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French Pages 366 [402] Year 2000
Laurence Alfonsi
L'aventure américaine de l'œuvre de François Truffaut
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Collection Cinéma et Société dirigée par Yves Laberge
Cette collection regroupe des ouvrages interdisciplinaires consacrés aux sociétés imaginaires recréées dans les œuvres, aux problèmes liés à l’industrie culturelle et aux questions de réception et d’auditoire. Les effets de la mondialisation des cultures sur l’offre des films en salle et sur d’autres supports, comme la situation des cinémas nationaux, font aussi partie des sujets abordés. Les auteurs sont sociologues, historiens ou spécialistes des études cinématographiques. Yves Laberge est responsable du groupe de travail sur la sociologie du cinéma et de la télévision au sein de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF).
Déjà paru
Laurence ALFONSI, Truffaut, 2000
Lectures asiatiques de l’œuvre de François
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© L'Harmattan, 2000 ISBN : 2-7384-9099-9
Laurence ALFONSI
L'AVENTURE AMÉRICAINE
DE L'ŒUVRE DE FRANÇOIS TRUFFAUT
De la sociologie du cinéma
Préface de Alain Pessin Avant-propos de Yves Laberge
L'Harmattan 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique 75005 Paris - FRANCE
L'Harmattan Inc 55, rue Saint-Jacques Montréal (Qc) — Canada H2Y 1K9
Du même auteur :
Lectures asiatiques de l'oeuvre de François L'Harmattan, 2000, coll. "Cinéma et société".
Truffaut,
À mes parents
"L'homme. pour le sociologue, est toujours une expérience infinie à conquérir." Jean Duvignaud!
"Je ne ferais pas un film s'il ne doit pas y avoir un public au bout. Le cinéma est un trajet. Ce qui est stimulant, excitant dans le cinéma, c'est que malgré les surenchères intellectuelles, il est resté un art populaire, pour des gens tout à fait disparates. [...] Le film sort de Paris, va partout en Province, il sort de France, il va à l'étranger, il est sous-titré dans certains
pays,
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Jour il passe à la télévision. C'est une circulation réellement populaire." François TruffautZ
REMERCIEMENTS
Bien qu'il me soit impossible de remercier individuellement tous ceux qui ont permis la réalisation de cet ouvrage, je souhaiterais exprimer ma reconnaissance aux organismes et personnes suivants qui m'ont prêté leur précieux concours. Je tiens à adresser des remerciements tout particuliers à
Mme Madeleine Morgenstern qui à mis à ma disposition les archives des Films du Carrosse et notamment tous les documents étrangers et américains précieusement conservés par François Truffaut. Qu'elle trouve ici l'expression de ma reconnaissance. J'aimerais également remercier Mme Monique Holveck qui m'a aimablement accueilli à plusieurs reprises aux Films du Carrosse et m'a aidé dans ma recherche de documents. Je tiens aussi à exprimer ma gratitude à M. Alain Pessin, professeur de sociologie à l'Université Pierre Mendès France de Grenoble et directeur de Centre de Sociologie des Représentations et des Pratiques Culturelles (CSRPC), pour ses conseils et son aide, ainsi que pour sa contribution au présent ouvrage.
Je remercie également M. Michel Larouche, professeur à l'Université de Montréal et directeur du Centre de Recherche de Cinéma/Réception, pour son précieux concours. Je n'aurais garde d'oublier dans mes remerciements M. Yves Laberge pour les conseils éclairés qu'il m'a prodigué, pour le soin qu'il a apporté à la publication de cet ouvrage en tant que directeur de la collection "Cinéma et société" aux
STONE éditions L'Harmattan et pour collaborations scientifiques.
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et précieuses
Mes remerciements s'adressent également aux organismes suivants qui m'ont fourni les nombreux renseignements et documents nécessaires à la réalisation de cet ouvrage Margaret Herrick Library à Los Angeles, The Society For French American Cultural Services & Educational Aid (F.A.C.S.E.A.) à New York, l'Ambassade des Etats-Unis en France (Centre de documentation Benjamin Franklin), M. Lardinat de l'American Library à Paris, The British Film Institute à Londres, The British Library à Londres, M. Gene Walz (Université de Manitoba à Winnipeg), M. Peter Harcourt (Carleton University à Ottawa), la Cinémathèque du Canada à Ottawa, la Cinémathèque québécoise à Montréal, l'Ambassade du Canada en France et enfin, tous les journaux et revues, français et américains, qui m'ont fait parvenir des articles sur François Truffaut et qu'il m'est impossible de remercier individuellement.
De manière plus personnelle, je remercie tout particulièrement mes parents qui m'ont apporté un soutien et une aide inlassables.
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TABLE DES MATIERES
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PREMIÈRE PARTIE Comment s'imposer sur le marché américain ? -
1- La découverte d'un cinéma différent...
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-2- Le temps de la reconnaissance stratégique...
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- 4- L'apogée du succès et de la reconnaissance SÉTALSUIQUE NAME RARES HE TDR
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5- Le cas Zruffaut ou la réussite d'une stratégie...
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- 6- Les rouages primordiaux de la stratégie...
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DEUXIÈME PARTIE
La réception des critiques américains : la consécration imparfaite - 1- La fonction du critique : entre conceptions truffaldienne et américaine... 120 -2-
Les années soixante :
la réceptivité du public américain à la subversion..…. 128
- 2.1 - L'influence du contexte américain de la première moitié des années soixante... - 2.2 - Autour du syndrome vietnamien...
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- 2.2.1 - Le rôle décisif de la guerre du Viêtnam dans les con-
testations sociales des années soixante et soixante-dix...
144
- 2.2.2 - Le spectre vietnamien et la réception de Truffaut...
148
- 2.3 - L'identification à un art anti-conformiste.
161
-243:1= Le rôle des références littéraires 2 2 2. - 2.3.2 - Le rôle des références cinématographiques.….…........
162 168
-3- Aux antipodes du chef-d'oeuvre...
174
- 3.1 - Genres et références américains...
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- 3.1.1 - Le potentiel de rupture avec le genre...
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A UE - 3.1.2 - Truffaut et le cinéma hollywoodien..............................… - 3.1.3 - La rupture avec les films noirs américains :
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-3.1.4- La spécificité de Truffaut face à la
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D La PAUIOUTS ONCE in eme - 3.3 - Le maintien de la négativité de l'oeuvre...
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- 3.3.1 - Une oeuvre au coeur des différentes réalités sociales... 255.2 --Des:films toujours 'déroutants:..,..1. 2248.
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- 3.3.3 - La Trufjaut's touch :
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PRÉFACE La sociologie de l'art a depuis quelques années réintroduit au coeur de ses débats la question essentielle des oeuvres. Elle considère de nouveau que l'oeuvre même recèle la possibilité d'une connaissance sociologique. En décidant de cesser d'abandonner l'oeuvre à l'esthète, au philosophe et à l'historien de l'art, de nombreux sociologues (nous pensons notamment à la soixantaine de chercheurs qui, en France, ont décidé de concentrer leurs efforts sur ce problème au sein du GDR-CNRS OPusS) ont ouvert ce chantier et débattent actuellement de la nature du déplacement du regard et du questionnement sociologique qu'il implique. Bien que le livre qu'elle nous propose aujourd'hui n'affronte pas systématiquement les contenus de l'oeuvre, le travail de Laurence Alfonsi se place résolument dans ce nouvel état d'esprit. Mais il rencontre, sur cette route, un problème intermédiaire : pour qu'une oeuvre "fasse oeuvre", c'est-à-dire "impressionne", au sens quasi photographique du terme, une époque, un public, et prenne place de manière saillante dans une succession de produits culturels, il faut qu'elle dégage avec elle la figure d'un auteur. Qu'est-ce donc qu'un cinéma d'auteur, et qu'un auteur de cinéma ? C'est le même problème dont traite aujourd'hui un autre jeune sociologue de l'art, Olivier Thévenin, dans son beau travail à propos de Godard. Or ce problème pourrait être de nature, une nouvelle fois, à éloigner le sociologue de l'oeuvre elle-même. Raymonde Moulin ne rappelait-elle pas que le problème, dans le monde
de l'art aujourd'hui, était celui du "label" artistique, de la signature, de la capacité pour un auteur à assurer sa valeur à
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son produit, ce qui implique d'avoir été préalablement étiqueté comme auteur, c'est-à-dire produit lui-même comme un objet de reconnaissance, par un système complexe, aux acteurs multiples, culturels et économiques. Le mouvement de l'art, et de
la relation
mouvement
d'une
société
avec
ses
arts,
et
donc
le
de la sociologie de l'art, c'est-à-dire de cette
relation, a consisté à passer de l'oeuvre à l'acte, et de l'acte à
l'artiste (De la valeur de l'art, 1995).
À suivre exclusivement cette voie, la sociologie des oeuvres aurait toute chance de revenir à une attitude restrictive par rapport à l'oeuvre, à savoir à l'étude du système des conventions qui président à l'étiquetage, et à clore là son investigation, dans l'exclusion des oeuvres. Bruno Péquignot a fort opportunément rappelé que les deux approches, celle de la production sociale de l'artiste, et celle du contenu de l'oeuvre, n'étaient pas incompatibles, qu'elles étaient même évidemment complémentaires, mais qu'elles l'étaient de manière non symétrique. La première peut se contenter d'elle-même, alors que la seconde ne le peut pas. "Faire de l'oeuvre un instrument de connaissance suppose son inscription et ses relations de dépendance (même relatives) avec ce dont on cherche à produire une connaissance, le social,
et tout
d'abord,
bien
sûr,
les
conditions
socio-
économiques de la production, de la distribution, de la consommation ou réception des oeuvres" (Pour une sociologie esthétique, 1993). La démarche générale de Laurence Alfonsi se situe dans cette ambition "ouverte". Elle n'en accomplit évidemment pas toutes les étapes dans le présent livre. Elle-même (ou d'autres, et d'autres) le feront à propos des contenus des oeuvres de Truffaut. Mais il n'y avait pas trop d'un volume pour élucider avec sérieux un seul point : comment se constitue un auteur de cinéma aujourd'hui, quels sont les processus qui permettent la légitimation d'une oeuvre à travers la construction
Mae progressive de son succès dans un pays étranger ? Sur ces problèmes provisoirement circonscrits, notre sociologue nous invite à prendre connaissance des résultats d'une enquête rigoureuse et fort bien documentée, enquête vaste et difficile dès lors qu'elle est conçue dans l'intention large de Howard Becker : ne pas étudier l'oeuvre comme une réalité isolée, mais comme l'ensemble des étapes de sa création et de sa récréation à mesure que des gens la découvrent et l'apprécient. Un auteur donc. Est-il celui qui gagne un étiquetage en se moulant dans le système des conventions ? Nullement. Et l'exemple de Truffaut est à cet égard particulièrement significatif. Un critique du New York Times écrivait de lui : "C'était un révolutionnaire qui travaillait de manière conventionnelle pour faire des films non-conventionnels". On trouve à tout moment chez lui cette dialectique du collectif (au sens durkheimien de contrainte) et de l'individuel, du personnel, du passionnel. Dialectique qui se réalise dans une démarche voulue, où l'on tient le plus grand compte des puissances contraignantes, mais où la liberté de l'auteur doit être à la fois le point de départ et le point d'arrivée de l'ensemble du parcours.
Laurence Alfonsi montre fort bien comment la progression de l'audience de François Truffaut aux U.S.A. procède d'une stratégie. Il y a une volonté explicite du cinéaste de s'imposer sur le marché américain, stratégie qui portera ses fruits : le cinéaste estimait en 1976 que le marché américain couvrait un tiers du coût de ses films, et compensait des résultats qu'il jugeait assez moyens en France. Ce marché lui assurait alors sa liberté de créateur. Or cette acceptation par l'Amérique, recherchée,
voulue,
s'est
effectuée
à
la
faveur
d'un
apprentissage, ponctué de plusieurs étapes nécessaires à l'acquisition progressive des normes truffaldiennes par les Américains.
210 Toute la première partie du livre montre comment s'est effectué ce processus, qui est réellement parvenu à maturité avec La Nuit américaine. Il y a, après ce film, un véritable "effet Truffaut", la reconnaissance de la "Truffaut's touch". A
partir de là, non seulement les producteurs américains engagent leurs capitaux en confiance, sûrs qu'ils sont de faire de l'argent avec Truffaut, mais la reconnaissance dépasse celle d'un film pour concerner un auteur. Cette émergence d'un auteur est bien visible dans des expressions qui peu à peu font consensus autour des oeuvres de Truffaut : "films d'auteur populaires", ou "avant-garde du cinéma commercial", dans le fait aussi que Le Dernier métro, qui suscitait les inquiétudes de Truffaut quant à la capacité du public américain de se reconnaître dans ses personnages, a été accepté en raison de son style : on avait bien alors une légitimation de son cinéma.
Qu'est-ce que la Truffaut's touch ? Qu'est-ce qui fait l'objet d'une reconnaissance dans l'oeuvre de ce cinéaste ? Un mélange subtil, où entrent en composition les éléments de surprise qui accompagnent ses histoires, des personnages hésitants, des films non-conventionnels, un parfum atypique ; le caractère artisanal aussi de son travail : il n'y a jamais eu assez de temps, assez d'argent, ses films ont donc des défauts,
et permettent la respiration des spectateurs : l'unité du film enfin : on apprécie qu'il soit l'oeuvre d'un seul homme qui fait tout, qui est à la fois producteur et réalisateur.
Dans sa deuxième partie, Laurence Alfonsi met en place des instruments de compréhension de ces mécanismes de réception. Elle a le mérite de ne pas se laisser trop abuser par les correspondances d'apparence facile entre les événements ou les sentiments d'un moment et le contenu des oeuvres. Toujours trop faciles d'abord parce que, comme elle l'a bien vu, l'oeuvre de Truffaut penche toujours vers l'ambivalence, et se laisse peut plaquer sur des situations qui, pour faire sens par rapport à la grisaille de l'ordinaire, doivent susciter du manichéisme. Mais aussi et surtout parce qu'il n'y a oeuvre
LOUE que lorsque l'on décolle de l'événement, du paysage sociohistorique. Ni la guerre du Viêtnam, ni la contestation de la Jeunesse américaine, ni la menace de la délinquance urbaine
généralisée - même si le cinéma de Truffaut peut fournir des "points d'accroche" avec tout cela - ne peuvent expliquer la réception d'une oeuvre comme la sienne. Par contre, comme le pressent très bien l'auteur, de tels événements
ou situations
permettent que telle image "retentisse" et trouve écho dans un monde imaginaire où les appuis ne lui manquent pas. Comme le remarquait finement G. Bluestone, les pompiers de Fahrenheit 451 convoquent pêle-mêle les images de ceux qui faisaient brûler les sorcières, du Ku Klux Klan, mais aussi de ceux qui brûlent des hommes au napalm quelque part au Vietnam
Ainsi la rencontre s'établit sur un autre plan que celui de la correspondance immédiate, un plan qui est celui de la représentation, de l'imaginaire. C'est ainsi que, après un long et remarquablement utile - travail préalable, Laurence Alfonsi désigne nécessairement, pour une phase ultérieure, l'analyse de l'oeuvre elle-même. Alain PESSIN
Professeur de sociologie à l'Université Pierre Mendès France de Grenoble Directeur du Centre de Sociologie des Représentations et des Pratiques Culturelles
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AVANT-PROPOS Le réputation monde (et constant
public américain a généralement mauvaise en matière de cinéma. Beaucoup de cinéphiles du même des États-Unis) s'expliquent mal le succès des superproductions hollywoodiennes, qui
véhiculent tant de lieux communs, de facilités, de vulgarité, de
violence et de mauvais goût. Mais qu'en est-il du goût du public ? Est-ce que les auditoires apprécient totalement ce qu'on leur présente ? Comment se forment les préférences et les choix des auditoires ? Autrement dit, comment
certaines
instances, comme les opinions subjectives des critiques, les sélections globales des distributeurs de films, les sanctions arbitraires
émanant
de
commentateurs
non-spécialisés,
l'ampleur des campagnes publicitaires, les opérations de mise en marché, combinées à la réputation de certains cinéastes, peuvent-elles déterminer non seulement la carrière d'un long métrage, mais aussi la représentation d'une culture ou d'un pays à l'étranger ? Pour saisir la portée de ces phénomènes, il faut comprendre les facteurs d'influence qui permettent à quelques personnes (producteurs, distributeurs, critiques, groupes de spectateurs) d'influencer le menu cinématographique de très larges audiences, d'un pays à l'autre.
Une frange du grand public a facilement cru que la qualité d'un film pouvait à elle seule garantir son succès commercial,
ou que les recettes d'une oeuvre étaient directement proportionnelles à sa valeur, ce qui est en réalité inexact. Inversement, on croit trop souvent que les films qui font le plus de bruit méritent davantage notre intérêt.
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L'impact inestimable de toutes les critiques lues et entendues, émanant souvent de commentateurs non spécialisés mais si influents, du voisin ou du collègue qui vous raconte le film qu'il a aimé, sont néanmoins si déterminantes qu'il importe de les étudier, non pas pour départager qui a tort ou qui a vu juste, mais d'abord pour observer la dynamique de ces mécanismes d'influence. Comment certaines personnes peuvent à elles-seules (et sans le réaliser pleinement) déterminer ce que tout un auditoire de milliers de personnes ira VOIr au cinéma ?
Par le statut que leur confère leur position dans un journal ou une revue, les critiques accèdent aisément à un haut niveau d'influence et passent, quelquefois avec raison, pour des experts, peu importe leur formation ou leur compétence en matière d'histoire du cinéma.
Comme on le sait, la critique de cinéma est imprévisible et totalement subjective, jamais à l'abri du parti pris ou de l'incohérence, mais pourtant si déterminante. Ayant lui-même été critique, François Truffaut savait à quel point les recommandations et les mises en garde pouvaient amplifier ou saborder la carrière d'un film... et de son auteur ! Comme on le sait, pour beaucoup de jeunes cinéastes français, la Nouvelle Vague à été l'occasion de tourner un premier long métrage, qui fut aussi le dernier. Mais le principal problème de la critique n'est pas tant sa trop grande influence auprès du grand public, mais bien son incapacité à rendre pleinement justice aux oeuvres qui ne font pas l'événement, c'est-à-dire qui ne sont pas largement publicisées. Evidemment, cette question en soi pourrait faire l'objet d'un autre livre.
Les liens entre Truffaut et les États-Unis étaient doubles.
François Truffaut aimait la culture des États-Unis, le roman
noir, et admirait des réalisateurs mal aimés (souvent d'origine européenne) comme Lubitsch, Hitchcock, Lang. Mais l'Amérique le lui rendait bien, préférant même parmi ses
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oeuvres les films typiquement français à ceux, relativement nombreux, inspirés d'oeuvres américaines (comme Tirez sur le pianiste, La Mariée était en noir, La Sirène du Mississippi,
La Chambre verte). C'est parfois en cherchant à plaire à son auditoire qu'on le déçoit. Pourtant, comme le prouve sa correspondance, François Truffaut se souciait énormément des réactions des critiques, il en discutait longuement et s'en inquiétait constamment. Les premiers films de Truffaut sont arrivés aux États-Unis dans la foulée de la Nouvelle Vague, et les films français de cette période avaient alors, déjà, une certaine réputation en Amérique. Cette image du cinéma français, et par conséquent cette représentation de la culture française selon ce point de vue, créait certainement des horizons d'attente auprès des critiques et des auditoires américains. Progressivement, les États-Unis étaient disposés à accueillir des films différents de ceux produits dans le moule hollywoodien, et à les apprécier comme tels. Comment le public américain voyait-il la France d'alors à travers son cinéma ? Quelles sont les particularités, outre l'audace et la spontanéité, que les critiques remarquaient dans ces oeuvres ? Ce sont quelques-unes des réponses que l'on trouve dans ce livre passionnant. Yves LABERGE
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"Dans le cinéma français, qu'il le veuille ou non, Truffaut est un cas. Il est un des seuls metteurs en scène français exportables aux Etats-Unis. Lorsqu'on demande à un américain : "Vous connaissez le cinéma français ?", qu'il soit
de Chicago ou de Washington, il répond inévitablement : "Oui ! Trouffaut." souligne France-Soir le 3 novembre 1977. De tous les cinéastes français, François Truffaut est sans doute celui qui a suscité, de son vivant et de façon grandissante après sa mort, l'exégèse la plus importante autant en France qu'à l'étranger. On a beaucoup écrit sur Truffaut : il est l'un des cinéastes français les plus importants du ‘ait de la diversité de ses activités créatrices et de son rôle majeur dans l'avènement de la Nouvelle Vague - mouvement à l'origine d'une grande dynamique internationale - ; il est l'un des cinéastes les plus attachants et originaux ; enfin, il est l'un des
seuls à avoir connu une véritable audience internationale. Célébrée dans le monde entier, l'oeuvre de Truffaut est en
effet l'une des rares productions françaises à avoir touché un public international et ceci dès les Quatre Cents coups (grand succès mondial, prix dans de nombreux festivals). Le cinéma de Truffaut fut apprécié dans des cultures très distinctes, parfois même jugées généralement hermétiques au cinéma français comme la culture américaine. Faute d'études complètes sur ce sujet - malgré l'imposante bibliographie sur François Truffaut -, nous connaissons l'existence du rayonnement international du cinéaste par le seul biais des nombreuses allusions de la critique, notamment française. En effet, les différents articles et ouvrages sur
1281 Truffaut évoquèrent souvent le succès du réalisateur à l'étranger et notamment aux Etats-Unis. C'est ainsi que l'Encyclopédia Universalis débute son article sur François Truffaut par la phrase suivante : "Pour les Américains, François Truffaut est l'un des plus grands cinéastes contemporains" (Jean Collet). Néanmoins, bien que justifiés et parfois honorables, ces allusions de la critique française contribuèrent en fait, notamment dans le contexte de la réception hexagonale de Truffaut, à renforcer le cliché d'un réalisateur conventionnel et
timoré. De façon implicite, la critique française utilisa même l'image du successful Truffaut comme garantie de l'exportabilité du cinéma français, alors qu'elle fut souvent la plus injuste avec lui. Mais pire encore, de tels propos ont déformé la nature de la réception du cinéaste aux États-Unis,
de la même façon qu'ils ont donné une idée fausse de l'impact du cinéma truffaldien sur le spectateur en général. Truffaut fut en effet dépeint comme un représentant français, comme un porte-parole idéal d'un genre ou d'un pays. Ainsi, ces propos ont souvent été l'occasion de corroborer l'idée d'un cinéaste devenu universel, mais dans le sens négatif du terme, c'est-àdire conformiste et unanimiste. Aujourd'hui encore, si Truffaut n'apparaît plus comme un cinéaste conventionnel, son succès international et notamment américain reste associé à la prétendue clarté consensuelle de son image à l'étranger. Pourtant, cette image demeure très partielle et nullement représentative de l'ensemble des effets du cinéma truffaldien sur les spectateurs du monde entier. Précisément, elle ne correspond pas à l'intérêt profond des Américains pour Truffaut, lequel est étroitement lié à la stratégie commerciale et artistique du réalisateur. Briser les faux clichés que l'on a véhiculés sur Truffaut revient donc à briser l'image d'un cinéaste foujours populaire. "On connaît l'histoire d'amour entre le public et Truffaut à peu près tout au long de sa carrière, même si on a un peu oublié que, entre Les Quatre
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Cents coups et Baisers volés, aucun des films de Truffaut, pas même Jules et Jim, n'a fait l'objet de grands articles dans la presse new-yorkaise, ni beaucoup fait recette à sa sortie" souligne Todd McCarthy ("Visite à Hollywood", Le Roman de François Truffaut, Cahiers du cinéma/Editions de l'Etoile,
Paris, 1985, p. 156). Cette remarque est extrêmement pertinente dans la mesure où la fausse image d'un succès égal
dissimule l'évolution réelle que la réception américaine de Truffaut a connue. Rechercher la véritable nature du succès américain de Truffaut, en étudiant précisément - chiffres et articles à l'appui - l'évolution de la réception, fournit en fait une preuve de l'impact progressif de la stratégie truffaldienne. La réussite internationale de l'oeuvre de Truffaut se mesure
donc à l'évolution d'une carrière, qui fait de plus en plus apparaître l'existence et l'influence d'une stratégie
particulièrement dynamique. La réception d'une oeuvre d'art constitue en effet un parcours fléché?, déterminé à la fois par le créateur et par le récepteur. Si le spectateur apprend à réagir à l'intérieur de formats culturels et idéologiques, l'impact d'une oeuvre est aussi de remettre en question ces repères, tout en demeurant lisible et fascinante. Concrètement, la dynamique de la stratégie truffaldienne s'est notamment traduite par le fait que, tout en s'engageant activement et personnellement dans la promotion de ses films, Truffaut a su maintenir son indépendance et sa liberté de création. À ce titre, le cas du cinéaste français demeure aussi exceptionnel qu'exemplaire. Même si le rayonnement international de l'oeuvre de Truffaut intervint à une période favorable*, ce livre n'en évoque donc pas moins un modèle de carrière cinématographique et le succès exemplaire d'un cinéaste français aux États-Unis. La concentration de cet ouvrage sur l'évolution d'une réception et, parallèlement, sur l'influence progressive de la stratégie d'un auteur, n'est pas sans intérêt d'un point de vue sociologique. En effet, le sociologue est naturellement attentif
SAVE aux régularités, souvent riches en enseignement, ainsi qu'à la profondeur du recul historique. Dans cette perspective, il ne saurait être indifférent à la réception de l'oeuvre complète d'un même auteur tout au long de décennies successives. Nous mettrons donc en valeur le processus de sédimentation qui caractérise l'évolution d'une oeuvre au travers de ses différentes lectures et relectures. L'accueil successif des différents films d'un cinéaste dans un contexte précis témoigne des mutations sociales, de l'évolution des pratiques culturelles, mais aussi des parcours de lecture balisés par l'oeuvre au fil du temps. En effet, les régularités instaurées par les différents
films d'un auteur, voire plus largement par l'ensemble des oeuvres qui lui sont affiliées, contribuent à développer des attentes particulières chez le spectateur. Ainsi, les réceptions successives de Truffaut aux États-Unis, qui s'étalent sur une période de vingt-cinq ans, déterminent un sujet intéressant pour la sociologie du cinéma dans la mesure où il met forcément l'accent sur les vecteurs de réception internes à l'oeuvre. Cette approche globalisante du processus de réception constitue donc un prolongement spécifique des principes fondateurs de la sociologie de l'art, dont “l'objet n'est pas", comme le souligne Howard Becker, "l'oeuvre d'art en tant que réalité isolée (objet ou manifestation), mais l'ensemble des étapes de sa création et de sa recréation à mesure que des gens la découvrent et l'apprécient" (Les
Mondes de l'art, Flammarion, 1988, p. 226).
Notre approche évolutive de la réception permet donc de se situer dans une perspective multidimentionnelle et multidisciplinaire. Explicitement ou implicitement, consciemment ou inconsciemment, et malgré de nettes évolutions théoriques et méthodologiques dans le domaine, on distingue encore le sociologue de l'art ou le théoricien de la réception de l'historien de l'art. Les premiers sont censés n'étudier que le contexte de production, de diffusion et de réception des oeuvres, tandis que le second se canalise sur leur organisation intrinsèque. Pourtant, les deux démarches
sa dee décrivent forcément de manière incomplète les oeuvres d'art et leur réception, parce que trop exclusivement concentrées sur le spectateur d'une part et sur l'oeuvre d'autre part. Même au sein de la sociologie de l'art, et bien que la discipline n'ignore plus les spécificités de la création artistique, l'approche dite interne, qui recherche dans l'oeuvre et son élaboration des repères pour la réception, demeure souvent différenciée de l'approche dite contextuelle, qui étudie l'environnement de l'oeuvre et de l'artiste, les modalités de la réception, les processus de légitimation, l'influence du marché, etc. Au contraire, c'est seulement en associant et non en distinguant ces deux approches que l'on rend compte de l'aspect multidimentionnel de la réception d'une oeuvre d'art. Ainsi, le présent ouvrage s'inscrit dans la perspectice d'une "sociologie
esthétique" - expression créée par Emile Durkheim dans un article de L'Année Sociologique en 1901 et reprise par Bruno Péquignot - qui définit une démarche spécifique et pluridisciplinaire dans le champ de la sociologie de l'art. Cette étude a donc pour ambition de saisir l'oeuvre d'un cinéaste à l'intérieur des circonstances de sa productionréception. Tout en rejettant le mythe d' "une essence de l'art" (Jean Duvignaud, Sociologie de l'art, PUF, 1984, p. 25), mais
sans refuser pour autant les références à l'analyse directe des films, nous étudierons le processus de légitimation d'une oeuvre à travers la construction progressive de son succès dans un pays étranger. L'objet de l'étude n'est donc pas l'oeuvre elle-même mais l'ensemble des processus qui permettent sa création et sa légitimation sociale et culturelle. Dans cet esprit, et au-delà des controverses dont le sociologue est souvent l'enjeu, Pierre Bourdieu tient une place fondamentale dans l'ensemble des études artistiques pour avoir eu notamment le mérite de définir le concept de "champ". Ce dernier reconnaît en effet à l'artiste un rôle moteur tout en le situant dans l'ensemble des interactions de l'offre et de la demande que les médiateurs et les acteurs du "champ" développent.
-5304s
Dans une telle perspective, le créateur joue un rôle à la fois déterminé et déterminant dans l'élaboration du sens. Nous devons donc identifier tant les communautés de réception (repérables socialement, historiquement et géographiquement) que les communautés de créateurs. En effet, toutes les oeuvres ne sont pas également interprétables dans la mesure où il existe toujours une "intentio operis" (Umberto Eco) particulière et particularisante. Le processus de réception s'appuie ainsi sur l'association de l'"intentio lectoris" (Eco) ou spectatoris - ce que le public recherche dans l'oeuvre en fonction de ses propres dispositions culturelles - et de l'intentio operis" (Eco) - la logique de l'auteur lors de la création. L' "intentio operis", qui contribue à déterminer des ‘ideolects of reception" selon l'expression de Janet Staiger, se compose donc des intentions de l'auteur, associées et liées à son positionnement social, culturel et institutionnel (le contexte de production de l'oeuvre). De ce fait, examiner les intentions d'un auteur et l'organisation interne de son oeuvre suppose que l'on décrive parallèlement les agents avec lesquels l'artiste a commercé et les destinataires du film. "La sociologie de la création artistique nous conduit par une transition toute naturelle à celle des publics" souligne Roger Bastide (Arf ef société, Payot, 1977, p. 95).
Plusieurs théoriciens de l'art ont émis des réserves sur ce principe des "intentions de l'auteur", à l'instar de Jacques Aumont et Michel Marie qui soulignèrent leur réticence envers les "supposés intentions de l'auteur, à supposer même que ces intentions aient été parfaitement claires et explicites pour le cinéaste lui-même" (L'analyse des Jilms, Nathan, 1988, p. 205). La difficulté à rendre compte des intentions de l'auteur n'est en effet pas négligeable, essentiellement pour trois raisons. Premièrement, le cinéaste n'a pas forcément clairement conscience de ce qu'il a l'intention de montrer. C'est ce que Bellemin-Noël nomme l' "inconscient du texte” c'est-à-dire la méconnaissance par l'auteur de ses motivations
SE
secrètes. Le créateur peut, dans certains cas, être semblable au patient incapable de décrypter sa propre histoire sans le concours du spectateur-analyste. Truffaut lui-même notait ce rôle de l'analyse critique pour la compréhension de ses propres films®, ce qui ne signifie pas qu'il ne mette pas en place une stratégie capable de déterminer sa réception. Deuxièmement, le spectateur et, par extension, le sociologue de l'art n'ont pas toujours accès à l'ensemble des conditions de la création d'une oeuvre. Troisièmement, comme le souligne Roger Odin, l'artiste est une élaboration du spectateur que l'on ne saurait confondre avec l'auteur qui a oeuvré dans le contexte précis de la création. Dans cette perspective, l'artiste intervient au sein même du processus de réception. Pourtant, si l'examen des intentions de l'auteur n'est pas une entreprise aisée, il ne s'agit nullement d'une démarche impossible et encore moins, dans certains cas, dénuée d'intérêt. L'exemple de la réception américaine de François Truffaut constitue un cas probant pour deux raisons principales. La première tient à la personnalité extrêmement pragmatique de Truffaut. Si l'activité du cinéaste a, comme chez tout artiste, sa part d'inconscience, Truffaut affichait une stratégie commerciale et artistique très cohérente. C'est pourquoi, nous utiliserons, tout au long de l'ouvrage, le terme de "stratégie" afin de démontrer à quel point le réalisateur s'est délibérément investi dans la construction de sa popularité. De plus, la cohérence de la stratégie truffaldienne nous permet de faire resurgir le "non conscient" (Lucien Goldmann) à la lumière des intentions explicites du cinéaste. Justement, la seconde raison tient à l'importance des documents qui témoignent plus ou moins ouvertement de la logique artistique et commerciale de Truffaut, ainsi qu'à l'accessibilité des archives du cinéaste (correspondances, différentes étapes des scripts, etc, conservées aux Films du Carrosse). Parallèlement au soin minutieux avec lequel Truffaut archiva tous les documents relatifs à sa carrière, le cinéaste n'était absolument pas avare d'écrits
OA cinématographiques, d'interviews et d'apparitions publiques. Ces nombreux et divers documents sont autant de témoignages sur les circonstances de création des films et sur les intentions du cinéaste. En effet, même
affirmé
que
entièrement
le personnage à l'individu
privé,
public
ne
ces
écrits
si l'on a souvent
correspondait
pas
et manifestations
publiques n'en demeurent pas moins des messages envoyés par Truffaut aux spectateurs, des témoignages de ses intentions de séduire le public. La cohérence de la stratégie truffaldienne - commerciale et artistique - représente donc un vecteur central de la réception et du succès de Truffaut aux États-Unis. Sa stratégie commerciale,
qui consiste
notamment
à devenir
le commis
voyageur de ses films (soin accordé aux relations avec les médias, aux voyages de promotion, etc.), est indissociable de sa stratégie artistique. L'entretien avec la presse, outre son rôle promotionnel majeur, répond pour Truffaut au même rituel de séduction que le film : intriguer, surprendre, captiver, convaincre. Tout chez le cinéaste alimente son plaisir et sa fougue cinématographique, y compris les activités qui dépassent le cadre strict de la réalisation tel que le travail de production® et de promotion. Tout concourt à garantir la possibilité des actes créatifs futurs ; Truffaut citait volontiers cette phrase de Renoir : "L'art, ce n'est pas le résultat, c'est l'action de faire : faire la cuisine, faire l'amour, faire un film" (Cahiers du cinéma, n° 316, 10/1980, p#33)
Pour François Truffaut, la notion de mélodrame ou de film commercial ne signifie absolument rien et ne véhicule certainement pas une connotation péjorative. Selon lui, le terme commercial conduit toujours à une discussion oiseuse puisque le metteur en scène le plus commercial de l'histoire du cinéma - Charlie Chaplin - fut aussi "le plus grand" : "Je ne vois pas d'incompatibilité entre les mots auteur et métier." (Cahiers du Cinéma, n° 316, 10/ 1980, p. 26). Nul snobism e
donc
dans
l'approche
cinématographique
de celui
qui
Se hr * approuvait la phrase d'Audiberti : "Le poème le plus obscur s'adresse au monde entier."? D'après Truffaut, les valeurs du cinéma commercial continuaient à triompher chez les cinéphiles. En effet, le cinéaste pensait que les films exaltants
l'emportaient sur les films déprimantsl0 et que les motifs d'attraction demeuraient donc quasi similaires chez le public cinéphile et chez le public occasionnel : "Le temps où un film s'exploitera uniquement auprès du public averti n'est pas venu. Là encore, j'ai une attitude éventuellement passéiste : j'aimais le malentendu qui accompagnait la carrière des films quand ils étaient vus par la clientèle de hasard, celle des gens qui regardent les photos à l'entrée des salles." (Le Nouvel Adam, n° 19, 02/1968, p. 32). Il existe chez Truffaut un véritable goût du jeu avec le public. D'où son admiration pour Lubitsch qui se plaît à jouer avec les effets de surprise : "On fait un scénario en se disant sans cesse : "A ce moment là, qu'est-ce que les gens croient ?" Ils croient ça. Donc, on va les aiguiller de ce côté-là. Le public fait constamment partie du travail. Parfois, on l'épate avec autorité, à d'autres moments,
contraire, on le surprend.
on le prend avec nous, ou, au
[..] A partir de là, dans chaque
scène, il faut que j'aie quelque chose d'inattendu, qui brise la convention." (Jacinthe, 10/1983).11 Truffaut admire Lubitsch pour la façon dont il raconte les histoires, par insinuations, ellipses, liens inattendus, fausses pistes, effets de surprise. Ainsi,
sur
son
refus
de l'élitisme
et son
attachement
au
spectacle cinématographique Truffaut greffe une volonté d'incorporer le public au sein même de l'action dramatique. Le spectateur devient une instance représentée au même titre que les autres personnages : "Pas de Lubitsch sans public, mais, attention, le public n'est pas en plus de la création, 1l est avec, il fait partie du film. Il y a le dialogue, les bruits, la musique, les prodigieuses ellipses et il y a nos rires, c'est essentiel, sinon le film ne fonctionnerait pas. [...] Dans le gruyère Lubitsch, chaque trou est génial."l2 En plus du comportement du
TC cinéaste lui-même, c'est donc dans l'organisation de son cinéma par rapport au public qu'il faudra chercher les fondements du succès de Truffaut aux Etats-Unis.
Le but de cette
étude
est donc
de briser
le miroir
-
l'apparence d'un Truffaut présentable et mesurél? - et surtout, dans la perspective d'une étude de réception, de balayer l'image d'un cinéaste consensuel. On a souvent loué la simplicité de l'oeuvre de Truffaut. Or, le naturel avec lequel le réalisateur français exprime les sentiments a fini par lui nuire autant qu'il l'a servi. La thématique attrayante des relations sentimentales, de la nostalgie, des tons wieille France diffusa
l'idée d'un cinéaste du "juste milieu". Pourtant, tout en étant attentif au public, son cinéma sait dérouter et l'intérêt qu'il a suscité par-delà les frontières ne doit pas occulter une complexité très stimulante de ses implications : "C'est un cinéma de compromis en ce sens que je pense constamment au public, mais ce n'est pas un cinéma de concessions, car je ne fais jamais un effet drôle qui ne me fasse rire d'abord, ou un effet triste qui ne m'émeuve. [...] Il s'agit d'imposer aux gens sa propre originalité et non pas d'aller vers leur banalité. C'est un travail de conviction et l'entreprise devient un match avec les gens." (Cinéma et Télé-Cinéma, n° 341, 10/1966).14 En effet, le travail de Truffaut repose entièrement sur un défi constant aux grilles analytiques conventionnelles, de même que sur une recherche des situations extrêmes et des personnages excessifs : "les extrêmes me touchent [...] je suis stimulé lorsque je trouve un sujet qui est le comble de quelque chose." ("Radioscopie", France Inter, 1975). Le travail de résurgence de la "magie cinématographique" conduit Truffaut à exiger d'un film qu'il exprime " "la joie de faire du cinéma" ou "l'angoisse de faire du cinéma", en se désintéressant de tout ce qui est entre les deux, c'est-à-dire de tous les films qui ne vibrent pas." (Préface des Films de ma vie, Flammarion, Paris, 1975, p. 17). C'est dans cette perspective que le cinéma de Truffaut aime l'urgence, la fièvre aussi bien stylistique que
L'or thématiquel*, l' "émotion par répétition" selon l'expression du cinéaste lui-même. Les lectures
américaines
de l'oeuvre
de Truffaut,
leur
diversité et leur perspicacité, révèlent le mal-fondé des préjugés, notamment français, véhiculés sur son cinéma. Nous montrerons comment l'oeuvre du cinéaste se situe toujours sur le fil du rasoir dans la mesure où elle feint de sanctionner les voeux du public pour rompre et réorienter par la suite l'attente du spectateur. "Il travaillait de manière conventionnelle pour faire des films non-conventionnels. Malgré sa célébrité, ses oeuvres continuaient à être des fentatives risquées" : En quoi cette analyse nécrologique du New York Times (22/10/1980) témoigne-t-elle des véritables enjeux de l'oeuvre d'un réalisateur dont on a souvent cru qu'il devait son succès à des valeurs consensuelles et à une sorte de pudeur frémissante traditionnellement française ? "Pudique, je ne le suis pas vraiment. C'est de l'impudeur que de faire un film sur un sujet qui vous tient aussi à coeur que l'amour que l'on voue aux morts. C'est aussi de l'impudeur de se mettre au centre de l'écran" (France Soir, 01/04/1978) contrecarrait-il à l'occasion de la sortie de La Chambre verte.
Pour Truffaut, la vision d'un film n'est résolument pas une simple distraction, c'est un envahissement du champ symbolique personnel et culturel. Mesurer l'impact de l'oeuvre de François Truffaut consiste donc à s'interroger sur son son rôle de modeleur, sur ses capacités à conforter des mutations socio-culturelles, voire à programmer des changements. A partir de là, l'important est de déterminer dans quelle mesure l'effet subversif du cinéma truffaldien résiste au temps et ne s'amoindrit pas au fur et à mesure que le public américain s'habitue au style du réalisateur français. Si la distance entre l' "axe de lecture"l6 (Roger Odin) et l'oeuvre se réduit à mesure que les spectateurs intègrent le style du cinéaste à leurs expériences esthétiques, en quoi Truffaut demeure-t-il déroutant et spécifique par rapport aux autres auteurs de
39€ cinéma ? Devenu créateur de normes, lesquelles s'imposent progressivement comme des repères rassurants, le cinéma de Truffaut devient-il alors assimilable à un art consensuel ? Notre approche de la réception américaine de François Truffaut se veut donc transdisciplinaire, tant au niveau théorique que méthodologique. "Plus la sociologie progresse, plus ïl est évident que toute tentative d'unification méthodologique est vouée à l'échec." souligne Raymond Boudon (Les Méthodes en sociologie, P.U.F., 1995, p. 124).
En effet, seule la multiplicité des regards peut rendre compte de la complexité socio-culturelle et de l'indexicalité totale d'une situation donnée. La vie sociale et culturelle n'est jamais unidimensionnelle mais hétérogène et éclatée. Notre angle d'approche s'inscrit donc dans la perspective d'une sociologie de la complexité représentée par Edgar Morin, Gilbert Durand ou Michel Maffesoli Dans un souci constant de transdisciplinarité, nous aborderons la question du spectatoriat grâce à une approche théorique associant l'esthétique de la réception cinématographique et la sociologie de l'art. Le film est ainsi envisagé dans son rapport pragmatiquel/ au spectateur, en observant à quelles lectures l'oeuvre donne lieu selon les époques et les publics. Plus précisément, nous examinerons ici la façon dont un film, et plus largement l'oeuvre entière d'un artiste, est reçu dans un contexte social, culturel et esthétique différent de son contexte de création et de production.
L'origine des théories
de la réception
est strictement
littéraire et, généralement, on l'attribue à Hans Robert Jauss. Ce critique littéraire allemand, théoricien de l' "esthétique de
la réception", envisage l'attente d'un public comme la justification de l'oeuvre, à travers un "horizon d'attente" qui réunit les données culturelles et sociales de ce public. Parallèlement, d'autres points de vue se sont ajoutés aux travaux de Jauss et ont formé l'Ecole de Constance, avec Iser, Stierle ou Weinrich. Par la suite, d'autres chercheurs comme
pee)
- Umberto Eco ou Michel Charles se sont intéressés aux problèmes de la réception littéraire, composant ainsi des
_ théories de la réception. l8 La diffusion des ouvrages de Jauss, Eco ou Michel Charles a donc vulgarisé le concept de réception, qui, initialement, s'oppose à la primauté accordée à la création d'une oeuvre : l'analyse des structures artistiques est impossible sans que l'on fasse intervenir, d'une façon ou d'une autre, un destinataire,
dont l'étude historique peut reconstituer les réactions dans leurs variations significatives. L'esthétique de la réception est traditionnellement axée autour de la notion d' "horizon d'attente" (Jauss). Le présupposé méthodologique est issu de la phénoménologie (le "concept d'horizon" chez Husserl) qui considère que le sujet se définit par son "être-au-monde" et se découvre à travers les objets. Il s'inscrit aussi dans une ligne d'infléchissement de la critique qui, sans renoncer aux acquis du structuralisme et du formalisme, ne veut plus regarder le texte comme univers autonome. À travers le concept moteur d'horizon d'attente, l'esthétique de la réception démontra que l'oeuvre d'art n'apparaît jamais comme une nouveauté absolue, sans possibilité aucune d'être associée à des références préexistantes. Consciemment ou inconsciemment, l'oeuvre développe des attentes particulières en référence à des schémas déjà familiers et prédispose ainsi son public à un certain type de réception. Par exemple, le contenu de la réception dépend de l'image que les récepteurs se font de l'auteur et, par extension, de ce qu'il pourrait représenter, c'est-à-dire la culture, l'art et le genre auxquels il appartient. Par la suite, ces différentes attentes, relatives au contexte de production et de réception de l'oeuvre, sont entretenues, rompues ou réorientées.
Le sens d'une oeuvre est donc fluctuant, tant dans l'espace
socio-culturel que dans le temps.l? Chaque lecture est une
40e
première fois, chaque lecture d'un individu est différente. La liberté du lecteur réside précisément dans le pouvoir qu'il a de faire varier les rapports qu'entretiennent les composantes de l'oeuvre, de privilégier tel aspect, de remplir les blancs, bref d'associer. En ce sens, le récepteur devient un "metteur en scène du sens", pour reprendre une expression de Jean Bellemin-Noël
(Vers l'inconscient du texte, P.U.F.,
1979, P.
195). Mais la réception d'une oeuvre est aussi une construction momentanée, le temps d'une lecture particulière. Nous ne regardons jamais une oeuvre de la même manière. Nous pouvons être chaque fois sensibles à des stimuli différents, à des détails promus au rang d'indices révélateurs. Nous construisons de même notre vision de l'oeuvre à partir d'un fragment que nous détachons de sa trame, tel le "petit pan de mur jaune", qui résonne en nous de manière irréductible et attire seul notre regard, comme une beauté se suffisant à elle-même.
Une oeuvre d'art n'existe pas sans son créateur, mais n'existe donc pas non plus sans son public. L'oeuvre est comparable à un fruit : le goût ne se situe ni dans le fruit ni sur le palais, il n'est effectif que dans l'association entre le palais et
le fruit. À l'instar du lecteur, le rôle du spectateur est de révéler au sens photographique du terme : rendre visible l'image latente. Comme le souligne Christian Metz;-siten regardant le film, je l'aide à naître, je l'aide à vivre, puisque c'est en moi qu'il vivra et puisqu'il est fait pour cela : pour être regardé, c'est-à-dire pour n'arriver à être que sous le regard" (Le Signifiant imaginaire, UGE/18, 1984). Dans cette perspective, la lecture d'un livre présente des points communs évidents avec la réception d'un film. D'ailleurs, les études de réception cinématographique se sont longtemps appuyées sur l'héritage de l'esthétique littéraire. Pourtant, dans le domaine
de la création, la production
cinématographique,
en raison
notamment de ses liens avec les puissances financières, représente un phénomène particulier. "Si les autres arts ont des origines lointaines, le cinéma est contemporain de l'âge
Lane capitaliste et il ne peut s'expliquer, sociologiquement, qu'à travers la structure du régime capitaliste. Un film coûte cher, son exécution dépend de l'importance des capitaux qu'on met à le produire, il faut donc que ces capitaux rapportent, donc que l'oeuvre soit vendable - il faut aussi que toute une chaîne de salles de projection soit créée - il faut enfin que le public ne boude pas, donc satisfaire à ses goûts." note Roger Bastide (Art et société, Payot, 1977, p. 201). De par ses spécificités, la réception cinématographique ne peut donc être assimilée à la tradition littéraire de l'esthétique de la réception. Bien que la réception fasse désormais partie intégrante des études cinématographiques, elle fut longtemps, notamment en France, leur "point aveugle" (Pierre Sorlin, European .cinemas, European societies, 1939-1990, Routledge, 1991, p.
10). En effet, la réception cinématographique représenta un aspect fortement négligé parmi les diverses approches du septième art. C'est d'autant plus vrai dans le cas des études de réception empiriques auprès de publics effectifs, qui constituèrent une branche moins développée et plus tardive au sein des études de réception. Sous l'influence de l'esthétique littéraire, les théoriciens de la réception cinématographique se sont initialement et exclusivement inscrits dans l'esprit du lector in fabula (récepteur idéal déductible de l'oeuvre). Cette approche, qui découle largement du programme fondateur de Christian Metz, anima les ambitions des sémiologues des années soixante et soixante-dix (y compris de la théorie sémio-pragmatique du cinéma principalement développée par Roger Odin). Ce n'est qu'à la fin des années soixante-dix que les études de réception se concentrèrent également sur les spectateurs empiriques.
Dans cette perspective, les études des publics effectifs sont plus facilement associables au courant des Cultural studies, qui se développa dans les pays anglo-saxons, qu'à l'esthétique traditionnelle de la réception cinématographique. Les écoles des Cultural studies et des uses and gratifications se sont
HAE notamment rendues célèbres par leurs études de la réception des feuilletons télévisés auprès de publics socialement, culturellement et géographiquement différents. Les Cultural studies mirent progressivement en valeur la complexité de la réception audiovisuelle, notamment à partir des années soixante-dix, date du rapprochement entre les écoles critique (Cultural studies) et empirique (uses and gratifications : recherche sur les effets des médias). Ce rapprochement marqua l'abandon de l'idée d'un spectateur afomisé et passif face aux médias (idée qui caractérisa les premiers travaux des Cultural studies) tout en intégrant le fait que les médias ont moins pour objectif de répondre à des besoins que d'en créer (principe que sous-estimèrent les chercheurs des ses and gratifications). Les études de réception se concentrèrent ainsi sur les capacités du spectateur à développer une multiplicité de réponses - et de niveaux de réponses - face aux messages. Dans la continuité des travaux pionniers de Richard Hoggart (1970) qui rompaient avec la tradition des masses crédules, des chercheurs tels que Stuart Hall (1980), Ien Ang (1985), Elihu Katz et Tamar Liebes (1990), démontrèrent (à travers les succès internationaux des feuilletons télévisés comme Dallas) que la réception est un processus actif et complexe, lieu de confrontation avec les différents niveaux d'expériences du spectateur.20 Parallèlement
à
l'influence
des
Cultural
studies,
la
sociologie du cinéma présente également de nombreux liens avec les théories de la réception cinématographique.
Depuis les années soixante-dix, la sociologie de l'art a fait l'objet de recherches et de débats importants. "Selon toutes apparences, l'art est un objet bon à penser pour les sociologues. De Simmel à Benjamin, de Caillois à Bataille, de
Bastide à Duvignaud, de Leroi-Gourhan à Lévi-Strauss et de Bourdieu à Baudrillard, la sociologie a depuis longtemps éprouvé sa capacité à interpréter le monde à son efficacité à rendre compte de sa justification symbolique la plus. élevée,
2 ASS l'activité artistique"
souligne Jean-Olivier Majastre (Art et
contemporanéité, La Lettre volée, 1992, p. 8).
Dans quelle mesure l'approche sociologique de l'art peutelle éclairer d'un jour nouveau des oeuvres qui ont déjà fait l'objet de multiples discours, notamment de la part des historiens de l'art ? La sociologie de l'art nous permet d'appréhender l'oeuvre comme un espace de socialisation, comme un "fait social total" (Marcel Mauss). Qu'elle traduise, qu'elle préfigure ou qu'elle provoque des mouvements sociaux ou artistiques, l'oeuvre d'art est une mise en scène de l'imaginaire social. C'est d'autant plus vrai dans le cas du cinéma qui constitue un système à multiples facettes artistique, économique, culturelle et technologique. Le septième art touche en effet tous les aspects de l'organisation et de l'action sociale et représente en cela un formidable révélateur des lignes de force et des contradictions d'une époque. D'où le développement de la sociologie du cinéma qui fit l'objet, depuis les années cinquante, de recherches diverses (celles d'Edgar Morin et d'Annie Goldmann figurent parmi les plus connues). Dans cette perspective, la sociologie de l'art et l'esthétique de la réception ne sauraient être considérées comme deux disciplines distinctes.21 C'est particulièrement vrai dans le cas des études de réception empiriques qui mettent en scène des publics d'origine différente, dans un souci d'interconnaissance des peuples et des cultures, d' "“entrecroisement des civilisations" (Roger Bastide). Néanmoins, cette association entre l'esthétique de la réception et la sociologie de l'art n'est optimale que dans la mesure où cette dernière ne se limite pas à des enquêtes axées sur les critères sociologiques classiques niveau social et culturel, âge des spectateurs, etc. En effet, à
l'instar de l'esthétique de la réception qui a longtemps délaissé l'étude des publics réels, la sociologie de l'art n'a pas toujours accordé à l'oeuvre - autre pôle de la réception - le rôle qu'elle mérite. Parallèlement, les confrontations au sein de la
- AA discipline se sont souvent résumées à l'opposition entre les approches dites externes (axées sur les réactions des spectateurs et sur les modalités de légitimation des oeuvres) et internes (axées sur le contenu des oeuvres et la façon dont il détermine la réception).22 Les années quatre-vingt-dix marquèrent cependant des changements sensibles au sein de la sociologie de l'art. L'un des plus importants porte justement sur l'essor d'une véritable sociologie des oeuvres qui accorde une place active au contenu des oeuvres dans la production du sens? et qui favorise l'adoption d'une démarche résolument transdisciplinaire. "Le programme de la sociologie de l'art, tel qu'il avait été exploré dans les premières rencontres de Marseille, et tel qu'il a été illustré par les travaux canoniques de Pierre Bourdieu et Raymonde Moulin, a fait preuve de son efficacité, mais a laissé entier le problème d'une sociologie des oeuvres, tant de leur réception que de leurs significations, ou de leur portée épistémologique. Une sociologie des oeuvres se présente comme le refoulé des études préalables, et la timidité de la recherche jusqu'aujourd'hui ne fait que refléter la perplexité des sociologues quant à la définition de l'objet des problèmes et des méthodes. [..] La consigne est d'oser, à partir d'une oeuvre (plastique, cinématographique, littéraire, musicale, autres) poser une interrogation, explorer les moyens d'y répondre, exposer tant les questions, que les méthodes, que le cadre théorique de l'interprétation qui permettraient aux oeuvres de se faire entendre dans leur spécificité, délivrées d'un commentaire qui assujetissait leur lecture au discours sociologique. En d'autres termes, adopter une attitude telle que les oeuvres informent autant la sociologie que la sociologie les oeuvres." souligne le Centre de Sociologie des Représentations et des Pratiques Culturelles (CSRPC).24
Parallèlement, notre approche méthodologique s'inspire de l'esthétique cinématographique de la réception tout en y intégrant le regard du sociologue. Grâce à plusieurs types de
: 458 données et d'investigation, nous exploiterons ainsi des sources quantitatives (box-office, etc.) et des sources qualitatives (documents de presse, témoignages de spectateurs et de professionnels
du cinéma,
etc.), les deuxièmes
permettant
d'approfondir ce que les premières mesurent et présupposent. En effet, les discours critiques traduisent, de façon manifeste
ou latente, les pratiques culturelles et les systèmes de représentation des individus ou des groupes auxquels ils appartiennent. Dans cette perspective, le corpus critique fait donc l'objet de classements et de réorganisations d'unités thématiques selon une méthode comparatiste visant à l'analyse des convergences et des disparités entre les discours. La réception de François Truffaut aux États-Unis est donc appréhendée grâce à deux catégories d'information : des données sur la distribution et l'audience des films (modalités des diffusions, dates, durées d'exploitation, recettes, etc.) et
un vaste ensemble d'articles de presse. Une question se pose alors : Dans quelle mesure ces données sont-elles représentatives de l'ensemble des spectateurs américains et donnent-elles une vision globale de la réception de Truffaut aux États-Unis ? Le corpus critique ne représente-t-il pas une entité abstraite et nominaliste ?
Tout d'abord, l'analyse de la distribution et de l'exploitation des films permet de mesurer précisément l'impact de l'oeuvre de Truffaut aux États-Unis. Les box-offices attestent des réactions - positives, moyennes ou négatives - du public américain envers chaque film de Truffaut. A cette étude des recettes s'ajoute tout un ensemble de données complémentaires qui permettent de rendre compte encore plus précisément de l'accueil des spectateurs américains conditions de distribution, visibilité des films, etc. Mais, la question de la représentativité de nos sources d'investigation concerne principalement le corpus critique. Etant donné la variété des articles de presse recensés, le
:4ËE
corpus critique est très représentatif de l'ensemble des réactions de la presse américaine vis-à-vis de Truffaut. Mais l'est-il autant des réactions du public américain envers l'oeuvre du cinéaste français ? Il est certes vrai que le perif monde de la critique cinématographique peut constituer un ensemble relativement homogène à travers le monde, une sorte de communauté d'interprétation internationale. L'univers de la critique peut ainsi représenter un micro-milieu ou une microsociété au sein du contexte
national.
De
ce fait, en nous
concentrant sur les jugements esthétiques d'une communauté intellectuelle, celle des critiques et essayistes, nous ne saisirions que les réactions d'une partie spécifique du public et non celles de la masse des spectateurs.26 L'opinion catégorielle, voire même institutionnelle, des professionnels du jugement cinématographique ne saurait donc avoir valeur d'échantillon de la population, en l'occurrence américaine.
Certes, le critique de cinéma ne peut être assimilé à n'importe quel spectateur dans la mesure où il incarne un type de public cultivé, possédant une certaine culture universitaire et cinéphilique. Néanmoins, le succès de Truffaut en Amérique, bien qu'exceptionnel pour un cinéaste européen, ne fut pas un succès de masse ; ses films, même les plus successful, touchèrent principalement la "classe cultivée", pour reprendre l'expression de Bourdieu et Passeron.2? De ce fait, les spectateurs
de
Truffaut
aux
États-Unis,
furent
socialement et culturellement plus proches des critiques américains de cinéma - public cinéphile - que du public de masse - public occasionnel. La question n'est donc pas ici la représentativité du corpus par rapport à l'ensemble du public américain mais sa représentativité par rapport au public cinéphile ou cultivé qui est celui de Truffaut. Dans cette perspective, notre corpus critique constitue donc un échantillon représentatif du public américain de François Truffaut.
CAT Ceci étant dit, s'il est vrai que la critique peut constituer un micro-milieu, elle n'est pas forcément non représentative de la
sociétémumEn® “effetvoil #neu-faut pas © oublier. que, chronologiquement, la critique précède le public dans l'accueil des films et qu'elle constitue un vecteur central de la réception. Les médias rivalisent d'influence pour imposer leurs points de vue à la masse du public. "Un point central dans les pratiques de l'industrie du film est en effet la construction d'une "image narrative" pour chacun des films. La publicité et la mise en marché jouent un rôle déterminant dans la construction de cette image, de même que les discours de la presse et de la télévision" souligne Michel Larouche ("La loi du genre", "Panorama des genres au cinéma", CinémAction, n° 68, 3ème
trimestre
1993,
p. 205).
Ainsi,
même
si les
chercheurs ont démontré l'activité de l'auditoire face à l'information, on ne peut nier l'influence de la critique, en tant que groupe de pression, sur les comportements du public. En raison de son pouvoir, il est donc inexact d'affirmer que la critique est forcément non représentative des réactions du grand public. C'est d'autant plus vrai dans la société américaine qui fut très tôt fortement médiatisée et touchée par le phénomène de "scénarisation" de la réalité, pour reprendre l'expression de Gérard Leblanc (Scénarios du réel, L'Harmattan, 1997). De ce fait, même si la question demeure secondaire dans le cas de Truffaut, 1l paraît peu probable que les réactions du public de masse - très occasionnellement spectateur du cinéaste français - n'aient jamais suivi les réactions de la critique. Le succès de François Truffaut aux États-Unis n'est évidemment pas un succès à la mesure des hifs américains. Mais la notion de succès est relative dans la mesure où les formes de réussite d'une oeuvre et la réputation d'un artiste varient en fonction des différents réseaux appréciateurs.28 Tout en restituant la complexité et l'originalité de la réception de Truffaut aux États-Unis, le présent ouvrage détaille ainsi l'itinéraire américain d'une oeuvre passionnante et infiniment
AR moderne,
plongée
au
coeur
des
mouvements
sociaux,
culturels et politiques de l'Amérique des années soixante à quatre-vingt. Au-delà du récit de l'aventure américaine de l'oeuvre de François Truffaut, cet ouvrage s'impose également comme un essai original associant la sociologie de l'art et les théories de la réception.
ss pu
COMMENT S'IMPOSER SUR LE MARCHÉ AMÉRICAIN ?
À
Poser sous la forme d'une telle question le problème de la distribution et de l'exploitation des films de François Truffaut aux États-Unis introduit l'angle d'approche à partir duquel l'analyse doit être conduite. La progression avec laquelle Truffaut s'impose aux États-Unis répond à une stratégie, cette même stratégie que Truffaut élabore lorsqu'il se pose lui-même la question suivante : comment s'imposer
sur le marché américain ? Nous montrerons comment l'évolution de l'exploitation témoigne de la façon dont le cinéma de Truffaut devient de plus en plus familier aux spectateurs américains. Ce processus s'apparente à un apprentissage classique, ponctué de plusieurs étapes nécessaires à l'acquisition progressive des normes truffaldiennes. Comment Truffaut parvient-il à trouver dans la réception américaine un de ses alliés les plus favorables, sinon le plus favorable au niveau économique ? Il affirmait : "Pour la plupart de mes films, un tiers du coût est remboursé par la France, un autre tiers par les États-Unis, un autre tiers par le reste du monde." (France-Soir, 01/04/1978) et "je dois ma hberté actuelle à l'Amérique depuis pas mal de temps, car, en France, généralement, j'obtiens des chiffres moyens." (Correspondance, 22/07/1976, p. 565).
-1- La découverte d'un cinéma différent François Truffaut est découvert aux États-Unis sous l'égide de la différence et de la rupture. Les références à
N'ADIE l'origine des réactions du public constituent "un système de
systèmes" (Edgar Morin), composé à la fois de l'oeuvre ellemême et du contexte politique, socio-économique et cinématographique américain. En effet, l'acte de réception s'apparente à un apprentissage et représente donc une production complexe, mettant en jeu autant le contexte de l'émetteur que celui du récepteur. Les partenaires de la réception - en l'occurrence Truffaut et le public américain développent une conception systémique du monde, dans la perspective des travaux d'Edgar Morin??, et tissent ainsi un réseau complexe de rapports entre les contextes de production et de réception. Le contexte cinématographique de la fin des années cinquante et du début des années soixante est marqué par la rupture et par les bouleversements. Les films étrangers deviennent populaires aux États-Unis à la fin des années cinquante, et dans les années soixante, parce que le monopole vertical des studios américains est interrompu par le gouvernement. De nombreux cinémas se trouvent alors dans l'incapacité de projeter les films hollywoodiens. Beaucoup d'entre eux ferment, plusieurs se reconvertissent en buildings, en salles de bowling, etc. D'autres deviennent des cinémas spécialisés, projetant des films étrangers à la fin des années cinquante (et des films pornographiques à la fin des années soixante). Avant cela, il n'était pas facile de voir des films étrangers en Amérique du Nord.
Revenons brièvement sur cette évolution. A partir des années quarante-cinq, une vague de changements se développe dans le cinéma américain. Avec MacCarthy, devenu président de la commission d'enquête sur les activités anti-
américaines, la "chasse aux sorcières" s'intensifie : à Hollywood, 214 professionnels du cinéma sont mis à l'index.
En mai 1948, la loi anti-trust, à laquelle s'ajoutent les purges
anti-Ccommunistes
et
l'implantation
de
la télévision
à
Hollywood, contraint les Majors à se séparer de leurs salles,
SAR
pour compenser leurs problèmes financiers et pour des raisons fiscales. En effet, Hollywood est en crise et connaît une baisse
brutale d'audience. Le marché étranger représente alors un enjeu capital, mais l'Europe des années cinquante limite ses sorties en dollars et la décision des gouvernements européens de fixer une limite aux gains effectués dans leur pays par les maisons de production américaines est un nouveau coup dur pour Hollywood. Finalement donc, l'infégration verticale, qui permettait de contrôler l'évolution financière du film, disparaît.
L'ère de l'usine à films est terminée. On commence à recourir aux décors naturels, plus authentiques, plus réalistes. Dans les années soixante, les indépendants se multiplient, le phénomène du réalisateur-producteur se développe (Truffaut symbolise ce phénomène). Face aux gros problèmes financiers des studios américains, plusieurs réalisateurs se tournent vers l'expression individuelle, s'inspirent du cinéma d'auteur européen et rejettent les schémas hollywoodiens. Une vague de créations artistiques non-conformistes et indépendantes voit le jour aux États-Unis.30 Beaucoup de cinéastes européens et en particulier François Truffaut tirent leur épingle du jeu. Pour la première fois depuis sa création, le cinéma américain connaît des difficultés face à la concurrence étrangère. De nombreuses salles de dernier rang étant devenues des cinémas d'art, on y projette des films étrangers qui attirent un public croissant et cinéphile, en particulier les jeunes. Puis, suite à l'essor des indépendants américains, à la chute des recettes du box-office, les films des cinéastes européens tels que Truffaut, Fellini, Bergman, Antonioni, Buñuel, passent dans les meilleures salles américaines et procurent aux studios des recettes bienvenues.
Le cinéma français est particulièrement bénéficiaire de cette situation. Pour l'année 1959, on constate une très nette augmentation des recettes réalisées par les films français aux
États-Unis (317,4 millions au lieu de 253,5 en 1958 statistiques C.N.C.). Conforté par la situation de rupture que
ISA vit le marché américain, le public s'intéresse notamment aux films de la Nouvelle Vague française. Les films européens en général et les films français en particulier sont perçus comme plus adultes que les films ou téléfilms américains, abordant plus franchement la sexualité, et possédant plus de dialogue, plus de poésie dans la mise en scène. D'emblée, avec le succès européen de son premier long métrage, Les Quatre Cents coups (et surtout son prix au Festival de Cannes), François Truffaut suscite l'intérêt des cinéphiles américains. Le film est vendu 100 000 dollars (500 000 nouveaux francs), en 1959, ce qui représente à cette époque une somme considérable pour un film français et un premier film de surcroît, y compris dans ce contexte plus favorable aux films européens.3l C'est d'autant plus vrai pour un film dont le coût fut de "37 millions alors que le devis était de 46 millions !" (il s'agit ici d'anciens francs) ; (Sources : Correspondance, 13/08/1959, p. 179 et Le Film Français du 05/06/1959). "Les Films du Carrosse ont co-produit Les Quatre Cents coups avec une des sociétés de M. Morgenstern. Le film a eu un énorme succès, le plus gros de François avec Le Dernier métro. La seule vente du film aux Etats-Unis, avant le passage à Cannes, avait permis de couvrir
le coût du film." note Marcel Berbert??
("S, rue Robert
Estienne", Le Roman de François Tiruffaut, p. 68).
Les Quatre Cents coups, distribués aux U.S A. par Zénith
International Film Corporation, figurent sur des pages entièr es
de publicité dans la presse Corporative américaine (confe r
documents a, b et c du cahier central). Le film reçoit des prix
importants et influents aux États-Unis : outre le Prix Joseph Burstyn du meilleur film étranger, il reçoit le Prix du meille ur film étranger de la Critique new-yorkaise (Critics' Award"}33
et est nominé scénarios écrits importateurs et désignent comme
aux Oscars dans la catégorie "meilleurs directement pour l'écran". D'autre part, les distributeurs de films étrangers aux U.S.A meilleurs films de langue étrangère projetés
SN aux États-Unis en 1959, les deux films français Les Quatre
Cents coups et Orfeu Negro, tous deux primés à Cannes. Il y _ eut même un projet d'adaptation des Quatre Cents coups, de Jerome
Robbins,
un des maîtres
du ballet contemporain,
chorégraphe américain (chorégraphie du film, Le Roi et Moi, co-réalisation de West Side Story). Celui-ci désirait "mettre en ballet Les 400 Blows" comme l'écrit Truffaut à Helen Scott?4 (Correspondance, 09/01/1961, p. 211). Quant à l'exploitation?” des Quatre Cents coups aux ÉtatsUnis, le film de Truffaut, sorti le 16 novembre 1959 au Fine
Arts Theatre et appuyé par une presse enthousiaste, va même au-delà de l'excellente tenue générale des films français en 1959 et 1960
(confer documents
a, b, c et d). Le film,
compte-tenu de sa nature (film français et premier film), connut un succès très honorable. Il rapporta, après dix-huit semaines d'exploitation à New York, 166 000 dollars (836 000 francs), ce qui le place à la seconde position (après Les Amants de Louis Malle) parmi tous les nouveaux films français exploités à New York (au 21 mars 1960).36 L'intérêt pour ce film fut immédiat puisqu'au terme d'une semaine d'exploitation, il avait déjà rapporté à New York 14 100 dollars (70 500 francs), ce qui représente sa meilleure semaine d'exploitation (source : Le Film Français, 04/12/1959). La visite de François Truffaut aux États-Unis (le premier des cinéastes français de la Nouvelle Vague à l'avoir fait?7) et surtout les prix américains attribués aux Quatre Cents coups relancèrent même le succès du film. Ainsi, après l'attribution du "Critics' Award" le 29 décembre 1959 et le séjour américain de Truffaut pour la cérémonie de remise des prix le 23 janvier 1960, les recettes des Quatre Cents coups, qui avaient
diminué
de
15
000
dollars
en
deux
semaines,
augmentèrent à nouveau pendant plusieurs semaines.38 Le succès des Quatre Cents coups aux U.S.A. contient déjà les prémices d'une stratégie truffaldienne qui sera à l'origine de la
. 560
reconnaissance de Truffaut aux États-Unis comme un des leaders du cinéma étranger. Le soin apporté par Truffaut luimême à la promotion de ses films, à la construction de son succès (exemple de ses nombreuses visites en Amérique) se traduit notamment par les prix influents qu'il obtint (par exemple l'Oscar du meilleur film étranger pourLa Nuit américaine). Les visites de Truffaut aux États-Unis permettent justement de mesurer le chemin accompli par le cinéaste dans la voie de la reconnaissance et de l'affirmation en Amérique. En 1959, il est à peine connu, en particulier hors de New York ; dans les années soixante-dix, il est totalement
reconnu, et dans les années quatre-vingt, il est acclamé.3°? C'est donc d'abord en tant que leader de la Nouvelle Vague française que Truffaut est découvert et s'impose aux EtatsUnis. La découverte que fait le public américain, c'est avant tout la découverte d'un cinéma différent, tant par rapport au cinéma américain que par rapport au cinéma français précédent. Néanmoins, étant donné la réceptivité du public américain à cette double différence, le cinéma de Truffaut apparaît plus variant que déviant dans la mesure où son atypisme est accepté et même apprécié. Ainsi le note Truffaut dans un journal belge, lorsqu'il confie ses impressions à propos de sa visite aux États-Unis : "Truffaut est considéré aux U.S.A. comme un des plus sûrs espoirs du cinéma français et il y fait un peu figure de leader de la Nouvelle Vague. L'accueil qui lui a été réservé l'a frappé. Il n'imaginait pas quel intérêt le jeune cinéma suscitait de l'autre côté de l'Atlantique. - "Comment cet intérêt se manifeste-t-il ?" - "Les Américains découvrent seulement maint enant les films des jeunes réalisateurs français. Les Amant s, Les Cousins, Orfeu Negro remportent là-bas un immense succès, alors que le public américain réservait jusque là ses faveurs à Brigitte Bardot. presque exclusivemen t. J'ai rencontré à New York des tas de gens qui sont maintenant affamés de films français et qui voudraient bien voir de jeunes réalisateurs venir travailler chez eux. Mais les
RUE conditions de travail qu'ils leur offriraient seraient telles qu'il deviendrait impossible de faire un film dans les conditions de liberté que nous connaissons ici. Pour eux, par exemple, l'équipe minimum, c'est cinquante personnes, pas moins..." " (La Flandre libérale, 15/07/1960).
Le début des années soixante confirme l'essor du cinéma français et de François Truffaut aux États-Unis (confer note 40). Néanmoins, malgré certains résultats honorables des
films de Truffaut dans les années soixante, le cinéaste français ne parvient pas encore à se détacher du lot des cinéastes européens et en particulier français, c'est-à-dire d'une étiquette culturelle typique ou dite de base. Les références à la Nouvelle Vague et au cinéma français doivent progressivement laisser la place à un système signifiant plus spécifiquement truffaldien. Combien de temps durera la période d'initiation ou d'apprentissage pour le public américain et de quelle façon Truffaut parviendra-t-il à s'imposer définitivement aux États-Unis ?
-2-
Le temps de la reconnaissance stratégique
Après Les Quatre Cents coups, l'oeuvre de Truffaut entre dans une période où la stratégie du cinéaste s'impose progressivement. C'est le temps de la reconnaissance stratégique. Cela signifie que durant cette période, Truffaut ne connaît pas de succès retentissants aux Etats-Unis mais des réceptions moyennes, voire même des échecs. Néanmoins, l'important se situe davantage dans le long terme, dans le travail de préparation qu'effectuent ces films pour les succès des années soixante-dix et quatre-vingt. Tirez sur le pianiste et Jules et Jim sont sortis quasi simultanément à New Vork, respectivement le 24/07/1962 et le 25/04/1962. La production cinématographique française
= SRE
suscitait un intérêt plus grand que jamais aux États-Unis, comme le prouvent les nombreux achats de films français par des distributeurs américains indépendants au début des années soixante, par exemple en 1962. Certains de ces films connurent même de bons résultats d'exploitation à New Vork.* "Ce fut vraiment le film de Vadim, Et Dieu créa la
femme, qui fut le précurseur de la Nouvelle Vague. Son succès aux États-Unis montra aux producteurs qu'ils pouvaient utiliser de jeunes cinéastes français et continuer à faire de l'argent." souligne Truffaut (in The Toronto Daily Star, 20/03/1965). Néanmoins,
les films de Truffaut ne se détachent
pas
encore du lot des films français et notamment des films de la Nouvelle Vague. L'irrégularité de l'accueil ne permet pas encore d'imposer Truffaut dans sa spécificité. Si Tirez sur le pianiste connut une distribution et une réception très confidentielles, Jules et Jim suscita un intérêt un peu plus
grand : "Je suis ravi des bonnes nouvelles que vous me donnez en ce qui concerne l'exploitation de Jules et Jim à travers le
pays" écrit François Truffaut à Helen Scott (Correspondance, 05/07/1962, p. 251). Les droits du film furent tout de même
vendus, en février 1962, contre ce qui était alors une somme
importante pour un film français (mais inférieure à celle des Quatre Cents coups) : 40 000 dollars, minimum garanti sur les recettes américaines. A la suite du succès relatif de Jules et
Jim,
la vente
des
droits
de La
Peau
douce
fut
même
supérieure. "Pour l'Amérique, c'est Janus le plus intéressé. Nous leur demandons un peu plus que pour Jules et Jim, soit
50 000 dollars sans aucune déduction en cas de censure et,
naturellement, en minimum garanti" écrit François Truffaut (Correspondance, 01/01/1964, p. 300).*1 Mais, La Peau douce n'en fut pas moins un "fiasco à New York" (Correspondance, 27/11/1964, p. 327).
La réception de Jules et Jim devient plus significative lorsqu'on l'étudie à la lumière des conditions d'exploitation du
sde film. A partir de là, on peut déjà émettre des hypothèses pour la suite de la carrière de François Truffaut aux États-Unis. Par exemple, l'intérêt suscité par le film, malgré le sous-titrage (d'autant plus handicapant pour un film contenant de nombreux commentaires) est déjà significatif d'un certain goût pour un produit original et surprenant : "A part Le Roman d'un tricheur, Jules et Jim doit être le film le plus abondant au point de vue du lignage de textes avec commentaires. à tel point que quand le film est sorti en France, il a eu un très grand succès, j'étais très heureux et la réputation du film était excellente aussi à travers la presse. Et puis, l'Amérique l'a acheté. Et, je n'ai jamais voulu le voir en Amérique. Je me suis dit : "Ce film ne peut pas marcher en Amérique parce qu'on n'aura pas le temps matériel de lire les sous-titres. C'est un film qui est insous-titrable." [...] Le film a été très bien reçu en Amérique, je n'ai jamais su comment les gens faisaient pour lire tout ce texte qui est dit à toute vitesse. [...] C'est donc un film extrêmer tent abondant au point de vue du texte et je remarque, finalement, que sa carrière a été meilleure dans les pays où l'on sous-titre que dans les pays où l'on double, parce que, s'il était difficilement
sous-titrable,
il devait être encore
plus difficilement doublable" souligne Truffaut Cinéma des cinéastes", France Culture, 06/1980).
("Le
On peut supposer que la vision d'un tel film, sous-titré, laissant ainsi libre court au désir d'entendre les voix en version originale, conforte l'image d'un cinéma non-conforme aux normes cinématographiques habituelles. Jules et Jim est certes un des succès de Truffaut les plus importants des années soixante aux Etats-Unis. Néanmoins, comparé à ses futurs succès américains, celui de Jules et Jim demeure beaucoup plus confidentiel. Tout d'abord, 1il est certain que les conditions de distribution (assurée par Janus Films, petite société de distribution indépendante) ne furent
7/2 pas les plus favorables et les plus adaptées, comme devait le souligner Helen Scott à Truffaut pour que celui-ci lui
réponde : "Pour Harvey, ce que vous dites est probablement vrai, mais vous savez qu'Astor n'offrait rien de mieux et que les autres distributeurs ne bronchaient pas ; nous n'avions pas
tellement le choix." (Correspondance, 20/06/1962, p. 243). De plus, concernant la réception même du film, ses recettes déçoivent, notamment par rapport à son impact critique : "Je
mentirais si je disais que je ne suis pas déçu par la brièveté de l'exclusivité au Guild [quatre semaines]. L'emmerdement avec ce film, c'est qu'il a tous les inconvénients d'un film à scandale sans les avantages ; je me demande parfois s'il ne faudrait pas axer la publicité sur le côté : "Ce film est interdit en Espagne, en Italie, en Colombie et au Portugal, etc." " (Lettre à Helen
Scott du 20/06/1962, Correspondance, p. 243). Pourtant, le parfum de scandale qui entoure la sortie de Jules et Jim et la censure qui en découle confortent l'effet de surprise et de subversion provoqué par le cinéma de Truffaut. L'action d'un tel film sur la réception future du cinéaste n'est pas sans conséquence.
Finalement, l'important se situe moins dans l'irrégularité de ses premières réceptions que dans l'image originale et anticonformiste que Truffaut est en train de construire. Ainsi, après Les Quatre Cents coups, le film le plus successful est donc Jules ef Jim. Premièrement, comme le précédent succès des Quatre Cents coups, Jules et Jim s'inscrit dans le courant de la Nouvelle Vague, qui suscite un intérêt marqué, un désir de découvrir un cinéma différent du cinéma hollywoodien (au départ surtout dans les milieux intellectuels). Deuxièmement, le film propose une vision marginale et particulière de la relation amoureuse, sans être un film classé X. Truffaut raconta comment Jules et Jim fut privé de diffusion télévisuelle aux États-Unis pendant dix ans parce qu'il avait été censuré par la commission religieuse de New York et que
la visite de Truffaut à cette même commission, pour tenter de convaincre les religieux, fut infructueuse ! :
LAGITE
"A l'époque, il y avait une institution importante à New York, qui était la Légion de Décence. C'était des évêques et des curés de New York qui donnaient le droit ou non de passer tel film dans le futur à la télévision. Les distributeurs du film, Janus Film, m'appellent en me disant : "C'est épouvantable, les prêtres de New York sont contre votre film. Donc, on ne pourra jamais le passer à la télévision , donc on ne va pas le doubler en anglais, donc il
aura une carrière limitée, venez à New York essayer d'arranger ça." Ils me disent : "Fellini est venu il y a deux mois pour La Dolce vita, qui était aussi à l'index de la Légion de Décence, et Fellini les a charmés, a retourné complètement la situation et maintenant La Dolce vita a la
primature de ces évêques de New York." Alors, je suis allé à New York et moi, je me suis moins bien débrouillé que Fellini parce mon entrevue avec les prêtres a été désastreuse. Ils me disent, nous étions en 1962 à ce moment-là : "Monsieur Truffaut, avez-vous remarqué que l'héroïne de votre film se conduit dans votre histoire exactement comme Elisabeth Taylor dans la vie ?" C'était le moment où Elisabeth Taylor a commencé son histoire avèc Burton, sur le tournage de Cléopâtre, et les journaux en étaient pleins évidemment. Alors, moi, j'ai fait l'innocent et j'ai dit : "Je ne suis pas au courant de la conduite de Madame Taylor". Alors les prêtres me disent : "Eh
bien
c'est dans
tous
les journaux",
alors je dis
:
"Apparemment, nous ne lisons pas les mêmes journaux." Evidemment,
c'était une négociation perdue d'avance.
Si
bien que pendant dix ans, Jules et Jim n'est pas passé à la télévision américaine ; il passe maintenant, d'ailleurs en
version originale, et sur les Chanels culturels, plutôt sur le Chanel 28 ou le Chanel 13, qui passent des films sans coupures, subventionnés par une marque d'aspirine ou un truc comme ça, mais sans interruption publicitaire." ("Le Cinéma des cinéastes", France Culture, 06/1980).
De plus, le parfum de scandale qui entoure la sortie de Jules et Jim n'inaugure pas un fait nouveau pour Truffaut aux États-Unis, mais renforce l'image véhiculée par ses films précédents. Les Quatre Cents coups furent menacés par les censeurs américains et en particulier par les censeurs de
60 Chicago, qui voulaient absolument procéder à trois coupures dans le film.*> De même, l'intérêt qu'a pu susciter Zirez sur le pianiste fut largement déterminé par l'anti-conformisme, comme le souligne le témoignage de Bill Krohn, journaliste, correspondant des Cahiers du Cinéma à Los Angeles : "TI y a de nombreuses années que j'ai vu Tirez sur le pianiste, mais je me souviens encore de ma première vision du film dans un cinéma d'art et d'essai de Austin au Texas. La photo de l'affiche annonçait du nu ; je n'avais pas l'âge requis, mais je rusai pour entrer. C'était le premier film étranger que je voyais, et je fus surpris et un peu déconcerté par son dénuement : pauvreté des appartements où les gens vivaient, pauvreté des moyens. Mais le film m'impressionna fortement. En particulier, deux gags restèrent imprimés dans ma mémoire : la mère du gangster tombant
raide
jalousie que ponctuation extrêmement partir de ce films. [...]
morte,
"Garner à des tendues moment
et Aznavour
reconnaissant
avec
à du talent". Tous deux servant de scènes où les situations étaient et où les esprits s'égaraient. Ce fut à que je commençai à voir un tas de
La moindre opinion de Truffaut avait beaucoup de poids pour moi à cette époque. Je me rappelle m'être senti soutenu dans mes idées quand je lus qu'adolescent, les deux questions qu'il posait invariablement à propos de n'importe quel film étaient : "Est-ce que les combats sont bons ?" et : "Est-ce qu'on voit de la chair ?" (ironiquement je n'eus droit à l'apparition fugitive des seins de Michèle Mercier annoncés par l'affiche, que lorsque je revis le film en France en 1965)" ("Détour", Le Roman de François Truffaut, p. 164).
L'image que Truffaut est en train de construire résulte aussi de sa stratégie commerciale, développée film après film. Les lettres échangées avec Helen Scott sont à ce titre
particulièrement révélatrices du soin qu'accorde Truffaut à l'élaboration de sa notoriété aux États-Unis. Par exemple, le cinéaste n'hésite pas à favoriser des manifestations
Ne nn susceptibles de faciliter la pénétration de ses films. Il est notamment très attentif à la réception des films de la Nouvelle Vague ou des films français aux États-Unis : "J'ai pensé à un truc qui viendrait peut-être au bon moment : ce serait une semaine du cinéma français à New York à la rentrée, à la faveur de laquelle on montrerait en priorité les films français qui ont été achetés,
mais non montrés,
femme est une femme... Qu'en (Correspondance, 20/07/1962, p. 257).
comme
Zola,
pensez-vous
Une
?
"
Truffaut est également très soucieux d'ajuster sa stratégie commerciale aux pratiques en cours, d'où d'incessantes questions à propos du comportement des distributeurs ou exploitants américains, posées à Helen Scott : "Rien de neuf pour Le Pianiste, et une fois de plus je tiens à vous dire que le sort en Amérique de Jules et Jim et de Tire-au-flanc 62 m'importent bien davantage. Je sais que Marienbad a été acheté avec une garantie de 75 000 dollars. Pourriez-vous vous renseigner pour savoir à quel prix le distributeur a acheté La Notïte (dernier film de Jeanne Moreau) ? (Correspondance, 09/11/1961, p. 220).44
Les échanges épistolaires avec Helen Scott témoignent également de l'importance qu'accorde Truffaut à la réception de ses propres films, réception générale mais aussi réceptions auprès de personnes bien précises : "S'il y a un disque du Pianiste,
envoyez-le-moi.
Astor a-t-il fait rééditer des bouquins ? [..] Dites-moi ce que des gens comme Penn, Lumet, Darach, etc. penseront du Pianiste quand ils l'auront vu. [..] Vous écrivez plus que moi, mais vos lettres sont terriblement incomplètes : dites-moi ce que Congdon et Furlaud ont pensé du Pianiste. Pourquoi avez-vous mieux aimé Guns in The Trees en le revoyant ? Le scandale, c'est de me parler d'une
projection de Tire-au-flanc qui vous a déçue sans me dire a) combien il y avait de personnes dans la salle ; b) les gens ont-ils ri ou non ? c) réactions de Diener et Mac Gregor, de Maternati ; d) pourquoi vous êtes déçue ; e) s'il
64 y à ou non espoir de caser ce film à N.Y. [...] Je veux surtout vous faire sentir ma déception et combien il est important que vous vous étendiez davantage quand il s'agit d'une affaire Carrosse dans vos lettres." (Correspondance,
20/06/1962, pp. 244-245).+5 "A propos. vous m'avez un peu laissé tomber avec les extraits de presse de L'Amour à vingt ans. A part le Times et un autre : pas besoin de tout, mais de savoir en gros : Crowther ? New Yorker ? Winston ? Le vieux barbichu sympa et sa femme ?" (Correspondance. 04/1963,
p. 278).
On pourrait citer de très nombreux autres exemples relatifs au soin extrêmement pointilleux que Truffaut accorde à toutes les étapes de la diffusion et de la réception de ses films, tant au niveau quantitatif que qualitatif*6 Plus révélatrice encore est la façon dont Truffaut aime s'immiscer dans la façon dont ses films sont distribués et promus. Il lui arrive souvent de diriger ou de suggérer telle ou telle activité de promotion ou de distribution. C'est par exemple le cas pour L'Amour à vingt ans, film qui connut une réception honorable{? et pour lequel Truffaut manifeste le désir de le voir distribué de façon séparée des autres courts métrages qui composaient l'oeuvre entière : "Si Embassy n'arrive à rien avec le film entier, je pourrai leur suggérer de sous-distribuer spécialement mon sketch, qui, isolé des autres, pourrait faire de l'argent si on le projetait avec Le Pianiste ou Jules et Jim. Je vais penser un peu à tout cela d'ici janvier." (Correspondance, 16/12/1964, pp. 335-336). Il est important de noter que la stratégie commerciale de Truffaut tend toujours à développer la reconnaissance de sa différence.
Plus révélateur encore est le comportement de Truffaut au moment même de la création artistique, d'où l'idée que la Stratégie commerciale et artistique forment vraiment un tout
6%
chez lui. Par exemple, en ce qui concerne les sous-titres, Truffaut faisait très attention dès le début à l'exportabilité du _ film. Par exemple, pour Zïrez sur le pianiste, les chansons ne devaient pas être un obstacle à la compréhension du film aux
Etats-Unis : "Une dizaine de chansons doublées ou soustitrées gênerait le public étranger. Je crois, moi, qu'il faudrait envisager une version américaine pour toutes les chansons, puisqu'il t'est facile de chanter en anglais." écrit Truffaut à Charles Aznavour, l'acteur de Tirez sur le pianiste (Correspondance, 16/12/1961, p. 225). De façon générale, Nestor Almendros souligne également : "Il savait qu'il était très aimé aux Etats-Unis et il en tenait compte. Par exemple je devais cadrer de façon que le bas de l'image soit toujours assez sombre pour que les sous-titres soient bien lisibles." ("Des solutions très claires", Le Roman de François Truffaut, p. 98).
Ainsi, l'élaboration et l'intégration de la stratégie truffaldienne constituent un phénomène plus souterrain mais bien plus primordial que la réception de tel ou tel film pris isolément. La stratégie truffaldienne consiste donc à s'imposer le plus possible en fonction de ses propres valeurs artistiques. Le temps de la reconnaissance stratégique perdure encore durant la seconde moitié des années soixante et au début des années soixante-dix. La réception de cette période est de plus en plus révélatrice de la tendance américaine à reconnaître la Truffaut's touch.
Par exemple, la déception de la critique new-yorkaise visà-vis de Fahrenheit 451 ne repose pas sur des a priori culturels mais bien sur l'impression d'un manque d'originalité et d'intimisme, qualités habituellement associées à la Zruffaut's touch. Ce sentiment d'étrangeté est la conséquence directe d'une production et d'un tournage en Angleterre particulièrement difficiles. Le projet de Fahrenheit 451 occupa Truffaut pendant six ans, six années de nombreuses péripéties, financières et artistiques, qui, associées à un
2 6GNE tournage dans une langue et un pays étrangers, laissèrent au cinéaste un très mauvais souvenir. En cela, Fahrenheïit 451
montre bien l'influence du contexte réception.
de production
sur la
Fahrenheit 451 surprend donc les critiques américains par ses différences apparentes avec les précédents films de Truffaut. L'analyse américaine du film montre que l' "axe de lecture" (Roger Odin) est souvent centré autour de la notion d'auteurism,
ce
qui
renforce
la
thèse
d'une
stratégie
truffaldienne de plus en plus influente. "Les américains savent tourner des films dits commerciaux : ils attendent autre chose du film français" affirme Ernst Goldschmidt, d'Orion Classics (Le Monde, 07/11/1983). Pour Fahrenheit 451, le caractère en apparence américain du thème et du genre ne constitue pas un élément favorable. "Sainte fumée, quelle production prétentieuse et pédante" : Brosley Crowther, critique du New
York Times, rejeta totalement Fahrenheit 451 qui venait de débuter à New York. telle impatience par parution des critiques, États-Unis en général,
Le les ce il y
film fut pourtant attendu avec une New-Yorkais, qu'avant même la qui était rare à New York et aux avait la queue devant le guichet du
Plazza Theatre. Mais le film, sorti le 2 novembre 1966, déçut
la plupart des critiques et totalisa de faibles recettes, surtout au regard de son coût élevé. "C'est un film, déclare Judith Crist dans le World Journal Tribune, qui expose une thèse simpliste et qui le fait en des termes aussi prosaïques et ennuyeux qu'ils sont sincères et bien intentionnés." Dans le New York Post, Archer Winsten écrit : "Truffaut est un peu comme un retardataire qui veut absolument expliquer au public ce que celui-ci sait depuis des années". Le critique de la revue Newsweek, Joseph Morgenstern, est un des seuls avec ceux du Daily News, de Film Daily et de Motion Picture Herald, qui aient admiré la beauté visuelle de Fahrenheit 451. Le besoin de créer une continuité dans les films de Truffaut
est déjà sous-jacent aux Etats-Unis,
en particulier dans la
67e critique puisque le box-office du film ne fut pas aussi décevant. Le fait que le public new-yorkais ait été quelque peu
sensible à la perspective d'un film de Truffaut américanisé (outre son genre, le film est également produit avec des capitaux américains et tourné en langue anglaise) est une explication possible. La critique, plus exigeante, serait déjà, elle, plus sensible à un matériel totalement original et propre à un auteur. Mais, peut-être faut-il voir dans l'échec commercial du film suivant, La Mariée était en noir, qui joue également sur l'ambivalence d'une oeuvre américanisée et truffaldienne, les conséquences d'une certaine déception du public américain vis-à-vis de Fahrenheit 451.
Les réceptions de la fin des années soixante accréditent la . thèse selon laquelle il existe un lien entre les échecs de Truffaut et la non-reconnaissance par le public américain de la stratégie truffaldienne. Za Mariée était en noir, sortie aux États-Unis en juin 1968, a été un échec financier. Le film a seulement récolté dans tout le territoire américain environ $ 70 000 ($ 32 000 de rental, donc environ $ 70 000 de boxoffice gross). Le distributeur, United Artists, dépensa plus de $ 40 000 pour la publicité seulement, sans compter les frais de sous-titrage, etc. (Source : Zhe New York Times, 25/04/1970). Par contre, le fait que la critique ait été relativement favorable pourrait s'expliquer par l'acceptation de l'ambivalence du film, qui part d'un matériel américain (série noire, adaptation d'un auteur américain), mais utilise un traitement très particulier. Premièrement, étant donné que l'impression première du public serait celle d'un film policier, le film décevrait l'attente liée à la Zruffaut's touch (pour les spectateurs qui en seraient déjà familier). Deuxièmement, étant donné que le film transgresse sciemment l'attente liée au genre policier, l'identification du public américain ne peut pas s'établir sur la conformité de l'oeuvre aux habitudes culturelles et artistiques. C'est particulièrement net dans l'évaluation de l'influence hitchcockienne dans La Mariée était en noir, comme le suggère l'analyse de Truffaut :
6e
"Je vous remercie beaucoup de votre lettre du 17 juin et je suis très touché que vous ayez consacré du temps à regarder The Bride Wore Black. Votre analyse du film est extrêmement indulgente et vous avez certainement remarqué que les critiques de New York citent beaucoup votre nom dans leurs comptes rendus. Je pense que c'est d'une part assez juste parce que je vous dois beaucoup et d'autre part non justifié puisqu'il s'agit d'une histoire en fait assez différente de celles qui vous intéressent pour en tirer un
film"
(Lettre
Correspondance,
à Alfred
Hitchcock
du
04/07/1968,
p.414).
Notons également que Za Mariée était en noir constitue une oeuvre charnière pour Les Films du Carrosse puisque c'est à partir de ce film que s'instaure un nouveau système de coproduction avec les majors hollywoodiennes (Artistes Associés, Columbia et Warner). Cette collaboration durera onze ans (onze films) et permettra à Truffaut de réaliser ses films avec une liberté enviable. En 1978, Truffaut mettra fin à ce système de coproduction et adoptera une nouvelle stratégie de financement plus indépendante (financement par la télévision, par les préventes des films à l'étranger, etc.).
Au début des années soixante-dix, la réception publique de Truffaut aux États-Unis demeure encore irrégulière et, de façon générale, assez dépendante des problèmes que rencontrent les films étrangers sur le sol américain. De ce fait, le box-office de Truffaut demeure en dents de scie, alternant des résultats honorables et des résultats confidentiels.
Le film Baisers volés est le plus grand succès de Truffaut dans les années soixante aux États-Unis. Nominé aux Oscars
pour le "meilleur film étranger" et sorti au Fine Arts Theatre de New York le 3 mars 1969, il récolta environ $ 550 000.48 Mais, le film suivant de Truffaut, La Sirène du Mississippi, distribué en avril 1970, fut un échec. Il subit les difficultés des
60e films étrangers à s'imposer sur le marché américain et le manque d'enthousiasme du public vis-à-vis de ceux-ci, comme en témoigne Vincent Canby dans le New York Times du
25/04/1970.4? Cinq mois plus tard, L'Enfant sauvage connaît par contre un succès honorable dans différentes villes américaines. Pour la première fois dans la carrière de Truffaut, le film est projeté en avant-première au Festival de New York. L'Enfant sauvage et son cinéaste suscitent un vif intérêt, succès relayé par la presse américaine qui, des revues de cinéma aux magazines et aux grands journaux, consacrent à Truffaut de nombreux articles. Lors de la sortie de L'Enfant sauvage, le 27/09/1970 au Fine Arts Theatre, un portrait de Truffaut figure sur deux pages entières du New York Times. Le film, qui totalise près de 210 000 dollars de recettes et reçoit de nombreux prix, est particulièrement apprécié à New York et dans les villes universitaires américaines où L'Enfant sauvage suscite des débats de société, des conférences sur l'éducation
notamment. Parallèlement, la parution de trois livres de Truffaut aux États-Unis conforte l'intérêt croissant des cinéphiles américains pour le cinéaste français - The Four Hundred blows (Grove Press), Adventures of Antoine Doinel (Simon and Schuster) puis The Wild Child (Grove Press).
En janvier 1971, Domicile conjugal, distribué par Columbia aux États-Unis, est un grand succès critique et recueille $ 372 000 dans 425 cinémas, dans le sillage du dernier succès du cycle Doinel, Baïsers volés. Sorti en décembre 1972, le film Les Deux Anglaises et le continent récolte un total de $ 256 551 (Source : Variety, 01/1973) en six semaines d'exploitation, dans six villes et six cinémas. Ce chiffre peut sembler insignifiant, néanmoins, comparé à l'échec quasi général de ce film dans le monde et notamment en France, comparé aussi aux résultats d'autres films européens exploités au même moment, ce résultat est moins faible que prévu. Il se situe parmi les meilleurs succès de Truffaut de
= T0 1960 à 1973. Par contre, Une Belle fille comme moi, sortie en mars 1973, récolte seulement $ 31 142 en sept semaines d'exploitation à New York et $ 108 000 pour l'exploitation totale (dans 97 cinémas). (Source : Variety).
Malgré plusieurs résultats médiocres dans les années soixante et au début des années soixante-dix, le box-office de Truffaut montre que le cinéaste a gagné des spectateurs parmi le public cultivé et cinéphile. Baisers volés, L'Enfant sauvage et Domicile conjugal préparent ainsi le premier succès véritable
de
Truffaut
aux
États-Unis.
celui
de La
Nuit
américaine.
-3- L'effet Day for Night Appuyée par quelques résultats honorables de Truffaut à la fin des années soixante et au début des années soixantedix, et surtout par l'enthousiasme croissant de la presse américaine, La Nuit américaine permet au cinéaste de franchir un Cap important dans sa popularité aux États-Unis. Rappelons brièvement le thème de ce film-clé : un metteur en
scène français, Ferrand, tourne un film hollywoodien dans les
studios de la Victorine à Nice.
Le changement commence dans les relations de Truffaut avec les Majors américaines. Le cinéaste interrompt ses relations avec les Artistes Associés, ceux-ci ayant refusé le scénario de La Nuit américaine et confie une part du financement ainsi que la distribution à Warner Bros : "Quand le scénario de La Nuit américaine a été terminé, je l'ai naturellement porté aux Artistes Associés puisqu'on avait fait quatre films ensemble et, à ma grande déception, ils l'ont refusé comme ils en avaient le droit. Par chance, j'ai rencontré Bob Solo qui cherchait des projets français pour Warner Bros. Il voulait le faire, il a proposé
ue le scénario aux gens de Burbanks et ils ont dit oui. [...] Puis, je leur ai fait lire Adèle H. Consternation, refus.
C'était leur droit. Je retourne chez Les Artistes Associés, ils aiment Adèle, l'adoptent et s'en trouvent bien puisque nous avons rempilé ensemble pour les trois films suivants L'Argent de poche, L'Homme qui aimait les femmes et La Chambre verte." note Truffaut (Cahiers du cinéma, 09/1980. p. 9).
L'intervalle Warner Bros est très important car il donne une nouvelle impulsion à la carrière de Truffaut aux ÉtatsUnis. Une impulsion motrice puisque, même distribués par d'autres distributeurs que Warner Bros et à nouveau coproduits par les Artistes Associés, les films suivants sont des succès aux États-Unis. La promotion de Za Nuit américaine se fit de façon efficace. Warner, qui fit une campagne agressive, distribua le film dans mille salles. Certes, les États-Unis possédaient à l'époque environ 10 000 salles et 4 500 ciné-parcs®l mais, pour un film européen, cela demeure un chiffre impressionnant. N'oublions pas que le marché européen est limité à une centaine de salles, dans quelques villes-clés où l'on commence prudemment avec une dizaine de copies (source : Warner Bros). C'est de toute façon une première dans la carrière de Truffaut aux États-Unis. Domicile conjugal est sorti dans 425 salles, Une Belle fille comme moi dans 97 cinémas.
Le film est présenté en soirée d'ouverture le 28 septembre 1973 au Festival de New York. La Nuit américaine est le plus gros succès français depuis Æfat de siège (sorti à Los Angeles
le 16/05/1973) et son succès était déjà établi avant l'obtention de son Oscar à Hollywood et de tous ses autres prix américains en 1973.52 Sortie quelques jours après sa
projection au Festival de New York au Fine Arts, La Nuit américaine réalisa plus de $ 100 000 en quatre semaines. Le
LTD film se situe parmi les cinq films français ayant figuré en 1973 dans les cinquante meilleurs résultats, toutes nationalités confondues.54
Mais, l'autre modification par rapport aux précédents films de Truffaut et également par rapport à de nombreux films européens, repose sur le succès du film dans l'ensemble du territoire américain et non pas seulement dans la francophile ville de New York. La Nuit américaine eut du succès dans d'autres villes d'Amérique du Nord, de grandes, moyennes ou petites villes américaines et canadiennes anglophones. Par exemple, le film rapporta près de $ 300 000 à Boston, Washington et San Francisco (en dix semaines d'exploitation d'octobre à décembre 1973) et durant l'exploitation à Denver, San Jose, Portland, Sacramento, Tulsa, Oklahoma City, Providence, Pittsburg, Ottawa, Dallas, Atlanta, New Orleans
(confer documents e, f, g et h). Le chiffre de la province est donc tout aussi significatif de l'intérêt du public américain pour La Nuit américaine que le chiffre de la capitale cinématographique qu'est New York. En un temps d'exploitation comparable (d'octobre 1973 à janvier 1974), les recettes à New York sont similaires à l'ensemble de ces villes (confer documents i et j). Mais, étant donné que ces villes ne représentent pas la totalité des villes américaines où fut diffusée La Nuit américaine (il nous manque les chiffres des autres villes où le film fut distribué, comme Los Angeles où il eut du succès), on peut en déduire que les recettes en province furent bien supérieures à New York. Donc, les recettes à New Vork représentent moins de 50 % de l'ensemble des Etats-Unis. Au regard des années précédentes, ceci est un chiffre exceptionnel pour Truffaut et même pour les films européens en général, la ville de New York étant largement majoritaire, voire monopolisatrice dans l'exploitation des films étrangers aux États-Unis.
Ainsi, la carrière pré-Oscar de La Nuit américaine était déjà successful. Dès sa sortie, le film se caractérise par un
L'TAUE
engouement général du public, des cinéphiles, des professionnels et de la presse. C'est justement cet enthousiasme populaire qui donne une impulsion décisive à la carrière de François Truffaut aux États-Unis.55 La presse mondiale rapporte le succès obtenu par le film aux États-Unis et cela dès la fin 1973. Par exemple, la presse française montre le succès du film tant à New York qu'en Californie, réputée plus conformiste : "Hollywood s'arrache François Truffaut après La Nuit américaine" titre France-Soir (confer document k). Il faut dire que Truffaut avait accordé un soin particulièrement important à la promotion du film et notamment à sa présence sur place, ce qui correspond bien à sa stratégie volontariste, inébranlable malgré les nombreux obstacles rencontrés. Pour la promotion de La Nuit américaine, Truffaut fit un séjour de six semaines aux États-Unis. Il n'avait pas, depuis L'Enfant sauvage, trouvé le temps de s'occuper aussi personnellement du lancement d'un de ses films. Pour Za Nuit américaine, il se rendit à Rome, Stockholm, Oslo, Londres, Madrid : "J'avais décidé de ne pas tourner pendant deux ans et je tenais évidemment à m'arrêter sur quelque chose qui fonctionne bien. Si La Nuit américaine avait été un échec, je serais actuellement en train de tourner un autre film, simplement parce qu'on ne peut pas tenir en place quand les choses ne vont pas comme on veut." (Le Film Français,
16/11/1973, p. 10).
Mais c'est à la carrière américaine du film que Truffaut attacha le plus d'importance. "Etant donné que j'ai rarement un très grand succès commercial
en France, mes films se
remboursent généralement à moitié sur la France, à moitié sur l'étranger. Il y eut des exceptions, par exemple Baïsers volés et L'Enfant sauvage, bénéficiaires sur la France seule, mais
pour mes autres films, comme Une Belle fille comme moi ou Les Deux Anglaises, je dois une fière chandelle à des pays comme le Japon, la Scandinavie et les États-Unis. Oui, c'est la
J'IPARe première fois que je séjourne si longtemps en Amérique pour m'occuper d'un film mais je voulais remercier Bob Solo de Warner Bros qui s'est enthousiasmé pour ce sujet qui avait effrayé d'autres compagnies." (Le Film Français, 16/11/1973, p. 10). Le soin accordé par Truffaut à la promotion de Za Nuit américaine se porta même sur plusieurs villes du territoire américain, ce qui contribue également à expliquer le succès du film en dehors de New York : "Je vais être amené à passer pas mal de temps en Amérique, deux semaines à New York au moment du N.Y. Festival, puis quatre jours à Boston tout de suite après, puis Montréal, puis une semaine à San Francisco et de nouveau
Los Angeles,
seconde
quinzaine d'octobre,
toujours dans l'intention de faire le maximum pour La Nuit américaine dans ce pays." (Lettre à Helen Scott du
09/07/1973, Correspondance, p. 497). En 1974, La Nuit américaine obtient l'Oscar du meilleur
film étranger et remporte un franc succès à Hollywood. Il est certain que la nomination puis l'obtention de l'Oscar a donné une seconde impulsion à la carrière du film (ses recettes furent
presque multipliées par dix d'une semaine à l'autreS6) et plus largementà celle de Truffaut aux États-Unis. Pour la première fois, un film de Truffaut dépasse la barre du million de dollars qui est considérée comme
une recette importante aux États-
Unis, en particulier pour un film étranger ($ 1 071 244 au 24/04/1974 après vingt-cinq semaines d'exploitation, comme l'indique Variety, la bible de l'industrie cinématographique aux Etats-Unis).
Aidée par son Oscar, La Nuit américaine se situe, au début des années quatre-vingt-dix, parmi les meilleurs résultats des films français aux États-Unis (confer document p). Mais, l'importance capitale de ce succès se situe surtout dans les répercussions qu'il aura sur la carrière de Truffaut aux Etats-Unis. François Truffaut affirme : "Le film a gagné
SN l'Oscar, une dizaine d'autres prix américains, c'était l'euphorie, c'était l'idylle avec les gens de Warner qui me disaient : "Quand nous donnez-vous votre prochain script ?" " (Cahiers du Cinéma, 09/1980, p. 9).
De plus, le succès du film et ses répercussions sur la suite de la carrière américaine de Truffaut ne sont pas étrangers au sujet même du film, qui est perçu comme le symbole de la Truffaut's touch. La Nuit américaine relate le tournage d'un film et comporte de nombreuses évocations et allusions à des références cinématographiques. De ce fait, ce film symbolise le Truffaut-cinéphile, la dévotion au septième art, aspect de la réception que nous vérifierons dans l'étude de l'accueil critique.
Il ne faut pas oublier que l'activité artistique de Truffaut ne se résume pas à la mise en scène mais inclut une importante activité critique (livres sur le cinéma, sur ses goûts cinématographiques, etc). La Correspondance révèle notamment le soin et la vigilance accordés par Truffaut à la publication de ses livres aux États-Unis, soin tant commercial qu'artistique (voir par exemple les lettres à Helen Scott ou à Don Congdon, agent littéraire américain de Truffaut). C'est notamment le cas des entretiens avec Alfred Hitchcock menés avec la collaboration de Helen Scott (lire les lettres de 1966, 1967, 1968 adressées à Helen Scott, Alfred Hitchcock et Odette Ferry). Les commentaires parus dans la presse américaine à propos du livre furent "excellents" et le "Hitchbook", édité chez Simon and Schuster, connut d'emblée un vif succès aux États-Unis, contrairement à l'édition française. Sorti aux U.S.A. en novembre 1967, le livre atteignit, à l'été 1968, près de 100 000 exemplaires. Durant les six premières années de la diffusion américaine du "Hitchbook", les droits d'auteur se montèrent à 23 000 dollars. Au début des années 1980, Le Cinéma selon Alfred Hitchcock se vendait encore aux États-Unis à environ 60 000 exemplaires par an. La durabilité de ce succès s'explique par la
TEE
notoriété croissante de Truffaut, mais aussi par le fait que l'ouvrage n'est pas seulement un hommage à l'art hitchcockien,
mais, plus largement, l'histoire d'une carrière cinématographique complète et une description précise de l'art de la mise en scène. C'est pourquoi, le "Hitchbook" a vite touché un vaste public international, s'imposant comme un livre de référence pour le grand public, les cinéphiles mais aussi pour les cinéastes et les apprentis cinéastes du monde entier. Ce livre a donc joué un rôle important dans la reconnaissante de Truffaut aux États-Unis. De plus, l'activité critique du cinéaste français fut d'autant plus déterminante pour sa carrière cinématographique aux Etats-Unis que la sensibilité des Américains pour les études cinématographiques, pour les écrits sur le cinéma, était bien plus vive qu'en France, comme le souligne très justement Truffaut.58
La Nuit américaine s'inscrit parfaitement dans cette image du Truffaut cinéphile, auquel s'ajoute l'idée d'une relation privilégiée entre les Américains et le cinéaste français. En plus de l'amour du cinéma, La Nuit américaine renforce donc le thème du rapport avec le cinéma américain dans l'oeuvre de Truffaut.
De ce fait, le succès de La Nuit américaine et les conséquences de cette réception renforcent l'idée d'un cas Truffaut, d'une spécificité à part entière.
- 4- L'apogée du succès et de la reconnaissance stratégique Après La Nuit américaine, les films de François Truffaut remportent de francs succès aux États-Unis.
7e
L'Histoire d'Adèle H., appuyée par une excellente presse, a immédiatement connu un bon démarrage. Le film obtint deux prix importants aux États-Unis : Meilleur scénario original et Meilleure actrice pour Isabelle Adjani (New York Film Critics Society Award). Quelques années plus tard, le film fit même l'objet d'une proposition de transposition en opéra à Broadway.” L'Histoire d'Adèle H., sortie dans une salle new-yorkaise le 22/12/1975, réussit le score remarquable de $ 112 566 en deux semaines. Alors que l'accueil français se caractérise par une baisse assez rapide de la fréquentation, le bon démarrage américain se retrouve dans toute la carrière du
film aux U.S.A, tant à New York qu'en province.é0 Au bout de dix-neuf semaines d'exploitation, L'Histoire d'Adèle H. avait déjà remporté $ 1 062 286, ce qui plaçait le film de Truffaut à la vingt-huitième position au box-office américain (Sources : Unifrance et Variety) : "En 1975-1976, plusieurs films français ont obtenu des résultats remarquables sur le territoire américain, tout particulièrement L'Histoire d'Adèle H. de François Truffaut." (Le Film Français, 21/05/1976, p. 161).
L'Histoire d'Adèle H. comporte environ 50 % de dialogues français et 50 % de dialogues anglais ; de ce fait, beaucoup de sous-titres français apparaissent dans le film. Ceci explique peut-être l'absence d'engouement et la gêne des spectateurs en France mais par contre le succès du film dans les pays anglophones : "L'alternative n'est pas de tourner un film en Amérique ou en Europe, elle est de tourner un film en langue française ou en anglais, c'est le vrai clivage. [...] La double version - on tourne une prise en français et une prise en anglais - peut être une solution quand le sujet s'y prête, je l'ai utilisée pour Adèle H. parce que l'héroïne était seule française dans un univers anglo-saxon. Les habitants de Guernesey étaient bilingues et j'ai recruté tous les rôles secondaires sur place. Je suis content de cette expérience qui a permis au film d'avoir une bonne carrière dans tous
17e les pays anglophones." souligne Cinéma, 10/1980, pp. 28-29).
Truffaut
(Cahiers
du
En raison de cette caractéristique linguistique de L'Histoire d'Adèle H., on pourrait penser que le succès de Truffaut est circonstanciel, conforté de plus par l'Oscar et le succès du film précédent, La Nuit américaine. Il n'en est rien puisque la majorité des films suivants de Truffaut furent des succès aux États-Unis.
L'Argent de poche fut également présenté au Festival de New York (01-16/10/1976), en ouverture et en présence de son réalisateur. Le film bénéficia de la dynamique de succès instaurée depuis La Nuit américaine et surtout de celle de L'Histoire d'Adèle H. puisque l'exploitation des deux films se chevauchèrent (confer document 1).61 Après vingt-deux semaines d'exploitation, alors que le film était encore à l'affiche dans six villes et dans vingt-six cinémas, L'Argent de poche avait déjà rapporté $ 1 447 371 (Source : Variety), ce qui le situait à la troisième place dans le Panorama 1977 du marché du film étranger aux États-Unis (Source : Le Film Français). Pour la troisième fois consécutive, François Truffaut remporta avec L'Homme qui aimait les femmes un succès important. Le film fut, comme c'était désormais une habitude, présenté au Festival de New York (le quinzième, du 23/0909/10/1977). II suscita un vif intérêt, de même que Truffaut en général puisque l'ajout-surprise de Antoine et Colette (le court métrage de Truffaut dans L'Amour à vingt ans) fut aussi très apprécié et renforça l'attrait pour la Zruffaut's touch, sans cesse étayé par le cinéaste (confer document m). Le film fut également présenté au Festival de San Francisco (0516/10/1977, source : Unifrance), ce qui appuya aussi sa carrière en Californie.
"TOUL A la fin des années soixante-dix, Truffaut avait donc connu plusieurs succès importants qui lui avaient permis d'asseoir sa notoriété aux États-Unis. Il faut dire que celle-ci avait été également appuyée par l'immense succès critique et public du film de Steven Spielberg Rencontres du troisième type®2, sorti le 6 février 1978, où Truffaut avait tenu le rôle d'un savant français spécialiste des ovnis. Outre l'intérêt d'un cachet non négligeable de 85 000 dollars, ce rôle dans une importante production hollywoodienne fit une publicité très favorable à la construction de la notoriété américaine de Truffaut, et même plus généralement mondiale puisque le film fut un succès international. D'ailleurs, dans le monde entier, ce
rôle fit découvrir Truffaut à de nombreux spectateurs qui ne connaissaient pas forcément ses films ; l'intérêt du grand public américain fut donc accru avec l'oeuvre de Spielberg.53 Il n'est pas impossible de penser que L'Homme qui aimait les femmes (distribution quasi simultanée avec Rencontres du troisième type) et les films suivants de Truffaut bénéficièrent aussi de ce rôle. De plus, la façon dont Spielberg justifia son choix, y compris dans la presse américaine, ne fit que renforcer l'image que la stratégie truffaldienne donnait de sa différence. 64
Parallèlement aux différents succès précédents de Truffaut aux États-Unis, c'est aussi à partir du milieu des années soixante-dix que débute la période des rétrospectives. A celle de Chicago en novembre 1977, ainsi qu'à d'autres rétrospectives plus confidentielles, s'ajoute la plus importante quant à sa qualité, son ampleur et ses conséquences pour la notoriété de Truffaut en Amérique. Il s'agit de la rétrospective complète de l'oeuvre de Truffaut organisée par l'American Film Institute (AFT) qui fut également le signe concret de la reconnaissance d'un auteur. La rétrospective se fit en présence de François Truffaut. Elle se déroula en février/mars 1979 et fut organisée à Los Angeles et à Washington.
L'R06E
En tant que cinéaste étranger, François Truffaut connut encore des succès importants dans les années quatre-vingt et sa notariété ne cessa de grandir. Ce succès était bien le fruit d'une stratégie personnelle et reconnue de plus en plus en tant que telle, puisque, à la fin des années soixante-dix, le système de production de Truffaut se modifia quelque peu : il ne coproduisit plus ses films avec des Majors américaines mais tenta "l'expérience d'être un producteur français indépendant."é6 Pourtant, malgré cette modification commerciale, Le Dernier métro connut un franc succès aux
États-Unis (un million et demi de dollars en 19 semaines d'exclusivité).67 Le film fut nominé pour l'Oscar du meilleur film étranger, obtint le Prix des critiques de films de Boston pour le meilleur film étranger et le Prix du Festival de film de Houston pour la meilleure mise en scène. En novembre 1980, François Truffaut se rendit à New York, au Festival, où il fut acclamé : "En automne 1980, pour la première américaine du Dernier métro, Deneuve, Depardieu et Truffaut assistent au New York Film Festival. Le film a l'honneur de clôturer ce prestigieux festival, lors d'une soirée de gala à l'Avery Fisher Hall du Lincoln Center. Deux mille sept cents critiques et cinéphiles américains remplissent la salle. [...] "François Truffaut
monte
sur la scène et reçoit un
accueil extraordinaire, se souvient Barker8. A cette foule énorme, Truffaut raconte l'histoire suivante : "J'adore New
York ; on y sent et on y touche des choses qu'on ne sent ni ne touche nulle part ailleurs. Lors de mon premier séjour à New York, je suis allé au musée d'Art moderne et j'y ai vu Naissance d'une nation. Je regarde le film et, à un moment,
l'armée
de
l'Union est au loin, mais ignore à quelle distance. colonel confédéré demande alors à son aide de camp coller son oreille au sol pour essayer de déterminer progrès de l'ennemi. L'aide de camp se couche, colle
l'armée
des
Confédérés
sait que
Le de les son
oreille au sol et, soudain, le cinéma tout entier se met à
trembler.
Je n'ai appris que plus tard, dit Truffaut
à
S ÈRe l'assistance, que c'était le métro qui passait sous le musée."" (Paul Chutkow, Depardieu, Belfond, 1994, p. 248).
Le Dernier métro fut de nouveau distribué par United Artists Classics (tous les succès de Truffaut dans les années soixante-dix furent distribués par d'autres distributeurs comme New World Pictures, Warner Bros, etc.). Le changement fut également sensible dans la technique de distribution (y compris par rapport aux autres films de Truffaut distribués par United Artists dans les années soixante et au début des années soixante-dix : La Sirène du Mississippi et L'Enfant sauvage) : "Le lendemain, Barker discute avec le chef de la nouvelle branche d'United Artists, Tom Bernard, autre
jeune
connaisseur
Bernard
de films
étrangers.
Comme
a géré un festival à l'Université
Barker,
de Maryland,
avant de venir à New York pour les mêmes motifs. United Artists lui confie la direction de sa nouvelle unité avec les instructions suivantes : trouver de nouveaux moyens de dénicher, distribuer et promouvoir des films étrangers de qualité en Amérique. Sur l'insistance de Barker, les deux hommes décident que Le Dernier métro sera le premier film dont ils se chargeront. Ils achètent les droits de distribution pour 125 000 dollars. Bernard et Barker s'occupent de ce film d'une manière différente de ce qui avait été fait auparavant pour Truffaut aux États-Unis. Au lieu de l'inclure dans le réseau de distribution des gros studios, ils vont de ville en ville,
choisissant la salle qui leur semble la plus appropriée. Truffaut se préoccupe lui aussi de chaque aspect de ses films, y compris du marketing et de ‘a distribution internationale. Un jour, il a pris le Concorde de Paris à New York juste pour rencontrer Bernard et Barker afin d'approuver la campagne publicitaire et d'affichage qu'ils ont mise au point pour le lancement américain du film. Celui-ci remportera un très vif succès outre-Atlantique et sera nominé pour l'Oscar du meilleur film étranger. A partir de là, d'abord à United Artists, puis à Orion Classics,
Barder et Bernard entretiendront des rapports privilégiés
SM avec beaucoup de grands metteurs en scène européens." (Paul Chutkow, Depardieu, Belfond, 1994, p. 249).
Comme la plupart des films précédents de François Truffaut, La Femme d'à côté fut présentée au Festival de New York, en 1981. Le film fut également un succès, tant à New York que dans d'autres villes américaines.£? Za Femme d'à côté est le cinquième meilleur succès de Truffaut aux ÉtatsUnis et le trente-quatrième meilleur succès français (de 1960 à 1990) avec $ 2 150 000 (Source : Variety).
En 1981, après la présentation de La Femme d'à côté à New York, Truffaut participa à une rétrospective de son oeuvre à Chicago. "La réception qu'il reçut à Chicago fut caractérisée par de chaleureux applaudissements. Le metteur en scène français et son film, La Femme d'à côté, furent les
vedettes principales du récent 17ème Festival de films annuel de Chicago, attirant une foule importante. Truffaut se manifeste beaucoup dans des interviews, avec beaucoup d'esprit et d'intelligence, ce qui est une de ses qualités qui à réussi à le faire passer de l'obscurité au vedettariat… gagnant les honneurs de Cannes à Hollywood." (The Toronto Sun,
06/01/1982).
Cette manifestation nous permet de conclure sur une caractéristique importante de l'évolution de la carrière de Truffaut aux Etats-Unis. Nous avons vu comment, à partir de
La Nuit américaine, les films de Truffaut connurent de fréquents succès aux États-Unis, alors que précédemment, il s'agissait de réceptions plus modestes. Un autre élément
corrobore cette progression favorable : il s'agit de la carte géographique de l'exploitation. Alors qu'auparavant, la grande partie de la recette se concentrait sur New York, à partir de
La Nuit américaine, les films de Truffaut connurent des succès honorables, voire de francs succès, dans d'autres villes américaines.
-
SJ
Ainsi, nous avons vu que La Nuit américaine succès
dans d'autres villes d'Amérique
du Nord,
eut du grandes,
moyennes ou petites. Le film obtint une recette en province supérieure à celle de New York./0 La Nuit américaine connut en effet d'importantes recettes à Boston, San Francisco et Washington, des recettes honorables dans d'autres villes moyennes, en particulier Pittsburg, Providence, Atlanta, Sacramento, New Orleans, Portland, Denver et des recettes apparemment modestes, à Dallas, Tulsa, San Jose, Oklahoma City, mais relativisées par le caractère habituellement rétif de
ces villes pour les films français.?1 L'Histoire d'Adèle H. fit d'importantes recettes à San Francisco, Boston, Pittsburg. L'Argent de poche et Le Dernier métro connurent également des succès dans plusieurs villes américaines. Outre New York, ces deux films connurent des résultats honorables dans les autres villes de la côte Est (Washington, Boston, Pittsburg, Providence, Atlanta, Portland, etc.), en Californie (évidemment Los Angeles mais aussi, San Francisco, Sacramento, etc.), et même dans le centre des États-Unis (Denver, ainsi qu'une exploitation plus modeste mais néanmoins existante à Dallas, Tulsa, Oklahoma
City) où les films français reçoivent en général un accueil très mitigé. Les résultats dans ces villes peuvent apparaître modestes mais il faut tenir compte de la différence de mentalité qu'il peut exister avec New York. New York est la ville la plus pluriculturelle des États-Unis et aussi la plus ouverte aux différences culturelles : "A New York, les films ont toujours beaucoup de succès sauf les films américains qui sont tout d'un coup vus plus sévèrement" notait Truffaut (Les Amis du Film et de la T.V., Bruxelles, 05-06/1976, p. 5). Au contraire, les autres villes américaines sont plus fermées, plus conformistes. La pénétration des films de Truffaut dans ces villes, même modeste intrinsèquement, n'est donc que plus
A QATE significative d'une réception qui ne dépend pas des clichés de la culture française. "New York est la capitale du spectacle. [...] Broadway est le centre de l'industrie du spectacle : Hollywood n'est que l'aboutissement du succès matériel. On y monnaie ce qu'on a acquis à New York" écrivait Jean Renoir (Ma vie et mes
films, Flammarion, 1974, pp. 205-206). New Vork et son festival ont joué en effet un rôle majeur et capital dans la construction de la notoriété de Truffaut aux Etats-Unis, y compris en Californie. Les films de Truffaut ayant été très souvent présentés au Festival de New York, la ville a joué un
rôle d'éclaireur pour le reste des villes américaines. "Truffaut a eu une longue association avec le Festival de New York, qui organisa des premières de neuf de ses films au Lincoln Center" ("Truffaut Plus", Lincoln Center/Stagebill, 08/1985,
p. 22). Il ne faut pas oublier le rôle commercial du festival. De nombreuses sociétés de distribution ainsi que tous les grands médias sont présents et plusieurs sélections trouvent un distributeur pendant le festival (ce fut par exemple le cas du Dernier métro qui, contrairement à la plupart des autres films de Truffaut qui’connurent du succès dans les années soixantedix, ne fut pas co-produit par une Major américaine et trouva son distributeur lors du festival, comme nous l'avons vu). …
Ainsi, Truffaut commence à connaître de francs succès
aux Etats-Unis (supérieurs à un million de dollars) à partir de La Nuit américaine. Le fait que cette reconnaissance survienne après un certain laps de temps, que le caractère consécutif des succès soit associé à une reconnaissance de la spécificité truffaldienne, avec le développement de rétrospectives par exemple, montre bien le caractère particulier du cas Truffaut. Sa notoriété aux États-Unis semble donc résulter de la réussite d'une stratégie artistique plutôt que de succès isolés, envisagés au cas par cas. C'est donc cette spécification de Truffaut, par rapport aux autres
196 metteurs en scène étrangers et notamment français, que nous nous proposons à présent d'analyser.
-S5- Le cas Truffaut ou la réussite d'une stratégie De nombreux films de cinéastes européens et français furent des succès aux États-Unis. Néanmoins, la réception de
François Truffaut comporte des spécificités. Avant tout, il faut souligner que tous les films de Truffaut bénéficièrent d'une distribution commerciale. Il s'agit d'une situation tout à fait exceptionnelle (pas même Fellini ni Bergman ne connurent une telle reconnaissance). Le succès de Truffaut aux ÉtatsUnis est avant tout remarquable parce qu'il s'agit de la réussite d'un auteur, d'une stratégie artistique. Les distributeurs et les critiques relevaient moins le succès de films bien définis que le succès d'un cinéaste. "Gabriel Desdoits/2 aime à dire qu'aux États-Unis on n'est ni pro-Europe ni anti-Europe. "On est proargent. On sait que Truffaut est une valeur sûre qui va rapporter entre un et deux millions de dollars." " (Le Monde, 07/11/1983). De même, on pouvait lire dans le même article que "le marché américain est réputé inaccessible aux films français" mais qu' "il y a des exceptions, comme Cousin Cousine, les films de François Truffaut et bien entendu Za Cage aux folles" Ainsi, le vocabulaire utilisé dans les critiques montre bien que la réception de Truffaut aux EtatsUnis se spécifie par rapport à la Zruffaut's touch. Nous confirmerons cette impression grâce à des données chiffrées, issues notamment de comparaisons avec d'autres réalisateurs. Les circonstances économiques ont longtemps été favorables à des succès français occasionnels aux Etats-Unis. Jusqu'au milieu des années soixante-dix, on pouvait admettre que Truffaut était probablement le metteur en scène français qui bénéficia le plus de la taxe française sur les films américains. Comme nous l'avons vu, en raison de cette taxe,
186
les distributeurs de films américains avaient intérêt à investir dans les films français. En 1976, Truffaut affirmait : "Mes films sont financés généralement par des maisons américaines, mais ce sont des films français. Ces maisons américaines ont intérêt à produire quelques films français par an. J'ai la chance qu'elles s'intéressent à mon travail, mais ce ne sont pas des coproductions avec l'Amérique." (Les Amis du Film et de la
T.V., 05-06/1976, p. 5).
Or, il y eut un tournant à partir du milieu des années soixante-dix, en fait à partir du grand succès mondial de Steven Spielberg, Jaws (Les Dents de la mer, 1975). "Avant Jaws et les grands succès qui ont suivi, les Américains avaient besoin de produire de petits films nationaux, pas seulement en France mais aussi en Italie ou en Espagne, pour faciliter la pénétration de leur production qui n'était pas suffisamment universelle. Les choses ont changé depuis cinq ans, chaque firme américaine parvient à lancer un vrai succès mondial qui entraîne le reste de sa production. Autrement dit, les Américains ont de moins en moins besoin de nous, de moins en moins besoin de films tournés dans une autre langue que l'anglais." souligne François Truffaut en 1980 (Cahiers du Cinéma, 09/1980, p. 9). A partir de 1975, le cinéma français se caractérise donc par une pénétration circonstancielle et plus fragile aux Etats-Unis et par un recul de l'exportation et des gros contrats de distribution (confer document n). Ainsi, il faut bien comprendre le contexte cinématographique du milieu des années soixante-dix, où Truffaut aborde l'apogée de ses succès américains. Le film étranger parvient difficilement à s'imposer aux États-Unis. Le cinéma de langue étrangère représente moins de 3 % de la recette en 1978. Pourtant, en 1974, à Paris, on croyait ferme en une nouvelle percée pour le film français sur le marché américain. En effet, après Luis Bufñuel et Le Charme discret de la bourgeoisie, ce fut le tour de François Truffaut et de sa
TE Nuit américaine étranger.73
Malgré
de recevoir l'Oscar pour le meilleur film
les difficultés
du film étranger et notamment
français aux Etats-Unis, c'est pourtant à partir de cette période que la carrière de Truffaut prend un grand essor aux
Etats-Unis, ce qui relativise les circonstances et les appuis économiques, et particularise le cas de Truffaut. Voyons en quoi son cas se singularise par rapport à l'ensemble des cinéastes français et européens. La réponse suivante du cinéaste lui-même nous éclaire : "Je fais partie d'une quinzaine de cinéastes dont les films sont montrés assez régulièrement hors de France et bien compris tant qu'ils sont projetés avec des sous-titres. Je pense que Rohmer est très bien compris en Amérique, Chabrol aussi. Pris séparément aucun de mes dixhuit films, en Amérique, n'a atteint les chiffres de Un Homme et une femme, Z, où Cousin, Cousine. I] y a seulement une
certaine régularité." (Cahiers du Cinéma, 09/1980, pp. 13-
14).
Le mot-clef est "régularité". Il est vrai que Le Dernier métro et L'Argent de poche figurent dans le tableau du "Top 60 foreign-language films in the U.S. 1960-1990" (Variety, 07/01/1991, confer document o) mais ils sont respectivement à la cinquantième place ($ 3 500 000) et cinquante-sixième place ($ 3 100 000), loin derrière d'autres succès français (La Cage aux folles, Z, Un Homme et une femme, Cousin Cousine, etc.) ou étrangers (La Dolce vita, Cinema Paradiso, Ran, etc.) Plus révélateur encore, le tableau des meilleures recettes de
films nationaux aux U.S.A. (Variety, 07/01/1991, confer document p) montre la régularité unique de François Truffaut en tant que cinéaste français aux États-Unis. Bien que son premier film cité, Le Dernier métro, n'apparaisse qu'à la dixneuvième position, Truffaut est cité six fois (Le Dernier métro, L'Argent de poche, La Nuit américaine, L'Histoire
se d'Adèle H., La Femme d'à côté, L'Homme qui aimait les femmes). Ces films sont tous postérieurs à 1973. La majorité des cinéastes français ne connurent qu'un, voire deux succès aux États-Unis. Seul Claude Berri est cité trois fois. Il est donc vrai que le succès de Truffaut aux Etats-Unis s'exprime moins par les chiffres (encore qu'ils ne soient pas du tout négligeables, entre deux et trois millions de dollars et plus de quinze millions de dollars pour les six films) que par la régularité, la fréquence des succès. Cette régularité apparaît de façon encore plus nette lorsqu'on place Truffaut sur le marché européen puis mondial. Dans le tableau précité (n° p), sont indiqués les meilleurs succès nationaux, ce qui signifie que la barre de sélection n'est pas la même suivant les pays. En Argentine, le quatrième meilleur succès est de $ 400 000, chiffre qui n'est même pas représenté dans le tableau des quarante-trois meilleurs succès français (le plus bas chiffre étant $ 2 000 000). Il n'est donc pas aussi évident de comparer Truffaut aux autres cinéastes européens et mondiaux. Ce qui est certain, c'est que seule l'Italie rivalise avec la France, mais cette dernière possède le cinéma étranger le plus populaire aux États-Unis. Surtout, ces précisions mettent en évidence une donnée majeure : si l'on était descendu, comme ce fut le cas pour d'autres pays, à une moyenne de $ 500 000 pour le cinéma français, la régularité du succès de Truffaut aux États-Unis serait apparue de façon encore plus significative. Truffaut serait alors cité une dizaine de fois, dépassant alors Bergman (cité neuf fois pour la Suède mais dont la barre des recettes descend jusqu'à $ 450 000), Kurosawa (cité six fois), Almodovar (cité six fois). Ainsi, sur le plan de la régularité, François Truffaut (et Bergman) a pris, au début des années soixante-dix, le relais des cinéastes mythiques italiens comme De Sica ou Fellini.
. D'ailleurs, la pénétration de Bergman et de Truffaut aux États-Unis comporte beaucoup de points communs et corrobore notre thèse. Dans les deux cas, il s'agit de la
= SOU réussite d'un auteur. Leur succès aux États-Unis est marqué par une régularité remarquable qui les distingue des autres réalisateurs européens. De plus, Bergman et Truffaut ont en commun le fait d'avoir été plus appréciés et mieux considérés à l'étranger, et en particulier aux États-Unis, que dans leur propre pays. Enfin, Bergman et Truffaut ont débuté l'apogée de leur succès américain pratiquement à la même période. Le film Cris et Chuchotements a été exploité aux États-Unis de façon quasi simultanée à La Nuit américaine, en 1973-1974. Cris et Chuchotements est le premier film de Bergman à avoir rapporté plus d'un million de dollars, comme Za Nuit américaine. Auparavant, dans les années soixante et au début soixante-dix,
Bergman
connut
plusieurs
succès,
mais
inférieurs au million de dollars (autour de $ 500 000/600 000), que l'on pourrait qualifier de succès de préparation, comme pour la carrière de Truffaut./* De même, comme Truffaut, Bergman connaît de francs succès dans les années quatrevingt ; le plus grand succès de Truffaut aux États-Unis est Le Dernier métro, en 1981, et celui de Bergman est Fanny et Alexandre, en 1983.
Le succès de François Truffaut aux États-Unis, qui tient moins de l'énorme succès occasionnel que de la régularité de son implantation, nous conduit donc à penser que cette régularité implique la reconnaissance d'un style. Parallèlement à Bergman, Truffaut récolte les fruits de sa stratégie personnelle. Cette stratégie est évidente lorsqu'il affirme : "Bons ou mauvais, mes films sont ceux que j'ai voulu faire et seulement ceux-là. Je les ai tournés avec les acteurs - connus ou inconnus - que j'avais choisis et que j'aimais. [...] Je sais bien aussi que si tous mes projets personnels échouaient, je finirais par accepter certaines de ces commandes et que le résultat ne serait pas forcément négatif, mais jusqu'ici, j'ai tenu bon et je m'en trouve bien." (Lettre à Jean-Louis Bory du 11/12/1974, Correspondance, pp. 532-533). La stratégie apparaît aussi lorsque Truffaut revendique une liberté créatrice, c'est-à-dire un matériel très intime comme base
0 constructive, et oriente donc la critique en ce sens : "On ne doit jamais critiquer le choix de matériel que fait un artiste, on ne doit pas critiquer la logique de son projet. Le matériel, c'est personnel, c'est la chose qui nous appartient le plus. C'est comme demander pourquoi en 1975 j'ai fait un film sur la fille de Victor Hugo. Je ne peux que répondre que c'est parce que j'en avais envie. La seule motivation qui pousse à réaliser une oeuvre
d'art, c'est l'envie, le désir."
Devoir (21/02/1981).
souligne-t-il
dans Ze
Comme en témoigne le commentaire suivant, Truffaut devient donc un créateur de mythes : "Le jeune cinéma français, personnifié par une Diane Kurys par exemple, semble avoir fait sien le fameux dicton énoncé en 1959 par François Truffaut : "Il faut être follement ambitieux et follement sincère." Avec un tout petit peu plus de moyens et d'expérience, comme lui, cela pourrait bien nous donner bientôt une … Nouvelle Vague." (Newsweek, 18/09/1978).
François Truffaut donnait tout à fait l'image d'un cinéaste créant des films d'auteur populaires, ou plutôt pour restituer parfaitement les priorités américaines, créant des films commerciaux dits crossover (destinés à un public art et essai mais comportant aussi tous les atouts pour une exploitation plus large). Dans sa critique du film de Diane Kurys, Entre nous (Coup de foudre), Vincent Canby, le tout-puissant
critique du New York Times, s'enthousiasmait pour ce film "très personnel et émouvant, qui catapulte son auteur dans l'avant-garde du cinéma français commercial." "Aux ÉtatsUnis, les films qui marchent sont les films d'auteur" souligne aussi Gabriel Desdoits. Ersnt Goldschmidt, parti d'United Artists pour former Orion, possédant sa division "classics", note qu' "il n'existe pas de conspiration contre les films
OP français, mais il y a une différence de goût et «la mesure où Les Américains savent tourner des films dits commédentes de attendent autre chose du film français" (Le :de La 07/11/1983).
lars
La régularité du succès de François Truffaut aux ÉtatsUnis, obtenue à partir des années soixante-dix, permet donc d'imposer Truffaut dans sa différence. Si la progression du succès de Truffaut est très nette aux États-Unis, contrairement à sa réception française qui ne connaît pas cette courbe ascendante et progressive de la reconnaissance (voire déprécie même les films de Truffaut notamment par la voix de la critique), c'est que l'accueil s'effectue sur d'autres bases.
Par exemple, la nature de l'accueil américain de Truffaut est perceptible dans l'origine du succès du Dernier métro, le plus important de Truffaut aux États-Unis. L'intérêt qu'il a suscité en Amérique n'était pas déterminé par la véracité de la reconstruction historique. Le tournage du Derni”r métro achevé,
Truffaut
était conscient
d'avoir tourné
un film de
fiction donnant un grand nombre de renseignements sur la vie quotidienne sous l'occupation. Il savait que les spectateurs de quarante-cinq ans et plus seraient sensibles à l'exactitude de ce climat mais comment savoir si les jeunes spectateurs ou si le public étranger, moins sensibles à l'apparence documentaire du film, s'y intéresseraient ? Ne trouveraient-ils pas trop minces les événements du film et trop rares les rebondissements dramatiques ? "Je pensais : le cinéma américain présente constamment des personnages qui vont au bout de leur action et ici, je ne montre que des gens empêchés dans la réalisation de leur projet et que les circonstances amènent à se contenter de survivre. Sur ce point, heureusement, je me trompais puisque c'est probablement grâce à tous les obstacles auxquels se heurtent mes personnages que le public a pu sympathiser à ce point avec eux, jusqu'à s'identifier à celui-ci ou celle-là." note François Truffaut (Avant-Scène Cinéma, 01-15/03/1983, p. 8).
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re de Truffaut, accomplissant ainsi un ; lègitimation de son cinéma.
Een ipressionniste et percutant des détails constitue la spécificité du film et se substitue à des situations héroïques d'une tension extrême : "Aujourd'hui,
en
1983, si je dois analyser le bon
accueil fait au Dernier métro, je pense que d'avoir nourri le scénario de détails qui m'avaient frappés dans mon enfance a donné au film une originalité de vision qu'il n'aurait pas eue s'il avait été conçu par quelqu'un de plus vieux (qui aurait vécu l'occupation en adulte) ou de plus jeune (qui serait né pendant la guerre ou après). Pour illustrer cette lapalissade par un exemple, je rappellerai que seuls les enfants observent objectivement un enterrement et notent, avec un intérêt bien dissimulé, ce qui ne semble pas essentiel aux yeux des adultes
: les crêpes de deuil, les
lettres argentées sur les couronnes, les chapeaux, les voiles, les bas noirs, les habits du dimanche. Voilà ce qu'est probablement Le Dernier métro, le théâtre et l'occupation mais vus par un enfant" (Avant-Scène Cinéma, 0115/03/1983, p. 9).
La réception critique du Dernier généralement des films de Truffaut confirme regard subjectif et oblique qui est apprécié dans la perspective de la reconnaissance stratégie truffaldienne.
métro et plus que c'est bien un aux États-Unis, croissante de la
L'identification à un style est également très nette dans l'évolution des perceptions vis-à-vis d'un même film. Cette progression est même visible au niveau de l'audience. Vincent Canby souligne par exemple à quel point les films de Truffaut
. 0h ‘confortent leur originalité au fil des années, dans la mesure où ils sont alors perçus à la lumière des oeuvres précédentes de leur auteur. Il prend pour cela l'exemple des reprises de La Peau douce et de La Sirène du Mississippi, en 1975, alors que ces films avaient été des échecs à leur sortie : "Les films de François Truffaut sont pleins de citations. [...] Elles sont toujours significatives du fait que les films de Truffaut fonctionnent à de multiples niveaux bien que le cinéaste les réalise avec un semblant de grande facilité. Les citations ne sont pas évidentes d'emblée. Elles sont comme des dividendes. [...]
Plus que toutes les autres qualités du travail de Truffaut, son approche clairvoyante de la quête imprudente, et sa sympathie pour les gestes hésitants, voire provisoires, rendent ses films pleins de surprises et originaux quand, souvent, les films faits par les autres, soi-disant des cinéastes talentueux, paraissent avoir été congelés dans des popularités provisoires, des vérités données. Ces qualités de Truffaut expliquent sans doute pourquoi, lors d'un récent week-end, l'auditorium du Carnegie Hall Cinema était plein pour une reprise de La Peau douce et de La Sirène du Mississippi, qui furent raillées par beaucoup de critiques et furent des échecs commerciaux lors de leur sortie ici. [...]
Au sein des modes contemporaines, légères et rigides, les films de Truffaut survivent triomphalement. C'est particulièrement vrai de La Peau douce. L'association de La Peau douce et de La Sirène du Mississippi devrait sembler un programme invraisemblable, même pour ceux d'entre nous qui apprécièrent les deux films séparément à leur sortie respective. [...] Pourtant, les deux films ont de profondes
et fascinantes
connections,
chacun
étant une
exploration de l'attitude de l'homme envers la passion romantique. [..] Ce sont des films non-conventionnels, spécifiques et des travaux artistiques hautement personnels." écrit Vincent Canby dans le New York Times du 14/09/1975.
104
- 6- Les rouages primordiaux de la stratégie Au vu des précisions émises
sur la distribution et
l'exploitation des films de François Truffaut aux Etats-Unis,
comment s'explique l'adhésion à l'originalité du cinéaste ? Quelles sont les “conditions de félicité" de l'oeuvre de Truffaut, pour reprendre les termes utilisés par Goffman à propos des actes de langage ? On pourrait partir en effet de la constatation selon laquelle il existe beaucoup d'auteurs dans le cinéma. Pourtant, rares sont ceux qui ont connu le succès de Truffaut aux États-Unis (j'entends par là un succès particulier et moins purement financier). Cela suppose que le succès américain de Truffaut ne peut se résumer au seul concept d'auteur. Son succès s'expliquerait plutôt par la combinaison d'un ensemble, qui témoigne à la fois de la richesse du cinéma de Truffaut et de l'efficacité de sa stratégie commerciale et artistique. Quels rouages composent ce mécanisme et quels rôles jouent-ils ?/5
Avant tout, il faut rappeler l'importance du fait que chaque film de Truffaut ait connu une distribution commerciale aux États-Unis. Cette particularité tout à fait exceptionnelle de Truffaut est un facteur essentiel de sa popularité américaine. En effet, le public ne peut réagir qu'au sein du contexte instauré par les stratégies du marché. Or, les instances de légitimation - les gatekeepers - sélectionnent dans une proportion restreinte et parmi l'ensemble des oeuvres susceptibles d'accéder au marché celles qui atteindront le public par les canaux habituels de diffusion. Comme l'affirmait Daniel Dayan à propos des textes télévisuels offerts à la réception. "Quelle que soit l'importance de la réception, elle reste tributaire de l'éventail limité des textes offerts à l'interprétation. La réception ne porte en effet que sur les seuls textes diffusés. [...] Les meilleurs spectateurs du monde ne peuvent interpréter que les programmes qu'ils peuvent voir" (Le Débat, n° 71, 1992 p. 151). Dans la perspective de telles
SAOSNE stratégies marketing, souvent restrictives et conventionnelles
(voir Ian Jarvie, Sociology of the Movies, 1986), la diffusion de tous les films de Truffaut aux États-Unis constitue donc un fait aussi exceptionnel que capital pour la notoriété du cinéaste français. La notoriété des réalisateurs est justement un facteur important, en particulier aux États-Unis. "Il y a quelques réguliers comme Truffaut, Lelouch, Costa-Gavras, Malle, Buñuel. [...] En faisant évaluer par des cinéphiles américains à
New York et à Los Angeles la notoriété des réalisateurs et acteurs français, il est apparu que les films de metteurs en scène dont la notoriété est moyenne ou supérieure à la moyenne auprès des cinéphiles américains se vendent dans . 80 % des cas." écrivait Bernard Pras (Le Film Français, 20/10/1978, p. 15). On pourrait avancer que la notoriété n'est pas un élément contrôlable et qu'elle influe plus sur l'achat que sur l'accueil du film. Ce n'est pas le cas de Truffaut puisqu'à la totale régularité de la distribution répond une régularité croissante de son succès aux États-Unis, fait quasi unique pour un cinéaste étranger. Donc, l'utilisation d'une stratégie bien définie et originale constitue un facteur d'assimilation majeur dans l'élaboration de la notoriété, elle-même capitale. Sur quelle(s) base(s) se construit cette élaboration ?
- 6.1- Abolir les frontières culturelles L'oeuvre cinématographique se construit grâce à l'association de multiples dispositifs dont notamment l'ensemble de la communication qui entoure la création du film puis son arrivée auprès du public : la promotion et les relations publiques, les différents médias, l'influence des leaders d'opinion, etc. Parlons tout d'abord du système de production et d'exportation. La taille de la société n'est pas un élément décisif dans la détermination d'exporter, c'est "le désir de mieux contrôler et de mieux suivre la carrière du film
LOGE
qui constitue la motivation principale." notait Bernard Pras (Le Film Français, 20/10/1978, p. 14), désir largement présent dans la stratégie truffaldienne. Comme le producteur Gilbert de Goldschmidt l'affirme, le film peut être comparé à un enfant : il ne suffit pas de le concevoir, encore faut-il s'en occuper par la suite si on veut lui donner toutes ses chances. Ceci aurait pu être tout à fait une comparaison de Truffaut tant sa conception du cinéma et de l'éducation (confer L'Enfant sauvage) est proche : "Le film est un bébé et le monde se divise en deux : ce qui est bon pour le bébé et ce qui est mauvais pour le bébé. [...] Si nous revenons au film considéré comme un bébé, il est certain que le bébé a besoin de caresses, donc de bonnes critiques mais la critique fait partie d'un ensemble de choses qui escortent la sortie du film. Idéalement, il faut avoir un bon titre, une bonne affiche, une splendide bandeannonce, une critique unanime et un temps gris le samedi matin pour retenir les spectateurs dans la ville. Si par dessus le marché le film est bon, ça peut aider !" affirmait
Truffaut (Cahiers du Cinéma, 09/1980, pp. 13 et 15).
Cette première étape propre à la motivation étant franchie, il convient de s'interroger sur l'existence et la qualité du mandataire utilisé. Le dynamisme des producteurs et des exportateurs envers le marché américain constitue un facteur important. Des producteurs comme Les Films du Carrosse s'adressaient à un intermédiaire, ce qui allégeait leur travail administratif, mais s'intéressaient de près au marché américain. Le cinéaste-producteur Truffaut se déplaçait régulièrement aux États-Unis et travaillait avec des exportateurs (Roissy Films/6) qui se rendaient sur place contrairement à d'autres producteurs qui faisaient l'économie de tout déplacement, jugé superflu : "Les tenants du contact direct aux États-Unis soulignent la nécessité du déplacement si l'on veut acquérir une meilleure connaissance du marché et donner le maximum de chances à son film. L'analyse des résultats sur notre échantillon révèle que 88 % des films dans le portefeuille des
SO
producteurs ou exportateurs qui se déplacent régulièrement aux Etats-Unis sont vendus contre 22 % lorsqu'on ne se déplace pas. Les exportateurs qui se déplacent, c'est-à-dire deux ou trois dans notre échantillon, réussissent à vendre la
quasi-totalité de leurs films aux États-Unis." notait Bernard Pras (Le Film Français, 20/10/1978, p. 15).
La notoriété du réalisateur est primordiale. Celle-ci est évidemment liée au talent du réalisateur mais aussi, surtout au
début, à un long travail de relations publiques. Comme nous l'avons vu précédemment, François Truffaut accomplissait avant la sortie de ses films un gros effort promotionnel aux Etats-Unis. Il s'y déplaçait régulièrement, donnait de nombreuses interviews, participait à des conférences avec des étudiants, mettant ainsi en place une régularité stratégique. Sa personnalité, élément tout aussi important, s'imposa très bien aux États-Unis, notamment parce que Truffaut sut parfaitement entretenir une sorte d'aura autour de son image. Nous avons vu que le soin important que Truffaut accorda à la sortie aux États-Unis de La Nuit américaine, soin le plus important depuis le début de sa carrière, correspond aussi au début de ses succès réguliers et de sa reconnaissance aux États-Unis. Le pragmatisme truffaldien se retrouve dans l'important réseau de correspondants étrangers que le cinéaste se constitua progressivement tout au long de sa carrière. Aux États-Unis, Truffaut noua des liens amicaux fidèles avec de nombreux critiques, cinéastes, artistes, distributeurs et universitaires. Grâce à ces contacts, Truffaut se tint régulièrement au courant du contexte cinématographique américain et de la diffusion de ses films aux U.S.A. De plus,
l'appui de ses différents amis lui permit d'accroître la notoriété de son oeuvre aux États-Unis. Le pilier central de ce réseau d'amis américains est évidemment Helen Scott dont le soutien sans faille sera capital pour la carrière américaine de Truffaut.
1080 Dès son premier voyage aux États-Unis, en 1960, le cinéaste français rencontre Helen Scott qui est chargée des relations avec la presse au sein du French Film Office. Très cultivée et francophone, Helen Sott possède une excellente connaissance du "champ" cinématographique américain et jouera donc un rôle essentiel pour la notoriété américaine de Truffaut (voir notamment la correspondance détaillée entre Helen Scott et François Truffaut).
Dans la mesure où la notoriété est donc un facteur primordial, le succès d'un film en France et les succès antérieurs d'un cinéaste aux États-Unis peuvent être utiles. Le succès d'un film en France peut avoir un effet influent sur sa carrière américaine. "Les films faisant plus de 300 000 entrées ont de bonnes chances de se vendre" notait Bernard Pras. Néanmoins, ce n'est pas un élément déterminant dans le cas de Truffaut puisque, bien que beaucoup de ses films se situent dans une échelle de 200 à 300 000 entrées, voire plus, tous ses films ont de toute façon été vendus aux États-Unis, même La Chambre verte (montrée au 16ème Festival de New York et distribuée par New Horizons Picture Corp.) qui n'avait attirée que 50 000 spectateurs en France (Source : Les Films du Carrosse). Quant à l'accueil, plusieurs films qui connurent une réception moyenne en France comme La Nuit américaine
ou L'Homme qui aimait les femmes, se situent parmi les plus grands succès de Truffaut aux États-Unis. En fait, dans le cas de Truffaut, le succès en France a pu être déterminant pour ses premiers films, notamment pour Les
Quatre Cents coups qui bénéficièrent d'un grand succès en France et d'un retentissement important du fait de leur prix au Festival de Cannes. Il en est de même, quoique dans une moindre mesure, pour Jules et Jim et Baïsers volés. Les deux films ont été achetés contre des sommes importantes pour l'époque et ont connu des réceptions honorables aux ÉtatsUnis. Par contre, Tirez sur le pianiste qui n'eut qu'un faible nombre d'entrées à Paris (62 799 entrées en trois semaines
00
d'exclusivité/?) ne bénéficia que d'une sortie confidentielle et d'un accueil tout aussi limité aux États-Unis. Il en va de même pour Za Peau douce, quoique dans une moindre mesure puisque le résultat français fut moins catastrophique (119 913 en neuf semaines d'exclusivité’8). Ainsi, le succès en France n'est pas ce qui détermine le succès américain : c'est un fait lorsqu'on se penche sur la carrière globale de Truffaut et de sa progression aux États-Unis. L'accueil du public montre que la notoriété du cinéaste aux États-Unis est l'élément primordial. Un ou des succès antérieurs sur le marché américain aident considérablement la pénétration et la carrière du film suivant, même si ce succès antérieur est assez modeste (autour de $ 250 000 à 500 000). Déjà au niveau de la vente, l'effet est très significatif. La fourchette de $ 250 000 à 500 000 est déjà celle de la plupart des films de Truffaut dans les années soixante et début soixante-dix. "Lorsque le succès a été notoire, il arrive même que l'on prévende le film suivant ou qu'on le co-produise avec une société américaine." (Le Film Français, 20/10/1978, p. 17). L'apport plus ou moins important de capitaux américains de la part des sociétés américaines s'effectua très tôt dans la carrière de Truffaut (dès 1966 avec Fahrenheit 451), bien avant les succès des années soixante-dix et quatre-vingt. D'autre part, bien que les américains achètent le plus souvent le film sur vision, la vente par avance se produisit dans la carrière de Truffaut, les co-productions puis la notoriété aidant. Ceci est un cas exceptionnel aux USA, les Américains ne tenant pas compte de la vente éventuelle aux États-Unis dans les prévisions. La distribution américaine de Vivement Dimanche ! fut négociée sans visionnement préalable du film : "Prix d'acquisition de La Femme d'à côté/?: 300 000 dollars, Vivement Dimanche ! : le double, diton" (Le Monde, 07/11/1983). PA
Truffaut peut donc construire sa carrière sur un "axe de lecture" spécifiquement américain. Il bénéficie assez vite de
- 100succès
antérieurs
aux
États-Unis,
donc
d'une
notoriété
croissante. De ce fait, bien qu'il enregistre peu souvent des échecs complets en France, sa notoriété aux Etats-Unis représente l'élément prépondérant pour la carrière américaine de ses films. La relativisation du marché français est nette dans les co-productions et les pré-ventes de ses films.
Mais, il est certain qu'avant d'avoir bénéficié d'une régularité sur le marché américain et donc d'une notoriété, le cinéma de Truffaut a séduit les distributeurs et spectateurs par sa qualité. C'est sur cette base que s'est élaborée la réussite de la stratégie originale du cinéaste. Certes, la notion de qualité constitue un problème complexe pour beaucoup de sociologues qui choisissent souvent de l'occulter (voir Raymonde Moulin, "Art (sociologie de l')", in Raymond Boudon, Dictionnaire de la sociologie, 1993). De nombreux sociologues de l'art conditionnent d'ailleurs la qualité d'une oeuvre à l'environnement économique et institutionnel de sa production puis de sa réception. Néanmoins, dans le cas de Truffaut, on peut considérer que la qualité de son oeuvre correspond, aux yeux des Américains, à un riche équilibre entre éléments déroutants et rassurants. L'atout de Truffaut est incontestablement
la richesse
de son cinéma,
à la fois
atypique et intimiste. Ceci est le résultat d'une volonté très marquée chez Truffaut de maintenir l'ambiguïté entre les éléments que le sens commun oppose (comédie et tragédie, bien et mal, etc.). Le cinéaste laisse toujours l'impression au spectateur que chaque détail, chaque image, chaque attitude est empreint d'une richesse atypique qui lui donne plusieurs tonalités, souvent paradoxales. Enfin, nous devons poser ici la question suivante : où Truffaut se situe-t-il dans la caractérisation entre films typiquement français ou films à caractère international ? L'appartenance à telle ou telle catégorie garantit-elle le succès ? La question est difficile dans la mesure où il est toujours malaisé de définir ce qui est typiquement français,
- 101-
représentatif de notre culture, sinon dans la vague image que se fait un peuple étranger de la France. Dans cette perspective, le véritable défi n'est-il pas dans la capacité à bousculer les clichés culturels ? De même, quel est l'intérêt d'un film international sans personnalité propre ? L'atypisme du cinéma truffaldien s'est imposé comme l'élément moteur bien que non exclusif - de son succès aux États-Unis. "De cette génération de critiques devenus cinéastes, qui inclut aussi Eric Rohmer, Jacques Rivette et Claude Chabrol, Truffaut a probablement été le plus fécond, a certainement eu le plus grand succès, en abolissant les frontières du film étranger, pour atteindre une large audience populaire et figurer parmi la poignée de réalisateurs mondialement reconnus." affirmait le Zos Angeles Times (21/01/1979, p. 1). Par exemple, le fait d'avoir un casting international comme dans Za Nuit américaine ou de tourner la double version linguistique anglais et français, comme L'Histoire d'Adèle H., ne suffit pas à faire des films internationaux. "On assimile trop facilement la qualification du film international à un produit hybride de tous pays conduisant à un résultat médiocre manquant d'unité et de personnalité" écrivait Bernard Pras. (Le Film Français, 20/10/1978, p. 17). L'Histoire d'Adèle H. est partiellement tournée en anglais et connut un franc succès aux États-Unis. Certes, le sous-titrage est généralement un handicap pour l'exploitation du film auprès d'un large public. Mais, d'autres films totalement sous-titrés furent des succès encore plus importants que L'Histoire d'Adèle H., comme L'Argent de poche (environ un million de dollars supplémentaires).80
De même, bien que l'on affirme, à juste titre dans l'ensemble, que le film doublé ne s'est jamais vraiment installé dans les moeurs américaines, le doublage n'est pas un handicap ou un critère sélectif dans la réception des films de Truffaut. Le film qui lança les grands succès de Truffaut aux États-Unis
est tout
de même
un
film doublé,
La Nuit
- 102-
américaine, et son plus grand succès est également un film doublé, Le Dernier métro. Il en va de même pour L'Histoire d'Adèle H. Encore plus révélateur, Fahrenheit 451, tourné entièrement dans les deux langues, ne fut pas un grand succès aux États-Unis et suscita beaucoup de réticences de la part des critiques américains. La double version est parfaitement contrôlée dans Adèle H. du fait qu'il existait un prétexte géographique. Par contre, dans Fahrenheit 451, le doute sur le maintien de la spontanéité, tant de la part du jeu des acteurs que du cinéaste, alors incapable linguistiquement d'improviser les dialogues au moment du tournage, se fit plus grand, notamment accentué par le thème futuriste en apparence insolite dans la production de Truffaut. Le maintien de l'originalité au travers d'une unité stratégique prime donc sur la question linguistique. Le sous-titrage n'est pas un handicap incontournable, comme l'atteste le succès des films de Truffaut sous-titrés et surtout la régularité que l'on peut observer entre les films sous-titrés et les films doublés. Incontestablement, le cinéma de François Truffaut cherche à abolir les frontières culturelles. Si l'on entend frontières comme handicaps, ïl est certain que la stratégie d'indépendance du cinéaste devient efficace et l'impose sur le marché américain.
- 6.2- Subvertir les dispositions américaines Le dynamisme commercial du producteur-exportateur est certes déterminant. Mais aussi déterminant soit-il, il n'est donc pas le seul facteur d'achat et de succès. C'est un élément plus nécessaire que suffisant. L'indépendance, l'originalité et l'intimisme sont parfaitement notables dans le fait que l'oeuvre de Truffaut bouleverse les dispositions habituelles du public
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américain. Voyons par exemple comment le public américain réagit au choix des acteurs dans les films de Truffaut. Le choix des acteurs n'apparaît pas comme un élément déterminant. Certes, le public américain n'échappe pas à l'attrait de l'acteur connu, d'autant qu'un petit nombre d'acteurs français ont une notoriété importante. Toujours selon l'enquête de Bernard Pras, même si l'acteur connu n'était pas une garantie de vente, 62 % des films étaient achetés si la notoriété de l'acteur est "moyenne" ou supérieure à la moyenne (contre 20 % des films avec une notoriété "nulle"). Par exemple, pour le cas du Dernier métro, Gérard Depardieu et Catherine Deneuve étaient déjà bien connus et cela a pu influencer le public.8l Mais, ce n'est pas la raison majeure du succès du film car de nombreux autres films de Truffaut ont connu un succès similaire alors que les acteurs n'étaient pas ou étaient peu connus à l'époque de la sortie du film aux ÉtatsUnis (L'Argent de poche, L'Homme qui aimait les femmes, L'Histoire d'Adèle H.). Dans la mesure où toutes les conditions premières de la production des oeuvres font partie intégrante du contrat de spectature, la question du budget du film compose également l'originalité de Truffaut. "On peut émettre l'hypothèse que plus le budget du film est élevé, plus le sont les prétentions du vendeur, ce qui est vérifié par le fait que le pourcentage des films vendus aux États-Unis est le plus fort pour la tranche 5 000 000 à 10 000 000 de francs." (Le Film Français, 20/10/1978, p. 15). Pourtant, l'exemple de Truffaut échappe à
cette tendance puisque la plupart de ses films n'avaient pas de tels budgets. Le succès des films de Truffaut n'est pas dépendant du facteur budgétaire. Au contraire, les cinéphiles américains sont sensibles au caractère artisanal des films de Truffaut. "Il y a quelque chose de chaud dans le fait que l'on n'a pas eu tout à fait assez d'argent, pas eu tout à fait assez de temps. [...] J'ai la conviction depuis quelques temps que les films respirent par leurs défauts, qu'un film sans défaut est
-1048 irrespirable." affirmait le cinéaste ("Le Cinéma des cinéastes", France Culture, 03/1978).
Si l'on excepte le cas extrême du succès des Quatre Cents coups avec un budget de seulement 370 000 francs, le film Baïsers volés connut un succès similaire avec un budget d'environ 1 250 000 francs. De même, avec un budget de presque le double des Quatre Cents coups (environ 730 000 francs), Zirez sur le pianiste eut une diffusion très confidentielle. La Nuit américaine connut le succès que l'on sait avec un "budget moyen (moins de quatre millions de nouveaux francs)" note Truffaut (Le Film Français, 16/11/1973, p. 10). De même, L'Histoire d'Adèle H. fut également un succès, bien que son budget, environ 3 500 000 francs, ne soit pas considéré comme important aux ÉtatsUnis.$2 Produit et distribué par Universal, et malgré un budget de près de 5 000 000 francs, en 1965, Fahrenheit 451 ne reçut pas un succès proportionnel, comparé aux autres films de Truffaut. Le succès du Dernier métro et de La Femme d'à côté aux États-Unis n'est donc pas dépendant de leur budget plus important. La seule différence entre ces deux films résidant dans leur thème et dans leur style, on peut même affirmer que le public américain a malgré tout identifié une stratégie commune à ces deux films, a reconnu l'unité dans la diversité : "Avec Le Dernier métro, je me suis sorti
des eaux moyennes où je me tiens d'habitude. Mes films font rarement perdre ou gagner beaucoup d'argent. [...] Il n'y a pas un gros écart de budget entre Le Dernier métro et La Femme d'à côté, contrairement à ce qu'on pourrait penser. Le premier a coûté moins d'un milliard et demi, et le second atteint presque le milliard, tellement les devis ont augmenté entre temps. La différence entre les deux est plutôt dans le ton." (Cinéma de France, 09-10/1981, p. 11).
Un gros budget n'est pas une garantie de succès pour Truffaut. Celui-ci échappe à la loi selon laquelle trop de films
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à petit budget gardent un caractère trop nombriliste et trop de films à gros budgets sont financièrement surestimés par leur vendeur.83 Par contre, il est certain que le cinéma de Truffaut véhicule l'image d'un auteur aux petits budgets et que cette image est une partie intégrante de sa notoriété aux États-Unis. C'est même aussi une source d'intérêt pour le public américain. C'est ainsi que l'on peut lire dans le journal de New Haven, Zhe Journal-Courier (07/1978) que : "Les films de Truffaut sont intimes, intimistes dans leur approche et modestes dans leur budget. Le coût de plus de vingt millions de dollars de Rencontres du troisième type représente plus que tous les films de Truffaut réunis, depuis vingt ans." Face à l'image d'un cinéma français nombriliste, le Système de production de François Truffaut, bien qu'en apparence modeste, se veut très combatif et lucide afin de tirer le meilleur profit de l'énorme potentiel américain. Truffaut appartient au genre artiste-homme d'affaire que l'on apprécie aux États-Unis. Cette stratégie sacralise le metteur en scène mais Truffaut parvient très habilement à éviter tout danger nombriliste que cette situation pourrait susciter. En effet, le cinéaste s'est toujours montré très soucieux des critères commerciaux et attaché à un cinéma non subventionné, dans la tradition américaine. Etant l'auteurproducteur de ses films, il existait, plus que pour n'importe quel autre cinéaste, de la Nouvelle Vague en particulier, une grande pression exercée sur lui : "Il a dit quelque part, il me semble, qu'il était comme un épicier qui met des pots de confiture sur une étagère. Il était à la fois l'auteur, le producteur et le type qui collectionnait ses propres films. De ce fait, il a toujours suspecté ceux de ses films qui ne marchaient pas, il les a moins aimés que les autres. Il y a des gens qui aiment mieux leurs films qui ne marchent pas, les mal-aimés, parce qu'ils y trouvent des beautés plus secrètes, plus profondes, qu'ils se sentent des incompris. Lui, non. Il y avait en lui ce mélange auteur-producteur qui a fait qu'il n'aimait pas beaucoup La Peau douce, par exemple. Il m'a
- 106dit une fois : "L'Amour en fuite est une escroquerie !". C'est extraordinaire de dire ça d'un film qu'on vient de faire." souligne Jean-Louis Richard ("Comme Roman de François Truffaut, p. 91).
un voyage”. Le
"Un vrai cinéaste de gauche doit souhaiter que le cinéma dépende de l'Etat, que la culture soit subventionnée. Je préfère que les films se financent tous seuls ou du moins se rentabilisent sans le secours de l'Etat. Je préfère le jeu normal du commerce, fabriquer un film et le vendre avec un bénéfice.
Autrement
dit, si le cinéma
français devait se nationaliser un jour sous quelque régime que ce soit, socialiste ou libéral, comme celui que nous avons actuellement, je crois que ce serait pour moi un motif suffisant pour partir m'installer ailleurs, dans un pays où le cinéma dépend du système capitaliste des dépenses et des profits." affirme Truffaut (Le Nouvel Adam, 02/1968, DSL)
Les bases conceptrices du cinéma de Truffaut présentent donc plusieurs points communs avec la conception américaine. L'oeuvre du cinéaste français est donc d'autant mieux reçue et mémorisée qu'elle ne diffère pas radicalement des références courantes du public américain. Ce sentiment de relative proximité limite les réactions misonéistes, naturelles chez tout individu. Néanmoins, cela ne signifie pas que François Truffaut n'apparaisse pas aussi comme un cinéaste différent et qu'il soit apprécié en tant que tel. C'est même le but de notre démonstration. L'indépendance, tant commerciale qu'artistique, est au contraire très séduisante et source de curiosité pour un marché habitué au producteur tout-puissant.
La combinaison d'une politique pragmatique et d'une politique d'auteur, considérée outre-Atlantique comme inexistante chez les artistes français, crée de ce fait une rupture, tant avec les tendances américaines que françaises. Le pragmatisme rigoureux de Truffaut rompt avec l'image générale du cinéma français et cette différence-là suscite de
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l'intérêt. Mais, il n'en demeure pas moins que Truffaut maintient aussi sa spécificité par rapport aux conventions américaines : "Les Films du Carrosse n'ont en fait connu l'aisance que depuis quatre ou cinq ans, avec le triomphe du Dernier métro. Avant, 1l y avait eu de bons moments,
et d'autres
plus difficiles, sans pour autant jamais être éfranglés. Les Films du Carrosse n'ont jamais perdu d'argent avec les films de Truffaut. On en touchait peu ou prou, mais jamais de perte. Il y a encore quelques films, co-produits avec les Américains, qui sont en rouge dans les maisons américaines : s'ils avaient été produits entièrement par le Carrosse, cela ne serait pas le cas, car les Américains ont leur manière de calculer les coûts et les agios qui font qu'on n'en finit pas." note Marcel Berbert ("5, rue Robert Estienne", Le Roman de François Truffaut, p. 70).
Truffaut étonne les Américains par son indépendance et sa liberté : tournages plus rapides, metteur en scène tenant la caméra et s'occupant de beaucoup plus de choses que son homologue américain, qui se consacre exclusivement à la réalisation. Si, à partir des années soixante-dix notamment, aux États-Unis, les réalisateurs en vogue de la nouvelle génération comme Coppola, Spielberg, Lucas, devinrent aussi producteurs, ce fut justement pour assurer leur liberté de créateur au sein d'un cinéma qui restait encore essentiellement un cinéma de producteur.
Ainsi, la réception de Truffaut aux États-Unis est déterminée par le fait que le cinéaste a su conserver une identité marquée ; ici réside sa force à l'étranger et en particulier aux États-Unis. L'atout de l'indépendance manque justement aux Américains qui l'envient. Truffaut symbolise cette liberté selon laquelle le producteur ne s'impose pas dans le travail de l'artiste, les exigences commerciales ne placent pas le contenu sous compromis. La réception critique de Truffaut aux États-Unis met très souvent l'accent sur la
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responsabilité de l'artiste dans l'oeuvre. Cette vision est alimentée par la situation particulière de Truffaut dans le marché cinématographique : il est critique, scénariste, réalisateur, parfois interprète et surtout producteur. Grâce à sa société de production, Les Films du Carrosse, François Truffaut conserve le final cut : "François s'occupait entièrement de la partie artistique : choix du sujet, des acteurs, des lieux... Je m'occupais de la direction de la société, de la direction de la production. J'étais producteur exécutif ou producteur délégué : on faisait tout à cette époque. Je m'occupais également de la vente à l'étranger (pour Jules et Jim, La Peau douce). C'est seulement quelques années plus tard que le Carrosse a passé un accord avec Gérard Lebovici, qui s'occupait des premières négociations, soit avec les Majors Compagnies, soit avec les distributeurs, et moi, j'enchaînais. Je prenais un directeur de production lors des tournages, mais tout était déjà prêt. La société fonctionnait en circuit fermé : la secrétaire, l'administrateur-comptable et moi, François
s'occupant
bien
entendu
de la partie
artistique. Le dernier jour de tournage, je restais avec l'administrateur, cela suffisait à régler les derniers problèmes, François s'occupant du doublage et du mixage..." témoigne Marcel Berbert ("5, rue Robert Estienne", Le Roman de François Truffaut, p. 68).
L'appartenance à un système esthétique, éthique et économique lui autorise la réalisation d'oeuvres plus risquées comme La Chambre verte, qui renforcent sa position d'auteur sans vraiment amoindrir son crédit populaire. Grâce à la création d'une micro-structure personnelle de production, associant la liberté créatrice à l'indépendance financière, Truffaut peut diriger sa filmographie en fonction de ses intérêts créatifs : "J'ai très bien accepté l'échec de La Chambre verte. C'était un pari ; un pari, on peut le gagner, on peut le perdre. Je voyais le film un peu comme L'Enfant sauvage qui aurait pu être aussi un désastre et qui a été un succès. Mais ce n'est pas un problème, il y avait un équilibre, j'ai fait en sorte
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que le film coûte très peu cher, soit tourné en cinq semaines." souligne Truffaut ("Le Cinéma des cinéastes", France Culture, 06/1980).
L'attitude purement commerciale de François Truffaut participe de cette stratégie d'indépendance. Ainsi s'explique par exemple le litige complexe qui opposa la société de production de Truffaut, Les Films du Carrosse, aux Artistes Associés. Début 1983, Truffaut assigna en effet Artistes Associés France devant le tribunal de commerce de Paris afin de récupérer la totalité des droits sur les sept films qui furent co-produits par les deux sociétés et d'en assurer directement la
gestion.$+ François Truffaut était alors propriétaire des droits de onze des vingt-cinq films qu'il a réalisé. Outre les films coproduits avec les Artistes Associés, il a réalisé deux autres films pour des Majors américaines : pour Universal Fahrenheit 451, dont les droits arrivèrent à échéance en 1985, et pour Warner Bros, La Nuit américaine, dont les droits
n'étaient pas disponibles avant la fin du siècle. Truffaut se déclara décidé à récupérer progressivement la totalité des droits sur ses films. Une attitude cohérente pour l'un des premiers réalisateurs à avoir voulu produire ses propres films, grâce à sa maison de production créée en 1958. Un journal français, Le Journal du dimanche, posa la question suivante : " "La jeune réalisatrice, Diane Kurys, remporte les lauriers du succès pour ses grandes qualités de mise en scène et sa grande classe." Des mots que la critique avait déjà employés, il y a un mois, pour Vivement Dimanche! et François Truffaut, l'enfant-français-chéri des Américains. Va-t-il aujourd'hui le rester ? François Truffaut vient d'intenter un procès à la sacro-sainte grande compagnie des Artistes Associés, co-productrice de la plupart de ses films et, qui, business aidant, avait décidé d'en tourner des remakes." (16/10/1983). C'est dans de tels propos que l'on mesure la totale incompréhension de la critique française envers la réception de Truffaut aux Etats-Unis. Cette affaire n'a
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absolument pas entamé la notoriété de Truffaut en Amérique : justement parce qu'elle ne créa pas du tout une rupture avec la Truffaut's
touch,
mais,
au
contraire,
renforca
sa logique
d'indépendance. Comme le souligne Pierre Sorlin, les enjeux économiques, les luttes d'influence et les controverses qui accompagnent la réalisation et la diffusion des films sont autant de symboles de la place du cinéaste dans le milieu professionnel, dans le champ cinématographique.$° La stratégie d'indépendance développée par le cinéma de Truffaut apparaît particulièrement efficace. La liberté commerciale de François Truffaut prend toute son importance aux États-Unis. Nul doute que le pays des grands studios ait éprouvé de l'admiration face à cet homme complet, luttant pour sa liberté de choix, pour pouvoir concilier l'aspect matériel et artistique et maîtriser ainsi son oeuvre : "Mon beau-père qui dirigeait la Société Cocinor, a produit mon premier film Les Quatre Cents coups. Il m'a suggéré, si je voulais garder les mains libres, de créer ma propre maison de production. J'ai donc fondé Les Films du Carrosse. [...] On a pris des engagements et il s'agit de les tenir d'autant plus qu'on n'est pas seul. Avec Jean Gruault, Suzanne Schiffman ou d'autres scénaristes, un script est établi. Marcel Berbert qui administre le Carrosse depuis le début
et Gérard
Lebovici
mon
agent,
déterminent
le
budget, cherchent le financement et rédigent les contrats qui protègent le film, je me sens très aidé dans cette étape, et le jeu consiste alors à faire ce dont j'ai envie en m'efforçant de ne pas gaspiller l'argent des finances. Sans cette organisation et cet entourage, j'aurais probablement renoncé à garder le Carrosse et je travaillerais pour des producteurs. [...] Ma seule tactique d'alternance, c'est de tourner un film à très bas budget après chaque film cher, afin de ne pas me laisser entraîner dans l'escalade qui mène aux concessions graves, à la mégalomanie ou au chômage. [...] Pour tout dire, je m'entends mieux avec les metteurs en scène-producteurs qui luttent et évitent de se plaindre qu'avec les enfants gâtés qui croient que tout leur est dû. Bien sûr, à la veille de chaque tournage, le trac est là et aussi la même impression de débuter à zéro, chaque
- 111fois." note François Truffaut (Cahiers du Cinéma, 09/1980, pp. 8-9).
Malgré les relations que le caractère freelance du travail de Truffaut entretient avec le dynamisme américain, le sentiment d'opposition aux conventions prédomine : c'est en effet le cinéaste qui endosse le rôle complet et surtout, cette responsabilité est en fait au service de la préservation de l'originalité, de l'anti-conventionnalisme de Truffaut. "Sa mort, écrit le New York Times fait disparaître de la scène un de ses maîtres. [..] (C'était un révolutionnaire en apparence tranquille, qui travaillait de manière conventionnelle pour faire des films non-conventionnels. Malgré sa célébrité, ses oeuvres continuaient à être des tentatives risquées" (23/10/1984). La totale reconnaissance de Truffaut aux États-Unis, parfaitement notable au niveau de l'exploitation, intervient, comme
nous
l'avons
vu,
avec
La Nuit
américaine.
Les
réflexions de critiques américains nous aident à préciser l'appréhension américaine du système Truffaut et ce film eut des conséquences certaines sur la suite de la carrière de Truffaut aux États-Unis. Grâce à son sujet, La Nuit américaine devient le symbole du cinéma différent, le réalisateur demeurant finalement indépendant, responsable et tout-puissant. Le film ne peut qu'être identifié au cinéma de Truffaut, d'autant plus que le rôle du metteur en scène Ferrand est interprété par le cinéaste lui-même. On voit bien comment, grâce à cet exemple, l'oeuvre de Truffaut s'auto-renforce elle-
même, dynamise, à tous les niveaux de son élaboration, son originalité. La réalisation, la thématique, le mode de production, tout se confond dans un même objectif. Prenons donc l'exemple de Za Nuit américaine. Ce film est applaudi par la critique américaine, obtient l'Oscar du meilleur film étranger, mais ne se place pas, à sa sortie en France, parmi les meilleurs résultats de Truffaut dans son pays. Au
- 112-
contraire,
dans
plusieurs
pays
étrangers
comme
la
Scandinavie, l'Italie, l'Espagne ou les Etats-Unis, ce film se
situe dans les premières places du box-office de Truffaut. Même s'il atteint 306 327 spectateurs lors de son exclusivité parisienne, il se situe également loin des grands succès commerciaux français de l'année 1973, comme Moi y'en a vouloir des sous (Jean Yanne, 704 497), L'Emmerdeur (Molinaro, 691 002), La Bonne Année (Lelouch, 591 791), L'Héritier (Philippe Labro, 576 632). Ainsi, Truffaut ne culmine pas dans les hauteurs des bhit-parades français. Cependant, il semble bien que le succès du film soit plus net à l'étranger, en particulier lorsqu'il est face aux autres films français. Pour ne citer que les États-Unis, La Nuit américaine se place, avec L'Héritier, parmi les cinq films français ayant figuré en fin d'année 1973 dans les cinquante meilleurs résultats aux États-Unis (alors que le film n'était sorti que le 28 septembre). Mais, surtout, La Nuit américaine devance tous les succès commerciaux français cités plus haut ! C'est le signe que François Truffaut, en tant qu'auteur cinématographique, parvient à se situer parmi les cinéastes les plus populaires aux Etats-Unis. On peut en déduire que la spécificité de l'approche cinématographique de Truffaut apparaît de façon plus nette dans les pays anglo-saxons ou dans les pays où le cinéma américain est prédominant. Aux États-Unis par exemple, le film apparut comme un film intimiste, décrivant un tournage plus artisanal qu'hollywoodien. Pourtant, le succès public et l'évolution de la réception critique deviennent particulièrement nets avec Za Nuit américaine, film que Truffaut réalise justement non comme un film privé (ce que la démarche du film avec notamment l'interprétation de Truffaut dans le rôle du réalisateur aurait pu laisser attendre) mais comme une oeuvre susceptible de susciter un intérêt général : "Plusieurs semblent étonnés face au choix d'un tel
sujet, alors qu'à mon
avis il arrive très tard dans ma
- 113carrière de cinéaste (14 ans). La raison de ce retard est que je ne voulais pas que ce soit un film privé que j'aurais réalisé avec et pour des copains. Il y fallait cette envergure qui puisse susciter un intérêt pour tout le monde. Raconter la vie et les incidents qui peuvent se produire alors que toute une équipe est appelée à vivre ensemble pour une période donnée. Cela va jusqu'à l'incident extrême auquel on doit toujours penser : la mort d'un comédien qui risque de tout interrompre." (Journal de Montréal, 12/10/1973, p.
22):
Néanmoins, de par ses habitudes cinématographiques, le public américain accentue avec ce film la spécificité de Truffaut, sa rupture avec les conventions américaines. Parallèlement, La Nuit américaine n'empêche pas pour autant . l'adhésion du public, du fait qu'elle le déroute dans sa propre culture. Bien que le film ne soit ni une oeuvre à grand budget ni à très petit budget, 1l suscite une réception spécifique chez le spectateur américain : "En France, il peut donner l'impression d'un film confortable et qui raconte l'histoire d'un tournage luxueux mais à Los Angeles, projeté devant les adhérents de la Directors'
Guild,
c'est au
contraire
le côté familial
et
presque artisanal de nos tournages français qui ressort davantage ; j'étais très heureux de présenter ce film devant un public de cinéastes dont certains ont déjà traité ce genre de sujets. George Cukor m'a dit : "Ce film m'appartient un peu car j'en ai vécu chaque épisode" " note Truffaut (Le Film Français, 16/11/1973, p. 10).
L'avis des cinéastes américains suit celui des critiques américains, comme en témoigne l'influent New York Times : "Tous ses films, même ceux qui ne sont pas apparemment autobiographiques (comme Les Quatre Cents coups), établissent leur auteur pour matériel. C'était inévitable qu'il fasse un film à propos des films. [...] Pour Truffaut, le film est, comme le livre sur Alfred Hitchcock,
CHTRE instructif, un acte d'un autodidacte. [...] Une raison pour laquelle il a pris comme actrice Mile Bisset (et aussi JeanPierre Aumont) est que Truffaut voulut ajouter un peu de la mythologie hollywoodienne à son étude des coulisses cinématographiques. Le film est en fait plus qu'un reportage sur les gros studios de production ; il traite plutôt des petits tournages en extérieur que Truffaut a l'habitude de faire. Malgré son apparence luxueuse, même La Nuit américaine coûte seulement $ 700 000" (09/10/1973).
L'accueil de Za Nuit américaine est d'autant plus révélateur de la rupture avec les conventions américaines que le cinéma américain est très largement dominant aux ÉtatsUnis et constitue une référence plus importante que ne peut l'être par exemple le cinéma français en France. Quel document plus significatif de la reconnaissance de la spécificité truffaldienne que cet extrait des notes de production de Warner Bros sur La Nuit américaine | : "La Nuit américaine de François Truffaut est une extraordinaire expérience romantique que crée avec un Soin quasi amoureux un homme qui connaît aussi bien le cinéma que l'être humain. [...] Une des plus agréables choses dans La Nuit américaine est la seconde apparition à l'écran de François Truffaut, lui-même, qui incarne le rôle du cinéaste sous pression, patient, passant des nuits blanches et qui tourne le film appelé Je vous présente Paméla. C'est une remarquable performance. "Je joue, explique Truffaut, ce que j'ai écrit et ce dont J'ai personnellement fait l'expérience. Je suis moi-même devant et derrière la caméra". [...] La Nuit américaine est un film inhabituel, certainement le seul de ce genre. Il est plein d'émotion, associé à de l'humour, et il se dégage un style, le style de Truffaut.
À propos de François Truffaut, le grand Jean Renoir a dit l'an passé : "Je crois qu'il est pratiquement le seul homme dans le monde entier qui sait comment faire pour utiliser tout l'écran. Dans un film de Truffaut, vous n'avez jamais le sentiment que le film est le travail de plusieu rs personnes ; c'est le produit d'un homme seul et cet homme
- 115regarde avec un oeil égal les problèmes des acteurs, du son. de la caméra. Il n'y a aucun petit problème, aucun gros problème. Il y a seulement un film. Pour les Hindous, le monde est un : pour Truffaut, le film est un." " ("Day for Night : Production Notes", Warner Bros, Burbank. pp. 1 et 4).
Les films de Truffaut réunissent donc plusieurs facteurs attrayants. Mais, en procédant à une analyse simultanée de tous les facteurs, il apparaît que les trois éléments les plus décisifs
du
succès
de
Truffaut
sont,
premièrement,
le
dynamisme du cinéaste-producteur, c'est-à-dire le fait qu'il se déplace aux États-Unis, qu'il soit attentif au marché et qu'il crée des liens avec le milieu cinématographique américain. Deuxièmement, vient la richesse de l'oeuvre suivie, troisièmement, par le succès des films précédents sur le marché américain, c'est-à-dire la réputation de Truffaut aux États-Unis. Ces trois éléments, étroitement liés, sont régis par une même recherche d'originalité, d'indépendance et d'ambiguité. La réception d'un film est une opération cognitive qui interpelle différents savoirs préexistants susceptibles de s'actualiser lors de l'accueil de l'oeuvre. Selon la célèbre expression d'Henri Bergson, "Percevoir, c'est se souvenir"86. Or, la stratégie de Truffaut vise justement à imposer sa logique artistique et les repères propres à son oeuvre dans le système de "pré-vision" du spectateur, pour reprendre le terme d'Edmond Cros. Dans la mesure où la "pré-vision" fonctionne comme un avant-propos, créant des attentes, programmant la réception et révélant des signifiés, la réception américaine de Truffaut consiste souvent en un procédé de véridiction du souvenir des précédents films du cinéaste. Ainsi, cette "pré-vision" truffaldienne contribue fortement à l'instauration du signifié filmique, à la "morphogénèse du sens", comme le souligne Edmond Cros
- 116-
(voir ses travaux sur la sociocritique et sur le passage du "prédiscursif" au "discursif"8?).
La régularité et la progression des succès de Truffaut aux États-Unis, qui le caractérise par rapport à d'autres cinéastes étrangers ayant connu des succès plus importants mais plus occasionnels, témoignent de l'importance de la stratégie truffaldienne,
dont tous les rouages tendent à imposer une
originalité. La stratégie oriente de plus en plus le spectateur vers l'attente d'un style spécifique, que l'on pourra retrouver dans le film suivant. Ce n'est plus le miracle d'un film mais le miracle d'un style. En insistant ainsi sur le terme de stratégie, il s'agit donc de montrer que Truffaut doit son succès aux États-Unis à l'image cohérente qu'il a patiemment élaboré, y compris lors de ses déplacements en Amérique. Dans la perspective de la sociologie dramaturgique, qui assimile le monde à un théâtre, Truffaut s'impose donc comme l'acteur d'une représentation efficace, dotée d'une cohérence valorisante. Pour reprendre le terme d'Erving Goffman, le "personnage"$8 Truffaut constitue une composante essentielle du succès américain du cinéaste français.
L'exploitation américaine des films de Truffaut semblerait donc obéir au processus de consécration d'une oeuvre d'art. Pourtant, bien qu'elle élabore son propre système de références, l'oeuvre de Truffaut ne perd pas pour autant son esprit de contradiction originel. Etudier la réception des critiques américaines consistera donc à approfondir, de façon qualitative, ce caractère paradoxal de l'accueil des films de Truffaut aux États-Unis.
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LA RÉCEPTION DES CRITIQUES AMÉRICAINS : LA CONSÉCRATION IMPARFAITE
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_ La distribution et l'exploitation des films de Truffaut aux Etats-Unis marquent la reconnaissance d'un auteur dont le succès devient de plus en plus régulier. Phénomène de génération, la Nouvelle Vague constitua un tremplin très efficace à l'exportation des films de François Truffaut. Cependant, l'intérêt particulier que les Américains portent à Truffaut est indissociable de plusieurs particularités propres à la personnalité du cinéaste et semble faire de son oeuvre un mythe définitivement consacré. Truffaut ne produit peut-être pas un cinéma engagé (au sens général du terme), mais, par sa stratégie de l'introspection, il renforce une originalité quasi autobiographique. "L'actualité ne va pas venir bouleverser mon inspiration. Mes films, d'une façon générale traitent de sujets intemporels. On me l'a assez reproché après mai 1968. On ne me le dit plus, maintenant. C'est vrai que je ne pourrais pas faire Z, mais je ne crois pas que Costa-Gavras pourrait faire Adèle H." souligne Truffaut (Cinéma de France,
09-10/1981, p. 11).8? Le processus de consécration artistique est-il seul responsable de la notoriété et de la postérité de Truffaut aux États-Unis ? Une réponse affirmative à cette question impliquerait que l'effet subversif des premiers films du cinéaste se réduise, voire s'annihile, à mesure que la négativité première de l'oeuvre et de la Truffaut's touch devient familière. C'est ce processus qui préside au classicisme des chefs-d'oeuvre devenus facilement assimilables. La question est donc de savoir, au travers de la critique américaine, si la
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réception de Truffaut actualise ce processus de consécration de l'oeuvre d'art. Analyser la réception critique américaine? a donc pour but de détailler l'évolution de la réception de Truffaut aux États-Unis. Dans une première étape, nous montrerons comment François Truffaut s'est implanté aux U.S.A. Quelles sont les conditions de son initiation médiatique?1 dans les années soixante ? Puis, nous nous pencherons sur l'évolution de la réception de Truffaut aux États-Unis. L'oeuvre du cinéaste devient-elle classique du fait de la reconnaissance de la Truffaut's touch ?
Mais, en premier lieu, il n'est pas inutile de montrer à quel point les caractéristiques de la critique américaine ont pu être proches de la conception truffaldienne de la critique, telle que le cinéaste l'a par exemple défini dans la préface des Films de ma vie, "A quoi rêvent les critiques ?" (Flammarion, 1975). La proximité des deux approches nous permet d'introduire les rapports entre la critique américaine et l'oeuvre de Truffaut.
- 1- La fonction du critique : entre conceptions truffaldienne et américaine En 1975, les États-Unis furent le premier pays à passer de l'ère industrielle à l'ère informationnelle. La révolution technologique dans les médias, qui en résulta, fut considérée plus déterminante que la découverte de l'imprimerie au XVème siècle. Les sollicitations des médias, l'influence des quotidiens importants, la volonté d'accrocher le lecteur s'opposent à la plus grande discrétion de la presse française. C'est du moins une constatation de spécificités culturelles qui
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est particulièrement établie pour les années couvrant la réception des films de François Truffaut aux Etats-Unis, c'està-dire des années soixante au milieu des années quatre-vingt. La presse américaine représente un maillon central du système de références efficaces, à l'origine du choix du public, en particulier lorsqu'il s'agit d'un film étranger.?2 Aux ÉtatsUnis, "il y a le problème des critiques : à New York, il y a plusieurs critiques influents, pas seulement ceux du New York Times, 11 y a aussi le New Yorker, le New York Magazine, le
Village Voice... A San Francisco, en revanche, il y a un seul critique, il a détesté Martin Guerre ; le film est pour ainsi dire mort-né à San Francisco" notait Gabriel Desdoits (Le Monde, 07/11/1983). Une bonne presse est donc un capital décisif pour un film étranger.
Premièrement, au niveau de la publicité, la promotion journalistique est capitale. Pour le lancement de films étrangers, le distributeur paie toute la publicité. Les propriétaires de salles n'y participent pas. Le coût du lancement d'un film à New York atteignait des proportions importantes, même dans les années soixante et soixante-dix : "Economiquement, New York est pratiquement impossible, dit D. J. Edele, vice-président d'Aveo Embassy. Pour un film étranger, les journaux restent le médium d'annonce préféré parce que la plupart des films étrangers se prêtent mal à l'exploitation de spots-réclames à la télévision, et /a ligne du New York Times le dimanche vaut maintenant
$ 4, 98, ce qui
veut dire qu'une page entière de publicité (de 2 400 lignes) vaut
aujourd'hui
$
11
952
"
(La
Presse,
Montréal,
25/05/1974). Justement, le premier grand succès de Truffaut aux ÉtatsUnis fut La Nuit américaine, film pour lequel un grand soin fut accordé à la promotion, comme nous l'avons vu. Le coût du lancement de La Nuit américaine fut de $ 38 400, ce qui représentait une somme très honorable pour l'époque, qui plus
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est pour un film étranger et pour la seule première semaine d'exploitation. Néanmoins, la publicité ne fait pas tout. La Nuit américaine connut un succès bien plus grand que la simple donnée du coût de lancement ne pouvait le laisser supposer, notamment par rapport aux coûts habituellement plus importants des succès américains.73
Cette constatation montre donc que les critiques de la presse écrite jouèrent un rôle prépondérant. Dans le cas précis de La Nuit américaine, l'association d'une campagne efficace de promotion et d'une excellente presse constitua un atout déterminant. Bien entendu, ceci est seulement pertinent pour le box-office, la réception du film et non pour son achat, les films de Truffaut ayant généralement dépassé depuis plusieurs années ce degré de confiance : "Truffaut : "Aux États-Unis, le critique du New York Times décide du sort des films étrangers !" [...] : La critique américaine, comme le laissait prévoir l'accueil au Festival de Cannes en mai dernier, a été excellente pour La Nuit américaine. "La critique est décisive", nous dit Truffaut, "Aux États-Unis, pour un film étranger, certains critiques, qu'on appelle syndiqués voient chacun de leurs articles reproduit dans 300 ou 400 journaux à travers l'Amérique ; lorsqu'il s'agit d'un film qui n'est pas encore
vendu, tous les distributeurs attendent l'article du New York
Times avant de prendre une décision d'achat. Ce n'était pas le cas de La Nuit américaine qui est distribuée par Warner Bros pour le monde entier". " notait François Truffaut (Le
Film Français, 16/11/1973, p. 10).
Nous avons souligné le rôle influent de la critique américaine, et par là-même, l'atout capital que pourra constituer une presse favorable, voire très élogieuse, pour la carrière américaine de Truffaut. Interrogeons nous désormais sur les spécificités de la critique américaine susceptibles d'avoir pu influencer la nature de la réception et même d'avoir pu constituer un terrain très réceptif à l'oeuvre de Truffaut.
- 123-
L'oeuvre de Truffaut, qui renforce progressivement ses codes internes, bénéficie d'une bonne disposition culturelle aux
Etats-Unis.
En
effet, le consommateur
américain
est
favorable a priori, quitte à faire un jugement plus sévère et impitoyable au niveau du résultat. Tandis qu'en France, la critique, les réticences, voire l'hostilité, se manifestent au départ, amenant tant d'idées à être avortées. La curiosité américaine pousse finalement à retenir la critique pour que l'événement ait lieu. Cette caractéristique de la culture et de la presse américaines est encore plus évidente dans la critique cinématographique, par opposition à la critique française. A l'image de l'enseignement du cinéma”?, le critique de cinéma français, surtout à cette époque, n'a pas la reconnaissance que peuvent avoir d'autres journalistes, ce qui accroît sa responsabilité sociale, et notamment ses a priori contestataires : "A la différence de l'américain, le critique français se veut un justicier ; comme Dieu ou comme Zorro s'il est laïque, il abaissera le puissant et élèvera le faible. Il y a
d'abord ce phénomène de méfiance très européen devant le succès mais il faut voir aussi que le critique français, toujours soucieux de justifier sa fonction, et d'abord à ses propres yeux, éprouve fortement le désir de se rendre utile ; il y parvient quelquefois." souligne Truffaut (Les Films de ma vie, p. 20).
De ce fait, le critique américain de cinéma fait figure de commentateur plus reconnu, plus professionnel et plus indépendant. Son jugement apparaît plus centré sur le film et moins sur des a priori éthiques, comme le souligne très justement François Truffaut : "Le critique américain me semble meilleur que l'européen, mais, en même temps que je formule cette
> 1248 hypothèse, je vous invite à m'empêcher de glisser vers la mauvaise foi. En effet, une loi de la vie veut qu'on adopte plus volontiers les idées qui vous conviennent, or il est de, fait que la critique américaine est plus favorable à mes films que celle de mes compatriotes. Donc. méfiance ! Néanmoins, je poursuis. Le critique américain sort généralement d'une école de journalisme. il est visiblement plus professionnel que le français et on en trouvera la preuve dans sa façon méthodique de mener une interview ; le critique américain, en raison de l'énorme diffusion des Journaux dans son pays, est très bien payé, ce point est important. Il n'a pas l'impression de vivre d'expédients et même s'il ne publie pas de livres, même s'il n'exerce pas une seconde activité, il est bien dans sa peau et ne se sent pas socialement séparé de l'industrie du film ; il n'est donc pas tenté de se désolidariser systématiquement d'une grande production comme Le Parrain ni de s'identifier automatiquement à l'auteur marginal qui lutte contre le dédain des grandes compagnies d'Hollywood. Il rend compte, avec pas mal de sérénité, de tout ce qu'il voit. Alors qu'il est devenu coutumier en France de voir le metteur en scène assister aux projections de presse de son film et se tenir imperturbablement devant la porte de sortie après le mot fin, de tels procédés seraient impensables à New York sous peine de constituer un scandale." (Les Films de ma vie, p. 21).
La nature de la critique américaine correspond à l'idée de Truffaut selon laquelle la réception étrangère d'une oeuvre est généralement plus originelle, plus à l'écoute du film lui-même. Le fait que Truffaut relève et apprécie ce type de réception, qui se produisit souvent pour son propre cas aux États-Unis, n'est Vraiment pas un hasard et s'inscrit tout à fait dans sa stratégie : "On apprécie davantage ce qui vient de loin, non pas seulement en raison de l'exotisme mais aussi parce que l'absence de références personnelles renforce le prestige d'une oeuvre. Un nouveau film de Claude Chabrol ne sera pas regardé de la même façon à Paris ou à New York. Dal
- 125On juge avec plus de sympathie ce qu'un artiste fait que ce qu'il est - ou plus exactement, ce qu'on sait de lui s'interpose défavorablement entre la projection de son travail et ceux qui auront à le juger. Il faut ajouter à cela que dans la production d'un pays un film arrive rarement seul, 1l participe de tout un environnement et parfois même d'une mode ou d'une série." note Truffaut (Les Films de ma vie, p. 22).
Nous montrerons comment la critique américaine insiste et se réfère à ce que l' "artiste faif" et que "ce qu'il esf - ou plus exactement, ce qu'on sait de lui" ne "s'interpose" pas forcément "défavorablement entre la projection de son travail et ceux qui auront à le juger". "Ce qu'il es" est en fait de plus . en plus utilisé comme un critère assujetti à "ce qu'il fai", c'està-dire que la personnalité de Truffaut prolonge la réception des films eux-mêmes. Même les critiques défavorables sont constructives pour notre propos car elles révèlent sur quelles bases précises s'appuie le rejet. Là encore, on peut faire la distinction entre des analyses a priori et des critiques portant véritablement sur la spécificité de Truffaut. "Sérieusement, il m'est arrivé d'admettre qu'une critique négative par Philippe Collin ou Pauline Kael agitait des idées plus profondes qu'une critique élogieuse par X ou Y. Quand on commence, on a peut-être besoin de se sentir apprécié mais avec les années, on préfère être aimé. Parmi les articles négatifs, je fais une grande différence entre Hélas c'est mauvais et Chouette c'est mauvais, on devine très bien cela entre les lignes..." affirme Truffaut (Cahiers du Cinéma, 09/1980, p. 15).
La réussite d'une stratégie dépend aussi de la réputation acquise au fil des années : "Il existe donc encore un autre élément que l'artiste devrait prendre en considération : /a réputation. Il ne faut en effet pas confondre la critique reçue par un film au moment de sa sortie et la réputation de ce film à travers les années." souligne Truffaut (Les Films de ma vie, p. 26). Justement, le fait que Truffaut considère ce facteur
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comme un élément important de la relativisation du jugement critique immédiat témoigne bien de sa conception stratégique d'une réception. La "réputation" des films précédents peut devenir un atout capital pour le cinéaste, à condition que se dégage de l'oeuvre une ligne directrice qui résulte du mürissement d'une stratégie personnelle.
La réussite d'une telle stratégie se concrétise par exemple dans le fait que Truffaut, contrairement à ce qu'il suggère, n'apparaît pas seulement comme un artiste exotique (qui dépayse tout en demeurant suffisamment repérable par rapport au cliché de la culture française) : "Je peux comprendre le souffle d'air frais qu'apportent dans cette Amérique violente une comédie italienne, une histoire d'amour française, un film intimiste tchécoslovaque." écrit Truffaut (Les Films de ma vie, pp. 22-23). L'abandon progressif de l'adhésion exotique se vérifie géographiquement parlant. On sait que le goût pour les films étrangers est plus particulièrement présent chez les critiques new-yorkais, par Opposition aux critiques californiens : "Ce que les gens d'Hollywood reprochent généralement aux critiques de New York, c'est de préférer, à la production nationale, les petits films qui viennent d'Europe et qui, généralement, ne toucheront, dans leur version originale sous-titrée, que le public cultivé des grandes villes et des étudiants sur les campus." souligne Truffaut (Les Films de ma vie, pp. 21-22).
, Dans l'étude de l'exploitation des films de Truffaut aux Etats-Unis, nous avions vu que les grands succès du cinéast e, à partir de Za Nuit américaine, s'accompagnaient d'une reconnaissance (plus ou moins importante mais présente) dans l'ensemble des grandes et moyennes villes américaines. Parallèlement, l'évolution de la réception américaine de Truffaut ne traduit pas de différence notable entre l'est et l'ouest américain.
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Les propos de Truffaut témoignent de son rejet des a priori. La conception de la critique américaine est finalement très proche de la conception du Truffaut critique comme du Truffaut cinéaste, conception qui repose sur la volonté de choquer (mot issu de l'anglais fo shock).
Un cinéaste qui ne voudrait pas choquer n'affirmerait pas la nécessité d'avoir des critiques défavorables, garanties de la capacité du réalisateur à susciter un débat, à déclencher une controverse : "Je compléterai ma défense de la critique en faisant observer que des éloges excessifs, venant de toutes parts et escortant toute une carrière, peuvent stériliser un artiste plus sûrement que la douche écossaise qui est à l'image . de la vie. C'est ce que devait penser Jean Paulhan en écrivant : "L'éreintement conserve un auteur, mieux que l'alcool ne fait un fruit." " (Les Films de ma vie, p. 26).
Pour Truffaut, le fait d'être critiqué se situe bien dans la perspective directe de l'acte créatif. Faire un film, c'est chercher à attirer l'attention de l'autre, à exprimer les désirs, les sentiments souterrains ou inexprimables qui habitent le créateur. Qu'elle soit favorable ou défavorable, la critique est la conséquence logique de l'exhibitionnisme du cinéaste : "Il s'agit pour l'artiste de se produire, de se rendre intéressant et de s'exhiber ; voilà un privilège fabuleux à condition d'en accepter la contrepartie : le risque d'être étudié, analysé, noté, jugé, critiqué, contesté." note Truffaut (Les Films de ma vie, D:25).
Finalement, pour Truffaut, lutter contre la critique, c'est se tromper de cible et déplacer le problème. Là encore, on reconnaît une conception truffaldienne proche de la conception américaine. Le cinéaste doit lutter contre la passivité et l'indifférence du spectateur. C'est, pour François Truffaut, la principale croisade du cinéma :
- 128"Le cinéaste se trompe lorsqu'il croit que son ennemi est le producteur, le directeur de salles ou le critique, chacun d'eux souhaitant sincèrement le succès de ces films ; alors, dans ce cas, le véritable ennemi du film serait le public dont il est si dur de vaincre la passivité. Cette théorie a le mérite de ne pas être démagogique car il est toujours facile de flatter le public, ce public mystérieux que personne n'a jamais vu, facile d'accabler les gens d'argent
qui aiment produire, distribuer et exploiter tous les films dont ils s'occupent, y compris ceux que j'ai cités." (Les Films de ma vie, p. 28).75
Ce chapitre introductif, sur les rapports entre la critique américaine et la stratégie de Truffaut, permet donc de mettre en avant deux points de convergence possibles. Premièrement , les conditions de travail du critique cinématographique américain sont propices à des jugements impartiaux. Cet état de fait peut créer un contexte favorable à la reconnaissance de la specific Truffaut's touch. Deuxièmement, la presse américaine et la stratégie truffaldienne obéissent toutes deux à une quête commune : capter le Spectateur, briser son indifférence. En ce sens, nous pouvons conclure sur une certaine concordance entre l'"intentio operis" (Umbe rto Eco) de Truffaut et l'attente de la presse américaine (cinématographique notamment). Cette concordance se vérifiera-t-elle tout au long de la réception de Truffaut aux États-Unis ?
-2- Les années soixante : la réceptivité du public américain à la subversion En allant à l'encontre des habitudes spect atorielles américaines, le cinéma de Truffaut bouscule les dispositions de son premier public. Néanmoins, une oeuvre n'est jamais
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absolument inédite ; son effet présuppose une réceptivité du public qui témoigne d'une certaine compatibilité avec le système culturel de la société réceptrice. Quels rôles référentiels joue donc le contexte américain des années soixante, dans la façon dont Truffaut s'implante aux ÉtatsUnis ? L'oeuvre de Truffaut a, dès Les Quatre Cents coups, bénéficié du soutien de la critique américaine. Truffaut est un
des rares Européens à avoir aussi bien vendu ses films aux Etats-Unis. C'est sans doute dans sa réception initiale et dans la façon dont elle a été gérée par la suite que l'on trouve une première explication. De plus, l'impact de la Nouvelle Vague et de la "politique des auteurs" fut assez tenace aux États-Unis -pour favoriser la pénétration de Truffaut et intervenir comme une référence longtemps déterminante pour les critiques américains. En effet, le phénomène de la Nouvelle Vague développa une cohorte à l'origine d'un véritable effet de génération. Il s'agit précisément d'une communauté d'esprit composée des cinéphiles américains ayant vécu simultanément et alors qu'ils étaient généralement assez jeunes le mouvement de la Nouvelle Vague et ses conséquences culturelles. Le but est de reconstituer les dispositions du premier public américain de Truffaut, c'est-à-dire le système de références qui
présidait à la réception de l'oeuvre lors de son apparition.
- 2.1 -
L'influence du contexte américain
de la
première moitié des années soixante Dans quelle mesure le contexte américain des années soixante constitua-t-il un atout majeur pour l'instauration de la Nouvelle Vague ?
- 130-
À partir de la fin des années cinquante, les réalisations françaises occupèrent une place prestigieuse parmi les oeuvres cinématographiques étrangères. Si l'intérêt pour le cinéma français était déjà présent avant, remontant aux années du "réalisme poétique", l'engouement pour la Nouvelle Vague revêt une nature bien spécifique. Il correspond en effet à un climat de bouleversements et de revendications qui caractérise l'Amérique dès le début des années soixante, tant dans le domaine culturel que socio-politique. Ce climat accentue l'intérêt pour la Nouvelle Vague et tout ce qu'elle symbolise. II développe également un axe de réception favorable et pertinent pour la mise en valeur présente et à venir de la stratégie truffaldienne.
Nous avons déjà montré comment le contexte économique et politique favorisa la diffusion de films européens à partir de la fin des années cinquante. L'intérêt critique fut favorisé par cette plus grande diffusion commerciale. En plus de la raison économique, le contexte social des années soixante fut donc particulièrement sensible aux revendications de la Nouvelle Vague. Après le baby-boom de l'après-guerre, les années soixante voient le développement de comportements malthusiens et libéraux. Elles marquent une évolution dans la société américaine. L'élection de Kennedy à la Présidence en 1960 semblait, avec le retour des démocrates au pouvoir, inaugurer une ère nouvelle, pleine d'espoirs pour ceux qui voulaient une Amérique plus généreuse et plus juste.
Mais les espérances sont bientôt largement brisées. La crise de Cuba (1962) témoigne des limites de la coexistence avec l'UR.S.S. et révèle que la menace d'une troisième guerre mondiale demeure présente. Dès 1962, l'Amérique s'engage militairement au Viêtnam. Une violence qui paraît sans limites : en 1963, le président Kennedy est assassiné. La présidence de Kennedy marque à la fois l'apogée de la puissance américaine et l'amorce de son recul. C'est
=13Pe
principalement l'amorce de la guerre du Viêtnam, en 1961, qui provoque l'affaiblissement politique et moral des Etats-Unis. Parmi les intellectuels et universitaires qui développent l'intérêt des cinéphiles américains pour la Nouvelle Vague, les critiques jouent un rôle prépondérant. C'est d'autant plus vrai que l'engouement gagne aussitôt les critiques les plus influents de New York. Et, lorsqu'on connaît, dans la culture américaine, le rôle capital des médias et le poids de l'initiation médiatique, on mesure l'importance qu'a pu revêtir un tel intérêt de la critique américaine. Un
journaliste,
Andrew
Sarris,
joua
un
rôle
particulièrement important pour la Nouvelle Vague française aux États-Unis. Critique du Village Voice (hebdomadaire new-yorkais à tendance intellectuelle et artistique, qui débuta en 1955 comme un journal de contre-culture), il devint rapidement le porte-parole nord-américain de la théorie de l'auteur, qu'il importa après avoir passé une année en France. Il contribua à promouvoir une version anglaise des Cahiers du cinéma publiée aux U.S.A. Andrew Sarris favorisa largement la naissance d'une révolution dans le monde du cinéma aux États-Unis puisqu'il permit d'établir le principe de l'auteurism dans le film. L'utilisation systématique de ses colonnes dans ce but ainsi qu'une série de célèbres débats avec Pauline Kael et John Simon témoignent de l'engouement, de la vitalité et de la richesse des analyses critiques sur la Nouvelle Vague et ses théories cinématographiques.76 Au sein de cet engouement pour la Nouvelle Vague, Truffaut fut spécialement chanceux dans la mesure où les critiques les plus influents (Canby, Sarris, Kael notamment) s'enthousiasmaient pour ses films. Ce fut le cas des critiques du très influent New York Times et spécialement de son plus célèbre critique cinématographique, Vincent Canby, qui
soutint pratiquement toutes les réalisations de Truffaut. Il écrivit des critiques sur les films de Truffaut de façon régulière
- 132-
à partir de la fin des années soixante et jusqu'à la fin de la carrière du cinéaste français. Avant lui, Eugene Archer et Brosley Crowther jouèrent aussi un rôle tout à fait déterminant dans l'introduction des films de Truffaut en Amérique du Nord, dans la première moitié des années soixante. Ils étaient des critiques de cinéma très puissants et craints à cette époque, vu le tirage très important du journal.
Brosley Crowther soutint par exemple La Peau douce, film très controversé en France et que beaucoup de critiques français utilisèrent comme témoin de la fin (et pour beaucoup de l'échec) de la Nouvelle Vague et de ses ambitions de renouvellement du cinéma français. "Truffaut est de toute évidence en possession de son talent de metteur en scène et de directeur d'acteurs, et manipule un style cinématographique vibrant" écrit Brosley Crowther dans le New York Times97 Les grands journaux américains furent d'ailleurs tous enthousiastes vis-à-vis de La Peau douce. "Un film admirabl e,
j'en suis ravie" soulignait The New Yorker, véritable institution qui exerçait une grande influence et où beaucoup d'écrivai ns ont été consacrés. "Un film remarquable !" (Life Magazine), "Un film merveilleusement réalisé, absolument captivant. Une atmosphère bouleversante" (World T.elegram & Sun). "Truffaut est un maître dont le talent s'accroît avec chaque film !" (Time Magazine). "Brillamment mis en scène, bouleversant !" (The New York Daily News).78
La réception des premiers films de Truffaut fait accéder à la conscience des critiques américains des expériences esthétiques nouvelles. Cet effet subversif est présent dès la réception des Quatre Cents Coups, en 19591960. Sur quels points précis porte-t-il ?
Premièrement,
Les
Quatre
Cents
coups
introduisent
indiscutablement aux Etats-Unis l'idée d'un cinématographique plus authentique que le
hollywoodien.
"Un
film que tous
ceux
regard cinéma
qui s'intéressent
- 133-
sérieusement au bon cinéma ne voudront pas manquer de voir" écrit Paul Beckley dans le New York Herald Tribune (14/12/1959). "Brillant : voici un chef-d'oeuvre qui encourage un rafraîchissement excitant de la cinéphilie. De façon brillante et saisissante, 1l révèle l'explosion d'un nouveau talent créatif" souligne Brosley Crowther (New York Times, 17/11/1959). Si le premier long métrage de Truffaut est perçu comme un "encouragement" au renouvellement cinématographique, c'est notamment parce le film apparaît comme "dirigé avec la froideur clinique d'un cas historique" (Commonweal, 27/11/1959, p. 265). Cette qualification extrême du bimensuel new-yorkais montre à quel point le film, qui permet un regard réaliste, peut alors être perçu comme le témoin d'un malaise social contemporain, en rupture avec un certain cinéma "préfabriqué". En cela, il existe bien une émotion nouvelle qui se dégage du film de Truffaut et qui va à l'encontre des habitudes spectatorielles. Le plus important quotidien anglophone du Canada, The Globe and Mail, note : "C'est un film qui va vous émouvoir avec un pouvoir que peu de films
ont eu durant ces dernières années." (7he Globe and Mail, 07/04/1960). Deuxièmement, l'effet subversif de la Nouvelle Vague est également provoqué par le concept d'auteur. Le réalisme des
Quatre Cents coups apparaît authentifié par son caractère largement autobiographique. "La profonde compassion pour la situation de l'adolescent, que le producteur-réalisateurscénariste François Truffaut a transmis si directement et si merveilleusement au public, est indubitablement due au contenu autobiographique" (The Film Journal, 10/10/1959). Ainsi s'articule la critique d'Eugene Archer parue dans le New York Times du 31/01/1960. L'article met en évidence l'auteur,
l'aspect autobiographique de son approche cinématographique, le caractère romanesque de la jeunesse de Truffaut. Le titre de l'article ("Enfant terrible : delinquant to director") révèle d'emblée le regard contestataire de Truffaut et le fait que la cinéphilie et le film apparaissent comme un
ASE prolongement, un exutoire des rébellions de jeunesse. Eugene Archer présente Truffaut comme un "ancien adolescent délinquant dont la biographie correspond à son film" : sa cinéphilie (le terme "movie-goer" revient fréquemment dans l'article) le sauva et lui permet d'extérioriser sa "Rough Start". "Sur son sujet favori, le cinéma, François Truffaut, le parisien de vingt-huit ans et le scénariste-producteur-réalisateur du drame français, Les Quatre Cents coups, est au moins aussi clair et à l'aise qu'il est véhément "
Sur un plan purement sociologique, outre le caractère mouvementé de la jeunesse de Truffaut, le parcours autodidacte du cinéaste constitue déjà en lui-même une source de singularité. En effet, les artistes sont surtout issus de catégories sociales privilégiées et de familles d'artistes. Comme le souligne Raymonde Moulin, ils sont donc doublement des "héritiers" (L'Artiste, l'institution et le marché, Flammarion, 1992, pp. 277-279). L'aspect subversif du style truffaldien intervient donc à un niveau tant esthétique que sociologique, tant au niveau de l'oeuvre elle-même que du parcours biographique du cinéaste.
Le concept d'auteur devient alors systématiquement associé au non-conformisme. La subversion provoquée par une expérience esthétique nouvelle (le cinéma d'auteur) devient elle-même attendue en tant que telle. On peut lire également dans le Boston Globe : "Le jeune cinéaste dirige l'ascension du nouveau cinéma. M. Truffaut, un frappant nonconformiste qui bouleversa le monde du cinéma avec ses attaques critiques sur les films français, a récemment gagné l'attention internationale avec son film Les Quatre Cents COUpS, qui commence le 25/02 au Coolidge Corner Theater, Brookline" (19/02/1960). "Dans Les Mistons et Les Quatre Cents coups, Truffaut assimile de nombreuses influe nces contemporaines du réalisme social, en évitant les pièges de l'apitoiement sur soi-même ou le message social didactique.
Ses films suivants sont toujours des expressions intens ément
- 135-
personnelles de sa vision de la vie, comique et désabusée" note encore Joan Fox, critique au Canadian Art (07-08/1962, p. 303).
On retrouve également cette subversion des habitudes cinématographiques dans la réception de Jules et Jim, amplifiée en raison du caractère immoral de l'histoire. Le rejet que peut provoquer la vision du film est une conséquence de ce bouleversement qui oblige le critique à se réorienter vers une esthétique nouvelle : "Grâce à la mise en scène de Truffaut, son film possède des touches lumineuses et amusantes. Bien avant la lugubre fin, cependant, on devient lassé par ces irresponsables et amorales personnes, et, malgré l'excellente performance de Jeanne Moreau, on peut
difficilement croire à cette Catherine comme la reine des abeilles. Truffaut lui-même étiquette son film comme "un hymne à l'amour, un hymne à la vie". C'est vraiment un hymne bien chanté à de nombreuses absurdités." rétorque Philip T. Hartung (Commonweal, 04/05/1962, p. 153).
Néanmoins, notre corpus critique sur Jules et Jim est assez vaste pour que nous puissions affirmer que le rejet total constitua un phénomène isolé et que, dans l'ensemble, la réception du film est marquée par une adhésion enthousiaste. Brosley Crowther dans le New York Times, Andrew Sarris dans le Village Voice, Archer Winsten dans le New York Times, Jo Morgenstern du Herald Tribune ou Paul Beckley du New York Herald Tribune s'accordent pour louer l'originalité et le charme de Jules et Jim. Le New York Times qualifie le film de "charmant, excitant, vivant et piquant", le slogan étant repris dans les annonces publicitaires parues dans
la presse d'Amérique du Nord.??
Les publicités de presse
reprennent également la réflexion du Time Magazine : “Un spectateur qui découvre ce film en se sentant vieux et sans
- 136vigueur se rebellera en se sentant jeune, vigoureux,
voire
même naïf. Le film bouillonne comme le printemps de la vie elle-même."100
La controverse provoquée par l'accueil de Jules et Jim n'est pas seulement marquée par le bouleversement des habitudes spectatorielles. Le film fait également accéder à la conscience réceptrice des expériences cinématographiques et morales nouvelles. Ici réside le véritable impact de l'oeuvre de Truffaut, tant il est vrai que "depuis toujours, l'une des tâches essentielles de l'art fut de susciter une demande, en un temps qui n'était pas mûr pour qu'elle pût recevoir pleine satisfaction" (Walter Benjamin, "L'oeuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique", 1936, p. 118). Au lieu de véritablement anticiper le mouvement social, l'artiste en est un acteur. "Si au lieu de considérer le social comme une réalité statique, on le considère comme une réalité dynamique, le producteur d'art est celui qui, par la puissance de son imagination, épouse le mouvement en train de se faire pour le parachever et lui faire signifier son originalité créatrice. L'artiste est moins le reflet de la société que celui qui l'accouche de toutes ses nouveautés." souligne Roger Bastide (rt et société, Payot, 1977, p. 93), puis, dans une perspective similaire, Bruno Péquignot. Par exemple, le récit suivant de Kathleen Murphys, qui expose ses souvenirs de sa première vision de Jules et Jim, souvenirs rédigés en 1974 et repris ici par Film Comment, nous montre bien le caractère à la fois provocateur et convaincant du film : "Je me souviens qu'à la fin de ma première vision de Jules et Jim, voici dix ans environ, je redoutais que les lumières de la salle se rallument. Après un tel film vibrant et romantique, j'étais contrariée à l'idée de devoir faire face à la morne réalité, aux gens dont les visages, les gestes, les styles de vie, seraient banals, en comparaison avec les personnages du film de Truffaut. Il semblait intolérable que la vie ne puisse pas être comme elle l'était dans Jules
- 137et Jim, comme un art perpétuel. [...] Catherine croyait et se comportait dans l'absolu. [...] Cela ne m'arriva jamais de juger moralement Catherine ou l'intrigue de Jules et Jim, chacun me semblait beau, comme un idéal triomphant, bien que terrible, et cela suffisait. Je ne savais pas que dans la plupart des pays le film avait été condamné par la Légion de Décence, en raison du fait que l'histoire se déroulait "dans un contexte étranger au monde Chrétien et à la morale naturelle traditionnelle", que des critiques comme Stanley Kauffmann avaient qualifié Catherine de "psychopathe", et le film d'exercice d'une "régression psychiatrique". Même Pauline Kael, qui avait approuvé le film avec enthousiasme, était occupée à psychanalyser Catherine, comme une apparition du personnage libéré du XXème siècle, qui abuse de sa liberté et devient "moralement folle" quand elle doit se dérober face à ses désirs égoïstes. J'avoue que ces accusations n'auraient pas eu beaucoup de sens pour moi, pas plus que si quelqu'un m'avait informé que Cléopâtre de Shakespeare était purement et simplement une nymphomane ou que Madame Bovary aurait mieux fait de rester à la maison." (11-
12/1992, pp. 28-30).
"Il faut arriver à rendre naturel ce qui peut sembler exceptionnel. Il faut que les gens n'aient plus envie de juger les personnages selon leur morale." soulignait Truffaut (cité dans Anne Gillain, Le Cinéma selon François Truffaut, Flammarion, p. 135). L'influence de l' "intentio operis" sur
l' "intentio spectatoris" est donc ici très caractéristique. L'impact de la norme esthétique ainsi modifiée se traduit par le fait que le public perçoit comme désuêtes ou banales les expériences préexistantes, qu'il s'agisse d'expériences cinématographiques ou plus largement d'expériences de la vie quotidienne. La question est alors de savoir à quelles conventions américaines le cinéma de Truffaut s'oppose et de quelle façon le contexte social se greffe sur cette controverse.
- 138Si Jules et Jim nous met sur la voie, c'est la réception de
Tirez Sur le pianiste, second film de Truffaut mais distribué aux États-Unis la même année, en 1962, qui répond plus directement à la question. Le thème du film pouvant susciter des références à un genre cinématographique - le thriller ou le film noir -, la controverse s'avère plus vive. Le mélange des genres est particulièrement déroutant : "Le second film est fait avec la même liberté et qualité inventive. Mais, avec des héros adultes, l'intrigue est moins claire et a une tendance à contourner sa ligne thématique, à aller aussi dans trop de directions et d'humeurs. Truffaut continue d'afficher quand même un flair visuel exceptionnel." (Variety, 31/08/1960, p. 6). "Des petits incidents et des potins de conversations fascinants, mais souvent,
en apparence,
sans relation avec
l'histoire, surgissent." (Toronto Daily Star, 06/04/1961). Surtout, l'héroïsme,
la au
conception dynamisme,
du voire
hollywoodiens :
personnage à l'artificialité
s'oppose des
à
héros
"C'est un ancien grand pianiste de concert, émotionnellement paralysé depuis le suicide de sa femme. Il est comme un clochard et n'a pas la volonté de combattre
son passé. seulement
Charlie
semble,
a été si blessé qu'il semble, être immunisé
contre
mais
les sentiments.
Son handicap est une incapacité à exprimer ses émotions, une cruauté involontaire" (Toronto Daily Sfar, 06/04/1961).
L'identification avec un tel anti-héros n'est pas aisée pour le public américain, qui est confronté à un bouleversement de ses codes habituels : "Un héros qui chute dans la défaite génère un intérêt dramatique : mais le pianiste sembl e se vautrer dans la complaisance de son propre désespoir, comme si il était obsédé par le passé encore et encor e." (Time, 08/03/1962, p. 36).
- 139-
D'autres critiques sont par contre parfaitement réceptifs à l'originalité du film, qu'ils trouvent attrayant justement parce qu'il rejette les clichés habituels : "Tirez sur le pianiste est à la fois nihiliste dans son attitude et, en même temps, dans sa présence et dans sa bonne humeur, totalement impliqué dans la vie et le divertissement." note Pauline Kael (Film Culture,
hiver 1962, p. 14). L'origine de la réflexion n'est pas un hasard. Outre l'identité de la critique, Pauline Kael (nous avons précédemment souligné le rôle de Pauline Kael dans l'introduction de la Nouvelle Vague aux États-Unis), la revue cinématographique Film Culture joua également un rôle nonnégligeable. Fondée à New York en 1955, elle fut très liée au
cinéma indépendant américain et devint rapidement le meilleur soutien critique de l'avant-garde américaine. En 1959, quand Jonas Mekas lance l'opération "New American Cinema", la revue
devient
militante,
soutenant
notamment
Vague, justement dans la perspective indépendant, différent, voire nihilistel01 :
la Nouvelle
d'un
cinéma
"Dans le style de Truffaut, 1l y a tellement de plaisir de la vie que le solitaire et désabusé petit pianiste, le sardonique petit homme qui fait fi de l'expérience, est luimême un beau personnage. Cette beauté est un hommage à l'expérience humaine, même si l'homme est si blessé et en échec qu'il peut seulement nier l'expérience. Le nihilisme du personnage - et le nihilisme anarchique du style du cinéaste - a conduit les critiques à qualifier le film de farce surréaliste ; mais le film n'est pas qu'étrange. Il possède tout simplement un style indépendant." affirme Pauline Kael (Film Culture, hiver 1962, p. 14).
L'oeuvre n'est assimilable que grâce à la présence d'une certaine réceptivité de la critique. Dans son Esfhétique de la réception (Gallimard, 1978, p. 55), Jauss affirme : "Il y a des oeuvres qui n'ont encore de rapport avec aucun public défini lors de leur apparition, mais bouleversent si totalement l'horizon familier de l'attente que leur public ne peut se
-1ADE constituer que progressivement." Or, si cette constatation s'appliquerait, au moins partiellement, à l'exploitation commerciale des films de Truffaut, elle ne correspond pas à sa réception critique américaine dans la mesure où l'adhésion à l'oeuvre du cinéaste fut souvent immédiate. C'est donc, si l'on suit Jauss, que les premiers films de Truffaut ne rompent pas totalement avec l'attente du critique américain - public cultivé et donc plus ouvert aux mutations - dans la mesure où des phénomènes culturels, naissants aux États-Unis, peuvent créer une réceptivité à l'oeuvre de François Truffaut. Dans Tirez sur le pianiste, Truffaut propose la vision sociale d'un anti-héros, approche qui fait écho au malaise naissant dans la société américaine. Ainsi, dans l'article suivant, Pauline Kael marque la différence culturelle entre la tradition du héros américain et l'approche que propose un film comme Jirez sur le pianiste. La critique participe d'un contexte culturel qui rejette le héros type, la conception américaine du gangster et du justicier. Ce rejet repose notamment sur la constatation d'un décalage avec la réalité, la nature humaine et l' "absurdité" du monde Une correspondance s'instaure donc entre la Nouvelle Vague (et les films de Truffaut en particulier) et les réactions des milieux intellectuels américains : "Peut-être qu'un des problèmes que le public et les critiques américains doivent avoir avec Tirez sur le pianiste est un élément particulièrement améric ain, qui concerne le traitement romantique de l'homme solitaire. Pendant des décennies, nos films étaient pleins de ces Bangsters exilés, détectives, Cyniques. Bogart incarna tous ceux-là, tous les hommes qui ont été brisés par une femme Ou trahis par leurs amis et qui ne font plus confiance à personne. Et, bien que je pense que beaucoup d'entre nous aiment ce traitement romantique de l'homme au-dessus de la loi, nous le rejetons intellectuellement. Et, maintenant, voici que cela est inspiré par nos films, et que cela nous revient de la France. L'héroïne de Tirez sur le pianiste dit du héros : "Même quand il est avec quelqu 'un, il est
1418 solitaire." Mais ce héros français porte son isolement plus loin que les anciens héros américains ; quand son amie se bat pour lui et qu'il est amené à intervenir, il se dit à luimême : "Tu es en dehors de ça, laisse-les se battre là-bas." Il est entraîné dedans, mais ici le héros américain, aussitôt incité à s'avancer, est un homme différent et, par amour ou
patriotisme
ou
par
sens
du
fair-play,
il aurait
pris
l'initiative, sauvé son amie et vaincu tous les problèmes. Le
héros français agit simplement dans une situation donnée quand il doit le faire, et quand il peut assumer les conséquences. Il considère que le contact avec les gens est constamment un échec. Il ne croit plus vraiment en rien. Le héros américain, comme cela. [...]
lui, prétendait seulement qu'il était
Tirez sur le pianiste traite d'un personnage
passif,
mélancolique. Les gangsters sont des clowns. Nos réactions se concentrent sur le monde d'absurdité qui est tellement comme notre propre monde, dans lequel les gens se transforment soudainement et de façon inattendue en clowns. Mais, au centre, figure un sentimentaliste et je pense qu'il n'y a aucun doute que Truffaut aime son héros sentimental." écrit Pauline Kael (Film Culture, hiver 1962,
p. 16).
Ce type de constatation résulte d'échos sociaux. L'argumentation critique plus ouvertement sociale, voire politique, apparaît justement vers 1962, au moment où les espoirs de pacifisme et de justice sociale sont déçus aux EtatsUnis. Cet état d'esprit a influencé la réception américaine du film et est à l'origine des différences entre l'accueil français et américain : "Dans mon second film, Zirez sur la pianiste, le ton du film ne fut pas compris. Il fut finalement mieux compris ici [en Amérique] que là-bas [en France] ; il fut bien mieux compris par les étrangers, et par l'Amérique du Nord notamment." souligne Truffaut (American Film, 05/1976, p. 31).
. La meilleure compréhension de Tirez sur le pianiste aux États-Unis participe de tout un climat social favorable au film
214284 français. Il existe une réceptivité accrue à la subversion, présente notamment chez les intellectuels et directement nourrie par le malaise social naissant. Finalement, malgré l'importance des références conventionnelles dans la culture américaine, le film adhère et correspond à toute une frange de la population qui commence à refuser le modèle américain et dénonce la violence sociale et les désillusions politiques : "Il existe une peur généralisée d'une propagation d'un cancer au coeur de la société que la jeunesse doit rencontrer afin de comprendre la nature de la réalité, mais ne peut pas vraiment espérer comprendre. Ces jeunes ne veulent pas atteindre la connaissance de la réalité parce qu'ils se sentent impuissants à changer leur destin. Ce sentiment de paralysie fait que le monde semble futile, tous les désirs sont fugaces, toutes les prises de consciences réelles et les sentiments détruisent l'individu. [...] L'espoir de l'individu est mort. Une des réactions à cette anxiété et frustration sociale omniprésentes est une profonde dépression, une imagination suicidaire et une rupture, un état de manque schizophrénique. La puissance de Truffaut réunit toutes ces éventualités ensemble dans son étude psychologique brillamment réalisée, Tirez sur le pianiste. Un pianiste de concert, joué avec un brio énigmatique et hautement à contre-courant, change son identité, au sommet de son succès. Le trop expérimenté, le petit garçon triste des Quatre Cents coups est finalement mort dans son enfermement et sa désillusion. Le héros du film de Truffaut est conquis par le désespoir, il devient un être vidé." écrit Joan Fox (Canadian Art, 07-08/1962, pp. 304-305).
À partir de la réception de Tirez sur le Pianiste, dès 1962, les échos sociaux sont développés par les critiques et iront croissant au fil des années soixante. L'introduction de François
Truffaut
aux
Etats-Unis,
notamment
à travers
ses
trois
premiers films, est incontestablement influ encée par les phénomènes sociologiques américains des années soixante. Ces années voient le développement des "beat niks" puis des "hippies", qui n'acceptent pas la civilisation moderne et se
Ado ruent vers l'Ouest. L'intérêt national, notamment par goût du scandale, se concentre sur ces jeunes, en particulier sur les JD. ("Juvenile Delinquant"). D'ailleurs, c'est bien dans cet esprit que Truffaut est qualifié, par Film Quarterly, d' "exTU "Truffaut est un ex-J.D., un pauvre gamin avec l'énergie et la capacité d'un pauvre gamin à faire un pied de nez, à rire et à souffrir simultanément. Il est aussi un intellectuel français - une race spéciale éduquée au cours des siècles pour mépriser la sentimentalité. Toutes ces qualités sont présentes dans ses trois longs métrages, et elles alimentent la tension dramatique du grand art" (printemps 1963, p. 4).
Les correspondances entre l'oeuvre de Truffaut et la société américaine se développent avec le malaise social grandissant et notamment avec le syndrome vietnamien. Ce premier chapitre nous montre donc que l'introduction de Truffaut aux États-Unis a clairement été favorisée par le climat de l'époque, marqué par des mutations sociales, culturelles et politiques. Mais quels événements précis du contexte américain ont été particulièrement influents, y compris dans la réception des années soixante-dix. De quelle façon les interrogations existentielles, les remises en question des références morales, les contestations socio-politiques et le syndrome vietnamien représentent-ils une “infentio spectatoris" particulièrement influente dans les jugements critiques sur l'oeuvre de Truffaut ?
"AA -2.2- Autour du syndrome vietnamien
- 2.2.1 - Le rôle décisif de la guerre du Viêtnam dans les contestations sociales des années soixante et soixante-dix
En dépit des efforts déployés par Kennedy et Johnson, les années soixante furent des années de rêve brisé, jalonnées par les assassinats politiques, l'engagement au Viétnam ainsi que la contestation de l' "american way of life"102 Le premier grand choc fut incontestablement l'assassinat de Kennedy. Par la suite, l'engagement américain au Viétnam conduit à l'escalade et à l'enlisement dans une guerre coûteuse en dollars et en vies humaines, sans perspective d'issue victorieuse. Elle remet en cause les réformes sociales à l'intérieur et discrédite les États-Unis à l'extérieur. Le Viêtnam a profondément marqué les esprits américains et laissé un profond malaise. Une part croissante de l'opinion américaine refuse la guerre : libéraux, pacifistes et jeunes. Persuadés de l'innocence de la diplomatie américaine, les Américains découvrent en fait des atrocités perpétrées par leurs militaires, ce qui les conduit à s'interroger sur leurs valeurs politiques, sociales et morales. D'où la naissance d'une démoralisation croissante et des différents mouvements contestataires des années soixante. La contestation de l' "american way of life" symbo lise l'Amérique divisée, de plus en plus visible dans la seconde moitié des années soixante. Au début, à partir de 1961, il
s'agit surtout du problème noir, qui prend une violence nouvelle. Les noirs manifestent contre la ségrégatio n. À partir
de
1964,
les émeutes
se succèdent
dans
de nombreuses
grandes villes américaines. Puis, la contestation devient le fait des jeunes en général, qui, dans les universités, prennent conscience des limites et des échecs du modèle américain. Elle
revêt d'abord des aspects violents, puis s'exp rime dans la
TA montée du mouvement hippy et de la "“contre-culture californienne", une des formes contestataires majeures des années soixante. Les jeunes contestent le "Welfare System", le système universitaire et l'impérialisme, d'autant plus qu'ils sont déçus par l'échec des Démocrates. De façon générale, les jeunes contestent l'ensemble de la culture dominante : la société de la génération précédente, la morale sexuelle, l'éthique du travail, la société de consommation, la science et la technologie moderne. Vers la fin des années soixante, se développe le mouvement hippy qui sera à l'origine de plusieurs bouleversements sociaux et éthiques importants. Celui-ci est aussi la conséquence de la vague de conformisme provoquée par la guerre froide, de la guerre du Viêtnam et des problèmes sociaux. Nés en Californie vers 1968, les hippies s'opposent à l'Establishment et aux valeurs rationnelles des middle classes. Dans les années soixante-dix, le mouvement contestataire s'essouffle, absorbé par le "consumerism" (ou "Naderism") ou par l'Establishment qui a annihilé ses grandes revendications en y répondant. La situation économique américaine s'améliore à partir de 1971. Néanmoins, en 1972, débute l'affaire du Watergate, noyau de scandales politiques, qui démontre la corruption des milieux gouvernementaux,
implique la Maison Blanche et contraint le président Nixon à la démission en 1974. La thèse de ce chapitre, axé sur l'introduction de Truffaut aux États-Unis dans les années soixante, repose justement sur l'influence réelle du contexte américain. Affirmer que l'intérêt des Américains pour l'oeuvre de Truffaut a été largement accentué par le syndrome vietnamien est peut-être une thèse surprenante mais est loin d'être absurde. Le premier argument réside dans la place déterminante que tient la guerre du Viêtnam dans l'atmosphère des années soixante et soixante-dix aux États-Unis.
- 146Viêtnam. Voici lâché le mot-réflexe, le mot-souffrance, le
mot-poison. "Le malaise hérité de cette guerre est encore très présent" remarque Helmut Sonnenfeldt, ancien bras droit de Henry Kissinger et conseiller écouté du secrétaire d'Etat George Shultz. "N'oublions pas, ajoute-t-il, que des millions d'hommes y ont participé. Et le traumatisme majeur, pour nous, Américains, c'est que cette guerre est très difficile à appréhender en termes moraux de bien et de mal" rapporte Jérôme Dumoulin en 1983 ("États-Unis : la puissance et le doute", Les Cahiers de l'Express, p. 51). L'obsession vietnamienne est d'abord une réalité sociale : "La réalité à Los Angeles, se rencontre à Palisades
Park, face à l'océan. Là se retrouvent les clochards du Viêtnam, les soldats perdus, les héros secoués. Une bouteille de mauvais vin dans la main, ils s'assomment
avec assiduité. "On oublie trop souvent les chiffres de la guerre", souligne Michael Ventura, 40 ans, ancien acteur
et critique de cinéma et de littérature du Los Angeles Weekly : "3 700 000 soldats américains sont allés au Viêtnam. Il y a eu 300 000 blessés, ce qui est peu. Et 50 000 morts, ce qui est très peu. Mais il y à eu également 60 000 suicides après la guerre, et 1 750 000 cas psychiatriques... Il n'y a pas un village d'Amérique qui n'ait
sa
dose
d'amertume."
(Forestier,
Français,
11/10/1985, cité dans "États-Unis : la puissance doute", Les Cahiers de l'Express, p. 90).
et le
La guerre du Viêtnam impose une approche moins manichéenne de la société, qui rompt avec les habit udes de la
morale américaine. Face à cette réalité sociale, les nombreux
films américains traitant du Viêtnam, expli citement ou implicitement, ne paraissent pas à la hauteur. Ils semblent trop dirigés par les clichés, les données manichéennes et dépourvus de subtilitél03, contrairement à la complexité et l'antihéroïsme véhiculés par le cinéma truffaldie n. Ainsi, le deuxième argument, qui justifie la relation entre le syndrome vietnamien et la réception de Truffaut, résid e dans l'oeuvre
22140 elle-même, dans l'"intentio operis". Là encore, le but est de
montrer comment l'effet de l'oeuvre présuppose une réceptivité du public, mais aussi une action de l'oeuvre. Notre démarche inclut donc l'analyse des oeuvres et non, uniquement, celle de leur production et de leur réception, traduisant ainsi "la dialectique concrète entre une époque qui produit un créateur qui, lui-même, lui impose un style et contribue ainsi à la dynamique sociale" (Bruno Péquignot, Pour une sociologie esthétique, 1993, p. 16).
À la base de l' "intentio operis" et avant toute oeuvre artistique, 1l existe un homme, une personnalité. Et cette personnalité, nullement apolitique, réagit aux problèmes socio-politiques. C'est là que l'on mesure d'abord l'antimanichéisme viscéral chez Truffaut. Sa position par rapport à la guerre du Viêtnam est aussi pertinente pour notre propos qu'elle est percutante : "Signer un texte pour demander aux Américains de rentrer chez eux, je ne peux pas le faire parce que je ne suis pas sûr qu'ils soient plus forts. [...] Il n'y à pas les brebis et les loups. Pour moi, ce sont les loups des deux côtés. [...] En ce qui concerne les Vietnamiens et les Vietcongs, j'aimerais qu'il y en eût pour dire : "Cela ne peut plus durer, il faut signer la paix", j'aimerais entendre parler de déserteurs Vietcongs, qu'il y en eût. Je n'aime pas l'idée d'un bloc solide, uni parce que ses habitants savent qu'ils ont raison. Je suis content qu'il y ait des déserteurs américains et aussi qu'il y ait en Amérique autant de manifestations contre la guerre, c'est bien. Mais, je n'admire pas que tout le monde soit du même avis de l'autre côté ; je trouve que le Nord-Viêtnam manque de traîtres ! Les tracts que je reçois disent qu'il faut témoigner notre amitié au peuple vietnamien. Il m'est impossible d'éprouver de l'amitié pour un peuple en bloc, impossible. Ce serait la même chose s'il s'agissait de témoigner de l'amitié aux déportés, non, non et non. L'amitié, ça marche avec les personnes, une par une, pas avec les groupes." (Le Nouvel Adam, Paris, 02/1968, pp. 30-31).
as Une telle interprétation socio-politique participe de l'ambivalence propre à la philosophie truffaldienne, susceptible d'interpeller les spectateurs américains. Premièrement, Truffaut rejette l'impérialisme américain, donc par là même son manichéisme et son "american way of life". Mais, surtout,
Truffaut demeure anti-manichéen dans la mesure où il n'adhère pas pour autant à la cause des Vietnamiens. En cela, il demeure indépendant et pousse encore plus loin le dépassement des idées établies et des modes. Helen Scott soulignait à ce propos : "Même à l'époque où j'étais engagée à gauche, je respectais le sentiment complètement personnel que portait François sur tel ou tel événement politique. Ainsi, alors que nous étions totalement opposés au sujet de la guerre du Viêtnam, j'étais troublée par la logique de ses arguments lorsqu'il me disait : "Pour moi, Johnson qui cherche à se retirer sans perdre la face n'est pas plus responsable de cette guerre que Ho-Chi-Minh qui déclare : "Nous nous battrons jusqu'au dernier homme". Qui sait si les Vietnamiens ne deviendront pas à leur tour des tyrans ?" [...] Il n'adhérait à aucun parti, organisation ou syndicat, préférant rester libre de prendre une position qui reflétait son propre jugement." ("Frank Truff et Scott l'intrépide", Le Roman de François Truffaut, p. 155).
- 2.2.2 - Le spectre vietnamien et la réception de Truffaut L'ambivalence constitue une approche artistique appréciée et mise en valeur par la critique américaine. Cette dernière est particulièrement sensible à la série des Doinel .
Dans les années soixante, l'étude de la distribution nous avait
révélé que les deux films qui connurent le plus de succès furent justement Les Quatre Cents coups et Baisers volés. L'Amour à vingt ans connut également une récept ion
-+1491: honorable. Ces films imposent des repères dans la réception de Truffaut et confèrent un style à son cinéma. "Antoine/Léaud était le perpétuel adolescent." (7he San Francisco Chronicle, 26/05/1985, p. 24) ; "François Truffaut est connu aux U.S.A. pour ses merveilleux autoportraits de la jeunesse et de la quête de maturité" (U.S.A. Today, 05/1984, p.95).
L'intérêt de la critique américaine pour les films sur Antoine Doinel est particulièrement révélateur de l'engouement américain pour Truffaut, fondé sur une définition différente du héros cinématographique. Premièrement, la part autobiographique dans l'élaboration du personnage représente une garantie importante d'authenticité. Ainsi, dans la revue cinématographique canadienne anglophone, Take One, James Monacol04 souligne : "Un des aspects les plus fascinants de son oeuvre est la relation entre les deux : où est-ce que le personnage finit et où est-ce que la personnalité commence ?" (10/1976, p. 19). A cette part autobiographique est systématiquement associé le fait que Doinel/Léaud soit mis en scène dans un cycle : "Les relations entre François Truffaut et l'acteur JeanPierre Léaud sont uniques dans l'histoire du cinéma, dans la mesure où ils créèrent un personnage cinématographique, Antoine Doinel, qui, pendant deux décennies, a littéralement grandi devant les yeux du public" (The San Francisco Chronicle, 26/05/1985, p. 24). Cette réflexion intervient bien avant la fin du cycle, souvent dès la sortie de Baisers volés. Et, le fait que des journaux très influents comme le New York Times, au travers de la voix de Vincent Canby, aient apporté un soutien inconditionnel au cycle Doinel, alors même qu'il était très controversé en France, constitua un atout considérable : moins
"Le cycle des films d'Antoine Doinel n'est rien qu'unique ; c'est une collaboration du même
- 150scénariste-cinéaste (Truffaut), acteur (Léaud) et personnage (Antoine) pendant une période de douze ans qui fut cruciale dans le développement émotionnel, artistique et même physique de Léaud. [...] Antoine Doinel a littéralement grandi sur l'écran devant nous. Son caractère, selon Truffaut, a été modelé par Antoine autant que par Truffaut." (New York Times, 24/01/1971. p. 1).
Le fait que le personnage d'Antoine Doinel soit mis en scène sur plusieurs films et que l'histoire du personnage , ainsi poursuivie, évoque l'idée de série, de feuilleton consti tue un cadre particulièrement mobilisateur pour le spectateur américain. C'est à partir de tels repères rassurants que le public américain peut adhérer à la représentation quelque peu inhabituelle de l'anti-héros (confer les héros classiques hollywoodiens et les clichés machistes qu'ils véhiculent souvent). La spécificité du trio Doinel/Léaud/Tr uffaut est contenue dans un cadre de plus en plus connu et donc sécurisant. L'effet-série Programme chez le public une réceptivité par anticipation qui fidélise les specta teurs. Comme le souligne Pierre Sorlin, les séries filmées ont "un effet cumulatif : la reprise d'un personnage, d'un sujet, d'une situation [..] [qui] produit chez eux un phénomène d'accoutumance. [...] Le plaisir provoqué par la répétition explique, en partie, le succès de certains films ou de certaines séries" (Sociologie du cinéma, Aubier, 1977, p. 125). Pour repre
ndre les termes de Christian Metz (Lang age et cinéma, Larousse, 1971), l'adhésion du public américain repose donc sur l'association d'une double "réceptivité ", la "réceptivité selon le contexte cinématographique de l'oeuvre" (contestation de l'american way of life, essor des nouvelles vagues artistiques, etc.) et la "réceptivité filmique" (l'oeuvre propr
ement dite : effet-série).
Le cadre sécurisant de l'effet-série s'él argit dans la mesure où l'acteur Jean-Pierre Léaud est étro itement lié au repère plus large de la Nouvelle Vague :
- 151-
"Jean-Pierre Léaud est célèbre pour son travail avec Truffaut dans les films d'Antoine Doinel, et durant toutes les années soixante, il a été étroitement identifié à la Nouvelle Vague : en premier Truffaut, puis Godard, puis Rivette. Au début des années soixante-dix, cependant, il a entrepris d'élargir son choix, mais il joua en fait des rôles qui étaient de diverses manières des commentaires sur ou des parodies du personnage Nouvelle Vague" souligne James Monaco (Take One, 10/1976, p. 17).
Jean-Pierre Léaud représente "la figure de proue" de la Nouvelle Vague, il est intimement lié à "la théorie de l'auteur". "Comme Truffaut, il est un homo cinematicus." Son jeu est . "entièrement intuitif" et "son caractère [...] n'est pas différent des rôles qu'il a joués" ; "Il ne joue pas, il est" note James Monaco.l05 Ce sont autant de liens et d'unités rassurantes pour le spectateur américain qui permettent d'appréhender une conception spécifique du personnage à partir d'un sens attendu ou préexistant. Jean-Pierre Léaud remet en cause la définition du bon et célèbre comédien américain, forcément héroïque. Ainsi, pour L'Amour à vingt ans, James Powers note que "la plupart des noms d'acteurs ne signifient pas grand chose pour le public américain, mais ce ne sont pas les noms qui importent beaucoup ou qui déterminent le sens dans ce genre d'entreprise." (The Hollywood Reporter, 10/04/1963). Truffaut lui-même avait particulièrement bien compris à partir de quelle subversion s'élaborait l'identification à Léaud/Doinel. "Jean-Pierre Léaud est un acteur anti-héros et ressemble à Antoine. Comme lui, c'est un garçon trop anxieux pour profiter du moment présent, il n'a rien d'intellectuel, mais il s'exalte, se passionne. Quand je séjourne en Amérique, on me pose constamment des questions sur Jean-Pierre Léaud. Je crois que les jeunes Américains l'aiment, parce qu'il est le non-
1522
macho, le contraire de Clint Eastwood ou de John Wayne." souligne Truffaut (Le Soleil, 22/02/1979, p. C9).
Le personnage de Léaud représente l'immaturité et le rejet de l'univers adulte. Doinel, c'est l'éternel adolescent qui vit de boulots marginaux et qui ne parvient pas à assumer les réalités de la vie. Doinel, c'est aussi l'exubérance, l'inattention. C'est à ce niveau-là, c'est-à-dire au niveau d'une rupture avec les normes de la culture et du cinéma américains, que naît la controverse autour du personnage, l'intérêt mais aussi le rejet. En effet, la popularité d'un artiste ne se mesure pas uniquement au degré d'admiration qu'il peut susciter en entérinant les normes acquises, mais aussi à sa capacité à déranger et à engendrer une polémique en subvertissant le réel. Un parfait exemple existe dans l'opposition qui s'est
développée
dans
les années
soixante
entre
Pauline
Kael
Andrew Sarris d'une part et John Simon d'autre part. John Simon rejetait en effet le personnage de Doinel et surtout l'acteur Jean-Pierre Léaud : "François Truffaut pense que Jean-Pierre Léaud est "l'acteur le plus intéressant de sa génération". John Simon,
d'autre part, le nomme
"un éternel immature, qui ennuie
les foules". Le travail de Léaud n'a jamais été particulièrement bien apprécié hors de F rance (c'est ce que l'attestation de Simon démontre carrém ent). Il n'est certainement pas une star au box-office aussitôt rentable, du même genre que Jean-Paul Belmondo ou Alain Delon. Néanmoins, durant ces quelques prochaines années, il se peut qu'il devienne beaucoup plus éviden t que Truffaut est plus perspicace que Simon et que Léaud, qui a été un acteur/cinéaste engagé depuis dix-sept ans maintenant, a pendant ce temps soigneusement et discr ètement développé un personnage qui est particulièrement bien adapté aux année s
soixante-dix"
10/1976, p. 17).
John
Simon
est
écrit James
confronté,
Monaco
avant
(Take
toute
One,
référence Cinématographique, à une vision sociolog ique différente. La
- 153-
combinaison Léaud/Doinel/Truffaut véhicule un mode de vie déroutant pour un Américain. Néanmoins, le personnage que symbolise Léaud - Antoine Doinel - séduit également une partie du public américain, sensibilisé par le malaise social et en particulier par le syndrome vietnamien, "difficile à appréhender en termes moraux de bien et de mal" pour reprendre les propos d'Helmut Sonnenfeldt. Cinématographiquement parlant, les films de Truffaut s'opposent donc aux oeuvres américaines, que les spectateurs, aidés par le contexte social, commencent à juger trop manichéennes et codifiées. "Jean-Pierre Léaud [...] donna un point de vue inhabituel de la vie moderne." (American Film,
05/1976, p. 33). Si la spécificité de Léaud/Doinel est marquée par rapport à des références cinématographiques comme Bogart ou Belmondo, c'est justement sur la base de l'identification à une évolution sociale, souvent difficilement
cernable pour les critiques américains : "Pendant que Belmondo a continué à jouer des douzaines de variations rentables sur ce thème d'Humphrey Bogart (qui a certainement créé les personnages les plus complexes d'Hollywood), Léaud, qui a littéralement grandi dans les films, a développé une image plus retentissante, moderne et significative. Quel autre acteur capte aussi bien la curieuse situation des gens d'aujourd'hui qui entament la trentaine ?" note James Monaco (Take One, 10/1976, p. 19).
Une génération d'Américains s'identifie ainsi aux films de Léaud, notamment par le biais de l'évolution sexuelle que les films nationaux évoquent moins naturellement. Marquant l'ambivalence du mythe Doinel, située dans l'esprit des contestations de l' "american way of life", James Monaco souligne : "Nous pouvons continuer à supposer que Léaud illustrera avec subtilité et un charme très brutal et naturel les progrès des "enfants de Marx et Coca-Cola", dans leur approche de l'âge moyen." (Zake One, 10/1976, p. 19). Cette
: 1548 affirmation marque toute la pertinence du personnage de Léaud/Doinel par rapport à la société moderne. Elle témoigne aussi du rôle qu'il a tenu dans le coeur des cinéphiles américains,
à
tous
les
niveaux
de
l'identification,
cinématographique mais aussi sociale et politique.
La critique américaine a véritablement reconnu Jean-Pierre Léaud comme un des acteurs les plus importants de sa génération. Ce succès fut donc conforté par le fait que le public cinéphile se jugeait médiocrement servie par les films américains des années soixante et du début des années
soixante-dix. Ainsi, tout en saluant la fascination de Truffaut
pour certains films américains, la critique se concentra surtout sur la spécificité du cinéaste, au travers de sa perspicace vision sociale. Elle fut particulièrement sensible au fait que Léaud soit fréquemment impliqué dans des relations triangulaires qui soulignent et élucident l'univers du changement moral et sexuel de sa génération. Dans tous ses rôles majeurs , Léaud développe des personnages qui furent essentiellemen t perçus comme les produits d'un intérêt obsessionnel pour les nouvelles politiques sexuelles : "Très peu de films américains durant les années soixante devinrent vraiment proches des problèmes
épineux de la sexualité moderne, de ce fait, le talent de
Léaud semble même plus rare et plus préci eux d'un point de vue américain. De la même façon que Bogart avait résumé l'expérience de la plupart d'entr e nous qui étions jeunes dans les années quarante, Léaud nous a aidé à comprendre les vies des jeunes dans les années soixante, Comme Bogart, il a aussi fourni un modèle ironique que les spectateurs de ses films identifient immédiatement et qu'ils peuvent utiliser presque théra peutiquement à l'intérieur de leur Propre vie. L'ironie tranquille et présomptueuse de Bogart est une Compo sante très attractive de son personnage. De même, les protestations maniaques et maladroites de Léaud, mais qui sont des réactions profondes, des sentiments de doule ur et d'amour, nous fournissent des armes que nous pouvons utiliser pour combattre la douleur et l'absurdité de nos propres vies.
- 155Beaucoup plus que n'importe quel acteur des années soixante, Léaud a symbolisé la génération qui est selon Godard, "les enfants de Marx et de Coca-Cola." [...]
Avec tous ses personnages, Léaud a créé un subtil et multiple personnage, qui explique beaucoup sa génération. Dans sa compréhension de ce sujet, il est presque seul parmi les acteurs : c'est triste à dire. Il représente pour beaucoup d'entre nous l'acteur comme substitut, non pas la représentation de toute une galerie de protagonistes étranges, distants et objectifs, mais plutôt consciemment et régulièrement, une illustration de nos propres gravités subjectives, en soutenant le miroir analytique de nos propres natures. C'est vraiment une oeuvre utile et intéressante." (Take One, 10/1976, pp. 19-20).
À la question du Nouvel Observateur : "Pourquoi les Américains vous aiment-ils tellement ?", Truffaut répondit : "D'abord, ils ne m'aiment pas toujours. Et, s'ils m'aiment, c'est peut-être parce que le public des campus en a un jeu assez des héros hollywoodiens ; parce que des types comme Antoine
Doinel,
si démunis
devant
la vie,
ressemblent
secrètement à certains Américains de l'après-Viêtnam, paumés et fragiles." (Le Nouvel Observateur, 05/08/1983, p. 61). Antoine Doinel apparaît décalé, premièrement par rapport aux normes de la maturité, de l'âge adulte. Le J'me note par exemple que "Baisers volés est un souvenir t'ès attirant de l'adolescence qui commence avec un enchantement de jeunesse et finit avec la promesse d'une maturité mélancolique." (21/03/1969, p. 97). Deuxièmement, et c'est l'élément le plus intimement lié aux obsessions américaines, Antoine Doinel est décalé par rapport aux normes sociales. Le Boston Globe souligne que "Doinel, alter-ego cinématographique créé par Truffaut, joué par Jean-Pierre Léaud, est un doux anti-héros qui semble perdu et un peu désorienté au sein des habitudes contemporaines. Il n'a pas beaucoup de substituts dans le film contemporain et dans les fictions." (23/10/1984, p. 2). "L'univers viril et musclé me fait
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sourire, je n'y crois pas. [...] J'ai de l'intérêt pour les gens qui vibrent, qui doutent, qui se trompent, qui sont inquiets, qui cherchent. Je ne m'intéresse pas aux gens qui savent et qui manifestent leur force." ("Radioscopie", France Inter. 1975): Doinel est décalé, détaché. Se détacher. voilà un mot très
significatif de l'époque. Il caractérise l'état d'esprit des "beat" ou des "hip", ceux qui contestent et qui veulent se détacher
du mode de vie dominant, du matérialisme. Etre détaché, c'est
avoir une attitude particulière que l'on retrouve par exemple dans le grand succès au cinéma de Marlon Brando et surtout de James Dean. Ceux-ci symbolisent l'émotion contenue et la souplesse du déplacement de l'acteur, qui laissent soudain éclater les passions intériorisées avec une grande violence. Il ne fait aucun doute que les changements présents dans l'Amérique des années cinquante et soixante ont créé un climat très favorable à la réception initiale de Truffaut aux EtatsUnis. Comme le soulignait François Truffaut en utilisant le terme de "campus", les critiques universitaires sont parti culièrement réceptives à l'anti-conformisme du cycle Doinel. Les milieux universitaires sont d'ordinaire plus facilement contestataires ; cest en tout cas un fait incontestable des universités américaines dans les années soixante et soixante-dix. N'oublions pas que les contestations sociales et intellectuelles, celles de l' "american way of life" notamment, sont nées dans les universités. Par exemple, dans la revue de l'Université de Berkeley (Californie), Gary Carey début e son article en soulignant que "dans beaucoup de ses détail s, Baisers volés est charmant, justement parce qu'il est rempli d'observations désabusées et de Coups acérés, d'un humour inattendu et ironique. [...] Plusieurs personnes avec lesquelles j'ai parlé ont reconnu le défaut majeur de Baïsers volés, mais continuent d'admirer le film uniquement parce qu' "il montre que rien ne peut vraiment arriver à Antoine", qu'il demeure impuissant et
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démuni par rapport aux événements positifs ou négatifs de la vie." (Film Quarterly, été 1969, pp. 56 et 59). Justement, l'Université de Berkeley a été une pionnière dans les mouvements étudiants : révoltes en septembre 1964 contre le système universitaire,
avant les manifestations
du
printemps 1965 dans les universités et de 1967 contre la politique américaine. Berkeley est aussi un responsable majeur de la radicalisation du mouvement à la fin des années soixante,
de la série d'actions révolutionnaires dans les universités qui furent alimentées par le conflit vietnamien. Le contenu et la date de l'article précédent ne sont donc pas surprenants dans un tel contexte de contestation de l' "american way of life". D'où le lien avec le personnage Doinel/Léaud/Truffaut et par . extension avec le style Nouvelle Vague. "Le plus important sont les formidables et grands changements qui sont intervenus dans les mentalités de cette génération. Les nouveaux styles de vie ont été institutionnalisés, et les gens ont été vulcanisés par les politiques des années interventionnistes - en Amérique, principalement le Viêtnam, mais en France, la révolution de 1968." écrit James Monaco
(Take One, 10/1976, p. 20).
L'importance de la réception du cycle Doinel est donc réelle car elle fonctionne comme un dispositif de lecture pour l'ensemble de l'oeuvre de Truffaut aux États-Unis. Le cycle Doinel devient un symbole de la stratégie de Truffaut. Arthur Cooper, critique à Newsweek, note en 1973, en plein syndrome vietnamien : "François Truffaut a toujours été fasciné par les victimes de la société et les vaincus" (Newsweek, 19/03/1973). L'influence du malaise social américain ne concerne pas seulement les films Doinel ou même ceux avec Jean-Pierre Léaud. Cette "“intentio spectatoris" régit la réception de nombreux autres films, ce qui prouve le rôle majeur des contestations non-violentes et du syndrome vietnamien en particulier.
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Ainsi, une critique relative à La Mariée était en noir montre à quel point le malaise socio-politique est influent, toujours prêt à induire une interprétation qui extériorise les obsessions américaines, tel que l'assassinat de Kennedy : "Certains spectateurs américains ont été frappés par une image de violence de ce dernier film : d'une fenêtre quelqu'un tire sur le jeune marié au sortir de l'église et cela a pu paraître une allusion aux circonstances dans lesquelles a été assassiné le président Kennedy. Il n'y a vraiment aucun rapport, nous dit François Truffaut. Comme tout le reste du scénario, cette scène a été tirée du roman de William Irish qui date de 1942." (France-Amérique, 11/07/1968). Cette interprétation montre à quel point "les gens sont extrêmement sensibles à ce qu'ils connaissent et se fixent sur des points minuscules quand il s'agit d'un domaine qui leur est familier", comme le souligne Pierre Sorlin (Sociologie du cinéma, Aubier, 1977, p. 36). La réception d'une oeuvre résulte en effet d'un processus de sélection puis de réinterprétation, qui s'effectue en fonction de la compatibilité avec le système culturel de la société réceptrice et qui donne lieu à l'attribution de significations différentes de celles que l'oeuvre avait dans sa culture d'origine ou dans l'esprit de son auteur.
Une interprétation similaire se retrouve explicitement dans la réception de Fahrenheit 451. Etant donné que l'histoire du film est sujette à des analyses politiques, les allusions directes au contexte américain et notamment au syndrome vietn amien ne sont pas rares. C'est le cas par exemple de la revue universitaire de Berkeley, Film Quarterly, univer sité dont nous avons souligné le rôle majeur dans l'élaboratio n du mouvement d'opposition à la guerre du Viétnam : "Il est surprenant, étant données les circo nstances, que nous sachions aussi peu de choses à propos de la psychologie de la Pyromanie institutionn alisée. Les pompiers de Fahrenheit 451 sont des incarnations d'hommes qui brûlent jes sorcières (Carl Dreyer : La Passion de Jeanne d'Arc, Jour de colère ), les croix (the
- 159KKK), les livres (les scènes réelles aux informations dans Jules et Jim), les Juifs (Alain Resnais : Nuit et Brouillard), sans oublier bien sûr l'incarnation des hommes avec du napalm et des lance-flammes en Corée et au Viêtnam." écrit Georges Bluestone (Film Quarterly, été 1967, p. 9).
La critique de Film Quarterly évoque plusieurs événements, dont la guerre du Viêtnam. Mais, tous (évocation des censures, du génocide juif, voire de la "chasse aux sorcières", du Ku Klux Klan, guerre de Corée et du Viêtnam) relèvent d'une même contestation pacifiste, anti-impérialiste et anti-raciste, qui caractérise le climat social et celui des campus notamment, dans l'Amérique de la fin des années soixante. 106 De même, on trouve dans une critique du Commonweal au sujet de Fahrenheit 451, une comparaison avec Big Brother, qui n'est pas sans rapport avec les contestations de l'impérialisme américain, à cette époque : "Les pompiers qui brûlent les livres, la télévision murale, la persécution des personnes qui lisent ou qui possèdent des livres, sont tous des symboles de Big Brother dans ce pays innommé. Mais Truffaut est intarissable sur les symboles, tous suffisamment terrifiants, dans des scènes
qui deviennent des /eifmotive. [...] Est-ce que les hommeslivres dans la forêt ne sont pas presque aussi apathiques dans leur étrange vie impassible que les non-penseurs de Big Brother dans leur routine ?" (Commonweal, 22/12/1966, pp. 260 et 262).
Le spectre vietnamien plane donc de façon déterminante dans la réception de Truffaut. En ce sens, le cinéma est bien un objet total, un excellent révélateur des dynamiques mais aussi des contradictions et des conflits qui traversent une époque. Néanmoins, il faut noter que l'influence du conflit vietnamien n'est pas du tout circonstancielle. On trouve le même type d'interprétations (problèmes de la jeunesse, attrait
- 160de la marginalité, de l'anti-héros, etc.) avant le début de la
guerre du Viêtnam, dès les premiers films de Truffaut (confer par exemple les critiques de Tirez sur le pianiste), et également bien après, dans les années soixante-dix et quatrevingt.
En effet, même une influence aussi déterminante que le syndrome vietnamien ne réduit pas la réception à un simple produit de son contexte. L'impact de l'oeuvre de Truffaut dans les années soixante et même soixante-dix s'appuie à la fois sur la réceptivité du public américain et sur l' "intentio operis" de Truffaut. Si l'on prend l'exemple de l'anti-héros, on peut dire que le public américain saisit là une réponse virtuelle de l'oeuvre de Truffaut et l'actualise en la reliant à une question qu'il se pose. "L'histoire ne dif rien, elle répond" affirme Jôrg Drews, théoricien allemand de la réception (Säddeutsche Zeitung, 10/05/1971). C'est dire si, contrairement à ce que l'on a pu affirmer sur le cinéaste, les oeuvres de Truffaut ne sont absolument pas déconnectées des réalités sociales et politiques, mais elles n'en sont pas non plus dépendantes.
Après nous être penchés sur l'influence du contexte socio-politique, nous détaillerons le rôle des référe nces artistiques américaines dans la réception de Truffaut dans les années soixante. En quoi certaines références littéra ires et cinématographiques américaines créent-elles une commu nauté d'esprit avec l'oeuvre de Truffaut et facilitent-elles l'assimilation des éléments déroutants ?
- 161-
-2.3-
L'identification à un art anti-conformiste
Le fait que la critique américaine ait été très sensible, et ceci de façon croissante dès le début des années soixante, à l'originalité du cinéma truffaldien, est lié au fait qu'elle y a trouvé des correspondances avec ses revendications sociales et artistiques. De nombreux films de la Nouvelle Vague furent montrés dans les "films societies", très en vogue dans les années soixante en particulier dans les universités nord-américaines. Truffaut devint un sujet d'étude particulièrement apprécié par les étudiants américains. 107 Cet intérêt universitaire et critique fut fortement motivé par l'adéquation entre l'oeuvre de Truffaut et toute une série de tentatives, d'expériences, de
créations artistiques anti-conventionnelles. Les mouvements sociaux des années soixante influencèrent profondément la littérature américaine, par exemple dans les recherches expérimentales fictionnelles (cas de la "nonfiction writing" avec Truman Capote et Norman Mailer). Il régnait dans la littérature américaine des années cinquante et soixante une sorte de bohémianisme. Les héros de Capote fuient le monde de la logique et du matérialisme. Ceux de McCullers évoluent aussi en dehors des habitudes, dans un monde de rêve où l'âge, la marginalité, l'incommunicabilité, les excluent. Le roman non-conformiste, qui se développe à partir des années cinquante, connaît une diffusion assez large. Une des figures majeures de ce mouvement est bien sûr Norman Mailer, qui prononce un discours violent lors du grand "sit-in" organisé par les étudiants de Berkeley à la fin de l'été 1965 (confer les romans de Mailer Le rêve américain et Pourquoi sommesnous au Viêtnam ?).
- 162-
- 2.3.1 - Le rôle des références littéraires
Les références littéraires qui ont jalonné, explicitement ou implicitement, la réception de François Truffaut dans les années soixante, ont joué un rôle déterminant dans le développement d'un "axe de lecture" particulier autour de l'oeuvre du cinéaste.
Parallèlement au développement du genre autobiographique, on assiste à une explosion de romans d'adolescence après la Deuxième Guerre mondiale. Avec les années soixante, l'adolescence devient un phénomène de mode,
un
modèle
de
vie
contestataire.
Les
romans
d'adolescence sont souvent écrits par de jeunes adultes et sont parfois autobiographiques (exemple de ceux de Mazo de la Roche ou ceux d'Anaïs Nin). Mais, contrairement à ceux des Romantiques, ceux des années cinquante et soixante n'idéalisent pas la jeunesse malgré l'effondrement des valeurs. Parallèlement, dans Les Quatre Cents coups, Truffaut rejette totalement le ton nostalgique associé à l'enfance. Il écrit : "Notre propos, dès le départ, fut de tracer le portrait d'un enfant qui ne serait ni un enfant malheureux ni un enfant gâté mais simplement un adolescent. [...] S'il y avait
une thèse dans notre film, ce serait celle-ci : l'adole scence
ne laisse un bon souvenir qu'aux adultes ayant mauvais e mémoire. À l'intérieur de cet âge difficile, la treiziè me année est celle de la poisse : découverte de l'injusti ce, premières curiosités sexuelles non satisfaites, désir trop précoce d'indépendance sociale et souvent désaffe ction familiale. [..] Ainsi, lorsque j'avais treize ans, j'étais extrêmement impatient de devenir un adulte afin de pouvoir commettre toutes sortes de fautes, impuném ent. Il me semblait que la vie d'un enfant ne fût constitu ée que de
délits et celles 03/06/1959),
d'un
adulte
d'accidents."
(Arts,
Paris,
- 163-
La production de romans et notamment d'excellents premiers livres s'accroît aux États-Unis. Dans les années cinquante, se développe le roman universitaire, qui prend pour thème la vie dans les campus. Parallèlement, on note un goût marqué pour les personnages faibles, les jeunes ou les adolescents, s'opposant ainsi au "touch guy" des années trente. Cette vision de l'adolescence s'oppose à la vision traditionnelle que l'on trouve par exemple dans les films hollywoodiens. Elle rejoint également l'approche truffaldienne de la jeunesse. Ainsi, l'{nternational Herald Tribune écrit à propos de L'Enfant sauvage : "Le prochain film de Monsieur Truffaut sera L'Enfant sauvage à propos d'un enfant de 11 ans. L'enfant ne sera pas un "moppet"108 dans le style hollywoodien. "Dans les films américains" dit-il "j'ai noté qu'il y a toujours un moment où l'enfant lève les yeux et dit "tu es le meilleur papa du monde". "Je ne sais ce que l'attrait de l'enfance signifie pour moi, mais c'est un attrait." dit-il.
"Peut-être parce que je ne me sens pas adulte. Les gens m'ont critiqué pour avoir transformé les hommes dans Fahrenheit 451 et La Peau douce en personnages enfantins.
Je
vois
les
hommes
comme
des
enfants,
justement comme les femmes le font, et les hommes n'aiment pas cela." " (27/02/1969).
De façon générale, l'adhésion aux films de Truffaut dans les années soixante repose sur le refus de l'artificialité et des compromissions, notamment illustré par l'opposition des générations. C'est une des raisons majeures du succès d'un écrivain comme Salinger qui construit L'Aftrape-coeur (1951) sur l'horreur de "l'inauthentique". Ce n'est pas du tout un hasard que le Time, du 08/03/1963, compare Truffaut à un "Gallic Salinger", c'est-à-dire à un Salinger français : "Il y a cinq épisodes dans L'Amour à vingt ans. [...] Le travail de Wajda est vif et sardonique, mais l'épisode français, dirigé par François Truffaut (Jules et Jim) fait que les trois autres
"164 semblent fades, fades, fades. Il est cruel, captivant, drôle. Il
est "vrai de vie" à un âge où la vie est "vraie d'art".109 I] est un Salinger français, le cas d'histoire d'un passage douloureux à l'âge adulte" La comparaison avec l'oeuvre, voire avec la personnalité de Salinger, n'est pas fortuite car on la retrouve dans d'autres critiques, y compris plusieurs années après la fin
de la carrière de l'écrivain. Ainsi, lors d'un "séminaire Truffaut" à l'American Film Institute, en 1976, Truffaut se
voit poser la question suivante : "Avec votre intérêt pour les films sur les enfants, avez-vous déjà pensé adapter L'Attrapecoeur de Salinger ?" (American Film, 05/1976, p. 34).110
La comparaison avec Salinger est née de celle entre Les Quatre Cents coups et L'Attrape-coeur. Le fait qu'elle perdure signifie que la correspondance n'est pas seulement circonstancielle, mais que le style de Salinger présente des similitudes avec celui de Truffaut. Salinger connut un succès considérable dans les années cinquante et soixante. L'Attr apeCoeur raconte l'errance d'un adolescent difficile pendan t trois jours dans New York. Ce roman a été l'un des plus grands succès de l'édition américaine. Salinger se concen tre sur le malaise de la jeunesse, ce qui crée des correspondan ces avec l'oeuvre de Truffaut. Ainsi, cette Comparaison partici pe de l'ensemble de la réception de Truffaut aux États-U nis, dans les années soixante et soixante-dix, axée sur la contestation du
modèle américain.
L'anti-conformisme artistique qui motive la comparaison entre Truffaut et Salinger correspond, de façon générale, aux nouveaux courants littéraires qui se développ ent à partir des années cinquante. Ainsi, la sortie des premiers films de Truffaut (et même, dans un premier temp s, la parution de ses articles) intervient dans un contexte littéraire marqué par l'avènement du Nouveau Roman. De surcroît, le Nouveau Roman interpelle les milieux intellectuels américains plus pour son
approche anti-conformiste formelles!1l :
que
pour
ses
recherches
- 165-
"La ligne directrice majeure de Truffaut se situe dans le thriller, l'histoire d'amour et l'étude de cas psychologiques s'envolant vers des tangentes sans rapport. De plus, Tirez sur le pianiste suggère que la Nouvelle Vague adopte sa propre logique de l'absurdité. Comme avec l'école Néo-réaliste de fiction française ou avec celle du Nouveau Roman, conduite par Alain Robbe-Grillet (Time, 20/07), la Nouvelle Vague a pour ambition de donner à l'objet son dû. Dans Tirez sur le pianiste, les choses sont vibrantes et presque indépendamment vivantes, et l'homme est devenu l'objet inanimé, sans vigueur." (Time, 08/03/1962, p. 36).
En proposant des correspondances entre ces expériences littéraires nouvelles et Truffaut, la critique américaine insère ces oeuvres dans un même "axe de lecture". Cette mise en perspective est particulièrement fréquente dans la critique américaine, en tous cas bien plus que dans la critique française. Cette dernière a peut-être recherché une autre forme de subtilité, toujours est-il que l'originalité de l'oeuvre truffaldienne y a été fortement sous-estimée. Dans Film Quarterly, Judith Shatnoff établit une comparaison, à mon sens remarquable, entre François Truffaut et Henry Miller. Cette comparaison témoigne bien de l'impact anti-conformiste que revêt l'oeuvre de Truffaut auprès des intellectuels américains : "Dans Tirez sur le pianiste, il Y a une référence désordonnée au destin, à la malédiction familiale à propos de Charlie et ses frères ; mais la réelle explication est qu'il n'y a aucune explication. La vie est imprévisible et inexplicable. Cela arrive simplement. Il y a des accalmies dans le processus de destruction, de l'amusement, de l'amour, du succès ; mais finalement, nous restons avec un
petit ton moqueur. Truffaut a réussi à faire ce que Henry Miller essaye! 12 toujours de faire : déranger, désorienter,
- 166vous
embrasser
et
cracher
dans
Quarterly, printemps 1963, p. 7).
votre
oeil"
(Film
Obéissant à une recherche autobiographique et à un rejet de la culture américaine, l'oeuvre de Miller est obsédée par le négatif, les références sexuelles et les métaphores. Issu d'une famille pauvre, Miller grandit dans un quartier prolétaire de Brooklyn où il prit goût à cette vie de la rue et qui se retrouve dans ses livres aussi lyriques qu'ils peuvent être brutaux. Son premier livre Tropique du Cancer (1934) fit scandale. L'oeuvre de Miller fut d'ailleurs interdite aux Etats-Unis jusqu'en 1960, date qui est significative pour notre propos. Ce type de comparaisons littéraires développe ainsi l'idée d'un art subversif Si, comme le souligne Pauline Kael dans l'article suivant, "chaque élément s'adapte final ement à sa place", malgré la remise en question des règles préétablies, c'est que la déviance artistique accède final ement à la conscience du spectateur. Telle est l'idée contenue dans l'extrait suivant qui appartient à un article consa cré à Tirez sur le pianiste : "Le roman moderne a abandonné la vieill e conception selon laquelle chaque élément doit être en place mais l'a abandonné si minutieusement que quan d nous lisons quelque chose comme Arritudes anglo -saxonnes d'Angus Wilson, dans lequel chaque élément s'ada pte finalement à sa place, nous sommes stupéfiés et amus és par la dextérité et la réussite de l'oeuvre. C'est la façon dont Wilson travaille et c'est merveilleusement satisfaisant." (Film
Culture, hiver 1962, p. 15).113
C'est dans ce climat littéraire subversi f des normes que la critique de Film Quarterly procède à une comparaison entre
- 167#
les films de Truffaut et les théories de l'absurde, de Camus notamment : "Nous réalisons que Truffaut [dans Jules et Jim] a réussi à nouveau - cette fois encore plus subtilement - à devenir scandaleux. [...] Mais nous ne sommes plus dans une mode nihiliste ou une révolte d'écolier. Nous avons. au lieu de cela, abordé la position anarchique du rebelle dans les conditions de Camus. [...] Beaucoup d'entre nous ont perdu la sympathie en route. Beaucoup doivent avoir la sensation que l'évocation truffaldienne du charme et de la suspension de jugement n'a pas été assez importante pour faire accepter la cruauté qui construit et domine la fin du film
- les irresponsables
coucheries,
trahison,
suicide,
meurtre. C'est difficile d'être ainsi apprécié à moins que nous nous rappelions que nous ne traitons pas ici avec la vie vue au travers de l'oeil de la caméra, mais avec l'art.
Citons Camus (L'Homme révolté) : "Ici nous avons un monde imaginaire... qui est créé par la rectification du monde actuel - un monde où la souffrance peut continuer jusqu'à la mort, où les passions ne sont Jamais dérangées, où les gens sont en proie aux obsessions. L'homme est finalement capable de donner luimême une forme adoucissante et restreinte à ce qu'il poursuit en vain dans sa propre vie. Loin de devenir morale ou purement cérémoniale, cette altération vise, avant tout, à l'unité et ainsi exprime un besoin métaphysique... À ce niveau, un travail artistique est avant tout un exercice d'intelligence au service de susceptibilités nostalgiques ou rebelles. (Film Quarterly, printemps 1963, pp. 9-10).
La résurgence, dans les années soixante, de la culture anarchisante et contestataire, contre l'américanisme, n'est pas étrangère au contenu de la critique ci-dessus. La comparaison
avec Camus oriente le spectateur potentiel de Truffaut vers l'idée d'un art qui montre l'absurdité de la vie sociale et l'importance de la solitude, au détriment des solidarités perçues comme illusoires. L'idée sous-jacente est aussi de
- 168-
développer le thème de l'anti-héros (confer L'Etranger et Doinel/Léaud). Le privilège est donné à l'instant, à la conscience critique personnelle, à l' "essai". Tout est refus de la vérité générale et univoque.
Les références littéraires agissent donc à la fois comme des repères garantissant la lisibilité de l'oeuvre et comme des éléments qui renforcent l'idée d'une oeuvre non-conformiste, en interaction avec le contexte américain.
- 2.3.2 - Le rôle des références cinématographiques La reconnaissance d'expériences cinématographiques nouvelles apparaît donc à travers le système de référe nces littéraires utilisé par la critique américaine. Un secon d système de références, cinématographiques, légitime égale ment l'aspect subversif du cinéma truffaldien.
Avec la Nouvelle Vague se développe un cinéma de cinéphile. Aux États-Unis, on assiste à un engo uement de la critique pour François Truffaut. Sa personnali té suscite un intérêt admiratif, en particulier sa gran de passion si communicative pour le septième art, de même que l'importance et la régularité de sa produ ctivité. C'est la découverte d'un cinéma différent, déconcerta nt, qui renforce le désir de découvrir d'autres approches cinématographiques ou de regarder les classiques avec un regar d différent. Ainsi le note Bill Krohn, journaliste et Correspondan t des Cahiers du cinéma à Los Angeles : "Il y a de nombreuses années que j'ai vu Tirez sur le pianiste. [..] Ce fut à partir de ce moment que je commençai à Voir un tas de films . M'inspirant de la
- 169maxime de Borges selon laquelle les artistes créent leurs propres prédécesseurs, plusieurs des classiques que j'ai découverts durant la décennie suivante - High Sierra, They Lived by Night, Under Capricorn - semblaient être un peu inspirés de Tirez sur le pianiste. Je suis sûr que mon obsession sur Ulmer se cristallisa quand je reconnus dans Détour l'origine de mes scènes favorites de Tirez sur le pianiste, celles du bistro, et la première fois où je compris que le cinéma était une communauté sans frontières, fut quand j'entendis le titre du film de Truffaut dans le dialogue de Æ7 Dorado au milieu d'un dialogue plutôt laborieux à propos d'un armurier myope. La moindre opinion de Truffaut avait beaucoup de poids pour moi à cette époque. [...] Et s'il n'avait fait qu'un film, il aurait suffi à changer ma vie." ("Détour", Le Roman de François Truffaut, p. 164).
La recherche de styles cinématographiques différents conduit le cinéphile américain à des confrontations avec les films hollywoodiens. Comme le note Bill Krohn, le public est avant tout "surpris et un peu déconcerté par le dénuement" de Tirez sur le pianiste. Les films de la Nouvelle Vague, de par leur coût de réalisation et leur réalisme, créent une rupture qui est perçue aussi bien par rapport au cinéma français que par rapport au cinéma américain. Cette rupture devient, au moins lors des premières découvertes de la Nouvelle Vague, la caractéristique la plus mise en valeur : "Comme beaucoup de nouveaux mouvements, il est difficile de décrire la Nouvelle Vague. Mais de façon générale, un film de la Nouvelle Vague est facilement repérable. Presque toujours, il aura été fait par un réalisateur qui est inconnu et qui a la vingtaine. Il sera
rentabilisé grâce à son petit budget, environ $ 100 000 avec une grande originalité dans le traitement de la technique et de l'histoire." (Toronto Daily Star, 09/04/1960). La subversion provoquée par l'accueil des premiers films de Truffaut est encore plus franche aux Etats-Unis du fait de
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la confrontation avec les super-productions hollywoodiennes. La confrontation est d'autant plus notable que, comme le note B. Darrach dans son long article sur la Nouvelle Vague, "le coût moyen d'un film français des années cinquante est d'environ $ 300 000, tandis que la vedette moyenne d'un film hollywoodien touche environ $ 1 800 000" (Horizon, supplément de Film Heritage, 05/1960, p. 50). La différence étant déjà marquée avec le cinéma français des années cinquante contre lequel la Nouvelle Vague luttait, elle l'est d'autant plus avec un film tel que Les Quatre Cents coups, sans vedettes, production indépendante et réalisée pour un coût de 370 000 francs (moins que le cachet habituel de Gabin), mais qui rapporte en vingt-quatre heures 875 000 francs. 114 Ce chiffre fut l'une des plus phénoménales montées en bourse enregistrées à Cannes. "Photographié à la lumière naturelle dans les rues de Paris, le film a été fait pour un coût d'approximativement $ 70 000, une somme que beaucoup de producteurs hollywoodiens trouveraient aussi incroyable qu'ils trouvent le résultat enviable." note Eleanor Keen (Chicago Sun Times, 07/02/1960).
Mais, à l'instar de l'influence du syndrome vietnamien, le bouleversement des normes esthétiques ne s'actualise pas dans un désert de références. L'oeuvre de Truffaut, surtout à partir de 1962-1963, s'appuie sur le contexte cinématographique américain, celui de la nouvelle vague américaine\1$. Les films de Truffaut créent avec ces films états-uniens une communauté d'esprit fondée sur une même recherche d'originalité. La confrontation avec les gros budgets hollywoodiens, que suscitent les films de Truffaut, répond à la même confrontation qu'engendrent aux États-Unis les films d' “art et essai" américains. La recherche d'autres formes cinématographiques (cinéma "expérimental" ou “underground") s'appuie justement sur un rejet du modèle
hollywoodien. Nous avions vu pourquoi et comment les années soixante voient le développement des "indépendants" , du phénomène du réalisateur-producteur ou de l'acteur -
- 171-
producteur, en somme de l'expression d'individualités (exemples de Stanley Kubrick ou Blake Edwards). Le cinéma "underground", anti-hollywoodien, volontiers provocateur et appelé à partir de 1966 cinéma "personnel", "indépendant" ou "expérimental", est contemporain de l'essor de la "contreculture californienne" et bientôt des luttes contre la guerre du Viêtnam. Ainsi, le fait que Truffaut soit comparé au cinéma "expérimental" marque bien son appartenance, dans l'esprit des critiques américains de l'époque, à un art artisanal, libre, voire dérangeant. C'est ainsi que James Powers le souligne à propos de Tirez sur le pianiste : "Pour les nouveaux venus au
style de l'expérimentateur Truffaut, il doit y avoir quelque perplexité." (The Hollywood Reporter, 18/01/1963). Ce qui est d'autant plus intéressant, c'est que l'oeuvre de Truffaut peut même être perçue comme plus proche de la nouvelle vague américaine que du cinéma français, y compris de la Nouvelle Vague française : "A certains égards, Les Quatre Cents coups ne sont pas un film français en fin de compte, mais une excellente version du film d'art américain. Ce qui est remarquable à propos de ces films est leur manque de base philosophique. Ils symbolisent un renouveau sur la base de la verve d'un adolescent (Shadows, Senseless ou tout autre film "expérimental" que vous pourriez nommer), et rapidement pétillent de vigueur. Soit ils insistent profondément sur Le motif du Problème dans une sociologie d'amateur (The Defiant Ones, Come Back, Little Sheba, The Connection, etc.), soit ils vendent une version de Freud que même le
commun des mortels peut applaudir (voir par exemple les critiques très enthousiastes dans le Time de David et Lisa, un feuilleton psychiatrique qui "arrache et bégaye" les vérités de The Snake Pit (1946) et Spellbound (1945) comme s'ils étaient les révélateurs de demain." note Judith Shatnoff (Film Quarterly, printemps 1963, p. 4).
- 172-
Le fait que la critique américaine puisse identifier le cinéma de Truffaut aux films d'art américains favorise l'assimilation et la légitimation de son oeuvre. En effet, le spectateur n'est ainsi plus contraint à se réorienter vers une expérience totalement inconnue.
La comparaison avec le cinéma "expérimental" américain témoigne également du degré d'anti-conformisme que Ja critique américaine peut accorder à l'oeuvre de Truffaut. En effet, le cinéma "expérimental" a été un des courants cinématographiques les plus indépendants du monde, y compris par rapport à la Nouvelle Vague française : "Quand je fais allusion au style de Truffaut comme anarchique et nihiliste, je fais allusion à un style, et non pas à une absence de style. Je ne suis pas d'accord avec les critiques qui trouvent le film désorganisé ; ils semblent se Cramponner au dispositif critique de leurs livres scolaires de grammaire. Ils veulent l'unité d'un thème, facile à suivre dans ses changements d'humeur, une bonne intrigue cohérente et démodée, des héros auxquels ils peuvent s'identifier et des bandits qu'ils peuvent rejeter. [...] Ce qu'il y a d'excitant dans des films comme Tirez sur le pianiste (et aussi le superbe Jules et Jim bien qu'ils soient très différents) est qu'ils bougent avec le temps. Ils sont pleins d'éléments non-résolus, inexplicables, disharmonieux (l'ironie, la grosse farce et la défaite), tous composés - non arbitrairement comme les critiques les classent - mais avec des efforts du réalisateur pour trouver les expressions de sa propre expérience anarchique, au lieu de faire comme ces ennuyeux films bien faits qui ne signifient plus grand chose pour nous." note Pauline Kael (Film Culture, hiver 1962, pp. 14-15).
La critique américaine, confortée par le cont exte social et culturel, se pose de plus en plus la question suivante : Par rapport à quoi juge-t-on ? Cette interrog ation crée donc une rupture avec les traditions américaines, la cultu re manichéenne
du bien et du mal, de l'ordre et du désordre . C'est tout à fait ce ’
- 173-
type d'approche qu'adopte Judith Shatnoff dans la réflexion suivante : "Le problème est : un jeune talent phénoménal qui ne fait aucun quartier et exige finalement de la tolérance. On peut soit se soumettre en s'inclinant impuissant, soit reculer vers les plus confortables talents des équipes à la mode - les Fellini, Visconti, Bergman, Resnais - soit se précipiter vers quelque chose d'encore plus arriéré, la sécurité primitive des principaux films hollywoodiens qui montre toujours une chaise comme une chaise. Parmi les courageux critiques, il y a François Truffaut qui est venu à l'écran dans une tornade d'énergie amorale. Que nous aimions ou pas ce qu'il fait, il ne peut pas être ignoré. Il est un talent dangereux. " (Film Quarterly, printemps 1963, p. 3).
En conclusion, on peut affirmer que le contexte américain a été particulièrement influent sur la réception de Truffaut dans les années soixante et même soixante-dix. Les mouvements de contestations sociales et artistiques, le syndrome vietnamien, la remise en cause de l' "american way of life" créent une réceptivité à l'effet subversif des films de Truffaut. De plus, dans les années soixante-dix, l'arrivée aux
États-Unis des nouvelles vagues européennes et australienne contribua à maintenir la réceptivité des cinéphiles américains. L'intérêt des Américains a-t-il diminué une fois ces mouvements contestataires essoufflés ? L'exploitation des
films de Truffaut aux États-Unis a démontré le contraire. La popularité de Truffaut s'est même accrue après La Nuit américaine. V6
Si Truffaut est donc toujours apprécié pour son originalité, cela signifie-t-il qu'il est également apprécié dans son
174 originalité ? Telle est la question à laquelle nous nous proposons de répondre. Il faut, en effet, tenir compte d'un phénomène culturel américain très ancien : la capacité de récupération des contestataires. Aux États-Unis, les films peuvent facilement se monter sur l'image de la marginalité (Scorsese, Cimino, etc.) et le talent médiatique réside justement dans l'aptitude à rentabiliser ce qui semble déroutant. Comme le soulignait Truffaut, "A un certain degré de succès, un film devient un événement
sociologique et la
question de sa qualité devient réellement secondaire au point qu'un critique américain a pu écrire avec la logique et l'humour pour lui : "Critiquer Love Story, ce serait critiquer la glace à la vanille" " (Les Films de ma vie, p. 28). Aussi faut-il se demander si l'effet subversif des premiers films de Truffaut se réduit à mesure que la négativité première de l'oeuvre devient familière. La légitimation de la Truffaut's touch par le public américain rend-elle les nouveaux films du cinéaste plus facilement assimilables ?
-3- Aux antipodes du chef-d'oeuvre -3.1-
Genres et références américains
En premier lieu, et avant d'analyser la résistance de l'oeuvre de Truffaut à une consécration parfaite, voyons comment les films du cinéaste exercent, initia lement, leur pouvoir subversif ? Pour ce faire, nous étudierons la nature des confrontations entre l'oeuvre de Truffaut et les genres américains.
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- 3.1.1- Le potentiel de rupture avec le genre Comme le soulignent les travaux de Roger Odin, la réception d'une oeuvre cinématographique est intimement liée à sa catégorie d'appartenance ou à son genre. (film d'auteur, film noir, film documentaire,
etc.). En renouvelant le cadre
sémiotique par la pragmatique, Roger Odin a donc montré comment le “contrat de communication" entre le film et le spectateur résulte d'un ensemble d'opérations signifiantes conditionnées par un cadre institutionnel donné. Et, comme le mentionnent Roger Odin et Francesco Casetti, l'institution est “une structure régissant dans son espace propre le recours à tel(s) ou tel(s) contrat(s) de communication" (Communications, n° 51, 1990, p. 9). Ainsi, la notion de genre implique l'idée de classement selon des codes précis et selon des traits invariables. Le film de genre sélectionne ses éléments ; la loi du genre exclut et inclut. Les genres constituent donc des contraintes spectatorielles structurant les désirs du public. C'est d'autant plus vrai dans une société très culturellement et commercialement structurée comme l'est depuis longtemps la société américaine. Le but est donc de montrer comment le cinéma truffaldien rend difficile l'adhésion du public à un genre.
En allant à l'encontre des règles de la morale, la réception des films de Truffaut provoque un effet subversif. Les nouvelles expériences ainsi proposées impliquent une nouvelle manière de voir, qui demeure néanmoins suffisamment séduisante pour qu'elle soit éprouvée comme source de plaisir par la critique américaine. Cet effet de l'oeuvre de Truffaut n'est pas un phénomène isolé. Il apparaît au contraire tout au long de la carrière du cinéaste, dans des revues populaires ou universitaires comme dans des quotidiens.
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Judith Shatnoff note, en 1963, dans la revue universitaire
de Berkeley, Film Quarterly : "Truffaut ne moralise pas, aussi pourquoi le ferions nous ? Nous nous réjouissons d'une émotion qui n'a pas été recréée aussi splendidement sur l'écran depuis la swingante et ricanante expression de l'amour de jeunesse dans Miracle à Milan. Les juger revient à imposer des standards extérieurs dans leur monde." (printemps 1963, p. 8). De même, dix ans plus tard, As. Magazine souligne que "Truffaut n'est pas un moraliste quant au romantisme, à l'homme et à la femme." (07/1973, p. 30). Cette assimilation à une oeuvre amorale apparaît de façon constante dans les critiques américaines. Molly Haskell, l'une des critiques de films les plus respectées aux États-Unis, souligne que Truffaut "est le moins moraliste des cinéastes français." (New York Magazine, 17/10/1977, p. 96). L'effet subversif de l'oeuvre de Truffaut apparaît également au niveau des conventions relatives aux genres cinématographiques.
Ce fut évidemment le centre d'intérêt des critiques des années soixante et en particulier des revues universitair es, comme Film Quarterly. L'extrait suivant montre parfaitement le bouleversement des attentes spectatorielles, la logique dramatique originale, l'absence de repères génériques rassurants, la violence et l'aspect iconoclaste, qui caractérisent les trois premiers films de Truffaut : "Les scènes sont adaptées au dernier détail , mais occasionnellement, délibérément, elles sont photographiées d'une façon qui bouleverse et redispose leur apparence. Les scènes bougent dans un cadre climatique , mais dans un désordre logique, irrégulièrement, comm e la vie bouge ; et il n'y à aucune raison au fait que plusieurs épisodes suivent plutôt que précèdent les autres. Les histoi res évoquent des idées importantes, mais il n'y à aucun message d'aucune sorte, nulle part, pour agripper et remporter l'adhésion. Le plus déroutant de tout, Truffaut n'indique pas que son réalisme est ou n'est pas réel. al
s ARE
"Truffaut fait comme ïil veut. Il a une capacité troublante pour sentir le moment auquel nous dérouter, et assez de courage artistique pour agir rapidement, et même violemment, pour tirer avantage de ce moment. Son attitude est iconoclaste rien n'est sacré. Elle est anarchique parce qu'elle est entièrement personnelle, et pourtant très fortement maîtrisée ; sa vision intellectuelle
maîtrise un contexte émotionnel dans un but créatif - non un but destructif ou nihiliste. Truffaut semble être un anarchiste même par rapport à ses propres créations, car il ne reconnaît aucune structure au-delà de celle requise pour chaque travail d'art individuel, et, cela aussi est fait pour être refait. Toutes les situations sont fondées pour être transcendées. Tout ce qui est constant est le créateur luimême, disant "Sic volo, sic jubeo" - Je le veux, je dispose de. Et ceci, nécessairement,
est la déclaration finale de
l'oeuvre d'art." (Film Quarterly, printemps 1963, p. 11).
L'activité communicationnelle engendrée par la rupture avec les conventions génériques n'est pas seulement effective pour la réception des premiers films de Truffaut. Le Wall Street Journal note en 1970 : "François Truffaut est une sorte de problème pour les historiens professionnels du cinéma. Il refuse obstinément de suivre leur scénario, de se conformer à leurs moules complexes et à la mode." (17/09/1970). Les textes critiques présentent les films de Truffaut, non plus comme des lieux de conservation de traits typiques garantissant l'adhésion à un genre, mais comme des oeuvres originales. Newsweek écrit ainsi en 1977, à l'occasion de la sortie de L'Homme qui aimait les femmes : "Truffaut mène un éternel combat contre les clichés cinématographiques. Ni Casanova ni Don Juan, [...] il a opté pour montrer Bertrand dans son propre monde" (31/10/1977, p. 96).
Même les films qui ont des apparences classiques ou mélodramatiques demeurent originaux et rompent finalement avec le manichéisme des genres :
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"Le cinéma classique présente un texte fini svle cinéma d'art rend les possibilités, les codes ambigus. [...] Si La Sirène du Mississippi transcende le genre, c'est parce que le genre est utilisé comme un détail. [...] Au delà des injonctions du genre, le pouvoir de l'auteur, et ici Truffaut, a cherché une évolution formelle. (.:l En cela: l'intertextualité à été établie comme la forte base de la narration." (Film Criticism, automne 1979, pp. 85 et 88).
L'oeuvre s'attache premièrement à orie nter le spectateur vers un "axe de lecture" générique, puis réoriente cette attente vers des perceptions plus spécifiques (notamment grâce au phénomène omniprésent chez Truffaut de l'intertextualité entre ses films). Cette action de l'oeuvre démontre la nécessité, pour le théoricien de la réce ption et le sociologue
de l'art, de mettre l'accent tant sur les conditions culturelles
des spectateurs que sur la capacité des oeuvres à contenir et contrôler leur propre réception (voi r les travaux de Rick Altman, professeur d'études ciné matographiques et de communication à l'Université d'Iowa, États-Unis). Les films sont également remp lis de contradictions internes. Il existe chez Truffaut un désir constant d'inverser, de mélanger les repères cinématog raphiques, même opposés. Cela ne signifie donc pas que Truffaut n'utilise aucune composante de ces genres, ne sera it-ce que pour les parodier. Cela signifie que Truffaut mél ange, inverse, bouscule leurs composantes respectives, ce qui évidemment rend caduque toute inscription d'un film dans un seul genre : "Il existe une fascinante dichotomie dans les oeuvres de Truffaut, entre le romantisme et le réalisme, foli e émotionnelle et simplicité, communication et solitude, bonheur et chagrin." (AFJ
Éducation Newsletter, 09-10/1 979) .
Composés de références mul tiples, les films peuvent susciter des interprétations mul tiples. Le journal canadien
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Maclean's souligne à propos du dernier film de Truffaut Vivement Dimanche ! : "François Truffaut n'était pas content de faire un simple film : il a essayé d'en faire plusieurs en un."
(13/02/1984, p. 62).
La capacité du cinéma truffaldien à transcender le genre cinématographique se concrétise-t-elle à nouveau dans les confrontations avec les genres typiquement américains ?
- 3.1.2 - Truffaut et le cinéma hollywoodien Quels types de relations l'oeuvre de Truffaut entretientelle avec la référence cinématographique essentielle aux EtatsUnis, à savoir le cinéma américain ?
Il serait faux d'affirmer que les relations entretenues par Truffaut avec Hollywood n'ont rencontré aucun écho chez les critiques américains. Dans le cas du réalisateur français, les liens sont renforcés par toute une série d'activités combinées : réhabilitation de cinéastes américains, relations d'amitié ou de
collaboration avec les réalisateurs hollywoodiens. Dans cette perspective, Truffaut apparaît même comme celui qui perpétue le mythe hollywoodien. Ainsi, Wayne J. Douglass souligne : "Le vieux Hollywood doit être mort, mais son influence vit toujours en Truffaut. La Nuit américaine est son hommage au cinéma américain, au travers notamment d'une structure Western, de la dédicace à Lillian et Dorothy Gish et de l'hommage au prééminent cinéaste américain, Howard Hawks."
(Literature/Film Quarterly, Vol. 8, n° 2, 1980, p.
76). Ainsi, lors de l'hommage à Truffaut organisé par la "Film Society of Lincoln Center" et le "Lincoln Center for the
- 180-
Performing Arts" à New Vork, en août 1985, le festival intitulé "Truffaut Plus" incluait à la fois une rétrospective complète et une sélection de films parmi les préférés de Truffaut, notamment américains. Le festival fut ainsi composé
de quarante-six films, vingt et un films et deux courts métrages de Truffaut, ainsi que des films choisis parmi les propres choix de Truffaut, tels qu'ils apparaissent dans son livre, Les Films de ma vie. Truffaut fut l'un des plus aimés de tous les metteurs en scène" souligne Joanne Koch, directrice exécutive de Film Society, "il était aussi un critique de film passionné et notre programme constitue notre hommage à Truffaut dans ce double rôle" (Zincoin Center/Stagebill, 08/1985, p. 22). La rétrospective est ainsi l'occasion de procéder une nouvelle fois à un examen des correspondances entre les films de Truffaut et plusieurs de ses cinéastes préférés, notamment américains. L'ensemble de la rétrospective "Truffaut Plus" met en avant un critique-cinéaste "caractérisé par son intelligence, son humour, son irrévérence." (Lincoln Center/Stagebill, 08/ 1985:p#22);
De ce fait, il arrive souvent que la critique fasse des comparaisons entre le cinéma américain et celui de Truffaut. Par exemple, le quotidien canadien Calgary Herald (20/07/1982) souligne les Correspondances entre La Femme d'à côté et les "mélodrames passionnels" des films américains dans
les années
trente,
notamment
ceux
avec
la star de
l'époque Ida Lupino. Justement, Truffaut est présenté comme renouant avec le cinéma américain de cette époque, jugé de meilleure qualité que le cinéma contemporain.
Pourtant, malgré ses admirations et ses sourc es d'inspiration, Truffaut ne sera jamais identifié à un cinéaste américain. Par exemple, au sein d'un cadre hitch cockien qui caractérise certains films du cinéaste français, la critique américaine recherche constamment la spécificité de la Truffaut's touch. Hollis Alpert du Saturday Revie w note ainsi,
- 181-
à propos de La Sirène du Mississippi, que "d'une part, il fit un scénario de type hitchcockien, et, d'autre part, il essaya d'ajouter des touches de type truffaldien, telle qu'une scène dans laquelle Belmondo et Deneuve sortent d'un film, un film
de Robert Taylor, Johnny Guitar, et Belmondo remarque : "C'est vraiment un film sur l'amour et les sentiments". Truffaut probablement considère cette phrase comme un guide aux perplexes." (25/04/1970, p. 53). Certains critiques affirment même de façon catégorique la spécificité de Truffaut, en excluant tout rapport direct avec les dominantes du cinéma hitchcockien. C'est ainsi que Penelope Gilliatt, du célèbre New Yorker, écrit que "Truffaut a un oeil très vif et amusé. Il est assez différent de celui d'Hitchcock. [..] Truffaut ne pourrait jamais utiliser ses personnages comme lui. Son sens de l'ambiguïté du comportement est précis." (06/07/1968, p. 46). Le même New Yorker élargit la spécificité de Truffaut en marquant la différence avec l'ensemble des cinéastes américains, notamment grâce à l'exemple de Domicile conjugal : "Je pense que Truffaut doit être plus compliqué qu'on le suppose primordialement et que même les films /égers ne sont pas conçus pour être commerciaux. Il est un cas très spécial. [...] Probablement, il n'y à pas un cinéaste américain qui pourrait faire cette sorte de comédie matrimoniale allègre et garder sa tête hors de l'eau. La Truffaut's touch régit ce film" (7he New Yorker, 06/02/1971, p. 89). C'est dans cette perspective que le critique Stanley Kauffmann note que dans une "récente interview", François Truffaut "parla longuement de son admiration pour la grande époque d'Hollywood". Mais, aussitôt après, le critique écrit : "Dans un sens, Truffaut peut être qualifié de cinéaste hollywoodien sans être un cinéaste hollywoodien." (The New Republic, 13/02/1971, p. 24). C'est dire toute la difficulté que ressent la critique américaine lorsqu'il s'agit d'identifier
- 182-
Truffaut à un cinéaste culturellement défini.
américain,
donc
à
un
repère
Cette difficulté est directement décelable dans l'insi stance des critiques sur l'ambiguité du cinéma truffaldien, à la fois populaire et original.
La popularité de Truffaut auprès de publics multi ples peut constituer un point d'intersection avec la cultu re américaine. Une des grandes particularités du cinéma truffaldien est d'avoir été un des cinéastes les plus appréciés hors de chez lui, tout en suscitant de très nombreuses différences d'interprétations. Cette stratégie artistique peut être mise en parallèle avec le principe universel du ciné ma américain : il demeure souvent très représentatif de la culture américaine mais parvient tout autant à s'implanter dans chaque spécificité culturelle. Ce point commun entre la strat égie truffaldienne et la culture américaine est un facteur impor tant dans le succès du cinéaste aux États-Unis. Il l'est d'autant plus durant les premières réceptions américaines de Truffaut, pendant sa période initiatique. Par exemple, lors de la sortie des Quatre Cents coups aux États-Unis, Eugene Archer souligne dans le New York Times :
"Truffaut, se rendant Compte qu'il habite un monde particulièrement petit à Paris, trouva parfois la Communication difficile à New York. Luttant pour simplifier ses idées Pour des auditeurs américains, il mentionna les "inside jokes" dans les nouveaux films français, toutes compréhensibles pour des amateurs des Cahiers mais passant inaperçues pour des étrangers. Les Quatre Cents COUPS, Par exemple, contiennent une annonce pour un film appelé Paris nous appartient, qui était un projet d'un des amis de Truffaut, Jacques Rivette, mais pas encore fait quand Les Quatre Cents coups furent réalisés. [...] Le secret d'Hitchc ock, argumente Truffaut, est simplement qu'il "veut dissimul er des choses au public en insérant le plus possible d'im ages contrastées dans une seule scène : Je public cherche les significations symboliques derrière les images." " (31/01/ 1960).
- 183-
Cette réflexion fait écho au témoignage de Georges Kiejman qui souligne l'ambivalence du cinéma de Truffaut, à la fois populaire et personnel : "Ce qui était également inouï chez lui, c'était le souci d'avoir une audience internationale, de faire des films pouvant être perçus de manière émouvante dans tous les pays du monde et, dans le même mouvement, de faire des films de François Truffaut." ("L'art de partager", Le Roman de François Truffaut, p. 179). Parallèlement,
l'{nfernational Herald Tribune souligne à
quel point "Monsieur Truffaut est probablement le seul réalisateur français depuis Jean Renoir, qu'il admire beaucoup
d'ailleurs, à atteindre à la fois les cinéphiles et le grand public"." (27/02/1969). Néanmoins, cette interaction première entre la stratégie de Truffaut et la culture américaine ne signifie pas que l'oeuvre du cinéaste français confirme la sensibilité américaine dans ses habitudes, ne possédant ainsi aucun effet subversif. L'oeuvre de Truffaut demeure ambiguë. Nous avons déjà cité ce que le New York Times écrivait à la mort de Truffaut : "Sa mort fait disparaître de la scène un de ses maîtres. [..] C'était un révolutionnaire qui travaillait de manière conventionnelle pour faire des films non-conventionnels. Malgré sa célébrité, ses oeuvres continuaient à être des fenfatives risquées." (22/10/1984).
Le paradoxe d'une oeuvre à la fois populaire et complexe spécifie les films de Truffaut par rapport aux habitudes spectatorielles des Américains, ainsi que le note Peter Harcourt dans une revue de Toronto : "En tant que cinéaste, Truffaut veut être à la fois complexe et populaire. [..] L'oeuvre de Truffaut est composée de contradictions. [...] C'est comme si Truffaut devait prendre des risques, pour produire quelque chose de
1848 distinctif qui est rarement populaire, et puis se retrancher dans un de ses films autobiographiques dans lesquels il essaye de déguiser ce retranchement par une détermination irrésistible de charme." (Canadian Forum, 02/1980, p. 40).
Truffaut apparaît aux États-Unis comme "un cas étrange et particulier. De tous les cinéastes que j'ai mentionnés [Altman, Bergman, Fellinil, il est le seul à avoir un vif instinct commercial, le seul que je puisse imaginer vraiment écouté par des critiques et des producteurs et par le jingle du boxoffice." (Aflantic, 04/1981, p. 114). Il existe donc un jeu complexe de relations entre Truffaut et le cinéma américain. Il ne s'agit ni d'une identification ni d'une rupture totale avec Hollywood. Face à un film de Truffaut, le critique américain est dans une situation complexe. En fait, la perplexité du critique est bien dans l'esprit de la stratégie artistique de Truffaut. Ii s'agit d'amener le spectateur sur un terrain familier (en l'occurrence le fait que les films de Truffaut et le cinéaste lui-même alimentent une certaine admiration pour le cinéma américain). Puis, il s'agit de rompre progressivement avec cette attente familière.
Si la référence au cinéma hollywoodien ne rend pas Truffaut totalement assimilable, qu'en est-il de la référ ence aux autres genres du cinéma national, et notamment au film
noir ?
- 185-
- 3.1.3 La rupture avec les films noirs américains : l'exemple de Tirez sur le pianiste La popularité américaine de Truffaut ne s'explique donc pas uniquement par un phénomène de convergence entre son oeuvre et les habitudes spectatorielles des Américains. En effet, l'oeuvre d'art, loin d'avoir pour seul rôle de conforter les
normes préétablies, peut les bousculer grâce à la capacité de subversion de l'art. Jean Duvignaud affirme même que "l'art n'est que rarement la représentation d'un ordre. Il en est plutôt la permanente et anxieuse contestation. [..] C'est à un “académisme" que conduit l'idée de l'artiste reflétant et cristallisant les thèmes fondamentaux de son époque" _ (Sociologie de l'art, PUF, 1984, pp. 46-47).
À ce titre, la réception américaine des films noirs de Truffaut est révélatrice. Pour cela, nous concentrerons notre
analyse sur le film de Truffaut, Tirez sur le pianiste. "Le film noir a, comme
d'être
une
forme
typiquement
différence du Western,
le Western, la particularité
américaine,
mais,
à la
il est difficile de lui trouver des
antécédents précis, que ce soit dans un genre littéraire ou dans une période particulière de l'histoire des U.S.A. C'est pourquoi ce qu'on appelle traditionnellement le film noir occupe une place singulière dans l'histoire encore jeune du cinéma américain : il s'agit, en fait, d'un corpus de films
qui ont
pour
caractéristique
de présenter
une
vision
cohérente de l'Amérique et ce, en transcendant les notions
de cinéma d'auteur ou de genre cinématographique. Le film noir ne se fonde ni sur la création personnelle ni sur la transposition à l'écran d'un autre type de tradition. Il reflète, en fait, les préoccupations
culturelles des Etats-
Unis dans un langage qui lui est propre ; il constitue en somme un exemple unique d'un style cinématographique entièrement américain." soulignent Alain Silver et Elizabeth Ward (Encyclopédie du Film Noir, Editions Rivages, 1979, p. 1).
- 1S6-
De ce fait, la facilité du repérage culturel ne fait aucun : doute. Le public américain se trouve fàce à un genre qui hi est familier. Et l'adhésion à une interprétation originale du film
noir, en l'occurrence celle de Truffaut, est donc d'autant plus difficile qu'elle est systématiquement confrontée à des repères déjà bien établis, et donc plus rassurants.
Hormis quelques réalisations isolées des années soixante et soixante-dix qui traduisent une sensibilité noire, l'$ge d'or du film noir débute avant la seconde guerre mondiale et s'achève avec le confit coréen. Bien que très différents à tous les points de vue, les films noirs ont néanmoins une éthique commune : l'évocation du côté noir de l'Amérique Leurs héros sont remplis de contradictions et d'un désarroi existentiel, et sont des sortes de représentants du peuple américain, dans cette époque de transition incertaine De même, plusieurs thèmes communs unissent les différents films noirs, violence, mort ou obsessions sexuelles Les ! personnages, souvent des gangsters sans envergure, des
femmes cyniques, constituent également des bases commune s.
Mais, le film noir n'est pas uniquement lié au ciném a hollywoodien classique. En effèt. plusieurs films noirs frent crées dans les années soixante. au moment où l'on assist ait au déclin des studios etdesstars, à la crise ducinéma de genres et au développement de réalisations indépendantes où semiindépendantes. On privilégie alors les ambitions individuelles, plus adaptées au public d'alors (exemple de réalisateurs comme Arthur Penn ou Sam Peckinpah, influ encés par le cinéma européen). Le renouveau du film noir se manifèste de différentes façons, mais l'atmosphère morale et psychologique favorise toujours l'émergence de lasers tragi ques, par exemple d'artistes en déroute De même. l'étude des À psychiques, de la pulsion de mort, de la folie constituent des
thèmes à la mode.
ETATS-UNIS ©
D'après la presse corporative, la situation financière
grandes années
compagnies de
américaines
nombreuses
craintes,
qui suscitait s'est
depuis
sérieusement
des
quelques améliorée
récemment. Cette amélioration serait imputable aux mesures d'assainissement prises, aux projets de "diversification" réalisés, aux
réalisations
de biens et installations
devenues
inutiles, ainsi
qu'à une augmentation des recettes, tout particulièrement de celles qui proviennent des activités annexes et de la télévision. © Twentieth Century Fox vient de céder à des agents immobiliers,
pour
43 millions
de dollars
cash,
une
partie
des
terrains qui constituent l'ensemble de ses studios d'Hollywood. Sur les quelques 67 hectares ainsi vendus sera bâti un nouveau centre
résidentiel - Century City. La transaction
devra, avant
d'être
définitive, avoir reçu l'approbation des actionnaires de la Fox, ce
qui ne semble pas devoir soulever de difficultés.
Le Film Français, n° 837, 03/06/1960, p. 5. (© Le Film Français)
ETATS-UNIS © D'après une enquête effectuée par les correspondants du "New York Times" dans les villes-clés américaines, la fréquenta‘ion des salles de cinéma serait en augmentation. De moins de 40 millions par semaine en 1957, celle-ci aurait atteint environ 43 millions en 1959, et pourrait être de 45 millions en 1960. @ Une nouvelle salle newyorkaise de 850 fauteuils va programmer des films étrangers à partir du mois prochain. Il s'agit du "New Yorker", (ex "Brandt's Yorktown"), situé sur Broadway à la 88e rue.
I semble
que, tout au moins au début, ce cinéma
limitera son activité aux films classiques qui furent bien accueillis par la critique et le public newyorkais lors de leurs première sortie. © ‘"Babette s'en va-t-en guerre" : sortie aux U.S.A. (par Columbia) en version originale et en version doublée en américain. © Pages entières de publicité dans la presse corporative américaine pour "The 400 Blows" (Les 400 Coups) distribué aux U.S.A. par Zénith International Film Corporation.
Le Film Français, n° 826, 25/03/1960, p. 18. (© Le Film Français)
2 LES
FILMS
EUROPÉENS
DOUBLÉS
On sait que les sociétés américaines réalisent de plus on plus des films en Grande-Bretagne et en Italie, et quelques-uns aussi en France et en Allemagne fédérale. C'est ainsi que, pour la première fois, on relève dans les journaux corporatifs de cinéma U.S.A. des pages entières de publi cité (cs qui, voici quelques années, aurait paru surprenant) pour des films français, taliens, ou même soviétiques ou japonais, dis. tribués par les grandes compagnies ou des sociétés indépendantes.
Double
page
de
Columbia
dans
le
« Motion Picture Herald », pour la sortie de « Babette goes to war », dont la version doublée passe aciuellement dans 34 villes
des U.S.A. Dans la même revue, page entière de pubiicité, également, pour « The 400 Blows » [Les 400 Coups}, distribué par Zenith International [pour le moment en version originale avec sous-titres anglais seulement]. Page entière de publicité de Columbia dans « Motion Picture Exhibitor » pour « The Gol-
den Fish » (Histoire d'un Poisson Rouge], qualifié de « meilleur court métrage de l'année » (ce qui vient d'ailleurs d'être confirmé par l'Oscar attribué à ce film français]. Page entière (et originale) de publicité dans plusieurs journaux corporatifs (dont « Variety »] pour le film français « Nude in à white Car » (Toi le Venin}. L'énumération des Films étrangers doublés distribués par les grandes compagnies ost particulièrement significative. C'est ainsi que Columbia, en plus de « Babette s'en va-t-en guerre », distribue actuellement aux U.S.A.
les versions doublées en anglais du film italien « La Révolte
des Gladiateurs
» [The
Warrior and the Slave Girl) et du fiim de science-fiction japonais « L'Homme H ». M.G.M.
annonce
pour 1a part les films ita-
liens « La Bataille de Marathon
Roi des Boucaniers
»,
ainsi
» et « Le
que
le film
franco-italien « La Loi », avec Yves tand et Gina Lollobrigide. Paramount de 1ortir « Ulysse », le film italien avec Douglas, et 20th Cer:ury Fox, le film
Monvient Kirk fran-
çais « Faibles Femmes » (Three Murderesses. Universal
annonce
« Head
of à Tyrant
»,
qui est le film italien « Judith et Holopherne », cependant que Warner distribue aux US.A. le premier film soviétique exploité suivant les accords américano-oviétiques « Quand passent les Cigognes » et les films italiens de la 1érie « Hercule », avec Steve
Reeves. La Société
indépendante
American
AUX
U.S.A
(suite)
étrangers doublés en anglais pour le marche américain sont des Production italiennes à grand spectacle, à cadre mythologique ou antique (dont les cinéastes italiens font depuis deux ans une consommation intense}, des sujets à « suspense » (policiers, science-fiction ou épouvante), ou des ouvrages propres, par leur caractère particulier ou leurs vedettes,
à éveiller l'intérét du grand public américain, tel « Sabette s'en va-t-en guerre », où
le nom
de « 8.8. » est un puissant aimant.
Ce changement complet dans les mœurs de l'expioitation et du public américain aura sans doute d'importantes répercussions internationales. À leur tour, les spectateurs d'outreAtlantique vont s'habituer à voir les films étrangers dans des versions doublées avec lesquelles ie pubiic français, allemand, italien et espagnol était familiarisé depuis près de trente ans. C'est dans le domaine des échanges cinématographiques entre les U.S.A. et les pays producteurs européens que ces répercussions
semblent devoir être les plus directes. Aux producteurs français ou italiens qui se Plaignaient de ce que leurs films n'étaient Pas exploités largement sur le marché américain, M. Eric Johnston, Président de la M.P.EA., avait toujours répondu qu'aucune restriction n'était apportée — à la différence
de l'Europe
—
à l'entrée
des
et exploités
à égalité avec
les productions
d'Hollywood. Les deux faits nouveaux — exploitation normale des films européens aux U.S.A. at réduction numérique considérable de la production américaine — devraient logiquement entrainer la suppression des contingents d'importation et la libération des échanges, réclamées par les représentants des cinémas américain et allemand, lors de la récente rêunion du Comité des Experts à l'O.ECE. à Paris. Aux producteurs français et italiens de décider. P.A
Inter.
national exploite Pour 1a pert les versions doublées en anglais des films italiens « David et Goliath » ef le « Signe du Gladiateur ». Autres films étrangers doublés on anglais distribués aux USA. par des sociétés indépendantes
: les productions françaises « La
Femme et le Pantin » (Lopert}, « Les Héros
sont fatigués » (Janus) ; les productions a'lemandes a Cal Girls », « Rosemarie », & Jonas
On
», ete
constate
que
la majorité
des
films
étrangers aux U.S.A. et que leur succès était uniquement fonction de la réponse du public américain qui choisissait librement ses spectacles. Aujourd'hui, les circonstances ont amené les compagnies américaines à distribuer aux U-S.A. des films européens doublés en anglais
films
Le Film Français, n° 830, 22/04/1960, p. 4. (© Le Film Français)
CONSÉQUENCE DIRECTE DE LA DIMINUTION D'ACTIVITÉ D'HOLLYWOOD EXPLOITATION CROISSANTE AUX U.S.A. des films européens UN
DOCUMENT DANS
UN
ÉDIFIANT : LES ANNONCES GRAND
QUOTIDIEN
DE
LOS
doublés DES
en anglais
CINÉMAS
ANGELES
Les
unaances
ci-contre
mettent
en évidence le notmbre élevé des fUms étrangers projetés aux
LS A.
Ceux-ci
—
dont
passent
simultanément
certains
danr
15
À
20 salles —
occupant la méme ne maine plus de 100 cinémas de Los ingeles, On reconnait es Litres américains de + Babette s'en vat-en
guerre
»,
« Oxrfeu Negro « Le Baptième marie Mitribltt sent
les
« Les
400 Coups
», « Le
Cigognes
»
britanniques.
et
de
fitms
Le Film Français, n° 830, 22/04/1960, p. 3. (© Le Film Français)
»,
Visage à, Bceau », < Rose», < Quand pus-
ETATS-UNIS LE FILM FRANÇAIS AUX importance croissante L'exploitation des versions doublées prend une
M. Joseph Maternai. Directeur de l'Oflice du Cinema Français à New York, vient de faire un bref «jour à Paris Dans un rapide entretien. 1 nous 4 donné d'intéremantes precisons ur la mtustion du film français aux Etats-Unis À New Vork, la fin de 1939 à été excellente pour le cinema français. avec quatre filins qui ont connu un excellence succes : Les Amants, Les Cousns, Les 400 Coups et Orfeu Negro. D'ailleurs. trois d'entre eux poursuivent actuellement leur carricre : Les Amants, qui en est à 1a 18 semaine au Par Les 40 Coups (1& semaine au Fine An). et Orfeu
Negro ill” semaine au Plaza). Les Cousns, dont la carrière avait commencé plus tôt, à quatté l'af-
fiche : mi-janvier, après une exclusivité de huit semaines au cinéma Beekman. Ls récente visite du inetteur en swène «les
400 Coups, François Truffaut, venu aux USA. pour recevoir le-prix du meilleur Glm étranger de 1959. que lui ont décerné les critiques new-\or-
kais
à été une
excellente
propagande
pour
le
cinema français & Les interviews que Truffaut à donnees à la presse, son point de vue sur les nouvelles ten: dances «le la production cinématographique en
France, ont été largement reproduits dans les journaux américains. C'est Li une excellente préparation pour es prochaines sorties de nos films aux USA, particuliérement à New York où sont
et plus attendus
Le Grand Chef. ainsi que plusieurs productions
de la + nouvelle
vague
+. telles que
Hiroshima
mor
Amour et À huut de Souffle. M. Maternati innste ur l'importance du fait le filin de Marcel Camus Orfeu Negro ait ete retenu par la commission de sélection des œu-
que
didats sux Oscars, pour concourir dans La cateurie du meilleur filni étranger. D'autre part Les 400 Coups leront également partie de la competuon. ainsi que Histoire d'un Poison Rouge, ce dernier dans la catégorie des courts métrages. En ce qui concerne les débouchés de la produc-
Nominations
pour
ton
française aux
pluicauion
des
L'S-A. on dou
versiuns
concourir pour l'attribution des + Oscars + de l'Académie des Arts et Sciences Cinématographiques d'Hollywood, qui seront décernes le 4 avni prochain, vient de faire connaître son choix, On relève avec plaisir dans cette liste deux filras Irançais : Orjeu Negro (œmpétition pour le meilleur film étranger) et Les 400 Coups (compétition pour le meilleur sujet et scénario écrits directe ment pour l'écran), et une actrice française. Simone Signoret, concœurant pour l'Oscar de la meilleure actrice. au titre d'un film anglais toutetois. Ajoutons que le œurt métrage français Histoire d'un pouson rouge, à ëté sélectionné
villes (New
York,
langue
l'ex
anglaise
Chicago.
Boston.
Los
Angeles.
en double programme avec un film amériain D'autre part. une fois leur expioitation cinematographique terminée, la majorité des films étrangers vont diffusés en version doublée par les chaives de la TV américaine. La production française repré suite un pourcentage très élevé de cette programmation TV, comme le prouve un exemple recent vü. «ur 7% films étrangers achetés par l'une des premitres chaines américaines de TV, on comptait 17 filus français Du point de vue censure, il semble que les difficultés que l'on à connues voici quelques annees
vont en sameauisant. C'est ainsi qu'a l'exception de deux ou crois Ecats Les Amants ont éte projetés sans coupure dans tous les USA.
d'Hollywood
Claytes (« Les Chemins de læ Haute Ville +), Biy WW der(+ Certmas l'aiment chaud +). @ MEILLEUR SCENARIO ADAPTE D'UNE ŒUVRE -ITTERALRE OU THEATRALE : Au risque de se perdre. Autepae d'an meurtre, Ben Hus, Les Choœins és la Æauw
Ville. Cerises l'aimest aberud.
© MEILLEUR SUTET ET SCENARIO ECRITS DIRETE
©
MEILLEUR
SCENARIO:
‘Stanley Sbapuo et Mauncæ Richlin) Les Fraises Sen res (logmar Bergman) @ MEILLEUR FILM ETRANGER : Orion Megre (France),
| |
pour l'Oxar du meilleur court sujet. Voia les principales « nominations + du Comité de sélection :
noter que
en
etc). et en venion doublée dans les cinemas d'explouarion normale, et notamment dans les + drive us ». Ces derniers. qui atteignent maintenant le nombre de 5000 environ. et fonctionnent smuvent toute l'année, constituent un très imporcant débouche pour les Glms étrangers où ils sont projetés
les “Oscars”
Hollxiwrood. — Le Comitw charge de sxlectionner les films. acteurs. réalissteurs. auteurs. destinés à
douhlées
de la pralurion (ramaise prend une place de plus en plus remarquable. Certains fils unpores wrtent en exploitation genérale dans les crus. avant nmième d'être projetés en version orimnale dans les salles « d'art ». tel La Femme ct le Pantin, qui connait un grand succis en version double. A l'heure actuelle. la plupart des doublage: des films franças en anglais à destination «les USA. wnc réalisés en France. M. Materuati attire l'attenrion sur la necessité d'améliorer encore la qualité de la post-svnchronisauion : le gramul public anéncain admet désormais la proiction des £lms étrangers doublés, qui sont susceptibles de faire des recettes substantielles, mais encre faudrait-il que le cravail de pos-svichronisation füc irapecable, notamment pour le dialogue a De plus en plus les films étrangers importés aux L SA. mnt exploités concurremment en version originale dans les salles « d'art + des grandes
@ MEILLEURS COURTS METRAGES (out vivant) : lotweon the Mides (Britanmque) IBstoiro d'un peissen (Frame),
Colummal
Bee Mur (MGML Les Chemins do La Eerate Ve (bnianmique. Romulus -Paramount}, Le jeurnei d'Anse Frank (2h Century Fax). © MEILLEURE ACTRICE : Dents Day (+ Condidences sur l'Oreuler +1 Acdrey Bopbara (+ Au nsque de se per
dre :, Latbarise Hepbara (« Soudan,
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© MEILLEUR ACTEUR : Leuromss Harvey l< Les Cheauns de la Haute Ville +, Chartes Hostes (+ Sea Hur o). lech Lemmen (+ Certains l'aiment chaud +). Paul Muni (+ Last Anqgry Man »), lames Séewrent (+ Autopaie d'un œeurtre +).
© MEULEUR RÉALISATEUR : Wilkem Wylos [+ San Aus »1. George Sievoas (« Le journal d'Anne Frank vi fred Tasomas (+ Au noque de se perdre »), laex
Le Film Français, n° 823, 04/03/1960, p. 32. (© Le Film Français)
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Durée d'exploitation et recettes de La Nuit américaine à Washington. (© Les Films du Carrosse)
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Durée d'exploitation et recettes de La Nuit américaine à San Francisco. (© Les Films du Carrosse)
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Durée d'exploitation et recettes de La Nuit américaine dans douze villes
d'Amérique du Nord. (© Les Films du Carrosse)
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Durée d'exploitation et recettes de La Nuit américaine à New York (et page suivante). (© Les Films du Carrosse)
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Mediterraneo (Italy; Miramax) Journey of Hope (Switzerland; Miramax) Cinema Paradiso (Italy; Miramax) Pelle the Conqueror (Denmark; Miramax)
Babette’s Feast (Denmark; Orion Classics) The Assault (Netherlands; Cannon)
The Official Story (Argentina; Almi) Dangerous Moves (Switzerland; Spectratilm) Fanny & Alexander (Sweden; Embassy) To Begin Again (Spain; Fox) Mephisto (Hungary; Analysis) Moscow Does Not Believe in Tears (USSR; IFEX)
The Tin Drum (West Germany; New World) Get Out Your Handkerchiefs (France; New Line) Madame Rosa (France; Atlantic) Black and White in Color (Ivory Coast; Allied Artists)
Dersu Uzala (USSR; New Worid)
Amarcord (Italy; New World) Day for Night (France; WB) The Discreet Charm of the Bourgeoisie (France; Fox)
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Variety, 04/01/1993. (© J’ariety)
FRANCE-SoiR - 5 NOVEMBRE
1375
HOLLYWOOD S'ARRACHE FRANÇOIS TRUFFAUT APRES «LA NUIT AMERICAINE» (De notre envoyée spéciale perm. Kira APPEL) HOLLYWOOD,
Hollywood Nuit
samedi.
le film
Américaine»,
François
venu présenter,
Truffaut
«la que
est
à remporté
autant de succès qu'au Festival de New York. Dans la salle
Wyler,
de
réception,
George
William
Cukor,
Vin-
cents Minnelli félicitent un Truffaut intimidé, surtout lorsque Minnelli déclare : «11
devrait figurer parmi les cinq
candidats à l'Oscar du meilleur film étranger.» Cette réussite vaut au met-
teur en scène français de se voir .proposer de nombreux scénarios, celui d'un western, celui d'un film sur la vie des grands peintres Picasso, Chagall, un autre au Canada. Mais François Truffaut refuse: «J'écris mes propres scénarios. Mon prochain film, sur l'enfance à divers âges, je ne veux pas le réaliser avant deux ans. Je dois aupa-
ravant accumuler beaucoup de notes sur ce sujet, comme
je l'ai fait pour la plupart de mes films». Truffaut s'exprime le plus souvent en français et sa vedette Jacqueline Bisset lui sert d'interprète. Le metteur en scène, un peu embarrasse, explique: «J'étudie l'anglais: surtout en suivant les audiences de Watergate à la
télévision américaine, ce qui limite mon vocabuiaire. Pour parler de cinema je dois trop longtemps chercher mes
mots. »
Avant
de
se
rendre
au
Festival de San Francisco il a fait projeter « La nuit americaine - à Jean Renoir qui estime: «C'est un :ilm inhabituel, sûrement ie seul de son
genre,
émaillé
plein
d'humour.
énormément
son
d'émotions,
J'admire style. »
Le 17° Festival de San Francisco, qui ne comporte pas de palmarès et auquel partici-
pent cette année 23 films, a consacré deux soirees à François Truffaut, l'une avec « La nuit américainel'autre avec
une
rétrospective
des
succès du metteur en scène. C'est en fan, au rezard ému, que celui-ci félicitait pour son interprétation le directeur du Festival Jarman, ancien enfant-vedeite à huit ans, qui reste pour Truffaut le petit garçon blond de «The yearling ».
(© France-Soir, tous droits réservés)
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Exploitation de L'Histoire d'Adèle H. et de L'Argent de poche aux Etats-Unis. (© V’ariety)
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LE Voisty-ob. 4 [7 NEW YORK FILM FESTIVAL RUNS CLOSE TO CAPACITY AT TULLY HALL By ROBERT J. LANDRY Festival chief and principal emcee Richard Roud induced a
New York, Oct. 3 — Up to and through the second weekend of the New York Film Festival, attendance has cContinued at or near the 1100-odd capacity of Alice Tully Hall at Lincoln Center. Many fans are recognized night after night. Their critical comments are often worth the eavesdropping. On the other hand, there are silences. One was following Robert Bresson's ‘The Devil Probably,' a Silver Bear winner at the Berlin Film Festival. There was the usual cluster outside the hall of buffs querying strangers in the hope of being able to buy a single admission to the Bresson film. Though the audience remained transfixed during the unfoldment, which is an attempt to elucidate the cemetery suicide of a Paris intellectual, at the conclusion there was no applause whatever, yet no boos either, though the Eli Noyes short, ‘‘Glove Story’ (U.S.), which preceded Bresson, was partly booed. The two extremes of reaction undoubtedly were evoked by the latePier Paola Pasolini's‘‘Salo' (considerable repugnance) and by Francois Truffaut's ‘‘The F Ep
ght), both films
are going into commercial release, Traffaut for Cinema 5.
separate ecstatic hurrah when he revealed added attraction of Truffaut's French segment in an old
multinational
episodic,
“Love At Twenty,'' originally released by Embassy in Joe E. Levine's era and now controlled by Janus. This proved a distinct pleasure, a sort of Gallic version of Booth Trakington. Truffaut made his usual appearance, speaking French to Roud's translation. However meaningless the term ‘‘ova-| tion’’ has become in theatrical overuse and abuse, his was a bona fide and intensely affectionate ovation. Truffaut Is Favorite There is scant risk involved in | declaring that of all the European film directors, Truffaut is probably far and away the number one favorite of the Lincoln Center buffs. Alongside Truffaut at the microphone and in À the honor box was actress Brig- À gitte Fossey, elaborately overdressed in what may well be the dernier cri of Parisian couture. She looked 100% better on the screen. She made her remarks in English, climaxing with a strange phrase that somebody must have told her was an Americanism, which can be for&otten.
Variety, 04/10/1977, p. 10. (© l’ariety)
OU EN EST LE FILM FRANCAIS DANS LE MONDE ? ETATS-UNIS recul
Le plus grand marché cinématographi-que du monde n'est pour le cinéma français qu'un marché potentiel. Quelques succès
d'estime pour des films d'auteurs réputés, et les résultats exceptionnels de Cousin, Cousine ne doivent pas faire illusion ni dissimuler l'extrême fragilité de la présence française aux Etats-Unis. La vive hausse de 1975 semble n'avoir eu pour origine que:
le système des "tax-shelters”. Avec la disparition de celui-ci, on ne peut attendre. qu'avec inquiétude l'année 1977. La rumeur publique. en raison sans doute du “cas” Cousin. Cousine. à fait de 1976 une année exceptionnelle pour le cinéma français aux Etats-Unis Mais les satstiques
du œæntre de la Cinématogra-
phie donnent de l'exportation cinématographique française vers ce territoire une image bien différente : le montant total des contrats accuse une baisse de 48% et tombe à 3 millions de dollars. Le nombre des contrats passe de 60 en 1975 à 31 en 1976. [1 faut cependant ajouteràcœux-ci les contrats de cession des films français pour le monde entier à des Sociétés de distribution américaines La répartition de ces
contrats révèle un profond déséquilibre. Les trois contrats supérieurs à 400.000 dotlars ne représentent que 12 % du nombre des contrats mais 72 % de leur montant to-
tal : Les 6 contrats supérieursà 100.000 dot Lars. 24 % du nombre. 83 % du montant todal. 34 films français sont sortis en première exclusivité à New York en 1976 re-
cueillant une recette salle d'environ 3 millions de dollars: mais un film représente à lui seul prèsdu tiers de cette recette, et 8 films seulement ont dépassé 100.000 dollars de recettes. Les 3/4 de ces films étaient distribués par des Sociétés indépendantes. le quart par les “majors”.
Le Film Français, n° 1677, 13/05/1977, p. 149. (© Le Film Français)
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2.100.000 2.100.000 2.100.000
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4. Hagbard & Signe (The Red Maatle) (S. Prentoults/Cinevision ‘68)
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2.000.000
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43. Dear Inspector (Cinema 5 78) 750.000 | 43 Betty Blve (Alive 86)
P. de Broca J.-J. Bemex
2.000.000 2.000.000
J. Menzsi
700.000
Bi 8.À Blier
on 2.000.000
W. Petersen
11.000000
A Memeche
Ge 8. August G. Axel
43.ï Too Beauthul For Yes (Onon C1. Ê "901
6.500.000 |{. Das Boot (Triumon 82)
5.300.000 |2. The Tin Drum (Nsw Word 80) 2.500.000 |3. Wings Of Desire (Orion C1. ‘88)
V. Schlôndortt 4.000.000 W.Wenders 3.400.000
900.000 | 4. ne Marriage Of Maria Braun
R.W. Fassbinder 2.600.000
(New Yorker 79)
B. August
500.000 | 5. Man (New Vorker ‘86)
0. Oôrne
J.-J. Morsen
250.000 | 6. Loia (UA CI. ‘82)
RW. Fassbinder 1.900.000
7. Ftrcarratdo (New Word ‘82)
France
2.550.000
C.Serreau
500.000 | 37. The Two O! Us (Cinema 5 ‘68) 350.000 | 37. State Of Siege (Curema 5 73) 230.000 | 37. Thai Obscure Object Of Desire
Czechoslovakia
3.900.000
3.200.000
3.000.000
1.200.000
4.000.000
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8. Tavemer
6. Barreto
Canada
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F. Truftaut H. Verneuil 8. Tavermuer
À Jabor C. Diegues
8. Barreto
5.100.000
21. Small Chaage (New Word 76) 22. The Siciiisa Clan (20th Fox 70) 23. À Suaday la The Country (MGMWUA CI. 84)
2. | Love You (Attantic ‘82) 3. 8ye Bye Brazil (Unifilm 80)
4. Gabriela (MGM-UA CI. 84)
4.300.000 4.200.000
L Bunuel
ME 89)
400.000 |9" aoung Midaight (WB :86)
Yorker ‘78)
5.200.000
8. Blier 0. Kurys
O. Vigne
1,400.000 | 17- Belle de Jour (Alied Artists "69)
Brazl
5.400.000
M. Murh
C. Berri
8. “Metropolis (Cinecom 84)
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3. A Man And À Woman (Allied Antists ‘6f)
C. l'etoucn
4. Ema:snuelle (Cokinbia ‘75)
J. Jaectin
11.500.000
5. Slory Of O (Añied Atists/Lonmar 75)
J. Jaectin
10.000.000
. Cousia Cousii ibra 7 ;Diva (LAris 6) 8. La Cage aux Folies H (UA'U1)
J.-C. Tacchekta ar ee
8.50. - Sugarta pepe 15. À Love la Germany (Triumon ‘84) 6.000.000 | 16. The Marquise Of 0. (Ncw Line 76)
9. Jean de Floreñe (Orion CI. 87)
£ Molinaro C. Bem
10. King Of Hesrts (UA-Lopeït '67)
P. de Broca
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God (New Yorker 78)
A
Tir
Recettes des meilleurs films nationaux
aux Etats-Unis (et page suivante).
Variety, 07/01/1991, pp. 86-87. (© V’ariety)
1.100.000 100.
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1.500.000
F.Agpuon Ri
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5.450.000 | 17- A Woman In Flames (Ami CI. 84) 5,400.000
1.700.000
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2.000.000
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750.000 650.000
A. van Ackeren
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More national bests inthe US. TITLE (U.S. DISTARIS, YA.)
DIRECTOR
GROSS
1. S22do P. Gothar 1. Szabo P. Gabor
S3.900.000
Hungary 1. Mephisto (Analysis ‘82) 2. 3. 4. 5.
Time Stands Suit (Lbra 82) Coi. Redi (Onon CI '86) Angl Vera (New Yorker ‘80) My 201h Cemury (Anes 90)
6. Me Revoit OfJob (Teteculture 83) 1. Huogarise Fairy Taie (Wax/Cournrer '88)
L Enyed
300.000 E© YONGYOSSY/ 250.000 8. G 170.000
India 2.100.000 680.000 300.000
3. Dlsisæt Theader (Cirema5 73)
Italy 1. 2. 3. 4. S. 6. 7.
La Dolce Vita (Astor/Landaw/AIP "80) Cinems Paradise (Miramax 90) ElgM And À Haif (Embassy 63) Yesterdsy, Toésy And Tomorrow (Embassy 64) Marriage italiaa Style (Embassy 84) Two Wemen (Embassy 61) Swegl Auray (Cinema5 75)
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10. Amarcord (NW 74)
F v.gs V. V. L Wermuler Y. de Saca L Werumuller F. Brusati F. Foto
11. The lnnocert (Anatysis 79)
L. Visconn
12. 13. 14. 15. 18.
F Felèns F. Zefireti
8. Garden Of The Fiazi-Cominis (Cirema 5 71)
9. Soven Beauties (Cinema 5 76) 9. Bresd Aad Chocotsie (Word Nortnai 78)
Satynicon (UA 70) La Trasts (Umwversai C1. 82) Wiemistrezs (Quartet 79) How Funny Can Sex Be? (MaMier 76) À Spacial Day (Cinema5 78)
17. Casanova ‘70 (Emassy 65)
17. Me Suallower (Avco Embassy 70) 19. À Briei Vacation (AA 75) 20. NigMm O1 The Shaoliag Stars (UA CI. '83) 21. Dark Eyes (Island ‘87) 22. Roma (UA 72)
23. lavestigation O1 A Cilizen Above Sutprcion {Col 70) 24. La Grands Sourgeoise (Atiannc 77) 24. The Tree Of The Wooden Clogs {Now Yorker 78) 24. City Of Womes (New Yorker 81) 27. Till Marriage Do Us Part (Frankdn Media 79) 28. The Seduction O1 Mimi (New Une 74) 29. Eboii (Franidm Media 80)
29. Three Brothers (New Won '82) 29. The Family (Vestron 87)
CE FE
M. Vicarro
0. Risi
18.000.000 11.300.000 9.500.000 9.200.000 9.000.000
7.000,000 6.000.000 $.100.000 5.000.000 5.000.000
4.700.000 4.100.000 4.000.000 3.700.000 3.300.000 3.000.000
E. Scola M. Morucsii V. de Sica
Taviam Bros.
N. MEchaïkov F. Feline
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A Kurosawa
1. Tampepe (New Yorkar '86) 4. Oreams (WB 90) S. la The Aeaim Of The Senses (Surrogale 76)
J. tam
13. Demon Pond (Grange/Kino ‘82)
. Me Famity Game (Circle '85) * rmssue only
Mexico 1. El Toso (Abkco 69)
2. Erendira (Miramax ‘84) 3. Dons Herlinds & Her Sos (Crenista ‘86)
The Netherlands 1. Z. 3. 4. $.
The Fourth Mas (Spectratim ‘84) Spetters (Goideryn ‘82) The Assault (Cannon ‘87) Max Havelzar (Atiantx 78) Turkish Delignt (Cinsmaton 76)
12. Padre Nuestro (IFEX ‘87) 13. Labyriath Of Passions (Cinevrsta 90)
F. Reguexo
500.000
10. Blood Weddiag (Libra ‘81) (Chnensia 85)
1. 1 Am Curious (Yellow) (Grove Press 69)
Z Elvira Madigan (Cinema 5 '67)
M. Shenoda Y. Monta
370.000
V. Sioman 8. Widerberg
19.000.000 9.000.000
8.800.000
4. My Lie As À Dog (Skouras '87) S. Faeny & Alezsader (Embassy '83)
L Kaïsirom L. Bergman
8,100,000 8.000.000
6. The Emigrants (WB 72)
J, Trot
4.500.000
1. Bergman 1. Sergman 1. Sergman
4.200.000 4.000.000 3.200.000
T. Autumn Sonsta (New Word 79) 8. Cries And Whtspors (New Word 73) 9. Face To Face (Paramount 76) 18. The Magic Flste (Surrogale 75)
11. Te New Land (WB 73)
1. Bsrgman J. Troell
2.800.000 2.000.000
12. | Am Curioss (Blue) (Grove Press 70) 13. 491 (Peppercom-Wormser/Janus 67)
V. Sioman
900.000
V. Sioman
800.000
14. Passion Of Anna (UA ‘70)
1 Bergman 1. Bergman 8. Widerberq B Widerberg | Bergman 1 Bergman À Tarkovsky
700.000 650.000 600.000 600.000 500.000 450.000 450.000
Shame (UA-Lopert ‘68) Maa On The Roof (Cinema 5 77) Joe HI (Paramount 71) Aer The Reneartal (Triumph ‘84) Hour O1 The Wolf (UA-Looent 68) The Sacrifice (Onon C1. ‘86)
1. Moscow Dses Ne1 Believe la Tears (IFEX 80) 4. Solans (Magna 76; Connth-Kino 90)
$. Siave Of Love (Cinema 5 78) 6. Oblomav (IFEX ‘80) ne
6. 8. 9. 9.
Rasputla (IFEX 85) Sibariade (IFEX 79) Commissar (IFEX 88) Repentance (Cannon ‘87)
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1.000.006
LL Godard
500,000
A. Tanner J.-L. Godard A. Dembo
800.000 600.000 600.000
V. Menshov
1.200.000
A Kurosaæwa
1.200.000
V. Pitchul
1.100.000
À Tarkovsky
N. Mikhalkov N. Mikhalkov E.Klimov
700,000
650.000 400.000 400,000
À Konchalovsky 320,000 À Askotdov 300.000
T. Abulagze
300.000
E.Kusiunca
1.300.009
Yugoslavia 1. When Fatber Was Away (Cannon 85)
K Ogun
Y. Qzu A. Kurosawa
520.000
L-M. Lindgren
1. Dear Jona (Sigma 3 64)
1. Dersu Uzaia (New Won 77) 3. Uttie Vera (IFEX 89)
S. imamura K. Kuma
P. Amodévar
900.000
Sweden
U.S.S.R.
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N. Oshama À Kurosawa J. tam J. ami
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7 Sounet coproéuchon en France.
* Sunrts coproduchon ent France.
1. Raa (Onon Cl. ‘85) 2. Kagemusna (Fox 80)
. Toirve Story (New Yorker ‘71) * Hidden Fortress (Füms Of Japan, 84)
11. What Have | Done To Deserve This!
P. Almodévar
800.000 730.000 700.000 600.000
9. € Amor Brafo (Onon C1. ‘86)
F Ross F Ro
Japan
11. Sandakan8 (Peppsrcom-Wormser 77)
900,000 860.000
C. Sauna P. Almodôvar C. Saura C. Saura
L Werimuber |
V. deSica
10. Me Makioka Sisters (RS/S8 '85) 11. Mudéy River (Unifim "82)
J.L Gara P. Almodôvar
6. Low Of Desire (Cinewrsta 87) 7. Cris (Jason Allen 77)
4. Dsagerous Moves (Spectrafiim ‘85) $. * Fri Name: Carmes (Spectral ‘84)
M. Nichetti
9. 8alled Of Narayama (Kino ‘84)
4. To Begia Agaia (Fox 83)
1. * Every Maa Far Himseif (New Yorker ‘80) 2. Jenah Whe WI Be 25 (New Yorker 76) 3. * Hall. Mary (Gaumont/New Yorues 85)
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33. The Priest's Wite CAB 71)
7. À Taxieg Womsa (Onçgraal ‘87) 8. À Taxirg Woman Reterns (New Yorker 89)
7,500.000 4,100.000 3.100.000
Breaudewa (Onon C1.‘88)
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M. Botogreru £. Oim
32. lcseie Thiel (Anes 90)
6.” Seven Samurai (Landmark 704)
P.Aimodüva P.Aimodovar C. Sauna
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15. 16. 16. 18. 19. 19.
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250.000 200.000
2. Tie Me Up! Tle Me Dowal (Miramax 90) 3. Carmen (Onon C1. ‘83) 4." Tristana (Camost 70)
8. Matador (Cinevesta 86)
1. Sslssm Bombay (Cinecom '88) 2. The Home & The Worid (European C1. 85)
D Verhosgven M. Gorrs
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1.000.000 700.000 500,000
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6. Keetje Tigpel (Cinema Nat. 76) 7. À Question O! Silence (QuareuFilms inc. 84)
2. Aérift (MPO 71)
il 3. WA — Mysieries Of The Organtsem (Cinéma 5 71)
SÉSBSSESSSSSSS SESBESSESEBBES 200.000
4. Hoy Babe Riba (Orion CI. 87)
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J. Kadar
700.000
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400.000
JAcn
300.000
François Truffaut, en compagnie de Helen Scott au Festival International du Film de Montréal, en 1961. (© Bruno Massenet)
François Truffaut, lors de la 46ème cérémonie de remise des Oscars à Hollywood, en 1973. Oscar du meilleur film étranger pour La Nuit américaine. (© Academy of Motion Picture Arts and Sciences)
L'évolution de Doinel/Léaud
au cours des films du cycle Antoine Doinel. (© Raymond Cauchetier/Les Films du Carrosse)
Romance Truffaut
1.3 Les Quatre © Cents Coups %
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‘have never been so moved at the cinema.’
‘A wonderfulty entertaining and a classical firm.’
Jean Cocteau
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atfectionate film.’ The Observer
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‘Entrancing.' Diys Powell
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‘Among the great lyrical achievements
of the screen.’
The Guardian
Pauline Kacl
Financial Times
Publicité de la collection vidéo des films de François Truffaut en Grande-Bretagne (distribuée par Artificial Eye) parue dans Sight and Sound (12/1994). (© Artificial Eye)
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‘A very enjoyable film indeed'
-..not a movie you'il easily forget … a most demanding, original work.” — Vincent Canby, New York Times
“’Truffaut’s best-realized film in recent years.” -— William Wolf, Cue Magazine
In The Green Room, everyone can hear you scream. But no one will help.
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A Film by FRANCOIS TRUFFAUT NEW WORLO PICTURES Presorts THE GREEN ROC LITRES Writen by FRANCOIS TRUFFAUT arc JEAN GRUALET. Basod in Starrig NATHALIE BAŸE and FRANCOIS TRUE Het JRY MONi DUCOS, JEAN-PIERRE JEAN-PIERRE MOULIN, ANTOINE VITEZ and PATBION RIRE CCS Music ny MACFICE : AE F Director of Photography NESTOR ALMENDROS TES ASE Produced by LES FILMS DU CARROSSE and LES re Catane
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Affiche américaine de La Chambre verte (non signée, Droits réservés).
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François Truffaut, King Vidor et Frank Capra à Hollywood, en 1974. (Droits réservés)
- 187-
La convergence entre les films de Truffaut et les films noirs américains pourrait être d'autant plus effective que le cinéaste adapta plusieurs romans américains de série noire. Mais, surtout, nous pourrions être d'autant plus incités à présupposer cette convergence que la critique américaine ne fut pas insensible à la violence du style truffaldien. Celle-ci constituerait en effet un point d'intersection important avec la culture américaine, notamment cinématographique. La violence est une tradition américaine. La conquête du continent en avait fait une nécessité. Le puritanisme en fit un exutoire.
L'anglais Richard Roud, longtemps directeur du Festival de New York, auteur d'une biographie inédite de Truffaut, soulignait que "Truffaut n'était pas toujours aussi enjoué et Joyeux que ses apparences publiques en Amérique voulaient le faire penser. C'était un homme tourmenté, qui ressemblait extrêmement au personnage qu'il jouait dans Za Chambre verte. Il n'était pas un saint ; 1l pouvait attaquer violemment et attaquer avec une fureur féline quand il provoquait." (Film Comment, 09/10/1988, p. 77). Par exemple, chez Truffaut, la conception du background participe d'une recherche de la violence. C'est ainsi que le recours aux films d'époque n'est pas motivé par le désir de se réfugier dans un monde en dehors des polémiques contemporaines. Au contraire, cela répond pour Truffaut à une plus grande liberté quant à la violence du traitement. "Je suis encore attiré par les films d'époque, ils permettent une plus grande violence dans les sentiments, les attitudes frôlent la chorégraphie" souligne Truffaut (Cahiers du cinéma, 09/1980, p. 16). Lors d'une interview retranscrite dans American Film, Truffaut souligne, à propos de L'Histoire . d'Adèle H., que “l'idée était de faire un film qui ait le maximum de violence intérieure. Une violence émotionnelle." (05/1976, p. 35).
- 188-
La sensibilité de la critique américaine à la violence truffaldienne n'est pas seulement le résultat de l'influence de la tradition culturelle nationale. Elle constitue un réel point de convergence entre la stratégie du cinéaste et la culture américaine. "A ce jour", dit Truffaut, invité d'honneur au festival de films de Chicago en 1981, "l'amour et la violence,
le coeur et la passion, sont mes grands intérêts" rapporte le journal canadien Winnipeg Free Press (12/11/1981, p. 39). Il en va de même dans l'évocation de la sexualité. Les films de Truffaut sont des films d'amour où la sexualité est loin d'être absente. Preuve que la violence de la sensualité s'impose aux États-Unis comme une caractéristique du cinéma truffaldien, son évocation continue à être présente même dans les années quatre-vingt-dix, où la concurrence avec les films américains est pourtant encore plus rude... Ainsi, dans un article du Chicago Sun-Times, en 1990, la critique compare, sur le
thème de la violence, les films de Truffaut à un film de Jean-
Claude Lauzon, cinéaste canadien : "Dans son second film, Léolo, Lauzon évoque le commerce du sexe, de la mort, de la bestialité et du désir. Leolo paraît ainsi redevable aux oeuvres sur la rébellion adolescente de François Truffaut (Les Mistons, Les Quatre Cents coups)." (p. 10).
Même Za Chambre verte est principalement perçue au travers du thème de la violence passionnelle extrême, comme un écho à la phrase de Truffaut qui affirmait quais Chambre verte prolonge Adèle H. qui n'était pas assez vibrant." (Cahiers du cinéma, 10/1980, p. 25) : "Au sein de sa place ténébreuse, d'une mélancolie envahissante et crépusculaire, Truffaut est obsédé par l'amour obsédant. [...] Truffaut marque sa préférence pour une obscurité étrange, sombre mais aussi hypnotique et plutôt semblable à une rêverie cinématographique qui traite à la fois le respect des morts et l'inconscience de l'obsession et de la folie" (Los Angeles Times, 09/11/1979). Encore plus révélateur, le critique canadien du Globe and Mail intitule son article sur La Chambre verte : "La Chambre verte de Truffaut, un cafch-22
- 189-
de l'âme". Il conclut en effet sa_critique en affirmant que le “film est approfondi, clinique, suscitant beaucoup de questions. [...] Sa fin est ambiguë, mais humainement, peutêtre encore plus profondément ambiguë. En essayant de rendre la vie supportable au travers du culte, Davenne fait son culte personnel contre l'oubli. C'est un film sur un Cafch-22 de l'âme." (19/11/1979).
Dernier fait révélateur de la permanence d'une telle réception, qui développe le caractère percutant du cinéma de Truffaut, la campagne publicitaire du distributeur "Artificial Eye" pour la sortie en Grande-Bretagne d'une "collection François Truffaut" en cassettes vidéo, en 1994. La publicité,
diffusée dans plusieurs journaux anglais dont la revue de cinéma Sight and Sound, s'intitule "True romance" (confer document t). Ce titre, destiné à résumer la collection des cassettes, donc le style truffaldien, évoque le film du même nom de Tony Scott (États-Unis, 1993, scénario de Quentin Tarantino). Une telle comparaison confirme la nature profonde de la réception de Truffaut dans les pays anglophones en général : films qui dérangent, violence des comportements mais s'inscrivant dans la logique de l'histoire, fraîcheur et spontanéité des personnages qui sont décrits comme des anti-héros, reflet d'une culture éclatée et désarroi d'une génération au futur plus qu'incertain. Finalement, une telle comparaison avec 7rue Romance conforte la place originale, voire à contre-courant, que Truffaut tient au sein du cinéma européen et français, aux yeux de la critique américaine. En effet, le film culte True Romance, et Scott et
Tarantino en général, font figure de nouvelle vague dans le paysage souvent uniforme d'un cinéma américain stéréotypé et aseptisé. Dans le détail, les films noirs de Truffaut sont-ils assimilés aux films noirs américains ? Prenons par exemple le cas de Tirez sur le pianiste (1960), adapté du roman policier Down There, de David Goodis, romancier américain (1917-1967).
- 190-
Comme
tous les films noirs de Truffaut,
Tirez sur le
pianiste s'inscrit en fait dans une réaction contre les clichés du genre américain du film noir, approche qui fut souvent mal perçue, notamment en France. Par contre, paradoxalement, la réception critique américaine a été tout à fait différente et son analyse est très significative pour notre propos.
Dans Tirez sur le pianiste, Truffaut réagit contre les référenciations à la fois françaises et anglophones, en somme contre tous les clichés inhérents au genre : "Comme je réagis toujours contre, je ne voulais pas tomber dans un cliché du cinéma français qui est de présenter les gangsters comme sympathiques et sentimentaux. Le genre gangsters qui se regardent dans les yeux, qui promettent à l'autre de s'occuper de sa femme et de ses gosses, etc., toute cette littérature que je détestais. Ces clichés m'énervaient, je ne voulais pas les reproduire ! Je ne voulais pas faire pour autant le moraliste. Alors Je me disais : "Je vais m'en tirer par le comique, je vais pousser les personnages vers le comique !" Mais là, en les poussan t vers le comique, j'avais peur de tomber dans les clichés cette fois britanniques, le côté gangsters idiots comme il y en a toujours dans les films anglais. Si bien que c'était la chose que je sentais le moins dans le film. Par contre, j'étais à l'aise avec le personnage d'Aznavour, les trois femmes autour de lui, le personnage du patron de bistrot.. ." note Truffaut (1974, cité dans Cinématographe, Paris,
12/1984, p. 10).
Le but de Truffaut fut d'actualiser au maximum la fantaisie virtuelle du thème : "Zirez sur le Piani ste, ça à probablement été cette idée-là : prendre une Série Noire quand même déjà poétique parce que Goodi s n'est pas n'importe qui - et la pousser au bout de son extravagance pour en faire apparaître le côté conte de fées pour adultes" confie Truffaut (1974, cité dans Cinématographe, 12/1984, P. 10). En renforçant une telle approche de l'oeu vre d'origine,
- 191-
Truffaut procède à une recréation personnelle qui correspond
à la volonté "de faire un film qui n'aurait l'air ni français, ni américain, cela commençait avec le choix d'Aznavour et de ses frères arméniens." (Cahiers du cinéma, n° 316, 10/1980,
p. 23). Par exemple, Truffaut insère dans le film de nombreux clichés en hommage aux films B hollywoodiens (exemple de la scène où Nicole Berger se jette par la fenêtre, etc.) Néanmoins, les gangsters ne sont pas typiques, notamment par rapport à leurs dialogues, uniquement axés sur l'amour, y compris dans les scènes de bagarres, de poursuites, du kidnapping. À présent, voyons comment la critique américaine réagit à la recréation originale d'un thème américain. Bien sûr, elle note toujours l'intérêt de Truffaut pour les films noirs américains. Cet intérêt fonctionne comme une référence, plus ou moins implicite, qui prédispose le spectateur à un certain mode de réception, en l'occurrence l'appui sur les conventions génériques du film noir. "C'est seulement quand Truffaut, qui semble avoir été impressionné très tôt par les films policiers américains, se met à jouer un indécis, pseudo-sérieux jeu de flics et de bandits que le cran, l'héroïsme quitte son histoire plein d'entrain." note le critique de Newsweek (06/08/1962, p. 76).
De fait, la corrélation que l'on note entre Tirez sur le pianiste et les films noirs américains ne constitue pas le but des analyses. De façon générale, la réception américaine de Tirez sur le pianiste est proche de ce qu'écrit le journal de Boston, Phoenix : "Tirez sur le pianiste démontra que l'on peut reprendre des genres hollywoodiens comme les films de gangsters, en les dépouillant de toute sentimentalité, et en les habillant avec des ambiances, des idées disparates qui évoquent une existence riche, indisciplinée au-delà de l'écran." (30/10/1984). Evoquant chez le spectateur la référence au film noir, Truffaut rompt ensuite avec cette attente.
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Quelques années plus tard, Tirez sur le pianiste est même conforté dans sa spécificité, car perçu à la lumière des autres adaptations truffaldiennes de Série Noire américaine : "Comme Fellini-Satyricon, La Sirène du Mississippi de Truffaut viole sa source. Mais Fellini profanait un classique : Truffaut ne profane pas suffisamment, ne bouleverse pas son roman policier de quatre sous comme il avait autrefois bouleversé des romans à sensation pour produire des chefs-d'oeuvre tragi-comiques, comme Tirez sur le pianiste, et cette oeuvre sous-estimée, La Mariée était en noir." (The American Scholar, automne 1970, P. 681).
Tirez sur le pianiste s'impose ainsi comme une référence significative du mode recréatif truffaldien. Ce dernier consiste
en effet à violer sa source, à bouleverser les clichés dans le sens d'un remodelage personnel. 117 Cette réception a été, à la différence de l'accueil français par exemple, développée dès la sortie du film aux États-Unis, en 1962. L'anti-conformisme de Tirez sur le pianiste, tant vis-à-vis des clichés cinématographiques français qu'américains, fut particulièrement développé par les revues universitaires ou les
revues de cinéma indépendant, comme Film Culture :
"J'aime le livre de David Goodis, mais c'est strictement une oeuvre dans un genre limité, bien-fait et cohérent ; le film de Truffaut s'échappe par-dessus tout ça, et c'est ce qui est merveilleux. Le film est une comédie, est pathétique, est une tragédie, [...] le contraire de ce que nous avons été amenés à attendre dans les films. lès]
I ÿ a une tension dans la méthode : nous ne savons pas
vraiment où nous sommes, comment nous sommes supposés réagir - et cette tension, étant donné que le ton change, que nous sommes tirés dans différentes voies, nous
donne l'excitation du drame, de l'art, de notre vie. Rien
- 193n'est précis, les ironies s'entrecroisent et rebondissent. [...] Dwight MacDonald écrivit que Tirez sur le pianiste mélange délibérément "trois genres qui sont habituellement séparés ; le mélodrame criminel, l'histoire
romanesque et la comédie farcesque." Ce qui est excitant dans Tirez sur le pianiste est que les différents éléments nous laissent dans un état de suspension." (hiver 1962, pp. 14-15).
"Avant tout, je cherchais l'explosion d'un genre (le film policier) par le mélange des genres (comédie, drame, mélodrame, le film psychologique, le thriller, le film d'amour, etc.)", propos de Truffaut que rappelle la revue de cinéma new-yorkaise Cineaste (vol. XVIII, n° 1, 1990, p. 60). Cette même revue poursuit son analyse de Tirez sur le pianiste en soulignant que le film est "sans aucun doute, l'oeuvre la plus cinématographiquement spontanée, un grand plaisir pour les cinéphiles, un grab bagll8 stylistique d'effets et d'ambiance qui malgré tout aboutit à un de ses films les plus émouvants." (Cineaste, vol. XVIIL, n° 1, 1990, p. 60). Finalement, Tirez sur le pianiste met en place une approche très truffaldienne, à savoir l'ambivalence entre "sophistication" et "dislocation" (Film Comment, été 1965, pp. 26-27). Truffaut pratique sur son spectateur une "dislocation" des conventions, qui va de pair également avec une série de procédés ironiques : "Dans Tirez sur le pianiste, Truffaut juxtapose différents conventions ou genres afin de désorienter le public. [...] Ceci nous rend incapable de décider quelle sorte de film est Tirez sur le pianiste. Nous cessons alors de le faire rentrer absolument dans notre système limité de classification et nous devons le considérer par rapport à ses propres conditions. L'utilisation truffaldienne de l'ironie nous rend également incertain quant à la réaction à avoir. Cependant, le film nous guide aussi vers une réponse de nature sensible. [...] Les techniques de désorganisation sont aussi effectives dans Jules et Jim quoique moins évidentes.
- 194[...] Tandis que Truffaut ébranle et désoriente le public, il affirme que toutes les façons de regarder l'histoire de Jules, Jim et Catherine sont valables, que la vie est plus complexe que les catégories avec lesquelles nous essayons de la comprendre. [...] Peu de metteurs en scène ont cette qualité d'esprit." (Film Comment, été 1965, pp. 26-27).
C'est dans une telle perspective de "dislocation" des catégories et d'identification ironique que l'on peut lire dans Literature/Film Quarterly (Salisbury State College Maryland) : Truffaut "était peut-être le plus inventif de tous ces jeunes metteurs en scène dont le travail reflète l'idéologie existentialiste en cours à la fin des années cinquante.
[..]
L'absurde était la catégorie fondamentale qui conditionnait toutes les tentatives de représentation." (été 1977, p. 183). Le même article analyse les trois premiers films de Truffaut, et notamment Zirez sur le pianiste, à travers le thème de l'absurde condition humaine : "Dans Tirez sur le pianiste, la configuration absurde, qui provoque des ruptures narratives, réside également dans les gags et les formules parodistes qui rompent constamment la tonalité du film. [...] On assiste à un mélange de conventions et de parodies à des niveaux multiples. [..] Le mélange de lyrisme et de parodie, de gags et de gravité tragique, doit être envisagé comme une autre forme de représentation qui signifie l'absurdité, la
perte des certitudes, le sens de la discontinuité qui sous-
tendent Les Quatre Cents coups, Tirez sur le pianiste, Jules et Jim" (Literature/Film Quarterly, été 1977, pp. 187 et 189).
L'assimilation et la légitimation de l'oeuvre de Truffaut par la critique américaine ne reposent pas franchement sur un processus d'identification à des genres du cinéma américain,
au film hollywoodien ou au film noir par exemple. Qu'en est-il de la comparaison avec la nouvelle vague américaine ?
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- 3.1.4 - La spécificité de Truffaut face à la nouvelle vague américaine Quelle relation la critique américaine établit-elle entre les oeuvres de Truffaut et les films américains de la nouvelle vague américaine ? Existe-t-il une correspondance fondée sur un attrait de la subversion dans une Amérique trop conventionnelle aux yeux de certains intellectuels ? Dans les années soixante et soixante-dix, aux États-Unis, la notion de metteur en scène est de plus en plus évoquée. Jusque vers les années cinquante, les films américains étaient désignés par le nom des studios qui les produisaient. La "politique des auteurs", énoncée par François Truffaut, faisait l'éloge, dans le cinéma américain, de cinéastes à petit budget (tels que Robert Aldrich, Joseph Losey, Nicholas Ray, Edgar Ulmer, etc.) où la personnalité du cinéaste était id=ntifiable, appréciation primordiale du cinéma américain à laquelle il
resta toujours fidèle.
Le rédacteur de Film Culture,
Andrew Sarris, grâce à ses "Notes sur la théorie de l'auteur" (1962) suivies par un numéro complet consacré aux réalisateurs américains dignes de cette théorie, marqua le développement du concept d'auteur aux États-Unis. Pourtant, en dehors des campus universitaires, la théorie de l'auteur n'eut pas un impact considérable sur les spectateurs américains. On assista par contre à l'essor d'une nouvelle génération de cinéastes (Coppola, Hopper, Lucas, Kubrick, Spielberg, Scorcese, etc.). Le fait que le cinéma de François Truffaut ne soit pas totalement repérable par rapport à la nouvelle vague américaine, confirme la façon dont le cinéaste s'imposa aux États-Unis. Truffaut lui-même nous met sur la voie. Le cinéaste observe en effet l'existence d'une évolution du cinéma américain dans les années soixante-dix, le développement
d'une nouvelle vague américaine, source de réduction de
- 196-
l'intérêt des cinéphiles américains pour les nouvelles vagues européennes : "Les Américains connaissent bien et apprécient Eric Rohmer, Claude Berri, Alain Resnais, Marcel Ophuls, Jacques Tati. Le film de Philippe de Broca, Le Roi de coeur, qui avait été un échec en France, est sans cesse projeté sur les campus avec beaucoup de succès. Il y a avait, au début des années soixante, un engouement énorme pour tous les films étiquetés Nouvelle Vague française, mais, depuis Easy Rider, il faut bien voir que les jeunes cinéastes américains ont créé leur propre nouvelle vague, représentée parfois par des cinéastes étrangers comme Milos Forman ou Ivan Passer ou illustrée récemment par des films comme Duel, Bad Company, Cops and Robbers, Main Street, Electra Glide in Blue, American Graffitti. J'ai vu certains de ces films et je pense qu'ils apportent, sinon le dépaysement, en tout cas le genre de réalisme et de vérité qui n'arrivait autrefois que d'Europe." (Le Film Français, 16/11/1973, p. 10).
Truffaut était absolument conscient que l'adaptation du cinéma américain à la demande de ses cinéphiles ne constituait pas, a priori, un fait favorable à la réception des films français, notamment de ceux de la Nouvelle Vague, aux ÉtatsUnis. Sauf si la réception du cinéaste en question s'opère grâce à d'autres critères d'appréciation que ceux qui résulteraient de la confrontation absolue avec la nouvelle vague américaine. Nous avions vu à quel point l'évolut ion très positive de l'exploitation américaine de Truffaut pouvait contredire l'évolution générale du marché français aux ÉtatsUnis. Si l'on se concentre maintenant sur le comportement des critiques américains, on s'aperçoit que, parallèlement, à partir des années soixante-dix, ils n'exploitent plus guère la Comparaison avec les indépendants américains. Et, même lorsqu'ils l'exploitent, ce n'est pas dans le but de limiter une nouveauté potentiellement déconcertante.
- 197-
De quelle façon la critique américaine est-elle consciente de la rivalité entre la nouvelle vague américaine et les films - français ? Dans un article daté de 1974, Vincent Canby affirme clairement la compétition qui existe entre les deux cinémas : "Ce ne doit pas être entièrement juste de dire que les spectateurs américains s'intéressent moins aux films étrangers aujourd'hui qu'à n'importe quel moment du passé récent. Il est probablement plus exact de dire que tandis que le marché pour les films étrangers demeure, il est satisfait par des films américains et anglais plus raffinés. Il y a donc plus de concurrence pour l'attention des spectateurs qui avaient l'habitude de regarder des films étrangers avec quelque régularité, et plus de concurrence pour les cinémas qui les diffusaient autrefois en exclusivité." (The New York Times, 17/02/1974, p. 12).
Après la mort
de Truffaut,
le Boston
Globe, tout en
soulignant le développement des écrans diffusant des "art films", par opposition aux films hollywoodiens, marque également la spécificité de l'expérience esthétique véhiculée par les films de Truffaut : "Ironiquement, alors que l'audience pour les films d'auteurs augmente et est de plus en plus nourrie par les indépendants américains, la demande de films d'auteurs étrangers est en train de réduire. Kurosawa, Ray et Godard sont encore vivants. Mais, quels sont les films que nous attendons aujourd'hui avec l'excitation que nous avions l'habitude d'éprouver pour la sortie prochaine d'un nouveau Bergman ou Truffaut ?" (The Boston Globe, 02/02/1986, p.
Al).
On pourrait s'étonner du décalage que la critique américaine tient à marquer par rapport aux cinéastes américains indépendants. Nous pouvons le constater par
- 198-
exemple dans la réception de L'Enfant sauvage, au début des années soixante-dix, alors connaissent des contestations
même que les Etats-Unis sociales et culturelles. Ainsi,
The Toronto Telegram affirme : "Bien que L'Enfant sauvage, austèrement, s'abstienne de sermonner sur les valeurs de la civilisation. il suggère clairement que l'éducation est souhaitable. Une large part de notre art populaire des années soixante-dix, y compris les films, prend une position opposée de façon cynique. Le subtil film de Truffaut devrait être rejeté par les gens qui ne voient rien d'autre que La Bombe dans le progrès scientifique." (22/01/1971).
Cette critique connote l'opposition avec nombre de films d'indépendants américains, qui, au sein du courant hippy, se livraient à une contestation systématique de l'éducation, de la société de consommation et du progrès. La critique de Commonweal démontre à quel point le film de Truffaut rompt avec l'opposition manichéenne entre nature et culture, au point même de se situer à contre-courant des modes hippies : "Une question finale s'est posée à Truffaut à propos de la place de l'enfant dans le cinéma actuel. Son commentaire quelque peu acide était que : "Beaucoup de films traitent maintenant d'étudiants qui se changent en hippies. Le mien traite d'un hippy qui se change en étudiant". " (02/10/1970, p. 24); De même, la revue de Boston, Atlantic, note les différences de perspective entre L'Enfant sauvage et trois
films américains, de Tony Richardson et Ralph Nelson :
"Quiconque se souvient de son premier film, Les Quatre Cents coups, avec sa salle de classe semblable à la mort et ses bureaucrates mesquins d'enseignants, sait qu'il n'y a pas la moindre part de sensiblerie commune à propos de la valeur de l'éducation ou de la nature de ses effets sur
- 199les enfants
; simplement,
Truffaut
ne traitera pas cette
histoire à partir du passé, comme une structure pour se brancher sur des attitudes et des jugements contemporains, à la manière de Tony Richardson (La Charge de la brigade légère et Ned Kelly) ou Ralph Nelson (So/dat bleu). [...] Les revendications opposées d'un monde naturel et de la civilisation constituent la tension dramatique du film, et Truffaut ne néglige l'ambiguïté ni de l'un ni de l'autre." (12/1970, p. 121).
La singularité de Truffaut est d'autant plus réelle que les deux cinéastes sont très liés aux nouvelles vagues du cinéma
américain et britannique. Tony Richardson est un des _ fondateurs de la revue cinématographique Sequence et devient l'une des personnalités les plus marquantes du Free Cinema. Parti aux États-Unis, ses deux plus grandes réussites sont La Charge de la brigade légère et Ned Kelly. Parallèlement, Ralph Nelson appartient à la génération des cinéastes américains qui ont donné l'essentiel de leur oeuvre dans les années soixante et dont le chef de file était John Frankenheimer. So/dat bleu (1970) est un film ambitieux, qui bien qu'accusé de violence factice, demeure très personnel. Si l'on poursuit notre voyage dans les comparaisons entre les films de Truffaut et les nouvelles vagues cinématographiques, on s'aperçoit que l'opposition s'élargit en fait à d'autres cinématographies nationales, par exemple celles des pays d'Europe centrale. Ainsi, dans la critique suivante, Le Dernier métro est singularisé par rapport à un film de Istvän Szab6, au thème similaire et récemment oscarisé (en 1982), Méphisto : "Finalement, Le Dernier métro est une allégorie sur le rôle de la politique dans l'art. En tant que tel, c'est une parabole plus ambiguë et approfondie que Méphisto, un film qui a gagné l'Oscar et qui montre aussi les coulisses d'une
scène durant les années où le Troisième Reich éprouva les âmes des hommes comme elles n'avaient jamais été éprouvées
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avant." (7he Gazette, 10/09/1983). Istvän Szab6 appartient à la nouvelle génération de cinéastes hongrois des années soixante. Méphisto est un film riche et complexe, qui impose son cinéaste parmi les réalisateurs majeurs de son époque. La spécification du Dernier métro par rapport à ce film n'en est donc que plus significative. L'article de French Review, intitulé : "Les structures de l'ambiguïté dans Le Dernier métro", souligne justement la "psychologie de contradiction" (Jump Cut, été 1976, p. 14) chez Truffaut : "Nous espérons avoir démontré que le film résiste au travers de ses mécanismes d'ambiguité. Presque chaque thème a un équivalent mais un équivalent contradictoire et paradoxal." (French Review, 10/1988, p. 96).
Que devient l'effet subversif des premiers films de Truffaut aux États-Unis ? Nous pourrions avancer l'hypothèse que le succès des films de Truffaut aux U.S.A. dans les années soixante-dix et quatre-vingt s'explique par la reconnaissance de la Truffaut's touch, fondement d'une construction mythique universelle et intemporelle.
-3.2-
La Truffaut's touch
La liberté créatrice de François Truffaut donne une grande unité à son oeuvre, unité régie toute entière par sa personnalité. Cette caractéristique, très rare au cinéma en raison de ses puissants enjeux commerciaux, constitue la base de l'intérêt des étrangers et encore davantage des Améri cains pour Truffaut. Au fil du temps, François Truffa ut s'est construit un univers bien personnel. "Par dessus tout, c'était le plus personnel des cinéastes. [..] Beaucoup de ses films semblent des chapitres d'une autobiographie psych ique en
cours." souligne le The Boston Globe (23/10/1984, p. 2). Il est fréquent que la critique américaine affirme pour parler du traitement de ses films : "C'est bien du Truffaut". C'est dans cette sensibilité et cette manière de travailler qu'il faut
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chercher l'intérêt particulier de la critique américaine pour François Truffaut.
Le concept d'auteur, en particulier la création d'un lien systématique entre la personnalité créatrice et son oeuvre, crée un repère sécurisant pour le public américain : "Il faut bien admettre, comme explication récurrente au cinéma de Truffaut, que la vie du cinéaste semble inséparable de son art. Tous ses films, même ceux qui ne sont pas autobiographiques, érigent leur aufeur comme composante de leur matériel." souligne Mel Gussow (The New York Times, 09/10/1973). Avec le temps, la critique américaine est de plus en plus sensible à la vision d'une oeuvre cohérente, dont les films se
répondent, sous l'impulsion délibérée de leur auteur. Son oeuvre apparaît comme une "mythologie autobiographique". Le titre de l'article américain suivant est : "Biograph as Biography" : "L'approche "auteurist" du cinéma, pour laquelle le critique Truffaut était peut-être le militant le plus actif, considère chaque travail unique comme une partie d'une unité plus importante qui dans le fond est une vision hautement personnelle du monde. La notion d'une oeuvre cohérente est centrale. De même, le cinéaste Truffaut a systématiquement et délibérément créé une oeuvre de cette nature, par exemple en utilisant de façon répétée l'acteur Jean-Pierre Léaud comme un alter-ego à partir des Quatre Cents coups et dans des films qui ont, il faut en convenir, traité de la propre enfance et adolescence de Truffaut. C'est une mythologie autobiographique." (Wide angle, vol. 7, n° 1-2/1985, pp. 127-128).
Etant donnée la diffusion et surtout l'influence du New York Times, le rôle de Vincent Canby est tout à fait capital pour la réception de François Truffaut en Amérique du Nord. Grâce à Canby, Truffaut accumule du "capital symbolique", selon la célèbre expression de Bourdieu, non seulement parce
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que le critique était presque toujours enthousiaste vis-à-vis des films de Truffaut, mais aussi par l'orientation qu'il à donnée à la réception du cinéaste. On peut lire ainsi dans le New York Times les propos suivants de Vincent Canby, le grand promoteur du Truffaut non-conventionnel : "Une des grandes fascinations de la carrière de Truffaut est dans l'observation de la façon dont il encercle et explore des aspects différents de mêmes sujets qui dominent presque tous ses films." (13/10/1975).
Vincent Canby insiste donc sur l'organisation du monde
truffaldien. Dès les années soixante-dix, il se concentre sur la
recherche de connections entre les films, ce qui a pour effet de pousser le spectateur potentiel à se remémorer les films précédents de Truffaut dans un premier temps et à les mettre en perspective avec le nouveau film dans un second temps. Il est certain que ce type d'analyse s'est accentué au fil des années et au fil des films. Vincent Canby écrit par exemple en 1971, à propos de Domicile conjugal : travail
"Domicile conjugal est une inséparable partie du total de Truffaut. [..] En dépit de toutes les
références, dans chacun des films, aux événements de ses
précédents films et en dépit de la continuité des acteurs avec le cycle Doinel, Domicile conjugal à autant de liens avec La Peau douce, par exemple, qu'il peut avoir avec Les Quatre Cents coups. Peut-être même davantage, étant donné que Domicile conjugal et La Peau douce traitent
tous deux de la résolution de mariages et sont, en fait, des raisonnements minutieux et compliqués conçus par des personnes qui sortent du droit chemin. [...] Il y a assez de Truffaut dans Domicile conjugal pour en faire non seulement un film extrêmement charmant et amusant , même lorsqu'on l'envisage séparément des autres films de Truffaut, mais aussi et Surtout, en relation avec ses autres films, une oeuvre fascinante" (The New York Times, 24/01/1971, pp. 1 et 18).
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Le spectateur de Truffaut s'apparente donc à un voyageur averti : l'oeuvre du cinéaste ressemble à un territoire que l'on parcourt depuis plusieurs années, un lieu composé de thèmes, de personnages, d'un style familier. Un lieu rendu également familier par l'accumulation du discours critique sur le cinéaste français. Voir un Truffaut consiste alors à comparer, mesurer le nouveau film à l'aune des précédents, éclairer l'inconnu à la lumière du connu. Faute de la rigueur et de la force sécurisante des genres, la critique délivre donc un label qui ne peut guère être généralisé à d'autres oeuvres artistiques. Comme le note le Boston Globe du 18/11/1976, à propos d'Antoine et Colette : "C'est une histoire d'amour non partagée, un sujet qui semble fasciner le cinéaste. Comme beaucoup de films de Truffaut, il a son propre charme spécial." Le style n'est ni généraliste ni interchangeable. On pourrait dire avec Newsweek qu'il s'agit de "la vérité par Truffaut" (25/01/1971, p. 79). Box Office souligne : "Le maître français François Truffaut a une réputation dans ce pays qui est toujours exceptionnelle." (09/03/1973). On peut lire aussi dans Variety que "François Truffaut a un nom aux États-Unis." (28/07/1977). "En général, les Français aiment Truffaut plutôt moins que les Américains." souligne encore International Herald Tribune (09/12/1971). Le concept d'auteur accroît la crédibilité des films malgré leurs caractères parfois déroutants. "De nombreux personnages de Baisers volés et beaucoup d'éléments de l'action pourraient être améliorés, mais tout ceci est fondé et modelé sur la vie de Truffaut. C'est, par conséquent, un cinéma personnel de la meilleure espèce." (Time, 21/03/1969, p. 97).
La critique américaine affirme même clairement que la réputation de Truffaut peut devancer la difficulté première de certains de ses thèmes. Dans une revue cinématographique new-yorkaise, le critique souligne : "Cinématographiquement,
20418 La Chambre normalement,
verte est un une audience
film excellent et subtil avec, limitée, mais la réputation de
Truffaut pourrait bien exercer un charme tel qu'il entraîne un certain succès." (Film Daily, 11/1979).
La critique élabore ainsi toute une série de fypical Truffaut's touches. Après en avoir montré l'existence, il est intéressant d'analyser la progression de ces descriptions. D'analyses très explicites, on glisse progressivement vers des critiques où le fait d'accoler à un terme général le nom Truffaut où l'adjectif truffaldien suffit à la compréhension du lecteur et du futur spectateur.
Vincent Canby nota par exemple, à propos de Domicile conjugal : "C'est caractéristique de Truffaut que l'information soit initialement présentée comme la base pour une série de gags." (The New York Times, 24/01/1971, p. 1). De même, Stanley Kauffmann souligne à propos de l'introduction de La
Chambre
verte,
sur fond
de Première
Guerre
mondiale
:
"Quelle simplicité. Quel contrôle. Ce début est typique de la façon dont Truffaut travaille, et notamment de la totalité de La Chambre verte. [...] I1 y a par exemple un iris shot comme une marque de fabrique de Truffaut, les mouvements latéraux récurrents, etc." (The New Republic, 06/10/ 1979 p.24);
Si l'on admet donc que la communication instaure l'unicité truffaldienne comme produit définissable, on note que les interprétations des critiques américains utilisent volontiers des mots-réflexes, des mots-clefs qui, dans l'esprit du füutur spectateur, évoquent des notions propres au cinéma truffaldien. Le Los Angeles Times souligne qu' "il y a, en plus de deux de ses favoris iris-down shots, un autre truffautism dans La Femme d'à côté. Le travail de Depardieu consist e à enseigner aux capitaines de la marine comment diriger des pétroliers grâce à des modèles réduits. Dans L'Homme qui aimait les femmes, le héros travaillait en pilotant des modèle s
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d'avions dans un tunnel aérodynamique. Qu'est-ce que ce jeu d'enfant chez des hommes adultes ?" (12/11/1981, p. 2).
Ces spécifications montrent bien la difficulté des critiques à utiliser des termes généraux. Mais, dans les exemples cités,
ces spécifications sont relativement explicites, c'est-à-dire que le critique explique ce qu'il conçoit comme une 7ruffaut's touch. Dans certains cas, la définition est moins explicite. On peut lire par exemple dans le New Yorker à propos de La Nuit américaine. "Il a la proportion de grâce de Truffaut." (15/10/1973). Comme si une complicité telle était née entre Truffaut et son public que toute explication détaillée était devenue inutile : le lecteur sait ce que "la proportion de grâce de Truffaut" signifie, quels en sont le degré et la nature. De même peut-on lire à propos du Dernier métro "Incontestablement Truffaut. Le film est réalisé avec les touches uniques et exquises qui sont incontestablement du Truffaut." (Journal américain inconnu, 1981). Parallèlement, les critiques utilisent toute une palette de dérivés adjectivaux du nom de Truffaut, à propos d'éléments de ses films que le lecteur est censé identifier d'emblée : "Non pas différent de l'atmosphère de son film quasi autobiographique La Nuit américaine (1973), le récit de L'Argent de poche baigne dans une "typical Truffautian authenticity". [..] L'acte de révolte de Julien Leclou apparaît comme
un "Truffautesque visual echo"120
du
moment où l'enfant sauvage, telle une bête, s'enfonce dans la pièce obsure, aspire tellement à être dans la nature, au
grand air qu'il fracasse la fenêtre avec sa tête" (The French Review, 02/1990, pp. 452 et 457). "Ce cinéaste passionné de films doit donner un choc à plusieurs de ses partisans quand un personnage dans La Nuit américaine laisse tomber une "un-Truffautish line" : "La vie est plus importante que le film". " (The Christian Science Monitor, 18/06/1973).
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De même, lors de la sortie aux États-Unis de La Petite
voleuse, réalisée par Claude Miller d'après un scénario de Truffaut, The Film Journal présentait le film comme le "dernier film de Truffaut" et soulignait : "L'empreinte de Truffaut est immédiatement reconnaissable dans cette histoire alternativement poignante et enjouée d'une adolescente agitée au début des années cinquante, abandonnée par sa mère et élevée par une tante et un oncle grincheux." (09/1989, p. 9).
Aux États-Unis, il est rare que le succès s'appuie sur le nom du réalisateur. Certes, le cas de Truffaut n'est pas unique (nous avions vu dans l'étude du box-office les similitudes avec Bergman et Fellini notamment) mais est réellement exceptionnel. On pourrait penser que le fait de conceptualiser le cinéma de Truffaut répond en fait à un désir de codification typiquement américain. On vend en lot les films de Truffaut à on vend du Truffaut. Les États-Unis, de par leur protectionnisme, ont tendance en effet à élaborer leurs propres figurations du monde. Leurs caractéristiques sociales et culturelles le leur autorisent. Les mélanges ethniques poussent davantage ce pays à exclure (avec plus ou moins de réussite selon les cas) les particularités culturelles. Les principes hollywoodiens sont tout à fait propices aux catégorisations. Malgré les différents indépendants qui échappèrent à la standardisation américaine, Hollywood a toujours récusé ces tendances divergentes. Le maccarthysme n'en est que l'exemple le plus fragrant. De façon générale, Hollywood eut tendance à récupérer les revendications potentielles pour les intégrer dans son propre système. La capacité d'assimilation hollywoodienne est frappante ; elle rend classique des cinéastes naguère novateurs. Ce système de tamisage insère alors le film dans un concept bien ciblé.
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Cette conceptualisation serait d'autant plus naturelle dans le cas de Truffaut dont le cinéma est justement conceptuel. "Les Américains ont le sens de l'abstraction, du concept et ils savent très bien que toutes les situations dramatiques ont déjà été exploitées. [...] La seule chose qui change d'un film à l'autre, c'est le background. J'aime assez cette façon de voir la théorie des choses avant la chose elle-même." soulignait Truffaut (Cahiers du cinéma, n° 316, 10/1980, p. 27). Mais, cette particularité culturelle ne représente dans le cas de la réception de Truffaut que la partie émergée partie immergée, c'est-à-dire la manière parvient à la reconnaissance du cinéaste, est significative. La conceptualisation est l'exportabilité du cinéma de Truffaut mais _seule finalité de la réception.
de l'iceberg ; la dont la critique plus complexe et à la base de elle n'est pas la
- 3.3 - Le maintien de la négativité de l'oeuvre L'oeuvre de François Truffaut devient-elle classique du fait de la reconnaissance de la Truffaut's touch ?
- 3.3.1 Une oeuvre réalités sociales
au
coeur
des différentes
L'exportabilité du cinéma truffaldien, et notamment le succès du cinéaste aux États-Unis, ne présupposent pas, contrairement aux idées reçues, une indifférence aux réalités sociales. C'est ainsi que Truffaut apparaît comme un observateur lucide de son époque. "Truffaut est un de nos plus humains, sensibles et perspicaces cinéastes contemporains." peut-on lire dans The Hollywood Reporter (04/10/1976, p. 3). De même,
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The Toronto Star écrit au début des années quatre-vingt : "Truffaut est toujours attentif aux petits détails significatifs qui résument la fade société moyenne par exemple" (10/01/1982).
Si Truffaut donne parfois l'impression de recréer la réalité du monde, cela ne signifie donc pas qu'il est un cinéaste en dehors des réalités sociales ou politiques. C'est ainsi que Newsweek établit une comparaison avec le poète américain Wallace Stevens : "François Truffaut est certainement la figure populaire la plus personnelle du monde cinématographique. [...] Avec sa certitude que le film est un médium naturel pour refléter et transcender la gaucherie et les déchirements de coeur, ainsi que la perte de l'innocence dans notre époque, Truffaut est ce que Wallace Stevens appelle "the Shaken realist" qui essaye de re-voir la réalité dans "the imagination's new beginning." "
(Newsweek, 05/01/1976, p. 75).
Dans l'oeuvre de Truffaut, la réalité est véritablement agitée, à la façon de Wallace Stevens dont l'oeuvre témoigne d'un impressionnisme aussi sensible que lucide.
Si Truffaut procède à des évocations sociales ambiguës ou transmet un message équivoque, ce n'est pas dans le but d'effacer les réalités préexistantes, mais dans le but de développer des possibilités interprétatives, y Compris sociales. En effet, comme le souligne Pierre Sorlin, "l'intérêt du film est non pas d'avoir "un sens" mais de constituer un support pour de multiples lignes de sens" (Sociologie du cinéma, Aubier, 1977, p. 57). Truffaut met donc en place des possibles significatifs, qui peuvent susciter des échos sociaux différents suivant les contextes, garantissant ainsi la flexibilité - n'ayons pas peur du terme - de son oeuvre. "Dans La Peau douce, Truffaut accumule une construction de petits fragments que
- 209-
nous devons placer ensemble de n'importe quelle façon possible. Nous devons travailler pour une signification." (Mosaic, Hiver/printemps 1983, p. 122). Cette situation témoigne de la façon particulièrement dynamique dont les films de Truffaut sollicitent la coopération des spectateurs dans l'élaboration du sens.l21
Dans cette perspective, les appropriations individuelles et sociales sont multiples et constamment renouvelées. Par exemple, dans l'article sur Za Chambre verte de Michael Klein, paru dans Film Quarterly, le film est directement mis en perspective par rapport à un événement douloureux de la vie du critique, et plus largement par rapport aux réalités de la société contemporaine : "Au moment d'écrire cet article, ma mère a eu une attaque, et après une longue période de souffrance paralysie, cécité, incapacité de parler et, progressivement, le début d'une sorte de folie - elle mourut. Elle mourut en ne laissant rien, rien de tangible, excepté quelques photographies. Après sa mort, j'ai allumé une bougie en souvenir, en dehors de toute sorte d'orthodoxie, mais parce
qu'elle semblait garder sa mémoire vivante dans la pièce, ramener les souvenirs du passé. Et ensuite, j'ai reconnu la correspondance avec l'histoire de James et le film de Truffaut : la bougie sur la cheminée était un autel des morts. [..] L'aliénation subversive du film est une exploration de l'isolement humain dans une société inhumaine. [...] Le film n'est pas réconfortant. Il exige que nous soyons conscient des contradictions de la vie. Une fois encore, Truffaut est notre Balzac : l'auteur est un témoin de son temps." (automne 1980, pp. 15-20).
La réception américaine de Truffaut se compose ainsi d'une multiplicité, voire d'une contradiction des points de vue. Cette dynamisation des sens virtuels de l'oeuvre peut conduire à des visions tout à fait originales d'un film. C'est le cas du Dernier métro, que le critique du Village Voice envisage comme un film sur l'homosexualité, en raison de son propre
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axe de lecture" (d'autres textes critiques du Village Voice axés sur le même thème de l'homosexualité concernent les films de Truffaut, notamment ZLa Nuit américaine (25/06/1979) et La Femme d'à côté (21-29/06/1979) ) : "Truffaut et les Gays : Après tout, Le Dernier métro est entièrement consacré aux gens qui essaient, avec différents succès, de garder leurs sentiments au placard. [...] La grande fascination de Truffaut est pour l'obsession et, pour lui, la qualité et l'intensité de l'obsession sont plus importantes que l'objet de l'obsédé. [...] Il n'y a aucun jugement moral et peu de distinction est faite entre l'amour adolescent et mûr, un point important durant une époque où tant de films, comme
To Forget
Venice
de Franco
Bursati, sont fondés sur le discrédit freudien de l'homosexualité perçue comme la conséquence d'une adolescence atrophiée. [...] C'est pourquoi un des plaisirs du Dernier métro pour un homosexuel comme moi est qu'il présente un homme franc, Gérard Depardieu, qui essaie de séduire une homosexuelle, Andrea Ferreol. Le monde réel véhicule davantage l'idée d'homosexuels séducteurs qui violent des honnêtes innocents, et c'est une grande preuve évidente du suprême humanisme de François Truffaut."
(29/10-04/11/1980, p. 54).
En excluant nullement les confrontations sociales et en développant ainsi des concrétisations nouvelles du sens, la réception de Truffaut n'implique pas l'instauration d'un mythe universel comme garantie de son intemporalité.
- 3.3.2 - Des films toujours déroutants La critique américaine est donc particulièrement sensible à la façon dont le cinéma truffaldien se désolidarise des critères génériques. L'accueil critique des films de Truffaut aux Etats-Unis est fréquemment centré sur l' "Imagination
- 211-
anarchiste"
du cinéaste, comme l'écrit Film Quarterly en
1963" "Truffaut a un talent dangereux en raison de son sens de la forme, qui est hautement personnelle, de sujets bizarres et changeants. Et il est dangereux parce que son utilisation du temps dérange ce à quoi nous sommes habitués dans les films d'art récents. [...] Et Truffaut est dangereux parce qu'il se spécialise dans des combinaisons bizarres : tragédie plus comédie plus mélodrame plus grosse farce ; et parce qu'il est capable de contrebalancer ces combinaisons de façon si judicieuse qu'elles travaillent. Mais, principalement, il est dangereux parce qu'il pense continuellement." (printemps 1963, p. 3).
"Truffaut a un talent dangereux" : voilà une phrase clé qui pourrait résumer une large part des comportements critiques américains à propos de Truffaut. Mais, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce "talent dangereux" ne perd pas son caractère déroutant avec les années. L'adhésion à un style anti-conformiste s'est maintenue après les années soixante-dix. Le fait que le Boston Globe écrive en 1960 que Truffaut est "un frappant nonconformiste" (12/02/1960) n'est pas surprenant, ce qui l'est davantage, c'est que des interprétations similaires soient réitérées vingt ans plus tard, dans tous types de journaux, comme nous le verrons. American Film écrit en 1976 : "La passion du cinéma, de la mise en scène, inhérente à la Nouvelle Vague, adoucie et même devenue amère chez d'autres réalisateurs, n'a jamais quitté François Truffaut." (05/1976, p. 33). De même, on peut lire dans Motion Picture
Herald : "L'audience majeure du film sera les admirateurs contestataires d'un des fondateurs et d'un des survivants les plus résistants de la Nouvelle Vague." (14/01/1976, p. 62). La conceptualisation de l'expérience esthétique, consécutive à l'élaboration de la Zruffaut's touch, ne permet
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pas aux films des années soixante-dix et quatre-vingt d'être facilement assimilables et convaincants.
C'est ainsi que Vincent Canby perçoit La Sirène du Mississippi, en 1970, comme un "film difficile et agressif" qui "défie la définition facile" (The New York Times, 11/04/1970).122 On peut lire également en 1970, dans le journal new-yorkais, Inter/View, que "Truffaut a toujours été quelque peu difficile à découvrir." (vol. 1, n° 8, 1970. p. 22).
Le caractère déroutant et imprévisible de Truffaut est extrêmement souligné par la critique américaine. "François Truffaut n'est pas seulement un brillant et original réalisateur mais est aussi un cinéaste capricieux et plein de surprises." (Motion Picture Herald, 22/04/1970). Dans le même esprit, le New York Times souligne à propos de Za Sirène du Mississippi qu'il s'agit d' "un film difficile et agressif"
(11/04/1970) :
"Les personnages de Truffaut vont de l'amour à la haine et reviennent encore dans un scintillement de sa
caméra, rendant impossible de prédire la conclus ion ou même la valeur générale d'une scène à partir de ce qu'il y a eu avant. On rit chez Truffaut non pas parce qu'il est un
8agster, mais parce qu'il est constamment en train d'administrer plaisamment et ironiquement des petites surprises.
Il
est,
manifestement,
un
tempérament vif et d'humeur changeante."
homme
d'un
De telles analyses s'élargissent même à toutes sortes de Supports critiques, comme des revues plus popul aires "L'univers de Truffaut est une table inclinée qui est balancée au bord d'un abîme. On ne peut jamais être certa in quand - et même combien - il va faire chuter ses personnage s." (Life, 11/05/1970, p. 16). Encore plus intéressant, la revue de cinéma Film Heritage souligne comment Truff aut enrichit le
se25
concept même de "contraste", ou plus exactement, confère aux contrastes diverses possibilités d'exploitation : "II y a des contrastes qui existent entre la nature des images. Il y a aussi un second groupe de contrastes que Truffaut accumule durant tout
le film,
mais
ceux-ci
sont
des
modèles
contrastés
d'images, plutôt que de simples images contrastées." (hiver 1971-1972, p. 14). Ces jugements critiques, qui sont légion dans la presse américaine, ne concernent pas seulement la réception du début des années soixante-dix. On retrouve cette capacité de Truffaut à dérouter le spectateur, à l'obliger à se réorienter vers des expériences nouvelles, dans les critiques des années quatre-vingt. C'est ainsi que Le Dernier métro est perçu comme "une oeuvre subversive et éblouissante. Le film a la forme d'un mélodrame plus ou moins conventionnel, [...] néanmoins le style du film est systématiquement nonconventionnel et triomphalement peu orthodoxe." souligne Vincent Canby (The New York Times, 12/10/1980). "Le Dernier métro est une expérience subtilement déroutante et troublante. Là réside son impact." peut-on lire également dans le New York Daily News (10/1981).
C'est également très net dans la critique de La Femme d'à côté, en 1981, du New York Times, où Vincent Canby montre bien à quel point les films de Truffaut captent le spectateur par une apparente banalité, puis au fil du film, le propulse dans un univers original et étranger. "François Truffaut peut nous attirer immédiatement dans le monde de tous les jours de ses films, qui semblent familiers mais sont aussi étrangers à la plupart d'entre nous que la vie parmi une tribu d'aborigènes. Les habitants de son monde ne sont pas exotiques. Aucun anneau dans leur nez. Aucune teinture lavande dans leurs cheveux. Ils n'ont aucune difficulté à différencier la réalité de l'imaginaire. Dans toutes leurs apparences, ils ont tendance à être ordinaires. Néanmoins, c'est le talent grisant de ce cinéaste d'être capable de définir le banal d'une manière tout à fait
2148 originale, et donc de trouver - et d'apprécier - le mystère à l'intérieur. C'est la constante révélation de chacun des meilleurs films de M. Truffaut, en particulier Jules et Jim, La Peau douce, Baïsers volés, L'Histoire d'Adèle H., et,
maintenant, La Femme d'à côté. [...] C'est typique des méthodes de M. Truffaut que rien n'arrive jamais tout à fait comme attendu. La Femme d'à côté n'est jamais ordinaire ou prévisible. C'est l'oeuvre d'un des plus surprenants et talentueux cinéastes de son époque." (The New York Times, 09/10/1981).
"Rien n'arrive jamais tout à fait comme attendu" souligne
Vincent Canby. Par exemple, dans La Femme d'à côté, dans la
scène chez le psychanalyste, Mathilde le réveillera brusquement en criant : "C'est à ce moment-là que j'ai tué ma mère". Le spectateur est surpris par ce soudain emportement de l'héroïne. Truffaut dévie ici l'attention du public afin de l'arracher à ses prévisions. Vincent Canby note : "La Chambre verte n'est pas un film que vous oublierez facilement. C'est un travail extrêmement recherché et original et on doit le découvrir par rapport à ses propres termes, sans s'attendre à des plaisirs désinvoltes." (The New York Times, 14/09/1979, p. C10). Le concep t d'auteur et la popularité de Truffaut aux États-Unis sont des repères rassurants mais ne dispensent pas d'une nécessa ire reconstruction du sens dans la culture américaine. C'est
d'autant plus vrai lorsque le thème du film est extrêmement original, dans la cinématographie américaine, voire même mondiale. C'est le cas de La Chambre verte dont l'aspect déroutant du thème est compensé par la perception d'une mise en scène dynamique et efficace : "La mise en scène est tendue, vive ; des scènes rapides et émouvantes communiquent le désesp oir de la condition humaine et la nécessité d'agir pour l'amou r de la vie. Comme l'obsession de la mort de Davenne, Truffaut donne une performance intense et concen trée qui
- 215communique puissamment (Film Daily, 11/1979).
les sentiments de Davenne." |
L'influence de la culture des États-Unis particulièrement nette dans l'affiche américaine de Chambre verte (confer photo u). Son but avoué d'accrocher la clientèle que le film n'attire pas, tout stimulant le désir latent du public cinéphile.
est Za est en
Le texte de l'affiche reprend deux phrases chocs de deux critiques américains, habitude fréquente dans les affiches cinématographiques aux États-Unis. La citation de Cue Magazine joue sur le succès du réalisateur aux U.S.A., en insistant sur l'intérêt du film par le biais du superlatif : "C'est le meilleur
film
de..".
Néanmoins,
un
commentaire
est
également ajouté : "Dans Za Chambre verte, tout le monde peut vous entendre hurler. Mais personne ne vous aidera". Le verbe fo scream nous place dans le registre de l'amplification et du film d'horreur. Parallèlement, avec son oeil unique, le dessin de l'affiche est très étrange et nous fait croire à un film d'horreur, ce qui ne surprend pas aux Etats-Unis. Le rôle de l'image est de donner un choc, le texte doit l'appuyer. De même, Zhe Green room est écrit à la manière des films d'horreur, le graphisme irrégulier (associé aux contours de l'oeil) évoquant le frisson et l'angoisse. De plus, le dessin de l'affiche situé à gauche contribue fortement à déséquilibrer la typographie et à renforcer le caractère fantastique. En Occident, la gauche est la place des damnés et représente l'aspect nocturne et satanique. L'affiche est dépouillée mais elle tire sa force du contraste entre le noir et le blanc. Sur un fond noir se détache un oeil blanc. Comme le noir, le blanc est la couleur absolue. C'est une valeur limite
privilégiée dans les rites d'initiation (mort et renaissance). Le noir qui envahit l'affiche est la couleur des ténèbres. Universellement, l'oeil unique représente un des grands thèmes
- 216-
de l'art fantastique. Il évoque notamment l'oeil du cyclope, indiquant une condition sous-humaine. En fait, l'affiche extrait un aspect particulier de La Chambre verte (l'aspect fantastique dans le style des films Universal) en l'amplifiant et en le donnant comme la caractéristique du film, susceptible d'inciter à voir le tout. En effet, les scènes d'orage, les levers de lune, le cimetière, la chapelle en ruine, le cercueil et le feu, dans La Chambre verte. évoquent les films fantastiques réalisés par Tod Browning et ceux interprétés par Lon Chaney et Bela Lugosi. "J'aime tout ce qui embrouille les pistes, tout ce qui sème le doute" affirmait Truffaut dans American Film (05/1976, p. 33). Nous avons vu que cet effet subversif du cinéma truffaldien, qui impliquait dans les années soixante une nouvelle manière de voir, ne s'efface pas pour les spectateurs ultérieurs, censés s'être familiarisés au style du cinéaste. Peuton donc affirmer que la reconnaissance de la 7ruffaut's touch ne garantit pas l'assimilation des films du réalisateur français ?
- 3.3.3 - La Truffaut's touch : l'absence de repères définitivement efficaces La diversité et la contradiction ne sont pas seulement effectives dans un seul et même film ; elles le sont également et surtout au sein de l'oeuvre entière. L'oeuvre de Truffaut cultive la diversité et les renouvellements.123 C'est dire si le concept d'auteur et l'intertextualité entre les films de Truffa ut
ne sont pas seuls responsables de la compréhension et de l'assimilation des oeuvres du cinéaste. Donner une identit é à un film de Truffaut au sein de l'édifice de son oeuvre s'avère
en fait une opération contradictoire dans la mesure où elle met
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en avant à la fois l'unicité de l'oeuvre et la singularité de chaque film. Chaque création de Truffaut est également appréhendée comme une oeuvre unique, en faisant abstraction de ce qui lui est en amont. Non comme le dernier maillon
d'une chaîne mais comme son premier maillon. C'est d'autant plus significatif dans le cas des films d'Antoine Doinel puisqu'il s'agit d'un cycle et que l'intertextualité serait donc plus naturelle. Ainsi Stanley Kauffmann, critique et professeur d'art cinématographique à l'Université de Yale, romancier, dramaturge et acteur, écrit :
"J'ai eu la même expérience avec Baisers volés de François Truffaut que j'avais eue avec le film de Polanski Rosemary's Baby : une fois encore, j'ai réalisé que je devais arrêter de ne juger le metteur en scène qu'au travers de ses premiers films." (The New Republic, 22/02/1969). Même les comparaisons entre la culture américaine et les films de Truffaut peuvent fonctionner comme des points de repère et des garanties de lisibilité face à l'alternance des approches stylistiques et thématiques dans l'oeuvre de Truffaut. Par exemple, la revue cinématographique, The Film Journal, souligne dans sa critique d'Une Belle fille comme moi : "Comme plusieurs dramaturges américains, le cinéaste français François Truffaut aime varier ses films, alterner des films légers, distrayants et des oeuvres plus graves." (02/04/1973). D'ailleurs, réflexion hautement significative, les films de Truffaut n'apparaissent pas forcément comme régis par un style univoque et inédit. Ils ont un style multiforme, contradictoire et équivoque : "Je trouve ses films très émouvants, comme je l'ai souvent dit dans ces pages, et il ne fait aucun doute que ces films ont un style. Cela ne signifie pas, cependant, qu'ils ont un style unique et un style qui leur
est entièrement propre." (Commonweal, 08/12/1978, p. 783). Le quotidien anglophone de Montréal, The Gazette, ajoute :
- 218-
"François Truffaut est un cinéaste caméléon qui a l'habitude d'adapter son style à son intention." (19/08/1983).
Donc, de façon générale, la critique américaine reconnaît et admire dans l'oeuvre de Truffaut la complexité à travers les contradictions de ses films : "Pour des générations de cinéphiles, François Truffaut était un original absolu, l'incomparable créateur d'une très belle oeuvre. [...] Personne n'a exploité les avantages de l'aufeurism plus que Truffaut. [..] Artistiquement,
Truffaut
était
souvent
une
masse
de
contradictions. Il était un gosse de rues rebelle, avec presque aucune éducation en bonne et due forme, qui évolua en un des plus complexes, spirituels, sympathiques cinéastes." (The Toronto Star, 22/10/1984, p. D4).
L'absence d'une consécration totale de l'oeuvre de Truffaut, processus qui préside au classicisme des chefsd'oeuvre, se vérifie par exemple dans l'évolution de la réception de Jules et Jim. "Charmant, désopilant, déprimant, judicieux, le film est un exercice de contradictions" souligne en 1962 le Time à propos de Jules et Jim (04/05/ 1962). Le San Francisco Chronicle souligne toujours en 1985 : "La chose stupéfiante à propos de Jules et Jim est qu'il est encore stupéfiant - autant qu'il l'était en 1961. [...] Son pouvoir réside dans son récit d'une étrange saga prosaïque. Jules et Jim a la vitesse et les vibrations de la vie en lui. Le film était en avance Sur son temps quand il est sorti ; vingt-quatre ans plus tard, il l'est toujours." (12/07/1985. p. 74).
Le concept d'auteur et les années n'ont pas assimilé Jules et Jim à une oeuvre classique, dont la négativité initiale serait devenue objet familier de l'attente. La vision de l'ensemble de l'oeuvre crée une profondeur, mais n'amoindrit pas l'impact de Jules et Jim :
- 219-
“Après
presque
vingt-cinq
ans, Jules
et Jim
transperce toujours l'âme avec sa liberté, sa sincérité, sa vivacité au service de l'analyse du coeur de l'amour. [...] A
la lumière d'une grande subtilité et complexité et d'un ton aigre-doux qui sont la marque de fabrique de Truffaut dans son oeuvre, le film explore toutes les gradations, les variations et les fluctuations du coeur au travers des thèmes suivants : idylle, désir sexuel, mariage, infidélité et amitié - les émotions refluent, tourbillonnent et se chevauchent, comme dans la vie. L'étonnement avec ce film, c'est qu'il est toujours étonnant - aussi intensément qu'il l'était en 1961. [..] Le pouvoir du film est qu'il relate, avec les autres films de Truffaut, une originale saga très prosaïque." (The San Francisco Chronicle, 12/07/1985, p.
74).
Même l'intertextualité entre les films de Truffaut n'apparaît pas facilement assimilable et donc facilement convaincante pour le critique. L'importance et la complexité des connections que l'on peut effectuer entre les films de Truffaut contribuent à expliquer la résistance de l'oeuvre à sa consécration totale, comme en témoigne cette critique du New York Times que nous avons déjà citée (pp. 512-513) : "Les films de Truffaut fonctionnent à de multiples niveaux bien que le cinéaste les réalise avec un semblant de grande facilité. Les citations dans les films ne sont pas évidentes d'emblée. Elles sont comme des dividendes. [...] Plus que toutes les autres qualités du travail de Truffaut, son approche clairvoyante de la quête d'imprudence, et sa sympathie pour les gestes hésitants, voire provisoires, rendent ses films pleins de surprises et frais, quand, souvent,
les films
faits par
les autres,
soi-disant
des
cinéastes talentueux, paraissent avoir été congelés dans des popularités provisoires, des vérités données." (The New York Times, 14/09/1975).
- 220-
Vincent Canby a toujours soutenu la thèse d'une oeuvre originale et complexe. Ainsi, dans l'article qu'il écrivit quinze jours après la mort du cinéaste, il résume bien sa perception de l'oeuvre truffaldienne, aux antipodes d'une oeuvre pudique et simple : "Un homme de la complexité de Truffaut peut seulement être compris à travers l'ensemble de sa grande et très particulière oeuvre. [...] Tous les meilleurs films de Truffaut sont à divers degrés autobiographiques, c'est-àdire qu'ils reflètent des peurs, des fantasmes et des aspirations très personnels, [..] même si les éléments autobiographiques ne sont pas toujours aussi immédiatement apparents dans tous les films." (The New York Times, 04/11/1984, p. 19).
Ainsi, en plus de l'intertextualité, on constate que l'élément qui caractérisait le plus souvent Truffaut et qui renforçait son adhésion au concept d'auteur, à savoir les références autobiographiques, n'est absolument pas perçu comme un phénomène évident. L'intemporalité de Truffaut apparaît comme le résultat d'une oeuvre qui renforce sa singularité au fil des années, de sorte que la référence à l'aufeurism n'est plus indispensable à l'appropriation de cette oeuvre. Le jugement critique suivant, extrait d'une revue canadienne, est d'autant plus remarquable qu'il intervient dans les années soixante-dix, alors même qu'en France, Truffaut est souvent vivement contesté : "Il a tourné des films que nous reconnaissons maintenant comme non-conventionnels, des travaux artistiques hautement individuels. Le temps a rendu Truffaut formidable. [...] Truffaut n'a jamais été beaucoup dans ou hors des modes ; c'est en cela qu'il est maintenant reconsidéré. Ses films ont survécu à la fin de la Nouvelle Vague ; ils ont survécu au combat de l'auteurism. Et, plus fort que tout, ils ont survécu à l'ignorance critique et à la
condescendance. Ils n'ont pas seulement survécu ; ils ont
- 221triomphé." (The Montreal 14/02/1976, pp. DI et DI1).
Sfar
Entertainments,
De quelle façon François Truffaut est-il parvenu à s'imposer aux Etats-Unis ? La réception du cinéaste auprès du public américain comporte toutes les apparences de la consécration parfaite d'une oeuvre. L'exploitation de ses films marque en effet la reconnaissance d'un auteur dont le succès devient de plus en plus régulier, à partir de La Nuit américaine. Pourtant, nous avons montré que cette adhésion à la Zruffaut's touch n'est en aucun cas seule responsable de la notoriété et de la postérité de Truffaut aux États-Unis. L'effet subversif provoqué par l'apparition des premiers films de Truffaut (en interaction avec les revendications sociales, politiques et artistiques des années soixante) ne se réduit pas à mesure que la négativité première de l'oeuvre devient familière. C'est ainsi que l'oeuvre de Truffaut ne devient pas étrangère aux réalités sociales, culturelles et politiques auxquelles elle est confrontée dans ses réceptions ultérieures et ne limite donc pas les réorientations nouvelles du spectateur. Le fait que la critique américaine ait tant souligné l'aspect imprévisible du cinéma de Truffaut montre donc que son oeuvre n'est pas aussi ordonnée et limpide qu'on l'a souvent dit.
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ARE quelques interviews d'autant plus minables que les journalistes ne s'intéressaient pas à lui, et lui posaient des questions saugrenues auxquelles il ne répondait que par des "Oui", "Non" ou "Je ne sais pas". Pour provoquer des répliques plus éloquentes, j'improvisais dans ma traduction simultanée des commentaires sarcastiques qui eurent pour résultat de transformer ces interviews en dialogues de sourds." ("Frank Truff et Scott l'Intrépide", Le Roman de François Truffaut, Cahiers du cinéma/Editions de l'Etoile, Paris, 1985, pp. 152-153). Vingt ans plus tard, Truffaut est ovationné à l'occasion de la projection du Dernier métro à New York et ses films ont déjà connu, depuis les années soixante-dix, plusieurs bons résultats dans les villes américaines autres que New York.
40
"Grande saison aux U.S.A. pour le film français :
La production cinématographique française est en train de susciter un intérêt plus grand que jamais aux U.S.A, comme le prouvent les nombreux achats de films récents réalisés en France par des distributeurs. C'est ainsi que Joseph E. Levine (Embassy Pictures) vient de sortir Le Crime ne paie pas, que Richard Davis (UMPO) a acquis le film de Roger Vadim Le Repos du Guerrier avec Brigitte Bardot et celui de Serge Bourguignon Les Dimanches de Ville d'Avray. De son côté, Continental Distributing Co présentera aux U.S.A. le film de Raymond Rouleau Les Amants de Teruel et celui d'André Michel Ton Ombre est la Mienne. Astor Pictures annonce le film d'Orson Welles d'après Kafka Le Procès avec Anthony Perkins dans son premier rôle parlant français et Jeanne Moreau, ainsi que Les Amours Célèbres de Michel Boisrond. Trans-Lux a acheté Ophélia de Claude Chabrol et Le Septième Juré de Georges Lautner. Une nouvelle société de distribution, Merlyn Films, présentera
début novembre Paris nous appartient de Jacques Rivette. Parmi les grandes compagnies, Paramount présentera Maléfices d'Henri Decoin avec Juliette Gréco, sous le titre Where the Truth lies.
MGM distribue de son côté Vie Privée de Louis Malle avec Brigitte Bardot, sous le titre À Very Private Affair, ce dernier film est donné depuis le 5 octobre au Loew's State et au Beekman Theatre. De plus, un certain nombre important de films français connaissent actuellement d'excellents résultats d'exploitation dans les cinémas de Broadway : c'est ainsi que L'Année dernière à Marienbad en est à son sixième mois d'exclusivité au Carnegie Hall Theatre et que Tales of Paris (Les Parisiennes) est donné depuis deux mois au Little Carnegie,
- 248 cependant que Le Ciel et la Boue de Pierre-Dominique Gaisseau établit des records dans le circuit Loew's. Autres productions françaises données actuellement à New York : Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda, Jules et Jim et Tirez sur le Pianiste de Truffaut, À Bout de Souffle de Godard, ainsi que des reprises des vieux classiques de Vigo L'Afalante et Zéro de Conduite." (Le Film Français. n° 959, 19/10/1962, p. 5).
41 Truffaut poursuit dans sa lettre du 19/08/1964 à Helen Scott (Correspondance, p. 319) : "D'accord avec vous pour foutre la paix à Rugoff et Peppermaïs d'autant que nous avons enfin obtenu l'argent et les sous-titres géniaux." Rugoff : Distributeur américain (Cinéma 5). Il avait fait le déplacement à Paris afin d'acheter les droits de La Peau douce pour les États-Unis. - Peppercom : associé de Rugoff que Truffaut avait baptisé plaisam ment Peppermaïs (de corn : maïs).
42° Cyrus Harvey, distributeur américain de Janus Film. 43 "Nous ne savons pas comment cela arrive, mais les censeur s et la police de Chicago semblent garder leurs gros revolve rs pour quelquesuns des films les plus acclamés (Ils ne doivent pas connaît re grand chose à l'art mais ils savent ce qu'ils veulent, supposons-no us). Le dernier trouble a été occasionné par Les Quatre Cents coups qui est l'oeuvre du cinéaste âgé de 27 ans, François Truffaut, un des réalisateurs français les
plus jeunes. Le film est déjà très largement honoré et il est actuellement projeté à New York, Los Angeles et Washington (Distri ct de Columbia), où il a été décrit dans des termes tels que "un petit chef-d'oeuvre de France" , "un remarquable drame", "un grand film éternel ".
En tout, le film a été présenté avec sept prix, inclua nt le "New York Critics' Circle Award" qui l'a élu meilleur film de l'année. Au dernier Festival de Cannes, il eut le Prix de la meilleure mise en scène de l'année et il a gagné des prix en Belgique et en France. De plus, il a une cote A-3 de la Légion de Décence, ce qui se traduit par un "non-répréhensible pour les adultes". La controverse entre les censeu rs et Daniel Frankel, président de Zenith-International Films qui distribue le film, concerne trois coupures sur lesquelles la censure insiste. Frankel refusa de les faire
naaute et c'est une décision pour laquelle Truffaut, maintenant retourné à Paris, fut d'accord." (The Chicago Sun-Times, 07/02/1960).
44° Cette attitude de Truffaut contraste avec certains comportements de nombreux producteurs français, lors de l'exportation des films sur le marché américain (confer note 83).
45
Note explicative des noms propres cités dans les deux extraits :
-
Astor, distributeur américain, en particulier de Tirez sur le
pianiste. - Arthur Penn,
cinéaste américain, né en 1922 : Le Gaucher, Miracle en Alabama, Bonnie and Clyde, Michey One, Alice Restaurant, Little Big Man, etc.
- Sidney Lumet, cinéaste américain. - Brad Darach, critique cinématographique du Time Magazine. - Don Congdon, agent littéraire américain (à l'époque au sein de Harold Matson Company). Il était l'agent de Truffaut. - Maxime Furlaud, auteur du scénario de L'Amour au Connecticut, que Truffaut avait projeté de tourner avec Jean-Pierre Léaud. Il abandonna ce projet faute de pouvoir l'adapter à sa manière, selon ses propres conceptions des personnages notamment. - Guns of The Trees, premier long métrage de Jonas Mekas (1961) qui, avec son frère Adolfas, peut être considéré comme le père du cinéma
underground new-yorkais. - David Diener, publiciste new-yorkais qui s'était fait distributeur pour Paris nous appartient. - Duncan Mac Gregor, directeur du cinéma Paris à New York. - Maternati, délégué d'Unifrance-Film à New York et donc chef de Helen Scott. - Brosley Crowther, à l'époque, critique de cinéma du New York Times. Très puissant et craint, vu l'énorme tirage du journal. Auteur du livre sur la M.G.M. : The Lion Share : The Story of an Entertainment Empire, Dutton, New York, 1957. - Arthur Winston, critique de cinéma au New York Post.
46 La Correspondance abonde en exemples concernant le soin que Truffaut accordait à la promotion de ses films et à l'utilisation de toutes les circonstances favorables à son oeuvre, notamment la publication de livres ou de critiques sur son cinéma. Voici un nouvel exemple :
- 250-
"J'ai demandé à la maison d'édition du Pianiste (Royalty) de vous envoyer des disques de "Framboise" (chanté par Boby Lapointe) et de la musique du Pianiste. Où en est-on avec la sortie ? Aznavour va passer quelques jours à New York très prochainement avant de rejoindre Albicocco et Marie Laforêt au Guatemala pour un tournage. Voulez-vous que je lui demande de vous prévenir de son passage ? Croyez-vous que listes i raient 1 7 Cela me ferait plaisir de recevoir deux ou trois exemplaires du livre en anglais, et aussi l'article de la Gilmore. En ce qui concerne Jules et Jim, une nouvelle intéressante : le livre va paraître en anglais chez un éditeur londonien : John Calder, 17, 1 1 illy, L . Voulez-vous le dire aux gens de Janus qui se décideront peut-être à faire venir des exemplaires ou à établir une connexion avec un éditeur-distributeur américain ? A vrai dire, je ne connais rien à ces questions, mais il y a peut-être quelque chose de bon à en tirer. Qu'en pensez-vous ?" (Correspondance, 20/07/1962, p. 253).
#7
"Jean-Luc Godard m'a dit qu'à New York, L'Amour à vingt ans fait
de très bonnes recettes." écrit François Truffaut (Lettre à Helen Scott, Correspondance, 04/1963, p. 281).
APCE chiffre est obtenu d'après l'information suivante de United Artists : "Notre renfal, qui est la part que les recettes des entrées aux cinémas nous restituent, atteint $ 280 000" (The New York Times, 25/04/1970). Etant donné que le rental représente environ 50 % de la totalité du box-office, on peut conclure que le box-office de Baisers volés
était d'environ $ 550 000.
49 Au début des années soixante-dix, l'article de Vincen t Canby, "Who's Going to Save the Mermaid ?", du New York Times (25/04/ 1970) est significatif : "Il y a deux semaines, j'ai conclu une critique favorable sur La Sirène du Mississippi de François Truffaut, en remarquant que bien qu'ayant aimé le film, je Soupçonnais le distributeur, United Artists, de ne pas le penser aussi, puisqu'il a sorti le film d'une façon qui ne lui est pas très favorable."
Vincent Canby note, par exemple, que le distributeur a sorti le film un vendredi, ce qui fait que les critiques parues dans les journaux du
- 251samedi n'eurent pas d'influence. "Le cinéma, choisi pour la première américaine, fut le 724 Street Playhouse, un cinéma parfaitement convenable mais situé sur le Upper East Side, sorte de Sibérie pour n'importe quelle première cinématographique. De plus, bien que le film soit apparemment disponible dans le pays depuis des mois, la compagnie n'a pas choisi de le montrer à des membres de la presse jusqu'à une semaine avant la sortie. Ceci n'entraîna pas une privation pour les critiques des journaux et des radios-TV, mais signifie qu'il fallut un délai de six ou huit semaines avant que les critiques n'apparaissent dans les magazines mensuels. Toujours significative de l'attitude du distributeur fut la qualité du matériel de presse pour le film. Celui-ci semblait avoir été préparé par quelqu'un qui serait juste sorti d'une cure de sommeil. Le matériel était à la fois incomplet (le troisième plus important personnage du film n'était même pas inscrit dans le casting) et parfois très incorrect (le nom du personnage joué par Jean-Paul Belmondo était présenté comme celui du livre que Truffaut utilisa pour élaborer son scénario, et non comme il était finalement désigné dans le film lui-même)". Vincent Canby dénonce donc l'habitude des compagnies américaines, notamment de Majors, qui ont tendance à vendre en gros et non à tenir compte des composantes spécifiques dans des films spécifiques. "Je ne fus pas surpris quand le lundi matin qui suivit le samedi où parut la critique, je reçus un coup de fil d'un ami d'United Artists. La conversation s'orienta ainsi : - L'Ami : "Savez-vous pourquoi j'appelle. ?" - Vincent Canby : "En tout cas, ce doit bien être la première fois que je reçois un coup de fil d'un distributeur pour récuser une bonne critique !" - L'Ami : "Pas du tout. J'aime le film. Je pense que c'est un grand film ! C'est un magnifique film ! Je ne pense pas que vous sachiez ce dont vous parlez." "
L'ami en question confia à Vincent Canby qu'United Artists aimait La Sirène du Mississippi et qu'il se trompait, étant donné que la compagnie avait dépensé une fortune pour préparer le public américain à la sortie du film. "En fait, il semble qu'United Artists n'ait rien dépensé du tout dans les quotidiens. Les publicités annonçant la sortie du film ont été payées entièrement par le cinéma lui-même parce que, contrairement à la procédure habituelle pour la sortie d'un nouveau film, United Artists a donné le film au 72d Street Playhouse que les gens du métier appellent le flat deal. Le cinéma a seulement garanti de payer au distributeur une certaine somme pour chaque semaine et puis de payer tous les coûts de la publicité. Alors que normalement, un nouveau film est distribué sur ce
qui est appelé un pourcentage deal [..]
- 252Le problème semble finalement
le suivant
: malgré la prétendue
explosion culturelle, il n'y a toujours pas assez d'argent investi dans les bons films au bénéfice limité, pour que ceux-ci puissent être rentables pour les grosses compagnies, qui considèrent par exemple que la somme d'argent dépensée pour la promotion d'un film ne devrait pas dépasser 10 % à 15 % de ses profits. Tout cela, bien sûr, est assez démoralisant, mais ce serait encore plus démoralisant s'il n'y avait pas d'autres critères de travail. Comme la plupart des principales compagnies de films, United Artists est profondément impliqué dans le financement de metteurs en scène étrangers, dans leur pays d'origine. Pourvu que ces opérations soient rentables sur un plan local, afin que des films comme La Mariée était en noir, Baisers volés et La Sirène du Mississippi continuent à être réalisés, voire importés, afin d'avoir leur chance sur le grand jeu de roulette américain qu'est le marché cinématographique."
SO Fellini Roma (Fellini): 13ème semaine, 11 villes, 11 cinémas : $ 601 118
|
Cris et chuchotements (Bergman) : 4ème semaine, 1 ville, 1 cinéma : $ 207 906
Le Charme discret de la bourgeoisie (Buñuel) : 12ème semaine, 3 villes, 3 cinémas : $ 432 211 César et Rosalie (Sautet) : 5ème semaine, 1 ville, 1 cinéma : $ 95598 (Source : Variety, 01/1973)
51
Ciné-parc (synonyme de Drive-in) : Cinéma en plein air où les
automobilistes stationnent descendre de leur voiture.
devant
l'écran
et
suivent
le film
sans
52 Notamment le prix de la meilleure mise en scène de l'Association américaine des importateurs et distributeurs de films (IFIDA), le prix du meilleur metteur en scène et celui du meilleur second rôle féminin (Valentina Cortese) de la Société Nationale des critiques de films newyorkais, le prix du New York Film Festival, le prix du second meilleur film de langue étrangère du National Board of Review/D.W. Griffith awards, le prix du dixième meilleur film de l'année du New York Times,
le prix du onzième meilleur film du Time.
- 25353 C'est également au Fine Arts (à l'époque 468 places) qu'étaient sortis les deux plus grands succès de Truffaut dans les années soixante, Les Quatre Cents coups en 1959 et Baisers volés en 1969.
En fait, la première du film eut lieu le 03/10/1973 comme le souligne l'article suivant :
à Cambridge,
"Le cinéaste-scénariste français de Jules et Jim, L'Enfant sauvage et du cycle des quatre films sur Antoine Doinel (Les Quatre Cents COUPS, L'Amour à vingt ans, Baisers volés et Domicile conjugal) fera sa première apparition publique aux États-Unis le 3 octobre au Harvard Square Cinema à Cambridge. Truffaut est venu ici à la demande de Paul R. Michaud, un ami du cinéaste et professeur du cours "François Truffaut et son univers" à l'Université d'Harvard, cet automne. Michaud
est coordinateur des Films Sirène, co-sponsor avec "Harvard's West European Studies program" de la visite de Truffaut. [...] La première du nouveau film de Truffaut, La Nuit américaine, aura lieu le 3 octobre à 20 heures à Harvard Square Cinema. Truffaut parlera après." (The Boston
Globe, 18/09/1973).
54 Les cinq films français sont Sex Shop, La Nuit américaine, L'Héritier, La Grande bouffe et Le Grand blond avec une chaussure noire. Ajoutons Le Dernier tango à Paris qui a tout de même atteint le
chiffre de $ 8 909 898 en 42ème semaine (La Revue Image et Son, n° 281, 02/1974, p. 10).
55 L'évolution des chiffres de La Nuit américaine montre que l'Oscar n'est pas l'explication du succès du film aux États-Unis. De façon générale, si l'on se penche sur les recettes des films étrangers ayant obtenu l'Oscar du meilleur film étranger, on remarque que plusieurs d'entre eux n'ont pas bénéficié d'un box-office important. Par exemple, même oscarisé, en 1970, le film italien d'Elio Petri, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, gagna seulement $ 324 000 aux États-Unis, dans 697 cinémas. (Source : Variety).
Confer également le tableau de Variety (04/01/1993), document j.
56 Après six semaines d'exploitation (au 28/11/1973), La Nuit américaine avait rapporté dans six villes (six cinémas) $ 306 785. Au moment des Oscars, le film passa à $ 165 100 pour la semaine du 6 au
ADI 13 mars 1974 (dans six villes et quarante cinémas après vingt et une semaines d'exploitation), alors qu'il avait rapporté la semaine précédente $ 31 800.
57 "J'espère avoir bientôt par Mike Korda de bonnes nouvelles du Hitchbook ; je vois que la presse a été excellente, j'espère que les ventes le seront également." écrit François Truffaut à Alfred Hitchcock (Correspondance, 19/02/1968, p. 411).
58 "Je crois qu'actuellement l'Amérique prend de l'avance dans le domaine de l'enseignement du cinéma dans les universités et, du même coup dans celui de la littérature cinématographique : Bob Thomas a écrit de très bonnes biographies de Harry Cohn (Columbia), de Thalberg (MGM) et de Walt Disney. Un journaliste a réuni les notes dictées par David O'Selznick en un livre extraordinaire : Memo, King Vidor a écrit deux livres, Frank Capra a rédigé ses mémoires ainsi que Tay Garnett et Mitchell Leisen. Les étudiants de cinéma commencent à se passionner pour l'oeuvre critique d'André Bazin, traduite par le professeur Hugh Gray, un Anglais de soixante-treize ans qui était un camarade de classe d'Hitchcock au Collège Saint Ignatus en 1910 ! Tandis que les cinéphiles français semblent bouder l'écriture - les livres de cinéma publiés en France n'atteignent que des tirages dérisoires - les Américains ne sont pas exclusivement audio-visuels et la télévision par câble amène sur une chaîne spéciale les nouvelles présentées sur un téléscripteur ; assis devant leur récepteur, les Américains lisent sur le petit écran les informations du monde entier, pendant des heures. C'est l'audio-visuel au service de l'écriture, belle revanche pour la littérature." (Le Film Français, 16/11/1973, p. 10).
59 Confer la lettre de François Truffaut à Gabriel Desdoits (vendeur de films français établi à New York) dont voici quelques extraits : "Merci pour votre lettre du 10 avril et la proposition de Monsieur Holton. Rien ne me ferait plus plaisir que de voir Adèle H. transformé en opéra ! [...] Tenez-moi au courant de la suite des événements. Vous avez toute ma confiance pour nous représenter dans cette affaire et, si elle trouve une heureuse conclusion, nous serons assis l'un et l'autre au premier rang du balcon pour l'opening night à Broadway." (Correspondance, 18/04/19 80, pp. 656-657).
- 25560 L'Histoire d'Adèle H. obtint à New York $ 300 000 de recettes en huit semaines d'exclusivité. Même en province, le film eut du succès (par exemple sortie à San Francisco, Boston et Pittsburg réalisant d'importantes recettes). (Source : J’ariety).
61 Sail Change (L'Argent de poche), après trois semaines au Cinéma I] à New York, enregistra une recette de $ 73 704 (Source : The Hollywood Reporter, 05/11/1976). Puis, le film obtint $ 200 000 en
quinze semaines d'exclusivité au Liftle Carnegie à New York.
62
"Le box-office U.S.A. et Canada est en plein boom avec les résultats
de deux films champions : Saturday Night Fever (Paramount) et Close Encounters of The Third Kind (Columbia). En mars, le premier a représenté 13 % des recettes et le second 8 % A ce rythme, le box-office 1978 pourrait atteindre deux milliards sept cents millions de dollars, soit le double de 1971, année de récession." (Le Film Français, 07/04/1978,
p. 3). Close encounters of the third kind rapportait la somme de $ 3 377 392 en huitième semaine dans 103 salles (semaine du 05 au 11 janvier) (Le Film Français, n° 1709, 27/01/1978, p. 25).
63 On peut lire à plusieurs reprises dans la presse américaine que le rôle de François Truffaut dans le film de Steven Spielberg l'a fait connaître du grand public américain. En voici deux exemples : "Ironiquement, Truffaut fut davantage connu par le grand public nord-américain avec son apparition dans le film de Spielberg, où il jouait le rôle d'un scientifique français et qui fit de lui une star internationale de l'écran." (The Toronto Star, 22/10/1984, p. D1). "Et même, le AFJ Education Newsletter écrit, en 1979, que "pour un
certain nombre d'Américains, François Truffaut est plus connu pour son rôle de Lacombe, le scientifique Spielberg." (09-10/1979)
français,
dans
le film
de Steven
64 “pour Rencontres du troisième type, j'avais besoin d'un homme ayant l'âme d'un enfant. Quelqu'un de bienveillant, de chaleureux, pouvant totalement admettre l'extraordinaire, l'irrationnel. Et c'est ainsi que je vois Truffaut, que je vois ses films. Il ressemble à tous les
- 256personnages d'enfant de ses films. J'ai vu L'Enfant sauvage et La Nuit américaine et je me suis dit : "Cet homme-enfant est le personnage que j'ai écrit", Claude Lacombe dans Rencontres du troisième type."
souligne
Steven
Spielberg
("Rencontre
avec
Claude
Lacombe",
Le
Roman de François Truffaut, p. 163).
D'ailleurs, le rôle de Truffaut ne correspond pas aux rôles habituels où l'on cantonne les personnages et les acteurs français à Hollywood. Ainsi, l'image de Truffaut ne s'inscrit pas dans des stéréotypes, comme le souligne Alain Servel (Frenchie goes to Hollywood, Editions Henri Veyrier, Paris, 1987, p. 11) :
"Il nous semble intéressant de souligner, par ailleurs, que deux qui ont connu ces dernières années une vogue extraordinaire aux Unis (films fantastiques et films de science-fiction) ne mettent scène des personnages français (François Truffaut, dans Encounters of the Third Kind | Rencontres du troisième type / Spielberg en 1977, joue les exceptions)."
genres Etatspas en Close Steven
65 "Truffaut, à 47 ans, sera le sujet d'une rétrospective importante ici et à Washington, sous l'égide de l'American Film Institute. Truffaut luimême fera trois apparitions durant la rétrospective, qui se déroulera du 23 février au 17 mars et diffusera chacun de ses 18 films, incluant les deux plus récents, encore jamais projetés ici. Il inaugurera la série avec la première sur la côte Ouest de L'Amour en fuite, son dernier film, qui est aussi, il insiste, le point final de l'extraordinaire chronique d'Antoine Doinel qui commença avec l'émouvant adolescent dans Les Quatre Cents coups. L'Amour en fuite sera présenté au Motion Picture Academy's Goldwyn Theater, et Truffaut prendra part à la discussion animée et traduite par Annette Insdorf, professeur de cinéma à Yale et auteur d'une nouvelle étude François Truffaut (Twayne)." (Los Angeles Times,
21/01/1979, p. 1). "Truffaut on Truffaut : Film-maker and Critic" commence ce soir avec la première ouest-américaine de L'Amour en fuite au Samuel Goldwyn Theater à l'Academy of Motion Picture Arts ans Sciences (Beverly Hills). Le film inaugurera une rétrospective des films de François Truffaut depuis son premier film, il y a vingt ans. La série s'achèvera par une autre première ouest-américaine, La Chambre verte. Truffaut sera présent à la soirée d'ouverture et de clôture et aussi à la projection d'un film de Hitchcock, rarement présenté et un des plus aimés de Truffaut, L'Ombre d'un doute. Après cette projection, Truffaut parlera de l'influence de Hitchcock et d'autres réalisateurs, dont Renoir, Welles et Lubitsch sur son oeuvre." (Los Angeles Times, 23/02/1979).
= 2STEE
"J'ai travaillé pendant des années dans le cadre des grandes 66 compagnies américaines qui nous faisaient confiance. Elles appréciaient notre honnêteté, les devis étaient toujours respectés. Elles nous apportaient une grande sécurité et une grande liberté, en échange on acceptait de perdre une bonne partie des bénéfices. La rupture est intervenue quand mes amis américains ont quitté les Artistes Associés pour fonder Orion Pictures. Je n'avais plus de raison de continuer ainsi et, à partir de L'Amour en fuite, j'ai tenté l'expérience d'être un producteur français indépendant... Pour l'instant, Les Films du Carrosse n'ont pas à se plaindre, ça marche assez bien. Je craignais au départ que les partenaires français soient moins compréhensifs que les Américains, qu'ils veuillent mettre leur nez partout, dans la distribution, le scénario. Ils auraient pu se vexer de n'être pas consultés. Et puis, non, pas du tout : il y a des structures françaises qui font confiance." affirme François * Truffaut (Cinéma de France, 09-10/1981, p. 11).
67 Par exemple, durant sa première semaine d'exploitation, Le Dernier métro rapporta $ 80 032 (box-office gross), ce qui situait le film parmi les meilleurs succès de films étrangers aux États-Unis. (Source : United Artists).
"Parmi les spectateurs, il y a un jeune homme fou de cinéma, 68 Michael Barker. Il a géré un festival de cinéma à l'université du Texas et il admire beaucoup le cinéma européen, en particulier celui de Truffaut. Après ses études, il est allé à New York où il a décroché un boulot dans l'industrie du film, et, en 1980, il entre dans une nouvelle branche de
United Artists qui s'occupe de la distribution des films étrangers de : qualité. C'est la première fois que Barker assiste au New York Festival qu'un apprend Barker quand et ville, la dans passage de est sa mère nouveau film de Truffaut sera présenté, il achète très cher deux billets
pour la soirée de clôture. Il ne regrettera pas cet investissement." (Paul Chutkow, Depardieu, Belfond, Paris, 1994, p. 248).
Au bout de douze semaines d'exploitation, le film rapporta $ 189 69 761 au cinéma Le Paris à New York. Et au bout de huit semaines
d'exploitation, le film rapporta $ 507 340 dans six villes américaines (et
sur six écrans).
- 258-
70° Certainement bien plus importante en province puisque les recettes de toutes les villes de province ne sont pas en ma possession.
TL
Au niveau de l'industrie cinématographique, le pays est divisé en
trois. Premièrement, New York. Deuxièmement, la province, c'est-à-dire
les cinq autres grandes villes (Los Angeles, San Francisco. Philadelphie, Chicago et Boston), qui avec New York, représentent la moitié du marché américain. Troisièmement, le reste des États-Unis. La côte Est et
la côte Ouest, c'est-à-dire deux minces franges territoriales des ÉtatsUnis, constituent en fait la quasi-totalité du marché cinématographique. La mince frange territoriale de l'Est, de Boston à Washington, représente pratiquement 50 % du poids économique et politique.
Déjà, la répartition de la population aux États-Unis est significative. Elle se caractérise en effet par une distribution spatiale inégale, héritée du passé, opposant le Nord-Est densément peuplé aux autres régions. Elle se caractérise aussi par une répartition qui évolue sous l'effet des migrations récentes au profit de la Sun belt du Sud et de l'Ouest. La répartition de la population est liée à l'origine Atlantique du peuplement. L'immigration européenne explique l'ancienneté de l'implantation de la population à l'Est.
72
"Gabriel Desdoits est l'homme à tout faire du film français à New
York. En association avec Alain Vannier à Paris, il négocie avec tous les distributeurs." (Le Monde, 07/11/ 1983).
73 n "Que le cinéma français soit ainsi distingué, deux années de suite, à Hollywood est un encouragement artistique et un bon signe commercial. Le succès d'estime dont bénéficiaient aux U.S.A. quelques films venus de chez nous, était sympathique et flatteur , mais notre production à besoin de réalités plus solides. Et la distrib ution des Oscars est considérée comme un bon moyen de pénétration dans le grand public." a écrit Robert Chazal. [...] Mais, le marché des films étrangers aux États-Unis, qui, il y a dix ou quinze ans avait l'air si excitant et si plein de promesses financières pour
les entrepreneurs de pellicule, n'existe pratiquement plus. La triste vérité est que le public américain semble beaucoup moins intéres sé aujourd'hui qu'à n'importe quel moment depuis la découverte de Robert o Rossellini,
- 259du Néoréalisme italien, puis de la Nouvelle Vague. "Le marché français aux États-Unis n'existe pas, déclare John Friedkin, chef du service étranger de la 20th Century Fox. Depuis dix ans, il n'y a eu que trois films français qui ont fait des recettes importantes, c'est-à-dire un million de dollars ou plus aux guichets : Un Homme et une femme, Z et maintenant Efat de siège. Cris et Chuchotements est le premier film d'Ingmar Bergman à faire le million de dollars. [...] Que voulez-vous. le film étranger n'attire plus comme avant et les conditions de distribution sont si décourageantes que même nous à la Fox hésitons deux fois avant de prendre un film européen en distribution." [...] Le pessimisme relatif de Friedkin est partagé par les autres directeurs chez Warner, Universal et Paramount et les principaux exploitants de salles ayant traditionnellement des films étrangers à l'affiche. Dan Talbot, qui venait de vendre son cinéma Le New Yorker après quinze ans d'exploitation habile, dit que Tokyo Story d'Yasujiro Ozu ne fit que $ 50 000 de profits aux U.S.A. "Et c'était un succès, n'oubliez pas. Cinquante mille dollars. C'est ce que les Poor dépensent aujourd'hui pour lancer un film en une semaine à New York. Mais quels sont les chiffres des récents succès français ? Le Genou de Claire d'Eric Rohmer, considéré comme un succès aux États-Unis, a fait $ 410 000. Domicile conjugal a fait $ 372 000 en 425 salles et Une Belle fille comme moi $ 108 000 en 97 cinémas. Le dernier Truffe ut, La Nuit américaine, aidé par son Oscar et une campagne agressive de ia Warner est sorti dans mille salles. A ce jour, les recettes de Day for Night comme La Nuit américaine s'appelle en anglais, sont de $ 603 000." écrit Axel Madsen (La Presse, Montréal, 25/05/1974). Selon le New York Times, qui en février 1974 étudia le déclin du cinéma étranger aux États-Unis, l'amateur du film d'outre-mer n'a pas
disparu. "Il serait plus exact de dire que si le marché du film étranger existe toujours, des productions américaines et britanniques plus sophistiquées savent maintenant satisfaire cette clientèle. Ainsi, il y a davantage de concurrence pour l'intérêt du public et davantage de concurrence pour la vente de films étrangers dans les salles." Vincent Canby notait en effet dans le New York Times du 17/02/1974,
"Le marché pour les films étrangers, qui à la fin des années 1950 et au début des années 1960, semblait si excitant pour nous et si gratifiant financièrement pour les entrepreneurs, s'est plus ou moins effondré dans le brouillard de la prétendue explosion artistique. [...] La situation est décourageante. L'audience pour ce type de films n'a jamais été énorme, mais quand les coûts de distribution étaient bas, cela était encore possible pour les producteurs et les distributeurs de survivre avec de petits rapports. Aujourd'hui, c'est quasi impossible. [...] Le problème est le coût. Le coût de production à l'étranger, de l'importation et de la préparation d'un film pour la sortie américaine à l'exploitation du
- 260cinéma. [...] Pour une grosse compagnie de distribution, c'est un pari peu intéressant de dépenser $ 180 000 pour avoir la chance de gagner au maximum $ 300 000 ou $ 400 000. Il préfère se concentrer sur des investissements dans des films au budget de plusieurs millions de dollars [...] A cause de ça, de moins en moins de films étrangers sont importés sur le marché américain, même par des compagnies comme Columbia qui finance des films étrangers pour les sorties locales à l'étranger." (pp. l et 12).
74 Vincent Canby note par exemple dans le New York Times du 17/02/1974 : "Dans les derniers quatorze mois, il y a eu seulement une
exception frappante à la morosité qui régne sur le marché des films
étrangers aux États-Unis, qui a eu l'effet d'ifalianiser le marché : Cris et
Chuchotements
d'Ingmar
Bergman.
Les
deux
films
précédents
de
Bergman, Une Passion et Le Lien, ont eu un box-office si médiocre que
quand le film Cris et Chuchotements devait être vendu, aucun distributeur américain n'était spécialement intéressé. Le film fut finalement décroché pour une relative petite somme par une compagni e appelée New World Pictures, dirigée par Roger Corman, et il a gagné
$ 1 200 000 dans 803 cinémas du pays. Un triomphe pour une beauté
d'images et pour la sensibilité de Bergman." (p. 12). Confer aussi note 83.
75
Afin d'élaborer cette conclusion, nous nous fondons notamment sur
l'analyse de Bernard Pras, alors professeur à l'Université de Lille II et à l'E.S.S.E.C. Il présenta dans Le Film Français ("Les films français et le
marché
américain",
20/10/1978,
pp.
14-17)
des
résultats
sur
l'exploitation du film français sur le marché américain (facteurs d'achats, réception, etc. ), étude subventionnée par le Ministère de l'Enseignement supérieur.
76 Alain Vannier fut le vendeur des films de Truffa ut à l'étranger depuis Jules et Jim, sauf pour ceux que le cinéaste coproduisit avec des Majors américaines. Alain Vannier constitua une composante essentielle du système de production mis en place par Truffa ut.
77 Résultats de première exclusivité, sans contin uation immédiate, Paris seulement (Source : Le Film Français, 10/12 /1971, p. 8). De 1959
- 261à 1970, la moyenne d'entrées pour un film de Truffaut (dix films des Quatre Cents coups à Domicile conjugal), à Paris, était de 193 133 entrées. Le chiffre le plus important concerne Baisers volés (334 370 entrées, première exclusivité - et continuation - à Paris) et les moins importants concernent L'Amour à vingt ans (58 746) et Tirez sur le pianiste (62 799), deux résultats de première exclusivité, sans continuation immédiate.
78
Résultat de première exclusivité, sans continuation immédiate.
79 Achetée par Spectra Films, société créée par Linda Beath qui avait quitté United Artists Classics (Canada) pour former Spectra Films en 1983 avec des bureaux à New York et Toronto.
pour L'Argent de poche, la qualité des sous-titres fut aussi un 80 élément favorable pour l'exploitation du film. Il ne faut pas croire que cet élément passe inaperçu, comme on peut le remarquer dans la critique du Los Angeles Times : "Les sous-titres sont dans beaucoup de films étrangers une source de mécontentement, mais pas cette fois. Un éloge spécial est dû à Helen Scott, qui fait la plupart des titres anglais de Truffaut, pour son ingéniosité à trouver les justes équivalents américains pour les expressions des enfants français." (22/12/1976, p. 16).
81 Deneuve a déjà une longue carrière derrière elle et a tourné avec les
plus grands cinéastes, Demy, Polanski, Buñuel, Lelouch, etc. Quant à
Depardieu, même s'il possède alors une carrière moins fournie, il est déjà Les Valseuses lui ont valu la connu aux États-Unis en 1980. reconnaissance internationale en 1973 et Préparez vos mouchoirs a reçu l'Oscar du meilleur film étranger. Les Valseuses ont connu un succès critique et financier aux États-Unis.
82 International Herald Tribune souligne par exemple que "Adèle H. coûte seulement $ 800 000. Les ambitions de Truffaut ne sont pas de recourir à un budget de la taille d'Hollywood et il n'est pas plus attiré par l'idée de travailler ici." (08/12/1975).
- 26283 "Un des obstacles à la plus grande diffusion de nos productions tient, en plus des résistances culturelles, commerciales ou structurelles, à un manque de conscience des réalités du marché américain de la part des professionnels qui tentent de le pénétrer ; la sortie d'un film aux ÉtatsUnis coûte très cher en tirage de copies, promotion et publicité, et beaucoup de distributeurs américains sont abasourdis devant les prix demandés pour certains films dont le seul titre de gloire est d'avoir honnêtement marché dans leur pays d'origine" (Le Film Français, 31/08/1979, p. 27). Dans le New York Times du 17/02/1974, Vincent Canby écrit aussi : "Pour compliquer les données, l'exigence des producteurs européens (parfois appelée attitude irréaliste, et c'est un euphémisme). Quand Jacques Demy a achevé Peau d'Âne, il y a plusieurs d'années, le prix demandé pour les droits américains était de $ 250 000, signifiant que le film devrait gagner près de $ 750 000 pour rentrer dans ses frais, ce que peu de films de cinéastes aussi spéciaux que Demy ont fait. Jusqu'au succès de Cris et Chuchotements, les droits américains pour un film de
Bergman pouvaient être acquis pour $ 75 000. Depuis le succès de Cris et Chuchotements, le prix demandé pour le nouveau Bergman monta en
flèche, à $ 250 000." (p. 12).
84 "Cette plainte porte avant tout sur la mauvaise gestion ou l'absence de gestion des droits dont Artistes Associés France a la propriété. "Je ne comprends pas pourquoi une société s'assurerait des droits sur 20/30 ans, s'il s'agit d'exploiter le film sur une période de deux ou trois ans." Et de citer en exemple le cas de L'Histoire d'Adèle H. dans lequel Isabelle Adjani a trouvé son premier rôle d'importance internationale : "Pourquoi n'avoir pas profité du succès de L'Eté meurtrier pour ressortir le film ?" La collaboration entre Les Films du Carrosse et Artistes Associés France a débuté en 1966 avec La Mariée était en noir. Elle s'est poursuivie avec La Sirène du Mississippi, Baisers volés, L'Enfant sauvage, L'Histoire d'Adèle H., L'Argent de poche, L'Homme qui aimait les femmes et La Chambre verte, jusqu'en 1978. "Mais, la collaboration entre nos deux sociétés s'est détériorée depuis que l'ancienne équipe d'Artistes Associés a quitté la A/ajor pour fonder Orion." Autres problèmes opposants les Films du Carrosse aux Artistes Associés : la remontée des droits et la vente en package des films de François Truffaut à des télévisions : "un procédé interdit par la loi française sur le droit d'auteur" souligne encore Truffaut" (Le Film Français, 02/09/1983, p. 3).
- 263 85 Cette affaire peut-être mise en parallèle avec la remarque de Gilles Jacob (rapportée par Le Monde du 09/05/1985) à propos du filmhommage, Vivement Truffaut !, présenté au Festival de Cannes en 1985 : “Par sa maison de production, Les Films du Carrosse, Truffaut avait racheté les droits de certains de ses films. Il en reste encore aux Artistes Associés, à la CIC et à la Warner. Gilles Jacob va lui-même à Los Angeles discuter avec les présidents des grandes compagnies. "Dès que je prononçais le nom de François Truffaut, dit-il, c'était comme des mots magiques. J'ai tout obtenu. J'ai rencontré une grande compréhension, une grande générosité." "
86 Sur le fonctionnement de la mémoire du spectateur lors de la projection d'un film, on lira le livre de Jean-Louis Schefer, L'Homme ordinaire du cinéma, Cahiers du cinéma, Paris, 1980.
87 Egalement dans la mouvance de la sociocritique et du Centre d'Etudes et de Recherches Sociocritiques (Montpellier IT), voir les études de Monique Carcaud-Macaire dans le domaine de l'image et du cinéma (modalités du passage d'une modélisation à l'autre, notion de "tiers interprétant").
Comme l'a montré Erving Goffman, toutes les relations humaines 88 impliquent d'abord une certaine mise en scène de soi. Le sociologue américain appelle "personnage" l'image constante qu'autui donne à un individu ou que cet individu donne de lui-même comme étant son "moi" qui est une représentation de cet individu.
89
L'Histoire d'Adèle H. et Z furent tous deux des succès aux États-
Unis. Mais la nature de la réception de leur auteur fut totalement différente, comme nous l'avons démontré dans l'étude sur la distribution.
90 Aux critiques états-uniennes se grefferont quelques recensions issues du Canada anglophone. Au Canada, il n'existe pas de critiques qui gouvernent les opinions du monde cinématographique national, comme Canby, Kael et Sarris le firent aux États-Unis. Le Canada, surtout anglophone, est réellement une partie du système médiatique américain. La télévision, les magazines et les journaux américains sont plus
HODASe généralement suivis que leurs homologues canadiens. Par exemple, Maclean's Magazine est un journal similaire au Time ou à Newsweek,
mais beaucoup de Canadiens lisent davantage Time et Newsweek que Maclean's. Ainsi, globalement, le Canada anglophone suit les opinions américaines.
91 J'entends par initiation médiatique, l'environnement (par exemple critique) qui en lançant un cinéaste dans un contexte précis, sera toujours associé à ses débuts cinématographiques. L'initiation médiatique instaure des critères d'appréciation, un "axe de lecture" et détermine ainsi, de façon plus ou moins importante, la réception des oeuvres futures de l'artiste.
92 Pour un Américain, la démarche qui consiste à aller voir un film étranger répond à deux motivations : sortir momentanémen t du rang de téléspectateur pour accéder à celui de spectateur de cinéma, et du film américain pour un film étranger. Or cette démarche rencontre trois embüûches : le temps disponible associé à la situatio n géographique du cinéma qui projette le film, la notoriété du film (son box-office, affichages, bouche-à-oreille, prix, etc.) et surtout le jugement critique (notamment la presse en ce qui concerne les films étrangers). Tout ceci compose un système de références efficaces à l'origin e du choix du public.
93 Comparativement, Paramount dépensait $ 85 000 pour lancer Jonathan Livingston Seagull à New York, un échec qui faisait moins de $ 10 000 de recettes pour sa première semaine. Aveo Embassy déboursait $ 130 000 pour lancer The Day of the dolphin, la semaine avant Noël 1973. Cette somme était trois fois et demi supéri eure à celle de La Nuit américaine ; mais les recettes de La Nuit américaine ne furent pas inférieures à celles de The Day of the dolph in puisque ce dernier fut un échec commercial.
94 Confer les propos de Truffaut, note 58 du premier chapitre sur l'exploitation de ses films aux Etats-Unis.
- 26595 Cette réflexion revient constamment dans les propos de Truffaut. On la retrouve dans les Cahiers du cinéma : "Comme je vous l'ai dit, je crois que le véritable combat des cinéastes n'est pas avec les critiques ni l'industrie
mais
avec
l'indifférence
du public."
(Cahiers
du cinéma,
09/1980, p. 15). A cela s'ajoute un grand respect du jugement critique, comme en témoigne la remarque suivante : "Je trouverais courageux un artiste qui, sans insulter la critique, la contesterait au moment où elle lui est entièrement favorable : ce serait une opposition de principe bien déclarée qui créerait une situation d'une belle clarté ; ensuite, il pourrait attendre les attaques sans broncher ou en continuant d'y répondre. Au lieu de cela, nous assistons souvent à la
situation désolante d'artistes qui ne croient nécessaire d'entamer la polémique que le jour où ils sont contestés ; la mauvaise foi, si mauvaise foi il y a, n'est donc pas que d'un côté et lorsqu'un cinéaste français, par ailleurs très doué, présente chacun de ses nouveaux films comme
son
"premier vrai film", en spécifiant que ceux qui précédaient n'étaient que des exercices balbutiants qui lui font honte, que peut ressentir le critique qui a soutenu sincèrement son oeuvre depuis le début ?" (Les Films de ma vie, p. 24).
96 I] existe en effet une série de célèbres débats entre Pauline Kael et Andrew Sarris. En voici un exemple : "Des gens comme Sarris veulent une théorie critique qui rend la critique inutile. Et elle est remplaçable si les catégories remplacent l'expérience ; un critique avec une unique théorie est comme un jardinier qui utilise une tondeuse sur tout ce qui pousse." affirme Pauline Kael en 1963 (cité dans Globe and Mail, 24/12/1991, p. C1).
97
Cette citation a été en fait relevée dans une publicité (annonce
publicitaire qui paraissait dans les journaux), du Toronto Star Daily (09/1964).
98 Les cinq dernières citations sont extraites d'un récapitulatif intitulé "Nouvelles de La Peau douce dans le monde" et rédigé par la société de production de François Truffaut, Les Films du Carrosse, en 1964 (Source : Les Films du Carrosse). C'est pourquoi les références bibliographiques sont incomplètes.
- 26699 Cette citation a été relevée dans une publicité de presse (Toronto Star Daily, 04/07/1962).
100
Idem.
101 4 partir de 1963, Film Culture devient la principale revue mondiale exclusivement consacrée au cinéma expérimental (surtout américain). C'est pourquoi les seuls articles sur François Truffaut sont antérieurs à cette date. Néanmoins, cela suffit à l'insérer dans un certain cinéma, indépendant et différent, et à lui donner un élan correspondant.
102
pour plus de détails sur les mouvements contestataires américains
des années soixante, on se référera notamment aux deux ouvrages suivants de : - GRANJON, M.C., L'Amérique de la contestation. Les années 60 aux
États-Unis, Presses de la FNSP, Paris, 1985.
- ROSZAK, Th., Vers une contre-culture, Stock, Paris, 1970.
103 "Comment comprendre, justement, grâce à des clichés ? A en croire les films, le Viêtnam n'a généré que deux types de soldats : les tueurs hallucinés et les je-m'en-foutistes. C'est contre cette constatation que s'élève Dale Dye, militaire de carrière : "Pour moi, Apocalypse Now et Voyage au bout de l'enfer, c'est de la merde. Chevauchée des Walkyries, Wagner, surf et napalm. Coppola est cinglé.. C'est insultant." Cheveux presque blancs, bronzé, ce natif du Missouri s'anime facilement : "A force de voir des crétins sur les écrans, on a voulu voir des Supermen. Mais le vrai film sur le Viêtnam n'a pas encore été fait..." [..] "Passé les films pessimistes, puis les néo-Rambo, il y aura une troisième vague, analyse Jay Sherbutt, rédacteur en chef des spectacles du Los Angeles Times, qui en 1969 a couvert pour Associated Press l'une des batailles les plus sanglantes, Hamburger Hill. D'abord, il y a eu le silence, dans les années soixante-dix. Personne ne voulait de livres sur le Viêtnam, c'était du poison. Les premiers films étaient très négatifs, maintenant ils sont bellicistes et nuls. D'autres, heureusement,
préparation,
avec
un peu
plus de sérieux..."
(Forestier,
sont en
François,
11/10/1985, cité dans "États-Unis : la puissance et le doute", Les Cahiers
de l'Express, pp. 90-91).
- 267-
104 James Monaco était co-éditeur de Take One et de More : auteur de The New Wave : Truffaut, Godard, Chabrol, Rohmer, Rivette, publié par Oxford University Press et du livre How to Read a film (Oxford University Press). Membre de la faculté "New School for Social Research."
105 Tous ces propos sont extraits de l'article de James Monaco (Take One, 10/1976, pp. 16-20).
106
Cette évocation du Ku Klux Klan est révélatrice. Après celui qui
suivit la Guerre de Sécession, en 1915, un second Ku Klux Klan est créé
afin de défendre la suprématie des Blancs et des Protestants contre les Noirs, puis contre les Catholiques, les Juifs, les étrangers et même contre les syndicats. Ainsi, le Ku Klux Klan réapparaît dans les années soixante, afin de lutter contre la déségrégation et le Civil Rights Act (1964). Plus qu'une société secrète, le Ku Klux Klan était un état d'esprit.
107 x y eut par exemple un semestre de cours sur l'oeuvre de François Truffaut, à la suite de la rétrospective de ses films organisée par l'American Film Institute à la fois à Washington et à Los Angeles. Destiné à des étudiants de licence, ce cours traitait de l'oeuvre de Truffaut au travers de six sujets thématiques. Auparavant, en 1973-1974, le professeur Paul R. Michaud fit un semestre de cours intitulé "François Truffaut et son univers", à l'Université de Harvard, à Cambridge, la plus
ancienne et l'une des universités les plus réputées des Etats-Unis.
108 "Moppet" est un terme familier signifiant "chéri", terme d'affection pour un petit enfant notamment. Son équivalent britannique, peut-être plus connu, est "poppet" et signifie "mon petit chou", "mon petit amour”.
109 La traduction de cette phrase en français n'est pas aisée : "It is true to life at an age when life is true to art." Mais, j'ai préféré traduire de façon quasi littérale afin que les deux expressions "true to life" et "true to art" apparaissent bien comme confrontées l'une à l'autre. L'auteur veut dire que le film de Truffaut est régi par la vie réelle, par une authenticité
d'autant plus appréciable que, généralement,
cette tranche d'âge est
- 268sujette à des analyses manquant de réalisme.
artistiques,
c'est-à-dire
faussées,
enjolivées,
10 Voici la réponse de Truffaut à cette question : "Non. Je pense que cela appartient vraiment à Salinger et que vous ne pourriez pas vraiment en faire un film. Je pense la même chose à propos de Proust. Il y a plusieurs livres dont je pense qu'ils devraient rester des livres, quand on est presque sûr que le film ne pourrait pas être meilleur ou aussi bon." (American Film, 05/1976, p. 34).
111 Beaucoup d'écrivains américains, au milieu des années soixante, se sont débarrassés du culte de la forme, et de ses implications stériles. Même parmi les meilleurs romanciers, on note un manque réel d'intérêt pour les expériences formelles réalisées en France par le Nouveau Roman. Ces écrivains mettent plus volontiers l'accent sur la condition humaine tragique, grâce à des personnages qui sortent souvent de l'adolescence et débutent leur vie adulte.
12
À cet endroit précis, l'auteur de l'article écrit la note suivante :
"Peut-être Truffaut réussit parce qu'un film peut contrôler à la fois les perceptions visuelles et auditives de son public, tandis qu'un roman peut seulement construire un monde visuel approximatif à travers les images, et doit, par conséquent, compter sur son énergie pour construire son
univers fermé. Peut-être, dans ce sens, le film est plus dangereux et
potentiellement artistique."
113
Angus
plus
Wilson
important
que
(1913-1991)
le roman
en
tant
est un dramaturge
que
forme
et romancier
anglais. Son oeuvre se caractérise par une ironie mordante et angoissée. Il attaque la bourgeoisie intellectuelle désarmée devant la vie (exemple de Affitudes anglo-saxonnes, 1956). Sa critique acerbe du désarroi libéral
est associée aux indécisions fin de siècle, rêvant d'un bouleversement
sans doute catastrophique, au seuil des révoltes du libertinage. Dans Attitudes anglo-saxonnes, Angus Wilson témoigne de sa virtuosité et de sa maturité techniques. Au delà des nombreuses analepses et de la liberté de verve de l'écrivain, le roman demeure une comédie panoramique de la société anglaise, lucide et significative.
- 269114 es Quatre Cents coups connurentun grand succès international et eurent un impact considérable, obtenant des prix dans de nombreux festivals à l'étranger. Sorti le 3 juin 1959 à Paris, le film de Truffaut connaît quatorze semaines d'exclusivité avec 261 141 entrées (source C.N.C.), chiffre exceptionnel pour un premier film sans vedettes. Toutes proportions gardées (en raison de la différence d'époque et des fonds investis), Truffaut devra attendre Le Dernier métro, c'est-à-dire vingt et un ans, pour réaliser un tel succès financier.
15 Ce que l'on appela sommairement la nouvelle vague américaine représente en fait plus une série de phénomènes situés dans l'esprit de la Nouvelle Vague française qu'un véritable courant comparable au mouvement français. Voici ce que souligne le Dictionnaire du cinéma (Jean-Loup Passek, Larousse, Paris, 1992, p. 230) à propos du cinéma américain des années soixante : "Naguère minoritaires [..], les "indépendants" se multiplient ; le phénomène du réalisateur-producteur, ou de l'acteur-producteur, devient de plus en plus fréquent. Le rapport de force qui s'instaurait entre le studio
et la star s'inverse
: Burt Lancaster,
Kirk Douglas,
Marlon
Brando, Frank Sinatra, John Wayne, Gregory Peck, Gary Cooper, etc., souhaitent davantage contrôler la réalisation des films où ils jouent le rôle principal. Les années 60 consacrent le crise d'Hollywood : les grands studios connaissent tour à tour des difficultés financières considérables ; [...] un nombre croissant de réalisateurs sont désireux de s'exprimer à
titre individuel, s'inspirant du cinéma d'auteur européen (Bergman, Fellini, Godard...) et rejettent par conséquent les schémas stylistiques et thématiques d'Hollywood. Il s'agit en particulier d'Arthur Penn et de Sam Peckinpah, dont les westerns paraîtront marquer la fin du genre. [...] Plus que celui des genres, c'est donc le développement de certaines oeuvres individuelles qui caractérise cette période : celle d'un Stanley Kubrick [..], ou celle d'un Blake Edwards. [...]. Plusieurs metteurs en scène de la période "classique" d'Hollywood donnent alors leurs derniers films, et ce phénomène du passage d'une génération prestigieuse contribue à l'aspect crépusculaire des années 60, d'autant que ces films sont empreints d'un certain désenchantement."
116 Comme le soulignait Truffaut, la réception de la Nouvelle Vague ne subit pas la même évolution en France et aux Etats-Unis :
- 270" "La Politique des auteurs", lancée par les Cahiers du cinéma. oubliée aujourd'hui en France, mais qui est souvent débattue dans les journaux américains entre "movie's fans" " (Les Films de ma vie. D'27)
"Il va y avoir beaucoup d'études sur la Nouvelle Vague maintenant. Avec cette contradiction qu'en France, parler de la Nouvelle Vague, c'est pratiquement toujours péjoratif alors qu'en Amérique, ça demeure élogieux. Je lisais récemment les comptes-rendus du Festival de New York où on écrivait que le festival avait été sauvé par les films français, alors que le cinéma américain était lamentable : le couplet inverse de Cannes l'année dernière. Il faut faire preuve de beaucoup de philosophie. Dans les deux cas, c'est faux : la vérité se trouve probablement entre les deux..." (cité dans Cinématographe,
12/1984, p. 4).
117
Cette réflexion au sujet des oeuvres adaptées de Truffaut revient
souvent dans la critique américaine. Par exemple, dans le cas des Deux
Anglaises et le continent, on peut lire dans The American Scholar l'interprétation suivante : "Son film médite sur sa source, utilisant ses propres intérêts contenus dans celle-ci comme un intermédiaire avec sa propre réalisation. [...] Je prends cela comme un signe d'indépendance artistique. [..] Cela semble aussi être un signe que Truffaut a utilisé Roché pour devenir lui-même étant donné que Truffaut est littéralement responsable
de la fin." souligne Charles
Thomas
Samuels,
dans
article intitulé "Le trait d'union du Moi." (automne 1972, p. 636).
118
son
Grab bag : (U.S.) sac pour jouer à la pêche miraculeuse.
19 Truffaut affirme en 1980 : "Le poids de tous les films du passé pèse sur l'inspiration. Depuis vingt ans, j'ai été impressionné princip alement par des films tournés par des non-hollywoodiens, presque des amateurs, Honeymon Killers, Johnny got his gun, Billy Budd, Finger s et les films américains
traditionnels
m'ont
paru
moins
beaux,
moins
inventifs.
Comment voulez-vous tourner un thriller qui soit non pas supérieur mais égal à The Big Sleep par exemple, c'est impossible" (Cahier s du cinéma, 10/1980, p. 23).
Eeg Je laisse volontairement les expressions en anglai s pour pouvoir lire les différents dérivés adjectivaux du nom de Truffau t.
- 271-
121 Sur ce processus de coopération interprétative, voir les travaux d'Umberto Eco, ceux de Catherine Kerbrat-Orecchioni sur l'implicite et le livre de David Bordwell : Making Meaning. Inference and Rhetoric in the interpretation of cinema, Harvard University Press, Cambridge, 1989.
122 vja Sirène du Mississippi de François Truffaut a la forme d'un mélodrame romantique absurde, mais le film est tellement plein d'éléments charmants, complexes, d'émotions cachées, de souvenirs d'autres films, notamment de ceux de Truffaut, qu'il défie la définition facile. [..] C'est la création d'un cinéaste supérieur qui travaille excentriquement dans une apparence classique." écrit Vincent Canby (The New York Times, 11/04/1970).
123 C'est ainsi que Truffaut affirmait en 1979 : "Je dois aussi me renouveler, j'ai envie d'oeuvres mettant en scène de nombreux personnages, avec beaucoup d'événements. Comme un musicien qui, après la musique de chambre, passe à la symphonie avec vaste orchestration." (Le Soleil, Québec, 22/02/1979, p. C9).
124
Selon François Truffaut, la sensibilité et l'intuition étaient deux
qualités majeures pour la création de bons films.
125 "Au cours de notre longue association, j'avais toujours pensé que tout lui réussissait grâce au merveilleux fiming de sa vie. C'est Madeleine Morgenstern,
son ex-femme
et sa meilleure amie, qui m'a démontré
qu'en cela je me trompais. Et il est vrai - je le sais maintenant - que par sa discrétion il ne se plaignait jamais lorsque les choses allaient mal pour lui. D'où l'impression qu'il était un éternel gagnant. Même au cours de sa maladie, il a tenu à ménager ses intimes en maintenant une attitude optimiste jusqu'à la fin." souligne Helen Scott ("Frank Truff et Scott l'Intrépide", Le Roman de François Truffaut, p. 154).
126 Sur ce sujet, on se référera à l'anthropologie de la communication (voir les travaux de Ray Birdwhistell ou d'Yves Winkin) ainsi qu'à la
- 272célèbre école de Palo Alto dont les chercheurs (Gregory Bateson, Paul Watzlawick, etc.) montrèrent que toute conduite est une communication (le contenu du message lui-même est associé à sa forme - ton, attitudes, etc. - au sein d'un contexte précis).
127 Comme le souligne Claude Le Boeuf du C.R.IC. (Centre de Recherche en Information et Communication, Université de Montpellier D à travers le concept de "pragmatisme de l'intermédiation", les rapports aux médias conduisent à une mutation des acteurs. Celle-ci les fait pénétrer au sein même des médias et les transforme finalement en "médiacteurs". C'est particulièrement notables dans les systèmes où les acteurs sont en position d'intermédiaires (journalistes, publicitaires, etc.). Plus largement, cette théorie de la "médiaction" se situe dans l'esprit du
paradigme de la complexité (Edgar Morin) et s'inscrit dans la perspective de la "Nouvelle communication" représentée par Paul Watzlawick, Gregory Bateson, Edward T. Hall, Vygotski ou Erving Goffmann.
128 L'école des Cultural studies (notamment Richard Hoggart) s'est principalement consacrée à la diffusion de la culture de masse. C'est Stuart Hall qui transposa le premier dans la sociologie des médias tous les enseignements des analyses des Cultural studies.
129 A ce propos, voir les célèbres travaux médiologiques de Régis Debray, mais aussi ceux de Daniel Bougnoux et de Louise Merzeau.
- 273 -
TABLE DES ILLUSTRATIONS (Cahier central) Liste des tableaux et documents de presse Document a (haut) : "États-Unis", Le Film Français, n° 837, 03/06/1960, p. 5 (© et coll. Le Film Français). Document a (bas) : "Etats-Unis, exploitation", Le Film Français,
n° 826, 25/03/1960,
p. 18 (© et coll. Le Film
Français). Document b : "Les films européens doublés aux U.S.A.", Le Film Français, n° 830, 22/04/1960, p. 4 (© et coll. Le Film Français). Document c : "Exploitation croissante aux U.S.A. des films européens doublés en anglais", Le Film Français,
n° 830,
22/04/1960, p. 3 (© et coll. Le Film Français). Document d : "Le film français aux États-Unis", Le Film Français, n° 823, 04/03/1960, p. 32 (© et coll. Le Film Français). Document e : Durée d'exploitation et recettes de Za Nuit américaine à Boston (© et coll. Les Films du Carrosse). Document f : Durée d'exploitation et recettes de La Nuit américaine à Washington (© et coll. Les Films du Carrosse). Document g : Durée d'exploitation et recettes de La Nuit américaine à San Francisco (© et coll. Les Films du Carrosse).
Document h : Durée d'exploitation et recettes de La Nuit américaine dans douze villes d'Amérique du Nord (© et coll. Les Films du Carrosse). Document i : Durée d'exploitation et recettes de La Nuit américaine à New York (et page suivante). (© et coll. Les Films du Carrosse). Document j : "20 years of foreign Oscars", Variety, 04/01/1993 (© et coll. Variety).
= 2740 Document k : Article de France-Soir (05/11/1973). (© France-Soir et coll. Les Films du Carrosse). Document 1 : Exploitation de L'Histoire d'Adèle H. et de L'Argent de poche aux États-Unis (© Variety et coll. Les Films du Carrosse). Document m : "New
York
Film
Festival",
Variety,
04/10/1977, p. 10 (© Variety et coll. Les Films du Carrosse). Document n : "Où en est le film français dans le monde ? États-Unis : recul", Le Film Français, n° 1677, 13/05/1977,
p. 149 (© Document étrangers (© et coll. Document
et coll. Le Film Français). o : "Les soixante meilleurs succès de films aux États-Unis (1960-1990)", Variety, 07/01/1991 Variety). p : "Recettes des meilleurs films nationaux aux
États-Unis", Variety, 07/01/1991, pp. 86-87 (© et coll. Variety).
Liste et crédits des photographies Page de couverture : François Truffaut, personnage public. Photographie prise lors de sa visite au Japon en avril 1982, à l'occasion de la rétrospective de ses films organisée par Pia Corporation (Photo Satoshi lida, © et coll. Pia Corporation). Photo q : François Truffaut, en compagnie de Helen Scott au Festival International du Film de Montréal, en 1961 (© Bruno Massenet et coll. La Cinémathèque québécoise). Photo r : François Truffaut, lors de la 46ème cérémonie de remise des Oscars à Hollywood, en 1973. Oscar du meilleur film étranger pour La Nuit américaine (© et coll. Academy of Motion Picture Arts and Sciences). Photo s : L'évolution de Doinel/Léaud au cours des films du cycle Antoine Doinel (© Raymond Cauchetier et coll. Les Films du Carrosse).
- 275-
Photo t : Publicité de la collection vidéo des films de François Truffaut en Grande-Bretagne (distribuée par Artificial Eye) parue dans Sight and Sound (12/1994). (© Artificial Eye et coll. Sight and Sound). Photo u : Affiche américaine de La Chambre verte, 68 x 104
cm (Non signée, Droits réservés, coll. Les Films du Carrosse). Photo v : François Truffaut, King Vidor et Frank Capra à Hollywood, en 1974 (Droits réservés, coll. Les Films du Carrosse).
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BIBLIOGRAPHIE (ouvrages de référence et ouvrages cités)
Etant
donné
la diversité
des
documents
utilisés,
la
bibliographie obéit à un classement thématique. Elle est composée de quatre rubriques principales : "Textes généraux (artistiques, esthétiques et sociologiques)", "Ouvrages de ou sur François Truffaut", "Articles français (et francophones)" et
"Documents de promotion et articles de presse américains". Cette dernière rubrique comprend quatre sous-rubriques ‘relatives aux documents du Canada anglophone et des ÉtatsUnis ("Documents de promotion et de distribution du Canada anglophone", "Articles canadiens issus de journaux anglophones" et "Documents de promotion et de distribution états-uniens", "Articles états-uniens"). Les livres sont classés selon un ordre alphabétique d'auteurs. Par contre, les articles sont répertoriés selon un classement alphabétique d'éditeurs (les journaux), puis par date. Les documents publicitaires sont classés par date. Ces choix m'ont semblé plus approprié étant donné que plusieurs documents sont anonymes (absence d'auteurs ou d'éditeurs). Dans le texte, les références se composent du nom du journal et de la date de l'article.
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La Chambre verte (1978)
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L'Amour en fuite (1979) Le Dernier métro (1980) La Femme d'à côté (1981) Vivement Dimanche ! (1 983)
ENTRETIENS RADIOPHONIQUES ET TÉLÉVISUELS AVEC FRANÇOIS TRUFFAUT : TRUFFAUT, François & CHARTIER, Jean-Pierre (propos recueillis par), Cinéastes de notre temps, interview de F. Truffaut, O.RT.F., 02/12/1965.
TRUFFAUT, François & PHILIPPE, Claude-Jean (propos recueillis par), Cinéma des cinéastes, Paris, France Culture, 18/05/1977. TRUFFAUT, François & PHILIPPE, Claude-Jean (propos recueillis par), Cinéma des cinéastes, Paris, France Culture,
05/04/1978. TRUFFAUT, François & LABRO, Philippe, Entretiens avec le cinéaste (interviews de Philippe Labro/RTL), Milan Music, Colombes, 1993-1994-1995, TRUFFAUT, François, La Leçon de cinéma (une série préparée par l'INA et réalisée par José-Maria Berzosa), TF,
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TRUFFAUT, François, Bandes originales des films de François Truffaut, L'intégrale, Milan Music, Colombes, 1993-1994-1995.
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NOTE SUR L'AUTEUR Laurence Alfonsi est Docteur en Lettres et Sciences Humaines. Ses recherches, effectuées notamment dans le
cadre scientifique du Centre de Sociologie des Représentations et des Pratiques Culturelles à l'Université Pierre Mendès France de Grenoble, sont consacrées à la sociologie du cinéma, aux études de réception cinématographique et à la prospective culturelle et audiovisuelle. L'auteur est également membre de diverses . associations scientifiques dont l'AISLF (Association Internationale des Sociologues de Langue Française).
Auteur de plusieurs articles consacrés à la réception de François Truffaut à l'étranger et d'un ouvrage sur les Lectures asiatiques de l'oeuvre de François Truffaut (L'Harmattan), Laurence Alfonsi montre à quel point la sensibilité truffaldienne a su s'exporter bien au-delà de l'Hexagone, sans pour autant sacrifier aux canons d'un art conformiste ou consacré. Le présent ouvrage explore une composante essentielle du rayonnement international du cinéaste français : son succès aux Etats-Unis.
Laurence Alfonsi est également l'auteur de nombreux articles cinématographiques, sociologiques et/ou prospectifs parus dans des revues scientifiques et internationales, telles que Futuribles, Cahiers de Sociologie Economique et Allemagne et langages, Communication Culturelle, d'aujourd'hui, Museum International, Sociocriticism, Cahiers de l'imaginaire, Champs visuels, CinémasS (Montréal), Revue
Canadienne d'Etudes Cinématographiques (Montréal) et Free Inquiry in Creative Sociology (Oklahoma City). Elle prépare actuellement un ouvrage prospectif consacré au
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second siècle d'existence du septième art (l'évolution du cinéma, de ses spectateurs et de ses sociologues face aux mutations sociales, culturelles et technologiques du XXIème siècle).
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PR Achevé d’imprimer sur les presses de l’Imprimerie BARNÉOUD
B.P. 44 - 53960 BONCHAMP-LÈS-LAVAL
Dépôt légal : mars 2000 — N° d’imprimeur : 11822
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L'aventure américaine de l’œuvre
de François Truffaut Dès la sortie de son premier long métrage, Les Quatre Cents coups en 1959, François Truffaut bénéficia d’un remarquable rayonnement international. Laurence Alfonsi nous trace ici les particularités de son succès aux États-Unis. Dans un souci de transdisciplinarité, l’auteur a réuni d’une part des données sur la distribution et l’audience des films de Truffaut aux États-Unis et d’autre part un vaste ensemble d’articles de la presse américaine sur le cinéaste français. Mises en perspective avec la stratégie commerciale et artistique de Truffaut et le contexte de production de ses films, ces informations nous montrent à quel point le succès du cinéaste français aux États-Unis est aussi complexe qu’original. Laurence Alfonsi détaille ainsi l’itinéraire américain d’une œuvre passionnante et infiniment moderne, plongée au cœur des mouvements Sociaux, culturels et politiques de l’ Amérique des années soixante à quatre-vingt. Au-delà du récit de l’aventure américaine de l’œuvre de François Truffaut, cet ouvrage s’impose également comme un essai original associant la sociologie de l’art et les théories de la réception.
Laurence ALFONSI est Docteur en Lettres et Sciences Humaines et chercheur au Centre de Sociologie des Représentations et des Pratiques Culturelles à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble. Ses travaux portent sur la sociologie du cinéma, les études de réception cinématographique et la prospective culturelle et audiovisuelle. Auteur de nombreux articles publiés dans des revues internationales et d’un livre sur les Lectures asiatiques de
l’œuvre de François Truffaut (L'Harmattan),
elle prépare lactuel-
lement un ouvrage prospectif consacré au second siècle d existence du septième art. |
© Masakatsu Ogasawara/Toho-Towa
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ISBN : 2-7384-0090-9