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French Pages XXVIII-263 p.: couv. ill. en coul.; 24 cm [289] Year 2009
Le débriefing psychologique Pratique, bilan et évolution des soins
978 2 10 054238 3
PRÉFACE Louis Crocq
C LARA , S YLVIE , trois psychologues cliniciennes engagées dans le réseau des cellules d’urgence médico-psychologique dès sa mise en place en 1998, se concertent aujourd’hui pour une réflexion commune sur le bilan de leurs dix années d’exercice au sein de ce réseau. Et leur réflexion, centrée sur la question cruciale mais controversée du debriefing (ou bilan psychologique d’événement), reflète les interrogations qui sont le lot de la plupart de leurs collègues et marque une étape ou un tournant dans la doctrine et la pratique des soins à prodiguer aux « blessés psychiques ». Quel débriefing avons-nous appliqué hier et quel débriefing pratiquons-nous aujourd’hui ? On sait que la création des cellules d’urgence médico-psychologiques a été décidée au lendemain de l’attentat terroriste du 25 juillet 1995 à la station RER Saint-Michel, sur ordre du Président de la République Jacques Chirac, et sur instruction du Ministre de l’action humanitaire d’urgence, Xavier Emmanuelli. La mission prescrivait trois objectifs : primo, la création de cellules constituées de psychiatres, de psychologues et d’infirmiers spécialement formés à la psychiatrie d’urgence et de catastrophe, pour apporter des soins appropriés aux « blessés psychiques » lors des attentats, des catastrophes, des accidents collectifs et des incidents à forte répercussion psychosociale (par exemple un suicide dans un établissement scolaire) ; secundo l’élaboration d’une doctrine de soin appropriée aux trois phases de la pathologie : phase immédiate (sur le terrain), phase post-immédiate (les premières semaines) et phase différée-chronique (les états pathologiques transitoires ou durables persistant au-delà du premier mois) ; et tertio l’extension du dispositif des cellules à l’ensemble du territoire français (soit les cent départements).
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A
NNICK ,
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Un groupe de psychiatres, de psychologues et de médecins urgentistes des SAMU – que nous avons eu l’honneur de diriger – instaura provisoirement de telles équipes dans trois grandes villes à risques (Paris, Lyon, Marseille), et se réunit régulièrement pendant un an pour élaborer une doctrine de l’intervention psychologique d’urgence, préciser les missions et les actes d’intervention, élaborer la structure du réseau et définir un programme de formation à la psychiatrie de catastrophe. Un an plus tard, son rapport était soumis au Ministre de la santé, qui l’avalisa et définit la composition, les missions et le fonctionnement du réseau – rattaché au réseau des SAMU – par un arrêté et une circulaire de mai 1997. La mise en place a eu lieu en janvier 1998. Les préceptes qui avaient inspiré la création de ce réseau étaient simples et évidents : d’abord, il n’y a pas de raison de laisser la souffrance psychique sans secours ni soins, alors que l’on s’emploie à soigner et apaiser la souffrance physique, car c’est notre devoir de soulager toute souffrance ; ensuite, l’expérience avait montré (en particulier la statistique de Bouthillon sur le devenir à trois ans de quarante-huit victimes des attentats terroristes de 1986) que, lors d’un attentat ou d’une catastrophe, les victimes « psychiques » (qu’elles aient ou non des blessures physiques) qui avaient pu parler immédiatement à un soignant, et éventuellement à un psychiatre ou un psychologue, de l’expérience d’horreur qu’elles venaient de subir (donc verbaliser cette expérience) s’en sortaient ensuite sans séquelles psychiques ou avec des séquelles psychiques modérées, tandis que les victimes qui avaient dans la hâte été traitées comme des objets, sans échange verbal avec leur soignant, présentaient ensuite des séquelles psychiques sévères. Les mots anglo-saxons briefing et debriefing, sont empruntés au vocabulaire militaire, où ils désignent les réunions techniques de départ et de retour de mission des équipages de bombardiers ; par extension, à la fin de la deuxième guerre mondiale, sur le théâtre d’opérations du Pacifique, S. Marshal, officier d’infanterie de marine, a transposé l’opération debriefing au bilan psychologique des soldats des petites unités revenant d’un combat éprouvant. Par extension encore, quelques décennies plus tard, ces procédures de debriefing psychologique ont été appliquées à des petits groupes de pompiers ou de policiers ayant été confrontés à un « événement critique » stressant ; et ensuite aux victimes rescapées d’une catastrophe ou d’un accident, individuellement, ou en groupe si elles ont été impliquées dans le même événement « potentiellement traumatogène ». Cette dernière précision est pertinente, tant il est vrai qu’un même événement violent peut être traumatisant pour une personne et pas pour une autre, ou traumatisant pour une personne
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aujourd’hui, alors qu’il ne l’eût pas été hier, dans d’autres circonstances de disponibilité d’énergie ou de soutien social. Et, dans la réflexion d’Annick, de Clara et de Sylvie, c’est la décantation de toutes leurs interventions de debriefing psychologique de dix années qui, confrontée à d’autres réflexions et opinions des collègues américains et européens utilisant ces procédures, va nous montrer comment cette opération a évolué depuis la publication princeps de Mitchell au cours de vingt-cinq ans, et comment il s’avère judicieux de préciser de quoi on parle : qu’est-ce qu’un debriefing opéré par des « pairs » hâtivement formés auprès de leurs camarades pompiers ou policiers au lendemain d’un « incident critique » a de commun avec un debriefing thérapeutique assuré par des psychiatres ou des psychologues cliniciens possédant un sérieux bagage en psychopathologie, une connaissance approfondie de la psychiatrie de catastrophe, une formation circonstanciée aux techniques d’intervention psychologique et une solide expérience du debriefing pratiqué auprès des victimes ? D’où la confusion qui résulte de soi-disant méta-analyses, qui proclament leur doute sur l’efficacité du debriefing, pour avoir mis dans le même paquet des debriefings superficiels et purement narratifs quoique rigoureusement codifiés appliqués par des pairs à des équipes de pompiers, sans aborder la question du trauma, et des debriefings appliqués à des victimes de catastrophes, d’accidents ou d’agressions, certains de ces debriefings s’étant contentés d’appliquer la technique narrative superficielle vouée à l’échec et d’autres ayant été assurés par des cliniciens de façon plus sérieuse, cathartique (le miracle de l’énonciation langagière qui confère du sens à l’insensé du trauma), D’où la proposition d’appeler un chat un chat et, pour couper court à toute confusion, de préciser, lorsqu’il s’agit de victimes traumatisées ou susceptibles de l’être, « debriefing psychodynamique », « intervention psychothérapique précoce » ou plus précisément « intervention psychothérapique post-immédiate ». L’ouvrage se répartit judicieusement en trois parties précédées d’une introduction générale : du traumatisme psychique à l’état de stress posttraumatique, les manifestations péri-traumatiques et les soins immédiats, et les manifestations post-traumatiques et les soins post-immédiats. C’est dire que la question primordiale du debriefing et de ses métamorphoses n’est abordée – à juste raison – qu’après un éclairage sur le trauma, son histoire, sa théorie et sa clinique ; et après un examen de la période immédiate, dans ses rapports avec l’événement traumatogène, dans son expression clinique et dans son indication du defusing (ou déchocage). Et, dans ce cheminement, tout au long de cet itinéraire, le lecteur va découvrir les points clés retenus par les trois auteurs comme préparant
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puis jalonnant cette mutation du debriefing psychologique. Nous avons identifié ainsi sept points clés, qui sont autant d’étapes créatrices dans la métamorphose qu’a connue le debriefing ces dernières décennies, dans l’esprit et la pratique de ses utilisateurs les plus perspicaces. Le premier point clé a trait aux caractéristiques du vécu traumatique, de la « rupture » traumatique, telles que nous les dessinent les révisions de la pensée freudienne effectuées ces dernières décennies par les cliniciens du trauma : surprise, effroi, horreur, arrêt de la pensée et défection du langage, dans un contexte de déréalisation et de dépersonnalisation, résultant de la confrontation inopinée avec le réel de la mort et l’évidence du néant. Et la citation de Boris Cyrulnik « pour être résilient, il faut d’abord avoir été mort » trouve ici tout son sens. Les trois auteurs font converger l’éclairage psychanalytique et l’éclairage cognitiviste, et mentionnent l’introduction du concept de stress dans le vocabulaire de la pathologie traumatique (avènement du vocable « état de stress post-traumatique »). Une évolution des concepts dans l’univers du trauma semble avoir préludé à une évolution de l’acception du mot debriefing. Un deuxième point clé ressort de l’examen attentif de la phase immédiate, bref « intervalle de temps particulier », pendant lequel la victime qui n’a pas eu le temps de mettre en place des stratégies d’ajustement et des mécanismes de défense pérennes », se trouve « extrêmement vulnérable ». Il en découle l’inventaire des principaux objectifs de l’intervention immédiate : protéger les personnes contre toute nouvelle stimulation nocive, aider leur réintégration progressive dans le monde « ordinaire », leur offrir une possibilité d’une « première ventilation des émotions » et « les aider à se réapproprier un sentiment de maîtrise ». C’est le defusing, préfiguration précoce et simplifiée de ce que sera le debriefing. Un troisième point clé est l’analyse de « l’événement traumatogène » (potentiellement traumatogène) comme « générateur de crise », individuelle ou collective : véhiculant une menace de mort, il expose les créatures humaines à leur propre mortalité ; imprévisible et incontrôlable, il engendre impuissance et résignation ; frappant à l’aveugle, il bouleverse les esprits dans leurs croyances les plus profondes ; extrêmement stressant, il perturbe les personnalités. Et un debriefing bien conduit devra, pour résoudre cette problématique de crise, annihiler tous ces effets pathogènes. Un quatrième point clé est de faire ressortir certains aspects cliniques de la phase post-immédiate, l’ancienne phase de latence (ou d’incubation, de contemplation, de méditation, de rumination, comme le disait Charcot)
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de la névrose traumatique, que la nosologie du DSM américain dénomme « état de stress aigu » (plus de deux jours et moins d’un mois) : elle implique la persistance anormale des symptômes de déréalisation et de dissociation de la phase immédiate ; et en outre, elle voit apparaître les premiers symptômes de la névrose traumatique (ou de l’état de stress post-traumatique) : reviviscences, évitement, émoussement affectif, état d’alerte, sursauts, résistance passionnée à l’endormissement (s’abandonner au sommeil serait renoncer à sa vigilance et ne pas voir venir l’agresseur). Dans cette période post-immédiate, qui est le temps propice à instaurer un debriefing, on pourra tirer profit de certaines reviviscences (rêves, visions ou pensées forcées) qui, de par leur amorce de modification de contenu, constituent un « début de psychothérapie ». À noter que, dans certains cas de figure (sujets rapatriés par avion de contrées lointaines après une catastrophe), cette phase post-immédiate est différée par la perduration anormale de la phase immédiate : « période d’entre deux » où les victimes sont encore aussi choquées au deuxième ou troisième jour, voire plus, qu’immédiatement après l’événement ; et il faudra différer le debriefing d’autant, car elles ne sont pas prêtes à en bénéficier. Un cinquième point clé est la mesure des limites du debriefing type Mitchell, enserré dans le carcan de ses strictes procédures, fondé sur le récit « objectif » pour gommer l’aspect absurde de l’incident critique, mais réprimant les impulsions spontanées à la verbalisation des émotions en imposant le préalable de la narration des faits et des pensées. Lorsque, après ce long, minutieux et patient préalable, les participants sont invités à parler enfin de leurs émotions, entraînés à la froide narration objective, ils ne sont capables de livrer qu’un récit sur ces émotions et non pas une énonciation « authentique », « maïeutique » qui pourrait procurer le soulagement cathartique. Le sixième point clé, primordial à nos yeux, est de démarquer le debriefing psycho-dynamique destiné aux victimes traumatisées du simple debriefing psychologique réservé aux pompiers et aux sauveteurs au retour de leur mission. Parler d’« intervention psychothérapique précoce », comme nous l’avions proposé en 2002, n’est pas assez explicite, ni précis. Il revient à Clara Duchet et ses collaborateurs (Duchet et al, 2004) d’avoir proposé l’appellation « Intervention Psychothérapique en Post-Immédiat » (I.P.P.I.), d’avoir énoncé les principes et les buts de cette procédure, précisé ses indications et codifié la progression de son déroulement, phase par phase. Le septième point clé, qui n’est pas le moindre, est que cette métamorphose du debriefing n’a pu s’effectuer que par la pratique – ou plutôt
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les pratiques – de ses utilisateurs, et particulièrement des personnels des CUMP. Et, dans ce livre, précisément, on peut suivre tous ces aspects, toutes ces facettes, relatifs aux six points que nous venons de mentionner, dans les vignettes cliniques et les comptes-rendus d’intervention qui illustrent judicieusement cet ouvrage et lui confèrent un caractère réaliste, pratique et vivant. On peut y lire, y voir comment un rescapé émergeant de l’enfer revient dans le monde des vivants, et des vivants parlant ; et comment sa propre parole, énonciation plus que récit, est révélatrice de sens pour lui-même que pour ceux qui l’écoutent, lui permettant ainsi de s’approprier son aventure traumatique et de l’intégrer dans la continuité signifiante de son histoire de vie.
AVANT PROPOS François Lebigot
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U ’ EST- CE
qu’un débriefing ? C’est un compte-rendu de mission fait par les militaires US après une opération devant leurs supérieurs. Le but de ce debriefing est de préparer au mieux la mission suivante en tenant compte des constatations résultant de celui-ci. On est là en tout cas assez loin de ce qui va nous occuper dans ce livre. Aujourd’hui, si on parle de débriefing dans le public, tout le monde pense à tout autre chose : une méthode thérapeutique s’adressant à des groupes ayant été confrontés à des situations « traumatisantes ». Que l’on puisse passer de l’expérience militaire à cette pratique psychologique n’est pas si mystérieux que cela quand on fait un abord historique de cette notion, comme on le verra dans ce livre. Ce qui nous importe, nous, c’est que de plus en plus, un débriefing semble être devenu une exigence réclamée par tous, dans des situations de catastrophes, d’accidents collectifs, d’attentats, etc. Il se pourrait même que dans un avenir proche, un patron qui n’aurait pas prévu un débriefing pour ses employés à la suite d’un incident critique, puisse être pour cette seule raison traîné devant la justice. Il devient donc important de connaître cette méthode, a priori thérapeutique, dans ses aspects individuels et collectifs. Elle a été formalisée pour la première fois aux États-Unis, puis a été reprise dans d’autres pays, en particulier en France et adaptée selon les références théoriques par ceux qui l’ont décrite et mise en pratique. Ainsi, comme on le verra dans ce livre, y a-t-il au moins deux façons de procéder, selon que l’on se rattache à la pensée psychanalytique comme certains en France, ou aux techniques cognitivo-comportementales comme beaucoup aux États-Unis. Ainsi le débriefing interroge-t-il sur la question du traitement du traumatisme psychique dans son ensemble même si, comme on le verra, il n’est utilisé à titre individuel ou collectif que pendant une période relativement courte succédant à un événement traumatisant.
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A VANT P ROPOS
Selon que l’on se réfère aux concepts psychanalytiques ou aux théories cognitivo-comportementalistes, le but visé n’est pas le même. Cela est vrai dans les prises en charge à long terme, comme dans ces moments limités dans le temps (une à deux heures) que sont les débriefings. Pour les psychothérapeutes d’ailleurs, le débriefing n’est parfois qu’un préalable à une psychothérapie, quelle que soit son type. L’objectif recherché, dans une perspective psychanalytique, est d’agir sur la relation qu’entretient le sujet avec ces images traumatiques et de faire disparaître la fascination qu’elles engendrent. Dans une perspective cognitivo-comportementale, ce n’est plus le sujet et son rapport au trauma qui est la cible de la psychothérapie mais ses symptômes. Il est question ici de diminuer la présence et la force de ces derniers et de traiter la souffrance qu’ils engendrent. Chacune de ces techniques a ses avantages et ses inconvénients qui sont mesurés à l’aune d’un état de la société. Les psychothérapies inspirées par la psychanalyse recherchent et parfois obtiennent la guérison complète, mais sont souvent longues et donc coûteuses. Celles qui s’inscrivent dans le champ cognitivo-comportemental obtiennent peut-être des résultats moins efficaces à long terme, mais dans un délai prévu à l’avance et somme toute assez court. Il faut bien reconnaître que la plupart des débriefings pratiqués, en particulier collectivement, n’ont pas pour ambition de préparer à un engagement dans une relation thérapeutique à court, moyen ou long terme. C’est la dérive que, malheureusement, subit aujourd’hui le débriefing qui est censé se suffire à lui-même et prévenir les maux qui pourraient résulter chez les individus de leur exposition à l’événement. Mitchell disait que lorsque l’on a réalisé un débriefing, on n’a fait que la moitié du travail. Effectivement, parfois un débriefing peut se suffire à lui-même, parfois au contraire il doit être suivi d’une prise en charge beaucoup plus longue. Mais cela, il est difficile de le savoir à l’avance et c’est ce qui nécessite que les debriefeurs aient une pratique de la souffrance psychique à travers leurs patients. Cette expérience les rend plus aptes à repérer les sujets fragiles ; elle les incite aussi à s’assurer de l’évolution des sujets, dans les jours qui suivent la rencontre en groupe. Le débriefing est donc une méthode problématique qui engage une multitude de connaissances dans le champ de la psychopathologie. Comme on le verra dans ce livre, il y a nécessité de bien connaître : ce qu’est un traumatisme psychique, ses effets, en particulier en ce qui concerne la création de symptômes et de ressentis éprouvants, ce qu’est une relation psychothérapique et ce que l’on peut en attendre (pour les psychanalystes, c’est la question du transfert), etc. Comme on le voit, il est important de réfléchir sur les enjeux de cette méthode, de ces
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différents modes d’applications et du contexte dans lesquels elle est employée. C’est une réflexion de ce genre qui a abouti à la formulation du concept d’Intervention Psychothérapeutique Post Immédiate (IPPI) tel qu’il sera exposé dans ce livre. Il est certain qu’actuellement une grande confusion règne à ce sujet et que toute thérapie collective est baptisée debriefing, même quand il ne s’agit que d’un groupe de paroles. Il est certain aussi que ce terme peut recouvrir des méthodes douteuses confisquées par des gens qui ne sont aucunement qualifiés pour traiter de la souffrance psychique et qui se font indûment rémunérer. Aussi est-il important de questionner le débriefing comme il est fait dans ce livre pour déterminer ce qu’il est exactement, ce que l’on peut en attendre, qui est légitime dans son organisation, sur quoi doit-il déboucher dans les cas où il ne peut se suffire à lui-même. Nous ne pouvons qu’être reconnaissant aux auteurs de ce livre d’avoir eu cette ambition et de nous l’exposer avec clarté et dans tous ses aspects.
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE L OUIS C ROCQ
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AVANT PROPOS F RANÇOIS L EBIGOT
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TABLE DES MATIÈRES
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REMERCIEMENTS
XXI
PRÉSENTATION DES AUTEURS
XXIII
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
INTRODUCTION
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P REMIÈRE
PARTIE
D U TRAUMATISME PSYCHIQUE À L’ ÉTAT DE STRESS POST- TRAUMATIQUE 1. Données historiques sur le traumatisme et définitions Les notions de traumatisme et de victime Classifications 2. Données de la littérature actuelle
7 7 11 19
Facteurs de risque et de protection Facteurs antérieurs, 21 • Facteurs de protection, 22
19
Données récentes sur les études prospectives
24
XVI
TABLE DES MATIÈRES
3. Éclairages psychanalytiques
27
La rencontre traumatique Violence de l’événement traumatique, 28 • Résonance interne et subjectivité, 31 • Effets de choc et de surprise : les ruptures traumatiques, 33 • Effondrement du narcissisme, 35 • Rencontre avec le néant et irruption du réel, 38 • Honte et culpabilité, 41
28
Bouleversements psychiques liés au trauma Désorganisation initiale, 43 • Désorganisation secondaire et ses réorganisations, 46 • Aspects positifs et négatifs du traumatisme, 50
43
4. Éclairages cognitivistes
53
Mémoire autobiographique Self et working self, 54 • Base de connaissances autobiographiques, 55
54
Construction des souvenirs autobiographiques Récupération indirecte, 59 • Récupération directe, 60 • Accès à la conscience des souvenirs, 60
58
Théorie de la représentation duale Principes de base de la théorie, 61 • La confrontation traumatique, source de rupture, 63 • Évolution post-traumatique et traitement émotionnel du traumatisme psychique, 64
61
Modèle cognitif de l’état de stress post-traumatique Principes de base du modèle, 68 • Évaluations de l’événement traumatogène et de ses conséquences, 69 • Caractéristiques pathogènes des souvenirs traumatiques, 71 • Relations entre les caractéristiques des souvenirs traumatiques et les évaluations de l’événement traumatogène et de ses conséquences, 74 • Stratégies d’adaptation comportementales et cognitives dysfonctionnelles, 75 • Facteurs d’arrière-plan, 76
68
Modèle CaR-FA-X (CApture and rumination, Functional Avoidance and eXecutive control) Principes de base du modèle, 77 • Évitement fonctionnel, 78 • Phénomène de capture du processus de récupération par des structures conceptuelles abstraites liées au self, 79 • Réduction des ressources exécutives, 80 Conclusion
77
81
XVII
TABLE DES MATIÈRES
5. Bilan et évolution des concepts
83
Les débuts
83
Le concept de névrose traumatique
84
Données actuelles
85
D EUXIÈME
PARTIE
M ANIFESTATIONS
PÉRITRAUMATIQUES ET SOINS IMMÉDIATS
INTRODUCTION. POURQUOI UNE PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE ?
91
6. L’événement traumatogène comme événement générateur de crises
93
L’événement traumatogène comme événement générateur d’une crise collective L’événement traumatogène comme événement générateur d’une crise individuelle L’événement traumatogène véhicule une menace de mort et expose les individus à leur propre vulnérabilité et mortalité, 96 • L’événement traumatogène est imprévisible et incontrôlable et peut engendrer impuissance et résignation, 98 • L’événement traumatogène frappe à l’aveugle et bouleverse les individus dans leurs croyances les plus profondes, 102 • L’événement traumatogène est extrêmement stressant et déclenche chez les individus des phénomènes perturbateurs, 106
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7. Intervention à chaud ou immédiate
94 95
113
Gestion de la crise collective Difficultés rencontrées, 114 • Aide à la gestion de crise, 115
114
Soins immédiats Définitions des premiers secours psychologiques, 116 • Principes directeurs, 117 • Objectifs, 120 • Construire une stratégie de réponse, 121 • Étapes/modalités, 127 • Défusing, 129 • Principes cliniques des soins immédiats, 138
116
Quelques remarques finales
145
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XVIII
TABLE DES MATIÈRES
T ROISIÈME
PARTIE
M ANIFESTATIONS
POST- TRAUMATIQUES ET SOINS POST- IMMÉDIATS
8. Cadre historique, indications et tableaux cliniques du post-immédiat
149
Historique du débriefing
150
Le modèle de Mitchell et ses successeurs
151
Tableaux cliniques du post-immédiat
156
9. Soins post-immédiats destinés aux sauveteurs
159
Le débriefing de Mitchell (CISD) Présentation du cadre et de la méthode, 159 • Modalités de fonctionnement, 161 • Les sept phases du CISD, 162 • Importance de la dynamique de groupe et de l’écoute, 166
159
Exemple de débriefing auprès des intervenants Les faits, 168 • La demande et les réponses, 168 • Déroulement du débriefing, 170
167
10. Débriefing psychologique : extensions aux victimes et cas particuliers
179
Situations de catastrophes Accueil de populations réfugiées, 181 • Familles victimes de crashs d’avion, 184
179
Interventions en entreprise Les faits, 192 • La séance de débriefing, 193
189
11. Une évolution du débriefing : l’intervention psychothérapeutique post-immédiate (IPPI)
201
Présentation du cadre et de la méthode thérapeutique Modalités de fonctionnement, 203 • Intervenants, 204 • Participants, 204 • Règles de fonctionnement du groupe, 204 • Objectifs thérapeutiques, 205 • Déroulement du contenu de la séance, 205 • Contre-indications à l’IPPI de groupe, 209
203
Aspects dynamiques du groupe L’individu et son entité groupale, 209 • Exemple d’intervention groupale, 210
209
XIX
TABLE DES MATIÈRES
Intervention individuelle Cadre de l’IPPI individuelle, 218 • Exemple d’intervention : à la rencontre de Vincent, victime d’attentat, 218 12. Bilan et évolutions des pratiques du post-immédiat
218
223
Synthèse des pratiques : des convergences aux controverses
223
Le débriefing psychologique : ce qu’il n’est pas
227
Comment se former aux soins immédiats et post-immédiats ?
228
CONCLUSION. LE DÉBRIEFING PSYCHOLOGIQUE ET SON ÉVOLUTION
229
A NNEXES 1. Résumé : déroulement du CISD d’après Mitchell
235
2. Exemples de documents destinés aux victimes
239
BIBLIOGRAPHIE
247
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REMERCIEMENTS
Remerciements de la coordinatrice de l’ouvrage Je tiens à remercier chaleureusement Stéphane Rusinek, professeur de psychologie à l’université de Lille III, de m’avoir sollicitée pour la rédaction de cet ouvrage pratique sur le débriefing psychologique et de sa confiance par rapport au contenu. Mes remerciements vont également à Clara Duchet, docteur en psychologie, maître de conférences à l’université Paris V René Descartes et à Sylvie Molenda, docteur en psychologie, psychologue coordinatrice de la CUMP de Lille qui ont accepté d’être coauteurs et dont l’expérience et les conseils éclairés ont permis l’élaboration de ce qui suit. Tous mes remerciements également à Martine Feltrin, créatrice et directrice de la société Préventis (Paris 8e ) qui m’a autorisée à inscrire stricto sensu le document proposé lors d’interventions en entreprise et Patrick Légeron, directeur de Stimulus, pour me permettre également de montrer les phases du CISD selon Mitchell à l’époque où j’avais été formée au débriefing psychologique. Annick Ponseti Gaillochon Remerciements des auteurs Nous sommes particulièrement honorées et remercions très chaleureusement les Professeurs Louis Crocq et François Lebigot, les deux éminents spécialistes du Psychotraumatisme en France, qui ont accepté de préfacer ce livre. Enfin, nous remercions l’équipe de l’AFORCUMP – SFP pour son aide logistique et surtout, pour son précieux et indéfectible soutien amical. Annick Ponseti Gaillochon, Clara Duchet et Sylvie Molenda.
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PRÉSENTATION DES AUTEURS
de chacune d’entre nous nous semble judicieuse, attendu que ce livre émane de trois psychologues travaillant dans des domaines différents, mais intervenant dans le même champ thérapeutique et d’enseignement. Certains nous connaissent bien, d’autres moins et surtout les lecteurs qui aborderont peut-être cet ouvrage en première intention. Aussi, de même que lorsque nous débutons un groupe de défusing ou de débriefing, nous nous présentons (succinctement) aux participants, il nous a paru également judicieux de le faire un peu plus en détail pour cet ouvrage.
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A PRÉSENTATION
A NNICK P ONSETI G AILLOCHON Je suis psychologue clinicienne et psychosociologue, diplômée de l’université Paris X Nanterre, psychothérapeute en thérapie cognitive et comportementale depuis 1979, vice-présidente actuelle de l’Association française de thérapie comportementale et cognitive (AFTCC), et enseignante au sein de l’Association. Avant d’être psychologue, j’ai exercé en tant qu’infirmière. Bien que psychothérapeute dans le domaine comportemental, cognitif et émotionnel, j’ai reçu, dans le cadre de mes études de psychologie et sur le plan personnel, une formation psychodynamique. Je suis, comme mes collègues, membre du conseil d’administration de l’AFORCUMP-SFP (Association pour la formation des cellules d’urgence médicopsychologique, Société française de psychotraumatisme, membre de l’ESTSS) et par ailleurs membre de GEST (Groupe d’études sur les situations de traumatisme psychique).
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P RÉSENTATION DES AUTEURS
De par cette formation, je m’intéresse et prends en charge en psychothérapie, depuis déjà un certain nombre d’années, des patients souffrant de troubles anxieux et dépressifs, et tout particulièrement des personnes victimes, présentant un état de stress post-traumatique. J’exerce à temps plein en consultation de psychiatrie d’un hôpital de la région parisienne en tant que psychologue, psychothérapeute. J’interviens au sein des services hospitaliers dans le cadre d’agressions du personnel et de prise en charge de patients hospitalisés suite à des événements traumatiques ou en consultation externe. Mes différentes rencontres m’ont amenée à me former plus spécifiquement à la prise en charge des victimes en immédiat et post-immédiat, puis au suivi de l’état de stress post-traumatique dans le cadre de ma formation à l’AFTCC. Il est vrai qu’au tout début, dans les années quatre-vingt-dix, j’ai collaboré aux formations sur le débriefing psychologique selon Mitchell, plus usitée à cette époque, mais la pratique m’a incitée à reconsidérer ce type d’approche, qui ne convient pas à la prise en charge des victimes, en tout cas sous sa forme originelle. C’est à l’occasion de formations et stages effectués en France, aux États-Unis et en Afrique du Sud, dispensées par le Centre international des sciences criminelles et pénales (CISCP), que j’ai eu l’occasion d’assister aux cours, entre autres, des professeurs Crocq et Lebigot et d’aborder le débriefing psychologique élaboré par Mitchell sous un autre angle, ce qui explique notre souci, à Clara, Sylvie et moi-même d’aborder l’évolution de ce processus. Par ailleurs, j’avais et j’ai toujours l’opportunité d’intervenir dans le cadre des organismes de santé publique et entreprises, en débriefing psychologique et formations spécifiques sur le sujet. Lors de la création de la cellule d’urgence médicopsychologique du Val-de-Marne (CUMP 94), j’ai souhaité participer, auprès du Dr Didier Cremniter, aux astreintes, afin d’intervenir sur le terrain, en défusing ou dans les suites post-immédiates en débriefing. Je suis également membre de la CUMP 75. J’ai eu l’opportunité et l’honneur d’intervenir avec de nombreux collègues et coordonnateurs de CUMP que je ne pourrai pas tous citer ici, mais ils se reconnaîtront, et également avec le professeur et général Crocq, lors de certains événements. Même si depuis quelque temps, j’interviens moins sur le terrain, j’ai donc l’expérience des situations de catastrophes, telles que le rapatriement des réfugiés du Kosovo, du Liban, aux aéroports d’Orly et Roissy, le crash du Concorde à Roissy, le crash de la Flash Airlines à Charm el-Cheik, celui plus récent de l’Airbus A330 d’Air France,
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les incendies du XIII e arrondissement de Paris ou celles de braquages, accidents graves du travail, morts brutales en milieu scolaire, suicides en entreprise impliquant un fort retentissement psychologique. Par ailleurs, je suis chargée de cours à l’université de Paris V, Paris VII (module de psycho-odontologie) et Lille III, dans le cadre de DU portant sur le psychotraumatisme notamment. L’écriture représente ma plus grande difficulté et je remercie encore et suis honorée que Clara et Sylvie, qui ont plus l’habitude de cet exercice, aient accepté de m’accompagner tout au long de cet ouvrage et mes proches pour leur patience. C LARA D UCHET Psychologue clinicienne de formation, j’ai été diplômée en 1996 (université Paris V), au moment où les premières interventions d’urgence médicopsychologique de la nouvelle CUMP parisienne se développaient en France. J’ai eu la chance extraordinaire de participer très rapidement à ce projet, grâce à la rencontre fructueuse et inoubliable avec le professeur et général Crocq à l’hôpital Saint-Antoine dans le service du professeur Maurice Ferreri, service dans lequel j’ai été stagiaire auprès de Dominique Demesse. J’ai pu me former, sur le terrain, auprès de professionnels de haute qualité et d’expérience lors de premières missions, à l’étranger notamment, pour des ressortissants français (Sénégal, Congo, Taïwan, Guyanne, etc.) : les rencontres des Drs Alain Payen et Jean-Marc Ben Kemoun m’ont alors considérablement enrichie sur le plan de la clinique. L’insertion dans l’équipe de la CUMP m’a aussi permis de rencontrer le Dr Patrice Louville qui la dirigeait à l’époque : j’ai beaucoup appris de ce dernier également, sur l’encadrement, l’organisation des secours et sur les différents modèles d’intervention. Très vite, j’ai senti que cette pratique ne pouvait se passer pour moi d’un travail de réflexion approfondi tant elle était éloignée des repères enseignés à l’université. Forte de mon expérience de recherche sur les événements de vie et la dépression, en maîtrise de psychologie avec Solange Carton (devenue professeur à Montpellier depuis), j’ai alors choisi de continuer mon parcours dans l’écriture d’un DEA (équivalent du Master recherche aujourd’hui) puis d’une thèse de doctorat sous la direction très formatrice du professeur Serban Ionescu, obtenue en 2001, qui m’a permis de travailler en collaboration fructueuse avec le Dr Louis Jehel sur les victimes d’attentat. Cette thèse m’a aussi permis de travailler un temps avec Boris Cyrulnik sur la résilience. Parallèlement, j’ai bien entendu bénéficié de tous les cours, certificats et miniformations (sous l’égide des professeurs Crocq et Lebigot) qui existaient alors dans
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le domaine de ce que nous appelons aujourd’hui la psychotraumatologie et je les en remercie vivement. Sans eux, notre discipline ne serait pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui ! Ce parcours auprès des personnes « victimes » d’événements traumatiques, riche en émotions, rencontres et expériences, m’a conduite à travailler un temps dans un SDISS avec les sapeurs-pompiers des Yvelines (en binôme avec le Dr Jean-Marc Ben Kemoun) et d’approcher la complexité de la prise en charge des sauveteurs. Il m’a permis de faire partie de l’AFORCUMP dès ses débuts en 1997 : association qui reste le « berceau » de la majorité des formations et recherches que j’ai menées jusqu’à présent et qui m’a amenée à d’autres rencontres professionnelles et amicales de grande qualité (Thierry Bigot, François Ducrocq, Guillaume Vaiva, Nathalie Priéto, Christian Navarre, Michel Grappe, Jean-Luc Jeannin, Dominique Meslier, Annick et Sylvie, mes coauteures, et tant d’autres avec qui j’ai toujours l’immense plaisir de collaborer). Dans le domaine du privé, j’ai beaucoup appris aussi sur le terrain des entreprises (de mes premières missions, notamment avec l’ADEPPS avec Michèle Vitry, Dominique Demesse, France Thomson jusqu’à d’autres expériences, menées par exemple pour Présence psychologique avec Fanny Bigot, Stéphanie Michaut et Philippe Neuville). Après avoir « bourlingué » de-ci de-là, en France et à l’étranger, j’ai choisi de me poser un peu... dans le domaine de la psychanalyse tout d’abord et dans le champ de l’enseignement et de la recherche. J’exerce, depuis 2002, la fonction de maître de conférences à l’université Paris Descartes, à l’Institut de psychologie et dans le LPCP (Laboratoire de psychologie clinique et psychopathologie dirigé par le Pr. François Marty) : j’ai la chance d’y enseigner des cours nouvellement entrés dans l’université, en lien avec mes expériences au niveau des traumatismes psychiques et je remercie au passage les professeurs Catherine Chabert, Michèle Emmanuelli et François Marty qui m’ont accordé toute leur confiance en me laissant une « marge de création » au niveau de notre master de psychologie. J’enseigne également en DU de psychotraumatologie et de victimologie, et de temps à autre, je participe à des enseignements dans d’autres universités (Paris VIII, Dijon, Lyon, La Réunion, etc.). Je continue de former des équipes de CUMP... Parallèlement, j’ai la chance de poursuivre mon activité clinique et de recherche psychanalytique au niveau du CHU de Tenon (Paris, 20e ) dans une consultation réservée aux adultes victimes d’événements traumatiques sous la direction du Dr Louis Jehel : je remercie aussi tous les patients sans qui rien de ce qui va suivre ne pourrait exister.
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De ces belles expériences, j’en tire matière à écrire et à transmettre : cette aventure d’un livre à trois en est un nouveau versant et je remercie très chaleureusement Annick Ponseti-Gaillochon de m’avoir donné la chance d’en faire partie... ainsi que mes proches qui supportent les aléas de mon métier... S YLVIE M OLENDA Psychologue de formation, peut-être ai-je le parcours le plus atypique de nous trois. Très tôt dans mon cursus universitaire, j’ai été attirée par les sciences cognitives. Après avoir suivi quelques options dans le domaine, j’ai préparé un DESS (master 2 professionnel actuel) de psychologie cognitive avec pour dominante un module intitulé « Informatique, initiation à l’intelligence artificielle et ergonomie cognitive ». Je me suis formée à la psychologie cognitive ergonomique et j’ai acquis des connaissances dans les champs des processus de prise de décision et de l’expertise. J’ai également développé des compétences dans l’analyse et la modélisation de ces phénomènes tant au niveau individuel que collectif. À l’époque, j’ai réalisé mon stage professionnalisant au Centre d’étude et de recherche en informatique médicale au CHRU de Lille et je me suis spécialisée dans le Computer-Supported Cooperative Work. Quelques années plus tard, en 1998, alors que je menais une étude au SAMU 62 (Pas-de-Calais), j’ai eu connaissance d’un poste à pourvoir au SAMU 59 (Nord). Les missions qui y étaient associées étaient très diversifiées et surtout, elles m’apparaissaient exaltantes à remplir. Aussi ai-je postulé et, je dois bien l’avouer, à ma grande surprise compte tenu de mon parcours, j’ai été recrutée. Ainsi, au début de l’année 1999, j’ai pris mes fonctions, aux côtés du Dr François Ducrocq, en tant que personnel permanent à la CUMP interrégionale de la Région Nord-Ouest. Ce nouveau poste signifiait pour moi non seulement un certain revirement professionnel, mais également la découverte des fonctions de psychologue clinicienne et de l’exercice de la psychothérapie. Rapidement après mon embauche, j’ai suivi à Paris un DU consacré au stress où j’ai eu la chance, l’honneur et la joie de côtoyer le professeur et général Crocq pendant une année universitaire. Dans le même temps, j’ai suivi la formation proposée par l’AFTCC. Sur le plan associatif, comme Annick Ponseti et Clara Duchet, j’ai intégré l’AFORCUMP-SFP. Cette démarche a été pour moi l’occasion de rencontres enrichissantes de collègues comme Thierry Bigot, Michel Grappe, Jean-Luc Jeannin, Louis Jehel, Patrice Louville, Dominique Meslier, Nathalie Prieto et bien d’autres encore. En 2003, le mi-temps que j’occupais à la cellule a été étendu à un temps plein, ce qui m’a permis d’intégrer la consultation du psychotraumatisme mise
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en place au CHRU de Lille sous l’impulsion du Dr Guillaume Vaiva (devenu aujourd’hui Professeur). Cette année, cela fait dix ans que j’exerce au SAMU 59. Entre-temps, je me suis investie comme enseignante dans de nombreuses formations, tant universitaires (master 2 professionnel, DU) que paramédicales (IFSI, CESU, entre autres). Je me suis aussi beaucoup impliquée dans la recherche. J’ai ainsi préparé un doctorat de psychologie sous la direction du Pr Marc Hautekeete au sein du laboratoire PSITEC, à l’université de Lille 3. De par mon orientation cognitiviste, le travail que j’ai mené a porté sur l’implication de dysfonctionnements mnésiques dans le processus étiopathogénique de l’état de stress post-traumatique. Mon investissement clinique est plus prégnant que jamais. Toutefois, je n’ai pas oublié mes compétences premières. Je continue à m’intéresser aux processus de prise de décision mais aujourd’hui, mon attention se porte plus spécifiquement sur ceux en œuvre dans la gestion de crise. Dans ce cadre, je suis tout récemment devenue chercheur associé à l’équipe PERCOTEC au Laboratoire d’automatique et de mécanique industrielles et humaines (LAMIH-UMR 8530) et ai intégré un groupement de recherche « Psycho-Ergo » piloté par Jean-Michel Hoc (directeur de recherche au CNRS, IRCCyN) consacré à cette problématique.
INTRODUCTION
particulièrement pertinents, traitent du psychotraumatisme et en particulier, des aspects immédiats et post-immédiats de la prise en charge des personnes qui en sont victimes. La mission que nous nous sommes fixée est de compléter ces approches en réservant un ouvrage entier à ces problématiques dont notamment le débriefing psychologique, en tant qu’intervention post-immédiate et son évolution dans la pratique clinique actuelle. En effet, les théories ont évolué ces trente dernières années, et les principes de soins comme les techniques d’intervention dévolus à cette clinique spécifique n’ont cessé dès lors de se préciser et de s’enrichir au fur et à mesure de nos expériences et de nos confrontations scientifiques. Aussi notre volonté est-elle de s’adresser en première intention aux cliniciens de la prise en charge du psychotraumatisme, soit pour qu’ils puissent relier leur propre pratique à ce qui est proposé dans cet ouvrage, soit pour servir d’appui à des interrogations éventuelles lors du déroulement des séances de défusing et de débriefing lorsqu’ils sont amenés à les animer, qu’ils travaillent dans le cadre des cellules d’urgence médicopsychologique (CUMP) ou lors d’interventions au sein d’entreprises publiques ou privées qui les sollicitent. Ce manuel s’adresse aussi à tous les étudiants, professionnels de santé et de secours en formation, afin de les éclairer et d’enrichir leur point de vue sur la prise en charge des victimes, qui reste encore très peu enseignée dans les cursus classiques d’études. Toutefois, il ne peut s’agir en aucune manière d’un manuel de recettes dont le lecteur, non averti ou non formé par ailleurs à la prise en charge immédiate et post-immédiate des victimes et des sauveteurs, pourrait appliquer facilement des « techniques » : une formation complémentaire à la conduite des groupes et une bonne connaissance de la clinique auprès des patients restent nécessaires.
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E NOMBREUX OUVRAGES ,
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En tant que psychologues, formées au psychotraumatisme, nos pratiques passées et actuelles nous amènent à intervenir, soit sur le terrain, lors des missions des cellules d’urgence médicopsychologique (CUMP), soit au sein même des services hospitaliers où nous travaillons, soit en tant qu’expertes, consultantes en entreprise, soit en tant qu’enseignantes dans diverses associations thérapeutiques et parcours universitaires. Cet ouvrage nous permet de partager avec le lecteur notre vision de la prise en charge des intervenants et des victimes lors des événements potentiellement traumatiques à travers le concept de débriefing psychologique. Le choix d’un livre élaboré par trois psychologues ne signifie en aucun cas que nous excluons les autres catégories professionnelles, notamment les psychiatres et les infirmiers, très impliqués dans le domaine du psychotraumatisme ou eux-mêmes auteurs d’ouvrages sur le sujet, mais nous avons privilégié des lieux d’exercices et des orientations psychologiques qui sont les nôtres (cognitivo-comportementale et psychanalytique) avec un souhait d’articulation entre nos sous-disciplines. Afin d’être garantes de la rencontre féconde de nos regards respectifs, nous avons choisi de coécrire les trois parties et non de nous les répartir un à un par auteur : avec l’avantage de mêler nos écritures et la difficulté de faire cohabiter des styles différents. Nous espérons que le lecteur s’enrichira à son tour de ce procédé. Comme l’énonce Lebigot (2005 b) « l’intérêt pour le traumatisme psychique s’est répandu dans le monde comme une traînée de poudre » et le concept de débriefing psychologique se trouve intimement lié au psychotraumatisme. Crocq (2007) souligne également que notre monde est de plus en plus exposé à la violence, celle-ci pouvant induire à côté des blessures physiques, des « blessures psychiques » et les personnes ayant subi cette violence en sont les « victimes ». Les notions de victime et de trauma ne sont pas nouvelles en ce sens que depuis toujours, l’homme a été confronté à des situations pouvant provoquer un effroi intense au point de perdre ses moyens d’action : dès l’Antiquité, de tels écrits en témoignent. D’un point de vue historique, la reconnaissance de la souffrance liée à un événement potentiellement pathogène est en revanche plus récente et l’intégration de l’évaluation des symptômes post-traumatiques dans les nosographies et études épidémiologiques l’est encore plus. Les études internationales menées depuis plus de quinze ans montrent que la prévalence estimée de l’état de stress post-traumatique (ÉtatsUnis) est en augmentation. Peu élevée en population générale, elle apparaît nettement plus importante pour des populations spécifiques
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(populations de combattants de guerre, de réfugiés, de professions à risque – policiers, pompiers, sauveteurs, personnels des SAMU). De manière concomitante, les recommandations en termes de soutien psychologique, d’aide psychosociale ou d’interventions psychiatriques ou médicopsychologiques se sont multipliées au fur et à mesure des guerres, catastrophes, accidents, etc. Les psychiatres militaires et les travaux anglo-saxons en sont les pionniers. Le premier modèle ayant connu un succès international est d’ailleurs celui de Mitchell et Everly (dans les années quatre-vingt) : ces auteurs ont proposé le « Critical Incident Stress Debriefing » (CISD) aux sauveteurs après leurs interventions difficiles. Peu à peu, et malgré les avertissements des auteurs, ce dispositif s’est étendu à d’autres populations et a été appliqué dans des contextes tout autres, amenant une confusion généralisée, tant au niveau des pratiques que des recherches sur le sujet. Peu d’ouvrages francophones se sont penchés sur la question de manière approfondie et c’est ce que nous proposons de réaliser dans celui-ci, en reprenant notamment la description minutieuse de chacun des modèles proposés en tenant comte de leur évolution et des critiques formulées par la communauté scientifique. Ainsi, nous reprendrons dans une première partie les concepts de base de la psychotraumatologie, nécessaires à la compréhension des stratégies de soins proposées dans une perspective de prévention secondaire et présentés ensuite. La deuxième partie sera centrée sur le defusing, ou soins immédiats, proposés aux personnes qui viennent de vivre un événement potentiellement pathogène : les travaux anglo-saxons à ce sujet sont encore peu travaillés en langue française, ils seront donc largement développés ici. Puis nous traiterons, en troisième intention, du débriefing psychologique à proprement parlé, en montrant les évolutions permises par les expériences cliniques et qui se sont concrétisées dans le modèle de l’Intervention Psychothérapeutique Post-Immédiate (IPPI). Ces soins précoces, particulièrement connus du grand public en raison de leur médiatisation, illustrent parfaitement l’action des cellules d’urgence médico-psychologique dont la particularité est d’intervenir dans les heures ou la journée qui suivent l’événement. Nos missions et expériences, dans ce domaine en particulier, nous permettront d’illustrer par des exemples et des vignettes cliniques les théories et modèles d’interventions exposés dans cet ouvrage. Nous travaillerons également quelques cas particuliers (les interventions en entreprise, les missions à l’étranger, l’accueil de rescapés dans les aéroports, etc.) afin de bien montrer l’éventail des applications possibles. Bien entendu, nous distinguerons les types d’interventions en fonction des populations
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visées (sauveteurs, soignants, blessés psychiques, impliqués, etc.) en différenciant les niveaux d’impact des événements traumatogènes sur ces dernières. Enfin, l’originalité de cet ouvrage se situe aussi dans le choix de faire cohabiter deux épistémologies différentes : les théories cognitivocomportementalistes d’une part et la psychanalyse de l’autre. Le lecteur pourra ainsi repérer les manières dont sont travaillés les notions et concepts de la psychotraumatologie dans ces registres et se familiariser avec le vocabulaire spécifique de ces deux approches. De nombreuses questions resteront probablement sans réponse, mais potentiellement ouvertes à la réflexion de tous ceux qui évoluent dans le champ des soins aux victimes et du soutien psychologique des professionnels dans ce domaine.
AVERTISSEMENT AU LECTEUR CONCERNANT LES CAS CLINIQUES Un manuel tel que celui-ci ne peut se passer d’exemples pour décrire notre pratique et faire saisir pleinement au lecteur les subtilités de l’articulation théorique et clinique. Fortes de nos expériences de terrain, nous avons choisi de décrire un certain nombre de vignettes ou de situations cliniques reconstruites sur la base d’une mise en commun de nos interventions. Bien entendu, les exemples cités sont tirés d’événements réels, cependant les lieux, les protagonistes et les prénoms des personnes ont toujours été modifiés pour répondre aux principes éthiques de confidentialité, dans le respect du secret professionnel et de la charte des psychologues.
PARTIE 1 DU TRAUMATISME PSYCHIQUE À L’ÉTAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE
A. Ponseti-Gaillochon, C. Duchet, S. Molenda
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Chapitre 1
DONNÉES HISTORIQUES SUR LE TRAUMATISME ET DÉFINITIONS
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L ES
NOTIONS DE TRAUMATISME ET DE VICTIME
Sans vouloir présenter toute la bibliographie sur le sujet, il semble important de souligner que les XXe et XXIe siècles n’ont pas l’apanage de la notion de traumatisme ni celui de relier l’évolution du concept à l’apparition d’une prise en charge immédiate et post-immédiate telle que l’élaboration du défusing et du débriefing le suggère. Nous abordons donc dans ce livre la prise en charge des victimes et des sauveteurs et il nous apparaît d’emblée opportun de spécifier quelques éléments sur les notions de victime et de trauma. Dans le Littré, le terme de « victime » vient du latin « victima », terme qui émerge soit de « vincire » (car on liait les victimes) ou encore de « vincere », car la victime était sacrifiée sur l’autel de la victoire. Audet et Katz (1999) rapportent la notion de créature vivante offerte aux dieux, mais également celle de victime expiatoire (immolée en
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sacrifice aux dieux), la notion théologique de victime offerte pour le salut des hommes, tel Jésus-Christ et des extensions aux idées de celle qui est sacrifiée aux intérêts du plus grand nombre, celle qui est souffredouleur, etc. La définition internationale de l’ONU (Organisme des Nations Unies) propose que : « Sont victimes des personnes qui individuellement ou collectivement ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte de leurs droits fondamentaux. »
On voit bien ici l’importance des mots énoncés : personne (physique ou morale), qui subit (idée de souffrir, d’éprouver), un préjudice ou un dommage, auquel il convient d’ajouter la notion de reconnaissance (par autrui, à défaut de soi-même, car la victime peut ne pas en être consciente). De son côté, la confrontation traumatique est responsable d’une fragmentation des pensées et de la mémoire, de la perception du temps et entraîne une modification intense des sensations du sujet. Crocq explique que toute situation traumatogène confronte la victime à la perte « de son mythe personnel d’invulnérabilité ». Hérodote, dans le livre IV de son Histoire, évoque le cas d’Epizélos, lors de la bataille de Marathon, en 450 avant J.-C., où ce valeureux guerrier avait présenté un cas de conversion hystérique traumatique sous la forme d’une cécité face à la frayeur ressentie lorsque son camarade fut tué à ses côtés. Lucrèce, en 40 avant J.-C., dans De natura rerum, parle des rêves de bataille des guerriers. Pendant les guerres de religion également, notamment lors du massacre de la Saint-Barthélemy, le roi Charles IX souffre de cauchemars nocturnes et de visions diurnes de cadavres. Shakespeare évoque ce même type de symptômes dans trois de ses tragédies: Roméo et Juliette (1595), Henry IV (1598) et Macbeth (1605). Pascal, en 1654, présente des cauchemars répétitifs suite à un accident de carrosse au pont de Neuilly. Pinel, quant à lui, expose en 1809 des cas cliniques de névroses de la circulation ou de la respiration, chez les soldats de la révolution de l’Empire.
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En 1859, Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge, assistant à la bataille de Solférino, décrit l’état psychique (stupeur, agitation, tremblements) des agonisants et des blessés. Lors de la guerre de Sécession américaine (1861-1865), Da Costa décrit « le cœur du soldat » ce qui ressemble fortement à nos attaques de panique actuelles, avec une exacerbation des symptômes cardiovasculaires. Quant à Mitchell (pas celui du débriefing), mais Silas Weir, il dénombre 3 500 cas de « nostalgie » chez les nordistes et décrit également des cas d’hystérie masculine. Charcot, dans ses leçons 18 à 22 des Leçons sur les maladies du système nerveux (1885-1887) portant sur sept cas d’hystérie masculine, déclare que ces symptômes sont dus à « un choc » traumatique provoquant une dissociation de la conscience et dont le souvenir reste inconscient. Ce faisant, il établit là les premiers jalons de l’état dissociatif péritraumatique, mais également des névroses telles que Janet, Breuer et Freud les rapportent. En 1888, Oppenheim décrit sous le terme de « névrose traumatique », une symptomatologie clinique présentée par les victimes d’accidents de chemin de fer et constituée par le souvenir obsédant de l’accident, des troubles du sommeil avec agitation, des cauchemars de reviviscence, une phobie conséquente du chemin de fer, ainsi qu’une labilité émotionnelle. Il impute l’étiologie de cette « névrose traumatique » à l’effroi « shreck » ressenti par les sujets qui provoque un ébranlement psychique tellement intense qu’il laisse une altération psychologique durable (Seelishe Erschütterung). Janet, en 1889, explique qu’après un choc émotionnel, les sensations perçues, les images, les sursauts, etc., sont stockés dans le subconscient, et s’y comportent comme un corps étranger provoquant des reviviscences (sensations, images, pensées, gestes) non élaborées et automatiques, (d’où le titre de sa thèse : Automatisme Psychologique) différenciées de la pensée consciente qui elle, continue de fonctionner normalement Il parle de dissociation de la conscience, et de la présence d’idées fixes qui ne sont pas assimilées et difficiles à travailler par le langage. Breuer, puis Freud, s’intéressent également aux conséquences d’un choc émotionnel. Selon ces auteurs, faute d’avoir pu fuir, se défendre ou verbaliser son vécu émotionnel, la victime présente un syndrome de réminiscence, induisant des symptômes de conversion, des abréactions inefficaces et répétées. Le travail d’association peut permettre la libération des affects, soulager ainsi le sujet par la catharsis ou purification de l’âme ou soulagement éclairé.
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Jean Crocq, en 1896, reprend le terme de « névrose traumatique » au sujet des symptômes psychiques post-accidentels et distingue « les névroses traumatiques graves » avec commotion et lésions organiques éventuelles, des « névroses traumatiques pures », fonctionnelles dues à la frayeur. La Première Guerre mondiale permet l’élaboration d’hypothèses : la « confusion mentale de guerre » de Capgras (1914-1915), le shell-schock de Meyers en 1915. Mair et Piéron, quant à eux, proposent en 1915 l’hypothèse post-commotionnelle ; tandis que Ferenczi en 1918 propose les notions de régression libidinale et d’effroi. Quant à Freud, en 1920, il évoque « la vésicule vivante » et différencie l’effroi de la peur. Il reprend la question de la névrose traumatique, des névroses de guerre et de la compulsion de répétition. Des options thérapeutiques se dessinent et notamment l’application de la psychanalyse avec Simmel et Abraham, la psychiatrie de l’avant en 1917-1918 avec Salmon qui définit cinq principes : immediacy, proximity, expectancy, simplicity, centrality. Lors de la Seconde Guerre mondiale, on note de nouveaux tableaux cliniques, tels que la réaction de combat aiguë qui ressemble fortement à la réaction de stress aigu du DSM (Manuel diagnostique des troubles mentaux), l’exhaustion (épuisement, bataille des Ardennes), les troubles psychosomatiques. De nouvelles hypothèses pathogéniques se profilent : l’intensité et la durée du combat, le point de rupture de chaque individu, le conflit intrapsychique sous-jacent, voire les conflits de groupe. Pour sa part, Glass souligne le poids des prédispositions et vilnérabilités psychiques. Sur le plan thérapeutique, pendant la Seconde Guerre mondiale, Sargant et Slater, mais également Grinker et Kaufman utilisent l’abréaction sous narco-analyse. Bion et Kaufman mettent en place des thérapies de groupe. Marshall (1945) enfin formalise une intervention précoce centrée sur la narration de l’événement dans l’ordre chronolique qu’il nomme « historical group debriefing ». La guerre du Vietnam (1964-1973) est à l’origine du remaniement de la nosographie du psychotraumatisme et relance l’intérêt pour les victimes, leur souffrance, les soins à leur dispenser. Cependant, à cette époque, la psychiatrie de l’avant tente d’écrêter les symptômes des réactions de combat mais n’aborde pas la question du trauma ni le problème des séquelles différées. Shatan, en 1973, décrit les « Post-Vietnam syndromes » qui se manifestent par des reviviscences diurnes et nocturnes, un état d’alerte permanent, un enfermement sur soi avec incapacité de communiquer
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(membrane isolante) et une « transfiguration de la personnalité » avec perte de l’élan vital, irritabilité, conduites agressives, retrait social, inadaptation.
C LASSIFICATIONS
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Nous observons donc le cheminement de la notion de traumatisme psychique qui va évoluer depuis la notion de névrose vers sa classification sous forme de PTSD dans le DSM et de psychotraumatisme, vocable plus français. Les Américains n’ont donc rien inventé, mais en revanche, les conséquences de cette évolution de la notion de traumatisme psychique ont modifié sa prise en charge et fait émerger pour les civils l’idée de prévenir le trouble et d’instaurer des soins précoces tels que le débriefing. Le DSM ou Diagnosis and Statistical Manual of mental disorders se fonde sur la reconnaissance de groupements de symptômes cliniques en laissant de côté l’hypothèse pathogénique. En 1952, le DSM-I inclut la « gross stress reaction » ou réaction de stress aiguë. En 1968, le DSM-II le retire de son catalogue nosographique. En 1980, devant le nombre et l’importance des Post-Vietnam syndromes (près de 700 000 hommes sur 3 millions), les auteurs réintroduisent la notion de stress dans la nosographie du DSM. Ainsi, dans le DSM-III, le PTSD apparaît avec les critères suivants : – – – –
A. Un événement provoquant de la détresse chez tout un chacun. B. Au moins 1 sur 3 symptômes de reviviscence. C. Au moins 1 sur 3 symptômes d’émoussement-détachement. D. Au moins 2 sur 6 symptômes d’hyperréactivité aiguë si début et durée inférieure à six mois, chronique au-delà.
En 1987, le DSM-III-R décrit plus de symptômes dans les critères B (1 sur 4), C (3 sur 7 symptômes d’évitement-émoussement), D (2 sur 6 symptômes d’hyperactivité neurovégétative), et un critère E se rajoute (dure au moins un mois, différé si débit après six mois). En 1994, le DSM-IV remanie encore les critères du PTSD : – A1. Un événement violent et menaçant.
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A2. Vécu dans la peur, l’impuissance ou l’horreur. B. Au moins 1 sur 5 symptômes de reviviscence. C. Au moins 3 sur 7 symptômes d’évitement-émoussement. D. Au moins 2 sur 5 symptômes d’activation neurovégétative. E. Une souffrance significative ou altération du fonctionnement social.
La dernière version du DSM-IV-TR parue en 2000 offre pour le PTSD les critères diagnostiques suivants : A. Exposition à un événement potentiellement traumatique : – A1. Le sujet a vécu ou a été témoin d’un événement marqué par une menace réelle ou évaluée, mettant en danger sa vie ou son intégrité physique. – A2. Il a ressenti une peur intense, l’horreur ou le désarroi et/ou un sentiment d’impuissance (les deux présents) (Brewin, Andrews, Rose, 1999). B. Le syndrome de reviviscence (un des cinq symptômes suivants) : – B1. Souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement (dont images, pensées, perceptions), induisant un sentiment de détresse : « Je sens cette odeur de brûlé en permanence, je revois le moment où ils m’ont tapé afin de me faire avouer que je complotais contre le Gouvernement, je ressens encore la douleur sur mon crâne. » – B2. Rêves pénibles répétitifs de l’événement provoquant un sentiment de détresse : « Je me réveille en sursaut parce qu’ils sont venus me réveiller brutalement pour l’interrogatoire, je revois en permanence le moment où il a mis son revolver sur ma tempe. » – B3. Impression soudaine, « comme si » l’événement allait se reproduire : « Lorsque je suis dans la rue, j’ai l’impression que l’agresseur va surgir derrière moi à nouveau et m’arracher mon sac. » (Flashback). – B4. Sentiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices internes ou externes pouvant faire évoquer un aspect de l’événement en cause ou lui ressembler : « Dans la rue, j’ai croisé le regard d’un homme, de la même couleur que celui de mon agresseur, je me suis sentie très mal, j’ai dû changer de trottoir, j’ai senti le même aftershave, j’ai cru que c’était lui. » – B5. Réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices internes ou externes pouvant évoquer un aspect de l’événement traumatique ou lui ressembler : « Depuis, je transpire énormément quand je rentre
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dans la banque pour amener mes papiers, ça me panique, je sens que je vais étouffer. » C. Évitement persistant des stimuli associés au traumatisme et émoussement de la réactivité générale (trois des sept symptômes suivants):
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– C1. Efforts pour éviter les pensées, sentiments ou conversations en rapport avec le traumatisme : « Dès qu’on m’en parle, je préfère changer de sujet. » – C2. Efforts pour éviter les activités, les endroits ou les personnes qui éveillent des souvenirs du traumatisme : « Je ne vais plus dans ce parking me garer, je me gare beaucoup plus loin pour prendre mon train, j’ai peur qu’il soit encore là. » – C3. Incapacité de se rappeler un aspect important du traumatisme : « Bizarre, je ne me rappelle pas que ma collègue était là, tout près. » – C4. Réduction de l’intérêt pour des activités importantes ou réduction de participation : « Je n’ai plus qu’une envie, c’est de rester tranquille dans mon coin, j’ai du mal à sortir, alors que j’aimais aller au cinéma. » – C5. Sentiment de détachement d’autrui, sentiment d’étrangeté/aux autres : « Je me sens en décalage par rapport à mes amis, je n’arrive plus à m’intéresser aux sorties comme on le faisait ensemble. » – C6. Restriction des affects : « Je me sens comme si je n’éprouvais plus rien, je ne ressens plus de sentiments pour mon conjoint, je suis comme anesthésiée. » – C7. Sentiment d’avenir bouché : « Je ne pourrai plus vivre normalement, maintenant. » D. Symptômes d’activation neurovégétative (deux des cinq symptômes suivants) : – D1. Difficultés d’endormissement ou sommeil interrompu : « Je me réveille vers 2 heures du matin et je n’arrive plus à me rendormir », « J’attends le matin, je n’arrive plus à dormir dans le noir. » – D2. Irritabilité et/ou accès de colère : « Je m’énerve pour un rien, je crie après mes enfants, je n’arrive pas à contrôler cela. » – D3. Difficultés de concentration : « Je n’arrive plus à faire mon travail correctement, j’oublie plein de choses, je n’arrive même plus à lire, je suis obligée de recommencer plusieurs fois le même chapitre. » – D4. Hypervigilance : « Je suis toujours sur mes gardes, en alerte, je regarde partout. »
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– D5. Réaction de sursaut exagérée : « Je sursaute au moindre bruit. » E. Durée des symptômes B, C, D de plus d’un mois. F. Détresse importante : souffrance significative cliniquement, ou altération du fonctionnement social, professionnel ou autres (sinon possibilité de simulation ou bénéfices secondaires). Ce tableau explique combien un sujet exposé à un événement potentiellement traumatique peut souffrir et la nécessité, dans la mesure du possible, de mettre en place des stratégies de soins avant que ne s’installe comme on peut le lire ci-dessous, le trouble psychotraumatique avéré. Quelle est donc l’évolution du stress post-traumatique ? Dans le système DSM (nota : le DSM ne propose aucun diagnostic pour la réaction immédiate du premier jour), on classe comme suit : – – – –
l’état de stress aigu : plus de deux jours et moins de quatre semaines ; l’état de stress post-traumatique aigu : moins de trois mois ; l’état de stress post-traumatique chronique : plus de trois mois ; l’état de stress post-traumatique à début différé : après six mois, voire plusieurs années.
Revenons quelques instants sur le critère B de l’état de stress aigu : durant ou après l’événement, le sujet a présenté au moins trois des symptômes dissociatifs suivants : – un sentiment subjectif de torpeur, de détachement ou une absence de réactivité émotionnelle ; – une réduction de la conscience de son environnement (brouillard) ; – une impression de déréalisation ; – une impression de dépersonnalisation ; – une amnésie dissociative (incapacité à se souvenir d’un aspect important du traumatisme) ; Nous retrouvons également les critères C, D, E et F. Ces éléments seront repris avec des vignettes cliniques dans le chapitre sur les soins immédiats. Bien que deux parmi nous aient une orientation cognitive et comportementale et donc une formation plutôt basée sur les concepts anglo-saxons, notre pratique ne peut nous empêcher d’observer combien ces critères du DSM sont restrictifs, en termes de temporalité, car cela ne permet pas de tenir compte du « temps du sujet » pour digérer l’expérience.
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En effet, d’un point de vue individuel, nous ne pouvons pas catégoriser de manière aussi rigide. Mais néanmoins, cette classification permet de donner un cadre à l’évolution du trouble psychotraumatique. L’intérêt du diagnostic de PTSD réside dans la proposition d’une entité à part et d’une préoccupation d’autant plus importante qu’après la guerre du Vietnam, d’autres conflits – guerre du Kippour en 1973, la guerre Irak-Iran (1980-1988), les conflits en Afrique, les guerres en Afghanistan et en Tchétchénie, puis la guerre du Golfe en 1991, le génocide rwandais en 1994, la guerre en Irak actuelle et bien d’autres encore – ont été pourvoyeurs de nombreux troubles psychotraumatiques aigus ou chroniques chez les combattants, mais aussi chez les civils. Cela a donc permis que de nombreuses victimes de catastrophes, d’accidents, d’agressions ou de guerre puissent s’autoriser à consulter et à exprimer leur souffrance. Des recherches ont pu être élaborées, tant sur le plan clinique (chez l’enfant par exemple, les pathologies associées ou comorbides), que sur ceux pathogénique (facteurs de risque et facteurs de résilience), biologique (étude des perturbations neurophysiologiques du stress et du trauma), ou encore thérapeutique (tant du point de vue émotionnel, cognitif et comportemental que de celui de l’approche psychanalytique, mais également pharmacologique). Crocq parle également de la dixième révision de la Classification internationale des maladies mentales, qui s’aligne en partie sur les critères du DSM : on parle d’ESPT plutôt que de PTSD, mais ce terme remplace également la notion psychanalytique de névrose traumatique. Nous y retrouvons la réaction aiguë à un facteur de stress (supérieur à 1 jour) : la modification durable de la personnalité ou névrose traumatique, l’état d’alerte, le sentiment de méfiance, la sensation de détachement, le retrait social, le sentiment de vide, et de désespoir. Reste à aborder la vision francophone du trouble psychotraumatique. Contrairement à la vision anglo-saxonne, qui avait plutôt mis l’accent sur le stress, nous observons là une distinction fondamentale entre le stress et le trauma. Le stress correspond à la réaction bio-neurophysiologique d’alarme, de mobilisation et de défense contre une agression, alors que le trauma est un phénomène psychologique où les défenses psychiques se trouvent effractées, avec une recherche prégnante de sens de l’événement. Se confronter brutalement au réel de la mort et du néant ne permet pas d’attribuer un sens à celui-ci ni de pouvoir faire écran.
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Ainsi distinguera-t-on : la réaction immédiate (les premières heures et premier jour), la réaction post-immédiate (du 2e au 30e jour), ainsi que la période différée et chronique (ESPT ou névrose traumatique), comme nous l’avons cité plus haut dans le DSM. Cliniquement, on peut observer la réaction de stress adapté (le plus souvent non traumatique), ou la réaction de stress dépassé (traumatique) avec les symptômes d’inhibition ou bien d’agitation, voire de fuite panique et d’action automatique associée au vécu traumatique de l’événement qui se manifeste par la frayeur ou l’horreur, avec sentiment d’impuissance et de détresse auxquels est souvent associée la désorientation temporelle ou spatiale, le sentiment de dépersonnalisation, mais très souvent de déréalisation, ainsi que la sensation de vide, d’arrêt de la pensée, de trou noir. Les auteurs francophones préfèrent adopter le terme générique de « syndrome psychotraumatique, immédiat, post-immédiat ou chronique ». Concernant le syndrome psychotraumatique chronique, on peut rencontrer: des éclosions immédiates ou différées, des syndromes transitoires ou durables (voire chronicisés), des tableaux cliniques plurisymptomatiques ou paucisymptomatiques, des intensités modérées ou sévères et même des formes psychotiques. Ces syndromes peuvent être peu gênants ou au contraire très invalidants. On retrouve également des symptômes infra-cliniques ou atypiques. Nous avons à notre disposition de nombreux autoquestionnaires ou hétéroquestionnaires surtout anglo-saxons permettant de déterminer souvent l’intensité des symptômes et pouvant nous aider, notamment en post-immédiat. Nous observons donc que la clinique immédiate et post-immédiate va permettre l’inscription de stratégies de soins pour les impliqués. Par exemple, suite aux différents événements à l’étranger, comme les séismes au Japon (Kôbe, 17 janvier 1995), de Turquie (Marmara, 17 août 1999), l’attentat du World Trade Center à New York (11 septembre 2001), des intervenants spécialisés dans la prise en charge des blessures psychiques lors de telles catastrophes, tels que Raphaël (1996), Van der Kolk (1996), Gannagé (2002), Cohen (2002) ou Fullerton et Ursano (2002), préconisent la mise en place des secours psychiques immédiats (dès la réaction initiale) et de continuer ensuite les soins en période post-immédiate et chronique et ce pour les victimes, mais également pour les sauveteurs, et de s’intéresser à la formation des personnels locaux. Nous remarquerons que la prise en charge précoce a d’abord concerné les populations militaires avant de s’adresser à la population civile. Si le
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DSM concerne l’aspect de ces symptômes infracliniques ou atypiques (référence à la névrose traumatique ou modification durable de la personnalité) et si on peut remarquer la difficulté à référencer ces symptômes dans les critères stricts de la nosographie américaine, tous les spécialistes s’accordent à déterminer la nature des événements traumatogènes, car un traumatisme représente une expérience de violence hors norme, au cours de laquelle l’intégrité physique et psychique d’un individu ou d’un groupe a été menacée : événements de guerre, attentats, catastrophes, accidents, agressions, viols, tortures, découvertes fortuites de cadavre, accidents causés par l’homme ou l’erreur technique, tout événement menaçant la vie ou l’intégrité physique du sujet, qu’il le subisse en tant que victime, témoin ou acteur. Il est donc important de différencier ces événements potentiellement traumatiques des événements bouleversants et difficiles telles que des situations de stress intense, difficultés conjugales ou professionnelles... Est-il fréquent dans la population de vivre un événement traumatique ? Breslau et al., (1998), répondent à cette question en montrant que 90 % de la population générale vivront au moins un événement traumatique ou profondément bouleversant, au cours de leur existence. Il est vrai que certains événements sont plus courants que d’autres : annonce d’une mort soudaine et imprévisible d’un proche (60 % des gens). L’étude de Breslau et al., effectuée sur 2 181 personnes, montre que 40 % de la population générale vivront une expérience d’agression physique au cours de leur vie, que 29 % assisteront à la mort ou la blessure grave d’une autre personne, 28 % vivront un grave accident, et 17 % seront confrontés à un désastre naturel. On peut également noter des différences liées au sexe et il apparaît que les femmes sont près de 9 fois plus sujettes à être victimes de violences sexuelles que les hommes. Là encore, une étude américaine de Resnick et al. en 1993, menée auprès de 4 008 femmes donne le résultat de 13 % ayant subi un viol grave, 14 % ayant subi une agression sexuelle (tentative de viol, molestation sexuelle, contact sexuel non désiré utilisant la force). En parallèle, Norris (1992) et Kessler et al. (1995) montraient que les accidents de voiture, les expériences de combat militaire et les assauts physiques sont beaucoup plus fréquents chez les hommes (28 %, 19 %). Le risque d’être agressés physiquement, poignardés, gravement battus ou menacés par une arme est plus important pour eux. Quant à la prévalence d’apparition d’un trouble de stress post-traumatique, elle est évaluée entre 25 et 35 %, ce qui est très important.
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Nous verrons plus en détail ci-dessous, dans le sous-chapitre des données récentes sur les études prospectives, les données internationales actuelles. La typologie des événements traumatogènes selon Terr (1991) revêt la forme suivante : • Type 1 : événements de courte durée et inattendus (viols, accidents,
agressions, braquages) dont l’impact donne souvent lieu à des réactions d’évitement, d’hypervigilance, d’intrusions sous forme de souvenirs clairs. La récupération est relativement rapide mais varie d’un sujet à un autre. • Type 2 : événements de durée prolongée, où les traumatismes sont répétés comme les actes de malveillance intentionnelle (agressions sur mineur, tortures, guerres) dont l’impact perdure et donne lieu à des sentiments de culpabilité, de honte, une vision altérée de soi et du monde, un état dissociatif et une labilité émotionnelle conséquente. « La traumatisation secondaire » qui concerne l’entourage des victimes, comme leur famille, mais également les sauveteurs et les soignants où l’impact peut se manifester sous la forme de fortes réactions de stress, de dépression, de démotivation professionnelle ; il ne s’agit pas à proprement parler de burnout, mais rejoint la notion « d’usure de compassion » (Figley, 1997). Raquel Cohen (2002) du Mental health services for victims of disasters, rajoute à la classification suivante les victimes de 4e niveau (décideurs, médias qui ont assisté à des scènes éprouvantes et présentent une souffrance émotionnelle) et les victimes de 5e niveau, qui souffrent par empathie « suffery by proxy » : ce sont ceux qui visionnent les reportages des médias, comme à la suite des attentats du World Trade Center en 2001. On peut se rendre compte ici de l’incidence de la dimension subjective du traumatisme. Les lignes suivantes vont s’attacher à montrer notamment les différents éclairages concernant la notion du traumatisme d’un point de vue des courants d’orientation psychodynamique et comportementaux et cognitifs, mais dans un tout premier temps, nous nous pencherons sur les facteurs de risque et de protection dans les données prospectives actuelles, puisque notre souci dans l’approche immédiate et post-immédiate des victimes et des sauveteurs concerne la prévention, si possible, de l’ESPT.
Chapitre 2
DONNÉES DE LA LITTÉRATURE ACTUELLE
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FACTEURS
DE RISQUE ET DE PROTECTION
Si le fait d’être exposé à un événement traumatique peut induire chez certains sujets un état de stress post-traumatique, il s’avère que ce n’est pas le cas pour tout un chacun. Quelles sont donc les raisons qui déterminent ce trouble futur ou pas ? Il s’agit de ce que l’on nomme habituellement les facteurs de risque et à l’opposé les facteurs de protection. Il semble bien qu’il existe des différences interindividuelles dans la perception de ce qui est traumatisant ou pas. La comparaison des taux de prévalence de l’exposition à une situation traumatisante et le trouble lui-même a conduit les chercheurs à prendre en compte cette dimension subjective du traumatisme, quant à l’évaluation que peut faire le sujet de la situation traumatique au moment même de sa survenue (Yehuda, 2004).
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L’inclusion d’une réponse émotionnelle en critère A2 a permis de rendre compte des réactions s’installant durablement chez certaines personnes, alors que pour d’autres on pouvait observer soit une absence de troubles, soit une diminution significative dès les premiers jours faisant suite à l’événement potentiellement traumatique (Brunet et al., 2001). Il apparaît que si l’exposition à une situation traumatogène apparaît comme une condition nécessaire au développement de l’ESPT, cela est insuffisant pour expliquer son développement et sa persistance (McFarlane, Papay 1992 ; Rothbaum et al., 1992). Déjà plus haut, nous avons signalé la différence liée au sexe et Yehuda (2004) et Frans et al. (2005) montrent que 21 % des femmes agressées contre 2 % des hommes développent un ESPT et sont à haut risque. Nous savons également que la nature de l’événement influence le développement de l’ESPT (Yehuda, 2004). Pourtant, Foa et Riggs (1995) montrent que lors de l’exposition à des situations d’intention humaine malveillante, 70 % des femmes et 50 % des hommes répondent aux critères diagnostiques du trouble de stress post-traumatique dix-neuf jours après l’événement, mais que les taux diminuent respectivement à 21 % et 0 %, quatre mois après l’agression. Également, Rothbaum et al. (1992) montrent que pour des victimes de viol, 94 % d’entre elles présentent des symptômes psychotraumatiques deux semaines après la survenue de l’agression, mais que 47 % en présentent encore onze semaines après. Cela se retrouve également chez les personnes ayant été confrontées à un accident de la route. Cette période de quelques semaines qui correspond à la période postimmédiate est donc fondamentale et va expliquer le souci qu’il y a à proposer des stratégies de prévention secondaire de manière à agir sur l’installation de cognitions dysfonctionnelles et de troubles sur le plus long terme, comme le débriefing psychologique ou l’IPPI. Différentes études se sont intéressées aux stratégies d’évitement cognitives comme facteur central dans le développement et ou le maintien de l’ESPT. On peut recenser trois types de stratégies : – la distraction, qui consiste à détourner sa pensée des préoccupations post-traumatiques vers des sujets plus plaisants (Warda et Bryant, 1998 ; Bryant, Moulds, Guthrie, 2001) ; – la suppression de la pensée (mettre un terme aux pensées, images ou souvenirs déplaisants, générateurs de détresse ou à éviter leur apparition) (Dunmore, Clark, & Ehlers, 1999, 2001) ;
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– les ruminations évaluatives sous forme de pensées répétitives et passives en se centrant sur les causes et les conséquences de l’événement traumatogène, sur la manière dont il aurait pu être évité amenant le sujet à ne pas se confronter au traumatisme lui-même (Dunmore, Clark, Ehlers, 1999, 2001 ; Murray, Ehlers, Mayou, 2002). D’autres travaux ont porté sur la nature des cognitions posttraumatique en établissant que des individus qui interprètent de façon négative les perturbations émotionnelles et/ou les symptômes post-traumatiques ont le sentiment d’un changement définitif de leur être ou de leur vie (Dunmore, Clark, Ehlers, 1999 ; 2001 ; Foa et al., 1999 ; Mayou, Ehlers, Bryant, 2002) c’est-à-dire « une modifiaction durable de la personnalité » selon la CIM10, « une transfiguration de la personnalité » selon Shatan en 1973 ou « un changement d’âme » d’après Simmel tel qu’il le décrit en 1913. Ils surestiment la probabilité de survenue d’événements négatifs ainsi que leurs conséquences néfastes et présentent ainsi une probabilité accrue de souffrir de complications psychotraumatiques à long terme. Un dernier groupe de travaux, plus centré sur la nature des souvenirs autobiographiques liés à l’événement traumatisant, révèle deux types de résultats : Il existerait un lien entre la qualité organisationnelle des souvenirs traumatiques volontairement évoqués et l’évolution à long terme de la personne traumatisée, car des souvenirs fragmentaires sont associés à un risque plus élevé de développer un trouble de stress post-traumatique ainsi qu’à la sévérité du trouble (Foa, Molnar, Cashman, 1995 ; Jones, Harvey, Brewin, 2007 ; Murray, Ehlers, Mayou, 2002) ; Harvey et Bryant (1998) quant à eux établissent que des personnes victimes d’un accident de la route et souffrant d’un trouble de stress aigu ont plus de souvenirs désorganisés de l’événement traumatogène que celles qui ne présentent aucun trouble. On perçoit ici l’importance de cette période post-immédiate où tout peut s’améliorer comme tout peut s’enkyster et l’importance d’apporter une aide psychologique à ces instants spécifiques. Facteurs antérieurs Davidson et al. (1991) rapportent d’autres éléments, comme le niveau socio-économique parental (antécédents psychiatriques familiaux, abus sexuels, séparation parentale). Par ailleurs, des troubles psychiatriques antérieurs ou des troubles comorbides (addictions, mais également syndrome dépressif) sont des
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facteurs de chronicité de l’ESPT (McFarlane, 1988 ; Resnick et al., 1993). Brewin, Andrews et Valentine (2000), dans une méta-analyse, observent que les antécédents psychologiques et psychiatriques personnels constituent des facteurs de risque : notamment les sujets ayant eu une dépression majeure, ou un trouble anxieux de type panique, voire un TOC (trouble obsessionnel et compulsif) risquent de développer un ESPT (Breslau et al., 1991). Chez les combattants, ceux qui présentaient prédédemment des troubles psychiatriques comme la dysthymie, l’agoraphobie, une phobie sociale, un TAG (trouble anxieux généralisé), une dépression ou un trouble de la personnalité antisociale risquaient de développer un ESPT (O’Toole et al., 1998). Les antécédents psychologiques ou psychiatriques familiaux représentent également des facteurs de risque pour l’ESPT (Davidson et al., 1991). L’impact d’événements antérieurs semble déterminant lorsqu’on observe l’évolution de la symptomatologie post-traumatique, au point d’accroître l’impact du nouveau trauma, même s’il est moindre (Kilpatrick et al., 1998 ; Rothbaum et al., 1992 ; Vrana, Lauterbach, 1994). Cela renvoie à la notion d’après-coup selon Freud. D’une façon plus générale, il semble que les individus à risque sont ceux qui n’ont pas de stratégies d’adaptation, ont du mal à retrouver le moindre souvenir positif, sont toujours à la recherche de sens, souffrent d’intrusions et n’arrivent pas à assimiler l’expérience, ceux qui comparent leur vie à ce qu’elle aurait pu être s’ils n’avaient pas vécu cet événement, ceux qui sont nostalgiques d’avant le trauma, se considèrent comme coupables ou responsables, présentent un haut degré d’hypervigilance, ont une pensée dichotomique et globalisante et ceux qui se considèrent comme victimes avec peu d’espoir d’amélioration. Facteurs de protection Mujawayo (Belhaddad, Mujawayo, 2004), suite au génocide rwandais, souligne que malgré les traumatismes subis, il peut rester des possibilités chez l’individu pour se reconstruire : « Tout ce qu’il faut pour que tu remontes à la surface, c’est qu’on t’aide à retrouver ce qui est fort en toi. » Le concept de résilience est très à la mode et a fait le tour du monde depuis l’éclairage de Cylrunik et les écrits récents de Duchet sur le
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sujet, mais déjà, Freud et Ferenczi soulignaient les effets positifs du traumatisme, comme une ouverture possible, une idée de rebond. Le concept de résilience émane en réalité du mot latin « resilere », à l’origine de « résiliation », puis de « résilience » (« salire » voulant dire « sauter » et du préfixe « re », mouvement en arrière). Les Américains, au début du XXe siècle, parlent de « resiliency », qui regroupe à la fois la notion de d’élasticité, de ressort et de ressources. Cyrulnik (1999) écrit que « la résilience ne se pense pas de manière linéaire, mais de manière systémique et dynamique ». Le concept émane au départ de la physique et décrit la résistance au choc d’un métal et sa capacité à reprendre sa forme initiale. En Norvège, on parle de « l’enfant pissenlit » (« loevetannbarn »), qui arrive à pousser dans des conditions extrêmes. La notion de résilience renvoie à la notion de processus : on ne peut reprendre la forme initiale (comme un métal) mais on peut se transformer. Werner (1981) Rutter (1993) sont présentés comme les fondateurs du concept de résilience et, ainsi que Norman Garmezy (1993), ils ont mis en évidence des facteurs de risque et de protection dans des contextes de vie particulièrement délétères. Pour Cyrulnik, pour pouvoir devenir résilient, il faut d’abord avoir été mort, expérience de néantisation que décrivent très bien les victimes, ce qui suppose un travail d’élaboration psychique (Scelles, 2002 ; Crocq, in Bessoles et coll, 2003), de remaillage. S’agit-il d’un mécanisme de défense ? D’une aptitude particulière d’un individu que l’autre n’aurait pas ? Pouvons-nous être résilients toute notre vie ? Nous renverrons le lecteur au questionnement posé par Duchet (2006a). Comme pour les personnes à risque, nous pouvons avancer que d’une manière générale, les personnes dites résilientes se comparent au moins chanceux, identifient des points positifs dans ce qui leur arrive, imaginent en quoi cela aurait pu être pire, arrivent à avoir un renforcement de l’estime de soi, des liens familiaux et présentent effectivement des capacités d’adaptation, même si la résilience ne se résume pas au coping ; les personnes sont plus tournées vers autrui qu’uniquement sur elles-mêmes, et cherchent à utiliser leur expérience pour aider les autres, comme s’engager dans un mouvement associatif. Le résilient continue à penser et à vivre, à tisser des liens. Il peut se reconstruire.
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RÉCENTES SUR LES ÉTUDES PROSPECTIVES
Le plus souvent, les études épidémiologiques effectuées sur le psychotraumatisme sont anglo-saxonnes et font référence au PTSD, version DSM. Au départ, ces différentes études se référaient à la prévalence du trouble chez les victimes d’expériences traumatiques spécifiques (Boyer, Guay, Marchand, 2006). Par ailleurs, nous avons observé que différents facteurs intervenaient comme facteurs de risque de maladie ou de protection. Même si l’événement traumatique peut être à l’origine de l’ESPT, nous verrons ci-dessous que d’autres facteurs interviennent. Les études sur la population générale révèlent des taux d’exposition très disparates : 16,3 % et 89,6 % des sujets reconnaissent avoir fait au moins l’expérience d’un événement traumatique pendant leur existence. Bien que non représentative de la population des États-Unis, dans les années quatre-vingt, une importante recherche ECA (epidemiologic catchment area) a été réalisée par Davidson et al. (1991) sur la base d’entretiens individuels auprès de 2 895 personnes de 18 ans et plus. Les sujets résidaient en Caroline du Nord, dans cinq districts différents, et l’enquête a permis d’évaluer la prévalence d’ESPT au sein d’une population générale selon les critères du DSM-III pendant la période de six mois à vie. Selon cette étude, la prévalence à l’ESPT est de 1,3 % (0,88 chez les hommes à 1,66 % chez les femmes). Bien connue, l’enquête du NCS (national comorbidity survey) de Kessler et al. (1995) et qui représente la première enquête nationale sur les troubles mentaux auprès de la population de 48 états américains, soit 5 800 personnes et plus, confirme que les événements traumatiques sont très fréquents : 61 % des hommes et 51 % des femmes ont été exposés à au moins un événement traumatique (ou potentiellement traumatique) au cours de leur vie. Pour l’ensemble de la population américaine, la prévalence à vie à l’ESPT représentait donc 7,8 %. De plus, dans cette étude, les auteurs montrent que 55 % des hommes et 49 % des femmes présentent un trouble additionnel contre 88 % et 79 % des sujets présentant un PTSD. Au Canada, nous citerons l’étude de Stein et al., (1997) réalisée auprès de 1 002 personnes, dans une ville du centre-ouest canadien. L’étude s’effectue avec le MPSS (modified PTSD symptoms scale) de Falsetti
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et al. (1993) et permet d’évaluer la prévalence de l’ESPT au cours du dernier mois selon le DSM-IV par le biais d’entretiens téléphoniques. Selon les auteurs, la prévalence à vie d’exposition à un événement traumatique est de 74 % chez les femmes et de 81 % chez les hommes. L’étude de Breslau et al. (1998) (Detroit area survey of trauma) est également menée à l’aide d’interviews téléphoniques auprès de 2 181 résidants de Detroit âgés de 18 à 45 ans. Cette étude rapporte un taux d’exposition à vie encore plus élevé que celle de Kessler, à savoir 90 %. Plus récemment, en 2000, au Mexique, ont mené une enquête auprès de la population de Guadalajara et Mexico sur 1 289 participants, sélectionnés de manière aléatoire à l’aide du CIDI (module du DSM-IV). Au cours de la vie entière, le taux d’exposition à des événements traumatiques pour les Mexicains représente 83 % pour les hommes et 74 % chez les femmes. En 2000 également, en Europe, l’European study of the epidemiology of mental disorders (ESEMeD/MHEDEA 2000) qui explore la prévalence de 10 troubles anxieux et affectifs, dus à des abus ainsi que la dépendance à l’alcool au sein de six pays de la communauté européenne (Belgique, France, Allemagne, Italie, Hollande, Espagne), au cours des douze mois et à vie, auprès de 21 425 personnes interrogées à leur domicile montre qu’au cours des douze mois précédant l’enquête, 0,9 % des interviewés présentaient un ESPT. La prévalence est plus élevée chez les femmes (1,3 %) que chez les hommes (0,4 %). En ce qui concerne la prévalence à vie, elle chiffre à 1,9 %, soit 0,9 % pour les hommes et 2,9 % chez les femmes. Kessler et al. (2005), dans leur NCS-R (national comorbidity surveyreplication) montrent que la prévalence de l’ESPT est de 6,8 % au cours de la vie et de 3,5 % au cours des douze derniers mois. La prévalence à vie pour l’ensemble des troubles mentaux étudiés est de 46,4 % et de 28,8 %, tous troubles anxieux confondus, dont l’ESPT. Parmi ceux-ci, la phobie sociale et la phobie spécifique atteignent respectivement 12,1 % et 12,5 %. On peut observer que le taux d’ESPT est plus élevé aux États-Unis qu’en Europe. Suite à l’attentat terroriste de la station de RER Port-Royal le 3 décembre 1996 et de ceux qui avaient précédé (1974-1986), Jehel et Duchet (Duchet & al., 2000 ; Jehel & al., 2001) ont évalué les troubles d’ESPT à six et dix-huit mois, auprès des victimes de cet attentat. Les auteurs ont donc évalué 56 victimes (ayant accepté de participer à l’étude
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sur la totalité) grâce au questionnaire de stress post-traumatique ou QSPT, à partir du PTSD interview de Watson, au GHQ (general health questionnaire) de Goldberg (pour la comorbidité psychiatrique). Les stratégies d’ajustement au stress ont été étudiées à six mois grâce au questionnaire « ways of coping checklist » de Vitaliano, puis à dix-huit mois, grâce au CISS (coping inventory for stressful situations) de Endler. Les résultats ont montré que 41 % de la population étudiée répondaient aux critères de l’ESPT à six mois, et que 34 % de cette population présentaient encore des symptômes évocateurs d’ESPT.Toutefois, à côté des PTSD correspondant aux critères DSM, les Américains reconnaissent l’existence de PTSD infra-cliniques ou atypiques dans lesquels la dépression, la somatisation, ou les troubles des conduites sont au premier plan du tableau clinique. Les stratégies de coping sont significativement liées aux symptômes d’ESPT sévères. L’étude montre une corrélation positive à dix-huit mois, au CISS, concernant le coping centré sur l’émotion (r = 0,49) aux scores d’ESPT, mais en ce qui concerne les stratégies de coping centrées sur la tâche, la corrélation est négative (r = – 0,39). Plus le recours à un style de coping centré sur l’émotion est important, plus le score d’ESPT est élevé. Ce score est plus faible lorsque les stratégies de coping sont centrées sur la résolution de problèmes.
Chapitre 3
ÉCLAIRAGES PSYCHANALYTIQUES
grec de « trauma », jusqu’alors réservé aux atteintes et lésions corporelles, puis à la littérature dans son prolongement métaphorique, est introduit dans le monde de la psychiatrie et dans les grandes classifications des maladies mentales à la fin du XIXe siècle (avec Oppenheim et Kraepelin en 1889, comme annoncé précédemment dans les éclairages historiques). Pour notre propos centré sur l’approche psychanalytique, il est important de souligner que les névroses traumatiques entrent définitivement dans les nosographies au moment même où naît la psychanalyse. Ce temps de rencontre, historique, n’est pas sans peser sur la théorie freudienne qui s’est sans cesse nourrie du modèle traumatique pour le faire évoluer : depuis les travaux sur l’hystérie (Freud, 1895) jusqu’aux conceptions économiques (Freud, 1920) puis dans ses liens avec l’angoisse (Freud, 1926) et les affections narcissiques (Freud, 1939) pour n’en relever que les grands tournants. La question du traumatisme, et plus particulièrement celle du statut de l’événement (réalité ou fantasme), a marqué les grands noms de la psychanalyse (Freud, Ferenczi et Rank, notamment) les invitant à se rejoindre puis à se différencier, dans des mouvements de ruptures qui ont laissé des traces encore aujourd’hui palpables dans les grands débats épistémologiques
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L
E TERME
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(Bokanowski, 1988 ; Brette, Emmanuelli et Pragier, 2005). Bien entendu, il existe une multitude de références et d’écrits sur le traumatisme dans le champ de la psychanalyse ; notre objectif n’est pas de les reprendre tour à tour mais plutôt d’en dégager les grands jalons cliniques utiles aux traitements psychothérapeutiques en psychotraumatologie. Ainsi, nous avons plutôt choisi de sélectionner des fragments de la théorie psychanalytique passée et actuelle qui, une fois rassemblés, nous offrent une multitude de « clés » pour mieux comprendre la souffrance subjective des personnes exposées à des événements traumatiques.
LA
RENCONTRE TRAUMATIQUE
La rencontre traumatique passe avant tout par l’événement ou, plus précisément, par ce qui vient faire événement pour le sujet. Dans cette partie, nous tracerons tout d’abord les contours de ces événements dits traumatiques afin de saisir ce qui se joue dans cette rencontre accidentelle, pour développer ensuite les colorations particulières de cette clinique (violence, effet de surprise, processus de néantisation, etc.). Violence de l’événement traumatique L’événement, celui qui « n’arrive que par l’homme et pour l’homme » selon Bastide (1968), ne suffit pas à énoncer le traumatisme ; de l’ordre de l’inattendu, du surprenant, l’événement ne revêt pas pour autant un caractère dramatique. Ce qui va faire de lui un événement traumatique, c’est ce qui, en lui, reste d’irréductible au savoir. Ce qui traumatise l’homme est donc l’événement dans sa singularité : nous arrivons ainsi à la notion d’accident, primordiale pour notre sujet. L’accident est ici à comprendre dans le sens d’Aristote (335 av. J.-C., in Barrois, 1988), celui qu’il définissait comme « hasard malheureux », mauvaise rencontre ; il est avant tout coïncidence, imprévisibilité, ne répondant ni à des lois générales, ni à des facteurs de constance. Que ces événements soient vécus individuellement (agressions, abus sexuels, accidents, etc.) ou de manière collective (guerres, terrorisme, tortures, catastrophes naturelles ou industrielles, etc.), la violence sous toutes ses formes est au cœur de notre clinique : violence externe exercée dans la réalité par un autre qui devient violence insupportable par ce qu’elle véhicule à l’intérieur de soi, avec toute sa part d’inhumanité et de destructivité. Ce qui fait violence, c’est tout d’abord la force, la brutalité mais également l’effet de rupture de l’événement traumatique : rupture
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psychique mais aussi de « l’ordre des choses » ou, pourrions-nous dire de « l’ordre du sujet », nous y reviendrons. D ÉFINITION CONSENSUELLE DE L’ ÉVÉNEMENT TRAUMATIQUE Première partie de la définition (Laplanche et Pontalis, 1967) Événement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique.
Il convient de mettre en avant quelques caractéristiques de cet événement : « l’intensité » soulignée par les auteurs de cette définition renvoie bien à l’idée de violence développée en amont. Vient ensuite la mise « hors-jeu » de la réponse dite « adéquate » : le fonctionnement psychique habituel et adapté disparaît, laissant place à une désorganisation majeure. Les manifestations péritraumatiques seront précisément décrites dans la prochaine partie de cet ouvrage, l’enjeu ici est d’en saisir les effets subjectifs et intrapsychiques. Dans cette optique, la conception économique du traumatisme développée par Freud (1920), et résumée ci-après par les auteurs du Vocabulaire de la psychanalyse (Laplanche et Pontalis, 1967), nous est d’un grand secours. D ÉFINITION CONSENSUELLE DU TRAUMATISME
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Deuxième partie de la définition (Laplanche et Pontalis, 1967) En termes économiques, le traumatisme se caractérise par un afflux d’excitations qui est excessif, relativement à la tolérance du sujet et à sa capacité de maîtriser et d’élaborer psychiquement ces excitations.
Cette deuxième partie de la définition ajoute une dimension fondamentale pour comprendre la notion d’effraction du pare-excitation. Comme cela est judicieusement développé et illustré par Lebigot (2005 b) dans son dernier ouvrage sur le traitement des traumatismes psychiques, Freud (1920) comparait l’appareil psychique à une « vésicule vivante » protégée par une membrane nommée pare-excitation. Dans cette même lignée métaphorique, nous pourrions reprendre les notions de « peau psychique » de Bick en 1968 (in Anzieu, 1985) et de « Moi-peau » chez Anzieu (1985/1995) pour décrire l’instauration nécessaire de cette enveloppe assurant à la psyché un contenant protecteur filtrant les éléments venant de l’extérieur et assurant en interne une certaine homéostasie, régulant ainsi les excitations internes et externes.
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Ainsi que le souligne la deuxième partie de la définition freudienne du traumatisme, l’afflux d’excitations est massif et tel qu’il déborde le sujet dans ses capacités habituelles de maîtrise et de contenance. Lebigot (1997ab, 2005ab) insiste alors sur la pénétration, à l’intérieur de la psyché, de l’image traumatique (marquée par une menace vitale, nous y reviendrons) surgie du dehors et se logeant dans la psyché comme un « corps étranger interne », un intrus, ne trouvant pas de place pour s’y loger (Freud, 1920). Le traumatisme (qui renvoie aussi à l’idée de « percer » en grec) issu de l’événement externe vient faire trauma à l’intérieur de la psyché : « dès lors, on peut appeler traumatiques les excitations externes assez fortes pour faire effraction dans le pareexcitation » avance Dreyfus (in Brette, Emmanuelli, Pragier, 2005). Sous l’effet de la menace, l’intégrité du sujet est ébranlée : le moi est attaqué du dedans comme il est attaqué du dehors (Duchet, 2006c). Freud, avec sa notion « d’après-coup » (largement développée dans le cas de l’homme aux loups en 1918), soulignait bien l’importance – y compris dans les cas de névroses de guerre – de la réactivation d’une menace interne, « une peur d’un ennemi intérieur » (Ciccone, Ferrant, 2009), réveillée brutalement au décours de la rencontre traumatique. Nous souhaitons alors insister sur l’aspect duel de l’attaque, externe et interne : des individus peuvent être aux prises avec le même événement, avec la même charge traumatique du côté de la menace externe, cependant le débordement interne pourra être radicalement différent (Duchet, Jehel, Guelfi, 2000) selon l’apparition ou non de la réactivation d’angoisses internes. L’incontournable subjectivité du patient entre alors en scène dans le vécu de l’événement, si violent soit-il. P OUR RÉSUMER ... Au regard des différentes définitions proposées par les dictionnaires de langue française et ouvrages spécialisés en psychopathologie et psychanalyse, nous observons que le terme de « traumatisme » se confond : 1. soit avec les caractéristiques de l’événement (violent et inattendu) (Postel, 1993) ; 2. soit avec ses effets sur l’individu (troubles psychotraumatiques, séquelles physiques) (Barrois, 1988) ; 3. soit enfin avec le processus psychique (l’effraction et l’afflux d’excitation) (Laplanche et Pontalis, 1967). Dans le Dictionnaire international de la psychanalyse (de Mijolla, 2002), Brette revient sur la distinction entre « trauma » et « traumatisme » pour souligner avec le premier terme (« trauma ») la violence externe causant une blessure interne, et avec le second terme (« traumatisme ») les effets
☞
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☞ du trauma sur l’organisme. Pour notre propos, centré sur les victimes d’événements violents, nous retenons comme composantes principales du processus traumatique : sa force, sa brutalité et son intensité, ressenties subjectivement comme un choc, une rupture, une effraction, créant une brèche, une faille voire une béance dans la psyché, qui varie en fonction des sujets et des moments de la rencontre traumatique.
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Résonance interne et subjectivité Nous pensons, comme l’énoncent Briole et al. (1994), que l’événement n’est traumatique pour un sujet que dans sa « portée accidentelle » et individuelle. C’est cette part de subjectivité qui fait que les conséquences ne seront pas identiques pour tous les sujets soumis à un même événement. Aussi, ce n’est pas tant la dimension quantifiable de l’événement, que sa singularité pour celui qui s’y trouve confronté, qui est déterminante et qui nous intéresse. Doucet et Joubrel (2009), s’appuyant sur le texte de Freud de 1926 (Inhibition, Symptôme et Angoisse) l’énoncent ainsi : « Le danger extérieur n’est traumatique que s’il passe par une intériorisation. » Ces auteures insistent alors sur le surgissement du traumatique à l’endroit de la division interne du sujet. Cependant, rien ici ne vient disqualifier la part de l’événement réel et actuel dans la désorganisation de la psyché. Lorsque Freud déclare abandonner sa théorie de la « neurotica » (en 1897, dans une célèbre lettre destinée à Fliess) en mettant en avant la force et le poids du fantasme, ce n’est que pour récuser toute explication simpliste et déterministe qui ne s’appuierait que sur la prise en compte de la réalité de l’événement. Dans le modèle théorique qui privilégie la question du fantasme destructeur, le traumatisme agit de l’intérieur : la menace (bien réelle !) est alors pulsionnelle, interne au sujet ; tandis que dans le champ de la psychotraumatologie, l’accent est mis sur l’événement surgissant de l’extérieur, de la réalité externe. Un consensus se dégage aujourd’hui pour affirmer que la menace externe vient faire irruption dans le monde interne du sujet, en fonction de ce qu’elle provoque subjectivement chez lui, en fonction donc de la « réalité interne » du sujet. Vignettes cliniques Nous recevons en consultation de psychotraumatisme deux jeunes hommes ayant vécu deux événements relativement comparables. Le premier, que nous nommerons Romuald, est âgé d’une vingtaine d’années. Pendant ses vacances, alors qu’il dormait paisiblement sous une toile de tente avec sa petite amie, un individu pénètre par effraction dans l’habitacle pour y
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dérober un sac contenant notamment l’argent et les papiers du jeune couple. Réveillés en sursaut, ces deniers se lancent à la poursuite du voleur, qui, une fois rattrapé, dégaine soudainement une arme à feu et tire. La balle traverse alors la tête du jeune homme, entrant par la tempe et ressortant par son front. L’agresseur s’enfuit avec le sac. Notre patient ne perçoit pas sur le moment le danger de mort, il continue d’ailleurs à se défendre contre cette idée malgré l’évidence objective de la menace qui a pesé sur sa vie et les suites chirurgicales qui ont interrompu ses vacances puis son activité professionnelle. Les seuls troubles relevant éventuellement d’un syndrome psychotraumatique se sont estompés en trois mois : quelques sursauts, une hypervigilance et un évitement annoncé d’autres séjours en camping. Il n’y a pas de syndrome de répétition typique avec cauchemars ou flash-back et l’hypothèse d’une dissociation péritraumatique franche est écartée à l’écoute de son récit. Romuald a objectivement été menacé de mort, cependant l’image traumatique a été rejetée à l’extérieur de sa psyché, ne créant pas d’effraction traumatique, ni de menace interne à proprement parler. Romuald a pu reprendre assez rapidement le cours « normal » de sa vie. Le second, que nous appellerons René, est sensiblement du même âge. Alors qu’il se promenait un soir dans les rues d’un centre-ville animé au bras de sa compagne, René est soudainement pris à partie par un homme qui entend lui voler son portefeuille et ses quelques biens (téléphone mobile et montre). Le jeune se défend, tentant d’échapper à la violence de son agresseur qui, très rapidement, sort un revolver et le blesse au visage, au niveau de la tempe. De nouveau, le voleur s’enfuit en courant, laissant sa victime à terre. Pour René, tout a basculé à cet instant : il s’est vu mort et peine encore, trois mois après les faits, à se réinscrire dans le monde des vivants. Il souffre de réminiscences (flash-back diurnes et nocturnes centrés sur le regard de son agresseur), sursauts avec hyperémotivité et hypervigilance, et il ne peut reprendre ses activités habituelles, évitant tout contact possible avec l’extérieur. Outre la dimension de la rencontre avec la mort (dont nous reparlerons bientôt), nous pouvons constater que René a d’emblée perçu une menace interne : l’agression vient réveiller chez lui une perception de néantisation et de non-protection, bouleversant ainsi profondément son rapport au monde dans les suites de l’événement.
« Un même événement peut être traumatique pour un sujet et pas pour un autre, à un moment donné, et non traumatique la veille ou le lendemain. » (Crocq, 1997)
C’est précisément ce que nous avons souhaité illustrer avec la présentation de notre vignette clinique. En effet, les études passées et actuelles sur les névroses traumatiques montrent bien que toutes les personnes confrontées à un événement traumatique, aussi grave soit-il, ne développent pas nécessairement un syndrome psychotraumatique ou d’autres troubles psychopathologiques (Duchet, 2007a). C’est la
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perception subjective par le sujet, colorée de sa réalité interne, qui nous importe et qui peut rendre l’impact du trauma si désorganisateur. Nous avons donc souhaité insister ici sur l’aspect subjectif du traumatisme : l’événement ne devient traumatique pour une personne qu’en fonction de ce qu’il provoque subjectivement chez elle, de ce qui se noue dans cette rencontre si singulière entre le traumatisme et le sujet. Ainsi, dans la théorie psychanalytique, le traumatisme a toujours occupé une place fondamentale et centrale, mais la part accordée à la réalité de l’événement dans le fonctionnement intrapsychique d’un individu a continué de soulever des débats passionnés. En 1940, Freud laissait la question ouverte : « Il est possible que ce qu’on appelle névroses traumatiques (déclenchées par une frayeur trop intense ou des chocs somatiques graves tels que collision de train, éboulements, etc.) constituent une exception ; toutefois leurs relations avec le facteur infantile se sont jusqu’ici soustraites à nos interrogations. »
Nous reviendrons sur les liens qui peuvent se tisser entre l’histoire infantile et le vécu d’un événement dans la partie sur les résonances narcissiques de ce chapitre. Mais auparavant, attardons-nous encore sur les spécificités de la rencontre traumatique, frappée des sceaux de la surprise, de la violence et des effets de rupture.
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Effets de choc et de surprise : les ruptures traumatiques L’élément de surprise est une des dimensions essentielles du choc traumatique : c’est au moment où l’individu s’y attend le moins que la brutalité de l’événement est la plus choquante, et son effet le plus dévastateur. Rappelons que pour Freud (dans sa deuxième théorie de l’angoisse développée en 1926), le choc est traumatique dans la mesure où le sujet n’a pas eu le temps nécessaire pour mettre en alerte son système de défense : celui-là même qui est régi par l’apparition de l’angoisse signal potentiellement présente pour atténuer l’effet de surprise. Le fondateur de la psychanalyse oppose alors clairement le signal d’angoisse à l’angoisse automatique. En effet, le signal d’angoisse vient désigner le dispositif psychique mis en action face à un danger, permettant d’éviter le débordement pulsionnel que nous avons décrit précédemment ; tandis que l’angoisse automatique définit la réaction d’un sujet au décours d’une rencontre traumatique lorsqu’il est précisément débordé par l’afflux d’excitations (externe et/ou interne). Lorsque le sujet s’attend à un événement, quel qu’il soit, il met en route un
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système de défense, plus ou moins protecteur, dominé par des affects et faisant appel à des représentations. En revanche, lorsque le sujet est saisi par l’irruption de la violence sans avoir pu s’y préparer, adviennent alors la stupeur et l’effroi... Cette distinction est intéressante dans le sens où elle rejoint d’une certaine manière les différenciations clairement énoncées par Crocq (2007) entre « stress » et « trauma » : si le stress se situe du côté de la réaction (adaptative) du sujet, le trauma ouvre bien une autre dimension du côté de l’effraction du psychisme responsable du débordement des défenses. Nous le rejoignons alors, aux côtés de Lebigot (2005b) pour regretter l’amalgame du stress et du trauma qui est en vogue dans les déclinaisons actuelles autour du « stress post-traumatique ». Les patients rapportent généralement d’eux-mêmes ces sensations d’horreur soudaine, de « ciel qui vous tombe sur la tête », de « monde qui s’écroule tout à coup », véritable cataclysme de la vie psychique. Houbballah (1998) écrit à ce propos : « Le ressort du trauma ne tient pas seulement à la perte, mais aussi à l’effet de choc, de surprise, d’un réel qui fait irruption dans le moi sans médiation, créant une brèche, un trou. »
Nous retrouvons dans cette citation les deux éléments développés peu avant, à savoir : – l’absence de signal d’alarme (ou signal d’angoisse) qui aurait permis une médiation, une préparation via le recours aux affects et aux représentations ; – la notion de surprise et de violence du réel venant créer une brèche, une effraction dans l’espace psychique du sujet. La réalité externe n’est plus unifiée sous le primat de la loi des hommes qui punit la violence et le crime : place est faite au chaos interne et au non-sens. L’unité du sujet se trouve ainsi rompue, la psyché est disloquée : les fragments autrefois reliés par des représentations sont tout à coup éparpillés, réveillant des angoisses ancestrales et archaïques du vécu du nouveau-né (nous reprendrons cet aspect dans la partie suivante traitant des bouleversements narcissiques). Une autre violence est celle engendrée par l’effet de rupture dans le temps (et non plus seulement dans l’espace du sujet en tant que contenant psychique). Houbballah (1998) poursuit ainsi : « [...] les fils qui ont tissé son réseau signifiant se trouvent d’un seul coup déliés, l’espace homogène dans lequel il vivait, brisé, mutilé, le temps, qui faisait la conjonction entre passé, présent, et futur, arrêté ».
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On assiste en effet à une fracture dans l’histoire du sujet : une époque vient de se terminer, une autre commence. Nombreux sont les patients qui désignent cette rupture temporelle comme une mort, un arrêt, parfois suivis d’une « seconde naissance », ou qui parlent d’une « seconde vie » : « rien ne sera plus jamais comme avant »... Le trauma peut marquer un arrêt dans le temps et figer temporairement l’élan vital comme toutes les perspectives des personnes traumatisées. La rencontre traumatique confronte également le sujet à l’effondrement soudain de ses croyances et de ses idéaux, habituellement protecteurs (Crocq, 1999). Le monde, l’environnement et les autres deviennent potentiellement menaçants. Examinons-en les conséquences sur l’organisation narcissique du sujet. Effondrement du narcissisme Rappelons brièvement que Freud et Ferenczi s’étaient entendus un temps pour classer les névroses traumatiques du côté des affections narcissiques, plaçant en partie cette pathologie sous le sceau de la « perte ». Perte de l’unité psychique, nous en avons parlé, mais aussi perte de repères solides dans la construction de la personnalité de chacun qui a à voir avec les bases narcissiques héritées de l’enfance.
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R APPELS SUR LE NARCISSISME Héritier du mythe de Narcisse, le narcissisme désigne avant tout l’amour porté à l’image de soi. Dans les théories freudiennes, le narcissisme primaire fait référence à un état précoce durant lequel le petit enfant investit toute sa libido sur lui-même (Laplanche et Pontalis, 1967) : période durant laquelle le commun dit qu’il se croit le « centre du monde »... Tandis que le narcissisme secondaire est plus élaboré puisque nourri des mouvements d’amour des autres, au service d’un retournement sur soi de cet investissement (Freud, 1914), ce que les auteurs contemporains désignent par l’estime de soi (suite au retournement perçu de l’estime des autres pour soi).
Afin de bien saisir les enjeux de la rencontre entre « Narcisse » et « Trauma », arrêtons-nous un instant sur les trois types de pertes (à dimension narcissique) auxquelles confronte le traumatisme psychique, largement développés par Crocq (1997, 1999) à partir des théorisations de Freud, Janet et Fénichel. • En premier lieu, citons l’effondrement de l’illusion d’invulnérabilité
que chaque homme entretient en lui, tant qu’il n’est pas en danger. Ce fantasme d’invulnérabilité s’inscrit dans l’idée que nous pouvons
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vivre, en sécurité et en paix, sans risquer à tout moment d’être agressé, violenté, perturbé par un événement nous rendant vulnérable, quelle qu’en soit sa nature (violence exercée par l’homme, par les machines, par la nature, etc.). Ce sentiment interne de sécurité rejoint le fantasme d’immortalité que nous évoquerons plus loin. Au moment même où survient l’accident (au sens de Barrois, 1998, développé plus haut), l’illusion vole en éclats : l’homme prend la mesure de sa propre vulnérabilité, de ses limites physiques et psychiques, véritable blessure qui vient s’ajouter à celle de l’événement. • En deuxième lieu, c’est l’écroulement de la croyance en un environnement physique sécurisant, solide et protecteur. Encore une fois, pour vivre, l’homme a besoin d’avoir une certaine confiance dans le monde qui l’entoure, sans imaginer à tout instant qu’une défaillance environnementale pourrait lui nuire, voire l’anéantir. Et de nouveau, la rencontre traumatique vient lui signifier que l’extérieur est une menace potentielle pour lui, l’exposant ainsi à un sentiment d’insécurité profond et dévastateur. • En troisième lieu, et tout cela de manière généralement simultanée, vient la chute de la conviction que l’humanité est bonne, sous-tendue par la théorie de Rousseau qui suppose l’autre bon, aimant, susceptible de porter secours à son prochain. Pour supporter sans souffrance l’altérité, la rencontre avec l’autre, l’homme a besoin d’avoir confiance en son groupe d’appartenance. Or dans le cas d’un événement traumatique, le groupe ou l’individu peut devenir défaillant : soit parce qu’il est lui-même agresseur, soit parce qu’il ne parvient pas à soustraire la victime du traumatisme et de ses effets. « Face à ce triple effondrement narcissique, dépouillés de toutes nos convictions sécurisantes, démunis de tout moyen de défense, nous nous retrouvons non secourus, abandonnés » conclut Crocq (1997). L’expérience traumatique génère du même coup chez les sujets un sentiment d’abandon, de solitude et d’exclusion qui peut être extrême. Notre expérience clinique nous amène à penser que cette triple blessure infligée au psychisme est bien à inscrire du côté de la blessure narcissique et de la perte, dans le sens où l’événement semble avoir ébranlé le fondement du sujet, ses valeurs, ses bases de construction dans son rapport au monde. Le sujet, devenu vulnérable, ne se reconnaît plus, a perdu toute confiance en lui-même, dans l’environnement et dans les autres : bien souvent, il ne s’aime plus ou plutôt il n’aime pas l’image qu’il a eue de lui et des autres pendant la scène traumatique. Ainsi, ce que les patients nous rapportent évoque bien ces pertes : perte d’idéaux, de croyances fantasmatiques, mais aussi perte d’une partie de soi, ce qui
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entraîne nécessairement la question du deuil. À l’appui vient aussi le cortège de symptômes dépressifs qui accompagne très souvent la névrose traumatique ou le syndrome psychotraumatique. Dans le domaine du narcissisme, nous ne pouvons, encore une fois, faire abstraction du « bagage » du passé, issu de l’enfance. « L’actuel ne saurait être envisagé sans le passé » (de Mijolla-Mellor, in Baccino, 2003) : les conditions de réception du traumatisme dans la psyché ont à voir avec l’histoire, y compris l’histoire infantile, du sujet. À l’écoute de nos patients, comment ne pas entendre les « failles » de leur histoire : lorsque l’on se donne le temps d’entendre et de laisser associer librement les sujets sur l’événement traumatique, il est fréquent de voir surgir une référence au passé ou aux manquements supposés des autres, de l’environnement, ou de lui-même.
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Vignette clinique Un commandant de bord d’un très grand bateau de plaisance vient en consultation de psychotraumatisme, sur les conseils de sa femme qui ne le reconnaît plus. Cet homme, de forte carrure, expérimenté, avec plusieurs centaines de voyages à son actif, a toujours mené à bon port ses passagers, jusqu’au jour où son navire a heurté de plein fouet un rocher en pleine mer et en pleine nuit. Le choc a sérieusement endommagé la coque, laissant de l’eau entrer dans les fonds du bateau, ébranlant brutalement l’équilibre de ce dernier. Le commandant, endormi au moment de l’accident, ayant confié la navigation à l’équipage, se réveille en sursaut suite à la violence de la collision, rapidement suivie de cris de panique des passagers. Il nous décrit précisément ce moment comme un profond cataclysme : tremblant de tout son corps, il a la sensation de n’être qu’un « petit rien » face à l’ampleur de la catastrophe et du désordre qui règne à bord. La première séance sera centrée sur l’expression de ce vécu subjectif, des émotions et des pensées qui l’ont alors traversé : la sensation d’être perdu, abandonné de tous, des autres comme du bateau et de la mer, en proie à une souffrance difficilement descriptible. Sidéré par la violence de ses ressentis, il ne pourra participer aux secours que quelques heures plus tard. Ce qui ponctue ses paroles, plusieurs mois après l’événement, est un discours centré sur la sensation d’avoir « tout perdu » à ce moment précis : ses repères, son assurance, sa sécurité interne, son lien avec son équipe, sa confiance dans les autres comme dans son bateau, tout... À la fin de cette première consultation, cet homme « lâchera » sur le pas de la porte, qu’il croyait pourtant avoir « tout » traversé dans son enfance et dans son adolescence, « c’est ma carapace qui s’est fissurée » nous confie-t-il. Les séances suivantes lui permettront peu à peu de faire le récit de son passé, d’une enfance marquée par la pauvreté et les coups d’un père alcoolique et désespéré par la perte de sa femme alors que le petit avait 3 ans. Le choix d’un internat, aux méthodes rudes mais « cadrantes » à l’adolescence, puis d’un long passage dans l’armée, lui avaient permis, selon lui, de se reconstruire et de devenir un homme. En
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effet, jusque-là, sa vie était davantage marquée d’acquis, de réussites et de « conquêtes ». Nous mesurons, à travers l’exposé de ce cas, la confrontation insupportable aux trois types d’effondrements décrits précédemment dans la théorie, engendrant chez notre homme un bouleversement narcissique profond : « comment peut-on se regarder dans une glace après ça... » dira-t-il à plusieurs reprises, « comment puis-je espérer que ma femme puisse m’aimer après cela... ». Le mythe du commandant s’était effondré, et avec lui tout espoir de s’aimer, d’être aimé et de rester un homme.
Nous partageons alors le point de vue de Barrois (1988) lorsqu’il énonce : « Le temps troué de l’enfance est susceptible d’offrir un point d’appel à l’agent traumatisant de l’âge adulte. »
Le cas de cet homme, comme bien d’autres, souligne les liens possibles entre les fragilités narcissiques de l’enfance, qui malgré un recouvrement opérant pendant un temps, peuvent être réveillées brutalement par un événement extérieur. Bien entendu, il ne s’agit pas d’expliquer le trauma par le truchement unique des souffrances de l’enfance : d’autres patients, apparemment choyés par leurs familles, énoncent des blessures traumatiques du même ordre, à rattacher alors à d’autres agents traumatiques et notamment à la rencontre avec la mort que nous nous proposons de travailler à présent. Rencontre avec le néant et irruption du réel Si le traumatisme implique un excès d’excitations, il fait aussi appel aux notions de vide, de néant, en traduisant une absence de représentations. Dans la clinique du psychotraumatisme, de nombreux auteurs contemporains, inspirés des théorisations lacaniennes, insistent sur l’importance de la rencontre avec le « réel de la mort » dans leurs écrits (Barrois, 1986 ; Lebigot, 1997ab, 2005ab ; Cabassut, 2002 ; Genest, Walter, 2006). Ces derniers parlent toujours de « rencontre singulière » à composante traumatogène : l’effet du traumatisme opère lorsque le sujet entrevoit sa propre mort par sa mise en danger physique et psychique et/ou par le truchement de la mort d’un autre. Dans « Considérations actuelles sur la guerre et la mort » (Freud, 1915) prenait toute la mesure de la non-figuration de sa propre mort pour un sujet, puis affirmait en 1920 que : « Notre mort ne nous est pas représentable et aussi souvent que nous tentons de nous la représenter, nous pouvons remarquer qu’en réalité nous
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continuons à être là en tant que spectateur. C’est pourquoi dans l’école psychanalytique, on a pu oser cette déclaration : personne, au fond, ne croit à sa propre mort ou, ce qui revient au même : dans l’inconscient, chacun est persuadé de son immortalité. »
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Bien entendu, il s’agit d’abord de faire le lien avec le fantasme d’invulnérabilité développé plus haut (dans la partie sur les bouleversements narcissiques) : pour vivre sereinement, l’homme ne peut s’imaginer à tout instant vulnérable, comme il ne peut se rappeler à tout moment qu’il est mortel. Mais Lebigot (1997ab, 2005ab) a poussé bien plus avant les hypothèses à ce sujet, en y introduisant le lien avec le réel (au sens lacanien). En s’appuyant sur la théorie freudienne, l’auteur explique que pour chacun d’entre nous, la mort est surtout un mort : si l’homme a bien une représentation de la mort d’un autre par l’intermédiaire de son expérience du cadavre, par la vision de corps morts et de personnes décédées, il n’en est pas de même pour la représentation de la mort en tant qu’expérience du néant, et encore moins quand elle concerne celle de sa propre disparition. La représentation de la mort passe ainsi par la figuration de l’autre mort ou par des scénarios fantasmatiques sur les conséquences de sa mort, mais en aucun cas par la perception de soi mort. Par définition, personne ne sait ce qu’est « être mort », puisque du monde des morts, personne n’en revient vivant... Or dans l’instant traumatique, Lebigot fait l’hypothèse clinique que le sujet entraperçoit sa propre mort : il se voit mort, il se vit, en l’espace d’un éclair, comme mort. Et pour corroborer ce point, nous pourrions citer nombre de patients qui déclarent s’être vus morts. Dans un article consacré à « la névrose traumatique, la mort réelle et la faute originaire », Lebigot (1997a) écrira : « Parce que la mort n’est pas inscrite dans l’inconscient, une scène traumatique ne pourra pas non plus s’y inscrire et nouer des associations. Elle sera dans l’appareil psychique comme un rejeton de l’originaire, au sens freudien du concept, exerçant un pouvoir de fascination. »
C’est ici qu’un point crucial émerge : sans inscription de sa propre mort dans l’appareil psychique, le sujet est privé de représentation pour accueillir ce vécu de néantisation, d’où l’insistance de Lebigot pour désigner le « corps étranger interne » de Freud comme un rejeton sans place, mais au pouvoir attractif pour la psyché. De l’absence de représentation, de par l’irruption inattendue de ce réel, découle l’absence de mots pour décrire l’expérience de néantisation :
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« Il y a quelque chose en particulier qui échappe radicalement au sujet parlant, c’est le réel de la mort. » (Genest, Walter, 2006)
Ce bref instant suffit à exclure le sujet de la communauté des vivants, des êtres parlants, donc de la communauté des hommes... le rendant en un éclair, lui-même « inhumain ». Vignette clinique Une femme, rescapée d’un crash d’avion, prise en charge le lendemain de l’accident via le déclenchement d’une cellule d’urgence médicopsychologique, nous raconte : « Au moment du crash, j’ai entendu un immense bruit, puis plus rien, que de la fumée et des hurlements... Je me suis dit : ça y est, je suis morte, je le voyais bien, j’étais en enfer et j’avais la sensation, juste la sensation, que j’allais brûler comme tous les autres... Un vulgaire déchet, prêt à être cramé... ». La représentation de l’enfer est une image qui lui est apparue plus tard, pour donner corps à cette rencontre avec le néant qu’elle dit bien ne pas pouvoir vraiment raconter : « Personne ne peut comprendre, il faut y être passé pour savoir... » Ce qu’elle nomme « savoir » reste inaccessible, indicible et plonge cette femme dans des retraits quasi autistiques, son regard est comme hypnotisé par ces images, l’effroi se poursuit. Celle que nous appellerons Yvette tente avec peine de décrire ses sensations au moment où, sans aucune pensée, elle se rue hors des flammes pour sortir de l’avion : « Je n’étais plus une femme, ça s’est sûr, j’étais une bête, j’ai sûrement poussé les autres, marché sur eux... je ne sais pas, je me suis retrouvée dehors, sans savoir si j’étais encore chez les morts vivants ou si je les avais quittés, j’étais toute seule. » Nous repérons ici l’autre versant de la rencontre avec la mort : le vécu d’exclusion de la communauté des hommes, l’impression d’être une bête, un animal privé de langage, susceptible de comportements dénués d’humanité. En enfin, comment ne pas souligner aussi son sentiment de solitude extrême, en résonance avec le sentiment d’abandon : les autres, l’avion, Dieu, le langage, tous l’avaient lâchée... et pourtant, plus d’une cinquantaine de passagers sont sortis de l’avion en flammes, échappant au triste bûcher. Le vécu subjectif, de nouveau, prime : pour Yvette, elle était toute seule.
Cette rencontre avec le réel de la mort peut aussi se faire par la perception de la mort d’un autre, sous ses yeux ou par tout autre sens (l’ouïe, le toucher, l’olfaction) : deuxième façon pour l’homme d’être en proie avec la rencontre du néant. Crocq aime à dire dans nos congrès à quel point le traumatisme pénètre par tous les pores de la peau, envahit tous les sens... Enfin, Lebigot (2005b) précise qu’un troisième cas de figure peut se présenter, lorsqu’un sujet donne la mort à un autre (guerre, torture, prise d’otages, etc.).
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« L’élément de surprise joue, ici, sur un autre registre : le réel de la mort n’est pas ce qui avait été imaginairement anticipé. »
Ainsi se profile l’apparition du registre de l’imaginaire et avec lui, l’éclosion de sentiments subjectifs très présents dans cette clinique : la honte et la culpabilité issues de la rencontre traumatique.
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Honte et culpabilité Les sentiments de culpabilité et de honte naissent en grande partie de cette expérience : avoir vu, vécu, ce qu’il était interdit d’approcher. Le fait de s’être cru mort, et finalement de rester vivant, donne à l’homme la sensation d’avoir transgressé un interdit majeur, bien connu des œuvres fantastiques (littéraires et cinématographiques) qui mettent en scène ce fantasme : celui de revenir vivant du monde des morts. Nous l’avons vu à travers l’exemple d’Yvette qui se croyait fautive d’être ressortie des entrailles de l’enfer, nous l’avons entendu aussi de la bouche d’une jeune femme victime de hold-up, reçue quelques heures après l’événement et qui répétait : « J’ai vu ce que je n’aurais jamais dû voir et je ne sais pas pourquoi je vous dis cela. » La honte restait encore peu exploitée dans la théorie psychanalytique jusqu’à la parution récente d’un ouvrage consacré à cette notion, dans ses rapports avec la culpabilité et le traumatisme (Ciccone, Ferrant, 2009). La honte fait appel à un registre plus archaïque et plus narcissique que la culpabilité, car elle est éprouvée face à un idéal (idéal du moi) et non face aux interdits (du côté du surmoi). Les auteurs soutiennent l’idée que celleci est liée à la perte du sujet (et non de l’objet) dans laquelle on retrouve l’idée d’indignité : indignité de vivre et indignité d’être, pourrions-nous ajouter. L’absence de mot pour décrire l’expérience traumatique fait sortir l’homme de l’humanité : ici s’articule la honte, l’homme est déchu de son rang d’être parlant. La honte peut aussi être le point de départ d’un traumatisme tant elle peut renvoyer à des sensations lointaines : la honte d’être nu ou d’être à nu, de découvrir des parties de l’intime ou de soi, la honte d’avoir été tel un animal dépourvu de langage et à la merci des soins venus des autres pour vivre. Ce sont précisément ces éprouvés qui sont parfois réveillés par le traumatique. La honte d’Yvette quand elle se compare à une bête nous fait associer avec la honte d’un autre patient qui, par le biais du regard et des paroles de son ravisseur (dans le cadre d’une guerre civile semée d’actes de torture), s’est dit honteux car « percé à nu » au moment d’un interrogatoire serré. Bien souvent, la honte laisse place à des moments mélancoliques durant lesquels le sujet se vit comme
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un moins que rien, perdant tout espoir et tout élan vital, retournant la haine contre lui... La culpabilité, liée à la transgression d’une faute (réelle ou imaginaire), maintient plus facilement le patient dans le lien objectal et dans un travail thérapeutique. Selon Lebigot, elle serait même un des moteurs les plus puissants de ce type de cure, dans le sens où la présence de culpabilité signifie que le sujet « y est pour quelque chose » dans toute cette histoire. En effet, la culpabilité signe une subjectivation possible de l’expérience. Alors que lorsqu’elle semble totalement absente, elle laisse place à une victimisation, voire à des sentiments de persécution tenace : « tout vient de l’autre, je n’ai rien à voir là-dedans »... empêchant le patient de tenir sa place de sujet. Vignette clinique Cette femme, que nous avons appelée Yvette, victime d’un crash d’avion, était partie pour un voyage lointain, vivre une aventure dans la brousse, pour inaugurer son passage à la retraite, après une vie professionnelle bien remplie. Poursuivons notre vignette précédente... Lorsque nous la rencontrons dans les jours qui suivent le crash, la honte domine : celle d’avoir été « une bête », celle d’avoir été comme un « déchet » de l’humanité prêt à être brûlé... celle d’avoir été abandonnée de tous (sentiment extrême de solitude). Yvette passera par des moments mélancoliques, disant qu’elle ne vaut plus rien après cela. Et pourtant, nous avons retenu l’image de l’enfer qu’elle est capable d’énoncer assez vite. Lorsque nous la revoyons une dizaine de jours plus tard, après des soins intenses à l’hôpital, elle reprend ce mot, « enfer », et nous la questionnons plus attentivement sur ce propos. Progressivement, ce mot se déploiera dans le suivi psychothérapeutique pour faire écho à la notion de « faute ». La culpabilité émergera alors doucement, autour de vécus imaginaires (être revenue du monde des morts vivants, avoir laissé les autres mourir, être vivante à la place d’un autre...), puis autour de vécus davantage en lien avec sa réalité (plus compréhensible pour ses proches) : elle a longuement hésité à faire ce voyage, à se faire plaisir, sans son mari qui ne se voyait pas du tout partir dans une telle aventure et il a hésité à la laisser partir seule. À cet instant, Yvette a quitté le néant, par le biais de la parole, contenue par une écoute soutenue permettant l’émergence de ses représentations et de ses associations. Nous comprenons ici comment la honte et la culpabilité peuvent s’articuler, à condition d’entendre toute la part qui revient au sujet, sans entraver l’expression de la honte ou de la culpabilité, si étonnante soit-elle parfois...
Dans une expérience traumatique, le sujet peut avoir l’impression de se perdre lui-même, de perdre l’autre, voire d’avoir réellement perdu une partie de soi ou un proche. Barrois (1988) écrit :
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« Les pertes objectales constituent autant d’effractions dans le Moi-peau, autant de "syncopes" ou de silences dans la mélodie de l’existence du sujet. »
Il convient alors de respecter ces silences, ces trous qui parfois gênent la compréhension d’une réalité objective et ce, nous le verrons, dès les premiers temps de la prise en charge. Pour plus de clarté dans l’exposé de ces notions (honte et culpabilité), parfois complexes à saisir tant elles ne s’articulent pas dans un mouvement empathique d’identification à l’autre, nous nous sommes référés au devenir des patients en citant quelques points de leur devenir dans la thérapie. Nous travaillerons dans les chapitres ultérieurs de cet ouvrage la manière dont nous pouvons accueillir ces vécus dans des phases immédiates et post-immédiates.
B OULEVERSEMENTS
PSYCHIQUES LIÉS AU TRAUMA
Après avoir décrit les processus à l’œuvre dans la rencontre traumatique, nous sommes en mesure de comprendre les effets sur l’organisation du sujet. L’objectif de cette partie n’est pas de reprendre précisément tous les symptômes des phases immédiates et post-immédiates, qui seront présentés dans les deux parties suivantes, mais plutôt de comprendre comment la psychopathologie vient s’articuler avec le vécu de l’événement.
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Désorganisation initiale Au décours de la rencontre traumatique, les tableaux cliniques sont divers. Dans le cas des traumatisés, la désorganisation peut être majeure, avec des formes relativement silencieuses jusqu’à des tableaux bruyants. Tous ces états supposent la mise en place de soins psychiques décrits dans cet ouvrage. L’effroi, dans son nouage avec l’effraction traumatique, peut entraîner la sidération : les personnes restent figées, repliées sur elles-mêmes, sans verbalisation. Il est important de relier cet état de sidération à la théorisation précédente pour trouver l’attitude juste du côté du soignant. Le sujet est encore dans cet au-delà, privé de langage, soumis à de fortes angoisses archaïques. Ce qui domine ici est le vide, l’absence, le trou imposé par l’effraction psychique.
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Vignette clinique Un homme d’une quarantaine d’années vient de découvrir sa femme sauvagement assassinée à leur domicile, alors que le couple expatrié vivait dans un pays éloigné de la France depuis quelques années pour des raisons professionnelles. Lorsque nous le rencontrons, au lendemain de cette découverte macabre, David est toujours abattu, recroquevillé sur lui-même, le regard plongé dans des abîmes dont il est difficile de mesurer l’étendue. Son état de prostration durera, empêchant notamment tout interrogatoire de la police venue explorer les lieux du crime et souhaitant le faire parler à l’hôpital. Bien plus tard, David ne pourra pas qualifier ce vécu, frappé d’étrangeté pour lui ; il n’a pas vraiment oublié mais a perdu la notion du temps et de la réalité... Aucun mot, aucune image, aucune représentation ne peuvent venir à son secours pour décrire ce ressenti.
Pour d’autres, c’est la confusion : ils sont frappés d’une désorganisation majeure au niveau du temps et de l’espace. Ils ne savent plus bien qui ils sont, ce qu’ils venaient faire là, ils ont perdu toute notion du temps et de la réalité. Ces états, que les anciens nommaient volontiers « crépusculaires » sont fréquents au décours des grandes catastrophes (tremblements de terre, incendies dans des stades et grands lieux publics, etc.). Les victimes tournent alors en rond, s’égarent, tentent d’échapper aux secours... Cette confusion peut facilement se transformer en agitation : panique de se sentir dans un monde inconnu, sans repères. Elle peut aussi engendrer des propos délirants. Ces symptômes peuvent alors être interprétés comme des tentatives désespérées de remplir la brèche traumatique par des fragments éparpillés saisis ça et là par une psyché désorganisée. « Le traumatisme peut être considéré comme un agent de destruction de la psyché, par conséquent le seul agent dont on peut dire qu’il la modifie à coup sûr » (Zajde, 1998).
Cette modification peut bien entendu être durable mais aussi ponctuelle, limitée dans le temps. Vignette clinique Une femme, victime d’un tremblement de terre, sortie à temps de sa maison qui s’effondre sous ses yeux, est retrouvée par des sauveteurs, errante, à plusieurs kilomètres de son domicile. Elle s’agite, interpelle la population sur la fin du monde, crie à tous que ses deux enfants sont restés sous les décombres de sa maison : elle les a entendus appeler au secours. Après une mise à l’abri de cette victime par les urgentistes, de longues recherches sont lancées pour retrouver ses petits, potentiellement ensevelis dans les
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débris de cet habitacle. Les soignants découvriront plus tard que la mère avait elle-même confié ses enfants à leurs grands-parents, depuis plusieurs jours pour des vacances, loin du séisme. Le traumatisme peut ainsi venir condenser le temps, les angoisses, dans un scénario hallucinatoire bref, y compris sans aucun antécédent psychiatrique.
Un autre témoin de la désorganisation immédiate peut être repéré, plus difficilement d’ailleurs que les états décrits précédemment : il s’agit des états dissociatifs. Initialement, la dissociation psychique est un trouble fondamental de la schizophrénie décrit par Bleuler en 1911 : elle désigne la rupture de l’unité psychique. Elle a ensuite été décrite dans certains tableaux de névrose hystérique avant de trouver une place en psychotraumatologie pour désigner les vécus d’irréalité, de vécu flou avec l’impression de vivre l’événement comme dans un film, d’y assister en tant que spectateur... Freud avait d’ailleurs employé ce terme de « spectateur » lorsque le sujet se trouve confronté à la tentative de représentation de sa propre mort (cf. supra, qui traite de la rencontre avec le néant). Du point de vue psychanalytique, le sujet dissocié est en proie à une division de sa psyché, au clivage : une partie de lui-même prend la mesure des faits réels tandis qu’une autre s’y soustrait.
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Vignette clinique Une jeune femme, victime de viol et d’agression, nous expose ainsi son vécu : « J’étais comme un pantin dans les mains de cet inconnu, un jouet qu’il manipulait à sa guise. Je ne pouvais que le laisser faire car j’avais l’impression d’assister, impuissante, à un mauvais scénario de série B. Je voyais cela, je ne le vivais pas. » La dissociation est ici clairement exprimée : une partie d’elle constate et comprend ce qui est en train de se passer, tandis qu’une autre partie est absente, la coupant de ses affects. Sur le plan psychique, la dissociation peut protéger un temps de l’effondrement car elle permet une mise à distance de l’événement traumatique. Cependant, la réunification des parties, nécessaire à la reprise d’un fonctionnement psychique unitaire, peut alors venir se confondre avec le moment traumatique et inaugurer une phase bien plus douloureuse.
La description de ces états dissociatifs permet de se rendre compte de la difficulté à repérer la désorganisation, tant elle peut être parfois masquée par un discours en apparence adapté, accompagné de comportements dits « automatiques » n’alertant pas d’emblée l’entourage de la victime, ni même les équipes de secours. Cependant, dans une phase dissociative, un sujet peut s’exposer à des dangers dont il ne peut prendre conscience sur le moment.
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« Sans l’outil de structuration qu’est le langage et le souci permanent de l’utiliser pour faire clair en soi, le sujet est comme renvoyé à son autodestruction. » (Boula, 2004)
La désorganisation initiale peut ainsi induire des phénomènes marqués par la déréalisation, la dépersonnalisation conduisant parfois à des passages à l’acte court-circuitant la pensée, dans une dimension destructrice, de soi ou des autres. Examinons à présent le destin de cette première désorganisation psychique, à court et moyen terme. Désorganisation secondaire et ses réorganisations Dans les temps qui suivent la désorganisation initiale, les personnes traumatisées souffrent classiquement d’un syndrome de répétition, de symptômes d’évitement et de réactions neurovégétatives qui viennent envahir la psyché et raviver sans cesse le trauma. La répétition est le signe pathognomonique par excellence de la « névrose traumatique » ou du « syndrome psychotraumatique ». Celle-ci s’exprime sous différentes formes, depuis les rêves dits de « répétition » et les cauchemars, jusqu’au besoin compulsif d’évocation de l’événement, en passant par des flash-back intrusifs et des souvenirs incessants de l’événement traumatique. Du point de vue psychanalytique, la répétition constituerait de fait un mécanisme régulateur qui, répondant à un besoin interne, vise à la diminution de l’intensité des tensions en les déchargeant par petites quantités (Ferenczi, 1927-1933). L’énergie psychique, ainsi libérée, tente de se lier en représentations afin de transformer la répétition mortifère en une tendance « restitutive » qui permettrait la maîtrise ou l’assimilation de la peur passée. Comme dans le rêve, les représentations sont souvent condensées dans un détail qui résume, de manière signifiante pour le sujet, toute la scène traumatique (« ce qui me reste, c’est la vision de ce livre, intact au milieu des corps » évoque une victime d’attentat). Chez Briole (1987), ce qui est en jeu dans la répétition traumatique, c’est la remémoration exacte du vécu de l’événement. À ce propos, l’auteur parle de reproduction « en calque » des circonstances de l’événement traumatique et ajoute-t-il : « Il (le sujet) se remémore, je dirai se remet-mort, à ceci près qu’il y échappe », nous rappelant la place fondamentale de la rencontre manquée avec la mort. Mais si ce mécanisme répétitif se veut « régulateur », comme le rêve pour le dormeur, il signe un échec, tel le cauchemar qui sort le sujet de son sommeil... Ainsi, dans la pensée freudienne, la répétition est une tentative de liaison, lien primordial qui a fait défaut dans l’expérience traumatique et
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qui a laissé une sensation de « non-sens ». Dans « Au delà du principe de plaisir », Freud (1920a) a insisté sur cette forme de répétition compulsive de la situation traumatique, comme tentative de symbolisation. Ce qui a été imposé du dehors et non symbolisé au-dedans (le traumatisme) est répété en interne dans l’espoir de se le représenter : « comme si quelque chose cherchant sa référence symbolique pendant un temps ne trouvait rien, rejouant et revivant sans cesse l’événement sur la scène imaginaire pour mieux échouer à le saisir, à le comprendre » (Genest, Walter, 2006).
En lieu et place du souvenir répétitif, nous pouvons trouver l’acte (acte suicidaire, geste hétéro-agressif, conduite à risque, etc.) : ce dernier peut également venir fixer le sujet à l’événement traumatique initial, paralysant la fonction liante de la pensée (Duchet, 2006b ; 2007b). L’acte devient la condition qui rend possible la mémoire en tant que répétition de situations passées ; il peut alors être considéré comme la partie visible du traumatisme, tandis que le reste est indicible, inaudible, invisible pour l’autre.
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Vignettes cliniques Depuis le braquage dont elle a été victime, Stéphanie, employée d’une bijouterie, ne cesse de revoir en boucle le regard de son agresseur cerné du noir de sa cagoule. Cette vision la hante le jour, surtout lorsqu’elle entraperçoit un tissu noir : le regard (ou plutôt le souvenir traumatique de ce regard) la scrute. L’image de ces yeux la poursuit jusque dans ses nuits, dans ses cauchemars ou dans les moments d’endormissement, comme un condensé de la scène d’agression durant laquelle elle s’est vue morte, percée par ce regard devenu symbole du canon de l’arme employée pour le braquage. Caroline, une cliente présente au moment des faits, a été brutalement jetée au sol parce qu’elle tardait à obéir aux ordres « tout le monde à terre ! » du malfrat. Dans sa chute, son épaule a heurté le coin d’un étal et s’est mise à saigner. Depuis, elle se surprend à se griffer ou se couper la peau du bras jusqu’au sang, comme pour revoir apparaître sans cesse la blessure engendrée par l’action de l’agresseur : Caroline est obnubilée par ce geste qu’elle répète pour, dit-elle, « revoir la réalité en face ». Ces deux exemples nous permettent de rappeler l’importance de la fascination qu’exercent la rencontre traumatique et la soumission au réel en tant qu’indicible : l’image et le geste se répètent, en tant que fragments isolés d’une scène, perdus dans un appareil psychique effracté.
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L’évitement constitue l’autre versant classique des signes du syndrome psychotraumatique. Le plus souvent, il apparaît très vite après la rencontre traumatique : évitement du lieu de l’événement, de toute image, scène, voire pensées susceptibles de réévoquer le traumatisme. Les conduites d’évitement les plus classiques concernent les lieux publics, la foule ou les personnes rappelant celles rencontrées sur les lieux de l’accident (les bandes, les attroupements, etc.). Dans la théorie psychanalytique, l’évitement signe un déplacement de la scène traumatique sur des situations qui lui sont reliées, en vertu d’un rapport associatif propre au sujet. La menace est projetée sur un objet ou une situation qui permet à la victime de fixer l’angoisse. La situation phobogène devient l’objet d’un surinvestissement, coûteux en énergie, et d’une fascination diablement séductrice. Comme pour la répétition, les conduites d’évitement sont peu organisatrices : bien qu’elles représentent une tentative de maîtrise de la situation, elles ne parviennent généralement pas à maintenir l’angoisse à distance (comme c’est le cas dans les phobies névrotiques classiques). Le travail d’intégration psychique du « corps étranger interne » est à nouveau rendu impossible. D’ailleurs, l’évitement reste l’un des symptômes les plus persistants dans la clinique au long terme des traumatisés. De plus, ce type de trouble, souvent accompagné de vérifications anxieuses (paquets ou visages suspects), devient socialement très invalidant (changements de trajets, de mode de vie, voire de profession...). Enfin, ces conduites peuvent facilement s’étendre à l’entourage proche de la victime, par identification à cette dernière ou par « propagation » du trauma (Duchet, Jehel, Guelfi, 2000 ; Delage, 2001). Vignettes cliniques Suite au braquage dont elle a été victime en tant qu’employée de bijouterie, Stéphanie se plaint de ne plus pouvoir retourner travailler. Elle évite également d’entrer dans toute grande surface susceptible de vendre des objets de valeur et ne porte plus aucun effet susceptible de s’apparenter à des bijoux. L’image du bijou vient condenser (en sus du souvenir répétitif du regard de son agresseur) pour elle la menace de mort et d’effraction de l’autre dans sa sphère sociale ou intime. Elle demande alors à son petit ami de l’accompagner dans tous ses déplacements, afin de se sentir protégée. Plus rarement, l’évitement portera sur des processus de pensée, comme chez cet enfant de 3 ans pris dans un tremblement de terre dont les parents avaient tenté de masquer la réalité en prétextant que de gros travaux dans la région avaient fait trembler les immeubles. Privé de sa capacité à penser les événements, et plongé dans l’angoisse profonde des adultes exclus de leur logement habituel, Quentin s’était mis à présenter de sérieux troubles du comportement. Sans cesse en mouvement, sans cesse agité (pour rester
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en vie ? pour répéter le séisme vécu ?), aucune pensée ne semblait l’habiter jusqu’au jour où sa famille, aidée d’un pédopsychiatre, a pu mettre des mots sur ce qui s’était effectivement passé.
Les réactions neurovégétatives viennent enfin compléter le tableau classique du syndrome psychotraumatique. Composées de sursauts parfois immotivés, d’états d’hypervigilance, de conduites paniques incontrôlables (avec agitation motrice), de symptômes marqués d’anxiété ou de vigilance accrue, les réactions neurovégétatives représentent en quelque sorte l’imprégnation dans le corps du trauma. Certes, la psyché a été attaquée mais avec elle l’enveloppe corporelle qui conserve, elle aussi, la mémoire instinctive de l’afflux d’excitations. Le Moi-peau est écorché. La peau, les muscles, les perceptions et les sens du sujet sont alors envahis et porteurs du souvenir traumatique. Dès qu’un élément de la réalité vient à rappeler la scène traumatique, qu’il soit bruit, image ou odeur, ou même sans stimuli extérieurs, le « film » recommence, avec son cortège d’affects et de réactions.
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Vignettes cliniques Après l’attentat à la bombe dans un train, Maurice s’est mis à sursauter au moindre bruit ou à la moindre inquiétude ressentie. Plus compliqué encore, dès que l’image du chaos ressurgit à ses yeux, il ne peut s’empêcher de se recroqueviller, comme il l’a fait au moment de l’explosion pour se protéger des débris du wagon dans lequel il voyageait. Depuis ce même attentat, Vincent ne peut plus faire la cuisine sans immédiatement sentir l’odeur des chairs brûlées par les déflagrations. Pour Lisette la mélomane, c’est le bruit sourd de l’explosion qui revient perturber sans cesse son écoute des grandes œuvres de musique classique : chaque son de percussion vient faire écho à celui de la bombe. Inscrites ou non dans un univers familier, ces réactions scandent la vie de certaines victimes. À l’instar des éléments traumatiques épars de la psyché, des fragments sensoriels surgissent comme pour évoquer un trauma à fleur de peau...
Les désorganisations secondaires que nous venons de décrire marquent aussi des tentatives de réorganisation après le cataclysme événementiel : la régulation interne de la psyché, antérieure à l’événement, tente de se rejouer. Tantôt rythmée par la répétition (psychique ou corporelle) qui tente de lier dans un mouvement perpétuel les excitations traumatiques, tantôt sur le chemin de la symbolisation dans le repérage fantasmatique de l’objet ou du lieu à éviter pour ne plus être confronté à de nouvelles menaces, le sujet tente de quitter le réel pour s’inscrire peu à peu dans le registre de l’imaginaire. Mais ce passage ne peut se faire que par le
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biais d’une véritable transformation des éléments bruts en éléments plus acceptables par la psyché, ce que la répétition peine finalement à réaliser. Aspects positifs et négatifs du traumatisme À la fin de sa vie, dans L’Homme Moïse et le Monothéisme, Freud (1939) a parlé d’un double aspect, positif et négatif du traumatisme : le premier, animé par la pulsion de vie, contribuerait à la représentation de la pulsion et à son élaboration psychique (aspect positif), tandis que le second, allié au contraire à la pulsion de mort, tendrait à le vider de son énergie (aspect négatif) en atteignant le but opposé et en empêchant la remémoration et la répétition des éléments traumatiques. Les aspects positifs du traumatisme correspondent aux « efforts pour remettre en œuvre le traumatisme, donc pour remémorer l’expérience oubliée ou, mieux encore, pour la rendre réelle, pour en vivre à nouveau une répétition ». La culpabilité est l’une des voies royales d’accès à cette subjectivation de l’expérience, c’est pourquoi il est bon de la laisser se déployer dans un processus thérapeutique. Bien entendu, la culpabilité n’a souvent rien à voir avec l’objectivité des faits : se sentir coupable de vivre (syndrome du survivant) après un accident dans lequel la victime n’a fait que subir la défaillance de la technique ou de la nature n’a rien de compréhensible pour le commun des mortels. Mais le sentiment est là, tenace, et par-là même introduit du sens dans l’expérience de non-sens qu’est la rencontre traumatique. Cette introduction d’une part de sens fait toute la différence. Vignette clinique Louison a été témoin d’une rixe entre deux bandes rivales. Les agressions verbales ont rapidement laissé place à un échange de coups puis au déploiement d’armes blanches. La jeune femme s’est retrouvée spectatrice de cette scène, saisie par la montée de la violence qu’elle n’a pas comprise. À la première blessure grave – un homme gravement atteint à l’abdomen – les jeunes se sont dispersés. Louison, mobilisée par son brevet d’aptitude aux premiers secours, a tenté d’apporter de l’aide à cette personne qu’elle ne connaissait pas. Ses gestes, utiles pour ralentir l’hémorragie, n’ont pas semblé suffire car l’homme a perdu connaissance peu avant l’arrivée du SAMU. Elle a alors pensé qu’il était mort, et par sa faute. Lorsque nous l’avons rencontrée, elle disait d’ailleurs qu’elle l’avait tué et qu’elle aurait dû mourir à sa place. Cette faute imaginaire, étant entendu qu’elle n’était pas à l’origine du coup mortel porté à cet homme, renforçait l’incompréhension de son entourage. Un long travail associatif a permis à cette jeune patiente de retrouver peu à peu le fil de sa culpabilité. Si elle avait choisi de passer son brevet de secourisme, c’est par sens du devoir rapportait-elle dans un premier
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temps, mais finalement aussi (et cette autre scène traumatique viendra à sa conscience bien plus tard) parce qu’elle avait assisté, impuissante, il y a plus de quinze ans auparavant, à la mort subite d’une amie de ses parents décédée, en plein dîner, d’une crise cardiaque. L’association entre les deux scènes a fini par émerger grâce au souvenir d’un détail : le saisissement ressenti au moment où les yeux des victimes se ferment brutalement. Peut-être la référence au regard qui disparaît subitement au décours d’une conversation animée entre adultes lors du dîner parental est-il une pure reconstruction... Peu importe, elle a permis l’émergence d’un récit qui donnait du sens à son sentiment d’impuissance. Nous pourrions faire référence ici à la théorie de l’après-coup, lorsqu’un événement vient réveiller, à son insu, un traumatisme antérieur non élaboré : ce cas est fréquemment rencontré en consultation de psychotraumatisme. Mais nous souhaitons plutôt insister ici sur l’introduction du sens : sens du devoir citoyen dans un premier temps, laissant place à l’écho d’une autre scène qui n’avait fait sens pour une enfant âgée de 10 ans à l’époque. Ici, le traumatisme est porteur de vie, d’un nouveau regard apporté sur ses choix existentiels et professionnels. Il a d’ailleurs laissé place pendant un temps à de nouvelles activités bénévoles autour de l’accompagnement des mourants, dans une dynamique de réparation signifiante chez elle, et non dans une répétition mortifère. Louison l’annonçait elle-même : elle pouvait désormais aider des yeux à se fermer dans un contexte paisible...
À l’inverse, un patient qui entend ne prendre aucune part dans ce qu’il a subi, reste figé dans une entreprise de victimisation. Nous évoquons pour lui un traumatisme mortifère, voué à la fixation à la pulsion de mort. Nous avons alors proposé dans un autre contexte (Duchet, 2006b) une différenciation entre le traumatisme mortifère et le traumatisme porteur de vie en nous inscrivant dans la lignée de Rosenberg qui distingue le masochisme mortifère et le masochisme gardien de la vie. Le traumatisme porteur de vie correspondrait à celui qui parvient à soumettre le sujet « au travail » : dès que le sujet reconnaît qu’il a une part à prendre dans l’événement qu’il a subi, il commence à s’inscrire dans une subjectivité et une humanité porteuses d’un langage signifiant qui l’éloigne du réel traumatique et de la répétition stérile. La théorisation psychanalytique est un point d’appui précieux pour comprendre la souffrance des personnes confrontées à un choc traumatique. Les approches centrées sur les émotions, les cognitions et les comportements permettent de saisir d’autres enjeux impliqués dans le choix et dans le contenu des soins thérapeutiques proposés aux victimes dans les phases immédiates et post-immédiates. Nous allons maintenant les présenter dans le chapitre suivant.
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Chapitre 4
ÉCLAIRAGES COGNITIVISTES
les plus récentes qui rendent compte de l’état de stress post-traumatique défendent l’idée selon laquelle le trouble résulterait de l’interaction de nombreux dysfonctionnements dont les premiers apparaîtraient dès l’exposition traumatique. Ces dysfonctionnements affecteraient les trois phases du traitement de l’information traumatique : son encodage (ou l’entrée de l’information dans le système cognitif et la formation d’un engramme), son stockage (ou le maintien de la trace mnésique) et sa récupération (ou le processus ramenant la trace mnésique à la conscience). Ils entraveraient ainsi de différentes manières la résolution naturelle du traumatisme. Sur le plan structural, ils toucheraient tout particulièrement la mémoire autobiographique et entraveraient l’élaboration des souvenirs autobiographiques de l’événement traumatogène, les transformant en partie en reviviscences incontrôlables. Dans le cadre de ce chapitre, nous proposons de passer en revue les trois théories cognitives les plus influentes dans le domaine (pour une présentation plus détaillée, voir Molenda, 2009) :
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L
ES THÉORIES COGNITIVES
– la théorie de la représentation duale de Brewin et de ses collaborateurs (Brewin, 2001, 2003 ; Brewin, Dalgleish, Joseph, 1996) ;
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D U TRAUMATISME PSYCHIQUE À L’ ÉTAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE
– le modèle cognitif de l’état de stress post-traumatique d’Ehlers et de Clark (2000) ; – et le modèle CaR-FA-X de Williams et de ses collaborateurs (Williams et al., 2007). Toutefois, afin d’en faciliter la lecture, nous commencerons par définir la mémoire autobiographique et ses composantes et exposerons les principaux mécanismes à l’œuvre dans l’acte de souvenance.
M ÉMOIRE
AUTOBIOGRAPHIQUE
La mémoire autobiographique se définit à l’heure actuelle comme « un ensemble d’informations et de souvenirs particuliers à un individu accumulés depuis sa naissance et qui lui permettent de construire un sentiment d’identité et de continuité » (Piolino, Desgranges, Eustache, 2000). Elle ne correspondrait pas un système mnésique indépendant, mais plutôt à un domaine de connaissances qui réfère au soi (Brewer, 1986 ; Baddeley, 1986) et qui est régi par les mêmes processus et les mêmes systèmes d’organisation que le reste de la mémoire. Les données cognitives et neuropsychologiques actuelles convergent vers la notion d’une mémoire autobiographique multiple et complexe comportant à la fois des connaissances spécifiques et générales ainsi que des aspects épisodiques et sémantiques. Le fonctionnement de la mémoire autobiographique a été modélisé par de nombreux auteurs mais c’est le modèle du self memory system développé par Conway et Pleydell-Pearce en 2000 qui est le plus influent. D’après ce modèle, le fonctionnement de la mémoire autobiographique s’expliquerait à partir de l’interaction de deux composantes : le working self et la base de connaissances autobiographiques. Self et working self Dans le modèle du self memory system, le self est conçu comme une hiérarchie de buts actifs – le working self – qui motive et module la cognition, l’émotion et le comportement (Conway, Singer, Tagini, 2004). Plus précisément, le working self correspondrait à une hiérarchie complexe de buts et de sous-buts, articulée autour de boucles de rétroaction positives et négatives dans laquelle les buts sont représentés à différents niveaux de spécificité (Carver, Scheier, 1982, 1998). Il opérerait en mémoire de travail (Baddeley, 1986, 2000) et serait dans un état d’activation permanent. Cependant, à certains moments, une
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Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
configuration particulière de sous-buts pourrait atteindre un niveau d’activation plus élevé que le reste de la structure et prendre ainsi la main sur le guidage et la régulation de la cognition, de l’affect et du comportement en cours (Carver, Scheier, 1998). Enfin, le working self aurait pour fonction principale de maintenir la cohérence entre les buts actifs, le self conceptuel et les connaissances autobiographiques. Il y parviendrait en exerçant un contrôle sur l’encodage, le stockage et le degré d’accessibilité des différentes informations autobiographiques ainsi qu’en modulant la construction des souvenirs autobiographiques spécifiques. Un développement théorique récent du working self (Conway, Meares, Standart, 2004 ; Conway, Singer, Tagini, 2004) avance l’idée selon laquelle celui-ci émergerait de l’instanciation en mémoire de travail d’un self conceptuel stocké en mémoire à long terme. Dans cette perspective, il pourrait y avoir plusieurs représentations du self conceptuel stockées en mémoire à long terme, chacune correspondant à une structure de connaissances conceptuelles qui ne serait pas spécifiée dans le temps et qui serait relative à un aspect de soi, participant à la définition de l’identité personnelle, de celle des autres et des interactions typiques avec les autres et le monde environnant. Ces structures de connaissances seraient largement issues des influences familiales et de la socialisation avec les pairs, de l’école, de la religion mais également des histoires, contes de fées et mythes. Les influences médiatiques pourraient également participer à leur constitution. Enfin, le self conceptuel serait connecté aux deux systèmes mnésiques – conceptuel et épisodique – de la base de connaissances autobiographiques et serait responsable de l’activation de souvenirs autobiographiques particuliers qui viendraient alimenter et donner un contexte aux connaissances thématiques activées. Base de connaissances autobiographiques Pour Conway et ses collaborateurs (Conway, Pleydell-Pearce, 2000 ; Conway, 2005), la connaissance autobiographique serait stockée en mémoire à long terme au sein de deux systèmes de représentations : le premier conceptuel et le second, épisodique. La principale différence entre ces deux systèmes tiendrait au fait que, contrairement aux représentations épisodiques, les représentations conceptuelles ne conserveraient pas les informations relatives à leur contexte spatiotemporel d’acquisition. Au sein de la base de connaissances autobiographiques, ces deux systèmes entretiendraient des relations hiérarchiques partinomiques (Barsalou, 1988 ; Conway, 1996 ; Conway, Bekerian, 1987 ; Lancaster,
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D U TRAUMATISME PSYCHIQUE À L’ ÉTAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE
Barsalou, 1997 ; Burt, Kemp, Conway, 2003), le système conceptuel subsumant le système épisodique.
Connaissances autobiographiques conceptuelles Le système conceptuel ne comporterait que des connaissances autobiographiques abstraites. Celles-ci y seraient intégrées au sein d’une hiérarchie composée de quatre niveaux qui correspondraient, du plus au moins abstrait aux : histoire de vie, thèmes, périodes de vie, événements généraux. L’histoire de vie (Pillemer, 1998 ; Bluck, Habermas, 2001 ; Bluck, 2003) contiendrait des connaissances normatives relatives à la façon dont une histoire de vie se construit dans notre culture. Elle correspondrait en quelque sorte à l’internalisation de conventions sociales au regard de l’ordre de déroulement des événements de vie, des thèmes dominants, des attributions causales, et des positions évaluatives vis-à-vis des expériences de vie (Conway, Singer, Tagini, 2004). Elle comprendrait enfin des images de soi qui diviseraient et sépareraient le self conceptuel en plusieurs représentations différentes ou self différents (par exemple, « moi en tant que père », « moi en tant que patron d’entreprise », etc.). Ces divisions seraient constituées à partir des différents indices contenus dans les images de soi, indices qui offriraient un accès différencié à d’autres connaissances de la base, dont en premier lieu les thèmes. Les thèmes contiendraient des connaissances relatives aux buts et aux plans propres à chaque thème (« le thème du travail », « le thème des relations ») et auraient pour fonction de coordonner et de souligner le sens abstrait des diverses combinaisons de périodes de vie dont ils émergent. Dans le modèle du self memory system, un même thème pourrait donc indexer plusieurs périodes de vie à partir d’indices différents. Les périodes de vie référeraient chacune à un long segment de vie mesuré en années ou en décennies et seraient dotées d’un début et d’une fin. Elles contiendraient les buts et les plans du self conceptuel qui lui sont particuliers ainsi que les connaissances relatives non seulement aux acteurs (« quand je vivais avec X »), endroits (« quand je fréquentais le lycée »), objets et activités (« quand j’ai pris mon premier travail ») communs à la période mais également aux sentiments, évaluations et croyances caractéristiques de cette même période (« c’était la période où les choses n’allaient pas bien pour moi »). Ces connaissances seraient schématiques et pourraient prendre la forme d’images génériques (comme l’image du lycée fréquenté) (Haque, Conway, 2001). Une période de vie pourrait également contenir une connaissance temporelle relativement large sur l’ordre d’apparition des événements généraux (par
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exemple, projets de travail, phases dans les relations, vacances, etc.) qu’elle indexe (Conway, Bekerian, 1987). Enfin, les événements généraux seraient plus spécifiques que les périodes de vie et en même temps plus hétérogènes et nombreux. Ils incluraient des connaissances sur les événements catégoriels ou répétés comme « nos week-ends à la campagne » (Barsalou, 1988 ; Williams, 1996), les événements étendus dont la durée dépasse la journée comme « la visite de Florence » ou « les préparatifs de Noël » (Conway, 1996 ; Haque, Conway, 2001 ; Burt, Kemp, Conway, 2003), et les mini-histoires comme « apprendre à conduire » ou « ma première relation amoureuse » (Robinson, 1992). Comme les périodes de vie, les événements généraux contiendraient des connaissances sur les acteurs, lieux, activités, buts, évaluations significatives pour le self communs à l’événement général mais ces connaissances seraient plus spécifiques à l’événement (par exemple, la facilité avec laquelle l’apprentissage de la conduite a été mené). Ils contiendraient également une connaissance temporelle relative à l’ordre d’apparition des souvenirs épisodiques.
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Connaissances autobiographiques épisodiques Pour Conway (1992, 2001), une représentation épisodique serait un enregistrement mnésique résumé d’une période durant laquelle les contenus de la conscience sont demeurés stables. En d’autres termes, une représentation épisodique serait automatiquement enregistrée à chaque changement d’état de conscience contemporain d’une fluctuation de l’attention ou de sa réorientation vers une tâche différente de celle en cours. Les représentations épisodiques couvriraient des périodes de temps très courtes, de l’ordre de la seconde ou de la minute et contiendraient des informations sur l’état du but en cours (en particulier sa progression) et sur les résultats des traitements inconscients/automatiques mis en œuvre à ce moment-là. À ce titre, Conway (2001) compare les représentations épisodiques à des impressions instantanées riches d’éléments sensoriperceptivo-émotionnels de ce sur quoi la structure de buts du working self a porté son attention. Dans le modèle du self memory system, les représentations épisodiques seraient stockées séparément des représentations conceptuelles au sein d’un système mnésique indépendant – le système épisodique – (Conway, 1992) doté de propriétés propres comme des règles de stockage basées sur l’analogie ou la contiguïté temporelle et des mécanismes d’activation des traces mnésiques basés sur le principe de spécificité de l’encodage (Tulving, Thomson, 1973). Cependant, toutes les représentations épisodiques enregistrées instant après instant ne seraient pas préservées et
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maintenues à long terme. Seules celles qui seraient indexées par une structure d’ordre plus élevé (i.e. par un événement général) seraient protégées de l’oubli (Conway, 2001). Enfin, les représentations épisodiques joueraient un rôle crucial dans l’acte de souvenance, dans la mesure où elles seules pourraient être « recollectively experienced » (Conway et al., 1997) quand elles accèdent à la conscience. Autrement dit, seule leur activation serait accompagnée « d’une expérience subjective du souvenir » (Tulving, 1985). Cette expérience serait elle-même associée au sentiment que l’information qui accède à la conscience fait partie du passé personnel. Tulving (1985) désigne ce type de prise de conscience par l’expression « conscience autonoétique ». Dans les termes du self memory system, la conscience autonoétique serait une caractéristique centrale de l’expérience subjective du souvenir dans laquelle le self actuel deviendrait conscient de lui-même dans le passé. Ce phénomène pourrait être accompagné d’une imagerie vivace ainsi que de la réactivation des pensées, buts, efforts personnels et sentiments hautement spécifiques contenus dans la représentation épisodique alors activée (Gardiner, Ramponi, Richardson-Klavehn, 1997 ; Gardiner, Conway, 1999 ; Gardiner, Richardson-Klavehn, 2000).
C ONSTRUCTION
DES SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES
Pour Conway et Pleydell-Pearce (2000), l’acte de souvenance est un véritable processus de reconstruction perceptivo-conceptuel. Les souvenirs autobiographiques qui en résultent sont vus comme des représentations mentales transitoires reconstruites et maintenues avec effort dans la conscience. Ils correspondraient à des profils d’activation particuliers qui couvriraient simultanément certaines parties de la hiérarchie de buts actifs du working self et de la base de connaissances autobiographiques. Ces profils d’activation pourraient être générés soit par un processus de récupération, indirecte soit par un processus de récupération directe (Moscowitch, 1989 ; Conway, 1992, 1997b ; Moscowitch, Mello, 1997). La principale différence entre les deux types de récupération étant que la recherche de l’information en mémoire serait modulée par des processus de contrôle dans la récupération indirecte tandis qu’elle ne le serait pas, ou qu’elle le serait de façon beaucoup moins étendue, dans la récupération directe.
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Récupération indirecte La récupération indirecte n’a lieu que lorsque l’individu tente d’accéder intentionnellement à des souvenirs (Tulving, 1983 ; Nyberg et al. 1995 ; Schacter et al., 1996 ; Schacter, Norman, Koustaal, 1998). Dans ce cadre, le processus de reconstruction du souvenir mettrait en jeu le working self qui initierait et modulerait les opérations mnésiques à partir de la base de connaissances autobiographiques. Ce processus de reconstruction serait cyclique (Norman, Bobrow, 1979 ; Williams, Hollan, 1981 ; Reiser, Black, Abelson, 1985 ; Baddeley, Wilson, 1986 ; Burgess, Shallice, 1996) et sous la dépendance de l’administrateur central ou système central exécutif de la mémoire de travail (Norman, Shallice, 1980 ; Baddeley, 1986). Il se décomposerait en trois phases. La première phase serait une phase d’élaboration d’un indice de recherche sur lequel le sujet s’appuierait pour trouver un contexte (par exemple, une période de vie) à partir duquel pourrait démarrer le processus de recherche de l’information. Cet indice serait défini à partir d’une représentation mentale transitoire appelée « modèle de récupération » qui (a) intégrerait les contraintes fixées par les demandes de la tâche (par exemple, évoquer un souvenir avec un ami, ruminer sur le passé, rappeler un souvenir spécifique à la demande d’un expérimentateur) et celles fixées par les buts actifs du working self et qui (b) contiendrait en conséquence les critères à partir desquels les connaissances activées au sein de la base de connaissances autobiographiques seront évaluées lors du processus de récupération. La deuxième phase, dite de recherche stratégique, serait une phase de planification et de description dans laquelle il s’agirait de mener une recherche à partir du contexte trouvé lors de la première phase. Cette phase serait indépendante des processus de contrôle. L’indice élaboré activerait différents chemins au sein de la base de connaissances autobiographiques ; cette activation étant canalisée par les index des différentes structures de connaissances. Enfin, la troisième phase serait une phase d’évaluation dans laquelle il s’agirait de vérifier le produit de la recherche à la lumière des critères du modèle de récupération. Pour ce faire, dès qu’une connaissance est activée, elle deviendrait disponible aux processus de contrôle et serait comparée aux critères de vérification. En cas de concordance, le processus de récupération s’interromprait et un souvenir autobiographique émergerait à la conscience. Dans le cas contraire, un nouvel indice serait généré et le processus de récupération initierait un nouveau cycle de recherche. Ce phénomène se répéterait jusqu’à ce que la connaissance activée réponde
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aux critères. Enfin, le processus de récupération conduirait d’une connaissance abstraite à plusieurs connaissances spécifiques : par exemple, une période de vie donnerait accès à plusieurs événements généraux et un événement général à plusieurs représentations épisodiques. Récupération directe Dans la récupération directe, l’accès à la base de connaissances autobiographiques se ferait directement au niveau des représentations épisodiques, de façon involontaire, en réponse à des indices très particuliers (odeur, saveur, mélodie) selon le principe de spécificité de l’encodage (Tulving, Thomson, 1973). Selon ce principe, la probabilité du rappel d’un événement vécu dépend de la façon dont un indice issu de l’environnement actuel réinstaure une partie de l’encodage initial. Pour Conway et Pleydell-Pearce (2000), les cas de récupération directe seraient relativement rares. Toutefois, ils devraient être plus fréquents pour des souvenirs récents parce que les objets, actions, sentiments et pensées qui apparaissent dans le passé récent (probablement dans les vingt-quatre heures qui suivent l’événement) seraient, pour les auteurs, encore fortement associés aux buts actifs du working self et en conséquence facilement accessibles. Accès à la conscience des souvenirs Pour Conway et Pleydell-Pearce (2000), une caractéristique clé de la base de connaissances autobiographiques serait qu’elle réagirait à des indices de tout type à tous les niveaux d’abstraction, allant du très spécifique – par exemple, un goût (Proust, 1913) ou une odeur (Rubin, Groth, Goldsmith, 1984) – à la structure abstraite d’un problème (Schank, 1982 ; Ross, Perkins, Tenpenny, 1990). À cause de cette sensibilité, des profils d’activation émergeraient continuellement. Cependant, dans la grande majorité des cas, les indices élaborés activeraient d’abord des événements généraux ou des périodes de vie ou les deux. Or la difficulté est qu’à ces niveaux, la propagation de l’activation serait diffuse. Ainsi, la connaissance tenue au niveau des périodes de vie indexerait de nombreux événements généraux tandis que celle tenue au niveau des événements généraux indexerait de nombreux autres événements généraux ainsi que de nombreuses représentations épisodiques. Dans ce cas, la formation d’un profil d’activation stable ne pourrait être atteinte sans le recours organisateur et structurant du modèle de récupération, de sorte que sans l’aide de ce dernier, les profils d’activation finissent par se dissiper. À l’opposé, la propagation de l’activation à partir d’une représentation
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épisodique n’activerait qu’un seul événement général qui lui-même n’activerait qu’une seule période de vie, formant ainsi d’emblée un profil d’activation stable. Il ne resterait alors pour tout traitement qu’à établir un lien entre ce profil et la structure de buts actifs du working self. Face à cette configuration, les auteurs distinguent plusieurs issues possibles : – les processus de contrôle du working self interdiraient l’entrée du profil d’activation dans les séquences de traitement en cours et, à partir de là, dans la conscience ; – le profil d’activation serait sélectionné par les processus de contrôle du working self, il entrerait alors dans les séquences de traitement en cours, provoquant l’émergence spontanée d’un souvenir autobiographique ; – les processus de contrôle seraient dépassés de sorte que le système cognitif entrerait automatiquement dans un mode de récupération tandis que le profil d’activation se lierait aux buts du working self, provoquant là aussi l’émergence inattendue et spontanée d’un souvenir (Conway, 1997b). Dans chacun des trois cas, aucune élaboration d’indices ni aucune phase de recherche n’interviendraient. De plus, le working self opérerait seulement après que le profil d’activation a été construit au sein de la base de connaissances autobiographiques. Enfin, l’émergence involontaire d’un souvenir autobiographique à la conscience aurait pour conséquence de perturber, voire d’interrompre, les séquences de traitement en cours.
T HÉORIE
DE LA REPRÉSENTATION DUALE
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Principes de base de la théorie Pour Brewin et ses collaborateurs (Brewin, Dalgleish, Joseph, 1996 ; Brewin, 2001 ; 2003), le signe pathognomonique de l’état de stress post-traumatique est la reviviscence, c’est-à-dire l’accès répétitif et involontaire aux souvenirs de l’événement traumatogène. Cette reviviscence se décline sous la forme de phénomènes quasiment hallucinatoires à fortes composantes sensorielles et perceptives, encore appelés flash-back, et de cauchemars au cours desquels le sujet revit les scènes traumatisantes tout en conservant le même point de vue que lors de l’événement original. Par tous ces aspects, la reviviscence se différencie des autres souvenirs autobiographiques traumatiques par nature narratifs et qui sont la plupart du temps évoqués de manière intentionnelle (Hellawell, Brewin, 2002 ; 2004).
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Pour rendre compte de ces phénomènes, les auteurs développent une théorie cognitive qu’ils appellent théorie de la représentation duale de l’état de stress post-traumatique. Celle-ci est basée sur deux systèmes mnésiques qui s’inspirent largement des systèmes conceptuel et épisodique définis par l’équipe de Conway. Ces systèmes fonctionneraient en parallèle et seraient dotés de propriétés propres. Ainsi, un seul et même acte de perception laisserait des traces mnésiques multiples, de nature représentationnelle différente, distribuées en parallèle dans chacun des deux systèmes. Le type de traitement appliqué aux informations issues de l’environnement au moment de leur encodage conditionnerait leur enregistrement dans l’un ou l’autre des deux systèmes. Pour expliquer cette répartition, les auteurs reprennent une opposition classique en psychologie cognitive entre processus automatiques et processus contrôlés. Ils s’appuient sur les travaux de Shiffrin et Schneider (1977) qui suggèrent que les informations entrant dans le système cognitif feraient l’objet d’un traitement automatique étendu, incluant une analyse sémantique, avant que certaines d’entre elles ne soient sélectionnées pour le traitement contrôlé conscient. Dans ce cadre, seules les informations bénéficiant d’un traitement contrôlé, plus profond, seraient stockées dans le système conceptuel. Dès lors, elles pourraient être récupérées de manière flexible, combinées avec d’autres connaissances conceptuelles et utilisées pour d’autres types d’activités cognitives complexes (pensée, planification, résolution de problème, communication, etc.). Cependant, comme leur enregistrement est médiatisé par des processus sériels à capacité limitée (comme l’attention, par exemple), la quantité d’informations stockable en un temps donné serait relativement faible. A contrario, le système épisodique serait très efficace pour capturer l’expérience perceptivo-sensorielle et requerrait peu si ce n’est aucune ressource attentionnelle, de sorte qu’il pourrait enregistrer un très grand nombre d’informations en un temps donné. Ainsi, il contiendrait des informations (lumière, son, etc.) qui ont été obtenues à partir d’un traitement perceptif de bas niveau mais relativement étendu des multiples stimuli issus de l’environnement. Dans l’état de stress post-traumatique, le système conceptuel serait impliqué dans l’évocation des souvenirs autobiographiques narratifs de l’expérience traumatique. Ces derniers pourraient interagir avec les autres connaissances stockées dans ce même système et seraient en conséquence représentés au sein d’un contexte personnel complet comprenant le passé, le présent et le futur. Leur contenu serait lié aux différentes évaluations portant sur l’événement traumatogène et sur ses répercussions ultérieures sur l’image personnelle et les aspirations et buts profonds de
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
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l’individu. Leur évocation serait accompagnée non seulement d’émotions primaires mais également d’émotions secondaires, comme la honte ou la colère. Enfin, la qualité des souvenirs autobiographiques traumatiques évoqués par la narration serait largement conditionnée par l’étendue de l’encodage lors de l’expérience traumatique qui elle-même dépendrait de l’intensité des réactions émotionnelles ressenties à ce moment-là. Ainsi, les personnes subissant de fortes émotions et une réaction de stress intense lors de l’exposition traumatique présenteraient une plus grande probabilité de stocker des informations parcellaires au sein du système conceptuel et auraient en conséquence par la suite plus de difficultés à évoquer par la narration des souvenirs détaillés et cohérents. De son côté, le système épisodique serait impliqué dans l’accès à la conscience des phénomènes de reviviscence (flash-back et cauchemars). De plus, parce qu’il n’utilise que des codes analogiques, ces reviviscences seraient difficilement communicables aux autres. Elles n’interagiraient pas non plus avec les connaissances contenues dans le système conceptuel de sorte qu’elles seraient dépourvues de toute perspective temporelle et que leur mise à jour serait laborieuse voire impossible. Elles seraient déclenchées par appariement perceptif avec des indices évocateurs du traumatisme psychique rencontrés soit dans l’environnement externe de l’individu soit dans l’environnement interne de ses processus mentaux. Ainsi, leur accès à la conscience serait involontaire et difficilement contrôlable. Enfin, les émotions qui accompagnent les reviviscences éditées par le système épisodique seraient restreintes aux émotions primaires ressenties durant l’exposition traumatique. En se basant sur ces données, Brewin et ses collaborateurs définissent l’état de stress post-traumatique comme un trouble « hybride » (Brewin, Holmes, 2003) dans lequel chacun des deux systèmes pourrait être affecté par des processus pathologiques différents. Ainsi, les processus pathologiques susceptibles d’affecter le système conceptuel impliqueraient la gestion des évaluations, des attributions négatives et des émotions qui les accompagnent tandis que ceux qui affecteraient le système épisodique impliqueraient la gestion des reviviscences. La confrontation traumatique, source de rupture Dans la théorie de la représentation duale (Brewin, Dalgleish, Joseph, 1996 ; Brewin, 2001 ; 2003) le mode de récupération de l’information stockée dans le système épisodique est basé sur l’appariement perceptif et rendrait de ce fait le système extrêmement sensible à de nombreux stimuli externes. Toutefois, d’ordinaire, les éventuelles explosions de souvenirs perceptivo-sensoriels à la conscience seraient contrôlées par
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le système conceptuel qui exercerait une inhibition sur l’activation des représentations perceptives et sur leur accès à la conscience. Ce contrôle serait rendu possible parce que les représentations contenues dans le système conceptuel contiendraient suffisamment d’informations sur les indices de récupération critiques pour le système épisodique (Brewin, Dalgleish, Joseph, 1996). Or l’expérience traumatique bouleverserait cet équilibre. Ainsi, lors de l’exposition traumatique, la réaction de stress et les émotions ressenties renforceraient l’efficience des traitements qui sous-tendent l’enregistrement des informations au sein du système épisodique tout en diminuant celle des traitements impliqués dans le stockage des informations au sein du système conceptuel. Le système épisodique se trouverait alors doté d’un très grand nombre de représentations particulièrement riches et stables tandis que le système conceptuel n’enregistrerait que peu d’informations, qui plus est, pauvres et parcellaires. Cette surreprésentation de l’information traumatique au sein du système épisodique d’une part et la médiocrité des représentations conceptuelles de l’autre ne permettraient plus au système conceptuel de remplir ses fonctions de contrôle et d’inhibition sur le système épisodique. Dès lors, les deux types de souvenirs autobiographiques traumatiques (reviviscences versus souvenirs narratifs) deviendraient dissociés (Brewin, Holmes, 2003). L’individu serait alors aux prises avec de nombreux phénomènes de reviviscence tandis que, dans le même temps, l’évocation par la narration des souvenirs de son expérience traumatique lui serait pénible et laborieuse. Évolution post-traumatique et traitement émotionnel du traumatisme psychique Pour surmonter ces difficultés, l’individu s’engagerait dans un traitement émotionnel dont l’objectif serait double et consisterait (a) à prévenir la réactivation automatique des représentations de l’événement traumatogène stockées dans le système épisodique et (b) à réduire les affects négatifs accompagnant les souvenirs traumatiques narratifs en restaurant un sentiment de sécurité et de contrôle et en réalisant certains ajustements face aux attentes que l’individu a sur lui-même et sur le monde. Il pourrait alors réussir ou échouer dans sa tâche, les résultats de ses efforts conditionnant l’apparition ou non du trouble.
Traitement émotionnel des représentations contenues dans le système épisodique Pour Brewin et ses collaborateurs, les représentations traumatiques originales stockées dans le système épisodique demeureraient intactes
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et pourraient être réactivées à tout moment dès lors que la personne se trouve confrontée de manière inattendue à des indices spécifiques dotés de caractéristiques perceptives de bas niveau et évocateurs de la situation traumatogène (par exemple, le mouvement d’un objet). Ces représentations resteraient associées à une peur extrême, un sentiment d’impuissance et/ou à un sentiment d’horreur. Dans cette perspective, la nature de l’évolution post-traumatique dépendrait non pas de la modification de ces représentations mais de la création de nouvelles au sein du système conceptuel qui entreraient en compétition avec les représentations originales contenues dans le système épisodique et pourraient bloquer leur accès à la conscience. Pour ce faire, le traitement émotionnel consisterait à laisser accéder à la conscience les représentations issues du système épisodique et à y porter attention. Dès lors, ces représentations pourraient être traitées par le système conceptuel, ce qui permettrait d’enrichir les représentations parcellaires qui y sont stockées. Étant donné l’importance de l’écart quantitatif d’informations traumatiques contenues au sein des deux systèmes, ce processus devrait être répété de nombreuses fois afin de permettre le « transfert » d’un maximum d’informations stockées dans le système épisodique vers le système conceptuel. Au final, l’appariement complet des représentations contenues dans les deux systèmes permettrait aux représentations stockées dans le système conceptuel de reprendre leur fonction de contrôle. À ce point du processus, la personne pourrait acquérir une nouvelle impression de sécurité dans la mesure où tous les souvenirs traumatiques qui accéderaient à sa conscience localiseraient l’événement traumatogène et le danger dans le passé. Dans ce contexte, Brewin et ses collaborateurs (Brewin, Dalgleish, Joseph, 1996 ; Brewin, 2001 ; 2003) pointent comme pathogène tout ce qui pourrait entraver l’accès à la conscience des reviviscences. Ils distinguent en particulier le sens négatif que certaines personnes attribuent aux reviviscences, la persistance d’une anxiété à l’égard des conséquences du traumatisme psychique ainsi que les comportements d’évitement tant comportementaux que cognitifs.
Traitement émotionnel des représentations contenues dans le système conceptuel Selon Brewin et ses collaborateurs (Brewin, Dalgleish, Joseph, 1996), il est probable que dans la phase post-traumatique immédiate, les souvenirs autobiographiques narratifs de l’événement soient dominés par des informations concernant la perception consciente des détails sensoriels et
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des réactions physiques. Dans ce cadre, l’objectif du traitement émotionnel consisterait à enrichir les représentations stockées dans le système conceptuel en les transformant et en les liant à d’autres représentations conceptuelles (notamment les représentations du self conceptuel) pour qu’elles puissent acquérir un sens plus complet. Ce processus permettrait la création de nouveaux souvenirs autobiographiques (a) plus généraux qui engloberaient l’expérience traumatique au sein d’un ensemble plus large d’expériences de vie et (b) dont le contenu serait modifié par l’embellissement de certains détails, la focalisation sur certains autres et l’ignorance d’autres. Pour les auteurs, l’atteinte de cet objectif supposerait que l’individu se livre de manière rétrospective à des évaluations de l’événement traumatogène et de ses conséquences, qu’il les confronte à sa ligne d’attentes antérieures et qu’il établisse diverses attributions causales. À cette étape, les jugements portés par l’individu joueraient un rôle crucial en ce qu’ils influenceraient la nature des émotions susceptibles d’être ressenties ainsi que leur intensité ; ces états émotionnels servant eux-mêmes de médiateurs entre les évaluations et attributions et l’installation de l’état de stress post-traumatique. Ainsi, par exemple, certaines évaluations de l’événement traumatogène pourraient influencer la perception de contrôle de l’individu. Dans ce cadre, les évaluations générant un sentiment d’impuissance ou de résignation contribueraient au maintien des difficultés post-traumatiques tandis que celles restaurant un sentiment de contrôle favoriseraient le rétablissement de l’individu. Dans la même veine, le type d’attribution causale modulerait l’adaptation post-traumatique de l’individu. Ainsi, une attribution interne (le sujet pense qu’il est la cause), globale et stable (le facteur causal est responsable d’un grand nombre de troubles dans la vie du sujet) provoquerait plus de symptômes post-traumatiques que des attributions spécifiques, instables et externes (la cause est due à un facteur particulier extérieur au sujet). L’ensemble de ces évaluations rétrospectives se ferait à la lumière de la représentation du self conceptuel active au moment de l’exposition traumatique et durant la phase post-traumatique. À ce niveau explicatif, les auteurs évoquent un principe de compétition pour expliquer l’évolution post-traumatique (Brewin, 2003 ; Brewin, Holmes, 2003 ; Vasterling, Brewin, 2005). Ils proposent que les individus disposent en mémoire à long terme de multiples représentations du self conceptuel acquises à différents moments de leur existence et dans différents contextes par l’expérience, l’observation ou l’éducation. Selon les aléas de la vie, ces représentations pourraient être positives et généreraient, quand elles sont activées, des émotions positives comme des sentiments de sécurité, de
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bien-être, d’appartenance, ou négatives et généreraient, quand elles sont activées, des émotions négatives comme la peur, l’abandon, la colère, le désespoir, la honte et la culpabilité. Face à toute nouvelle situation, toutes ces représentations entreraient en compétition pour être activées, les caractéristiques du contexte contribuant probablement alors largement à déterminer la plus pertinente d’entre elles. Partant de cette idée, Brewin (2003) défend celle selon laquelle l’événement traumatogène pourrait soit activer une représentation du self conceptuel positive qu’il mettrait à mal, soit activer une représentation du self conceptuel négative qu’il renforcerait, soit contribuer à la création d’une nouvelle représentation du self conceptuel tout à fait inattendue ; la nature des évaluations et ruminations post-traumatiques dépendant du type de représentation activé. Ainsi, par exemple, en cas d’activation d’une représentation du self conceptuel positive, le questionnement porterait sur l’éventuelle irréversibilité de sa perte, sur les modalités de réappropriation du modèle mis à mal, sur les facteurs responsables de la douleur engendrée par la perte, etc., tandis que les ruminations, pour leur part, concerneraient la vie avant la survenue du traumatisme psychique, la recherche de justice et la punition de coupables ; leur but étant d’édulcorer les souvenirs de l’événement traumatogène afin de permettre à la personne de préserver la représentation du self conceptuel positive qui lui est familière. À l’inverse, en cas d’activation d’une représentation du self conceptuel négative, le questionnement porterait sur les preuves susceptibles de le conforter tandis que les ruminations concerneraient la responsabilité propre dans la survenue de l’événement traumatogène ; ces ruminations pouvant conduire à la conviction que la personne est la seule à blâmer dans l’histoire, ce qui motiverait le recours à des stratégies d’évitement cognitif.
Les trois issues possibles du traitement émotionnel Ainsi, pour Brewin et ses collaborateurs (Brewin, 2001 ; 2003 ; Brewin, Dalgleish, Joseph, 1996), le traitement émotionnel du traumatisme psychique serait un processus largement conscient dans lequel les représentations de l’événement traumatogène ainsi que la conscience des états physiques associés seraient activées et manipulées en mémoire de travail en vue d’être progressivement intégrées au sein des modèles et croyances antérieurs (Horowitz, 1986 ; Janoff-Bulman, 1992). Ce processus serait influencé par plusieurs facteurs incluant la sévérité et la durée du traumatisme psychique, sa signification pour la personne, les émotions associées telles que la culpabilité ou la honte et la disponibilité d’un soutien social approprié permettant au sujet de se confier. Il reposerait
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sur deux composantes qui impliqueraient, pour la première d’entre elles, l’activation des représentations stockées dans le système épisodique et pour la seconde, l’accommodation de l’information traumatique à travers la recherche d’un sens et l’établissement d’attributions causales. Enfin, le type privilégié de récupération de l’information en mémoire, la nature des réévaluations conscientes, le phénomène d’émoussement émotionnel (numbing) et les stratégies d’évitement comportementales et cognitives mis en œuvre durant cette période aboutiraient à plusieurs issues possibles du traitement émotionnel. Brewin et ses collaborateurs en distinguent trois : l’intégration/complétude, le traitement émotionnel chronique et l’inhibition prématurée du processus (Brewin, Dalgleish, Joseph, 1996). L’intégration/complétude représenterait l’issue idéale dans laquelle tous les souvenirs traumatiques, d’origine conceptuelle ou épisodique, ont été traités, intégrés au sein de la base de connaissances autobiographiques de l’individu et ajustés par rapport à la représentation du self conceptuel alors activée et aux attentes et buts qu’elle conditionne. Le traitement émotionnel chronique se caractériserait par l’incapacité de la personne à digérer totalement le traumatisme qu’elle a subi de sorte qu’elle se trouverait confrontée en permanence à des reviviscences, des souvenirs intrusifs et des préoccupations en lien avec le traumatisme et ses conséquences. Enfin, l’inhibition prématurée du processus se définirait par le recours systématique, quasiment automatisé, à de nombreuses stratégies d’évitement qui permettraient à l’individu de trouver une relative sérénité mais qui le laisseraient vulnérable à la réactivation des souvenirs traumatiques pour le peu qu’il rencontre un jour de façon inattendue des indices évocateurs du traumatisme.
M ODÈLE COGNITIF DE L’ ÉTAT POST-TRAUMATIQUE
DE STRESS
Principes de base du modèle Ehlers et Clark (2000) ont développé un modèle cognitif de l’état de stress post-traumatique qui repose sur le principe selon lequel la nature extrêmement bouleversante de l’événement traumatogène interdirait aux individus de traiter sur le coup l’intégralité des informations traumatiques. Dès lors, la façon dont ces dernières seraient traitées en post-immédiat et par la suite jouerait un rôle essentiel dans le développement et le maintien du trouble. Ainsi, le risque de développer un état de stress post-traumatique serait élevé pour les personnes qui s’engageraient dans un traitement de l’information traumatique qui induirait la sensation que
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le danger présent au moment de l’exposition traumatique est toujours actuel. Dans cette perspective, deux éléments favoriseraient l’émergence de cette sensation de gravité et d’actualité de la menace : – les évaluations négatives excessives de l’événement traumatogène et de ses conséquences ; – certaines caractéristiques des souvenirs traumatiques : élaboration conceptuelle et contextualisation pauvres, intense mémorisation associative et attention initiale extrême sur certains stimuli, liens médiocres avec les autres souvenirs autobiographiques. Une fois activée, la perception d’un danger immédiat déclencherait différents symptômes dont les intrusions et phénomènes de reviviscence, l’hyperactivation neurovégétative, l’anxiété et autres réponses anxieuses par association et provoquerait une série de réponses comportementales et cognitives qui aurait pour but de réduire la menace ressentie et la détresse anticipée. Mais certaines stratégies adoptées auraient pour conséquence d’empêcher tout changement cognitif et de chroniciser les difficultés.
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Évaluations de l’événement traumatogène et de ses conséquences Pour Ehlers et Clark (2000), dans les suites d’un traumatisme psychique, ce qui différencierait les personnes qui sombrent dans un trouble chronique de celles qui se rétablissent naturellement tiendrait en l’incapacité des premières à envisager l’événement traumatogène comme un événement unique, limité dans le temps et dépourvu de conséquences négatives globales pour leur avenir. Ces personnes procéderaient à des évaluations particulièrement négatives de l’événement traumatogène et/ou de ses conséquences. À leur tour, ces évaluations participeraient à la genèse d’un sentiment de menace actuelle, cette menace pouvant être externe – elle est alors liée à la manière dont la personne perçoit le monde en général – ou interne – elle est alors liée à la manière dont la personne se perçoit et perçoit ses compétences. Elles engendreraient également, outre la peur, diverses émotions comme la honte, la tristesse, la colère, etc. qui pèseraient dans le choix des stratégies d’adaptation post-traumatiques.
Évaluations de l’événement traumatogène Dans le cadre du modèle, plusieurs types d’évaluation de l’événement pourraient engendrer un sentiment de menace actuelle. En ce qui
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concerne la sensation d’une menace interne, les évaluations négatives pourraient porter sur des traits de personnalité ou constitutionnels (par exemple, « j’attire les catastrophes ») ou sur les comportements que la personne a pu déployer lors de la confrontation traumatique (par exemple, « je m’en veux parce que mes actions ont aggravé la situation ») ou sur les sensations ou émotions qu’elle a pu ressentir (par exemple, ressentir une excitation sexuelle lors d’un viol long). En ce qui concerne la sensation d’une menace externe, les évaluations négatives (par exemple, « les gens ne sont pas ce qu’ils semblent être » ou « on ne peut jamais savoir quand quelque chose de terrible va se produire ») pourraient conduire à une surgénéralisation des situations menaçantes, surgénéralisation qui conduirait elle-même à percevoir de nombreuses situations relativement anodines comme plus dangereuses qu’elles ne le sont. Elles pourraient également être liées à une exagération de la probabilité de survenue future d’événements catastrophiques préjudiciables pour la personne. L’ensemble de ces évaluations non seulement générerait une peur situationnelle mais favoriserait également le développement de stratégies d’évitement qui contribueraient au maintien d’une peur généralisée.
Évaluations des conséquences de l’événement traumatogène Pour leur part, les évaluations négatives portant sur les conséquences de l’événement traumatogène susceptibles de provoquer un sentiment de menace actuelle seraient de trois types. Elles pourraient porter sur : – les symptômes et difficultés post-traumatiques ; – les réactions de l’entourage (famille, amis, collègues) face à ce qui est arrivé ; – les répercussions du traumatisme psychique sur les différents pans de la vie de l’individu (social, intime, professionnel, etc.). Les évaluations relatives aux symptômes et difficultés posttraumatiques deviendraient préjudiciables dès lors qu’elles conduiraient l’individu à percevoir ceux-ci, non pas comme le signe d’un processus d’adaptation et de rétablissement normal, mais comme le signe d’une atteinte réelle à son équilibre physique ou mental (par exemple, « je suis en train de devenir fou ») ou d’un changement négatif permanent (par exemple, « je ne surmonterai jamais ces difficultés »). Ces évaluations généreraient diverses émotions négatives qui encourageraient l’individu à s’engager dans des stratégies d’adaptation dysfonctionnelles. Les évaluations relatives aux réactions de l’entourage deviendraient préjudiciables dès lors qu’elles conduiraient l’individu à percevoir son entourage comme indifférent à ce qu’il vit (par exemple, « les gens dont
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je pensais qu’ils me soutiendraient m’ont laissé(e) tomber ») ou comme persuadé qu’il est responsable de ce qui lui arrive (par exemple, « les autres pensent que je ne mérite pas d’être soutenu(e) »). Ces évaluations auraient pour conséquence de favoriser le retrait social de l’individu et d’entraver toute possibilité d’échanges verbaux autour du traumatisme psychique, interdisant par-là même toute possibilité de correction des évaluations dysfonctionnelles. Les évaluations relatives aux répercussions du traumatisme psychique sur les différents pans de la vie de l’individu deviendraient préjudiciables dès lors qu’elles induiraient chez l’individu un sentiment de changement négatif permanent tant au niveau de sa personnalité qu’à celui de ses buts de vie et aspirations profondes (par exemple, « ma vie est détruite » ou bien « plus rien de bien ne peut m’arriver désormais »). Caractéristiques pathogènes des souvenirs traumatiques
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Se basant sur la théorie constructiviste du souvenir de Conway et son équipe (Conway, 1997ab ; Conway, Pleydell-Pearce, 2000), Ehlers et ses collaborateurs (Ehlers, Clark, 2000 ; Halligan, Clark, Ehlers, 2002 ; Ehlers, Hackmann, Michael, 2004 ; Ehlers et al., 2006 ; Ehring, Ehlers, Glucksam, 2006 ; Michael, Ehlers, 2007) identifient trois processus mnésiques – (a) la faible élaboration conceptuelle de l’information traumatique, (b) l’amorçage perceptif et (c) l’apprentissage associatif – qui fonctionneraient de concert pour produire des phénomènes de reviviscence dépourvus de conscience autonoétique. À leur tour, la fréquence et l’intensité de ces phénomènes de reviviscence favoriseraient le sentiment de menace actuelle et rendraient l’individu plus vulnérable au développement et au maintien du trouble.
Faible élaboration conceptuelle de l’information traumatique Pour Ehlers et son équipe, l’état de stress post-traumatique proviendrait, au moins en partie, d’une défaillance de l’intégration des informations traumatiques au sein du système conceptuel, de sorte que les informations traumatiques seraient insuffisamment liées (a) à leur contexte spatiotemporel d’acquisition, c’est-à-dire à tout ce qui se passe juste avant et après l’exposition traumatique et (b) aux autres connaissances stockées dans ledit système. Il en résulterait une très faible inhibition de la récupération directe des informations issues de l’expérience traumatique. La médiocrité de l’élaboration des informations traumatiques résulterait de la nature du traitement cognitif qui leur est appliqué au moment
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de leur encodage. Ehlers et Clark (2000) distinguent deux types de traitement : le traitement dirigé par les données, centré sur les impressions sensorielles et les caractéristiques perceptives de l’événement traumatogène au détriment de son sens et de l’élaboration d’un lien avec le soi et le traitement dirigé par les concepts, centré sur le sens de l’événement, plus organisé et permettant l’intégration en mémoire de l’événement à son contexte spatiotemporel. Dans cette perspective, les individus qui s’engageraient dans un traitement dirigé par les données au moment de l’impact traumatique présenteraient un risque plus élevé de développer un état de stress post-traumatique que ceux qui s’engageraient dans un traitement dirigé par les concepts.
Amorçage perceptif renforcé L’amorçage perceptif est une forme de mémoire implicite qui réfère à l’identification perceptive facilitée des objets à la suite de leur exposition préalable. Dans les expériences de laboratoire, l’amorçage perceptif peut être démontré par des taux d’identification différenciés pour des présentations dégradées de stimuli (par exemple, des mots fragmentés) selon qu’elles aient été ou non exposées avant aux sujets. L’amorçage perceptif peut apparaître indépendamment de tout souvenir conscient d’une rencontre antérieure avec les stimuli. En ce qui concerne l’état de stress post-traumatique, Ehlers et Clark (2000) défendent l’idée selon laquelle il y aurait un effet d’amorçage perceptif renforcé pour les stimuli qui ont été temporellement associés à l’événement traumatogène, en particulier pour ceux présents juste avant et pendant l’impact traumatique. Cet effet d’amorçage se traduirait par une diminution de leur seuil d’identification perceptive. En conséquence, lors de leurs présentations ultérieures, ils seraient plus facilement remarqués, leur identification conduisant alors à l’activation des phénomènes de reviviscence par le biais du processus d’appariement perceptif (récupération directe). Par ailleurs, comme les informations traumatiques subissent un traitement qui favorise l’encodage de leurs caractéristiques perceptivosensorielles au détriment de leur sens, les traces mnésiques qu’elles engendrent seraient peu discriminables de sorte qu’une vague ressemblance physique suffirait pour percevoir certains stimuli comme similaires à ceux présents durant l’expérience traumatique et ainsi déclencher des phénomènes de reviviscence et ce, même si le contexte dans lequel ils apparaissent est très différent (Ehlers, Hackmann, Michael, 2004).
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Apprentissage associatif Pour Ehlers et Clark (2000), le traitement dirigé par les données favoriserait un apprentissage associatif via un processus de conditionnement classique. Se basant sur les travaux de Foa et de ses collaborateurs (Foa, Steketee, Olasov-Rothbaum ; 1989 ; Foa, Zinbarg, Rothbaum, 1992 ; Foa, Jaycox, 1998 ; Hembree, Foa, 2000), les auteurs suggèrent que, lors de l’expérience traumatique, de très nombreuses associations extrêmement fortes seraient établies, pour l’essentiel par contiguïté temporelle, entre la situation traumatogène (le stimulus inconditionnel) et les éléments de stimuli, de réponses et de sens alors présents. Cependant, seuls deux types d’association seraient pertinents pour rendre compte du développement et de la persistance de l’état de stress post-traumatique. Le premier type réfère aux associations qui unissent le stimulus inconditionnel et les stimuli présents juste avant et pendant l’impact traumatique ou juste avant et pendant les moments d’aggravation ou de détérioration de l’événement. Pour Ehlers et ses collaborateurs, ces stimuli acquerraient à travers leur lien avec le stimulus inconditionnel, le statut de signaux d’alarme (Ehlers et al., 2002) de sorte que leur activation ultérieure expliquerait pourquoi les reviviscences sont assorties d’une impression erronée de survenue imminente d’un grave danger pour soi-même. Les auteurs démontrent également que les éléments de connaissance relatifs à ces stimuli seraient préférentiellement activés, rendant ainsi compte de la majeure partie du contenu des reviviscences (Ehlers, Hackmann, Michael, 2004 ; Hackmann, Ehlers, Speckens, Clark, 2004). Le second type d’associations réfère à celles établies entre les réponses de peur et les différents éléments de la situation traumatogène (associations stimulus-réponse). Pour les auteurs, leur activation expliquerait que les reviviscences soient accompagnées de réponses émotionnelles fortes, les rendant du coup extrêmement pénibles. Sur le plan cognitif, toutes les associations créées lors de l’expérience traumatique seraient, du fait du traitement dirigé par les données qu’elles subissent lors de leur encodage, stockées au sein d’un enregistrement mnésique très sensible aux indices perceptivement similaires à ceux présents lors de l’événement traumatogène ainsi qu’aux processus de récupération directe. De plus, la force des associations contribuerait à créer un enregistrement mnésique doté d’une très grande cohérence interne qui faciliterait la diffusion de l’activation en son sein.
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Relations entre les caractéristiques des souvenirs traumatiques et les évaluations de l’événement traumatogène et de ses conséquences D’après le modèle, il existerait une relation réciproque entre les caractéristiques des souvenirs traumatiques et les évaluations négatives de l’événement traumatogène et de ses conséquences. En ce qui concerne l’impact des évaluations sur les souvenirs traumatiques, les auteurs estiment qu’il existerait un biais de sélection de l’information lors des processus de récupération qui amènerait le système cognitif à ne retenir, pour la construction des souvenirs traumatiques, que les éléments de connaissance cohérents avec les évaluations et ce, au détriment des informations incompatibles avec celles-ci. Ce fonctionnement aurait pour conséquence d’enfermer progressivement l’individu dans ses évaluations et de rendre extrêmement difficile toute tentative de changement de ces dernières. En ce qui concerne l’impact des caractéristiques des souvenirs traumatiques sur les évaluations, Ehlers et Clark (2000) citent deux facteurs générateurs d’évaluations négatives. Le premier est lié au processus de récupération intentionnel. Il tient en l’incapacité à se souvenir de certains détails de l’événement traumatogène. Cette amnésie pourrait induire l’idée que ce qui est oublié se rapporte à des éléments de la situation traumatogène trop horribles ou insupportables pour pouvoir être intégrés par notre psychisme. Dans la même veine, l’incapacité à se rappeler l’ordre exact du déroulement des événements pourrait contribuer à la genèse d’évaluations erronées en lien avec la responsabilité individuelle lors de l’événement. Le second facteur est lié au processus de récupération directe. Il tient en l’absence de conscience autonoétique (Tulving, 1985 ; 1993) inhérente aux reviviscences. Cette défaillance amènerait l’individu à ressentir au temps présent les émotions ressenties lors de l’expérience traumatique, émotions qui induiraient à leur tour certaines évaluations négatives. Ainsi, par exemple, pour les auteurs, il arrive fréquemment que les personnes ressentent un profond sentiment de solitude lors de l’expérience traumatique. Or la reviviscence ultérieure de ce sentiment lors de moments d’échanges sociaux pourrait être interprétée comme le signe d’une incapacité nouvelle à se lier ou d’une altération définitive de la relation à l’autre.
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Stratégies d’adaptation comportementales et cognitives dysfonctionnelles Comme nous l’avons déjà souligné, la perception d’un danger immédiat provoquerait une série de réponses comportementales et cognitives dont le but serait de réduire la menace ressentie et la détresse anticipée. Dans ce cadre, les stratégies qui seraient impliquées dans le développement et le maintien de l’état de stress post-traumatique seraient celles qui : – contribueraient à la production directe de symptômes ; – entraveraient tout changement des évaluations négatives de l’événement traumatogène et/ou de ses conséquences ; – empêcheraient toute modification des caractéristiques pathogènes des souvenirs traumatiques.
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Différentes stratégies, tant comportementales que cognitives, répondent à ces critères. Elles ont pour point commun d’être en lien avec l’évitement. Sur le plan comportemental, Ehlers et Clark (2000) citent les conduites d’évitement, les comportements sécuritaires et l’utilisation d’alcool et de médicaments psychotropes, dont notamment les anxiolytiques. Sur le plan cognitif, qui nous intéresse davantage ici, Ehlers et Clark identifient trois stratégies : – la suppression de pensée dont l’objectif consiste soit à mettre un terme aux pensées, images ou souvenirs déplaisants, générateurs de détresse, soit à éviter leur survenue (Dunmore, Clark, Ehlers, 1999 ; 2001) ; – les ruminations évaluatives définies, quant à elles, comme des pensées répétitives et passives qui, en se centrant sur les causes et conséquences de l’événement traumatogène, sur la manière dont il aurait pu être évité ou sa gravité diminuée, évitent à l’individu de se confronter au traumatisme psychique lui-même (Dunmore, Clark, Ehlers, 1999, 2001 ; Murray, Ehlers, Mayou, 2002) ; – la dissociation lors de l’évocation des souvenirs traumatiques qui permettrait à l’individu de se détacher transitoirement d’une réalité devenue insupportable. Pour Ehlers et Clark (2000), le recours à ce type de stratégies aurait une incidence sur chacun des paramètres impliqués dans le développement et le maintien de troubles de stress post-traumatique. Ainsi, en ce qui concerne la production de symptômes, la suppression de pensée augmenterait, par effet rebond (Wegner, Erber, 1992 ; Gold, Wegner, 1995 ; Wegner, Wenzlaff, 1996), la fréquence de survenue des symptômes de
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reviviscence tandis que les ruminations renforceraient les sentiments de tension nerveuse, de dysphorie et de désespoir. En ce qui concerne l’impossibilité de modification des caractéristiques des souvenirs traumatiques, les ruminations évaluatives, en interdisant l’accès à la conscience des souvenirs spécifiques porteurs de détails perceptivo-sensoriels de l’expérience traumatique, n’offriraient aucune opportunité d’intégration d’informations correctrices. Enfin, en ce qui concerne l’impossibilité de modification des évaluations négatives, Ehlers et Clark estiment que les ruminations les renforceraient tandis que la suppression de pensée et la distraction n’offriraient aucune opportunité d’introduction d’informations correctrices. Enfin, si le recours à ce type de stratégies, tant comportementales que cognitives, présente un bénéfice à court terme en permettant un relatif dosage de l’accès à la conscience des reviviscences et des émotions douloureuses qui leur sont associées, il deviendrait préjudiciable à long terme en interdisant progressivement tout accès à la conscience des informations traumatiques. Facteurs d’arrière-plan Pour Ehlers et Clark (2000), les différentes composantes du modèle cognitif de l’état de stress post-traumatique – le traitement cognitif mis en œuvre durant l’expérience traumatique, les caractéristiques des souvenirs traumatiques, les évaluations que les individus font de l’événement traumatogène et de ses conséquences ainsi que les stratégies qu’ils utilisent pour contrôler la menace perçue et les symptômes – ainsi que leurs interactions seraient modulées par différents facteurs « d’arrièreplan » (Ehlers, Clark, 2000) ; ces facteurs n’étant, selon les auteurs, ni nécessaires ni suffisants dans l’étiologie du trouble. Ces facteurs peuvent être catégorisés en deux groupes selon qu’ils relèvent de caractéristiques de l’événement traumatogène ou de caractéristiques de l’individu. Les caractéristiques de l’événement traumatogène reprennent les paramètres de la situation identifiés comme facteurs de risque (voir par exemple, Brewin, Andrews, Valentine, 2000) et sont sa nature, son intensité, sa durée, son imprévisibilité et sa gravité. Les caractéristiques de l’individu, quant à elles, coïncident également avec bon nombre des facteurs de risque identifiés dans la littérature. Il s’agit des expériences traumatiques antérieures, de faibles capacités intellectuelles, du type de croyances sur le monde et sur soi (JanoffBulman, 1992 ; Foa, Riggs, 1993 ; Resick, Schnicke, 1993). À ces
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facteurs « constitutionnels » s’ajoutent des facteurs d’état comme la consommation d’alcool, le degré d’effort d’adaptation générale, le niveau d’activation physiologique et l’intensité de la peur.
M ODÈLE C A R-FA-X (CA PTURE AND RUMINATION, F UNCTIONAL A VOIDANCE AND E X ECUTIVE CONTROL )
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Principes de base du modèle D’après le modèle CaR-FA-X (Williams, 2006 ; Williams et al., 2007), l’état de stress post-traumatique résulterait, sous l’effet d’un évitement fonctionnel, d’un dysfonctionnement initial du processus de récupération indirecte de l’information en mémoire autobiographique qui consisterait en une interruption prématurée du processus de recherche mnésique à un niveau de connaissances conceptuelles intermédiaire, entravant toute possibilité de récupération d’éléments de connaissances épisodiques (Conway, Pleydell-Pearce, 2000). Ce phénomène aurait pour conséquence que les seules connaissances disponibles pour le traitement de l’expérience traumatique soient des connaissances relativement abstraites liées au self conceptuel. Or l’activation répétée, via la rumination, de ces connaissances lors des multiples tentatives réalisées par l’individu psychotraumatisé pour donner un sens à ce qui lui arrive augmenterait leur cohérence interne (leur degré d’élaboration) et participerait à la création de nouvelles interconnexions, engendrant ainsi un réseau de représentations conceptuelles liées au self relativement riche et facilement accessible. Ce réseau, alors doté d’une accessibilité accrue, présenterait deux caractéristiques majeures : (a) il serait plus facilement activable et ce, au détriment des connaissances pertinentes à la réalisation de la tâche ; (b) son inhibition requerrait une quantité plus importante de ressources exécutives. Dans ces circonstances, se produirait un nouveau biais de traitement de l’information qui consisterait en la capture du processus de récupération indirecte par les structures de connaissances conceptuelles liées au self. Enfin, ce phénomène serait facilité par la réduction des ressources exécutives. Après la survenue d’un traumatisme psychique, la réduction des ressources exécutives proviendrait pour l’essentiel de la prise de « pouvoir » des phénomènes de reviviscence sur le traitement en cours et des tentatives conscientes déployées pour les contrôler. En effet, pour les auteurs, les reviviscences comporteraient de très nombreux éléments de connaissances épisodiques et se caractériseraient, du fait de leur production via le processus de récupération directe, par leur capacité, lorsqu’elles parviennent à la
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conscience, à détourner l’attention et à interférer avec le traitement et la poursuite du but en cours. Il importerait donc, pour les personnes qui ont subi un traumatisme psychique et qui veulent préserver la qualité de leur activité cognitive, de les maintenir hors du champ de la conscience. Cependant, pour ce faire, elles devraient mobiliser des ressources exécutives qui ne pourraient plus être dévolues, lors du processus de récupération indirecte, au contrôle des connaissances conceptuelles non pertinentes qui seraient entre-temps devenues plus accessibles et exigeraient elles-mêmes plus de ressources pour être inhibées. Au final, ces différents dysfonctionnements, non seulement conduiraient à la perte de l’accès aux représentations épisodiques ainsi qu’en parallèle à la facilitation de l’accès à des représentations conceptuelles de soi (très probablement négatives), mais ils auraient également des répercussions négatives sur le fonctionnement psychologique général en affectant en particulier les capacités de résolution de problème (Evans, Williams, O’Loughlin, Howells, 1992 ; Goddard, Dritschel, Burton, 1996, 1997 ; Scott, Stanton, Garland, Ferrier, 2000 ; Raes et al., 2005) et de projection dans l’avenir (Williams et al., 1996). Évitement fonctionnel Pour Williams et ses collaborateurs (Williams et al., 2007), les personnes ayant subi un traumatisme psychique présentent de nombreux souvenirs autobiographiques vivaces et intrusifs qui peuvent aller jusqu’à prendre la forme de phénomènes quasiment hallucinatoires appelés flash-back. Tous ces souvenirs traumatiques spécifiques, qu’il s’agisse de reviviscences ou de souvenirs de nature plus narrative, correspondraient à un profil d’activation qui, au sein de la base de connaissances autobiographiques, relierait au minimum une période de vie, un événement général et une représentation épisodique. Plutôt, ce qui différencierait les deux types de souvenirs serait la nature du processus de récupération qui les a produits : direct pour les reviviscences et indirect pour les autres. Dans cette perspective, les souvenirs autobiographiques spécifiques que les personnes pourraient évoquer de manière intentionnelle (c’est-à-dire via la récupération indirecte) contiendraient eux-mêmes des éléments de connaissances épisodiques et seraient donc porteurs des affects négatifs ressentis lors de l’exposition traumatique de sorte que leur évocation engendrerait de fortes perturbations émotionnelles à court terme qui, elles-mêmes, élèveraient le niveau de détresse générale. Pour Williams et ses collaborateurs (Williams et al., 2007), les tentatives mises en place dans ces conditions pour réguler ces perturbations émotionnelles coïncideraient avec le développement de stratégies en
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lien avec la maîtrise de ces souvenirs autobiographiques spécifiques « à haut risque ». Parmi les différentes stratégies auxquelles les personnes pourraient recourir, l’une d’entre elles serait d’éviter que ces souvenirs spécifiques accèdent à la conscience. Sur le plan cognitif, cette stratégie d’évitement consisterait à interrompre le processus de récupération mnésique dès qu’il commence à atteindre le niveau des connaissances épisodiques et à révéler à la conscience des fragments de connaissances sensori-perceptivo-émotionnels de l’événement traumatogène. En cas de réussite, cette stratégie serait alors renforcée par l’évitement des conséquences aversives liées à l’accès à la conscience des éléments épisodiques (l’apparition d’une perturbation émotionnelle désagréable et l’augmentation de la détresse générale). Les auteurs défendent également l’idée selon laquelle cette stratégie, pour être efficace, ne serait pas sélective en regard de la valence positive ou négative des souvenirs autobiographiques mais s’appliquerait de manière indifférenciée à l’ensemble des souvenirs. Pour étayer cette idée, ils démontrent comment la recherche d’un souvenir spécifique en lien avec le mot de valence positive « vacances » peut aboutir à l’évocation non désirée d’un souvenir spécifique négatif, comme l’agression subie au cours d’une promenade dans un parc sur son lieu de vacances ou comment une personne qui a subi un viol par une journée d’été alors qu’elle rendait visite à son oncle et qui souhaite tout oublier de son agression, est obligée de supprimer tous les souvenirs spécifiques qui pourraient être rattachés de près ou de loin à son viol, y compris des souvenirs agréables de vacances ou d’autres journées d’été. Enfin, le recours à cette stratégie d’évitement cognitive pourrait, chez certains individus, demeurer flexible et permettrait alors de moduler le niveau de détresse générale tandis que chez d’autres, il se transformerait en une réponse habituelle et rigide qui formerait, dans ces conditions, la base au développement d’un nouveau dysfonctionnement : la capture du processus de récupération par des structures conceptuelles abstraites liées au self. Phénomène de capture du processus de récupération par des structures conceptuelles abstraites liées au self La capture du processus de récupération par des structures conceptuelles liées au self serait un phénomène dynamique d’installation progressive lié à l’influence grandissante d’un autre phénomène dénommé par Williams (1996) : le « mnemonic interlock ». Selon ce dernier phénomène, l’augmentation progressive du recours aux stratégies d’évitement contribuerait à interrompre de plus en plus souvent le processus de récupération indirecte de l’information en
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mémoire à un niveau intermédiaire de connaissances abstraites. Or la multiplication des tentatives de récupération avortées augmenterait la probabilité que la connaissance conceptuelle liée au self forme la base des réponses aux indices de recherche mnésique. Ce phénomène aurait alors pour conséquence, comme nous l’avons déjà souligné, que les seules connaissances disponibles pour le traitement de l’expérience traumatique soient des connaissances relativement abstraites liées au self. Or selon Williams et ses collaborateurs (Williams et al., 2007), l’activation répétée, via la rumination évaluative, de ces connaissances contribuerait à l’élaboration et à l’enrichissement progressifs du réseau de ces représentations conceptuelles, entraînant une « capture » par ces structures de connaissances du système cognitif qui présenterait alors des difficultés croissantes à récupérer des éléments de connaissances autobiographiques épisodiques, elles-mêmes couplées à une tendance grandissante à ne récupérer que des éléments de connaissances autobiographiques généraux. Les études consacrées aux réactions post-traumatiques qui couvrent la période de l’état de stress aigu ainsi que celles qui s’intéressent à la clinique de l’état de stress post-traumatique montrent que, souvent, le traumatisme psychique est associé à une augmentation de la tendance à ruminer et ce, dans une tentative de donner un sens à ce qui est arrivé et de réconcilier les informations traumatiques avec les représentations que l’on a de soi (les représentations du self conceptuel). Ce phénomène pourrait avoir des conséquences tant positives que négatives. Positives quand les représentations épisodiques et conceptuelles sont simultanément évoquées. En effet, plus les personnes rumineraient sur ce qu’elles ont vécu (c’est-à-dire en incluant le niveau expérientiel), plus, au niveau cognitif, elles appliqueraient un traitement sémantique aux représentations mnésiques activées lors du processus d’idéation et plus elles créeraient de nouveaux liens entre les deux types de représentation. Négatives quand seules les représentations conceptuelles sont évoquées car, dans ce cas, elles seules seraient renforcées et densifiées. Réduction des ressources exécutives Pour Williams et ses collaborateurs (Williams et al., 2007), la réduction des ressources exécutives proviendrait, pour l’essentiel, de deux phénomènes : – les efforts cognitifs fournis pour maintenir en dehors du champ de la conscience des reviviscences promptes à détourner l’attention et à entraver la poursuite de la tâche en cours ;
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– l’apparition d’une humeur déprimée. Cette réduction affecterait de manière prépondérante le processus de récupération indirecte et très peu, voire pas du tout, le processus de récupération directe largement automatique. En ce qui concerne le processus de récupération indirecte, nous avons vu que Conway et Pleydell-Pearce (2000) le décrivent comme un processus itératif qui requiert d’une part l’établissement de modèles de récupération qui permettent de préciser le champ de la mémoire autobiographique à balayer et, d’autre part, l’intervention continuelle de processus de contrôle qui inhibent, tout au long de la recherche, les connaissances autobiographiques non pertinentes. Dans ce cadre, la réduction des ressources exécutives pourrait compromettre le processus de récupération indirecte soit en entravant l’élaboration des modèles de récupération, soit en réduisant la capacité des processus de contrôle à inhiber le matériel mnésique non pertinent.
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C ONCLUSION Ces modèles envisagent l’état de stress post-traumatique comme résultant d’une interaction entre les phénomènes cognitivo-émotionnels qui surviennent durant la phase péritraumatique et durant celle posttraumatique. En péritraumatique, ils reconnaissent le rôle essentiel de l’intensité des émotions et de la réaction de stress sur la qualité des processus d’encodage et de stockage de l’information. Les perturbations susceptibles d’apparaître à cette phase se traduiraient par un déséquilibre entre le traitement automatique ou dirigé par les données d’une part et celui contrôlé ou dirigé par les concepts de l’autre (dans, respectivement, la théorie de la représentation duale et le modèle cognitif de l’état de stress post-traumatique) et pourraient soit affecter l’organisation des enregistrements mnésiques traumatiques (dans le modèle cognitif de l’état de stress post-traumatique), soit provoquer un déséquilibre tant quantitatif que qualitatif entre les connaissances stockées dans chacun des deux systèmes conceptuel et épisodique de la mémoire autobiographique (dans la théorie de la représentation duale). Dans cette perspective, la profondeur de l’impact traumatique pourrait se traduire par le degré de perturbation de ces processus. En post-traumatique, l’accès à la conscience des souvenirs traumatiques, qu’ils soient évoqués de manière volontaire ou involontaire sous forme de reviviscences, apparaît comme la condition indispensable à la
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« digestion » du traumatisme et au rétablissement de l’individu. Dans ce cadre, les trois modèles reconnaissent de manière unanime le pouvoir pathogène des stratégies d’évitement, qu’elles soient centrées sur la maîtrise de l’accès à la conscience des reviviscences ou sur celle de l’évocation volontaire des souvenirs spécifiques de l’événement traumatogène. En ce qui concerne ce dernier point, le modèle CaR-FA-X est probablement celui qui offre l’explication la plus claire des effets nocifs de ces stratégies sur le plan du fonctionnement cognitif. Il souligne que, non seulement, leur recours interdirait progressivement l’accès aux représentations épisodiques porteuses des détails sensori-perceptivo-émotionnels de l’expérience mais qu’en parallèle, il transformerait la connaissance conceptuelle liée au self en une base de réponse systématique aux indices de recherche mnésique lors du processus de récupération indirecte, favorisant ainsi les ruminations évaluatives centrées sur soi (Williams, 1996). Le rôle des évaluations cognitives rétrospectives, quant à lui, est également souligné. Ainsi, les évaluations, via les émotions qu’elles génèrent, rempliraient une fonction de filtre dans la mesure où les connaissances qui seraient utilisées pour surmonter le traumatisme ou celles qui seraient stockées en mémoire au moment de la confrontation traumatique et par la suite (par exemple au sein des enregistrements mnésiques traumatiques et post-traumatiques) devraient nécessairement être compatibles avec leur valence. Les ruminations évaluatives centrées sur soi, quant à elles, ont été abordées par le modèle cognitif de l’état de stress post-traumatique et le modèle CaR-FA-X. Si le premier d’entre eux les considère comme une forme d’évitement cognitif (Dunmore, Clark, Ehlers, 1999 ; 2001 ; Murray, Ehlers, Mayou, 2002) et les appréhende comme une conséquence des évaluations rétrospectives négatives, le second insiste sur les effets qu’elles produisent sur le renforcement et la densification du réseau de connaissances conceptuelles liées au self et sur les difficultés secondaires à se détacher d’elles dès lors qu’il s’agit d’évoquer le moindre souvenir autobiographique spécifique. Enfin, la nature perturbée des souvenirs traumatiques volontairement évoqués a été abordée par tous les modèles. Que ces souvenirs soient désorganisés et fragmentaires (dans la théorie de la représentation duale et le modèle cognitif de l’état de stress post-traumatique) ou surgénéralisés (dans le modèle CaR-FA-X), ils sont tous le fruit de dysfonctionnements mnésiques. Cependant, le processus mnésique affecté diffère selon les modèles. Ainsi, pour la théorie de la représentation duale et le modèle cognitif de l’état de stress post-traumatique, les processus touchés seraient l’encodage et le stockage de l’information, tandis que pour le modèle CaR-FA-X, il s’agirait du processus de récupération.
Chapitre 5
BILAN ET ÉVOLUTION DES CONCEPTS (Névrose traumatique, PTSD et ESPT, DESNOS)
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L ES
DÉBUTS
Telle que nous l’avons exposée en début de partie, l’histoire du traumatisme est déjà très ancienne lorsque l’on considère que la première description d’une forme hystérique de névrose traumatique remonte à Hérodote dans son récit de la bataille de Marathon en 490 avant J.-C. (Barrois, 1988 ; Crocq, 2001,2005, Ferreri, 2006). Ainsi, tout au long de l’histoire des grandes batailles et des guerres, nous pouvons retrouver des observations très fines des pathologies post-traumatiques présentées par les soldats. Celles-ci mettent alors l’accent sur les chocs psychiques engendrés par la vue des morts et les menaces de mort perçues, ainsi que sur les troubles divers qui s’ensuivent : états confusionnels et hallucinatoires, symptômes de conversion et cauchemars de répétition. Un fait mérite cependant d’être souligné : tous les récits de ces auteurs sont mis en doute, tant les troubles décrits sont jugés incompréhensibles. À l’appui, nous relevons les termes de « couards », de « simulateurs » ou de « demandeurs de quelques réparations financières » pour décrire
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les soldats traumatisés (Barrois, 1988). Ces difficultés à légitimer cette pathologie traumatique se retrouveront bien plus tard dans les débats autour de la névrose traumatique et de la névrose hystérique (au XIX et XXe siècles) puis dans nos expertises actuelles lors des procès d’agresseurs et de victimes. Ainsi, les prémices des observations du traumatisé mettent l’accent sur une symptomatologie déroutante, gouvernée par la peur et les représentations morbides, à replacer dans un contexte où la « folie » suscitait méfiances et suspicions. C’est ensuite à Pinel que l’on doit l’introduction des pathologies réactionnelles dans le champ de la psychiatrie à la lecture de son Traité médicophilosophique sur l’aliénation mentale, paru en 1809. Les expressions de « fatigue de combat », « d’épuisement de guerre » ou de « syndrome du vent du boulet » suivront dans les écrits des premiers psychiatres militaires (Lafont, Bordier, 1988). Avec la naissance de l’ère industrielle et des machines, le chemin de fer marque tout autant l’histoire de la névrose traumatique que les guerres : à partir de ce changement technologique, les neuropsychiatres civils s’intéressent aux séquelles traumatiques de ces victimes d’accidents de chemin de fer. Ainsi, au XIXe siècle, Duchesne en 1857 en France, puis Erichsen en 1864 en Angleterre, se préoccupent du devenir de ces accidentés pour différencier leurs atteintes neurologiques. Le débat scientifique sur l’origine neurologique de certains troubles traumatiques peut alors véritablement commencer (Briole et al., 1994).
LE
CONCEPT DE NÉVROSE TRAUMATIQUE
Oppenheim marque son entrée dans l’histoire du traumatisme en 1889 en nommant cette pathologie déroutante « névrose traumatique » (Barrois, 1988 ; Crocq, 2001). Au départ, ce terme ne renvoie à aucune sémiologie précise, il a plutôt la particularité de caractériser une étiopathogénie commune à tous ces troubles présentés par les victimes d’accidents violents. En effet, ces « malades » présentent des symptômes très variés : troubles du sommeil avec cauchemars, troubles de l’humeur caractérisés par de l’irritabilité et réactions de sursauts neurovégétatives. Puis, c’est à Kraepelin que l’on doit la véritable apparition de la névrose traumatique dans les nosographies avec la publication de la sixième édition de son Traité de psychiatrie en 1889 : en référence aux travaux d’Oppenheim, il l’introduit sous le terme de « Schreckneurosen » signifiant « névrose d’effroi ». Kraepelin se réfère également aux observations de Charcot sur l’hystérie traumatique même s’il se démarque nettement de ce dernier en gardant l’idée défendue par Oppenheim d’une entité pathologique
B ILAN ET ÉVOLUTION DES CONCEPTS
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Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
autonome à différencier des névroses classiques. C’est ainsi que l’apparition de la névrose traumatique révèle à ce stade les contradictions d’une clinique sans système psychopathologique explicatif cohérent. Les premières avancées théoriques de Freud et de Janet se posent alors dans ce cadre, comme tentatives de résolution de ces tensions théoriques, même si l’histoire de la névrose traumatique et de son traitement se trouve confondue pour un temps avec celle de l’hystérie en raison des conceptions étiologiques traumatiques de celles-ci. La célèbre théorie freudienne de « l’après-coup » naît dans ce contexte en 1895 : elle sera pleinement développée plusieurs années plus tard, dans le cas de « L’homme aux loups » (Freud, 1918). Le traumatisme est alors de nature sexuelle et suppose l’existence de deux événements (une première scène, dite de « séduction » et une seconde qui viendrait raviver par quelques traits associatifs les traces mnésiques de la première). Dès lors et jusqu’en 1914, l’événement traumatique n’est plus l’accident, la catastrophe ou la guerre : il devient exclusivement sexuel. Néanmoins, Freud nuancera son approche du traumatisme au cours de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale, notamment grâce aux observations de Ferenczi, pour reconsidérer à nouveau l’importance des événements réels sur les névroses dites « actuelles », dont l’origine n’est plus à mettre directement en lien avec l’enfance et la problématique œdipienne des sujets (Freud, 1920 1920ab). Sa définition du trauma a depuis fait école car elle reste aujourd’hui une référence en matière de psychotraumatologie. Elle a permis de prendre en compte à la fois l’importance de la réalité externe des événements tout en soulignant la nécessaire subjectivité du vécu traumatique (Duchet, 2006c).
D ONNÉES
ACTUELLES
À l’heure actuelle et dans le monde entier, deux approches du traumatisme semblent s’imposer : certains aiment à les opposer, nous préférons les envisager sous leurs aspects complémentaires, comme cela est réalisé en « psychotraumatologie », nouvelle discipline émergente en France dans laquelle s’inscrit pleinement notre ouvrage. La première approche s’inscrit dans une perspective théorique psychanalytique. Elle entend mettre l’accent sur les événements de vie (Laplanche et Pontalis, 1967) caractérisés par leur intensité (notion de choc violent, brutal et inattendu qui provoque un afflux excessif d’excitations), l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement (en raison de l’effraction subie et du débordement des défenses habituelles
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D U TRAUMATISME PSYCHIQUE À L’ ÉTAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE
du sujet) puis par le bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il provoque sur l’ensemble de l’organisation psychique. Influencée par les écrits de Freud et de Lacan et amplement développée par Lebigot (Lebigot, 1997a ; 2001ab ; 2005ab), cette approche théoricoclinique sur le trauma permet de bien considérer les aspects psychologiques suivants : • L’effet de rupture dans le temps. Les traumatisés psychiques décrivent
une fracture dans leur histoire. Avec l’événement, une époque vient de se terminer, une autre commence (Barrois, 1986). • La rencontre avec le réel de la mort (Lebigot, 2001◦ ) Face à la menace vitale, le sujet est confronté à l’irreprésentable et l’indicible. Le langage et les représentations sont absents au décours de l’expérience traumatique (Crocq, 1999, 2000). • L’importance et la place des sentiments de honte et de culpabilité. Ces derniers sont mis en lien avec le franchissement d’un interdit majeur : avoir vu ce qu’il est interdit de voir, être revenu du monde des morts (Lebigot, 1997a ; Cabassut, 2002). • L’effondrement du narcissisme. Le traumatisme confronte le sujet à des pertes d’illusions qui portent atteinte à son image et à ses croyances fondamentales (Genest, Walter, 2006). Ces quatre points permettent non seulement de mieux comprendre la symptomatologie présentée par les victimes d’événements traumatogènes mais également de proposer un travail thérapeutique spécifique et adapté à cette clinique si particulière (Lebigot, 2005ab ; Jehel, Lopez, 2006 ; Crocq, 2007). La seconde approche est davantage l’héritière des travaux de Selye sur le stress : elle entend mettre l’accent sur les symptômes présentés par les traumatisés psychiques avec l’introduction du post-traumatic stress disorder dans les nosographies internationales (Crocq, 1992 ; 1997). Depuis les années quatre-vingt, le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) et la CIM (classification internationale des maladies émanant de l’OMS) font état des troubles post-traumatiques présentés dans les phases dites « aiguës » et « post-immédiates » (état de stress aigu et état de stress post-traumatique). Cette seconde approche permet aussi de s’intéresser aux facteurs de risque et de vulnérabilité en ouvrant un large champ de recherches dans ce domaine. La description classique du PTSD (post-traumatic stress disorder, littéralement traduit par ESPT) dans ces classifications (American psychiatric association, 2000) retient des critères précis – développés dans ce chapitre – pour poser un diagnostic (avoir été exposé à un événement traumatique ; souffrir de symptômes de répétitions, d’évitements, et de vigilance accrue) avec des jalons
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B ILAN ET ÉVOLUTION DES CONCEPTS
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concernant la durée des troubles (supérieure à un mois). Cette perspective a l’avantage de mettre aussi l’accent sur le retentissement important sur le fonctionnement social et sur la modification possible de la personnalité. La description de cette symptomatologie permet de mesurer l’ampleur des répercussions des événements tels que les guerres, les prises d’otages, les catastrophes naturelles, les accidents techniques mais également des événements individuels tels que les agressions physiques et sexuelles. Cette perspective comporte le défaut de mettre sur le même plan les notions de stress et de trauma : or si le stress fait partie des réactions adaptatives décrites notamment dans un registre psychophysiologique, le traumatisme marque un réel débordement des capacités du sujet dans le champ de la psychopathologie... Cependant, cette approche est bien celle qui a permis l’essor puis la multiplication des recherches en matière d’épidémiologie, de neurobiologie, de prédictions et de prévention des syndromes psychotraumatiques, ce qui est loin d’être négligeable ! Dans cette même lignée épistémologique, depuis une dizaine d’années, nous avons vu apparaître la distinction entre les traumatismes de type I (événements uniques, tels qu’étudiés dans cet ouvrage) opposés aux traumatismes de type II qui désignent toute la gamme des traumatismes répétés, notamment dans l’enfance (abus, maltraitances, violences sociopolitiques, etc.). La littérature anglo-saxonne a alors introduit le DESNOS (disorder of extreme stress not otherwise specified), proche des tableaux d’états-limites (ou borderline) décrits dans des travaux plus classiques et d’inspiration psychanalytique. Ces descriptions mettent l’accent sur les difficultés relationnelles, les passages à l’acte, les troubles de l’estime de soi, les troubles des conduites de dépendance, etc. (Lopez, Casanova, 2006, in Lopez et al., 2006). Ces nouvelles approches présentent l’avantage indéniable de mettre en avant la problématique traumatique dans les formes psychopathologiques du XX et XXIe siècles ; pour autant, elles gomment parfois le rapport indéniablement subjectif du sujet aux événements : dans ces cas, les processus de victimisation ne sont pas rares et ils participent pleinement au processus de pathologisation, il convient de ne pas l’oublier dans les prises en charge de ces patients. Au vu de l’histoire du traumatisme, des notions et concepts afférents, nous ne pouvons que nous féliciter de l’extraordinaire évolution de la prise en compte des répercussions psychologiques des événements sur la destinée psychique des hommes... Il reste cependant un immense chantier pour la validation des critères diagnostiques d’ESPT en situation transculturelle (Baubet, Moro, 2008) qui reste encore incomplète et insuffisante. De nos jours, toutes les approches (médicale, physiologique,
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cognitivo-comportementaliste, psychanalytique, psychosociale, interculturelle, etc.) concourent à affiner les descriptions cliniques aussi bien que les approches thérapeutiques de ce qui continue de représenter le « malaise de notre civilisation ». Les guerres, violences, abus ne sont malheureusement pas prêts de s’éteindre, nécessitant sans cesse un travail scientifique sur les réponses à apporter, en termes de soins et de prévention notamment. Après avoir fait un large tour d’horizon sur le traumatisme, nous pouvons dès à présent nous consacrer à la description des méthodes d’interventions auprès des victimes et intervenants de secours : les chapitres suivants seront donc successivement consacrés à ces nouvelles temporalités de soins, dans leurs phases immédiates puis post-immédiates.
PARTIE 2 MANIFESTATIONS PÉRITRAUMATIQUES ET SOINS IMMÉDIATS
S. Molenda, C. Duchet
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Introduction
POURQUOI UNE PRISE EN CHARGE IMMÉDIATE ?
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C
OMME NOUS L’ AVONS VU , la période post-traumatique est, pour les
personnes psychotraumatisées, une période lourde d’enjeux tant en termes de rétablissement que de constitution de difficultés – voire de troubles – plus chroniques. En effet, durant celle-ci, différents facteurs émotionnels et cognitifs agissent de concert pour moduler de façon plus ou moins bénéfique, ou au contraire péjorative, non seulement l’état psychologique des individus mais également les stratégies d’ajustement qu’ils élaborent pour faire face à l’événement traumatogène et à ses conséquences. Ces facteurs vont ainsi soit faciliter soit entraver la résolution naturelle du traumatisme. Or l’ensemble de ces phénomènes ne se développe pas sur un « terrain vierge » mais se greffe notamment sur les difficultés ou dysfonctionnements survenus lors la période péritraumatique. À ce titre, cette phase peut jouer un rôle essentiel dans le processus étiopathogénique dans la mesure où elle peut constituer un point de départ critique des difficultés post-traumatiques en raison des bouleversements perceptifs, cognitifs et émotionnels qui la caractérisent. Qui plus est, durant cet intervalle de temps particulier, les personnes victimes de l’événement traumatogène n’ont pas encore véritablement eu la possibilité de mettre en place des stratégies d’ajustement et/ou des mécanismes de défense efficaces et pérennes, de sorte qu’elles sont
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M ANIFESTATIONS PÉRITRAUMATIQUES ET SOINS IMMÉDIATS
extrêmement vulnérables, et la survenue d’un traumatisme psychique dans ce contexte ne fait qu’augmenter les difficultés. Dans cette perspective, les soins immédiats ont pour objectifs essentiels (mais non uniques) de protéger les individus aux prises avec l’événement de toute stimulation supplémentaire potentiellement aversive, de leur garantir une réintégration progressive dans le monde « ordinaire », d’aider à leur réintégration sociale, de leur offrir la possibilité d’une première ventilation des émotions qu’ils ont pu et qu’ils peuvent encore ressentir, de les aider à se réapproprier un sentiment de maîtrise ou d’autoefficacité, et enfin, de faciliter leur accès, si nécessaire, aux étapes de soins ultérieures (Everly, Mitchell, 2008 ; Raphael, 1996). Compte tenu de ces éléments, cette partie se propose de passer d’abord en revue les différents bouleversements induits par l’événement traumatogène pour se centrer ensuite, à la lumière des points que nous aurons développés, sur les modalités de l’intervention dite « à chaud ».
Chapitre 6
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L’ÉVÉNEMENT TRAUMATOGÈNE COMME ÉVÉNEMENT GÉNÉRATEUR DE CRISES
dans la premiere partie, l’événement traumatogène est reconnu dans la nosographie psychiatrique internationale comme un événement qui (1) implique, pour soi ou pour autrui, une menace de mort ou une menace grave à l’intégrité physique ou psychique et (2) entraîne un sentiment de peur intense, d’impuissance ou d’horreur (American Psychiatric Association, 2000). Cependant, il n’est pas que cela. Il est aussi un événement qui survient de manière brutale et inattendue. Il est la plupart du temps violent, désorganisateur (en ce qu’il perturbe le déroulement de nos activités), voire destructeur. L’ensemble de ces caractéristiques n’est pas sans conséquences sur le collectif ni sur les individus qui subissent l’événement. Bon nombre d’auteurs revendiquent l’idée selon laquelle il génère à ces deux niveaux – collectif et individuel – une crise. Comment dès lors pourrions-nous articuler cette notion d’événement à celle de crise, individuelle et groupale ?
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TRAUMATOGÈNE COMME ÉVÉNEMENT GÉNÉRATEUR D ’ UNE CRISE COLLECTIVE Sur le plan collectif, les définitions classiques de la crise l’envisagent comme « un processus qui, sous l’effet d’un événement déclencheur, met en éveil une série de dysfonctionnements... » (Roux-Dufort, 2003). En d’autres termes, toute crise n’existe qu’au travers de l’interaction entre un événement et un système d’activité, le second subissant le premier. Dans ce contexte, l’environnement impose au système d’activité de nouvelles situations dans lesquelles, dans leur très grande majorité, les cadres de référence habituels sont bousculés, les modes opératoires usuels sont dépassés et où, enfin, les processus décisionnels ordinaires sont défaillants (Lagadec, 1995 ; Rogalski, 2004). Pour cette raison, elles engendrent en général beaucoup d’incertitude ainsi qu’une impression de grande complexité. D’un point de vue objectif, l’importance d’une crise est relative à son extension spatiotemporelle ainsi qu’à ses conséquences potentielles : matérielles, humaines, écologiques, politiques, symboliques. Elle se mesure également à partir du niveau auquel le système d’activité est affecté. Une crise peut ainsi toucher, de plus superficiel au plus profond : les règles d’organisation, la structure, les compétences, les buts, le système de valeurs et/ou les raisons d’être du système d’activité (Rogalski, 2004). Dans ce cadre, plus le niveau touché par la perturbation est profond, plus la crise est sévère. Cependant, définir l’importance d’une crise du seul point de vue objectif ne suffit souvent pas. En effet, le point de vue subjectif peut également avoir un puissant impact négatif et contribuer à l’aggravation de la crise, voire à la création de nouvelles. Ce point de vue subjectif est double et recouvre, d’une part, le point de vue des gestionnaires potentiels de la crise, à savoir le plus souvent (en dehors des intervenants de l’urgence) les responsables du système d’activité et, d’autre part, celui des « victimes » potentielles de la crise, c’est-à-dire les personnes qui auraient ou qui ont à en subir les conséquences. Or à ce niveau, on observe que la crise peut : – émaner au moins autant de la perception qu’en ont les différents acteurs que de l’interaction entre l’événement et le système d’activité affecté ; – concerner au moins autant les relations entre les gestionnaires et les « victimes » que les rapports avec l’événement lui-même.
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TRAUMATOGÈNE COMME ÉVÉNEMENT GÉNÉRATEUR D ’ UNE CRISE INDIVIDUELLE Sur le plan individuel, un événement traumatogène engendrerait chez les personnes qui le subissent une « crise psychologique » (Mitchell, Everly, 2000). Cette crise naîtrait d’une rupture de l’équilibre psychologique dans lequel la personne se trouvait jusqu’alors. Elle se définirait comme un état de turbulence émotionnelle consécutif à l’échec de l’application des mécanismes d’ajustement habituels, conduisant ainsi à percevoir la situation à l’origine des difficultés comme une menace à affronter ou, dans un meilleur cas, comme un défi à relever. Elle se traduirait par l’apparition d’une détresse aiguë comportementale et psychologique qui serait elle-même associée à une détérioration plus ou moins sévère du fonctionnement individuel, où la balance habituelle entre les cognitions (les pensées) et les émotions serait rompue et où les émotions prendraient le pas sur les cognitions (Everly, Mitchell, 2008 ; Mitchell, 1981, 2007 ; Mitchell, Everly, 1993). Selon Caplan (1969), il existerait deux types de crise : développemental (ou de maturation) et situationnel. Le premier type serait associé aux grandes étapes de notre vie (naissance, enfance, adolescence, âge adulte, vieillesse et mort) tandis que le second serait lié aux événements de vie que nous traversons (maladie, accident, catastrophe, deuil, etc.). Si ce contexte définitoire nous permet de qualifier les crises engendrées par un événement traumatogène de situationnelles, il ne nous offre en revanche que peu d’informations sur la nature de l’état de turbulence émotionnelle qui les caractérise. Selon nous, cet état référerait à des bouleversements émotionnels, cognitifs et perceptifs bien particuliers que l’on peut mettre en rapport avec certaines caractéristiques de l’événement traumatogène. Parmi elles, les suivantes joueraient à nos yeux un rôle essentiel. • L’événement traumatogène (a) véhicule une menace de mort et (b)
expose les individus à leur propre vulnérabilité et mortalité. • L’événement traumatogène est (a) imprévisible et (b) incontrôlable et peut engendrer impuissance et résignation. • L’événement traumatogène (a) frappe à l’aveugle et (b) bouleverse les individus dans leurs croyances les plus profondes. • L’événement traumatogène est extrêmement stressant et peut déclencher chez les individus des phénomènes perturbateurs. Ces caractéristiques coïncident avec les notions évoquées dans le chapitre consacré aux éclairages psychanalytiques (cf. partie 1). Cependant,
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elles sont traitées ici sous l’angle cognitiviste. Détaillons-les de manière plus précise. L’événement traumatogène véhicule une menace de mort et expose les individus à leur propre vulnérabilité et mortalité Comme nous l’avons déjà souligné, la première caractéristique d’un événement traumatogène est qu’il véhicule une menace de mort ou d’atteinte à l’intégrité physique pour soi ou pour autrui. Que ces ressentis soient purement subjectifs ou fondés sur la réalité importe peu : leur impact a la même puissance délétère dans les deux cas. L’événement confronte l’individu de manière brutale et inattendue à sa propre vulnérabilité et/ou mortalité. Pour Janoff-Bulman (1992), la compréhension de l’impact traumatique repose sur la reconnaissance de la dualité de la condition humaine selon laquelle l’homme est à la fois une créature biologique et symbolique. En effet, comme le souligne Becker (1973, in Janoff-Bulman, 1992) : « L’homme [...] est une créature symbolique, une créature avec un nom et une histoire de vie. C’est un créateur doté d’un esprit capable de s’élever pour spéculer sur les atomes et l’infini, qui peut se placer en pensée à un point situé dans l’espace et contempler avec perplexité sa propre planète. Cet immense développement, cette habileté, ce caractère impalpable, cette conscience de soi donnent littéralement à l’homme le statut d’un petit dieu dans la nature. Mais, en même temps, l’homme est un ver et un ver qui mange les pissenlits par la racine. C’est tout le paradoxe : il se situe en dehors de la nature (il est de l’ordre du divin) [...] mais il est doté d’une pompe cardiaque et d’un corps qui suffoque dès qu’il manque d’air et qui trouve son origine chez les poissons (qui descend des invertébrés). [...] Son corps constitue une enveloppe charnelle matérielle qui lui semble étrangère de diverses façons – la façon la plus étrange et la plus répugnante étant qu’il souffre, qu’il saigne, qu’il se dégrade et meurt. »
Ainsi, un événement traumatogène menacerait tout autant la survie biologique que symbolique des personnes qui le subissent. Ce dernier type de menace serait tout aussi préjudiciable dans la mesure où la mort symbolique pourrait clairement signifier la fin de l’existence psychologique.
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Vignettes cliniques
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Jean est un homme de 32 ans. Il travaille depuis huit ans dans une fabrique de concasseurs. Ces machines d’une dizaine de mètres de long et d’un bon mètre de haut sont capables de broyer de nombreux matériaux. Le jour de son accident, Jean installe un nouveau concasseur chez un client avec l’un de ses collègues. L’installation est presque terminée quand Jean entre dans la machine pour effectuer les dernières vérifications. Cependant, son collègue, situé à l’autre extrémité, ne perçoit pas sa manœuvre et démarre l’engin. Jean n’a pas le temps de s’extirper : le concasseur le happe au niveau de la taille et commence à lui broyer les os du bassin. À ce moment précis, Jean entend avec netteté le bruit de ses os qui se brisent. Il hurle à son collègue d’arrêter la machine, ce que ce dernier fait immédiatement. Le pire est évité et la colonne vertébrale n’est pas touchée. Mais, coincé dans le concasseur, Jean a alors l’intime conviction qu’il est train de subir de graves et irrémédiables dommages corporels : « Je me suis dit que j’allais rester paralysé ou mutilé pour le restant de mes jours. » Pierre est un homme de 45 ans. Ouvrier spécialisé, il est employé depuis de longues années dans une aciérie. Le jour de l’accident, l’équipe avec laquelle il travaille est en train de déplacer une poutre métallique d’un peu plus d’une tonne lorsque, au cours de la manœuvre, l’une des deux chaînes porteuses se casse net, provoquant la chute brutale de la poutre. Tous les membres de l’équipe parviennent à s’écarter suffisamment pour éviter la poutre mais l’un d’entre eux reçoit un très violent coup de chaîne au thorax et s’effondre. Pierre se porte immédiatement à son secours tandis qu’un autre collègue court chercher de l’aide et prévenir les secours. L’homme touché est alors parfaitement conscient et ne présente aucune blessure externe. Toutefois, il se plaint d’importantes douleurs au thorax. Pierre le réconforte et le rassure comme il peut. Mais au fur et à mesure que le temps passe, la victime sombre progressivement dans le coma et finit par décéder avant l’arrivée des secours. Bien qu’indemne, Pierre a alors le sentiment que quelque chose a basculé dans sa vie et que certains éléments de l’événement qu’il vient de vivre ne s’effaceront jamais : « Il est mort dans mes bras. Jamais je n’oublierai son regard qui exprimait son inexorable enfoncement dans la mort. » Paul est un homme de 42 ans. Il travaille depuis le début de sa carrière dans une usine de fabrication de bâtons de nitroglycérine. Le jour de l’accident, il est seul dans l’atelier « d’encartouchage ». Il est à son poste depuis une demi-heure quand il entend le bruit d’une gigantesque explosion. Au même moment, les vitres du local dans lequel il se trouve volent en éclat et il est très violemment propulsé de plusieurs mètres le dos contre un mur. Il tombe alors face contre terre et reste ainsi étendu sans bouger, convaincu de sa propre mort : « À ce moment-là, j’étais mort. Il a fallu quelques minutes avant que je prenne conscience que je vivais toujours. » Paul finira par se relever pour constater qu’il ne souffre d’aucune blessure. Il n’est pourtant pas complètement soulagé et a l’étrange sentiment que quelque chose est mort au plus profond de lui-même.
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L’événement traumatogène est imprévisible et incontrôlable et peut engendrer impuissance et résignation La deuxième caractéristique d’un événement traumatogène est que sa survenue est le plus souvent imprévisible et son déroulement incontrôlable, de sorte qu’il mène à des conséquences que l’on se sent incapable de contrer et surtout, à des conséquences dont on ne veut pas. D’où, chez l’immense majorité des personnes qui en sont victimes, un profond sentiment d’impuissance au moment de l’impact traumatique qui, avec la répétition des stimulations nocives, sans échapattoire, peut donner lieu à l’installation d’une mentalité ou d’une attitude de « résignation acquise » dont elles peuvent avoir des difficultés à se départir par la suite. Plus la survenue de l’événement est imprévisible et son déroulement incontrôlable, plus l’état de résignation acquise qu’il engendre est profond, affaiblit leurs capacités d’adaptation post-traumatique, facilite le développement d’attitudes fatalistes et de comportements à risque et nuit à la résolution leur traumatisme (Foa, Steketee, Olasov-Rothbaum, 1989 ; Foa, Jaycox, 1998 ; Hembree, Foa, 2000). Le concept de « résignation acquise » nous vient de l’expression anglophone « learned helplessness ». Il trouve son origine dans les recherches conduites en psychologie expérimentale à la fin des années 60 par Seligman et ses collaborateurs. À l’époque, ces chercheurs ont démontré que des chiens qui ont été attachés avec un harnais de conditionnement classique et qui ont été soumis à une série de chocs électriques inévitables et imprévisibles, ont du mal, le lendemain, à acquérir une réponse d’échappement ou d’évitement (Overmier, Seligman, 1967 ; Overmier, 1968). Non seulement ces animaux n’apprennent pas à anticiper l’application de stimuli douloureux pour les éviter (évitement) mais ils n’arrivent même pas à s’y soustraire par la fuite (échappement). Pour rendre compte du phénomène, Overmier et Seligman (1967) ont alors proposé une analyse de type cognitif : la conduite des chiens au cours de la seconde phase expérimentale résulterait de ce que, la veille, ils ont appris que l’administration et la cessation des chocs ne dépendaient en rien de leurs réactions ; d’où la dénomination de « résignation ou d’impuissance acquise ». En 1971, Seligman, Maier et Solomon apportent à cette explication une conception théorique. Selon celle-ci, le phénomène de résignation acquise consisterait en un syndrome formé de trois symptômes qui résulteraient principalement d’un changement de l’évaluation que le sujet fait de sa propre efficacité, après avoir constaté que des événements graves peuvent survenir indépendamment de ses
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réactions, et qu’ils sont donc incontrôlables par lui. Les trois symptômes consisteraient en : – un déficit motivationnel qui s’exprimerait par une détérioration de l’initiative à agir ; – un déficit cognitif encore appelé déficit associatif qui se traduirait par une difficulté à faire le lien entre les actions posées et leurs conséquences, et, plus largement, à établir que les événements dépendent des actions engagées ; – un déficit émotionnel qui se traduit par une augmentation des affects de type dépressif. Par la suite, de nombreux travaux ont montré que ce phénomène pouvait être généralisé non seulement à d’autres espèces animales (rats, pigeons, poissons, etc.) mais également à l’homme. Dans ce dernier cadre, Seligman (1975) a étendu la portée du phénomène et de la théorie de la résignation acquise à diverses catégories de réactions psychologiques parmi lesquelles le syndrome dépressif majeur. En 1983, il argumente avec Peterson que le phénomène peut être appliqué à la compréhension de certaines réactions présentées par les personnes victimes d’événements traumatogènes (Peterson, Seligman, 1983).
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Vignette clinique Pascal est un homme âgé de 34 ans. Il est marié depuis plusieurs années et père d’une fillette de 5 ans, que nous appelons Lisa, et d’un garçon de 2 ans, que nous appelons Arthur. Un dimanche de la fête des grands-mères, toute la famille se rend durant la matinée à la supérette du coin. Là, l’épouse de Pascal s’arrête avec Arthur dans les bras, devant un stand de fleurs situé entre les caisses et les portes d’entrée du magasin. Lisa, pour sa part, joue un peu plus loin au tourniquet. Quant à Pascal, il est dans un rayon proche du tourniquet. À un moment donné, il entend des cris venant de l’entrée du magasin et pense qu’il s’agit de jeunes qui font la fête dans le cadre du carnaval. Néanmoins, assez rapidement, la nature des cris l’amène à abandonner sa première hypothèse sans toutefois qu’il parvienne à en trouver une autre. Il s’avance alors de quelques pas et découvre un spectacle effroyable. Les cris qu’il a perçus sont ceux de Lisa qui hurle de terreur, seule debout à côté du tourniquet. Non loin d’elle, son épouse et son garçon sont agenouillés et tenus en joue par un des hommes cagoulés. Sa première impulsion est de porter secours à sa famille mais, dans le même temps, il se rend compte que s’il bouge, son comportement risque d’être extrêmement préjudiciable pour tout le monde. Du coup, il ne peut qu’assister, totalement impuissant, au déroulement du braquage : « À ce moment-là, je ne vois que le canon du pistolet braqué sur la nuque de ma femme agenouillée, et je ne peux rien faire. C’est difficile car je n’avais qu’une envie : casser la gueule
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au braqueur. » De plus, il est terrorisé à l’idée que les cris de Lisa finissent par agacer l’un ou l’autre des braqueurs qui pourraient s’en prendre à elle : « Lisa est là, toute seule. Tous les autres sont planqués derrière les caisses. Et moi, je ne peux strictement rien faire pour lui venir en aide. Rien. C’est un cauchemar ! » Au moment de la prise en charge immédiate, Pascal est dans un état de totale apathie. Il reste ancré à l’idée de son impuissance. Au fil des semaines, cet état d’apathie se muera en syndrome dépressif.
Dans le même temps, différents facteurs sont proposés comme médiateurs entre l’exposition à l’absence de contrôle et les symptômes de résignation acquise. Parmi eux, plusieurs sont repris à l’heure actuelle pour rendre compte de certaines réactions qui apparaissent après l’exposition traumatique, dans ses suites immédiates ou plus tardives. C’est le cas des processus d’attribution causale (Brillon, 2004, par exemple) et de la réorientation de nos cognitions vers notre état interne. Les processus d’attribution causale ont largement été étudiés par Abramson, Seligman et Teasdale (1978). Selon eux, la perception d’une relation d’indépendance entre les actions propres et l’événement déclencherait de la part de l’individu une activité inférentielle relative aux causes de l’impossibilité de contrôle. Les réponses qu’il apporterait à ce questionnement seraient susceptibles d’avoir des effets sur le développement et le maintien de la résignation acquise. Trois dimensions moduleraient la nature de cette réponse. • L’externalité/internalité des facteurs auxquels est attribuée l’impossi-
bilité de contrôle. Dans le premier cas, la cause de « l’incontrôlabilité » est externe au sujet tandis que dans le second, elle est interne et s’accompagne de l’impression que d’autres personnes, confrontées au même événement, seraient capables de le contrôler. • L’instabilité/stabilité des facteurs auxquels est attribuée l’impossibilité de contrôle. Une cause instable est une cause temporaire (par exemple, le manque de révisions) tandis qu’une cause stable est une cause qui dure dans le temps (par exemple, une absence de compétences particulières). Dans ce cadre, quand le sujet attribue la cause de son manque de contrôle d’un événement particulier à des facteurs stables, il est amené à penser qu’il ne contrôlera pas plus ce type d’événement dans le futur qu’il n’y parvient dans le présent. • La globalité/spécificité des facteurs auxquels est attribuée l’impossibilité de contrôle. Un facteur global est un facteur qui est censé participer à un grand nombre de situations (par exemple, les capacités intellectuelles). Lorsque le sujet attribue son manque de contrôle à un facteur global, il est amené à penser qu’un grand nombre de situations
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seront incontrôlables – toutes celles dans lesquelles il estime que ce facteur entre en jeu. Vignettes cliniques Danièle est une femme de 50 ans. Elle est employée d’agence bancaire. Un jour, trois braqueurs stationnés juste devant l’agence profitent de son arrivée pour s’engouffrer avec elle dans l’établissement. Elle ne peut rien faire pour éviter cet état de fait. Au moment de la prise en charge immédiate, Danièle est effondrée. Elle est intimement persuadée qu’elle est responsable du braquage dans la mesure où elle « a laissé entrer les braqueurs ». De plus, elle estime qu’elle aurait dû s’apercevoir de leur présence dans la voiture et que « n’importe qui d’autre aurait remarqué que la situation n’était pas normale ».
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Julien est un jeune homme de 19 ans. Une fin de journée de juin, vers 18h00, il est abordé par un homme d’une cinquantaine d’années alors qu’il sort de la gare de sa commune d’habitation. Celui-ci sollicite son aide pour changer une roue de sa voiture garée dans une rue adjacente. Julien le suit alors sans aucune arrière-pensée. Cependant, une fois arrivé devant le véhicule, il constate qu’aucune roue n’est crevée et se retrouve avec un couteau plaqué sur la gorge. L’inconnu va alors le violer. Par la suite, quand Julien analyse les circonstances de survenue de son agression, il estime que, compte tenu de sa personnalité, il n’aurait pas pu échapper à ce qui lui est arrivé : « Vu la façon dont il était habillé (l’agresseur est un SDF), d’autres l’auraient probablement trouvé louche. Mais pas moi, c’est dans ma nature, je fais trop facilement confiance aux gens. »
Sur le plan cognitif, Kuhl (1981) a proposé que l’exposition à l’absence de contrôle provoque une perturbation dans le fonctionnement du système cognitif. Cette perturbation « fonctionnelle » serait à l’origine des baisses de performance observées par la suite. Elle se traduirait par l’intrusion, dans le champ de la conscience, de certaines cognitions qui occuperaient l’attention et réduirait la quantité de ressources attentionnelles disponibles pour d’autres tâches. Pour Kuhl, l’objet des cognitions « hors tâche » serait l’état interne de l’individu. Selon lui, une brève exposition à l’impossibilité de contrôle conduirait le sujet à « s’orienter vers l’action ». Il serait alors occupé à « des activités cognitives centrées sur les alternatives d’action et les plans qui servent à surmonter une divergence entre un état présent et un état souhaité » (Kuhl, 1981). Mais en l’absence persistante de contrôle, son activité cognitive se déplacerait de l’action vers l’état et serait alors centrée sur « l’état présent, passé ou futur de son organisme » (ibid.) (par exemple, son état émotionnel) et ne lui permettrait plus de s’orienter vers une quelconque forme d’action.
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L’événement traumatogène frappe à l’aveugle et bouleverse les individus dans leurs croyances les plus profondes La troisième caractéristique d’un événement traumatogène est qu’il frappe de manière aveugle et arbitraire, bouleversant les individus qu’il affecte dans leurs croyances personnelles. Plus le niveau des croyances qu’il affecte est profond, plus les bouleversements qu’il induit sont majeurs et peuvent nécessiter de leur part des remaniements dont l’ampleur est à la mesure de leur importance (Janoff-Bulman, 1992, 2006 ; Janoff-Bulman, Frantz, 1997). En psychologie cognitive, ces remaniements peuvent être compris en termes de changements de contenu et/ou d’architecture de certaines structures mentales stockées en mémoire. Comment cela se passe-t-il exactement ? Un des postulats de base de la psychologie cognitive est que l’individu n’appréhende pas le monde de manière directe mais à travers les représentations qu’il s’en construit. Une source importante d’élaboration de ces représentations proviendrait des informations qu’il acquiert et emmagasine au fil de ses expériences. En d’autres termes, cela revient à dire que ce qu’il a acquis par le passé guide et oriente sa conduite présente. Plus exactement, ses expériences passées laisseraient dans sa mémoire des traces, et ce sont ces traces qui seraient à l’origine de la réapparition de comportements ou d’actions que la perception de la situation présente peut exiger. Ainsi, ce qui déterminerait sa conduite, ce serait l’action conjointe de la situation externe et de l’interprétation qu’il en fait à lumière de ses expériences passées ; et c’est l’intégration de ces deux sources d’informations – les informations issues de la situation et les connaissances stockées en mémoire activées pour la circonstance – qui serait à l’origine de son activité dans une situation donnée. Dans ce processus psychologique, l’organisation des connaissances jouerait un rôle essentiel. En effet, c’est cette organisation qui investirait d’emblée la manière dont l’individu se comporte en face de telle situation nouvelle ou de telle tâche originale à accomplir. Dès lors, sa rigueur ainsi que sa flexibilité seraient les garants d’une adaptation adéquate. Dans cette approche théorique générale, les données de la littérature actuelle s’accordent sur l’existence en mémoire à long terme de structures mentales qui aideraient le sujet non seulement à appréhender et à comprendre le monde qui l’entoure mais également à se souvenir des situations auxquelles il est confronté. De nombreux auteurs se sont intéressés à elles de sorte qu’elles ont reçu différents noms comme les « scripts personnels » (Demorest, 1995 ; Singer, Salovey, 1993 ; Thorne, 1995 ; Tomkins, 1979), les « soi possibles » (Markus, Nurius, 1986), les
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« unités de "soi avec les autres" » (Ogilvie, Rose, 1995), les « aspects conceptuels des modèles de travail internes » (Bowlby, 1969/1982, 1973, 1980), les « schémas relationnels » (Baldwin, 1992) ou les « self -guides » (Strauman, 1990 ; Strauman, Higgins, 1987). Mais les travaux les plus influents dans le domaine sont probablement ceux issus de la théorisation sociocognitive du « self » (Cantor, Kihlstrom, 1985, 1987, 1989 ; Klein, Loftus, 1993 ; Neisser, 1988) et de la modélisation récente de la mémoire autobiographique sous la forme d’un self memory system (Conway, Pleydell-Pearce, 2000). Néanmoins, malgré les différences terminologiques, ces structures mentales présentent plusieurs caractéristiques spécifiques que l’on retrouve d’un auteur à l’autre. Ainsi, elles seraient en quelque sorte des paquets de connaissances organisés « prêts à l’emploi » qui seraient de puissants modèles du monde et qui serviraient de guides cognitivo-émotionnels à l’individu pour interagir de manière adaptée avec son environnement. Elles conditionneraient sa façon de penser, d’agir, d’interagir avec autrui, de développer des attentes, d’anticiper les résultats de ses actions, de planifier des objectifs, de se projeter dans l’avenir c’est-à-dire, plus largement, sa façon d’être et de faire, son identité. Leur activation générerait des hypothèses, des croyances ou des théories naïves plus ou moins conscientes et plus ou moins réalistes qui contribueraient à rendre son environnement intelligible. Sur le plan architectural, ces structures mentales seraient intégrées au sein d’un système conceptuel qui serait organisé de manière hiérarchique. Au niveau le plus profond se situeraient les structures les plus fondamentales qui seraient les plus abstraites et générales et applicables au plus grand nombre de situations. Elles seraient également les plus précocement acquises de sorte qu’elles constitueraient le cœur du monde intérieur de tout sujet, le socle à partir duquel se développerait son système conceptuel. Elles seraient enfin les moins conscientes et les moins facilement questionnées et remises en cause. À l’opposé, au niveau le plus superficiel se situeraient les structures mentales les plus spécifiques mais également les plus directement liées à la réalité. Elles permettraient de traiter des sphères limitées de l’expérience comme, par exemple, des capacités particulières. Enfin, l’une des particularités de ce système conceptuel est qu’il n’existerait pas nécessairement de liens entre les hypothèses générées par les structures mentales les plus profondes et celles générées à des niveaux plus superficiels (pour une revue sur ce dernier point, voir Chaiken, Trope, 1999). D’un point de vue développemental, comme nous venons de le souligner, ce sont les structures les plus profondes qui seraient les premières élaborées. Elles trouveraient leurs racines dans le développement de
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la mémoire épisodique envisagée comme un système d’enregistrement, de stockage et de récupération des événements personnellement vécus situés dans leur contexte spatial et temporel d’acquisition (Tulving, 1972, 1983, 1985). Selon Stern (1985), dès l’âge de 2 mois, l’enfant serait capable d’extraire et de catégoriser les qualités abstraites et globales des expériences qu’il vit pour en tirer des constellations d’invariants sur lui-même et les autres. Sur le plan cognitif, la confrontation répétée à des situations similaires permettrait la création en mémoire des premières structures mentales ou « épisodes généralisés ». Entre les âges de 2 et 7 mois, ces épisodes généralisés se combineraient progressivement en structures de plus haut niveau d’abstraction : les représentations d’interactions généralisées. Celles-ci constitueraient les unités de base à partir desquelles l’enfant serait capable de former une perspective subjective organisée et cohérente de lui-même – le core self – et de l’autre – le core other. À leur tour, ces représentations d’interactions généralisées se combineraient pour former des modèles de travail (Bowlby, 1969/1982, 1973, 1980). L’ensemble de ces modèles serait acquis avant l’apparition du langage et représenterait un socle « expérientiel » qui agirait en dehors du champ de la conscience et à partir duquel se développerait le système conceptuel. De plus, comme il résulterait de l’enregistrement des expériences de soins affectueux que l’enfant reçoit de la part d’un entourage aimant, attentionné et attentif à ses besoins, les hypothèses, théories ou croyances qu’il générerait présenteraient de façon assez systématique une valence positive. Ces caractéristiques permettraient à l’enfant de développer un sentiment de confiance en lui et en l’autre, prérequis fondamental d’une vitalité mentale. S’appuyant sur l’ensemble de ces travaux, Janoff-Bulman (1992) s’est intéressée à la nature des croyances fondamentales susceptibles d’être bouleversées par un événement traumatogène. Elle en identifie trois qui sont intimement interreliées mais que nous distinguons pour la clarté de l’explication. Il s’agit des croyances suivantes : – le monde est bienveillant ; – le monde est cohérent et fonctionne selon une logique de justice ; – notre ego est estimable (the self is worthy). Dans cette perspective, le monde est un concept abstrait qui réfère tant aux gens qu’aux événements et le « self », un concept qui réfère à ce qu’est l’individu et à ce qu’il fait. Ainsi, supposer l’existence d’un monde bienveillant reviendrait, pour le sujet, à penser d’une part que les gens font preuve de bonté, d’amabilité, de serviabilité et d’humanité et d’autre part, que les événements qu’il vit sont soumis à la bonne
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fortune plutôt qu’à la mauvaise. Cette croyance ne le transformerait pas pour autant en incorrigible naïf incapable de voir la réalité du monde dans lequel il vit, mais participerait plutôt au développement et au maintien d’un sentiment de sécurité. Cette croyance serait maintenue par le fait que, la plupart du temps, il n’envisage pas le monde dans sa globalité, mais son propre monde qui est relativement limité. Qui plus est, bien souvent, il distinguerait entre son propre sort et celui des autres. Ainsi, dans son monde, les mauvaises choses n’arriveraient pas souvent et quand elles surviennent, elles ne le toucheraient pas en raison du fait que leur survenue est conditionnée à un certain nombre de principes qui le protègent tant qu’il les respecte. En particulier, il serait personnellement protégé à cause de ce qu’il est (une bonne personne) et de ce qu’il fait (éviter de côtoyer des personnes pouvant avoir des intentions malveillantes). Dans la même veine, supposer l’existence d’un monde cohérent reviendrait à envisager un monde dans lequel la survenue des événements est préservée de tout hasard et où, au contraire, le sujet pourrait établir des liens de causalité entre les événements et les personnes qui les vivent. Au fil de ses expériences de vie, chaque individu construirait des théories naïves qui rendraient intelligibles non pas les raisons pour lesquelles certains événements surviennent mais plutôt celles pour lesquelles certains événements arrivent à certaines personnes. Dans ce domaine, la littérature montre que les liens de causalité auxquels le sujet se réfère d’ordinaire relèvent de règles socialement acquises et acceptées de justice et de mérite. Ainsi, dans un monde juste, les gens auraient ce qu’ils méritent et mériteraient ce qui leur arrive (Lerner, 1980). L’aléatoire et l’arbitraire ne pourraient toucher l’innocent. Ce point de vue aurait pour conséquences que les événements négatifs soient perçus comme des punitions et les positifs, comme des récompenses. Dès lors, là aussi, ce que l’individu est et ce qu’il fait joueraient un rôle essentiel : tant qu’il se montre prudent et raisonnable, qu’il ne prend aucun risque inconsidéré et que ses actions sont pesées, réfléchies et rationnelles, il garderait la maîtrise des événements qu’il vit. Pour ces raisons, la croyance en un monde cohérent participerait largement au développement et au maintien d’un sentiment d’invulnérabilité (Antonovsky, 1979). Enfin, selon la troisième croyance, celle d’un ego estimable, le sujet se percevrait comme une personne digne, dotée d’une haute moralité et qui réussit. Cette croyance lui permettrait d’acquérir un sentiment de confiance en lui suffisamment fort et une estime personnelle suffisamment bonne pour qu’il puisse se sentir digne de l’intérêt que l’autre pourrait lui porter et s’engager dans de nombreuses interactions. Elle
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serait maintenue grâce à un « biais » de l’évaluation qu’il ferait de lui-même et de ses actions. En effet, la littérature montre que l’individu a tendance à s’attribuer la responsabilité des événements positifs et désirés qui lui arrivent et des succès qu’il rencontre et à nier sa part de responsabilité dans les échecs qu’il essuie et dans le mal qu’il pourrait faire à autrui. Vignettes cliniques Henriette est une femme de 72 ans. Mariée depuis de très nombreuses années, elle est toujours restée femme au foyer et s’est beaucoup investie dans la vie associative. Aujourd’hui encore, elle reste très engagée dans une association caritative d’aide aux plus démunis. Un dimanche, en fin d’après-midi, elle ouvre la porte à un inconnu très violent qui se trouve visiblement sous l’emprise de toxiques. Celui-ci la blesse par arme blanche ainsi que son époux venu à son aide et finit par la violer. Il quitte ensuite très rapidement le domicile sans avoir dérobé quoi que ce soit. Il sera arrêté par la police dans les heures qui suivent. Henriette est profondément bouleversée par le drame qu’elle vit et ne parvient pas à lui trouver un sens : « Je n’ai jamais rien fait de mal dans ma vie. Au contraire, je suis très investie dans cette association caritative où je ne compte ni mon temps ni mes efforts pour aider les plus démunis. Et qu’ai-je en retour ? Ce terrible viol ! Qu’ai-je donc fait pour mériter un tel châtiment ? » Jacques est un homme de 53 ans. Alors qu’il rentre d’un week-end avec son épouse, leur véhicule est percuté en frontal par un chauffard présentant un taux d’alcoolémie important et roulant à une vitesse excessive. L’accident survient alors que Jacques conduit et aborde un virage. En raison de la visibilité dont il bénéficie à ce moment-là, il ne perçoit que très tardivement le véhicule qui vient en face de lui et ne peut rien faire pour éviter la collision. Son épouse est grièvement blessée et décède avant l’arrivée des secours. Très rapidement, Jacques ressent une profonde colère ainsi qu’un sentiment d’injustice : « Je ne parviendrai jamais à me faire accepter ce qui est arrivé. Pourquoi ? Pourquoi a-t-il fallu que cela tombe sur moi ? Pourquoi dois-je payer le prix fort alors que je n’y suis pour rien ? »
L’événement traumatogène est extrêmement stressant et déclenche chez les individus des phénomènes perturbateurs La quatrième et dernière caractéristique d’un événement traumatogène est qu’il est pourvoyeur de réactions de stress parfois très intenses, voire de phénomènes dissociatifs. En effet, face à une situation de danger soudaine, inattendue et qui exige une adaptation rapide, l’individu développe spontanément un ensemble de réactions bio-psychophysiologiques appelé stress. Chacune
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de ces réactions est utile en soi. Elles font que l’organisme répond aux défis qui lui sont lancés, soit en faisant face et en rendant les coups (fight), soit, au contraire, en effectuant une retraite stratégique rapide (flight) (Cannon, 1920). Cette réaction « de fuite ou d’affrontement » est commandée par le système nerveux autonome. C’est-à-dire qu’elle n’est pas désirée consciemment au niveau du système nerveux central. Elle survient automatiquement, de la même manière que la digestion ou l’augmentation du rythme cardiaque chaque fois qu’il faut courir pour attraper un bus. Le sujet n’a aucune prise sur cet état de choses. L’organisme reconnaît le besoin d’une réponse et la donne sans qu’il n’ait à lui dire de le faire. En situation de danger, le stress est donc un phénomène normal et inévitable. Cependant, il va avoir des effets différents selon son intensité. Cette intensité est elle-même modulée par la perception quel’individu a, sur le moment, de ses capacités à faire face (Lazarus, Folkman, 1984). S’il juge que ses capacités lui permettent d’affronter et de maîtriser la situation, son stress est peu intense et demeure adapté. Il est alors le bienvenu et se révèle d’un précieux secours. Il lui permet en effet de mobiliser toute l’énergie dont il a besoin, contribue à mettre en éveil ses sens et à focaliser son attention sur les éléments les plus dangereux de la situation et augmente sa réactivité cognitive. Au final, ces phénomènes facilitent l’analyse de la situation et des moyens pour faire face et permettent ainsi au sujet de prendre une décision rapide pour se soustraire au plus vite au danger. En revanche, si si ce même individu estime ses ressources insuffisantes, le stress qu’il ressent s’intensifie et entraîne l’émergence d’émotions négatives. La difficulté est qu’une fois que les réactions émotionnelles ont commencé à poindre, le sujet réagit tout autant en fonction de sa perception des changements émotionnels que de la situation générale. Or la montée de l’émotion entraîne une plus grande pression vers l’action, mais si le stress est trop important, les réactions alors tentées s’avèrent inappropriées et mènent en conséquence à plus de stress encore, lequel accroît encore davantage la pression en vue d’une réaction. Ce cercle vicieux peut conduire de cette manière à l’émergence de réactions de stress très intenses qui peuvent avoir des conséquences très préjudiciables. Elles peuvent ainsi provoquer une altération massive des capacités d’adaptation de l’individu et le placer dans l’incapacité d’élaborer la moindre décision d’action cohérente. Elles peuvent également engendrer des comportements tout à fait inhabituels et inadaptés (Crocq, Doutheau, Louville, Cremniter, 1998b) tels que : – La réaction de sidération qui laisse la personne totalement figée dans un état associant stupéfaction cognitive et stupeur affective, incapable
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de la moindre stratégie cognitive qui viserait à prendre une décision, notamment pour se soustraire au danger. Vignette clinique Élisabeth est une femme de 53 ans. Elle est prise dans un braquage alors qu’elle est en train de faire ses courses dans le supermarché de son quartier. D’emblée, elle éprouve une réaction de stress très intense : « Je tremble de partout et je ressens d’énormes difficultés à comprendre ce qui est en train d’arriver. C’est comme si ma tête était vide. » Celle-ci se majore quand l’un des braqueurs s’adresse à elle directement et lui ordonne en criant de rejoindre les autres personnes près des caisses. Élisabeth connaît à ce moment-là une réaction de sidération : « C’était comme si mes jambes étaient cimentées au sol. Je ne parvenais pas à faire le moindre mouvement. J’étais toute entière paralysée. Le braqueur me parlait mais je ne comprenais pas ce qu’il me disait et j’étais bien incapable de faire quoi que ce soit. En même temps, je ne ressentais aucune émotion. »
– La réaction d’agitation incoordonnée et stérile qui fait ressentir à l’individu un besoin impérieux d’agir qui se traduit lui-même, faute d’élaboration cognitive, par une gesticulation désordonnée voire parfois incohérente. Vignette clinique Bertrand est un homme de 43 ans. Il est employé de banque depuis plus de quinze ans. L’agence dans laquelle il travaille est dotée d’un coffre-fort contenant d’importantes liquidités, situé au 1er étage de l’établissement. Le jour du braquage, il est pris en otage par l’un des braqueurs et doit l’accompagner pour lui ouvrir le coffre. Lorsqu’il est choisi, il ressent une très nette augmentation de sa réaction de stress : « À ce moment-là, je ressens une très nette accélération des battements de mon cœur et mes jambes se mettent à trembler très fortement. Je tiens à peine debout. » Pourtant, Bertrand parvient à comprendre et à exécuter les ordres du braqueur. Il s’engage ainsi le premier dans l’escalier. Cependant, après avoir monté quelques marches, il est déséquilibré, tombe et entraîne dans sa chute le braqueur qui se trouve juste derrière lui. Là, il ne parvient plus à se relever. Sa réaction de stress s’est majorée. C’est donc le braqueur qui le remet debout et le porte à bout de bras dans l’escalier. Or au fur et à mesure de leur ascension, l’intensité de la réaction de stress que ressent Bertrand augmente encore. Arrivé à l’étage, il ressent un besoin impérieux d’agir qui se traduit par une impulsion irréfléchie : Bertrand se met à courir, se jette par la fenêtre qui donne côté rue et se retrouve quelques mètres plus bas sur le trottoir « C’était plus fort que moi, je ne parvenais plus à me contrôler. Seule comptait l’idée de me sortir de ce cauchemar. »
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– La réaction de fuite panique qui se traduit par un comportement de fuite affolée, effrénée et irréfléchie que le sujet développe au mépris de tout danger, et qui peut parfois le reprécipiter dans le danger. Vignette clinique
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Aurore a 38 ans et travaille pour une société bancaire. Elle est employée dans une structure qui couple une agence avec des bureaux administratifs, délocalisés du siège de la société. Le bâtiment dans lequel elle exerce est très grand et forme un rectangle dont la longueur est bien plus importante que la largeur, donnant le sentiment, toutes proportions gardées, d’un bâtiment étroit. Le jour du braquage, Aurore officie au guichet qui se situe juste à côté des portes d’entrée. L’agence ne dispose d’aucun sas de sécurité de sorte que l’on y entre sans devoir actionner de sonnette. Sans qu’elle s’y attende, alors qu’elle relève la tête d’un dossier qu’elle consulte, elle se trouve « nez à nez » avec le canon d’un pistolet. La personne qui la tient en joue est un jeune homme d’une vingtaine d’années, habillé d’un survêtement et d’un bonnet dont les bords sont roulés. L’effet de surprise passé, Aurore comprend qu’il s’agit d’un braquage. Très vite, alors, elle « panique. Je me rends compte qu’il tremble beaucoup plus que moi et qu’il ne maîtrise pas son arme. Je me dis qu’il tremble tellement que le coup va partir tout seul et qu’il va me tuer ». Cette pensée génère en elle une réaction de stress intense associée à une véritable peur panique : « Je me sens envahie par la peur. C’est trop insupportable. Faut que je me sauve. ». Aurore ne réfléchit plus. Submergée par les émotions, elle se met à courir pour se soustraire au braqueur. Toutefois, alors qu’elle peut très facilement lui échapper en sortant de l’agence (elle n’a que quelques pas à faire pour être sur le trottoir), elle se met à courir au fond de l’agence qui n’est autre qu’un cul-de-sac. Seul le mur l’arrêtera.
– L’action automatique qui amène la personne à agir de manière spontanée ou par mimétisme comme un automate et qui se manifeste par des comportements relativement stéréotypés sans réel rapport avec le contexte et/ou par des préoccupations inadaptées au contexte. Vignette clinique La CUMP est déclenchée à la suite d’un braquage de banque particulièrement violent. Lorsque nous arrivons sur place, le spectacle est assez impressionnant : la vitrine de l’agence a volé en éclat, explosée par une voiture bélier. À l’intérieur, des flaques de sang jonchent le sol, plusieurs meubles sont retournés ou partiellement détruits. Alors que nous entrons, nous sommes interpellés par deux hommes, employés dans l’agence. Ils soulignent le courage remarquable d’une de leur collègue, Monique, « qui est restée imperturbable durant tout le braquage et qui [leur] a donné beaucoup de courage. ». Lorsqu’on les interroge de façon plus précise, ils
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nous expliquent que « Monique a continué à travailler comme si rien ne se passait et qu’elle continue toujours d’ailleurs à travailler malgré leurs conseils d’arrêter ». Bref, Monique a fait preuve d’un « sang froid extraordinaire ». En réalité, lorsque nous nous approchons de Monique et tentons d’établir un contact, c’est pour constater que, depuis 45 minutes, elle passe le même chèque dans le même lecteur optique et qu’elle se trouve dans un profond état de désarroi contemporain d’une réaction d’action automatique. Avec notre aide, il lui faudra approximativement une heure pour réintégrer la réalité et commençait à pouvoir échanger avec nous.
Enfin, quand les réactions de stress atteignent une intensité extrême, elles peuvent provoquer une altération de la perception de l’environnement, phénomène connu sous les termes de « dissociation péritraumatique ». Cette forme de dissociation se définit comme une altération des fonctions d’identité ou de perception de l’environnement et se traduit par une impression de détachement ou d’anesthésie émotionnelle, la réduction de la conscience de l’environnement et/ou l’altération de la perception de la réalité, de son corps ou du temps (Bryant, 2007 ; van der Kolk, van der Hart, 1989). Elle nous permet de ne plus être en contact avec des émotions submergeantes et trop douloureuses, nous aide à prendre de la distance face à qui est en train de se produire et permet de nous redonner un certain sentiment de sécurité (Brillon, 2004). Cependant, l’impression d’étrangeté qui entoure sa survenue nous laisse souvent dans un état de désarroi et d’incompréhension important. Vignette clinique Anne est une femme de 38 ans. Le jour de son agression, elle revient d’une promenade au bord de mer quand elle s’arrête sur une aire d’autoroute pour fumer une cigarette. Il est environ 16h00. Plusieurs véhicules sont déjà stationnés et elle note la présence de personnes de sorte qu’elle se sent en sécurité. Elle se gare, sort de sa voiture et part flâner tout en fumant une cigarette. Cependant, au moment de rejoindre sa voiture, elle est violemment projetée au sol. Elle tombe face contre terre tandis que son agresseur se jette sur elle et la plaque au sol. Sur le coup, « c’est la surprise, je ne comprends pas ce qui se passe ». Son agresseur lui place alors un couteau sous la gorge, la relève en lui tirant les cheveux et la pousse avec le coude vers des fourrés. À ce moment précis, « j’ai l’impression d’être spectatrice d’un film, comme si je regarde le film ». Là, il essaie de lui déchirer sa culotte. Comme elle se débat, son agresseur ne parvient pas à atteindre son but. Il finit par écarter sa culotte et lui imposer une pénétration vaginale digitale. Elle ressent alors « une terrible peur ». « Je tremble de tout mon corps. J’ai l’impression de hurler mais aucun son ne sort de ma bouche. » Comme elle continue à se débattre, il lui dit qu’il ne la violera pas parce qu’il a peur qu’elle ait le sida. « Je me sens soulagée mais je me pose tout de suite la question
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de savoir ce qu’il me veut exactement ». Surgit alors l’idée qu’il pourrait la tuer. Du coup, elle se défend de plus belle. Son comportement énerve son agresseur qui la pousse dans le fossé. Elle tombe, se relève et part en courant. Mais son agresseur la rattrape par les cheveux. À ce moment précis, elle perçoit un mouvement ample de la main qui tient le couteau et elle a la conviction que sa dernière heure est arrivée. Elle entre dans un état dissociatif et connaît un phénomène de décorporalisation. « Je me sens sortir de mon corps et m’élever dans les airs. Pour moi, à ce moment-là, c’est mon âme et cela prouve que je suis morte. Quand je suis en hauteur, je me vois moi à genoux, lui face à moi. Je vois qu’il met son sexe dans ma bouche et qu’il fait des va-et-vient avec ma tête qu’il tient à deux mains. Je suis comme un pantin, je ne bouge pas. En même temps, je ne ressens rien. J’ai l’impression d’être totalement indifférente, comme si ce n’était pas moi. » Son agresseur lui impose ainsi une fellation avec éjaculation buccale. Puis, il la repousse violemment. Elle tombe en arrière mais se relève aussitôt, court vers sa voiture sans se retourner, y monte et démarre immédiatement, « je n’ai jamais démarré aussi vite de ma vie ».
En résumé, comme nous venons de le voir, un événement traumatogène peut générer de nombreux bouleversements chez les personnes qui en sont victimes. Toutefois, on observe que la nature et la profondeur de ces bouleversements varient de façon importante d’un individu à l’autre. Cette variabilité interindividuelle s’explique pour l’essentiel par la nature hautement subjective des processus de perception et d’évaluation qui génèrent la réaction de stress, celle d’impuissance, le traumatisme psychique et la remise en question des croyances fondamentales. Ainsi, lors de sa survenue, au même titre que n’importe quel événement de vie, un événement traumatogène sera appréhendé à la lumière de nos expériences personnelles et de leur retentissement sur notre façon d’être et de faire. En conséquence, même si l’événement traumatogène est porteur de propriétés intrinsèques plus ou moins pathogènes, il aura une résonance tout à fait particulière dépendante de notre histoire passée et de notre vécu. Compte tenu de ces éléments, en immédiat, tous les bouleversements induits par l’événement traumatogène vont donc s’exprimer à des degrés divers et se combiner de multiples façons pour donner naissance à des tableaux cliniques très diversifiés, pouvant aller d’une réaction de stress modérée sans aucun traumatisme psychique ni malmenage de croyances fondamentales, à une réaction dissociative avec traumatisme psychique et remise en question profonde de l’une ou l’autre voire de toutes les croyances fondamentales. Il importera dès lors d’adapter toute prise en charge immédiate à ces caractéristiques.
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Chapitre 7
INTERVENTION À CHAUD OU IMMÉDIATE
de le voir, tout événement traumatogène engendre de multiples conséquences psychologiques et personne ne peut se targuer de sortir totalement indemne de cette confrontation. Au mieux, les rescapés en sont quittes pour une réaction de stress adaptée et une bonne peur sur le coup. Au pire, les bouleversements qu’ils connaissent vont faire le lit d’importantes difficultés post-traumatiques qui participeront à la genèse d’un trouble chronique. Outre notre devoir de soulager la souffrance psychique au même titre que la souffrance physique, cette constatation justifie à nos yeux à elle seule l’impératif de soins immédiats dont l’application, dans ce cadre, participe aux efforts de prévention secondaire. Néanmoins, ces soins immédiats ne trouvent leur pleine efficacité qu’à deux conditions. D’abord, ils doivent être intégrés à une intervention à chaud plus globale qui prend en compte la dimension collective de la crise créée par l’événement. En effet, comme le soulignent très justement Prieto et Lebigot (2003), toute désorganisation de la réponse élaborée pour faire face à la crise, dans la mesure où elle est perçue par les rescapés, est extrêmement dommageable pour eux car elle les replonge dans la sensation de chaos très délétère dont ils viennent à peine d’émerger, engendrant ainsi
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le risque considérable d’entraver la réussite du travail thérapeutique. Ensuite, ces soins immédiats doivent être insérés dans un processus de soins psychologiques dont ils ne constituent que l’étape la plus précoce. En effet, même si l’intervention de crise possède des vertus thérapeutiques indéniables, elle ne peut être comparée à une véritable psychothérapie. De plus, même si elle peut suffire pour les personnes qui présentent les tableaux cliniques les moins graves, notre expérience nous montre qu’elle doit être impérativement suivie d’au moins une intervention post-immédiate pour une frange relativement importante de rescapés.
G ESTION
DE LA CRISE COLLECTIVE
Difficultés rencontrées L’événement traumatogène, en tant que pourvoyeur de situations de crise, a souvent un effet perturbant et désorganisateur sur les membres des organisations qu’il touche. Personne n’est vraiment épargné. Qu’il s’agisse des agents, des responsables de sécurité, des responsables institutionnels, ou encore des personnels de la médecine de prévention, n’importe qui peut se trouver précipité à des degrés divers dans un vécu immédiat de crise psychique. Or si pour les événements traumatogènes de grande ampleur, comme les catastrophes naturelles ou technologiques, la conduite de crise est réfléchie et testée de façon anticipée pour être ensuite pilotée au moment critique par des professionnels rompus à cet exercice qui s’appuient sur des plans de procédures eux-mêmes rodés (plan ORSEC ou Plan rouge, par exemple), il n’en va pas de même pour les événements accidentels qui impliquent un petit nombre d’individus, comme les accidents du travail, les braquages ou les suicides d’élèves en établissement scolaire, qui sont pourtant beaucoup plus fréquents et nombreux. Pour ces catastrophes microsociales (de Clercq, 2001) peu de chose est mis en place en termes de gestion de crise. Aussi, lorsque le drame survient, chaque acteur potentiel peut se retrouver complètement démuni et confronté à une situation qui lui donne l’impression de poser des problèmes urgents et quasi insurmontables, voire des difficultés qui font blocage absolu. Très vite, un sentiment d’incapacité à faire face peut émerger et générer chez lui une réaction de stress d’intensité variable qui va le plonger de façon plus ou moins préjudiciable dans l’impossibilité de penser. De plus, sous l’effet du stress, le besoin de solution est si fort qu’il en néglige souvent toute forme d’analyse raisonnée et complète des données et s’engouffre dans la première solution qu’il entrevoit.
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Sur le plan collectif, on voit alors bon nombre d’acteurs succomber à une frénésie d’actions, s’accrochant à leurs modes de fonctionnement habituels et s’attelant au traitement des parties du problème qui leur semblent les plus familières, se laissant ballotter d’une question à une autre, sans jamais rien fixer, et sans jamais se fixer sur rien. À ces difficultés s’en ajoutent d’autres, qui pèsent plus particulièrement sur les responsables institutionnels qui vont piloter la conduite de crise et qui proviennent de la forte charge émotionnelle à laquelle ils sont soumis. En effet : « Ils cumulent la confrontation directe avec la souffrance collective à laquelle ils ne sont pas préparés et pour laquelle ils n’ont souvent aucune formation, un rôle décisionnel qui engage leur responsabilité, l’opinion publique relayée par les médias ne manquant pas de dénoncer toute défaillance. » (Prieto, 2000)
Au final, de l’interaction de ces différentes sources de chaos émergent classiquement, au niveau global, deux types de réponse à la crise. « Dans le meilleur des cas, il s’agit d’une réponse adaptée, mais trop opératoire, où, dans la précipitation de l’urgence, aucun espace de pensée n’est possible ; la souffrance psychique ne peut pas s’exprimer et donc être entendue. Au pire, cette réponse se désorganise et l’on voit émerger un modèle sans cohérence où les places et les fonctions de chacun s’improvisent aux aléas des affects bruts immédiats, individuels ou collectifs. » (Prieto, Lebigot, 2003)
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Aide à la gestion de crise Ainsi, la gestion d’un événement traumatogène engendre de nombreuses difficultés décisionnelles et organisationnelles qui peuvent avoir un impact délétère à tous les étages de réponse à la crise. La mise en place des premiers secours psychologiques n’échappe pas à cette règle. Aussi, le seul moyen de garantir leur efficacité est à nos yeux de prendre en compte les différentes dimensions de la crise. Ainsi, à chaud, une de nos tâches premières consiste à aider les responsables non seulement à tenir leur rôle, leurs fonctions et leurs repères mais également à prendre les décisions utiles. Concrètement, cette aide doit leur permettre de rétablir un cadre de référence et de fixer des lignes directrices suffisamment stables pour maintenir en fonctionnement le système d’activité et instaurer des liens de bonne qualité avec les différents partenaires de la crise. Dans le même temps, de notre côté, il importe que nous n’ayons de cesse de préciser clairement les limites de
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notre intervention et de recentrer notre action car, comme le souligne Prieto (2000), tout n’appelle pas une réponse psychologique. « Dans la crise générée par l’événement, grande est la tentation des décideurs de s’en remettre aux intervenants externes dans une démission de leur propre fonction, au profit de professionnels du soin psychique dont ce n’est en aucun cas le rôle. Par exemple, donner des informations techniques sur les conséquences de l’événement, annoncer les décès, prévenir les proches, faire des démarches pratiques... Il y a un risque de dérive, de réponse aberrante, désorganisatrice, cassant l’appartenance, et qui renvoie aux victimes une image de chaos très délétère pour elles. Dans un événement déstructurant, il est essentiel de respecter l’ordre établi (social, institutionnel), car si l’événement exceptionnel demande une réponse exceptionnelle, il est essentiel qu’elle conserve sa logique interne. » (Prieto, Lebigot, 2003).
S OINS
IMMÉDIATS
Définitions des premiers secours psychologiques En 1906, Stierlin, psychiatre allemand, écrivait le premier article sur les procédures d’intervention de crise mises en œuvre à l’occasion de la prise en charge de victimes d’une catastrophe minière. Un peu moins de cinquante ans plus tard, en 1952, Thorne rédigeait un éditorial consacré à la définition des premiers secours psychologiques. Il y défendait l’idée qu’il pouvait exister, à l’instar des urgences somatiques, de véritables urgences psychiques qui nécessitaient une réponse de soins immédiate. Dans ce cadre, il définissait les premiers secours psychologiques comme une approche qui s’appuyait sur : « bon nombre des plus vieilles méthodes orthodoxes qui [...] agissent essentiellement sur les niveaux symptomatiques. La réassurance est probablement la méthode par excellence des premiers secours... La suggestion peut être utilisée pour aborder des symptômes aigus qui requièrent une attention immédiate. La catharsis (ou l’acceptation non directive, le reflet des émotions et la clarification) peut sauver l’esprit de personnes submergées de tensions aiguës. La persuasion, le conseil et autres méthodes de soutien peuvent aider le client à affronter des problèmes situationnels aigus qui dépassent ses ressources. »
Aujourd’hui, les premiers secours psychologiques, encore appelés premiers secours émotionnels ou intervention de crise, reprennent beaucoup de ces préceptes. Ils réfèrent à un ensemble de procédures qui vise à assurer pour les rescapés (Raphaël, 1996) :
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le réconfort et la consolation ; la protection physique ; l’approvisionnement en nécessités physiques ; la canalisation de l’énergie dans des comportements constructifs ; le rapprochement de leurs familles et amis ; l’offre d’un soutien comportemental et/ou émotionnel, en particulier durant la réalisation de tâches particulièrement lourdes sur le plan affectif ; la possibilité d’une ventilation émotionnelle de leur expérience ; le rétablissement d’un sentiment de sécurité ; l’utilisation des réseaux communautaires et sociaux d’urgence ; le tri et l’orientation des personnes qui en ont le plus besoin ; l’orientation vers des réseaux de soutien à moyen terme.
Principes directeurs
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Les principes qui régissent à l’heure actuelle la délivrance des premiers secours psychologiques trouvent leurs racines dans les travaux menés lors de la Première Guerre mondiale par des psychiatres de l’armée américaine dont en particulier Salmon (1919), l’un des pères fondateurs de la psychiatrie de l’avant. À l’époque, il s’agissait pour l’armée américaine de se préparer à affronter le problème des pertes psychiques qui sévissaient parmi les Alliés. Salmon, envoyé dans ce but en mission d’observation en Europe, procéda à une réflexion critique des données qu’il avait pu recueillir et préconisa l’instauration d’une psychiatrie de l’avant dont il définit cinq principes fondamentaux : – – – – –
proximité (proximity), immédiateté (immediacy), espérance (expectancy), simplicité (simplicity), centralité (centrality).
L’idée était d’éviter de laisser un sujet traumatisé ruminer seul les conséquences de ce qu’il avait subi. La verbalisation de l’expérience émotionnelle très rapidement après la confrontation traumatique et en dialogue avec un thérapeute compréhensif apparaissait pouvoir le libérer de l’affect attaché aux souvenirs qu’il avait de l’événement traumatogène, préservant par la même occasion ces derniers de devenir ou de rester pathogènes. Ce processus de verbalisation centré sur les émotions était alors envisagé comme un moyen efficace d’acquérir
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une maîtrise mentale des souvenirs traumatiques ; l’acquisition de cette maîtrise permettant de désamorcer de manière préventive les éventuelles difficultés post-traumatiques. L’ensemble de ces principes a été repris quelques années plus tard par un autre psychiatre militaire américain, Sokol (1986), et formalisé de manière quelque peu différente pour obtenir le sigle mnémotechnique « BICEPS » soit B pour brièveté (brevity), I pour immédiateté (immediacy), C pour centralité (centrality), E pour espérance (expentancy), P pour proximité (proximity) et S pour simplicité (simplicity). En parallèle, dans le civil, de nombreux travaux se sont développés autour de la notion de crise, notamment suicidaire, et ont donné naissance à des programmes de prévention du suicide basés sur l’intervention de crise. De leur côté, Lindemann et d’autres ont étendu les concepts d’intervention de crise pour les appliquer aux situations de catastrophe et de deuil (Lindemann, 1944). Caplan, enfin, (1961, 1964, 1969) a développé la plupart des fondements théoriques et des principes de base de l’intervention de crise tels que nous les connaissons aujourd’hui. C’est ainsi Caplan qui a suggéré, par exemple, que les membres de la famille, les amis, les collègues et les sauveteurs bénévoles pouvaient apporter le meilleur premier soutien émotionnel et psychologique. Aujourd’hui, les principes fondamentaux de l’intervention de crise ont une centaine d’années et sont au nombre de sept (Bunn, Clarke, 1979 ; Boscarino, Adams, Figley, 2005 ; Rose, Bisson, 1998 ; Van den Bos, 2007). • Le premier principe est celui de proximité. Il consiste, tant que le
lieu de délivrance des premiers secours se trouve dans une zone de sécurité raisonnable, à prodiguer les soins le plus près possible de l’environnement familier du groupe ou de l’individu. • Le second principe est celui d’immédiateté. Il signifie que l’aide doit être offerte très tôt après la survenue de l’événement traumatogène et que tout retard pris dans l’intervention diminue son efficacité. Il s’agit ici de ne pas laisser s’amorcer le moindre processus de rumination solitaire susceptible de renforcer d’éventuelles convictions morbides précoces. • Le troisième principe est celui d’espérance ou, plus exactement, comme le souligne Crocq (1999), d’expectative dans l’espérance. Il implique que les rescapés soient convaincus de leur rétablissement futur. Il est basé sur leur réceptivité particulière, en période de crise, à l’aide externe, aux conseils et aux suggestions. En d’autres termes, si durant cette période, l’intervenant instille l’espoir qu’il est possible de gérer et de surmonter la situation de crise, suggérant ainsi une issue positive, il est alors probable que ces remarques soient entendues, en tout cas mieux entendues que durant d’autres moments de vie, et
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qu’elles se réalisent. Ce même principe doit également être le fait des intervenants qui, eux-mêmes, doivent être convaincus de la légitimité et de l’efficacité de leur intervention. Le quatrième principe est celui de brièveté. Il préconise que les premiers secours psychologiques soient de courte durée en raison non seulement des contraintes temporelles propres aux situations de crise mais également de la réduction des capacités de concentration de la plupart des gens que l’on prend en charge durant cette période. Le cinquième principe est celui de simplicité. Il rappelle que les personnes en état de crise éprouvent à des degrés variables des difficultés à manipuler des résolutions de problème complexes et qu’en conséquence, seules des interventions simples et bien pensées offrent une efficacité optimale. Le sixième principe est celui d’innovation. Il réfère à l’idée selon laquelle chaque crise est singulière et ne ressemble pas totalement à celles qui ont pu la précéder. À ce titre, sa gestion présentera de nouveaux défis dont certains n’ont parfois jamais été rencontrés. Dans ce contexte, si l’expérience passée offre aux intervenants des lignes de conduite, elle ne leur permet pas de se reposer sur des protocoles prêts à l’emploi mais plutôt, les oblige à innover assez souvent ; cette contrainte exige de leur part de bonnes capacités d’adaptation. Enfin, le septième et dernier principe est celui de faisabilité. Il recommande que toute action définie pour répondre à la crise doive rester réalisable par des personnes qui traversent une expérience bouleversante et douloureuse. Dans ce cadre, toute solution suggérée qui se révélerait irréalisable par les personnes auxquelles elle est destinée a une forte probabilité de passer à leurs yeux non seulement comme inappropriée mais également comme conçue au mépris de ce qu’elles vivent.
En plus de ces sept principes fondamentaux, Mitchell (2007) en énonce plusieurs autres destinés directement aux intervenants et dont le respect augmente à ses yeux leur efficacité dans l’assistance aux rescapés. • Le premier d’entre eux est de rester dans les limites de ce que l’on
sait faire et de ne rien faire pour lequel nous n’ayons pas été formés ou entraînés. Aussi, en cas d’expérience insuffisante ou d’un manque d’entraînement à une tâche spécifique, il vaut mieux soit solliciter de l’aide soit orienter vers une personne plus compétente dans le domaine. • Le deuxième principe est de toujours s’assurer du respect des besoins de base des rescapés et de leur sécurité physique avant de commencer quoi que ce soit d’autre. Répondre aux besoins immédiats des rescapés
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constitue la toute première étape d’une intervention de crise. Elle en est d’ailleurs probablement la marque la plus claire et explicite. Sauter cette étape et ne pas reconnaître ni soulager les besoins de base des rescapés, qu’ils soient physiques, de recherche d’information ou de mise en sûreté, revient à biaiser d’emblée le processus global d’intervention de crise et à aboutir fatalement à son échec. Le troisième principe consiste à éviter d’aborder tout thème de discussion que l’on ne peut refermer dans le temps de la prise en charge. En effet, rien n’est plus pénible ni frustrant pour un locuteur que d’être interrompu avant la fin de son récit, surtout quand celui-ci présente une charge émotionnelle importante. Il importe donc de ne pas entrer dans des discussions profondes et complexes lorsqu’on ne dispose pas du temps suffisant pour écouter l’intégralité de ce que le rescapé a à nous dire. Le quatrième principe préconise une certaine modestie par rapport aux attentes que l’on peut avoir des effets de l’intervention de crise. Même si l’intervention de crise possède des vertus thérapeutiques, elle ne constitue pas une psychothérapie ni ne peut en être considérée comme le substitut. L’intervention de crise n’est ni conçue pour gérer des problèmes psychologiques profonds ni pour initier des changements substantiels. Le cinquième principe recommande de ne pas encourager des discussions sur des éléments issus de « vieux matériels psychologiques ». Plutôt, il importe de se centrer sur « l’ici et maintenant ». Aussi, lorsque l’on rencontre une personne qui a clairement besoin d’une psychothérapie, il convient de la réorienter vers un professionnel de santé mentale. Enfin, selon le sixième principe, si aucun signe d’amélioration n’apparaît après 3 à 5 contacts de post-crise, des conseils doivent être donnés pour une orientation vers des soins de plus longue durée. En effet, l’intervention de crise ne doit durer que le temps où elle peut être aidante. Au-delà, il faut envisager d’autres types de soins dont en particulier une psychothérapie. Ce type d’orientation peut être immédiat lorsque la détresse présentée par la personne en crise est extrême, ou survenir plus tard, lorsqu’aucune amélioration n’est évidente ou lorsqu’une détérioration apparaît.
Objectifs Les premiers secours psychologiques sont pour l’essentiel à visée symptomatique et visent à obtenir une stabilisation de la situation
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de crise. Ils se donnent pour première tâche d’agir sur le stress et l’angoisse générés par la confrontation à l’événement traumatogène. Ils ont également une action sur la souffrance psychique, notamment en agissant sur l’atténuation des sentiments d’isolement, d’abandon et d’impuissance (Menninger, 2002). Ce faisant, « ils exercent une première action sur les bouleversements intrapsychiques apportés par le traumatisme » (Lebigot, Prieto, 2001b). En plus de ces objectifs d’apaisement, les soins immédiats visent également à restaurer le fonctionnement adaptatif des rescapés afin de leur permettre de réintégrer au mieux leur vie. Ils cherchent aussi à stimuler et à faciliter les processus de rétablissement en aidant les rescapés à mobiliser leurs ressources personnelles ainsi qu’à assurer une présence optimiste et étayante qui véhicule explicitement et implicitement une orientation vers l’avenir. Ils sont enfin l’occasion d’identifier les individus qui pourraient avoir besoin d’un soutien supplémentaire ou d’une orientation rapide vers une psychothérapie.
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Construire une stratégie de réponse Comme nous l’avons souligné, les premiers secours psychologiques sont la plupart du temps prodigués dans un environnement où tous les cadres de référence habituels sont bousculés. Or cet univers perturbé peut lui-même avoir une incidence préjudiciable sur l’organisation de l’intervention. Pour contrer ce risque, il importe de construire un véritable plan d’action qui puisse nous servir de fil directeur et maintenir notre axe d’intervention quelles que soient les turbulences auxquelles nous pouvons être confrontés. Ce plan d’action sera d’autant plus efficace que (a) nous savons où nous mettons les pieds et (b) nous obtenons la compréhension et l’adhésion des responsables de l’organisation dans laquelle nous intervenons. Aussi, avant toute définition d’un quelconque plan d’action, il est nécessaire de rencontrer ces responsables pour définir en concertation avec eux une réponse globale à la crise ainsi que de développer et maintenir avec eux des lignes de communication ouvertes. Cette rencontre peut aussi être l’occasion de leur suggérer quelques procédures de gestion du site afin de limiter toute source de stress dans l’environnement des rescapés. En ce qui concerne la définition d’un plan d’action, Mitchell (2007) suggère de suivre, pour ce faire, la « formule de planification des 5 T ». Ces 5 T sont : – target pour cible, – type pour type d’intervention,
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– timing pour planification temporelle, – theme pour circonstances de l’événement, – team pour équipe intervenante. Dans le cadre cet ouvrage, nous nous proposons de reprendre cette formule et, à la lumière de notre expérience de l’intervention à chaud, de l’étayer par les questions qui nous paraissent les plus pertinentes quant à l’élaboration de la stratégie de réponse. Toutefois, les listes des questions que nous avons dressées ne sont pas exhaustives et peuvent être complétées. Ainsi :
Target Target réfère à la définition des bénéficiaires potentiels de l’intervention de crise. Une façon d’identifier la ou les cible(s) de l’intervention consiste à répondre aux questions suivantes : – Qui a besoin d’aide ? – Est-ce un individu ou un groupe ? – Si c’est un individu : – quel est son niveau d’exposition à l’événement traumatogène ? – quel est son rôle dans l’expérience ? – Si c’est un groupe : – y a-t-il un ou plusieurs groupes ? – quelle est la taille de chacun d’eux ? – quel est leur niveau d’exposition respectif à l’événement traumatogène ? – le(s) groupe est-il (sont-ils) homogène(s) ou hétérogène(s) ? – quelle est la nature du ou des groupe(s) ? – au sein de chaque groupe, quelles relations les membres entretiennent-ils entre eux ? Les réponses à ces questions doivent permettre de connaître le nombre de rescapés ainsi que d’en établir une typologie afin de pouvoir les regrouper pour la délivrance de soins collectifs. Comme le montre la figure ci-après, on distingue classiquement trois types de rescapés : les victimes primaires, secondaires et tertiaires. Si Mitchell et Everly (1993) définissent ces catégories à partir de critères objectifs qui dépendent grosso modo du moment auquel les personnes sont confrontées à l’événement traumatogène, nous nous proposons dans le cadre de cet ouvrage de les enrichir à l’aide de dimensions plus psychologiques.
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Victimes primaires
épicentre
Trauma Impuissance ++ Culpabilité individuelle Deuil
Victimes secondaires Victimes tertiaires
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Émoi Deuil
Trauma Impuissance Culpabilité collective Deuil
Les victimes primaires sont celles les plus directement impliquées dans l’événement traumatogène et souvent également les plus affectées. On les appelle aussi les victimes directes. Sur le plan psychologique, ce sont elles qui subissent la plus forte exposition traumatique et qui présentent en conséquence la plus grande probabilité de souffrir d’un traumatisme psychique. De plus, ayant vécu l’intégralité du déroulement de l’événement traumatogène, elles ressentent souvent des sentiments d’impuissance et de culpabilité qui non seulement peuvent être d’une intensité très élevée mais qui, également, engagent leur responsabilité individuelle. Ces sentiments s’expriment dans des propos comme : « J’étais présent et je n’ai rien fait, moi en tant qu’individu, pour aider/sauver mon collègue. Je m’en veux... » Enfin, ces victimes peuvent, à l’occasion de la survenue de l’événement, subir un deuil. Les victimes secondaires sont en quelque sorte les observateurs des effets immédiats de l’événement traumatogène qui a affecté les victimes primaires. On les appelle aussi les victimes indirectes. Comme les victimes primaires, ces personnes peuvent subir un traumatisme psychique et souffrir de sentiments d’impuissance et de culpabilité. Toutefois, parce qu’elles arrivent une fois l’événement terminé, à moins de participer de manière active aux premiers secours physiques, l’impuissance qu’elles ressentent est souvent beaucoup moins importante. De même, le sentiment de culpabilité est de nature plus collective et s’exprime dans des
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propos du type : « Si notre collègue est mort, c’est parce que nous avons tous accepté certains contournements de procédure » ou, à la suite d’un suicide par exemple : « On savait qu’il allait mal et, tous autant que nous sommes, on n’a rien fait pour l’aider... ». Enfin, ces personnes peuvent elles aussi subir un deuil. Les victimes tertiaires sont celles qui sont indirectement touchées par l’événement traumatogène via l’exposition ultérieure soit à la scène du drame soit aux victimes primaires ou secondaires. En aucun cas, ces victimes n’ont été exposées à l’immédiateté choquante de l’événement. En conséquence, elles sont relativement préservées de la survenue d’un traumatisme psychique. De même, même si elles se sentent bouleversées par le drame qui vient de se dérouler, les émotions qu’elles ressentent se restreignent la plupart du temps à un émoi plus ou moins profond. Elles n’éprouvent en général aucun sentiment d’impuissance. Dans la même veine, si elles peuvent ressentir de la culpabilité, celle-ci est le plus souvent collective. Enfin, ces personnes peuvent, comme les deux premières catégories de victimes, subir un deuil. Les membres des familles des victimes, les sauveteurs et des collègues absents du lieu du drame au moment de sa survenue et dans ses suites immédiates entrent dans cette catégorie. Vignette clinique Prenons un exemple à partir d’un accident du travail mortel survenu dans une P.M.E. Cet accident s’est déroulé dans un bâtiment qui contenait trois tours de grande taille, machines-outils agissant par la rotation de disques. Le jour de l’accident, chacune des machines est en fonctionnement sous la responsabilité d’un tourneur quand soudain l’une d’elles se casse. La pièce sur laquelle le tourneur était en train de travailler est alors explusée hors de la machine. Elle se transforme en une lame tranchante qui vient sectionner la gorge du malheureux. Ses deux collègues se portent immédiatement à son secours et tentent, en vain, de maîtriser l’hémorragie. Dans le même temps, ils appellent à l’aide. Ils finissent par être entendus au bout de 2 ou 3 minutes par deux autres ouvriers et leur chef d’équipe. Cependant, quand ces trois personnes arrivent, l’ouvrier blessé est exsangue. Il gît dans une marre de sang, entouré de ses deux collègues eux-mêmes entièrement maculés. Le chef d’équipe prend alors la décision de fermer les portes du bâtiment et d’en interdire l’accès. Dans la foulée, il appelle les secours tandis que les deux ouvriers qui l’accompagnent soutiennent et réconfortent comme ils le peuvent leurs collègues effondrés. La nouvelle du drame se répand très vite au sein de l’entreprise. De plus, plusieurs ouvriers, alertés par le bruit des sirènes, assitent à l’arrivée des secours. Enfin, quand la CUMP arrive sur place, l’ensemble des ouvriers est informé et est bouleversé. Certains expriment de la tristesse, d’autres de la colère car tout le monde jugeait que le tour était devenu dangereux en raison de ses multiples dysfonctionnements récents.
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Selon les critères que nous venons d’exposer, les victimes primaires sont les deux ouvriers qui ont tenté de porter secours au blessé et qui ont assisté à l’événement traumatogène depuis son début jusqu’à sa fin. Les victimes secondaires sont le chef d’équipe et les deux ouvriers qui sont arrivés en même temps que lui. Bien qu’arrivés une fois le mal fait, ils n’en sont pas moins exposés à l’immédiateté choquante de l’événement. Enfin, les victimes tertiaires englobent le reste des ouvriers.
Type Type renvoie à la définition des modalités concrètes de délivrance des premiers secours psychologiques. Cette phase doit permettre de fixer le type de soins auxquels on va recourir ainsi que de définir leur organisation sur place. Elle doit également permettre de cerner la manière dont notre intervention va s’articuler avec celle d’éventuels autres partenaires (par exemple, médecins scolaires ou du travail, enquêteurs de police). Les questions qu’il convient de se poser ici sont les suivantes : – – – –
De quels moyens (temps, locaux) disposons-nous sur place ? Y a-t-il d’autres intervenants sur place ? Si oui, quel est leur rôle ? Compte tenu de ce contexte et des victimes, quel type de prise en charge privilégier : entretien individuel, défusing, réunion d’information, relais sur d’autres intervenants, rien dans l’immédiat ?
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Timing Timing réfère à la définition des moments les plus opportuns pour fournir les différents types de soins ou de services. En pratique, cette planification temporelle peut dépendre de nombreux paramètres, comme la survenue d’un changement de postes, la fin d’une journée de travail ou encore l’ouverture d’une enquête judiciaire. Les questions qu’il convient de se poser ici sont les suivantes : – À quel moment de l’organisation du travail l’événement est-il survenu ? – Y a-t-il des éléments susceptibles de ralentir l’organisation des secours ? – Si oui, quel retard cela va-t-il induire dans la prise en charge ?
Theme Theme regroupe les informations relatives (a) aux circonstances de survenue de l’événement traumatogène, à ses conditions de déroulement
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et à ses conséquences et (b) à l’état dans lequel se trouve l’organisation touchée qui dépend de son histoire présente et passée. Le recueil de ces informations vise à mieux cerner l’atmosphère dans laquelle l’intervention va se dérouler et à nous y préparer. Les questions qu’il convient de se poser ici sont les suivantes : Concernant l’événement : – – – – –
Quel est son niveau de brutalité et de violence ? A-t-il engendré des dégâts humains ? A-t-il engendré un arrêt de l’activité ? Y a-t-il une dimension judiciaire à considérer ? Y a-t-il une couverture médiatique ? Concernant l’organisation touchée :
– Est-ce le premier événement de ce type pour elle ? – En cas d’événement(s) similaire(s) antérieur(s), quelle est la durée écoulée depuis ? – Quelles sont les similitudes possibles entre les événements ? – Quel est le climat social actuel de l’organisation ?
Team Team réfère à la définition des équipes d’intervenants qui seront mobilisées sur place ainsi qu’à la détermination des rôles et tâches de chacune d’elles. Dans ce cadre, l’unité d’intervention de base est le binôme. En effet, seule cette combinaison nous offre une souplesse d’intervention suffisante pour permettre, par exemple, de poursuivre la prise en charge d’un groupe tout en assurant, dans le même temps, l’éloignement et le soutien d’un de ses membres en plus grande difficulté, ou encore de conduire une gestion efficace des états d’agitation, que ceux-ci soient induits par le stress ou le reflet d’un mécontentement. Par ailleurs, si la composition des équipes dépend en grande partie du nombre de rescapés à prendre en charge, elle est aussi conditionnée par les ressources en personnels dont on dispose à ce moment-là. Il s’agit dans tous les cas de trouver le meilleur équilibre entre la demande et la réponse. Enfin, sur le plan des tâches, la définition des équipes doit intégrer dans son calcul un intervenant ou un binôme d’intervenants qui sera l’interlocuteur privilégié des responsables de l’organisation touchée et qui assurera la coordination du reste de l’équipe. Les questions qu’il convient de se poser ici sont les suivantes : – Combien de groupes de rescapés devons-nous prendre en charge ?
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– De combien d’intervenants disposons-nous ? Étapes/modalités En 2002, l’Institut national de santé mentale américain puis, en 2003, l’Organisation mondiale de la santé reconnaissaient l’importance des premiers secours psychologiques et recommandaient leur utilisation. Partant, divers efforts ont été fournis dans la rédaction de guides consacrés aux modalités pratiques d’application de ce type d’intervention. Ces guides, pour la plupart, proposent une organisation des soins immédiats en plusieurs phases qui se succèdent temporellement. Dans le cadre de cet ouvrage, nous exposons la modélisation proposée par Everly et Flynn (2005, 2006). Celle-ci préconise que la délivrance des soins immédiats suive une procédure en cinq étapes : – – – – –
l’évaluation des besoins de l’intervention, la stabilisation, le tri et la « priorisation », la communication, la connexion.
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Étape 1 – Évaluer les besoins de l’intervention Il s’agit d’évaluer les répercussions de l’événement traumatogène sur les personnes qui l’ont subi tant de manière directe qu’indirecte. L’évaluation qui se met en place à ce niveau s’intéresse davantage à l’état comportemental et psychologique des individus plutôt qu’à leur état psychiatrique. Elle porte pour l’essentiel sur l’intensité des bouleversements émotionnels, de la réaction de stress et des phénomènes dissociatifs. Elle s’intéresse également à la qualité du contact relationnel que le rescapé peut établir ainsi qu’à la nature et à la qualité du soutien social dont il bénéficie. C’est à cette étape que l’on repère les personnes qui présentent des manifestations dysfonctionnelles comme une réaction de stress dépassé ou une forme sévère de dissociation péritraumatique.
Étape 2 – La stabilisation Après cette évaluation initiale et la reconnaissance de la nécessité d’une intervention, il convient d’agir de façon à prévenir une détérioration de l’état comportemental et psychologique actuel, voire à réduire les principales difficultés qui y sont associées. Dans ce but, on éloigne d’abord les rescapés de tout agent stressant (personnes ou objets) susceptible de contribuer au maintien de l’état de crise ou de l’aggraver.
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Puis, on s’attache à subvenir aux besoins de base de chacun d’entre eux : boisson, nourriture, couverture, abri, information, etc. Dès cette étape, une prise en charge individuelle est proposée aux rescapés les plus fragilisés, qui associe écoute emphatique, réassurance, réconfort et parfois, quand cela se révèle nécessaire, anxiolyse.
Étape 3 – Le tri et la « priorisation » Une fois la stabilisation atteinte, une évaluation plus prononcée avec tri est indiquée. Elle a pour objectif d’adapter au mieux les soins aux problématiques de chaque catégorie de rescapés. Dans ce but, il importe de reprendre la catégorisation des rescapés en victimes primaires, secondaires et tertiaires et d’accorder la priorité des soins aux victimes primaires. Par ailleurs, pour les victimes primaires et secondaires, les soins doivent être délivrés par des professionnels de santé mentale. A contrario, le respect de cette contrainte n’est pas obligatoire pour la prise en charge des victimes tertiaires, qui ont le plus souvent simplement besoin d’un soutien et d’une écoute bienveillante et empathique. Aussi, lorsque l’événement traumatogène survient dans une entreprise ou un établissement scolaire, ce rôle peut être respectivement dévolu à l’équipe de médecine de prévention ou de médecine scolaire.
Étape 4 – La communication La phase de communication a trait aux temps d’entretiens individuels et/ou collectifs que l’on mène auprès des différents types de victimes. L’opportunité leur est offerte ici de parler de l’expérience qu’elles viennent de vivre. Toutefois, cette invitation au récit se fait dans le respect de la volonté de chacun de s’exprimer : aucune pression du type « allez-y, ça va vous faire du bien de parler... » n’est de mise. De plus, les échanges se déroulent dans une ambiance d’empathie et de neutralité bienveillante. La technique utilisée de façon privilégiée dans cette phase est celle du défusing. C’est également durant cette phase que l’on informe les rescapés de l’évolution des manifestations actuelles, qu’on leur offre des conseils d’hygiène de vie et de gestion du stress simples et qu’on les encourage à profiter du soutien social qui peut leur être offert de la part, par exemple, des membres de leur famille et de leurs amis.
Étape 5 – La connexion La phase de connexion consiste à établir, lorsque cela s’avère nécessaire, un relais auprès de systèmes de soutien formels et/ou informels. Il peut s’agir simplement d’encourager le rescapé à accepter la compagnie d’un ou de plusieurs membres de sa famille ou de son cercle d’amis. Mais
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il peut également s’agir de l’encourager, compte tenu de l’importance de sa détresse, à accepter une orientation vers un système de soins ou un professionnel de santé mental. Défusing
Définition
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Le defusing (francisé en « défusing ») peut se définir comme un traitement d’urgence à visée symptomatique relevant d’une stratégie de prévention secondaire. Sa traduction en français pourrait être déchocage ou désamorçage. Il trouve ainsi son indication dans le cadre des premiers secours psychologiques proposés aux personnes victimes d’un événement traumatogène. Mitchell et Everly (1993) le présentent comme une version raccourcie du critical incident stress debriefing (CISD). Comme ce dernier, il respecte la règle de participation volontaire et se fonde sur un entretien semi-structuré de groupe dont le principe est de favoriser l’expression du processus émotionnel et de préparer au mieux les participants à retourner à leur vie « ordinaire ». Sur le plan historique, le terme « défusing » est apparu pour la première fois dans la littérature en 1983. Il était évoqué dans le tout premier article consacré au CISD (Mitchell, 1983). Mitchell parlait alors de « défusing initial ». Cependant, l’adjectif qualificatif a été très rapidement abandonné au profit du nom seul. Ce dernier a été ensuite largement utilisé et s’est répandu au cours des années quatre-vingt, 90 et au début des années 2000. Toutefois, dernièrement, il a été remplacé par les termes immediate small group support (ISGC) afin de mieux s’ajuster à la terminologie développée par les Nations Unies.
Objectifs Son application a pour objectif premier de réduire la détresse aiguë ressentie par les personnes victimes de l’événement avant que cette dernière ne puisse créer de maux plus sévères. Comme le souligne Mitchell (2007), le défusing est conçu « pour neutraliser une situation ou éloigner toute source d’embrasement d’une situation pénible avant qu’elle ne devienne une "bombe émotionnelle" ». La réalisation d’un défusing vise également à obtenir une « normalisation » de l’expérience par le partage des ressentis et des réactions immédiates et par la prise de conscience concomitante de leur similarité interindividuelle. Elle offre encore l’opportunité d’apporter très rapidement une réponse sociale et collective aux rescapés du drame qui vient de se dérouler et de lutter contre leur tendance à se replier sur eux-mêmes en les rassemblant le
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temps d’un échange qui mobilise l’empathie et le soutien mutuels et/ou en les invitant à se réinscrire dans leur réseau social (Dyregrov, 2003). Enfin, la réalisation d’un défusing permet de mieux évaluer le bien-fondé de la mise en place ultérieure d’un débriefing. Si Mitchell et Everly (1993) reconnaissent ces objectifs comme les quatre principaux, ils en définissent également six autres, qu’ils qualifient de secondaires sans pour autant nier leur importance. Ainsi, selon eux, la réalisation d’un défusing doit aussi permettre d’assurer : – l’égalisation, entre les membres du groupe, des informations disponibles sur l’événement ; – la restauration des processus cognitifs perturbés lors de l’événement ; – la délivrance d’informations pratiques sur le stress et le trauma ; – la réaffirmation de la valeur individuelle ; – l’établissement de liens en vue d’un soutien supplémentaire ; – le développement d’attentes positives sur l’évolution postévénementielle.
Bénéficiaires Selon Mitchell (2007), le défusing s’adresse de façon privilégiée à des groupes (a) homogènes sur le plan de la hiérarchie et (b) préalablement constitués dont les membres se connaissent et ont l’habitude de fonctionner ensemble comme, par exemple, les membres d’une équipe de travail, les collègues d’une même société ou les camarades d’une classe. Cela ne signifie pas pour autant que son utilisation est strictement contre-indiquée dans la prise en charge de personnes qui ne se connaissent pas. Néanmoins, dans ce cadre précis, il est préférable de l’adapter pour l’utiliser lors d’entretiens individuels. En effet, il n’est pas toujours facile d’exprimer un vécu parfois très douloureux et/ou véritablement horrible face à des inconnus. Dans ce contexte, le risque est grand que les points les plus « sensibles » soient passés sous silence par pudeur et que la réalisation du défusing n’atteigne pas en conséquence l’objectif d’une ventilation complète des émotions. Par ailleurs, parmi l’ensemble des personnes susceptibles de bénéficier de la technique, seules celles qui font partie des victimes primaires et secondaires telles que nous les avons préalablement définies sont véritablement concernées. En effet, elles seules sont susceptibles d’avoir subi un traumatisme psychique et donc de développer par la suite un trouble chronique.
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Toutefois, là aussi, l’organisation du défusing doit être entourée de quelques précautions. La principale d’entre elles est de traiter, autant que faire se peut, de manière séparée les deux types de victimes : les victimes primaires ne souhaitant pas nécessairement relater toute l’horreur qu’elles ont vécue face à des pairs qui ne connaissent pas l’entièreté des tenants et aboutissants de l’événement ; les victimes secondaires pouvant être profondément choquées par certains détails sordides relatés par les victimes primaires. De plus, comme les victimes primaires, en raison même de leur plus grande implication dans l’événement, ont souvent plus de choses à exprimer que les victimes secondaires, cette précaution permet d’homogénéiser plus facilement les temps de parole entre les participants et de ne pas laisser repartir les victimes secondaires avec le sentiment frustrant de ne pas avoir bénéficié de la même écoute que les victimes primaires. La deuxième précaution, quant à elle, consiste à s’assurer que les participants aient pu joindre leurs proches avant de débuter la séance afin qu’ils soient libérés de ce souci et qu’ils puissent se centrer pleinement sur les échanges. Pour sa part, la troisième précaution consiste à réaliser le défusing avant tout retour au domicile des participants. Cette précaution doit être particulièrement respectée lorsque l’événement traumatogène survient en milieu professionnel au moment d’une fin de poste ou d’une fin de journée. Elle évite de laisser repartir chez elles des personnes qui peuvent encore être très fragilisées par l’événement et donc particulièrement vulnérables à des complications. Elle leur permet également de ne pas « emporter » chez elles l’intégralité de leur détresse et de ne pas ainsi contaminer de façon préjudiciable leur entourage. Enfin, le défusing s’adresse à des groupes de très petite taille variant de 2 à 12 personnes, l’idéal se situant autour de 6 participants (Mitchell, Everly, 1993). Le respect de ce dernier principe permet essentiellement de contenir le temps de l’intervention dans des délais supportables pour des participants encore sous l’emprise de bouleversements émotionnels plus ou moins profonds.
Animateurs Contrairement à Mitchell et Everly (Everly, Mitchell, 2008 ; Mitchell, 2007 ; Mitchell, Everly, 1993) qui privilégient le recours à des pairs formés, nous estimons préférable que le défusing soit mené par des professionnels de la santé mentale.
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En effet, si Mitchell et Everly circonscrivent l’utilisation du défusing à l’unique prise en charge par des professionnels habitués à ce type d’approche, nous l’étendons, pour notre part, à la prise en charge par des personnes « tout venant » qui ignorent la plupart de temps ce que l’on attend d’elles. Dans ce contexte, nous considérons que l’expérience professionnelle des intervenants de la santé mentale est un garant de toute dérive de la technique. Néanmoins, ce critère seul ne suffit pas. Ainsi, ces professionnels doivent être rompus aux entretiens de groupe, avoir une parfaite maîtrise des tableaux cliniques du stress et du trauma, connaître l’évolution des signes présentés et savoir reconnaître les facteurs de fragilisation. Ils doivent également, et ce n’est pas le moindre prérequis, être entraînés à intervenir dans un contexte marqué par de nombreux bouleversements et imprégné de fortes émotions. Sur le plan pratique, tout défusing est mené par deux intervenants. L’un tient le rôle d’animateur principal et conduit l’ensemble de l’intervention tandis que l’autre tient celui de coanimateur et veille au bon déroulement de l’intervention. Ce dernier parlera donc peu, voire pas du tout. Les tâches des animateurs sont multiples mais les deux plus importantes consistent, pour la première, à s’assurer que les propos échangés sont constructifs et non pas destructeurs pour le groupe et, pour la seconde, à veiller à ce qu’aucun des participants ne tombe sous le feu de la colère des autres ni ne devienne la cible privilégiée de critiques ou de blâmes. En plus de cela, ils doivent également veiller à mobiliser chacun des participants, à assurer la fluidité des échanges et leur équitable répartition entre les participants.
Préparation Tout comme un débriefing, un défusing se prépare. Même si la préparation est de plus courte durée que celle d’un débriefing, elle est incontournable car elle garantit le succès de l’intervention. Elle doit ainsi permettre : – de réfléchir à la formation du ou des groupe(s) qui va/vont bénéficier de l’intervention et de trancher sur leur nombre et leur composition ; – d’évaluer le bien-fondé, quand cela se révèle nécessaire, de l’intégration soit, par exemple, d’un participant jugé responsable de l’accident ou défaillant lors de la survenue de l’événement, soit d’un participant extrêmement fragilisé par l’événement qui présenterait encore des manifestations dissociatives ;
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– de mieux cerner les conditions dans lesquelles le défusing va se dérouler et d’anticiper sur certaines difficultés comme, par exemple, d’éventuelles dérives sur des revendications de nature syndicale ; – de répartir les rôles au sein de l’équipe d’animateurs. Enfin, l’efficacité de cette préparation repose sur le recueil d’informations quant à : – – – – –
la nature de l’événement et les conditions de sa survenue ; l’identité de la ou des personne(s) blessée(s) voire décédée(s) ; toute notion de faute ou de négligence ; l’existence éventuelle de responsables ; le climat actuel de l’organisation touchée.
Lieu de réalisation Concernant le lieu de sa réalisation, le défusing doit être organisé dans un endroit proche du site de survenue de l’événement traumatogène mais jamais directement sur la scène même de l’accident, source de réactivation émotionnelle. L’endroit retenu doit être calme, neutre et à l’abri de toute distraction ou d’intrusion intempestive. Il doit préserver l’intimité des participants et la confidentialité des échanges. Il doit aussi offrir un minimum de confort avec un éclairage suffisant, une température ambiante correcte et des sièges les plus confortables possibles. Il doit enfin permettre d’assurer une disposition des sièges en cercle ou autour d’une table de conférence ou à café.
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Moment de réalisation Concernant le moment de son application, le défusing a été élaboré pour être délivré dans les huit heures qui suivent la survenue de l’événement (Mitchell, 2007). Mitchell et Everly (1993) défendent l’idée selon laquelle les trois premières heures constitueraient le créneau horaire idéal. Ils évoquent pour cela deux raisons. Selon la première, ces toutes premières heures correspondraient au laps de temps durant lequel les rescapés commenceraient à émerger de leur état de choc émotionnel mais demeureraient encore néanmoins extrêmement vulnérables à d’autres dommages psychologiques. Dans ce cadre, la réalisation d’un défusing aurait un effet protecteur contre l’apparition à très court terme de nouveaux maux. D’après la seconde raison, ces mêmes heures correspondraient au laps de temps durant lequel les rescapés, toujours plus ou moins sous le choc, ne se seraient pas encore repliés sur eux-mêmes pour
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rétablir leur système de défense et seraient en conséquence particulièrement ouverts à une aide extérieure. C’est dans ce contexte que le défusing trouverait sa plus grande efficacité. Au-delà de ces trois premières heures, Mitchell (2007) applique un principe de diminution linéaire progressive de l’efficacité du défusing en fonction du délai qui sépare le moment de sa réalisation de celui de la survenue de l’événement. Ainsi, selon celui-ci, un défusing réalisé quatre heures après l’événement serait plus efficace qu’un défusing réalisé cinq heures après l’événement qui, lui-même, serait plus efficace qu’un défusing réalisé six heures après, etc. Dans ce cadre, l’efficacité deviendrait nulle à partir d’un délai de douze heures. Passé ce délai, l’auteur préconise de se centrer sur l’organisation d’un débriefing et de recourir en attendant à des entretiens individuels pour les personnes les plus affectées qui en feraient la demande.
Durée de réalisation Concernant la durée du défusing, Mitchell et Everly (Mitchell, 2007 ; Mitchell & Everly, 1993) défendent l’idée que celle-ci doit se situer entre vingt et quarante-cinq minutes, avec une tolérance jusqu’à une heure. Pour les auteurs, le dépassement de ce délai signifie soit que le conducteur de l’intervention ne parvient pas véritablement à contrôler le processus, soit que le groupe est profondément traumatisé. Dans ce dernier cas, l’objectif du défusing doit être modifié pour se centrer sur une stabilisation émotionnelle minimale des participants et l’organisation rapide d’un débriefing. Dyregrov (2003), pour sa part, allonge la durée de réalisation du défusing à quatre-vingt-dix minutes. Selon lui, si le délai temporel fixé par Mitchell et Everly est adapté à la prise en charge des professionnels de l’urgence et des sauveteurs, il devient insuffisant dès que l’on a affaire à d’autres catégories de personnes, comme les employés d’une banque et d’un magasin. Dans ce dernier cas, il préconise une certaine flexibilité dans la réalisation du défusing afin de garantir au groupe le temps dont il a besoin.
Processus du défusing Sur le plan structural, contrairement au CISD, le défusing ne s’organise qu’autour de trois phases : l’introduction, l’exploration et l’information. Dyregrov (2003) en présente la version résumée suivante : • Introduction :
– explication des buts et motivation ; – revue des règles. • Exploration :
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revue de ce qui est arrivé ; discussion de ce qui est arrivé ; abord des faits, des pensées et des réactions ; évaluation du besoin d’une aide ultérieure.
• Information :
– apport d’informations sur les réactions ; – normalisation des expériences ; – offre de conseils sur les stratégies d’ajustement. • Fin. • Nouvelle réunion ? • Ressources disponibles pour un suivi.
La phase introductive doit être assez rapide et ne doit pas excéder cinq à sept minutes. Elle débute dès que tous les participants sont assis. Les tâches qui y sont réalisées par l’équipe d’animateurs sont similaires à celles réalisées durant la phase d’introduction du CISD. Ainsi, une fois que chacun des deux animateurs s’est brièvement présenté, l’animateur principal :
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– explique aux participants pourquoi ils sont rassemblés ; – décrit les principes du défusing et le différencie d’une démarche inquisitrice ; – soulage l’appréhension du groupe par rapport à ce qui l’attend ; – rappelle le principe de confidentialité pour tous : animateurs et participants ; – encourage les participants à s’exprimer et à se soutenir mutuellement. Enfin, ce même animateur termine son propos en demandant s’il n’y a aucune question par rapport à ce qui vient d’être dit. En cas de questions, il les traite sans attendre, sinon, il passe de suite à la phase suivante. La phase d’exploration est la plus longue des trois. Elle se centre sur le récit et le partage de l’expérience que les participants viennent juste de vivre. Cette phase équivaut à la combinaison des phases des faits, des pensées, des réactions et des symptômes du CISD. Toutefois, elle repose sur des échanges beaucoup plus fluides, durant lesquels aucun tour de parole n’est imposé. Le ton ainsi donné s’apparente davantage à celui de la conversation et ne se veut pas protocolaire. Chaque participant qui souhaite s’exprimer est invité à le faire, de même que ceux qui souhaitent garder le silence le peuvent. De ce point de vue, le rôle des animateurs est de veiller à préserver la dynamique des échanges. Pour ce
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faire, ils utilisent des questions ouvertes et neutres qui s’appuient sur le contenu des propos tenus par les différents membres du groupe. La phase d’exploration peut débuter en demandant aux participants d’expliquer ce qui s’est passé. Les questions posées par la suite peuvent être diverses mais, dans la mesure où l’on cherche à obtenir une ventilation des émotions, elles ne doivent pas s’appesantir sur les faits. Plutôt, à chaque temps fort ou moment « chaud » du récit, l’animateur principal invite l’orateur en cours à exprimer ses ressentis, ses pensées et ses émotions. Enfin, dès que le contenu des échanges commence à glisser sur des thèmes secondaires qui n’ont plus de liens directs avec l’événement traumatogène, l’animateur principal reprend la parole pour guider le groupe vers la phase suivante. La phase d’information équivaut aux phases d’information et de retour du CISD. Durant cette phase, l’animateur principal reprend brièvement et de façon résumée l’information que le groupe a apportée. Il répond également aux questions soulevées par l’un ou l’autre des participants. Les expériences et les réactions immédiates qui ont été évoquées sont normalisées (quand cela est possible) et leurs ressemblances, soulignées. Puis, des informations sur le stress et le trauma sont données, en insistant sur leur évolution. Ces informations, compte tenu de la taille restreinte des groupes pris en charge, peuvent être adaptées aux besoins des participants. Enfin, quelques conseils simples sont fournis et portent sur la manière de réduire les accès de tension, le danger de s’isoler, l’avantage de se rapprocher des personnes que l’on aime pour échanger sur ce que l’on vient de vivre et le danger de consommer trop de substances psychoactives comme le café, l’alcool ou la drogue. Souvent, ce temps de conseil se limite à quelques minutes. Aussi est-il préférable de doubler ces informations verbales par des informations écrites simples qui tiennent sur une feuille de format A4. Enfin, durant le déroulement du défusing, et en particulier durant la phase d’exploration, les animateurs auront pris le soin d’évaluer la nécessité ou non d’organiser un débriefing. Si cette organisation se révèle nécessaire, ils profitent des derniers instants de la réunion pour planifier avec le groupe une nouvelle entrevue. Ils terminent en informant les participants qu’ils demeurent disponibles encore quelque temps sur place et peuvent être sollicités par quiconque le souhaiterait pour aborder des questions d’ordre plus privé ou poursuivre sur un entretien individuel. Ils peuvent enfin initier eux-mêmes une entrevue auprès des personnes qu’ils sentent encore trop fragiles pour retourner d’emblée à leurs occupations ou dans leur famille.
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Suivi Comme nous l’avons souligné, le défusing n’est que la première étape d’un processus de soins. De même, il est clair que parmi tous les rescapés que l’on peut prendre en charge en immédiat, certains, souvent les plus fragilisés, auront besoin par la suite d’un suivi. Pour ces personnes, il est très probable que la participation à un défusing ne suffise pas et qu’un relais thérapeutique soit nécessaire. Dans ce contexte, et en l’absence de débriefing, Mitchell (2007) préconise de maintenir quelques contacts de post-crise avec chacun des participants, ces contacts ayant pour objectif principal d’évaluer au mieux la nécessité d’une orientation vers des soins à plus long terme. Sur un plan pratique, les entretiens qui sont alors menés doivent être d’assez courte durée et peuvent se dérouler par téléphone.
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Difficultés Pour Mitchell (2007), il existerait deux sources de difficultés susceptibles d’entraver le bon déroulement d’un défusing. La principale d’entre elles est l’ignorance des responsables de l’organisation touchée de tous les aspects de l’intervention à chaud. Ce défaut de connaissance peut se traduire de diverses manières et s’exprimer soit par une incitation des rescapés à participer au défusing tellement forte qu’elle en devient incontournable, soit par un refus de libérer un agent de ses fonctions le temps de la réunion, soit encore par une orientation maladroite d’agents qui ne répondent pas aux critères d’inclusion au défusing sous prétexte qu’ils ne vont pas bien, soit enfin par un rappel d’agents au beau milieu de l’intervention. Notre pratique nous a appris que ces difficultés sont relativement fréquentes. Aussi, le meilleur moyen de les contrer est de les anticiper en prenant le temps d’expliquer aux responsables les modalités et contraintes de l’intervention à chaud. La seconde difficulté tient en la sous-estimation de l’épuisement physique et émotionnel des rescapés qui peut conduire à mettre en place un défusing alors que les participants sont dans l’incapacité d’y participer pleinement. Une manière de surmonter cette difficulté est simplement d’établir une évaluation la plus réaliste possible de la situation et de favoriser le repos quand cela s’avère nécessaire, quitte à privilégier des entretiens individuels et à programmer d’emblée un débriefing.
Contre-indications Étant donné (a) que le défusing invite chaque participant à se dévoiler quelque peu en s’exprimant devant témoins sur les émotions qu’il a ressenties au moment de l’exposition traumatique et qu’il peut encore
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ressentir au moment de la prise en charge et (b) qu’il s’appuie sur l’empathie et le soutien mutuels, tout ce qui risque d’entraver l’un ou l’autre de ces processus s’érige en contre-indication. Ainsi, l’hétérogénéité hiérarchique du groupe est une première contre-indication. Dans ce contexte, la qualité des rapports unissant les supérieurs hiérarchiques et leurs subalternes doit être soigneusement évaluée avant de prendre toute décision de rassembler les uns et les autres au sein d’une séance de défusing. La méconnaissance mutuelle de membres du groupe est une seconde contre-indication. Dans ce contexte, la pertinence de recourir au défusing doit être appréciée à partir de la qualité des échanges et du soutien spontanément établis entre les membres du groupe constitué à l’occasion de la survenue dans l’événement traumatogène. Si cette qualité se révèle médiocre, il vaut mieux privilégier des entretiens individuels. La présence de liens familiaux entre les membres du groupe, en particulier de liens filiaux, est une troisième contre-indication. En effet, le défusing peut être l’occasion de révéler des différents conjugaux et de fragiliser davantage des enfants qui deviennent en la circonstance les témoins involontaires de conflits parentaux. Enfin, quand un ou plusieurs décès touchent les membres du groupe, l’opportunité de réaliser un défusing doit être correctement soupesée par rapport au processus de deuil initié à l’occasion de l’événement traumatogène. Principes cliniques des soins immédiats Comme nous venons de le voir, les travaux anglo-saxons fixent un cadre précieux pour l’élaboration et la structuration des interventions à chaud. Les lignes de conduite que nous avons définies tout au long de ce chapitre sont d’ailleurs à l’heure actuelle largement reprises dans le cadre de nos interventions immédiates d’urgence médico-psychologique. Toutefois, bien que l’apport de ces travaux soit incontestable du point de vue organisationnel, force est de constater que, dans le même temps, ils négligent totalement d’aborder les principes « d’accueil psychologique » des rescapés. Or, le respect de ces derniers est essentiel tant l’état psychologique dans lequel se trouvent ces personnes au sortir de l’événement traumatogène est particulier. Du point de vue de leur élaboration, ces principes trouvent leur origine dans la réflexion conduite tant en psychanalyse (voir à ce sujet les éclairages psychanalytiques) qu’en psychologie cognitive (voir à ce sujet l’événement traumatogène comme générateur de crises individuelles) sur les répercussions psychologiques de l’exposition traumatique. Ils ont été affinés par la suite grâce à l’analyse des retours d’interventions des
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CUMP et à la pratique de terrain de leurs intervenants. À l’heure actuelle, ils s’articulent autour de : – l’accompagnement durant le temps transitionnel de retour à la vie « normale », – l’humanisation de la relation, – une première ventilation des émotions, – le recueil de la parole sans dédramatisation ni déculpabilisation, – l’information du sujet.
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L’accompagnement durant le temps transitionnel de retour à la vie « normale » Dans différents chapitres de cet ouvrage, nous avons souligné l’importance de la désorganisation psychique vécue par la plupart des sujets au décours de leur rencontre traumatique. En effet, comme nous l’avons déjà souligné, la confrontation à l’événement traumatogène est souvent vécue comme une expérience de chaos et de mort. Ce que vivent les individus à ce moment précis leur paraît irreprésentable et impensable. Aussi éprouvent-ils d’importantes difficultés à donner un sens à ce qui leur arrive, à faire sortir d’eux-mêmes cette expérience pour l’objectiver. De plus, les manifestions dissociatives qui peuvent les envahir dans le même temps ne font qu’accroître leur incompréhension ainsi que leur impression de bizzarerie et/ou d’anormalité. Enfin, le sentiment d’impuissance qu’ils peuvent ressentir peut avoir des répercussions préjudiciables qui perdurent au delà l’événement. Dans les heures qui suivent, les intervenants se retrouvent ainsi souvent face à des rescapés inhibés, sans initiative, dépourvus de toute stratégie d’action, comme s’ils étaient encore sous le coup du vécu d’impuissance qu’ils ont ressenti durant l’événement. Dans ce contexte clinique, il s’agit pour le clinicien d’aller au devant d’une demande qui ne peut émerger aisément compte tenu du fait que les rescapés sont le plus souvent encore en proie au néant, plongés dans leurs souvenirs et images traumatiques. Les soins immédiats constituent alors un passage vers le monde « des vivants », dans un cadre structuré et stable contrastant avec le chaos initial. À l’image des paliers que doivent respecter les plongeurs pour revenir à la surface de l’eau, les soins immédiats doivent offrir différents paliers qui sont autant de phases intermédiaires de stabilité dans le processus qui les ramènent du chaos vers la réalité. Et plus la personne a « plongé » profondément dans le chaos, plus le nombre de paliers doit être important. C’est dans ce sens que nous aimons utiliser le qualificatif de « passeur »
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pour désigner la fonction du clinicien dans cette prise en charge : il favorise le passage d’un monde à l’autre, l’accompagne, le permet.
L’humanisation de la relation De ce fait, l’humanisation de la relation est au cœur de cette clinique particulière : un être parlant vient s’adresser à un autre, dans une dynamique quasi maternante (subvenir aux besoins primaires et secondaires). L’abord des rescapés est empathique, contenant et non intrusif : il s’agit de mettre des mots sur l’ici et maintenant, sur le ressenti actuel (Louville &, Duchet, 2006) afin de diminuer la charge anxieuse ou traumatique qui lui est rattachée. Pour cela, l’accueil doit être personnalisé (présentation des noms, des fonctions, etc.) et vise la restauration d’une alliance entre sujets parlants (Lebigot, Priéto, 2001-b), par la mise en place de gestes de réconfort et de mots simples, permettant aux personnes de se resituer progressivement dans l’espace et dans le temps après l’événement. Par ailleurs, étant entendu que le traumatisme a agi par effraction physique et psychique, qu’il est entré par tous les pores de la peau (Crocq, 1992) et a envahi tous les sens (visuels, olfactifs, auditifs, etc.) de la personne, il s’agit pour le clinicien d’exercer une fonction de « pare-excitation », « d’enveloppe protectrice ».
Une première ventilation des émotions Par son écoute spécifique, le clinicien intervenant en immédiat favorise la possibilité d’une première ventilation des émotions et d’une verbalisation du vécu, de toute production psychique (réelle ou imaginaire) en contenant le débordement éventuel qui l’accompagne. Dans ce contexte, il crée un lien, là où il y a eu une rupture avec la réalité et la temporalité ; en insistant sur le recueil des ressentis actuels, des impressions, des pensées intrusives et des éventuels fantasmes qui surviennent (fascination pour l’événement, auto-accusations excessives, revendications, etc.). Pour autant, il ne s’agit pas de maintenir ouverte la brèche traumatique en laissant se déverser un flot de paroles anxiogènes pour le sujet. Plutôt, le clinicien se doit d’être le garant de la réalité (en lien avec les circonstances exactes de survenue de l’événement, les changements ou pertes prévisibles, etc.), de l’actuel (informations sur le dispositif de secours et ses suites), cette attitude permettant aux rescapés de s’ouvrir peu à peu à une réaction adaptative. Enfin, parce que centré sur l’évocation du vécu immédiat, ce temps n’est pas celui de l’élaboration de l’expérience traumatique : il est généralement trop tôt. Les mots viennent simplement aider le sujet à décrire son ressenti actuel, ses
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frayeurs éventuelles. Ils visent pour l’essentiel à réintroduire le langage là où il a manqué. Vignette clinique
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Charlotte est l’une des victimes d’un attentat meurtrier. Lorsque nous la rencontrons, la jeune femme est prostrée, sidérée, aucun mot ne sort de sa bouche, aucune gestuelle ne l’anime. Elle est assise à terre dans le poste d’urgence médico-psychologique, en position quasi fœtale, le regard vide. Nous nous présentons avec nos prénom, nom et fonction tout en lui prenant la main pour tenter de pénétrer dans sa « bulle ». La jeune femme ne répond pas à notre question sur son identité mais nous pouvons la nommer grâce à la fiche que lui a attribuée le SAMU. Nous reprenons à voix basse, avec un ton qui se veut ferme et doux à la fois, les raisons de notre présence sur les lieux de la catastrophe, énonçons les circonstances de l’événement (une bombe a explosé dans son train, les secours médicaux l’ont sortie physiquement indemne de la rame, etc.) et lui signifions qu’elle est désormais à l’abri du danger (tout en la nommant régulièrement). Nous n’hésitons pas à parler un certain temps, la berçant dans un bain de langage humanisant. Des pleurs finissent par émerger : l’émotion est peu à peu venue prendre le relais de la sidération initiale de Charlotte. L’échange peut alors progressivement s’ouvrir et se centrer sur ce qu’elle ressent à ce moment-là (des angoisses fortes d’abandon, de chaos et une désorientation spatio-temporelle importante). À notre demande, une infirmière lui apportera une couverture afin de prolonger physiquement l’aspect enveloppant et contenant de l’entretien.
Nous mesurons ici l’importance de la parole et des gestes, comme liens susceptibles de faire sortir une personne de son état de sidération. Avec une personne dissociée ou agitée, le principe est le même : restaurer un lien, une relation permettant l’échange et ouvrant à la parole. L’un des enjeux capital de cette première rencontre est donc bien d’atténuer la surcharge pulsionnelle, l’afflux d’excitations, tout en laissant s’exprimer douleurs, réactions émotionnelles, colères, etc. Le lien, ainsi rétabli, permet d’éviter d’aggraver les souffrances et l’isolement alors ressentis par les rescapés.
Le recueil de la parole sans dédramatisation ni déculpabilisation Le premier entretien clinique mené auprès des rescapés ne doit ni être empreint de compassion ou d’empathie excessives ni être marqué d’indifférence. De plus, au cours de cet entretien, il importe de ne jamais « dédramatiser » : c’est aux sujets eux-mêmes de dire s’il y a drame ou pas et dans quelle mesure, sans qu’ils se voient assigner de limites à leur souffrance. Chacun parle pour lui-même, en sa propre personne. Minimiser l’expérience vécue aggrave toujours l’angoisse de ceux qui
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l’ont traversée. Pour le clinicien, la tentation (rassurante) peut être parfois de réconforter à outrance ou de consoler de manière disproportionnée. Le risque majeur est qu’il sorte alors de son cadre professionnel et ne parvienne plus à offrir un étayage suffisamment structurant aux rescapés, les maintenant ainsi dans leur vécu de chaos. Une seconde tentation pour le clinicien est de déculpabiliser les rescapés à l’aide de phrases du type « ce n’est pas votre faute » ou « vous n’y pouvez rien ». Ce type de comportement est extrêmement préjudiciable car il va à l’encontre des tentatives des sujets pour rétablir un semblant de maîtrise. En effet, dans une très large mesure, la culpabilité ressentie par les rescapés est le reflet de leur besoin de croire que, de manière ultime, les événements ne surviennent pas de façon complètement aléatoire et que, face à la dévastation et à la destruction, ils peuvent quand même encore faire la différence. Cette culpabilité s’exprime la plupart du temps sous la forme d’auto-condamnations comportementales et se traduit dans des propos comme « si seulement j’avais... ». En réalité, pour le sujet, au-delà examiner ce qu’il aurait pu faire, il s’agit de maximiser la possibilité de continuer à croire en un monde qui n’est pas entièrement en dehors de tout contrôle. Au final, la culpabilité du rescapé représente l’intense désir du psychisme de comprendre le monde et de rechercher une cohérence dans le sillage de la souffrance. Or, en gommant tout le saillant de son expérience, on lui assigne une place de pure victime ; on occulte ainsi les questions importantes dont celle en particulier de savoir quelle est la part qui lui revient ou qu’il a prise à son insu dans la survenue du traumatisme.
L’information du sujet Ce temps d’échange « à chaud » est aussi celui qui permet au clinicien d’informer le sujet sur le caractère adaptatif (ou défensif) des perturbations qu’il a pu ressentir durant et après la survenue de l’événement traumatogène. Sans référence directe à la « normalité » de ces phénomènes, il s’agit plutôt de rassurer le sujet sur l’éventail de réactions différentes et spécifiques qui peuvent survenir dans ces moments de désorganisation. Plus exactement, cette phase de psycho-éducation vise à démystifier les manifestations resenties, à réduire l’impression d’anormalité que leur survenue a entraînée, à atténuer l’incompréhension du rescapé et la détresse qui y est associée et enfin, à apaiser ses craintes. Dans ce cadre, il importe que la transmission des informations se fasse en présentant les manifestations sous un angle « adaptatif », en mettant l’emphase sur leur caractère sain : elles servent toutes à quelque chose. Ce temps est également l’occasion pour le clinicien de procéder à une évaluation
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précise des perturbations et difficultés rencontrées par les rescapés. En effet, les soins immédiats ont aussi pour objectif de repérer les personnes les plus fragilisées qui sont souvent les plus à risque au regard du développement de difficultés chroniques (Cf. les points consacrés aux facteurs de risque dans la première partie de l’ouvrage) pour pouvoir les insérer au plus vite dans un processus de soins adaptés.
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L’importance de la dimension collective et groupale Enfin, dans cette approche clinique, il convient de ne pas sous-estimer la dimension collective et groupale des soins immédiats qui invitent les uns et les autres à se réinscrire dans une collectivité, un groupe d’appartenance (Louville, Duchet, 2006). Dans ce contexte, le groupe « soignants – soignés » devient le représentant et le garant d’une humanité partagée. Il s’agit de retrouver, dans et à travers le groupe, une alliance avec l’autre et le monde, celle-là même que le trauma est venu attaquer. Nos pratiques des CUMP nous confrontent à des événements de grande ampleur (comme les catastrophes ou des accidents de dimension considérable) dans lesquels les personnes sont le plus souvent regroupées par le fruit du hasard. Dans ce contexte particulier, que les personnes relèvent ou non de groupes préalablement constitués importe peu pour l’organisation des soins immédiats. Seul, leur niveau d’exposition à l’événement doit être homogène ; le defusing ne s’adressant qu’aux victimes directes de l’événement (primaires et secondaires). C’est ainsi que les prises en charge sur le terrain réunissent souvent des petits groupes composés de personnes étrangères les unes aux autres. Nous soutenons l’idée que ces collectifs de formation spontanée permettent un échange particulièrement riche qu’il convient d’accompagner : les valeurs d’entraide, de soutien mutuel et de solidarité peuvent émerger dans un contexte qui les a particulièrement mises à mal. Vignette clinique Une CUMP est sollicitée suite à un incendie qui s’est déclaré dans une partie centrale d’un petit centre commercial. Le feu est parti d’un contre-plafond et les couloirs ont favorisé sa propagation rapide. Un mouvement de panique s’est emparé des clients comme des nombreux vendeurs présents sur les lieux. L’évacuation s’est plus ou moins bien passée selon les endroits et les moyens d’intervention des pompiers. Le SAMU fait état d’un premier bilan : environ deux cents victimes ont été évacuées, au moins deux personnes sont décédées (un homme et une femme dont l’identité reste encore inconnue), trente-sept sont gravement brûlées et immédiatement transférées à l’hôpital, une quarantaine reçoit des soins sur place et les victimes psychiques - indemnes physiquement - (une centaine) ont été
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réunies dans une salle de restaurant à proximité (choisie pour devenir notre Poste d’urgence Médico-Psychologique). Une équipe composée de quinze intervenants « psys » (psychiatres, psychologues et infirmiers) se rend sur place. Sans rentrer ici dans les détails de l’intervention, nous avons constaté à quel point les premiers échanges entre victimes, avant notre arrivée, ont permis la constitution de petits groupes relativement protecteurs et porteurs de sens après les mouvements de foule désordonnés. Des parents se sont regroupés dans un coin de la salle avec leurs enfants respectifs, des jeunes ont investi un autre espace, des vendeurs se sont regroupés, etc. À notre arrivée, certains sont venus nous voir spontanément parce qu’ils avaient repéré différents individus particulièrement en détresse. Nous avons choisi de faire une première annonce générale pour exposer à tous les circonstances de l’incendie, les premières estimations annoncées par le SAMU concernant les victimes (tout en précisant que certaines personnes avaient sans doute échappé au recensement et devaient se trouver à l’extérieur) et les objectifs de notre venue (recenser les besoins, quels qu’ils soient ; aller à leur rencontre afin de leur délivrer des premiers soins médico-psychologiques, importants après l’épreuve qu’ils venaient de traverser ; évaluer leur état et leur permettre de rentrer chez eux dans de bonnes conditions ou d’être pris en charge de manière prolongée si cela s’avérait nécessaire). Ensuite, nous nous sommes répartis pour aller à la rencontre de chacun des groupes et personnes dans la salle. Nous n’avons pas hésité à favoriser des échanges entre eux, tout en veillant à donner une place à chacun et à différencier lorsque cela était nécessaire les vécus distincts des uns et des autres. Nous avons ainsi pu repérer les personnes isolées en les invitant à se joindre à nous et mené des entretiens individuels quand cela restait nécessaire. Les groupes hétérogènes n’ont pas représenté un obstacle, bien au contraire, ils ont permis à certains de sortir plus facilement de leur sentiment d’isolement, d’abandon, de partager leur expérience. Bien entendu, il ne s’agit pas d’ouvrir la voie au phénomène d’illusion groupale qui fond chaque individu dans un collectif qui n’aurait qu’une seule parole. Le soignant est alors garant des allers-retours entre ce qui les réunit et ce qui les différencie. Ce type de prise en charge a aussi facilité l’entraide de certains pour leur départ des lieux de la catastrophe en remettant au centre de leurs préoccupations le lien à l’autre, dans une dimension humaine qui avait cruellement fait défaut au moment de la panique collective.
Le système français des Cellules d’Urgence Médico-Psychologique est le seul actuellement qui prévoit, de manière aussi spécifique et organisée, une prise en charge psychologique des blessés psychiques dans un contexte de crise sur les lieux mêmes de la catastrophe. Les effets bénéfiques de ces soins sont tout à fait évidents puisque nous observons un apaisement spectaculaire des états de stress aigus sur le terrain. En revanche, l’évaluation de ces dispositifs n’est encore guère menée sur le plan de la recherche car peu aisée en pratique. Les recommandations
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dans ce domaine se multiplient bien que cette prise en charge ne saurait se suffire à elle-même puisqu’elle se limite à la prise en charge des manifestations de l’aigu : c’est pourquoi nous préconisons, à l’instar des travaux précédemment présentés, qu’elle puisse s’inscrire dans une continuité des soins thérapeutiques à proposer dans les jours et les mois qui suivent l’expérience traumatogène.
Q UELQUES
REMARQUES FINALES
Dans cette partie, nous avons tenté d’aborder l’intervention à chaud en en définissant les principales lignes directrices. Comme nous l’avons souligné, toute situation de crise est unique. Même si elle possède des points de similarités avec d’autres crises, certaines de ses caractéristiques la rendront toujours particulière et nécessiteront des adaptations. Dans ce contexte, le garant de la réussite des interventions immédiates repose largement sur la souplesse et les capacités d’innovation des intervenants. Or ces qualités ne s’acquièrent qu’au prix d’une solide préparation qui intègre, en plus d’une formation théorique, de nombreux entraînements. Par ailleurs, la délivrance des premiers soins psychologiques expose de façon très régulière les intervenants à des émotions brutes et intenses, à des plaintes déchirantes, à une souffrance psychique extrême, à des réactions déroutantes, à des récits qui n’épargnent aucun des détails sordides et horribles de l’événement. Ce contexte particulièrement lourd ne peut laisser indifférent quiconque s’y trouve plongé, professionnels y compris. De plus, la confrontation répétée à ce type de situations peut engendrer d’importantes difficultés psychologiques qui peuvent faire le lit de syndromes dépressifs ou de burnout. Sur ces derniers points aussi, seule une bonne préparation aura un rôle véritablement protecteur.
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PARTIE 3 MANIFESTATIONS POST-TRAUMATIQUES ET SOINS POST-IMMÉDIATS
A. Ponseti-Gaillochon, C. Duchet
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Chapitre 8
CADRE HISTORIQUE, INDICATIONS ET TABLEAUX CLINIQUES DU POST-IMMÉDIAT
déjà souligné, la littérature sur les syndromes post-traumatiques a connu un véritable essor au cours de ces vingt dernières années. Parallèlement, de nombreuses formes de prévention secondaire se sont développées parmi lesquelles la plus connue est celle du « débriefing psychologique » : il s’agit d’une stratégie de prise en charge en post-urgence des personnes, victimes ou intervenants, ayant vécu un événement traumatogène. Cette dernière fait suite aux soins immédiats, en particulier du défusing, qui sont délivrés le jour même de l’événement (objet de la deuxième partie de cet ouvrage) en se situant dans les jours qui suivent. L’avantage principal du débriefing est de pouvoir repérer la souffrance psychique du sujet et de pouvoir la traiter rapidement, « la mettre en mots », afin qu’elle ne « s’enkyste » pas et ne se transforme pas, ou moins intensément, en trouble psychotraumatique chronique et invalidant. Un deuxième objectif est de faciliter la mise en place d’un suivi post-traumatique qui
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C
OMME NOUS L’ AVONS
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M ANIFESTATIONS POST -TRAUMATIQUES ET SOINS POST- IMMÉDIATS
peut être proposé dès la séance de débriefing, à quelques jours du vécu de l’événement.
H ISTORIQUE
DU DÉBRIEFING
À l’heure actuelle, différentes techniques de débriefing sont utilisées. Cependant, la plus célèbre nous vient du modèle nord-américain, le CISD (critical incident stress debriefing), élaboré à la suite d’autres auteurs par Mitchell en 1979, nous y reviendrons. L’origine du mot « debriefing » (francisé en « débriefing ») est liée à celle du mot « briefing » et se réfère aux techniques utilisées dans le cadre des équipages des bombardiers US lors de la Seconde Guerre mondiale. Nous comprenons facilement qu’avant une intervention militaire, une frappe aérienne par exemple, il y ait nécessité d’un « briefing », ou réunion de préparation de l’action militaire et que naturellement, au retour, la reprise en groupe soit nécessaire, centrée sur les actions accomplies et les difficultés rencontrées, d’où le terme de « débriefing » dans son acceptation technique. En 1945, Marshall transpose ce type d’approche « historical group debriefing » aux unités d’infanterie après un combat éprouvant. Il s’agit alors d’une description chronologique des faits au cours de laquelle chacun expose de façon minutieuse sa vision sur ce qui s’est passé. L’« historical group debriefing » était ainsi destiné à reconstruire, avec le groupe impliqué dans la bataille, un récit au niveau des faits, avec l’idée « d’évacuer » les émotions et les frustrations, en renforçant l’appartenance au groupe et en valorisant le rôle du combattant. Enfin, cette séance était aussi et surtout prévue pour faciliter un retour rapide au combat. Cette technique, circonscrite au départ à l’armée, a vu son évolution avec Sokol en 1979 avec le « stress management team » et le principe BICEPS (cf. partie 2) avec un aspect soit expérientiel, soit éducationnel. Nous pouvons aujourd’hui mesurer les influences de ces approches sur celle du CISD de Mitchell, réservée au départ aux pompiers, à leur retour de missions difficiles, dans le but de les remettre rapidement en état « de retourner au feu ». À l’origine, le débriefing concerne avant tout les professionnels en prise avec des métiers qui les confrontent à la mort, aux blessures, et à la violence des situations en général. Dans la littérature actuelle, ces professionnels, dont la liste a été étendue, sont nommés « victimes tertiaires » (De Soir, Vermeiren, 2002), afin de souligner qu’ils peuvent à leur tour devenir des victimes (aux côtés des proches et des familles nommées « victimes secondaires »)... En effet, tout comme les militaires sont
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soumis à des combats intenses et prolongés avec risque vital, les policiers et les pompiers sont également exposés à des scènes souvent tragiques (récupération de personnes brûlées, de cadavres, de personnes suicidées, à des scènes de crime, etc.). Les personnels soignants rejoignent désormais cette population dite « à risque » dans leur confrontation régulière aux soins d’urgence pour blessés graves notamment. À ces visions et vécus douloureux peut s’ajouter l’exposition des sauveteurs et soignants de tous horizons aux discours des victimes directes, empreints d’horreur, qui à force de répétition, peut aussi entraîner un syndrome d’épuisement professionnel ou burnout. Cet état désigne ici un « épuisement physique, émotionnel et mental causé par un engagement prolongé dans des situations professionnelles émotionnellement exigeantes » (Maslach, 1979, 1982). D’autres auteurs ont alors développé des travaux autour de la « traumatisation secondaire », de « la fatigue de compassion » (Figley, 1993) et de la « traumatisation vicariante » (McCann, Pearlman, 1990 ; Neumann, Gamble, 1995 ; Pearlman, Saakvitne, 1995). Notre clinique dans ce domaine révèle en effet que le vécu répétitif de scènes traumatiques peut rejaillir sur tous ces intervenants, notamment parce qu’il peut entrer en résonance avec des situations traumatiques personnelles, ou encore du fait de la représentation fantasmatique qu’ils peuvent susciter, malgré les formations ou les motivations fortes associées à leurs missions. Cependant, depuis longtemps et parfois encore aujourd’hui, exprimer ses émotions revient à faire preuve de faiblesse dans ces corps de métiers essentiellement masculins (militaires, policiers, pompiers), véhiculant des images d’invincibilité, de virilité et de résistance à toute épreuve, qualités cultivées dès leur recrutement. Pour autant, leur offrir la possibilité de parler de ce qu’ils ont vécu devient une aide envisageable et souhaitée par certains dirigeants de ces corps et leurs collaborateurs. Ces pratiques se développent en France (la police s’est dotée d’une cellule d’écoute psychologique au niveau national, de nombreuses casernes de pompiers travaillent avec des psychologues), mais de manière encore inégale sur le territoire.
LE
MODÈLE DE
M ITCHELL
ET SES SUCCESSEURS
Avant de reprendre l’histoire des principaux dispositifs de soins pour les intervenants, revenons au modèle de Mitchell, qui a connu un engouement sans précédent et traversé tous les continents. En 1983, ce psychologue pompier élabore une méthode fondée sur le récit narratif de l’événement en 7 phases, explicitées et développées plus loin : introduction, faits, cognitions, émotions, symptômes, normalisation, futur. Il
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se démarque ainsi du thérapeute classique, en visant essentiellement la prévention des troubles liés au stress : calmer, expliquer le déroulement absurde de l’événement, rendre les pompiers à nouveau opérationnels et prévenir l’évolution pathologique. Le déroulement est strict (versus souple), il s’agit de raconter son expérience (et non de la revivre), de ne pas interpréter, d’expliquer (et non d’adopter une écoute neutre). Il formera 25 000 personnes dans 28 pays. Ce que la communauté soignante oublie trop souvent, c’est que Mitchell préconisait ce débriefing pour les intervenants et les sauveteurs (pompiers et policiers) et non pas pour les victimes. Or sa méthode a eu un tel succès qu’on en a fait feu de tout bois et on a vu apparaître sur le marché de multiples instituts de formation pratiquant à tout va le débriefing « à la Mitchell », avec moult extensions liées aux courants théoriques de chacun. Une pseudo-formation de deux jours semblait garantir à l’intervenant la capacité de mener à bien ce type de dynamique de groupe et le CISD fut appliqué et l’est encore de manière non discernée, notamment auprès des employés des entreprises confrontés à des événements traumatogènes, donc auprès de victimes directes. Ainsi, la polémique sur les bienfaits et méfaits supposés du débriefing est née, comme l’expose habilement un important collectif d’auteurs sous la direction de De Soir et Vermeiren dans leur ouvrage intitulé Les Débriefings psychologiques en question, paru en 2002. Il ne s’agira pas ici de valider ou d’invalider le débriefing de Mitchell (cf. en fin de partie) puisqu’il a le mérite d’exister, mais plutôt de repréciser à quel type de personnes il doit être proposé puis de travailler les façons dont il peut se dérouler. Mitchell lui-même a revu ses positions sur le sujet. À la suite de Mitchell, et dans la même perspective cognitivocomportementale, d’autres auteurs ont proposé des variantes du débriefing psychologique. Citons-en les principaux. Après le séisme du 1er octobre 1989 de Loma Prieta, à San Francisco, pendant laquelle les équipes de Croix-Rouge ont été mobilisées un mois durant sur le terrain, Armstrong et al. (1991) vont articuler le débriefing en quatre phases centrées sur : – la découverte ou diclosure ; – les sentiments et réactions ; – les stratégies de coping (comment le sujet gère l’événement sur le plan conscient) ; – la clôture ou termination autour de l’exploration des « stresseurs » des sauveteurs.
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L’exploration concernait essentiellement les réactions de stress de ces intervenants du fait : – de ce temps prolongé auprès des victimes et de la multiplicité des contacts avec elles ; – du paysage de désastre ; – du manque d’expérience de certains pour lesquels il pouvait s’agir d’une première mission ; – de l’éloignement du domicile et de la famille ; – de la fatigue due à la durée de la mission et de l’hostilité d’une partie de la population. Raphael en 1996 introduit le « consultant debriefing » avec six domaines à explorer : – – – – – –
la connaissance exacte de l’événement ; l’exploration des vécus (différencier les vécus positifs et négatifs) ; la relation avec les autres sauveteurs et avec la famille ; l’empathie envers les victimes et les collègues ; puis le désengagement du sujet dans l’événement ; et enfin l’intégration de l’événement dans l’histoire personnelle et professionnelle du sujet.
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Dyregrov, psychologue norvégien du Crisis psychology de Bergen (1989, 1997), propose un « process debriefing » centré sur le leadership, la dynamique de groupe et le soutien groupal et qui se déroule en 6 phases : – l’introduction ; – les faits ; – les réactions et les symptômes (phases fusionnantes) : atténuer l’anxiété, mobiliser le soutien du groupe ; – l’enseignement ; – la phase finale (leçons acquises, capacités pour le futur). L’auteur pense que des pairs empathiques peuvent être plus efficaces que des professionnels de santé mentale pour mener à bien ce type de débriefing. Pour Shalev (1994) le débriefing doit explorer 8 domaines : – les informations erronées ; – la dispersion et le dysfonctionnement cognitif ; – le conditionnement traumatique ;
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le mauvais contrôle émotionnel ; l’impact du chagrin ; l’effet d’enfermement ; l’altération des relations interpersonnelles ; les effets de groupe néfastes (désignation d’un bouc émissaire, nihilisme).
Se référant aux travaux de van der Kolk (selon lequel une mémoire verbalisée doit pouvoir se substituer à la mémoire d’images de l’événement traumatique), aux travaux d’Horowitz (sur l’impossibilité de mener à terme les composantes intrusives du chagrin ou grief du fait de leur répétition), mais également à ceux de Lazarus sur l’évaluation (appraisal) cognitive de l’événement, Shalev défend l’idée que le débriefing doit pouvoir permettre une « réorganisation cognitive ». Ce type de débriefing a pour objectif de modifier : • le « mauvais » contrôle émotionnel (emotional dyscontrol) manifesté
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sous la forme de panique, de terreur, de culpabilité, de tristesse, de sentiment d’échec et de retrait affectif ; le dysfonctionnement cognitif (cognitive dysfunction) relatif à l’hyperexcitation avec notamment la difficulté de concentration et la modification attentionnelle ; la distorsion des schémas cognitifs (shattered cognitive schemata) de sécurité, de contrôle et d’invulnérabilité ; la perte des capacités à apprécier les contacts interpersonnels ; l’incapacité à se désengager de l’expérience traumatique pour réintégrer l’événement dans les souvenirs désagréables ; la problématique de la persistance des images et des réponses émotionnelles conditionnées par les stimuli rappelant l’événement traumatique ; la difficulté à engager un deuil normal et l’impact du chagrin (impacted grief ) ; les effets de groupe (projection, attitudes contre-productives) ; les informations erronées à propos de l’événement (survenue et conséquences).
– Le lecteur pourra se référer au niveau des concepts au chapitre concernant les éclairages cognitivistes.
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Ainsi, parallèlement à ces techniques de soins destinées aux intervenants (bénévoles et professionnels), nous avons vu apparaître la reconnaissance de la souffrance traumatique des « victimes directes » : blessées ou non, impliquées, toutes potentiellement victimes psychiques de ces scènes de violence. Dès 1974, Mitchell et al. instaurent des groupes de débriefing pour les victimes de viol ; Vernonen et Best, en 1983, développent des soins spécifiques pour les survivants de l’Holocauste ; Figley (1986), Goodwin et al. (1988) mettent en place les rap therapy (thérapies rapides) chez les vétérans souffrant de névrose traumatique. En 1990, Foreman prend en charge les victimes survivantes d’un crash aérien, et Gist et Lubin (1989) s’intéressent aux victimes de désastres naturels. En Europe, dans le même temps, sous l’égide du professeur Crocq, les intervenants francophones (Cremniter, De Clercq, Lebigot, Louville, Raingeard, Vermeiren, Vila, etc.) soulignent l’importance de la prise en charge des victimes civiles et s’accordent pour développer peu à peu un « débriefing à la française » qui prend la forme actuelle de l’IPPI. Les interventions se multiplient : catastrophe du stade de Fiurani en 1992, attentat de Louvain en 1993, prise d’otages de l’Airbus d’Alger en 1994, attentats parisiens en 1995, 1996, la prise d’otages dans une école de Clichy, etc. Les premiers écrits à ce sujet insistent avant tout sur la verbalisation du vécu sous forme d’énonciation plutôt que sous forme de narration, dans une visée cathartique. Nous en étudierons les évolutions qui ont notamment vu le jour dans les travaux de l’ALFEST et de l’AFORCUMP-SFP, deux grandes associations francophones reconnues dans ce domaine. En fin de partie, une nouvelle méthode sera développée, forte des enseignements des interventions précédentes : l’intervention psychothérapeutique post-immédiate (IPPI). Les chapitres suivants sont donc consacrés aux spécificités cliniques et aux applications de chaque grand modèle d’intervention autour du débriefing psychologique : le débriefing consacré aux sauveteurs et intervenants auprès des victimes (adapté du CISD de Mitchell), le débriefing « à la française », étendu aux victimes et enfin son évolution avec le modèle de l’IPPI. Cependant, il convient d’abord d’opérer un détour par la psychopathologie afin de décrire les manifestations présentées dans cette phase du « post-immédiat », c’est-à-dire dans les jours et semaines qui suivent l’événement potentiellement traumatique.
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TABLEAUX
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CLINIQUES DU POST- IMMÉDIAT
Nous nous servirons essentiellement de la classification internationale du DSM puisqu’elle fait référence dans la littérature, en nous centrant sur la description stricte des symptômes. Pour des éclairages psychanalytiques ou cognitivistes de ces manifestations symptomatiques, nous invitons le lecteur à se reporter à la partie 1 de l’ouvrage. Dans la phase post-immédiate on peut observer deux éventualités : a- tout rentre dans l’ordre et les symptômes de la phase immédiate s’effacent en plusieurs jours ; b- ou bien on voit persister les symptômes dissociatifs de la phase immédiate et on voit s’y adjoindre des symptômes psychotraumatiques de reviviscence, par exemple. Le débriefing psychologique s’adresse donc en priorité aux personnes présentant des tableaux cliniques de la période de l’état de stress aigu (ESA) dans la phase dite « post-immédiate », décrite dans le DSM peut constituer le schéma de base. Dans cette classification, l’ESA comporte naturellement des similitudes avec l’état de stress post-traumatique (ESPT) qui peut succéder au premier état. Bien entendu, le vécu d’un événement traumatique est défini avec les mêmes critères. Le sujet a été exposé, comme victime, acteur ou témoin, à un événement potentiellement traumatisant (critère A1) et on notera une effraction des défenses psychiques, avec vécu de surprise, de frayeur, d’effroi, d’horreur, et/ou sentiment d’impuissance et de détresse, du fait de la rencontre fortuite avec le néant ou réel de la mort (critère A2). Ensuite, comme pour l’ESPT, la personne présentant un ESA souffre d’au moins 1 symptôme de reviviscence, d’évitement ou d’hyperactivation. La différence majeure entre l’état aigu et le syndrome posttraumatique réside dans la présence de symptômes dissociatifs (au moins 3) pour le premier, alors qu’ils peuvent être absents dans les mois suivants. Ce point est aisé à comprendre au regard de notre clinique : la dissociation psychique (vécu d’irréalité et de dissolution de la conscience) est fréquemment présente dès l’événement, mais diminue généralement dans les jours qui suivent. Cela étant dit, il peut nous arriver de rencontrer des patients encore dissociés à plus d’un mois de l’événement, notamment lorsqu’aucun soin n’a pas leur être proposé dans la phase post-immédiate, ce que nous observons plus fréquemment chez des personnes victimes d’agressions sexuelles. Au risque de nous répéter, rappelons que les symptômes dissociatifs (3 ou plus) sont décrits de la manière suivante dans le critère B du DSM :
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– un sentiment subjectif de torpeur, de détachement ou une absence de réactivité émotionnelle ; – une réduction de la conscience de son environnement (se sentir dans le « brouillard ») ; – une impression de déréalisation (perception altérée et déformée de la réalité, du temps qui passe, des choses, des gens, etc.) ; – une impression de dépersonnalisation (perception altérée de sa personne : se voir flotter au-dessus de la scène, distorsion du schéma corporel) ; – une amnésie dissociative (incapacité à se souvenir d’un aspect important du traumatisme).
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Nous illustrerons dans nos exemples cliniques à venir autour des soins post-immédiats, la manière dont peuvent notamment se déployer ces troubles dissociatifs. Vient ensuite le critère C, centré sur le syndrome de répétition, dont des auteurs comme Barrois et Lebigot disent qu’il signe véritablement la névrose traumatique. En effet, la spécificité de la clinique traumatique se joue autour de la répétition, déjà repérée par Charcot, Kraepelin et Freud à l’époque, et décrite comme suit dans le DSM : – des souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement, provoquant un sentiment de détresse et incluant des images, des pensées, des perceptions (sorte d’hallucinations). – des rêves répétitifs et pénibles de l’événement, provoquant un sentiment de détresse. – des impressions soudaines « comme si » l’événement traumatique allait se reproduire (flash-back). – un sentiment de détresse psychique lors de la confrontation à des indices internes ou externes évoquant un aspect traumatique en cause ou lui ressemblant. – une réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices internes ou externes pouvant évoquer un aspect de l’événement traumatique en cause ou lui ressembler. Ces deux derniers critères peuvent se manifester sous la forme d’attaques de panique avec palpitations, hyperventilation, peur intense, sueurs froides. Sur ce point, le courant psychanalytique a tendance à réduire un peu l’éventail des symptômes de répétition pour se centrer sur les troubles qui évoquent « en calque » des éléments précis de la scène traumatique (dans des flash-back, des souvenirs intrusifs, des cauchemars, etc.) en
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M ANIFESTATIONS POST -TRAUMATIQUES ET SOINS POST- IMMÉDIATS
considérant comme un début de « travail psychique » tous signaux qui marquent une transformation (si légère soit-elle) des éléments traumatiques bruts (un rêve d’agression par exemple, mais qui ne reproduirait pas le vécu exact de la scène traumatique, ou des pensées récurrentes sur l’événement mais qui cherchent une autre issue à celui-ci). Nous trouvons ensuite, dans l’ESA (à l’identique des critères C1, C2, C3 de l’ESPT), tous les troubles liés à l’évitement des stimuli associés au traumatisme décrits ici dans le critère D du DSM : le sujet évite les pensées, les sentiments, activités, lieux, images, personnes ou conversations qui l’exposeraient à de trop fortes reviviscences. Nous continuons à inviter le lecteur à se reporter à la première partie pour des éclairages cliniques sur ce type de manifestations. Enfin, le critère E vient compléter la description de l’ESA, en insistant sur la présence de symptômes d’activation neurovégétative (mais s’agit-il bien là d’un symptôme d’activation neurovégétative) comme par exemple des troubles du sommeil, une irritabilité, une difficulté à se concentrer, une hypervigilance, des réactions de sursaut, une agitation motrice (critère D de l’ESPT). Le critère F signe quant à lui une détresse importante avec altération significative du fonctionnement social, ou professionnel ou dans d’autres domaines de la vie du sujet. Enfin, le critère G définit la période recouverte par l’ESA qui dure au moins deux jours et peut s’étendre jusqu’à quatre semaines. Signalons enfin le cas d’un rescapé d’une catastrophe qui se sentait euphorique dans l’immédiat (quitte pour la peur), qui déclarait n’avoir aucun symptôme et qui refusait l’offre de soins psychologiques, mais qui, au bout de quelques jours, commence à manifester des signes d’état de stress aigu très perturbants. Au vu de ce tableau clinique, il devient plus aisé de comprendre pourquoi le débriefing, inclus dans les soins post-immédiats, doit avoir lieu assez tôt (mais pas trop : pas avant que l’ESA ne se déclare, ni trop tard, c’est-à-dire rarement au-delà de deux semaines après l’événement). Les personnes reçues en consultations au-delà de cette période recevront d’autres types de soins, plus articulés au suivi post-traumatique (troisième phase possible de soins).
Chapitre 9
SOINS POST-IMMÉDIATS DESTINÉS AUX SAUVETEURS
LE
DÉBRIEFING DE
M ITCHELL (CISD)
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Présentation du cadre et de la méthode Le CISD de Mitchell s’inscrit pleinement dans le courant cognitivocomportementaliste. En France, Blauwblomme (1996) a introduit la méthode de débriefing décrite par Mitchell et Bray sous le terme de traumatic event debriefing (TED). Le caractère précoce de l’intervention est posé comme déterminant : il repose sur l’hypothèse selon laquelle plus l’intervention est proche de l’événement, moindre est le risque d’apparition de schémas cognitifs et de comportements mal adaptés. Pour l’auteur, un incident critique (« critical incident ») motive le débriefing dans le sens où il est hors du commun parce qu’il modifie les stratégies d’adaptation du sujet (coping), perturbe son équilibre et risque d’entraîner une souffrance psychologique pouvant induire une incapacité à reprendre le travail (pour les sauveteurs, pompiers, etc.) ou une situation de crise. Par le biais du débriefing, les sujets impliqués pourront mieux raconter leur expérience, critiquer leurs symptômes, et seront mieux informés des suites.
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M ANIFESTATIONS POST -TRAUMATIQUES ET SOINS POST- IMMÉDIATS
Quatre déterminants apparaissent comme essentiels dans ce type de procédure (Mitchell et Everly, 2000) : – la précocité d’intervention ; – la psychoéducation ; – l’opportunité de la verbalisation de l’événement dans ses différents éléments ; – la mobilisation d’un soutien psychosocial. Concernant la précocité d’intervention, le délai de vingt-quatre à soixante-douze heures est préconisé à partir d’éléments cliniques clairement validés : dans les jours qui suivent, les personnes sont encore en état de choc (Horowitz, 1986 ; Brom, Kleber, 1989) d’où la nécessité de la prise en charge et les interrogations quant au risque d’effet plus sensibilisant (revictimation) que désensibilisant. L’aspect psychoéducatif (d’après les recherches sur le sentiment de contrôle ; Bandura, 1997) vise deux objectifs essentiels : • augmenter le sentiment de contrôle des sujets, à l’aide d’une informa-
tion correcte qui aide à normaliser les réactions ; • prévenir l’apparition de stratégies de coping mal adaptées, comme
l’évitement comportemental et cognitif. Brom et Kleber (1989) donnent ces informations en fin de séance accompagnées d’un support écrit. La ventilation émotionnelle et la verbalisation de l’événement représentent l’étape fondamentale dans la prévention des conséquences émotionnelles négatives de l’événement. Zech (1999, 2000) rapporte que 80 % des personnes pensent que parler d’une difficulté psychologique apporte un soulagement. L’expression orale ou écrite d’événements émotionnels semble également avoir des effets bénéfiques au niveau de certains indicateurs de santé physique (Pennebaker, 1993). Dans le cadre d’interventions cognitives et comportementales, la description verbale de l’événement apparaît comme utile à l’élaboration d’un travail de confrontation émotionnelle au souvenir de l’événement, en termes d’exposition et de restructuration cognitive. Toutefois méfions-nous du présupposé : « parler le plus rapidement possible, ça aide », comme « pleurer, ça fait du bien ». Sous couvert de ces assertions, ne risquonsnous pas d’être intrusifs ? La composante psychosociale (développée dans la partie 1 de l’ouvrage concernant les facteurs de protection et les facteurs prédictifs) représente dans la littérature une réelle variable modératrice et consensuelle (Flannery, 1990) dans le développement de l’ESPT (le soutien social fait ainsi nettement partie des facteurs de
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protection). Lors du débriefing, c’est le processus de groupe qui fait office de soutien social. Chaque participant peut alors se sentir soutenu, grâce aux renforcements verbaux des autres participants et des débriefeurs, qui aident chacun à retrouver une place et une identité au sein du groupe des sauveteurs. Ce qui importe avant tout, c’est la manière dont le participant perçoit ce soutien social.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Modalités de fonctionnement Voici les grands principes de fonctionnement de ce type de débriefing et ses adaptations. Tout d’abord, toutes les personnes participant à cette réunion sont volontaires. On ne peut l’imposer en aucune manière. Il est souhaitable, notamment lorsqu’il s’agit des intervenants sur le terrain. Quand ? Le débriefing doit se dérouler dans les quarante-huit à soixante-douze heures après l’événement selon Mitchell, même s’il est parfois proposé dans les jours qui suivent, jusqu’à dix jours, mais pas au-delà de quinze jours. Trop précocement, les victimes peuvent être encore massivement sous le choc (Horowitz, 1986 ; Brom, Kleber, 1989) : le débriefing psychologique nécessite une situation stabilisée et du temps devant soi pour permettre aux sauveteurs (et/ou aux victimes) de prendre la mesure de l’événement. Trop éloigné de l’événement, il perd de sa fonction de cohésion groupale. Où ? Le débriefing se déroule dans un lieu proche de l’événement, mais sécurisant. Pour les équipes de terrain, il s’agit souvent d’une salle de réunion du lieu de travail habituel. Parfois, d’autres locaux sont mis à disposition par la mairie, l’hôpital ou les écoles. Une pièce de petite taille favorise l’écoute : les participants sont assis autour d’une table ronde ou en cercle. Des boissons sont mises à disposition. La salle ne comporte pas de téléphone ni d’autres sources de dérangement. Les toilettes doivent se situer à proximité. Pour qui ? Les personnes réunies pour le débriefing doivent avoir vécu le même événement, ou être intervenues sur le même site. Les différences sociales éventuelles des participants ne sont pas un obstacle car il y a un principe d’égalité. Cependant, aucune personne étrangère aux participants impliqués ou à l’équipe des débriefeurs n’est autorisée dans l’enceinte de la réunion. Lorsque les cadres et supérieurs hiérarchiques ne sont pas impliqués dans l’événement directement, ils ne font pas partie du
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débriefing, afin de permettre une parole plus libre pour les participants. S’ils sont impliqués directement, Mitchell préconise de les inclure. Quel effectif ? L’idéal est un groupe de 8 à 10 personnes, correspondant au critère des groupes restreints. Au-delà de ce nombre, certaines personnes peuvent avoir des difficultés à s’exprimer et il y a moins d’élaboration. Qui anime ? Des binômes formés à la technique du CISD (contrairement aux débriefings destinés aux victimes, qui sont animés par des soignants) : un animateur principal (ou leader) et un coanimateur. Quelle durée ? La réunion dure deux à trois heures, sans interruption. Il est souhaitable que chacun reste jusqu’à la fin. Si quelqu’un sort de la pièce pour aller aux toilettes, il doit s’engager à revenir. Et si l’état de désarroi implique la sortie de quelqu’un du groupe, le coanimateur doit l’accompagner. Règles de fonctionnement Il ne s’agit pas d’une thérapie, mais d’une rencontre : « Vous n’êtes pas obligé de prendre la parole, mais toutefois, s’exprimer directement permet de mieux appréhender ce que vous avez vécu. » En effet, il s’agit avant tout du partage d’une expérience permettant le soutien des uns envers les autres, pour mieux comprendre ce qui s’est passé pour chacun. Aucune révélation ne doit faire l’objet d’attaque ou de critique. Suite possible Une écoute individuelle est offerte à la fin de la séance de groupe, à ceux qui en expriment le souhait. Les sept phases du CISD À l’origine, le débriefing de Mitchell comporte 7 phases. Ces phases forment un V – avec l’idée d’un début centré sur les cognitions à la première pointe du V, d’une progression vers l’expression émotionnelle à la base du V puis d’un retour progressif vers les cognitions vers l’autre pointe du V. Ces phases sont les suivantes : – l’introduction (introduction) ; – les faits (fact phase) ; – l’expression émotionnelle avant, pendant et après l’événement (feeling phase) ;
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– les pensées associées avant, pendant, après l’événement (thought phase) ; – les symptômes présents depuis l’événement et qui peuvent durer ou survenir ensuite (symptom phase) ; – l’information et la normalisation (teaching phase) ; – la conclusion du débriefing (re-entry phase).
Première phase – L’introduction Les débriefeurs (un animateur principal et un coanimateur) se présentent et rappellent l’intérêt de ce type de groupe (« Tel événement grave s’est produit tel jour, nous souhaiterions le partager avec vous et nous concentrer sur les pensées et les émotions ressenties par chacun d’entre vous. ») Les règles de fonctionnement sont clairement énoncées : – la règle de confidentialité : « Ce qui sera évoqué ici reste dans le cadre de ce groupe. Chacun doit respecter ce principe de confidentialité et ne pas évoquer à l’extérieur du groupe les propos entendus » ; – la liberté de parole : « Personne n’est obligé de parler, chacun parle en son nom propre, car le débriefing psychologique n’est pas un débriefing technique opérationnel (même s’il doit aider les professionnels à pouvoir reprendre leur action sur le terrain). Il ne peut être une séance de critiques mettant les uns et les autres en accusation. » Le rôle de l’intervenant principal est de mener la discussion et de renforcer positivement les participants.
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Deuxième phase – Les faits En s’adressant à chaque participant, l’un après l’autre, l’animateur cherche à reconstituer le déroulement de l’événement : « Nous allons faire un tour de table et passer en revue les faits, tels qu’ils se sont déroulés pour chacun d’entre vous. » Les débriefeurs s’en tiennent aux faits, brièvement décrits, afin de reconstituer « une histoire cohérente, comme un puzzle où chaque pièce prend place pour recréer l’ensemble ». Des questions peuvent aider à constituer ce puzzle : « Pouvez-vous décrire l’événement, chacun de votre place, ce qui s’est passé, où, quand, dans quel ordre ? » ; « Que faisiez-vous au moment de... juste avant, et après ? » ; « Que s’est-il passé alors : avant, pendant, après... ? » ; « Quel a été votre rôle pendant l’événement... présence et rôle des témoins... Y a-t-il eu des blessés, des dégâts... ? », etc. L’animateur peut rechercher les expériences sensorielles (ce qui a été vu, senti, touché, entendu...). L’objectif est de permettre à chacun de raconter sa propre
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version de l’événement : cette forme, exclusivement centrée sur les faits, est d’une grande aide pour des sauveteurs impliqués, cependant elle peut devenir inadaptée car trop rigide pour des groupes de victimes (nous y reviendrons).
Troisième phase – Les pensées Il s’agit ici de rechercher les premières pensées au moment de l’événement afin de partager les premières représentations et leur évolution au fur et à mesure du récit. Des questionnements peuvent aider à préciser les propos de chacun : « Qu’avez-vous pensé lorsque vous êtes arrivé ? » ; « Qu’est-ce qui vous a traversé l’esprit, quelles impressions avez-vous eues ? (Était-ce irréel ? Étrange ?) » ; « Qu’est-ce qui vous a marqué sur le coup ? », « Qu’en pensez-vous maintenant ? » ; « En tirez-vous des enseignements ? »... Chaque pensée doit ainsi être explorée peu à peu.
Quatrième phase – Les émotions Cette phase fondamentale doit permettre à chacun d’exprimer entièrement ses émotions, sans contrainte de temps. Il s’agit de l’énoncé de la souffrance des participants : l’objectif est de pouvoir la mettre à distance, la partager avec autrui, afin de se sentir compris et apaisé. « Qu’avez-vous ressenti de plus pénible durant l’événement ? » ; « D’autres ont-ils éprouvé des émotions semblables ? » ; « Que ressentez-vous actuellement ? » Lors de l’expression émotionnelle, le participant prend conscience de l’universalité des émotions des uns et des autres, ce qui le conforte dans l’aspect « normal » de ce vécu. Cette phase permet aussi de repérer ceux qui ont du mal à parler, de les mettre en confiance à l’aide des propos d’autres participants.
Cinquième phase – Les symptômes Cette phase amène le groupe à se concentrer sur les ressentis physiques, émotionnels, cognitifs ou comportementaux des réactions de stress présentées aussi bien au moment de l’événement, dans les heures qui ont suivi, que pendant le débriefing. La discussion est orientée par des questions telles que : « Maintenant que vous avez pris conscience de ce qui est arrivé, pouvez-vous exprimer ce qui vous fait souffrir ? » Si les symptômes ne viennent pas spontanément, il est possible d’avancer quelques hypothèses : « Avez-vous des difficultés à dormir ? » ; « Certains d’entre vous sont-ils perturbés par des cauchemars, des pensées récurrentes ? » ; « Certains sont-ils gênés par des images de l’événement, même lorsque votre attention est occupée ailleurs ? » ;
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« Avez-vous remarqué des modifications au niveau de votre manière de réagir, d’être... ? » Lorsque des participants hésitent à aborder les symptômes de stress, de peur d’être perçus comme des « malades », l’animateur peut préciser : « Certaines personnes lors d’événements semblables ressentent... ». Enfin, il est important d’explorer l’aspect éventuellement dissociatif du vécu de l’événement : « Certaines personnes confrontées à ce type d’événement peuvent avoir l’impression que ce qui s’est passé n’était pas réel, que le temps s’est modifié, comme rallongé, cela a-t-il été le cas pour certains d’entre vous ? » Cette phase est fondamentale pour le repérage des personnes en souffrance.
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Sixième phase – L’information et la normalisation Cette phase permet de faire la synthèse des réactions exprimées en montrant qu’elles sont amplement partagées, de reprendre l’analyse du rétablissement du groupe en le comparant à d’autres événements semblables. Le but est de montrer que les réactions et symptômes décrits sont ceux auxquels on peut s’attendre au décours de telles circonstances et qu’habituellement, ces réactions s’atténuent dans le mois qui suit l’événement. Toutefois, l’animateur est amené à évoquer la possibilité d’apparition d’un ESPT qui peut apparaître après un temps de latence. Ces informations permettent surtout d’insister sur le fait que les pensées, les troubles du sommeil, l’état d’éveil, les sentiments éventuels de menaces permanentes (comme le fait de se sentir sur le qui-vive alors qu’il n’y a plus de danger) ou d’autres types de ressentis, comme la tristesse sans raison apparente, le désarroi et le besoin de se protéger de toute émotion notamment, peuvent durer encore deux à trois mois après l’événement. Il est également possible de donner quelques stratégies de gestion émotionnelle : s’employer à des techniques de relaxation brèves, ne pas rester isolé (voir des amis, pouvoir parler à des collègues, etc.) car il est maintenant clairement établi que le soutien social est fondamental, en termes de facteurs prédictifs, contre l’apparition d’un ESPT.
Septième phase – La conclusion – phase de retour Cette phase sert à résumer ce qui s’est dit, les points essentiels. La suite de l’action est envisagée pour l’ensemble du groupe (« Comment envisagez-vous la suite en termes d’équipe, de travail ? ») et pour chacun individuellement (« Avez-vous des personnes à qui vous adresser en cas de besoin ? »). Un retour vers les activités habituelles devient possible. Les animateurs ou les équipes de débriefeurs se réunissent ensuite après le départ des participants pour échanger entre eux sur leurs ressentis
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personnels et les stratégies d’adaptation aux émotions qu’ils ont pu utiliser pour analyser le travail qu’ils viennent d’effectuer. Nous pouvons observer que dans le CISD, certaines phases peuvent s’avérer pertinentes pour les groupes adressés aux victimes, comme l’expression émotionnelle et la phase d’expression des pensées. Particulièrement, il est important de repérer des thèmes comme la culpabilité (« c’est ma faute, je n’ai pas fait attention à ce qui se passait, j’étais centré sur moi », ou encore la notion de contrôle « j’aurais dû pouvoir faire face » ou « j’aurais pu le prévoir »), thèmes également évoqués par les victimes. Quoi qu’il en soit, l’animateur n’a pas pour fonction de déculpabiliser, seul le groupe a cette possibilité par la verbalisation du vécu des autres participants. Importance de la dynamique de groupe et de l’écoute Centré sur l’expression émotionnelle dans l’ici et maintenant au sein du groupe, le débriefing s’inspire des rencontres « encouter groups » préconisées par Carl Rogers, centrées sur la non-directivité, la compréhension et l’empathie. C’est probablement l’effet du groupe lui-même qui soulage, plus que la technique utilisée. Rogers avançait que les effets de cette séance sont à observer hors de la séance elle-même. Nous avons décrit le déroulement type d’une séance de débriefing pour des sauveteurs, nous en verrons ensuite l’application aux victimes à partir du moment où il s’agit de groupes relativement homogènes. Un collectif de rescapés d’une grande catastrophe n’a pas la même homogénéité qu’un groupe d’employés, or ce qui peut justifier la mise en place d’un débriefing est à mettre en lien avec le vécu du groupe. Il n’est pas question de réunir, pour ce type de travail, des personnes réunies par le hasard et qui ne sont pas amenées à vivre ensemble un certain quotidien. Ainsi, le débriefing ne peut pas être une réponse systématique. Par ailleurs, la situation d’être en groupe ne se résume pas à la somme des personnes qui le composent. Chaque personne dans le groupe, du fait de sa personnalité et de sa propre histoire, va entrer en interaction singulière avec la personnalité des autres participants. Chacun sera influencé par les réactions, les paroles, les attitudes de l’autre. Cette particularité du groupe offre des avantages certains : lors d’événements traumatiques, chaque membre du groupe qui y a participé a déjà tissé des relations, établi des liens explicites ou implicites qui vont permettre à chaque participant de la séance de débriefing de retrouver une identité au sein du corps « groupe ». Néanmoins, un groupe est une entité complexe parfois difficile à orchestrer : lorsque des conflits se font jour (certains
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membres peuvent désapprouver l’attitude d’autres, lors de l’événement lui-même ou dans ses suites), il est important que l’animateur du groupe de débriefing puisse repérer le conflit sous-jacent, éventuellement le verbaliser et mener l’ensemble du groupe vers l’apaisement qui permettra à chacun de reprendre le cours de son existence ; faute de quoi, la séance de débriefing risque d’avoir des conséquences plus délétères que l’événement qui l’a provoquée. Aussi est-il important que le débriefeur ait une formation et une expérience préalable à la dynamique des groupes. Pour finir, la méthode du CISD respecte les trois temps du SVP (sécurité, verbalisation, préparation au retour) :
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– elle pose le cadre du débriefing selon un mode sécurisé, avec la présentation de l’équipe et des règles de fonctionnement, dans le respect de la confidentialité et de l’intégrité de chacun ; – elle facilite et favorise la verbalisation ; – elle prépare le retour à la vie civile en permettant l’expression des besoins et des difficultés que peuvent rencontrer ultérieurement les participants. Ce type de débriefing n’est pas une thérapie en soi, mais permet d’identifier les personnes plus touchées qui pourraient ensuite bénéficier d’une aide thérapeutique. La dynamique de groupe facilite, pour chaque participant, la reconnaissance de son propre vécu au travers de ceux exprimés par ses partenaires, et provoque par-là même une diminution des tensions émotionnelles. Chaque sauveteur peut entendre, comprendre et partager ce que les autres ont ressenti : la peur, la honte, la culpabilité, l’impuissance, le vécu d’échec et d’abandon éventuel. Ce travail post-commotionnel permet également ainsi la mise à plat des tensions du groupe fortuit, constitué par le vécu de l’événement. En voici une illustration.
E XEMPLE
DE DÉBRIEFING AUPRÈS DES INTERVENANTS
Ce débriefing prend la forme de supervision pour les groupes de sauveteurs, intervenants, professionnels ou bénévoles au décours d’événements traumatiques, qui peuvent devenir de véritables témoins du drame et à ce titre être considérés eux-mêmes comme des victimes (cf. le chapitre de cette partie sur l’historique et les indications du débriefing). Nous allons relater ici un exemple clinique, centré sur le processus du débriefing. Il s’agit d’un groupe de soignants, travaillant dans un service hospitalier de soins contre le cancer, directement témoin d’une tentative
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de suicide grave d’une patiente, que nous appellerons Mme D. L’équipe témoin comprend une infirmière, Maëlle, la cadre infirmière du service, Sylvie, la secrétaire du service, Maryse et une stagiaire infirmière, Solène ainsi qu’un médecin-réanimateur, que nous nommerons Sid. Les faits Mme D., patiente âgée de 32 ans et mère de trois enfants, sans antécédents psychiatriques connus, tente de se suicider en enjambant la fenêtre de sa chambre, située au 4e étage du centre hospitalier. Maëlle (infirmière) arrive à cet instant : elle essaie de retenir la patiente, crie, appelle du renfort. Solène (élève infirmière) qui procure un soin dans la chambre voisine puis Maryse (secrétaire) et Sylvie (surveillante du service), réglant un problème administratif au bout du couloir, arrivent en courant dans la chambre, alertées par les cris de Maëlle. Elles trouvent leur collègue penchée sur le rebord de la fenêtre, arc-boutée pour retenir la patiente. Malheureusement, elles n’ont pas le temps d’aider l’infirmière, le poids étant rapidement devenu trop lourd pour Maëlle : la patiente glisse le long de la paroi et son corps s’écrase en bas, du côté des urgences et du SMUR, ce qui explique la présence du médecin-réanimateur Sid, sorti pour fumer. Il pratiquera les premiers examens médicaux sur place et appellera d’autres collègues des urgences. La patiente était hospitalisée pour des problèmes médicaux sévères (cancer du sein métastasé) et observait depuis quelque temps un comportement de retrait. Pour autant, elle n’avait jamais exprimé d’idées noires, d’où la stupéfaction de l’équipe du service dont elle dépendait. Suite à sa chute, Mme D sera admise en réanimation en tant que polytraumatisée avec un pronostic vital à risque. La demande et les réponses Une première demande d’aide psychologique émane, immédiatement après les faits, du cadre infirmier. Nous proposons une première séance de défusing (ou soins immédiats) pour intervenir dans les deux heures suivant l’événement. La séance de défusing (cf. partie précédente) nous permet de préciser la nécessité du débriefing pour faire le point sur l’événement après en avoir pris la mesure sur place (état de choc de l’équipe). Le débriefing psychologique demande un minimum d’organisation : une salle disponible à l’heure prévue, un lieu neutre différent du service dans lequel s’est passé l’événement, la prise en compte de l’organisation
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du service pour pouvoir réunir tous les soignants. L’intervention est programmée à J+4 pour toutes les personnes témoins de la scène. Dans le cas présent, le médecin, présent lors de l’événement, participe bien entendu au débriefing, d’autant plus qu’il n’est pas le responsable direct de l’équipe. Avant toute chose, nous expliquons au cadre infirmier qui a formulé la demande que seules les personnes volontaires participent, tout en précisant que ce type de séance est le plus souvent bénéfique pour pouvoir exprimer son ressenti, mieux comprendre ce qui s’est passé, en surmonter les effets et aussi pour pouvoir reprendre plus sereinement le travail. Nous proposons un petit document (utilisé également lors d’interventions en entreprises) explicitant le déroulement de la séance afin d’informer les non avertis. Le contenu est repris lors de la séance du débriefing. Bien qu’il s’agisse d’un débriefing pour le personnel, et que le déroulement soit relativement structuré selon les indications de Mitchell, la partie essentielle consiste quoi qu’il en soit en l’expression des émotions. Nous soulignons également la possibilité aux participants qui le souhaitent d’être reçus individuellement (qu’il s’agisse du débriefing pour les intervenants comme pour les victimes). À la suite de la première séance de débriefing, il nous arrive de proposer une autre réunion à distance, souvent une dizaine de jours après, qui prend plus la forme d’un groupe de parole plus souple, pour évaluer l’évolution des témoins, notamment dans leurs pratiques professionnelles. Nous choisissons une salle de staff avec une table ovale (si possible) qui se situe dans une autre aile du service et demandons que pendant deux heures à deux heures et demie, nous ne soyons pas dérangés. Nous coupons les portables et nous assurons que des gobelets et de l’eau sont mis à disposition des participants. Des toilettes sont proches de la salle de réunion. Nous sommes deux intervenants psychologues (animatrice et coanimatrice). Notons l’avantage d’être deux débriefeurs si possible, bien que le groupe soit restreint. En effet, si à un moment précis de la dynamique de groupe, l’un des participants est plus touché émotionnellement et sort précipitamment, il est judicieux qu’un soignant puisse l’accompagner, sans laisser le reste du groupe seul. En tant qu’animatrice principale, j’accueille un par un les participants et ils s’assoient autour de la table. Nous préférons nous nommer animateur plutôt que débriefeur, car il s’agit bien d’animer le groupe, en lui redonnant vie et de réguler les échanges, tout en veillant que des conflits de groupe ne voient le jour.
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Je rappelle que cette situation est particulière : des sauveteurs, personnels de santé, eux-mêmes témoins et acteurs impuissants de la scène. Déroulement du débriefing Le premier à entrer et à s’installer est le médecin-réanimateur, Sid, puis la cadre infirmière Sylvie, suivie de Maëlle infirmière, Solène, élève-infirmière, et enfin Maryse, secrétaire, pénètrent à son tour dans la pièce.
L’introduction Une fois tous les participants installés, nous nous présentons et demandons ensuite à chacun d’entre eux, au moment où ils prennent la parole, de donner son prénom et sa fonction. Nous introduisons la séance : « Nous sommes réunis aujourd’hui suite à la tentative de suicide de Mme D. qui s’est produite jeudi dernier, à 10 heures, et dont vous avez été non seulement témoins, mais sauveteurs. » Nous rappelons les règles de confidentialité : « Ce qui se dit ici ne sort pas de cette pièce, nous sommes garantes de la confidentialité de ce que vous pourrez dire, sentez-vous libre de vous exprimer. Je vous demanderai de ne pas prendre de notes pendant la réunion. Je propose que chacun s’exprime l’un après l’autre en respectant la parole de chacun et vous pouvez intervenir à votre rythme, nous disposons de temps pour cela, au moins deux heures, pendant lesquelles vous devez vous engager à rester. » Voici à présent des extraits du débriefing... Pour plus de lisibilité, et contrairement à la présentation générale du reste de l’ouvrage, nous avons choisi de ne présenter que les interventions de l’animatrice et les indications non verbales (pleurs, silence) en italiques.
La phase des faits Animatrice (A) – Je vous propose si vous le voulez bien, de reprendre les circonstances de l’événement en vous remémorant ce qui se passait juste avant, ce que vous étiez en train de faire, puis au moment de l’événement, de la place où vous vous trouviez car chacun d’entre vous a vécu la situation à sa manière... Maëlle – J’étais dans le couloir juste devant la chambre 18, en train de noter l’injection que je venais de faire à un patient du service et le chariot de la visite se trouvait juste devant la chambre de Mme D. J’ai
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senti comme un courant d’air, la porte n’était pas complètement fermée et d’ailleurs je me suis dit : « Il doit faire froid dans la chambre, il y a sûrement une fenêtre ouverte ! » J’ouvre la porte et je vois Mme D grimpée sur la rambarde en bois qui se trouve juste devant la fenêtre et sur l’instant je ne réalise pas ce qui se passe, juste deux secondes, alors je crie : « Venez vite, il y a un problème. » Je me suis précipitée et ai réussi à attraper le poignet de Mme D... Elle était très lourde et j’ai eu du mal, car elle pesait de tout son poids. J’ai dû m’arc-bouter pour pouvoir la retenir, elle glissait, m’entraînant avec elle, oh mon dieu, je n’ai pas pu la retenir ! (Pleurs)... A – Je vous prie, prenez votre temps. Maëlle – Je préfère laisser les autres parler... A – Je reviens vers vous tout à l’heure, qui souhaite intervenir ? Solène – Moi, j’étais en train de faire un soin dans la chambre à côté quand j’ai entendu Maëlle crier, je me suis précipitée dans la chambre de Mme D et j’ai vu Maëlle accrochée à Mme D qui était en train d’enjamber la fenêtre elle-même. Je me suis jetée sur Maëlle sans complètement réaliser ce qui se passait. J’ai cru qu’elle allait tomber ! C’était bizarre, j’ai eu l’impression que ce n’était pas réel ! J’ai retenu Maëlle qui criait que Mme D glissait ! C’était horrible ! Mme F., la surveillante et Maryse la secrétaire sont arrivées en courant ! Tout le monde était affolé ! Sylvie – J’ai entendu la voix de Maëlle, alors que j’étais en bout de couloir avec Maryse en train de préparer des papiers de sortie d’un de nos malades, on a laissé tomber nos papiers et nous nous sommes précipitées vers la chambre où se trouvait Maëlle. En rentrant, Solène tenait Maëlle, mais je ne voyais pas ce qui se passait au niveau de la fenêtre, Maëlle a crié : « C’est Mme D qui tombe, j’ai du mal à la retenir ! Aidez-moi ! »... (Silence). A – Qu’avez-vous fait alors ? Sylvie – J’ai pris mon portable pour prévenir le service des pompiers ! Le temps qu’ils arrivent, la patiente est tombée devant le service du SMUR ! Quelle horreur ! C’est ça ce qui s’est passé, Maryse, est-ce que c’est bien ça ? (Elle pense ne plus se souvenir correctement d’un moment de l’événement, demande de soutien auprès de Maryse). Maryse – Ben, oui, moi j’écrivais sur un carton de rendez-vous, et on a entendu Maëlle crier, moi j’ai cru qu’elle s’était fait mal, jamais je n’aurais cru que c’était Mme D qui voulait passer par la fenêtre ! On a couru avec Sylvie jusqu’à la chambre et j’ai vu Solène sur Maëlle ! Je me suis dit : « Qu’est-ce qu’elle fabrique !? » J’ai pas saisi sur le
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moment ! J’ai eu l’impression que le temps s’était arrêté ! Ça me faisait bizarre, c’est comme si j’étais pas là vraiment ! (Élément d’irréalité). C’est normal ça ? A – Cela arrive, nous l’évoquerons à nouveau tout à l’heure. (Sid s’agite sur sa chaise.) Sid, peut-être désirez-vous intervenir ? Sid – J’étais sorti pour la pause cigarette et j’allais en direction des urgences, j’étais là depuis quelques minutes, quand j’ai entendu quelque chose tomber à 20 mètres sur ma gauche : je me suis retourné et là, j’ai vu un corps coincé entre le mur de l’hôpital et un petit muret de sauvegarde qui se trouvait juste devant. J’ai tout de suite réalisé que c’était un corps, car j’ai vu la robe de chambre. Je me suis approché et Mme D était coincée là, dans une position bizarre, pleine de sang, sans bouger. J’ai bipé les secours, j’ai vu qu’elle respirait, j’ai examiné ses yeux, pris le pouls et entre-temps, des collègues sont arrivés avec le matériel de réanimation, un brancard. On a évalué les lésions sur place et cela a bien duré au moins une demi-heure avant qu’on puisse la sortir de là et l’emmener au bloc. Je n’avais jamais eu ce genre d’événement à traiter auparavant ! [...]
Les pensées au moment de l’événement et après A – Vous venez de reprendre comment cela s’est passé pour chacun d’entre vous au moment de l’événement. En revoyant la scène, pourriezvous reprendre certains éléments que vous avez commencé à aborder, notamment ce qui vous a traversé l’esprit, au moment de l’accident ? Maëlle – Je me suis dit que Mme D avait dû vouloir attraper quelque chose et avait enjambé pour l’attraper. J’ai pas pensé à la tentative de suicide. En plus, on avait discuté le matin, j’ai pas vu qu’elle était pas bien : c’est de ma faute, j’aurais dû m’en rendre compte, j’aurais dû comprendre. Je ne la trouvais pas comme d’habitude, mais je n’imaginais pas combien elle souffrait. C’est pas logique que je ne l’ai pas vu ! Cela ne serait pas arrivé, si j’étais restée plus longtemps avec elle, à parler, ça aurait pu être évité ! (Pleurs)... (Thèmes de prévisibilité, contrôlabilité et culpabilité évoqués). A – Cela a dû être un moment particulièrement difficile pour vous, lorsque vous dites que vous auriez dû vous en rendre compte, y avait-il vraiment des éléments qui pouvaient vous y faire penser ? Maëlle – Non, pas vraiment. Elle plaisantait ! A – Les autres, aviez-vous cette perception qu’elle pensait à se faire du mal ?
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Sylvie – Pas du tout, on avait eu l’impression qu’elle avait accepté le diagnostic. Elle parlait de ce qu’elle devait faire comme démarches, posait des questions sur son traitement lors des visites, semblait s’impliquer ! Vraiment, on ne pouvait pas prévoir ! Maryse – C’est vrai ce que dit Sylvie, on discutait avec elle, elle ne semblait pas déprimée ni suicidaire ! Solène – Moi, elle me parlait de ses enfants, de son fils aîné, Romain qui a 10 ans je crois et qui devait partir en colonie : il était un peu inquiet. (Silence)... A – Nous entendons ici qu’aucune d’entre vous ne pouvait imaginer à l’avance que Mme D. pouvait passer à l’acte, encore moins sur un tel mode... Coanimatrice – Vous, Sid, vous ne connaissiez pas Mme D, quelles ont été vos pensées juste avant de l’entendre tomber ? Sid – Alors moi, je pensais à la garde : « Pourvu qu’il n’y ait pas trop de monde, il manque deux infirmiers, je suis seul, comme médecin, ça va pas être top ! Je m’en veux d’avoir pensé ça. » A – Pour quelle raison vous en voulez-vous ? Sid – J’étais fatigué, y’a pas mal de pression dans le service et je me demande si ça n’a pas eu d’influence sur ma manière de réagir ? A – Auriez-vous pu réagir autrement ? Sid – Sans doute pas, mais ça m’a traversé l’esprit ! A – Vous évoquiez vos déroulements de pensées juste avant l’événement, est-ce que vous vous rappelez au moment même, ce que vous étiez en train de vous dire ? Sid – J’ose même pas en parler ! Je me suis dit : « Tiens, c’est nouveau, ils balancent des sacs de linge par la fenêtre ! » Comment j’ai pu penser une chose pareille !? Maëlle – Je me suis dit que j’arriverais jamais à la retenir, que si elle tombait, ce serait de ma faute, qu’il fallait à tout prix que je la retienne ! Je pensais que Solène pourrait m’aider, mais c’est pas possible, on peut pas la tenir à deux. Elle va tomber, elle va tomber ! Pourvu que j’y arrive ! C’est terrible, elle glisse, elle glisse ! (La coanimatrice propose un verre d’eau à Maëlle qui est en nage.) Solène – Moi, j’ai pensé : « Il faut qu’on appelle les pompiers ! Ils vont pouvoir la réceptionner en bas ! Vite, il faut les appeler ! » Sylvie – J’ai pas pensé à grand-chose, j’ai appelé les pompiers et le SMUR ! Je me suis sentie tellement impuissante !
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Maryse – Moi j’avoue que j’ai eu peur aussi pour Maëlle, j’ai eu peur qu’elle glisse et tombe aussi ! Oh la la, heureusement que cela ne s’est pas produit ! [...]
Les émotions/pensées A – Vous évoquez à la fois des pensées et des émotions, je vous propose de reprendre ce que vous avez ressenti sur le coup, sur les moments les plus difficiles. Maëlle – Je me suis sentie totalement impuissante : je sentais que je n’arriverais pas à tenir longtemps, j’ai eu vraiment peur car j’imaginais que si elle tombait, elle pouvait mourir. Je m’en veux de ne pas avoir mieux assuré, de l’avoir laissé tomber, depuis j’me sens vidée ! Je n’arrive plus à réagir normalement. J’ai peur de ne plus être à la hauteur, et puis j’en rêve la nuit : je me vois essayant de la retenir et n’y arrivant pas. Je n’arrive plus à entrer dans cette chambre, je revois ce qui s’est passé et je me sens angoissée ! Je lui disais « Prenez mon autre main, à plusieurs on peut vous remonter », et cela n’a pas été possible. (Pleurs)... Solène – Tu as fait tout que tu as pu, cela aurait été pareil pour nous, on n’y serait pas arrivé non plus. Nous sommes tous témoins que tu as fait tout ce que tu pouvais, mais Mme D était déterminée. Maëlle – Cela fait deux fois que je n’arrive pas à sauver quelqu’un ! C’est arrivé avec une amie à l’école d’infirmière, elle avait pris des tas de comprimés, elle respirait plus, j’ai essayé de la réanimer et elle est morte quand même ! A – L’événement de jeudi semble faire résonance avec ce que vous avez déjà vécu précédemment. Maëlle – Oh oui, j’y pense encore, ce n’est pas vieux, ça fait seulement trois ans, quand j’étais en troisième année d’IDE. La nuit passée, j’ai fait les deux cauchemars ! J’arrivais plus à me rendormir ! La journée, je suis angoissée, j’appréhende de venir au travail, j’ai peur qu’il y ait un autre malheur. A – C’est vrai que l’événement est très grave, mais Mme D est aujourd’hui vivante, ce qui est différent de la première fois. Maëlle – Oui, vous avez raison, elle va s’en sortir, du moins provisoirement. Je l’ai empêchée de se suicider, elle va m’en vouloir... Sylvie – Je ne pense pas qu’elle t’en veuille, elle peut voir les choses différemment lorsqu’elle sortira de réanimation. Sid – C’est ce que je pense aussi !
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A – Vous avez évoqué des difficultés à dormir, des cauchemars, des flash-back et nous allons y revenir, mais vous n’avez pas tous eu l’occasion d’exprimer totalement vos émotions, l’un d’entre vous désire-t-il poursuivre ? Sylvie – Je voulais dire que j’ai eu un moment où je n’étais pas connectée, comme si le temps s’était arrêté, comme si c’était surréaliste ! J’ai agi comme un robot, j’ai appelé les pompiers, mais je n’étais pas là ! A – Est-ce une impression que d’autres ont eue parmi vous ? Sid – Moi également, lorsque j’ai entendu le bruit de la chute ! J’ai eu un espace-temps de quelques secondes je crois, avant d’intervenir ! C’est pas normal, on est du personnel médical et infirmier, on devrait être habitué ! A – Après un événement comme celui-là, il est normal d’être secoué ! Le fait d’être soignant ne veut pas dire ne pas ressentir des émotions. On s’attend à ce genre de réaction vu les circonstances ; il serait étonnant de rester imperturbable ! Et vous, Maryse, pouvez-vous vous exprimer par rapport à ce qu’ont évoqué vos collègues ? Maryse – Moi, j’ai eu peur pour Maëlle, je la revois tenant la main de Mme D et je l’entends lui dire : « Prenez mon autre main, ça glisse, je n’y arrive pas ! » Rien que d’en parler, j’ai le cœur qui s’accélère ! [...]
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Les symptômes A – Vous êtes plusieurs à évoquer différents signes de stress qui, comme vous le savez, sont souvent présents quelque temps encore après l’événement, pouvons-nous y revenir ? Au moment même de l’événement, avez-vous présenté des signes de stress importants ? Maëlle – Sur le moment, non, j’étais concentrée sur le fait que je ne devais pas lâcher la main de Mme D, mais quand elle a glissé, j’ai senti une sueur froide dans le dos et une sensation d’étouffement. A – La nuit qui a suivi, le lendemain, avez-vous ressenti ces signes également ? Maëlle – Oui, et en plus j’avais du mal à m’endormir, je revoyais le moment où j’ai lâché sa main, c’est là, encore, aujourd’hui, c’est vraiment horrible, je me suis sentie tellement impuissante et je suis en colère après moi, maintenant. Aujourd’hui, je ne me sens pas bien non plus. A – Est-ce que le fait d’en reparler a un impact sur vous ? Maëlle – Oh oui, j’ai les images dans la tête.
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A – Vous disiez également que vous appréhendiez l’idée de venir travailler et d’approcher de la chambre de Mme D. Y a-t-il d’autres lieux que vous redoutez ? Maëlle – Quand j’entends les sirènes des ambulances, je me dis : « Encore une catastrophe ! » A – Est-ce quelque chose que vous ne ressentiez pas auparavant ? Maëlle – Non, je n’y faisais pas attention ! Coanimatrice – Y a-t-il d’autres signes de stress que vous souhaitez évoquer ? Maëlle – Non, c’est surtout ceux-là ! A – Solène ? Solène – Moi, c’est pareil, j’ai du mal à dormir, mais je ne me sens pas anxieuse dans la journée dans le service, ça va. Sylvie – J’arrive à dormir ! Par contre, j’ai un peu de mal à entrer dans la chambre de Mme D, j’ai l’impression que je vais revoir ce qui s’est passé. A – Le revoyez-vous ? Sylvie – Non, c’est juste une petite appréhension. Maryse – Ça va aussi, je ne me sens pas particulièrement angoissée. Je dors normalement. C’était les deux premiers jours, on dirait que ça va mieux maintenant. A – Sid ? Sid – Moi aussi ça va ! A – Avez-vous l’impression que les choses ont changé depuis cet événement ? Maëlle – Je me sens moins alerte, j’ai moins envie de parler de mon travail à mes amis. Solène – Moi, je démarre au quart de tour, quand on me fait une réflexion ! A – Est-ce que vous voulez dire que vous vous mettez facilement en colère ? Solène – Pas en colère, mais je réagis un peu vite ! A – Est-ce le cas de tout le monde ? Sid – C’est un peu vrai, je me sens irritable ! [...]
S OINS POST- IMMÉDIATS DESTINÉS AUX SAUVETEURS
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L’information A – Lors d’événement comme celui-ci, la plupart des gens ressentent différents signes de stress, cela peut se manifester de plusieurs manières, on rencontre souvent les troubles du sommeil avec les cauchemars, les images venant perturber l’endormissement ou le travail dans la journée, on peut être plus en alerte, avoir du mal à se concentrer, d’autres symptômes encore... Il faut un peu de temps pour que cela s’estompe. Si cela vous gêne trop ou bien dure trop longtemps, il ne faut pas hésiter à consulter, mais cela rentre souvent dans l’ordre au bout d’un mois environ. Parfois, on a tendance à se replier sur soi, lors d’événements comme celui dont vous avez témoin et acteurs, mais s’il peut se produire qu’on se sente détaché des autres, il est pour autant important de pouvoir communiquer sur son état, même s’ils ne peuvent pas tout comprendre ce que vous pouvez ressentir. [...]
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La phase de retour, fin du débriefing A – Avez-vous des questions, avant que nous arrêtions ? Sylvie – Pouvons-nous nous rencontrer encore une fois à distance ? A – Oui, si vous êtes tous d’accord, je vous propose de nous revoir dans une semaine, sous la forme d’un groupe de parole moins formel. Comment envisagez-vous la suite ? Maëlle – Je pense que ça devrait aller, maintenant, je me sens soulagée d’avoir entendu les autres, je me sens un peu moins seule à vivre ce que je vis... Solène – J’ai besoin d’en parler autour de moi, heureusement que j’ai des amis qui m’écoutent ! Moi aussi je me sens soulagée. Sid – La séance m’a apaisé. C’est important pour moi d’avoir eu le début de l’histoire : quelque chose me manquait. Maryse – Moi aussi, ça va. A – Comment s’organise la fin de journée pour vous ? Maëlle – Moi, j’étais de coupure, je vais partir. A – Allez-vous pouvoir rentrer seule ? Maëlle – Oui, oui, ça va ! Solène – J’ai des camarades de promotion qui partent avec moi. Sid – Je suis de garde jusqu’à ce soir. Maryse – On rentre à deux, avec ma collègue de médecine infectieuse. Sylvie – Moi j’ai mon ami qui vient me chercher.
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A – Bien, je vais vous donner un petit texte explicatif sur notre échange d’aujourd’hui, je sais que vous êtes du milieu médical et que vous connaissez sans doute les signes de stress aigu, mais je préfère faire comme d’habitude. Ces extraits sont destinés à faire comprendre au lecteur la manière dont un débriefing peut se dérouler : en toute simplicité, malgré les frayeurs et émotions ressenties lors de l’événement ou réévoquées ensuite. Nous ne nous attarderons pas, pour cet exemple, à une analyse précise de la dynamique du groupe, ce qui sera développé dans d’autres situations de ce chapitre. Précisons seulement que nous avons vu se dégager une problématique particulière pour Maëlle, alors que la tentative de suicide de Mme D venait réveiller sa propre impuissance face au suicide d’une de ses anciennes collègues. Nous avons pu travailler avec elle les points communs et les différences, permettant pour elle une certaine distanciation. Cependant, son évolution reste à surveiller : sa souffrance et ses appréhensions restant importantes... Et puisqu’elle n’a pas souhaité d’entretien individuel, le groupe de parole à distance permettra de s’assurer si les émotions ressenties perdent de leur intensité ou non. Il est également très important de mettre en évidence, les thèmes de prévisibilité, contrôlabilité, et des émotions telles que la honte, l’impuissance et la culpabilité, s’ils ne sont pas évoqués spontanément car ces éléments peuvent maintenir de façon durable des ruminations et potentialiser les distorsions cognitives sur le plus long terme. Nous voyons que dans ce cas pratique, ces types de pensées et d’émotions ont été évoqués spontanément : la charge émotionnelle associée diminue alors de facto. Signalons enfin que la famille de Mme D a été reçue et suivie par une autre collègue psychologue, car il n’eut pas été judicieux que la personne intervenant sur le groupe de sauveteurs soit celle qui prenne en charge Mme D et sa famille. Précisons aussi qu’après une dizaine de jours de réanimation puis, une semaine en soins intensifs, la patiente a réintégré son domicile avec un suivi psychiatrique.
Chapitre 10
DÉBRIEFING PSYCHOLOGIQUE : EXTENSIONS AUX VICTIMES ET CAS PARTICULIERS
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
S ITUATIONS
DE CATASTROPHES
La question qui vient spontanément à l’esprit est la suivante : puisqu’il s’agit de situations de catastrophes, réunissant plutôt au hasard des individus, cette partie devrait s’insérer dans la deuxième partie concernant les soins immédiats. Toutefois, les exemples qui vont suivre font figure de cas particuliers, rencontrés plus fréquemment qu’on ne le croit dans la pratique des CUMP, comme l’illustre parfaitement notre collègue Christian Navarre dans son ouvrage « Psy » des catastrophes, paru en 2007. Ainsi, nous nous situons dans la phase post-immédiate au niveau de la temporalité (puisqu’il ne s’agit pas d’interventions sur le terrain le jour même de l’événement), mais au niveau de la clinique, les tableaux observés ressemblent bien plus à ceux de la phase immédiate en raison des désorganisations durables provoquées par les grandes
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catastrophes sur les conditions de vie des personnes qui ne permettent pas d’interventions de type débriefing classique (d’autant plus si elles sont réunies par le hasard). En conséquence, il s’agit d’adapter le contenu des interventions en tenant compte de ces paramètres originaux : – pour les réfugiés, de pays en guerre ou pris dans des catastrophes naturelles, que nous accueillons à leur arrivée à l’aéroport : nous sommes déjà à quelques jours des événements vécus sur leurs terres, un accueil immédiat a déjà eu lieu, mais leur situation est loin d’être stabilisée ; – pour les crashs d’avion, nous nous situons également dans les jours qui suivent l’événement, dans le cadre de l’accompagnement des familles, comme pour les personnels d’agence, mais l’événement n’a pas encore pris véritablement fin : les obsèques vont avoir lieu et les victimes entrent à peine dans une phase de deuil amenée à durer dans le temps. Rappelons ici que la catastrophe correspond à la gestion des urgences ou gestion des crashs qui induit la notion de conséquences, dommages sur les populations humaines, l’environnement et le matériel. Elle implique le plus souvent un nombre très important de victimes et un déploiement inhabituel des équipes de secours. Des cellules de crise sont déclenchées et s’appuient sur : – la sécurité civile pour les secours et les sauvetages ; – la DDASS, le SAMU (qui demande le déclenchement des cellules d’urgence médicopsychologique) et le SMUR pour les soins médicaux et l’entraide ; – la police et la gendarmerie pour le service police et renseignements ; – les services de transmission de l’intérieur pour les liaisons et les transmissions ; – la Direction départementale de l’équipement ; – la Direction régionale de l’industrie, la recherche et l’environnement. Nous nous souvenons de différentes situations de catastrophes, comme l’accident du tunnel du Mont-Blanc le 24 mars 1999, le naufrage du pétrolier Erika le 12 décembre 1999, le crash du Concorde, le 25 juillet 2000, l’attentat du 11 septembre 2001 au World Trade Center, l’explosion de l’usine AZF, le 21 septembre 2001, les inondations dans le Gard des 8 et 9 septembre 2002, le crash de la Flash Airlines à Charm el-Cheik le 3 janvier 2004, l’afflux des ressortissants de Côte d’Ivoire suite aux bombardements du 4 novembre 2004, et de la crise du sud-est asiatique suite au tsunami de décembre 2004. On peut imaginer les dispositifs à mettre en place dans ces cas précis et la nécessité
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d’ajustement au cas par cas. Nous reprendrons deux exemples qui peuvent illustrer les difficultés présentes dans ces catastrophes de grande ampleur et les spécificités des soins psychologiques à procurer dans ces « entre-deux » : plus tout à fait immédiats, et pas encore véritablement dans la phase post-immédiate d’intervention. Accueil de populations réfugiées Nous avons choisi deux exemples : le premier pour mettre en avant les aspects organisationnels des équipes intervenant auprès de réfugiés dans les aéroports, le second pour illustrer la complexité clinique de certaines de ces prises en charge. Dans ces contextes particuliers, nous nous situons dans le cadre d’interventions des cellules d’urgence médicopsychologique françaises.
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Exemple de la prise en charge post-immédiate lors de l’afflux aéroportuaire de ressortissants français du Liban : aspects organisationnels et débriefing des intervenants En juillet 2006, plus de 20 000 Français se trouvaient au Liban, dont 5 000 touristes. Suite à des frappes israéliennes, la situation devenait dangereuse sur place et les ministères concernés ont proposé un couloir aérien, en vue du rapatriement des ressortissants qui le souhaitaient. La situation d’attente représente pour les familles un moment particulièrement angoissant et déstabilisant : les rapatriés ressentent généralement un sentiment d’impuissance dû à la perte de contrôle sur l’événement et aux multiples pertes matérielles auxquelles ils font face. Aussi ces personnes doivent-elles faire l’objet de soins particuliers, d’écoute et d’observation, médicale comme psychologique. Par ailleurs, les personnels des aéroports qui accompagnent ces familles doivent également être soutenus et débriefés tant ils sont confrontés à des histoires de vie bouleversantes, à des enfants parfois sans parents, dans un temps où leurs vies semblent suspendues. Ce type d’intervention requiert différents acteurs sur la durée (cf. articles de nos collègues des CUMP dans la revue francophone du stress et du trauma au sujet de ces accueils à l’aéroport : Cremniter, 2005 ; Baubet et al, 2006 ; Passamar &Vilamot, 2007) notamment la prise en charge des rapatriés dès leur descente de l’avion et lors des jours suivants, tant sur le plan physique, social que psychique. Au niveau médicopsychologique, un nombre important de membres de la CUMP
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vont se relayer sous forme d’astreintes, à l’accueil de l’aéroport Charlesde-Gaulle. La coordination doit se faire rapidement afin qu’une première équipe se rende opérationnelle dans les heures qui suivent l’appel. Les passagers qui débarquent sont en nombre important, souvent peu disposés à une consultation médicopsychologique. L’équipe sur place doit être étoffée (psychiatres, psychologues, infirmiers, spécialistes de l’enfance) de manière à prendre en charge rapidement plusieurs personnes en même temps. Bien entendu, cette équipe doit être renouvelée les jours suivants car elle risque l’épuisement si les horaires de présence sont trop importants. Des coordonnateurs (référents départementaux) se relaient par tranches de douze ou vingt-quatre heures, avec également une action de support pour les personnels sur le terrain. Le coordinateur supervise les collègues confrontés à des situations difficiles, gère les cas complexes, participe aux réunions de crise, reste en lien avec les autres instances intervenant également (Croix-Rouge, DDASS, instances administratives ou de la préfecture), collecte les informations sur les vols arrivants, gère la relation avec les médias. Un briefing technique est organisé avant chaque arrivée d’avion, et une fois la mission effectuée, un débriefing opérationnel visant à évaluer le travail effectué est mis en place. Ce type de débriefing des intervenants est très pratique et s’inscrit sous la forme de soutien d’équipe, ce qui permet de ne laisser personne dans la solitude, d’ouvrir la voie à la construction collective d’un récit de l’expérience, d’analyser ensemble les aspects positifs et les dysfonctionnements de l’intervention. Pour autant, l’aspect émotionnel n’est pas oublié et chacun des intervenants du groupe peut exprimer selon ses possibilités le ressenti de l’événement. Après l’intervention, outre ce débriefing opérationnel, une autre réunion de type supervision, est menée par un « psy » extérieur à la CUMP d’intervention : elle permet alors de travailler les vécus plus subjectifs de chacun des soignants et d’améliorer les interventions ultérieures.
Exemple de soins collectifs pour l’accueil des réfugiés du Kosovo dans deux foyers de la région parisienne (Intervention ci-dessous réalisée par le Dr J.-M. Ben Kemoun et C. Duchet) En 1999, la France a accueilli plusieurs milliers de personnes déplacées du Kosovo. Le ministère de l’Emploi et de la Solidarité a organisé à cet effet l’accueil puis l’hébergement de ces personnes au sein de structures collectives principalement (près de 8 000 places). Les CUMP ont été sollicitées pour les prises en charge médicopsychologiques.
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Dès que possible et dès leur arrivée à l’aéroport, il s’agit d’offrir un cadre sécurisant et apaisant pour ces réfugiés qui sont confrontés à de multiples traumatismes : abandon de leurs biens et de leur domicile ; éloignement de leurs proches et voisins ; bouleversement de leur quotidien mais aussi de leurs valeurs, de leurs croyances, de leurs idéaux ; atteinte à leur intégrité physique et morale (passages dans des camps, tortures, menaces de mort, exactions, etc.) ; identité bouleversée ou déniée par l’agresseur, et enfin fuite vers un pays inconnu, paradoxalement terre d’accueil et lieu de décisions politiques qui contribuent à la destruction de leurs biens. Quelle clinique d’urgence est-il possible de mettre en place face à tant de pertes et de deuils à venir ? • Travail autour du social : améliorer leurs conditions matérielles de
(sur)vie, fournir des informations claires sur les événements, leur situation, la raison de notre présence, permettant ainsi à chacun de se réapproprier et de donner un sens à ce voyage, puis de dépasser la situation d’urgence qu’il vient d’affronter. • Travail d’élaboration psychique : à la différence d’une consultation habituelle, ici l’événement prime. Les réfugiés, encore sous le coup de l’émotion qu’ils viennent de traverser et épuisés par leur périple, voient souvent leur processus d’idéation inhibé. Le débriefing offre alors les conditions d’une reprise de ces processus. Pas de compassion, pas d’empathie excessive, ni d’indifférence. Surtout, ne pas « dédramatiser » : c’est aux sujets eux-mêmes de dire s’il y a drame ou pas, et dans quelle mesure, sans qu’ils se voient assigner de limites à leur souffrance. Minimiser l’expérience vécue aggrave toujours l’angoisse de ceux qui l’ont traversée. Également, il s’agit de repérer les sujets en difficulté et de leur proposer un entretien individuel. Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Cette prise en charge pose différentes questions : • Quel est le cadre théorique de soins ? On ne peut parler de véritables
soins immédiats au regard des faits passés, mais on ne peut pas non plus se situer dans le post-immédiat « classique » alors que leur arrivée en France constitue une phase de transition et non une fin de leur parcours, réveillant chez eux un vécu de rupture et de fuite des horreurs qui continuent à être subies par leurs proches. • C’est aussi la rencontre d’un peuple qui n’est pas familiarisé avec ce type de soins psychologiques. Il s’agit alors de dépasser leurs réticences en devançant l’absence de demande par une proximité bienveillante, chaleureuse et par une information claire sur les symptômes déjà présents.
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• Le barrage de la langue nous contraint à travailler avec un interprète
originaire de leur pays, lui-même pris dans leurs affects. Nous devons alors donner du sens aux paroles échangées, à la place symbolique et réelle de ce traducteur de souffrances partagées. • La position du professionnel français, aux prises avec des débats politiques sur les raisons de cette guerre, en proie à des sentiments contradictoires de culpabilité, de révolte partagée, d’hostilité possible vis-à-vis de l’agresseur, peut aussi le confronter à des fantasmes de toute-puissance, de sauveur, à des positions humanitaires, etc., qu’il doit travailler. • Quelle écoute proposer devant tant de brèches traumatiques béantes ? Quelles tentations et quels fantasmes de réparation, d’identification aux victimes sont à l’œuvre ? Quelle place laisser aux bourreaux, aux révoltes locales, etc. ? Quel travail thérapeutique est à faire sans connaissance du lendemain : leur offrir un cadre de vie sécurisant et protégé, certes, mais préparer une intégration à court, moyen ou long terme ? • La tentation peut être parfois de rassurer, de déculpabiliser en ramenant les circonstances de l’événement uniquement au fait historicopolitique. En gommant tout le saillant de leur expérience, on leur assigne une place de pure victime ; on occulte ainsi les questions importantes : quelle est alors la part qui leur revient ou qu’ils ont prise individuellement à leur insu dans la survenue de ce traumatisme ? Le lien, ainsi rétabli, a pu éviter d’aggraver leur souffrance et leur isolement sur le moment, et a permis l’élaboration « préventive » de demandes de prises en charge ultérieures. Au final, l’intérêt de notre intervention auprès de cette population, au-delà de notre action de soins médicopsychologiques, consiste d’une part à témoigner de notre solidarité à leur encontre en recréant un lien brisé par le trauma et la menace réelle de mort, et d’autre part, d’apprécier la situation dans les lieux d’hébergement, afin de prodiguer en retour des conseils adaptés et un soutien aux équipes de bénévoles des foyers d’accueil. Familles victimes de crashs d’avion Un autre cas particulier est celui représenté par les familles victimes de crashs d’avion : si l’on s’en tient à une définition stricte du traumatisme, ces personnes ne sont pas des victimes directes dans le sens où elles n’ont pas assisté directement à l’événement. Pour autant, elles entrent dans le cadre des victimes « secondaires », confrontées brutalement et
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violemment à la perte d’un proche dans des circonstances collectives et dramatiques. Des débats passionnés, au sein des CUMP notamment, discutent encore de la légitimité de ce type d’intervention. Néanmoins, tous ceux qui sont intervenus auprès de ce type de population rapportent les bienfaits de ces soins pour ces proches, dont les modalités sont de nouveau à adapter. La cruelle actualité dans ce domaine (trois crashs d’avions récents) nous invite à refaire le point à partir d’un exemple plus ancien.
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Exemple de Charm el-Cheik : l’annonce de la mort des proches et leur accompagnement (Intervention réalisée par T. Baubet, J.-M. Coq, D. Cremniter, C. Navarre, A. Ponseti-Gaillochon et M. Vitry) Le 3 janvier 2004, l’avion de la compagnie Flash Airlines effectuant la liaison Charm el-Cheik (Égypte)-Paris, s’écrase en mer Rouge, juste après le décollage. L’équipage et ses 135 passagers, ressortissants français pour la plupart, périssent dans l’accident. Les cellules d’urgence médicopsychologique de Paris et de Seine-Saint-Denis sont activées. L’équipe envoyée sur place, puis pour la prise en charge ultérieure, se compose de 3 psychiatres, 3 psychologues cliniciens et d’un médecinanesthésiste. L’équipe est coordonnée par le Dr Cremniter, psychiatre coordonnateur de la cellule 75. Nous accompagnerons 111 proches des victimes pour un voyage de deux jours, organisé par le ministère des Affaires étrangères, les 7 et 8 janvier 2004. La perte brutale d’un parent dans des circonstances catastrophiques va s’accompagner d’un état progressif de deuil, mais l’événement tragique auquel la famille est confrontée suggère la possibilité de réactions posttraumatiques différentes des réactions de deuil habituelles. Bien que les familles n’aient pas été directement confrontées à la scène traumatique (contrairement à une jeune plongeuse, que nous avons vue sur place et qui avait assisté au crash en mer), la rupture brutale du lien peut rendre plus problématique le processus de deuil normal, car des symptômes d’allure psychotraumatique viennent se surajouter à la douleur habituelle du deuil. On peut ainsi repérer (Vitry, 2007) : – une réaction immédiate traumatique avec un état de déréalisation et une attitude de déni de la réalité : « Il y a peut-être encore des survivants » ; – une période d’intériorisation, avec fixation sur la personne perdue et qui met en parenthèses le travail de deuil ;
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– une phase de ralentissement psychomoteur, d’inhibition physique et psychique, avec des sentiments de culpabilité : « J’aurais dû insister pour qu’ils n’aillent pas passer Noël là-bas, » disait la mère d’une famille dont deux enfants adultes sont décédés lors du crash ; – la période de séparation qui aboutit à des modifications de la vie personnelle et où des images douloureuses peuvent resurgir. Les entretiens cliniques mis en place ont pris l’allure de débriefings individuels ou de groupe, lorsqu’il s’agit des familles. Contrairement aux méthodes présentées dans ce chapitre, le déroulement de ces entretiens se veut beaucoup plus souple, centré sur le vécu émotionnel et des aspects également très pratiques, informatifs et de soutien social. En ce sens, les soins rejoignent davantage ceux de la phase immédiate : l’accueil de la parole des victimes prime. Ils ont concerné 47 personnes vues en individuel, âgés de 18 à 72 ans, parmi lesquels 14 avaient des antécédents de deuil récent, ou traumatique, ou compliqué. Les personnes décédées étaient souvent des personnes apparentées au premier degré et les décès concernaient des familles entières de parents avec enfants. La symptomatologie variait de tableaux d’agitation anxieuse à des attaques de panique, des tableaux de stress dépassé avec sidération à des états dissociatifs péritraumatiques, avec l’apparition fréquente de sentiments de colère intense pouvant se manifester sous la forme de pulsions autodestructrices ou au travers de rêves traumatiques.
Les cinq temps d’interventions pour ce drame 1) L’accueil a été réalisé au pavillon d’honneur, à Orly, en présence du président de la République et de son épouse (M. et Mme Chirac à l’époque). À cette occasion, les premiers éléments factuels sont annoncés, tels que l’absence de survivants, le peu d’espoir de retrouver les corps, les circonstances connues de l’accident. Les interventions effectuées à ce stade ont pris la forme de défusing (cf. partie 2). Les familles ont aussi pu prendre la parole, s’adresser au président de la République ou à d’autres autorités pour poser des questions significatives de leur détresse émotionnelle sur les responsabilités et sur les circonstances de l’accident : « Comment se fait-il qu’on ait choisi ce transporteur ? Que s’est-il passé juste avant le crash ? », etc. On peut considérer cette phase comme une entrée possible dans les débuts de la première phase de deuil car elle confronte chacun à une phase de réalité sur la perte des êtres chers. La présence d’autorités et les cérémonies officielles font office d’une première reconnaissance de la douleur pour les familles, procédant à un certain apaisement. Récemment,
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lors du crash de l’Airbus A330 d’Air France, la cérémonie à l’église de Notre-Dame a offert également cet aspect contenant et apaisant. La place du « psy », dans ce contexte, est toujours difficile : être là à disposition, sans être intrusif. On peut observer d’ailleurs une contamination émotionnelle possible : ce type de cérémonie peut faire resurgir des deuils personnels et il y a risque de confusion pour l’intervenant entre le passé personnel et le présent des endeuillés. 2) L’accompagnement lors du voyage aller pendant lequel l’équipe a eu à gérer quelques manifestations anxieuses : crainte que l’avion ne se crashe,ou bien des personnes présentant auparavant une appréhension anxieuse à prendre l’avion,excacerbée par le contexte, des scénarios imaginaires par rapport à ce qui avait pu arriver à leurs proches. 3) Sur place, à l’arrivée en Égypte, une séance d’information a regroupé tout le monde autour du ministère des Affaires étrangères qui a tenté de donner des explications techniques. On a pu observer à ce stade des moments d’agressivité et de revendication. Les familles ont pris conscience que l’avion s’était disloqué en touchant l’eau et qu’il y aurait peu de restes humains identifiables. Nous avons alors mené des entretiens de débriefing émotionnel, avec soutien psychologique et avons décidé d’accompagner les familles, selon leur souhait, dans les hôtels où leurs proches avaient passé leurs vacances, réalisant ainsi une veillée funéraire. Les familles souhaitaient se rendre compte par elles-mêmes des conditions dans lesquelles étaient leurs proches avant leur retour de vacances, comme si ce constat pouvait avoir valeur de baume réparateur : « On est content parce qu’ils étaient dans des hôtels superbes, ils se sont bien occupés d’eux ! » Le lendemain, une première cérémonie franco-égyptienne a eu lieu au bord du rivage, dans le désert, sous une grande tente. Des officiels égyptiens étaient là (ainsi que la femme du Président) : tout le monde était réuni sous la tente, où un message du président de la République a été lu par le ministre français des Affaires étrangères. Une stèle de pierre avec le nom des 147 victimes était dressée devant la tente, symbole du drame collectif. Il s’agissait là du premier véritable processus d’expression de leur douleur dans une phase de recueillement : les familles ont déposé des fleurs. De notre côté, nous étions au milieu des familles, disponibles en cas de besoin. Ensuite, nous sommes repartis en car vers le port pour embarquer à bord de La Somme pour la cérémonie française en mer. 4) En mer, la cérémonie d’adieux matérialisait la séparation et a laissé place à des manifestations cathartiques intenses. À cette phase, nous avons eu à gérer des crises d’agitation, de pleurs, voire des états
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dissociatifs importants comme dans une phase immédiate de soins. Le ministre des Affaires étrangères français était également sur le bateau et assistait à la cérémonie en mer, montrant son soutien par sa présence. 5) Le voyage de retour, dans l’avion, nous a permis d’observer et de prendre en charge des personnes manifestant de nombreux affects dépressifs et anxieux. Il faut noter en particulier la crainte fréquente de périr dans un crash qui effleura l’esprit de toutes les familles (y compris celui des intervenants) dans un mouvement identificatoire légitime... La présence d’officiels dans ce type de catastrophes a un effet nettement soulageant pour les familles. Quant à nous, qui ne faisons pas partie des familles et qui ne sommes pas en deuil, notre présence est à considérer comme un accompagnement empathique qui peut aider au rituel de passage des endeuillés par la prise en compte « en temps réel » des débordements émotionnels. Nous ne sortons nous-mêmes pas indemnes d’un tel type de cérémonie et avons eu besoin d’une supervision (débriefing) en rentrant. Cette prise en charge post-immédiate a débouché sur des suivis à plus long terme pour de nombreuses familles en fonction des régions où habitaient les impliqués, facilités par les liens qui s’étaient créés avec le corps « psy » lors de ces premières séances et par une parole précoce. Le suivi psychologique s’est poursuivi pour certains jusqu’à trois ans après l’événement : non seulement le choc émotionnel est intense pour tous, mais les suites psychologiques s’avèrent encore plus complexes pour certains. Lors des situations de crashs d’avion, en plus de la douleur d’avoir perdu un ou plusieurs des leurs, les proches n’ont pas la possibilité de se recueillir auprès des corps, d’où la difficulté d’organiser et de maintenir des rituels de deuil : cet exemple montre comment cela est malgré tout possible, et la présence de la cellule d’urgence médicopsychologique participe désormais à la prise en compte de la dimension symbolique et sociale de la catastrophe. Qu’il s’agisse de l’afflux de rescapés, de réfugiés ou de ressortissants aux aéroports ou bien des familles dont les parents sont décédés lors d’un crash d’avion, avant leur retour chez eux, nous leur proposons cette note d’information élaborée selon les premiers critères de la CUMP 75.
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N OTE D ’ INFORMATION À L’ ATTENTION DES PERSONNES VICTIMES ET DES IMPLIQUÉS
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Madame, Monsieur, Vous venez de vivre une expérience difficile. Ce type d’événement peut provoquer des bouleversements importants et parfois un choc émotionnel. Chez certaines personnes, il peut exister des conséquences immédiates (angoisse, peur panique, agitation, stupeur, impression de vivre un rêve, etc.). Ces phénomènes peuvent aussi survenir plus tard (une fois à la maison, le lendemain). Dans certains cas, ils peuvent apparaître dans les jours, les semaines, voire les mois qui suivent l’événement. Des images de l’événement peuvent resurgir et devenir pénibles. Elles s’imposent à l’esprit le jour, ou bien la nuit sous forme de cauchemars. Elles peuvent entraîner de ce fait des troubles du sommeil, de l’angoisse, une modification de l’humeur, un sentiment de malaise ou d’insécurité, voire une irritabilité et avoir des répercussions dans votre vie familiale et/ou professionnelle. Il peut en être de même pour les enfants et se manifester sous la forme de jeux répétant la scène, des cauchemars, des pleurs, des colères, des difficultés scolaires, voire des troubles alimentaires (très jeunes enfants), etc. Dans ces situations, nous vous conseillons de consulter un médecin, un psychologue spécialisé dans ce type de problèmes. Vous pouvez vous adresser aux consultations spécialisées sur le trouble psychotraumatique pour un conseil, un rendez-vous. Nous tenons à votre disposition une liste de lieux de consultation par département.
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I NTERVENTIONS
EN ENTREPRISE
Un autre type d’extension au modèle initial du CISD peut être proposé dans le cadre d’interventions en entreprise pour des équipes victimes d’un événement traumatogène (agressions, accidents, etc.) en milieu professionnel. Nous sommes souvent sollicités pour intervenir en entreprise en tant qu’expert-consultant, du fait de nos formations respectives et de notre appartenance aux CUMP. Il nous paraît indispensable de préciser ici que le débriefing psychologique ne doit surtout pas être systématisé et servir de faire-valoir aux entreprises dont les employés auraient été mis en danger dans le
1. Remaniée à partir de la note élaborée par le Pr Crocq et le SAMU de Paris après l’incendie de l’aéroport de Düsseldorf.
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cadre de leur travail, parfois faute de mesures de sécurité suffisantes. Certaines cherchent à se décharger de leurs responsabilités en mettant en avant une intervention psychologique, sans pour autant revoir les mesures adéquates pour assurer la sécurité de leurs employés. Un travail d’approche préalable et de débriefing technique est alors indispensable avant d’intervenir sur place, sinon les risques liés à une systématisation de cette technique risquent de transformer nos pratiques en recueil de plaintes, centralisant les rencontres sur des aspects techniques au détriment des dimensions émotionnelles. Cependant, nous tenons à souligner que lors de nos interventions, nous avons le plus souvent observé une réelle préoccupation et un soutien des responsables des entreprises envers leurs collaborateurs, soucieux de rétablir autant que faire ce peu l’équilibre psychologique qu’ils pouvaient ressentir avant l’événement. Nous faisons donc état ici de l’adaptation du CISD pour les victimes de situations de braquages, d’accidents ou de suicides sur les lieux du travail. Rappelons que le débriefing psychologique type CISD ne nous semble pas approprié dans sa forme initiale pour les victimes (il n’a d’ailleurs pas été conçu pour cela), du fait de sa structuration assez rigide, comme nous l’avons montré plus haut. Dans le cas des interventions en entreprise, nous nous situons comme précédemment, mais pour des raisons différentes, dans un « entredeux » : les personnes sont des victimes directes mais elles font également partie d’un collectif de travail qui les amène à continuer à vivre ensemble (comme pour les équipes de sauveteurs). Il est nécessaire de prendre en compte la dynamique de travail groupal, tout comme il est indispensable de s’ajuster au récit de chacun des sujets. Les phases strictes du CISD ne sont plus de mise : les propos peuvent tout aussi bien mêler les faits, les réactions comportementales et émotionnelles, comme très rapidement se centrer sur les aspects plus cognitifs de la gestion de la situation. Il est particulièrement important de laisser la victime s’exprimer comme elle le souhaite, même si elle est amenée à des incursions sur des événements traumatiques passés. En effet, l’événement actuel évoqué peut faire résonance avec d’autres situations traumatiques anciennes et empêcher le sujet de s’exprimer sur ces autres points peut avoir pour conséquence de bloquer sa parole. Le débriefeur doit permettre cette incursion tout en l’intégrant au vécu de l’événement actuel qui a provoqué sa résurgence. Nous allons donner ci-dessous un exemple de ce type d’intervention psychologique en entreprise.
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Tout d’abord, rappelons l’extrême importance de la préparation de l’intervention, avec la nécessité de bien connaître les faits, les circonstances, le nombre et le type d’impliqués, l’entente dans l’équipe, etc. L’entreprise qui fait appel à des experts du psychotraumatisme a généralement signé un contrat avec un organisme de formation et d’intervention œuvrant pour l’évaluation et la prise en charge des risques psychosociaux. Le Code du travail prévoit que chaque entreprise puisse être garante de la santé psychologique et physique de ses employés (article L 230-2, article L 4121-1, 1er mai 2008 du Code du travail, accord national soumis à signature du 2 juillet 2008). À ce titre, lorsqu’un collaborateur est victime d’une situation traumatique ou témoin d’une situation potentiellement traumatique, une proposition de prise en charge immédiate et post-immédiate vient répondre aux prérogatives de cette loi. Le plus souvent, c’est le directeur ou le DRH qui sollicite les intervenants en vue d’un débriefing psychologique. Ce faisant, il montre le soutien de l’institution et réinstaure du lien social en sollicitant des intervenants extérieurs et en diminuant le sentiment d’abandon et de repli de l’équipe. Il a été lui-même présent dans un soutien d’équipe sur le moment ou à défaut le jour suivant l’événement. Le plus souvent, à partir de 3, 4 personnes, le débriefing se fera sur le plan collectif, en dessous de ce nombre, il sera individuel. Il est toutefois possible que les impliqués préfèrent être entendus individuellement plutôt qu’en groupe, cela leur permettant de livrer des informations plus personnelles ou plus émotionnelles, qu’ils ne se sentiraient pas à même d’exprimer collectivement. Lorsque le débriefing se déroule en individuel, il revêt une très grande souplesse, la victime étant sollicitée pour évoquer ce qui s’est passé pour elle le plus librement possible. Chaque situation est à examiner et à préparer au cas par cas, en fonction des informations obtenues au préalable. Des ajustements et adaptations peuvent aussi être envisagés sur place en cas de nouvelles données... Sur le terrain, nous commençons toujours par la prise de contact avec le responsable, qui relate ce qui s’est passé. Lui-même peut sentir le besoin de s’exprimer sur ce qu’il ressent et nous privilégions un entretien individuel avec lui, même s’il est court et motivé par l’organisation de l’intervention. Habituellement, la hiérarchie n’est pas conviée au débriefing psychologique, sauf si elle a pris part directement à l’événement, si elle le souhaite et si l’entente avec son équipe est bonne. En fonction des circonstances de l’événement (problème de responsabilité par exemple) ou du climat social, il peut aussi être décidé que la hiérarchie sera reçue à part (les raisons en seront alors explicitées au reste de l’équipe).
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Nous avons choisi une situation de braquage, fréquente dans les entreprises bancaires. Les faits Vendredi, à 11 h. 45 du matin, alors qu’un client vient juste de sortir de la banque, un homme de 25 ans environ s’introduit dans l’établissement bancaire pour ouvrir un compte. Il porte un chapeau et est bien habillé, ce qui ne met aucunement en alerte les deux conseillères, Aline et Murielle, qui se trouvent derrière leurs guichets respectifs. La porte du bureau de Jacques, un des conseillers, est ouverte, ainsi que celles de Thomas et d’Olivier. Bien que les bureaux de ces derniers soient plus excentrés, dans un couloir perpendiculaire à la pièce d’accueil où se situent les guichets, les conseillers entendent ce qui se passe et sortent dans la pièce principale. Alain, le directeur, se situe dans un bureau au fond de l’agence et n’entend rien de ce qui se déroule pendant les quelques minutes que dure le hold-up. Très rapidement, après avoir demandé à ouvrir un compte, le jeune homme sort un revolver de gros calibre et le pointe vers Murielle : « Donne-moi l’argent qui est dans ta caisse, dépêche-toi sinon je te descends ! » Murielle est complètement terrorisée et ne bouge pas. Le braqueur se penche par-dessus le guichet et lui met le revolver sur la tempe : « T’as pas compris c’que j’t’ai dit, file-moi la caisse, qu’est-ce que tu crois, j’ai déjà fait de la taule, alors j’ai rien à perdre ! » Murielle ne bouge toujours pas, elle est en état de sidération. Aline crie qu’il n’y a pas d’argent. Alertés par le bruit, Jacques, Olivier et Thomas sortent de leurs bureaux respectifs et c’est Olivier qui interviendra en effectuant les manœuvres demandées. L’événement dure environ trois minutes, et ensuite le braqueur sort avec une petite somme d’argent, les banques n’ayant plus de fonds aussi importants qu’auparavant. Entre-temps, le directeur Alain, qui se demandait ce qui se passait, comprend après coup ce qui est arrivé ; le braqueur est déjà parti : il appelle la police. Inquiet devant la réaction de Murielle, Alain sollicite une intervention psychologique qui se mettra en place pour son équipe quatre jours après l’événement. Bien entendu, après connaissance des faits, des principes de sécurité et de fonctionnement de l’agence bancaire, ainsi que du climat de l’entreprise, il est décidé que le directeur Alain ne sera pas convié à participer au groupe. Les raisons seront clairement énoncées, pour lui comme pour son équipe : il est le responsable hiérarchique de l’équipe
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mais surtout, il n’a pas assisté directement au braquage. Nous nous renseignons sur la reprise du travail de l’équipe : nous apprenons qu’une demi-journée leur a été accordée le jour du braquage et que Murielle est en arrêt de travail. Nous demandons à ce qu’elle puisse venir bénéficier de la séance de débriefing. Nous sollicitons qu’on tienne à disposition une salle suffisamment grande pour accueillir tous les impliqués, avec des verres et de l’eau. Nous expliquons les règles de fonctionnement de l’intervention psychologique et spécifions la nécessité du volontariat, de la participation, de la confidentialité à chacun des participants. Si un rapport d’intervention est transmis à la Direction générale de l’entreprise, le compte rendu est très épuré et factuel, de manière à ne pas trahir la confidentialité de ce que chacun aura évoqué en séance. La séance de débriefing
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– Ce qui diffère du cadre public : le débriefeur est souvent seul, l’entreprise ne rémunérant que l’intervention avec un coût prédéfini et cela quel que soit le nombre d’intervenants. – Ce qui est semblable : les consignes délivrées au dirigeant par rapport au déroulement du débriefing, quel que soit le type d’entreprise, ou de lieu où l’événement se situe. Après nous être présentée, nous échangeons avec le directeur tout d’abord : bien que n’ayant pas directement vu la scène, il est toutefois important qu’il puisse évoquer, comme nous l’avons déjà expliqué, sa perception de l’événement. Forte des premières informations fournies par le directeur, la séance de débriefing peut commencer avec le reste de l’équipe : nous expliquons le déroulement de l’intervention, rappelons les règles de confidentialité, nous proposons à chacun d’évoquer comme il le souhaite ce qu’il a vécu et ressenti au décours du braquage, sans donner de cadre spécifique (cf. document en annexes). Ce qui suit peut paraître ne pas se dérouler selon l’ordre logique, qui consiste à évoquer dans un premier temps les faits, mais nous avons souhaité plutôt montrer une séance de groupe où les participants évoquent ce qui les pressent, ce qui ne veut pas dire que dans d’autres circonstances, nous ne suivons pas un déroulé habituel. Nous proposons que chacun se présente au moment où il prend la parole. Pour plus de lisibilité, et contrairement à la présentation générale du reste de l’ouvrage, nous avons choisi de ne présenter que les interventions de l’animatrice et les indications non verbales (pleurs, silence) en italiques. Voici des extraits du débriefing.
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A – Qui souhaite s’exprimer en premier ? Aline – Je veux bien commencer. Je m’appelle Aline et je suis chargée de clientèle. Ce que je peux dire, c’est que j’ai eu très peur pour Murielle, j’ai vraiment cru que ce dingue pouvait tirer ! J’en ai encore des sueurs froides aujourd’hui en en parlant et je me suis dit, il faut que tu fasses quelque chose, mais je ne savais pas quoi, car je craignais qu’il tire ! J’sais même pas si c’était une vraie arme ou quoi ! J’ai surtout vu le regard de Murielle, qui était comme fixé, sans regarder quoi que ce soit ! J’ai eu l’impression que ça avait duré des heures ! Quand Alain a dit que cela avait duré que quelques minutes, je ne l’ai pas cru ! Pourtant j’étais au guichet à côté, j’ai vu ce qui se passait et c’est comme si je revisionnais un cauchemar : j’étais en train de ranger des papiers ! Juste avant, on blaguait et voilà, tout a basculé : moi, j’ai deux enfants, j’ai vu ma dernière heure arriver ! Comment c’est possible de risquer de perdre sa vie au travail, ce n’est pas normal ! C’est injuste ! En plus, ça m’est déjà arrivé quand je travaillais en province ! J’avais déjà eu du mal à m’en remettre ! Ça fait la deuxième fois, maintenant je ne me sens pas en sécurité. Quand j’arrive le matin, je regarde partout pour voir si je ne vais pas repérer les mêmes, en plus, ils n’ont pas été retrouvés, si ça se trouve, ils vont recommencer ! Qu’est-ce qui va se passer alors ! J’en dors plus la nuit ! (Pleurs)... A – J’entends que votre sommeil est compliqué et qu’il est difficile pour vous de revenir travailler, nous en reparlerons. Pouvez-vous vous exprimer un peu plus sur la peur que vous avez ressentie pour vous et pour Murielle ? [...] A – Aline, vous disiez tout à l’heure que vous étiez gênée par le fait de revoir la scène et vous ne pouvez pas vous endormir ou bien êtes-vous réveillée par des cauchemars ? Aline – Je m’endors, mais je suis réveillée par un cauchemar : je suis à mon poste de travail, au guichet, les braqueurs entrent et au lieu de se diriger vers Murielle, ils viennent directement sur moi et braque sur mon front le pistolet, je crie et ils me donnent un coup de crosse pour me faire taire ! A – En somme, dans votre cauchemar, c’est vous qu’on braque directement ? Aline – Oui, c’est ça qui est bizarre, en fait ce qui me revient, c’est ce qui s’est passé lors d’un autre braquage où j’ai été directement braquée, c’était pas ici, c’était il y a deux ans dans une autre banque et j’étais en province à l’époque !
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A – Effectivement, il arrive fréquemment qu’un événement en réveille un autre plus ancien. Souhaitez-vous y revenir ? [...] A – D’autres parmi vous sont-ils dans le même cas ? Murielle – Oui, moi, c’est mon troisième braquage et cette fois-ci, je n’ai pas réagi comme les fois précédentes : j’ai honte de moi car cette fois-ci j’ai pas pu bouger (sentiment d’impuissance), j’étais tétanisée, j’ai mis mes collègues en danger (sentiment de culpabilité), je n’ai rien pu faire, j’aurai dû savoir quoi faire (perte du sentiment de contrôle) les fois précédentes je n’ai pas réagi comme ça... (Pleurs)... Aline – Tu ne pouvais pas réagir autrement, tu avais cette arme sur la tempe, on aurait fait pareil ! Murielle – Oui, mais je n’étais pas là, sur le moment, c’est comme si je ne sentais rien, je ne voyais rien ! (Moment de dissociation péritraumatique, ou freezing). J’étais comme anesthésiée et en même temps, une partie de mon cerveau me disait : « Bouge pas, pense à Anna », c’est ma fille, elle a 2 ans. Ce qui est étrange, c’est que ça s’est passé très vite et j’ai eu l’impression que ça a duré tellement longtemps, j’me souviens pas que c’était pareil les autres fois ! (Distorsion temporelle). A – Vous êtes toutes les deux avec Aline à évoquer des émotions différentes par rapport aux autres braquages dont vous avez été victimes, qu’est-ce qui différait cette fois-ci ? Murielle – Peut-être que c’est parce que j’avais pas d’enfant à l’époque ! Aujourd’hui, quand j’y repense, j’en ai la chair de poule. J’ai imaginé le pire, que j’allais y passer et ma fille n’aurait plus de mère. Vous comprenez, je suis toute seule à l’élever, son père est parti alors que j’étais enceinte ! (Ce point sera repris en individuel avec Muriel après le débriefing collectif.) Thomas – Moi je m’en veux de n’avoir rien fait, sur le moment j’ai pensé qu’il valait mieux ne pas bouger, que ça risquait de te mettre en danger et nous aussi, je me sens lâche, j’ai été faible ! Si on lui était tombé dessus avec Jacques, on aurait pu le maîtriser ! A – Qu’est-ce qui vous fait dire que vous avez été faible ? Thomas – Ben, on m’a élevé en me disant qu’il fallait faire face, en toutes circonstances, mon père était militaire, on n’avait pas le droit de pleurer, il me disait à mes frères et moi qu’on était des mauviettes ! Murielle – Au contraire, vous avez bien fait, toi et Jacques, de ne pas intervenir, on ne sait pas comment ça aurait tourné ! (Silence de quelques minutes.)
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A – Olivier, souhaitez-vous vous exprimer ? Olivier – Vous savez moi, je ne sais pas trop quoi dire, j’ai pas eu vraiment peur, alors ! Thomas – Pourtant tu m’as dit que tu avais du mal à venir le matin, que tu te sentais pas tranquille dans le métro et que tu appréhendais de venir à la banque. Olivier – Oui, mais en fait, moi je suis surtout gêné parce que je me suis mis à repenser à une autre situation qui n’a rien à voir ! Je ne sais pas si c’est utile que j’en parle ? A – Dans la mesure où cet événement commun a fait resurgir d’autres situations que vous avez déjà vécues, sauf si vos collègues ne souhaitent pas que vous en parliez, il n’y a pas de contre-indications à évoquer ce qui fait lien avec le braquage. Olivier – En fait depuis le braquage, je n’arrive pas à ne pas penser à une agression que j’ai subie dans le parking de mon immeuble, il y a cinq ans : j’allais pour prendre ma voiture et un type, sorti de nulle part, habillé aussi correctement également, m’a frappé et m’a demandé mes clefs de voiture pour la voler. En fait, comme je prends le métro pour venir travailler, dès que j’aborde les souterrains, je commence à avoir le cœur qui s’emballe. Je comprends pas, ça a rien à voir. Aline – Ben si, ça a à voir ! Le fait que le type a mis le revolver sur la tempe de Murielle, ça t’a fait repenser au fait que t’avais été frappé ! Moi, j’ai repensé aux autres braquages et je me suis dit : « Ça y est, ça recommence ! » À part que cette fois-ci, ça va peut-être se passer moins bien ! Mais là où j’ai eu tort, c’est de crier ! Du coup, Olivier et Thomas sont sortis de leurs bureaux avec Jacques, si ça se trouve, le braqueur aurait pu tirer en voyant les autres arriver. A – Vous êtes plusieurs à évoquer un sentiment d’impuissance et le fait de n’avoir pas pu contrôler le braqueur, pensez-vous aujourd’hui qu’il aurait pu en être autrement ? Murielle – Non, je pense pas qu’on pouvait faire différemment ! Aline – Heureusement qu’on n’a pas bougé ! Thomas – On nous dit toujours « donnez l’argent », mais en même temps, on sent des fois que le discours est plaqué et qu’on nous reproche de ne pas avoir géré mieux la situation. La Direction générale se déplace le premier jour et après, elle nous oublie. On a demandé un vigile, ça a fait toute une histoire pour l’avoir et encore, on nous a dit que ça ne serait pas possible pour plus d’une semaine. Olivier – Je suis assez d’accord, on n’est pas toujours soutenu !
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Murielle – Il ne faut pas exagérer, ils font ce qu’ils peuvent, ils savent qu’on est exposé, ils sont quand même à l’écoute. A – On peut comprendre que vous vous sentiez un peu abandonnés lorsque vous vivez le braquage. Quant aux questions de sécurité, vous savez que les démarches sont en cours et que ce n’est pas l’objet direct de la réunion. Mais je vous invite à en reparler avec votre directeur et mon aide si vous le souhaitez (nécessité de ne pas alimenter un conflit possible de groupe à propos de revendications institutionnelles). [...] A – Votre directeur vous soutient dans le sens où il a fait les démarches nécessaires pour que cette réunion ait lieu. Aline – C’est vrai qu’on a pu en parler tous ensemble avec Alain, et avec vous aujourd’hui, ça nous soulage, même si on a des choses qui peuvent nous gêner. À : Pouvez-vous nous faire part de ce qui vous a gêné juste après et encore aujourd’hui ? Murielle – Moi, j’ai du mal à m’endormir car je revois la scène, surtout le moment où il a mis le pistolet sur ma tempe et j’ai cru qu’il allait tirer ! J’en rêve pas la nuit, mais je n’arrive pas à m’endormir avant au moins 2 heures du matin, si je ferme les yeux les images sont là ! (Syndrome de reviviscence précoce). Hier je suis allée chez le médecin qui m’a donné quelque chose pour m’endormir, mais ça fait pas vraiment effet. En plus, dans la journée quand je suis ici, je suis en alerte, je regarde tout le temps le sas et j’me demande s’il ne va pas revenir, d’autant qu’on l’a pas retrouvé encore ! J’me sens pas en sécurité, le vigile est encore là, mais après-demain, il s’en va ! Je n’arrive pas à me concentrer, j’ai fait des erreurs de caisse hier, heureusement que je m’en suis rendu compte (difficultés de concentration). En plus, ce matin, j’ai reçu un client assez désagréable et pressé et j’étais tellement énervée que je n’ai pas été aussi aimable que d’habitude, faut dire qu’il m’a sorti : « Ben, c’est normal qu’on se fasse braquer dans une banque ! » Heureusement qu’Aline est intervenue, ça m’a mis dans une rage folle, j’aurais pu sortir de derrière mon guichet et aller le frapper. Je n’aurais jamais réagi comme ça avant. Lors des braquages précédents, j’ai pas eu ces réactions ! A – En effet, on n’a pas toujours les mêmes réactions... Aline – Moi, c’est plus juste après que j’ai eu des difficultés à dormir parce que je faisais ce rêve bizarre que je vous ai raconté tout à l’heure. Maintenant, ça va mieux, je suis un peu comme Murielle, je suis en alerte et moi, je regarde comment les gens sont habillés, je fais ça dans la rue
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aussi, comme si j’allais voir le braqueur, mais c’est pas tout le temps. Heureusement qu’on a une bonne ambiance ici, ça aide. (Court silence.) Thomas – Moi ça va. Olivier – Ben, comme je l’ai dit tout à l’heure, je pense plutôt à l’agression d’il y a cinq ans, ça, j’en rêve la nuit, je me réveille en sueur et il me faut du temps pour me rendormir et puis j’suis pas à l’aise dans le métro. Mais c’est un peu moins que le lendemain du braquage, ça va peut-être s’estomper tout seul ? Jacques – Moi, j’ai rien, ça va, je vois beaucoup de monde, je fais du sport trois fois par semaine, ça m’aide ! A – Ce que vous décrivez tous sont souvent des symptômes que d’autres personnes ayant vécu des situations semblables éprouvent également, et sauf si cela devient plus important dans les semaines qui viennent ou si cela est trop inconfortable, vous pouvez demander une aide à votre médecin pour vous soulager. Habituellement, ces signes diminuent dans les semaines qui suivent l’événement. De toute manière, je reprendrai contact avec vous dans une dizaine de jours pour m’assurer qu’ils diminuent en intensité. Une chose importante également, comment êtes-vous soutenus dans votre entourage ? Aline – J’en parle à mes parents, ils me comprennent, mais je ne veux pas les embêter avec ça, et puis, il y a ma fille, je ne veux pas qu’elle sache ce qui est arrivé ! A – Les enfants ont en tout cas besoin de comprendre qu’une difficulté vous est arrivée au travail, ils ont pu remarquer chez vous un changement qui peut les inquiéter. [...] Murielle – Moi, j’ai mon ami qui s’occupe de moi, je me sens bien avec lui, en sécurité, il comprend mes réactions, il est là. Olivier – Moi j’évite d’en parler trop à ma femme, elle est émotive et ça la perturbe. Je fais de la natation, ça me vide la tête, peut-être que ça va avoir un effet sur mes cauchemars ! Thomas – Moi, je suis tout seul, mais j’ai des amis avec qui j’en ai parlé et j’ai pas mal de sorties de prévues, ça va me changer les idées. A – C’est effectivement une bonne chose que d’avoir des activités qui vous permettent de décompresser. Je peux vous recommander et vais vous montrer quelques petits exercices, si vous vous sentez tendus ou oppressés, comme de relâcher pendant quelques secondes tout votre corps et de respirer doucement, avec une petite inspiration et vous gonflez la poitrine et le ventre, puis vous expirez plus longuement en laissant
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votre ventre et votre poitrine s’abaisser. Essayons ensemble, si vous le voulez bien. [...] A – Cela vous paraît-il possible de le faire à certains moments de la journée ? (Tous répondent oui.) A – Voulez-vous rajouter quelque chose à ce que vous avez déjà exprimé ? (Tous répondent non.) A – Sachez que je vous rappellerai, comme je l’ai dit tout à l’heure, dans une quinzaine de jours et de toute façon, je vous communique mon numéro de portable si vous avez besoin. Si cela s’avère nécessaire, je peux revenir d’ici les quinze jours. Certains parmi vous désirent-ils que l’on se voie individuellement juste après la séance de groupe ou un peu à distance ? (Murielle, Aline et Olivier expriment ce besoin effectivement.) A – Je vous propose de clore là la séance. Ces extraits ont été choisis pour illustrer des points importants : • L’importance de ne pas appliquer stricto sensu les phases du CISD
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réservées au débriefing des sauveteurs et cet exemple représente un intermédiaire entre le débriefing classique et l’IPPI. Nous voyons à quel point, dans le discours de ces employés, les émotions, les faits et les pensées peuvent se mélanger et combien il est important de respecter le déroulement de la parole chacun. Déjà en 1999, Crocq écrivait : « Notre recommandation n’est pas de ne parler que des émotions, mais de laisser le sujet s’épancher de ce qui le presse, et de faire part ainsi de son expérience vécue, dans le désordre, mêlant aux éprouvés affectifs, les sensations, les visions et les pensées. » • Les bienfaits de la dynamique de groupe qui permettent de laisser
circuler les propos sur les sentiments de culpabilité et de honte ne nécessitent pas forcément une intervention de l’animateur, mais il faut s’assurer que nous n’avons rien omis. • Le groupe a également permis de mieux comprendre les réactions de Muriel : les personnes sidérées peuvent faire l’objet de réactions de rejet de la part des autres personnes du groupe, il convient d’y faire attention en invitant les membres du groupe à en parler. Enfin, cet
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exemple montre bien comment un groupe peut être soutenant en soi sans intervention plaquée : il s’agit de le mettre en valeur. • La nécessité de proposer des entretiens individuels lorsque des événements personnels sont apparus au décours du débriefing. Par exemple, pour Muriel, nous avons pu reprendre avec elle la détresse spécifique qu’elle a pu ressentir au regard de sa situation de mère célibataire. Quant à Olivier, il a pu nous confier en individuel la souffrance qu’il ne parvenait pas à exprimer devant le groupe. Les cabinets qui nous sollicitent pour ce type d’interventions préparent généralement des documents explicatifs sur l’intervention et éventuellement sur les troubles post-immédiats (cf. annexes). Chaque entreprise et chaque cabinet ayant un fonctionnement propre, il convient de faire preuve de prudence et d’adaptation pour ce type de pratiques. Les exemples de notes en annexes ne représentent que quelques exemples parmi d’autres. Ces notes qui se veulent explicatives ne seront pas forcément livrées ainsi aux participants du débriefing psychologique, car devant la masse importante de signes évoqués, la question que nous pouvons nous poser est la suivante : n’allons-nous pas induire des symptômes du fait de la surinformation ? En revanche, elles peuvent servir de support lorsque nous abordons les symptômes évoqués par les impliqués, permettre de reprendre avec eux des éléments oubliés, et de toute manière, elles peuvent être fournies à l’entreprise comme modèle de ce à quoi l’on peut s’attendre dans ces circonstances, ce qui permet à la Direction de mieux identifier les difficultés des collaborateurs.
Chapitre 11
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UNE ÉVOLUTION DU DÉBRIEFING : L’INTERVENTION PSYCHOTHÉRAPEUTIQUE POST-IMMÉDIATE (IPPI)
F RANCE , les premiers débriefings ont été pratiqués après l’effondrement de la tribune du stade de Furiani (en 1992, pour les sauveteurs) et lors du détournement de l’airbus d’Alger (le 25 décembre 1994, pour les victimes). La création de la première cellule d’urgence médicopsychologique (Crocq, 1998a) suite à la vague d’attentats parisiens en 1995, nous a permis de construire et de mettre peu à peu à l’épreuve différents modèles d’interventions destinés aux victimes de grandes catastrophes : immédiats (le jour même) et post-immédiats (dans les jours qui suivent ; Louville, 1995, 2000). C’est dans ce contexte inédit qu’une première version du « débriefing à la française » a été présentée par Crocq (in Cremniter, Gravier, 1997) et par Lebigot (Lebigot & al.,
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1997) pour être appliquée sur le terrain par des équipes médicopsychologiques (composées d’infirmiers, de psychologues et de psychiatres). Le médecin général Crocq, à la suite des travaux anglo-saxons, a proposé de réorienter les objectifs de ce type de soins en suivant 10 principes adaptés à une prise en charge des victimes (et non plus des sauveteurs), d’inspiration psychodynamique. Dans ce cadre, l’accent était mis sur la nécessité d’inviter les patients à adopter un « langage authentique », en leur intimant : « Dites ce que vous ressentez, ne racontez pas ce que vous avez vu » (Crocq et al., 1998b). Dès lors, le terme même de « débriefing » ne reflétait plus réellement notre pratique. Crocq a ensuite proposé diverses dénominations : « bilan psychologique d’événement » puis « intervention psychothérapique précoce » (Crocq, in De Soir, Vermeiren, 2002). Le débriefing selon le Pr Crocq Pour le Pr Crocq (1998a), le débriefing correspond au bilan psychologique d’événement. Il est destiné à : – créer un SAS intermédiaire entre l’anormal et le normal (temps, espace et valeurs), – conforter le sujet dans sa personne ; – l’inviter à verbaliser son émotion (visée cathartique) ; – l’informer sur les symptômes passés, présents et à venir ; – l’aider à gérer les sentiments d’impuissance, d’échec et de culpabilité ; – renforcer la cohésion du groupe (mettre à plat et réduire les tensions et conflits de groupe, favoriser l’identification) ; – aider le sujet à se réapproprier l’événement ; – le préparer à affronter son milieu social antérieur ; – détecter les cas sévères à suivre ultérieurement ; – aider le sujet à mettre un point final à son aventure.
Après plus de dix années de pratique et de travaux à ce sujet, réalisés notamment dans le cadre de l’AFORCUMP-SFP (Association de formation et de recherche des cellules d’urgence médicopsychologique-Société française de psychotraumatologie), inspirés des recommandations de Crocq (1998ab, 1999, 2000, 2003, 2007) et de Lebigot (1997ab, 1998, 2001ab, 2005ab ; Lebigot et al., 1997) à ce sujet, nous sommes en mesure de proposer un nouveau modèle d’intervention, en tenant compte des différentes critiques énoncées par la communauté scientifique (Jehel, Prieto et Crocq, in Vaiva et al., 2005).
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La dénomination « IPPI » (intervention psychothérapeutique postimmédiate), outre sa consonance francophone, présente l’avantage de bien situer le moment de l’intervention (« post-immédiate » : après la phase de soins immédiats) et d’en situer les objectifs (« psychothérapeutique »). En revanche, dans sa forme contractée, l’IPPI présente l’inconvénient d’être réservée aux spécialistes, sans facilité de vulgarisation du mot. Cette méthode thérapeutique a d’abord été conçue pour les groupes, cependant le modèle peut être transposé en individuel, comme nous le travaillerons plus avant.
P RÉSENTATION
DU CADRE ET DE LA MÉTHODE THÉRAPEUTIQUE
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Modalités de fonctionnement L’IPPI s’adresse strictement aux personnes qui viennent de vivre un « événement potentiellement traumatique » avec un degré d’exposition relativement homogène : un événement qui peut désorganiser le sujet en le confrontant à l’effroi et à la défection du langage signifiant dans sa rencontre avec le « réel de la mort » (cf. éclairages psychanalytiques, partie 1). Le délai d’intervention (dans les deux à dix jours suivant l’événement) peut être éventuellement augmenté, notamment dans le cas des événements entraînant des décès ou des blessures graves engageant le pronostic vital : notre action se déroule alors si possible après les obsèques ou les soins intensifs, étant entendu que l’IPPI stricto sensu ne peut avoir lieu que lorsque l’événement dans sa portée traumatique a pris fin. La durée de la séance est variable : une à trois heures, selon que l’on intervient en individuel ou pour un groupe. Le lieu de l’intervention se doit d’être neutre par rapport à l’événement (pas d’évocation directe par la vue du lieu de l’accident, importance de la mise à l’écart dans un endroit calme et approprié). Il est important enfin de préciser que la réussite d’une telle intervention reste extrêmement liée à la préparation de cette dernière : avant la rencontre des victimes, les intervenants doivent être au clair avec l’institution demandeuse quant aux circonstances exactes de l’événement (une visite des lieux s’avère généralement d’un grand secours), à l’énonciation de la demande, aux partenariats, au climat institutionnel, aux règles de confidentialité et aux objectifs visés.
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Intervenants L’IPPI nécessite la présence d’au moins deux animateurs de séance (un animateur principal et un coanimateur), psychologues, psychiatres ou infirmiers : des soignants formés non seulement à la méthode d’intervention thérapeutique, à la clinique du psychotraumatisme mais également à la dynamique de groupe. L’idéal est d’être à trois, avec les trois professions et fonctions complémentaires. Dans cette configuration, l’intervenant principal est chargé de la présentation de la séance, du maintien du cadre, du déroulé de l’intervention ; il prend alors majoritairement la parole. Le second est garant de l’observation du groupe et des mouvements individuels : il peut donc proposer des relances dès qu’il le juge nécessaire, en lien et en accord avec le premier intervenant. Le troisième, bien plus en retrait, devient celui qui peut éventuellement sortir de la pièce avec une personne en cas de demande parfois liée à un débordement émotionnel : il est à disposition pour des entretiens individuels (immédiats en cas de « crise » et/ou après la séance groupale). Enfin, nous préconisons que ces soignants soient extérieurs et neutres par rapport à l’institution et bien entendu non impliqués dans l’événement, contrairement aux pratiques anglo-saxonnes concernant les sauveteurs. Participants L’effectif des groupes varie de 3 à 15 participants (l’idéal étant de ne pas dépasser 10 personnes, quitte à organiser des sous-groupes). L’IPPI peut s’adresser tout autant à des équipes de professionnels qu’à des groupes informels, à partir du moment où ces groupes préexistent à l’événement (ont une vie de groupe antérieure à l’événement) et sont exposés de manière homogène à celui-ci : la hiérarchie est généralement traitée à part afin de faciliter les processus identificatoires, bien qu’il existe des exceptions en fonction de spécificités locales ou situationnelles. Règles de fonctionnement du groupe Les principes de base de l’intervention s’articulent autour de trois règles fondamentales, clairement énoncées en début de séance : • La confidentialité des propos échangés doit être évidemment garantie
(par les soignants tenus au secret professionnel, comme par les participants qui n’ont pas à propager des propos qui ne leur appartiennent pas : « Tout ce qui est énoncé dans le groupe reste dans le groupe »).
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• La participation est volontaire (personne n’est contraint de rester après
l’énonciation des règles de fonctionnement, si un obstacle venait à se présenter). • L’engagement du groupe dans son entier et jusqu’à la fin de la séance est absolument nécessaire (il serait préjudiciable de laisser partir un sujet avant la fin, pour lui comme pour le groupe). Objectifs thérapeutiques Pour un participant, prendre le risque de parler de ce qui lui est arrivé, adresser pour la première fois ce témoignage et cette parole à un(e) autre, peut être associé au danger de ressentir et de revivre la souffrance endurée. Le soignant est là pour lui signifier que dire, énoncer et penser n’est pas revivre... L’IPPI favorise l’expression individuelle et la mise en commun de vécus subjectifs, et par-là même réintroduit la portée du langage et la valeur de l’écoute. Une écoute neutre (sans jugement, sans interprétation) et bienveillante est proposée par les soignants, qui cherchent à prévenir les effets potentiellement traumatiques de l’événement : en apaisant peu à peu l’angoisse suscitée par les désorganisations énoncées, mais en évaluant aussi les risques à plus long terme de voir se profiler une pathologie post-traumatique. Il ne s’agit pas d’empêcher l’apparition des symptômes et de la souffrance mais de pouvoir leur donner rapidement une place et un sens après l’événement : permettre à une parole d’émerger là où elle faisait cruellement défaut. L’IPPI (comme son nom l’indique) se pose ainsi comme l’amorce d’un processus thérapeutique : si le cadre est strict, le déroulé se veut souple et centré sur l’énoncé du vécu subjectif de chacun des participants.
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Déroulement du contenu de la séance L’IPPI se propose de suivre une évolution temporelle en lien avec la clinique du trauma (rappelons que le traumatisme vient notamment rompre la continuité du temps). L’animateur principal veillera à ce qu’elle se déroule en trois phases : – la première est centrée sur le vécu subjectif de l’événement (elle s’attache donc à un passé commun) ; – la deuxième permet un échange sur les troubles apparus et restants (elle se centre davantage sur le présent) ; – la troisième oriente les participants vers l’avenir (émergences de représentations concernant le futur). Nous y reviendrons plus en détail.
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L’introduction L’introduction sert à présenter les modalités de fonctionnement de la séance aux participants : les rôles et fonctions des intervenants sont précisés ainsi que le cadre (précisions apportées sur l’événement et la demande institutionnelle) et les règles de fonctionnement qui régissent l’intervention (cf. supra). Les règles de participation au groupe sont énoncées clairement par l’animateur principal avant que la séance puisse réellement commencer, les participants sont ensuite conviés à se présenter. Enfin, l’animateur pourra inviter chacun à parler de soi, en son nom propre : il veillera notamment à ce qu’un « je » puisse se substituer à un « nous » ou à un « on » dans le récit du vécu de l’événement traumatique.
La première phase La première phase concerne le vécu subjectif de l’événement : les victimes sont sollicitées pour exposer leur ressenti personnel et subjectif avec des phrases ouvertes du type : « Pourriez-vous nous raconter comment vous avez vécu cet événement (le citer) sur le moment ? » ; « Quelles pensées, émotions, ressentis vous ont traversé ? » ; « Nous allons d’abord nous centrer sur les vécus de chacun d’entre vous, sur la manière dont vous avez vécu cela. Qui veut bien commencer ? » Il s’agit donc de retracer après coup ce que les personnes ont éprouvé dans le temps de l’événement : émotions, sentiments, pensées, comportements, etc. L’objectif principal est que chacun des participants retrouve une place de sujet, acteur et auteur de sa propre parole. Le récit des événements est loin de suffire ! Il s’agit bien plus de donner envie au sujet « d’improviser des mots, une grammaire [...] pour commencer à y voir clair. Il s’agit d’une énonciation inaugurale et non pas d’un récit » (Crocq, 2003). « Dépasser l’événementiel pour se recentrer sur une subjectivité, certes victime, mais possiblement actrice sinon des faits, au moins de ses conséquences subjectives » (Genest, Walter, 2006) : cette phase est nécessairement la plus longue. L’aspect groupal favorise l’enrichissement mutuel des participants, mais doit également mettre en valeur la cohérence du récit intérieur et individuel de chacun. Cette phase, en groupe, donne du sens à l’expérience vécue individuellement.
La deuxième phase La deuxième phase concerne les traces et les perturbations apparues à la suite de l’événement potentiellement traumatique. Cette phase peut être introduite par une question du type : « Chacun d’entre vous a pu s’exprimer sur la manière dont il a vécu cet événement, je vous invite
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maintenant à nous décrire les perturbations qui sont apparues depuis et dont vous pouvez encore souffrir aujourd’hui. » Les soignants aident alors les participants à repérer leurs troubles, leurs gênes et difficultés (affectives, relationnelles, cognitives, etc.), apparus dans les jours suivant l’événement grâce à leurs connaissances psychopathologiques et à leur expérience clinique. Ici encore, le groupe peut aider à merveille : un symptôme est identifié par l’un, repris par un autre, en étonne un troisième qui souffre d’autres types de troubles. Cette phase est fondamentale car elle permet aux professionnels de repérer les personnes les plus en souffrance : certains symptômes tels que la dissociation et la détresse péritraumatique représentent des facteurs prédictifs d’une pathologie post-traumatique, nous l’avons vu. Il s’agit également de mesurer l’étendue de la désorganisation traumatique. C’est souvent l’occasion de pointer les résonances particulières de l’événement dans l’histoire de chacun (d’autres événements plus ou moins enfouis peuvent refaire surface). Enfin, les soignants peuvent aider les participants à mieux comprendre l’origine et le sens des symptômes psychotraumatiques en réaffirmant la « normalité » ou la fréquence élevée de toutes ces réactions en lien avec l’expérience vécue (Lebigot, 2005a). Lors de cette étape, émerge souvent l’énonciation des sentiments de honte, de culpabilité, d’abandon : ils sont alors objets d’un travail clinique important (Daligand, 2006). En effet, il n’est pas question ici de procéder à une réassurance artificielle des participants. Si la faute réelle peut faire l’objet d’un travail de différenciation de la faute fantasmée, les sentiments subjectifs gagnent à être entendus : « Se sentir coupable, c’est rester dans le monde des hommes, c’est-à-dire se donner une chance de refouler à nouveau ce vers quoi il aurait fallu ne jamais pouvoir/vouloir revenir » (Lebigot, 1997a) à propos du franchissement de l’interdit inhérent à toute rencontre traumatique d’avec le réel de la mort. Le fil conducteur de l’écoute est l’accueil et la réception sans jugement de chaque éprouvé qui peut être reformulé par l’un des intervenants, signifiant par là qu’ils ont été entendus et « validés ». La troisième phase permet d’ouvrir une voie de dégagement en envisageant l’avenir en termes de changements. L’intervenant commence cette troisième phase avec une formulation qui peut être celle-ci : « Après avoir parcouru le vécu puis les répercussions de cet événement pour chacun d’entre vous, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez que cet événement va changer dans votre vie ? » À ce stade, nombreuses sont les personnes à ne pas pouvoir se représenter, pour elles-mêmes, les conséquences à venir de l’événement, tant elles se sentent encore
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sous l’emprise de leur bouleversement. Cependant, il est extrêmement important de les ouvrir à ce questionnement et à ces perspectives, qu’elles reprendront par la suite, seules ou avec leurs proches. Chez certains, des idéaux ou des croyances se sont écroulés, vient alors la recherche d’un nouveau sens à donner à leur vie. Pour d’autres, c’est déjà le moment d’évoquer des changements en termes de projets et de nouvelles valeurs : faire plus attention aux autres, se faire plaisir, prendre le temps de vivre alors qu’elles ont frôlé la mort. Il s’agit d’une invitation à penser le futur, d’une ouverture vers « l’après-traumatisme ». Contrairement aux phases précédentes, nous n’invitons pas chacun à parler tour à tour ici : nous recueillons et mettons en commun les paroles de ceux qui peuvent en dire quelque chose. Entrouvrir l’idée que l’événement devra progressivement s’inscrire dans une continuité et dans l’histoire individuelle permet à chacun d’éloigner peu à peu la part « d’exception » qui est naturellement attribuée aux faits dans l’actuel, y compris pour les sujets silencieux à cette phase. La conclusion sert à mettre un terme à la réunion de groupe : il s’agit de refermer « cet espace-temps ». L’animateur principal, ou le second, peut reprendre tous les aspects importants qui ont été donnés à voir au cours de la séance, de manière synthétique, sans pour autant rouvrir la voie aux vécus énoncés. Les soignants reformulent des points importants et mettent en évidence des effets de groupe (cohésion/éclatement, soutiens/difficultés, partage d’expérience et d’émotions, etc.) avant d’inviter chacun à retrouver sa place et sa vie personnelle en dehors de ce groupe. Certains participants témoignent d’un premier soulagement, d’un mieux-être, d’autres demandent un rendez-vous individuel pour approfondir à distance certains points, plus personnels. C’est souvent l’occasion d’une découverte de l’effet bénéfique de la parole et de l’écoute. L’orientation : l’IPPI constitue un moment privilégié pour nouer des liens transférentiels et contre-transférentiels, elle peut alors éveiller des demandes de suivis psychothérapeutiques. Les soignants doivent pouvoir dire clairement s’ils peuvent ou non recevoir ces personnes en consultations. Sinon il s’agira de les orienter de manière active vers des collègues : fournir un contact précis et si possible une lettre d’accompagnement ou un lien téléphonique. L’orientation peut aussi s’effectuer vers des services d’aides aux victimes, des services juridiques, psychosociaux, paramédicaux ou médicaux. Enfin, dans certains cas, notamment pour les interventions en entreprise, la séance d’IPPI peut
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être complétée, à distance, par un groupe de parole pour des équipes qui restent en difficulté avec les conséquences institutionnelles de l’événement. Ces temps de parole ultérieurs ne seront plus destinés à parler de l’événement : il s’agira de traiter les effets à plus long terme d’un événement sur une institution, une équipe, une organisation. Contre-indications à l’IPPI de groupe Lebigot (2005b) nous a clairement mis en garde sur les contreindications de ce type de séance. L’IPPI groupale n’est pas recommandée à partir du moment où les participants n’ont pas été exposés de manière homogène à l’événement : il n’est pas souhaitable, voire il peut être préjudiciable, de réunir des personnes qui n’auraient pas physiquement assisté à la même scène traumatique. Il n’est pas question d’exposer un sujet au récit d’une personne traumatisée si ce premier n’est pas intimement concerné par la situation. Une deuxième contre-indication concerne les familles : si une prise en charge groupale peut aussi leur être proposée, la technique stricte de l’IPPI (centrée sur l’expression du vécu émotionnel) doit être appliquée individuellement car les identifications de moi à moi (indispensables au bon fonctionnement de la séance) ne peuvent s’effectuer entre les membres d’une même famille, entre un père et son fils, par exemple. L’approche groupale n’est pas non plus indiquée lorsqu’une faute réelle a été commise par l’un des membres du groupe et lorsque celle-ci a entraîné des conséquences néfastes pour le groupe. Enfin, l’IPPI n’a pas lieu d’être pour des situations non traumatiques.
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A SPECTS
DYNAMIQUES DU GROUPE
L’individu et son entité groupale Le travail thérapeutique proposé lors de l’IPPI groupale comporte l’avantage de travailler sur deux axes complémentaires : l’entité groupale et l’individu, pris à la fois dans son rapport intime à l’événement mais nécessairement aussi dans son vécu groupal. Si nous réunissons ici des personnes ayant une histoire commune avant l’événement, en excluant notamment la hiérarchie, c’est pour placer les uns et les autres en position « d’alter ego » (Lebigot, Damiani et Mathieu, 2001a ; Lebigot et al., 2007). Les identifications réciproques, de moi à moi, permettent la constitution d’un véritable groupe de semblables et passe par la rencontre de pairs. C’est pourquoi le phénomène de l’illusion groupale décrit par Anzieu (1975) est fortement sollicité : il correspond à ces moments quasi
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euphoriques du groupe au cours duquel les participants, à la recherche d’un réconfort réciproque entre victimes, partagent le fantasme de penser et d’avoir vécu la même chose. Dans sa dimension fusionnelle, source de satisfactions et de plaisirs, cette illusion peut, un temps, servir à restaurer une relation de confiance dans le groupe. Cependant, lorsqu’elle n’est pas repérée, travaillée et analysée par les soignants, elle risque d’aller à l’encontre de l’élaboration individuelle et de la différenciation de chacun en favorisant une confusion groupale. Si les thérapeutes doivent veiller à laisser des temps d’échanges sur la vie du groupe en les commentant, ils restent garants de l’expression des vécus traumatiques individuels qui s’inscrivent nécessairement dans des histoires et des trajets de vie bien distincts. Les soignants prennent alors une place de tiers dans le face-à-face événement traumatique/individus, en faisant en sorte que le groupe puisse accueillir chacune des expériences douloureuses. Il s’agit au final d’un équilibre subtil entre la mise en commun de la singularité des vécus et la mise en évidence de liens entre les différents récits. À travers ce procédé propre au groupe, le soulagement va émerger, l’isolement va être rompu et les représentations vont pouvoir commencer à émerger, comblant les vides et les trous laissés par le trauma. Alors que la menace vitale a frappé les individus, le groupe peut résister à cette attaque : il n’en meurt pas. Au contraire, le groupe en tant qu’entité contenante est là pour accueillir peu à peu cet irreprésentable en amorçant une transformation progressive et une mise en sens rendue possible par la parole des autres, sous le regard et via l’écoute attentive des thérapeutes. Exemple d’intervention groupale
Contexte et préparation de l’intervention La CUMP est déclenchée par le SAMU suite à un accident grave dans une petite antenne publique, comprenant douze salariés et un directeur, chargée de la gestion de dossiers de relogement de personnes en grande précarité. La première demande a été émise par le directeur de la structure via le personnel du SAMU venu sur place pour une intervention vitale en urgence. La victime, que nous appellerons Henry, est un homme de 35 ans, salarié depuis huit ans sur ce site. Après la pause du déjeuner, il s’est rendu sur une petite terrasse du site, avec quatre collègues et le directeur, pour prendre un café et fumer une cigarette. Alors qu’ils discutaient tranquillement, la rambarde du balcon sur laquelle Henry était appuyé a accidentellement cédé, entraînant sa chute du 2e étage. Ses collègues l’ont vu tomber puis étendu et inanimé à terre, le visage en sang,
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dans la cour intérieure au rez-de-chaussée. L’un d’eux a immédiatement alerté les secours (David) et deux autres (Fanette et le directeur) se sont rendus auprès de lui dans l’attente de leur arrivée. La victime, qui a perdu connaissance, a reçu des premiers soins sur place puis a été transférée à l’hôpital. En réponse à la demande transmise par le SAMU, le responsable CUMP a pris contact le jour même avec le DRH du siège de l’entreprise (sur un autre site) et la médecine du travail qui sollicitent une intervention. Le DRH lui rapporte les faits, et au vu du choc qu’il a lui-même éprouvé en apprenant la nouvelle, il demande une prise en charge pour les treize employés du site. Il précise qu’il a pris la décision de ne pas faire revenir les salariés sur leur lieu professionnel le lendemain, veille de weekend, leur accordant une journée exceptionnelle de repos. Par ailleurs, le médecin du travail dit connaître une salariée particulièrement en difficulté, proche de la victime et du même bureau, qui pourrait refuser la prise en charge groupale. Après discussion, il s’avère que cinq salariés ont été témoins directs du drame (nommés ici David, Fanette, Clémence, Lison ainsi que le directeur). Parmi les sept salariés restants, l’un était en congé au moment des faits, trois déjeunaient à l’extérieur et ont appris la nouvelle après évacuation du blessé, les trois derniers travaillaient dans leur bureau à l’opposé de la terrasse et ont pris connaissance de l’accident rapidement mais sans voir la victime. Au vu de la situation (victime à l’hôpital grièvement blessée ; attente de nouvelles ; salariés renvoyés chez eux à la veille du week-end), le responsable CUMP décide une première intervention type IPPI pour le lundi, soit trois jours après l’accident, destinée uniquement aux cinq salariés témoins de la scène sur la terrasse. Après avoir pris contact avec le directeur témoin de la scène, ils conviennent que la prise en charge thérapeutique se fera de cette manière : un premier temps de présentation des objectifs de l’intervention pour les cinq témoins avec explicitation du dispositif et de la suite, puis un second temps séparément. Les quatre salariés collègues bénéficieront d’une prise en charge de groupe, tandis que le directeur sera reçu en individuel. L’explicitation de ce choix sera clairement énoncée : le directeur, qui a des responsabilités institutionnelles particulières dans cette structure, donc au niveau de l’accident, ne pourra être considéré dans le groupe au même titre que les autres afin de laisser une plus ample liberté de parole à tous (au directeur, comme au groupe). Cet échange est aussi l’occasion de prendre connaissance du climat institutionnel : le directeur décrit une équipe plutôt soudée malgré la souffrance ressentie parfois au vu des difficultés des situations précaires traitées. Pour les sept autres (non témoins de
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la scène traumatique), le responsable de la CUMP met en place une permanence pour des entretiens individuels et/ou de groupe (type groupe de parole si la demande émerge) sur le site. Pour l’IPPI en revanche, l’intervention se fera dans une salle du siège de l’entreprise et non sur le site, afin d’écarter toute difficulté liée au retour des salariés sur le lieu du drame. Le responsable CUMP s’assure enfin que la victime directe peut être vue par un psychologue dans le service d’hospitalisation. Dernier point fondamental : la question de la responsabilité de l’entreprise au niveau de la défaillance de la rambarde du balcon est explorée, tant avec le directeur du site qu’avec la Direction des ressources humaines du siège. Il en ressort que la fragilité de la barrière avait déjà été signalée à plusieurs reprises par le directeur du site et que des travaux étaient prévus (sans délai très clair) : la commande avait été passée et signée en haut lieu. Cependant, personne n’avait pensé à interdire catégoriquement l’accès à cette terrasse, seul lieu convivial du bâtiment, à en croire les interlocuteurs. Nous relaterons ici la séance d’IPPI groupale en priorité afin d’illustrer les principes théoriques présentés en amont. Un autre exemple clinique servira à travailler les soins individuels par la suite.
La séance IPPI de groupe L’introduction permet aux trois soignants de se présenter (un psychiatre coordinateur, une psychologue et une infirmière, spécialisés dans ce type d’interventions), de relater le déroulement précis des faits (circonstances de l’accident, arrivée des secours, demande d’intervention émanant de la Direction), de donner des nouvelles plutôt encourageantes de l’état de santé d’Henry (pronostic vital bon malgré de multiples fractures et contusions) et d’annoncer le dispositif de prise en charge avec les règles de fonctionnement du groupe. Le cadre, globalement bien accueilli par les participants, est posé. Le directeur peut alors prendre congé de son équipe et être reçu individuellement par un autre psychologue. Chacun des quatre participants se présente ensuite. David, 40 ans, salarié depuis deux ans dans l’antenne, est celui qui a appelé les secours. Il se présente le premier avec une voix assurée. Fanette, 32 ans, employée depuis cinq ans, est celle qui se dit être la plus proche d’Henry qui est un ami fréquenté en dehors du cadre professionnel. C’est pour cela, dit-elle, qu’elle est immédiatement descendue le voir dans la cour intérieure après sa chute, accompagnée par le directeur. Très peinée par les événements, elle était réticente à venir parler dans le groupe aujourd’hui mais le directeur a insisté.
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Clémence, 56 ans, est la plus ancienne de l’équipe, dans la structure depuis plus de quinze ans (avec plusieurs années passées à travailler au siège). Après l’accident, elle s’est occupée de Lison, apparemment très choquée et emmenée dans leur bureau habituel. Elle se pose d’emblée comme un pilier de l’équipe. Lison, 25 ans, est employée depuis quelques mois seulement, elle parle d’une voix très faible et précise qu’elle est en arrêt maladie pour la semaine.
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Première phase L’animateur principal reprend alors la parole pour souligner l’importance de ce temps en équipe, destiné à comprendre ce qui s’est passé pour chacun : moment fondamental au service de l’expression personnelle d’un événement douloureux, qui peut avoir choqué et bouleversé le cours de l’existence des uns et des autres, comme du groupe. Il invite alors à cet échange, centré dans un premier temps sur la façon dont cet accident a été vécu, au moment où il est arrivé. David prend spontanément la parole en premier, comme lors du tour de table des présentations. Son discours est assez centré sur les faits et sur le comportement qu’ils ont eu au moment de la chute alors que tout était tranquille sur cette terrasse ensoleillée. Il emploie facilement le « on » (« On a tous été surpris, Fanette a crié, Lison était toute blanche [...] et après on a tous réagi très vite, j’ai appelé les secours », etc.) et tente d’introduire rapidement la question de la responsabilité (« On avait tous signalé ce problème et puisqu’on avait obtenu que la rambarde soit réparée pendant nos congés d’été, on n’y pensait plus... »). L’animateur de la séance l’invite alors, doucement mais fermement, à parler pour lui : qu’a-t-il ressenti au moment de la chute, a-t-il eu des pensées et des émotions particulières, tout en précisant que les autres pourront dire ensuite ce qu’il s’est passé pour chacun d’entre eux. Quant à la question de la responsabilité, il est précisé qu’elle sera évoquée après, quand tout le monde se sera d’abord exprimé sur son vécu personnel. Il est très important que dès le commencement, l’intervenant cadre ainsi le contenu des propos, contienne la parole individuelle en la resituant dans le groupe. David pourra alors reprendre, plus centré sur son vécu personnel, aidé par les relances de l’intervenant l’amenant à préciser et à qualifier la frayeur ressentie. Cette peur a entraîné des troubles (tremblements dans les jambes, sueurs froides, agitation) mais a laissé place à des actions adaptées (prévenir les secours, le siège, les autres collègues du site). Progressivement, le relais sera pris par Fanette, encore habitée par des sentiments de colère et de débordements émotionnels ressentis au
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moment des faits. Le plus gros choc pour elle a été le moment où elle a retrouvé Henry, inanimé sur le sol, elle a cru qu’il était mort « et là, tout s’est arrêté ». Le coanimateur, qui a perçu son émoi lors du récit de David, l’invite à préciser (« Tout s’est arrêté pour vous ? ») tout en veillant à ce que personne ne l’interrompe (par un petit geste qui signifie que leur tour viendra) : un long moment de recueillement du groupe lui permet de continuer et de décrire sa sidération dont elle sortira à l’arrivée des secours en s’effondrant en larmes dans les bras du directeur, l’accusant de négligence. À ce moment, Fanette dit qu’elle se sent encore coupable d’avoir accusé leur directeur. Clémence intervient pour la rassurer, lui disant que tous ont pensé la même chose : « C’était de sa faute »... Là encore, l’animateur principal repose le cadre : « J’entends que Fanette, effondrée par la pensée du décès d’Henry, a des sentiments contradictoires : en vouloir au directeur sur le coup et s’en vouloir aujourd’hui d’avoir ces mauvaises pensées ; Clémence, de votre côté, vous semblez partager sa première réaction, mais dites-nous d’abord comment vous avez vécu ce moment sur la terrasse ? » Chacun des participants est recentré sur son propre vécu. Nous apprendrons que Clémence a également eu très peur, a senti son cœur s’emballer mais sans jamais imaginer qu’Henry était mort : pour elle, il était blessé et il allait s’en sortir, les secours allaient arriver d’une minute à l’autre et bien s’occuper de lui, c’est d’ailleurs ce qu’elle répétait à Lison, alors muette et très choquée. Clémence a centré son action et ses pensées sur la prise en charge de sa jeune collègue, nouvellement arrivée, elle l’a ainsi aidée à retrouver peu à peu ses mots. Lison, silencieuse, est alors invitée à prendre son tour de parole par la psychologue : « Lison, nous vous voyons aujourd’hui très attentive au récit de vos collègues, notamment à celui de Fanny. A-t-elle évoqué des choses qui vous font penser à vous ? Comment cela s’est-il passé pour vous, sur cette terrasse ? » Lison pourra alors se servir de cette proposition pour énoncer un vécu similaire apparu pour elle dès le moment de la chute d’Henry : l’effroi glacé, son absence totale de pensées à part celle-ci, « il est mort ». D’ailleurs, elle raconte ne plus très bien se souvenir de l’après : elle s’est retrouvée dans son bureau, bercée par les propos de Clémence qu’elle entendait au loin. Pour Lison, Henry était mort, c’était un peu comme si elle était morte aussi, le reste était inaccessible. Elle s’en veut de n’avoir pu réagir, elle était incapable. Après avoir longuement écouté et relancé Lison afin d’introduire un langage signifiant sur ce moment d’effroi, après avoir réinvité Fanny à reparler de sa propre sidération, l’intervenant principal fait une première synthèse. David et Clémence ont ressenti une grande peur, mais n’ont pas
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imaginé que leur collègue était mort (David pensait d’ailleurs l’avoir vu bouger), ils ont pu passer à l’action et éloigner l’effraction traumatique. La rencontre avec la mort restait alors une menace potentielle qui n’avait rien de réelle : elle pouvait être imaginée et repoussée. En revanche, cela a été plus complexe pour Fanny et Lison, qui l’ont cru mort : dans ce cas, le temps était comme arrêté, il n’y avait plus rien à faire. Bien entendu, aucun vocabulaire théorique n’est employé devant les participants, il est évoqué ici en référence aux aspects traumatiques travaillés dans la première partie de l’ouvrage. Au cours de la séance d’IPPI, cette analyse descriptive peut être énoncée mais avec des mots simples, restant au plus proche du langage et des mots énoncés par les membres du groupe. Un premier soulagement est palpable dans le groupe : chaque participant est en train de saisir ce qui les réunit (la peur, l’inquiétude, la préoccupation concernant Henry) et ce qui les différencie (le voir mort ou non, expliquant en partie les différences de réactions). Un long moment d’échange plus dynamique peut alors avoir lieu, centré sur les sentiments de culpabilité des uns et des autres, présents chez tous mais pas aux mêmes « endroits ». L’absence du directeur est appréciée : certains peuvent dire qu’il aurait dû interdire l’accès à la terrasse, qu’il fait « généralement plutôt bien son boulot » mais qu’il est toujours « trop laxiste, trop cool ». Le fantasme d’un directeur plus cadrant et plus directif émerge, en lien avec d’autres plaintes sur la pénibilité des dossiers de relogement qui tardent à trouver des réponses, renvoyant les salariés à des sentiments d’impuissance douloureux. C’est l’occasion pour la psychologue de faire des liens entre les différents sentiments d’impuissance ressentis (lors de l’accident comme face à d’autres situations évoquées ici). L’infirmier s’autorise (en tant que tiers et observateur, plus à distance que les deux autres intervenants) à dire qu’il imagine que ces vécus de culpabilité et d’impuissance sont peut-être ressentis aussi par leur directeur, ce qui ouvre la porte à une empathie réparatrice. Durant cette phase, le psychiatre veille à ce que l’IPPI ne se transforme pas en groupe de parole institutionnel et propose régulièrement des liens avec l’événement, puis après avoir vérifié que tous les participants avaient pu dire tout ce qu’ils souhaitaient sur le vécu initial de l’accident, clôt la première partie de l’IPPI par une deuxième synthèse, davantage centrée sur le groupe et les difficultés institutionnelles cette fois-ci. Une heure et demie est passée. Deuxième phase La deuxième phase, plus courte, se centre alors sur les troubles apparus. Comme nous pouvions nous y attendre, Clémence et David
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ont ressenti des perturbations qui sont peu à peu repérées à l’aide des questions des soignants (grande fatigue, moments d’abattement, pensées récurrentes sur les façons dont l’accident aurait pu être évité, difficultés à s’endormir pour Clémence, irritabilité chez David avec ses proches...), mais elles commencent à s’estomper peu à peu. Fanny a commencé à sortir véritablement de sa désorganisation aiguë (absences de la pensée, sursauts, confusions dans ses propos avec ses proches, irritabilité sévère avec débordements de colère) lorsqu’elle est allée rendre visite à son ami, le lendemain de l’accident. Depuis, elle souffre davantage de crises de larmes, revoit souvent le visage de son ami inanimé sur le sol (sa chevelure tachée de sang surtout), elle se réveille en sursaut la nuit. Elle ne sait pas si elle pourra retourner travailler cet après-midi et dans les jours qui viennent : elle a peur de revoir les lieux du drame. Elle se dit bien entourée chez elle... Quant à Lison, elle a régulièrement l’impression de tomber dans le vide, craint de s’évanouir, en parle peu à son compagnon qui la trouve soudain très fragile et s’inquiète. Elle a tendance à s’isoler, veut dormir et qu’on la laisse récupérer tranquillement lors de son arrêt maladie, déclarant qu’elle sera d’attaque après. Le psychiatre insiste alors sur la nécessité d’être attentif à tous ces troubles et à leur évolution, il exprime son inquiétude pour Lison et l’invite, ainsi que Fanny, à faire un petit point en individuel après la séance de groupe. Il est important d’explorer davantage les souffrances de ces dernières et de les accompagner dans leurs démarches de soins médicaux (arrêt maladie, possible mise en place d’un léger traitement transitoire, etc.). Troisième phase La troisième phase peut ensuite commencer. L’intervenant l’introduit en demandant au groupe ce qu’il pense que l’accident va changer dans leur vie, personnelle comme professionnelle. Il invite d’emblée Lison à s’exprimer sur ce point, pour la maintenir dans la dynamique de groupe, dont elle risque de s’extraire à la fin de la deuxième phase. Lison est hésitante, se rend compte qu’il est difficile de penser la suite pour elle, et se tourne vers les autres qui volent à son secours. Clémence lui signifie qu’elle prendra le relais de ses dossiers pendant son absence et qu’elle l’aidera à son retour. Fanny pourra expliquer que la cohésion de l’équipe est primordiale pour elle, qu’il leur faudra aussi parler au directeur sans l’accabler : la responsabilité devient plus collective. David assure qu’il prendra régulièrement des nouvelles d’Henry et les diffusera à tous les salariés du bâtiment. L’équipe convient alors, encouragée par la psychologue dans cette démarche, de se retrouver au complet avec les
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autres salariés du site pour une réunion collective la semaine suivante afin d’organiser ensemble un moment convivial d’échanges sur la santé de leur(s) collègue(s), moment qui permettra aussi de faire un point avec le directeur sur les mesures de sécurité à prendre pour le bâtiment.
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Conclusion La conclusion peut alors venir clôturer ce temps groupal. L’intervenant principal reprend les grandes lignes de ses synthèses énoncées à l’équipe pendant l’IPPI, souligne la qualité des derniers élans collectifs apparus dans la troisième phase et rappelle la possibilité d’être reçu individuellement en fournissant une liste de contacts de consultations à tous les participants. Il invite enfin chacun à reprendre le cours de sa vie, précisant que les changements amorcés par cet événement sont nécessairement différents pour chacun d’entre eux. Les soignants leur souhaitent une bonne continuation et restent à disposition pour des courts entretiens individuels (Fanny et Lison resteront). L’IPPI a ainsi permis à chacun des membres du groupe de faire part de son ressenti, les angoisses initiales ont été accueillies, entendues, ont trouvé une place. Les moments d’illusion ou de confusion groupale ont été analysés, permettant un redéploiement plus souple du positionnement de chacun. La compréhension et la circulation du langage ont primé, laissant place à un apaisement collectif. Bien entendu, pour Lison, la prise en charge s’est avérée plus importante : à l’abri des regards du groupe, elle a pu confier que cet événement lui en rappelait un autre. À 6 ans, elle avait failli mourir sous les roues d’une voiture devant sa mère qui était restée paralysée sur le trottoir : Lison, qui en avait toujours voulu à sa mère de ne pas l’avoir protégée à ce moment-là, venait elle-même de faire l’expérience de sa propre sidération devant la mise en danger d’un autre. La jeune femme avait en effet besoin de temps pour assimiler tout cela, et pour éventuellement faire des liens avec les soins maternants procurés par sa collègue Clémence depuis l’accident d’Henry. Quand à Fanny, elle était davantage marquée par la question du deuil, elle avait failli perdre un ami proche et l’émoi ressenti à l’idée de sa perte était venu révéler chez elle l’importance de son affection pour lui comme pour ses proches. Nous mesurons ici l’importance de la qualité du contre-transfert groupal sur les soignants pour que soient permises des paroles authentiques, seul « remède » contre l’effraction traumatique.
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I NTERVENTION
INDIVIDUELLE
Cadre de l’IPPI individuelle Nous avons choisi de vous présenter à présent une intervention psychothérapeutique post-immédiate auprès d’une victime d’attentat afin de mieux comprendre comment la méthode de l’IPPI peut être transposée à une prise en charge individuelle (CF. aussi au sujet du debriefing individuel : Lebigot, 1998). Les modalités de l’intervention sont plus simples que pour un dispositif groupal, puisqu’il n’y a pas à proprement parler de préparation particulière à prévoir en amont de la rencontre avec le patient. Ce dernier peut solliciter de lui-même ce type de soin s’il a connaissance des consultations spécialisées en psychotraumatologie, ou bien se présenter suite à une orientation de la part d’un collègue (qui peut aussi être un somaticien) ou d’une structure particulière (centre hospitalier, association d’aide aux victimes, etc.). Cette orientation peut être largement facilitée par la mise en place d’un dispositif de soins immédiats organisé par les équipes des CUMP au décours d’une grande catastrophe, ce dont a pu bénéficier notre patient. Bien que l’événement qui motive cette consultation s’inscrive dans une dimension collective (l’attentat à la bombe a concerné plus d’une centaine de personnes dans une rame de RER parisien), le dispositif groupal n’est pas recommandé dans la phase post-immédiate puisque les victimes ont été réunies par le fruit du hasard, sans avoir au préalable une histoire commune. Nous soulignons, dans ce cas précis, la différence fondamentale à établir entre les soins immédiats (le jour même) qui sont généralement collectifs (cela est d’ailleurs nettement indiqué au regard de la résonance sociale de ce type d’événement) et les soins post-immédiats, à procurer en individuel dans ce cas. Exemple d’intervention : à la rencontre de Vincent, victime d’attentat C’est dans le cadre de consultations externes situées dans une structure hospitalière que nous avons rencontré ce jeune homme de 27 ans, au physique élancé, que nous nommerons Vincent. Ce dernier exerce la profession d’informaticien et a été victime d’un attentat terroriste tandis qu’il regagnait son domicile après une journée de travail. Il vit paisiblement en région parisienne avec sa femme (alors enceinte de deux mois), après deux ans passés en Afrique dans le cadre d’une coopération. Sa famille, avec laquelle il est resté en bons termes, réside en province. La séance a lieu, à sa demande, deux semaines après l’explosion : à l’inverse de l’IPPI groupale, le délai d’intervention peut tout à fait être
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augmenté, notamment après une hospitalisation pour soins somatiques. En effet, Vincent a souffert d’un blast aux deux tympans, de brûlures et de contusions multiples qui ont nécessité une prise en charge hospitalière spécifique. Au cours de l’entretien, Vincent se montre très attentif aux questions posées, il s’exprime à son tour sans réticence et avec sincérité : il apparaît comme un jeune homme « posé », vif d’esprit et cultivé. Ses propos sont souvent empreints d’émotions mais ces dernières sont toujours maîtrisées et donnent lieu à une élaboration, confortable pour le clinicien.
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Première phase – « L’impossibilité de se dégager » Après m’être présentée et lui avoir succinctement expliqué les objectifs de l’entretien (faire le point sur son vécu personnel de l’événement, sur ses répercussions éventuelles et mieux comprendre son impact dans son histoire de vie), nous lui demandons de nous exposer la manière dont il a vécu l’événement sur le moment. Il se souvient qu’il lisait, comme à son habitude, au moment où la bombe a explosé dans le train. Ses propos se centrent ensuite très rapidement sur sa position très inconfortable : Vincent était bloqué sur son siège, en position assise, par des débris du wagon, il ne percevait pas grand-chose autour de lui et a tout de suite cherché à se dégager. Il savait que le train avait eu un « accident » (le caractère terroriste de l’événement n’est pas ici évoqué) et ce qui lui importait, c’était de trouver une solution pour « sortir de là ». Nous explorons alors la dimension de sa possible rencontre avec le réel de la mort, en l’invitant à nous décrire précisément ce qu’il a ressenti à ce moment-là. Bien entendu, le jeune homme reconnaît que l’univers était sans doute effrayant : le noir, les cris, l’odeur de fumée... mais Vincent ne se souvient pas d’avoir eu vraiment peur de mourir, ni d’avoir été confronté à la vision des corps déchiquetés (ce qu’évoquent de nombreuses autres victimes du même attentat). « J’ai peut-être été étourdi par le choc, je ne sais pas... mais dès que j’ai réalisé que j’étais bien vivant, mon énergie et mon attention se sont centrées sur moi... Il fallait que je trouve un moyen de me dégager, de me sortir de là, et là j’ai ressenti un vrai malaise parce que je ne pouvais pas bouger ! » explique-t-il. La suite de son récit nous confirme que le patient a certes éprouvé une terrible angoisse mais qu’il n’a pas été confronté à l’effroi traumatique. Si certaines de ses expressions nous invitent à être attentive à une légère déréalisation et une mise à distance défensive du danger de mort, nous nous assurons que Vincent n’a pas présenté de réels symptômes de dissociation péritraumatique. Les secours l’ont extrait assez rapidement de l’amas de ferrailles qui le recouvrait et l’ont fait
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immédiatement évacuer à l’hôpital, épargnant en effet au jeune homme la vision des autres victimes blessées et des corps meurtris. Lorsque Vincent a réalisé qu’il s’agissait d’un attentat, en assistant aux échanges verbaux des ambulanciers, il a tout de suite pensé à sa femme et s’est assuré de pouvoir la joindre rapidement au téléphone. Son souvenir le plus désagréable reste d’avoir été contraint à l’immobilité, avec l’angoisse de ne pouvoir se dégager. Au cours de cette séance d’IPPI, il n’est pas question de se livrer à des interprétations intrusives et hâtives, nous nous « contentons » d’accueillir chaque éprouvé et d’être attentive au déroulé du vécu subjectif du patient, de son récit intime. Avec lui, cette première phase de l’IPPI n’a pas été la plus longue en termes de durée, ni la plus douloureuse, contrairement aux entretiens menés avec des patients déjà pris dans une dimension franchement traumatique.
Deuxième phase – La recherche de sens Après avoir vérifié que « tout » (ce qui pouvait l’être) a été énoncé sur le vécu immédiat de l’événement, nous invitons le patient à parler des changements qu’il a repéré en lui dans les jours (et ici les semaines) qui ont suivi l’expérience potentiellement traumatique. Vincent nous explique alors les aspects bénéfiques de son hospitalisation, il parle de ses blessures comme « d’une cerise sur le gâteau » qui l’a obligé à se centrer sur lui et sur sa progression dans la réparation de son corps. Il se préoccupe également de sa femme, inquiète mais prévenante. Sur le plan psychique, des questions et ruminations anxieuses l’assaillent régulièrement, mais aucun flash visuel ne s’impose vraiment à lui : il repense souvent à l’attentat car il cherche à explorer ce que cet « accident » a provoqué en lui. C’est d’ailleurs ce qui a motivé sa venue. Il rêve beaucoup, de trains, de voyages stoppés mais il pense que ces rêves sont aidants car il cherche à y retrouver la sensation d’immobilité qui l’a tant effrayé après l’explosion, pour mieux la dépasser. Il sait qu’il sera père dans sept mois et tient à être guéri pour accueillir l’enfant. Il n’hésite pas à se confier à ses proches, dans les moments difficiles, mais prend garde aussi de ne pas trop leur en dire pour ne pas les effrayer... À sa sortie de l’hôpital, il reprend très vite son travail et les transports en commun : « Il fallait que je m’habitue à les reprendre sans en avoir peur. Évidemment, au début, j’ai eu quelques sueurs froides, mais rapidement j’ai contrôlé tout ça, et puis j’ai fini par prendre le RER quasiment sans y penser. » Vincent fonctionne dans la maîtrise de lui-même et de l’environnement, et c’est sans doute ce qui contribue aussi à lui rendre la scène d’immobilisation difficile à supporter. Pour lui, le combat est intérieur, mais la lutte fonctionne... Lors de la reprise de son
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travail, il se rend compte qu’il est quelque peu différent : les personnes qui lui tiennent à cœur sont devenues plus chères encore à ses yeux, mais ses collègues l’ennuient, leur quotidien lui paraît sans importance. Craignant de « se démobiliser et de déprimer », il réalise alors à quel point il a besoin de s’investir dans un nouveau projet professionnel dont il souhaite faire profiter une autre entreprise, plus dynamique. Sur les plans somatique et neurovégétatif, des symptômes persistent : Vincent n’a pas récupéré son audition, il entend des sifflements aigus en permanence (phénomène classique d’acouphènes) et il constate qu’il sursaute parfois, de manière incontrôlable, lorsque des stimuli externes le surprennent. Mais Vincent a confiance, ces troubles devraient disparaître. Sur le plan psychique, il pense encore assez souvent à l’attentat, « quelque chose » résiste à sa compréhension. Cependant, sa vie a repris son cours, ponctuée de visites médicales mais aussi de loisirs et de moments agréables passés auprès de son épouse dont le ventre s’arrondit. Il nous confie son inquiétude à propos de cette dernière, qu’il trouve quelque peu fragilisée par les événements qu’il a subis (ce qui nous donne l’occasion de lui signifier qu’elle peut, elle aussi, bénéficier d’un lieu d’écoute avec un confrère si elle le désire). C’est alors au cours de cette phase de l’entretien que Vincent fait tout à coup le lien entre son vécu pénible de l’attentat et un accident de moto qui l’avait contraint à une immobilisation forcée quelques années auparavant : cet accident premier avait d’ailleurs interrompu une formation et un projet professionnel auxquels il tenait profondément. Nous l’aidons ainsi à revisiter le caractère spécifiquement douloureux de sa perte de contrôle sur ses membres en lien avec cet autre trajet de vie interrompu, ce qui lui procure un soulagement qui semble libérateur : du sens émerge enfin pour lui. Vincent associe dès lors avec sa crainte, en tant que futur père, d’être immobilisé par l’arrivée de son premier enfant : pourra-t-il continuer à mener tous ses projets à bien ? Aura-t-il assez de place entre la mère et l’enfant ? Pourra-t-il être maître (garder le contrôle !) de la situation pendant et après l’accouchement ? Les éléments traumatiques passés laissent alors place à ce que nous pourrions appeler « la névrose ordinaire » actuelle dominée par ses angoisses autour du désir et des interdits, de la perte et de la maîtrise... La signification pour lui de l’impuissance a trouvé sa juste place.
Troisième phase – Un avenir possible Facilitée par son dynamisme « naturel » et son désir de « tout comprendre » de ce qui s’est joué pour lui et en lui, l’entrée dans cette dernière phase de l’entretien peut commencer. Lorsque nous l’interrogeons sur la façon dont il envisage l’après et l’avenir, Vincent nous
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exprime d’emblée son désir d’être prêt à accueillir l’enfant en devenir. Il s’interroge encore sur ce que cette nouvelle expérience de vie pourra lui permettre de transmettre et d’apprendre. Nous mettons fin à l’entretien au bout d’une bonne heure et demie, lui indiquant que s’il le souhaite, il pourra de nouveau faire appel à nous.
Conclusion – Recommandations Nous avons choisi d’exposer le cas de cet homme parce qu’il illustre précisément la manière dont une séance unique peut suffire à faire jaillir du sens (là où il en manquait) et permettre d’ouvrir le sujet à la poursuite de ce travail d’exploration intrapsychique. Cet exemple montre aussi que l’angoisse peut faire émerger une demande qui nécessite d’être traitée au même titre qu’un vécu plus traumatique. Bien entendu, les soins psychiques procurés aux personnes « traumatisées » ne sauraient se réduire à cet entretien unique. Cependant, que le patient soit dans l’angoisse ou dans le trauma, le déroulement de l’IPPI reste le même : il s’agit d’être à la fois « directif », attentif au cadre comme à la succession des phases de la séance, tout en restant extrêmement souple, bienveillant dans l’écoute et dans l’accueil des paroles douloureuses et subjectives du sujet.
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Chapitre 12
BILAN ET ÉVOLUTIONS DES PRATIQUES DU POST-IMMÉDIAT
S YNTHÈSE Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
DES PRATIQUES CONTROVERSES
:
DES CONVERGENCES AUX
Nous l’avons vu dans les débuts de cette partie, à l’origine le débriefing faisait suite au briefing dans une dimension technique des armées, afin de favoriser le retour des soldats au combat. Peu à peu, au décours des grandes guerres, les psychiatres militaires s’en sont saisis pour insister sur l’importance des prises en charge précoces, et sur le terrain opérationnel, des soldats traumatisés. Ce n’est que bien plus tard que le débriefing entrera dans le champ de la psychologie de la santé : en visant tout d’abord des corps de métiers à risque (pompiers, sauveteurs, soignants, etc.). Parallèlement à cette évolution, d’autres auteurs rapportent ailleurs des interventions spécifiques pour des populations civiles à risque (victimes de grandes catastrophes, pays en guerre et en proie au terrorisme, etc.) en créant les premiers centres de crise et de traitement des traumatismes. C’est dans ce dernier contexte que les cellules d’urgence
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médicopsychologique ont vu le jour dans les années quatre-vingt-dix en France et proposé peu à peu des protocoles d’interventions inédits, destinés à la population générale en cas d’événements collectifs majeurs. Aux côtés de ces cellules de soins d’urgence, des associations de victimes se sont fédérées, ainsi que des lieux de consultations spécifiques, afin de compléter le panorama des aides et des soins dans les domaines de la psychotraumatologie et de la victimologie. Tous les dispositifs cités ici se rejoignent pour défendre l’importance du caractère précoce des interventions dans un souci de prévention secondaire s’inscrivant dans une temporalité réduite. Les règles de fonctionnement sont proches : la priorité est donnée aux interventions de groupes, qui doivent être menées par du personnel formé, dans un contexte de crise exceptionnel. Les divergences se font jour notamment lorsque l’on examine les théories de référence : cognitivo-comportementale, psychanalytique, psychodynamique, humaniste, etc. Pour caricaturer les points de vue, les tenants des courants cognitivistes ont tendance à privilégier l’enseignement de conduites adaptées, dans une perspective de rééducation normative avec des techniques pédagogiques ; tandis que les autres préconisent avant tout l’écoute de la souffrance et la prise en compte de la subjectivité de chacun. Les premiers seront plus attachés à faire ressortir une version commune du vécu de l’événement tandis que les seconds tenteront de faire émerger le rapport de chacun à l’événement, dans une dynamique de groupe. Ces tendances ne sont pas seulement liées aux obédiences théoriques : elles restent plus largement influencées par les cultures d’appartenance et d’origine. Ainsi, des méthodes plus strictes et plus rapidement transmissibles sont en vogues dans les pays anglo-saxons, alors que les Européens – davantage héritiers de la pensée psychanalytique – insisteront sur l’importance de formations inscrites dans des cursus de soignants. En pratique, un premier désaccord persiste sur les compétences des animateurs : pour les uns, des pairs, collègues de métiers, formés à la technique pour les débriefings « à la Mitchell », tandis que les francophones insistent sur la neutralité et l’extériorité des intervenants pour les interventions (avec l’idée de ne surtout pas intervenir auprès des personnes côtoyées habituellement). Ces préconisations divergentes s’expliquent aussi par les publics les plus fréquemment rencontrés au niveau des interventions de chacun : le plus souvent professionnels pour les premiers, ce sont davantage des populations civiles pour les seconds. Sur le terrain, nous retrouvons, comme le préconise Mitchell, des psychologues pompiers ou gendarmes pour soutenir leurs pairs
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(pompiers ou gendarmes) dans nos corps de métiers en France : cependant, s’ils sont employés pour un soutien au quotidien, nous pensons qu’ils ne sont pas forcément les plus armés pour aider leurs collègues dans de grosses catastrophes à caractère exceptionnel (risque accru de traumatisation secondaire pour ces professionnels pris eux aussi d’un point de vue social et émotionnel dans la gestion de l’événement). Sur ce point, l’AFORCUMP-SFP préconise davantage le recours aux CUMP extérieures à ces institutions. Un deuxième différend peut être dégagé autour de l’homogénéité des groupes reçus en débriefing : les Anglo-Saxons incluent tous ceux qui ont été concernés par l’événement, sans distinction de niveau hiérarchique. En France, les supérieurs hiérarchiques ont tendance à être reçus à part, afin de conserver un niveau homogène du groupe qui favorise les jeux d’identifications des uns aux autres. En revanche, tous s’accordent pour placer au centre de leur intervention la dynamique de groupe, extraordinaire support de partage dans des moments où les traumatismes renforcent l’isolement et le repli. Enfin, si nous avons choisi – dans le respect de nos pratiques issues des modèles des CUMP – de bien séparer les temps d’interventions immédiat et post-immédiat, la distinction n’est pas toujours aisée dans la pratique, ni dans les écrits sur les méthodes d’interventions. En témoignent certaines des situations que nous avons traitées dans cette partie : lorsque la situation traumatique perdure (guerres, actes terroristes à répétition, rapatriements et accueils de populations, etc.), les techniques d’interventions peuvent se chevaucher : l’immédiat, habituellement réservé aux heures qui suivent un événement, peut parfois s’étendre à plusieurs jours. Le jugement clinique et l’adaptation au cas par cas des intervenants priment alors : des personnes encore en état de choc (hospitalisées par exemple), même deux jours après un événement, bénéficieront davantage de soins de type immédiats (proches du nursing, holding, maternage...) que d’un débriefing psychologique (davantage centré sur la parole et l’élaboration) qui ne peut avoir lieu qu’une fois l’événement terminé. Au niveau des recherches menées sur l’efficacité de ces dispositifs, aucun consensus ne se dégage réellement : le souci majeur réside dans la multiplicité des modèles et des pratiques d’une part, et dans l’hétérogénéité des méthodologies des études d’autre part, qui gênent la comparaison des méthodes. En 1997, Bisson et coll soulignent que le débriefing pourrait être inutile s’il n’y a pas de suivi ultérieur des sujets exposés. En effet, l’effet à court terme du débriefing semble abaisser le seuil émotionnel critique, mais ne permet pas d’éviter l’apparition de l’ESPT, d’où les nombreuses critiques émises par rapport à cette
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technique. Le plus souvent, les auteurs cherchent à évaluer l’efficacité des groupes de débriefing sur l’évolution des symptômes post-traumatiques : nous voyons ici s’opérer un écart majeur et préjudiciable entre les indications premières du débriefing (autour de l’atténuation des réactions de choc et de stress dans une dimension psychosociale) et les effets escomptés (sur la symptomatologie post-traumatique qui s’installe à plus long terme). Dans cette perspective, les résultats sont évidemment extrêmement divers et contradictoires (De Soir, Vermeiren, 2002 ; Jehel, Priéto, Crocq, 2005). Ne faut-il pas alors repenser nos modes d’évaluation, à une époque où nous redéfinissons le contenu de ces interventions en fonction des contextes et des influences théoriques ? Un consensus semble tout de même se dégager sur l’effet néfaste de l’usage du débriefing pour des groupes trop hétérogènes (Mitchell et al., 2008), dénonçant la généralisation à tout va de techniques à des prises en charge exclusivement individuelles ou totalement hors cadre (coaching d’équipes, par exemple). En France, l’élaboration du nouveau modèle IPPI – qui entend s’inscrire dans un processus de soins (contrairement au débriefing classique et originel) – nous a récemment conduits à proposer une charte d’intervention qui est d’ores et déjà incluse dans un vaste projet de recherche nationale visant à tester l’efficacité de ce type d’interventions sur l’apparition et le développement des pathologies psychotraumatiques, anxieuses et dépressives (AFORCUMP-SFP, DGS, ministère de la Santé). Une dizaine de centres de soins et cellules d’urgences participent à ce programme de recherche qui vise donc à évaluer les effets de l’IPPI, en individuel et en groupe, auprès d’une population de 400 victimes de tous types d’événements traumatogènes. Nous serons en mesure de présenter ces résultats lors de publications ultérieures. Mais pour le moment, aucune étude n’entend préconiser sérieusement une méthode au détriment d’une autre... À travers le panorama des pratiques exposé dans cet ouvrage, nous laissons le lecteur libre d’apprécier et de choisir les modalités de soins les plus adaptées à sa pratique. La prise en charge des personnes victimes d’un événement traumatique est avant tout une histoire de rencontre, dans un cadre qui nécessite d’être pensé, apprécié et travaillé en amont : dans ce sens, tout ne peut être enseigné, et l’expérience clinique reste maîtresse de la garantie des bonnes pratiques.
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CE QU ’ IL N ’ EST PAS
À travers l’exposé des différentes méthodes et pratiques de soins post-immédiats, nous avons montré à quel point le débriefing ne peut être confondu avec une « méthode fourre-tout » ou une « technique miracle » : bien que ce vocable ait donné lieu à de multiples interprétations et utilisations, largement favorisées par la médiatisation de la notion, les auteurs se sont toujours évertués à en dégager des principes clairs d’interventions dans des contextes précis selon des orientations théoriques définies et choisies. Nous l’avons vu, le débriefing est réservé aux personnes ayant vécu un événement particulièrement éprouvant avec une dimension de stress ou de traumatisme qui prévaut. Pour autant, le débriefing classique ne se veut pas une méthode thérapeutique en soi, dans le sens où il ne s’inscrit pas dans la durée et dans un processus à long terme pour le suivi des victimes. Il est davantage à situer du côté des approches psychosociales dans le domaine de la prévention secondaire. L’idée est bien celle de proposer une intervention unique (dans son contenu) en visant au mieux une prévention des troubles psychotraumatique aigus et au moins un apaisement des réactions les plus vives dans les suites d’un événement traumatogène. En ce sens, nous l’avons déjà souligné, l’IPPI (en tant qu’intervention psychothérapeutique post-immédiate) s’en démarque puisqu’elle entend se situer dans un processus thérapeutique mené par des soignants, ouvrant la voie à un suivi pour les personnes qui le souhaitent. Le débriefing ne peut se confondre non plus avec des dispositifs de soins tels que le psychodrame, la thérapie de groupe, ou le groupe de parole : le contenu, les principes de fonctionnement et les objectifs ne sont pas comparables. Enfin, le débriefing doit rester exceptionnel, comme les événements qui le motivent : il ne doit pas être systématisé (tendance actuelle dans les entreprises), comme le souligne Vermeiren (2003) : le risque serait alors de banaliser ce type d’intervention, comme les événements qui le déclenchent, voire d’instaurer des gestions routinières et techniques des souffrances de chaque individu.
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M ANIFESTATIONS POST -TRAUMATIQUES ET SOINS POST- IMMÉDIATS
C OMMENT SE FORMER POST- IMMÉDIATS ?
AUX SOINS IMMÉDIATS ET
La question doit être soulevée, mais la réponse est difficile, car qui peut affirmer que tel ou tel organisme de formation (universitaire ou autre) serait plus pertinent qu’un autre ? Actuellement en France, de nombreux diplômes universitaires ont vu le jour, spécifiquement centrés sur la prise en charge du psychotraumatisme. D’autres organismes de formation dispensent également des formations sur le sujet et les professeurs sont des professionnels du psychotraumatisme, voire des CUMP. Le ministère a confié à l’AFORCUMP-SFP la formation des membres des CUMP, sur le plan national et outre-mer. Les intervenants sont membres de l’association et des CUMP, professionnels reconnus et évidemment, entre autres, les professeurs Crocq et Lebigot représentent des interlocuteurs privilégiés dans le déroulement de ces formations. Nous ne pourrions et ne voudrions citer ici des organismes et en oublier d’autres, aussi ce qui nous semble important est de souligner que la formation à la clinique du psychotraumatisme et à la pratique de l’IPPI doit procéder en minimum 3 à 4 étapes : – une première étape de sensibilisation (théorique et début de pratique, pendant la formation elle-même, par des mises en situation) ; – une deuxième étape, qui consiste à coanimer avec un professionnel aguerri des séances d’IPPI, ce qui permet à la fois une observation participante et une première supervision ; – une troisième étape, centrée cette fois-ci sur la pratique réelle en tant qu’animateur et ce sur un nombre significatif de séances, ce qui permet de s’ajuster en fonction des situations, de réfléchir à sa pratique ; – une quatrième étape ou étape parallèle, qui vise à la supervision de sa pratique et sert également de débriefing psychologique pour les intervenants. Enfin, nous rappelons que ce type de formation ne peut se résumer à quelques jours, sauf si elle vise la sensibilisation de personnels tels que des cadres d’entreprise, personnels sociaux, qui ont besoin de cette connaissance minimum, notamment en entreprise pour alerter si besoin le médecin du travail (qui habituellement procède à l’accueil immédiat, mais n’effectue pas le débriefing psychologique lui-même). Mais la connaissance du sujet n’est pas forcément la pratique.
Conclusion
LE DÉBRIEFING PSYCHOLOGIQUE ET SON ÉVOLUTION
à montrer, tout au long de cet ouvrage, combien il était nécessaire et fructueux de réfléchir sur les approches immédiate et post-immédiate, notamment en s’intéressant à l’histoire de ce genre d’intervention auprès des victimes et des sauveteurs, avant de se lancer dans ce type « d’aventure clinique ». Nous espérons que le lecteur a ainsi pu mesurer l’importance de l’évolution culturelle et scientifique qui s’est opérée ses trente dernières années dans le champ du psychotraumatisme. En effet, à l’origine, le débriefing « à la française » s’est globalement nourri de deux courants distincts : celui de la psychiatrie militaire tout d’abord, puis celui de la psychologie anglo-saxonne autour des travaux de Mitchell. Sans renoncer aux principes de base énoncés par l’une ou l’autre de ces deux écoles de pensées – interventions précoces, sur le terrain, pour des populations exposées à des événements critiques et traumatogènes, en amont de la demande –, la pratique des CUMP s’est peu à peu démarquée de ces dernières en proposant des modèles
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
N
OUS AVONS CHERCHÉ
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M ANIFESTATIONS POST -TRAUMATIQUES ET SOINS POST- IMMÉDIATS
d’interventions qui ont progressivement donné lieu à deux types de changements. Le premier se situe dans le domaine du langage : les soins immédiats ont peu à peu pris la place du vocable « défusing » et les soins postimmédiats ont relayé le « débriefing ». En lien avec ce premier changement, la deuxième avancée s’est centrée sur une dimension soignante et plus seulement préventive ou adaptative. C’est dans ce contexte que l’intervention psychothérapeutique post-immédiate (IPPI) a vu le jour, afin de renforcer encore, en termes de vocabulaire et de contenu, la nature psychique des soins. Nous avons montré aussi combien ces évolutions étaient liées à la prise en compte de la dimension traumatique et de ses spécificités, en complétant les approches précédentes dans le domaine du stress. Dans ce sens, le courant psychanalytique s’est fortement mêlé aux visées comportementales, cognitives et psychiatriques, en renforçant notamment l’idée de la prise en compte de la subjectivité et de l’individualité dans une collectivité et en insistant sur d’autres qualités : l’écoute et la souplesse, dans un cadre préalablement défini. Ainsi, ces nouveaux modèles de soins se sont progressivement démarqués des anciens, trop souvent assimilés à des « recettes » opérationnelles applicables à tous dans n’importe quel contexte. Mitchell lui-même a récemment rappelé que ses travaux avaient trop souvent été pris au pied de la lettre en subissant de nombreuses déformations préjudiciables à la recherche et nuisibles aux populations prises en charge (Mitchell et al., 2008). Lorsque Mitchell et son équipe parlent de « programmes » à appliquer – par exemple en faisant évoluer le CISD (critical incident stress debriefing), en CISM (critical incident stress management) –, nous préférons proposer des modèles de soins articulés à des concepts théoriques qui posent les jalons de pratiques cliniques, en lien avec nos habitus culturels respectifs... Nous pouvons ainsi mesurer la mutation qui s’est opérée depuis le CISD, tel qu’il avait pu être recommandé pour les sauveteurs, son évolution pour les victimes, et l’IPPI, qui s’inscrit dans un processus thérapeutique : amorce de lien transférentiel permettant de poursuivre sur un mode plus psychothérapique. À ce jour, les soins immédiats, tels qu’ils sont pratiqués au sein des cellules d’urgence médicopsychologique, représentent la forme d’intervention la plus judicieuse en termes de. de soins médicopsychologiques Les soins post-immédiats permettent, plus clairement encore, une rencontre thérapeutique fructueuse en ouvrant la porte à des suites possibles. Cependant, il nous appartient encore de réfléchir aux cadres d’interventions les plus adéquats, aux limites de nos missions : éviter la systématisation et la banalisation de ce type d’intervention, alors que la
L E DÉBRIEFING PSYCHOLOGIQUE ET SON ÉVOLUTION
231
pression est grande et la médiatisation évidente. Réfléchir au cas par cas, plutôt que de proposer des protocoles qui peuvent donner l’impression, de par leur instrumentation, d’une maîtrise de savoir-faire, au détriment éventuel d’un « savoir être ». Il reste que le terme de « débriefing psychologique » reste encore le plus usité, « marketing » et facilité langagière obligent... et faute de résultats d’évaluation sur l’IPPI (recherches en cours), même si en France, cette dernière forme est de plus en plus diffusée et utilisée. Dans le champ de la psychotraumatologie, cet ouvrage comporte enfin ses spécificités. La première est sans doute celle qui prend racine dans nos formations et pratiques de psychologues cliniciennes décrites dans nos présentations. La seconde réside dans le fait que nous avons participé, aux côtés d’autres, à faire évoluer – sur le terrain comme dans nos formations, le contenu des interventions des cellules d’urgence médicopsychologique en France. En effet, parce qu’aucune de nos missions n’est strictement identique à une autre, elles ont toujours été et restent encore sources de questionnements, de remaniements, d’échanges et de remises en cause. Une autre originalité est d’avoir choisi de confronter différentes épistémologies telles qu’elles se côtoient dans nos services hospitaliers et lors de nos interventions d’urgence. Nous espérons ainsi avoir transmis au lecteur une part de nos expériences singulières.
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ANNEXES
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Annexe 1
RÉSUMÉ : DÉROULEMENT DU CISD D’APRÈS MITCHELL1
P HASE D’ INTRODUCTION
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• Se présenter. • Expliquer la démarche, établir le cadre. • Expliquer les règles de confidentialité : « Ce que vous allez me dire
ne sera pas communiqué à la Direction, cet entretien est strictement confidentiel. Nous allons parler de l’événement qui s’est produit l’autre jour et dont vous avez été victime, parce que ça peut faire du bien d’en parler. Nous sommes là pour parler de ce que vous avez vécu... »
1. Source : Stimulus (205 rue Saint-Honoré, 75001 Paris, Internet www.stimulusconseil.com).
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P HASE
A NNEXES
DES FAITS
• Décrire les événements tels qu’ils ont été vécus, par chacun des sujets
du groupe. • Préciser ce qui s’est passé avant pour le sujet, ce qu’il faisait, pendant... • Ce qu’ils ont vu, entendu, senti... • Y avait-il des témoins, comment ont réagi ceux-ci, ont-ils apporté du secours...
P HASE
DES COGNITIONS
• Permettre l’expression des pensées. • À quoi pensaient-ils au moment de l’incident : ce qui leur a traversé
l’esprit. • Qu’en pensent-ils aujourd’hui, qu’en restera-t-il comme souvenir. • Parfois, les gens sont gênés d’exprimer ce qu’ils ont pensé sur le coup, il n’y a pas de pensée honteuse.
P HASE
DES ÉMOTIONS
• Identification des aspects les plus traumatisants de l’incident. • Qu’est-ce qu’ils ont ressenti sur le moment ? Et après ? • Maintenant, comment ils se sentent ? Qu’est-ce qui a été le plus • •
•
• •
difficile pour eux ? Comment l’ont-ils vécu ? Comment ont-ils réagi ? Parfois, après un tel événement, on a du mal à communiquer avec nos proches, est-ce que cela a été difficile pour eux d’être en famille, de leur en parler, et aux collègues ? Expliquer qu’après un tel événement, il est normal de réagir fortement, d’être secoué. C’est une réaction normale à une situation anormale. Ce n’est pas la preuve qu’on devient fou. Même si on s’attend à ce genre d’événement, on ne peut rester imperturbable. Nous ne sommes pas des robots... Pouvoir parler avec les autres est un bon remède, même s’ils ne peuvent tout comprendre... Parfois, les personnes traumatisées se reprochent des choses ou se sentent personnellement responsables...
R ÉSUMÉ : DÉROULEMENT DU CISD D ’ APRÈS M ITCHELL
P HASE
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DES SYMPTÔMES
• Elle permet d’identifier les signes de détresse. • Ont-ils eu des signes de stress important au moment de l’événement ?
Comment cela s’est-il traduit ? • La nuit qui a suivi, ont-ils pu dormir, se sont-ils sentis irritables, ont-ils
eu des flash-back, ont-ils fait des cauchemars, ont-ils pleuré ? • Et maintenant, qu’en est-il ? Quel impact du fait d’en parler ? • Ont-ils pu reprendre le travail ? Comment cela s’est-il passé ? Ont-ils
noté des signes de stress au travail, après l’événement ? Qu’est-ce qui a changé depuis ?
P HASE D’ INFORMATION • Communication des réactions normales à des stress aigus. • Pouvoir connaître les médiateurs de stress.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• Expliquer qu’après un tel événement, il est normal de réagir fortement.
Sur le coup, l’organisme se mobilise pour faire face, après coup, il se sent épuisé, il a besoin de décompresser. • « Dans les jours et les semaines qui viennent, vous pourriez vous sentir sur le qui-vive, avoir du mal à dormir, avoir des images qui reviennent... » • « Il n’est pas sûr que vous ayez des problèmes de sommeil, de concentration... si c’est le cas, cependant, cela finira par disparaître petit à petit. Il est possible que vous n’en ayez pas du tout. » • « Surtout ne vous coupez pas des autres, il est important de parler, de se faire aider... »
P HASE
DE RETOUR
• Elle permet de faire la synthèse et d’envisager l’avenir. • « Je crois que nous allons arrêter là. Avez-vous des questions ?
Désirez-vous ajouter quelque chose ? » • Remettre un petit texte explicatif : « Il reprend ce dont nous avons parlé aujourd’hui. » • « Comment envisagez-vous l’avenir, la reprise ? Qu’est-ce qui pourrait vous aider ? »
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A NNEXES
• Si le débriefing se passe dans le cadre d’une entreprise : « Que peut • • • • • •
faire l’entreprise, votre supérieur, le médecin du travail ? » « Est-ce que vous voulez attendre avant de rentrer chez vous ? » « Désirez-vous que quelqu’un vous raccompagne, vous appelle un taxi ? » « Il est important de se détendre, de se faire plaisir... » « Évitez de prendre des médicaments pour dormir ou vous détendre, de boire... » « Parlez-en à votre médecin... Essayez plutôt de marcher, de faire des mini-relaxations, du contrôle respiratoire. » « Si certaines choses vous rappellent l’événement et provoquent chez vous de fortes réactions émotionnelles, comme le fait de repasser sur le lieu, de voir certaines personnes, ne soyez pas complètement surpris de cela. De nombreuses personnes ont ce type de réaction. »
Annexe 2
EXEMPLES DE DOCUMENTS DESTINÉS AUX VICTIMES
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A NNEXES
N OTE D ’ INFORMATION
À L’ ATTENTION DES PERSONNES VICTIMES ET DES IMPLIQUÉS1 N OTE REMANIÉE À PARTIR DE LA NOTE ÉLABORÉE PAR LE P R C ROCQ ET LE SAMU DE PARIS APRÈS L’ INCENDIE DE L’ AÉROPORT DE D ÜSSELDORF Madame, Monsieur, Vous venez de vivre une expérience difficile. Ce type d’événement peut provoquer des bouleversements importants et parfois un choc émotionnel. Chez certaines personnes, il peut exister des conséquences immédiates (angoisse, peur panique, agitation, stupeur, impression de vivre un rêve, etc.). Ces phénomènes peuvent aussi survenir plus tard (une fois à la maison, le lendemain). Dans certains cas, ils peuvent apparaître dans les jours, les semaines, voire les mois qui suivent l’événement. Des images de l’événement peuvent resurgir et devenir pénibles. Elles s’imposent à l’esprit le jour, ou bien la nuit sous forme de cauchemars. Elles peuvent entraîner de ce fait des troubles du sommeil, de l’angoisse, une modification de l’humeur, un sentiment de malaise ou d’insécurité, voire une irritabilité et avoir des répercussions dans votre vie familiale et/ou professionnelle. Il peut en être de même pour les enfants et se manifester sous la forme de jeux répétant la scène, des cauchemars, des pleurs, des colères, des difficultés scolaires, voire des troubles alimentaires (très jeunes enfants), etc. Dans ces situations, nous vous conseillons de consulter un médecin, un psychologue spécialisé dans ce type de problèmes. Vous pouvez vous adresser aux consultations spécialisées sur le trouble psychotraumatique pour un conseil, un rendez-vous. Nous tenons à votre disposition une liste de lieux de consultation par département.
1. Source : CUMP.
E XEMPLES DE DOCUMENTS DESTINÉS AUX VICTIMES
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E XEMPLES DE NOTES D’ INFORMATIONS PROPOSÉES À L’ ENTREPRISE POUR INFORMATION AUX SALARIÉS R ÉUNION À VISÉE DE DÉBRIEFING PSYCHOLOGIQUE1 Cette réunion a pour objectif d’aider les personnes impliquées dans l’événement à exprimer leurs pensées et leurs ressentis pour mieux comprendre, à travers l’apport du groupe, ce qui s’est passé et en surmonter les effets. Elle est prioritairement centrée sur l’expression des émotions. Cette rencontre comprend plusieurs étapes structurées autour de deux pôles principaux : – le recueil du vécu de chacun des participants ; – une information sur les manifestations liées aux réactions de stress et d’anxiété perçues par chacun et les moyens pour mieux y faire face. Elle dure environ deux heures et doit être régie par quelques règles importantes :
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
– la participation de chacun est soumise au volontariat ; – chaque personne faisant le choix de participer à la réunion de débriefing est tenue d’y assister jusqu’à sa conclusion ; – les personnes présentes doivent toutes avoir été confrontées directement à l’événement ; – la présence de la hiérarchie est a priori exclue ; – la confidentialité est de rigueur pour les participants et l’intervenant. Cette réunion, regroupant les personnes impliquées ou témoins, sera conduite par Mme..., Mlle..., M..., psychologue, spécialisé(e) en interventions après événement potentiellement traumatique. Il (elle) ne fera aucun rapport concernant les échanges ayant eu lieu entre les participants au débriefing, qu’ils soient liés aux faits, aux perceptions, ou aux émotions. Cependant, à la demande du groupe, il (elle) peut servir de relais pour faire remonter collectivement à la hiérarchie des souhaits, des attentes, des demandes particulières en lien avec l’événement.
1. Source : Préventis (Centre d’intervention pour la santé au travail, 10, rue La Boétie, 75008 Paris, tel : 01 48 74 12 47, fax : 01 40 17 95 76, Internet [email protected]).
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A NNEXES
N OTE CONCERNANT LES SYMPTÔMES DE STRESS AIGU1 Vous venez de vivre un événement psychologiquement éprouvant. Avoir été confronté à un événement particulièrement grave, comme celui que vous avez récemment vécu, peut provoquer un très fort retentissement émotionnel, psychologique et physique. Vous pouvez aujourd’hui, quelques jours après l’événement, ressentir un certain nombre de symptômes. S’ils sont inhabituels pour vous, sachez qu’ils sont très souvent observés au décours d’une telle situation. Nous vous communiquons ci-après certaines de leurs manifestations : – – – – – – – – – – – – – – – –
vous avez de la difficulté à vous concentrer ; vous repensez à l’événement de manière involontaire et répétée ; des images fortes s’imposent à votre esprit ; vous êtes troublé(e), émotionnellement et même physiquement en y repensant ; vous évitez tout ce qui vous rappelle l’événement ; votre sommeil est perturbé (problèmes d’endormissement, de réveils tardifs ou nocturnes) ; vous faites des cauchemars en rapport (ou non) avec l’événement ; vous vous sentez agité(e) et/ou nerveux(se) ; vous avez des sautes d’humeur, vous vous sentez irritable ; vous avez moins d’intérêt et de plaisir pour vos activités et vos loisirs ; vous vous sentez coupé(e) des autres ; vous avez l’impression de ne pas être compris(e) par les autres ; vous avez tendance à vous replier sur vous-même ; vous vous sentez coupable ; vous pourriez avoir tendance à recourir à l’alcool ou autres médicaments pour vous soulager ; vous vous sentez très fatigué(e).
Ces manifestations sont l’expression d’un état de stress aigu directement lié à l’événement. Elles sont désagréables, pénibles et sources d’anxiété. Elles sont généralement transitoires. Leur intensité est appelée à baisser peu à peu au cours du mois qui suit l’exposition à l’événement. Cependant, si le temps est nécessaire, il peut être insuffisant. C’est pourquoi devant des symptômes qui durent, s’amplifient, vous font de plus en plus souffrir, au-delà d’un mois, nous vous demandons de bien vouloir contacter :
☞ 1. Source : Préventis.
E XEMPLES DE DOCUMENTS DESTINÉS AUX VICTIMES
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☞ – – – –
soit votre médecin du travail ; soit votre médecin traitant ; soit le centre médicopsychologique de votre secteur ; idéalement une consultation spécialisée en psychotraumatisme.
De même que pour une fracture, une « blessure psychique » impose des soins spécialisés. Dans le but d’échanger entre nous et avec la participation d’un regard spécialiste extérieur sur le drame que nous venons de vivre, M... du cabinet « Présence psychologique » sera présent(e). Spécialiste de la gestion d’événements traumatisants, il (elle) organisera des groupes de parole pour permettre à chacun de faire part de ce qu’il ressent et répondre aux questions que vous pouvez vous poser. Votre présence à ces groupes de parole n’est pas obligatoire mais fortement conseillée. Vous ne serez pas obligé de parler, mais votre présence lors de ces échanges sera importante pour le groupe. M... pourra aussi rencontrer de façon individuelle les personnes qui le désirent et les rencontrer ponctuellement par la suite. Dès à présent vous pouvez le (la) contacter au...
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A NNEXES
R ECOMMANDATIONS SUITE À L’ ÉVÉNEMENT SURVENU 1 CE JOUR / MOIS / ANNÉE SUR LE SITE DE ... Vous avez vécu un événement émotionnellement lourd, vous risquez d’être fragilisé durant les semaines qui suivent. C’est pourquoi, il est important de respecter certaines précautions : – évitez toute exposition à des scènes violentes (informations, films, jeux vidéos, livres...) ; – respectez votre hygiène de vie habituelle (repas, sommeil, sport, loisirs, hydratation) ; – Évitez la surconsommation de stimulants (café, thé, cigarette, alcool...) ; – veillez à ne pas dépasser les prescriptions médicales de traitement antistress ou de somnifères. – favorisez les activités calmes et relaxantes avant de vous coucher (lecture, douche ou bain chaud, massage, lumière tamisée...). Des exercices de respiration ventrale peuvent vous aider : placez votre main sur votre ventre et soulevez-la avec vos abdominaux. Refaites le même mouvement en inspirant, votre ventre se gonfle, en expirant, il se vide. Restez vigilant quant à l’apparition de comportements ou de ressentis inhabituels (agitation, agressivité, vigilance, énervement, évitement, sommeil agité, perte des rêves...). N’hésitez pas à parler de ce qui vous est arrivé autour de vous ou à l’intervenant de « Présence psychologique » au moment où vous le souhaiterez. À tout moment vous pouvez contacter un psychologue au... Dès la fin de semaine, des groupes de parole seront organisés dans le but d’échanger entre nous et avec la participation d’un psychologue extérieur à l’entreprise. Votre présence à ces groupes de parole n’est pas obligatoire mais fortement conseillée. Vous ne serez pas obligé de parler mais votre présence lors de ces échanges sera importante pour le groupe.
1. Source : Présence psychologique (11bis, avenue Victor Hugo, 75016 Paris, 01 45 01 60 03, Internet : www.presence-psy.com).
E XEMPLES DE DOCUMENTS DESTINÉS AUX VICTIMES
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E XEMPLE DE RECOMMANDATIONS DE LA D IRECTION 1 D ’ UNE ENTREPRISE
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
La Direction s’associe à votre peine concernant l’événement... Dans le but d’échanger entre nous et avec la participation d’un regard spécialiste extérieur sur le drame que nous venons de vivre, Mme... du cabinet « Présence psychologique » sera présente le... Spécialiste de la gestion d’événements traumatisants, elle organisera des groupes de parole (appelés « débriefings collectifs ») pour permettre à chacun de faire part de ce qu’il ressent et répondre aux questions que vous pouvez vous poser. Votre présence à ces groupes de parole n’est pas obligatoire mais fortement conseillée. Vous ne serez pas obligé de parler mais votre présence lors de ces échanges sera importante pour le groupe. Mme... pourra aussi rencontrer de façon individuelle les personnes qui le désirent et les rencontrer ponctuellement par la suite. À tout moment (7j/7 et 24h/24) vous pouvez la contacter au...
1. Source : Présence psychologique.
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