L'arbre et le pain. Essai sur "La Queste del Saint Graal" 2718101040, 9782718101040


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French Pages [180] Year 1981

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L'arbre et le pain. Essai sur "La Queste del Saint Graal"
 2718101040, 9782718101040

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BIBLIOTHÈQUE

DU MOYEN ÂGE

sous la direction de J. DUFOURNET

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L'ARBRE ET. LE PAIN DEL SAINT GRAAL

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L’ARBRE ET LE PAIN

BIBLIOTHÈQUE

DU

MOYEN-AGE

Sous la direction de J. DUFOURNET

L’ARBRE ET LE PAIN Essai sur

LA QUESTE DEL SAINT GRAAL par

Emmanuèle

BAUMGARTNER

Professeur à l’Université de Paris X-Nanterre

SOCIÉTÉ

D'ÉDITION D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 88, boulevard Saint-Germain PARIS Ve

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41, d'une part, que les «copies ou reproduction strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans le but d'exemple et d'illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faites sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l'Article 40). Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit,

constituerait donc une contrefaçon suivants du Code pénal.

©

sanctionnée

par

les Articles

1981, C.D.U. et SEDES réunis

ISBN : 2-7181-0104-0

425

et

« Au vainqueur, je donnerai à

manger de l’arbre de vie qui est dans le paradis de Dieu. » Apocalyse, 2, 7.

RE APT à

ee.)

AVANT—-PROPOS Les pages qui suivent ne prétendent pas être une lecture globale et une interprétation d’ensemble de la Quête du Saint-Graal. Se proposer pareille tâche, à défaut de la mener à bien, serait faire preuve, sans doute, d’un aveuglement au moins égal à l’aveuglement de Gauvain face aux manifestations du Graal et à ses propres limites. Il suffit d’ailleurs de vouloir établir une bibliographie de la Quête pour prendre la mesure des multiples points de vue suivant lesquels elle peut être et doit être abordée. A la suite de l’ouvrage fondamental d’Albert Pauphilet, les études, souvent remarquables, se sont en effet multipliées sur les sources du texte et sa place dans l’ensemble du roman arthurien, sur l’influence qu’ont pu exercer sur lui la « théologie mystique » de Saint-Bernard ou d’autres écrits d’inspiration monastique et cistercienne, sur ses structures narratives, ses niveaux de signification ou son rapport aux textes scripturaires. Sans vouloir reprendre systématiquement l’une ou l’autre de ces approches différentes et complémentaires, mais en reconnaissant bien volontiers combien elles m’ont été utiles, il m’a paru intéressant de relire la Quête, à la suite de Ferdinand Lot et, surtout, de Jean Frappier, dans sa relation immédiate avec les textes du

Graal qui la précèdent, du Conte du Graal de

L’ARBRE ET LE PAIN

6

Chrétien de Troyes au Lancelot en prose. Il m’a semblé en effet que non seulement la Quête, comme tout roman du Graal après Chrétien, reprenait l'interrogation sur le Graal au point méme où s’épuise le texte antérieur, mais qu'il fallait aussi considérer tout particulièrement ses rapports avec le Lancelot et le fait, central, qu’à la différence

du Perlesvaus,

le texte

rival (le

modèle ?), l’élu de la Quête est ici Galaad, le fils du plus célèbre des chevaliers arthuriens. D'où la perspective choisie pour cette étude, cette lecture aussi partielle que partiale qu’elle représente et qui est d’abord un essai pour sortir de l’alternative, roman de chevalerie ou roman mystique. A l’évidence même du texte, la Quête ne peut se réduire à un simple récit d’aventures chevaleresques, à lire uniquement selon la « lettre ». Le texte, ici, fait ouvertement et continûment signe d’un autre / d’autres sens. Mais le tout est de savoir s’il convie à cette quéte du sens l’ensemble de l’humanité ou la chevalerie, et elle seule. A cette classe chevaleresque, le roman, le roman antique comme le roman breton, propose, dès ses premières manifestations, à la charnière du 12ème siècle, au moment même où meurt Saint Bernard, de se souvenir de son histoire et de son devenir, de la terre de Colchide, jadis ensemencée par Jason (1), à l'instauration de la 1. Rappelons que le Roman de Troie débute par le récit mythique de la conquête de la Toison d’or par Jason, le premier homme à avoir traversé la mer, à être sorti « hors de son rivage/por cerchier estrange contree» comme le rapporte, entre autres, Jean de Meung (Le Roman de la Rose, éd. F. Lecoy, vv.9472-73).

AVANT-PROPOS

F

Table Ronde, du cercle qu’elle dessine aux dimensions du monde.

La Quête, elle, refait le chemin

en sens inverse. De la cour d’Arthur à Sarras. De l'Ouest, désormais conquis mais périssable, à la re-connaissance de l’Est originel. Ne peut-on alors imaginer, durant ces quelques pages, que la trajectoire de Galaad, l’ultime descendant de David, le plus accompli des chevaliers arthuriens, que l’itinéraire du Graal, du royaume de Logres à la Jérusalem céleste, ne sont autres qu’un retour initiatique aux sources de la chevalerie, qu’une quête de l’origine d’une race élue, à la rupture même de l’Arbre de Vie ? « Or m’escoute, se tu vels, et je te dirai le commencement de ton parenté. Mes je le prendrai mout loing, car einsi le covient à fere » (2).

2. Quête, p. 134,11.9-12.

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DONNÉES

LE LANCELOT ET LA QUETE « Et avoit non Lanceloz en sorenon, mais il avoit non en baptaisme Galaaz ». Lancelot dou Lac.

Le roman anonyme en prose intitulé la Quête du Saint-Graal (1) nous a été conservé par un nom-

bre important de manuscrits. On en recense actuellement quarante-trois, non compris les fragments (2). Ces manuscrits s’échelonnent de la seconde moitié du 13ème siècle à la fin du 1 5ème et certains, tel le manuscrit B.N.f. fr. 120 ou le manuscrit B.N.f. fr. 343, se signalent tout particulièrement par la richesse et la beauté de leurs miniatures. Le nombre élevé des manuscrits, le soin, souvent, avec lequel ils ont été copiés et enluminés, attestent d’abord le succès qu’a connu la Quête tout au long du Moyen Age. Mais une autre donnée matérielle paraît encore plus significative. Aucun des manuscrits conservés sauf quatre (3) ne 1. Sur le titre voir ci-dessous

pp. 49 et suiv.

2. La liste la plus complète est donnée par B. Woledge, Bibliographie des Romans et Nouvelles en prose française antérieures à 1500, Genève, Droz, 1954, Supplément 1954-73, Genève, Droz, 1975. 3. Ce sont les mss B.N.f.fr. 12581 et 25520, le ms. Ravenne, Bibl. Classense 454 et le ms.Florence,Laur., Ashburnham 48. Ces deux derniers mss ne sont pas signalés dans la liste que donne A. Pauphilet,pp.V-X de ses Études sur la Queste del Saint Graal, Paris, Champion, 1921.

12

L’ARBRE ET LE PAIN

donne la Quête seule. Tous, qu’ils contiennent ou non l’ensemble du cycle du Lancelot-Graal, reprosuisent la Quête à la suite de la dernière partie du Lancelot, l’Agravain, ou l’associent à la Mort Artu, dernier roman du grand cycle en prose (4). Ce qui revient à dire que ce texte qui peut paraître, à première lecture, si différent par son écriture, son contenu, sa finalité, des récits chevaleresques qui l'entourent n’a pas été perçu et lu au Moyen Age comme une œuvre autonome, isolée, mais comme un fragment du Lancelot-Graal, comme partie intégrante et intégrée du cycle.

Ce n’est pas le lieu de reprendre dans le détail les hypothèses concernant l'élaboration du cycle du Lancelot-Graal ou de s’interroger sur la divergence d’esprit qui sépare ou non la Quête du Lancelot, sur l’opposition, souvent signalée, entre l’esprit mystique de la Quéte, l’esprit chevaleresque du Lancelot, entre la chevalerie celestielle et la 4. Rappelons que l’on appelle cycle du Lancelot-Graal un ensemble de textes constitué par l’Estoire del Saint Graal, l’Estoire de Merlin, le Livre de Lancelot del lac (Lan-

celot propre),

la Queste del Saint Graal et la Mort Artu.

The vulgate Version of the Arthurian Romances, sept vol. in 40, Washington, 1908-1913. La Quéte a été éditée séparément par A. Pauphilet, La Queste del Saint Graal, CFMA, Paris, 1965. Toutes les citations renvoient à cet-

1978 à 1 début du T. IV de l’édition Sommer. C’est à elle que nous renvoy ons dans la suite du texte. Vient de paraître l’éd. de E. Kennedy, Lancelot do Lac, The non-cyclic Old French Prose Romance, Oxford University Press, 1980, à laquelle nous avons emprunté la citation p. 2.

DONNÉES

13

chevalerie ferrienne (5). Rappelons simplement que le noyau central du cycle, et la partie sans doute la plus ancienne, est le Lancelot ou Lancelot propre qui combine essentiellement les données de la Charrette de Chrétien de Troyes — le thème de l’amour partagé de Lancelot et de Guenièvre — avec un récit des enfances cachées et féériques du héros auprès de la Dame du Lac. Récit dont la version française originale, anglo-normande exactement, est perdue mais qui nous a été conservé par le texte en moyen-haut allemand intitulé Zanzelet, « traduction » par Ulrich de Zatzikhoven de l'original anglo-normand (6). L’autre innovation majeure du Lancelot, innovation dont la mise en place semble avoir été difficile et a laissé subsister quelques traces mal effacées et quelques contradictions (7) est, simultanément, la combinaison des données de la Charrette 5. Les principaux travaux consacrés à ce problème complexe sont : F. Lot, Étude sur le Lancelot en prose, Paris, Champion, 1918 ; 2ème éd., augmentée d'un 7ème appendice dû à M. Lot-Borodine, ibid., 1954.; Jean Frappier,

Étude sur la Mort le Roi Artu, Paris, Champion

1936 ;

2ème éd. ibid. 1961 ; J-N. Carman,À Study of the PseudoMap Cycle of Arthurian Romance, University of Kansas Press, 1973 ; les articles d’A. Micha réunis dans la Troisieme Partie (Le Lancelot en prose) de De la chanson de geste au roman, Études de littérature médiévale, Genève, Droz, 1976. 6. On peut lire ce texte dans la traduction anglaise de K.G.T. Webster, Columbia University Press, 1951. 7. Voir par exemple le chapitre V, D'une contradiction interne de l’œuvre, pp.108-125 dans F.Lot Étude...les

pp. 451-455

de Jean Frappier, Étude.…., la discussion de

Th.E. Kelly dans Le Haut livre du Graal, Perlesvaus, Genè-

ve, Droz, 1974, pp. 13-14 et la note détaillée de E. Kennedy, dans son éd. de Lancelot do Lac, ouvr. cité, p. 8990, n. 33.8-15.

L'ARBRE ET LE PAIN

14

avec celles du Conte du Graal de Chrétien (8). Dès

le début du Lancelot, tel qu’il nous a été transmis du moins, Perceval n’est plus, comme chez Chrétien, comme dans un nombre important de textes du 13ème siècle en vers (telles les Continuations du Conte du Graal) ou en prose, comme le Perceval en prose (ou Didot-Perceval) et le Perlesvaus, le héros unique, l’élu du Graal. L’élu, c’est, d’emblée, un nouveau venu, un personnage sans passé littéraire : Galaad. Ce nom de Galaad, nom d’origine biblique, « l’un des mots mystiques qui désignent le Christ» (9), apparaît, rappelons-le, dès les premières lignes du Lancelot puisque c’est le nom de baptême du héros lui-même. Mais ce nom qu’il a perdu, qu’il a profané « par eschaufement de luxure » (10),c’est au fils bâtard de Lancelot, au petit-fils du Roi Pécheur, le gardien du Graal, au chevalier vierge, ultime descendant du lignage de Salomon (11),qu'il appartient désormais de le porter. Ainsi est mise en place, dès le début du Lancelot, une des données essentielles du cycle, la filiation Lancelot-Galaad, l’opposition entre la luxure 8.Voir

notamment

A.

Micha, L'Esprit

du Lancelotouvr. cité,

Graal, dans De la chanson de geste au roman,

pp. 251-272. 9. Sur l’origine biblique du nom de Galaad on consulte-

ra les textes cités par F. Lot, Étude, p. 120, n. 1, A. Pau-

philet, Études, p. 136 et P. Matarasso, The redemption of chivalry, À study of the Queste del Saint Graal, Genève, Droz, 1979, p. 38 et n. 1. 10. Lancelot, t. IV, éd. Micha, p. 211,t. V,p. 127. 11. Généalogie mise en place dans la Quête. Voir éd. Pauphilet, p. 221, 11. 3-13 et p. 7, 1.25-27. D’autre part, Lancelot descend par sa mère (éd. Sommer t. III, p. 13) du lignage de David.

DONNÉES

15

du père, de l’amant de Guenièvre et la pureté du fils. Ce qui, toutefois, ne signifie pas absolument qu’en ce début du texte Galaad soit déjà l’élu de la quête. En revanche, plus on avance dans la lecture du roman, plus se font nombreux et évidents les liens qui unissent la Quête au Lancelot et surtout à l’Agravain, justement nommé par F. Lot la Préparation à la Quête. L'épisode le plus concluant est bien entendu le long récit de la venue de Lancelot à Corbenic et de la conception de Galaad (12). A Corbenic, Lancelot met fin, d’abord, à deux aventures. Il sort une demoiselle d’une cuve d’eau bouillante, épreuve à laquelle Gauvain a précédemment échoué (13). Il soulève ensuite une pierre tombale qui selon l'inscription qui y est gravée ne sera levee devant que li lieparz i mestra la main, de qui li granz lions doit issir, et cil la levera legierement et lors sera engendrez li granz lions en la bele fille au roi de la Terre Forainne (14),

puis met à mort le serpent crachant un « feu envenimé » qui se trouvait dessous. Ainsi reconnu par les gens de Corbenic et le roi Pellès comme celui qui doit engendrer le héros grâce auquel sera cil païs delivrez des estranges aventures qui i aviennent jor et nuit (15),

Lancelot assiste au cortège du Graal que porte la fille du roi Pellés : 12. Éd. Micha, t. IV, pp. 201-211.

13. Éd. Micha, t. Il, pp. 373-5. 14, Éd. Micha t. IV, p. 202. 15. Jbid., p. 204.

L’ARBRE ET LE PAIN

16

Et ausi com la dame passoit par mi les dois, s’agenoille chascuns devant le saint vessel et il si fait ausi. Maintenant furent les tables raemplies de touz les biax mengiers que l’en savroit deviser et li palais fu raempliz de si bonnes oudors com se toutes les bonnes espices i fus-

sent del monde espandues (16). Avec l’aide de sa « maîtresse » Brisane, la fille du roi attire Lancelot dans un château voisin, lui fait boire un philtre et Lancelot se couche avec la damoiselle comme cil qui cuide que ce soit la roine (17).

Suit un long commentaire dans lequel l’auteur précise que la fille du roi Pellès n’a pas agi par luxure mais por le fruit recevoir dont toz li païs doit venir a sa premiere biauté, qui par le dolereux cop de l’espee as estranges ranges avoit esté desertez et essiliez, si com il devise apertement en la Queste del Graal (18).

Épisode capital donc, à tous égards. L’heureuse issue de l’aventure de la cuve, de l’aventure de la pierre tombale, consacre la vertu chevaleresque de Lancelot, reconnu digne d’engendrer l’élu. Il scelle d’autre part l’union entre le lignage des rois Pécheurs (le lignage de Perceval!) et le lignage de Lancelot, substituant au « fils a la veve dame/de la Gaste Forest soutainne » (19) le descendant du plus prestigieux des chevaliers de la Table Ronde.

16. Ibid., p. 206. 17. Ibid., p. 209. 18. Jbid., p. 210. 19. Conte du Graal, éd. F. Lecoy, CFMA, Paris, Champion, 2 t. 1972, 1975, vv. 74-5.

DONNÉES

17

Quant aux autres épisodes, souvent commentés (20) pour les liens qu’ils établissent avec la Quête, leur caractéristique commune, qu’il s’agisse des visites de Gauvain et de Bohort au château du Graal, de l’épisode du Cimetière aventureux, de la Fontaine aux lions, de la vision du Blanc Cerf (21), est d’établir, entre les chevaliers de la Table Ronde, une hiérarchie que la Quête reprendra à son compte, de signifier surtout les limites désormais imposées à la chevalerie terrienne, à travers son plus illustre représentant : souillé par le péché de luxure, Lancelot ne peut plus espérer achever les aventures du Graal. Il est enfin évident que toute la fin de l’Agravain, et notamment

la longue folie (dix ans) de

Lancelot après la conception de Galaad, puis la quête entreprise pour le retrouver — une fois guéri, il s’est volontairement exilé dans l’Ile de Joie, près de Corbenic — ont pour fonction de permettre à Galaad d’atteindre l’âge d’être adoubé mais aussi d'introduire le personnage de Perceval, si soigneusement évincé jusqu'alors. C’est en effet au cours de la quête de Lancelot qu’Agloval, frère aîné de Perceval, retrouve par hasard la demeure de sa mère et cède au désir de l’adolescent de se rendre à la cour d’Arthur. Départ qui,

20. Voir par exemple

le Ch. Unité de plan et unité

d'esprit, dans F. Lot, Étude.…., le Ch. Unité et diversité

du « Lancelot en prose » dans J. Frappier, Étude, l’article d’A. Micha, l'Esprit du Lancelot-Graal dans De la chanson de geste au roman (ouvr. cité) pp. 251-272. 21. Respectivement, éd. Micha, t. Il, p. 371, t.V,

p. 240, t. II, p. 31,t. V, pp. 118-127 et p. 204.

L'ARBRE ET LE PAIN

18

comme dans le Conte du Graal, entraîne la mort de la mère (22). A la fin de l’Agravain donc, tout est prêt pour

que l’ermite qui veille sur Galaad révèle à Arthur, au cours d’une chasse solitaire, l'existence de l’adolescent et l’imminence de la quête du Graal : « Rois Artus, je te di por voir en confession que au jor de Pentecoste qui vient sera noviaux chevaliers cil qui les aventures del Saint Graal metra a fin et venra celui jor a ta cort et accomplira sanz faille le siege perilleus. Or garde que tu semoingnes tes homes qu'ils soient tuit la veille de la Pentecoste a Kamaalot por veoir les merveilles qui lor avenront (23) »

tandis que la Quête reprend, sans solution. de continuité, A la veille de la Pentecoste, quant li compaignon de la Table Ronde furent venu a Kamaalot, etc.

La transition, au reste, est aussi habilement ménagée de la Quête à la Mort Artu puisque la scène d'ouverture de ce dernier texte est la confession publique que fait Gauvain des homicides qu'il a commis durant la quête. *k *

*

Refusant de se prononcer sur le « problème de l’unité ou de la pluralité d’auteurs du Lancelot »,

Albert Pauphilet proposait, dans ses Études sur la Queste del Saint-Graal (24), de dater le texte des 22. Ed. Micha, t. VI, p. 183 et suiv. 23. Ibid., p. 244. 24. Études, p. 11-2.

DONNÉES

19

« alentours de 1220 ». La Quête en effet est nécessairement postérieure au Conte du Graal de Chrétien, composé vers 1182, et à l’œuvre de Ro-

bert de Boron qu’A. Pauphilet estime postérieure à 1212ou1214(25).Un terminus ad quem est d’autre part procuré, toujours selon A.Pauphilet, parun texte qui présente des épisodes communs avec la Quête, la Continuation de Manessier, l’une des

Continuations les plus tardives du Conte du Graal ‘que le critique date « des environs de 1227 ».Mais cette dernière date n’est pas absolument sûre. La Continuation de Manessier que son auteur dédicace à la Comtesse Jeanne de Flandre, peut avoir été écrite soit durant la première régence de la comtesse (1214-1227), soit, comme le proposait F. Lot (26) au cours de la seconde (1233-1244).

Selon Jean Marx (27), cette dernière datation est peu vraisemblable mais les analogies constatées entre les deux œuvres pourraient s’expliquer par l’utilisation d’une source commune... L’examen des rapports de la Quête avec le Perlesvaus, rapports depuis longtemps signalés et commentés par les critiques, n’apporte guère plus de précisions. Le Perlesvaus est en effet daté soit de la période 1206-1212 — c’est l’hypothèse la plus

25. I1 semble bien que la formule « l’œuvre de Robert de Boron » désigne aussi bien dans la pensée d’A. Pauphilet le Joseph en vers de Robert que l’ensemble de la trilogie en prose qui lui est attribuée. 26. Romania, t. XLIX (1923), p. 436, n. 2. 27. Manessier et la Queste del saint Graal dans Nouvelles recherches sur la littérature arthurienne, Paris, Klincksiek, 1965, pp. 239-259 et surtout pp. 240-241, n. 12.

20

L’ARBRE ET LE PAIN

commune

(28) mais elle ne procure aucun rensei-

gnement nouveau pour la date de la Quête — soit de la période 1220-1225. Le texte serait alors de peu antérieur ou de peu postérieur à la Quête (29). Finalement donc, le seul critère dont nous disposons pour établir au moins une chronologie relative reste l’insertion soigneusement et longuement préparée de la Quête entre le Lancelot et la Mort Artu. Si l’on veut bien admettre, avec Jean Frappier (30), que la composition du Lancelot en prose (soit le Lancelot propre, la Quête et la Mort Artu) « a exigé une vingtaine d’années », de 1215 à 1235, la Quête correspondrait à la période 12251230. Elle serait ainsi contemporaine ou presque de la seconde prédication pour la croisade de l’évêque d’Acre, Jacques de Vitry. Prédication qui se situe, selon Paul

Alphandéry

(31), dans une

« atmos-

phère apocalyptique persévéramment vivante » et qui s’appuie sur un ensemble de prophéties annonçant pour 1229 la chute de l’Islam. Rappelons

28. Les recherches antérieures sont présentées et commentées par Th.E. Kelly, Le Haut Livre du Graal, ouvr. cité, pp. 9-15 qui retient lui-même la période 1206-1212. 29. Telle est la position de Jean Frappier, exprimée notamment dans Le Cortège du Graal, étude parue dans Lumière du Graal, Les Cahiers du Sud, Paris, 1951, pp.175-

221,et plus particulièrement p. 215.

30. Étude.….., p. 138.

31. Paul Alphandéry, La Chrétienté et l'idée de croisade, t. II, Recommencements nécessaires (XIIème-XIIIème

siècles), texte établi par A. Dupront, Coll. L'Évolution de

l'humanité, Paris, 1959. On se reportera au Chapitre II dela seconde partie, Retours eschatologiques, La cinquième croisade.

21

DONNÉES

que le 17 mars 1229 précisément le croisé excommunié Frédéric II entrait à Jérusalem, se couronnait roi aux termes d’un traité qui donnait aux chrétiens libre accès à Jérusalem, Bethléem et Nazareth et assurait la continuité du pélerinage en Terre sainte. Au delà cependant des problèmes de datation ou d’un rapport plus ou moins hypothétique à l’histoire événementielle, une première conclusion

semble

s'imposer.

La Quête

a été manifeste-

ment conçue et écrite en relation avec le Lancelot. Elle doit de même être lue d’abord par rapport à ce texte. C'est-à-dire non comme une œuvre isolée, exclusivement allégorique, tout entière inspirée par la mystique de Saint Bernard et de Citeaux, mais comme l’une des mestres branches (32), sinon la plus haute, de cette littérature du

Graal à travers laquelle, peut-tre, la chevalerie élabore tout à la fois son mythe d’origine et sa justification de classe.

32. J’emprunte cette expression au Perlesvaus, Nitze-Jenkins, variante des mss Br et P. à la 1.5482.

éd.

GAUTIER MAP « AUTEUR

»

« Et que l’expertscrute le manuscrit, cela ne nous apprendra rien qu’au plus la main du copiste ». Aragon, La mise à mort.

Suite immédiate de l’Agravain, donnée comme telle, la Quête du Graal ne comporte pas de prologue. Tel est au reste le cas, à l’intérieur même du cycle, du Lancelot, « suite » de l’Estoire Merlin ou, ailleurs, du Merlin en prose, « suite » du Joseph de Robert de Boron. Elle se termine en revanche par un épilogue qui donne un nom d’auteur et précise les modalités de la transmission du texte: « Quant il orent mengié, li rois fist avant venir les clers

qui metoient en escrit les aventures aus chevaliers de laienz. Et quant Boorz ot contees les aventures del Seint Graal telles come il les avoit veues, si furent mises en escrit et gardees en l’almiere de Salesbieres, dont MESTRE GAUTIER MAP les trest a fere son livre del Seint Graal por l’amor del roi Henri son seignor, qui fist l’estoire translater de latin en françois. Si se test a tant li contes, que plus n’en dist des AVENTURES DEL SEINT GRAAL ».

Ces lignes sont à la fois reprises en écho et sensiblement déformées dans le prologue de la Mort Artu : « Après ce que mestres Gautier Map ot mis en escrit des Aventures del Seint Graal assez soufisament si com li sembloit, si fu avis au roi Henri son seigneur que ce

L’ARBRE ET LE PAIN

24

qu’il avoit fet ne devoit pas soufire, s’il ne ramentevoit la fin de ceus dont il avoit fet mention » etc. (1).

Enfin, les manuscrits cycliques du LancelotGraal se terminent très généralement sur un bref épilogue qui donne Gautier Map comme le narrateur/auteur de l’Estoire Lancelot : « Si se test ore atant mestre Gautier Map de l’Estoire Lancelot, car bien a tout mené a fin selonc les choses

qui en avindrent, et fenist ci son livre si outreement que aprés ce n’en porroit nus riens conter qui n’en mentist de toutes choses » (2).

De l’épilogue de la Quête aux prologue et épilogue de la Mort Artu, un glissement s’est donc opé-

ré. Dans le texte de la Quête, Mestre Gautier Map est celui qui a mis en latin, pour son seigneur le roi Henri, la relation de la quête faite par Bohort (en breton?),

immédiatement

consignée

par les

clercs de la cour d’Arthur, puis enfermée dans la bibliothèque de l’abbaye de Salisbury (3). Ce texte, ensuite, a été traduit en français, par un anonyme, et tout laisse supposer que c’est cette «translation» 1. Ed. J. Frappier, p. 1, 11.1-6. 2. Ibid., p. 263, 11.8-13. 3. L'abbaye ici désignée est très certainement, comme

l'ont déjà signalé J. Frappier, Étude... p. 175, n.3 et J.N. Carman, ouvr. cité, p. 120-121, l’abbaye d’Amesbury, officiellement fondée au Xème siècle, proche de la plaine de Salisbury et qui fut l’une des plus riches abbayes de l’Angleterre. La cathédrale de Salisbury n’a été construite qu’au cours du XIIème siècle (1220-1258). Rappelons enfin que la Mort Artu est le premier texte qui place explicitement la bataille finale entre Arthur et Mordret dans

la plaine de Salisbury (cf. J. Frappier, Étude, p. 174 etc.)

mais l’auteur Ge la Quéte tradition.

a très bien pu connaître cette

DONNÉES

25

qu’énonce intégralement le conte, enfermant le récit de la quête proprement dite entre deux formules : « Or dist li contes que... Si se test atant li contes » (4).

Bien entendu,

le motif du livre retrouvé dans

une bibliothèque n’est pas une invention de l’auteur de la Quête. On le trouve par exemple dans le prologue du Cliges de Chrétien (5). Il apparaît également, sous une forme très développée et très intéressante parce qu’elle donne tous les éléments constitutifs du fopos, dans le prologue du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure (6). Dans le

texte de la Quête cependant, à la différence des textes que je viens d’évoquer, qui nomment le dernier auteur, Chrétien, Benoît, qui insistent sur son travail d’écrivain ou sur le caractère décisif de son intervention, tout se passe comme si cette mise en scène complexe avait pour fonction d’évacuer la notion même d’auteur et d’y substituer une série ininterrompue de « translations », de la parole de Bohort à la parole du conte, en passant par le livre de Gautier Map. Avec le prologue de la Mort Artu, en revanche, la fiction change de nature et la présentation est banalisée. Gautier Map est donné comme l’auteur, à part entière, de la Mort Artu

4, La première occurrence de la formule, dans la Quéte, fait la transition entre la Pentecôte du Graal et le départ en aventure de Galaad (éd. Pauphilet, p. 26). 5. Ceste estoire trovons escrite/que conter vos vuel et retraire,/en un des livres de l'aumaire/mon seignor saint Pere a Biauvez. Cligès, éd. A. Micha, Paris, Champion, 1968, vv.18-21. 6.Ed. L. Constans, S.A.T.F., Paris, 1904, vv. 1-144.

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mais aussi des Aventures del Seint Graal et, dans l’épilogue, comme l’auteur de tout le Lancelot. La mention du conte disparaît. Le contenu du récit est pris en charge par le narrateur. Le texte produit et achevé constitue le livre. Gautier Map, on le sait, est un personnage historique, un conteur anglais, écrivant en latin, qui a vécu dans l’entourage de Thomas Beckett et surtout d'Henri II Plantegenêt et qui est l’auteur du De Nugis Curialium. Il est mort en France en 1209 (7). Il est donc de toute manière exclu qu’il puisse être l’auteur de la Quête, de la Mort Artu voire du Lancelot tels qu’ils nous sont parvenus. L'hypothèse de J.N. Carman, selon laquelle Gautier Map aurait pu, vers 1199, rencontrer Eléonore d’Aquitaine près de Fontevrault, s’entretenir avec elle du projet du Lancelot en prose, voire en tracer les grandes lignes et laisser son nom dans un brouillon, une première ébauche du texte, où l’aurait ultérieurement découvert l’auteur de la Mort Artu… est aussi ingénieuse qu'’invérifiable (8). Elle repose surtout sur une autre hypothèse : qu’Eléonore ait réellement joué une part active dans la conception du Lancelot en prose. Ce que nous ignorons. Elle se heurte d’autre part à ce que nous savons des préoccupations littéraires de Gautier Map. S'il est en effet tout à fait vraisemblable 7. Sur Gautier Map, on peut consulter A. Boutemy, Gautier Map, conteur anglais, Bruxelles, 1945 et l’article de K.G.T. Webster, Walter Maps French Things, dans Speculum XV, 1940, pp. 272-279 selon qui Gautier Map serait peut-être l’auteur de ce Lanzelet anglo-normand source du Lancelot en prose et dont nous ne possédons plus que la traduction en moyen haut-allemand. 8.Cf.J.N.Carman,ouvr.cité, pp.108-11 essentiellement.

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qu’il connaissait la littérature arthurienne de son temps (9), rien ne permet d’affirmer, bien au contraire, qu’il ait lui-même composé ou songé à composer des œuvres romanesques en français. L'attribution d’une partie ou de la totalité du Lancelot à Gautier Map relève donc bien, comme on l’a souvent dit, de la « supercherie littéraire » (10). Ce qui ne conduit au reste qu’à déplacer le problème, à s’interroger moins sur les conditions historiques que sur les motivations idéologiques de cette attribution fictive. Pareille pratique, là encore, n’est pas propre à la Quête. Le premier cycle arthurien en prose, la trilogie formée par le Joseph en prose, le Merlin et le Perceval en prose ou Didot-Perceval a été elle aussi placée sous l’autorité de Robert de Boron (11). Or, si l’on peut admettre que le Joseph et le Merlin sont bien les mises en prose des romans en vers de Robert, il semble là aussi exclu que ces 9. Selon R.E.Benett, Walter Map's Sadius and Galo dans Speculum XVI, 1941, pp. 34-56, les ressemblances entre Sadius et Galo, roman écrit en latin, et l’épisode de Guerrehés dans la Première Continuation pourraient s’expliquer par l’utilisation d’une source commune, un roman perdu. Ajoutons enfin que Gautier Map n’appréciait pas la littérature en français et qu’il est d’autre part l’auteur d’attaques virulentes contre les Cisterciens.

10. Voir J.Frappier, Étude, p.21 et n.3, à compléter

par les remarques additionnelles p.428-9. 11. A la fin du Merlin, dans un passage dont l’authenticité est parfois contestée, Robert de Boron se donne comme celui « qui cest livre retrais par l'enseignement dou Livre dou Graal».Ed.A.Micha, Genève, Droz,1980,p.290. On lit une autre allusion au ch. 16, p.76,11.115-117. Sur les problèmes de l’attribution de la trilogie, on consultera éga-

lement A.Micha.Ëtude sur le « Merlin » de Robert de Bo-

ron, Roman

du XIIIème siècle. Genève, Droz, 1960,Ch.I.

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mises en prose soient l’œuvre de Robert lui-même. Et pour le Didot-Perceval, il ne subsiste aucune trace d’un original de Robert. La présentation du Perlesvaus, elle, est encore plus proche de celle de la Quête et tout aussi complexe. Dans le prologue comme dans l’épilogue le texte, li estoires du saintisme vessel que on apele Graal est donné comme la traduction en langue vulgaire d’un livre latin — li latins de cui cist estoires fu tretiez en romanz (12) —. Le livre a été trouvé dans l’Zsle d’Ayvalon, que l’on identifie avec l’abbaye de Glastonbury et il a été écrit jadis par Josephes — ce nom désigne très vraisemblablement l’historien juif Flavius Josèphe — sous la dictée d’un ange. La mise en scène est presque identique au début de l’Estoire del Saint Graal, texte de toute manière postérieure à la Quête, et dans lequel un

ermite reçoit du Christ lui-même le livret qu’il est chargé de transcrire (13). Elle se transforme en revanche en artifice publicitaire dans la Suite du Merlin (vers 1240), texte lui aussi attribué à Robert de Boron et qui lui invente même un compagnon d’armes, de joveneche et de viellece, Hélie de Boron, chargé par Robert de rédiger une autre branche du cycle (14). Cet Hélie est à son tour donné comme l’un des continuateurs du Tristan

12. Tous les passages concernés sont relevés dans le tome II de l'édition Nitze, pp. 104, et 176. Ils sont également discutés dans l’ouvrage de Th.E.Kelly, Le Haut Livre du Graal, ouvr. cité, p.15 et suiv. 13. Ed. H.O.Sommer, t. I, pp. 4-5. 14. La Suite du Merlin, éd. G.Paris et J.Ulrich, SATF, 1886. Les passages sur Robert et Hélie sont cités et commentés, t.I, pp. XXVII-XXXVII.

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en prose. Mais, pour en revenir à la Quête, pourquoi avoir précisément choisi Gautier Map ? Nous ne savons pas si c’est l’auteur de la Quête qui a imaginé le premier de mettre en relation Gautier Map et les Aventures du Seint Graal. D’après J.N.Carman, cette initiative reviendrait

plutôt à l’auteur de la Mort Artu et un copiste de la Quête l’aurait reprise à son compte. Là encore, pure hypothèse. Si l’on se reporte d’ailleurs à l’explicit de l’Agravain tel que vient de le publier A. Micha, le Lancelot propre lui-même est déjà attribué à Gautier Map : Si fenist ici mestre Gautiers Map son livre et commance le Graal (15).

Mais il peut s’agir d’une addition postérieure, le manuscrit reproduit par l’éditeur (Oxford Rawlinson 899) datant du 14ème siècle. De toute manière, l’auteur de la Quête s’oppose aussi bien au Lancelot qu’à la Mort Artu en faisant de Gautier Map non l’auteur du texte mais un intermédiaire dans la transmission de ce texte. Ce qui lui permet de le présenter, de manière à la fois plausible et historique, comme le contemporain d'Henri II. Ce qui permet aussi de penser que l’auteur de la Quête savait au moins que le conteur avait appartenu à l’entourage du souverain anglais. A ce milieu donc où s’est fortifié sinon constitué le mythe arthurien, sous l’impulsion d’Henri II lui-même et de l’abbaye de Glastonbury ; à ce milieu où se sont développées les traditions hagiographiques concernant Joseph d’Arimathie, considéré

15. Éd. citée, t. VI, p. 244.

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comme

le premier

apôtre

de la Grande

Breta-

gne (16) et où sans doute, s’il faut bien rattacher Robert de Boron à Glastonbury, s’est définitivement christianisée et enracinée en Grande Bretagne la légende du Graal (17). Le lieu choisi pour le manuscrit trouvé, Salisbury (Salesbieres) est d’autre part un des hauts lieux de la légende arthurienne, aussi bien chez

Geoffroy de Monmouth et chez Wace que dans le Merlin de Robert de Boron. Ces textes situent en effet dans la plaine de Salesbieres le triomphe d’Uter, père d’Arthur, sur l’envahisseur saxon, y dressent les monuments des héros morts dans la bataille, les mégalithes de Stonehenge, la « carole des géants ». Gautier Map enfin écrivait en latin. Fait décisif, me semble-t-il, dans la perspective de l’auteur de la Quête. Le recours au latin, langue sacrée, langue de l’Écriture, authentifie en quelque sorte le texte retrouvé par delà le silence des siècles et Gautier Map en devient l’auctor, celui qui, mieux que nul autre, peut garantir la vérité de l’histoire, c’est-à-dire sa parfaite conformité avec les paroles prononcées par Bohort, témoin occulaire de la quête, devant les clercs d'Arthur. De la parole de Bohort à la mise en latin, ne varietur, de Gautier Map, la teneur originelle du récit reste inchangée. Et le texte final, où la voix anonyme du conte se 16. Sur Joseph d’Arimathie et la formation de sa légende en Grande Bretagne, voir : Valerie M. Lagorio, Panbrittonic hagiography and the arthurian grail cycle dans Traditio, t. 26, 1970, pp.29-61 et The evolving legend of St Joseph of Glastonbury dans Speculum, t.46, 1971, pp. 209-231. 17. Voir infra p.36 n. 11.

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substitue au je du narrateur n’est autre, ne se pré-

tend rien d’autre, que la re-production, en français, de cet autre texte, déjà définitif et clos. On notera toutefois que l’auteur de la Quête reste en deçà de l’audace de ses prédécesseurs et, notamment, de l’auteur du Merlin en prose. Dans ce roman en effet, c’est Merlin lui-même, le prophète inspiré par Dieu, qui dicte à Blaise, retiré dans les solitudes inaccessibles des forêts de Northumberland, le Livre du Graal, au furet à me-

sure que s’en déroulent les chapitres dans l’univers arthurien. Et le Perlesvaus, on l’a vu, renchérit en-

core en plaçant la voix de l’ange à l’origine du texte. Que l’auteur de la Quéte se soit contenté d’un moyen terme, Gautier Map en l’espèce, me semble d’autant plus révélateur. Dictées par un chevalier arthurien, et non par une parole inspirée ou divine, mises en forme (en latin) par un écrivain historiquement repérable et dont le nom est lié à celui d’Henri II, révélées à Salesbieres, au lieu même où s’enclôt la saga arthurienne, de la victoi-

re d’Uter à la disparition tragique de l’univers arthurien, les Aventures du Graal s’inscrivent et s’achèvent dans l’espace arthurien, dans cet univers idéal où la chevalerie s’imagine et se joue son histoire.

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L’AVENT DU GRAAL Le graal, qui aloit devant. Conte du Graal v. 3220.

A la date relativement tardive à laquelle elle a été composée, la Quête reprend, avec le Graal, un ensemble de motifs liés, depuis Chrétien de Troyes, à la fiction arthurienne et qui lui donnent, d’un texte à l’autre, et dans des perspectives souvent différentes, sa dimension, son orientation chrétienne et mystique. Le Graal entre en texte (1), on le sait, avec le Conte du Graal, le dernier roman, inachevé, de Chrétien de Troyes. Dans la scène,sisouvent commentée (2), de sa première apparition à Perceval comme au lecteur, cet objet que son éclat, sa richesse, son autonomie habilement suggérée ren-

dent d’emblée mystérieux et fascinant fait d’autre part série, et de manière très prosaïque, avec un tailleor d’argent (3). Il se présente donc comme 1. Je n’examine pas ici la vaste question des origines de la légende du Graal. Pareille étude dépasse tout à fait le cadre de ce travail. Au reste, le motif, à la date où la Quéte a été écrite, n’a sans doute d’autre existence que littéraire. 2. Voir notamment Jean Frappier, Chrétien de Troyes et le mythe du Graal, SEDES, Paris, 1972, ainsi que les textes rassemblés dans le recueil Autour du Graal, Genève, Droz, 1977 ; A. Micha Deux études sur le Graal, Le et la Lance, Encore le Graal trestot descovert dans chanson de geste au roman, ouvr. cité, pp. 123-144 Le Rider, Le chevalier dans le Conte du Graal,

Graal De la Paule Paris,

SEDES, 1978, pp. 69-88. 3. Ce terme est défini dans le glossaire de l’éd. F.Lecoy comme un plateau sur lequel on découpait les viandes.

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l’une des pièces, majeures, d’un service de table. Telle est du reste l’identification facile que fait immédiatement Perceval.

Et li vaslez les vit passer

*le Graal et le tailleor

et n’osa mie demander del graal cui l’an servoit (4) Conte du Graal,3231-33).

Mais les épisodes précédents nous ont appris à nous méfier des reconnaissances hâtives ou des méconnaissances de Perceval, confondant chevaliers et anges, tente et église, incapable d'identifier Arthur ou de percevoir la détresse de Blanchefleur. Reste que le Graal, chez Chrétien, apparaît d’abord lié à la nourriture dispensée et au rituel de la table. Association que confirme ultérieurement l’ermite, oncle de Perceval : le Graal contient la nourriture par excellence, l’hostie qui suffit à conserver en vie depuis quinze ans le vieux roi, père du Roi Pécheur (5). Mais la scène du Graal dans 4. On notera cependant que la question que s’interdit de poser Perceval — à qui fait-on le service du Graal ?— ne concerne que le Graal et non le couple graal-tailleor. 5. Ed. Lecoy, vv 6206-6212. Dans le Conte du Graal, le Roi Pécheur est le roi méhaignié (impotent/impuissant) que Perceval aurait guéri en posant les questions sur la lance et sur le Graal... La Quéte complique le schéma de Chrétien. Le motif de la vie soutenue par l’hostie y est attaché au personnage de Mordrain dont les plaies ne se sont pas refermées depuis quatre cents ans et qui attend dans une abbaye la venue de Galaad qui doit le guérir. Le personnage du roi méhaignié de Chrétien est alors dédoublé. D’une part le roi Mordrain, puni par Dieu pour avoir voulu contempler le Graal et maintenu en vie par l’hostie (Quéte, p. 85,11.5 et suiv.). D’autre part un roi Méhaignié (le roi Parlan, une variante sans doute du roi Pellehan donné par d’autres romans du Graal) père ici du Roi Pécheur (lui-méFe temp de toute infirmité) arrière grand-père donc de ralaaqa...

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son ensemble, et même si chaque élément en est identifiable, par Perceval comme par le lecteur, apparaît en même temps comme suspendue, saisie entre deux vides, deux interrogations complémentaires. Où va le Graal et quel est son destinataire ? D'où vient le Graal et, lié, pourquoi la lance qui le précède saigne-t