L'art des cavernes: Géométries et territoires. Essai. (French Edition) 9782140341373, 2140341376

Au fil du temps, l'art des cavernes d'Europe occidentale s'enrichit, aux côtés des figurations animales,

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I. Cultures et contexte environnemental
II. Les théories explicatives de l’art pariétal Paléolithique
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L'art des cavernes: Géométries et territoires. Essai. (French Edition)
 9782140341373, 2140341376

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Marc Bruet

L’ART DES CAVERNES Géométries et territoires

Essai

L’art des cavernes

Marc BRUET

L’art des cavernes Géométries et territoires Essai

Du même auteur Lascaux. La scène du Puits. Essai. Éditions L’Harmattan 2012 Lascaux. Quand émergent les dieux. Essai. Éditions L’Harmattan 2015 Grotte Chauvet. Géants de pierre. Essai. Éditions l’Harmattan 2018

© L’Harmattan, 2023 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-14-034137-3 EAN : 9782140341373

Avant-propos

La thèse selon laquelle l’art des cavernes du Paléolithique supérieur en Eurasie procède de mythes est peut-être à l’heure actuelle celle que partagent le mieux les préhistoriens. Cependant, cette seule considération est insuffisante à expliquer, à côté de dessins abstraits, des images d’animaux d’un réalisme étonnant, produits d’observations concrètes. Ils sont des références indiscutables au monde sensible mais dont on cherche vainement le cadre naturel dans les grottes. Les bêtes flottent sur les parois comme en suspension dans un espace qui ne dit pas son nom. La part de la réalité dans un contexte que l’on pourrait qualifier d’onirique est l’un des rares atouts à la disposition du chercheur en quête de sens. Ces créations artistiques sont l’œuvre des chasseurs-cueilleurs de la dernière période glaciaire située entre -40 000 ans et -10 000 ans avant le présent pour l’Eurasie. Dans nos précédents travaux sur l’art pariétal, à Lascaux comme à Chauvet, c’est par le biais d’allégories que nous sommes parvenus, sans prétendre atteindre la vérité, à la mise au point de versions intelligibles de l’iconographie paléolithique. Nous savons que la surinterprétation des images présente de grands risques d’erreurs, elle est d’ailleurs considérée avec suspicion par les spécialistes de la discipline. Elle permet néanmoins d’éviter le piège des généralités ou plus exactement le travers de concepts univoques dans lequel sont tombées toutes les théories explicatives après plus d’un siècle de recherches sur l’art des cavernes. Le champ de la recherche sur les mythologies du Paléolithique supérieur s’il a connu des développements depuis plus d’une dizaine d’années reste pour une bonne part du domaine conjectural. La tentation du comparatisme ethnographique avec les sociétés traditionnelles où les 5

mythes sont encore vivants ne donne pas vraiment de solution éclairante sur l’art des cavernes. C’est la seule manifestation graphique dans l’histoire de l’humanité à s’inscrire dans l’univers souterrain, parfois très loin de la lumière du jour. Enfin, des modes de vie comparables, le nomadisme, la prédation n’engendrent pas mécaniquement la similarité des modes de pensées ou de croyances, ce qu’André Leroi-Gourhan avait dénoncé dans son manifeste Les religions de la préhistoire paru en 1964. Du reste, c’est dans son sillage, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, que le collège des préhistoriens a pris le parti de se détourner de la recherche sur les significations. Il se consacre dorénavant au catalogage des œuvres, à leur relevé, leur description et leur technique d’exécution, aidé en cela par les nouvelles technologies, la photogrammétrie ou la lecture infrarouge par exemple. De nos jours les chercheurs s’inscrivent au sein d’équipes pluridisciplinaires et font progresser les connaissances. La somme de ces avancées, pour indiscutables qu’elles soient, n’est pourtant pas de nature à reléguer au second plan la problématique des significations. Elle reste inévitablement centrale dans les esprits. L’art des cavernes n’est pas celui des peintres impressionnistes ou encore de l’art abstrait du XXe siècle où l’on recherche la pure inventivité, l’harmonie, la poésie des formes et des couleurs. Au nom de la rigueur scientifique et de l’objectivité, l’offre actuelle de la recherche en préhistoire nous dit paradoxalement comment renoncer à comprendre. Rares sont les préhistoriens qui échappent à ce mouvement. Les chemins de la connaissance en sciences humaines sont différents de ceux des sciences exactes où la vérification expérimentale des hypothèses est possible et peut aboutir à la preuve. Dans les études sur l’art des grottes c’est la qualité de l’argumentation des hypothèses sur le sujet traité qui fait foi, il n’y a pas d’alternative. C’est la méthodologie que nous nous sommes efforcé de suivre dans ce travail, trouver la meilleure correspondance entre l’observation de l’objet et son explication dans un contexte à la fois cohérent et crédible. L’exposé à suivre comprend cinq chapitres. Dans le premier il est question de la datation de la grotte de Lascaux. 80 ans après sa découverte ce sujet ne fait toujours pas consensus. Le second est consacré à une brève présentation des théories explicatives de l’art paléolithique. Le troisième est une reprise de nos thèses sur les grottes ornées aurignaciennes, la grotte 6

Chauvet en Ardèche et Baume-Latrone dans le Gard. Au cœur de l’étude, le quatrième volet traite de l’art pariétal au Gravettien, en particulier celui des cavités quercynoises sur la base documentaire établie par Michel Lorblanchet grand spécialiste de la question. Deux sites majeurs, PechMerle et Cougnac font l’objet de propositions inédites sur des sujets considérés aujourd’hui encore comme inaccessibles à la compréhension, en particulier une interprétation des « Hommes blessés » du Quercy. D’autres grottes ornées secondaires intéressent cette section : Roucadour, Les Merveilles, Les Fieux, Marcenac... La dernière partie de l’exposé est relative au groupe des grottes ornées magdaléniennes en Périgord et dans les Pyrénées ariégeoises avec une attention particulière portée à la grotte de Rouffignac pour le Périgord, le Tuc d’Audoubert, les Trois-Frères et Niaux pour les Pyrénées ariégeoises.

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I. Cultures et contexte environnemental au Paléolithique supérieur : la problématique Lascaux

Le Paléolithique supérieur qui succède au Paléolithique moyen vers 40 000 avant le présent en Eurasie doit son avènement à l’observation des modifications qui interviennent dans les outillages retrouvés en stratigraphie dans les sites d’occupations humaines, très souvent dans les abris sous roche. À cette époque il y a en effet coïncidence entre l’arrivée des hommes dits modernes, les Cro-Magnon, et la naissance d’une industrie lithique nouvelle faisant appel à un savoir-faire technologique qui permet d’exploiter au mieux la matière première, le silex en particulier, afin d’obtenir des artefacts plus effilés qu’auparavant : lames, lamelles, perçoirs... L’utilisation de la matière osseuse fait également son apparition (bois de renne, ivoire de mammouth) dans la confection de l’outillage. Nous ne savons rien en revanche de l’utilisation des matières périssables : bois d’arbre, fibres végétales ou matière animale. Dans la réalité il n’y a pas eu de rupture brutale entre Paléolithique supérieur et moyen. Il a existé des industries dites de transition, les Néandertaliens du Paléolithique moyen ayant probablement coexisté un temps avec les nouveaux arrivants. Aujourd’hui encore il est difficile dans un certain nombre de cas de situer précisément la charnière entre les deux cultures. Quelques millénaires plus tard, l’homme de Néandertal disparaît, il laisse définitivement la place à Cro-Magnon. La glaciation de Würm occupe sensiblement les cent derniers millénaires pour s’achever à l’Holocène il y a 10 000 ans. Cette séquence 9

glaciaire connaît des variations avec alternance de grands froids et d’oscillations plus tempérées dont les durées peuvent aller de quelques siècles à plusieurs millénaires. L’art des cavernes est l’exclusivité du Paléolithique supérieur (40 00010 000 BP). Il est divisé en quatre grandes périodes : l’Aurignacien (37 000-24 000 BP), le Gravettien (28 000-22 000 BP), le Solutréen (22 000-19 000 BP), le Magdalénien (17 000-10 000 BP). Leur recoupement dans le temps indique que les mutations techniques observées n’ont pas toutes été synchrones. Il y a même des aires géographiques, en Europe orientale par exemple, où le Solutréen est resté inconnu. L’Aurignacien doit son appellation au site de référence d’Aurignac en Haute-Garonne. Cette culture signe l’apparition de la représentation artistique : statuettes sur ivoire en Allemagne (Jura Souabe), la grotte Chauvet en France (Ardèche). Le Gravettien du site éponyme de la Gravette en Dordogne voit les manifestations artistiques se multiplier dans l’art mobilier et pariétal. Les fameuses vénus, ces statuettes féminines en ivoire ou en pierre que l’on retrouve sur des aires géographiques très étendues caractérisent culturellement cette période. Le Solutréen doit son nom au site de Solutré en Saône-et-Loire. Son extension géographique se limite au sud-ouest de la France et à l’Espagne. La glaciation est alors à son maximum froid et explique le retrait des populations plus au Sud. L’artisanat du silex est remarquable au Solutréen, il prend la forme de feuilles de laurier, véritable ciselage de la matière. Le site de la Madeleine en Dordogne donne son appellation au Magdalénien. C’est la période quantitativement la plus riche en grottes ornées en France et en Espagne où l’art mobilier n’est pas en reste. L’industrie lithique est abondante et variée. En vue d’aborder la problématique de la datation de Lascaux, il convient auparavant de réserver un intérêt particulier aux phénomènes climatiques d’ampleur qui ont marqué de leur empreinte le Paléolithique supérieur. Ils apparaissent dans tous les sujets abordés en préhistoire parce qu’ils conditionnent les milieux de vie : le couvert végétal et la faune qui s’y rattache. Lors de variations climatiques d’importance la population des différentes espèces peut fluctuer, se multiplier, devenir plus rare voire 10

disparaître. Le chasseur paléolithique dépend de la biodiversité qui l’entoure, il se trouve lui-même assujetti à ces aléas. En fonction du gibier convoité et surtout disponible, il doit adapter ses techniques de chasse, possiblement modifier son armement, repenser éventuellement ses déplacements. Dans un environnement que l’on peut qualifier de difficile au Paléolithique supérieur, mais pas si ingrat, les clans limitent leurs effectifs à quelques dizaines d’individus au maximum. Des groupes plus importants peuvent anéantir rapidement la ressource locale. Vers 20 000 ans avant le présent, au plus fort de la glaciation, le niveau de la mer est à moins 120 mètres de l’actuel, le glacier nordique descend jusqu’au sud de l’Angleterre, la Manche n’existe pas. Le plateau continental atlantique se laisse découvrir sur des dizaines de kilomètres. Les hautes vallées des Alpes et des Pyrénées sont englacées. Sous des climats plutôt rudes, l’art des cavernes se concentre principalement sur une aire géographique qui recouvre la France (vallée du Rhône, littoral méditerranéen, plaine Aquitaine, piémont pyrénéen) et le nord de l’Espagne (Cantabres, Asturies). Dans ces régions, les changements climatiques et leur chronologie sont établis sur la base des séquences palynologiques et des sédiments des niveaux archéologiques en grotte ou abri sous roche. C’est ainsi, en corrélation avec l’industrie lithique et osseuse présente en stratigraphie qu’a été déterminée la chronologie des climats du Paléolithique supérieur. Des périodes plus tempérées (interstades) sont identifiées dans ce cadre par la palynologie jusqu’en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique. Ces études conduisent à l’établissement d’un cadre chrono-climatique élaboré dans les années 80. Dans un article paru en 1996 qui retient l’attention des spécialistes, intitulé Les changements climatiques du Paléolithique supérieur, Maria Fernanda Sanchez Goñi alors attachée à l’Institut des Sciences de la Terre à Barcelone remet en question le cadre climatique jusque-là validé pour l’Europe occidentale. À la différence du modèle précédent, la chercheuse ne détecte aucune amélioration climatique entre 23 000 et 14 000 BP. Ses thèses s’appuient sur des données paléoclimatiques (polliniques et isotopiques) issues de sites non anthropiques, c’est-à-dire à l’exclusion de celles des grottes et abris sous roche fréquentés par les humains. Pour Maria Fernanda Sanchez Goñi : « La nature fragmentaire des dépôts karstiques 11

fait que les séquences archéologiques des grottes ne sont pas de bons enregistreurs du passé. Elles n’enregistrent que des instants (tronçons) de celui-ci et dans le meilleur des cas, un signal fragmentaire de l’histoire climatique ». Dans son argumentation la chercheuse inclut le rôle des phénomènes locaux qui ne peuvent rendre compte de changements climatiques à une échelle globale. Dans le même esprit, la mégafaune présente dans les gisements étudiés ne donne pas d’indication précise sur le climat, les espèces concernées pouvant occuper des biotopes différents. En bref selon l’intéressée, les meilleurs signaux des changements climatiques sont à rechercher dans les carottes glaciaires du Groenland et les carottes marines de l’Atlantique Nord corrélés aux enregistrements continentaux des lacs et des tourbières qui « indiquent une grande variabilité climatique au cours des derniers 90 000 ans. Cette variabilité s’exprime par une série de rapides oscillations tempérées-froides, nommées cycles de Dansgaard-Oeschger. Chaque cycle d’une durée de l’ordre du millénaire culmine par une décharge d’icebergs de l’Atlantique Nord (évènement de Heinrich, phase froide) ». Il convient de savoir que c’est la variation de la composition des isotopes de l’oxygène dans les carottes glaciaires qui permet de mesurer la variation climatique tempéré-froid sur une période considérée. Les stades isotopiques de l’oxygène, respectivement OIS 3 et OIS 2 (pour Oxygen Isotope Stages) couvrent les climats du Paléolithique supérieur. Ils ponctuent les dernières manifestations de la glaciation de Würm débutée il y a 100 000 ans. L’époque actuelle s’inscrit dans l’OIS 1 avec le réchauffement de l’Holocène il y a 10 000 ans. La chronologie isotopique mesure les variations moyennes des températures du globe au cours du temps. Les indications en sont fournies par le rapport de proportion entre les isotopes de l’oxygène 18 et 16. Quand le rapport diminue il est l’indice du froid, lorsqu’il augmente le climat est plus tempéré. Conventionnellement les chiffres pairs accolés au sigle OIS correspondent aux périodes froides, les chiffres impairs aux épisodes plus tempérés : l’OIS 3 (40 000-28 000 BP) par exemple correspond à un interpléniglaciaire comprenant plusieurs oscillations froides-tempérées (interstades). L’OIS 2 (28 000-10 000 BP) est marqué par le froid avec un maximum entre 22 000-17 000 BP mais il comporte 12

également des oscillations tempérées. À cette époque le niveau des océans est au plus bas, l’eau est stockée dans les glaciers continentaux. La chronologie isotopique a enregistré pas moins de cent stades au cours des deux derniers millions d’années. L’insuffisance des indications que fournissent les traces des glaciations passées à la surface des continents vient de la dépendance de facteurs locaux, du relief, de la latitude qui sont autant de données parasites. Elles ne permettent pas de mettre correctement en phase les diverses glaciations observées. À l’heure actuelle, la précision des climatologues reste supérieure au millénaire. Elle demande à être affinée pour les préhistoriens spécialistes du Paléolithique supérieur. Sur cette période, Maria Fernanda Sanchez Goñi soutient l’existence de 11 interstades dont la durée a varié de 500 ans à 2000 ans : « Ces phases tempérées ne coïncident, ni par leur position chronologique, ni par leur nombre, avec les interstades qui auraient été identifiés par les études paléoclimatiques des séquences archéologiques ». Il est difficile de faire mieux dans la réfutation de thèses jusque-là admises sur les climats du Paléolithique supérieur. Avec d’autres comme Tursac, Laugerie, l’interstade de Lascaux disparaît en même temps que l’histoire locale de la végétation et des « microclimats » dans les zones abritées. Pour l’Europe moyenne, au début du Paléolithique supérieur, le couvert végétal se résume à une forêt ouverte (pins) et plus au nord à la toundra. À partir de 23 000 BP jusqu’au début du tardiglaciaire (14 000 BP) la déglaciation s’amorce, les paysages sont ouverts, ils sont de type steppique sans couvert forestier. L’absence de représentation végétale dans l’art des cavernes tient peut-être à cet environnement uniforme où le renne, gibier de prédilection des chasseurs, peut prospérer. Deux implications principales sont ici à retenir des travaux de Maria Fernanda Sanchez Goñi : – L’archéologie des grottes ne renvoie qu’un signal biaisé des changements du climat au Paléolithique supérieur à l’échelle du continent européen. – La mégafaune retrouvée dans les abris sous roche ou en grotte ne donne pas d’indication précise sur le climat. 13

Sur le même thème, Bernard Bosselin et François Djindjian formulent en 2002 de nouvelles propositions basées sur une méthode différente en recherchant d’autres enregistrements de séquences polliniques dans les tourbières et les carottes océaniques. Elles sont intitulées Un essai de reconstitution du climat entre 40 000 BP et 10 000 BP dans Archéologie e Calcolatori. Selon les deux auteurs, le cadre paléoclimatique pour la période considérée se structure ainsi : – De 40 000 BP à 28 000 BP (interpléniglaciaire würmien) existence d’un couvert forestier peu dense (pins, bouleaux, genévriers) et d’une végétation herbacée. Au cours de cette séquence quatre oscillations à caractère tempéré et humide sont identifiées avec accroissement du couvert forestier. – De 28 000 BP à 13 500 BP le couvert forestier est réduit à quelques pins et bouleaux, la végétation principalement herbacée est de type steppique. Dans cette séquence trois oscillations d’amplitude thermique limitée sont repérées avec une remontée importante de l’humidité : « Elles sont connues historiquement sous le nom d’oscillations de Tursac, Laugerie, Lascaux et ont été attribuées à tort à des interstades climatiques d’importance variable ». Hors de ces périodes, il fait très froid et très sec. – De 13 500 BP 10 000 BP (tardiglaciaire) sont enregistrées trois oscillations entrecoupées par deux péjorations froides. Vient le début d’une reforestation interrompue par de nouvelles conditions froides et sèches. Cette séquence se caractérise par un « réchauffement progressif du climat dans un milieu devenant de plus en plus humide ». Les résultats obtenus par le truchement de deux méthodes différentes ne les opposent pas radicalement notamment sur la question de l’existence d’un interstade à Lascaux, cet épisode correspondant au mieux à une remontée de l’humidité dans une ambiance climatique demeurée froide. En d’autres termes les trois chercheurs s’accordent pour dire que l’interstade détecté à Lascaux n’a pas eu lieu. C’est à partir de la fin des années 50 qu’Arlette Leroi-Gourhan procède à l’analyse pollinique des séquences de Lascaux, l’un de premiers sites archéologiques où la palynologie est mise en œuvre. La botaniste utilise une méthode expérimentale que conteste Maria Fernanda Sanchez Goñi et qui lui permet de déterminer un radoucissement du climat au temps de Lascaux que la datation radiocarbone situe autour de 17 000 BP. En 1997, 14

en forme de réponse à la critique, Arlette Leroi-Gourhan écrit : « La comparaison entre la chronologie climatique obtenue dans les carottes glaciaires polaires et celle proposée sur le continent par des analyses polliniques a montré des corrélations sûres ». Chauds et Froids de 60 000 à 15 000 BP. Société Préhistorique Française. Dans le même article l’intéressée précise encore que les interstades de Laugerie et Lascaux sont repérables sur les courbes climatiques du Groenland. En revanche, elle n’aborde pas la problématique de la méthode expérimentale suivie à Lascaux. Pour François Djindjian l’interstade de Lascaux résulte d’un artefact de mesure c’est-à-dire un résultat obtenu par un mode opératoire ne correspondant pas à la réalité du phénomène étudié. Il en donne précisément les raisons en 2013 dans L’apport des données de l’art Solutréen dans la problématique des circulations des chasseurs-cueilleurs au maximum glaciaire en Europe occidentale : « Le diagramme palynologique prélevé dans le remplissage de l’entrée de la grotte a mis en évidence une couche particulièrement riche en pollens de noisetier. En fait le diagramme en question est une construction artificielle mêlant abusivement le prélèvement de l’entrée et deux échantillons pris sur le sol du Passage particulièrement riche en pollens de noisetier, replacés à ce niveau du diagramme pour accentuer le pic d’arbres... ». Pour l’auteur cette manipulation est clairement destinée à souligner l’importance de l’épisode climatique intitulé interstade de Lascaux. Il est à noter que Maria Fernanda Sanchez Goñi formule la même critique sur les prélèvements de flore dans la grotte. Le préhistorien poursuit ainsi son argumentation : « Cependant si Arlette Leroi-Gourhan n’a pas inventé l’épisode de Lascaux, elle connaissait cet épisode climatique en Europe centrale et orientale comme un sol fossile dans les séquences de lœss. Il est malheureusement sûr que l’épisode de Lascaux n’a jamais existé à Lascaux : les percolations dans le remplissage clastique de l’entrée, les pollutions holocènes sur le sol de la grotte, le spectre étrangement abondant des pollens de noisetier, la manipulation non autorisée du diagramme... ». Brigitte et Gilles Delluc, les deux préhistoriens spécialistes de la caverne, auteurs de nombreux ouvrages sur Lascaux apportent leur caution à l’existence d’un interstade d’une durée estimée à un millénaire : « Les artistes de Lascaux ont fréquenté la grotte au moment de l’optimum climatique. Ils 15

ont connu un couvert forestier abondant... La faune est celle d’un climat tempéré : chevaux et bovinés, cerfs, biches, bouquetins, demeurent cependant les représentants d’une faune plus froide : le rhinocéros laineux, l’ovibos et le renne surtout qui se retirait l’été sur les pentes du Massif central ». Dictionnaire de Lascaux, 2008. Dans le même ouvrage, la température estivale est estimée entre 15 et 22 degrés au cours d’étés brefs. Il reste à se pencher sur les données archéologiques mises en évidence dans la grotte par les différents chercheurs qui ont collaboré à l’élaboration de l’ouvrage Lascaux inconnu paru en 1979. Au chapitre analyses polliniques, Arlette Leroi-Gourhan et Michel Girard énoncent : « La mise en évidence de fleurs à l’intérieur de la grotte permet de constater un apport volontaire de petites herbacées particulièrement des graminées et des armoises qui indiquent une fréquentation de la grotte dans la saison chaude ». Il est précisé par ailleurs que les armoises fleurissent entre juillet et septembre. En charge de l’étude de la faune retrouvée dans l’unique couche archéologique de la caverne, le paléontologue Jean Bouchud arrive à la conclusion suivante : « Le renne représente 90 % de l’ensemble et servait à l’alimentation des hommes qui travaillaient dans la grotte » ajoutant à ce constat « Il faut admettre le retrait du renne pendant l’été vers les pentes du Massif central car il évite de dépasser l’isotherme + 13 °C ». Il y a, à l’évidence, une difficulté pour le chercheur à corréler à la fois la présence massive du renne dans les débris osseux au cours de l’été puisqu’il est établi qu’il s’agit de la période de fréquentation humaine du souterrain, alors que l’animal ne dépasse pas l’isotherme précitée si, par ailleurs, les températures estimées à la belle saison sont supérieures à 15 degrés. Dans la conclusion de l’ouvrage cette difficulté est surmontée de la manière suivante : « La discrète apparition du cerf et du cheval dans la faune alimentaire très largement dominée par le renne confirme la notion de l’interstade révélé par la palynologie. La distorsion entre la très large prédominance du renne dans la couche archéologique et la composition tempérée du bestiaire pariétal atteste le caractère symbolique de celui-ci ». C’est un fait, les animaux représentés sur les parois de la grotte appartiennent majoritairement à une faune plutôt tempérée, c’est le cas de l’aurochs et du cerf, figures de proue avec le cheval du bestiaire de Lascaux.

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Le scénario du retrait du renne pendant l’été des environs de la grotte où s’affaire la tribu ne convainc pas véritablement Jean Bouchud. Il le fait savoir en ces termes : « L’éloignement du renne vers le Massif central au début de la belle saison, ne semble guère compatible avec le travail estival ». Plus discrètement, car la notation vient en appendice et en lettres minuscules en bas de la page du chapitre consacré à la faune, Arlette LeroiGourhan finit par envisager la possible occupation de la grotte répartie sur l’été se ménageant ainsi la possibilité de conditions climatiques plus sévères aux marges de la belle saison. Elle ne peut évidemment pas reconnaître le maintien du renne dans la vallée de la Vézère tout au long de l’année, cette solution ne laissant pas la place à l’existence d’un interstade. Au bilan, plusieurs dizaines d’années après la découverte, il y a toujours incertitude sur le climat qui règne dans la vallée de la Vézère au temps de la décoration de la caverne. Il reste alors à se retourner vers le contenu du bestiaire pour tenter d’éclairer quelque peu la problématique. D’après Lascaux inconnu il comprend quantitativement et par ordre décroissant les espèces animales suivantes : 355 chevaux, 87 aurochs, 35 bouquetins, 20 bisons, 7 félins... En 2004, le recensement établi par Norbert Aujoulat fait légèrement varier le décompte initial. On note l’absence du renne. Au-delà des chiffres il saute aux yeux de l’observateur l’emprise dominante de certaines espèces sur les parois de la caverne. Dans le secteur d’entrée du souterrain, la Rotonde et le Diverticule axial, d’immenses aurochs affichent leur primauté dans les constructions graphiques. De nombreux chevaux les escortent. Plus profondément dans la grotte, dans la Nef, le bison figure en bonne place alors qu’il n’est présent qu’à un exemplaire plutôt discrètement dans la première section, au fond du Diverticule axial. Mais l’herbivore ne détrône pas l’aurochs dans la Nef où il figure toujours en position centrale. Le gros du contingent des cerfs est concentré dans l’Abside au sein d’un fouillis de tracés gravés qui les rendent peu visibles. Dans la grotte le cervidé ne se hisse au premier plan que sur le panneau des Cerfs nageant situé dans la Nef. Dans tous les grands espaces de la caverne, la figure de l’aurochs domine le bestiaire. Sa forte présence, on l’a dit, témoigne d’un climat plutôt tempéré, l’animal n’étant pas adapté à des environnements froids. Dans la nature, le boviné vit dans les régions tempérées et humides au sein de prairies 17

entrecoupées d’un couvert forestier clairsemé. Il y trouve herbes et graminées. Il est en partie à l’origine de la question si embarrassante pour les chercheurs de sa compatibilité avec le renne massivement présent dans les restes osseux de la caverne. Pour expliquer sa présence à Lascaux, Norbert Aujoulat envisage l’hypothèse de déplacements humains vers le sud où l’animal aurait été aperçu. L’absence de ses vestiges osseux en Périgord au temps de Lascaux est à l’origine de sa proposition. Proche parent de l’aurochs, le bison peut s’adapter à des environnements plus rigoureux. Il tolère le froid. Dans la caverne les deux espèces ne sont jamais directement associées dans les compositions, ce que note Norbert Aujoulat dans son excellent ouvrage sur Lascaux : « Les bisons se substituent aux aurochs, particulièrement présents par leur nombre mais surtout par leur dimension dans les deux premiers secteurs. En outre, on constate des localisations très différentes entre les deux bovinés. Les bisons occupant une position en marge... » Lascaux, le geste, l’espace et le temps, 2004. Il est possible que cette distribution spatiale s’explique par l’appartenance des deux espèces à des biotopes différents, d’autant que l’on observe dans le même temps l’association de l’aurochs et du cerf dans le dispositif graphique, c’est cohérent au plan de l’éthologie des deux espèces. Elles pouvaient coexister dans la nature à des latitudes plus méridionales. Mais, comme le rappelle Maria Fernanda Sanchez Goñi, la mégafaune animale ne renseigne pas précisément sur les climats. Certaines espèces peuvent occuper plusieurs biotopes. Il convient donc de se montrer prudent sur le rapprochement bison-renne et aurochs-cerf avec à l’esprit l’absence du renne dans le bestiaire. Le cas du cheval semble très différent, il est massivement présent dans tous les secteurs de la caverne en situation souvent dynamique paraissant fonctionner comme un liant entre les différentes espèces représentées. Sur le plan de la dynamique justement, la mobilité des populations des chasseurs du paléolithique caractérise leur mode de vie. Leur relation à l’espace, à pied sur de longues distances, se mesure généralement par la circulation des matériaux, le silex en particulier, ou bien, quand ils existent, les coquillages, les parures. Leurs itinéraires de déplacements dépendent de la géographie physique des territoires traversés (montagnes, vallées, cours d’eau...). François Djindjian traite de cette thématique parallèlement à son expertise relative à l’absence d’interstade à Lascaux. Selon lui les dessins 18

d’aurochs dans la caverne sont des images rapportées de raids menés plus au sud au cours de migrations hivernales. Les images de cerfs procèdent du même itinéraire. Passé l’hiver, la tribu remontait vers le nord avec comme point de fixation la vallée de la Vézère. L’hypothèse de déplacements humains sous des cieux plus cléments pendant la mauvaise saison est vraisemblable et de nature à expliquer la coexistence d’images difficilement compatibles avec la présence massive du renne aux environs de Montignac sous un climat froid et humide comme le soutient le chercheur. Naturellement, il en a théorisé le concept. Il le présente en 2010 dans un article référent : « Fonctions, significations et symbolismes des représentations animales paléolithiques » Congrès IFRAO, Tarascon-sur-Ariège. La théorie dans ses grandes lignes opère trois distinctions relatives aux animaux : la zoocénose (les populations animales attachées à leur territoire), la taphocénose (les débris osseux retrouvés dans les niveaux archéologiques), l’iconocénose (les animaux représentés dans l’art quaternaire). Elle se base par ailleurs sur le postulat suivant : « L’approche que nous avons proposée est basée sur un seul postulat : l’homme préhistorique doit avoir vu l’animal avant de le représenter. Nous refusons donc le principe de la représentation par description interposée ou par copie d’un animal déjà représenté. L’homme préhistorique ne peut donc représenter que les animaux qu’il a rencontrés dans ses déplacements à l’intérieur de son territoire. Si le territoire correspond à une seule zoocénose animale, l’iconocénose représente la zoocénose ». À l’échelle européenne, les grottes ornées deviennent en quelque sorte des cartographies des territoires parcourus par les tribus, lisibles au travers des diverses associations animales représentées. Dans les souterrains, les compositions centrales traduisent les grands espaces, en périphérie les territoires plus excentrés. Pour François Djindjian l’art des cavernes a un rôle fonctionnel : le marquage du territoire où peuvent se reconnaître les groupes humains qui l’occupent. Au moment du maximum glaciaire, la réduction des mobilités entraîne dans les grottes la représentation d’une zoocénose locale. Le grief fait à la théorie est de ne pas tenir compte de certaines problématiques inhérentes à l’art pariétal comme la représentation humaine ou encore les graphies appelées signes, dont le contingent n’est pas négligeable. Elle rencontre également des difficultés d’application que 19

l’auteur reconnaît lui-même : « En outre, le bestiaire figuré à Lascaux est constitué à plus de 90 % des quatre grandes espèces suivantes : cheval, aurochs, cerf-biche, bouquetin. Les vingt bisons, le rhinocéros du puits, les félins font partie des espèces inattendues dans le bestiaire Solutréen ». L’apport des données de l’art solutréen dans les problématiques des circulations de chasseurs-cueilleurs au maximum glaciaire en Europe occidentale, 2013. Le rattachement de Lascaux à la culture solutréenne (22 000-19 000 BP) fait l’objet d’un vif débat entre experts. Pour les uns favorables à cette thèse, l’argumentation se base sur les industries lithiques et osseuses de la caverne où une datation radiocarbone obtenue par accélérateur de particules et réalisée en 1998 sur un fragment de bois de renne donne un âge de 18 600 BP. L’incertitude de mesure est de plus ou moins 200 ans. L’objet est retrouvé au fond du Puits en 1949 par Henri Breuil et Séverin Blanc. Il faut préciser pour le lecteur qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de procédé permettant la datation directe des peintures à Lascaux. Tous les colorants sont d’origine minérale (manganèse, hématite). Ils ne contiennent pas de matière organique et sont indifférents à la datation radiocarbone. Pour Brigitte et Gilles Delluc il n’a été retrouvé aucun objet solutréen dans la grotte. Le matériel lithique et osseux appartient à la culture du Magdalénien ancien. La controverse n’entraîne pas de conséquence majeure pour la chronologie de l’art pariétal du Paléolithique supérieur, elle porte sur un écart de temps qui ne dépasse pas 1 500 ans. Le débat n’est pourtant pas clos, l’attribution culturelle de Lascaux ne fait toujours pas consensus. En 2020 de nouvelles datations carbone 14 opérées sur des restes de renne exhumés de la grotte tendent à écarter, peut-être provisoirement, l’hypothèse solutréenne. Elles sont centrées autour de 17 600 BP. La question centrale qui reste non résolue à Lascaux et qui nous intéresse au premier chef est de tenter de comprendre les raisons pour lesquelles les peintres et les graveurs représentaient des chevaux et des bovinés alors qu’ils mangeaient du renne, lequel est précisément absent du décor. L’art de Lascaux est un art de mouvement des animaux représentés où le cheval qui envahit toutes les sections ornées avec des contingents pléthoriques peut incarner cette dynamique. Ils adoptent parfois des configurations invraisemblables. À cette échelle, le phénomène est unique dans l’art des cavernes. Pour autant, ce n’est pas ce rôle moteur qui frappe le plus l’observateur dans l’iconographie du souterrain. 20

On l’a dit, dans la Rotonde, près de l’entrée, sur près de 25 mètres de long et 2 à 3 mètres de haut, la surface des parois d’un blanc immaculé à l’origine accueille de gigantesques taureaux peints en noir. Ils semblent trôner sur leurs assises tout en puissance et en majesté. Leur impact visuel est tel qu’ils éclipsent les chevaux et les cerfs qui les environnent. La taille du plus grand atteint le double de celle de l’animal observé dans la nature. Dans la réalité le bœuf primitif est haut sur pattes, il se distingue par une allure élancée, une tête portée haut, une ligne de dos rectiligne et une croupe droite. On peut dire que son port n’est pas sans élégance. L’animal est puissant, il peut atteindre deux mètres au garrot pour trois mètres de long et peser plus d’une tonne. Son avant-train massif témoigne d’une forte musculature, il arbore des cornes pointues sûrement redoutables dans la confrontation. Son pelage est court, plus dense en hiver. L’espèce vit sous des climats tempérés et humides dans un paysage de prairies. Elle s’éteint en Europe au début du XVIIe siècle. La démesure de son image dans la Salle des Taureaux fait question. Il est probable que la configuration des lieux offrant une large bande rocheuse régulière a influencé l’artiste paléolithique dans ce sens. Or, si la topographie de la salle en forme d’hémicycle offre cette possibilité, on ne peut exclure qu’il s’agisse explicitement du choix délibéré de l’exagération voire de l’ostentation. Les ramures exubérantes des cerfs qui les accompagnent plaident en faveur de cette hypothèse (illustrations 1,2,3). Denis Vialou qui connaît bien la grotte paraît du même avis : « L’examen détaillé des animaux révèle une multitude de déformations volontaires de leurs silhouettes : ramures buissonnantes anormales des cerfs de la Rotonde et du Diverticule axial, hypertrophie des perches des grands cerfs de l’Abside : cheval du passage et vache sautante du Diverticule axial dans des grands écarts postérieurs impossibles : cheval à la patte cassée... accumulation effroyable de traits inorganisés... et surtout dans l’Abside où leur densité aboutit à une sorte de délire graphique... ». Les Dossiers de l’Archéologie, 1990.

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Illustration 1 : Harde de cerfs de la Rotonde.

Illustration 2 : Cerf noir de la Rotonde.

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Illustration 3 : Grand cerf noir à l’entrée du Diverticule axial.

Il s’agit de trois illustrations extraites du même secteur. Elles montrent la liberté de traitement graphique du même animal à des échelles très différentes. Le Grand cerf noir mesure 1,40 mètre contre 0,70 mètre pour le Cerf noir et les cerfs de la harde. Comme le souligne Denis Vialou, c’est dans l’abside que l’exubérance graphique atteint à son paroxysme où sur près de 20 mètres carrés plus de mille unités graphiques gravées s’enchevêtrent. Pour reprendre les termes du préhistorien, rien dans ce délire graphique n’est directement lisible. Il faut à l’abbé André Glory en charge des relevés plusieurs années de travail perché sur un échafaudage pour démêler l’écheveau graphique. L’œuvre de Lascaux est le fruit d’une entreprise collective. Sa décoration ne procède pas d’une initiative individuelle ou encore d’imaginations débridées qui s’y sont anarchiquement déployées. Il se trouve de nombreux indices pour l’affirmer. Au chapitre « L’accès aux parois » de Lascaux

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inconnu Brigitte et Gilles Delluc mettent en évidence les moyens utilisés par Préhistoriques pour accéder aux surfaces à orner se trouvant hors de portée de la main. Il s’agit en l’espèce d’un plancher couvrant toute la longueur du Diverticule axial, soit une vingtaine de mètres. Dans la salle des Taureaux, les tracés les plus haut placés sont à quatre mètres au-dessus du niveau du sol moderne lequel surmonte le sol préhistorique de soixante centimètres. Là encore, sans échafaudage ou le recours à des échelles de perroquet, la décoration des murs n’est pas possible. Il en va de même dans l’Abside pour atteindre les figurations du plafond. Dans la Nef, la réalisation de structures comparables n’est pas démontrée mais on peut l’envisager. Ces dispositions nécessitent la mobilisation du groupe autour d’activités telles que la confection de madriers et de poutrelles issus du débitage de bois d’arbres dans la nature, le recours à l’art de la corderie dans les assemblages. L’apport de végétaux constitutifs de litières destinées à isoler de l’humidité du sol est attesté dans le Passage. Il faut aussi penser à l’éclairage. Encore ne s’agit-il là que de préparatifs non directement liés à la décoration proprement dite. Il y a la recherche de pigments, leur traitement et la mise en forme d’outillages divers comme les pointes de silex pour la gravure. Les conditions particulières du chantier (obscurité, humidité, atmosphère pesante, éclairage souffreteux des lampes à graisse) et une main-d’œuvre pas forcément pléthorique pour des clans ne dépassant pas quelques dizaines d’individus témoignent de la puissante motivation du groupe. La prise de « casse-croûte » comme se plaisent à le dire Brigitte et Gilles Delluc, dans une caverne qui n’a jamais servi d’habitat, indice de séjours prolongés sous terre, va dans le même sens. Il est certainement plus confortable pour les artistes et les manouvriers de se restaurer à l’air libre, à la lumière du jour, ce qui ne demande pas de grosses pertes de temps. La grotte est de dimension modeste et facile d’accès. Il y a en outre la nécessité pour le groupe de poursuivre l’activité de prédation sur la durée des travaux. Ces données sont factuelles et ne ressortent pas de spéculations. Elles peuvent contribuer à apprécier l’état d’esprit des Magdaléniens de Lascaux dans l’hypothèse où la durée d’occupation du site est courte, ce que l’archéologie du site semble montrer : « La relative unité de style des figures et des signes de Lascaux plaide en faveur d’une durée relativement courte : 24

une génération ou un peu plus. Leurs traces au sol sont enfouies dans une couche archéologique mince (3 à 5 cm d’épaisseur), présente dans toute la grotte ». Dictionnaire de Lascaux. Que la décoration de la caverne fasse l’objet de plusieurs campagnes estivales est assez probable, mais ne change rien à la détermination des intervenants et à la complexité d’un chantier qui ne se retrouve nulle part ailleurs dans l’art des cavernes. À ce stade de la réflexion, il devient possible d’aborder sous un angle neuf la problématique des animaux représentés sur les parois. En particulier celle concernant les immenses taureaux de la Rotonde dont on peut présumer l’absence dans la vallée de la Vézère au moment de leur mise en peinture relativement à la rigueur du climat qui règne alors. C’est une ambiance plutôt favorable au bison, son proche parent, et au renne. Dans la nature, le bison des steppes (bison priscus) n’a rien à envier au bœuf primitif. Il est aussi puissant et impressionnant. Il peut mesurer deux mètres de hauteur au garrot et peser jusqu’à une tonne. Il possède de grandes cornes, une bosse dorsale élevée, une tête massive portée bas engoncée dans l’encolure. Avec un avant-train massif, sa toison épaisse le rend court sur pattes. Son arrière-train plus léger lui donne une silhouette dissymétrique plutôt centrée sur l’avant. Le port du bison est incontestablement moins élégant que celui de l’aurochs. Or, il y a dans la salle des Taureaux cette recherche de l’élancement, de l’équilibre des masses corporelles et de la puissance en même temps. L’image du bison ne répond pas à ces exigences. C’est la recherche par l’artiste d’une esthétique particulière qui relègue ce dernier dans les secteurs plus profonds de la cavité. Un parti pris plastique qui fait davantage briller l’œuvre et la rend plus éclatante. C’est une explication à la présence de l’aurochs à Lascaux bien qu’il soit physiquement absent de la vallée de la Vézère. L’idée va dans le sens de la théorie de François Djindjian comme la proposition de Norbert Aujoulat : l’animal représenté est une image rapportée de contrées plus méridionales au cours de raids de la tribu vers le sud au moment des pics de froid. Le cas du cerf élaphe dans l’iconographie s’inscrit dans le même registre. Celui de la période glaciaire est plus grand que l’actuel. Il mesure 1,50 m au garrot et pèse 400 kg et peut atteindre 2,50 m de long. Ses bois ont de grands développements, lui aussi a une silhouette élégante et élancée. 25

L’individu est discret dans la nature, il ne se révèle qu’à la période du rut, à l’automne, par une brame retentissant. Il va de soi dans le contexte explicatif considéré que son image se substitue avantageusement à celle du renne. Ce dernier est plus petit, assez haut sur pattes dotées de pieds larges. À la différence du cerf, le mâle et la femelle portent des bois à longues perches recourbées vers l’avant. L’espèce vit en grands troupeaux et suit des migrations à l’été et au printemps. L’animal est robuste, il peut supporter des froids polaires. Au paléolithique, il constitue le gibier de prédilection des chasseurs. On observe d’ailleurs que nombre de cerfs à Lascaux sont représentés dans la fuite. Ce n’est pas anormal s’ils figurent la « doublure » du renne dans l’iconographie. Il est donc possible, pour les besoins d’une mise en scène spectaculaire comme celle de la Salle des Taureaux, que l’aurochs et le cerf soient des substituts au bison et au renne dans la composition picturale. C’est assez conforme à ce que l’on dit de l’exagération et de l’ostentation qui se dégage de certaines œuvres de la caverne. L’explication satisfait au décalage qui existe entre les animaux centraux figurés sur les parois, témoins d’un climat relativement clément, et la présence massive du renne, marqueur d’une tendance froide, dans les niveaux archéologiques. L’engouement pour les formes, le mouvement des animaux, les couleurs est patent à Lascaux. C’est la palette des peintres et les graveurs de la caverne. C’est admettre en définitive que l’interstade éponyme n’existe pas à Lascaux. Il est coutume d’aborder l’art pariétal paléolithique au travers de ses séquences chronologiques culturelles, c’est-à-dire de l’Aurignacien au Magdalénien. Sur cette période on dénombre plus de 300 sites ornés en Eurasie. Suivant les sources, le chiffrage varie. Il y a des doutes de nature thématique ou stylistique pour certains sites. Ils sont dus pour la plupart à des contextes archéologiques insuffisamment établis. L’Europe atlantique en est le foyer principal. La France et l’Espagne du Nord en comptent les plus nombreux ce qui signifie qu’ils sont plus rares à l’est. En raison des rares datations absolues disponibles, nombre d’attributions culturelles restent relatives. À cet égard, l’exemple de Lascaux est emblématique. À l’opposé, dans la grotte Chauvet la datation directe des dessins réalisés au charbon de bois permet d’établir son âge et son rattachement à l’Aurignacien. 26

Pendant toute la durée du Paléolithique supérieur l’expression graphique des chasseurs-collecteurs s’exerce non seulement sur les parois des souterrains mais également celles d’abris sous roche ou de sites de plein air comme à Foz Coa au Portugal. Elle figure aussi sur des objets de pierre, d’os ou d’ivoire qui se comptent par milliers. En l’état des connaissances, quatre grottes du Jura Souabe (sud-ouest de l’Allemagne) livrent les plus anciennes œuvres d’art mobilier. Il s’agit de statuettes en ivoire de mammouth, d’animaux et d’humains, âgées de 40 000 ans (illustration 4). Ces objets témoignent des débuts de l’art sur le continent. Les premières sont découvertes en 1931 par Gustave Riek. Au nombre de plusieurs dizaines à l’heure actuelle, elles sont d’une remarquable exécution. Elles sont sensiblement contemporaines de l’arrivée des hommes modernes en Europe par la vallée du Danube.

Illustration 4 : Statuette féminine en ivoire de mammouth de Höhle Fels.

Vers la moitié du XIXe siècle, les grottes Chaffaud dans la Vienne livrent pour leur part le premier objet décoré prouvant l’existence de l’art 27

paléolithique. Il s’agit de deux biches incisées sur un canon de renne. En l’absence de toute référence chronologique la pièce est attribuée aux Gaulois (illustration 5).

Illustration 5 : Canon de renne gravé de l’abri Chaffaud (Vienne).

À la fin du XIXe siècle, un art mobilier raffiné sur pierre, os ou ivoire mis à jour par la fouille est reconnu. Dans le même temps, la reconnaissance de l’art des cavernes par les préhistoriens connaît davantage d’avatars. Elle n’intervient qu’en 1902 après le célèbre « mea culpa » d’un sceptique d’Émile Carthaillac, figure de proue de la préhistoire à cette époque. Avec Gabriel Mortillet, il a précédemment fait le procès du marquis Marcelino Sanz de Sautuola, inventeur avec sa fille Maria en 1979 de la grotte d’Altamira près de Santander en Espagne. En effet, la publication de la découverte par l’aristocrate espagnol provoque un tollé général tant chez les préhistoriens français qu’espagnols (illustration 6). Altamira passe alors pour une imposture, un faux comme le montrent l’étonnante fraîcheur des peintures et l’impossibilité matérielle pour les Préhistoriques d’œuvrer dans l’obscurité des grottes. Des arguments qui finissent par céder devant la multiplication des découvertes en grotte dont les figurations sont recouvertes par les concrétions prouvant ainsi leur ancienneté.

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Illustration 6 : Publication de la découverte d’Altamira par le marquis Marcelino Sanz de Sautuola.

Au Paléolithique supérieur la principale ressource alimentaire des tribus est issue de la chasse aux grands mammifères herbivores, le renne, le cheval, le bison pour les plus courants. Les aurochs, les cerfs, les bouquetins, les rhinocéros laineux, les mammouths et les lions sont également présents à des degrés divers sur les parois des grottes où la petite faune (renards, lièvres, oiseaux, reptiles, insectes...) n’apparaît que rarement. Les grands mammifères terrestres forment donc le socle du corpus animalier dans les compositions picturales où l’on observe la fréquence élevée des chevaux et des bovinés (aurochs, bisons). Mis à part le fait de se trouver dans l’obscurité, l’art des grottes se distingue des autres formes d’expressions plastiques couramment rencontrées dans les sociétés traditionnelles par le réalisme des images produites. Ce caractère est présent dès les débuts de l’art graphique. Chauvet en est un bon exemple. Du registre figuratif émergent parfois des figurations composites. Elles empruntent à deux voire plusieurs espèces. Pour les plus spectaculaires, il y a la licorne de Lascaux, les « Sorciers » de la grotte des Trois-Frères en Ariège et de Gabillou en Dordogne. Si l’art des cavernes peut être qualifié de naturaliste, il ne reflète pas pour autant le milieu naturel : absence de ligne de sol, de végétaux, de paysages. La plupart du temps il ne respecte pas la dimension relative des animaux entre eux. Le gigantisme des taureaux de Lascaux, dont le plus

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grand dépasse 5 mètres de long, voisine avec des cerfs qui ne dépassent pas le mètre sur la même paroi. L’autre particularité est la faiblesse de la représentation humaine. Elle ne répond pas aux mêmes canons graphiques que ceux des animaux. Elle est même plutôt fantomatique : absence de portrait, silhouettes incomplètes, schématiques, parfois composites (homme-animal). C’est le cas des « Sorciers » évoqués plus haut, des segments anatomiques isolés (mains négatives ou positives, vulves...). Les rares figurations réalistes connues sont celles de la grotte de la Marche dans la Vienne. Le site livre des centaines de plaquettes et de dalles de pierre où il est possible, après un long travail de déchiffrement, de reconnaître des portraits humains. Il faut admettre, sans risque de se tromper, que le réalisme ne concerne pas le maigre contingent de la figuration humaine dans les souterrains. Dans l’art mobilier, les célèbres vénus gravettiennes constituent un corpus à part. Elles ne renvoient de la femme que des images stylisées. Après les animaux, la seconde composante de l’art quaternaire concerne des motifs graphiques appelés signes par les préhistoriens. Cette désignation les range dans la catégorie des motifs abstraits : « C’est une catégorie très vaste de tracés et de motifs ne faisant apparemment pas référence au réel. De simples taches diffuses, des tracés indéterminés plus ou moins structurés ou des signes géométriques élaborés peuvent tous être qualifiés de non figuratifs ». L’art pariétal paléolithique, Michel Lorblanchet, 1993. Les œuvres réalisées dans l’obscurité couvrent les parois, les plafonds, les concrétions et les sols d’argile meuble quand elles sont parvenues jusqu’à nous. Elles se trouvent parfois en des lieux d’accès difficile. La peinture et la gravure sont les techniques les plus fréquemment utilisées. L’argile a aussi servi à la réalisation de modelages. La sculpture est réservée aux parois d’abris sous roche à la lumière du jour. Le modelé et les accidents de la surface rocheuse sont souvent mis à profit par les Préhistoriques dans la conception des œuvres. Ces données du support ont même conditionné à l’occasion les emplacements du décor comme sur le plafond d’Altamira (illustration 7).

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Illustration 7 : Plafond peint d’Altamira : bisons représentés sur les bosses du plafond. Photographie auteur inconnu.

Voilà ce que livre objectivement l’art des cavernes à la sagacité du chercheur.

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II. Les théories explicatives de l’art pariétal Paléolithique

Depuis la reconnaissance de l’art souterrain du Paléolithique, ses interprétations ont en commun d’être généralistes. Le choix des lieux, le contenu relativement stable de l’iconographie, le mode de vie de ses créateurs (chasseurs nomades ou semi-nomades) motivent cette approche. Certaines connaissent à des degrés divers faveur puis scepticisme pour finalement s’inscrire, pour les plus marquantes, au catalogue des théories formulées sur le sujet où elles ne servent plus qu’à des références bibliographiques dans les ouvrages spécialisés. Le bilan est certainement décourageant. Il se double en outre du pessimisme ambiant qui habite les chercheurs sur le thème des significations. Pour beaucoup cette connaissance est hors du champ de l’archéologie préhistorique : « Un nombre croissant de chercheurs ont décidé d’abandonner la vaine quête des significations pour éviter de « travailler pour rien » ». De « l’art pour l’art » au chamanisme : interprétation de l’art préhistorique. La Revue pour l’histoire. Jean Clottes, 2003. Jean Clottes emprunte l’expression « travailler pour rien » à trois de ses collègues qui ne partagent pas son point de vue, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre : « La solution proposée par les pessimistes, se contenter d’écrire « objectivement » des faits voire des structures, et d’en tirer des explications immédiates les plus simples possibles, non seulement n’est pas satisfaisante par son manque d’ambition, mais elle est dangereuse par son empirisme trompeur. Les empiristes, en effet, prétendent à l’objectivité et affirment leur liberté visà-vis de toute hypothèse préalable, mais ils se leurrent ». Nous ne soutenons pas les thèses de Jean Clottes sur son explication par le chamanisme, mais il faut lui reconnaître le mérite de ne pas céder à 33

l’académisme de la discipline sur le sujet. Nous recherchons comme lui du sens et nous aurions mauvaise grâce à ne pas approuver sa prise de position. Avant la reconnaissance de l’art des cavernes au début du XXe siècle, la découverte d’objets décorés contemporains des sols d’habitats paléolithiques suscite interrogations, scepticisme, parfois des doutes sur leur authenticité voire le rejet. L’homme primitif est alors considéré comme grossier et fruste, affilié à une nature sauvage et dangereuse. Il œuvre essentiellement pour sa survie et ne peut être l’auteur d’un art raffiné. La multiplication des découvertes et l’apport des études en plein essor sur les peuples sans écriture à travers le monde modifient progressivement cette image. Le paradigme change. On conçoit alors l’idée d’un primitif plus évolué vivant au sein d’une nature généreuse et abondante lui laissant le temps de s’adonner aux loisirs de la décoration. La théorie de l’art pour l’art naît de cette nouvelle approche, elle prône le simple plaisir de l’ornementation sans autre fonction que la gratuité du procédé. C’est la première tentative d’explication de l’art quaternaire. Par la suite, la reconnaissance officielle de l’art en grotte porte un coup fatal à la théorie. Il n’est plus possible de soutenir la thèse du simple divertissement, du goût pour le beau comme motivation centrale. À la marge, elle reste néanmoins d’une certaine actualité. Un dessin réussi peut être source de plaisir et de satisfaction pour l’artiste. La solution totémique est ensuite envisagée. Elle se calque sur les croyances des aborigènes d’Australie. Au sein de certaines populations traditionnelles, le totémisme a des racines mythiques. Il enseigne le principe d’une parenté entre des humains issus d’ancêtres mythiques, animaux, végétaux, objets dotés de grands pouvoirs. Ils prennent le nom de totems et servent à établir le rang des individus au sein des clans lesquels portent le nom de leur emblème protecteur. Il engendre dans la société des tabous comme l’interdiction d’alliances entre des totems considérés comme incompatibles. Le système produit une multiplicité d’emblèmes totémiques. Appliqué à l’art des cavernes, le concept conduit à interpréter les images animales représentées comme la marque des clans. Il connaît néanmoins des difficultés à s’imposer comme véritable explication en raison du cortège peu diversifié du corpus animalier paléolithique. De plus les animaux dits « blessés » sur les parois des grottes ne peuvent

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correspondre à des animaux-totems puisque ces derniers sont par excellence protecteurs. Le totémisme fait récemment l’objet d’un regain d’intérêt sous l’impulsion de l’anthropologue Alain Testart. Il en formule l’argumentation dans l’ouvrage Art et religion. De Chauvet à Lascaux paru en 2016. L’auteur compare les animaux à des métaphores pour les humains comme dans les fables de La Fontaine. Sur les parois décorées, le regroupement des animaux par espèce répond à la classification des individus dans la société : « Comme cet art pariétal paléolithique ne raconte pas, à la différence d’une fable, il est aussi peu probable qu’il s’agisse d’une classification selon les caractères moraux. Il est probable que les catégories dans lesquelles sont rangés les hommes sont des catégories sociales ». Dans ses développements, le chercheur se montre parfois très affirmatif comme l’indique ce passage : « Dans la mesure où le totémisme en général n’est rien d’autre qu’un classement congru des hommes selon des divisions sociales et des animaux selon leur espèce, la vision du monde qui s’exprime dans l’art pariétal paléolithique est totémique ». Il ne s’agit que d’un aperçu de la théorie qui comporte de nombreuses autres propositions, notamment sur la genèse des signes. Dans son ouvrage posthume Alain Testart n’aborde pas la problématique liée à la diversité des espèces engagées dans le système totémique alors que ce trait ne se retrouve pas dans l’art des cavernes. C’est toute la difficulté de son adaptation à l’art préhistorique. L’explication par la magie de la chasse rencontre de nombreux adeptes au cours de la première moitié du XXe siècle. Elle est défendue par Henri Breuil, le « Pape de la préhistoire » dont la notoriété est internationale. Le concept qui sous-tend la théorie magique est le suivant : la représentation de l’animal sur la paroi permet au chasseur de capter son esprit, et favorise sa chasse. Le dessin d’un bison par exemple permet d’exercer un pouvoir sur lui. Il aide également à sa multiplication dans la nature. Les souterrains sont le siège de rituels. Dans cette perspective l’art des grottes a une fonction utilitaire. Cette fois les animaux « fléchés » viennent à l’appui de la théorie. Ils s’observent plus fréquemment dans certaines grottes des Pyrénées ariégeoises. Comme pour le totémisme, la magie de la chasse s’appuie sur des comparaisons ethnographiques.

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Dans les années 60, André Leroi-Gourhan fait la critique de la théorie. Les animaux figurés sur les parois sont pour la plupart différents de ceux réellement chassés dans la réalité. Leurs ossements se trouvent dans les niveaux archéologiques. Par ailleurs il est aisé de se rendre compte par la méthode statistique utilisée par le chercheur que les animaux marqués de flèches ne représentent qu’un faible pourcentage du corpus animalier. De plus, ces traits assimilés à des projectiles, affectent des parties anatomiques qui n’entraînent pas forcément de blessures létales tandis que d’autres ne les impactent même pas. La théorie a vécu, il en subsiste des traces. Le recours à la magie, aux entités surnaturelles, aux esprits, resurgit dans les thèses les plus récentes comme le néo-chamanisme. L’hypothèse structuraliste est l’œuvre d’André Leroi-Gourhan et d’Annette Laming-Emperaire. Le théoricien de l’art, Max Raphael en a posé les premiers jalons en 1940. En écartant le recours au comparatisme ethnographique, André LeroiGourhan considère que la décoration de la caverne répond à une organisation. La démonstration est possible par le truchement de l’outil statistique. Pour le préhistorien la grotte est divisée en plusieurs sections : zone d’entrée, secteur central, rétrécissement, fond où se rencontrent de manière préférentielle certaines espèces animales associées à des signes. Les bovinés et les équidés occupent les secteurs centraux. Ils sont suivis d’animaux complémentaires en arrière-plan (bouquetins, cerfs). Les animaux dangereux comme les félins sont dans les fonds. Le résultat de ces travaux fait l’objet d’une volumineuse publication en 1965. Préhistoire de l’art occidental synthétise les données archéologiques de plus de 60 grottes ornées de France et d’Espagne. L’hypothèse centrale qui s’en dégage est celle d’une organisation d’animaux et de signes répondant à la dualité masculin-féminin, valeurs opposées et complémentaires où les équidés et les bovinés, statistiquement dominants symbolisent respectivement la valeur mâle et la valeur femelle. Dans cette construction les signes font l’objet de la même distinction : les minces pour les mâles, les pleins pour les femelles. La critique de la méthode suivie par André Leroi-Gourhan porte sur les points suivants : une mise au point qui s’appuie sur des découpages topographiques arbitraires, des décomptes subjectifs, des schémas qui dans 36

un certain nombre de cas ne cadrent pas avec la réalité. À Lascaux par exemple, dans la Salle des Taureaux, la difficulté d’application du principe mâle-femelle le conduit à mettre en doute le sexe des taureaux. Pour sortir de la contradiction il s’en remet alors au taureau lunaire, un symbole mâle à valeur femelle. La pirouette conceptuelle est difficile à admettre, l’auteur sait lui-même qu’il est dans l’erreur. Le savant renonce rapidement à tout essai interprétatif de l’art des cavernes. Il subsiste de la conception structuraliste l’idée que l’art des cavernes est organisé en fonction de la topographie souterraine. La critique de la méthode comparatiste fait également partie de cet héritage : « Du comparatisme ethnographique, il ne pouvait pas sortir autre chose, car on ne peut pas emprunter aux Australiens ou aux Bochimans leur métaphysique, la simple honnêteté et le bon sens auraient suffi pour interdire d’appliquer une image trop précise aux documents préhistoriques, on ne pouvait emprunter que des bribes de faits matériels, sans lien ni entre eux, ni avec le fonds intellectuel ». Les religions de la préhistoire, 1964. On sait depuis l’influence de cette prise de position sur la recherche des significations en préhistoire. En 1952, Horst Kirchner formalise la première thèse chamanique. Il rapproche le « Sorcier » des Trois-Frères du chamane sibérien. Le modèle est donc sibérien et il est répandu chez les chasseurs-cueilleurs. Au sein du groupe, le chamane est le personnage qui possède la faculté d’entrer en contact avec le monde des esprits par le truchement de divers procédés : danses, chants, sons du tambour, absorption de substances psychotropes... En clair, c’est la croyance en un réel doublé de sphères invisibles où l’officiant voyage au travers de visions. Au cours de ce transport, il peut se transformer, dialoguer avec les esprits, les solliciter en vue d’obtenir certaines faveurs : rendre la chasse féconde, obtenir des guérisons,... À la manière du magicien le chamane prétend agir sur le réel. Sous diverses formes et modalités rituelles, ces pratiques se retrouvent particulièrement au nord du globe (Scandinavie, Sibérie, Amérique du Nord), berceau du chamanisme. Plus tard, l’extension du concept à des pratiques voisines le voit fleurir en Asie, en Australie, en Afrique.

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Sans pour autant y adhérer, André Leroi-Gourhan ne rejette pas l’explication : « pour le chamanisme, il y aurait des raisons de penser qu’il a pu exister des guérisseurs qui récupéraient les âmes malades avec l’aide d’esprits protecteurs leur servant de guide dans le monde des morts : pourtant même si l’on en était convaincu, on ne saurait pas sur quel document asseoir un début de preuve ». Les religions de la préhistoire. La publication en 1996 Les chamanes de la préhistoire consacre la version moderne du chamanisme appliqué à l’art pariétal paléolithique. L’ouvrage est cosigné par David Lewis-Williams, préhistorien sud-africain et Jean Clottes. Les deux chercheurs se proposent de renouveler la théorie en mettant l’accent sur le phénomène de la transe. Ce domaine comprend les états altérés de la conscience que sont les rêves, les visions, les hallucinations, autant de comportements inconscients qui peuvent être considérés comme universaux chez Homo sapiens. La neuropsychologie est la discipline qui permet d’en faire l’analyse. Dans la transe, elle distingue divers stades au cours desquels l’officiant, le chamane en l’occurrence, éprouve des perceptions variées des plus légères aux plus profondes. Au stade 1, le sujet perçoit des points, des zigzags, des grilles, des lignes et des méandres. Au stade 2, il interprète ces formes selon ses références culturelles : « un chamane San pourra voir un élan, un Inuit verra un ours polaire ou un phoque ». La transition vers le stade 3 passe par un tunnel virtuel, le sujet est au paroxysme du phénomène, il peut se prendre pour un animal et même voler. Ces images sont le résultat du voyage chamanique dans le monde de l’au-delà. Pour les deux préhistoriens, elles sont ensuite concrétisées par le dessin (peinture ou gravure) sur les parois des grottes perçues comme des membranes, des voiles séparant l’humanité du monde des esprits. Les formes de la roche, les fissures, les creux sont autant d’opportunités d’approcher le monde surnaturel. Les empreintes de mains négatives sur les parois en témoignent peut-être le mieux. Elles disparaissent virtuellement de la surface de la matière pour former la relation avec les entités qui s’y trouvent enfouies. Le cosmos chamanique comprend plusieurs étages, le monde spirituel d’en haut et le monde spirituel d’en bas. La grotte est un passage qui conduit vers ce dernier. Dans ce scénario, les animaux et les signes représentés dans les grottes sont des visions de sorciers ou de chamanes. Selon ses auteurs, la théorie 38

prétend n’être qu’un cadre explicatif, elle exclut de son champ les grandes compositions destinées à la collectivité, la transe relevant d’une expérience personnelle. Les critiques portent sur le comparatisme ethnographique établi avec les San d’Afrique du Sud, le recours à la neuropsychologie, discipline relativement nouvelle et puis évidemment sur le fait qu’il n’est nullement démontré l’existence d’un chamanisme au Paléolithique supérieur. L’attaque virulente de ses détracteurs n’est pas étrangère au fait d’une présentation maladroite de la théorie avec des hypothèses en forme d’affirmations transformées en révélations puis vérités. L’ouvrage collectif Chamanismes et art préhistorique. Vision critique, 2006, est un exposé de critiques parfois très acerbes. Il paraît cependant objectivement mal fondé de déconsidérer l’ensemble des travaux de David Lewis-Williams et de Jean Clottes. Ils comportent des propositions non dénuées d’intérêt.

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III. L’art des cavernes à l’Aurignacien (37 000-24 000 BP)

Pour l’Europe occidentale, plusieurs grottes ornées sont actuellement attribuées à la culture aurignacienne : en France, la caverne d’Arcy-surCure dans l’Yonne, Baume-Latrone dans le Gard, Aldène dans l’Hérault, Chauvet en Ardèche, Pair-non-Pair en Gironde. Les abris sous roche de la région Aquitaine complètent cette série : abri Castanet, Pataud, La Ferrassie et Blanchard. En péninsule ibérique on peut mentionner certaines œuvres de la grotte du Castillo. Dans le nord de l’Italie, la grotte de Fumane livre des niveaux archéologiques datés à 35 000 ans BP contenant des peintures sur des fragments de pierre calcaire. En Roumanie, la décoration de la grotte de Coliboaia appartient également à la période ancienne de l’art pariétal paléolithique. Dans ce panorama subsistent de grands vides en Europe centrale où les réseaux karstiques ne sont pourtant pas absents. À l’Aurignacien, le niveau de qualité des œuvres est très variable. Pour l’art mobilier, il est raffiné dans le Jura Souabe, moins élaboré dans le groupe aquitain. La découverte de la grotte Chauvet en 1994 est un évènement considérable pour les spécialistes. Elle entraîne la révision de la chronologie stylistique établie par André Leroi-Gourhan car la grande ancienneté, la profusion, la qualité des œuvres sont au rendez-vous. Le changement de paradigme est brutal pour les préhistoriens, il provoque la réforme du système d’attribution culturel de nombreuses autres grottes ornées.

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La grotte Chauvet et de Baume-Latrone Nous avons livré une étude d’ensemble du dispositif graphique de Chauvet dans l’ouvrage Grotte Chauvet, Géants de pierre paru en 2018 aux éditions L’Harmattan. Dans le cadre du présent essai, il est simplement question de n’en traiter que l’une de ses compositions majeures. Il s’agit de la scène de chasse située dans la salle du Fond. L’appellation Chauvet Pont d’Arc qualifie le mieux la cavité ardéchoise. Outre le nom de l’un de ses inventeurs, Jean-Marie Chauvet, elle véhicule la relation de l’environnement proche de la grotte et la grotte elle-même. En effet, on ne peut passer sous silence l’extraordinaire panorama minéral où elle s’inscrit. Ce paysage remarquable se découvre déjà il y a 35 000 ans depuis le porche monumental de la caverne ouvert dans la falaise. Il est aujourd’hui effondré. Pour accéder au site, il est nécessaire depuis le bord de la rivière de gravir une vire naturelle qui forme une véritable saignée rectiligne dans le flanc du massif qui forme le cirque d’Estre. C’est l’endroit où l’élévation des falaises entre lesquelles sinue la rivière Ardèche devient sensible. On est à l’entrée des gorges, à hauteur du premier méandre du cours d’eau qui s’écoule sur près de 30 km entre les parois de falaises abruptes (illustrations 8 et 9).

Illustration 8 : photographie, la rivière Ardèche à l’entrée des gorges qu’enjambe le Pont d’Arc.

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Illustration 9 : Localisation géographique du Pont d’Arc au premier méandre de la rivière. Dessin du Pont d’Arc au XVIIIe siècle. Vue aval.

C’est aussi l’endroit où s’élève une curiosité géologique unique en Europe. Il s’agit de l’arche de pierre qui enjambe le cours d’eau et relie les deux rives. L’édifice mesure 50 mètres de haut pour 60 mètres de large. Vu du côté aval son profil évoque celui d’un mammouth (illustration 10).

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Illustration 10 : Carte postale de 1903. Le Pont d’Arc vu côté aval évoque un profil de mammouth.

Sa formation est le résultat du creusement par l’eau de la rivière il y a plus de 400 000 ans, au temps où les flots se heurtaient à une barre rocheuse disposée en travers de leur écoulement. Ils se déversaient, avant qu’elle ne soit perforée, dans une boucle de contournement appelé le Méandre abandonné. C’est l’ancien lit de la rivière aujourd’hui asséché. Cependant, lors des grandes crues de l’Ardèche, lorsque l’arche n’est plus en mesure d’absorber la totalité du débit des eaux, le trop-plein se déverse dans le Méandre abandonné et le réactive. Le phénomène est récurrent. Il est spectaculaire comme celui de 1890 (illustration 11). Les singularités d’un tel environnement n’ont certainement pas échappé aux artistes de Chauvet. Le réseau souterrain de la grotte est complexe. Il est sensiblement horizontal et s’enfonce sur plus de 250 mètres au cœur du massif. Son développement total atteint 500 mètres. C’est exceptionnel dans la région. La progression à l’intérieur ne présente pas de difficulté majeure. Seul un rétrécissement de la galerie principale aux deux tiers du parcours vers le 45

fond demande au visiteur de se courber pour passer. Avant d’y parvenir, il traverse de vastes salles comme la salle des Bauges longue de 80 mètres pour 50 de large.

Illustration 11 : La crue de l’Ardèche en 1890.

Elle doit son nom aux nombreux couchages d’ours des cavernes qui vallonnent le sol. Plus loin dans la salle Hillaire, la décoration des murs devient plus dense. On y trouve le célèbre ensemble du secteur des Chevaux. Il couvre les parois sur 15 mètres de long. Immédiatement à sa droite s’ouvre la galerie des Mégacéros. Le conduit est étroit et en pente descendante sur 30 mètres où les Paléolithiques entretiennent de puissants brasiers comme en atteste la rubéfaction de la roche par endroits. Au débouché de la galerie, le visiteur atteint la salle du Fond, ultime étape de son périple souterrain. Les lieux sont imposants avec des hauteurs sous plafond qui dépassent 10 mètres. Il en descend de nombreuses concrétions calcaires. Au sol, les bauges à ours se comptent par dizaines. La scène de chasse d’une douzaine de mètres d’envergure occupe la paroi gauche en entrant dans la salle. La composition compte une centaine d’animaux : lions, rhinocéros, bisons, mammouths... Le récit du moment 46

de sa découverte par les trois inventeurs est le suivant : « Tout à coup, la lampe éclaire une monumentale frise noire qui couvre la paroi gauche sur une dizaine de mètres. Le souffle coupé, en silence nous balayons les parois de nos torches. C’est une explosion de cris, de joie, de pleurs. Nous nous sentons pris de folie et de vertige. Les animaux sont innombrables... ». La grotte Chauvet à Vallon-Pont-d’Arc, 1995. On peut comprendre l’enthousiasme des découvreurs en cette circonstance. La composition, baptisée Grand Panneau dans la littérature dédiée, peut se décomposer en deux volets séparés au centre par une niche centrale. Les animaux y sont regroupés par espèces avec dans l’ordre d’importance numérique les lions, les rhinocéros, les bisons. L’illustration 12 représente la scène de chasse proprement dite et occupe le volet droit de la composition.

Illustration 12 : Photographie du fac-similé de la grotte Chauvet. Scène de chasse du Grand Panneau. Meute de lions lancés à la poursuite d’un troupeau de bisons. Auteur Claude Valette. Licence Creative Commons Attribution.

Le groupe des lions comprend 16 sujets dessinés de profil et réduits au buste. Les prédateurs regardent tous à gauche à l’exception de l’un d’entre eux situé en tête. Ils forment meute, lancés dans un même mouvement tendu vers les bisons qui se trouvent devant. C’est au premier abord l’idée qui se dégage de la composition. Un examen plus poussé tempère le 47

diagnostic. En réalité, la distribution des félins comporte deux trajectoires étagées, une disposition également remarquée par les pariétalistes de la grotte. À l’étage du haut, comparativement à ceux situés plus bas, les animaux sont petits et peu détaillés. Le préhistorien Marc Azéma pense à l’existence d’une profondeur de champ pour expliquer la différence. Un détail de la fresque valide l’organisation des félins en deux courants. Un fauve au centre de la meute voit son profil s’étirer anormalement sur le mur. Le tracé de sa ligne de dos traverse tout l’espace réservé à ses congénères jusqu’à venir croiser les têtes de ceux situés à l’arrière. Il est un bon candidat au marquage de la séparation entre les deux files (illustration 13).

Illustration 13 : Dessin simplifié de la meute des lions avec numérotation. Le félin N° 4 en rouge au corps anormalement allongé consacre la partition de la frise en deux courants. Les trois lignes pointillées matérialisent les saillies de la surface rocheuse qui présente ainsi deux concavités. La lettre M situe le mammouth dessiné sur le montant de l’alcôve centrale.

À côté de l’étrange silhouette, les têtes numérotées 1, 2 et 3 sont des fidèles reproductions du lion, il se dégage de leurs regards rivés sur l’avant une extraordinaire expressivité. Elle est celle du prédateur à l’affût de sa proie (illustration 14).

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Illustration 14. Image de la remarquable expressivité d’une meute de lions en chasse.

Curieusement, en tête du courant inférieur, le dessin du carnivore devient moins impressionnant alors que les bisons sont proches. L’œil est unique, il ne dégage plus la même sensation d’acuité. L’intrication des tracés d’animaux dans la composition laisse envisager, pour l’expliquer, l’intervention d’un artiste différent. Les pariétalistes de Chauvet sont formels. Ils retrouvent les mêmes canons graphiques d’un sujet à l’autre : larmiers, museaux carrés en triple courbe, petites oreilles rondes... témoins très probablement de la main du même intervenant. Dans ce contexte la personnalisation des animaux est une explication à ce changement. Or, à l’examen du sujet en question numéroté 5 sur l’illustration 13, la présence deux tracés parallèles dans son champ de vision n’est peut-être pas étrangère à cette mutation (illustration 15).

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Illustration 15 : Félin du courant inférieur en tête de la meute. Son organe de la vue diffère sensiblement de celui de ses congénères situés à l’arrière. Dans son champ de vision un double tracé est de nature à expliquer la différence. Au-dessus figure le seul félin qui regarde à droite.

Coïncidence peut-être mais c’est à cet endroit que l’espace encombré par les bisons se referme devant lui. Au sein de la meute les prédateurs n’observent pas tous le même comportement. Par ailleurs, et contre toute attente, au contact des herbivores on ne décèle aucun indice graphique de l’attaque de la proie. L’autre dimension de la fresque est relative au relief de la paroi. Dans l’art pariétal il peut jouer un rôle central. Les études en trois dimensions de la surface rocheuse où s’inscrit la composition montrent que les lions avec les bisons qui les précèdent occupent deux importantes concavités. De fait, la forme du mur impose à l’artiste de tenir compte de deux surfaces en creux et de deux arêtes dans la mise en place de son dispositif graphique. La dépression plus large à droite accueille l’essentiel du contingent des félins. L’arête la plus saillante se trouve à gauche, près de la niche centrale. Quatre bisons vus de face y prennent place. N’oublions pas que le dessinateur travaille très près du plan rocheux, éclairé par une lumière

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vacillante qui fait ressortir tous les modelés de la pierre. Il est donc difficile de ne pas penser qu’il en tient compte dans son intervention. Dans cette hypothèse, il y a interaction entre le support rocheux formant comme deux vagues et les animaux dessinés. Mis à part la tête du grand lion de la branche inférieure (illustration 15) qui franchit la première crête, tous ceux qui le suivent dans le même élan se trouvent ou vont se trouver inévitablement dans le creux de la première dépression, avec une crête qui s’élève devant eux et leur masque toute perspective, à savoir un espace encombré par le troupeau de bisons. C’est ce que réalise, semble-t-il tardivement, le grand lion de tête une fois la crête dépassée. La séquence explique les différences dans le regard des félins du courant inférieur de la composition. Dans cette construction, l’artiste paléolithique manie subtilement le concept suivant : les lions aux trousses des herbivores poussent à leur concentration. Ces derniers acculés, à l’aveugle, se heurtent alors à l’obstacle de la seconde crête autour de laquelle ils s’entassent. À ce stade, l’agglomération des animaux sur le même relief finit par les faire dévier de leur trajectoire. L’imprévu se retourne alors contre l’assaillant. Il se retrouve face à un mur animal, qui ne laisse aucun espace libre et tend même à le refouler. Le seul carnivore qui regarde à droite, le 6 de l’illustration 13, en témoigne. Il vient en opposition au 4. La photographie de l’illustration 15 rapporte cette séquence. À l’étage supérieur de la composition, les félins dessinés sont moins spectaculaires. Leurs silhouettes, à l’exception de celui de tête, sont sommaires. Le personnage en question ne paraît pas déranger le bison qui lui est accolé. L’animal a la bouche ouverte, une langue pendante traduit son essoufflement, son image peut prêter à sourire (Illustration 16). Il ne renvoie pas en tout cas celle d’un tueur sur le point de saisir sa proie. Ses mâchoires dépourvues de crocs semblent le confirmer. Il est important d’observer que sur les quelque 80 spécimens représentés dans la grotte, seuls deux d’entre eux découvrent leurs redoutables canines. Le constat pose la question de la véritable fonction de l’animal dans la scénographie de Chauvet. L’approche de Marc Azéma est différente, elle souligne au contraire l’air redoutable de la représentation : « Le Panneau des Lions est très connu avec ses 16 félins poursuivant un troupeau de bisons. Certains grognent, 51

d’autres rugissent. Ces actions individuelles s’associent dans un mouvement de course vers la gauche. Le dynamisme des attitudes paraît augmenter de droite à gauche, les têtes se tendent vers l’avant, jusqu’à se déformer au fur et à mesure que les prédateurs se rapprochent de leurs proies ». De l’image à la narration graphique à l’Aurignacien, 2013.

Illustration 16 : Dessin. Lion essoufflé du courant supérieur et tête de bison.

Le problème dans l’interprétation du préhistorien est que la charge des félins sur les herbivores ne produit aucune victime repérable dans la composition ou alors il faut l’imaginer. Alain Testart fait la même remarque, il n’observe aucun félin s’abattant sur sa proie et que s’il y a action de chasse elle ne l’est que de « façon allusive ». Nous sommes du même avis, la « scène de chasse » est une allégorie qui puise dans l’observation de nature, en particulier dans l’organisation en meute des félins autour d’un troupeau d’herbivores. Une stratégie qui ne produit apparemment pas le résultat attendu, sinon la déviation à gauche des bisons sur l’arête rocheuse. Carole Fritz responsable de l’équipe scientifique sur le site soutient également la thèse de la prédation. Elle l’interprète comme un mouvement observé dans la nature, lorsque les bêtes affolées sous la pression des prédateurs dévient brusquement de leur trajectoire. C’est une explication mais qui passe sous silence la forme du relief et sa fonction dans la construction graphique. Dans les études sur 52

l’art des cavernes, il n’est pas possible de raisonner comme on le fait sur une feuille blanche. Or, c’est le cas ici. Il semble plus pertinent et conforme à ce que l’on sait de la production artistique du Paléolithique supérieur de soutenir que c’est la forme du relief qui impose, sous la pression du prédateur, le changement de direction aux herbivores (illustration 17). Puisque nous pensons avoir affaire à une allégorie, il est même possible de pousser plus loin dans cette direction et considérer l’ensemble de la cohorte animale, félins et bisons confondus. Ils sont dans le même élan dynamique et se précipitent irrésistiblement sur l’obstacle qui se dresse devant. C’est peut-être la question que se pose déjà d’un œil interrogateur le félin de tête du courant inférieur. Sur la puissante arête rocheuse où défilent les quatre bisons vus de face, il reste à s’intéresser à la présence de trois petits profils de mammouths curieusement emboîtés les uns dans les autres. Ils sont alignés parallèlement à la ligne de crête, indice de leur implication dans le volet droit du Grand Panneau.

Illustration 17 : Dessin. Bisons vus de face sur la crête rocheuse. Mammouths emboîtés alignés sous le relief sur le montant droit de la niche centrale. En vue 3/4 avant les autres bisons amorcent leur dérive à gauche.

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Pour ceux des observateurs convaincus par l’hypothèse de l’épisode de chasse, les pachydermes ne sont pas pris en compte. Considérés isolément, ils font l’objet de deux versions interprétatives. La première consiste à penser qu’il s’agit de trois individus. L’autre préconise la figuration d’un seul sujet représenté en mouvement. Une construction graphique comparable se trouve dans la salle Hillaire sur le panneau du Cheval gravé. Il présente deux mammouths emboîtés l’un dans l’autre, gravés sur l’argile molle du support. Il en ressort selon nous l’idée du dédoublement plastique de la même silhouette sur une surface déformable. C’est un autre aspect de la dialectique entre le support et la figuration à Chauvet. Sous l’arête transversale du panneau des Lions on est ainsi enclin à privilégier l’hypothèse d’un seul sujet dont le profil se dilate ou se rétrécit suivant trois paliers successifs. Il n’est pas fondamental pour notre propos de trancher sur cette problématique. Dans son développement maximal, l’échine du mammouth s’adosse à la crête rocheuse sur laquelle s’agglutinent les bisons. Le « gros dos » traduit la résistance du relief à la déferlante des animaux car la pression qui s’exerce sur lui est théoriquement énorme. Inversement, la contraction des profils est la marque de l’affaiblissement du barrage rocheux. On est porté en définitive à considérer les deux solutions. Elles révèlent les variations de la pression du flux animal au cours de son défilement sur l’éminence calcaire. Dans la nature, à l’époque de la décoration de Chauvet, deux espèces parmi la grande faune incarnent des forces indépassables. Il y a le mammouth et le rhinocéros laineux. Ce dernier est bien représenté dans la caverne, en particulier à travers sa capacité de percussion mise en exergue dans le fameux combat des rhinocéros de la salle Hillaire (illustration 18).

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Illustration 18 : Dessin. Combat de rhinocéros de la salle Hillaire. Un soin particulier est attaché au dessin de la corne antérieure du sujet de droite qui paraît s’ouvrir en deux sous le choc.

La problématique de la signification du Grand Panneau dans la salle du Fond passe inévitablement par la fonction, le rôle dévolu aux acteurs principaux de l’œuvre, plus particulièrement celui du fauve. Dans la proposition formulée on cerne bien son identité mais moins bien son action si elle n’est pas exactement liée à la chasse. Celle du bison est plus claire, il fait figure de proie sans faire cependant fonction de victime. Nos précédents travaux dans la salle Hillaire conduisent à penser à une possible relation du félin avec l’écoulement de l’eau dans la caverne. La scène qui le concerne se déroule dans l’alcôve des Lions où deux prédateurs, le mâle et la femelle, sont représentés tête bêche. À l’approche de son partenaire, la lionne semble grogner et émettre un son. Il se trouve qu’à cet endroit précis, à la grande surprise de l’équipe scientifique au travail, l’eau jaillit par intermittence du fond de l’alcôve. L’écoulement se produit lors de fortes précipitations sur la région. Il est dû au réamorçage d’une source souterraine. D’après les préhistoriens qui ont assisté au phénomène, le gargouillement de l’eau à travers la roche est impressionnant. On peut penser que la présence et le grognement de la lionne sont en rapport. À Chauvet l’intérêt des Paléolithiques pour la circulation de l’eau dans le souterrain se révèle encore dans une étrange construction. Dans la galerie des Cierges, deux grosses dalles de pierre sont volontairement alignées pour former d’énigmatiques bassins de rétention des eaux de ruissellement. À cet endroit, l’argile du sol a servi pour réaliser

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l’étanchéité du dispositif. Il n’y a aucune explication à cette réalisation, il est douteux qu’elle soit utilitaire. Ces données restent néanmoins insuffisantes à caractériser la destination des fauves de la grotte d’autant que la relation de l’espèce à l’élément liquide ne passe pas pour un point fort de son comportement dans la nature. Elle est peu attirée par l’eau mais peut suivre son cours à l’affût de proies venant s’y abreuver. À 70 km plus au sud dans le département du Gard, à 15 km de Nîmes, il est une caverne ornée inscrite dans un paysage qui rappelle le cirque d’Estre. Nous sommes dans les gorges du Gardon. Baume-Latrone s’ouvre en altitude sous le plateau au flanc de la falaise qui domine la rive gauche du Gardon (illustration19).

Illustration 19 : Baume-Latrone domine ce type de paysage où le Gardon sinue en méandres serrés.

La rivière qui descend des Cévennes creuse au fil du temps l’épaisseur du massif calcaire sur plusieurs centaines de mètres. De Russan à Collias, soit environ 15 kilomètres, elle façonne un paysage spectaculaire où sinue le cours d’eau en méandres serrés bordé de hautes falaises blanches. Chauvet et Baume-Latrone dominent des paysages remarquablement semblables. Une analogie qui n’a pas échappé aux préhistoriens.

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Les œuvres pariétales du site gardois sont découvertes en 1940. Elles se trouvent au plafond d’une vaste salle située à plus de 200 mètres de l’entrée. Le souterrain est profond et difficile d’accès. Sa décoration principale forme panneau et comporte une vingtaine d’animaux pour la plupart réduits à des dessins schématiques. Ce sont majoritairement des mammouths. On y compte également un rhinocéros avec, au centre de la composition, la curieuse image d’un long félin filiforme (Illustration 20).

Illustration 20 : Composition centrale de la grotte de Baume-Latrone.

Les animaux représentés sont réalisés avec les doigts chargés d’argile rouge, une technique unique dans l’art des cavernes. La découverte de Chauvet en 1994 motive le regain d’intérêt des préhistoriens pour la grotte en raison de sa possible contemporanéité avec cette dernière au plan de la thématique et du style. En 2010, la datation radiocarbone d’un charbon de bois retrouvé au sol confirme l’intuition des chercheurs. Baume-Latrone affiche un âge de 30 000 ans, le site se rattache à la culture aurignacienne. Henri Breuil, toujours intéressant à suivre dans ses commentaires, présente son bestiaire dans les termes suivants : « On y distingue six ou sept éléphants (1,10 m à 1,50 m) un rhinocéros d’une exécution sauvage (0,60 m). Plusieurs éléphants sont à trompes zigzaguées, et, trois fois, leurs 57

défenses sont figurées en perspective tordue. Entre eux est allongé un grand serpent de 3,10 m de long à corps ondulé qui s’incurve en bas, puis en avant : sa tête ressemble à un crâne d’ours aux dents menaçantes, mais avec une langue ». 400 siècles d’art pariétal, 1952. Cette lecture est depuis corrigée. La créature est armée de crocs sur les deux mâchoires et ne peut correspondre à l’ordre du serpent qui ne comporte que deux crochets sur la mandibule supérieure. Faut-il pour autant en évacuer l’idée car on peut dire que le dessin tient autant du félin que du reptile. Il emprunte au félin les crocs et la langue et au reptile l’ouverture exagérée des mandibules, une tête plate et un corps filiforme muni d’appendices dont on peut se demander s’ils sont des membres. Le sujet est indiscutablement imaginaire, il ne correspond à aucune observation de la réalité. Il est hybride, vraisemblablement destiné à illustrer l’élément d’un récit mythique. S’il s’inspire pour partie de l’image du serpent comme supposé, un rapport vient à l’esprit. L’idée puise dans une dimension du paysage qui se découvre depuis le porche de la caverne. Il s’agit du cours méandreux du Gardon dont l’illustration 19 donne un bon aperçu de sa ressemblance avec un mouvement de reptation. À L’appui de ce rapprochement, des commentaires d’ethnologues de par le monde confirment qu’au sein de populations traditionnelles il existe des croyances liées à certaines particularités géographiques d’un territoire. Le témoignage de Claude Levi-Strauss à cet égard est intéressant : « L’Amérique du Nord offre aussi des exemples de géographie mythique et de topographie totémique, depuis l’Alaska jusqu’en Californie ainsi que dans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest du continent ». La pensée sauvage, 1962. Il n’est donc pas extravagant de supposer que l’image du lion-serpent d’eau soit une allégorie de la rivière qui se trouve au pied de la falaise où s’ouvre le souterrain. Si le parallèle est à mener avec prudence, il ne contredit pas certaines données de la composition : une créature d’envergure placée au centre du dispositif graphique. C’est aussi le rang occupé par la rivière dans le paysage. Son hostilité apparente, son aspect menaçant sur le plafond de Baume-Latrone, ressort dans les gorges aux moments de grandes crues comme c’est le cas au Pont d’Arc. Dans la même perspective, les semblants de membres du lion-rivière deviennent des ruisseaux confluents se jetant dans le cours d’eau. L’utilisation de l’image

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du fauve dans la caverne devient la traduction des flots en colère dans la réalité. Plusieurs représentations de fauves dans la grotte Chauvet ont le même aspect filaire que la créature de Baume-Latrone. Il y a le lion dont le corps marque la séparation entre les deux étagements de prédateurs sur le Grand Panneau et juste en face l’inscription au revers du pendant de la Vénus de deux autres que l’on peut qualifier de lions-anguilles. L’appellation n’est pas trop forte. À présent, la nature allégorique de la meute des lions à Chauvet se précise. Dans la scène de chasse leur séparation en deux courants illustre dans la réalité les deux courants qui se forment lors des fortes crues de l’Ardèche, lorsque les flots viennent se heurter à l’arche de pierre en forme de mammouth qui n’est plus en mesure d’absorber la totalité du débit des eaux. Le barrage fait alors se déverser le trop-plein en un puissant courant dévié vers la gauche, dans le méandre abandonné. Sur le mur de la salle du Fond, c’est le sens vers lequel sont précisément détournés les bisons à l’approche et au contact de l’arête rocheuse disposée en travers de leur axe de défilement et sous laquelle sont disposés les trois profils de mammouths emboîtés qui ne font qu’un. Ils sont orientés comme on l’attend puisque le profil du mastodonte ne se découvre que du côté aval sur l’arche de pierre. Dans la construction graphique, arête rocheuse et mammouth forment le Pont d’Arc. En vérité, on comprend que l’ensemble du modelé rocheux du volet droit du Grand Panneau concourt à la même représentation allégorique. Il forme creux et crêtes de vagues emportant dans un flux irrésistible toute la cohorte animale, herbivores et carnivores confondus. Dans la composition, les bisons sont des proies factices destinées à attirer les fauves, ce sont des leurres et il n’est pas étonnant de ne dénombrer aucune victime dans leurs effectifs. Dans la nature l’herbivore véhicule l’image des grands rassemblements. Il inspire l’idée de quantité, de multitude, de grouillement voire de pagaille. Ses troupeaux s’ordonnent en rangs serrés pour échapper à la menace quand elle se présente. La formation prédateur-proie est une parodie au service d’un récit relatif à un phénomène naturel violent et dangereux. Il reste présent dans les mémoires pour devenir ensuite légendaire. La rivière a connu par le passé des crues spectaculaires, des débordements importants que révèlent les études de son remblaiement 59

alluvial. D’après les estimations, certains de ces évènements dépassent de plus de 20 mètres le niveau actuel. L’éventualité d’une submersion totale de l’arche au cours d’un phénomène extrême est-elle envisageable ou a-ton pu simplement l’imaginer ? C’est en tout cas ce que laisse entendre le dessin d’un grand bison qui jaillit au-dessus de la crête rocheuse qui fait barrage (illustration 21). Il fait suite à la branche supérieure de la meute des lions, du côté le plus faible du déversement des eaux. On ne le saura peut-être jamais. Au terme du chapitre sur l’art Aurignacien, Chauvet présente encore une œuvre incontournable qui suscite toujours l’intérêt des spécialistes. On ne quitte pas le Grand Panneau puisqu’elle en occupe le volet gauche. Il s’agit de l’image très connue du rhinocéros aux multiples profils. Il appartient à un groupement unique de l’animal dans l’art pariétal : la concentration d’une dizaine d’individus représentés sur la paroi.

Illustration 21 : Grand Panneau, partie centrale. Un grand bison est figuré jaillissant au-dessus de la crête rocheuse faisant barrage au défilement du troupeau d’herbivores en limite du volet droit. Photographie : Auteur Claude Valette. Licence Creative Commons Attribution.

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Son interprétation se résume à deux thèses. L’artiste paléolithique dessine un seul animal en mouvement ou bien plusieurs sujets représentés dans la profondeur du champ graphique (illustration 22).

Illustration 22 : Dessin. Rhinocéros aux multiples profils. Volet gauche du Grand Panneau.

Jean Clottes qui étudie l’œuvre in situ en donne la version suivante : « Les cornes ont été mises délibérément en perspective spatiale. Les artistes ont dessiné d’abord le rhinocéros central avec sa corne, puis ils ont mis en avant deux grandes cornes, plus grandes que nature, ce qui est normal puisqu’elles sont plus proches de nous et les quatre cornes des autres de plus en plus petites. L’artiste n’ayant pu représenter les lignes de dos dans la même perspective puisque c’est impossible a fait des lignes de dos plus grandes que nature... ». Séance du 10 octobre 2010, Académie des beaux-arts de Paris. Le préhistorien en conclut à la représentation d’un groupe d’une demi-douzaine de rhinocéros côte à côte projetés en perspective. Dans son analyse de la géométrie de l’œuvre l’auteur postule que le rhinocéros central n’occupe pas le premier rang dans l’enfilade mais que ce sont les deux grandes cornes. On sait par l’étude de la superposition des tracés qu’elles sont d’exécution postérieure à celle du rhinocéros central. Chez lui le contour de la bouche a été surligné par la gravure, le 61

trait venant recouper le tracé charbonneux de la corne de devant. Ce détail confère de fait au rhinocéros central une position de premier plan ce que Jean Clottes considère probablement comme non significatif. Par ailleurs, le rattachement des deux cornes de devant au premier plan implique de les considérer comme appartenant aux sujets les plus grands de l’enfilade même en l’absence de représentation des corps. L’analyse en question de la géométrie de l’œuvre devient incompréhensible puisque des deux sujets les plus grands on passe au sujet central plus petit pour retrouver derrière des corps plus grands dans la profondeur. À l’exception des dessins des cornes, ceux des corps sont un défi à la perspective linéaire, paradoxe que règle Jean Clottes en faisant intervenir l’impossibilité pour l’artiste de dessiner des lignes de dos dans la même perspective. Il est embarrassant d’adhérer à une explication qui oscille entre vraie et fausse perspective. L’autre problème en suspens est d’accorder comme on le propose une place de premier plan au rhinocéros central. Sa corne doit dominer les autres, or ce n’est pas le cas. Devant l’échec de la coordination des tracés entre eux, on en vient à considérer la représentation d’un seul animal en mouvement. Dans cette hypothèse, les multiples tracés autour du rhinocéros central muni de sa corne frontale sont naturellement sur le même plan. Le montage graphique ainsi perçu est cohérent avec celui d’autres animaux aux profils emboîtés présents dans la grotte. On les interprète comme représentant un seul sujet, les mammouths en particulier. Dans le cas présent, l’animal propose une curieuse gestuelle : sa corne se démultiplie en se réduisant à l’avant tandis que son corps dans l’agitation prend du volume à l’arrière avec de singulières différences. En effet, le rapport de longueur entre la plus petite défense et la plus grande est de l’ordre du simple au double, tandis que l’enveloppe corporelle se dilate dans des proportions bien inférieures. Tout semble se passer comme si ces deux parties du dessin fonctionnaient indépendamment l’une de l’autre. Elles appartiennent pourtant au même individu. Sur le support rocheux, le pachyderme est dessiné dans une concavité sensiblement circulaire. La tête est au centre et la plus grande corne à son extrémité est tangente à la rotondité du relief dont elle épouse la 62

courbure. Les autres adoptent la même forme plus profondément dans la dépression. C’est « l’effet rhinocéros » identifié dans nos travaux précédents sur la grotte. Il se base sur l’idée selon laquelle l’animal par sa capacité de percussion dans la nature est en mesure par transposition dans l’iconographie pariétale d’interagir avec son support et d’en modifier la forme, ici l’évidement de la concavité où il se trouve. En d’autres termes, sur le dessin, la corne fonctionne comme un outil destiné au creusement de la pierre. C’est l’explication à son raccourcissement progressif dans le montage graphique, elle se comporte à la manière d’une pointe de silex qui s’use par frottements répétés sur la pierre. Un tel labeur est concordant avec les multiples lignes corporelles dessinées sur le mur. Elles traduisent l’ardeur à la tâche de l’individu. Il y a fort à parier que l’œuvre ne reproduit pas l’observation de la nature. Une telle enfilade d’animaux ne peut découler que d’une construction imaginaire. Elle s’inscrit aussi dans un contexte plus large que celui du Grand Panneau de la salle du Fond à Chauvet. Notre traduction est-elle la bonne ? On l’ignore. Il est sûr en revanche qu’elle répond, après observation du sujet, aux données du dessin. C’est un progrès. Au sein du bestiaire aurignacien se retrouvent des invariants ou plutôt des données graphiques relativement stables qui caractérisent cette culture. Elle est marquée par la présence quantitativement importante des animaux dangereux ou spectaculaires : lions, rhinocéros, ours, mammouths. C’est le cas à Chauvet, Baume-Latrone, Arcy-sur-Cure, Aldène, Coliboaia pour les grottes ornées. L’art mobilier du Jura Souabe traite des mêmes thèmes animaliers. La tendance s’infléchit au Gravettien. Il se dégage des versions de Chauvet et Baume-Latrone que l’on vient d’exposer le rapport intéressant de leur bestiaire au territoire où s’inscrivent les deux cavités. L’implication qui en découle est la suivante : pour être représentatif d’un lieu, l’animal figuré doit logiquement, nous argumentons plus loin sur ce point, ne pas lui être totalement étranger, il doit peu ou prou incarner une dimension locale, même s’il existe des exceptions. Lascaux en est un bon exemple. La grotte Cosquer située dans les Calanques près de Marseille permet d’aller dans le sens de cette proposition. À côté d’animaux terrestres 63

peints et gravés, la faune représentée fait apparaître des pingouins, des phoques, des poissons, des méduses... autant d’espèces rarement figurées dans les grottes. Le souterrain aujourd’hui ennoyé par la montée des eaux, s’ouvre au paléolithique sur un front de mer. Dans le sud de l’Espagne, près de Malaga, deux autres cavités littorales, La Pileta et Nerja attestent de la même singularité avec la présence d’une faune marine dans leur décoration.

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IV. Les grottes ornées au Gravettien (28 000 -22 000 BP)

Il n’y a pas de réelle césure entre l’aurignacien et le Gravettien, on parle volontiers de cycle aurignaco-gravettien. À la fin de l’interpléniglaciaire, en même temps que s’éteignent les derniers Néandertaliens, les Aurignaciens achèvent de coloniser une grande partie de l’Europe. Il ne faut pas s’imaginer des occupations territoriales très denses. Le contingent des populations humaines sur d’aussi vastes étendues est très faible, il est toujours évalué à quelques dizaines milliers d’individus seulement. Il va rester peu élevé encore longtemps car au stade de l’OIS 2 la péjoration climatique qui conduit au maximum glaciaire (22 00017 000 BP) provoque le cloisonnement de la culture gravettienne qui se répartit alors entre Europe centrale et occidentale. Au cours de cet épisode très froid du stade isotopique 2 le reflux massif des populations vers le sud ne favorise pas la démographie humaine, d’après les estimations elle est même amputée d’une bonne partie de ses effectifs. À l’occasion du colloque Le Gravettien : entités régionales d’une paléoculture européenne en 2004, le préhistorien Jacques Jaubert présente une liste de sites pouvant se rattacher au Gravettien. Il la divise en trois parties. Gravettien quasi certain : 15 sites sont concernés dont les plus connus sont, la grotte Chauvet Pont d’Arc, Cosquer, Pech-Merle, Cougnac, Gargas. Pour Chauvet c’est la datation d’un mouchage de torche sur la

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paroi qui fait foi. Il s’agit d’une incursion dans la caverne postérieure à la réalisation des dessins. Gravettien très probable : 13 sites sont concernés parmi lesquels, Le Portel, les Trois-Frères, Enlène et 5 grottes quercynoises. Gravettien discuté : 15 sites dont Lascaux qu’il convient certainement d’écarter en raison d’une datation récente qui rattache la grotte au Magdalénien. Les critères d’attribution chronologique de Jacques Jaubert reposent sur la datation directe des œuvres par le radiocarbone et sur la datation des niveaux archéologiques associés aux dispositifs ornés ou encore sur la datation de niveaux d’occupations plus éloignés non directement en relation avec l’art pariétal. Lorsque la datation absolue est inutilisable, la chronologie stylistique reste en vigueur. Au bilan, pour la France, certaines aires culturelles apparaissent plus « gravettiennes » que d’autres. L’étude statistique des espèces représentées dans l’art pariétal et sur les objets mobiliers permet également d’établir des courants artistiques pouvant être contemporains. Pour la période aurignaco-gravettienne qui nous intéresse François Djindjian identifie trois iconocénoses (bestiaire représenté) dont voici les deux plus précises : Iconocénose 1 : dans 60 % des cas, le bestiaire figuré est dominé par l’association mammouth-rhinocéros-félin-ours, animaux correspondant à une zoocénose (animaux sur leur territoire) continentale : Europe occidentale, centrale et orientale. Iconocénose 2 : dans plus de 50 % des cas on retrouve l’association cheval-bison-aurochs-mammouth. La zoocénose couvre la façade atlantique de France : Pyrénées, Périgord, Quercy, Centre/Ouest, Ardèche. L’étude de la thématique de l’art paléolithique permet d’autres avancées. Le phénomène des mains négatives sur les parois des grottes caractérise ses phases anciennes comme la statuaire féminine du sud-ouest de la France que l’on retrouve jusqu’en Ukraine, preuve d’une spectaculaire unité culturelle à l’échelle du continent pour la période considérée. C’est à hauteur de l’aire régionale qu’il est préférable d’aborder ce chapitre sur l’art des grottes au Gravettien pour la raison évidente de se 66

donner les meilleures chances d’avoir affaire à des traditions culturelles connectées entre elles. Le Quercy présente cet avantage de compter une densité élevée de sites rattachés à la même période du Gravettien. On y dénombre une trentaine de cavités ornées avec des centres majeurs comme Pech-Merle et Cougnac. Des plus importantes aux plus modestes, une quinzaine d’entre elles, datées par différentes méthodes appartiennent au Gravettien. Un choix aussi guidé par l’abondante documentation dont elles font l’objet. On la doit aux travaux du préhistorien Michel Lorblanchet auxquels se rapportent la plupart de nos sources d’information et nos illustrations. Le chercheur est à l’origine de relevés inédits, de l’expérimentation des techniques d’exécution utilisées par les Préhistoriques dans la décoration pariétale et de publications d’un haut niveau scientifique. Par commodité de lecture lorsqu’il est cité dans nos développements, l’ouverture de guillemets suffit à l’identifier. Dans l’étude à suivre, l’environnement physique des grottes quercynoises (géographie, géologie, hydrologie...) figure en bonne place. Le concept de territoire n’est pas étranger à cette orientation. Une grande partie de l’œuvre scientifique de Michel Lorblanchet qui couvre 40 ans de recherches, principalement en Quercy, est contenue dans L’art pariétal. Grottes ornées du Quercy, ouvrage conséquent paru en 2010 et réactualisé en 2018. À côté de sa conclusion générale, le document est divisé en trois volets dont voici les têtes de chapitre. – Grands sanctuaires archaïques : Pech-Merle, Marcenac, Cougnac, Les Fieux, Roucadour, Les Merveilles. – Petits sanctuaires archaïques : Combe-Nègre, Travers de Janoye, Mayrière Supérieure, Cantal, Cuzoul des Brasconies, Les Escabasses, Moulin de Laguenay, Foissac. La troisième partie est consacrée aux sanctuaires magdaléniens. Dans le sud-ouest de la France les causses du Quercy couvrent le département du Lot et la moitié nord du Tarn-et-Garonne sur les contreforts du Massif central. C’est une région de plateaux calcaires culminant à moins de 500 mètres d’altitude et déclinant progressivement vers la vallée de la Garonne (illustration 23).

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Illustration 23 : Cartographie des causses du Quercy avec situation des grottes de Pech-Merle et Cougnac.

Dans ses plus grandes dimensions ce territoire atteint 100 km de long pour 80 de large. Les rivières qui descendent du Massif central vers la plaine de la Garonne creusent d’Est en Ouest les vallées encaissées de la Dordogne et du Lot. Elles fracturent le socle rocheux en diverses unités que sont les causses de Limogne, de Gramat, de Martel pour les plus importants. Le socle calcaire s’est formé au cours du Jurassique, il y a plus de 150 millions d’années. Au cours du temps il subit des fractures de nature tectonique. L’érosion par les eaux de pluie et le ruissellement forment le relief karstique. En souterrain (endokarst), suivant l’épaisseur du socle rocheux, les morphologies minérales sont variables. L’érosion de la roche par l’eau est 68

due principalement à l’effet de corrosion (dissolution chimique), et secondairement à l’effet d’abrasion (usure mécanique par les éléments transportés). Elle forme grottes et galeries souterraines. Quand les ruisseaux et les eaux de pluie glissent en surface sur des terrains non karstiques pour ensuite entrer au contact de terrains perméables, il se produit le phénomène d’enfouissement, on parle aussi de perte. Naturellement les nombreux gouffres et diaclases qui perforent les causses sont des collecteurs des eaux de surface. La circulation souterraine des eaux peut atteindre plusieurs kilomètres avant de rejoindre les rivières. Il y a résurgence à la lumière du jour. En grotte, la percolation des fluides à travers la roche poreuse entraîne la formation de concrétions : stalagmites, stalactites, draperies, fistuleuses, gours... Le cycle décrit entraîne l’aridification des plateaux. Leurs milieux sont austères, couverts de sols squelettiques qui ne tolèrent qu’un couvert végétal de petite taille et de rares cultures. Les causses sont mieux adaptés à l’élevage des moutons. Mais ils ne présentent pas le même aspect partout. Les causses de Martel et de Limogne conservent un important manteau de formations argilo-sableuses alors que le causse de Gramat en est dépourvu, laminé par l’érosion. Cette géologie lui confère davantage d’aridité et laisse découvrir plus qu’ailleurs ses formes karstiques de surface. En surface (exokarst), le relief karstique se caractérise par de nombreuses dépressions parmi lesquelles les dolines, dépressions de forme plus ou moins circulaires. En Quercy elles prennent le nom de cloups. Il existe des mégadolines pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres d’envergure ainsi que des dolines-puits. Les ouvalas sont constitutives de l’agrégation de plusieurs dolines entre elles. Les gouffres-avens sont également dans le paysage. Il s’agit de puits naturels reliés à des cavités souterraines par effondrement. Ces formations portent localement le nom d’igues. Les vallées sèches et les gorges où s’écoulent les cours d’eau particularisent certains sites avec les lapiés. Ces derniers résultent de l’action des eaux de pluie glissant en ruisselets sur le calcaire, le corrodant jusqu’à creuser des rainures d’écoulement. La disposition de ces cannelures n’est pas anarchique, elle dépend du pendage de la roche et présente un aspect penné. Les champs de lapiés portent le nom de Lapiaz (illustration 24). 69

Illustration 24 : Paysages karstiques. Agence de l’Eau, 1999.

Dans la région, les sols et les sous-sols sont en étroite relation. C’est perceptible au travers de contrastes saisissants. À la référence horizontale des plateaux répondent des accidents géologiques spectaculaires. Ils se comptent par centaines dans le paysage. Cette sensation de communication est alimentée par la densité des souterrains qui se devine sous les plateaux où l’enfouissement général et

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soudain des eaux de surface dans les roches carbonatées est un phénomène propre aux causses du Quercy (illustration 25). Ce territoire se présente au paléolithique sous un aspect quelque peu différent de celui que nous lui connaissons. De nos jours, le couvert végétal plus dense occulte une partie des modelés du sol rocailleux. Dans nombre de cas l’agriculture favorise le colmatage des dépressions. Il y a 25 000 ans il reste à imaginer des paysages couverts de végétation rase de type steppique. Elle permet la perception directe de l’élément minéral où les artistes gravettiens jugent bon d’imprimer leurs marques.

Illustration 25 : Répartition des cavités souterraines recensées dans le département du Lot. Bureau de Recherches Géologiques et Minières, 2007.

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a. Grotte de Pech-Merle Au sud du causse de Gramat, un peu en dessous de 300 m d’altitude, la caverne creuse une colline dominant les confluents du Lot, du Celé et de la Sagne. Le réseau souterrain se partage entre des salles et des galeries larges aux voûtes souvent élevées couvertes de riches concrétions calcaires. Il totalise 1 500 mètres de développement. La grotte de Pech-Merle occupe une place de premier plan dans le groupe des cavités ornées du Quercy. On y recense plus de 600 motifs peints ou gravés. Les animaux les plus fréquemment représentés sont les mammouths, les bisons, les chevaux, les aurochs... Les figurations humaines sont au nombre d’une dizaine, les signes sont majoritaires. Une datation carbone 14 opérée sur le pigment de l’un des deux célèbres Chevaux ponctués donne un âge de 24 600 BP vieillissant de plusieurs milliers d’années l’estimation d’André Leroi-Gourhan qui rattache l’œuvre d’après sa chronologie stylistique à la fin du Solutréen au début du Magdalénien. Avant lui, Henri Breuil voit donc juste en l’attribuant au Périgordien (Gravettien). Dans son ouvrage de référence Michel Lorblanchet présente ainsi la caverne : « La grotte de Pech-Merle est formée de deux étages de galeries se développant au total sur plus de 1,5 km en communiquant par des puits et des boyaux en pente. A. Des galeries supérieures s’ouvrent à l’extérieur par un petit puits vertical qui est la seule entrée de la caverne. C’est par elle que pénètrent les premiers explorateurs en 1922. B. De vastes galeries inférieures... à peu près à l’horizontale ». L’art pariétal est exclusivement présent dans les galeries inférieures. L’étage supérieur reste ignoré des Paléolithiques ce qui pose le problème de leur point d’entrée dans le souterrain (illustration26). À ce propos, il est intéressant de se reporter au récit de la découverte en 1922 par son inventeur André David. En voici un résumé : il rapporte qu’au début du siècle dernier les gens du pays ont coutume de combler les trous du causse par de grosses pierres afin d’éviter que les hommes, les bêtes des troupeaux ne tombent dedans. Celui de Pech-Merle est resté ouvert. En 1906, à la suite d’un orage, son père et Garrigue, un voisin, s’y réfugient. Sous leurs pieds, ils observent que les pierres dévalent 72

profondément dans le sous-sol. Peu de temps après, Garrigue et un géologue présent dans la région opèrent une première descente dans l’igue au fond de laquelle ils découvrent une salle richement concrétionnée. L’excursion devient une distraction pour les gens du pays. En 1914, après le bris de concrétions obstruant une chatière, la salle rouge est découverte à son tour.

Illustration 26 : Dessin d’après l’illustration de Michel Lorblanchet. Plan de la grotte de Pech-Merle. Le secteur coloré correspond à la partie ornée. 1-salle blanche, 2-entrée naturelle, 3-salle rouge, 4-boyau de la découverte, 5-chevaux ponctués, 6-ossuaire, 7-Combel, 8-accès artificiel moderne, 9-entrée paléolithique, 10-frise noire, 11-salle préhistorique.

En 1919 l’abbé Amédée Lemozi est nommé curé à Cabrerets. L’ecclésiastique s’intéresse à la préhistoire. En 1922, André David alors âgé de 16 ans et Henri Dutertre, l’un de ses camarades, parviennent au cours de l’une de leurs excursions souterraines à la salle rouge. Ils entrevoient la possibilité d’aller plus loin. Quelques jours plus tard, le duo éclairé par des bougies dégage une étroiture et débouche dans le boyau de la découverte. L’abbé Lemozi est alerté et se rend sur place.

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Au mois d’octobre de la même année, avec Dutertre, sa sœur et un voisin, André David poursuit dans la même direction sa prospection des recoins du souterrain. Après le bris de nouvelles concrétions mais encordé cette fois, il s’engage dans une faille dont le sol est en pente descendante. Parvenu au bas du conduit, il débouche dans une grande salle. Le jeune explorateur vient d’atteindre le réseau inférieur où il découvre les premiers dessins préhistoriques, les « Femmes-bisons » puis le panneau des Chevaux ponctués. Pour le retour, afin de s’éviter le fastidieux itinéraire de l’aller, les jeunes gens cherchent l’entrée préhistorique. Il leur semble en effet qu’elle existe quelque part puisque le passage emprunté ne comporte aucune trace de fréquentation antérieure à leur venue. Ils la recherchent vainement en observant cependant qu’un important effondrement de terres et de pierres mélangées venues de l’extérieur a dû l’occulter. En outre, l’éboulis forme obstacle à toute progression vers de nouvelles galeries. La grotte est ouverte au public en 1924 après le creusement près du cône d’éboulis d’un puits artificiel de 10 mètres de profondeur pour faciliter l’accès des visiteurs. En 1949 André David qui ne manque pas de suite dans les idées perce transversalement le cône d’éboulis. Il découvre derrière de nouveaux conduits ornés de peintures baptisés les galeries du Combel. La première monographie de la grotte est l’œuvre de l’abbé Lemozi. Il publie en 1929, La Grotte Temple du Pech-Merle, s’interrogeant toujours sur la localisation de l’entrée préhistorique. Pour Michel Lorblanchet qui étudie longuement les lieux à la suite de l’abbé, toutes les incertitudes sont à présent levées sur cette problématique : « Ce cône, formé de matériaux provenant de l’extérieur, et dont le volume est de l’ordre de 4000 à 5000 mètres cubes, a envahi les galeries sur 180 mètres de longueur,... Ces données nouvelles apportées par nos sondages et nos observations permettent ainsi de préciser les premières remarques de l’abbé Lemozi et de conclure catégoriquement que l’entrée paléolithique de Pech-Merle correspond au sommet du grand éboulis ». Le profil en long du secteur orné (illustration 27) calqué sur celui du préhistorien correspond à la zone fréquentée par les humains au paléolithique. 74

Illustration 27 : Dessin d’après l’illustration de Michel Lorblanchet : profil en long du secteur orné de Pech-Merle. La partie grisée correspond au cône d’éboulis de la cheminée d’entrée. 1-entrée préhistorique, 2- Le Combel, 3-entrée Ossuaire, 4-Frise Noire, 5-chevaux, 6-galeries occidentales.

C’est la partie grisée sous la cheminée d’entrée que perce et traverse André David en 1949 pour parvenir aux galeries du Combel. La cheminée artificielle d’entrée pour la visite touristique se situe dans ce secteur. La communication au paléolithique entre les deux espaces, Le Combel et les galeries occidentales, suscite naturellement l’intérêt du chercheur. Il en propose deux versions. Dans la première, le cône d’éboulis scelle l’ouverture du côté du Combel alors que le passage reste possible vers les galeries occidentales. Le décalage est dû à la dissymétrie de l’éboulement : le versant est plus court et plus raide vers Le Combel. L’hypothèse s’appuie en outre sur les différences de style de certaines œuvres observées entre les deux espaces. La seconde figure plus loin dans le document de référence, au chapitre Conclusion : « Une autre hypothèse peut également être avancée : celle du maintien en service de la totalité du sanctuaire d’Est en Ouest, pendant toute la durée du fonctionnement. Dans la longue histoire de Pech-Merle pour vérifier l’une ou l’autre de ces hypothèses, les données géologiques nous manquent encore et nous ne connaissons pas suffisamment le rôle joué par les ours ». Le préhistorien propose une chronologie des œuvres de Pech-Merle suivant deux dispositifs pariétaux distincts : un ensemble archaïque recouvrant à la fois les galeries occidentales et Le Combel et un ensemble plus récent exclusivement occidental. Mais il se montre prudent sur cette division qui touche l’essentiel de l’iconographie du souterrain : « Contentons-nous de remarquer sa présence dans divers ensembles gravettiens et dans les deux premiers sanctuaires que nous distinguons à Pech-Merle ce qui montre que ces deux sanctuaires appartiennent à la 75

même culture et ne sont sans doute pas séparés par une distance chronologique énorme ». Dans ce passage, le terme « présence » est relatif au cercle échancré. Cette graphie appartient à la catégorie des signes figurant dans la décoration. Le thème de la succession des œuvres dans le temps nous donne l’occasion d’aborder une représentation qui figure parmi les plus énigmatiques de l’art des cavernes qui, à ce jour, après un siècle de questionnements n’a toujours pas trouvé d’explication convaincante. Dans sa chronologie des œuvres Michel Lorblanchet la situe parmi les plus récentes. Il s’agit du célèbre « Homme blessé » de Pech-Merle dont la réalisation, selon nous, s’inscrit assez tôt dans la décoration de la caverne comme on va le voir. Le même thème est connu à Cougnac. Il est propre au Quercy. La problématique délicate que pose « l’Homme blessé » tient pour partie à sa rareté, et à son association à Pech-Merle au signe dit « aviforme » ou encore « tectiforme à cheminée » que l’on retrouve aussi à Cougnac. C’est suffisant pour admettre que les deux cavernes sont culturellement proches l’une de l’autre. Le personnage en question est dessiné à l’ocre rouge au plafond d’un réduit, à l’écart de la salle préhistorique. Un endroit que Michel Lorblanchet qualifie de secret. Nous lui préférons le terme « retiré ». Son relevé est précis, il correspond à l’observation minutieuse du sujet : il mesure 0,55 m de long, sa tête est munie de deux yeux, il possède deux bras trop courts, deux jambes sans pied, un sexe allongé. La figure masculine ne manque pas de touches réalistes (illustration 28).

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Illustration 28 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. « L’Homme blessé » de Pech-Merle. Le tracé noir figure le bord du support rocheux, il n’apparaît pas sur le relevé du préhistorien.

« Huit traits convergent vers le corps de l’individu. La plupart s’interrompent après avoir légèrement pénétré le contour, ce qui montre qu’il s’agit bien de projectiles fichés dans le corps plutôt que la représentation d’un très hypothétique personnage « rayonnant » parfois envisagé. Ces huit traits représentent-ils huit ou plus simplement quatre projectiles ? ... ». L’essentiel

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de l’interprétation du sujet est ici écrit. C’est l’origine de l’appellation de l’œuvre dans la littérature spécialisée. Les signes quant à eux sont simplement décrits : « Trois signes aviformes, également rouges, sont rattachés à la tête du personnage. Le premier est à peu près complet et les deux autres entrelacés, sont tous deux réduits à un angle droit... ». À moins d’un mètre sur le même plafond, un beau spécimen d’aurochs mâle est également dessiné en rouge (longueur 40 cm). Non loin figurent des séries de traits parallèles et un signe énigmatique de la même couleur rouge. Nombreuses sont les publications qui présentent la silhouette humaine transpercée de traits mais dissociée des signes représentés au-dessus. On peut y voir un intérêt principalement centré sur la représentation humaine, rare en grotte, mais aussi la sélection généralement opérée en préhistoire entre motifs abstraits et figuratifs. Un paradigme qui vaut chez de nombreux chercheurs avec pour conséquence l’introduction de deux niveaux de lecture, ici en l’espèce, « l’Homme blessé » d’une part, le motif en forme d’oiseau d’autre part. Une telle approche est un obstacle à une appréciation d’ensemble de l’œuvre. Dans le cas présent il n’est pas indiqué de scinder une expression graphique isolée dans un recoin de la caverne où le plafond ne dépasse pas 1,50 m de hauteur, c’est dire sa discrétion mais incite surtout à l’idée que l’ensemble des tracés forme un tout cohérent. On peut nous opposer l’exemple de Cougnac où les mêmes signes aviformes sont isolés dans une alcôve. Il n’y a pas de contradiction comme nous le verrons plus loin. L’extraordinaire personnage donne lieu à de nombreux commentaires et interprétations. L’abbé Lemozi le baptise « l’archer » probablement en raison de son explication de l’art des cavernes par la magie de la chasse. Henri Breuil voit plutôt la représentation narrative d’une agression. André Leroi-Gourhan parle d’un homme vaincu en précisant que ces figurations « posent de sérieux problèmes que nous ne sommes pas encore capables de résoudre si ce n’est que par des hypothèses qui n’ont guère de fondement ». Les partisans du chamanisme ne sont pas en reste et s’emparent du sujet. David Lewis Williams écrit : « La figure est peinte sur la voûte de ce qui était autrefois un petit diverticule... Neuf lignes sortent de son corps, mais l’une d’entre elles peut figurer un pénis. Une caractéristique importante de cette figure est qu’un des segments dit « en accolade » touche l’arrière de la tête.

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Comme la surface disponible ne manque pas, un tel rapprochement entre la figure et le signe paraît intentionnel ». L’Esprit dans la grotte, 2003. À propos des blessures observées il poursuit : « Abstraction faite de la question de la « preuve », les auteurs qui ont traité des figures d’« homme blessé » s’accordent pour la plupart à considérer que les lignes représentent des sagaies réelles ou magiques. Noël Smith, professeur de psychologie à l’université d’État de New York n’est pas de cet avis. Il pense que les multiples lignes représentent des « forces de vie » qui relient les chamanes aux animaux ». En bref, la version chamanique tend à interpréter une figure qui exprime une parodie de la mort éprouvée par les chamanes le corps transpercé en de multiples endroits au cours de la transe sous l’effet de substances hallucinogènes. À l’instar d’autres approches, la question de la présence des motifs géométriques est éludée. S’il commente peu sur le sujet, Michel Lorblanchet donne son avis sur la thèse chamanique. Dans l’ouvrage collectif Chamanismes et arts préhistoriques, 2006, il fait savoir sa désapprobation de la méthode comparative portant sur les peintures rupestres des San d’Afrique du Sud mis en rapport avec les hommes fléchés du Quercy. Il ne conçoit pas l’image symbolique d’un chamane exprimant son pouvoir spirituel pour se ranger à l’idée du caractère symbolique et non narratif des personnages du Quercy avec pour conclusion : « L’interprétation des « Hommes blessés » proposée par David Lewis-Williams ne paraît donc pas plus convaincante que celle de ses prédécesseurs. En définitive personne n’a apporté d’élément décisif permettant de choisir avec un « bon degré de confiance », entre la magie de destruction, l’exorcisme ou la transe chamanique ». Alain Testart ne formule pas d’interprétation directe sur le sujet. Ses analyses sur l’art des cavernes où la figuration humaine est marginale se veulent globales. Il met l’accent sur son absence autrement qu’à travers des fragments d’humanité selon son expression. Il en reste ainsi à quelques observations techniques : « Terminons cette revue par l’examen des « hommes blessés » ainsi nommés parce qu’ils semblent transpercés de lances sans bonne raison. On ne voit pas, en effet, pourquoi les hommes du paléolithique, qui savaient faire des courbes parfaites pour évoquer le dos des animaux, n’auraient pas été capables de faire en sorte que des lignes tremblotantes représentent des lances ». Art et religion de Chauvet à Lascaux. 79

Dans ce passage l’auteur pointe les anomalies du dessin en particulier la représentation des projectiles qui frappent la silhouette humaine. Il les trouve peu convaincants en tant que tels au regard de leur aspect flottant et de leur manque de rectitude. Il est vrai que l’application de l’artiste dans ces tracés laisse à désirer. À cet endroit le support rocheux ne présente pourtant pas de difficulté. Il est facile de former les lignes droites. Au lieu de cela, ils présentent des inflexions, des courbures peu compatibles avec l’idée d’armes perforantes. Sur ce point nous avons de bonnes raisons de penser qu’il ne s’agit pas de maladresses. Tout à côté, le motif géométrique accolé au personnage comporte des lignes à angle droit parfaitement nettes, vraisemblablement issues de la même main avec le même colorant. L’anthropologue soulève en second lieu la question tout aussi intéressante de l’absence d’agresseur. Le ou les auteurs des frappes ne sont pas présents dans le décor. Il est étonnant que ces difficultés soulignées avec raison fassent l’objet de si peu de commentaires chez les spécialistes. Il est vrai qu’elles obèrent l’explication par les armes. Dans l’hypothèse d’objets perforants, l’appellation « Homme blessé » n’est pas davantage idoine car au vu du dessin il est difficile d’imaginer que le personnage puisse échapper à un sort funeste. On assiste plutôt à une exécution. À la suite d’André Leroi-Gourhan, Alain Testart conçoit dans l’ouvrage précité une théorie des signes de l’art quaternaire : « En dehors des points et des bâtonnets, qui sont des signes sans morphologie élaborée, tous les autres, tectiformes, quadrangles, claviformes, aviformes, flèches, ramifiés etc., se laissent interpréter, par comparaison avec les formes des vénus, comme représentations schématiques de la femme réduite à son sexe, à son ventre ou, au mieux, à l’ensemble de son tronc et de ses cuisses ». Pour le chercheur les signes de l’art des cavernes sont des morceaux de femmes pour la plupart représentés à l’envers. Dans le cas présent puisque l’on a affaire au signe aviforme dessiné audessus de la tête de « l’Homme blessé » il est intéressant de tester cette théorie et de l’appliquer au document de Pech-Merle. Dans son livre Alain Testart décrit assez précisément la genèse du signe telle qu’il la conçoit : « Prenons maintenant la Vénus de Dolní Věstonice : elle possède entre autres propriétés celle, remarquable, de n’avoir pas de sexe marqué, ni même de triangle

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pubien. À l’endroit où on l’attend, il n’existe qu’un T. Je le marque, le retourne et obtiens un aviforme ». Les surprenantes manipulations du chercheur sont basées sur le principe de symétrie que présentent généralement les Vénus, ces statuettes féminines typiquement gravettiennes. On peut regarder avec circonspection le mode opératoire retenu. Il exige un regard sur l’objet très particulier mais il se fonde surtout sur l’idée d’une origine commune des grands signes tout au long du Paléolithique supérieur. Le postulat résiste difficilement à l’observation de la variabilité morphologique des signes suivant les époques et les régions. Suivre Alain Testart dans son argumentation, revient à considérer l’aviforme du recoin de « l’Homme blessé » comme la représentation de la femme réduite à une géométrie. La solution renvoie à un curieux mode de pensée qui associe dans la même composition deux éléments graphiques proches l’un de l’autre, l’homme et la femme, suivant deux modèles différents, l’un figuratif, l’autre abstrait. La motivation d’un tel artifice fait question. Sauf à faire fonctionner son imagination, le montage théorique est une impasse conceptuelle. Dès 1902, Henri Breuil et Louis Capitan proposent de qualifier signes des dessins à formes géométriques comme très certainement contemporains des images animales sur les parois des grottes. La question est alors de savoir si les premiers doivent se ranger dans la catégorie figurative ou bien dans celle du registre symbolique. Il devient un lieu commun de qualifier « signe » tout tracé dont l’intention représentative reste ignorée. Pour les préhistoriens de l’époque la problématique n’est pas centrale, les signes restent le plus souvent ignorés au profit des images d’animaux. Ils viennent ensuite à être considérés comme la représentation d’objets réels : huttes ou pièges pour les tectiformes (signes en forme de toit), massues pour les claviformes (signes en forme de clé), armes de jet pour les angulaires... Ce sont autant de versions qui doivent à l’idéologie dominante du début du siècle soutenue par Breuil, c’est-à-dire la magie de la chasse et de la destruction relayée par des références ethnographiques. De ce point de vue, l’observation de la nature est le point de départ du processus qui conduit à l’apparition de l’art. Son application aux cavernes ne fait que traduire la réalité sensible de l’homme préhistorique. Il pose en outre l’antériorité de la représentation réaliste sur la représentation géométrique 81

perçue en conséquence comme une dérivation vers la stylisation du modèle exact. Dans les années 60, succède à l’interprétation au cas par cas d’Henri Breuil celle plus généraliste d’André Leroi-Gourhan. La distribution des signes est en relation avec leur situation topographique dans la caverne, ils sont des symboles anthropomorphes : « En ce qui concerne la lecture même des signes, je pense que si, au lieu de les assimiler à des objets, au gré de faciles réminiscences ethnographiques on les avait traités comme des symboles (sans préjudice de ce qu’ils signifiaient), les procédés sommaires d’analyse morphologiques que j’ai appliqués auraient depuis longtemps conduit à constater leur répartition en deux classes constantes, les « minces » et les « pleins ». » L’art pariétal. Langage de la préhistoire, 1992. Dans la théorie, les minces symbolisent le genre mâle, les pleins le genre femelle. Sur le plan formel la sériation reste arbitraire, il est parfois impossible de trancher entre les deux pôles. À titre d’exemple, la ponctuation assimilée à un signe féminin n’a pas de justification. L’approche sémiologique (étude du langage, décodage des mots et expressions) s’empare de la même problématique. Elle postule que l’art des cavernes est un outil de communication propre à la diffusion de messages. Le langage oral en est un et il n’est pas impossible qu’il soutienne et accompagne le discours graphique. Il convient de rechercher dans sa construction un code à décrypter. La formule nécessite la classification précise des motifs pariétaux. Ils appartiennent ensemble au même continuum. Pour les sémiologues, par défaut de linéarité, l’art des cavernes ne présente cependant pas les caractères d’une écriture. Jusqu’à présent la transformation en signes de l’ensemble des manifestations artistiques en grotte permettant d’aboutir à la reconnaissance d’un discours graphique intelligible n’a pas produit de résultat probant. Il n’est pas inutile de rappeler ici que pour les tenants du chamanisme, certains signes n’ont pas de matérialité : « D’abord nombre de prétendus « signes » de l’art paléolithique ressemblent aux perceptions mentales géométriques du Stade 1 : ponctuations, zigzags, grilles, lignes ondulées... se trouvent dans l’art pariétal. Ces « signes » pourraient en fait ne pas être des signes au sens générique du terme. Ce sont plus probablement des visions géométriques du Stade 1 qui ont été transcrites ». Les Chamanes de la préhistoire, 1996.

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D’autres tentatives d’élucidation sont basées sur l’éventuelle fonctionnalité des signes dans les souterrains, le balisage des parcours en particulier. En raison de certaines de leurs localisations nombre d’entre eux ne peuvent prétendre remplir ce rôle. C’est le cas de l’aviforme associé à « l’Homme blessé » de Pech-Merle vers lequel nous revenons à présent. Au regard des différentes thèses en présence et de leurs corollaires présentés aussi objectivement que possible, il faut bien constater que l’homme « lardé » de traits reste une énigme. On peut s’y résoudre : nous l’examinons depuis des années sans meilleur résultat que celui des spécialistes de la question. Récemment, au bout de la réflexion, une solution inédite se fait jour. Elle n’a rien à voir avec une brusque révélation, mais se base sur une idée qui peut être largement partagée. L’œuvre doit être parfaitement compréhensible des Paléolithiques, pas seulement pour son auteur. Autrement dit, c’est admettre que l’aviforme n’est pas un motif cabalistique, secret, réservé à l’usage des initiés, mais au contraire parfaitement identifiable par les membres de la communauté. Il doit parler à tous et la seule chance à notre disposition de pouvoir le mettre en évidence ne peut se trouver que dans la réalité concrète au sein de laquelle évolue le personnage. La proximité du motif géométrique avec l’homme, permet de réduire ce champ à celui de la caverne où il est représenté. C’est le premier lieu qui vient à l’esprit. À quelques concrétions près, on sait que le souterrain est celui connu des Gravettiens. En 1922, André David découvre des lieux sensiblement en l’état où les laissent les hommes des milliers d’années auparavant. Il est un détail qui mérite cependant d’être rappelé. Il se trouve dans l’itinéraire qu’il suit pour parvenir dans la salle préhistorique, c’est-à-dire en empruntant les passages de l’étage supérieur, restés inconnus des Paléolithiques. Ces derniers suivent un itinéraire différent pour pénétrer dans la grotte. Ils descendent dans une cheminée verticale ouverte sur le causse à la lumière du jour jusqu’à atteindre le sommet du cône d’éboulis qui envahit plus bas les galeries. L’encombrement leur permet malgré tout, parce qu’il n’obture pas complètement le conduit d’accès à sa base, de parvenir directement à l’étage inférieur. Michel Lorblanchet est catégorique sur ce point. C’est la voie empruntée par les Préhistoriques. Elle est située à côté du puits artificiel ouvert pour les touristes. 83

Quand ils ne forment pas des gouffres, les igues sont légion en Quercy, ils sont des marqueurs spécifiques de ce territoire. Leurs configurations morphologiques sont variables mais ont des profils qui présentent des airs de famille : une cheminée verticale plus ou moins ouverte sur l’extérieur, plus ou moins profonde, avec au fond deux galeries sensiblement horizontales partant à l’opposé l’une de l’autre. C’est le profil schématique standard des igues dans la région s’il doit être dessiné, avec une cheminée toujours à la verticale orientée vers le haut. L’igue de Pech-Merle est dans cette configuration. Il ne manque à notre aviforme que les deux ailettes latérales pour que la ressemblance soit convaincante. Leur adjonction ferme le dessin et le stabilise. Elles lui donnent une forme d’indépendance et d’existence en tant qu’entité propre. La seule condition requise est celle de la référence à l’horizontale du motif. Une conformation différente disqualifie évidemment l’hypothèse (illustration 29). Alain Testart commente dans ce sens : « Les claviformes, quant à eux, peuvent à l’occasion virevolter comme des soucoupes volantes, mais ils sont le plus souvent à la verticale... Si bien qu’il faudrait pour opérer le rapprochement voulu par André Leroi-Gourhan, pivoter à 90° les aviformes pour les mettre au bout d’un pied alors qu’ils avaient l’air si stables à l’horizontale avec leurs extrémités telles des pattes d’araignées ». Art et religion. De Chauvet à Lascaux. Le lecteur comprend que tous les aviformes du Quercy suivent la référence horizontale.

Illustration 29 : Dessin. Construction de l’aviforme : une cheminée verticale reliée à une structure horizontale. L’adjonction de deux ailettes ferme le motif et le stabilise.

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L’image obtenue doit pouvoir se comparer, de près ou de loin, à ceux des profils souterrains connus du Quercy. Les illustrations à suivre sont de la main d’Édouard Alfred Martel considéré comme le fondateur de la spéléologie moderne. On lui doit de nombreuses explorations souterraines de la fin du XIXe siècle au début du XXe. Il répertorie et procède aux relevés de plus de 200 grottes et cavités tant en France qu’en Europe. Son livre, d’où sont tirées les images présentées (illustrations 30, 31,32,33,34) est publié en 1894. Elles reflètent sensiblement le modèle retenu ci-dessus. L’ouvrage s’intitule Les abîmes, eaux souterraines, les cavernes, les sources, la spéléologie, explorations souterraines effectuées de 1888 à 1893 en France, Belgique, Autriche et Grèce.

Illustration 30 : Cheminée verticale descendant sur une structure horizontale.

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Illustration 31 : Igue avec cône d’éboulis, il occulte la structure horizontale.

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Illustration 32 : Igue à réseaux karstiques superposés.

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Illustration 33 : Igue du Lot.

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Illustration 34 : Aven de Padirac.

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Au vu de l’ensemble de ces dessins, en particulier leur profil en coupe, il est relativement aisé d’en concevoir un schéma type à la seule condition, évidemment, d’avoir comme Edouard Alfred Martel une connaissance éprouvée du milieu souterrain. L’implication est d’importance relativement à l’idée que l’on peut se faire du rapport des Paléolithiques au monde souterrain. La question de la distorsion flagrante qui existe entre le dimensionnement du motif géométrique censé figurer la coupe horizontale du souterrain et la figure humaine qui lui est associée n’est pas vraiment problématique. Il est fréquent dans l’art des cavernes d’observer l’absence du respect des proportions d’éléments graphiques entrant dans la même composition. C’est un trait de l’art quaternaire. En l’espèce, il peut s’agir du focus mis sur le personnage plutôt que sur le profil en coupe du souterrain. « Ce célèbre personnage rouge de 0,55 m, baptisé « l’archer » par A. Lemozi occupe la voûte d’un réduit de la grande salle préhistorique. Sa tête à face pointue faisait dire à l’abbé que l’individu portait un « masque d’oiseau » ce qui est discutable : la tête à crâne globuleux et face non détaillée, illustre plutôt la stylisation, le refus de personnalisation des individus qui se trouvent sur presque toutes les figurations humaines paléolithiques ». L’aspect schématique du personnage est en phase avec celui des tracés géométriques. Il reste à interpréter le plus difficile, c’est-à-dire leur surprenante intrication sur le plafond du réduit où ils sont dessinés. À l’examen du support rocheux in situ et des différents documents photographiques de la composition il n’apparaît pas vraiment en quoi la forme du relief a pu influencer la mise en place des dessins. La surface est régulière, plane, c’est un peu une feuille blanche. Il est simplement permis de noter que la silhouette humaine est possiblement réglée sur la bordure du rocher (cf. illustration 28). C’est le seul indice topographique qui retient l’attention. L’autre questionnement concerne la véritable orientation de la composition dans l’espace graphique. Sur le plafond la référence à la verticalité disparaît, on peut toutefois présumer que l’homme est représenté debout comme le propose Michel Lorblanchet ce qui ne l’empêche pas d’écrire : « Sa situation horizontale sur une voûte n’indique pas forcément qu’il s’agit d’un homme allongé, gisant sur le sol, 90

ou « mourant » ». On perçoit cette difficulté à donner un sens de lecture au montage graphique, sans vraiment douter qu’elle est claire pour son concepteur paléolithique. Dans les publications, le document de référence sur « l’Homme blessé » est tel que le présente le préhistorien dans son livre : le sujet adopte la station verticale, les projectiles qui l’affectent sont à l’horizontale, les motifs géométriques sont disposés en oblique. C’est le cliché le plus répandu dans la littérature illustrée, avec souvent celui de l’homme dissocié des signes qui lui sont accolés. Pour être complet, à la marge, le rebord rocheux apparaît en pente ascendante mais, dans les analyses, il n’est jamais pris en compte. Or, Il est un indice graphique certainement négligé dans les diverses présentations du sujet. Il donne immédiatement le sens de lecture de la composition. Il s’agit de la référence à l’horizontale, cheminées orientées vers le haut, des motifs géométriques dont le plus complet touche la tête de l’homme. Il sonne l’orientation dans l’espace graphique de la composition. La figure humaine reste en station verticale, debout, penchée en avant, réglée sur une pente cette fois descendante matérialisée par le bord du rocher (illustration 35). Les projectiles sont sensiblement parallèles à la déclivité. Alain Testart propose la même lecture dans son dernier ouvrage où l’opérateur photographique Patrick Cabrol prend pour référence spatiale l’horizontalité du tectiforme à cheminée. L’approche est en adéquation avec la notation de l’ethnologue sur la disposition des aviformes du Quercy dans l’espace graphique. Dans cette lecture, le personnage apparaît intercalé entre le motif géométrique qui le surmonte et le sol imaginaire que figure le bord du rocher.

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Illustration 35 : Lecture de la composition de « l’Homme blessé » suivant la référence horizontale du tectiforme à cheminée. Par simplification ne sont pas reportés les deux signes qui lui sont accolés.

Dans cette conformation l’observateur contemple une image bien différente de celle la plus couramment retenue, où le signe paraît faire office de plafond et le bord du rocher un sol en pente descendante. La traduction d’un plafond ou d’une voûte s’impose doublement ici simplement parce que l’œuvre est dessinée sur un plafond. Sur son support rocheux l’aviforme a donc deux vocations intimement liées. Il représente à la fois le croquis en coupe d’une igue et d’un plafond avec la mise en jeu de la figure humaine. À Cougnac, où le même motif ne présente pas d’association, sa signification reste élémentaire c’est-à-dire sans la dimension plafond. En se reportant aux données archéologiques exposées par Michel Lorblanchet relatives à l’accès du sanctuaire par les Paléolithiques il y a

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25 000 ans, la posture du personnage dans cette situation devient enfin intelligible. À cette époque, l’explorateur descend dans une cheminée verticale d’une profondeur inconnue, mais que l’on peut estimer à plusieurs mètres, pour se retrouver au fond, au sommet du cône d’éboulis qui dévale vers les galeries inférieures. C’est à peu de chose près le scénario que suggère le préhistorien dans ses écrits. Il y a plus. Parvenu à cet endroit, l’individu descend la pente rocailleuse et pénètre dans la grotte proprement dite à travers son plafond où l’espace entre la voûte et le sol en descente n’est pas si large. Il permet juste le passage du personnage dont la tête passe très près du plafond de la caverne. C’est concordant avec l’hésitation de Michel Lorblanchet à considérer l’accès ouvert ou non des deux côtés du cône d’éboulis qui n’est pas loin de colmater la cheminée d’accès. Jusquelà l’interprétation du dessin n’est pas en contradiction avec les données de l’archéologie, elle les conforte même. Le scénario conduit vers une explication inédite des énigmatiques tracés qui suscitent tant d’échafaudages théoriques depuis près d’un siècle. Ils ne peuvent plus être considérés comme des projectiles ou des rayonnements, mais comme des cordages destinés à assurer la descente de l’homme dans le trou vertical ouvert sur le causse. C’est expliquer au passage, comme le souligne à juste titre Alain Testart, leur manque de rectitude sur le dessin. Il est évident qu’une telle expédition s’entoure de précautions élémentaires, même pour des individus rompus aux dangers de leur environnement. C’est un aspect pratique resté largement ignoré des exégètes de l’art des cavernes. Mais comment imaginer, au vu des diverses approches interprétatives du dessin, que la représentation pariétale soit relative à un tel épisode ? C’est pourquoi dans l’esprit de beaucoup de chercheurs, notre version restera improbable car elle ne s’inscrit pas au registre des interprétations classiques, elle touche pourtant de si près à la réalité des évènements. Sur le dessin il peut paraître excessif d’observer le déploiement de plusieurs cordes autour du personnage. Nous pensons qu’il traduit la réitération de descentes dans la caverne, 4 en tout, nécessaires à l’exploration en profondeur de la cavité ses dimensions étant parmi les plus importantes de la région. On a affaire en somme à un personnage bien vivant, dynamique même auprès duquel il devient inutile d’imaginer l’existence d’un agresseur, le dessin parle de lui-même. Son emplacement n’est pas fortuit. Le recoin 93

dans lequel il se trouve, donne à penser que ce choix, tient à sa hauteur sous plafond. En effet, c’est le contexte interprétatif qui conduit à ce rapprochement. L’espace en question peut correspondre à celui des ouvertures d’accès au souterrain au niveau du passage sous le plafond de la grotte en descendant le cône d’éboulis, c’est-à-dire au maximum 1,50 m. C’est à peu près la taille correspondante de l’homme encordé par transposition dans la réalité. Il se tient debout, intercalé entre le sol en pente et le tectiforme à cheminée à double vocation comme on vient de le voir plus haut. Autrement dit, il s’agit d’un adolescent. La tête globuleuse que décrit Michel Lorblanchet, disproportionnée par rapport au corps va dans ce sens. Le sujet jeune est généralement le plus à même de se faufiler dans les étroitures et présente moins de difficulté à maintenir au bout d’une corde dans la descente. Il ne s’agit pas de préhistoire fiction. Des empreintes de pas de pieds nus recouverts d’une pellicule de calcite ont été retrouvées à Pech-Merle sur la corniche de la salle des Disques, une douzaine au total appartenant en première approche à deux individus. Deux spécialistes des empreintes préhistoriques, l’anthropologue Henri Duday et l’ichnologue Michel Garcia donnent en 1983 leur expertise sur ces traces : « En définitive, nous pensons que toutes ces empreintes peuvent être rapportées à un seul et même individu. Si l’on prend pour base n° 6, qui paraît le plus fiable la longueur du pied doit être estimée à environ 225 mm, ce qui correspondrait dans un système de référence plus usuel, à une « pointure parisienne » de 33½-34. Ces traces peuvent donc être attribuées à un grand enfant, un adolescent ou même, à l’extrême rigueur, à un adulte au pied particulièrement gracile ». Les empreintes de l’homme préhistorique. La grotte de Pech-Merle à Cabrerets (Lot), une relecture significative des traces de pieds humains. Bulletin de la Société Préhistorique Française. Dans le même article, les deux chercheurs vont plus loin, notamment concernant la taille supposée de l’individu : « Les anthropologues considèrent généralement que la longueur du pied représente 15/100 de la stature, qui dans le cas présent serait donc égale à 150 cm environ. Cependant le Dr Pales a montré que cet indice trop faible, conduit généralement à surestimer la taille de l’individu et qu’il est préférable d’adopter des valeurs de 15,5/100 chez l’adulte, 16/100 à 16,5/100 chez

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l’enfant... On obtient alors respectivement une stature de 145 141, et 136 cm ». Pour intéressante que soit l’expertise, qui coïncide remarquablement avec notre thèse, il n’est pas possible d’en tirer argument dans la mesure où l’on ne fait que présumer de leur âge paléolithique. Par ailleurs elle ne peut être mise en relation directe avec la décoration de la caverne, ce que soulignent les deux spécialistes. Ces traces sont certainement très anciennes comme le prouve la calcite qui les recouvre. On estime l’obstruction rapide du sanctuaire autour de 10 000 ans avant notre ère. Sur le même thème Michel Lorblanchet commente : « Un grand enfant à plus de 200 m de l’entrée après un parcours plein d’escalade, d’étroitures à franchir, de boyaux où il fallait ramper probablement dans les relents laissés par les ours et les hyènes, hôtes habituels de ce monde secret et dangereux. Il est passé et repassé dans ce gour se dirigeant vers le fond de la grotte puis revenant... ». En raison de leur extrême fragilité de tels vestiges sont rares en grotte. Quand ils existent, ils sont attribués à différentes catégories d’âge. Ceux d’enfants sont avérés. À Chauvet par exemple, retrouvée au fond de la grotte dans la galerie des Croisillons, il existe une piste d’adolescent longue de plusieurs dizaines de mètres. L’artiste préhistorique a aussi jugé bon de représenter sur le dessin deux motifs géométriques partiels comme enchaînés au premier. Ils correspondent à des témoignages d’explorations antérieures pratiquées dans la région. C’est l’explication la plus tangible dans la perspective considérée. Ces témoignages se rencontrent également à Cougnac à une échelle plus importante encore. Passons rapidement sur l’aurochs rouge dessiné non loin de l’homme encordé, le « parfait taureau » selon l’expression de Michel Lorblanchet. Il est certainement à rattacher à la scène avec les séries de barres parallèles de la même couleur situées à proximité. Il est possible qu’ils forment ensemble un système de mesure destiné à évaluer une profondeur de pénétration à l’intérieur du souterrain. Le « parfait taureau » fait fonction d’étalonnage (illustration 36), terme idoine puisqu’il est le seul mâle de son espèce représenté dans la caverne. Dans la nature l’animal mesure entre 2,50 m de long et 3 m.

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Illustration 36 : Dessins rouges du recoin de l’homme encordé d’après le relevé de Michel Lorblanchet.

Pour être recevables, certains éléments de l’interprétation doivent dépasser le stade de la conjecture. C’est le cas en particulier de l’artisanat de la corderie. On ne peut que soupçonner son existence au paléolithique car il a laissé peu de traces, mais il remonte semble-t-il à des âges très anciens. Un article du 9 avril 2020 paru dans la revue scientifique internationale Scientific Reports signé Bruce Hardy, anthropologue attaché au département d’anthropologie de l’université de l’Ohio aux États-Unis, fait part de la découverte dans l’abri du Maras à Saint-Martin d’Ardèche d’un fragment de cordelette présentant une structure torsadée de fibres végétales. Elles proviennent de l’écorce interne d’un arbre. L’objet minuscule est composé de trois faisceaux torsadés. Il démontre que la technique de fabrication des liens est maîtrisée entre 50 000 et 40 000 ans avant le présent. Sa manufacture est l’œuvre des Néandertaliens qui occupent le site sur de longues périodes. La fabrication de cordes en fibres végétales ou animales basée sur le principe des torons destinés à renforcer le lien nécessite l’utilisation d’un outillage approprié. En 2015, Nicolas Conard de l’université de Tübingen en Allemagne met au jour à Höhle fels dans le Jura Souabe un objet en ivoire de mammouth. Il mesure 20 cm de long et il est percé de quatre trous ronds pourvus chacun d’entailles hélicoïdales (illustration 37).

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Illustration 37 : Photographie du bâton percé de Höhle fels.

D’après les chercheurs, le dispositif a servi à tordre et serrer les fibres végétales entre elles pour obtenir des liens résistants. La datation du matériel archéologique du site allemand s’échelonne de 40 000 à 28 000 ans avant le présent. Il y a 28 000 ans en Moravie (République tchèque), les hommes de CroMagnon pratiquent l’artisanat de la corderie. Les traces sont retrouvées sur des plaquettes d’argile indurées par la chaleur dans le gisement archéologique du site de Dolní Věstonice. Elles portent les empreintes de fils et de cordelettes. Un élément de corde est aussi prouvé en Israël, son âge est de 19 000 ans. La même preuve est faite à Lascaux : « Dans la galerie des félins, le 23 septembre 1953, A. Glory a découvert fortuitement, dans une fissure argileuse du sol, juste avant l’orifice du gouffre, les vestiges d’une cordelette... Elle mesure 30 cm de long et 7 à 8 mm de section. Commise dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, elle est formée de 3 torons, eux-mêmes torsadés en sens inverse ». Dictionnaire de Lascaux. L’exemple de Lascaux est très intéressant. La corde en question disposée dans l’axe du gouffre (un trou profond de moins de 5 mètres) situé au fond de la cavité laisse penser à son utilisation pour y descendre. La descente dans le Puits de la caverne lui aussi profond de plusieurs mètres fait probablement appel au même procédé. À Lascaux encore, les cordages servent à l’assemblage des structures d’échafaudages érigés dans la cavité.

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D’autres données vont dans le même sens : découverte de nombreux pendentifs, coiffures de certaines statuettes féminines gravettiennes qui font songer à des réseaux de fils couvrant les cheveux. Il y a ainsi de bonnes raisons de penser que l’artisanat de la corderie est connu des Paléolithiques au Gravettien. C’est admis par les spécialistes, mais sa fonction utilitaire est le plus souvent interprétée et orientée vers la fabrication d’objets voués à la capture du gibier, tels les filets. À notre connaissance il n’y a pas d’écrit qui traite de l’éventuelle relation de cette activité avec les expéditions humaines dans les souterrains. Certes, nombre de cavités ne présentent pas ou peu de difficulté d’accès mais elles ne sont pas les seules à avoir reçu la visite des peintres et graveurs du paléolithique. Les cas sont assez nombreux de pénétrations difficiles assorties d’étonnantes prises de risque compte tenu des moyens techniques dont disposent les explorateurs. L’éclairage s’il est maîtrisé ne permet pas de se projeter au-delà de quelques mètres. On en veut pour preuve l’expérimentation de l’utilisation de torches en grotte. Elles diffusent un halo de lumière qui ne dépasse pas 3 à 4 mètres. La phase exploratoire des souterrains est la plus délicate. Elle s’est naturellement entourée de précautions élémentaires permettant au moins de retrouver sans encombre la lumière du jour. La spéléologie préhistorique, parce qu’il faut bien lui accorder ce statut, demande un équipement dédié. Les cordages font partie de la panoplie, c’est ce que révèle l’homme de Pech-Merle dans son recoin. C’est assez loin, il faut en convenir de la version de « l’Homme blessé ». En phase avec des séquences vécues d’après les données de l’archéologie il y a 25 000 ans, la thèse de l’homme encordé est, sans pour autant préjuger de son véritable niveau de pertinence, naturellement plus crédible ou alors il convient de mieux argumenter l’existence sur le dessin d’armes de jet et des blessures qu’elles occasionnent. Il y a de bonnes chances pour que la solution à cette problématique ne soit jamais résolue dans ce sens. De notre côté en l’absence de preuve, il faut encore être certain que la descente dans la cheminée d’accès jusqu’au sommet du cône d’éboulis nécessitait l’utilisation de cordages. C’est assez probable mais reste à établir. La désobstruction du conduit dont on connaît l’emplacement permettrait de le vérifier. Une question demeure encore en suspens, elle est relative à la motivation de l’œuvre. Elle ne fait que rappeler l’entrée dans la caverne mais est saluée 98

comme un évènement devant être gardé en mémoire par son inscription sur la roche. Il ne peut alors s’agir que du moment de sa découverte ce qui n’est pas un détail. L’épisode est important. Pech-Merle est en effet une grotte majeure dans la région à la fois par ses dimensions et la richesse de son décor naturel. C’est un vrai joyau minéral, source peut être d’inspirations métaphysiques aux yeux des Paléolithiques parmi les nombreux autres souterrains du pays. Dans la chronologie des figurations pariétales, on est ainsi enclin à penser que l’homme dessiné en rouge fait partie des premières représentations réalisées dans la caverne. C’est un point de divergence avec Michel Lorblanchet qui le situe plutôt postérieurement à l’ensemble graphique du sanctuaire (sanctuaires A et B dans sa nomenclature). En réalité le chercheur se montre lui-même réservé sur cette attribution qu’il qualifie « d’hypothèse ». Pour mémoire, les pigments rouges de la caverne ne peuvent être datés par la méthode radiocarbone. On perçoit bien la difficulté pour les chercheurs à établir des divisions chronologiques en l’absence de datations directes des œuvres au sein d’un même ensemble. À Pech-Merle, il convient de pondérer l’appréciation selon laquelle la décoration noire précède la rouge, les deux couleurs se chevauchant alternativement. Sont également à prendre avec précaution, les ressemblances, les différences de style, la thématique. Ce ne sont au mieux que des indices. Sur ce plan, Michel Lorblanchet fait preuve de prudence, il n’affirme rien sinon l’utilisation prolongée du sanctuaire. La parenté entre Pech-Merle et Cougnac est assez évidente : « L’information peut-être la plus précieuse qu’apporte le panneau de l’Homme blessé de Pech-Merle réside dans l’association intime des thèmes de l’homme blessé et de signes aviformes qu’il présente, alors qu’à Cougnac, les deux thèmes sont séparés, dans des secteurs différents de la cavité. Il est donc clair qu’hommes blessés et signes aviformes appartiennent au même ensemble... ». Compte tenu des incertitudes de mesure, deux datations radiocarbone confirment la possible contemporanéité entre les deux grottes. À Cougnac, la datation du mégacéros femelle se situe autour de 25 000 ans, celle de PechMerle obtenue sur les Chevaux ponctués vers 24 500. La décoration de Pech-Merle est répartie entre différents secteurs. Dans les galeries orientales, les peintures du Combel occupent des lieux exigus, difficiles d’accès. Dans les galeries occidentales, excepté l’Ossuaire, elle s’inscrit 99

dans les espaces dégagés, où elle est bien visible. C’est le cas dans la grande salle préhistorique ornée du sol au plafond, où le cadre minéral montre de puissantes concrétions. Il est tourmenté voire chaotique. C’est probablement l’une des explications à l’éclatement du dispositif graphique dont il est difficile de déterminer, si elle a existé, la ligne directrice. Il est quand même possible de soupçonner que les visiteurs paléolithiques ont rapidement une vision d’ensemble du souterrain pour sa partie décorée. On doit cette information au tectiforme à cheminée. Même schématique, son dessin reproduit en coupe la morphologie générale des lieux : une cheminée verticale qui communique avec deux galeries qui partent à l’opposé l’une de l’autre, abstraction faite du cône d’éboulis certainement bien identifié par des individus rompus à l’exploration souterraine dans la région. Un second motif géométrique typique de Pech-Merle suscite toujours de nombreuses interrogations. Il s’agit du cercle échancré présent à trois exemplaires dans la grotte. L’un est peint en rouge sous l’encolure de l’un des deux célèbres Chevaux ponctués, les deux autres sont tracés au doigt sur l’argile plastique qui recouvre le plafond de la grande salle préhistorique à plusieurs mètres de hauteur. Ces mêmes motifs foisonnent à Roucadour, autre sanctuaire gravettien du Quercy, il est impossible de les ignorer (illustration 38).

Illustration 38 : Dessin. Modèle de cercle échancré.

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Comme son appellation l’indique, le motif se présente sous la forme d’un tracé rond mais dont le contour s’incurve invariablement vers l’intérieur à l’endroit où normalement le cercle se referme. « Le symbolisme du cercle échancré est difficile à saisir. Il semble différent de celui du cercle, car le cercle n’a ni début ni fin, il est la trace d’un point en mouvement perpétuel équilibrant sa trajectoire à partir d’un centre, tandis que le cercle échancré n’a pas de centre... il a au contraire un début et une fin... S’agitil du cycle de la vie ? Ou avons-nous affaire à un sigle « tribal » sans liaison avec les significations potentielles de sa forme ? ... Nous ne le saurons sans doute jamais ». La présentation de Michel Lorblanchet et son questionnement laissent à penser que pour lui le motif n’a pas de référence au réel, qu’il est non figuratif. André Leroi-Gourhan le range dans la typologie des signes féminins. Alain Testart en donne une signification approchante. Pour lui le signe dérive de la partie ventrale des vénus préhistoriques : « D’abord, ils sont tous ronds, et non pas ovales, comme représente parfois André LeroiGourhan celui en forme de O majuscule en écriture manuscrite, ce qui évoque faussement une vulve. Deuxièmement l’échancrure est souvent vers le haut, résultat de l’inversion haut/bas dont nous parlons depuis le début... Troisièmement, l’échancrure est au moins une fois remplacée par un triangle, comme celui que ferait le pubis mais rabattu à l’intérieur... » Art et religion de Chauvet à Lascaux. Au plan sémantique, l’approche des motifs géométriques de l’art pariétal connaît d’autres voies de recherche. Il y a celle de l’abbé Breuil avec dans son sillage celle de François Djindjian lequel distingue l’art géométrique de la géométrisation de l’art figuratif le « premier stade étant inspiré des formes de la nature ». Se référant à l’histoire de l’art, il observe que de nombreuses manifestations d’art figuratif sont devenues géométriques par schématisation des formes dans la représentation de paysages, de scènes ou de portraits. Il se trouve que c’est précisément la formule qui correspond le mieux à l’interprétation du tectiforme à cheminée.

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D’autres éléments de réflexion ne sont pas étrangers à ce thème, par exemple ceux de Michel Lorblanchet relatifs à l’importance du contexte géographique et topographique du site étudié. Le principe appliqué à la grotte de Pech-Merle située au confluent de rivières le conduit à conclure au rôle symbolique de l’eau dans l’art des cavernes du Quercy. Aujourd’hui, d’autres chercheurs avec lui considèrent que l’environnement des grottes ornées est une dimension négligée par la discipline. Nos travaux sur Chauvet sont largement inspirés de ce principe. Le petit nombre de cercles échancrés à Pech-Merle et leur dispersion dans le souterrain, ne facilitent pas l’approche de leur étude. Pour en cerner plus finement la problématique il est nécessaire de se rapprocher de la grotte de Roucadour qui en comporte plusieurs dizaines. Ils sont aussi signalés dans la grotte de Cussac en Dordogne mais ils ne sont pas très convaincants. Roucadour se trouve à une trentaine de kilomètres au nord-est de PechMerle, dans la partie nord du causse de Gramat. Dans ce secteur, l’Ouysse, rivière qui descend du Massif central s’enfonce sous terre aux pertes de Thémines au contact des calcaires jurassiques. C’est le point de départ d’un immense réseau souterrain. Près de 30 kilomètres séparent la perte des eaux à Thémines de leur résurgence à Cabourg. C’est la longueur de l’itinéraire souterrain de la rivière. La grotte connue de longue date s’ouvre dans une doline. C’est une haute et large galerie longue de 300 mètres qui ne présente aucune difficulté d’accès mis à part une galerie latérale située à 70 mètres de l’entrée. Edouard Alfred Martel en effectue l’exploration en 1890. La découverte d’un gisement néolithique sous l’éboulis du porche d’entrée livre de nombreuses poteries et d’objets de l’âge du Bronze. La partie ornée se limite à une salle située au fond de la galerie latérale. Elle n’a été reconnue qu’en 1962 par deux spéléologues. Les œuvres pariétales occupent deux diaclases de faible développement. Elles sont situées de part et d’autre du couloir dont le sol s’affaisse de plusieurs mètres à la fin du paléolithique si bien que, de nos jours, la décoration se découvre à plusieurs mètres de hauteur et nécessite l’utilisation d’un échafaudage pour l’atteindre. L’iconographie du site est attribuée au Gravettien.

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Les deux parois de la faille principale longue de 5 mètres sont recouvertes de peintures et de gravures. Leur densité est exceptionnelle, près de 40 au mètre carré en moyenne d’après les estimations de Michel Lorblanchet qui, à partir de 2002, en effectue l’étude complète. Avant lui, de 1964 à 1966, André Glory réalise les premiers relevés. La seconde diaclase plus petite est aussi moins richement décorée. Michel Lorblanchet recense en tout près de 500 motifs pariétaux dont 140 figurations animales : 44 chevaux, 22 félins, 16 mégacéros, 9 mammouths, des bisons, des bouquetins. Les signes, avec plus de 200 exemplaires, représentent près de la moitié du corpus graphique. Ce sont principalement des séries de barres gravées, des traits parallèles, des tracés en forme de comètes. Les cercles échancrés sont également gravés. Ils sont au nombre de 44 (illustration 39).

Illustration 39 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Cercles échancrés de Roucadour.

Les motifs peints sont des ponctuations rouges, plus rarement noires, obtenues par la technique du crachis de pigment. Des mains négatives, 13 en tout, complètent le dispositif. Elles sont réalisées suivant un procédé original. Il ne s’agit pas de vraies empreintes construites suivant la technique du pochoir comme il s’en trouve fréquemment dans les grottes ornées gravettiennes. « Les images de mains de Roucadour ne sont pas des mains négatives habituelles. Leur technique est unique dans l’art

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paléolithique ; ce sont des peintures de mains dessinées en frottant un doigt enduit de pigment sur une zone préalablement striée, c’est-à-dire couvertes de fines incisions superposées. Nous avons même observé des traces infimes d’étalement et de lissage, au doigt, du pigment ». Le chercheur range dans la catégorie des marques rituelles d’autres manifestations graphiques : les faisceaux de stries de forme ovale de la taille de la main humaine qui parfois les recouvre, et les martelages de la roche provoqués par l’impact d’instruments en dur. Parmi la quarantaine de cercles échancrés certains font l’objet d’exécutions particulièrement soignées comme celui de l’illustration 40. La gravure est de petite dimension, d’un diamètre inférieur à 10 cm associée à un motif en forme d’échelle. Elle présente de surcroît une structure interne.

Illustration 40 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Gravure du cercle échancré complexe de Roucadour.

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Il ressort des travaux du chercheur plusieurs conclusions relatives à l’organisation du dispositif pariétal : la volonté de sa dissimulation et de son éloignement afin de l’écarter des activités quotidiennes, sa vraisemblable fonction symbolique dans des fentes naturelles exiguës teintées au fond par des coulées d’argile rouge rappelant le sexe féminin. À ce propos, le sédiment rouge auquel il est fait référence est d’origine naturelle. Il résulte de la percolation en profondeur des eaux chargées d’argile rouge que l’on retrouve dans les sols superficiels qui tapissent le fond des dolines et les reliefs ciselés de la roche-mère des plateaux calcaires. Ainsi l’interprétation d’une symbolique féminine, si elle n’est pas à rejeter, est peut-être à nuancer. Davantage qu’ailleurs en Quercy, le plateau karstique où s’enfonce Roucadour, est taraudé par d’innombrables dolines (cloups), gouffres (igues, avens), champs de lapiaz où se perdent dès leur arrivée les écoulements superficiels des eaux des rivières et des précipitations. C’est une géologie spécifique doublée d’une hydrologie singulière qui se remarque inévitablement. Les Paléolithiques ont sous les pieds un paysage principalement minéral troué en surface comme une passoire, seulement recouvert par endroits d’un maigre couvert végétal dû en partie à l’assèchement rapide des eaux de surface. C’est la marque du territoire en question. Généralement, la difficulté d’approche du cercle échancré tient à l’idée qu’il n’est identifiable à aucune forme connue. Par conséquent il est totalement pétri d’abstraction « sans signification avec sa forme ». Il est signe au sens de la sémiologie. Mais c’est sans compter que le signe peut comporter différents niveaux d’abstraction. Il peut très bien conserver une part de représentation lui permettant de rester identifiable. C’est le cas du tectiforme à cheminée. Dans cette direction, il est une explication du cercle échancré qui ne demande aucun échafaudage théorique. Il suffit de se reporter, comme le préconise plus haut Michel Lorblanchet, au contexte géographique et géologique dans lequel se trouve Roucadour. Dans son environnement, le relief du causse se caractérise par de multiples trouées, des dépressions de dimensions variables et de formes plus ou moins circulaires comme les dolines. Il n’y a alors qu’un pas à franchir pour penser que cette géomorphologie est une source d’inspiration pour l’artiste qui veut signifier dans son œuvre 105

certaines des particularités du territoire qu’il occupe. Elles en matérialisent l’emblème, le sceau reconnaissable entre tous. On retrouve le même penchant dans l’iconographie de Chauvet avec le Pont d’Arc où à BaumeLatrone avec le Gardon. Dans cette perspective, l’image du cercle échancré est à rapprocher de celle du trou. Il n’est même plus besoin de rechercher la signification de l’échancrure, elle se devine aisément. Elle symbolise l’idée de profondeur, de creux. En baptisant le motif « cercle échancré », les chercheurs font le plus difficile, échancrure voulant dire creux. L’appellation facilite la compréhension du motif. On note quand même le procédé graphique utilisé par son concepteur pour suggérer la troisième dimension. Il lui suffit d’incurver vers l’intérieur du rond dessiné les deux extrémités de son tracé. On comprend le nombre élevé de cercles échancrés à Roucadour cerné par les perforations du pavé karstique dues à l’érosion chimique et mécanique de l’eau. Comme les images valent souvent bien mieux que la littérature grand public qui s’y rapporte en préhistoire, l’illustration 41 extraite du livre Les abîmes d’Alfred Edouard Martel présente le dessin de l’igue de Baou située près de Rocamadour dans le même secteur que Roucadour (illustration 41).

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Illustration 41 : Igue de Baou, d’après Alfred Edouard Martel. Causse de Gramat.

C’est un aven circulaire de 70 à 80 mètres de diamètre, profond de 30 mètres qui se présente sous l’aspect d’un cirque en gradins qui forment sur le dessin autant de courbes de niveaux. Il s’agit de strates calcaires bien visibles dans les gouffres comme sur la photographie de celui des Vitarelles sur le causse de Gramat (illustration 42).

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Illustration 42 : Photographie. Gouffre des Vitarelles. Causse de Gramat.

Le cliché suivant commémore la descente dans l’igue des Combettes au moment de son exploration au XIXe siècle sur le causse de Gramat. Son orifice est de 5 mètres, et sa profondeur de 55 mètres.

Illustration 43 : photographie. Descente dans l’igue des Combettes au XIXe siècle. Causse de Gramat.

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Il devient possible au travers de ces trois illustrations de proposer une interprétation avec un « bon degré de confiance » du cercle échancré de l’illustration 40. Sa gravure figure l’ouverture en creux d’un aven à la surface du causse où sont clairement reportées les strates calcaires que l’on retrouve sur les illustrations 41 et 42. D’autres tracés internes orientés vers le centre du motif accentuent l’effet de profondeur. L’échelle associée est une véritable échelle... de corde. Elle plonge à l’intérieur du cercle échancré. Le rapprochement s’impose alors avec la photographie de l’illustration 43. La différence tient à l’absence des acteurs paléolithiques sur le dessin de Roucadour, mais c’est récurrent dans l’art des cavernes. La mise en regard des deux images est assez déconcertante car 250 siècles les séparent. Ces apparentes similitudes incitent à la prudence mais si elles sont justes, elles confortent l’idée de spéléologie préhistorique et, par-là, celle de l’existence et de la mise au point de moyens techniques dédiés à cette activité. L’interprétation a aussi une implication que l’on peut qualifier d’exotique, valable à Roucadour comme à Pech-Merle. Exotique parce qu’elle nuance le paradigme selon lequel l’iconographie des cavernes baigne dans un espace onirique où la dimension terrestre est absente (lignes de sol, reliefs, horizons...). Or, elle apparaît bien présente dans la proposition même si elle l’est de manière fragmentaire. Elle accrédite le concept de territoire en particulier celui de certains de ses marqueurs morphologiques spécifiques. Il en va de même pour la collection animale : mis à part les espèces adaptées à différents biotopes, elle doit se fondre dans les mêmes limites territoriales. En témoigne l’extraordinaire intrication des animaux et des signes dans les deux diaclases de Roucadour. Quittons brièvement le Paléolithique supérieur pour aborder sur la même thématique, une période plus récente. En mars 2021, dans un article du Bulletin de la Société Préhistorique Française (BSPF), deux chercheurs français, Yvan Pailler attaché à l’INRAP et Clément Nicolas de l’université Pierre et Marie Curie, dévoilent leurs conclusions sur l’étude d’une dalle de schiste comportant des cupules et des formes géométriques. L’objet pèse 2 tonnes et mesure 2,20 m de long sur 1,53 m de large (illustration 44).

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Illustration 44 : Dessin, source Wikipédia.

Il est découvert en 1900 par Paul du Châtelier au cours de fouilles du tumulus de Saint-Bélec. Il publie le relevé de la dalle gravée en 1901 dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère. Selon les estimations, elle appartiendrait à l’âge du Bronze ancien (2200-1600) mais peut-être plus ancienne. Son interprétation en 2021 donne sa décoration comme la représentation d’une cartographie mentale centrée sur le bourg de Roudouallec dans le Morbihan couvrant une zone de 30 km de long et de 21 km de large. Il y figure même le réseau hydrographique. Selon les experts, il peut s’agir de la plus vieille cartographie connue d’un territoire en Europe. La comparaison avec l’art des cavernes n’a rien d’analogique. Elle montre seulement que des motifs non immédiatement identifiables à des formes connues peuvent rendre compte d’une certaine réalité physique comme la cartographie schématique d’un territoire. La forme de la gravure est issue de l’idée que l’auteur s’est faite de son environnement naturel, 110

produit d’une démarche mentale à la portée de l’homme du paléolithique pour peu que l’on veuille lui accorder les mêmes capacités cognitives que celles des hommes de l’âge du Bronze. La parenthèse refermée, la signification attribuée aux deux motifs géométriques, l’aviforme (le tectiforme à cheminée) et le cercle échancré, fait penser que d’autres formes graphiques que l’on classe généralement dans la catégorie des signes abstraits de l’art pariétal contiennent également pour le Quercy des éléments figuratifs. Dans son étude de Roucadour, Michel Lorblanchet distingue deux catégories, les signes géométriques et les marques rituelles (illustration 45).

Illustration 45 : Dessin d’après l’illustration de Michel Lorblanchet. Tableau des signes de Roucadour. La numérotation de 1 à 6 désigne respectivement : cercles échancrés, barres, comètes, stries, martelages, points.

Les premiers sont ceux qui présentent une référence à un modèle : cercles échancrés, séries de barres et de traits parallèles, les comètes et dans le domaine de la peinture les ponctuations rouges et noires. Selon le chercheur les faisceaux de stries, les martelages par endroits de la roche se rangent parmi les marques rituelles. Dans l’hypothèse où ces graphies ont un rapport avec les données environnementales de la caverne, il devient possible d’en donner les traductions suivantes. Le cercle échancré de Roucadour fait figure d’avaloir principal par sa capacité d’absorption de grandes quantités de matériaux, les liquides 111

comme les sédiments ou les animaux et les végétaux qui tombent dedans. En Quercy les avens fonctionnent comme de véritables pièges. On y retrouve fréquemment des ossements d’animaux malencontreusement victimes de chutes fatales. « Les comètes sont constituées de grands arceaux convergents à leur base. En petit nombre, elles se trouvent dans la diaclase principale, surtout dans l’entrée de celle-ci sur les deux côtés (panneaux I et X) et en position très haute (à 2,60 m au-dessus du sol) ». Suivant ce descriptif, il n’y a pas de difficulté à assimiler ces tracés gravés en forme de comètes au déversement des eaux de rivière issues de Massif central. L’interprétation répond à leur situation élevée sur les parois. Les faisceaux de stries : « Elles sont abondantes ; ce sont des faisceaux de stries ou de fines incisions serrées, verticales ou obliques se chevauchant ou se recoupant fréquemment. Elles couvrent parfois des surfaces assez vastes (plusieurs décimètres carrés) ; plus souvent elles affectent une forme ovale de la superficie et de la taille d’une main humaine. Comme les cercles, elles sont caractéristiques de Roucadour ». Le marquage de la roche par des faisceaux de stries traduit la porosité du socle rocheux à la surface du causse. Le négatif de la main humaine associée, est la marque de sa disparition, de sa dissolution symbolique sur la surface du support. Les séries de barres et de traits parallèles reproduisent les modelés de la roche en surface lesquels adoptent souvent des formes régulières sous l’action des eaux. Les rares grilles gravées figurent des champs de lapiaz. Les martelages : « Les marques rituelles selon notre dénomination, tracés intentionnels répétitifs sans volonté aucune de figuration (incisions, martelages,...) qui sont assez proches des griffades animales ». Le cabossage de la paroi par un objet en dur reproduit celui du causse en surface. Les ponctuations rouges et noires sont présentes dans la diaclase principale. Elles sont le plus souvent réalisées au soufflé de pigment. Elles matérialisent par plages la pénétration de l’eau à travers la roche. La pulvérisation d’un colorant liquide par la méthode du crachis permet sa bonne diffusion sur le support avec l’idée de pénétrer par tous ses pores. La ponctuation soufflée se rapproche de la fonction des faisceaux de stries à la différence qu’elle permet de couvrir plus largement et plus visiblement la surface rocheuse. 112

La ponctuation soufflée est souvent associée en Quercy à l’image de la main négative. La combinaison se retrouve dans les grottes dites de la période archaïque. Ces interprétations d’ensemble sont certainement révisables. Néanmoins, elles sont en adéquation avec le choix des deux diaclases décorées, lieux de disparition des eaux de ruissellement au plus profond du souterrain comme en témoignent les dépôts d’argile rouge au fond des failles. Il faut reconnaître l’excellent travail du préhistorien à Roucadour. Il parvient par une étude méthodique des superpositions de tracés à décomposer des combinaisons graphiques complexes comme celle du panneau 1 de la paroi gauche de la diaclase principale. Il en retrouve la chronologie d’exécution dans l’empilement des dessins disposés en véritable stratigraphie où la présence du cercle échancré introduit l’idée de profondeur et de verticalité. On est conforté dans cette perception par l’aspect de la paroi dont les couleurs varient suivant la superposition des strates calcaires du mur. « Nous observons déjà sur ce panneau que les premiers dessins sont des dessins de mammouths, que les mains négatives occupent une position médiane dans la stratigraphie des motifs entre mammouths et chevaux et que le même signe géométrique, très particulier, le cercle échancré se retrouve à différents niveaux... ». Le détour par Roucadour, nécessaire à l’identification du cercle échancré, permet à présent de l’examiner plus précisément dans la grotte de Pech-Merle qui en comporte trois. Contrairement au dispositif graphique de Roucadour, celui de PechMerle est très étendu. Il présente lui aussi des concentrations de figures dans la grande salle préhistorique : plafond des Hiéroglyphes, panneau des « Femmes-bisons », Chevaux ponctués, Frise noire... Plafond des Hiéroglyphes-Réduit des « Femmes-bisons » Si le cercle échancré occupe une bonne place dans la littérature sur la grotte, c’est aussi parce qu’il est associé à trois figurations féminines sur le plafond de la grande salle préhistorique. C’est une surface ornée élevée comprenant quatre ensembles et couvrant près de 50 mètres carrés. Les œuvres sont dessinées avec les doigts sur une couche d’argile molle collée à la voûte rocheuse. L’endroit est accessible par escalade de gros blocs 113

d’effondrements. Ils permettent de se tenir debout et d’avoir le plafond à portée de main. À cet endroit, l’officiant surplombe le sol de la caverne d’une hauteur voisinant 5 mètres. Comme plusieurs dessins bordent le vide, le danger de chute est évident, le faux pas est interdit. La prise de risque est bien la marque d’une parfaite connaissance et maîtrise de l’environnement souterrain à la lumière vacillante de la lampe à graisse. L’essentiel de la décoration consiste en tracés apparemment inorganisés résultant de grands balayages d’un ou plusieurs doigts. Ils forment des lignes sinueuses, des arabesques, des stries visiblement destinées à couvrir la surface du plafond. Au sein de ce désordre dépourvu de ligne directrice repérable, émergent, par le truchement d’un relevé sélectif, quelques motifs identifiables : mammouths, silhouettes de femmes, cercle échancré (illustration 46).

Illustration 46 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Plafond des Hiéroglyphes, relevé sélectif. Les pointillés matérialisent le bord du bloc rocheux sur lequel est juché l’artiste. Une partie de l’œuvre à droite est au-dessus du vide. Dimension du cercle échancré 70 cm. Hauteur sous plafond 1,70 m.

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Ils sont localisés et groupés sur une portion de voûte qui demande à l’opérateur de se tenir en équilibre au bord du bloc d’effondrement : « Il faut préciser en effet, que le bord oriental domine un vide de 4,50 m de profondeur. Il existe donc une relation entre les figures reconnaissables et le vide. L’artiste se tenait au bord du bloc et se penchait même au-dessus du vide, le bras tendu pour exécuter ses tracés sur le plafond. Certains de ses dessins comme le plus grand mammouth à trait double, ont demandé au cours de leur exécution une véritable prouesse et un sens parfait de l’équilibre ». Il est conclu que l’emplacement est délibérément choisi pour être mieux vu. Notre opinion est différente. Elle tient à la présence du cercle échancré, synonyme d’avaloir. C’est le vide pour le vide qui détermine l’emplacement de l’œuvre. Il en va de même pour le second motif figuré plus en retrait sur un secteur plafonnant baptisé Géophile : « Dans ce secteur, nous avons relevé trois petits panneaux dont l’un présente un magnifique cercle échancré dessiné avec deux ou trois doigts. Notons que ce grand cercle dont le maximum de diamètre atteint 0,60 cm est isolé. Il se place juste au-dessus d’un rebord extrême dominant un vide de plusieurs mètres (d’où une nouvelle situation inconfortable du dessinateur) tout comme le grand cercle (0,70 cm) du panneau des Hiéroglyphes ». Les deux motifs se trouvent donc figurés au bord d’abrupts où le vide est très sensible. Par ailleurs, l’argument de la visibilité peut se discuter. Sous un faible éclairage, même en disposant des feux sur le sol de la caverne, au regard de la hauteur sous plafond il paraît difficile d’imaginer que l’observateur puisse correctement distinguer des figurations noyées de surcroît dans un embrouillamini de tracés digités. À proximité du plafond, elles restent même encore difficiles à démêler. Il est légitime de s’interroger sur la motivation qui pousse l’artiste à se pencher au-dessus du vide pour dessiner. Ici, l’observation principale est que les trois silhouettes de femmes apparaissent, à leur tour, dangereusement penchées à la verticale de l’à-pic. Il ne s’agit pas pour l’artiste de l’empêchement à les représenter redressées. Tout en bas, au pied des blocs rocheux, mais installé plus confortablement, ses « Femmes-bisons » adoptent la même configuration. Il existe en réalité sur le plafond la relation la plus directe que l’on puisse imaginer entre l’artiste et son œuvre. Perché sur le rocher, il reproduit dans 115

ses dessins de femmes la position dans laquelle il se trouve lui-même pour les réaliser, c’est-à-dire penché dangereusement au-dessus du vide de la caverne. Autrement dit, il se représente sur la roche, ou plus exactement se caricature, dans les dessins qu’il réalise. La proposition entraîne une conséquence majeure sur la véritable identité du dessinateur. En effet, il ne peut s’agir que d’une femme. On ne voit pas logiquement un homme se représenter en femme au sein de sociétés vraisemblablement patriarcales. C’est concordant avec une main négative rouge située près du réduit des « Femmes-bisons » plutôt attribuée à une femme en raison de sa gracilité. L’explication est inédite sur un autre plan. L’intervenante se trouve impliquée dans l’une des situations parmi les plus dangereuses rencontrées dans la caverne, ce qui n’est pas banal. C’est aussi inattendu. Depuis de nombreuses années les chercheurs soupçonnent l’intervention de la femme dans les grottes ornées au paléolithique sans pouvoir véritablement le démontrer. On est fondé à croire à travers cet exemple qu’elle existe à Pech-Merle. Mais l’étude des tracés sur le plafond permet seulement de dire qu’ils sont l’œuvre d’un sujet adulte. « Ces données, comme probablement la position sur le ciel de la caverne, et sur des surfaces tendres et plastiques de la grotte attestent sans doute le caractère hautement symbolique de l’ensemble des tracés ». L’appellation « ciel de la caverne » pour désigner le plafond digité ne paraît pas indiquée dans notre référentiel interprétatif car on ne voit pas ce que vient y faire le cercle échancré. La voûte rocheuse porte simplement l’empreinte du plateau calcaire de surface, sa présence est même prégnante. Aujourd’hui, des racines d’arbres pendent par endroits dans la grotte, elles viennent y puiser l’humidité des lieux. En était-il de même au Gravettien ? On l’ignore. C’est moins imagé que l’expression « ciel de la caverne » de Michel Lorblanchet mais en phase avec la réalité géologique du souterrain : la profondeur de sa voûte sous la surface plateau devant se situer autour d’une dizaine de mètres. C’est aussi aborder la problématique des tracés digités du plafond sous un jour différent. Ils doivent être relatifs aux divers modelés de la surface, à ses reliefs ruiniformes, inorganisés et désordonnés, qui s’impriment à l’intérieur du souterrain à travers la roche poreuse. Un phénomène qui transpire partout à Pech-Merle et donne sa respiration au souterrain. 116

Les meilleurs éléments figuratifs du plafond sont réglés suivant le bord du bloc d’effondrement sur lequel se tient en équilibre la décoratrice. Ailleurs, ils sont évanescents. Le cercle échancré est au centre du dispositif graphique. Les trois silhouettes féminines, les seins pendants, sont chacune flanquées d’un mammouth. Ils apportent toute leur massivité à ce qui va ressembler à une lourde chute. L’examen détaillé du premier sujet féminin situé le plus bas sur l’illustration 46 présente une silhouette sensiblement complète. Les deux autres sujets, dans une configuration similaire, perdent curieusement leur tête. On peut en inférer que c’est leur disparition dans le vide qui crée la différence, pour la raison qu’eux sont précisément dessinés comme déjà engagés au-dessus de l’abîme. Ce n’est pas encore le cas du premier sujet. Le basculement intervient après le passage dans le cercle échancré situé au centre d’où se dégage l’unique jambe du second profil féminin. En d’autres termes, le signe fonctionne comme un sas au travers duquel il suffit de passer pour basculer au fond de la grande salle, cinq mètres plus bas. Sans nourrir d’illusion, c’est la perspective qui guette la femme au profil complet. Elle amorce seulement l’inclinaison de son corps vers la profondeur. Il est utile de préciser que le projet de la dessinatrice n’est pas celui de se jeter dans le vide. Le montage graphique est allégorique. La version de la chute des effigies féminines et vraisemblablement celle d’un mammouth du plafond figuré au-dessus du vide sur le sol de la grande salle trouve son prolongement dans le réduit des « Femmes-bisons ». L’endroit se trouve à une dizaine de mètres en contrebas, ancré au sein d’un amoncellement de gros blocs formant niche au ras du sol. Les œuvres peintes en rouge occupent un espace resserré et se présentent dans la composition suivante : 8 dessins de femmes, un mammouth et une nappe d’une vingtaine de ponctuations rouges (illustration 47). Les dessins humains sont très schématiques même si on identifie facilement des corps penchés en avant au point que certains sont pliés en deux, les seins pendants, dépourvus de tête comme les deux sujets du plafond. On doit l’appellation « Femmes-bisons » à André Leroi-Gourhan. Dans sa théorie sexuelle, le symbolisme féminin doit s’incarner dans la figuration de l’herbivore. Il est vrai que certains des dessins humains de la composition entretiennent cette ambiguïté. Plusieurs auteurs contestent ce 117

rapport de forme. Michel Lorblanchet plaide plutôt en faveur de silhouettes humaines stylisées. Nous avons le même point de vue, l’emplacement qui leur est dédié n’y est pas étranger à ce jugement. En effet, le réduit en question peut faire fonction de réceptacle des femmes tombées du plafond. Une chute qui les fait apparaître encore plus déstructurées qu’auparavant. Le lien n’est pas exactement imaginaire.

Illustration 47 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau des « Femmes-bisons ».

Il est matérialisé par une autre singularité. Il s’agit d’un petit ruisseau qui disparaît sous terre dans un trou ouvert tout à proximité des figurations féminines. « Notons en outre, que le ruisselet collecte toutes les eaux de la cavité non seulement celles qui circulent sur le versant du cône d’éboulis depuis l’entrée préhistorique, mais aussi celle d’une cascade intermittente à quelques mètres de distance de cet endroit, tombant de la voûte de la salle pendant les fortes pluies dont la chute au cours des millénaires a créé un tapis de perles des cavernes... ». L’indication est précieuse, elle met à nouveau en scène l’idée de chute des corps depuis le plafond de la grande salle. Celle de l’eau est cyclique, ce qui engage l’interprétation dans la même voie et explique la multiplication des

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personnages en bas consécutivement à leur défilement en haut, sur le plafond de la salle. On observe une certaine convergence de vues avec Michel Lorblanchet dans le commentaire suivant : « La configuration des lieux est très particulière : les « Femmes-bisons » sont placées sur la face inférieure du bloc, de sorte qu’elles regardent le ruisselet qui disparaît sous terre, à moins d’un mètre au-dessous d’elles, elles sont ainsi étroitement associées au point d’absorption des eaux et elles sont, elles-mêmes, en position plafonnante, tout comme les femmes du grand plafond de la salle, qui les dominent ». Le chercheur va même plus loin dans cet extrait issu de ses conclusions : « Une relation semble exister en effet entre les couples réalistes Femmesmammouths du plafond de la salle et les motifs schématiques au fond de la même salle, encore associés au mammouth. Une étrange résonance semble exister entre les deux panneaux. Le petit plafond des « Femmes-bisons » au ras du sol où disparaissent les eaux de la grotte, apparaît comme une réplique schématisée et résumée du grand plafond au ciel de la caverne ». La citation cerne la problématique centrale de l’ensemble plafond digitéréduit des « Femmes-bisons ». La combinaison est métaphorique. Elle est le produit de l’imaginaire des artistes qui accompagne par l’image le fonctionnement des réseaux karstiques du causse à travers l’écoulement des eaux de surface : leur brusque disparition aux pertes, puis leur itinéraire souterrain. Sur le panneau, la plage de ponctuations rouges symbolise comme à Roucadour l’effet buvard de la roche calcaire à travers laquelle semblent devoir disparaître, la tête la première, les images féminines venues du toit de la caverne. C’est le sort des « Femmes-bisons » vouées à être aspirées dans l’orifice en suivant l’itinéraire de l’eau dans la pierre. À moins de deux mètres, un second panneau orne la partie verticale d’un bloc rocheux. À la différence du réduit des « Femmes-bisons » qui peut facilement passer inaperçu au ras du sol, lui est bien visible. Il est vraisemblablement destiné à renseigner le visiteur sur l’importance des lieux. Il comprend une main négative et une plage de ponctuations rouges (illustration 48). On est fondé à croire qu’il est consacré à signifier la disparition des corps à travers la roche que symbolise l’empreinte négative de la main humaine. Il s’agit de celle évoquée plus haut dans le texte que l’on soupçonne appartenir à une femme.

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Illustration 48 : Photographie. Source Wikipédia. Fine main négative près du recoin des « Femmes-bisons ». Il s’agit de la main d’un sujet adulte.

Dans ce cas précis, l’empreinte de main, signe, avant sa disparition à travers le mur, l’ensemble graphique plafond des Hiéroglyphes-réduit des « Femmes-bisons ». Autrement dit, elle est la marque de l’intervention de la femme artiste dont la réputation d’équilibriste n’est plus à faire. Panneau des Chevaux ponctués Le panneau des Chevaux ponctués s’inscrit naturellement dans le droit fil de l’interprétation suivie jusque-là. Il passe pour l’œuvre centrale de l’iconographie de la caverne. Sa réputation n’est pas usurpée, elle figure au registre des réalisations magistrales de l’art des cavernes en Europe. Michel Lorblanchet en réalise l’étude précise. Il en fait même la reproduction dans le cadre de sa démarche expérimentale.

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Les peintures sont situées à l’entrée de la salle préhistorique. Le support rocheux est un pan de paroi verticale plan reposant sur le sol. Il mesure 3,60 m de long pour 1,65 m de haut et dont l’un des bords en forme de bec évoque une tête de cheval. Nombreux sont les pariétalistes qui pensent que cette singularité inspire l’œuvre. Leroi-Gourhan se montre plus réticent sur cette approche qui accorde la primauté au modelé rocheux. Le relief en question est naturel, il n’est pas retouché par l’homme. La fresque (illustration 49), comporte deux chevaux peints en noir adossés par la croupe. Les deux coursiers sont recouverts de ponctuations rouges et noires dont certaines débordent de leurs profils. Il est ainsi vraisemblable, comme le pense Michel Lorblanchet, qu’il ne s’agit pas de sujets à robe pommelée comme le proposent certains observateurs.

Illustration 49 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau des Chevaux ponctués.

Six mains négatives noires complètent les grandes lignes du tableau. On relève également la présence plus discrète de l’empreinte négative de sept doigts repliés de couleur rouge. L’ensemble recouvre des motifs rouges plus anciens : un grand poisson, un cercle échancré, le troisième de la série dans

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la grotte et une minuscule tête de cheval schématique inscrite dans le bec rocheux. Deux plages de peinture rouge figurent en partie supérieure. L’expérimentation qui consiste à reproduire la fresque pour déterminer sa technique d’exécution met en évidence l’utilisation de la méthode du crachis de peinture, du lissage au doigt ainsi que la chronologie d’apparition des motifs dans l’ordre suivant : le grand poisson et le cercle échancré, la petite tête de cheval, ensuite les deux chevaux, les mains négatives, les ponctuations noires enfin les ponctuations rouges, les doigts repliés et les deux plages rouges du niveau supérieur. Ces travaux permettent également d’établir que l’ensemble forme composition et que sa réalisation demande un temps estimé à plusieurs jours. Il nécessite aussi l’intervention de plusieurs individus. Au pied de la paroi décorée, le niveau archéologique de faible épaisseur montre en outre l’existence de petits feux d’éclairage utiles à la réalisation des peintures voire à leur « utilisation rituelle ultérieure ». Une datation radiocarbone sur l’un des deux chevaux lui donne un âge qui se situe autour de 25 000 ans. Le style des chevaux de la caverne est homogène. Ils sont en particulier dotés de têtes réduites mais qui n’atteignent pas le degré de miniaturisation observé sur le panneau des chevaux jumelés. Le poisson au trait rouge au voisinage du cercle échancré est le seul exemplaire de la caverne. Il est d’ailleurs quasiment absent en Quercy au Gravettien dans l’art pariétal et plus généralement aux stades suivants. « Il est possible que les tout premiers dessins du panneau aient été le poisson et le cercle échancré, puis la reconnaissance du bec rocheux semble avoir provoqué la mise en page du grand panneau par les tracés rouges discrets de la première tête de cheval (à l’intérieur du bec) et les courbes dorsales opposées, évocation schématique du thème des chevaux adossés » (illustration 50).

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Illustration 50 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Premiers éléments figuratifs du panneau des Chevaux ponctués : poisson rouge, cercle échancré, petite tête de cheval dans le bec rocheux et tracés courbes.

L’énoncé qui mentionne la présence de la petite tête de cheval rouge inscrite dans le bec rocheux peut facilement passer inaperçue pour un regard non averti. À son sujet on peut se poser la question de savoir si elle est figurée, avec les tracés courbes (il y en a un qui prolonge le tracé du poisson), postérieurement au poisson et au cercle échancré comme le propose le préhistorien. Son idée d’une esquisse préliminaire de la mise en page de la composition est parfaitement recevable. En revanche, l’argumentation qu’il retient pour introduire une chronologie dans la réalisation de ces tracés est plus discutable. Il faut en effet supposer que la forme du bec rocheux est reconnue tardivement par le peintre, alors qu’il a déjà dessiné le poisson et le cercle échancré. On peut présumer à juste titre de la grande sensibilité aux modelés des surfaces rocheuses des artistes paléolithiques. En second lieu, la petite tête de cheval rouge du bec rocheux fait penser qu’elle préfigure, c’est à envisager, celles des têtes microcéphales des deux grands chevaux. Le rapport est pertinent, en tout cas le mieux à même d’expliquer sa présence si tôt dans la chronologie d’exécution des figures. Ce qui signifie que dès les premiers instants, l’artiste identifie une tête de cheval dans la découpe naturelle du rocher. Il faut donc considérer selon nous l’ensemble des premiers tracés rouges 123

comme faisant partie de la première phase d’exécution de la composition. L’avantage que présente la version de Michel Lorblanchet est de dissocier le poisson de l’interprétation des Chevaux ponctués. Il rend le tableau moins énigmatique et conceptuellement plus abordable. Il y a plus de 600 ponctuations dans la grotte, 371 sont rouges, 235 sont noires. Près de 500 sont réalisées par le procédé du crachis de pigment. D’autres plus petites sont issues de tracés digités. Elles se présentent le plus souvent par groupements ou sont isolées. On les retrouve dans d’autres grottes de la région. Elles font partie avec la main négative de la panoplie picturale des Gravettiens. Il est concevable que leur genèse procède d’observations de particularités naturelles présentes sur les parois. « Devant l’animal, se trouve une fissure bordée de deux bandes rouge clair ou lie de vin... qui sont des exsudations naturelles d’oxyde de fer liées à la fissure. Ces taches se rencontrent dans la grotte de Pech-Merle, notamment au début et au fond de la galerie du Combel, où certains préhistoriens les ont confondues avec des tracés préhistoriques à l’ocre rouge ». Dans nos travaux, l’interprétation de la ponctuation soufflée qui simule la pénétration en profondeur des liquides dans le socle rocheux est en adéquation avec le phénomène géologique dominant des causses du Quercy. Le panneau des Chevaux ponctués en compte à lui seul plus de 200 de couleur noire pour une trentaine de couleur rouge. Elles recouvrent entièrement les profils des deux grands chevaux et débordent même largement de leurs contours. Sur le sujet de gauche, d’autres se devinent sous l’aplat noir de l’encolure. Sur la fresque on remarque encore qu’il n’en est pas une qui empiète sur le contour des deux animaux, mis à part, c’est certain, sur le museau du cheval à droite, et possiblement, sans en être sûr, sur le museau de son partenaire. La distribution des ponctuations n’est donc pas anarchique. Dans l’ordonnancement des impacts de peinture sur la roche, les ponctuations rouges ne répondent pas à la même disposition que les noires. Les premières sont toutes incluses dans le périmètre corporel des deux animaux (une seule paraît avoir échappé à ce traitement), les secondes débordant largement de leurs contours. La différence est volontaire. Les rouges venant après les noires dans la chronologie d’exécution, elles prennent place dans les espaces laissés libres sur la robe des deux coursiers. 124

Nous savons qu’à l’origine l’artiste utilise le rouge puis massivement le noir, un travail qui absorbe une grande partie de son temps, pour revenir ensuite au rouge pour la touche finale. Par ailleurs, la disposition de certaines ponctuations peut faire penser à des signes, le rectangle en particulier. Il en va ainsi d’un semis de points noirs qui prend cet aspect sous le ventre du cheval de droite. Il peut s’agir d’une coïncidence formelle. Ces impacts de peinture, à l’instar d’autres dans la composition, ne font que cerner le contour du ventre en question. La même notation vaut dans la galerie du Combel. « À 2,50 m du motif précédent, toujours sur la paroi nord, se voit un groupe de 20 petits points rouges (chacun de 5 à 6 cm de diamètre) obtenus comme précédemment au soufflé puis frottés, affectant la forme d’un peigne à quatre dents... Ce motif rappelle le signe quadrangulaire sous les pattes des Chevaux ponctués... ». Précisons ici que le marquage encadre une excroissance en forme de pointe de la paroi. S’agissant d’un simple encadrement, comme sur le panneau des Chevaux ponctués, il n’est pas si étonnant d’observer des points adopter une forme géométrique. Dans ces deux exemples, le rapprochement avec le signe quadrangulaire, attesté par ailleurs dans l’art pariétal, ne nous paraît pas approprié. La main négative est présente à 6 exemplaires sur le panneau. Le motif est obtenu par la pulvérisation par la bouche de pigment liquide sur la main posée à plat contre la paroi qui fait fonction de pochoir. Il se trouve en périphérie, disposé régulièrement autour des chevaux. D’après les mensurations relevées, les six mains négatives appartiennent au même individu. Ce thème suscite de nombreux écrits et commentaires, souvent liés à des manifestations d’humanité ce qui n’autorise pas à en donner une signification univoque. Les mains négatives sont nombreuses aux stades les plus anciens de l’art pariétal (Aurignacien et Gravettien). Pendant longtemps elles sont considérées comme des manifestations graphiques archaïques. Depuis la découverte de Chauvet où le motif coexiste avec des images d’une haute qualité graphique, les commentateurs pondèrent leur jugement. Selon les auteurs, les mains de la préhistoire font fonction d’affirmation du moi, de prise de possession, de signature, ou de langage codé à Gargas dans les Pyrénées où de nombreuses mains négatives sont privées de certaines de leurs phalanges. D’abord passées pour des 125

mutilations (volontaires ou accidentelles), elles deviennent ensuite code gestuel destiné à la communication entre chasseurs. Le comparatisme ethnographique n’éclaire pas davantage leur signification potentielle. Il est préférable d’en rester au contexte régional des grottes ornées du Quercy où leur présence récurrente permet de les aborder comme une manifestation culturelle puisant à la même source. Quel que soit le sens qu’on leur attribue, les mains négatives ne sont que les empreintes d’un élément du corps humain posé contre la paroi dont il ne subsiste que la trace. La bonne question à se poser est de savoir ce qu’elles deviennent ensuite, si elles connaissent des destinations. La piste que l’on considère à ce propos est celle de leur passage, de leur pénétration en profondeur dans la roche. La proposition n’est pas nouvelle. Elle est inaugurée dans la théorie néo-chamanique de Jean Clottes et de David Lewis Williams, tenants de l’idée de « paroi-membrane » qui cloisonne deux mondes. Dans cette version, il y a celui des gens et celui des esprits présents à l’intérieur de la pierre derrière le voile rocheux que forment, les parois, les voûtes, les sols des grottes. Le chamane est celui qui concrétise la relation avec les esprits et communique avec eux. C’est une autre manière de considérer la perméabilité de la roche. « Les empreintes de mains au pochoir permettaient d’aller plus loin encore. Lorsqu’on mettait la main sur la paroi et que l’on projetait la peinture sur la main, celle-ci se fondait dans la roche dont elle prenait la couleur, rouge ou noire. La main disparaissait métaphoriquement dans la paroi, établissant ainsi une liaison avec le monde des esprits ». De l’art pour l’art au chamanisme : interprétation de l’art préhistorique, 2003, Jean Clottes. On comprend dans cet extrait que c’est l’instant de la disparition métaphorique de la main dans la paroi qui constitue l’essentiel de l’intentionnalité de l’artiste et non pas l’empreinte laissée sur le mur. Nous avons un point de vue approchant, avec cette différence de considérer la trace de la main aussi importante que sa pénétration dans la paroi. Une autre considération est relative au concept de « paroi-membrane » qu’il n’est pas utile d’imaginer, du moins en Quercy, dans la mesure où le socle rocheux est naturellement spongieux et absorbe toutes les eaux de surface. Les parois, les voûtes des grottes sont naturellement des surfaces de passage. Sur le panneau des Chevaux ponctués, l’implication qui en découle est la suivante : les six mains négatives qui cernent la composition délimitent 126

une surface précise du pan de paroi dont nous présumons qu’elle interagit avec les dessins. C’est le phénomène que matérialisent les quelque 200 ponctuations noires de la composition qui débordent les contours des deux grands chevaux. Elles matérialisent la dissolution corporelle graduelle des deux coursiers à travers la pierre. Mais le terme qui convient le mieux pour qualifier le processus est celui de liquéfaction. Les ponctuations rouges matérialisent pour leur part ce qui reste des corps à l’issue de l’opération. Les doigts rouges repliés attestent de la même décomposition des mains négatives, du moins ce qu’il en reste et ce n’est peut-être pas le fait du hasard si dans la chronologie d’exécution, points et doigts rouges appartiennent à la dernière phase d’exécution du tableau. Dans ce déroulement, la couleur utilisée est hautement significative. Le rouge est à l’origine, puis vient le noir pour un retour au rouge à la fin. Nous disposons à présent d’un contexte favorable à l’interprétation du montage graphique qui met en jeu la minuscule tête du cheval de droite sur le bec rocheux au relief suggestif. À partir de l’identification supposée rapide par l’artiste du bec rocheux rapporté à une tête de cheval, le peintre, dès le début, n’a pas l’intention de l’utiliser à cette fin. C’est une interrogation pour les préhistoriens dont les analyses sont partagées sur ce point. Pour Henri Breuil, la microcéphalie des chevaux peints est due au style de l’artiste. Michel Lorblanchet partage cette opinion : « L’étonnant cheval naturel qu’offrait la grotte a été perçu par les Paléolithiques. Le cheval noir, de 1,60 m de longueur dessiné en partant du bec est une éclatante confirmation, une exultation de la volonté de la roche. Toutefois celle-ci ne commande pas entièrement la composition : l’animal ne complète pas le bec rocheux. À l’injonction de la paroi, l’artiste répond à sa manière, par son cheval qui ne respecte pas les proportions proposées par le calcaire ». D’après l’auteur la force du support est connue du peintre, mais ce dernier sait la maîtriser en « imposant son style ». Le point de vue d’Alain Testart rejoint celui du préhistorien : « En ce qui concerne Pech-Merle, il apparaît aujourd’hui incontestable que les chevaux à tête minuscule sont un pur effet de style, qui se retrouve ailleurs, tout comme les têtes de chevaux en forme de bec de canard de Roucadour (Lot) » Art et religion de Chauvet à Lascaux. Une autre proposition est issue de la théorie chamanique. 127

« À plus large échelle, la tête de l’un des « chevaux pommelés » bien connu de Pech-Merle (Lot) est suggérée par la découpe naturelle de la roche... Cependant, dans ce cas l’artiste a déformé la tête du cheval peint et l’a rendu ridiculement petite. De ce fait, la forme rocheuse est plus proche de la réalité anatomique que la tête peinte. Tout se passe comme si ce relief avait suggéré « un cheval » et pourtant l’artiste n’a pas peint un « vrai » cheval mais un cheval disproportionné, peut-être un « cheval esprit ? ». Les chamanes de la préhistoire, texte intégral, polémiques et réponses, 2001, Jean clottes, David Lewis Williams. Denis Vialou, toujours prudent dans le domaine des interprétations, s’exprime aussi sur le même thème : « Le cheval de droite est placé au bord de la découpe rocheuse, strictement naturelle, dont le sommet dessine avec une vraisemblance stupéfiante une tête et une encolure de cheval ! C’est dans cette tête de cheval mais purement naturelle que l’artiste a placé la tête disproportionnée de son œuvre : l’image réelle et conventionnelle se confond dans un artifice symbolique d’une grande profondeur ». L’art des cavernes, 1987. Le préhistorien belge Marcel Otte s’en tient à la dimension impressionniste du tableau : « Sans oublier le fameux panneau des Chevaux ponctués du Pech-Merle où la tête de l’équidé de droite, minuscule, s’inscrit parfaitement dans le contour de la lame calcaire naturellement échancrée dessinant elle-même une tête de cheval, au point que l’œil ne voit qu’elle aux dépens de la trop petite tête en noir pâlie par les millénaires ». Les Gravettiens, 2013. À l’exception d’Alain Testart qui ignore la forme du bec rocheux dans ses derniers écrits, tous ces spécialistes établissent un rapport certain entre les deux têtes : la tête peinte et la découpe naturelle de la roche. Sa nature en revanche reste énigmatique et l’argument du style ne sert pas vraiment à en éclairer la problématique, elle tend plutôt à l’écarter. Pourtant l’observation montre que le peintre paléolithique porte effectivement un grand intérêt au bec rocheux. Il l’a rempli, tout autour de la tête microcéphale et de l’encolure du cheval, d’impacts de peinture noire parmi les plus nettement marqués du panneau. L’un d’entre eux oblitère même le museau de l’animal mais peut-être par hasard. Jean Clottes remarque par ailleurs comme Michel Lorblanchet que la référence à une certaine réalité anatomique commande le rattachement du 128

corps du cheval au bec rocheux et il n’est pas interdit de penser que l’artiste y a aussi songé dans son projet. C’est à ce stade de la réflexion que le recours à notre approche préliminaire prend tout son sens. En effet, dans l’hypothèse de la liquéfaction du profil de cheval dans la profondeur de la paroi il n’est pas anormal de le voir graduellement rétrécir sur le mur en commençant par la tête et l’encolure. On comprend immédiatement, qu’à l’origine, le corps de l’animal est conçu pour se raccorder au bec rocheux avec lequel il est proportionné. Ce qui signifie que l’artiste identifie très tôt une tête de cheval dans la forme du relief. Dans le processus de dissolution, la contraction, le recroquevillement des contours de la tête et de l’encolure de l’animal dessiné provoquent leur retrait de la lame rocheuse. Il n’en subsiste que les ponctuations noires qui figurent sur le bec rocheux. Autrement dit, les deux têtes présentes sur la paroi appartiennent au même individu à deux moments différents du phénomène. Pour adhérer à l’explication, il est bien entendu nécessaire de considérer la vocation que l’on donne aux ponctuations, c’est-à-dire leur propension à symboliser la pénétration, l’infiltration des liquides à travers la roche. On est par ailleurs fondé à croire que la programmation de l’effacement des figures, quelle qu’en soit la raison, commence le plus souvent par la tête. C’est le cas sur le plafond digité ou encore dans le réduit des « Femmes-bisons ». L’ensemble de ces compositions n’est pas vraiment figé. Elles traduisent des évolutions ce qui, il faut bien le reconnaître, ne saute pas aux yeux de l’observateur moderne. On peut aller plus loin dans l’interprétation en s’intéressant à la coloration noire de l’encolure des deux coursiers qui les fait étrangement se ressembler. Cependant, de l’un à l’autre, le remplissage de peinture présente une différence sensible. Il est moins marqué sur celui de gauche, presque grisé, laissant transparaître des ponctuations noires. Dans son expérimentation, Michel Lorblanchet reproduit nettement la différence. Il ne s’agit pas d’une érosion différentielle du support rocheux survenue au cours du temps mais d’une démarche intentionnelle visant à rendre transparente la coloration noire pour laisser visibles les ponctuations sousjacentes. Sur le cheval de droite, le premier dessiné, l’encolure est d’un noir plus appuyé.

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Le constat conduit à la proposition suivante. Le recroquevillement de la tête et de l’encolure chez ce dernier, dont les lignes se resserrent graduellement depuis le bec rocheux aboutit mécaniquement à la coalescence des ponctuations noires qu’il contient à l’origine. C’est la raison principale de la présence du second cheval à gauche. Il permet à l’observateur de comprendre le mécanisme enclenché à droite où la tête et l’encolure sont en train de se liquéfier. C’est aussi l’explication à la présence du poisson rouge figuré dessous. Il a la tête virtuellement dans l’eau, c’està-dire dans le noir de l’encolure du cheval. Naturellement, il émane de cette fusion un écoulement liquide. Il se produit au long du poitrail de l’équidé, pour aboutir opportunément à l’ouverture du cercle échancré situé plus bas qui fait fonction d’avaloir. Le préhistorien, dans son étude précise de la figure, a peut-être retrouvé les traces de ce déversement dans le motif géométrique : « Trois bandes parallèles, verticales, plus foncées, larges d’environ un centimètre et demi, se distinguent dans le noir de l’encolure du cheval de droite. Elles correspondent à des traces laissées par frottement de trois doigts médians d’une main ayant étalé le pigment préalablement déposé par le crachis pour le rendre plus couvrant, lui donner de la vivacité... ». Le chercheur s’en tient à l’explication du procédé technique qui associe crachis de peinture et lissage au doigt. Mais ce qu’il ne précise pas c’est que ces trois bandes verticales tombent au centre du cercle échancré rouge qui de surcroît apparaît partiellement ouvert (illustration 51).

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Illustration 51 : Dessin. Tête et encolure du cheval de droite sans coloration noire. Les trois bandes parallèles verticales de Michel Lorblanchet sont centrées sur le cercle échancré sousjacent au poitrail du cheval dont l’encolure et la tête se liquéfient et s’écoulent à l’intérieur de l’avaloir. Le processus explique le rétrécissement de la tête du cheval sur la lame rocheuse.

Nous devons en conclure que les tracés rouges de la phase préliminaire de la composition enrichissent l’œuvre jusque dans sa phase terminale. Il n’y a pas grand-chose à dire de plus sur l’aspect général des deux grands chevaux, celui de gauche paraissant moins mité par les ponctuations noires que son partenaire. Orientés à l’opposé l’un de l’autre et superposés par la croupe, légèrement décalés en hauteur ils procurent la sensation d’un bon équilibrage de l’ensemble qu’ils forment. À cet égard, dans un article du Bulletin de la Société Préhistorique Française, Jacques Picard donne en 1997 une intéressante analyse de la composition dans laquelle il aborde diverses problématiques dont la double image du cheval : « Les deux chevaux se ressemblent étrangement, avec une même disposition des pattes arrière statiques, des pattes antérieures frêles et projetées en avant... La symétrie est totale par rapport à un axe au niveau 131

des arrière-trains, c’est-à-dire la partie immobile des corps. Lorsque le contour du cheval de droite est renversé et superposé à celui du cheval de gauche, il apparaît que leur ressemblance est une quasi identité... ». Les questionnements de Jacques Picard sont de vrais sujets : s’agit-il du même individu représenté du côté droit puis du côté gauche ou bien de deux chevaux dessinés en perspective ? Sur ce dernier point on peut penser que l’animal de gauche n’a pas de réelle matérialité. Peut en témoigner la croupe de son partenaire qui apparaît par transparence au travers. De plus, selon nous, tout se passe à droite. Mais nous n’avons pas d’argument décisif à proposer en faveur de la thèse du sujet unique, le cheval de gauche explicitant simplement le montage graphique à droite. D’ailleurs il est possible que l’artiste ne se soit même pas posé la question, les deux images étant vouées à la disparition de la surface rocheuse avec pour destination vraisemblable d’alimenter le ruisseau des profondeurs. C’est conforme au phénomène d’engloutissement des eaux de surface sur le causse. Le panneau des Chevaux pommelés offre cette occasion, rare dans l’art des cavernes, d’entrevoir la nature du rapport de l’artiste paléolithique à la paroi qu’il projette de décorer. Il s’inspire naturellement du modelé de la roche, de ses caractéristiques morphologiques en lui allouant une fonction qui n’est pas celle du support destiné à une simple visée figurative. Les Paléolithiques ne descendent pas dans l’obscurité des grottes pour y satisfaire simplement leur goût de la représentation.

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Illustration 52 : Dessin d’après Jacques Picard. La superposition des deux images de chevaux aboutit à conclure à leur quasi identité.

La Frise noire La Frise noire forme l’ensemble figuratif qui met en jeu le plus grand nombre d’animaux à Pech-Merle. Elle se loge dans une alcôve de la salle dite de la Frise noire, sorte de vaste antichambre qui conduit à la salle préhistorique. L’abbé Lemozi la baptise « la chapelle des mammouths ». Le pachyderme est en effet présent à une dizaine d’exemplaires dans la composition. Il y en a exactement 11 accompagnés de 5 bisons, 4 chevaux et 4 aurochs. Une petite nappe de points rouges vient en complément (illustration 53). D’après le style et la technique des tracés, la frise est homogène. L’expérimentation révèle qu’elle demande moins de 2 heures de travail contre 5 jours pour les Chevaux ponctués.

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Illustration 53 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. La Frise noire mesure 7 mètres de long sur 3 mètres de haut. Les lignes pointillées figurent les joints de stratification de la surface rocheuse.

La frise est réalisée au fusain, elle occupe schématiquement deux espaces. Un réduit en forme d’entonnoir à gauche, haut de 1,50 m à l’entrée, dont la voûte s’abaisse au fond pour rejoindre le sol, où un trou fait office d’orifice de l’entonnoir. Le second espace orné, ouvert sur la salle, concentre la majorité des figurations sur une surface régulière, libre de concrétion. L’œuvre n’est pas intacte, elle présente des destructions : érosion, écaillage, des coulées de calcite gomment certains traits... S’ajoutent des frottements de doigt d’origine moderne. « L’existence d’une grande fissure horizontale au milieu de la paroi (joint de stratification principal) a imposé à l’artiste une ligne de force naturelle qui joue le rôle d’une sorte d’axe de symétrie de la composition de la frise, les figures s’alignent au-dessus et au-dessous de la fissure ». L’appréciation est en adéquation avec ce que l’on observe sur le mur, du recoin de l’alcôve jusqu’au centre de la frise. Si l’on reste dans le même référentiel interprétatif relatif au fonctionnement des réseaux karstiques du causse, il convient d’accorder à la morphologie de la paroi une attention soutenue. À côté de la grande fissure horizontale signalée par le préhistorien qui traverse le panneau de part en part, il en existe une seconde, plus discrète qui court dans la partie inférieure. Elle semble, elle aussi, être une référence dans la mise en place de certains animaux. En effet, à la sortie de l’entonnoir, le déversement des quatre aurochs (mieux conservés que les chevaux qui les accompagnent) en 134

direction de l’espace central montre deux trajectoires différentes. Elles correspondent précisément aux deux joints de stratification du panneau. Dans le bas du panneau la divergence s’opère à hauteur de l’aurochs figuré la tête en bas baptisé « la vache tombante ». Au-dessus, la fissure principale guide sensiblement à l’horizontale les autres animaux (deux aurochs et deux chevaux) sortant de l’entonnoir vers la partie centrale de la frise où prend place le grand cheval (1,30 m de long) véritable point focal de la composition. L’animal paraît jouer le rôle de pivot autour duquel gravitent les animaux qui l’entourent. L’étude des superpositions des tracés montre qu’il est le premier à prendre place sur le mur dans l’ordre d’exécution. La proposition d’un second chemin qui suit la fissure du bas aboutit, en dépit d’une mauvaise conservation des dessins à cet endroit, à une plage de ponctuations rouges. Elle recouvre le seul mammouth de la partie centrale de la composition qui tourne le dos à la ronde animale déployée autour du grand cheval. Nous sommes au bout d’un itinéraire très court qui ne trouve plus de prolongement, aspiré, c’est probable, à l’intérieur de la roche à hauteur de la plage de ponctuations rouges. Posons le principe suivant lequel la disposition de l’ensemble des animaux se calque sur la circulation des eaux à la surface du causse suivant ses fissures. L’alcôve en forme d’entonnoir correspond à une résurgence où l’eau jaillit sous pression à la lumière du jour. C’est la fonction des mammouths présents dans le recoin, en particulier celui qui enveloppe la voûte. L’effet a pour conséquence le déversement des chevaux et des aurochs sur la partie centrale de la frise avec en bas un chemin qui conduit à un enfouissement rapide comme une perte en profondeur. Le jaillissement liquide est porté principalement par les aurochs affectés de ce qui peut aussi passer pour la marque de fonctions vitales. « La représentation du souffle sortant des naseaux ou de la bouche, ou les deux à la fois est constante chez les aurochs (A1 à A4) et présente sur le cheval central ». Au-dessus, la fissure principale canalise la file des animaux et les conduit au centre de la frise. Elle tourbillonne autour du cheval central où le mammouth fait toujours fonction d’enveloppe de la cohorte animale et où le bison se substitue à l’aurochs pour une raison qui nous échappe.  Dans ses conclusions sur la construction de l’œuvre, le chercheur fait un rapprochement intéressant avec le cercle échancré : « Il est possible que 135

la composition même de la Frise noire, telle que nous l’avons relevée, illustre encore la symbolique du cercle échancré puisque partant d’un point formé par le cheval, la composition a progressé en suivant une trajectoire courbe constituée de bisons, puis de mammouths, pour revenir finalement vers la région du départ par une ultime file d’aurochs ». La dynamique de la construction graphique ainsi présentée n’est pas loin de faire penser à celle de l’écoulement des eaux autour d’un siphon, en l’espèce un trou ouvert sur le causse. Il y a aussi les dolines qui peuvent paraître sèches en surface mais restent perméables en profondeur au point que, parfois, l’érosion par le fond peut les faire s’effondrer brusquement pour former un trou circulaire. La Frise noire de Pech-Merle offre au visiteur une véritable stratigraphie du pavé calcaire qui recouvre le causse. Le récit imagé de la circulation des eaux par la mise en scène des animaux est une hyperbole. L’Ossuaire Depuis l’entrée préhistorique, côté occidental, à une cinquantaine de mètres en suivant la paroi droite de la galerie principale le visiteur accède à la salle de l’Ossuaire. Il y parvient par un boyau étroit long d’une douzaine de mètres. Au paléolithique, le parcours nécessite la reptation pour progresser à l’intérieur. Les lieux sont donc d’accès difficile. La salle de forme sensiblement ovale, longue d’une trentaine de mètres pour un peu plus de dix de large, est basse de plafond. Sa hauteur varie de 1 à 3 m. L’endroit doit son nom à l’abondante présence sur son sol d’ossements d’ours. La décoration de l’Ossuaire est dégradée par des phénomènes érosifs et le vandalisme de visiteurs modernes. Nous n’en retenons que les éléments graphiques pouvant être interprétés. Le plafond de la salle est le siège de nombreux tracés digités endommagés. Au fond, la voûte est couverte d’une soixantaine de ponctuations digitées rouges. Elles figurent sur un support fissuré adjacent à une surface qui présente de nombreuses vermiculations d’argile : « D’autre part, le groupe de ponctuations est une parfaite réplique des vermiculations de la surface rocheuse : il est situé sur le bord de la zone de zone de vermiculations, les points ayant la même dimension et à peu près la même couleur (plus accentuée) que les petits amas d’argile constituant les vermiculations. Les ponctuations apparaissent comme des 136

vermiculations artificielles ». Ainsi, l’imitation plastique avérée à laquelle se livre l’artiste dans le cas présent montre son intérêt pour la structure rocheuse. C’est le cas partout dans la caverne. Il est relatif aux qualités, aux spécificités géologiques du minéral scrupuleusement ausculté ce que le Paléolithique n’hésite pas à montrer par le marquage de la paroi. Mis à part deux tracés noirs dans un recoin de la salle pouvant figurer sans en être certain un cheval et un cerf, le seul motif figuratif est le dessin d’un cervidé réalisé au doigt sur la surface argileuse d’une concavité à la sortie du boyau d’accès (illustration 54).

Illustration 54 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau du Mégacéros. Petite tête de cervidé associée à une ramure géante, à un motif circulaire et à un tracé sinueux.

Le dessin recouvre une série de tracés digitaux qui tapissent le fond du panneau qui mesure 2,30 m de long sur 1 m de hauteur. L’animal s’identifie probablement à un cerf géant, il mesure 1,45 m de long sur le mur. « Par-dessus cet ensemble, le mégacéros est dessiné en commençant par la palme de la ramure, sorte de motif digité auquel une tête minuscule (conformément aux canons stylistiques de Pech-Merle), des andouillers de base et un étrange corps en forme de bouteille, ont été ajoutés ». Dans ce passage, la référence au style est encore difficile à soutenir, ou alors elle doit s’appliquer aussi à « l’étrange » corps en forme de bouteille. Dans le cas présent, la distinction est arbitraire, elle ne trouve

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aucune justification. À Pech-Merle la réduction des têtes, voire leur disparition est synonyme de pénétration dans un trou comme le passage des effigies féminines dans le cercle échancré sur le plafond des Hiéroglyphes et sur le panneau des « Femmes-bisons » ou encore dans l’épaisseur de la roche sur le panneau des Chevaux ponctués. Ces considérations conduisent à revenir sur la localisation du panneau du Mégacéros. Il se trouve précisément à la sortie du boyau d’accès à la salle à l’issue d’un véritable exercice spéléologique qui demande de ramper sur plus de 10 mètres. Il faut imaginer l’inventeur du dessin et peut-être le découvreur de la salle, à plat ventre, couvert de boue, en proie aux aspérités du conduit, tenant à la main une lampe à graisse, sans savoir où conduit sa progression dans l’étroit tunnel. De ce côté de l’éboulis d’entrée de la grotte, globalement, l’évolution dans le souterrain ne présente pas autant de difficulté. Une attention particulière est alors à porter à ces séquences délicates de l’exploration souterraine qui peuvent susciter, l’homme encordé peut en témoigner, une iconographie à la marge, propre à ces évènements. Le postulat entraîne à la considération suivante. Ce qui détonne sur le panneau du Mégacéros, ce n’est ni la tête minuscule du cervidé, ni son étrange corps en forme de bouteille les pattes arrière rejetées le long du corps. Ces deux segments anatomiques sont parfaitement adaptés au conduit d’accès que figure le petit motif circulaire. La ramure géante en revanche n’a pas sa place dans un espace aussi étroit. Elle est d’ailleurs en partie désolidarisée de la tête. La ramure géante à cet endroit est incongrue. C’est la signification d’un dessin qui met en rapport l’énorme envergure d’une ramure de cerf géant avec un trou de souris. La combinaison n’est pas exempte d’un trait d’esprit certainement porté à l’exagération dans un moment de grande difficulté à progresser dans le souterrain. Pour être complet, la reptation de l’homme dans l’étroit boyau est représentée par le tracé sinueux figuré sur la gauche du panneau. C’est la version qui nous séduit le mieux. Mais pour faire bonne mesure, il y en a une seconde qui rend l’ensemble des tracés compatibles entre eux. Au sortir du conduit, les grandes perches du cervidé symbolisent l’élargissement de l’espace au seuil de la salle et font fonction de panneau indicateur dans l’obscurité des lieux. La traduction a cet avantage de se voir confirmée dans la galerie principale, à quelques mètres de l’entrée du boyau 138

de l’Ossuaire. La figure est inédite, elle est découverte par Michel Lorblanchet. Un dessin au trait noir (0,46 m) suit une fissure horizontale, il s’apparente étrangement au corps miniature du grand cerf (illustration 55).

Illustration 55 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Motif noir de la galerie principale, paroi droite, réglé sur une fissure horizontale. Sa forme rappelle celle du corps du mégacéros dessiné au sortir du conduit vers l’Ossuaire.

La galerie du Combel L’espace souterrain côté oriental, de l’autre côté du cône d’éboulis de l’entrée, se divise en trois secteurs : la « galerie peinte », la galerie du « dortoir des ours », la « galerie vierge » point bas de la caverne. La décoration dans ce secteur se limite à la « galerie peinte ». Elle comprend elle-même deux parties distinctes, la « cage au Lion » d’une part, la salle des « Antilopes » et la salle des « Ponctuations » d’autre part (illustration 56). On est en réalité dans le même conduit mais au paléolithique, la « cage au Lion » ne communique pas avec les deux autres réduits. « Le boyau qui s’ouvre sous les peintures du lion et des chevaux était très étroit au paléolithique : la fouille a montré qu’au moment de l’exécution des peintures son entrée n’offrait qu’un espace de 35 cm de hauteur pour 60 cm de large ce qui permettait à un homme de s’engager dans l’ouverture avec beaucoup de difficulté. Mais la progression devenait aussitôt impossible... ». Dans ce passage, il est fait état du goulet d’étranglement qui se situe au fond de la « cage au Lion » qui communique certainement très anciennement avec la salle des « Antilopes », en tout cas avant l’arrivée des Paléolithiques. Il est établi en effet que des éléments du cône d’éboulis d’entrée sont présents sur le sol des deux espaces. D’après 139

un sondage par balise, La distance qui sépare les deux secteurs est de l’ordre d’une vingtaine de mètres. Elle est auparavant estimée à beaucoup moins comme le montre ce passage : « ainsi, malgré leurs efforts de déblaiement révélé par la présence d’une pelle formée d’une omoplate de boviné déposée à l’entrée du boyau, les Paléolithiques n’ont sans doute pas réussi à établir la jonction directe entre la « cage au Lion » et les « Antilopes ». Ils n’ont pas réussi à franchir en ligne droite la douzaine de mètres qui sépare les deux endroits ».

Illustration 56 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. En haut : plan de la galerie du Combel : 1-entrée actuelle, 2-entrée préhistorique et éboulis, 3-dortoir des Ours, 4-cage au Lion, 5-les Antilopes, 6-les ponctuations, 7-galerie Vierge. En bas : coupe en long du Combel, secteur de la cage au Lion : 1-entrée paléolithique, 2-sol préhistorique, 3-cage au Lion, 4-peintures. Une racine pend au plafond dans cette partie du Combel.

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Il est possible comme le montre le plan de contourner l’obstacle en passant par le « dortoir des Ours », la salle des « Ponctuations » pour remonter vers la salle des « Antilopes » au plus près de la « cage au Lion ». « Les Paléolithiques qui ne possédaient pas l’équipement topographique dont nous disposons aujourd’hui, avaient-ils conscience de l’existence d’une communication originelle entre la cage au Lion et les Antilopes ? Ce n’est pas certain. Pour demeurer objectif, il faut simplement remarquer leur désir de s’enfoncer sous terre... ». Le chercheur se pose à bon escient la question de l’intention de faire communiquer les deux conduits puisqu’ils sont ornés à leurs deux extrémités de part et d’autre de la galerie peinte obstruée par le bouchon d’argile. On est en droit de se poser aussi la question de la faisabilité de l’entreprise. La grande connaissance du milieu souterrain des Paléolithiques permet de penser qu’ils n’ignorent pas la distance, au moins à l’estime, qui sépare les deux secteurs. Or, si l’on se réfère au descriptif du boyau terminal de la « cage au Lion », elle offre très peu de perspective de progression. Comment en effet travailler à son dégagement dans un espace dont la hauteur ne dépasse pas 35 centimètres compte tenu de la distance à parcourir ? Il faut se demander si la fameuse pelle formée dans une omoplate de boviné n’a pas une autre vocation que celle évoquée par le préhistorien. Le panneau de la « cage au Lion » se trouve à l’extrême fond du premier bras de la galerie du Combel. Le sol en pente est traversé par un chenal conduisant par intermittence les eaux de ruissellement vers le boyau terminal où elles disparaissent. À cet endroit, les peintures occupent une concavité de 1,50 m de largeur et de 1,30 m de hauteur. La voûte décorée surplombe l’entonnoir où se déverse le ruisseau. Un seul individu peut y prendre place. Pour peindre, il est obligé de se coucher sur le dos avec les pieds engagés dans le goulet. Une position pour le moins inconfortable devenant carrément désagréable lors de l’écoulement de l’eau : « Le fait d’être obligé de se mouiller lorsque l’écoulement fonctionne n’est nullement un obstacle et pouvait même être un élément du rite. Il est possible sinon probable qu’une relation symbolique a existé entre les peintures et le filet d’eau intermittent disparaissant dans la chatière et les profondeurs de la terre ».

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Dans la grotte de Pech-Merle, il devient difficile de faire appel au hasard lorsqu’il s’agit de relier la décoration à l’écoulement des eaux et à leur disparition sous terre à travers la roche. La teinte du support rocheux du panneau décoré se décline en trois couleurs : le blanc dans sa partie supérieure, le brun clair au centre, le brun foncé plus bas. Ces deux dernières colorations correspondent à deux niveaux d’inondations des lieux. « La présence et même l’abondance de l’eau en cet endroit sont attestées également par deux niveaux d’inondations visibles sur le panneau même des peintures pariétales qui dominent la fouille. Il est clair qu’un filet d’eau s’écoulait dans le boyau et qu’une vasque d’eau s’est temporairement formée dans cette salle lorsque le conduit n’a pu évacuer une forte arrivée d’eau ». En bref, le boyau d’écoulement s’est bouché à au moins deux reprises, provoquant des retenues d’eau. L’auscultation très précise de la surface rocheuse par les visiteurs préhistoriques montre qu’ils ne l’ignorent pas : « Toute la concavité a été touchée et frottée verticalement avec les doigts comme si elle avait été caressée ou « peignée » manuellement ». Vingt-deux ponctuations rouges sont imprimées sur le blanc du calcaire, elles correspondent à la première tranche d’exécution des peintures. Plus bas sur la zone brun clair de petites mouchetures rouges répondent peut-être à un geste d’aspersion d’eau colorée sur le mur. Le dessin d’un lion rouge de 1 mètre de longueur vient ensuite. « Comme les chevaux qui l’accompagnent, ce félin a été tracé au pigment rouge lie-de-vin... L’animal paraît puissamment dressé sur ses antérieurs alors que son arrière-train à peine esquissé paraît plus faible ». L’illustration 57 présente l’ensemble du panneau de la « cage au Lion ».

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Illustration 57 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau de la « cage au Lion ». La marque des deux niveaux d’inondation est très repérable sur la voûte où il s’inscrit. En bas s’ouvre le boyau terminal où disparaissent les eaux.

Le félin, figure centrale dans la composition présente dans le dessin de son profil une disproportion flagrante. Elle se trouve dans le rapport du corps à l’arrière-train presque ridiculement réduit. C’est en isolant la figure qu’apparaît le mieux cette curiosité graphique (illustration 58). Le vocable « faible » utilisé dans la présentation du chercheur n’est pas suffisant pour qualifier cette partie anatomique, il s’agit plutôt d’une anomalie volontairement introduite par l’artiste dans son dessin (illustration 58). L’approche entraîne un vrai sujet. Elle ne permet plus d’interpréter un animal puissamment dressé sur ses appuis antérieurs. Elle donne plutôt l’image d’un animal à la peine. Il est permis d’observer au passage que l’arrière-train réduit est inscrit sur la plage colorée en brun clair du support rocheux alors que la bête reste bien proportionnée dans ses lignes corporelles sur la surface de calcaire blanche, queue comprise. Un élément graphique extérieur au dessin du félin confirme la possible influence de la coloration de la paroi. Il concerne le cheval qui lui est superposé. Il 143

présente à son tour une autre anomalie graphique. Elle se trouve dans la longueur du membre avant, un peu court, qui repose en limite inférieure de la partie blanche et le membre arrière trop long en rapport qui plonge franchement dans la partie teintée en brun clair (illustration 59).

Illustration 58 : Dessin. En isolant le félin de la composition, la distorsion graphique de son arrière-train avec le corps devient plus flagrante.

Illustration 59 : Dessin. Cheval superposé au félin. Son membre avant repose en limite inférieure de la partie blanche, tandis que le postérieur plonge dans la partie teintée du support. C’est la différence qui entraîne son allongement excessif relativement à l’avant. Le dessin de son museau s’efface sur une ponctuation rouge.

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Il est possible de penser que la teinte de la paroi infère sur le dessin des animaux. Plus discrètement, il en va sensiblement de même dans la partie supérieure du plan rocheux, sur la partie blanche ponctuée. On y relève encore sur le cheval, l’interruption du tracé du museau sur une ponctuation de peinture soufflée dont on sait qu’elle précède dans la chronologie d’exécution la mise en place de l’équidé. La tache dissout le segment graphique ou alors c’est le bout du museau qui se dissout et fait tache. La même coïncidence se retrouve sur le cheval de droite du panneau des Chevaux ponctués. Les tracés de l’encolure croisent également deux autres taches rouges vouées au même but. C’est conforme à l’idée que la ponctuation soufflée a cette fonction de figurer la dissolution des tracés des corps en commençant par la tête puis par l’encolure. Mais il est intéressant de le noter pour une autre raison. Le même procédé, affectant les mêmes parties anatomiques, sur la même espèce animale, utilisé à deux endroits très éloignés l’un de l’autre, l’un dans les galeries occidentales l’autre dans les galeries orientales montre probablement que sa réalisation ne connaît pas un grand écart dans le temps. La notation plaide en faveur de l’ouverture des deux côtés du cône d’éboulis d’entrée pendant la durée d’utilisation du sanctuaire. Un autre détail concourt à renforcer l’idée que la marque des deux niveaux d’inondation est prise en compte par l’artiste paléolithique dans son schéma graphique. Il aligne sensiblement ses deux rangées de ponctuations suivant leur courbure sur le mur (illustration 59). Plus bas dans la composition, deux autres chevaux orientés à l’opposé du lion et du cheval sont presque entièrement dessinés sur la partie brun clair. Les deux animaux sont dans le même étagement sur la paroi, leurs encolures mordant sur la partie blanche de la roche. Le plus grand est presque complet, son suivant est réduit à une esquisse. L’accent mis sur les teintes de la paroi tient à ce qu’elles forment de bons repères sur le plan rocheux pour l’artiste au détriment peut-être des fissures du support, pourtant bien visibles, qui ne semblent pas être mises à profit dans la composition. Le chercheur fait la remarque : « Ce qui est admirable chez ce lion est la façon dont il utilise le caractère bicolore du support : l’animal est placé de telle façon que son corps est de la couleur claire du calcaire alors que sa ligne ventrale est suggérée par la marque d’inondation ».

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Pour être plus précis, à l’avant de la figure, la marque de la ligne d’eau correspond bien à la ligne ventrale du grand félin qui n’est pas dessinée, mais remonte trop rapidement à l’arrière pour être correctement proportionnée à la partie avant. Elle est en revanche parfaitement adaptée au dessin de l’arrière-train réduit de l’animal puisqu’elle passe sur le haut de sa cuisse. Tout semble se passer comme si le niveau d’inondation commande la dimension de certains segments du dessin. On l’observe aussi sur les jambes du cheval superposé au félin avec un effet différent. Sur le félin c’est un rétrécissement des lignes, sur le cheval c’est un étirement (illustrations 58 et 59). Il y a de quoi penser que la ligne d’eau n’a pas seulement fait fonction de repère graphique. C’est une nouvelle fois souligner l’intérêt des Gravettiens à Pech-Merle pour l’écoulement des eaux à l’intérieur du souterrain. C’est aussi le fil conducteur de l’interprétation. L’espace de la « cage au Lion » est source d’inspiration pour l’artiste. Il comprend d’emblée que les teintes brun clair et brun foncé sont les marques d’inondations provoquées par l’obstruction du trou par lequel s’écoulent ordinairement les eaux de ruissellements. Elles sont pour une bonne part issues de la cheminée d’entrée et s’écoulent sur le versant oriental du cône d’éboulis d’entrée jusque vers la « cage au Lion ». C’est la base d’après laquelle il conçoit le contenu et la structuration de son dispositif graphique. Sur la surface calcaire blanche il projette par le procédé du crachis de pigment une série de ponctuations rouges qui symbolise comme partout ailleurs dans la caverne cette capacité d’absorption de l’eau par la pierre. Elle est récurrente sur le causse. Mentalement il introduit ensuite dans son projet cette idée de trop-plein des eaux qui ne parviennent plus à s’écouler dans la terre provoquant débordements, inondations et... victimes. Autrement dit, on en vient à considérer que le dessinateur intègre dans son œuvre non seulement les deux niveaux d’inondation, mais en cette circonstance, l’élément eau lui-même. Les animaux qu’il représente sur le mur risquent tout simplement virtuellement la mort par noyade. Ainsi, les deux chevaux de la partie inférieure de la composition sont-ils en voie de submersion totale. Pour eux il est certainement trop tard. Plus haut, les deux autres, le grand lion et le cheval baignent pour partie dans l’eau. Le félin dont la réputation n’est pas celle d’être un grand nageur (il déteste 146

même l’eau) tente d’éviter le piège en se dressant péniblement sur ses antérieurs. Sous la poussée chétive d’un arrière-train trop frêle il émerge péniblement au-dessus de la surface. Il relève ostensiblement la queue pour éviter le contact désagréable avec le liquide. Le cheval qui l’accompagne, partiellement épargné, cherche un appui sous l’eau en étirant son membre arrière pour s’extraire définitivement de ce mauvais pas. La version peut prêter à discussion, et on peut bien voir le lion se dresser majestueusement sur le mur. C’est le cliché le plus fréquent que l’on retient de la bête. Notre traduction permet néanmoins de répondre aux différentes observations repérées sur les dessins : leur disposition dans l’espace graphique, leurs anomalies picturales, l’identification de la relation de la coloration du support avec les figurations, en sachant qu’au paléolithique la grotte joue aussi « le rôle d’un piège à faune quaternaire ». Enfin elle éclaire d’un jour nouveau la fonction de la pelle formée dans une omoplate de boviné. Elle ne sert qu’à agrandir le conduit pour permettre au ruisselet de poursuivre son cours sous la terre sans craindre de nouvelles obstructions. C’est plus réaliste que l’idée de jonction de la « cage au Lion » avec les « Antilopes ». Cela révèle le curieux rapport de l’artiste avec le monde souterrain. Il touche vraisemblablement à ses croyances métaphysiques. Le contournement du conduit est possible par la galerie du dortoir des Ours, où au fond, après avoir franchi une chatière, le visiteur entre dans une galerie accidentée qui mène à la galerie Vierge en direction de la salle « des Points ». La principale décoration de la salle « des Points » concerne son plafond bas à portée de main : « La formation principale de cette salle vouée aux grosses ponctuations... est constituée par le grand motif ponctué du plafond : il comprend 40 grosses ponctuations rouges obtenues au crachis s’étendant sur une surface de 3,50 m x 1,30 m. Elles s’intercalent entre des nappes de concrétions et occupent l’espace vide constitué par des calcaires nus mais parcourus par des fissures ». La dimension figurative de l’ensemble peut sembler absente ici. Elle existe pourtant dans la représentation de la ponctuation qui figure la percolation de l’eau à travers les fissurations du plafond. C’est une nouvelle incantation à la bonne circulation des eaux en sous-sol.

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Un étroit boyau d’accès permet à la suite d’atteindre la salle des « Antilopes » ainsi baptisée par l’abbé Lemozi. Sur la voûte à l’entrée, plusieurs stalactites en forme de seins sont marquées de points noirs. « Le « panneau des Antilopes » est placé dans une salle minuscule où il faut pénétrer actuellement par une étroite chatière ouverte par A. David dans un rideau de concrétions. D’une longueur totale de 1,30 m, cette composition originale comporte trois figurations animales partiellement superposées les unes par rapport aux autres. Elles ont des têtes minuscules et un corps hypertrophié au ventre pendant... » (illustration 60).

Illustration 60 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau des « Antilopes ». Longueur 1,30 m.

Les trois créatures sont dessinées d’un trait sûr. La figure de droite vient en premier dans l’ordre d’exécution. Ses contours sont en brun rouge. C’est la plus complète, elle est dotée d’une bosse en forme de crinière. Michel Lorblanchet pense que l’auteur a commis des erreurs notamment dans le raccordement de certaines lignes corporelles, en l’espèce entre les lignes dorsales et ventrales des deux dernières figures. À l’échelle de telles erreurs on peut se demander dans quelle mesure elles ne sont pas volontaires et si, dès le départ, le but de l’artiste ne vise pas à déstructurer ses figurations. Il est assez largement admis par les préhistoriens qu’il s’agit de créatures imaginaires formées de segments anatomiques appartenant à des animaux différents : le cerf mégacéros pour le garrot proéminent, le cheval pour la crinière hérissée, le bouquetin pour les cornes figurées sur les têtes. Dans 148

la série animale qui nous est proposée, le cerf géant forme la structure de base des dessins. Ce type d’hybridation graphique se rencontre dans l’art pariétal. La dilation excessive des corps relativement aux têtes est ce qui retient en premier lieu l’attention. L’image, si l’on peut établir une comparaison, fait des corps comme des outres de peau gonflées, remplies d’eau. L’idée qui conduit à cette proposition peut se deviner, car de l’autre côté, dans la « cage au Lion » qui se trouve à une vingtaine de mètres, deux chevaux sont en train de se noyer. Il n’est pas impossible que ces figures fantastiques ne soient que des cadavres en voie de démembrement, rejetés au point de résurgence des eaux, méconnaissables par leur séjour prolongé dans l’eau. Leurs têtes minuscules montrent qu’elles sont passées dans un conduit étroit. Ces créatures concentrent certainement l’image d’animaux différents parce que l’on a affaire à des inondations récurrentes du côté de la « cage au Lion ». Le phénomène n’est pas nouveau même s’il prend des formes différentes dans la grotte. La déstructuration des images concerne aussi en particulier les « Femmes-bisons » et les « Chevaux ponctués ». La différence avec la galerie du Combel est que leur « passage » vers la profondeur ne connaît pas le même avatar. On peut nous opposer la symbolique des stalactites en forme de seins marquées de points noirs dans la salle des « Antilopes » : « Enfin dans les profondeurs extrêmes de la galerie du Combel, les seins de pierre des stalactites, lourdes comme ceux des statuettes féminines gravettiennes et des femmes divinisées du grand plafond, répétaient avec la même insistance la fonction génitrice de la caverne... ». Dans ses motivations l’art mobilier à la lumière du jour ne peut être confondu avec celui des souterrains. Il est assurément plus séduisant de considérer la grotte comme un lieu de gestation, de création des formes, concept soutenu par de nombreux observateurs mais que nous ne parvenons pas, à notre corps défendant, à faire émerger à Pech-Merle. Au lieu de cela, c’est la disparition des images que véhiculent les eaux souterraines dans les fonds de la caverne qui est récurrente. C’est aussi le fonctionnement d’un territoire qui se comporte comme un véritable aspirateur. Un constat qui ne laisse pas insensible le chercheur : « Mais, au Combel, sur le second versant du cône d’éboulis de 149

l’entrée, la conque où un autre ruisseau se perdait dans l’orifice d’un impénétrable boyau, fut un lieu secret et sacré qui commandait à la réalisation des peintures. Dans les deux secteurs oriental et occidental de la cavité, la circulation de l’eau souterraine a dû aussi jouer un rôle symbolique important dans la création et le fonctionnement du sanctuaire ». L’explication de la divergence entre les deux thèses est certainement à rechercher dans la valeur que l’on accorde aux motifs géométriques. Elle modifie fondamentalement les données de la problématique et ses réponses. On ne peut objectivement se satisfaire d’interprétations qui passent sous silence une bonne part de l’iconographie pariétale. Mais il y a mieux chez les partisans du mythe originel de l’Émergence rapporté aux cavernes. Ils se passent carrément de toute référence aux données de l’art pariétal lui-même. Ils choisissent de regarder vers les mythologies provenant des quatre coins du monde. b. Grotte de Cougnac La grotte de Cougnac est découverte en 1952. Elle est classée monument historique en 1954. Le souterrain se trouve à un peu plus d’une trentaine de kilomètres au nord de Pech-Merle au sommet d’une colline sur la commune de Payrignac près de Gourdon, au nord-ouest du département du Lot. La grotte est en limite des causses jurassiques du Quercy et des plateaux crétacés du Périgord. On doit la découverte aux indications d’un radiesthésiste suite à la désobstruction d’un abri sous roche. À cette époque on pénètre dans le sanctuaire par un étroit boyau où il faut ramper par endroits. Les fouilles archéologiques de l’entrée montrent plusieurs périodes d’occupations paléolithiques au Moustérien avec l’homme de Néandertal il y a plus de 40 000 ans puis au Paléolithique supérieur entre 25 000 et 14 000 ans avant le présent. La caverne a environ 200 m de longueur. Sa partie ornée se divise en deux espaces : la galerie principale où la décoration occupe un long pan de paroi dans une salle en forme d’hémicycle (30 m x 20 m) à une centaine de mètres de l’entrée et une galerie adjacente, la galerie des Aviformes, qui

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mène à la salle des Colonnes envahie par les concrétions (illustration 61). Un troisième conduit bas de plafond est vierge de décoration. Dans la salle des peintures, c’est toute la paroi gauche en entrant qui est couverte de dessins. Le plan rocheux est régulier et laisse à découvert de larges surfaces libres. À droite l’absence de décoration est due à l’envahissement de multiples excroissances calcaires sur les murs. Il est important de noter que les lieux connaissent d’importantes formations de calcite : « La grande frise de Cougnac est installée sur des surfaces rocheuses plus régulières et plus naturellement libres de la salle principale et les abords ont été dégagés par les paléolithiques qui ont cassé des stalagmites pouvant gêner la perception de l’ensemble de la zone peinte. Tout indique que ces peintures devaient être vues par les membres du groupe ».

Illustration 61 : Dessin d’après l’illustration de Michel Lorblanchet. Plan de la grotte de Cougnac. 1- secteur d’entrée, 2- galerie basse, 3- galerie principale, 4- salle ornée principale, 5- salle des Colonnes, 6-galerie des Aviformes. Le rouge indique les principaux secteurs peints.

La vue dégagée sur l’ensemble peint, artificiellement rendue possible par les bris de concrétions constitue une première indication importante dans l’approche de la composition principale. On est certes fondé à croire avec le préhistorien que l’aménagement des lieux vise à une mise en scène destinée à un large public. Mais, dans le même esprit, il est également licite de considérer que la frise peinte doit s’offrir en panorama au visiteur, ce qui ne signifie pas exactement la même chose. En d’autres termes il est aussi loisible de penser que cette disposition pour être compréhensible doit 151

être découverte dans son ensemble ce qui n’entraîne pas forcément sa destination à un large public. L’œuvre ouvre simplement sur une dimension relative à du grand ou du large. Elle s’étend sur 15 mètres de long et 2,50 mètres de haut. Les représentations centrales sont de plus de grande taille, bien visibles depuis le centre de la salle. Elles sont retouchées à plusieurs reprises au cours du temps du Gravettien au Magdalénien. On dispose en effet de plusieurs datations absolues sur les peintures. Elles oscillent pour les plus anciennes autour de 23 500 ans avant le présent pour un mégacéros mâle et 19 500 ans pour la femelle qui le suit. Pourtant, elles paraissent contemporaines. C’est l’avis de Michel Lorblanchet qui envisage une pollution carbonée de l’échantillon prélevé par une retouche plus tardive du dessin. Les datations les plus récentes sont estimées autour de 15 000 et 14 000 BP. Un os de renne retrouvé sur le sol de la salle donne un âge de 15 000 BP. Au paléolithique, Cougnac est donc fréquenté sporadiquement pendant près de dix millénaires. Dans son étude, le chercheur scinde la frise en trois panneaux : le panneau des Mégacéros à gauche (longueur 5 m), le panneau des Bouquetins au centre (longueur 7 m), le panneau des Mammouths (longueur 3 m) à droite. Sa chronologie d’exécution est toujours obtenue par la superposition des tracés quand ils se produisent puis par l’analyse des pigments utilisés et enfin par certaines datations radiocarbone. Trois phases sont distinguées : la phase des dessins rouges puis la phase des dessins de couleur bistre et enfin la phase des motifs noirs. Il est précisé que ce schéma de construction est vraisemblablement plus complexe comme le confirment les datations qui s’échelonnent sur près de 10 000 ans. L’hypothèse de départ qui laisse entendre que la grande frise est pensée à l’origine comme formant une vue panoramique destinée à une perception d’ensemble, entraîne logiquement l’artiste à un repérage préalable de la surface rocheuse qu’il entend couvrir. Il procède de la sorte aux endroits qu’il considère les plus significatifs. Ce marquage, s’il existe, appartient nécessairement à la phase 1 du chercheur. On le trouve non pas sur les premières figurations animales dessinées en rouge, mais plutôt sur le badigeonnage en rouge diffus répandu de manière inégale sur toute la longueur de la frise. Il s’accompagne du bris des concrétions repérées sur 152

le mur. C’est concordant avec la chronologie des phases de construction du préhistorien : « l’hypothèse d’une composition de grandes figures rouges associées à des taches diffuses et à de multiples bris de concrétions s’impose à l’esprit ». L’application du rouge diffus sur la paroi concerne le bord de toutes les concavités s’ouvrant en partie basse de la frise jusqu’au centre à hauteur du panneau des Bouquetins. En remontant vers la droite, l’absence du même soubassement interrompt ce type d’ornementation. Il se réduit à des taches éparses sur la surface rocheuse, mais reste bien marqué à travers l’impression à l’ocre d’une grosse tache rouge appliquée près d’une lucarne ouverte par les Paléolithiques dans une draperie située à l’entrée d’un boyau ouvert au ras du sol.

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154 Illustration 62 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Vue d’ensemble de la grande frise de Cougnac. Le fléchage correspond aux bris de concrétions par les Paléolithiques. Longueur 15 mètres. La composition renvoie l’image d’une vue panoramique.

Si la grande frise occupe les surfaces rocheuses les plus régulières, les plus libres de la salle principale, elle reste traversée par de puissantes draperies qui descendent du plafond vers le sol. Ces coulées compartimentent naturellement la paroi ornée. Il y en a une située sensiblement au centre, sur le panneau des Bouquetins, badigeonnée d’ocre qui peut fort bien tenir lieu de division en deux parties de la grande frise. Suivant ce partage, son volet gauche se compose du panneau des Mégacéros auquel il convient de rattacher deux bouquetins rouges. De l’autre côté de la coulée de calcite, un grand bouquetin rouge inaugure le volet droit. Il est à la charnière du dispositif. Il est orienté à droite vers le panneau des Mammouths, les autres caprinés regardant majoritairement à gauche. Une telle partition fait apparaître un net déséquilibre graphique entre le volet gauche où figurent les éléments figuratifs les plus en vue et le volet droit qui en est moins densément pourvu, alors que la paroi se prête facilement à l’inscription d’autres motifs. De ce côté, on retrouve de la densité figurative sur le panneau des Mammouths, en bout de frise. Cette section présente en revanche de nombreuses empreintes noires doubles, des ponctuations noires disséminées sans ordre apparent sur des surfaces plutôt tourmentées. Sur le volet gauche défini plus haut, ce marquage est quasiment absent. Nous avons ainsi des raisons de croire à la partition de la grande frise en deux sections, le grand bouquetin rouge faisant office de ligne de partage. « En continuant vers la droite, un grand bouquetin mâle de couleur rouge (L = 0,50 m) regarde vers la droite... Le mouvement de ses pattes antérieures est habilement suggéré par les draperies de la paroi dont les lames de calcite ont été rectifiées, retouchées par des cassures pour en diminuer un peu la largeur. De même le flanc anguleux de l’animal est suggéré par une saillie de la roche ». Il est assez probable comme on vient de le voir, que l’animal joue un rôle important dans la structuration du dispositif graphique. D’ailleurs, à sa verticale, au pied de la paroi, se dresse une pierre fichée dans le sol paléolithique. Baptisée « stèle » par le préhistorien il n’est pas impossible qu’elle serve de jalon ou de repère médian de la grande frise. On sait qu’elle n’appartient pas au milieu de la caverne, qu’elle fait l’objet d’un apport extérieur. Il est à présent nécessaire de se pencher précisément sur les données graphiques qui donnent corps à la composition. 155

En commençant par la gauche, deux cerfs mégacéros, un mâle (L = 1,59 m) aux bois palmés, d’abord esquissé en rouge puis rehaussé de noir est suivi d’une femelle de la même espèce naturellement dépourvue de bois. Il s’agit des deux cervidés qui présentent des datations radiocarbone discordantes. À l’intérieur des contours du mâle, à hauteur du garrot, se trouve l’esquisse d’un mammouth rouge. Au-dessus de la bosse du grand cerf sont dessinés en noir un élément de ramure isolé (L = 20 cm) et une petite tête de bouquetin de la même couleur, le seul du volet gauche qui regarde à droite. Il est le pendant de celui qui regarde à gauche adossé au grand bouquetin rouge au centre de la frise. Les deux forment parenthèse. Michel Lorblanchet souligne fort bien l’utilisation des reliefs naturels par l’artiste dans la mise en place de ces dessins. De la gorge en passant par le poitrail jusqu’à l’unique patte, le profil du mâle épouse parfaitement la forme rocheuse (illustration 63).

Illustration 63 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Volet gauche de la grande frise de Cougnac. Le badigeonnage en rouge diffus court au long des concavités du soubassement du mur. Le grand bouquetin rouge est à la verticale de la pierre fichée dans le sol paléolithique. C’est la coulée de calcite à droite qui constitue la ligne de partage de la grande frise.

Il est néanmoins curieux que l’artiste ne mette pas à profit le bord de la grande concavité qui s’ouvre sous le ventre des cervidés mâle et femelle. Il s’agit d’un relief pouvant s’adapter en partie à la représentation de leurs abdomens. Au lieu de cela, il les dessine dans la concavité avec l’effet de déformer leurs corps dont une partie est figurée en creux. « Or, le ventre de l’animal est tracé dans une profonde concavité pariétale, c’est-à-dire une surface incurvée et inclinée vers l’avant. Si l’on observe la figure de la place 156

même où se tenait l’artiste, légèrement en contrebas du motif, la tête levée vers lui, le corps du mégacéros, malgré l’allure élancée des parties supérieures, paraît anormalement épais, presque carré, à peu près aussi haut que large ! ». L’interprétation de la déformation observée est attribuée par le chercheur à un effet d’anamorphose, c’est-à-dire la déformation volontaire du dessin afin de lui restituer, sous un angle de vue donné, ici au centre de la salle, de justes proportions. L’explication laisse perplexe. Dans l’art pariétal, l’hypothèse concerne trop peu d’images pour passer pour un mode opératoire véritablement pensé et maîtrisé. Si Lascaux présente quelques exemples de déformations volontaires des images, elles restent quantitativement très marginales relativement à l’ensemble du bestiaire de la grotte. Nous préférons en rester à l’idée que l’artiste prend le parti d’inscrire le corps des deux animaux à un endroit qui entraîne naturellement leur déformation. Il est difficile d’imaginer qu’avant tout commencement d’exécution il ignore la difficulté à dessiner sur des surfaces en creux qui jalonnent toute la partie basse du mur jusqu’au centre de la frise. Il les souligne de plus d’ocre diffus. Le troisième cerf mégacéros de couleur rouge (L = 1,43 m) prend place à la suite des deux premiers. C’est un mâle à grande coiffe. Dans l’ordre d’exécution établi, il fait partie des toutes premières figurations du panneau. Lui aussi est en profil absolu. Adossé à une grande draperie de la paroi, l’animal est incomplet, son arrière-train n’est pas dessiné. À l’image de son congénère en tête de la composition, son profil avant suit le rebord de la concavité qui s’ouvre devant lui. Cette fois la paroi est pleine et ne se dérobe pas sous lui. Le plus frappant dans ce dessin, c’est le cadrage extraordinaire de son avant-main sur la roche. Il est encore plus sensible que celui de son partenaire à l’avant. Peut-être parce que le décrochement du relief est ici davantage marqué. À l’intérieur de ses contours figurent plusieurs sujets dessinés en noir : une crinière de cheval (L = 0,33 m), une esquisse de cervidé (L = 0,38 m), et un « Homme blessé » (0,37 m). Un bouquetin rouge complet (L = 0,30 m) achève le remplissage. Il porte un trait gravé sur le poitrail (illustration 64).

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L’animal occupe au maximum l’espace disponible sur la paroi. Il est cadré entre sa découpe à l’avant et l’épaisse coulée de calcite à l’arrière. Ce relief ne permet pas à l’artiste d’achever le contour de l’arrière-train. Il faut donc l’imaginer débordant de l’autre côté de la concrétion où se tiennent les deux bouquetins rouges que l’on rattache à cette section. C’est la première impression qui se dégage du dessin. Il est clair une nouvelle fois que l’artiste dans son cadrage a parfaitement anticipé le fait de ne pouvoir terminer le profil de l’animal. Il ne juge pas bon de le faire réapparaître de l’autre côté de la coulée de calcite, celle-ci pouvant pourtant matérialiser sans difficulté sa patte arrière. Le parti pris fait question et trouve une réponse surprenante. L’absence d’arrière-train se justifie à la condition de considérer ce segment anatomique dissimulé à l’intérieur de la roche. Autrement dit, dès le départ l’artiste imagine un animal tronqué qui offre une partie visible, l’autre devant se dérober au regard, enfouie dans l’épaisseur de la roche. C’est a priori peu concevable pour l’observateur moderne sauf que le montage graphique n’est pas sans cohérence dans le développement à suivre. En attendant, et exceptionnellement, on peut déjà se livrer à un exercice relevant du comparatisme ethnographique pour montrer que l’hypothèse n’est pas si invraisemblable : « L’origine souterraine de certaines de ces images est suggérée par la façon dont elles paraissent sortir des fissures et autres accidents de la surface rocheuse ou y entrer. À l’occasion seule la moitié de l’animal est visible ; le reste semble se trouver derrière la roche ». Les chamanes de la préhistoire, 2001. L’observation de Jean Clottes et David Lewis-Williams se rapporte à l’art des San d’Afrique du Sud. La figure humaine (L = 0,37 m) retient bien entendu l’attention dans cette partie de la décoration. Sa rareté dans l’art pariétal est connue et celle des hommes blessés l’est bien davantage. Le thème est commun aux deux grottes quercynoises. Elles appartiennent, faut-il le préciser, au même secteur géographique. « L’hypothèse d’une appartenance des hommes blessés et des signes aviformes du Quercy à une phase gravettienne paraît donc vraisemblable d’autant que ces thèmes exceptionnels de l’art paléolithique (les hommes blessés du Quercy sont uniques) se rencontrent à la fois à Cougnac et Pech-Merle, deux grottes quercynoises voisines présentant des styles et des thèmes très proches ayant livré des datations radiocarbone très comparables ». 158

Illustration 64 : Dessin avec mise en évidence de « l’Homme blessé ». Mégacéros rouge dont le profil est intercalé entre la découpe de la paroi à l’avant et la coulée de calcite à l’arrière. À l’intérieur on distingue une crinière de cheval, une esquisse de cervidé, un bouquetin rouge affecté d’un trait gravé, et un homme blessé engagé dans une concavité de la paroi badigeonnée sur le pourtour d’ocre diffus. La pliure du genou de l’homme sur l’une des deux jambes est ostensiblement marquée.

Comme le montre l’illustration 64, la figure humaine s’inscrit au cœur d’une dépression de forme arrondie badigeonnée sur le pourtour d’ocre rouge diffus. L’artiste souligne l’accident rocheux d’un court tracé curviligne visible sur la ligne de ventre du cervidé qui peut passer pour une erreur aux yeux du visiteur. À l’intérieur de la concavité, l’homme (il s’agit vraisemblablement d’un homme) est réduit au dessin du tronc et à deux jambes sans les pieds. La partie supérieure du corps n’est pas dessinée. Il porte dans son sillage trois tracés qui paraissent fichés dans le dos et la fesse. Pour de nombreux observateurs il s’agit de traits perforants conformément à la thèse des 159

hommes blessés du Quercy. Mais comme à Pech-Merle aucune autre donnée graphique ne vient la corroborer. Le corps de l’homme est incliné sur l’avant et l’une des deux jambes est fléchie. On l’observe à travers la marque anguleuse du genou. L’indéniable parenté qui existe entre Pech-Merle et Cougnac autorise avec un bon degré de confiance le rapprochement de leurs hommes blessés à la différence notable suivante : celui de Cougnac n’est pas associé à un tectiforme à cheminée et son dessin est incomplet. Ce dernier n’est donc pas atteint par des armes de jet. Il est encordé et s’apprête à s’enfoncer dans la dépression de la paroi. C’est l’explication à l’amputation de la partie supérieure de son corps. L’individu, harnaché en conséquence est en train de passer de la lumière du jour à l’obscurité du trou où il est sur le point de s’engager. Naturellement une partie de son corps disparaît à la vue. Le passage est probablement bas, l’individu se penche en avant et plie un genou. C’est cohérent non seulement avec l’observation de la figure mais aussi avec la proposition d’après laquelle la partie arrière du grand cerf disparaît à l’intérieur de la roche. Son corps se partage entre deux espaces : l’un visible à la lumière du jour, l’autre invisible en souterrain. C’est vers le côté obscur que se dirige l’homme encordé. L’interprétation entraîne l’implication suivante : la crinière de cheval et la petite esquisse de cerf sont en surface. Ces tracés donnent de la profondeur de champ au cadre considéré. Il n’en va pas exactement de même pour le petit bouquetin rouge qui se tient au bord de la dépression où l’homme disparaît. Son cas est examiné plus loin dans le texte. C’est le même phénomène qui affecte la disparition des têtes de femmes sur le plafond digité de Pech-Merle après leur passage dans le cercle échancré qui forme trou d’ombre. Il est possible de faire valoir un autre argument à l’appui de l’explication proposée. Il se trouve dans un relevé d’art rupestre réalisé par Michel Lorblanchet en 2015 à l’abri N° 2 de Puy Jarrige. L’article de la revue Gallia qui s’y rapporte est mis en ligne en 2020. Le site se trouve sur la commune de Brive en Corrèze, il appartient au groupe des cavités ornées du Quercy. De petite dimension (10 mètres de long sur 3 mètres de large), il est connu des archéologues depuis le XIXe siècle. Ses gravures pariétales sont découvertes en 1976 sur un plafond à l’entrée du diverticule du fond. L’Atlas des grottes ornées françaises publié par le ministère de la culture en 160

1984 en propose un inventaire partiel. La nouvelle étude en complète la composition. L’œuvre comprend six motifs numérotés de 1 à 6 sur l’illustration 65.

Illustration 65 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau gravé de Puy Jarrige 2 : 1 et 2- chevaux, 3- bison, 4- cercle échancré, 5- figure humaine, 6- deux traits incisés. Les pointillés sont relatifs au décrochement de la paroi.

Sur le dessin, le cercle échancré et la figure humaine occupent la partie gauche de la composition : le modelé du plafond forme césure avec la partie droite. Elle occulte à partir de cet endroit la partie supérieure du corps de l’individu. Le cercle échancré à ses côtés est lié au phénomène et donne une explication tangible à sa disparition. L’homme (L = 1 m) est en train de se faufiler à plat ventre, la tête la première, dans un trou. Par conséquent, les deux chevaux et le bison matérialisent une surface à la lumière du jour, les deux incisions gravées pouvant symboliser l’étroiture d’entrée sous la surface du sol. Dans la même perspective, il n’est peut-être pas indifférent d’apporter la précision suivante : le panneau gravé se situe à l’entrée du diverticule du fond. C’est l’endroit le plus sombre de l’abri, où la lumière du jour décline pour faire place à un espace plus obscur. C’est du moins la représentation que l’on peut avoir des lieux à l’examen du plan de l’abri.

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La version demande encore une explication, en l’espèce celle de sa motivation, car la scène décrite ne semble pas devoir intéresser l’abri luimême. On pense avoir affaire à un chercheur de passage, à un explorateur de souterrains comme nous le supposons à travers l’image de l’homme encordé de Pech-Merle, enfin à un artiste. À Puy Jarrige, il témoigne ainsi à sa façon de son activité, comme une signature, une marque de sa compétence sur la voûte rocheuse. Il y en a d’autres comme la main féminine et l’homme encordé de Pech-Merle, mais toutes sont relatives à une fonction et non pas à un individu en particulier ce qui en dit peut-être un peu de l’organisation de la société humaine au Gravettien. Elle est structurée en fonction des aptitudes et des spécialités, ce que les préhistoriens soupçonnent depuis fort longtemps. L’âge et le sexe ne sont vraisemblablement pas indifférents non plus dans ce classement. L’abri de Puy Jarrige invite encore à considérer que la dépression dans laquelle est engagé l’homme encordé de Cougnac fait office de cercle échancré. Or on sait que le motif est absent de la grotte. Ces silhouettes humaines tronquées appartiennent à la même culture, elles répondent aux mêmes situations, celles de leurs entrées sous terre à l’instant de leurs disparitions dans les ténèbres. Ces traductions sont tangibles, simplement parce qu’elles sont en phase avec la réalité paléolithique. Il s’agit certainement du meilleur argument qui puisse être avancé en faveur de cette thèse. Le petit bouquetin rouge qui se tient au bord de la dépression où s’enfonce l’explorateur tient une place à part dans l’espace que délimite le grand cerf rouge. Il présente déjà la particularité d’être légèrement incliné vers l’avant comme s’il regardait au fond du trou (illustration 66).

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Illustration 66 : Dessin. L = 0,30 m. Bouquetin rouge se tenant au bord de la concavité où s’enfonce l’homme encordé. Un trait gravé relie son poitrail au bord de la dépression. Il s’interrompt au bord du trou d’ombre.

« Un magnifique petit bouquetin complet rouge (L = 0,30 m) portant un trait gravé planté dans le poitrail, se loge également dans la partie arrière du mégacéros ». Le tracé gravé est ancien car le pigment rouge de l’animal le recouvre. Notre interprétation à son propos est différente de celle du chercheur. En effet, dans la suite interprétative observée, il prend une autre signification. L’animal est relié à la dépression par une corde qui y descend et permet de mesurer la profondeur dans laquelle s’engage l’explorateur. Dans la nature le bouquetin est l’animal des escarpements et des abrupts, sa place à cet endroit n’est pas usurpée. En d’autres termes, le bouquetin se maintient au bord  du  trou,  légèrement  penché  au‐dessus,  où  il  déroule  une sonde.  L’instrument est facile à réaliser. Un poids au bout d’une corde fait l’affaire. Il fait partie de la panoplie des explorateurs souterrains, il permet de calibrer la longueur de corde à dérouler. Les deux autres bouquetins rouges de l’autre côté de la coulée de calcite sont pareillement disposés autour d’une seconde dépression de la paroi, elle aussi badigeonnée de rouge diffus. 163

Ils sont dans la prospection de nouveaux passages souterrains sur le causse. Dans la réalité, de telles dépressions de forme arrondie peuvent s’organiser en chapelets, ce sont les ouvalas bien connues en Quercy. Ces formes géologiques à la surface du causse sont en lien étroit avec le sous-sol avec lequel elles peuvent communiquer. Il reste à élargir le champ de l’étude à l’ensemble du volet gauche de la grande frise afin de déterminer la fonction des trois cerfs géants qui sont les animaux les plus en vue sur le mur. Ils remplissent tout l’espace de cette section. Partons du mégacéros rouge qui se partage entre deux espaces, un sol et un sous-sol. Il est possible d’en inférer que ses contours délimitent une portion de territoire du causse de Gramat dans la seule hypothèse évidemment de son rapport avec les dessins figurés à l’intérieur. Par conséquent, il faut assigner la même valeur à ses deux congénères, le mâle et la femelle peints en noir, situés en tête de la frise. La conjonction des trois sujets élargit de facto l’idée de portion de territoire pour aboutir à un véritable horizon géographique. On rejoint ici notre proposition initiale : l’œuvre ouvre sur du grand ou du large. Elle montre un panorama. C’est un trait propre à Cougnac car son bestiaire se distingue de bien d’autres ensembles paléolithiques par la quasi-absence du cheval comme celle du boviné, deux espèces omniprésentes dans l’art des cavernes tout au long du Paléolithique supérieur. Sur ce plan, la grotte est inclassable. La symbolisation d’un paysage sur la frise, où ne figure aucune végétation repérable à moins que l’esquisse de certains animaux herbivores puisse le laisser supposer, montre que l’artiste axe son œuvre sur la dimension minérale. À ce stade, avec le recul nécessaire à l’observation de l’ensemble du volet gauche, il apparaît que le soubassement de la paroi, marqué de rouge diffus et creusé de concavités plus ou moins profondes forme le véritable socle de la frise. C’est net sur toutes les vues d’ensemble. Le constat nous ramène au curieux cadrage des deux mégacéros, mâle et femelle, dont les corps mordent dans le creux. Ils sont dessinés de telle manière qu’ils sont à cheval sur deux espaces étagés. Ils font penser à leur congénère le grand cerf rouge pareillement partagé entre un sol et un soussol. Tout semble se passer comme si les trois animaux recouvraient un espace à la lumière du jour et un espace plongé dans l’obscurité. C’est ce 164

que révèle le volet gauche de la grande frise. Il ne peut être qu’une illustration de la structure karstique du causse, en surface et en profondeur comme dans une vue en coupe du territoire de la Bouriane. C’est aussi la base de construction (vue en coupe) des aviformes de Pech-Merle rattachés à la tête du personnage encordé qui se glisse sous le plafond de la grotte au sommet du cône d’éboulis. Il se peut d’ailleurs que l’esquisse de ce motif figure sur le grand cerf noir de tête : « Un motif linéaire noir en angle droit se loge dans la fesse du grand mâle. Il semble s’agir d’une évocation de signe aviforme, car dans la galerie transversale, l’on retrouve ce motif abrégé avec les aviformes complets ». La grande frise de Cougnac figure non seulement un paysage mais aussi son sous-sol creusé de galeries souterraines (les dépressions à la base de la paroi) souligné d’ocre rouge diffus. Une construction qui trahit l’engouement des préhistoriques pour le monde des ténèbres. La Bouriane est un territoire connu de l’artiste paléolithique, il en tire sa subsistance et ses expériences souterraines. Il en inscrit sur la paroi sa représentation mentale. Il existe tout près, dans l’environnement de la cavité, un point de vue remarquable qui embrasse toute la région. Il se trouve à moins de quatre kilomètres de la grotte, au sommet de la butte de Gourdon (illustration 67).

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166 Illustration 67 : Photographie de l’auteur. Vue panoramique sur la Bouriane depuis le sommet de la butte de Gourdon.

Il s’agit d’un massif rocheux dont le relief est sensiblement le même qu’il y a 25 000 ans. La ville y prend aujourd’hui ses quartiers. Ainsi perchée, elle est visible de loin dans le paysage et permet de découvrir la géographie de la région. La contrée de la Bouriane occupe une vaste dépression. Elle est vallonnée et ouvre sur de larges horizons aux reliefs peu marqués ne présentant, en dehors des buttes ou des pechs plus ou moins pointus et le plus souvent émoussés, aucune véritable ligne directrice. À côté d’autres belvédères, celui de Gourdon est le plus élevé, 300 mètres environ. Il permet l’orientation sur un territoire au modelé compliqué (illustration 68). Le promontoire de Gourdon constitue donc un repère géographique central depuis lequel il est permis de se situer dans l’espace terrestre. Il l’est encore davantage au paléolithique avec un couvert végétal moins dense que de nos jours. À l’examen des deux cerfs géants, le mâle et la femelle, on observe un ensemble de tracés noirs qui passent par les bosses dorsales des deux animaux (illustration 68). Le préhistorien en donne l’explication suivante : « La figuration de Mégacéros présente un autre artifice : les différentes couleurs du corps entre l’encolure et le dos plus foncé et le ventre plus clair, sont rendus par des barres parallèles traversant le bas du poitrail ou traversant le corps en diagonale, du garrot aux pattes postérieures. Cette stylisation des pelages par de simples barres corporelles... ». Les tracés en question rapportés au style, et expliqués par la volonté de l’artiste de schématiser certains motifs comme le pelage, peuvent certes se concevoir. L’approche se heurte néanmoins, pour une bonne traduction, à l’ignorance dans laquelle nous sommes de la distribution du pelage sur le corps du cerf mégacéros sans parler de sa couleur.

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Illustration 68 : Cartographie géologique ancienne qui situe la butte de Gourdon parmi d’autres, en bas, à droite du plan.

Par ailleurs l’explication ne répond pas à la curieuse coloration en noir de la bosse dorsale des animaux. Elles forment deux taches qui ne passent pas inaperçues (illustration 69). Dans la continuité du concept de territoire retenu jusqu’ici, la bosse du mâle image la butte de Gourdon, principal repère géographique dans le paysage, et celle de la femelle, un second promontoire. Il y en a un certain nombre dans le même secteur comme le montre l’illustration 68. Sur le volet gauche, les figurations principales sont toutes orientées à gauche, le grand cervidé mâle noir en tête. Elles situent le cadre 168

géographique de la grande frise avec pour repère principal à l’avant, la butte de Gourdon. Le grand cerf rouge délimite quant à lui un secteur plus précis. L’homme encordé est orienté à droite, mais il s’enfonce dans le sous-sol et doit être assujetti à d’autres repères topographiques dans l’obscurité du milieu souterrain.

Illustration 69 : Dessin. Le tracé en noir figure une ligne d’horizon où les deux bosses animales imagent les buttes du causse. Celle du grand cerf s’identifie à la butte de Gourdon. C’est le point de repère géographique principal de la grande frise de Cougnac, il lui donne son orientation.

La différence de sexe entre les deux cervidés ne porte pas inévitablement sur l’idée d’accouplement voire de fécondité comme il est rapporté : « Cette femelle de Mégacéros paraissait-elle gravide à l’observateur proche ? Paraissait-elle au contraire se préparer à l’accouplement par celui qui était placé du centre de la salle ? ... ». L’embarras du chercheur est ici perceptible car dans l’éventuel accouplement suggéré, il est préférable de voir la femelle précéder le mâle. Il faut dès lors se reporter vers le grand cerf rouge, plutôt bien décalé vers l’arrière sur le mur, pour rendre la version acceptable. La 169

simple observation qui ne consiste pas à tordre les données factuelles du tableau montre que le mâle et la femelle dessinés en noir sont graphiquement intimement liés dans une relation qui, semble-t-il, n’a rien à voir avec un accouplement. Le choix du cerf géant dans l’incarnation de grands espaces tient peutêtre à son mode de vie. Il est repérable de loin dans la nature. Son immense coiffe, sa bosse dorsale montée sur une haute stature retiennent particulièrement l’attention de l’artiste. On ne peut en être certain, d’autres critères peuvent participer à ce choix. Il est préférable de s’en tenir à l’idée que l’animal est une manière d’appréhender l’immensité du paysage, celle de la réalité concrète qui se révèle au regard dans la nature environnante mais dont il est impossible pour l’artiste de rendre véritablement compte par le tracé. Une esquisse de mammouth dessinée en rouge à l’intérieur des contours du mégacéros mâle laisse aussi entendre l’idée de grand. Il n’est pas impossible que le concept soit applicable à d’autres situations dans l’art animalier paléolithique notamment par le truchement de ses allégories. La scène de chasse de Chauvet en est une bonne illustration. La rareté des vestiges osseux du mégacéros dans les aires d’habitats humains indique que l’animal est peu chassé pendant la période glaciaire. En remontant la paroi, le visiteur croise le grand bouquetin rouge. Il signe l’amorce du côté droit de la grande frise (illustration 70). 

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Illustration 70 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Volet droit de la grande frise. En bas à droite figure l’entrée d’un boyau bas de plafond long d’une dizaine de mètres. Une lucarne est ouverte dans une draperie à l’entrée. Cette partie de la grande frise comporte moins de données figuratives. Elle présente de multiples tracés noirs que l’on ne retrouve pas sur le volet gauche.

L’animal se situe à la verticale du dernier creusement du soubassement du support rocheux bordé de rouge diffus comptabilisé à partir du volet gauche. Il est aussi à l’aplomb de la « stèle » fichée dans le sol et mentionnée plus haut. Le capriné qui atteint 50 cm de long présente la particularité de recouvrir une forte convexité de la paroi. Le relief fait ressortir un flanc anguleux. L’image dans sa partie inférieure s’inscrit dans la concavité sousjacente contenant une série de draperies. Elles donnent l’illusion du mouvement aux pattes antérieures. On est cependant enclin à penser que l’arrangement graphique est similaire à ceux rencontrés sur le volet gauche, à savoir des animaux à cheval sur deux espaces. D’ailleurs, de telles concrétions ne se rencontrent qu’en grotte, jamais à la lumière du jour. Quelques mètres plus loin vers la droite, au même niveau que le grand bouquetin rouge, un trou dans la paroi suscite le commentaire suivant : « Quelques taches diffuses rouges se distinguent encore à la base du panneau, tandis qu’au sommet, un trou dans la paroi contenant de petites draperies ébréchées, semble révéler en ce point, selon M. Dauvois, l’existence d’un lithophone. Les essais de résonance acoustique effectués

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par ce chercheur semblent soutenir son interprétation ». Un procédé qui permet de sonder les espaces de la cavité dans l’obscurité. Il n’est pas possible de discuter de la pertinence du diagnostic, mais des draperies ébréchées par la main de l’homme sont avant tout la marque de son passage en souterrain, c’est inhérent à l’exploration spéléologique. Dessous, l’observateur est arrêté par l’inscription d’un motif noir apparenté à une encornure de bouquetin (illustration 71).

Illustration 71 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Deux grands tracés noirs s’apparentent à une encornure de bouquetin. Une seconde plus petite est dessinée au-dessus. Tout en haut figure le trou du lithophone. En bas à droite, c’est l’ouverture du conduit bas. On remarque la draperie percée d’une lucarne marquée de rouge diffus.

Elle est difficile à distinguer en raison du film de calcite qui la recouvre. « Sur une surface de deux mètres carrés, recouverte d’un film de calcite estompant saisonnièrement les peintures, se distinguent en noir (grâce au déchiffrement par la photographie infrarouge), une grande encornure noire de bouquetin (L 0,37 m) et une corne isolée de même couleur (H

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0,18 m) qui appartient également à un capriné, mais il s’agit, cette fois, d’une femelle ou d’un jeune ». L’identification des deux tracés noirs à une grande encornure de bouquetin fait question dans l’iconographie. Toutes celles des bouquetins de la grande frise sont proportionnées aux corps des animaux. Ce qui revient à imaginer dans le cas présent, un corps démesuré devant se rattacher à une pareille coiffe. Relativement aux autres figurations de la même espèce, alors que le plus grand bouquetin de la grande frise ne dépasse pas 50 cm, on est en droit de douter de la traduction proposée par le préhistorien. Il faut remarquer que le motif se situe à proximité du trou situé audessus et surtout près du boyau terminal qui se termine en cul-de-four au bout d’une dizaine de mètres. La galerie est basse, on s’y tient « tout juste assis », l’endroit est couvert de stalactites. Le rapprochement prend du sens si au lieu de réduire le dessin à une encornure, il forme un conduit souterrain coudé à droite, comme un point de sortie d’un réseau souterrain qui déboucherait dans la salle des peintures. On pense immédiatement au boyau terminal situé tout près mais il ne se présente pas dans cette configuration. De plus c’est une impasse. Où se trouve l’erreur dans ce cas ou plutôt l’artifice qui selon nous répond à la question ? Sur la frise, deux observations orientent vers une réponse à la question. Sur le volet gauche un homme encordé s’engage dans un conduit souterrain où l’on peut bien supposer qu’il progresse à l’intérieur précisément vers la droite. Son périple se déroule alors hors de la vue de l’observateur, c’est-à-dire en sous-sol. Sa trajectoire souterraine traverse tout le volet droit de l’œuvre moins densément ornée de ce côté. Son cheminement peut-être enfin repéré en surface, il emprunte un couloir coudé à droite qui le conduit vers le point de sortie du souterrain qui ne peut être que le boyau terminal. Comme ce récit ne correspond pas à la configuration du diverticule, il reste à imaginer que le dessin d’un couloir coudé doit s’y raccorder quelque part à l’intérieur où l’explorateur doit déboucher. La trace de son passage virtuel dans le boyau terminal qui ouvre sur la salle des peintures est matérialisée par la lucarne ouverte dans la draperie de l’entrée. C’est le second élément qui vient à l’appui du premier pour former un récit cohérent. Un large marquage d’ocre rouge marque l’emplacement de la brèche. Elle mesure 30 cm x 20 cm, sa découpe est 173

ancienne, la cassure est recalcitée. « Nous sommes parvenus au point de la grande paroi peinte de Cougnac, où le diverticule terminal très exigu s’ouvre au ras du sol comme un soupirail (1,80 m x 0,70 m)... et le bord droit de l’entrée du boyau, à côté de la lucarne taillée par les paléolithiques dans une draperie est ornée d’une grosse tache diffuse rouge ». La brèche artificielle atteste d’un débouché dans la salle des peintures alors qu’à l’origine, avant l’intervention humaine, le boyau terminal, comme son nom l’indique, est un cul-de-sac du fond duquel il ne peut rien sortir. C’est l’artifice trouvé par l’artiste pour suggérer qu’il se raccorde quelque part à un autre conduit, en l’espèce le tracé en forme de cornes de bouquetin. La décoration du boyau terminal encombré de concrétions se limite à des tracés rouges et noirs diffus et à des ponctuations rouges au nombre de plusieurs dizaines. Il contient un seul élément figuratif, en l’espèce un petit mammouth noir très schématique. Il est situé au ras du sol, tout au fond du diverticule. Depuis son emplacement, il peut voir filtrer la lumière depuis le boyau d’entrée ou par sa lucarne taillée dans la calcite. Le pachyderme est probablement au point de raccordement du couloir coudé dessiné et du boyau terminal. Nous présumons que l’animal est en vue de la lumière du jour, il figure en rouge à l’intérieur du grand cerf noir sur le volet gauche de la grande frise dont on a dit qu’il se partage entre deux espaces. Le pachyderme en occupe la partie éclairée. Il en va de même pour le grand mammouth rouge de la composition à venir. Pour que le scénario présente quelque vraisemblance, il est nécessaire de voir réapparaître en surface l’acteur principal dans toute son intégralité corporelle. Il est là où on l’attend, figuré sur le panneau des Mammouths de Michel Lorblanchet, à l’extrême droite de la grande frise, tout près du boyau terminal d’où il vient de s’extraire (illustration 72).

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Illustration 72 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau des Mammouths à l’extrême droite de la grande frise (L = 3 m). Figuration humaine associée à des profils de mammouths non loin de l’entrée du boyau terminal et de sa sortie figurée par la lucarne adjacente ouverte dans une draperie. L’ensemble est constellé d’empreintes noires.

On retrouve sur le panneau une certaine densité figurative. Un grand mammouth rouge (L. 1,02 m, H. 0,72 m) est au centre, un second plus petit lui est superposé. Deux ou trois autres esquisses de la même famille sont disposées autour. On relève aussi une encornure de bouquetin, cette fois davantage proportionnée à celles que l’on observe ailleurs sur la frise. « Nous le nommons « panneau des Mammouths », c’est l’un des plus riches et des plus complexes du souterrain. Il regroupe les thèmes mammouth, bouquetin, homme blessé, en les associant à des signes nombreux et divers. Au milieu du panneau, en noir, un homme blessé de 7 sagaies convergent vers lui (L = 0,47 m) et pénétrant son corps est superposé à un mammouth simplifié en tracé épais rouge foncé, lui-même superposé à un grand mammouth au trait rouge... ».

Le personnage est très nettement penché en avant, ses deux bras sont sous-dimensionnés mais il est dessiné en entier même si son profil reste schématique (illustration 73). 175

Illustration 73 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Figure humaine du panneau des Mammouths (L = 0, 47 m). Il paraît atteint par plusieurs traits qui pénètrent son corps.

Au plan figuratif sa parenté avec la figure humaine du volet gauche est patente. Les deux représentations sont aussi pareillement proportionnées : 0,37 m pour l’homme encordé dont le haut du corps fait défaut et 0,47 m pour celui du panneau des Mammouths. L’artiste imprime encore à chacun une certaine gestuelle. Leurs silhouettes présentent également la même tendance à l’inclinaison. Il y a celle de l’entrée dans le sous-sol sur le volet gauche, et à la sortie de la galerie basse à droite. Il est vrai que l’explorateur de l’espace souterrain marche d’instinct plutôt courbé dans l’obscurité. Il fait peu de doute que la lucarne taillée dans la draperie (30 cm x 20 cm) est à la mesure du personnage représenté à l’issue de son périple souterrain au sortir du boyau terminal. « Cette petite galerie basse, où l’on se tient tout juste assis, longue d’une dizaine de mètres, s’ouvre au sud dans le creux de la grande paroi peinte, au niveau du sol, entre le panneau des bouquetins et celui des mammouths... Les parois de ce boyau 176

sont couvertes de stalactites, à l’exception d’une surface réduite en entrant à gauche ». Le descriptif est important pour la raison qu’il explique l’aspect incliné de la silhouette. La galerie en question ne permet pas la station debout. Le dessin montre probablement qu’il est en train de se redresser en retrouvant la surface du causse à lumière du jour. Le pli de son genou a disparu. Il reste à démêler « l’épineuse » question des tracés qui pénètrent le corps du personnage. Disons le tout suite il ne peut pas s’agir de cordages, ils sont trop anarchiquement disposés sur le dessin. Il y a aussi l’épaisseur des tracés qui ne correspond pas à ceux de liens. L’hypothèse de sagaies n’est pas davantage envisageable pour des raisons déjà évoquées. La problématique qui se pose immédiatement ne semble pas pouvoir trouver de réponse. Il est bon de retourner sur les lieux. Lorsqu’on accorde la primauté au décor naturel de la caverne, on se rend mieux compte de l’intense phénomène qui conduit à l’envahissement de la cavité par les concrétions calcaires. Elles ne se trouvent pas que sur les plafonds et les murs, mais également sur les sols qui en sont tapissés. C’est l’enseignement principal de notre visite au cours de laquelle on ne rencontre évidemment aucune difficulté à circuler selon des itinéraires aménagés. Or, il en va certainement très différemment au paléolithique. La simple marche pour parvenir dans la salle des peintures nécessite pour le Préhistorique de savoir où il met les pieds quand dans le même temps il doit rester attentif aux excroissances calcaires des plafonds sous l’éclairage que l’on peut imaginer. Il y en a de très acérées, susceptibles d’occasionner des blessures. Alors il y a fort à parier qu’il n’échappe pas au désagrément d’écorchures surtout dans les galeries basses comme le boyau terminal où il s’adonne à la décoration des lieux. C’est le rapprochement que l’on opère avec les soi-disant « sagaies » qui pénètrent le corps de l’homme. On doit concéder au passage que l’appellation « Homme blessé » n’est pas ici totalement usurpée. Le milieu souterrain de Cougnac est hérissé de pointes et d’aiguilles calcaires. Elles occasionnent des blessures sûrement superficielles comme les égratignures, les éraflures, elles sont inhérentes à l’exploration du domaine souterrain, particulièrement à Cougnac. Or, c’est la mission du personnage dessiné dans la grotte.

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Dans ce cadre, il est objectivement moins risqué de parler d’un « Homme écorché » en phase avec la réalité physique des souterrains dans la région plutôt que d’un « Homme blessé » par des armes dont on ne peut expliquer l’origine. De surcroît, il n’est pas impossible qu’une partie du marquage de la galerie basse qui ouvre sur la salle des peintures soit vouée à traduire la progression délicate de l’homme écorché dans un conduit hérissé de pics comme le montrent certaines illustrations du livre de Michel Lorblanchet. Le visiteur moderne qui s’interroge sur la signification de la grande frise peut à présent, avec en tête les données de l’interprétation, en avoir une version complète. Elle comprend sensiblement tous ses éléments graphiques y compris la fonction essentielle dévolue aux modelés du support rocheux. L’œuvre demande à être considérée dans son entier, c’est sa vocation centrale. Elle se rapporte à la géomorphologie d’un territoire perçu dans toutes ses dimensions terrestres. La fresque forme le panorama qui se découvre depuis la butte de Gourdon où le socle rocheux percé de trous communique avec de multiples réseaux souterrains propices à leur exploration. Au Gravettien, il est coutume pour les autochtones de s’adonner à leur reconnaissance. Ils sont équipés et préparés en conséquence et possèdent de bonnes connaissances du milieu. Ils sont actifs dans la recherche des excavations du causse où ils font de brèves incursions dans celles peu profondes mais peuvent se livrer à des périples souterrains plus lointains. Ce sont les expéditions les plus risquées mais aussi les plus prestigieuses, à l’image de celle qui occupe le mur de la salle des peintures. Sur l’étendue de la composition perce l’intérêt porté à l’espace situé la limite de la lumière du jour et des ténèbres souterraines que chevauchent les animaux. Dans le déroulement de l’action proprement dite, le scénario ne se partage pas entre deux individus comme on le pense généralement depuis leur découverte. C’est bien le même personnage qui disparaît sous terre à gauche du tableau pour émerger à l’autre bout. Son corps meurtri à l’issue de son voyage souterrain témoigne de ses difficultés dans le passage des conduits étroits hérissés de pointes perforantes comme des sagaies. En revanche, rien ne filtre à ce stade des motivations qui poussent à de tels comportements.

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S’agit-il d’un épisode réellement vécu il y a des milliers d’années ? La traduction d’une aire géographique assez précise dans la composition peut le laisser penser. S’agit-il d’une relation à l’exploration de Cougnac ? En l’état des connaissances la grotte ne possède qu’un accès unique et non pas un point d’entrée distinct de la sortie. La question reste donc en suspens. On pense quand même à la lucarne taillée dans la draperie qui permet à l’explorateur de déboucher virtuellement dans la salle des peintures qui est aussi le lieu de son entrée en souterrain. L’explorateur tourne-t-il en rond sous terre ? Les bris de concrétions dans la caverne signent-ils simplement son passage dans le souterrain ? La présence des mammouths rouges aux deux extrémités de la frise est-elle le marqueur d’un retour au point d’entrée ? Des réponses positives à ces questions laissent entrevoir que la grotte pourrait alors s’identifier à Cougnac. Ce serait cohérent avec l’homme encordé de Pech-Merle voué lui aussi à l’exploration souterraine du sanctuaire où il se représente, à chacun sa caverne. La définition d’un cadre terrestre est l’aspect le plus surprenant de l’étude. C’est une dimension inattendue dans l’art des cavernes. C’est peutêtre une explication à la singularité de son bestiaire. Il n’est comparable à aucun autre et constitue une exception. Enfin l’interprétation montre à grande échelle que l’art des cavernes peut être narratif. Il y a à l’entrée de la salle des peintures, sur la paroi gauche, un ensemble de motifs baptisé ensemble initial par Michel Lorblanchet. Ils sont réalisés sur un pan de paroi fortement concrétionné long de 4 mètres. « La surface du panneau, surtout vers la droite, est presque entièrement maculée de rouge. Autour des figures, des mains enduites d’ocre ont, en effet, largement frotté les concrétions sur une étendue totale de 4,50 m. Un grand nombre de draperies et de stalactites de la partie inférieure sont intentionnellement cassées ». Le constat est assez cohérent avec la difficulté que représentent pour l’explorateur paléolithique les concrétions de la caverne. Il procède symboliquement à leur marquage et les brise à l’occasion. À l’exception de la tête et de l’encolure d’un cervidé, le « panneau des Fantômes » qui occupe une partie du pan de paroi ne comporte pas, mis à part une tête de cervidé, d’éléments réellement figuratifs (illustration 74).

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Illustration 74 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. « Panneau des Fantômes ». Figurations humaines réduites à des ombres. Les flèches indiquent l’emplacement des bris de concrétions.

« Un mètre plus loin, en allant toujours vers la droite, derrière plusieurs piliers stalagmitiques, se place le « panneau des Fantômes ». Il présente deux figures humaines noires « en fantôme » dont celle de gauche les bras ouverts, étendus, et presque entière. Seule l’amorce des bras est figurée, mais ils se placent sur un rebord rocheux dont le volume les souligne et les complète. Le sommet de la tête, formé de deux courbes opposées est aplati... ». Le personnage principal mesure 1,35 m de hauteur (la taille d’un adolescent), sa silhouette est pour partie suggérée par des draperies. Les deux têtes sont les plus clairement dessinées sans être vraiment détaillées. À cet endroit situé à plusieurs dizaines de mètres de l’entrée, le visiteur paléolithique est dans l’obscurité totale. Il se représente alors sur la paroi tel qu’il se perçoit à travers son ombre portée sur le mur à la lumière de sa lampe à graisse. C’est un cliché qui reflète l’ambiance toujours fantomatique de l’exploration souterraine. Il fait défaut sur la grande frise. Quant aux nombreux bris de concrétions autour, ils ne font que témoigner de son

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aventure difficile dans les ténèbres souterraines. C’est compatible avec l’interprétation. Au seuil de la salle des peintures, l’explorateur est à un carrefour où s’ouvre sur sa gauche « la galerie des Aviformes ». Elle est longue d’une quinzaine de mètres et large de 3 à 4 mètres, elle conduit à la salle des Colonnes. Le panneau de aviformes se situe sur la paroi droite en entrant, dans un diverticule profond de 5 mètres pour 1,70 mètre de large (illustration 75).

Illustration 75 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. « Panneau des Aviformes » de Cougnac.

Le panneau comporte douze motifs géométriques plus ou moins complets. L’un est gravé, les autres sont peints en noirs. Ils se concentrent pour la plupart dans deux niches. Tous suivent la référence horizontale. « Les longueurs de signes aviformes intercalés entre les draperies, s’échelonnent entre 28 et 72 cm. L’un d’eux (n° 1) est pourvu de deux « cheminées » ce qui montre qu’il s’agit évidemment de signes abstraits et non de figuration d’oiseau ! ». Il y a parfois des évidences trompeuses. Dans le cas présent, elle est ancrée dans l’idée de l’apparition ex nihilo de la forme abstraite à côté de l’art figuratif. Il s’agit du postulat bien connu qui prône l’existence de deux formes

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d’expressions graphiques qui ne procèdent pas de la même source conceptuelle. Les tectiformes à cheminée de Cougnac sont de la même inspiration graphique que ceux de Pech-Merle, ils appartiennent à la même aire culturelle et il y a de bonnes chances qu’ils soient de même signification. Ce qui revient à dire qu’ils forment une série de figurations schématiques des réseaux karstiques souterrains sur le territoire auquel appartient la grotte. Des différences sont cependant perceptibles entre les deux sites. À Cougnac certaines cheminées sont fermées. Elles sont la marque de leur comblement entier ou partiel par les sédiments au cours du temps. Leur emplacement reste souvent repérable en surface. La double cheminée n’est pas plus rare, les souterrains pouvant présenter plusieurs puits d’accès à la surface du causse. Dans la galerie qui leur est dédiée, le regroupement des motifs représente un ensemble répertoire de galeries souterraines identifiées en surface, impénétrables pour certaines mais parfaitement localisées. À côté, il y a celles directement accessibles, cheminées ouvertes et vouées, on est autorisé à le penser, à leur exploration. Cougnac confirme ce que l’on suppose à Pech-Merle, c’est-à-dire la recherche active et planifiée des cavités souterraines sur un même territoire. Les Gravettiens en conçoivent la nomenclature, en établissent l’inventaire, et se lancent dans leurs explorations, parfois, mais pas toujours, en s’adonnant à leur décoration. Le « panneau des Aviformes », si énigmatique, est un catalogue mental des sous-sols du causse. Il témoigne d’une grande connaissance du milieu, une qualité indispensable pour mettre au point la forme schématique et épurée de ses motifs. Une implication importante découle de la traduction. La grotte ornée ne peut plus apparaître comme le résultat d’opportunités, de découvertes accidentelles, d’occasions d’exercer un savoir-faire plastique au service de croyances de quelque nature qu’elles soient. Jean Clottes s’interroge à ce propos : « Dans les grottes, les paléolithiques n’ont pas fait n’importe quoi... En général ils ont recherché des panneaux adéquats,... L’exemple de la Frise noire de Pech-Merle est éclairant. Michel Lorblanchet a souhaité le reproduire... Il eut beaucoup de mal à découvrir une grotte présentant les conditions requises. Cela signifie-t-il que les artistes de Pech-Merle trouvèrent par hasard une grotte qu’ils utilisèrent au mieux ou se livrèrent-ils à une recherche approfondie ? ». Les chamanes de la préhistoire. 182

Même dans les meilleurs écrits sur l’art des cavernes, il faut souligner le peu d’intérêt que suscite cette question pour les chercheurs. Le tectiforme à cheminée est spécifique de l’art pariétal du Quercy, sauf qu’on le retrouve dans la grotte du Placard en Charente, à 200 kilomètres plus au Nord. Il figure à plusieurs exemplaires, gravé sur les parois d’un vaste abri sous roche. À cette distance, il devient difficile de le rattacher à la même tradition culturelle. D’après l’archéologie, les œuvres du Placard appartiennent à la période solutréenne (21 000-19 000 BP). À l’échelle de l’Europe paléolithique, la rareté du motif ne plaide pas en faveur de sa large extension géographique. Son interprétation montre également qu’il est en étroite relation avec les réseaux karstiques du Quercy et que de ce point de vue il n’est exportable qu’à certaines conditions. Il en va certainement de même pour les tectiformes vrais du Périgord. Ils sont présents dans quelques cavités au Magdalénien dans un rayon de seulement quelques kilomètres autour des Eyzies-de-Tayac. Les aviformes du Placard (illustration 76) présentent toutefois quelques différences avec ceux du Quercy.

Illustration 76 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Aviformes gravés du Placard dits « signes du Placard ». Le plus grand mesure moins de 25 cm.

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Alain Testart en relève quelques-unes : « Ce qu’on appelle « la cheminée » (la protubérance supérieure) peut-être ouverte vers le haut : elle l’est dans certains cas à Cougnac, mais elle reste comme inachevée et non bordée au Placard où l’on voit des traits de gravures s’arrêter sans qu’aucun tracé orthogonal vienne imposer cet arrêt ». Art et religion. De Chauvet à Lascaux. L’anthropologue formule la même remarque à propos des ailettes. Pour notre part, c’est le remplissage gravé du motif qui diffère. Au Placard son existence doit peut-être à la présence d’un réseau karstique et hydrographique comprenant des pertes et des résurgences. Comme en Quercy il présente des puits d’accès au sous-sol. On l’appelle le Karst de la Rochefoucauld. La salle des Colonnes sur laquelle débouche la galerie des Aviformes est assez vaste : 37 mètres de longueur, 12 mètres de large, 3 à 4 mètres de hauteur. Les lieux sont encombrés de stalagmites, de stalactites, de draperies, de piliers. Ils ne contiennent pas de motif figuratif. Leur ornementation est une suite de marquages digités, plus de 200 au total, les uns rouges les autres noirs. Des bris de concrétions sont recensés. Le prélèvement de certaines d’entre elles est avéré. La signification de l’ensemble a vraisemblablement trait à la même spéléologie paléolithique que précédemment. Michel Lorblanchet pense à des marques rituelles, ce qui a du sens dans le cadre de la « communication » du visiteur paléolithique avec le souterrain. Il est compréhensible que les Paléolithiques s’attachent à des reliefs dont ils peuvent craindre le contact dans l’obscurité. Si l’ornementation de la grotte paraît entièrement vouée à l’exploration souterraine, sa motivation ne se réduit certainement pas à cet aspect. On continue à s’interroger sur ces croyances autour d’un monde étranger, difficile, parfois hostile et inquiétant, mais « vivant », auprès duquel il semble impératif pour les Gravettiens de se révéler. Il est raisonnable de concéder que nous n’en saurons précisément jamais rien. Pourtant la tentation est forte de pousser plus loin car Cougnac offre cette opportunité unique du tête-à-tête de l’homme avec la caverne. Nous n’en connaissons pas d’autre exemple. L’appétence pour le milieu souterrain, a priori difficile à concevoir pour des temps aussi reculés, peut s’expliquer par des croyances de type 184

animistes qui perçoivent les êtres vivants, les éléments naturels de l’environnement tous dotés d’une force vitale. Dans ce mode de pensée, la caverne respire, elle possède sa propre intériorité, c’est une force avec laquelle il faut compter et que l’on peut même redouter. Pour essayer de saisir un indice de ce possible rapport dans la décoration on en revient à cette construction des cerfs géants sur le volet gauche de la grande frise et à leur curieux cadrage sur la paroi. Leurs trois corps sont engagés d’une manière ou d’une autre dans les parties profondes du mur qui correspond dans nos propositions au réseau souterrain du causse. Ces animaux ne sont pas apparemment pas blessés ou en perdition. Dès lors, on en vient à concevoir que pour les Paléolithiques le concept de territoire ne se réduit pas à ses formes superficielles à la lumière du jour. Il inclut l’espace souterrain qui forme même, nous l’avons dit, le socle support de la surface. Il en dicte aussi la morphologie en Quercy. Nous n’inventons rien, ce sont des données factuelles. Dans l’hypothèse de croyances animistes, il est possible qu’une telle perception renvoie à l’idée de l’existence de puissances chtoniennes avec lesquelles il convient de cohabiter en bonne intelligence sur le même territoire. Elles savent montrer leur force par leur pouvoir de tout engloutir en surface : l’eau, les sédiments, les végétaux, jusqu’aux animaux. Elles règnent dans la partie invisible de l’espace jusqu’à la frontière avec la lumière du jour. Pour certains, c’est le monde des esprits, par essence immatériel dans la pensée occidentale. Nous n’en sommes pas convaincu pour la période paléolithique, invisibilité ne rimant pas toujours avec immatérialité comme le montrera plus loin le célèbre « Dieu cornu » de la grotte des Trois-Frères en Ariège. c. Autres grottes gravettiennes en Quercy D’autres grottes ornées plus modestes appartiennent en Quercy à la même culture gravettienne : Les Merveilles, Les Fieux, Marcenac, Pergouset... Nous nous proposons d’en examiner les aspects les plus significatifs de leurs décorations.

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Les Merveilles (grotte de Rocamadour) La grotte se situe sur le territoire de la commune de Rocamadour, haut lieu touristique du département du Lot. Elle s’ouvre dans la partie septentrionale du causse de Gramat, non loin du site de Roucadour précédemment abordé. Elle est découverte en 1920 par le propriétaire du terrain qui y descend à l’aide d’une corde par un trou ouvert dans le sol. Après l’aménagement du site, il est ouvert à la visite touristique. La cavité est riche en concrétions. C’est une salle unique de forme oblongue, longue de 45 mètres et large de 25 mètres pour 4 mètres de hauteur en moyenne. Son développement se trouve très près de la surface puisque par endroits l’épaisseur du toit ne dépasse pas le mètre. La grotte fait l’objet de publications importantes : en 1952 dans 400 siècles d’art pariétal de Henri Breuil et en 1965 dans Préhistoire de l’art occidental d’André Leroi-Gourhan. Entre 1968 et 1972, puis de 1995 à 1997, Michel Lorblanchet en fait l’étude. Il détermine son appartenance à la période gravettienne. L’ornementation est concentrée sur la paroi droite, près de l’entrée actuelle issue d’un aménagement moderne, à proximité de gours recueillant le ruissellement des eaux qui n’est plus celui de la découverte. L’iconographie des Merveilles comprend une vingtaine de figurations : des mains négatives rouges et noires, cinq chevaux peints et un gravé, un félin rouge, des ponctuations rouges et quelques indéterminés. Globalement les œuvres sont de lecture délicate due pour partie à une conservation médiocre. Michel Lorblanchet les divise en 6 panneaux. Notre intérêt porte sur les panneaux 3 et 4 du chercheur parce qu’ils présentent d’étonnantes convergences avec la décoration de la « cage au Lion » de la galerie du Combel de Pech-Merle. En réalité les deux panneaux des Merveilles appartiennent à la même section de paroi, où ils sont verticalement disposés l’un au-dessus de l’autre, séparés horizontalement par une corniche stalagmitique, le panneau 3 occupant la partie supérieure. « Un félin au trait rouge long de 0,75 m, haut d’environ de 0, 30 m tourné à gauche. La tête dépourvue d’oreilles comporte un remplissage rouge très estompé... L’arrière-train manque et la queue qui prolonge, semble-t-il, une ligne dorsale un peu longue n’est pas détaillée ou représentée. L’attitude générale de l’animal est familière aux félins.

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Prenant appui sur ses puissantes pattes antérieures... il étend le cou et baisse la tête ». (Illustration 77). La première similitude que l’on observe avec la « cage au Lion » de PechMerle tient à la teinte du support rocheux : « La paroi servant de support au félin des Merveilles présente enfin un aspect particulier : immédiatement au-dessus de la corniche s’étend une zone ocre rouge foncé se détachant sur le fond plus clair de la roche environnante. La limite supérieure de cette zone est nette et parfaitement horizontale. Alors que la paroi, est dans son ensemble, lisse et nue, la bande colorée est hérissée de petits bourgeonnements en « choux-fleurs » ; ce type de concrétion se forme sous l’eau ». La conclusion du chercheur est que la corniche stalagmitique qui compartimente la paroi est un ancien plancher ayant fait fonction de réservoir d’eau, un gour probablement dont le niveau laisse la trace de son empreinte sur le mur.

Illustration 77 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Félin des Merveilles, le corps engagé sur l’empreinte d’une ancienne ligne d’eau. Le trait noir correspond à la gravure d’une ligne cervico-dorsale de cheval. Au-dessus figure possiblement un petit cheval rouge tourné à droite. Panneau 3.

Il fait peu de doute, à moins d’une invraisemblable coïncidence, que l’artiste des Merveilles a la même expertise de la teinte du mur d’après laquelle, comme sur le panneau de « la cage au Lion », il identifie un ancien niveau d’eau. Sur cette base il conçoit son œuvre avec au centre un félin qui émerge péniblement, tête basse, de la nappe d’eau dans laquelle il trempe. Il est accompagné dans son infortune par un cheval gravé. À 187

quelques différences près, il est difficile de ne pas rapprocher la scène de celle de Pech-Merle. Dans les deux cas, il y a la posture du prédateur que l’on peut certes attribuer à une attitude familière de l’animal dans la nature, mais qu’il nous semble plus pertinent au vu du dessin de rapprocher d’un danger de noyade une nouvelle fois virtuellement encouru. Parmi d’autres similitudes, il y a d’un côté le dessin d’un arrière-train ridicule, de l’autre son absence totale mais dont la ligne de dos suggère qu’il se traîne. Le chercheur partage le même sentiment de déjà-vu : « Le félin des Merveilles évoque celui du Combel ». Le panneau 4 situé sous la corniche stalagmitique consacre l’étage inférieur de la composition : « A 0,50 m sous la corniche stalagmitique, nous avons pu déchiffrer un cheval très effacé superposé à deux mains négatives rouges, elles-mêmes peu visibles... Les pattes ont vraisemblablement disparu... Ce cheval s’encastre entre les accidents rocheux qui lui servent harmonieusement de cadre... Ce n’est pas pur hasard si cette figure se loge étroitement entre les aspérités du support comme un joyau dans son écrin ». Nous avons de l’image en question une perception beaucoup moins optimiste. Ce cheval contraint dans son logement y apparaît davantage coincé, encastré, tassé de sorte qu’il lui est impossible de s’en dégager. Il se trouve dans une situation désespérée, bloqué entre deux roches, au fond de l’eau, avec peu de chance de rejoindre la surface matérialisée par l’empreinte ocre rouge du panneau 3 situé au-dessus. C’est la reproduction du même scénario que celui de Pech-Merle où deux chevaux du panneau de la « cage au Lion » sont en passe de se noyer. Les Fieux La grotte découverte en 1964 par le spéléo club de Bergerac se situe à l’extrême nord du causse de Gramat, à quelques kilomètres de la vallée de la Dordogne. Son réseau souterrain est près de la surface. L’accessibilité est rendue possible par l’effondrement ancien du toit d’une galerie. Du fond de l’aven ainsi crée, la reptation dans un étroit boyau long d’une vingtaine de mètres permet de parvenir au seul espace dégagé du réseau karstique. Ce gouffre d’entrée révèle des niveaux archéologiques témoins d’occupations humaines de 80 000 à 40 000 BP au Paléolithique moyen, puis au Paléolithique supérieur. Sur le site, on ne dispose pas de datation 188

radiocarbone mais les cultures aurignaciennes et gravettiennes sont identifiables par le matériel lithique retrouvé sur place. Des observations techniques et stylistiques sur les œuvres confirment cette appartenance. La cavité se présente en forme de salle allongée de 30 mètres de long sur 15 mètres de large avec de bonnes hauteurs sous plafond. Au centre, dans l’axe de la sortie du passage d’accès, se dresse, tel un menhir, un massif stalagmitique isolé 2 m x 4 m haut de 2,50 m. Avec des mains négatives sur la paroi gauche en entrant et des ponctuations digitales distribuées sur le pourtour de la salle, le bloc de pierre concentre l’essentiel des motifs figuratifs des lieux : un bouquetin formé de cupules, deux mammouths gravés, un cheval piqueté (illustration 78). Michel Lorblanchet étudie la grotte dans les années 1980. Il établit la chronologie d’exécution des œuvres présentes sur le bloc central décoré. Phase des cupules : ce sont des marques obtenues par piquetage de la roche. La technique a pour effet la formation de trous en surface de la pierre. Par juxtaposition des coups, l’artiste forme l’encornure et les deux pattes du bouquetin et ce qui ressemble au corps d’un cheval. Vient ensuite la phase des mains négatives. Il y en a deux sur le bloc central, elles recouvrent certains martèlements de la roche. La phase de gravures fines comprend les deux mammouths et une ligne dorsale de cheval. Comme le précise le chercheur, il est cependant possible d’envisager seulement deux phases d’exécution, les deux dernières étapes pouvant être contemporaines.

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Illustration 78 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Décoration du bloc central de la grotte des Fieux. On remarque les concavités présentes à la base du rocher.

À l’Aurignacien la technique des cupules est bien établie dans l’art sur blocs de la vallée de la Vézère à une cinquantaine de kilomètres de distance. Elle est toutefois exceptionnelle en grotte. « D’autre part, nous avons observé que les utilisations successives de ce massif isolé, étendues sur une longue période, ont donné lieu à des interprétations différentes de la roche. La forme naturelle du bloc se détachant dans l’obscurité environnante évoque irrésistiblement un corps d’animal ». Il est exact que la morphologie générale du rocher fait davantage penser à un mammouth qu’à un bouquetin pourtant réalisé en premier. Deux artistes à des périodes différentes n’ont pas perçu les mêmes formes naturelles dans le massif calcaire. Il n’est pas impossible non plus que l’explication soit ailleurs. On remarque que la base du rocher présente une suite de concavités plus ou moins profondes au-dessus desquelles sont disposées les figurations. C’est aussi la configuration que l’on retrouve à Cougnac où, en particulier, tous les grands bouquetins de la frise dans la salle des peintures sont attachés à des concavités soulignées d’ocre rouge diffus. Nous avons donné plus haut la valeur de ces reliefs. On peut penser au vu de sa localisation que la mise en place du bouquetin cupulé des Fieux procède de la même intention, c’est-à-dire prendre position en surplomb 190

d’un vide figurant un sous-sol. C’est une explication du désintérêt du premier intervenant pour la forme générale du massif calcaire. Il naît de ce rapprochement entre la période aurignacienne à laquelle appartient le bouquetin des Fieux, et celle du Gravettien de Cougnac, l’existence d’un fonds commun de conventions relativement stable. Autrement dit, l’écart de temps qui sépare les deux périodes n’altère pas, sur le même territoire, le concept initial. Dans la création des œuvres, la technique du martèlement de la pierre ne donne pas de bons résultats plastiques. Les blocs gravés de la vallée de la Vézère sont d’ailleurs longtemps passés pour des balbutiements de l’art. Dans bien des cas, les cupules obtenues par ce procédé ne semblent pas représenter autre chose qu’elles-mêmes c’est-à-dire des creusements, des dépressions de la surface rocheuse. Alors soutenir que ces actions n’ont pour seul but que de simuler la porosité de la pierre en mode buvard comme le montre le socle rocheux des causses du Quercy n’apparaît pas si invraisemblable. C’est cohérent avec nos différentes hypothèses, toutes relatives au concept de territoire. À droite du bloc central un cheval cupulé, sans tête, dont le contour gravé appartient au Gravettien, n’est pas non plus sans rappeler les chevaux ponctués de Pech-Merle (illustration 79).

Illustration 79 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Cheval cupulé des Fieux.

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Le parallèle entre la ponctuation soufflée du Gravettien et la cupule de l’Aurignacien puisqu’ils traduisent le même phénomène, implique qu’ils sont de même signification. Ils qualifient tous deux la pénétration des liquides dans la pierre. On est donc fondé à croire que la ponctuation soufflée remplace la cupule au fil du temps dans l’iconographie des grottes ornées paléolithiques gravettiennes. Ce n’est qu’au Gravettien que l’artiste utilise toute la forme du rocher en gravant finement deux pachydermes, mais il ne désolidarise pas pour autant ses figurations des concavités situées à la base du massif calcaire. C’est toujours la même perception d’un territoire à la géomorphologie très particulière. Marcenac Le souterrain appartient au réseau karstique de Pech-Merle, il se situe quelques dizaines de mètres en dessous, à environ 300 mètres de distance et débouche sur la vallée de la Sagne. Dans un passé très ancien les deux grottes communiquent. Ce n’est pas le cas au Paléolithique supérieur. La décoration de Marcenac attribuée au Gravettien doit donc être considérée comme indépendante de celle de Pech-Merle. Le réseau se présente comme une galerie longue d’environ 130 mètres, disposée sensiblement à l’horizontale. Il est connu depuis la moitié du XIXe siècle. Ses œuvres pariétales sont seulement découvertes en 1920. Les premières se trouvent non loin de l’entrée avec sur la paroi droite une frise de trois cerfs gravés alignés horizontalement sur deux mètres de long. Il s’agit de mâles dont la dimension varie de 30 à 40 cm. La composition est modeste mais non dénuée d’intérêt. À l’examen, les animaux figurés de profil paraissent fonctionner en mode alternatif. Ils se partagent entre partie du corps visible, puis invisible. À partir d’un rebord calcaire de la paroi, la file est orientée vers la sortie. À son origine, un premier cerf ne possède pas d’arrière-train, seule figure sa partie antérieure. Celui qui le précède est relativement complet. Vient ensuite le premier de la file réduit à la tête, l’encolure et la ligne de dos. Au-dessus de la harde, deux autres gravures sont en proie au même syndrome. Du même gabarit, elles appartiennent vraisemblablement au même sujet, en l’espèce un cheval. Il est coupé en deux : il présente un arrière-train isolé, la partie avant dépourvue de tête se trouvant un peu plus loin au même niveau. 192

Michel Lorblanchet fait la même observation mais en donne une traduction différente : « A 0, 25 m au-dessus du cerf de droite, deux chevaux sont également gravés. Les postérieurs du premier sont seuls identifiables. Le second de 0,20 m est à demi redressé. Les postérieurs sont absents. La partie antérieure du cheval a été gravée à partir d’un rebord rocheux, ici encore selon le « procédé de surgissement ». » Le procédé du surgissement auquel fait référence le préhistorien est un artifice graphique qui met brusquement en scène l’apparition de figures afin de les voir sortir de la roche. Les raisons pour lesquelles il est possible d’émettre un avis divergent se réfèrent à plusieurs exemples concrets. Il y a l’homme encordé de Cougnac, privé sa partie supérieure parce qu’il disparaît de la lumière du jour en s’enfonçant dans un trou. Le même phénomène concerne l’homme de Puy Jarrige, comme les figurations féminines du plafond digité de Pech-Merle passées au travers du cercle échancré. Il convient également d’avoir à l’esprit l’attention que portent les artistes de Cougnac à cette limite du clair-obscur mise en évidence sur la frise de la salle des peintures. On peut nous objecter qu’il s’agit là de références extérieures à Marcenac sauf que la harde de cerfs en question se situe précisément à l’endroit de la caverne où la lumière du jour éclaire encore faiblement la paroi, l’entrée se trouvant à une vingtaine de mètres. Quelques mètres plus loin, au-delà du panneau, le coude que forme la galerie plonge le visiteur dans le noir. La tentation est donc forte de penser que l’artiste de Marcenac a également joué avec cette frontière entre le visible et l’invisible. Dans l’obscurité commence un autre monde. La harde des cerfs est figurée vers la sortie du souterrain. Le cheval coupé en deux est en voie de reconstruction à la lumière du jour selon le même principe à la limite du clair-obscur : apparition des corps-lumière du jour, disparition des corps-obscurité. Sur la paroi gauche, un ensemble peint fait face à celui des cerfs. Il se compose de deux chevaux acéphales disposés en file. Long de 50 cm, celui de tête est bichrome (silhouette noire, flanc peint en rouge). Le profil du second s’étire en longueur (90 cm) réduit à une simple esquisse. Ils regardent vers la sortie de la grotte où leurs silhouettes prennent progressivement de la consistance sous l’éclairage grandissant de l’entrée qui permet la distinction des couleurs en particulier sur le cheval bichrome.

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À plus de 100 mètres de l’entrée, dans le noir absolu, sur les deux parois d’un diverticule, deux animaux dessinés en noir se font face. Le premier est un bison spectaculaire de 1, 75 m de long (illustration 80). « La force de ce dessin, sans doute l’une des plus belles œuvres paléolithiques du Quercy réside dans le schématisme, l’économie et la justesse du tracé dont le sommet s’interrompt localement pour intégrer une grande fissure horizontale comme s’il fallait que la paroi, à tout prix, participe au dessin ». L’herbivore est réalisé par la méthode du crachis de peinture liquide. Le ventre, les pattes, la tête ne sont pas dessinés. La fissure horizontale de la paroi signalée par le préhistorien qui en souligne l’importance dans son analyse joue en effet un rôle central dans la construction de la figure. Elle absorbe la bosse du dos toujours par le même processus de percolation du pigment à travers la roche. Une fissure secondaire se charge de faire disparaître le ventre, les pattes et la tête. Dessous, il ne subsiste que la queue et l’amorce du jarret. Une série de tracés digités verticaux recouvre la partie encore visible de l’animal dont le sort semble une nouvelle fois scellé. On peut en effet présumer de sa disparition complète de la surface du mur, à l’instar de bien d’autres dans l’iconographie gravettienne. L’évaporation des formes à travers la roche n’est pas sans faire penser à ces esquilles d’os ou bien à ces objets introduits volontairement dans les fissures du calcaire dans certaines grottes au Paléolithique supérieur.

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Illustration 80 : Dessin d’après A. Lemozi. 1920. La partie hachurée est rapportée par nos soins, elle correspond aux tracés digitaux relevés par Michel Lorblanchet. Dans la réalité, les tracés du profil de l’animal sont plus vaporeux. Sur le relevé moderne le menton du bison ne figure pas.

Sur la paroi opposée, un cheval noir dessiné en profil absolu fait face au boviné. Il mesure un peu moins d’un mètre de long. À la différence des trois autres spécimens de la caverne situés à l’entrée de la grotte, il est doté d’une tête. Elle présente quand même la particularité d’être en voie de disparition sous une coulée de calcite si bien qu’elle se devine par transparence (illustration 81). On peut certes évoquer la part du hasard, mais dans le contexte de la grotte où les équidés perdent leurs têtes, il est possible de soupçonner l’artiste de l’avoir volontairement placé à cet endroit où il sait que le ruissellement de l’eau sur le mur finira par la faire disparaître. Dans la grotte des Merveilles, le dessin d’un cheval noir est véritablement coupé en deux par une concrétion opaque. Or on sait que l’animal est exécuté pardessus une coulée de calcite peut-être même encore active au paléolithique. En tout cas elle continue de l’être postérieurement au dessin. Dans cet exemple le choix de l’emplacement est délibéré. Il est licite de concevoir qu’il en est de même à Marcenac avec pour conséquence la lente

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disparition programmée par l’artiste de la tête du cheval. Mais alors pourquoi la représenter ? La question ne trouve de solution que dans le fonctionnement du souterrain lui-même. Il n’est pas cet espace inerte, sans vie, ou encore un simple cadre graphique à disposition des artistes paléolithiques, ce que l’on imagine le plus souvent quand on parle d’art structuré autour de sa morphologie.

Illustration 81 : Dessin A. Lemozi. 1920. Marcenac. Tête de cheval effacée par une coulée de calcite.

En Quercy deux autres grottes ornées présentent des constructions graphiques similaires. C’est le cas de la grotte des Escabasses située non loin de Roucadour sur le causse de Gramat où l’un des deux chevaux dessinés est manifestement sans tête, l’autre disparaissant sous la concrétion de la paroi. Dans la grotte de la Combe-Nègre en Bouriane un petit cheval porte une tête incomplète. 196

Grotte de Cuzoul des Brasconies L’intérêt de cette cavité située au sud du causse de Gramat est relatif à la présence d’une série de signes peints sur l’unique ensemble décoré attribué au paléolithique. Il comprend un cheval rouge (0,70 m) associé à cinq signes rouges : « notre relevé montre en outre que cheval et signes semblent « sortir » d’un trou profond qu’ils dominent ». Ici, la relation de motifs en accolade à la profondeur est à mettre en rapport avec le cercle échancré que l’on trouve en abondance à Roucadour où il est un exemplaire qui s’apparente de très près à ceux de Cuzoul des Brasconies (Illustration 82).

Illustration 82 : Dessin. À gauche, cercles échancrés de Roucadour. À droite, série de motifs rouges de Cuzoul des Brasconies.

Dans cette dernière cavité où ils sont disposés en série comme le montre l’illustration 82, il s’agit de cercles échancrés abrégés. Ces formations géologiques en chapelet rappellent les ouvalas qui se rencontrent à la surface du causse. Grotte de Pergouset La grotte rattachée par le préhistorien au groupe des sanctuaires magdaléniens prend place dans ce chapitre parce qu’une figure humaine s’apparente à celle de Cougnac par son aspect partiel. Le souterrain présente la particularité d’être associé à la circulation des eaux. En effet, 197

son extrémité débouche sur une petite rivière souterraine tandis que l’entrée s’élève à quelques mètres seulement au-dessus du cours du Lot. Pergouset se trouve à quelques kilomètres de Pech-Merle. Le sanctuaire appartient à cette catégorie de réseaux souterrains très difficiles d’accès. Il donne l’occasion de mesurer le niveau de pratique des spéléologues préhistoriques du Quercy. Il est découvert en 1964 par les membres du Groupe Spéléologique du Quercy suite à la désobstruction d’une ouverture dans la falaise calcaire. C’est un boyau étroit, sinueux et horizontal avec des élargissements par endroits. La plus grande partie du conduit n’est pénétrable qu’en reptation sur une longueur de 200 mètres ce qui laisse imaginer la difficulté de son exploration. Il est orné sur la presque totalité du parcours. L’entrée primitive est détruite par la construction de la route. L’aventure de Pergouset est à déconseiller aux personnes claustrophobes. L’absence de vestige archéologique dans les sondages du sol indique que les lieux ne connaissent pas une grande fréquentation au paléolithique. À mi-parcours un charbon de bois est daté à plus de 32 000 BP. Michel Lorblanchet ne pense pas que cet âge soit à mettre en relation avec la décoration qui se trouve à proximité. Selon lui l’objet résulte d’un transport par les crues ayant inondé la grotte. À l’occasion de la parution de la monographie de Pergouset en 2002 signée par Michel Lorblanchet, Jean Clottes émet un avis critique sur l’appréciation de son confrère sans véritablement pouvoir trancher sur ce sujet. Davantage que ces divergences entre experts, il faut s’interroger sur les étonnantes capacités physiques et psychologiques du ou des explorateurs préhistoriques qui se risquent ainsi si profondément dans les entrailles de la terre. Sur ce point Pergouset nous donne raison, il ne peut s’agir d’une expédition effectuée au gré de pérégrinations au cours desquelles on décide subitement l’exploration d’un trou dans la roche. Ce type d’activité demande du repérage, de la préparation et surtout de l’audace. L’humain de Pergouset présente une autre facette de la figuration du spéléologue préhistorique (illustration 83).

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Illustration 83 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. L’homme de Pergouset (L = 45 cm).

On peut le baptiser « l’homme du boyau » en référence au lieu dans lequel il est figuré. Sa tête est absente, à la place un appendice étroit émerge entre les deux épaules. C’est l’indice de son entrée la tête la première dans un trou étroit plongé dans l’obscurité. En termes de comparaison, le personnage fait une nouvelle fois penser aux femmes sans tête du plafond digité et aux « Femmes-bisons » de Pech-Merle toutes engagées dans l’étroiture. Leroi-Gourhan conduit un parallèle approchant : « A gauche la paroi G est couverte de traits et offre une figure extraordinaire d’homme dont la tête est remplacée par une queue de bison, comme pour les « Femmes-bisons » de Pech-Merle ». Préhistoire de l’art occidental. Ces exemples récurrents de la disparition des têtes, animales ou humaines en grotte, résultent d’un processus qui doit à l’attraction du monde souterrain sur les images. Il préside à la déformation des corps, à leur déstructuration au moment du passage dans le sein de la matière

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minérale, avec comme vecteur symbolique, le plus souvent, la circulation des eaux en sous-sol. La décoration du Gravettien de la grotte de Travers de Janoye dans le Tarn en est un autre exemple éclairant : « Au travers de Janoye et au Moulin (Lot) les bouquetins et les bisons sont aspirés dans de profondes fissures où disparaissent les eaux de la cavité, comme si les eaux commandaient aux figures de suivre le même chemin ». Grotte du Moulin Voisine de la grotte de Pech-Merle et de Pergouset, située non loin du confluent de Lot et du Célé, la grotte du Moulin s’inscrit dans le même registre interprétatif que précédemment (illustration 84).

Illustration 84 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Plan de la grotte du Moulin (Tarn). Les flèches indiquent la localisation des 4 bisons du bestiaire. Au centre figure l’écoulement du ruisseau.

Elle est accessible par un boyau étroit, long d’une trentaine de mètres jalonné de chatières pour aboutir à une petite salle ronde de 3 mètres de diamètre. Le décor compte 4 bisons peints disposés autour de deux grandes gouttières naturelles.

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« La répartition topographique de ces derniers est très particulière : 4 bisons de 1 m à 1,50 m de longueur groupés en deux paires se placent sur les rebords de deux profondes crevasses de la paroi. Les bisons se font face symétriquement de part et d’autre de ces fissures dans lesquelles ils semblent vouloir plonger pour disparaître dans les profondeurs du calcaire ». D’après le style ces œuvres sont rattachées au Magdalénien (illustration 85 et 86).

Illustration 85 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Paire de bisons de la grotte du Moulin figurés au-dessus de l’écoulement des eaux souterraines.

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Illustration 86 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Seconde paire de bisons du Moulin disposés autour d’un trou à la base de la paroi.

S’il est un exemple à citer pour se convaincre du phénomène d’aspiration des animaux dans les profondeurs de la roche, celui de la grotte du Moulin en constitue une bonne illustration. L’attribution des œuvres au Magdalénien montre la grande persistance des croyances paléolithiques au cours du temps à travers la construction de dispositifs graphiques autour des fissures, des diaclases, des anfractuosités, potentiellement ou réellement irriguées par les eaux souterraines. Ce sont autant de reliefs souvent interprétés comme symbolisant des sexes féminins mais qui au lieu d’expulser du vivant, au contraire l’absorbe et le fait disparaître. La vulve est présente en trois exemplaires dans la grotte de Pergouset : « ... et de trois images sexuelles féminines (vulves) qui féminisent l’univers souterrain environnant. La manière dont ces gravures animent la grotte en intégrant les reliefs rocheux suggère que la cavité et la rivière souterraine semblent avoir joué un rôle symbolique important en relation avec l’apparition de la vie au sein de la terre ». La proposition est contenue dans les conclusions générales du préhistorien sur le groupe des grottes ornées du Quercy au chapitre « Significations ». Autrement dit à travers la figuration féminine, la caverne 202

divinisée devient le sexe géant de la terre d’où émerge la vie. La thèse de l’apparition de la vie dans les entrailles de la terre, d’une mythologie de l’origine du monde, est relative à de nombreuses cosmogonies connues à travers la planète. C’est le cas du mythe d’Émergence précédemment évoqué. Dans son dernier livre Alain Testart soutient la même idée : « La fréquence des vulves, des représentations partielles et tronquées du corps de la femme en différents endroits de la caverne, la variabilité des signes de la féminité sur les parois, voire la complémentarité progressive de l’image de la femme au sortir de la grotte montrent que les paléolithiques ont perçu la grotte comme un symbole utérin, expression de la féminité, elle-même principe de vie et de reproduction ». Art et religion. De Chauvet à Lascaux. Des diverses thèses relatives à l’image de la femme dans les cavernes, souvent réduite à des silhouettes, à des segments graphiques représentant le triangle pubien, c’est celle de la fécondité qui revient en boucle dans les explications. Une fonction génitrice qu’aucune donnée graphique claire ne vient corroborer sur l’étendue de l’aire franco-cantabrique. Dans nos ouvrages précédents elle apparaît plutôt sous le jour d’un concept positif, celui de liens et d’échanges, une vocation destinée à l’interrelation entre les groupes humains dont on peut bien soupçonner l’existence au Paléolithique supérieur au sein de sociétés patriarcales. La proposition de Michel Lorblanchet pour le Gravettien du Quercy ne peut prétendre s’appuyer sur une argumentation sérieuse quand la plupart du temps les images représentées disparaissent dans les profondeurs des souterrains. Il en convient lui-même dans les exemples de Travers de Janoye et de la grotte du Moulin mais il y en a d’autres. C’est également contradictoire avec le fonctionnement des territoires dans cette région grevée de trous et d’abîmes qui avalent tout de ce qui se présente au passage. On voit mal en effet la vie en sortir. Il est exact par contre que la représentation féminine est souvent présente dans les grottes ornées quercynoises. Mais elle reste discrète, excepté à Pech-Merle avec toutefois la restriction suivante : elle chute dans les profondeurs du souterrain. Sur cette base, il faut beaucoup d’imagination pour faire de la grotte le sexe géant de la terre, en l’occurrence un sexe féminin. Il est à peu près certain que la statuaire féminine gravettienne qui s’est largement répandue dans l’Europe paléolithique n’est pas étrangère à ce 203

point de vue. La théorie des signes d’Alain Testart en apporte la preuve. Elle peut être séduisante sauf que le lien demande à être argumenté autrement que par des fragments de femmes dispersés sur les murs des cavernes et par des valeurs sexuelles accordées conventionnellement à certains signes. D’ailleurs aucune de ces fameuses « vénus » n’a jamais été retrouvée en grotte, pas davantage que leurs supposées progénitures sur les parois. Elles appartiennent à un autre domaine et il n’est pas celui de l’obscurité inquiétante des gouffres. En revanche, l’image de la femme figure en bonne place et en « pied » dans les abris sous roche. En d’autres lieux souterrains et d’autres temps au paléolithique, l’hypothèse d’un principe créateur dans l’obscurité n’est pas à rejeter mais il convient d’éviter de tout réduire au même modèle et d’en faire une généralité. Le concept de territoire conduit l’essentiel de nos hypothèses pour la région du Quercy au Gravettien. Les Paléolithiques conçoivent le plus souvent la décoration de leurs souterrains sur le fonctionnement du territoire qu’ils occupent, c’est-à-dire un immense avaloir. Ils les explorent méthodiquement jusque dans les tréfonds. Nonobstant la disparition de leurs œuvres dans les profondeurs des causses, ils se livrent à certaines autres pratiques, en l’espèce, comme mentionné plus haut à l’introduction d’objets dans les fissures de la roche. Si l’on en juge par la permanence de ces manifestations dans le temps et l’espace au sein des grottes ornées, c’est une coutume millénaire. De tels dépôts sont avérés en Quercy : « Dans le domaine des activités rituelles, nous pouvons ajouter les dépôts d’outils, de parures, d’ossements et d’ivoire de mammouth, dans les fissures à proximité ou au pied des parois ornées (Cougnac, Les Fieux, Pech-Merle, Carriot, Murat, Foissac, comme dans certaines grottes ornées pyrénéennes, par exemple Gargas ou les Trois-Frères – R. Bégouën et al, 2009) ». Le rituel paléolithique intéresse directement notre propos puisqu’il indique le sens vers lequel il s’oriente, c’est-à-dire vers l’intérieur de la roche. Avec le concept de latence (formes présentes naturellement dans la roche), l’introduction d’objets dans les fissures du minéral sert d’argumentaire à la thèse chamanique. Le geste a pour but la prise de contact avec le monde surnaturel des esprits cachés derrière la membrane rocheuse devenue perméable à l’issue d’un processus dédié.

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L’archéologie montre que ces dépôts ne peuvent s’expliquer par un usage utilitaire ou encore par divers apports naturels comme celui de l’eau. Il n’est pas inutile de consacrer quelques lignes à cette étrange pratique. Les cavernes du Volp en Ariège forment un réseau de cavités qui comprend trois grottes : Enlène, les Trois-Frères, le Tuc d’Audoubert. Enlène n’est pas décorée, elle ne contient que de l’art mobilier sur os ou petites plaquettes de calcaire et présente la particularité d’accueillir de nombreux fragments d’os plantés dans le sol et d’autres fichés avec des silex dans les fissures des parois rocheuses. À l’entrée, plusieurs habitats gravettiens sont attestés. Nous sommes tentés d’interpréter ces dépôts comme des sortes d’ex-voto destinés à établir un dialogue avec la caverne, considérée comme une entité à part entière. Michel Lorblanchet traduit cet échange dans les termes suivants : « Les graveurs jouaient avec les esprits de la paroi qui répondaient à leur désir, mais intervenaient aussi dans leur démarche en l’infléchissant subtilement. Ils composaient ainsi leurs images... en se fondant sur la volonté de la roche qui commandait au moins l’emplacement et la dimension de leurs œuvres. L’acte graphique est l’expression de l’emprise totale du milieu souterrain sur la création et la spiritualité paléolithique ». Convenons de dire que deux approches différentes de l’art des cavernes conduisent cette fois à des interprétations sensiblement convergentes. Nos travaux sur l’art pariétal du Quercy du Gravettien permettent, c’est inédit, d’introduire la notion d’espace terrestre que de nombreux observateurs considèrent absent de l’iconographie paléolithique : pas de cadre naturel, de paysages, de végétaux. C’est un lieu commun dans la littérature spécialisée. Le constat reste quand même étonnant et l’on pouvait peut-être s’attendre à trouver les témoins de cette dimension dans l’iconographie pariétale. Nous avons le sentiment d’avoir comblé en partie ce hiatus. D’aucuns affirment encore que l’art des cavernes n’est pas ou peu narratif, qu’il n’est pas scénique comme le soutient Alain Testart. L’observation de certains agencements graphiques dans les compositions, des plus simples aux plus complexes, fait plutôt penser le contraire. C’est l’absence de liens intelligibles pour nous entre les figurations qui conduit naturellement à cette conclusion. Dans le cas du spéléologue préhistorique de Cougnac, il faut se livrer à une approche méthodique et approfondie de 205

la grande frise pour établir un lien entre deux représentations distantes de plus de 10 mètres sur la paroi. Historiquement, les difficultés à saisir le sens de l’association du motif géométrique au mode figuratif de l’iconographie des cavernes conduit à leur séparation en deux familles : la forme réaliste ou naturaliste et la forme abstraite. C’est une classification par défaut puisque le dernier terme reste inconnu. Dans les études sur l’histoire de l’art, la distinction donne lieu très tôt à deux interprétations de la chronologie d’apparition des deux champs graphiques. Il y a les partisans de débuts schématiques dans la création des formes se rapprochant peu à peu de la réalité sensible pour finir par la naissance d’images figuratives. L’autre hypothèse présume de l’antériorité d’images réalistes sur les œuvres schématiques. C’est le point de vue de l’abbé Breuil qui interprète la production graphique abstraite comme la représentation d’objets matériels dont le modelé découle de la dégénérescence d’images primaires réalistes. Il prône le mimétisme des préhistoriques, leur instinct d’imitation des formes observées dans la nature. À la fin des années 50 André Leroi-Gourhan publie la première étude d’ensemble des signes. Il entérine leur vocation non réaliste. Pour lui l’iconographie quaternaire se partage en deux séries de symboles. L’une est réaliste (les animaux) l’autre abstraite (les signes). Il est intéressant de noter que l’art abstrait moderne qui voit le jour au début du XXe siècle, dans les années cinquante, une grande influence sur la création artistique, il relègue même au second plan celui de la représentation. Avec d’autres courants de pensée comme le structuralisme de l’anthropologie sociale de Claude Lévi-Strauss, l’air du temps est donc au renouvellement des idées et à leurs développements. C’est probablement l’un des aspects de la rupture d’André Leroi-Gourhan avec ses prédécesseurs. L’influence culturelle des temps modernes joue certainement un rôle dans les orientations conceptuelles des préhistoriens. C’est inévitable mais l’art dit abstrait par convention de la préhistoire n’est pas celui, on vient de le voir, de l’art moderne basé sur la forme pour elle-même qui peut se passer de modèles ou encore de la réalité visuelle. Il n’empêche, certains exégètes n’hésitent pas à y voir un retour aux sources de la création graphique. 206

La théorie nouvelle influence de nombreux chercheurs, les sémiologues au premier rang. Les symboles de l’iconographie préhistorique, les animaux et les signes, sont perçus comme des éléments proches de l’écriture. La pensée d’André Leroi-Gourhan est assez explicite sur ce sujet : « Je me défends de parler d’écriture en parlant d’art paléolithique. Pourtant en un sens, l’art paléolithique c’est une écriture. Ces figures se lisaient. Mais il s’agit de mythogrammes et non d’idéogrammes ou pictogrammes. C’est une écriture si l’on veut, mais à condition de ne pas prêter au mot « écriture » le sens que nous lui prêtons qui implique la linéarité des symboles ». Les racines du monde, 1982. Denis Vialou écrit à son tour « Les préhistoriques ont bien failli inventer l’écriture ». Ces prises de position de la part de chercheurs éminents ont cet effet de réduire considérablement le champ de la recherche sur les significations et il devient difficile de regarder ailleurs. La récente théorie des signes d’Alain Testart, calquée sur celle de Leroi-Gourhan, en apporte la preuve comme la terminologie en usage chez les préhistoriens pour qualifier les signes. Elle évite dans la mesure du possible de faire référence aux formes de la réalité sensible. Avec Georges Sauvet, spécialiste d’art préhistorique, la sentence est sans appel : « En revanche, il faut tordre le cou des « aviformes » du Pech-Merle et de Cougnac qui ne désignent aucune forme définissable ». L’art pariétal paléolithique, 1993. Il ne faut pas être grand clerc pour imaginer que la discipline n’est pas prête à renoncer à cette doctrine même si quelques voix discordantes parviennent à se faire entendre. Nous avons évidemment de bonnes raisons de penser que l’art géométrique s’est inspiré au paléolithique de formes observées dans la nature. Pour reprendre l’exemple de l’aviforme de Pech-Merle associé à l’homme encordé on peut en rappeler la structure. Elle s’articule autour d’une cheminée verticale débouchant sur une galerie horizontale complétée par l’adjonction de deux ailettes à ses extrémités qui ferment le motif. C’est la schématisation de nombreux réseaux karstiques des causses du Quercy qui se présentent dans cette configuration géologique. Ses auteurs peuvent être qualifiés de spéléologues. Une telle image mentale

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contient par vocation un degré d’abstraction dans ses lignes mais reste fidèle au modèle observé car elle doit rester identifiable. Le niveau de schématisation est ici mesurable. Il ne peut se concevoir que si l’on a affaire à des gens qui ont une grande pratique de l’exploration souterraine. C’est loin d’une image purement abstraite. Elle s’inscrit de surcroît dans un contexte relatif à une expérience humaine vécue il y a 25 000 ans, c’està-dire l’exploration initiale de la caverne de Pech-Merle. Le cercle échancré procède de la même construction mentale. Sa conception part d’observations effectuées sur les plateaux calcaires du Quercy, où le socle rocheux est perforé par de multiples avens. C’est l’échancrure du motif qui lui confère sa spécificité. Il présente un très faible niveau d’abstraction surtout lorsqu’il dévoile sa structure interne comme c’est le cas dans son association avec un motif en forme d’échelle à Roucadour. La ponctuation soufflée, récurrente au Gravettien dans la région, donne prise à la même réalité, celle de la pénétration des liquides dans la pierre. Elle symbolise la percolation des eaux de surface dans le milieu souterrain. À Pech-Merle elle fixe la décoration aux endroits de ses pertes en profondeur. Ensemble, ces motifs concourent à la définition du même territoire. Il montre l’attachement de populations à un milieu qui n’offre pas seulement des plateaux arides balayés par les vents, mais aussi des lieux protégés des éléments. « La découverte des arts vivants de l’Australie et de l’Inde m’a aidé enfin à percevoir l’importance fondamentale du site qui prime celle des figurations, à tenter de comprendre la fonction du lieu qui confère un sens premier mais non exclusif aux images des parois ». Chamanismes et arts préhistoriques, 2006, Michel Lorblanchet. Il n’y a pas de meilleure conclusion à ces travaux sur l’art paléolithique en Quercy.

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V. Les grottes ornées du Magdalénien (17 000-10 000 BP)

a. Le tectiforme du Périgord La culture solutréenne (22 000-19 000 BP) qui suit le Gravettien voit arriver la période la plus froide de la dernière glaciation de Würm. La péjoration climatique entraîne le reflux massif des populations vers le sud et l’abandon des territoires de l’Europe moyenne. La mobilité et la démographie des groupes chasseurs connaissent un coup de frein brutal. On parle même de division par deux de l’effectif des populations humaines. En France, la production artistique suit la même courbe. Elle devient plus rare mais voit le développement de la sculpture sur blocs ou encore sur les parois d’abris sous roche (Roc de Sers en Charente, le Fourneau du diable en Dordogne), un phénomène peut-être dû à une sédentarité plus élevée au sein de zones refuges. Parallèlement, la technologie lithique témoigne alors d’une grande maîtrise de la taille. La feuille de laurier est emblématique de cet artisanat. Si le référentiel culturel diffère au cours de cet épisode, le repli vers les provinces méridionales au Solutréen intéresse les mêmes populations de chasseurs-collecteurs. En clair les solutréens ne sont pas de nouveaux arrivants, ils sont les héritiers directs des Gravettiens qui s’installent plus sud devant les rigueurs de la glaciation. À la faveur de meilleures conditions climatiques, le Magdalénien, dans la même continuité, inaugure un retour très marqué vers la décoration souterraine. L’art des cavernes connaît un essor incomparable, les sites se 209

multiplient en Aquitaine, dans les Pyrénées, dans les Cantabres et les Asturies en Espagne. Il est possible d’y voir le retour aux traditions plus anciennes que l’épisode solutréen a momentanément interrompu. Pour autant on peut s’interroger sur la pérennité des mêmes croyances. Les écarts de temps qui séparent le Gravettien du Magdalénien varient considérablement selon que l’on considère leurs phases anciennes, moyennes ou récentes, ils se mesurent en milliers d’années. Il avoisine 10 millénaires au Magdalénien moyen avec le Gravettien archaïque. On sait depuis relativement peu de temps que les fluctuations climatiques connaissent de fortes variations au long du Paléolithique supérieur. Elles sont brutales et de grande ampleur. Le phénomène de Heinrich qui correspond à une décharge massive des glaciers du Groenland dans l’Atlantique nord jusqu’au Portugal est récurrent. Il provoque des variations du climat du continent européen perceptible à l’échelle humaine. C’est un facteur non négligeable qui affecte très certainement les comportements humains au Magdalénien. Le temps écoulé affecte quantitativement et qualitativement les différentes espèces animales représentées dans les cavernes. Pour autant, la tendance reste à la figuration de grands mammifères terrestres. Il y a aussi celle de motifs géométriques lesquels sont circonscrits, mis à part les moins discriminants (les points, les bâtonnets), à des provinces en particulier. Au Magdalénien, même en Quercy, on ne dessine plus d’aviforme ou de cercle échancré. La ponctuation soufflée disparaît également du registre graphique. L’intérêt pour les tectiformes du Périgord tient autant à leur structure très reconnaissable qu’à leur distribution géographique très limitée dans l’espace et dans le temps. Ils sont en effet présents dans quatre grottes du Magdalénien moyen à Font-de-Gaume, aux Combarelles, à Bernifal et à Rouffignac. La grotte du Bison en contient possiblement quelques exemplaires. Toutes ces cavités se situent dans un rayon de quelques kilomètres autour des Eyzies-de-Tayac. Le village, baptisé « capitale de la préhistoire », est bâti au pied d’une falaise qui surplombe la Vézère à son confluent avec la Beune. À cet endroit le cours d’eau principal adopte la forme d’un S prononcé. Ce qui caractérise de la vallée de la Vézère, c’est la concentration élevée de sites d’habitat préhistorique particulièrement autour des abris sous 210

roche. Il n’est pas exagéré de dire que ce secteur présente une architecture rocheuse troglodyte exceptionnelle. Elle voit se succéder des occupations de la préhistoire aux périodes historiques les plus récentes. Le tectiforme vrai du Périgord est donc attaché à un territoire précis et réservé aux grottes puisqu’il est absent de l’art mobilier pourtant abondant dans la région. Il apparaît dans l’iconographie pariétale au cours d’une période où le nombre de grottes ornées se multiplie tant en France qu’en Espagne. Le motif géométrique en forme de toit, comme son appellation l’indique éveille très tôt l’intérêt des préhistoriens, il sollicite les imaginations. Il est à l’origine de nombreuses hypothèses. Dans la chronologie ce sont Louis Capitan et Henri Breuil qui dès 1902 font état de la présence aux Combarelles de figurations évoquant la charpente d’un toit ou d’une hutte. La même année, les deux préhistoriens en signalent à Font-de-Gaume. En 1903, des graphies similaires sont identifiées à Bernifal. Dans l’ouvrage La caverne de Font-de-Gaume aux Eyzies paru en 1910, Louis Capitan, Henri Breuil et Denis Peyrony leur consacrent une première étude. L’interprétation du moment en reste à l’image d’une hutte, corroborée par les comparaisons ethnographiques avec les populations primitives. Dans le même temps, par extension, des signes énigmatiques des grottes espagnoles sont rapportés à la même signification. Après la Première Guerre mondiale, l’interprétation évolue. Il devient question de pièges à mauvais esprits ou de filets de chasse. En 1941 Kurt Lindner reprend l’idée du piège : « Une gravure rupestre de Font-deGaume est particulièrement intéressante : elle nous montre un mammouth pris dans un piège à poids. Cela nous donne même une idée de la dimension des pièges et fait constater leur emploi pour la capture des plus grands animaux. La poutre couchée sur le sol peut avoir déclenché le mécanisme lors du contact ». La chasse préhistorique. auteurs, Henri Breuil ne partage pas le même avis : « Divers écrit-il, ont voulu sans connaissance personnelle des cavernes, interpréter comme pièges et filets de nombreux dessins que j’ai qualifiés de « tectiformes », c’est-à-dire des huttes... J’y verrai plutôt la fixation de la résidence des esprits des ancêtres ». 400 siècles d’art pariétal, 1952. En 1956 a lieu la découverte de l’art de Rouffignac. Le signe revient à l’ordre du jour. 211

En 1958, l’entrée dans la littérature spécialisée d’André Leroi-Gourhan à travers une série d’articles est l’occasion pour lui de remettre en cause les thèses de ses prédécesseurs sur les points suivants : restriction des tectiformes au seul secteur des Eyzies, réfutation du comparatisme ethnographique, assimilation du motif à une polarité femelle. Plus tard en 1980, il l’assimile plutôt à un « marqueur ethnique ». Entre-temps Georges et Suzanne Sauvet et André Wlodarczyk n’en retiennent que la géométrie. Elle leur permet de présumer le passage d’une forme à l’autre, c’est-à-dire de la flèche au tectiforme. L’étude du signe peut être la plus exhaustive à ce jour, celle qui fait souvent référence, est l’œuvre d’Éric Capdeville auteur d’une maîtrise de Préhistoire soutenue en 1985 à l’Institut d’Art Préhistorique de Toulouse. Il recense dans ses travaux une cinquantaine de motifs inégalement répartis entre les quatre grottes périgourdines. Il les classe en trois groupes : les pentagonaux, les triangulaires et les ramifiés (illustration 87). Certains d’entre eux connaissent des remplissages divers avec l’adjonction de plusieurs branches obliques. Font-de-Gaume en contient 24, Bernifal 3, Rouffignac 16, Combarelles 6. Ils sont vraisemblablement plus nombreux à l’origine à Font-de-Gaume où toute la partie antérieure du souterrain voit sa décoration disparaître sous l’effet de l’érosion. Le motif pentagonal, le plus complexe au plan de sa structure, est concentré majoritairement à Font-de-Gaume avec 10 exemplaires, contre 3 à Rouffignac et 1 seul à Combarelles. « Une règle simple veut en effet que plus une image est complexe, moins elle a de chance de se retrouver par hasard en plusieurs exemplaires en des lieux différents. Inversement, plus elle est simple, moins elle est chargée en « bits » d’information et plus on a de chance de la trouver fréquemment ». Chamanismes et arts préhistoriques, 2006, Jean-Loïc Le Quellec. Selon ce principe, la persistance du signe montre qu’il est emblématique dans l’iconographie des cavités concernées. Cependant, des dénombrements aussi faibles ne permettent pas de développements clairs sur ce point.

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Illustration 87 : Dessin d’après les illustrations d’Éric Capdeville. Classification des tectiformes suivant leurs structures respectives : à gauche les pentagonaux, au centre les triangulaires, à droite les ramifiés.

Il n’est pas indifférent de relever, comme pour le tectiforme à cheminée du Quercy, que le motif suit la plupart du temps la référence horizontale avec un axe vertical qui s’élève au-dessus du plancher lorsqu’il est présent. Sa technique de réalisation recourt à la gravure dans 50 % des cas pour 25 % de dessins. Le tracé digital sur argile tendre ne concerne que Rouffignac. On observe des groupements par deux, trois ou quatre plutôt en zone profonde. L’association à la figuration animale intervient dans plus de la moitié des situations : le signe est lié au bison à 16 reprises dont 15 à Font-de-Gaume, à 10 reprises au mammouth. Ce sont les occurrences les plus significatives. Éric Capdeville note à juste titre la quasi-absence d’association du pachyderme avec le motif à Rouffignac alors que l’animal est présent à plus de 150 exemplaires dans la caverne. Pour l’auteur de l’étude, les motifs de la classe typologique pentagonaux et triangulaires sont spécifiquement régionaux. Les ramifiés peuvent se comparer quant à eux à certaines graphies des grottes espagnoles du Castillo et de la Clotilde. 213

« Si différents que peuvent paraître à première vue ces trois types, leur étroite parenté est évidente et symbolisée par le « squelette » central commun aux trois formes. L’axe vertical et le « toit à deux pentes » sont présents au centre des trois interprétations d’un concept unique, plus ou moins stylisé ou dépouillé, mais primordial et essentiel » Aperçus sur le problème des signes tectiformes, 1985, Éric Capdeville. Au plan de la signification, le chercheur rejette l’idée de piège et celle de la symbolique féminine d’André Leroi-Gourhan : « Hasardeux nous paraissent la réflexion qui conduit à une telle abstraction et le procédé qui consiste à renverser la figure vulviforme classique pour en faire par succession de croquis interposée, dont le plus souvent cantabriques, un tectiforme initial. Trop de méandres jalonnent cette hypothèse au demeurant séduisante ». Aperçus sur le problème des signes tectiformes. Il préfère en revenir à l’ancienne idée de hutte sans la confondre avec un habitat réel pour lui substituer celle de « hutte-convention ». Le vocable est nouveau, il est assimilé à un signe, abstrait par définition dans la littérature consacrée, pouvant s’inscrire dans une cosmologie où l’architecture du motif (toit, sol, pilier) trouve sa correspondance dans l’univers sensible (ciel, terre, homme). Le motif, cette fois affranchi des liens du matériel se rapproche du hiéroglyphe égyptien ou de l’idéogramme chinois. Il est un élément d’écriture. La version que l’auteur lui-même qualifie de présomption ne présente pas d’obstacle à sa bonne compréhension. La difficulté est qu’elle suppose une brusque prise de conscience de la place de l’homme dans l’univers, comme une interrogation subite sur sa relation au monde, puisque le tectiforme ne connaît ni ancêtres, ni postérité dans un contexte de grande expansion de l’art souterrain. Nous préférons en rester au chapitre le plus solide de la problématique, c’est-à-dire le confinement du signe à une aire géographique très limitée autour du village des Eyzies sur une période de temps relativement brève, peut-être à l’échelle de quelques générations. Nous avons toujours à l’esprit le modèle Gravettien où le motif géométrique s’inspire et entretient directement d’étroites relations avec la géomorphologie du territoire où il s’inscrit. C’est le postulat suivant lequel, dans l’art des cavernes, certaines conventions traversent les millénaires, mais adoptent des formes différentes suivant les cultures et surtout leurs lieux d’implantations. 214

Or, il est certain que la principale connexion des Magdaléniens du Périgord avec l’environnement sur ce bout de territoire, sont les innombrables abris sous roche qui bordent le cours d’eau à l’endroit où son cours devient méandreux. Ils se concentrent principalement dans la moyenne vallée de la Vézère, entre Saint-Léon-sur-Vézère et les Eyzies-deTayac, en gros sur une quinzaine de kilomètres. Le réseau hydraulique y a creusé la roche calcaire mettant en évidence de belles falaises dont certaines atteignent 100 mètres de haut. La roche correspond à deux étages géologiques, le Santonien et le Coniacien. Leur creusement naturel respectif est à l’origine de nombreuses cavités dans la partie la plus encaissée de la rivière. Dans la vallée de la Vézère, elles s’ouvrent à flanc de falaises et sont difficiles d’accès, beaucoup sont disloquées par l’érosion. Ce n’est pas le cas de la Beune, affluent principal, où les corniches en gradins permettent l’accès à tous les registres mais où les abris sous roche sont rares. Ils abondent en revanche en bordure de la Vézère. On peut ainsi schématiquement dissocier deux ensembles. Le premier riche en abris sous roche suit le cours d’eau principal, le second, à l’Est, pourvu en grottes, borde ses affluents. Au Paléolithique supérieur, le paysage est quelque peu différent de l’actuel. Divers phénomènes géologiques survenus au cours des derniers millénaires font disparaître un certain nombre de porches de grotte et d’abris sous roche ce qui fausse en partie l’image que l’on peut avoir des sites d’occupations préhistoriques autour des Eyzies au Paléolithique supérieur. Dans ce secteur, figurent à l’inventaire plus de 150 grottes (dont une vingtaine est ornée) avec un nombre non moins conséquent d’abris sous roche riches en gisements préhistoriques. Ils témoignent d’habitats humains qui s’échelonnent pour certains sur de très longues périodes. D’une manière générale ces sites sont d’accès relativement facile. En souterrain les galeries sont plutôt étroites et se déroulent sensiblement à l’horizontale. Leurs profondeurs sont variables : Bernifal 90 m, Font-deGaume 120 m, Combarelles 400 m. Rouffignac fait exception avec ses 10 kilomètres de galeries étagées sur trois niveaux. C’est le plus important réseau karstique de la région. Son plafond décoré se situe à plus de 600 mètres de l’entrée. La grotte est à considérer à part dans le groupement des sites à tectiforme. Elle est 215

d’ailleurs la plus excentrée relativement aux trois autres centrées à l’Est, sur les affluents de la Vézère. Son réseau souterrain forme de larges galeries faciles d’accès où il est tout de même aisé de se perdre tant elles se diversifient et se dédoublent au fur et à mesure du cheminement. Pour ses visiteurs modernes de la première heure, même entraînés à la spéléologie, la découverte de Rouffignac est marquante. Louis René Nougier, inventeur officiel des dessins, l’exprime en ces termes : « Plus que l’exploit spéléologique moderne, elle prouve une attitude, une audace extrême devant les énormes difficultés à surmonter si l’on tient compte des conditions de l’époque ». Plus loin, il poursuit : « La connaissance complète de la grotte de Rouffignac est, aujourd’hui comme jadis un exploit... Parcourir cette distance paisiblement à l’air libre prend déjà deux bonnes heures. Sous terre il en faut trois fois plus ». Premiers éveils de l’homme, 1984. Il est certain que les Magdaléniens ne s’engagent jamais seuls dans l’immense caverne. La construction d’un échafaudage sous son plafond décoré en apporte la preuve. Rouffignac est l’un des sommets de la spéléologie préhistorique, c’est la raison pour laquelle nous lui accordons une attention particulière. La grotte est aussi atypique par la composition de son bestiaire largement dominé par la figure du mammouth. Dans un tel contexte, le motif tectiforme qui n’est jamais clairement associé au pachyderme paraît n’être qu’une marque d’appartenance au réseau symbolique formé par les trois autres grottes. On est en droit de supposer que la singularité des lieux est dans toutes les têtes au paléolithique pour des gens qui connaissent bien le territoire et ses souterrains. Alain Roussot en charge de la présentation de Bernifal dans L’Atlas des grottes ornées paléolithiques françaises, 1984 en donne un aperçu : « Les mammouths de Bernifal jalonnent toute la grotte... L’un d’eux au trait bistre est une copie conforme des meilleurs mammouths de la grotte de Rouffignac... et l’on peut se demander raisonnablement dans ce cas s’il ne fut pas exécuté par la même main, il fait en tout cas partie de la même culture artistique ». Nous ne disposons pas à l’heure actuelle de datation radiocarbone pour les motifs peints. Ceux gravés ou digités sont directement indatables. Le synchronisme des tectiformes avec les animaux associés ne peut être formellement établi. Pour ce qui concerne la contemporanéité des signes entre eux, Éric Capdeville écrit : « L’évolution et l’emploi des formes des 216

trois types sont synchrones comme l’attestent à Font-de-Gaume des groupements sous-jacents à une même figure animale. Il paraît donc impossible de déterminer le sens de la sériation... La démarche selon laquelle les artistes se sont inspirés d’un objet usuel et progressivement stylisé sa représentation figurative reste cependant la plus plausible ». La notation est suffisante pour considérer que tous les tectiformes quelle que soit leur typologie sont nés dans le même temps. On peut encore s’interroger comme le propose Éric Capdeville sur le glissement du motif originel dont la forme reste inconnue vers sa stylisation. En effet, rien ne dit que la gradation corresponde à une schématisation ou à une stylisation progressive. Il se peut fort bien que l’artiste introduise, à partir de la même structure, des différences destinées à particulariser le motif, ce qui interdit de lui donner un sens univoque. En d’autres termes, le pentagone n’a pas la même signification que le ramifié etc. L’importance que l’on donne à Rouffignac n’en fait pas pour autant l’épicentre du réseau des grottes à tectiformes. Font-de-Gaume est un bien meilleur candidat en raison de sa situation centrale sur le territoire concerné. De plus, la caverne s’ouvre en hauteur au flanc d’un éperon rocheux à l’angle d’un vallon et de la vallée de la Vézère qu’occulte de nos jours en grande partie la végétation. Font-de-Gaume présente encore le plus large éventail de la panoplie : pentagonal, triangulaire, ramifié. L’appellation « hutte-convention » d’Éric Capdeville permet une bonne approche de la signification du tectiforme dans les cavernes situées aux environs des Eyzies-de-Tayac. Dans cette direction, reprenant les thèses de Henri Breuil sur les huttes préhistoriques, le chercheur C. Zervos écrit en 1959 : « On peut à bon droit voir dans ces signes des images magiques de l’habitation. Ces maisons réduites aux relations et au fonctionnement de leurs éléments comptent parmi les plus anciennes structures architectoniques connues de l’habitation en France... Le caractère sacré de ce signe lui vient de la rupture entre son état profane habituel et l’espace saint où il a été introduit... De ce point de vue il y a en effet une analogie entre l’habitation et le sanctuaire ». Cahiers de l’art. L’art de l’époque du renne en France. Ce passage fait clairement ressortir l’éventuelle confusion du motif avec la caverne dans l’esprit de l’auteur même si par la suite, il abonde le registre magique pour en faire une résidence de l’âme des ancêtres. 217

La proposition d’une image symbole de l’habitat préhistorique permet cette relation directe avec des motifs graphiques dont la forme évoque naturellement l’abri, en l’espèce les porches des grottes et les auvents rocheux qui jalonnent le bord de la rivière. Ils sont d’une utilité primordiale dans la réalité, ils constituent des véritables refuges pour les populations. Le rapport a du sens, il s’inscrit de plus dans la continuité du symbolisme Gravettien en Quercy qui lie le motif géométrique à certaines propriétés topographiques du territoire concerné. Dans cette perspective, il devient possible de décliner la signification des différentes formes qu’adopte le motif sur les parois des grottes périgourdines. À l’espace fermé du modèle pentagonal correspond le porche des grottes, les triangulaires et les ramifiés ouverts sur les côtés aux abris sous roche. Le tectiforme devient l’image d’une réalité concrète d’un domaine physique apparenté à une zone refuge et protectrice pour les populations préhistoriques. Un symbole qui au fond ne présente pas un très haut niveau d’abstraction. Il y a deux dessins à Font-de-Gaume qui peuvent servir d’illustration à cette thèse (illustration 88).

Illustration 88 : Dessins Éric Capdeville. Tectiformes pentagonaux de la grotte de Font-de-Gaume.

Les deux images se rapportent à la configuration du porche d’entrée de la caverne qui comporte deux ouvertures comme le montre l’illustration 89.

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Illustration 89 : Photographie du porche d’entrée de Font-de-Gaume.

Un troisième pentagone gravé associé à un mammouth lui aussi gravé et précédemment évoqué à l’occasion de l’interprétation de Kurt Lindner, qui en fait un piège à poids, fait penser à la grotte de Rouffignac. Non par la ressemblance du dessin avec le motif de Rouffignac mais parce que l’on soupçonne que les quatre cavités fonctionnent en réseau et qu’elles communiquent symboliquement entre elles au travers de certaines images (illustration 90), ce que peut laisser entendre le commentaire d’Alain Roussot sur Bernifal.

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Illustration 90 : Dessin Henri Breuil. Mammouth et tectiforme gravés.

Nous pouvons argumenter cette hypothèse plus avant dans le texte au chapitre consacré à Rouffignac. D’autres déclinaisons du tectiforme correspondent à des architectures rocheuses particulières. Il y a le tectiforme sans toit ou doté d’une seule pente. Ils traduisent des abris sous roche dont l’auvent s’est totalement ou partiellement effondré, comme il s’en trouve au paléolithique ou encore aujourd’hui (illustration 91).

Illustration 91 : Dessin d’après les illustrations d’Éric Capdeville. Tectiforme sans toit de Font-de-Gaume et tectiforme à une seule pente de Bernifal.

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Poursuivre dans cette voie demande de s’intéresser à la véritable huttehabitation du chasseur préhistorique. Elle est généralement destinée aux sites de plein air, dépourvus d’abris rocheux. Même si la hutte-convention n’en traduit que la structure schématique, son image est forcément inspirée du réel. Des constructions d’habitats préhistoriques, il ne subsiste plus que la trace au sol que les archéologues s’efforcent de retrouver et d’identifier. Il est ainsi mis à jour des sols aménagés de forme ronde, le plus souvent ovale, quelquefois quadrangulaire. Ces structures sont des pavages, des dallages de cailloux destinés à isoler de l’humidité. Dans certains cas des blocs de pierre marquent l’emplacement du calage de la partie aérienne que l’on pense composée de perches de bois formant charpente. La forme du toit demeure inconnue, même si en Ukraine on peut en avoir une bonne idée autour de cabanes érigées avec des ossements de mammouths. Pour la couverture on pense à des peaux, à des branchages. Ses éléments constitutifs varient suivant les saisons, la durée des séjours, les ressources locales à disposition. Dans une ambiance climatique de type glaciaire, les techniques de constructions sont héritées d’un savoir ancestral. L’improvisation reste vraisemblablement exceptionnelle. Il est même possible d’envisager pour les constructions les plus lourdes une manière de faire. Éric Capdeville écrit : « L’analyse minutieuse, d’arrière-plan ethnographique, qui justifie leurs conclusions choisit les structures internes puis externe du type pentagonal pour les considérer comme celle d’une hutte vue en coupe. Elle dénombre les détails architectoniques les plus significatifs, depuis l’axe central, pilier de l’édifice, coiffé de son épi de faîtage et placé entre toit et plancher basilaire, jusqu’aux étais transversaux servant d’armature ». La reconstitution de la hutte de Gönnersdorf en Allemagne par G. Bosinski en est un bon exemple. Elle se rapporte au modèle de la Yourte (illustration 92).

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Illustration 92 : Dessin d’après l’illustration de G. Bosinski. Reconstitution de la hutte de Gönnersdorf. 1979.

Sans doute ces données techniques sont-elles à prendre avec prudence, l’art de la construction de « maisons » peut faire appel à d’autres procédés que l’on ne soupçonne même pas. À l’examen, il semble en aller ainsi du tectiforme rouge de la grotte de Combarelles, le seul dans le corpus périgourdin qui paraît dépourvu de mât central. Il ne peut pas s’agir d’un oubli ni même d’une hutte vue de l’extérieur puisque à l’instar de nombreux autres motifs, il dévoile une structure interne. Il est vu en coupe comme les autres, une manière de faire qui n’est pas sans rappeler, évidemment dans un contexte interprétatif très différent, la construction de tectiforme à cheminée du Quercy. Une structure interne composée de tracés horizontaux singularise encore davantage le dessin (illustration 93).

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Illustration 93 : Dessin. Tectiforme rouge de type pentagonal de Combarelles dépourvu de mat central. Un remplissage interne horizontal et un toupet sommital complètent le dessin.

Dans cette configuration, s’il s’agit du dessin schématique d’une hutte, on est en droit de se demander où est passé le soutien de la partie aérienne. Ce n’est pas tout, le motif est affecté d’une autre bizarrerie. Il est doté comme de nombreux autres spécimens d’un toupet sommital qui généralement forme le prolongement au-dessus de la toiture du pilier de soutènement central sur lequel repose toute l’armature de la charpente. Or cet élément est précisément absent du dessin. Autrement dit, tout semble se passer comme si le toupet sommital à lui seul, suffisait au maintien du toit. Une telle construction procède de l’imaginaire. Dans l’étude, les motifs géométriques montrent jusque-là des niveaux d’abstraction peu marqués. Ils conservent un rapport figuratif aux données concrètes les plus essentielles relativement à ce qu’ils sont censés traduire. Combarelles comporte seulement trois tectiformes : le motif pentagonal en question dessiné en rouge, et deux autres gravés d’une typologie plus classique. Il est impossible de savoir s’ils sont de la même main. En tout cas ils sont vraisemblablement contemporains. La couleur distingue le premier des deux autres, indice peut être significatif de son particularisme. On peut dire qu’il est conçu pour ne pas passer inaperçu. Pour nous, il correspond dans le paysage autour des Eyzies à un grand abri, profond, à large auvent suspendu au-dessus du sol. Il y en a plusieurs au 223

bord de la Vézère. Mais ce n’est pas tant la transposition symbolique de ces lieux remarquables à travers le signe qui nous intéresse, c’est plutôt le mode de construction graphique qu’en tire l’artiste. Apparemment, son dessin introduit fortuitement une invention architecturale, la clé de voûte, qui ne doit rien à un mode de construction connu comme le montrent les autres structurations du tectiforme. Il parvient simplement à l’imaginer par l’observation des monumentaux auvents rocheux qui bordent la Vézère. Ils forment des toitures naturelles de grande envergure sans le renfort d’un pilier central. C’est assez conforme à ce que montre le tectiforme rouge de Combarelles avec un toupet sommital intercalé entre les deux pentes du toit. Une telle perception du maintien de l’architecture rocheuse environnante combinée à certaines connaissances des forces qui s’exercent sur les structures aériennes d’une hutte n’est pas impossible. Pour mémoire, la clé de voûte apparaît historiquement dans la construction monumentale au Proche-Orient aux environs du deuxième millénaire avant notre ère. Il existe dans l’art paléolithique une excellente illustration de cette clé de voûte conceptuelle qui n’a vraisemblablement jamais existé dans la réalité. Elle se trouve dans la salle des Taureaux à Lascaux, haut lieu de la décoration du souterrain. Notre dernier ouvrage sur la grotte y fait référence. Vue sous un éclairage différent, la construction graphique vient compléter notre interprétation initiale. L’image, beaucoup plus spectaculaire que précédemment se trouve sur la paroi gauche en entrant dans la salle (illustration 94).

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Illustration 94 : Photographie source Wikipédia. Lascaux, salle des Taureaux. Entre les deux grands taureaux qui se font face, vient s’intercaler un cheval incomplet en suspension. L’animal est plafonnant ce que la photographie ne permet pas de faire ressortir.

La pièce est de forme ovalaire, on l’appelle aussi Rotonde. Ses parois sont recouvertes de calcite blanche, elles forment un bandeau rocheux long de 25 mètres pour 3 à 4 mètres de hauteur. Il est orné d’une frise monumentale ininterrompue, composée d’animaux peints, en particulier quatre aurochs qui en forment l’ossature. Sur le mur en question, celui de gauche est entouré par une série de petits et grands chevaux tandis qu’une harde de cerfs prend place entre les bovinés géants qui se font face. Ces derniers sont tous réglés sur la banquette rocheuse horizontale de couleur plus sombre qui fait le tour de la salle. On l’appelle traditionnellement le sol imaginaire car il n’est pas dessiné mais il est bien réel. La corniche rocheuse forme effectivement le sol sur lequel reposent les grands taureaux. Ceux-là sont certainement plus imaginaires par leur surdimensionnement relativement au modèle existant dans la nature que la roche brune qui fait le tour de la salle et qui leur sert de piédestal. L’œuvre qui sert notre propos est au cœur du dispositif pictural, elle survient à l’aboutissement de la suite des chevaux, tous orientés vers le fond de la salle. C’est le spécimen calé entre les deux aurochs qui en est à la tête. Il est peint sur un pan de mur au profil incurvé qui court sur tout le 225

périmètre de la Rotonde. Norbert Aujoulat en donne le descriptif suivant : « De l’entrée vers le fond, sa largeur varie de 1 m à 4 m en même temps que son inclinaison s’accentue régulièrement pour accuser un angle de 70° par rapport à la verticale dans sa partie la plus développée. Le plan orné s’assimile graduellement à une formation en toit ce que les photographies ne rendent évidemment pas ». Lascaux. Le geste, l’espace et le temps. C’est l’expression « une formation en toit » qu’utilise le préhistorien qui retient ici l’attention. Elle correspond à la localisation de peintures quasi plafonnantes pour certaines comme c’est le cas du cheval vaporeux suspendu entre les deux herbivores. L’assemblage des animaux est homogène. Norbert Aujoulat en conclut à une création dans le même temps et par une même compétence. Dans l’ordre d’exécution, d’après l’étude de la superposition des tracés, les chevaux sont les premiers, avant les aurochs, à prendre place sur le plan rocheux y compris le cheval vaporeux situé plus à l’écart de ses congénères. Or ce qui vaut pour la majorité des coursiers ne l’est pas forcément pour le cheval vaporeux qui ne croise aucune autre ligne peinte. L’expertise du préhistorien procède d’une logique qui présume de la création successive de tous les animaux par espèce mais elle est objectivement invérifiable pour le spécimen en tête de la file. Cependant, en admettant avec lui cette chronologie on ne comprend pas les raisons de l’incomplétude du cheval vaporeux car l’artiste dispose alors de toute la place voulue pour achever son œuvre. C’est d’autant plus surprenant que son image est loin d’avoir été bâclée : « La même finesse de grain autorisa le dessin détaillé de la tête, avec tous les détails, de l’ouverture nasale à la lèvre inférieure. De même, la transition à la bouche est marquée d’une succession de petits traits parallèles barrant toute l’extrémité du rostre ». Lascaux. Le geste, l’espace et le temps. Le doute est permis. Il n’incline pas à rapporter le cheval vaporeux au premier train de figures du panneau, nous pensons même qu’il en constitue l’une des dernières touches. L’animal remplit tout l’espace plafonnant qui sépare les deux grands herbivores. Il est précisément réglé, on peut dire ajusté, sur cet écart. Son mufle simule un emboîtement exemplaire entre les deux cornes du sujet de droite comme s’il s’agissait de son logement naturel. Le dispositif explique cette fois l’incomplétude de la figure. Elle procure encore la 226

sensation de flottement, de suspension au-dessus des autres bêtes. Contrairement à ses autres congénères, parce qu’il ne possède pas de membre, il est le seul cheval apparemment immobile de la composition qui en comporte huit sur une longueur de 9 mètres. On peut penser qu’il est à la conclusion de la cavalcade de l’ensemble des équidés de la paroi dont la dynamique tend progressivement vers la dimension aérienne. Cette lecture n’autorise pas à penser que le cheval suspendu échappe aux lois de la pesanteur. Tous les animaux de la Rotonde ont une relation à la verticalité. Les plus grands, certainement les plus lourds, sont réglés sur le sol « imaginaire » de la salle. L’élévation du cheval sur la paroi doit à une impulsion venue de la gauche où justement la harde des chevaux fonctionne comme dans un élancement ou un lancer. Parvenu à son point le plus haut il ne reste pas non plus suspendu en l’air comme par magie mais vient se caler entre les deux aurochs scellant ainsi l’espace central supérieur où évolue plus bas une harde de cerfs. Dans cette conformation ses jambes sont devenues évidemment inutiles. À Lascaux, il y a des exemples convaincants de chute des corps, il n’entre pas dans le cadre de l’étude de tous les passer en revue. Nous nous bornerons à l’exemple le plus spectaculaire de la grotte, le Cheval renversé du fond du Diverticule axial (illustration 95).

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Illustration 95 : Dessin. Cheval renversé du fond du Diverticule axial. Il témoigne de la relation à la pesanteur des animaux composant le bestiaire de Lascaux.

L’art de Lascaux ne baigne pas dans un espace totalement imaginaire. Le montage en « clé de voûte » du coursier entre les deux aurochs explique ainsi sa suspension dans le plan graphique autant que son inscription au plafond dans la salle. Il ne participe pas seulement à la clôture de l’espace réservé aux cervidés, il est un élément de soutènement du plafond de la Rotonde dont toute la base repose à son tour sur des piliers que forment ensemble les quatre géants de la frise d’où leur extraordinaire envergure. Le plus grand sur la paroi droite (il mesure plus de 5 mètres de long) a même le buste largement engagé sur le mur qui forme toit à cet endroit. Tout concourt à penser que la chaîne que forment les grands animaux de la salle des Taureaux s’apparente à une armature symbolique qui fait fonction de maintien du socle rocheux dans l’état où il est découvert à l’origine, comme pour prévenir de son possible

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effondrement. L’espace graphique de Lascaux n’est pas en apesanteur c’est tout le contraire. La préservation symbolique des lieux procède de la même croyance en des puissances souterraines animées de pouvoirs invisibles qu’il convient de ménager et de protéger. Sous ces auspices, la traque de la harde de cerfs (en réalité celle du renne) connaîtra une issue favorable. La dépense d’énergie consentie dans le soutien à l’architecture rocheuse du sanctuaire vaut bien cette compensation. Dans nos précédents travaux sur la caverne, le plus grand spécimen des lieux, un mâle, est animé par le principe de reproduction cher à Michel Lorblanchet. Mais dans le cas présent, ce n’est pas pour autant voir des animaux sortir de la caverne suivant le modèle d’émergence des formes depuis le fond de la terre dont les méandres sont assimilés à un sexe géant. Nous en avons une traduction bien différente. Après ce détour par Lascaux qui reste toujours le fleuron de l’art des cavernes, deux souterrains dans le complexe des grottes à tectiformes des Eyzies, Font-de-Gaume et Rouffignac, laissent présumer de leur étroite parenté conceptuelle. Pourtant, dans la première, les bisons dominent avec près de 90 sujets mais il y en a eu certainement davantage. Dans la seconde ce sont les mammouths. Les études de Patrick Paillet en 2000 sur les bisons de la vallée de la Vézère font ressortir « des altérations stylistiques importantes affectant l’animal : chignons surdimensionnés ou garrots fortement développés. Ce graphisme a provoqué chez l’herbivore un net déséquilibre entre l’avant et l’arrière-train. Son image dans la caverne s’est éloignée de la réalité, elle n’est pas la copie plus ou moins approchante de la nature comme on peut l’observer ailleurs : on est confronté à une métamorphose que la déformation du style est insuffisante à expliquer ». Le bison dans les arts magdaléniens du Périgord. L’expertise est conforme à ce que l’on observe. Elle concerne de plus la partie anatomique qui particularise le mieux le profil de l’herbivore. Il en va de même avec le profil dorsal du mammouth. À Font-de-Gaume la proximité spatiale des deux espèces est flagrante comme le note Henri Breuil : « C’est un peu plus loin après le Rubicon dans la galerie principale que se trouvent les plus belles œuvres de la grotte, 229

toute une série de bisons polychromes surchargés en de nombreux endroits par de petits mammouths plus récents et fortement gravés ». 400 siècles d’art pariétal. (Illustration 96). 

Illustration 96 : Dessin Henri Breuil. Bisons et mammouths étroitement associés à Font-deGaume.

L’idée d’une hybridation graphique des deux espèces n’est pas si extravagante, d’autres exemples sont connus dans l’art pariétal. Le procédé qui va du bison vers le mammouth renforce la massivité du boviné, il en fait un hyper-bison comme le montre l’illustration 97.

Illustration 97 : Dessin Henri Breuil. Hyper-bison de Font-de-Gaume.

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Dans l’hypothèse précédemment évoquée d’un fonctionnement en réseau des grottes à tectiformes au travers de certaines images, de telles déformations se retrouvent à Rouffignac (illustration 98) et Combarelles, c’est moins net à Bernifal, où comme à Rouffignac domine le mammouth.

Illustration 98 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Profil type de bison de Rouffignac.

La grotte de Bernifal se situe dans la vallée de Beune. C’est une galerie sinueuse d’une longueur inférieure à 100 mètres. Elle ne présente pas de difficulté de progression particulière. Le décor naturel des lieux comprend de nombreuses concrétions ce qui n’est pas le cas des autres cavités. Bernifal passe généralement pour la grotte des tectiformes et des mammouths, le plus souvent rapprochée de Rouffignac par le style des pachydermes comme l’observe Alain Roussot. Bernifal ne contient pas de motif pentagonal. Les tectiformes sont concentrés dans l’unique véritable resserrement du couloir à la différence de Font-de-Gaume et de Rouffignac où le signe ne laisse apparaître aucune

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localisation particulière. Sur ce plan, Combarelles en comporte trop peu pour s’en faire une idée exacte. Bernifal contient deux motifs géométriques rares. L’un, gravé, est associé à une forme ovalaire, trace peut-être du pavage d’un sol à cet emplacement. Autrement dit de celui d’un abri sous roche dans notre traduction (illustration 99). Dans ses recherches, Jean Gaussen mentionne la présence de sols aménagés dans plusieurs abris sous roche de la région : « En 1928, Louis Capitan et Denis Peyrony fouillant à l’abri de la Madeleine notent « une sorte de dallage en pierres calcaires ». Par la suite les observations se multiplient mais les auteurs n’y attachent souvent que peu d’importance et n’en précisent pas toujours la position exacte ». Le Paléolithique supérieur de plein air en Périgord, 1980.

Illustration 99 : Dessin. Tectiforme gravé de Bernifal associé à une forme ovalaire pouvant représenter une marque au sol de la structure.

L’autre tectiforme est peint en rouge, il ne donne pas prise à l’interprétation. Il est en situation isolée sur la paroi d’un renfoncement dans la deuxième partie de la galerie. C’est le seul qui soit peint. Ses tracés sont en pointillé, technique qui montre un degré de parenté avec Font-deGaume qui en contient trois du même cru. Dans le concert des grottes ornées à tectiformes, il est nécessaire d’accorder à Rouffignac une attention particulière pour au moins deux

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raisons. Il y a d’abord l’omniprésence marquée de l’image du mammouth, moins sensible à Combarelles où l’on note par ailleurs la rareté du signe. La présence physique du pachyderme au Magdalénien moyen en Périgord est indiscutable. Cependant, l’archéologie ne permet pas d’évaluer l’importance de ses effectifs dans la nature. Par contre son absence est établie sur une assez longue période qui va de la fin du Gravettien au Magdalénien moyen. Il disparaît en effet en Europe de l’Ouest au moment de la péjoration climatique du Solutréen. Il reflue alors vers l’est. Les modalités de sa réapparition en plaine aquitaine restent inconnues ce qui interroge sur la puissance de ses effectifs dans le sud-ouest de la France au moment où l’ornementation des cavernes est à son apogée. Il s’éteint par la suite au moment du réchauffement climatique de l’Holocène. Les données archéologiques de la faune consommée par les Préhistoriques au cours de cette période ne montrent pas de manière claire si le mammouth s’inscrit à leur tableau de chasse. Ils préfèrent, c’est certain, le renne et le cheval. Les stratégies cynégétiques discutées par les spécialistes de la question permettant d’abattre l’animal, compte tenu des armes à disposition des chasseurs préhistoriques, restent très hypothétiques. Par exemple en Europe centrale, dans le sud de la Russie et l’Ukraine, régions de vastes plaines lœssiques dépourvues d’abris rocheux, les tribus utilisent les ossements de mammouths dans la construction des habitats. Malgré leurs fouilles approfondies, ces sites ne permettent toujours pas de conclure à l’abattage du pachyderme par les chasseurs. Des études conduites sur le sujet, il ressort quand même que de nombreux ossements proviennent d’individus morts naturellement. Toutefois, en dernier ressort, la thèse de la prédation ne peut être totalement écartée. Certains vont même jusqu’à penser que l’activité humaine précipite la disparition de l’espèce. Le débat reste ouvert. Le dessin de l’illustration 90 (page 220) qui suscite en 1941 l’interprétation par Kurt Lindner d’un mammouth pris dans un piège à poids dont il faut imaginer le dimensionnement, ne figure plus qu’au répertoire de la chronologie des hypothèses qui n’ont plus cours. Nous pensons que cette image de Font-de-Gaume se rapporte à Rouffignac dans le cadre d’un dispositif de grottes formant réseau et dont l’emblème 233

territorial est le tectiforme le plus souvent symboliquement consolidé par le bison et le mammouth ou encore par leur figuration hybride. La seconde raison qui nous conduit à regarder vers Rouffignac, véritable temple du mammouth, tient aux dimensions gigantesques de la cavité. Nous l’avons précédemment souligné avec en arrière-pensée l’idée que les Paléolithiques accordent toujours, au Magdalénien, le même engouement pour les cavernes qu’au Gravettien. Parce que la « spéléologie » demeure une activité prisée, une expérience nécessaire, ce que montre la multiplication des grottes ornées, il est impossible que la découverte de Rouffignac ne marque pas l’esprit de ses découvreurs et des artistes qui y interviennent. Ils sont les mêmes ou appartiennent à la même culture que ceux qui parcourent les autres grottes autour des Eyzies. Rouffignac est un monument dans l’aventure des profondeurs, un évènement et un exploit comme l’écrit Louis-René Nougier. La grotte, sommet de la hiérarchie des sites connus au plan de sa spéléologie est inscrite dans les mémoires. Elle mérite son empreinte graphique au sein des autres sanctuaires. b. La grotte de Rouffignac C’est la monographie de Claude Barrière, L’Art pariétal de Rouffignac, parue en 1982 qui documente cette section. Les citations entre guillemets sont de l’auteur. L’étude de l’énorme caverne débute dès 1957, une année après la découverte de sa décoration. Le porche de Rouffignac s’ouvre sur un versant collinaire non loin d’un ruisseau qui alimente un affluent de la Vézère à une quinzaine de kilomètres au nord des Eyzies. C’est le plus grand réseau karstique du Périgord, son existence est connue de longue date. Des écrits du XVIe siècle en font état. Il est étagé sur trois niveaux pour une longueur totale de 10 km. C’est le niveau supérieur d’un développement de 7 km, qui reçoit l’essentiel de la décoration. Il est parcouru dans son entier par les Paléolithiques. Ses larges galeries sont très peu concrétionnées, elles gardent les marques de leur creusement violent par les eaux : coupoles, absides, marmites de géant. Les sols sont recouverts d’argile, de dalles effondrées venues de l’éboulement des plafonds.

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D’une manière générale, les parois sont planes, dépourvues de relief mais encombrées de nombreux rognons de silex. À de rares exceptions près les modelés de la surface rocheuse ne jouent donc pas un grand rôle dans la mise en place du dispositif graphique : « L’utilisation des reliefs si fréquente dans beaucoup de grottes ornées est à Rouffignac relativement rare : elle se réduit à quelques menus détails du fait de la platitude des surfaces utilisées ». Le recensement de la série animale qui connaît des variations au fur et à mesure des découvertes dénombre à l’heure actuelle 158 mammouths, 29 bisons, 16 chevaux, 12 bouquetins, 11 rhinocéros pour les espèces les plus représentées. Les tectiformes, au nombre de 16, ne présentent aucune association nette avec les animaux. À notre sens ils symbolisent simplement le rattachement de Rouffignac au groupement des grottes ornées autour des Eyzies, d’ailleurs les abris sous roche ne sont pas dans le paysage proche de la cavité. De nombreux tracés digitaux sur les murs et les plafonds viennent s’ajouter à la décoration. La technique de figuration est souvent digitale, la roche pulvérulente autorisant cette pratique. Des parois couvertes d’argile dans les secteurs anciennement ennoyés offrent la même opportunité. La vraie gravure est pratiquée sur les supports durs. Enfin, le bioxyde de manganèse abondant dans la grotte sert à la réalisation de dessins noirs. Dans la grotte, la répartition des œuvres connaît différentes configurations. Des secteurs sont densément ornés : le Grand Plafond, la Voie Sacrée, la galerie Henri Breuil, le Salon Rouge, le Plafond aux serpents. Les trois premiers sont tous situés à plus de 600 mètres de l’entrée. Pour ne parler que des proboscidiens, sans entrer dans l’état exhaustif établi par le préhistorien, les cas d’associations les plus fréquemment rencontrés sont les dispositions en frises. Elles mettent en jeu plusieurs sujets se suivant sur une référence sensiblement horizontale. Dans un certain nombre de situations, ces collections sont affectées d’une dimension supplémentaire, celle de l’affrontement dont la définition est donnée par Claude Barrière : « Il y a affrontement lorsque deux animaux de même espèce, de même style et facture sont en face l’un de l’autre de telle façon qu’ils soient sur le même plan et séparés par un intervalle

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inférieur à la moitié de la somme de leur longueur, c’est-à-dire qu’il ne puisse y avoir entre eux la place d’un autre animal de même gabarit ». Naturellement, l’interprétation qui vient à l’esprit dans ces combinaisons est celle du combat des mammouths. Claude Barrière l’entend ainsi au travers d’une approche allégorique : l’image réalité du combat corrélée à l’image symbole de la vie et de la mort. Il en tire de larges développements sur les animaux qui entrent et qui sortent de la caverne. Les uns naissent, les autres meurent dans le ventre de la terre assimilée à un ventre féminin. C’est un classique dans l’interprétation de l’art des cavernes. Nous conservons pour simplifier le vocable « affrontement » même s’il nous paraît préférable de parler d’animaux en opposition pour la raison suivante. Sur l’ensemble des combinaisons graphiques en question, l’observation attentive des dessins montre qu’il n’existe aucun indice laissant deviner le caractère belliqueux des rencontres. S’il s’agit effectivement de combats, alors ils ne correspondent à aucune donnée éthologique sérieuse. Nous ignorons bien entendu le comportement du mammouth laineux dans la nature à l’époque glaciaire mais il y a de bonnes chances qu’il puisse être comparé à celui de l’éléphant actuel. Il n’y a pas grand risque à le prendre pour modèle. Sur la totalité des combinaisons passées en revue, on est en mesure de montrer que les mammouths de Rouffignac ne sont pas en ordre de bataille mais participent d’une autre organisation. Examinons à présent les données graphiques qui permettent de le penser. Nous suivons l’ordre de présentation des affrontements de la monographie de la grotte avec leur localisation reportée sur un plan (Illustration 100).

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Illustration 100 : Plan de Rouffignac d’après l’illustration de Claude Barrière. D : galerie D, G : galerie G, VS : Voie Sacrée, GP : Grand Plafond, GF : Grande Fosse, HB : Galerie Henri Breuil, SR : Salon Rouge, PS : Plafond aux Serpents, H-H1 : bifurcation galerie H-H1.

La numérotation de 1 à 8 sur le plan correspond à l’emplacement des différents panneaux comportant des affrontements entre pachydermes : 1Mammouths de la découverte, 2-frise des Cinq Mammouths, 3Mammouths affrontés, 4-frise de la Grande Fosse, 5-frise du Plafond Rouge, 6-les deux Mammouths affrontés, 7-frise des 11 Mammouths, 8panneau du Patriarche. L’examen à suivre est évidemment centré sur la conformation des défenses du mammouth qui constituent ses armes naturelles dans le combat. Deux mammouths isolés sont dessinés avec les doigts sur la paroi gauche de la galerie principale (galerie G) en entrant. Ils se font face. Baptisés les Mammouths de la découverte, ce sont les premières figurations reconnues en 1956 (illustration 101). 237

Illustration 101 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Les Mammouths de la découverte. Galerie G. N° 1 du plan.

Les protagonistes sont sensiblement de même gabarit. Les défenses du sujet de droite sont d’une taille sensiblement en rapport avec la réalité. Il en va différemment à gauche. Elles sont d’une longueur disproportionnée. Il n’y a pas maladresse car visiblement l’artiste reprend les deux tracés pour les prolonger à l’excès. Ils viennent oblitérer le mammouth de droite. Cette anomalie peut avoir deux explications. Le prolongement artificiel des défenses est destiné à signifier l’embrochement à distance et de côté du sujet de droite encore que le face-à-face ne se prête pas à cette version. L’autre lecture est celle de montrer de façon ostentatoire que, dans le rapprochement, les deux armements sont dans l’évitement alors que dans le combat au corps à corps ils se croisent inévitablement. Quelle que soit la formule retenue, le dessin interroge sur la véritable reproduction d’une scène observée dans la nature. Plus profondément dans le souterrain, après la division de la galerie G en deux branches, la Voie Sacrée à gauche et la galerie Henri Breuil dans l’axe, on trouve sur la paroi droite de la Voie Sacrée la frise des Cinq Mammouths (illustration 102).

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Illustration 102 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Frise des Cinq Mammouths. Voie Sacrée. N° 2 du plan.

Elle se développe sur 3,50 m de long. Les animaux sont gravés « au batônnet ». « Cette frise comporte quatre grands mammouths affrontés deux à deux de part et d’autre d’un petit mammouth placé en contrebas ». À la différence du panneau précédent, l’espacement qui existe entre les deux sujets de tête ne met pas leurs défenses respectives en confrontation directe. La présence du petit mammouth logé plus bas dans l’intervalle explique probablement leur mise à distance. Le « bébé » comme l’appelle Claude Barrière fait l’objet du commentaire suivant : « Les faits de la « magie de reproduction » : ils sont apparemment rares à Rouffignac. Pas d’acte de reproduction ou d’approche sexuelle comme dans d’autres grottes. La frise des Cinq, avec le « bébé » mammouth entre les deux groupes peut-elle être considérée comme une situation de résultat de la reproduction ? C’est possible d’autant que le « bébé » est sortant, il entre donc dans le domaine de la vie ». L’explication qui trouve sa place au chapitre de l’interprétation de l’art de Rouffignac est quelque peu paradoxale dans le contexte interprétatif du combat avec au milieu la présence improbable d’un « bébé ». Nous en restons pour notre part à observer, à l’instar des Mammouths de la découverte, que les armes en présence ne viennent pas au contact l’une de l’autre. Plus loin dans la Voie Sacrée à une vingtaine de mètres du Grand Plafond, deux mammouths affrontés sont dessinés au plafond avec le doigt en travers de la galerie (illustration 103). Dans cette configuration, se pose à nouveau la réalité d’une véritable confrontation belliqueuse puisque l’un des deux protagonistes est dépourvu de défenses. On ne peut pas croire qu’il s’agit d’un oubli de 239

l’artiste, il le répète très souvent dans la caverne car un tiers des effectifs de la caverne est concerné par le phénomène.

Illustration 103 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Mammouths affrontés. Voie Sacrée. N° 3 du plan.

Par défaut de représentation, l’opportunité de voir les défenses des combattants se croiser nous échappe une nouvelle fois. Passé le Grand Plafond, dans le prolongement de la Voie Sacrée, cent mètres plus loin, se trouve la frise de la Grande Fosse. Elle met aux prises quatre mammouths accompagnés d’un petit bison (illustration 104). Sa localisation est très particulière. « Longue de 2,80 m. Ainsi appelée parce que cette frise est gravée au plafond de la galerie au-dessus du bord d’un entonnoir de succion, plus ou moins agrandi par des affaissements dus à un vide important sous le remplissage d’argile. Cette « fosse » occupe la moitié gauche de la galerie. La frise se situe sensiblement au milieu et dans l’axe de la galerie ». Le préhistorien précise encore que l’œuvre est gravée au burin sur la roche dure. Le bison provisoirement mis à part, la composition consacre l’affrontement d’un individu à trois autres se suivant. Dans la file, ces derniers adoptent assez curieusement des assiettes différentes.

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Le troisième s’enfonce par l’arrière. Celui qui le précède semble entraîné dans le même mouvement mais de façon moins marquée. L’animal de tête pique au contraire du nez. C’est lui qui fait face au quatrième personnage et qui est engagé dans l’affrontement direct.

Illustration 104 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Frise de la Grande Fosse. Prolongement de la Voie Sacrée. N° 4 du plan.

Comme celui de son vis-à-vis, son armement est atypique. Il est anormalement développé, il peut être plus court sans préjudice pour son image. La raison est à rechercher dans son inclinaison sur l’avant. Il suffit de l’imaginer redressé en position horizontale, sa silhouette reculant naturellement légèrement sur le mur. À la même hauteur que son adversaire potentiel il y a de bonnes chances alors de voir les deux paires de défenses se croiser, seul indice qui puisse accréditer la thèse de l’engagement à la lutte. L’artiste montre dans son échafaudage graphique, à grand renfort de tracés, en l’inclinant et en le dotant de longues défenses que l’animal est dans l’évitement d’un choc frontal. C’est une variante de l’évitement de défenses exagérément longues. On l’a déjà observé sur le panneau des Mammouths de la découverte. Les deux animaux sont dans l’opposition mais pas en conflit. L’attitude du chef de file a pour conséquence directe de déclencher la déstabilisation les deux suivants. Ils perdent à leur tour la référence horizontale. L’édifice qu’ils forment devient inopérant, il s’effondre sur lui-même à l’image de pièces d’un jeu de dominos. Le dernier de la file en présente les meilleurs stigmates, il est à la renverse et croise curieusement ses défenses en « court-circuit » si le vocable convient. 241

« Certaines formes de défenses apparaissent comme de véritables anomalies anatomiques, telles les défenses entrecroisées. Or ce détail n’apparaît que deux fois : à la frise de la Grande Fosse et au carrefour HH1. Manifestement l’artiste a dessiné un animal particulier, individualisé par ce détail frappant et non exécuté un mammouth symbole, car dans ce cas il était préférable de se référer à la silhouette classique de l’animal ». L’extravagance de la défense en forme de ligne brisée n’est pas plus surprenante que la longueur démesurée de l’armement du chef de file et s’il y a un enseignement à tirer de la triade, c’est le rôle prépondérant de celui qui la conduit dans l’ordonnancement des groupements d’animaux disposés en frise. On peut y voir la référence à un certain naturalisme. Comme les éléphants, les troupeaux de mammouths suivent un leader qui les guide sur la steppe. Ce nouvel exemple ne permet toujours pas d’observer l’engagement direct des défenses des belligérants dans l’affrontement. L’instabilité qui se dégage de la combinaison graphique est à mettre assez vraisemblablement en rapport avec la topographie du lieu où la frise prend place. Située au plafond, à l’aplomb de la Grande Fosse, elle fait écho à l’effondrement qui a emporté la moitié gauche du sol de la galerie : une relation depuis longtemps établie par les préhistoriens. Denis Vialou la formule ainsi : « Les propriétés morphologiques de la grotte et les données topographiques ont donc été ipso facto intégrées aux dispositifs pariétaux de façon beaucoup plus élective que contraignante : choix des supports selon leurs qualités propres, détermination des galeries, des salles etc. ». Dossiers de l’archéologie, 1984. Dans le cas présent on ne peut que soupçonner le lien des gravures pariétales avec l’accident géologique à travers ce qu’ils ont de commun, c’est-à-dire la rupture d’un équilibre. L’hypothèse entraîne une implication importante : il existe un rapport étroit entre les pachydermes et certains secteurs d’effondrements de la caverne contemporains des Paléolithiques. La précision mérite d’être apportée puisque le souterrain, d’après les observations des archéologues, a connu d’autres affaissements postérieurs à l’ère glaciaire. La frise du Plafond rouge se situe dans une galerie qui se développe horizontalement sur près de 40 mètres. Elle doit son nom à l’argile rouge qui recouvre les surfaces rocheuses. 242

À 25 mètres de l’entrée de la galerie, six mammouths sont regroupés sur la partie gauche du plafond. Ils sont à la fois gravés et dessinés. La frise se partage entre quatre individus d’un côté et deux de l’autre. « Le fait essentiel est que cet ensemble a été exécuté de l’extérieur vers l’intérieur : il n’est pas le fruit du hasard dans l’empilement anarchique de figures, mais il est au contraire une composition consciente et préconçue, où chaque figure est à la place voulue par l’auteur ». L’affrontement direct des animaux au centre intéresse trois sujets. Ils sont tous dotés de défenses dessinées dans une très grande proximité graphique. Le face-à-face de la rencontre se présente ainsi : les deux de gauche sont dans l’étagement, ils sont en vis-à-vis avec le troisième (illustration 105). La densité des tracés au centre est maximale. En première approche on s’attend évidemment au choc des armes, autrement dit à l’emmêlement des défenses ce qui découle évidemment de la proximité entre belligérants. Le commentaire suivant de Claude Barrière suscite un premier doute sur ce point : « Mammouth 2. Entier profil gauche entrant. Une seule patte de chaque paire sans pied ; oreille, œil triangulaire avec pupille ronde inscrite : deux défenses en large striage très courtes comme pour respecter le dessin du mammouth 4. Arabesque 1. L 220 cm, H 150 cm ». Pour le lecteur le mammouth 2 du préhistorien correspond au personnage de droite affronté aux deux autres, le 4 occupe le registre inférieur.

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Illustration 105 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Partie centrale de la frise du Plafond rouge. Le numéro 2 du préhistorien est à droite, le numéro 4 en bas à gauche. N° 5 du plan.

Au premier coup d’œil, aucune des défenses mises en jeu ne rencontre l’autre. C’est tout le jeu de construction de l’auteur. Quant à l’argument de Claude Barrière suivant lequel l’artiste écourte les défenses du sujet de droite pour éviter de surcharger le dessin de son partenaire situé plus bas, il n’est pas pertinent plus haut. Il est également paradoxal qu’il soutienne la thèse du combat, même allégoriquement, en admettant par exemple l’épargne de l’adversaire à travers l’interruption des tracés de l’armement

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du sujet de droite. Justement à propos des surcharges de tracés entre animaux, particulièrement ceux des défenses, ils sont fréquents entre animaux se suivant ou bien en opposition à la seule condition de ne pas les voir se croiser. Ce contact « tactile » fait penser à des alliances. La frise des Mammouths affrontés concerne deux pachydermes dessinés au trait noir sur le mur d’un conduit adjacent à la galerie principale (galerie G). La composition constitue sur le thème de l’affrontement le point d’orgue de l’ensemble de nos propositions (illustration 106).

Illustration 106 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Frise des Mammouths affrontés. N° 6 du plan.

Au contact, les deux profils en opposition adoptent une symétrie quasi parfaite. Sur l’illustration 106, nous les avons dissociés pour juger en propre de leur configuration respective. L’armement du mammouth de gauche est en place. C’est bien différent à droite, où l’artiste l’a conçu en forme de « moustaches ». On peut en deviner la raison : les deux paires de défenses ne doivent toujours pas se croiser. Quelle meilleure illustration imaginer en soutien de la thèse que l’on défend. La composition fait penser, si la comparaison n’est pas excessive, au face-à-face de deux épéistes, armes à la main, mais qui ne croisent jamais le fer. Claude Barrière s’est évidemment interrogé sur cet agencement plutôt curieux : « Il faut noter une étrange anomalie dans la disposition des défenses. Alors que le mammouth 180 de gauche a ses défenses parallèles, 245

le mammouth 179 de droite a ses défenses en sens inverse l’une de l’autre en « moustache » : de cette façon l’œil de chacun des mammouths se trouve sensiblement au centre de l’arc de défense. Cela crée une sorte d’« équilibre des traits », tout en provoquant une confusion plus grande dans un effet d’entremêlement ». Dans ses analyses de l’iconographie de Rouffignac, le préhistorien revient sur une composition qui continue de l’interpeller : « Mais que dire de l’unique cas de défenses en éventail de la scène d’affrontement de la galerie G3, Mammouths 179 et 180 ! Cette disposition aberrante contribue à affirmer le caractère volontaire et préconçu de l’affrontement, crée à la fois une impression de confusion (entremêlement du combat) et d’équilibre ». L’équilibre est ce qui par ailleurs qualifie peut-être le mieux la géométrie de la composition. Le questionnement reste cependant entier : à quelle destination l’artiste voue-t-il son œuvre lorsqu’il la conçoit ? Celle de la Grande Fosse se laisse présumer. Or dans le cas présent, on est à l’opposé d’un déséquilibre, cette fois sans véritable explication à proposer. Il se dégage quand même de la combinaison graphique l’impression d’une grande complicité entre les deux protagonistes. Ils sont indiscutablement dans la connivence presque dans le chuchotement. Sans prétendre avoir vu juste car on ne maîtrise pas tous les détails des dessins, notre hypothèse permet quand même de s’affranchir de certains commentaires du type : « Position anormale, le seul cas à Rouffignac et à ma connaissance dans toutes les grottes ayant un mammouth... Un fait de ce genre qu’aucune technique, aucun style ne justifie, démontre, s’il en était besoin, que cette scène est un affrontement, de combat probablement, voulue par l’artiste qui l’a à coup sûr pensée avant de l’exécuter ». Aucune donnée graphique d’une scène de duel n’est décelable sur le dessin. Son observation permet au mieux de conclure à une opposition frontale. La frise des 11 Mammouths qui n’en comporte en réalité que 10 est dessinée au noir de manganèse, sur la paroi droite au seuil de la galerie Henri Breuil. L’œuvre met en jeu après le panneau du « Patriarche » le plus grand nombre d’individus rattachés à une situation d’affrontement au sein de la caverne. Elle mesure près de 7 mètres de longueur et se partage entre deux groupements de pachydermes qui vont à la rencontre l’un de l’autre : quatre regardent à droite, six regardent à gauche. Même si les pieds des 246

animaux ne sont pas au même niveau sur le mur, tous sont réglés à la même hauteur, à la queue leu leu suivant la référence horizontale. Le face-à-face direct concerne les deux chefs de file. En vérité, l’hésitation est permise puisque dans la construction graphique l’affrontement semble davantage se jouer entre le leader de gauche et le second de la file de droite. En effet leurs défenses respectives se frôlent à l’extrême, presque à se toucher. Leur écartement sur la paroi est certainement de l’ordre du centimètre (illustration 107). Nous pouvons présumer de la grande précision de ces tracés. Ils suggèrent le croisement jusqu’à le frôler. C’est inédit dans les constructions que l’on vient de passer en revue. L’explication la plus simple tient au nombre de participants, en clair à l’addition de leurs forces au sein des deux branches opposées dont la résultante se fait sentir au centre de la frise. Les deux poussées contraires sont d’une grande intensité, elles conduisent à cette situation extrême. Ce qui signifie que les mammouths de Rouffignac ne sont pas seulement destinés à figurer sur les parois. Ils poussent aussi virtuellement dessus. Dans la scène de chasse de Chauvet, le même mammouth s’adosse et pousse sur la crête rocheuse qui voit défiler les bisons, il pousse encore sur le mur dans la salle Hillaire. Dans la Rotonde de Lascaux, c’est au tour des grands aurochs de former les piliers de la salle afin de soutenir son toit. La même conception explique le déséquilibre qui prévaut sur la frise de la Grande Fosse si les animaux sont en tension. Il suffit que celui de tête « déraille » pour entraîner les suivants dans le même désordre.

Illustration 107 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Partie centrale de la frise des 11 Mammouths. N° 7 du plan. On observe au centre le frôlement des défenses du leader de gauche avec celles du second mammouth de la file droite.

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Dans la chaîne fonctionnelle que forment tous les mammouths de la frise dont l’alignement devient capital, il reste à entendre la fonction de l’individu intercalé entre les deux vrais leaders de la composition. Il n’est présent que pour amortir le choc potentiel des deux poussées centripètes. Elles ne sont pas aveugles. Aux deux extrémités de la frise, légèrement en réserve car désolidarisés de la file, deux mammouths jouent les variables d’ajustement des forces en présence pour parvenir à un équilibrage probablement délicat à obtenir et nécessaire au maintien de la résultante des forces au centre. Il s’agit de mécanique élémentaire que l’homme préhistorique, sous d’autres formes bien entendu, est à même de tester tous les jours dans la nature. Claude Barrière cerne en filigrane un concept approchant : « Malgré le nombre d’individus différents, les deux hardes occupent chacune sensiblement la même longueur de part et d’autre de l’axe d’affrontement : parce que ceux de gauche sont plus grands et que les deux premiers de la harde de droite se chevauchent. L’aspect de symétrie est renforcé par l’isolement légèrement en arrière des groupes des deux mammouths extrêmes ». Sous cet éclairage, on peut douter de la réalité du « bébé » de la frise des Cinq Mammouths. Comme son homologue, il fait tampon dans l’affrontement. Nous comprenons la difficulté à admettre que les mammouths de Rouffignac « travaillent » dans le même sens et concourent vraisemblablement à viser le même objectif. C’est même contre-intuitif pour l’observateur moderne. Mais il faut se rendre à l’évidence, la thèse du combat, par vocation basée sur l’éthologie animale, ne débouche sur aucune explication d’ensemble vraiment crédible. D’ailleurs à notre connaissance, elle n’a pas convaincu grand monde jusque-là. Ce n’est pas nier dans l’iconographie certains rapports relatifs à la réalité animale, comme la puissance du mammouth, son gigantisme, ses déplacements en hardes où paraît régner la cohésion, l’organisation, parfois ses joutes entre mâles en période de rut sur le modèle de l’éléphant actuel. Mais d’une manière générale, au plan du comportement c’est presque un non-sens d’imaginer le caractère belliqueux des rencontres entre animaux à Rouffignac. Tout part assurément d’observations dans la nature, elles passent ensuite par le filtre de l’artiste. C’est alors une autre histoire qui se dessine, pas forcément en phase avec la réalité concrète. 248

Le panneau du Patriarche (illustration 108) se trouve non loin sur la paroi opposée. Il porte le nom de l’animal le plus célèbre de Rouffignac.

Illustration 108 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau du Patriarche, partie centrale. N° 8 du plan.

« Mammouth « Patriarche ». Gravure très vigoureuse au burin, sauf les défenses qui sont faites avec une large (15 mm) « spatule » ayant laissé des stries parallèles... Le dos est dédoublé par suite d’une correction agrandissante. Œil en triangle vide avec sourcils en arc... Abondante toison qui dessine toute la face et la trompe. Deux défenses en trait simple à simple courbure. 11 violentes incisions obliques en lignes parallèles marquent le corps ». Dans la série des quelque 160 mammouths de la grotte, la finesse et la qualité d’exécution de la figure, son niveau de précision élevé relativement au modèle observé dans la nature sont exceptionnels. La composition à laquelle elle est rattachée est longue de 25 mètres. Elle mobilise 17 Mammouths, deux bisons, un cheval, un rhinocéros. Le dessin d’un ours complète le tableau avec deux tectiformes. La technique d’exécution des motifs se partage entre la gravure au burin et le tracé digité. L’organisation générale de la frise est beaucoup plus déliée que celle des 11. Elle met en jeu trois situations d’affrontement. Elles expliquent la longueur de la composition. Sur une telle étendue les forces mises en jeu pour être efficaces sur la paroi doivent rester cantonnées à des espaces qui ne s’étirent pas excessivement.

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L’affrontement dans lequel le « Patriarche » est engagé montre un déséquilibre évident entre les forces en présence. Sa stature, il mesure 1,20 m de long pour 0,80 m de haut, écrase celle de son opposant situé plutôt en retrait. Il est deux fois moins corpulent, sa silhouette est passablement dépourvue de détails en rapport. Entre les deux, une esquisse cervico-dorsale de mammouth fait tampon ou en fait figure dérisoirement. Les défenses puissamment dessinées du « Patriarche » la recouvrent. Son dessin n’est pas le fruit d’une soudaine fantaisie de l’artiste destinée à produire une image plus sophistiquée ou à exprimer un meilleur savoir-faire. Il prend place dans une combinaison qui manifestement introduit l’idée de déséquilibre dans le face-à-face. C’est très différent de ce que l’on observe sur la frise des 11, située non loin sur la paroi opposée où les forces se conjuguent pour atteindre, au centre, à une pression maximale sur le mur. Comme les deux frises sont sensiblement en regard, il n’est pas concevable d’envisager qu’elles se contredisent. Pour satisfaire à l’idée d’une organisation picturale globalement cohérente dans ce secteur de la galerie, certains éléments graphiques attachés au « Patriarche », montrent que son auteur en a volontairement affaibli l’image. Ils jouent le rôle, comme sur la paroi opposée, de variables d’ajustement. Il y a d’abord la marque de 11 violentes incisions sur le flanc de l’animal. Il est en outre traversé par les cornes d’un rhinocéros sous-jacent dessiné au doigt. C’est suffisant au rétablissement d’un équilibre dans l’affrontement des deux pachydermes. On nous dira qu’il est certainement plus simple dans ce schéma de concevoir au départ deux silhouettes parfaitement proportionnées, les Mammouths affrontés en sont un bon exemple. Mais ce que veut signifier ici l’auteur, c’est le véritable et dur combat des mammouths de Rouffignac lancés dans une folle entreprise. Il livre les difficultés à rendre efficiente la recherche des bons équilibres entre les différents acteurs, avec parfois des échecs comme sur le panneau de la Grande Fosse qui surplombe un effondrement. Le second affrontement de la frise se découvre en remontant la paroi gauche vers le fond de la galerie Henri Breuil. La composition comprend cinq mammouths, deux d’un côté et trois de l’autre (illustration 109). Elle n’inspire pas de commentaire particulier sinon de vérifier une nouvelle fois l’absence de croisement des armements pour la raison que les protagonistes de droite n’en possèdent pas. Ils sont principalement faits de tracés digitaux. 250

Illustration 109 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Deuxième affrontement du panneau du « Patriarche ». N° 8 du plan.

Enfin, en bout de frise le troisième affrontement oppose deux esquisses cervico-dorsales de mammouth, chacune dépourvue de défenses. Ils sont formés de tracés digitaux. Le caractère embryonnaire des deux images convergentes, très rapprochées l’une de l’autre, ne demande pas de développement particulier. À l’issue de cette revue des affrontements de mammouths dans la grotte, on peut en conclure que la thèse du combat est probablement à écarter. Selon nous, c’est même le cliché que les Paléolithiques évitent soigneusement de ne pas reproduire dans l’iconographie. Autrement dit l’image du pachyderme n’est pas exploitée dans le sens naturaliste qu’on lui prête généralement. Elle sert un autre concept, mais qui reste attaché au gigantisme et à la puissance de l’animal dans la nature. Il est choisi parce qu’il renvoie, plus qu’un autre, à la démesure des lieux et parce que le souterrain en tant qu’espace mystérieux, mythique, vivant, est au centre des croyances des Paléolithiques. Les mammouths font fonction de piliers d’un monde menacé par les effondrements. Ils interviennent et se coalisent aux endroits où la pression tellurique est perçue comme la plus forte. Ailleurs dans les galeries, bien d’autres de leurs congénères, à l’écart des grands rassemblements, veillent eux aussi sur les lieux. Ils sont une réserve de forces. Les marques de leurs passages sont innombrables, la caverne est si grande.

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Elles se remarquent dans les multiples tracés digitaux présents sur les parois et les plafonds, où les coupoles, les marmites, gardent l’empreinte de leurs profils en bosses. Le rapport des tracés digitaux aux mammouths n’est pas le produit de notre imagination. Claude Barrière le souligne bien avant nous : « Seul le mammouth paraît associé aux serpents et serpentins. Et ceci dans la seule partie de la grotte comprise entre le carrefour de la galerie Breuil et le Grand Plafond ». Tout au long des galeries de nombreux autres tracés sont apparentés aux serpents et serpentins du préhistorien. Dans le cas présent, la relation du mastodonte au reptile fonctionne si l’on veut bien considérer que les deux espèces, si éloignées l’une de l’autre dans la réalité, ont ceci en commun à Rouffignac de circuler toutes deux sous terre.

Illustration 110 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Voie Sacrée. Association du mammouth au serpentin et au tracé digital directionnel.

Dans le défi des mastodontes aux forces délétères qui minent la grotte il est établi leurs difficultés à les juguler par endroits. Certains dessins laissent même entrevoir leur défaite. On en vient naturellement à la composition du Grand Plafond car elle se situe précisément au-dessus d’une zone d’effondrement. 252

L’œuvre se trouve dans le prolongement de la Voie Sacrée, à l’endroit où elle s’élargit pour offrir à la décoration un vaste plafond à la surface régulièrement plate. L’endroit présente la particularité de dominer un puits : « A ce niveau bée un puits, au fond d’un vaste entonnoir d’argile dont l’ouverture occupait tout le secteur. C’est l’emplacement du Grand Plafond, l’ensemble de dessins le plus considérable de la grotte puisqu’il concentre ici 65 animaux. La présence de ces dessins au-dessus de ce vaste entonnoir d’argile, aboutissant à un puits de 7 m dont au moins 4 m à la verticale, pose problème ». Le problème évoqué est relatif à l’accessibilité de certaines surfaces du plafond surplombant le trou. Elle nécessite, comme précédemment indiqué, la mise en place d’un échafaudage, un plancher en l’occurrence, dont les empreintes sont retrouvées sur l’argile recouvrant les bords de l’entonnoir. Mais, le plus important à nos yeux est ailleurs. Il est celui de la hauteur sous-plafond. Au paléolithique, il est en effet impossible de s’y tenir debout, sauf à descendre sur les pentes glissantes du trou dans une position inconfortable et dangereuse. Cette hauteur ne dépasse pas le mètre cinquante. « Le choix du Grand Plafond est donc le fruit d’une volonté. Car, en certains endroits, il est bas, avec des hauteurs sous plafond de l’ordre du mètre, atteignant rarement 1,50 m. Pour y accéder et s’y déplacer, le cheminement est difficile. Le visiteur doit se courber en deux et même parfois ramper ». Premiers éveils de l’homme, 1984, Louis-René Nougier. De nos jours, l’aménagement touristique rapidement mis en place après la découverte permet, après creusement du sol, de contempler le Grand Plafond dans son entier. La photographie de l’illustration 111 montre Henri Breuil examinant les dessins de la composition depuis le sol d’origine.

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Illustration 111 : Photographie de Henri Breuil sous le Grand Plafond peu de temps après la découverte.

Le choix de l’emplacement à un endroit compliqué interroge les préhistoriens, d’autant que la grotte offre d’autres grandes surfaces plafonnantes de même qualité morphologique et d’une bien meilleure accessibilité. La motivation des Paléolithiques dans la sélection de ce lieu, en référence au contexte interprétatif considéré, ne peut tenir qu’à l’exploitation de la sensation d’écrasement que le visiteur éprouve inévitablement à plus de 600 m de l’entrée. Sous l’immense dalle rocheuse qui barre toute la galerie et sous laquelle il peut avoir le sentiment d’engloutissement dans les profondeurs au travers du trou béant qui s’ouvre dans le sol. Les dessins du Grand Plafond sont majoritairement réalisés au bioxyde de manganèse. On y dénombre 25 mammouths. Ils sont les plus nombreux, le contingent des bisons, des chevaux, des bouquetins oscille pour chaque espèce autour de la dizaine, les rhinocéros ne comprenant que deux ou trois unités. La plus grande figure est celle d’un cheval avec plus de 2,50 m de long. Il est saisi dans la position du saut. Il est curieusement 254

suivi l’ordre des tailles les plus importantes par un grand bouquetin de 1,50 m de long lui aussi bondissant. Tous les bouquetins de la caverne sont concentrés ici. À côté des bisons et des mammouths moins timorés dans la nature, plus farouches, les deux espèces sont toujours les plus promptes dans la fuite devant le péril qui menace. De toute la collection animale, ils sont les deux sujets visiblement les plus en alerte sur le Grand Plafond. Au centre de la composition c’est le vide, le gouffre fait son œuvre. Après André Leroi-Gourhan, Claude Barrière tente à son tour d’en dégager un schéma de construction où ne se remarque ponctuellement qu’une tendance à l’agglomération de deux ou plusieurs animaux de la même espèce. En vérité il est difficile d’extraire de vraies lignes directrices d’un ensemble où les sujets sont disposés dans tous les sens. Le contraste est patent avec l’ordonnancement des mammouths dans les galeries où l’artiste recherche les alignements et les affrontements. Le Grand Plafond par opposition n’offre qu’un dispositif graphique dont il ne subsiste que des bribes d’organisation. C’est si vrai que les oppositions entre mammouths disparaissent, ils ne sont plus en ordre de bataille, impuissants à se coaliser pour contrer l’écrasement alors que dans ses dessins l’artiste persiste toujours à éviter le croisement de leurs défenses même dans cette situation confuse. De manière inattendue, peut-être pour sauver l’essentiel, certes plus modestement, les bisons semblent vouloir se substituer aux pachydermes. On observe en effet chez eux trois cas d’affrontements. On sait que l’animal est déjà en observateur sur la frise de la Grande Fosse, où il peut témoigner d’une première déroute des géants de la steppe (illustration 104). Il est également présent à deux reprises en marge du panneau du « Patriarche ». Dans la nomenclature des affrontements établie par Claude Barrière, le bison présente cinq cas d’affrontements dans la caverne. Il y en a donc trois sur le Grand Plafond, et deux autres au fond du gouffre qui s’ouvre dessous, dans une configuration très intéressante. Ils sont disposés deux à deux en situation d’opposition sur le pilier de la faille. « Ces figures du puits attirent l’attention par leur disposition et leur nature. Le pilier surplombant a été manifestement choisi, puisqu’il n’y a pas d’autre figure ailleurs ». Plutôt discret dans les galeries supérieures, l’herbivore se révèle comme l’ultime recours contre l’effondrement complet de l’espace 255

environnant abandonné par les mammouths. Ils sont à la manœuvre sur le dernier pilier de soutènement des lieux (illustration 112).

Illustration 112 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Au fond du puits sous le Grand Plafond, les bisons affrontés pressent sur de la colonne qui forme le pilier de soutènement des lieux. Une figuration anthropomorphe les accompagne.

Le visiteur se trouve au sein du dernier espace encore préservé de la chute finale vers l’étage le plus profond. En effet, 20 mètres plus bas à travers la faille, il peut entendre dans le silence des lieux circuler le ruisseau souterrain. Au milieu des animaux est dessinée l’une des rares figurations anthropomorphes de la caverne, baptisée le « Grand être » qui en réalité n’a graphiquement rien de grand puisqu’il ne mesure que 24 cm de hauteur. Il s’agit d’une caricature de figure humaine dont le profil s’inspire de celui du bison. L’hybridation graphique avec l’animal est connue dans la grotte de Gabillou en Dordogne, aux Trois-Frères en Ariège et dans la grotte du Castillo en Espagne, autant d’images souvent rapportées à des sorciers ou des chamanes. « Cette figure baptisée le « Grand Être », ne serait-elle pas la première idole anthropomorphique, ancêtre des images des Dieux des religions 256

postérieures crées par des civilisations qui appréhendent de plus en plus la nature et placent l’homme au centre de la Création, sous la domination des forces de la Nature alors divinisées et anthropomorphisées ». La conclusion de Claude Barrière tient toujours à cette idée de voir des animaux sortir des entrailles de la terre et advenir au monde conformément à la théorie de la magie de reproduction qui dans les faits, il le reconnaît lui-même, est difficile à déceler. La thèse des animaux qui sortent et entrent dans la caverne suivant leur orientation sur les parois, synonyme de la Vie et de la Mort, s’appuie sur certains concepts des premières religions de l’antiquité et non sur ce que l’on observe dans les constructions graphiques de Rouffignac où c’est plutôt l’idée d’ensevelissement qui naturellement domine. La décoration du Grand Plafond suivie de celle du Puits est le point focal de l’historiographie iconographique de Rouffignac. Elle narre le glorieux et difficile combat des mammouths contre les forces délétères qui sapent graduellement les fondements de l’immense souterrain : effondrements des voûtes, des parois, des sols... La menace est partout présente. L’image du mammouth gravé pris dans le piège à poids de Kurt Lindner à Font-de-Gaume (illustration 90) résume à elle seule le scénario. Ce que montre le Grand Plafond n’est pas l’échec des mammouths, mais la raison princeps de leur combat dans la caverne. Partout ailleurs ou presque dans la galerie haute, ils savent s’organiser pour contrer la menace d’un effondrement bien plus catastrophique encore. On se perdra encore longtemps en conjectures sur le « Grand Être » de Rouffignac. C’est un acteur important à n’en pas douter, satisfait peutêtre, au milieu des bisons, et au vu de son expression, de savoir le ruisseau continuer à s’écouler dans les profondeurs. c. Autres motifs géométriques magdaléniens À ce stade de l’étude, nos propositions sur les différents motifs géométriques les plus emblématiques de l’art pariétal considéré sont toutes relatives aux particularités des territoires où vivent, suivant les saisons, les tribus paléolithiques dans des limites relativement bien définies : les causses du Quercy, les grottes et les abris sous roche de la vallée de la Vézère

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autour des Eyzies-de-Tayac. La population animale associée à ces graphies est plus difficile à considérer dans un cadre géographique aussi précis. On peut néanmoins le présumer avec probablement des exceptions extraterritoriales. Compte tenu de cette orientation, une autre province française, riche également en grottes ornées de la séquence magdalénienne, les Pyrénées ariégeoises, ouvre sur d’autres problématiques. En effet, le changement de territoire introduit fatalement de nouvelles données dans l’iconographie pariétale au sein de la catégorie des motifs géométriques, même si certains se maintiennent sur tout le ressort de l’espace franco-cantabrique. C’est le cas du rectangle cloisonné qui connaît une large diffusion du Périgord aux monts Cantabres en Espagne. La faune représentée rencontre aussi des variations, mais reste tournée globalement vers les mêmes espèces, les grands mammifères herbivores. Au registre des signes, on note l’apparition du « claviforme ». Encore convient-il de ne pas considérer quelques rares motifs gravés apparentés dans l’abside de Lascaux ou de Sainte-Eulalie dans le Lot, lesquels, plutôt confidentiels, ne dépassent pas la dimension de quelques centimètres. Ils sont aussi présents sous des formes approchantes en Espagne dans deux grottes, El Pindal et La Cullalvera. Nous n’avons cependant aucune peine à éviter la confusion puisque le motif, sur le versant nord des Pyrénées, paraît circonscrit au département de l’Ariège. C’est conforme au concept de territoire limité à une aire géographique bien définie dont il devient possible, à cette échelle, de distinguer les singularités. Dans ce secteur, il est présent dans huit cavités ornées à près de 200 exemplaires avec une répartition quantitative très inégale suivant les sites. La grotte du Tuc d’Audoubert en comporte à elle seule près de 150. Dans le Pyrénées, le claviforme est attribué au Magdalénien moyen, il en constitue le témoin chronologique. Il peut être gravé ou peint. Il est fait d’un tracé le plus souvent vertical doté d’une gibbosité située entre le tiers supérieur et le milieu de sa longueur suivant les spécimens (illustration 113).

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Illustration 113 : Dessin. Série de claviformes gravés de la grotte des Trois-Frères

Dans sa théorie des signes, André Leroi-Gourhan fait dériver le motif des profils des statuettes de femmes appelées Vénus. Pour Alain Testart, sa genèse, à quelques différences près, procède du même principe. Ce sont à notre connaissance les seules tentatives d’explication de la construction du signe. Sur sa signification proprement dite, Henri Breuil en fait initialement des représentations d’objets comme des massues par exemple. Au premier examen du claviforme, son apparente simplicité donne à penser qu’il n’a pas de signification complexe pour les Paléolithiques. Il doit se comprendre aisément. Comme pour le cercle échancré à Roucadour où le motif foisonne sur les parois, la meilleure approche consiste à aborder le claviforme à l’endroit où l’artiste magdalénien en multiplie les exemplaires, c’est-à-dire dans la grotte du Tuc d’Audoubert sur la commune de Montesquieu-Avantès. Elle appartient avec les Trois-Frères et Enlène au réseau des cavernes du Volp, affluent de la Garonne, à l’ouest du département de l’Ariège, non loin de Saint-Girons. Dans la région, les grottes ornées sont régulièrement implantées dans les vallées où circulent les affluents de la Garonne (l’Ariège, la Lèze, l’Arize, le Salat). Elles forment un complexe d’une douzaine de sites, une quinzaine avec les limitrophes du département. On y trouve peu d’habitats de plein air et aucune trace d’occupation antérieure au Paléolithique supérieur. Le glacier pyrénéen dont l’avancée est attestée

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jusqu’à la hauteur de Foix laisse supposer la difficulté de la colonisation humaine dans ces contrées. Au paléolithique, il recouvre la chaîne sur une épaisseur de plusieurs centaines de mètres. Il y a une vraie difficulté pour les glaciologues à pouvoir établir la succession des avancées et des reculs du front glaciaire au cours du temps si bien que l’on ignore précisément à partir de quelle époque les espaces d’altitude deviennent accessibles. On sait en revanche que les pénétrations humaines dans les hautes vallées ne dépassent pas 1 000 mètres, limite au-delà de laquelle il n’en subsiste nulle trace sauf à considérer de courtes incursions qui ne laissent généralement pas de témoignages de leurs passages. Les grottes ornées ne dépassent pas l’altitude de 700 mètres. C’est le cas de la grotte de Niaux. Au Magdalénien moyen, il y a 13 000 ans, le climat ambiant reste froid. L’art des cavernes en Ariège concerne principalement le secteur souspyrénéen, c’est-à-dire le piémont et les vallées encaissées où circulent les rivières du Vicdessos et de l’Ariège, au contact du front pyrénéen qui s’élève rapidement en altitude. L’occupation humaine proprement dite du territoire interroge toujours les chercheurs en raison de la faiblesse des habitats de surface relativement à ceux des grottes et des abris. Cette lacune d’abord mise sur le compte d’une prospection insuffisante, se vérifie depuis peu à peu sur le terrain : « Depuis une trentaine d’années, les prospections de surface se sont multipliées, de même que les constructions dans les vallées, sans que le pourcentage des habitats de plein air augmente de façon significative. Il subsiste donc une disproportion frappante avec les abris et les grottes, habitats privilégiés pendant le Magdalénien ». Les cavernes de Niaux, 1995, Jean Clottes. Il est intéressant de noter l’idée qu’en tire le préhistorien, en l’occurrence qu’il existe à cette époque des croyances liées aux cavernes constituant de puissants leviers portant les Paléolithiques à l’exploration et à la colonisation de cette région. Son collègue Denis Vialou, qui consacre de nombreux travaux sur l’art des cavernes en Ariège souligne par ailleurs cette compétence des Magdaléniens dans l’exploration du monde souterrain : « Trop de faits sont rassemblés dans l’ensemble des grottes d’art pariétal magdalénien pour ne pas penser que les Magdaléniens ont manifesté une réelle aptitude 260

à la pénétration souterraine profonde et ont surmonté des obstacles naturels que l’on aurait pu imaginer infranchissables sans les moyens techniques actuels (éclairage et équipement) ». L’art des grottes en Ariège magdalénienne.1986. Autrement dit, le préhistorien reconnaît en creux que les Paléolithiques ne pouvaient se passer en certaines circonstances de moyens techniques nécessaires à leurs tribulations dans le milieu souterrain. La thèse que l’on soutient dans ces travaux d’une authentique spéléologie pratiquée par les Préhistoriques de l’Aurignacien jusqu’au Magdalénien n’est donc pas si spéculative, elle se vérifie dans les expertises des spécialistes. Les cavernes du Volp ont pour cadre géographique le piémont pyrénéen. Elles se situent à moins de trente kilomètres des premiers vrais reliefs de la haute chaîne, elle forme toute la ligne d’horizon sud de cette contrée. « Ces massifs sont précédés, au Nord, par les Prépyrénées, longs chaînons orientés est-ouest, parallèles à la véritable montagne, de hauteur généralement comprise entre 400 et 800 mètres, culminant près de Foix à 1014 mètres... D’autres, plus modestes s’intercalent entre le Plantaurel et le front nord-pyrénéen, comme le Pech de Foix et la série des collines près de Montesquieu-Avantès... ». Les cavernes de Niaux. C’est le cadre géographique des cavernes du Volp, avec en arrière-plan le massif nord-pyrénéen véritable muraille infranchissable au Magdalénien. À la différence d’aujourd’hui, elle disparaît en partie sous l’épaisseur du glacier d’où n’émergent que les sommets les plus élevés. La découverte de la grotte du Tuc d’Audoubert a lieu en 1912. Elle est l’œuvre des trois frères Bégouën. Ils y pénètrent en remontant le cours souterrain d’une résurgence du Volp. La caverne appartient à un important réseau de galeries superposées sur trois étages. Elle ne communique pas avec celui des Trois-Frères pourtant tout proche. « Les Magdaléniens modelaient aussi l’argile. Amitiés ». C’est le texte du comte Bégouën adressé à Émile Cartailhac consécutivement à la découverte par ses fils de modelages de bisons confectionnés dans l’argile du sol au fond d’une galerie du réseau supérieur après plus de 600 mètres d’un difficile cheminement sous terre. La monographie de la grotte, Les cavernes du Volp, œuvre de Henri Breuil et de Henri Bégouën, est publiée en 1958. C’est la raison pour laquelle le Diverticule aux claviformes découvert en 1960 n’y figure pas. Il 261

faut dire que les bisons d’argile laissent pour un bon bout de temps au second plan les autres parties décorées du souterrain. Le diverticule en question est un boyau sinueux où sont disposées des séries de gravures couvrant les murs et la voûte précisément à l’endroit où il forme cul-de-sac (illustration 114).

Illustration 114 : Dessin d’après le relevé de Robert Bégouën. Claviformes disposés en série au fond du diverticule couvrant murs et plafond. Grotte du Tuc d’Audoubert.

Robert Bégouën en dénombre près de 80 dans ce seul secteur dont il propose une vue schématique permettant de saisir l’ensemble du corpus (illustration 114 bis) ce qui donne une meilleure idée de leur disposition sur la surface rocheuse du boyau. Dans ses grandes lignes, il se répartit en quatre séries de motifs alignés d’importance numérique variable sur un relief semble-t-il tourmenté. Leur orientation dans l’espace graphique n’est pas anarchique, l’emplacement de la gibbosité que le graveur dessine en p ou en q selon l’expression de l’auteur devant probablement en indiquer un sens de lecture. En première approche, les motifs forment comme des chapelets, disposés en chaînes avec la répétition du même dessin dont la longueur varie de 5 à 35 cm, graphiquement plus ou moins soigné, mais dont l’axe se présente toujours à la verticale. On ne trouve pas un claviforme représenté à l’horizontale dans la région même si son axe connaît des 262

inclinaisons comme c’est le cas dans l’unique spécimen de la grotte du Portel. En imaginant que le signe soit dérivé de la statuaire féminine, comme le proposent André Leroi-Gourhan et Alain Testart, son regroupement agencé de la sorte ne débouche sur aucune forme d’explication intelligible. Nous sommes fondé pour notre part à soupçonner l’existence d’un rapport avec le cadre environnemental de la grotte en l’occurrence les reliefs collinaires qui l’entourent.

Illustration 114bis : Dessin d’après le relevé de Robert Bégouën. Vue schématique de l’ensemble des claviformes gravés du diverticule sur le plafond et les parois. Grotte du Tuc d’Audoubert.

La morphologie du motif oriente d’emblée vers l’idée qu’il schématise l’image de la colline, d’un relief au sommet arrondi mais dessiné suivant la référence orthogonale. La dimension verticale du claviforme n’est pas à rechercher ailleurs que dans le milieu naturel où s’ouvrent les cavernes du Volp quand les Paléolithiques tournent leurs regards vers le sud en direction de la haute montagne qui se dresse à l’horizon. Ils n’ont aucun mal à découvrir le piémont tendre insensiblement vers l’élévation. Or on sait qu’ils regardent dans cette direction, en témoignent la concentration de grottes ornées et des habitats sous abris au pied de la chaîne. Les chapelets de claviformes ne sont que des représentations mentales d’un territoire dont la conformation s’observe dans le paysage. C’est « la série de collines près de Montesquieu-Avantès » évoquée par Jean Clottes. À cette

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série correspond celle des claviformes. Ils sont pour la plupart attachés aux régions de massifs rocheux d’importance tant en France qu’en Espagne. Nous avons sous les yeux un cadre géographique, le couvert végétal en moins, qui s’est relativement peu modifié depuis le Paléolithique. L’artiste du Tuc d’Audoubert a donc saisi le modelé de son environnement sensiblement comme nous le découvrons encore aujourd’hui. En dessinant le claviforme à la verticale, l’artiste lui communique aussi une forme de dynamique qui correspond à ses propres pérégrinations sur le ressort de son territoire.

Illustration 115 : Dessin. Conception du claviforme. Il représente un relief arrondi posé sur une surface horizontale. Figuré à la verticale, il conserve le même sens mais doté d’une faculté d’élévation qui caractérise le territoire auquel il se rattache.

On peut encore commenter le niveau d’abstraction qui affecte la représentation. Il est principalement contenu dans sa configuration verticale et dans son agencement en séries de motifs dans une région mamelonnée qui appelle à ces formations symboliques (illustration 115).

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Illustration 116 : Carte Cassini. Représentation du milieu collinaire où s’ouvrent les cavernes du Volp à Montesquieu-Avantès.

Jean Clottes qui connaît parfaitement cette géographie dans le cadre de ses activités sur les grottes ornées est globalement d’un avis fort différent : « En dehors de la faune, les artistes auraient pu représenter bien d’autres sujets : Ils ne l’ont pas fait. Le cadre naturel fait défaut. D’autres cultures ont figuré les nuages, la pluie, le soleil et les astres, les arbres, les rivières, les montagnes. Pas eux ». Les chamanes de la préhistoire. Ce passage montre, s’il est besoin, que la représentation d’un cadre naturel, certes schématisé, n’est pas si rare dans les arts primitifs. Le concept est pourtant très répandu chez les préhistoriens, Denis Vialou développe, « Dans aucun de ces cadrages fameux ni dans tous les autres si souvent attestés, l’espace pariétal n’est référé aux axes de coordonnées spatiales correspondant aux lois naturelles de l’équilibre : pas d’horizon ni de champ en perspective. L’espace graphique pariétal est avant tout abstrait : animaux et humains et signes flottent sur la paroi ; ils ne sont jamais situés dans un paysage. En fait l’univers vivant fut déstructuré en pénétrant dans les grottes... ». L’art des cavernes, 1987. L’idée de déstructuration de l’espace réel dans l’obscurité des grottes est exacte, mais c’est aussi valable pour un certain nombre de dessins d’animaux ou encore pour la représentation humaine. L’homme encordé de Cougnac devenu en partie invisible à son entrée dans un trou du sol en est un bon exemple. Dans cette perspective, déconstruction ne signifie pas 265

annihilation complète de données concrètes de l’espace terrestre de surface. Il en existe ou il en subsiste des segments à travers les « signes » précisément. La chute des corps des animaux à Lascaux n’est pas non plus de notre invention. Nous ne pouvons en apporter la preuve dans l’art pariétal paléolithique, mais si d’autres arts primitifs y font référence, comme le souligne Jean Clottes, il y a des chances pour que notre thèse ne soit pas si extravagante sur ce sujet. Inversement, il y a plus de risques à affirmer que l’art des cavernes figure dans un espace purement abstrait en l’absence de valeur donnée aux « signes ». Il faut comprendre que l’artiste du Tuc d’Audoubert ne réalise pas une cartographie de son environnement géographique. Il n’en reproduit qu’une image mentale très économe de détails, simplifiée au point d’être rarement précise, c’est toute la difficulté de son déchiffrement. Il est cependant possible d’être confronté à des exceptions. On l’a vu avec la butte de Gourdon dans l’étude de la grotte de Cougnac comme à Chauvet avec le Pont d’Arc. Il est possible de le vérifier à nouveau dans l’exemple à suivre. Il met en scène l’une des figures parmi les plus spectaculaires et les plus étranges de l’art des cavernes. Pour l’aborder, il est nécessaire de se transporter non loin dans la grotte voisine des Trois-Frères. La cavité est découverte en 1914 par Henri Bégouën et ses trois fils, l’abbé Auguste et François Camel à l’occasion de prospections visant à établir une jonction entre Enlène et le Tuc d’Audoubert. Sa décoration est attribuée au Magdalénien moyen par la datation, le style des œuvres et la typologie des signes. Elle s’inscrit entre salles et galeries sur un parcours de 800 mètres que les préhistoriens divisent en plusieurs secteurs plus ou moins densément ornés : la Chapelle de la lionne, la salle du Foyer et bien sûr le Sanctuaire qui comporte à lui seul plusieurs centaines de gravures entremêlées dans le décompte de Denis Vialou : « Sur les parois planes, creusées, obliques, plafonnantes de cette petite salle située au fond de l’immense réseau des Trois-Frères, les Magdaléniens ont enchevêtré des gravures par centaines patiemment relevées par Henri Breuil : j’ai décompté 1 104 représentations, dont 68 tracés indéterminables, 620 signes, 416 représentations figuratives ». L’art des cavernes. 266

Pour situer l’importance du site dans le contexte des grottes ornées des Pyrénées ariégeoises, il convient de souligner qu’il représente plus de la moitié du corpus pariétal de la région : « Aucun site pariétal pyrénéen n’est numériquement comparable au sanctuaire des Trois-Frères. Lascaux, El Castillo, tous deux magdaléniens ont une ampleur comparable mais appartiennent à d’autres cultures ». L’art des grottes en Ariège magdalénienne, 1986. Au paléolithique, il y a plusieurs entrées possibles dans la grotte : par la galerie d’Enlène, par une galerie latérale appelée la galerie des Points ou encore par une cheminée aujourd’hui colmatée. Il a pu y en avoir davantage d’après les spécialistes. Parvenu dans le Sanctuaire, le visiteur se trouve, après avoir descendu deux cascades stalagmitiques, au plus profond du réseau. Les lieux sont donc non seulement les plus densément décorés, mais aussi les plus enfouis dans le massif. La thématique animale représentée tourne autour du bison, du cheval, du renne avec à la marge le bouquetin et l’ours. Le Sanctuaire comprend la quasi-totalité des claviformes du souterrain, et ils conduisent vers une figuration qui sort de l’ordinaire. Si la grotte du Tuc d’Audoubert doit sa célébrité à ses statues de bisons d’argile, la grotte des Trois-Frères n’est pas en reste avec le « Dieu cornu », dit le « Sorcier », qui trône dans la salle décorée. Il s’agit d’une créature composite mi-animale, mi-humaine qui suscite évidemment de nombreuses analyses et commentaires dans la littérature spécialisée (illustration 116). Denis Vialou en fait la présentation suivante : « Ramure de renne, tête masque de chouette, bras et coudes humains, pattes et griffes animales, corps d’herbivore, queue de renard, sexe de félin et membres inférieurs purement humains ». L’art des cavernes. Jean Clottes la décrit différemment : encornures et oreilles de renne, yeux de chouette, longue barbe, pattes de lion, queue de cheval, sexe d’homme rejeté en arrière. L’énigmatique personnage culmine à près de 4 mètres de hauteur audessus du sol et domine par sa localisation l’ensemble des panneaux gravés du Sanctuaire soit plus de mille graphies d’animaux et de signes. Il est en position d’isolement et même de quasi-inaccessibilité puisque depuis le sol 267

de la salle il faut emprunter un étroit boyau ascendant en « spirale » pour s’en approcher. Il forme comme un passage dérobé, un couloir secret en quelque sorte. « Nous décrirons les parois décorées de droite à gauche, puis celle du boyau qui, à gauche, prolonge les parois, aboutissant au Cabinet des petits rennes et à la Montée au Dieu cornu qui vient en retour s’ouvrir à gauche de l’abside, à plus de 3 mètres de hauteur, juste à droite du Dieu cornu qui, seule figure peinte, préside visiblement à toute la décoration environnante ». Les cavernes du Volp, Trois-Frères et Tuc d’Audoubert, 1958, H. Breuil, H. Bégouën.

Illustration 117 : Relevé du Dieu cornu. Henri Breuil. Le dessin mesure 0,75 m de long.

Comme le précise ce passage, la créature est la seule représentation du Sanctuaire avec une tête de bison toute proche, qui hérite d’un colorant, le noir. Ses contours sont également gravés. Généralement l’art quaternaire ne livre que des images difficiles à hiérarchiser comme c’est le cas ici et il n’est pas étonnant, rapidement après sa découverte, que le personnage suscite d’abondants commentaires. Il 268

joue un rôle central dans les théories magiques de Henri Breuil qui le perçoit comme une créature extraordinaire devant régner sur le monde animal. Dans la théorie chamanique, il s’agit d’une image mentale représentant un chamane parvenu au dernier stade de la transe et partiellement transformé en animal dans sa communication avec les esprits. Dans de nombreuses reproductions, Alain Testart le remarque justement, le personnage apparaît curieusement debout alors qu’il « ne se tient nullement debout ni à moitié debout ». Dans cette approche d’une figuration exceptionnelle, le parti pris le moins risqué reste celui de Denis Vialou partisan d’une créature imaginaire « cette union homme-animal aboutissant à l’imaginaire pur, proche de l’hypothèse des masques et des travestissements chers aux peuples chasseurs ». L’art des cavernes. Depuis la loge avec balcon qu’il occupe au sommet de l’abside, le « Sorcier » domine indiscutablement les lieux. Au plus près de lui, sur le rebord inférieur de la fenêtre qui donne sur la salle prend place le cheval aux claviformes. La composition est gravée et il n’est probablement pas fortuit de retrouver le motif géométrique au plus près du personnage qui passe pour le plus important de la caverne. Il y a 16 claviformes aux TroisFrères, tous sont concentrés dans la même section. Le cheval aux claviformes en compte 14 (illustration 117), les deux autres se trouvent au sommet du dernier panneau décoré donnant accès au balcon du « Sorcier ».

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Illustration 118 : Dessin d’après le relevé de Henri Breuil. Cheval aux 14 claviformes.

Le dessin montre une disposition des claviformes en chapelet très similaire à celle rencontrée au Tuc d’Audoubert. Sur la série on peut remarquer que les premiers de la file sont disposés en oblique pour ensuite se redresser progressivement et atteindre la verticalité. Dans le même temps, ils suivent une trajectoire ascendante. Au bout de l’enfilade, les deux derniers interrompent visiblement cet ordonnancement. Immédiatement dessous, figure un motif angulaire dessiné sur la cuisse du cheval qui regarde à gauche à l’opposé du sens que l’on donne à l’organisation des claviformes.

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La traduction de la série des claviformes du Tuc d’Audoubert en une suite de collines occupant l’espace du piémont pyrénéen nous renvoie à la même interprétation dans le cas présent avec cette dimension supplémentaire d’élévation jusqu’à un point culminant où la série prend fin. Il devient alors tentant de considérer cet ensemble comme susceptible de localiser virtuellement l’espace réservé au « Sorcier » où le motif angulaire devient partie prenante. En se replaçant dans le paysage vu depuis le massif qui abrite les cavernes du Volp, se détache un sommet sur le front pyrénéen qui forme un pic sur la ligne de crêtes. Il s’agit du Mont Valier qui culmine à près de 3 000 mètres d’altitude (illustration 118).

Illustration 119 : photographie de l’auteur. Vue sur le front pyrénéen depuis Montesquieu-Avantès où le Mont Valier culmine à 2 840 m.

La photographie montre que le Mont Valier est un repère incontournable dans le paysage où il se dresse en pointe sur la chaîne. Il domine toute la région. Il est visible à plus de 100 km à la ronde, perceptible depuis la plaine de la Garonne. Au Magdalénien, il est encore plus impressionnant car son sommet émerge au-dessus du glacier qui 271

recouvre alors le massif. L’artiste paléolithique en grave l’image dans le motif angulaire, en hauteur, avec cette idée de domination sans partage. Le domaine d’altitude réservé à la créature entraîne une implication évidente. Il appartient à une section de territoire inviolée, inatteignable pour le commun des mortels. Autour de lui naissent des légendes, des fables, d’où émerge un système de croyances en l’existence d’êtres fantastiques y résidant, certainement dotés de pouvoirs surnaturels mais que personne n’a jamais pu voir. Dans ce scénario, le personnage n’est ni chamane ni sorcier, il se meut dans l’extraterritorialité, étranger au monde d’en bas mais pas indifférent à ce qui s’y passe. Il faut se le représenter dans sa corporéité car il n’est pas immatériel, il a une existence réelle, aussi réelle que le que le monde qu’il domine. Il n’est pas pur esprit. Il doit répondre à des critères physiques parmi les plus recherchés et les plus enviés. Parmi certaines de ses particularités anatomiques la ramure de cervidé lui donne une allure altière, ses yeux de rapace lui procurent une vue perçante portant très loin depuis son promontoire, même la nuit. Ses oreilles dressées sont à l’écoute de tous les échos venus des vallées environnantes. Il a aussi cette faculté d’être à la fois bipède et quadrupède comme en témoigne sa silhouette fortement inclinée reposant quand même sur deux jambes. Il est d’une fulgurante rapidité comparable aux meilleurs coursiers, la queue toujours dans le vent comme le montre son image. C’est un super prédateur, armé de griffes redoutables. Il est aussi viril. Sa longue barbe atteste d’un grand âge mais qui n’est pas celui de la vieillesse. Son habitat d’altitude baigne naturellement dans le froid permanent. Il sait s’en protéger efficacement. Sa silhouette est copieusement enveloppée de pigment noir. Elle forme une épaisse protection corporelle qu’il porte en étole sur l’épaule et qui descend jusqu’aux pieds. C’est le portait idéal du chasseur émérite et bien plus que ça. Deux autres petits hybrides « homme-bison » pointent modestement (H 30 cm), sur les parois du Sanctuaire, noyés dans l’entrelacement de dizaines de gravures d’animaux. Ce sont des émules discrètes du « Dieu cornu », ou bien ils concrétisent certaines de ses projections. Ils montrent son intervention dans le monde d’en bas. On parle très souvent de Montée au Dieu cornu, par l’étroit boyau en spirale dissimulé dans le mur, mais le passage fonctionne évidemment aussi dans le sens de la descente pour la 272

créature. On peut y voir l’explication à la présence du cheval aux claviformes orienté à l’opposé des motifs vers l’ouverture du conduit qui descend dans la salle. Deux claviformes dirigés dans le sens de la descente sont gravés au sommet du conduit. Pour les Paléolithiques, il est important de se convaincre de cette possibilité d’intervention du « Dieu cornu ». Le motif angulaire, donné comme la figuration d’un sommet en pointe, connaît dans la grotte de nombreuses autres utilisations. C’est le cas du motif s’apparentant à la flèche et souvent interprété comme un projectile propulsé par un arc alors que son invention reste incertaine pour le Magdalénien. Denis Vialou en a recensé plus de 200 aux Trois-Frères. La flèche est également présente dans l’iconographie des grottes de Fontanet et de Niaux pour les cavités ariégeoises qui en comptent le plus. Parce que l’œuvre est parfaitement lisible dans le Sanctuaire, l’exemple le plus clair de son utilisation est gravé sur la paroi oblique située sous l’alcôve du « Dieu cornu », comme en suspension au-dessus des panneaux surchargés de représentations à près de deux mètres au-dessus du sol. La représentation est manifestement conçue pour être remarquée : « Au bord de l’auvent avançant devant le « Dieu cornu », ce bison gravé assez grand (70 cm) domine, dans sa solitude pure de toute surcharge, les panneaux les plus embrouillés. Il ne fait pas de doute, spectaculaire, il est fait pour être vu... Un long signe fléché l’atteint à l’épaule mais ce signe est solitaire, fait rarissime pour les figures de bisons du Sanctuaire ». L’art des grottes en Ariège magdalénienne. (Illustration 119).

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Illustration 120 : Dessin d’après le relevé de Henri Breuil. Bison fléché du Sanctuaire.

L’image reproduite ci-dessus est telle qu’elle figure dans les publications. Elle ne reflète pas correctement la conformation de l’animal sur la paroi où l’artiste le grave très nettement incliné sur l’avant, assez précisément au bord de la paroi surplombante, la tête penchée au-dessus du vide, de telle sorte que le sujet donne l’impression de jauger la hauteur qui le sépare du sol. L’illustration 120 permet d’en avoir une idée exacte. Elle montre de surcroît l’endroit où se niche le « Dieu cornu ». Nous ignorons de quand date cette photographie. Dans l’espace réel et dans l’hypothèse où l’habitat du « Dieu cornu » se situe sur les hauteurs du Mont Valier, l’herbivore fléché se trouve au bord d’une éminence très élevée, un promontoire ouvrant sur le vide. Il est apparemment dans une situation délicate. Ses appuis sur la surface rocheuse, comme le souligne Denis Vialou dans son commentaire descriptif, sont particulièrement soignés. Ses pattes sont tendues en oblique vers l’arrière peut-être pour éviter la glissade ou le dérapage. Dans cette configuration son fléchage indique qu’il stoppe sa longue trajectoire ascendante, le motif se terminant en pointe vers le haut. Il conforte cette idée d’immobilisation contrainte par l’obstacle.

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Illustration 121 : Photographie du Sanctuaire, grotte des Trois-Frères. Il est loisible de se rendre compte du véritable positionnement du bison fléché sur la paroi. Plus haut, figure le « Dieu cornu » partiellement occulté par l’auvent rocheux. Au niveau inférieur les parois sont couvertes de gravures.

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L’animal qui s’arrache du réseau gravé situé plus bas pour se retrouver dans une situation improbable et dangereuse n’est destiné qu’à alimenter la légende du « Dieu cornu » et sa hauteur considérable sur la montagne, inatteignable par la voie directe. Il existe on le sait une voie secrète, la Montée au « Dieu cornu ». Mais de l’entrée jusqu’en haut du boyau, le téméraire qui ose s’aventurer croise la figure de l’ours. L’abondance des flèches dans le Sanctuaire, associées ou non à des figurations, trouve une correspondance dans le relief accidenté qui caractérise le piémont pyrénéen. Grotte de Niaux Les premières occupations humaines des hautes vallées de l’Ariège sont magdaléniennes, le recul des glaciers ayant graduellement libéré ces territoires. Il en va ainsi de la vallée du Vicdessos (affluent de l’Ariège) située non loin de Tarascon-sur-Ariège. La Chaîne y culmine déjà à près de 1200 mètres où les sommets environnants ont encore la forme de dômes. Mais nous sommes déjà au pied du véritable front pyrénéen avec des vallées encaissées entre falaises et pentes abruptes. Le porche monumental de la grotte de Niaux au pied d’une falaise est un élément central dans le paysage. Il est haut de plus de 50 mètres pour 50 mètres de large. Il s’enfonce de près de 80 mètres dans la montagne. Il est impossible de ne pas le remarquer. Il est à l’altitude de 700 mètres et domine le fond de la vallée de 150 mètres. L’escalade est requise pour l’atteindre au paléolithique. Jean Clottes est l’auteur de la monographie du site dans Les cavernes de Niaux parue en 1995. Sa décoration se situe pour la partie la plus ancienne au Magdalénien moyen. Plusieurs datations absolues sur les peintures indiquent des interventions plus récentes. Elles oscillent autour de 13 000 BP, ce qui signifie que les œuvres sont échelonnées dans le temps en dépit de leur apparente homogénéité. C’est une difficulté pour l’interprétation. Nous convenons ici de considérer que les conventions picturales restent inchangées sur cette période. Denis Vialou écrit à ce propos : « La parfaite unité techno-stylistique du Salon Noir saute aux yeux ; l’étude approfondie du dispositif pariétal dans la totalité du réseau met en évidence une même uniformité des styles et des thèmes, signes et animaux ;

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une telle unité renvoie à l’homogénéité culturelle régionale... ». L’art des cavernes. Les spécialistes pensent qu’au Magdalénien l’immense porche ne permet déjà plus l’accès au souterrain et que c’est à quelque distance dans la pierraille que les Paléolithiques empruntent un modeste conduit pour y pénétrer. Il faut dire qu’à l’intérieur les eaux de fonte du glacier remanient considérablement l’architecture des sols et des sous-sols y drainant sables, graviers, blocs erratiques. L’action mécanique de ces matériaux en redessine les formes, elles sont celles que nous connaissons aujourd’hui. La caverne de Niaux est connue de longue date, elle voit des fréquentations protohistoriques. Pour la période historique, de nombreuses inscriptions et dates figurent sur les parois. La plus ancienne se rapporte au XVIIe siècle. Ce n’est pourtant qu’en 1906 que le Commandant Molard accompagné de ses fils reconnaît les premières peintures. Cette découverte tardive peut surprendre sauf à considérer la reconnaissance officielle de l’art des cavernes survenue en 1902. Auparavant, il est impossible d’imaginer l’existence d’œuvres quaternaires dans les grottes. Niaux se classe parmi les sites majeurs de l’art pariétal avec Chauvet, Lascaux, Altamira, Les Trois-Frères, Font-de-Gaume... « La caverne de Niaux se développe sur plus de 2 kilomètres, avec un parcours majeur de 1300 m de long, auquel s’ajoutent environ 600 mètres de galeries latérales ». Les cavernes de Niaux. La cavité est donc profonde mais facile d’accès. Elle consiste en une voie de circulation principale. Au Grand Carrefour elle se divise en trois secteurs à 800 mètres de la lumière du jour : – la galerie Profonde et son prolongement à angle droit, la galerie Cartailhac découverte en 1925, ellemême prolongée par la galerie Clastres découverte en 1970 mais isolée du grand réseau par une série de lacs souterrains, – la galerie des Eboulis, – la galerie du Salon Noir. La question de l’accès au réseau Clastres reste débattue. L’existence d’une entrée indépendante de la galerie principale n’est pas impossible. Les Magdaléniens sont également parvenus dans les galeries les plus reculées, celle des Marbres et du Grand Dôme. On ne connaît pas, en dehors de Rouffignac, d’art pariétal plus enfoui sur l’aire paléolithique en Europe atlantique. C’est une première indication sur la motivation des premiers colonisateurs des hautes vallées pyrénéennes de pousser toujours plus haut en altitude dans la reconnaissance de 277

nouveaux territoires afin d’y imprimer leurs marques. Non par désir de conquête, mais peut-être, comme le suggère Jean Clottes, par des croyances liées aux cavernes faisant alors office de puissants leviers de la colonisation. Une explication pas si extravagante si l’on se reporte à celle relative au « Dieu cornu » des Trois-Frères et de son habitat d’altitude. Les œuvres de la grotte sont inégalement réparties dans le réseau karstique. Il en existe jusque dans les parties les plus reculées. Elles témoignent de la même appétence des Préhistoriques pour l’exploration souterraine profonde. Au cours des siècles, les visites répétées provoquent de nombreux dommages dans la caverne : bris de concrétions, graffitis sur les parois ornées, piétinements des sols détruisant les gravures sur argile dont il ne subsiste que des vestiges dans les secteurs protégés peu accessibles comme les recoins ou les surplombs de paroi. L’aménagement touristique contribue aussi aux perturbations du milieu souterrain : le percement de l’actuel tunnel d’accès, l’abaissement du sol dans le Salon Noir, l’assèchement du Lac Vert dans la galerie Cartailhac. À ce constat s’ajoutent des dégradations naturelles dues principalement au ruissellement des eaux qui par endroits délave les peintures. Nombre d’entre elles demeurent heureusement bien lisibles. Le choix de clôturer ces travaux sur l’art pariétal de Niaux est évidemment en rapport avec nos précédentes interprétations centrées sur le concept de territoire. Plus qu’ailleurs, il doit fortement peser sur l’esprit des colonisateurs paléolithiques. En effet, les hautes vallées de l’Ariège opèrent à cet endroit, à une échelle monumentale sur quelques kilomètres dans le bassin de Tarascon-sur-Ariège, une rupture brutale entre plaine et montagne. Dans la logique de nos propositions successives, le dispositif pariétal doit en porter les marques. Le Salon Noir qui concentre la plus forte densité des œuvres de la caverne est le mieux à même d’en fournir un nouvel exemple. La galerie d’entrée spacieuse se développe suivant un profil sensiblement horizontal, sur près de 700 mètres sans difficulté de progression particulière, mis à part deux passages étroits, jusqu’au Grand Carrefour d’où partent la galerie de l’Eboulis, la galerie Profonde et la galerie du Salon Noir (illustration 121).

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Illustration 122 : Dessin. Plan partiel de la caverne de Niaux. 1- secteur d’entrée, 2- galerie d’Entrée, 3- galerie du Salon Noir, 4- galerie de l’Eboulis, 5- galerie Profonde, 6- galerie Cartailhac et dans son prolongement le réseau Clastres, 7- galerie des Marbres et dans son prolongement la galerie du Grand Dôme.

Précisément à l’entrée du Grand Carrefour, sur la paroi droite, un ensemble de trois panneaux ornés de motifs rouges et noirs (bâtonnets, points, claviformes) dépourvu d’élément figuratif, offre au visiteur les premières manifestations graphiques d’importance du sanctuaire. Elles ne peuvent échapper à l’attention de celui qui, pour se repérer, suit la paroi droite en se dirigeant vers le fond de la grotte. Cet ensemble est baptisé par l’abbé Breuil « panneaux indicateurs » (illustration 122). Le préhistorien pense qu’ils servent de repères aux explorateurs préhistoriques. C’est à quelques dizaines de mètres de ce côté que débute la galerie du Salon Noir. Il est encore débattu par les spécialistes la question de savoir si ce secteur du souterrain est considéré au paléolithique comme une galerie secondaire ou bien comme l’extrémité de la galerie principale. En effet, au Grand Carrefour, l’espace de la galerie s’élargit et, sans éclairage puissant, les repères s’estompent, la galerie Profonde n’est plus repérable. Depuis les « panneaux indicateurs », il est ainsi naturel de continuer à se fier à la paroi droite pour se repérer. Dans cette direction, le visiteur débouche sur le Salon Noir qui forme cul-de-sac. C’est l’avis de Jean Clottes, il donne le Salon Noir à l’extrémité de la galerie principale. Le scénario est vraisemblable, du moins au temps des premières incursions paléolithiques, car rien ne dit, qu’avant toute décoration, la caverne fait déjà l’objet d’une exploration complète. Ce que le commentaire suivant de Jean Clottes ne 279

contredit pas : « Ce qui frappe au premier abord, c’est que les Magdaléniens sont allés jusqu’à l’extrême fond de la caverne, à près d’un kilomètre et demi de l’entrée, où qu’elle ait été, et qu’ils ont quasiment tout exploré... ». Les cavernes de Niaux.

Illustration 123 : Photographie E. d’Abbadie, E. Robert. « Panneau indicateur » de Niaux. Un niveau d’inondation en a lessivé la partie inférieure.

Il faut penser que l’endroit à ornementer est choisi une fois acquise la reconnaissance du milieu souterrain dans la mesure de son accessibilité il y a 13 000 ans. Nous avons des raisons de croire, comme nous l’avons précédemment montré, que l’exploration des grottes par les Paléolithiques n’est pas le fruit du hasard, mais bien celui d’un projet parfaitement préconçu et préparé. Le Salon Noir qui concentre près de 80 % du bestiaire de la caverne répond ainsi très probablement à des exigences topographiques précises. Alors plutôt que des « panneaux indicateurs » destinés à l’orientation des visiteurs dans le souterrain, ne sont-ils pas davantage voués à marquer l’importance de l’endroit, à un point de passage obligé, non loin du seuil de la galerie décorée ?

Celui de l’illustration 122 à dominante rouge, peint sur un dièdre rocheux montre une série de doubles barres horizontales dessinées au doigt, disposées à la verticale et associées à deux claviformes. Un niveau

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d’eau en efface la partie inférieure. D’après Jean Clottes, « il semble avoir été organisé et réalisé verticalement ». La série de barres horizontales est spécifique à ce panneau, on ne la retrouve pas ailleurs. Sans autre référence que les claviformes attachés à des modelés collinaires orientés vers des reliefs d’altitude, de surcroît sur un ensemble en partie détruit, il est hypothétique de prétendre en donner ici une traduction vraiment crédible. Il est seulement possible d’observer que les doubles barres horizontales forment des étagements empilés les uns sur les autres pouvant évoquer une prise d’altitude, elles font penser à une ascension. Rappelons que la progression dans le souterrain s’effectue jusque-là sur un sol qui connaît peu de déclivités, c’est d’ailleurs la configuration d’une bonne partie du réseau à deux exceptions notables près : la galerie qui conduit du Salon Noir et le grand éboulis de l’abîme Martel dans la galerie du Grand Dôme aux confins du souterrain. Un amas de gros blocs effondrés encombre également la galerie de l’Eboulis, il entraîne aussi à une déclivité marquée. Le marquage de l’entrée du Grand Carrefour, laisse supposer que son espace joue un rôle important dans la mise en place de la décoration. Pour tenter d’en estimer le degré, en l’absence de données graphiques complémentaires, le recours aux dimensions réelles de l’environnement immédiat de la caverne est indispensable. Nous savons la correspondance qui peut exister entre l’espace terrestre de surface à la lumière du jour où s’ouvrent les cavernes et la conformation, la disposition de certains de leurs ensembles graphiques. Niaux s’ouvre sur le flanc ouest du Massif du Cap de la Lesse. Il est à la jonction des deux vallées celle de l’Ariège et du Vicdessos. De forme pyramidale, il s’élève à près de 1200 mètres d’altitude. Il est aux portes de Tarascon-sur-Ariège où la vallée de l’Ariège présente un élargissement et une vaste étendue plate en dessous de 500 mètres d’altitude. Sur moins de 5 kilomètres, l’élévation du relief est donc spectaculaire. L’agglomération se trouve en outre à la confluence de trois cours d’eau. C’est l’endroit où la Courbière et le Vicdessos l’affluent montagnard le plus important rejoignent l’Ariège. Il ne fait pas de doute que le bassin de Tarascon-surAriège joue un rôle central dans le paysage pour les nouveaux arrivants au paléolithique. Il forme le carrefour qui oriente et autorise la pénétration des territoires montagnards jusque-là inviolés. Dès lors, on est enclin au 281

rapprochement avec le Grand carrefour de la grotte. Le lieu mérite alors son appellation dans cette transposition. À partir des « panneaux indicateurs » dont l’appellation n’est pas non plus totalement usurpée, la décoration prend véritablement corps. Avec à droite rappelons-le, la galerie du Salon Noir, à gauche la galerie de l’Eboulis et dans l’axe de progression vers le fond, la galerie Profonde. La transposition symbolique de segments de l’espace terrestre dans le souterrain à cet endroit conduit à envisager que la galerie du Salon Noir, qui présente brusquement une puissante déclivité, corresponde à la vallée de Vicdessos dont le fond s’élève rapidement en altitude. La vallée de l’Ariège au sortir de Tarascon-sur-Ariège ne présente pas en amont ce caractère. La rupture que l’on recherche entre plaine et montagne a lieu au pied de la Montée au Salon Noir, au Grand Carrefour. Dans cette direction se trouve l’essentiel de l’ornementation figurative du sanctuaire. Il ressort de la version proposée l’implication suivante : les « panneaux indicateurs » ne peuvent se situer qu’au Grand Carrefour et pas ailleurs. Ils introduisent en particulier l’axe de pénétration en altitude des explorateurs paléolithiques dans l’espace réel de la vallée du Vicdessos. C’est vraisemblablement ce passage qui commande la décoration du Salon Noir. Il concrétise l’apogée d’un périple montagnard. Ainsi la galerie ornée ne fonctionne-t-elle pas comme un secteur considéré dès le départ comme secondaire mais bien comme un espace convoité parce qu’il matérialise les données environnementales du paysage extérieur en l’occurrence la brusque prise d’altitude de ceux qui s’aventurent en direction de la haute chaîne. L’intérêt de situer la grotte dans son milieu naturel procède probablement de l’idée d’appartenance à un territoire défini dont il convient d’affirmer l’identité. C’est peut-être l’une des raisons qui motivent sa décoration au Magdalénien. L’ascension vers le Salon Noir est symbolique. Elle retrace, on peut le penser, la venue des premiers occupants des hautes vallées de l’Ariège il y a 13 000 ans. C’est une colline de sable glaciaire assez raide qu’il faut gravir sur plus de 120 m pour parvenir au sommet dans un conduit à la voûte élevée qui va s’élargissant. « La montée au Salon Noir ne laisse pas d’impressionner. La galerie devient très large, jusqu’à 35 mètres et la voûte se perd dans le 282

noir. On foule un sable glaciaire épais de dizaines de mètres dont il semble que l’on ne finira jamais l’escalade. Cette sensation d’immensité étreint toujours le visiteur » écrit Jean Clottes. Henri Breuil commente à son tour : « A droite, une vaste salle encombrée de sables granitiques recouverts de fin limon glaciaire, se développe en une ample galerie montante aboutissant à une terrasse en vaste rotonde, le « Salon Noir », après 160 mètres d’ascension dans les vallonnements de ce sol meuble profondément raviné par l’écoulement des dernières eaux glaciaires. Au-dessus la voûte s’élève à d’inaccessibles hauteurs... ». 400 siècles d’art pariétal. Au bout de son ascension, la curiosité du visiteur est à nouveau mise à l’épreuve. Il se trouve au pied d’une muraille abrupte d’une hauteur considérable. Il fait face à une véritable falaise dont le sommet se perd dans l’obscurité. Il est impossible pour lui de juger de son élévation. On sait aujourd’hui qu’elle approche 100 mètres. L’obstacle ne permet plus aucune progression. Au pied du monument dépourvu de concrétions et creusé de concavités au ras du sol, prend place le dispositif graphique, presque modestement au regard de l’immensité environnante. Le Salon Noir a schématiquement la forme d’une rotonde recouvrant une aire de 20 mètres sur 20 mètres, elle forme la terrasse sommitale de la dune de sable glaciaire mentionnée par Henri Breuil dans son commentaire. Dans ce décor naturel, les Magdaléniens impriment leurs dessins au charbon de bois et au noir de manganèse sur les surfaces les plus accessibles, à la base de la paroi. Le comptage des animaux du Salon Noir est celui de Denis Vialou toujours très précis : « A lui seul, le Salon noir (et ses abords) recueillit 81,3 % des animaux dessinés dans Niaux (107 dénombrés) et à peine 37 % des 330 signes inventoriés, ce qui représente cependant la concentration la plus forte de cette catégorie de représentations ». L’art des cavernes. Ce recensement inclut les dessins qui subsistent au sol. D’après Jean Clottes, sur les parois de la rotonde « 70 animaux en tout se répartissent entre 39 bisons, 19 chevaux, 8 bouquetins, 2 cerfs, 2 indéterminés ». Les cavernes de Niaux.

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Le bison arrive donc largement en tête dans le Salon Noir sur un peu plus de la cinquantaine représentée dans toute la grotte. Dans le bestiaire, l’animal tient le rôle d’acteur principal. Le visiteur moderne qui suit toujours la paroi droite pour s’orienter, parvient en haut de la dune de sable de ce côté de la salle. C’est naturellement le sens de lecture des panneaux retenu par Jean clottes qu’il numérote de 1 à 6 dans son étude, c’est-à-dire de la droite vers la gauche. S’il existe effectivement un sens de lecture des différentes compositions, c’est-à-dire une continuité entre elles, peut-être de nature narrative, il n’est pas certain que les Magdaléniens aient adopté le même ordonnancement. Il y a deux raisons à cela. D’abord les panneaux 1 et 2 sont plutôt minimalistes en ce sens où les figurations sont moins nombreuses ; ils inspirent l’idée d’une fin ou d’une sortie. En revanche, à l’autre bout de la frise, le panneau 6 montre un étagement vertical de plusieurs animaux. C’est en concordance avec l’ambiance générale des lieux. D’autre part, il nous semble assez probable que la Montée au Salon Noir ne pose aucun problème d’orientation aux artistes paléolithiques, ils connaissent tous les recoins de lieux « hautement symboliques ». Où que l’on se tourne, tout l’espace souterrain accessible porte la marque du passage des Paléolithiques, une ponctuation isolée sur un pan de paroi suffit à s’en persuader. À l’entrée de la salle, le panneau 1 comporte un claviforme rouge peint à l’hématite. Sa morphologie le rapporte à ceux des « panneaux indicateurs » du Grand Carrefour. Il est intéressant de noter qu’il est peint sur la bosse d’un bison. Deux autres dans la même conformation en association avec des ponctuations rouges sont figurés à l’extrême gauche au-delà du panneau 6. « À 16 mètres de là, toujours sur le côté gauche du Salon Noir, une haute fissure se perd vers la voûte. À l’entrée de cette étroiture deux claviformes rouges droits sont superposés avec un léger décalage. Entre les deux une double colonne de 26 points rouges... Le plus haut est à 1,90 m du sommet d’un gros bloc ancien pris dans le sol, qui a servi de marchepied ». Les cavernes de Niaux. Selon l’auteur, la disposition du motif fait fonction d’encadrement du sanctuaire. Pour notre part il qualifie le milieu d’altitude au sein duquel évoluent les bisons du Salon Noir.

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Éric Robert conduit, entre autres motifs, une étude sur le claviforme à Niaux dont la publication figure en septembre 2010 dans les Actes du congrès IFRAO Tarascon-sur-Ariège : « Ils se trouvent disposés en effet en des espaces « stratégiques » c’est-à-dire déterminants au sein du parcours pariétal souterrain : fin de la galerie d’entrée, départ de la galerie Profonde, fin de la galerie du Grand dôme, aux deux extrémités des panneaux de la rotonde du Salon Noir ». Signes, parois, espaces. Modalités d’expression dans le Paléolithique supérieur ouest européen. La fin de la galerie d’entrée et le départ de la galerie Profonde constituent les limites topographiques du Grand Carrefour tandis que la galerie du Grand Dôme est le théâtre de la seconde plus grande déclivité du souterrain formée par un gigantesque éboulis d’énormes blocs. Ils s’empilent les uns sur les autres jusqu’à une hauteur impressionnante. Les claviformes de Niaux au nombre de 18, hormis 2 ou 3 spécimens à mi-chemin du couloir d’entrée, se trouvent en effet dans les espaces stratégiques de la caverne, c’est-à-dire dans les parages ou à proximité immédiate de ses deux points les plus hauts. Leur présence et leur distribution dans la galerie d’entrée, topographiquement peu discriminante sur ce plan, sont la marque d’un cheminement vers les hauteurs. L’intérêt que l’on porte à la topographie des galeries souterraines, parce qu’elle renseigne sur la possible correspondance avec certains segments géographiques de l’espace extérieur, conduit à s’interroger sur la fonction symbolique de la muraille qui se dresse dans le Salon Noir. Elle concentre et immobilise à sa base le cœur du dispositif pariétal de Niaux. On remarque aussi l’attitude figée de certains des animaux dessinés sur la paroi comme la position insolite de quelques-uns d’entre eux : position renversée, oblique ascendante, verticale descendante... « Les attitudes les plus fréquentes des bisons de Niaux sont statiques, avec sept animaux à l’écoute, trois sur la défensive et trois immobiles... Il s’y ajoute les cinq morts sur le flanc... ». Les cavernes de Niaux. On ignore pour cette période l’existence d’expéditions d’altitude dépassant 1000 mètres dans la région. Mais on peut imaginer que les Paléolithiques poussent leurs explorations jusqu’aux sommets arrondis qui ceinturent la vallée de Vicdessos, c’est-à-dire vers 1200 mètres. C’est une tentation légitime d’aller voir de l’autre côté d’un horizon limité qui n’offre 285

pas de perspective plus profonde. Or, ils savent qu’elle existe, elle se dévoile depuis le piémont. Au-delà c’est le domaine de la haute montagne, où les reliefs se dressent à la verticale, ceints par la marge glaciaire encore épaisse de plusieurs centaines de mètres au Magdalénien. Le thème de l’altitude, est naturellement un vrai sujet pour les artistes paléolithiques évoluant en milieu montagnard. Il peut se deviner dans la mise en place de la décoration du Salon Noir : « Contrairement à ceux de Lascaux ou de la grotte Cosquer, les artistes de Niaux n’ont pas cherché à dessiner très en hauteur en se servant d’échelles ou d’échafaudages. Lorsque la limite haute de leur champ manuel était atteinte, ils arrêtaient là leurs efforts, fût-ce en laissant un animal inachevé... ». Les cavernes de Niaux. Sur ce point, la notation de Henri Breuil est également intéressante : « À plusieurs reprises et principalement pour les figures haut placées, l’artiste a peint seulement les parties inférieures de certains Bisons, les disposant pour compléter des lignes rocheuses naturelles suggérant la silhouette dorsale ». 400 siècles d’art pariétal. Mis à part les panneaux 1 et 2 précédemment évoqués, les quatre autres présentent en effet, pour les figurations les plus haut placées, des animaux inachevés : - panneau 3 : patte de bison sans corps et esquisse de cheval sans tête, - panneau 4 : (panneau central) bison réduit à la ligne de ventre et aux pattes, - panneau 5 : bison limité à l’arrière-train (à son sujet il est évoqué un possible effacement par ruissellement des eaux sur la paroi), panneau 6 : bison sans tête que Jean Clottes explique par une destruction naturelle. André Leroi-Gourhan et Denis Vialou ne sont pas du même avis sur ce point. Pour ce dernier, il s’agit d’un cas avéré d’acéphalie, c’est-àdire de l’absence volontaire de la représentation de la tête. Il est vrai que d’autres animaux sont incomplets dans le Salon Noir, particulièrement dans le cul-de-four, ce creux qui perce la muraille au ras du sol, large de 5 mètres et profond de 3 mètres. On y pénètre presque en rampant tant il est bas de plafond. L’endroit est abondamment décoré. Par vocation, il n’impacte pas visuellement la décoration d’ensemble du Salon Noir. L’inachèvement des animaux aux points hauts des panneaux n’a apparemment pas d’explication rationnelle. On voit mal l’intérêt de commencer un dessin sachant qu’il restera incomplet. L’explication mise sur le compte d’une impossibilité d’exécution devient alors absurde. Il est possible en revanche, car nul doute que le procédé soit volontaire, que 286

l’artiste se fixe une hauteur à ne pas dépasser sur la paroi, cette limite extrême provoquant la disparition partielle des corps des animaux qui y sont engagés. Replacés dans le contexte interprétatif considéré, les bisons sont à cette altitude où les brouillards enveloppent fréquemment les cimes et les font disparaître aux regards. C’est un phénomène météorologique typiquement montagnard, parfois surprenant par sa soudaineté lorsqu’il dévale sur les versants comme c’est le cas des brouillards de pente. Il est certain que les Paléolithiques des hautes vallées de l’Ariège sont confrontés à ces manifestations et en éprouvent les dangers. Cette fois la disparition des corps, leur inachèvement n’est pas dû comme à Cougnac ou Puy Jarrige à l’entrée dans l’obscurité des cavernes mais à des phénomènes d’altitude. Haut perché au-dessus de la vallée, l’horizon qui s’offre à la contemplation de l’explorateur paléolithique, lorsque la visibilité le permet, est celui d’une muraille rocheuse infranchissable, doublée à sa base par la marge glaciaire. C’est la situation des bisons dans le Salon Noir, au pied de la falaise calcaire qui n’autorise aucun espoir de pénétrer plus avant la barrière rocheuse. À Niaux, il y a dans la reproduction graphique qui met en scène le bison son placement dans un cadre montagnard. Il suscite des séquences interprétatives qui sonnent « vraies », non par la certitude de tomber juste, mais parce qu’elles sont héritées d’épreuves que rencontrent inévitablement les populations humaines venues coloniser les hauteurs du massif pyrénéen au temps de la dernière glaciation. Pour Alain Testart, l’art pariétal paléolithique ne rend pas compte de l’histoire des hommes, des relations à leur milieu naturel, aux animaux en particulier, en postulant à la base de son raisonnement qu’il traduit une vision du monde. Il en déduit l’implication suivante : « Or il est impossible qu’une vision du monde ne parle pas de l’homme », « Cet art en représentant les animaux parle des hommes, comme le font, par exemple, les fables de La Fontaine. L’animal est une métaphore pour l’homme ». Art et religion de Chauvet à Lascaux. Le sol meuble de la Montée au Salon Noir mentionné par Henri Breuil, conforte cette idée d’un milieu où les pas s’enfoncent dans un sol mouvant pouvant se comparer à la couche de neige recouvrant le relief. Le panneau 4 au centre de la frise est le plus remarquable de la rotonde et le plus complexe (illustration 123). 287

La composition mesure 4 mètres de long, elle occupe une surface rocheuse qui n’est pas plane. En vérité elle se partage entre un fronton dans la partie supérieure et une concavité où est dessiné un grand cheval et avec lui certains de ses congénères plus petits. L’œuvre est donc étagée suivant deux niveaux qu’il faut peut-être aborder séparément. L’illustration 125 donne un meilleur aperçu de la conformation des animaux sur la paroi. « Immédiatement au-dessus du bouquetin, un grand bison (1,46 m) tourné à droite fait face à l’autre grand bison du panneau... La patte avant, unique, s’interrompt avant de toucher le bouquetin. Comme l’on dit les précédents auteurs, on constate là un souci assez rare d’éviter une superposition. Cela prouve aussi que le bouquetin a été fait avant le bison ». Les cavernes de Niaux. On comprend la précaution de Jean Clottes qui mentionne le souci assez rare de l’épargne du bouquetin situé plus bas que le boviné, parce que, tout à côté, les figurations s’entremêlent et se chevauchent. Dans un tel contexte, l’explication laisse dubitatif comme la proposition qui en découle, c’est-à-dire l’apparition du bouquetin sur le mur avant le bison. Par ailleurs, la patte inachevée en question, marquée d’un point rouge à la naissance, peut même connaître un certain prolongement avant d’atteindre le bouquetin dans le scénario du préhistorien. Il faut nous replacer dans la perspective envisagée jusque-là où les bisons sont soumis à certains aléas dus à leur situation en altitude.

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Illustration 124 : Dessin d’après l’illustration de Jean Clottes. Panneau 4 du Salon noir. Les chevaux occupent le registre inférieur du tableau, le plus grand mesure 1,50 mètre de long. On remarque le bison inachevé au sommet de l’ensemble.

Illustration 125 : Photographie du fac-similé du panneau 4 où le modelé du relief introduit nettement la partition en deux de l’ensemble représenté. On mesure très bien la possibilité pour l’artiste de prolonger le tracé de l’unique patte avant du grand bison situé à gauche avant qu’elle ne touche le bouquetin situé dessous dont la corne est rectifiée.

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À ces observations préliminaires il convient d’ajouter que les quatre panneaux principaux, 3, 4, 5 et 6 présentent des constructions assez similaires. D’une manière ou d’une autre, les animaux y figurent étagés. C’est le cas des trois premiers au travers de la mise à profit par l’artiste des décrochements de la paroi et de ses alvéoles situées à la base du mur. Sur le 6, les animaux sont nettement rangés dans la dimension verticale. C’est aussi la dimension qui caractérise le milieu montagnard. Il y a dans la rotonde comme une unité de lieu, en limite des nues d’altitude. La destruction des impressions au sol nuit gravement à une interprétation d’ensemble du dispositif graphique du Salon Noir. Il n’en subsiste qu’une quinzaine d’unités, principalement des bisons et des chevaux. L’attention portée à la patte inachevée du grand bison n’est pas seulement relative à un détail de construction. Le procédé semble pouvoir se comparer à celui des animaux inachevés du registre supérieur des panneaux. Il est volontaire et certainement hautement significatif dans la mesure où il concerne l’un des deux principaux acteurs de la composition. Pour être comparable, car il correspond à des segments corporels non représentés, sa nature n’en est pas moins différente. Le profil de la bête est complet de la tête à la queue. Seule son unique patte avant est tronquée. Sur le dessin de Jean Clottes, son assiette est légèrement inclinée vers l’avant, c’est une possible conséquence de son amputation. Le bison qui fait face, bien campé sur ses quatre pattes suit alors la référence horizontale. Sous d’autres angles de vue, l’herbivore amputé est à l’horizontale et le sujet qui lui fait face s’incline vers l’avant. Nous nous rangeons au dessin de Jean Clottes parce qu’il est plus logique de considérer l’animal doté de ses quatre pattes adopter une assiette horizontale. La précision mérite d’être apportée dans une composition très resserrée d’animaux qui ne leur offre que très peu d’espace de débattement. Ce que ne montre pas en revanche le dessin du préhistorien c’est qu’une fissure de la paroi, très repérable à l’extrême gauche, casse le dessin de la patte arrière du bison déjà amputé de son train avant. L’artiste paléolithique est dans la concision quand il réalise la figure. Il ne donne aucune possibilité de déplacement au grand bison, il l’immobilise sur le pan de paroi. On peut en imaginer la raison. Sous le poids de son corps plutôt massif, l’animal s’enlise par l’avant dans le sol meuble, par exemple 290

la couche de neige sur laquelle il est engagé. C’est l’explication à la disparition d’une partie de sa patte avant et à la cassure de sa patte arrière sur laquelle il ne peut plus compter pour se dégager. Condamné à l’immobilité, dans une situation certainement dramatique en altitude, sous la menace des brouillards, il fait face à ses congénères. On sait qu’il est haut perché. Sous lui, le dessin d’un bison descendant la paroi le montre : « Tel qu’il est, ce bison semble descendre un escarpement ». Les cavernes de Niaux. La présence du beau bouquetin situé dessous, inféodé au milieu, va dans le même sens. Il jouxte un vide, non loin de la limite du décrochement de la paroi. L’autre vide, c’est l’espace qui sépare l’infortuné de ses congénères regroupés à droite de la composition. À leur tête figure le second personnage central de la composition. Comme figé dans sa posture, il n’est pas beaucoup plus dynamique que son vis-à-vis. Il y a pourtant une différence. Il est sur ses quatre pattes et il porte sur le flanc deux motifs angulaires. « Ce bison est l’un des plus grands (118 cm) et des plus beaux de Niaux, il est tourné à gauche face au plus grand bison du Salon Noir... Il s’agit d’un mâle adulte pas très âgé, massif, au corps court, en position statique. Sous la crinière un long trait courbe presque effacé, qui va de l’oreille à la bosse, bien visible aux ultraviolets est probablement un premier essai malheureux abandonné ». Les cavernes de Niaux. (Illustration 125).

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Illustration 126 : Dessin d’après l’illustration de Jean Clottes. Partie centrale du panneau 4, dépouillé à droite des superpositions d’animaux permettant la mise en évidence du long trait courbe qui court sous la crinière du bison de droite et déborde au centre.

Le soin minutieux du détail et la recherche de précision et de finesse qui caractérise l’œuvre à cet endroit n’autorisent pas à envisager l’éventualité d’un essai malheureux comme le propose le préhistorien. Le trait courbe en question est dans l’alignement de la bosse du seul bison tourné à droite de ce côté, réduit au contour supérieur du corps. Il peut très bien le compléter pour former la partie arrière jusqu’à la queue mais le tracé est nettement interrompu, ce segment graphique est donc isolé. Une combinaison graphique très approchante peut s’observer sur le panneau 6 à l’autre bout de la salle. Elle se rattache également à un bison où un long tracé courbe noyé dans la crinière de l’animal se déroule devant lui : « immédiatement au-dessous du bouquetin, une encolure de cheval (57 cm) tourné à droite, très simple... Beltran pensait que cette encolure pourrait être celle d’un bison, mais dans ce cas encore, l’hypothèse de Leroi-Gourhan (cheval) nous paraît préférable ». Les cavernes de Niaux. À dire vrai, il n’y a pas grande différence entre les deux, ils ont aussi en commun de ne pas passer inaperçus. Il est risqué de tenter une identification sur une base graphique aussi fragile. Denis Vialou le donne à penser dans l’observation suivante : « Comme les 292

bisons, les chevaux sont le plus souvent dessinés en entier que partiellement (18 pour 9). Lorsque le dessin est partiel, c’est toujours la tête seule et la tête avec l’encolure qui sont représentées ». L’art des grottes en Ariège magdalénienne. On reste donc très réservé sur l’attribution à un cheval du tracé courbe du panneau 6. Dans le même ordre d’idée, des études récentes sur des restes de bisons de 15 000 ans montrent qu’ils appartiennent à l’espèce Bison priscus, autrement dit au bison des steppes. L’animal présente un dimorphisme sexuel accentué, les mâles sont plus grands et plus lourds que les femelles, ils portent une encornure plus importante. Sur la paroi, des deux grands bisons qui se font face, Jean clottes donne celui de gauche pour une femelle et celui de droite pour un mâle. À propos du premier il écrit : « Ce dernier est une femelle adulte âgée, à l’écoute. Avec le bison 72, il peut s’agir d’une scène de rencontre entre mâle et femelle ». Les grottes de Niaux. Selon le préhistorien le second, le numéro 72 « est un mâle adulte mais pas très âgé ». En l’absence de représentation d’un caractère sexuel primaire sur les deux images, l’attribution d’un genre reste hasardeuse, elle va même à l’encontre du dimorphisme sexuel qui existe chez le bison des steppes. Des deux dessins, celui de gauche est incontestablement plus grand et plus massif que son congénère. Sur ce plan, il est préférable d’en rester à l’idée de bisons qui se font face avec la proposition suivant laquelle celui de gauche se trouve dans une situation délicate, sinon en perdition. Le tracé courbe qui flotte entre les deux, s’il n’est pas le résultat d’un essai malheureux comme on peut le penser, a naturellement, au beau milieu de la scène, une fonction centrale. Compte tenu du contexte dramatique qui se joue à gauche, le tracé est un lien, une corde, une ligne de vie censée extraire le grand bison de son mauvais pas mais qui s’est rompue tant la charge à traîner est lourde. À l’origine elle est vraisemblablement reliée au dessin du seul bison orienté à droite du volet droit de la composition en charge de haler son infortuné congénère. Le segment qui flotte au centre correspond donc à la queue du sauveteur, mais détachée de son corps sous l’effet de la traction qu’il exerce. Sa tête est maintenue en place parce qu’elle croise sur le dessin celle qui appartient au bison situé le plus à droite. Quatre flèches marquent le flanc de ce dernier. L’animal prend clairement appui sur dos d’un cheval. On est fondé à croire à la rupture d’un appendice caudal au centre parce que le sujet en question en présente clairement le symptôme. 293

En effet sa queue recoupe un long tracé noir qui suggère son sectionnement. Il est certes non directement lié au centre de la composition mais il en est partie prenante. Face au grand bison, son vis-à-vis immédiat, solidement campé sur ses pattes, est voué à ajuster le lancer de corde. C’est la raison de son apparente immobilité. Tous les détails de l’œil grand ouvert sont présents. On ne retrouve pas ailleurs sur les dessins du Salon Noir pareille précision de l’organe de la vue. C’est la formule qui explique l’intrication des bovinés à droite. Ils concourent à la même mission, sauver le grand bison en perdition. Impliqués à des degrés divers dans cette entreprise, il va sans dire que la tentative de sauvetage par les trois herbivores est un échec. Elle scelle le sort du grand bison désormais condamné sur son promontoire d’altitude. Est-il possible que le bison isolé en hauteur de la grotte des Trois-Frères sous le « Dieu cornu » soit une version du même mythe ? En partie inférieure, l’espace de débattement des animaux s’élargit. Il suscite l’image d’un grand cheval entouré d’animaux plus petits, presque minuscules pour certains en rapport. L’animal qui mesure près de 1,50 m de long, orienté à droite, préfigure son futur statut d’acteur principal sur le panneau 3. Sans pouvoir aller au détail des autres panneaux de la rotonde, on peut soupçonner des liens entre eux. Le tracé courbe que l’on traduit par un lien sur le panneau 4 est déjà présent sur le 6 que nous considérons comme le début de la frise, ce qui revient à penser que des recherches précèdent la tentative de sauvetage proprement dite. Plusieurs bisons flairent ici des pistes, furètent dans les trous de la muraille comme le cul-de-four, parfois possiblement guidés par les bouquetins maîtres du terrain montagnard. Le cheval les accompagne, le plus souvent en retrait. La liaison du panneau 4 avec le panneau 3 qui fait suite est a priori obscure. Le panneau 3 consacre en effet l’apparition du cerf. Sa soudaine mise en scène en bout de frise est-elle le pendant à la disparition du grand bison sur le panneau 4 ? La suggestion d’une tête de cerf vue de face au fond du cul-de-four est-elle l’indice prémonitoire de cette fin du boviné ? Une histoire qui au fond ne tient qu’à un fil ou à une corde dans l’interprétation. Sur le panneau 3, à peine 1,50 m plus loin, il se trouve justement qu’un tracé forme lien entre le cervidé et un cheval, un lien tendu qui paraît cette fois fonctionnel contrairement à celui du panneau 4. Le tracé, long de 41 cm 294

et bien visible à l’ultraviolet selon Jean Clottes, semble sous le contrôle du coursier qui est figuré la tête et l’encolure tendues vers l’avant. Sa jambe avant en extension se termine en pointe pour mieux s’ancrer sur son support (illustration 126). Comme précédemment, l’interprétation s’oriente vers une nouvelle tentative de sauvetage. En effet, le cerf fait face à une haute et large faille verticale de la paroi à l’endroit où elle tourne vers l’intérieur de la muraille. L’accident rocheux forme la limite du panneau. Dans sa transposition terrestre c’est une crevasse synonyme de danger et l’animal situé tout près encourt le risque de la chute. Il apparaît assez clairement dans ce dispositif la prise en main des opérations par les chevaux qui se pressent autour du cervidé afin de lui éviter la culbute fatale. « Ce cerf long de 71 cm et haut de 82 cm, tourné à droite, a le naseau contact d’une fissure, en fonction de laquelle il a été cadré, l’artiste commençant son dessin par la tête ». Les cavernes de Niaux.

Illustration 127 : Dessin d’après l’illustration de Jean Clottes. Panneau 3 du Salon Noir. Une ligne de vie relie le cheval au corps tendu vers l’avant et le cerf qui se tient au bord de la faille sur la surface concave et ondulée du mur. Tous les chevaux concourent à l’extraire de la mauvaise passe où il est engagé. Au-dessus les bisons perchés sont dans l’expectative. À gauche grand cheval du panneau 4. Deux tracés noirs marquent sa similitude avec la tête accolée à l’arrière-train du cerf.

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Tandis qu’il est maintenu par l’encolure par le cheval du haut, un deuxième coursier réduit à la tête et l’encolure accolées à son arrière-train, le tire vers l’arrière vraisemblablement pour faire jonction avec celui qui lui fait face. « Une tête de cheval tournée à gauche, longue de 39 cm, parfaitement naturaliste, et très expressive avec son naseau, l’œil triangulaire, les deux oreilles, la barbe et le départ du poitrail, est, diraiton accrochée à l’arrière-train du cerf ». Les cavernes de Niaux. Cette curiosité graphique s’explique par la quasi-absence de queue chez le cerf. Sur le dessin elle est d’ailleurs rabattue. Les chevaux ne disposent d’aucune prise sur l’arrière-train pour tirer l’animal vers l’arrière. La scène se déroule sous les deux bisons postés plus haut, posant dans une attitude plutôt attentiste. Leur échec sur le panneau 4 n’est pas étranger à cette réserve. Mais le bison et le cheval interviennent dans des domaines d’altitude différents, et la comparaison de la qualité, du succès ou non de leurs actions n’est pas significatif. Leur mode opératoire est certainement complémentaire et non concurrent. Les deux espèces se partagent des territoires différents excepté peut-être dans le cul-de-Four où le bison accompagné du coursier domine encore. C’est le lieu d’une première apparition fugace du cerf au fond du boyau. Le fléchage de certains animaux est récurrent dans la grotte, particulièrement sur le panneau central. Ce sont des motifs angulaires dotés ou non d’un axe plus ou moins long. Nous en avons précédemment croisé un spécimen dans la grotte des Trois-Frères. Ils ont probablement tous la même signification en Ariège avec des nuances suivant leur conformation. Ces tracés, s’il s’agit de projectiles, ne concernent pas tous les animaux : « On constate que les bovinés, bisons et aurochs, portent majoritairement des signes angulaires ou barbelés, alors que ce n’est jamais le cas des bouquetins et que les chevaux sont ambivalents ». Les cavernes de Niaux. Le paradoxe est que dans la vallée de Vicdessos, les Magdaléniens consomment surtout du bouquetin. Sensiblement à la même époque de la décoration de Niaux, les bisons et les chevaux majoritaires dans l’iconographie de la grotte ne s’inscrivent pas à leur tableau de chasse. L’argument est suffisant pour écarter l’hypothèse de projectiles perforants. Au passage, il est intéressant de noter que le bouquetin exempt de fléchage est aussi celui le plus apte à se déplacer en milieu escarpé. 296

D’autres observations font également penser qu’il ne peut s’agir de marques de blessures, ainsi celles d’Alain Testart : « Dernière remarque, qui vaut également pour les bisons de Niaux : ces flèches ou ces traits sont tous verticaux généralement la pointe en haut par rapport à l’animal qu’ils sont censés transpercer. Comment comprendre une telle orientation ? Une représentation un tantinet réaliste d’animaux percés de flèches figurerait des flèches aux orientations différentes, atteignant des parties différentes de l’animal (et pas seulement la panse)... ». Art et religion de Chauvet à Lascaux. La forme du marquage angulaire, pointe orientée vers le haut, dotée ou non d’un axe plus ou moins long, renseigne sur la trajectoire de sujets évoluant en milieu montagnard c’est-à-dire vers les hauteurs. Sur les animaux, ces motifs précisent certaines de leurs animations d’ampleurs variables pouvant être enchaînées, lesquelles s’achèvent invariablement sur la partie angulaire qui signifie butée. Ils valent lignes de forces relatives aux mouvements des acteurs sur la paroi. Ils figurent lorsque le sujet accomplit un ou des mouvements nécessitant certaines précisions que le dessin seul n’est pas en mesure de traduire. À titre d’exemple les deux bisons fléchés du panneau 4 présentent des animations différentes. Sur le flanc du premier, les deux motifs angulaires signalent que le sujet opère deux mouvements. Celui doté d’un axe court correspond à un premier déplacement court suivi d’une immobilisation. Le second motif sans axe laisse entendre une immobilisation simple. Il faut donc imaginer l’animal se mouvoir dans un périmètre très réduit sur son support. Le second bison plus en retrait marqué de 4 flèches connaît des débattements plus complexes et plus dynamiques. Mais il est attelé à une autre mission, il relaie dans l’effort le congénère qu’il croise. L’absence de marquage fléché sur le grand bison en situation de péril montre en rapport qu’il est dans l’incapacité de se déplacer compte tenu évidemment de son enlisement à l’avant et de sa patte cassée à l’arrière. Ce n’est pas le cas des autres sujets épargnés par le motif angulaire. Ils s’interprètent dans la configuration où ils se trouvent. On connaît dans la galerie de l’Eboulis une autre forme d’utilisation du motif angulaire. Il est associé à un aurochs gravé sur le sol (illustration 127).

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Illustration 128 : Dessin d’après l’illustration de Jean Clottes. Aurochs gravé sur le sol de la galerie de l’Eboulis. Le motif angulaire est extérieur à l’animal, il contrarie visiblement sa progression dans le milieu dans lequel il évolue. Il provoque le rabattement vers l’arrière de ses pattes avant et le fait trébucher.

Il convient d’avoir à l’esprit que la galerie de l’Eboulis constitue un milieu de circulation pas si facile surtout dans sa partie terminale. Sur une autre gravure au sol, la galerie Profonde offre un nouvel exemple d’utilisation particulière du motif angulaire. Le bison aux cupules est célèbre, il doit son nom à sa technique d’exécution : « Près de la paroi droite, à 145 m du diverticule aux empreintes, sous une avancée de la roche qui l’a protégé, a été gravé sur le sol un grand bison (57 cm) entier et tourné vers la droite. On l’appelle le « bison aux cupules » en raison de sa technique d’exécution. L’artiste est parti d’une petite cupule, creusée anciennement par une gouttelette tombée de la voûte pour dessiner l’œil... Trois cupules identiques... ». Les cavernes de Niaux.

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Illustration 129 : Photographie Jean Clottes. Bison aux cupules de la galerie Profonde. Grotte de Niaux.

Autour des impacts des gouttelettes d’eau (illustration 128), le dessinateur paléolithique forme des signes angulaires bien destinés, semble-t-il, à figurer leur pénétration symbolique dans le corps de l’herbivore. En effet trois d’entre eux sont pareillement orientés vers ces percées dans le sol. C’est le seul exemple relativement clair dans la caverne qui entretient l’idée suivant laquelle le motif angulaire est associé à un impact sur le corps d’un animal. Élargissons l’étude du motif angulaire à la grotte de Lascaux qui en comporte un certain nombre. Dans la grotte le fléchage du corps de certains animaux répond à une autre convention sans que la signification du procédé soit fondamentalement différente des sites ariégeois. Le motif ne fonctionne toujours pas comme une arme mais comme un aiguillon qui s’y apparente. Il est destiné à doper l’animation du sujet représenté. Il peut être indifféremment intérieur ou extérieur à ses contours. Dans la réalité c’est le premier effet sur le gibier du lancer d’un projectile. Les armes de jet du chasseur paléolithique quand elles atteignent leur cible, provoquent rarement la mort foudroyante. Au contraire, l’animal blessé ou frôlé par la sagaie détale brusquement. Le meilleur exemple d’animation sous l’effet du motif se trouve sur le panneau de l’Empreinte où un cheval peint porte sur le flanc 7 flèches gravées parfaitement alignées à la 299

verticale. L’animal présente cette singularité de posséder 5 têtes juxtaposées et plusieurs crinières comme s’il hochait de la tête. Parce qu’il est exceptionnel, même à Lascaux, d’observer le groupement d’autant de flèches sur le même sujet doté par ailleurs de 5 têtes, phénomène lui aussi unique dans la grotte, on est autorisé à la relation des motifs angulaires avec l’animation du coursier (illustration 129). En tout cas, il ne paraît pas souffrir de ses « blessures ».

Illustration 130 : Dessin d’après le relevé d’André Glory. Cheval aux 7 flèches, panneau de l’Empreinte. Grotte de Lascaux. Longueur 1 mètre.

La série de flèches figurée à l’identique indique alors la répétition du même mouvement de la tête qui n’est pas un simple hochement. L’animal est dans l’effort en témoigne le fléchage très apparent qui balafre son flanc et la peinture qui le recouvre. Il est vraisemblablement lié dans sa gestuelle avec celle des coursiers qui l’entourent. À leur propos Brigitte et Gilles Delluc écrivent : « Au nombre de 5 (et 2 incomplets), ils forment une frise de 3 m environ... Ces animaux sont animés... Des signes brochent le tout : 4 signes rectangulaires cloisonnés, un signe emboîté fait de chevrons et des signes barbelés, notamment 7 flèches... ». Dictionnaire de Lascaux. L’art de Lascaux résonne de tous les mouvements de la faune représentée, même les plus invraisemblables, notamment en partie par le truchement des motifs géométriques angulaires.

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Le bison du panneau de l’Empreinte s’inscrit dans le même registre figuratif que le cheval aux 7 flèches situé tout près (Illustration 130). « Situé dans une conque au début de la Nef, ce grand bison noir et rouge, aux contours gravés, est complexe et très long (L = 1,50 m environ). Il est particulièrement détaillé, œil, naseau, bouche... L’épaule et le dos sont rouges comme la plaque de mue d’un des bisons croupe à croupe ou même de la vache qui saute... Son flanc est marqué par 7 traits : 4 de ces traits sont barbelés, mais la barbelure est située curieusement en dehors des contours de l’animal ». Dictionnaire de Lascaux. Dans le même commentaire les deux préhistoriens relèvent un détail significatif sur l’image du boviné, en l’espèce « l’escamotage de sa bosse ». Le panneau de l’Empreinte mesure plus de 4 mètres de long. Il est situé à gauche en entrant dans la Nef. La composition se loge dans une large concavité de la paroi, où sont confinés 9 chevaux et 3 bisons. L’endroit est stratégique. Il est à l’ouverture de l’arrière-grotte au sortir du Passage, une galerie basse où on avance à quatre pattes, et qui communique avec la salle des Taureaux.

Illustration 131 : Dessin d’après le relevé d’André Glory. Bison de l’Empreinte. Il est porteur de 7 crochets, pointes orientées vers l’extérieur. Trois d’entre eux sont émoussés. Deux esquisses tête bêche surchargent la partie avant de l’animal. Longueur 1,50 mètre.

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La présence des motifs en forme de crochets sur le flanc de l’animal débordant de ses contours matérialise le frottement, le raclage de son corps contre les aspérités de la surface rocheuse afin de se débarrasser de son épaisse toison en période de mue au printemps. La pression exercée par la bête explique l’aplatissement de sa bosse signalée par Brigitte et Gilles Delluc, et la couleur rouge de son cuir sur l’épaule et le dos. La superposition de deux autres profils tête bêche traduit le mouvement de va-et-vient de l’animal au long du mur : une séance de grattage complet en quelque sorte. La scène est observable dans la nature lorsque le bison pour se débarrasser de sa laine d’hiver se roule au sol ou se frotte contre les troncs d’arbres. Sur le dessin le sens des crochets et leur inclinaison vont dans le sens de la traduction. Certains d’entre eux sont même émoussés par le raclage répété sur le mur. Il n’est donc pas si curieux de voir le motif et son crochet déborder des contours de l’animal comme l’écrivent Brigitte et Gilles Delluc. Il saute aux yeux de tout observateur que ces gravures volontairement postérieures à la mise en peinture du dessin griffent et scarifient la silhouette du bison. Il n’est nul besoin d’un biais de confirmation, c’est vérifiable jusque sur les premières photographies de la grotte en 1940. À l’autre bout de la Nef, la scène se répète sur le diptyque des Bisons croisés (illustration 131). La composition abordée dans nos ouvrages précédents montre deux bisons de sexe mâle peints dans un dièdre rocheux de la paroi. « Situés sur la paroi du dernier élargissement de la Nef, ils sont peints, à hauteur d’homme, dans une niche à la surface plus régulière et plus claire que le reste de la paroi... La bosse du bison de gauche suit la limite du rocher et s’en trouve aplatie... Le pelage du bison de gauche, noir, est interrompu par la mue printanière comme sur le Bison de l’Empreinte... » Dictionnaire de Lascaux. Les deux bisons sont généralement interprétés comme s’adonnant à des manœuvres d’intimidations entre deux mâles en période des amours. Mais ce qui intéresse directement notre sujet est la conformation du bison de gauche sur la paroi où sa silhouette apparaît contrainte par la limite supérieure du support rocheux, responsable à l’évidence de la disparition de sa bosse dorsale. Ce n’est pas le cas à droite où son partenaire doté d’une bosse bien en place, n’est pas cadré sur son support. Il est même dans le 302

jaillissement. Le bison de gauche se prête à nouveau à une interprétation éthologique relative au comportement de l’animal dans la nature, autrement dit à une séance de grattage de sa toison contre le mur sur lequel il exerce une forte pression. Il est porteur, comme son congénère de l’Empreinte, de légers tracés gravés sur le flanc qui n’apparaissent que sur les vues rapprochées. C’est encore l’explication à la déformation de sa bosse. On peut même aller jusqu’à dire, parce qu’il écrase l’arrière-train du bison de droite contre la paroi, qu’il précipite l’éviction du bison de droite du dièdre rocheux.

Illustration 132 : Dessin. Bisons croisés de la Nef, longueur 2,40 m. L’aplatissement de la bosse dorsale du sujet de gauche, s’explique par la pression qu’exerce l’animal sur son support. Elle a pour conséquence de provoquer sa mue. De fins tracés gravés sont présents sur le sujet de gauche.

Sur les deux panneaux de la Nef, la représentation du phénomène de la mue chez le bison montre des procédés graphiques sensiblement équivalents pour en rendre compte. Dans le Diverticule axial de Lascaux les chevaux chinois sont à la course sous l’effet de « flèches » qui volent autour. Elles peuvent connaître comme on peut le voir des destinations différentes mais restent liées à un même concept, celui du mouvement, de l’animation qu’il convient de paramétrer suivant certaines spécificités relatives à la grotte elle-même et à son cadre environnemental. Cette 303

variabilité relative du motif n’engage pas à l’optimisme sur les théories généralistes relatives à ce type de signe, il s’en dégage au mieux des orientations. La parenthèse refermée sur le motif angulaire, des observations précises de l’art pariétal de Niaux dans le Salon Noir, encore qu’elles ne soient pas partout exhaustives, invitent à des interprétations qui semblent en rapport, par le truchement de récits légendaires dont les principaux acteurs sont les animaux, avec la colonisation humaine des hautes vallées pyrénéennes. Au Magdalénien, cette séquence vécue se présente sous des auspices difficiles. Elle est émaillée de drames et d’évènements aux dénouements plus heureux. En cette fin des temps glaciaires, la grotte fonctionne toujours comme la marque d’un ancrage sur un territoire avec lequel les croyances ancestrales commandent de dialoguer. La formulation d’une conclusion à ces travaux n’a pas vocation à fournir les éléments d’une théorie générale sur l’art des cavernes. On y trouve certes des invariants comme la relation au territoire qui paraît partie prenante dans la structuration de certains dispositifs graphiques. Mais c’est assez logique, dans la mesure où c’est le même élan volontariste qui perdure pendant des millénaires et porte les Paléolithiques vers l’obscurité des souterrains. C’est la base de nos interprétations. Nous n’avons pas non plus, tant s’en faut, fait le tour complet des motifs géométriques. On pense en particulier aux quadrangulaires présents sur les parois des grottes tant en France qu’en Espagne. Il est loisible de supposer qu’ils sont relatifs au même thème. En voici un aperçu. Le Mont Castillo situé en Cantabrie au nord de L’Espagne, sur la commune de Puente Viesgo, présente un certain nombre de souterrains, parmi lesquels figurent quatre grottes ornées majeures : El Castillo, Las Monedas, La Pasiéga et Las Chimeneas. El Castillo, le site le plus connu, est constitué de salles, de galeries formant autant d’espaces distincts les uns des autres, tous décorés à divers degrés de gravures et de peintures, jusque dans les recoins les plus retirés et les plus difficiles d’accès. On retrouve cette connaissance approfondie du milieu obscur qui témoigne de l’ardente obligation des Paléolithiques à son exploration totale. Dans le décor il est un recoin reculé où s’agglomèrent des motifs quadrangulaires cloisonnés peints en rouge. La grotte de Cougnac présente le même type de panneau mais dédié aux 304

aviformes où n’intervient aucune figuration animale. Nous l’avons interprété comme une suite de souterrains reconnus par les Gravettiens du Quercy. Dans ce contexte, le parallèle avec El Castillo suggère que dans la grotte espagnole les quadrangulaires cloisonnés désignent la représentation mentale par secteurs des différents espaces de la cavité proprement dite, ou encore le répertoire des grottes ornées du Mont Castillo. L’hésitation est permise. Pour finir, nous gardons à l’esprit cette extraordinaire figuration humaine du Quercy dans la grotte de Cougnac. On y voit en effet un personnage s’enfoncer dans l’obscurité d’un trou dans le sol pour réapparaître à l’autre bout de la frise, à la lumière du jour. Il porte sur lui les stigmates de son long périple souterrain dans le réseau karstique du causse. De retour dans la grotte, en cheminant au long de la paroi dans l’intervalle qui sépare le point d’entrée du personnage de sa sortie à l’air libre, nous l’avons un instant imaginé se déplaçant à nos côtés à l’intérieur de la roche jusque dans ses plus sombres recoins, invisible mais bien présent dans la muraille. Marc Bruet, décembre 2022.

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Table des illustrations

Illustration 1 : Harde de cerfs de la Rotonde.............................................................. 22 Illustration 2 : Cerf noir de la Rotonde. ..................................................................... 22 Illustration 3 : Grand cerf noir à l’entrée du Diverticule axial. ................................... 23 Illustration 4 : Statuette féminine en ivoire de mammouth de Höhle Fels............................................................................................................. 27 Illustration 5 : Canon de renne gravé de l’abri Chaffaud (Vienne). ............................ 28 Illustration 6 : Publication de la découverte d’Altamira par le marquis Marcelino Sanz de Sautuola. ............................................................................................................... 29 Illustration 7 : Plafond peint d’Altamira : bisons représentés sur les bosses du plafond. Photographie auteur inconnu. ............................................ 31 Illustration 8 : photographie, la rivière Ardèche à l’entrée des gorges qu’enjambe le Pont d’Arc. ......................................................................... 42 Illustration 9 : Localisation géographique du Pont d’Arc au premier méandre de la rivière. À droite, dessin du Pont d’Arc au XVIIIe siècle. Vue aval. .......................................................................................................... 44 Illustration 10 : Carte postale de 1903. Le Pont d’Arc vu côté aval évoque un profil de mammouth. ......................................................................... 45 Illustration 11 : La crue de l’Ardèche en 1890. .......................................................... 46 Illustration 12 : Photographie du fac-similé de la grotte Chauvet. Scène de chasse du Grand Panneau. Meute de lions lancés à la poursuite d’un troupeau de bisons. Auteur Claude Valette. Licence Creative Commons Attribution. .................................................................... 47 Illustration 13 : Dessin simplifié de la meute des lions avec numérotation. Le félin N° 4 en rouge au corps anormalement allongé consacre la partition de la frise en deux courants. Les trois lignes pointillées matérialisent les saillies de la surface rocheuse qui présente ainsi deux concavités. La lettre M situe le mammouth dessiné sur le montant de l’alcôve centrale. .................................................................................................... 48 Illustration 14. Image de la remarquable expressivité d’une meute de lions en chasse. ...................................................................................................... 49 Illustration 15 : Félin du courant inférieur en tête de la meute. Son organe de la vue diffère sensiblement de celui de ses congénères

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situés à l’arrière. Dans son champ de vision un double tracé est de nature à expliquer la différence. Au-dessus figure le seul félin qui regarde à droite. ................................................................................................... 50 Illustration 16 : Dessin. Lion essoufflé du courant supérieur et tête de bison. .......................................................................................................... 52 Illustration 17 : Dessin. Bisons vus de face sur la crête rocheuse. Mammouths emboîtés alignés sous le relief sur le montant droit de la niche centrale. En vue 3/4 avant les autres bisons amorcent leur dérive à gauche.................................................................................................... 53 Illustration 18 : Dessin. Combat de rhinocéros de la salle Hillaire. Un soin particulier est attaché au dessin de la corne antérieure du sujet de droite qui paraît s’ouvrir en deux sous le choc........................................... 55 Illustration 19 : Baume-Latrone domine ce type de paysage où le Gardon sinue en méandres serrés. ...................................................................... 56 Illustration 20 : Composition centrale de la grotte de Baume-Latrone. ...................... 57 Illustration 21 : Grand Panneau, partie centrale. Un grand bison est figuré jaillissant au-dessus de la crête rocheuse faisant barrage au défilement du troupeau d’herbivores en limite du volet droit. Photographie : Auteur Claude Valette. Licence Creative Commons Attribution. ........ 60 Illustration 22 : Dessin. Rhinocéros aux multiples profils. Volet gauche du Grand Panneau. ............................................................................... 61 Illustration 23 : Cartographie des causses du Quercy avec situation des grottes de Pech-Merle et Cougnac. ....................................................................... 68 Illustration 24 : Paysages karstiques. Agence de l’Eau, 1999. ...................................... 70 Illustration 25 : Répartition des cavités souterraines recensées dans le département du Lot. Bureau de Recherches Géologiques et Minières, 2007. ...................................................................................................... 71 Illustration 26 : Dessin d’après l’illustration de Michel Lorblanchet. Plan de la grotte de Pech-Merle. Le secteur coloré correspond à la partie ornée. 1-salle blanche, 2-entrée naturelle, 3-salle rouge, 4-boyau de la découverte, 5-chevaux ponctués, 6-ossuaire, 7-Combel, 8-accès artificiel moderne, 9-entrée paléolithique, 10-frise noire, 11-salle préhistorique. ................................................................................................ 73 Illustration 27 : Dessin d’après l’illustration de Michel Lorblanchet : profil en long du secteur orné de Pech-Merle. La partie grisée correspond au cône d’éboulis de la cheminée d’entrée. 1-entrée préhistorique, 2- Le Combel, 3-entrée Ossuaire, 4-Frise Noire, 5-chevaux, 6-galeries occidentales............................................................................... 75 Illustration 28 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. « L’Homme blessé » de Pech-Merle. Le tracé noir figure le bord du support rocheux, il n’apparaît pas sur le relevé du préhistorien. ............................. 77

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Illustration 29 : Dessin. Construction de l’aviforme : une cheminée verticale reliée à une structure horizontale. L’adjonction de deux ailettes ferme le motif et le stabilise. ........................................................................... 84 Illustration 30 : Cheminée verticale descendant sur une structure horizontale ................................................................................................................. 85 Illustration 31 : Igue avec cône d’éboulis, il occulte la structure horizontale. ................................................................................................................ 86 Illustration 32 : Igue à réseaux karstiques superposés ................................................. 87 Illustration 33 : Igue du Lot ...................................................................................... 88 Illustration 34 : Aven de Padirac................................................................................ 89 Illustration 35 : Lecture de la composition de « l’Homme blessé » suivant la référence horizontale du tectiforme à cheminée. Par simplification ne sont pas reportés les deux signes qui lui sont accolés. ............................................................................................................... 92 Illustration 36 : Dessins rouges du recoin de l’homme encordé d’après le relevé de Michel Lorblanchet. ..................................................................... 96 Illustration 37 : Photographie du bâton percé de Höhle fels ...................................... 97 Illustration 38 : Dessin. Modèle de cercle échancré. ................................................. 100 Illustration 39 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Cercles échancrés de Roucadour............................................................................... 103 Illustration 40 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Gravure du cercle échancré complexe de Roucadour. ............................................... 104 Illustration 41 : Igue de Baou, d’après Alfred Edouard Martel. Causse de Gramat. ................................................................................................... 107 Illustration 42 : Photographie. Gouffre des Vitarelles. Causse de Gramat. .............................................................................................................. 108 Illustration 43 : photographie. Descente dans l’igue des Combettes au XIXe siècle. Causse de Gramat. ............................................................................ 108 Illustration 44 : Dessin, source Wikipédia. .............................................................. 110 Illustration 45 : Dessin d’après l’illustration de Michel Lorblanchet. Tableau des signes de Roucadour. La numérotation de 1 à 6 désigne respectivement : cercles échancrés, barres, comètes, stries, martelages, points. ................................................................................................... 111 Illustration 46 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Plafond des Hiéroglyphes, relevé sélectif. Les pointillés matérialisent le bord du bloc rocheux sur lequel est juché l’artiste. Une partie de l’œuvre à droite est au-dessus du vide. Dimension du cercle échancré 70 cm. Hauteur sous plafond 1,70 m......................................................... 114 Illustration 47 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau des « Femmes-bisons ». ............................................................................... 118 Illustration 48 : Photographie. Source Wikipédia. Fine main négative près du recoin des « Femmes-bisons ». Il s’agit de la main d’un sujet adulte. ..................................................................................................... 120

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Illustration 49 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau des Chevaux ponctués. ............................................................................... 121 Illustration 50 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Premiers éléments figuratifs du panneau des Chevaux ponctués : poisson rouge, cercle échancré, petite tête de cheval dans le bec rocheux et tracés courbes.......................................................................................... 123 Illustration 51 : Dessin. Tête et encolure du cheval de droite sans coloration noire. Les trois bandes parallèles verticales de Michel Lorblanchet sont centrées sur le cercle échancré sous-jacent au poitrail du cheval dont l’encolure et la tête se liquéfient et s’écoulent à l’intérieur de l’avaloir. Le processus explique le rétrécissement de la tête du cheval sur la lame rocheuse. ................................................................................................ 131 Illustration 52 : Dessin d’après Jacques Picard. La superposition des deux images de chevaux aboutit à conclure à leur quasi identité. ......................... 133 Illustration 53 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. La Frise noire mesure 7 mètres de long sur 3 mètres de haut. Les lignes pointillées figurent les joints de stratification de la surface rocheuse. .............................................................................................. 134 Illustration 54 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau du Mégacéros. Petite tête de cervidé associée à une ramure géante, à un motif circulaire et à un tracé sinueux. ................................................... 137 Illustration 55 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Motif noir de la galerie principale, paroi droite, réglé sur une fissure horizontale. Sa forme rappelle celle du corps du mégacéros dessiné au sortir du conduit vers l’Ossuaire. ......................................................................... 139 Illustration 56 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. En haut : plan de la galerie du Combel : 1-entrée actuelle, 2-entrée préhistorique et éboulis, 3-dortoir des Ours, 4-cage au Lion, 5-les Antilopes, 6-les ponctuations, 7-galerie Vierge. En bas : coupe en long du Combel, secteur de la cage au Lion : 1-entrée paléolithique, 2-sol préhistorique, 3-cage au Lion, 4-peintures. Une racine pend au plafond dans cette partie du Combel. .................... 140 Illustration 57 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau de la « cage au Lion ». La marque des deux niveaux d’inondation est très repérable sur la voûte où il s’inscrit. En bas s’ouvre le boyau terminal où disparaissent les eaux. ....................................... 143 Illustration 58 : Dessin. En isolant le félin de la composition, la distorsion graphique de son arrière-train avec le corps devient plus flagrante. .......................................................................................................... 144 Illustration 59 : Dessin. Cheval superposé au félin. Son membre avant repose en limite inférieure de la partie blanche, tandis que le postérieur plonge dans la partie teintée du support.

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C’est la différence qui entraîne son allongement excessif relativement à l’avant. Le dessin de son museau s’efface sur une ponctuation rouge. ..................... 144 Illustration 60 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau des « Antilopes ». Longueur 1,30 m. ........................................................... 148 Illustration 61 : Dessin d’après l’illustration de Michel Lorblanchet. Plan de la grotte de Cougnac. 1- secteur d’entrée, 2- galerie basse, 3- galerie principale, 4- salle ornée principale, 5- salle des Colonnes. Le rouge indique les principaux secteurs peints......................................................... 151 Illustration 62 : Dessin d’après Michel Lorblanchet. Vue d’ensemble de la grande frise de Cougnac. Le fléchage correspond aux bris de concrétions par les Paléolithiques. Longueur 15 mètres. La composition renvoie l’image d’une vue panoramique........................................... 154 Illustration 63 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Volet gauche de la grande frise de Cougnac. Le badigeonnage e n rouge diffus court au long des concavités du soubassement du mur. Le grand bouquetin rouge est à la verticale de la pierre fichée dans le sol paléolithique. C’est la coulée de calcite à droite qui constitue la ligne de partage de la grande frise. ................................................... 156 Illustration 64 : Dessin avec mise en évidence de « l’Homme blessé ». Mégacéros rouge dont le profil est intercalé entre la découpe de la paroi à l’avant et la coulée de calcite à l’arrière. À l’intérieur on distingue une crinière de cheval, une esquisse de cervidé, un bouquetin rouge affecté d’un trait gravé, et un homme blessé engagé dans une concavité de la paroi badigeonnée sur le pourtour d’ocre diffus. La pliure du genou de l’homme sur l’une des deux jambes est ostensiblement marquée. ......................................................................... 159 Illustration 65 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau gravé de Puy Jarrige 2 : 1 et 2- chevaux, 3- bison, 4- cercle échancré, 5- figure humaine, 6- deux traits incisés. Les pointillés sont relatifs au décrochement de la paroi. ............................................ 161 Illustration 66 : Dessin. L = 0,30 m. Bouquetin rouge se tenant au bord de la concavité où s’enfonce l’homme encordé. Un trait gravé relie son poitrail au bord de la dépression. Il s’interrompt au bord du trou d’ombre. ..................................................................................................... 163 Illustration 67 : Photographie de l’auteur. Vue panoramique sur la Bouriane depuis le sommet de la butte de Gourdon. ....................................... 166 Illustration 68 : Cartographie géologique ancienne qui situe la butte de Gourdon parmi d’autres, en bas, à droite du plan. ............................................... 168 Illustration 69 : Dessin. Le tracé en noir figure une ligne d’horizon où les deux bosses animales imagent les buttes du causse. Celle du grand cerf s’identifie à la butte de Gourdon. C’est le point de repère géographique principal de la grande frise de Cougnac, il lui donne son orientation.................................................................. 169

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Illustration 70 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Volet droit de la grande frise. En bas à droite figure l’entrée d’un boyau bas de plafond long d’une dizaine de mètres. Une lucarne est ouverte dans une draperie à l’entrée. Cette partie de la grande frise comporte moins de données figuratives. Elle présente de multiples tracés noirs que l’on ne retrouve pas sur le volet gauche. ................................................................................................... 171 Illustration 71 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Deux grands tracés noirs s’apparentent à une encornure de bouquetin. Une seconde plus petite est dessinée au-dessus. Tout en haut figure le trou du lithophone. En bas à droite, c’est l’ouverture du conduit bas. On remarque la draperie percée d’une lucarne marquée de rouge diffus. ........................................................................................................ 172 Illustration 72 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau des Mammouths à l’extrême droite de la grande frise (L = 3 m). Figuration humaine associée à des profils de mammouths non loin de l’entrée du boyau terminal et de sa sortie figurée par la lucarne adjacente ouverte dans une draperie. L’ensemble est constellé d’empreintes noires. ................................................................................................. 175 Illustration 73 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Figure humaine du panneau des Mammouths (L = 0, 47 m). Il paraît atteint par plusieurs traits qui pénètrent son corps. ...................................... 176 Illustration 74 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. « Panneau des Fantômes ». Figurations humaines réduites à des ombres. Les flèches indiquent l’emplacement des bris de concrétions. ............................................................................................ 180 Illustration 75 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. « Panneau des Aviformes » de Cougnac. ................................................................... 181 Illustration 76 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Aviformes gravés du Placard dits « signes du Placard ». Le plus grand mesure moins de 25 cm. .................................................................... 183 Illustration 77 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Félin des Merveilles, le corps engagé sur l’empreinte d’une ancienne ligne d’eau. Le trait noir correspond à la gravure d’une ligne cervico-dorsale de cheval. Au-dessus figure possiblement un petit cheval rouge tourné à droite. Panneau 3. .................................................................. 187 Illustration 78 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Décoration du bloc central de la grotte des Fieux. On remarque les concavités présentes à la base du rocher. .............................................................. 190 Illustration 79 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Cheval cupulé des Fieux. .......................................................................................... 191 Illustration 80 : Dessin d’après A. Lemozi. 1920. La partie hachurée est rapportée par nos soins, elle correspond aux tracés digitaux relevés

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par Michel Lorblanchet. Dans la réalité, les tracés du profil de l’animal sont plus vaporeux. Sur le relevé moderne le menton du bison ne figure pas. ............................................................................................. 195 Illustration 81 : Dessin A. Lemozi. 1920. Marcenac. Tête de cheval effacée par une coulée de calcite. ....................................................... 196 Illustration 82 : Dessin. À gauche, cercles échancrés de Roucadour. À droite, série de motifs rouges de Cuzoul des Brasconies. ........................................ 197 Illustration 83 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. L’homme de Pergouset (L = 45 cm). ........................................................................ 199 Illustration 84 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Plan de la grotte du Moulin (Tarn). Les flèches indiquent la localisation des 4 bisons du bestiaire. Au centre figure l’écoulement du ruisseau. ........................ 200 Illustration 85 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Paire de bisons de la grotte du Moulin figurés au-dessus de l’écoulement des eaux souterraines. ............................................................................................... 201 Illustration 86 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Seconde paire de bisons du Moulin disposés autour d’un trou à la base de la paroi. ................................................................................................. 202 Illustration 87 : Dessin d’après les illustrations d’Éric Capdeville. Classification des tectiformes suivant leurs structures respectives : à gauche les pentagonaux, au centre les triangulaires, à droite les ramifiés. ................................................................................................. 213 Illustration 88 : Dessins Éric Capdeville. Tectiformes pentagonaux de la grotte de Font-de-Gaume. ............................................................................... 218 Illustration 89 : Photographie du porche d’entrée de Font-de-Gaume...................... 219 Illustration 90 : Dessin Henri Breuil. Mammouth et tectiforme gravés. ................................................................................................. 220 Illustration 91 : Dessin d’après les illustrations d’Éric Capdeville. Tectiforme sans toit de Font-de-Gaume et tectiforme à une seule pente de Bernifal. ..................................................................................................... 220 Illustration 92 : Dessin d’après l’illustration de G. Bosinski. Reconstitution de la hutte de Gönnersdorf. 1979. .................................................... 222 Illustration 93 : Dessin. Tectiforme rouge de type pentagonal de Combarelles dépourvu de mat central. Un remplissage interne horizontal et un toupet sommital complètent le dessin. ............................................ 223 Illustration 94 : Photographie source Wikipédia. Lascaux, salle des Taureaux. Entre les deux grands taureaux qui se font face, vient s’intercaler un cheval incomplet en suspension. L’animal est plafonnant ce que la photographie ne permet pas de faire ressortir. ...................................................................................................... 225 Illustration 95 : Dessin. Cheval renversé du fond du Diverticule axial. Il témoigne de la relation à la pesanteur des animaux composant le bestiaire de Lascaux. ............................................................................................. 228

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Illustration 96 : Dessin Henri Breuil. Bisons et mammouths étroitement associés à Font-de-Gaume. .................................................................... 230 Illustration 97 : Dessin Henri Breuil. Hyper-bison de Font-de-Gaume. ................... 230 Illustration 98 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Profil type de bison de Rouffignac. .......................................................................... 231 Illustration 99 : Dessin. Tectiforme gravé de Bernifal associé à une forme ovalaire pouvant représenter une marque au sol de la structure. ......................................................................................................... 232 Illustration 100 : Plan de Rouffignac d’après l’illustration de Claude Barrière. D : galerie D, G : galerie G, VS : Voie Sacrée, GP : Grand Plafond, GF : Grande Fosse, HB : Galerie Henri Breuil, SR : Salon Rouge, PS : Plafond aux Serpents, H-H1 : bifurcation galerie H-H1. ........................................................................................ 237 Illustration 101 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Les Mammouths de la découverte. Galerie G. N° 1 du plan. .................................... 238 Illustration 102 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Frise des Cinq Mammouths. Voie Sacrée. N° 2 du plan. .......................................... 239 Illustration 103 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Mammouths affrontés. Voie Sacrée. N° 3 du plan. ................................................... 240 Illustration 104 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Frise de la Grande Fosse. Prolongement de la Voie Sacrée. N° 4 du plan. ........................................................................................................... 241 Illustration 105 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Partie centrale de la frise du Plafond rouge. Le numéro 2 du préhistorien est à droite, le numéro 4 en bas à gauche. N° 5 du plan. ........................................... 244 Illustration 106 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Frise des Mammouths affrontés. N° 6 du plan. ........................................................ 245 Illustration 107 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Partie centrale de la frise des 11 Mammouths. N° 7 du plan. On observe au centre le frôlement des défenses du leader de gauche avec celles du second mammouth de la file droite. .................................................... 247 Illustration 108 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Panneau du Patriarche, partie centrale. N° 8 du plan................................................ 249 Illustration 109 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Deuxième affrontement du panneau du « Patriarche ». N° 8 du plan. ....................... 251 Illustration 110 : Dessin d’après le relevé de Michel Lorblanchet. Voie Sacrée. Association du mammouth au serpentin et au tracé digital directionnel. ................................................................................. 252 Illustration 111 : Photographie de Henri Breuil sous le Grand Plafond peu de temps après la découverte.............................................................................. 254 Illustration 112 : Dessin d’après le relevé de Claude Barrière. Au fond du puits sous le Grand Plafond, les bisons affrontés

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pressent sur de la colonne qui forme le pilier de soutènement des lieux. Une figuration anthropomorphe les accompagne. .................................................... 256 Illustration 113 : Dessin. Série de claviformes gravés de la grotte des Trois-Frères ....................................................................................................... 259 Illustration 114 : Dessin d’après le relevé de Robert Bégouën. Claviformes disposés en série au fond du diverticule couvrant murs et plafond. Grotte du Tuc d’Audoubert. .................................................................. 262 Illustration 114bis : Dessin d’après le relevé de Robert Bégouën. Vue schématique de l’ensemble des claviformes gravés du diverticule sur le plafond et les parois. Grotte du Tuc d’Audoubert. .......................................... 263 Illustration 115 : Dessin. Conception du claviforme. Il représente un relief arrondi posé sur une surface horizontale. Figuré à la verticale, il conserve le même sens mais doté d’une faculté d’élévation qui caractérise le territoire auquel il se rattache. ........................................................ 264 Illustration 116 : Carte Cassini. Représentation du milieu collinaire où s’ouvrent les cavernes du Volp à Montesquieu-Avantès........................................ 265 Illustration 117 : Relevé du Dieu cornu. Henri Breuil. Le dessin mesure 0,75 m de long.............................................................................. 268 Illustration 118 : Dessin d’après le relevé de Henri Breuil. Cheval aux 14 claviformes........................................................................................ 270 Illustration 119 : photographie de l’auteur. Vue sur le front pyrénéen depuis Montesquieu-Avantès où le Mont Valier culmine à 2 840 m. ........................ 271 Illustration 120 : Dessin d’après le relevé de Henri Breuil. Bison fléché du Sanctuaire. ...................................................................................... 274 Illustration 121 : Photographie du Sanctuaire, grotte des Trois-Frères. Il est loisible de se rendre compte du véritable positionnement du bison fléché sur la paroi. Plus haut, figure le « Dieu cornu » partiellement occulté par l’auvent rocheux. Au niveau inférieur les parois sont couvertes de gravures. ........................................................................ 275 Illustration 122 : Dessin. Plan partiel de la caverne de Niaux. 1- secteur d’entrée, 2- galerie d’Entrée, 3- galerie du Salon Noir, 4- galerie de l’Eboulis, 5- galerie Profonde, 6- galerie Cartailhac et dans son prolongement le réseau Clastres, 7- galerie des Marbres et dans son prolongement la galerie du Grand Dôme. .............................................. 279 Illustration 123 : Photographie E. d’Abbadie, E. Robert. « Panneau indicateur » de Niaux. Un niveau d’inondation en a lessivé la partie inférieure. ................................................................................. 280 Illustration 124 : Dessin d’après l’illustration de Jean Clottes. Panneau 4 du Salon noir. Les chevaux occupent le registre inférieur du tableau, le plus grand mesure 1,50 mètre de long. On remarque le bison inachevé au sommet de l’ensemble. ............................................................. 289 Illustration 125 : Photographie du fac-similé du panneau 4 où le modelé du relief introduit nettement la partition en deux

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de l’ensemble représenté. On mesure très bien la possibilité pour l’artiste de prolonger le tracé de l’unique patte avant du grand bison situé à gauche avant qu’elle ne touche le bouquetin situé dessous dont la corne est rectifiée. ........................................................................................ 289 Illustration 126 : Dessin d’après l’illustration de Jean Clottes. Partie centrale du panneau 4, dépouillé à droite des superpositions d’animaux permettant la mise en évidence du long trait courbe qui court sous la crinière du bison de droite et déborde au centre. ............................ 292 Illustration 127 : Dessin d’après l’illustration de Jean Clottes. Panneau 3 du Salon Noir. Une ligne de vie relie le cheval au corps tendu vers l’avant et le cerf qui se tient au bord de la faille sur la surface concave et ondulée du mur. Tous les chevaux concourent à l’extraire de la mauvaise passe où il est engagé. Au-dessus les bisons perchés sont dans l’expectative. À gauche grand cheval du panneau 4. Deux tracés noirs marquent sa similitude avec la tête accolée à l’arrière-train du cerf. ........................................... 295 Illustration 128 : Dessin d’après l’illustration de Jean Clottes. Aurochs gravé sur le sol de la galerie de l’Eboulis. Le motif angulaire est extérieur à l’animal, il contrarie visiblement sa progression dans le milieu dans lequel il évolue. Il provoque le rabattement vers l’arrière de ses pattes avant et le fait trébucher.................................................... 298 Illustration 129 : Photographie Jean Clottes. Bison aux cupules de la galerie Profonde. Grotte de Niaux. .................................................................. 299 Illustration 130 : Dessin d’après le relevé d’André Glory. Cheval aux 7 flèches, panneau de l’Empreinte. Grotte de Lascaux. Longueur 1 mètre. ..................................................................................... 300 Illustration 131 : Dessin d’après le relevé d’André Glory. Bison de l’Empreinte. Il est porteur de 7 crochets, pointes orientées vers l’extérieur. Trois d’entre eux sont émoussés. Deux esquisses tête bêche surchargent la partie avant de l’animal. Longueur 1,50 mètre. .............................................................................................. 301 Illustration 132 : Dessin. Bisons croisés de la Nef, longueur 2,40 m. L’aplatissement de la bosse dorsale du sujet de gauche, s’explique par la pression qu’exerce l’animal sur son support. Elle a pour conséquence de provoquer sa mue. De fins tracés gravés sont présents sur le sujet de gauche. ................................................................................................................ 303

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Table des matières Avant-propos .............................................................................................. 5  I. Cultures et contexte environnemental au Paléolithique supérieur : la problématique Lascaux ........................................................... 9  II. Les théories explicatives de l’art pariétal Paléolithique .......................... 33  III. L’art des cavernes à l’Aurignacien (37 000-24 000 BP) ........................ 41  IV. Les grottes ornées au Gravettien (28 000 -22 000 BP) .......................... 65  a. Grotte de Pech-Merle ....................................................................... 72  b. Grotte de Cougnac ........................................................................ 150  c. Autres grottes gravettiennes en Quercy ........................................... 185  Les Merveilles (grotte de Rocamadour) ...................................... 186  Les Fieux ................................................................................... 188  Marcenac ................................................................................... 192  Grotte de Cuzoul des Brasconies ................................................ 197  Grotte de Pergouset ................................................................... 197  Grotte du Moulin ...................................................................... 200  V. Les grottes ornées du Magdalénien (17 000-10 000 BP) ..................... 209  a. Le tectiforme du Périgord ............................................................... 209  b. La grotte de Rouffignac .................................................................. 234  c. Autres motifs géométriques magdaléniens....................................... 257  Grotte de Niaux ........................................................................ 276  Bibliographie .......................................................................................... 307  Table des illustrations ............................................................................. 315 

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L’ART DES CAVERNES Géométries et territoires

Au fil du temps, l’art des cavernes d’Europe occidentale s’enrichit, aux côtés des figurations animales, de motifs géométriques complexes que l’on qualifie généralement de signes. Ces tracés sont dits « abstraits » par convention parce qu’ils ne s’identifient à aucune forme connue. Pour les chercheurs ils restent « d’obscure signification ». Par l’observation des données graphiques relatives aux signes, le concours de l’archéologie des grottes ornées et de leurs particularités environnementales, Marc Bruet propose dans cet essai une approche inédite de cette problématique qui fait débat depuis plus d’un siècle chez les préhistoriens. Voici un autre regard porté sur l’art des cavernes.

Marc Bruet est l’auteur de plusieurs ouvrages portant sur l’art pariétal paléolithique aux éditions L’Harmattan : Lascaux, la scène du Puits (2012), Lascaux, quand émergent les dieux (2015), Grotte Chauvet, géants de pierre (2018).

Illustration de couverture : dessin réalisé par l’auteur d’après le relevé du Préhistorien Michel Lorblanchet, grotte de Cougnac.

ISBN : 978-2-14-034137-3

36 €