et de conclure que « l'acuité de ses problèmes doit conduire le pays, non pas à attendre l'intégration, mais à la préparer et en accélérer le processus... »65. Aujourd'hui, il apparaît clairement que cette volonté politique existe et qu'elle s'est traduite à travers des prescriptions constitutionnelles66, et 64 Mitrany D, A working peace system, Chicago, Ill, Quadrangle Books, 1966. Cet ouvrage a été édité pour la première fois en 1943. On trouvera des synthèses intéressantes de ces théories de l'intégration dans Chadwick F. Alger, Fonctionnalisme et Intégration, Revue Internationale des Sciences Sociales, UNESCO, Vol. XXIX, n01, 1977. 65 OCDE, BAD, CILSS, Pour préparer l'avenir de l'Afrique de l'Ouest: une vision de l'avenir à ['horizon 2000,_Eléments de synthèse de l'étude, cfp 45, 1994. 66 La constitution de la 3ème république et celle de la 4ème contiennent des dispositions pertinentes à cet égard.
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dernièrement par l'institutionnalisation en décembre 1997 d'un département ministériel spécifiquement chargé de suivre ces questions d'intégration. Au fond, cette démarche qui met en exergue la fonction intégration n'a fait que traduire au niveau politique le plus élevé une préoccupation qui avait déjà pris forme par l'appartenance du Niger à plus de 160 organisations intergouvernementales aux fonctions les plus diverses67. Même si beaucoup d'entre elles croulent aujourd'hui sous le poids d'énormes difficultés financières, il faut reconnaître que les actions engagées par certaines de ces organisations s'inscrivent, quoique de façon timide, dans des dynamiques d'intégration régionale où l'enjeu est la prise en charge de certaines fonctions étatiques par des institutions supranationales spécialement mises en place à cet effet. Que l'on pense à la CEDEAO conçue comme un instrument d'intégration économique au niveau ouest afticain ou encore à l'Union Economique et Monétaire Ouest Afticaine (UEMOA), créée plus récemment par les Etats de la zone ftanc dans le but d'harmoniser leurs politiques économiques et monétaires. Mais c'est sans doute au niveau de certaines organisations régionales à vocation technique que ces dynamiques sont le plus visibles. Le rôle de l'ASECNA dans la gestion de l'aviation civile des pays qu'elle couvre a pris une proportion qui, de fait, déclasse les Etats en les dépouillant de leur compétence d'exécution. Ces politiques d'intégration volontaristes ne doivent pas occulter les mouvements socio-économiques transnationaux qui caractérisent les relations internationales contemporaines. Qu'il suffise de relever l'importance des flux migratoires transfrontaliers ou encore la création de marchés de change informels au Niger et au Nigéria, sur lesquels les Etats tentent d'assurer un contrôle effectif. On relèvera d'ailleurs que beaucoup de ces mouvements trouvent leurs sources dans la période pré-coloniale. Et les Etats nés au XXèmesiècle ne sont pas arrivés à les endiguer. Aujourd'hui, ces mouvements humains accélèrent les échanges internationaux multiformes et se traduisent par la caducité de certaines fonctions traditionnelles de l'Etat. Une telle dynamique oblige à poser des questions sur l'avenir de l'Etat. 67 Voir à ce titre une étude récente du Ministère du Plan, Coopération et intégration économique: Bilan diagnostic, août 1995.
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Ces questions deviennent encore plus pertinentes quand on observe le développement prodigieux actuellement en cours des moyens et des systèmes de communication. A cet égard, le développement des transports modernes, l'expansion récente et rapide prise par les autoroutes de l'information, mais surtout la facilité de leur accès, avec ce que cela implique en terme de changement d'échelle de l'espace politique68, permettent de s'interroger sur la pertinence des cadres traditionnels d'analyse de l'Etat. Faut-il survaloriser le territoire dans un contexte où les ftontières se fluidifient? Faut-il s'appuyer sur la citoyenneté nationale à l'heure où des notions comme « l'homme universel» ou «le village planétaire» pour reprendre une expression classique chère au sociologue canadien Mac Luhan sont loin d'être de simples utopies? Quant à l'autorité de l'Etat ou encore sa prétendue souveraineté, elle est tous les jours mise en branle, dans un monde où les Etats ne commandent plus aux grandes décisions ou tout au moins, les grands centres des décisions politiques, celles qui ont le plus d'impact dans la vie quotidienne, se repèrent hors de 1'Etat69. Même si les spécialistes de science politique qui s'intéressent à l'Etat afticain continuent d'ignorer ces dynamiques, elles révèlent, malgré tout, les tendances profondes des transformations à venir qu'ils devront nécessairement considérer dans leurs analyses pour restituer l'Etat contemporain en Attique dans sa dimension réelle. 2.3.2.
Dynamique de l'Etat, loyautés concurrentes
privatisation
de
la violence
et
Les approches wébériennes de l'Etat, confortées par celles d'Elias à force d'exemples révélateurs, ont permis de montrer l'importance de la monopolisation de la violence dans la formation de l'Etat. Au demeurant, pour le cas du Niger, on a pu montrer combien le développement de ce processus de monopolisation de la violence par l'Etat, comporte d'incertitudes et d'aléas. En fait, si l'Etat a la prétention de monopoliser cette violence, il n'arrive pas toujours à l'imposer, comme l'attestent si bien 68 Cette question a rapidement été abordée par Bayart J.F, l'historicité de l'Etat importé, in Bayart J.F,_Lagreffe de l'Etat, Karthala, 1996, p17. 69 Voir par exemple un article récent de Michel Faure: Les vrais maîtres du monde, L'Express, n02406, semaine du 14 au 20 août 1997.
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toutes les difficultés énormes et multiformes auxquelles il fait face dans ses tentatives de faire prévaloir au sein des sociétés nigériennes sa force, ses normes et ses valeurs. Même si ce type de processus s'apprécie toujours sur le long terme, on peut, à travers certains conflits, montrer toute la précarité du processus d'étatisation et les velléités «étatophages» de certains groupes sociaux qui, sans cesse, contestent sa légitimité en lui opposant des logiques parallèles. A ce niveau, la crise des fmances publiques constitue une variable déterminante pour expliquer l'affaiblissement des institutions de l'Etat en favorisant l'émergence de diverses forces, se présentant parfois comme des forces de substitution. Dans les zones urbaines surtout, on sait que la montée de l'insécurité, notamment à travers la recrudescence du banditisme, a obligé l'Etat par la force des choses à opérer des concessions de service public. Ces concessions prennent forme, soit à travers les forces d'autodéfense qui s'organisent dans les quartiers sur la base de rétributions des habitants. Ces forces recrutent exclusivement dans la jeunesse désœuvrée des villes qui traquent les voleurs et autres maltrats à travers les rondes nocturnes qu'elles effectuent. On les appelle les « Van Banga ». Les Van Banga tuent ou vilipendent sans aucune forme de procès, et la police, comme soulagée, ferme les yeux sur ces actes qui défient tous les jours la justice de l'Etat. Toujours en zone urbaine, on relèvera la prolifération des sociétés de police privée, opérant surtout dans le gardiennage. Ces sociétés, nées ces dernières années avec la crise de l'Etat, prennent une ampleur grandissante qui dans le fond constitue une manifestation de l'incapacité de l'Etat à exécuter ses fonctions classiques de maintien de l'ordre qu'il accepte volontiers de concéder à des structures privées. Dans les zones rurales, il apparaît une faible institutionnalisation de l'Etat, quand il n'est pas tout simplement inexistant. Il y subsiste toujours des loyautés concurrentes à l'Etat. En effet, assez souvent, l'univers politique et administratif de la population s'est limité à l'espace local où domine la chefferie perçue comme une institution qui perpétue la tradition politique locale. En fait l'Etat éprouve beaucoup de difficultés à supplanter les formes de légitimité préexistantes qui gardent dans beaucoup de cas leur vitalité.
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Relevons aussi l'activation du phénomène religieux qui s'est traduit par une prolifération d'associations islamiques, porteuses de références concurrentes à celles de l'Etat. Au Niger, bien que la revendication de ces associations ne soient pas ouvertement politiques, elles méritent d'être observées, à travers leurs prêches, leurs prises de position, leurs pratiques et même leurs relations internationales pour comprendre leur orientation et les objectifs qu'elles se fixent. On peut aussi relever des situations qu'on pourrait qualifier d'anomiques, car se traduisant par une absence de repères. Les effets en sont parfois tragiques. Que l'on pense aux vendettas qui, comme à Toda en 1992, ont occasionné des massacres efIToyables suite aux bagarres entre éleveurs et agriculteurs. Les événements de Toda se produisent alors que l'Etat entretient des structures chargées de gérer ou de résoudre ce type de litiges qui les ont occasionnés7o. A un niveau plus général, le cas du Niger se caractérise par l'existence, du fait de la rébellion armée dans le nord et l'est du pays, d'une querelle de légitimité entre l'Etat et les forces de la rébellion qui revendiquent la légitimité sur certaines régions du pays. Cette rébellion, à travers ses attaques contestent ouvertement l'autorité de l'Etat qu'elle tente de récupérer pour son propre compte dans les zones de conflit. Là, c'est de l'intégrité territoriale qu'il s'agit. Aussi, l'Etat est-il contesté dans l'exercice du monopole de la violence sur son territoire. Il est concurrencé par des forces qui veulent la lui ravir sur certains pans de l'espace qu'il domine. Une telle situation rend sa dynamique centripète et son développement aléatoire. Il ressort de ces analyses, que le processus d'autonomisation de l'Etat nigérien reflète d'un coté l'existence d'un Etat capturé, patrimonialisé dans une large mesure par les détenteurs des positions de pouvoir et sous dépendance économique et financière endémique vis-à-vis de l'extérieur en l'absence d'une matière première capable de lui procurer des ressources suffisantes. De l'autre, un Etat en crise qui n'arrive toujours pas à s'imposer et qui est sans cesse supplanté ou tout au moins concurrencé, soit par des forces qui veulent l'intégrer en limitant son espace de souveraineté et 70 La question foncière au Niger oflTe un terrain privilégié pour ce type de conflit.
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partant son autonomie, soit par des forces multiformes qui veulent le désintégrer en diminuant son impact et ses espaces de domination. En conclusion, on peut dire que la dynamique de l'Etat post colonial au Niger procède par institutionnalisation en s'appropriant le contrôle territorial et en opérant sur celui-ci par la mise en place progressive d'une bureaucratie et de normes nouvelles y afférentes, destinées à le légitimer et à l'universaliser sur son espace d'identification. Cette dynamique de l'Etat procède simultanément par autonomisation. Cette dernière variable permet de considérer le degré de différenciation des institutions étatiques par rapport aux groupes sociaux qu'il domine. Il est ressorti de ces développements que l'Etat nigérien, comme l'ont montré sa capture, sa dépendance puis sa crise, ne s'est que très faiblement différencié en l'étape actuelle de son développement, s'il n'est souvent remis en cause dans son existence même. Il serait prétentieux d'aller au-delà de ces généralités qui révèlent malgré tout l'enclenchement d'un réel processus d'étatisation. Si l'on admet que tous les Etats peuvent être aussi le produit d'une «dérivation créatrice », comme le dirait Bayart71, et que leur trajectoire n'est ni déterminée, ni rectiligne mais résulte d'un processus historique spécifique, alors il faut considérer la dynamique de l'Etat nigérien comme la manifestation d'une trajectoire particulière. Toutefois, sa forme spécifique reste fortement tributaire de la tradition jacobine, héritée du modèle français. Mais il ne faut pas pousser plus loin les similitudes en raison précisément de la faible capacité de l'Etat nigérien à (re)produire les moyens de son propre développement, ce qui oriente sa dynamique vers des pôles qu'il ne contrôle pas toujours. 71 Op. cit, p8
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gestion des les logiques
Boubacar YAMBA, Maître-Assistant de géographie Université A.M de Niamey
Introduction Depuis plusieurs décennies, l'ampleur des problèmes liés à la destruction du couvert végétal suscite tant au Niger que dans les autres pays sahéliens de nombreuses réactions. La plupart des entreprises menées avec plus ou moins de succès, s'inscrivent essentiellement dans le cadre global de la lutte contre la désertification. D'une manière générale, la prise de conscience des problèmes écologiques est ancienne: déjà, en 1850, les premiers agronomes français installés au Sénégal ont fait remarquer le dessèchement de l'Afrique de l'ouest. A partir de 1890 de nombreux explorateurs ayant sillonné le Sénégal, le Soudan et le Niger ont signalé le phénomène d'aridification 1. Si les termes d'aridification et de dessiccation pour désigner les déséquilibres écologiques sont anciens, il n'en est pas de même pour celui de désertification, utilisé pour la première fois par Aubreville en 1949. La présente réflexion tentera de dresser le bilan des principales réalisations conduites au Niger en réponse à la crise environnem entai e. Il s'agira de mesurer l'impact des interventions directes des pouvoirs publics dans la préservation de l'environnement en général et des ressources ligneuses en particulier. Ainsi, nous étudierons successivement les actions entreprises par l'administration coloniale, par les pouvoirs publics nationaux et les organismes d'aide au développement. Pour y parvenir, nos efforts ont porté en premier lieu sur le dépouillement des archives coloniales, des rapports administratifs et des différents programmes de développement nationaux. Dans la démarche, nous donnerons d'abord une vision d'ensemble de la politique de développement rural et, ensuite, dégagerons, la place accordée à la question environnementale. Une telle investigation présente le double 1 S.O.S. Sahel Niger, 1984.
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avantage de défmir le cadre d'évolution des différentes stratégies mises en oeuvre et de comprendre le sens d'une histoire qui a sa propre logique.
1. L'administration coloniale et son oeuvre La période coloniale a été surtout caractérisée par l'instauration d'une législation forestière. Celle-ci réglementait l'accès et l'utilisation des ressources forestières. Dans un premier temps, les mesures législatives et réglementaires ne concernaient pas seulement le territoire nigérien mais l'ensemble de la fédération de l'Afrique Occidentale Française (A.O.F.). La législation forestière directement inspirée du code forestier français fut d'abord appliquée à la colonie du Sénégal en 1901 avant de s'étendre progressivement aux autres pays.
1. 1. La réglementation
forestière coloniale au Niger
Commencée avec la conquête du pays par la France à la fm du XIXème siècle, la période coloniale s'est achevée avec l'indépendance du pays le 3 août 1960. C'est tout au long de cette période que fut progressivement édifiée la réglementation forestière. Elle était l'œuvre de l'administration coloniale, venue avec une tradition de réglementation de la gestion forestière constituée de longue date, en fonction de la situation métropolitaine. Les colonisateurs disposaient d'un recul vis-à-vis de ce qu'ils observaient dans les régions conquises. Ils pouvaient circuler et comparer la situation des différentes régions. Il ne faudrait pas non plus oublier le rôle des ingénieurs des eaux et forêts, avec leur doctrine, leurs modes, leur organisation corporative qui ont marqué les politiques forestières, tant en France que dans les colonies. C'est donc muni d'un outil conceptuel déjà constitué que le pouvoir colonial s'est attaché à réglementer l'utilisation des ressources forestières. Mais, compte-tenu des conditions naturelles, le Niger n'était pas considéré comme un pays forestier. La forêt, au sens européen du terme, c'est-à-dire" un espace dévolu à la production de produits forestiers" n'existait pas. En effet, il y avait une distinction qualitative entre les produits forestiers exportables et ceux justiciables des droits d'usage. En dehors des produits exportables, toute autre végétation naturelle avait une valeur supposée nulle. Autrement dit, seuls les produits forestiers mobilisables dans un but commercial pouvaient intéresser le pouvoir colonial. Or, la colonie du
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Niger ne disposait pas de ressources forestières susceptibles de fournir des ressources à l'Etat. Il n'y avait donc pas un grand profit à tirer de l'environnement. Pour cette raison, aucun plan de développement forestier ne fut élaboré; aucune politique forestière conséquente n'a été définie. Au départ, la prise en compte des problèmes environnementaux dépendait du choix personnel de l'administrateur. Mais, progressivement, des décrets et arrêtés ont permis d'asseoir une réglementation territoriale de portée générale. Des rapports administratifs des années 1920 ont provoqué la réaction des responsables coloniaux et ont abouti à des réglementations locales, puis territoriales. En témoignent les lettres-circulaires des lieutenants-gouverneurs adressées aux commandants de cercles. Ce fut le cas, en 1925, du Lieutenant-gouverneur par intérim, qui écrivait ceci: " J'attire spécialement votre attention sur la nécessité de constituer en réserves, dans les endroits où les ressources le permettent, et autant que possible dans chaque canton, des espaces couverts ayant une certaine étendue. Une fois choisis et délimités par vos soins, ces espaces seront, par arrêté du chef de la colonie, soustraits à l'exercice des droits coutumiers d'usage des indigènes, qui devront s'abstenir en particulier d'y installer des villages, des campements ou des cultures, d'y pratiquer des coupes, d'y chasser et d'y laisser divaguer le bétail. L'accès en sera interdit aux nomades".2 Dans une circulaire non datée (probablement de 1926) le Lieutenantgouverneur Brévié s'adressait à tous les commandants de cercle du Niger en leur disant: " Il Y aura lieu de vérifier l'état des plantations faites en 1925, d'étendre celles qui ont été entreprises dans les réserves forestières, de développer le reboisement des centres administratifs et d'inciter enfin les chefs indigènes à multiplier les plantations aux abords des villages, des points d'eau, des campements, des routes etc...". Au niveau local, les responsables
administratifs
régionaux
- commandant
de
cercles et chefs de subdivision- effectuaient régulièrement des tournées dans leur circonscription. Ils faisaient ensuite des comptes-rendus sur les questions ayant une incidence financière, économique, sociale, administrative et politique (recensement administratif pour l'impôt de 2 Lettre-circulaire n° 7 AG/2, 1926.
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capitation, contrôle du mouvement des populations, etc...). Le problème du déboisement, comme contrainte majeure à la production agricole, est constamment apparu dans les rapports établis au niveau des cantonnements ou des inspections forestières. Ils faisaient état des problèmes forestiers observés localement et concluaient bien souvent par des propositions comme en témoignent celles formulées par Alba, Inspecteur Général des Eaux et Forêts, parues dans un rapport publié à Dakar en 1949, suite à une mission qu'il a effectuée dans le territoire du Niger du 25 novembre 1948 au 4 décembre de la même année. Ses propositions pour "protéger l'habitabilité du pays" étaient les suivantes:
- fixation d'une limite Nord des cultures; - constitution - obligation
du domaine forestier classé, partout où ce serait possible;
- lutte
les feux de brousse.
de conserver dans les terrains de cultures un certain nombre de pied de Faiderbia albida; contre
Ces quatre propositions vont par la suite constituer l'ossature de la réglementation en matière forestière dans la colonie du Niger. Non seulement elles furent appliquées à l'époque coloniale mais continuent, aujourd'hui encore, d'inspirer la plupart des programmes environnementaux. Les nombreuses études monographiques rédigées par les administrateurs - le plus souvent des stagiaires - qui n'ont pas manqué de mettre en exergue le problème de l'exploitation incontrôlée des ressources végétales et des sols sont révélatrices de ce mouvement de prise de conscience. Par exemple, dans une monographie du cercle de Maradi, on lit ceci: "...1'extension de la culture de l'arachide vers la zone nord risque de modifier les méthodes locales de cultures en diminuant la durée des jachères, il sera nécessaire dans un proche avenir de veiller à ce qu'un déboisement inconséquent de ces régions ne les rende pour longtemps stériles. "3 Dès 1934, la nécessité d'une législation efficace était apparue. Elle faisait suite au rapport du professeur de foresterie E.P. Stebbing de l'Université d'Edimbourg, qui après une tournée effectuée dans la région frontalière entre 3 Monographie du cercle de Maradi, 1950.
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le Niger et le Nigéria, lançait devant la Société Royale de Géographie de Londres, un cri d'alarme sur les risques d'ensablement qui menaçaient de vastes territoires habités, s'étendant du fleuve Niger au Lac Tchad. L'appel fut entendu et, deux années plus tard, une mission conjointe francobritannique était chargée de vérifier le problème du déboisement. Elle avait pour objectif" d'enquêter des deux côtés de la frontière, et réunir tous les renseignements concernant: le progrès de la dessiccation; l'étendue sur laquelle le pays forestier a laissé la place à la steppe ou aux herbages; l'étendue des nouvelles régions désertiques et les raisons de cette situation, en se rapportant au problème de la dessiccation hâtée par l'action de l'homme du fait de la culture et de l'élevage non contrôlé. Après avoir terminé cette enquête et établi des conclusions, décider dans les grandes lignes, ce qui pourrait être une action combinée des autorités françaises et britanniques pour préserver ou établir, au moyen de protection ou d'afJorestation, la forêt nécessaire à la continuation de la vie agricole dans les régions visitées. "4 La conclusion de cette mission appelait les gouvernements français et britannique à prendre des mesures générales de protection. C'est à partir de ce moment que fut élaborée une réglementation forestière sur laquelle des programmes d'actions spécifiques se sont greffés par la suite. Il fallait répondre aux préoccupations exprimées de façon répétée à tous les niveaux de la hiérarchie administrative. Le souci majeur était alors de limiter les abus commis par la population en protégeant un potentiel naturel dont la dégradation affecterait l'économie de la colonie. Comme on le voit, l'histoire de la prise de conscience des problèmes environnementaux tant au Niger que dans le reste de l'A.O.F. a été précoce. L'époque coloniale a doté le Niger des règles forestières qui ne pouvaient s'exercer qu'en s'appuyant sur de multiples éléments. 4 Bois et Forêt des Tropiques
n° 148, 1973.
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1.2. Les moyens et l'organisation forestière coloniale.
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de l'administration
Le décret de 1930 instituait en AOF le service des Eaux et Forêts et définissait ses attributions. Par la suite, de nombreuses restructurations sont intervenues au niveau des différents territoires. Dans la colonie du Niger, l'arrêté 54/SF du 9 janvier 1953 créa la direction des Eaux et Forêts et de Chasse au niveau central et deux inspections régionales: l'inspection de l'Est, et celle du Fleuve, chacune étant subdivisée en cantonnements et, ceux-ci en brigades. La structure administrative correspondait aux deux principales activités du service, à savoir: la production de la gomme arabique et la fourniture de bois de chauffe pour l'armée et celle de bois de service pour la construction des bâtiments publics. L'inspection de l'Est avait pour siège Zinder et comprenait plusieurs cantonnements: Tahoua, Maradi, Zinder, Gouré et Mainé Soroa. L'essentiel de son activité concernait la cueillette de la gomme arabique produite par Acacia senegal ou Acacia verek. La cueillette de la gomme constitue l'une des plus anciennes activités du service forestier au Niger. Outre celle-ci, l'inspection devait assurer le ravitaillement des compagnies militaires en bois. L'inspection du cantonnements de sur la surveillance charbon et de bois
fleuve avait pour siège Niamey et englobait les Tillabéry, Niamey et Gaya. Son activité était surtout axée des boisements servant à la production de bois de feu, de de service.
L'organisation administrative long de la période coloniale, forestières. La réorganisation fonction de l'évolution des financières et humaines.
a subi de nombreuses modifications tout au avec la création de nouvelles circonscriptions répondait surtout à un souci d'efficacité, en conditions écologiques, socio-économiques,
Pour être plus efficace, il a été instauré un corps para-militaire d'agents forestiers, chargé d'assurer la réalisation des objectifs définis par la Direction centrale. Mais l'administration forestière s'est trouvée handicapée par une insuffisance quantitative et qualitative de son personnel, d'autant plus grave que le territoire à couvrir était immense. Cette carence a bloqué
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l'application correcte de la réglementation forestière et, par conséquent, n'a pas permis une mission efficace du service concerné. Aussi les autorités ontelles surtout privilégié la surveillance des domaines classés en réduisant le secteur d'intervention essentiellement à la police forestière. Fort heureusement, sur le terrain, la polyvalence des agents administratifs a permis, dans certains cas, de suppléer au manque de personnel: les tournées de recensement étant l'occasion pour eux de contrôler les boisements et de jouer le rôle de forestier. Au plan fmancier, la situation du service forestier n'était pas bonne. En effet, pendant longtemps, le principe de base de la politique foncière était de généraliser auprès des populations locales l'adoption de la propriété privée. Mais, dans l'ensemble, les autochtones ont ignoré le principe de l'immatriculation. Face à ce problème, il revenait à l'Etat de gérer seul le domaine forestier. Si, dans certains territoires coloniaux, l'exploitation de la forêt générait des revenus importants et réguliers dont les bénéfices pouvaient être réinvestis dans son entretien, ce n'était pas le cas au Niger. La forêt n'alimentait qu'une faible activité d'exportation et, par conséquent, avait une fonction économique très limitée. Cette considération a freiné les investissements et orienté ceux-ci vers des domaines précis.
1.3. Les principales activités forestières La période coloniale a vu la réalisation de diverses actions forestières allant de la délimitation des espaces forestiers à la restriction et au contrôle des activités humaines, notamment l'abattage des espèces protégées. La plupart des réalisations entreprises localement entraient dans le cadre des grandes lignes définies par la Direction centrale. Mais, comme nous le verrons par la suite, elles ont été faites dans le but de protéger des milieux ayant un intérêt économique réel ou potentiel; il fallait limiter ou soustraire les espaces productifs de l'influence destructrice de l'homme. Pour sauvegarder les réalisations, il fallait sanctionner les infractions portant sur le trafic de bois, sur l'abattage et la mutilation des essences protégées, sur les feux de brousse et autres délits en forêts classées. Conformément à la législation, l'accès au bois était assujetti à la détention d'un permis. Mais ce n'était pas toujours le cas et de nombreux abus ont été enregistrés. Rien qu'au cours de l'année
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1953, quelques 690 procès-verbaux relatifs à la coupe des espèces protégées ont été établis pour le territoire.5
1.3.1. la constitution
d'un domaine classé
La constitution d'un domaine classé fut l'entreprise la plus spectaculaire par son ampleur et surtout par ses impacts sociaux et économiques. Le classement" est la procédure qui change le statut juridique de droit commun d'une superficie à vocation forestière pour la soumettre à un régime réglementaire plus précis et parfois plus restrictif'6. Le classement d'une forêt se faisait par arrêté gouvernemental sur proposition de l'autorité administrative locale qui soumettait un avant-projet. Celui-ci déterminait l'étendue de la superficie à classer. Après la promulgation de l'arrêté, l'espace classé était aborné et les populations informées du nouveau statut. Le classement répondait à une fonction précise: conservation d'un boisement, réserves de faune et de flore, parcs nationaux, réserves de chasse. Le classement a été appliqué tout au long de la période coloniale et s'est poursuivi même après l'indépendance du pays. La création des forêts classées a commencé dans les années 1930, dans ce qui sera plus tard le département de Diffa et celui de Dosso. Pendant cette période, le classement a concerné essentiellement les gommeraies du cercle du Manga. La décennie 1950, enregistra le rythme de classement le plus important de la période coloniale, avec un total de 106.250 hectares. Pratiquement l'ensemble des régions du pays furent concernées surtout les cercles de Niamey (52.755 hectares), de Maradi (22.800 hectares) et de Zinder (17.391 ha). La période coloniale a donc été l'âge d'or de la constitution d'un domaine classé nigérien. Entre 1921 et 1950, 481 forêts ont été classées dans l'ensemble de la fédération de l'A.O.F. dont 58 pour la colonie du Niger. Au total, ce furent 63 forêts classées et réserves que l'administration coloniale a immatriculées, en particulier durant les trois dernières décennies de la période coloniale. Il faut souligner que, dans le territoire nigérien, la procédure de classement n'a pas touché en priorité les régions les plus menacées par le déboisement. Les classements les plus anciens 5 Rapport annuel, Service des Eaux et Forêts et Chasse, 1953. 6 Mémento du forestier, 1989, p 680.
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correspondent plutôt aux boisements de caractère spécial en particulier les gommeraies. Il existait trois types de forêts classées. Les forêts de production: il s'agit des gommeraies du Manga et des kapokiers du cercle de Dosso. Leur classement répondait à une préoccupation strictement économique étant donné que la gomme arabique faisait l'objet d'un commerce fructueux. Les données fiables sur la production de la gomme sont rares mais, d'après les quelques informations disponibles, le Niger était considéré comme un grand producteur. Selon les estimations, la production aurait été de 900 tonnes en 1953 et 500 tonnes en 1954.7 A titre de comparaison, entre 1976 et 1982, la quantité commercialisée s'élevait à quelques 1.682 tonnes.8 Cette même considération économique était également valable pour les boisements de kapokiers. En 1955, la production cumulée de 192 tonnes de kapok furent achetées sur le marché de Dosso (rapport annuel, 1955). Par ailleurs, certaines forêts comme celle de Takiéta ou celle de Niamey "aviation" ont été classées dans le but de produire du bois notamment pour les casernes militaires. - Le second type de classement a concerné les réserves cynégétiques et les circuits touristiques. Par exemple, sur 86.000 ha classés en 1955, 83.000 étaient des réserves de faune. La plus importante était la réserve de faune de Gadabedji dans le cercle de Maradi qui couvrait 76.000 hectares. - le troisième type correspond aux forêts de protection destinées à maintenir le potentiel productif des terres, notamment dans les régions où l'extension de la culture arachidière menaçait très sérieusement l'équilibre agro-écologique et mettait en danger le potentiel productif des terres. Ces types de forêts classées ont été créés pour la plupart après 1950, à la suite de nombreux cris d'alarme sur la destruction de la végétation naturelle. Le classement a concerné essentiellement l'inspection de l'Est. L'ensemble du domaine classé du cercle de Maradi, coeur de la région arachidière de la colonie, datait de cette époque. 7 Ministère de l'environnement, 1990, p 37. 8 P.N.L.C.D., doc. ill, 1985.
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Le classement a certes marqué la période coloniale, mais il convient de signaler que cette politique ne faisait pas l'unanimité au sein même de l'administration forestière. A propos du classement de la réserve de Gadabedji, un rapport de 1955 disait ceci" il est inconcevable que l'on puisse, pour protéger quelques bêtes sauvages, interdire aux troupeaux du Sahel les pâturages bien desservis en puits sur 76.000 ha"9. 1.3.2. Constitution
des périmètres de restauration
Le décret du 12 mai 1955 pris en application de la loi 55/349 du 2 avril 1955, prévoyait la création des périmètres de restauration. Le régime forestier défmit dans son article 6 de la première section le périmètre de restauration comme" les parties de terrains nus ou insuffisamment boisés comprenant les versants montagneux dont la mise en oeuvre serait reconnue indispensable; les berges sableuses ou instables des rivières et des fleuves; les terrains ou pourraient se produire des ravinements et éboulements dangereux". Il consiste à interdire pour une durée limitée, toute forme d'utilisation d'un endroit où l'exploitation est jugée néfaste pour l'équilibre du milieu. C'est une technique de régénération naturelle permettant de lutter contre les feux et le bétail, deux facteurs largement responsables de la destruction du couvert végétal. En procédant à la protection des espaces, on facilite la reconstitution des milieux. La restauration visait également à la conservation des peuplements naturels et surtout l'amélioration des terres de culture en particulier celles consacrées à la culture arachidière. Mais bien avant 1955, l'interdiction s'appliquait déjà sous le vocable de mise en défense Entre 1949 et 1954, 43.922 hectares furent ainsi soustraits de l'action de l'homme et des animaux. Il existe plusieurs formes de mise en défens; elle peut être partielle ou totale, temporaire, assistée ou non et artificielle. Dans une mise en défens totale, toute forme d'exploitation est proscrite, alors que dans la forme partielle, les paysans reçoivent l'agrément du service forestier pour une exploitation qui préserve la régénération (par exemple pour le ramassage du bois mort ou la cueillette des fruits ou le fauchage des herbes). La mise en défens temporaire prend fm avec la restauration des milieux; néanmoins le service forestier continue à exercer une surveillance en veillant à une exploitation rationnelle 9 Rapport annuel de l'administration des Eaux et Forêts, 1995, p3. 136
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par les populations. L'application d'une formule dépend des conditions physiques et de l'environnement social du milieu d'intervention. Ainsi, de nombreuses jachères furent classées en périmètre de restauration surtout dans l'inspection de l'Est, en particulier dans deux régions:
- la zone Maradi-Magaria : la culture de l'arachide en 1955 occupait déjà dans cette région des surfaces de l'ordre de 160.000 hectares sur un total de 200.000 pour l'ensemble du pays (monographie du cercle de Maradi, 1949). On notera principalement les périmètres de Tapkin-kaya, DanIssa et Tibiri. - le cercle de Tahoua : pour remédier aux risques liés à la surexploitation des sols. Cette région densément peuplée et surexploitée était déjà sous la menace d'une destruction des terres qui n'a fait que s'aggraver par la suite. Il s'agit principalement des périmètres de Chadawanka et Guidan Ouhoumoudou. La mise en défens a porté également sur des peuplements naturels de gommiers (Acacia senegal) de l'Est du pays. 1.3.3. La fixation de la limite nord des cultures Elle entrait dans le cadre de la protection des milieux où la pratique de l'agriculture est considérée incompatible avec l'équilibre des biotopes. En effet, en février 1948, l'inspecteur principal des eaux et forêts M. Roure, assurant l'intérim de l'inspecteur général des forêts de l'A.O.F. écrivait dans son rapport de mission ceci: "bien que le territoire du Niger se trouve presque en totalité dans la zone sahélienne et pré saharienne,... il est pratiqué une politique officielle de l'extension de l'arachide. Les témoignages arides du Cayor et du Baol au Sénégal, déboisés par le passage de l'arachide, sont pourtant là pour nous alerter. .. la formation forestière régresse devant la rotation accélérée des cultures et disparaît infailliblement après 2 ou 3 rotations en même temps que la culture de l'arachide devenue impossible". A la fin du rapport, il faisait une proposition allant dans le sens" du maintien de l'habitabilité du pays", en proposant la fixation d'une limite Nord des cultures. Il a fallu attendre 4 ans c'est-à-dire 1952, pour que l'idée soit concrétisée. La ligne allait de N'guigmi (à l'extrême est de la colonie) à 137
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Labbézzenga (à l'ouest), en passant légèrement au nord des agglomérations de Tahoua, Dakoro et Tanout. L'article premier du régime domanial et foncier interdisait l'implantation des groupements de cultivateurs au nord de la ligne; seul l'élevage extensif pouvait s'y pratiquer. Cependant il faut préciser que la fixation de la limite nord des cultures, bien qu'elle ait eu une incidence sur la protection des milieux, relève non pas de la loi forestière mais du régime domanial. 1.3.4. La lutte contre les feux de brousse De tous temps, les feux de brousse ont constitué un réel fléau pour la végétation naturelle au Niger. Déjà, dans les années 1920, les rapports administratifs soulignaient ce problème. Par exemple, pour la seule année 1953, 187 procès verbaux sur les feux furent établis par les services forestiers. Les régions les plus exposées et les plus fréquemment dévastées correspondent aux zones pastorales. Les feux de brousse sont rarement d'origine naturelle. Le plus souvent ils sont provoqués par la négligence des éleveurs ou des cultivateurs au moment de la préparation des terrains de culture. Quelle qu'en soit l'origine, les feux de brousse détruisent l'équilibre des biocénoses - en particulier entre le sol et la végétation - en réduisant quantitativement et qualitativement la biomasse et en éliminant la faune. Les sols dénudés par le feu se trouvent livrés à l'action de l'érosion; sans compter que les feux ont des conséquences économiques très graves (destruction des réserves alimentaires, du bétail, des pâturages, des villages etc...). Très tôt le réel danger que représentent les feux de brousse a été ressenti et l'on a compris la nécessité de mettre en oeuvre des moyens appropriés. D'une manière générale, toute action susceptible d'interférer avec les buts du classement ou de porter préjudice aux différents domaines forestiers était proscrite par la réglementation. Par conséquent il était interdit d'allumer des feux à proximité des forêts classées. Mais, bien souvent, les autorités administratives procédaient à la mise à feu contrôlée aux abords des forêts classées pour les protéger des incendies. Il s'agit là d'une stratégie visant à combattre les feux de brousse plus connue sous le nom de pare-feu. Cette technique a été jusqu'aujourd'hui, l'une des principales dispositions prises au Niger pour lutter contre les incendies. Les pare-feu sont des bandes débroussaillées et désherbées faites en fin d'hivernage afin de stopper la progression d'éventuels feux de brousse. Par ailleurs une action de sensibilisation était menée à l'endroit des populations. 138
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1.3.5. Enrichissement
et plantations
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d'ombrage
L'enrichissement s'applique au domaine forestier classé et aux espaces protégés. Son objectif est de faciliter la régénération des espaces où l'exploitation du bois entraîne une baisse du potentiel forestier. C'est une méthode d'aménagement employée pour accroître le capital forestier. La technique consiste, par exemple, à semer des noix de rôniers dans les forêts de production de bois de service ou à introduire une espèce dans les forêts destinées à fournir du bois de feu ou de service. L'enrichissement a surtout concerné les espaces à vocation forestière. Plusieurs espèces ont été utilisées pour l'enrichissement, en particulier Borassus aetiopium, Khaya senegalensis et Bombax costatum. Dans le domaine protégé, l'enrichissement permettait de maintenir un taux de boisement compatible avec les activités agricoles. Il faut souligner le fait que les initiatives d'aujourd'hui ont un passé. Dès les années 1950, Acacia albida a fait l'objet d'une vulgarisation notamment dans les régions arachidières intensément exploitées en particulier dans le centre du département de Maradi. Dans de nombreux villages furent installées des pépinières entretenues par les populations locales. Mais dans la plupart des cas, la méconnaissance des modes de germination de l'espèce limita cette entreprise. L'enrichissement a concerné également des forêts destinées à la production du bois de feu et du charbon. Le bois était surtout utilisé dans les casernes militaires. Le charbon de bois, en revanche, servait à faire rouler les véhicules équipés au gazogène. Or, le fonctionnement du gazogène nécessitait une importante quantité de charbon. Aussi, tout au long des principaux itinéraires suivis par les véhicules, les populations devaient constituer régulièrement des stocks de charbon, en particulier celui obtenu à partir du Prosopis africana qui possède un pouvoir calorifique élevé. Le second aspect de la sylviculture pendant la période coloniale a concerné la plantation d'alignement et d'ombrage. L'introduction de nombreuses espèces allochtones à croissance rapide a facilité leur large vulgarisation. Les plantations se faisaient sur les places publiques, dans les écoles, les marchés, le long des grandes artères et parfois dans les villages, le long de l'itinéraire emprunté par l'administrateur lors de ses tournées. Cette obligation faite à la population de planter et d'entretenir un alignement d'arbres se doublait d'un contrôle effectué par les administrateurs au moment des missions et autres tournées dans leurs circonscriptions. Plusieurs 139
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essences ont été ainsi plantées pour les alignements et pour l'ombrage: Cassia siamea, Khaya senegalensis, Flamboyant, Dalbergia sissoo, Prosopis juliflora, Azadiratcha indica, Bombax costatum. La plupart des essences ont donné un cachet particulier aux nombreuses agglomérations du pays, si bien que certaines essences font aujourd'hui partie intégrante des paysages urbains. Il est à noter que la sylviculture coloniale a surtout privilégié des espèces allochtones. Leur choix répond surtout à des critères de rapidité de croissance, d'utilité et de beauté pour les essences ornementales. Souvent, l'enrichissement était fait dans le cadre de la recherche forestière. Mais d'une manière générale, la recherche n'a pas bénéficié d'appui: il n' y avait ni moyens fmanciers, ni personnel qualifié. Seuls quelques essais d'introduction d'Acacia albida ont pu être menés à Kellé dans la région de Zinder, entre 1950 et 1955. On peut dire que cette époque a vu de nombreuses réalisations. Le pouvoir colonial a joué un rôle déterminant dans la préservation des peuplements forestiers. La protection s'est réalisée au prix de nombreuses contraintes et, cela, en dépit de la faiblesse numérique du personnel forestier. La politique forestière coloniale s'est surtout illustrée par son caractère répressif: qui n'a pas évité les abus, la législation forestière privant les populations de la maîtrise de leur milieu. La colonisation a été à la base de l'établissement d'un corpus législatif dans le domaine forestier. Mais, pendant longtemps, les questions touchant l'environnement dépendaient presque exclusivement de l'initiative du "commandant". Parfois, les rapports annuels mentionnaient la situation forestière pour se conformer à la tradition administrative, qui voulait que l'activité de tous les services étatiques soit présentée à la fm de l'année. Le classement et la surveillance des forêts de production de gomme et de kapok, la constitution de circuits cynégétiques et touristiques permettent de bien saisir la motivation du service forestier colonial. Il fallait préserver les endroits où les administrateurs pouvaient chasser, produire du bois notamment pour les besoins des garnisons militaires et protéger des produits susceptibles d'être exportés. Par exemple, en 1953, le rapport annuel du service forestier indique que" 95% des crédits mis à la disposition du Niger par le budget fédéral ont servi à l'organisation des circuits cynégétiques". La protection des gommeraies indique également les réelles motivations de l'administration coloniale. Le classement des peuplements des gommiers
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s'est fait dans un but exclusif de production. Il permettait d'écarter toute forme de concurrence qui mettrait en danger la productivité des boisements. L'intérêt accordé aux gommerai es a été tel que des cadres forestiers ont séjourné dans de petits villages pour en assurer la protection. Au plan de la politique globale de développement, la question environnementale au sens large du terme n'était pas au premier rang des préoccupations de l'administration coloniale. Elle était occultée au départ par le souci de développer la culture arachidière, donc à l'extension des défrichements générateurs de déboisement. Néanmoins, vers le milieu des années 1950, des soucis de conservation du milieu commencèrent à se faire jour et les cris d'alarme furent lancés. La lutte pour la conservation des milieux se justifiait par le souci de maintenir la productivité des terres agricoles, destinées à la culture arachidière. Elle apparaissait donc comme une façon, pour le pouvoir colonial, de veiller à la diligence de ses propres intérêts. Cette affirmation trouve sa justification dans l'installation au niveau des régions arachidières de la plupart des périmètres de restauration et les classements intervenus après 1950. L'élément favorable de l'action coloniale a été la continuité. L'administration était présente pendant des années et pouvait entreprendre des actions à long terme. Quelles qu'en aient été les motivations, la politique de classement a largement contribué à la sauvegarde du capital forestier actuel.
2. Les grandes lignes de la stratégie forestière depuis l'indépendance Le 3 août 1960, le Niger accéda à l'indépendance politique. Mais ce fut aussi une période marquée par la continuation des luttes politiques, commencées à la veille de l'indépendance. Dans le domaine économique, plusieurs plans de développement furent établis. Depuis cette date, le service forestier connut diverses restructurations administratives. Parallèlement, il a défini plusieurs orientations. Beaucoup de réalisations ont été faites avec des degrés divers de succès. Mais, dans l'ensemble, les grandes orientations de la période coloniale ont été maintenues. En effet, après l'indépendance, le pouvoir a certes changé mais les objectifs forestiers n'ont pas été réellement redéfmis. Cela se comprenait,
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car le manque de cadres obligea le pays à accepter l'assistance technique de l'ancien colonisateur. Les mêmes activités forestières ont continué: la surveillance des forêts classées, la politique d'ombrage et d'alignement et la politique de répression. Le service forestier a axé également ses efforts dans l'enrichissement du domaine protégé, dans l'ensemencement des champs en Acacia albida, et celui des forêts classées destinées à l'exploitation. Trois grandes étapes ont marqué la stratégie forestière depuis l'indépendance. Chacune des périodes correspond à un changement d'orientation de la politique forestière:
- de l'indépendance - de 1974 à 1984 - de
à 1974
1984 à nos jours.
2.1. La période 1960-1974 : l'ère de la continuité Cette époque s'est caractérisée d'abord par l'instauration du premier plan triennal intermédiaire 1961-1963 appelé Plan de Développement Economique et Social. L'indépendance politique devait se concrétiser par des programmes de développement. Le Niger entrait dans une phase de construction de l'Etat. La politique gouvernementale s'organisait autour de trois objectifs prioritaires: l'unité nationale, l'amélioration du niveau de vie des populations et l'indépendance réelle. Pour atteindre ces objectifs, l'accent fut surtout mis sur l'accroissement de la production et l'exportation des cultures comme l'arachide et le coton. Il fallait se développer en consacrant un effort particulier à l'accroissement de la production nationale. L'ensemble de l'appareil de l'Etat était dès lors mobilisé autour de cet objectif Au cœur de cette politique, furent développés des organes d'animation et de sensibilisation chargés d'exhorter la population à produire davantage, afin de stimuler les exportations génératrices de devises. Ainsi, toute l'économie nationale tombait sous l'emprise de cette politique de production. Par exemple, dans le domaine de l'élevage, on accrut la capacité pastorale avec la création de nombreux forages destinés à pallier les problèmes d'abreuvement des troupeaux. Cette politique trouvait des échos favorables au niveau du marché international. Aussi, une part importante des quelques 1,5 milliards de 142
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trancs C.F.A. représentant l'aide européenne au Niger à cette époque se destinait essentiellement à la production. C'est ainsi que 1.405 millions de francs C.F.A. et 149 millions de francs CFA furent investis respectivement dans la production de l'arachide et celle du coton.l0 La mise en place des structures coopératives comme appareil de commercialisation, et la création, en juin 1963, d'une société chargée de la commercialisation de l'arachide, en l'occurrence la SONARA, constituèrent des éléments clefs de cette politique. Elle porta rapidement ses fruits car en 1964, l'exportation de l'arachide décortiquée rapporta à l'Etat quelques 3.218.540.000 ftancs C.F.All. Les quantités exportées progressèrent rapidement si bien qu'en 1965 le budget du pays (s'élevant en recettes et en dépenses à 6.398.000.000 ftancs CFA) était couvert par les seules ressources intérieures. De 54.224 tonnes en 1961, l'exportation arachidière a atteint le chiffre de 85.627 tonnes en 1963.12 D'une manière globale, l'accroissement de la production stimulée était obtenu par la mise en culture de nouvelles terres: diversification de l'occupation au sud; progression des terres agricoles vers le nord. Malgré une certaine fluctuation, la production montrait une tendance à l'accroissement, jusqu'à la sécheresse de 1968. Cette évolution eut des conséquences dramatiques sur la végétation ligneuse. Les nouveaux déboisements se sont soldés par la disparition quasi totale des peuplements forestiers, partout où les conditions écologiques permettaient la culture. Il convient de préciser que la politique de développement rural, tournée essentiellement vers la production et l'exportation des produits agricoles, menée par les autorités post-coloniales nationales n'était pas un fait nouveau. Elle était le prolongement de celle de l'époque coloniale, à la différence toutefois que les exigences du décollage d'une économie nationale ont conduit à une forte augmentation de la demande de ressources d'exploitation. Face à l'orientation donnée à l'économie, la politique forestière ne constituait pas une priorité. C'est pourquoi aucun classement de forêt n'a été effectué à cette période. En outre, les autorités ont poursuivi la démarche de "police forestière", mais sans véritables moyens. Face à la 10 Marchés tropicaux,
octobre 1964
Il Marchés tropicaux,
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12 Marchés tropicaux,
n08, 1961, n° 4, 1963.
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remontée vers le nord des implantations agricoles, la limite nord des cultures a été reculée, mais sans véritable effort pour la faire appliquer. Sur le terrain, l'érosion faisait planer une menace de dégradation irréversible sur plusieurs régions du pays, en particulier dans l'Ader-Doutchi et la région de Maradi, où l'augmentation continuelle de la pression sur les terres agricoles, du fait de la croissance démographique et de la poussée arachidière, nécessitait des mesures urgentes de protection. Cette situation suscita la réaction des pouvoirs publics. Elle s'est concrétisée par la production en pépinières de 130.000 plants forestiers destinés au reboisement. En réalité depuis la fm des années 1960, déjà, le problème de ravitaillement des villes en bois de feu se posait. En 1966 un rapport du service forestier chiffrait la consommation à 1.007.718 stères pour l'ensemble du pays. Cette situation explique l'importance croissante accordée à la création des pépinières pour le reboisement autour des centres urbains de l'époque, la pratique de reboisement ayant commencé depuis 1958, mais de manière timide. L'une des principales réalisations a concerné "la ceinture verte", un programme de reboisement de 1000 mètres de largeur autour de la ville de Niamey. La première tranche a commencé en 1963 et l'opération s'est progressivement étalée jusqu'en 1981. Jusqu'en 1966, l'une des principales nouveautés, par rapport aux activités classiques du service, a concerné l'amélioration et l'extension des palmeraies dans les régions à vocation phoenicoles d'Agadez, d'ln Gall et de Gouré. Mais, malgré tout, le secteur forestier apparaissait comme le parent pauvre des services étatiques puisque les investissements qui lui étaient accordés représentaient moins de 3% du total. Par ailleurs, la non-maîtrise de certains aspects de la foresterie entravait l'efficacité de la plupart des efforts. C'est pourquoi, à partir de 1966, les autorités nigériennes ont confié au Centre Technique Forestier Tropical (C.T.F.T) des recherches sylvicoles dans le domaine de la régénération de certaines essences forestières, introduites ou locales, sur les techniques d'enrichissement et de plantation et sur la conservation des sols. Le C.T.F.T. a surtout mis l'accent sur la recherche, notamment sur l'étude et l'essai d'Eucalyptus et dans la réalisation de plantations pour la production du bois de feu et pour la protection des cultures dans les arrondissements de Konni, Bouza, Madaoua et Illéla, tous situés dans le département de Tahoua. C'est à partir de 1966 également que les programmes d'action sous forme de projets de développement ont été
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entrepris. Mais dans l'ensemble l'activité forestière était restée timide; elle se limitait essentiellement à la délivrance des permis de coupe aux exploitants privés. La timide sensibilisation née de l'instauration en 1962 de la fête de l'arbre, ne pouvait limiter la destruction des ressources ligneuses. Les difficultés de contrôle nécessitaient aux yeux des responsables forestiers un renforcement du dispositif de répression: à la date du 30 septembre 1966, on dénombrait pour l'ensemble du pays un total de 61 gardes forestiers, gardes auxiliaires et goumiers chargés du contrôle et de la répression. Au regard de l'immensité des régions à couvrir, un tel effectifne pouvait être que peu efficace. C'est dans ce contexte qu'intervint le plan quadriennal 1965-1968 qui s'est attelé à mettre en place la décentralisation à l'échelon régional et local (décrétée par la loi de juillet 1964). Cette politique de régionalisation comportait trois volets prioritaires, à savoir la mise en place des structures administratives au niveau national, l'installation des structures de production, et les relais de régionalisation. Cette période a vu, par ailleurs, l'application et le renforcement des textes fonciers relatifs d'une part à l'immatriculation au nom de l'Etat des terres aménagées par lui et, d'autre part, la suppression des privilèges acquis sur les terres par les chefferies. Ces dispositions législatives ont consacré l'appropriation par l'Etat de nombreuses terres. Au chapitre purement forestier, le programme quinquennal orientait ses priorités vers la reforestation des bassins versants et le ravitaillement en bois de feu et de service des agglomérations de plus de 3.000 habitants supposées être conttontées à des difficultés dans la satisfaction de leurs besoins. Après l'indépendance, il a fallu attendre la sécheresse des années 1970 pour voir les prémices d'une politique forestière. En réalité, les objectifs de l'Etat n'avaient pas échappé à l'emprise de l'orientation économique coloniale. Aucun changement structurel n'est intervenu; le modèle de développement préconisé s'appuyait sur la modernisation tournée vers les échanges avec l'extérieur. On continua à appliquer de manière rigide les règles coloniales; les plans étaient élaborés avec les anciens administrateurs coloniaux, devenus conseillers techniques. D'une manière générale, l'effort de production s'est peu soucié de l'environnement et a presque marginalisé le service forestier. Faute d'une politique conséquente, le pouvoir public s'est contenté d'accorder une caution de légitimité au service forestier pour 145
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résoudre un problème par la répression. Les faibles moyens financiers et le nombre insignifiant du personnel montrent à quel point le service forestier apparaissait, sans exagération, comme un appendice du développement rural. Aujourd'hui le comportement que nous avons décrit paraît aberrant; mais placé dans son contexte il se justifie pleinement. Il fallait bâtir un Etat, non pas sur les maigres moyens légués par la colonisation mais à partir des efforts propres du pays. On vaccina les animaux, sans se soucier de ce qu'ils allaient manger; la culture de l'arachide fut poussée à l'extrême, sans tenir compte des capacités de l'écosystème. Or le service forestier, de par la mission qui lui était assignée, contribuait faiblement ou pas du tout à la production, du moins dans la logique des décideurs. Ainsi à leurs yeux, la nécessité d'une politique forestière conséquente n'était pas évidente. La période qui vint après l'indépendance fut aussi marquée par une confusion politique caractérisée par le laxisme. Certaines personnalités abusèrent de leur position dans l'échiquier politique pour défricher des forêts classées afin d'installer des champs et cela en dépit d'une législation théoriquement en vigueur.
2.2. La décennie 1974-1984 : le choc de la sécheresse La décennie 1974-1984 a été marquée par des faits d'ordre politique et écologique qui méritent d'être soulignés, pour leur incidence sur l'exploitation des ressources naturelles et pour leur impact sur les réalisations. Il s'agit principalement de la sécheresse, de la politique de l'autosuffisance alimentaire avec, pour conséquence, la prise de décisions foncières par les autorités politiques nationales. La sécheresse a été le levain pour une nouvelle politique. Elle s'est manifestée sous forme d'un déficit pluviométrique global très accusé qui atteignit par endroit 50% par rapport à la moyenne. L'abaissement de la nappe phréatique provoqua la mort des peuplements végétaux et même le tarissement des points d'eau. La sécheresse n'était certes pas un phénomène nouveau, mais la phase humide qui a caractérisé la décennie 1950 a fait un peu oublier ce fléau. Les effets sur le couvert ligneux furent très importants. Depuis la sécheresse de 1974, la désertification est devenue une menace tant dans l'esprit des pouvoirs politiques, qu'au niveau des responsables 146
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techniques. L'intensité du choc climatique provoqua une prise de conscience de l'importance de la question environnementale dans le développement du Niger. Ce contexte a conduit à la réalisation de plusieurs actions et a entraîné de nombreuses prises de décision. Le Ministère du développement rural a redéfini ses stratégies d'intervention. Un rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (P.N.U.D) résumera quelques années plus tard l'esprit de cette réorientation" Dans la zone sahélienne, l'équilibre écologique est loin d'être atteint. Les fluctuations climatiques et la réduction ou même la suppression des périodes de jachère suite à l'expansion des cultures ont entraîné une grave dégradation du sol... Bien que les pouvoirs publics se soient penchés sur ce problème dans le cadre de la lutte contre la désertification, les mesures prises jusqu'ici n'ont pas été très efficaces. Leur succès dépend dans une large mesure d'une participation plus active des populations concernées et jusqu'à présent cette participation
reste limitée.
"13
A partir de ce moment, la politique forestière s'est orientée vers une participation plus active de la population aux programmes de développement, en utilisant comme approche le système coopératif. La stratégie visait également une utilisation plus rationnelle des ressources naturelles afin de conserver leur richesse. La situation créée par la sécheresse ainsi que par l'exploitation abusive et frauduleuse du bois mit en évidence l'inadaptation des instruments réglementaires. Aussi, pour asseoir une exploitation rationnelle des ressources ligneuses, une série de mesures furent prises, en particulier la révision du code forestier. Les nouvelles dispositions réglementaires sont contenues dans le code forestier issu de la loi 75 / 7 du 4 mars 1974. Quelques mois plus tard, le texte fut amendé et complété par l'ordonnance N°74/16 du 23 août 1974 et par le décret N°74/226 / PCMS / M. du 4 août 1974. Sur le plan international, la prise de conscience de la fragilité de l'environnement suscita également l'intervention massive des organismes d'aide et de coopération et de nouveaux acteurs. En effet, la grande sécheresse des années 1970, a vu l'émergence de nombreux projets de développement, aussi bien au Niger que dans les autres pays sahéliens. 13. P.N.D.D. cité dans Sahel Hebdo n° spécial août 1982.
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Financés essentiellement par l'assistance bilatérale et multilatérale, et disposant d'importants moyens financiers, les projets ont gardé pendant longtemps une stratégie d'intervention purement sectorielle. L'appui extérieur a commencé essentiellement depuis 1966 sous forme de "Projets". Ceux-ci ont joué au Niger un grand rôle dans les stratégies environnementales. La plupart d'entre eux développèrent l'approche productiviste caractéristique des premières années de l'indépendance. Ce fut l'époque des grands appareils de développement dont la mission consistait à augmenter la capacité productive des secteurs de l'économie, par la vulgarisation des moyens et des méthodes modernes notamment dans le domaine agricole. Les mêmes recettes étaient appliquées partout dans le pays, sans tenir compte de la diversité des situations agricoles. Au départ, les structures de l'Etat encourageaient les solutions uniformes, au nom du renforcement de l'unité nationale. En l'absence d'une politique forestière nationale, les intervenants extérieurs qui fmançaient et orientaient les stratégies essayaient de combler le vide, soit en reproduisant des expériences faites ailleurs, dans un contexte physique et humain complètement différent, soit en tentant des expériences nouvelles mais qui tenaient peu compte des réalités locales. Parmi les principaux organismes qui ont été à l'origine directe ou indirecte de ces projets, il faut citer le C.I.L.S.S., Le Club du Sahel, l'Institut du Sahel et le Bureau des Nations Unies pour la Région Sahélo-soudanienne. C'est donc à partir de 1974 - la sécheresse ayant mis en évidence la profondeur des déséquilibres écologiques - que de nouvelles orientations vont se décider au niveau national et international. La désertification fut à l'ordre du jour dans de nombreuses rencontres internationales et l'expérience dramatique de la famine conduisit à faire de l'autosuffisance alimentaire le fondement de la politique gouvernementale. La lutte contre la désertification et pour l'autosuffisance alimentaire sont devenues des priorités, à un moment où intervenait un changement politique majeur et où l'augmentation des revenus de l'uranium laissait espérer que l'Etat aurait moins besoin des cultures d'exportation pour survivre. Mais la politique d'autosuffisance alimentaire, telle qu'elle a été menée au début s'est révélée être en contradiction avec un souci de préservation de l'environnement. Les grands commerçants qui, fidèles à leur principe, ont vu en effet dans la culture du mil, une source de profit énorme à un moment où, à la suite d'une
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série d'années de pénurie aggravée par la spéculation, le prix des céréales locales connaissait une véritable flambée. Eux seuls disposaient de moyens mécaniques leur permettant de mettre en valeur des terres délaissées par les paysans, principalement autour des villes ou d'ouvrir à la culture de nouvelles terres. L'exploitation de ces endroits formés souvent de sols compacts s'avérait difficile et peu rentable avec les techniques traditionnelles. Le bénéfice procuré par la production et la vente du mil, suscita l'intérêt des citadins pour les activités agricoles. La mainmise des commerçants et de grands fonctionnaires de l'Etat sur les meilleures terres, en particulier dans le sud-ouest du pays, provoqua et aggrava la spéculation foncière autour des grands centres urbains et attisa de nombreux conflits autour de la terre. Ainsi, pour mettre un terme à la spéculation et aux nombreuses querelles foncières, le chef de l'Etat d'alors proclama le 15 août 1975 le principe d'une réforme agraire. Cette déclaration stipulait que la terre appartient désormais à celui qui la travaille. Al' image de ce qui se faisait au Nigéria, l'Etat voulait confier l'agriculture à ceux qui avaient les moyens de dégager un surplus. Cela pouvait baisser le prix des céréales. Ce fut malheureusement le point de départ d'une intense destruction des ressources ligneuses. La politique d'autosuffisance alimentaire a été menée, en fin de compte, aux dépens de la préservation de l'environnement. Le pouvoir militaire employait tous les moyens de communication à son service pour exhorter les fonctionnaires de l'Etat et les commerçants à s'intéresser aux activités agricoles. Ceux-ci, dotés de moyens techniques modernes, ont détruit les formations végétales naturelles pour installer d'immenses exploitations de plusieurs hectares d'un seul tenant comme dans la zone "Ayi noma" dans l'arrondissement de Say. Pire encore, les surfaces ainsi mises en valeur ont été obtenues par amputation de 70.000 hectares de la zone tampon du parc national du "W."14 Les autorités de l'époque ne sont pas parvenues à nourrir la population sans détruire l'équilibre des milieux. En dépit de cette contradiction fondamentale qu'il fallait souligner, il ne faut pas minimiser le fait que pendant la décennie 1974-1984, des cadres supérieurs nationaux sont venus accroître les compétences du service et donner une nouvelle dimension à la foresterie. De nouveaux types d'actions furent entrepris, qui 14 Voir Amadou Boureima, 1991
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allaient davantage dans le sens de la restauration et non plus seulement dans celui de la protection. Les stratégies définies alors visaient essentiellement deux objectifs:
- le réaménagement et la préservation des milieux: en particulier par le reboisement, la régénération naturelle, l'entretien et la conservation des massifs forestiers; -
la réduction de la consommation de bois et un meilleur approvisionnement en combustible ligneux: recherche de combustibles de substitution aux ligneux, essai de vulgarisation des foyers améliorés.
2.3. La politique du reboisement Le reboisement est une pratique ancienne, commencée depuis l'époque coloniale, nous l'avons vu, mais la décennie 1974-1984 assura sa consécration. La politique de reboisement poursuivait un double objectif: satisfaire les besoins en bois des populations urbaines en produisant du bois de feu et d'œuvre et maintenir l'équilibre écologique des milieux face à une dégradation croissante. Aussi, les plantations apparaissaient aux yeux des responsables techniques comme une solution appropriée. Dans la logique d'alors, les boisements artificiels, en fournissant du bois de chauffe aux grands centres urbains, limitaient la destruction du couvert ligneux naturel. Ce raisonnement trouvait sa cohérence dans l'approche classique qui considérait la question du déboisement comme un simple problème technique appelant une solution technique. Un vaste programme de reboisement entrepris par le biais des projets de développement jusqu'en 1982, toucha la plupart des régions. Cependant, de nombreux programmes n'auraient, sans doute, pas été concrétisés sans un appui financier scientifique et technique de l'extérieur. Les superficies reboisées variaient d'une année à l'autre selon les disponibilités financières. Les fonds provenaient du budget des collectivités locales et de financements mobilisés dans le cadre de la coopération internationale. Pour concrétiser cette politique, ont été mises en place des inttastructures aptes à assurer le stockage et la diffusion des semences forestières de qualité. En 1979 déjà, 23 programmes forestiers furent entrepris dans le cadre du plan quinquennal. Trois types de reboisement furent effectués: les plantations industrielles, les plantations dites individuelles et les reboisements communautaires.
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Le reboisement industriel s'est fait en sec ou en irrigué dans les endroits susceptibles de donner des résultats satisfaisants. D'une manière générale, ce type de sylviculture nécessite des moyens fmanciers importants et exige des sols de bonne qualité. Au Niger le reboisement a porté sur des essences exotiques à croissance rapide - en particulier Eucalyptus camaldulensis, Eucalyptus citriodora, Azadiratcha indica et Gmelina arborea, dont la productivité est théoriquement jugée intéressante. Ainsi, un effort soutenu, décidé dans le cadre du plan quinquennal 1979-1983, a abouti à la plantation de 1000 hectares dans les vallées du fleuve Niger et de la Maggia et dans la région bordière du lac Tchad. L'action forestière s'est également intéressée aux boisements en sec effectués pratiquement dans tous les départements. Les plantations destinées exclusivement à la protection ont mis l'accent sur des espèces autochtones, notamment des épineux comme par exemple Acacia nilotica. Il faut dire que, pendant longtemps, une polémique s'est développée autour des essences allochtones dont l'introduction relève de raisons strictement économiques. Certains chercheurs considèrent l'introduction de Eucalyptus - compte tenu de ses fortes exigences hydriques - comme une catastrophe écologique: il conduit à la naissance d'un écosystème simple non favorable à la faune et à la flore locales. Il constitue également une menace pour les sols.15 En revanche, une étude portant sur le bilan hydrique d'une plantation d'Eucalyptus16 rapportant les résultats d'une expérience faite au Sénégal minimise la ponction hydrique de Eucalyptus, mais à condition que la recharge du sol se fasse de manière régulière. Si, au départ, les essences introduites ont connu un succès, c'est parce qu'il fallait répondre aux problèmes du moment; leur croissance très rapide leur donnait un atout, par rapport aux essences locales. Mais, progressivement, la préférence a été accordée aux espèces autochtones qui possèdent des mécanismes de défense permettant de s'adapter aux rudes conditions sahéliennes. En privilégiant les essences locales, on pensait susciter davantage d'intérêt de la part des populations locales. Par rapport aux espoirs qu'elle avait suscités, la politique de reboisement industriel fut plutôt décevante dans l'ensemble. Des centaines d'hectares ont 15 Cf Dossier RISED, 1986. 16 Lemane Ibrahim, 1986, p 12.
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certes été plantés, mais la question de bois de chauffe restait entière. A Niamey, le prix du bois de chauffe ne cessait d'augmenter, aiguisant du coup, l'appétit et le dynamisme des marchands de bois. On découvrit alors que l'optimisme du départ relevait d'une exagération: prétendre résoudre l'épineux problème de bois de feu à partir des plantations artificielles irriguées était une aberration. C'était oublier la dimension réelle du problème. Déjà en 1978, une étude de la Banque Mondiale avait montré que la satisfaction des besoins en bois du Niger ne pouvait être assurée en l'an 2.000 qu'avec un reboisement 7 à 8 fois plus important que ce qui avait été fait. Par ailleurs, il a été prouvé que 80% des arbres plantés meurent avant d'avoir 4 ans.17 Un tel échec était parfaitement prévisible et, dès 1949, l'Inspecteur Général des Eaux et Forêts Alba écrivait au sujet du bois de feu: " des enrichissements artificiels seraient trop onéreux, eu égard au but poursuivi puisqu'il faudrait arroser." La productivité des boisements était à peine de 0,5 m3 / ha / an.18 Par conséquent les formations naturelles ont continué à fournir le bois de chauffe, ce qui vint encore aggraver le bilan. Officiellement, l'échec du reboisement industriel fut attribué surtout à la non- participation des populations rurales et à leur manque d'intérêt vis-àvis des plantations. La rentabilité des plantations irriguées se révéla très mauvaise, puisque le coût d'un hectare revenait en moyenne, entre 1.729.000 et 2.442.300 francs CFA soit 5.240 et 7.400 dollars U.S.19 A combien faudrait - il vendre ce bois? Le Niger ne pouvait pas supporter une telle entreprise. Par ailleurs un problème de suivi des réalisations s'est posé par manque de moyens financiers et humains. Quoiqu'il en soit, l'échec des reboisements industriels imposa la redéfinition de l'activité forestière; c'est alors que la stratégie sylvicole s'orienta vers d'autres formes de boisements. Les boisements communautaires consistaient à faire créer et entretenir par la population des plantations d'espèces exotiques dans leur terroir. C'est une réalisation ancienne puisque dans une circulaire en date de 1926, adressée aux commandants de cercle, le Lieutenant-Gouverneur de la Colonie du Niger, mettait déjà l'accent sur l'extension des plantations existantes. Il 17 U.S.A.I.D.,
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18 Clément J, 1986, P 105. 19 Thibaut, 1983, p 26.
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insistait aussi sur la constitution des pépinières au niveau des entités administratives et des cantons et sur la gratification à accorder aux notables dont les résultats de reboisements seraient jugés les meilleurs. Le reboisement communautaire n'est cependant devenu prioritaire qu'à partir du moment où le reboisement industriel fut un échec. Cette forme de reboisement était conduite en général sur un terrain fourni par un chef de village ou un notable. Au niveau de chaque agglomération rurale, les autorités imposèrent l'installation de petites pépinières villageoises et d'un périmètre de reboisement (les superficies reboisées variaient entre 1 et 5 hectares). Souvent cette obligation ne tenait pas compte de la disponibilité foncière villageoise. Ce fut, dans l'ensemble, un échec: sur trois arbres plantés, deux n'atteignaient pas l'âge adulte. La question de la propriété réelle et de la destination des produits de la plantation n'avait pas été expliquée aux bénéficiaires supposés, si bien que les villageois, se sentant peu responsables, négligèrent l'entretien des périmètres. C'est bien de" la tragédie du commun" qu'il s'agit, c'est-à-dire de la détérioration des terres sans maître et d'usage commun: personne n'a voulu prendre de responsabilité à leur égard car tout le monde avait les mêmes droits. En outre, de nombreux aspects relatifs à la sylviculture n'étaient pas bien maîtrisés, aussi bien par la population que par les techniciens chargés de les diffuser. Suite aux échecs, on se pencha sur les boisements familiaux et les bois individuels. Les boisements familiaux et individuels furent encouragés après l'échec des plantations villageoises. Ils ont connu relativement plus de succès que les plantations industrielles et communautaires. Le service forestier était chargé de fournir des plants, des graines et le petit matériel nécessaire à une telle opération: arrosoir, grillage pour la protection des pépinières, sacs plastiques pour la levée des graines. Si certains matériels étaient donnés gratuitement, d'autres, par contre, (sac plastique par exemple) étaient vendus à un prix symbolique, de façon à ce que les acquéreurs se sentent propriétaires de ce qu'ils auraient plantés. Il s'agit d'espèces locales (Adansonia digitata, Acacia nilotica, Parkia biglobasa, Acacia raddiana ), d'arbres fruitiers (manguier, citronnier, goyavier) et d'espèces introduites (Azadiratcha indica et Eucalyptus camaldulensis). Les plants étaient placés dans les concessions, dans les rues et parfois dans les périmètres maraîchers. En 1983, quelques 82 villages dans la Maggia et dans le sud du département
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de Zinder, furent touchés par le programme. Malgré le succès de départ, les nombreuses contraintes ayant surgi par la suite ont entraîné l'abandon de l'opération: manque d'eau, négligence dans le suivi et l'entretien, problèmes techniques, attaques des plantations par des prédateurs, conflits fonciers etc.. . En marge des opérations de reboisement que nous venons de présenter, l'administration forestière s'est intéressée également durant la décennie 1974-1984 à d'autres types d'opération: "Sahel vert", "Opération gao", confection de brise-vent et de haies vives. La plupart de ces réalisations ont été conduites grâce à l'appui d'organisations non gouvernementales (O.N.G.). L'échec de grands projets de développement explique la crédibilité accordée aux organisations non gouvernementales dans la décennie 1970. Il fallait remplacer les structures lourdes et onéreuses que représentaient les grands projets et essayer, grâce à des résultats immédiats, de répondre aux exigences de survie des populations. Les O.N.G., par leurs méthodes d'approche privilégiant les technologies simples, facilement maîtrisables par les populations rurales, ont suscité beaucoup d'espoirs et servi de modèle. L'optimisme suscité par l'intervention des O.N.G. trouve également sa justification dans la nature caritative de la plupart de ces organisations. Malgré leurs faibles moyens financiers, elles essayent de prendre en compte les besoins fondamentaux des populations auxquelles elles s'adressent: aide alimentaire, création d'infrastructures, technologies appropriées etc... Elles organisent souvent la population et suscitent des initiatives locales. Toutefois, il convient de se demander si on peut réellement freiner la tendance à la dégradation de façon durable avec des techniques simples. L'opération "Sahel vert" est le nom donné à une opération de reboisement de grande envergure, commencée en 1975 et rendue possible grâce au soutien financier de l'Agence de Coopération Culturelle et Technique (A.C.C.T.). Elle fut organisée conjointement par le Ministère du Développement Rural dont dépendait le service forestier et celui de la Jeunesse et des Sports. Le reboisement s'appuyait sur la mobilisation volontaire des jeunes à travers les structures politiques et scolaires. Théoriquement celles-ci venaient en appui aux efforts de reboisement du service forestier. Le but était surtout de faire prendre conscience aux jeunes de l'importance de l'arbre. L'opération durait un mois, chaque année, en saison des pluies, et les jeunes intervenaient exclusivement dans la mise des plants en terre. Elle est née probablement de
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l'ancienne idée, un peu utopiste, qui visait à créer un reboisement tampon à l'avance du désert, dans la partie Nord de la zone sahélienne. On pensait en effet que la désertification se faisait par avance d'un front, à partir du Sahara. Le reboisement portait aussi bien sur des espèces introduites que sur des espèces locales: Azadiratcha indica, Eucalyptus camaldulensis Citriodora, Gmelina arborea, Acacia nilotica, Acacia albida etc... Comme les autres formes de reboisement, l'opération "Sahel vert" ne rencontra pas de succès. Elle fut abandonnée après quelques années, malgré l'engouement qu'elle avait suscité au départ. Selon les chifITes officiels, le "Sahel vert" a permis la plantation de quelques 639.460 arbres entre 1975 et 1978.20 Mais, la plupart de ces plantations furent détruites par manque de suivi et d'entretien. Dans de nombreux villages la divagation des animaux et le problème lié au manque d'eau furent des contraintes majeures pour le reboisement. Dans certaines régions, les paysans profitèrent de la nuit pour arracher les plants d'Acacia albida plantés dans leurs champs. En réalité l'opération "Sahel vert" avait davantage un contenu politique qu'écologique. Ce fut, pour le nouveau pouvoir militaire, une occasion de tester sa capacité de mobilisation des populations et d'asseoir sa popularité.
2.4. L'agro-foresterie Les responsables forestiers ont progressivement compris que le reboisement conduit de façon très sectorielle et sans associer les populations aux actions était illusoire. Les maigres résultats obtenus l'ont prouvé. Cette prise de conscience a conduit à la recherche d'une approche plus globale: l'agroforesterie. Pour reprendre la définition de King M.F.S. et Chandler citée par Alfred et Samyn, "l'agro-foresterie est un système d'exploitation des terres pouvant être viables qui accroît le rendement global des terres, qui combine la production agricole, (y compris arboricole) et celle des plantes forestières et/ou la production animale soit simultanément, soit successivement sur la 20 Sahel n° 186 du 3 août 1979.
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même parcelle de terre, et qui applique des pratiques d'exploitation compatibles avec les habitudes culturelles de la population locale"21. Au Niger, l'agro-foresterie a porté principalement sur la réalisation des haies vives, des brise-vent, et sur la régénération. Les haies vives et les brise-vent sont des techniques agro-forestières destinées à protéger les sols et les cultures contre l'érosion éolienne. Elles n'étaient pas nouvelles, car, déjà en 1955, la SIM (Sudan Interior Mission) avait réalisé des brise-vent dans la région de Madarounfa, au centre du pays. Cette technique a été reprise à partir des années 1974 d'abord dans les régions exposées aux méfaits du vent (surtout dans la vallée de la Maggia) et, ensuite, autour des aménagements hydro-agricoles. Les haies vives et les brise-vent sont constitués d'un rideau formé de deux rangées d'arbres comprenant selon le lieu les espèces suivantes: Azadiratcha indica, Eucalyptus, Prosopis juliflora. D'une manière générale, le brise-vent remplit deux principales fonctions:
- Tout d'abord il réduit la vitesse des vents, qui dans les régions peu boisées, balayent la couche superficielle des sols. L'action protectrice que le brise-vent exerce dépend de sa nature en particulier de la taille et de l'épaisseur des arbres. Le rendement optimum est obtenu grâce à un rideau épais et haut. La zone protégée s'étend généralement sur le côté sous le vent. -
Outre cette action mécanique, le brise-vent crée un microclimat favorable aux cultures, en diminuant l'évapo-transpiration. Selon les estimations, les rendements dans les zones protégées par les brise-vent peuvent augmenter de 40% pour les céréales.22 Pour le Niger des rendements de l'ordre de 500 kg/ha ont été enregistrés après l'implantation des brise-vents, là où ils n'étaient auparavant que de 260 kg.23 Les brise-vents permettent donc de lutter contre la dégradation directe des sols et améliorent la productivité des terres agricoles. 21 Alfred Zongo et J .M. Samyn, 1983. 22 Mémento
du forestier, p 1050.
23 Gnandou Mariama,
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1981.
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Cependant, pour être efficaces, ils doivent répondre à certaines normes techniques. Ces exigences déterminent le choix des espèces ligneuses à utiliser: rapidité de croissance, résistance au vent, système racinaire non concurrent avec les cultures etc... CARE est sans doute la plus importante organisation non gouvernementale par le nombre de réalisations effectuées dans ce domaine. Elle compte à son actif une douzaine de réalisations forestières. La formule des brise-vent et des haies vives connut plus de succès que les reboisements classiques, malgré les problèmes rencontrés au départ du fait d'un manque de sensibilisation. La programmation des activités était rigoureuse et un effort soutenu de formation a été fait à l'endroit des populations. Les responsables ont également essayé de satisfaire les besoins essentiels des populations et entretenu de bonnes relations avec les communautés rurales. La régénération naturelle, quant à elle, a concerné essentiellement trois grands programmes: "opération gao", opérations dites "rôneraie" et "doumeraie" . Deux formules de régénération ont été appliquées au Niger.
- La régénération
dite artificielle au cours de laquelle le service forestier distribue aux paysans des plants en particulier ceux de Acacia albida. - La régénération naturelle: le service forestier encourage les paysans à repérer et à entretenir pendant 3 ans de jeunes plants de Acacia albida, qui ont naturellement poussé dans leurs champs. En récompense, le service leur attribue une prime symbolique de 50 francs CFA par plants. La plantation et la régénération de Acacia albida dans les champs a été une des principales formules d'agro-foresterie développée au Niger. La plante est associée aussi bien à l'agriculture qu'à l'élevage. Entre 1974 et 1978 près de 2900 hectares de terres agricoles furent plantées en Acacia albida. Selon les départements la répartition était la suivante: Niamey: 1028,5 ha; Maradi : 1000 ha, Dosso : 564 ha; Zinder : 240 ha et Tahoua : 55 ha24 24 C.I.L.S.S.lO.C.D.E., 1981.
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Par ailleurs, les services ont renforcé la surveillance des doumeraies et des rôneraies et établi un plan de gestion des peuplements déjà existants. La protection des rôniers (Borassus aetiopum) et des doumiers (Hyphaene thebaïca) permettant de maintenir le potentiel des terres en bois de service. L'expérience agro-forestière sur la régénération de Acacia albida connut en fm de compte un faible succès. Au début de l'opération, les paysans avaient accepté de favoriser la régénération, probablement à cause de la gratification qu'ils recevaient. Mais, à la fm de l'opération, un problème d'entretien s'est posé, dévoilant un manque de préparation technique et humaine, c'est-à-dire un défaut de conception. Le point de vue suivant est assez illustratif de la mesure du problème" Si un homme est payé pour planter son propre champ ou si quelqu'un est payé pour le faire à sa place, il peut dès ce moment supposer que celui qui paie a un droit à toute ou partie de sa récolte. "25 Par exemple dans le Dallol Maouri, sur 6.092 plants repérés en 1981, seuls 4.517 ont survécu après seulement la première année.26 Face aux échecs, d'autres stratégies s'imposaient, telle la réduction de la consommation de bois de feu.
2.5. La réduction de la consommation du bois Le ravitaillement des centres urbains en bois de feu, constituait, depuis longtemps, une préoccupation permanente, d'abord pour le service forestier soucieux de la sauvegarde de l'équilibre écologique. Les responsables du développement craignaient que la destruction rapide et incontrôlée des ressources ligneuses, avec toutes les conséquences graves qu'elle comporte, ne détériore davantage la situation socio-économique des populations. Les tentatives souvent ambitieuses d'introduire des énergies de substitution se sont heurtées à de nombreuses contraintes économiques, sociales et même culturelles. Donc, devant l'impossibilité de substituer au bois d'autres sources d'énergie, on se pencha sur la réduction de la consommation du bois. C'est alors qu'on adopta la vulgarisation des foyers dits améliorés. 25 Zakari Madougou, 1983. 26 Aboubacar Issa, 1983.
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Ce système apparut au Burkina-Faso en 1974 sous l'impulsion des organisations non gouvernementales. Ces O.N.G., dont les moyens d'intervention restent en général modestes, privilégient le développement des technologies maîtrisables par les populations. Au Niger, le lancement des foyers améliorés date des années 1980, principalement dans les villes, considérées comme grandes consommatrices de bois. Il a fallu attendre quelques années pour commencer la vulgarisation en milieu rural. Mais, en amont de la diffusion, le programme comprenait également la formation des artisans pour la fabrication des foyers, la création des circuits de commercialisation et la sensibilisation des populations pour une utilisation à grande échelle. Il existe plusieurs modèles de foyers améliorés allant des fixes à ceux qui sont transportables. Selon les nombreuses études faites, le foyer amélioré réduit la consommation de bois de feu et permet une économie d'environ 50% par rapport au foyer traditionnel "trois pierres" et de 30% par rapport au foyer dit malgache.27 En effet, le rendement énergétique des deux types de foyers jusqu'alors utilisés n'autorisait guère une meilleure utilisation du bois. Mais, en dépit de l'avantage lié à l'utilisation des foyers améliorés, ceux-ci n'ont pas connu le succès escompté, pour des raisons économiques et sociales. - En ville, le prix du bois ne cessait, il est vrai de croître; mais cela n'a pas suffi à faire baisser la consommation de bois. Le bois-énergie était constamment disponible et la plupart des citadins ne se sentaient pas concernés par le problème du déboisement. En outre, les déménagements très fréquents en ville n'ont pas facilité l'acceptation des premiers modèles fixes proposés.
- En
milieu rural, le taux d'acceptabilité a été important dans les régions confrontées au problème du ravitaillement en bois. C'est la conclusion à laquelle est parvenue une étude effectuée dans le département de Maradi.28 Dans les régions où les disponibilités en bois sont grandes, les femmes n'ont pas senti la nécessité de réduire leur consommation de bois. 27 Sahel Hebdo du 2 décembre 1987. 28 Cf Bouchet V, 1980.
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De 1983 à 1987, 170.000 foyers tous modèles confondus ont été diffusés sur l'ensemble du pays, ce qui aurait permis une économie théorique de bois d'environ 200.000 tonnes29. Sur une consommation annuelle estimée déjà en 1980 à 1.992.000 tonnes, cette réduction paraît insignifiante. La décennie 1974-1984 a donc été marquée par de nombreuses réalisations. Malgré leur validité technique, la plupart des efforts n'ont abouti qu'à des constats de déception. Pourtant, depuis 1974, la conscience sur la nécessité de maintenir le potentiel écologique des milieux existait tant au plan national qu'international. Mais malgré cela, bien des efforts sont demeurés vains. La 5e conférence du Club du Sahel tenue en octobre 1983 à Bruxelles, constatait l'écart très important entre l'engagement financier des bailleurs de fonds et les résultats obtenus sur le terrain. Les participants ont dressé un bilan négatif de la sylviculture et du développement de l'écologie au Sahel. A l'issue de cette conférence, une remise en cause de la politique forestière dans les pays du Sahel et une réflexion approfondie sur les programmes d'action ont été entamées. Au niveau national la situation de l'environnement était manifestement très alarmante. Les pouvoirs publics ont compris par conséquent que c'est avant tout de leur dynamisme que dépendait la survie du pays. C'est alors qu'un débat national fut organisé.
3. La "politique" forestière un tournant manqué
depuis le débat de Maradi :
En 1984, la sécheresse frappa à nouveau et plongea le pays dans la désolation. Le déficit vivrier dû à la sécheresse était officiellement estimé à quelques 302.000 tonnes.30 Sans oublier la préoccupation constante pour la satisfaction des besoins en bois de feu. La menace de la désertification même sur les endroits considérés jusqu'alors comme préservés déclencha la réaction des pouvoirs politiques, si bien qu'en mai 1984, fut organisé à Maradi, un débat national sur la lutte contre la désertification. Depuis cette date, la question environnementale a cessé d'être l'affaire des seuls cadres 29 PLCD, 1991, P 25 30 Ministère du Plan, 1987, P 117.
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forestiers. La conférence regroupa les autorités politiques, coutumières, les services techniques, les organisations de masse et les représentants des organismes internationaux. A l'issue de ce débat, fut élaboré un document appelé "l'engagement de Maradi", qui définit les stratégies de lutte contre la désertification. L'ensemble des actions forestières devait dorénavant s'inscrire dans ce cadre. Le débat de Maradi est né du constat d'insuffisance ou même d'échec des politiques menées depuis 10 ans. C'est une prise de conscience qui s'inscrivait dans un mouvement d'opinion plus large. En effet, au niveau des organismes internationaux, l'échec de la politique de reboisement n'était pas passé inaperçu. Depuis 1984, peu de temps après le débat de Maradi, le C.LL.S.S. avait défini une stratégie régionale dite de Nouakchott dans laquelle il désapprouvait la politique de lutte contre la désertification axée principalement sur le reboisement, prônant au contraire une approche globale et intégrée. C'est également la philosophie retenue par la conférence internationale organisée en 1986 à Oslo par la Banque Mondiale, sur le problème de la désertification. Donc, c'était une mutation qui paraissait s'imposer dans les démarches de préservation de l'environnement. Au-delà de son caractère strictement politique, le débat de Maradi a eu le mérite de faire le bilan critique de la politique nigérienne menée jusqu'alors en matière d'environnement et de donner à celle-ci une nouvelle dimension. Il a dénoncé le reboisement sectoriel, déconnecté de son contexte socioéconomique. Les participants étaient tous d'accord pour intégrer la lutte contre la désertification dans le cadre global du développement rural. Un accent particulier a été mis sur la sensibilisation, afin d'obtenir une meilleure participation de la population. Face à la complexité des contraintes, il fallait également mettre en évidence les interactions entre les problèmes de l'environnement et les activités agricoles et pastorales des populations. Pour renforcer cette idée, tous les projets de développement ont été contraints d'inclure un volet environnement dans leur programme. De même, a été soulignée la nécessité d'élaborer un code rural. En dépit de ces bonnes résolutions, le débat de Maradi n'a pas entraîné de grandes modifications dans les activités traditionnelles du service forestier. Théoriquement une nouvelle politique forestière était née, mais, en fin de compte, elle a été incapable de se concrétiser dans les faits, autrement que par le reboisement. Dans la même année, on assista une fois de plus aux 161
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reboisements obligatoires. Le reboisement, présenté comme devoir civique et comme élément essentiel de lutte, était devenu le leitmotiv si bien qu'à chaque Ministère et autre entité administrative, fut imposé un périmètre de reboisement. Cela est si vrai qu'entre 1984 et 1990, le nombre de plants produits dans les différentes pépinières du pays était multiplié presque par 10, passant de 4, 8 millions environ à près de 42 millions comme l'indique le tableau ci-après: Evolution de la production des plants par année et par département (19841990) 1990
1988
1989
210820
122756
224000
168277
1289248
2798843
371909
304000
138513
1832356
433650
220336
457857
444959
445252
2377643
1077911
676121
916869
941417
935677
5439059
2800468
2479648
3433569
3500212
3310860
16539428
Départements
1985
1986
1987
AGADEZ
266930
296465
DIFFA
386340
351751
DOSSO
375589
MARADI
891064
TAHOUA
1014671
TOTAL
TILLABERY
953763
1291615
1460707
1732637
1809471
1621713
8969906
ZINDER
864902
532786
716552
830389
733200
565900
4243729
C.U.N.
-
-
200000
305215
263700
250870
1019785
TOTAUX
4753259
6784646
6244027
8171201
8220959
7437062
41611154
Source: Notes départementales PNLCD, rapports départementaux Cette option pour le reboisement a trouvé son couronnement avec la tenue en 1987 du séminaire national sur le suivi des opérations de reboisement recommandées par le débat de Maradi. Après un bilan jugé globalement positif: les participants proposèrent la poursuite des efforts de reboisement et insistèrent sur la responsabilisation des populations pour garantir le succès des opérations. Par ailleurs, un comité interministériel se pencha sur la préparation d'un véritable plan directeur de lutte contre la désertification. Mais, en dépit des discours politiques qui assimilaient abusivement la réussite aux nombres de plants produits, un malaise demeurait bien réel: la non-participation des populations aux opérations. Il faut préciser que la prise de conscience des enjeux environnementaux s'est faite à un moment où le Niger (comme la plupart des autres pays sahéliens) 162
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s'engageait dans une longue récession économique (endettement, ajustement structurel) et d'instabilité politique. Le contexte était peu favorable au lancement de grands programmes, d'autant que, bien des organismes bailleurs de fonds (Banque Mondiale F.M.!. etc.) adoptaient une attitude d'expectative après le succès très relatif et même l'échec de la plupart des grands projets de développement lancés depuis 1974. Les réalisations ont donc été limitées. Depuis, les pouvoirs publics encouragent l'utilisation des énergies de substitution. En outre, on s'oriente vers l'aménagement des forêts naturelles. Depuis peu, on assiste à l'émergence de l'approche "gestion des terroirs" qui demeure encore expérimentale.
3. 1. Les énergies de substitution La recherche sur les énergies de substitution vient du constat amer de l'impossibilité de fournir du bois de chauffe à partir des boisements artificiels. Les premières tentatives dans ce domaine ont débuté en 1979 avec les briquettes obtenues à partir du compactage des coques d'arachide. Mais, face aux prix de revient très élevé (la briquette était plus chère que le bois) et surtout par manque de matière première ( la sécheresse ayant provoqué une chute de la production arachidière) cette expérience fut abandonnée. Les espoirs se tournèrent vers l'utilisation du charbon minéral extrait dans le nord du pays. Là également, la médiocre qualité du charbon n'a pas rendu cette solution viable. D'après le résultat des expériences, ce charbon contiendrait 66,7% de cendre et sa combustion dégagerait trop de fumée. Aujourd'hui, les efforts s'orientent vers la diffusion du gaz butane: les dernières évaluations montrent que, de 400 tonnes en 1980, la consommation du gaz au Niger s'élevait en 1990 à 600 tonnes.3I Elle reste quand même insignifiante si on la compare à celle d'autres pays du Sahel en particulier du Sénégal. Mais c'est toutefois un premier pas significatif qui a été franchi, car avant d'en arriver là, il a fallu lever de nombreuses contraintes fmancières, techniques, sociales et économiques. Au plan fmancier, la diffusion du gaz domestique entre dans le cadre d'un programme du C.I.L.S.S. soutenu par la Commission des Communautés Européennes pour une enveloppe de 3 milliards de francs CFA, dont 340 31 Haské, n° 19, plI.
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millions de francs CFA pour le Niger. Le C.LL.S.S. subventionne le prix gaz et des équipements nécessaires à son utilisation. Cela a permis diminution de 50% du prix du gaz et la réduction de celui des réchauds. programme est coordonné par le Ministère des Mines et de l'Energie collaboration avec les sociétés Niger-Gaz et Texaco-Niger.
du la Ce en
La seconde contrainte qu'il a fallu lever concerne l'équipement. En effet, les premières tentatives de vulgarisation du gaz se sont heurtées d'abord aux problèmes relatifs à l'inadaptation des cuisinières aux marmites locales et ensuite à leur prix (équivalent à environ 6 fois le SMIG) les mettant ainsi hors de portée de la plupart des ménages susceptibles de les utiliser. Pour cela, il a été mis sur le marché des réchauds à gaz adaptés, et à un prix abordable. De même, pour contourner davantage les difficultés d'achat que pourrait engendrer le faible pouvoir économique des ménages, les responsables ont utilisé un système de vente à crédit, échelonné sur 2 ou 3 mois. Il faut préciser que ce système de vente à crédit, très pratiqué et assez généralisé en ville, a été une des raisons du succès de la vulgarisation du gaz. Il ne faut pas non plus oublier de mentionner la grande sensibilisation qui a été faite à l'endroit des ménages. Ainsi entre 1990 et 1991, sur une prévision de 9500 réchauds, 8500 ont été vendus.
3.2. L'aménagement des forêts naturelles. L'aménagement et la gestion des forêts naturelles est une stratégie qui s'appuie sur le concept de participation des communautés rurales exploitant rationnellement les ressources de leur milieu. L'expérience avait débuté, à titre expérimental, en 1982 dans la forêt de Guesselbodi, située à une trentaine de kilomètres au sud-est de Niamey et classée depuis les années 1940. L'évolution de la forêt, telle qu'elle a été étudiée par l'organisme qui a la tutelle des opérations ( P.D.S.F.) a montré qu'entre 1950 et 1979, 30 à 60% de la végétation avait disparu. Malgré cela, la pression sur les formations naturelles n'a pas diminué, et la menace d'une dégradation irréversible existait. Du moment que le classement n'a rien empêché, il fallait parvenir à stopper la dégradation de la forêt en mettant sur pied un système de gestion impliquant les populations des villages environnants. Pour cela, la forêt a été subdivisée en 10 parcelles de 500 hectares chacune. Le plan de gestion porte sur 10 ans, chiffre qui correspond au temps nécessaire pour la régénération des Combrétacées qui forment l'essentiel de 164
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la végétation. Par rotation annuelle, les paysans coupent le bois de chauffe en particulier Guiera senegalensis, Combretum nigricans et Combretum micranthum, principales espèces de bois de feu. La coupe se fait en fonction du diamètre du tronc (au minimum 4 cm) à 10 ou 25 cm du sol. Le choix des sites est déterminé par la densité des ligneux, la topographie et l'érodabilité du terrain. Le bois ainsi coupé est vendu par une coopérative gérée par les villageois qui récoltent aussi tous les autres produits forestiers telle la gomme ou les plantes médicinales. Une partie du bénéfice est réinvesti dans la forêt sous forme de plantation d'essences exotiques, notamment fourragères: Prosopis juliflora, Acacia holocericea. Le plan de gestion prévoit également le contrôle des pâturages par une interdiction de l'utilisation des parcelles à des fins pastorales pendant 3 ans et par la limitation de la charge animale. Les premiers résultats de Guesselbodi semblent encourageants. C'est pourquoi cette stratégie a eu la faveur des responsables après 1984. Des expériences similaires sont en cours dans une dizaine d'autres forêts classées, dans le cadre d'un nouveau concept qu'on appelle "gestion des terroirs villageois". Néanmoins, de nombreuses contraintes techniques (période de coupe, rotation), financières (relatives au prix du bois) et juridiques (problèmes fonciers) restent encore sans solution.
3.3. La gestion des terroirs villageois Le bilan des expériences passées en matière de développement rural est loin d'avoir été satisfaisant. La population n'a pas été suffisamment ou pas du tout associée au processus d'élaboration et de mise en oeuvre des programmes de développement. Par ailleurs le caractère sectoriel des interventions n'a pas facilité une intégration des actions dans la promotion globale du monde rural. C'est pourquoi, en 1986, le Projet forestier a initié à titre expérimental l'approche dite "gestion des terroirs. " La gestion des terroirs se définit comme" un processus continu par lequel on combine un ensemble d'actions permettant d'améliorer les conditions de vie d'une communauté rurale de base, sans que ces améliorations ne portent
préjudice à ses valeurs socioculturelles."32 La gestion des terroirs n'est pas 32 Projet forestier,
1989, p 2.
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une politique strictement forestière; elle concerne d'une manière générale, le développement rural. Cependant la gestion des ressources naturelles en général et celle des ressources végétales en particulier, constitue le fondement de la stratégie puisqu'un des aspects, et non des moindres, porte sur la lutte contre la désertification. Elle vise l'amélioration des conditions de vie des populations à partir de trois principaux axes:
- un
objectif de production qui permette aux communautés villageoises d'augmenter leur capacité productive.
- un objectif de conservation - un objectif de maîtrise promotion
du potentiel naturel de production locale du développement
à partir
de l'auto-
paysanne.
En ce qui concerne les actions de protection des milieux, elle embrasse plusieurs volets: diffusion des foyers améliorés, aménagement des forêts naturelles, formation des paysans aux techniques forestières simples (création de pépinières, reboisement etc...) et à la gestion de l'environnement (gestion des parcours et amélioration des pâturages). L'approche terroir est à ses débuts aussi bien au Niger que dans les autres pays sahéliens et son application relève d'un long processus. Depuis 1996, le Niger s'est engagé à travers le Conseil National de l'Environnement pour un Développement Durable (CNEDD) dans la production d'un document de référence en matière d'environnement pour un développement durable appelé Plan National de l'Environnement pour un Développement durable (PNEDD). Cette nouvelle orientation doit permettre d'intégrer tous les efforts présents et/ou futurs dans le domaine de l'environnement et du développement durable de manière à faciliter leur harmonisation, leur mise en oeuvre et leur suivi, et éviter les duplications. La stratégie du CNEDD repose sur trois principes majeurs:
- bâtir le PNEDD sur les capacités nationales en le dimensionnant par rapport au contexte du pays, - prendre
en compte et intégrer les acquis, en particulier en ce qui concerne les instruments de planification existants, les politiques, les plans et programmes élaborés ou en gestation; la formation et la recherche d'une durabilité des actions environnementales. 166
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- prendre en compte les dispositions de l'Agenda 21 afm de pouvoir répondre efficacement aux préoccupations nationales et définir des priorités. Conclusion Cette réflexion voulait montrer le produit des différentes stratégies environnementales mises en oeuvre depuis la fin de la période coloniale. Ces trois dernières décennies les stratégies ont été dictées par trois soucis majeurs:
-
Lutter contre la désertification et la dégradation des milieux agroécologiques - Satisfaire les besoins énergétiques - Assurer les besoins nombreuse.
alimentaires
des populations. d'une population
de plus en plus
Ces axes continuent aujourd'hui à orienter les stratégies de développement rural, stratégies qui accordent une place prépondérante aux questions environnementales, même si dans la réalité beaucoup de choses restent encore à faire. En conclusion, nous pouvons dire que jusqu'à une date récente, la preuve d'une motivation réelle des autorités étatiques pour la préservation de l'équilibre du milieu n'a pas été évidente. Les sommes, (probablement gonflées pour les besoins de la cause) officiellement investies dans la lutte contre la désertification n'ont guère de quoi convaincre. Que ce soit dans la recherche des financements, dans les conditions de travail du personnel des services concernés ou dans la recherche forestière, l'Etat nigérien n'a pas encore réellement prouvé qu'il accorde à la question écologique toute l'attention qu'elle mérite. A la limite, on serait amené à dire que c'est plutôt en réponse à une pression extérieure -exercée par les bailleurs de fonds et les O.N.G.- que la nécessité d'un renouvellement de la démarche a fait son chemin dans les esprits. L'insuffisance de cadres de conception fut probablement à l'origine de cette situation. Aujourd'hui, les compétences se sont accrues, bien que de nombreux cadres, moulés à l'époque des projets productivistes, se dégagent mal de la vision sectorielle qui a tant été décriée. Quoi qu'il en soit, malgré une prise de conscience grandissante, une politique forestière cohérente reste encore à défmir. 167
LES POLITIQUES
PUBLIQUES
DE GESTION DES RESSOURCES
LIGNEUSES
AU NIGER
Certes, de nombreuses reformes ont été réalisées durant la dernière décennie, mais elles apparaissent davantage comme la sanction des échecs que comme le fruit d'une politique concertée. Derrière les plantations installées à coté de grands axes routiers et dont le caractère" tape l' œil " est manifeste, se cachent bien des lacunes. A l'évidence, la plupart des grandes décisions et des orientations se prennent à la suite des années de sécheresse. Une prise de conscience ne suffit pas, il faut élaborer une politique conséquente et agir dans ce sens.
168
Boubacar
YAMBA
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172
de
Dagra MAMADOU
L'Etat et la coopération internationale: de quelques aspects de la coopération bilatérale du Niger Dagra MAMADOU Maître de Conférencesde Droit Public UniversitéAbdou Moumouni,Niamey (Niger) Les principes et objectifs de la politique extérieure du Niger n'ont pas varié depuis l'accession du pays à la souveraineté internationale en 1960. Les différents régimes - de la 1ère à la 4ème République - ont généralement conduit la même action diplomatique: celle d'un Etat pauvre, sans ambition de puissance et guidé par la seule quête de son développement. Dans l'intérêt bien compris de ce développement, l'option majeure de politique extérieure de l'Etat nigérien a toujours été et demeure, aujourd'hui encore, la recherche d'une coopération sans exclusive avec tous les Etats, illustrant ainsi l'identité entre politique extérieure et politique de coopération qui apparaît comme la spécificité des relations internationales des Etats en développement. En un mot, depuis l'acquisition de son indépendance politique, le Niger mène - à l'image des autres Etats du Tiers-Monde - une "diplomatie de développement" : l'Etat y assure sa fonction externe - c'est-à-dire évolue sur la scène internationale - non pour faire figure d'acteur majeur du droit des gens, mais principalement pour bénéficier de l'assistance nécessaire à son émergence et accessoirement pour marquer sa présence. La "diplomatie de développement" use donc de la coopération comme moyen au service de l'objectif de développement national. Le rôle central que joue la coopération dans la vie internationale de l'Etat nigérien a, du reste, trouvé sa concrétisation au niveau des structures diplomatiques du pays: la Présidence, centre d'impulsion des relations
extérieures, un Ministère des Affaires Etrangères chargé de la coopération1; 1 Aujourd'hui, Ministère des Affaires Etrangères et des Nigériens à l'Extérieur (remaniement du 13 juin 1997). Jusqu'en 1996, l'appellation officielle du Ministère était celle de "Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération" : à côté du
L'ETAT
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
de nombreux ministères techniques exerçant des attributions en matière de coopération2. Ces structures de conception et d'application de la politique extérieure ont toujours mis en oeuvre la politique de coopération dans le cadre d'orientations précises et surtout invariables: établissement de relations tous azimuts, quête d'une assistance technique multiforme et d'une aide publique substantielle, promotion d'une coopération mutuellement avantageuse. Cette coopération se trouve être diversifiée et elle touche les différents secteurs de l'économie nationale. Au plan international, elle est tributaire de multiples cadres juridiques puisqu'elle est à la fois bilatérale et multilatérale. Dans l'espace, elle épouse les contours des priorités de la politique extérieure nigérienne: elle a lieu, en effet, dans le cadre africain et en dehors du continent. Si dans le cadre africain, la coopération que le Niger entretient avec les autres Etats est sous-tendue par les principes et objectifs de bon voisinage, d'intégration économique et d'unité africaine, dans le "vaste monde", cette coopération est fondée sur les principes directeurs du droit international contemporain: attachement à la paix, non-recours à la force, règlement pacifique des différends, avantages mutuels. Ministre, se trouvait alors un Secrétaire d'Etat chargé de la coopération. Quand le département est devenu Ministère des Relations Extérieures le 1er Février 1996, il y a été nommé un Ministre Délégué à la Coopération (2ème Gouvernement de Transition du 23 août 1996). Depuis la dernière réorganisation du Ministère (cf: décret N° 96-419/PRN/MRE du 9 novembre 1996), il a été créé une Direction Générale de la coopération internationale. En outre, de nouvelles orientations ont été fixées à la politique de coopération (voir sur ce point "Les priorités de notre politique extérieure-volet coopération", Ministère des Relations Extérieures, Niamey, janvier 1997, 5 p et l'interview du Ministre Ibrahim Hassane Mayaki, dans l'hebdomadaire gouvernemental SAHEL DIMANCHE, 7 février 1997, p6-7. 2 Sur ce point, consulter, entre autres:
-
Dagra M, La politique extérieure du Niger (1974-1987). Contribution à l'étude des structures diplomatiques et de la politique africaine d'un Etat sahélien, thèse de doctorat d'Etat en droit, Université de Dakar, décembre 1987, pI79-217. - Tidjani Alou M.S, Les coopérations dans l'arène nationale, Nouveaux Cahiers de 1'[ UE.D., n04, avril 1996, p65-75. 174
Dagra MAMADOU
Mais, en raison de sa situation d'Etat sahélien désertique et sans littoral, d'Etat en développement, classé parmi les pays les moins avancés - P.M.A.3 et de son poids démographique peu perceptible dans le concert des nations, un autre principe se trouve être beaucoup moins privilégié que les autres: c'est celui de l'égalité souveraine4. Parce qu'Etat pauvre, naturellement prisonnier des déterminants de sa politique extérieure, le Niger a, face aux multiples demandes qui en découlent, trouvé les réponses dans l'option claire et résolue pour une coopération ouverte, avec tous les Etats sans distinction. L'ampleur de ses difficultés économiques et de ses problèmes sociaux est et demeure telle que toute assistance extérieure est vivement recherchée et qu'il n'y a place pour nul ostracisme. C'est pourquoi, cette volonté - ardente - de coopérer avec tous est illustrée notamment dans le cadre des deux modalités contemporaines de la coopération bilatérale: la coopération "Nord-Sud" (I) et la coopération "Sud-Sud" (II), l'une complétant fort utilement l'autre dans l'entreprise de promotion du développement national.
1. La coopération
bilatérale "Nord-Sud" du Niger5
Si, dans les principes, la coopération du Niger avec les pays développés est une coopération tous azimuts et indifférenciée, le réalisme et la pratique ont cependant fait apparaître des choix et des préférences, sinon des partenaires 3 Pour la 4ème année consécutive, le Niger a été classé dans le Rapport mondial sur le développement humain 1996, dernier pays de la planète (174ème sur 174) du point de vue de l'I.D.H. (indice de développement humain intégrant le niveau de scolarisation, les conditions de santé, le pouvoir d'achat), cf le quotidien gouvernemental LE SAHEL, 18 juillet 1996, p 1 et 5, et l'hebdomadaire privé LE DEMOCRATE, 30 septembre 1996, p 2. Pour 1997, le pays a avancé de 2 rangs: 172ème sur 175. 4Sur
les
relations
entre
souveraineté
et
développement,
voir
Tankoano
A
Coopération, souveraineté et développement: le cas du Niger, thèse de doctorat d'Etat en droit, Université de Nice, juillet 1985. 5 Voir sur cette question, l'analyse fort intéressante de Charlick R.B, "Niger in the world" dans son ouvrage Niger: Personal rule and survival in the Sahel, Westview Press, Boulder et San Francisco, Darmouth, Londres, 1991, p 129-139.
175
L'ETAT
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
"incontournables". La coopération avec l'ensemble des Etats de la planète relevant du domaine de l'utopie, des liens n'ont pu, en effet, être établis ou maintenus avec beaucoup de pays géographiquement éloignés, historiquement sans rapport avec lui ou culturellement dissemblables. Aussi, depuis 1960, la vie internationale du Niger a-t-elle mis au premier rang, dans son réseau de relations extérieures, des partenaires traditionnels voire privilégiés: certains pour des raisons d'ordre historique, d'autres pour des raisons d'ordre culturel, d'autres enfm à cause de leur poids sur la scène mondiale, de leur puissance économique ou pour des impératifs propres à leur politique extérieure. Ainsi, dans le cercle des Etats développés du Nord avec lesquels le Niger entretient une coopération au développement fructueuse sinon constante, figurent notamment la France (1) et d'autres Etats occidentaux (2).
1. 1. La coopération franco-nigérienne6 Dans un entretien retentissant avec la presse, le Général Baré, Chef de l'Etat nigérien, citait la France au premier rang de "nos partenaires traditionnels"7. Cette déclaration renvoie en écho à celles faites d'ordinaire par tous les régimes qui se sont succédés à la tête de l'Etat nigérien et qui, sans exception, ont toujours célébré le caractère "privilégié" des relations franco-nigériennes, mieux leur "intimité". Cette "intimité"g a naturellement pour fondement l'histoire (la colonisation) et la culture (francophonie). Pour ces raisons, l'assistance française au Niger est la plus dense et la plus intense de toutes, celle qui, à travers les âges et les régimes, est restée 6 Charlick, op. cit, p130-135 7 Cf Jeune Afrique Economie du 2 septembre 1996. g Cf cette déclaration du Président Diori, premier Chef de l'Etat nigérien, à l'occasion de la visite officielle du Président Pompidou à Niamey en Janvier 1972 : "Le Niger moderne ... est issu des efforts ... de sa population et de ceux de la France. C'est là un fait indéniable ... qui définit à la perfection ... les bases de l'amité et de la coopération entre le Niger et la France", in le quotidien officiel LE TEMPS DU NIGER, 24 janvier 1972, p 5.
176
Dagra MAMADOU
permanente et n'a nullement varié dans sa conception en dépit de l'arrivée de la gauche au pouvoir. Sur la base d'un cadre juridique qui a quelque peu évolué (1.1.1.), cette assistance concerne les divers secteurs de l'économie nigérienne qui, dans l'ensemble, a bénéficié d'un volume d'aide plus qu'appréciable. Au total, la coopération française avec le Niger est demeurée très importante, parce que multidimensionnelle dans son contenu (b/). 1.1.1. Le cadre juridique de la coopération
franco-nigérienne
Il est constitué par une douzaine d'accords signés en 1961, puis révisés en 1977. Comme pour l'ensemble des anciennes colonies françaises d'Afrique noire, le cadre juridique des relations bilatérales entre la France et le Niger est donc caractérisé par deux périodes: celle des premiers accords de coopération conclus au lendemain de l'indépendance et celle des "accords révisés" au cours des années 70. Certes, ces derniers n'ont fondamentalement pas bouleversé le système de rapports mis en place par les premiers. Ils y avaient cependant apporté des modifications symboliques et que l'on avait volontiers présentées comme la concrétisation de la "fin d'une époque" : les accords franco-nigériens d'avril 1961 et de février 1977 n'échappent pas à cette "loi du genre".
- Les
accords
d'avri/1961
9
Signés le 24 avril 1961 à Paris par le Président Diori Hamani, et le Premier Ministre Michel Debré, ils consistent en un "Traité de coopération" et neuf (9) accords couvrant tous les domaines possibles de coopération entre les deux EtatslO. 9 Voir J.O.R.N. du 23 septembre 1961. 10 TIs'agit d'un accord d'assistance militaire technique, d'un accord de coopération en matière économique, monétaire et financière, d'un accord de coopération en matière de justice, d'un accord de coopération en matière d'enseignement supérieur, d'un accord de coopération en matière culturelle, d'un accord de coopération en matière de postes et télécommunications, d'un accord de coopération en matière d'aviation civile, d'un accord de coopération en matière de marine marchande et d'un accord général de coopération en matière de personnel.
177
L'ETAT ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
Ces accords portent à l'évidence la marque de l'époque coloniale et illustrent par là-même la "souveraineté limitée" qui était celle des Etats issus du processus de décolonisation: à preuve, la "clause léonine" selon laquelle "l'Ambassadeur de France à Niamey est le doyen du corps diplomatique"II, à preuve aussi l'accord de défense quadripartite signé conjointement avec la Côte-d'Ivoire et le Dahomey (actuel Bénin). Cet accord signé en sus de l'accord bilatéral d'assistance militaire technique - fondement juridique de l'aide française à la jeune armée nigérienne - autorisait notamment l'intervention des forces armées françaises sur le territoire nigérien où elles se trouvaient d'ailleurs déjà stationnées.I2. Du point de vue de leur contenu, les accords d'avril 1961 étaient le fidèle reflet des relations internationales d'un Etat nouveau: du fait des divers domaines qu'ils couvraient, ils illustraient à souhait la politique d'assistance de la France (Etat développé du Nord) au Niger (Etat du Sud en voie d'émergence) et constituaient donc la base d'une coopération très large parce que multisectorielle. Dans le fond, les accords de février 1977 ne sont guère différents. Les accords de 196I seront ultérieurement complétés par une "Convention fiscale" du 1er juin 1965 (V. J.O.R.N., 15 mai 1967). Il Art. 1er, alinéa 2 du traité de coopération qui dispose également qu'''il est réservé à l'Ambassadeur de la République du Niger une place privilégiée parmi les envoyés diplomatiques accrédités à Paris". 12 Il s'agissait du 4ème R.I.A.O.M. (Régiment Leclerc à Niamey.
178
d'Outre-Mer) alors basé au Camp
Dagra MAMADOU
- Les accords
de février
1977
13
Ils ont été signés à Niamey le 19 février 1977 par les Ministres Adamou Moumouni Djermakoye et Robert Galley, tous deux chargés de la coopération. Parce qu'ils appartiennent à la deuxième génération des accords de coopération, ils sont marqués du côté nigérien par le souci manifeste de réaftirmation de la souveraineté du pays. Sous ce rapport, ils apparaissent à bien des égards comme une réaction contre tout ce qui avait été perçu comme des atteintes flagrantes à la souveraineté nationale (décanat du corps diplomatique, présence des troupes françaises à Niamey). De plus, la signature de ces "accords révisés" par le régime militaire ayant pris le pouvoir au Niger le 15 avril 1974 en a fortement déterminé à la fois la lettre et l'esprit. Enfm, comme partout ailleurs en Afrique noire francophone, cette révision des accords de coopération avait été conçue et comprise comme la mise en place d'un nouveau cadre juridique ménageant les susceptibilités du partenaire le plus faible et donc moins attentatoire à la souveraineté de ce dernier. Pour toutes ces raisons, les accords franco-nigériens de 1977 sont, au moins en la forme, novateurs à divers titres: 13 Ct: J.O.R.N., 15 décembre 1980. Ces accords étaient les suivants: traité de coopération, protocole instituant une Commission franco-nigérienne de coopération, accord de coopération en matière de personnel et un protocole annexe concernant les magistrats; accord de coopération en matière de radiodiffusion, accord de coopération militaire technique, accord de coopération en matière économique et financière, acccord de coopération en matière judiciaire, accord de coopération en matière de postes et télécommunications, accord de coopération en matière d'enseignement, de science et de culture. Une Convention relative à la circulation des personnes en date du 27 juin 1978 viendra s'y ajouter; elle sera remplacée le 24/06/94 par une autre "Convention relative à la circulation et au séjour des personnes" qui sera elle-même modifiée en 1996.
179
L'ETAT
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
- ainsi,
il n'existe plus d'accord de défense entre les deux Etats, mieux, le régime militaire avait, dès mai 1974, demandé et obtenu le départ des troupes françaises basées à Niameyl4; de même, l'Ambassadeur de France au Niger n'est plus automatiquement le doyen du corps diplomatiquel5; conformément aux usages, cette qualité est désormais conférée à l'Ambassadeur le plus ancien en poste;
- enfm,
certains accords n'ont pas été renouvelés (accords en matière d'aviation civile et de marine marchande) alors que de nouveaux autres ont été conclus: accord de coopération en matière de radiodiffusion, accord en matière d'enseignement, de science et de culturel6. Les accords de 1977 maintiendront cependant la Commission Mixte FrancoNigérienne de Coopération créée en 196717. Composée des représentants des deux Etats et se réunissant alternativement à Niamey et Paris, c'est cette structure qui a la charge d'imprimer l'impulsion nécessaire à la coopération bilatérale et de lui donner un contenu concret. 1.1.2
Le contenu
de la coopération
franco-nigérienne
18
Conformément aux dispositions du cadre juridique de la coopération bilatérale, l'assistance &ançaise au Niger est donc toujours demeurée multidimensionnelle. 14 Voir LE SAHEL 17 mai 1974, p 1. Dans le communiqué publié à cette occasion, le Conseil Militaire Suprême (instance dirigeante de I' époque) "condamne tout pacte ou accord à caractère spécifiquement militaire". 15 La disposition y afférente a disparu du texte du traité de coopération. 16 Ce nouvel accord résulte de la fusion des deux accords de 1961 en matière culturelle et en matière d'enseignement supérieur. 17 Cf Protocole du 19 février 1977 instituant une Commission Franco-Nigérienne de Coopération qui abroge et remplace le Protocole du 24 avril 1967. Dans la pratique, cette commission est couramment appelée Grande Commission Mixte 18 Pour des éléments chiffiés sur cette coopération, voir: "PNUD, Coopération au développement, Niger, Rapport 1994".
180
Dagra MAMADOU
Elle couvre tous les secteurs et elle est, entre autres, économique, militaire et culturelle. Ainsi, en matière économique, la dépendance du Niger vis-à-vis de la France est telle qu'en dépit de leur détermination à cet égard, les gouvernants nigériens successifs n'ont pu parvenir à une diversification effective des partenaires du pays: la France reste encore au plan bilatéral le premier bailleur, le premier fournisseur et le premier client19. Au plan militaire également, la coopération existant avec des Etats comme l'Allemagne, les Etats-Unis d'Amérique, le Nigéria ou le Maroc est loin de remettre en cause la place privilégiée qu'y occupe la France20. Dans le domaine culturel enfm, malgré les vœux réitérés de réforme de l'éducation et d'adaptation de l'enseignement aux réalités du pays, le système éducatif hérité de la colonisation a été largement maintenu et la culture française demeure prépondérante, le Niger étant même l'un des pionniers, artisans et défenseurs de la francophonie21
.
De manière plus concrète, la coopération française apporte son concours dans les secteurs suivants:
- gestion
de l'économie: appui multiforme au Ministère des Finances.
- administration du développement: assistance à la police, protection civile, aide à la direction des statistiques et de la démographie, appui à la cartographie, etc...
- ressources naturelles: projet d'appui à la gestion des terroirs, contribution au plan minéral, assistance technique à la Société Nigérienne des Charbons (SONICHAR),etc... - formation des ressources humaines: notamment appui au système éducatif en général et assistance à l'Université Abdou Moumouni de 19En ce sens, voir Charlick Robert B, p 130. 20 L'aide française aux forces armées nigériennes consiste en une fourniture de matériel et d'équipements et en une assistance miliaire technique. Le nombre des conseillers militaires français s'est sensiblement accrû ces dernières années. 21 Il convient de rappeler que c'est à Niamey que l'Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT) a vu le jour le 20 mars 1970 et que le Président Diori est entré dans l'histoire comme étant l'un des chantres de la francophonie et l'un des initiateurs des sommets "France-Afrique" en novembre 1973. 181
L'ETAT ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
Niamey (Faculté d'Agronomie, Lettres).
Faculté de Médecine, Faculté des
- agriculture,
foresterie et pêcherie: appui à la recherche à l'INRAN (Institut National pour la Recherche Agronomique au Niger), développement de l'aquaculture, réhabilitation des aménagements hydroagricoles, etc... - développement régional: projet de développement rural intégré de Zinder (pour un montant de 3,326 millions de dollars), assistance à la gestion des terroirs dans les collectivités, etc... - énergie: appui, entre autres, au programme d'investissement Société Nigérienne d'Electricité (NIGELEC)
de la
- communication:
assistance à l'Office de Radiodiffusion et Télévision et à l'Office des Postes et Télécommunications
- développement
social: financement de l'hydraulique villageoise, aide à la gestion de la Société Nationale des Eaux (SNE), promotion de I'habitat et du développement culturel, etc. - santé: soutien aux soins de santé primaire, aux programmes de vaccination et à la promotion de la santé maternelle et infantile, etc. Les interventions de la coopération ttançaise ont lieu selon des modalités diverses: aide alimentaire d'urgence, coopération technique autonome, coopération technique liée à des projets d'investissement, appui aux programmes budgétaires, soutien à la balance des paiements. Dans tous les cas, elles prennent généralement la forme d'aides non remboursables mises à disposition par le canal de deux organismes ttançais de financement, le Fonds d'Aide et de Coopération (F.A.C.) et la Caisse Française de Développement (C.F.D. ancienne Caisse Centrale de Coopération Economique). L'on peut, à ce titre, noter que pour l'année 199422, la France s'est placée - comme de coutume - au premier rang des 22 Au moment où cette étude est rédigée, les chillies ne sont disponibles que pour ladite année.
182
Dagra MAMADOU
donateurs bilatéraux avec un volume d'aide globale de 40,278 millions de dollars23. Pourtant, l'aide publique française au Niger n'est pas restée toujours constante. Elle tend même à diminuer et ce, de façon régulière24. De plus, la pratique de l"'aide liée" continue à être l'une de ses insuffisances majeures. Sur un autre plan, la coopération franco-nigérienne est loin d'être unidirectionnelle dans la mesure où la France en retire des avantages colossaux, notamment dans le domaine minier où le Niger se trouve être réduit à la portion congrue25. Toutes choses qui, avec récurrence, rappellent que l'aide extérieure ne peut être qu'un appoint aux efforts propres des pays pauvres et de leurs peuples. La coopération nigérienne également cette réalité.
avec les autres Etats d'Occident
illustre
1.2. La coopération avec les autres Etats occidentaux Elle concerne la République Fédérale d'Allemagne (1.2.1.), le Canada (1.2.2.), les Etats-Unis d'Amérique (1.2.3.) et d'autres Etats d'Europe (1.2.4.). 23 Voir Rapport PNUD 1994, p 25. Pour l'année 1996, l'aide financière française dans le cadre du programme de redressement s'est élevée à 13 milliards de FCFA, Le SAHEL, 23 octobre 1996, p3. 24 Ainsi, de 1991 à 1994, elle a été la suivante: 1991, 71,015 millions $; 1992 , 57,377 millions $; 1993, 51,304 millions $; 1994, 40,278 millions $. S'agissant plus particulièrement de la coopération technique, l'assistance du FAC a évolué comme suit: 1991, 31,331 millions $; 1992, 20,306 millions $; 1993, 16,661 millions $; 1994 , 14,633 millions $ (Source Rapport PNUD 1994, p43). 25 Ainsi, la Société des Mines de l'Aïr (SOMAIR)
créée en 1968 et exploitant l'uranium concession d'exploitation de 99 années!
-à
capitaux
surtout français
-
nigérien depuis 1971 bénéficie d'une
183
L'ETAT
1.2.1.
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
La coopération
nigéro-allemande26
Elle est aujourd'hui, après la coopération ftanco-nigérienne, l'une des plus importantes, sinon la plus dynamique et la plus ftuctueuse, parce qu'elle est l'une des plus anciennes27.
Mais, à la différence de sa pratique antérieure et à l'image des relations avec les autres Etats d'Occident, la coopération allemande subordonne aujourd'hui sa mise en oeuvre à certaines conditionnalités : existence d'institutions démocratiques, respect des droits de l'homme, création d'un cadre institutionnel favorable à l'initiative privée et à l'économie de marché, participation directe des populations aux actions de développement Avec pour fondement juridique l'Accord-cadre de coopération technique du 18 juin 197728, elle est exécutée principalement par le biais de trois organismes spécialisés:
- la GTZ (Office Allemand
pour la Coopération Technique) en matière
d'assistance technique,
- la KFW (institution
financière) pour les fmancements,
- le DED (Service Allemand de Développement) en ce qui concerne les ressources humaines. Elle couvre divers secteurs au premier rang desquels se trouve, après l'adduction d'eau de la ville de Zinder29 la communication et plus spécifiquement la radiodiffusion. Dans ce domaine, la RFA a accompli au 26 Voir l'aide allemande au Niger en chillies, LE REPUBLICAIN, 27 février 1997, p.3 27 Les deux Etats avaient conclu dès le 14 juin 1961 un accord de coopération économique et technique qui sera complété par un Arrangement du 19 novembre 1964 (non publiés) 28 J.O.R.N. Numéro Spécial 9, 10 novembre 1977. 29 Pour une enveloppe de 5,4 milliards de FCFA, selon une déclaration du Président Kountché de retour d'une visite officielle en RFA du 2 au 5 septembre 1985, LE SAHEL, 9 septembre 1985, p 3.
184
Dagra MAMADOU
Niger une oeuvre remarquable: de 1987 à 1996, elle a en effet mis en place et équipé toutes les stations de radios régionales dans les chef-lieux de départements30, après avoir entièrement financé la construction et l'équipement de la nouvelle Maison de la Radio à Niamey. Outre ce secteur privilégié, l'aide publique allemande au Niger intervient aussi dans les domaines de la formation et de l'assistance technique en général. En matière de formation, la RFA octroie par l'intermédiaire du DAAD (Office allemand d'échanges universitaires) des bourses de formation ou de perfectionnement en Afrique ou en Allemagne. Ces bourses - de courte ou de longue durée - sont généralement offertes à de jeunes diplômés ou à des professionnels en activité. Elles concernent des secteurs aussi variés que les ''techniques de la diplomatie de développement" ou le "développement rural en zone tropicale". Sur le plan de l'assistance technique, la coopération allemande exécute un nombre appréciable de projets pour lesquels elle met à disposition des experts31. Il s'agit de projets ayant un impact direct sur les conditions de vie des populations rurales: ils touchent, entre autres, à la protection de l'environnement, à la sécurité alimentaire, au développement de l'éducation de base32. Mais, le dynamisme de la coopération entre le Niger et la République Fédérale d'Allemagne n'a pas toujours permis d'éviter des tensions dans les relations bilatérales. Ainsi, dans le droit fil de son souci de voir la démocratie se consolider au Niger, la RFA avait suspendu toute assistance en 1996, suite au coup d'état militaire du 27 janvier33. 30 Par le biais du projet Régionalisation de la radio d'un montant de 5,313 milliards de FCFA, LE SAHEL, 3 décembre 1996, p 3 31 Pour les années 1995 et 1996, ils étaient au nombre de vingt (20). 32 L'appui à l'éducation de base s'est davantage concrétisé avec le Projet éducation primaire (montant 15 millions de marks), objet d'un accord de coopération financière signé à Niamey le 7 juillet 1995. 33 Voir LE SAHEL du 29 février 1996, p.3. Voir également l'interview de Madame
185
L'ETAT
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
C'est au titre de cette même "conditionnalité démocratique" qu'elle avait apporté un important appui institutionnel à l'élaboration des textes fondamentaux (Constitution, Code Electoral, Charte des Partis) de la 3ème République34. Cependant, dans l'ensemble, la coopération nigéro-allemande est riche et diversifiée. Et elle a, sans nul doute, été amplement bénéfique pour le Niger. On pourrait en dire autant de la coopération nigéro-canadienne. 1.2.2. La coopération
nigéro-canadienne
Elle avait été à tous égards exemplaire sous le régime du Président Diori de 1960 à 1974. Le Niger était alors le partenaire privilégié du Canada en Afrique subsaharienne35. Le rôle de premier plan joué par le Président Diori dans le cadre de la Francophonie et ses solides relations avec de nombreux hommes politiques québécois expliquaient l'exceptionnelle chaleur des rapports nigérocanadiens et les nombreuses sollicitudes dont le Canada entourait le Niger. De cette époque date d'ailleurs le symbole de la coopération entre les deux Etats: la "Route de l'Unité et de l'Amitié Canadienne" (R.U.A.C.), construite dans les années 70 et permettant de relier Niamey la capitale à l'extrême Sud-Est du pays36. Mais, depuis lors, la coopération canadienne au Niger a accusé un net recul. Cette évolution négative est le reflet à la fois des vicissitudes politiques récentes que le pays a connues et des nouvelles priorités canadiennes en la matière. l'Ambassadeur d'Allemagne dans Le Républicain, 5 septembre 1996, p. 6. 34 Cf le Projet Conseiller juridique qui avait permis la mise à disposition d'un conseiller juridique au Cabinet du Premier Ministre et le financement des deux éditions du Recueil des Lois et Règlements (1990 et 1994). 35 Voir Charlick, p. 139. 36 Longue de 400 kilomètres, la "Route de l'Unité" relie Gouré dans le département de Zinder à Nguigmi dans le département de Diffa. Entre 1985 et 1994, cette route a été reprise sur financementcanadien pour un montant de 33,409 millions $, Rapport PNUD, p 199. 186
Dagra MAMADOU
S'agissant du premier point, depuis 1990, le Niger est - on le sait - à l'ère de l"'ouverture démocratique"37. Cependant, en dépit de la libéralisation de ses institutions, il n'avait pas bénéficié de "prime à la démocratie". Pis, concernant la coopération canadienne, "l'observation des rapports NigerCanada depuis l'avènement démocratique fait remarquer un poids modeste du volume d'aide au développement... marqué par des appuis ponctuels et conjoncturels..."38. Mais, bien auparavant, l'assistance canadienne avait commencé à opérer un mouvement de repli caractérisé notamment par:
- la réduction de la taille du Bureau de l'Ambassade du Canada à Niamey39, - la
clôture des projets de premier plan (soutien à la protection des végétaux, appui institutionnel au Bureau Organisation et Méthodes),
- l'utilisation
du relais des ONG notamment "Solidarité Canada-Sahel",
- l'intervention de plus en plus timide de l'ACDI (Agence Canadienne pour le Développement International),40
- et partant
la définition de nouvelles priorités.
En outre, l'interruption du processus démocratique au Niger du fait de l' Armée avai~ éloigné les perspectives de redynamisation de la coopération entre les deux Etats: en effet, "les espoirs nourris courant 1995 de voir le 37 Cette démocratisation s'est avérée être laborieuse et tourmentée: désobéissance civile en 1994, "cohabitation" difficile en 1995, coup d'Etat militaire en janvier 1996, organisation de nouvelles élections et instauration de la 4ème République avec un régime présidentiel "fort", celui-même qui avait été décrié et rejeté par la Conférence Nationale en 1991. 38 Voir "Eléments de relance de la coopération Niger-Canada", note du Ministère des Affaires Etrangères de la Coopération en date du 4 décembre 1995. 39 L'Ambassadeur du Canada au Niger a résidence à Abidjan. Il est suppléé à Niamey par un Premier Secrétaire et Consul qui dirige le Bureau de l'Ambassade. 40 L'assistance de l'ACDI était beaucoup plus substantielle par le passé: à preuve, entre autres, une aide aux populations nigériennes ftappées par la sécheresse d'un montant de 1,5 milliards de FCFA en juin 1985, LE SAHEL, 6 juin 1985, p 1.
187
L'ETAT
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
programme de coopération reprendre ont été anéantis par le coup de force du 27 janvier 1996"41. En défmitive, sur la base des nouvelles priorités retenues par les autorités canadiennes, la coopération bilatérale Niger-Canada est aujourd'hui réduite à la portion congrue au regard de ce qu'elle a été dans le passé. Si, de manière générale, ces priorités sont le développement des ressources humaines, l'appui à la démocratie, la promotion du secteur privé et la protection de l'environnement, de façon plus précise, "l'objectif de l'aide publique canadienne au développement est de favoriser le développement durable dans les pays en développement, afin de réduire la pauvreté et de rendre le monde plus sûr, plus juste et plus prospère à travers les besoins humains fondamentaux, les femmes et le développement, les services d'in&astructures, les droits des personnes et la démocratie, la bonne gouvernance, le développement du secteur privé et l'environnement".42. C'est dans le cadre de ces orientations que la coopération canadienne avec le Niger s'articule désormais autour de trois axes principaux:
-
la priorité accordée à la promotion de la femme en matière de formation des ressources humaines (appui à la scolarisation des filles, appui à l' entreprenariat féminin )43,
- le soutien au secteur privé en vue de sa participation aux objectifs de croissance économique (aide aux petites et moyennes entreprises et aux organismes privés féminins), - la maîtrise de l'environnement (promotion de la sécurité alimentaire notamment par un appui aux politiques céréalières et à la gestion des ressources naturelles). Cependant, au cours des années 1994 et 1995, c'est par le biais d'actions hors projets que le gouvernement canadien était intervenu pour fournir une 41 Voir "Note relative à l'avenir de la coopération nigéro-canadienne", Ministère des Relations Extérieures, février 1996. 42 Ibid. 43 Dans le cadre du soutien à la promotion des femmes, l'assistance canadienne s'est élevée à 4,152 millions de $ de 1990 à 1994, Rapport PNUD, p 205. 188
Dagra MAMADOU
aide alimentaire d'urgence et contribuer à atténuer les effets de la dévaluation dans les secteurs de l'éducation et de la santé44. L'année 1996 avait donc vu la suspension de la coopération canadienne après le coup d'état militaire au mois de janvier. Divers projets attendaient alors d'être mis en oeuvre, les uns anciens, les autres plus récents et découlant des nouvelles priorités canadiennes relatives à la sécurité alimentaire, à l'élimination de la pauvreté et à la promotion de la femme45. Au-delà de ces projets devant coopération nigéro-canadienne se ouest-africain avec, entre autres Liptako46, la mise en place d'un
être réalisés à l'échelle nationale, la déploie également dans le cadre régional projets, l'exploitation de l'or dans le fonds régional pour le renforcement des
44 Dans ces secteurs, la contribution financière canadienne a été d'un montant total de 3,6 millions de dollars. 45 On peut, à ce titre citer:
-le développement
du potentiel énergétique (exploitation du charbon et construction du Barrage de Kandadji),
- l'appui
à l'éducation de base (pour un montant de 5 millions $)
- la restructuration
de l' OFEDES et la privatisation de la SONITEXTIL dans le cadre du programme de redressement,
- le projet d'aide alimentaire (pour 10 millions $) en vue de la réalisation du programme national pour l'environnement et le développement durable (PNEDD). TI y' avait également des projets agricoles et sociaux de réhabilitation de la rone pastorale:
- le
projet d'appui au développement du département de Diffa (PADADD : 3,3
million $ pour la filière oignons),
-le projet Filière animale (crédit agro-pastoral
pour un montant de 5,7 millions $),
-le projet Points d'eau villageois (pour 1,2 million $), -le projet Achat d'intrants agricoles (pour un montant de 3 à 5 millions $),
-
le projet Approvisionnement en médicaments: atténuation des coûts de la dévaluation, volet santé (pour un montant de 2,5 millions de dollars). Source "Note sur l'avenir de la coopération nigéro-canadienne", p. 2). 46Deux conventions minières ont, à cet effet, été signées avec les sociétés
189
L'ETAT ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
ONG et associations de promotion de la femme et de défense de l'environnement47 et l'assistance à la communication pour la sensibilisation à la démocratie. Mais toujours est-il qu'avec la mise en veilleuse de la coopération en 199648, les autorités canadiennes avaient suspendu leur assistance, elles n'avaient pris aucun engagement nouveau, même si les projets en cours dans les secteurs sociaux avaient été menés à leur terme. La situation est identique en ce qui concerne la coopération bilatérale entre le Niger et les Etats-Unis. 1.2.3. La coopération
avec les Etats-Unis d'Amérique 49
Elle remonte, au 26 mai 1961, date d'un échange de lettres entre les deux pays "portant accord sur l'assistance économique et technique". 50 Elle est aujourd'hui suspendue et ce, depuis l'interruption de processus démocratique par le Coup d'état militaire du 27 janvier 1996. Elle a cependant été globalement bénéfique au Niger, dans un passé lointain comme récent. Ses symboles remontent tous à la première République (1960-1974)51: il s'agit principalement du pont Kennedy52 et de la présence d'un nombre appréciable de volontaires du Corps de la Paix (117 canadiennes Barrick et Etruscan. 47 Le montant de ce fonds est de 18 millions $ sur une période de 5 ans. 48 Sur ce point, lire la déclaration de l'Ambassadrice du Canada au Niger dans l'hebdomadaire
privé TRIBUNE
DU PEUPLE,
25 juillet
- 1er
août 1996, p 5 : "Le
Canada est préoccupé par la situation du Niger" 49 Sur les relations Niger-USA, lire les réflexions très éclairantes de Robert B. Charlick R.B, politologue américain, pI35-139. 50 Accord non publié 51 Le Président Diori avait effectué une visite officielle à Washington, sous l'administration Johnson. 52 Le pont Kennedy, inauguré le 18 décembre 1970, relie les deux rives du fleuve Niger à Niamey sur environ un kilomètre. Voir le texte de l'accord de prêt y relatif en date du 26 novembre 1964, J.O.R.N. 15 juin 1966.
190
Dagra MAMADOU
en 1996) intervenant dans différents (enseignement, santé, monde rural, etc...).
secteurs de la vie nationale
Le premier régime militaire du pays (1974-1989) avait vu la coopération bilatérale se renforcer et atteindre même pour ainsi dire son "apogée" sous l'administration Reagan (1980-1988). La visite du Président Kountché aux Etats-Unis en décembre 198453, puis celle du Vice-Président Georges Bush à Niamey en mars 198554 seront alors le reflet des excellentes relations Niger-USA dont les effets positifs seront considérables pour un Etat pauvre:
- assistance
militaire directe pour prévenir les "visées expansionnistes"
de la Libye
- aide à l'ajustement structurel - aide alimentaire d'urgence
- rééchelonnement
et effacement de la dette55.
L'entente cordiale entre les deux Etats était telle que lors de sa visite officielle à Washington, le Général Kountché présentait les Etats-Unis comme "l'un de nos partenaires les plus actifs et les plus efficaces". Redevenue une coopération Nord-Sud ordinaire - c'est-à-dire similaire à celle entretenue avec les autres Etats développés - sous la 2ème République (1990-1991 ), l'idylle nigéro-américaine sera renouée à la faveur de la démocratisation. Le gouvernement américain se manifestera ainsi à toutes les étapes de la revendication démocratique au Niger, notamment avant l'instauration du multipartisme (le 15 novembre 1990) et pendant la Conférence Nationale (29 juillet - 3 novembre 1991). Aussi, prendra-t-il une part très active à l'organisation des premières élections pluralistes dans le pays en février et 53 Cette visite a eu lieu du 10 au 13 décembre 1984, décembre 1984 et SSe 54 Voir LE SAHEL, 7 mars 1985 et SSe
voir LE SAHEL du 10
55 Voir Charlick, p 137
191
L'ETAT
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
mars 199356. Le déroulement desdites élections dans la transparence et la sérénité donnera au Niger, aux yeux des USA, l'image d'un modèle de nouvelle démocratie dont le pays recueillera amplement la prime... américaine. Ainsi, les Etats-Unis continueront et renforceront même leur coopération avec le Niger dans les secteurs économique, social et culturel. 57 A preuve rare privilège à relever - la représentation de l'USAID (l'organisme de fmancement de l'ensemble des projets)58 à Niamey a été maintenue au moment même où près d'une vingtaine de bureaux de cette Agence américaine pour le développement international fermaient leurs portes en Attique et ailleurs. En outre et surtout, depuis la tenue des élections libres et disputées que le gouvernement américain ne manquait aucune occasion de présenter comme un exemple à suivre, le Niger sera l'un des principaux bénéficiaires d'un nouveau programme de coopération, l'aide à la démocratisation qui, sur financement de l'USAID, sera exécuté par les ONG et associations de défense des droits de l'homme et de promotion de la démocratie et les 56 L'Ambassadeur des Etats-Unis, Mme Jennifer C. Ward, était alors une figure familière de la scène politique nigérienne. Son pays fournira, entre autres, les urnes. 57 Ainsi en 1994, les USA étaient le 3ème donateur bilatéral après la France et la RFA (pour un montant de 20,994 millions $) et le 1er fournisseur d'assistance technique, avant même la France (pour un montant de 14,967 millions $), voir Rapport PNUD 1994, p25, 27, 43. Cette assistance américaine a concerné les secteurs suivants: gestion de l'économie (1,496 millions $), ressources humaines (279.000 $), agriculture, foresteri e, pêcherie (7,678 millions $), développement régional (1,521 millions $), industrie (2,300 millions $), santé (7,720 millions $). 58 De 1984 à 1996, l'USAID a financé une dizaine de projets pour un montant global de 172,53 millions $. TI s'agit des projets ci-après: Caisses Populaires d'épargne, Assistance au développement des ressources humaines, Subvention au développement du secteur agricole, Réforme de la politique économique (développement du secteur privé), Santé familiale, Subvention au secteur sanitaire (aide budgétaire ),Prévention et atténuation des catastrophes, Développement des organisations rurales (promotion des coopératives), Petites entreprises. Ci Rapport PNUD 94, plIO et SSe
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Dagra MAMADOU
syndicats59. Le couronnement de cette politique de prime à la démocratisation sera l'installation en 1994 à Niamey du National Democratic Institute ( N.D.! .), affilié au Parti démocrate américain, en vue d'un soutien au processus démocratique et plus spécifiquement d'une assistance au Parlement6o. En définitive, même si sous la 3ème République (1993-1996) l'assistance américaine au Niger est demeurée constante dans les principaux secteurs de l'économie nationale, la coopération avec la seule superpuissance - encore existante et autour de laquelle se construit la société internationale unipolaire contemporaine - a, depuis 1993, pris un nouvel et réel essor dans les domaines de la promotion des droits de l'homme et de la consolidation des institutions démocratiques. Il n'est donc pas surprenant que l'interruption du processus démocratique le 27 janvier 1996 - avec comme conséquence le renversement du gouvernement constitutionnel et des institutions élues, toutes choses que la puissante Amérique réprouve et condamne en fait et surtout en droit - ait porté un coup d'arrêt à la coopération bilatérale Niger-Etats-Unis. D'abord suspendue à titre provisoire immédiatement après le putsch militaire dans l'attente d'un retour rapide à un régime civil, celle-ci a vu ses perspectives de reprise s'éloigner durablement depuis l'élection présidentielle controversée des 7 et 8 juillet 199661. Protestant avec une rare véhémence 59 Il s'agit, entre autres, de l'Association Nigérienne de Défense des Droits de I'Homme (ANDDH), du Réseau pour l'Intégration et la Diffusion du Droit en milieu rural (RIDD-FITILA), du Groupe d'Etudes et de Recherche sur la Démocratie et le Développement Economique et Social (GERDDES-NIGER), du Syndicat Autonome des Magistrats du Niger (SAMAN)., de l'Association des Femmes Juristes du Niger (A.F.J.N.), LE SAHEL, 17 février 1997, p. 2 60 Ainsi, le NDI a organisé, en novembre 1995, un séminaire sur l'impact de la société civile sur le travail législatif Il devait également organiser des "forums civiques" à l'intention des députés et de leurs électeurs quand est intervenu le coup d'Etat militaire. Le NDI s'est retiré du Niger au lendemain de l'élection présidentielle contestée de juillet 1996. 61 Lire à cet égard l'allocution de présentation de ses lettres de créance du nouvel Ambassadeur des Etats-Unis septembre 1996, p3
à Niamey, M. Charles O.Cecil, LE SAHEL, 9
193
L'ETAT ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
contre la dissolution de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) pendant le scrutin62, le gouvernement américain a donc consacré la tendance amorcée de retrait du Niger en procédant notamment à la clôture de ses projets et en entamant le processus de la fermeture de la représentation USAID à Niamey63 . Le discours d'adieu de l'Ambassadeur John Davidson - en fin de mission - en a été l'illustration la plus éclatante, mais surtout la plus inédite au regard des usages diplomatiques64. Les autres Etats occidentaux, en particulier ceux membres de l'Union Européenne, avaient emprunté la même voie que celle des Etats-Unis d'Amérique, pendant l'année 1996, dans leurs rapports avec le Niger. 1.2.4. La coopération européenne
avec les autres Etats de l'Union
et les Etats scandinaves
Soumis à la contrainte du déterminant historique, le Niger n'entretient aucune coopération avec des Etats comme le Portugal, la Grèce ou la Turquie. Aussi, ses relations avec les autres Etats occidentaux se limitentelles principalement à un certain nombre d'Etats d'Europe de l'Ouest, et précisément, l'Italie, le Luxembourg, le Danemark et les pays scandinaves.
- L'Italie La coopération entre le Niger et l'Italie a connu son épanouissement dans les années 8065. Pour l'Etat nigérien, ses fruits demeurent deux grands 62 Voir dans l'hebdomadaire privé ALTERNATIVE communiqué publié alors par le Département d'Etat.
du 31 juillet
1996, p6 le
63 Commencée en septembre 1996, cette fermeture sera définitive en juin 1997. 64 Voir l'hebdomadaire TRIBUNE DU PEUPLE du 9 au 15 août 1996, p9 "... Nous ne sommes pas d'accord de prétendre qu'une démocratie existe quand les résultats des élections sont très bien connus mais ne sont pas respectés, çà, c'est un monde à l'envers... Aussi longtemps que ce désaccord existe sur l'idée de la démocratie, nous sommes condamnés à rester séparés... comme les deux bords du fleuve Niger". 65 Sur la base de l'accord bilatéral de coopération signé à Rome le 26 juin 1986. Signe de la vitalité de cette coopération, une Ambassade du Niger a été ouverte dans la capitale italienne en 1988.
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Dagra MAMADOU
projets dont l'objectif premier est l' autosuffisance alimentaire (qui demeure l'un des leitmotive des gouvernants) :
- le
Projet Damergou, gigantesque projet de développement intégré (destiné à "sauver le Damergou", selon l'expression du Président Kountché), basé à Tanout dans le département de Zinder.
-
le Projet Keita, projet de récupération des terres, exécuté par les femmes dans l'arrondissement de Keita, dans le département de Tahoua. Si ce dernier projet a connu un succès certain grâce à la récupération de Il.000 hectares de terres de cultures66, tel n'a pas été le cas du Projet Damergou dont les résultats sont bien en deçà des espérances67. Suite à cet échec relatif: la coopération nigéro-italienne a, pour ainsi dire, marqué le pas. Depuis peu cependant, elle connaît une certaine relance68.
- Le
Luxembourg
Les relations entre le Niger et le Grand-Duché du Luxembourg sont fort anciennes dans le cadre du Bénélux et de la Communauté Economique Européenne. Pourtant, la coopération bilatérale significative entre les deux Etats est assez récente69. 66 Pour cette raison, le projet, démarré en 1984 pour une enveloppe de 29,07 millions $ a été reconduit pour une seconde phase 1989-1996 avec un financement de 48,239 millions $. Un accord Niger-Fao-Italie a en outre été conclu le 13 mars 1997 à Niamey, en vue d'une 3ème phase pour un montant de près de 4 milliards de FCFA. Outre l'arrondissement de Keita, le projet touchera désormais les deux arrondissements voisins d' Abalak et de Bouza, LE SAHEL du 18 mars 1997, p 3. Sur le projet Keita en général, Voir LE SAHEL, 29 février 1996, p 4. 67 C'est l'appréciation qui a été faite lors de la visite du Premier Ministre Boukary Adji dans la région en septembre 1996. Sur la même question, voir LE DEMOCRATE des 15 avril 1996 (p 1 et 3) et 22 avril 1996 (p.3). 68 Avec notamment un projet de construction de 5000 logements sociaux à Niamey par une société italienne de promotion immobilière pour un coût global de 40 milliards de FCFA, LE SAHEL, 26 septembre 1996, pl-2. 69 Un "Accord général de coopération" entre les 2 pays a été signé le 12 juillet 1995 à Luxembourg. TIconvient de souligner que le Luxembourg a fait du Niger l'un des
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L'ETAT
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
Nonobstant cette jeunesse, elle a à son actif d'importantes réalisations en faveur du Niger: le village artisanal de Wadata à Niamey, la tannerie moderne de Gamkallé toujours à Niamey, la tannerie de la commune rurale de Tamaské dans le département de Tahoua, le village artisanal de Dosso et celui de Dakoro.70 L'aide à la promotion de l'artisanat nigérien reste donc la ligne de force de l'intervention de l'Agence luxembourgeoise pour le Développement (LuxDéveloppement) au Niger71, même si celle-ci n'est pas absente dans d'autres secteurs comme la santé72. Bien plus, l'assistance du Luxembourg devait également se manifester dans le domaine de la communication, n'eût été l'interruption du processus démocratique en janvier 1996.73
- Le Danemark Parce que le Niger est considéré comme l'un des "pays de concentration" de l'aide danoise, sa coopération avec le royaume du Danemark semble être la plus dynamique et la plus efficiente de toutes celles qu'il entretient avec les pays nordiques d' Europe74. Interrompue depuis le coup d'état, elle connaît une reprise graduelle depuis juin 1997.75 pays de concentration de son aide extérieure. 70Les quatre dernières réalisations ont été inaugurées en 1996 et 1997, alors que le village artisanal de Wadata remonte à 1992. 71 TIs'agit là de la mise en oeuvre du projet DAN! (Développement de l'artisanat au Niger), objet du Protocole d'accord signé entre les deux Etats le 12 juillet 1995. D'autres centres artisanaux devraient voir le jour à Maradi, et Zinder. 72 Voir Projet Renforcement de la chaîne médicale du :froid (accord bilatéral du 12/7/95) visant à l'éradication de certaines maladies et à l'amélioration du système de transfusion sanguine. 73 Le Luxembourg devait ainsi apporter une aide de 4 milliards de FCFA à la télévision nigérienne, voir ALTERNATIVE, 30 janvier 1997, p3. 74 Cette situation résulte sans doute du fait que le Danemark est le seul Etat d'Europe pour lequel le Niger a mené une véritable offensivediplomatiqueau cours de ces trois dernières années. 75 Voir le journal privé ANFANI du 16 au 30 juin 1997, pl.
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Exécutée par l'Agence Danoise pour le Développement (DANIDA), son secteur privilégié d'intervention est le secteur de l'hydraulique villageoise (puits, forages, adduction d'eau). Elle apporte également son concours en ce qui concerne la maîtrise de l'eau pour l'agriculture, la lutte contre la désertification et l'exploitation rationnelle des ressources naturelles 76 : ainsi, trois projets portant sur la mobilisation des eaux de ruissellement et la gestion durable de l'environnement ont été réalisés dans le département de Zinder. L'assistance danoise a aussi bénéficié au projet de Code Rural (installation des Commissions foncières de Mirriah dans le département de Zinder et de Mainé-Soroa dans le département de Diffa) et à la promotion de la femme (mise en place de cliniques juridiques à l'intérieur du pays). Enfm, sur un autre plan, le gouvernement danois otITe aux jeunes nigériens des bourses de perfectionnement en matière de cartographie. - Les Etats scandinaves Il s'agit des royaumes de Norvège, de Finlande et de Suède. Pour être assez anciennes, les relations diplomatiques entre le Niger et ces pays nordiques77 sont loin d'avoir engendré une coopération bilatérale intense. C'est justement en vue de susciter cette coopération que le Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération 78 avait effectué une tournée dans la région à la fin de l'année 1995, aux fins précisément du "raffermissement de nos liens... avec les pays concernés" car, " la coopération avec ces derniers reste encore très limitée". 76 Le Projet d'eau potable et d'agriculture, prévu pour la période 1988-1994 était doté d'un financement de 25,065 millions $. On peut y ajouter le projet "Construction sans bois au Sahel" (1993-1998) pour 1,785 millions $, voir Rapport PNUD 1994, p150 et 153. Enfin, un accord de financement relatif au projet national des semences forestières a été signé entre les deux pays le 1er décembre 1995 (montant: 18,800 millions de couronnes danoises). 77 C'est l'Ambassade du Niger à Bonn qui a juridiction sur les Etats scandinaves. 78 TIs'agissait en l'occurrence de M. Mohamed Bazoum
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L'ETAT
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
Pour l'heure, cette coopération ne s'est concrétisée qu'avec la Norvège qui apporte son concours au Niger dans deux domaines principalement:
- la gestion
des ressources naturelles,79
- le développement
de l'enseignement de base80.
En ce qui concerne la Suède, les seules perspectives de coopération demeurent pour l'instant des offres de bourses et des possibilités de stage qu'organise l'Agence suédoise de coopération pour le développement international dans les domaines des droits de l'homme, de la santé et de l'environnement. Quant à la Finlande, toute coopération avec ce pays est présentement inexistante. Les relations bilatérales sont, en effet, encore au stade des correspondances et messages tendant au "réchauffement de la coopération nigéro- finlandaise" . La coopération avec les autres Etats d'Europe de l'Ouest est, somme toute, plus importante qu'avec les pays scandinaves. Hormis la Grande-Bretagne avec laquelle les relations sont plutôt balbutiantes81, des Etats comme la Belgique, la Suisse ou les Pays-Bas entretiennent avec le Niger une coopération assez fructueuse. La Belgique est ainsi, pendant de nombreuses années, intervenue en matière d'enseignement supérieur par un appui plus qu'appréciable à l'actuelle Ecole Normale Supérieure (ancienne Faculté de Pédagogie) de l'Université de Niamey: mise à disposition d'assistants techniques, formation d'enseignants homologues nigériens82. Elle a également apporté son 79 On peut, entre autres projets, citer l'Aménagement et la gestion de la ceinture verte de Niamey pour un montant de 1,553 millions de $ de 1991 à 1995. 80 La contribution norvégienne à ce secteur se chif&ait à 4,5 millions de $ dans le cadre du projet Education primaire (1988-1995). 81 L'Ambassadrice de Grande-Bretagne au Niger, avec résidence à Abidjan, a exceptionnellement séjourné à Niamey en octobre 1996, LE SAHEL, 10 octobre 1996, p 3. 82 Les enseignants-chercheurs de l'E.N.S. ont, dans leur grande majorité, été formés dans les universités belges. Le fondement juridique de la coopération Niger198
Dagra MAMADOU
assistance au secteur de la santé, surtout en intervenant spécialement dans le département de Dosso83. Elle s'est enfin manifestée, entre autres, dans le domaine de l'agriculture en aidant à l'amélioration de la production rizicole84. S'agissant de la Suisse, ses concours portent sur la gestion des ressources naturelles et la protection de l'environnement (reboisement, traitement des pentes, conservation des espèces végétales), l'appui au secteur hydraulique (approvisionnement en eau), l'assistance à l'Université de Niamey (formation des géographes )85. Les Pays-Bas enfin, privilégient dans leur coopération le développement à la base par le canal du Service des Volontaires Néerlandais et de l'aide aux ONG. Ainsi, divers projets sont à mettre à leur actif: micro-réalisations visant à l'allégement des charges et à la génération de revenus pour les femmes, projet Tahoua vert (préservation de l'environnement et amélioration des conditions de vie des populations.)86 Belgique est I'''Accord général de coopération technique" signé à Niamey le 25/4/85. 83 En matière de santé, le département de Dosso était pour ainsi dire la "chasse gardée" de la coopération belge. Pour la phase la plus récente du projet "Assistance médico-sanitaire Dosso" (1989-1994), l'enveloppe financière était de 5,879 millions $. 84 C'était l'objectif assigné au Projet "Réhabilitation et extension de l'aménagement de Say" (1989-1994) 85 Au titre des projets que la coopération suisse exécute au Niger, on peut notamment citer: l'appui au secteur hydraulique, l'aménagement de la rôneraie du Dallol Maouri, le programme d'aménagement du Nord-Ader, le projet de conservation et de gestion des ressources naturelles dans l' AYr-Ténéré. La coopération Niger-Suisse découle de l'Accord de coopération technique signé entre les deux pays le 7 août 1978 à Abidjan, J.O.R.N 15 septembre 1978. 86 Pour la période 1989-1994, le financement prévisionnel de ce projet était de 3,743 millions $. Comme autres projets, l'on peut citer le reboisement rive droite Téra, l'appui au développement des femmes de Magaria, l'appui au développement de Damagaram- Takaya. Un accord bilatéral relatif à l'emploi des volontaires Néerlandais a été conclu à Niamey le Il février 1981.
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L'ETAT ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
Tel est brossé, à grands traits, le tableau de la coopération Nord-Sud que le Niger entretient avec les Etats Occidentaux d'Europe et d'Amérique. C'est ce même type de coopération bilatérale qu'il a avec un Etat développé d'Asie: Le Japon.
1.3. La coopération
nigéro-nipponne.
Elle est fructueuse, à la différence de celle entretenue avec un autre géant d'Asie (et d'Europe!) : la Fédération de Russie avec laquelle les relations sont plutôt déclinantes.87 Pour être un Etat du Sud, le Japon n'en est pas moins un pays industrialisé. Car, s'il est un "nain politique" du fait de son rôle au cours de la 2ème guerre mondiale, il est sans conteste un géant économique, membre du 0.788 et, de surcroît, candidat à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU89. L'aide au développement qu'il apporte aux autres Etats pauvres du Sud est peu ou prou identique, dans ses objectifs et modalités, à celle fournie par les pays nantis du Nord. Le Niger - PMA parmi les PMA -, figure au nombre des bénéficiaires de l'intérêt croissant que l'Empire du Soleil Levant accorde au Tiers-Monde en général et à l'Afrique en particulier. La coopération qu'il entretient avec ce pays a d'abord concerné le secteur minier90 avant de revêtir plus récemment 87 En guise d'illustration, on peut signaler que l'Ambassade de Russie à Niamey a fermé ses portes, l'ambassadeur accrédité au Niger ayant désormais résidence à Bamako au Mali. 88 Groupe des 7 pays les plus riches du monde: Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. 89 Son élection comme membre non-permanent, au cours de la 51ème Assemblée Générale, le 22 octobre 1996, au détriment de l'Inde, est l'illustration la plus récente de cette ambition. 90 La société minière japonaise Overseas Uranium Research and Development corporation (OURO) détient le quart du capital de la Compagnie Minière d'Akouta (COMINAK), 2ème société d'exploitation de l'uranium au Niger. Et le Japon
200
Dagra MAMADOU
la forme d'une assistance économique plus accrue dans divers domaines: agriculture, hydraulique, santé, transport, assainissement, etc... 91. L'aide japonaise au développement est très appréciée par la partie nigérienne: elle se matérialise, en effet, surtout sous forme d'aide remboursable et de fourniture de matériels et d'équipements. Elle présente cependant quelques inconvénients:
- d'abord,
l'exigence d'un effort de contrepartie et d'appui fmancier que le Niger ne peut soutenir, en raison des difficultés de trésorerie de l'Etat,
- ensuite, le caractère programmation malaisée.
annuel
de cette assistance
qui rend
sa
Aussi, les autorités nigériennes souhaitent-elles une réorientation de la coopération japonaise. Pour l'instant, celle-ci revêt principalement les formes suivantes: "don général" (aide non remboursable) et "don spécial hors projet", appui à la production alimentaire, aide alimentaire, assistance technique; Sur la première modalité d'assistance, il convient de rappeler que les concours fmanciers nippons au Niger ont toujours eu lieu sous forme de dons92. "don général" (couvrant les secteurs de l'alimentation, de l'éducation de base, de la santé et de l'hydraulique) et "don spécial hors projet" demeure l'un des principaux clients de l'uranium nigérien. L'intérêt accordé à l'assistance japonaise avait d'ailleurs amené le Président Kountché à effectuer une visite officielle au Japon du 16 au 19 septembre 1986, voir LE SAHEL des 17 et 18 septembre 1986. 91 Le montant cumulé de l'aide financière japonaise au Niger s'élevait à environ 183 milliards en mars 1997, voir LE SAHEL, du 3 mars 1997, pl et 2. 92 Le "don spécial hors projet" en est à sa 4ème phase en 1997 pour 2,5 milliards FCFA ( LE SAHEL, 3 mars 1997, p2). TIétait d'un montant de 8,949 millions $ pour 1994-95, Rapport PNUD, p 108. Une exception cependant à cette pratique de don: un prêt de 1987 d'un montant de 6,4 milliards de FCFA destiné au financement du 5ème projet routier. Mais ce prêt lui-même a été ultérieurement transformé en don.
201
L'ETAT
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
S'agissant de l'augmentation de la production alimentaire (projet KR II ), le Japon met annuellement à la disposition du Niger une enveloppe financière destinée à l'achat de matériel agricole, d'engrais et de produits phytosanitaires93. En matière d'aide alimentaire ( Projet KR ), la coopération japonaise se concrétise sous la forme d'une participation à la constitution du stock de sécurité de l'Office des Produits Vivriers du Niger (O.P.V.N.) par des contributions financières à l'achat de céréales94. Dans le domaine de l'assistance technique enfin, le gouvernement japonais non seulement accueille des stagiaires nigériens, mais encore envoie au Niger des experts et volontaires dans différents secteurs: agriculture, mines, santé, télécommunications, etc... 95. Il faut enfin souligner que, dans le cadre du "don général", le Japon apporte un important concours au système éducatifnigérien96. Au total, à l'image de celle des autres Etats développés, la coopération japonaise se confond avec l'aide publique au développement. La réorientation souhaitée par les autorités nigériennes vise ainsi, entre autres, à favoriser l'intervention d'ONG et d'investisseurs privés. En outre, à l'instar encore des pays du Nord intervenant au Niger, le Japon qui n'avait pas suspendu sa coopération après le coup d'état de janvier 1996 - s'est converti à la "conditionnalité démocratique" pour la poursuite de son assistance au Niger97. 93 Pour la période 1991-1995, le projet Augmentation de la production alimentaire était doté de 16,823 millions $. 94 Ainsi, la contribution japonaise en matière d'aide alimentaire était de 3,193 millions $ pour 1991-1995. 95 Pour 1991-1994, le financement prévu pour la coopération technique était de 5,442 millions $. 96 En 1993-1994, le Japon avait mis à la disposition du Niger 5,441 millions $ pour les constructions scolaires et en 1997 3,3 milliards FCFA (LE SAHEL, 3 mars 1997, p2) 97 En vue de l'organisation des élections législatives du 23 novembre 1996, le Japon 202
Dagra MAMADOU
La coopération bilatérale "Nord-Sud" qu'entretient le Niger, parce qu'elle a lieu sous de telles contraintes et en raison de ses insuffisances et lacunes (aide liée, choix imposé de priorités et projets, volume souvent dérisoire, etc...), est loin d'avoir modifié le statut d'Etat structurellement dépendant qui est celui du pays. Aussi, la coopération "Sud-Sud" est-elle apparue comme une autre "bouée de sauvetage".
2. La coopération bilatérale "Sud-Sud" du Niger Elle peut être illustrée à partir d'un échantillon d'Etats du Sud, c'est-à-dire appartenant au "Groupe des 77"98 ou, plus exactement, aux Etats en développement du Tiers-Monde. Sous ce rapport, il faut noter qu'outre les pays africains avec lesquels sa coopération est, à tous égards, spécifique, le Niger a comme principaux partenaires du Sud les Etats d'Asie (1) et ceux d'Amérique Latine (2).
2. 1. La coopération avec les Etats asiatiques En dépit de l'éloignement géographique et des disparités culturelles, le passé colonial commun et une quête identique du développement ont favorisé une coopération bilatérale appréciable entre l'Etat nigérien et de nombreux Etats d'Asie. Une mention spéciale devrait, à cet égard, être faite aux Etats arabes (Arabie Saoudite, Koweït, Emirats arabes Unis, etc...)99 qui, en dehors du cadre avait fait au Niger un don de 50 millions de FCFA. A l'occasion de la remise du chèque au ministre des relations extérieures, le chargé d'Affaires de l'Ambassade du Japon avait clairement indiqué que son pays n'hésiterait pas à reconsidérer sa coopération avec le Niger, si ces élections n'étaient pas organisées de manière transparente. Voir SAHEL-DIMANCHE, 18 octobre 1996, p.3. 98 Ce groupe comprend en réalité la quasi-totalité des Etats d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, donc plus de 130 Etats. 99 Sur les relations entre le Niger et les Etats arabes, consulter Dodo Boukary (Abdoul-Karimou), Le Niger et le monde arabe (1960-1989). Contribution à l'étude
203
L'ETAT
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
bilatéral (Fonds Saoudien, Fonds koweïtien, Fonds d'Abu Dabi, etc...) interviennent également au niveau multilatéral de la Banque Arabe pour le Développement Economique de l'Afrique (BADEA)lOO et de l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI)lOl. Au-delà de cette coopération, qui est le reflet de la "sensibilité islamique" du pays, l'aide au développement que le Niger reçoit du continent asiatique provient, entre autres, du sous-continent indien (2.1.1.), des deux Corée (2.1.2.) et des deux Chine (2.1.3.). 2.1.1. La coopération
avec les Etats du sous-continent
indien
Aussi bien avec l'Union indienne qu'avec la République Islamique du Pakistan, la coopération n'est pas encore au stade d'un plein épanouissement.
- La coopération avec l'Inde De l'avis même des responsables du Ministère des Affaires Etrangères, "la coopération entre l'Inde et le Niger est demeurée très faible". En réalité, elle est à l'image des relations bilatérales existant entre les deux Etats. Bien que consacrées par des liens diplomatiques au niveau d'AmbassadeursI02, celles-ci restent très lâches et ne se manifestent qu'épisodiquement au niveau de l'ONU, de ses agences spécialisées ou dans le cadre des conférences internationales. des déterminants de la politique étrangère d'un Etat sahélien dans le cadre de la coopération Sud-Sud, thèse de 3ème cycle, Institut des Relations Internationales du Cameroun, Yaoundé, décembre 1990. 100 En vue d'une relanc~ de la coopération avec la BADEA, le Président de cette institution a séjourné à Niamey, en décembre 1996. 101 L' DCI a, huit années durant (1989-1996), eu pour Secrétaire Général le Dr Hamid Algabid, ancien Premier ministre du Niger. 102 Triste note à relever, c'est au cours d'un séjour à Niamey que l'Ambassadeur de l'Inde au Niger, avec résidence à Abidjan S.E.M. Pradeep, K. Guida, a subitement trouvé la mort en février 1995, LE SAHEL, 16 février 1995, p 3.
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Dagra MAMADOU
Pratiquement insignifiante, l'assistance indienne se limite à des offres de stage de durée variable qui, du reste, ne sont pas toujours concrétisées en raison du problème de langue qui handicape les Nigériens, francophones. Elle n'a pu, en effet, se matérialiser dans les trois domaines qui avaient été identifiés par la partie nigérienne en 1987 :
- l'exploitation du phosphate nigérien - le développement de l'énergie solaire -la promotion des petites et moyennes entreprisesl03. Si la coopération que l'Etat nigérien entretient avec l'Inde est peu développée, elle n'est guère plus avancée avec le Pakistan. - La coopération nigéro-pakistanaise La commune appartenance du Niger et du Pakistan à la "Ummah Islamique" devait logiquement constituer un élément moteur de leur coopération puis favoriser son renforcement et son essorl04. Tel n'est pas cependant le cas aujourd'hui, alors même qu'un Accord de coopération économique, scientifique, technique et culturelle englobant toutes les formes de coopération possibles 105 lie les deux Etats et qu'une commission mixte, créée à cet effetl06 devait assurer l'exécution et le suivi de la coopération bilatérale. 103 L'assistance indienne s'est cependant manifestée en décembre 1996 avec un don de médicaments d'une valeur de 20 millions de FCFA, voir LE SAHEL, 16 décembre 1996, p 3. 104.C'est sans doute à cause de cette "sensibilité islamique" commune aux deux Etats que le Pakistan est l'un des rares Etats d'Asie à avoir un ambassadeur avec résidence à Niamey. 105 Cet accord a été signé le 24 août 1981. 106Voir l'accord y étant relatif signé à Islamabad le 5 mars 1983, J.O.R.N. numéro spécial4, 19 novembre 1983
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L'ETAT ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
Depuis lors, celle-ci n'a pas évolué de manière significative - en dépit de la signature d'un accord commerciall07 - puisqu'elle n'a pas dépassé le cap des
dons de riz pakistanais, 108 des visites d'hommes d'affaires pakistanais à Niameyl09 et des stages pour diplomates et militaires nigériens au Pakistan. L'absence de toute réunion de la commission mixte depuis sa création est à l'origine de cette léthargie: les premières assises prévues à Niamey n'ont, en effet, pas eu lieu, si bien que les nombreux domaines de coopération inventoriés en ce sens par la partie nigérienne n'ont pu être explorés. Il s'agissait des domaines de l'agriculture, de l'élevage, de l'hydraulique, de l'environnement, de l'énergie, de l'habitat et de la santé pour lesquels une dizaine de projets de recherche et d'assistancell0 avaient été sélectionnés pour être soumis aux autorités pakistanaises. Sur un autre plan, la coopération bilatérale devait aussi s'élargir au domaine de la défense. En défmitive, la coopération nigéro-pakistanaise demeure pour l'heure négligeable. Les perspectives de redynamisation de la diplomatie nigérienne envisagées par les gouvernants de la 4ème République du Nigerlll pourraient fort utilement la promouvoir par l'intensification des rapports bilatéraux. Cette approche peut également valoir pour les deux Corée. 2.1.2. La coopération
avec les deux Corée
Le Niger entretient avec les deux Corée des rapports plus ou moins suivis, au gré de la rivalité entre ces frères ennemis pour accroître, chacun, le cercle de ses amitiés et le réseau de ses relations sur la scène internationale. C'est 107 Accord signé à Islamabad le 5 mars 1983, J.O.R.N. 15 juillet 1983. 108 Le don le plus récent remonte à septembre 1996 : 3.000 tonnes de riz, LE SAHEL, 16 septembre 1996, pl et 2. Le Pakistan avait également offert 5.000 tonnes de riz en 1991 et 5.000 tonnes de riz en 1995. 109 La dernière visite remonte au mois de septembre 1996. 110 Projets portant sur l'analyse des eaux, l'étude des plantes médicinales, la protection de l'environnement, la réhabilitation de quartiers urbains, l'assistance en riziculture, etc... 111 C£l'interview du ministre des relations extérieures, in SAHEL-DIMANCHE, 7 février 1997, p6-7.
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Dagra MAMADOU
pourquoi, il a noué des liens diplomatiques avec les deux Etats qui, jusqu'au milieu des années 80, disposaient chacun d'une Ambassade à Niameyl12. Mais, si l'une et l'autre Corée n'ont eu de cesse de déployer maints efforts afm de compter le Niger au nombre de leurs amis, leur mode de coopération n'est pas identique, loin s'en faut: la coopération sud-coréenne a généralement été très concrète alors qu'en ce qui concerne la Corée du Nord, la coopération est, dans bien des cas, restée à l'état de promesses. - La coopération avec la Corée du Sud Son symbole aura été l'usine de céramique "COREE-NIGER" inaugurée à Niamey en décembre 1976113. Quant à son cadre juridique, il est constitué de deux textes:
- un protocole - un accord
d'assistance médicale en date du 27 mars 1968114;
commercial signé le 17 décembre 1969 et prévoyant notamment l'institution d'une Commission mixte bilatérale. Cette structure de promotion de la coopération Niger-Corée du Sud n'ayant jamais été mise en place, la coopération entre les deux pays n'a pu s'épanouir, comme le souhaitaient vivement les autorités nigériennes. Celles-ci espéraient, en effet, bénéficier de l'assistance sud-coréenne dans les secteurs de l'hydraulique et des infrastructures et équipements (formation des techniciens de travaux publics, construction de routes et ponts). C'est en ce sens que le Gouvernement nigérien avait, depuis 1990, soumis pour financement aux autorités sud-coréennes la construction d'un second pont à Niamey et la réalisation du barrage à buts multiples de Kandadji sur le fleuve Niger. 112 Voir LE SAHEL, 17 juin 1985, pl. Les deux ambassades ont toutes été fermées pour des raisons d'économie. 113 Cette usine qui produisait des ustensiles et articles ménagers en céramique a dû interrompre ses activités moins d'une dizaine d'années plus tard, principalement pour cause de mévente de ses produits. 114 En vertu de ce protocole, une spécialiste d'ORL fort appréciée. Mme KIM et son époux exercent à I'Hôpital National de Niamey depuis de nombreuses années.
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L'ETAT
ET LA COOPERATION
INTERNATIONALE
Ces requêtes n'ont pas, à ce jour, abouti et, pour l'instant, le caractère concret de la coopération sud-coréenne se matérialise, depuis une quinzaine d'années, par des aides non remboursables en matière d'aide alimentaire et d'hydrauliquellS et surtout par des dons de véhiculesl16. L'assistance nordcoréenne au Niger est, elle, beaucoup moins manifeste. - La coopération avec la Corée du Nord Elle n'a pas été à la hauteur des espoirs placés en elle, du fait des rapports de très haut niveau entretenus entre les deux Etats et du fait de l'existence d'un cadre juridique adéquat pour leur coopération bilatérale. Sur le premier point, il convient de souligner que le Président Seyni Kountché avait effectué, en septembre 1986, une visite officielle en République Populaire et Démocratique de Corée, la première d'un Chef d'Etat nigérien dans ce pays.117 S'agissant des instruments juridiques, pas moins de quatre (4) accords lient les deux pays:
- un accord
de coopération culturelle en date du 16 avril 1964118
- un
accord de coopération économique et technique signé le 13 décembre 1974;
- deux protocoles d'application novembre 1975119.
de ce dernier accord, en date du 28
115 Ainsi, en 1984, la Corée du Sud a mis à la disposition du Niger une enveloppe de 50.000 $ pour l'aide alimentaire, et en 1986 une autre de 200.000 $ pour la construction de puits et forages. 116 Depuis 1989, le Niger a bénéficié de plus d'une centaine de véhicules légers coréens. 117 Cette visite a eu lieu du 19 au 21 septembre 1986, LE SAHEL des 19 et 22 septembre 1986. 118 J.O.R.N. 15 juin 1964 119 Le premier protocole est relatif à un projet d'aménagement hydro-agricole et le second à l'envoi d'ingénieurs et de techniciens nord-coréens au Niger.
208
Dagra MAMADOU
Mais, malgré cet encadrement juridique peu courant dans la politique nigérienne de coopération, la coopération Niger-Corée du Nord est restée dérisoire120 tant et si bien que l'on peut aisément convenir avec les responsables du ministère des affaires etrangères que "1'histoire de la coopération nigéro-nord-coréenne abonde de situations... faites d'engagements insatisfaits" parce que "les Coréens n'ont tenu à aucune de leurs promesses" : envoi d'experts, coopération médicale, création d'une société commune d'exploitation de l'or, etc...121. La pratique nord-coréenne de non-respect des engagements pris s'est surtout illustrée en ce qui concerne le projet de construction de la Faculté des Sciences Economiques et Juridiques de l'Université Abdou Moumouni de Niamey122 dont la requête avait été formulée par le Niger en 1985 : les autorités nord-coréennes qui avaient volontiers accepté d'y réserver une suite favorable n'ont pas, à ce jour, honoré leur promesse.123 La coopération nord-coréenne avec le Niger a donc été rarement concluante. Tel n'est pas le cas de la coopération sino-nigérienne qui, fort heureusement pour un pays pauvre, présente un bien meilleur visage. 120 On peut seulement mettre à son actif la fourniture de quelques tracteurs et quelques repiqueuses de riz. 121 La Corée du Nord s'était engagée à envoyer au Niger des spécialistes dans les domaines de l'agriculture, de l'industrie minière, de la santé et des arts. Elle devait également fournir une seconde fois des tracteurs, des camions bennes et des repiqueuses de riz.
-
-
122 Dans le cadre d'une convention entre l'Université de Niamey et les universités nord-coréennes, le Recteur de l'Université de Niamey et trois enseignantschercheurs de cette institution se sont rendus en Corée en 1982, 1983 et 1984 pour se familiariser avec l"'idéologie du Doutché" du Maréchal Kim TISung. 123 La livraison des 5.000 tonnes de ciment et 6.000 tonnes d'acier généreusement promises à cet effet n'a jamais eu lieu. La partie nord-coréenne s'est limitée à accueillir à Pyong-Yang des techniciens nigériens des Travaux Publics et à envoyer à Niamey des architectes pour l'élaboration des plans de constructionde la Faculté.
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L'ETAT
ET LA COOPERATION
2.1.3. La coopération
INTERNATIONALE
sino-nigérienne
124
Elle a évidemment été tributaire des "allers-retours" nigérienne entre les deux Chines:
- reconnaissance
de la diplomatie
de la République de Chine (Taiwan) de 1960 à 1974;
- reconnaissance de la République Populaire de Chine le 20 juillet 1974; - rétablissement des relations diplomatiques avec Taiwan le 19 juin 1992;
- reprise des relations avec Pékin le 19 août 1996. Chacune des deux Chines a entretenu avec le Niger une coopération importante sinon dense, en tout cas &uctueuseI25. La rivalité existant entre elles a, dans les deux cas de figure, poussé à une émulation certaine toujours marquée par la farouche volonté de faire plus et mieux que "l'autre Chine", ce dont le Niger a, en définitive, largement tiré parti.
- La coopération
avec Taiwan
Elle avait duré quatorze ans sous la 1ère République,126puis quatre depuis la démocratisation. De 1960 à 1974, l'assistance de la Chine nationaliste s'était surtout manifestée dans le domaine des aménagements hydroagricoles et particulièrement de la riziculture dans les régions du fleuve Nigerl27. Elle alliait alors efficacité et discrétion jusqu'à la rupture des rapports bilatéraux en 1974. Mais, dans son "2ème âge" au Niger, la 124 Voir SAHEL DIMANCHE, 23 août 1996, pl "Coopération nigéro-chinoise et nigéro-taiwanaise : I'heure du bilan". 125 L'hebdomadaire gouvernemental écrit ainsi: "D'un côté comme de l'autre, la coopération a été ftuctueuse pour notre pays", SAHEL DIMANCHE, 23 août 1996,p 6. 126 Conformément à la politique d'alors du Président Houphouet Boigny en particulier et des Etats membres du Conseil de l'Entente en général, le régime du Président Diori s'était obstinément refusé à reconnaître la Chine Populaire. 127 Voir à cet égard l'accord de coopération économique et technique signé le 10 novembre 1962 entre les deux pays, J.O.R.N. 15 février 1963
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coopération taïwanaise a été plus que bruyante à la fois en ce qui concerne son retour même et ses modalités proprement dites. S'agissant du retour de l'île de Formose au Niger, ce sont les inextricables difficultés financières du Gouvernement de Transition de l'après Conférence Nationale qui avaient conduit ce dernier à rompre avec Beijing pour renouer avec Taipeh, illustrant ainsi la "diplomatie du dollar" - ou "diplomatie du chéquier" - que les taïwanais sont accusés de mettre en oeuvre de par le monde. En rétablissant ses relations diplomatiques avec la République de Chine, l'Etat nigérien avait immédiatement bénéficié d'un prêt de 50 millions de dollars128 puis d'un autre prêt complémentaire de 10 millions de dollars. Selon une formule restée célèbre depuis lors, c'était "Taiwan ou le chaos !" En d'autres termes, s'il n'avait pas disposé d'argent trais à l'époque, le Niger aurait été en cessation de paiements et aurait fait face à une tourmente sociale fatale. Dans ses modalités, la coopération taïwanaise s'est employée à se substituer à la Chine continentale dans tous les domaines où celle-ci était présente. On peut, à ce titre, citer l'aide à la gestion du stade omnisports de Niamey, l'intervention en faveur du périmètre agricole de Gaya, l'assistance à l'atelier de fabrication de matériel agricole, la contribution à l'aménagement agricole de Diffa, la construction et l'équipement d'amphithéâtres à l'Université, la subvention à la prise en charge des étudiants nigériens en République populaire de Chine, l'assistance médicalel29. Outre ces "actions de substitution", Taiwan a fmancé beaucoup d'autres réalisations au Niger, notamment dans les domaines de la santé, de l'agriculture, de la paix et de la sécurité, du soutien à la démocratisation et du fonctionnement des services.130 128 Lire le texte de l'accord de prêt dans le J.O.R.N., numéro spécial, 18 novembre 1992, p 2-11. 129 Le montant cumulé du coût de l'ensemble de ces actions s'est élevé à environ 5,5 millions $. 130 Au nombre de ces interventions, il convient de mentionner: la poursuite de l'assistance médicale (2 millions $), la contribution à la lutte contre la méningite (14,7 millions FCFA), l'aide alimentaire (55 millions FCFA), l'aide d'urgence à la lutte anti-acridienne (200.000 $), l'assistance à la police (8,8 millions CFA), la 211
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De plus, à l'issue de la réunion de la Commission mixte sino-nigérienne, tenue en janvier 1996 à Niamey, Taiwan s'était engagé à fmancer une dizaine d'autres projets131. L'excellence des relations entre le Niger et la République de Chine avait conduit les autorités nigériennes de plus haut niveau à effectuer des visites officielles à Taipeh : Premier Ministre de la transition en 1992, Président de la République en 1994, Président de l'Assemblée Nationale en 1995, ministre du commerce en 1995. C'est en raison de l'intensité de ces relations et de la vitalité de la coopération bilatérale que le gouvernement nigérien attendait de ses partenaires taïwanais l'annulation de sa dette de 60 millions de dollars 132et la réalisation de quatre projets prioritaires: l'aménagement de la vallée du Goulbi N'kaba de Maradi, la construction du réservoir de Ouallam, le bitumage de la route Tabla-Loga-Dogondoutchi, le bitumage de la route Farié- Téra-frontière du Burkina 133. La rupture des relations entre les deux pays ne permettra pas la réalisation de ces projets.134 Tout comme la construction très attendue de 1.000 logements sociaux à NiameyI35. Ces projets seront, pour la plupart, repris par la "grande Chine". subvention pour la restauration de la paix dans le Nord (1,050 milliards FCFA); l'aide en matériels électoraux (76 millions FCFA); les dons de véhicules. 131 L'enveloppe prévue pour ces projets était de 6 milliards FCFA sur une période de 5 ans. Il faut signaler, en outre, que Taiwan était sur le point de livrer du matériel de bureautique au cabinet du Premier Ministre et aux ministères de l'intérieur et des relations extérieures - pour une valeur globale de 92,5 millions FCFA quand est intervenue la rupture des relations entre les deux Etats.
-
132 Il s'agit des prêts (50 millions + 10 millions) contractés après le rétablissement des relations entre les deux pays. 133 Le coût de ces quatre projets était estimé à plus de 15,5 milliards FCFA 134 Certains de ces projets ont été repris par d'autres partenaires: le Japon en ce qui concerne le réservoir de Ouallam, le Fonds Européen de Développement (FED) pour la route Farié-Téra. 135 Taiwan devait consentir pour cette opération un prêt de 20 millions $ au Niger. 212
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- La coopération avec la République Populaire de Chine 136 Plus que toute autre coopération extérieure, elle est généralement très appréciée au Niger car si la coopération avec Taiwan relevait d"'une amitié si grossièrement marchande et humiliante", celle avec la Chine Populaire est jugée "plus saine, empreinte de dignité et de respect réciproque"137. C'est la raison pour laquelle la reprise des relations diplomatiques avec Pékin a été considérée comme un "retour au réalisme"138 ou plus simplement comme un "retour au bon sens"139, tout comme d'ailleurs la reconnaissance de la République Populaire de Chine en 1974. Cette décision prise par le premier régime militaire du pays avait été un acte diplomatique majeur du Niger indépendant. Ses conséquences avaient été énormes au plan bilatéral: dixhuit années durant, la coopération chinoise a été plus que &uctueuse et efficace. En témoignent ses symboles-phares: l'assistance médicale dont les populations nigériennes ne loueront jamais assez les performances et le Stade Omnisports Général Seyni Kountché de Niamey. Le premier instrument juridique de cette coopération était l'accord de coopération économique et technique, signé à Beijing le 20 juillet 1974, c'est-à-dire le jour même de l'établissement des relations diplomatiques. Et, de 1974 à 1992, le Niger bénéficiera d'une assistance chinoise de 15,5 milliards FCFA, sous forme de prêts. D'abord, en vertu de cet accord de 1974, la Chine lui consentira un prêt sans intérêt d'un milliard de FCFA, sur une période de quinze ans. Par la suite, elle octroiera deux nouveaux prêts aux termes de deux autres accords: 136 Voir notamment LE SAHEL, 20 août 1996, pl, "La grande Chine Populaire est de retour". 137 LE SAHEL, 20 août 1996, éditorial, pl 138 Ibid. 139 C'est là l'expression du Général Youssoufa Maiga, alors vice-président du Conseil de Salut National (C.S.N.), instance militaire qui a dirigé le pays pendant sa 2ème transition politique Ganvier-décembre 1996), 2ème personnalité du régime militaire qui a renoué avec Pékin, voir LE SAHEL, 16 décembre 1996, p3.
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- l'accord
du 12 mai 1984, signé à Beijing, relatif à la construction du stade omnisports;
- l'accord
du 20 décembre 1988, signé à Niamey, relatif au financement de divers projets 140. Sur un autre plan, au-delà des dons ponctuels de véhicules et de matériels variés, l'assistance chinoise au Niger concernera surtout les secteurs de la santé, de l'agriculture et de I'hydraulique, toutes choses pour lesquelles l'expertise chinoise est universellement reconnue. En matière de santé, la Chine avait mis à la disposition du Niger des équipes médicales - dont les compétences ont toujours fait impression - et d'innombrables lots de médicaments. Dans les domaines de l'agriculture et de l'hydraulique, la coopération chinoise a notamment réalisé les rizières de Saga et Kollo, dans les environs de Niamey et le barrage de retenue d'eau de Téra dans le département de Tillabéry; elle a également procédé à des forages de puitsl41. En effectuant son retour au Niger, la République Populaire de Chine a naturellement repris son aide dans tous ces secteurs qui étaient et demeurent ses domaines privilégiés d'action. De même, elle continuera à intervenir au niveau des autres projets qu'elle avait initiés ou entièrement réalisés: assistance à la gestion du Stade Seyni Kountché, aide à l'aménagement agricole de Diffa, reprise et poursuite de l'assistance médicale qui, cette fois, touchera d'autres régions du pays (précisément le département de Zinder) 142. En outre, les partenaires chinois ont identifié d'autres secteurs de coopération comme le secteur industriel: ils envisagent ainsi la reprise de la Société Nigérienne de Textiles (SONITEXTIL, usine de fabrique de pagnes 140 Construction du seuil de Goudel, climatisation du palais des sports, aide à la gestion du stade, aménagement du périmètre de Gaya, réalisation du projet Biogaz. 141 Il s'agit de cinquante (50) puits dans le département d'Agadez. 142 La première partie de l'équipe médicale chinoise, forte de 36 membres, est arrivée à Niamey en décembre 1996, LE SAHEL, 17 décembre 1996.
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et de tissus) 143.Ils apporteront aussi leur assistance à un projet très cher aux nigériens et à leurs gouvernements successifs: l'alimentation en eau de la ville de Zinderl44. Ils prendront enfin le relais de Taiwan pour la construction de 1.100 logements sociaux à Niamey.145 Les retrouvailles entre Beijing et Niamey ont été consacrées avec éclat par la visite officielle du Président Baré en Chine du 25 au 30 mai 1997146 et antérieurement par le séjour du Vice-Premier Ministre et ministre des affaires étrangères de la République Populaire de Chine à Niamey en janvier 1997147 , séjour qui avait notamment abouti à la signature d'un nouvel accord de coopération économique et technique aux termes duquel le Niger a bénéficié d'un don de 975 millions FCFA.148 143 Les repreneurs de cette unité ( SHANGAI WORLBEST CORPORATION) sont ainsi arrivés à Niamey en juin 1997, LE SAHEL, 17 juin 1997, p 3. 144 Les résultats des premières visites sur le terrain des experts chinois semblent très prometteurs, LE SAHEL, 16 octobre 1996, p3. Et une convention de financement de 900 millions de FCFA a été signée entre les 2 pays le Il juin 1997, LE SAHEL, 12 juin 1997, p2. 145 Voir LE SAHEL, 14 octobre 1996, p3 146 Voir LE SAHEL, 3 juin 1997 147 M. Qian Qichen a séjourné à Niamey du 12 au 14 janvier 1997. TI lui a été réservé un accueil particulièrement chaleureux: c'est le Premier Ministre, M. Cissé Amadou qui l'avait accueilli à son arrivée et salué à son départ, LE SAHEL, 13 janvier 1997. Dans les faits, il apparaît que le rétablissement des relations avec Pékin a été motivé par la candidature du Dr Hamid Algabid au secrétariat général de l'ONU (et partant, le souci de ne pas essuyer un veto chinois au Conseil de Sécurité). M. Qian Qichen a d'ailleurs déclaré au cours de sa visite, que son pays avait à chaque fois appuyé la candidature du Dr Algabid, lors du "vote blanc". Le Niger était la première étape d'une tournée afticaine qui intervenait simultanément à la visite du ministre des affaires étrangères de Taiwan sur le continent. 148 Voir LE SAHEL, 14 janvier 1997 pl et 3. Cette somme servira au financement de projets arrêtés d'accord parties et à la fourniture de matériel par la Chine.
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La reprise de la coopération chinoise au Niger permettra assurément à ce dernier d'en tirer le plus grand profit au regard de ses énormes besoins - en tant que pays démuni- et de l'expertise chinoise dans des nombreux domaines. Il est fortement souhaitable que les autorités nigériennes tirent le même parti de leurs relations avec les Etats latino-américains.
2.2. La coopération avec les Etats d'Amérique latine
- ambassade ou consulat - en Amérique Latine demeure l'une des caractéristiques de la politique extérieure nigérienne depuis l'indépendance. Bien qu'entretenant des relations diplomatiques avec la plupart des Etats de la région, le Niger n'y est pas encore physiquement présent. Et cela, en dépit des multiples recommandations en ce sens des conférences successives des cadres de l'Administration diplomatique depuis 1973149. La révision, maintes fois projetée, de la carte diplomatique par une ouverture en direction de ce continent n'a pu, à ce jour, être opérationnelle parce que se heurtant chaque fois au mur in&anchissable des difficultés financières de l'Etat. L'absence de toute mission diplomatique
Dans ces conditions, la coopération du Niger avec les Etats latinoaméricains est quasi-inexistante. Pour beaucoup d'entre eux (Argentine, Mexique, Colombie, Nicaragua, Guyane, etc...), elle se limite à des demandes de soutien à des candidatures dans le cadre de l'ONU. De timides perspectives s'ouvrent cependant avec le Brésil (2.2.1) et surtout avec Cuba (2.2.2. ).
2.2.1. La coopération avec le Brésil "La coopération nigéro-brésilienne est au stade de démarrage". Telle est l'évaluation qui en est faite au ministère des affaires étrangères. 149 La première "Conférence des Ambassadeurs" avait eu lieu en 1973. Devenue entre temps "Conférence des cadres de l'administration diplomatique", elle a siégé pour la dernière fois en 1987. Depuis lors, elle semble être tombée en désuétude.
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Jusqu'à une période récente, les relations bilatérales Niger-Brésil n'étaient pas allées au-delà des traditionnelles demandes d'appui à des candidatures auprès de la Mission permanente du Niger à l'ONU à New-York. Mais, depuis 1995, d'autres perspectives se dessinent notamment dans le domaine économique. Les autorités nigériennes ont ainsi reçu toutes les informations utiles sur le marché automobile brésilien; de même le Niger a pris part à un symposium organisé par le Brésil sur le "Développement des programmes de partenariat"; enfin, au cours de l'année 1995, le Ministre nigérien du commerce a effectué une visite de travail dans ce géant d'Amérique Latinel50. Attaché qu'il est à la coopération "Sud-Sud", le Niger aurait tout intérêt à renforcer ses liens avec le Brésil, entre autres, en portant son choix sur Brasalia comme lieu d'implantation de sa représentation diplomatique en Amérique Latine. De ce fait, il pourrait également tirer avantage de la coopération avec Cuba qui semble être assez prometteuse. 2.2.2. La coopération
avec Cuba
Elle est jeune. Mais, de l'avis des responsables de la diplomatie nigérienne, "Cuba représente un potentiel pour une visée diplomatique pour le Niger dans le cadre d'une coopération en Amérique Latine." C'est certainement dans cette perspective qu'un cadre juridique a été mis en place avec la signature d'un accord bilatéral le 15 septembre 1994. Les "sollicitations" cubaines étaient cependant plus anciennes puisque la grande île des Caraibes offrait annuellement des bourses au Niger. Ainsi, les échanges culturels entre les deux pays avaient commencé en 1991 par l'envoi à La Havane d'une dizaine d'étudiants nigériens pour une formation dans des disciplines prioritaires. Mais, la coopération ainsi amorcée n'a pu se développer et se renforcer principalement pour des raisons d'ordre politique151 et accessoirement pour des raisons conjoncturellesl52. 150 TI s'agissait du ministre d'Etat Sidikou Oumarou, alors ministre développement industriel, du commerce et l'artisanat et du tourisme. 151 TI s'agit de l'instabilité l'ouverture démocratique.
du
politique chronique qu'a connue le Niger depuis
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Trois secteurs pourraient constituer les domaines privilégiés de la coopération entre Cuba et le Niger: la santé, l'économie et la culture. En matière de santé, outre l'importation de médicaments génériques et d'équipements médicaux, le Niger pourrait bénéficier de l'assistance médicale de Cuba dont l'expertise est intemationalement reconnue. Sur le plan économique, au-delà des traditionnels échanges de missions commerciales, la coopération pourrait être profitable aux deux Etats: vente à Cuba de fibres de coton, de cuirs et peaux et de produits camés du Niger, impression à Cuba, de timbres postaux pour le Niger. Dans le vaste secteur de la culture, la coopération bilatérale déjà initiée pourrait se poursuivre par l'aide cubaine à la formation des ressources humaines (offre de bourses d'études supérieures), l'assistance technique en matière de sports, l'envoi d'encadreurs cubains dans d'autres domaines. La visite, en janvier puis juin 1997, à Niamey de l'Ambassadeur de Cuba au Niger153 a illustré la volonté commune des deux Etats de raffermir ces liens de coopération, volonté du reste concrétisée avec la tenue de la première session de la Commission mixte nigéro-cubaine à La Havane en mars 1997.154 152 La partie nigérienne était soucieuse d'arrêter un calendrier de réunions permettant d'organiser, dans la même période, les consultations mixtes avec le Canada et celles avec Cuba. 153 TIa résidence à Ouagadougou au Burkina. Sur ces visites, voir LE SAHEL, 20 janvier 1997, p3 et LE SAHEL, 19 juin 1997, p3. 154 Du 8 au 13 mars 1997, LE SAHEL, 25 mars 1997, p 2.
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Conclusion Le bilan de la coopération du Niger avec l'étranger sur près de quatre décennies peut, au total, être qualifié de mitigé. La politique extérieure du pays a engendré une coopération à son image: modeste et discrète, peu bruyante, mais somme toute bénéfique. Au niveau africain, parce qu'adepte de la paix à ses frontières, du bon voisinage avec les pays limitrophes et de l'entente cordiale avec tous les Etats du continent, le Niger s'est toujours employé à sauvegarder des rapports de bonne intelligence dont il a su recueillir les dividendes par le biais d'une assistance substantielle auprès des Etats frères mieux nantisl55. Partisan acharné du regroupement interafricain, artisan sinon pionnier de toutes les tentatives d'intégration économique, il a généralement fait montre d'un panafricanisme militant dont le couronnement a été la présence de l'un de ses fils à la tête de l'organisation de l'unité africaine156. Mais, c'est en dehors du continent que la coopération au développement s'est davantage concrétisée et que la politique de coopération a été d'un apport appréciable. Contrairement à la théorie d'une coopération à l'échelle universelle, la coopération du Niger avec les Etats du Nord comme du Sud s'est déployée dans le cercle d'un nombre limité de partenaires dont certains demeurent privilégiés pour des raisons surtout historiques, accréditant de ce fait l'opinion selon laquelle la géographie et l'histoire, pour l'essentiel, déterminent la politique étrangère des Etats. Quantitativement, cette coopération a certes procuré au pays des ressources financières, humaines et matérielles importantes. Néanmoins, au plan qualitatif: elle n'a pu - loin s'en faut - promouvoir durablement son développement économique dans la mesure où - on l'a dit - le Niger se 155 C'est notamment le cas du Nigéria, de l'Algérie, de l'Egypte, du Maroc et de la Libye dont la coopération avec le Niger a toujours été très fructueuse. 156 M. Idé Oumarou, ancien ministre des affaires étrangères, a été Secrétaire Général de l'O.U.A. de juillet 1985 àjuillet 1989.
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trouve aujourd'hui classé parmi les Etats ayant l'indice de développement humain le moins élevé du monde. En définitive, une quarantaine d'années après l'apparition de l'Etat nigérien sur la scène internationale, la politique de coopération n'a jusque-là pas exercé d'effet d'entraînement décisif sur le développement du pays. Sur un autre plan, en raison des phénomènes anciens d'aide liée et récents de "bonne gouvernance", de "conditionnalité démocratique" et de "coopération décentralisée", cette politique a rarement ménagé la souveraineté du pays, illustrant ainsi de manière éclatante le caractère plus que théorique de l'indépendance des Etats en développement.157 Au regard du bilan qui précède, les perspectives d'évolution de la coopération internationale du Niger gagneraient à être tracées autour d'un certain nombre d'impératifs, dans la mesure où, pendant longtemps encore, prévaudra l'identité entre politique extérieure et politique de coopération pour les Etats en développement, plus que jamais contraints de mener une "diplomatie de développement". Ces impératifs sont:
- d'une part, l'élaboration d'une politique de développement national fondée en priorité sur les efforts internes et prolongée à l'extérieur par l'intégration régionale a&icaine. - d'autre part, la mise en oeuvre, à l'avenir, d'une gestion rigoureuse des &uits de la coopération, c'est-à-dire de l'aide étrangère. Sur la base de ces impératifs, le Niger pourrait sinon réorienter, à tout le moins actualiser sa politique extérieure: plus que par le passé, celle-ci doit s'appliquer à préserver sa souveraineté et à assurer une défense intransigeante voire bruyante de l'intérêt national; à cet effet, elle doit donc continuer à s'employer à la quête - sans états d'âme - de l'aide au développement. Ainsi, si la "diplomatie de développement" est appelée à demeurer le "noyau dur" de la politique extérieure nigérienne, les relations internationales du pays devraient cependant changer de physionomie désormais: au-delà d'une recherche active de la coopération au développement, elles devraient également, à l'aube du troisième millénaire, 157 Voir Tankoano A, op. cit.
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avoir pour objectif la finalité première de toute politique étrangère qui consiste à marquer la présence de l'Etat dans le concert des Nations. La légendaire discrétion du Niger et son effacement systématique sinon son absence sur la scène internationale devraient donc se vêtir de cette "offensive diplomatique" rituellement clamée, mais toujours attendue pour se muer en une option affichée de "visibilité" de son action diplomatique.
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Bibliographie CHARLICK R B, 1991, Niger: personal rule and survival in the Sahel, Westview Press, Boulder et San Francisco, Darmouth, London. DAGRA M, 1987, La politique extérieure du Niger (1974-1987), Contribution à l'étude des structures diplomatiques et de la politique africaine d'un Etat sahélien. thèse de doctorat d'Etat en droit, Université de Dakar. DODO BOUKARY A K, 1990, Le Niger et le monde arabe (1960-1989). Contribution à l'étude des déterminants de la politique étrangère d'un Etat sahélien dans le cadre de la coopération Sud-Sud,thèse de 3ème Cycle, Institut des Relations Internationales du Cameroun, Yaoundé, TANKOANO A, 1985, Coopération, souveraineté et développement: Niger, thèse de doctorat d'Etat en droit, Université de Nice.
le cas du
TIDJANI ALOU M S, 1996, "Les coopérations dans l'arène nationale", cahiers de l'IUED, n04, p 65-75.
Nouveaux
P.N.U.D, 1994, Rapport sur la coopération au développement, Niger. 1995-1996-1997 : Notes techniques du Ministère des Relations Extérieures, LE SAHEL, Quotidien gouvernemental
gouvernemental,
SAHEL-DIMANCHE,
ANFANI, bimensuel indépendant. ALTERNATIVE, hebdomadaire indépendant LE DEMOCRATE, hebdomadaire indépendant LE REPUBLICAIN, hebdomadaire indépendant TRIBUNE DU PEUPLE, hebdomadaire indépendant.
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hebdomadaire
Deuxième partie
La problématique de la démocratie
Adamou BARKE
Société nigérienne et démocratie: les racines psychosociologiques d'une mentalité populaire dévoyée mais strictement rationnelle Adamou BARKE Maitre-Assistant à la F.L.S.H Université Abdou Moumouni de Niamey (Niger)
1. Introduction Il est des principes démocratiques que d'aucuns considèrent volontiers comme universels et absolument sacrés puisque générateurs de progrès indéniables et de bienfaits tangibles pour l'humanité. L'expérience multiséculaire des pays occidentaux atteste ainsi de la dynamique vertigineuse que l'application de ces principes impulse à l'accumulation et la circulation de valeurs matérielles et spirituelles variées globalement enviables, au bénéfice des hommes. Cette universalité est cependant sérieusement mise à l'épreuve dans certains pays a&icains (dont le Niger) où l'on tente difficilement de promouvoir la démocratie. On y enregistre, en effet, plutôt un phénomène de décadence généralisée des valeurs en question, une recrudescence jamais égalée de conflits de tous ordres impropres à l'épanouissement escompté et à la survie même des hommes. Dans la mesure où il ne vient à l'esprit de personne qu'il faille relativiser cet a priori d'universalité, on est naturellement tenté, faute d'alternative crédible, de s'insurger violemment contre la plupart des acteurs politiques de ces contrées, où il y a décidément lieu de croire que la raison constitue le don universelle moins partagé de tous. Et pourtant, il relève indubitablement d'une application correcte des principes démocratiques que d'être animée par des acteurs vigilants, méticuleux, voire même intransigeants dans la détermination entre eux des termes des différents accords de partenariat qu'exige toute coopération démocratique. Quel que soit l'empressement que l'on a, fort justement, de voir tous les hommes accéder aux bienfaits de la démocratie, il y a lieu, tout de même, de reconnaître la pertinence pour les autres des principes et méthodes que l'on a dû appliquer soi-même pour comprendre et résoudre les
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problèmes auxquels on a nécessairement été confronté chez soi dans des circonstances relativement identiques. Faute de quoi, on sombre dans l'incohérence notoire à laquelle on assiste de nos jours et qui consiste, pour un grand nombre d'observateurs occidentaux, à admettre chacun pour soimême certaines vérités et nier aux autres le droit de s'y référer pour conduire leurs propres affaires. C'est ainsi que si l'on admet aisément que la démocratie est une oeuvre de longue haleine dont la réalisation exige la levée d'un minimum de contraintes matérielles et idéologiques incontournables, on comprend aussi mal que les africains tergiversent des années durant sur des futilités abstraites telles que la transparence électorale, la représentativité des élus, la légalité des actes politiques (toutes choses dont la réalisation effective et parfaite rendrait caduque la compétition politique qui leur est si chère ).1 Au lieu de s'attaquer aux problèmes de leurs marmites désespérément vides, de leur survie manifestement compromise par la dévaluation, les dettes et autres maladies endémiques, et de se faire mutuellement les concessions utiles pour construire l'avenir de leurs pays, ils s'évertuent à exiger la matérialisation de dispositions réglementaires utopiques dans le contexte socio-économique actuel. Si l'on admet chez soi que chacun poursuive librement ses propres intérêts et les réalise autant que son génie créateur le lui permet et que ses partenaires sociaux s'y soumettent au vu de leurs propres intérêts (qu'ils ont d'ailleurs toute la latitude et l'intelligence de préserver dans tous les cas), on est surpris et même écoeuré de voir les africains instrumentaliser tout grossièrement et cruellement au dépend les uns des autres, en vue d'accéder individuellement ou par petits groupes coalisés à des prébendes lointaines et aléatoires. De ce fait, la liberté qu'ils se permettent de prendre les uns vis-àvis des autres n'est point limitée, comme il se doit, par la raison, autrement l "... le rationalisme positiviste et scientiste du siècle dernier, dont les représentants les plus illustres, de Hegel à Lénine en passant par Saint-Simon, Marx et Comte, ont tous prédit.- chacun à sa façon -" la fin du politique" : c'est-à-dire l'avènement de la société rationnelle, rendue à elle-même et maîtresse d'elle-même, l'ère de la transparence sociale où, selon la formule consacrée de Saint-Simon, le gouvernement , des hommes sera remplacé par l'administration des choses' , Crozier M, et Fierdberg E, L'acteur et le système, Edition du Seuil, Paris 1977, p22.
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dit par la nécessité de survie immédiate de tous. Une survie qu'un accord raisonnablement équitable entre eux, puis avec les bailleurs de fonds, aurait tôt fait de garantir. Si l'on admet que la démocratie est une oeuvre salutaire pour l'humanité entière et par l'humanité dans son ensemble afm que prévale, un tant soit peu, l'équité dans un processus de libre concurrence et d'accumulation inégale des richesses, on imagine peu (ou pas du tout) que "la sagesse a&icaine" puisse être d'une quelconque utilité contributive en la matière. On s'émeut en contemplation et se gargarise d'éloges pour ce que l'on considère comme l'oeuvre de ses ancêtres qui ont su inventer des principes universellement valides, efficients et conformes aux fmalités ultimes et désirables de tout univers social positivement évolutif: les principes de démocratie libérale. On s'empresse alors d'en occulter, autant que faire ce peut, les effets sociaux pervers imprévus et indésirables que génère cette oeuvre de civilisation sublime, en l'occurrence la violence sous ses formes les plus sophistiquées; à moins qu'on ne rejette la responsabilité de ces effets pervers sur des sujets exceptionnellement débiles, impotents, dépravés, nocifs ou malchanceux. La présente étude n'a pas pour objet de réclamer pour l'A&ique un examen de sa situation en conformité avec les principes universels de la démocratie ou une inscription solennelle à son actif de quelques valeurs folkloriques éligibles au rang de vertus universelles. Elle ne vise pas non plus à rejeter sur autrui la responsabilité des difficultés que les a&icains ont pour résoudre le dilemme qui leur est posé, du fait des exigences nouvelles de l'économie mondiale, et qui consiste pour eux à se dépouiller sans délai de leurs valeurs socioculturelles unanimement perçues comme désuètes et de leurs ressources matérielles en souffrance d'exploitation pérenne, ou périr d'une autodestruction certaine. Il s'agit simplement pour nous de comprendre l'état de ni guerre, ni paix, qui prévaut au Niger depuis qu'il s'est engagé dans le processus d'instauration de l'Etat de droit démocratique. Un état de ni guerre, ni paix, qui n'est pas sans rapport avec une appréhension erronée de la société nigérienne par l'ensemble des acteurs politiques de proue et leurs partenaires extérieurs, appréhension qui se ramène en dernière analyse à une disqualification de fait du peuple nigérien dans la réalisation d'une oeuvre qui lui est pourtant si familière.
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A ce propos, les thèses qui ont prévalues et prévalent encore dans l'optique d'une matérialisation efficiente du processus de démocratisation ont consisté à faire table rase de l'histoire et construire une économie nouvelle sur un fond de culture démocratique littéralement parachutée de l'extérieur. Or, si le fond culturel en question n'est pas, dans sa dynamique d'interaction sociale féconde, étranger aux nigériens, celui-ci demeure historiquement muselé et perverti par des rapports d'autorité intercatégoriels figés, basés sur des structures socio-cognitives impropres à toute coopération sociale démocratique. Aussi longtemps que l'on s'évertuera à enterrer I'histoire et à maintenir les rapports d'autorité intercatégoriels qui ont marqué celle-ci tout au long de ce siècle, on ne saura construire une économie performante et durable en raison de la persistance, voire même de la cristallisation d'une mentalité dévoyée, sécrétée par ces mêmes rapports d'autorité incongrus. Essentiellement fondée sur la base d'une culture démocratique authentique et sincère, cette mentalité populaire est depuis fort longtemps dévoyée au regard d'un mode de coopération sociale qui se proclame formellement démocratique (depuis la loi cadre de 1956 jusqu'à l'adoption de la constitution de l'actuelle république on ne compte plus les lois et autres professions de foi dans ce sens) mais qui demeure pratiquement inopérant dans la vie courante des hommes parce que sous-tendu par des rapports d'autorité foncièrement autocratiques. En tant que structuration cognitive collective cette mentalité est génératrice d'attitudes et de stratégies systématiquement invalidantes du processus de coopération en cours, pour autant qu'il ne se démarque pas clairement d'un passé peu reluisant pour le peuple dans sa grande majorité. Elle constitue la réplique la plus efficiente et rationnelle aux "réformes démocratiques" qui font fi de l'histoire, avec son lot d'injustices, d'humiliations et de frustrations. Une mentalité dont l'assainissement passe par l'établissement de rapports d'autorité démocratiques, c'est-à-dire des rapports centrés sur la base d'aptitudes compétitives acquises individuellement et non pas sur des critères d'appartenance à des groupes sectaires préétablis.
2. Plaidoyer pour une démocratie à bâtir par le peuple L'instauration récente de l'Etat de droit démocratique au Niger a suscité, et continue de susciter, de vives polémiques tant à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur. A l'intérieur du pays, ces polémiques se caractérisent par la 228
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faiblesse, voire l'absence totale, de systématisations idéologiques de leurs enjeux politiques divergents à travers des doctrines socio-économiques et politiques explicitement défmies et soutenant variablement des intérêts et valeurs spécifiques à des groupes sociaux aspirant, à titres divers, à la démocratie. Singulièrement des groupes sociaux n'ayant rien à perdre de la destruction de l'ordre politique ancien et ayant tout à gagner de l'instauration de la démocratie, à commencer par le recouvrement intégral de leur dignité d'êtres humains libres et capables de décider de leur destinée commune. Une dignité que seules des doctrines minutieusement élaborées sont en mesure de formaliser systématiquement les valeurs et de déterminer variablement les groupes sociaux, non seulement intéressés, mais aussi et surtout capables, du fait de leurs aspirations et de leurs déterminations, de piloter conformément à leurs intérêts respectifs le processus de démocratisation en personnifiant ces valeurs et en inculquant celles-ci à tous ceux pour qui la démocratie est une option salutaire de survie et de progrès. En l'absence de telles systématisations idéologiques à l'initiative des nigériens eux-mêmes, c'est forcément l'idéologie dominante à travers le monde qui prévaut, en l'occurrence celle qui a décrété et promulgué, sans analyses préalables de cas spécifiques aux pays et sociétés concernés par le phénomène récent de démocratisation, l'attachement indéfectible de tous les êtres humains, sans exception, à la démocratie et qui conditionne l'expression et l'épanouissement de la dignité humaine au respect formel des "droits de l'homme." Comme à l'accoutumée, tous les nigériens qui sont, un tant soit peu, conscients du pouvoir, édifiant à maints égards, des auteurs de ce "décret universel" se pressent de proclamer leur parti pris pour cette "démocratie planétaire" en invoquant, pour marquer leur originalité propre, une certaine nécessité historique. Une nécessité historique naturellement vide de contenu, puisque le décret en question ne se base pas, en ce qui le concerne, sur d'autres analyses justificatives que celles relatives à l'inefficience économique de tout système social exerçant un contrôle, si minime soit-il, sur le marché. Ils rejettent donc, à la bonne heure, un passé ténébreux au cours duquel ils ont eu le tort, somme toute irrépréhensible, de s'être allègrement adonnés, ou piteusement soumis, à une dictature qui, tout compte fait, s'imposait à l'époque: celle que l'homme politique a dû exercer, non sans raisons valables d'ailleurs, sur le marché en contrôlant la loi fétiche de ce dernier. En tout état de cause, l'enjeu du processus 229
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démocratique visé étant moins de promouvoir des valeurs humaines endogènes spécifiques au pays (des valeurs qui pourraient contribuer, d'une façon ou d'une autre, à enrichir l'humanité) et plus de sauvegarder et optimiser des intérêts individuels ou collectifs de ceux qui, nigériens ou pas, ont les moyens financiers prérequis en l'occurrence, il n'est pas besoin de s'encombrer outre mesure d'histoire pour manoeuvrer, comme il se doit, afin de se classer parmi les plus aptes à piloter l'engin administratif consacré, à l'occasion, comme étant le moteur du processus démocratique; de l'histoire tout court. Dans cet ordre d'options idéologiques simplistes, où les experts internationaux décident et les nationaux exécutent, l'accord tacite, voire même la complicité consensuelle, des acteurs de proue de la machine politique sur une certaine nécessité historique fictive de la démocratie, n'empêche pourtant pas la naissance, et même la croissance en gravité, de tensions sociales entre eux, avec des permutations individuelles spectaculaires de camps, d'opinions, si ce n'est des mutations profondes de personnalités en mal de cohérence ou de visibilité sociale. Cela tient au fait que c'est précisément de l'examen détaillé (qu'ils se refusent de faire) et de la juste formulation de la véritable nécessité historique concrète des changements démocratiques que dépendent les solutions consensuelles efficientes et durables des problèmes générateurs de ces tensions sociales. En effet, un changement d'orientation politique, économique et sociale aussi radical que celui de remplacer un mode autocratique de coopération sociale par un mode démocratique de celle-ci, nécessite, pour le moins, la participation active, consciente et conséquente du peuple, non pas uniquement pour endosser tous les sacrifices qui s'imposent en l'occurrence, mais aussi, et surtout, pour juger, trancher et prévenir souverainement les conflits sociaux de tous ordres, inhérents à tout processus démocratique. La participation du peuple, en tant que bâtisseur et autorité physique et morale souveraine, passe par la conscience claire et aiguë que celui-ci doit avoir des facteurs historiques du changement en question et de ce qu'il gagnerait, au plan tant matériel que spirituel, au cas où ce changement se réalisait effectivement. Or, en dehors de quelques griefs, plus ou moins saugrenus, que quelques personnes se jettent et rejettent à propos de quelques malversations soigneusement ciblées dans les gestions obscures passées du pouvoir de l'Etat, d'une part, et de quelques promesses mirobolantes d'enrichissement matériel de tous, sur un fond de valeurs éthiques 230
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inavouables, d'autre part, tenant lieu respectivement de critique historique et de principe motivationnel populaire qu'on lui jette en pâture pour étouffer ses aspirations au mieux être, le peuple n'est nul part impliqué dans le processus en cours. Tout au plus est-il sollicité à contempler les prouesses rhétoriques et les grandes manoeuvres logistiques des uns et des autres et à choisir, tant bien que mal, entre blanc bonnet et bonnet blanc et à endurer avec patience des sacrifices de plus en plus croissants, en attendant de sortir de l'engrenage infernal des querelles politiques sans issue. Sans vérités historiques constitutives de principes axiomatiques dont le respect s'impose irrévocablement à tous, toutes les palabres sont sans autre objet que celui de masquer l'histoire elle-même et de disqualifier le peuple de l'oeuvre de construction de la démocratie, et ce, au profit de bureaucrates et autres technocrates préformés en la matière, qui sont tenus d'administrer l'Etat dans la stricte limite des consignes édictées par les bailleurs de fonds, moyennant des émoluments substantiels ou des curriculums vitae compétitifs et mémorables, susceptibles de donner droit à quelques salaires et titres honorifiques sur le plan international. Cette mise en veilleuse de l'histoire correspond à une entreprise méthodique, savamment orchestrée visant à faire endosser à ces nouveaux administrateurs, quelque peu indélicats par moments, et à eux seuls (en cas de déviations nationalistes collectivistes ou de libéralisme débridé quelque peu oublieux des anciennes "amitiés" ), autant d'abus de pouvoir et de charges accablantes sur le non respect du droit nouveau qu'il y aurait, si critique historique il y avait, à faire endosser à ceux qui les ont précédés un siècle durant en matière de dictature barbare, d'oppression et exploitation du peuple. Toute critique historique perdrait ainsi son sens, puisque chacun (ancien ou nouveau) aurait quelque part sa tare à cacher dans un environnement politique où les tribunaux se taillent opportunément, et à toutes fins utiles, sur mesure. A cet effet, carte blanche est donnée à ces nouveaux administrateurs, uniques bâtisseurs de la démocratie, pour se surpasser d'imagination créatrice, tantôt pour concocter des règles draconiennes (en matière de fiscalité et de réduction des charges sociales de l'Etat notamment) afin d'acculer le peuple à vendre tout ce qu'il possède (sa force de travail en dernier recours) au plus offrant sur un marché international unifié et libéralisé, tantôt pour vilipender au grand jour les croyances, traditions et autres modes de vie populaires jugés, sans autre forme de procès, rétrogrades. Pour en arriver là, il faut laisser au temps le 231
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temps de dégrader suffisamment la situation économique et sociale afm que les esprits se ramollissent à force de carence alimentaire, d'angoisse existentielle de toutes origines et se soumettent alors d'eux-mêmes aux nouvelles contraintes institutionnelles, après s'être détachés suffisamment des contraintes culturelles jugées irrévocablement malsaines. Pour meubler le temps et lui donner le temps d'accomplir son oeuvre, il n'y a rien de plus efficace que les querelles politiques sans issues qui, tout en distrayant le peuple et en occultant les vraies sources de son malheur, ont l'avantage de donner un cachet spécial de sérieux aux mesures impopulaires que l'on a (ou que l'on s'empresse d'avoir, vu que l'on est dans l'opposition du moment) à la fois l'insigne honneur et le triste privilège d'imposer à ce peuple que l'on aime tant et sur la compréhension duquel on ne peut malheureusement pas compter. C'est ainsi que certains, forts de leurs connaissances livresques et de leurs expériences universitaires plus ou moins édifiantes en matière de lutte contre la dictature coloniale et néo-coloniale, campent sur l'universalité, la rationalité et l'efficience scientifiquement démontrées des principes démocratiques pour opter résolument pour l'application diligente, obligatoire et intégrale de ceux-ci au Niger. Peu importe que les avantages matériels et moraux ne soient qu'hypothétiques pour la grande majorité du peuple; du moment que l'on tire soi-même son épingle du jeu, on n'a pas à s'en soucier outre mesure, d'autant que l'avenir de tous fmira bien, tôt ou tard, par devenir radieux. Peu importe que certains pays, particulièrement les chantres de la démocratie libérale, appliquent ces principes avec la duplicité que leur impose la logique de partialité idéologique inhérente à la loi du profit et la rationalité instrumentale qui animent leurs systèmes économiques; ce ne sont guère que des cas exceptionnels inévitables que l'on peut toujours justifier, comme tout le monde, par la rentabilité à terme des décisions pragmatiques, non conformes au droit, que l'on a dû prendre opportunément de temps à autre, ou par des erreurs judiciaires indépendantes de la volonté des décideurs officiels. Peu importe, enfin, que cette application intégrale nécessite la levée préalable de certaines contraintes induites par les valeurs socioculturelles du terroir (automatismes socio-culturels de solidarité communautaire et néophobie à l'égard des innovations en matière d'éthique mercantile), et la lutte préventive contre les effets sociaux pervers induits par une telle application (délinquance, corruption, doctrines machiavéliques d'exclusion et de destruction physique 232
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et morale de quelques « minorités insignifiantes», perversions ostentatoires des moeurs, dislocations des familles, solitude ...); ce ne sont guère que des difficultés mineures que l'on saura surmonter, comme tout le monde, vaille que vaille. L'idéal de liberté, de justice, d'éminence physique, intellectuelle et morale des individus n'a pas de prix; seuls ceux qui sont inaptes tomberaient dans le piège des déviations malsaines que génèrent habituellement les échecs répétitifs auxquels ils sont voués dans la logique de compétitivité laborieuse et permanente qui se doit en l'occurrence. D'autres, par contre, pensent qu'il y a lieu de "labourer en surveillant la lame de sa houe"2. De l'avis même de spécialistes dignes de foi en la matière, la démocratie est un luxe ... pour des hommes et des femmes si affectueusement attachés à des traditions ancestrales consacrant une coopération sociale autocratique et un état d'esprit dogmatique irrationnel. En effet, pensent-ils, l'émancipation de ces valeurs traditionnelles que suppose l'application des principes d'égalité et de liberté démocratique notamment, comporte deux risques majeurs dont la réalité est d'autant plus tangible que l'on est tenu, a priori, de ne pas fouiller l'histoire pour vérifier leur justesse. Il y a, tout d'abord, le risque de voir des inimitiés ancestrales, que la colonisation a méthodiquement contribué à créer et à entretenir en sourdine entre divers groupes ethniques, refaire surface avec acuité, une fois que le contrôle vigilant et drastique de l'administration territoriale aura baissé d'un cran. Des exemples ne manquent pas en Attique pour mesurer les conséquences catastrophiques de la résurgence de ces inimitiés dormantes. Le Niger n'est d'ailleurs pas en reste en la matière, avec la rébellion armée qui a éclaté dans la partie septentrionale du pays ainsi que la montée exponentielle en nombre et en gravité des conflits champêtres, professionnels et familiaux qui s'est imposée aussitôt que la démocratie y a formellement eu droit de cité. Il y a, ensuite, le risque de voir se renforcer davantage toutes les conduites et prédispositions morales et spirituelles antinomiques à la sacro-sainte rationalité instrumentale chère à la démocratie libérale. Ainsi, des mentalités forgées des siècles durant, sur la base d'une passion altruiste qui rejette le profit usurier et favorise le parasitisme social et la paresse dans un contexte social général où la patience (dans l'attente d'une hypothétique clémence de Dieu) est 2 Assertion proverbiale populaire au Niger
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considérée comme la valeur philosophique et morale par excellence; ces mentalités une fois affranchies (libertés démocratiques obligent) de la rigueur de la gestion autocratique des institutions étatiques léguées par la colonisation, ne vont-elles pas conduire à l'échec du processus démocratique? Si, comme l'entendent les bailleurs de fonds, richesse et progrès riment avec individualisme et excellence en matière de cupidité notamment, comment désintégrer ces entités communautaires en donnant, paradoxalement, libre cours à leurs religions et univers cognitifs qui font l'apologie de la solidarité, de l'assistance sociale bénévole et du désintéressement vis-à-vis de ce bas-monde. Ne vaudrait-il pas mieux imposer la loi du marché tout de suite, dans toute sa rigueur, et s'attaquer intelligemment, de la sorte, aux derniers bastions de ces inepties culturelles3, quitte à mettre en veilleuse l'histoire et la démocratie avec? Dans tous les cas, l'intelligence exige certes la tolérance (et les chantres des droits de l'homme l'imposent), mais elle exige aussi la prévoyance et donc le contrôle des errements nocifs, qu'il suffit d'ailleurs de présumer qui l'on veut d'en cultiver la secrète intention pour lui ôter le parapluie, quelque peu encombrant des défenseurs internationaux de cette tolérance, sous lequel se tapissent les détracteurs les plus farouches des libertés et du progrès. Application intégrale, ou par étapes, des principes démocratiques, les polémiques vont bon train et, puisque le peuple est exclu du débat, faute de raisons historiquement établies, quant à ses compétences en la matière, il n'y a plus que les bailleurs de fonds pour trancher, avec le semblant de détachement et de désintéressement diplomatique qui s'impose en l'occurrence. Leur préférence pour la première alternative est connue de tous, mais ils se réservent naturellement le droit de s'accommoder à toutes solutions éventuelles proposées par qui s'en donne le droit, pourvu qu'il se soumette à leurs exigences de l'heure: libéraliser le marché, consacrer, autant que faire se peut, la légitimité de son pouvoir par un principe majoritaire formellement établi (même si celui-ci est pratiquement vide de 3 Exemples: démembrer les entités communautaires en viciant au maximum leurs relations traditionnelles par une décentralisation à la carte, ériger des chefs traditionnels en gardiens proprement dits des traditions esthétiquement gravées en lettres mortes sur des sites touristiques et musées que seront leurs palais, exciter par la puissance des images (TV) toutes les convoitises sans issues heureuses dans les traditions culturelles de la place, etc. 234
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sens pour les acteurs sociaux eux-mêmes, du moment qu'il consacre implicitement le droit capital d'ingérence "humanitaire" des puissances étrangères au cas où leurs intérêts seraient menacés par quelques "minorités récalcitrantes" ou quelques "nationalistes attardés" )... pourvu qu'il ose faire ce qu'ils ont décidé que soit impérativement le destin du peuple nigérien: un peuple sans histoire, au sens propre comme au figuré. Cependant, pour peu que l'on veuille s'arracher du charme envoûtant du génie créateur des peuples qui ont donné aux institutions démocratiques leurs formes actuelles (de toute évidence provisoires parce que truffées de lacunes déconcertantes, au nombre desquelles le bâillonnement et la relégation politique des minorités de toutes natures au bas de l'échelle des valeurs); pour peu que l'on veuille créditer le peuple nigérien de dispositions mentales performantes, à la mesure de celles des autres peuples, on a le devoir d'examiner en détail, sans complexe, ni a priori, son histoire et la culture qui en a découlée pour connaître, non seulement, les raisons pour lesquelles il aspire fondamentalement à la démocratie, mais aussi, les mécanismes sociaux à travers lesquels il a su (avant la colonisation) et a dû (de la colonisation à nos jours) gérer une coopération sociale féconde entre les diverses communautés qui le composent. On se rendrait alors compte que, sous le manteau d'analphabète, juché en tête des peuples les plus indigents de la planète, que lui ont confectionnés (non sans arrières pensées sournoisement intéressées) les experts des Nations Unies, se cache un peuple qui a su concilier, de manière originale efficiente et viable, l'intérêt commun à de multiples communautés nationales, ethniques, tribales et familiales relativement autonomes au plan politique, avec leurs intérêts catégoriels particuliers, sans hypothéquer outre mesure les intérêts individuels des membres de chacune d'entre elles, à travers une vaste entreprise de coopération sociale démocratique. Il s'agit là, avant tout, d'une oeuvre de structuration cognitive et sociale d'une extrême importance, non seulement pour la coexistence pacifique de ces communautés elles-mêmes, mais encore pour le progrès universel de tout processus démocratique dans le sens d'une alternative viable et profitable tant pour l'homme pris dans son individualité, que pour les groupes ou communautés sociales et pour l'humanité dans son ensemble. Il en est ainsi parce que, à son état actuel d'évolution, la démocratie est toujours au stade où elle est condamnée à nier catégoriquement ou ignorer de manière hypocrite ou encore tolérer avec regret, tantôt les intérêts spécifiques à certaines catégories sociales (famille, 235
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ethnie, tribus, confessions religieuses, classes sociales...); tantôt les intérêts individuels. C'est ainsi que la démocratie libérale se donne pour principe central celui selon lequel, pour maximiser l'intérêt général, il n'y a d'autre solution valable que celle de s'appuyer sur les intérêts individuels particuliers des acteurs sociaux indépendamment et généralement en divergence de cause avec leurs appartenances inaliénables et variables à des groupes, communautés ou classes sociales4. La démocratie socialiste se donne, quant à elle, pour principe primordial celui selon lequel, pour maximiser l'intérêt général, il n'y ad' autre solution valable que celle de s'appuyer sur les intérêts de groupes sociaux les plus importants numériquement et les moins favorisés matériellement (prolétaires), en procédant à des classifications souvent artificielles et peu fiables qui ne tiennent compte ni des dispositions personnelles spécifiques des hommes ni de leur appartenance naturelle à diverses communautés de filiation génétique ni de leurs intérêts personnels. Ce faisant, ces deux variantes de la démocratie moderne exercent systématiquement une violence pernicieuse inouïe sur la personne humaine en l'obligeant à rejeter dans les faits de la vie courante (les doctrines libérales ou socialistes étant, par démagogie, plus nuancées, mais sans effets contraires sur les faits en question), l'une ou l'autre des composantes majeures de son identité, la raison de son équilibre psychologique, à savoir, d'une part, son appartenance à une famille, un groupe ethnique, une nation, un continent, un genre humain masculin ou féminin ou au genre humain tout court, et, d'autre part, sa personnalité propre avec ses aptitudes, ses penchants subjectifs et motivations particulières. L'oeuvre de structuration cognitive et sociale en question, respectueuse de l'équilibre psychologique de l'homme par la conciliation harmonieuse de ses dimensions individuelle et sociale, est le fait d'une institution socioculturelle dont la fonction primordiale est de prévenir et/ou résoudre les conflits sociaux avec pour principes organisateurs, précisément, ceux qui régissent, et cela sans restriction d'aucune sorte, tout processus de coopération social de type démocratique. Il s'agit, en l'occurrence, d'une 4"Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il (homme) travaille souvent d'une manière plus efficace pour l'intérêt de la société que s'il avait réellement pour but d'y travailler" (Adam Smith, 1776, La Richesse des Nations,)
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institution culturelle conçue par le biais du cousinage croisé et qui allie, au plan bilatéral, des catégories sociales constituées sur la base de divers critères de catégorisation sociale (famille, ethnie, nation, caste,... etc.) en tant que groupes constitués de cousins croisés, dont l'un représente l'aile masculine du cousinage et l'autre son aile féminine. C'est ainsi que des groupes sociaux différents par les populations respectives qui les composent, par leurs modes de vie, leurs activités économiques et commerciales, leurs langues, leurs races et parfois même leurs croyances religieuses, établissent entre eux, deux par deux, cette alliance parentale qui, du fait des principes culturels identiques la régissant de part et d'autre, les fusionne formellement et matériellement à travers un processus de coopération sociale dynamique garante, non seulement, du respect unanime de l'intérêt général, mais aussi, du respect mutuel des intérêts de chaque groupe et des intérêts de chaque individu, à quelque groupe qu'il appartienne.
3. Le cousinage
croisé
3. 1. Principes et fonctions socio-culturels attachés à ce lien de parenté au Niger Le cousinage est un lien naturel de parenté qui associe des cousins. Sont cousins les uns des autres les enfants issus respectivement de deux frères ou de deux soeurs ou encore d'un frère et d'une soeur. On dit qu'ils sont cousins germains lorsqu'ils descendent de frère(s) et/ou de soeur(s) germains, c'est-à-dire nés du même père et de la même mère. On dit qu'ils sont cousins croisés lorsqu'ils descendent de fière(s), pour les uns et de soeur( s), pour les autres; que ces fière( s) et soeur( s) soient germains ou pas, pourvu qu'ils aient un ascendant (père ou mère) commun. Les cousins respectivement issus de deux ou plusieurs fières sont cousins parallèles et forment l'aile masculine du cousinage croisé, tandis que ceux issus de deux ou plusieurs soeurs sont cousins parallèles formant l'aile féminine du cousinage croisé. Le cousinage est direct lorsqu'il concerne une même génération de fils de fières et soeurs donnés, mais aussi indirect lorsqu'il concerne les fils ou petits fils de cousins directs. C'est ainsi que, même à des générations d'intervalles, le cousinage qui liait des enfants de fières et soeurs, pratiquement devenus des ancêtres aujourd'hui, continue à lier leur
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descendance respective et ce aussi longtemps que la mémoire historique collective le souhaite. Il suffirait donc qu'à travers l'histoire ou même la mythologie commune à deux groupes donnés, il ait été (ou supposé avoir été) contracté un mariage entre un homme et une femme appartenant respectivement à chacun d'entre eux, pour qu'ils contractent un lien de cousinage croisé. La femme concernée serait en quelque sorte l'ancêtre originel du groupe de son époux tandis que son groupe de naissance constituerait la descendance de ses frères. Un premier principe culturel est ainsi attaché au cousinage croisé à savoir le principe instituant son extension, à partir de son origine parentale réduite aux groupes familiaux, à des groupes sociaux plus importants tels que les groupes tribaux, ethniques voire même nationaux. Cette extension concerne également les castes, les groupes confessionnels et autres corps de métiers constitués de la place. De ce fait, de multiples combinaisons bipolaires de cousins croisés, aile masculine d'une part et aile féminine de l'autre, sont établies dans l'espace communautaire traditionnel nigérien. Chaque groupe ethnique de la place entretient un réseau de liens bilatéraux de cousinage croisé, tant en son sein propre, que vis-à-vis d'autres groupes ethniques avec lesquels il avait des relations de coopération ou de simple voisinage. Une recherche effectuée à ce sujet fait état de plus de cent quarante six (146) cas de liaisons bipolaires de cet ordre au Niger, exception faite des cas de liens de cousinage croisé naturellement engendrés entre des familles, cas qu'il serait matériellement impossible de recenser5. Le second principe culturel attaché au cousinage croisé est celui de l'institution de rapports d'autorité symbolique en faveur du groupe constitutif de l'aile masculine du cousinage. Une faveur que chaque membre de ce groupe se doit de matérialiser le mérite, par un exercice effectif de cette autorité au moyen de la suprématie de ses aptitudes personnelles, à l'occasion de toutes les interactions sociales qui le conftontent à un ou plusieurs membres du groupe constitutif de l'aile féminine du cousinage. Ces derniers se doivent, à leur tour, tout en admettant formellement ce rapport d'autorité qui leur est symboliquement défavorable, faire la preuve 5 Dr Mariko Kélétigui, la parenté à plaisanterie comme facteur d'intégration sociale en Afrique occidentale, communication au colloque international" Aires culturelles et création littéraires en Afrique", décembre 1990, NEA, Sénégal. 238
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qu'ils sont plus méritants que les autres à l'occasion de toutes les interactions sociales qui les confrontent à ceux-ci, en se montrant plus aptes à l'exercice d'une telle autorité. C'est un principe qui place toute interaction sociale où se trouvent impliqués quelques membres des deux groupes dans une dynamique de compétitivité généralisée, où il s'agit pour chacun, tantôt de confIImer dans les faits la suprématie qui lui est symboliquement attribuée (membre du groupe de l'aile masculine du cousinage), tantôt de récuser dans les faits l'infériorité qui lui est symboliquement attribuée (membre du groupe de l'aile féminine au cousinage). Ces faits (toutes activités confondues :communication, production, jeux etc...) sont les objets proprement dits des interactions sociales en cours, objets qui mettent indifféremment en jeu aussi bien des aptitudes intellectuelles que des aptitudes physiques et morales pour réaliser, aux termes de performances les plus élevées, des objectifs d'intérêt commun afm de satisfaire à la fois les aspirations des uns et des autres. La suprématie de fait peut revenir indifféremment aux membres de l'un ou de l'autre groupe, dans un parallélisme des rapports d'autorité symbolique formelle avec ceux de l'autorité de fait (pouvoir, aptitude, compétence) ou une inversion de ces deux types de rapports; ce qui importe, en définitive, c'est le résultat toujours plus fécond d'une coopération indéniablement dynamique. Ces deux alternatives ne sont pas seulement probables mais effectivement réalisables du fait des principes fonctionnels ci-après: - Le principe de la libre circulation des personnes et des biens dans les espaces de vie des deux groupes sociaux liés par le cousinage croisé. Ce principe a pour fonction sociale de renforcer la coexistence pacifique des deux communautés entretenant une liaison bilatérale de cousinage croisé. En effet, selon ce principe les membres de l'un des deux groupes concernés peuvent s'installer en collectivité dans une aire territoriale appartenant aux membres de l'autre groupe afin d'exploiter celle-ci à leur profit. Ce cas de migration en collectivité est rare et généralement provisoire et s'effectue sous la pression de facteurs sociaux, politiques et économiques divers tels les calamités naturelles (sécheresses) les conditions de vie sociale et politique désastreuses (période des travaux forcés pendant laquelle des villages entiers se sont déplacés pour s'installer chez leurs cousins au Nigéria) ou l'exploitation de richesses naturelles territorialement circonscrites (cure salée, nomadisme ou exode saisonnier ...). Par contre les migrations individuelles (singulièrement 239
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celles des cousins de l'aile féminine vers les territoires de leurs cousins de l' aile masculine) sont, quant à elles, ftéquentes et culturellement recommandées. C'est ainsi que dans la presque totalité des communautés, les hommes sont culturellement prédisposés à avoir une plus grande considération pour les enfants de leurs soeurs que pour leurs propres enfants. Dans certaines ethnies on va jusqu'à désigner le fils de sa soeur par l'expression "mon héritier" (Zarma-SonghaiJ ou encore "mon fils juré" (Kourfey.oo) car, dit-on, autant on peut jurer de la consanguinité qui lie I'homme avec le fils ou la fille de sa soeur autant la consanguinité qui le lie à ses propres enfants est théoriquement sujette à caution. Ces migrations individuelles des cousins de l'aile féminine constituent pour les cousins de l'aile masculine un véritable défi à relever au risque de se voir, sinon, déshérités par leur père au profit d'un de leurs cousins croisés (celui-ci peut en effet le désigner comme son futur successeur), du moins, délestés d'une bonne partie de leur héritage par leur père (de son vivant) au profit de ses "héritiers" ou "fils jurés". Dans tous les cas ils ont intérêt à se montrer plus méritants que ces derniers et ce, dans tous les domaines des interactions sociales courantes de la place. Ce défi n'entame en rien la qualité de l'hospitalité due aux membres d'une communauté qui a, de surcroît, l'insigne mérite d'abriter une tante vis-à-vis de laquelle on a le plus grand respect (plus grand que celui que l'on doit à sa propre mère, selon une tradition formellement consacrée dans toutes les communautés de la place). La coexistence pacifique est de rigueur entre deux communautés qui détiennent chacune ce que l'autre a donc de très cher (la tante respectée, d'une part, et un ou plusieurs fils valeureux de l'autre). - Le principe d'une discrimination évaluative en faveur de son groupe d'appartenance que chaque individu est tenu d'exprimer de vive voix, à chaque fois qu'il se trouve en face d'un ou plusieurs membres du groupe adverse. Ce principe a pour fonction de jauger la solidité des rapports entre les deux groupes. Il s'agit essentiellement de faire prendre conscience à chacun du fait qu'au -delà des différences héréditaires (origine familiale, ethnique ou nationale) ou socioculturelles (langage, mode de vie) qui séparent les deux groupes, ce qui compte pour changer l'environnement, pour accéder au pouvoir de fait sur les êtres et les choses (envers et contre toute prescription sociale a priori) et réaliser les aspirations les plus élevées, ce sont les aptitudes acquises. Aptitudes qui 240
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ne sont l'apanage d'aucun groupe particulier, mais des valeurs individuelles que l'on retrouve dans tous les groupes et qui peuvent s'acquérir par chacun, à quelque groupe qu'il appartienne. D'où la prescription que les membres de ces groupes ont à travers ce principe, de se livrer à la concurrence en sachant bien ou pour mieux savoir, aux termes des défis réciproques et de ce qui en résulte comme succès indifféremment en faveur des uns et des autres, que leurs différents attributs héréditaires ne sont d'aucune utilité en la matière. A l'évidence la concurrence en question n'aurait aucun sens si les attributs qui déterminent le succès dans celle-ci étaient innés, c'est-à-dire acquis d'avance par une partie et pas par l'autre. Les attributs ou critères de différenciation innés constituent des invariants à propos desquels les groupes que distingue chacun d'entre eux sont, par essence, qualitativement différents et rigoureusement exclusifs les uns des autres. Hormis le constat de la différence qualitative en question, les groupes en question sont logiquement incomparables car on ne peut, par essence, évaluer objectivement une qualité de sorte qu'un ordre de préséance, ayant le même sens pour tous, soit établi entre ses différentes formes. Dans l'absolu comme dans les faits réels, une forme ne saurait avoir plus de valeur qu'une autre. A moins de se référer donc à un jugement de valeur par le truchement de normes arbitraires, que la réalité a tout le loisir de récuser en référence à d'autres jugements fondés sur des normes toutes aussi arbitraires, on ne peut établir un ordre hiérarchique de préséance entre des objets qualitativement différents, pas plus qu'on ne pourrait établir de rapports d'autorité entre deux groupes sociaux en se référant exclusivement aux critères héréditaires qui les distinguent. Il est par exemple absurde que l'homme et la femme entrent en compétition au nom de leurs attributs sexuels. Si leurs rapports d'autorité sont arbitrairement en faveur de l'homme, il n'est pas moins vrai que la matérialisation dans les faits de cette autorité, ou le pouvoir proprement dit, se présente indifféremment en faveur de l'élément de l'une ou de l'autre catégorie d'autant qu'il s'agit de con:fronter, à l'occasion, des dispositions acquises (variables individuelles) et non des dispositions innées (variables catégorielles immuables). Oté de son contexte environnemental pratique, ce principe apparaît comme une règle génératrice, dans un sens optimiste, de plaisanteries de plus ou moins mauvais goût (certains chercheurs parlent de cousinage à 241
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plaisanterie), et, dans un sens pessimiste, de subversions mettant en péril la paix sociale6. Or, il ne s'agit, ni de simples empoignades verbales expressément conçues pour amuser la galerie, ni de l'expression de velléités hégémoniques mesquines qui risquent de provoquer à tout moment des conflits fratricides, mais d'une pratique, la plus franche et la plus efficiente du respect de la différence afin de tonifier des interactions sociales pacifiques et fécondes. Comme le prouvent certaines recherches en psychologie sociale (ct: Tajfel, Doise, Codol, etc...) la conduite de discrimination évaluative en faveur du groupe social d'appartenance est un fait qui se produit systématiquement dès que ce groupe est confronté à un groupe différent et ce, quel que soit le critère de différenciation, de catégorisation des deux groupes7. Elle ne saurait donc être absente d'une quelconque interaction sociale dans laquelle sont engagés deux ou plusieurs individus appartenant à deux groupes différents. Elle constitue un motif d'action sociale dynamique et positive si le contexte psychosociologique dans lequel elle se manifeste consacre une liaison de dépendance indéfectible des différents acteurs et un respect transparent de la différence c'est-à-dire dans le sens aussi bien de son affirmation juste et sincère que de sa négation absolue et fatale. Le contexte environnemental pratique en question est précisément caractérisé par une interdépendance sociale, économique et politique entre les deux groupes, telle qu'aucun groupe ou individu n'a intérêt à ce qu'elle se rompe et qu'au contraire chacun a intérêt à voir l'autre remplir correctement sa part de contribution à la coopération bilatérale. Le principe de discrimination évaluative en faveur du groupe d'appartenance devient alors éminemment salvateur pour la paix sociale car 6 Dans un régime autocratique qui n'admet aucune espèce de mobilité sociale, toute confrontation intercatégorielle (si confrontation il y a) se doit de refléter strictement l'ordre des rapports d'autorité formellement établis. Toute velléité concurrentielle, serait-elle d'ordre symbolique, est interprétée comme une remise en cause de l'ordre d'autorité établi. Comme cet ordre est arbitraire, injuste et rationnellement insoutenable, il ne s'accommode guère de critiques et compétitions qui ne peuvent qu'aboutir, à plus ou moins brève échéance, à sa désintégration systématique. 7 "Plusieurs expériences ont montré que la seule catégorisation d'individus même effectuée sur une base tout à fait arbitraire en deux groupes ("les autres" et "nousmêmes") induit des comportements de discrimination entre les groupes (dévalorisation des "autres" et valorisation du "nous")". Codol l.P, 1979.
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il permet à chacun de jauger les justes limites de la différence, en l'occurrence collectivement insignifiantes. En effet, en mettant au crible des critiques réciproques les valeurs respectivement soutenues par l'un et l'autre groupe, on en arrive à annihiler la pertinence des différences naturellement induites, au profit des seules différences qui vaillent dans ce contexte, à savoir les aptitudes compétitives de chacun à contribuer aux différents processus de coopération sociale bilatérale. Or ces aptitudes ne sont ni naturellement générées par la naissance ou la parenté ni automatiquement induites par des valeurs sociales arbitrairement attachées à un groupe et pas à l'autre. Elles relèvent de processus d'acquisition de savoir et savoir-faire et ne sont pas plus accessibles à un groupe qu'à un autre. De ce fait, ce principe engage plutôt les individus à se surpasser les uns les autres, à propos de ces aptitudes acquises, alors même que les groupes sont disqualifiés à ce propos, puisque les ressources incriminées par l'évaluation partisane ne sont, naturellement, l'apanage d'aucun des deux groupes. Le critère de parenté (cousinage) tend à dédramatiser l'expression de l'évaluation partisane par rapport au critère ethnique ou tribal en la vidant logiquement de toute intention réciproque de nuire (nuire délibérément au cousin c'est nuire à soi-même au regard, sinon de l'éthique la plus élémentaire des relations sociales, au moins de l'identité de sang que l'on partage avec lui) mais il ne la justifie pas.8 Sa justification ne peut provenir que des interactions sociales elles-mêmes, interactions sociales confrontant des individus faisant usage de ressources physiques intellectuelles et morales propres à chacun d'entre eux. Autrement dit, nous avons affaire à un processus de libre concurrence interindividuelle par le biais de groupes dont les intérêts vitaux respectifs interdépendants imposent une rationalisation rigoureuse des rapports sociaux qui les unissent. 8 "La coincidence des répartitions catégorielles des sujets sur la base des deux critères (ethnicité, cousinage)... libère l'expression ouverte de la conduite de discrimination évaluative partisane inhérente à la catégorisation sociale basée sur le critère d'ethnicité, tout en neutralisant les effets conflictuels éventuels sur les relations intercatégorielles par la centration de l'interaction sociale sur le cousinage croisé qui, en rendant cette conduite caduque, annule du même coup les effets de celle-ci." Barké A, Anna/es de / 'Université Abdou Moumouni de Niamey, tome V, 1996, p 208.
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D'ailleurs pour servir de garde-fou aux individus qui ne comprendraient pas les fonctions précitées du "cousinage croisé" dans la logique exacte qui les anime et qui convertiraient la compétitivité qui lui est inhérente en une sorte de rivalité chronique inopportune, il est institué un dispositif de sanctions à la mesure de la gravité des actes délictueux qu'ils auraient à commettre.
- Les susceptibilités caractérisées, consistant pour un individu à rompre brutalement et de manière injustifiée l'échange de propos critiques ou réalisation des tâches en cours d'exécution avec un cousin croisé, sont sanctionnées de pénalités sous la forme de menaces de désagréments sociaux et sanitaires qu'il aurait à subir automatiquement (par le concours de circonstances inévitables) s'il persistait dans cette attitude. - Les
atteintes graves à l'intégrité physique et morale d'un cousin sont strictement prohibées et, au cas où elles se manifestent en dépit de cette prohibition, elles sont jugées sous la direction de personnalités influentes des deux groupes qui, après des démarches de conciliation d'usages et des avertissements solennels, décident de sanctions communes allant de la disgrâce sociale temporaire au bannissement défmitif du contrevenant, par les deux communautés. Il s'agit dans tous les cas de prévenir les effets pervers qui pourraient découler d'une mauvaise compréhension du mécanisme en cause, d'un blocage des interactions sociales ou d'un manque de respect délibéré des principes de la libre circulation des individus et de la libre concurrence interindividuelle. La rationalité de l'organisation sociale n'exclut, donc, pas la mise en place de mécanisme de sanction des conduites non conformes à celle-ci.
3.2.
Logique inhérente au "cousinage croisé" et dispositions mentales qu'il génère en fonction du mode de coopération en vigueur dans la société
La logique inhérente aux principes ci-dessus soulignés est donc essentiellement celle qui consiste à affirmer sans ambages que le statut social de tout individu, à quelque groupe qu'il appartienne, ne vaut que s'il détient effectivement les aptitudes compétitives requises à cet effet. Des aptitudes mises à l'épreuve en permanence par le fait du phénomène de
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compétitivité qui détermine, en dernière analyse, lequel des postulants éventuels au statut en question est le plus méritant. Pour conserver son statut social, l'individu est, du fait de ce phénomène social mis en oeuvre par l'institution du cousinage croisé, tenu d'élever constamment son niveau de performance et de briguer, en même temps, un statut social plus enviable que celui déjà acquis. En d'autres termes, ces principes induisent une logique d'identité de la cause prescrite, en l'occurrence le rapport d'autorité liant formellement l'individu aux autres ou son statut social, avec la cause de fait, en l'occurrence le pouvoir que confèrent à celui-ci ses aptitudes et compétences effectives. Une logique qui suppose une centration des structures catégorielles d'identification des personnes, non point, sur des critères d'appartenance sociale innée ou héréditaire (race, sexe, origines familiale, ethnique ou tribale) étant donnée qu'aucun processus de compétitivité n'est envisageable du point de vue de ces critères statiques et sectaires, mais, sur des critères d'aptitudes compétitives acquises et, donc forcément, des critères d'essence individualiste. Une logique qui suppose, par ailleurs, que les activités communes ou la coopération sociale en cours, soient envisagées à travers des structures cognitives de causalité telles que les rapports d'autorité entre les individus et entre les groupes sociaux soient rigoureusement établis, non point en fonction de normes arbitraires invérifiables, mais, en fonction des efforts contributifs réels, quantifiables au besoin, de chacun aux activités en question. Une logique qui s'impose, donc, au terme d'un processus d'adaptation de l'autorité formelle au pouvoir réel et se réalise par un équilibre à travers lequel l'autorité s'accommode aux faits exacts de pouvoirs interpersonnels et intercatégoriels. Bref: une logique de justice sociale propre à toute coopération sociale démocratique. Une coopération qui donne à chaque personnalité individuelle un champ d'expression et de réalisation de soi le plus libre qui soit, et qui a, de plus, la parfaite ingéniosité de préserver la dignité de son groupe social d'appartenance héréditaire, groupe qui, en l'occurrence, n'est ni entièrement exclu des termes justificatifs des succès de celle-ci, ni justiciable de ses éventuels insuccès. Il s'est donc forgé, par le biais de cette institution culturelle commune à toutes les communautés vivant au Niger, une mentalité populaire unitaire qui exige, d'une part, que tout rapport d'autorité établi d'un individu sur un 245
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autre ou d'un groupe sur un autre, fasse l'objet d'examens critiques permanents et, d'autre part, que le statut social de chacun se matérialise, non pas par une simple appartenance à un groupe social héréditaire, mais par des aptitudes et compétences vérifiées et vérifiables. Dans un contexte social de coopération démocratique où les aptitudes et compétences requises pour l'établissement des rapports d'autorité sont socialement connues, admises et accessibles à tous, une telle mentalité ne peut que générer une dynamique de progrès à l'avantage de l'intérêt général, des intérêts catégoriels, tout comme des intérêts individuels. Par contre dans un contexte social de coopération autocratique, cette même mentalité revêt la forme de réactions d'apparence infantiles, nées d'une ttustration aiguë, exprimant des réflexes de résistances implacables, virtuellement orientées contre ses propres animateurs, mais foncièrement invalidantes pour les rapports d'autorité illégitimes imposés à ceux-ci9. Ainsi sous le manteau de préoccupations subjectives, futiles au regard des objectifs centraux essentiels de la dite coopération sociale (objectifs qui attendent désespérément leur réalisation effective) cette mentalité entretient et suscite méthodiquement des conflits sociaux larvés, insolubles à souhait. 10 9 Les rapports d'autorité intercatégoriels instaurés au Niger par la colonisation sont non seulement basés sur des critères sélectifs sectaires parce qu'objectivement inaccessibles à tous (pour des raisons diverses tous les nigériens ne pouvaient même pas accéder aux services étatiques tels que l'école, l'armée, la santé, la fonction publique et, à plus forte raison s'y engager et briguer les postes déterminant les rapports d'autorité officiellement établis) mais aussi sur des critères arbitraires non conformes à la logique de coopération sociale antérieure. Ainsi, le découpage administratif objectivement caractérisé par l'enclavement de vastes zones d'habitation (absence d'infrastructures routières, scolaires, sanitaires... éloignement des centres politiques et commerciaux) et la mise arbitraire de certains chefs de guerre et leurs communautés respectives sous la tutelle d'autres chefs de guerre et communautés, alors même que ces derniers n'étaient auparavant que leurs parents et alliés séculaires, n'avait d'autres objectifs que de réprimer et asphyxier économiquement les communautés qui ont opposé une résistance farouche à la conquête et la domination coloniale. 10 C'est particulièrement le cas des innombrables conflits entre agriculteurs, entre agriculteurs et éleveurs qui rythment la vie en zone rurale par des flambées de violences plus ou moins graves d'une saison à l'autre. Ces conflits, limités dans le
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Ces conflits opposent des personnes plus ou moins déterminantes matériellement et socialement pour la poursuite et la réalisation effective des objectifs concernés, mais dangereusement insouciantes et paradoxalement versatiles, particulièrement quand il s'agit de reconnaître et nier aussitôt ses torts ou de prendre promptement et solennellement des engagements pour les dénoncer tout autant. C'est donc essentiellement le fonctionnement de la coopération qui se trouve ainsi périodiquement perturbé et les normes requises pour son succès méthodiquement déréglées par le fait d'une mentalité incorrigible. Une mentalité dévoyée en l'occurrence, mais rigoureusement conforme à la rationalité induite par les principes qui l'ont préalablement générée. Etonnantes et déconcertantes pour les bonnes consciences soucieuses de pérenniser et de rentabiliser "au profit du peuple" ce type de coopération, les attitudes et stratégies cognitives et comportementales qu'elle anime quotidiennement peuvent se résumer comme suit:
- une représentation sociale du pouvoir comme étant l'expression pure et simple de l'exception à la règle, de la capacité téméraire de braver ouvertement ou même en cachette la loi. Ainsi le héros le plus souvent admiré n'est plus le légendaire bienfaiteur des contes anciens mais celui qui contrevient de manière ostentatoire à la règle par la fraude, l'incivisme, l'attentat aux moeurs et à la liberté des autres; à commencer par la personne détentrice de l'autorité légale elle-même; - une méfiance chronique que certains (les autorités fonctionnarisées, toutes catégories confondues) entretiennent vis-à-vis du peuple qui est sensé nourrir en son sein des rancunes autodestructrices (tribalisme), rancunes fictives que ces fonctionnaires nommés au sommet de la hiérarchie administrative agitent de temps à autre comme un épouvantail à la face du monde pour garder leurs postes et justifier les abus de temps et dans l'espace, opposent ordinairement des personnes et des groupes restreints (individus, familles, quartiers ou villages), sans toutefois engager expressément les communautés ethniques d'origine de ceux-ci dans les différents qui les opposent. Bien que cette dernière éventualité ne soit pas théoriquement à écarter, elle demeure, à notre connaissance, depuis la colonisation à ce jour, matière de pure spéculation, que certains ne se gênent d'ailleurs pas d'émettre opportunément pour des intérêts égoïstes inavoués.
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pouvoir qu'ils commettent quotidiennement réclamant leurs droits élémentaires;
sur de paisibles citoyens
- un égalitarisme forcené qui privilégie, hélas, un état de misère chronique généralisé sur des efforts individuels méritants conduisant à des différenciations efficientes indispensables (qualifications professionnelles) à toute coopération sociale dynamique et féconde; différenciations perçues d'avance comme résultant non point d'efforts personnels méritants mais de privilèges mal acquis et donc sans valeurs réelles puisque viciées au plan de l'éthique qui les anime;
- une concurrence
irraisonnée que chacun se croit en devoir de soutenir vis-à-vis de n'importe qui, et que, à défaut d'aptitudes performantes objectivement requises à cet effet, l'on ose tout de même soutenir clandestinement et frauduleusement en détruisant, ne serait-ce que verbalement, ce que l'autre à construit à la sueur de son front;
- un
mépris à l'égard de toute mise à corvée privée de quelqu'un au service d'un autre compatriote à moins que ce dernier soit un étranger ou quelqu'un que l'on projette de léser infailliblement au bout du compte. Le service public, même s'il ne soufITe pas ouvertement de ce mépris, n'en est pas moins secrètement gangrené sous la houlette de rivalités permanentes injustifiées qui animent les relations sociales des agents entre eux;
- une
personnalité qui se fait parfois passer pour débile, voire même insignifiante et méprisable, en face de l'autorité, et qui, de ce fait, s'arroge tranquillement et tout naturellement le droit de prendre souvent à contre-pied les attentes de celle-ci, sans en écoper (par défaut de responsabilités intellectuelle et morale établies à ce sujet) les sanctions méritées en l'occurrence. D'où l'image du grand gamin écervelé mais docile qu'elle présente à toute autorité qui, par un humanisme magnanime, un temps soit peu dubitatif mais ostensiblement zélé, se croît en devoir de se triturer les méninges toute seule pour conduire celui-ci patiemment et résolument à un bonheur qu'il redoute farouchement par ignorance et simplicité d'esprit ... Bref, autant d'attitudes négatives et de dispositions mentales qui sont objectivement en divergence de procès par rapport à la rationalité, la transparence, la justice sociale et l'efficience pratique, scientifique et 248
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technique que suppose une coopération sociale démocratique. En effet, elles cultivent à l'évidence la violence gratuite, la paresse, l'obscurantisme, le parasitisme social, la délinquance et le fatalisme; des tares que l'on a cru à tort relever de traditions ancestrales récemment émancipées par les libertés démocratiques nouvellement acquises. Ces attitudes et dispositions mentales, qui s'incrustent au coeur même de la coopération sociale en cours et altèrent gravement les résultats de celle-ci, sont essentiellement générées par tout système de gestion autocratique de la coopération sociale, sous quelque forme qu'il se présente. Il s'agit incontestablement de réactions diffuses, pernicieuses mais efficaces de résistance contre I' injustice flagrante, l'ordre irrationnel et l'oppression contre-nature qu'exerce ce système sur des catégories sociales qui, de surcroît, étaient préalablement structurées sur la base d'un mode de coopération sociale différent, foncièrement divergent. Ainsi, en dépit d'une réglementation bureaucratique impitoyablement contraignante, d'un contrôle manifestement draconien dont ils font l'objet dans leurs activités participatives à la production des richesses, ces catégories sociales opprimées, quels que soient les termes de l'idéologie au nom de laquelle cette oppression est exercée sur elles, savent pertinemment qu'elles disposent d'une marge de liberté inaliénable qui est celle de structurer leurs univers cognitifs, leurs pensées, leurs croyances, leurs représentations sociales, bref leurs attitudes collectives intentionnelles, à leur propre convenance et, singulièrement, contre les attentes proprement dites du système autocratique qui les gouverne. L'usage de cet ultime et inviolable marge de liberté a donc pour objectif: non seulement, de permettre à ces couches sociales de s'adapter et survivre, vaille que vaille, aux circonstances matérielles et morales de l'oppression dont elles sont victimes, mais encore, de rendre caduque le système lui-même en déjouant constamment ses mécanismes de réglementation et de contrôle, et en prédisposant idéologiquement les objectifs qu'il poursuit à une invalidité complète (en opposant systématiquement ceux-ci aux valeurs et aspirations qui sont fondamentalement les leurs). La conscience de l'existence de cette marge de liberté et l'usage qu'on peut faire de celle-ci sous la forme de stratégies cognitives et pratiques efficientes supposent pour les couches sociales concernées, la détention d'une faculté d'intuition clairvoyante quant aux tenants et aboutissants du pouvoir autocratique, et surtout, celles d'expériences riches dont la substance véridique est attestée à travers une culture démocratique solide particulièrement imbue d'un esprit critique
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perspicace. L'intuition ou le savoir acquis par expérience de culture démocratique qui sous-tend les stratégies cognitives et pratiques en question réside dans la certitude qu'un rapport d'autorité formellement établie entre deux individus n'a de sens pratique concret qu'à l'occasion de faits d'interactions sociales qui les mettent en relation d'échange déséquilibrée, unilatéralement ou alternativement en faveur de l'un ou de l'autre. Le pouvoir qui découle de cette conversion pratique du rapport d'autorité formel est nécessairement partagé entre les deux protagonistes, même s'il faisait, par ailleurs, prévaloir les termes de l'échange unilatéralement en faveur de l'un et au détriment de l'autre11. Dans le cas de négation formelle catégorique du caractère essentiellement partagé du pouvoir que constitue la non reconnaissance par l'un des partenaires de l'échange à son vis-à-vis de la moindre parcelle de pouvoir (comme c'est le cas manifestement irréaliste et insensé des rapports d'autorité prescrits par le système de coopération autocratique), ce dernier se trouve intuitivement, ou par expérience culturellement acquise, astreint d'affirmer et d'exercer sa parcelle ou son atout de pouvoir sous l'angle de l'ultime marge de liberté dont il dispose et, donc, d'élaborer des stratégies cognitives et pratiques de l'ordre des attitudes et dispositions mentales ci-dessus mentionnées. Il est donc erroné de prétendre que ces attitudes et dispositions mentales, et tout ce qu'elles charrient comme tares sociales contre-performantes, puissent être combattues et éradiquées par un quelconque pouvoir autocratique, étant donné qu'il en est l'unique et essentielle source. Il est de ce système de coopération autocratique et ces stratégies cognitives et pratiques comme d'un système de causalité et ses effets: l'un n'existe pas sans l'autre. Seul Il "... pas de pouvoir sans relation, pas de relation sans échange. C'est là la dimension instrumentale du pouvoir. On ne noue pas des relations de pouvoir gratuitement ou pour l'unique plaisir d'en avoir. On entre dans une relation de pouvoir parce que l'on doit obtenir la coopération d'autres personnes pour la réalisation d'un projet, quel qu'il soit (un but commun, un problème plus ou moins clairement perçu par les autres etc...) le pouvoir peut et doit donc être défini comme la capacité d'un acteur à structurer des processus d'échange plus ou moins durables en sa faveur, en exploitant les contraintes et opportunités de la situation pour imposer les termes de l'échange favorable à ses intérêts". Frierdberg E, Le pouvoir et la règle, la dynamique de l'action organisée, Editions du Seuil, Paris, 1993, p 115àl17.
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un système de coopération sociale démocratique, sans ambiguïté aucune, peut éradiquer ces attitudes et dispositions mentales, ainsi que toutes les tares qui en découlent. Il faudrait, à ce moment là, que la démocratie se bâtisse par le peuple lui-même, pour lui-même et pour l'humanité entière.
4. Examen des structures socio-cognitives inhérentes au mode de coopération sociale institué par le biais du cousinage croisé. 4. 1. Pour une question
approche
psychosociologique
de
la
Sans vouloir nous attarder longuement sur les considérations théoriques fastidieuses qui ont permis la réalisation de cette étude, nous pensons qu'il importe, pour justifier une démarche méthodologique, pour le moins originale, de faire le point sur les concepts qui y tiennent une place prépondérante ainsi que leurs articulations éventuelles. La démarche méthodologique consiste à mettre en évidence les structures socio-cognitives inhérentes à différents modes de coopération sociale et ensuite à savoir, au vu de ces structures socio-cognitives qui lui sont inhérentes, le mode de coopération sociale auquel correspond celui institué par le biais du cousinage croisé.
4.1.1. Les modes de coopération sociale Un mode de coopération sociale, en tant que cadre institutionnel organisé régissant les interactions sociales, a pour fonction psychosociologique principale la détermination des rapports d'autorité à établir entre les différents participants (individuels ou catégoriels) aux divers processus de coopération. Ces rapports d'autorité, entendus comme articulations formelles de statuts socialement prescrits aux participants les uns par rapport aux autres, sont avant tout les faits de structurations socio-cognitives visant à résoudre le problème inévitablement posé à toute coopération sociale, celui de savoir comment des hommes qui sont à la fois des partenaires, (absolument interdépendants, et indispensables les uns aux autres), et des adversaires, (radicalement opposés les uns aux autres), peuvent-ils coopérer valablement, durablement et avantageusement. En 251
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effet, du point de vue de leurs contributions variables à la coopération, ces hommes sont des partenaires, ou en terme de rationalité, des facteurs ou des variables diversement déterminants pour la réalisation des objectifs assignés à la coopération. Par contre, du point de vue de la redistribution des biens acquis par le biais de cette coopération, ils sont des adversaires, les uns des autres, parce que, ce que gagne chacun d'entre eux équivaut exactement à ce que perdent tous les autres. En termes logico-mathématiques cela revient à déterminer quels rapports donner à des éléments d'un ensemble qui sont absolument liés et en même temps radicalement opposés les uns aux autres. En termes de rationalité instrumentale il y a interdépendance absolue des individus-moyens (partenaires de la coopération) et opposition radicale des individus-buts (adversaire dans la coopération). La résolution d'une telle équation passe nécessairement par la catégorisation sociale des participants, catégorisation sociale qui consiste à grouper des éléments ou individus semblables dans autant de groupes sociaux qu'il y a de différences jugées pertinentes entre eux et, en principe, singulièrement à propos de leurs contributions variables au processus de coopération en cours. Cette catégorisation sociale qui, au plan cognitif peut aboutir à des combinaisons multiples, tant les hommes peuvent être catégorisés semblables et différents à volonté, devra au plan sociologique et économique tenir compte, un tant soit peu, des contributions variables des individus aux processus de coopération (devoirs, obligations) en rapport, un tant soit peu logique, avec la redistribution des acquis de fait ou attendus, de cette coopération (droits, rémunérations). Cette prise en compte simultanée des contributions variables des individus et de la redistribution des acquis de la coopération sociale est constitutive de systèmes de catégorisation sociale qui déterminent les rapports d'autorité inhérents à celle-ci puisqu'il s'agit, non seulement, de classer les individus dans des catégories sociales, mais aussi, de les ordonner à travers des échelles de valeurs hiérarchiques évaluant les différentes catégories. Ces rapports sont structurants parce que chaque élément entretient des relations de ressemblances ou de différences avec un quelconque autre élément et ne peut se défmir, dans l'optique de la coopération sociale en question indépendamment de ces relations avec les autres12. 12 "Une structure comporte en premier lieu des éléments et des relations qui les
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Les systèmes de catégorisation sociale peuvent varier dans une société donnée et d'une société à l'autre, selon la nature des processus de coopération en cours. Ainsi les rapports d'autorité qui prévalent dans un processus de coopération au sein des familles peuvent être différents de celui en vigueur dans la société en général. Toutefois, il y a une prédominance du système en vigueur dans la société en général, prédominance induite par la nature du mode de coopération en vigueur dans ladite société. Ces modes de coopération peuvent être classés en trois catégories distinctes du point de vue des rapports d'autorité qui les caractérisent:
- le mode de coopération sociale démocratique caractérisé par des rapports d'autorité formellement établis en fonction des dispositions contributives (matérielles, physiques, intellectuelles et morales) des catégories sociales aux processus de coopération et des valeurs relatives à la redistribution variable des acquis de cette coopération dans une logique de mobilité sociale formellement établiel3. Des rapports d'autorité, qui sont à la fois stables et mobiles en ce sens que les individus peuvent, chacun pour soi ou collectivement, changer de catégorie sociale d'appartenance en changeant leurs dispositions contributives personnelles aux processus de coopération dans lequel ils sont engagés ( logique de masse, de répartition formelle des pouvoirs en fonction des aptitudes catégorielles et individuelles pertinentes: il y a accommodation des rapports d'autorité des groupes et des personnes aux pouvoirs variables que leur confèrent leurs aptitudes à rendre effective la réalisation des objectifs de la coopération ); unissent mais sans qu'il soit possible de caractériser ou de définir ces éléments indépendamment des relations en jeu". Piaget J, 1967, Biologie et Connaissance, Gallimard, Paris, p127. 13 Une mobilité sociale institutionnellement induite par l'autorisation donnée aux membres des différentes catégories sociales de changer individuellement de catégorie sociale d'appartenance en se dotant des aptitudes spécialement requises à cet effet (mobilité horizontale) d'une part, et aux catégories sociales de changer de positions respectives sur l'échelle de valeurs en vigueur dans la société, notamment en faisant prévaloir chacune, sinon pratiquement au moins idéologiquement, l'échelle de valeurs ou la (ou les) norme(s) qui les favorise respectivement par rapport à d'autres (mobilité verticale), d'autre part.
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- le mode
de coopération sociale autocratique caractérisé par des rapports d'autorité formellement établis indépendamment de toutes dispositions qualitatives différentielles autres que celles arbitrairement établies selon des critères sélectifs sectaires et inamovibles. La catégorie sociale dominante est sensée détenir a priori toutes les dispositions qualitatives valorisées, sans qu'il ne soit besoin, et encore moins admis, de vérifier d'une quelconque manière la détention effective de celles-ci par ses membres à titre individuel. Ni les groupes ni les individus ne sont en droit de changer en aucune façon l'ordre hiérarchique établi; (sauf cas de gratifications ou de bannissements d'individus solennellement prononcés à titre exceptionnel). Autrement dit, ces rapports d'autorité sont formellement établis uniquement en fonction de l'appartenance à des catégories définies indépendamment de toutes dispositions contributives quantifiables aux processus de coopération (logique de classe, de domination absolue par concentration formelle des pouvoirs au profit d'une catégorie sociale sensée détenir tout le pouvoir: il y a assimilation des pouvoirs variables des groupes et des personnes à l'autorité établie dans des rapports immuables, indépendants de la logique des faits objectifs courants);
- le mode de coopération
sociale anarchique caractérisé par des rapports d'autorité informels et instables au même titre d'ailleurs que les catégories sociales elles-mêmes. En d'autres termes les rapports se font et défont au gré des aspirations et dispositions individuelles ou collectives spontanées exigeant la mise en oeuvre ponctuelle et passagère d'un quelconque processus de coopération entre les différents acteurs. Logique de masse et logique de classe se côtoient et alternent au gré des circonstances sans exigence de cohérence explicitement établie. Quel que soit le système considéré il exige, de part la logique de gestion du pouvoir qui le sous-tend, une structuration cognitive particulière du milieu social et de l'univers cognitif des individus de même qu'une élaboration et une mise en oeuvre impérieuse de mécanismes psychosociologiques assurant sa pérennité. Le tableau qui suit résume succinctement le cas des deux premiers modes de coopération à cet égard; le dernier ne pouvant faire l'objet d'une quelconque formalisation a priori.
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4.1.2. Procédure
d'élaboration
du tableau
La démarche méthodologique qui a présidé à l'élaboration du tableau cidessous peut se résumer comme suit: La problématique théorique qui est la notre dans toute cette étude est relative à une approche cognitiviste des phénomènes psychosociologiques. Ces phénomènes sont, dans cette perspective, à appréhender non comme des phénomènes naturels qui s'imposeraient d'eux-mêmes aux hommes, mais comme l'expression de processus sociaux orientés vers l'adoption de solutions contingentes plus ou moins divergentes (mais toujours conformes aux intérêts des hommes organisés dans un certain rapport) au regard des problèmes que soulève l'organisation des activités socialesl4. Pour traiter des structures socio-cognitives inhérentes aux solutions adoptées par un mode de coopération sociale donné, il faut donc identifier dans un premier temps les problèmes dont il est lui-même une solution parmi d'autres, ensuite les problèmes qu'il soulève et enfm les solutions qu'il adopte pour assurer sa survie. En effet, les structures socio-cognitives sont constitutives des solutions collectives adoptées à travers un mode d'organisation social donné à propos de questions centrales d'organisation des interactions sociales en situation de coopération sociale. Ces structures sont élaborées à la suite d'opérations cognitives aboutissant à des combinaisons distinctes d'invariants cognitifs appropriés (critères et normes de catégorisation) afin de catégoriser l'environnement social et de déterminer les statuts et niveaux d'autorité respectifs des différents acteurs sociaux. Elles prédisposent à la mise en oeuvre de mécanismes appropriés à leur conservation. Le tableau ci14 "Contrairement à l'idée que nous en avons couramment, en effet, contrairement aussi à la façon dont psychologues, sociologues et analystes divers ont pu poser et posent encore et toujours les problèmes d'organisation, nos modes d'action collective ne sont pas des données "naturelles" qui surgiraient en quelque sorte spontanément et dont l'existence irait de soL.. Ds ne constituent rien d'autre que des solutions toujours spécifiques, que des acteurs relativement autonomes, avec leurs ressources et capacités particulières, ont créées, inventées, instituées pour résoudre les problèmes posés par l'action collective et, notamment, le plus fondamental de ceux-ci, celui de leur coopération en vue de l'accomplissement d'objectifs communs, malgré leurs orientations divergentes." Crozier M et Fierdberg E, L'acteur et le système, Paris, Seuil, 1977, pI3.
-
-
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SOCIETE NIGERIENNE
ET DEMOCRATIE
après nous donne respectivement et par ordre de priorité les problèmes suivants:
- Celui de la double facette des acteurs sociaux de toute coopération: partenaires - adversaires. Il s'agit de savoir comment concilier durablement et efficacement ce couple antinomique qui définit tout acteur en situation de coopération. - Une fois un
statut d'autorité ou le mode de coopération adopté (comme solution au problème précédent), quelle gestion du pouvoir doit lui être appliquée pour respecter la logique qui lui est inhérente? Il s'agit de savoir quelles structures socio-cognitives sont appropriées au respect et à la mise en oeuvre de cette logique. - Et enfm celui de savoir quels mécanismes assureraient la pérennité de cette gestion du pouvoir? Par rapport à ces trois questions démocratique, autocratique ou différentes de la première, tandis manière, les deux autres selon les
256
problématiques, les modes de coopération anarchiste constituent trois solutions qu'ils suscitent et résolvent, chacun à leur indications du tableau ci-après.
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SOCIETE NIGERIENNE
4.2.
ET DEMOCRATIE
Structures socio-cognitives et mécanismes de prévention et/ou résolution des conflits sociaux inhérents à l'institution "cousinage croisé"
4.2.1. Justification du choix comparatif Si nous avons choisi de traiter, dans cette étude comparative, du mode de coopération démocratique et non pas du mode de coopération autocratique ou anarchique, cela tient à plusieurs raisons d'ordre théorique, méthodologique et historique. En ce qui concerne les raisons historiques, un chapitre y sera consacré à travers une analyse globale des rapports intercommunautaires dans l'espace géopolitique nigérien (chap.5). Nous nous contenterons donc de traiter, à ce niveau, des raisons d'ordre théorique et méthodologique. Ces raisons sont les suivantes:
- Les
mécanismes
de prévention
et/ou résolution
des conflits sociaux sont
constitutifs des mécanismes assurant la pérennité du mode de coopération sociale en vigueur dans une société donnée. Ils sont, sinon entièrement générés par les structures socio-cognitives inhérentes au mode de coopération sociale concerné, du moins en tiennent-ils nécessairement compte puisqu'ils ont pour fonction la conservation de ces mêmes structures. Leur élaboration et leur mise en place procèdent de la nature de ces structures et, à ce titre, ils en épousent les contours formels, de telle sorte que leur connaissance permet d'appréhender logiquement les structures en question. - comme celui du mode de coopération démocratique, le mécanisme de prévention et/ou résolution des conflits sociaux institué par le biais du cousinage croisé est centré, non seulement, sur le principe de la libre concurrence inter-individuelle formellement garanti par des dispositions institutionnelles appropriées, mais, essentiellement, sur la mobilité sociale indispensable à toute confrontation concurrentielle viable: il n'y a pas de concurrence si les parties prenantes de celle-ci (à l'image des structures catégorielles du mode de coopération autocratique) conservent invariablement leur place et statuts initiaux. Une mobilité sociale qui dépend des structures socio-cognitives prioritairement engagées dans une confrontation concurrentielle viable. Des structures qui permettent 258
Adamou BARKE
explicitement le passage d'éléments d'une catégorie à une autre et/ou la permutation des catégories entre elles sur l'échelle de valeurs en vigueur. Le mécanisme institué par le biais du cousinage croisé consiste précisément à décloisonner des structures de catégorisation sociale, en principe cloisonnés (sectaires) et sans inclusion, en faisant coïncider le critère héréditaire qui les cloisonne avec un critère de parenté (cousinage) qui les prédispose à s'inclure les unes aux autres, et qui induit donc une mobilité sociale formelle entre elles (chaque individu appartenant, du fait du sang qui est sensé couler dans ses veines, aux deux groupes à la fois). Une mobilité sociale formelle (c'est-à-dire culturellement prescrite) qui devient de fait, non seulement, par le principe de libre circulation des éléments d'un espace catégoriel à l'autre, mais aussi, et surtout, par la libre expression d'évaluations discriminatoires partisanes disposant chaque individu à surpasser son vis -à-vis et à occuper, si cela s'avère exact dans la pratique, le rang social correspondant à cette supériorité. La justification du choix que nous avons opéré pour le mode de coopération démocratique réside principalement dans le fait qu'il autorise également la mobilité sociale. Cette mobilité sociale fait de lui, non seulement, un système social ouvert c'est-à-dire prédisposé aux changements institutionnels et pratiques indispensables à son évolution nécessaire, mais encore, un système durable car, les conflits sociaux (causes fondamentales des échecs et des mutations de modes de coopération sociale) sont résolus de manière préventive. En effet les enjeux de tous les conflits sociaux peuvent se ramener aux velléités de changements individuels ou collectifs de catégories sociales d'appartenance (mobilité horizontale) ou de permutations intercatégorielles sur l'échelle des valeurs en vigueur dans une société (mobilité verticale); toutes choses que le mode de coopération démocratique est en mesure de satisfaire à certaines conditions. A ce titre, les relations coopératives, (les échanges de valeurs de toutes natures) sont régies par des contrats formellement établis d'un commun accord entre les parties prenantes de celles-ci, contrats négociés et susceptibles de révision en cas de conflits d'intérêts en la matière ou d'évolution politique des rapports d'autorité intercatégoriels.
- L'interférence
des structures de catégorisation sociale basée sur des critères héréditaires (race, nation, ethnie, famille, sexe etc...) dans l'évaluation normative des catégories sociales basée, elle, sur les critères 259
SOCIETE NIGERIENNE
ET DEMOCRATIE
d'aptitudes compétitives (intelligence, habileté manuelle, compétences techniques, qualifications professionnelles, dispositions physiques et morales, etc...), constitue inéluctablement un problème crucial pour tout mode de coopération démocratique. Un problème que ni le système de démocratie libérale, ni le système de démocratie socialiste, n'a jamais su résoudre définitivement, si ce n'est par des subterfuges idéologiques plus ou moins efficients les uns que les autres. Faut-il respecter ces structures d'appartenance héréditaire, au risque de devoir déroger partiellement au principe de libre concurrence à travers de savants équilibrages ne tenant pas compte des mêmes normes d'évaluation pour tous ?15 Faut-il les ignorer au risque de voir certaines catégories sociales favorisées par la nature, la culture ou quelques pratiques ftauduleuses, être toujours au sommet des rapports d'autorité établis tandis que d'autres seraient condamnées à être en permanence en bas de l'échelle de ces rapports ?16 Dans tous les cas, des présomptions indéniables d'injustice sociale subsistent, avec ce qu'elles entraînent comme facteurs irréductibles de conflits sociaux plus ou moins graves. C'est justement en prévision de cela que le "cousinage croisé" institue un mécanisme de prévention des conflits, en optant pour le respect de ces structures sociales en dépit de leur nature sectaire, en leur insufl1ant, de manière originale, une dynamique de mobilité sociale, de concurrence saine et paisible. 4.2.2. Etudes comparatives Le mode de coopération sociale démocratique est systématiquement fondé sur une logique de gestion du pouvoir qui tient compte des dispositions 15 TIarrive fréquemment, dans le pourvoi des postes de travail, par exemple, que, contrairement à tout principe de rationalité, dont on se targue publiquement d'être le garant attitré, l'on déroge allègrement à la norme de compétitivité, exigée en la matière, au profit de normes de parenté ou de simples appartenances raciales, ethniques, sexuelles et autres sensibilités politico-affectives (népotisme, racisme... ) 16 Le principe de la majorité qui prévaut au plan de la légitimité du pouvoir politique et autres préjugés sociaux favorisant, sans autre preuve matériellement établie que la majorité elle-même, certains groupes par rapport à d'autres, sont autant de prédispositions qui condamnent mathématiquement (numériquement) et idéologiquement certains individus appartenant à des groupes minoritaires ou marginalisés à garder systématiquement le bas de l'échelle des valeurs en vigueur. 260
Adamou BARKE
contributives des différents acteurs sociaux à ladite coopération. Cette logique revient à reconnaître à chaque catégorie sociale pertinente, en l'occurrence, à chaque individu, en défmitive, la détention d'une parcelle de pouvoir consécutive à sa participation spécifique à la coopération sociale en cours. Mieux, il est institutionnellement permis et même idéologiquement recommandé à l'individu et au groupe d'exploiter la détention de cette parcelle de pouvoir pour maximiser ses gains au regard des résultats acquis ou attendus de cette coopération. Le sens fondamental visé par cette logique consiste à établir des rapports équitables (tout au moins provisoirement admis comme tels par les différents acteurs sociaux) entre les efforts spécifiques de chaque catégorie sociale, ou de chaque personne, en matière de coopération sociale et la jouissance par cette catégorie sociale, ou cette
personne, des résultats acquis ou attendus de cette coopération17. Les 17 Mais, cet aspect de justice sociale est loin d'être mu par un quelconque élan de charité de la part des catégories ou personnes physiques ou morales dominantes, pas plus qu'il n'est le signe de la force invincible des catégories situées au bas de l'échelle des rapports d'autorité. Il s'agit essentiellement d'un impératif de rationalité rigoureusement dénué de toute propension subjective ou morale, de toute illusion idéologique sur une quelconque régression de la force de pression, d'oppression et de répression des catégories dominantes. Il est tout simplement mentalement aberrant, rationnellement insoutenable et scientifiquement indémontrable qu'une catégorie sociale puisse optimiser à fond ses gains dans une quelconque transaction durable et féconde avec autrui en imposant à celui-ci unilatéralement, sans appel ni devoir de contrepartie reconnu, ses propres termes de l'échange. En effet, à un moment historique où la densité des échanges internationaux a créé une situation de dépendance vitale inextricable des nations les unes par rapport aux autres, ou le volet de prestation de services à la consommation prend socialement le pas sur le volet de production désormais mécanisée et automatisée à outrance, une réduction quelconque de ces échanges, pour diverses raisons (conflits d'idées, conflits d'identités, insolvabilité matérielle du partenaire etc ...), est plus nocive, en terme de perte des richesses, pour les différentes parties prenantes (particulièrement la partie dominante) qu'une concession (de quelque ampleur qu'elle soit) qu'elles se feraient mutuellement. Il est donc plus efficient et cela à tous les nivaux de coopération sociale, de négocier un contrat librement paraphé, dans l'intérêt bien compris de toutes les parties, que de risquer des ruptures intempestives des échanges (guerre du pétrole) et des blocages irrémédiables de la circulation des biens (embargo) par abus de pouvoir ou par désir insensé de domination absolue. De plus, la faiblesse et la pauvreté des partenaires
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SOCIETE NIGERIENNE
ET DEMOCRATIE
structures cognitives nécessairement impliquées dans cette logique, pour le bénéfice de tous et socialement exigées de tous, sont de deux ordres: les structures d'identification ou de catégorisation sociale, les structures de causalité rationalisant le processus de coopération. Elles seront exposées ciaprès suivies respectivement d'un examen du cas spécifique du "cousinage croisé". L'analyse des mécanismes de prévention et résolution de conflits suivra ensuite.
4.2.2.1. Des structures
d'identification
sociale
ou de catégorisation
sociale. Ces structures sont principalement axées sur des critères et normes appropriés pour qu'une certaine équité prédomine dans les rapports participations-rétributions (partenaires - adversaires). Pour ce faire, l'identité de chaque individu doit être principalement appréhendée par la société et par lui-même sur la base de critères et normes de catégorisation sociale répondant aux exigences de la logique de gestion démocratique du pouvoir. Ces exigences sont essentiellement les suivantes:
-
les critères concernés doivent être en priorité des attributs ou caractéristiques des personnes humaines relatifs à leurs dispositions contributives aux divers processus de coopération;
- les normes évaluant les différences catégorielles et individuelles doivent répondre aux exigences d'objectivité requise (impartialité, accessibilité à tous, transparence en matière de détection, admissibilité consensuelle) afin que l'on puisse concevoir des instruments de mesures fiables pour déterminer et prévoir d'avance les dispositions contributives exactes de chacun ainsi que le niveau de la rétribution qui lui revient de ce fait; - Les
critères et normes doivent être tels que les limites des différences intercatégorielles soient absolument franchissables par des individus qui ne sont plus rentables, particulièrement dans ces circonstances nouvelles de l'économie mondiale, elles s'avèrent lourdement handicapantes non plus pour les faibles et les pauvres eux-mêmes mais pour les riches qui se trouvent alors conftontés à des partenaires insolvables qui, de surcroît, n'aspirent même pas au bien-être que procurent les marchandises qu'on est sensé leur proposer en échange de produits (matières premières...) et services (touristiques...) inexploités, sans valeur immédiate pour eux-mêmes.
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Adamou
BARKE
se doteraient des dispositions requises à cet effet et que les positions des catégories sur les échelles de valeurs essentielles soient formellement permutables en cas de besoin (mobilité sociale horizontale et verticale). A l'évidence les dispositions humaines répondant à ces trois exigences sont celles relatives aux aptitudes acquises qui, à travers les processus de leur acquisition (apprentissage essentiellement), sont soumises à des évaluations certificatives socialement reconnues (examen et autres tests sanctionnés par des diplômes et certificats de qualification) et qui établissent des frontières intercatégorielles franchissables par tout individu (pourvu qu'il se dote des aptitudes requises). N'étant a priori ni accidentellement acquises par certains à l'exclusion des autres, ni héréditairement transmises à certains et pas à d'autres, elles ne sauraient être la source d'iniquité sociale (sauf cas d'interférences inopinées de réflexes identitaires héréditaires, conduisant à des phénomènes sociaux pervers tels le népotisme, le favoritisme, la corruption etc.). C'est en cela que résident les principes de l'égalité des chances et celui de l'alternance des pouvoirs, si chers au mode de coopération démocratique. -Examen
du cas spécifique
du "cousinage
croisé"
En apparence les structures de catégorisation sociale qui ont valeur prioritaire à travers le "cousinage croisé" sont des critères héréditaires les uns comme les autres (ethnies d'origine ou cousinage). Mais, du fait même du contexte d'interdépendance coopérative entre les groupes, et de la mobilité sociale induite par les principes d'évaluation partisane, d'une part, et de libre circulation des biens et des personnes, d'autre part, ce qui est manifestement en cause dans la pratique sociale courante (la praxis proprement dite de l'interaction sociale) ce sont les aptitudes compétitives individuelles des acteurs nommément engagés dans celle-ci. Implicitement désignées comme éléments moteurs de la compétitivité induite par l'évaluation partisane, ces aptitudes sont les seules en mesure de la justifier concrètement et, du même coup, de confirmer ou non le rang social qu'occupe un individu par rapport à quelqu'un d'autre. En d'autres termes, les critères héréditaires (cousinage, ethnie) ne sont que des facteurs incitatifs à la concurrence entre les deux groupes mais ce qui est logiquement en cause et décide de la répartition effective des acquis de la coopération sociale, ce sont les efforts contributifs variables des uns et des autres à cette coopération sociale; bref leurs compétences respectives. En défmitive les 263
SOCIETE NIGERIENNE
ET DEMOCRATIE
structures d'identification sociale, ou de catégorisation sociale, qui sont au centre du système de catégorisation en vigueur sont bel et bien celles constituées sur la base de critères et normes relatifs aux contributions variables des individus aux différentes tâches indispensables à la coopération sociale. Les critères d'appartenance héréditaire ne dispensent personne de la participation aux multiples tâches courantes de la coopération sociale. Même s'il existe habituellement une corrélation entre l'appartenance à ces catégories et la maîtrise variable de certaines tâches (la guerre, l'agriculture, l'élevage, l'artisanat etc. ..), l'institution du cousinage croisé met en demeure chaque individu, dans la pratique sociale courante qui le lie aux membres d'autres groupes de cousins, de faire la preuve de l'exactitude de la corrélation qui favorise son groupe d'appartenance ou la preuve de l'inexactitude de celles qui favorisent les groupes de ses différents cousins. Pour ce faire, il faut mettre la main à la pâte, sans aucun complexe caché (puisqu'il s'agit d'affirmer ouvertement la supériorité de son groupe) et malsain de supériorité ou d'infériorité vis-à-vis du cousin d'en face qui, même symboliquement défavorisé, pourrait bien l'emporter à l'oeuvre sur les deux tableaux en jeu (à propos de la tâche sensée être maîtrisée par son groupe et de celle sensée être maîtrisée par le groupe de son vis-à-vis). A travers cette institution, les groupes fondés sur des critères héréditaires, groupes qui sont par ailleurs incontournables à un niveau ou à un autre de toute espèce de coopération sociale, jouent ici le rôle de structures sociales incitatives à la compétitivité, à l'occasion des divers processus de coopération, et celui de veiller expressément sur le bon déroulement de cette coopération, dans le respect de l'éthique commune aux uns et aux autres. Sans être totalement ignorées, ces dimensions identitaires, autour desquelles se cristallisent naturellement d'ailleurs les sensibilités affectives et morales de la personnalité humaine, ne décident pas pour autant arbitrairement du mérite et de la redistribution des acquis socio-économiques résultant de la coopération sociale. Ce mérite, et donc cette redistribution des acquis sont du ressort des efforts contributifs individuels de chacun dans les processus de coopération en cours. En définitive, comme à l'occasion de tout système de coopération démocratique, le système de coopération sociale initié par le "cousinage croisé" est centré sur les dispositions humaines relatives aux aptitudes acquises des acteurs sociaux, avec en sus, le respect ftanc et le maintien sans complexe, ni agression d'une quelconque nature, des dispositions héréditaires qui ne sont, certes, pas fonctionnelles au regard du 264
Adamou BARKE
système, mais qui demeurent présents et propres aux individus nécessairement regroupés sous cet angle, relevant irréversiblement de la nature.
4.2.2.2. Des structures processus
cognitives de coopération
relatives
à la rationalisation
des
La mise en oeuvre de rapports d'autorité fondés sur la recherche d'une certaine équité entre les contributions variables des différents acteurs sociaux et leurs rétributions respectives nécessite impérativement, de leur part, une appréhension cognitive de tout processus de coopération dans lequel ils sont engagés en termes de système de liaisons successives de causes à effets. Les causes étant, en l'occurrence, les contributions spécifiques variables des différents acteurs sociaux tout au long des processus de coopération et les effets les étapes intermédiaires indispensables de ces processus aux fms d'aboutir à la réalisation des objectifs assignés à cette coopération (effets terminaux reflétant les attentes d'intérêts communs et d'intérêts particuliers des acteurs sociaux). Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, dans toute structure de causalité ordinaire, ces acteurs-causes peuvent donc être, et sont ordinairement, regroupés en catégories sociales constitutives de causes identiques (par postes de travail ou catégories de tâches, de professions ou de fonctions, nécessitant des efforts contributifs intra-catégoriels équivalents) et pouvant être en conséquence, rétribuées de manière équivalente, d'une part, et de causes différentes les unes des autres et rétribuables distinctement, d'autre part. Quoique mécanique et insuffisamment fiable dans son application aux processus psychologiques et sociaux en général (à compétences égales deux personnes peuvent avoir des performances inégales), cette rationalisation des processus de coopération sociale en termes de structures de causalité constitue l'approche la plus susceptible d'aboutir à des accords sociaux consensuels et aussi, sans doute, la moins inique des rapports interindividuels et des rapports inter-catégoriels et donc, la plus acceptable par tous. C'est en cela que réside le principe de justice sociale ainsi que ses effets consécutifs de paix, de stabilité et de progrès. La mentalité collective qui découle de cette rationalisation dans tous les processus de coopération démocratique a pour corollaires, d'une part, une appréhension systématique globalisante des processus de coopération en terme de phénomène unique de production des richesses de la société et d'échange de valeurs, et, d'autre
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SOCIETE NIGERIENNE
ET DEMOCRATIE
part, une tendance consécutive à ériger le travail, en tant que dimension contributive à la coopération sociale, au rang de valeur causale des résultats de la coopération et à considérer, en définitive, celui-ci comme l'expression tangible par excellence de la valeur, sinon de l'essence proprement dite de l'être humain perçu avant tout comme acteur de la coopération sociale en question. En conséquence de quoi ceux qui, pour une raison ou une autre, sont dans l'impossibilité de travailler ou refusent de travailler apparaissent comme des êtres dénués de valeur, marginalisés et répréhensibles au besoin, puisqu'ils soustraient à la société des moyens de subsistance qu'ils ne contribuent pas à produire et personnifient des valeurs opposées à celles émanant de la logique du système. Cette logique cautionnant en défmitive le principe de "survie aux plus aptes" n'est pas seulement moralement sévère vis-à-vis d'éventuels impotents, mais foncièrement inhumaine parce que nul ne peut être doté d'aptitudes égales de la naissance à la vieillesse. D'où l'émergence de phénomènes sociaux divers constitutifs du "cauchemar des temps modernes" (le suicide, la délinquance, les conflits des générations, la dislocation et la nucléarisation des familles, la solitude et l'indigence des personnes âgées etc...) que les contraintes du travail et de l'absence de travail, provoquent, singulièrement en l'absence du soutien matériel et moral, spontané des groupes parallèles d'appartenance héréditaire. - Examen du cas spécifique du "cousinage croisé" Jusqu'à une date récente, pour ne pas dire jusqu'à ce jour, les populations a&icaines étaient taxées d'avoir une mentalité primitive, c'est-à-dire, notamment, une mentalité incapable d'admettre le principe de causalité. Un principe indispensable à toute connaissance scientifique de l'état et du devenir des êtres et des choses et, à plus forte raison, à toute entreprise efficiente de l'homme visant à changer l'environnement à son propre profit. Ces populations qui sont sensées considérer, du fait de leurs croyances religieuses, que les êtres et les choses sont et deviennent (existent et changent) indépendamment des relations de causalité (internes, liant les éléments qui les composent et externes, les liant à d'autres êtres et objets concrets) seraient à l'évidence incapables de transformer quoique ce soit de par leur propre volonté et action et se contenteraient de ce que sont et deviennent naturellement les choses, au bonheur comme au malheur de leurs désirs et aspirations au demeurant médiocres en terme d'ambitions pour un devenir radieux. Une telle mentalité qui met hors de cause toute action 266
Adamou
BARKE
individuelle ou collective sur les choses elles-mêmes, en vue de les transformer, a naturellement tendance à privilégier la domestication des causes métaphysiques dans l'espoir que les choses se transformeraient systématiquement au gré de celui qui aurait la maîtrise de ces causes mystiques, d'où la prédominance des pratiques sociales de cet ordre (mysticisme) sur les autres pratiques sociales, notamment de l'attentisme fataliste sur le travail productif humainement salvateur. Il n'est pas besoin d'étudier, ne serait-ce que superficiellement, les croyances religieuses des communautés nigériennes pour se rendre compte
de l'inexactitude de cette conception18. La pratique d'interactions sociales aussi complexes que celles que suscite l'institution culturelle que nous étudions ici, est suffisamment éloquente pour récuser l'existence d'une telle mentalité en tant que caractéristique commune à ces communautés. En effet, cette institution, dont les fonctions sociales explicites sont de pacifier en toute équité et d'insufller une dynamique de succès performante aux relations sociales de coopération qui unissent des catégories sociales sectaires, est avant tout une oeuvre de rationalisation de structures sociales spontanément enclines à entretenir des rapports d'ordre socio-centriques et donc plus propices à la domination réciproque qu'à la coopération mutuellement avantageuse. Il a certainement fallu, pour concevoir et réaliser dans les faits cette rationalisation originale et efficiente de la coopération sociale, des efforts intellectuels d'abstractions et de combinaisons logiques rigoureuses d'invariants appropriés des structures sociales en cause, efforts qui ont abouti à la certitude que le respect strict et transparent de la différence dans une coopération féconde et mutuellement avantageuse passe inéluctablement par la libre concurrence entre les acteurs sociaux. Bien que fondamentalement incomparables et donc impropres à toute espèce de concurrence autre que celle qui consiste le plus souvent à exploiter, opprimer ou détruire à son profit les intérêts et les valeurs de son vis-à-vis, les catégories sociales basées sur l'appartenance héréditaire ne constituent 18 TIfaut reconnaître toutefois, que les effets résiduels d'un animisme décadent, et aujourd'hui insolite, se remarquent dans la mentalité de certains nigériens (pratiques maraboutiques) en dépit des influences contraires qu'exercent l'islam et, dans une certaine mesure, l'éducation officielle pour laquelle l'enseignement de la science est primordial.
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ET DEMOCRATIE
pas moins des entités qui insuffient à leurs membres respectifs les motivations et ambitions les plus spontanées et les plus puissantes qui puissent être. Dotés de ces motivations et ambitions les hommes ont toujours été, et sont ordinairement, conduits à se surpasser les uns les autres dans une logique de domination parfois inhumaine. A moins que, comme c'est le cas ici, un mécanisme performant de mobilité sociale vienne opposer une barrière formellement établie à toute velléité de fermeture des frontières que suscite spontanément la référence à ces catégories sociales. Si une mentalité « primitive» peut inventer un tel mécanisme de rationalisation, c'est, assurément, que la raison qui l'appréhende comme telle est simplement extravagante ou de mauvaise foi. Dans tous les cas la pratique de la coopération sociale mise en oeuvre par cette institution est fondamentalement centrée sur le travail sous toutes ses formes. Un travail qui n'épargne ni le chef coutumier, ni le chef religieux, ni la femme, ni même l'enfant comme on peut le vérifier, aujourd'hui encore, dans les zones rurales du pays. Un travail qui mobilise, dans des processus de coopération des ressources humaines variées individuelles et collectives et, à la jouissance des résultats duquel chaque individu ne participe que proportionnellement aux ressources qu'il aura investi. Un travail dont la dimension utilitaire, de profits calculés au préalable, n'est une nouveauté pour personne. Il suffit, pour s'en convaincre, d'examiner la moindre des structures associatives existantes qui, en dépit des travestissements subis de nos jours, dénotent invariablement de ces faits. Ainsi, les structures associatives de gestion des activités des jeunes (travaux communautaires bénévoles, compétitions éducatives et sportives etc...), celles des femmes (épargnes collectives, investitures publiques à divers titres de notoriété sociale, économique et politique...), ou celles de groupes professionnels divers et même celle des familles, toutes relèvent de cette logique de participation et rétribution en fonction d'aptitudes reconnues à chacun dans la réalisation de l'ouvrage d'intérêt commun. Les rapports d'autorité, périodiquement renouvelés au sein de ces structures par consultations consensuelles ne sont pas du tout basés sur des critères d'appartenance héréditaire mais sur des critères d'aptitude compétitives reconnus à chacun eu égard aux tâches afférentes au processus de coopération en cours. L'exemple des familles est éloquent en la matière. En effet, elles sont innombrables au Niger, les familles où des frères cadets, comme des soeurs cadettes, dirigent magistralement les activités courantes de celles-ci, du 268
Adamou BARKE
vivant même de leurs parents et frères aînés, et ceci en raison de compétences intellectuelles, sociales, économiques ou morales qui leurs sont unanimement reconnues malgré ce que leur statut de cadets ou de femmes pourraient laisser croire. Ce qui est indéniablement nouveau c'est, d'une part, le degré de division dont le travail est l'objet dans les sociétés industrialisées et, d'autre part l'instrumentalisation de ses rouages au sein et au bout desquels l'homme tend à perdre une partie non négligeable de son humanité. En effet, si l'homme ne vaut que par son travail et la richesse matérielle découlant de celui-ci, il n'est pas moins comptable personnellement de ses actes sociaux vis-à-vis de ses partenaires de travail comme de ceux qui ne peuvent, pour une raison ou une autre, travailler. C'est à cette comptabilité qu'invite le "cousinage croisé" dans ses principes de libre concurrence et de libre circulation des biens et des personnes qui impliquent respect et assistance à tout partenaire de coopération, qu'il soit ou non à la hauteur des enjeux matériels de celle-ci. Ce qui compte, c'est la participation effective. Ainsi, même les vieillards, singulièrement opposés dans le "cousinage croisé" à leurs petits -fils, ne sont nullement disqualifiés pour leur participation, certes modeste, à la dynamique de compétitivité en cours. A l'évidence il n'y a pas d'assistance pour ceux qui refusent délibérément et sans justification tangible, de participer d'une manière ou d'une autre, à la coopération, et il n' y a pas non plus de rejet systématique de ceux qui, sans contribuer directement à la production proprement dite des richesses (personnes âgées, enfants en bas âges, malades...) ne contribuent pas moins à l'entretien idéologique et l'émergence de valeurs sociales, de bravoure, d'effort de solidarité et de cohésion sociale. 4.2.2.3. Des mécanismes
de prévention
et/ou résolution des conflits
sociaux Les deux ordres de structuration mentale ci-dessus évoqués, centration des processus d'identification sur des critères d'aptitudes compétitives et rationalisation du processus de coopération sociale, sont rendus possibles et renforcés par un mécanisme socio-cognitif de prévention et/ou résolution des conflits sociaux. Toute coopération sociale est grosse de conflits sociaux, puisqu'elle se ramène succinctement et cela en toute circonstance, à une conciliation d'intérêts individuels divergents afin de réaliser des objectifs d'intérêts communs. Sa survie est donc liée à la pacification durable des intérêts 269
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divergents des acteurs en question. Pour ce faire, l'option démocratique de la coopération sociale a choisi de se conformer à la réalité qui veut que chaque acteur détienne par le biais de sa participation, une parcelle de pouvoir (si minime soit-elle) pour la réalisation effective des objectifs assignés à la coopération. La reconnaissance par les différents acteurs de la détention par chacun de sa parcelle de pouvoir est le fondement de toute conciliation durable et efficiente de leurs intérêts divergents parce qu'elle permet de réduire, sinon de supprimer, l'exploitation sournoise de cette parcelle de pouvoir sous la forme de résistances clandestines lourdes de conséquence sur les résultats de la coopération. Comme le montrent les travaux de K. Lewin19 en la matière, les conflits que génère le mode de coopération démocratique sont, certes, nombreux mais limités dans le temps et, surtout, ils ne remettent que très rarement (sinon jamais) en cause le système dans son ensemble. D'où la nécessité de mettre en place des mécanismes de prévention et/ou résolution de ces conflits, somme toute bénins. Ils s'agit en l'occurrence, de créer les conditions minimales de l'exercice du principe de la libre concurrence que sont, la mobilité sociale, d'une part, et la négociation paritaire sous l'arbitrage d'une autorité indépendante dans les cas où la mobilité sociale ne résorbe pas automatiquement les conflits en cause, d'autre part. Une mobilité sociale qui donne la possibilité aux individus et même aux groupes de changer de position sur l'échelle de valeurs en vigueur, afin que, l'insatisfaction vis-à-vis d'un statut précaire, ou d'une transaction malheureuse pour une partie prenante donnée de celle-ci, puisse trouver sa solution dans une promotion méritée et formellement établie, plutôt que 19 Lewin K, 1972, La psychologie des groupes, in Salines M, Pédagogie et éducation, Paris, Mouton. Commentant l'expérimentation de Lewin à propos des styles et climats sociaux d'interaction, Anzieu D, et. Martin J.Y, remarquent: "Elle valide l'idéal démocratique des nations qui s'opposent aux dictateurs; dans les groupes conduits démocratiquement, la tension est moindre, car l'agressivité s'y décharge au fur et à mesure au lieu de s'accumuler et de produire l'apathie &einatrice ou les explosions destructrices, comme c'est le cas dans les groupes conduits de façon autocratique ou laisser-faire; le groupe démocratique, atteignant aisément son équilibre interne, est plus constructif dans les activités". Anzieu D et Martin J..Y, la dynamique des groupes restreints, Paris, PUF, 8ème edition, 1986, p 84.
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dans un conflit stérile entre des partenaires naturellement indispensables les uns aux autres. Une négociation paritaire qui s'effectue sous l'arbitrage d'un tiers (en général l'Etat) doté de moyens appropriés pour garantir la régularité de closes arrêtées d'un commun accord, et le suivi ou l'application régulière des termes de celles-ci. - Examen du cas spécifique du "cousinage croisé" Notons tout d'abord que si cette institution ("le cousinage croisé") perdure de nos jours encore (tant bien que mal) et ce malgré le bannissement idéologique qui la frappe depuis la colonisation sous le fallacieux prétexte de sauvegarder l'unité nationale, c'est parce qu'elle engendre un mécanisme de prévention et de résolution des conflits sociaux permettant d'atteindre efficacement des objectifs essentiels pour la paix et l'épanouissement des individus et des groupes, à savoir:
-
celui de la coexistence pacifique des communautés ou catégories sociales dans le respect mutuel par l'institution d'un mode d'intégration sociale libre, réciproque et quasi obligatoire des sujets des différentes communautés et catégories sociales;
- celui
du droit de chaque individu à affirmer sa différence vis-à-vis des autres et du devoir correspondant s'imposant à lui et consistant à assumer, sans complexe, son appartenance sociale ou, en d'autres termes, à s'assumer soi-même en nourrissant et en poursuivant des ambitions toujours plus élevées pour lui-même à travers le groupe d'appartenance qui est le sien, quel qu'il soit par ailleurs.20 20 Le reniement de son appartenance sociale, sous quelque forme que ce soit, par un individu quelconque est assurément un phénomène nouveau, spécifique à la société nigérienne moderne, un phénomène inconnu des traditions culturelles du terroir. Dans les milieux où ces traditions perdurent encore, c'est-à-dire partout exceptées quelques poches isolées en zones urbaines, nul ne cache, rejette ou renie son appartenance à un quelconque groupe donné, fusse-t-il socialement appréhendé dans un sens négatif: Ni critiques acerbes, ni oppressions déclarées en provenance d'autrui, toutes catégories confondues, ne sauraient justifier un quelconque divorce d'avec son identité sociale. Chaque catégorie sociale, quelque soit le rang qu'elle occupe dans la hiérarchie sociale dispose de circonstances spécialement aménagées
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La réalisation de ces deux objectifs implique logiquement et manifestement que les différences intercatégorielles distinguant objectivement les deux groupes (familles, ethnies, nations, professions ou croyances religieuses) soient transcendées, et reléguées au second plan, sans être pour autant occultées, au profit de la différence symbolique instituée par le cousinage croisé, c'est-à-dire, en l'occurrence, un statut matrimonial masculin pour le groupe constitutif de l'aile masculine du cousinage croisé et un statut matrimonial féminin pour le groupe constitutif de l'aile féminine du cousinage croisé. Cette différence symbolique, qui, système patriarcal oblige, donne une certaine préséance statutaire au groupe constitutif de l'aile masculine sur le groupe constitutif de l'aile féminine, est impérativement tenue de se traduire matériellement dans les faits à l'occasion de toutes interactions sociales, toutes activités communes unissant deux ou plusieurs membres des deux groupes respectifs, par un phénomène de compétitivité au cours duquel ils s'efforcent, l'un (membre de l'aile masculine) d'administrer la preuve de la pertinence et de la justesse de la préséance symbolique qui lui est accordée, et l'autre (membre de l'aile féminine) de se montrer dans la pratique plus digne d'assumer la préséance symboliquement assignée à l'autre. La mise en oeuvre pratique de ce dispositif suppose, comme c'est le cas ici, l'exercice sans entrave aucune d'une mobilité sociale complète. Celle-ci est largement suffisante et opportunément indiquée pour prévenir tout conflit fratricide en l'occurrence. Cependant des dispositions appropriées sont prévues pour parer à toute éventualité contraire. A cet effet les dépassements des bornes formellement établies - pas de rupture ou blocage des interactions sociales pour cause de mésententes subjectives - sont traités avec la plus grande célérité par tous dans le strict respect de ce qui convient au regard de la norme de parenté admise par tous. Les litiges qui relèvent de l'ordre normal des choses dans la vie en société, lorsqu'ils ne se règlent pas à l'amiable par les efforts de sacrifice réciproques indispensables entre cousins, sont traités sous l'arbitrage commun de notables influents des deux ou non (festivités ou cérémonies particulières ou d'ensemble) pour
faire la
démonstration la plus éloquente et la plus mémorable qui soit de ses prouesses spécifiques et réaffirmer à la face de tous, les valeurs qui font la fierté de ce qu'elle est, différemment des autres.
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communautés, notables dont les décisions sont sans appel et engagent l'ensemble des membres des dites communautés. En tout état de cause la prévention des conflits est de rigueur tandis que leur résolution est exceptionnelle et conduit généralement à des jugements fermes, sans appel proportionnellement à la gravité des nuisances respectives provoquées de parts et d'autres par les litiges qui viendraient à se produire malgré tout.
5.
Quelques données psychosociologiques et historiques sur les relations intercommunautaires au Niger
"Si l'histoire permet de connaître la nature et l'extension des déséquilibres et des conflits économiques, politiques et sociaux, qui caractérisent l'évolution d'une société, la culture permet de connaître quelles ont été les synthèses dynamiques, élaborées et fixées par la conscience sociale pour la solution de ces conflits, à chaque étape de l'évolution de cette même société, en quête de survie et de progrès ".21 Si les huit (8) communautés nationales ou ethniques (selon la définition que l'on donne à ces termes) constitutives de la population vivant dans l'espace territorial nigérien bien avant la colonisation française ont un patrimoine culturel commun qui leur est propre, c'est assurément cette institution de prévention et/ou résolution des conflits sociaux conçue par le biais du cousinage croisé. En effet même si elle ne lie pas systématiquement toutes ces communautés les unes aux autres au plan bilatéral, (en raison de l'espace géographique qui sépare certaines d'entre elles) elle est fonctionnelle au sein de chacune d'entre elles à propos des relations bilatérales liant ses tributs, clans, familles, catégories de métiers, catégories d'âges ou tout simplement des ressortissants des autres communautés peuplant son espace de vie. Al' évidence, une telle institution serait inconcevable si les communautés qu'elle lie deux à deux n'entretenaient pas de relations riches et profondes; si leurs membres respectifs ne poursuivaient, en étroite collaboration, des objectifs d'intérêts communs 21 A. Cabral, L'arme de la théorie, Paris, Maspéro, 1975, p321.
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comportant des risques, inopportuns certes, mais réels de conflits sociaux. Par ailleurs, toute coopération sociale sérieuse et durable n'est-elle pas essentiellement conditionnée par les mesures préventives et résolutoires des éventuels conflits qui pourraient nuire à son bon déroulement? La culture n' a-t-elle pas, comme le laisse entendre fort justement A. Cabral dans la citation ci-dessus, pour objet essentiel l'élaboration et la fixation par la conscience sociale d'une dynamique d'interaction sociale propre à résoudre les conflits sociaux caractéristiques d'une époque historique donnée de la société qui la génère? Les réponses affirmatives à ces questions sont largement corroborées par l'histoire de ces communautés comme les quelques faits ci-après le prouvent. Il convient au préalable de rappeler brièvement les conditions psychosociologiques d'ordre fonctionnel et structurel indispensables à remplir pour réaliser une coopération démocratique saine. La diversification des groupes d'appartenance, qu'implique en l'occurrence la multiplicité des liens de cousinage rattachant chaque individu à d'autres, constitue l'essence proprement dite de l'individualisme à visage humain (à l'opposé de la recherche écervelée d'une prétendue originalité absolue de l'individu ou des groupes à laquelle exhortent certaines cultures). Il en est ainsi parce que personne ne peut assumer en toute quiétude mentale une quelconque originalité propre sans la référer, soit à une similitude quelconque avec autrui (présent ou absent), soit à une approbation (de fait ou supposée) d'autrui. L'individualisme à visage humain ne s'exprime ni par la dissolution de l'identité propre dans celle du groupe d'appartenance, ni par une rupture, somme toute abstraite, de tout lien d'appartenance avec autrui; mais dans la multiplicité des liens d'appartenance qui exige de chacun une somme de dispositions et ambitions spécifiques que l'individu se doit de justifier en permanence en fonction de la catégorie d'appartenance à travers laquelle il est variablement perçu par les autres. L'originalité de l'individu résulte du foisonnement des dispositions et ambitions spécifiques à ses groupes sociaux d'appartenance, un foisonnement tel qu'il est à tout moment semblable et différent d'un quelconque autre individu. La coexistence pacifique et la tolérance mutuelle s'imposent rationnellement à tous lorsque les multiples ressemblances et différences s'annulent réciproquement ou se valent respectivement. Pour en arriver là, il faut des conditions psychosociologiques minimales permettant aux individus non pas 274
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seulement d'affirmer leurs différèhces respectives mais encore de nier dans le même temps ces différences au regard des similitudes qui les lient inévitablement.22 Pour ce faire, il faut qu'ils soient dans des conditions telles qu'ils puissent prendre la mesure exacte de celles-ci (différences et similitudes) dans une pratique coopérative d'intérêt commun. Les conditions psychologiques minimales sont de deux ordres, apparemment contradictoires mais essentiellement complémentaires: a) Des conditions d'ordre fonctionnel qui se résument au fait qu'il n'y a pas de coopération démocratique au sein d'une communauté ou entre des communautés si chaque homme appartenant à celle-ci peut se passer strictement des autres au plan de la satisfaction de ses besoins vitaux quels qu'ils soient. Autrement dit pour que les hommes coopèrent démocratiquement, il faut qu'ils aient des raisons de coopérer, qu'ils soient interdépendants les uns des autres du point de vue de la satisfaction de l'ensemble ou de parties, (si infimes soient-elles), de leurs besoins vitaux (que ceux-ci soient réels ou imaginaires, matériels ou symboliques). Ces conditions résument l'essence instrumentale de toute coopération. b) Des conditions d'ordre structurel qui se résument au fait qu'il n'y a pas de coopération démocratique au sein et entre des communautés où chaque homme appartenant à n'importe laquelle d'entre elles ne constitue pas une entité indépendante, libre et strictement opposable à chacune des autres constitutives de la (ou des) communauté(s) en question, au plan de la responsabilité et du pouvoir de ses actes. Etre chacun responsable de ses actes c'est être non seulement, l'égal des autres, mais aussi et surtout être doté de raison, d'intelligence pour entrer, en toute liberté et d'un commun accord, en relation avec n'importe lequel d'entre eux, en ayant pleinement conscience du profit qu'il peut tirer de cette relation. Le pouvoir ou l'aptitude de l'individu à agir, c'est ce qui l'oppose à égalité, ou non, avec autrui de la manière la 22 "Soit biologiquement, soit sociologiquement, il n'y a pas, dans le temps, deux êtres (individuels ou collectifs) absolument identiques ou absolument distincts. Car il est toujours possible de trouver chez eux des caractéristiques qui les distinguent ou qui les identifient". Cabral A, p 345.
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plus objective possible. Cela veut dire, en terme de structures de catégorisation, identifier chaque individu sur la base de critères et normes qui d'une part, le rendent qualitativement égal à tous les autres, quels qu'ils soient, et qui, d'autre part, le rendent quantitativement comparables aux autres. Des critères et normes qui permettent d'appréhender ses actes dans des rapports de cause à effet au sein des processus de coopération qui le lient aux autres afm d'évaluer et de rétribuer ces actes en conséquence. Ces conditions résument les fondements de toute gestion du pouvoir qui se veut socialement juste et efficiente (égaliser les différences qualitatives éventuelles et différencier les aptitudes en principe potentiellement disponibles chez tous). L'articulation de ces deux ordres de conditions exige la mise en oeuvre de mécanismes de prévention et/ou résolution des conflits parce que l'unité des intérêts mutuels de la coopération n'exclut pas l'opposition objective des intérêts individuels de ceux-ci et, donc, l'éclosion probable de conflits qui peuvent en découler. Ces conditions, un examen historique des rapports intercommunautaires au Niger permet d'affirmer qu'elles étaient remplies avant la colonisation, avant d'être progressivement désorganisées depuis. Si l'on devait faire confiance au peuple, pour que la démocratie se fasse par lui et non simplement pour lui, une réhabilitation des conditions d'interdépendance des individus et des groupes (premières conditions précitées) et de la mobilité sociale des individus et des groupes (secondes conditions précitées) s'imposerait inéluctablement en vue de redynamiser ces rapports dans le sens du progrès de la paix et de la justice. En effet s'agissant de l'interdépendance, les communautés sociales résidant au Niger, quelle que soit la nature du critère différentiel les constituant (races, nations, ethnies, tribus, clans, artisans, familles, sexe ou âge), étaient depuis des siècles condamnées à coopérer politiquement, économiquement et socialement. Cela tenait, avant la colonisation, à la détention inégale entre elles de ressources vivrières, des moyens de production et de commerce et à la division relativement poussée du travail en leur sein. Celles qui détenaient les terres de culture (agriculteurs sédentaires) n'avaient pas une quantité suffisante de bétail pour s'alimenter en viande, produits laitiers et autres produits permettant de régénérer les sols de culture (engrais). Celles qui avaient le bétail en grande quantité et les compétences requises pour les 276
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élever (éleveurs nomades) n'avaient pas de terres de pâturage suffisamment riches en fourrage pour satisfaire les besoins alimentaires de ce bétail en saison sèche, ni même certaines ressources vivrières indispensables à leur survie et la bonne marche de leurs activités (eau, sel, céréales, fourrage). Celles qui avaient les moyens et la technologie d'extraction de certains produits miniers propres à leur zone d'habitation (sel, natron, calcaire, alun23, argile, fer, argent, or) n'avaient pas les moyens et technologies appropriés pour la transformation de certains d'entre eux ni les moyens de commercialisation de ceux-ci vers des contrées lointaines. Celles dont les contrées sont traversées par les commerçants ne sont pas sensées contrôler d'office les chefs de guerre indépendants qui pullulent en leur sein et avec chacun desquels il faut ou se battre ou négocier un pacte de non-agression afm de franchir les zones d'influence qu'il contrôle. Au sein des communautés elles-mêmes, les compétences génératrices des moyens de production et de consommation étaient socialement catégorisées pour ce qui concerne l'agriculture, l'élevage, l'artisanat, les arts, les lettres, les sciences (médicinales) et la guerre; mais il n'était pas exclu que, dans certains cas, tout le monde puisse s'y consacrer sans exception (cultures vivrières de grande consommation, mobilisation sociale pour faits de guerres ou de calamités naturelles etc... )24 En un mot, ces communautés n'ont pas les mêmes capacités de maîtrise des questions vitales pour elles-mêmes et ont donc forcement besoin les unes des autres, tantôt en matière de connaissances intellectuelles (traditions, éducation, législation islamique notamment), tantôt en matière de techniques architecturales, militaires, commerciales, agricoles, pastorales, 23 Alun : produit permettant d'assainir l'eau pour la rendre potable et de colorer les ouvrages artisanaux confectionnés avec les peaux de bête (chaussures, coussins, etc... ). 24 Ainsi, par exemple, le titre de chef de guerre (Mayaki) était formellement acquis avant la colonisation (investiture solennelle à Illéla notamment pour certaines régions comme l'Ader, l'Arewa, le Kourfey etc...) à titre personnel par des guerriers qui, indépendamment de leurs statuts initiaux dans leurs régions respectives, se sont distingués dans des campagnes militaires effectuées le plus souvent dans des contrées étrangères à l'initiative de l'autorité centrale de l'époque, celle de l'empire de Sokoto en l'occurrence.
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artisanales et artistiques. Chaque communauté a besoin, pour survivre, d'entretenir autant de rapports bilatéraux que l'exigent les contraintes vitales dont elle n'a pas, seule, la maîtrise et que la coopération avec d'autres peut permettre de lever. Pour lever ces contraintes, deux modes de coopération s'offient à chaque communauté: mettre à contribution, par la force, les communautés dont elle a besoin pour leurs ressources et services (coopération autocratique) ou contracter avec elles des alliances bilatérales de partenariat dans le strict respect des intérêts réciproques (coopération démocratique). Autant que nous le sachions, la première alternative ne s'est jamais présentée entre les différentes nationalités ou ethnies au Niger. Quelques velléités de cet ordre se sont, certes, historiquement manifestées de temps à autres dans le pays, mais n'ont abouti qu'à des clauses contractuelles visant tout au plus à privilégier certains circuits d'échange sur d'autres. Elles n'ont jamais abouti à une mise à corvée systématique de type esclavagiste d'une ethnie sur une l'autre. Bien au contraire, tous les empires qui ont été bâtis dans la région, l'on été sur la base de rapports de domination sans occupation physique prolongée de territoires adverses, dans le respect strict de l'autonomie politique des groupes momentanément conquis, groupes qui avaient parfois à verser des tributs aux autorités centrales en échange des services de protection militaire notamment. Exceptées les razzias (attaques surprises rapides avec replis sur les bases de départ) au cours desquelles certains chefs de guerre s'emparaient et réduisaient à l'esclavage quelques individus isolés appartenant à des ethnies, tribus ou clans autres que les leurs, aucun groupe ethnique au Niger n'a eu à dominer systématiquement un autre dans son ensemble au point de le réduire entièrement à une soumission de type esclavagiste avec tout ce que cela comporte comme expropriation des terres et mise à corvée des sujets. C'est dire que le mode de coopération qui a principalement dominé dans les relations intercommunautaires avant la colonisation a été assurément celui des alliances bilatérales dans le sens d'un partenariat d'intérêt commun institutionnalisé dans l'esprit du cousinage croisé. La seule stratégie qui vaille pour un groupe ethnique, tribal, clanique ou familial en vue de prétendre à une hégémonie sur un autre consiste pour son chef à donner une de ses soeurs ou une de ses filles en mariage au chef de guerre de tribu, de clan ou de famille adverse ou à épouser la soeur ou la fille de ce dernier, de façon à établir entre les deux groupes un lien de cousinage croisé, avec un 278
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rapport d'autorité symbolique se matérialisant dans les faits en faveur du groupe le plus performant, le plus méritant dans le processus de coopération générée en l'occurrence. Ce rapport d'hégémonie symbolique peut en effet évoluer dans sa matérialisation de deux manières, témoignant incontestablement de la responsabilité et du pouvoir des actes relevant d'initiatives individuelles et déterminant positivement la destinée des communautés concernées.
- Un
fils de la tante, soeur ou fille en question en héritant du trône ou du statut de son propre père consolide l'alliance qui unit les deux communautés d'où il est issu (de père d'une part et de mère de l'autre) en cultivant inévitablement des prédispositions favorables aux intérêts de ses cousins croisés. - Celui-ci peut prétendre, de droit, au trône ou statut social de son grandpère maternel, de son oncle maternel ou de son cousin croisé, et hériter de celui-ci s'il s'avère plus méritant que les enfants directs de celui-ci, en l'occurrence ses cousins croisés. Le premier cas de figure est monnaie courante dans les rapports intercommunautaires si bien qu'il serait impossible de recenser les exemples historiques qui le corroborent. Il relève de la stratégie politico-militaire courante de toute communauté clairvoyante de renforcer ses alliances formelles avec d'autres communautés par cette alliance parentale. C'est ainsi, par exemple, que la communauté de Kourfeyawa entretient des alliances de cet ordre avec la quasi-totalité des communautés ethniques qui lui sont voisines, et même au-delà. Originaire de Sheet, un village aujourd'hui à majorité zarmaphone, cette communauté hausaphone partage avec la communauté qui y réside et les alentours l'appartenance à l'ensemble communautaire Soudié. Cet ensemble entretient des liens de cousinage croisé avec les Zarma-songhaï du Sud-Ouest du pays et les Maouri zarmaphone ou Goubé au Sud-Est, de même qu'avec les Touareg (par extension sans doute du cousinage qui lie ces derniers aux Zarma en général). Avec l'ensemble communautaire hausaphone les Kourfeyawa sont cousins des Adérawa au Nord et des Gobirawa au centre du pays. Il faut noter par ailleurs que divers clans Kourfeyawa entretiennent des alliances spécifiques avec d'autres communautés ethniques; c'est le cas notamment des Wannagarawa avec les Peuls.
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Le second cas de figure ne constitue pas une exception susceptible surprendre outre mesure les nigériens. Nous n'en voulons pour preuve que les cas du Askia Songhaï, celui du Mayaki du Kourfey etc... des cas où le fils de la soeur ou de la tante du souverain disparu succède légitimement à ce dernier. En outre nombre de légendes explicitant les origines de plusieurs ethnies, tribus et clans, font état de ce cas de figure (Aréwa où à une époque donnée les ayant droits au trône seraient issus d'une princesse de ladite communauté et d'un sultan Kanouri appartenant donc à une autre communauté). On peut noter aussi des cas innombrables de personnes, familles, et groupes ethniques qui du fait de leurs mères, grands-mères ou ancêtres féminins, vivent au sein de communautés ethniques différentes de celle de leur ascendance mâle d'origine. Ces personnes détiennent le plus souvent dans ces communautés d'accueil des rangs sociaux très enviables en conformité avec la légalité en vigueur dans ces dernières. Elles n'hésitent pas non plus à faire étalage des symboles et valeurs (cicatrices, langues, tenues vestimentaires...) de leur ethnie d'origine alors même qu'elles ne connaissent, le plus souvent, de celle-ci que le nom (fils et petits- fils d'immigrés). Toutes les communautés ethniques se présentent ainsi sous la forme d'un "melting pot" socio-culturel indéniable. Ainsi la plupart des chefs -lieux de sultanats ou de cantons et autres groupements, sont des lieux de rassemblement de plusieurs communautés ethniques et tribales avec une simple dominance numérique ou symbolique de l'une d'entre elles. Les cours des sultans et autres chefs de canton sont organisées de telle sorte que toutes les communautés résidant dans l'espace territorial relevant de leur autorité y ont légitimement leur place, avec les mêmes statuts, notoriétés et prérogatives les unes comme les autres, notamment celle de donner leurs avis au sultan, en vue de lui permettre de prendre des décisions clairvoyantes et justes. Il se réalise ainsi par le biais des femmes (grand-mère, mères, soeurs, filles) des conquêtes diplomatiques, économiques et sociales qu'aucune force militaire n'aurait permis de réaliser. D'où la très haute considération dont elles jouissent dans toutes ces communautés. Leur rôle d'épouses est préparé et soigné à l'extrême au regard de cette fonction de conquête politique pacifique. C'est ainsi que l'éducation de la jeune fille est axée sur l'intériorisation des valeurs les plus nobles de la famille et doit aboutir, pour elle, à une fierté sans limite de son appartenance au groupe de naissance, à un esprit imbu des plus hautes ambitions qu'elle doit inculquer 280
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impérativement à ses futurs enfants. Autant le garçon n'a de mérite pour le père et pour la famille en général, que par ses prouesses personnelles en divers domaines, autant la fille tient son mérite de sa capacité de susciter de grandes ambitions chez ses enfants, ses frères et son mari. Alors que l'estime que l'on porte à l'homme est conditionnée par ses actes passés ou présents, l'estime que l'on porte à la femme en tant que mère, soeur ou fille est inconditionnelle et permanente parce que cette estime est attachée à des aspirations que l'on a aucune raison de désespérer de voir satisfaites, un jour ou l'autre, à travers son mariage et sa descendance.
5. Conclusion Le processus d'instauration de l'Etat de droit démocratique connaît au Niger des remous socio-politiques intenses, et cela depuis son démarrage formel en 1991, avec la reconnaissance du multipartisme, jusqu'à l'étape actuelle qui consacre l'avènement de la 4ème République. Loin de s'estomper au fur et à mesure que se matérialisent de manière irréversible certains acquis institutionnels essentiels tels que ceux relatifs aux principes du multipartisme, de la séparation formelle des trois pouvoirs (exécutif: législatif, judiciaire) du droit de grève pour les travailleurs et de la liberté de la presse etc..., les remous ont plutôt tendance à redoubler d'intensité, suivant la logique de "un pas en avant, deux pas en arrière" qui semble marquer irrémédiablement ce processus. En mettant, au gré des préoccupations du moment, en lice les uns contre les autres, des hommes et femmes regroupés au sein de partis politiques, syndicats et autres associations qui n'ont, à l'évidence, jusqu'ici rien de fondamentalement différent, tant au plan de leurs conditions d'existence (toutes également précaires), qu'au plan des idéologies qui les animent (toutes également en quête de cohérence stratégique et de principes mobilisateurs socialement pertinents et performants), ces agitations sociales permanentes risquent, de l'avis d'observateurs plus ou moins avertis, de précipiter le pays dans des guerres civiles à caractère tribal. La thèse d'un démembrement du tissu social du pays sous la forme incongrue de communautés constituées sur la base de critères d'identités héréditaires et sectaires n'est donc pas à écarter dans cette atmosphère de confrontation où il est bien souvent question de survie pour les différents protagonistes qui n'hésitent donc pas à élever les enchères à leurs niveaux les plus hauts (dans un climat psychologique où le 281
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respect de l'adversaire politique fait place au mépris pur et simple, on exploite la moindre occasion pour en découdre proprement avec lui en tenant de part et d'autre des propos "va-t-en guerre" tonitruants et désobligeants.). Quand on sait, par ailleurs, que ces critères d'appartenance héréditaire sont habituellement générateurs d'obstacles difficiles à surmonter dans le contexte d'une coopération sociale démocratique qui nécessite, par essence, une dépendance réciproque des acteurs sociaux, on ne peut que désespérer d'un processus de démocratisation dans ces conditions où les confrontations politiques semblent créditer consciemment ou non la thèse séparatiste des communautés et régions. Un examen strictement scientifique de la question nous a permis, à travers la présente étude, d'invalider sans appel cette thèse et de soutenir l'idée qu'il faille faire confiance, malgré tout, au peuple nigérien en commençant par lever les contraintes (artificiellement induites et froidement entretenues) faisant objectivement obstacle à son épanouissement. Cet épanouissement qui n'a, à l'évidence (et il faut le souligner avec force au vu du regain d'intérêt affiché ça et là pour les doctrines et méthodes colonialistes et dictatoriales qui n'ont cessé de prévaloir au Niger sous des formes plus ou moins voilées) d'autre possibilité de se réaliser pleinement qu'à travers un mode de coopération sociale véritablement démocratique. Les contraintes en question sont précisément relatives au contentieux historique qui oppose le peuple nigérien au sous-développement, un contentieux qu'il faudrait, en fin de compte, traiter résolument, scientifiquement (sans passion, ni complaisance réductionniste, ni subterfuges de spécialistes aux idées communément éclectiques) dans toutes ses dimensions sociales, culturelles, économiques et politiques. Un contentieux essentiellement générateur d'entraves matérielles et financières (refus obstiné d'opérer le transfert décisif d'une technologie à la croissance de laquelle chaque peuple du monde a pourtant sa part de responsabilité directe ou indirecte, dettes extérieures...) avec lesquelles on a littéralement garrotté un peuple dont on sait pertinemment (et proclame quotidiennement) qu'il n'était pas libre de choisir son destin, et dont on a, tout de même, l'indécente malice de penser et l'outrecuidence d'exiger (sans honte ni remords) qu'il soit redevable et honore, sans délais, des transactions obscures injustement paraphées en son nom depuis fort longtemps. Il y a certes en faveur de la thèse ci-dessus évoquée le fait, scientifiquement vérifié, qu'il suffise que des hommes affirment leur référence et leur 282
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attachement indéfectible à l'un de ces critères d'appartenance sectaire (rendant impossible toute forme de mobilité sociale) et se déclarent formellement hostiles à ceux qu'il leur oppose (et réciproquement), pour qu'aucune force matérielle ne puisse les dissuader d'une pratique de discrimination plus ou moins subtile et, au delà, d'une pratique systématique de purification ethnique si ce n'est d'un génocide pur et simple. Cependant, parce qu'elles relèvent, par essence, d'une occultation subjective, quasi magique de la raison, et ce, jusque dans les derniers retranchements de celle-ci, à savoir la nécessité absolue pour l'être humain de respecter la vie d'autrui et de conserver la sienne propre, de telles pratiques, même lorsqu'elles sont idéologiquement systématisées en terme de fascisme et de ségrégation raciale, ethnique ou tribale, n'ont de barrière ou de remède que la raison elle-même. C'est une barrière que le peuple nigérien, dans la diversité de ses communautés nationales, ethniques, claniques et familiales, s'est solidement constituée à travers une culture commune qui rationalise singulièrement les rapports sociaux au sein et entre ces communautés, en dépit du caractère sectaire des critères qui les distinguent objectivement. En effet, en induisant, de manière originale, la mobilité sociale au sein et entre des communautés sociales, par ailleurs objectivement fermées les unes par rapport aux autres, l'institution du cousinage croisé, comme disposition culturelle régissant les rapports intra - et intercatégoriels, induit une dynamique d'intégration sociale désormais irréversible25 à travers un principe de compétitivité inter-individuelle qui ne saurait se réaliser pleinement en dehors d'un mode de coopération démocratique. Cette mobilité sociale résulte d'un recentrage des multiples rapports bilatéraux d'autorité entre les groupes sur la base du critère de cousinage croisé. Un critère qui dissout le cloisonnement étanche qu'induisent les critères d'appartenance catégoriels héréditaires sectaires, d'une part, et donne, d'autre part, libre cours à la mise en oeuvre de critères de compétitivité, de compétence, d'aptitude de créativité, seuls susceptibles de permettre de gérer rationnellement une coopération sociale féconde. Une coopération exigeant 25 L'intégration sociale des membres des différentes communautés les unes au sein des autres, spontanément induite par le "cousinage croisé", est d'une telle ampleur qu'aucune communauté ethnique, tribale, ni même familiale, ne peut se prévaloir d'une quelconque pureté, ne serait-ce que sur un rayon de un kilomètre carré du pays, et ce quelle que soit la zone géographique considérée.
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tout spécialement que des rapports justes soient établis entre la participation de chacun à celle-ci et la jouissance par lui de ses résultats matériels et moraux; une coopération tout simplement démocratique. De par son adhésion séculaire à cette culture foncièrement démocratique qui transcende (sans les éliminer mécaniquement à travers une croisade de violence institutionnelle planifiée à l'image de la démocratie moderne: libérale ou socialiste) les critères d'appartenance héréditaire sectaires, le peuple nigérien s'est forgé la mentalité correspondante qui se doit en l'occurrence. C'est-à-dire une mentalité caractérisée par un esprit critique efficient qui ne s'accommode guère à des rapports d'autorité arbitraires autocratiques et injustes, si ce n'est pour les condamner dans l'immédiat et à terme, principalement en invalidant formellement (au plan idéologique) et pratiquement (dans les faits courants de tous les jours) les résultats de toute coopération sociale de cet ordre. Une mentalité qui, à l'évidence, ne saurait se laisser piéger par l'attrait séducteur de quelques velléités cyniques d'autodestruction se nourrissant de la volonté perfide d'un démembrement insolite du tissu social irréversiblement intégré du pays. Les remous sociaux s'intensifient et se multiplient donc, au gré des enjeux politiques plus ou moins consciemment ciblés pour occulter l'histoire et la dévier de son cours, mais sans jamais entraîner le pays aujourd'hui, pas plus qu'hier ou demain, dans une guerre civile à caractère tribal qui compromettrait définitivement l'avènement d'une démocratie tant attendue par le peuple, pour lui-même et pour l'humanité entière.
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Adamou BARKE
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Abdoulaye
La démocratisation
au Niger:
NIANDOU
SOULEY
bilan critique
AbdoulayeNIANDOUSOULEY Maître-Assistantà la Faculté des Sciences Economiqueset Juridiques (FS.E.J.) UniversitéAbdou Moumounide Niamey. Démocratie et Développement demeurent toujours des préoccupations dans les Etats de l'hémisphère Sud, notamment ceux de l'Afrique au sud du Sahara 1. Après la chute des démocraties dites "populaires" de l'Europe de l'Est au cours de l'automne 1989, le débat sur la nécessaire démocratisation des systèmes politiques a&icains a connu un regain d'intérêt. Dès le 5 janvier 1990, en présentant ses voeux à la presse, le Ministre &ançais de la coopération et du développement de l'époque, Jacques Pelletier, déclare que l'A&ique "ne saurait rester à l'écart du grand mouvement de liberté observable aussi bien en Europe dans les démocraties dites populaires, qu'en Asie et en Amérique Latine". Et de poursuivre: "il n'y a pas de démocratie sans développement, mais il n'y a pas non plus de vrai développement sans démocratie ... En restant à l'écart de la révolution démocratique, l'Afrique se condamnerait elle-même à rester à l'écart de la révolution économique, c'est-à-dire de l'établissement d'une croissance durable2. " Par la suite, la liaison entre démocratisation et octroi de l'aide au développement sera clairement affirmée par le Président François Mitterrand dans son allocution au sommet &anco-a&icain de la Baule en juin 1990 : "Lorsque je dis démocratie, déclare-t-il, j'ai naturellement un schéma tout prêt: système représentatif: élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure. Voilà le schéma dont nous disposons"3. Et d'ajouter qu'il appartient aux Etats africains souverains, de choisir leur voie et d'en déterminer les étapes et l'allure", avant de conclure que "la France liera tout son effort de 1Niandou Souley A, 1996, "La problématique de la démocratie et du développement économique en Afiique", La Lettre du Forum de Delphes, n° 15, p 2-3. 2 Marchés Tropicaux et Méditerranéens, janvier 1990. 3 Marchés Tropicaux et Méditerranéens, juin 1990.
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AU NIGER:
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contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de libertés"4. Depuis que cette condition a été posée pour bénéficier de l'aide publique au développement nombreux sont les Etats africains, (le Niger y compris), qui ont décidé d'entreprendre des réformes politiques sans précédent pour répondre aux injonctions de l'ancienne puissance tutélaire, et des institutions financières internationales. Aujourd'hui, à l'épreuve des faits, il n'y a aucun doute que le processus de démocratisation des systèmes politiques africains pose des problèmes, d'énormes problèmes. Ici et là, on s'interroge sur ce que sera demain. Les questions les plus régulières sont les suivantes: "où allons nous" ? Vers le chaos ou la guerre civile? Vers la guerre ethnique, la Révolution ou l'Anarchie? Ou alors vers des lendemains meilleurs? Ce sont là autant de questions téléologiques auxquelles personne ne peut répondre à moins d'être mage ou voyant. Une chose est cependant sûre: les africains savent d'où ils viennent. Ils savent en effet qu'ils sortent d'un long règne autocratique, fut-il civil ou militaire. Ils savent aussi qu'ils sortent d'un "Etat -prison", d'un "Etatbagne" caractérisé par le cycle infernal de la censure / emprisonnements / répression et éliminations physiques. A présent, les africains découvrent la démocratie. Ils découvrent que l'histoire n'est pas statique et que les choses peuvent changer. Cependant, les africains ont à peine découvert la démocratie que beaucoup d'entre eux se demandent s'ils ont bien fait d'y être. N'est-ce pas à cause de la démocratie qu'ils connaissent tous les maux du monde? Avant, disent-ils, il y avait la paix sociale et les salaires étaient régulièrement payés à terme échu. Ce qui n'est plus le cas de nos jours dans nombre de pays africains dont le Niger. Dans leur désarroi, les acteurs sociaux ont tendance à imputer toutes les difficultés du moment à la démocratisation, à tel point que celle-ci est aujourd'hui synonyme de paradoxes et d'ambiguïtés5. 4 Ibid. 5Niandou Souley A, "Paradoxes et ambiguïtés de la démocratisation en Afrique", Communication présentée lors du Colloque intenational sur "Intégration et
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SOUIEY
En vérité, c'est parce que s'il y a un consensus général sur la nécessaire démocratisation des systèmes politiques a&icains, il y a de multiples divergences quant au contenu de celle-ci. L'objet de la présente étude consiste à faire un bilan critique de la démocratisation au Niger. Ce qui d'entrée de jeu, exige une démarche qui se base sur la causalité. De ce point de vue, il semble inévitable de ne pas céder au modèle d'analyse du politique en A&ique, que propose Claudette Savonnet-Guyot6 en distinguant quatre (4) sites d'observation: le "dedans", le "dehors", le "haut" et le "bas". Bien entendu, l'observation de chaque site pris isolément n'exclut pas que l'on tienne compte des interactions entre le "haut" et le "bas", de même qu'entre le "dedans" et le "dehors". D'autre part, cette étude ne peut être menée à bien si l'on n'emprunte pas à la théorie générale des groupes de pression. Cela permettra de mettre en relief les forces politiques en présence et leurs rôles respectifs dans le processus de démocratisation. Par ailleurs, on ne pourra se passer de la "sociologie des crises politiques", telle que l'a élaborée Michel Dobry dans un autre contexte7. Enfin, cette étude empruntera beaucoup à la méthode empirique, notamment en ce qui concerne les effets de la démocratisation, ainsi que son avenir au Niger. Quant au plan de notre texte, il part du constat que l'histoire politique postcoloniale du Niger a été marquée par une succession de régimes autoritaires, qui se sont incarnés dans un régime de parti unique, un régime militaire dit "régime d'exception", puis un parti-Etat. Dès lors, le bilan critique que l'on veut faire apparaître ici, conduit à l'examen de plusieurs problèmes parmi lesquels les causes internes et externes de la démocratisation; les forces régionalismes", Talence (Bordeaux), du 27 au 30 avril 1994. 6 Savonnet-Guyot C, 1981, "Le dedans" et le "dehors", le "haut" et le "bas". Réflexions sur les sites du "politique a:&icain", Revue Française de Science Politique, vol. 31, n04, p 799-804. 7 Dobry M, 1986, Sociologie des crises politiques: la dynamique des mobilisations multisectorielles, Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 319 pages.
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LA DEMOCRATISATION
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BILAN CRITIQUE
politiques en présence lors de la revendication démocratique et après; les enjeux de la démocratisation, les effets de celle-ci, puis son avenir dans notre pays.
1. Causes internes et externes de la démocratisation au Niger Les facteurs internes sont nombreux au même titre que les dynamiques externes.
1. 1. Les facteurs
internes
Dans la crise des régimes autoritaires africains, il y a eu une évolution qualitative d'une revendication matérielle vers une revendication politique8. En ce qui concerne le Niger l'analyse s'attachera à montrer ici que, dans sa survenance, la revendication démocratique s'inscrit dans un contexte autoritaire qui s'est relaxé, et dans un contexte international caractérisé par la valorisation du discours démocratique. Elle a été exprimée par des acteurs qu'on ne saurait passer sous silence. 1.1.1. L'émergence
de la revendication
démocratique
au Niger
Seyni Kountché meurt le 10 novembre 1987 et Ali Saioou lui succède en vertu d'une décision dite unanime des officiers supérieurs de l'armée. Il hérite d'un pouvoir particulièrement dur et autoritaire, mais choisit de se démarquer des méthodes de son prédécesseur. Ainsi, sans jamais le revendiquer ouvertement, certains de ses actes s'inscrivent-ils par leur nature ou par leur objet dans le cadre du démantèlement du "style Kountché". A cette fin, il met en avant des thèmes aussi voisins et presque synonymiques comme "pardon politique", "décrispation politique", et "réconciliation nationale". Leur mise en oeuvre se traduisit par un désaveu en douceur du président défunt. 8 Niandou Souley A, 1991, "Ajustement structurel et effondrement des modèles idéologiques: crise et renouveau de l'Etat a&icain", Revue Canadienne d'Etudes Internationales, vol. XXll, n° 2, p 253-265.
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S'agissant de la décrispation politique, Ali Saïbou fait libérer tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, sont tombés en disgrâce sous Seyni Kountché à commencer notamment par des officiers de l'armée. Recouvrent ainsi la liberté: - l'ex-chef d'Escadron de gendarmerie Boulama Manga, ancien ministre de la jeunesse, des sports et de la culture, arrêté en 1980 pour refus d'obtempérer à un ordre du président Kountché, - l'ex-capitaine Cyrille Gabriel, ancien ministre des travaux publics, des transports et de l'urbanisme, mis aux arrêts depuis 1975 pour "indiscipline caractérisée pouvant porter atteinte à la sûreté de l'Etat", selon le langage officiel de l'époque, - l'ex-lieutenant-colonel Adamou Harouna, ancien préfet de Niamey, arrêté en 1983 à la suite d'un désaccord avec Seyni Kountché, s'agissant de la cooptation du personnel civil, D'autre part, tous les détenus civils ou militaires impliqués à un titre ou à un autre dans les tentatives de Coup d'Etat du 15 mars 1976 et du 6 octobre 1983 sont libérés, de même que ceux impliqués dans les événements du 29 mai 1985 (attaque de la sous-préfecture de Tchintabaraden par un commando de douze membres venus de Libye.) S'y ajoute la commutation des peines de mort prononcées contre sept détenus politiques impliqués dans la même affaire, en détention à vie. Participe également des mesures de décrispation politique, la levée d'assignation à résidence prononcée contre:
- Hamani
Diori, ancien Président de la République, arrêté en 1974, puis assigné à résidence en 1985,
- Djibo Bakary, ancien Premier Vice-Président gouvernement du Territoire du Niger;
- Feu Moussa Sala, Lieutenant-colonel
du Conseil
de
à la retraite, ancien ministre de la
Santé Publique et des Affaires Sociales, - l'ex-chef d'Escadron Abdou Diori, ancien Directeur général de la Sûreté Nationale. Par ailleurs, allant toujours dans le sens du pardon et de la décrispation politiques, le Président de la Republique Ali Saibou, dès les premiers jours de son accession au pouvoir, signe des ordonnances remettant à des 291
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personnalités tombées en disgrâce politique ou reconnus coupables de détournement de deniers publics, leurs biens confisqués sous le régime de Seyni Kountché lorsque la confiscation est jugée manifestement abusive. Pour décrisper la vie politique, il affirme que le Conseil Militaire Suprême "n'a plus ni de haine, ni de contentieux contre qui que ce soit", et souhaite "que les Nigériens expatriés pour des raisons politiques rentrent au bercail, car 1'heure du Pardon a sonné et la survie du Niger dépend de notre capacité à transcender les considérations d'ordre politique, d'oublier nos querelles et d'enterrer nos ressentiments". Allant plus loin dans l'entreprise de décrispation politique, le nouveau Président n'hésite pas à annuler toutes les mesures impopulaires appliquées au temps de son prédécesseur. Ainsi, les fréquents barrages de police que les nigériens rencontrent en voyageant à l'intérieur du pays sont sensiblement réduits. D'autre part, la police politique (Le Bureau de Coordination et de Liaison, B.C.L.), qui a fait des victimes dans presque toutes les familles, est supprimée. Par ailleurs, les taxis reçoivent à nouveau l'autorisation de circuler vingt-quatre (24) heures sur vingt-quatre (24), et non plus seulement de six (6) heures du matin à vingt-trois (23) heures du soir comme c'était le cas sous Seyni Kountché. Enfin, avec l'arrivée au pouvoir d'Ali Saibou, les nigériens peuvent parler de politique plus librement qu'auparavant. Nombre de ces mesures étaient destinées à provoquer un effet de légitimation du nouveau pouvoir, la succession de Seyni Kountché ayant eu lieu en dehors des urnes. Mais, par leur consistance, elles remettaient en cause d'une façon larvée ou ouverte, l'action du président défunt. De ce point de vue, par rapport à l'autoritarisme exacerbé de Seyni Kountché, la "décompression autoritaire" au Niger commence bien en 1987, et non pas après l'effondrement des régimes de l'est. A l'époque, certains nostalgiques du pouvoir autoritaire avaient même reproché au Président Ali Saibou, qui voulait se comporter en rassembleur, absence de fermeté, laxisme et complaisance, tant sous son règne, tout ou presque était toléré9. 9 Niandou Souley A, 1989, "Le Niger après Seyni Kountché", Année africaine,1989, p 243-276.
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C'est donc sur fond de relative passivité et permissivité politiques, qu'est venue se greffer la revendication démocratique au Niger. Dès lors on comprend pourquoi, sans réchigner outre-mesure, le Président Ali Saïbou annonça le 15 novembre 1990 devant les députés de la deuxième république, son acceptation du multipartisme et son accord pour l'organisation d'une Conférence Nationale. En définitive, au Niger la revendication démocratique a déjà trouvé un terrain qui lui est favorable, et sera confortée par le contexte international. 1.1.2. Les acteurs de la revendication
démocratique
au Niger
Lorsqu'on évoque le séisme démocratique en Afrique, on met un peu trop en relief le rôle des acteurs du "dehors" notamment les institutions financières internationales et la France pour les Etats francophones, mais on ne souligne jamais assez celui des acteurs du "dedans". Pourtant, au Niger comme ailleurs en Afrique, ce sont les "scolaires" et les intellectuels critiques, les syndicats des travailleurs et les associations qui ont été bel et bien à la base de la revendication démocratique. 1.1.2.1. Les scolaires et les intellectuels critiques Au Niger, les scolaires (étudiants, lycéens, collégiens et élèves) ont été les acteurs potentiels de la revendication démocratique. Ils sont rassemblés au sein de l'Union des Scolaires Nigériens ( U.S.N.), avec son Comité Directeur (C.D.), ses sections et sous-sections au Niger et à l' étrangerlo. Depuis sa création en 1960, l'U.S.N., force organisée et bien structurée, s'est imposée comme moteur de la contestation anti-autoritariste dans la vie publique nationale, et vecteur des idées porteuses du changement social. Agissant depuis toujours dans l'illégalité et la quasi-clandestinité, elle fonctionne sur la base du principe du centralisme démocratique, et celui de l'élection de ses membres dirigeants selon le procédé de la critique et de l'autocritique. En l'absence d'une opposition politique structurée, les scolaires nigériens se sont faits l'écho du mécontentement populaire en s'opposant aux mesures 10. On pourra se reporter avec intérêt à l'ouvrage Mbembe A, Les jeunes et l'ordre politique en Afrique, Paris, L'Harmattan
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qu'ils jugent impopulaires et anti-socialesII. L'V.S.N. joue une fonction tribunitienne consistant à reprendre et à propager au moyen de tracts surtoutI2, les réactions négatives de la société vis-à-vis des décisions étatiques. Le 9 février 1990, trois de ses militants sont abattus au cours d'une marche de protestation contre les mauvaises conditions de vie et d'étude à l'Université de Niamey. Depuis, l'U.S.N., soutenue par d'autres forces organisées (les syndicats) engage un bras de fer avec le pouvoir, exigeant que les coupables soient désignés et sanctionnés. Le Secrétaire politique du parti unique, le Mouvement National pour la la Société de Développement (M.N.S.D.), le Colonel Amadou Seyni Maïga démissionne pour, dit-il, "apaiser la tension". Cet acte étant jugé insuffisant, les scolaires nigériens exigent la dissolution du parti unique, l'instauration du multipartisme et la convocation d'une Conférence Nationale. Principaux acteurs de la revendication démocratique, ils siégeront à la dite Conférence avec cent délégués, au titre des sept structures ayant droit de vote. D'autre part pour la première fois depuis 1960, ils seront gratifiés d'un acte de reconnaissance officielle de leur organisation, délivré par la Conférence Nationale Souveraine, qui met ainsi fin à l'illégalité de cette structure. Au Niger, la contestation estudiantine a souvent été encouragée par l'engagement et la prise de position ouverte des intellectuels critiques en faveur de la démocratisation. Mais, il faudrait préciser à propos de ces derniers qu'il s'agit souvent (pas toujours) d'intellectuels marginalisés n'ayant pas bénéficié de la cooptation au sein du système. Très souvent enseignants à l'université, dans une grande école, ou fonctionnaires dans les structures centrales de l'administration publique, ces intellectuels ont vite rallié la revendication démocratique. Il importe de préciser que n'ayant aucune responsabilité particulière dans le système, il leur était plus facile de s'en désolidariser en le dénigrant. Partout en A&ique et pas seulement au Niger, ils rallient les mouvements contestataires et s'auto-proclament comme étant une alternative crédible. Certes, ils ont été des acteurs de la Il Niandou Souley A, 1991, "L'USN et la vie politique" , HASKE, août 1991. 12 Niandou Souley A, 1990, "Tracts et démocratisation au Niger", Année africaine, pp.391-443.
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revendication démocratique, mais il est difficile de ne pas voir dans leur engagement une réaction d'élites concurrentes de celle au pouvoir, se réfugiant derrière la motivation démocratique pour parvenir à leurs fins. En revanche, un peu plus sincère parait l'engagement des syndicats de travailleurs.
1.1.2.2. Les syndicats
de travailleurs
Bien avant l'effondrement des régimes de l'est, les syndicats des travailleurs en Afrique se sont quelquefois opposés aux pouvoirs en place depuis le début des années 1980. Cependant, il s'agissait d'oppositions sectorielles, ponctuelles et timides sans aucune référence à la démocratie. C'était plutôt des réactions négatives à l'ajustement structurel qui ont émaillé cette décennie. Jusqu'en 1990 encore, les syndicats exprimaient des revendications matérielles. C'est seulement depuis cette année-là qu'ils se rallient au discours démocratique. Là également, les situations varient selon les pays. Au Niger, il est important de noter que la centrale syndicale unique, l'Union des Syndicats des Travailleurs du Niger (V.S.T.N.) n'était pas affiliée au parti unique (le Mouvement National pour la Société de Développement, M.N.S.D.) Avant 1990, elle a flirté avec le pouvoir politique en adoptant notamment la "participation responsable"13, comme ligne de conduite, doctrine et philosophie syndicale lors de son dixième congrès statutaire en 1978. En voulant participer de façon responsable à l'action des pouvoirs publics, elle a cautionné directement ou indirectement de nombreuses décisions, pourtant non conformes aux intérêts des travailleurs. C'est seulement au lendemain des événements du 9 février 1990, que l'U.S.T.N. adopte une logique de relations conflictuelles avec le pouvoir. En tant que force organisée, elle a su canaliser et diriger le mouvement démocratique au Niger. Elle n'a jamais hésité à recourir à l'arme ultime et radicale de la grève générale, pour contraindre le régime du général Ali Saïbou à faire des concessions aux forces dites démocratiques. C'était son secrétaire général de l'époque, Laouali Moutari, qui était le porte-parole de l'opposition unique regroupée au sein du Comité de Coordination des Luttes Démocratiques 13 Niandou Souley A, 1986, Les relations entre le syndicat et le pouvoir au Niger, mémoire de maîtrise en Science Politique, Université de Yaoundé.
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(C.C.L.D.) La centrale syndicale a pratiquement paralysé le pays par ses multiples grèves générales de deux à cinq jours ouvrables entre 1990 et 1991. Elle fait partie des sept structures ayant cent représentants et droit de vote à la Conférence Nationale SouveraineI4. Si l'engagement des scolaires et des syndicats a été déterminant dans l'expression de la revendication démocratique, il convient de souligner que certaines associations y ont également contribué. 1.1.2.3. Les associations Les associations qui avaient été créées à l'initiative des pouvoirs publics (Association des Femmes du Niger, Association des Chefs traditionnels du Niger, Association Islamique du Niger, etc.) sont restées complètement muettes sur la question démocratique. Il s'agissait en effet d'associations d'utilité publique, dont le rôle était de soutenir le pouvoir en véhiculant et en faisant appliquer ses mots d'ordre. A l'épreuve du séisme démocratique, certaines d'entre elles se sont désagrégées, telle, l'Association des Femmes du Niger. Ses adhérentes se sont réparties entre fidèles du pouvoir en place et sympathisantes du mouvement démocratique. Les associations nées avec les soubressauts de l'année 1990, ont rejoint les syndicats et les scolaires dans l'expression de la revendication démocratique. Ce sont des associations récentes créées spontanément pour contribuer à la démocratisation. Elles sont autonomes et indépendantes à la fois des organisations de masse et des partis politiques. Très souvent, elles ont été inventées comme ressource permettant d'accéder à la tribune de la Conférence Nationale. C'est le cas par exemple de l'Association Nationale pour la Défense des droits de l'Homme (A.N.D.D.H.) ou encore, de Démocratie, Liberté et Développement (D.L.D.), toutes deux représentées à la Conférence Nationale "es qualité". Pour terminer, il convient d'indiquer que les partis politiques, qui se sont formés seulement après la révision constitutionnelle, ont pris le train en marche. Par rapport aux scolaires et aux syndicats, ils ne bénéficient pas de 14 Niandou Souley A, 1992, Crise des autoritarismes militaires et renouveau politique en Afrique de l'ouest. Etude comparative Bénin, Mali, Niger, Togo, thèse en vue de l'obtention du doctorat en Science Politique, Université de Bordeaux I.
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la légitimité de "démocrates de la première heure". L'antériorité de la participation à la revendication est, en effet, le critère principal de hiérarchisation des acteurs de celle-ci. Cela dit, le plus important réside dans la fédération de toutes les forces contestataires de la première heure ou de la dernière, autour d'un objectif unique: l'instauration de la démocratie. A cet égard, on a beaucoup parlé d'éveil, de sursaut et même d'émergence de la société civile au Niger.
1.2. Les dynamiques externes Jean-François Bayart s'insurge à juste titre contre la part prépondérante attribuée à l'effondrement des systèmes de l'Est, dans l'irruption de la revendication démocratique en Afrique. "Il faut, écrit-il, minimiser les effets du vent d'Est. Encore une fois, on néglige la dynamique interne des sociétés africaines qui ne sont pas uniquement des jouets des grandes pulsions du système international. Soyons précis: il y a eu surtout un effet Ceaucescu, beaucoup plus qu'un effet mur de Berlin. La dictature des époux Ceaucescu était immédiatement intelligible pour les africains: tyrannie familiale, ubuesque parfois, impressionnante par l'ampleur de son échec économique".15 Il est sans doute vrai qu'à la base de la revendication démocratique en Afrique, il y a à la fois des dynamiques internes et des facteurs externes. Il faudrait surtout garder à l'esprit que la faillite économique et financière des Etats, rendait inévitable la contestation de l'autoritarisme en Afrique. Les dynamiques externes n'ont fait que l'accélérer et la cristalliser. Sous réserve de cette remarque, l'analyse se doit de porter un intérêt aussi bien à l'ébranlement des régimes de l'Est, qu'à la conditionnalité politique.
1.2.1. La disparition des régimes
de l'Est
A beaucoup d'égards, le parallèle que l'on établit entre la libération de l'Europe de l'Est et la contestation anti-autoritarisme d'Afrique est intéressant. En effet, l'ébranlement des régimes de l'Est repose sur trois facteurs: 15. Jean François BA Y ART J.F, 1992, Interview à Afrique magazine,- 1992.
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- le premier est leur faillite économique: les dirigeants ont vanté les mérites du système socialiste sans jamais réussir à améliorer le vécu quotidien des populations, privées par ailleurs de toute liberté et soumises à un contrôle policier écrasant de même qu'à une répression brutale. La proximité de l'Europe occidentale capitaliste, avec son abondance économique et son pluralisme politique, renvoyait constamment des images de comparaison aux européens de l'Est. Ces derniers ressentaient depuis fort longtemps leur soumission à un ordre économique improductif: s'appuyant sur un ordre politique répressif et privatif: comme injuste, injustifié et insupportable. Or, en tant que système socio-économique, le socialisme ne saurait susciter d'adhésion indiscutable sans avoir fourni la preuve de sa réussite expérimentale. Contrairement à leurs voisins de l'Ouest, les européens de l'Est n'avaient ni l'abondance économique, ni la liberté politique. Leur soumission à l'ordre établi reposait surtout sur la peur, la crainte de la violence politique et l'efficacité des services de renseignement. Le dispositif policier les dissuadait de toute tentative d'évasion ou de révolte, même si l'attrait de l'Ouest incitait certains habitants de Berlin-Est à passer au secteur Ouest au risque de leur vie. Ces régimes devaient dans une grande mesure leur capacité de nuisance au tutorat et à l'assistance de l'ex-URSS, fournisseur des instruments de répression et des moyens de contrôle policier. A ce niveau, intervient le deuxième facteur explicatif dans la disparition des régimes dits de "démocratie populaire". L'effet du changement politique en ex-URSS depuis l'accession au pouvoir de M. Gorbatchev. Ce deuxième facteur va de pair avec le troisième, celui des mobilisations populaires contre les anciens partis communistes au pouvoir. Le lâchage soviétique a en effet permis aux mouvements contestataires d'Europe de l'Est de ne pas être écrasés comme ce fut le cas en Hongrie en 1956, et en Tchécoslovaquie en 1968. Sur ce point, l'attitude du père de la perestroïka et de la Glasnost a été sans ambiguïté. Il est en effet incontestable que, par sa position (compréhension), Gorbatchev avait encouragé les mouvements contestataires. S'y ajoutent les prises de position des démocraties occidentales qui ont très clairement exprimé leur soutien à la revendication démocratique.
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Par contre, en ce qui concerne l'Aftique, la crise économique joua autrement. Comme le relève Jean-François BAYART, "... La faillite économique est là sans qu'on dépose le bilan"16. Les pays d'Europe de l'Est ont été invités à une refonte totale de leurs économies, en passant notamment à l'économie de marché. Ceux d'Aftique continuent à être soumis à l'ajustement structurel. Celui-ci est sans conteste le constat et la sanction d'une situation qui ne peut plus durer, mais on conviendra également qu'il faut y voir plutôt l'accent mis sur des problèmes existants que des réponses effectives et efficaces à ceux-ci. Les institutions financières internationales proposent, en effet, des mesures de paiement (de la dette) à court terme, pour permettre au système financier international de fonctionner. Pourtant, "s'il faut regarder les choses en face: parce qu'elle obéit à une logique de remboursement, la Banque Mondiale finance des programmes d'ajustement qui n'existent que dans la tête de leurs concepteurs. Elle veut se faire payer. Elle ne cherche absolument pas la rédemption des économies afticaines" 17. Or, il y a une contradiction entre la revendication démocratique (plus de liberté, plus de demandes matérielles à satisfaire) et les impératifs de l'ajustement structurel (moins de dépenses sociales). D'autre part, par les politiques d'ajustement structurel, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (F.M.I.) organisent une sorte de tutelle des "nations dans l'erreur". 18 Les Etats afticains n'ont presque plus de pouvoir de décision et doivent se résigner à appliquer des politiques publiques, insuffiées du "dehors" 19. De ce fait, l'ajustement structurel s'apparente à une négation de la démocratie puisque la liberté de choix par les intéressés eux-mêmes est précisément l'essence de la démocratie. 16 BAYART J.F, 1992, Interview à Afrique magazine. 17 BAYART I.F, 1992, Interview à Afrique magazine. 18 Constantin F et Contamin B, 1990, "Perspectives a:&icaines et bouleversements internationaux", Politique africaine, n° 39, p64 19 Savonnet-Guyot C, op. cit.
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AU NIGER:
BILAN CRITIQUE
Quant aux mobilisations des "masses" au Niger, comme partout ailleurs en Afrique, elles ont surtout été l'oeuvre des catégories sociales privilégiées (fonctionnaires, étudiants boursiers) et les laissés-pour compte des zones urbaines. Par contre, les contestations en Europe de l'Est avaient des bases sociales beaucoup plus larges réunissant fonctionnaires, étudiants, ouvriers, ménagères, chômeurs et paysans. Enfm, s'agissant du tutorat et des soutiens extérieurs des régimes contestés, celui qui aurait pu jouer le rôle de Gorbatchev envers l'Afrique francophone a eu une attitude assez ambiguë vis-à-vis des revendications démocratiques. Il a été en effet reproché à l'ancien Président français, de ne pas soutenir clairement et fermement les réformes politiques en Afrique, qu'il avait pourtant appelé de tous ses voeux dans son allocution de la Baule : "François Mitterrand n'a pas dit aux Honecker et aux Ceaucescu d'Afrique noire ce que Gorbatchev a dit à ses alliés: ne tirez-pas! On sait que l'Union Soviétique n'a pas été étrangère au putsch roumain. On sait hélas qu'Eyadéma a pu mener le sien en toute impunité".20 En plus du parallèle que l'on établit entre l'effondrement des régimes de l'Est et la revendication démocratique en Afrique, l'allusion au contexte international renvoie aussi à ce que l'on appelle la conditionnalité politique. 1.2.2. La conditionnalité
politique
Après la chute des régimes communistes de l'Europe de l'Est en 1989, l'exUnion Soviétique supprime à son tour le rôle dirigeant du parti unique au début du mois de janvier 1990, en modifiant l'article 6 de sa constitution de 1936. En Afrique, un durcissement de la revendication démocratique intervient au cours de la même année. Sous peine d'être accusés d'appliquer des politiques différentes selon qu'il s'agisse des Etats (européens) de l'Est ou de ceux (africains) du Sud, les occidentaux, anciennes métropoles coloniales pour certains d'entre eux, abandonnent le discours de la stabilité. La diplomatie dite des "droits de l'homme" est en conséquence étendue à l'Afrique. 20 BA YART J.F, interview
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précitée.
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NIANDOU
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Avec l'intensification de la revendication démocratique dans ce continent, l'idée d'une liaison entre aide, crédits et ouverture politique se préçise de plus en plus dans les anciennes puissances tutélaires et du côté des institutions fmancières internationales: "L' Aftique est le continent le plus en manque de réformes économiques et tout ce qui permet d'ouvrir le dialogue politique est bon pour les réformes économiques dans ces pays".21 Le principe même de conditionnalité ne date pas de 1990, mais remonte au début de la décennie 1980. C'est à cette date que "La Banque (Mondiale) a conçu un produit financier nouveau, le prêt d'ajustement structurel (P.A.S.) et ce genre d'opérations n'a cessé de croître de sorte qu'en 1991, environ 30% des prêts annuels (7 milliards de dollars) de la Banque sont liés, non à des projets particuliers de développements mais à des engagements économiques. Presque toujours, la réforme que demande la Banque comprend la libéralisation d'un marché particulier, par exemple celui des devises étrangères ou des produits agricoles du travail"22. Mais, reconnaissons là, qu'il s'agit d'une conditionnalité purement économique. Depuis plus de dix ans, l'octroi des crédits d'ajustement structurel est subordonné à de telles conditions. Ce qui a changé, c'est qu'aujourd'hui dans le contexte de la "révolution démocratique mondiale", la conditionnalité est proprement politique. L'accent est plus mis sur les réformes politiques que sur les réformes économiques. A l'origine, instrument de politique de développement, la conditionnalité est devenue un instrument de la politique étrangère des grandes nations. Celles-ci s'en sont servies et s'en servent encore pour exercer une pression en faveur de la démocratisation sur leurs partenaires africains. On le voit, les conditions de réinstauration du multipartisme au Niger et ailleurs en Afrique, résultent de facteurs externes et internes. On ne saurait donc minimiser les dynamiques du "dedans" dans l'émergence de la revendication démocratique, ni déprécier le rôle des acteurs qui l'ont exprimée. 21 Voix d'Afrique, Mensuel d'Informations Générales, n° 10, juin 1990, p 9. 22 Mosley P, 1991, "Ajustement structurel et conditionalité : la Banque Mondiale at-elle un pouvoir politique ?" , Marchés tropicaux et méditerranéens.
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2. Démocratisation présence
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et forces
politiques
en
Il s'agit essentiellement de faire une étude des acteurs de la revendication démocratique (ce qui a été fait plus haut), sans ignorer ceux contre lesquels elle était adressée et qui devaient y répondre. En fait, c'est la problématique des forces dites démocratiques d'une part, face au pouvoir MNSD parti-Etat d'autre part. S'y ajoute le jeu concomitant des démocraties occidentales.
2. 1. Les forces contestataires Cette expression générique permet de regrouper sous la même bannière toutes les forces organisées ou non, qui, sur le plan interne réclamaient une évolution du monopartisme vers le multipartisme. Réunies au sein du Comité de Coordination des Luttes Démocratiques (CCLD), elles ont brandi, pour fragiliser le pouvoir en place des slogans qualifiant ce dernier de « force rétrograde», « force obscurantiste», « force conservatrice». L'usage de ces expressions s'inscrit dans le cadre d'une campagne de dénigrement des dirigeants de l'époque. A ces derniers, il est en outre reproché gabegie, mauvaise gestion, prévarication et ostentation. Divers arguments et sentences publicitaires étaient utilisés pour tenter de démontrer que depuis l'indépendance, la gestion à la fois économique et politique du pays a été désastreuse, catastrophique, mauvaise et démagogique. D'où, la conclusion qu'un changement s'impose s'agissant aussi bien des personnes que des méthodes de conduire les destinées de la nation. Dans la foulée, en plus du multipartisme l'organisation d'une Conférence Nationale ( mimétisme de l'exemple béninois) est exigée. Une commission nationale chargée de la préparer sera créée, et la conférence elle-même se déroulera du 29 juillet 1991 au 3 novembre de la même année. Lors des travaux, plusieurs dossiers entre 1959 et 1991 seront examinés. Une commission nationale chargée de la répression des crimes et abus commis durant cette période sera installée. Elle obtiendra quelques résultats bien maigres. Il est indéniable que les intellectuels nigériens (entre autres acteurs) ont joué un rôle de premier plan en rejoignant dès le départ les forces qui, ouvertement ou dans la clandestinité oeuvraient pour la substitution de 302
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l'ordre démocratique à l'ordre autoritaire. Cependant, ils semblent avoir joué des rôles différents selon leurs positions, leurs dispositions et leur degré d'implication à l'ordre politique décrié. Dans cette optique, on a pu constater que les intellectuels d'appareil ont rallié la revendication démocratique, pour des raisons liées à un besoin de "recyclage politique", alors que les intellectuels critiques eux, sont pour la plupart apparus comme des acteurs de la "démocratie-tremplin"23. Les syndicats des travailleurs regroupés au sein de la puissante centrale syndicale unique (USTN), ont également pris fait et cause pour la démocratisation; en dénonçant le pouvoir en place à travers des tracts et, en organisant des grèves, des marches et des meetings. Quant aux scolaires, ils mettent en avant la question des trois de leurs camarades victimes de la répression du 9 février 1990, pour exiger la démission des dirigeants en place accusés de violation de l'article 13 de la constitution du 26 décembre 1992 ("liberté de manifestation"). En outre, ils appuient la revendication relative à l'instauration du multipartisme et à l'organisation d'une Conférence Nationale. Durant les assises de celle-ci, ils joueront surtout une fonction tribunitienne. A l'inverse, les Associations de défense des droits de l'Homme feront preuve de modération et se montreront plus conciliantes. En dépit de leurs divergences réelles de nature politique ou idéologique, les forces du mouvement démocratique réussiront à faire cause commune contre le pouvoir.
2.2. Le pouvoir contesté Face à la fronde des forces de l'insubordination, le pouvoir en place avait une question à résoudre: procéder à une ouverture politique ou camper sur la position dure, tendant à maintenir vaille que vaille le monopartisme. L'équation n'était pas simple à résoudre dans la mesure où, dans ce camp là 23 Niandou Souley A, 1995, "Les intellectuels face à la démocratisation et au développement économique: le cas du Niger", in Sophia MAPP A ( sous la direction), Développer par la démocratie? Injonctions occidentales et exigences planétaires, Paris, Karthala.
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BILAN CRITIOUE
il Y avait aussi bien des "faucons" que des "colombes". Après moult discussions, débats et dérobades, le Président Ali Saïbou finit par accepter "l'expression plurielle des opinions". Mais, comme dans la manipulation du jargon politico-juridique, on ne savait pas exactement si cela voulait dire "tolérance et existence de plusieurs courants au sein du parti unique", ou alors multipartisme, on exigeât de lui plus de clarté. C'est alors que le Comité de 37 membres qu'il avait mis en place pour étudier la question, lui fit la proposition du multipartisme. Ce qu'il annonce solennellement devant les députés de la Deuxième République, le 15 novembre 1990. Affaibli psychologiquement et moralement par les multiples dénonciations et accusations, le pouvoir ira très affecté politiquement à la Conférence Nationale qui, il faut le dire, est en quelque sorte un procès qui lui est fait. D'ailleurs, durant les trois mois de travaux, il y aura une bipolarisation manichéenne mettant les unes face aux autres les "forces rétrogrades, réactionnaires et conservatrices" (Le pouvoir) et les "forces démocratiques, progressistes et révolutionnaires". Les premiers jours déjà, juste après la proclamation du caractère souverain de la Conférence Nationale et de ses décisions, le Gouvernement, l'Assemblée Nationale et le Conseil National de Développement (CND) seront dissous. Quant au Président de la République, il sera maintenu mais dans un rôle purement protocolaire.
2.3. Les démocraties occidentales Conduite diplomatique, ainsi que principes et règles du droit international public obligent, elles ont été plus ou moins discrètes, plus ou moins actives. Du reste, le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat les y incitait. Dans l'ensemble, elles ont été très prudentes même si incontestablement elles ont adopté une attitude plus favorable à la démocratisation, et aux forces contestataires. Elles avaient en effet à répondre à la question suivante: après avoir vivement soutenu et encouragé les mouvements en faveur de la démocratisation de l'Europe de l'Est, quelle attitude fallait-il observer vis-à-vis de l'Afrique? Question d'autant plus embarassante et pertinente que les démocraties occidentales ne voulaient pas être accusées de pratiquer la politique des deux poids, deux mesures. Elles ont en conséquence admis qu'il fallait étendre la "diplomatie des droits de 304
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l'Homme" à l'Afrique. Surtout, sur la base de l'argumentation selon laquelle c'est le continent où il yale plus de déficit démocratique. C'est donc généralement dans des rencontres souterraines qu'elles se sont efforcées, de convaincre les dirigeants en place qu'il fallait procéder à une ouverture politique. L'environnement international dans son ensemble était plutôt favorable aux mutations politiques positives. Pour le reste, le discours de la Baule, l'effondrement des modèles idéologiques de l'Est, et la conditionnalité ont produit leurs effets. Ainsi, depuis la déclaration solennelle du Président Ali Saïbou en date du 15 novembre 1990, la démocratisation a eu droit de cité au Niger avec des enjeux multiples.
3. Les enjeux de la démocratisation A ce niveau, on pourrait opérer une distinction simple mais commode entre les enjeux économiques et les enjeux politiques. A cela, il conviendrait peutêtre d'ajouter la question des problèmes identitaires face aux enjeux démocratiques.
3. 1. Les enjeux économiques Il est vrai que depuis l'instauration du multipartisme dans les postcolonies africaines, la préoccupation principale des uns et des autres semble être: comment accéder au pouvoir en évinçant ceux qui sont déjà? Même si les enjeux de pouvoir sont très présents, force est pourtant de constater que par rapport à la situation économique, la politique est une question seconde. En effet, l'urgence c'est le redressement économique, et c'est précisément pour cette raison que l'enjeu majeur de la Conférence Nationale résidait à notre avis, dans l'examen attentif et la résolution des questions économiques. - Que veut-on faire en matière économique? - Peut-on le faire avec le budget de l'Etat? - Quels investissements souhaitables sont à la portée du budget de l'Etat sans financement extérieur?
- Par quel plan revitaliser
les entreprises du secteur public?
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- Quelle politique peut revitaliser le secteur privé? - Quelle stratégie peut développer le monde agro-pastoral
?
Il s'agit là d'autant de questions auxquelles la Conférence Nationale devait apporter des éléments de réponses. Force est de constater qu'il n'en a pas été ainsi, car les débats se sont plutôt cristallisés sur les dossiers politiques. A la fin de la conférence, le Premier Ministre élu Cheiffou Amadou s'est vu imposer un "cahier des charges qui s'apparente beaucoup à un catalogue de revendications matérielles à satisfaire". Par exemple, il lui était interdit de procéder à toute diminution des effectifs de la fonction publique24. Ce qui bien évidemment, va à rencontre des mesures d'ajustement structurel préconisées par les institutions financières internationales en vue du redressement économique. Dès le départ, les autorités de la période de transition se heurtent ainsi aux exigences des acteurs du "dedans" et ceux du "dehors" (bailleurs de fonds et institutions financières internationales). On en vient ainsi à comprendre que s'accorder sur le programme économique à appliquer constitue le second enjeu de la Conférence Nationale en matière économique. Cet aspect est essentiel, étant donné que, quelles que soient les qualités des hommes choisis, ils ne pourront gourverner le pays en toute stabilité et à l'abri de toute contestation et des grèves pouvant entraver leur action, que si les principaux acteurs internes et externes acceptent avec la rigueur et le réalisme qu'ils impliquent, les programmes de redressement économique. Or, sur ce point on observe que les acteurs du "dedans" sont majoritairement hostiles aux plans d'ajustement structurel, qui constituent pourtant l'exigence fondamentale des acteurs du "dehors". On n'en est donc pas surpris si, pris au jeu de cette contradiction, le Gouvernement dit de transition a engendré frustration et déception de part et d'autre. En fait, les enjeux politiques semblent avoir constitué un écran aux enjeux économiques. 24Conférence Nationale Souveraine du Niger, Cahier des charges du Premier Ministre, Niamey, octobre 1991.
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3.2. Les enjeux politiques Les aspects institutionnels ont été les plus apparents d'entre eux. Là encore, le précédent béninois a servi d'exemple ou mieux, de source d'inspiration: la constitution a été suspendue, le Gouvernement a été dissous, de même que
l'AssembléeNationale et le Conseil National de Développement;un Premier Ministre a été élu par la Conférence Nationale pour former le Gouvernement de transition et un Haut Conseil de la République a été mis en place pour assurer les fonctions d'organe législatif de transition. Par ce dispositif: on entendait soustraire du contrôle de l'ex-parti unique la marche progressive vers un système démocratique, ou du moins vers un système de compétition électorale. Un autre enjeu politique réside dans le choix des hommes, qu'il faut situer à deux étapes différentes. La première est relative à l'élection des membres du Présidium de la Conférence Nationale et, en particulier la désignation du Président de cette instance. Sur ce point, imitant en cela le Bénin, le Togo a à son tour élu un ecclésiastique pour assurer cette fonction (Mgr Fanouko Kpodzro, âgé de 61 ans à l'époque), évêque d'Atakpamé (localité située à 160 kilomètres de Lomé). Dans ces deux cas (Bénin, Togo), la variable religieuse a ainsi été prise en compte pour symboliser la pureté et la non-participation à l'autoritarisme meurtrier. Dans ces pays à majorité chrétienne, l'entente s'est rapidement faite sur le choix du Président du Présidium. Ce choix était rendu possible par le fait que, d'une part, ces ecclésiastiques parlent le français et ne peuvent être disqualifiés par l'obstacle linguistique, et que d'autre part, ces autorités religieuses bénéficient d'une présomption de neutralité et peuvent donc diriger les travaux de la conférence en toute impartialité. Enfin, l'image de conciliation, de rassembleur, et le prestige moral dont jouissent Mgr Isidore de Souza (Bénin) et Mgr Fanouko Kpodzro (Togo), sont d'autres critères sur lesquels repose leur désignation. De ce fait, le succès de la Conférence Nationale du Bénin tient en partie à la personnalité de Mgr Isidore de Souza, qui a usé de son prestige moral pour établir des compromis entre les participants à cette conférence qui s'est auto-proclamée souveraine, et les autorités en place au premier rang desquels le Président Mathieu Kérékou. Quant à Mgr Fanouko Kpodzro, il a su jouer le médiateur entre les représentants du pouvoir qui ont dû quitter la salle de conférence après
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l'auto-proclamation de souveraineté, syndicats et partis politiques.
et les délégués des Associations,
Par contre, le facteur religieux n'a pas été pris en compte dans le choix des hommes au Niger. C'est un universitaire (le Professeur André Salifou, Docteur d'Etat en Histoire) qui a été élu Président du Présidium. Les autorités religieuses qui sont plutôt arabisantes que francophones se heurtent à l'obstacle linguistique, le français étant la langue officielle, et celle de travail. Cela dit, la variable religieuse n'a pas été absente des débats. En particulier, la laïcité de l'Etat a engendré de vives réactions de la part de certains délégués favorables à la proclamation d'une République islamique du Niger. Le Président de l'Association Islamique du Niger (A.LN.), El Hadj Oumarou Soumaïla est intervenu à plusieurs reprises pour demander aux délégués d'éviter la "fitnah" (c'est-à-dire la discorde), ce qui ne l'a pas empêché de déclarer qu'il souhaiterait que l'on dise que le "Niger est un Etat de droit", un "Etat démocratique", mais sans inscrire la laïcité dans les textes. C'est pourtant celle-ci qui a triomphé comme en témoigne la désignation des scolarisés francophones, pour diriger les travaux de la Conférence Nationale. Au-delà de l'élection des membres du Présidium de la Conférence Nationale, il a été constaté que la période de transition n'a pas introduit de modifications majeures et significatives dans la structure de l'élite politique. Neuf (9) ministres par exemple sur treize (13) du premier Gouvernement de Transition sont d'anciens directeurs nationaux ou Secrétaires Généraux des ministères. Ainsi, on est en droit de conclure que tout s'est passé comme s'il s'agissait d'une simple permutation entre acteurs du "haut"25. Au titre des enjeux politiques, il est assez frappant de constater que ni les détournements des fonds publics, ni l'exclusion de la majorité sociologique (monde agro-pastoral) ne sont apparus comme des enjeux majeurs de la Conférence Nationale. Celle-ci, dont la préparation de l'ordre du jour a été la chasse gardée des élites urbaines, n'a mis au centre des débats ni la nature prédatrice et autoritaire de l'Etat, ni la possibilité de connecter le monde rural au circuit officiel. 25 HASKE, n° 25, décembre 1991, p16
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Les enjeux juridico-politiques relatifs au choix des hommes et à la mise en place des organes de la transition ont ainsi contribué à reléguer au second plan d'autres enjeux. En fait, les débats ont surtout été abondants lorsqu'il a été question de l'auto-proclamation de souveraineté. Aujourd'hui, après une dizaine d'années d'évolution tumultueuse, on peut légitimement s'interroger sur les effets de la démocratisation au Niger.
4. Les effets de la démocratisation au Niger Nous les vivons tous, c'est une démocratisation mal comprise aussi bien par les acteurs du "haut" que par les acteurs du "bas". C'est également une démocratisation qui a besoin de ressources pour se légitimer. C'est par ailleurs une démocratisation qui s'assimile au libertinage sinon à l'anarchie. C'est enfin une démocratisation qui n'a pas encore changé la logique de fonctionnement de l'Etat et, qui cherche encore sa voie. En réalité, le constat empirique fait apparaître qu'il s'agit d'une démocratisation mal comprise, d'une démocratie dépourvue de ressources, et d'une démocratie victime des associations d'idées, notamment entre démocratie et développement, démocratie et anarchie.
4. 1. Une démocratisation mal comprise élections générales de l'année 1993
malgré les
Après la Conférence Nationale Souveraine (1991), puis les élections générales de février-mars 1993, et les élections législatives du 12 janvier 1995, nombre d'observateurs pensaient que le Niger pouvait être cité parmi les pays où la démocratie s'est installée sans heurts, ni malheurs. En vérité, il s'agit d'une expérience démocratique tatillonne, évoluant en dents de scie, et atteignant son point culminant de blocage avec le régime dit de la cohabitation. 4.1.1. Des élections
libres et transparentes
Après la période de transition, il a été question d'instaurer les premières autorités librement et démocratiquement choisies de la troisième République. Sauf la violation non tranchée (classée pour inopportunité de l'article 128 C.E.) les élections se sont déroulées dans la transparence et après les législatives, un collectif dénommé Alliance des Forces de 309
LA DEMOCRATISATION
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changement (APC) s'est constituée pour "barrer la route" à l'ancien parti unique MNSD. L'Alliance APC était certes contre-nature et hétéroclite, mais elle permettait de soustraire le pouvoir des mains de l'ancien parti unique. Bien que les leaders de l'Alliance des Forces de changement (APC) aient fait un partage préalable des postes (contre l'article 128 du code électoral) en décidant de soutenir la candidature de Mahamadou Issoufou (PNDSTarayya) au poste de Premier Ministre, celle de Moumouni Djermakoye Adamou à la présidence de l'Assemblée Nationale, et celle de Mahamane Ousmane au poste du Président de la République, une violation flagrante du code électoral, notre pays a été cité comme un exemple de transition bien réussi. Les élections législatives de février 1993 confirmeront que l'APC est bel et bien une majorité politique constituée pour empêcher la conservation du pouvoir par l'ancien parti-Etat (le M.N.S.D.). La preuve, ils disposeront de 50 sièges sur 83 à l'Assemblée Nationale. Cependant, très tôt, des divergences internes vont miner les fondements mêmes de l'APC. Une des principales composantes (le PNDS-Tarayya se retirera) rendant ainsi rAPC numériquement minoritaire. Ce qui, en régime semi-présidentiel change le jeu politique du fait du déphasage entre majorité présidentielle et majorité parlementaire. Avec ses treize députés, le PNDSTarraya avait en effet opéré un rapprochement avec le groupe parlementaire MNSD-Nassara, fort de 33 députés constituant ainsi une nouvelle majorité. Après les élections générales de février-mars 1993, le paysage politique nigérien se présentait comme suit: Majorité parlementaire
Opposition parlementaire
(AFC)
(MNSD et Alliés)
- CDS: 22 sièges - PNDS : 13 sièges - ANDP : Il sièges - RDA : 2 sièges
- MNSD : 29 sièges - SAWABA : 2 sièges
- PSDN - UDPS 310
: 1 siège : 1 siège
- UPDP : 2 sièges - Total: 33 sièges
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- PUND : 0 siège - PRL : 0 siège
- UDP : 0 siège - Total: 50 sièges En se retirant de l'AFC pour rejoindre le MNSD et ses alliés, le nouveau paysage politique se présentait comme suit: (Nouvelle majorité)
Reliquat de l'AFC
- MNSD
- CDS:
: 29 sièges
22 sièges
- PNDS : 13 sièges
- ANDP
- SAWABA
- RDA : 2 sièges
: 2 sièges
: Il sièges
- UPDP : 2 sièges
- UDPS
- Total:
-UDP : 0 siège
46 sièges
- PUND
: 1 siège
: 0 siège
- PRL : 0 siège - Total: 37 sièges Selon la logique et les exigences du régime semi-présidentiel, le Président de la République se devait donc de désigner un Premier Ministre issu de la majorité parlementaire. Il s'y refuse et nomme comme Premier Ministre, Souley Abdoulaye ancien ministre des transports, appartenant au même parti que lui (la CDS-Rahama). En réaction à cette attitude présidentielle, la nouvelle majorité déposera une motion de censure qui sera votée le dimanche 16 octobre 1994, renversant ainsi le Gouvernement dépourvu de majorité à l'Assemblée Nationale. De son côté, le chef de l'Etat réagit en signant un décret de dissolution de la représentation nationale le lundi 17 octobre 1994. Ce qui, selon les dispositions de la constitution du 26 décembre 1992, donne lieu à l'organisation d'élections législatives anticipées dans un délai de 45 jours au moins, et 90 jours au plus. Les élections législatives anticipées auront lieu le jeudi 12 janvier 1995, et donneront les résultats suivants:
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LA DEMOCRATISATION
AU NIGER:
BILAN CRITIQUE
(Nouvelle majorité)
Reliquat de l'APC
- MNSD
-Sawaba: 1 siège
- CDS: 24 sièges - ANDP : 9 sièges - PUND : 3 sièges
- U.PD.P. : 1 siège
- PSDN : 2 sièges
- Total: 43 sièges
- USPS: 2 sièges
- PNDS
: 29 sièges : 12 sièges
- UDP : 0 siège - PRL : 0 siège - Total: 40 sièges
De la comparaison des deux tableaux, il ressort que les nigériens ont reconduit la majorité sanctionnée par le Président Mahamane Ousmane, obligeant ce dernier à "cohabiter" malgré lui avec une majorité parlementaire qui lui est hostile. D'où, une vie politique tumultueuse. 4.1.2. Une vie politique tumultueuse L'expérimentation de la démocratie au Niger a fait apparaître l'existence de relations extrêmement tendues, virulentes et relevant de l'intolérance entre d'une part la majorité, et d'autre part l'opposition. Sous le règne de l'APC, cette dernière a même déclenché en avril 1994 une campagne de désobéissance civile, en application de l'article 6 de la constitution du 26 décembre 1992. Elle fut sévèrement réprimée et des députés de l'opposition ont été mis aux arrêts sans la levée préalable de leur immunité parlementaire. Avec la "cohabitation", les nominations aux emplois supérieurs de l'Etat ont constitué la principale pierre d'achoppement entre la majorité parlementaire et la mouvance présidentielle. La crise est allée crescendo à tel point que le Président de la République se soustrait à son obligation constitutionnelle de présider le Conseil des ministres, le Premier Ministre quant à lui, s'arroge le droit de "coordonner" un Conseil des ministres en l'absence du chef de l'Etat.
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La situation était extrêmement confuse, complètement conflictuelle et presque volontairement entretenue de part et d'autre. Dans son ensemble, la classe politique avait manqué de sagesse en ce qui concerne le respect des règles du jeu démocratique. L'armée en a profité pour se hisser aux leviers de commande de l'Etat, au moyen d'un coup d'Etat le 27 janvier 1996.
4.2. Une démocratisation victime des associations d'idées On ne s'attardera pas sur cette question, mais pour l'essentiel c'est pour exprimer l'idée que dans la foulée de la revendication démocratique, pour convaincre ou stimuler les gens, on leur a « vendu» des slogans comme:
- Démocratie
= Développement
- Démocratie
= Liberté de faire ce que l'on veut.
On sait pourtant que la démocratisation n'entrâme pas forcément l'accroissement des forces productives, la productivité et donc le développement. La démocratie est un idéal politique à atteindre et non la clé de baguette magique, qui ouvrirait les portes du paradis, créerait spontanément l'abondance matérielle, et instaurerait inéluctablement la « cité de dieu sur terre». Quand nombre d'acteurs sociaux, ont constaté que cette association d'idées est loin d'être vérifiée, ils se sont détournés du processus de démocratisation, dont ils se disent frustrés. Au demeurant, nul n'ignore que les expériences démocratiques africaines interviennent dans des Etats économiquement exsangues, et pour cela elles manquent de ressources matérielles pour répondre aux multiples demandes politiques et susciter ainsi des soutiens et des adhésions indiscutables. D'autre part, en mettant trop en avant et de manière désordonnée le mot «liberté», on a produit l'impression que la démocratie s'apparente à l'anarchie, un régime où l'on peut faire ce que l'on veut: fraude fiscale, évasion fiscale, non respect des lois et règlements de l'Etat. Au Niger comme ailleurs en Afrique, il a manqué beaucoup de pédagogie pour expliquer que la démocratie s'accommode fort bien de l'autorité de l'Etat. Elle n'est pas la négation de celle-ci.
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5. l'avenir
AU NIGER:
BILAN CRITIQUE
de la démocratisation
au Niger
Il est sans doute trop tôt pour se prononcer sur cette question. Au moment où ce texte n'était qu'un projet, un certain nombre de scénari était envisagé:
- Elle suivra son cours avec une évolution
en dents de scie, c'est-à-dire avec des hauts et des bas. Dans cette optique on s'inscrivait bien entendu dans la durée en se basant notamment sur le fait que l'apprentissage de la démocratie requiert un temps assez long. Ce n'est en effet pas facile d'apprendre les règles du jeu démocratique, de les intérioriser, de les appliquer et de les respecter.
- La deuxième hypothèse reposait sur l'idée que la démocratisation pourrait être brutalement interrompue par un coup d'Etat militaire, et qu'on pourrait alors assister à une restauration autoritaire. Ce coup d'Etat a effectivement eu lieu le samedi 27 janvier 1996, comme si notre seconde hypothèse était prémonitoire. - A présent, on en est à se demander si le « régime des colonels» était une rectification démocratique, ou une restauration autoritaire. Mais compte tenu des pratiques du régime issu du coup d'Etat du 27 janvier 1996, on s'éloigne de plus en plus du modèle démocratique. Seul l'avenir pourrait donc nous édifier. 6. le régime 1996
issu du coup d'Etat militaire
du 27 janvier
On le sait, l'objectif à atteindre par les régimes issus de Coup d'Etat militaire, c'est de convaincre, de persuader que leur but est de soulager les populations civiles soumises soit à un autoritarisme civil, autoritaire et violent, soit à un pouvoir inconséquent et inefficace. En d'autres termes, il s'agit d'administrer la preuve que la finalité du coup d'Etat est de mettre fin aux excès des politiciens civils. C'est le sens du discours initial du Général Ibrahim Baré Maïnassara (à l'époque colonel), dont le régime va se radicaliser au fur et à mesure allant jusqu'à la conservation du pouvoir.
314
Abdoulaye
NIANDOU
SOULEY
6. 1. Le discours initial Il est incontestable que sur le plan intérieur, le coup d'état a été bien accueilli en dehors de certains démocrates et républicains, farouchement hostiles au phénomène de la conquête violente du pouvoir. De ce fait, le chef d'Etat Major Général des Forces Armées Nationales a acquis un capital de confiance initial26. L'activation 27 de ce capital se fera davantage sur le registre de la persuasion, le but étant d'apparaître comme les acteurs du changement devant opérer une rupture nette et radicale avec le passé. Dans le stock initial de ressources (capital symbolique, monopole de la détention des instruments de coercition, possibilité de gouverner par ordonnances, décrets, arrêtés), les militaires font d'abord cumulativement appel à deux ressources: le capital symbolique et la «mode kaki», c'est-à-dire ce qui paraît le plus à même de se démarquer de l'ordre ancien qu'ils dénoncent et condamnent28 Le discours initial du Général Baré obéissait à cette logique. Il fallait d'abord apaiser l'indignation extérieure et rassurer surtout les principaux partenaires dans les échanges. Cette préoccupation est généralement satisfaite par les déclarations de prise du pouvoir, qui soulignent tous que les accords et engagements internationaux antérieurement souscrits seront respectés et exécutés.29 D'autre part, en activant le capital de confiance initial, un autre objectif à atteindre consiste à démontrer que les militaires peuvent être plus efficaces en politique que les civils. Pour y parvenir, il leur faut dès le départ refléter l'image de l'armée prenant ses responsabilité face au «déclin national», 26 LACAM J.P, 1988 "Le politicien investisseur. Un modèle d'interprétation de la gestion des ressources politiques", Revue Française de Science Politique, vol. 38, n° 1, p23-46. 27 Niandou Souley A, 1992. 28 Voir Proclamation du 27 janvier 1996. Ibrahim Baré Maïnassara a fustigié la classe politique. 29 Dans sa Déclaration de prise du pouvoir le Colonel Ibrahim Baré Maïnassara a rassuré les partenaires extérieurs du Niger.
315
LA DEMOCRATISATION
AU NIGER:
BILAN CRITIQUE
c'est-à-dire produire un effet « mode kaki». C'est ce qu'a dit et a fait le chef de la junte militaire qui, après avoir procédé à un dénigrement du multipartisme mal compris et mal vécu, puis une critique acerbe de la classe politique déchue, s'est attelé au prompt rétablissement de la sécurité alimentaire en initiant un fonds de solidarité nationale, et en procédant à une distribution gratuite de vivres dans les régions déficitaires. Offensive de charme, entreprise de séduction tous azimuts, le général Baré a sacrifié au rituel de tout putschiste. En effet, au départ, il s'agissait d'une rectification démocratique et rien que cela, par la suite, les appétits de pouvoir prenant le pas sur toutes autres considérations, on assiste à un durcissement du « régime des colonels».
6.2. Le durcissement du régime Le durcissement ultérieur est lié à une stratégie de consolidation et de conservation du pouvoir, ce qui bien entendu excluait tout retrait probable de l'armée de la scène politique. Concrètement cette stratégie consistera à susciter la peur et à inspirer la crainte. C'est pour cette raison qu'elle se traduira par la mutation du régime initial en un régime de la terreur, dont les éléments caractéristiques sont:
- Les enlèvements ou les arrestations de journalistes auxquels il est reproché d'être trop critiques à l'endroit du nouveau pouvoir: Moulaye Abdoulaye et Ibrahim Hamidou Hamani, respectivement directeurs de publication des hebdomadaires le Soleil et Tribune du Peuple, ont connu ce sort; - les déportations de journalistes et hommes politiques. En effet lors des travaux du Forum dit de «Renouveau Démocratique» quelques journalistes et professionnels de la vie politique, avaient été interpellés et déportés au détachement militaire d'Ikrafan, à la ttontière entre le Niger et le Mali. - les interpellations, arrestations et détentions de journalistes. Le pouvoir militaire se veut responsable et non « laxiste». En foi de quoi, il ne tolère ni critique, ni écart de langage de la part des hommes de presse. Très critique vis-à-vis du régime des colonels, Ibrahim Hamidou Hamani,
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Abdoulaye
NIANDOU
SOULEY
Directeur de la publication de l'hebdomadaire, Tribune du Peuple, a été interpellé, arrêté et détenu au mois de mai 1996.
6.3. La conservation
du pouvoir
Toute la dynamique du régime issu du coup d'Etat du 27 janvier 1996, s'inscrit dans une logique de consolidation et de conservation d'un pouvoir illégitime. Dès lors, on comprend pourquoi loin de procéder à une rectification démocratique, les militaires nigériens se sont acheminés en droite ligne vers une restauration autoritaire. Pour y parvenir, plusieurs instruments et artifices ont été utilisés: le Comité de Coordination chargé de la révision des textes fondamentaux, le Conseil des sages, organe composé des « has been» de la politique nigérienne et qui a marqué sa préférence pour un régime présidentiel, le forum dit de «renouveau démocratique», l'adoption de la constitution instaurant le régime présidentiel le 12 mai 1996, l'élévation à titre exceptionnel au grade de général de Ibrahim Baré Maïnassara, sa candidature indépendante et le "hold-up" électoral des 7 et 8 juillet 1996. Pour couronner toute cette oeuvre, des élections législatives ont eu lieu le 23 novembre 1996. L'opposition notamment les trois principales formations politiques du pays ayant refusé d'y participer, c'est finalement une assemblée monolithique réunissant les seuls partisans de la mouvance présidentielle, qui a été installée le 27 décembre 1996. Aujourd'hui le dialogue est rompu entre la mouvance présidentielle et l'opposition. On a l'impression que cela a plongé le pays dans une impasse dont il lui sera difficile de sortir à court terme. Mais, sait-on jamais? En politique des coups de théâtre ne sont jamais à exclure a priori.
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LA DEMOCRATISATION
AU NIGER:
BILAN CRITIQUE
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africaines
319
et
Laouel Kader MAHAMADOU
L'Evolution
politique
et constitutionnelle du Niger
récente
Laouel Kader MAHAMADOU Maître-Assistant en droit public
Introduction
générale
En dépit de ses nombreux handicaps, le Niger a connu une certaine stabilité dans un continent où l'instabilité politique était devenue chronique et endémique. La situation politique est restée peu tumultueuse jusqu'à l'intervention prétorienne de 1974. Celle-ci ayant introduit un déséquilibre dans l'édifice constitutionnel, la prise du pouvoir par l'armée et le renouveau démocratique des années 1990 et ses nombreuses remises en cause délimite cinq périodes dans l'histoire politique de la République du Niger: le régime constitutionnel (1959-1974), le premier régime militaire 1974-1989, l'avènement de la 2ème République et sa rapide remise en cause, la Conférence Nationale et la 3ème République, l'irruption prétorienne de janvier 1996 et l'installation progressive de la 4ème République. L'étude de l'évolution politique et constitutionnelle du Niger permettra de faire une autopsie de cette période, caractérisée par deux périodes de transition et deux républiques ( la troisième et la quatrième).
1. Les principales constitutionnelle
périodes de l'histoire du Niger
politique
et
1. 1. Le premier régime constitutionnel Cette période n'a pas connu de mutations significatives bien qu'elle fût régie par deux Constitutions. Le trait caractéristique propre à beaucoup de régimes africains était la personnalisation du pouvoir et la permanence de Diori Hamani à la tête du pays.
L'EVOLUTION
POLITIOUE
ET CONSTITUTIONNELLE
RECENTE
DU NIGER
La première constitution fut celle du 12 mars 1959. Etablie sur un modèle identique à l'ensemble des Etats membres de la Communauté, elle instaura un régime parlementaire rationalisé caractérisé par une nette domination du pouvoir exécutifl. Cette constitution préconise la fonction présidentielle puisque la responsabilité du chef du gouvernement ne peut être mise en cause par le parlement qu'après trois ans2. Cette prépondérance du pouvoir en place sera favorisée par l'élimination de l' opposition3. L'opposition neutralisée, le gouvernement, de concert avec ceux des autres Etats du Conseil de l'Entente (Dahomey, Côte d'Ivoire, Haute Volta), demande l'indépendance à la France. Au Niger, elle est proclamée le 3 août 19604. Fort de son indépendance, le pays ne tarda pas à s'octroyer une nouvelle constitution: celle du 8 novembre 1960. Celle-ci, comme un peu partout dans les anciennes colonies françaises, institue un régime présidentiel à prépondérance présidentielle, la séparation organique des pouvoirs est observée, mais le président de la République apparaît comme le pivot des institutions. Elu pour un mandat de cinq ans indéfiniment rééligible, le président détient la réalité du pouvoir (article 12). C'est surtout avec l'élimination du parti Sawaba et l'instauration du parti unique de fait que le monocentrisme présidentiel va s'accentuer. Secrétaire général du parti (P.P.N.lR.D.A.) et président de la République, Diori Hamani est le maître absolu du pays. Le régime Diori Hamani se maintint au pouvoir jusqu'à son renversement le 15 avril 1974 par un Coup d'état militaire. 1 Ce pouvoir exécutif est incarné par un président du Conseil qui détermine et conduit la politique nationale (article 10). Celui-ci exerce également un pouvoir régjementaire qui, par le biais de la réduction du domaine législatif: constitue le pouvoir normatif de droit commun. 2 Même lorsque la destitution du gouvernement la dissolution du parlement.
est obtenue, elle s'accomPagne
automatiquement
de
3 Le 4 juillet 1959, une ordonnance prévoyait que tout parti qui trouble l'ordre public peut être dissout. En application de cette ordonnance, le principal parti d'opposition (Sawaba) est dissout le 13 octobre 1959. 4 Ce groupe de pays décide d'adopter présidentiel.
322
la même structure
constitutionnelle,
à savoir le régime
Laouel Kader MAHAMADOU
1.2. Le premier régime militaire Comme l'a noté Jean-Jacques-Raynal, "le 15 avril 1974, le régime tombe sans coup férir, victime d'un Coup d'état militaire, énième démonstration de la fragilité des pouvoirs africains s'abritant derrière un soutien populaire de commande et un unanimisme de façade."5 En réalité, le Coup d'état de 1974 était prévisible car depuis plusieurs années, la crise économique avait atteint son paroxysme dans un pays à économie essentiellement rurale6. Le régime de Diori Hamani était également affaibli par les grèves successives des scolaires et des enseignants. A toutes ces difficultés s'en étaient ajoutées d'autres, notamment le désaccord avec la France sur le prix de l'uranium. Le régime issu du Coup d'état de 1974 est naturellement un régime d'exception, caractérisé par une confiscation de l'ensemble des pouvoirs au profit de la junte militaire. C'est le régime de la militarocratie. Les prétoriens nigériens vont d'abord s'essayer à un exercice collectif du pouvoir. Mais celle-ci ne résistera pas à l'épreuve du temps. Les conflits d'autorité et les rivalités personnelles vont sonner le glas de la structure collégiale du Conseil Militaire nigérien. Progressivement, le C.M.S. sera neutralisé en tant qu'institution ce qui engendrera une extrême présidentialisation du régime 7. Cet exercice solitaire du pouvoir par le général Kountché président du CMS, va se faire au profit des technocrates, que le président va associer, tout en maintenant les fonctions d'autorité et de puissance. Malgré le caractère fortement autoritaire du régime, le président Kountché manifeste une volonté de rétablissement d'un Etat de droit. Curieuse évolution qui se fera de manière douce et prudente. A ce titre, c'est assurément le message à la nation prononcé le 2 avril 1983 qui sera le prélude au processus de normalisation politique au Niger. Celui-ci annonce 5 Voir Constitutions 6 La sècheresse conséquences
et régimes politiques
des années
du Niger, 1991, p16.
1970 et la fiunine qu'elle
a engendrée
comportent
de désastreuses
sans oublier certaines crises au niveau du parti fortement affaibli.
7 Pourtant, l'ordonnance n° 83-04 du 24 janvier conception de la politique générale.
1983 fait du CMS, l'instance
supérieure
de
323
L'EVOLUTION
POLITIQUE
ET CONSTITUTIONNELLE
RECENTE
DU NIGER
la préparation d'une Charte Nationale et la création d'une Assemblée constituante8. La mise en place de cette société de développement est restée beaucoup plus une fmalité qu'une réalité. Néanmoins, la Charte Nationale qui devait être le fondement de la constitution est adoptée par le référendum le 14 juin 1987. Elle est promulguée le 14 septembre 1987.
1.3. La deuxième République La Charte Nationale en tant que document d'orientation nationale, marquera une étape décisive au travers de la politique de normalisation. Elle proclame sans détour que le Niger est un Etat de droit. Cette politique de transition vers l'ouverture sera poursuivie après la disparition de Seyni Kountché le 10 novembre 1987. Le nouveau président Ali Saïbou fait de la décrispation son maître mot et s'engage à doter le Niger d'une nouvelle constitution, issue des principes directeurs de la Charte Nationale. Le nouveau texte constitutionnel sera soumis à référendum le 24 septembre 1989 et est approuvé par le peuple nigérien. Cette nouvelle constitution institue un monopartisme de droit avec le M.N.S.D (Parti unique) dirigé par le président Ali SaiÔüu. Une ordonnance portant organisation des pouvoirs publics abroge celle de 1974 et emporte avec elle le C.M.S. Prévu par la Charte Nationale, le Conseil supérieur d'orientation nationale (C.S.O.N) est créé et il se substitue au défunt C.M.S. En fait, c'est vraisemblablement l'adoption de cette ordonnance qui désacralise le régime militaire. L'une des particularités du nouveau système politique est qu'il secrète un régime présidentialiste avec une lecture propre à elle de la variable démocratique. Certes les libertés publiques et individuelles sont consacrées, mais c'est l'absence du multipartisme qui en constitue la principale limite et c'est justement à son propos que la société civile nigérienne va se mobiliser pour exiger sa reconnaissance. L'avancée qu'avait constitué la promulgation de la constitution du 24 septembre est vite apparue insuffisante et c'est la répression violente d'une manifestation d'étudiants du 15 novembre 1990 8 Le CND sera l'organe supérieur de la Société de Développement qui est définie à la fois comme le modèle nigérien de développement et comme le cadre d'organisation de la démocratie participative. Cette nouvelle société a pour crédo la recherche du consensus pour la prise des décisions et la mise en place de structures locales de concertation, participation et mobilisation des populations.
324
Laouel
Kader MAHAMADOU
qui va provoquer une levée de boucliers de la part des syndicats. Le pouvoir fmit par céder puisque la révision constitutionnelle d'avril 1991 a profondément remanié le texte constitutionnel.
- le multipartisme intégral sera consacré; - l'armée retournera dans ses casernes sans rôle politique; - le régime présidentialiste fera place à un régime semi-présidentiel. Toutes ces transformations constitutionnelles, pourtant salutaires, sont jugées insuffisantes par les syndicats à l'heure où un peu partout s'est engagé un procès contre les monocraties. Au Niger, les syndicats exigent comme au Bénin, la tenue d'une Conférence Nationale souveraine dont l'avènement consacre la chute de la deuxième République.
1.4.
L'avènement d'une Conférence Nationale l'organisation d'une période de transition
et
Cette conférence, tenue à partir de juillet 1991, fit le procès des régimes antérieurs. En tant qu'incarnation de la nouvelle légitimité, elle prit d'importantes mesures dont la mise en place d'organes chargés de préparer l'instauration d'une nouvelle République au moyen de l'organisation des premières élections libres de I'histoire politique du Niger. Cette période transitoire fut régentée par l'acte fondamental N°21. Véritable constitution transitoire, celle-ci répartit la distribution des pouvoirs pendant la transition en faisant du gouvernement le centre du pouvoir et en dotant le Haut Conseil de la République d'attributions non négligeables relatives à la fois au contrôle de l'action gouvernementale et au suivi de l'exécution des décisions de la Conférence Nationale Souveraine. Cette période de transition devait aboutir à la mise en place des institutions de la 3ème République à travers la constitution du 26 décembre 1992.
1.5. La troisième République et sa rapide remise en cause Après avoir fait le procès du monocentrisme présidentiel pendant la période transitoire, les nouveaux constituants nigériens font de nouveau du président de la République le point d'ancrage de la politique nationale. Celui-ci à
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L'EVOLUTION
POLITIQUE
ET CONSTITUTIONNELLE
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DU NIGER
travers le régime semi-présidentiel retrouve l'essentiel de ses attributions à l'image du président de la cinquième République en France. De son côté, conformément à la constitution, le parlement fait la loi et contrôle le gouvernement qu'il peut éventuellement censurer. Elu à la présidence de la République, Mahamane Ousmane, leader de la Convention Démocratique et Sociale (CDS) à la tête de l'alliance des forces du changement, présidera aux destinées du Niger jusqu'au 27 janvier 1996 où, à nouveau, un Coup d'état militaire mit fm à la 3ème République. La deuxième intervention prétorienne au Niger pour prendre le pouvoir venait d'être signée. Le Coup d'état du 27 janvier 1996 a été justifié par ses acteurs par la cohabitation devenue chaotique entre le président Mahamane Ousmane et le premier ministre Hama Amadou, à la tête d'un gouvernement majoritaire au parlement.
2.
Les mécanismes démocratique
de
la
première
transition
Le phénomène de la transition vers la démocratie au Niger n'est pas apparu "ex-nihilo" : il a été sous-tendu par de nombreuses considérations, notamment politiques9. Mais si le fondement de cette transition au Niger repose sur la Conférence Nationale Souveraine tenue à Niamey du 29 juillet au 3 novembre 1991, celle-ci en tant que phénomène d'apparition récente n'invite-t-elle pas à une réflexion approfondie eu égard à ses multiples implications tant sur le plan politique, social que sur le plan juridique? Et ce d'autant plus que le "syndrome de la Conférence Nationale" n'a pas fait l'objet, à notre connaissance, d'une analyse globale et complètel0. Il s'agit d'un concept tout à fait nouveau, voire novateur, difficile à appréhender selon les schémas d'analyse classiques du droit constitutionnel ou de la science politique. 9 Les causes de l'apparition
du phénomène sont à la fois endogènes et exogènes.
10 Sur ce point, voir Iboango K, 1991, "A propos de la pratique de la Conférence Nationale Afrique noire à la lumière de la Conférence nationale gabonaise: une nouvelle forme déclaration de droits? "RlPIC , 3/3 P267-281.
326
en de
Laouel Kader MAHAMADOU
Aussi, est-il utile, avant d'aborder la transition démocratique au Niger, d'analyser au plan théorique le concept de Conférence Nationale, pour répondre à la question de savoir s'il s'agit d'un acte purement politique, d'un acte juridique ou, à priori, d'une synthèse des deux. De prime abord, on peut affirmer que la Conférence Nationale est un acte essentiellement politique et accessoirement juridique et cela pour deux raisons: l'une tient de la source d'inspiration du phénomène de Conférence Nationale et l'autre est en relation avec le bien fondé de la conférence elle-mêmell. S'agissant des origines de la Conférence Nationale, il est difficile à situer dans le temps le moment précis d'apparition de ce phénomène qui provoque beaucoup d'engouement dans les classes politiques africaines. L'impression immédiate qu'elle suscite, c'est le lien avec le Coup d'état civil dans la mesure où "le terme de révolution de palais qui fut jadis utilisé pour caractériser les Coups d'Etat sans effusion de sang dont le continent offrait le spectacle dans les années 1960 et 1970 semble particulièrement approprié à propos de cette nouvelle forme de transition en douceur." 12 Le Bénin est le premier Etat africain à conduire avec bonheur cette expérience du 10 au 20 février 1990, ce qui lui a permis d'opérer sans heurts une transition du marxisme léninisme13 vers la démocratie. Cette trouvaille béninoise n'a pas seulement satisfait le peuple béninois à l'intérieur; elle a aussi eu un large écho à l'extérieur puisque plusieurs Etats africains dont le Niger n'ont pas tardé à voir dans la Conférence Nationale la solution miracle à leur problème de démocratie, librement recherchée ou fortement suggérée, selon les cas, depuis le désormais historique sommet "France Afrique" de la Baule en juin 199014. Il
C'est le point de vue de SalifYonaba, l'expérience burkinabe"" RJP., p.8t.
1998, ''La conférence nationale et le Droit: les leçons de
12 Ibid. 13 Par ironie certains observateurs
parlaient de marxisme- béninisme ou de laxisme-béninisme.
14 Cette conférence nationale marquait le point de départ d'une moralisation des rapports entre les afticains et la France. Depuis lors, la démocratisation est devenue l'une des conditionnalités de l'aide (Voir Zeki Laïdi Z, 1991, "L'aide
sous conditions de la démocratie",
Le Monde,
p.2.
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L'EVOLUTION
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ET CONSTITUTIONNELLE
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DU NIGER
Mais en dépit de ces origines internes et externes, la Conférence Nationale n'a pas engendré une contagion dévastatrice puisqu'un groupe de pays l'a refusée de manière sourde ou ouverte et ce en dépit des revendications de la rue ou de l'opposition
15.
Au delà des origines, le second trait attestant du caractère politique de la Conférence Nationale est lié au problème de son bien fondé. Sous ce rapport deux thèses s'opposent: La première thèse est celle de l'inutilité de la Conférence Nationale généralement développée par le pouvoir en place consistant à dire qu'il s'agit d'une espèce de mode, d'un gadget politique inventé et initié ailleurs, dans des contextes différents. Allant d'ailleurs plus loin, les tenants de cette thèse n'hésitent pas à faire remarquer les risques de dérapage ou de dérive de toute Conférence Nationale à savoir celui en particulier de ravivage des rancunes. Certaines Conférences Nationales ont conduit, souligne-t-on, à des impasses parfois très douloureuses: déliquescence des institutions étatiques, insécurité et catastrophes économiques, etc. Ainsi donc, se justifient les défenseurs de cette thèse dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle est plutôt discutable. La seconde thèse se situe aux antipodes de la première puisque, selon ses défenseurs, la Conférence Nationale est non seulement nécessaire, mais indispensable parce qu'elle permet à la fois de faire le bilan de la vie de la nation et de mieux préparer l'avenir. En somme, la Conférence Nationale souveraine constitue un acte de clarification et de pacification de la situation politique dans tous ses aspects. Au sortir de la Conférence Nationale Souveraine du 29 juillet 1991, une période de transition de 15 mois a été décrétée par les conférenciers. Cette transition vers la démocratie est sous-tendue par des mécanismes (A) (fondements et organisations) et l'avènement d'un régime démocratique (B) celui de la troisième République. 15 Cas du Burkina-Faso, du Cameroun, n'a touché que les Etats ftancophones.
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du Sénégal, de la Côte d'Ivoire...
En outre le phénomène
Laouel Kader MAHAMADOU
2. 1. Fondement
et organisation des pouvoirs
Le fondement et l'organisation de la phase de transition consiste en une analyse de la Conférence Nationale (a) et de l'organisation des pouvoirs publics pendant cette période (b).
2.1.1. La Conférence Nationale L'organisation de cette conférence a été obtenue de haute lutte et préparée par la Commission Nationale Préparatoire à la Conférence Nationale (C.N.P.C.N.), cette instance conçue à l'origine comme un cadre de réflexion technique s'est vite transformée en pré-Conférence Nationale, où chaque acteur tenta d'y imposer son point de vue16. L'Union des Syndicats des Travailleurs Nigériens (U.S.T.N) qui préside la commission se pose en véritable gouvernant, l'Union des Scolaires Nigériens prétend s'ériger en grand moralisateur de la vie politique, les partis politiques cherchent également à se mettre en avant, le pouvoir n'en a plus que le titre. Les débats s'enlisent et s'enveniment au point que le bimensuel "Haské", pourtant peu suspect de sympathie à l'égard du gouvernement, titrait dans une de ces éditions: "La pagaille s'installe". Cette atmosphère n'a pas empêché la C.N.P.C.N d'aboutir à des résultats non négligeables dont l'élaboration des projets de statuts et de règlement intérieur de la conférence, le projet de constitution de la période transitoire etc ... Après deux reports successifs, la Conférence Nationale a été ouverte le 29 juillet 1991 au palais des sports, par le Président de la République. L'organe-clé de cette conférence fut le Présidium, instance de direction des travaux. Il était composé de neuf membres dont l'élection n'est intervenue que le 7 août 1991. Ce qu'il faut retenir du Présidium de la Conférence Nationale, c'est que cet organe s'est singularisé durant les travaux en se substituant au pouvoir en place au point que certains observateurs ont affirmé que cet organe a exercé une dictature originale. Plusieurs faits 16. Telle est l'analyse faite par Jean Raynal dans un article intitulé "La démocratie au Niger: chronique inachevée d'un accouchement difficile", communication au colloque sur, L'Afrique transition vers le pluralisme politique Paris, 12-13 décembre 1990, p.357.
en
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ET CONSTITUTIONNELLE
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permettent d'illustrer la toute puissance du Présidium et plusieurs faits confmnent cette analyse:
- Les
messages à la nation du Président du Présidium, incombant en principe au Président de la République;
- les audiences qu'accorde personnalités;
prérogative
le Président du Présidium à diverses
- la gestion
de l'action gouvernementale sous la conduite du Présidium: les ministres soumettaient les problèmes en Présidium et recevaient les instructions nécessaires;
- la coordination
des activités des ministères par le 2ème Vice-Président de la Conférence Nationale, après la dissolution du gouvernement.
Sans oublier que le Présidium s'est impliqué dans la gestion des relations internationales 17. Au total, c'est le Présidium qui a exercé la réalité du pouvoir et qui a incarné de facto la nouvelle légitimité, qui s'est déplacée du palais présidentiel au palais des sports où se tenait la Conférence Nationale18. L'apport majeur de la Conférence Nationale a été la substitution de nouvelles institutions à celle de la 2ème République. Parce qu'elle s'est autoproclamée souveraine, la Conférence a pris d'importantes décisions qui ont bouleversé l'ordonnancement juridique de l'Etat mais quelles sont les décisions essentielles de la Conférence Nationale? On notera:
- La création d'une
nouvelle légitimité.
Celle-ci consista à retirer toute légitimité aux anciennes autorités. Ainsi, l'Acte III de la Conférence Nationale abroge la Charte Nationale et suspend 17 Le Présidium a ainsi envoyé des messages de soutien aux conférences nationales du Togo et du Zaire. Il a même interdit au président de la République, le Général Ali Saïbou, de se rendre en visite en Libye, en désignant à ses lieu et place, le 1er vice-président. 18 Une pluralité de décisions majeures furent prises par le Présidium. Ainsi par l'acte 6, il a interdit à toutes les anciennes personnalités de quitter le territoire sans l'autorisation du Présidium. Il a supprimé par l'acte 7 tous les postes de PCA. L'acte 8 a suspendu de leurs fonctions certains officiers suPérieurs de l'armée et de la police.
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la constitution du 24 septembre 1989. Les décisions les plus énergiques ont été toujours prises en vertu de cet Acte III : la dissolution de l'Assemblée Nationale et du Conseil National de Développement et la mise sous tutelle du pouvoir exécutif par la Conférence Nationale. - La Conférence Nationale créa la Haute Cour de Justice par l'acte 15 compétente pour juger le Président de la République en raison des actes qualifiés de haute trahison. - Commission "Crimes et abus" - Elle devait également suspendre de leurs fonctions plusieurs autorités administratives et militaires. Quelle appréciation peut-on faire des décisions de la Conférence Nationale? On peut l'affirmer de façon inéluctable, la Conférence Nationale du Niger s'est peu préoccupée de l'importance du droit dans ses débats. Comme l'a souligné Djibril Abarchi, "la passion l'a souvent emporté sur la nécessité de rechercher une certaine cohérence des normes à établir. Bien souvent, poursuit-il, les juristes ont été considérés comme des esprits trop conservateurs pour permettre la réalisation des changements à opérer. Aussi, cette appréhension a-t-elle conduit à écarter leurs observations, pour ne pas dire à les mettre hors d'Etat de nuire" 19. A la lumière de cette observation on peut dire que la Conférence Nationale a fait le procès des juristes et du droit20 . La première question que peut se poser l'analyse du droit élaboré par la Conférence Nationale est la suivante: a quelle place se situent les actes de la Conférence Nationale? En effet, cette catégorie n'a pas été consacrée par le droit positif nigérien. Pourtant la nécessité de circonscrire ces actes dans la hiérarchie des normes connues du droit pouvait permettre d'éviter des conflits de compétence lorsque le besoin de modifier ces actes se ferait sentir bien après la Conférence Nationale. Pour certains21, il convenait d'insérer dans l'acte fondamental N°21 portant organisation des pouvoirs publics pendant la 19 Voir "Conférence
Nationale et construction juridique",
Le Républicain,
20 Voir aussi à ce sujet l'article "la transition malade de son droit" inAn/ani 21
C'est notamment
du 7 novembre
1991.
.
l'avis de M. Djibril Abarchi, cité plus haut.
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ET CONSTITUTIONNELLE
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DU NIGER
transition une disposition tendant à leur conférer une valeur législative ou réglementaire selon qu'ils ont été pris dans l'un ou l'autre des deux domaines. La distinction pouvant être faite en se référant à l'état de droit antérieur à la suspension de la constitution22. En outre, on constate que l'acte fondamental N°21 précité fait la distinction formelle entre les lois, les actes de la Conférence Nationale et les règlements. On peut dès lors et à juste titre considérer que les actes de la Conférence Nationale constituent une catégorie "sui generis". L'on peut donc se poser la question de savoir quel est l'organe compétent pour modifier ces actes lorsqu'on sait que le respect du parallélisme des formes qui implique également le partage des compétences devrait normalement entraîner une impossibilité de modification ou d'abrogation de ces actes par tout autre organe de la transition. La Conférence Nationale n'étant point une institution permanente, ni même périodique, qui pouvait se réunir pour réexaminer les actes qu'elle a adoptés23. Sur un autre plan, la Conférence Nationale a pris des actes proprement inopportuns. Si l'on s'en tient à leur contenu, certains actes ont été pris pour ne pas donner l'impression à certaines catégories sociales que leur cause n'avait pas été entendue. C'est le cas de l'acte Il qui fait référence au délit d'enrichissement illicite, alors que pareille infraction n'est pas consacrée par le droit positif nigérien. L'appréciation des décisions de la Conférence Nationale serait incomplète si l'on n'évoquait pas le cas des actes ayant créé un vide juridique. Sous prétexte de mettre fin à toute juridiction d'exception pour prévenir toute situation arbitraire, l'acte 36 du 31 octobre 1991 a remplacé l'ordonnance 85-26 du 12 septembre 1985, portant création d'une cour spéciale et fixant ses attributions, sa composition et les modalités de son fonctionnement. L'écueil n'a pu être évité ici car en voulant supprimer la cour spéciale, la Conférence Nationale a aussi supprimé les dispositions qui définissent l'infraction et déterminent les peines. Ainsi, a été conçu le droit de la Conférence Nationale du Niger, un droit révolutionnaire qui a substantiellement modifié l'ordonnancement juridique 22 Le régime militaire issu du Coup d'Etat de 1974 avait procédé ainsi en réservant les ordonnances au domaine de la loi tel que prévues par la constitution du 8 novembre 1960. 23 Malgré le silence de l'acte fondamental n° 21le Haut Conseil de la République 36 et l'acte 15 de la Conférence Nationale souveraine.
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a modifié l'acte
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antérieur, mais, tout de même d'un juridisme particulier. La fm de la Conférence a abouti à la mise en oeuvre de nouvelles institutions dont il convient d'analyser les grandes articulations.
2.1.2. L'organisation des pouvoirs pendant la première période transitoire Aux termes d'une Conférence Nationale de plus de 3 mois, de nouveaux organes législatifs et exécutifs ont été mis en place afin d'assurer l'application d'un programme de transition de 15 mois. Le cahier des charges de ces organes transitoires consistait à préparer l'avènement de la 3ème République dans des conditions véritablement démocratiques. La distribution constitutionnelle des pouvoirs pendant cette période est organisée par l'acte fondamental n021 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition. Véritable loi fondamentale, cet acte détermine les différents organes de la transition et leurs attributions. Si le pouvoir exécutif pendant cette période était à direction gouvernementale, le pouvoir législatif disposait d'attributions originales. 2. 1.2. 1. Un pouvoir exécutif à direction gouvernementale Les différents pouvoirs qui se sont succédés au Niger depuis 1960 furent dominés par le Président de la République. Ces pouvoirs exécutifs monopartistes n'ont pas résisté à l'épreuve de la Conférence Nationale qui a désacralisé l'institution présidentielle. Le Premier Ministre est ainsi devenu l'homme fort du système politique transitoire. Alors que la fonction primatoriale était, au mieux, comprise comme une simple tâche de coordination et d'exécution de la politique décidée par le Président de la République, l'acte fondamental fait du Premier Ministre l'épicentre du pouvoir. Le bicéphalisme du pouvoir exécutif profite pour la première fois en Mique au Premier Ministre qui se voit attribuer par les lois fondamentales transitoires la réalité du pouvoir. Mandataire de la Conférence Nationale, le Premier Ministre de la transition est le chef du gouvernement (article 15); il préside le Conseil des ministres et devient également le chef des armées. L'acte fondamental fait de lui le garant de l'indépendance nationale de l'intégrité du territoire, du respect des accords et traités desquels le Niger fait partie. L'article 16 lui confie une compétence
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décisive et capitale à savoir la direction de l'action gouvernementale. L'article 18 lui permet de signer les décrets et ordonnances délibérés en Conseil des Ministres. Il nomme par décret aux hautes fonctions délibérées en conseil des ministres après avis du Haut Conseil de la République. Malgré le fait que l'article 21 pose le principe de sa responsabilité devant le Haut Conseil de la République, le Premier Ministre de la transition est devenu le détenteur exclusif du pouvoir exécutif. Mais quel est le fondement de la revalorisation de l'institution primatoriale au Niger ? Avec l'avènement de la Conférence Nationale, le Premier Ministre est moins un chef d'Etat major qu'un secrétaire général de la Présidence replacé à son véritable rang dans la hiérarchie gouvernementale. Il s'agit de décongestionner la Présidence en introduisant un véritable bicéphalisme du pouvoir exécutif: Albert Bourgi note d'ailleurs à ce propos: "Si l'existence d'un régime de parti unique, le caractère monocolore du parlement et l'absence de système politique faisaient hier de l'exécutif bicéphale une modalité d'autolimitation du pouvoir présidentiel, tel n'est pas le cas aujourd'hui, le rétablissement ou l'instauration du poste de Premier Ministre s'identifie désormais à une tentative de réponse technico-politique à la contestation qui se développe un peu partout en Afrique"24 . Avec la fin des périodes transitoires, les constitutions ratifiées par les peuples ont certes réhabilité l'institution présidentielle puisque le Président de la République est devenu le pivot des institutions, mais cette revalorisation n'a pas occulté le rôle important du Premier Ministre, chef du gouvernement25. Ainsi au Niger, la défunte constitution de la 3èmeRépublique avait constitutionnalisé le poste de Premier Ministre faisant de ce dernier le chef du gouvernement. De ce vaste mouvement constitutionnel en Afrique, un constat s'impose: la fonction primatoriale s'insère dans une dynamique de redistribution du pouvoir en Afrique. Elle fait figure de pièce maîtresse de la nouvelle architecture institutionnelle qui se dessine trente ans après les indépendances et notamment marquée par des premiers ministres de transition et d'après transition détenteurs d'une partie ou de la totalité du 24 Cf son article "Enfin des premiers ministres à part entière", Jeune Afrique 25
n° 1583, p. 28.
C'est aussi le point de vue de Bernard Saint Giron dans Fonction présidentielle et transition démocratique en Afrique: les nouvelles constitutions africaines, Presses de l'Institut d'Etudes Politiques, Toulouse, 1992.
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pouvoir. A côté de ce type d'exécutif, la Conférence Nationale a institué un législatif aux attributions originales. 2.1.2.2. Un pouvoir législatif aux attributions originales La Conférence Nationale a également mis en place une institution transitoire dénommée "Haut Conseil de la République" et dont le rôle est d'être le législateur de cette période d'exception. Cet organe ne sera pas seulement chargé de légiférer, la Conférence Nationale l'a aussi investi d'une mission de premier plan consistant à être "le contrôleur" du pouvoir exécutif: Ce rôle de contrôle de l'action gouvernementale fera du Haut Conseil de la République un parlement sans commune mesure avec ceux des régimes politiques précédents. En effet, le régime institué par la constitution du 8 novembre 1960 se voulait équilibré à cause de son caractère présidentiel. Dans la pratique, l'absence d'opposition et le rôle prépondérant du PPNRDA lui a permis de dominer toutes les autres institutions de la 1ère République. Avec le régime militaire en 1974, la fonction législative était concentrée entre les mains du Conseil Militaire Suprême qui légiférait par ordonnances et décrets à cause de la confusion des pouvoirs qui caractérise les régimes de fait. Quant à la constitution du 24 septembre 1989, elle avait institué un parlement, simple chambre d'enregistrement. L'Assemblée Nationale, composée de membres tous issus du M.N.S.D parti-Etat et élus sur une liste nationale, pouvait être dissoute par le Président de la République après avis du Conseil Supérieur d'Orientation Nationale (C.S.O.N) article 32. Au titre de ses attributions classiques le H.C.R, conformément à l'article 8, est en outre chargé du suivi et du contrôle de l'exécution du cahier des charges et des décisions de la Conférence Nationale. Le H.C.R était chargé de fixer les règles concernant:
-
la citoyenneté, les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques;
- la nationalité, l'état et la capacité des personnes, matrimoniaux et les successions et libertés;
les régimes
- l'organisation des tribunaux judiciaires et administratifs; - le statut général de la fonction publique; 335
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- le régime d'émission de la monnaie; - l'Etat de siège et l'Etat d'urgence. A première vue, les fonctions du Haut Conseil de la République sont celles qu'accomplissent traditionnellement avec quelques variantes, la plupart des parlements contemporains. Au titre des attributions nouvelles le H.C.R est érigé en organe de contrôle du pouvoir exécutif, devenant ainsi la véritable mémoire de la Conférence Nationale. L'article 10 précise qu'au titre du suivi et du contrôle de l'exécution du cahier des charges et des décisions de la Conférence Nationale, le H.C.R est chargé de garantir le respect des libertés fondamentales et des droits de 1'homme. En outre selon l'article Il, il devait superviser deux commissions spéciales:
- une chargée de l'élaboration
des textes fondamentaux,
-une commission chargée des crimes et abus politiques, économiques, socio-culturels ainsi que de l'enrichissement illicite. Le fonctionnement de la période de transition fut difficile en raison de la complexité des rapports entre le Haut Conseil de la République et le gouvernement. Des conflits virent le jour, accentués par les dispositions souvent confuses de l'acte fondamental n021. Deux situations méritent d'être soulignées: 1. Les mesures nominatives projetées par le gouvernement devaient être soumises au H.C.R pour avis. Cette formulation de l'article 18 était à l'évidence ambiguë puisqu'elle n'indiquait nullement la nature de l'avis. La Cour Suprême a tranché le conflit en faveur du gouvernement dans un avis N°91-03 du 26 novembre 1991. En substance selon la Cour, "le Premier Ministre s'il n'est pas juridiquement tenu par les réserves, avis négatifs du H.C.R peut toujours ignorer les avis du H.C.R qui est un organe législatif'. 2. Le second cas a trait à la reconnaissance de Taiwan par le gouvernement de la transition. Le H.C.R était le garant des décisions de la Conférence Nationale et l'acte 5 avait recommandé le respect par le gouvernement des
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traités et accords régulièrement ratifiés. La reconnaissance de Taïpei violait manifestement ces dispositions26. Au terme de la transition, de nouvelles institutions furent mises en place.
2.2. L'avènement de la troisième République L'avènement de la Conférence Nationale fut fatal à la constitution de la deuxième République. Pour combler ce vide juridique, la Conférence Nationale donna mandat à l'organe législatif transitoire de créer une commission des textes fondamentaux dont la mission serait d'élaborer la nouvelle constitution celle du 26 décembre 1992. 2.2.1. La constitution
de la troisième
République
Instituant un régime semi-présidentiel à l'image de la constitution française du 4 octobre 1958, celle-ci est néanmoins une véritable charte des libertés mais également un moyen de contrôle des gouvernants27. Un des traits marquants de cette constitution réside dans la reconduction du mimétisme institutionnel. De ce point de vue, on peut convenir avec le Professeur Jean du Bois de Gaudusson que "paradoxalement, les nouvelles constitutions sont plus conformes, aux modèles étrangers, notamment français que les précédentes, l'évolution ayant consisté à gommer dans les textes africains tout ce qu'il pouvait y avoir d'original, tout ce qui faisait, partie du constitutionnalisme africain. Il y a donc un retour en force de ce que l'on dénonçait il y a quelques temps comme une manifestation de mimétisme juridique et son origine ne tient pas nécessairement à l'influence d'experts étrangers [...] Ce mimétisme concerne aussi bien l'organisation des pouvoirs publics que les principes et droits proclamés"28. De toutes les constitutions nigériennes celle de la 3ème République accordait le plus de droits aux citoyens. Parce qu'il s'analyse en une quête de la 26 Dans le même sens voir l'article de Mme Dodo Aïchatou, "Réflexions sur la reconnaissance de Taïwan par le gouvernement de la transition", Sahel Dimanche, n° 385 du 3 juillet 1992 , p.2. 27 La constitution fut approuvée avec 89 % de "oui". 28 Voir sa conclusion et sa synthèse au colloque de Toulouse sur la transition démocratique. Voir Les constitutions africaines., Presses de l'Institut d'Etudes .Politiques, de Toulouse 1992 , p188.
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démocratie, le nouvel ordre juridique va au-delà des libertés publiques et individuelles en intégrant au sein des nouveaux textes des principes de premier plan. La reconnaissance des droits et devoirs de la personne humaine est une innovation par rapport à la constitution de la 2ème République. Ces droits peuvent être regroupés en quatre catégories (libertés négatives, droits positifs, droits nouveaux et devoirs du citoyen). - Les libertés négatives Elles précisent que tout citoyen a droit à un procès public et garanti, à une libre défense (article 17), au devoir de désobéissance en cas d'ordre manifestement illégal portant atteinte à la dignité et à l'intégrité physique de la personne humaine (article 13) et la punition de tout agent de l'Etat coupable d'actes de tortures, de sévices ou de traitements cruels.
- Les droitspositifs Ces droits sont nombreux mais on peut retenir au profit du citoyen l'article 24 qui consacre la liberté d'association et de réunion, de cortège et de manifestation. On peut noter le droit au travail, à une juste rétribution de ses services ou de sa production, la garantie du droit syndical ou du droit de grève.
- Les droits nouveaux Ce sont ceux qui consacrent les nouvelles conceptions de la citoyenneté que les pays du Tiers Monde essayait de promouvoir. Il s'agit du droit au libre développement de sa personnalité sous réserve du respect du droit d'autrui, de l'ordre constitutionnel ou des bonnes moeurs (article 14), le droit pour toutes les communautés composant la nation nigérienne d'utiliser leurs langues en respectant celles des autres, le secret des correspondances et de la communication (article 22). La constitution accorde une place de choix à des préoccupations plus récentes: le droit à un environnement sain (article 27), l'interdiction formelle du transit, importation, stockage, enfouissement, déversement sur le territoire national des déchets toxiques ou étrangers. Tout accord y étant relatif constitue un crime contre la nation. - Les devoirs des citoyens Ces devoirs portent sur la défense de la nation, de l'intégrité du territoire, l'obligation du service militaire, le respect en toutes circonstances de la
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Laouel
Kader MAHAMADOU
constitution et l'ordre juridique de la République, le devoir de travailler pour le bien public, les obligations civiques et professionnelles et le paiement des contributions fiscales, le devoir pour l'Etat d'assurer la diffusion et l'enseignement de la constitution ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Au- delà des droits, la constitution consacre la mise en oeuvre de certains moyens de contrôle exercés par les citoyens sur les gouvernants. 2.2.2. Un moyen de contrôle sur les gouvernants Le contrôle de l'action gouvernementale par les citoyens est l'un des traits caractéristiques de la loi fondamentale de 1993, aujourd'hui abrogée. Au niveau de l'exécutif: le Président de la République et les autres membres du gouvernement sont astreints, à leur entrée en fonction, à une déclaration de leurs biens qui doit faire l'objet d'une mise à jour annuelle et d'une publication au Journal Officiel. Ces personnalités se voient interdites d'acheter ou de prendre au bail par eux-mêmes ou par autrui des biens appartenant à l'Etat. De même, dans son serment, le Président de la République prend l'engagement solennel de respecter et de faire respecter la constitution et de ne prendre ni cautionner aucune mesure avilissante pour la dignité humaine. Au niveau du pouvoir législatif: on peut noter le pouvoir d'interpellation qui permet au citoyen (article 80), par la voix de son représentant élu, d'exprimer son opinion sur l'action du gouvernement. Notons également le recours aux commissions d'enquête, qui est un pouvoir concédé au parlement. De manière plus directe, le pouvoir de contrôle du citoyen sur l'action des gouvernements se situe à deux niveaux importants. Il s'agit de la désobéissance civile et de l'entrée partielle du citoyen dans l'espace constitutionnel (voir l'article 6 de la défunte constitution et le C.C.L.). 2.2.3. Les violations
de la constitution
de la 3ème République
L'élection, pour la première fois de l'histoire nigérienne, d'un Président de la République dans des conditions de régularité et de transparence a été
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obtenue en 1993. Fort du soutien de l'alliance des forces du changement, Mahamane Ousmane a été élu au second tour. L'A.F.C. disposait également de la majorité au parlement, ce qui lui a permis de contrôler pendant dix-huit mois tous les leviers du pouvoir. En octobre 1994, après 18 mois d'exercice du pouvoir par l'A.F.C, le Président de la République devait perdre le contrôle du parlement à la suite du retrait de l'un de ses partenaires-clés, à savoir le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (P.N.D.S.), qui disposent de 13 députés au parlement. Dès lors le Président Mahamane Ousmane avait deux alternatives: 1) gouverner dans des conditions difficiles avec une nouvelle majorité hostile ou, 2) dissoudre l'Assemblée Nationale pour faire appel à l'arbitrage du peuple souverain. C'est cette 2ème formule que préféra le Président. Les élections législatives anticipées du 12 janvier 1995 furent fatales au Président de la République désormais résigné à partager le pouvoir avec la nouvelle majorité parlementaire sortie des urnes. Cette cohabitation entre deux majorités divergentes, pour la première fois de I'histoire constitutionnelle du Niger, devait en réalité montrer les limites de la constitution du 26 décembre 1992. Mais quelles étaient les faiblesses essentielles de la défunte loi fondamentale? Il faut souligner que les conflits ayant sonné le glas de la 3ème République sont nés de l'interprétation de la constitution. - Le conflit sur la définition de la cohabitation La crise au sommet de l'exécutif avait débuté avec la définition de la cohabitation. Pour les partisans de la majorité présidentielle, la cohabitation signifiait cogestion c'est-à-dire un système dans lequel les deux majorités seraient, à part égale, impliquées dans la gestion du pouvoir d'Etat. Au terme de cette défmition, la cohabitation ne devait avoir aucune incidence sur les prérogatives constitutionnelles du Président de la République, lesquelles devaient rester intactes malgré le changement de majorité. C'est du reste le point de vue défendu par les partis de la coalition présidentielle. Cette définition est combattue par la nouvelle majorité, soutenant l'action du Premier Ministre. Selon les partisans du Premier Ministre, la cohabitation devait avoir de lourdes conséquences sur les prérogatives constitutionnelles du Président, qu'il partage avec le
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gouvernement. Cela signifie que désormais, c'est le gouvernement qui doit gouverner alors que la Présidence deviendrait une institution symbolique. Ce conflit de définition a amené la Cour Suprême à donner une défmition de la cohabitation favorable au gouvernement selon laquelle la cohabitation, c'est la coexistence entre deux légitimités. Cette crise s'est poursuivie avec le refus du Président Mahamane Ousmane de présider les travaux du Conseil des ministres. - Le refus présidentiel de présider le Conseil des ministres Le 6 juillet 1995, le Premier Ministre, chef du gouvernement, s'est vu refuser l'accès à la salle de Conseil des ministres par la garde présidentielle sur instruction du Président de la République. Ainsi devait s'ouvrir au Niger un débat juridique sur la question: savoir si le Président de la République pouvait refuser de présider le Conseil des ministres. La constitution du 26 décembre 1992 disposait que c'est le Président de la République qui préside le Conseil des ministres, instance décisionnelle de la République. En refusant de présider le Conseil des ministres, le Président viole la constitution car ce refus équivaut à bloquer non seulement le fonctionnement régulier des pouvoirs mais aussi à empêcher une majorité parlementaire de mettre en oeuvre le programme pour lequel elle a été élue. - La violation de J'article 58 de la constitution du 26 décembre
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Constatant le refus du Président de la République de présider le Conseil des ministres, le 4 août, le Premier Ministre préside le Conseil des ministres, et procède à plusieurs mesures nominatives. Ces mesures nominatives sont cependant illégales car l'article 58 réservait uniquement au Président le pouvoir de nomination, en l'absence d'une loi organique habilitant le Premier Ministre. Cette crise au sommet s'est poursuivie avec la menace du Président de la République de recourir à l'article 55 (pouvoirs de crise pour destituer le gouvernement et son chet). C'est dans cette atmosphère de crise permanente que l'armée prit le pouvoir le 27 janvier 1996, inaugurant ainsi la deuxième transition.
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3. La deuxième transition et ses particularités Les institutions politiques de la 3ème République n'auront décidément pas résisté à l'épreuve du temps. Les multiples conflits au sommet de l'Etat ont servi de prétexte aux forces armées nigériennes pour confisquer à nouveau ce pouvoir à leur profit. Mais si le coup d'état est vite apparu comme une prise de pouvoir non coutumière, le processus de normalisation n'est pas satisfaisant et il appelle une autre transition.
3. 1. Un coup d'état non coutumier Intervenu dans un contexte international hostile à toute intervention prétorienne, le coup d'état du 27 janvier 1996 a néanmoins été partiellement applaudi par les populations nigériennes. Les causes du coup d'état n'appellent pas de longs commentaires. L'armée dans sa déclaration s'en est prise à la classe politique nigérienne, qualifiée d'irresponsable et d'incapable de résoudre les maux de la société nigérienne. En réalité, le coup d'état était attendu par l'opinion publique, compte tenu de la crise entre le chef de l'Etat et le gouvernement. Conformément aux attitudes consécutives à l'irruption des prétoriens sur la scène politique, les militaires annoncèrent une série de mesures dont:
- La destitution du Président de la République et du gouvernement; - La suspension de la constitution du 26 décembre 1992; - La dissolution du Conseil Supérieur de la Communication, etc. Ces mesures classiques suite au coup d'état attestent bien que la légalité républicaine est désormais battue en brèche. Les militaires ont cependant déclaré vouloir respecter les droits de l'homme et les libertés. Au titre des particularités de ce coup d'état on peut noter: 3.1.1. L'enthousiasme
populaire
Quelques jours après le putsch, plusieurs manifestations de soutien à la junte militaire ont été organisées. Ces manifestations étaient le signe patent du raI-le-bol de la population nigérienne, écoeurée par la mésentente devenue 342
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chronique et endémique entre les deux pôles du pouvoir exécutif Autre particularité, c'est la stratégie de reconquête de légitimité internationale par laquelle la junte a eu recours aux services des préfets en fonction qui ont dirigé les délégations nationales et qui se sont rendues dans les pays limitrophes pour expliquer aux voisins du Niger les vraies motivations du coup d'état. En outre, la composition du gouvernement formé au lendemain du coup d'état montre bien l'allégeance immédiate de certaines personnalités de la société civile et des partis politiques aux militaires. On dénombre dans le gouvernement des membres du présidium de la Conférence Nationale (le Président et le Vice-Président du H.C.R). Le Président de la Cour Suprême, instance chargée de trancher les litiges entre les autorités constitutionnelles, prend le portefeuille de la justice et des droits de l'homme. Tout ceci prouve que la junte a pu convaincre certaines personnalités de la société civile du bien fondé de ses actions. Au total, le coup d'état a débouché sur la chute de l'ordre républicain. Ce qui, naturellement, a engendré une nouvelle phase de transition. 3.1.2. La gestion
de la période transitoire
A l'origine, la période de transition devait durer onze mois puisque les élections législatives et présidentielles étaient projetées pour décembre 1996. La forte pression de l'opinion internationale a conduit les militaires à réduire ce délai. Cette période a été caractérisée par un processus de normalisation politique à travers la mise en place d'un comité de coordination en vue du forum de renouveau démocratique. Ce comité a, au cours de ses travaux qui ont duré un mois, proposé au forum deux projets de constitution (l'une présidentielle, l'autre porte sur l'amélioration du régime semi-présidentiel), un projet de texte de code électoral et de charte des partis politiques et enfin, un projet de texte sur le statut de l'opposition et la dépolitisation de l' administration. Ces textes ont été doublement amendés par le forum du renouveau et par le Conseil de Salut National (C.S.N., instance dirigeante).
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La gestion de la période transitoire fut plus chaotique sur le plan des libertés collectives et individuelles. Au plan des libertés collectives, on a observé la suspension de certains syndicats à savoir ceux de la Police, des Douanes et des Eaux et Forêts. Les libertés individuelles ont été les plus touchées: -Arrestations et déportations de certains membres de partis politiques siégeant au forum du renouveau démocratique;
- Interpellation,
arrestations et agressions des directeurs de publication de plusieurs journaux privés (Soleil, Tribune du Peuple), -Déportations de dirigeants de partis politiques etc..
Tous ces actes, antérieurs à la promulgation de la constitution, témoignent du non -respect des droits de l'homme, malgré les professions de foi des premières déclarations du Conseil de Salut National. Au- delà de ces actes touchant le domaine des libertés, on peut aussi noter plusieurs mesures prises par la junte militaire pour faciliter la victoire de son chef aux élections présidentielles de juillet 1996. Ainsi, le code électoral n'a cessé d'être modifié à coup d'ordonnances et cela dans le seul but de favoriser le général candidat. C'est le cas de l'amendement qui n'oblige plus un militaire candidat aux élections à démissionner mais à prendre une simple disponibilité de l'armée. Il en est de même de l'ordonnance N°96-21 du Président de la junte militaire qui vise à modifier la composition de la Cour Suprême. Acculé par la communauté internationale, qui a suspendu toute assistance au Niger, les militaires ont procédé à des réformes. 3.1.3. Bilan de l'évolution
politique et institutionnelle
du Niger
La démocratisation des institutions politiques nigériennes n'a pas atteint les résultats escomptés. Au prime abord, il convient de relever la mauvaise compréhension de la notion de démocratie. Elle a été souvent assimilée à l'anarchie et les partis politiques, soucieux de la conquête du pouvoir ne se sont pas occupés de l'encadrement de leurs militants. Au- delà de ce constat, il apparaît que la démocratie n'est pas irréversible.
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L'exemple du Niger est une illustration qui prouve que les interventions prétoriennes ne sont pas révolues. Les raisons avancées par les militaires sont tellement factices que tout retour potentiel de ces prétoriens est possible. En trois décennies de son histoire, le Niger a connu trois putschs militaires dont l'un a perduré quatorze années. Les coups d'état du 27 janvier et du 9 avril 1999 ne font qu'entamer un processus de cristallisation de l'élite prétorienne au pouvoir, car le processus de " civilisation" de ce système restera résiduel. Si jusqu'au coup d'état du 27 janvier 1996, la démocratisation au Niger se présente comme un échec, c'est pour une pluralité de raisons dont deux paraissent essentielles. - L'inadaptation des textes Le mimétisme institutionnel est l'un des maux caractériels des tendances observées chez les constituants africains. Un peu partout on a observé ce retour en force de la constitution &ançaise du 4 octobre 1958 qui instaure un régime semi-présidentiel, &uit de la rationalisation du régime parlementaire. Les constituants africains, au sortir de la Conférence Nationale (Togo, Mali, Congo, Niger), l'ont plébiscité sans se rendre compte qu'en France, ce régime est né d'un compromis, celui décidé par la classe politique &ançaise pour endiguer l'instabilité gouvernementale sous la 4ème république. Il était dès lors curieux de constater le choix des africains d'un régime qui fait du Président de la République le pivot des institutions, alors même que les conférences nationales, ont fait le procès du mono centrisme présidentiel. A l'inadaptation des textes se greffe un phénomène inquiétant de violation caractérielle et frontale des constitutions. - La faiblesse de la culture démocratique Il est évident que la démocratie est une construction permanente et que l'objectif est d'asseoir graduellement les bases de ce système. Il existe beaucoup de résistances à l'idée de démocratie, on a l'impression que les changements politiques, même les plus souhaitables, ont leurs mélancolies. Si le bilan de la démocratisation thérapeutique?
est peu satisfaisant
quelle est la
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- Thérapeutique Il est nécessaire d'élaborer des textes plus adaptés, voire conformes au patrimoine socio-politique de nos pays. C'est ainsi que le présidentiel rationalisé peut engendrer une stabilité des institutions. . Une éducation politique plus renforcée Les partis politiques africains doivent se redéployer sur le terrain de l'éducation de leurs militants. Ce rôle doit être appuyé et soutenu par les pouvoirs publics. . Tempérer le rythme de la démocratisation Les systèmes politiques africains doivent se détacher occidentaux trop tranchés en ce qui concerne la démocratie.
des schémas
Consensus et gouvernement d'union nationale sont nécessaires car l'opposition devient non seulement insupportable mais encore son rôle demeure très néfaste. . Nécessité
d'une troisième transition
L'échec de la deuxième transition est incontestable. D'une manière plus générale, les deux transitions nigériennes n'ont pas atteint leurs objectifs d'instauration d'un régime démocratique viable. Toutes ces transitions ont été dévoyées voir utilisées. Au-delà de cette profession de foi relative à une nécessaire transition, la période transitoire issue du coup d'état du 27 janvier 1996 a sécrété un régime sui-generis caractérisé par une désacralisation du gouvernement et un renforcement de l'institution présidentielle.
4. La constitution du 12 mai 1996 et la consécration du présidentialisme La nouvelle constitution nigérienne de la quatrième République a été adoptée le 12 mai 1996, à la suite d'une consultation référendaire29. 29 Le texte constitutionnel
346
a recueilli 92,34 % de "ouï"
contre 7,66 % de "non.".
Laouel Kader MAHAMADOU
La défunte constitution semi-présidentielle du 26 décembre 1992 n'aura pas résisté à l'épreuve du temps. Caractérisée par une dyarchie au niveau du pouvoir exécutif: celle-ci faisait du Président de la République le pivot des institutions, tout en conférant au gouvernement conduit par un Premier Ministre qui en est le Chef du pouvoir normatif de premier plan. La nouvelle distribution constitutionnelle des pouvoirs, issue de la nouvelle loi fondamentale nigérienne, opère de nouveaux ajustements. Désormais il faut y lire une désacralisation du gouvernement et un renforcement du Président de la République.
4. 1. Le gouvernement du Président de la République. Sous la troisième République, le gouvernement avait une existence propre à cause du caractère bicéphale du pouvoir exécutif nigérien. Chef du gouvernement nommé par le Président de la République30, le Premier Ministre n'était pas un primus inter pares31
.
Ce dernier disposait d'un pouvoir réglementaire qu'il partageait avec le Président de la République et bien d'autres attributions secondaires à savoir le pouvoir de nomination et des compétences en matière militaire. Sous la quatrième République nigérienne, qui consacre un régime de type présidentialiste, aucune ambiguïté n'est possible: le gouvernement est celui du Président de la République bien qu'assisté d'un Premier Ministre. Le schéma nigérien est la consécration de la situation de fait qui a prévalu en France au tout début de la cinquième République. Le Premier Ministre, est-il précisé dans la constitution du 12 mai 1996 (article 58), est chargé de coordonner l'action gouvernementale. Il exerce ses attributions dans le cadre des pouvoirs qui lui sont délégués par le Président de la République. Au Niger, il ne fait aucun doute, à la lecture de l'article 58, que le Premier Ministre est comme une sorte de chef d'Etat major, second du chef de l'Etat, 30 Le choix du Premier Ministre obéissait aux contraintes de l'article 8 en France sur la nomination du Premier Ministre. 31 La constitution attribue au gouvernement la nation.
le pouvoir de déterminer et de conduire la politique de
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L'EVOLUTION
POLITIOUE
ET CONSTITUTIONNELLE
RECENTE
DU NIGER
"chargé comme le mot l'indique de le seconder et non pas d'assurer un pouvoir distinct et autonome du sien" comme l'a écrit René Capitant32.
4.2. La sacralisation de l'institution présidentielle La nature du régime issu de la constitution du 12 mai 1996 a fait couler beaucoup d'encre. Sa qualification de régime présidentiel ne résiste pas à l'examen et cela au regard du déséquilibre impressionnant entre les pouvoirs. Défmi de manière coutumière comme un régime d'équilibre et de partage de pouvoir, le régime présidentiel nigérien ignore superbement la notion de séparation tranchée des pouvoirs, élément caractéristique du régime américain. Au contraire du régime présidentiel classique, le cas nigérien se présente comme un régime atypique dans lequel outre l'existence d'un poste de Premier Ministre, le Président de la République peut pour l'exécution de son programme demander à l'Assemblée Nationale l'autorisation de prendre par ordonnance pendant un délai limité des mesures qui sont normalement du domaine de la loi (art. 86). Cette autorisation prend la forme d'une loi d'habilitation. L'article 48 contère au Président de la République un pouvoir sans précédent : celui de l'initiative des lois (art. 48). Ces pouvoirs présidentiels dans le domaine législatif dénaturent le régime nigérien au point de le rendre présidentialiste. Vingt-sept articles sont consacrés au Président de la République qui est l'homme fort du système. Le Président de la République qui est chef de l'Etat est chef du gouvernement (art. 47), élu par un mandat de cinq ans renouvelable une fois. L'article 46 est celui qui consacre la puissance présidentielle car il exclut tout bicéphalisme. Le Président de la République est le détenteur exclusif du pouvoir exécutif Présidant tout naturellement le conseil des ministres, c'est lui qui détermine et conduit (art. 56) la politique de la nation. La nouvelle écriture constitutionnelle nigérienne fait du Président de la République le chef des armées (art. 52) tout en le dotant du pouvoir de 32 Cité par Claude Leclerf dans son livre Droit constitutionnel Litec, 8ième edition, 1892 , p. b36.
348
et institutions
politiques,
Paris
Laouel
Kader MAHAMADOU
recourir au référendum après avis du Président de l'Assemblée Nationale et celui de la Cour Suprême (art. 49)33. La consultation du peuple souverain par voix référendaire reste une des attributions permanentes des présidents nigériens. Tous les différents textes constitutionnels post indépendance l'ont consacré, règle selon laquelle en régime démocratique la souveraineté appartient au peuple. Le pouvoir de promulgation des lois dans un délai de quinze jours incombe au Président de la République. Avant l'expiration de ce délai, le premier magistrat peut demander une seconde délibération de la loi qui ne peut lui être refusée (art. 48). Le maintien de cette disposition relative à la seconde lecture propre au régime semi-présidentiel vise probablement à affaiblir d'avantage le parlement et le gouvernement dans le cas potentiel d'un divorce de majorités présidentielles et parlementaires34 . Le Président de la République négocie et ratifie les traités et accords internationaux (art. 118). Al' évidence, si la Cour Suprême nigérienne, saisie par le Président de la République, le Président de l'Assemblée Nationale ou 1/10ème des députés, déclare qu'un engagement international comporte une clause contraire à la constitution, l'autorisation de la ratifier ne peut intervenir qu'après la révision de la constitution. Au total, l'on observe que le nouveau texte constitutionnel nigérien est une tentative de réponse à l'instabilité endémique sécrétée par le régime parlementaire dualiste de la troisième République. Ce régime fortement inspiré de la constitution française du 4 octobre 1985 avait la faiblesse majeure d'opposer deux types de légitimités. Le Président de la République dont la légitimité populaire et démocratique repose sur son élection au suffiage universel et direct et le gouvernement dirigé par un Premier Ministre qui tire sa légitimité du parlement. En dotant le Niger d'un régime politique à forte direction présidentielle, l'instabilité politique n'est pas pour autant conjurée. Outre le fait que ce régime procure d'énormes pouvoirs au Président de la République sans 33 D'autres dispositions renforcent davantage le Président de la République. des messages à l'Assemblée (art. 61). Il a le droit de faire grâce (art. 55).
Celui-ci peut adresser
34 Sous la cohabitation, la demande de seconde délibération de la loi a été jugée irrecevable l'Assemblée Nationale, en l'absence du contreseing gouvernemental.
par
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L'EVOLUTION
POLITIQUE
ET CONSTITUTIONNELLE
RECENTE
DU NIGER
contrôle véritable de sanction, le nouvel modèle constitutionnel reste toujours extraverti. Il pêche, à l'image de nombreux schémas constitutionnels africains, par l'absence de toute conformité au vécu culturel sociologique des sociétés africaines. Ce point de vue est défendu par Mbodj35, qui relève avec pertinence que "les conférences nationales auraient pu offiir l'occasion aux gouvernements et élites de réfléchir sur des modèles intégrés. Malheureusement, les résultats de ces assises historiques n'ont pas été à la hauteur des attentes des sociétés africaines dans la mesure où les modèles adoptés n'ont été que de pâles copies de ceux en cours dans les sociétés occidentales". 35
MBODJ E, 1997, «Trois questions sur la démocratie », Revue Démocraties africaines, décembre 1997.
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Laouel Kader MAHAMADOU
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et systèmes africains,
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L'EVOLUTION
POLITIQUE
ET CONSTITUTIONNELLE
RECENTE
DU NIGER
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352
les leçons de l'expérience
Fatimata MOUNKAILA
Femmes
et politique au Niger: représentations
présence
et
Fatimata Mounkaïla Comparatiste, Université Abdou Moumouni, Niamey (NIGER)
Introduction "Femmes et politique au Niger"! Le titre sonne comme une provocation, concernant une science et une pratique qui restent le domaine de prédilection des meilleurs. Dans la société nigérienne d'aujourd'hui, où la masse des femmes ne commence à compter qu'après le moins doué des représentants de la gent masculine, il est certain qu'aucune élite politique ne saurait se coopter parmi des "porteuses de pagnes" qui se classent à peine devant les biens, meubles et immeubles des mâles du pays. Les femmes représentent pourtant un peu plus de la moitié de la population (50,4%); 42% d'entre elles ont un âge compris entre quinze et quarante-quatre ans, et constituent donc une ressource intéressante dans le secteur agricole, commercial et industriel, ainsi qu'une importante force politique potentielle. ( Rapport National, Conférence Mondiale sur Femmes et Développement de Beijing, 1995). Les données statistiques ci-dessus mentionnées expliqueraient-elles pourquoi les hommes politiques nigériens de cette moitié de siècle, qui briguent désormais un pouvoir extra-clan, recourent pourtant presque spontanément à celui-ci pour asseoir leur clientèle? On sait en effet que, de par son étymologie comme de par son fonctionnement la nyakafosin, cercle des yanuwa et danji, première et solide base politique, est cette maison parentale où les femmes trônaient (trônent encore peut-être) en reines par leur nombre et par l'importance de leur rôle, jouant les jonctions entre les lignages et les plateformes de distribution des postes. Malheureusement, cette importante fonction, naguère reconnue par tous, est partout en recul aujourd'hui, parce que les femmes ont été longtemps tenues à l'écart des circuits économiques et politiques, par l'administration coloniale, puis post-coloniale, et parce qu'elles sont aujourd'hui soumises comme elles ne l'ont sans doute jamais été auparavant, à la mainmise de marabouts qui prennent sur eux d'édicter
FEMMES ET POLITIQUE
AU NIGER:
PRESENCE
ET REPRESENTATIONS
désormais toutes les règles de conduite dans la société. Certains d'entre eux prônent en effet clairement le développement d'un islam agressif et misogyne, qui ferait place nette des anciens codes de conduite et autres scories, lesquels ne sont autres que les anciens réflexes claniques protecteurs de la mère, de la soeur et de la fille, et les quelques pratiques traditionnelles qui permettent encore à ces dernières de jouer, avec préséance ou à égalité avec les hommes, les rôles déterminants qui sont les leurs dans certains secteurs de la vie sociale et culturelle. Il ne leur resterait plus, si une telle société voyait le jour, que les attributs qui se conjuguent avec des verbes auxiliaires d'état:
- être épouse, - porter des enfants, - agrémenter accessoirement
le décor et faire tapisserie.
On peut toutefois douter que de telles projections puissent jamais se réaliser, car les admettre telles que formulées ci-dessus reviendrait à occulter justement ce rôle traditionnel clef qui était celui des femmes dans le clan où elles servaient de référence dans l'affectation des postes politiques et autres fonctions importantes de la cité; c'est ignorer cette étonnante constance avec laquelle les leaders de la lutte pour l'indépendance et ceux des régimes postcoloniaux ont fait appel aux femmes pour l'organisation des marches de protestation, des tams-tams de soutien, pour le recrutement des militants. Tout cela semble bien indiquer que, quelque part, les femmes nigériennes demeurent encore des actrices incontournables du jeu politique, même si dans ce domaine-là précisément, tout semble se liguer pour les empêcher de prendre la mesure de ce pouvoir et celle de leurs potentialités. C'est cette langue de bois sur "femmes et politique" au Niger qu'il importe de dénoncer en en démontant les mécanismes. En cela, la marche mémorable des femmes nigériennes, un certain 13 mai 1991, pour protester contre leur sous-représentation à la Commission Nationale Préparatoire de la Conférence Nationale (C.N.P.C.N.), constitue un événement historique. Pour la première fois en effet, sortant la tête de sous le parapluie de l'époux, du père ou du frère et tournant le dos à leurs fonctions séculaires d'égéries et autres adjuvants des carrières masculines, elles ont posé un acte politique dont elles sont expressément les destinataires premières. Mais, la marche du 13 mai 1991 n'est pas un phénomène spontané comme ont tenté de le faire 354
Fatimata MOUNKAILA
croire certains détracteurs et, quelquefois, des défenseurs du mouvement, soucieux de démontrer que les "marcheuses" n'étaient pas manipulées. La marche de protestation des femmes s'inscrit dans une évolution; elle prend appui sur tout un substrat social, culturel et politique et surtout, elle ouvre des perspectives inédites ( donc inquiétantes à certains yeux) pour la composante féminine du pays susceptible de se poser désormais en partenaire. Devoir dialoguer avec des femmes "kamar mutun nda mutum", c'est-à-dire "d'être humain à être humain", constitue bien la problématique politique, féminine, nigérienne, actuelle, sur laquelle il aurait fallu entendre les différents acteurs. Faute de pouvoir procéder à l'enquête directe d'opinion que cela impose, nous avons choisi de cerner les contours de cette problématique à travers les journaux, arbres à palabres de la période de transition et de bilan que vit le pays depuis sa Conférence Nationale Souveraine de juillet-octobre 1991. L'ébranlement démocratique des années quatre-vingt-dix, qui a entraîné une multiplication de leur nombre et un élargissement de leur palette d'opinion, en a fait, croyons-nous, des témoins tout à fait respectables. Il aurait sans doute fallu procéder à une étude diachronique de la participation des femmes nigériennes à la vie politique de ce siècle. Nous avons modestement choisi comme base de réflexion, quelques représentations des femmes nigériennes telles qu'elles ressortent des journaux, tribunes des élites du pays de l'époque actuelle. Toutefois, dans le cadre de cette réflexion qui poursuit une discussion entamée à l'occasion d'un atelier tenu à Niamey du 2 au 4 juin 1996 sur les transitions démocratiques en Afrique, nous n'aurons eu le temps de parcourir qu'un nombre limité de ces journaux. Deux d'entre eux seront systématiquement dépouillés concernant la période indiquée; ce sont:
- Le journal "Haské", pour la place constante qu'il a faite dans ses colonnes à la question féminine, surtout durant les deux premières années de sa diffusion; - L'hebdomadaire "Sahel-Dimanche", organe de la presse publique qui nous a paru, à ce titre, pouvoir refléter ce qui pourrait être la position officielle sur la question. 355
FEMMES ET POLITIOUE
AU NIGER:
PRESENCE
ET REPRESENTATIONS
D'autres journaux de la période seront mis à contribution pour étayer ou infirmer les lignes de force qui se seront dégagées d'un tableau comparatif des données tirées des interviews et articles publiés dans les deux journaux cités en référence. C'est notamment le cas de Hlqra" et de Hl'Avenir" dont les lignes islamistes évidentes peuvent permettre d'augurer de ce que leurs animateurs considèrent être le point de vue des musulmans du pays; et, c'est le cas de HMassoussouka" et HWeybi", animés par ce qu'il est convenu d'appeler la minorité féministe, si souvent décriée par les mêmes islamistes.
1. Le point de presse Le point de presse réduit qui sera dressé à partir de la lecture des journaux cités, ne visera donc pas à faire un recensement exhaustif des problèmes abordés par les interviews et articles examinés; il fera la description des thèmes récurrents d'une problématique qui semble soulever plus de passions qu'elle n'est l'objet d'analyses raisonnées, et, malgré tout, plus d'engouement que ne veut le reconnaître le discours autorisé sur la politique au féminin dans le Niger de ce vingtième siècle finissant.
1. 1. Le discours sur la femme nigérienne D'un journal à un autre, d'un journaliste à un autre et, de la part de leurs interlocuteurs, le thème central du discours actuel sur la femme nigérienne est celui de sa nécessaire promotion. Toutefois, cette promotion n'est jamais envisagée que comme une parure pour une femme nigérienne domestiquée et matée, que des tares congénitales empêcheraient d'accéder à la pleine citoyenneté, en ce que cela suppose de participation aux prises des décisions relatives à la gestion de sa cité. " Dieu a choisi les siens! " semblent, en effet, dire les uns; et, ceux qui ne les suivent pas jusque-là, ne manifestent pas beaucoup de bonne volonté en faveur de la promotion de ces mêmes femmes qu'ils semblent trouver tout-àfait à leur place, là où elles sont, comme elles sont, avec le statut qui semble être le leur, aujourd'hui.
356
Fatimata MOUNKAILA
1.1.1. Pour le repos du guerrier Tous les encadrés du journal "Haské" intitulés "Profil" et consacrés à des personnalités féminines, insistent sur le fait que les femmes promues ont su se garder de devenir de méconnaissables mutantes. L'une "allie féminité et militantisme"; une autre, "dame de fer" certes, garde néanmoins une rassurante "pose très mère de famille"; une autre encore, militante active, a su fort opportunément préserver un émouvant "visage juvénile". Le même journal, qui a pourtant consacré davantage de "profil" à des hommes, ne songe nulle part à faire l'éloge de leurs vertus domestiques, ni à jamais s'extasier sur le visage lissé de quelques-uns d'entre-eux, qui semblent avoir conservé leurs ''joues de lait". Le "Sahel Dimanche" emboîte le pas à son confrère dans cet espace balisé et si féminin qui va de la cuisine aux chemins de la corvée d'eau et de la corvée de bois, et qui semble devoir rester le domaine consacré de la femme nigérienne. L'auteur de l'article "Lettre à ma soeur" du 24 janvier 1992, indiscutablement large d'esprit et de coeur, mais soucieux de son confort alimentaire, revient sur le bon vieux postulat qui veut que, décidément, "le boy ne puisse pas remplacer la ménagère", c'est-à-dire la femme. Il est évident qu'on la préfère penchée sur ses fourneaux ou plutôt accroupie sur les trois pierres du foyer. Il est vrai que, par ces temps difficiles où les hommes ont du mal à pourvoir au contenu de la marmite, son art culinaire et sa dextérité magique sont irremplaçables. Et puis, quand on la sait occupée à attiser un feu qui brûle mal et soûlée du fumet s'échappant de ses casseroles, on est au moins certain que son esprit n'ira pas vagabonder vers ces théories fumeuses et dangereuses qui agitent les têtes de quelques citadines entretenues et oisives. De toute façon, les femmes nigériennes auraient tort de se plaindre, croit devoir ajouter un autre analyste, de leur situation; elles devraient plutôt s'estimer heureuses de n'être pas traitées comme du temps de la Jahiliya où "la femme n'était qu'un instrument de jouissance à la disposition de l'homme qui avait droit de vie et de mort sur elle et la vendait ou l'achetait comme du vulgaire bétail" (Sahel-Dimanche, N°372). Faudrait-il rappeler que dans les temps où ces règles de sauvages avaient cours dans certaines tribus d'Arabie, à en croire l'auteur de l'article cité, notre vieille aire sahélienne de civilisation et de culture avait déjà vu 357
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s'ériger l'empire du Wagadu, les royaumes de Koukiya et du Kanem où les filles mêmes non désirées et "bouches inutiles" n'étaient pas mises à mort pour si peu! De plus, il est aujourd'hui devenu inévitable, de se demander comment a évolué cette immense chance que les femmes sont supposées avoir eue à l'avènement de l'islam. 1.1.2. Par des mots et des maux spécifiques 1.1.2.1. Paresse et fainéantise Les mots paresse et fainéantise censés désigner des maux féminins, sont souvent revenus dans la bouche des interviewers et sous la plume des journalistes-analystes de la situation de la femme nigérienne. ''Nos jeunes soeurs militaires et paramilitaires forcent l'admiration, écrit l'un d'eux, quand on sait que... dans les métiers militaires et paramilitaires, la paresse et la fainéantise n'existent pas"... Voilà un avertissement qui devrait stopper tout net les velléités d'invasion de ces corps par des "nanas" chez qui paresse et fainéantise résonnent comme des maux sans remède. Quand elles obtiennent un poste à la Fonction Publique en effet, leur supposée journée de travail s'inscrit toute entière entre les huit pôles d'activités extra-service que sont le baby-sitting, les obligations sociales (baptêmes, mariages, décès), les obligations religieuses, la pause cassecroûte, les heures de causerie, le bureau-market, le planton de service, le service-patron (Haské, N°98). Tableau de l'Evolution des effectifs des femmes agents de l'Etat de 1987 à 1993 Année
Hommes
Femmes
Tota}
% de femmes
1987
26 587
9595
36 182
26,52
1988
28 536
8211
36 747
22,35
1989 1990
29 466
8443
22,27
30 411
8806
367 909 39217
1991
30 411
9234
39 645
23,3
1992
29 850
38 970
23,4
1993
30 010
9 120 9226
39 236
23,5
22,45
Source: Rapport national préparatif à La Conférence Mondiale sur Femmes et Développement, Beijing, 1995
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Fatimata MOUNKAILA
Les femmes fonctionnaires qui ne représentent pas encore 25% des effectifs, ne semblent pas accomplir le travail pour lequel elles sont payées, confortant ainsi le cliché bien fixé de la nouvelle citadine nigérienne nourrie, logée, blanchie et irresponsable. Seule la femme rurale laborieuse, silencieuse et rassurante image de la mère, se trouve absoute en ce procès, parce qu'elle fait mieux que le label universel classique du "sois-belle et tais-toi"; elle trime et ne dit rien. Infatigable comme on l'aime, muette comme il se doit, pour la suffisante raison qu'à la fin de sa journée de labeur (qui inclut une partie de la nuit), elle n'a plus ni le temps ni la force de remuer sa langue. Et, si d'aventure elle parvenait à le faire, il y a toujours, mise en place à cet effet, une autre femme généralement plus reposée pour lui" clouer le bec". C'est en effet à la femme épousée qu'incombent les tâches domestiques; ses belles-soeurs, quand elles vivent à la maison, donnent tout juste un coup de main symbolique. Par contre, elles sont très actives pour apporter la critique que la belle-mère (distance de génération oblige) ne peut pas formuler directement. 1.1.3. En situation de coépousat Il faut marquer chaque femme comme au football, où chaque joueur est affecté d'un alter ego pour le contrer. Et, comme l'adversaire le plus efficace de la femme est une autre femme, il apparaît indispensable qu'elle soit placée en opposition! Recette séculaire qui a toujours permis de mater les mégères à la maison, sur le lieu de travail à l'extérieur, et dans l'arène politique, si elles s'avisaient de s'y aventurer. Le jeu suppose bien entendu l'existence d'un deus-ex-machina qui en contrôle les règles et décide de la fm de la partie. En cas de besoin, cette opposition peut être construite. L'illustration en a été donnée dans l'histoire politique récente du Niger par l'affrontement fratricide A.F.N./R.D.F.N., deux associations féminines parrainées, aux dires de certains médias, par des partis politiques, probablement parce que leurs présidentes respectives militent dans ces partis. Ce sont là quelques thèmes itératifs du discours sur la femme nigérienne tel que lus, dans des journaux de la place et qui, pour l'essentiel, est l'écho de la palabre des hommes. Le portrait qu'il brosse se doit d'être complété par les femmes elles-mêmes.
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ET REPRESENTATIONS
1.2. Le discours de la femme 1.2.1. Paroles de femmes L'Essence du verbe, titre d'un recueil de proverbes et de nombreux mots de femmes rassemblés par Boubou Hama, est, selon l'auteur, la réponse à la question que suscite le noeud (objet de curiosité et de défiance) qui se balance au bout de la bande-ceinture du pagne traditionnel de la femme songhay-zarma. Ce noeud, dit-on, non sans misogynie, est quasiment la cave de maturation des potins du village; mais, il est peut-être surtout le réceptacle d'un autoportrait qui se lit à travers quelques proverbes de pileuse (duru-ka-yaasey), quelques poèmes sur les noms (zamu) et quelques textes qui rythment les pas de danse au tam-tam. Ce portrait exprime rêve et révolte. "La belle est à Koumassi A l'ombre des boutiques. Loin des corvées d'eau, Loin du méchant pilon". (Hama, 1989, texte N° 1170), Chante, sur le rebord du mortier, la jeune femme songhay-zarma qui s'imagine que la femme des pays d'immigration n'est pas soumise au pilage. "J'ai entendu oh mort, oh mort, oh mort, des pleurs et en ai demandé la cause On me dit que ma belle- mère est morte Que ma méchante belle mère est morte Qu'il ne subsiste que I 'homme Lui, ne vous brûle pas les mains, Il ne vous brûle pas les pieds, Mais un mécréant n'est pas à négliger Il faudrait que demain à la même heure Il soit mort lui aussi" (Risilliat et Laya, 1972) 360
Fatimata MOUNKAILA
Toutefois, ces cris de révolte ne remettent jamais en cause le tutorat des hommes; et, l'image de la plénitude féminine reste encore toute contenue dans ce poème sur les noms, dédié aux Aïssatou. "Lobbo épouse du Prophète Mère et épouse de chef Qui a enfanté un chef Et qu'un chef a enfanté" 1.2.2. "Massoussouka"
(Bisi/liat et Laya, 1972).
et "Weybi"
"Massoussouka" et "Weybi" sont deux journaux féminins édités l'un par par le Ministère du Développement Social et de la Promotion de la Femme, et l'autre par une ONG féminine nigérienne, "Weybi". Le ton y reste constamment mesuré dans les éditoriaux ministériels comme dans les articles qui témoignent d'expériences vécues par des femmes. Les seuls cris qu'on trouve sont des appels au secours pour implorer la pitié des hommes qui désertent leur foyer, ou de ceux qui maintiennent le projet du code de la famille dans une interminable gésine. Voilà qui renvoie bien au postulat qui veut qu'il n'y ait pas au Niger de cause justifiant que les femmes se mobilisent et surtout qu'elles descendent dans l'arène politique, puisqu'on s'occupe de tout pour elles et pour leur plus grand bien. C'est pour leur bien en effet qu'on choisit pour les enfants mineurs et c'est pour leur bien qu'il est important de décider pour les femmes incapables de discernement. Toutefois, compte tenu de leur âge parfois certain, puisque les statistiques indiquent qu'au Niger aussi, elles vivent en moyenne plus longtemps que les hommes, les femmes ont besoin davantage d'entraves pour les faire se tenir à leur place. C'est à cela que s'emploient ceux qui oeuvrent à leur faire un statut sur mesure.
2. Un statut sociologique:
"kukumf'
"kukumi" est cet appareil qui maintenait contre leur tronc les membres supérieurs des esclaves pour leur interdire toute velléité de fuite, un peu comme le statut social en cours d'institutionnalisation de fait, qui vise à
361
FEMMES ET POLITIQUE
AU NIGER:
PRESENCE
ET REPRESENTATIONS
limiter les libertés de mouvement des femmes nigériennes actuelles et futures. Au cours de la très populaire et certainement très écoutée émission radiophonique "La boite aux questions" du 4 septembre 1996, une femme intervient en un long plaidoyer pour l'instruction des filles et de leurs mères avec des arguments du style: "si vous éduquez un homme, vous n'éduquez qu'un individu; si vous éduquez une femme, vous éduquez toute une nation". L'animateur, air du temps oblige, l'écoute jusqu'au bout, indisposant par la même occasion nombre d'auditeurs qui protestent.
- "Alfa,
dit le premier intervenant, ces femmes que vous voulez qu'on instruise, pourrons-nous les tenir encore" ?
C'est, sans aucun doute là le maître-mot de la problématique; celui qui résume le mieux les causes de l'inertie générale concernant la question des femmes au Niger, où les hommes semblent désirer par dessus tout les sentir tenues en laisse. - "C'est Dieu lui-même qui nous les a livrées dans les mains, le rassure l'animateur; qu'elles aient plus de savoir que le dictionnaire lui-même, n'y changera rien". Voilà qui devrait calmer les inquiétudes de ceux qui craignent qu'en devenant instruites et informées, les femmes ne découvrent que les droits exercés sur elles ne sont que des privilèges, alors que la justice et l'équité ne s'accommodent que de mérites!
2. 1. "Maa-si-cey": les innommées L'arme est ancienne et toujours fonctionnelle, comme le démontre par exemple, l'émergence du thème pour le moins insolite de l'intégration des femmes (des femmes rurales en particulier) au développement, devenu un thème fédérateur pour les associations et ONG féminines. Que faisaient donc les femmes rurales avant que ne s'impose ce thème onusien universel et où se cachaient-elles? La réponse à cette double question est, elle aussi, double: Les femmes n'existaient pas tout simplement puisqu'elles n'étaient pas mentionnées sur le champ du développement, objet de quête de toute société.
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Fatimata MOUNKAILA
Et, si elles existaient, elles ne faisaient rien! Comme ces millions de ménagères du vaste monde dont les pièces d'identification portaient dans la rubrique indiquée, l'expression: "sans profession". En Afrique, plus que partout ailleurs peut-être, le verbe donne existence aux choses. C'est pourquoi la façon la meilleure et la plus efficace d'annihiler les êtres et leurs actes est de les passer sous silence. C'est bien là en effet la raison des prisons dans le monde entier! Au plan économique, au plan politique, domaines où se prennent les décisions importantes, il semblerait qu'il suffise de ne point nommer les femmes pour leur dénier toute autonomie. Ainsi, leurs actions économiques, leurs actions politiques peuvent-elles plus facilement se placer et demeurer sous l'étendard du héros de la famille, du clan ou du parti politique. Les femmes sacrifient leurs biens et dépensent leur intelligence pour tout juste pouvoir, dans le meilleur des cas, dire à la première personne du pluriel, "Notre bras est désormais haut levé", nous avons gagné! Une des plus célèbres femmes nigériennes du début de ce siècle, héroïne d'épopée, Lobbo Jango, doit sa renommée au fait d'avoir mis sa beauté et ses immenses troupeaux au service de son frère, afm qu'il soit rétabli sur le trône qui lui avait été usurpé (Laya, 1991, p. 83).
2.2. De l'absence
de pouvoir à la négation des droits
Sujets de seconde zone, les femmes nigériennes sont d'abord des sans-droits puisqu'elles ne peuvent ni décider, ni choisir. Ce qu'elles sont et ce qu'elles possèdent se trouvent de fait placés sous tutelle conformément au proverbe Songhay-zarma qui dit que "le poussin et ses intestins, le tout est pour l'épervier!" Ses droits même formellement reconnus sont constamment frappés d'iniquité, faussés qu'ils sont par les obstacles placés sur le chemin de leur juste mise en application. 2.2.1. Le droit à l'éducation De par sa loi fondamentale, la Constitution de la République, le pays oftte les mêmes droits d'accès au savoir aux filles et aux garçons. Dans la mise en pratique de ce droit hélas, trop d'obstacles, trop de difficultés, trop de sacrifices s'imposent aux unes et pas aux autres. A la rentrée 1994-1995, le pourcentage de filles inscrites dans l'enseignement du premier degré était 363
FEMMES ET POLITIOUE
AU NIGER:
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ET REPRESENTATIONS
de 37,3% (D.N.E.S.C.OI I.S.E.S.C.O, 1996); encore convient-il remarquer que cette moyenne générale est loin de refléter disparités régionales criantes. Pour le département de Maradi par le ratio était d'une fille pour quatre garçons en 1994 (D.N.LC.E.F.,
de faire certaines exemple, 1994)
Quand la famille est trop pauvre pour supporter les frais d'une scolarisation laïque ou religieuse, la fille ne constitue jamais une priorité! Lorsque la carte scolaire trop pauvre impose de longues distances à parcourir jusqu'à l'école, seuls les garçons déchargés des tâches domestiques quotidiennes pourront effectuer les déplacements nécessaires. Les filles, moins nombreuses à l'entrée à l'école, sont proportionnellement plus nombreuses à abandonner des études qu'elles ne peuvent pousser bien loin, faute d'argent, faute de temps, faute de sollicitude parentale! Ce sont elles qui sont toujours surchargées de travail à la sortie des classes; elles qui ont difficilement accès aux bibliothèques et autres lieux de culture parce que leur espace est d'abord celui de la domesticité; elles enfin qu'on marie pour avoir le gendre ou le beau-:&ère capable de soutenir la famille démunie. Il n'est donc guère étonnant que ce soit elles qui affichent, au coeur d'une misère scolaire généralisée, le plus fort taux d'illettrisme. 2.2.2. Le droit au travail Les Nigériennes ont droit au travail à condition d'accepter les emplois les moins rentables et les moins valorisants. Quand elles sont agricultrices, elles n'ont accès qu'à de petits lopins de terre, souvent pauvres, pour y effectuer des cultures de femmes, c'est-à-dire de peu d'importance. Et comme elles sont rarement propriétaires, l'exploitation qu'elles font sert très souvent d'étape transitoire dans la restauration de la fertilité des sols; ce sont, dans la plupart des cas, les reprises de jachère qui leur sont allouées afin qu'elles y pratiquent le nettoyage nécessaire avant leur retour à l'agriculture sérieuse. Dans le secteur tertiaire de l'économie où elles sont de plus en plus nombreuses aujourd'hui, elles ne peuvent bénéficier que des promotions qui ne mettent pas trop à mal "1'honneur" machiste des hommes. ''Nommer une femme sous-préfet n'est pas du goût de tout le monde. En tous cas les populations d'un arrondissement du département de Tahoua n'ont pas du tout apprécié la nomination de la première femme à la tête de leur territoire" (Sahel-Dimanche N°361 du 17 janvier 1999.) Il faut bien croire que ce commentaire euphémique est loin de rendre compte de la levée 364
Fatimata MOUNKAILA
de boucliers qu'occasionna cette nomination, puisque la dame en question fut vite relevée de ses fonctions. Même quand les protestations n'ont pas cette véhémence, la nomination d'une femme à un poste de responsabilité ne laisse pas d'inquiéter, comme l'attestent les doutes sur son autorité qui transparaissent dans les interviews consacrés aux femmes promues. "Mon colonel, une dame à la tête d'un bureau de douanes comme celui de Gaya, ce n'est pas facile. Comment vous sentez-vous avec le personnel masculin ?" (Sahel-Dimanche N°368) Et l'on pourrait répéter cette question à l'infini en y substituant les différents titres considérés comme prestigieux, parce que réservés, et qu'il a été donné à des nigériennes de porter.
2.2.3. l'autonomie financière L'autonomie financière, même si elle est effective pour quelques femmes, n'est jamais, vraiment, socialement envisagée. Agents économiques incontestables, les femmes nigériennes ne sont tolérées comme tels qu'à condition de ne pas brasser des affaires rentables et d'envergure. De l'aveu même de certains d'entre eux, nombreux sont les hommes nigériens qui préféreraient vivre pauvres avec leurs épouses que de les voir "décoller" économiquement. Tout est d'ailleurs mis en oeuvre pour les en dissuader: le chantage au mariage dans une société où n'est prévu pour elles que le statut d'épouse! Et quelle épouse? Ailleurs, être épouse est sinon l'épanouissement, du moins la garantie de quelques droits; la vie de l'épouse nigérienne ne semble comporter que des devoirs émaillés de menaces de privations: le chantage d'être privée de ses enfants qui appartiennent au clan du père; le chantage d'être privée de toit parce qu'elle n'a pas de maison (son statut la voulant éternelle locataire expulsable à tout moment); les difficultés d'accès aux divers capitaux de production (terre, crédit, intrants agricoles, etc.); le fait enfin que le nouveau poids financier acquis ne se soit pas traduit pour elle en poids politique accru ou en plus de responsabilité dans son foyer. Même la nouvelle génération de maris qui s'accommodent pourtant fort bien d'épouses payant leur impôt propre, le loyer, les factures d'eau et d'électricité, voire le riz et le sel, prétendent toujours que la décision de la dépense leur revient à eux seuls. En somme, ils veulent tout: "le beurre et l'argent du beurre" ! (Ilboudo, 1993 ).
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FEMMES ET POLITIQUE
AU NIGER:
2.2.4. Les droits civiques
PRESENCE
ET REPRESENTATIONS
et politiques
Les différentes constitutions et autres textes réglementaires affirment sans ambiguïté des droits égaux pour les femmes et les hommes du Niger. Mais les hommes, plus informés, s'appuient sur d'autres réalités pour priver les femmes de leurs droits. Ainsi en est-il du droit de vote explicitement reconnu aux femmes, mais trop souvent exercé par les hommes à travers des procurations. De fait, si la société nigérienne et ses hommes sont prêts à faire des concessions aux femmes, à leur ouvrir des lignes de crédit pour un peu d'instruction, pour un peu de commerce etc..., ils s'avèrent bien peu enclins à faire le même effort dans le domaine de la politique où les postes et les rôles sont octroyés aux femmes avec parcimonie. Le constat qui s'impose est tout simplement que la reconnaissance de leur mérite en politique n'est pas à l'ordre du jour dans une société pétrie de préjugés à l'égard des femmes.
2.3. Préjugés et inhibitions 2.3.1.
Femmes
en situation
de culpabilité
"Beene ga hirri hari si kaa wo wayhiiji tajo bono ka kanda"
soit à peu près: "que le ciel se couvre de nuages sans qu'il pleuve ne peut être qu'un effet de I 'heur de la nouvelle épousée ". dit un proverbe que les pileuses scandent sur les rebords de leur mortiers. Même si ce proverbe est comme tous les autres, à interpréter au second degré, le choix du vocabulaire ne saurait être innocent. La réalité qui est ainsi directement traduite est que la femme nigérienne n'a pas besoin de mal agir, ni même d'agir tout court, pour être coupable. A elle sont attribués les maux qui découlent des choix inconsidérés que peut effectuer son mari et quelquefois des membres de la famille de celui-ci. Si les affaires de sa famille d'accueil en viennent à péricliter, ce ne peut être qu'un effet de sa méchante malchance. De plus, il est tout à fait rare, dans un pays où l'espérance de vie était de quarante-six ans en 1992, qu'elle soit tenue 366
Fatimata MOUNKAILA
comme innocente du veuvage qui viendrait à la trapper par exemple (Sahel Dimanche, N°647). Par contre, il ne viendrait à l'esprit de personne de faire porter aux maris la responsabilité même partielle de la mort en couches et de l'infirmité irréversible de toutes ces jeunes femmes victimes de grossesses précoces, et qui n'ont pu supporter l'épreuve de la parturition. Néanmoins, disent les agriculteurs songhay-zarma du Niger, "quand on a dénoncé la vache, il faut aussi dénoncer le berger! car c'est conjointement qu'ils sont coupables des dégâts que le bétail fait dans les champs de mil". En effet, si les situations d'injustice perdurent et se maintiennent si bien, c'est aussi parce que les femmes elles-mêmes y contribuent largement par leur propre aliénation. "La femme, ennemie nOl de la femme" ? titrait la rubrique "FémininPluriel" du journal burkinabé "L'Observateur-Paalga" du 17 août 1993; question à laquelle répond, comme en écho, une nigérienne interrogée par un autre journal. "Le premier piège que la femme doit déjouer, c'est la femme elle-même, parce que c'est la femme qui élève et éduque les enfants, la femme qui transmet les valeurs, la femme qui pratique l'éducation différenciée". Elle est souvent, directement ou non, l'agent d'exécution des diktats mêmes les plus défavorables aux femmes. Et, comme elle le fait de bonne foi, sa propre aliénation constitue un obstacle plus difficile à lever que les brimades quotidiennes occasionnées par le sexisme des hommes.
2.3.2. La confiance en soi "Il Y a deux composantes dans la question de la confiance en soi: le savoir et l'audace" (Ilboudo, L'Observateur-Paalga, 17 août 1993). Or, l'un et l'autre font souvent cruellement défaut aux femmes, du fait de la sousévaluation de leur savoir comme de leur travail et de la méfiance que suscite l'audace chez elles. "Mère-courage se sacrifiant pour ses enfants, épouse-vestale entravée par son amour oblatif[...] Oui! Mais une femme sûre d'elle, décidée, ambitieuse devient vite suspecte" ajoute Monique Ilboudo. La confiance en soi est avant tout estime de soi; ce qui est bien loin de cette vérité acceptée et intériorisée quelquefois: "je ne suis qu'une femme! qu'est-ce qu'une femme peut connaître" ? Quand on est si désarmée, que peut-on descendre faire dans 367
FEMMES ET POLITIQUE
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ET REPRESENTATIONS
l'arène politique où la démagogie est reine? si ce n'est faire ce que font la plupart des femmes dans ce lieu: "écouter religieusement même ceux qui débitent avec aplomb des fadaises" (Ilboudo, 1993). Or, si les femmes peuvent avoir de ce point de vue les yeux d'un enfant, elles n'ont plus l'âge de pouvoir déclarer comme lui, que "le roi est nu"! 2.3.3. L'amalgame
d'arguments
démobilisateurs
Le passage qui conduirait les femmes à l'action politique efficace apparaît donc particulièrement bien verrouillé. Mais quelques-unes réussissent malgré tout à se voir octroyer une promotion comme solde de leur engagement politique. Quand cela se produit, les prétextes ne manquent pas qui permettent de profiter des quelques promues ou de toute autre femme montrant quelques velléités d'indépendance pour, à travers elles, régler leur compte à toutes les femmes. De plus, il est rare que les promues soient prises à partie sur leurs compétences, par exemple; on les attaque de préférence sur leurs moeurs, sachant que le public est friand de ce déshabillage que les songhay-zarma nomment Hbangu-feeray", les hausa, Htonar asiri". Dans ces cas-là, le consensus si difficile à obtenir par ailleurs, se fait sans difficulté pour faire feu de tout bois, le plus important étant de barrer la route vers plus de justice et plus d'équité dès lors qu'il s'agit d'une femme. 2.3.4 . C'est une femme I C'est là, sans aucun doute, l'argument final, l'argument massue quand on est à court d'arguments. L'illustration en a été donnée récemment par l'éditorialiste du journal "Tribune du Peuple" N°163 du 30 août 1996 qui écrit: " du reste, si les échos qui nous parviennent sont justes, il faut dire que l'imminente nomination de Mariama Rima au poste d'ambassadeur du Niger en France, indique ce que serait la diplomatie nigérienne sous le règne du C.S.N. (Conseil de Salut National). Nous ne sommes pas misogynes ... mais quand-même...". Si la dame que l'on dit pressentie pour le poste possède des travers qui lui interdisent de remplir la fonction, ceux-ci ne sont pas mentionnés par
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Fatimata MOUNKAILA
l'auteur de l'article qui ne semble lui reprocher, "sans être misogyne", que le fait d'être une femme! Finalement, force est de constater que les femmes constituent un terrain facile pour la propagande des anti-démocrates, nombreux dans le pays. C'est au compte de cette propagande qu'il faut inscrire "la chasse aux porteuses de jupe" déclenchée en 1993 dans les villes de Zinder et Niamey, le sac du siège régional de l'Association des Femmes du Niger (A.F.N.) de Zinder, les actes de vandalisme perpétrés dans les maisons supposées servir de boutiques de prostituées, dont on occulte le fait qu'elles ne puissent marcher qu'avec la complicité des partenaires. On voit ainsi comment et pourquoi les promotions de femmes déclenchent toujours ces réactions passionnelles que ni I'histoire du pays, riche en figures féminines emblématiques, ni son présent, marqué par d'authentiques réussites féminines, ne peuvent justifier. Seule peut en rendre compte, une certaine paraculture nigérienne, avatar de l'évolution récente du pays, dans laquelle se complaisent certains que leur paresse intellectuelle pousse à vouloir conserver des privilèges.
3. Des arguments militants 3.1. Figures emblématiques des mythes et légendes 3.1.1. Harakoy Dikko, la maÎtresse
du fleuve.
Le mythe de Harakoy Dikko, célèbre génie d'eau qui régente le bras oriental de la boucle du fleuve, paraît riche d'indications sur ce qu'a pu être le statut de la femme dans la région. Dikko tient, il est vrai, de la "Mamy Ofwater", Mamy Watta, dévoreuse d'hommes des côtes du Golfe de Guinée; elle tient de la sirène méditerranéenne, égareuse de marins; elle tient de la "ko-danganji", locale qui pousse le jeune homme amoureux dans la brousse inconnue et sauvage. Mais Harakoy Dikko est aussi et surtout un ciment inter-ethnique donc politique, comme le montrent des portraits dressés par divers chercheurs.
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FEMMES ET POLITIQUE
AU NIGER:
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ET REPRESENTATIONS
3. 1.1.1. Dikko vue par Jean Rouch "Zabéri habitait Bandio quand il entendit parler d'une femme génie très belle Alahawa, qui flânait dans la région du "W". Ils se marièrent et restèrent habiter à Gambou. Ils eurent une fille au teint clair qu'ils nommèrent Dikko (nom de la première née chez les peul). Zabéri et Alahawa divorcèrent suivant leur coutume qui veut qu'une femme divorce dès qu'elle a un enfant d'un homme. Quand Dikko fut grande, elle resta à Gambou, mais sa beauté était telle que les génies venaient de très loin pour l'épouser. Comme elle divorçait après avoir eu un enfant, Dikko eut beaucoup de maris et beaucoup d'enfants" (Rouch, 1989). 3.1.1.2.
Portrait par Adam Konaré-Ba
"Déesse du fleuve Niger chez les Songhay de Gao, d'Ansongo et de la République du Niger, elle siège à Dara (près de Niamey). Harakoï Dicko serait la mère des génies Torou (holey) divinités intermédiaires entre les hommes et Irkoi: le Maître Créateur" (Konaré-Ba, 1993).
3.1.1.3. Portrait par Boubé Gado "Za-Beeri quittant le Dargol, sur la rive droite du fleuve Niger, se fixa alors dans l'île de Gambou, dans le W, auprès de son épouse Hala Hawa, femme pullo du Boumba Ganji ou "Brousse de Boumba". Celle-ci lui donna une fille d'une remarquable beauté, Harakoy Dikko dont les tribulations matrimoniales allaient élargir le groupe holley, notamment des looru magistraux, et sceller l'alliance entre les hommes et les dieux" (Gado, 1984). 3.1.1.4.
Portrait par Boureima
Diadié
Dans la version "La vie conjugale mouvementée de Harakoy Dikko" rapportée par Boureima Diadié, c'est l'arrière grand-père Watakari Gambo qui affirme avoir juré que la déesse n'aurait pas plus d'un enfant pour chacun des mortels qui l'épousera. Mais cette déclaration vient en explication au refus de Dikko de rester l'épouse du père de son premier fils 100m Ciray" (Diadié, 1993).
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Fatimata MOUNKAILA
3. 1. 1.5. Portrait par Paul Stoller Paul Stoller enfm, dans sa présentation des tooru complète de façon indirecte cette série de portraits. "The most important toom are the children of Harakoy Dikko, the goddess of Niger River These children comprise a multiethnic composite because Dikko was the wife and or concubine to numerous mortals ofvarious ethnic groups" (Stoller, 1989). Il ressort de cette série de commentaires, le séduisant portrait d'une "mante religieuse", championne de sociologie politique. La dame libre du fleuve est en effet l'adepte du principe de "ize kulu nda nga baaba", "à chaque enfant son père", aujourd'hui tant décrié par la société songhay-zarma, laquelle en a même fait le type de la vie conjugale et familiale ratée pour une femme, afin de pousser "les filles de Harakoy" à toujours plus de soumission, de dévouement et de sacrifice. Dikko est l'exemple de la femme qu'on ne répudie pas, puisque c'est elle qui renvoie ses maris en restant arrimée à son rocher de Dara, près de Niamey. Spécialiste de géopolitique, elle noue avec les ethnies environnantes l'alliance indéfectible entre toutes, celle du lait! Femme peule, elle donne à son fils aîné songhay Ciray, un frère touareg Muhamma, un ftère gourmantché Musa Nyawri, un ftère batoonu (fils adoptif de Dikko) Dongo, un frère haoussa Manda Hawsakoy. Elle boucle ainsi en précurseur de l'intégration africaine, les quatre coins cardinaux de l'espace songhay-zarma dont elle pousse toujours plus loin les frontières. Harakoy Dikko est par ailleurs la personnification d'un autre mythe sahélien vivace, celui de "la beauté source de droits", aujourd'hui battu en brèche par des islamistes toujours plus intolérants, toujours plus possessifs, qui exigent qu'on "cache cette beauté qu'ils ne sauraient voir". Le mythe est intéressant enfm en ce que son héroïne sert de personnage charnière d'une révolution politico-juridique. Fille d'un père on ne peut plus songhay, puisqu'il s'appelle Zabéeri, Dikko est déclarée peul parce que sa mère appartient à cette ethnie; elle est par contre la mère de fils songhay, touareg, gourmantché, haoussa comme leurs pères respectifs, selon la règle patrilinéaire et patriarcale en vigueur aujourd'hui.
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FEMMES ET POLITIQUE
3.1.2.
Tine
Hinane
AU NIGER:
PRESENCE
la touarègue
ET REPRESENTATIONS
et les autres
"Les Touareg ne reconnaissent comme origine qu'une seule reine commune, celle qui fut leur grand-mère à tous: la reine Tine Hinane dont la tombe se trouve près de Tamanrasset dans le petit village d'Abalissa" (Hama, 1967, p. 124). De fait, si l'on en croit F. Nicolas, les traditions touaregues sont pleines de ces fondatrices de groupements. "La mère des Imâjer' en kel Ferwân vint des Azg'er avec quelques compagnes en Aër où elle obtint la détention du sol du territoire du N.W. d'Aïr, en douaire (akh-eddâren). Bâchcha, mère des Kel Ferwân, fut donc dotée de ce pays et livra en contre-dot un sabre (takûba), puis elle appela à l'occupation, ses hommes d'armes (Kel ég'en) avec son ttebél (tambour de commandement). La mère des Itésen, Tyiwuggés, fit de même. Les Taïtoq et les Fadey disent descendre de la même façon de la mère Ti-n-Hénân". (Nicolas, 1950, p. 491). Les petites filles actuelles de ces fondatrices de groupements, sans être à la tête de royaumes, jouissent néanmoins d'une position privilégiée dans le cercle de famille. "La femme en milieu nomade est monogame et le mariage d'une deuxième épouse entraîne immédiatement l'annulation du premier", écrit Adam Konaré, présentant la situation des femmes du Mali (Konaré-Ba, 1993). 3.1.3. Kassaï Si de Gao Kassaï Si est cette princesse songhay de Gao, que la tradition orale donne comme un pion essentiel de l'accession d'Askia Mohamed sur le trône (Hama, 1976; Hale, 1989). La tradition raconte que Sonni Ali Ber ayant été avisé par les devins que sa soeur Kassaï mettra au monde un fils qui le destituera pour monter sur le trône, l'empereur entreprit de prévenir le malheur en faisant mettre à mort tous les enfants mâles que sa soeur serait amenée à avoir. Cette dernière réussira pourtant, grâce à un subterfuge providentiel, à soustraire le futur empereur à la vindicte préventive de son oncle. Hélas, il fallait que ce qui devait être fût ! Et quand Mohamed Askia, à la fois parricide et régicide, vissa contre la peau où il était assis, l'empereur, c'est encore sa mère qui s'interpose pour le sauver d'une mort
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Fatimata MOUNKAILA
certaine en criant que le cavalier assassin n'avait tué que son oncle! Affaire de famille donc, et argument auquel se soumet l'assistance. C'est à ce moment là que le griot, prenant la mesure de l'événement qui venait de se produire, le fixe pour la postérité en deux vers: "
Mamar Kasay-ize te bon se zungudaani
Mamar Kasay-izé
te bon se boro mana te"
soit ,
'Mohamed fils de Kassaï qui s'est crée tout seul
Mohamed fils de Kassaï qui s'est fait sans l'aide de personne ", deux vers qui effaceront des mémoires, le rôle attribué par la légende à Kassai dans le changement de dynastie au songhay! Peut-être même que si la maternité n'avait pas été ce lien de parenté tellement incontestable, on lui aurait enlevé jusqu'à la réalité d'avoir été la mère de son fils. On sait bien pourtant que Kassai n'était pas n'importe quelle femme, qu'elle était princesse et mère dans un contexte qui gardait encore les marques de l'importance du rôle social dévolu à la femme afticaine (Konaré Ba, 1993) et qu'elle était surtout une grande magicienne. Boubou Hama a d'ailleurs magistralement illustré ce pouvoir dans sa pièce La Force du lait. Poussés dans leurs derniers retranchements en effet, les hommes ne jurent plus que par leur mère.
3.2. Figures emblématiques
de l'histoire
3.2.1. Sarraounia Mangou de Lougou Entrée dans les bibliothèques avec le livre Le Grand Capitaine de Rolland, Sarraounia Mangou doit sa renommée de résistante à la pénétration coloniale au Niger essentiellement au roman d'Abdoulaye Mamani, porté à l'écran par le cinéaste mauritanien Med Hondo. Les deux oeuvres lui font jouer ''un rôle décisif dans la désorganisation puis la débâcle de la mission Voulet- Chanoine". Mais, derrière le personnage de fiction, conductrice d'hommes décrit par le roman, se trouve bien une amazone historique et la reine actuelle des azna.
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ET REPRESENTATIONS
"La Sarraounia est une autorité morale et spirituelle de l' Arewa. La tradition populaire de Lougou la considère comme la principale force spirituelle. La célèbre pierre de jugement Tunguma aurait été amenée par la première Sarraounia venue de Daoura" (Alpha Gado, 1993). Toutefois, Sarraounia Mangou ne s'est pas seulement contentée d'envoyer à la colonne ennemie ses flèches occultes, si on en croit ce témoignage d'un historien: "Voulet et Chanoine espèrent probablement traverser le dallol Mawri sans plus rencontrer la moindre résistance quand, aux alentours du village de Lougou, ils voient se dresser devant eux l'armée de la reine Mangou, « réceptacle des forces spirituelles du pays mawri. Le combat s'engage. Mais, face au feu puissant que crachent les fusils des hommes blancs, les troupes de Lougou finissent par céder du terrain non sans s'être défendues avec beaucoup de ténacité» (Salifou, 1989). 3.2.2. Les reines guerrières
du Nord-Nigéria
Ce qui gêne, note en substance Abba, c'est le petit nombre d'écrits sur la situation des femmes avant le Djihad de Shehu Ousman Dan Fodio (I.A. Abba, 1980 ). Néanmoins, on peut, à partir des recoupements entre les informations diverses émanant de l'aire sahélo-soudannienne, voir se dessiner un statut de la femme qui était bien meilleur dans tous les empires et royaumes d'avant l'ère des états théocratiques du Soudan. "From the few sources available, it is clear that women played a very important role in the political life of the Kanem/Bomo empire, Daura (Queen Dawrama) and Zazzau (Queen Amina). In Kanen/Borno, there was the Magira (Queen mother) Magara (the Mai's official elder sister) and Gumsu (the first wife of the Mai). They had great power and influence. Traditionally before the 19 th Century Jihad, women in many hausa states held titles and offices such as Iya, Magagiya, jakadiya etc. and some continue to do so today" (Isa. A. Abba, 1980.). Les reines guerrières de l'ancien Zazzau sont parmi les plus célèbres, notamment la vingt-deuxième reine Bakwa Turunku et plus tard ses filles Amina et Zaria. " Zaria, under Queen Amina, conquered all the towns as far as Kwararafa and Nupe : Every town paid tribute to her "(Mack, 1991).
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Fatimata MOUNKAILA
Même sans exercer directement le pouvoir, les autres femmes de l'aire culturelle sahélo-soudanaise avaient un bien meilleur statut sociologique qu'aujourd'hui, notamment dans les grands empires médiévaux que furent l'ancien Mali et l'ancien Songhay. "Aux temps mythiques et légendaires et même au temps des souverains animistes que furent les Sonni, ce rôle (le rôle joué par la femme) a été considérable. Mais avec les A skia, édificateurs d'une civilisation négroislamique, les femmes retournent au gynécée, sous le voile dans les grandes métropoles (Gao, Tombouctou, etc.) tout au moins, où se concentrent les gestionnaires du pouvoir politique, économique, c'est-à-dire les décideurs" (Konaré-Ba, 1993). L'avènement des Etats théocratiques du 19è siècle à travers tout le Soudan consacre cette marginalisation que les régimes ultérieurs vont parachever. Ainsi, dix siècles de rencontre avec l'Islam et un siècle de soumission aux valeurs occidentales par le biais de la colonisation européenne ont peu à peu réduit l'ancienne complémentarité des rôles féminin et masculin en infériorité féminine. Désormais, la femme n'aura plus accès aux grandes charges politiques, sociales, religieuses ou économiques du fait de l'action conjuguée des islamistes, des administrateurs coloniaux et des nouveaux acteurs du développement, qui, pour une fois, réussissent un parfait consensus:
- les premiers
ont trop souvent mis en exergue et quelquefois manipulé
les hadith les plus défavorablesaux femmes;
- les seconds firent "passer de nouvelles techniques de culture sans jamais s'adresser aux femmes, et commencèrent la scolarisation des garçons sans appeler les fillettes" (Gentil, 1970); - les derniers
enfin, posant le pied dans les sillons déjà tracés n'apprirent l'utilisation du fongicide, de l'engrais et de la culture attelée qu'aux seuls hommes. Pourtant, ces coups de boutoir répétés n'ont pu venir à bout des anciennes structures, dont les vestiges demeurent encore de possibles tremplins pour l'entrée des femmes dans les salles des conseils où se prennent les décisions.
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PRESENCE
ET REPRESENTATIONS
3.3. Les tremplins politiques 3.3.1. Les titres féminins des cours Haoussa Les Iyya, Inna (mères des souverains), les Madaki ( première épouse), si elles ne siégèrent pas sous l'arbre à palabres, furent néanmoins des conseillères écoutées. Dans les temps actuels encore, le rôle occulte ou non, collé aux mères et surtout aux épouses, reste important dans l'imaginaire populaire. Les sobriquets divers dont on continue d'affubler les épouses des hommes au pouvoir sont à cet égard tout à fait édifiants. Aïssa Diori, l'épouse du premier Président de la République du Niger, fut surnommée "l'Autrichienne (référence à la reine Marie-Antoinette) par les étudiants nigériens nourris d'histoire de France" (Wauthier, 1995). A un niveau moins élevé, les hommes nigériens plus ou moins puissants, qu'on soupçonne, trop souvent à tort, d'être des umijin hajiya" ("le mari de hajiya") c'est-à-dire "ne portant pas la culotte dans leur foyer" et par extension dans leur fonction politique, sont légion. 3.3.2. Le rôle royal de la tante paternelle. En milieu songhay-zarma, haoussa, peul... du Niger, la tante, soeur du père, joue un rôle de premier plan dans les rites d'intégration (baptême, mariage, etc.) des enfants. Véritable trait d'union entre les lignages, "elle relie dans l'assemblée de la cérémonie du nom, l'univers extérieur (celui du père entouré des amis et alliés) à l'univers intérieur de la case autour de la mère de l'enfant" (Bisilliat et Laya, 1972). De même, "dans le rite de passage qui fera de la jeune fille une épouse, c'est elle qui arrache la fille à son patrilignage pour la faire entrer dans le patrilignage de son mari" (Bisilliat et Laya, 1992). 3.3.3. Un matriarcat touareg? Même s'il faut de plus en plus en parler au passé, les vestiges d'un matriarcat touareg restent encore lisibles à travers diverses attitudes sociales en cours dans ce groupe. Toutefois, c'est l'histoire qui ottte la meilleure assise à une éventuelle carrière politique pour les femmes nigériennes.
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Fatimata MOUNKAILA
"L'Ayar et l'Adrar des Ifoghas vivaient tous les deux sous un régime matrilinéaire. Le premier sultan Yunus porte le nom de sa mère Tagag Tahanna Zaneit. Comme le montre la liste des sultans et les successeurs depuis Yunus, les sultans furent remplacés par leurs frères de même mère ou les fils de leurs soeurs pendant deux siècles (XVè et XVIè siècles) (Hamani, 1992, p. 106). Ce n'est donc pas un hasard si dans le groupe voisin songhayzarma, des souverains et pas des moindres, sont passés à la postérité avec le nom de leur mère. La tradition orale ne connaît Askiya Mohamed que sous l'appellation Mamar Kassaï et "le Fils de Mallinké", auquel se rattachent les dynasties zarma, Tagourou Gâna, porte également le nom de sa mère. Ces éléments de l'histoire, confortés par d'autres pratiques plus quotidiennes telle l'uxorilocalité encore observée de nos jours par certains Touareg nomades, constituent des preuves tangibles d'un meilleur statut sociologique de la femme de l'espace nigérien dans le passé. 3.3.4. L'égalitarisme
dans les cultes bori et holley
Les témoignages concordent pour reconnaître que les sociétés des bori et holley adeptes du culte de la possession constituent une des dernières tribunes où les femmes nigériennes peuvent monter sans complexe. Mais ce refuge est attaqué de toutes parts et surtout par les marabouts qui en harcèlent les membres jusque dans leurs derniers retranchements. Or si les hommes convertis ont vu leur statut social valorisé, "il est difficile de ne pas constater que l'islamisation a entraîné, pour les femmes, la perte de certaines prérogatives et qu'il a contribué à répandre une image partiellement péjorative de l'être féminin" (Diarra, 1972, p. 152). "The only social arena in which women are not forced into class of inferior status and in which both sexes can enter into competitive relationships appears to be the institution of bori" (Echard, 1991, p. 207). C'était en effet la seule, jusqu'à ce que l'école, la monétarisation des rapports sociaux et la démocratisation en aient offert de nouvelles aux femmes, qui se doivent de les saisir.
4. Le passé recomposé Le passé lointain de l'espace nigérien comporte donc de nombreux éléments encourageants pour un engagement direct des femmes en politique mais
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FEMMES ET POLITIQUE
AU NIGER:
PRESENCE
ET REPRESENTATIONS
c'est avec le présent et le passé récent du pays que les femmes nigériennes conjuguent leurs efforts. L'Etat nigérien, quelles qu'aient été les péripéties de son émergence, est leur patrie, et sa situation actuelle, leur héritage. C'est pourquoi elles ont oeuvré à recomposer le passé, à prendre appui sur lui pour un nouveau départ. Même si le nationalisme féminin apparaît tout neuf, puisque les livres d'histoire contemporaine qui décrivent longuement le syndicalisme militant d'un Djibo Bakari ou l'engagement libérateur de Hamani Diori n'en parlent pas, il faut reconnaître que les Nigériennes ont, à ce jour, obtenu des résultats dignes de constituer l'ossature d'un nouveau devenir. On peut, en procédant à une analyse structurale de leur quête à travers les rapports entre les différents acteurs, décomposer celle-ci en trois temps et trois étapes:
- une
période de routine voire d'atavisme politique qui couvre les durées de la Première République, du régime d'exception de Seyni Kountché et de la Deuxième République où les femmes nigériennes ont attendu des hommes politiques autant de générosité qu'elles-mêmes avaient mis à militer pour leur construire des carrières;
- le temps
du mirage, né du succès de la marche du 13 mai 1991, lequel a, durant la Conférence Nationale et la période de la transition, porté les femmes sur un nuage;
- le réveil brutal
enfm où, en tentant de leur arracher quelques pantalons "serre-fesses" et autres mini, midi et même maxi-jupes, quelques talibés en vadrouille sur les marchés de Zinder et Niamey leur ont rappelé qu'elles n'étaient rien d'autre qu'un sexe qu'on pouvait prendre de force. "ko ubanki ne alwali Ko uwarki ke alwali Say a yace mi ki yankadila A yace mi ki dan zane ... " soit: "Que ton père soit grand érudit Que ta mère soit grande érudite
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Fatimata MOUNKAILA
On t'arrachera ton fichu
On t'arrachera tonpetit pagne...
"
disait une chanson qui accompagnait les pas d'une danse de la région de Zinder au Niger. Le malheureux épisode ci-dessus mentionné montre, s'il en était besoin, à quel point les Nigériennes abandonnent avec facilité leurs traditions vestimentaires pour des fanfreluches venues d'ailleurs et renient leurs valeurs culturelles les plus sûres, les rend vulnérables à la première secousse réactionnaire.
4. 1. Les militantes de la construction nationale Octroyée comme ont pu dire certains ou conquise de haute lutte comme prétendent les autres, l'indépendance a légué aux nigériens un pays où presque tout était à faire pour entrer comme on dit dans le "concert des nations". Or, jamais autant qu'en période de crise et de grande peur, on ne songe à faire appel à la sœur, à la mère et à la fille. C'est bien à ces différents titres que les femmes nigériennes interpellées vont s'engager totalement et sans calcul, comme seules sont peut-être capables de le faire des femmes, pour peu qu'elles se sentent en terrain connu. Le cadre était rassurant, le motif mobilisateur pour ces vestales et mères-courage habituées à faire les lits du succès du mari, du frère, ou du fils. Les militantes de la construction nationale et les partis qu'elles ont servi ont en effet utilisé des structures associatives, places d'animation et de transmission de l'information, et des maîtres de la parole déjà en place dans la société nigérienne. Les classes d'âge, les corporations, et les associations d'entraide fonctionnant à la fois horizontalement et verticalement, constituaient d'excellents auditoires pour les politiciennes nouvelles. C'est donc tout naturellement que la zarmakoye responsable des filles et son équipe, la magagiya et ses femmes, se trouvèrent à assurer l'intendance et le service des relations publiques qui font la force des partis et des hommes politiques. L'opération a été rééditée à travers les déjeuners-débats recrutements que les femmes organisèrent à travers le pays pour l'implantation des partis politiques récemment installés.
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FEMMES ET POLITIOUE
4.1.1. La zarmakoye
AU NIGER:
PRESENCE
ET REPRESENTATIONS
et ses filles
Aux différentes étapes de la vie (enfance, adolescence, classe des jeunes adultes, adultes mûrs, vieux ...) correspondent des classes d'égaux (wadde en zarma,"saannu " en haoussa) que cimentent maints bons souvenirs, maintes épreuves partagées et des devoirs de solidarité. Ces classes comportent souvent leurs sections masculines et féminines dynamiques et concurrentielles. Au niveau villageois voire régional, on trouvait des associations mixtes comme la Samaria ou les sociétés des adeptes de la possession avec leur hiérarchie calquée sur les cours politiques des chefs et où les mots d'ordre étaient transmis de haut en bas et des plus âgés vers les plus jeunes. Le régime de Seyni Kountché, en réhabilitant la Samaria, a particulièrement profité de l'ascendant des zarmakoye sur leur contingent de filles. Celles-ci les ont en effet fait travailler, chanter et danser pour célébrer la rigueur militaire si chère à l'idéologie politique du Général Président. C'étaient d'ailleurs quelquefois les mêmes qui avaient animé quelques années auparavant les sections féminines des comités du parti sous le régime précédent de Hamani Diori; les mêmes qui avaient travaillé à mettre en scène, à l'occasion des tètes de la semaine de la jeunesse du P.P.N./R.D.A., les mots d'ordre du gouvernement et de son parti. Toutefois, cette remarquable continuité est moins le signe chez ces animatrices d'une faculté à faire volte-face, que l'expression du sens du devoir que créent les liens de la famille clanique aliyaali et autres impératifs sociaux. 4.1.2. La magajiya
et ses femmes
Ce titre princier des cours haoussa était porté par la soeur aînée ou la fille aînée du souverain, responsable des affaires féminines du palais. Avec le renforcement de l'islam, l'urbanisation et la monétarisation des rapports sociaux, le titre est devenu celui de la patronne des femmes disponibles donc libres, du village ou du quartier. Il n'est donc guère étonnant que la magajiya ait été peu à peu assimilée à une tenancière de maison close dans la société nigérienne actuelle où, dès qu'elle est veuve ou divorcée, une femme devient une prostituée potentielle. Il est significatif qu'il n'y ait, en songhay-zarma par exemple, qu'un mot unique pour désigner par rapport à leur état civil les trois catégories de femmes. Mais, la magajiya se trouvant à la tête d'une communauté de femmes, son emprise sur les hommes et donc sur les décideurs était donnée comme importante, du moins tant qu'elle était
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Fatimata MOUNKAILA
tolérée en tant qu'institution. C'est peut-être moins le cas aujourd'hui où l'islam aidant, le tutorat (tout-puissant) des maris ne peut plus s'accommoder d'une autre influence sur les femmes que celle de ces mêmes maris. D'ailleurs, les sociétaires des maisons des magajiya se remarient plus fréquemment aujourd'hui et les magajiya elles-mêmes, qui ont souvent fait le pèlerinage de La Mecque, se reconvertissent volontiers en femmesmarabouts, militantes actives de l'application des nouvelles règles sur les femmes. Néanmoins, le rôle des magajiya est resté important, ne serait-ce que du fait de la disponibilité que leur confère leur emploi de temps journalier. C'est par exemple les quatre magajiya de la ville de Niamey qu'on trouve à la tête de la première association de femmes créée en 1956, et relayée en 1958 par l'Union des Femmes du Niger (Dunbar, 1991, p.76 ). 4.1.3. Karuwa, waykuuru et gabdi Karuwanci (en haoussa), waykuurutaray (en songhay-zarma), la prostitution, est semble-t-il, une vieille coutume locale attestée comme activité, et qui a survécu avec le culte de la possession à la mainmise de l'islam sur le pays. Cette prostitution apparaît, quoi qu'on en dise, comme un lieu d'élargissement de l'horizon des femmes. "Although the women do offer sexual services, their attraction to the life Karuwanci is the greater opportunities it affords (than does marriage) for broader social contact and for knowledge of and participation in public affairs" (Dunbar, 1991, p. 76 ). On sait bien qu'au Niger, jusqu'à ce que la scolarisation des filles et l'entrée des femmes dans le commerce aient offert à celles-ci de nouveaux tremplins, le karuwanci est resté un lieu et un stage efficaces pour nombre de ce qu'il est convenu d'appeler des "maîtresses-femmes". Témoins privilégiées des turpitudes du Dr Jekyll se transformant en Mr Hyde qui habite en bien des hommes, elles connaissent la vie et inspirent de ce fait fascination et crainte aux maîtres de la cité. C'est en effet toujours avec une pointe d'admiration qu'ils parlent (y compris quand il s'agit de leurs propres frasques) des G.L., G.L.L., gabdi - courtisanes de tout acabit. Les témoignages concordent pour reconnaître que du fait de leur organisation et de leur disponibilité, le rôle des karuwey a été beaucoup plus important dans l'animation politique de la veille et des lendemains de l'indépendance, que n'ont voulu le dire les
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FEMMES ET POLITIOUE
AU NIGER:
PRESENCE
ET REPRESENTATIONS
chroniques historiques. Aujourd'hui encore, malgré la chape moralisatrice qui pèse sur elles, elles demeurent des auxiliaires efficaces. Finalement, on voit bien que les mots d'ordre politiques de la période post indépendance, en particulier" Unité nationale" de la Première République, " Société de Développement" des deux régimes suivants, ont largement été portés par le militantisme des femmes, sans que ces dernières aient reçu en retour le prix de leur dévouement. Cela explique sans doute, et indépendamment de toute influence extérieure (certes réelle), la naissance par-dessus les clivages internes (appartenance ethnique, diplômes, pouvoir économique, etc.), d'une conscience de classe de citoyennes de seconde zone, chez les femmes nigériennes.
4.2. L'ère des féministes Contrairement à une idée fort répandue, le féminisme des Nigériennes ne leur est pas revenu dans les valises des participantes à la 1ère Conférence Mondiale sur les femmes de Mexico en 1975. Il est né de la surexploitation politique des femmes par les régimes qui se sont succédés au Niger après l'indépendance. Chaque fois qu'il a été question de prendre des mesures conduisant vers plus de justice et plus d'équité pour les femmes, on a vu l'idée même d'une promotion de la femme (qui favoriserait cette justice) repoussée du revers de la main. Mais, les femmes mettront du temps à s'en rendre compte; elles mettront surtout du temps à vouloir et pouvoir s'organiser pour lutter contre.
4.2.1. L'Union des Femmes
du Niger:
U.F.N.
" Après la proclamation de l'indépendance du Niger le 3 août 1960, le parti du Président prend immédiatement toutes les dispositions nécessaires pour lui assurer une meilleure mainmise sur le pays. Il crée (ou redynamise) sur l'ensemble du territoire national:
- une - une
organisation
de la jeunesse du parti,
Union des Femmes du Niger,
- une milice
du parti qui fmit par prendre une telle importance dans la capitale notamment, que certains officiers voient très vite en elle une force armée réelle, 382
Fatimata MOUNKAILA
- un
puissant syndicat, l'Union Nationale des Travailleurs du Niger (U.N.T.N. ) créée le 12 mars 1958 " ( Salifou, 1989, p. 251 ). Le P.P.N.lR.D.A., parti du Président Diori Hamani a redynamisé l'Union des Femmes du Niger pour le service de son secrétaire général; l'Union, elle, a permis aux femmes de prendre la mesure de leur féminine condition et de réaliser que "l'analphabétisme, la dot et la polygamie" ne constituaient pas leurs seuls handicaps. Dès juin 1962, à l'occasion d'un meeting d'information au stade municipal de Niamey, au nom des femmes du Niger, Fatou Djibo, Présidente de l'U.F.N. déclare: "l'évolution d'un pays ne peut se faire et ne peut être complète sans l'émancipation de la femme ... Aussi, des lois nationales doivent déterminer avec précision et fermeté l'abolition de certaines conditions qui placent la femme assez aisément d'ailleurs dans une situation diminuée et humiliante ..." (Martin, 1990). Plus tard. L'U.F.N. reviendra à la charge en réclamant des candidatures féminines sur la liste à la députation pour les élections législatives de 1970. Mais, sur la liste de 50 noms proposés par le parti et publiée le 12 octobre 1970, il ne figurait aucune femme. Le régime venait de rater un important rendez-vous avec l'histoire, et les femmes, avec patience, continuèrent à vivre d'espoir. 4.2.2. L'Association
des Femmes du Niger: A.F.N.
Le Président Seyni Kountché, arrivé au pouvoir en 1974 et ayant interdit le P.P.N.lR.D.A. et ses instances, autorise le renouvellement d'une association des femmes du Niger. L'A.F.N. est effectivement créée le 21 septembre 1975 avec comme présidente Fatoumata Diallo et comme secrétaire générale Aïssata Mounkaïla . Elle se fixe les objectifs ci-après:
- la complète intégration de la femme nigérienne dans l'effort de développement,
- sa complète - sa pleine
émancipation,
participation à l'équilibre de la société.
De nouveau l'espoir était permis pour les femmes. Mais, des rêves nés dans les têtes des militantes de l' A.F.N. de voir la fin de la discrimination contre
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FEMMES ET POLITIOUE
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PRESENCE
ET REPRESENTATIONS
les femmes au travail, contre les femmes devant l'héritage et la fm des répudiations intempestives, aucun n'a, à ce jour, été matérialisé. Tout au contraire, le seul texte, le projet de code de la famille, élaboré pour fixer les droits et devoirs des individus, a suscité une telle levée de boucliers que plus personne n'ose l'évoquer de peur d'être voué aux gémonies. L'ensemble des femmes et des hommes du pays ont gardé présentes à l'esprit les réactions que suscitèrent les manifestations de protestation des femmes contre le passage à tabac des porteuses de jupe et le sac du siège de la section de l'Association des Femmes du Niger à Zinder en 1993. La "ouma islamique nationale", outrée, avait-on dit alors, par ce que ses marabouts avaient considéré comme un inacceptable cas d'indiscipline, avait menacé par la bouche de ces mêmes marabouts, d' "excommunier" les récalcitrantes. La Présidente de l'Association des Femmes du Niger et la journaliste qui avait eu l'heur ou le malheur de lire la déclaration des femmes à ce sujet, durent présenter des excuses publiques. L'année d'après, à la faveur de la "bataille du code de la famille", des militantes en vue de ce projet de texte furent menacées de malédiction et même de mort. Elles affirment n'avoir dû leur salut qu'à l'écho donné par les média étrangers à l'affaire. Quoi qu'il en ait été, la classe politique nigérienne qui militait alors avec ferveur et entrain pour l'installation de la démocratie dans le pays, s'était fait remarquer, elle, par un silence éloquent. Dans une interview accordée à un éphémère journal islamiste, "L 'Avenir", El Hadj Cheik Oumar Ismaël, président de l'Association Islamique du Niger, déclare: "Ce code n'est rien d'autre qu'une copie conforme du code &ançais ... parce que la France veut dresser des citoyens égarés contre d'autres citoyens pour la destruction d'une religion solide: l'islam... Nous n'accepterons jamais que l'homme et la femme aient la même part dans l'héritage. Notre position est claire. L'Association Islamique du Niger rejette catégoriquement le code de la famille qu'elle qualifie, d'oeuvre satanique" ( L'Avenir, N°002, du 7 mai 1994 ). En attendant, l'A.F.N. qui a mis toute son énergie dans l'élaboration d'un projet de code de la famille qui puisse servir de référence en lieu et place des trois sources de droits qui régissent la vie domestique des nigériens, se retrouve avec un mort-né dans les bras. Quant aux femmes du Niger qui ont 384
Fatimata MOUNKAILA
perdu une large part des protections familiales traditionnelles du fait de la nouvelle évolution de la société, leur situation s'est précarisée plus que jamais auparavant. En entrant dans le mariage par exemple, les femmes se trouvent aujourd'hui, au nom de l'Islam, abandonnées par leur famille d'origine aux diktats du seul mari. "Hiijay sinda faasa" c'est-à-dire que "le mariage exclut toute alliance de défense extérieure", selon un principe qui ne vaut rien quand les parties en présence n'ont pas les mêmes recours. Dans les traditions anciennes où le mariage était une affaire de la famille et même du clan, les membres de la famille de l'épouse se sentaient toujours responsables de la fille qu'ils avaient donnée en mariage: la famille d'accueil, sachant que "l'étrangère" avait conservé des arrières, faisait attention à ne pas devoir rendre des comptes. De nos jours, c'est un peu une fille ramassée qu'on épouse et à qui on donne un statut social. Parce que le mariage tend à devenir une affaire entre individus, parce que l'Islam donne un pouvoir outrancier à l'époux, les responsables de la famille d'origine, eux-mêmes empêtrés dans leurs propres difficultés de vivre, saisissent l'alibi fourni par la règle islamique pour se décharger de tout devoir de défense de leur fille ou de leur sœur mariées. Ceci étant, les femmes nigériennes dépouillées de cette protection traditionnelle, en ont pris leur parti; elles ne veulent nullement retourner à l'ordre patriarcal ancien de dépendance; elles demandent seulement à être mieux armées pour vivre en responsables leur nouvelle condition. Cela suppose des règles du jeu clairement énoncées, comme le réclamait il y a trente-quatre ans déjà, l'Union des Femmes du Niger; cela suppose l'existence et l'application d'une source de droit unique qui serve de référence comme l'a réclamé et continue de le faire l'Association des Femmes du Niger; cela suppose l'égalité des chances que revendiquent aujourd'hui le R.D.F.N. et les autres associations et ONG féminines.
4.2.3. Le Rassemblement Démocratique des Femmes du Niger: R.D.F.N. et les autres associations et ONG féminines. Dans son préambule, le Rassemblement Démocratique des Femmes du Niger (R.D.F.N.) parle du combat exaltant qui est celui des femmes contre "les mentalités façonnées par des siècles de préjugés, et les tares d'un ordre social archaïque, et dont elles-mêmes portent les stigmates".
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FEMMES ET POLITIQUE
AU NIGER:
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C'est un peu le credo de la floraison d'associations féminines, consécutive à la période "de décrispation" qui a caractérisé la deuxième République (19881991). Il est vrai que c'est ce régime là qui a admis pour la première fois, une femme comme responsable à part entière d'un département ministériel, celui des "affaires féminines" justement! " Les nouvelles associations affichent leur prise de conscience générale du fait que la situation des femmes ne peut changer que par l'action et sous la pression des femmes. C'est là un rêve que les femmes ont cru réalisable parce qu'elles savent que la donne a désormais totalement changé. Les nouvelles militantes ont en effet fréquenté des écoles mixtes avec des camarades garçons dont elles se souviendront qu'ils ne comprenaient pas plus vite qu'elles les théorèmes de mathématique ou les fondements scientifiques des idéologies politiques; elles ont fréquenté avec eux, au coude à coude, les universités étrangères et ont dû faire comme eux, des petits boulots pour boucler leurs fms de mois d'étudiantes pauvres. Dans la sphère des échanges économiques, elles se battent comme les hommes pour obtenir auprès des grossistes, la marchandise nécessaire à leurs activités, et prennent aujourd'hui aux côtés des hommes, le risque d'introduire en fraude maintes denrées plus ou moins prohibées pour approvisionner le marché. Mais la société préfère fermer les yeux sur cette réalité et brandir des avantages théoriques (être logées, être nourries, être habillées) que l'islam demande selon le bon vouloir de chacun d'assurer aux épouses. C'est, à n'en point douter, un excellent alibi qui interdit de poser les problèmes et d'initier tout débat. En effet, chaque fois que les femmes nigériennes réclament des droits, on leur rétorque avec la plus parfaite mauvaise foi qui se puisse imaginer, qu'elles ont des privilèges, dont on occulte de dire qu'il est loisible à celui qui les octroit de les faire cesser à tout moment, et sans appel. La facilité même de la répudiation suffirait à annihiler un tel argument; mais les femmes se laissent d'autant plus aisément abuser qu'elles constituent encore une clientèle dont l'analphabétisme est immense, les difficultés d'accès aux moyens de production (terre, prêts financiers, grands circuits commerciaux, etc.) encore très grandes. Toutefois, et en dépit de ces handicaps, les nouvelles militantes féministes ont cessé d'être ces assistées à qui on peut ofttir de visiter le monde entier à condition qu'elles soient flanquées d'un guide et mentor qui saurait choisir 386
Fatimata MOUNKAILA
pour elles ce qu'il leur est autorisé de voir. De ce point de vue, les militantes de I'U.F.N. étaient des filles sages qui savaient se soumettre sans discussion aux décisions prises pour elles. Celles de l'A.F.N. elles-mêmes, malgré la grande mobilisation des femmes qu'elles ont réussi, étaient restées respectueuses des choix qu'effectuèrent pour elles, un Conseil Militaire Suprême tout puissant, fermé aux femmes, et son chef: La dernière génération de féministes, au contraire, n'a pas les yeux et surtout pas la langue dans "leur sac à main". Elles soutiennent avec effionterie les regards, cherchent à comprendre le pourquoi des décisions et même elles développent des stratégies pour les contrer. C'en est trop! Et, cela le fut en effet puisqu'elles ont provoqué désormais contre elles, la coalition de tous les anti-démocrates qui ont spontanément retrouvé les réflexes de l'exclusivisme que l'on tente de justifier en évoquant tantôt la tradition, tantôt la religion, tantôt la culture nationale. On peut ainsi, au moins reconnaître aux femmes, le mérite d'avoir pu constituer un point d'entente cordiale dans une nation déchirée! Mauvais joueurs en effet, les hommes politiques nigériens n'acceptent d'entrer en lice que quand ils sont sûrs de gagner. Les difficultés, les obstacles que rencontrent les transitions démocratiques le démontrent chaque jour un peu plus. Ils sont pour l'émancipation des femmes à condition qu'elles restent de ''vraies femmes", parce qu'ils les aiment comme abstraction, à la manière de ceux qui aiment les nègres ou les pauvres, à condition que les nègres et les pauvres restent à leur place. Néanmoins, on sait qu'au moment où la foire se disperse, ceux qui ont osé y aller s'en retournent toujours avec quelque bénéfice, dit en substance un adage haoussa. Chaque fois que Sisyphe se retrouve au pied de sa colline, avec son rocher, il aura vécu une expérience de plus; les femmes nigériennes peuvent en dire autant. De plus, pendant cette longue marche qu'ont été les décennies de militantisme évoquées ci-dessus elles ont indiscutablement aligné des acquis.
4.3. Des résultats méritoires "De 1959, avec l'Union des Femmes du Niger (U.F.N.), en passant par l'Association des Femmes du Niger (A.F.N.) créée en 1975, la direction de la promotion féminine créée en 1981 au sein du ministère de la jeunesse, des 387
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PRESENCE
ET REPRESENTATIONS
sports et de la culture, le secrétariat d'Etat chargé des affaires sociales et de la condition féminine créé en 1987 puis érigé en ministère en 1989, et enfm son élargissement en 1991 pour englober le développement social "(L.N.A. Le Niger Aujourd'hui, n02, décembre 1995 ), les choses ont tout de même bougé. Devant l'image dualiste de la bouteille à moitié pleine (dont on sait qu'elle est à moitié vide), il faut résolument rester optimiste et regarder du bon côté. 4.3.1. La marche historique
du 13 mai 1991
Les résultats immédiats de la marche du 13 mai 1991 ont été de faire passer de 1 à 5 le nombre des femmes au sein de la Commission Préparatoire de la Conférence Nationale qui comptait 68 membres, et l'institution par décret N°98/370/PM/MDS/P/PF du 25/11/92, du 13 mai, comme journée de la Femme nigérienne. A plus long terme, elle a été comme l'élément détonateur qui pousse les grands infirmes en rééducation à se mettre debout et à découvrir qu'ils peuvent tenir tous seuls et sans tuteur. Mais on sait bien que cette marche de désespoir est la résultante des actions menées depuis plus de trente ans et surtout pendant la période d'accélération de l'Histoire que constitua la période de décrispation avec l'émergence de nombreuses associations et aNG féminines. 4.3.2. La CONGAFEN La Coordination des Organisations Non Gouvernementales et Association Féminines Nigériennes (CaNGAFEN) est née le 6 janvier 1995 à la faveur des préparatifs de la 4ème Conférence Mondiale de Beijing sur les femmes. Selon le statut, son rôle est de rendre plus efficaces les actions des aNG et associations féminines nigériennes en leur évitant d'agir en ordre dispersé. Ce rôle peut être accru par le poids que représente un tel outil dans le débat national sur les femmes. D'ores et déjà, la CaNGAFEN apparaît comme un interlocuteur important dans les discussions d'ordre juridique, social, économique relatives à la place et à l'action des femmes dans la société nigérienne. Il ne tient qu'aux femmes d'en faire un instrument politique!
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Fatimata MOUNKAILA
4.3.3. Femmes
députés
et femmes
ministres
Elles constituent un relais-clef de l'action des femmes pour leur quête de plus de justice et plus d'équité, parce qu'elles sont déjà, même sur des strapontins, sur l'estrade où se prennent les décisions. De 1987, date de l'entrée d'une femme dans un gouvernement au Niger, elles sont quatorze à avoir occupé un fauteuil ministériel. Le pourcentage est tout petit au regard de l'effectif total des ministres nigériens, surtout quand on verra que les femmes députés se comptent elles aussi sur les doigts de la main. Mais c'est moins la quantité que la qualité, la représentativité et la foi en un destin meilleur des Nigériennes qui importent chez les promues, si elles sont portées par les femmes elles-mêmes. Ces dernières se doivent de hiérarchiser leurs problèmes et faire la part de ce qui est important et urgent, et de ce qui peut attendre. 4.3.4. Elargir
la base
L'urgence aujourd'hui, c'est de faire en sorte que les femmes nigériennes puissent participer en grand nombre à la vie de leur pays en connaissance de cause. Elles ont besoin pour cela d'être informées de leur droits et de leurs capacités, et armées pour les exploiter, avec en exemples, les réussites des autres femmes à quelque niveau de responsabilité et même de nonresponsabilité qu'elles se trouvent. Pour cela il est important d'accélérer la hausse des pourcentages pour I'heure défavorables qui caractérisent sa situation juridique, sanitaire, éducationnelle .Ces pourcentages sont, dans le développement de l'éducation par exemple: -36-37% des inscrits à l'école primaire en 1994; -14% des inscrits de l'enseignement technique en 1994; -à peine 14% des étudiants de l'enseignement supérieur en 1997; -9% des effectifs des centres d'alphabétisation des adultes; -5% des effectifs des écoles coraniques, (U.N.E.S.C.O / I.S.E.S.C.O, 1996) en dépit du récent engouement pour cet ordre d'enseignement. Il est en conséquence, important que les Nigériennes se sentent en compétition chaque fois qu'elles briguent un poste qui sort de l'espace coin389
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PRESENCE
ET REPRESENTATIONS
cuisine, parce qu'elles ont besoin de cette émulation pour prendre la mesure de leurs capacités. Mais elles n'ont pas besoin d'aller uniquement par défi à l'assaut des métiers réservés pour se réaliser; elles n'ont besoin que de justice et d'équité; besoin de voir évaluer leur travail à son juste prix; besoin de regagner l'estime d'elles-mêmes. Elles ne peuvent parvenir à ces résultats qu'en cessant d'exercer leurs droits par procuration et en descendant dans les arènes du savoir, dans celles, économique et politique, où se prennent les décisions.
Conclusion Ce parcours rapide de la gestion de la composante femmes par les différentes politiques qui eurent cours dans l'espace nigérien, montre clairement qu'aucune frange de la population d'un pays ne peut prétendre, tout le temps, à tout le pouvoir. Cette revue d'un passé recomposé montre éloquemment que les femmes nigériennes ne se sont pas toujours contentées de la situation de reptation où tend à les enfermer aujourd'hui la conjugaison de ce qu'ont de plus machiste les trois sources de droits (coutumier, islamique et napoléonien) qui régissent leur vie. Ceux-mêmes qui s'accommodent de l'embrouillamini juridico-politique actuel verront très tôt qu'il ne peut se bâtir de progrès durables que sur une spécification claire des droits et devoirs des différentes composantes de la société. En ce qui concerne les femmes nigériennes, elles sont contraintes, même dans le cadre juridique inégalitaire qui est le leur aujourd'hui, de faire que la politique leur restitue ce qui leur a été usurpé, parce qu'elles en ont désormais le capital savoir, le capital expérience et de plus en plus, le capital financier nécessaires.
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Fatimata MOUNKAILA
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