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French Pages 389 [388] Year 1951
HARVARD STUDIES IN ROMANCE LANGUAGES PUBLISHED UNDER THE DIRECTION OF THE DEPARTMENT OF ROMANCE L A N G U A G E S AND L I T E R A T U R E S
VOLUME XXIV
LE J O N G L E U R G A U T I E R LE LEU ETUDE SUR LES FABLIAUX CHARLES
H.
BOWDOIN
LIVINGSTON COLLEGE
Et
pourtant
nomine,
c'est
de cette plebs
sine
les jongleurs de profession, que
la connaissance nous importerait le plus. J . BEDIEH, Les
CAMBRIDGE, MASSACHUSETTS HARVARD UNIVERSITY PRESS 1951
Fabliaux.
LONDON: GEOFFREY
CUMBERLEGE
OXFORD UNIVERSITY
PRESS
PRINTED AT MACON,
FRANCE
IMPRIMERIE
FRERES
PROTAT
A MON M A I T R E
ET
AMI
J. D. M. FORD N'est pas richoise ne de vair ne de gris N e de deniers, de murs ne de roncins, Mais est richoise de parens et d'amins : Li cuers d'un homme vaut tout l'or d'un pais.
Gavin Le Loherain
PREFACE II y a une vingtaine d'annees nous avons publie un article dans lequel nous avons presente, pour la premiere fois, le jongleur Gautier Le Leu, reunissant dans notre etude quelques fabliaux inedits qui nous paraissaient devoir lui etre attribu6s A la suite de notre publication, cet ecrivain singulier et original a eu les honneurs de plusieurs compte rendus, dont trois ont ete d'une importance toute particuliere pour la preparation de notre edition, celui de Μ. Mario Roques 2 , de Μ. Maurice Delbouille 3 et de M me Rita Lejeune 4. A sa Vie en France au moyen age d'afires des moralistes du temps5, qui etait sous presse au moment oil parut notre article, le regrette Charles-V. Langlois a ajoute un appendice dans lequel il a discute Gautier Le Leu, et lui a attribue "une place de premier plan dans l'histoire de la litterature en langue d'ofl." C'est lui qui nous a conseille de preparer 1'edition complete des ceuvres de ce jongleur qui appartient au groupe encore mal connu des "compositeurs de fabliaux ä la plume feconde", et qui, d'apres M me Lejeune, est aussi "un des tout premiers auteurs connus du pays wallon". Malgre les obscenites dont l'oeuvre est emaillee et la erudite du langage, une etude des poemes de Gautier Le Leu se recommandera ä ceux qui s'interessent a la litterature et surtout ä la langue de la France medievale. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion d'exprimer ici notre gratitude ä l'American Council of Learned Societies 1
2 3
4
5
Romanic Review, XV (1924), 1-67.
Romania, L I (1925), 312 et s.
Revue beige de Philologie et d'histoire, X I I (1933), 591 et s.
Moyen Age, X L V I I (1937), 3-23.
Paris, Hachette, 1925, 375-381.
χ
PREFACE
pour son aide genereuse qui nous a permis de nous rendre dans le Yorkshire en 1933 afin d'examiner un manuscrit contenant une partie importante de l'oeiivre de notre jongleur. Nous adressons aussi nos plus vifs remerciements ä Lord et a Lady Middleton qui ont bien voulu mettre leur bibliotheque ä notre disposition ä Birdsall House en juillet 1933. Nous sommes egalement reconnaissant ä notre maitre M. Alfred Jeanroy qui nous a si obligeamment ρΓέίέ le concours de sa competence pour elucider certains passages obscurs des textes de notre auteur, lors de son sejour ä l'Universite Harvard en 1929. A M. Charles Samaran, nous disons toute notre reconnaissance pour nous avoir, grace ä sa science aussi etendue que precise de la paleographie medievale, permis d'attribuer une date assez exacte au manuscrit Μ des fabliaux de Gautier Le Leu. Au President Sills et aux membres des "Boards" de Bowdoin College, nous sommes redevable d'un precieux conge qui nous a permis de mener ä bien cette täche depuis longtemps entreprise et trop souvent interrompue. Enfin, c'est avec le plus grand plaisir que nous remercions ici notre maitre et ami Μ. le professeur J. D. M. Ford de l'Universite Harvard qui nous mit autrefois sur la voie des recherches dans la litterature medievale, et qui, ä travers les annees, n'a jamais manque de porter ä nos travaux un interet constant, nous faisant genereusement profiter de son sens critique aussi avise que penetrant. CHARLES BOWDOIN
COLLEGE.
BRUNSWICK, M A I N E .
H.
LIVINGSTON.
TABLE
DES
MATIERES
INTRODUCTION
Ι
I . L E S MANUSCRITS
3
I I . L A PATRIE DE G A U T I E R L E L E U
31
1 . L A GEOGRAPHIE DANS LES POESIES DE GAUTIER L E LEU
31
2. LES SAINTS DANS LES POEMES DE GAUTIER L E LEU
48
3. L A LANGUE DE GAUTIER LE LEU
52
4. MOTS DIALECTAUX ET REGIONAUX DES POEMES DE GAUTIER L E LEU
72
I I I . VERSIFICATION
83
IV. LADATEDEL'CEUVREDEGAUTIERLELEU
88
V . PROBLEMES D'AUTHENTICITE V I . L E JONGLEUR GAUTIER L E L E U V I I . L'EDITION
101 118 132
L E S FABLIAUX ET DITS DE G A U T I E R L E L E U . TEXTES
ET
VARIANTES.
I . L E S SOHAIS I I . D E L FOL VILAIN
139 147
III. LAVEUVE
159
I V . D E L SOT CHEVALIER
185
V . D E DEUS VILAINS V I . D E D I E U ET DOU PESCOUR V I I . DECONNEBERT
199 207 219
1 . VERSION A
220
2. VERSION B
222
XII
T A B L E DES M A T U R E S
VIII. Du C IX. DES C X . D E L PRESTRE TAINT APPENDICE:
La veuve (texte des mss Τ et Ta)
233 251 255 271
NOTES
289
I N D E X DES NOMS PROPRES
339
GLOSSAIRE
347
INTRODUCTION
C.
Η.
LIVINGSTON.
t
C H A P I T R E LES
I
MANUSCRITS.
L'ceuvre de Gautier Le Leu nous a ete transmise dans sept manuscrits du moyen age, maintenant bien connus, et dont quelques-uns sont celebres par le choix de poesies medievales qu'ils nous offrent. La plupart ont ete de longue date utilises par les erudits et ont ete souvent decrits et etudies. MANUSCRIT PARIS,
BIBLIOTHEQUE
A.
NATIONALE,
FONDS
FRAN£AIS
837.
Ce manuscrit, qui constitue un recueil de fabliaux, dits et contes en vers, est considere depuis longtemps comme le plus important et le plus ancien corpus de poesies des jongleurs du moyen age. II est ecrit sur νέΐϊη (362 feuillets) d'une petite ecriture gothique reguliere, sur deux colonnes de cinquante lignes chacune. La plupart des erudits qui l'ont etudie sont d'accord pour dire qu'il a ete execute ä l'extreme fin du x n i e siecle par un copiste du centre de la France 1 . Les titres sont ä explicit de chaque poeme, mais ont ete ajoutes au 1 C e manuscrit a έ ΐ έ d6crit en d e t a i l par P a u l i n Paris, Manuscrits frangois de la Bibliotheque du Roi, 1845, V I , 404 et s., et plus i 6 c e m m e n t par M. O m o n t dans la preface de la reproduction p h o t o t y p i q u e d u manuscjrit, Fabliaux, dits et contes en vers frangais du XIIIe siecle. Facsimile du manuscrit frangais 837 de la Bibliotheque Nationale, Paris, 1 9 3 2 ; cf. Introduction, p. v : " S i l'on ne p e u t priciser oü en France, q u a n d , pour qui, et par qui c e t t e c o m p i l a t i o n a έ ί έ entreprise et transcrite au x m e siecle, sa presence est c o n s t a t i e dans les collections royales des le x v i e siecle." Cf. A . L ä n g f o r s , Le mariage des sept arts par Jehanle Teinturier d'Arras, C. F. Μ. Α., 1923, p. 111: "dernier tiers du x m e siecle;" ibid., Huon le Rot, Le vair palefroi avec deux versions de la male Honte, C. F.M. Α., 1 9 2 1 , P. HI: "ex6c u t 6 k l ' e x t r e m e fin du xin® siecle, par un copiste d u centre de la F r a n c e " ; ibid., p. i x : " p i c a r d , e x t r e m e fin d u x m e siecle"; G . G o u genheim, Cortebarbe, Les trois aveugles de Compikgne, C. F. Μ. Α., 1922, p. i v , "fin x m e siecle"; J. Bödier, La Chatelaine de Vergy, Paris, s. d., p. x v ; "manuscrit presque irr6prochable, compos6 en Picardie v e r s
LE JONGLEUR GAUTIER LE LEU
4
debut, d'une encre differente, par une main plus recente (xiv e ou x v e siecle). Chaque piece debute par une lettre ornee. Ce manuscrit contient 247 morceaux de poesie de toute nature dont soixante-deux fabliaux. Parmi eux se trouvent deux poemes de Gautier Le Leu: Des C. (IX), 241 recto b ä 241 verso a; Del sot chevalier (IV), 277 recto a a 278 verso a. L a copie de ces deux poemes est ecrite en francien et ne presente que peu de traces dialectales 1 : Des C. (IX): ouverra (fut.) 10; enterra (fat.) 49; frendez 21; mains (= moins) 38. Del sot chevalier (IV): ts s'ecrit 2 mais souvent s, su'rtout ä la rime lorsqu'il rime avec s; ζ pour s etymologique defoiz 84; traus 225, 228, 243; harnas 288; apries 140 (ailleurs a-pres); de fi 261; poi 238 (ä cöte de peu)] toujours seignor; trade (p. pa. f6m.): percie (p. pa. fem.) 245-246; mesnie 178; le (pron. fem.) 39; aus (illos) 169; daarains 79; chavelu 236; vaudront 229 (voudrai 209); vausist 41; mengier 186, mengiers 187, mengte 201; herbregiez 13 [herbergera 139). Quelques cas de l'emploi de l'accusatif pour le nominatif: I X : Baucent 8; le roi 18; grand vit 45; Connebert 54; IV: sen molin 24; mon fablel 318. MANUSCRIT BERNE,
BIBLIOTHEQUE
DE
B. LA
VILLE
354.
Ce manuscrit est tres soigneusement ecrit sur velin (274 feuillets) sur deux colonnes, chacune de trente vers, dans un la fin du x m e siecle"; ibid., Les Fabliaux, 1926, p. 398; Ernest Langlois, Adam Le Bossu, trouvere artdsien du XIITe siecle. Le jeu de la feuillee, C. F. Μ. Α., 1923, p. i x : "transcrit au commencement du x i v e siecle dans le dialecte fran pou 55 et poi 39, 105, 170, 414. 8. Deus > Diex 394. 9. L. e libre > oi : provoire 279, mais proverre 175; borgeis 36 a cöte de bourjois 34, borjois 40, bourjoise 164, 167, 222, 323; cf. ci-dessus No. 1: equivalence probable de ai, oi, ei, e\ Schwan-Behrens, Grammaire de l'ancien frangais, Leipzig, 1913, p. 135, § 225 R. 10. consilium > consoil 308. 1 1 . 0 + nasale + cons, s'ecrit on et aussi un : sunt 109, 195, 371, plunge 382. 12. -osus > -eus : pereceus 317, et -ous : angoisous : corajous 316. 13. uis (ostium) 69 ä cote de us 354. 14. paour 108. Consonnes. c, ch employes comme en francien, mais parrochien 195; moigne (= moine) 91; alternance frequente de ss et s; s est tombe: peiit 73, inel 307, inelepas, 284, asitrent 408, rasitrent 4 1 1 ; cf. miexdres 144; ts s'ecrit generalement z, quelquefois s: gens 16, baus 148, grans 167, .pars 392; cf. danzele 434, 439, dansele 379; t est tombe dans es(t) 99. Pronoms. el (fem.) 134, 135, 243, 287, 288, etc.; ele 139, 215, 227, 238, etc.; le pro. pers. 3 e pers. c. regime 129, ailleurs la; li (— lui) 298; celi adj. masc. pour celui 81; on s'ecrit quelquefois en 108, 125, 377. Verbes. Formes de l'infinitif de seoir: soer 410, sotr 69, sen 136; de veoir: voer 274, voir 70; alon 375, 378, metton 380, asemblon 267; enterrai (fut.) 29, seroiz 156; poist 70 ä cöte de peüst 72, peüt 73, peüse 105. Le copiste n'observe plus la dcclinaison ä deux cas de l'ancien systeme.
LES MANUSCRITS
MANUSCRIT MIDDLETON,
BIRDSALL
YORKSHIRE,
M. HOUSE,
MALTON,
ENGLAND.
Ce manuscrit est a present la propriete de Lord Middleton et se trouve äBirdsall House, pres de Malton, dans le Yorkshire. II a ete decrit par M. W. H. Stevenson dans son rapport sur les manuscrits de Lord Middleton.1 D'importantes corrections ont ete ajoutees ä ce rapport par M. L. Brandin, 2 editeur de YAsfremont qui se trouve dans ce manuscrit. Le manuscrit contient une suite des plus celebres chansons de geste et romans fran$ais du moyen age: Roman de Troie, I lie et Galeron, Roman d'Alexandre, Aspremont, Vengeance Raguidel, etc. Ses derniers feuillets offrent une serie de fabliaux, tous de Gautier Le Leu. II est ecrit sur velin ä deux colonnes d'environ quarante-huit vers chacune, et orne de petites miniatures, sauf dans la partie qui conserve les fabliaux. II a ete execute en France et est dü ä plusieurs copistes de dialecte picard. L'etude du style des miniatures et des traits paleographiques a permis a. M. Brandin de dater ce manuscrit du troisieme quart du x m e siecle. Mais le scribe qui a copie les fabliaux est certainement autre que ceux qui ont execute le reste du manuscrit. De plus le velin sur lequel les fabliaux sont ecrits est de qualite differente et inferieure et ces feuillets pourraient fort bien avoir ete ajoutes au manuscrit principal. M. Charles Samaran a bien voulu etudier avec nous la paleographie de cette portion du manuscrit. II est difficile de la dater ä cause de l'absence de miniatures et de majuscules; au debut de chaque poeme le copiste a laisse un espace pour une lettre ornee qui n'a jamais 1 Report of the Manuscripts of Lord Middleton preserved at Wollaton Hall, Nottinghamshire, Historical Manuscripts Commission, Hereford, 1911, p. 233 et s. Cf. aussi Romania X L I I (1913), 145; Bibl. de l'fccole des Charts L X X I I I (1912), 200; Zeits. f. rom. phil. X X X I X (1919),
584. 2
La chanson d'Aspremont,
2 e 6d., C.F.M.A
., Paris, 1923, t. I, p. x .
14
LE JONGLEUR GAUTIER LE LEU
ete executee et meme au debut de chaque vers les majusculesmanquent. On trouve certains archai'smes, par exemple un e inscrit dans la boucle superieure d'un d, trait caracteristique de certains manuscrits du x n e siecle; par contre on voit aussi certains traits plus recents, par exemple un h avec une longue queue arrondie. Dans l'ensemble M. Samaran placerait le texte dans le dernier quart du x i n e siecle et certainement pas apres la premiere decade du x i v e siecle. Cela coincide a peu pres avec l'opinion de Charles-V. Langlojs 1 qui, lui aussi, a examine les photographies du manuscrit et en a conclu: "II est frangais de la fin du x i n e siecle ou des premieres annees du x i v e . " Ce manuscrit est, depuis des siecles, la propriete delafamille Middleton. II semble avoir appartenu aux seigneurs de L a v a l en France jusqu'au debut du x v e siecle ainsi que l'indiquerait une note au verso du feuillet 249. C'est probablement au x v e siecle qu'il passa en Angleterre car un de ses proprietaires, un certain Jean Bertram de Thorpe Kilton (pres Guisborough, Yorkshire), a inscrit son nom d'une ecrituredu x v e siecle en marge du feuillet 345 verso, feuillet qui contient le fragment de Connebert (Vila) de Gautier Le Leu. Comme nous le verrons, c'est le manuscrit le plus important, et, lorsqu'il existe d'autres copies, le meilleur, des poesies de Gautier Le Leu. Sauf pour le premier poeme incomplet a u debut, les titres ont ete inscrits dans les marges d'une main nettement plus recente. Le manuscrit renferme les pieces suivantes de Gautier Le Leu: Les sohais 336 recto a - 336 versο b (incomplet au debut); Del fol vilain 337 recto a - 338 verso b; Li provance de fame 338 verso b - 341 recto a; De l'avanture d'Ardane 341 recto a - 343 recto b; De deus vilains 343 recto b 344 recto a; De Dieu et dou pescour 344 recto a - 345 verso a; Du prestre ki perdi les coilles 345 verso a (incomplet a la fin). Notre texte se basant, autant que possible, sur les copies de 1 La Vie en France Paris, 1925, p. 376.
au moyen
age ä'aprbs
des moralistes
du
temps,
LES MANUSCRITS
7/
fabliaux contenus dans ce manuscrit, nous croyons utile de donner une analyse detaillee de ses caracteristiques dialectales d'apres la graphie ; elles sont ä peu de chose pres, comme on le verra, Celles de l'auteur lui-meme. La graphie du manuscrit Μ. Les traits suivants de l'orthographe du copiste de Μ sont ä noter : (a) Le copiste ecrit q (= que), q (— qui), autrement q devant a, ο: qant, qautant, qatre, qal, qa, etc.; qoi, qois, etc. (b) I mouille s'ecrit -II-, -I-, -I] η mouille entre voyelles s'ecrit -gn- mais voir pinies III 559, senefie III 99. (c) qui {qui) (= qu'il), II 176, III 480, etc. 1 (d) i double ( i j du ms.): sapiier II 73, herdiier III 390, asasiier III 437, desiier III 438, castiies V i l a 61. 2 (e) em devant labiale: em paradis III 424, em part V 109. (f) coxins V 73; cousin II 95, cosines III 104. (g) 0 (L. ubi, aut) s'ecrit en general u, mais aussi 0. (h) puece = puet ce VI 208. (i) si (sic) > se devant i de la syllabe suivante. (j) ioan pour oan en hiatus avec voyelle ä la fin du mot precedent III 329, 338, 465.® (k) dont pour done, adont pour adonc. (1) Le copiste ecrit die = di je VI 149 (di ie III 319), saraie = sara je II 303, sage = sa ge II 367, feraie = fera je I V 92, lasgaie = lasfa je II 257·4 1 qui —qu'il se trouve souvent dans les textes picards; cf. Aiol (£d. Foerster) note au vers 9735, p. 492; Cristal et Clarie (0d. Breuer) note au vers 201, p. 259. 2 D'apr£s Foerster ce redoublement de Vi est caractiristique des mss. exdeutis par les scribes picards. II donne une liste de mss. oü l'on releve ce trait, Aiol, note au vers 3733, p. 471. 3 Romania, X V I I (1888), 562 (No. 29): "Les dialectes wallons ont une tendance k introduire un y entre deux voyelles faisant hiatus, que ces voyelles appartiennent au meme mot ou ä deux mots cons6cutifs.'" 4 Ces formes contract6es sont friquentes dans le ms. d'Aiol dont le copiste est picard. L'6diteur (Foerster) les interprete comme 6tant -a
16
LE
JONGLEUR
GAUTIER
LE
LEU
(m) Alternance de -s- et -ss-, -sc-, -r- et -rr-, -m- et -mm-, -n- et -nn-. La langue du manuscrit Μ d'apres la graphie. 1. a tonique libre du latin > e. Des formes telles que teil, hosteil ne se trouvent pas dans le texte. 2. L. -alts, -alos > -ex, -els : ostex I V 125, tels V 135, quels III 360, etc.; mens (L. malus) V I 59; 1 mais cf. carnaus : communaus V I 6. 3. -iee > -ie sans exception. 4. -aticum > -age; toujours -asse, -ast, etc. 5. L. aqua > aigue I 41; ailleurs eve II 98, 118, 319, I I I 47, V I 214. 6. L . paucum > poi toujours. 7. L. traugum > trau IV 82, 90, 227, 230, 245, V 64; cf. traues II 301. 8. an et en restent separes dans la graphie sauf les exceptions connues.dans les textes picards. Le copiste ecrit toujours tans, sans, dolans (dolante), ofrande, ensiant, dedans (mais dedens IV 207) et an dans les formes du verbe sanier ( = sembler), ensanle, asanlee. Le manuscrit n'a que les formes ferne, talent, sanglens, mais Baucant I I I 464.2 A la protonique senmedi II 257; en souvent dans les formes de manger : menjons I 47, menjames V I 17, etc. 9. ein s'ecrit ain : plains I 41, 61, plain II 362, III 246, etc. mais cf. estinte : atinte IV 244; 3 -eine, -aine s'ecrivent dialectal mis pour -ai, car il trouve ailleurs dans son t e x t e cette forme non contract6e; cf. aussi Romania L X I V (1938), 542. D a n s le ms. Μ on ne trouve point ailleurs -a = -ai dans les verbes. 1 Schwan-Behrens, Grammaire, § 10, § 52. L a forme ίέτηίηίηε mele se t r o u v e Mervelles de Rigomer v. 8986. 2 Cf. A . Thomas, Romania, X X X V (1906), 457. 3 Cf. estint (-inctum) Rigomer 2044 et note: "es ist die b e k a n n t e nördl. F o r m " ; Montaiglon et R a y n a u d , Recueil general des fabliaux I 17: estint ( = mort); extint s y n o n y m e de pale, A . Scheler, La Geste de Lidge, glossaire philologique dans Memoires de l'Academie de Belgique, nouvel'e s6rie, t. 44, 1882; K . Bartsch, Chrestomatie de l'ancien fran-
LES
MANUSCRITS
Π
-ainnei vainne: avainne II 22, avainne II 57, alainne V 106, plainne VI 219, etc. 10. at n'aboutit pas ä e\ seule exception sijet V 65. 11. Dex, Deu jamais Dius, Diu. 12. e ouvert entrave ne donne pas ie; seules exceptions apries IV 127, Robiert V 2. 13. -ellus, -ellos > tantot -iaus, tantot -eax\ mais cf. bels I 24, III 534 ä cöte de bials III 291, beax III 469, IV 265, V 179. 14. L. melius > mels partout. 15. -tllos > -tax: ceviax II 11; tllos > aus II 34, III 216, V i l a 43, etc., mais els III 218; ekke + tllos > gaus III 5, 429, IV 122, V 93. 16. -tliu + s > -aus: consaus III 102. 17. -itia > -ice: services II 227, III 33, justice VI 131. 18. Francien ieu = tu: lius, liu (löcum) II 41, III 304, 379, IV 16, V 57, 170; giu (gocum) V 142 ä la rime avec Mongiu mais probablement dü au copiste; cf. otrageus: geus, VI 98; liues (leugas) IV 8; siut III 9. 19. föcum > ju III 383, IV 181 ä cöte de feull 43, 52, IV 172, 271, 277. 20. follis est peut-etre represente par jaus III 439 (variante du ms. Τ fouz); mais fols III 109, jos VI 139. 21. bos (= bois) I 81, II 131, IV 101, 108, etc. 22. ö libre tonique latin s'ecrit en general 0 devant r; il y a quelques exceptions: leur I 182, VI 88, etc. ä cote de lor plus nombreux, eure II 258, IV 103, eur III 294. Α cöte de sor, desor se trouvent seur, seure, deseur, deseure. Le suffixe osus donne toujours eus. Toujoursdeus (= deux) I 155, 159, IV 308, V 5, 15, 158, VI 22; solus > seus II 18, 135. 23. -ivus > tantot -is: caitis V 117, tantot -ius: entalentius IV 256, mais voir ci-dessous p. 56. 24. -ilis > -ius: gentius III 402, 571, gentils V i l a 73, ostius (ais, I2 e i d . , piece 15 b, 16: stinte (forme Orientale); A . Sc.heler, Dits et contes de Baudoin et Jean de Conde, B r u x e l l e s , 1866, I I , 387: frinte (=freinte). C. H .
LIVINGSTON.
LE JONGLEUR GAUTIER LE LEU
IV 255; -ilius > -ius: fius II 13, 142, fils II 6, III 360, 361,. V72. 25. a ä la protonique: parfons II 77, parfont I I I 590, parfonde I 91, parcius II 62, anoier et ses formes, III 242, 263,. 367, 489, IV 88, V I 61, etc., anui I I 1 6 1 , V i l a 6, etc., manetier II 116, manace III 459, IV 217, manegant IV 98, ramenbrance II 314, ascouta II 137, ravestir III 254, rations I I I 540, anor IV 26, dales II 256, III 210, I V 72, etc. 26. e a la protonique: user er I 31, nelui V I 171, cortesie III 455, serors III 507, denroies V I 39, demars (= dimars) ΙΓ 105, I I I 484, Laenois III 372, secors II 33, IV 156, semonsIII 5 (resomont I I I 136). 27. ai protonique se presente souvent comme a: abascies I 186, III 548, abascier II 97, plascier II 98, bascelete III 269., mascelete III 270, fasies III 415, fassoient IV 289 (faisoieIII 485), vascel IV 291, etc.; cf. asse IV 47. 28. i ä ia contrefinale: conisfons I 140, I I I 505, coniscies I I I 298, 299, oquisson III 124, damisiaus I I I 459, venissons· IV 20; cf. aussi visnage III 325, pisgon{s) V I 19, 35, 53, 68„ 96, 102, 105, etc. (poisfons III 557), pinies I I I 559. 29. c latin + Λ est represente par c: cairent I 52, cat II 12,. castoier III 1, candelle I V 223, cavelut IV 238, caitis V 1 1 7 , carnaus V I 5, cantans V i l a 25, acater V I 19, acates V I 25, 69; etc. A noter aussi coisir II 312, cosse III 356, 544. 30. c latin + e, ie (du latin a) est represente par c, rarement par k, qu: ties I 182, cemisse II 278, baceler II 325, V 1 1 1 , cieres III 110, ceval V I 154, etc.; beke III 209, kenus I I I 267, peskent II 332 etc.; porquiers V I 80, toquies III 550· (tocies V i l a 67, tocier V I 100). Cf. aussi riques I 64, I V 36(rices IV 196), blanques III 283. Chevalier toujours avec ch\ cf. preechier V I 76, (preecier II 315), trenchier V i l a 1 7 (;trencies V I 134). 31. c latin + e, i, i, t latin + i (apres consonne) sont representee par c, exceptionnellement par ch: eil I 3, landet I 20, ocirai II 129, jovencele IV 40, corecies V I 65, semblanceV i l a 36, etc.; cf. cht II 119, V I 22, cache III 206, (cace l i t
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208). II est a remarquer que L. sapiatis s'ecrit sacies I 60, I I I 355, V 169, V I 94, etc. 32. A la finale le picard c: brag I 20, V 50, 148, caug II 93, saug II 94, escorg I I I 260, V 135. 33. Alternance entre c et g particulierement caracteristique des textes picards bien que paraissant ailleurs: jucies I I 3 7 , juciet I I I 474, esrajoient I V 101; of. huge II 256, I I I 284; cf. ci-dessous p. 60. 34. Le d epenthetique n'apparait jamais entre η et r ou l et r. Pour b entre m et I, il n'est ecrit que dans peu de cas: sanble I V 239, ensamble IV, 240; cf. sanlance II 313, asanlee I I 213, ensanle II 360, I I I 40, 545, asanle II 114, sanle I I I 546, IV 234. 35. g latin -f- a est represente par g: ganbes II 248, IV 64, 222, gausnir I I I 143, gausnisses V I 206. 36. I s'est vocalise devant une consonne mais presque toujours on continue ä l'ecrire: paumes I I I 12, ribaus I I I 425, vaut I V 162, ostex I V 125, etc.; cf. No. 24 ci-dessus. I a disparu dans fos V I 139 (fols V i l a 22, 38). Rhotacisme de I dans arme III 281. 37. Metathese de r: freme II 245, adercier IV 43, aderciet I V 248, adercies V 150 (cf. ci-dessous p. 67), torble I I I 433, enterra I I I 108; cf. aussi tors V 15, 105, berbis V I 44. r est tombe dans prestes V i l a 11. 38. t isole ä la finale persiste: peciet I 19, donet I 45, I I I 297, piet II 353, biet III 502, plentet I I I 305, mangiet I V 203, congiet V 155, hontet V I 174, caciet V i l a 2; asalit II 169, marit V 136, mercit V I 223; roit I 2, 7, 21, 50, 83, 105, foit I I I 277, 339 {fit I I I 443, I V 263, V 139, 169, V I 99, etc., foi I I I 22); tolut I 69, III 501, veüt 329, entendut V 147, estendut I V 166, deciut I V 31, romput V i l a 79, et beaucoup d'autres. II y a relativement peu d'exceptions: reube I 69, conqueste I 146, este I 145, V 26 {estet II 363), tendu I 93, venu I V 126, 171, etc. Le t isole ne s'ecrit pas a. la 3 e personne des verbes. Cf. le t isol6 ä la rime, p. 61 ci-dessous. 39. w ä l'initiale surtout dans des noms propres: waite I V 218,
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wes I I 302 (gues II 288, 327, 356), Warenbaus II 216, Warenbers II 216, Wales I V 144, 182, 192, 214, 296, Walon I V 278, 318, Wiborc I I I 360, Walecort II 49, wihot V i l a 30, 60, 68, wihos II 113, V i l a 74, wihote V i l a 82, wihotie V i l a 80; cf. gaegnier I I I 279, garderes V I 78, guerredon III 351, etc. 40. ts = s; sis = s; la graphie ζ parait seulement dans Anzaing I I I 358, Lezac IV 264. 41. jo nom. sing, du pron. pers. de la i r e pers. ä cöte de je, ge: I 154, 165, I I I 264, 343, 437, V i l a 71, etc. 42. mi cas reg. du pron. pers. de la i r e pers.: III 348, ä ΰόΐέ de moi. 43. me cas reg. du pron. pers. de la i r e pers. employe au lieu de moi apres l'imperatif: atendes me II 149. Cette forme se trouve surtout dans les textes picards; L. Foulet, Petite syntaxe de l'ancien f ran fats, 1930, p. 21, § 169. 44. te (= tu) cas suj. du pron. pers. de la 2 e pers. employe apres le verbe dans la construction interrogative: II 44, V 28, V I 4 7 , 1 7 2 , 1 7 3 , 1 9 5 ; cf. ci-dessous p. 60. 45. il, ille (pour el, eile) formes du cas suj. fem. du pron. pers. de la 3 e pers.: il V 68, ille I V 236. 46. aus ("llos) cas reg. du pron. pers. de la 3 e pers. pl.; cf. No. 15 ci-dessus. 47. le cas reg. fem. sing, du pron. pers. de la 3 e pers. sans exception pour francien la. 48. men, sen, se (masc.); me, te, se (fem.), formes picardes des possessifs, se trouvent plus de soixante fois dans le texte; se (masc.) II 167, I I I 116, 143; cf. Schwan-Behrens, Grammaire, partie III, 104; sen (fem.) devant voyelle: II 16, 25, 213, 272, I I I 281, I V 91, V I 230. 49. etile adj. demonstr. fem. ( = celle) II 7, 117. 50. eiste adj. demonstr. fem. ( = ceste) V I 189. 51. cis cas suj. de l'adj. et du pron. demonstr. qui se rencontre surtout dans les textes wallons et picards: II 195, I I I 425, 459, I V 299, V 85, 124, V I 59, etc. 52. faus (ekke + illos); cf. No. 15 ci-dessus. 53. f0 (ekke + hoc) II 367,369, V 1 0 3 , V i l a 55, etc., ä cöte de ce.
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54. tuit I I I 2, seule fois, partout ailleurs tot. 55. L'article au cas suj. masc. et fem. est toujours li\ au cas reg. fem. sing, le est beaucoup plus frequent que la. 56. Les formes de la ι Γ Θ pers. sing, de l'indicatif sans l'e et s analogiques: os autrui II 263, parol un poi III 234; quier I I I 264, V 112, etc., criem I I I 368, sui I I I 16, 237, etc., dot I I I 277, 339, etc., sai III 427, etc. 57. c picard ä la i r e pers. du pres. de l'indicatif: mec I I I 369; estenc III 412, fac I I I 312; de meme au parfait euc I I I 444, cf. criec, 3 e sing, subjonctif, I 178. 58. dist 3 e sing, du pres. de l'indicatif de dire, jamais dit: I I 119, III 236, 379, 510, 526, 573, 585, V I i , 90, 99, etc.; maudist III 116. 59. Formes de prendre avec d etymologique: entreprendent I 57, prendons I 124, prendes V I 217, prendoit V i l a 29, etc. 60. Formes en -a au lieu de -ai de la x r e pers. du verbe: sara II 303, sa II 367, fera I V 92, lasga II 257; cf. ci-dessus p. 15. 61. Chute de la consonne finale de la 2 e pers. pi. de l'imperatif et enclise du pron. pers. ostites V I 210, ditele V I 226. C'est un phenomene qui est frequemment atteste dans les textes du nord de la France. H. Breuer, Hunbaut, p. 115, note au vers 354, en parle longuement. II en trouve des exemples dans Richars li biaus, Aiol, Chevalier as dens espees, et dans les oeuvres de Gautier d'Arras, Adam de la Hale, etc. De telles formes sont tres nombreuses dans Sons de Nausay; cf. F. Hummel, Zu Sprache und Verstechnik des Sone de Nausay, 1913, p. 17. 62. savees III 301, 325, V 32; apartenees III 318. Ces formes de la 2 e pers. pl. du pres. de l'indicatif sont employees ä l'interrogatif, mais ne sont jamais suivies du pron. sujet vos. Nous donnons ci-dessous la liste des variantes, lorsque celles-ci existent: III 301 M. Savees rien de lor afaire? D. Saves noient de lor afaire? T. Saveis vos riens de lor afaire?
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III 325 M. Savees nient en vo visnage U il ait auques de barnage? D. Saves noient en vo vinnage U il ait auques de bernage? T. Les vers manquent V 32 M. Savees nient en nul asens U il ait pain n'autre despens? I l l 318 M. En' apartenees Gomer? D. En' apartenes vos Gomer? T. Enne connissiez vos Gomer? Dans le manuscrit Μ ces formes sont confirmees par la mesure du vers car nient est toujours monosyllabique dans M. M. Wilmotte 1 a note dans les chartes du x i n e siecle de la region de Namur une tendance nettement marquee "a la gemination graphique de toutes les voyelles" (cf. par ex. delees = delatus). II ajoute "Liege ni H u y n'ayant cette forme, elle constitue un trait de localisation ä retenir." Or cette tendance se retrouve de temps ä autre dans les manuscrits litteraires. Dans les Mervelles de Rigomer (cf. ed. FoersterBreuer, II, p. 45) ces voyelles geminees dans le manuscrit comptent pour une seule syllabe. Dans la Branche I du Roman de Renart (ed. Martin) au contraire, la mesure du vers montre que ee compte pour deux syllabes dans fereez 559, vos lairees 622, tandis que dans vos estieez 321, estiees vos 1166, I'ee ne parait pas avoir cette double valeur, la terminaison de l'imparfait comptant ordinairement pour deux syllabes. Dans le manuscrit Μ oil des formes de ce genre ne se rencontrent qu'a l'interrogatif, nous nous trouvons, croyons-nous, en face d'un phenomene d'un ordre tout different. Signalons que les formes savees et apartenees du ms. Μ sont d'habitude representees dans les variantes des autres manuscrits par la forme simple suivie de vos. On peut les comparer aux formes anglo-frangaises aveus (Chardry, Petit Plet 1009, B. de Ste. More Η 17802) et saveus (Chardry, Josaphat 2838), οΰ l'eu parait etre une diphthongue resultant de l'en1
£tudes de philologie
wallonne, Paris, 1937, Ρ·
I 2 4>
§ τ·
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•clise du pronom non accentue (v)us (—vos) avec la 2 e personne •du pluriel du present de l'indicatif dans les constructions interrogatives, apres la disparition de la consonne finale du verbe. L'enclise ou l'agglutination des formes de {v)os a ete relevee dans d'autres textes: qu'os, s'ous (= si vous) n'os ·(= ne vous).1 L. Constans fait remarquer que l'enclise de (ν) os se trouve frequemment dans le Roman de Troie et "doit •£tre reconnue dans un assez grand nornbre de cas a travers les alterations que les scribes ont fait subir au texte: jos, fos, •quos, sos (si vos) etc." 2 A. Tobler 3 est tente de rejeter l'explication generalemsnt acceptee pour expliquer saveus, maneus, aveus, etc., car l'enclise se produirait ici apres une voyelle accentuee, phenomene dont il ne trouve aucun autre exemple en ancien frangais. D. Behrens 4 montre que la forme frangaise ous, os mise pour vous se retrouve tres souvent dans les patois modernes. Quelques-uns des exemples qu'il releve dans des dictionnaires de patois presentent l'agglutination de vous apres un verbe interrogatif: ete-ous venus (Fourgs), sav'oues, savi'oues (patois normand de la Hague), volou = voulez-vous (patois normand du Bessin), etc.5 II nous semble done probable que les formes interrogatives -savees, apartenees, representent des formes anterieures *saveos, *aparteneos. Les formes verbales oil la consonne finale s (z) est tombee au pluriel du present de l'indicatif, avec enclise •du pronom, se retrouvent ailleurs dans le ms. Μ (cf. ci-dessus 1
F. Diez, Grammaire des langw.s romanes, Paris, 1876, I I 95. Roman de Troie (S.A .T. F.) V, n o , 142. Vermischte Beiträge I 3 , 267 et s. 4 Beiträge zur französische Wortgeschischte und Grammatik, 1910, 193· 5 Pour la phon£tique et l'accentuation de ces formes et d'autres du x v e et du x v i e siecle, voir le commentaire avec bibliographie dans Tobler (loc. cit.) et Behrens (loc. cit.) Dans sa these "Avoir u. savoir in •den altfranzösischen Mundarten," Marburg, 1900, p. 43, F. Holle Signale les formes α'vous, sa'vous (ou av'ous, sav'ous), avoo et hoo (pour •avtz-vous) et soo (savez-vous) que les grammariens du x v i e et du -xvn e siecle condamnaient. 2
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No. 61) et sont frequentes dans d'autres textes du Nord-Est. D a n i ditele V I 226, Γ agglutination a lieu avec une voyelle non accentuee. L'affaiblissement de l'o en e dans (v)os, forme enclitique, peut se comparer a tu > te apres un verbe ä l'interrogatif: II 44, 115, V 28, 60, V I 47, 172, 173, 195. 1 Nos formes savees et apartenees qui se trouvent uniquement dans des passages de conversation, sont sans doute de caractere purement populaire et probablement dues au copiste. Elles semblent representer une etape intermediaire entre *saveos et saves qui, d'apres Tobler, resulterait de save(z) + us {= vus, vos). Cette contraction expliquerait 1'absence de ces formes dans les patois picards modernes. 2 63. A u futur et au conditionnel d'avoir et de savoir le copiste emploietoujours des formes du typearai, sarai, aroie, saroie. 64. 3 e pers. sing, du parfait avec diphthongue: peut II 312, 351, V 13, seut V 14, eut II 11, 20, etc. ä cote de ot II 51, 85, etc. 65. Subjonctif pres. avec spirante dentale ä la fin du radical: mece III 52g, I V 91, siecent I V 168, abace V I 1 8 6 ; cf. prenge : aprenge I 166, I I I 216. 66. Formes sigmatiques du parfait: promesistes I I I 484, redesist IV 29. 67. A la 3 e pers. pi. du parfait, formes en -issent (isent) : fissent II 161, fisent II 373, I I I 405, V 8, dissent II 171. 68. L'infinitif ve'ir (= veoir) III 308, V I 67. Α noter aussi: iretage II 186; diut, 3 e pers. sing, du parfait de devoir II 233; pumes I I I 371; pumel V 51; puing I I I 516 (poins III 40); fuel V i l a 79 (fiels V i l a 78); nueces III 203; reube I 69; angösse V I 204; harnas I V 255, 290; oie (= out) 1 Voir aussi me employ6 au lieu de moi apres l'impöratif: atendes me I I 149. 2 II est intiressant de noter dans le roman du Castelain de Couci (6d. Delbouille) alons m'ent a u x vers 1043, 2092, 2534, dans le sens de 'allons-nous-en.' M. Delbouille l'explique (p. 281): "formule imp£rative paraissant combiner la i r e pers. sing, et la i r e pers. pi. mais provenant vraisemblablement d'une forme plus ancienne alommes ent"; cf. K . N y rop, Grammaire historique de la langue frangaise, II 2 , p. 37.
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I 147, IV 69, VI 175; tamains V 170, tamaint V i l a 28, 59, tamaintes IV 46, VI 89; andoi I I I 545, IV 159; infer VI 192; enfegons I I I 271 (enf an f on 1167); tesmogne IV 252; ensiant III 231; enverres (= esverres) III 476; habandoner I 137; hestaus (= estaus) IV 184; sohaidier I 13, I I I 130; soprendre I 80, Vila 50, soprent I 86, sopris I I I 265, VI 1 1 5 . La declinaison ä deux cas de l'ancienne langue est employee systematiquement ä travers tout le texte; les seules exceptions sont les plusors, cas suj. pi. I l l 140 (Ii plusor III 306), lasset cas suj. sing. I l l 468. Les noms fem. de la classe II portent un s au nom. sing.: molliers I I I 9, IV 268, maisons III 290, IV 116; etc. Les substantifs masc. qui se terminent par e n'ont generalement pas d's au nom. et au vocatif sing.: lere II 44, III 527 (mais leres II 47), pesciere VI 21, 110, sire III 295, 423, 451, IV 20, 56, 66, 242, prestre Vila 37 (prestres VII 69); etc. L'impression d'ensemble qui ressort de l'orthographe en usage dans le manuscrit et des traits dialectaux dont nous avons fait le releve, est que Μ a ete ecrit par un copiste picard. Un certain nombre des caracteristiques dialectales, indiquees par la graphie, s'etendent, il est vrai, au delä de la region picarde, mais toutes se retrouvent dans les manuscrits de cette region. Nous pouvons indiquer comme traits bien nettement picards 7, 10, 18, 19, 20, 38 (si frequemment atteste), 40 (qui n'off/e pas d'exception); l'emploi des formes du pronom: 41, 42, 43, 44, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53; 55 (pas d'exception); 57, 58, 61, 65. L'absence de ei < L. a libre, et ie = e francien entrave (deux cas), nous ferait hesiter ä placer le texte trop au Nord-Est mais la langue du ms. Μ nous parait etre dans son ensemble tres voisine de celle de l'auteur telle que nous l'avons analysee ci-dessous au chapitre III, p. 52 et s.
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MANUSCRIT
T.
TURIN, BIBLIOTHEQUE DE L'UNIVERSTE L . V . 32. T A . (COPIE DE Τ ) . PARIS,
BIBLIOTHEQUE
NATIONALE,
COLL. MOREAU 1 7 2 7 , MOUCHET 5 2 .
Ce manuscrit (T), perdu dans le grand incendie qui a detruit line partie de la bibliotheque de l'Universite de Turin en 1904, 1 a ete decrit ä plusieurs reprises. II est mentionne brievement dans le catalogue de Passini ou il portait la designation 2 G. I. 19 et il est cote L. V. 32 dans celui de Stengel. 3 II a ete utilise par Scheler dans son edition de Baudouin de Conde. 4 Le meme savant a decrit ce manuscrit en detail dans le Bibliophile beige (torn. I-II de la nouvelle serie, 1867, p. 66 et s.). C'etait un recueil factice de plusieurs manuscrits ou fragments de manuscrits. L a premiere partie, qui parait representer un manuscrit complet en soi, allait jusqu'au feuillet 179 au recto duquel se terminait la Bible au saignor de Berze. L e verso de 179 etait reste en blanc et marquait sans doute la fin de ce manuscrit, car le feuillet 180 contenait les derniers vers d'un poeme non identifie. C'etait un manuscrit sur velin, ä deux colonnes, execute a la fin du x i n e siecle. Parmi les quaxante-six poemes que contenait ce premier manuscrit, poemes moraux et devots pour la plupart, mentionnons les Conges de Jean Bodel (46 verso et s.), Li Regres Nostre Dame de Huon L e Roi de Cambrai (96 verso et s.) et deux fabliaux de Jacques de Baisieux: Des trois chevaliers et del chainse (99 verso et s.) et De la vescie a frestre (108 verso et s.) Les feuillets 167 recto '-Romania, X X X I I I (1904), 306-307. 2 J. Pasinus, A . Rivautella et F. Berta, Codices manusr.ripti, etc. bibliothecae regit Taurinensis Athenaei. Taurini, 1740, 2 vol. in-fol., No. C X X X I V . 3 E. Stengel, Mittheilungen aus franz. Handschriften der Turiner Universitätsbibliothek, Marburg, 1873, p. 8. 4 Dits et contes de Baudouin de Conde et de son fils Jean de Condi, I, X X V I I et s.
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170 recto renfermaient une version (sans titre) du fabliau de La Veuve de Gautier Le Leu, qui a servi a Scheler pour ses editions du poeme et qui est sensiblement differente de celle des autres manuscrits (D M). Avant d'analyser la langue de ce manuscrit de La Veuve, nous desirons decrire une copie du manuscrit Τ de ce poeme auquel nous donnons le sigle Ta. Elle se trouve ä la Bibliotheque Nationale a Paris dans la collection Moreau 1727, Mouchet 52. C'est une mauvaise copie executee sur papier au x v m e siecle pour l'erudit Lacurne de sainte Palaye et qui porte des notes marginales de sa main. A cause de la perte de Τ, eile a une certaine importance, d'autant que les editions de La Veuve publiees par Scheler d'apres T, different en maints details de cette copie. II semble que Scheler ait ramene l'orthographe a la normale par endroits et modifie de nombreux passages de Τ qui, a en juger d'apres la copie Ta, etait souvent fautif. 1 A defaut d'une etude de la langue du ms. Τ par les editeurs qui s'en sont servis, M. Langfors, dans l'introduction de son edition de Li Regres Nostre Dame, (p. ν et s.) essaie de preciser le dialecte du scribe qui a copie le poeme et qui est tres probablement celui qui aurait aussi copie La Veuve. II conclut (p. x) que le manuscrit a ete ecrit par un wallon du Sud-Ouest (region namuroise). Voici maintenant le releve des principaux traits dialectaux de La Veuve d'apres les editions de Scheler et la copie Ta; il ne fait que confirmer les resultats des recherches de Μ. Langfors. Lorsque l'orthographe des textes de Scheler differe de celui de Ta, nous avons donne la preference ä ce dernier.2 1 Scheler dit avoir corrig6 le texte du ms. Τ "en plusieurs endroits" dans sa premiere Edition des Annales de l'Academie d'Archeologie de Belgique, t. II (nouv. serie), p. 477. La seconde Edition se trouve dans Trouveres beiges du XIIe au XIVe siecle, Bruxelles, t. I (1876), 225241. Pour cette Edition Scheler a consult6 le ms. Ta. 2 Dans les observations linguistiques faites ci-dessous nous renvoyons aux 6tudes suivantes: A Langfors, Li Regres Nostre Dame, Paris, 1907, p. ν et s.; Μ. Wilmotte, Jztudes de Philologie wallonne,
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1. Un a latin libre est rendu le plus souvent par ei, mais aussi comme en fran^ais central par e: atorneiz 32, dobleiz 56, meneis 109, aseis 207, assets 258, 288, 455, seit 285, etc.; cf. fines 31, pardonez 478, amez 483, etc. 2. -iee roman > -ie: chauchie: Chauchie 316. 3. -aticum > -age. 4. Distinction de an et en dans l'orthographe; mais cf. dolante 16, dolente 117, offrande 27, essiant 215, samble: ensamble 476; en = an devant le ton: sangnor 1, 19, 231, 320, 464, plante 281; cf. aussi Clamence 326, anoyer 226, anuier 247, anuit 324, mais semble 332, rasemblent 186. Toujours feme 9, 420, 499, etc. 5. ai s'ecrit rarement e\ mes 9 (mais 127, 438), lessies 91, lessai 431. 6. La distinction entre au et ö latins persistent dans les cas suivants: sout 111, clout 140, out 447, pou 76; cf. poi 227, 388, chose 57; cf. Wilmotte p. 128, §§ 16, 17. 7. A Deus correspondent au cas suj. Diex 52, 310, 462, Dex 200, 273, 450; au cas reg. Deu 329. Dans Dies 17, il y a chute d'un u; cf. liez (locos): lies (laetus) 156, mies (melius)\ vies 168, mais liu (locum) 280, 353; siet (= sieut) 9. Cf. Langfors p. VI; Bayot L X X X I I I . 8. -ellum > -iah bial 162; cf. Bialvais 436; -ellus, -ellos > -iaus(z)\ colenbiaus 79, biauz 80, biaus 479 (biaz 409), enviauz: isniauz 362; illos > iauz 204 (eus 202); cf. chiaus 5; Langfors VII; Wilmotte 126. 9. ein roman s'ecrit en general ain, rarement oin: ramoinent 43 (ramainent 45), soing (s'lnum) 81; Valkhoff, p. 50. 10. ie roman > r. picha 223, pice 205, Linart 343. 11. 0 ferme est souvent rendu par u\ dulce 15, 89, 303, 396, duce 296, 390, 395; cf. dolce 143; dolcement 393; ultre 400, crupe 426; toujours mult; 0 nasale donne souvent u ä cote de 0: bune 172, anunchier 272, repunre 187; cf. colenbiaus 79. Paris, 1932, pp. 4-150; M. Valkhof, Philologie et litterature wallonnes, chapitre II; A. Bayot, Le poeme moral, chapitres V I et V I I .
LES
MANUSCRITS
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12. a a la protonique: asties 68, 72, astez 70, 76, 402, astoient 69, astoit 243, astoi'e 251, astoi 308, rasemblent 186, ravestir 238, awant (pan) 63, 290, 333, 342. 13. 0 a la protonique: solonc 39, resomont 122, somons 5, somonre 188. 14. e a la protonique: brehier 372, rfe/ew 373, techies 480 (= touchies). 15. i ä la contrefinale: conissies 274, 293, ensignies 376. 16. Manque de voyelle prosthetique: scosse 346; cf. scorce 284. 17. c latin devant a; le copiste ecrit le plus souvent ch comme en frangais central: chastoyer i , chape 73, char 123, chaitif 377; cf. aussi lechieres 97, chiere(s) 98, 117, cochies 33, conchies 243, chief 460, 486; cf. kastelaine 395, koze 499, 500; boce 140, blances 260. 18. Pour c devant e, i, ainsi que pour le resultat de -ti en hiatus, nous constatons egalement deux graphies: aux habitudes du frangais central correspondent p. ex. cell(e) 5, eel 328, ceste 84, celi 107, redrece 130, cele 74, 350, 352, 401, 445, 473, comence 151, 370, porcace 193, chace 194, celni 294, jovencel 300,302, suce 459, etc.; tandis que sont ecrits comme en picard: chiaus 5, chil 10, 163, 165, 167, 331, 378, 498, chist 71, chi 105, 348, parecheuse 141, tencheuse 142, cache 192, anonchier 218, picha 223, anchois 250, conmenchant 496. 19. Chute de I devant consonne: queis 318, tez 102, pames 12 (palme^o),janir 129, biaz 409, escames 482, maz 477, duez48. 20. L 7 mouille est designe regulierement par lh\ mais andoilles 125. Un I mouille non etymologique se trouve dans ilh (sing.) 30, 33, 58, 101, 109, etc., ilh (pi.) 380. 21. L ' n mouille est designe par -ngn- entre voyelles: sangnor i , 19, etc., prengne 201, 202, bangne 471, sovengne 489. 22. Maintien de t final isole: perdut 231, reverseit 270, parleit 338, sachiet 358, tolut 437, jut 446, donet 455, pitiet 486, ä cöte de formes nombreuses sans -t\ cf. Längfors I X ; Valkhoff p. 48. §8. 23. is = s; s et ζ sont confondus; cf. oez 165,166, douz (= deux) 262, roz (= roux) 175, couz 459.
LE JONGLEUR GAUTIER LE LEU
24. w comme semi-voyelle de liaison en hiatus: awant (= oan) 63, 290, 333, 342. 25. Absence de consonne transitoire: avenroi 161, repunre 187,. sotnonre 188, tenre 252; mais semble 332, samble 475, ensamble 476, rasemblent 186. 26. Pron. pers. fem. de la 3 e pers. cas reg. le sans exception. 27. A la i r e pers. du pres. de l'indic. la finale picarde -ch : mech 325, soch 312. 28. A la 2 e pers. du pluriel, la terminaison -eis (eiz) a cote de formes en -es (-ez): saveis 4, 277, fenseis 92, 303, aveis 404, 413, aleiz 329, teneiz 94, deveis 228, 448, reprendrais 96, etc.; deconfortez go, revenez 330, ores 354, avez 396, 414^ savez 406, etc.; cf. No. 1 ci-dessus. 29. esteis (esteiz) forme faible de estes: 53, 54, 55, 222, 492; cf. Valkhoff, p. 54. 30. Formes de l'imparfait et du conditionnel en -oi (= oie) : avoi 20, 246, astoi 308, devroi 430. 31. Parfaits et subjonctifs imparfaits en ui, wi: misse 250, fuist 400, dewisies 428. 32. Formes sigmatiques des parfaits forts: desist 39, promesistes 424. 33. Chute de r apres s dans les parfaits: fisent 379. Les traits suivants sont isoles: tor be (trouble) 404; enfechons 253; iestre (= estre) 428; do mains 12; chis 397; chiaus 5; iauz (illos) 204; on (< habui) 375; fauz (ms. Μ fols) 97 (cf. fouz 427); mure (= muevre) 426; puing 38; huz 69 (uis 467); aigue 47, aiwe 74; saine (= saigne) 180; douz (= deux) 262; andoi 476 (andui 69); reu be (= robe) 133; defeü (pour durfeü) 373; wasteles avec w initial 470. Comme trait de syntaxe cf. 211, le mes paia ( = frang. mod. me les, anc. fr. les me\ cf. Aiol (ed. Foerster), p. 495,. note au vers 10223. L a declinaison a deux cas est employee correctement partout: seule exception les plusors c. suj. 126.
CHAPITRE LA
II
P A T R I E DE GAUTIER L E
LEU.
Dans ses textes, Gautier Le Leu nous offre une matiere abondante pour determiner le pays de son origine. Nous classerons cette matiere comme suit: ι . Un certain nombre de noms de l ; eux se trouvant dans une m&ne aire geographique et dont quelques-uns sont de toutes petites localites. 2. Des noms de saints dont le culte peut £tre localise. 3. L'etude linguistique de la rime et de la mesure du vers. 4. Un certain nombre de mots dialectaux qui caracterisent le parier d'une region assez nettement definie. I.
LA
GEOGRAPHIE
DANS LES POESIES D E G A U T I E R
LE
LEU.
M m e Rita Lejeune, dans un article intitule La patrie de Gautier Le Leu, 1 s'est attachee plus particulierement que nous ne l'avions fait nous-meme 2 precedemment, ä l'etude de la geographie dans les poemes de Gautier Le Leu. Quelques-uns des resultats de son etude etablissent, de fafon qui parait definitive, l'identification de lieux que nous n'avions pu situer; d'autres nous semblent des deductions fort ingenieuses mais pour lesquelles nous faisons certaines reserves. La conclusion de M m e Lejeune confirme avec precision celle a laquelle nous etions arrive nous-meme, ä savoir que Gautier Le Leu etait bien originaire de l'ancienne province de Hainaut. Dans l'ensemble, l'article de M m e Lejeune, bien documente, apporte une contribution importante ä notre etude et nous sommes heureux d'y avoir recours pour reprendre et completer notre precedent travail. 1 2
Moyen Age, X L V I I , 1937, 3" 2 3· Romanic Review, X V (1924), 1-67.
32
LE JONGLEUR GAUTIER LE LEU
II convient d'abord d'ecarter bon nombre de lieux mentionnes dans les textes de Gautier Le Leu, qui ne sont d'aucune importance pour preciser la localisation parce qu'ils semblent introduits au hasard du texte et designent des lieux geographiques sans signification locale, tres eloignes les uns des autres: Tolose, I, 190; Meulens, II, 336; Laenois, III, 372; Mont Wimer, III, 429; Belvais, III, 450; Orliens, III, 436 (ms. T); Ausai, IV, 198, 264, V, 140; Lezac, IV, 264; Ausoirre, IV, 198 (ms. A), 264 (ms. A); les mons de Mongiu, V, 141; Botentrot, VI, 28; Sire, VI, 42; Rome, VII, 63; Tarse, VII, 251; St. Thomas en Inde, VIII, 230; Nobles, VIII, 256; Dordant, VIII, 176; Venice, VIII, 308; Mascon, VIII, 314; Irlande, VIII, 344. II arrive parfois que la scene de certains fabliaux soit situee fort loin de la region oil nous serons finalement amenes ä placer l'auteur: Tabarie, VI, 9; Orliens, X, 5, 10, 33, 164; Colencestre, V i l a , 23. Quelques autres de ces noms paraissent avoir ete inventes uniquement pour faciliter des jeux de mots d'un gout plus que douteux: Cuiseigni, VIII, 222; Val d'Aine, VIII, 223; Coninde, VIII, 229. Restent ceux que nous examinerons de plus pres. Tout d'abord le fabliau Del fol vilain (II) contient plusieurs references geographiques interessantes pour notre etude. Au vers 52 et s., mention y est faite d'un certain Baudouin de Sorre, proprietaire de la meule d'avoine brlilee par Evrart, le fol vilain: Tant a Evrars le feu coitiet 52 Qu'il n'i remest palle ne grains; Mais puis en fu dolans et grains, Qu'il li covint le moie sorre Le segnor Baudouin de Sorre Qui l'avainne avoit fait soier Et amasser et amoier. M m e Lejeune a tres bien vu dans Sorre, Solre-le-Chateau (arrondissement d'Avesnes, Nord), a la limite du Hainaut beige actuel et de la Thierache dont il sera question dans De
LA
PATRIE
DE
GAUTIER
LE
33
LEU
deux vilains (V, 6). Solre (Sorre) fut le siege d'une seigneurie, relevant du comte de Hainaut, dont les possesseurs au x m e siecle furent Baudouin I e r (1215-1250) et Baudouin II (12501300). 1 II n'est pas possible de savoir auquel de ces deux Baudouin il est ici fait allusion, la vie de Gautier ayant tres probablement commence dans la premiere moitie du x m e siecle pour durer bien au delä de 1250. 2 A u vers 49 du Fol vilain, il est fait allusion ä une auberge de Walecort, frequentee par des larrons et dont le proprietaire est Englebert le Cort. C'est sans aucun doute le Walcourt actuel dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, sur l'Eau d'Heure. II se peut que Gautier ait bien connu ce lieu, mais comme aucune scene du fabliau n'j' est situee, ce qu'en dit M m e Lejeune (op. cit., pp. 8-9) ne nous parait pas ä retenir. L a scene de la taverne dans notre fabliau (v. 59 s.) n'a pas lieu a Walcourt, comme elle le croit, mais dans un endroit anonyme sur le territoire de Liege, puisqu'en dependait la ville de Dinant (v. 88) dont le prevot, Guinant, oblige Evrart ä se dessaisir de son surcot pour payer sa dette. Un certain Robin de Fellui, un de ces chanteurs ambulants appeles davodiaus, est mentionne au vers 140 du Fol vilain. Fellui peut bien etre identifie avec Feluy, village situe aux confins du Hainaut et du Brabant, a un kilometre de la grande route reliant Möns ä Nivelles, 3 mais cela n'a que peu d'interet pour nous puisqu'il indique seulement ici le lieu d'origine du chanteur. Quant a Le Capele Saint Martin oil a lieu toute la scene de la ceremonie du mariage du fol vilain (vv. 224 et s.), elle est localisee par M m e Lejeune (op. cit., p. 10 et s.) dans le 1 Cf. R . Lejeune, op. cit., p. 8 s. pour un d6veloppement d6taill£ de la question; cf. aussi M. Delbouille Problem.es d'attribution et de composition (Extrait de la Revue beige de Philologie et d'histoire, t. X I et X I I (1932 et 1933), p. 597, note 2). Anciens noms de Solre-le-Chäteau: Sorre le Chastel, 1186, Sorre le Castiel, 1251; cf. Statistique archeologique du Departement du Nord, Lille, 1867, p. 815. 2 Cf. ci-dessous, chapitre I V . 3 Cf. Lejeune, op. cit., p. 10 ; Delbouille, op. cit., 597.
C. Η. LIVINGSTON.
3
34
LF. JONGLEUR GAUTIER LE LEU
voisinage d'Ath, et cela, croyons-nous, sans preuves cönvaincantes. M m e Lejeune identifie Le Capele Saint Martin avec un village du Hainaut, L a Chapelle-ä-Oie, pres de la route de Tournai a Ath, a quelques kilometres de cette derniere ville, et donne comme raison que son territoire appartint jusqu'au i x e siecle a la paroisse Saint-Martin-de-Leuze, distante de quatre kilometres de L a Chapell'e-a-Oie. Cela suffirait, ditelle, ä expliquer la denomination de Capelle Saint Martin. Cette localisation dans la region d'Ath, et m£me de Feluy, est encore confirmee, dit-elle, par une exclamation d'Evrart, le fol vilain, au vers 335 : Je sui trestos li plus dolens Qui soit dementres q'a Meulens
335 1
M m e Lejeune identifie, dans le vers 336, Meulens avec Meslin-l'Eveque dans le Hainaut, sur la route d'Ath, malgre des objections d'ordre phonetique evidentes. Nous l'avions identifie avec Meulans (Seine-et-Oise) sur la Seine. 2 Mais M m e Lejeune (p. 11) objecte que "ce serait la seule fois que Gautier ferait intervenir, dans une de ses ceuvres, une cite peu marquante qui n'a rien ä voir avec son recit, etant situee bien loin de son pays dans une contree qu'il ne mentionne jamais." M m e Lejeune oublie que dans des expressions comme celle 1 M m e Lejeune (p. 11, note 1) croit ä une mauvaise lecture du vers 336 du ms. Μ et propose de lire: Qui soit de Mont (Möns, en Hainaut, ville bien connue) tres q'a Meulens. L'emploi de dementres q'a, qu'elle trouve inattendu et qui, en effet, ne figure ni dans Godefroy ni dans Tobler-Lommatzsch, est cependant correct. Dementres dans le meme sens se retrouve dans les deux manuscrits D Μ de La Veuve (III) au vers 451: Si pris trestot le plus malvais 450 Qui soit dementres a Belvais. Dementres a (q'a) s'emploie ici comme deci a, deci qu'a, jusqu'a qui servent aussi bien dans les expressions de distance que de temps. 2 Romanic Review, X V (1924), 39. Pour Meulan actuel nous trouvons les anciens noms: Mellent, Meullan, Meullant, Meullent, Meollent, Mollent, et dans les chartes latines du x i n e siecle, Mellens, Mellentum, Mullentum, Meolentum.·, cf. H. C o c h i n s , Dictionnaire des anciens noms des communes du departement de Seine-et-Oise, Versailles, 1874, 44.
LA PATRIE DE GAUTIER LE LEU
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employee ici par Gautier, il y a une exageration voulue de la distance. Dans ces formules, que la litterature du moyen äge affectionnait, la ville citee n'ä jamais rien ä voir avec le recit, et le choix qu'en fait l'auteur n'est determine, le plus souvent, que par le besoin de la rime. L a mention de Meslin-l'i/veque, situe ä quelques kilometres de la scene du fabliau, amoindrirait singulierement l'effet. 1 Voici d'autres exemples de ce procede choisis dans les textes de Gautier Le Leu, lui-meme: 1. Si pris trestot le plus malvais Ki soit dementres a Relvais. (III D M, 450) 2. Ma iorje est molt povres et vialz; II n'a paior desi q'an Tarse. (Vllb 250) 3. Desci a Saint Thomas en Inde N'a nul chastel mielz aiesie. (VIII 230) 4. J'aniasse mels estre en Ausai U deci q'as mons de Mongiu. (V 140) De plus Meulan (S.-et-O.) n'etait pas une "cite peu marquante" au moyen äge, etant le siege d'un comte et possedant un cru repute dont il est fait mention dans la Bataille des vins d'Henri d'Andeli. 2 Dans la rime d'un autre poeme (VIII 176), le nom Dordant 3 pour Dourdan (Seine-et-Oise, arrondissement de Rambouillet) est cite dans une liste de localites oü l'on ne s'attendrait pas ä le voir, si ce n'est pour la rime, et qui nous amene egalement loin du Hainaut dans une region proche de Meulan. 1 Cf. Du C (VIII), 314 oil Mascon est employe d'une fagon analogue sans rapport avec le rAcit. Nous n'avons pas eu de peine ä relever une cinquantaine de ces formules dans d'autres textes, dont bon nombre de fabliaux, oil l'on trouve u i e grande vari6t0 de villes et de rigions plus ou moins importantes et toujours ^trangeres k la g£ographie locale des textes; en voici quelques exemples: Baudas, le fons de la Rouge Mer, Vincestre, Areblois, Sens, Mascon, Limoges, Neele, Nevers, Poitiers, l'aive de Tamise, Doai, Gien, Senlis, Pampelune, Pontoize, Roie. Presque toujours c'est le besoin de la rime qui d6termine le choix du nom. 2 A. H^ron, CEuvres d'Henri d'Andeli, Rouen 1880. 3 Cf. les anciens noms de Dourdan (Latin Dordentium): Dourdain. Dordan ( 1 1 7 4 ) , Dordain ( 1 2 5 7 ) ; cf. H. Cocheris, op. cit., p. 3 5 .
LE JONGLEUR GAUTIER LE LEU
A u vers 227 et s. du Fol vilain nous lisons: Qant li services fu fines A le vile ou Evrars fu nes, En a portee se mollier.
227
"Si l'on voit, dit M m e Lejeune (p. 12), dans le vers 228 du fabliau, autre chose que la mention distraite d'un endroit indetermine 'la ville oü Evrart naquit', et cela, parce qu'on se rappelle sans effort qu'il existe toujours dans le Hainaut une localite denommee Ville (aujourd'hui Ville-Pommereul), bien connue au moyen äge et qui donna son nom ä une famille, nous voici revenus encore dans les environs d'Ath ä une vingtaine de kilometres decette cite." Si l'on voit dans "le vile ou Evrars fu nes" un nom propre, mais si, fort de l'alternative que nous laisse implicitement M m e Lejeune, on y voit tout simplement un nom commun, toute l'argumentation precedente, qui tend a nous ramener dans la region d'Ath, tombe d'elle-meme; et disons qu'il nous semble infiniment plus naturel de considerer vile, employe ici avec l'article, comme un nom commun. Ville, le nom propre, s'employait au moyen age sans article d'apres M m e Lejeune elle-meme. 1 Ainsi ni Fellui, partie d'un nom de chanteur ambulant, ni Meulens, ni vile ne nous amenent, croyons-nous, dans la region d'Ath. Mais il reste toujours Le Cafele Saint Martin que M m e Lejeune identifie avec L a Chapelle-a-Oie, ce qui nous semble egalement gratuit. Elle dit d'ailleurs (op. cit., p. 10): "L'auteur a-t-il voulu designer une chapelle, comme le croit Livingston? 1 La Sorisete des estopes (M. R . I V 158) traite la meme histoire que Del fol vilain. Les vers 48-50 de ce fabliau correspondent ä peu de chose pres k ce passage du Fol vilain dans lequel la jeune femme d'Evrart, le soir meme de ses noces, I'envoie "en sus de li une grant liue" (v. 271) chez sa mere:
Mais la vile ο estoit li bors Ο sa fame avoit est£ nee Loin d'iluec fu plus d'une lee.
48
O n ne saurait voir ici dans "la vile ο estoit li bors," Ville-Pommereul. D e plus le vile est employee de la meme maniere au vers 242 du Fol vilain et ne peut dans ce passage etre mis pour une ville particuliere.
LA PATRIE DE GAUTIER LE LEU
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C'est possible." C'est admettre que son identification a. eile ne s'impose pas. II y avait certainement dans toute la France, y compris la Belgique actuelle, un nombre indefini de chapelles dediees a Saint Martin, car le culte de ce saint etait des plus repandus et des plus populaires au moyen age. Rien que pour le diocese de Cambrai, on compte aujourd'hui une cinquantaine d'eglises dediees ä saint Martin, dont la plupart sont de date ancienne. Mais si l'on cherche ä preciser et ä trouver un endroit defini qui corresponde a Le Cafele Saint Martin du fabliau, voici une autre identification pour le moins aussi probante que celle de M m e Lejeune et qui nous amene dans une autre region que la sienne. A environ dix kilometres au sud de Valenciennes, on trouve une commune Saint Martin (arrondissement de Cambrai, canton de Solesmes), puis, ä deux kilometres, ä un carrefour sur la route du Quesnoy a. Solesmes, une petite commune, denommee Capelle. Ces deux localites sont mentionnees dans des chartes du x n e siecle. "L'Abbaye d'Anchin possedait une ferme considerable ä Capelle et avait le patronage de l'eglise qui etait succursale de Saint Martin." 1 II nous parait beaucoup plus vraisemblable que ce soit la Le Capele Saint Μ artin de notre fabliau, etant donne que l'auteur a situe un autre fabliau, De deux 1 Statistique archeologique du Departement du Nord, Lille, 1867, 371. Capelle est s i g n a g e dans d'anciennes chartes comme La Capelle (1280) et Le Capelle (1355). On trouve, t6moignant de l'anciennet6 de ces local i s , la Charte 1 Η 36 (390) (Archives du Nord, Lille) oü l'£veque de Cambrai fait don de l'6glise de Capelle ä l ' A b b a y e d'Anchin en 1211, et la Charte 1 Η 35 (393) (Archives du Nord, Lille) oü le meme 0veque cede en 1213, « L'altare sancti Martini de Bermerengh et l'altare de Capeila ad usum fratrum" de l'abbaye d'Anchin. A u x v n e siecle, Capelle est appel6e "le Ameau de Capelle joindant au dit St. Martin" et "un personalle qui d'ordinaire est occup6 par un chappelain." L a d i c l a ration des biens et revenus de la eure de St. Martin et Capelle annexe, fut dressöe en 1696 par le "pasteur" et le " m a y e u r " de Saint Martin. U n meme cur6 desservait les deux 6glises (Cf. les dossiers 1 Η 404 et 1 Η 407 des Archives du Nord, Lille, datös 1686-1689.) Capelle est toujours appel6 "annexe" de Saint Martin en 1789; cf. A . J. G. L e G l a y , Cameracum christianum ou Histoire eccldsiastique du Diocise de Cambrai, Lille, 1849, 407.
LE JONGLEUR GAUTIER LE LEU
vilains (V) entre l'Ostrevant et la Thierache, ce qui correspond ä pea pres a cette: region. D'ailleurs Le Capelle n'est pas tres loin de Solxe-le-Chäteau, mentionne dans Del fol vilain (II 56) et de l'Abbaye de Maroilles que Gautier Le Leu semble biert avoir connue, 1 tandis que la region d'Ath en est eloignee. Pour le fabliau De deux vilains (V), il est situe de ίαςοη precise par ses donnees geographiques. II concerne une aventure Qu'il avint deus vilains de Rasce Qui s-'en alevent en Tierasce.
5
Rasce est certainement, comme le dit M m e Lejeune, le Raches actuel dans le departement du Nord ä six kilometres environ au nord-est de Douai, sur la route de Douai a Lille. 2 La Thierache (Tierasce) est encore le nom "du pays a la limite est de la Picardie, qui est presque entierement comprise aujourd'hui dans la region de l'Aisne." 3 Apres leur aventure, les deux vilains Sont revenu en Ostrevant La dont il furent nuit devant.
167
A cette epoque, l'Ostrevant "n'etait dejä plus qu'un nom de contree" et faisait partie du Hainaut. II se trouve maintenant compris dans l'arrondissement de Valenciennes (Nord), cantons de Bouchain et Denain. 4 II est evident, d'apres un autre passage de ce fabliau, que Gautier Le Leu connaissait bien Valenciennes et la region qui l'entoure. Au vers 169 et s. oil il donne la source de son histoire, l'auteur dit: Sacies de fit que Li Goulius Le raconta en tamains lius,
169
Cf. ei-dessous p. 50. Noms anciens de Raches: Raisse, Raisce dans des titres en langne romane, x m e siecle; cf. Statistique archeologique du Departement du Nard, Lille, 186.7, 6r. 3 Thidrache se trouve ajout£ aujourd'hui ä des noms de villages de la region: L a Capelte-en-Thi6rache, Floyon-cn-Thi0rache, Nouvion-enThi£rache, Taisnieres-en-Thierac.he. 4 Plusieurs villages de la rigion portent encore aujourd'hui ce nom: Marcq-en-Ostrevant, Sailly-en-Ostrevant, etc. 1
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Α Saint Amand et a Marcienes. Uns bacelers de Valencienes Qui avoit este ens el leu, Le raconta Gautier Le Leu. Saint-Amand, aujourd'hui Saint-Amand-les-Eaux, chef-lieu de canton du Nord ä dix kilometres environ au nord de Valenciennes sur la route de Valenciennes ä Tournai, et Marcienes, aujourd'hui Marchiennes (Nord) ä environ dix-huit kilometres au nord-est de Valenciennes, etaient, ä l'epoque de Gautier, situees dans le comte de Hainaut dont Valenciennes etait la capitale. Le fait que Gautier Le Leu a bien connu Valenciennes, est confirme plus explicitement encore par un passage de La Veuve (III). L'heroüne du fabliau desire trouver un mari et demande ä son amie la noveliere de l'aider dans ses recherches, lui promettant ample recompense: Se Ii cosse tome a porfit, Vos en seres molt bien caucie. Esgardes en cele Caucie U en Anzaing ο el Nuefborc
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Ces noms propres localisent le fabliau ä Valenciennes meme ou ä ses portes. Anzaing est l'actuel Anzin, importante ville industrielle qui prolonge Valenciennes. 1 Cele Caucie2 {La Chaucie dans le ms. T) "etait une artere principale de Valenciennes." Son existence est attestee des 1186. II existe encore aujourd'hui dans cette ville une Place de la Chaussee et une eglise Notre-Dame de la Chaussee. 3 Le Nuefborc etait un quartier de Valenciennes situe non loin de la Chaussee. II avait 1 Essem du ms. Τ doit etre une faute de copiste. Le ms. D porte Ensuing. Anciens noms d'Anzin: Asaing, Ansaing, Azaing, Aseng, Aizin, Azin; cf. Statistique archeologique du Departement du Nord, Lille, 1867, 471. 2 L'emploi du d6monstratif pour l'article defini dans les anciens textes, meme dans les noms g£ographiques, n'a rien d'anormal. 3 Cf. Lejeune, op. cit., 15; Atlas des villes de la Belgique au XVIe Steele, par le g£ographe Jacques de Deventer, ed. Ch. Ruelens, Bruxelles (s. d.), i r e livraison, Valenciennes, notice par Η. Wallon.
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ses echevins particuliers et s'etendait jusqu'a. la porte d'Anzin. 1 II existe toujours ä Valenciennes une Place du Neufbourg. Tornai, dont une breve mention est faite dans ce meme fabliau (III 332), comme etant le lieu 011 demeurait un parent de la veuve, est, bien entendu, Tournai en Belgique, ville du Hainaut fort connue au moyen age. Le probleme le plus epineux est offert par Del sot chevalier {De l'avanture d'Ardane du ms. Μ). Dans ce fabliau, Gautier nous transporte en terre d'Ardenne: ...une aventure qui jadis Avint en la terre d'Ardane A qatre liues pres d'Andane.
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Les manuscrits ne sont pas d'accord sur la situation exacte du pays oil ont lieu les peripeties du fabliau. On lit dans le ms. Μ: "a qatre liues pres d'Andane" et dans le ms. A: "a quatre lieues pres d'Otane" qui ne semble correspondre a aucune localite des Ardennes beiges ou fran^aises et serait une faute de lecture du copiste.2 Andane est une forme que l'on trouve bien souvent dans les textes medievaux pour 1'Andenne actuelle situee sur la Meuse, entre Namur et Huy, 3 ä quarante kilometres environ de Saint-Trond 4 — localite du Limbourg 1 Cf. Lejeune, op. cit., 16; le Cartulaire des rentes et cens dris au Comte de Hainaut (1265-1286), publ. par L. Devillers, Möns, 1873, I I 4 (cit£ par M m e Lejeune): "Si a ou grant borch X I I I eskievins, ou nuef bore V I I eschievins." 2 A. Dinaux, Trouveres, jongleurs et minestrels du nord de la France et du midi de la Belgique, IV, 43, identifie Otane avec Hautain-l'fiveque, sans raison. L'identification de Otane avec Authe dans les Ardennes ä quatre lieues de Vouziers, dans l'£dition de Montaiglon et R a y n a u d (II 299-300) n'est pas non plus ä. retenir; cf. Lejeune, op. cit., 17, note 1. Le ms. Μ est de beaueoup sup6rieur k A. C'est pourquoi nous adoptons les leijons Andane au lieu de Otane (v. 8) et terre d'Ardane au lieu de forest d'Ardane (v. 7). 3 Anciens noms d'Andenne: Andanne (1241), Andane (1265), Andaine (1278), Andenne (1264); cf. E . de Seyn, Dictionnaire historique et geographique des communes beiges, Bruxelles, 1925, I 19. 4 Les manuscrits ont Sainteron (v. 112), forme bien connue des textes pour Saint-Trond; cf. E . Langlois, Table des noms propres des
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beige, mentionnee comme la ville d'origine d'un des personnages du fabliau (v. ι ΐ 2 ) — et de Tongres — cite romane de la meme region, d'oü vient un autre personnage (v. 151). II est ä regretter que nous ne sachions pas quelles etaient les limites geographiques de la terre d'Ardane dans l'esprit de Gautier Le Leu. M m e Lejeune (op. cit., 17) fait remarquer qu'Andenne n'est ni une ville typique de l'Ardenne ni situee dans "la forest anciennor" (v. 11). II est vrai qu'il serait toujours possible, dit-elle, de considerer l'Ardenne dans un sens large comme s'etendant jusqu'ä H u y et meme Liege, 1 mais quatre lieues d'Andenne, objecte-t-elle, ne nous conduiraient pas dans une foret profonde. Pour nous, en lisant la description du chateau et de la maisnie du sot chevalier Robert, nous avons l'impression tres nette que ce domaine, avec ses vergers pleins de beaux arbres fruitiers, ses etangs poissonneux, le moulin devant sa porte, n'est pas dans les profondeurs d'une foret. L a mention du proprietaire, "sire et damoiseax de tos les biensquetere porte, " et, dans plusieurs passages du fabliau, celle des bouviers et de leurs outils (vv. 273 et s., 288 et s., 303) impliquent la culture du sol et l'elevage du betail. Tout cela nous suggere de vastes etendues cultivees, des herbages, une abondance evidente. On se demande oil, dans les profondeurs d'une foret, un domaine de cette importance pourrait bien exister. M m e Lejeune dit encore (op. cit., 16): " A u surplus, sans qu'il chansons de geste, Paris, 1904, p. 591; R. Lejeune, Roman de Guillaume de Dole de Jean Renart, Paris-Li6ge, 1936, vv. 1647, 1947, 1998. A. Dinaux, loc. cit., identifie, sans explication, Sainteron avec H&ron et Faucilles, et Mont. et Rayn. (II, 300) proposent, sans justification, de corriger Sainteron en Saint Evrou dont 1'identification n'est pas pr6cis6e. 1 Lejeune, op. cit., 17; K . Hanquet, La chronique de Saint Hubert, Bruxelles, 1906 (Commission Roy ale d'Histoire), p. 25, n. 6: " . . . en tant que region g£ographique, l'Ardenne s'entend de la vaste foret limitie au nord par la Vesdre, & l'ouest par la Meuse et la Sure; dans ce sens, le pagus Arduensis englobe le Condroz et la Famenne." Voir aussi Charles Bruneau, La limite des dialectes wallon, champenois et lorrain en Ardenne, Paris, 1913, 118, qui donne ä peu pres la meme d6finition de la terre d'Ardenne.
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le dise expressement, on sent tres bien chez Gautier que c'est la sauvagerie du lieu et l'incommodite des communications qui expliquent la sottise epaisse du heros de l'histoire." Meme par ces raisons, il nous semblerait difficile d'expliquer la "sottise epaisse" du chevalier Robert. L'histoire de la Sorisete des estopes (M. R. I V 158) n'est pas localisee dans une foret, ce qui n'empeche pas la sottise du heros d'etre la meme. D'ailleurs dans son fabliau Del fol vilain (II) Gautier Le Leu a cree un autre sot du m^me genre qui, lui, n'a jamais vecu dans une "foret anciennor". A vrai dire, dans ces deux fabliaux (II, IV), Gautier ne fait qu'employer le meme theme humoristique en introduisant dans chacun quelques modifications de cadre pour varier l'interet. Mais M m e Lejeune fait d'autres objections (op. cit. 16 et s.) ä l'identification d'Andane avec Andenne-sur-Meuse. L'aventure se passe a quatre lieues d'Andane " devers cele terre de Los." 1 Nous tombons volontiers d'accord avec elle pour voir en Los la ville de Looz, commune de la province de Limbourg, situee ä neuf kilometres et demi de Tongres et ä onze kilometres de Saint-Trond sur la route qui joint ces deux localites. 2 Cette ville etait le siege du comte du meme nom au x m e siecle. Mais si Looz etait la "terre de Los" indiquee par Gautier, nous serions alors transportes bien au delä de la region de l'Ardenne. Pour remettre "la terre de Los" en pleine foret, M m e Lejeune a recours a une explication tres ingenieuse. E n 1227, dit-elle, par le mariage du comte Arnould I V de Looz avec l'heritiere de Chiny (aujourd'hui petit village sur la Semois, non loin de Floren ville), les comtes de Looz sont devenus seigneurs de Chiny, 3 ainsi ce petit territoire serait la "terre de Los" men1 Le ms. Μ porte Alos k la place de Los du ms. A. Pour la confusion d'Alos avec Los dans des mss. au moyen age, voir R. Lejeune, L'CEuvre de Jean Renart, Paris-Liige, 1935, 112, n. 4. 2 Anciens noms de Looz: Loen, Los, Loss, Looz, Loon; cf. E. De Seyn, op. cit., I, 664. 3 Cf. J. Daris, Histoire de la bonne ville, de l'eglise, et des comtes de Looz, Liege, 1864, 461 et s.; Charles Bruneau, op. cit., 125.
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tionnee par Gautier. Mais dans ce cas, dit M m e Lejeune, Andane ne pourrait pas etre Andenne-sur-Meuse qui n'est pas ä quatre lieues, soit seize kilometres de Chiny, mais bien ä quatrevingt-cinq kilometres. Et M m e Lejeune de suggerer que SaintHubert, en plein coeur des Ardennes, ä environ trente kilometres de Chiny, est 1'Andane de Gautier. En effet, continue-t-elle, Saint-Hubert s'est primitivement appele Andainum, Andagium, ou Andagina, nomqui a fait place ä celui de Saint-Hubert apres la translation des cendres du saint ä YAndaginensis ecclesia en 825. Les formes romanes attestees d'Andagium sont Andagion, Andage et Andain, mais il n'est pas impossible de supposer, dit M m e Lejeune, des formes Andeigne, Andaigne ou Andagne, devenues Andene ou Andane par denasalisation.1 Les chevaliers porteurs d'un message (v. io6) se sont egares dans la foret. Deux d'entre eux sont originaires de Saint-Trond et de Tongres; ils sont done voisins du comte de Looz. "On s'explique, dit M m e Lejeune (op. ext., 19) qu'ils aient ete employes ä porter un message entre deux possessions (Looz et Chiny) de ce seigneur; pour cela il leur fallait traverser la "foret d'Ardane" et passer par Andain." (Saint-Hubert.) Cette explication pour subtile qu'elle soit, inquiete quelque peu par sa complexite. D'abord Andane (Andenne-sur-Meuse) etait une ville fort connue au moyen äge 2 et a tres bien pu etre consideree comme faisant partie de la "terre d'Ardane." II nous semble done inutile de lui chercher un substitut ä grands renforts de conjectures. 3 De plus, c'est au i x e siecle, Lejeune, op. cit., 18 et les notes 2, 3 et 4. Andenne, mentionnee fr£quemment dans les textes, possidait une a b b a y e b£n£dictine dont sainte Begge fut la premiere abbesse. C'est l ä q u ' o n montrait la t o m b e de B e r t h e a u x grands pieds, mere de Charlemagne; cf. J. Bedier, Legendes epiques, I I I 36, I V 407. a D'ailleurs, auenne trace des formes romanes qui correspondent a u x formes latines ou de Celles imaginees par M m e Lejeune, n'a έ ί έ trouvöe dans des ouvrages profanes en langue vulgaire. "Elles sont, dit Μ Ώ β L e j e u n e elle-meme (p. 18, n. 3), des formes romanisees p a r des documents plus ou moins officiels. " 1
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c'est-a-dire quatre siecles avant le temps de Gautier Le Leu, que le nom Andagina (et ses variantes) disparut completement pour faire place ä celui de Saint-Hubert que portent des lors l'abbaye aussi bien que la bourgade. Peu apres que la sepulture du saint avait ete installee dans l'abbaye en 825, celle-ci devint un centre de pelerinage 011 eurent lieu de nombreux miracles. "Le Miracula Sancti Huberti (ix e siecle) ne contient plus une seule fois ce vocable archaique (Andagina etc.). Lorsqu'il raconte le voyage d'un pelerin, il le montrequi vient ad limina Sancti Huberti, ad praefatam almi Huberti pontificis aedem, etc." 1 Les chroniques de l'abbaye, 2 dont la plus ancienne remonte au i x e siecle, emploient de meme les expressions ecclesia beati Huberti, sancti Huberti. Lorsque Saint Hubert devint le patron des chasseurs au x e siecle, son culte prit un nouvel essor et son nom s'attacha plus fermement que jamais, a l'abbaye oil se trouvaient ses reliques. "Nul doute, dit G. Kurth (loc. cit.), que des le i x e siecle Andagina se soit appele Saint-Hubert." A l'epoque de Gautier Le Leu (xm e siecle), il n'y avait certainement aucune trace du nom primitif dans 1'esprit du peuple. 3 Si done Gautier avait voulu mentionner Saint-Hubert, il n'aurait pas employe un terme usite seulement dans les anciennes 1 G. K u r t h , Les premiers siecles de l'Abbaye de Saint Hubert dans Bulletins de la Commission Royale d'Histoire de Belgique, 5 e s6r., t. V I I I , 1898. 2 Cf. ci-dessus p. 41, note 1. 3 L ' e x a m e n du cartulaire de l'abbaye donne les r^sultats suivants qui nous paraissent interessante. Aucun document du x i n e siecle, latin ou franfais, ne contient le terme Andaginum sous aucune de ses formes; les expressions ordinaires sont abbeit de Saint Hubert, covent de Saint Hubert, eglise de Saint Hubert, ecclesia Sancti Huberti, conventus S. H., altare S. H. E n fait, parmi les 416 documents qui composent le cartulaire de l'abbaye jusqu'en 1350, on ne trouve la forme Andainum ou une forme voisine que cinq fois: charte de 828: monasterium Andainum,; Charte de 955: Andaginensi ecclesiae; charte de 1079: ecclesiam Andaginensem beati Huberti; et dans deux communications adress6es de Rome par le pape: monasterium Sancti Huberti Andaginensis in Ardenna (1074, 1129); cf. G. K u r t h , Chartes de l'Abbaye de Saint-Hubert en Ardenne, Bruxelles, 1903, t. I.
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chartes, alors que son fabliau s'adressait a un auditoire popul a t e qui en etait completement ignorant. On peut dire que, tout comme les pelerins venaient ad limina Sancti Huberti ou ad ecclesiam Sancti Huberti au i x e siecle, c'est a SaintHubert et non pas ä Andain ou Andagion etc. qu'avaient lieu au x n i e siecle les pelerinages. D'ailleurs l'expression "a qatre liues" doit-elle etre prise litteralement ? L'auteur n'a-t-il pas avec intention laisse dans le vague une distance qu'il ne pouvait preciser autrement? De plus la description du chateau du sot chevalier Robert le situerait plutöt selon nous ä la lisiere de la "forest anciennor," comme nous croyons l'avoir montre. L'expression "terre de Los" pourrait-elle se rapporter ä une petite localite telle que Chiny? Et les gens qui ecoutaient le fabliau, auraient-ils pu connaitre ce changement de seigneur d'un si petit comte perdu dans les bois? Une autre explication de cette enigme geographique nous a ete suggeree par la methode meme de M m e Lejeune. En 1267, le comte de Looz acquit, dans les etats du prince eveque de Liege, une terre considerable, la seigneurie d'Agimont-Givet, "au point nord de la region ardennaise" (Bruneau), comprenant treize localites dont presque toutes sont sur la rive droite de la Meuse, pres de Givet (actuellement dans le departement des Ardennes.) 1 Cette seigneurie est restee en possession des comtes de Looz pendant quatre-vingt-dix ans (1267-1357). Un changement aussi important survenu sur un si vaste domaine a du etre connu de fa ie qui rime avec ie < e ouvert, aproismies : mies (medus) I V 292; -ier (< -arium) rime avec -ier (< -erium), sestiers : mestiers I 34; la diphthongue ie ne rime qu'avec elle-meme et jamais avec e. 3. L « + « > d « a u l i e u de ou, faus (fagos): faus (falsi) 1 1 2 2 , t.raus : haus IV 70. 4. A la finale, -iee est reduit k-ie, saisie: baisiell 282, maisnie: norie III 126, maisnie : mainburnie I V 194, lignie : avillie V 146, fie (fois) : fie {fidat) I 14: senefie III 100, ä cöte de fois, foiz, fois : defois II 284, III 432, IV 84, V I 150. Cf. fiz (fois): fie (foie) V i l a 78 (variante foie : foie V l l b 78). Fie (fois) et fie (foie) sont des formes du nord-est; pour fie (fois) voir A. Tobler, Vermischte Beiträge I 2 233, "die Form fie den Nordosten zu beschränken scheint." Fie (foie) ne se trouve, semble-t-il, que dans des textes du Nord-Est: Rigomer 10439, Richars li biaus 3092, Ille et Galeron 2699. W . Foerster dans son edition de ce dernier texte, p. 204, dit que fie (foie) est picard. On trouve fi (foie) dans les chartes de Tournai; voir Doutrepont, Zeits. für franz. Spr. u. Lit., X X I I (1900), 84. Puisque foie (fois) V l l b 78, ne se trouve pas ailleurs dans nos textes, la rime fie (fois): fie (foie) est probablement due au poete. 5. ai se distingue de e ä la rime. 6. ai et ei devant une nasale se confondent, plain (planum): plain (plenum) I 82, vainne : avainne II 22, mains (manus) : mains (minus) III 12, deerains : rains IV 80; etc. Cf. estrine (strena) : estrine (extranea) V 160. Ces formes dialectales paraissent surtout dans des textes qu'on a places dans le
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Nord-Est. Pour estrine (strena), cf. Chevalier as deus espees 3644, Baudouin de Sebourg 3419, 7226 et souvent, Huon de Cambrai, La Male Honte 121 (: encline), Rigomer 14159 (: cuisine), 16803 (· narine), Aiol (ed. Fcerster) 655, Froissart, Poesies (ed. Scheler) III, p. 100, 12 (: doctrine); cf. aussi rouchi etrine (Hecart) et Tobler V. Β. V 306, Meyer-Lübke R.E.W. 8296. Pour estrine (extranea) cf. note ä V 160, p. 317 ci-dessous. 7. Distinction nette de an et de en sauf les exceptions connues dans les textes picards, dolens : Meulens (L. Mellens) II 336, parente : dolente III 276, dolante : ante V I 230, esperance: repentance V I 138, silance: abstinence V I I I 24, ataignant : sergent V l l b 188, fame : dame V I I I 24. Formes de sanbler, ensanble toujours avec an, toutefois rien ne prouve absolument que ces formes soient dues au poete. Toujours tans III 230, 468, IV 18, V i l a 26, dedens II 246, I I I 310, covent III 436, V I 114, talent I 140. L'auteur qui evite toujours la succession de quatre vers sur une meme rime, fait suivre deux vers en -ant par deux vers en -ent I I 327-330, et deux vers en -ens par deux vers en -ans I I I 309312. Le poete semble admettre an : en, baucent :1 Priant V I I I 54, argument : commant V I I I 160. 8. ein = oin dans pointes (pinctas) : cointes V I I I 92, Ce pointes est une forme propre aux parlers de l'Est et du NordEst. 2 9. -aticu > -age, -aige. Aucune rime du texte ne prouve que -aige soit du au poete. 10. -able ne rime qu'avec lui-meme. 1 1 . Le resultat de e latin + yod rime en i, vis (L. vectis) : avis II 296, I V 74: envis V I I 20; lit: delit I I I 258, I V 204, V 22; demis: mis IV 262, demi: mi V I 122, fire : desconfLre V l l b 230, enclin : engin I X 52; etc. L. integrum est represents par entire (fem.): matire V i l a 4; cf. mattere: antiere Romania, X X X V (1906), 436. Jacques Bretel, Le tournoi de Ckauvency {έ Deus : deus I 120: hisdeus V I 156; hontex : Dex
III 74· 13. e ouvert entrave ne rime qu'avec lui-meme; cf. apries I V 127, Robiert V 2. Ces deux formes ne sont probablement pas dues au poete. L e suffixe -ellum, -ellos ne rime qu'avec luimeme. 14. Apherese de e, u'st (= u est) V I φ.2 15. e latin ferme libre > oi qui rime avec oi < e + yod, esploite: coite I I I 382, et oi < u + yod, dois : redois I 58, I I 70, nois: Laenois I I I 372. 16. e latin ferme libre precede par y o d > i, cire : escaucire I I I 212, mercit: ocit I V 258 (ms. Μ), V I 224, etc. 17. e latin ferme entrave ne rime qu'avec lui-meme. 18. e latin ferme + I' ne rime qu'avec lui-meme. 19. e latin ferme + /' - f s > -aus, vermaus : Maus I I 166, I V 318, ortaus : hestaus I V 184. 20. liue (fr. Heue) < leuga, liue : tue (< equa) I I 272; cf. cidessous no. 52. 21. -ilis > -ius, leu (probablement mis pour liu) : sostiu V I I I 320, aquius (= eskius) : gentius I I I 402, cf. gentix : eschis V I I I 340. Sostiu (sostieu) est une forme courante dans les 1
Cf. Modern Language
2
Cf. Aiol
Grammaire
Quarterly, V (1944),
(έά. Foerster), p. historique,
472,
2I
9
et
note au vers
I, p . 283, § 286.
s
-
4055;
Κ. Nyrop,
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textes du Nord-Est, cf. W. Benary, Zur Geschichte des konsonantischen Auslauts der Nomina im alt und neufranzösischen, Darmstadt, 1902, 33. Pour leu et liu cf. no. 25 (a) ci-dessous. 22. -ilius > -ius, fils : pius I 172; cf. aussi ostius : entalentius IV 256. 23. -itia > -ice, justice : apetice VI 132, service : riche VIII 30. 24. -ivus > -is, gorgis (*gürgivus) : sougis I 158, avis : vis (vivus) II n o , V 30, asis : pensis IV 192, posteis : juts VIII 194, etc.; peut-etre aussi -ius, entalentius : ostius IV 256. 25 (a) locum > leu : Leu (lüpum) V 174, leus : aleuz VIII 38; probablement aussi liu, lius : eslius I V 16 (ms.M; ms. A a lieus : esleüs; voir les Nos. 35 et 72.), alius : lius III 182, len (= Uu) : sostius VIII 320, voir No. 21 ci-dessus; cf. egalement Goulius : lius V 170. Les deux formes leu et liu se trouvent ä la rime chez Huon le Roi de Cambrai et dans Rigomer (vol. II, p. 9). D'apres M. Delbouille (Le tournoi de Chauvency, XLIV), leu est une forme du Nord-Est et de l'Est. (b) gocum > geu, otrageus (-osus) : geus VI 98; giu : Mongiu V 142, est probablement du au copiste. 26. domina > dame III 117, IV 312, VI 144, etc.; et dorne : preudome V 74: prodome III 106. 27. bos (= bois) : repos I 124: Los IV 104. Bos est une forme courante dans les textes picards mais se trouve egalement dans ceux d'autres regions.1 28. 0 ouvert + yod > ui, anui: lui I 4, II 162: celui VII 6, nuit: deduit III 262, hui : lui VIII 32, fruit: cuit VIII 366. Le verbe anoier III 242, 263, VI 6x, presente aux formes fortes oi et ui, d'une part anoie : monoie III 490, ennoie : note (necat) VIII 40, d'autre part anuit : anuit (ha(c) node) III 368: nuit VI 18, ennuit : nuit VIII 26. 29. 0 ferme entrave rime une fois avec 0 ouvert, amors : cors VIII 86. 1 A . Wallensköld, Melanges Walhund, 145-146; W. Foerster, Chevalier as deus espees, X L ; Delbouille, Le tournoi de Chauvency, X L I Y .
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30. andoi II 370, dot I 160, endox V l l b 226 mais deus I 119. 31. -nsum > -eus, otrageus : geus V I 98, hisdeus : Deus V I 156, Dex: hontex III 74, ceus: honteus V l l b 86, Leus {lupus): eüreus I X 40. 32. angustia > enguisse (ecrit engoisse) : escuisse (excoxat) V l l b 168. Anguisse se trouve dans les textes picards; cf. Langfors et Soderhjelm, La Vie de saint Quentin de Huon le Rot de Cambrai, angoisse : puisse 477, et dans Le vair palejroi du meme auteur 619 puisse : anguisse, Trubert (ed. Ulrik) 341 angoisse : cuisse, Comte de Poitiers (ed. Koenig, p. xvii) anguisse : puisse, Bei inconnu (ed. Williams) 2285 anguisse: puisse. Dans les patois modernes, en rouchi on voit anguiche (Hecart) et en Saint-Polois ä g üs (Edmont); cf. W. von Wartburg, Französiches Etymologisches Wörterbuch {F.E.W.), I 96b. 33. la ou (u) compte partout pour deux syllabes. Voyelles atones. 34. Les enclises suivantes sont attestees par la mesure: al {au), as, del, el, gel, ges {jes), nel, nes {ne + les), quil {qui + le), ses {si = sic + les), sis {si = sic + les). Α noter specialement el dans el fin II 150 oü el = en + picard le {la)·, cf. en la fin III 585, V I 178, en le canbre II 241. Le nombre et la diversite de ces enclises montrent que l'ceuvre de Gautier Le Leu appartient ä une epoque qui ne depasse pas le x m e siecle. 1 35. Un e protonique francais en hiatus avec la voyelle suivante persiste encore sauf quelques rares exceptions: mole (medulla) V 15, 2 mesmes V i l a 17 {metsmes V l l b 17, II 96). Pour la perte de la valeur syllabique de la voyelle non accentuee dans les partieipes du type en -tut, voir ci-dessous No. 72. 1 Cf. K . Gengnagel, Die Kürzung der Pronomina hinter vokalischen Auslaut im Altfranzösischen, Halle, 1882, 30-31; M. Wersdorf!, Beitrag zur Geschichte der Inclination im Französischen, Munster, 1900, 30. 2 Cf. Montaiglon et Raynaud, op. cit., I 326, mole.
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Dans treu I I I 70 (ms. D, passage qui ne se trouve pas dans Μ Τ): Je Ii ferai son treu tel faire, l'e en hiatus (L. tributu) ou bien a disparu ou bien a forme une diphthongue avec 1 'u. A u vers I I I 470 (D M), noustrouvons meures (maturas) qui rime avec eures (horas) tandis que le passage correspondant du ms. Τ 4 i o offre hores : mores. Giile Le Muisit de Tournai se sert de la meme combinaison a. la rime: A la fie revient telle heure Entre deux verdes, mie meure, Que il redient des risees.1 La legon du ms. Τ mores (: hores) marque un trait wallon releve par Bayot dans le Poeme moral? Le latin u n'est pas encore devenu ü et le poete le fait rimer avec 0. L a forme mores du ms. Τ est peut-etre une transcription du m(e)ures de notre texte oü le e protonique non accentue en hiatus n'etait pas prononce. Dans ce cas, on aurait une rime en w. eu. W. Foerster 3 indique un certain nombre de rimes de cette espece: nature : honeure, armeüres : demeures, teüs : deliteus, eure : asseüre. Tilander y ajoute d'autres exemples de u : eu, jeu : veü, venu : jeu, etc. 4 Dans le ms. A du Sot chevalier (IV) on voit aux vers 14-16: D'une part estoit ses vergiers Qui toz ert d'arbres esleüs. Molt estoit prec'iex cil lieus. 1 Ed. K . de Lettenhove, Louvain, 1882, I, p. 90, 13. Dans une poisie de Gille Le Vinier d'Arras, la combinaison eu dans le mot meur (maturum) ne compte que pour une syllabe; cf. A. Metcke, Die Lieder des altfranzösischen Lyrikers Gille Le Vinier, Halle 1906, p. 40. 2 Cf. p. lxvii, 13; M. Wilmotte, op. cit., p. 58, § 16 et la note 1, attire, lui aussi, l'attention sur ce ph6nomene. 3 De Venus la deesse d'amors, Bonn, 1880, 50-51. 4 Lexique du Roman de Renart, Göteberg, 1924, 81. A ce propos, l'auteur fait remarquer un autre ph6nom£ne curieux. Parfois l'orthographe d'un des mots ä la rime est modifiie "comme pour rendre la rime plus harmonieuse ä l'oeil": keue : desneue (disnudat), neus (nudus) : creus, etc.
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Le passage correspondant de Μ donne: Qui molt ert plains d'arbres eslius. Molt par est precieus li lius.
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Esleüs : liens (probablement mis pour leus; voir ci-dessus No. 25a.) constitue une rime u : eu du type que nous venons de discuter. 1 Toutefois le eu d emeures pourrait representor une diphtongue. Dans le passage suivant, la rime rappelle de tres pres celle de heures : meures de notre texte et de celui de Gille Le Muisit: Et li borgois s'est toz cois teus, Courouciez est e molt honteus.2 Dans les Mervelles de Rigomer3 teus (tacutus) se trouve. souvent rime avec eu < 0; voir les vers 3292, 4994, 5916, 14354; voir aussi dans le meme texte 3661: armeiires : dementes. Philippe Mousket de Tournai emploie une rime semblable dans sa Chronique rimee 19441: reconneus : iteus. Meures (: meures) est done toujours une forme contractee: meures ou m(e)ures, et la rime avec l'une ou l'a.utre de ces formes est correcte, s'il faut en croire Foerster. Ces rimes, d'apres les textes cites par Foerster et Tilander: Venus la deesse d'amors (Picardie), Adan de la Hale (Arras), et d'apres ceux que nous avons cites plus haut: Gille Le Muisit (Tournai), Philippe Mousket (Tournai), Mervelles de Rigomer (Hainaut) se trouvent assez frequemment dans les textes picards du Nord-Est. 36. sai, forme raccourcie de essai : sai (de savoir) V I 1 0 0 , V i l a 68. Pour la chute de la syllabe initiale es dans les mots de ce 1 Foerster, loc. cit., en a donn6 une explication phon£tique: "Ich möchte jetzt auf die Erscheinung hinweisen dass in einem Theil der heutigen Pikardie lat. ü = frz. ü wie ö gesprochen wird, und dass vielleicht die aus dem 13. Jahrhundert herangezogenen ähnlichen Reime die ersten Spurgen der beginnenden Lautwandlung zeigen." 2 Cortebarbe, Les trois aveugles de Compiegne, i d . G. Gougenheim, C.F.M.A., v v . 327-328. 3 Cf. 6d. Breuer. II, p. 6, § 11, 1.
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genre, voir W. Foerster, Venus la deesse d'amors, Bonn, 1880, 186, qui donne une liste de ces formes raccourcies, suer, saier, sillier, sanchier, soigne, sai, sart, etc. Ces formes se trouvent dans des textes du Nord-Est. Sai (essai), sayer (essayer) sont des formes normales chez Jean de Conde. 37. Le poete emploie frequemment des futurs et des conditionnels allonges par intercalation d'un e : averai I 82, 148, II 196, I I I 340, averes I 153, averoit II 198, averommes I I I 371, reprenderes I I I 106, foutera IV 141, prenderai V I 187, 221, meterai V I 103, meteres V I 176; et d'autre part des formes raccourcies: donrai V I 211, 219, V l l b 207, donrons I 125, 135, denroies V I 39, menra I X 11, manroiz V l l b 286, durras V I 235. 38. L a forme affaiblie te ä l'interrogatif au lieu de tu, V 6o, V l l b 155. C'est cette forme affaiblie que fait supposer l'elision II 115: Di va, fait il, q'as te a tencier? 39. L'omission de Ye final non accentue, ami : astronomi V I I I 154. C'est un trait wallon (Bayot xciii) qui se rencontre aussi de temps ä autre dans les textes picards; cf. Rigomer 11065, Aiol 10588; cf. aussi eel entree V I I I 123 et la note a ce vers. Consonnes. 40. ch frangais: ch picard, diemance: Climence III 370, boce: boce I V 82, blance : samblance V i l a 36, V l l b 38, boce : doce V l l b 174, tranche : sanche V l l b 262, service : riche V I I I 30, senblance : blanche V I I I 300, ouce : douce V I I I 306. 41. g = c francien, nages (naticas) : conpenages V 130, arrage (= arrache): rage V I I I 242; cf. esrajoient IV 101 et p. 67 ci-dessous. 42. Le poete ne se serait pas servi des formes de verbes avec d intercale entre l et r, sorre (solvere) : Sorre II 56; Sorre = Solre-le-Chäteau actuel, arrondissement d'Avesnes (Nord), dont les anciens noms sont Sorre-le-Chaslel 1186, Sorre le Castiel 1251; voir ci-dessus, p. 32. 43. L a vocalisation de I est attestee bien que la plupart du
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temps 17 s'ecrive encore, surtout dans le ms. M: fans I 121, haus IV 70, iiex VIII 374, etc. I tombe dans tes (: getes) II 160 (: savez) I X 2 (cf. tiex : pereceus V I I I 374), roiame (: dame) VI 144. Disparition de 17 dans torbe (= trouble) : torbe I 96, VI 164; 1 cf. torbe (ms. Ta) I I I 404 = torble (mss. D M) III 433. 44. Chute de consonnes finales apres n, tamain(t) : germain V i l a 54, plont: plonc I I I 82 (ms. D), poisons : Blanchemont VIII 148. 45. Amuissement de r devant s, ros : ors II 12, rosse : borse V l l b 276. Dans vergies (: herbergies) IV 14, il y a eu sans doute un changement de suffixe, cf. vergie (: aesie) VIII 232. Methathese de r dans torbe (= trouble) : torbe (turba) I 96. 46. Le poete semble admettre la rime -ste : -stre, terrestre : celestre I 6, menistre : evangelistre VI 12, estre : onestre I I I 256, teste: fenestre V I I I 382, I X 1 0 ; cf. aussi racuevre : rueve VI 148. 47. s final au cas regime de wes (*vadus, fr. gue) : traues II 302, et de mies (medus) : ties II 72: aproismies IV 292. Ces mots sont invariables dans les textes du Nord-Est; cf. Aiol 7751, Rigomer 1973, Castelain de Coucy 6280, 6350; wes {gue) se trouve avec cette forme dans de nombreux noms de localites beiges: Faucuwez, Griponwez, Irchonwelz; cf. A. Vincent, Les noms de lieux de la Belgique, Bruxelles, 1927, p. 98, § 118. Pour mies dans les textes du Nord-Est, cf. Zeits. f . rom. phil. X L I (1921), 451. 48. t isole ä la finale est maintenu et se trouve ä la rime avec t postconsonantique, penset (: set) II 74, salet (: claret) I I 84, desroit (: roit) IV 198, mercit (: ocit) IV 258, VI 224, palefroit (: froit) VI 196, romput (: put) V i l a 8o, etc.; cf. aussi fit ä la rime avec porfit III 356, desconfit V 86. II n'y a pas de rimes du type joli : merci) cf. laidite (: maudite) I I I 458, p. 1 Cf. Marthe Bronckart, lllnde philologique sur la langue, le vocabulaire et le style du chroniqueur Jean de Haynim, 1933, P· tourbe (= trouble) qu'emploie cet 6crivain hennuyer est not6 comme forme populaire.
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pa. fem. forme sur le ma.sc. laidit, Meyer-Lübke, Grammaire, I I 427, § 346: on trouve au moyen äge de ces formes feminines dans le Nord-Est et en Lorraine, cf. laidite dans Berte aus grans pies 1341. 49. Les formes du participe passe pus : repus I I 120 (de (re)pondre; = post, repost), peuvent appartenir au poete; cf. repuse (fem.): muse V I I I 360. 50. "mde > ent : longuement IV 266 et ent dans les expressions ci (la) par ent II 180, I I I 315, 374, V 144, V i l a 42, toutes en rime avec parent. Cette curieuse expression se trouve dans Rigomer : ci par ent 8109, 16745, la par ent 1863, 15346, on par ent 6257 e t dans Jean de Conde Li dis dou levrier 1347, ed. Scheler, I I p. 345, cf. la note a ce vers, I I P· 454· 51. ts > s ä la fin du mot et rime en s. 52. ive (L. equa) rime tantot avec Hue II 272, tantöt avec salive I I I 472. Foerster note dans I lie et Galeron esquiue: triue (v. 266, p. 181) tandis que eskive rime avec -ive dans Eracle 2 1 1 2 , 2825. Cullman, parlant de la rime ive: aiue chez Audefroi le Bastard, dit qu'elle "sichert die halbvokalische Aussprache des Labials." 1 MORPHOLOGIE.
53. Le poete distingue nettement entre le cas sujet et le cas regime d'apres l'ancien systeme: (a) ä la rime\ I 18, 34, 52, 54, h i , n 6 , II 1 3 , 23, 3 1 , 95, 102, 179, I I I 33, 109, 148, 306, 316, 397, 548, IV 22, 70, 74, 1 0 1 , 300, V 20, 22, 30, 130, 143, VI 65, 71, 83, 89, 98, V i l a 20, 25, 53. 60, V l l b 64, 146, 164, 232, 291, 3 1 3 , V I I I 1 5 , 65, 69, 1 7 1 , 235, 365, I X 2, 16, 34, 40; etc., etc. (b) ä l'interieur des vers: I 97, 108, I I 96, 348, I I I 28, 33, 456, IV 25, 319, V 11, 12, VI 88, 132, V i l a 3 1 , V l l b 137, 239, V I I I 17, 63, 150; etc., etc. 1
A. Cullmann, Die lieder und romanzen des Audefroi Halle, 1914, p. 32; cf. Schwan-Behrens, op. cit., § 155.
le
Bastard,
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Les exceptions sont relativement rares, surtout dans le manuscrit M: froit I I I 362, vis III 433, contrait I V 182, maudit V l l b 84, morne V l l b 00, remit V l l b 126, roignons V l l b 274, Artus V I I I 48, rois V I I I 284, engin I X 52. Pour wes (= gue) et mies, invariables dans nos textes, voir ci-dessous No. 47. Quant ä la forme du vocatif, eile est semblable ä celle du cas suiet mais il semble y avoir hesitation dans quelques noms propres, Roimont II 148, Robert IV 66, Mainsent V 138 (cas sujet Mainsens II 188) I I I 329 (ms. T). 1 Les noms de la classe I I I (masc. et fem.) conservent leur forme primitive du nom. et les masc. en e (cas sujet) paraissent en general sans s : trafere (*trufator) : frere I 30, confiain g(z) V 80, V I I I 218, suer (voc.) II 194, IV 229, ledere I V 230, V I 59, V i l a 38, V I I I 240, sire III 265, 558, IV 22, V I 41, etc.; toujours horn [hon), prodom (prodon); cf. lecieres III 109, sires I V 123, pescieres V I 30, prestres III 28, V I I 21. Barons au lieu de her s'emploie comme nom. II 9, mais barons est la forme habituelle du nom. quand le mot signifie 'mari', cf. Aiol, p. 466, note au vers 2724; ancestre n. pi. V I I 24. 54. Dans les adjectifs du groupe II, la terminaison analogique se trouve assez rarement, forte I n o , grande II 210, grandes II 70, I X 55, cortoise II 338, V i l a 36 ( V l l b 38), V I I I 346, fole I I I 238, V I I 61, autretele I I I 272, tele I I I 529, dolante V I 229, dolente III 276. 55. L'article Ii, masc. et fem. cas sujet sing., n'elide pas Vi devant une voyelle; seule exception l'evesques (pour Ii vesques?) V l l b 224. Li (fem.) se rencontre dans Ii ame I 35, Ii amors I I I 221; cf. aussi Ii ivers I V 173, Ii ostoirs 148. 56. L'adjectif possessif des deux premieres personnes du pluriel presente tres souvent les formes raccourcies dialectales: no, cas reg. sing. masc. II 355, no cas suj. sing. fem. I I 120, III 275, vos cas suj. sing. masc. II 198, III 423, 454 1
Cf. L. Foulet, Petite Syntaxe de l'ancien franfais, (C.F.Μ.A
.),
Paris, 1930, p. 8, § 15: "Les noms propres de personne apparaissent souvent ä la forme sans s (au voc.) sans qu'on puisse formuler ä ce sujet de regle pratique süre."
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(deux fois), IV 74, VI 41, 77, vo cas reg. sing. masc. I I 74, 195, 252, I I I 325, V I 1 7 8 , V i l a 52 (vostre dans le m£me vers), vo cas suj. sing. fem. I I I 455 (deux fois), IV 235, V 109, V l l b 2 1 1 , vo cas reg. sing. fem. I 83, I I I 273, 328, 416, VI 95, V I I 61. 57. La forme analogique siue du poss. fem. de la 3 e personne, I I I 532 (: porsiue). 58. mi (et jamais mot) se presente a la rime, I I 324, I I I 236, 345, 418, VI i 2 i , V i l a 83 (Vllb 79). 59. Pour te = tu voir le No. 38 ci-dessus. 60. lui fem. sing, de la 3 e pers. du pron. pers. (: celui) I I I 120. 61. ceus (ekke + tllos)': honteus V l l b 86; cf. gaus employe par le copiste, ci-dessus p. 17. 62. Pronoms demonstratifs avec I'i prosthetique, ices I 180, icest I I 307, V 122, V l l b 162, icele I I I 565, etc. 63. La premiere personne du sing, du present de l'indicatif offre partout la forme primitive 1) sans Ye analogique: I 159, V 18, VI 231, V l l b 81, 156, etc. 2) sans l's analogique I I 369, 374, IV 263, V 139, VI 99, V I I 68, V I I I 221. 64. La desinence -omes pour la i r e pers. du pluriel se trouve ä cote des formes en -oris, ftoomes I 8 (poons I 149), redirotnes I I 285, lairomes I I I 117, diromes I I I 119, averomes I I I 371, seromes IV 165, devonmes V I I I 371. 65. Imparfaits de l'indicatif: -eve, -event; -oit; -ot. II est curieux de noter, dans les manuscrits des poemes de Gautier Le Leu, l'existence de trois formes differentes de l'imparfait de l'indicatif selon la rime ec la mesure du vers. On peut se demander s'il n'y a pas eu ici intervention des copistes. Les formes en -eve (< -abat) et -event (< -abant) de la premiere conjugaison ne se trouvent que dans le ms. M; il en contient neuf, dont trois semblent bien etre dues au poete: aleve I I 1 7 porteve I I 1 9 , baisieve V 95 On a maintes fois discute l'histoire de ces formes, attestees dans quelques-uns des plus anciens textes francais, ainsi que les regions auxquelles 1 Cf. gardevent II 32, aleve II 134, alevent II 139, V 6, estequieve V 52, aparellievent I V 275 (M).
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il convient de les attribuer. 1 Ces formes de l'imparfait paraissent appartenir ä 1'ancien lorrain. 2 Dans la region wallonne, on les retrouve employees par le poete du Poeme moral (fin du x n e siecle ou debut du x m e siecle.) 3 Les formes en -eve ne paraissent que dans la seconde moitie du x m e siecle dans les chartes wallonnes examinees par M. Wilmotte. 4 Un seul imparfait de l'indicatif en -eve : s'apresteve se rencontre dans Aiol ( x m e siecle), v. 732, qu'on a situe en Picardie. M. Wilmotte {of. cit., p. 180) constate que dans les patois wallons d'aujourd'hui, les descendants des formes en eve occupent toute la province de Liege et de lä s'etendent a. travers une partie de la province de Namur ou il devient impossible de tracer une ligne de demarcation entre ces formes et celles en -oe: " A Namur on dit dj'amoev (= j'aimais) mais ä Dinant dj'amoe. C'est done avec raison que, dans sa Grammaire (II, § 258), Meyer-Lübke a rattache le sud-wallon au domaine de -oil, Reste ä etablir ce qu'il en etait ä l'epoque de nos textes." Naturellement on ne peut situer avec certitude un vieux texte d'apres un seul exemple de forme en -eve. Si YAiol, qui n'en contient qu'un, a ete situe en Picardie, c'est sur la foi d'autres temoignages linguistiques. Par contre les formes en -eve, relativement norabreuses dans le ms. M, dont trois au moins semblent dues au poete, nous permettraient, si nous leur pretions une importance decisive, de placer notre auteur soit dans la region wallonne proprement dite, soit dans une localite avoisinante. L a forme reguliere de l'imparfait de l'indicatif dans nosmanuscrits est -oit: υ oil: avoit II, 26; atendoit : doit V 78; estoit: toit VI30; envoies (subj.): savoies (impf.) V I 3 6 ; etc. etc.; mais 1 Pour la bibliographie de ce sujet voir Bayot, Poeme moral, L X X I I ; Valkhoff, p. 53. 2 W. Foerster, Li Sermon saint Bernart, 1885, p. x v n ; Bibl. de l'Ecole des Chartes, X X I I I (1862), 135: charte de 1224. 3 Bayot, ed. cit., L X X I I ; le ms. A (d£but du x m e siecle) contient six formes en -eve. 4 £tudes de Philologie wallonne, 68.
C . H . LIVINGSTON.
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dans V l l b 288, une forme en -ot (laidanjot: mot) se trouve ä larime. Les formes en -ot (-ie) et 51 (ts^>s) d'origine picarde, qui se rencontrent en petit nombre dans des textes de provenances diverses , se retrouvent syst6matiquement dans nos poemes.
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l'avons dit, surtout ete relevees dans des textes de HautePicardie. Les formes des pronoms, telles que les revelent la rime et la mesure du vers, indiquent, dans l'ensemble, une origine picarde: mi (= moi) sans exception (58); te = tu a la forme interrogative (38); la frequence des formes raccourcies de l'adj. poss. (56); sen, adj. poss. masc. dans les rimes riches (p. 67); sine (57). II convient d'ajouter, a ces traits, certains mots dont la forme a la rime pourrait bien designer le Nord-Est comme region d'origine: traus (3), fie (= fois) : fie (foie) (4), estrine (.strena): estrine (extranea) (6), anguisse (32), sai (= essai) (36), wes (= gue) (47), mies (47). Enfin les quelques traits de syntaxe que nous avons notes dans nos textes, semblent nous ramener encore une fois dans le Nord-Est (cf. p. 68). II parait meme possible de situer la langue de notre auteur de fagon plus precise encore. Les expressions ci par ent et la far ent (50) semblent bien etre particulieres au Hainaut; la forme masculine entire (11), qui se trouve ä trois reprises dans nos textes, ne se rencontre ailleurs que chez Philippe Mousket de Tournai et dans les poemes de Froissart; la forme populaire torbe (tourbe) (43) est employee par le chroniqueur hennuyer Jean de Haynin. Μ. Delbouille, qui place en Hainaut le roman du Castelain de Couci, s'exprime ainsi au sujet des t isoles qui existent dans son texte: 1 "Ce phenomene, courant en'lorrain et en wallon anciens, n'est pas commun ä toutes les regions de la Picardie: on ne trouve que -ut dans le Mervelles de Rigomer et dans les chartes de Saint-Quentin; t est maintenu assez souvent dans les documents de Douai et de Tournai [v. Charles Bonnier, Zeits. f. rom. fihil., X I V (1890), p. 79] et Schwan-Behrens le signale dans les chartes de Lille, Tournai et Möns." Dans les poemes de Gautier Le Leu, nous voyons que les -t isoles, dont le nombre est considerable, sont conserves dans les m£mes conditions (47) que dans le texte etudie par M. Delbouille {-et, -it, -oit, -ut). 1 Le roman du Castelain de Couci, Paris, 1936 ( S . A .T.F.), xxxii.
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La langue de notre auteur n'est pas un dialecte wallon. M. Valkhoff (op. cit., p. 57) a etabli que seule la presence dans un texte d'un certain nombre de picardismes et de lorrainismes (il compte dix-neuf de ces derniers qui paraissent dans les anciens textes wallons) determine son origine wallonne. Or ces traits lorrains sont presque totalement absents des poeme3 de Gautier Le Leu. II y en a un, cependant, et il appelle un commentaire: c'est l'emploi des formes en -eve de l'imparfait de l'indicatif (65). Ces formes qui se trouvent des 1200 dans des textes wallons peuvent nous permettre de croire que notre jongleur provient d'une region du Hainaut avoisinant les pays de langue wallonne, encore que Gautier Le Leu, jongleur ambulant, ait pu connaitre certaines formes dialectales d'autres regions frequentees par lui. Ainsi le temoignage de la langue semble bien situer notre auteur dans l'ancienne province de Hainaut, probablement dans la partie qui forme aujourd'hui le Hainaut beige. Son idiome rappelle de tres pres par les details celui des tournaisiens Philippe Mousket et Gille Le Muisit; il rappelle aussi la langue des hennuyers Huon le Roi de Cambrai et Jean de Conde et celle de certains textes qu'on a places dans le Hainaut: Mervelles de Rigomer, Hunbaut et le roman du Castelain de Coucy, et il ressemble par les traits dialectaux aux chartes de cette region, tout specialement Celles de Lille, Tournai et Möns.1 Ajoutons enfin que, ä l'instar du hennuyer Jean de Conde qui s'arrange frequemment dans ses oeuvres pour adresser quelque compliment ä ses compatriotes, Gautier Le Leu, au 1 Schwan-Behrens, Grammaire, partie III, les chartes V I I I (Lille), I X (Lille), X (Tournai), X I (Tournai), X I I (Möns). H. Breuer (Rigomer\ II, 17 et s.) nous offre une Sorte de monographie du dialecte de l'ancien Hainaut au x m e siecle, en basant son £tude d£taill£e sur la langue de Philippe Mousket, Gille L e Muisit, Huon le Roi de Cambrai e t de nombreuses chartes et archives de la rigion. Son analyse, qui lui permet d'assigner au roman Les Mervelles de Rigomer une origine hennuyere, corrobore pleinement les conclusions auxquelles nous sommes Άΐτίνέ ci-dessus.
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dit V I I I (170 et s.) reconnait la superiorite des Hennuyers sur les Champenois leurs voisins, en matiere d'amour: Mais molt se plaint [Connebertj de Champenois, Et si dit bien que Henuier Le font sovent par nuit gaitier. Si cette allusion s'adressait ä un auditoire d'habitants du Hainaut, eile ne pouvait manquer de produire tout son effet et de flatter ceux qui l'entendaient. 4 . MOTS DIALECTAUX ET REGIONAUX DES POEMES DE G A U T I E R L E L E U .
Un certain nombre d'expressions rares et de mots regionaux dont l'auteur fait usage peuvent egalement nous aider a determiner la patrie de Gautier Le Leu. Quelques-uns de ces mots demandent une explication detaillee. I. asciet. Gautier se sert d'un mot asciet II 256, IV Μ 307, avec variantes aisie I I I D 96 (98 de notre edition), assie I I I D 87 (89 de notre edition), assiet I I I Τ 82. M m e Lejeune (op. cit., 6-7), expliquant ce mot dans deux de ces passages II 256, I I I D 87, croit qu'il a le meme sens que aisson (esson) signale par Tobler-Lommatzsch (I, p. 263a): "la petite poutre sur laquelle on pose le petrin afin qu'il ne touche pas directement le sol." Elle l'identifie ensuite avec aisset 'petite planche' dont Godefroy donne un seul exemple tire d'un texte de la fin du x i v e siecle, dans lequel d'ailleurs le sens ne ressort pas tres clairement du contexte. Nous avons traite tout au iong l'histoire de asciet autre part. 1 Aisson, aisset et asciet (aisie, assie, assiet) sont tous des derives du latin axis 'planche': aisson < *axonem, aisset < axittum, mais asciet (aisie, assie, assiet) < *axatum. Le sens etymologique du mot et le contexte dans lequel il est employe par Gautier Le Leu, surtout dans les passages I I I 89, 98, 1
Modem
Language
Notes, L V I (1941), 415 et s.
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indiquent qu'il signifie 'cloison de planches, mur.' 1 Ce n'est done pas un haftax comme l'indiquait Tobler-Lommatzsch sous assiet, mais r.'est le meme mot que aissie (aisie) qu'il note plus haut et definit 'Bretterwand.' Les deux passages qu'il cite comme exemples d'emploi d'aissie {aisie) sont tires du Roman de la Violete de Gerbert de Montreuil (Montreuil-surmer et le Ponthieu) et d'un texte de Jean de Thuim (Hainaut beige). 2. bellure. Nous avons etudie ailleurs 2 ce mot que Godefroy et Tobler-Lommatzsch donnent comme hapax et nous avons fourni un deuxieme exemple tire du manuscrit Μ IV 246, oü il se trouve ä la rime (: mesures). Nous expliquons dans une note (p. 313) le sens de ce mot que nous considerons comme un partieipe passe dialectal ou populaire de belliver, hesliver. L'exemple unique que donnent les dictionnaires est tire du Vers de la Mort (ed. Windahl, Lund, 1887, 138) oü, comme notre deuxieme exemple, il se trouve ä la rime (: aires). Ce poeme a ete ecrit en Artois au x m e siecle. 3. bu (c). Ce mot se trouve au vers 102 des Deux VHains (V): Del bu cuidies ce soit Lanfrois? Nous avons vu en ce vers une allusion ä un episode du Roman de Renart, Branche I, vers 467-704 (ed. Martin).3 Le bu de notre passage represente le tronc d'arbre fendu et tenu ouvert par des coins dans lequel Renart persuade ä Brun de plonger la tete pour y trouver du miel. Renart retire les coins et Brun a la tete prise dans le tronc. Avant de reussir ä s'echapper, il est battu par Lanfrois le forestier et ses vilains. Un sens de bu(c), ä cote de 'buste, tronc du corps,' etait 'buche, tronc d'arbre' d'oü est venu 'piege ä declenchement' fait d'une buche ou tronc d'arbre. Le simple mot bu(c) au Cf. notre note au vers I I I 89, ci-dessous p. 298. Modern Language Notes, L I V (1939), 506 et s. 3 Voir ci-dessous, au chapitrelV, p. 93 et les notes p. 316. Nous avons traiti longuement l'origine du mot d'ancien franijais bu(c) dans la Revue de linguistique romane, X I V , n 08 53-54, janvier-juin, 1938, p. 237-56. 1
2
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vers 102 du fabliau represente done de facjon claire et concise toute la situation avec ses diverses complications. 1 Les dictionnaires d'ancien franqiais notent notre mot bu(c) uniquement dans le sens de 'buste du corps' derive du francique *bük, mais on trouve un autre exemple d'emploi de bu(c) (pi. bus) 'tronc d'arbre, arbre' au vers 9103 d'Anseys de Mes, chanson de geste "composee vers la fin du x n e siecle par un poete du nord-est de la France." 2 Iluecques fu quatorze ans, voire, plus, Que ne mainga ne pain ne char ne lus Fors les racines qu'il queroit par les bus, Et fruit sauvage dont estoit repeüs. Le glossaire de l'edition donne (p. 455): bus (9103) 'bush, wood, thicket'. Le sens litteral de par les bus serait done 'parmi les troncs d'arbre' (de la foret). Le mot figure encore dans les patois de Belgique au sens de 'tronc d'arbre' ou quelque chose d'approchant: ä Marchelez-Ecaussines, buk 'tronc d'arbre, aussi l'endroit oil les branches prennent naissance'; 3 dans le namurois, buk 'tronc, la tige, le gros d'un arbre sans les branches'; 4 a Faymonville, bukion 'tige de chou, ou autres plantes dressees'. 5 L a presence du mot bu(c) dans Anseys de Mes ( x n e siecle), qu'on a localise dans le Nord-Est, sa survivance dans les patois de Belgique, comme aussi son origine francique, nous portent ä situer ce mot dans la region du Nord-Est. 6 1 Sur I n t e r p r e t a t i o n de ce passage dans le texte, voir notre note au vers V 102, ci-dessous p. 316. 2 Cf. l'£dition d 'Anseys de Mes, publi£e d'apr^s le ms. Ν de Γ Arsenal 3143, par Herman J. Green, Paris, 1939. 3 Ärille Carlier, Glossaire de Marche-lez-Ecaussines, Bulletin de la Societe liigeoise de littirature wallonne (B.S.L.W.), vol. 55 (1914),
358. 4 L. Pirsoul, Dictionnaire wallon-frangais, dialecte namurois, Malines, 1902-03. 5 J. Bastin, Vocabulaire de Faymonville, Β .S .L .W., 50 (1909). 6 Cf. F.E.W. I, 601 a. L e mot dans le sens de 'tronc d'arbre' a laissi quelques traces dans le Midi mais d'apres le F.E.W. on n'en retrouve pas trace dans le Nord ailleurs que dans la Belgique actuelle.
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4. buhote. Gautier emploie buhote comme adjectif V i l a 81 et le fait rimer avec wihote (verbe): Si devient legiers et buhote Puis qu'il consent c'on le wihote. Les dictionnaires ne donnent pas d'exemples de buhote comme adjectif, mais son emploi comme nom dans plusieurs passages nous permet d'en expliquer le sens. (α) Tu es (Amours) plus fausse que buhote 1 (δ) En lui puet on faire une atake Aussi bien k'en une buhote. II a tous jors plaine le hote D'une fause parole vaine.2 Commentant le premier de nos deux passages, Μ. Jeanroy explique : "buhote semble signifier 'cruche' mais se prend souvent comme synonyme de 'chose trompeuse.' Du sens primitif de 'objet creux, tube,' on a pu passer facilement ä celui d'objet peu resistant malgre les apparences et qui tromperait quiconque se fierait ä sa solidite." L'adjectif buhotas 'trompeur,' se trouve dans le Jeu de la Feuillee d'Adam de la Haie. 3 Buhote, le substantif employe comme adjectif dans notre passage ä cote de legiers, signifie peut-etre 'creux' au sens litteral, mais il pourrait aussi signifier 'faux, trompeur'. Les exemples d'emploi de buhote, buhotas appartiennent tous ä la region picarde. 5. demars, domars, deluns. Nous trouvons dans notre texte pour mardi: domars (: mars) I 148, demars (: mars) II 105, I I I 484, et pour lundi: deluns III D 173 (de notre edition) a l'interieur du vers. A u moyen äge, ces formes, composees avec la forme latine di (diem) comme premier element, ne Romania, X X I I (1893), 62. Α . J e a n r o y , Η . G u y , Chansons et dits artesiens, p. 88 (v. 21) e t 154: buhote 'conduit, t u b e et p a r e x t e n s i o n o b j e t c r e u x , f r a g i l e . ' 3 fidition E . L a n g l o i s , C.F.M.A., 1911, v. 751: n ' a plus faus ne p l u s b u h o t a s (: tas); le glossaire donne buhotas: ' t r o m p e u r (?).' 1
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LE JONGLEUR GAUTIER LE LEU
se trouvent, en dehors du Midi, que dans les textes wallons et picards. 1 Les dictionnaires de patois modernes donnent comme vestiges de ces formes: pour la region wallonne: dimiek, miek (mercredi)2 et la serie doelon-doever a Faymonville en Belgique.3 La seule forme moderne analogue dans YAtlas linguistique de la France (Carte 839, point 194) est du type dimercre (a cöte de mercredi) ä Beaufays, canton de Louveigne, province de Liege, Belgique.4 6. Escors se trouve dans De Dieu et dou pescour (VI) 205, dans un passage ou la Mort, montee sur un cheval noir, parait a la tete d'une troupe de cavaliers qui "portent" chacun une fie vre ou une maladie: Et eil porte Je fievre agüe Qui le gent angösse et argüe, S'i est Escors et Esplenisses, Li Sansmue^ons et Ii Gausnisses Et Ii Giste et Ii Malenoirs.
203
Μ. Delbouille 5 propose de lire au vers 205: S'i est es cors et es plenisses — 'dans les cours et dans les campagnes.' Mais nous voyons plusieurs objections ä cette interpretation. Elle laisse les maladies, qui sont au nominatif aux vers 206207, sans construction logique. D'autre part plenisses (Godefroy plenice) signifie dans les exemples cites par Godefroy 'surface plane' et non 'Campagne.' Esplenisses s'interprete tout naturellement comme maladie de la rate, avec le meme suffixe que nous avons dans gausnisses {jaunisse), ajoute a esplen 'rate.' Escors peut done s'interpreter comme 'maladie de la peau' 1 J . Gilliiron et Mario Roques, Etudes de geographie linguistique, Paris, 1 9 1 2 , ch. X , 85: Les noms gallo-romans des jours de la semaine. 2 C. Grandgagnage, Dictionnaire etymologique de la langue wallonne, Li£ge, 1845-1880; L . Remacle, Dictionnaire wallon-frangais, Li£ge, 1839-1843. 3 J . Bastin, loc. cit, 4 C f . F.E.W, dies, II, 72. 6 Op. cit., 597, note 2.
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en le r a t t a c h a n t a u g r o u p e g e r m a n i q u e anc. h a u t skorf.,
m o y e n h a u t a l l e m a n d schorf,
scurf,
anglo-sax.
sceorf,
scurf,
allemand
m o y e n neerlandais
moyen
anglais scurf,
scorf, scorf,
scrof. L ' a n g l a i s scurf signifie 'scaly or s i l k y m a t t e r on surface of skin, a b u n d a n t , s c a b b y , c o m e s off in l a r g e flakes or layers.' ( N . E . D . ) N o t r e m o t v i e n t tres p r o b a b l e m e n t d u m o y e n neerlandais scorf, scurf et est ä la f o r m e n o m i n a t i v e :
escor(f)s.
7. flage. O n t r o u v e ce m o t d a n s De deus vilains
(V) 48, oil
il a a p p a r e m m e n t le sens de 'cuisine, office': Lors s'est leves de) lit tos nus, Desci qu'el flage en est venus, Tant quist le pot qu'il l'a trovet G o d e f r o y cite u n certain n o m b r e d ' e x e m p l e s de flage a v e c le sens de 'place en general, c h a m p de b a t a i l l e , ' m a i s u n seul a v e c le sens de ' b o u g e ' d ' a p r e s u n d o c u m e n t des A r c h i v e s N a t i o n a l e s , dat6 1403, dont il est impossible de determiner l a p r o v e n a n c e , le c o n t e x t e e t a n t tres c o u r t . L e F.E.
W.
fait
d e r i v e r flage d u m o y e n ^ e r l a n d a i s flage ' F l ä c h e ' et donne la definition de G o d e f r o y ' c h a m p , place en general' en a j o u t a n t q u e le m o t est u n t e r m e picard d u x n i e siecle. II indique u n seul e x e m p l e tire des p a t o i s modernes: flatch
'aire de la
grange' (Faymonville).1 O n t r o u v e , d a n s Rigomer de
l'edition
traduit
(v. 2436), flaige q u e le glossaire
'Kammer,
Verliess'.
M. E . R e n a r d a
t r o u v e dans plusieurs t e x t e s w a l l o n s plus recents, de n o m breux
e x e m p l e s de notre m o t e m p l o y e c o m m e il l'est d a n s
n o t r e poeme, c'est-a-dire a p p l i q u e ä une partie de la maison o u de la grange:
2
A E s n e u x (1627), on t r o u v e 'la cuisine ou
ftoche de la m a i s o n ' ; d a n s u n t e x t e de P l a i n e v a u x (1582): 'la 1 Meyer-Lübke, R.E.W. 3345, donne l'itymologie comme moyenneerlandais flage 'Fläche,' Altfr. 'feld, schachtfeld,' sans donner de r£f6rences. 2 Expressions tautologiques dans I'ancien wallon, dans Melanges de linguistique romane offerts ä M. Jean Haust, Li6ge, 1939, 336-337.
LE JONGLEUR GAUTIER LE LEU
droite moitie parte de flege de la cuisine delle maison.' Le patois moderne de Gleize offre fletche 'aire du four ä pains.' II y a done quelques temoignages qui permettent d'attribuer ä flage dans notre texte le sens de 'cuisine'; dans ce sens, le mot, a en juger par les patois modernes, n'est employe que dans une region franco-beige romane. 8. la, laa. La et sa V a r i a n t e laa se t r o u v e n t cinq fois dans Del fol vilain (II): la 208 (qu'il faut probablement lire laa), 292; laa 275, 305, 308. Nous avons montre ailleurs 1 que ces mots representent des variantes populaires du moyen neerlandais lade. Voir Verwys-Verdam, Middelnederlandsch Woordenboek : "lads (la, laeye, laey, lay)... in de spreektaal 00k laai, la 'Kist, kistye'." Laai dans le parier populaire equivaut, d'apres le dictionnaire, a laeye. Le sens 'kist, kistye' = 'boite, petite boite', est evidemment celui de nos passages. La syllabe finale de laa (= laai) peut s'expliquer comme une prononciation dialectale de at en a, un trait frequent dans le Nord et Nord-Est. 2 La et laa, dans un fabliau destine a etre recite devant un auditoire populaire, representent sans doute des formes purement populaires employees dans une region oil frangais et neerlandais etaient voisins. Le frangais layette est un diminutif de la. 9. nuiton. Gautier Le Leu se sert de ce mot par deux fois dansses poemes. Dans La Veuve (III) 211, la veuve "nuituns devint, sis (ses enfants) escaucire. " Dans Del fol vilain (II) 331, un 'baceler' s'approche d'un gue et aperfpoit vaguement le vilain et son cheval sur la berge: "Sont ce nuitun qui la peskent en eel betun?" Gaston Paris [Romania, X X X I (1902), 102] fait remarquer que cette Variante de luiton est tres rare dans les anciens textes. Nuiton est un terme couModern Language Notes, L I V (1939), 582 et s. A . Längfors, Li Regres Nostre Dame, Paris, 1907, L I I I et L X X X I V . II semble qu'on se trouve en face du meme ph6nomene dans lasfa (je) I I 257, sara (je) II 303, sa (je) I I 367, fera (je) I V 92. Cf. ci-dessus p. 21. 1
2
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rant dans le folklore du Hainaut et de la Wallonie. Philippe Mousket de Tournai 1 mentionne ces esprits: Quar nient plus com s'il fust nuituns Ne sorent qu'il devint cascuns. Le wallon actuel connait encore la forme nuton dont M. Haustdonne l'etymologie Nefitunus dans son Dictionnaire liegeois. Notre mot se serait modifie sous l'influence du mot nuit. D'apres Reiffenberg, ces genies s'appellent encore nuiton dans le namurois. Dans le passage de La Veuve (v. 211), un nuiton semble 6tre un mauvais genie qui fait peur aux enfants. C'est dans ce sens que le mot est employe par Chretien de Troyes dans Yvain (5273, 5513), mais dans Del fol vilain (II), le mot signifie, comme dans le folklore moderne, genies qui frequentent les rivieres, nains ou fees qui habitent des grottes. 10. raston. On trouve ce mot dans La Veuve (III M) 540, dans un passage qui enumere plusieurs especes de gateaux. Godefroy en donne la definition "sorte de patisserie" et cite des passages qui sont tous tires de textes du Nord-Est. Gamillscheg 2 rattache raston au moyen neerlandais roost 'mets grille, röti' et note qu'une forme en 0, rostel se trouve en ancien wallon. Valkhoff 3 accepte cette origine. Un glossaire latin-francais du x v e siecle publie par Scheler 4 donne rastons : ovificium : uvaute vel rastons. Le mot existe encore dans les patois d'aujourd'hui: montois reton, a Saint-Pol raton et dans le Tournaisis raton, qui sont traduits par 'crepe.' En rouchi, d'apres Hecart, raton est une sorte de patisserie faite de farine, oeufs, creme. 1 Chronique rimee de Philippe Mouskes, £d. Reiffenberg, Bruxelles, 1836-38, II, v. 25127. 2 Etymologisches Wörterbuch der französischen Sprache, Heidelberg, 1928, 742 b. 3 Etude sur les mots fran(ais d'origine nderlandaise, p. 211. 4 Glossaire roman-latin du XVe siecle (Ms. de la Bibliothbque de Lille), An vers, 1865, extrait des Annales de l'Academie d'Archeologie de Belgique, t. X X I , 2 e s6rie, t. 1.
So
LE JONGLEUR GAUTIER LE LEU
Les mots suivants ne demandent qu'une breve explication: 1. ahan III, 466 dans le sens de 'terre de culture, terre de labour, terre labourable, champ.' Godefroy ne donne qu'un exemple de ahan dans ce sens tire des poemes de Froissart. Jean de Οοηάέ emploie aussi le mot avec ce sens dans Li dis dou chevalier a la mance v. 1371. 1 2. aviere 'avis' VI 157, est un mot dont l'usage semble 6tre limite aux textes du Nord et du Nord-Est. Breuer 2 dit de ce mot "scheint nur im Nord vorzukommen." Voir aussi Delbouille, op. cit., 596. 3. burissant I 105, participe de burir 's'elancer impetueusement', se rencontre dans les textes du Nord-Est; voir Rigomer II 195, note au vers 4845, oü aburissant est egalement note. Thomas 3 dit que burir est "ancien wallon," etymologie francique *burjan, en moyen neerlandais burren,4 4. busce. Dans Del sot chevalier IV Μ 307, un outil de fer lance ä la volee frappe un homme qui dort, ricoche et vient heurter {busce) un mur (asciet). Busce 3 e pers. sing, de l'indic. pres. du verbe busquer 'heurter, frapper' est d'apres M. Dupire 5 un "picardisme" qu'on trouve chez Jean Molinet et qui subsiste encore aujourd'hui avec la signification du moyen äge dans de nombreux patois du NordEst. Voir aussi Bastart de Bouillon (ed. Scheler) p. 289 ä propos du vers 3894. Cf. aussi abusce III 553. D'autres expressions qui se rencontrent particulierement dans les textes du Nord-Est, sont: a esligons 6 III 286, harnas Cf. A . Scheler, ed. cit., II 431. Mervelles de Rigomer, II 183, note au vers 699. 3 Melanges d'etymologie frangaise, 49. 4 Voir aussi Gamillscheg, Zeits. f. rom. phil., X L I (1921), 520. 5 Jean Molinet, 214 et s. Dupire dresse une liste de mots t i r i s des pofemes de Jean Molinet, qu'il considere comme des picardismes et qu'il retrouve dans les dictionnaires de patois de la r6gion. 6 Godefroy cite quatre exemples de cette expression y compris celni tir6 de notre passage. Les trois autres exemples sont empruntes ä Philippe Mousket (2) et ä Froissart (1). 1
2
LA
PATRIE
DE
GAUTIER
LE
8l
LEU
(: hanas) 1 III 291, Insel VI 158 (Dupire), soier 2 (fr. scier) : amoier I I 58 (rime riche), sur3 'aigre' I I I 156, täte 4 'grand' mere' VI 54 (: j'aie), tamain 5 (: germain) V i l a 53. Les mots suivants contiennent le suffixe flamand -kin, -quin : moulekin I I I 143, roekin I I I Μ 144, raverquin I I I Τ 130 6; ces deux derniers mots ne se trouvent que dans nos textes. II convient d'ajouter a la liste ci-dessus certains mots dont la forme ä la rime semble egalement indiquer pour notre texte une origine picarde: 7 anguisse, ent, ci (la) par ent, entire (masc), estrine (strena), estrine (extranea), fie (fois), fie (foie), mies, pointes (pinctas), pus, repus, repuse (pour post, repost(e)), sai (pour essai) scstiu (subtilum), tor be (pour trouble), wes (pour gutQ.
Ainsi les expressions dialectales et regionales des poemes de Gautier Le Leu que nous avons passees en revue dans ce chapitre, paraissent, dans leur ensemble, rattacher notre texte Melanges Wahlund, 145. M. Bronckart, Jean de Haynin, 181. 3 A. Längfors, Li regres Nostre Dame, 165, considere sur « f r a n cique sauer) comme un mot du Nord; cf. R.E.W. 8471. 4 D'apres Wartburg (F.E.W, atavia) taie 'grand'mere,' se rencontre surtout dans les textes picards et wallons; voir aussi E . Tappolet, Die romanischen Verwandtschaftsnamen, Strasbourg, 1895, 65; dans le montois moderne (Sigart 351) taye 'bisayeul.' 5 Ce mot se trouve fr6quemment dans les textes picards et wallons; voir Delbouille, loc. cit. 596; A. Bayot, Poeme moral, L X X X : "Si ce compose de tant maint ne se localise pas 6troitement dans la r£gion du nord (voir les textes cit£s par Godefroy, V I I 635) il y a cependant joui d'une faveur particuliere." Bayot cite quelques auteurs du NordEst qui se servent de tamaint. Le mot est d'un usage trfes ft^quent chez Jean de Cond£ et chez Philippe Mousket et se trouve encore en abondance dans les patois du Nord-Est, France et Belgique (Bayot). D'aprfes Godefroy, le mot se dit encore dans le district de Valenciennes, dans le Borinage, dans le Tournaisis, et dans les Ardennes. 6 Voir Μ. Valkhoff, Sur un sufflxe flamand en frangais, en picard et wallon, Neophilologus, X I X (1933-34) 2 4 I " 2 5 ° ; D. Behrens Z.F.S.L., X X X V I I (1905) 3 1 1 , qui 6numere un certain nombre de mots ainsi compos6s. 7 Voir ci-dessus p. 70. 1 2
C. H . LIVINGSTON.
Ο
82
LE JONGLEUR GAUTIER L E LEU
ä la region nord et nord-est de la France medievale. Tout particulierement interessante sont les mots rares qui proviennent du moyen-neerlandais: escors, flage, la, laa, raston et peutetre burissant, et l'emploi des suffixes diminutifs -kin et -quin. Π ne faudrait pas toutefois exagerer l'importance de ces mots pour localiser la langue de notre auteur; le flamand se parlait, aussi bien que le frangais, au moyen äge et meme bien plus tard, "dans les villages des environs d'Ath, ä Tournai, ä Lille,, ä Cambrai, ä Douai, et ä Valenciennes." 1 CONCLUSION
GENERALE.
Cette longue etude aboutit done ä des resultats assez precis qui tous semblent se corroborer. Les temoignages geographiques (partie I) montrent que notre auteur connaissait bien la region de Valenciennes et la ville elle-meme, capitale du Hainaut et centre d'activite Iitteraire; et si les allusions a la region du Hainaut qui fait maintenant partie de la Belgique, sont moins nombreuses, elles n'en sont pas moins precises, comme le sont aussi les allusions a des lieux de l'ancienne province de Liege. Les saints mentionnes dans les poemes (partie II) nous ramenent eux aussi dans le Hainaut, a Maroilles, et dans la region de Stavelot-Malmedy sur la principaute de Liege. Quant aux particularites dialectales du metre et de la rime (partie III), elles decelent bien un auteur du nord-est de la France medievale; quelques details pourtant nous portent a croire que Gautier appartenait έ. une region de Picardie voisine du pays de langue wallonne et etait un picard wallonisant. Enfin plusieurs points de syntaxe (partie III) et le riche vocabulaire regional (partie IV), viennent s'ajouter a ces autres temoignages pour nous permettre de conclure que Gautier Le Leu etait un hennuyer, originaire d'une region de lJancien comte de Hainaut qui forme maintenant partie de la Belgique. 1
H. Suchier,
Le frangais et le provenfal,
Paris, 1891,. 15.
C H A P I T R E III VERSIFICATION.
Le metre dont se sert Gautier Le Leu est celui qu'on trouve ordinairement dans les fabliaux: le couplet octosyllabique a rimes plates. En ce qui concerne l'hiatus et Γ elision, il s'est conforme a l'usage habituel des poetes du x i n c siecle qu'il nous parait inutile d'analyser ici. 1 Comme la plupart de ces poetes, Gautier a frequemment brise le couplet et fait usage de l'enjambement. On remarque chez lui une recherche voulue de la rime riche particulierement marquee dans le manuscrit M, le meilleur de tous les manuscrits.2 Nous donnons ci-apres un tableau qui montre le pourcentage de rimes riches, masculines et feminines dans les poemes de ce manuscrit: 3 Rime masc. riche
I s.
II Ill IV V VI VII 1
Rime f6m. riche
°/ 0 total de rimes ricl
69
29%
82%
F.V. V.
16
85
56
s.c.
60 64
31 !9
D.V. D.P.
Conn, (frag.)
A . Tobler, Le vers frangais
53%
59 45
26 18 38
ancien et moderne,
87 79
90 77 83 Paris, 1885, 33-104.
Cf. ci-dessous, chapitre VII, p. 133. 3 Nous n'avons compt6 parmi les rimes riches masculines et feminines que Celles qui pr6sentent au moins homophonie de la consonne ou des consonnes pr£c6dant imm^diatement la voyelle ou la diphtongue accentu£e, et les rares cas d'homophonie de la voyelle noil accentuie formant un hiatus avec celle de la syllabe qui porte l'accent. Si nous avions compt