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French Pages 235 [238] Year 2015
HISTOIRE DES DOCTRINES DE L' ΑΝτΙQUΠΕ CLASSIQUE Fo n dateur : Jean ΡέΡ Ι Ν
D i recte u r : L u c χι
Suzanne HUSSON ~
LA ·REPUBLIQUE '
DE DIOGENE Une
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en quete de la nature
LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN
BR I SSON
LA REPUBLIQUE DEDIOGENE
DU ΜΕΜΕ AUTEUR Α LA ΜΕΜΕ LIBRAIRIE
lnterpreter le De interpretatione, etudes reunies et editees par S. Husson, 2009, 226pages.
HISTOIRE DES DOCTRINES DE L' ΑΝΠQUΠΕ CLASSIQUE Directeuι-
Fondateur : Jean Pepin
: Luc Brisson
XL - - - - - - - - - -
LA REPUBLIQUE DEDIOGENE Une cite en quete de la nature
par
Suzanne HUSSON
PARIS
LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, Place de la Sorbonne, ye 2015
ι.
En application du Code de la PωpΓiete Intellectuelle et notaιnment de ses aι1icles L 122-4, L 122-5 et L 335-2, toute representation ou repωduction integΓale ou paι1ielle faite sans le consenteιnent de l'auteur ou de ses ayants dωit οιι ayants cause est illicite. Une telle Γepn:sentation ου repω>, de l'Universite Paris IVSorbonne, qui ont accepte de subventionner cette publication, ainsi que Monsieur Luc Brisson qui I' a acceptee dans sa collection et relue avec beaucoup d'attention. Enfin, que soient remercies tous ceux dont la presence humaine et l'aide pratique m'ont permis de mener abien ce travail et de surmonter les difficultes et les periodes de doute: mon mari, ainsi que mon pere, ma mere aujourd'hui disparue et regrettee, et mes beaux parents, sans oublier mes enfants qui ont dfi parfois accepter qu'un petit livre d'un personnage mysterieux et partΌis peu recommandable accapare leur mere.
ABREVIA τΙΟΝS
Antίstlιenίca:
F. Dϋmmler, « Antisthenica », p. 67-78, in Kleίne Schι"ifteιι. Ersteι- Βαιιcl: zur Grίeschίschen Phίlosophίe, Leipzig, S. Hirzel, 190 I. Contestatίon: Μ.-0. Goulet-Caze, « La contestation de la Ιοί dans le cynisme ancien », in Melanges de l'Unίversίte Saίnt-Joseph, vol. LXI, Actes du colloque ίnternatίonal: Les doctrines de la lοί dans la phίlosoplιίe de langue arabe et leurs contexte.5 grecs et musulιnans, Vίllejuif, 12-13 Juίn 2007, Beyrouth, Universite Saint-Joseph/Dar ei-Machreq, 2008, p. 405-433. Cynίc Hero: R. Hδistad, C_ynίc Hero and Cynίc Kίng. Studίes ίιι tlιe Cynίc Conceptίon ofMan, Uppsala, Lundeqvist, 1948. Dίe Kynίker: Μ. Billerbeck, Dίe Kynίker ίn der ιnoderιιen Forschιωg, ι-ecueil d'anicles avec introduction et bibliographie, Amsterdam, B.R. Grϋner, 1991. Dίogene: R. Giannattasio Andria, >, dans τ. Scaltsas, Α. S. Mason, Zeno οΙ Citium and Ιιί.v Legaιoy. τJιe Plιίlo.voplιy οΙ Ζeιιο, Larnaca, 2002, ρ. 309-323), soit en examinant la Repuhlίιιue de Diogene i\ titre d'etaρe conduisant i\ celle de Zenon (ιj: D. Dawson, Cίtίe.1· ο./ tlιe God.1·: ConιmιJni.vt Utopίa,v ίn Greek τJιοιιglιt, New γ ork-Oxford, Oxford University Press, \992). Notre objectif, au contraire, est d'en restituer la coherence ρroρre dans le cadre du cynisme, en evitant tout biais retrosρectif. Un tel choix imρlique de renoncer i\ certaines conjectures ρourtant ρrobables. Ainsi nous savons que zeπon, dans sa Rι!pιιi>Ιίφιe, estimait qu'i\ ne fallait ρas construire de temρles (S.V.F. 1264-265); nous ne nous autorisons ρas ρour autant i\
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UNE RE:PUBιtQUE CYNIQUE EST-ELLE POSSIBLE?
Α premiere lecture, les correspondances avec la Republίque de Platon ne manquent pas de sauter aux yeux: tout d'abord la communaute des ent'ants qui, comme la suite le montre, doit etre en f'ait une communaute des femmes et des enf'ants; ensuite, ι, egalite de statut entre temmes et hommes avec ι, insistance, que I' ο η retrouve egalement chez Platon, sur le fait que tous deux partagent les memes activites et qu'en particulier les gardiennes pourront, comme les hommes, s'exercer nues a la palestre et entϊn la mention de la pratique des repas en commun 1• Mais, a cδte de ces theses platoniciennes, d' autres semblent au contraire s' opposer ace qui est soutenu dans la Republίque de Platon : la pratique eftective d'une homosexualite non «platonique»; en generall'entiere liberte sexuelle qui s' oppose au systeme complexe des « mariages » chez Platon 2 ; I' autorisation de Ι' inceste, alors que la convention qui consiste aappeler peres ou meres tous les membres d'une meme classe d'age est destinee, chez Platon, al'eviter; le f'ait que I' ο η puisse tuer ses parents, alors que le respect du aux parents et aux anciens est chez Platon tΌndamenta!3; l'absence de sepulture, que l'on peut opposer au soin que Platon recommande al'egard des tombeaux4, et entϊn, tirees des references du chapitre 6, l'inutilite des armes qui s' oppose ala necessite, pour la cite platonicienne, de f'aire la guerre ou en tout cas d'entretenir une classe de guerriers 5 , ainsi que l'utilisation parodique d'osselets comme monnaie, alors que Platon ne peut exclure de sa cite lacirculation monetaire6. Il semble ainsi, a premiere lectιιre, que la Republίqιιe de Diogene t'asse directement reterence a celle de Platon, que son auteur en ait repris certaines theses, entre autres celles qui, chez Platon meme, pouvaient faire scandale, et se soit explicitement et systematiquement oppose a d'autres. Nous trouvons ainsi une contίrmation de la tradition qui associait les ouvrages de Platon et de Diogene et qui apparaΊt dans une glose chez Diogene Laerce VII 1317. Les temoignages nous revelent, en revanche, que le theme de l'anthropophagie 8 , present dans la Republίque de Diogene, ne trouve pas chez Platon de repondant. L'ouvrage ne se contentait donc pas de repondre aPlaton, mais sa propre demarche ι, engageait dans des voies de ret1exion autonomes dont la tin du chapitre 7 9 , d'interpretation delicate, nous donne un aperςu. Α propos du genre litteraire de l'ecrit, nous savons d'apres la premiere liste anonyme donnee par Diogene Laerce ι ο qu'il s'agissait, comme chez Platon et dans la droite ligne de la tradition socratique, d'un dialogue. Malheureusement en deduire que Diogene adoptait, Iui aussi, ce genre de mesures, tout avec son attitude de defi iΊ Ι 't~gard des institutions reiigieuses. ι. Pourtous ces themes comιnuns, voir ίιψα, part. 11, chap. ι. 2. voir ίnjί·α, part. 11, chap. ι, Ι, b. 3. C/ Piat., R.ψ. 463 c-e. 4. Cj: Piat., R.ψ. 427 b et voir ίιψα, part. 11, chap. 11, Ι, b. 5. Voir ίnj'ra, part. 11, chap. ι, ι, c. 6. Voir ίnj'ra, part. 11, chap. ι, Ι, a. 7. Voir .ΙΊψrα, part. I, chap. ι, ι, b, texte F. 8. Voir ίnj'ra, part. 11, chap. 11, Ι, c. 9. PI1iiod., De .1·to., ΧΧ 4-Ι4. ι 0. D.L. Vl 80, texte Β, .ΙΊψrα.
iΊ
fait compatibies cependant
PROBLEMESTEXTUELS
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nous ne pouvons rίen connaitre des personnages qu'ίl mettaίt en scene, ηί s'ίls ou non anonymes. Il est neanmoίns seduisant de penser, maίs cette hypothese est a prendre avec une grande reserve, qu'ίl pouvaίt mettre, comme Platon, Socrate en scene, non pour en faire un porte-parole maίs pour le crίtίquer dans l'esprit de l'apophtegme suivant: « Diogene affirmait que Socrate lui-meme menaίt une vίe de mollesse, lui qui prenaίt un soin meticuleux de sa petίte maίson, de son petίt lίt et des sandales qu' il portaίt 1• » Or le temoίgnage de Phίlodeme nous revele que la defense du mode de vie cynίque, quί consίste a « revetίr la vίe des chίens » 2 , contre un mode de νίe, certes austere, maίs moίns rίgoureux, pouvaίt constίtuer un point fondamental de l'ouvrage. Dίogene ne respectaίt plus rίen, meme Socrate, sur lequel ίl s'evertuaίt a surencherir; c'est pourquoi Platon pouvaίt dire de lui que c' etaίt un Socrate devenu fou 3 . Α prίorί, nous ne pouvons rίen attendre de sίgnίficatif de 1' ordre employe par Phίlodeme dans son exposition: celuί-cί semble proceder par juxtaposίtίon de theses compilees dans dίvers ouvrages 4, regroupees par themes sans que nous puίssίons y deceler une volonte de progression quelconque, du moίns scandaleux au plus scandaleux par exemple. Philodeme, a ce qu'il parait, compte avant tout sur l'effet d'accumulatίon. Cependant un examen plus attentίf revele qu'a quelques exceptίons pres son expose peut etre dίvίse en tetes de chapίtres quί correspondent a l'ordre de l'examen de ces themes dans la Republίque platonicienne, comme le montre le tableau suivant: etaίent
Themes abordes chez Philodeme
Correspondances chez Platon
(Ι) Caracteres generaux de la viecynique XVIII 1-11
(Ι ') Comparaison du naturel du chien au naturel philosophe 374e -376 c (liνre II)
(2) Homosexualite XVIII 11-15
(2') Reglementation de
(3) Communaute des femmes et des enfants XVIII 17- ΧΙΧ 22
I.EI., V.H.IV 11 [=VB256]. 2. >,ρ. ι 87-200. 2. C. Mainoιdi, ιψ. ι·ίι., . 5. Comme le suggere Μ. Onfray, en s'appuyant sιιr l'allusion a11x doctrines atomistes presentes dans tΙn fragment sur l'anthropophagie (Μ. Onfray, Cynί.Ιτne.v, Paris, Grasset, 1990, p. I ΟΙ, ι}: D.L. Yl 73 [= VB 132]).
SAGESSE CYNIQUE Ετ PHILOSOPHIE
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La gymnastίque
Si nous ne pouvons pas savoir dans quelle mesure Diogene critiquait dans sa les etapes de \'education intellectuelle des gardiens, nous pouvons etre pratiquement surs qu' il y avanςait sa propre interpretation de la gymnastique. En effet, pour Platon, la gymnastique doit faire acquerir au futur gardien la sobriete et I' endurance du chien, car la cite doit former Republίque
des athletes guerriers qui, comme les chiens, doivent toujours etre en eveil, avoir IΌuϊe Ja plus aigue possible, et tout en changeant souvent en campagne d'eau et d'aliments, en s'exposant tour a tour aux soleils brfilants et au froid des hivers, conserver une sante inalterable. (404 a-b)
Nous retrouvons ici la capacite d' adaptation aux circonstances caracteristique du cynique puisque, selon la legende, Diogene « l'ete [ ... ] se roulait sur du sable brίllant, tandis que l'hiver, il etreignait des statues couvertes de neige, tirant ainsi parti de tout pour s'exercer» ι. Ce regime s'oppose a celui des athletes que Diogene, comme Platon, dedaigne pour son caractere artificiel : « Comme on lui avait demande pourquoi les athletes sont stupides, il repondit: "Parce qu' on les batit avec de la viande de porc etde breuf' » 2 • Mais la gymnastique doit changer de sens. Elle ne peut plus etre conςue comme « une gymnastique simple, mesuree et qui soit avant tout une preparation a la guerre » (Rsp. 404 b) contre des ennemis exterieurs, mais comme une preparation a la guerre contre soi-meme et les ennemis interieurs, a I' aide de ponoί volontairement assumes. 11 suffirait, a ce sujet, de renvoyer a I' arrogance manifestee par Diogene aux jeux Olympiques: « Pendant la course armee, tout en courant, il proclama qu 'il etait vainqueur de tous les hommes aux jeux olympiques par sa vertu (kalokagathίa) »3. La vertu cynique est la seule arme et la seule victoire. Voila pourquoi, contrairement a ce qui est prevu dans la Republίque platonicienne, ou il est question de palestres (452 a) et de gymnases (452 b), la gymnastique cynique ne beneficiera d' aucune installation particuliere. zenon, en effet, dit dans sa Republίque « vers les 200 qu'il ne faut pas construire de temples, de tribunaux ou de gymnases dans Ies cites » 4. Or I' origine cynique de cette proposition minimaliste est tout a fait vraisemblable. Ι\ η 'y a pas de lieu specialement consacre a l'exercice car c'est l'espace tout entier qui donne lieu a exercer la vertu, puisque la vie des cyniques est entierement tournee vers elle.
I. D.L. VI23 [= VB 174], voiraussi VB 176. 2. D.L. VI 49 [= VB 446], voir aussi VB 291, 450-452. Pour Platon, voir R.ψ. 404a et pour les cyniques Μ.-0. Goulet-Caze, L 'a.κe.ve cyιιί(JUe, > mais ne remarquent pas « ce qui se passe
a
leurs pieds >>5, alors que Diogene, qui vit ahauteur d'homme, sait discerner les seules choses qui valent la peine de I'etre: \a vertu et \e vice de ses contemporains. Tout se passe comme si I' astrologue tournait son regard vers \e ciel avant tout pour le detourner de ce qui exige d'etre vu sur terre. Ce theme, present chez d'autres socratiques6, est tres clairement repris par Bion de Borysthene7. Nous nous trouvons donc, une fois de plus, t'ace aun lieu commun que le cynisme a assume dans \e cadre de sa propre problematique. Pour ce qui est de la recherche dialectique de l'essence, la partie proprement platonicienne de l'education, nous aurions pu renvoyer a l'anecdote qui met I. Pourlageometrie, voir D.L. Υ! 104 [= VB 369], D.L. Υ\ 73 [= VB 370], Stob., 1131, 118 [= VB 373] et pour I'astronomie : VB 370, 371, 374. 2. Cj: D.L. Υ Ι 58 [=VB 186]. 3.D.L.YI39[=YB371]. Cependant cette replique (que l'on retrouve egalement dans une lettre pseudo-diogenienne 38, I [= VB 568]) n'est pas proprement cynique, mais semble plutόt tiree d'une comedie semblable aux Νιιee.1· d' Aristophane, comme en temoigne une scholie a une ceuvre d'Euripide: > (Voirace proposA. Brancacci, 0/KE/OSLOGOS, ρ. 227-240).
SAGESSE CYNIQUE Ε'Γ PHILOSOPHIE
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n'est qu'un detour prίs pour s'eιoίgner du questίonnement verίtabιe, un effet du tuphos ι de Pιaton, cet orgueίl quί ι' empeche de voίr ι' ίnutίlίte de ses recherches. La phίιosophίe comprίse dans un sens pιatonίcίen est donc ίnutίle et ne fera pas partie de l'educatίon des cίtoyens de la cίte cynίque. Sur ce poίnt, la Republίque de Dίogene devaίt se demarquer entierement de celle de Platon, soit par son silence sur la questίon, soίt par une contestatίon dίrecte. Sί, dans une perspectίve platonίcienne, nous accordons au cynique comme au chίen \e naturel phίlosophe, Dίogene seraίt un natureι phίlosophe quί η' aurait eduque que son thumos et son epίthumetίkon, maίs quί aurait refuse \'education noetίque. On ne peut nier qu 'ί\ possede en bonne partie 2 \es vertus de temperance et de courage, maίs ί1 ne possede aucune des qua\ίtes proprement philosophiques, liees a\a contemplation de l'intellίgible. Telle est sa tΌ\ie: ma\gre les tentations quί \'envίronnaient, νοίcί un naturel phίlosophe quί a, par chance, reussi a echapper, comme Socrate, a\a corruptίon3. Ι\ se saίt luί-meme etre te\, puίsqu'il proclame son desίr phί\osophique4, mais refuse d'accomplίr \es dernieres etapes quί lui permettraίent de parvenir au plein epanouissement de sa nature, a \'hegemonie du νους. Ι\ y a, d'un point de vue platonicien, dans le personnage de Diogene une obstination inexplίcab\e quί le pousse a dedaigner vίolemment les etudes theorίques quί devraίent etre pour luί un objet de delectatίon, sans pour autant se laίsser corrompre par les desίrs du corps ou \es sίrenes de \a doxa, une obstίnatίon qui ne peut etre qualίfίee que de folie. Or \a folie de Diogene ne peut etre ίdentίfiee aaucun des quatre types de folίe dίvίne repertorίes par Platon dans le Phedre (244 a-245 b). La demence de Dίogene seraίt-el\e de celles quί ne nous sont pas envoyees par les dίeux, une fo\ίe ordίnaίre qu'ίl seraίt \egίtίme de meprίser? Ou bίen ne faudraίt-ίl pas, pour Dίogene, defίnίr une autre espece de demence dίvine? Cependant, toujours dans \e cadre du platonίsme, l'attitude de Dίogene pourraίt etre explίquee plus sίmplement. Ι\ ne s' agίraίt pas d'un naturel phίlosophe I. Cj: D.L. νι 26 [= νΒ 55]:> (op. ι:ίt., p. 2 Ι 8). Α cet οιιblί, le cynisme etait le remede.
CHAPiτRE 111
LA CITE DE L'AUTARCIE
Dίogene
ne cesse de c1amer son refus de 1a corruptίon rat'finee des mreurs sa confiance en 1a sίmp1ίcίte de 1a nature, et pourtant ne va jamaίs rejoίndre en ermίte cette nature quί devraίt 1uί procurer 1ίberte et bonheur. Il s'obstίne avίvre en parasίte d'une cίte que, par aίlleurs, ί1 ereinte. Ne faut-ί1 pas voίr dans cette attίtude une contradίctίon, voίre 1e sίgne d'une ίmposture? Tout en se dec1arant ίndίfferent aux normes quί regίssent 1a socίete, 1e cynίque n'auraίt-ίl pas su en faίt en user habίlement pour occuper un espace socίal, un rδle que 1a cίte appe1aίt, maίs quί n'avait pour 1'ίnstant pas trouve d'acteur, d' hupokrites? Apres tout, de meme que, se1on Oscar Wίlde, « pour penetrer dans \a bonne socίete, aujourd'huί, ί1 faut soίt nourrir 1es gens, soίt 1es amuser, soίt 1es choquer- c'est tout » 1, pour penetrer dans 1a bonne socίete phί1osophίque athenίenne, ί\ sut't'ίsaίt de 1' amuser et de 1a choquer. La 1ongevίte du cynίsme dans 1a socίete antίque, sa capacίte d'adaptatίon et de transformatίon seraίent-elles le sίgne d'une bonne connaίssance et d'une acceptatίon, au moίns inconsciente, de normes socίales ίmp1ίcίtes? Que1 estdonc 1e sens de 1'ίnvestίssement cynίque de l'espace public? La Republίque de Dίogene peut nous permettre d' ec1aίrcίr cette questίon, d' autant p1us qu' elle est au creur d'une autre ambίguϊte: cel\e de 1' ίnvestίssement cynίque de I' espace 1ίtteraίre. Comme nous 1'avons vu, 1es cynίques, tout en proclamant l'ίnutί1ίte des lίvres, ont produίt eux-memes des reuvres trut't'ees de ret'erences culturel\es. Nous retrouvons ainsί une autre apparente contradictίon. De ces deux tensίons, 1a Republίque de Diogene constίtue 1e nreud, puίsqu'el\e est un ouvrage Iίtteraire dont 1e sujet est po1ίtίque. En restίtuer dans 1a mesure du possib1e le contenu ne suffit donc pas. Il faut d'abord essayer d'en comprendre le sens g1obal et 1Όb jectίf. Comment le cynίsme, quί semb1e mettre en avant l'autarcίe quasί absolue de 1'indίvίdu, peut-ί1 s'ίnteresser a 1a chose publίque? Celle-cί peut-elle avoίr athenίennes,
I. Ο. Wilde,Ap/ι(JI'i.Ι·nιe.v, Paris, Mille et une nuits, 1995, p. 56.
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UNE REPUBLIQUECYNIQUE EST-ELLE POSSIBLE?
reellement pour lui un sens? La constitution d'une cite, fίit-elle un simple jeu, estelle compatible avec les tΌndements du cynisme? De plus, pourquoi entreprendre de rediger un ouvrage portant un titre deja surdetermine par bon nombre d'ouvrages anterieurs? Quel objectit' peut-on ainsi poursuivre? Lorsque, dans sa propre Republίque, Platon commence a tΌnder la cite juste, le philosophe avance que \a formation d'une cite est necessaire a ι, homme parce que « personne parmi nous η' est autarcique mais chacun manque de beaucoιιp de choses» 1• Α l'origine de la cite est donc pose un det'aut d'autarcie, une incompletude inherente a l'individu humain, que \e cynisme se t'ait tΌrt de nier. Certes le terme d' autarkes, en tant que tel, n'apparaί't guere qu'une seule tΌis dans \es fragments relatit's a Diogene: « Alors qu' on lui demandait qui est riche parmi \es hommes; il repondit, ce\ui qui est autarcique»2. Neanmoins il semble que l'autarcie devint pour les contemporains, ou la posterite immediate, du cynique \e mot cle de son enseignement puisque, d 'apres Diogene Laerce: Plus tard, ses concitoyens aussi I' honorerent d' une statue de bronze sur laquelle ils inscrivirent les vers suivants: Meme le bronze subit le vieillissement du temps, Mais ta renommee, Diogene, I' eteΙΏite ne la detruira point. Car toi seul as montre aux mortels la gloire d'une vie Autarcique et le sentierde l'existence le plus t'acile aparcourir 3. Mais, malgre son air d'evidence, quel sens doit-on, dans le cadre du cynisme, donner acette notion? UN NOUνEAU SENS DE L' AUT ARCIE Autarkeίa derive du verbe arkeδ qui veut dire au sens propre « ecarter, pousser », par suite « tenir bon » et entϊn « suftϊre, ce qui sut't'it ». Ainsi, celui qui se suftϊt a lui-meme est celui qui sait par lui-meme resister et repousser tout ce qui menacerait son existence, sa securite et plus loin son bonheur, celui qui par luimeme est arkos, donne \a securite, ecarte \e mal et de ce fait ne depend que de lui-
ι.« τυγχάνει ήμ&ν εκαστος ούκ αύτάρκης aλλiJ. πολλ&ν ένδεής», Ριaι., R.ψ. 369b. 2. > (Clem., Stl'. νι 2, 24, 8). En fait, le theme de ι·autarcie du sage est atteste aνec beaucoup pιus de precision chez Antisthene: > (Stob., ι ν 6, 19 [=D.Κ. Β 267]). Nous voyons ainsi, une fois de plus, comment, malgre ses emprunts, le cyπisme a pu eιaborer un point de vue original. 3. D.L. νι 38 [=νΒ 34ι]. 4. D.L. νι 37 [=ν Β 344].
LA CΙΤέ DE L' AUTARCIE
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Tout appanient aux dieux; les sages sont amis des dieux; tout est commun entre amis; donc tout appartient aux sages 1• L'image du sage « ami des dieux » qui, normalement, exprime une piete reverencieuse est ironiquement transformee en une relation d'amitίe reciproque qui met chacun des partenaires sur un pied d'egalite,jusqu'au partage des biens communs. Μ. Darakί2 a ainsi faίt l'inventaire des details qui, dans la tradίtίon, tendent a assίmiler Dίogene a un dieu : Diogene demande aux Atheniens de le nommer par decret Dίeu Serapίs3; d' autre part, « comme ίl s'etait t'rotte les pίeds d'huίle part'umee, ίl declara que de la tete le parfum monte dans I 'aίr, tandis que des pίeds ίl monte anosnarines » 4, alors que le parfum quί monte des autels est la part reservee aux dίeux; enfίn Diogene nous est souvent montre habίtant les templess. Le cynίque se rend par son ascese aussί lίbre que les dίeux. L'ίnferίorίte ontologique de l'homme est depassee par une egalite ethίque 6 • Aucune hίerarchίe religieuse ne viendra ainsi troubler son autarcie. Quant a savoir s'il faut attribuer a ces propositions sur les dieux la valeur d'une doctrίne relίgίeuse posίtίve, la questίon a ete amplement dcbattue dans I' Antίquίte, comme le rappelle G. Gίannantoni 7 , et rouvrίr le debat nous ecarteraί ι trop de notre sujet. Nous voudrίons sίmplement contϊrmer la conclusίon de Μ.-0. Goulet-Caze en faveur d'un agnostίcίsme ou les dίeux ont sίmplement un rδle de paradίgme moral. Que les dίeux exίstent ou non, le cynίque n'a pas besoin de cette hypothese pour justίfier sa phίlosophίe. Sa seule experίence luί suffίt pour prouver que seul le cynίsme conduit au bonheur; or celle-cί n'a nullement besoίn de se rcterer aux
I. D.L. νι 37 [=ν Β 353]. Ce syllogisme devient, dans une autre veι·sion: « Τοιιt aρρartient aιιχ dieux; les dieux sont amis des sages; tout est commun entre amis; donc tout aρpartient aux sages » (D.L. νι 72 [=ν Β 353]). 2. Μ. Daraki, Une ι·elίgίο.Ι·ίιe .~αη.1· Dίeιι. Ε.Ι·.Ι·αί .vιιl' le.1· .Ι·tοϊι·ίeη.v d Άtlιene.v et .ΙΊtίηt Αιιgιι.Ι'Ιίη, Paris, La Decouverte, 1989, p. 45-48, et >, L Ίιί.\'Ι(ιίι'e, 1978, p. 8. 3. D.L. νι 63 [= νΒ 36]: >, trad. L. Brisson, Paris, GFFiammarion, 1989.
LA CΙΤέ DE L' AUTARCIE
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d'un tίers, \e pub\ic grace auquel ce qui se joue entre deux indivίdus prend un sens commun, valable pour tous ceux qui appartiennent au meme espace politique et, par extension, pour tous les hommes. Qui cherche, non pas simplement \e bonheur pour lui-meme, mais une sagesse s'adressant a tous, doit, pour atteindre cet universel, en passer par la mediatίon de ι 'espace pub\ic. Mais comment conci\ίer cette exigence constίtutive de la pratίque philosophique avec le rejet cynique des mreurs civilίsees et des \ois civiles, au profit de \a vie naturelle? Le cynίque doit demontrer que, meme s'ίl habite une cite antinaturel\e, ί\ n'a pas besoin de ce qui, en elle, n'est pas conforme a \a nature: ί\ pouπait tout aussi bien vivre dans une cite ou toute instίtution et Ιοί inutile auraίt ete abolίe, ou chacun se conformeraίt totalement aux normes de \a vίe naturelle. Une telle cite peut etre conr;ue et imaginee de far;on ratίonnelle, par exemple dans un ouvrage traditίonnellement ίntίtu\e Polίteίa. Sί elle exίstait, n'ίmporte quel sage cynique pourraίt y vίvre, maίs comme el\e η' existe pas, Diogene est contraint de vivre sous la protection de coutumes et de loίs dont \a reelle fonction n'est pas de corriger \a nature, mais \es dommages qu' elles ont elles-memes causes, en ecartant \'humanite du bonheur naturel. Diogene, dans une certaίne mesure, respecte par son comportement \es \ois les plus fondamentales de \a cίte 1 et a besoin d'el\es pour survivre; cependant, al'ίmage de la souris capable de vίvre naturellement dans un univers artificiel, l'existence qu'ίl mene n'est tΌndamen talement pas reglee par el\es. Par cette vie, qu'il mene aux yeux de tous, il peut reveler achacun ce quί est naturel en luί et indiquer ainsi ce que serait une cite dont la sagesse seule aurait trace le plan. Αίηsί, l'ecriture d'une Republίque est une etape necessaire a l'exploration de toutes les dimensions de l'autarcie: sans elle son sens anomique (sens c 1) ne pourraίt parvenir a son veritablement achevement. Maίs n'est-ίl pas contradictoίre dans \es termes de vouloir constίtuer une cite composee d'individus autarciques? Puisque \e besoin, qui pour Platon est a \Όrigine de la cite, ne peut a lui seul contraindre \es sages cyniques a fonder une communaute, quelle est donc \Όrigine de cette Republίque que Diogene, en reponse a l'utopie platonicienne, tentait de decrire?
LA SEULE VERTU POUR ORIGINE Dans son etude sur \a Republίque de Zenon, Μ. Schotϊeld 2 montre que le stoϊcien faisait de l'amour a visee educative- pense sur le modele de l'homosexualite spartίate - un lίen unissant les membres de sa cite. Ce\ιιi-ci, en eΠet, selon Athenee, « disait dans sa Republίque que I' amour est un dieu qui contribue
l.ll vole de la nourriture dans les temples, mais ne s'attaque apparemment pas iι la propriete des particuliers et ne pratique ηί le viol, ηί le meurtre. 2. Μ. Schofield, Stοίι:/ι/eα, chap. 2, qui fait la saνeur du trait attribue au cynique, car est remplace par . Les jeux de mots autoursde sontd'ailleurs frequentsdans lecorpuscynique (Cj: VA 105, VB 303, ΥΗ 79, VA 171 ), ce qui nous permet de conclure al'originalite cynique de ce fragment. 5. Plut.,ιle proj: in vil'!. 11, p. 82 [=ΥΒ 420]. 6. Alors que le cynique aftiche un dedain souverain de la ιlοχα, ii ne pouvait echapper aux conditions generales de manifestation de la vertu dans le monde grec, qui restent pour lui impensees.
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Les insenses ne peuvent devenir des hommes veritabιes parce que ιa doxa est une apparence de vertu, qui comme ιa vertu se manit'este de t'a~on collective par ιe regard d'autrui. Toute cite ποπ cynique produit donc avec elle cette illusion qui pervertit ιe discernement moraι de ses membres, si bien que seuιes des personnaιiιes exceptionnel\es peuvent en vaincre ιes eΠets. Dans une repubιique cynique, au contraire, ι'apparaltre de ιa vertu n'aurait pas besoin d'etre redresse, de sorte qu' ίι η Ύ aurait pιus a distinguer entre amis et flatteurs, amis et ennemis. Dans cette communaute vraiment humaine, tous seraient amis, ιa vertu serait toujours ιouee, ιe vice toujours bHime et rien n'empecherait ι'homme de ιaisser transparaltre ιa nature en ιui et autour de ιui. La vertu devient ιa seuιe raison d'etre de mon rapport a autrui: aucune autre consideration comme ι'interet, ιe besoin mutueι, ne peut venir fausser ιes reιaιions humaines. L'homme ne t'requente \'homme que par ce qu'iι y a d'humain en ιuί, pour jouir et deveιopper une mutuelle humanite sans entraver une non moins mutuelle ιiberte. En ce sens, maιgre sa ret'erence a ιa nature, ιe cynisme est bien ι' heritίer du socratίsme. Cependant ίι reste une objectίon a ecarter. Aristote voyait dans ιe t'aίt que « meme quand ίιs η' ont pas besoin de ι' aide des autres, ιes hommes η' en ont pas moίns tendance a vίvre ensembιe » 1, une illustration de ιa nature poιitίque de ι'homme: c'est unίquement dans ιa dimension poιίtίque de sa vίe que ι'homme peut reaιiser ιa pert'ectίon de sa nature. Ν' est-ce pas ce que ιe cynίque est en train de manit'ester, ιuί qui, maιgre son autarcie, essaye de penser une communaute poιitique? Mais, sί comme ιe dit Ρ. Pellegrin, « chez Aristote, et pas seuιement ιorsqu' ίι s' agit de realίtes poιίtiques, ι' autarcie est un gage de perfectίon » 2, comment penser qu'un etre autarcίque- donc deja parfaίtetquί se pιace a ι•egaι d'un dίeu -quί n'a besoin de rien d'autre que de ιui meme, recherche dans ιa vίe polίtίque une perfection pιus grande, puisque, « ceιui qui n'est pas capabιe d'appartenir a une communaute ou qui n'a besoin de rien parcequ'ίι se suffίt a ιui-meme (dί' autarkeίan) n'esten rien une partied'une cite, sί bien que c'est soitune bete, soίtun dieu »3? Faudraίt-ίι en concιure, comme ι' aurait sans doute fait Aristote, que ι' autarcie revendiquee par ιes cyniques n'est qu'illusoίre? Le mode de vίe urbain et ιes preoccupations poιίtίques de Dίogene ne montrent-iιs pas que ιes cyniques sont des anίmaux poιitίques comme tous ιes autres hommes? Ou bien peut-on neanmoins tenter de sauver ιa coherence du cynisme? Si ι'autarcie, en effet, peut-etre « gage de perfection », nous pouvons egaιement dire qu' elle η' est pas \a perfection elle-meme, qu' el\e η' est pas par elle-meme, un achevement. Ne dependre de rien d' autre que de soi-meme comme dans ιe cas du dieu, ou bien, ne dependre de rien d'autre que de ιa nature, comme dans ιe cas du cynique, n'est qu'une condition negative preaιabιe a ιa reaιisation I. Arstt., Ρο!. III 6, 1278 b, trad. Ρ. Pellegrin, 1990. 2. Ρ. Pellegήn, op. ι·ίt., p. 32. 3. Arstt.,Po/.12, 1253 a, trad. Ρ. Pellegrin.
Arί.vtote,
Le.v μοlίtίqιιe.v, Paris, GF-Fiammarion,
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de l'exce\lence d'un etre. La vertu est en exces sur l'autarcίe, e\le ίmplίque un deploiement, une manifestation de l'etre quί ne reste pas retranche dans son autosuftϊsance maίs agίt au-dela de lui-meme: I'Un plotίnίen, par exemple, bίen qu' autarcίque 1, engendre I' ίntellίgence. Αίηsί en est-ίl du cynίque: son ascese, dont le but est l'autarcίe, ne debouche pas seulement sur une lίberation ίnterieure maίs lίbere egalement le rapport a autrui, une tΌis qu'autrui n'est plus une menace pour ma liberte 2 • Aussi, saut' a le concevoir sur le mode d'un absolu abstraίt, il n'est pas contradictoire de penser que l'autarcie d'un etre debouche en fait sur une nouvelle relation, de meme qu'il ne semblait pas contradictoire a .έpicure que Ιes ctieux, pourtant parfaits en euxmemes, passent l'eternite a s'entretenir mutuel\ement dans leur intermonde et, comme le disait deja Antisthene, la philosophie nous prepare a vivre parmi les dieux 3 • .Mais, si tel est le cas, la description d'une cite de sages ne se sίtue-t-el\e pas necessairement hors de notre monde? La Republique de Diogene n'etait-elle pas une utopie? L'έPREUνE DE L'UTOPIE
Avant de pouvoir dire si cet ouvrage doit etre classe dans le genre utopique, il est necessaire de definir au prealable la notion d'utopie et d'explorer sa polysemie. La notion d 'utopie
Depuis l'ouvrage de Thomas More, cette notion a engrange un grand nombre de significations qu'il conviendrait tout d'abord de determiner, de la plus large a la plus restreinte: 1) Certains auteurs 4 qualifient d 'utopies des textes aussi divers que la description de l'ile des Pheaciens dans l'OdysseeS, la descriptίon de I' Atlantide 6 ,
I. Cj: par ex. Plotin, 11 9, Ι, 9; ν 3, 13, 17; νι7, 38, 23. Cependant I'Un peut etre dit au-dela de l'autarciedelameme faς:onqu'ilestaudelade l'essence, parexcmpleen ν 3, 17, 14. 2. C.( J. de Romilly, Lα Griχ·e αntίφιe ι/ !α deαιιιverte ιle !α lίbate, Paris, De Fallois, 1989, p.33. La revendication cynique de l'autarcie n'impose donc pas d'interpreter \e cynisme dans le sens d'un individualisme (comme le fait parexemple M.-OGoulet-Caze, dans » ou «εύ», M.I.Finley en deduit que « toute pensee utopique possede une part d'imagination, de reve ou tout au moins de desir d' une vie et d' un monde meilleurs »3. Cependant, ii nous faut ecarter ici cet usage trop large de la notion qui ne nous permet pas de distinguer des ceuvres aussi differentes que des traites de pensee politique, des fictions a portee philosophique ou de simples tϊctions η' ayant d' autre ambition que de nous introduire dans un monde imaginaire 4 • 2) Une det"inition plus restreinte du mot est alors possible. Elle nous permettrait de distinguer l'utopique du merveilleux, en ecartant les recits qui, par exemp\e, dressent le tableau d'une nature extraordinairement genereuse qui dispense \es hommes des travaux penibles des champs 5 , ou bien qui attri buent aux habitants de telles contrees des caracteristiques physiques insolites et, \e plus souvent, avantageuses par rapport aux limites de la constitution humaine 6 • De telles descriptions de societes, dont le bonheur exceptionnel serait dfi au t"ait qu' elles ne connaissent pas au depart \es conditions de vie de I' humanite sur terre, seront appelees des « fictions utopiques » plutδt que des utopies au sens strict. Une utopie sera donc \a description d'une societe plus part"aite que les societes existantes: elle n'a pas de rea\ite empirique, de lieu, ou bien se situe dans un nonlieu fictif, qui toutefois s'insere dans un cadre naturel et humain t'ondamentalement identique au nδtre. La pensee utopique prend donc racine dans une ret"lexion sur \e rapport des hommes a leur environnement naturel et sur leurs relations mutuelles, dans \e but de concevoir une societe exempte des tares et det"auts des societes reelles. Comme \e dit Μ. Le Dceuff: Une utopie doit apporter la preuve que son reve est non-contΓadictoire, qu'un systeme socio-politique peut s'en deduire, et qu'il n'est pas incompatible avec ce I. Cj: Diod. Sic., 11 55 .Ι"q.
2. Cj: Diod. Sic., V 42.Ι·cι. 3. M.I.Finley,op. ι:ίι.,ρ.3. 4. Dans son ouvrage Citίe.l' oj' tlιe Gοd.ΙΌ Communί.Ι'I Utopia.~ ίn Greek Πωιιg/ιt, New YorkOxford, Oxford University Press, 1992, D. Dawson, a egalement comρris la notion dΊιtoρie dans son sens le ρlus large, ce qui Ie conduit ales classer en hautes (ne visant ρas de realisation emρi ήque) et basses (se ρresentant comme des modeles realisables) (ρ. 77-81), mais, comme I'a montre Μ. Schofield (, p. 2687.
2. Cj: Plat.,CΓίtί.
114e.Ι·η.
3. Comme dans I'ouvrage de τ. More, L' Utoρίe, livre I, Paris, GF-Fiammarion, 1987, p. 87 .I'Cf. 4. Μ. Le Dreuff,oρ. ι·ίι., p. 2687. 5. Plat.,R.ψ.369a. 6. Ε. Chambry, parexemple, traduit « θεασαίμεθα >> paΓ « si nous considerionsen iιnagination
>>.
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Un exercίce de sagesse Si nous nous en tenons au sens Ie pius strict de ce mot, c'est-a-dire Ie sens (3), nous sommes conduits a refuser a Ι Όuvrage de Diogene Ia quaiification d 'utopie. En et'fet, nous savons que « Diogene decrete (nom.otheteί) dans sa Republίque qu' il faut que Ies osseiets aient cours (nomίteuesthaί) comme monnaie » 1• Ainsi, comme en temoigne ce vocabuiaire Iegisiatif, Chrysippe, d'apres Phiiodeme, depeint bien Diogene en Iegisiateur d'une nouvelle polίs et non en temoin d'une cite deja tΌndee dont il ne serait qu'un visiteur. La Republίque de Diogene ne se presentait donc pas comme un recit de voyage dans une contree imaginaire, mais comme un programme Iegisiatif repondant a Ia question: quelles Iois 2 t'audrait-il instaurer pour qu 'une cite permette a des hommes de vivre ensembie sans dechoir de Ieur humanite? Quelles seraient Ies Iois de Ia cite veritable qui, certes, η' existe pas, mais dont nous pouvons rationnellement envisager Ι' existence? L'ouvrage de Diogene est donc plus un ouvrage de retlexion politique qu'une utopie au sens le plus rigoureux du terme. Sur ce point, il s' apparente une t'ois de plus a l'reuvre homonyme de Platon, ainsi qu'aux Loίs. Cependant, cette similitude meme fait surgir une nouvelle question: s'agissait-il d'un programme destine a etre un jour realise? Lorsqu'il envisage sa cite juste, Platon tente egalement de repondre a I' objection de son impossibilite et est ainsi amene a demontrer la possibilite d' une transition entre une cite reelle et la cite ideale, par la mediation du roi philosophe 3 . Mais qu' en est-il de Diogene? Etant donne le peu d' elements dont nous disposons, il nous est certes diΠicile de trouver une reponse definitive a cette question. Cependant certains signes nous laissent penser que Diogene ne devait pas reellement chercher a t'onder une communaute de sages. Tout d'abord ni lui ni ses disciples ne semblent avoir cherche a tΌnder une « Cynicopolis » ou une « Diogenopolis », a I'exemple de Platon voulant conseiller le tyran Denys ou bien de Plotin cherchant a t'onder une « Platonopolis » 4 • D' autre part, Diogene repoussait ses disciples avec trop de constance et trop peu de proselytisme pour ne pas etre indit'ferent a la realisation eventuelle d'une communaute de sages. Ainsi, si l'imaginaire est l'un des traits distinctif's de l'utopie (a l'inverse du traite de pensee politique qui se donne un contenu programmatique), nous pouvons dire que la Republίque de Diogene etait plus utopique que celle de Platon, ou bien qu'elle se situait a la limite du genre utopique au sens strict. Si elle I. Philod., [)e .~ιο., XVI 6-9, texte Α.vιιpι-α. 2. Sur le statut de la Ιοί dans la Rι!pιJhliqιιe de Diogene, voir injra, p. 147-159. 3. Plaι., R.ψ. νι 498 c .~ι1 . 4. C/ Porph., Vit. Plot., chap. 12. Certes, nous pouπions evoquer le cas de Cercidas de Megalopolis, poete adιnirateur de Diogene qui contribua certainement a l'elaboration de la constitution de Megalopolis en 235 av. J.-C. Mais, comme le dit G.J.D. Aalders (ιψ. ι·it., p. 61-62), malgre la tonalite cynique de ses poemes, celui-ci n'adopta pas lui-meme le mode de vie cynique et fut surement un legislateur modere a cent lieues des propositions de Diogene (ιj: aussi D.R. Dudley, Hi.~tory, p. 74-84).
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deja realίsee, ce quί nous el\e ne consideraίt pas neanmoins que cette cίte de chίens dfit etre realίsee un jour. Autrement dίt, I' enonce du programme de sa fondatίon vaut pour luί-meme, ίndependamment de toute realίsatίon possible. En ce cas, quel pouvait etre le but de sa description d'une communaute cynique? L'enjeu de cet ecrit ne peut se comprendre que par sa situation dans le champ des autres ecrits du meme genre. L'ecriture d'une Polίteia etaίt devenue depuis le ve siecle υπ lieu commun 1• Tout ecrivain ayant des pretentions philosophiques se devait d' aborder ce sujet. Or, d 'une part, Diogene, quoi qu' ο η en dise et en depit de ses denegations, etait un ecrivain, certes mineur, mais un ecrivain tout de meme. D'autre part, les titres et le style de ses reuvres temoignent du fait qu'il revendiquait le statut de philosophe2, puisqu'il composa des dialogues, genre philosophique et meme socratique, dont les sous-titres (La vertu, Le bien, La mort) 3 sont sans equivoque. Cet exile cultive, une fois arrive a Athenes, entreprit donc de trouver sa place dans le champ 4 1itteraire et philosophique. Mais pour des taisons que seule une analyse socio-historίque permettrait de degager 5 , ίl lui etait impossible de trouver une position dans les cadres de la philosophie legitime; c' est pourquoi il construisit a la fois a travers sa vie et son reuvre une nouvelle modalίte de la pratique philosophique, un nouveau type, un nouveau personnage de philosophe. Mais l'introduction de ce nouveau type- qui connut jusqu' a la tϊn de I' Antiquite la prosperite que I' ο η sait- ne signitϊait pas le simple ajout d'un element de plus dans l'ensemble des phίlosophies possibles, un simple accroissement du nombre et de la variete des ecoles, mais cette apparition bouleversait le champ philosophique dans son ensemble puisqu'el\e remettait en ne
representaίt
pas la
socίete ίrreelle decrίte coιnme
renverraίt du cδte de I' ίmaginaίre,
ι. Voir iΊ ce sujet le livre de J. Bordes, ΠΟΛΠΕΙΑ ιlan.Ι·ia ρen.ΙΊ!e gι-ecφιe }tt8(j!t 'ι/ Ari.ltote, Paris, Les Belles Lettres, ι 982, pα8.~ίnι. 2. Peut-etre ce statut, non vouιu au depart, s'imposa-t-il iΊ Diogene, par ιe regard des autres. Les Atheniens furent peut-etre ιes premiers aetiqueter ce genre de vie originaι, mais aι' origine sans autre pretention, de > ou de >; il avait pour patrie, disait-il, la mauvaise reputation (adoxian) et la pauvrete, dont la tΌrtune ne peut s'emparer, et il se disait concitoyen de Diogene (Diogenous einai polites) que les attaques de I' envie ne peuvent atteindre 1• ου qu' ils se trouvent, les sages forment deja une cite naturelle au beau milieu des cites artitϊcielles; c'est pourquoi il n'est nul besoin d'essayer de la realiser, dans un endroit precis. Comme l'amontre Ρ. Hadot 2, beaucoupd'ecrits philosophiques de I' Antiquite ne doivent pas etre consideres comme des exposes purement int"ormatil's mais comme des exercices de sagesse, des exercices spirituels. L'acte de parler, d'ecrίΓe, de Jίre OU d'ecouter est destίne a proνoquer par Juί-meme une transformatίon de l'individu. Ainsi Plotin utilise 3 la fonction psychagogique de la parole et de l'ecriture, dans le but d'entrai'ner son propre esprit et celui de ses auditeurs vers la contemplation, lorsqu'il s'agit d'aborder les niveaux de realite pour lesquels la rationalite discursive n'est plus pertinente. Marc Aurele use de l'ecriture pour assimiler et inscrire definitivement les principes de la sagesse stoϊcienne en son ame, de meme le dialogue platonicien est un exercice dialectique par lequelle lecteur est invite a mimer la progression interieure des ditierents interlocuteurs. Or si les implications metaphysiques de cette expression peuvent nous faire hesiter a lui accorder le titre d' « exercice spirituel », la Repιιblίque de Diogene etait un exercice pratique de sagesse. Pour l'ecrivain, assumer publiquement la paternite d'une telle reuvre revelait ou renforςait son inditierence a l'opinion; pour l'auditeur ou le lecteur, elle constituait une occasion d'experimenter ce que suivre la nature et ne plus etre esclave de la doxa voulait dire quand bien meme ffit-il implicitement entendu que Diogene n'invitait pas a appliquer hίc et nunc les preceptes de saRepublίque a la lettre. Si les cyniques furent connus et admires pour avoir particulierement developpe l'ascese physique, si bien que la comparaison avec les renonςants hindous s'imposa tres tδt 4 , et s'il est vrai qu'ils ne reconnurent pas de valeur tΌrmatrice a une education purement intellectuelle, il η' en demeure pas moins que laquete de la sagesse n'abandonne pas son rapport intime au logos. La vertu ne se communique pas sans paroles et ne s'explicite pas sans raisons, et les citoyens de la cite cynique ne font pas vreu de silence, puisqu'ils doivent parvenir a un usage direct des mots. La Republίque de Diogene est un exemple de cet usage rationnel de la parole qui explicite et prolonge J'ascese physique. Si l'existence cynique
I. D.L. V/93 [=VH31]. 2. Exerι:ίι:e.v .ψίrίtιιel.v et plιί!ο.Ι"!ψlιίe αntίφιe, Paris, Etudes Augustiniennes, ι 987,2 c ed. 3. De faςon lucide, c 'est-a-dire sans ceder a un iπationalisme facile. 4. Cj: C. Muckenstιιrm, >, dans > (Ιι/eο/οκία Cιιιιte.vtιιtιιrία, p. 243). Cependant le meme auteur en conclut que Diogene, en faisant circuler des osselets iΊ la place de la monnaie metallique, avait le projet utopique de trouνer un moyen d'echange qui, n'ayant en soi aucune νaleur, permettrait d'echapper au fetichisme corrupteur dont l'or et l'argent sont entoures. Autrement dit, il faudrait donner iΊ la proposition diogenienne un sens litteral. Cependant, la necessite d'un tel moyen d'echange supposerait qu'il y ait suffisamment de choses iΊ echanger, autrement dit que les membres de la cite cynique possedent ou fabriquent suffisamment de biens pour que le troc ne suffise pas iΊ regler les echanges. Or tel ne peut etre le cas du cynique, qui traditionnellement ne possede que le strict minimum. De plus, comment comprendre alors que, dans sa Reριι!J/ίφιe, Zenon affirmait en reponse iΊ la formule platonicienne de 371 b: « La monnaie, je pense qu' il ne faut pas en fabriquer ni pour les echanges, ni pour les voyages iΊ l'etranger>> (D.L. VII33)'? Aurait-il adopte, iΊ l'egard de la monnaie, une attitude plus radicale que celle de son modele cynique, dont un des mots d Όrdre etait la falsification de la monnaie? 2. Μ. Tyr., Ρ/ιί/ο.vορ/ι. XXXVI 5 [=VB 299]. 3.Cj:YB2-IO. 4. Comme Ι' a montre Ρ. Gardner ( >, C/α.Ι·.Ι·iω/ Review VII, 1893, p. 437-9, cite par G. Giannantoni, S.S.R. !Υ, p. 426 dans son eclairant resume des debats sur la question que nous suiνons ici), le terme technique pour indiquer une falsification de la monnaie est κιβδηλεύει ν alors que παραχαράττει ν ρeut signifier iΊ la fois « fabriquer une fausse monnaie >> et « surimρrimer un autre χαρακτήρ>> ou bien «alterer le χαρακτήρ existant>>. C'est cette derniere signification qui semble deνoir etre retenue dans le cas de Diogene, ρuisque C.T. Seltmann (τrαιι.Ι·αι·tiοn.Ι· ι>Ι tlιe Inteπιatίonal Νιιnιί.Ι·mαtίc Congre.v.v 1936, 1938, ρ. 121) a montre que des ρieces de monnaie, imitant la monnaie de Sinope et ρroduites ρar le satraρe de Caρρadoce, ont ete entaillees d' un couρ de ciseau, νraisemblablement ρour les mettre hors circulation, alors que les veritables pieces de Sinoρe ρortent le nom d'un magistrat ΙΚΕΣΙΟ, sans doute le ρere de Diogene. Pour la discussion au sujet de la realite historique de cette « alteration de la monnaie » et de l'exil de Diogene, νoir G. Giannantoni, S.S.R.IV, η. 42, ρ. 423-433. Τ.
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UNE CITE SANS D!SτJNCτJONS
la «monnaie» mais egalement tout ce qui est etabli par l'usage, la regle ou le
nomo.s. Il est vrai que Platon lui-meme interdit a ses gardiens l'usage de l'or et de l'argent afin qu'ils ne puissent pas thesauriser 1, mais cela n'empeche pas la monnaie de circuler al'interieur de la cite. Dans la communaute cynique, de tels echanges n'existent pas, car non seulement le cynique trouve dans la nature de quoi se satisfaire lui-meme, mais la nature et ses produits n'appartiennent a personne en propre. En etfet, l'absence de propriete privee, et en particulier de propriete privee de la terre, est l'une des consequences que ΙΌη peut tirer de I' absence dans la cite cynique de circulation monetaire. L'adage pythagoricien selon lequel « tout est commun entre amis » 2 , dont Platon limite l'application a la classe des gardiens, est dans la doxographie de Diogene chez Diogene Laerce utilise pour demontrer que tout appartient aux sages: « Tout appartient aux dieux; οΓ, les sages sont amis des dieux; paΓ ailleurs les biens des amis sont communs; donc, tout appartient aux sages » 3 . Ce syllogisme, certes, ne concerne pas directement la vie au sein d'une cite cynique, mais est destine ajustitϊer le fait qu'au sein des cites corrompues le cynique ait le droit de se comporter comme s'il se trouvait au milieu d'une nature η' ayant encore fait I 'objet d' aucune revendication de propriete: coucher dans les temples, manger les offrandes sacrees, reclamer l'aumδne comme son du 4 • Cependant ο η peut aisement se servir de la derniere premisse pour demontrer que: « Tout est commun entΓe amis; or les sages sont amis les uns des autres; donc tout est commun entre sages ». La deuxieme premisse de ce syJlogisme, en etfet, n'a pas besoin de demonstration, car la position d'une ditference ethique irreductible entre les sages et les insenses va de pair, dans la pensee grecque, avec l'etablissement d'une communaute immediate des sages entΓe eux. Ainsi, pour les pythagoriciens, « les hommes sages, meme s'ils vivent separes, sont amis les uns des autres avant qu'ils ne se rencontrent ou ne se parlent »s et Zenon disait dans sa Republίque, en s'inspirant probablement de Diogene, que « seuls les sages sont citoyens, amis, parents et hommes libres »6. Si, donc, tout est commun entre sages et si tout appaΓtient aux sages, alors tout appartient aux sages en commun. Cependant, dans une perspective plus rigoureuse « tout appartient aux sages » peut egalement VOU)oίr dίre que la totalίte de CC quί CSt adίsposίtίon appaΓtient a chaque sage. Cette propriete universelle de chacun devient en fait la negation de la propriete elle-meme et n'engendΓe cependant pas de conflits entre les individus, I. Plat.,R.ψ.416e-417 b. 2. Cj: Porph., Vit. Pytlι. 33. 3. D.L. Vl37 et72 [= VB 353]. 4. Nous poιιvons voir l'usage qui sera fait de la conclusion de ce syllogisme dans la propagande cynique ιιlterieure, parexemple dans la lettre attribιιee aCrates Π 26 [= VH 113]. 5. Jambl., Vit. Pytlι. 237 [= D.Κ. 58 D7], cite par H.C. Baldry, Tlιe Unity oj'Mωιkinιi anιi Gι·eek Πιοιιg/ιι; Cambridge, Cambridge University Press, 1965, p. 56et .ΙΊιpnι, p. 94-95. 6. D.L. VII33 [=S.V.F. 1222]. 0
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RADICALISER PLAΤΟΝ
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puisqu'ii y a toujours surabondance des dons de Ia nature par rapport aux veritabies besoins des hommes. La situation habituelle est ainsi inversee: alors que communement \es Iois sur Ia propriete ont pour fonction de gerer Ι' attribution d'une somme de biens Iimitee a des individus dont Ie desir de possession cst virtuellement illimite, ii s' agit ici d' attribuer une somme de biens illimitee 1 a dcs indi vidus dont Ie desir de possession est reduit au minimum. Les citoyens de Ia cite cynique ne possedent donc rien en propre si ce n'est peut-etre Ie manteau qu'ils portent et ce que peut contenir Ieur besace. Ι1 ne sc formera donc pas d' οίkία, cette celluie sociaie organisee autour d'une propriete fonciere qu' Aristote met a Ia base de Ia cite 2 , et, comme Ies gardiens chez Piaton, Ies sages ne possederont meme pas en propre Ieur Iieu d'habitation. Leur mode de vie sera de ce fait entierement communautaire sans que Ie prive ne soit distingue du pubiic, ni dans Ieschoses, ni dans I'espace, ni par consequent dans Ies comportements. Voiia pourquoi, quoi que ΙΌη fasse dans une cite cynique, on Ie t'era en pubiic. En etTet, Ies cites non cyniques doubient d'une vaieur morale Ia partition de I'espace en prive et pubiic. En prive ii est possibie d'accompiir les choses honteuses, aiors qu'en pubiic Ia force contraignante de Ia doxa nous oblige a Ies eviter. En effet, si Ι' apparencc, Ie dokeίn de Ia vertu suffit a assurer Ι' ordre public, toute vie fondee sur Ia simuiation ne saurait se passer de Ia dissimulation, comme I'illustre Ia Iegende de I'anneau de Gyges3. C'est au milieu de ce quΌn possede en propre- parce quΌn n'a pas pu suffisamment se maί'triser pour vivrc sans rien posseder- qu' ο η peut s' adonner a Ι' intemperance et a Ia consommation de bicns inutiies et illusoires. Dans Ia cite cynique, ii n'y aura donc qu'un seul espace, a I'image de I'espace homogene de Ia nature, ou Ia vertu sera transparente a elle-meme. De I'absence de propriete privee decouie, d'autre part, Ie rejet de I'institution qui traditionnellement en regie Ia transmission entre Ies generations: Ie mariage et \a constitution d'un foyer par Ia mise en commun des possessions des epoux. L 'abolίtίon du marίage
Lorsqu'il aborde Ia probieme des unions (gamoί) dans Ia ciasse des gardiens, Piaton reprend la comparaison avec Ie chien, et en generai tous Ies animaux bien nes (gennaίoi)4, qu'un aristocrate eieve pour \a chasse. Atϊn de preserver pure Ia race des gardiens, et d'assurer Ia stabilite du nombre de Ia population, ii t'audra que Ies magistrats contrδient Ies unions sexuel\es en η' autorisant que celles qui satistΌnt au principe de seiection formuie en 459 d-e:
I. Les dons de la nature sont illimites, non pas au sens d'infinis en eux-memes, mais au sens I' homme n 'aπive pas aen voir la limite, ales epuiser. 2. Arstt., Ρο!. I, 2. 3. Plat., R.ψ. 359 b-360 d. 4. Plat., R.ψ. 459 a-b.
οiι
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UNE CITE SANS DISτiNCτiONS
Il faut, [ ... ] d'apΓes les principes quenous avons admis, que les sujets d'elite de l'un et l'aut!'e sexe s'accouplent le plus souvent possible, et les sujets infel'ieu!'s le plus !'a!'ement possible; ίΙ faut de plus elever les ent'ants des premiel's, non ceux des seconds, si I' on veut maintenil' au tΙΌupeau son excellence.
Dans \a cite platonicienne, meme si une plus grande liberte sexuelle est accordee a quelques sujets d'elite 1, les relations sexuelles des gardiens sont tΌndamentalement reglees par la Ιοί. De plus, \e mariage, bien qu'il ne change en rien \e caractere communautaire de la vie menee par \es « epoux », reste une institution necessaire - non pas tant parce qu'il faudrait restreindre pour des raisons morales \es relations heterosexue\les des gardiens, puisque liberte leur est doηηee lorsqu'ils ont passe \'age de procreer 2 , mais parce qu'il s'agit de rationa\iser \es ηaissaηces. Ce que le mariage autorise priηcipalemeηt est \a procreation d' eηfaηts qui seroηt- s' ils ηe soηt pas malformes- eleves par \a commuηaute. Οη ηe retrouve rieη de tel daηs \a Republίqιιe cyηique, ou uηe liberte sexuelle entiere semble donnee: « qu' οη y ait des rapports avec tous et toutes au hasard des rencontres », « ώς ετυχε δέ, πάσι κα[ί] πάσαις χρfjσθαι » 3 . D'ai\leurs, daηs uη texte de la Republίque de Ζeηοη, οη retrouve eηcore cette ηοtίοη de τύχη, de hasard: « Ils peηseηt que \es femmes doivent etre commuηes parmi les sages, de sorte que η'importe qui s'unisse a η'importe que\le femme reηcoηtree », « ωστε τον έντυχόντα τf\ έντυχούση χρfjσθαι »4. Diogeηe
et Platoη diftereηt doηc eηcore ici daηs l'utilisatioη du paradigme du s'agit plus du chieη de race issu d'une soigηeuse et artitϊcielle se\ectioη, mais du chieη erraηt livre a lui-meme et a ses iηstiηcts sexuels. Le principe qui guide en effet sa Republίque η 'est pas d'assurer \e bieη-etre, \'uηite et l'autarcie de la cite daηs son eηsemble, mais l'autarcie de chaque citoyeη. Or \e cyηique applique au besoin sexuel\a meme regle de comportemeηt qu' a ses autres besoins: le propre du sage est de ηe maηquer de presque rieη, daηs \e seηs ou, comme tout \e moηde, il resseηt des besoiηs, mais sait trouver daηs la nature la voie \a plus courte pour \es assouvir et retablir au plus vite sοη autarcie. Α \Όppose, \a doxa et \a civilisatioη, igηoraηt les facilites qu'offre la ηature, subordoηηent \a satisfactioη des besoiηs a toute uη serie de restrictioηs, de rites et de coηditioηs, sources de soufΓraηces et η'aboutissaηt qu'a assujettir eηcore plus l'homme a \a civilisatioη elle-meme. Vis-a-vis de ses membres, en effet, \a civilisatioη se preseηte comme le seul remede aux sout'fraηces doηt elle seule est lacause. La ηature ηous dοηηe, a l'iηverse, toujours uη moyeη d'assouvir ηotre besoiη sexuel au plus vite, ηe serait-ce que par la masturbatioη et, daηs uηe commuηaute composee de cyηiques \iberes des iηterdits iηutiles, η' importe qui- pourvu qu'il y coηseηte- peut coηstituer uη parteηaire. Tel est le seηs de la defiηition negative du chieη: ίΙ ηe
ι. α. R.ψ. 460 b-468 c. 2. Cf. R.ψ. 461 b-c, cette liberte n'est liιηitee que par la necessite d'eviter l'inceste. 3. Philod., De .1·to., XIX 5, 6. 4. D.L. Vll 131 [=S.Y.F.I269].
ι ι ι
RADICALISER PLA ΤΟΝ
gamos donnee par Diogene : « 11 demandait la communaute des t'emmes, ne parlant meme pas de mariage, mais d'accouplement d'un homme qui a seduit une femme, avec la t'emme seduite »Ι. Le gamos, reduit asa tΌnction de satist'action du besoin sexuel, est desinvesti de ses autres tΌnctions sociales: la reconnaissance d'une filiation ιegitime, la transmission de la propriete et du statut social. Ν' aboutissant aaucune union durable engageant les deux partenaires, le nom est entierement vide de son contenu institutionnel. De la meme t'aγon, l'absence de propriete privee impliquera que les citoyens de la cite cynique partagent un mode de vie egalitaire, ignorant les ditτerences traditionnelles de statut social. Elle entrai'ne, cn particulier, la disparition de la tΌnction militaire. L 'ίnutίlίte des armes
Dans la Republίque de Platon, Socrate 2 etablit la necessite pour la cite d'entretenir une classe de gardiens qui lui assurera la conquete de nouveaux territoires 3 et sa det'ense contre les agresseurs. Nous savons que Diogenc, en revanche, soutenait que les armes sont inutiles 4• Si la guerre, en etτct, est suscitee par le besoin soit de s' approprier, soit de defendre un territoire, pour les sages aqui tout appartient elle devient de ce t'ait inutile. Leurs besoins etant minimes et constants, ceux-ci n'auront pas a t'aire la guerre a leurs voisins. Comme le dit Crates dans son petit poeme qui evoque Ι'ίΊe imaginaire de Pere, La Besace, « on η 'y possecte pas d' armes, ni pour I' argent ni pour la gloire (ou perί doxes) » s. D' autre part, si d' eventuels agresseurs pretendaient s' emparer de leur territoire, on peut presager que les cyniques ne jugeraient pas bon de prendre les armes pour le det'endre, la vertu etant leur seule arme6. Ou bien, peut-etre pourront-ils trouver un moyen pacifique de convaincre leurs ennemis. Une proposition attribuee aDiogene le suggere en eΠet: 11 faut faire du bien ason ami afin qu'il soit encore plus ami et faire de meme aνec son ennemi afin qu' il deνienne ami; en effet, il est necessaire de se mettre en garde contre les reproches des amis et les complots des ennemis 7. ι.« γάμον μηδε ονομάζων, άλλ&. τόν πείσαντα τji πεισθείσn συνεi:ναι »,
D.L.
νι
72-73
[=νΒ353].
2. Pιat., R.ψ. 373 d .ΙΊJ. 3. Nous ne nous situons, en effet, pasencore ici dans ιe cadre d'une citejuste dont ιe teπitoire, une fois conquis sur les νoisins, est fixe une bonne fois pour toutes (ιj: Ριaι, R.ψ. 423 b-c). L'armee alors η 'a plus qu 'un rόιe defensif. 4. Philod., De .vto., Χ ν 32-ΧνΙ 4: .~ite .1·an.Ι' Dίeιι, Paris, La Decouverte, 1989, p. 47, > (τheogn., ΕΙ. 177-178). Ces vers sont d'ailleurs spirituellement contestes par Bion de Borysthene: > [ = F 52 Α Kindstrand]. 8. Eur., Ρ/ι. 391-392, cite par J. de Romilly, La GΓece αηtίψιe ι/ la ιlecoιιvate de la lίhate, Paris, 1989,p. 70.
RADICALISER PLATON
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toujours serviles, et les gens de peu, des flatteurs »; vivant « selon la Ιοί d'autrui » 1, ils sont incapables de parler avec franchise. C' est pourquoi la parrhesίa devint une des caracteristiques du regime democratique, dans lequel tous les citoyens ont, a I' assemblee, droit a la parole. Selon J. de Romilly, « c 'est la seule liberte particuliere dont se targue la democratie athenienne» 2 • Il ne t'aut donc pas negliger la dimension politique de la liberte de parole du cynique, surtout lorsque celle-ci est revendiquee dans une Republίque 3 • Dans une communaute cynique, le droit a la parole n'est pas attribue suivant les regles qui regissent les rapports de maί'tre a esclave, de gouvernants a gouvernes. Si tous vivent en chiens, tous sont, par definition, ma'itres et gouvernants d' eux-memes et n' ont pas besoin d' exercer un quelconque pouvoir sur autrui, puisque tous sont autosut't'isants. Cependant, la formule de Philodeme est trop precise pour constituer un simple appel au franc parler. Elle a l'allure d'une reponse a une question du genre: « Estil permis d'utiliser tous les mots de la langue ou bien n'en est-il pas que la pudeur impose de passer sous silence? » Or un tel probleme semble avoir fait I' objet de debats dans les milieux cyniques et stoϊciens, si nous en croyons le temoignage de Ciceron: 11 ne faut pas ecouter les cyniques, ni certains stoϊciens fort proches des cyniques, quand ils nous blament et se moquent de nous parce que nous tenons pour indigne de prononcer les noms de choses qui n'ont rien de honteux, tandis que nous appelons par leur nom des actes honteux. Voler, tromper, etre adultere, voila des actes honteux, mais les mots qui les designent ne sont pas obscenes; l'acte d'engendrer n'a rien que d'honnete, mais il est obscene del'appelel' paΓ son nom: ils discutent cette opinion et ils ont plus d'un argument contre Ia pudeur 4 • Comme le fait remarquer G. Romeyer Dherbey, le raisonnement cynique et [ ... ] sur une conception du langage qui le comprend essentiellement comme instituant une relation etroite, a portee ontologique, entre mot et chose. L'etre de la chose retentit sur l'etre du mot » 5 ; ainsi une chose honnete ne peut etre designee par un mot obscene. Or tout ce qui est naturel (et en particulier la sexualite) est honnete, donc les mots correspondants le sont aussi. Ce sont les personnes depourvues de vertu qui ne savent pas correctement nommer les choses et qui voient I' obscene la ou il ne se trouve pas. En effet, ils n 'ont pas compris que « rien n 'est obscene a dire », « nίhίl esse obscenum [ ... ] dίctu » 6 . Cette these, que Ciceron attribue aux stoϊciens, aurait pu tout a fait etre soutenue par les cyniques et stoϊcien « repose
I. Arstt.,Nίι·., IV 9 1124 b -1125 a, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1983. 2. J. de Romilly, op. cίt.,p. 70. 3. G. Giannantoni minimise la porte politique du > cynique et lui attribue une fonction essentiellement morale (S.S.R. IV, p. 511) mais G. Romeyer Dherbey conteste cette remarque: > (Epict., Dί.Ι'.Ι'.\17, 12 [= V Α 160]). 5. Philod., De .1·to., ΧΙΧ 24-25. 6. Plat.,R.ψ.416e.
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Platon choisit le cadre d'un banquet pour exposer comment l'amour veritable nous eleve au-deHι des exigences corporelles vers la contemplation des realites intellectuelles, c'est a l'occasion d'un repas dont il n'est pas le convive que, selon la tradition, Diogene est converti au cynisme et aux dures exigences de la vie naturelle 1• La faim et la soif nous confrontent en eft'et directement aux exigences de la nature et departagent ceux qui font confiance a sa capacite nourriciere de ceux qui s'en mefient. C'est ce que semble rappeler Diogene a Platon, dans des anecdotes celebres ou celui-ci reproche au philosophe des Idees d'etre devenu un courtisan de Denys, parce qu'il ne pouvait se contenter de satisfaire naturellement ses besoins vitaux les plus elementaires 2 • Or dans Athenes ou Corinthe, Diogene, seul a pratiquer son mode de vie, est oblige de manger seul et, en quete de compagnie, ne trouve pas de commensaux mais des spectateurs: « Alors qu'il dejeunait sur la place publique, les gens qui faisaient cercle autour de lui n'arretaient pas de lui dire: "Chien" »3. Aussi dans une cite cynique, la nourriture ne serait pas prise comme d' autres plaisirs « ώς ετυχε », au moment et a I' endroit ou la nature nous I'offre, mais les repas ritualises deviendraient une occasion pour les cyniques de se rencontrer, pour sans doute s'encourager mutuellement et faire assaut de vertu. Voila le seul temoignage positif du fait qu'une cite cynique ne serait pas une simple juxtaposition d'individus a peu pres autarciques mais d'hommes reunis par une reelle communaute de vie. Certes, le cynique n'a pas besoin d'autrui, du moins pour pourvoir aux necessites de l'existence; cependant, il lui faut vivre chaque jour comme une fete: « J' aime bien le mot de Diogene lorsqu' il vit a Lacedemone son hδte preparer une fete avec beaucoupde zele eι dit: "Un homme de bien ne regarde-t-il pas chaque jour comme une fete?" » 4. Orla feteest paressencecollective: le cynique, qui n'a pas besoin d'amis pour vivre et pour etre lui-meme, a cependant besoin d'amis pour se rejouir pleinement de la vie qu'il mene. La communaute cynique est a la base une communaute t'estive, car si ses citoyens sont d' abord rassembles par leur pratique singuliere du ponos, ils sont veritablement unis par le plaisir qui lui succede 5 . Ainsi, le fait que le mode de vie cynique soit partage par tous les membΓes d' une communaute impose a I' utopiste d' aborder de nouvelles questions qui, dans la pratique quotidienne du cynisme, ne se posaient pas avec la meme acuite. Les adeptes feminines du cynisme, par exemple, ne sont qιι'une intϊme minorite, I. Une tradition considerablement develoρρee et enjolivee (Plut., De proj: ίη vil'f. 5 ρ. 77 e-f [= VB 172] de l'anecdote initiale raρρortee ρar Theoρhraste dans Le Megariqιιe (D.L. VI22 [= VB 172]) sitιιe laconversion de Diogene au cynisme lors d'un reρas de fete aAthenes, voir .vιιpηι, ρ. 65 .~tf. 2. D.L. Vl25-26 [= VB 55], 58[= VB 56]. Ces anecdotes attribuees a divers ρersonnages sont certes douteuses mais caracteristiques de la tradition concernant Diogene, cf. .ΙΊψηι, ρ. 114. 3. D.L. VI61 [= VB 147]. 4. Plut.,De traιιq. αη. 20ρ. 477 c [= VB 464]. 5. Cj: la maxime d' Antisthene: >, (ιeg. 806 c, trad. Α. Dies) '? 7. De cette idce, Hipparchia se fait le porte parole face aux insinιιations de Theodore I' athee, voir D.L. Vl98 [= Vl I]: , voir aussi Hdt., Ι, 216, 2; 11, 38, 3-4 (cites ρar G. Basta Doηzelli, ldeologia ι:onte.Ι·tataι·ia, ρ. 238). 3. R. Hoistad, Cyιιίι· Hero, ρ. ι 43-4. 4. Comme chez ιes stoϊcieηs: > 3.
L'idee que \e cyπique, parveπu au terme de sa viede cyπique, devait se doππer ou recevoir voloπtairemeπt la mort fut ega\emeπt traduite daπs la versioπ de la
ι.
CI ,, Διογένης ελεγε τους άνθρώπους τα μι': ν προς το ζijν πορίζεσθαι,
ζijν ου πορίζεσθαι
τα δι': προς το ευ
>>, « Diogeηe disait que ιes hommes se procureηt ce qu'il faut pour vivre, mais ce qu'iι faut pour bieη vivre ils ne se ιe procureηt pas », Stob., 1114,85 [=νΒ 3 ι ι]. Cet apophtegme fait repreηdre a Diogeηe ιa distiηctioη cιassique eηtre « ζijν » et «ευ ζην» preseηte, par exemple, chez Aristote (Ρο/. Ι 2 [8], ι 252 b) et aussi eη D.L. νι 65: « Pourquoi vis-tu, si tu ηe te preoccupes pas de bieη νivre? » 2. Cj: D.L. νι 5 ι [= νΒ 84]: « έρωτηθεlς τί &θλιον έν βίφ Εφη, "γέρων &:πορος" », « Comme ση ι'iηterrogeait sur ce qu'il y a de peηibιe daηs la vie, il repondit: "Uη vieillard saηs ressources" », trad. Μ.-0. Goulet-Caze tres legeremeηt modifiee. 3. D.L. νι 18 [= νΒ 24]. Sur le probleme de la valeur historique de la reηcoηtre eηtre Diogeηe et Aηtistheηe, voirG. Gίaηηaηtοηί, S.S.R. ιν, ρ. 226-233. νοίr aussi ν Β 83: le philosophe ηe doit pas accepter de reculer le terme de sa mort eη adoucissaηt la rudesse de sa vie cyηique. Ces coηsiderations ηous porteηt areηdre hommage a la coηjecture de W. Croηert pour Philod., De .1·to., ΧΧ 23-24: « τ&ν [i ]δ ίων κ[ τεi]ν[ α ι] α\Jτοχει[ρί ]α ι τους [τ ]ελευτ[ &ν ]τας », « tuer de ses propres maiηs les proches a l'agoηie», que R.Giaηηattasio Aηdria ηe retieηt pas («τ&ν [i]δίων [-1-J τους [τε]λευ[τ&ν]τας »). Neanmoiηs, si Ι 'ση admet le «τους [τε]λευ[τών]τας>>, doηt presque la moitie des lettres soηt coηjecturales, ση est oblige de supposer qu'il s'insere daηs uηe phrase doηt le seηs coπespoηd acelui de la conjecture de W. Croηert, comme Ι' admet Τ. Dorandi (Ι•'ί/οι/eπιο, ρ. ι 25-126).
UNE CΙΤέ SANS DISΊΊNCΊ'IONS
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mort de Diogene, d'apres laquelle celui-ci se serait suicide en retenant sa respiration : Cependant ses disciples, a en ctΌiΓe Antisthene dans ses StJccessίons, conjectuι-aient la n~tention de la ι-espiι-ation. 11 passait en effet son temps au Ct-aneion, le gymnase situe devant Coι-inthe. Οι·, selon leuι- habitude, ses disciples vinι-ent le voir et le tωuvent enveloppe dans son manteau. lls ne penseι-ent point qu'il doι-mait, car ce n'etait pas quelqu'un qui avait l'habitude de s'assoupiι- [et de somnoleι-]. lls soulevent donc le manteau et tωuvent Diogene inanime. lls supposerent qu'il avait agi ainsi paι-ce qu'il voulait se soustraiι-e au temps qu'illui Γestait
aνίνre (κ:αt ύπέλαβον τούτο πpiiξαι λΟtΠΟΥ βουλόμεΥΟΥ ύπεpεξελθεtν
τού βίου) 1 .
Comme le signale Μ. Daraki 2, une telle mort par aπet volontaire de la respiration cest aussi attribuee aux cyniques Metrocles et Menedeme et s'inscrit dans la tradition des exercices mystiques visant a separer l'ame du corps. Cela semble contradictoire avec la position anti-spiritualiste des cyniques. De fait, le recit de la mort de Diogene le montre bien, il s'agirait plutδt d'une interpretation donnee par les contemporains de la mort de ces personnages, dans le but de leur t'aire ainsi rejoindre la caste de tous ceux qui ont sιι choisir et vouloir leur mort au lieu de la subir. Ce dernier ponos leur confere une superiorite indeniable sur le commun des mortels. Comme le dit Μ. Daraki : « La mort choisie separe le sιιjet superieur a la tΌis de son propre corps [ ... ] et des polloί » 3 • Nous pouvons egalement interpreter cette acceptation de la mort comme une surenchere sur la position prise par Platon vis-a-vis de la medecine: il la condamne a partir du moment ou, pour se maintenir en vie, les patients doivent mener un regime qui les empeche de satisfaire a leurs obligations de citoyens 4 • Cette mise a mort des parents s' apparentait donc a un acte de piete tϊliale. Ε η les tuant, les enfants doiventen t'ait aider leurs parents a mourir. Le repas sacrifίcίel
Chez Philodeme, il est seulement dit que les hommes doivent etre parricides 5 sans que le texte, fort lacunaire a cet endroit, ne permette de lier explicitement cette injonction au theme de l'anthropophagie. Cependant un passage de
I. D.L. Vl 77 [= VB 97].11 s'agit ici d'un Antisthene dont Diogene Laerce cite les Sιια·e.Ι'.Υίοιι.~ ι/e.1· atreize reprises dans son ceuvre, et qui ne se confond pas avec le philosophe soCI'atique. R. Giannattasio Andria l'identifie a Antisthene de Rhodes, historien du debut du ΙΙ" siecle av. J.-C. (ι.j: Dίι·tίonnail'e de.1· ρlιίlο.Υορlιe.Υ αntίφιe.Ι·, R. Goulet (dir.), Paris, Editions du C.N.R.S., t.l, 1989, art. n"214). 2. Μ. Daraki, >(ρ. 48), ne serait un modele que pour Ι' homme du commun, mais ne le serait plus pour le sage. Cette version du cynisme ne nous semble pas correspondre exactement iΊ la morale de Diogene, telle qu'elle peut transparaltre dans sa Rι!ριιhlίφιe, ou la reference iΊ l'animalite est constitutive du mode de vie attribue aux sages. Par son autarcie et sa naturalite, I'animal reste une reference morale pour le sage, meme si cette reference ne conduit pas iΊ une nιίnιe.Ι·ί.1· etroite. La raison humaine nous rend capables de rejoindre l'animal dans ce qιιi le rend semblable aux dieux et ne nous rend pas superieurs iΊ lui. Le cynisme primitif ne retrouve pas « l'echelle traditionnelle animalhomme-divinite >> (p. 48), mais pose I'horizon d' une nature sans echelle, cal' sans liens hierarchiques.
UN RENYERSEMENT DES FONDEMENTS
145
egalite de valeur morale de tous les etres autarciques dans l'univers, ainsi l'homme n'a pas a se distinguer de l'animal, par des interdits sexuels ou alimentaires, ou des rites fondateurs. Or, si les aspects de 1a Republίque de Diogene exposes dans notre precedent chapitre pouvaient etre compris comme des pro1ongements systematiques de ce qui, dans 1'existence concrete du cynique, s'etait deja rea1ise, ηί Diogene ni aucun cynique connu ne s'est 1ivre a 1'inceste, a 1' anthropophagie, ni α fortίorί, au sacrifice ritue1 des parents. Leur seu1e transgression des interdits humains fondamentaux fut donc symbo1ique et η' alla pas au-de1a des mots. Cependant, admettre simp1ement 1a possibilite theorique de la transgression est deja une transgression en soi. Dans 1e domaine des symbo1es, 1a nature du symbo1e importe peu et 1es mots ont va1eur d'actes; c'est pourquoi 1a transgression 1eur fut reprochee comme si elle avait ete reelle, car elle 1'etait en effet et 1e demeure toujours. Sans doute d'ailleurs Diogene etait-i1 conscient du caractere purement symbo1ique du ponos qu'i1 infligeait ainsi a ses contemporains; c'est pourquoi il ne faut pas comprendre sa Republίque comme un programme po1itique, mais comme un procede heuristique dont 1e but est d'exp1orer 1ibrement, c'est-a-dire comme en se riant, 1e sens de 1a conception cynique de 1'humanite. Cependant, 1a validite de 1'idea1 cynique, ma1gre sa singu1arite, ne peut apparaitre que par contraste avec 1es ma1heurs dans 1esque1s 1es hommes sont habituellement p1onges, 1orsque 1a vie po1itique 1es e1oigne de 1eur bonheur naturel. De meme que, dans sa Republίque, P1aton decrivait 1es difterentes degradations de 1a cite juste, i1 est fort probable, d'apres certains indices, que Diogene se 1ivrait dans son ouvrage a une critique sommaire des principaux regimes po1itiques de son temps, que nous essaierons maintenant de reconstituer.
CHAPΠRE 111
LES CITES ILLUSOIRES
De meme qu, a la fίn de son ouvrage I Platon decrίt la coπuptίon du regίme engendre les autres regίmes polίtίques, la fin du resume de Philodeme semble porter un jugement negatίf sur les cίtes en general et, plus precίsement, sur toutes les cίtes quί ne seraίent pas fondees sur les regles cynίques de vίe collectίve: « Et qu' ils ne reconnaίssent comme cίte aucune de celles que nous connaίs sons, ηί aucune Ιοί; [ίl leur plalt] de penser que tous sont puerίls et dements au poίnt d'etre malades [ ... ] » 2 . Ce passage capίtal caracterίse la pensee du cynίque vίs-a-vίs du polίtίque et de la Ιοί en general, maίs son opposίtίon apparente a un passage de la doxographίe de Dίogene chez Dίogene Laerce a nourrί une longue controverse qu 'ίl convίent, dans un premίer temps, de demeler. ίdeal quί
LE STΑ TUT DE LA LOI
Le syllogίsme sur la lοί de D.L. VI 72 Sί
le
cynίque
ne reconnalt aucune Ιοί, comment comprendre alors ce a Dίogene dont nous esquίssons une premίere foίs la
syllogίsme attrίbue traductίon?
Au sujet de la Ιοί, il dίt que sans elle il est ίmpossίble d'admίnίstrer une cίte: en effet il dίt que sans la cίte ce quί est asteίon est ίnutile; et la cίte est asteίon; et sans lacite la Ιοί n'a pas d'utίlite [ou bίen: sans la Ιοί lacίte n'a pas d'utίlite]; donc la Ιοί est asteίon 3.
I. Plat., R.ψ., livres VIII et IX. 2. Philod., /)e .1·10., ΧΧ 4-9.
3. >, D.L. VI 72, ed. H.S. Long [= VB 353].
· ού
γάρ φησιν &νευ
δi; &νευ πόλεως ούδi;ν δφελος.
148
UNE CITE SANS DISτJNCΊΊONS
Saπs repreπdre eπ detaίlle
I' adjectίf' asteίos au
debat crίtίque 1 doπt l'eπjeu est Ι' ίπterpretatίoπ de ( « moralemeπt beau ») ou πegatίt' ( « raΠίπe »),
seπs posίtίt'
rappeloπs brίevemeπt les dίΠereπtes posίtίoπs:
- Daπs sοπ edίtίοπ du Sur les stoϊcίens, W. Crδπert avaπς;aίt que ce passage expose uπe these coπtraίre acelle que Dίogeπe developpaίt daπs sa Republίque 2 ; les etudes ulterίeures οπt essaye de reduίre cette coπtradίctίoπ. -Pour Κ. νοπ Frίtz3, suίνί eπsuίte par D.R. Dudley 4, Dίogeπe y rejette ce quί estasteίon, «das Zίvίlίsίerte ». Ce syllogίsme coπstίtuedoπc uπe crίtίque de la Ιοί. -R. Hoϊstads et R. Aπastasί6 coπsίdereπt, al'ίπverse, qu'ίl s'agίt d'uπ eloge, ποπ pas des Ιοίs eπ geπeral, maίs des Ιοίs parf'aίtes quί auraίeπt cours daπs la polίteίa ίdeale telle que la coπcevaίt Dίogeπe. - Seloπ Μ. Gίgaπte 7 , Dίogeπe t'ait I'eloge de la Ιοί eπ geπeral et des cίtes, ποπ a cause de leur valeur morale, maίs parce qu' elles soπt utίles au sage eπ luί dοππaπt les moyeπs de vίvre. -Pour G. Basta DoπzellίS, le syllogίsme exprίme la pοsίtίοπ domίπaπte quί declare la Ιοί ίπdίspeπsable, maίs πe correspoπd pas a la pοsίtίοπ de Dίogeπe. Peut-etre s'agίraίt-ίl alol's d'uπ passage d'uπe ~uvre polίtίque de Dίogeπe sol'tί de sοπ coπtexte.
-Μ.-0.
Goulet-Caze 9 soutίeπt que ce syllogίsme, af'tϊrmaπt la valeur morale de la Ιοί, est d'orίgίπe stoϊcίeππe et a ete ίπsere daπs la doxographίe de Dίogeπe daπs le but de rapprocher le cyπίsme du stoϊcίsme et de t'aίre aίπsί des stoϊcίeπs les herίtίers des cyπίques. - Επtϊπ Μ. Schotϊeld 10 revίeπt ala pοsίtίοπ de Κ. νοπ Frίtz: ce syllogίsme, quί coπteste la valeur de la cίte et de la Ιοί, a ete eπsuίte reprίs et reίπterprete par les stoϊcίeπs daπs uπ seπs coπtraίre.
Comme πous le voyoπs, tout repose d'abord sur le seπs du terme asteίon. Les auteurs quί peπseπt que ce syllogίsme coπstίtue uπ eloge de la Ιοί voίeπt daπs asteίon υπ equίvaleπt de spoudaίon, « bοπ » daπs uπ seπs moral, eπ s' appuyaπt sur uπ passage relatίf' aC\eaπthe: λέγουσι δε και φυγάδα πάντα φαυλον ε1:ναι, καθ' δσον στέρεται νόμου και πολιτείας κατα φύσι ν έπιβαλλούσης. τον γaρ νόμον ει ναι, καθάπερ εϊπομεν, σπουδαί:ον, όμοίως δε την πόλιν. ίκαν&ς δε και Κλεάνθης περl. το σπουδαί:ον
ε1:ναι την πόλιν λόγον ηρώτησε τοιουτον ·πόλις μεν εστιν οiκητήριον
I. Cj: Μ.-0. Goulet-Caze, Syllogi.vnιe, p. 215-217, et G. Giannantoni, S.S.R ΙΥ, p. 542-544. 2. W. Crδnert, Kolote.ΙΌ p. 65 n. 318. 3. Κ. Yon Fritz, Qιιelleιι, p. 59,60. 4. D.R. Dudley,Hi.vtoι·y, p. 36. 5. R. Hoϊstad, Cyniι· Henι, p. 138-142. 6. R. Anastasi, >, dans $tιιι/ί ι·/a.v.Ι·iι·i ίιι οιιοπ ι/ί Qιιίιιtίιιο Cαtωιι/e/Ια, Catane, 1972, ι. 11, p. 367-370. 7. Μ. Gigante, >, La μαrο/α ι/el {Jιt.l'.vato LXXXI (1961), p. 454-455. 8. G. Basta-Donzelli, lιleologia ωιιte.vtataria, p. 225-251. 9. Μ. Ο. Goulet-Caze, $yllogi.vme et Coιιte.vtation, p. 408-41 Ο. IΟ. Μ. Schofield, Stoic /dea, appendices F et G, p. 130-145.
LES CITES IL.LUSOIRES
149
κατασκεύασμα, είς δ καταφεύγοντας εστι δίκην δούναι και λαβεiν, ούκ αστεiον δη πόλις έστι; aλλa μην τοιούτόν έστι ή πόλις οίκητήριον ο αστεiον &.ρ' εστι ν ή πόλις.
Les stoϊcίens dίsent aussί que tout homme quί est sans νaleur morale (plιaulon) est un bannί, des l'ίnstant qu'ίl est prίνe de la Ιοί et de la constitution politique qui par nature s'y rattache. En effet, comme nous l'aνons dίt, la Ιοί est mol'alement bonne (spoudaίon), maίs il en est de meme pour la cίte. C' est ajuste tίtre que Cleanthe, pour demontrer que la cίte est moralement bonne (spouclaίon), a pose le syllogίsme suiνant:
la cite est une fondatίon destίnee a fournίr un habίtat ou ίl est se refugier pour que soίt !'endue la justίce, la cίte η' est-e\le pas une realite asteίon? Lacίteest bίen un habίtatdece type; donc la cίte est une realίte asteίon Ι. Sί
possίble de
Ε η effet, pour le doxographe qui
introduit ce sy llogisme, asteίon est synonyme Cependant, comme l'a fait remarquer Μ. Schofield 2, au νe et au ιve siecle asteίos, soulignant les qualites du mode de νie urbain par rapport a celui de \a campagne, a \e sens de « poli », « urbain », « ciνil », « police » par opposition a la rusticite d' agroίkos, « rustre », « sauνage ». Ce n'est que plus tard, a partir de Chrysippe, qu'il prendra le sens de spoudaίos, « moralement bon » par opposition a phaulos. Α titre de precision nous pouνons, par exemple, examiner quel sens prend ce terme dans laRepublίque de Platon ou il est employe a deux reprises. Tout d' abord, Platon le met dans la bouche de Thrasymaque. Afin de ret'uter sa detϊnition de la justice, Socrate lui demande: « Te semble-t-il que 1'homme juste νeut en aνoir plus que l'homme juste? »3 et son interlocuteur lui repond: « Ουδαμ&ς, [ ... ] ο\> γαρ &.ν ήν αστεtος, rοσπερ νί'>ν, και ε\>ήθης [Aucunement, en effet, il ne serait pasdelicatet naϊfcomme ill'esta present] » 4 . L'homme juste, parce qu'il croit a \a νaleur absolue de lajustice et meprise la pleonexie, le desir d'etre plus et d'aνoir plus, est ε\>ήθης, c' est-a-dire « bon », « honnete » et plus encore naϊf. Ι1 est egalement αστειος, c, est-a-dire tres respectueux des regles et des conνentions sociales. Scrupuleux plus que de raison, c'est un homme trop raffine, un « delicat ». Plus loin, Platon emploie ce terme dans \e meme sens pejoratif: lorsque les Cretois et les Lacedemoniens commencerent a s'exercer nus « έξf\ν τοις τότε αστείοις πάντα ταύτα κωμφδειν· η ουκ οιει; »S. « Ι1 est possible qu' alors des delicats se soient moques de tout cela; ne \e penses-tu pas? » Ici Platon, qui νeut faire admettre que les femmes, elles aussi, puissent pratiquer la de
spoudaίon.
I. Stob., 117, 103, Wachsmut [= S.ν.F. ΙΙΙ 328, voir aussi s.ν.F. Ι 587], trad. Μ.Ο. Goulet-Caze . p. 224-225. Nous avons simplement translittere le terme a.Ι·teίon, alors que Μ.-0. GouletCaze le traduit par > 4. Plat., R.ψ. 349 b. 5.!/Jίd. 452 d. .Syllogi.Ι·me,
!50
UNE ClτE SANS DISτiNCΊΊONS
gymnastίque, ίronίse sur la pruderίe, la trop grande delίcatesse de ceux que le respect des convenances aπete. Nous voyons aίnsί que dans le cadre d'une reflexίon polίtίque, asteίos peut prendre le sens pejoratίt' de « trop rat't'ίne », « trop delίcat »; c' est pourquoί ίl nous semble que sί le syllogίsme sur la Ιοί est bίen de Dίogene, celuί-cί voulaίt denίgrer la Ιοί et la cίte pour leur rat't'ίnement supert1u par rapport a la vίe selon la nature. Nous pouvons aίnsί traduίre, a la suίte de Μ. Schofίeld, asteίon par « rat't'ίne ». Ε η revanche, au sujet des troίs premίeres proposίtίons, nous suίvrons I' analyse de Μ.-0. Goulet-Caze, pour quί la premίere phrase du develop-pement sur la Ιοί est de toute evίdence une phrase d'ίntroductίon au syllogίsme et non- comme l'envίsageaίt Κ. von Frίtz-une premίssedu syllogίsme 1 • D'autre part:
( ... ) « άστεί:ον δf:: ή πόλις» n'apporte aucune ίnfΌrmatίon conψlementaί!'e par a la majeure, comme devraίt nornΊalement le f'aίre une mίneure. Elle constίtue seulement une sorte de contϊmatίon de la majeure. 11 est donc ίmpossίble de traduίre ίcί>2. Γappoι't
D'autre part, en ce quί concerne la quatrίeme proposίtίon, nous pouvons rejeter la constructίon quί t'aίt le νόμου le regίme de &νευ (dont la traductίon est entre crochets, p. 145). Ε η et't'et, sί « sans la Ιοί la cίte η 'a pas d'utίlίte », la proposίtίon ademontrer, a savoίr que sans la Ιοί« ίl est ίmpossίble d'admίnίstrer une cίte », l'est deja, or le syllogίsme se poursuίt. Nous aboutίssons donc a la traductίon suίvante:
Au sujet de la Ιοί, ίl dίt que sans elle il est ίmpossίble d' admίnίstΓer une cίte ; (Maj.) en ef'fet, ίl dίt que sans la cίte ce quί est raf't'ίne n'a pas d'utίlίte; et la cίte est Γaf'fίnee;
(Min.) orsans lacίte, la Ιοί n'a pasd'utίlite; ( Conc.) donc la Ιοί est raf'fίnee. Maίs tel qu'ίl est formule ce raίsonnement est un sophίsme: de ce que Β soίt sans utίlίte sans Α et C sans utίlίte sans Α, ίl ne s'ensuίt pas que C est Β. Par exemple, de ce que sans ordίnateur une sourίs est ίnutίle et que sans ordίnateur une ίmprίmante est ίnutίle, ίl ne s'ensuίt pas qu'une ίmprίmante est une sourίs ou de nature sourίquoίse. D' autre part, meme en la consίderant comme un prolongement de la premίere, la deuxίeme proposίtίon a de quoί ίntrίguer, car de la proposίtίon « Sans Α tout ce quί est Β est ίnutίle », ο η ne peut pas deduίre que Α est Β; par exemple de la proposίtίon « sans magnetophone, tout ce quί est enregίstre sur bandes est ίnutίle », ίl ne s' ensuίt pas qu' un magnetophone est enregίstre sur bandes. Nous pouvons, d'autre part, Γemarquer qu'ίl ne s'agίt pas d'un mode de deductίon stoϊcίen. Μ.-0. Goulet-Caze avaίt pense pouvoίr decelerune sίmίlίtude entre notre syllogίsme et un passage de Cίceron ce quί conduίsaίt at'aίre de νόμου le regίme de &νευ dans la quatrίeme proposίtίon: ι. Μ.-0. Gouιet-Caze, Sy!logί.~nιe, ρ. 22ι.
2./denι, ρ.
22 ι, Μ.-0. Gouιet-Caze ρroρoseegaιeιnent de de reωριacer δέ ρar δή ».
151
LES CITέS ILLUSOIRES
Marcus: ( ... ) Je te pose une questίon, Quίntus, a la t'aς:on des phίlosophes: sί une manque de quelque chose, et sί, en ι-aίson de ce manque meme, il t'aut consίdeι-er qu' elle est sans valeur, faut-il compter cette chose dont elle manque au nombre des bίens? Quίntus : Et, quί plus est, au nombre des plus grands. Μ.: Or, sί la cίte manque de la Ιοί, ne faut-il pas, a cause de ce manque meme la tenίr pour sans valeur? Q. : On ne peut pas s' exprίmer autrement. Μ.: 11 est par consequent necessaίre que la Ιοί soίt consideree au nombre des choses les meίlleures. Q. : C' est la tout a faίt mon avίs 1• cίte
La forme meme de ce dernίer syllogίsme est effectivement stoϊcίenne et peut se ramener au premier ίndemontrable: « Sί le premίer, le second; or le premίer; donc le second » 2 , le premier etant « lorsqu' elle manque de quelque chose une cίte est sans valeur », lesecond etant « cette chose dontelle manque est un bίen ». Or, la presentatίon du syllogίsme sur la Ιοί n'est pas de ce type, c'est pourquoί ίl est preferable de supposer que celuί-cί est bίen d' orίgίne cynίque et que, par la suίte, le sens d' asteίon et le sens du syllogίsme dans son ensemble ont ete reίnterpretes par le stoϊcisme en faveur de la Ιοί, par exemple par Cleanthe 3 . L'objectif global de Diogene etait donc bien de rejeter la Ιοί. Ce syllogίsme, comme l'a dίt Μ. Schofίeld 4 , doit etre la formule condensee d'une etape dίalectί que prenant place dans un dialogue de Dίogene, que nous pourrίons essayer de reconstruίre. Le but de Diogene est de montrer que la cite aίnsί que la Ιοί, telles qu'elles exίstent traditionnellement, doίvent etre rejetees, maίs, pour ce t'aire, ίl procede en plusίeurs etapes. Ι) Diogene (ou un autre personnage) faίt conceder a son interlocuteur que tout ce quί est asteίos doit etre rejete, car tout raffinement, toute delίcatesse des manieres ου de la far;on de vivre est un gauchissement de la sίmplίcίte naturelle, la seule compatίble avec la vertu. 2) Diogene fait ensuite admettre le contenu de la premiere premίsse, « sans la cite ce qui est raffine n'a pas d'utilite», c'est-a-dίre qu'hors de la cίte et de ses environs la politesse des manieres et les raffinements de la vie citadine deviennent sans valeur, puisqu'il faut s'adapter a un genre de vie agrίos. On peut donc I. Piat., PI'Ot. 337 c [= D.K. C Ι], trad.J.-P. Dumont. 3. Les etres qui croissent (φύει ν). 4. Μ. Untersteiner, Le.1· .voplιi.l'fe.Ι-, trad. de I'ital. par Α. Tordesillas, Paris, J. Yrin, Ι993, t.II, p. 56. 5. Dί.ΙΌI'Οί logoί 8, 2 [= D.K. 90] >, attribιιe iΊ Hippias. C/ Μ. Untersteiner, op. ι·ίι., p. ΙΙ4. 6: Yoir, par exempie, D. Chr., 0/'{/f. Vl26,27 et 3Ι-33 [VB 583], οιι ce ιnode de jιιstification est cteνeioppe de faςon suiνie, Dion par Ia bouche de Diogene, par exeιnpie, inνoque, pour justifier Ie caractere rudimentaire de I'habillement cynique, I'exempie des grenouilles qιιi maigre Ia deiicatesse de Ieur constitution affrontent Ie froid sans protection,. Yoir .vιψι·α, p. 96 .~(j. 7. (f: D.L. YI44(=VB 322], νoir.vzψnι,p. II,63-64et80,n. Ι. 8. C/ D.L. Υ Ι 58[= ΥΒ Ι86], >. 4. Voir.vupra, p. 132. 5. Voir la description des malheurs du roi de Perse par Dion de Pruse (Οωt. VI 35-39 [= VB 583] et, pourainsi dire, tout \ediscours IV [= VB 582]).
156
UNE CΠΕ SANS DISτiNCτiONS
tous 1, alors que pour Diogene, elle n'est accessible qu'au prix d'une dure ascese. Plus que les sophistes, les cyniques sont conscients de la capacite qu'a la civilisation de denaturer les hommes: le naturel n'est pas l'immediat, car la t'acilite de la vie selon la nature ne peut surgir sans le ponos. De plus, celui-ci ne peut etre impose a autrui et n'a d'eftϊcacite que chez celui qui l'accepte et le comprend, c'est-a-dire celui qui a deja tΊ·anchi le tΌsse qui separe les non-sages des sages. Or, comme nous le verrons 2 , rien n'indique au cynίque que ce tΌsse puίsse etre franchί par tous les hommes. Dίogene ne rejetaίt donc pas les loίs etablίes au protίt des Ιοίs unίverselles de la nature, auxquelles personne ne peut echapper, puίsqu'ίl ne deduίsaίt pas de l'unίversalίte cosmologίque de la nature son unίversalίte ethίque, c'est-a-dίre sa presence comme norme posίtίve de comportement en tout homme. L'homme, en eft'et, peut adopter des valeurs ίnverses a cel\es qui sont conformes a la nature et en ce cas la nature ne se manίfeste en luί, au nίveau moral, que de faςon negatίve: par le malheur en lequel ίl est plonge. La nature est donc unίversellement presente, soίt de faςon posίtίve comme regle de comportement eft'ectίvement realίsee, soίt de faςon negatίve a travers la souffrance que l'adoptίon de valeurs non-naturelles engendre. Sί la νίe contΌrme a la nature n'est pas donnee maίs conquίse par une elite, au prίx de l'et1Όrt ascetίque, le malheurdu reste de l'humanίte est une preuve de la dίmensίon unί verselle et naturelle de la morale cynίque. Maίs son rejet de la cίte et de la Ιοί conduίsaίt-ίl Dίogene a abolίr toute cίte et toute Ιοί en general? La vie des sages obeίt a certaίnes regles, ne seraίt-ce que parce que tous les sages cynίques menent a peu pres le meme genre de vίe. Cependant ces regles ne sauraίent etre ίdentίtϊees a des loίs au sens jurίdίque. Les Ιοίs ont dans les cίtes ordίnaίres une tΌnctίon coercίtίve et dίstίnguent explίcίtement ce quί est permίs de ce qui est defendu, atίn que ceux quί les transgressent puίssent etre sanctίonnes. Elles ίmplίquent l'exίstence d'une ίnstance polίtίque legίslatrίce, aίnsί que d'ίnstίtutίons destίnees a les faίre respecter. Or le sage respecte par luί-meme les regles de la vίe naturel\e, ιιοη par une mίraculeuse spontaneίte, maίs au prίx d'un et1Όrt sur luί-meme, dont la norme est le sentίment ίntίme du bonheur et de la liberte, et ποπ la conformίte a cette expressίon exterίeure qu'est une Ιοί. Le sage faίt de luί-meme ce quί e~;t permίs par la nature et s'abstίent de faίre ce quί est defendu par elle, sί bίen qu'ίl n'a pas besoίn d'ίnstίtutίons coercίtίves. Voίla pourquoί, dans la Republίque de Zenon, ίnspiree de celle de Dίogene3, ίl η 'y aura pas de trίbunaux, le systeme judίcίaίre etant ίnutίle. Le mode de vίe naturel se charge luί-meme, par une sorte de _justice ίmmanente, de chatίer ceux quί ne le I. Les > (Cynίι· Ηαο, ρ. 141).
159
LES CΠES ILLUSOIRES
cites existantes, le cynique se contentant d'exprimer ainsi le fait qu'il ne peut en considerer aucune comme sa patrίe- ou bien le cynique donnait -il un reel contenu au terme de κόσμος au sens d'univers naturel? Comment comprendre le cosmopolitisme de Diogene?
LE COSMOPOLJτιSME DE οιΟGΕΝΕ Outre la formule deja citee, nous ne pouvons invoquer principalement que deux autres temoignages a propos du « cosmopolitisme » de Diogene. Le premier est un apophtegme rapporte par Diogene Laerce: « Alors qu Όη lui demandaίt d'ou il etaίt, ίΙ repondίt "Je suis citoyen du monde." » 1 ; le second un passage des Phίlosophes a l 'encan de Lucien : L' Acheteur- D'abord, mon braνe, d'ou es-tu? Diogene- De partout. L' Ach.- Comment? Diog.- Tu νois un citoyen du monde 2 .
Le premier auteur chez qui Ι' on trouve le mot κοσμοπολίτης est Philon dans les deux fragments suivants: L'homme qui, se conformant a la Ιοί, est franchement citoyen du monde (kosmopolίtou), regle ses actions sur la νolonte de la nature, d'apι·es laquelle la totalite du monde s Όrganise 3. Lorsque toute une νille possede une constitution (polίteίa) regie par de bonnes lois, il s'ensuit necessairement qu'elle fait usage de la constitution (polίteίa) uniνerselle (kosmopolίte) qu'utilise aussi le monde dans sa totalite 4 .
Le contexte de ces deux occurrences est nettement stoϊcien, si bien quΊ~tre signifie faire partie de la cite universelle constituee par la nature, regie par les decrets du destin, et dont les citoyens sont les hommes et les dieux 5. κοσμοπολίτης
I. >. Illui attribue donc la conception d'une unite du genre humain. Cependant, ce passage n'en devient pas pour autant un argument en faveur d'un cosmopolitisme >, car il apparalt que tout au long des Entretien8, Epictete reinterprete le cynisιne et, en particulier le personnage de Diogene, ala lumiere de ses propres convictions stoϊciennes. 2. ,, περιήει ηΊν γην iiφετος, ορνιθος δίκην νοϋν εχοντος, ού τύραννον δεδιώς, ούχ ύπό νόμου κατηναγκασμένος, ούχ ύπό πολιτείας άσχολούμενος >>, Μ. Tyr., Ρ/ιίlο.Ι·ορ/ι. XXXYI 5 [=ΥΒ299].
3. >,Μ. Tyr., Plιίlo.I'Ofilι. XXXII 9 [= VB 298].
4.
>. 2. , Xen., Mem. 11 I, 11 [=IVA 163]. 3. J. Moles, « Lecosmopolitisme cynique >>, dans Le ιΎnί.Ι·me anι·ίen, p. 265. 4. Μ. Schofield (Savίng t/ιe Cίty, London/New York, Routledge, 1999, p. 58-67) reprend ces memes elements, presents dans la Repιιblίφιe de zenon, et en donne pour origine La Repιιblίφιe ιle.1· Laι·edemonίen.ΙΌ attribuee a Xenophon, mais le philolaconisme platonicien peut tout aussi bien les expliquer. cόte
164
UNE CΙΤέ SANS D!SτiNCτiONS
Ι) La relative communaute de vie des όμοίοι spartiates, rationalisee et radicalisee par Platon (qui y inclut aussi, par exemple, la communaute des femmes) sous la forme du communisme des gardiens et generalisee par Diogene qui l'etend a toute la population 1• Comme nous l'avons vu 2, une des institutions qui avait le plus frappe par son caractere communautaire, les repas en commun (φιδί τια), est retenue non seulement par Platon, mais egalement par Diogene. 2) L'education en commun des ent·ants par l'Etat spartiate, a partir de l'age de sept ans, est reprise et radicalisee chez Platon comme chez Diogene sous la torme de la « communaute des enfants » 3. 3) L'entralnement gymnique .des jeunes tϊlles spartiates dans le but d'en t'aire de bonnes genitrices est repris par Platon, mais dans le but de tΌrmer de bonnes gardiennes, tandis que Diogene ne cherche qu' a eduquer de bonnes cyniques4. De plus, d' aωres aspects de la vie spartiate, telle qu' elle etait idealisee dans le monde grec, peuvent avoir reςu l'approbation du cynique alors que Platon n'y a pas porte le meme interet : 4)Les Spartiates portaient le τρίβων, les cheveux longs et un baton pour marcher; tel fut egalement le costume des cyniques. Il est significatif qu' au debut de sa Republίque, Diogene - si nous en croyons le temoignage de Philodeme prenne soin de rappeler qu'il faut faire usage du manteau doubJe5, c'est-a-dire ne pas porter sous le manteau la tunique, alors de mode chez les Atheniens tΌrtunes, et se contenter de plier son manteau en deux lorsqu' il fait trop froid. 5) Cependant, leur systeme d'education etait ce que Diogene- contrairement a Platon - devait apprecier \e plus chez \es Spartiates, et en particulier leur anachronique mepris de \a formation intellectuelle a ι' epoque classique et hellenistique6. Si, comme nous \e dit Plutarque Ί, \es Spartiates apprenaient en tout cas a lire et a ecrire, \a « legende spartiate » est plus radica\e puisque, dans les Dίscoιιrs doιιbles, « \es Lacedemoniens estiment bon que \es ent'ants η' apprennent ni musique, ni \ettres; les Ioniens au contraire trouvent choquant d'ignorer toutes ces choses » 8 • Ainsi Platon reprochera amerement a l'education \acedCmonienne9 de son temps son orientation exclusive vers la gymnastique et sa negligence a I 'egard de la musique. Les consequences politiques de ce choix sont en etτet sans appel, les citoyens η' obeissant plus de \eur propre gre aux lois:
I. Voir.vιιpra,p.I06.vη. 2. Voir.vιιpω, p. 120.ψ 3. Voir .ΙΊtp!'α, p. 126-128 et 132 .ψ 4. Voir.vιφω, p. 123. 5. Philod., /)e .1·to., XVIII 10-11. 6. Sur le durcissement et Ι' appauvrissement de Ι' education spartiate acconψagnant la decadence politique de la cite, voir Η. I. Marrou, Hί.vtoire ι/e Ι'ι!ι/ιιcιιtίοn ι/αιι.Ι·ΖΊιntίφίte, t. Ι, Paris, Points-Seιιil, 1948, p. 40-45. 7. > (Piut., Lyι·. 16, texte et trad. R. Flaceliere, Ε. Chambry, Μ. Jumeaux ίιι Plutarque, Vie.v, t. Ι, Paris, ιes Belles ιettres, 1964). 8. Dί.Ι·cοιιι-.vι/οιιhlα, 11, 10. 9. ιacedemone est en effet l'exemplification concrete de ce que Platon decrit sous le nom de timocratieou timarchie(ι/ Plat.,R.ψ. 545a-b).
LES cιτέs ILLUSOIRES
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Ils cueilleront leurs plaisirs en cachette, cherchant a echapper a la Ιοί, comme des enfants a la vue de leur pere, parce qu'ils ont ete eleves sous le regime, non de la persuasion, mais de la force, et qu'ils ont neglige la veritable muse, la ωuse de la dialectique et de la philosophie, et fait plus d'honneur a la gyωnastique qu'a la ωusique 1•
Cependant acette condamnation platonicienne devait repondre - ne serait-ce qu'implicitement- une approbation cynique. Ainsi, lorsque autour de la legende de la vente de Diogene, Eubule 2 entreprend de decrire l'education que Diogene aurait donnee aux fils de Xeniade, maints traits de l'education spartiate sont repris: I'entraίnement precoce aux techniques de combat, Ie tir l'arc, le maniement de la fronde et le Iancer du javelot3, le mode de vie austere et la modestie du comportement.
a
Α la maison, il leur apprenait a se servir eux-ωeωes, a pΓendre une nourriture frugale et a boire de \' eau; aSΟΠ instigatίon, i\s aνaient \es cheνeux tondus au ΓaS de la tete 4, i\s allaient sans coquetterie, sans tunique, pieds nus et gaΓdant le si\ence, ωarchant les yeux baisses dans la rue. 11 les eωmenait egaleωent a la chasse 5.
D'autre part, aussi douteux soient-ils, des apophtegmes en taveur de Sparte et des Spartiates ont ete attribues aDiogene par la tradition, ce qui nous laisse penser que le philolaconisme cadrait bien avec le personnage. Comωe
on lui avait deωande en quelle region de GΓece il voyait des νΓais il repondit: « Des hommes nulle part, ωais je vois des enfants a Lacectemone »6. Alors qu'il revenait de Lacecteωone et qu'il se rendait a Athenes, quelqu'un lui demanda: « Ou vas-tu et d' ou viens-tu? >> 11 Γepondit: « Je viens de I' apparteωent des hoωωes etje vais danscelui des feωωes >> Ί. Α un habitant de I' Attique qui lui reprochait de faire toujours l'eloge des Lacectemoniens alors qu'il n'al\ait pas vivre avec eux, Diogene dit: « En et'fet le ωedecin, dont la fonction est de rendre la sante, ne passe pas sa vie au milieu des bien-portants ,,s. hoωωes,
I. Plat., R.φ. 548 b. 2. νoir8upra, p. 57, η. 6. 3. D.L. νι 30 [= νΒ 70]. Ceci est, d'ailleurs, en totale contradiction avec ce qu'aurait ete une education dans une cite cynique oil, comme nous I'avons vu, les armes sont inutiles. 4. Contrairement aux guerriers qui portaient Ies cheveux longs, Ies enfants spartiates ont la tete rasee, ιj: Η. Ι. Marrou, op. ι·iι., p. 50. 5. D.L. νι 31 [=ν Β 70]. 6. D.L. νι 27 [= νΒ 280]. Cet apophtegme se retrouve dans les apophtegmes laconiens, ιj: Α. Packmohr, De Diog. apoplιt/ιegmati.v quae.vtioιιe.1· .Ι·electae, diss. Mίinster, 1913, p. 87-88. 7. D.L. νι 59[= νΒ 282]. CetapophtegmeestegalementattribueaAntisthene ((/:ν Α 7)cequi le rend douteux. 11 apparalt egalement dans les apophtegmes laconiens, ιj: Α. Packmohr, op. ι·i ι., p. 88. 8. Stob., 111 \3,43 [=ν Β 281]. Cet apophtegme se trouvait certainement chez Dion de Pruse, car ίΙ vient chez Stobee juste apres un apophtegme diogenien >, Cependant cette anecdote est douteuse iι double titre: tοιιt d'abord le coιιple d' amants atheniens Harmodios et Aristogiton devint une grande figιιre de la propagande en faveur de la democratie, alors que, comme nous le verrons par la suite, le cynique ne manifeste guere d' indulgence iι I'egard de ce regiιne. Par ailleιιrs, cette formule est egalement attribuee par Plutarqιιe iι Antiphon (Qιιοnι. αι/ιι/. ah. ίηιeηιο.Η·. 27, p. 68 a, signale par G. Giannantoni dans l'apparat critique du fragment, S.S.R. 11, p. 367), cequi semble plus vraisemblable. 2. Cj: ν Β 53,538, 559,352. 3. Cj: G. Giannantoni, S.S.R. ι ν, p. 436-7. 4. D. Chr., Orat. νι (6)40-59 [=ν Β 583]. 5. νoiriιψa,p. 169-170. 6. Le theme de la misere du tyran avait ete developpe par Platon dans sa Reριιlιlίιμιe lorsqu'il montre que « son malheur est complet » (R.ψ. 579 d): le tyran vit dans une prison (R.φ. 579 b), le veritable tyran est un veritable esclave (579 d), il passe sa vίe dans une frayeur continuelle (579 e). Cependant, le mode d'exposition platonicien reste dependant de sa vίsee dialectique. 11 s'agit de deduire rigoureusement le malheurdu tyran des malheιιrs de la cite tyrannique (ιj: parex. 577c-578b), alors que le portraίt que Dion fait du tyran est construit sous la tΌrme d' un recit autonome possedant, par lui-meme, un interet narratif.
LES CITES ILLUSOIRES
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caractere humain correspondant. Le malheur du tyran, oppose au bonheur du sage, constituait pour Diogene un argument suffisant contre le regime tyrannique, d'autant plus qu'il permettait de privilegier \'exhortation morale dirigee vers l'individu, tout en faisant \'economie de l'analyse proprement politique de ce mode de pouvoir et de ses consequences.
La royaute: apologie ou refus? Cependant faut-il en conclure que de tel\es exhortations avaient pour but de rendre sages les tyrans, afin qu'ils se convertissent et deviennent des despotes eclaires? En fait, \e seul exemple de \Όpposition c\assique entre \e bon roi et le tyran ι, dans la litterature cynique ou d'inspiration cynique, est le discours IV Sur la royaute de Dion de Pruse 2 • Or, malgre \a reference a Diogene, les theses qui y sont developpees ne peuvent etre considerees comme authentiquement cyniques. Ce texte se presente, en effet, comme un exercice de style sur le theme de la rencontre entre Diogene et Alexandre, et son auteur prend soin dans son introduction de souligner \e caractere litteraire de son inspiration : On raconte qu'un jour Alexandre, alors qu'il n'avait pas beaucoup de loisir, rencontra Diogene qui disposait de beaucoup de temps. En effet, l'un etait roi de Macectoine et de beaucoup d'autres contrees, l'autre un exile de Sinope. C'est ce que beaucoup racontent et ecrivent, en n'etant pas moins elogieux et admiratifs a l'egard d' Alexandre [qu'a l'egard de Diogene], parce que lui qui etait le chef de tant [de cites] et \e plus puissant de tous ne dedaigna pas de rencontrer un homme indigent, a cause de son intelligence et de sa maί'trise de soi. En eft'et, tous les hommes se rejouissent naturellement lorsqu'ils voient que \a sagesse est honoree par l'autorite et la puissance la plus grande, si bien que lorsqu'ils tΌnt le recit de ces faits, ils ne se contentent pas de \a seule verite, mais inventent des exagerations («iόστε ού μόνον τάληθfi διηγουνται περi των τοιούτων, άλλα και πλάττουσι ν ύπερβάλλοντες ») et privent par dessus \e marche les sages de toute autre sorte de biens comme les richesses, les honneurs et la force physique, atϊn qu' ils aient I' air d' etre honores uniquement pour \eur intelligence. Quant a moi, je vais dire comment vraisemblablement \eur rencontre s'est deroulee, (« ώς δε είκος έκείνοις γενέσθαι ηΊν ξυνουσίαν [έκείνην], εϊποιμ' &ν»), puisqu'il se trouve que, delivres des autres soucis, nous en avons \e loisir 3 . Dans sa reference aux autres ecrivains qui ont traite le meme sujet, Dion suggere que, comme eux, il ne cherchera pas \a verite (τό:ληθfj) mais le vraisemblab\e (είκος). Nous voila donc prevenus: ce discours n'a aucune pretention ι. Voirparexempιe, D. Chr., Orat. IV (4)43.ψ [= VB 582]. 2. Ce discours prononce devant ι•empereur Trajan (ιf D.R. Dudιey, Hί.1·tory p. ι 54) nc peut etre cιasse dans la periode plus radicaιement cynique de Dion, pendant son exil sous Domitien, au cours de ιaquelle ίΙ redigea ses discours diogeniens (VI, VIII, ΙΧ, Χ) (voir ace sujet Ρ. Desideri, Dίοιιe dί Ρrιι.~α. uιι ίιιtellettuale greω ιιell'ίιιιperο rοπιαιιο, Firenze, 1978, chap.ιιι, 2, >, p. 200-219). 3. D. Chr., Orat. IV (4) 1-3 [= VB 582].
170
UNE CΙΤέ SANS DISτiNCτiONS
historique. En efί'et, apres avoir mis en place les deux personnages, Dion expose les admonestations que Diogene adι·essait a Alexandre. Or, celles-ci ont une tonalite resolument theologique. En et'fet, on y trouve une distinction entre deux sortes d'ectucation, l'une divine (daίmonίos) et l'autre humaine 1, ainsi qu'une ret'erence au daίmδn d'Alexandre: « Sache bien, dit-il, que tu ne seras pas roi avant que de t' etre conci lie ton propre demon » 2 • Cette pregnance des themes religieux ne peut pas etre simplement ironique ou parodique, mais signale l'inspiration stoϊcisante de Dion de Pruse, dans le cadre d'un exercice de style sur un theme appartenant au «κυνικΌς τρόπος», au genre cynique. Ce discours de Dion est donc typique des traditions litteraires elaborees autour des rencontres supposees entre Diogene et de grands souverains, qui nous sont parvenues principalement par des ecrits de I' epoque imperiale: il en est ainsi de la rencontre entre Diogene et le roi Philippe 3 apres la bataille de Cheronee, dont Diogene Laerce nous donne une source 4, ou bien entre Diogene et Perdiccas5, Crateros 6 ou Antipater Ί. Cependant la plus celebre de ces traditions, promise a une large posterite, t'ut celle qui met en presence Diogene et Alexandres. Or son invraisemblance historique a ete ctemontree9, et son origine litteraire reconstituee. Comme l'a montre Μ. Buora ι ο, cette rencontre a vraisemblablement ete inventee par Onesicrite dans le dessein de rehabiliter Alexandre aux yeux des Grecs, en en faisant un roi philosophe ΙΙ, et ce n'est qιιe par la suite que cette figure fut exploitee pour magnitler Diogene aux depens d' Alexandre. Elle ne saurait donc, par elle-meme, rendre compte de la pensee politique de Diogene. Celle-ci devait englober tout pouvoir 1./biιl.,
28 75. 3. Cj: VB 25-30. Que Diogene ait participe a la bataille de Cheronee est assez invraisemblable, non seιιlement acause de son agc (il devait avoir en effet apeu pres 60 ans), mais acause de son rejet, affiche dans sa Rι!pιιblίιμιe, de l'activite militaire. Cj: G. Giannantoni, S.S.R. IV, p. 444. 4. [VB 31]. 2./bίι/.,
LES CITέS JLLUSOJRES
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moηarchίque- fίlt-ίl tyraηηίque
ou royal- daηs uη meme rejet desabuse et ηe pas ceder al'ίllusίoη platoηίcίeηηe de la possίbίlίte d'uη rοί quί, tout eη restaηt rοί, se coηvertίraίt a la phίlosophίe 1 • L'exercίce du pouvoίr, malgre les dehors de legίtίmίte qu'ίl peut se doηηer, eηtralηe avec luί toute uηe serίe de compromίssίoηs et de coηtraίηtes radίcalemeηt ίηcompatίbles avec la νίe phίlo sophίque. Quoί de mοίηs autarcίque, eη effet, qu'uη rοί ίdeal, seloη l'image tradίtioηηelle « pasteur de sοη peuple » 2 , quί ηe vίvraίt doηc plus pour Juί-meme maίs pour sa mίssίοη polίtίque, et devraίt alors teηίr compte de la folίe des sujets doηtίl a lacharge pour assurer, malgre eux, lacoηcorde? L'ίdeal du roijuste, bοη et verίtablemeηt rοί est, par luί-meme, uηe folίe, uηe teηtatίve desesperee de sauver les bases de la cίvίlisatίoη. Cepeηdaηt, face a ces souveraίηetes persoηηelles, le regίme democratίque η' eη trouve pas pour autaηt grace aux yeux de Dίogeηe. devaίt
La democratίe
Les temoίgηages mettaηt eη cause la democratίe soηt beaucoup plus rares que les prίses de pοsίtίοη coηtre la tyraηηίe, saηs doute acause de la caracterίstίque de ce regίme, daηs lequel οη ηe peut assίgηer le pouvoίr auη iηdίvidu eη partίculίer maίs auη groupe daηs sοη eηsemble. L' eηseίgηemeηt cyηίque s' adresse d' abord a des ίηdίvίdus et devίeηt impuίssaηt face ades ίηstaηces ίmpersoηηelles. Au sujet de la democratίe, ηous pouvoηs remarquer eη effet qu'ίl ηe reste daηs les temoί gηages aucuηe crίtίque des ίηstίtutίoηs democratίques comme telles, alors que, daηs la tradίtίoη socratίque, ηous pouvoηs trouver chez Aηtίstheηe uηe crίtίque a la foίs de 1, ίηcompeteηce des elus 3 et de la pratίque du tίrage au sort pour la desίgηatίoη des magίstrats 4 • Βίeη que ηous ηe puίssίoηs assurer que Dίogeηe η, aίt pas reprίs a sοη compte ce geηre de reflexίoηs deveηues presque des lίeux commuηs a sοη epoque, ίl semble sίgηίficatίf que la tradίtίoη η'eη aίt reteηu aucuηe, alors qu'elle a reteηu les ίηvectίves que Dίogeηe laηι;,;aίt coηtre des persoηηages cle de la vίe polίtίque atheηίeηηe: les demagogues qu'ίl appelaίt « valets de la populace » 5. Cette retlexίoη devίeηt chez Dίοη de Pruse : « les demagogues [ ... ] soηt des chefs de merceηaίres » 6 et, cοη vertίe eη aηecdote mettaηt Dίogeηe et Demostheηe eη sceηe, ηous avoηs: Uη
jour Diogeηe dejeunait dans une taverne, puis il appela Demosthene qui passait la; comme celui-ci ne Iui avait pas prete d' attention, il dit: « As-tu honte, Demosthene, de venir dans une taverne? Et pourtant ton maί'tre (ό κύριός σου) y va chaquejour! ", parlant des gens du peuple (τους δημότας) comme d'une seule I. Cj: Plat., R.ψ. 473 c-d. 2. Cf Plat., Ρο!, 257 a-267 c. 3. Cf D.L. νι 8 [=νΑ 72]. 4. Cf D.L. νι 5 [= ν Α 71] et νι 6 [= ν Α 73]. Pour la pensee politique d' Antisthene, voir ίιψα, Appendice 11. 5. του συγγράψαι.
ι. Ibίd. χ νι 30-34.
corresρoηdre eη fait au Πιye.He de la liste aηoηyme (ιj: Τ. Doraηdi, Fίlodenιo, 122 η. 195, et G. Giaηηantoηi, S.S.R. IV, ρ. 479). Atree est le frere cadet de Thyeste et le mythe est l'histoire de leur iηimitie. Ceρeηdaηt la tragedie devait mettre eη sceηe l'eρisode suivaηt: Atree tue les trois fils de Thyeste, refugies dans uη temρle de Zeus, les fait bouillir et les sert comme mets aleur ρere, ρuis, aρres ce macabre reρas, lui moηtre leur tete et le chasse. 3. Cf Μ. Schofield, Stoiι· Idea, ρ. 9. 4. Τ. Doraηdi, Fίlodemo, ρ. 122. Cf G. Gίaηηaηtοηί, S.S.R. IV, ρ. 476, η. 53.
2. Lequel doit
ρ.
188
APPENDICEI
Si du moins les tragedies sont bien de lui et ποπ de Philiskos d'έgine, son disciple, ou de Pasiphon, le fils de Lucien, dont Faνorinus dit dans I' Ηίstοίι·e vaι·ίee, qu'il les a composees apι·es la mort de Diogene ι.
Il s' agit de Pasiphon d'Eretrie, disciple de Menedeme, connu pour son actiνite de faussaire 2 , qui aurait egalement redige trois dialogues d'Antisthene. D'ou νίent cette tradίtίon? A-t-on eνoque \e nom de Pasiphon simplement parce qu'il etaίt un faussaίre connu et dans \e seul but de defendre la these de \' inauthenticite des tragedies de Diogene? 2) Faut-il distίnguer Diogene le cynique d'un autre Diogene, auteur tragique? La Souda parle, en eft'et, d'un « Dίogene ou Oenomaus, tragedίen athenien. Il νecut pendant \es Trente. Ses pieces: Achίlle, Helene, Heracles, Thyeste, Medee, Oedίpe, Chrysίppe, Semele»3; par ailleurs, Athenee nous donne un extrait de la dernίere piece : Διογένης δ' ό τραγικός διαφέρει ν πηκτίδα μαγάδιδος οϊεται λέγων οϋτως έν τf\Σεμέλn καίτοι κ λύω μέν Άσιάδος μι τρηφόρους
Κ υβέλας γυναl:κας, παl:δας όλβίων Φρυγ&ν τυμπάνοισικαipόμβοισικαiχαλκοκτύπων βόμβοις βρεμούσας άντίχερσι κυμβάλων συψην θε&ν ύμ νφδόν ίατρόν θ' &.μα. κ λύω δέ Λ υδάς Βακτρίας τε παρθένους ποταμ παροίκους 'Άλυι, Τμωλίαν θεόν
δαφνόσκιον κατ' &.λσος 'Άρτεμιν σέβει ν ψαλμοl:ς τριγώνων πηκτίδων άντιζ ύγοις όλκοl:ς κρεκούσας μάγαδιν, ενθα Περσικ
νόμφ ξενωθεl.ς αύλός όμονε ι χορο1:ς 4 • Dίogene
le tragique pense que \a lyre diΠere de \a harpe; il\e dit ainsi dans \a
semele: Cependant j'entends d'une part les femmes porteuses de mitre de la Cybele d' Asie, tϊlles de la Phrygie bienheureuse qui de leurs pouces tΌnt retentir, aνec des tambours, des tambourins et des bruits de cymbales en cuivre, un hymne divin a la fois sage et bienfaisant. J'entends d'autre paΓt les νierges de Lyde et de Bactres, νoisines du fleuνe Halys, honorer la deesse de Tmolos, Artemis, dans un bois ombrage de lauriers, aνec des airs de lyres triangulaires, tΊ·appant des coups correspondants de harpe; la-bas meme, selon une loi de Perse, une flίite etrangere se joint aux chreurs.
Ce texte, d'une grande richesse poetique (que notre traduction ne prctend en aucun cas restίtuer), temoίgne d'une attίtude litteraire et religieuse tout a faίt I.D.L.VI73[=VB ι28]. 2. c;: Κ. Von Fritz, R.E. XVIII 4 (1949), cοι. 2004 et Μ.-0. Gouιet-Caze, A.\'(·e.1·e ρ. 86-87 snrtout n. ι 2. 3. Snid., 8. v. Διογένης (n. ι ι 42), [= VB ι 30], cj: VB 9 ι. 4. Ath., XIV 636 a, cite ρarG. Giannantoni, S.S.R. IV, ρ. 476-477.
ιΎniφιe,
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L' ΑUΤΗΕΝτΙCΠέ DES TRAGέDIES DE DIOGENE
etrangere au cynisme, si bien que nous pouvons raisonnab1ement attribuer cet extrait aun Diogene tragedien, different du fondateur du cynisme. Si ce Diogene tragedien fut 1' auteur d' au moins une tragedie, Semele, qu' en est-i1 des autres quί sontegalement attribuees aDiogene le cynique? Pourrait-il en etre l'auteur? Nous pensons pouvoir donner acette question une n~ponse negative. a-Nous savons que les sept premieres tragedies circulant sous le nom de avaient un contenu scabreux, comme en temoigne Philodeme pour deux d'entre elles et le fait qu'elles ont ete censurees par Sotion. Il n'y a rίen de de tel dans l'extrait de Semele, d'une allure manieree mais respectueuse des traditίons Dίogene
relίgieuses.
b- Nous pouvons de plus evoquer un passage de Plutarque: ώς γaρ τ&ν ύπ' αύλΟν lιtxιlenken, 111 ι, Frankfurt a. Μ., 1954 p. 79, ι:( G. Giannantoni, S.S.R. IV, p. 404) seιon ιaquelle cet apoιogue serait une simpιe critique des acteurs politiques qui, au ιieu de suiνre ιa vertu, se comportent comme des betes feroces. Comme Aristote, qui a eu vraisemblabιement ιe texte d' Antisthene sous ιes yeux (sur la question de savoirde quelle ceuvre d' Antisthene iι s'agit, Cj: S.S.R.IV, p. 403), ι·a coιnpris, et con1me ιe debut de ιa fable d'έsope ι'indique, ίι s'agit avant tout d'une critique de ιa deιnocratie, et pιus preciseιnentdu principe d'egaιite sur ιequeι elle se fonde.
ΑΝτΙSΤΗΕΝΕ, UN FAUX PRECURSEUR
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Doηc, daηs
la mesure ou il coηdamηa la vie politique de sοη temps, Aηtisthene precurseur de Diogeηe. Cepeηdaηt sοη argumeηtation s'iηscrivait daηs uηe tout autre problematique. Εη eft'et, Diogeηe ηe voit, daηs la vie politique de ses coηtemporaiηs, qu'uη des aspects de la demeηce, pratiquemeηt sans remede, des inseηses. La racine des maux politiques est expliquee α prίorί par le fait que tout ce que foηt les iηseηses est foηcieremeηt mauvais; aussi le domaine politique ηe requiert-il pas de methode d'iηvestigatioη et d'explicatioη particulieres. Sauf lorsqu'il eηtrepreηd de repoηdre a la Republίque de Platon, Diogeηe refuse de se poser la questioη de la vie collective comme telle. 11 η'a affaire qu'a des iηdividus et sa critique de la vie politique les vise avaηt tout, en particulier ceux qui exerceηt le pouvoir. Α I 'iηverse, Aηtistheηe se demaηde reellemeηt commeηt les hommes peuveηt vivre ensemble daηs le cadre de \a cite et, de ce fait, eηvisage qu' il existe, au moins poteηtiellemeηt, uηe solutioη. Meme si les sages ηe seroηtjamais qu'uηe miηo rite, avec tous les types d'hommes, sages et ηoη-sages, il est ηeaηmoiηs possible de former uηe commuηaute capable de maintenir sa cohesion iηterne et de se defeηdre des meηaces exterieures. Voila pourquoi, lorsque les problemes de la vie politique coηtemporaiηe soηt abordes, il importe moiηs de coηdamηer que de degager la cause propremeηt politique de tous ces dysfonctioηηemeηts. Or, a travers tous les regimes defectueux, on retrouve toujours uηe seule et meme cause: le pouvoir est dοηηe saηs discerηemeηt a des hommes pervers. Mais que se passerait-il s'il etait dοηηe aux sages? Aηtistheηe η' avait pas seulemeηt une νίsίοη critique des regimes politiques de sοη temps, mais s'est egalement efforce d'eηvisager de faςοη positive le meilleur regime politique possible, c' est-a-dire pour lui la royaute. est
uη digηe
LA ROY ΑUΤέ: LE COMMANDEMENT DES SAGES
Dans le catalogue des reuvres d' Aηtistheηe ι, plusieurs titres (le Cyrus ou Sur la royaute du tome cinq, I'Archelaos ou Sur la royaute du tome dix) temoigηeηt de I'iηteret du socratique pour ce theme. La recoηstitutioη du coηteηu de ces reuvres pose des problemes tres complexes que ηous η' avoηs pas le loisir d' examiηer ici 2 ; nous pouvons cepeηdaηt affirmer eη toute vraisemblaηce que daηs ces ouvrages - aiηsi que daηs les autres livres ayaηt pour sujet Cyrus -, Antistheηe distiηguait le l.D.L. νι 15-18[=νΑ41]. 2. Ainsi, il existe quatre titres d' reuvres dans le catalogue de Diogene Laerce se referant a Cyrus : Cyru.1· (quatrieme tome), Cyru.1· ou Sur /α royaute (cinquieme tome), Cyπι.1· ou L'tιinιe, Cyπι.~ ou Le-1 eclaireιιr.Ι· (dixieme tome). Nous savons d'autre paή qu'Antisthene avait ecrit au moins deuxouvragesintitules Cyru.1·: un Cyrιι.1·majeuret un Cyru-1 mineur(ι/ Athen., ν 220c [=νΑ 14\] et D.L. 11 61 [=νΑ 43]). Plusieurs hypotheses ont ete formulees pour recouper ces deux indications (ιj: S.S.R. ιν, 295-299). G. Giannantoni conclut prudemment: >,Mesure 3 (1990), p. 47-59. SCHOFIELD Μ., The Stoic ldea ofthe City, Cambridge, Cambridge University Press, 1991. -« Zeno of Citium Anti-utopianism >>, p. 49-78, dans Μ. Vegetti, Μ. Abatte (ed.), La Repubblica dί Platone nella tradizίone antica, Napoli, Bibliopolis; repris dans Saving the Cit,v, London-New Υ ork, Routledge, 1999, p. 51-68. - « Impossible Hypotheses: Was Zeno's Republic Utopian? >>, dans Τ. Scaltsas, A.S. Mason (ed.), Ζeιιο of Citίum αιιd his legacy. The philosoplιy of Zeno, LaΙΏaca, 2002, p. 309-323.
Autres etιιdes AALDERS G.J.D., Polίtical Thought ίιι Hellenίstic Πιιιes, Amsterdam, Hakkert, 1975. ANNAS J., lntroduction a la Republique de Platon, traduction par Β. Han, [Αιι /ιιtroductίon to Plato 's Republic, 1981], Paris, P.U.F., 1994,. BABUT D., La religion des philosophes grec.~ de Thales aux stoϊciens, >, Paris, P.U.F., 1974. BALDRY H.C., The Unity of Μαιιkίιιd ίη Greek Thoιιght, Cambridge, Cambridge University Press, 1965. BORDES J., POLΠEIA dans la pensee grecque jusqu'a Aι·istote, >, Paris, Les Belles Lettres, 1982. BRέHIER Ε., Hίstoίre de la phίlosophίe, t. Ι, Paris, P.U.F., 1931' edition revue et mise a jour par Ρ.-Μ. Schuhl et Μ. De Gandillac, >, Paris, Ρ. U .F., 1981. BRISSON L., >, dans Β. Cassin, J .-L. Labaπiere, G. Romeyer-Dherbey (dir.), L'anίmal dans l'Antίqιιίte, Paris, Vrin, 1997, p. 227-245.
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