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French Pages 290 [304] Year 1972
LA MISSION MARCHAND 1 8 9 5 - 1 8 9 9
CET
OUVRAGE
PUBLIÉ
AVEC
LE
A
ÉTÉ
CONCOURS
D U C E N T R E N A T I O N A L DE LA
RECHERCHE
SCIENTIFIQUE
ÉCOLE VI'
PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES - SORBONNE
SECTION
:
SCIENCES
ÉCONOMIQUES
LE MONDE
ET
D'OUTRE-MER
P A S S É ET PREMIÈRE
PRÉSENT SÉRIE
ÉTUDES XXXVI
PARIS
MOUTON & CO MCMLXXII
LA
HAYE
SOCIALES
MARC MICHEL
LA MISSION MARCHAND 1895-1899
PARIS
MOUTON & CO MCMLXXn
LA
HAYE
CET OUVRAGE A ÉTÉ PRÉSENTÉ COMME THÈSE DE DOCTORAT DE 3 e CYCLE A LA SORBONNE, EN NOVEMBRE 1 9 6 8
Library of Congress Catalog Card Number : 72-151426. © 1972, Mouton Co and École Pratique des Hautes Études. Printed in France
INTRODUCTION
On a beaucoup écrit sur Fachoda et le Soudan égyptien. Récemment encore, un livre fort documenté a fait le point sur les rivalités européennes dont fut l'objet le Haut-Nil entre 1882 et 1899 1 *. Il pouvait sembler superflu de revenir sur l'épisode essentiel de ces rivalités, la Mission Marchand. Pourtant cette Mission n'a pas été étudiée pour elle-même, pas plus d'ailleurs que la plupart des autres grandes missions qui caractérisent la politique d'expansion coloniale de la Troisième République en Afrique Centrale durant la dernière décennie du XIX* siècle 2 . C'est surtout à cet aspect modeste de la question de Fachoda que nous nous sommes attaché. Certes, les origines de la Mission Marchand, dite aussi « Atlantique-Mer Rouge », ont été bien éclairées 3 . Il restait cependant quelques obscurités : en particulier, on s'expliquait difficilement les raisons qui retardèrent de plusieurs mois le départ de la Mission. De même, si les buts généraux de la politique française étaient clairement définis au moins depuis le temps de l'expédition Monteil en 1893-1894, on discernait partiellement les objectifs, la tactique et l'itinéraire proposés par Marchand ; certains documents, comme le projet présenté en 1895 par le jeune officier, passaient pour perdus 4 . Ces documents conservés en fait à la Section Outre-Mer des Archives Nationales, ainsi que de nombreux autres, permettent aujourd'hui de mieux
1. G . N. SANDERSON, England, Europe and the Upper Nile (1882-1899). Signalons aussi le livre de R . G . BROWN, Fashoda Reconsidered, Londres, 1 9 7 0 , qui n'avait pas encore paru à l'époque où nous soutenions notre thèse. * Excepté pour les ouvrages utilisés occasionnellement, on trouvera in fine, p. 263 sq., les références bibliographiques complètes des ouvrages cités. 2 . Excepté dans la thèse de Mme C . COQUERY-VIDROVITCH sur Brazza et la prise de possession du Congo. 3. Cf. P. RENOUVIN, « Les origines de l'expédition de Fachoda », Revue Historique, oct.déc. 1948, pp. 180-197. J. STENGERS, « Aux origines de Fachoda : l'expédition Monteil », Revue Belge de Philosophie et d'Histoire, I, 1958, pp. 436-450, II, 1960, pp. 365-404, III, 1960, 1040-1065. 4. Une série de documents concernant la Mission Marchand et dont la liste se trouve dans le carton Afrique III34 des archives de la Section Outre-Mer, furent communiqués à Georges Mandel en juin 1939. Il furent tous restitués par la suite.
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connaître la genèse de l'expédition de Fachoda. Ils permettent, en outre, de suivre la préparation d'une grande mission, d'observer l'étonnante variété de son équipement en matériel, marchandises et vivres, le coût de la mise en route et celui des soldes du personnel. Malheureusement on manque encore d'éléments de comparaison, l'étude des missions ayant été fort peu envisagée de ce point de vue jusqu'ici. Les péripéties de la Mission Marchand à travers l'Afrique ont fait l'objet de nombreuses publications dès l'époque même de la « marche au Nil ». La révolte du redoutable Mabiala Minganga, le « sorcier » Bassoundi auquel se heurta Marchand dans le Bas-Congo, les aventures du petit vapeur Faidherbe démonté et remonté dans le Haut-Oubangui et le Bahr el Ghazal pour être finalement abandonné aux confins de l'Abyssinie, la traversée du c grand marais », la < rencontre » à Fachoda... que d'épisodes pittoresques et héroïques qui ont alimenté l'imagerie de l'épopée coloniale ! Les récits publiés plus tard par certains membres de l'expédition, Emily et Baratier, ont encore enrichi cette imagerie. La Mission Marchand est restée longtemps dans le domaine de l'hagiographie. Mais en la suivant « pas à pas », nous nous sommes surtout demandé quel était le regard jeté par ses membres sur les hommes et les pays, ce qu'ils nous en apprenaient, enfin ce qu'avait « coûté » l'expédition aux populations locales Au Bas-Congo, les difficultés de transport de l'expédition et les opérations menées contre les Bassoundi révèlent maints aspects de la crise qui marque alors l'implantation européenne et les réactions, fort diverses, des groupes indigènes à cette implantation. Dans le Haut-Oubangui, l'épisode le plus riche et le plus significatif est celui de la traversée des Sultanats Zandé (ou < Niam-Niam ») du M'Bomou : Bangassou, Rafaï, Zémio, Tamboura. Certes, Marchand et ses compagnons rapportèrent moins de renseignements intéressants que leurs prédécesseurs belges et que les voyageurs Schweinfurth et Junker. Mais ils permettent cependant — avec le témoignage capital de Victor Liotard, Commissaire du Gouvernement français dans le Haut-Oubangui à cette époque — de mesurer ce que représenta pour les Sultans et leurs populations le passage de la Mission, et de mieux saisir leur politique à la veille de leur déchéance. Dans le Bahr el Ghazal et à Fachoda, le séjour de la Mission offre autre chose que le seul récit d'une aventure héroïque. La Mission arriva dans le Bahr el Ghazal à la fin de l'ère mahdiste : de nombreux renseignements permettent de faire le point de la situation politique du pays, visité une génération plus tôt par Schweinfurth et Junker. On peut se rendre aussi compte des bouleversements qu'allait introduire l'installation européenne dont l'expédition était l'avant-garde. Enfin, sur le Nil, si la « rencontre » de Marchand et de Kitchener est à juste titre l'épisode le plus célèbre, on
1. Certes, un recours aux sources orales aurait peut-être aidé à corriger ce que les documents écrits européens ont de superficiel et d'inconsciemment partial. Mais la collecte de ces sources orales de Loango à Djibouti était impossible. En outre, nous avons pu constater au BasCongo, lorsque nous avons tenté de rassembler des témoignages sur le passage de l'expédition Marchand, la médiocrité de ce genre de souvenirs qui ne se rattachent pas aux traditions.
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INTRODUCTION
n'a guère insisté sur les ambiguïtés des relations entre Français et Chillouk puis entre Français et Britanniques. Ce sont donc ces aspects d'histoire « locale » que nous a révélés l'étude de la Mission Marchand. Nous ne pouvions cependant négliger le contexte et le but de l'expédition sans risquer de ne plus la comprendre. Aussi nous sommes-nous efforcé de rendre compte de la politique française du Nil au cours de ces années 1895-1899; et plus particulièrement d'éclairer la politique de soutien, menée par les ministres Gabriel Hanotaux et André Lebon en Ethiopie. Nous ne pouvions pas non plus séparer l'histoire de la Mission Marchand de l'examen de l'accueil qu'elle reçut en France et nous nous sommes demandé si l'exaspération anglophobe et le bellicisme qui se sont manifestés en France lors de la crise de Fachoda, répondaient bien à un sentiment unanime et profond. Nous avons aussi cherché à comprendre dans quelle mesure la Mission Marchand avait été une entreprise voulue et soutenue de 1895 à 1899 par les milieux « coloniaux » français. La presse, surtout la presse spécialisée dans les affaires coloniales de l'époque, permet de répondre au moins en grande partie à ces questions. Enfin nous ne pouvons pas oublier les hommes et l'exploit qu'ils réalisèrent : plus de six mille kilomètres de marches et de contremarches. La Mission « Congo-Nil » fut une entreprise qui ne se peut comparer qu'aux grandes expéditions de Stanley. Ce fut aussi une entreprise redoutable pour ses participants, isolés le long du chemin — ils ne furent vraiment réunis qu'à Fachoda —, malades souvent, aigris enfin par les heurts de caractères et les difficultés. Pourtant ce fut une remarquable réussite ; sans doute, de toutes les expéditions coloniales du XIX* siècle, une des moins coûteuses en vies humaines. L'énergie des meneurs, Marchand, Mangin, Germain, Baratier, Largeau... explique grandement cette réussite ; ils méritaient donc notre attention. A leur côté nous rencontrons quelques-unes des grandes personnalités du Congo d'alors, Brazza vieillissant et à la veille de sa chute, Albert Dolisie son fidèle lieutenant, le pittoresque Mgr Augouard et surtout Victor Liotard le chef officiel de l'expédition dont le rôle de direction fut capital jusqu'à son retour en France en mai 1898. Un plan chronologique nous a paru être celui qui répondrait le mieux à l'étude envisagée : il permettait de rendre compte à la fois de la diversité des problèmes et des phases de l'expédition : genèse, Bas-Congo, Haut-Oubangui et Bahr el Ghazal, Fachoda et retour. Les documents euxmêmes préparaient ce découpage, en particulier le grand rapport que Marchand rédigea au cours de son expédition et qui a constitué notre plus importante source de documentation. *
Pour terminer, nous tenons à remercier MM. les professeurs Brunschwig et Deschamps pour l'aide et les encouragements qu'ils nous ont prodigués, Mr Kanya-Forstner pour ses excellentes indications, les Archives des Affaires Etrangères qui nous ont donné libre accès aux Papiers Hanotaux et
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MARCHAND
Delcassé en cours de classement, la Section Outre-Mer des Archives Nationales, en particulier Mlle M.A. Menier dont les conseils nous ont été précieux, enfin Mmes Victor Liotard et Delorme - Jules-Simon ainsi que M. LouisEugène Mangin pour l'amabilité et la libéralité avec lesquelles ils nous ont permis d'utiliser leurs archives personnelles. Paris, décembre
1969 M.M.
Le 11 septembre 1895, le capitaine Marchand adressait un projet de « Mission Congo-Nil » au ministre des Colonies et à celui des Affaires Etrangères. Il devait se passer près de six mois avant qu'une réponse décisive ne fût donnée à ce projet et presque dix mois avant que Marchand lui-même ne s'embarquât pour l'Afrique, le 25 juin 1896. La lenteur de la décision et de la mise en route d'une mission aussi « urgente » surprend et rappelle les hésitations qui avaient présidé à l'élaboration de cette pré-mission Marchand que fut l'expédition Monteil.
CHAPITRE
PREMIER
LES ORIGINES DE LA MISSION CONGO-NIL I . ANCIENNETÉ DE L'IDÉE D'UNE MARCHE AU N I L PAR LE CONGO
E n 1901, l'ancien ministre des Colonies, André Lebon, affirmait dans un ouvrage d'auto-justification célèbre, qu'à l'époque où f u t décidée la Mission Marchand « l'idée de traverser l'Afrique de l'ouest à l'est, tandis que M. Cecil Rhodes affichait l'ambition de la franchir du sud au nord, régnait en France depuis des années » C e t ambitieux dessein n'étonne pas en cette fin du siècle : l'idée impérialiste que les possessions coloniales doivent former un tout de l'Atlantique au Tchad et de la Méditerranée au Congo s'enracine alors ; certains propagandistes de l'expansion préconisent même la réalisation de projets encore plus grandioses de liaisons ferrées transsahariennes 2 . L'idée d'atteindre le Nil à partir du Congo s'était développée surtout après l'arrangement franco-congolais du 29 avril 1887 par lequel la France recevait la rive droite de l'Oubangui 3 . Mais on ne put vraiment songer à utiliser cette voie avant l'installation des premiers postes français au-delà de Brazzaville : Bangui, principal jalon des expéditions de pénétration vers le nord et vers l'est, ne f u t fondée qu'en 1889 L'exploration de l'Oubangui confirmait bientôt l'existence d'une grande voie fluviale vers l'est. A partir de 1890 le Comité de l'Afrique Française et certaines personnalités, journalistes, publicistes ou hommes politiques, se firent les propagandistes d'une marche au Nil par l'Oubangui : parmi ces personnalités Eugène Etienne, Harry Alis, secrétaire du Comité, Henri Dehérain et François Deloncle. Ces hommes liaient alors les deux questions du Haut-Nil et de l'évacuation de l'Egypte par les Anglais. Au même moment Brazza tenait u n langage semblable affirmant qu'une 1. A . LEBON, La politique de la France en Afrique, p. 5. 2. Cf. H. BRUNSCHWIO, « Note sur les technocrates de l'impérialisme français en Afrique Noire », Revue d'Histoire d'Outre-Mer, pp. 171-187. 3. Dès mai 1887, Flourens, ministre des Affaires Etrangères, suggérait que les affluents ds la rive droite de l'Oubangui « pourraient offrir des voies d'accès intéressantes vers le Soudan égyptien ». Cité par SANDERSON, op. cit., p. 120. 4. Le poste créé par Alfred Usac, sur ordre de Dolisie alors résident général à Brazzaville, en juin 1889, fut déplacé quelques mois plus tard par Ponel.
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occupation du Haut-Nil pouvait « nous donner une situation qui... nous permettrait d'entrer avec l'Angleterre en pourparlers au sujet de concessions réciproques dans le règlement de la question égyptienne » 1 . Mais surtout Brazza prit l'initiative de cette expansion vers le Nil, agissant, comme souvent d'ailleurs, de son propre chef. Tout en dirigeant personnellement la pénétration vers le Tchad, il confia la pénétration dans l'Oubangui à Victor Liotard nommé délégué du Commissaire Général en 1891. Les instructions fort explicites lui enjoignaient de poser les jalons d'une « marche au Nil » : « Vous agirez auprès des indigènes en vous préoccupant d'une manière toute spéciale de préparer les voies à l'établissement de notre influence en avançant dans la direction du Haut-Nil, par la route que vous jugerez la plus facile. ... L'influence qui résultera pour nous de votre séjour parmi les indigènes sera précieuse surtout si elle peut les préparer à nous prêter leur concours pour la fondation de postes avancés dans la région qui sépare le bassin de l'Oubangui et celui du Haut-Nil. » * En même temps, afin d'obtenir l'appui d'un détachement de tirailleurs c de manière à nous permettre de faire face à tous les besoins de notre expansion vers le Soudan », Brazza laissait entrevoir d'autres raisons d'agir : « Les renseignements résultant des explorations en cours nous montrent que ces régions plus voisines et plus accessibles que nous le pensions, offrent un intérêt considérable, en dehors même de l'intérêt plus général de la sauvegarde de nos possessions méditerranéennes que je vous signalais dans ma note du 10 novembre 1889, au sujet des questions qui allaient pouvoir être abordées à la Conférence de Bruxelles. » 8 L'intérêt « considérable » du Haut-Nil peut paraître mystérieux. Cependant, comme en témoigne la correspondance échangée entre Liotard et Brazza en 1891, la croyance à l'extrême richesse de cette région semble bien avoir été un puissant aiguillon : « Il est nécessaire, écrivait Liotard à Brazza, si l'on tient à faire bénéficier notre commerce de l'Oubangui des ressources que présente ce territoire particulièrement riche en ivoire, de s'y établir afin d'acquérir par notre influence une situation prépondérante. » 4 Raisons politiques et commerciales s'entremêlaient donc dans les rêves de Brazza et de Liotard en 1891. Cependant, dans la course au Nil qui s'engageait, l'obstacle immédiat était la politique menée par Léopold II, visionnaire hanté par le mythe du Haut-Nil. De 1890 à 1895, combinant le désir d'atteindre le Nil et celui de s'approprier les pays à ivoire du M'Bomou et du Bahr el Ghazal ainsi que les mines de cuivre d'Hoffrat en Nahas, le Roi des Belges multiplia les expéditions vers le nord-est à partir de l'Etat Indépendant. Dès 1890, Alphonse Vengèle, atteignit Yakoma au confluent de l'Ouellé et du M'Bomou puis remonta cette dernière rivière, et signa un traité avec le Sultan Bandja-Zandé, Bangassou, souverain du pays 1. S.O.M., Gabon-Congo, I, 37 a, Brazza à Etienne, le 18 avr. 1891. 2. Papiers Liotard, Instructions du Commissaire Général du Gouvernement au Congo Français à « M. Liotard, pharmacien de 2e classe de la Marine en mission dans le HautOubangui », Loango, 30 sept. 1891. 3. S.O.M., M 37, Rapport sur la situation politique de la colonie, 15 juin-juillet 1891. Nous n'avons pu retrouver la note du 19 nov. 1889. 4. Papiers Liotard, Premier cahier de correspondance, Première mission, Liotard à Brazza, Paris, 1« mai 1891.
LES
ORIGINES
DE LA
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Nzakara 1 . Les Belges s'installèrent ensuite successivement chez Zémio, Rafaï et Tamboura, le long du M'Bomou. En 1892-1893, La Khéthulle appuyait Rafaï dans une expédition dans la Haute-Bali. En 1893-1894, Hanolet reprenant cette pénétration vers le nord touchait Dabago puis M'Bélé au sudouest d'Hoffrat-en-Nahas tandis que Nilis et La Khéthulle s'avançaient jusqu'à Bandassi puis Katuaka (mars 1894) sur l'Adda où ils construisirent un fort, le Fort de l'Adda. Ce fut le point le plus proche d'Hoffrat, alors aux mains des mahdistes, que les Belges atteignirent. L'avance de l'Etat Indépendant sur les Français était donc très considérable ; ceux-ci la supportèrent fort mal. Lorsque la nouvelle de l'expédition Vangèle fut connue, en février-mars 1891, une confuse querelle géographique entre les concurrents se développa, chacun s'efforçant de tirer du protocole peu explicite de 1887 les conclusions favorables à sa cause. On prétendit ainsi, du côté français, que l'Ouellé n'était que le cours supérieur de l'Oubangui et que les Belges avaient violé l'accord de 1887. On répondit, du côté belge, qu'au contraire la découverte du confluent du M'Bomou et de l'Ouellé marquait la fin de la rivière « Oubangui » et qu'en amont de ce point il n'existait, par conséquent, aucune limite au nord ou à l'est, à l'action de l'Etat Indépendant. En fait, cette querelle risquait fort d'être tranchée sur place par l'installation congolaise : « Si l'Etat Indépendant du Congo envoyait de ce côté [le pays des Niam-Niam], une nouvelle mission, écrivait Liotard à Brazza dès mai 1891, il est à prévoir qu'elle chercherait à pénétrer dans leur pays et passerait des traités avec les nombreux chefs de districts de manière à assurer la possession de cette partie du bassin du Congo jusqu'à la limite de celui du Nil. » 2
Il fallait donc, du côté français, opposer traité à traité et rattraper les Belges. Mais Liotard ne disposait que de moyens dérisoires. « Beaucoup de fusils à piston, de poudre et de Bayakas [perles] et le monde est à nous », s'exclamait Liotard en 1892 3 . Telles étaient effectivement les grandes raisons de la séduction exercée par les Belges sur les souverains du M'Bomou. La supériorité numérique des expéditions belges était bien sûr une raison non moins importante du ralliement des Sultans aux nouveaux venus. Dès 1892 une première tentative fut effectuée du côté français pour permettre à Liotard de rattraper les agents de l'Etat Indépendant, avec l'expédition du jeune duc d'Uzès. Cette expédition n'avait qu'un caractère privé, on le sait 4 . Mais le fils de la célèbre protectrice du mouvement boulangiste était accompagné de « turcos » sous le commandement d'un officier « issu d'une famille égyptienne » le lieutenant lulien. A ce moment se multipliaient les incidents avec l'Etat Indépendant et Brazza était absorbé par les affaires de la Haute-Sangha ; la mission d'Uzès parut aux adjoints du Commissaire Général, Chavannes alors Lieutenant-Gouverneur à Libreville et 1. Cf. R.P. L. LOTAR, La grande chronique du Bomu, pp. 9-10. 2. Papiers Liotard, Premier cahier de correspondance, Première mission, Liotard à Brazza, Paris, 1 er mai 1891. 3. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61b, Liotard à Dolisie, les Abiras, 3 nov. 1892. 4. Duchesse D'UZÈS, Voyage de mon fils au Congo. 5. Ch. DE CHAVANNES, Les origines de l'A.E.F., II, p. 296. 3
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Albert Dolisie, résident à Brazzaville, un moyen inespéré non seulement de renforcer Liotard mais aussi de passer des traités et de gagner la course au Nil. Us convainquirent sans peine le duc d ' U z è s C e p e n d a n t Liotard, sur place, refusait de tenter une pareille aventure : « On m'apprend que le duc d'Uzès vient dans le Haut-Oubangui avec 50 tirailleurs algériens" écrivit-il à Dolisie. Si vous pouviez le déterminer à venir jusqu'aux Abiras nous ferions une expédition chez les Boubous pour venger Poumayrac 2 , et j'emmènerais tout ce monde chez les Sakkaras en recrutant les porteurs nécessaires. Mais il faut des perles. Si Monsieur d'Uzès n'a pas de Bayakas [perles] il ne pourra rien faire et alors tout ce monde ne pourra que nous attirer des désagréments. » 3 Une fois de plus Liotard, homme réaliste, rappelait la situation locale. D e toute manière l'entreprise n'eut guère de succès. Le successeur d'Eugène Etienne aux Colonies, Jamais, désavoua Chavannes en août 1892. De plus le jeune duc, atteint de dysenterie, devait être ramené à Cabinda où il mourut en mai 1893. Ainsi l'idée de la marche au Nil par l'ouest et les premières initiatives sont essentiellement dues à « l'équipe Brazza ». Ajoutons que, selon le Commissaire Général, cette « politique du Nil », pendant de sa « politique du Tchad », supposait la réalisation de deux conditions essentielles : la construction du chemin de fer du Congo et l'obtention de l'alliance des Musulmans. Cette insistance sur l'alliance musulmane f u t d'ailleurs un trait caractéristique des conceptions de Brazza : « Notre action dans ces régions [du Nil], écrivait-il en 1892, peut donner à la France une situation qui contrebalance la prépondérance acquise par les Anglais de l'Egypte à l'Océan Indien. Cette action peut aussi lui assurer sur les musulmans d'Afrique du nord une suprématie à laquelle elle doit aspirer à cause de l'importance générale de ses possessions méditerranéennes. » 1 Cependant jusqu'en 1893 les idées et les initiatives de Brazza vers le Nil ne semblent avoir reçu qu'un appui fort réticent du gouvernement français.
I I . A u x ORIGINES DE LA MISSION MARCHAND : LA MISSION MONTEIL
L a bataille des sphères d'influence, prélude au partage politique de l'Afrique Centrale, ne se déclencha vraiment qu'après l'arrivée de Théophile Delcassé à la tête du département des Colonies, en janvier 1893. En effet, répondant 1. « Dolisie a vite fait de convaincre d'Uzès que sa mission dont le but est une simple traversée de l'Afrique par le Congo, doit être déviée du côté de l'Oubangui où nous ne sommes pas en force suffisante, pour viser Khartoum ou tout au moins le Nil » (ibid., p. 296). 2. Trois mois après l'installation du poste d'Abiras par Liotard, en mars 1892, le chef de poste, Poumayrac, et presque toute la garnison furent massacrés. Le désastre fut alors attribué à la propagande anti-française des Belges auprès des populations et une protestation fut envoyée à Léopold II. 3. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61b, Liotard à Dolisie, les Abiras, 3 nov. 1892. 4. Cf. Le Temps, 17 nov. 1901 : « Le Congo Français, les origines de Fachoda »; publication d'une lettre de Brazza datée du 25 sept. 1892, « Haute-Sangha (Adamaoua du Sud) ».
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aux vœux des hommes du Comité de l'Afrique Française ainsi qu'aux amis de Brazza comme Chavanes, Delcassé télégraphia à ce dernier, dès février, son intention « d'organiser une mission destinée à renforcer Liotard et à pénétrer la région du Haut-M'Bomou afin d'y atteindre le plus rapidement le N i l 1 » Delcassé prit ainsi la décision d'orienter très fermement la politique française en Afrique Centrale vers l'expansion. Pourtant il est intéressant d'observer que c'est une politique totalement opposée qu'il préconisait officiellement en matière coloniale, lorsque le 4 février 1893 il exposait son programme à la Chambre : « Garantir partout l'ordre et la sécurité; protéger et encourager l'initiative privée... La conquête pour la conquête ne saurait constituer un programme... Je ne dis pas que le domaine colonial est à jamais fixé... Mais le domaine colonial acquis pendant ces dernières années suffira pendant longtemps à retenir toute notre attention. » 1 Au moment où Delcassé acceptait les risques d'une action nouvelle et coûteuse dans des régions immenses dont l'intérêt économique n'était pas du tout démontré, une telle déclaration peut paraître curieuse. Sans doute faut-il y voir le souci de rassurer l'opinion parlementaire peu convaincue, dans son ensemble, par les « aventures coloniales ». Sans doute aussi, cette attitude correspondait-elle à un souci de Delcassé, partisan des grandes sociétés, convaincu de la priorité de la mise en valeur des territoires déjà acquis. Ainsi, il aurait voulu concilier, comme plus tard André Lebon, ces deux tendances qui diviseront profondément les partisans de la colonisation au temps de la Mission Marchand, le désir de l'expansion et celui de l'exploitation. Le fruit de cette politique nouvelle fut la Mission Monteil dont la responsabilité incombe au premier chef à Delcassé comme l'ont remarquablement montré les travaux de MM. Renouvin 3 et Stengers 4 . Ceux-ci ont aussi mis en lumière le rôle décisif joué par le Président de la République, Sadi Caraot, le double jeu mené par l'un des propagandistes les plus influents du « parti colonial », Harry Alis, journaliste à la solde de Léopold II, enfin les péripéties de l'expédition largement commandées par les machinations politiques du Roi des Belges. Nous nous bornerons donc à souligner combien la Mission Monteil fut une répétition générale de la Mission Marchand. Répétition générale, tout d'abord à cause du choix de l'objectif à atteindre : Fachoda. Cet ancien poste égyptien avait été fondé en 1855 puis abandonné lors de la conquête mahdiste. Son choix répondit à des raisons « techniques » que développa devant le Président Carnot un ingénieur des Ponts et Chaussées, administrateur des chemins de fer égyptiens depuis 1889, Prompt. Ce dernier sut employer des arguments bien faits pour séduire Carnot, lui aussi ancien polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées. Prompt fit valoir au Président de la République, la nécessité de tenir Fachoda 1. S.O.M., Gabon-Congo, I, 40b, Delcassé à Chavannes, 20 fév. 1893. Cité par J . JOLLY, Dictionnaire des parlementaires français, T . IV, art. « Delcassé », p. 1315. 2.
3 . RENOUVIN, op. cit. 4 . STENOERS, op. cit.
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pour contrôler le confluent du Nil et du Sobat, lieu possible de la construction d'un barrage qui « pourrait constituer une surface de 10 000 km 2 , avec 7,50 m de hauteur moyenne, permettant d'approvisionner 75 milliards de m 3 d'eau environ » 1 . On ne retrouvera pas chez Marchand de telles vues « technocratiques » mais il ne lui vint pas à l'esprit de chercher un autre objectif que Fachoda. L a désignation de Fachoda comme but de l'expédition, dans une zone que les Anglo-Egyptiens avaient été obligés d'évacuer devant les Mahdistes, constituait à long terme une provocation. Mais, comme la Mission Marchand, la Mission Monteil reposait sur la thèse juridique de l'abandon du Soudan par l'Egypte, de sa transformation en res nullius, en zone librement ouverte aux. compétitions depuis 1885. C'était faire bon marché évidemment de l'occupation mahdiste, mais il ne s'agissait là que de « barbarie », de l'attachement de l'Angleterre au Soudan depuis la mort de Gordon, enfin de la souveraineté égyptienne 2 . Comme la Mission Marchand, la Mission Monteil fut, dans un premier temps, envisagée comme un coup de force qui aurait dû permettre, grâce à la possession d'un « gage », de négocier le partage du Soudan en zones d'influence et de rouvrir la question d'Egypte 3 . Répétition générale aussi dans la distribution des rôles d'exécutants qui furent confiés à des « Soudanais », Monteil et Decazes, comme le seront ceux de l'expédition Congo-Nil. En juin 1893, Monteil fut nommé commandant des postes du Haut-Oubangui. Brazza perdait donc le contrôle direct de la « politique du Nil ». Certes, Monteil ne rallia pas son poste : il dut, en octobre 1893, remettre à plus tard son départ ; puis le 27 août 1894, au moment même où il débarquait à Loango, il reçut l'ordre de rejoindre la Côte d'Ivoire pour y prendre la tête de la colonne chargée de sauver Kong menacée par Samory. Mais le capitaine Eugène Decazes, avec le premier échelon de l'expédition, atteignit en juin 1893 le Haut-Oubangui dont il devint Commandant Supérieur militaire, aux côtés de Liotard, LieutenantGouverneur civil. Enfin, l'idée d'un renfort rejoignant par l'est, à travers l'Abyssinie, la mission du Nil, fut soutenue en 1893 par Sadi Carnot lui-même qui imagina, avec le prince d'Arenberg, président du Comité de l'Afrique Française, d'appuyer Monteil par une expédition orientale confiée à Maistre 4 . Cette idée, qui n'eut pas de suite, deviendra, en 1897, un élément fondamental de la politique française du Nil. Par son but et dans sa conception la Mission Monteil est donc bien la 1. Cité par STENQERS, op. cit., I.
2. Ceci n'empêchera pas Hanotaux et Delcassé d'invoquer à l'occasion les « droits de l'Egypte », quand ils n'invoquèrent pas ceux du Sultan de Constantinople. 3. Cf. STENGERS, ibid. : « Je veux rouvrir la question d'Egypte », se serait exclamé Sadi Carnot à la fin de son entrevue avec Prompt. 4. Cf. B.C.A.F., mars 1932, C. MAISTRE, « Le président Carnot et le plan français d'action sur le Nil », et compte rendu des travaux de l'Académie des Sciences Coloniales, séance du 21 juin 1933, « La Mission Congo-Niger (1892-93) », par C. MAISTRE. Le 25 mai, Carnot, « qui s'intéressait d'une façon spéciale à notre politique africaine et qui avait, sur le plan et le but à poursuivre, des idées très personnelles, parfois en opposition avec celles de certains coloniaux, me recevait à l'Elysée avec le Prince d'Arenberg... et me proposait de repartir en mission spéciale par l'Abyssinie avec le Haut-Nil pour objectif, de façon à opérer une liaison avec l'action engagée par la voie de l'Oubangui ».
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mère de la Mission Marchand et Delcassé, son responsable, avait bien raison d'affirmer en 1898 qu'il ne connaissait pas cette dernière mais seulement une action commencée en 1893 et continuée depuis. La coloration anti-britannique très marquée de la Mission Monteil et le recours à une politique aussi risquée ont été expliqués par l'inquiétude de la France, en 1893, devant ses échecs en Egypte. E n effet, la tentative du nouveau Khédive Abbas II de se débarrasser de la tutelle britannique, tentative encouragée par les consuls français et russe, avait été déjouée par Lord Cromer fermement soutenu par le chef du Foreign Office, Lord Rosebery 1 . Ce f u t l'occasion de dénoncer le « jingoïsme » de ce dernier en France où l'on repoussa les offres conciliatrices de Gladstone trop illusoires tant que Rosebery « serait le maître ». Ainsi, « snubbed in London and checked in Cairo, the French now began the study of a great coup on the upper Nile which would drive the British willy-nilly into the négociation » Mais au dépit d'avoir échoué en Egypte s'ajouta, de plus, du côté français, au cours des années 1893 à 1895, la crainte tenaillante d'assister au triomphe des expéditions qui, à travers l'Ouganda, portaient l'influence anglaise toujours plus loin au nord, vers le Nil. C'est en 1892 que Sir Gerald Portai avait été envoyé au Bouganda par Rosebery. Dès mai 1893, au moment où Sadi Carnot décidait de patronner la Mission Monteil, Portai obtenait du Kabaka la signature d'un traité de protectorat. E n août Rosebery ordonnait d'atteindre le Nil. Le successeur de Portai, le colonel Colvile, arrivé à Mombasa en septembre 1893, réalisa cette tâche en 1894 et 1895. E n 1894, son adjoint, le major Owen soumit le Kabarega, roi de l'Onyuro, avec l'aide des Bougandais et envoya deux officiers vers le Nil. E n janvier 1895, le major Cunningham et le lieutenant Vandeleur atteignirent Ouadelaï, l'ancien poste d'Emin Pacha, « qu'ils trouvèrent complètement envahi par la végétation », puis Doufilé abandonné depuis 1888 3 . C'est cette pénétration anglaise par le sud, et non l'éventualité d'une campagne venue du nord, qui resta au cœur des préoccupations françaises de 1893 à 1895 ; en 1895, c'est encore par elle que Marchand justifiera l'urgence de sa propre expédition. D e plus, la signature de l'accord du 12 mai 1894 entre l'Angleterre et Léopold II, par lequel ce dernier recevait le Bahr el Ghazal à b a i l 4 , et la proclamation du protectorat britannique sur l'Ouganda, en août, pouvaient paraître confirmer ces craintes. E n même temps, l'idée d'un complot entre Anglais et Belges se développait malgré les efforts de Harry Alis. L a volonté de remettre en question la présence anglaise en Egypte et le désir d'empêcher un partage des dépouilles de l'empire mahdiste dont la 1. C f . R . ROBINSON, J . GALLAGHER, A . DENNY, Africa
and the
Victorians,
pp. 323-325.
2. Ibid., p. 325. 3. Le Temps, 25 sept. 1898, « L'expansion anglaise de l'Océan Indien au Nil», par G. VILLAIN. 4. Cf. P. VAN ZUYLEN, L'échiquier congolais ou le secret du Roi, p. 250 et sq. Après l'échec de la négociation avec la France, Léopold II se tourna complètement vers l'Angleterre et signa la convention du 12 mai 1894 dont les dispositions essentielles étaient la reconnaissance de la sphère d'influence britannique dans le Haut-Nil occidental et la concession à bail du Bahr el Ghazal « jusqu'au 10E parallèle de latitude nord et au 25E degré de longitude est de Greenwich » à Léopold II, pour la durée de la vie du roi seulement, contre la cession à bail à l'Angleterre d'une bande de 25 km de large, du lac Albert au lac Tanganyika.
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France serait exclue, se trouvèrent donc intimement unis chez les responsables de la Mission Monteil. Nous ne reviendrons pas sur les circonstances qui empêchèrent la réalisation des projets français, et sur le rôle joué par le Roi des Belges 1 . On sait que l'affrontement franco-anglais, évité une première fois en 1893, fut reporté à plus tard par Maurice Lebon, sous-secrétaire d'Etat aux Colonies de décembre 1893 à mars 1894. Lorsque Delcassé revint à la tête des Colonies et reprit le projet d'une misssion en Afrique Centrale ajourné par son prédécesseur, il donna à Monteil des instructions singulièrement différentes de celles qu'il lui aurait confiées en 1893. En effet, lorsque Monteil, à son départ en juillet 1894, reçut de Delcassé ses nouvelles instructions, il lui f u t demandé de s'abstenir de toute pénétration dans le bassin du Nil « de façon que la question du Soudan égyptien reste pleine et complètement réservée » 2 . Nous voudrions cependant insister sur le bilan de cette tentative. En définitive, elle n'agit vraiment que sur les relations franco-congolaises. En effet, après le refus de la France et de l'Allemagne de reconnaître l'accord anglo-congolais de mai 1894, la Mission Monteil devait uniquement régler la question des frontières entre l'Etat Indépendant et le Haut-Oubangui. Léopold II capitula et accepta les conditions imposées par la France le 14 août 1894. Ce traité, signé par le baron Goffinet et Devolder pour l'Etat Indépendant, par Hanotaux pour la France, régla définitivement le différend franco-congolais. Le thalweg de l'Oubangui-M'Bomou prolongé par la ligne de partage des eaux entre le Congo et le Nil jusqu'à son intersection avec le 30' degré de longitude est de Greenwich, devint la frontière entre les zones française et congolaise. Léopold II dut donc renoncer à toutes les entreprises congolaises menées jusque-là avec succès au nord de cette frontière, dans les Sultanats de Bangassou, Rafaï, Zémio et Tamboura. L'Etat Indépendant ne conservait la possibilité d'atteindre le Nil que plus au sud, dans les territoires non concernés par l'accord d'août 1894 et formant l'enclave de Lado. C e triomphe qualifié plus tard de « peu généreux » par un historiographe belge 3 , devait débarrasser la route d u Nil de l'obstacle congolais et placer les deux grands adversaires français et britannique face à face. En fait, il cachait un recul de la France devant le premier avertissement anglais formulé le 29 juin 1894 par le ministre de Grande-Bretagne à Paris, lord D u f f e r i n 4 . En septembre 1894, on put même croire à la possibilité d'une négociation franco-britannique sur le Soudan lorsque le chargé d'affaires de GrandeBretagne en France, Sir Eric Phipps, proposa des conversations sur le Nil. Au début d'octobre la solution d'un < désistement provisoire réciproque » en attendant un arrangement d'ensemble des questions coloniales africaines
1. C f . STENOERS, op.
cit.,
III.
2 . Cité par RENOUVIN, op. cit., 3 . V A N ZUYLEN, op. cit., p . 2 5 0 .
p.
183.
4. Cet avertissement fut désavoué à Londres, au cabinet, par Harcourt, « vieil anti-impérialiste » successeur de Rosebery, mais le gouvernement français n'en sut rien. Cf. STENGERS, op. cit., in.
LES ORIGINES
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f u t évoqué, mais presque immédiatement abandonné : le rompait les négociations le 20 octobre. Ainsi, sur le plan des relations franco-britanniques en résultat décisif ne fut obtenu ; les suspicions grandirent de Déjà d'ailleurs, le danger de la politique Delcassé avait France par un organe de presse « colonial », La Politique
cabinet
anglais
Afrique, aucun part et d'autre. été dénoncé en Coloniale :
« Des imaginations ardentes découvrent que le Congo est le chemin le plus court pour arriver au Nil. Toute la Chambre semble être de cet avis. On vote des crédits. On est prêt à tous les sacrifices pour reprendre de ce côté une revanche d'Azincourt... Ce n'est pas par le HautOubangui et par le Bahr el Ghazal que peut être résolue la question d'Egypte. » 1 Au gouvernement certains responsables semblent bien avoir partagé ces sentiments et préféré la voie diplomatique au coup de force. Parmi eux, Gabriel Hanotaux, ministre des Affaires Etrangères. C'est à sa demande, en juillet 1894, que Delcassé limita strictement les objectifs fixés à la Mission Monteil. Pourtant deux ans plus tard Marchand en fit « le grand chef de toute cette politique » 2 . Volte-face ou marque d'une politique hésitante ? Nous serions tenté de choisir le second terme si l'on en juge une lettre adressée au ministre par Jacques Haussmann, directeur des Affaires Politiques aux Colonies et négociateur de Berlin 3 . Haussmann, dans cette lettre d'avril 1894, morigène Hanotaux, car le ministre semble alors regretter le rappel de Monteil ; il s'était laissé influencer par les « informations » alarmistes que venait de lui transmettre l'ambassadeur de France à Bruxelles, Bourée, très sceptique sur la volonté de l'Etat Indépendant de remettre les postes du Haut-Oubangui à la France : « Sur ce qui touche le rappel de Monteil, écrit Haussmann, je vous ai parlé une première fois avant même d'en causer avec Monsieur Delcassé. Vous m'avez encouragé à insister 1. La Politique Coloniale, 6 avr. 1894. Ce périodique est dirigé en 1894 par Louis Henrique, président du syndicat de la presse coloniale et membre du Conseil Supérieur des Colonies depuis 1893 où il représenta St.-Pierre-et-Miquelon puis la Côte d'Ivoire. 11 sera député de l'Inde Française en 1898. Considéré comme un des organisateurs et théoriciens du groupe colonial, il fut membre de plusieurs conseils consultatifs des Colonies. Ce journaliste était aussi un ancien officier de l'armée d'activé où il resta dix ans; il fut sous-intendant militaire en 1870 lors de la défense de Belfort. La Politique Coloniale n'en sera pas moins hostile à « l'impérialisme militaire ». En 1900, Louis Henrique prendra la direction du Voltaire. Sur Louis Henrique, voir H. A V E N E L , La presse française au XIX' siècle, pp. 282-284. 2. Cf. M . M I C H E L , « Deux lettres de Marchand à Liotard », Revue d'Histoire d'Outre-Mer, pp. 44-91 ; Marchand à Liotard, Brazzaville, 17 nov. 1896, p. 52. 3. Auguste Jacques HAUSSMANN, né au Havre le 11 juillet 1853, parent du célèbre baron Haussmann et ami personnel de Félix Faure, était alors au faîte de sa carrière et venait d'être nommé directeur. Le ton de sa lettre est très familier. Après avoir appelé Hanotaux « Mon cher Ministre », Haussmann prodigue des conseils à la limite des remontrances (« Mais j'oublie que vous êtes ministre des Affaires Etrangères »), et termine en demandant au ministre de pardonner « à cette lettre qui n'a rien d'officiel ». Quelque temps plus tard, Haussmann tombera en disgrâce : en avril 1895, il fut nommé trésorier-payeur de la Haute-Marne. D'après Edouard Ponel, délégué de la Colonie du Congo à la Commission des Marchés aux Colonies en 1895 et « espion » très bien informé de Brazza au ministère, la disgrâce d'Haussmann était due à Chautemps qui aurait « débarqué l'ancienne équipe de Delcassé » : Haussmann et Jean-Louis Deloncle, chefs des Affaires Politiques, Billecocq, directeur des Finances, Beck, directeur du Personnel. (Cf. S.O.M..Papiers de Chambrun, Carton 1, Ponel à Brazza, Paris, 6 mars 1895 et Ponel àBlom, Paris, 10 mars 1895.)
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dans ce sens. Quelques jours après revenant sur cette question, vous m'avez dit : il faut que Monteil rentre; les Anglais lui prêtent des projets d'expédition sur le Nil. Si nous le maintenons là-bas après avoir réglé le litige pendant avec l'Etat Indépendant, nous semblerons autoriser cette hypothèse. » Plus loin Haussmann ajoute à propos du rappel de Monteil : « C'est moi qui en ai pris l'initiative et je ne la regrette pas : car Monteil nous aurait créé des difficultés que Decazes nous épargnera. J'ai eu à lutter contre une certaine résistance de Delcassé et s'il a suivi mes avis, c'est beaucoup parce que je lui ai dit que j'étais sur ce point tout à fait d'accord avec vous. Ma conviction est que la remise des postes se fera sans difficulté apparente de la part des agents de l'Etat Indépendant... Quant aux Anglais s'ils veulent réellement nous devancer dans le Bahr el Ghazal, nous ne les empêcherons pas d'arriver avant nous... Croyez-moi ne poussez pas à une exagération de nos forces militaires dans l'Oubangui, ni à des démonstrations trop belliqueuses, c'est un second Soudan que nous aurions bientôt sur les bras. Nous en avons assez avec un. » 1 *
Aux origines de la Mission Marchand, on trouve donc une idée et une politique définies explicitement par Savorgnan de Brazza en 1891-92, puis reprises et développées par Théophile Delcassé et Sadi Carnot pressés et soutenus à la fois par le Comité de l'Afrique Française. Les responsabilités du milieu colonial semblent donc évidentes. Pourtant déjà à propos de la Mission Monteil, on observe quelques dissonances significatives dans la presse de ce milieu. L'attitude de Gabriel Hanotaux est non moins intéressante puisqu'il refusa de cautionner une politique de provocation et chercha un règlement général des différends franco-britanniques en Afrique lorsque Delcassé, au contraire, poussait à l'affrontement. Mais l'échec de la négociation franco-britannique en octobre, paraissait donner raison aux partisans d'une politique « dure ». Le 17 novembre 1894, le Conseil des Ministres français chargeait Delcassé d'assurer l'occupation des régions du Haut-Nil « avant la prise de possession par la Mission Colvile ». Delcassé l'emportant avait affirmé que « M. Liotard, parti le 25 octobre pensait pouvoir être sur le Nil dans u n an environ ¡> 2 . Enfin, parmi les partisans d'une politique « dure » se trouvait u n jeune officier sous les ordres de Monteil en Côte d'Ivoire, Jean-Baptiste Marchand. Il ramenait à son retour en 1895 de la campagne manquée contre Samory, une solide aversion de l'Angleterre 3 et l'idée que seul u n grand coup d'éclat mettrait fin à ses « empiétements » en Afrique.
1. A.E., Papiers Hanotaux. Correspondance en cours de classement, Haussmann à Hanotaux, Paris, 22 août 1894. 2. Cité par RENOUVIN, op. cit., p. 185. 3. Au cours de cette campagne l'anglophobie de Marchand, déjà aiguë, se renforça encore, l'Almany étant ravitaillé en armes par les négociants anglais de Sierra-Léone.
CHAPITRE
L E PROJET
II
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I . L E S INITIATIVES D E M A R C H A N D (JUIN-SEPTEMBRE
1895)
L'idée de « Mission Congo-Nil » que Marchand développait dans son projet du 11 septembre 1895, remontait à octobre 1894, selon Albert Baratier : « La Mission Congo-Nil, puisque tel était son titre, n'a jamais eu qu'un père; elle a été conçue par Marchand et par Marchand seul. Nous revenions de la colonne de Kong, car c'est là que pour la première fois, en octobre 1894, nous nous sommes rencontrés, je pourrais dire accrochés... C'est alors que Marchand conçut le projet d'aller au cœur de la Croix Anglaise, encore une idée qui appartient à Marchand et dont il se servit pour mettre en évidence le but et la grandeur de son projet et le faire entrer plus facilement dans la tête des parlementaires dont il allait avoir besoin. » 1 Le récit de Baratier fournit aussi des précisions sur les premiers contacts que Marchand prit à Paris avec les milieux politiques dès son retour de Kong, après le rappel, en avril 1895, de la colonne Monteil : « Le premier qui fut attaqué par Marchand, le lendemain de son arrivée en France (mai 1895) fut M. Hanotaux, alors ministre des Affaires Etrangères. Dès les premiers mots M. Hanotaux bondit, ne voulant pas entendre parler du Nil. Marchand revint tous les jours à la charge et M. Hanotaux finit par lui demander un rapport qu'il accepta tout de suite. » 2 U n e autre document, le « Journal de marche de la Mission Congo-Nil » rédigé par Marchand lui-meme, contient, a la date du 25 fevrier 1896, u n récit de la genèse de la mission. Ses indications chronologiques, différentes de celles de Baratier, font remonter à la mi-juillet 1895, la première entrevue entre Marchand et Hanotaux :
1. A.N., 99 AP3, Souvenirs inédits de Baratier, 3 vol. manuscrits datés du 29 octobre 1901. J. Delebecque, biographe de Marchand, affirme que celui-ci eut l'idée de sa mission dès août 1893 (J. DELEBECQUE, Vie du Général Marchand, p. 69). 2. A.N., 99 AP3, Souvenirs de Baratier.
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« 25 février 1896. Aujourd'hui, 5 h et demie du soir, j'ai reçu mes instructions de mission. Ce n'est donc seulement qu'à partir de cette heure que je puis me considérer comme chargé de mission. Depuis le 18 juillet 1895 où pour la première fois j'ai dit à M. Hanotaux mon désir de me consacrer pendant quelques années à l'œuvre de l'Afrique Centrale Française, depuis le 20 août, jour où je reçus l'ordre du ministre Chautemps d'étudier et de lui soumettre un projet de Mission au Nil, depuis le 11 septembre 1895, midi un quart, jour et heure où ce projet a été remis au ministre des Colonies... plus d'une demi-année s'est écoulée avec des alternatives de hauts et de bas. » 1 L'accès facile de Marchand auprès de Gabriel Hanotaux n'a rien d'étonnant. Ainsi que ce dernier nous l'apprend lui-même dans ses mémoires 2 et dans sa biographie de Mangin 3 , Hanotaux entretenait depuis longtemps des relations personnelles avec les militaires « soudanais ». Le salon du docteur Louis Ménard, beau-frère de Charles Mangin et frère du célèbre avocat catholique Joseph Ménard ainsi que du capitaine Ménard (un « Soudanais » tué dans la lutte contre Samory en 1892), était le lieu de rencontre avec l'historien-diplomate. Selon Hanotaux, dès 1892 un grand programme de politique coloniale y aurait été envisagé en commun : « J'ai connu Mangin chez le docteur Ménard, il y a trente-trois ans 4. Ce jour-là, il était accompagné du lieutenant Marchand qui était blessé 5... Le capitaine Ménard, le beau-frère du lieutenant Mangin, avait été envoyé à la Côte d'Ivoire pour prendre à revers les sofas de Samory... Marchand n'avait pu arriver à temps... Maintenant il s'agissait d'envoyer sur les lieux une nouvelle mission afin d'y reprendre l'œuvre interrompue. Avec Marchand et Mangin nous examinions le programme de leur action... Depuis lors une forte amitié m'unit aux deux Africains. » Plus loin Hanotaux ajoute : « N'ayant plus à ma disposition mes notes officielles, j'ai fait appel sur cet entretien aux souvenirs du général Marchand. Il a bien voulu me remettre une note du plus grand intérêt qui se termine en ces termes : C'est bien de cet entretien de l'été 1892 au 195 rue de l'Université, et de l'ébauche avant la lettre qui y fut tentée, à grands traits, par le directeur des protectorats de la future Afrique française et du rôle qu'elle devait jouer dans la geste française, qu'il faut dater la grande période de reconnaissance à la fois territoriale et démographique de l'Afrique. C'est-à-dire la double carrière liée des lieutenants Mangin et Marchand. » 8 En réalité Hanotaux est ici peu sûr des faits qu'il avance. Marchand rentra en septembre 1892 du Soudan ; il déposa, en novembre, un vaste projet de liaisons « transnigériennes » du Soudan central à l'Océan Atlantique et reçut alors, avec le capitaine Manet, la mission d'explorer les voies de pénétration à partir de la Côte d'Ivoire. Il devait y rester jusqu'en 1895.
1. A.N., 99 API. La date communément admise des premiers contacts entre Marchand et Hanotaux est celle du 14 juin 1895, indiquée par Marchand lui-même dans l'interview qu'il accorda au journal Le Matin, le 20 juin 1905. Cf. C. VERGNIOL, « Fachoda. Les origines de la Mission Marchand », La Revue de France, n° 15, 1ER août 1936, pp. 416-435. 2. G. HANOTAUX, Mon temps, pp. 238-239. 3. G. HANOTAUX, Le Général Mangin, p. 1. 4. Hanotaux écrit en 1925. 5. Marchand fut blessé à Nioro en février 1891. Ses états de service ne mentionnent rien en 1892. 6. HANOTAUX, Le Général Mangin, op. cit., p. 3, note 1.
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A son retour, il s'adressa donc à Gabriel Hanotaux, ministre mais aussi ami et protecteur depuis plusieurs années. L'accueil fut-il aussi peu chaleureux que Baratier l'affirma plus tard ? Aucun document du côté d'Hanotaux ne nous permet de répondre sûrement. Cependant la très complexe situation internationale dont le ministre devait tenir compte au milieu de 1895, peut bien expliquer sa première réaction aux propositions du jeune officier, même s'il partageait avec ce dernier une hostilité profonde envers l'Angleterre. La brutale tension des relations franco-britanniques du printemps 1895 venait en effet à peine de s'apaiser. Elle était le fruit des déclarations maladroites, imprudentes ou provocatrices d'une partie des milieux coloniaux français. Harry Alis dans le Bulletin du Comité de l'Afrique Française1, François Deloncle à la Chambre en février 2 , Brazza lui-même à Alger 3 . Elle avait culminé avec le fameux avertissement du sous-secrétaire d'Etat britannique aux Colonies, Sir Edward Grey, le 28 mars 1895. L'expression « unfriendly act » qui qualifiait toute « marche en avant d'une expédition française vers le Nil » recouvrait bien un contenu grave, selon Mr. Sanderson. Sans équivalent exact en français, elle constituait, en langage diplomatique, une menace à peine voilée de guerre 4 . On s'efforça d'atténuer les remous des deux côtés, cependant ; le Nil n'était, après tout, qu'une des préoccupations de politique extérieure et coloniale des deux pays fort absorbés aussi par les affaires de Chine, du Siam, d'Afrique Occidentale et par la conquête de Madagascar 8 . Du côté anglais, Lord Kimberley, chef du Foreign Office, puis Lord Salisbury au pouvoir à partir du 25 juin 1895, adoptèrent donc un ton conciliant et Chamberlain, nouveau secrétaire d'Etat aux Colonies en juin, s'abstint de déclaration « jingoïste » 6 . Du côté français Hanotaux suggéra, pour sauver la mission Liotard, que des expéditions non militaires vers le HautNil soient considérées « comme n'engageant pas la politique des deux pays » 7. Puis, le 5 avril, à la Chambre, il se contenta de souligner les « droits » du Sultan et du Khédive en Egypte. Cette attitude prudente lui valut même un discret rappel à l'ordre du Comité de l'Afrique Française ; le Bulletin rappela, en mai, que « la Chambre de Commerce de Londres avait indiqué Fachoda
1. Harry Alis publia dans le B.C.A.F. plusieurs articles « agressifs » en janvier, en février (« Soudan et Abyssinie », pp. 34-35), en mars 1895; le thème central était qu'il fallait « prendre position sur le Nil de manière à empêcher de nouveaux empiétements anglais » {B.C.A.F,, janv. 1895, pp. 3-4). Harry Alis fut tué en duel par Alfred Le Châtelier, le 5 mars 1895. 2. Intervention du 24 février 1895 dans laquelle Deloncle affirma que « aujourd'hui que nous nous sommes ouverts un accès vers le Haut-Nil, nous sommes en bonne posture pour prendre à revers certaines positions de nos rivaux et fournir ainsi des éléments nouveaux de négociations enfin d'aboutir à l'évacuation tant promise des territoires du Khédive ». 3. Cf. La Politique Coloniale du 24 fév. 1895, interview de Brazza à Alger : « L'accès au Nil est le seul moyen qui permettra un jour de trancher conformément à nos intérêts la question d'Egypte. » 4 . C f . SANDERSON, op. cit., p p . 2 1 5 - 2 1 7 . 5. C f . ROBINSON, GALLAGHER e t DENNY, op. cit.,
p p . 339-340.
6. Les principales personnalités du nouveau cabinet de coalition conservateurs-libéraux — Unionistes étaient en dehors de Salisbury et Chamberlain, Sir Michaël Hicks Beach à l'Echiquier, G.J. Goshen à la Marine, et A.J. Balfour au Trésor. 7. G. HANOTAUX, Fachoda, le partage de l'Afrique, pp. 91-95. La Mission Marchand sera ainsi considérée comme une expédition « non militaire ».
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comme limite nord de la sphère d'influence anglaise > 1 . Hanotaux tint plus compte, en tout cas, de l'avertissement anglais que de ces pressions intérieures. Comme en 1894, Hanotaux se montra homme de la conciliation ou tout au moins du statu-quo. Il est donc vraisemblable que sa première réaction à l'offre de Marchand ait été négative. Si l'accueil de Gabriel Hanotaux ne f u t sans doute guère chaleureux, du moins dans tout un premier temps, qu'en fut-il de celui du ministère des Colonies dont le responsable était le radical Emile Chautemps ? Marchand devait trouver son principal appui, un soutien obstiné même, en la personne du directeur de la Défense des Colonies, le colonel Archinard. Louis Archinard avait alors quarante-cinq ans. Son arrivée au Pavillon de Flore était une réhabilitation après ses retentissants démêlés en 1892 et 1893 avec la Marine et les Colonies qui l'accusaient d'avoir outrepassé ses instructions dans la lutte entreprise contre Samory : en novembre 1893, il avait été relevé de son commandement au Soudan. Archinard était le protecteur et aussi le maître à penser de Marchand et M a n g i n 2 . Dès 1890, Marchand avait obtenu la confiance d u Commandant Supérieur et c'est ensemble qu'ils préparèrent, en France, le coup de main sur Nioro. La présence de ce « chef vénéré » aux Colonies en 1895 était donc pour Marchand un atout considérable. D e juillet 1895 à avril 1896, Archinard resta à la tête de la Défense des Colonies sous Emile Chautemps et Pierre Guieysse. En avril 1896, lors de la réorganisation du ministère des Colonies, André Lebon le relégua dans u n rôle quelque peu secondaire en le nommant à la direction d'un « Comité technique militaire » moins puissant que l'ancienne Défense des Colonies 3 . Promu en même temps général de brigade, Archinard ne resta d'ailleurs que quelques mois au service d'André Lebon : en octobre 1897, il rejoignait l'Indochine pour y prendre la tête de la brigade de Cochinchine 4 . Durant la période décisive de la genèse de la Mission, Archinard occupa donc un poste de grande responsabilité auprès des ministres des Colonies. Cependant Marchand, malgré les relations étroites et cordiales qu'il entretenait avec son ancien chef, ne paraît pas avoir immédiatement obtenu son 1. B.C.A.F., mai 1895, éditorial anonyme. 2. En 1889, Archinard fit attribuer la légion d'honneur à Marchand. En 1891, après la prise de Kankan, il le proposa pour le grade de capitaine et demanda la légion d'honneur pour Mangin. 3. Pendant les ministères Ribot (janv. 1895-28 oct. 1895) et Bourgeois (28 oct. 18954 avr. 1896), il y eut quatre directions au ministère des Colonies. Ernest Roume resta à la tête de la direction des Affaires Politiques et Commerciales puis Affaires Politiques et Administratives. C'était la première direction. Archinard succédait au général Bourdiaux, à la tête de la seconde direction, celle de la Défense. La troisième direction était celle de la Comptabilité et des Services Pénitentiaires. La quatrième, dite direction du Contrôle, fut remplacée, par Guieysse, par une direction des Affaires Commerciales et de la Colonisation. A cette organisation, A. Lebon substitua deux directions principales, l'une des Affaires Politiques, l'autre des Affaires d'Asie, d'Amérique, Océanie confiée à Roume et trois services : Comptabilité, Comité technique militaire (Archinard), Contrôle (Dubard). Un secrétaire général assistait en outre les ministres, Girod sous Chautemps, Bèze sous Guieysse, Lagarde sous Lebon. (Cf. Annuaire des Colonies, Années 1895-1898.) 4. Cf. Etats des services du général de division Archinard (1850-1932), arch. de la Guerre.
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soutien. Certes, dès son arrivée au ministère, une des principales préoccupations d'Archinard f u t le Centre Afrique, Emile Chautemps l'ayant chargé < exclusivement » de « la relève du Haut-Oubangui » le 22 juillet 1895 1 . Mais aucun dessein politique de vaste envergure n'apparaît chez le ministre qui écrivait alors à Brazza : « J'estime... que nous devons pour le moment nous borner à occuper les anciens postes de ces territoires [du Haut-Oubangui] plus ceux de Bangassou et Rafaï. » 2 Archinard renchérissait de son côté : « Il appartient au Commissaire du Gouvernement de fixer quels doivent être nos lieux de garnison, mais il ne devra pas oublier que notre politique est toute d'expectative, que nous ne voulons que le simple maintien vis-à-vis des puissances européennes et de l'Etat Indépendant de nos droits acquis, que nous ne pouvons songer à entrer sérieusement en lutte dans des parages aussi lointains contre un ennemi puissant [les Mahdistes] et qu'il faut réduire autant que possible nos dépenses. » a La politique « d'expectative » semble avoir été l e ' m o t d'ordre de l'été 1895 ; elle était commandée par l'insuffisance des forces du Haut-Oubangui. Dès son arrivée sur place, Liotard avait souligné cette faiblesse et rappelé les demandes qu'il avait formulées à son départ en novembre 1894 ajoutant que les deux compagnies amenées par Decazes — les 11e et 12° compagnies de tirailleurs sénégalais — devaient repartir en juillet 1895. A Paris, on ne s'inquiéta sérieusement de cette situation qu'au milieu de l'été. Archinard interrogea alors l'ancien commandant des troupes du Haut-Oubangui, Decazes, revenu en France après avoir transmis ses fonctions au capitaine Ditte, en janvier 1895. Decazes estima les effectifs du Haut-Oubangui à 430 hommes dont 200 tirailleurs et 230 miliciens et les départs de soldats qui ne voudraient pas renouveler leurs contrats, à 150 hommes. Il ne pouvait être question d'une véritable occupation d u pays, encore moins d'une « marche en avant » risquant de mener à u n heurt avec les Mahdistes. Aussi pour Archinard à moins « d'obligations diplomatiques au point de vue militaire, le mieux serait de nous en aller si nous voulons être certains de ne subir aucun échec » 4 . L'hypothèse d'une évacuation était donc elle-même envisagée. D'ailleurs, aux yeux d'Archinard le maintien de la présence française ne se justifiait pas par des raisons commerciales : « Il y a une situation de fait et des obligations politiques pour que nous restions sur le Haut-Oubangui, bien que notre commerce d'ici longtemps et tant que nous n'aurons pas les moyens de communication pratiques ne puisse tirer grand'chose de notre occupation si ce n'est un peu d'ivoire et peut-être un peu d'or. » *
1. S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14a, Note sur le résumé du rapport Ditte daté du lOmars 1895, à Rafaï. 2. S.O.M., Gabon-Congo, XVI, 13, Chautemps à Brazza. 3. S.O.M.,Gabon-Congo, XVI, 13, Archinard à Chautemps, Paris, 16 août 1895, rapport sur la création d'une milice de 190 hommes dans le Haut-Oubangui. 4. Ibid. 5. Ibid. En marge de son rapport, Archinard évalue à 7 ou 8 tonnes par an la production d'ivoire soit « une valeur approximative de 140 000 francs à la côte, de 200 000 francs en France ».
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On était donc apparemment bien loin d'un projet Congo-NiL Cependant, malgré ces points de vue pessimistes, on ne voulut pas vraiment l'évacuation de ces territoires jugés pourtant improductifs et coûteux 1 et l'expectative n'était qu'une politique temporaire imposée par l'étroitesse des disponibilités budgétaires ; en 1895 Liotard n'avait que 430 000 francs pour faire face à des dépenses évaluées à plus d'un million et « constituant un minimum pour entretenir nos postes et notre influence en Haut-Oubangui » 2 . Or, à ce moment, les « aventures » de Madagascar et de la Côte d'Ivoire rendaient impopulaire la politique d'expansion coloniale. Ajoutons que la Mission Monteil détournée en Côte d'Ivoire était la cause essentielle de l'impasse financière dans laquelle se trouvait Liotard. Le crédit exceptionnel de 1 800 000 francs consenti par les Chambres, sur la demande de Delcassé, le 7 juin 1894, pour « renforcer nos postes de l'Oubangui et les lier à la côte par des communications télégraphiques et fluviales », avait été largement dépassé par les dépenses de la colonne de K o n g 3 . Son échec interdisait provisoirement de nouvelles demandes de subvention au Parlement. Ainsi pendant l'été 1895, aussi bien du côté des Colonies que des Affaires Etrangères, on ne semblait pas prêt à lancer une nouvelle expédition vers le Nil. Pourtant la première entrevue que Marchand obtint d'Emile Chautemps, le 20 août 1895, fut chaleureuse et le ministre demanda au capitaine, détaché aux Colonies, de lui rédiger u n p r o j e t 4 . En fait, l'exaltation de Chautemps f u t très passagère et ne correspondait guère à la politique d'expectative du Pavillon de Flore. En février 1896, Marchand déplorait que « l'hésitation puis la peur du chef des Colonies aient trop vite succédé à son ' emballement ' du 20 août dans la soirée au cours de laquelle il [lui] disait : il faut qu'on puisse dire que le capitaine Marchand a pissé dans le Nil en amont de Khartoum » B.
I I . L E PROJET M A R C H A N D D U I I
SEPTEMBRE
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On s'est expliqué la lenteur de la réponse aux propositions de Marchand par l'instabilité ministérielle de l'année 1895 et du début de 1896. Effectivement, en quelques mois, Marchand dut faire le siège de trois gouvernement} successifs : le ministère d'Union Républicaine d'Alexandre Ribot (26 janvier-28 octobre 1895), le ministère radical Léon Bourgeois ( 1 " novembre
1. Après avoir conféré avec Brazza, Decazes et « surtout le lieutenant Vermot », Archinard demanda la relève des tirailleurs stationnés dans le Haut-Oubangui par deux compagnies de cent hommes et une compagnie de 200 miliciens. Il n'était pas question d'évacuer mais au contraire d'occuper au moins Bangassou. Cf. S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14a, Rapport au ministre des Colonies, Paris, 12 sept. 1895. 2. S.O.M., Gabon-Congo, IX, 16d, Note sur la situation financière de l'Oubangui, Paris, 17 juin 1895. La relève des compagnies fut évaluée à elle seule à 550 francs en août par Archinard. 3. Ibid., et S.O.M., Afr. III, 21, a,b,c, Commission d'enquête sur la colonne de Kong, 29 janv. 1896-29 juil. 1896. En 1896, la subvention accordée au Haut-Oubangui était, on l'a vu, d'un million. 4. Cf. MICHEL, op. cit., p. 50 et A.N., 99 API, « Journal de marche de la Mission CongoNil ». 5. Ibid.
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1895-23 avril 1896), enfin le cabinet modéré de Jules Méline 1 . Marchand dut convaincre trois ministres des Colonies, le radical Emile Chautemps, le savant égyptologue et mathématicien Pierre Guieysse, enfin André Lebon. Il lui fallut surtout gagner à sa cause les responsables des Affaires Etrangères, Marcelin Berthelot 2 , Léon Bourgeois, et Gabriel Hanotaux qui « régnait » depuis mai 1894 au Quai d'Orsay et y demeurera, sauf une courte interruption d'octobre 1895 à avril 1896, jusqu'en juin 1898. En septembre 1895, l'accueil que firent Chautemps et Hanotaux au projet de « Mission Congo-Nil » est donc capital. Mais il nous faut d'abord analyser le contenu de ce projet dont le texte est resté longtemps ignoré des chercheurs 3 . Invité par le ministre des Colonies à le préparer le 20 août, c'est donc en trois semaines que Marchand rédigea ce document. Celui-ci se présente sous la forme d'un épais cahier de grand format, divisé en quatre « Titres » et accompagné de croquis et de cartes. Le Titre I, intitulé « Le Bahr el Ghazal », est essentiellement un rappel du passé de la région depuis la conquête égyptienne jusqu'en 1895. Soucieux d'exalter les vertus nationales et de justifier ses vues, Marchand insiste particulièrement sur le rôle des « Français » dans la découverte puis la pénétration du Bahr el Ghazal depuis le règne de Mehemet Ali : membres de la première expédition, Lefebvre, d'Arnaud et Lambert, commerçants comme Brun-Rollet et Poncet ; voyageurs, comme le docteur Cuny qui tenta de pénétrer au Darfour ou le docteur Peney, qui, lui, tenta de remonter aux sources du Nil. « Mon intention, explique Marchand, est seulement de montrer quel rôle a joué le Bahr el Ghazal dans l'édification de l'Empire [égyptien], la part qui revient aux Français dans ce gigantesque effort, comment et pourquoi le mouvement mahdiste a pu naître sur les frontières de la province qui nous occupe. »
Un court rappel de l'insurrection mahdiste suit donc. Il veut surtout convaincre de l'intérêt d'une intervention car « depuis la mort du Mahdi et l'avènement du Khalife 4 , la puissance arabe du Soudan égyptien est en pleine décadence » ; il dresse un sombre tableau de l'empire du Mahdi : « L'armée fort mal nourrie, pas payée du tout et pressurant les populations mécontentes s'élève à peine à 30 000 fantassins, assez bien armés mais sans munitions, une cavalerie très irrégulière et une centaine de canons sans projectiles, immobilisés à Omdurman et El Obeid. Sur les frontières d'un état aussi agité quelques milliers de pillards, déserteurs et bandits aguerris se livrant à la chasse à l'esclave... L'occupation de Khartoum et l'anéantissement d'un pareil adversaire ne seraient à cette heure qu'un jeu pour les maîtres de l'Egypte, mais une attaque venant du nord, quelle que soit la composition de la colonne serait considérée par l'Europe comme une reprise par l'Egypte de ses anciens droits sur le Soudan... » 1. La durée du ministère Méline coïncida presque avec celle de la Mission Marchand : 29 avril 1896-15 juin 1898. 2. En fait, le célèbre chimiste dut céder la direction des Affaires Etrangères au Président du Conseil, Léon Bourgeois, et au Président de la République, Félix Faure, dès décembre 1895. Cf. F . BERGE, F. FAURE, « Le ministre Léon Bourgeois et la politique étrangère. Marcelin Berthelot au Quai d'Orsay (2 novembre 1895-29 avril 1896)», Revued'Histoire Diplomatique, avr.-juin 1957, pp. 93-125. 3. Le projet se trouve en double exemplaire aux S.O.M., Afr. III, 32a, et M42. 4. Le Mahdi mourut le 22 juin 1885 à Omdurman. Un conseil de notables élit alors AbdAllahi Mohammed au Khalifat du Mahdi.
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C'est pourquoi Londres, estime Marchand, préfère une expédition « exclusivement anglaise par le sud », celle du colonel Colvile. Il insiste donc seulement sur l'opportunité politique d'une action au Soudan au moment où l'affaiblissement du Mahdisme commence à apparaître ; il ne cherche pas dans ce projet, comprenant pourtant une description du pays, à en démontrer l'intérêt économique. Aucune allusion n'est faite à un débouché commercial sur le Nil, à la « richesse » du Soudan, aux mines d'Hoffrat-en-Nahas, ou à l'ivoire. Tout au plus évoque-t-il chez Mehemet Ali, « l'espérance de trouver de l'or comme Fernand Cortès au Mexique ». Marchand ne semble pas croire à la légende du Bahr el Ghazal : ce n'est, dit-il, qu' « une contrée très marécageuse » et « son climat est meurtrier ». Il s'intéresse d'ailleurs peu aux questions économiques : en militaire il ne parle que de « la grande voie stratégique africaine [qui] venant du Nil, emprunte la vallée du Bahr el Ghazal pour passer dans celle du Congo par l'intermédiaire de son affluent principal l'Oubangui-M'Bomou ». La nécessité d'une mission française vers le Nil est reprise dans le Titre II sous l'intitulé : « La question du Nil au point de vue politique ». Il s'agit d'une dénonciation des projets supposés de l'Angleterre au Soudan. Ces projets, souligne Marchand, dépassent singulièrement ce qu'on imagine le plus souvent. Il s'agit bien sûr de « l'union du Cap à l'Egypte à travers le continent africain... par une ligne ininterrompue de possessions britanniques », projet connu, démasqué lors des tractations de 1894 avec l'Etat Indépendant. Mais il s'agit aussi d'un second projet « bien autrement menaçant pour notre développement colonial africain et certainement plus rapproché que le premier de son couronnement... la jonction du Bénin à la Mer Rouge par le Wadaï ». Sur quoi se fondaient de pareilles affirmations qui révèlent bien l'imagination fertile et souvent désordonnée de Marchand ?... Sur les conquêtes de Rabah et sur le traité franco-anglais d'août 1890 (ligne Say-Barroua). Pour étayer son idée, le capitaine entreprend de démontrer que les conquêtes de Rabah, transformé par lui en émissaire du Mahdisme, se sont faites grâce à des livraisons d'armes anglaises. Un piment d'action secrète parfume même sa démonstration. C'est « le 24 août, écrit-il, que les chefs de l'Intelligence Department, ont fait nuitamment de grandes distributions d'armes aux Derviches..., c'est à cette époque précise que Rabah passa des territoires à l'est du lac Tchad dans le Bornou et le réduisit grâce à la supériorité de son armement » (souligné par Marchand). En fait, on retrouve ici la hantise des officiers français du Soudan Occidental : les livraisons d'armes par les Anglais à l'adversaire. Rabah devient le Samory du Soudan Oriental, armé et stipendié par les Anglais pour barrer la route aux Français en attendant de passer dans leur « sphère ». Replacée dans son contexte psychologique, la démonstration de Marchand est significative. On a pu la prendre au sérieux. De tels projets, l'occupation illégale de l'Egypte, l'attitude agressive de l'Angleterre en mars 1895 et « la victoire des torys aux dernières élections..., signal d'une reprise très active des théories impérialistes aux colonies », légitiment donc une riposte française. « A la théorie anglaise de la croix africaine que je me suis laissé aller à développer peutêtre un peu trop longuement, conclut Marchand avec un involontaire humour, à ce rêve
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d'orgueil insensé, n'allons-nous pas opposer la théorie française plus modérée de la jonction du Congo à Obock par le Bahr el Ghazal et l'Ethiopie, que cette province accepte notre protectorat ou celui de nos alliés. » 1
Frapper « au cœur de la croix anglaise », créer un axe français de l'Atlantique à la Mer Rouge, tel était donc le grandiose projet que proposait a un ministre radical peu enclin aux rêves et fort préoccupé par le budget des Colonies qu'il devait soutenir à la Chambre, un jeune officier exalté. Les deux autres parties du projet sont plus techniques. Le Titre III, « Projet de Mission », est un exposé de < la marche à suivre » par une expédition française dans l'Oubangui-M'Bomou et de ses buts précis. Ceux-ci sont clairs : « En deux mots nous voulons l'accès de la vallée du Nil de façon, le jour du partage effectif arrivé, à pouvoir répondre aux Anglais qui nous diront : Nous y sommes! — Nous aussi, et nous n'y avons que des amis et des intérêts. »
Marchand, remarquons-le, ne semble donc pas lier ici la question d'Egypte à celle du Bahr el Ghazal et ne propose qu'une prise de gages diplomatiques en vue du partage du Soudan. A cet effet il propose de conduire une petite mission à Fachoda, « objectif principal de visite », afin de « créer là-bas des alliances et des intérêts » et non d'occuper : « Nous voulons l'hinterland du Nil pour notre colonie du Congo Français et cet hinterland comprend le bassin du Bahr el Ghazal dans les territoires duquel nous prétendons pour le moment faire pénétrer l'influence française sans viser l'occupation de fait qui viendra à son heure. »
Mais pour atteindre ce but, Marchand propose explicitement la recherche de l'amitié, sinon l'alliance, des Mahdistes : « Dans tous les cas je n'arriverai jamais au contact des Musulmans avec une escorte de plus d'une cinquantaine de tirailleurs... Nous reconnaissons qu'une politique amicale visà-vis des Musulmans, Derviches ou Mahdistes nous est imposée par la mission de la France en Afrique, par la prudence et parce que surtout nos rivaux européens ont adopté à leur égard une politique d'agression. »
Il est à noter que Marchand ne prévoit pas alors de retour par l'Abyssinie. Enfin tout le système stratégique de l'Oubangui devait être revisé ; il fallait, en particulier, abandonner la concentration des maigres forces françaises sur le M'Bomou, le long de la frontière belge et « d'horizontale qu'elle était jusqu'à ce jour, renverser la ligne de pénétration, la diriger au nord soit par la rivière du Bari, soit par la rivière Chinko, toutes deux affluentes du M'Bomou et permettant d'atteindre rapidement le Bahr el Ghazal par le Bahr el Arab ou le Bahr el Homr avec lesquels on peut le plus facilement du monde descendre jusqu'au Nil ». Le centre de toute cette action devait
1. Il s'agit des Russes. Une action diplomatique complémentaire en Ethiopie est donc suggérée ici. 3
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être l'ancien poste belge de Bandassi sur le Haut-Chinko « à la lisière nord des pays fétichistes » et Marchand prévoyait d'atteindre Bandassi en juillet 1896. C'est probablement à partir des renseignements fournis par un officier du contingent Decazes, le lieutenant Vermot, revenu en France avec des levés d'itinéraires en pays Nzakara et dans le « Sultanat » de R a f a ï q u e Marchand tira l'idée d'utiliser les affluents du M'Bomou. En préconisant cette nouvelle stratégie, il proposait donc l'abandon de la politique suivie jusqu'alors par Liotard, politique de pénétration lente par les Sultanats installés sur la rive droite du M'Bomou. La quatrième et dernière partie de son projet, intitulée « Dotation », est une prévision des dépenses. Elle est extrêmement détaillée et fournit maints renseignements. Marchand concevait une expédition durant trente mois. Elle comprendrait 150 tirailleurs dont six sergents, sept officiers européens dont un médecin, un interprète indigène du cadre algérien, quatre sous-officiers européens et cinq ouvriers (un maçon, un menuisier, un armurier et deux manœuvres). Il désignait déjà nommément quelques-uns de ses futurs compagnons : le capitaine Baratier, le lieutenant Simon, le sergent Dat. S'il n'est pas question de ses meilleurs amis, Germain et Mangin — nul doute cependant que Marchand songeait aussi à eux lorsqu'il demandait dans ce projet un lieutenant d'artillerie de marine, ce qu'était Germain, et un autre lieutenant pour commander la « compagnie d'escorte ». La comptabilité des soldes prévues est aussi étonnante qu'intéressante. En tant que chef de mission, Marchand s'attribuait une solde de 15 000 francs par an ; c'était l'équivalent du traitement d'un directeur des Affaires Politiques au ministère comme Binger en 1896 2 , plus précisément l'équivalent du traitement d'un Gouverneur de 3 e classe, et plus que la solde de Liotard alors Commissaire du Gouvernement dans le Haut-Oubangui. Les soldes des autres officiers étaient fixées à 8 000 francs pour les lieutenants et 10 000 francs pour le capitaine Baratier. Celles des sous-officiers européens devaient s'élever à 1 500 francs pour un sergent et 2 000 francs pour un adjudant. Les ouvriers étaient « cotés » plus haut que les sergents : le salaire du maçon et celui du menuisier étaient évalués en effet à 1 800 francs par an. Les soldes des tirailleurs devaient, elles, varier entre 240 francs pour un tirailleur de 2' classe et 480 francs pour un sergent indigène. Des primes de réengagement au départ de 50 et 100 francs devaient s'y ajouter. Le total des dépenses prévues pour la « troupe » n'est guère impressionnant cependant : 47 300 francs par an pour 150 hommes contre 65 500 francs pour les 7 officiers. La dépense globale est ainsi estimée par Marchand à 270 000 francs. En fait, ajoutait-il sans doute pour convaincre le lecteur de la modicité de cette somme, elle devrait être supérieure « mais l'expérience du passé
1. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61a, Liotard à Chautemps, les Abiras, 24 avr. 1895. Liotard annonce le départ pour la France du lieutenant Vermot avec ces itinéraires et demande son affectation au service géographique des Colonies. 2. Cf. Annuaire des Colonies, 1896.
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permet d'affirmer que la mortalité ou le rapatriement pendant 30 mois atteindra au minimum 1/5 de l'effectif ce qui ramène l'allocation budgétaire pour 30 mois à 243 360 francs » 1 . Le reste du projet de Dotation est consacré aux prévisions concernant les achats de marchandises, le coût des transports et des emballages, celui des « subsistances de route », rations de tirailleurs, « vivres de réserve » (aliments légers et pharmacie) et équipement divers. Marchand s'efforce de tout prévoir. Avec minutie, il énumère tout ce qui peut être nécessaire à une mission en Afrique depuis les objets domestiques, filtres ou matériel de campement, jusqu'aux appareils de topographie, de télégraphie optique, d'astronomie, aux livres sur l'Afrique, aux cartes et aux plans. Une partie de l'équipement est formée par des marchandises dites « pacotille ». Les prévisions se montent à 145 000 francs pour les marchandises et le matériel. Sur ces 145 000 francs, 100 000 devaient être consacres a l'achat d'une part des objets, perles, étoffes destinés à payer les services des indigènes, le portage, le ravitaillement, et d'autre part les cadeaux, habits, pavillons, armes de traite, corans, destinés à obtenir l'appui des chefs locaux. Nous serons amené plus loin à examiner ce que la Mission a réellement emporté et ce qu'a coûté cette pacotille... Remarquons seulement que dans son projet, il insiste sur ces marchandises pour mieux convaincre de la vocation « essentiellement pacifique » de cette expédition Congo-Nil qui doit « agir exclusivement par cadeaux et échanges ». Une dotation en armes est cependant prévue pour la compagnie d'escorte. Elle n'est pas modeste : 155 carabines modèle 1890, 15 revolvers, 1 800 kg de munitions pour fusils, 2 canons de 80 mm et 4 500 kg de projectiles — et cet armement n'était pas destiné qu'à un usage défensif ou de prestige. Par ailleurs, il ne devait pas figurer dans les frais de l'expédition car Marchand prévoyait une cession gratuite par le ministère de la Guerre. Quel est donc le total de la dépense ? Aux 270 000 francs de soldes doivent s'ajouter, selon le projet, 145 000 francs de marchandises, 117 800 francs de transport jusqu'à Bangui, 10 200 francs de « rations », 20 000 francs de réserves métalliques en pièces d'argent, 8 000 francs d'emballages et 9 000 francs prévus pour un éventuel « dépassement de crédits ». Le coût de l'expédition était donc évalué à 580 000 francs pour 30 mois et devait être réparti sur trois budgets annuels. C'est évidemment très peu. Un effort important, soit 350 000 francs, ajoutait Marchand, ne sera demandé qu'en 1895, lors de la mise en route de l'expédition. Par contre en 1896 et 1897, les dépenses prévisibles se réduiront à 40 000 francs par an ; enfin en 1898, la liquidation ne coûtera que 150 000 francs. Tel quel, le projet de Marchand était habile. Ambitieux par ses objectifs il se voulait prudent dans la conception de sa réalisation pratique et modéré dans l'évaluation du coût de l'opération. De la grande politique coloniale à bon marché : tel était donc l'esprit du projet Par son ton et ses thèmes fondamentaux ce projet porte bien la marque personnelle de Marchand. On a cependant soutenu que les vrais inspirateurs en auraient été Ernest Roume, directeur des Affaires Politiques et Commer-
1. 243 360 francs de soldes -f 26 640 francs de primes = 270 000 francs.
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ciales au ministère des Colonies 1 , et Gustave Binger « à Paris à la fin de 1895 », et que Marchand peu connu, sans poids dans les milieux politiques parisiens, n'aurait pu se faire écouter des ministres 3 . En réalité Marchand n'était plus un inconnu en 1895. Sa récente mission en Côte d'Ivoire l'avait mis en valeur. Des commentaires élogieux étaient parus dans la presse : en août 1895, le Bulletin du Comité de l'Afrique Française publia in extenso son rapport sur le Soudan accompagné de son portrait, et en septembre 1895, le Tour du Monde consacra ses colonnes à « la question du Transsaharien et la mission du capitaine Marchand en Côte d'Ivoire » 3 . Non seulement Marchand n'était plus un inconnu mais il comptait dès 1895 parmi ses amis des responsables politiques et des journalistes venus d'horizons très divers. Le personnage le plus lié à Marchand et au groupe des officiers soudanais était en 1895, René Le Hérissé, député d'Ille-et-Vilaine et membre du groupe colonial de la Chambre 4 ; il se dépensa, pour appuyer le projet®. D'autres hommes politiques plus considérables comptaient aussi parmi ses relations. En avril 1897, il citait ainsi, dans une lettre à Liotard, « M. Hanotaux le grand chef de toute cette politique, Lebon aux Colonies avec l'ami Lagarde comme secrétaire général, enfin Cochery, un grand ami à moi comme Doumer sous le précédent ministère (pendant le ministère Léon Bourgeois à la fin de l'année 1895) » 1. Ernest ROUME, né à Marseille en 1858, ancien polytechnicien, avait commencé brillamment sa carrière au Conseil d'Etat. En 1892, à 34 ans, il est déjà chef de cabinet du soussecrétaire d'Etat aux Finances, puis directeur du commerce extérieur au ministère du Commerce. Il voyage aux Etats-Unis, en Hollande, Angleterre et Belgique à l'occasion de ses missions. Au début de 1895 il passa à la direction des Affaires Politiques et Commerciales des Colonies où il remplaça Haussmann. En mai 1896, A. Lebon à l'occasion de la réorganisation du ministère lui ôta le contrôle de l'Afrique en le plaçant à la tête de la direction des Affaires d'Asie et d'Amérique. Il reviendra aux Affaires d'Afrique mais en qualité de « proconsul» : il fut, en effet, Gouverneur Général de l'A.O.F. de 1902 à 1907, date à laquelle il demanda sa retraite pour « raison de santé ». En 1915, il fut pendant un an chargé, exceptionnellement, du Gouvernement Général de l'Indochine. 2. M. SANDERSON estime ainsi qu'il est difficile de croire que ce projet — qu'il n'a pu retrouver dans les archives — ait bien été « the unaided work of a mere junior officer on leave from Africa and an officer who, for all his distinguished local reputation, cut no figure whatever in the political society of Paris. What little evidence there is point all in one direction — that Marchand and his project were strongly supported by the senior officials at the Pavilion de Flore » (op. cit., p. 271). 3. Le Tour du Monde, n° 38, 21 sept. 1895. 4. René Félix LE HÉRISSÉ, né en 1857, ancien Saint-Cyrien puis officier de Dragons avait été directeur politique de La Cocarde en 1887; il fut alors un des plus actifs et des plus importants partisans de Boulanger. Député d'Ille-et-Vilaine depuis 1886, il fut élu en 1889 sur le programme « Révision — Constituante — Référendum ». Après la mort de Boulanger il se « reconvertit » vers les questions militaires et coloniales et fut sans cesse réélu député d'Ille-et-Vilaine. Nous n'avons pu savoir à quelle époque il entra en relations avec ses futurs amis Mangin, Germain et surtout Marchand. En 1896 cependant son rôle colonial est important; il est membre du Conseil Supérieur des Colonies où il représente la Côte d'Ivoire; il est aussi un des membres influents du groupe colonial. En 1897 il voyage en Afrique Occidentale et en 1898 entre à la Commission du Budget. Il siège alors à « l'extrême gauche » de l'Assemblée et dirige un groupe de députés représentant les villes d'établissements et d'arsenaux militaires. (Cf. H. AVENEL, Le Nouveau Ministère et la Nouvelle Chambre.) 5. A.N., 149 AP3, Marchand à Mangin, Paris, 24 avr. 1896. 6. MICHEL, op. cit., p. 52. Dans plusieurs de ses lettres, Marchand parle du « grand ami Doumer ». Dans une autre lettre personnelle de Marchand à Mangin datée du 6 mars 1896
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On peut remarquer parmi ces « grands amis » les noms de deux ministres des Finances : Paul Doumer grand argentier du ministère Léon Bourgeois en 1895, Georges Cochery grand argentier du ministère Méline en 1866-98. Les appuis politiques de Marchand n'étaient donc pas négligeables. Ces personnalités, sans avoir inspiré à Marchand son projet, lui ont fourni leur soutien ; ils lui ont « ouvert les portes » et préparé la presse où il comptait des amis personnels comme Emile Cère, rédacteur au Petit Journal, futur député de St-Claude en 1898. A cet égard, l'influence du secrétaire général du Comité de l'Afrique Française, Auguste Terrier, qu'il qualifiait de « Cher Maître et ami », fut certainement déterminante 1 . Mais ni Binger, ni Roume n'ont pu « souffler » à Marchand le plan d'action à présenter au ministre. En ce qui concerne Binger, son concours même paraît invraisemblable puisque le gouverneur de la Côte d'Ivoire demanda à être relevé de son gouvernement en octobre 1895 2 , ne fut autorisé à rentrer en France qu'en mars 1896 et ne devint directeur des Affaires Politiques « pendant l'absence de Monsieur Lagarde » qu'après la signature par André Lebon d'un arrêté, du 12 décembre 1896. Le rôle d'Ernest Roume fut au contraire capital. Directeur des Affaires Politiques et Commerciales au ministère des Colonies et appelé par Emile Chautemps à succéder à Jacques Haussmann, Roume était à trente-sept ans un jeune et brillant haut fonctionnaire dont l'influence sur le ministre paraît incontestable. Mais cette influence s'exerça contre Marchand comme le montrent les péripéties de l'acceptation de son projet.
à Paris, et conservée par la famille Mangin, on voit Marchand, Baratier, Germain et Le Hérissé tenir une sorte de conseil de guerre à Paris au domicile même de Marchand. 1. Cf. Bibliothèque de l'Institut, Ms, Fonds Terrier, 5904, Correspondance TerrierMarchand. 2. L.G. BINGER, Une vie d'explorateur, Carnets de route, p. 236.
CHAPITRE
III
L'ÉCHO DU PROJET MARCHAND I . LES PÉRIPÉTIES DE LA DÉCISION (SEPTEMBRE 1 8 9 5-FÉVRIER 1 8 9 6 ) D e septembre 1 8 9 5 à février 1 8 9 6 les deux fortes personnalités de R o u m e et d'Archinard n'ont cessé de s'opposer à propos de Marchand. Après la remise du projet à Chautemps le 11 septembre, Archinard prit immédiatement en mains la cause de Marchand. D è s le 2 1 septembre, il rédigea au nom du ministre des Colonies une lettre « confidentielle » pour le ministre des Affaires Etrangères au sujet du Haut-Oubangui. Il y annonçait qu'à la date du 12 septembre, la relève des deux compagnies de tirailleurs sénégalais du Haut-Oubangui avait été décidée (Marchand en sera nommé commandant) et annonçait la mise au point par son protégé d'un « intéressant rapport traçant tout un plan de mission » Comment Hanotaux accueillit-il cette relance du projet Marchand ? On ne peut clairement le savoir, faute de d o c u m e n t s 2 . Toutefois le témoignage de Marchand, le seul que nous connaissions, n'est pas sans intérêt. E n mai 1897, il écrivit à Liotard :
1. « Je ne me dissimule pas cependant l'importance qui s'attacherait à divers points de vue à l'extension plus large de notre sphère d'influence en particulier dans la direction du Nil et j'ai reçu à ce propos de Monsieur le Capitaine Marchand que j'avais chargé d'étudier la question, un intéressant rapport traçant tout un plan de mission. J'ai prescrit à Monsieur le Capitaine Marchand de vous exposer de vive voix les diverses lignes de ce plan et vous serais obligé de vouloir bien le recevoir à cet effet, vous priant de me faire connaître, après cette entrevue votre sentiment sur une question qui touche encore plus à la politique générale extérieure qu'à des intérêts purement coloniaux. » (S.O.M., GabonCongo, IV, 14, Minute signée par Archinard de la lettre du ministre des Colonies au ministre des Affaires Etrangères, Paris, 21 sept. 1895.) 2. Les Papiers Hanotaux sont aussi muets à ce sujet que les autres sources d'archives, y compris la Nouvelle Série, Afrique 13 à 20 (missions d'explorations) des Affaires Etrangères. Le seul indice existant est une entrevue Hanotaux-Marchand entre le 21 septembre et le 2 novembre 1895; il est fort mince, le compte rendu rédigé par Brice, secrétaire d'ambassade détaché auprès du ministre étant extrêmement bref et ne rapportant aucune réaction du ministre. Cf. A.E., NS, Afr. 13, missions d'explorations (m.e.) I, fol. 23, «Note de MrBrice», s.d., n.l.
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« Les Affaires Etrangères auxquelles il [le projet] fut remis l'étudièrent (grâce à l'accès facile que j'avais auprès de M. Hanotaux). Le 20 octobre, au cabinet de M. Benoît \ je reçus l'ordre émanant de M. Nisard 2 de condenser mon rapport sous une forme plus théorique, substantielle et plus courte — 100 lignes —. Le 25, je remis ma 'note complémentaire analytique' — elle contenait simplement la théorie des gages [souligné par Marchand], avec ce titre en toutes lettres. Le 28 octobre, mon départ fut accepté et le 16 novembre suivant malgré la chute du ministère Ribot et l'avènement du cabinet Bourgeois, la direction de l'Afrique faisait signer au ministre Berthelot le document consacrant le principe de l'intervention effective [souligné par Marchand] au Nil et dans les provinces soudanaises de l'Egypte — ce document reprenait à peu près littéralement la note analytique du 25 octobre avec tous ses termes... cela fut jugé comme un succès colossal et inexplicable, pour moi. Il faut dire que M. Hanotaux avait tout préparé et ne laissait plus que la place d'une signature avant de partir du Quai d'Orsay. » 3 L a chronologie, ainsi que les renseignements fournis ici, appellent quelques remarques. Marchand affirme en effet que la décision de l'envoyer au Nil f u t prise par H a n o t a u x dès la dernière semaine d'octobre, à la veille même de son départ, et que son successeur, Berthelot, ne fit qu'entériner cette décision ; le fait décisif aurait été la remise, le 25 octobre, de la « note analytique complémentaire » demandée par Nisard, le puissant directeur des Affaires Politiques au Quai d'Orsay. Pour l'essentiel cette note ajoute peu au projet initial sinon une définition claire d'une « politique des gages » destinée à assurer le retour d u Soudan à l ' E g y p t e 4 , et « en dernière analyse », provoquer une conférence européenne au sein de laquelle serait discuté et fixé le sort réservé au Soudan égyptien c'est-à-dire à la vallée d u Nil : « N'est-il pas permis d'espérer que la question d'Egypte découlerait de celle du Soudan Egyptien et que sa solution s'imposerait avec une force nouvelle aux délibérations de la conférence? » Tel est le contenu de la note analytique complémentaire que Marchand aurait remise aux Affaires Etrangères dès octobre 1895 et qui aurait entraîné, alors, l'adhésion d'Hanotaux. Mais cette note, bien connue et souvent citée faute de connaître le projet initial, est datée officiellement du 10 novemb r e 1895, après la chute de Gabriel H a n o t a u x 6 . On peut penser que
1. Sous-directeur des Protectorats au Quai d'Orsay, il se montra très hostile aux « prétentions » anglaises en septembre 1894 et appuya certainement Marchand auprès d'Hanotaux puis de Berthelot. 2. Armand N I S A R D , né en 1841, sous-directeur à la Direction Politique du Quai d'Orsay dès 1881, puis directeur en 1889, était une véritable « puissance » au ministère des Affaires Etrangères. 3. Papiers Liotard, Marchand à Liotard, Bangassou, 16 mai 1897. 4. « Il est de prudence élémentaire de prévoir au cas où la Grande-Bretagne passerait outre à ces droits [ceux du Sultan sur l'Egypte] comme elle vient d'ailleurs de le faire pour l'ancienne province de l'Equatoria [il s'agit de la mission Colvile] de prendre nous-mêmes dans le bassin du Nil des gages de la restitution collective à l'Egypte, des territoires ayant formé le Soudan égyptien et momentanément occupés sous un prétexte quelconque par une ou plusieurs puissances européennes. » 5. D.D.F., XII, n° 192, Note du capitaine Marchand, 10 nov. 1895. S.O.M., Afr. III, 32a, Note analytique complémentaire, adressée au ministre des Colonies à la date du 19 nov. 1895. A.E., NS, Afr. 13, m.e.I, fol. 25-27, id.
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Marchand écrivant à Liotard u n an et demi après ces événements, en mai 1897, a pu confondre les dates. Cependant Hanotaux se serait bien décidé dès octobre selon le « Journal de marche de la Mission Congo-Nil », dont Marchand ne rédigea que quelques pages le 25 février 1896. Ce document, qui ironise par ailleurs sur les palinodies de Chautemps, renseigne bien sur l'attitude des titulaires des portefeuilles des Colonies et des Affaires Etrangères : « C'est le ministre [Emile Chautemps] qui un jour se reprend et le lendemain s'affole pour se réenthousiasmer le surlendemain l . C'est ma visite réitérée aux Affaires Etrangères qui bientôt interviennent et prennent une position énergique dans l'affirmative. Je ne trouve que là, contrairement à l'opinion répandue, de véritable courage politique. C'est l'entrevue des deux ministres. Enfin, la mission est décidée, les instructions vont m'être remises le mardi 29 octobre selon la promesse de M. Chautemps. Crac! le ministère tombe le 28... Tout est à recommencer. Comme Sisyphe je recommence. Cette fois je suis en face d'un ministre des Colonies qui a l'esprit de décision chose rare, et aux Affaires Etrangères l'opinion n'a pas changé avec le ministre; il n'y a que là, heureusement, qu'on voit cette fixité. Après une nouvelle entrevue des deux ministres des départements intéressés le Quai d'Orsay se prononce formellement et envoie aux Colonies, signée du ministre, l'approbation complète du projet Marchand. » • Il semble donc bien qu'Hanotaux — qu'il ait eu ou non en mains la note analytique complémentaire — ait donné son appui en octobre 1895, avant de quitter le Quai d'Orsay, au projet ambitieux de Marchand d'aller à Fachoda. Toutefois ce furent Guieysse et Berthelot qui en prirent la responsabilité officielle. En effet, dès le 13 novembre, Benoît reprit pour le ministre des Affaires Etrangères l'essentiel de la note de Marchand du 10 novembre sans évoquer, cependant, la question d'Egypte 3 . Le 21 novembre, Guieysse pria instamment Berthelot de prendre des mesures d'urgence pour l'organisation de la « nouvelle mission » 4 . Le 30 novembre, Guieysse revint à la charge précisant que l'expédition coûterait u n million, « ne ferait pas d'acte d'occupation, ne chercherait même pas à passer des traités politiques » ; mais sa présence dans le Bahr el Ghazal devait permettre « d'intervenir utilement dans le règlement de la question du Soudan » Le même jour Berthelot donna son « entière adhésion au projet dont il s'agit ». Berthelot se rallia alors complètement au plan proposé par Marchand et distingua bien, comme ce dernier, deux phases : « La première partie de ladite mission consisterait dans l'établissement... d'un certain nombre de postes fortifiés aux limites du Haut-Oubangui et du Bahr el Ghazal »; la seconde partie serait une pénétration dans cette dernière région qui « dépouillant tout caractère militaire en nouant des relations pacifiques avec les populations et autant que possible avec les Derviches, essaierait d'atteindre le Nil » 1. Le 30 septembre, Roume dans une note à Archinard annonçait « l'intention qu'aurait manifestée M. Chautemps d'attribuer à cet officier [Marchand] une nouvelle mission»(S.O.M„ M8, Roume à Archinard, 30 sept. 1895). 2. A.N., 99 API, « Journal de marche de la Mission Congo-Nil », 25 fév., 1896. 3. D.D.F., XII, n° 197, Note pour le ministre, 13 nov. 1895. 4. D.D.F., XII, n° 210, Note de M. Guieysse, Paris, 21 nov. 1895. 5. A.E., NS, Afr. 13, m.e. II, fol. 34-37, Guieysse à Berthelot, Paris, 30 nov. 1895 6. S.O.M., M42, et Afr. III, 32a, Berthelot à Guieysse, Paris, 30 nov. 1895.
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La seule condition de l'acceptation du projet était la prise en charge de l'expédition par les Colonies au point de vue financier. Ainsi au début de décembre 1895, tout semblait décidé : Marchand n'avait jplus qu'à recevoir des instructions et des crédits des Colonies. Or un combat d'arrière-garde, acharné, entre Roume et Archinard au ministère des Colonies, entre adversaires et partisans de la Mission dans l'opinion avertie des questions coloniales, devait retarder considérablement la décision attendue. De cette lutte le témoignage le plus net fut sans doute l'envoi par Marchand à Roume d'une lettre de protestation particulièrement vive, dans laquelle il proposait même de renoncer à son projet, le 26 janvier 1896, au lendemain d'une entrevue tendue entre les deux hommes 1 . Que s'était-il passé ? L'hostilité du directeur des Affaires Politiques à Marchand et Archinard était ancienne. Peu après la remise du projet, lors d'une réunion des directeurs au ministère des Colonies, il avait traité le plan dressé par Marchand d' < œuvre d'imagination » 2 . Puis, en décembre, Roume et Archinard entrèrent directement en conflit. Alors qu'Archinard le pressait de prendre position, Roume s'efforçait de freiner et demandait, avec raison, d'attendre la réception des rapports de Liotard à Paris avant de prendre une quelconque décision politique 3 . La raison de cette opposition était d'abord d'ordre personnel. Roume soutint Liotard contre Archinard et Marchand. L'envoi d'une expédition dirigée par ce dernier posait en effet un grave problème d'autorité et dès septembre 1895, Marchand avait déjà demandé clairement « quelles seraient les attributions respectives de M. le pharmacien de première classe, commissaire du gouvernement, Liotard, et du chef de la Mission » 4 . Ce que souhaitait Marchand, le projet d'instructions à Liotard rédigé en janvier 1896 par Archinard et envoyé par ce dernier à Roume pour avis, en donne une idée : c'était, en termes « diplomatiques », une mise en congé : « J'ai pensé, devait expliquer Chautemps à Liotard, que le commandement devait lui être laissé [à Marchand]... Le long séjour que vous avez fait dans l'Oubangui me fait espérer que vous ne regarderez pas comme pénible pour vous un déplacement qu'impose un changement de la politique à suivre. Je compte d'ailleurs vous prouver que le gouvernement sait apprécier les services que vous avez rendus, et je ne me bornerai pas aux félicitations que je vous envoie aujourd'hui. Après avoir remis au capitaine Marchand les fonctions de commandant supérieur du Haut-Oubangui vous retournerez au Congo vous mettre à la disposition de M. le Commissaire Général, ou vous reviendrez en France, vous aurez également soin de renvoyer en France, le capitaine Hossinger qui est plus ancien que M. Marchand et qui du reste a fini son temps de séjour. » 6
1. « Au cours de l'entretien que vous avez bien voulu m'accorder hier, vous m'avez demandé de vous exposer le but que je poursuis en sollicitant une mission au Bahr el Ghazal et ce que je comptais faire une fois arrivé chez le Mahdi... Votre interrogation m'a pris au dépourvu et quelque peu étonné car je n'ai rien fait Monsieur le Directeur, jusqu'à présent, sans auparavant être allé prendre vos conseils ou recevoir votre mot d'ordre... Devant votre volonté, M. le Directeur, devant même un simple désir de vous, je suis prêt à m'incliner et à rester... » (S.O.M., Afr. III, 32a, Marchand à Roume, Paris, 26 janv. 96.) 2. A.N., 99 API, « Journal de marche de la Mission Congo-Nil », 25 fév. 1896. 3. S.O.M., Gabon, IV, 14, Note pour la direction de la Défense, Paris, 12 déc. 1895. 4. S.O.M., Afr. III, 32a, Note ajoutée au projet du 11 sept. 1895. 5. S.O.M., Afr. III, 32, Projet d'instructions à Liotard rédigé par Archinard, Paris, janv. 1896. Le capitaine Hossinger était alors en route pour Tamboura.
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Ces instructions de janvier 1896 ne furent pas envoyées et celles que signa Pierre Guieysse le 25 février 1896 soumirent expressément Marchand à Liotard. Mais le projet d'Archinard est cependant fort significatif. Certes, il témoigne de l'intention d'éviter sur place un affrontement entre anciens et nouveaux, entre Victor Liotard chargé par Brazza depuis les débuts, en 1890, de la pénétration française en Oubangui et un jeune officier tout nouveau en Afrique Centrale, dont les idées étaient fort arrêtées. Mais d'autres considérations inspirèrent Archinard. L'envoi de Marchand aurait permis de transformer le Haut-Oubangui en un commandement supérieur militaire, ouvert aux ambitions des jeunes officiers. En même temps, c'eût été l'occasion d'une revanche sur les € civils » dont la victoire au Soudan avait abouti, en 1893, à l'éviction d'Archinard au profit du « répugnant Grodet » pour reprendre une expression favorite de Marchand et de ses compagnons. Un arrière-plan de rivalité entre civils et militaires apparaît donc dans la genèse de la Mission Marchand. Les démêlés bruyants de Marchand avec Brazza et Dolisie en 1896, beaucoup plus feutrés avec Liotard en 1897, donneront à cette rivalité une grande importance au cours du déroulement de la Mission. On peut penser que Marchand, appuyé par Archinard, avait alors visé très loin, peut-être la création d'un grand gouvernement territorial. Toutefois : « Je n'ai jamais rêvé d'un gouvernement, écrivait-il à Roume en janvier 1896... Créer une colonie ou en organiser une embryonnaire et la garder jusqu'à la remise à l'autorité administrative je veux bien et je crois que je puis m'acquitter de la tâche; l'administrer, même avec un1 titre quelconque, je crois aussi que ce n'est plus mon affaire... pour le moment du moins.» Cette protestation paraît suspecte et Marchand n'a peut-être pas renoncé entièrement à des intentions cachées ; il est curieux de constater ainsi que son grand rapport de Mission porte, sur sa première partie, un cachet « Afrique Centrale Française, Mission Congo-Nil ». Mais ce qui importe est la décision gouvernementale. En janvier 1896 Archinard ne cachait plus son exaspération devant la résistance de Roume qui paraît avoir freiné, en dépit du ministre lui-même, comme le montre la note fort sèche qu'il adressa au directeur des Affaires Politiques le 20 janvier : « Le ministre ayant décidé déjà de confier au capitaine Marchand la mission d'aller jusqu'au Nil ; cet officier ayant été désigné par la Marine pour partir le 25 février; l'entente étant faite entre les départements des Colonies et des Affaires Etrangères au sujet de cette mission, il ne me paraît pas qu'il y ait lieu de revenir en arrière. » Ce fut l'occasion de vider la querelle : Archinard exposa carrément dans cette note la raison fondamentale de son opposition à Roume. Au-delà de la rivalité entre civils et militaires, il s'agissait bien de la politique générale à suivre sur place ; Archinard prit parti contre celle de Liotard qui n'avait que « l'apparence pacifique » et qui aboutirait à un échec devant les Mahdistes et par conséquent à un échec de toute la politique française du
1. S.O.M., Afr. III, 32b, Marchand à Roume, Paris, 26 janv. 1896.
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Nil < à moins qu'à ce moment la question d'Egypte ne soit résolue d'ellemême... » 1 Du côté de Roume le soutien apporté à Liotard reflétait d'abord la méfiance profonde du « civil » en face des ambitions des militaires, bien sûr. Mais après la réception à Paris en décembre 1895 de plusieurs rapports considérables de Liotard, cette méfiance devint une hostilité déclarée au plan d'action proposé par Marchand. Un long document, intitulé « Examen du projet de mission préparé par M. Marchand », que Roume rédigea à la fin de janvier 1896, révèle bien cette hostilité et ses motifs. Cet examen du projet Marchand est une réponse directe à Archinard. Il est entièrement fondé sur un rapport d'une importance capitale envoyé par Victor Liotard, avec une série de « notes du Sultan Zémio », le 1 er août 1895, de la résidence même de Zémio. Ce rapport dut parvenir à Paris sans doute durant la première semaine de décembre 1895 . Grâce à lui, Roume, puis Archinard, purent avoir une idée plus précise de la situation locale. Depuis l'arrangement franco-congolais d'août 1894, la situation sur place s'était profondément modifiée. Dès la fin de l'année, avant même l'arrivée sur place de Liotard qui n'atteignit le M'Bomou qu'en avril 1895, les Sultans Bangassou et Rafaï s'étaient ralliés aux Français et avaient accepté la création de postes ; le principal allié des Belges jusqu'en 1894, Zémio, après être entré en contact avec Liotard, avait permis la construction d'un camp fortifié français près de sa résidence le 10 juillet 1895. On ne l'apprit à Paris qu'en décembre par le rapport de Liotard 2 . Bien sûr les Belges, installés depuis 1892, s'étaient efforcés de contrecarrer l'arrivée française par la menace ou la contrainte même, après l'accord franco-congolais. Ainsi dans le Sultanat de Zémio où « de nombreux postes [belges] venaient d'être établis dans le nord jusqu'au Bahr el Homr, quand on apprit tout à coup l'annonce de la colonne Monteil, on engagea à plusieurs reprises Zémio à interdire l'accès de son pays aux troupes françaises qui devaient trouver devant elles un pays dépourvu de vivres et de plantations » 8 . Mais, selon Liotard, en 1895, les Sultans, surtout Zémio, étaient las des Belges. Le concours demandé à Zémio par ceux-ci dans leurs opérations au Bahr el Ghazal, puis contre les divers chefs au sud du M'Bomou dans une série de guerres qui coûtèrent < plus de 600 hommes aux Zandés sans que les Belges aient tenu leurs promesses », avait achevé de décourager le Sultan ; il « finit par refuser tout nouveau déplacement et ne bougea plus » 4 . En fait, il bougea encore mais seulement pour retourner sur la rive droite du M'Bomou et se rapprocher des Français en 1895. 1. S.O.M., Gabon-Congo, I, 49b, Note pour la 1 " Direction, le colonel Archinard, directeur de la Défense, à Roume, Paris, 20 janv. 1896. 2. S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14, et M42 (copies). La date d'enregistrement à Paris du rapport de Liotard n'est pas signalée. Cependant, d'une part les courriers de Zémio à Paris mettaient environ 4 à 5 mois, d'autre part le rapport du 1 e r août est signalé dans la « correspondance des bureaux » du ministre de septembre à décembre 1895. 3. S.O.M., M42, Rapport Liotard du 1 er août 1895, fol. 6. 4. S.O.M., M42, pièce jointe au Rapport Liotard du 19 août 1895 : « Etat des indigènes du Sultan Zémio Tikma morts dans le voyage entrepris par le commandant Van Kerckhoven et le commandant Milz partis du M'Bomou pour le Bahr el Djebel ». Traduit de l'arabe par l'interprète militaire J. Grecht, à Zémio, 27 juil. 1895.
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Enfin, la menace mahdiste contribua aussi à l'entrée des Zandé dans la sphère d'influence française, les Belges ayant dû évacuer leur fort de la vallée de l'Adda devant les bandes d'El Catim. Dès avril 1896, Liotard notait le désarroi des chefs Zandé les plus exposés aux confins du Bahr el Ghazal : « Ils [les Mahdistes] inspirent une profonde terreur aux Zandés et tout récemment Bandassi, tributaire de Rafaï, exprimait ses craintes très vives d'une irruption prochaine des Derviches sur son territoire. » 1 E n juin, les Mahdistes occupèrent la région de D e m Ziber et battirent le Fégui A h m e d et N a c e u r Andel (ou Nacer), petits potentats de groupuscules plus ou moins arabisés, les Feroge et les Niogorgoule, installés dans les zones limitrophes du D a r Fertit et du Bahr el G h a z a l 2 . Ceux-ci après avoir fui vers le Mangayat demandèrent protection à Z é m i o 3 . Avec ses « 2 000 fusils environ dont 200 Albini et 300 Chassepot fournis p a r l'Etat Indépendant, 200 Remington provenant du Soudan égyptien et le reste en fusils matricule 1892 » 4 , Zémio devint u n arbitre ambitieux et le seul protecteur possible : « Les habitants du Dar Kreish, du Mangayat et de Ziber ont plusieurs fois sollicité l'appui de Zémio, écrivait Liotard. Celui-ci disposé à les protéger désire voir le Fégui Ahmed et le sultan Naceur s'établir à proximité du Mangayat. Leurs forces jointes à celles de Zémio formeront une barrière que les Derviches franchiront difficilement. Enfin, les difficultés des Mahdistes au Ouadaï où le chef Mahmoud, second du Calife Abdoulaye, aurait été tué par les Arabes de l'ouest permettait d'envisager un répit dans les raids mahdistes dont Zémio pouvait profiter pour étendre ses possessions au nord et s'emparer de Dem Ziber objet de sa convoitise. » 5 Pour réaliser ses ambitions, Zémio avait besoin de l'aide des Français. Liotard sut en profiter. Les pièces annexées à son rapport du 1 e r août montrent qu'après une première tentative infructueuse de Zémio pour entrer en contact avec le lieutenant Vermot avant l'arrivée de Liotard, le Sultan répondit avec empressement aux avances d u Commissaire d u Gouvernement français : « Si tout d'abord il [le lieutenant Vermot] m'avait fait connaître que vous veniez, le poste serait terminé il y a longtemps. Demandez-lui s'il y a là de ma faute ou de la sienne. Voilà à quoi est dû le retard. Les Belges disent que je suis un fou, que je ne connais pas le monde. Je serai ici quand vous viendrez, vous verrez très bien si je suis fou, vous me connaîtrez. Le fou ne connaît rien et le malade se reconnaît à son œil. » •
1. S.O.M., M42, Rapport Liotard du 1 e r août 1895, fol. 5. D'après Liotard, VanKerckhoven avait promis 2 000 fusils à Zémio. 2. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61a, Rapport Liotard du 28 avril 1895, à Ouango-Mbomou; enregistrement à Paris, 23 sept. 1895. 3. S.OM., M42, Rapport Liotard du 1« août, fol. 8. 4. Ibid., fol. 9-10. 5. Ibid., fol. 9-10. 6. Ibid., pièce jointe au Rapport Liotard du 1 " août 1895. « De la part de sa seigneurie le très cher, l'éminent, le sultan Zémio Tikma au grand commandant des Français, le 6 du mois de Dahi Et Tani (28 juin 1895) », traduction par l'interprète militaire J. Grecht.
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Une politique commune fut alors très rapidement mise au point afin de poser les jalons d'une installation des forces de Zémio et de l'influence française à la fois, aux confins du Bahr el Ghazal. Dès le 19 juillet, tout en annonçant qu'il acceptait d'ouvrir ses territoires aux réfugiés, Zémio invitait discrètement le Fégui Ahmed et Naceur Andel, à se rallier ouvertement aux Français : « Bangassou, Rafaï et moi, toi et Naceur aussi, sommes sous la protection des Français; ceux-ci sont chez nous. Ce sont de véritables chefs et leur façon de gouverner est différente de celle des Belges. Ils nous plaisent beaucoup, et tout ce qu'ils disent de faire est dans notre intérêt... Fais savoir à Naceur les paroles des Français. » 1 Cette politique fut très rapidement couronnée de succès, comme nous l'apprennent les documents que reçut Roume après décembre 1895. Dès cette époque, le Fégui Ahmed et Naceur Andel s'étaient déclarés prêts à coopérer avec les Français : « Moi, vous et Naceur Andel, écrivait le Fégui Ahmed à Zémio, serons leurs amis. » 2 Ces avances n'empêchaient d'ailleurs pas Naceur Andel et le Fégui Ahmed de jouer double jeu en prenant des assurances aussi bien du côté Mahdiste que du côté Zandé. Quoi qu'il en soit Zémio devint le pivot du « dispositif diplomatique » de Liotard et lorsque Roume rédigea son examen du projet Marchand en janvier 1896 en se fondant sur le rapport du Commissaire du Gouvernement datant d'avril 1895, celui-ci avait obtenu des résultats décisifs non seulement vers le nord mais aussi vers l'est, à partir de Zémio et avec l'aide du Sultan. Vers le nord, des relations officielles directes avaient été établies entre les Français et les petits potentats. En décembre 1895, Liotard et Zémio reçurent plusieurs lettres du Fégui Ahmed. Celui-ci comptant sur un secours des Français les informait des intentions des Mahdistes : « Vous êtes le chef aimé et vous donnez la quiétude aux créatures... Rattrapez-nous avec vos armées pour nous secourir... Nous ferons les premiers la guerre. Ils ont entendu parler de vous et connaissent votre présence dans ces régions, leur but est d'aller s'établir à Hoffrat en Nahas avant vous. Hâtezvous à atteindre ce but avant eux. » 3 Toutefois, avec ses très faibles moyens, Liotard ne pouvait entreprendre de campagne. Il dut en avertir le Fégui Ahmed et expliquer clairement les buts et les limites de sa politique. « Vous êtes retourné dans votre pays, et voilà maintenant que vous me demandez de marcher avec vous contre les Derviches. Je ne puis satisfaire vos désirs, ni partir à la conquête du
1. Ibid., pièce annexe au Rapport Liotard du l 8 r août 1895, « De la part du Sultan Zémio Tikma au Fégui Ahmed Moussa », traduction par l'interprète J. Grecht, 19 juil. 1895. 2. S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14, Lettre du Fégui Ahmed au Sultan Zémio, arrivée à Zémio 1 er août 1895. 3. S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14, traduction d'une lettre du Fégui Ahmed à Liotard, arrivée à Zémio le 28 déc. 1895.
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Darfour. Le gouvernement de la France nous a envoyés pour faire alliance avec les Sultans qui vivent dans la paix et veulent ouvrir leur pays au commerce européen. Il n'a jamais eu affaire ni de près, ni de loin aux Derviches et je ne vois pas pour quelle raison ceux-ci seraient nos ennemis. » 1 Liotard ne perdait donc pas de vue la possibilité d'un accord avec les Mahdistes. Toutes les possibilités d'entente furent explorées d'ailleurs par le Commissaire Général en cette fin de l'année 1895. Ainsi, profitant des relations de parenté entre Ziber Rahma, exilé au Caire, et Zémio dont une sœur avait suivi le célèbre marchand en Egypte, Liotard lui fit écrire par l'intermédiaire de la Porte en décembre 1895 2 . La réponse de Ziber, encourageant Zémio à collaborer avec les Français, ne devait transiter par San Stéfano qu'en août 1 8 9 6 3 . Cette diplomatie lointaine ne pouvait donc rapidement porter ses fruits. Aussi avec l'aide de Zémio, c'est vers l'est, vers le Sultanat de Tamboura, que Liotard orienta surtout son action. E n septembre 1895 dans une lettre à Zémio, Tamboura avait lui-même invité les Français à prendre contact avec lui4. A la fin de décembre 1895 c'est une invitation directe de Tamboura Rioua « à la Seigneurie de notre excellent ami, Maître de mon bien, Monsieur le Français de se mettre en route pour venir dans ma région » s . L'aboutissement de cette politique sera l'installation à Tamboura d'un poste français confié au capitaine Hossinger après la signature d'un traité de protectorat avec le < Sultan » le 16 février 1896 6 . Bien sûr lorsque Roume décida de s'opposer ouvertement au projet Marchand, en janvier 1896, il n'était en possession que d'une partie de ces informations. Mais le rapport de Liotard du l®r août 1895 reçu en décembre indiquait clairement les buts poursuivis et déjà en partie réalisés au début de 1896 : « Ziber est la clef du Bahr el Ghazal comme Lado est celle du Nil. La route du Ziber à Djour Ghattas conduit en moins d'un mois à la Meschra au point d'atterrissage des vapeurs qui orientent Khartoum. La puissance qui posséderait cette route, tiendrait en même temps le débouché de tout le commerce du Soudan central sans lequel la possession du Nil n'aurait qu'une utilité rela tive. » 7
1. S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14, Liotard au Fégui Ahmed, Zémio, 30 déc. 1895. 2. S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14, Zémio à Ziber Rahma, Zémio, 15 déc. 1895. 3. A.E., NS, Afr. 14, m.e. II, fol. 100-103, San Stéfano, 28 août 1896. 4. « Les Belges sont restés des années dans votre région, je n'ai rien vu de vous; actuellement les Français sont dans votre pays et je ne vois rien d'eux. » Dans sa lettre originale, Tamboura avait écrit « les Anglais » car on s'attendait dans le Haut-Nil à l'arrivée des Anglais annoncés partout officiellement, par les officiers de l'Etat Indépendant. L'arrivée des Européens quels qu'ils soient était donc souhaitée par les potentats africains de cette partie de l'Afrique. (S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14, Tamboura Rioua à Zémio Tikma, Zémio, 19 sept. 1895.) 5. S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14, Tamboura Rioua à Liotard, 23 déc. 1895 à Zémio. 6. A.N., 149 AP2, « Contrat entre le gouvernement français et le Sultan Tamboura Rioua », 16 févr. 1896, et A.E., NS, Afr. 14, m.e. II, fol. 95-98, id„ textes français et arabe. 7. S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14, et M42, Rapport Liotard du 1 er août 1895, fol. 11.
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L'espoir de Liotard était donc « d'entamer » le Soudan égyptien par la route de D e m Ziber au nord et par le Sultanat de Tamboura, à l'est. Son action se voulait par ailleurs uniquement diplomatique, donc peu coûteuse en hommes et en argent grâce au concours des Sultans. Elle ne nécessitait que le prix d'une nécessaire collaboration commerciale et militaire dont Liotard se faisait le propagandiste éloquent en août 1895. Dans le domaine commercial, il fallait selon lui rouvrir les anciennes routes vers le Darfour et le Ouadaï, dont on espérait la collaboration, et vers le Nil, grâce aux Sultans. Le Soudan central serait alors < en bonne voie de préparation pour recevoir le flot commercial arrivant par l'Egypte lorsque les succès de notre diplomatie en auront éloigné les influences étrangères » Dans le domaine militaire, il affirmait que « le concours des divers Sultans nous est acquis quand nous aurons à tenter une action sur les limites de leurs territoires » 2 . Il demandait donc la fourniture de 2 000 mousquetons à titre de prêt aux Sultans car « la première condition de réussite est d'armer nos protégés et nos alliés » 3 ; il sollicitait aussi la relève du détachement Decazes et son remplacement par quatre compagnies *. Roume f u t séduit par ce plan d'action. Il le qualifia de « politique raisonnée qui se poursuit avec méthode, qui a déjà donné des résultats et qui doit nous assurer l'accès du Nil » 5 . Il l'opposa au projet Marchand soutenu par Archinard, qui risquait « tout autant que la politique Liotard de mener à u n affrontement avec les Derviches, sans qu'on puisse compter sur le concours des Sultans », en raison de l'installation des forces françaises à Bandassi. Il s'efforça donc de convaincre le ministre de continuer la « politique de M. Liotard ». En même temps, il prit à parti les idées de ses adversaires car, affirma-t-il, « il y a des raisons sérieuses pour que le projet de M. Marchand ne puisse être adopté » 6 . Sur le plan politique, il serait désastreux de ne plus soutenir les potentats du M'Bomou après avoir tant recherché leur coopération 7 . D e plus si, comme l'affirmaient Archinard et Marchand, la politique traditionnelle de la France est bien une politique amicale vis-à-vis des Musulmans, il ne faut pas en exclure les Sultans qui sont, « le fait est établi par les rapports de M. Liotard, ... des Musulmans, moins fanatiques mais peut-être aussi sincères que les partisans d u Mahdi » 8 . La critique était ici très faible. Elle révèle bien l'insuffisance de « l'information ethnologique » des bureaux parisiens. Parce que Liotard avait rapporté
1. Ibid., fol. 12. 2. Ibid., fol. 14. 3. Ibid., fol. 17. 4. Ibid., fol. 17. « Il ne faut pas oublier, ajoute Liotard, que le territoire de Zémio est occupé par quarante hommes seulement et que les miliciens du détachement Decazes tous libérables et voulant être libérés ne peuvent être employés à l'extension vers l'est. » 5. S.O.M., Afr. III, 32a, Examen du projet Marchand, janv. 1896, fol. 2. 6. Ibid., fol. 8. 7. « Ils ne pardonnent pas aux Belges de les avoir traités avec légéreté... Si après avoir engagé les différents chefs de la région du M'Bomou à résister aux Derviches nous traitions avec ces mêmes Derviches, Rafaï, Zémio, etc., ne se l'expliqueraient pas et ne nous pardonneraient pas. » Ibid., fol. 10. 8. Ibid., fol. 8-9.
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que les chefs Zandé portaient parfois des « habits musulmans », qu'ils entretenaient auprès d'eux des interprètes (conseillers arabisés chargés de traduire les correspondances en arabe et de les dater selon le calendrier musulman), qu'ils s'octroyaient le titre de « Sultan », qu'ils entretenaient depuis très longtemps des relations commerciales et politiques avec les puissances musulmanes, l'administration égyptienne, les marchands khartoumiens, les Mahdistes enfin, qu'ils avaient même dû leur céder quelquefois soit une fille, soit un fils, on conclut abusivement à Paris à l'islamisation des Zandé et des Nzakara A ces critiques d'inégale valeur, Roume en ajouta cependant une autre beaucoup plus grave car elle mettait en cause toute la conduite diplomatique poursuivie par la France. « L'accès au Nil tel que le conçoit le capitaine Marchand, estimait-il, menace de nous être toujours inutile ou de nous être toujours contesté car il est situé dans une zone que les firmans de la Sublime Porte (13 février 1891, 14 avril 1892) considèrent comme rentrant dans les dépendances de l'Egypte... » Au contraire la politique de Liotard permettait l'acquisition d'un accès au Nil, « à l'abri d'une influence indigène échappant au pouvoir des Mahdistes, dans une région où la France ne reconnaîtra d'autre domination que celle du Sultan Zémio... » 2 C'était donc, en langage clair, l'abandon de la fameuse « politique des gages » et de Fachoda comme objectif à atteindre, que proposait Ernest Roume en janvier 1896. Le réquisitoire du directeur des Affaires Politiques se terminait par une critique acerbe des prévisions financières de Marchand et d'Archinard. Ce dernier dans son projet de relève des troupes du Haut-Oubangui avait proposé d'affecter 200 000 francs par an à la Mission Marchand, sur le crédit annuel d'un million concédé à Liotard, le reste de la subvention étant consacré aux dépenses d'occupation de la colonie. Mais ces frais d'occupation avaient été calculés en omettant purement et simplement une partie d'entre eux ; certaines soldes, par exemple celles des administrateurs Comte et Bobichon (à qui la Mission devra tant plus tard), ou encore les achats de cadeaux et d'armes demandés par les Sultans, avaient été oubliés. Or Liotard évaluait, en 1895, à 599 589 francs les seules dépenses ordinaires de l'Oubangui pour l'année 1896. Par conséquent le dépassement de crédit était inévitable. Comme les 800 000 francs offerts à Liotard, les 200 000 francs affectés à la Mission Marchand seraient insuffisants : à eux seuls les préparatifs du départ s'élevaient déjà à plus de 350 000 francs 3 . Aussi Roume conclut-il par un refus. On comprend que, mis au courant, Marchand lui ait adressé, le 26 janvier, une lettre de protestation dont nous connaissons déjà le ton chargé d'amertume 4 . Il était toutefois trop tard pour empêcher le départ. Les ministres s'étaient décidés malgré la résistance du chef des Affaires Politiques : le 3 février, Guieysse conféra avec Marchand et le mardi 11 février, les chefs des Affaires
1. Toutefois le Fégui Ahmed et Naceur Andel, chefs des Feroge et des Niogorgoule, semblent avoir épousé la cause mahdiste à ses débuts. 2. S.O.M., Afr. III, 32a, Examen du projet Marchand, fol. 10. 3. Ibid., fol. 11-12. (357 920 francs.) 4. Voir p. 42, note 1. •
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Etrangères et des Colonies présentèrent le projet en c o n s e i l M a i s si le départ de Marchand était décidé, le contenu de ses instructions ne l'était pas encore.
II. LES PÉRIPÉTIES DU DÉPART (FÉVRIER-JUIN 1896)
L'envoi de la Mission Marchand devait s'effectuer par étapes pour ne pas éveiller l'attention et permettre le fractionnement des envois de matériel. La mise en route ne commença qu'à la fin avril et dura jusqu'à la fin juin. Or de février à juin, il y eut deux séries d'instructions concernant la Mission, celles du ministère Léon Bourgeois, celles du ministère Méline. Entretemps, la situation en Afrique s'était profondément modifiée. Les instructions signées le 24 février 1896 par Guieysse et adressées à Marchand, Liotard et Brazza, montrent que le combat d'arrière-garde de Roume ne fut pas livré en vain. Elles furent d'ailleurs rédigées par le directeur des Affaires Politiques ; il reprit donc textuellement une partie de son « examen du projet Marchand ». Aussi bien elles ne correspondirent pas du tout aux vœux du capitaine qui était expressément soumis à l'autorité de Liotard : « Il m'a paru nécessaire de subordonner votre action aux vues du Commissaire du Gouvernement qui conservera la haute-main sur la ligne politique à suivre dans le pays et sous les ordres et la direction de qui vous vous trouverez. » En particulier, « il demeurera libre de désigner, après en avoir conféré avec vous, la route par laquelle iljugera que vous aurez le plus de chances d'arriver sans encombre au Nil; il aura également la faculté de retarder, s'il le juge à propos, le départ de l'expédition; enfin c'est à lui qu'incombe le soin de prendre sous sa responsabilité toutes les décisions d'ensemble relatives à votre mission. Si celle-ci lui semblait devoir échouer en raison de l'état des pays à traverser, ou s'il craignait que les conditions pacifiques dans lesquelles elle doit s'effectuer ne fussent absolument irréalisables, M. Liotard est autorisé à en empêcher l'accomplissement toujours sous sa responsabilité et après vous avoir exposé les raisons de sa décision. » 2
Que reste-t-il donc du projet Marchand ? En apparence, bien peu de choses. On ordonnait simplement à Marchand d'aller se mettre au service de Liotard afin de le seconder dans son action pour atteindre le Nil par le M'Bomou et le Bahr el Ghazal, avec le concours des Sultans de l'est Oubangui. Sur le plan financier, Marchand vit aussi ses espérances déçues. Roume ne lui accorda pas ce qu'il avait demandé : 357 920 francs, pour la mise en route de l'expédition. Il dut se contenter de 329 000 francs 3 . Les 28 000 francs de différence furent consacrés à l'achat de cadeaux pour le Sultan Rafaï (1 000 francs) et aux soldes des administrateurs Comte et Bobichon, « oubliés » par Archinard. Ces soldes devaient à nouveau être 1. A.N., 99 API, « Journal de marche de la Mission Congo-Nil », 25 fév. 1896. 2. S.O.M., M42, Le ministre à M. Marchand, capitaine d'Infanterie de Marine, Instructions, Paris, 24 févr. 1896, et A.E., NS, Afr. 13, m.e. I, fol. 51-55, Ministre des Colonies, à ministre des Affaires Etrangères, Paris, 24 févr. 1896. (Guieysse explique et justifie l'infléchissement... des instructions données à Marchand.) 3. Cependant, cette réduction se fit d'accord avec Marchand.
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imputées sur le budget de la Mission en 1897 et 1898. Enfin, le directeur des Affaires Politiques mit sévèrement Marchand en garde contre les dépassements : « Il est indispensable que le total de vos dépenses... ne dépasse pas le chiffre de 600 000 francs. J'y tiens essentiellement. » La rancœur et la colère du chef de mission n'ont donc rien d'étonnant au reçu de telles décisions. Le 25 février il tempêtait longuement contre Roume, « un profond politique dont le silence et les attitudes sybillines sont des signes de profondeur diplomatique », et exprimait violemment sa désillusion : « Les instructions, du premier mot jusqu'au dernier, sont, non pas des instructions de confiance, d'encouragement pour l'exécuteur, mais un effroyable monument de protection pour la Direction Politique et Commerciale... Sous prétexte de l'intérêt de la Colonie du HautOubangui ils me mettent, moi, chef de Mission au Nil, sous les ordres de M. le pharmacien Liotard, Commissaire du Gouvernement dans le Haut-Oubangui... Comme M. Liotard suit une ligne politique radicalement contraire et opposée à celle qui doit être la mienne et qui est approuvée et couverte par la diplomatie française [souligné par Marchand], il est bien évident qu'il jugera que l'intérêt de la Colonie s'oppose à ce que ma mission s'accomplisse. Ce qu'auraient dû être les instructions ? En résumé, 'Partez, nous comptons sur vous... Brazza et Liotard vous appuiront.' » 1 Ainsi Marchand déclarait partir « découragé avant d'avoir commencé ». Toutefois les instructions destinées à Liotard montrent que si Marchand avait perdu sur le terrain de la tactique à adopter, il l'emportait sur les buts. Roume en fournit témoignage dans les directives qu'il adressa au Commissaire du Gouvernement dans le Haut-Oubangui : « Je dois appeler tout spécialement votre attention sur le prix qu'attache le gouvernement à voir se réaliser le programme de M. Marchand, sinon dans son intégralité, au moins dans ses grandes lignes, et qu'il tient essentiellement à ce que le 'raid' qu'il avait l'intention de tenter soit exécuté. » a Quant au but du raid, il s'agissait « de se créer, dans la région du Nil Blanc, des alliances sérieuses et des titres indiscutables pour le jour où viendra à être réglé le sort de ces provinces » 3 . C'est bien l'objectif du projet de Marchand. Le reste du texte destiné à Liotard reprenait les prévisions financières déjà exposées à Marchand. Les instructions envoyées le même jour à Brazza furent seulement financières. Brazza, en France en août 1895, avait bien été consulté par Archinard au sujet de la relève de l'Oubangui, mais il semble avoir été tenu
1. A.N., 99 API, « Journal de marche de la Mission Congo-Nil », Paris, 25 fév. 1896. 2. S.O.M., Gabon-Congo, 1,61b, Guieysse à Liotard, Paris, 24 fév. 1896, « Mission Marchand, Instructions. » Bien que signée par Guieysse, la rédaction de ces instructions est de la main de Roume. 3. « En ce qui concerne les ménagements à observer avec Rafaï et Zémio d'un côté, avec les Mahdistes de l'autre pour faire accepter à tous notre intervention, ajoutait Roume, je ne puis que faire appel à votre tact et à votre prudence et vous laisser le soin d'arrêter la ligne de conduite à suivre de concert avec le capitaine Marchand, qui a également une grande connaissance des Noirs, et à qui je donne des instructions particulières. » lbid.
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à l'écart des discussions qui entourèrent alors la genèse de la Mission Marchand. Certes, il est difficile de croire qu'il ne fut pas au courant ; cependant il ne paraît pas avoir participé à l'élaboration du plan d'expédition. Aussi les ordres qui lui sont adressés en février 1896, peu après le retour de Brazza à Libreville, ne sont qu'un exposé « des combinaisons financières auxquelles s'est arrêté le ministre pour faire face aux dépenses de l'expédition » 1 . Le ministre ne pouvait disposer en effet pour la Mission que d'une somme de 200 000 francs prise sur la subvention métropolitaine annuelle d'un million à l'Oubangui. Mais il fallait envisager 350 000 francs de dépenses immédiates : mise en route de la Mission et soldes des administrateurs « oubliés ». Roume imagina, dans ces conditions, d'imputer toutes les dépenses de l'Oubangui, Mission Marchand comprise, au budget local du Congo Français, et de verser la subvention destinée à Liotard au compte du Congo Français en 1896, 1897 et 1898. Cette dernière colonie fut donc chargée d'avancer l'argent nécessaire à l'expédition, contre la promesse d'une récupération ultérieure étalée sur trois ans et l'assurance renouvelée que la Mission ne dépasserait pas 600 000 francs au total, donc 200 000 francs par an. La Mission Marchand ne devait décidément pas coûter cher. De plus elle ne devait pas occasionner de débat, nuisible à son « secret », à la Chambre. Les instructions une fois rédigées et envoyées, Marchand ne partit cependant pas immédiatement. Il lui fallait maintenant préparer matériellement sa Mission. Il ne put le faire qu'à partir du 1 er avril, date à laquelle il reçut ses crédits. Or, en mars et avril 1896 deux événements décisifs pour la Mission se produisirent : le 12 mars 1896, Salisbury annonça à l'ambassadeur de France à Londres, l'expédition de Dongola, c'est-à-dire la « marche en avant » vers Dongola de l'armée égyptienne de Kitchener ; le 23 avril, le ministère Bourgeois capitula devant l'hostilité du Sénat français à sa politique extérieure. L'expédition de Dongola fut présentée, on le sait, comme une conséquence de la victoire éthiopienne d'Adoua (1" mars 1896) sur les Italiens. La crainte d'un rapprochement entre les Abyssins et les Derviches et d'une offensive de ces derniers joua certainement 2 . Celle des menaces françaises sur le Nil ne semble pas avoir été déterminante. Le bruit des préparatifs d'une nouvelle mission française en Afrique Centrale commençait bien à filtrer mais on la croyait généralement limitée au Haut-Oubangui 3 . Cependant Adoua était, comme l'écrivit Salisbury à Cromer, une occasion de faire « d'une pierre, deux coups » : « We desired to kill two birds with one stone, and to use the same military effort to plant the foot of Egypt rather farther up the Nile. » 4 Sans entraîner d'opposition violente en Angleterre, une
1. Ibid., Guieysse à Brazza, Paris, 24 fév. 1896. Cf. G.N. SANDERSON, « Foreign Policy of the Negus Menelik», The Journal of African History, pp. 87-97. 3 . ROBINSON, GALLAGHER et DENNY, op. cit., p. 3 4 8 , et SANDERSON, Europe England, and 2.
the Upper Nile, op. cit., pp. 243-244.
p.
4 . Salisbury 348.
à Cromer,
13
mars
1896,
cité par
ROBINSON, GALLAGHER
et
DENNY,
op. cit.,
L'ÉCHO
DU
PROJET
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pénétration brutale et ouverte par le nord vint donc relayer la discrète avance des Anglais par le sud. Quoi qu'il en soit l'expédition de Dongola mit fin à la détente apparente des rapports franco-anglais depuis le printemps 1896. Après un moment d'hésitation dû à la maladresse diplomatique de Berthelot, Félix Faure et Bourgeois prirent les choses en main, et ceci avant même la démission forcée du ministre-savant et son remplacement par Léon Bourgeois, le 28 mars 1896 1 . Le 15 mars l'Angleterre avait demandé à Berthelot d'autoriser l'agent français à la Caisse de la Dette, à voter une avance de 50 000 £ nécessaires pour financer l'expédition faite au nom de l'Egypte 2 . Avec l'appui russe, la France entama alors une politique d'obstruction financière. Mais elle ne put éviter, le 25, l'ouverture d'un crédit de 200 000 £ par la Caisse de la Dette dont trois représentants sur cinq suivirent l'Angleterre. Une stérile et longue bataille judiciaire commença alors au tribunal mixte devant lequel les porteurs de titres assignèrent le gouvernement égyptien et la Caisse de la Dette. L'Angleterre l'emporta. Toutefois sa victoire ne fut pas totale, et le 11 avril Lord Dufferin, représentant de la Grande-Bretagne à Paris, sentit la nécessité de transmettre à Léon Bourgeois des apaisements de son gouvernement : « There is no intention of sanctionning any rash adventure and they Des membres du gouvernement] see no reason why the advance which will be made with ail due prudence, should be pushed beyond the limits which they have indicated. » 3 Cette décision anglaise de marche en avant, même limitée, accéléra-t-elle les préparatifs de la Mission Marchand ? Dès les premiers jours de son arrivée aux Affaires Etrangères Léon Bourgeois s'informa auprès des Colonies. Il donna alors son accord à la politique suivie mais félicita en même temps Guieysse de sa prudence : il rappela les « incertitudes » et les « risques » d'une action dans le Haut-Nil. De plus la menace d'une action anglo-belge semblait se préciser dans cette région avec les préparatifs de l'expédition Dhanis vers Lado 4 . Aussi dans sa réponse, Guieysse annonça qu'il donnerait des instructions complémentaires à Marchand lui recommandant la « plus extrême prudence » et une soumission entière à Liotard. Mais, ajoutait-il, c rien ne semble annoncer un repli nécessaire des Français vers le Congo » 5 . Léon Bourgeois soutint donc d'abord mollement le projet. Mais ce soutien semble s'être affermi rapidement après l'intervention personnelle de Marchand. Celui-ci fut sans doute introduit auprès de Bourgeois par le fils de ce 1. Cf. BERGE et FAURE, op. cit. En fait depuis novembre 1895, Berthelot ne s'occupait plus activement de son ministère. Pendant la crise franco-britannique de mars 1896, les décisions sont prises en Conseil des Ministres ou dans le cabinet de Félix Faure lui-même. Berthelot ne laisse que des « brouillons informes » (F. Faure) pour Nisard et Lyon son chef de cabinet. Cependant jusqu'au 27 mars Berthelot s'accrocha à son portefeuille. 2. A.E., NS, Egypte-Soudan 26, fol. 8. Dufferin à Berthelot, 15 mars 1896. Selon les Anglais, ceux-ci possédaient 43 millions de livres et les Français autant, sur les 96 millions représentant la Dette égyptienne. 3. A.E., NS, Egypte-Soudan, 21, fol. 123,129, Salisbury à Dufferin, Londres, 10 avr. 1896. 4. S.O.M., Afr. III, 32b, Bourgeois à Guieysse, Paris 7 avr. 1896. 5. S.O.M., Afr. III, 32b, Guieysse à Bourgeois, Paris, 16 avr. 1896.
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MISSION
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dernier, dont il était a m i 1 . « J'ai été appelé à ce moment, écrivit plus tard Marchand à Liotard, plusieurs fois par M . Bourgeois. » 2 Or l'une des entrevues, « longue » et « très cordiale », le 18 avril, aurait abouti, au dire de Marchand, à un renforcement. Convaincu, Bourgeois aurait même promis un « bataillon entier, une batterie ou deux et des vapeurs » 3 . Sous son impulsion la Mission se serait ainsi transformée en une véritable expédition militaire, riposte à celle de Kitchener du côté anglais, à celle de Dhanis du côté belge. Marchand, non seulement aurait levé les hésitations prudentes du Président du Conseil et ministre des Affaires Etrangères, mais aurait été lui-même dépassé 4 . Cette transformation soudaine et radicale de l'attitude de Léon Bourgeois est surprenante. E n tout cas, Marchand, sûr de l'accord de Bourgeois, accéléra ses préparatifs : le 25 avril, le premier échelon de la Mission, commandé par le lieutenant Largeau, s'embarquait pour Loango. *
U n dernier épisode aurait pu annuler la Mission. Deux jours avant le départ de Largeau, le ministère Bourgeois tomba ; le Sénat avait désavoué la « mollesse » de la politique extérieure gouvernementale le 2 avril, et la Chambre avait approuvé la démission des ministres le 23. U n ministère « modéré », présidé par Jules Méline succéda à Bourgeois. Il devait durer jusqu'en juin 1898. On y retrouva Gabriel Hanotaux aux Affaires Etrangères ; Georges Cochery f u t aux Finances et André L e b o n 5 aux Colonies. Quelle fut l'attitude du nouveau ministère en face de la Mission Marchand ? Hanotaux prétendit plus tard que, sans avoir osé décommander son envoi, il en avait atténué le caractère provocateur e . Par contre André Lebon dans son livre sur La politique de la France en Afrique, affirma que « le cabinet Méline ne cessa pas un seul jour de prêter à M. Marchand tout le concours qu'il lui devait » 7 et « qu'il n'avait aucune raison de condamner et de répudier l'initiative de ses prédécesseurs » 8 . Les documents donnent raison à Lebon. Les instructions envoyées à Liotard le 23 juin 1896® n'atténuent en rien celles de février 1896. En nommant Liotard gouverneur de 4* classe hors cadre et en le maintenant dans ses fonctions, le ministre ajouta en effet : « Notre action au nord du M'Bomou va désormais entrer dans une phase décisive... Il s'agit, aujourd'hui surtout que les résultats en sont, à bon droit, appréciés, de maintenir strictement la ligne politique que, depuis près de deux années, vous suivez avec persévérance 1. C f . VERGNIOL, op.
cit.,
p p . 126-127.
2. MICHEL, op. cit., p. 52. Même témoignage dans les Souvenirs de Baratier, A.N., 99 AP3. Mais ceux-ci, écrits en 1901, sont plus suspects. 3. Ibid. 4. A.E., NS, Afr. 13, m.e. I, fol. 91-92, Note de L. Bourgeois du 18 avr. 1896. 5. Professeur à l'Ecole des Sciences Politiques, député des Deux-Sèvres et ancien ministre du Commerce dans le cabinet Ribot. 6. Cf. HANOTAUX, Fachoda..., op. cit. 7 . LEBON, op.
cit.,
p.
22.
8. Ibid., p. 13. 9. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61b, André Lebon à Liotard, Paris, 23 juin 1896, « Politique à suivre dans l'Oubangui et le bassin du Nil ».
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L'ÉCHO DU PROJET
et dont notre établissement dans le bassin du Nil doit être le couronnement... L'effort de nos rivaux européens va être, avant peu, considérable dans ces régions, pour nous distancer ou nous faire perdre le fruit de la situation que vous avez créée. » Maintenir strictement la ligne politique suivie jusqu'alors, c'était continuer la politique d'alliance avec les Sultans et chefs locaux et même établir de « bons rapports avec les Derviches » en faisait comprendre aux Zandé qu' « un accord éventuel de la France avec les Derviches... ne peut que mettre fin à des déprédations dont ils ont été si souvent victimes. Dans cette perspective, soulignait Lebon, « la mission dont est chargé M. le Capitaine Marchand ne saurait être considérée comme une entreprise militaire » et celui-ci devra « selon mes instructions expresses conformer exactement sa ligne de conduits aux indications que vous croirez devoir lui donner » André Lebon adopta donc les instructions de février 1896. Il y ajouta seulement quelques précisions concernant les Sultans, déconseilla de reconnaître Zémio comme chef suprême du Bahr el Ghazal, ce que Liotard n'avait d'ailleurs pas demandé, et proposa des cadeaux pour les souverains zandé. Il est à noter que Lebon ignorait encore la signature du traité avec Tamboura. Hanotaux était au courant de ces instructions et il les approuva puisque, dès le départ de Marchand, « il se préoccupa même de lui assurer de l'aide sur la rive droite du Nil. » 2 D'ailleurs ne fut-il pas, à son tour, séduit par le mythe du Haut-Nil depuis la publication du livre de Slatin Pacha comme semblent le témoigner les renseignements enthousiastes que rassemblèrent les services du Quai d'Orsay pour le ministre 3 . Ainsi, Hanotaux et Lebon reprirent sans la modifier la politique de leurs prédécesseurs. Tous deux s'accordèrent pour affirmer plus tard, qu'il n'était pas possible de la transformer, car expliqua Lebon en 1901, « on a quelque peine à se figurer l'émoi qui n'eût pas manqué de s'emparer du Parlement et de l'opinion si les opérations engagées eussent été brusquement interrompues J. 4 . Un dernier problème se pose donc, celui des réactions dans le pays lors de la genèse de la Mission Marchand. *
1. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61b, A. Lebon à Liotard, Paris, 23 juin 1896. Nous n'avons pu retrouver les « instructions expresses » de Lebon à Marchand; elles datent de mai 1896 d'après le rapport de mission de Marchand (S.O.M., M43, Rapport Marchand, fol. 1). Il paraît inimaginable qu'elles aient pu différer des instructions qui furent adressées à Liotard; l'existence d'un plan de mission en quatre phases, la dernière correspondant à l'annexion de Fachoda et des territoires voisins ainsi qu'à la proclamation de 1'« Afrique Centrale Française » comme l'affirme un livre paru après nos propres recherches (BROWN, op. cit., p. 52), est tout aussi inimaginable; aucune trace de ce plan, qui aurait été contraire aux instructions de Lebon, n'existe dans les archives et le projet de Marchand n'avait d'ailleurs prévu rien de semblable. 2 . LEBON, op. cit.,
p . 22.
3. A.E., NS, Afr. 13, m.e. I, fol. 60, Renseignements sur l'importance du Bahr el Ghazal d'après Slatin Pacha, note destinée au ministre, s.d. (sept. 1896). 4 . LEBON, op.
cit.,
p . 13.
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LA
MISSION
MARCHAND
Observons tout d'abord que la crainte de l'opinion dont parlait Lebon en 1901 était paradoxale dans la mesure où la préparation et les buts de la Mission du Nil étaient secrets Jusqu'en juin 1896 la grande presse ne publia aucune information importante la concernant. A u début juin il fut question d u départ prochain de Marchand mais la première information « sérieuse » parut dans Le Temps d u 25 juin. On y annonçait l'embarquement à Marseille du capitaine Marchand chargé de commander les forces du Haut-Oubangui : « Ces forces, pouvait-on lire, sont simplement destinées ¡à occuper les postes situés dans la vallée du M'Bomou... Il ne saurait être nullement question d'une opération contre les Derviches. » Les milieux « coloniaux » s'intéressaient depuis longtemps au HautOubangui. Dès la fin de 1895 le bruit courut de l'envoi d'une nouvelle mission dans cette région. Beaucoup plus que le Bulletin du Comité de l'Afrique Française dont la très grande discrétion trahit la complicité, les organes « bavards » furent La Politique Coloniale, Le Mouvement Colonial et La Dépêche Coloniale. Or, dès 1895-1896 toutes ces publications montrèrent leur franche hostilité à une aventure en Haut-Oubangui. Certes, La Politique Coloniale avait adopté une position particulièrement anglophobe en 1895. Dans une série d'articles sur l'Egypte et le Soudan, le périodique de Louis Henrique n'avait cessé d'appeler Hanotaux à la vigilance tout en le félicitant pour son œuvre coloniale 2 . Cependant à la fin de 1895, plusieurs articles attaquèrent violemment l'idée d'une expédition au Bahr el Ghazal. L'auteur de ces attaques aurait été, d'après Marchand, l'influent d'Estournelles de Constant. « La théorie des gages fut vivement critiquée dans La Politique Coloniale par un diplomate qui connut, je ne sais comment, la note du 20 octobre et le document du 16 novembre, et qui l'analysa en la blâmant dans un article fort bien fait et discret signé O. Mavilly. C'est le pseudonyme de M. d'Estournelles de Constant, député diplomate. » 3 On soupçonnait donc déjà dans les milieux coloniaux « avertis », le prochain départ de Marchand pour l'Afrique Centrale. Dès le 15 décembre 1895 Paul Combes, dans sa chronique du Mouvement Colonial, annonça d'ailleurs que « c'est le capitaine Marchand qui va être envoyé dans le Haut-Oubangui ». Cependant son envoi apparaissait encore comme un épisode de la querelle entre civils et militaires aux colonies. Tandis que Le Mouvement Colonial dénonçait les premiers, « car ils sont nocifs », La Politique Coloniale soutenait Liotard et Brazza. En juin 1896, à la veille du départ de 1. « Il est bien entendu — écrivait en avril 1896 Marchand à Mangin alors sous les ordres de Trentinian au Soudan — que vous ne connaissez pas Marchand ni sa Mission. Vous savez seulement vaguement que je commande la 12° compagnie de tirailleurs sénégalais pour l'Oubangui. » (A.N., 149 AP3, Marchand à Mangin, Paris, 24 avr. 1896.) 2. — « La France et l'Angleterre en Afrique », La Politique Coloniale, 4 et 11 avr. 1895; — « La Question du Bahr el Ghazal », La Politique Coloniale, 29 août 1895 ; — « L'Œuvre coloniale de M. Hanotaux », La Politique Coloniale, 12 nov. 1895 : « Tout le monde comprit qu'en posant ainsi la question du Haut-Nil, en juin 1894, de M. Hanotaux entendait remettre en même temps sur le tapis la question de l'occupation de l'Egypte par les Anglais. » 3. Papiers Liotard, Marchand à Liotard, Bangassou, 16 mai 1897. L'article de La Politique Coloniale est celui du 19 déc. 1895, « Le Haut-Oubangui et le Bahr el Ghazal ».
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DU
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Marchand, puis en juillet 1896, l'hostilité de La Politique Coloniale envers les militaires grandit et ce journal se livra à une démolition en règle de la politique entreprise par la France en Afrique. Le départ de Marchand, « chargé d'explorer le Haut-Oubangui », venait d'être annoncé. La Politique Coloniale commentait : « le Commissaire qui est un civil serait rappelé..., M. le Capitaine Marchand deviendrait le Commandant Militaire de l'Oubangui. Voilà le Soudan dépassé... La Mission de M. le Capitaine Marchand ouvrirait probablement dans le Haut-Oubangui une ère d'expéditions militaires » 1 . La grande crainte de certains milieux coloniaux était par conséquent celle d'une aventure politique et financière en Afrique. Le 16 juin puis le 23 juillet La Politique Coloniale revint à la charge avec virulence. Le 16 juin : « Quoi! Nous irions guerroyer dans les pays qui sont à six ou huit mois de la côte. Dans quel but, dans quel intérêt? Il paraîtrait qu'on veut ainsi hâter la solution de la question d'Egypte. Voilà une idée qui ne supporte réellement pas la discussion, ni l'examen, quand on étudie la question avec une carte d'Afrique à grande échelle. »
Le 23 juillet, après le départ de Marchand, La Politique Coloniale fut encore plus agressive et attaqua nommément Archinard : « Du côté du Haut-Oubangui, de grands événements se préparent. Les gens qui en reviennent affirment que l'expédition du capitaine Marchand est une folie qui conduira à un désastre probable... Le général Archinard, qui connaît la manière de jongler avec les millions du budget affirme que, le Soudan chasse réservée de l'Artillerie de Marine étant un peu démodé, il importe d'ouvrir à l'ardeur de jeunes officiers un nouveau champ de moisson dans le HautOubangui. M. Guieysse et son Maire du Palais ont décidé que la Mission Marchand serait la grande pensée de leur règne. » a
Enfin La Dépêche Coloniale, dont le premier numéro parut le 28 juillet 1896, se rangea immédiatement aux côtés de La Politique Coloniale. Sous la signature du député Camille Bazille, elle proclama : « Assez de conquêtes, assez d'expéditions, assez de gloire militaire... s>3, et dénonça les projets, « pures et simples chimères », des « coloniaux échauffés » dans la vallée du Nil 4 . Dès son départ la Mission Marchand rencontra donc des oppositions acharnées. Or, chose surprenante, elles vinrent de milieux coloniaux et non de la presse socialiste, silencieuse jusqu'à la fin de 1896. Ces milieux hostiles étaient ceux pour qui il n'était plus temps, maintenant, de conquérir mais d'exploiter, et qui, en 1894, déclaraient déjà que « ce n'est pas par le HautOubangui et par le Bahr el Ghazal que peut être résolue la question d'Egypte »
1. La Politique Coloniale, 2 juin 1896, « Dans le Haut-Oubangui ». 2. « Les souris dansent », La Politique Coloniale, 23 juil. 1893. L'intitulé de l'article est une allusion à la mise en congé des Chambres. 3. La Dépêche Coloniale, 3 août 1896. 4. Ibid., 4 nov. 1896. 5. La Politique Coloniale, 6 avr. 1894.
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MISSION
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Cependant jusqu'à la fin de 1896 ces critiques n'eurent pas d'écho au Parlement et dans l'opinion peu avertie des questions d'Afrique Centrale. Il fallut attendre le débat sur le vote du budget des Colonies en décembre 1896 pour que le député Camille Bazille demandât, avec beaucoup de mordant, mais en vain, des explications sur la politique française dans le Haut-Oubangui et sur les dépenses du Congo 1 . Bazille resta presque seul. André Lebon intervint : « J'ai donné à la commission du budget les explications les plus détaillées sur l'origine, la nature et le but de la dépense que conteste M. Bazille à la tribune. Il m'est impossible de les reproduire à la tribune. La commission du budget m'a donné raison et demande avec moi un vote politique à la Chambre. (Très bien ! Très bien !) » Le ministre trouva alors réunis pour le soutenir les partisans de « l'expansion coloniale de prestige » comme François Deloncle et leurs adversaires socialistes. Leur chef, Jean Jaurès lui-même, s'écria : « Ce n'est pas un vote politique que nous émettrons mais un vote national. » Par 482 voix contre 22 sur 504 votants, les demandes d'explications de Bazille furent repoussées 2 . Lorsqu'il affirma : « Tous les chefs sont engagés » 3 , Marchand avait donc raison. Avec l'appui de ses amis politiques, Le Hérissé, Doumer, Cochery, il les avait tous vus et avait demandé qu'on « prépare » la grande presse où il comptait d'ailleurs des amis, au Petit Journal et au Gil Blas 4. Cependant, en dépit des indiscrétions possibles le secret fut relativement bien gardé jusqu'à l'été 1896 ; seuls quelques opposants < coloniaux » à la politique envisagée en avaient soupçonné puis dénoncé les dangers. Qui les informa ? Il ne semble pas que ce fut Roume puisque, en juin 1896, La Politique Coloniale vit encore en lui le principal protecteur de Marchand. C'est après le départ de ce dernier que les informations se multiplièrent. A l'époque de la discussion du budget, en décembre 1896, ce n'était plus qu'un secret de polichinelle : l'affaire était tellement « éventée » que la presse égyptienne elle-même commenta le vote du 8 décembre, dans lequel elle vit une réponse « à la marche projetée sur Khartoum et actes provocateurs des Anglais sur le Niger » O r Marchand n'était encore qu'à Brazzaville. *
La genèse de la Mission Marchand, entrecoupée d'hésitations et d'obstacles, fut donc particulièrement longue. Tous les ministres des Colonies et des Affaires Etrangères de 1895 à 1898, Guieysse et Berthelot bien sûr, Bourgeois et Chautemps, mais aussi Hanotaux, quoi qu'il en ait dit, et André Lebon, portent la responsabilité de cette mission. Elle fut bien une « grande pensée » 1. Séance du 8 décembre 1896. « N'est-il pas temps de dire au gouvernement, s'exclama Bazille, assez de politique coloniale!... Songeons à tirer profit de ce que nous avons. » 2. J.O.R.F., Chambre des Députés, 8 déc. 1896. 3 . M I C H E L , op.
cit.,
p. 74.
4. Ibid., pp. 51-52. 5. A.E., NS, Afr. 14, m.e. II, fol. 220-223, transmission d'un extrait d'AlMoaya d. (« organe du Parti Musulman ») du 9 déc. 1896.
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du gouvernement français, même si celui-ci ne fut pas très sûr de sa valeur. Mais derrière les hommes de gouvernement on ne peut négliger, nous l'avons vu, Archinard et Roume. Beaucoup plus que comparses, ils ont été des rouages essentiels. En dernière analyse, il y a Marchand et Liotard : Marchand parce qu'il proposa un projet qui porte bien sa marque, parce qu'il avait beaucoup d'amis et parce qu'il jouissait incontestablement d'un grand pouvoir de persuasion ; Liotard parce qu'il rêvait aussi < d'aller au Nil », et parce que ses rapports à Paris accréditèrent l'idée que c'était possible, sans grand risque et à peu de frais. L'idée était d'abord « coloniale ». Il s'agissait de se préparer au dernier partage en Afrique Noire après la chute du Mahdisme : on croyait à une prochaine conférence internationale. Cependant, et bien que Marchand ne l'ait pas exprimé clairement, se profilait aussi en arrière-plan la question d'Egypte. Hanotaux et Bourgeois n'ont pas pu ne pas y songer comme y avaient songé Brazza et Delcassé avant eux. Enfin l'idée de la Mission Marchand ne triompha que parce qu'elle trouva un terrain favorable. Prestige et honneur national, expansion à l'extérieur, échec aux ambitions anglaises avec l'appui russe étaient bien des thèmes auxquels les hommes politiques étaient alors fort sensibles ; la nécessité d'un certain équilibre international également. S'il y a eu « légèreté » de la part des ministres, ce fut sans doute de n'avoir pas suffisamment tenu compte des critiques venues justement de milieux « avertis ». Et ces critiques montrent enfin que le « parti » colonial, à qui l'on attribue généralement à tort la Mission Marchand, était, en fait, un groupe bien hétérogène.
La Mission Marchand quitta la France en quatre fractions dont les départs s'échelonnèrent du 25 avril au 25 juin 1896. La « course au Nil » était engagée contre les concurrents anglais : Kitchener, Colvile, et belges : Dhanis, Chaltin. Marchand envisageait d'atteindre Brazzaville dès la fin du mois d'octobre 1896, Bangui en novembre-décembre et le Bahr el Ghazal à la fin de 1897. La < visite » à Fachoda devait avoir lieu à ce moment. Marchand en aurait rapporté les témoignages d'amitié destinés à renforcer la position de la France lors de la grande conférence internationale sur le Nil que la diplomatie française aurait alors suscitée. La source documentaire essentielle sur cette traversée de l'Afrique est constituée, en dehors des souvenirs publiés plus tard par certains des membres de la Mission, par les longs rapports de Marchand. Le premier est divisé en trois parties : « Première période » du 25 avril au 31 décembre 1896, consacrée au Bas-Congo, de Loango à Brazzaville ; « Seconde période » représentée par un résumé du passage dans les Sultanats du M'Bomou ; « Troisième période » racontant le début de la pénétration au Bahr el Ghazal. Marchand envoya le premier rapport du petit poste qu'il avait créé près de Tamboura, Fort Hossinger, le 1" janvier 1898 (mais la date de son arrivée à Paris est inconnue). Le second rapport fut envoyé du Caire le 5 novembre 1898 au ministre des Affaires Etrangères. Il couvre la « Quatrième période » du 1" janvier au 10 octobre 1898. Enfin, un dernier rapport, « Fin de la quatrième période », relate les péripéties des relations franco-britanniques à Fachoda jusqu'à l'évacuation en décembre 1898 1 . Nous nous sommes efforcé de respecter les « grands moments » de la mission indiqués par le rapport de Marchand. Ainsi la traversée du BasCongo Français de Loango à Brazzaville.
1. Dans S.O.M., M43. Nous avons regroupé ces rapports sous la rubrique « Rapport Marchand, I, II, III ».
CHAPITRE
PREMIER
COMPOSITION ET ÉQUIPEMENT DE LA MISSION Les difficultés rencontrées par la Mission Marchand de Loango à Brazzaville : portage défaillant, révoltes locales le long de la fameuse « route des caravanes », relations tendues avec l'administration civile, ont été considérables et reflètent bien la disproportion entre l'ambition des projets coloniaux et les réalités locales. En juin 1896, la Mission était entièrement constituée et une partie de ses hommes et de son équipement avaient déjà atteint le Congo Français. La préparation et la mise en route avaient été très soigneusement surveillées par Marchand.
I . L E S HOMMES
L'encadrement comprenait trois capitaines : Marchand, Baratier, Germain ; trois lieutenants : Mangin, Largeau, Simon ; un médecin, Emily, auteur d'un récit anecdotique de l'expédition un officier interprète d'arabe, Landeroin ; quatre sous-officiers européens ; et trois civils : un secrétaire, Mazure, un agent civil, Guilhot, et un peintre panoramiste envoyé par L'Illustration, Castellani. Les soldes versées aux officiers répondirent bien aux vœux de Marchand. Lui-même reçut environ 15 000 francs par an, les capitaines environ 1 1 0 0 0 , et les lieutenants de 8 à 9 000 francs. Les soldes ordinaires de capitaine et de lieutenant dans le Haut-Oubangui étaient alors de 6 480 francs et 5 328 francs par an 2 . En outre, des indemnités furent octroyées aux membres de la Mission après leur retour, en 1900 ; elle ne fut donc pas une « mauvaise affaire »... Les trois civils ne résistèrent pas longtemps. Le secrétaire Mazure, malade, fut rapatrié de Brazzaville, l'agent civil Guilhot, de Zinga en aval de
1. J. EMILY, Mission Marchand, Journal de route. 2. S.O.M., Gabon-Congo,; IV, 14, Copie de l'arrêté ministériel du 22 juin 1896 nommant Marchand « adjoint en mission spéciale au Commissaire du Gouvernement dans le HautOubangui ». 5
66
LA
MISSION
MARCHAND
Bangui. Quant au pittoresque Castellani, après de retentissants démêlés personnels avec Marchand qui n'appréciait pas du tout l'indiscipline et le francparler d u peintre, il f u t chassé de la Mission à Bangui. Il a laissé un récit vivant, au tour très personnel, des premiers temps de l'expédition où l'admiration pour l'énergie des militaires n'exclut pas de discrets mais sévères jugements sur leurs méthodes U n seul officier dut abandonner : le lieutenant Simon. Appartenant à l'EtatMajor des Affaires Indigènes à Alger, il avait été recruté en mai 1896 à cause de sa connaissance de l'arabe. Atteint d'une grave bilieuse hématurique, il ne put dépasser Rafaï en mai 1897. Il mourut des suites de sa maladie à Alger en juillet 1897. Un lieutenant d'infanterie de marine, Fouques, le remplaça alors et rejoignit la Mission à la fin de 1897 2 . Enfin u n jeune enseigne de vaisseau, Alfred Dyé, fut désigné en 1896 pour prendre le commandement de la petite flottille que Marchand avait constituée puis du Faidherbe réquisitionné en avril 1897 ; il n'arriva au Congo qu'à la fin de l'année 1896. L'équipe ainsi constituée par Marchand formait un groupe d'amis. Tous, sauf Landeroin et Simon, appartenaient aux troupes de marine ou avaient servi au Soudan sous les ordres d'Archinard. Marchand et Mangin, nous l'avons dit, s'y étaient connus. En 1894, la plupart d'entre eux s'étaient trouvés en Côte d'Ivoire, sous les ordres de Monteil dans l'Etat-Major de la colonne de Kong, Marchand et Germain déjà capitaines, Baratier et Largeau encore lieutenants. Le petit groupe se reconnaissait volontiers un maître et un guide, Archinard ; par contre ses rapports avec Monteil ne furent pas toujours détendus. Enfin ces « Soudanais » partageaient les mêmes enthousiasmes et les mêmes aversions à l'égard des « civils », surtout Grodet bien sûr, mais aussi, nous le verrons, Brazza lui-même. C'était aussi une équipe d'hommes encore jeunes. Le doyen d'âge, Marchand, avait 33 ans en 1896 ; le cadet, le lieutenant Dyé, avait 22 ans. La moyenne d'âge était de 29 ans. Cette relative jeunesse explique sans doute, avec le dur entraînement du Soudan, l'exceptionnelle résistance physique des membres de l'expédition et aussi leur ardeur, leur absence de « diplomatie » dans les rapports humains, enfin leurs ambitions personnelles fort développées. Les personnalités étaient fortement tranchées. A commencer par celle de Marchand, le « chef de mission ». Il méritait bien ce titre. Pourtant il était certainement le moins instruit du groupe et le plus « roturier ». lean-Baptiste M a r c h a n d 3 était né le 22 novembre 1869 à Thoissey, en Bresse, dans une très modeste famille. Son père Georges Marchand était menuisier. Aîné de cinq enfants, quatre garçons et une fille, le jeune JeanBaptiste fréquenta assez peu l'école. Après son instruction primaire chez les Frères des écoles chrétiennes, il reçut pourtant une bourse pour le 1. Cf. tration,
G . CASTELLANI,
« De Courbevoie à Bangui, avec la Mission Marchand », L'Illus-
1 e r sem. 1898, et Vers le Nil Français avec la Mission
Marchand.
2. Nous n'avons pu trouver qu'une seule indication sur sa carrière : en 1915, il était toujours dans l'armée avec le grade de lieutenant-colonel. 3 . Voir DELEBECQUE, op. cit. Les autres biographies de Marchand, d'intérêt beaucoup plus limité, sont citées dans la bibliographie générale.
COMPOSITION
ET
ÉQUIPEMENT
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LA
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MISSION
collège de Thoissey. Mais il n'y acheva pas ses études secondaires : à treize ans il devint petit clerc et il le resta sept ans. De cette époque, il garda peut-être son besoin de s'expliquer longuement et par écrit. Il était capable, plus tard, en pleine expédition, après une marche harassante, de rédiger jusqu'au milieu de la nuit et sans faiblesse, d'interminables lettres de 25 à 40 pages. Dès cette époque aussi, le goût de l'action et l'attirance de l'aventure coloniale s'étaient emparées de lui, d'après ses biographes ; en 1883, avec l'aide de son patron et protecteur, il réussit à convaincre sa famille qu'il pourrait réussir une carrière outre-mer et s'engagea dans l'armée pour cinq ans à Bourg-en-Bresse. Il se fit aussitôt affecter à Toulon dans un régiment d'infanterie de marine. De modeste origine et d'instruction limitée, Marchand fut un officier sorti du rang. Sergent-fourrier, il prépara à Rochefort l'école de Saint-Maixent où il fut élève en 1886 et 1887 ; il en sortit 30e sur 459. Le Sénégal était l'affectation normale des jeunes officiers de l'infanterie de marine, l'ExtrêmeOrient paraissant fermé à leurs ambitions depuis Lang-Son et la chute de Jules Ferry. La carrière de Marchand s'orienta donc vers l'Afrique, spécialement vers le Soudan. Archinard, nous le savons, le distingua très vite et fit accorder la légion d'honneur à ce jeune officier de 26 ans après une exploration du Niger, de Bamako aux environs de Tombouctou, en août 1889. Archinard l'avait chargé à cette occasion d'une mission politique fort délicate et passablement machiavélique auprès de Mari Diara chassé de Ségou par les T o u c o u l e u r L a réussite de la mission explique les débuts de la faveur dont jouit Marchand auprès d'Archinard. En 1890 Marchand secondait son chef au sein de l'Etat-Major du Soudan dans la lutte contre Ahmadou et contribuait à la prise de Ségou et Nioro. Puis de juillet 1891 à août 1892 il succéda au capitaine Quiquandon comme « résident » auprès du « fama » du Kénédougou, Tiéba, adversaire de Samory. Ce fut donc sa seconde grande mission « politique ». Malgré de grosses difficultés avec Tiéba dont il regrettait la tiédeur prudente dans la lutte contre l'Almamy et malgré l'absence de son protecteur Archinard alors en congé en France, les rapports de Marchand avec le nouveau chef d'Etat-Major, le lieutenant-colonel Humbert, furent cordiaux ; en décembre 1892 appuyé par Archinard, Humbert obtint la promotion de Marchand au grade de capitaine. Jusque-là, Marchand était resté dans l'ombre du Commandant Supérieur du Soudan. La Côte d'Ivoire en fit brusquement une personnalité en vue. En 1893, grâce aux nouvelles relations qu'il noua en France, par l'intermédiaire de son ami et compagnon Charles Mangin, il fit accepter aux Colonies un projet de liaison du Soudan central à l'Océan Atlantique par le Niger et le Bandama destiné à la reconnaissance du tracé d'un futur transnigérien 2. Eut-il alors des contacts avec le Comité de l'Afrique Française ? Il semble bien. Marchand paraît avoir cherché l'appui du prince d'Arenberg et d'Auguste Terrier qu'il tint d'ailleurs soigneusement au courant de la marche de l'expédition 3 . En outre les conditions curieuses de l'affectation 1. Cf. Y . SAINT MARTIN, L'empire
toucouleur
diplomatiques, Dakar, 1966, pp. 392-7. 2. Sur cette exploration voir : H . DESCHAMPS, pp.
212-215.
et la France : un demi-siècle « L'Europe
découvre l'Afrique
de
relations
», Paris,
1967,
3. Cf. Bibliothèque de l'Institut, Ms, Fonds A. Terrier, 5949, Correspondance Marchand.
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MISSION
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à la Mission du jeune enseigne de vaisseau Alfred Dyé, confirment l'intérêt que portait le Comité à l'entreprise de Marchand. Revenu de Côte d'Ivoire en 1895, connu, sinon célèbre, après son exploration du Baoulé, Marchand était décidé à réaliser de grandes choses. Il ne manqua jamais d'idées à ce point de vue... A u moment m ê m e où il rédigeait son projet de Mission Congo-Nil, il proposait aussi un plan de reprise des opérations contre Samory avec six compagnies. Incontestablement il savait se faire écouter. L'homme, à l'époque de la Mission Congo-Nil, était déjà imposant. Grâce aux journaux illustrés, d'innombrables photographies, gravures, dessins représentant Marchand au moment de la rencontre avec Kitchener, Marchand au pied des Pyramides, Marchand au Caire ou à la revue de Longchamp d u 14 juillet 1899 ont popularisé son image. On connaît aussi le grand portrait de Marchand à Fachoda en novembre 1898, peint par Philippoteaux, et conservé au Musée des Colonies. Plus tard, en 1917, Marchand, général de division, apparaît presque inchangé. D ' u n e taille moyenne, un peu raide, le capitaine Marchand « avait de l'allure ». Cet officier était d'ailleurs amoureux du panache : on sait qu'il fit emporter à Fachoda en caisses soudées des uniformes blancs, tout neufs, pour ses tirailleurs afin d'impressionner les Anglais... Mais le visage surtout était remarquable : la bouche mince, le menton carré prolongé en avant par une barbe noire à deux pointes, les oreilles légèrement décollées, le cheveu court et en brosse et surtout les yeux, sombres, largement ouverts. Marchand paraissait l'image même de l'énergie. Sur le plan physique d'abord. Cette énergie, servie par une santé de fer, lui avait permis d'endurer les très dures épreuves d u Soudan et surtout de la Côte d'Ivoire. E n 1893, ayant traversé seul la forêt, il avait déjà mérité le surnom de « Kpakibo », « Fend-la-Forêt ». En septembre 1896. atteint d'une bilieuse hématurique, il continua la route de Loango à Brazzaville, traversa le Mayombe, puis dut être transporté mourant, en « tipoye », jusqu'à l'étape de Loudima où il reste 14 jours entre la vie et la mort soigné par le docteur Emily. « Je purgeais les cylindres..., écrivit-il plus tard simplement à Liotard, ça m'arrive toujours au début d'une mission. » 1 Ajoutons que Mangin et Baratier formés eux aussi par les marches au Soudan étaient doués d'une égale résistance physique. C'est elle qui sauva la Mission dans le Bahr el Ghazal. Cependant la vitalité de Marchand était particulièrement étonnante, comme le prouvent les énormes correspondances, comptes rendus, ordres du jour qu'il était encore capable de rédiger après les longues étapes du jour. Marchand était aussi tenace d'esprit qu'il était résistant de corps. Cette ténacité tournait m ê m e à l'opiniâtreté. Il s'accrochait à ses idées, accablant ses interlocuteurs de lettres et d'explications. On le traita de « cabochard ». Il le f u t effectivement mais surtout après 1899. E n 1896, il savait encore s'incliner. Ainsi, bien que ses projets et ses ambitions ne s'accordassent guère avec sa subordination « au pharmacien de première classe Liotard », il accepta les ordres, nuancés, de ce dernier. En novembre 1898 au Caire, il donna une nouvelle preuve de son sens de la discipline à l'étonnement du représentant de la France, Lefèvre-Pontalis : 1. M I C H E L , op.
cit.,
p. 63.
COMPOSITION
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ÉQUIPEMENT
DE LA
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« Chose étrange, rapportait ce dernier à Delcassé, cet homme assurément peu maître de sa plume s'est montré en paroles, sauf peut-être dans une phrase d'un discours prononcé au Cercle Français, prudent, réservé, mesuré. » 1 Il pouvait en e f f e t se m o n t r e r habile quand il le fallait vraiment. Il le fallut en 1895 avec le personnel politique français, en 1897 avec Liotard ou avec les Sultans d u M ' B o m o u dont il réussit à obtenir u n concours exceptionnel sans leur o f f r i r d e compensation d u côté de Bahr el Ghazal. Il le fallut encore avec les populations D i n k a qu'il réussit à faire vivre e n b o n n e intelligence avec les Z a n d é de T a m b o u r a , enfin avec les Chillouk à F a c h o d a . L a p r o m p t i t u d e à juger, et aussi à « s'emballer », était chez M a r c h a n d l'envers d e la ténacité. C e militaire qui, certes, savait rapidement p r e n d r e des décisions, condamnait tout aussi rapidement et sans appel : Dolisie, Brazza, l'administration civile du C o n g o F r a n ç a i s en général, et les « indigènes » n e c o n n u r e n t guère son indulgence. Très persuadé que ses idées étaient les seules justes et valables, il avait une h a u t e opinion de lui-même. Il avait la certitude de travailler pour une « grande cause » : « Quand on a derrière soi tout un passé d'honneur et de dévouement au pays qui vous permet de parler haut et ferme à n'importe qui sans crainte jamais ni timidité coupable, qui donc se mettra devant pour en annihiler l'effort », écrivait-il à Liotard en 1897. « Ce que vous appelez mon enthousiasme, c'est tout simplement la conscience que jamais, à aucune seconde de ma vie, un intérêt autre que celui de la Patrie n'a été le mobile de mes actes. » 2 Il était sincère et ce langage explique qu'il devint malgré lui, en 1899, le héros d e la Ligue des Patriotes. Il pensait cependant q u ' u n tel dévouement méritait bien aussi récompense. L'argent d'abord. M a r c h a n d avait encore de gros soucis matériels et familiaux. L a promotion ensuite. A la veille de son départ, alors qu'il avait été n o m m é C o m m a n d a n t supérieur des troupes et adjoint en mission spéciale au Commissaire du G o u v e r n e m e n t d a n s le Haut-Oubangui, il intrigua p o u r obtenir sa promotion au grade de chef de bataillon. Il fit intervenir, en vain, A n d r é Lebon et Gabriel H a n o t a u x : « Q u a n t aux services rendus p a r M. M a r c h a n d , je m e rallie volontiers à l'appréciation élogieuse dont ils sont l'objet de votre part mais j'estime qu'ils ont reçu une récompense suffisante », répondit l'amiral Besnard, ministre de la M a r i n e , en rappelant la p r o m o t i o n de M a r c h a n d a u grade de capitaine et sa légion d ' h o n n e u r M a i s ce dernier visait encore plus h a u t : « L'accès d e F a c h o d a et d'Obock ne vaudra-t-il pas le généralat », écrivait-il à M a n g i n en mai 1897 4 . Energie, ténacité, conscience excessive de sa valeur, rapidité de la décision mais aussi des jugements, incontestable sincérité composaient quelques-uns des traits caractéristiques de la personnalité de M a r c h a n d . L'absence de mesure, f r é q u e n t e chez lui, l'autoritarisme et la susceptibilité en f o r m a i e n t aussi les petits côtés. Le cadre de la vie militaire et coloniale aggravait ces
1. S.O.M., Afr. III, 34a, Lefèvre-Pontalis à Delcassé, Le Caire, 6 déc. 1898. 2 . MICHEL, op. cit.,
p. 80.
3. S.O.M., M42, Le ministre de la Marine au ministre de? Colonies, Paris, le 22 juin 1896. 4. A.N., 149 AP3, Marchand à Mangin, Quango, 11 mai 1897.
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tendances. Très attaché à ses prérogatives de chef de la Mission Congo-Nil, il exigeait une soumission sans murmures des membres de l'expédition, ses meilleurs amis. Mais surtout il était porté à découvrir facilement autour de lui allusions blessantes ou critiques injustes. En 1897 ses compagnons supportèrent de plus en plus impatiemment cet autoritarisme et cette susceptibilité qui s'exaspéraient en raison de leur attitude. Mangin, certainement plus excessif que Marchand, était alors entré en opposition ouverte avec son chef et de graves querelles empoisonnèrent l'avance sur Fachoda à la fin de 1897 et en 1898. Ces discussions furent avant tout motivées par l'isolement des hommes, les épreuves subies et les heurts des caractères. Mais elles furent aussi des heurts d'idées sur bien des points : la marche de la Mission, la « politique indigène », la conduite à suivre à l'égard des Anglais à Fachoda... C'est parmi les anciens de Kong que Marchand recruta ses principaux compagnons : Baratier, Largeau, Germain, et surtout Mangin que sa forte personnalité et sa fonction de chef de la compagnie d'escorte destinaient à jouer un rôle capital dans l'expédition. C'est en mars 1896, alors qu'il servait au Soudan sous les ordres de Trentinian et qu'il avait été chargé d'ouvrir la route du Sahel, de Nioro à Tombouctou, que Mangin f u t chargé de recruter une compagnie de 150 Soudanais. Marchand reconnaissait en effet volontiers les dons d'entraîneur d'hommes du futur théoricien de la « Force Noire ». Mangin savait se faire obéir et même, ajoute Baratier avec une pointe d'agacement, se faire admirer de ses hommes « en ne leur enseignant qu'un seul commandement de Dieu et de l'Eglise... un seul Blanc, tu adoreras, le Lieutenant Mangin, de tous les autres, tu te moqueras » 1 . Cette boutade peint certainement bien Mangin qui, en 1896, a tout juste trente ans mais a déjà derrière lui presque autant d'années d'Afrique que Marchand. N é en 1866 à Sarrebourg, Charles Marie Emmanuel Mangin appartenait à une famille lorraine de grands commis de l'Etat. L'ancêtre, Jean Henri avocat à Metz au début du XIX" siècle, était devenu sous Charles X conseiller à la Cour de Cassation, puis Préfet de Police en 1829. Après lui la tradition militaire domina dans la famille Mangin : les oncles de Charles, surtout Louis-Eugène, général de Brigade de Napoléon III, s'étaient illustrés en Algérie, en Italie et au Mexique. Suivant leur exemple, et bien que fils d'un inspecteur général des Eaux et Forêts, Charles et ses frères choisirent une carrière militaire. En 1885, Charles Mangin entra à l'école spéciale militaire de SaintCyr. Il s'y signala déjà par son impatience devant les contraintes de la discipline et en sortit 189e sur 406. Il choisit alors l'infanterie de marine et l'Afrique où il pouvait mieux satisfaire son besoin d'action. Mangin dans ses Lettres du Soudan retraça plus tard les débuts de sa carrière 2 . Il fut envoyé au Sénégal en octobre 1888, puis servit en 1889 et 1890 sous les ordres d'Archinard ; il fut alors adjoint au commandant du Cercle de Kita puis de Kayes. En 1891, il participa à la lutte contre Ahmadou et se lia avec Marchand. Il se distingua et f u t blessé, comme 1. A.N., 99 AP, Souvenirs manuscrits, 1901, 1 er vol., p. 83. 2. Sur la famille de Mangin, Papiers Mangin, A.N., 149 API.
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Marchand, à la prise de Diéna, au sud-est de Ségou, sur la rive droite de Bani ; Archinard lui fit obtenir la légion d'honneur. Mais son avancement fut beaucoup plus difficile. De 1893 à 1896, Mangin fut proposé quatre fois au grade de capitaine, sans succès. Le dernier essai fut tenté par Marchand lui-même qui fit intervenir Le Hérissé, Archinard, Paul Doumer et André Lebon En vain : « Vous devez, lui écrivait Marchand, en 1896, avoir..., comment vous dirai-je..., quelqu'un qui ne vous aime pas en haut lieu et ce quelqu'un que je n'ai pu encore découvrir, a eu raison contre nous auprès du vieux Lockroy. Celui-ci s'est retranché, pressé dans ses derniers retranchements, derrière vos notes d'antan. » 2
L'indocilité du jeune officier, son irascibilité semblent expliquer ces débuts difficiles ; en 1896 Mangin partit comme simple lieutenant. Il ne reçut sa promotion au grade de capitaine qu'en novembre 1897. Il en conçut quelque amertume et ce sentiment contribua peut-être à tendre alors les rapports avec Marchand. Entre le bouillant Mangin et Marchand, Baratier paraît un peu effacé. Né à Belfort le 11 juillet 1864, il appartenait comme Charles Mangin à une famille de militaires. Son père avait terminé sa carrière comme Intendant Général de la place de Paris 2 . C'est à Belfort qu'Albert Baratier fit ses études secondaires. Elève peu discipliné, il fréquenta plusieurs collèges. Puis, en 1883, il fut admis à Saint-Cyr, deux ans avant Mangin. A la sortie, il choisit la cavalerie et non l'infanterie de marine, l'Algérie et non l'Afrique N o i r e ; de 1886 à 1891, il servit dans les chasseurs d'Afrique à Blidah. Mais, en 1891, affecté aux Spahis soudanais comme lieutenant, Albert Baratier s'orienta vers l'Afrique Noire et participa à l'expédition du lieutenantcolonel Humbert contre Samory. C'est seulement en 1894 qu'il rencontra Marchand au cours de l'expédition de Kong. Passé capitaine, Baratier avait été affecté à l'Etat-Major de Monteil en juillet 1894. Baratier s'attacha alors à Marchand dont il devint l'homme de confiance pendant l'expédition Congo-Nil ; au plus fort de la crise de Fachoda, c'est lui que Marchand chargea d'aller trouver Delcassé à Paris. Pendant l'expédition, il s'efforça toujours d'atténuer les heurts. De caractère, il n'était pourtant pas homme de conciliation. Porté à l'action, on le qualifierait volontiers aujourd'hui de « baroudeur ». Méprisant les civils et leurs initiatives, il traita Brazza « d'ennemi ». Ne reculant pas devant une justice expéditive, il exécuta lui-même 1' « assassin » du capitaine Ménard, Sékou Ba, lieutenant de Samory, en 1894, et en 1896, au Congo, il vengea de même le meurtre d'un chef de poste du Bas-Congo nommé Laval. Mais surtout Baratier était
1. A. N „ 149 AP3, Marchand à Mangin, Paris, 24 avr. 1896. 2. Cf. La Politique Coloniale, 9 déc. 1897, biographie de l'Intendant Général Baratier. N é à Orange en 1834, polytechnicien en 1853, le père d'Albert Baratier fit une carrière brillante sous Napoléon III. En 1870, il était sous-intendant de l'armée de Sedan. Malgré Sedan, le père d'Albert Baratier poursuivit sa carrière sous la République. Après avoir professé à l'Ecole de Guerre de 1882 à 1885, il fut intendant militaire du Tonkin et en 1890, Freycinet l'appela à la direction des services administratifs du ministère de la Guerre. C'est en 1891 qu'il devint général et passa au gouvernement militaire de Paris.
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l'homme des actions héroïques comme le montra son exploration du Bahr el Ghazal. L e « second » de l'expédition Congo-Nil n'était pourtant pas Baratier, mais le capitaine Joseph Germain, polytechnicien et officier de l'artillerie de marine qui semble avoir connu Marchand au Soudan dès 1890 et appartint à l'Etat-Major de Côte d'Ivoire en 1894 A v e c le médecin de la Mission, Jules E m i l y 2 , Marchand, Mangin, Baratier et Germain formaient un groupe d'anciens amis, noyau de l'expédition. On peut leur rattacher Largeau. Né en 1867, un peu plus jeune que ces derniers, Emmanuel Largeau, avait cependant aussi participé à l'expédition de Kong et s'était trouvé aux côtés de Marchand et de Baratier lors de la retraite de la colonne Monteil. Comme Marchand, le futur conquérant du Tchad était un officier sorti du rang. Fils d'un explorateur et administrateur colonial connu : i , il s'était engagé brusquement à dix-huit ans dans l'infanterie de marine après des études incomplètes à Niort et avait servi comme sous-officier au Soudan sous les ordres d'Archinard. Puis il entra à Saint-Maixent dont il fut major de promotion. En avril 1896, Largeau fut l e chef du premier échelon de la Mission 4 . Les autres officiers de l'expédition, Simon, Fouques, Landeroin et D y é étaient des recrues. L'interprète militaire Landeroin était entré récemment dans l'armée. Ancien instituteur en Tunisie, il avait servi en 1896 à Fort Tataouine dans le sud tunisien Enfin, Alfred Dyé. Il avait adressé en mars 1896, en se recommandant de Mizon, un projet de reconnaissance
J. Joseph G E R M A I N (1865-1906) était né à Maurs dans le Cantal dans une famille bourgeoise relativement aisée : son père était entrepreneur de travaux publics à Brives. Après ses études secondaires au lycée Saint-Louis à Paris, il entra en 1885 à Polytechnique comme boursier; la situation matérielle de la famille s'était alors amoindrie. En 1889, il opta pour l'infanterie de marine et servit à l'Etat-Major du Commandant Supérieur du Haut-Fleuve puis, en 1892, on le retrouve en France à la poudrerie de Sevran-Livry. Il connaissait déjà Marchand et demanda en 1893 à le rejoindre (S.O.M., M8, Germain au ministre des Colonies, Sevran, 8 sept. 1893). En 1894, il fut à ses côtés lorsque, passé capitaine, il fit partie de la colonne Monteil. Durant l'expédition Congo-Nil, il organisa, en grande partie, le transport du Faidherbe. Au retour, passé chef de bataillon, il fut affecté comme Marchand au corps expéditionnaire de Chine, en 1900. A partir de 1903 il s'orienta vers les services techniques de l'armée. Il finit lieutenant colonel, mort prématurément à Paris, le 9 juillet 1906. 2. Jules E M I L Y était médecin de 2 e classe, exerçant sur la Mésange (station du Sénégal), lorsqu'il fut mis à la disposition de Marchand. Celui-ci, qui connaissait déjà Emily, lui demanda de se joindre à la mission en avril 1896. Emily, dont nous n'avons pu retrouver les états de services, devint médecin-général après 1919. 3. Victor L A R G E A U avait relié Touggourt à Ghadamès en 1874 puis était passé dans l'administration coloniale. En 1887, il était administrateur de Cercle à Bakel où Binger le rencontra et en 1894, il passa quelque temps au Congo mais mourut en 1896. (Cf. B I N G E R , op. cit., pp. 168-169.) 4. Emmanuel L A R G E A U était né à Irun le 11 juin 1867, mais le berceau de la famille était Magné près de Niort. Il eut neuf frères et sœurs et tous les garçons, suivant l'exemple du père, choisirent une carrière coloniale. Après la Mission Congo-Nil, Emmanuel Largeau entra à l'Ecole de Guerre. En 1902, il commença sa « période tchadienne » : il venait d'être nommé commandant du territoire militaire du Tchad à Fort Lamy. Il quitta le Tchad en 1915 ayant réalisé la conquête du Baguirmi, Borkou, Ennedi, Ouaddaï et repoussé à l'extérieur les Senoussistes. Rappelé en juillet 1915 pour commander une brigade de Bretons, il fut tué le 26 mars 1916 à Verdun. 5. Moïse
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né à Pouilly le 8 juillet 1867 fut le dernier survivant de la Mission
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hydrographique « de la région du Haut-Chari » au président du Comité de l'Afrique F r a n ç a i s e I l expliquait à d'Arenberg que ce projet qui avait, en fait, pour but « d ' a m e n e r une mission bien approvisionnée sur la ligne d e partage des eaux entre le bassin d u T c h a d et celui d u Haut-Nil, d a n s la seule région africaine où nos frontières non encore délimitées sont susceptibles d'extension, pourrait l'intéresser à titre de Président d ' h o n n e u r d u Comité de l'Egypte ». Et il ajoutait que ne pouvant guère « escompter d ' a v a n c e un passage parmi les Mahdistes... [ce serait] p o u r le Comité une occasion de r é p a n d r e une politique des plus actives et de contribuer à aider le gouvernement p o u r devancer la mainmise de l ' A n gleterre sur les régions au nord et à l'est d u haut-bassin du Chari ».
Trois mois plus tard, en juin 1896, le détachement de Dyé à la Mission Marchand était envisagé. Ainsi il semble bien que le Comité de l'Afrique Française ait été au courant des préparatifs et des projets de Marchand. Quatre sous-officiers de l'infanterie de marine complétaient l'encadrement européen : trois sergents Venail, Bernard, Dat et un adjudant Oscar de Prat 2 . Tous étaient des anciens de la Mission Monteil.
M a r c h a n d : il est décédé le 3 juillet 1962 à Saint-Romain-sur-Cher. Après des débuts d'instituteur, en 1886, dans ce bourg, Landeroin obtint son affectation en Tunisie où il f u t instituteur puis directeur d'école à Sousse de 1887 à février 1895. Il e n t r a alors dans l'armée. Sa connaissance de l ' a r a b e le fit désigner pour servir auprès de M a r c h a n d qui avait d e m a n d é le détachement d ' u n interprète. Après la mission, Landeroin poursuivit une carrière militaire et coloniale. Il f u t détaché en 1907 auprès de Péroz et de G o u r a u d et chargé de mission chez les Touareg Azarori d o n t il obtint la soumission. En 1906, il participe à la mission de délimitation Niger-Tchad, étudie l'histoire des tribus de ces confins, écrit et compose une g r a m m a i r e et un dictionnaire haoussa. Il chercha dès lors à rentrer dans l'administration coloniale. Avec le soutien de Tilho, il devint administrateur d a n s le territoire du Tchad en 1911 et en 1913, il f u t le bras droit de Largeau à Abéché. Il va rester a u T c h a d j u s q u ' e n 1924. Très apprécié de Largeau, puis d ' E s t è b e , en raison de sa connaissance précise des affaires indigènes, « si délicates au Tchad », et de ses rapports avec les M u s u l m a n s (Landeroin épousa une Peuhle), il se mit brusquement à d o s ses supérieurs, à partir de 1918, lorsqu'il dirigea la circonscription d u Baguirmi. En 1921, le Lieutenant-Gouverneur Lavit lui reprocha de s e c r é e r « une clientèle c o m m e un sultan ». Il f u t mis à la retraite en 1924 en dépit de l'intervention de son ancien chef, G o u r a u d . 1. Bibliothèque de l'Institut, Ms F o n d s A. Terrier, 6012, « Projet de mission Alfred Dyé », lettre d ' A l f r e d D y é au Président du C o m i t é de l ' A f r i q u e Française, Paris, 6 mars 1896. Alfred DYÉ était enseigne de vaisseau sur le Vautour, navire de l'escadre de la Méditerranée, lorsqu'il f u t détaché à la Mission d u Nil pour s'occuper de la flottille de chalands mais il fut évidemment chargé p a r M a r c h a n d du Faidherbe. M a r c h a n d reconnaissait volontiers l ' a r d e u r et l'énergie d u jeune officier mais n'appréciait guère son h u m e u r indépendante et sa mentalité de marin un peu g o g u e n a r d devant les usages de l ' a r m é e de terre. D e son côté D y é qualifia vite M a r c h a n d de « M e r c a t o r C u n c t a t o r D i c t a t o r ». (A.N., 149 AP3, D y é à Mangin, 21 fév. 1898.) Ayant fait transmettre a u Temps une lettre sur la m a r c h e de la mission qui fut publiée le 12 janvier 1898, il f u t blâmé sévèrement par le ministre de la M a r i n e et peut-être ses erreurs gênèrent-elles considérablement son avancement : D y é ne passa capitaine de frégate q u ' e n 1917 malgré plusieurs missions h y d r o g r a p h i q u e s au Sénégal et au M a r o c . D e 1917 à 1919, il fut cependant c o m m a n d a n t en second du cuirassé Mirabeau et devint, après la guerre, m a j o r général de C h e r b o u r g puis, en 1925, c o m m a n d a n t d e la M a r i n e à Beyrouth où il se t u a dans un accident d ' a u t o m o b i l e le 16 août 1926. 2. Georges DAT (1865-1916) fit une carrière exemplaire de sous-officier de l'infanterie d e marine. Engagé volontaire en 1884, il servit, en effet, en Nouvelle-Calédonie, au T o n k i n , a u D a h o m e y , au Sénégal, au C o n g o puis à la colonne de K o n g . Sergent en 1896, a d j u d a n t
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Cent cinquante Soudanais environ constituaient la compagnie d'escorte. Mangin reçut à Bamako le 14 mars l'ordre transmis par le Gouverneur Général de l'Afrique Occidentale de recruter la compagnie d'escorte 1 . Il était prévu alors l'engagement de 100 tirailleurs auxiliaires de 2e classe à 25 francs par mois, 40 tirailleurs de V classe à 30 francs, 6 caporaux à 30 francs et 4 sergents à 55 francs 2 . Une prime d'engagement de 50 francs devait leur être versée ainsi qu'un supplément de 5 francs par mois aux recrutés parlant arabe. Le recrutement devait alors avoir lieu au Soudan, de préférence parmi les anciens tirailleurs ; leur équipement fut fourni par le gouvernement du Soudan ; l'armement f u t assuré directement par le ministère de la G u e r r e 3 . La compagnie devait être rassemblée à Dakar au début de mai 1896. L'appel qui commença à Bamako et Kayes ne fut pas immédiatement fructueux malgré les primes offertes : le recrutement pour Madagascar concurrençait celui de la compagnie Mangin. Les premiers résultats furent donc médiocres ; le 18 mars, il n'y avait que huit volontaires. Il fallut faire intervenir les chefs influents. Mais ce fut surtout le licenciement de nombreux conducteurs de ravitaillement au Soudan à la fin mars qui amena des candidatures. Un triage médical sévère f u t effectué 4 . Le 8 avril le recrutement était à peu près terminé et les hommes acheminés sur Dakar par Podor et le Sénégal atteignirent Saint-Louis le 5 mai. En cours de route quelques licenciements et remplacements eurent lieu et des Sénégalais furent recrutés. Cent cinquantesept hommes furent finalement rassemblés à Dakar en juin ; ils embarquèrent pour Loango sans attendre. Ajoutons que de légères et nouvelles modifications eurent lieu au Gabon-Congo ; 9 tirailleurs « soudanais » furent remplacés par des miliciens du Congo à Libreville. Il est difficile de connaître le recrutement ethnique de ces tirailleurs et la promotion d'anciens tirailleurs réengagés, leurs livrets matricules et les registres de recrutement n'ayant pas été retrouvés. Selon le témoignage de Mangin, le nombre de nouvelles recrues était élevé et le recrutement était essentiellement soudanais. Les noms d'une partie des tirailleurs conservés sur en 1900, il décida alors de quitter l'armée et, soutenu par le sénateur de l'Aude, Eugène Mir, par Marchand et par Eugène Etienne, il obtint son intégration dans le cadre des administrateurs coloniaux au titre d'explorateur comme le docteur Cureau, Maclaud et Prins en 1900. Après avoir servi en Haute Sangha (1901-1903) puis à Bakel au Sénégal (1904-1906), il devint inspecteur des forces de police au Sénégal (1907-1910), puis administrateur en Casamance (1912) et à Podor (1913). Mobilisé comme sous-lieutenant en 1914, le 25 août, il fut porté disparu à Rozelieuses. Oscar DE PRAT comme Dat est né en 1865 et a participé aux grandes campagnes de l'infanterie de marine depuis 1884. Fils d'un imprimeur typographe de Lille, il s'engagea alors et fut envoyé dès 1885 au Annam. En 1893, on le retrouve au Sénégal puis à la colonne de Kong. Après la Mission Marchand, malade, il quitta l'armée en 1899 et se fit attribuer un emploi réservé. Il a laissé des souvenirs de la Mission, « De Loango à Fachoda », publiés en 1898 dans le Bulletin de la Société de géographie de Lille, sa ville natale, dont il était correspondant. 1. Notre source essentielle pour cette question est le « Journal de marche et d'opérations de la compagnie d'escorte » ouvert par Mangin à Libreville, le 14 juillet 1896 (A.N., 149 AP2). 2. La solde soudanaise était alors de 33 francs. 3. Il devait arriver à Dakar le 15 mai. 4. La sélection eut lieu au quart d'après Mangin.
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les états de soldes de 1899 ne peuvent malheureusement donner qu'une vague idée de leurs origines ethniques précises. Cependant les états de rapatriements conservés à D a k a r 1 permettent de dégager trois grands centres de regroupements : Bougouni (31 tirailleurs), Bamako (25 tirailleurs), Siguiri (24 tirailleurs). On peut donc penser que la compagnie Mangin, formée de soldats d'élite, fut recrutée surtout en pays Bambara.
II.
LE MATÉRIEL
Le matériel emporté par la Mission offre un intérêt aussi grand que sa composition. Cette expédition est, avec celles de Brazza, la seule dont on ait trouvé une comptabilité relativement détaillée et des inventaires de matériel 2 . Les facteurs, marchés de gré à gré, listes de fournitures conservés montrent bien le souci de préparation méticuleuse de Marchand. Les achats d'équipement furent effectués du 25 mars au 26 juin 1896 en grande partie directement par Marchand sur un crédit de 140 000 francs ouvert par les Colonies pour l'acquisition de « pacotille et vivres de réserve ». Cette procédure mécontenta la Commission des Marchés. En effet les factures de Marchand n'étaient pas régulières, selon son directeur Dubard : « Elles ne comptent ni admission en recette, ni prise en charge, ni marché de gré à gré »..., « toutes les garanties font défaut »...; « les membres de la mission se sont habillés et équipés personnellement sans autorisation sur des crédits qui n'étaient pas destinés à semblable dépense »...; enfin « pour se passer de la Commission des Marchés, on s'était servi d'un intermédiaire, M. Bolard, commissionnaire auquel il a été payé une commission de 3 % . »
Dubard concluait en rappelant qu'ainsi on risquait de renouveler les erreurs de la colonne de Kong 3 . Sa protestation était bien inutile. En 1890 Binger s'était déjà étonné de soucis aussi mesquins : « Jamais on n'a demandé de comptes des dépenses aux explorateurs. » 4 De même, en 1896, les responsables de la Mission Marchand s'indignèrent ; Lagarde, « ministre plénipotentiaire secrétaire général du ministre et directeur des Affaires d'Afrique », signa une longue réponse qui écrasa le pauvre Dubard et lui rappela « qu'il était impossible de faire appel au dévouement d'officiers et de fonctionnaires courageux (toujours prêts à sacrifier leur vie pour la France) pour ensuite les mettre sur la sellette et les critiquer sur des questions pareilles. Il y a des nécessités politiques graves, ajoutait-il, qui obligent à prendre telle ou telle résolution secrète. Il faut donc absolument se préoccuper
1. Archives de Dakar, 1 G, 116, Le Lieut.-Gouv. du Soudan français au Gouv. Gén., Kayes, 27 sept. 1899. 2. Cf. H. BRUNSCHWIG, « Les factures de Brazza, 1875-1878», Cahiers d'Etudes Africaines, n° 13, pp. 14-21. La comptabilité Marchand fut essentiellement établie, au retour de l'expédition, afin d'en déterminer le coût exact et de répondre aux interpellations à la Chambre. Mais, en réalité, cette comptabilité ne permit pas d'arriver à des chiffres sûrs, comme nous le verrons plus loin. 3. S.O.M., M44, Note de la Direction du Contrôle, Paris, 10 août 1896. 4. BRUNSCHWIG, op. cit.,
p. 14.
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des moyens à employer pour éviter les ennuis continuels d o n t sont victimes à leur retour, ou après leur départ, ceux en qui le gouvernement a confirmé son plein soutien. » 1
Marchand fit donc ses achats en toute liberté. Cependant il respecta les limites budgétaires. Le bilan établi en juillet 1896 par la Direction de la Comptabilité dépassa de peu le crédit alloué : Achats d e matériel, aliments légers, conserves alimentaires régularisés p a r la commission des Marchés à Paris 41 332,94 F . Achats d e marchandises étrangères ou soldées effectuées directement par Marchand 83 530,00 F . Achats de vivres à Bordeaux 17 601,27 F . Frais de t r a n s p o r t par terre et par mer à partir d e Bordeaux F r a i s de transport par terre et par mer à partir d e Marseille Frais de transport par terre et par mer à partir d u Havre Emballages TOTAL
287,51 2 186,25 544,26 96,00
F. F. F. F.
145 578,23 F . 2
Mais que recouvrait cette évaluation ? L'inventaire intitulé « Pacotille et marchandises emportées par Marchand en mai 1896 », nous renseigne à cet égard 3 . Le premier fait frappant est la quantité étonnante de tissus et de perles emportée par la Mission : environ 70 000 m de tissu et plus de 16 tonnes de perles... Ceci s'explique par le fait que les perles et les pièces de tissu constituaient les principaux moyens de paiement en Afrique Centrale, les tissus dans les zones proches de la côte (Bas-Congo), les perles dans l'Oubangui. Ces produits étaient fabriqués hors de France, ce qui montre d'ailleurs l'emprise, si souvent dénoncée à cette époque par les spécialistes des questions coloniales, des maisons étrangères sur le marché des colonies françaises d'Afrique Centrale 4 . L'industrie française s'intéressait médiocrement à ce marché et à cette « pacotille » dont la fabrication spécialisée, adaptée étroitement aux goûts d'une clientèle exigeante et capricieuse, restait le quasi-monopole de Venise pour les perles et de l'Angleterre pour les tissus. Ainsi
1. S . O . M . , M44, réponse jointe à la note de la Direction d u Contrôle. 2. S . O . M . , M44, Direction de la Comptabilité et des services pénitentiaires, frais d ' a p p r o visionnement de la Mission M a r c h a n d , Paris, 20 juil. 1896. 3. S . O . M . , M14, « Mission M a r c h a n d , Pacotille », mai 1896. Le total des achats d o n n e ici 140 000 f r a n c s : 66 830 francs dépensés directement par M a r c h a n d pour les achats à l'étranger, 18 830 f r a n c s de c o m m a n d e s passées en France et à l'étranger, 37 340 francs dépensés par la Commission des Marchés, 14 700 francs de « divers ». Mais ces chiffres, calculés en mai 1896, ont été certainement « arrangés » p o u r correspondre au crédit alloué, et le bilan réel est, sans nul doute, celui qui fut établi p a r la Direction de la Comptabilité en juillet. 4. « Au C o n g o , n o u s avons dépensé 18 250 802 francs mais les étrangers y ont importé p o u r 23 millions tandis q u e les Français n'y ont importé que 8,5 millions », s'indigna Bazille, le 8 déc. 1896 lors de la discussion d u budget d u C o n g o et des crédits de la Mission M a r c h a n d d o n t o n ne parlait pas en raison de son caractère «secret». (Cf. J.O.R.F., C h a m b r e des D é p u t é s , séance du 8 déc. 1896.) Voir aussi H. BRUNSCHWIG, Mythes et réalités de l'impérialisme colonial français, pp. 142-152.
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Marchand acheta à son départ 14 tonnes de perles variées de Venise pour 13 650 francs, et pour 2 000 francs de perles de Bohême — ces dernières, dites « rocailles, cassis ou soufflées », servant plus de parures que de monnaie. Les variétés de perles de Venise avaient été grossièrement calculées en fonction des indications données par Liotard, Decazes et Ditte sur leur acceptation dans le Haut-Oubangui \ Mais ces quantités ne répondirent pas toujours aux besoins réels, et les membres de la Mission se trouvèrent parfois à court de perles adéquates. En effet, les goûts variaient énormément selon les groupes ethniques et ceux-ci, mal connus en aval de Zémio, étaient encore pratiquement inconnus en amont de ce point. Les tissus pouvaient être choisis avec plus de sûreté. Liverpool et Manchester se taillaient la part du lion dans leur fabrication. Marchand acquit ainsi 27 000 m d'indienne imprimée de Manchester pour 8 800 francs et 16 100 m de calicot blanc pour 5 200 francs. Il s'agissait de tissus bon marché, « de qualité inférieure » précise le document à propos des calicots de Liverpool. Les prix variaient de 0,21 franc, à 0,34 franc le mètre, prix plus bas que celui du calicot français de Diville 2 . D'Angleterre aussi, provenaient 23 000 m de batiste, 20 000 m de « batiste imprimée » très bon marché (0,18 franc à 0,30 franc le mètre) 3 et 3 000 m de « batiste fantaisie » (0,35 franc à 0,775 franc le mètre). De plus, l'Angleterre fournit divers articles textiles de coton : 6 000 pièces de coton écru (7 000 francs d'achat à raison de 1,10 franc la pièce) et des vêtements légers, gilets, tricots de couleur rouge blanche et bleue 4 , chemises de coton ordinaire ou d'oxford B , destinées aux cadeaux et à l'équipement de la Mission. Marchand acheta ainsi pour 33 500 francs de tissus et articles textiles britanniques. Ce furent les achats les plus importants en valeur et en quantité. Sans doute Marchand n'estimaitil pas possible de trouver en France les mêmes variétés, aux mêmes prix et aussi rapidement, emballage et port jusqu'à Paris compris. Second fournisseur étranger de la Mission : la Belgique. Marchand en fit venir des châles, des couvertures « riches » destinées aux cadeaux 6 , des couvertures plus simples de laine et de coton 7 : au total plus de 5 500 francs d'articles textiles. C'est aussi en Belgique, à Liège depuis longtemps spécialisée dans la fabrication d'armes de traite, que furent achetés des fusils, pistolets et sabres pour une somme de 1 400 francs. Au troisième rang arrivait la Hollande dont les pagnes faisaient prime 1. Perles blanches : 6 tonnes à 0,70 fr/kg 1 0,09 fr/kg Perles bleues 2 1,05 fr/kg 1 1,25 fr/kg Perles rouges 2 2,00 fr/kg 2 2,40 fr/kg 2. Marchand acheta pour 3 250 francs de calicot français de Diville, de 0,34 franc à 0,50 franc le mètre. 3. Il s'agit sans doute de « batiste d'Ecosse », étoffe de coton à tissu très serré. 4. Soit 2 600 francs au prix de 2,16 francs à 13,3 francs la douzaine. 5. 1 524 chemises de 1,10 franc à 2,10 francs la chemise soit 20 300 francs. 6. Parmi elles, sans doute des couvertures écarlates si appréciées dans le Bas-Congo. 7. 2 750 francs de couvertures de coton (944 couvertures), 1 200 francs de couvertures de laine et 1 200 francs de couvertures « riches », 430 francs de châles.
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sur les marchés africains déjà à cette époque : Marchand y acquit 860 pièces pour 2 100 francs 1 . En outre, le but de la Mission étant d'établir des rapports étroits avec les puissances arabes et musulmanes, elle fut munie d'articles venus d'Afrique musulmane : des livres en arabe (Corans, histoires 2 ) venus d'Egypte (1 500 francs), des « chapelets arabes » (500 francs), des « burnous et objets arabes » (2 500 francs). On peut y ajouter 3 500 francs de corail importé de Tripoli. Au total, les achats à l'étranger représentèrent une somme de 70 080 francs sur les 140 000 francs de dépenses calculées pour la « Pacotille ». La différence correspond aux achats en France. Ici les textiles constituèrent encore des dépenses importantes. On trouve ainsi, dans l'inventaire de mai 1896, sans précision de quantité, 3 250 francs de calicot blanc de Diville, 2 500 d'andrinople de Paris et Lyon, 6 000 francs de soierie de Lyon, et 1 200 francs de velours. Cependant, les plus grosses dépenses en France furent occasionnées par l'achat de matériel et d' « articles de Paris ». Une partie concernait directement l'équipement de la Mission : matériel de voyage, de campement, de photographie et de topographie, pharmacie, sel en barres, articles de pêche, machettes pour tirailleurs, bâches... tout ce dont une longue mission était susceptible d'avoir besoin 3 . L'autre partie formait un véritable bricà-brac pittoresque d'objets ou produits destinés aux cadeaux : glaces et miroirs, « parasols nègres », gazes, tarlatanes, galons or, calottes et fez, bottes et pantoufles brodées « à la mode arabe », clochettes et grelots, enfin boîtes à musique (1 200 francs) et parfums de Grasse (1 000 francs). Beaucoup de ces achats étaient de petites sommes. Néanmoins ils dépassaient au total 20 000 francs. Presque tous furent effectués par Marchand sans le concours de la Commission des Marchés. Enfin, derniers éléments de l'équipement de la Mission, les vivres dont l'acquisition était évaluée à 24 000 francs en mai 1896 4 . Le plus gros achat de vivres fut effectué à Bordeaux par Baratier. Il devait couvrir les besoins de la Mission pour cinq mois : 10 tonnes de riz, 5 tonnes de conserves de bœuf, 1 600 kg de biscuits, 1 tonne de café, 250 kg de saindoux, 50 kg de thé et 25 kg de poivre. En liquide, Baratier fit acheter 1 300 1 de vin rouge de Bordeaux, 525 1 de tafia, ce qui est très peu, 130 1 d'huile et 50 1 de vinaigre. Alors qu'aucune indication n'est donnée sur les fabricants et fournisseurs étrangers, on peut connaître quelques-uns des négociants français. Ce ne sont apparemment pas de très grandes sociétés : la maison Radiguet, « constructeurs d'instrument de précision, 15 bd. du Calvaire à Paris », la maison 1. La longueur actuelle d'un pagne est de 12 yards. 2. A noter une Histoire de Napoléon Ie! qui, on le sait, chercha à prendre contact avec les populations du Haut-Nil. 3. Signalons, dans ce matériel, les fournitures de bureau (1 200 francs), la mercerie, un nécessaire à souder, des pipes, tabatières, briquets et pierres, des flanelles et 2 000 francs de complets... 4. 18 000 francs de « vivres de route pour cinq mois » et 6 000 francs de conserves et crus. Il faudrait y ajouter 2 800 francs « d'aliments légers pour malades, boissons et conserves e choix ».
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Chapon, 13 bd. du Temple à Paris pour les bâches en toile, H. Chegaray, négociant établi au Havre pour la fourniture à Bordeaux des conserves de b œ u f 1 . Seul Antoine Conza, 59 rue Meslay à Paris, paraît diriger une grosse affaire. Il était devenu le fournisseur habituel et spécialisé des missions françaises en Afrique Centrale. La préférence qu'on lui accordait était due à sa mise au point d'emballages adaptés aux servitudes des transports en Afrique, capables de résister aux chocs, aux pluies et aux séjours dans l'eau fréquents lors des difficiles passages de rapides par les pirogues. En outre, ils ne devaient pas, une fois remplis, dépasser 30 kg, poids des « charges » normales de porteurs. Pour répondre à ces exigences, Conza avait mis au point des mallettes de fer-blanc étanches, des tonnelets destinés au transport des liquides et vivres en vrac et des caisses de bois doublées de zinc. Le ministère des Colonies prit l'habitude de s'adresser à lui, ainsi que les explorateurs. Brazza en fit même, à l'occasion, son pourvoyeur de fonds personnel 2 . En 1898, Conza équipa la Mission de renfort Julien et, de 1896 à 1898, fournit la Mission Marchand. Mais sa fortune tenait aussi au fait qu'il fournissait à la fois les mallettes ou tonnelets « système Conza » et leur contenu, en général des denrées alimentaires — ainsi, en mai 1896 puis en juillet 1 8 9 7 3 et juillet 1 8 9 8 4 , lorsque la Commission des Marchés signa des « traités de gré à gré » avec Conza pour le compte de la mission. Il s'agissait d'ailleurs du renouvellement du même marché. On y retrouve les mêmes produits et à peu près les mêmes quantités : 80 caisses de conserves, 400 kg de farine, 200 de sucre, 200 de café, un peu d'huile d'olive et de vinaigre, 600 1 de vin de Bordeaux, de Banyuls, de Madère, 200 de tafia. Toutefois on abandonna, en 1898, le transport des liquides trop fragiles en tonnelets et on lui préféra u n transport en bouteilles enfermées dans des caisses. Enfin, leitmotiv des envois en Afrique Centrale, les perles, qui forment la plus grosse part des envois Conza : 1 840 kg de « Bayakas rouges » et 460 kg de « Bayakas bleu foncé » à chacun des marchés. Ces Bayakas, particulièrement appréciées le long de l'Oubangui, étaient expédiées en tubes de 23 kg, « type Congo Français ». Les prix ne varièrent guère en ce qui concerne les denrées alimentaires. Le marché Conza de 1898 f u t cependant plus élevé que celui de 1897 : 17 954 francs au lieu de 16 614 francs. L'écart est dû à une augmentation de 25 % du prix des perles Bayakas B . Il faut enfin signaler une pittoresque « spécialité » de la maison Conza, l'approvisionnement en « vivres de malades ». Ainsi en avril 1896, u n marché de plus de 8 000 francs f u t passé au profit de la Mission Marchand, pour « la fourniture d'aliments légers de malades », liquides et conserves, tels que conserves de pâté de foie gras, de galantine truffée, de choucroute, de tripes à la mode de Caen..., 25 bouteilles de Cognac, 50 d'absinthe
1. S.O.M., M14, Traité de gré à gré entre le ministre des Colonies et M. H. Chegaray, demeurant au Havre et demeurant à Bordeaux, 8 avril 1896. 2. En mai 1892, Brazza alors dans la Sangha, demanda à Chavannes de lui faire avancer 1 000 francs par Conza. 3. S.O.M., M4, Traité de gré à gré entre le ministre des Colonies et Conza, 25 juil. 1897. 4. S.O.M., M44, Traité de gré à gré entre le ministre des Colonies et Conza, 20 juil. 1898. 5. Nous n'avons pu trouver l'explication de cette hausse brutale.
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Pernod et « du Champagne »... : tout un fonds de bonne épicerie parisienne 1 . Mais si l'inventaire du matériel de la Mission nous révèle quelques aspects inattendus, nous pouvons constater que l'essentiel est formé par des marchandises, perles et tissus, destinées à payer les services des Noirs, et que l'alcool ne tient qu'une place dérisoire. En tenant compte des marchés de 1897 et 1898, Marchand ne semble avoir demandé qu'un peu plus de 900 1 de tafia pour 150 tirailleurs en trois ans environ de séjour et 2 700 1 de vin rouge ordinaire de Bordeaux. Il y eut bien sûr quelques achats de tafia à Loango et Brazzaville, presque exclusivement auprès d'une maison de commerce portugaise, Sargos, mais ils restèrent fort limités : 330 bouteilles environ 2 . Comme Brazza donc, Marchand ne paraît pas « ranger l'alcool parmi les produits à distribuer aux indigènes » 3 . Les plus gros achats effectués en cours de route ont été ceux de viande : par exemple 1 200 kg de bœuf en conserve, au comptoir de la C.F.A.O. à Conakry en juillet 1896. Dernier élément de l'équipement, l'armement : 170 mousquetons du modèle le plus récent, 1892, et 100 000 cartouches 4 . En outre Marchand emmena en août 1895 un premier envoi de 500 mousquetons, modèle 1874, sur les 2 000 réclamés par Liotard « pour armer les contingents auxiliaires » des Sultans amis des Français L'abondante documentation conservée permet par conséquent de se rendre compte très précisément de ce qu'était une « mission » et du coût de son équipement. Elle permet aussi de mieux connaître les marchandises demandées par la clientèle africaine, au moins dans le Bas-Congo. Toutefois on ne possède guère de points de comparaison avec les autres grandes expéditions dont les frais et l'équipement sont encore mal connus. Par ailleurs, la Mission Marchand présentait un caractère exceptionnel qui explique le coût relativement élevé de son matériel, en tout cas beaucoup plus élevé que celui des explorations de Brazza. Enfin, Marchand homme du Soudan, prépara sa mission en Afrique Centrale sur renseignements ; ceux-ci, à peu près exacts en ce qui concerne le Bas-Çongo, l'étaient beaucoup moins en ce qui concerne l'Oubangui.
1. S.O.M., M14, Traité de gré à gré entre le ministre des Colonies et Conza, 21 avr. 1896. 2. S.O.M., M14, Comptabilité de Paris à Fachoda. N o u s avons fait le total des factures justificatives de cette comptabilité. 3. Cf. B r u n s c h w i g , « Les factures de Brazza », op. cit., p. 18. 4. S.O.M., M44, Ministre de la Guerre à ministre des Colonies, Paris, 30 mai 1896. La mission utilisa presque entièrement ses munitions au cours des combats du Bas-Congo puis ceux de Fachoda contre les Derviches et rendit un peu moins de 6 000 cartouches. 5. S.O.M., G a b o n - C o n g o , I, 61b, Liotard, à ministre des Colonies, Zémio, 1 e r août 1895. Liotard rappelait à cette occasion la promesse non tenue de 2 000 fusils faite par le Belge Van Kerckhoven à Zémio. Les Colonies, convaincues, obtinrent du ministère de la Guerre les 2 000 fusils et les 400 000 cartouches demandés par Liotard. (Cf. S.O.M., M14, Ministre de la Guerre à ministre des Colonies, Paris, 15 avr. 1896.)
CHAPITRE I I
LA TRAVERSÉE DU CONGO FRANÇAIS Au total la Mission Marchand emporta environ 3 000 charges de 30 kg, soit 90 tonnes 1 et ce fut la première grande mission française en Afrique Centrale ; l'expédition Decazes avec ses 220 tirailleurs et ses 12 Européens peut lui être comparée mais elle était beaucoup moins lourdement chargée. Le débarquement à Loango des 90 tonnes de la Mission Congo-Nil et leur évacuation rapide vers l'intérieur allaient poser à l'administration Brazza des problèmes qu'elle ne sut pas résoudre. A vrai dire cette administration avait déjà capitulé devant la question des transports à l'arrivée de Marchand. Celle-ci précipita une crise qui couvait depuis longtemps. Elle coûta à Brazza sa place et sa légende 2 . On sait qu'il fut sèchement rappelé par un télégramme d'André Lebon du 2 janvier 1898, après une année de palinodies où tous les mécontents se regroupèrent contre Brazza à la faveur des difficultés du passage de Marchand. Celles-ci fournirent d'ailleurs plus tard à André Lebon un commode alibi pour rejeter sur Brazza la responsabilité des retards irrémédiables que subit la Mission et pour expliquer le rappel du Commissaire Général : », « Malgré les avis qu'elle avait reçus en temps utile pour préparer le service des transports de la côte à Brazzaville, l'administration du Congo Français se trouva si notoirement inférieure à sa tâche qu'aucun des convois ne put être acheminé dans les délais prescrits. » 3
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, l r e partie, fol. 25 à 27. Les calculs donnent 90 tonnes. Toutefois Marchand mentionne 100 tonnes au début du rapport (fol. 25) : la différence correspond sans doute aux armes destinées à Liotard, non comptées dans le premier chiffre. 2. M. MICHEL, « Autour de la Mission Marchand: le rappel de Brazza en 1897 », Cahiers d'Etudes Africaines, n° 25, pp. 152-185. 3. LEBON, op. cit., p. 19. Un autre motif, le déficit financier lié à la Mission Marchand, était aussi mis en avant par Lebon : « Pis encore, dans les premiers jours de 1897, sans que rien eût laissé soupçonner un tel état de choses, la même administration accusa par télégramme un déficit si formidable qu'il ne pouvait plus être question de pourvoir aux dépenses de la mission par les procédés financiers convenus avec la commission compétente de la Chambre » (p. 19). 6
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I . L'ARRIVÉE DE LA MISSION MARCHAND AU CONGO FRANÇAIS
Les convois de la Mission du Nil devaient atteindre Brazzaville dès septembre 1896. Mais on ne tint guère compte à Paris des avis pessimistes de B r a z z a O n se contenta d'échelonner l'arrivée des convois pour éviter trop d'embouteillage à Loango. Après entente avec les compagnies desservant alors la côte d'Afrique, Frayssinet à Marseille et les Chargeurs à Bordeaux, les départs eurent lieu sur les navires réguliers, d'avril à juin 1896. Le 24 avril, Largeau et les sergent Dat et Bernard s'embarquèrent les premiers à Marseille sur le Thibet emportant avec eux 830 charges (25 tonnes) d'étoffes, de perles et de sel ; ils débarquèrent à Loango le 20 mai. Le second convoi fut celui de Baratier, de Simon et du sergent Venail ; parti le 10 mai de Bordeaux sur la Ville de Maranhao avec 2 000 charges, il arriva à Loango le 30 mai. Germain, de Prat et les trois civils de l'expédition quittèrent Marseille le 25 mai avec 200 charges par le paquebot Stamboul qui prit à l'escale de Dakar, Mangin, Emily et la compagnie d'escorte ; ce troisième contingent fut le 20 juin à Libreville. Enfin Marchand et Landeroin, quittèrent la France par Marseille le 25 juin sur le Taygète et atteignirent Libreville le 20 juillet 2 . Marchand était optimiste ; il devait très vite déchanter : « J'étais convaincu en quittant Paris, après avoir pris connaissance des dépêches rassurantes que je ne trouverais plus une seule des 3 000 charges de la mission à mon arrivée à Loango et que je n'aurais qu'à me hâter pour rattraper tout mon monde à Brazzaville avant la montée dans l'Oubangui. Je connaissais bien mal le Congo Français en le jugeant sur ses communications officielles à l'Administration Centrale et j'ai failli payer bien cher une confiance pourtant si naturelle en apparence. » 8
En effet, la Mission Congo-Nil n'était pas dans une situation très brillante en juillet 1896. La compagnie d'escorte, dont Brazza craignait l'effet sur les populations, avait été stoppée sur son ordre, à Libreville ; installés dans le pénitencier, les tirailleurs tuaient le temps par des exercices de tir. Mangin rongeait son frein. Surtout, 550 charges seulement sur 3 000 étaient parties après une discussion orageuse entre Brazza et Baratier. Cette première caravane ne dépassa d'ailleurs pas le Mayombe, les porteurs ayant brusquement abandonné leurs colis dans la forêt à l'annonce de troubles dans les environs de Brazzaville. La Mission n'était d'ailleurs pas la seule victime : une quantité énorme de charges appartenant à l'administration, au commerce et aux missions catholiques de l'intérieur étaient aussi bloquées à Loango. Marchand évalua à 25 000 charges 4 , soit 750 tonnes, les approvisionnements accumulés dans des hangars de fortune à Loango ; on y trouvait, tous les approvisionne1. « Le gouvernement, vous le savez, désire que la Mission puisse s'embarquer à Brazzaville en octobre au plus tard... On ne peut attendre février 1897 que vous indiquez dans vos lettres. » (S.O.M., Papiers de Chambrun, Correspondance Brazza, Marchand à Brazza, Paris, 26 mai 1896.) Malgré les injonctions de Paris, ce fut bien en février 1897 que la Mission quitta Brazzaville... 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, fol. 26. 3. Ibid., fol. 26, note 1. 4. Ibid., fol. 28.
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ments destinés à l'administration de l'Oubangui et de la Sangha depuis 1894. Aussi décida-t-il de les conduire jusqu'à Brazzaville en plus de ses propres convois x . Les descriptions indignées de Marchand et Baratier renseignent bien sur l'allure du seul « port » de l'Afrique Centrale française en 1896 : une mauvaise p l a g e 2 bordée de magasins et de quelques maisons de bois appartenant à l'administration et au commerce non loin de Diosso, village du M a Loango, et de la mission catholique. En juillet 1896, les dernières cargaisons, « faute de place, étaient déposées sur la plage dans des abris provisoires ou m ê m e sans abri », rapporte M a r c h a n d 3 . « Pourtant, ajoute Baratier, o n bâtit à L o a n g o un nouveau magasin pour y mettre les ravitaillements qui arrivent, à moins qu'on ne fasse un peu de place dans u n vieux magasin en vendant aux enchères publiques, les conserves, la farine ou le vin. Ça je l'ai vu ! D u vin payé en F r a n c e 1 f r c le litre a été vendu à Loango à 0,50 frc. Inutile de dire qu'il était acheté par un commerçant qui le revendait 2 ou 3 francs. » 4 Le désordre avait été aggravé par l'arrivée inopinée au Bas-Congo, en mars 1896, de deux compagnies de la relève des troupes de l'Oubangui. Paris s'était brusquement avisé de l'urgence de cette règle mais n'avait pas averti. Injustement, Marchand et ses amis rendirent Brazza complètement responsable de cette situation. Ils l'accusèrent d'incapacité, de mollesse et le soupçonnèrent m ê m e de mauvaise volonté ou de jalousie. A Mangin, Brazza fait l'effet « d'un vieux lion au repos qui rugit de nous voir continuer la chasse qu'il a commencée et voudrait la mener avec nous : les circonstances et non sa faiblesse l'en empêchent » 6 . Baratier est encore plus sévère : « 31 mai. Je descends à terre et je marche à l'ennemi. L'ennemi c'est de Brazza, car il fallait s'attendre à le voir se mettre en travers de la route... le Congo est son bien, sa chasse gardée... Il n'en fait rien du reste de sa chasse... » 6 Quant aux jugements de Marchand lui-même, ils 1. Marchand désigna les charges de sa Mission par la dénomination « Mission B » afin de les distinguer de la Sangha et de l'Oubangui. 2. Cf. Papiers Liotard, Journal 28 août 1891 : « Loango ne sera jamais un port de débarquement; les bateaux sont mouillés au loin, au large. On pourrait utiliser la Pointe Indienne pour faire une longue jetée, mais à quoi bon, puisque la baie doit être fatalement comblée par les sables. L'avenir de la côte n'est pas très brillant, il est préférable de chercher ailleurs un autre endroit de pénétration. » 3. S.O.M., M43, Rapport Marchand, fol. 28. 4. A.N., 99 AP3, Souvenirs manuscrits, 1901, 1 er volume, pp. 24-25. 5. A.N., 149, AP3, Charles Mangin à M. Ménard, Libreville, juin 1896. 6. A.N., 99, AP3, Souvenirs manuscrits, 1901, 1 e r volume. Le récit de Baratier continue, ironique et pittoresque, englobant dans une même réprobation Brazza et la petite société coloniale de Libreville : « Il y a un an, nous avons eu contre nous l'ex-capitaine et explorateur, le gouverneur Binger... Monteil avait constaté la déplorable situation de la Colonie de la Côte d'Ivoire et l'avait écrit en haut lieu. Me voilà en face de Brazza, grand, sec, la tête de côté, ne vous regardant jamais en face, Italien jusqu'au bout des ongles, Napolitain même, ce qui est encore p i r e Entrée de Mme de Brazza, ni jeune, ni jolie, mais aimable. Elle me raconte ses douleurs coloniales; elle voudrait ramener des mœurs pures à Libreville! L'idée d'une pareille tâche me frappe de stupeur! Les Européens n'ont jamais passé leur temps à autre chose qu'à boire, ils boivent jour et nuit jusqu'à 2 heures du matin et ils ne s'arrêtent de boire que pour faire un tour au village de glace [sic! glace pour Glass]...; quelques Gabonaises tiennent le haut du pavé, ce sont toutes des élèves des sœurs, très bien élevées, parlant français. »
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devaient s'exaspérer jusqu'à atteindre le ton excédé des lettres à Liotard de 1897 où Marchand démolit les « gloires en baudruche du Gabon-Congo » Sans doute y eut-il du côté de Brazza une certaine mauvaise volonté, quelque amertume à se voir « souffler » la direction de la politique du Nil, et surtout beaucoup d'impuissance, de laisser-aller devant le désordre administratif du Gabon-Congo. Mais il ne chercha pas à cacher la situation et avertit très tôt Paris. En mars 1896, il protesta contre l'arrivée inopinée de la relève de l'Oubangui, signala les risques d'encombrement sur la route des caravanes, sollicita un sursis de l'envoi de la Mission Marchand et recommanda d'expédier les charges avant la compagnie d'escorte 2 . Au début mai, Brazza annonça qu'il avait fallu réquisitionner les porteurs des sociétés commerciales de Loango 3 . Fin mai, après avoir demandé en vain un nouveau sursis à l'arrivée de la compagnie Mangin, il répéta que Loango serait inévitablement encombré et qu'il faudrait trouver des expédients 4 . On n'était donc pas dans l'ignorance de la situation à Paris. Mais, avec des formes, on répondit qu'il n'était pas possible de surseoir à l'envoi de la Mission et, en juin, André Lebon demanda à Brazza de « s'arranger » pour ravitailler le Haut-Oubangui et faire passer Marchand 5 . Tout au plus proposat-on alors l'envoi temporaire de mille porteurs dahoméens 6 . Le coût devait en être supporté par le budget local du Gabon-Congo ; Brazza ne répondit pas. La cause profonde du « déplorable état de la Colonie », c'est-à-dire l'insuffisance et le coût du transport par la route des caravanes, était aussi bien connue à Paris ; en mars 1895, Delcassé, lui-même, avait expliqué le problème à la Chambre 7 . Il est une chose, toutefois, que Brazza n'avoua pas à Paris, c'est la paralysie du portage et l'impuissance de l'administration locale en mai 1896. C'est donc le problème très général du portage, que la Mission Marchand mit au grand jour. I I . L E PROBLÈME DES TRANSPORTS AU BAS-CONGO FRANÇAIS
La voie française habituelle permettant de ravitailler les postes et les maisons de commerce de l'intérieur était, en 1896, la fameuse « route des caravanes » de Loango à Brazzaville. Il existait bien une autre voie, découverte et exploitée jadis par Brazza : c'était l'Ogooué jusqu'à Franceville, puis l'Alima où il avait fondé les postes de Dielé et Lékéti, enfin le Congo 1. MICHEL, « Deux lettres... », op. cit., p. 80. Pourtant en décembre 1895 Marchand avait témoigné à Brazza son « ardent désir d'appliquer à côté de vous, sous vos yeux et avec l'espoir de votre approbation, l'enseignement et les méthodes qui ont été et restèrent les vôtres dans l'acquisition à notre patrie et à notre influence des vastes terres du Centre Afrique». (Papiers de Chambrun, Correspondance Brazza, Marchand à Brazza, 21 déc. 1895.) 2. S.O.M., M43, Brazza au ministre des Colonies, Libreville, 21 mars 1896. 3. Ibid., id., 7 mai 1896, et Rapport du 22 juin 1896. 4. S.O.M., M44, Brazza au ministre des Colonies, Libreville, 22 mai 1896. 5. « Attache le plus grand prix à ce que pour le moment, subordonniez tout à l'exécution de ces instructions et à passage Mission Marchand. » S.O.M., Gabon-Congo, 1,49 b, Lebon à Brazza, Paris, 15 juin 1896. 6. S.O.M., Papiers de Chambrun, Marchand à Brazza, Paris, 25 mai 1896. 7. Cf. B.C.A.F., mai 1895, n° 5, compte rendu de la séance du 2 mars à la Chambre sur le budget des Colonies.
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jusqu'à Brazzaville 1 . Cette voie de l'Alima n'était plus vraiment menacée p a r l'hostilité des « Apfourous » (Likuba), grands adversaires de Brazza. Mais son importance avait considérablement diminué. L'administration et le commerce lui préféraient la route du Niari entièrement terrestre, sans nécessité de transbordement, surtout plus directe et plus courte. 1. La route des
caravanes.
La route des caravanes f u t empruntée p a r la plupart des convois à destination de l'intérieur au moins jusqu'en 1898. A cette date, l'achèvement du chemin de fer belge de Matadi à Léopoldville lui porta u n coup sérieux 2 . Cependant malgré l'utilisation de plus en plus importante du chemin de fer belge, plus sûr, plus rapide et moins cher au total, la route des caravanes resta encore très fréquentée après 1 9 0 0 3 . Ce trafic posa d'ailleurs alors en termes encore plus urgents la question de la création du chemin de fer français suggéré par Brazza et de l'amélioration de la piste Loango-Brazzaville 4 . Celle-ci n'en resta pas moins le m ê m e mauvais chemin jusqu'à la construction d u C.F.C.O., sous le proconsulat d'Antonetti. De 1887, époque où l'exploration systématique et l'organisation administrative commencèrent vraiment, jusqu'aux débuts du XX" siècle, la route des caravanes resta l'artère essentielle de la colonie française. Son emploi avait été décidé, dès 1883, p a r Brazza qui en fit un but de la Mission de l'Ouest-Africain 5 . U n poste, Loudima, devait être créé au confluent de la petite rivière du même nom et du Niari, non loin de la station de l'A.I.A., Stéphanieville, où se trouvaient encore « un Belge et u n Anglais » 6 . Dolisie et Cholet furent chargés de la première reconnaissance et de la fondation de Loudima dont l'emplacement f u t atteint en juillet 1884. Dès 1885, la route était ouverte et trois postes créés : Loudima, Bouenza, Comba. Il s'agissait ainsi de remplacer la voie de l'Ogooué, surtout pour le transport des « petites charges », et d'étudier le tracé d u f u t u r chemin de f e r 7 . 1. Cf. G. SAUTTER, De VAtlantique au fleuve Congo, une géographie du sous-peuplement, p. 214. Les premiers vapeurs de la colonie avaient été acheminés en pièces détachées par cet itinéraire. Les renseignements historiques contenus dans la remarquable thèse de M. Sautter nous ont considérablement aidé. 2. Les travaux commencèrent en mars 1890, et en décembre 1893 un premier tronçon de 40 km fut mis en exploitation. En juillet 1896, la section Matadi — Tumba (190 km) est inaugurée : elle servira à la Mission Marchand. Enfin le 16 mars 1898, la ligne Matadi — Léopoldville (383 km) est inaugurée. 3. En 1901, un Inspecteur Général des Colonies pouvait constater que « le mouvement commercial de la Colonie ralenti en 1896-97 par le passage de la Mission Marchand dont les réquisitions de porteurs firent le vide entre Loango et Brazzaville, a repris en 1898 la même activité qu'en 1894 et 1895 pour atteindre son apogée en 1900, avec les sociétés concessionnaires ». (Cf. S.O.M., Gabon-Congo, XIX, 4, l'inspecteur des Colonies Bonchamps au ministre des Colonies, Libreville, 30 juin 1901.) 4. Cf. le Rapport sur la création au Congo Français d'une voie ferrée au Gabon-Congo, Paris, 1903, par F. BRANDON, membre du Conseil d'Administration du Congo Français, qui sollicita le 26 novembre 1903 la concession du premier tronçon d'un chemin de fer du Gabon au Congo. 5. Cf. C. COQUERY-VIDROVITCH, « Les idées économiques de Brazza et les premières tentatives de compagnies de colonisation au Congo Français, 1 8 8 5 - 1 8 9 8 » , Cahiers d'Etudes Africaines, 17, V, 1965. 6. A . VEISTROFFER, Vingt ans dans la brousse africaine, p. 4 7 . 7. Ibid., p. 64.
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E n fait, les Français reprirent la très ancienne v o i e d u portage de l'ivoire et des convois d'esclaves vers la c ô t e 1 . Les voyageurs allemands qui visitèrent celle-ci en 1 8 7 3 - 7 6 , Paul Gussfeldt, Julius Falkenstein, Edouard PechuëlL o e s c h e et A d o l f Bastian, avaient déjà signalé l'importance d e cette route : « A l'époque du voyageur Dapper, écrit Bastian, les Pumberos faisaient du commerce à partir de Loango et de Loanda avec le pays de Pombo, situé vers l'intérieur à partir de Loango d a n s le royaume du grand ' M o k o k o ' . » 2 L e s A l l e m a n d s avaient rapporté de nombreux renseignements sur les échanges par cette voie, à la veille de la pénétration blanche. D'après Bastian, les caravanes partaient « des rives d'un lac intérieur o ù le sel vaut cher » (sans aucun doute le P o o l ) o u de « Chikambo, d'où vient le cuivre » 3 , (certainement la région d e Mindouli o ù l'exploitation de mines de cuivre est attestée depuis très l o n g t e m p s 4 ) . C e trafic se faisait dans le sens estouest, les gens de l'intérieur venant vers la côte ; e n effet, les habitants d e la côte, les L o a n g o (Vili), ne franchissaient pas le M a y o m b e selon Bastian : « Ils ne savent rien de l'au-delà d u massif forestier du M a y o m b e . Il est rare d e rencontrer des marchands qui soient allés au-delà et les récits restent généralement très vagues. » 5 Toutefois, les différents auteurs signalent u n relais, gros centre d'échanges, Yangéla, dans une « région de savanes » 6 , à « 3 jours de la localité d e M a y o m b e et qui jouxte le M a y o m b e . Les représentants indigènes des 1. Des trafiquants de la côte continuaient encore à se livrer à la traite des esclaves sous le gouvernement de Brazza. En 1891, un négociant portugais du Bas-Congo, Carvalho, fut arrêté à Brazzaville sur ordre de Dolisie, pour prévention d'achat et de vente d'esclaves venus d u Kasaï. Carvalho fut finalement expulsé et les esclaves installés près de la station de Brazzaville mais l'affaire « très scandaleuse et compromettante pour l'Etat Indépendant » ne fut pas poussée plus loin. En 1896, la succursale de Carvalho à Loango fournit des porteurs à Marchand. (Cf. S.O.M., Gabon-Congo, I, 39a, Rapports périodiques du 18 août et du 15 nov. 1891.) 2. A. BASTIAN, Die deutsche Expédition an der Loango-Koste, p. 340. 3. Ibid., pp. 242-250. 4. Cf. SAUTTER, op. cit., « Le pays de Boko », pp. 374-375. L'extraction traditionnelle et la transformation du minerai de cuivre de la région de Mindouli et Boko-Songho sont attestées par les premiers voyageurs européens. Un des usages essentiels en était la fabrication de monnaie (mitako ou nguéla), fils de laiton dits « barrettes » par les Européens. Nous avons pu observer à Brazzaville quelques-uns de ces nguéla. En 1896, la Mission Marchand utilisa abondamment cette monnaie et a laissé des indications sur son cours. Les témoignages sur l'extraction du cuivre remontent très loin. Au XVIIE siècle, O. Dapper signale que les gens de Loango vont le quérir « en des mines fort éloignées comme à Sondi qui est sur le chemin de P o m b o au-devant du pays des Abyssins. Au mois de septembre, ajoute-t-il, une troupe de forgerons part pour Sondi et arrivés près des montagnes où sont les mines de cuivre, y font travailler leurs esclaves... Ces forgerons s'en retournent au mois de mai apportant outre le cuivre quelques dents d'éléphants. « (O. DAPPER, Description de ¡'Afrique, Amsterdam, 1685, p. 325.) Les « Loangos » auraient donc joui d'une situation privilégiée dans l'intérieur qui se serait fermé ensuite aux gens de la côte. 5. BASTIAN, op. cit., p. 369. Cf. aussi p. 126 : « Pour la plupart des habitants de la côte, le Mayombe représente l'extrême limite de leur connaissance sur l'Afrique. » 6. P . GUSSFELDT, J. FALKENSTEIN, E . PECHUËI-LOESCHE, Die Loango
p. 111.
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factoreries de la côte y fréquentent » l . Yangéla devait donc se trouver au débouché du Mayombe et à l'entrée du Niari, non loin de l'emplacement de l'actuelle ville de Dolisie. Le trafic était extrêmement fractionné et les échanges se faisaient essentiellement de tribu à tribu : « Les trafiquants ne viennent que d'une distance de 10 jours au plus à l'intérieur » 2 , donc du Niari entre les localités actuelles de Loudima et Bouenza, pays de l'ethnie Bakougni. Cette fragmentation explique la méconnaissance de l'intérieur par les gens de la côte et les difficultés du recrutement de porteurs parmi eux, en 1884, lorsque fut tentée la première traversée du Mayombe par les Européens 3 . Ce fractionnement était d'ailleurs renforcé, institutionalisé, par l'existence de péages dont l'aspect est décrit de la même façon en 1874 par Bastian 4 et dix ans plus tard par Albert Veistroffer 5 . Le péage du Mayombe décrit par ces auteurs est le plus connu. Nul doute cependant qu'aux principaux passages obligés ou obstacles, il existait d'autres péages semblables à ceux que l'on connaissait depuis des siècles sur les sentiers de Matadi au Pool et de Vivi à Manyanga 6 . Mais qu'était, en 1896, la route des caravanes? Il n'en existe pas de véritable carte. « L'itinéraire Jacob » au 1/185 000e constitue un relevé détaillé, précis des chemins entre la côte et le Pool 7 ; il s'agit de la première reconnaissance d'un tracé possible de chemin de fer « entre la côte du Loango et Brazzaville » confiée par Savorgnan de Brazza à un ingénieur, Léon Jacob. Nous avons pu y retrouver une partie des noms des villages signalés par Marchand. Malheureusement la plupart des indications de Jacob non seulement ne correspondent plus à rien aujourd'hui, mais ne concordent même pas avec celles de Marchand. Le tracé exact est donc difficile à connaître. Trivier 8 et surtout Liotard 9 nous ont
1. BASTIAN, op.
cit.,
p. 3 2 8 .
2 . GUSSFELDT, FALKENSTEIN, PECHUËL-LOESCHE, op.
cit.,
p.
136.
3. VEISTROFFER, op. cit., p. 36 : « car les Loangos, les Fiotes, ne dépassent pas 50 km. vers l'intérieur ». 4. BASTIAN, op. cit., p. 256. « A Umbuku existe un mur en bois, comme en Serbie pour marquer la frontière en direction du pays forestier du Mayombe. Le passage n'y est autorisé que par trois portes où les fonctionnaires institués prélèvent dans leur poste de garde, les droits de douane sur les marchandises importées et exportées. » 5. VEISTROFFER, op. cit., pp. 54-55. En 1884, Veistroffer ne parle que d'une porte : « On accède à la [forêt] par un unique sentier, de chaque côté duquel la forêt est fermée, sur quelques centaines de mètres par une forte palissade faite de pieux, dans laquelle a été aménagée une porte. A droite et à gauche des hangars et une baraque servent de corps de garde. Sous les hangars deux énormes fétiches faits de terre glaise et peints de couleurs vives, représentent un gros serpent enroulé : ce sont les génies de la forêt. » 6. Cf. E. DUPONT, Lettres sur le Congo, p. 151. E. Dupont, directeur du Musée Royal d'Histoire naturelle de Bruxelles, visita, en 1887, la partie du Bas-Congo appartenant à l'Etat Indépendant. Il en a rapporté des renseignements importants sur le trafic de l'ivoire et des esclaves, les péages établis le long des voies menant du Pool à la mer, Matadi ou Ambriz par l'ancien San Salvador (pp. 145-152), l'extraction et l'utilisation du cuivre « de Manyanga » (pp. 668-670) et les curieuses écoles de « féticheurs » du Bas-Congo (pp. 93-103). 7. S.O.M., Service géographique. 8. Cap. E. TRIVIER, Mon voyage au Continent Noir. 9. Papiers Liotard, Journal, du 28 août 1891 au mois de mai 1892. Premier cahier de correspondance.
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30 2 . A ce souvenir s'ajouta plus tard la fréquence croissante des déprédations et des vols commis p a r les caravanes des Français. E n 1896 « l'indigène Bakamba » fuit alors leur contact ou leur refuse les vivres : « L'indigène Bakamba, qui sait, oh combien !, que les postes de la route servent exclusivement à enregistrer les passages de caravanes, mais non à les protéger, ne consent à céder des vivres aux porteurs Loangos que lorsque ceux-ci par la faim, consentent à les payer 10 à 15 fois la valeur réelle. » 3
A Bouenza commençait la dernière partie de la route des caravanes. D u Niari à Brazzaville (170 km environ) le paysage est accidenté, la brousse plus épaisse ; la marche devient pénible « sur des collines brûlantes » (Liotard). En temps normal, il fallait sept à dix jours pour atteindre Brazzaville depuis Bouenza mais plus encore qu'ailleurs, l'hostilité de certaines populations — en particulier celle des Bassoundi « grands détrousseurs de caravanes » 4 — était à craindre, et cette portion de la route restera toujours la moins sûre. 2. Les causes de la crise des
transports.
Telle était la « route des caravanes ». Sa saturation, en 1896, s'explique partiellement par les difficultés matérielles du portage sur une aussi mauvaise piste. Mais l'étroitesse de l'assiette d u recrutement, la montée constante d u coût des transports et la tension croissante entre les Européens et les populations locales évincées des bénéfices de la route ou spoliées par les porteurs de la côte, constituent les raisons fondamentales de la crise. Bien que secondaires les inconvénients matériels d u portage sont cependant impressionnants. La lenteur des caravanes rappelle l'allure des marchands médiévaux : de Loango à Brazzaville, 25 jours de marche en saison sèche (fin mai — début octobre), 30 en moyenne en saison des pluies 5 . Les charges de 25 kg en 1884 passèrent vite à 30 k g 6 . L'effort très pénible
1. A.N., 99 API, Rapport sur le district de Comba par le chef de station Jacquot, 25déc. 1896. 2. B.C.A.F., 1932, n° 4-5, Annexe à la « Correspondance d'A. Dolisie », rapport daté du 28 mai 1885. 3. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 33. 4 . BARATIER, op.
cit.,
I, p. 3 0 .
5. Cf. B.C.A.F., 1896, sept. 1896, n° 9. Nous négligeons ici la petite saison sèche du Congo en janvier-février. 6. VEISTROFFER, op.
cit.,
p. 4 6 .
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ne permettait que 20 à 30 km de marche par jour, de 5 heures du matin à 2 ou 3 heures de l'après-midi. L'installation du camp et surtout la recherche des vivres occupaient le reste de la journée ; les porteurs devaient parfois effectuer plusieurs km pour trouver villages et plantations loin de la route. Cette durée de 25 à 30 jours était souvent allongée par les troubles, les intempéries ou les grosses chaleurs ; le retard atteignait 5 à 10 jours selon la saison. Enfin le portage était ralenti par les épidémies. A cet égard, la route des caravanes fut le grand axe de propagation de la maladie du sommeil et surtout de la variole. Plusieurs épidémies ravagèrent la cote ou les environs de Brazzaville dès avant 1890. En 1896 les porteurs de certaines caravanes de la Mission Marchand véhiculèrent la variole sous le nom de « fièvre éruptive » ^ La route des caravanes resta un foyer d'épidémies jusqu'en 1908 2 . La lenteur, les difficultés du portage et les maladies expliquent le pourcentage énorme des pertes en hommes et matériel, évaluées à environ 20 % en saison sèche, 40 % en saison humide 3 . Un des premiers convois de la Mission Marchand, celui de Prat et de Largeau, qu'on peut suivre de bout en bout, fournit un exemple concret. La caravane était composée, au départ de Loango, le 17 juillet, de 42 tirailleurs et 85 porteurs — chiffre inaccoutumé, les convois habituels comptant 15 à 30 porteurs ; 23 porteurs avaient été recrutés par un négociant portugais de la côte, Carvalho, et 31 par le gouvernement ; 31 autres porteurs étaient des prisonniers 4 . Les évasions commencèrent dès le Mayombe et les tirailleurs de l'escorte durent participer au portage « malgré les risées des Loangos » B . A mi-parcours, à Loudima, le 28 juillet, la caravane était déjà réduite à 68 porteurs « exténués et mourant de faim » : 7 s'étaient évadés, 8 avaient été renvoyés malades, 2 étaient morts 6 . A Loudima, il fallut encore laisser 13 autres malades. De Loudima à Comba la situation empira : on abandonna le long de la route 9 malades dont plusieurs mourants, atteints de « fièvre éruptive ». A Comba, ce sont 8 nouveaux abandons. Largeau réduisit alors le nombre des charges ; à l'arrivée à Brazzaville il n'y avait plus que 38 porteurs 7 . Les pertes, supérieures à 50 %, sont impressionnantes ; elles ne sont pas absolument exceptionnelles. 1. Dès 1888, Veistroffer signale une violente épidémie de variole dans le pays Baskongo le long de la piste sud de Manyenga à Brazzaville par où arrivait le ravitaillement. Un cordon sanitaire établi au Djoué, à l'entrée de Brazzaville, là où les 2 pistes de Loango à Brazzaville et de Manienga à Brazzaville se rejoignent, n'empêcha pas l'extension de la maladie. 2. Cf. L. MAILLOT, « Notice pour la carte chronologique des principaux foyers de la maladie du sommeil dans les Etats de l'ancienne Fédération d'A.E.F. », Bulletin de l'Institut de la Recherche
Scientifique
au Congo,
v o l . I, 1962, p p . 4 5 - 5 4 , et G . MARTIN, LEBŒUF, ROUBAUD,
Rapport de la Mission d'études de la maladie du sommeil au Congo Français, 1906-1908. Près de Brazzaville, en pays Bakongo, la maladie paraît alors remonter à dix ans, et à vingt ans en pays Bassoundi (pp. 31 à 64). Le long de la route, la maladie particulièrement active entre le Niari et Comba et encore plus récente, semble dater de la fin du xix e siècle (pp. 80-87). Bien que Marchand ne fasse pas d'allusion à la maladie du sommeil dans son rapport, les témoignages semblent faire remonter l'extension de la maladie aux années 1885-1895. 3. B.C.A.F., n° 9, sept. 1896. 4. A.N., 99, AP2, Etat numérique du détachement de Prat, Loudima, 28 juil. 1896. 5. C f . DE PRAT, op. cit.,
p. 12.
6. A.N., 99, AP2, Etat numérique du détachement de Prat, Loudima, 28 juil. 1896. 7. A.N., 99, AP2, Largeau à Marchand, Comba, 9 août 1896.
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On comprend donc que le portage ait terriblement pesé sur les populations et essentiellement sur les Loango (Vili ou Fiottes) qui formaient pratiquement le seul réservoir de cette main-d'œuvre depuis les débuts de la pénétration européenne : « Le pays [Loango] fournit tous les travailleurs pour le portage de la côte. Depuis 5 ans c'est là qu'on recrute les porteurs qui sont employés en nombre considérable à Banane et à Brazzaville » écrivait dès novembre 1887 le Commissaire du Gouvernement. Le second inconvénient grave du portage était dans cette étroitesse du recrutement. Le choix des Loango (ou Vili) est bien explicable : ils étaient en relations commerciales avec les Européens depuis deux siècles. Ces Loango furent ainsi à la fois les bénéficiaires et les victimes du portage des Blancs. Bénéficiaires, car les Blancs leur assurèrent le monopole des transports à l'aller et au retour, transports payés, nous le verrons, de plus en plus cher ; victimes, car le portage usa la population, comme devait le constater, le docteur Emily, médecin de la Mission Marchand : « L'abus des alcools n'est pas la seule cause de dégénérescence profonde de la race Loango, le portage doit revendiquer sa large part dans cette œuvre de destruction. » 1 A partir de 1890 la demande en porteurs augmenta en effet considérablement à cause de l'accroissement du commerce local, de la multiplication des postes à l'intérieur et du passage des grandes missions ; Crampel, Dybowski, d'Uzès, Liotard, Decazes, Gentil et Brazza lui-même lorsqu'il explora la Sangha, utilisèrent abondamment les Loango. Les trop rares statistiques données par le J.O. du Gabon-Congo de 1891 à 1914 permettent d'avoir une idée sommaire de ce trafic à partir de Loango. Le nombre des départs mensuels est rarement inférieur à 1 000 par mois en 1891 et 1892. Il augmenta petit à petit; en 1893, il dépasse 1 3 0 0 ; en septembre 1894, il partit 2 272 porteurs 2 . L'effort maximum fut réclamé pour le passage de la Mission Marchand en 1896 et 1897 3 . On tenta en vain de réglementer le recrutement en 1892. Ce règlement avait pour but de fixer les pratiques de recrutement des principaux utilisateurs : l'administration, les missions catholiques représentées par Mgr Carrie, et les gérants des maisons de commerce : N.A.H.V. (Nieuwe Afrikaansche Handels Venootschap, société hollandaise), Ancel-Seitz (société française), Parkes (société américaine), Hatton et Cookson (société anglaise), da Silveira et Carvalho (société portugaise), Société Anonyme Belge. Les porteurs devaient être recrutés par des « contremaîtres », « capitas », « connus, responsables », et choisis par les entrepreneurs de transports qui les payaient. Ces capitas, qui étaient aussi chargés de guider les caravanes, devaient assu1. A.N., 149 AP2, Rapport médical sur la Mission Marchand, 1901. 2. En fait, on observe des variations considérables à l'intérieur de cette tendance générale à l'accroissement. 3. Les seules indications sur la population côtière sont fournies par les archives des Pères du Saint-Esprit, établis alors à Loango. Mais les calculs donnent des densités tout à fait invraisemblables de 100 habitants ou plus au km2 (renseignements aimablement communiqués par M. P. Vennetier). Les inventaires de caravanes donnés par le J.O. renseignent aussi sur la nature des marchandises à destination de l'intérieur. L'essentiel est encore composé de matériels divers pour les postes, les missions et les expéditions. Quatre sortes de produits cependant reviennent constamment dans les inventaires : poudre, tissus, laiton et perles à partir de 1892. C'étaient les « monnaies » d'échange nécessaires à l'acquisition de l'ivoire et ducaoutchouc de cueillette.
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rer le recrutement par l'intermédiaire des chefs de villages auxquels ils appartenaient ; ils devaient recevoir à cet effet une licence de l'administration. Us devaient enfin présenter des garanties suffisantes, c'est-à-dire être solvables 1 . Us formaient donc déjà un petit groupe social privilégié par ses contacts avec les Européens. L e portage enrichissait aussi, bien sûr, les chefs dont certains étaient d'anciens capitas comme le très vieux chef Bayonne, au service des Portugais dès 1823 selon Liotard 2 . E n délivrant des licences aux capitas, l'administration entendait contrôler le recrutement et limiter l'embauche de main-d'oeuvre à destination de l'Etat Indépendant. Mais il fut impossible d'empêcher cette fuite d'hommes vers le chemin de fer belge, dans la région côtière et dans celle de Manyanga 3 . L e règlement de 1892 fixait aussi le taux et le mode de paiement des porteurs et des capitas. Travailleurs et contremaîtres furent toujours payés en nature. L e contremaître, d'après le règlement de 1892, recevait au départ 20 cortades (la cortade étant une pièce de tissu de 2 yards à 2 yards V2 et valant alors 0,50 franc à 0,80 franc) ainsi qu'un gallon de tafia. Pour engager complètement sa responsabilité, il ne devait percevoir le reste de son salaire qu'à son retour, soit 2 cortades par homme et un autre gallon de tafia. Pour un convoi de 20 hommes et un trajet aller-retour de deux à deux mois et demi environ, le capita devait donc percevoir 60 cortades (représentant 30 à 5 0 francs en principe) et deux galons de tafia. D e même, le porteur touchait son salaire en deux fois. Le règlement de 1892 prévoyait 10 cortades et une bouteille de tafia ou « la même valeur en poisson sec et un peu de sel » au départ, 20 cortades et « un peu de tafia, de riz, et de poisson, le tout pour la valeur d'une bouteille de tafia », au retour. Chaque homme recevait, en outre, 10 autres cortades pour ses achats de vivres en route. C e règlement visait donc la suppression des pratiques habituelles d'avances à longue échéance faites aux porteurs et aux capitas. Il voulait aussi stopper la hausse du prix du portage dont l'administration faisait les frais. Celle-ci, en effet, confiait ses transports à des adjudicataires : en 1891, elle payait ainsi 36,50 francs par charge à la maison de Silveira 4 . Mais le règlement de 1892, irréaliste, ne fut pas appliqué. Les avances subsistèrent et le coût du portage monta d'une manière spectaculaire. 1. S.O.M., G a b o n - C o n g o , I, 40a, Réglementation sur le service des caravanes adoptée en séance publique le 10 novembre 1892, résidence de L o a n g o . Les maisons de commerce non françaises dominaient donc à Loango et en général le long de la côte depuis le Gabon. Cette situation fut exploitée, en France, contre Brazza en 1897. 2 . Papiers Liotard, Journal, 28 août 1891. 3. « Les sociétés belges et l'Etat Indépendant lui-même ne se font pas faute de violer nos règlements locaux qui interdisent le recrutement pour l'étranger de travailleurs loangos. Il est à peu près impossible étant donné la situation géographique de nos frontièresd'empêcher, ni même de prévenir cette expatriation de travailleurs. » (S.O.M., Gabon-Congo, I, 40a, Rapport périodique du Commissaire Général au ministre des Colonies, Libreville, 16 sept. 1892.) 4 . Cf. Papiers Liotard, Journal, Loango, 28 août 1891. L'entrepreneur de transport, de son côté, donnait, en principe, pour 30 francs de marchandises au porteur, mais réalisait en fait, un énorme bénéfice sur ce paiement en nature qu'il surévaluait. Liotard remarquait, en 1891, que sur 30 francs, l'entrepreneur gagnait au moins 15 francs, et ajoutait : « Position très lucrative que celle d'entrepreneur de portage, puisqu'il gagne sur 3 000 porteurs envoyés par an : 3 000 x 15 = 45 0 0 0 francs. »
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Cette montée des prix des transports, troisième grande cause des difficultés, était certes le fruit de l'accroissement des besoins en porteurs, mais aussi et surtout des manœuvres spéculatives de la puissante Société Anonyme Belge pour le Commerce du Haut-Congo. C'était l'une des six compagnies de l'Etat Indépendant ; Albert Thys en était le fondateur et Wauters, directeur du Mouvement Géographique, le secrétaire général ; elle exploitait le caoutchouc de cueillette et l'ivoire du Congo. E n pleine expansion, elle avait acheté, en 1892, la maison Daumas pour s'établir du côté f r a n ç a i s 1 . E n 1894, elle avait 83 factoreries dont 19 en territoire f r a n ç a i s 2 . L a S.A.B. cherchait à contrôler le commerce du Congo Français et de l'Oubangui et à éliminer ses adversaires, surtout la N.A.H.V., en monopolisant la main-d'œuvre de portage. Dès février 1892, l'administration française s'en inquiétait : « Les maisons de commerce étrangères établies chez nos voisins de l'Etat Indépendant profitent de notre route et la surchargent outre mesure de leurs transports. La concurrence... aboutit à faire donner aux porteurs des salaires de plus en plus élevés et leur recrutement devient de plus en plus difficile pour l'entrepreneur de l'Etat qui est lié quant aux prix par son marché. » 3 E n 1892, l'administration passa cependant un nouveau marché, en apparence avantageux, avec une société française récemment établie au Congo et créée par un industriel landais, futur député, n o m m é Ancel-Seitz. Mais celleci ne put résister 4 et en avril 1893 Chavannes avertit Paris qu'à Loango « presque tous les colis sont enlevés par la S.A.B. et appartiennent à l'Etat Indépendant » L'administration essaya donc de lutter. Elle demanda dès le début de 1892 l'autorisation de « tripler et quintupler au besoin » la taxe de 2 francs perçue sur chaque charge transportée pour le compte des socié-
1. Le capital de la S.A.B. passa de 1 200 000 francs à 3 puis à 6 millions (d'après La Géographie du 18 août 1892); le nombre de ses établissements de 9 en 1889 à 15 en 1890, 17 en 1891, 34 en 1892, 41 au milieu de 1893 (d'après L'Indépendance belge du 19 sept. 1893). Parmi les administrateurs de la S.A.B., on trouvait les noms d'Alexandre Delcommune, de Georges Brugmann et du banquier bruxellois Léon Lambert. En 1892 cependant, la S.A.B. ne voulut pas se plier au système des concessions ; elle entra en concurrence avec les agents de l'Etat Indépendant auquel Léopold II voulait réserver le monopole de l'ivoire et du caoutchouc. (Cf. L'Opinion Libérale de Bruxelles du 14 août 1892.) Elle chercha alors à s'étendre du côté du Congo Français, et racheta les établissements Daumas et Cie pour 1 550 000 francs (d'après La Géographie du 18 août 1892). 2. Cf. Carte des « Etablissements des 83 factoreries et postes au 1 er janvier 1884 » de la S.A.B., supplément au Mouvement Géographique du 28 oct. 1894. La S.A.B. possédait des établissements dans la Sangha (Ouesso et N'Goko) et atteignait le Haut-Oubangui à Bangassou. 3. S.O.M., Gabon-Congo, I, 39a, Rapport périodique du 15 janv. au 15 fév. 1892, Chavannes au ministre des Colonies et de la Marine. 4. Dès septembre, Chavannes dénonce la concurrence qui « place notre adjudicataire dans des conditions tellement désavantageuses qu'il est à peu près impossible de trouver des porteurs ». Si l'on tient compte des bénéfices signalés par Liotard en 1892, on s'aperçoit que l'adjudicataire ne voulant pas réduire ses bénéfices désirait obliger l'administration à payer plus. Cependant les indications de plus en plus nombreuses à partir de 1892 d'une monopolisation de la main-d'œuvre par les Belges, semblent aussi prouver que ceux-ci « récupéraient beaucoup moins sur le portage au point de mettre en péril les sociétés concurrentes». (S.O.M., Gabon-Congo, I, 40a, Rapport périodique du 16 sept. 1892.) 5. S.O.M., Gabon-Congo, I, 41, Rapport périodique du 16 avr. 1893.
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tés belges. Mais la société Daumas était alors en pourparlers avec la S.A.B. Elle protesta à Paris et Chavannes, sommé de s'expliquer sur ses projets, dut y renoncer Cette politique n'étant pas soutenue à Paris, l'administration locale tenta alors d'établir « une réquisition directe vis-à-vis des indigènes ». En réalité elle dut accepter de s'engager dans la concurrence et de payer 45 francs par porteur aux entrepreneurs de transport. Lutte vaine d'ailleurs. L'évacuation des charges des grandes missions vers l'intérieur, ainsi qu'une épidémie de variole au milieu de 1894, firent apparaître alors la situation que Marchand devait trouver à son arrivée. En juin 1894, Dolisie avisa Paris : « Le service des transports devient de plus en plus difficile. Il y a près de 10 000 charges en magasin, à Loango, à destination des postes de l'intérieur. La Société Anonyme Belge joue en ce moment une grosse partie dont la perte serait sa ruine. Son but évident est de se rendre maîtresse du marché de l'Afrique Centrale. Elle continuera d'élever progressivement les prix des transports pour forcer la maison hollandaise à se retirer en l'amenant à suivre l'exemple de la maison Daumas. » 2
En mars 1895, le problème fut évoqué au Parlement. Delcassé, ancien ministre des Colonies, répondit longuement aux questions. Fort bien informé, il cita des chiffres : le prix de la charge rendue à Brazzaville a atteint 45 francs en 1894 ; ceci multipliait par deux ou par trois le prix des marchandises et portait le prix du transport des caravanes à 1 500 francs la tonne. De plus, ajouta Delcassé, c'était 55 à 60 francs par charge qu'il faudrait bientôt payer 3 . Cependant la politique des diverses sociétés et du chemin de fer belge et le coût de plus en plus lourd pour le budget de la Colonie des transports administratifs n'expliquent pas la brutale fermeture de la route en 1896 : c'est l'éclatement de l'ancienne tension entre les populations de l'intérieur et les Européens qui l'explique. Depuis 1892, le territoire Bassoundi était en état de dissidence larvée. La révolte n'était pas ouverte parce que les contacts avec les Européens étaient rares ; les postes de Bouenza, Biédi et Comba intervenaient le moins possible dans la vie locale. Des incidents graves montrent bien, toutefois, l'hostilité profonde des Bassoundi ; le plus significatif fut, le 18 novembre 1892, l'assassinat du chef de convoi Laval et de deux miliciens au lieu dit Condo-Bondo situé à 5 heures de marche de Comba 4 . Les signes d'une révolte ouverte étaient apparus en septembre 1895 ; un convoi destiné à Gentil et conduit par l'agent Huntzbukler dut rebrousser chemin entre Bouenza et Comba. Puis, au début de 1896, se produisirent des attentats répétés contre la ligne télégraphique de Loango à Brazzaville en cours d'installation. En avril-mai, Dolisie dut entreprendre une tournée dans la région. Un incident se produisit alors. Selon Marchand, Dolisie avait confisqué le fusil du chef d'un petit village, Makabendilou, où les porteurs étaient souvent dévalisés ; en manière de représailles, ce chef arrêta le 1. S.O.M., Gabon-Congo, I, 39a, Chavannes au ministre des Colonies et de la Marine, 18 mars 1892. 2. S.O.M., Gabon-Congo, I, 45a, Rapport périodique du 1 er mai au 15 juin 1894. 3. Cf. Compte rendu du débat à la Chambre du 2 mars 1895 dans le B.C.A.F. de mai 1895. 4. J.O. du Congo Français, n° 24, 20 déc. 1892.
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premier courrier postal de passage puis somma le responsable du poste de Comba de lui rendre l'arme « accompagné d'un nombre respectable de ballots d'étoffes et de fusils » 1 . De fait le courrier avait bien été attaqué, des caravanes pillées mais après une « bagarre » avec des miliciens venus récupérer du matériel de la ligne télégraphique. Le bruit d'un massacre des porteurs et des miliciens fut alors colporté par des Loango en fuite et deux officiers de retour du Haut-Oubangui rebroussèrent chemin sur Brazzaville 2 . Mal informé, l'administrateur Vittu de Kéraoul décida de « réquisitionner » une compagnie de tirailleurs du Haut-Oubangui arrivée au Congo avant Marchand et de passage à Brazzaville. L'opération de police fut menée brutalement et sans discernement, semblet-il d'après Marchand : « Un certain nombre de villages furent flambés au hasard de l'allumette, toute cette région et ses divisions politiques étant encore parfaitement inconnues. » 3 Le chef d'un groupement Batéké voisin de Makabendilou, Foulambao, supporta d'abord la répression. Il se vengea en faisant massacrer une caravane de porteurs Loango. Vittu de Kéraoul dut lancer une seconde colonne dont les opérations semblent avoir été très dures : « On brûle tous les villages de la route, un nombre formidable si j'en crois les rapports, écrit Marchand, on se bat pendant des demi-journées entières à bout portant contre des 1 500 Batékés [sic], on tue 150 ennemis au moins. » 1 « Il ressort des rapports des officiers, que les Batékés-Bassoundis ont opposé une résistance tenace à laquelle j'étais loin de m'attendre, reconnut de son côté Vittu de Kéraoul, qu'ils ont, malgré les pertes qu'ils ont dû éprouver, continué à attaquer le détachement pendant le retour, les harcelant tant qu'ils ont été sur leurs territoires. » 5 C'était donc un échec. L'effet des événements de mai-juin 1896, en pays Bassoundi — explosion d'une crise qui couvait et de difficultés qui s'exaspéraient depuis longtemps — fut immédiat. Tout au long de la route des caravanes se produisit un phénomène de « grande peur » ; les porteurs jettèrent leurs charges à partir du Mayombe. Seule la caravane Largeau put traverser, sur le qui-vive, le pays soulevé. Tous les approvisionnements des postes, ceux de Gentil, ceux du commerce et des missions religieuses, ceux de l'expédition du Nil enfin, se trouvèrent bloqués sur la côte ou éparpillés le long de la piste. L a fermeture de la route mettait au grand jour l'excessive fragilité de la pénétration française en Afrique Centrale. Or en 1896 l'espoir d'un remède radical, la construction du chemin de fer, était plus lointain que jamais. Des anciens projets, il ne restait, à l'arrivée de la Mission Marchand, qu'un
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 29. 2. Ibid., Pièces annexes, fol. 5, Vittu de Kéraoul à Dolisie, Brazzaville, le 8 juin 1896, « Grave incident à Makabendilou, caravanes pillées, route de Loango fermée ». 3. Ibid., fol. 29. 4 . M I C H E L , op. cit,
p. 56.
5. Rapport de Vittu de Kéraoul à Brazza, Brazzaville, 18 juil. 1896, arch. du Gouvernement Général. 7
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essai fort compromis d'utilisation de la voie fluviale du Kouilou-Niari. L'idée d'utiliser le Kouilou était liée depuis les débuts de la pénétration européenne à celle de la construction du chemin de fer dans la plaine du Niari 1 . Dolisie, le premier, semble-t-il, songea à l'aménagement du fleuve par la construction d'un barrage dans le rétrécissement du Kouilou, au site exceptionnel de Sunda, près de Kakamoéka. Dès 1887 l'ingénieur Jacob avait étudié la combinaison du chemin de fer et du fleuve de la côte à Brazzaville2, et en 1889 un projet de compagnie concessionnaire cautionnée par le gouverneur du Crédit Foncier, Christophe, avait été élaboré 3 . En décembre de cette année, le projet fut même approuvé par le sous-secrétaire d'Etat aux Colonies 4 « lorsque, brusquement, comme par une influence magique, tout fut suspendu » 5 . Des pressions du côté belge expliquent cette « influence magique ». En 1893, l'idée fut reprise par un groupe d'hommes « justement honorés, occupant à Paris et à Marseille une situation considérable dans l'industrie et le commerce » 6 et dont la personnalité la plus marquante était celle du capitaine Alfred Le Châtelier. Une société fut alors mise sur pied ; elle reçut l'approbation de Delcassé en juin 1893 et le puissant patronage de représentants de gros intérêts, marseillais en particulier, comme Cyprien Fabre. On y trouvait aussi Noblemaire, directeur du P.L.M., Bergasse, administrateur des Messageries Maritimes, et Henry Péreire 7 . La Société d'Etudes et d'Exploitation du Congo Français, ainsi créée, devait recevoir 350 000 hectares de son choix et étudier la possibilité d'aménager le fleuve et d'établir une voie ferrée. On aurait pu alors rattraper l'avance belge. Pour des raisons encore mal éclaircies, le projet fit long feu. En 1896, lorsque Marchand débarqua au Congo, la S.E.E.C.F. devait en principe assurer un service de transport par bateaux à vapeur de Loango à Kakamoéka, par chalands de Kakamoéka à Biédi, et par porteurs de Biédi à Comba en vertu d'un contrat signé en novembre 1894 avec la Colonie 8 . Celle-ci avait obtenu un tarif préférentiel de 30 francs par charge, et la priorité des transports. En réalité, en 1896, la S.E.E.C.F. était au point mort et on ne croyait déjà plus au Kouilou. Les déceptions des études préliminaires 9 et les mésaventures de la petite flottille destinée au Haut-Oubangui que Marchand
1. Voir sur cette question G. SAUTTER, « Notes sur la construction du chemin de fer CongoOcéan (1921-1934) », Cahiers d'Etudes Africaines, n° 26, pp. 219-299. 2. S.O.M., Gabon-Congo, XII, 19, Brazza au ministre de la Marine et des Colonies, Paris, 13 avr. 1889. 3. S.O.M., Gabon-Congo, XII, 19, Brazza à Christophe, 16 avr. 1889, et CHAVANNES, op. cit., II, p. 191. 4. S.O.M., Gabon-Congo, XII, 19, Ministre de la Marine et des Colonies à Brazza, Paris, 25 juin 1889. 5. CHAVANNES, op. cit., II, p. 209.
6. Cf. B.C.A.F., juin 1893, p. 15. 7. Cf. B.C.A.F., juil. 1893, p. 6, et CHAVANNES, op. cit., II, pp. 313-314. 8. Cf. B.C.A.F., janv. 1895. J.O. du Gabon-Congo, 20 fév. 1895, « Traité de gré à gré relatif au service des transports entre Loango et Comba ». 9. CHAVANNES, op. cit., II, pp. 340-343.
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devait récupérer 1 , expliquent en partie cette situation. Les mauvais rapports entre les agents de la société, en particulier Fondère, et les agents de la colonie, enfin et surtout les difficultés de la S.E.E.C.F. — qui se plaignait de ne pas avoir reçu les 350 000 hectares promis 2 et qui était à la veille d'une liquidation financière — expliquent encore mieux l'échec de cette première expérience qui laissa la voie libre à la concurrence belge. I I I . L'INSURRECTION BASSOUNDI DE 1896 ET LA MISSION MARCHAND 1.
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La situation au Bas-Congo fut l'occasion non seulement d'un affrontement entre civils et militaires mais aussi d'un affrontement entre Marchand et Brazza. Le dialogue s'était mal engagé entre les membres de la Mission, arrivés sur place avant Marchand et Brazza. Il ne s'améliora pas après l'arrivée du chef de mission 3 . Les divergences de vue concernant les solutions à apporter à la crise aussi bien que les heurts de personnalités devaient bientôt séparer profondément Marchand et Brazza. La solution à laquelle s'était attaché le Commissaire Général était l'utilisation des services de la puissante Nieuwe Africaansche Handels Venootshap et du chemin de fer belge. La section Matadi-Tumba venait, en effet, d'être officiellement inaugurée le 22 juillet 1896 en présence d'un représentant du gouvernement français, le commandant Klobb ; elle devait permettre de rejoindre aisément Brazzaville par le pays Bakongo. Au début du mois d'août, Brazza retrouva donc Marchand à Loango pour lui exposer son projet 4 . En réalité, des discussions avec la N.A.H.V. avaient commencé en Europe dès mai 1896, pour le transport de la Mission de Loango à Bangui. De laborieuses tractations s'étaient déroulées par l'intermédiaire du consul de France à Rotterdam, de Laigne 5 . Les directeurs 1. La perte de la flottille du Haut-Oubangui scandalisa particulièrement Marchand. Cf. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 41 : « Depuis 1895, les diverses pièces... gisaient pêle-mêle sur les routes, sur les rives du Kouilou ou dans les cours des postes européens. Le gouvernail était resté au sommet d'un des contreforts du Bemba... Il n'est pas donné, je crois, deux fois dans sa vie, de rencontrer un gâchis pareil. » 2. S.O.M., Gabon-Congo, XV, 21, Note pour le Président de la République, 20 mai 1897. Cette note fut rédigée à la veille de la constitution d'une nouvelle société où l'on retrouvait Le Châtelier, la Société Commerciale et Industrielle du Congo Français. Elle récapitule les éléments essentiels de la querelle entre la S.E.E.C.F. et l'Etat au sujet des concessions de terre et de la concurrence du chemin de fer belge sur le marché financier français. 3. L'indulgence n'était pas plus grande du côté des « fidèles » de Brazza. Blom écrivit personnellement à Marchand pour le mettre en garde contre « le manque de prestigeet d'autorité sur les Noirs et le manque d'instruction » du personnel militaire blanc subalterne. « S'il y en a un qui porte intérêt à ce qui se fait en Afrique, ajoutait-il, déguisez-le en civil, et emmenez-le comme agent du Congo. » (A.N., 99 AP2, Blom à Marchand, Paris, 10 avril 1896.) 4. « Il s'agissait de remettre les charges à la maison hollandaise qui, moyennant un prix convenable majoré d'une prime à débattre, les ferait passer 'comme siennes' sur la section du chemin de fer ouverte de Matadi à Tumba, où elle les ferait prendre par le représentant à Brazzaville pour les ramener en ce dernier point par le portage Bakongo. » (S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 38.) 5. A.E., NS, Afr. 13, m.e. I, fol. 116 à 140, Correspondance entre le ministre et de Laigne.
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de la N.A.H.V., avertis des difficultés locales, se montrèrent très réticents et ils multiplièrent les exigences financières afin, semble-t-il, « d'amener la France à abandonner d'elle-même les pourparlers » 1 . Mais de Laigne reçut l'ordre de se montrer conciliant étant donné la « nécessité de conclure un contrat avec elle [la N.A.H.V.] en l'absence duquel l'échec de la Mission Marchand serait à peu près inévitable » 2 . Or, malgré les conditions draconiennes de l'accord qui fut finalement conclu 3 , les discussions reprirent sur place. Lorsque Brazza et Marchand rencontrèrent, à Cabinda, le représentant de la N.A.H.V., celui-ci, « aux premiers mots de Monsieur de Brazza, poussa les hauts cris » 4 . Brazza dut consentir une prime de 10 ou 5 francs pour chaque charge et demander à l'Etat Indépendant l'autorisation d'utiliser son chemin de fer. Jamais jusqu'ici les avantages concédés par l'administration coloniale pour assurer ses transports n'avaient été aussi importants. Evidemment Marchand désapprouvait cette solution ; le recours à la N.A.H.V. devenait inutile et dispendieux, à ses yeux, « dès lors que la colonie française intervenait officiellement auprès de l'Etat Indépendant » ; le concours de ce dernier, en outre était dangereux pour l'avenir du Congo Français. Aussi ne prit-il qu'une « part d'auditeur muet fort désireux de laisser au très haut fonctionnaire qu'il escortait la responsabilité d'une démarche dont la conséquence n'était rien moins que le premier acte de l'abandon prochain de la route française de pénétration au profit de la voie du Congo Indépendant » 6 . Enfin cette solution n'était, pour Marchand, qu'un piètre expédient, voué à l'échec malgré la bonne volonté du représentant général de la N.A.H.V., Anton Gresshoff 6 . Effectivement les 3 000 charges que la N.A.H.V. embarqua à Loango au début de septembre 1896, afin de les faire transiter par le chemin de fer de Matadi à Tumba, restèrent bloquées en ce dernier point en raison de la révolte des Bassoundi. Dans l'esprit de Marchand l'intervention militaire était inévitable et les 1. S.O.M., M43, D e Laigne à Hanotaux, 18 juin 1896. 2. S.O.M., M43, Lebon à Hanotaux, 9 juil. 1896. 3. 52 francs par charge sous réserve de la possibilité d'augmenter ce prix et en l'absence de toute garantie concernant les dates d'arrivée à Brazzaville et à Bangui. 4. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 38. Les péripéties des laborieuses discussions entre la N.A.H.V. et le gouvernement français durèrent jusqu'en 1898 et se soldèrent par un échec. 5. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 48. 6. Anton GRESSHOFF, né à la Haye en 1855, était, en 1896, une véritable puissance que les Bakongo avaient surnommée « Foumou Tangou », « le Roi Soleil ». Il fut le premier négociant qui atteignit les Falls pour y commercer avec le célèbre Tippo-Tip et il fut le premier à vendre aux Batéké ces couvertures écarlates qu'ils prisaient tant. Au service de la N.A.H.V. dont le premier établissement avait été créé à Banane en 1860, il en accrut singulièrement l'importance en établissant des factoreries à Setté Camma, Mayumbe, Cabinda, Kinshasa (1886), Brazzaville (1888), puis en Oubangui; il créa aussi une flottille de transport sur le Congo et l'Oubangui; il négocia enfin l'attribution de concessions à la société, en 18991900. Sans cesse en conflit avec l'Etat Indépendant, ses sentiments étaient très anti-belges. Ses services étaient d'autant plus appréciés à Paris qu'on comptait sur la N A H V pour contrecarrer l'expansion des sociétés belges et aider l'administration. En 1891, Brazza lui fit obtenir la légion d'honneur pour l'aide donnée aux missions d'exploration (surtout celle de Dybowski). Protestant, il se lia pourtant avec l'intransigeant Augouard, dès 1883. Il mourut en Hollande en 1905.
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vrais remèdes étaient, selon lui, dans la réorganisation du portage et l'utilisation de la voie du Kouilou. Il voulut le prouver immédiatement en recourant aux services de la compagnie Le Châtelier. Ce fut l'occasion du premier heurt. Au début de juillet, Germain, chef de mission en attendant l'arrivée de Marchand, avait déjà tenté un premier essai et avait « lancé » Baratier, de Prat et Castellani avec 800 charges sur le Kouilou. Fondère, l'agent de la Société d'Etudes, « un brave comme il est rare d'en rencontrer... au Congo surtout » dira Marchand J , avait prêté son concours et quatorze « boats ». « Mais je suis obligé d'avouer, écrivait alors Germain à Marchand, que cet essai tenté en désespoir de cause est considéré par tout le monde ici comme une folie. » Avec Marchand, il ne s'agissait plus d'un expédient mais d'une démonstration. Sur sa demande, Fondère envoya d'abord 1 200 charges vers l'intérieur « malgré l'avis et l'opposition de la Colonie, en ce moment en délicatesse avec la Société d'Etudes du Congo Français » 2 . Au total « 2 500 charges partirent par cette voie et arrivèrent ». « Je veux payer une dette, conclut Marchand dans son rapport, à cette société dont je n'ai pas l'honneur de connaître les organisateurs ni leurs desiderata et à son vaillant agent général que j'ai vu à l'œuvre, en expliquant brièvement que son programme économique sauvera le Congo Français. » 3
Mais c'est surtout la reconnaissance de la nécessité d'une intervention militaire qui ulcérait l'orgueilleux Brazza. Or dès juillet Marchand était décidé à agir. Avant même de recevoir l'accord du Commissaire Général, il obtint de l'administrateur de Loango, Fourneau, « une circulaire pour informer les commerçants et par suite leur clientèle de porteurs, de l'occupation militaire de la région soulevée ». Il effectua ensuite une inspection minutieuse des magasins dont il divisa le contenu en plusieurs contingents à évacuer en priorité sur tous les autres transports, contingents qu'il baptisa « Mission B » (Mission Congo-Nil), « Haut-Oubangui », « Service local » et « Mission Gentil » 4 . Puis il chargea Mangin d'assurer la sécurité de la route entre Comba et Brazzaville : « Je m'en remets entièrement à vous pour les moyens à employer afin d'obtenir ce résultat... Je n'entends pas, par ces expressions, vous engager à porter la guerre dans cette région. Vous savez aussi bien que moi quel immense intérêt nous avons au contraire à passer pacifiquementmais j'entends que cette route et ses abords immédiats restent à l'abri de tout trouble. J'entends qu'il n'y ait aucune hésitation à réprimer par la force, s'il est nécessaire, les actes indigènes hostiles aux Européens, aux caravanes et commerçants, aux porteurs quelconques non armés. » 5
1. 2. 3. 4. 5.
S.O.M., M43, Marchand à Lagarde, Fort-Laval, 9 janv. 1897. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 34. Ibid., fol. 35. Marchand « débloqua » une centaine de charges destinées à Gentil. A.N., 99 API, Marchand à Mangin, Loango, 27 juil. 1896.
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En août la situation ne s'était pourtant pas améliorée et les caravanes ne pouvaient toujours pas passer. Marchand s'impatienta et durcit les instructions qu'il envoya à Mangin, en route vers Brazzaville : « Je vous avertis que la région Comba-Brazzaville vous est livrée à discrétion, ainsi que ses plantations, récoltes sur pied, etc. Aucun ménagement à garder. » 1 Il tenait cependant à faire légaliser cette politique de force par Brazza luimême, à obtenir un blanc-seing lui confiant la tâche de pacifier et de réorganiser le pays soulevé. Le 18 août, après une entrevue orageuse au cours de laquelle Marchand n'hésita pas à recourir au chantage et à menacer de « prendre passage sur le premier paquebot touchant la rade [de Loango] et de rentrer à Paris » 2 ; Brazza céda ; il signa des instructions que Marchand avait lui-même préparées et celui-ci ne cacha pas son triomphe : « Le soir même, il [Brazza] retournait à Libreville, et jamais depuis ce jour je n'ai reçu un mot de lui. » 3 II ne fait pas de doute que la capitulation du Commissaire Général était le premier pas vers sa chute en 1897. Ces « instructions du 18 août 1896 » 4 étaient une reconnaissance officielle de 1' « état de guerre » dans la colonie, phénomène complètement nouveau au Bas-Congo. Les rapports entre Européens et Africains y étaient restés jusque-là malgré tout extrêmement restreints, d'ordre commercial et missionnaire. En août 1896, le Bas-Congo passait sous régime militaire ; la véritable occupation du pays allait commencer. Les instructions signées par Brazza, confiaient à Marchand le commandement des agents de la région soulevée et celui de la milice locale qui comprenait environ 200 hommes dirigés par des civils. De plus, il recevait le concours du chef de poste d e Loudima chargé de la région du Niari et celui de l'administrateur de Brazzaville, Vittu de Kéraoul. La délimitation géographique de la zone en état de guerre restait cependant ambiguë. Les directives prévoyaient la remise à Marchand de « toute autorité et tout pouvoir sur la région troublée qui commence à Comba et finit à trois jours de marche [soit environ 60 km] de Brazzaville ». Mais elles lui donnaient en même temps « la faculté de poursuivre les indigènes châtiés, partout où ils se réfugieront jusqu'à ce qu'ils viennent à soumission ». Brazza s'était maladroitement efforcé, semble-t-il, de restreindre les opérations militaires à la partie septentrionale de l'actuel « pays de Boko », à la « route nord » des caravanes et d'en excepter la « route sud » de Manyanga au Pool en raison « du grand intérêt à tenir libre cette dernière voie de communication... par laquelle arrivait le ravitaillement quotidien à Brazzaville ». 2. Le pays Bakongo en 1896. Qu'était, en fait, la région proclamée en état de guerre ? Les documents sont rares. La connaissance du pays est fort limitée en 1896. Aussi un des principaux reproches portés par les militaires contre les agents civils du Congo était celui d'ignorer le pays qu'ils devaient administrer : 1. Ibid., 8 août 1896. 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 39. 3. Cf. M.A. MENIER, « Lettres du commandant Marchand à Guillaume Grandidier », Revue d'Histoire des Colonies, Marchand à Grandidier, Brazzaville, le 1 e r fév. 1897. 4. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, Pièces annexes, fol. 21-23.
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« Mais quelle administration que celle de ce pays, s'exclamait Mangin. Nos agents vivent à côté des populations en les ignorant absolument. Ici le chef de poste ne sait même pas le nom des peuplades qui l'entourent, ni la distance qui le sépare des postes voisins. » 1
Accusation évidemment exagérée et partisane. Cependant il est exact que les membres de l'expédition Marchand s'efforcèrent, eux, de connaître le pays le plus précisément possible. Marchand fit rédiger par les chefs de postes des comptes rendus de fin de campagne pour lesquels furent rassemblés les renseignements essentiels sur le Bas-Congo. Ces travaux devaient surtout servir à la pacification de la zone troublée et à sa réorganisation. Toutefois, dans son rapport au ministre, Marchand, cédant peut-être à une certaine vanité « scientifique », tenta aussi un inventaire ethnologique du Bas-Congo ; c'est un ambitieux essai de description des populations et d'explication de leur mise en place. Nous utiliserons ces documents avec prudence pour tracer un tableau du pays soulevé ; mais ils révèlent bien le regard qu'ont porté Marchand et ses amis sur ce pays. En effet les renseignements sont malgré tout limités ; leur emploi par Marchand est en outre grossièrement erroné. Ainsi l'explication que celui-ci donne de la mise en place des populations dans un rapport destiné à faire autorité au ministère : observant les habitudes et les déplacements des Batéké, « race d'instinct commercial très développé » (ce qui est exact), il en conclut que ceux-ci « continuent à descendre des rives de la Loufini pour se masser de plus en plus nombreux autour du Stanley Pool, confluent de deux grands courants commerciaux européens dans le bassin congolais ». De même, à propos des Bassoundi : « Une famille proche du Batéké et venant parallèlement du nord, à l'ouest de la précédente, celle des Bassoundis, a pénétré entre les territoires des Bakongos et des Bakambas et atteint la route des caravanes entre Makabendilou et Kimbédi; de là, englobant les Bahangalas dont les derniers et peu nombreux représentants sont établis à proximité de notre poste de Comba, les Bassoundis sont allés toucher le fleuve vers l'embouchure de la rivière Foulakari et refluant vers l'ouest, l'océan but suprême, sont arrivés jusqu'en arrière de la petite enclave de Cabinda. » 2
Derrière cette interprétation, il y a, en fait, une thèse très générale : « Il est possible... que les rezzous lancés annuellement du nord au sud, par les populations musulmanes, Foulanis et Arabes du Bornou, Baguirmi, Wadai, contre les fétichistes delà Sangha Mambéré et Gribingui » 3 aient été le moteur initial « d'un mouvement de migration très marqué des peuples occupant les vastes contrées baignées par le Chari et le Tchad... vers l'Oubangui et le Bas-Congo, objectif des peuplades de l'intérieur cherchant un point de contact avec les grandes lignes commerciales pénétrantes des nations civilisées vers le Centre-Afrique. C'est ainsi que les Bakotas du Haut-Ogooué arrivent actuellement sur le Moyen-Kouilou refoulant les Bakounies et refoulés eux-mêmes par les Pahouins qui ont derrière eux les N'Dris d'où paraît venir la poussée initiale. » 4 1. Ch. MANGIN, Souvenirs d'Afrique, p. 39, Mangin à M e Joseph Ménard, Comba, 17 août 1896. 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, fol. 46. 3. Ibid., fol. 46, note 4. 4. Ibid., fol. 46.
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On ne peut méconnaître l'attirance des nouveaux centres créés par les Européens ; dès 1896, Brazzaville était un pôle d'attraction économique et démographique. Mais la référence aux expéditions Peuhles et l'analogie avec le mouvement migratoire des Pahouins trahissent, chez Marchand, son goût des généralisations hâtives. L'insuffisance des renseignements et l'ignorance de l'histoire de l'ancien royaume de Kongo, auquel Marchand ne fait pas une seule allusion, l'a amené à expliquer « à l'envers » la mise en place des ethnies et à voir une progression des Batéké vers le sud-ouest alors qu'ils refluaient d'un « pays de colonisation ba-kongo » (G. Balandier). On ne peut que s'en étonner puisque tous les habitants au sud-ouest de Brazzaville, Balari, Bassoundi, Bacongo, Bahangala, revendiquent leur appartenance à « Kongo dya Ntotila ». Beaucoup plus intéressants pour la connaissance de de ce pays B a k o n g o 1 sont les rapports de postes que Marchand fit rédiger en décembre 1896. Le rapport de Frédon, un « civil » chargé du poste de Fort Laval (Makabendilou) donne, en particulier, des indications intéressantes sur les migrations : « La région de Fort Laval dénommée Moukoukou, nom de la terre, est la propriété des peuplades Batékés qui ont abandonné cette région fuyant les abords de la route. Ces derniers se sont retirés dans le nord nord-est, ayant comme limite à l'ouest, la rivière Souala. Cette partie se trouvant vide, plusieurs chefs Bassoundis, venus des environs de Kimbédi et des rives du Niari vinrent s'y installer; l'un, Mabala, à Macabendilou, l'autre, Tchingoui, s'établit plus à l'ouest sur les bords de la partie aval de la rivière Souala. En même temps arrivait du sud, venant des environs de Manyanga, une autre race, celle des Bacongos, qui s'établirent entre la Souala comme limite à l'ouest et à l'est de Fort Laval ou ils formèrent un groupement très dense. Bassoundis et Bacongos, tous deux étrangers à cette région, arrivés à peu près à la même époque, fuyant peut-être leur terre natale pour la même cause, vécurent en bonne intelligence et cimentèrent cette alliance par des mariages réciproques. » 2 U n autre rapport, celui de Jacquot, chargé du poste de Comba, montre les populations Bakongo encore e n pleine migration en 1896 :
nous
« A Missafo [petit poste créé par Marchand entre Comba et Fort Laval] la population est la même qu'à Fort Laval... Bacongos sans aucun titre. Ces derniers venant du territoire de l'Etat Indépendant du Congo; leur grand chef Makito habitait il y a quatre ans ledistrict de Lukungou. Un autre Makito, usurpateur qui était aussi très influent et surtout très intelligent, s'institua grand chef des Bacongos du territoire français. Cet usurpateur vient de mourir il y a quelque temps et est enterré au village de N'Tombo situé à 8 km nord-est de Manyanga, sur la rivière Loufou. Il a été remplacé dans son commandement par un nommé Matadi qui est loin de posséder l'autorité et le prestige de son prédécesseur. » 3 A u total cependant, la répartition des groupements Bacongo, N'Séké, Balari, Bassoundi, semble peu différente de celle d'aujourd'hui, même si les opérations 1. Sur la mise en place des populations, voir la synthèse de SAUTTER, op. cit., pp. 471-480, hap. VI :« L'expansion des Bakongo ». Par Bakongo, nous entendons ici, e n nous référant à G. BALANDIER et G. SAUTTER, Bacongo, Balari, Bassoundi et Bahangala, réservant ca graphie Bacongo aux habitants du sud de la préfecture de Boko (SAUTTER, op. cit., p. 470, note 1). 2. A.N., 99 API, Rapport sur le district de Fort Laval, 25 déc. 1896. 3. A.N., 99 API, Rapport Jacquot, Comba, 25 déc. 1896.
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de 1896 la modifièrent dans le détail. Ajoutons que les Bahangala sont alors considérés comme « une race Bassoundi dite Bahangala Tingoï du nom du vieux chef de famille, Mabiala Tingoï » 1 . En fait, divisés en deux groupes, ces Bahangala comprenaient les « Bahangalas Tingoï dans les environs même de Comba et les « Ohangallas Minganga » installés entre Biédi et le confluent de la Comba 2 . C'est de ces derniers, menés par le chef Mabiala Minganga, que viendra la première résistance à la Mission Marchand. Une localisation exacte des différents groupes ethniques à cette époque reste cependant impossible car les limites des « districts » créés par Marchand « ne sont précises que sur la route des caravanes en raison de l'absence de cartes » 3 . De plus, les chefs de postes n'ont pas relevé le nom des villages. Les seules indications à ce sujet concernent le district de M'Bamou dans un périmètre d'une vingtaine de kilomètres : vingt et un villages ont été rencensés par le chef de poste. Tous sont « Bacongo » sauf un « M'Pouta, chef N'Gamaba », dernier bastion des anciens possesseurs Batéké de la terre 4 . Les agents administratifs s'efforcèrent aussi d'évaluer grossièrement les populations en vue de la réforme du portage. Le peuplement paraît dense. Ainsi Jacquot estime que les deux groupes Bahangala auraient compté environ 10 000 individus. Selon Marchand « plus de 60 villages auraient été trouvés » dans un rayon maximum de 6 km, dans la région de M'Bamou, et le district devait pouvoir fournir 225 à 260 porteurs par mois, en moyenne, 400 au maximum pour le trajet Kimbédi-Comba. Le district de Fort Laval aurait eu une population d'au moins 2 000 hommes et 1 200 femmes, la différence entre les hommes et les femmes s'expliquant, d'après Frédon, par le fait que « la moitié et peut-être les trois-quarts [des premiers] sont des esclaves » 8 . Relevons, au passage, cette notation qui semble renforcer l'hypothèse d'un très important esclavage traditionnel 6 . Enfin, la capacité en porteurs de Fort Laval est fixée à 200 ou 300 hommes par mois 7 . Certes, ceci ne permet guère de chiffrer les densités dans la région. Cependant les « taxations » en porteurs paraissent indiquer une forte occupation humaine. D'ailleurs les chefs de postes insistent presque tous sur elle, ce qui correspond à la fécondité observée depuis longtemps dans la population Bakongo 8 . Cette bonne situation démographique se reflétait dans les activités des hommes. Les environs de Fort Laval (Makabendilou) sont décrits comme « une région florissante » ; « deux grands chefs Moussoungounga et Moutêté commandent à d'immenses villages ». Pourtant, « le sol de nature sableuse n'offre à la culture que peu de ressources et l'indigène ne cultive que du manioc, des arachides, du maïs et des bananes » 8 . Mais les Bakongo, 1. A.N., 99 API, Rapport Jacquot, Comba, 25 déc. 1896. 2. Ibid.
3. A.N., 99 API, Rapport Germain, M'Bamou, 8 janv. 1897. 4. A.N., 99 API, Rapport de Prat, M'Bamou, 26 déc. 1896. 5. A.N., 99 API, Rapport sur le district de Fort Laval, 25 déc. 1896. 6. Cf. G. BALANDIER, Sociologie actuelle de l'Afrique Noire, p. 341.
7. S.O.M., Afr. III, 32a, Vittu de Kéraoul à Brazza, Brazzaville, janv. 1897. 8. C f . SAUTTER, op. cit.,
pp. 481-482.
9. A.N., 99 API, Rapport sur le district de Fort Laval, 25 déc. 1896.
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Bassoundi et Balari surtout, étaient des agriculteurs très supérieurs aux Batéké et aussi beaucoup plus nombreux 1 . Les rapports donnent enfin des précisions intéressantes sur les activités d'échange, particulièrement développées dans cette région. Ces précisions devaient servir à la réorganisation du pays dans l'esprit de Marchand qui s'inspirait des conceptions de politique coloniale de Gallieni : « Un marché, instrument de pacification par excellence, fut créé auprès de chaque poste et les indigènes ne purent vendre leurs produits qu'aux postes mêmes à des prix raisonnables et peu variables sous les yeux des commandants européens qui devinrent ainsi les intermédiaires régulateurs entre l'habitant producteur et vendeur et le porteur-consommateur. » 2
En fait ces nouveaux marchés créés près des postes, à Kimbédi par exemple, s'ajoutèrent seulement aux lieux d'échanges traditionnels. Ces derniers, dont le nombre frappa tous les voyageurs européens depuis les débuts de la colonisation, sont souvent signalés dans les comptes rendus de 1896. Cependant leur système de dépendance réciproque et leur périodicité n'étaient pas encore compris : Frédon signale quatre marchés autour de Fort Laval, Moukila, Souala, Pica et Koï sans voir que ces quatre « noms » sont en réalité des termes, « nkila », « ntsila », « mpika », « nkoï », qui correspondent à la rotation des marchés au cours de la semaine locale de quatre jours et désignent le jour où ils sont tenus chez les Bakongo 3 . Les chefs de postes ont relevé les prix de certains produits vendus sur ces marchés, chicouangues, bananes, cabris, poulets et œufs. L'intermédiaire monétaire le plus courant semble être la « barrette » de fer ou de cuivre local (mitako ou nguéla), monnaie traditionnelle antérieure à l'arrivée des Européens 4 . Un véritable cours des produits existait sur ces marchés : « Il y a des hausses et des baisses, constatait Frédon avec une surprise qui porte à sourire, selon que tel ou tel objet s'y trouve en plus ou moins grande quantité. » En décembre 1896, la hausse fut générale en raison des troubles qui empêchèrent alors les transports. Les prix devinrent alors « fabuleux », d'après Vittu de Kéraoul, sur les marchés des environs ; Brazzaville fut « affamée ». Un cabri valait 800 à 1 000 barrettes (40 à 50 francs), une
1. En 1895, Vittu de Kéraoul, alors administrateur de Manyanga, signalait déjà les qualités d'agriculteurs des Bassoundi : « Les Bassoundis ont des villages relativement propres... Ils ont une certaine notion de l'agriculture et la plupart de leurs plantations sont colmatées avec le limon des ruisseaux et des marécages. » (Vittu de Kéraoul à l'administrateur principal de Brazzaville, « Rapport sur un voyage à Comba et Biédi », Manyanga, sept. 1895, arch. du Gouvernement Général.) Les Bacongo de Manyanga semblent avoir été beaucoup plus commerçants et porteurs qu'agriculteurs, à l'époque. Le pays autour de Manyanga était très peu cultivé, selon Marchand. 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 50. 3. Cf. SAUTTER, op. cit., p. 550. Le système commercial Bakongo ne semble avoir été compris qu'en 1916 par l'administration. Cf. « Les marchés de la circonscription du Djoué en 1916 », document des archives de l'A.E.F. publié par J.P. LEBŒUF dans le Bulletin de l'Institut des Etudes Centrafricaines, 1956, pp. 91-109. 4. « Les Bassoundis travaillent le fer et la monnaie de billon employée sur les marchés est une sorte de long clou. Vingt clous représentent le prix d'un manioc » (rapport sur un voyage à Comba et Biédi par Vittu de Kéraoul).
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poule 60 à 70 barrettes (3 francs à 3,50 francs), un bceuf ou une chicouangue, 5 barrettes (0,25 franc) 1 . Les barrettes primaient dans les échanges traditionnels et les Bassoundi « travailleurs du fer » avaient eu une situation privilégiée. Mais dans les échanges avec les Européens d'autres intermédiaires « monétaires » s'étaient vite imposés : les nouvelles barrettes d'importation, la poudre, le sel et surtout les coupons de tissus mesurés en brasses ou en cortades 2 . Dans le pays Bakongo, la « guinée » importée par la maison Hatton et Cookson était, au dire de Jacquot, l'étoffe préférée, mais les « indiennes » et checks étaient aussi très prisés. Les tissus furent abondamment utilisés par la Mission Marchand pour le paiement des porteurs et des vivres : Marchand arrive au total de 85 000 mètres « dépensés » pendant les opérations de 1896 s . Il faut signaler, pour compléter ce rapide tableau du pays tel que les renseignements laissés par Marchand et ses compagnons nous le font connaître, le rôle joué au point de vue humain et commercial par la région de Manyanga. Sans doute utilisée très tôt comme point de passage sur le fleuve par les groupes migrateurs, Manyanga était en 1896, une plaque tournante d'où partaient deux routes : l'une se dirigeait vers Comba, au nord, l'autre, dite « route sud des caravanes » longeait la rive droite du Congo et remontait vers Brazzaville par Kimpanzou, à l'embouchure de la Foulakari, et Linzolo. Les Bacongo qui « tenaient » Manyanga, y assuraient le passage du caoutchouc de cueillette, du cuivre de Boko-Songho 4 et surtout de l'ivoire à destination des factoreries de la côte de l'Etat Indépendant : « Les Bacongos sont très commerçants, ils échangent au marché de M'Pila leurs étoffes contre l'ivoire des Batékés qu'ils vont vendre aux factoreries de Matadi pour du sel, delà poudre et des fusils. Une feuille de route régulière leur est nécessaire pour circuler dans l'Etat Indépendant; ils viennent la chercher au poste de Manyanga où ils passent le fleuve. » 6
L'importance de Manyanga avait été perçue dès les premiers temps de la pénétration européenne par les maisons de commerce®. En 1896, elle se trouva provisoirement accrue par le terminus du chemin de fer belge à Tumba, immédiatement au sud de Manyanga. Malgré la présence d'un administrateur français à Manyanga sur la rive droite, en 1895, et l'installation d'un poste de douanes en 1896, les véritables maîtres de la région étaient la N.A.H.V. qui possédait « un important comptoir bien approvisionné » 7 et la société du chemin de fer. Lorsque Mangin, en décembre 1896, voulut 1. S.O.M., 99, Vittu de Kéraoul à Brazza, déc. 1896. L'expédition Marchand, elle-même victime de cette hausse et du manque de vivres, dut recourir aux services d'un des premiers chasseurs professionnels installés à Brazzaville. 2. La cortade était une mesure portugaise représentant une longueur d'étoffe de 1,80 m environ, la mesure de la brasse est fort imprécise. 3. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 69. 4. C f . DUPONT, op. cit.,
pp. 6 6 9 - 6 7 0 .
5. A.N., 99 API, Le chef du bureau des douanes, Bernier, au capitaine Marchand, Manyanga, 28 déc. 1896. 6. En 1887, la société Daumas-Béraud y avait déjà un comptoir (cf. CHAVANNES, op. cit., pp. 72-73). 7. MANGIN, op. cit.,
p. 71.
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obtenir des porteurs, les chefs lui répondirent : « Viens-tu chercher des porteurs pour Boula Matadi ou pour Foumou Tangou ? » 1 E n fait, Manyanga était, de gré ou de force, tourné vers l'Etat Indépendant où les Bacongo vendaient leurs marchandises et travaillaient. E n 1894, l'administration française y dénonçait u n recrutement intense d'hommes pour le portage, par des « agents belges » au moyen d'otages 2 , et en 1896 Marchand promit une prime à tout tirailleur qui livrerait « un recruteur belge ». U n peu en amont, la frontière entre les groupes ethniques, sur la route sud, paraît fort indécise en 1896. Vers Kimpanzou, où les villageois avaient installé u n péage pour l'utilisation de leurs pirogues au passage de la Foulakari, on trouvait encore d'après Mangin, des Bacongo, mais aussi des fragments claniques (kanda) Batéké et Bassoundi qui touchaient le fleuve en cet endroit 3 . O n peut sans aucun doute y ajouter une ethnie, celle des Balari. Les documents parlent peu de ce groupe déjà installé pourtant le long du Congo à partir de Kimpanzou et très ouvert à l'évangélisation des missionnaires de Linzolo. Cependant les Balari, avec les Bacongo, devaient jouer un rôle capital dans le ravitaillement de Brazzaville ; ainsi, en septembre 1896, Vittu de Kéraoul recommande à Mangin de ne pas effrayer les Bacongo, porteurs et commerçants, et surtout les Ballalis (Balari) « qui f o n t vivre Brazzaville » 4 . N o n seulement les « Ballalis » contrôlaient la route sud, mais ils constituaient les principaux fournisseurs de Brazzaville : en août 1896, lorsque la route nord est fermée par le soulèvement Bassoundi, Vittu de Kéraoul demande d'urgence à Brazza « du laiton pour acheter le manioc que les Ballali apportent en abondance ». Il ressort de ce tableau d u pays Bakongo en 1896, que les diverses populations constituant ce groupe avaient adopté vis-à-vis d u colonisateur des attitudes fondamentalement différentes. Les Bacongo et les Balari avaient su et pu profiter de l'installation des Européens dont ils tiraient des avantages économiques et politiques. L'image que s'en faisaient les Européens n'est donc pas étonnante : Balari et Bacongo étaient très appréciés. Ainsi à Fort Laval :
1. M A N G I N , op. cit.,
p . 71.
2. S.O.M., Gabon-Congo, I, 45a, Rapport périodique du 20 juil. au 20 août 1894. 3. A.N., 149 AP3, Marchand à Mangin, 13 nov. 1896. « Nous étions dans un pays vraiment anarchique, où les chefs de chaque village avaient peu d'autorité sur la population, où chaque village était indépendant. Trois races, bacongo, bassoundi, batéké, s'entrecroisaient dans cette région. » ( M A N G I N , op. cit., p. 67.) Cette imbrication des groupes dans la région occasionnait d'ailleurs des « palabres » très fréquents, à la suite de rapts de femmes ou de marchandises dont se plaignait l'administration. En 1896, ces palabres contribuèrent à fermer la route sud. 4. « Une hostilité quelconque envers un village Ballali, affirme-t-il, aurait pour effet immédiat d'affamer Brazzaville et de nous fermer peut-être pour toujours la route de Brazzaville, car jamais les Bacongos ne porteront s'ils craignent des palabres avec les Ballalis qui tiennent la route bien avant Linzolo, du côté de Manyanga. » (A.N., 99 API, Vittu de Kéraoul à Mangin, Brazzaville, 11 sept. 1896.)
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« Ces derniers [les Bacongo] d'humeur facile, ayant fréquenté les centres commerciaux s'assimilent très vite aux diverses exigences du poste; aujourd'hui il n'y a plus d'hésitation de leur part, ils obéissent à l'appel du poste. La confiance règne dans cette région par le seul fait que nous pouvons émettre des bons pour n'importe quel achat. » 1 A u contraire, on trouve du côté de la résistance, les Bassoundi et les Batéké. Les Bassoundi avaient du mal à s'adapter aux conditions nouvelles ; ils se trouvaient écartés des bénéfices du trafic sur la route des caravanes. Les Batéké étaient peu à peu dépossédés, à l'ouest de Brazzaville, de leur ancienne position de maîtres du sol ; mais ils conservaient la prépondérance commerciale sur le Pool, que n'appréciaient guère les commerçants européens. Aussi l'image que se faisait l'Européen de ces populations n'était guère flatteuse et commandait son attitude politique. Le « terrible Bassoundi, grand détrousseur de caravanes » est évidemment le plus mal vu. Pour M a r c h a n d : « Les Bassoundis, travailleurs du fer, paraissent les individus les plus sauvages et jusqu'à présent les moins assimilables que nous ayons rencontrés dans le grand courant migrateur; ils ne connaissent du commerce que le pillage et n'ont hâte d'arriver au contact des routes commerciales que pour dépouiller les caravanes... L'administration locale, pleine de mansuétude sinon de sens politique, n'a trouvé de pansement à cette plaie que dans l'attribution de 'matabiches' à ces pillards qui ont fini par les considérer comme une redevance obligatoire, presque un tribut et ne se font pas faute de soulever des incidents pour en augmenter l'importance. » 2 U n e fois de plus, Marchand ne m a n q u e pas d'accuser lourdement Brazza au passage ; les procédés employés avec les Bassoundi, écrit-il, ne sont que l'application de la « politique négrophile dans toute sa prestigieuse pureté » ; elle n'entretient, en réalité, qu'insécurité et mécontentements 3 . Quant aux Batéké, protégés de Brazza, l'opinion que s'en fait M a r c h a n d est tout aussi sévère. Elle reflétait celle des Européens de Brazzaville à cause de la participation plus ou moins clandestine de certains groupes Batéké au soulèvement de 1896 : « L'opinion s'est accréditée, je ne sais trop pourquoi, que l'entente avec les Batékés est nécessaire à Brazzaville pour son commerce et assurer sa vie matérielle. C'est une erreur. L'alliance avec les Batékés et l'existence du Roi mythe Makoko ont peut-être été nécessaires à M. de Brazza à l'époque de la marche de Stanley et de la formation de l'Association Internationale Africaine et je ne suis pas le dernier à reconnaître l'habileté supérieure avec laquelle le très distingué Commissaire Général s'est servi d'elle, mais le voisinage des Batékés économiquement parlant, est une véritable ruine pour le commerce de Brazzaville en même temps qu'il affame cette place par la concurrence acharnée qu'il fait aux habitants et à l'administration locale en matière d'achat de denrées agricoles aux producteurs Ballalis. Les Belges de la rive gauche qui avaient aussi les Batékés comme voisins s'en sont vivement débarrassés à notre profit et n'éprouvent pas le moins du monde le besoin de nous les disputer, au contraire. Les commerçants Batékés accaparent tous les stocks d'ivoire descendant de l'intérieur et l'écoulent par fraude sur le territoire de l'Etat Indépendant sans payer les droits dédouané assez élevés qui chargent le commerce européen, ce qui, on le comprendra, est loin d'avoir
1. A.N., 99 API, Rapport Frédon. 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 47. 3. Ibid., fol. 29, note 1.
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l'agrément des négociants de Brazzaville. Us ne sont ni cultivateurs, ni porteurs et par les prix qu'ils peuvent payer aux producteurs Ballalis forcent l'administration et les chefs des maisons de commerce à envoyer acheter la nourriture de leur personnel à de grandes distances, M'Bamou par exemple. On n'aime pas le Batéké à Brazzaville. » 1
Les renseignements recueillis par Marchand ne modifient certes pas en profondeur la connaissance qu'on a aujourd'hui du pays Bakongo 2 . Ils permettent cependant de mieux apprécier le rôle économique et politique des différents groupes ethniques lorsque commence à s'affirmer et à s'appesantir la pénétration européenne, de mieux comprendre les réactions de ces différents groupes en fonction de la place qu'ils occupaient dans le nouveau système de relations et d'échanges. En même temps, ils expliquent les attitudes européennes, et mettent en lumière de nouveaux points de divergence entre Brazza, attaché à une situation révolue en fait, et Marchand, avant-garde d'une colonisation « d'occupation et d'exploitation » 3 . 3. Les opérations de 1896. Nous avons longuement insisté sur la description du pays. Sans elle, les opérations de la Mission Marchand seraient difficilement compréhensibles. Par contre nous nous bornerons à résumer les opérations elles-mêmes. Elles ont fait l'objet de plusieurs récits dont nous nous efforcerons surtout d'éclaircir les obscurités. Le plus connu est celui de Baratier 4 . Son authenticité est confirmée par le rapport Marchand, dont Baratier semble même avoir copié certains passages, et par certaines lettres du chef de mission 5 . Immédiatement après avoir reçu blanc-seing de Brazza, Marchand prit ses dispositions en vue des opérations de répression et signa le 24 août 1896 l'ordre de mouvement. Les directives qu'il remit alors à ses subordonnés sont révélatrices de l'esprit, des méthodes et des conditions de la « guerre ». A Baratier, son véritable second, Marchand envoya des directives d'un ton familier. Il lui confia la tâche délicate de contrôler et d'assurer le bon acheminement des charges, donc de contrôler le recrutement des porteurs ; en même temps il l'investit de l'autorité supérieure en attendant sa propre arrivée dans la région soulevée 6 . On peut diviser les auties directives en deux catégories, les unes à caractère politique, les autres à caractère militaire. Des « directives politiques » furent adressées au chef de poste de Comba, Jacquot, et au lieutenant Largeau. Le premier, Marie-Gabriel Jacquot, fut un des rares agents du Congo qui gagna la confiance de Marchand ; il était, il est vrai, ancien officier de l'Infanterie 1. Ibid., fol. 53, note 2. 2. Nous renvoyons ici aux travaux de M. G. Sautter. 3. Il est à noter, à ce sujet, que sans cesse, dans son rapport, Marchand cite comme exemple de réussite coloniale à suivre, celui de l'Etat Indépendant du Congo. 4. BARATIER, op. cit., I. Un récit original se trouve aussi dans CASTELLANI, Vers le Nil Français..., op. cit. 5. Cf. récit des opérations dans : MENIER, « Lettres du commandant Marchand », op. cit., pp. 77-88, lettre du 1 er fév. 1897, et MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., pp. 6370, lettre du 17 nov. 1896. 6 « En attendant mon arrivée, je vous charge, mon cher Baratier de la direction générale du mouvement. Tout est donc placé sous vos ordres. » (S.O.M., M 43, Rapport Marchand, I, Pièces annexes, fol. 101-104.)
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de Marine 1 . Marchand, qui admirait son énergie, au contraire de Vittu de Kéraoul qui ne l'aimait pas et qui s'inquiétait de la « violence de son caractère » 2 , en fit le « chef des Affaires Politiques » de la région soulevée : « Les relations directes avec les populations soumises de votre cercle, la surveillance étroite et permanente par espions et émissaires de la contrée enveloppant la région troublée, l'initiative de l'enrôlement des porteurs volontaires de votre circonscription administrative vous appartiendront exclusivement sous la seule condition de m'en rendre compte. » 3 Tandis que Jacquot était chargé de la « route nord » autour de Comba, Largeau était chargé de la « route sud » que Brazza avait exclue du théâtre militaire. Marchand était bien résolu, au moins au départ, à respecter les directives de Brazza. Aussi la ligne d'action tracée à Largeau était-elle strictement définie : « Développement intense du service des courriers et communications entre Brazzaville et Comba par Manyanga; surveillance des transports; relations cordiales avec les chefs de postes et agents de l'administration locale placés sous mes ordres (Comba) ou à mon entière disposition (Manyanga, Brazzaville), qui doivent apporter tout leur concours aux opérations de transport et auprès desquels vous serez mon représentant. Rapidité d'action. » Largeau avait donc à jouer un rôle « très délicat et bien plus politique que militaire » auprès de ceux que Marchand appelait ses « agents d'exécution » 4 . Les tâches militaires furent, évidemment, confiées à Mangin. Il est intéressant de constater que les instructions que lui adressa Marchand freinaient plus qu'elles n'encourageaient le bouillant officier. Une première restriction était une stricte limitation goégraphique des actions militaires à la « route nord » avec recommandation « de ne pas monter de troupes sur la section de la route avoisinant Brazzaville et habitée par des populations tranquilles, non soulevées ». La limite précise du territoire insurgé, à l'est, nous est ainsi révélée : il s'agit, à l'est de Makabendilou, « du premier village brûlé par la 10° compagnie de tirailleurs sénégalais » lors des précédentes opérations de répression, « dans le voisinage du lieu dit Moutchila, altitude
1. Marie-Gabriel JACQUOT, né dans le Jura en 1860, ancien sous-officier, était entré au service du Congo en 1892 et devint « chef d'exploration » en 1894. Marchand le chargea, en 1896, du poste de Comba, puis en 1897 l'emmena en Oubangui. En 1900, Jacquot quitta l'administration, préférant, comme beaucoup d'agents, les avantages offerts par les sociétés concessionnaires qui se multipliaient alors. N'ayant pas fait régulariser sa situation et mal vu, il ne put se faire réintégrer. Grodet ne lui pardonna pas la façon dont il s'était « placé dans le commerce ». 2. A.N., 99 API, Vittu de Kéraoul à Baratier, Brazzaville, le 4 oct. 1896. 3. S.O.M., M43, Rapport Marchand, Pièces annexes, fol. 97-99, Marchand à Jacquot, Loango, 24 août 1896. 4. S.O.M., M43, Rapport Marchand, Pièces annexes, fol. 99-101, Marchand à Largeau, Loango, 24 août 1896. « Par agents d'exécution, j'entends ceux qui entreront directement en relation avec les Bacongos et qui sont chargés du recrutement, de la conduite et du paiement des caravanes de porteurs. Et je vous signale immédiatement comme premier de ces agents celui qui peut, s'il le veut, mobiliser toutes les ressources du portage de la région... M. Gresshoff.
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595... de la carte Jacob » Grâce à ce dernier repère, nous pouvons situer la frontière de l'insurrection sur les cartes modernes. Une seconde restriction de Marchand, concernait la manière de conduire les opérations : « Ne vous laissez pas entraîner par le désir de combattre, conseillait Marchand ; le but de l'expédition et les risques doivent vous en dissuader. » Les méthodes de guerre employées au Soudan étaient, en effet, inapplicables au Congo. Ici, pas de villages fortifiés, pas d'assauts. La prise d'un village était chose facile mais assez inutile, le système de défense le plus courant étant, pour les villageois, la fuite en brousse avec leurs quelques richesses. Pour obliger les populations à la soumission, on préférait la prise d'otages, la confiscation ou la destruction des récoltes. Pas de grands combats non plus. Les heurts n'engagèrent que des effectifs réduits des deux côtés. Mangin disposait de sa compagnie de tirailleurs de 150 hommes et de deux compagnies de miliciens, environ 200 hommes 2 , mais ces derniers participèrent très peu aux opérations et furent répartis entre les postes. Les adversaires ne semblent pas avoir été très nombreux non plus. Aussi en décembre, Marchand pouvaitil écrire à Fourneau : « Nous n'avons eu que deux ou trois affaires que je n'ose presque pas appeler militaires. Sur 300 tirailleurs, 40 à peine ont vu le feu et quel feu. » 3 A la fin de décembre les engagements s'aggravèrent quelque peu ; cependant les « insurgés » ne purent constituer, au plus, qu'une colonne de 600 à 700 guerriers Bassoundi 4 . La médiocrité des combats amène à une plus juste appréciation du « soulèvement » Bassoundi de 1896. Cependant les risques dont parlait Marchand existaient dans la technique de guérilla adoptée par les rebelles : « Malgré la pusillanimité ordinaire des populations révoltées et la certitude absolue que 8 tirailleurs peuvent traverser tout le pays, n'oubliez pas cependant qu'elles attaquent quelquefois la nuit et que les méthodes de guerre, radicalement différentes de ce qu'elles sont au Soudan, consistent en embuscades de quelques hommes tirant inopinément et à bout portant sur un détachement ou un convoi au passage d'un ruisseau ou d'un bosquet boisé, et s'enfuyant sans être poursuivis pour recommencer plus loin. Ce ne sont pas les postes permanents qui sont attaqués, mais les détachements en marche et surtout les convois. » 5
Le harcèlement était la seule tactique possible de ces populations peu armées malgré un trafic plus ou moins licite de fusils en provenance de l'Etat Indépendant 6 , et surtout inorganisées, sans chef, malgré la renommée de certains meneurs.
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, Pièces annexes, fol. 93-95, Marchand à Mangin, Loango, 24 août 1896. 2. Ibid. Le commandement des miliciens fut confié à trois agents civils, Frédon et Goujou, appréciés par Marchand, et Leymarie très mal vu par le chef de la Mission Congo-Nil. 3. S.O.M., Afr. III, 32a, Marchand à Fourneau, Kimbédi, 6 déc. 1896. 4.
M E N I E R , op.
cit.,
p.
86.
5. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, Pièces annexes, Marchand à Mangin, Loango, 24 août 1896. 6. Cf. MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 68 : « Ils [les Batéké] se croient très forts parce qu'ils ont réuni... une centaine d'Albinis avec, ce qui est plus grave, près de 40 caisses de cartouches volées aux Belges par les Bacongos et vendues aux Batékés. »
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Quels étaient donc les meneurs de la révolte Bassoudi-Bahangala auxquels allait se heurter la Mission Marchand ? Le plus connu est Mabiala Minganga 1 . C'est lui qui en novembre 1892, avait tué ou fait tuer l'agent administratif Laval. Il aurait aussi menacé, dès leur installation, les missionnaires de Bouenza 2 . Cependant le personnage reste obscur. Les renseignements laissés par Marchand et Baratier sont extrêmement minces. Le souvenir de Mabiala Minganga est, certes, bien vivant dans le pays, puisque la grotte où il périt dans des circonstances dramatiques, fait encore l'objet d'un culte dont nous avons pu observer les témoignages rappelant les cérémonies du culte « bougiste » à Pointe-Noire 3 . Ce culte moderne aurait-il donc intégré une très ancienne tradition du refus du Blanc dont Mabiala Minganga est un symbole ? Mais ce souvenir est très imprécis. Mabiala périt avec tous les siens en 1896. Son village fut détruit par Marchand ; d'après les témoignages, il aurait été situé, à mi-chemin des localités actuelles de Chavannes (ancienne Loulombo) et Marchand (Kikembo), à peu de distance au sud de la voie ferrée qui suit, en cet endroit, le tracé de l'ancienne piste des caravanes. Mabiala Minganga, au dire des habitants, aurait été « un chef redouté », mal vu des Bacongo et Balari 4 , obéi et respecté par les Bahangala et Bassoundi de la région entre Comba et le coude du Niari vers Bouenza et Kimbédi. Cette autorité était assise sur les pouvoirs magiques dont était doté Mabiala, le rôle de « ganga » dont il était investi ainsi que le remarque justement Marchand 5 . Mabiala semble aussi avoir été « l'ancien » d'une kanda Bahangala puissante dont deux autres membres se signalèrent par leur hostilité aux Blancs : Mabiala N'Kinké, neveu de Minganga, chef d'un village situé sur la route des caravanes, Balimoéké, et Songuélé, « frère » de Minganga selon Frédon 6 , dont l'audience auprès de ses pairs paraît avoir été grande après la mort de Mabiala. Les meneurs des révoltés Bassoundi du nord (région de M'Bamou) et du sud (basse Foulakari) sont encore moins connus. Au nord, trois chefs furent les instigateurs de la rébellion : Mabala ou Mabiala, un vieillard, chef du village de Makabendilou où s'étaient produits les incidents de mai 1896 et Mayoké et Missitou, chefs des villages voisins de Foulambao et Lilemboa. Certains indices montrent qu'ils possédaient des attaches Batéké, ce qui atteste l'imbrication des deux sociétés, Bakongo et Batéké. Selon Marchand, Mabala aurait été « chef Batéké, mère Bassoundi » d'un village Bassoundi et Fou1. On trouve Mabiala Minganga, Mynganga, Ma Ganga ou encore Mabiala Kingoï (Mangin). 2. Cf. R.O. MANOT, L'aventure de l'or et du Congo-Océan, pp. 66-67. 3. Au cours d'une enquête dans la région, des habitants de Chavannes, très lointainement apparentés à Mabiala Minganga, nous montrèrent la grotte; des bougies étaient placées à l'entrée de celle-ci et selon les informations, on venait de Pointe-Noire même, l'honorer. Il semble plus probable que le rituel ait été importé par des Bahangala ayant assisté au culte bougiste à Pointe-Noire où Mabiala Minganga est inconnu. 4. Un vieux Balari — qui fut un des premiers catéchistes de la mission de Linzolo puis participa à la fondation de celle de M'Bamou — se fit l'écho auprès de nous de la « méchanceté » de Mabiala Minganga et de sa mauvaise réputation chez les Balari. 5. « Le chef Mabiala Minganga était connu, comme son nom l'indique, grand féticheur [sorcier] de la contrée. » (S.O.M., M43, Rapport Marchand, fol. 49, note 1.) 6. A.N., 99 API, Rapport Frédon « sur la prise de Mabiala Minganga et sur les opérations dans la région des Bassoundi », s.d. 8
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lambao, le village de Mayoké, un village Batéké x . Ainsi s'expliquent les complicités que les rebelles trouvèrent auprès des Batéké lorsque Marchand mit fin à l'astucieuse association que les trois « compères » avaient organisée 2. Enfin, à la tête des « Bassoundi du sud » révoltés, se trouvait un certain Tensi ou Tanzi Kimbondo dont le village se serait situé au nord-est de Kimpanzou, non loin du marché encore visible de N'tila Voula. Bien que considéré comme « le plus puissant » 3 des chefs Bassoundi de la Foulakari, Tensi semble n'avoir laissé aucun souvenir. Mabiala Minganga, Mabiala N'Kinké, Mayoké, Missitou et Tensi ont été les principaux instigateurs, connus, du soulèvement de 1896. Aucun d'entre eux ne réussit cependant à s'imposer vraiment et à opposer aux Français une résistance très sérieuse. Les opérations purement militaires furent faciles et rapides. La création de postes et l'installation du portage constituèrent des opérations « administratives » beaucoup plus longues à réaliser. Une première série d'opérations militaires débuta en septembre 1896 afin de liquider l'opposition Bahangala. Baratier, arrivé à Kimbédi au début août avec l'adjudant de Prat, le peintre Castellani et le premier convoi de colis pris en charge par la Société d'Etudes, avait été chargé du transit des paquets du Kouilou-Niari et de la piste des caravanes. Il voulut imposer le portage aux Bahangala. Avec un détachement de miliciens d'une cinquantaine de tirailleurs, amenés de Loango par Frédon, Baratier entreprit alors la reconnaissance d'une région en état latent de rébellion depuis 1892. A Balimoéké, village situé sur la Louvisi Orientale, entre Kimbédi et Comba 4 , il se heurta le 9 ou 10 septembre à une fin de non-recevoir, très hautaine, de la part du chef, Mabiala N'Kinké, neveu de Mabiala Minganga. Celui-ci faisait
1. MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 68. 2. « L'agglomération Bassoundi de Makabendilou avec le hameau voisin de Lilemboa et le centre plus important de Foulambao à 15 km. plus à l'est, tous trois détruits par la 10e compagnie sénégalaise pendant les combats de juin formaient une véritable association dont la 'raison sociale' était le détroussage méthodique des caravanes Loango et même, dans les derniers temps, des Européens de passage. Un point de halte ordinaire des caravanes, au pied de la Montagne-des-Chiens (non identifiée), était le petit village de Lilemboa, chef Missitou, qui fournissait quelques vivres aux convois. Sous un prétexte futile et préparé, une discussion ne tardait pas à s'élever généralement sur la question : achat de denrées. La discussion dégénérait infailliblement en querelle et la querelle en commencement de rixe. Aussitôt intervenaient, sous couleur de protection au faible hameau de Lilemboa, les nombreux guerriers armés du grand village de Foulambao qui s'étaient cachés dans les bois du voisinage. Les porteurs et les Européens étaient mis en joue, maltraités, on leur passait les tranchants des couteaux sur le cou. A ce moment, deus ex machina, Mabiala, chef de Makabendilou qui jouant le rôle de protecteur magnanime apaisait le conflit et, d'un geste noble inclinait [sic] les guerriers Bassoundi... et exigeait illico [s/c] le prix de son intervention. Le produit était partagé entre les trois intelligents associés et les bénéfices étaient appréciables, mais parfois les porteurs Loango y laissaient leurs têtes et c'était toujours en ce point que naissaient les incidents qui fermaient la route. » (S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 52.) 3 . M E N I E R , op.
cit.,
p.
87.
4. Cf. MARTIN, LEBŒUF, ROUBAUD, op. cit., p. 87 : « Tincaï, a n c i e n village B a l i m o é k a
sur les bords de la Louvisi, autrefois placé sur le passage des caravanes, mais qui est venu récemment s'installer en dehors, le long du Niari... »
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répondre au capitaine qu'il ne se dérangeait « pas pour un Français La répression commença aussitôt. Le détachement Frédon investit le village qu'évacuait la population en armes. Puis le 11 septembre Mabiala N'Kinké et ses guerriers armés de fusils à pierre (150 selon Frédon, 300 selon Baratier) étaient poursuivis « l'engagement inévitable avait lieu, il débuta par la mort du chef, tué de la propre main du capitaine Baratier, ce qui entraîna la déroute de ses guerriers dont dix-neuf toutefois restèrent sur le carreau » 2 . La « pacification » se fit ensuite selon un schéma classique : le village insurgé fut brûlé ainsi que les villages voisins complices et des otages furent pris afin d'obtenir la soumission des chefs et leur acceptation du portage. En même temps, on s'efforça de gagner leur appui en leur offrant deux brasses d'étoffes par porteur et des cadeaux 3 . Le procédé réussit. Les chefs se divisèrent. Quelques rebelles suivirent Mabiala Minganga. Mais Frédon, « par une série de petites opérations rapides, habilement exécutées », les refoula dans la montagne ou sur la rive droite du K o u i l o u 4 . Les autres se soumirent et, en octobre, offrirent m ê m e de dévoiler la cachette de Mabiala Minganga. Marchand arrivé enfin sur place, après la très grave crise de fièvre qui le tint « quatorze jours entre la vie et la mort » à L o u d i m a 5 , ordonna à Baratier et Jacquot de surprendre Mabiala. L'épisode de la mort de Mabiala est bien connu. N o u s reprendrons, ici le récit de Marchand : « Je donnai l'ordre au capitaine Baratier assisté de M. Jacquot avec une section de tirailleurs, de forcer le repaire de Mabiala Mynganga établi en pleine montagne dans les grottes calcaires au nord-est de Balimoéké 6 et de s'emparer vivant ou mort, de ce chef redouté, dont la prise était d'une telle importance pour la suite de notre action et la pacification de la contrée. L'opération se fit dans la nuit du 21 au 22 octobre. Ce jour-là, à 4 heures du matin, l'entrée de la principale caverne des bandits Bassoundis était reconnue. Mais ceux-ci, Mabiala en tête, la défendaient énergiquement et en quelques minutes, bien abrités, mirent six tirailleurs sénégalais hors de combat. Il fallut entamer un véritable siège... A ce moment, je me transportais de Balimoéké à Comba avec un gros convoi escorté par un peloton de tirailleurs, n'ayant pas cru ma présence nécessaire sur le lieu de l'action. La fusillade nourrie que j'entendais sur ma gauche en me laissant à penser que l'affaire pouvait être plus sérieuse que je ne l'avais supposé, me porta à conduire une section de tirailleurs du Haut-Oubangui au pas de gymnastique sur le terrain de l'action peu éloigné de la route des caravanes. Au moment où j'y arrivais, le capitaine Baratier au péril de sa vie plusieurs fois jouée ce jour-là faisait sauter la voûte des grottes sous une énorme charge de mélinite; l'incendie communiqué à la brousse épaisse qui recouvrait la position et masquait les issues
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 47. 2. Ibid., fol. 48. 3. A.N., 99 API, Rapport Frédon sur la prise de Mabiala Minganga. 4. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 48. Entendre : Niari. 5. MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 63. Marchand après avoir organisé le recrutement des porteurs à Loango et transmis ses responsabilités à Germain, avait quitté Loango, le 19 septembre, malade. 11 dut être transporté en « tipoye » (hamac local traditionnel) jusqu'à Loudima où le docteur Emily le rejoignit. 6. Nous avons pu, guidé par des habitants de Chavannes, vérifier cet emplacement sur les premières pentes des collines situées au nord de la voie ferrée, à deux kilomètres environ de celle-ci et à une quinzaine de kilomètres de la gare de Chavannes.
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des cavernes, se propagea vers l'intérieur, faisant son œuvre. A 3 heures du soir, les cadavres de Mabiala et de ses principaux fidèles étaient retirés des grottes brûlantes, à l'enthousiasme indescriptible des porteurs Loangos, des convois arrêtés dans le voisinage en attendant l'issue de l'action, et dont plusieurs avaient à reprocher la mort d'un parent, d'un ami, au chef sanguinaire vaincu et écrasé sous les débris du repaire qu'il avait cru inviolable et sacré. » 1
Dans ce récit, qui porte bien la marque de Marchand, on peut relever une inexactitude intéressante. Baratier, Mangin, Castellani rapportent que Marchand fit sciemment enfumer la grotte. Marchand l'avoue lui-même ailleurs 2 . L'omission de ce procédé dans le rapport au ministre révèle sans doute la mauvaise conscience de l'auteur mais aussi la crainte des attaques dans l'opinion : « Nous serons peut-être accusés par les philanthropes du Parlement d'être des sauvages, des barbares, mais pouvions-nous faire autrement, se demanda Baratier. Reculer devant ce moyen, terrible j'en conviens, c'était reconnaître notre impuissance devant le grand féticheur, c'était lui donner une telle force que tout le pays pouvait se soulever. » 3
La mort du chef, qu'attestait « sa tête montrée dans toute la région par les Loangos désormais tranquillisés », ne fut pourtant pas décisive et Marchand passa sous silence les renseignements donnés par Frédon dans son rapport rédigé en décembre 1896 : « La région de Balimoéké peut être considérée comme insoumise, ceux qui paraissaient accepter les conditions de paix, furent les premiers à fuir l'influence du poste... ceux du sud ne firent aucune offre de soumission. La mort de Mabiala Minganga et celle de son neveu nous rendaient le sud hostile. Aujourd'hui cette région des Bassoundis qui n'a pu s'établir [sic] sur la rive droite du Niari, s'est dispersée dans les villages limitrophes de la tribu des Bakanbas et des Bambanis. » *
Conduits par Songuelé, frère de Minganga, les chefs au sud de la route des caravanes entre Kimbédi et Comba avaient refusé en effet de fournir des porteurs, malgré l'incendie de leurs villages et les opérations « qui anéantissaient toute une région florissante située au centre d'un grand marché Koï », aucun ne voulut se soumettre 6 . Ainsi relativement aisée sur le plan strictement militaire, la pacification des Bahangala s'avérait décevante sur le plan politique. Elle provoqua seulement le déplacement de la guérilla vers Mindouli. Dans le secteur est de la route des caravanes, région Bassoundi-Batéké de Makabendilou, on put croire à une soumission plus réelle. Là aussi, une partie des chefs consentit très vite à collaborer, à commencer par Mabiala, chef de Makabendilou qui accepta, dès la fin août, une convention. Par cette « convention avec les indigènes de Makabendilou et de la région », Mabiala s'engageait à fournir 200 porteurs pour le trajet Kimbédi-Comba et des vivres pour le futur poste de Makabendilou et pour les caravanes. Porteurs et vivres seraient payés, précisait le document. En outre Mabiala s'engageait 1. 2. 3. 4. 5.
S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 48-49. MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 67. A.N., 99 AP3, Souvenirs inédits de BARATIER. A.N., 99 API, Rapport Frédon sur la prise de Mabiala Minganga. Ibid.
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à réparer les dommages causés par ses Bassoundi à la ligne télégraphique en construction, à respecter les convois ou courriers, enfin à livrer 25 fusils x . Cette convention, fort modérée, fut proposée par Vittu de Kéraoul en tournée. Elle devait servir de modèle à présenter aux autres chefs ; Mangin, arrivé dans la région avec Emily, le lieutenant Simon, le sergent Dat et une centaine de tirailleurs de la compagnie d'escorte, devait en surveiller l'exécution. Or dès septembre 2 Mangin constatait la mauvaise volonté ou même l'hostilité des chefs, en particulier de Mayoké et Missitou. Il décida de briser leur opposition par la force. Le détail des événements qui suivirent est malheureusement obscur et les documents sont contradictoires. Il semble toutefois que les principaux opposants, Mabiala, Mayoké, Missitou furent emprisonnés au nouveau poste de M'Bamou 3 . La construction de postes à Makabendilou et M'Bamou marquant l'installation définitive des Européens dans le pays puis la nouvelle de la mort de Mabiala Minganga, semblèrent alors permettre d'achever la pacification. Mais les trois prisonniers réussirent à s'enfuir en territoire Batéké. On les signala chez les « Batékés de M'pila... au petit village de Manyanga près des falaises blanches » (falaises de Douvres) 4 et, plus sérieusement, dans « le grand village Batéké de Matempa, rive gauche du Djoué, 19 km nord-est-nord de M'Bamou » B . A la mi-novembre, Mangin arracha à Marchand son consentement à un coup de main en territoire Batéké. Une courte lettre de Marchand à Mangin, nous éclaire sur les raisons de la réticence du chef de Mission : « Mon cher ami, n'allez pas à Matempa, la rive gauche du Djoué est territoire Batéké et la destruction de Matempa se répercuterait dans l'intérieur de ce territoire. Nous serions instantanément accusés d'avoir affamé Brazzaville qui souffre en ce moment d'une disette terrible. Et puis, je ne désire pas du tout avoir en ma possession Mayoké, Missitou, ni Mabala. » 6
L'expédition, à marches forcées de nuit, eut lieu quand même. Elle ne rapporta rien malgré la surprise de Matempa 7 . Les chefs Bassoundi réussirent à fuir à nouveau. Mais la complicité des Batéké était démontrée. De nombreux otages furent emmenés, un ultimatum fut envoyé aux grands chefs Batéké. Ceux-ci livrèrent alors les « conjurés » qui furent ramenés à M'Bamou « où l'ordre d'exécution les attendait. Ils subirent leur peine le 4 décem-
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, Pièces annexes, fol. 110, « Convention avec les indigènes de Makabendilou et de la région représentée par le chef Mabala », 28 août 1896. 2. Mangin, après la signature de la convention avec Mabala, avait poussé jusqu'à Brazzaville où il espérait rencontrer Largeau, qui, déjà, remontait le Congo. De retour à Makabendilou, Mangin reçut les instructions de Marchand lui confiant le commandement militaire, le 6 septembre. 3. MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 68. 4. A.N., 99 API, Vittu de Kéraoul à Marchand, 9 déc. 1896, et rapport du Commissaire Général du 1 e r déc. 1896. L'information est fausse puisque Mayoké et Missitou étaient pris à cette date. 5. MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 68. 6. A.N., 149 API, Marchand à Mangin, s.d. 7. Récit dans MANGIN, op cit., pp. 62-65.
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b r e 1 en présence des troupes, des caravanes de passage et de tous les notables de la région rassemblés. Missitou mourut en lâche et Mayoké bravement, l'injure et la menace à la bouche, avouant ses crimes et en proclamant d'autres restés ignorés. L'insurrection n'avait plus de chefs et le pays Bassoundi était bien définitivement pacifié. » 2 En fait, Marchand dut intervenir presque aussitôt sur la route sud où un troisième foyer d'insurrection s'allumait. Cette route, de Manyanga à Brazzaville, par laquelle arrivait le ravitaillement de Brazzaville et les charges expédiées par le chemin de fer belge, venait de se fermer. Des querelles, au passage de la Foulakari, entre les porteurs et les villageois de Kimpanzou exerçant un droit de péage étaient à l'origine de cette fermeture. Très vite le sud entra en dissidence, les Bacongo aussi bien que les Bassoundi refusant d'entrer en contact avec les Européens. A Brazzaville, les maisons de commerce et les missions catholiques s'émurent. Gresshoff « supplia » Marchand de rouvrir la route. Après s'être accroché à ses prérogatives et s'être querellé violemment avec Mangin et Marchand, le 20 novembre, Vittu de Kéraoul se résigna à laisser faire : « A ce moment, note Marchand avec une certaine vanité, toute la partie du Congo Français au sud de la ligne du Niari-Kouilou inclusivement était sous ma direction, de la mer au Congo; j'étais devenu une espèce de lieutenant-gouverneur militaire du Congo Français. » 3
Les opérations furent confiées à Mangin. Dès la fin novembre, il occupait militairement la route sud et obtenait le ralliement de la plupart des chefs lors d'un grand « palabre » à Kimpanzou même. Les chefs se soumirent avec beaucoup de mauvaise grâce cependant : les populations « lui fournirent des porteurs par crainte et aussi par appât des étoffes de paiement [et] essayèrent tout au moins de lui rendre le séjour impossible en l'affamant, c'est-à-dire en refusant de vendre toute espèce de nourriture indigène *. Ce blocus se transforma bientôt en hostilités dont les Bassoundi prirent l'initiative. Le 10 décembre, le chef Tensi avec ses 600 à 700 guerriers, surprit un convoi de ravitaillement venu de M'Bamou et destiné au nouveau poste de Kimpanzou, à mi-chemin environ de ces deux postes, près du village Saba (ou Tsava) « où commenaait le pays de Tensi » La caravane fut fortement atteinte ; son responsable, un sergent d'Infanterie de Marine, fut grièvement blessé et la colonne poursuivie jusqu'à Kimpanzou. A bout de munitions, elle dut se jeter dans le poste dont Tensi commença le siège. Cette embuscade fut certainement la plus grave « affaire » de la pacification du pays Bakongo et les difficultés de la riposte confirmèrent la combativité des Bassoundi de Tensi. Le 12 décembre, un violent engagement, entre les tirailleurs de Mangin venus à la rescousse et les troupes de Tensi, dura 1. D'autres documents parlent du 27 nov. 1896. 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 53. Mabiala, en raison de son grand âge, fut épargné. 3 . MENIER, op.
cit.,
p. 84.
4. Ibid., p. 86. La lettre adressée par Marchand à Grandidier, de Brazzaville, le 1 er fév. 1897 et les Souvenirs d'Afrique de Ch. MANGIN, pp. 67-75, contiennent les plus clairs récits des opérations au sud. 5. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 63.
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sept heures. Il « causa une centaine de tués et blessés par le feu des Lebel » du côté Bassoundi mais n'entraîna pas la décision. Les Bassoundi reculèrent seulement de 12 km. Tous les porteurs recrutés sur la route sud s'enfuirent. « La situation devenait critique », avoua Marchand Aussi il fallut, pour obtenir la soumission des Bassoundi, une grande opération, commandée par Marchand lui-même, du 19 au 24 décembre. Trois colonnes convergèrent vers N'Tila Voula, marché installé sur un éperon dominant le Congo et la Foulakari, à la jonction des trois routes venant de Brazzaville, Manyanga et M'Bamou. Une première colonne de 104 tirailleurs et 700 porteurs sous les ordres de Mangin, partit de Manyanga, une seconde de 65 tirailleurs commandée par Marchand partit de M'Bamou, une troisième enfin de 25 tirailleurs, de Brazzaville. La jonction eut lieu le 20 décembre ; un ultimatum fut adressé aux chefs Bassoundi leur laissant 24 heures pour se soumettre. Tous obéirent sauf Tensi. Du 22 au 24, les villages rebelles furent donc détruits : « Le chef militaire des guerriers de Tensi était pris avec, chance rare, le grand fétiche de mort (je l'envoie en France, c'est une statue de bois, ensanglantée après sacrifices humains, moitié grandeur nature). » 2 L e 24 décembre 1896 la fuite de Tensi en territoire Batéké, au nord du Djoué, comme Mayoké et Missitou plus tôt, marque la fin des opérations de pacification de la Mission Marchand au Bas-Congo. La route sud était à nouveau ouverte et les porteurs « rassurés ». U n nouveau chef, nommé par Marchand, succéda à Tensi dont on perdit la trace. Le Makoko, interrogé par Vittu de Kéraoul en janvier 1897, répondit qu'il était disposé « à arrêter les Bassoundi fugitifs et qu'il en donnait l'ordre aux chefs dépendants de lui » mais que « Tensi lui était inconnu » 3 . La pacification était terminée à la fin de décembre 1896. Déjà une partie de la mission quittait Brazzaville, une nouvelle « période » commençait. *
« Nous ne sommes pas du Congo », écrivait Marchand à Mangin en novembre 1896, marquant par là que l'essentiel était de passer, non de « faire de la colonisation ». D'ailleurs, cette colonie aux mains de « gloires en baudruches » (Marchand visait ici Brazza et Dolisie) n'était « qu'un marécage puant » 4 . Cependant, il ne fait aucun doute que Marchand, au cours des six mois de séjour au Congo, voulut faire de la colonisation et démontrer qu'on pouvait réussir là où Brazza avait échoué. Il préconisa à cet effet, deux remèdes dont l'excellence est longuement expliquée dans son rapport de mission. Le plus important resta un vœu :
1. MENIER, op. cit.,
p . 86.
2. Ibid., p. 87. Le rapport de Vittu de Kéraoul à Brazza, de janvier 1897, sur les événements de décembre, contient aussi une description du « fétiche de guerre encore taché de sang ». On y apprend, aussi, que Tensi fut trahi par les siens. (Cf. S.O.M., Afr. III, 32a, Vittu de Kéraoul à Brazza, Brazzaville, janv. 1897.) 3. A.N., 99 API, Vittu de Kéraoul à Marchand, Brazzaville, 8 janv. 1897. 4 . MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 8 0 .
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« Le C o n g o Français est un immeuble trop vaste qui n'a pas encore trouvé de locataires quoique meublé, mais dont il faut quand même assurer l'entretien... Je ne vois réellement de remède temporaire que dans la division de ces immenses territoires qui ne peuvent raisonnablement être administrés de Libreville... ... Quand la colonie du Gabon-Sangha-Tchad avec sa ligne de l'Ogooué existera à côté du Congo-Oubangui-Ghazal avec la ligne du Kouilou... les dépenses ne seront peut-être pas réduites, mais à coup sûr elles seront mieux employées et le gaspillage aura vécu. » 1
L'autre remède, dont dépendait le salut du futur ensemble Congo-OubanguiGhazal était une réforme du portage. C'est le thème favori des digressions du rapport 2 . Ce portage devait être rénuméré. Dans l'esprit de Marchand il ne s'agissait pas d'un impôt en travail. Des postes joueraient le rôle d'étapes, de centres de paiement et de surveillance, de marchés et de magasins de vivres achetés aux populations 3 . L'intérieur s'ouvrirait ainsi au commerce jusque-là limité à la côte et à Brazzaville. En même temps une économie monétaire moderne, fondée sur des rapports de confiance mutuels, apparaîtrait ; déjà, souligne Marchand, en décembre 1896, les achats de la Mission se faisaient en papier 4 . « Commerce » et « Civilisation », on retrouve ici deux des grandes justifications idéalistes chères aux entreprises coloniales du XIXe siècle. Quels furent donc les résultats ? Effectivement de nombreux postes furent créés ; Kimpanzou sur la route sud, Balimoéké, Missafo, Fort Laval, M'Bamou, Soundji sur la route nord. Certains comme Missafo, Balimoéké ou Soundji ne furent que de simples bastions « à la mode du Soudan ». Les autres étaient de grands postes « à l'européenne » ou « à l'américaine » comme M'Bamou, vaste camp militaire construit en rondins par Mangin 5 . Les anciens postes, Kimbédi 6 , Comba, Manyanga furent améliorés ainsi que la piste 7 . Mais ces installations coûteuses ne pouvaient survivre qu'au prix d'un effort financier que la colonie ne put assumer lorsque s'aggrava la grave crise budgétaire, prétexte de la chute de Brazza en 1897 : dès août 1897, Dolisie déplorait que « les petits postes [coûtassent] trop cher » et déclarait
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 70. 2. « Détruire le monopole Loango et scinder en trois sections distinctes de portage la route Loango-Brazzaville : les porteurs Loango et Bakounies de Loango à Loudima, les porteurs Bakounis, Bakambas de Loudima à Kimbédi et Comba, renforcés entre Kimbédi et Comba par les Mabembés [Babembé], Bahangalas, les porteurs Bakongos, Bassoundis de Comba à Brazzaville, la première moitié de la ligne doublée entre Kimbédi et Loango par les batelages de la Société d'Etudes. » (Ibid., fol. 35.) 3. Impressionné par les expériences agricoles et pastorales du chef de poste de Loudima Renault, dans le Niari, Marchand prévoyait aussi la création de plantations modèles autour des postes. Plusieurs essais furent réalisés. 4. Cf. ibid., fol. 56. 5. MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 65. 6. Poste créé par Dolisie en mai 1896 pour remplacer celui de Biédi. 7. D e Comba à Brazzaville, il y a des ponts sur tous les ruisseaux et la route a été taillée large dans les massifs boisés.
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son intention de les supprimer l'année suivante Seuls les postes de M'Bamou et Kimpanzou subsistèrent. La disparition des autres postes contribua à ruiner « l'œuvre » de Marchand au Congo. La grande réforme du portage ne résista guère plus longtemps. Il ne fait pas de doute que dès 1897, le portage n'était plus qu'une contrainte insupportable semblable à l'impôt de capitation dont le successeur de Brazza, Henri de Lamothe, allait faire un article fondamental du nouveau programme colonial au Congo Français 2. En mai 1897, Dolisie, Commissaire Général par intérim après le retour de Brazza en France, s'inquiétait : « La réaction prévue à la suite des opérations militaires du capitaine Marchand commence à produire ses effets; entre Kimbédi et Comba des porteurs de caravanes sont attaqués, des charges volées... J'ai grand peur... qu'il ne faille occuper le pays par une colonne violente d'une centaine de miliciens et de trois ou quatre Européens. » 3
En janvier 1898, les hostilités reprirent ; un sergent d'infanterie de Marine était tué près de Makabendilou et Lamothe avouait que « la situation dans la région laissait beaucoup à désirer » 4 . La « pacification » menée par la Mission Marchand ne fit donc qu'appeler de nouvelles « pacifications », de même qu'ailleurs, en Côte d'Ivoire par exemple, jusqu'à la première Guerre Mondiale. Les populations Bassoundi et Bahangala qui avaient commencé à fuir les abords de la route du temps de Marchand, continuèrent plus tard leur exode. En 1909, la mission médicale Martin, Roubaud, Lebœuf trouva dans la zone refuge au nord de la route, « un ramassis de tribus plus ou moins diverses, plus ou moins hostiles », misérables mais « à l'abri du contact avec les Européens » s . Enfin l'intérêt économique de la réforme du portage disparut avec l'achèvement du chemin de fer Matadi-Léopoldville. L'arrivée des compagnies concessionnaires redonna un moment à la piste des caravanes une activité importante et factice. Dès 1897, d'ailleurs, beaucoup de transports français se faisaient par le chemin de fer belge, à commencer par les renforts de la Mission Marchand en 1897 et 1898. Bientôt la voie ferrée fit descendre le prix du transport d'une charge à 30 francs. En définitive le résultat le plus tangible de la Mission Marchand au Congo fut la réalisation de son premier exploit : le transport de près de 14 000 charges par les deux routes, 8 500 par la route nord, 5 200 par celle du sud e . Les commerçants, Tréchot et Gresshoff en tête, les missions catholiques de Mgr Augouard avaient fait appel à Marchand. Celui-ci avait « débloqué » sur la route sud 4 400 charges appartenant aux sociétés, dont 2 200 pour la
1. S.O.M., Gabon-Congo, I, 51, Dolisie à Lebon, 20 août 1897. 2. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61d, Lamothe à Liotard, Libreville, 29 nov. 1897. Lamothe préconisait même d'instaurer « une taxe de protection et de souveraineté » dans le lointain Haut-Oubangui, estimant que la tâche devait être relativement aisée comme il avait pu le constater au Soudan. 3. S.O.M., Gabon-Congo, 1,50a, Dolisie à Lebon, Rapport périodique, mai 1897, Libreville. 4. S.O.M., Gabon-Congo, I, 81, Lamothe à Lebon, Rapport périodique, janv. 1898, Libreville. 5. MARTIN, LEBŒUF, ROUBAUD, c i t é p a r G . SAUTTER. 6. MENIER, op. cit.,
p . 88.
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N.A.H.V. et plusieurs centaines destinées aux missionnaires. « L'administration du Congo était... ahurie. » 1 Mais cet exploit coûta fort cher et précipita la crise budgétaire de la colonie. Dès le début de 1897, les prévisions ministérielles de 600 000 francs pour trois ans étaient dépassées. En mars 1897, Brazza estimait les dépenses engagées par Marchand à près d'un million dont 173 000 déjà réellement payés pour les seuls transports au Bas-Congo 2 . Ce chiffre même était sans doute inférieur à la réalité puisqu'il fallait payer la N.A.H.V., la Société d'Etudes, les nouveaux travailleurs ou porteurs et leur subsistance. Par ses dépenses propres la Mission grevait donc lourdement le budget français. Il faut y ajouter les dépenses supportées par la colonie mais dues à la pacification : la construction des postes 3 , la réfection des pistes, les transports administratifs 4 . Malgré la subvention exceptionnelle de u n million pour le Haut-Oubangui et la Mission, le Congo Français déjà déficitaire fut acculé à la banqueroute. Cet exploit ne se fit pas non plus sans entraîner de controverses en France où certains s'interrogèrent sur l'utilité d'une mission ayant accumulé plusieurs mois de retard et d'autres sur les procédés mêmes de l'expédition. A u moment même où, à la Chambre, les socialistes derrière Jaurès se rallient au vote « national » qui accorda en décembre 1896 le soutien financier nécessaire au gouverneur pour sa politique du Nil, ceux-ci semblent brusquement s'apercevoir que la Mission Marchand n'était qu'une expédition coloniale comme les autres. La Petite République Socialiste en rappelant les « atrocités » d u Dahomey, signale que des « faits analogues se passent actuellement au Congo Français où nos galonnés rivalisent de cruauté avec les soldats anglais et belges » et rapporte le récit d'un témoin « oculaire » des opérations de répression dans la région de Comba où Marchand « fait tout brûler et tout détruire sur son passage. » 5 Tandis que l'extrême-gauche — dont l'attitude semble bien incohérente — entamait une campagne d'opposition « morale », à droite, du côté des milieux coloniaux, l'hostilité observée lors de la préparation de l'expédition se développait avec toujours plus de virulence. La Dépêche Coloniale, se distinguant par son âpreté, dénonça, en novembre, dans la Mission « la plus folle des aventures » et parla de « la mégalomanie des coloniaux échauf-
1. Ibid., p. 90. 2. S.O.M., Gabon-Congo, I,49a, Brazza à Lebon, Libreville 20 mars 1897, Situation financière de la colonie ». 3. MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 65. Fort Laval, qui fut abandonné, coûta près de 20 000 francs, sans compter les 1 000 journées de travail — payées par le service local. 4. M E N I E R , op. cit., p. 88. Les 13 700 charges parvenues à Brazzaville revinrent, d'après Marchand, à 650 000 francs, dont près d'un demi-million pour les charges du gouvernement, 5. Cf. La Petite République Socialiste, 14 déc. 1896: «Dans les ténèbres de l'Afrique, comment on civilise les Noirs, une lettre de Comba ». Curieusement, l'article du journal socialiste n'est pas exempt d'un certain nationalisme économique lorsqu'il déplorait que cette politique ne servit, au fond, que les sociétés étrangères tandis qu'il ne restait à la France que les petites affaires de pacotilles « sous le gouvernement de M. de Brazza ».
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fés » 1 ; elle reprit, en décembre, les critiques de Jules Siegfried et de Bazille à la Chambre 2 . Enfin, en janvier, elle attaqua violemment le « chimérique projet d'intervention au Bahr el Ghazal » 3 . Mais ces oppositions n'entamèrent guère l'obstination d'Hanotaux et d'André Lebon qui croyaient avoir trouvé à l'est de l'Afrique, en Ménélik II, un allié et un auxiliaire de la politique française. Elles n'émurent guère non plus le grand public séduit par le mirage de l'amitié de la France et de l'Abyssinie qui n'était « qu'à quelques centimètres du Bahr el Ghazal sur les mappemondes qui servent dans les salles de rédaction à résoudre les problèmes de géographie africaine » 4 .
1. La Dépêche Coloniale, 1 er et 4 nov. 1896, « Le rapport de M. Siegfried sur le budget des Colonies ». 2. Ibid., 13 déc. 1896. 3. Ibid., 5 janv. 1897. 4. Ibid., S janv. 1897.
En 1893, l'envoi d'une mission de renfort par l'est, à travers l'Abyssinie, avait déjà été envisagée par le Président Carnot 1 . En 1897, Gabriel Hanotaux, au Quai d'Orsay, reprit le projet et fit de la « politique éthiopienne », un atout fondamental de son jeu diplomatique destiné à mettre fin à la rivalité franco-britannique dans le nord-est de l'Afrique. On parut oublier quelque peu la Mission Marchand pendant ce temps. En fait, d'habiles campagnes de presse obligèrent, de temps en temps, le gouvernement français à faire le point. Cependant même pour ce dernier il n'était pas aussi facile de suivre Marchand que Kitchener dans sa « marche en avant » : en 1898, les nouvelles de l'expédition Congo-Nil mettaient cinq à six mois pour parvenir à Paris. Cette troisième partie de notre étude sera donc organisée autour de deux grands centres d'intérêt : la politique de Gabriel Hanotaux qui constitue l'histoire « extérieure » de la Mission Marchand ; la traversée des Sultanats et du Bahr el Ghazal qui en constitue l'histoire « intérieure ».
1. Voir I re partie, p. 20.
CHAPITRE PREMIER
LA POLITIQUE D'HANOTAUX En jariVier 1897, écrivant au représentant de la France au Caire, Cogordan, Hanotaux définissait ainsi sa politique dans le nord-est de l'Afrique : « Vous êtes comme moi au courant de l'ensemble des efforts convergents qui sont faits en ce moment par nous dans cette question [d'Egypte] : résistance de droit dans la question financière, action persistante auprès des grandes puissances étrangères et notamment de la Russie, relation avec Ménélik, marche sur le Bahr el Ghazal. Vous n'ignorez pas non plus qu'à Constantinople parmi les diverses phases d'une négociation compliquée, nous ne perdons pas de vue, un seul instant, cette même question d'Egypte. » 1
I . L A POLITIQUE ÉGYPTIENNE DE GABRIEL HANOTAUX
1. Les buts. Jusqu'à sa chute, en juin 1898, Hanotaux poursuivit les mêmes objectifs exprimés fort clairement dans le « projet de règlement des questions pendantes dans le nord-est africain » qu'il fit préparer par ses services en février 1897 2 . L'auteur, le comte Horric de Beaucaire, avait été secrétaire à la conférence de Berlin en 1885, puis consul général de France au Caire la même année. En 1895, il avait été nommé sous-directeur à la Direction Politique du Quai d'Orsay où il passait pour un spécialiste des affaires d'Egypte. Georges Louis, délégué français à la Commission de la Dette depuis 1893, approuva le projet et y ajouta des observations sur l'organisation politique de la future Egypte. Le document comprend « un projet de convention générale réglant l'évacuation de l'Egypte », la neutralisation du canal de Suez, de la Mer Rouge et de L'Egypte3, une charte du « régime du Nil » inspirée des « actes de 1. A.E., NS, Egypte, 19, Hanotaux à Cogordan, Paris, 1 er janv. 1897. 2. A.E., Papiers Hanotaux, vol. 10, Mémoires et Documents, t.V, fol. 17-56. 3. 3e partie, « Neutralité du Canal de Suez, de la Mer Rouge et de l'Egypte ». 9
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navigation » concernant le Congo et le N i g e r d e s propositions concernant la future organisation politique, administrative et financière de l'Egypte 2 , et aussi « les limites des nouveaux territoires à constituer dans le bassin du Nil » 3 . C'est donc un nouveau partage politique et colonial qui était ainsi proposé. Les principaux bénéficiaires de ce partage devaient être, évidemment, l'Angleterre et la France. Les territoires reconnus à l'Angleterre devaient former un vaste bloc depuis l'Ouganda, au sud, jusqu'à la 5e cataracte marquant la frontière avec l'Egypte, au nord. Presque tout le « Soudan » (Darfour, Kordofan, Sennar) et la majeure partie de l'ex-Province Equatoriale seraient devenus possessions britanniques, ainsi que le littoral de la Mer Rouge de part et d'autre de Souakim. Vers l'Abyssinie, le tracé des frontières prévu par les protocoles anglo-italiens de mars et avril 1891 pourrait être reconnu par le gouvernement français. En revanche, la France recevrait tout le Bahr el Ghazal, à l'est jusqu'au Nil, au nord jusqu'à la lattitude de Fachoda (10° nord), au sud jusqu'au M'Bomou et à l'enclave de Lado 4 . L'Etat Indépendant n'était pas oublié : la France reconnaîtrait la convention anglo-congolaise du 12 mai 1894 en dehors des territoires qui lui seraient cédés dans le Bahr el Ghazal, donc la cession à bail de Lado à Léopold II et celle d'une bande de 25 km de large du lac Albert-Edouard au lac Tanganyika à la Grande-Bretagne. Enfin, l'Allemagne ayant protesté contre cette dernière clause en 1894, « il serait sans doute [opportun] de lui accorder quelques concessions pour la faire revenir sur cette décision », estimait Horric de Beaucaire. Telles sont les grandes lignes des propositions que Gabriel Hanotaux comptait soumettre à la grande conférence internationale que la diplomatie française susciterait « au moment voulu ». Les moyens furent-ils à la hauteur des buts projetés ? 2. La politique de t résistance ». Afin d'obliger l'Angleterre à négocier, Hanotaux espérait beaucoup de « la résistance de droit dans la question financière [et] de l'action persistante auprès des grandes puissances, notamment de la Russie » 6 , enfin, des sympathies conservées en Egypte par la France. Les péripéties des relations franco-britanniques en Egypte et au Soudan ont été très précisément analysées par MM. Robinson, Gallagher 8 , et Sanderson 7 . Nous insisterons cependant sur les effets de la politique préconisée par Hanotaux. Sur le plan financier la résistance française aboutit à un échec dès la fin de 1896. Français et Russes avaient d'abord réussi à empêcher la participation de la Caisse de la Dette au financement de la « marche en avant » 1. 2. 3. 4. 5.
4 e partie, « Régime du Nil ». 5 e partie, « Organisation politique et administrative de l'Egypte après l'évacuation ». 6 e partie, « Concessions financières qui pourraient être faites au gouvernement égyptien ». 2 8 partie, Carte jointe. A.E., NS, Egypte, 19, fol. 11, Hanotaux à Cogordan, Paris, 1« janv. 1897.
6 . C f . ROBINSON, GALLAGHER, D E N N Y , op. 7. Cf.
SANDERSON, op.
cit.,
pp.
212-268.
cit.,
p p . 346-359.
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confiée en mars 1896 au sirdar Kitchener par la Grande-Bretagne et le K h é d i v e 1 . Mais, sous le couvert de ce dernier, l'Angleterre put emprunter à la Caisse; puis, en novembre 1896, le Trésor britannique accorda une avance de 800 000 livres destinée à rembourser l'emprunt et à financer une nouvelle phase de l'expédition. Loin de décourager la détermination de Londres, l'attitude française finit donc par renforcer le caractère britannique de l'expédition et heurta la susceptibilité du Parlement anglais ; en février 1897, celui-ci approuva très largement l'octroi du subside. L'expédition et la construction du chemin de fer de Wadi Halfa à Abu Hamed étaient d'ailleurs devenues d'énormes affaires dont le coût réel atteignait déjà, en février 1897, 18 325 000 f r a n c s 2 . Sur le plan politique, les Français n'obtinrent que quelques succès. Français et Russes, unis à la Caisse de la Dette, s'entendirent ensuite pour obtenir l'appui de la Porte, suzeraine du Khédive : en juin 1896, sur leur instigation, le Sultan protesta contre l'occupation de Souakim par les troupes indiennes. Bien que cette protestation ait dépassé les vœux des alliés, le Sultan ayant réclamé l'évacuation rapide du port « sans nous consulter » 3 , l'Angleterre transigea : en octobre, elle annonça une prochaine évacuation du port et en décembre, elle remit Souakim aux Egyptiens. U n e certaine concordance de vues et d'action s'était donc manifestée entre la France et la Russie en cette fin de 1896. En octobre 1896, lors de la conversation avec le Tsar, puis en janvier 1897, lors de la conversation avec le comte Mouraviev, Hanotaux obtint l'assurance que cet accord politique et financier serait maintenu ultérieurement. Cependant, on peut se demander si Hanotaux ne s'aveuglait pas sur l'étendue et l'efficacité du concours russe lorsqu'en novembre 1897, il déclarait à Cogordan : « Nous avons gagné à la longue de nous assurer le concours fidèle de la diplomatie russe. N'est-il pas permis de penser que d'autres puissances en viendront à leur tour à reconnaîtrs la communauté de leursi ntérêts et des nôtres dans cette partie de l'Orient et qu'ainsi lee questions relatives à l'Egypte se poseront un jour dans leur ensemble, devant l'Europe tout entière. » 4 U n tel optimisme se référait sans doute alors aux rencontres de la fin août 1897 entre responsables français et russes, à l'occasion du voyage de Félix Faure en Russie. L a consolidation de l'alliance franco-russe y avait fait l'objet de conversations entre le Tsar, Félix Faure, Hanotaux, Mouraviev et Montebello, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg 5 . Mais le concours refusé par la France à la Russie quelques mois plus tôt, en avril, dans la question des Balkans avait sérieusement refroidi l'enthousiasme des Russes
1. Cf. I " partie, p. 53. 2. A.E., NS Egypte - Soudan, 28, fol. 35-37, Pontavice, attaché militaire français à Londres à Billot, ministre de la Guerre, Londres, 8 fév. 1897. 3. Ibid., Egypte - Soudan, 27, fol. 101, Hanotaux à Courcel, Paris, 15 juin 1896. 4. Ibid., Egypte, 19, fol. 178-179, Hanotaux à Cogordan, Paris, 16 nov. 1897. 5. Ces conversations eurent lieu du 23 août 1897. Cf. G. HANOTAUX, « Voyage de M. Félix Faure en Russie (18-31 août 1897)», Revue d'Histoire Diplomatique, juil.-sept. 1966, pp. 214-230, et G. DETHAN, « Les Papiers de Gabriel Hanotaux et la proclamation de l'entente franco-russe (1895-1897) », ibid., pp. 205-213.
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qui voulurent désormais s'en tenir, comme leurs partenaires plus tôt, à une interprétation restrictive de l'alliance Un autre moyen d'action envisagé par Hanotaux fut de renforcer la propagande en Egypte afin d'y susciter un mouvement pro-français. Hanotaux, en effet, croyait ou voulut croire, à la confiance inébranlable des Egyptiens dans les promesses de la France. Au Caire, l'agent général de la France, Cogordan, très vite, ne cacha pas son scepticisme à cet égard dans les rapports qu'il adressa à son ministre de 1896 à 1898. Ainsi dès août 1896, Cogordan envoyait à Hanotaux un mémoire fort documenté sur la « question égyptienne » ; il y insistait sur la perte de confiance « du Khédive et des indigènes déjà persuadés que la France était peu disposée à courir des risques graves » et que « ne faisant pas la guerre sur le Rhin, elle ne la fera pas pour le Nil » 2 . Mais aux avertissements de Cogordan, Hanotaux ne répondit que par des semonces, le rappel des objectifs poursuivis et souligna la nécessité de la poursuite d' « une politique vigilante qui rende évident à tous les yeux, notamment aux yeux des indigènes que la question n'est pas close... [et] que s'ils doivent compter sur eux-mêmes, il est en Europe des points d'appui qui ne leur ont jamais manqué et qui ne leur manqueront pas. » 3 L'affaire des télégrammes de l'agence Havas illustre bien l'opiniâtreté d'Hanotaux. L'agence Havas avait publié à la fin mars et au début avril une série de faux télégrammes destinés à soulever l'opinion publique française contre les agissements des Anglais : Havas transmit, ainsi, le récit d' « incidents » en Egypte qui devaient permettre une mise en tutelle encore plus étroite du pays par les Anglais. Le gouvernement khédival supprima alors sa subvention à l'agence de presse et Cogordan dénonça à Hanotaux les « enragés du parti colonial », qu'il appellait « le parti agité français », responsable de l'affaire. Son inquiétude était si grande qu'il se permit même de donner une leçon à son ministre : « Ne voit-on pas ce que la France perd tous les jours et que prétend-on gagner en rendant plus aiguë encore la crise que nos intérêts traversent ici ? » * Pour toute réponse, Hanotaux, auprès de qui l'agence Havas venait d'intervenir, signifia seulement à Cogordan qu'il aurait à effectuer < une démarche pressante pour que cette subvention soit rétablie. » 9 Dès lors, Cogordan se contenta d'être l'obéissant serviteur d'une politique en laquelle il n'avait aucune confiance. Enfin, en juin 1898, à quelques jours de sa chute, Hanotaux envoya à Cogordan, lui-même à la veille de son départ en congé, une note dont l'optimisme parut assurément fort surprenant au représentant français :
1. Cf. P . RENOUVIN, La politique extérieure de la troisième République, Cours polycopié C.D.U., 1948, fasc. IV, pp. 287-288. 2. A.E., NS, Egypte-Soudan, 27, fol. 106-123, Cogordan à Hanotaux, Plombières, 6 août 1896. 3. Ibid., Egypte, 19, fol. 11, Hanotaux à Cogordan, Paris, 10 janv. 1897. 4. Ces télégrammes du 26 et 28 mars et du 161 et 2 avril faisaient état de pressions britanniques pour obtenir la surveillance des audiences du Cadi, de concessions d'avantages financiers capitaux, ainsi que des menaces « d'une grande puissance » adressées au Khédive. Cf. ibid., fol. 68 à 73, transmission des télégrammes par Cogordan, 14 avr. 1897. 5. Ibid., fol. 75, Hanotaux à Cogordan, Paris, 15 avr. 1897.
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« La convention du Niger vient d'être signée 1 et la conclusion de cet accord clôt la série des différends internationaux (Siam, Madagascar, Tunis, Chine et Niger) où l'Angleterre pouvait chercher à nous opposer une politique de griefs ou de compensations à nos propres revendications dans la question d'Egypte. Nous avons des raisons très sérieuses d'espérer que la Mission Marchand sans cesse soutenue par les secours que lui fournit M. Liotard est en ce moment à proximité des territoires du Haut-Nil vers lesquels se sont avancés d'autre part certains émissaires de Ménélik. La prise de Khartoum... pourra donner lieu à des négociations en vue desquelles la France a pris, par une action persévérante, les positions que je viens de rappeler. A ces négociations, toutes les puissances qui ont des intérêts en Egypte auront également à prendre part... C'est pour nous mettre en mesure de prévenir toute défaillance que j'ai cru devoir faire part pour notre usage personnel des indications qui précèdent, en vous priant de recueillir avec soin les différentes données qui pourraient concourir à la discussion probablement prochaine et pacifique des grands intérêts internationaux que l'Europe en général, et la France en particulier, n'ont cessé de défendre en Egypte. » * 3. L'action
diplomatique.
Jusqu'à la fin de son règne au Quai d'Orsay, Hanotaux pensa donc que l'Angleterre finirait par accepter de négocier le règlement de la question de l'Egypte et du Nil selon les vues françaises. Cet entêtement peut paraître aujourd'hui de l'aveuglement. A l'époque, il pouvait s'expliquer par les encouragements que le ministre crut trouver dans les « ouvertures » de l'adversaire anglais et dans les manifestations de sympathie des autres grandes Puissances. Du côté britannique, Salisbury lui-même parut offrir, en janvier 1897, l'occasion d'une négociation : il proposa en effet à Courcel, ambassadeur de France à Londres, de négocier un traité d'arbitrage général des différends entre les deux pays. Son souci de trouver un terrain d'entente en matière coloniale apparut clairement aussi au cours de la longue négociation du Niger qui finit par se conclure le 14 juin 1898. Aux yeux d'Hanotaux, c'était là le prélude d'une discussion sur l'Egypte et le Nil. Mais les concessions que pouvait faire Salisbury dans cette question — qui n'était plus simplement coloniale mais « nationale » pour les Anglais — étaient beaucoup trop éloignées du règlement auquel songeait Hanotaux. En outre, on ne pouvait guère compter, en 1897, sur un ralliement des amis de Lord Cromer, le « maître » de l'Egypte, à un quelconque accord d'évacuation. Dès mars 1897, Courcel mit Hanotaux en garde contre les illusions à cet égard : « Ce n'est pas sur l'Egypte qu'il [Salisbury] nous apportera des concessions. La détermination des Anglais de garder ce pays me paraît maintenant irrévocablement prise, malgré et quoique l'état d'une partie de leur opinion publique ne leur permette pas d'avouer tout haut leur résolution. L'âpre et dominante ambition de Lord Cromer a entraîné la balance. » *
1. Le 14 juin 1898. 2. A.E., Papiers Delcassé, 8, fol. 9-11, Hanotaux à Cogordan, 21 juin 1898. 3. A.E., Papiers Hanotaux, Correspondance non classée, Courcel à Hanotaux, Londres, 20 mars 1897.
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Il en était de même du Soudan en novembre 1897. Lorsque Hanotaux proposa un règlement général concernant l'est et le nord du lac Tchad, « ce qui posait indirectement la question du Nil » 1 , il put constater l'intransigeance anglaise : Salisbury lui fit répondre qu'aucune autre puissance européenne « than Great Britain has any claim to occupy any part of the valley of the Nile » 2 . Hanotaux persista cependant à croire qu'il pourrait fléchir l'intransigeance anglaise grâce aux appuis qu'il pensait pouvoir trouver du côté de Léopold II et surtout du côté de la Russie. Certes, depuis 1894, les relations francocongolaises s'étaient considérablement améliorées malgré la suspicion éprouvée en France à l'égard de Léopold II. En 1895, une combinaison fort compliquée semble déjà avoir été envisagée par Léopold II et Van Eetvelde, du côté belge, François Deloncle du côté français. Mais Léopold I I voulait apparaître comme conciliateur et bénéficiaire de l'arbitrage 3 . Aussi ces premières avances du Roi des Belges ne furent-elles guère suivies de résultats notables. En 1896, les préparatifs des militaires congolais alarmèrent, au contraire, les esprits en France : Léopold II préparait-il une expédition vers le Haut-Nil (l'expédition Dhanis), afin d'y devancer les Français ? Négociait-il un nouvel accord secret avec les Anglais ? Montholon interrogea le roi et Van Eetvelde à plusieurs reprises en mars 4 , en juillet 6 , en septembre 6 et en novembre 1896 7 . Ceux-ci renouvelèrent alors leurs assurances au sujet des buts de l'expédition Dhanis (limitée à l'enclave de Lado), et nièrent l'existence d'un quelconque accord avec Londres. Enfin au début de 1897, de Grelle, ambassadeur de Belgique à La Haye, rapporta à l'ambassadeur de France l'intention du roi « de développer ses relations avec le gouvernement russe et d'arriver plus aisément par son intervention à une entente plus étroite avec la France » 8 . C e rapprochement se concrétisait en Afrique Centrale. L'Etat Indépendant facilita l'avance de Marchand en lui permettant d'utiliser le chemin de fer en 1896, nous l'avons vu ; en 1897, il mit ses bateaux à la disposition de la Mission pour remonter le fleuve jusqu'à Bangui. En 1897 et en 1898, le matériel de renfort ainsi que les relèves Julien et Roulet transitèrent aussi par le chemin de fer et les bateaux belges. Enfin les différends qui surgissaient encore le long des frontières furent réglés à l'amiable et le plus discrètement possible : ainsi c l'incident de Banzyville » qui opposa ce poste belge au poste français de Mobaye le 21 janvier 1897, et qui
1. Ibid., vol. 2, Notes et Souvenirs, fol. 209. 2. Cité par SANDERSON, op. cit., p. 319 (Salisbury à Monson, 9 déc. 1897). 3. A.E., Mémoires et Documents, Afrique, 139, Gabon et Congo, 14, correspondance Van Eetvelde-François Deloncle, fol. 515 à 524. Cf. extrait d'une lettre du roi à Van Eetvelde, fol. 519 : « Dites à François Deloncle côté français de ne pas se faire conciliant dans ses articles mais de continuer à être menaçant. C'est moi qui dois être le conciliateur. » 4. A.E., Corr. Pol., 94, Belgique, fol. 69, Montholon à Berthelot, Bruxelles, 16 mars 1896. 5. Ibid., fol. 206-208, Montholon à Hanotaux, Bruxelles, 12 juil. 1896. 6. Ibid., fol. 271, Montholon à Hanotaux, Bruxelles, 4 sept. 1896. Le même jour Léopold II reçut le baron de Courcel. 7. Ibid., fol. 368, Montholon à Hanotaux, Bruxelle, 23 nov. 1896. 8. A.E., NS, Belgique, 14, fol. 3, L'ambassadeur de France aux Pays-Bas, G. Bihourd à Hanotaux, La Haye, 2 janv. 1897.
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entraîna « un échange d'environ 3 000 cartouches entre les deux postes » 1 . Marchand et Wahys, Gouverneur Général de l'Etat Indépendant, se rencontrèrent pour « étouffer » l'écho de ce heurt 2 . Mais jusqu'où allait cette collaboration ? Léopold continua, en fait, à mener un habile double jeu et mit Londres au courant des mouvements français en sollicitant son avis 3 . En ménageant les deux adversaires, le roi ne cherchait donc qu'à gagner du temps, à placer ses pions en vue d'une négociation future dont le vainqueur lui importait peu. L'Allemagne offrait-elle plus de garanties que l'Etat Indépendant ? Hanotaux songea en effet à briser l'isolement français en s'adressant à la vieille ennemie. Mais déjà, en mai 1896, celle-ci « s'était refusée à sortir de la réserve adoptée par elle à la suite des récents événements et de condamner l'occupation de Souakim » 4 , puis en 1897 Hatzfeldt, ambassadeur d'Allemagne à Londres, réaffirma la volonté de non-intervention de son pays 5 . Il ne restait donc que la Russie. Nous en avons vu la tiédeur. Hanotaux voulut cependant croire à son appui en vue du règlement international qu'il pensait pouvoir imposer à la Grande-Bretagne. Il se peut qu'il ait fondé son espoir sur les conversations qu'il eut avec les Russes à SaintPétersbourg à la fin août 1897. Abordant la question éthiopienne avec Mouraviev, celui-ci assura en effet Hanotaux que le gouvernement russe désirait « l'adoption d'une ligne de conduite commune » et l'envoi « d'instructions communes à nos deux agents afin de développer une force capable de contrebalancer l'influence de l'Angleterre sur le Nil et dans la M e r Rouge » 6 . Mais il n'y avait là que des promesses concernant les agents en Abyssinie. Ainsi « l'action persistante auprès des grandes puissances étrangères, notamment de la Russie » apparaît, en définitive, illusoire. En 1897 les puissances se montrent peu désireuses de se compromettre dans le « guêpier » égyptien, la France ne pouvant leur offrir suffisamment de compensations. Il ne restait donc à Hanotaux, comme atout que « la marche sur le Bahr el Ghazal » et les « relations avec Ménélik », auprès duquel il croyait avoir l'appui des Russes.
1. A.N., 99 AP2, Dyé à Marchand, Mobaye, 23 janv. 1897. 2. Ibid., Marchand à Lebon, Brazzaville, 25 fév. 1897. Wahys envoya le major Van den Grinten enquêter à Banzyville et sanctionner le chef de poste. 3. C f . VAN ZUYLEN, op. cit., p p . 2 8 6 - 2 9 2 .
4. A.E., NS, Egypte, 27, fol. 38, L'ambassadeur de Russie à Paris au ministre des Affaires Etrangères de France, Paris, 22 mai 1896. 5. Ibid., Grande-Bretagne, 11, fol. 1-8, Courcel à Hanotaux, Londres, 18 janv. 1897. Sur l'attitude allemande voir SANDERSON, op. cit., pp. 328-331. 6. A.E., Papiers Hanotaux, vol. 2, Notes d'audience, fol. 141-164, « Notes sur le voyage de M. Félix Faure en Russie, 18-31 août 1897, entretien avec l'Empereur et le comte Mouraviev, 23-27 août 1897 » (Abyssinie : fol. 159). Les deux agents dont il s'agit étaient le comte Léontieff et Léonce Lagarde.
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I I . L A POLITIQUE ETHIOPIENNE D E G A B R I E L
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« Pour notre part le moment semble venu de recueillir les fruits de notre politique en s'attachant par des liens durables le souverain d'un Empire dont l'avenir, en raison de sa situation géographique, intéresse à la fois notre établissement de Tadjourah et les régions de la vallée du Haut-Nil... où peuvent, à bref délai, se poser des questions politiques d'une haute importance. » 1 1. Les
raisons
du rapprochement
franco-éthiopien.
Diverses raisons expliquent cette déclaration d'Hanotaux en 1896. En premier lieu l'ancienneté et le caractère privilégié des relations entre Ménélik et la France. Bien avant son couronnement comme Négus en novembre 1889, Ménélik, encore roi de Choa, reprit la tradition inaugurée par son grandpère, Sahlé-Sélassié, signataire du fameux traité de 1843 avec le voyageur Rochet d'Héricourt, traité qui ouvrait le Choa aux commerçants français. L'or, la cire, l'ivoire, le café et les peaux provenant de l'intérieur constituaient de grands produits recherchés à l'extérieur. Mais c'est essentiellement le commerce des armes qui fit la fortune de quelques négociants français comme Savouré, Saumagne, Soleillet ou Chefneux 2 . Des relations privilégiées s'étaient vite établies entre Ménélik et ces commerçants. Ils représentèrent officieusement la France. Dès 1887 Ménélik s'était ouvert à Jules Grévy de son désir « de protéger les commerçants français » et d'empêcher la traite « pour que de votre côté vous permettiez que l'on apporte des armes dont j'ai besoin pour faire la guerre aux infidèles » 3 . U n commerçant, Savouré, servit d'intermédiaire. Grévy donna son accord. Le gouvernement de la Côte des Somalis venait alors de s'installer à Djibouti après l'abandon d'Obock. Grâce aux armes, puis aux produits de l'intérieur après la conquête d'Harrar par Ménélik en 1887 4 , la dérisoire agglomération côtière devint le port de l'Ethiopie, concurrent du port britannique de Zeilah ou du port plus lointain de Massaouah aux mains des Italiens ; il renforça ainsi l'influence des Français installés en Abyssinie. Après son couronnement, Ménélik s'entoura de conseillers français comme le philologue Mondon-Vidhaillet dont il fit son directeur des Postes, ou francophiles comme Alfred Ilg 6 , un ingénieur suisse associé au négociant français Léon Chefneux. Ce dernier, par sa position particulièrement impor-
1. Ibid., vol. 9, Mémoires et Documents, t. IV, fol. 210-214. «Politique à l'égard de l'Abyssinie », exposé non daté, mais très probablement de la fin de 1896. 2. Cf. H . LE Roux, Ménélik et nous, pp. 225-228. P. ALYPE, SOUS la couronne de Salomon, l'empire des Négus. 3. A.E., Mémoires et Documents, Afrique, 138, fol. 13, Ménélik, « Roi de Choa, Harrar, Cafïa, Gallas, au Président de la République Française, 1 er juin 1887, lettre remise à M. Savouré ». 4. Les Egyptiens furent maîtres d'Harrar de 1875 à 1884. En janvier 1887, Ménélik s'empara de la ville et y établit son neveu, le Ras Makonnem, comme Gouverneur. 5. C. KELLER, Alfred Ilg, Leipzig, Hubern, 1918.
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tante en 1896 et par les liens qu'il avait tissés sur le plan commercial et économique entre la France et Ménélik, illustre bien le caractère privilégié des relations franco-abyssines à l'époque. Intermédiaire préféré du Négus pour les achats d'armes en Europe qu'il effectuait sous le couvert de sa « Société du lac Assai » 1 , Chefneux avait été chargé p a r Ménélik, en 1893, de la création des timbres-postes éthiopiens et de la frappe par les ateliers monétaires français d'une nouvelle monnaie « à mon effigie et à mon sceau » 2 . En 1894, il avait obtenu la concession de la pose ti'une ligne télégraphique de la côte à la capitale. Enfin et surtout, le 9 m a r s 1894, Ménélik avait apposé sa signature au projet du chemin de fer présenté p a r Chefneux et I l g 3 . L'idée était d'ailleurs grandiose ; il s'agissait de créer une liaison ferrée entre la côte et — le choix d u terminus est significatif — le Nil Blanc, plus exactement F a c h o d a 4 . L'audience auprès du Négus de tels personnages, Chefneux, Ilg ou MondonVidhaillet, était si considérable que Delcassé se préoccupa en 1894 de subventionner « confidentiellement » Mondon-Vidhaillet et Chefneux, qualifié de « chargé des affaires européennes d u Négus » L e s Colonies suivaient d'ailleurs de près les agissements de la Société des Chemins de Fer Ethiopiens, au point de rappeler, en juillet 1896, à propos d'achats de matériel ferroviaire, « qu'il y aurait intérêt à faire comprendre discrètement au N é g u s que dans l'esprit de la dernière convention des commandes de cette nature doivent être autant que possible réservées à l'industrie française » 6 . M a i s si Hanotaux estimait pouvoir « recueillir les fruits » de l'influence
1. Sur Chefneux, voir LE Roux, op. cit., pp. 225-228, et S.O.M., Somalis, 17, deux notes du préfet de police, Lépine, datées de décembre 1896. Léon Chefneux était arrivé en Ethiopie, en 1878, au service du négociant français Pierre Arnoux qui avait obtenu du roi du Choa l'autorisation de mise en culture de la vallée de l'Aouache. L'affaire périclita mais Chefneux vit tout le parti à tirer des besoins en armes de Ménélik. S'associant avec Paul Soleillet, il présenta sa première cargaison en 1880 à Ménélik. En 1887, Ménélik lui concéda l'exploitation des salines du lac Assai. La Société du lac Assai (siège social, 31 rue Caumartin) fut la raison sociale qui lui permettait d'acheter des armes en France, en Belgique et en Angleterre. Société par actions, elle rapportait selon Lépine des dividendes de 105 %. En 1896, Chefneux projetait, toujours selon Lépine, de créer une compagnie à charte pour l'exploitation de l'Ethiopie. 2. A.E., Mémoires et Documents, Afrique, 138, 5, fol. 337-338, Ménélik à Sadi Carnot, 10 fév. 1893. En 1896, François Deloncle fut autorisé par André Lebon à devenir manda taire de Chefneux « en ce qui concerne la frappe et la réception des monnaies éthiopiennes ». (S.O.M., Somalis, Affaires Politiques, 142, Ministre des Colonies à ministre des Finances, Paris, 12 sept. 1896.) Sur la monnaie de thaler voir Marcel-Maurice FISCHEL, Le thaler de Marie-Thérèse... C'est en 1893, par un acte du 9 janvier, que Ménélik décida la fappe de nouvelles pièces destinées à remplacer les thalers frappés jusque-là par la Monnaie de Vienne. 3. A.E., Mémoires et Documents, Afrique, 138, 5, fol. 391-393, Convention relative à la construction d'un chemin de fer entre Harrar et Djibouti. 4. Ibid., fol. 444-449, Conversation à Genève entre M. Chefneux et le Khédive, 24 août 1894. Trois sections étaient prévues : Djibouti - Harrar dont les travaux commencèrent en 1896, Harrar-Entotto, Entotto-Nil Blanc. La capitale fut transférée d'Entotto à Addis-Abeba en 1887 mais l'agglomération en 1896 n'était encore qu'un vaste campement. 5. Ibid., fol. 437, Note personnelle pour M. Delcassé, 6 juin 1894. 6. S.O.M., Somalis, Affaires Politiques, 142, Ministre des Colonies à Gouverneur Côte des Somalis, 28 juil. 1896.
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française en Abyssinie, c'était aussi en raison de la levée de l'hypothèque italienne après la défaite d'Adoua : celle-ci permettait en effet u n e renaissance de « l'entente cordiale » entre la France et Ménélik. Pendant la guerre italo-éthiopienne, le gouvernement français n'avait pas voulu s'engager dans une politique de soutien officiel à Ménélik et répondre ouvertement à ses vœux : reconnaissance de l'indépendance et de la souveraineté du Négus, livraisons d'armes. En 1893, quelques envois discrets furent effectués mais non renouvelés 1 . On s'efforça seulement de maintenir le libre passage p a r Djibouti des armes et des munitions achetées par Ménélik. Mais en 1895 les Italiens dénoncèrent cette liberté et aggravèrent encore la situation inconfortable de la France vis-à-vis de Ménélik. « La politique dilatoire commence à devenir difficile », reconnaissait Hanotaux en juillet 1895 2 . De son côté Ménélik écrivait à Félix Faure p o u r lui rappeler « les marques de sympathie et d'amitié » que lui avait témoignées jusqu'ici la France, et lui laissait deviner son inquiétude « pour l'avenir » 3 . Le moment approchait donc où il faudrait choisir. Dans ces conditions la victoire d'Adoua f u t accueillie avec soulagement. Quatre jours après l'annonce de la défaite italienne, Léon Bourgeois, Président du Conseil et ministre des Affaires Etrangères, attira l'attention du ministre des Colonies, Guieysse, sur Léonce Lagarde « chargé d'une mission politique spéciale confiée par u n de vos prédécesseurs » 4 . C e prédécesseur était Delcassé que nous retrouvons u n e fois de plus à l'origine de la « politique du Nil ». E n juin 1894 dans une note personnelle 6 , et en septembre dans ses instructions à L a g a r d e e , Delcassé avait élaboré le plan détaillé de l'action à mener en Ethiopie : « donner satisfaction à Ménélik et à ses gens en ce qui concerne les demandes faites au gouvernement français » 7 ; prévoir une allocation spéciale, « aussi confidentielle que possible », de 600 000 francs « afin de faire rayonner notre influence à H a r r a r et auprès de Ménélik et de tenir tête pacifiquement à la coalition anglo-italienne » 8 ; soutenir les amis de la F r a n c e comme le R a s M a k o n n e m ; « étudier la possibilité d'une transmission des courriers d u Centre-Afrique » par l'Abyssinie... Le but final était très clairement le Nil : « L'indépendance de Ménélik et son entrée ultérieure dans l'alliance française... sont à m o n
1. 8 000 fusils et 1200000 cartouches par exemple, en 1893. Cf. A .H., Mémoires et Documents, Afrique, 138, fol. 428-431, Ministre des Colonies à Président du Conseil, 22 mai 1894. 2. Ibid., fol. 490-494, Note confidentielle d'Hanotaux, 23 juil. 1895. 3. Ibid., fol. 507, Ménélik II à F. Faure, 24 sept. 1895. 4. S.O.M., Somalis, 17, Ministre des Affaires Etrangères à ministre des Colonies, Paris, 7 mars 1896. 5. A.E., Mémoires et Documents, Afrique, 138, 5, fol. 437, Note de Delcassé, 6 juin 1894. 6. Ibid., fol. 457, Instructions du ministre des Colonies à Lagarde, 17 sept. 1894. 7. 1. Armes : 10 000 fusils Gras, 10 000 carabines de cavalerie, 300 fusils Kropatchek, 2 500 000 cartouches. « Il y avait intérêt pour la renommée de la France à ce que ces armes fussent données gratuitement. » 2. « Extension définitive de la frappe des monnaies que Ménélik réclame depuis un an. » 3. « Envoi à Ménélik et à ses gens de différents produits de notre industrie nationale. » 8. Note de Delcassé du 6 juin 1894. Le ministre prévoyait, en outre, un crédit spécial de 200 000 francs destiné à Djibouti « devenu notre Centre d'action politique ». L'ensemble de la subvention (600 000 et 200 000) formerait un crédit versé au budget de la Côte des Somalis « organisé depuis un an ».
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sens, le but de toute politique du Nil. » E n effet, ajoutait Delcassé, il sera possible à Ménélik, le jour où il aura occupé les bords du Nil Blanc, « de s'opposer avec notre aide matérielle aux empiétements de l'Angleterre » 1 . Une troisième raison militait en faveur d'une grande offensive diplomatique française en Ethiopie : c'est la conviction que les intérêts de la France et du Négus convergeaient dans la question du Nil. Très tôt, en 1891, Ménélik n'avait-il pas affirmé son désir de « rétablir les anciennes frontières de l'Ethiopie jusqu'à Khartoum et le Nianza avec tous les pays Gallas » 2 . Très tôt aussi, du côté français, on avait songé à utiliser cette ambition : en 1893, Delcassé estimait pouvoir obtenir que Ménélik crée « pour notre compte une station sur le Nil » à condition de faire droit à ses demandes 3 . Au lendemain d'Adoua on put croire à un rapprochement encore plus facile des visées françaises, éthiopiennes et même belges sur le Nil. C'est ce qu'expliquait, en novembre 1896, l'attaché militaire français à Bruxelles : le Négus qui dispose « de forces considérables surexcitées par la lutte contre l'étranger » mais rendues oisives par la paix, est obligé de lancer ses Ras vers l'extérieur, non pas vers le Mahdi, mais vers le Soudan oriental ; « les visées franco-abyssines concordent donc vers Fachoda en aval, vers Lado en amont afin de reporter au Nil Blanc la frontière d'Ethiopie... Les Congolais ne seraient pas hostiles, la libre Ethiopie leur assurant un débouché vers la mer » 4 . La situation nouvelle créée par Adoua invitait donc le gouvernement français à une reprise de son action en Ethiopie. Elle se fit dès juin 1896. Les contacts furent alors secrètement renoués. Lagarde put écrire à Ménélik que le Président de la République Française était « disposé à accepter les propositions d'entente amicale contenue dans votre lettre du mois de mars de l'année dernière » 5 . Il lui demandait seulement de « considérer cette bonne nouvelle comme secrète... la France tenant à ce que la publication n'en ait pas lieu avant la conclusion de la paix avec l'Italie » 6. Au dire de Marchand un traité entre Ménélik et la République Française fut même signé dès cette époque 7 . Mais jusqu'ici aucune trace de cette convention n'a été retrouvée. Il fallut vite renoncer aux précautions diplomatiques en raison des initiatives des concurrents, pressés de gagner l'amitié de Ménélik : Italiens euxmêmes dès septembre, Russes ou Autrichiens « plus ou moins couverts par le Saint-Siège » et arrivés < sous couvert de philantropie ou d'assistance
1. Note citée de Delcassé du 6 juin 1894. 2. S.O.M., Somalis, Affaires Politiques, 142, Ménélik II à Sadi Carnot, avr. 1891. 3. A.E., Mémoires et Documents, Afrique, 138,5, fol. 356, Ministre des Colonies à ministre des Affaires Etrangères, 15 juin 1893. 4. S.O.M., Somalis, 17, Hanotaux à Lebon, 12 janv. 1897: transmission du rapport de l'attaché militaire en Belgique et aux Pays-Bas, le capitaine Haillot, sur « l'importance de la paix italo-abyssine pour les intérêts français dans le Soudan oriental ». Ce rapport, daté du 17 novembre 1896, a été transmis à Lagarde avant son départ pour l'Abyssinie. 5. Nous n'avons pas retrouvé cette lettre. 6. S.O.M., Somalis, Affaires Politiques, 142, Ministre des Colonies à Gouverneur Côte des Somalis, télégramme « très secret », 3 juin 1896. 7. Cf. MICHEL, « Deux lettres de Marchand.,. », op. cit., p. 86.
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médicale Aussi André Lebon voulut-il accélérer les choses et décider rapidement : Hanotaux une fois de plus hésitait, semble-t-il, au moment de la décision. En septembre il déclara nettement à son collègue qu'à son avis il fallait à nouveau permettre le transit des armes par la côte et « reconnaître ouvertement Ménélik comme le chef d'un Etat organisé » 2 . Hanotaux se laissa convaincre et Lebon put annoncer à Lagarde, le 24 novembre 1896, « qu'une mission spéciale lui était confiée... conformément à la décision prise ce matin en Conseil » 3 . Il ajoutait : « Nous avons un intérêt primordial à asseoir notre influence pacifique en Abyssinie en prévision d'événements sur le Haut-Nil et en Egypte. » 2. La mission
Lagarde.
L a politique française du Nil et la politique française en Ethiopie ont donc été relancées en cette fin de 1896 par André Lebon et Gabriel Hanotaux. Mais derrière eux se dessine la personnalité curieuse de leur chargé de mission, Léonce Lagarde de Rouffeyroux, véritable « éminence grise » des deux ministres 4 . Lorsque Lagarde reçut ses instructions, il touchait au faîte de sa carrière. Carrière étonnante d'ailleurs. Arrivé en 1883 à Obock pour y occuper les fonctions de Commandant de poste, il était devenu dès 1887, à l'âge de 27 ans, Gouverneur des Colonies. Son ascension dans l'administration coloniale continua ensuite rapidement : en 1896, il est Gouverneur de seconde classe chargé de la colonie de la Côte des Somalis B . Mais en même temps, Lagarde avait habilement préparé son entrée dans la carrière diplomatique grâce aux liens amicaux qu'il noua très tôt avec Ménélik et surtout avec le Ras Makonnem dont il était devenu le « frère d'honneur ». Dès 1888, il représenta la France en Ethiopie ; en 1895 il avait rang de ministre plénipotentiaire et il était déjà très écouté par Hanotaux. La consécration sera pour Lagarde son entrée officielle dans le corps des Affaires Etrangères en juin 1897, au retour de sa mission auprès du Négus. Lagarde était en outre fort puissant au Pavillon de Flore où l'on songea dès 1895 à lui confier la direction des Affaires Politiques 6 . L'arrivée aux Colonies d'André Lebon, avec lequel il entretenait des rapports amicaux, comme jadis Haussmann avec Delcassé, lui permit d'occuper réellement ces hautes fonctions. Le ministre créa, pour son protégé, en mai 1896, le poste de Secrétaire Général « spécialement chargé des Affaires d'Afrique ». Lagarde avait 36 ans. Dans ce poste, il semble bien avoir été l'inspirateur autant que l'exécutant de la politique éthiopienne de la France. D'ailleurs les journaux s'accordèrent vite pour voir en lui « u n sous-ministre... évidemment l'homme de confiance du ministre des Colonies » 7 . A ce titre 1. S.O.M., Somalis, Affaires Politiques, 142, Lebon à Hanotaux, Paris, 6 sept. 1896. 2. S.O.M., Somalis, Affaires Politiques, 142, Lebon à Hanotaux, Paris, 24 nov. 1896. 3. Il n'existe pas encore de biographie de Léonce Lagarde (1860-1936). Voir H. DESCHAMPS, R . DECARY, A. MENARD, Côte des Somalis,
Réunion,
Inde.
4. Son traitement est alors de 30 000 francs. 5. Il fut choisi par Chautemps pour remplacer Haussmann en février 1896 mais n'occupa pas son poste ayant été nommé alors ministre plénipotentiaire honoraire auprès de Ménélik. 6. La Dépêche 7. MICHEL, «
Coloniale,
6 avr. 1897.
Deux lettres de Marchand... », op. cit., pp. 52 et 86.
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Marchand fit appel à « l'ami Lagarde » qui le soutint en 1896 : Marchand tint Lagarde au courant de l'avance de sa mission, tandis que Lagarde tint Marchand au courant de l'action qui devait être entreprise en Ethiopie : < M . Lagarde est parti en ambassadeur auprès de Ménélik à la fin de décembre dernier, écrivait Marchand à Liotard au début de 1897. Je sais ce qu'il va y faire. » 1 Malgré le rôle qu'il joua, Lagarde reste cependant u n personnage assez mystérieux comme en témoignent les controverses du temps. Il était couvert de louanges par la presse en 1897 2 , complimenté et récompensé par Hanotaux et Lebon en mai 1897 3 . Mais sa réputation ne survécut pas à Fachoda et à la publication en 1900 du livre de Charles Michel, membre de l'expédition de soutien à Marchand à travers l'Abyssinie 4 . Lagarde disgracié en 1899 f u t remplacé par Alfred Martineau à la tête de la colonie de la Côte des Somalis. Depuis Fachoda, la presse se déchaînait en effet contre Hanotaux, Lebon et surtout Lagarde. Que reprocha-t-on à Léonce Lagarde ? Tout d'abord, sa carrière. Fonctionnaire « protégé » au départ, il ne fut ensuite selon ses détracteurs qu'un intrigant bien en cour, à l'affût des changements politiques, plus souvent à Paris, grâce à des congés abusifs, que dans son poste lointain et ingrat d'Obock puis de Djibouti B . On lui reprocha aussi les travers de son caractère et, après avoir loué « son habileté et son tact », on dénonça son incurie, sa vanité, sa mesquinerie... Enfin, après avoir souligné « sa haute connaissance de questions coloniales », on lui reprocha son rôle de conseiller funeste auprès des ministres en France et de Ménélik en Ethiopie. On l'accusa ainsi d'avoir fait échouer, pour les uns volontairement, pour les autres par incompétence, la politique du Nil qu'il avait largement inspirée 6 . Mais que lui avait-on d e m a n d é ? Les instructions qu'il reçut le 18 décembre 1896, lui ordonnaient d'agir sur deux plans. Sur le plan commercial, Lebon rappelait à Lagarde la nécessité « de porter très particulièrement [son] attention sur le développement des relations commerciales entre Djibouti et l'Abyssinie surtout en ce qui concernait le chemin de fer entre Harrar et Djibouti ». Sur le plan politique le ministre mettait à la disposition de Lagarde « une somme importante destinée à favoriser notre influence dans l'empire » et destinée principalement à l'exploration du Sobat et de la rive droite du Nil, à l'établissement de relations amicales avec les populations qui les habitent, enfin aux secours à faire parvenir « à la mission du Haut-Oubangui ». Lagarde était invité à « protéger » les deux missions d'exploration prévues, celle du capitaine Clochette et celle de Gabriel Bonvalot.
1. Ibid., p. 86. 2. Le Mouvement Colonial du 15 fév. 1897 donne une idée de ces louanges : « Si de tels hommes étaient placés à la tête de toutes les colonies françaises, notre pays ne tarderait pas à conquérir une situation tout à fait hors de pair au point de vue de l'empire colonial. » 3. La Patrie, 17 mai 1897. 4. Ch. M I C H E L , Vers Fachoda... 5. Le père de Lagarde avait été préfet de Bordeaux et d'après Baratier aurait fait la carrière de son fils grâce à son amitié avec Félix Faure (A.N., AP3, Souvenirs manuscrits, 1901, dernière partie, « De Fachoda à Djibouti », p. 24). 6. Un des articles les plus violents fut publié par la Dépêche Coloniale, 6-7 nov. 1898.
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Ces deux expéditions devaient, selon les vœux du gouvernement, paraître < dès cette année [1897] sur la rive droite du Nil » 1 . De plus, bien qu'il n'en ait pas été fait mention dans ses instructions, Lagarde devait concrétiser les propositions * d'entente amicale » dont il avait été question en juin 1896. 3. Les résultats diplomatiques. Les premiers résultats de la mission Lagarde parurent encourageants. Reçu par le Négus à la fin de janvier 1896, Lagarde négocia rapidement le renouvellement du fameux traité de 1843. Le 20 mars 1897, le nouveau traité était officiellement signé par les deux parties. C'était essentiellement une déclaration réciproque d'amitié comportant une reconnaissance solennelle de l'indépendance de l'Ethiopie et des clauses commerciales qui permettaient à Ménélik d'établir une taxe d'entrée de 8 % sur les marchandises françaises mais réservaient à la France la position de la nation la plus favorisée. Ce succès officiel fut complété par des accords fort importants, au caractère tout à fait officieux, concernant la politique du Nil. Tout d'abord, Ménélik voulut bien ouvrir son territoire aux missions « scientifiques » françaises. Mais Lagarde obtint aussi, en mars, une convention frontalière sur les régions du Nil ; le 14 mars, Lebon avait télégraphié avec un bel optimisme : « Notre arrivée dans le Bahr el GhazaI paraît imminente si ce n'est déjà fait. Il serait, en conséquence, indispensable de déterminer Ménélik à pousser sa ligne de frontière sur la rive droite du Nil... [ce fleuve] étant appelé à servir de frontière entre nos postes extrêmes du Haut-Oubangui et l'Ehiopie. » s Le 20 mars, Lagarde répondit en annonçant le succès de la négociation : « Nous [Ménélik et Lagarde] avons signé aujourd'hui même... une convention secrète qui reconnaît à la France la rive gauche du Nil entre Lado et le 14° de latitude pendant que l'Ethiopie occupera la rive droite. » 3 Le représentant de la France pouvait donc estimer ces résultats satisfaisants. Ménélik lançait ses « grands » vers l'ouest, le Ras Makonnem vers les Béni-Chogoul, le dedjaz Tessama vers le Sobat. Lagarde « oublia » donc Clochette et Bonvalot et, dès le 23 mars, demanda son retour en France 4 ... Ses succès étaient, en réalité, fragiles. La menace la plus apparente était celle de la surenchère des puissances rivales. Parmi elles, la Russie. On peut s'étonner de trouver les Russes avec les rivaux. Cependant au début
1. S.O.M., Somalis, Affaires Politiques, 142, Lebon à Lagarde, Paris, 18 déc. 1896. 2. La Mission Marchand, en mars 1897, s'échelonnait encore sur l'Oubangui. S.O.M., Somalis, 17, Lebon à Lagarde, Paris, 14 mars 1897. 3. Ibid., Lagarde à Lebon, Addis-Abeba, 20 mars 1897. 4. Ibid., Lagarde à Lebon, Addis-Abeba, 23 mars 1897.
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de 1897, le < comte » L é o n t i e f f 1 était considéré par Hanotaux comme < u n aventurier suspect et sans mission ». Ses agissements alarmèrent tellement le ministre français qu'il demanda à Lagarde de prolonger son séjour auprès du N é g u s 2 . Les conversations sur l'Abyssinie entre Hanotaux et Mouraviev, à Saint-Pétersbourg, en août 1897, apparaissent donc, dans ce contexte, comme une mise au point nécessaire entre les deux alliés. Le principal rival était évidemment le Royaume-Uni qui venait d'envoyer auprès du Négus une mission diplomatique confiée à un responsable de l'Agence Britannique au Caire, Rennell Rodd, assisté du fameux colonel Wingate, chef de l'Intelligence Service en Egypte ; on le retrouvera aux côtés de Kitchener à Fachoda. Dès la fin février l'annonce, au Caire, du départ de la mission britannique, inquiéta Paris et le 15 mars les Colonies adressèrent à Lagarde « le texte de la réponse que fera Ménélik aux Anglais » s . Certes la convention signée par Ménélik le 14 mai 1897 avec Rennell R o d d 4 ne prévoyait pas d'accord frontalier concernant le Haut-Nil, ce qui correspondait aux vœux des Français, mais le Négus était bien loin de se laisser dicter sa conduite aussi bien par l'Angleterre que par la France. En fait, la politique « amicale » de Ménélik à l'égard de la France semble avoir été conditionnelle et opportuniste. Elle constituait, à longue échéance, la principale faiblesse des succès de Lagarde. Conditionnelle parce que Ménélik entendait tirer de l'alliance française armes et thalers. Ainsi des livraisons massives de la nouvelle monnaie furent effectuées d'avril à septembre 1896 à Chefneux, pour le compte de Ménélik B . Les livraisons d'armes furent aussi très considérables : 60 000 fusils et deux millions de cartouches en mai 1897 par l'intermédiaire de C h e f n e u x 8 , 1 782 fusils et 662 caisses de cartouches en juillet 1897 7 . A u total près de 100 000 fusils en 1897 d'après Charles Michel 8 . Lagarde avait réclamé et obtenu des livraisons d'armes gratuites « afin de neutraliser la plupart des intrigues présentes et futures » 9 . Il réclama même des mitrailleuses Lebel mais le ministère de la Guerre ne put proposer que des Hotchkiss et Nordenfeldt ou des mitrail-
1. Le « comte » Léontieff arrivé au printemps 1896 en Ethiopie, était un ancien capitaine de l'armée russe. Il gagna très vite la confiance de Ménélik. Celui-ci le nomma, dès juillet 1897, Négous Neghest (Gouverneur Général) de la province équatoriale abyssine. Si le gouvernement russe le considérait aussi officiellement comme un « aventurier », il le laissait cependant agir au nom de la Russie. 2. S.O.M., Somalis, 17, Lebon à Lagarde, Paris, 25 mars 1897. 3. Ibid., Lebon à Lagarde, Paris, 15 mars 1897. 4 . Sur la Mission Rennell Rodd, voir E . GLEICHEN, With the mission to Menelik 1897. 5. S.O.M., Somalis, 17, Ministre des Finances à ministre des Colonies. Livraisons de thalers d'avril à juillet, et ALYPE, op. cit., pp. 146-147 (texte de la convention), en août et en septembre 1897. Au total, plus de 700 000 thalers en pièces de un à 1/100® de thaler furent livrés à Chefneux au cours de ces six mois. 6. S.O.M., Somalis, 17, Ministre de la Guerre à ministre des Colonies Paris, 20 mai 1897. Il s'agit de fusils Gras. 7. Ibid., Lebon à Lagarde, juil. 1897. On peut supposer qu'il s'agissait, dans cet envoi limité, de fusils plus perfectionnés, des Lebel. 8. Cf. Ch. MICHEL, op. cit., p. 31. Aux envois français s'ajouta, en novembre, un envoi russe qui transita par Djibouti, de 3 000 fusils, 3 millions de cartouches et 5 000 projectiles. (S.O.M., Somalis, 17, Hanotaux à Lebon, Paris, 16 nov. 1897.) 9. Ibid., Lagarde à Lebon, Addis-Abeba, 12 mars 1897.
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leuses t battling » revenues d e M a d a g a s c a r 1 . Q u a n t à l ' o p p o r t u n i s m e d e Ménélik, il apparaît, mais après c o u p , dans les insuccès des Missions Clochette et Bonvalot. 4 . Les Missions
Clochette
et
Bonvalot.
A u x termes des instructions de L a g a r d e ces deux expéditions devaient, s o u s sa protection, combiner leurs m o u v e m e n t s d a n s leur m a r c h e e n avant v e r s le Nil. Clochette, ancien capitaine d'artillerie, administrateur des Colonies e n 1897, étant d é j à sur place reçut ses ordres directement d e Lagarde. Celui-ci lui alloua 4 0 0 0 0 thalers (environ 100 0 0 0 francs) p o u r la p r é p a r a t i o n d e son e x p é d i t i o n 2 . M a l g r é son très mauvais état d e s a n t é 3 , Clochette se mit en r o u t e p o u r Addis-Abeba et G o r é avec deux compagnons, agents d e s A f f a i r e s Indigènes, F a i v r e et Véron, sans attendre l'arrivée en février 1897 d e Bonvalot à Djibouti. L a mission c o n f i é e à ce dernier présentait u n caractère particulier. Elle f u t p a t r o n n é e p a r le ministère de l'Instruction Publique et « déguisée » e n expédition scientifique chargée d e recherches d'ethnographie et d'histoire naturelle. A cet effet, elle comprit u n entomologiste, Charles Michel, u n ingénieur des Mines, Léon Bartholin, et u n peintre paysagiste, M a u r i c e Potter. M a i s les chefs de l'expédition étaient les explorateurs Charles Bonvalot et C h r i s t i a n de B o n c h a m p s 4 . Les instructions qu'ils reçurent d ' A n d r é Lebon l e u r prescrivaient de poursuivre le m ê m e b u t que Clochette « avec u n objet e n apparence t o u t différent » et d e « gagner la c o n f i a n c e d u N é g u s » p o u r assurer la jonction avec les entreprises françaises dans le H a u t - O u b a n g u i s . L e s mésaventures des deux missions, Clochette et Bonvalot, ont été racontées par Charles Michel. Celui-ci attribua leur échec à la faibless ; des m o y e n s accordés Oa mission Bonvalot n e reçut q u e 55 0 0 0 thalers) et à la politique personnelle m e n é e p a r Lagarde. Ainsi, l'expédition Clochette aurait été « posée en rivale » d e celle d e Bonvalot p a r u n L a g a r d e jaloux et m e s q u i n et aurait été laissée sans secours matériel. L a g a r d e aurait < retenu à la côte » le bateau démontable envoyé p a r les Colonies a u d é b u t d e
1. S.O.M., Somalis, 17, Général Billot à Lebon, Paris, 10 juin 1897. 2 . C f . C h . MICHEL, op.
cit.,
p.
18.
3. Clochette avait été blessé d'un coup de pied de cheval au foie, dont il devait mourir en août 1897. 4. Charles BONVALOT (1853-1933) s'était fait connaître par ses voyages en Asie Centrale en 1882 et en 1889-90. Au cours de ce second voyage il accompagnait le prince Henri d'Orléans qu'il retrouva, en 1897, à la tête d'une expédition privée en Ethiopie. Le marquis Christian DE BONCHAMPS (1860-1919) avait exploré le Congo en 1890-92 : il avait été alors le second de la mission géographique internationale du Katanga puis avait pris le commandement de l'expédition à la mort de Stairs. Il était entré dans l'administration coloniale française en 1894 et avait été affecté en Côte d'Ivoire où il s'était fait remarquer. En 1897, Lebon le fit mettre hors-cadre pour l'expédition d'Ethiopie. A son retour, en 1899, il fut nommé administrateur, délégué du Commissaire Général à Brazzaville. Son rapport de 1900 sur la situation à Brazzaville constitue une source documentaire fort importante sur le Gabon-Congo. De 1901 à 1903, il tenta une carrière dans une société minière de Côte d'Ivoire puis revint à l'administration en Côte française des Somalis jusqu'en 1909, en A.O.F. de 1909 à 1911. 5. S.O.M., Somalis, 17, Lebon à Bonvalot, Instructions, Paris, 18 janv. 1897.
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juillet 1897 ; il aurait « détourné » les correspondances et les demandes de secours ; il aurait même desservi la mission Bonvalot auprès de Ménélik et cherché à lui faire prendre un chemin plus long que celui de Clochette 1 . Les documents ne permettent pas de répondre à ces accusations. Cependant il est exact que la mission Bonvalot ne put disposer de la baleinière sur laquelle elle comptait pour explorer le Nil et le Sobat. Bonvalot quitta '-rusquement, à la mi-mai, ses compagnons afin, déclara-t-il, d'obtenir ce fameux bateau. Il ne revint pas et le commandement passa au marquis ce Bonchamps, mais la baleinière promise ne rejoignit pas l'expédition ; elle dut laisser la priorité aux transports d'armes pour Ménélik. En juillet 1898, à leur retour, Bonchamps et ses compagnons trouvèrent leur bateau démonté et attendant depuis des mois à Djibouti. Il est aussi exact que Lagarde voulut contrôler la correspondance de l'expédition puisque, en septembre 1897, Lebon lui accorda expressément ce contrôle 2 . Cependant le rôle de Lagarde fut, semble-t-il, beaucoup moins important .qu'on ne l'a cru et que lui-même, sans doute, ne l'a cru. Le jeu de Ménélik fut beaucoup plus décisif. En avril 1897, Ménélik reçut Bonvalot : il l'autorisa à rejoindre Clochette mais il ne lui promit pas l'appui de son général, le dedjaz Tessama, qui opérait à l'ouest, aux limites du C a f f a 3 . La jonction des deux expéditions eut lieu à la fin de juin, dans le petit centre de Goré sur le haut-Baro. Puis la mort de Clochette, épuisé par les épreuves, entraîna la réunion des deux expéditions sous les ordres de Bonchamps à la fin août 1897. Mais tout se passa comme si les Ethiopiens avaient voulu éviter l'arrivée des Français sur le Nil. Lorsque Bonchamps rejoignit Clochette en juin, ce dernier était retenu depuis un mois à Goré. A son tour Bonchamps fut arrêté, les Abyssins prétextant l'insécurité des pays à traverser et l'absence du dedjaz Tessama en opérations. A la mijuillet Bonchamps et ses compagnons reçurent une lettre du Négus devant leur servir de sauf-conduit 4 ; ce furent alors d'incessants incidents, des désertions de guides et d'hommes d'escorte. Bonchamps envoya un premier rapport alarmiste sur le « refus des Abyssins de suivre au Sobat » 5 . Un peu plus loin, à Bouré, à la limite des plateaux abyssins et à 600 km de Fachoda, les Abyssins lui refusèrent tout net le passage 6 ; il dut retourner en arrière solliciter un nouvel appui du Négus. A son arrivée à Addis-Abeba, en octobre, Bonchamp trouva Lagarde, de retour en Ethiopie depuis juillet 1897 avec titre de ministre plénipotentiaire, porteur de nouvelles instructions concernant la marche au Nil. Ces instructions, datées du 2 septembre 1897, reprenaient celles de 1896 mais surtout faisaient passer la mission Bonchamps directement sous les ordres de Lagarde 7 . Celui-ci transmit alors à Bonchamps les désirs de Ménélik concernant le trajet de l'expédition :
1. C f . C h . MICHEL, op.
cit.,
p p . 95 et 422.
2. S.O.M., Somalis, 17, Lebon ä Lagarde, 2 sept. 1897. 3. C h . MICHEL, op.
4. 5. 6. 7.
cit.,
p.
102.
Ibid., pp. 162-163. S.O.M., Somalis, 17, Bonchamps ä Lebon, Gor6, 27 juil. 1897. Ch. MICHEL, op. cit., pp. 206-211. S.O.M., Somalis, 17, Lebon ä Lagarde, Paris, 2 sept. 1897. 10
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« L'empereur conseille la route de la rive droite du Sobat jusqu'au confluent où il y aurait lieu d'établir une forteresse éthiopienne, qu'une partie de la mission Clochette pourrait provisoirement garder tandis que vous édifierez une forteresse française sur la rive gauche. » 1 Cette décision est capitale. Elle obligea la petite expédition, mal équipée et sans soutien, repartie de Bouré en novembre, à s'aventurer dans une région de plus en plus malsaine et déserte. Les premières étapes dans la plaine du Baro, au pied des montagnes abyssines, firent illusion. Des traités de protectorat f u r e n t passés avec les chefs locaux Y a m b o (Chillouk) et Abiggar (Nouer). Mais le climat commença à décimer les bêtes et les hommes habitués aux conditions des montagnes de l'Abyssinie ; les désertions se multiplièrent. L a traversée du marais du Baro à la fin décembre eut raison des dernières résistances de l'expédition. Celle-ci réussit à parvenir, le 29 décembre 1897, au confluent de l'Adjouba et du Baro qui marque le commencement d u Sobat, à 150 km de Fachoda et non loin de Nasser que Junker, venu de l'ouest, avait atteint en 1876. A f f a m é e et épuisée, l'expédition ne put continuer et, le l* r janvier 1898, Bonchamps dut donner le signal du retour 2 . N o n seulement Ménélik imposa u n itinéraire qui conduisit l'expédition .française à u n désastre mais il ne lui accorda pas l'aide matérielle ou militaire de l'armée d u dedjaz Tessama. On peut donc douter de la volonté du Négus de soutenir les visées de la France sur le Nil. N o u s rejoignons donc les conclusions de M . Sanderson qui a montré que l'action de Ménélik «'inspirait alors d'une politique de « bon voisinage » avec la puissance m a h d i s t e 3 . D'ailleurs u n des arguments invoqués p a r le Négus pour justifier l'itinéraire choisi f u t la nécessité d'éviter tout contact avec les Derviches. Cependant Paris conservera longtemps ses illusions en grande partie à cause des rapports de Lagarde. Pressentant l'inquiétude du ministre qui à la fin d'octobre ne s'expliquait pas pourquoi les missions se dirigeaient « vers la rive gauche d u Sobat étant donné qu'elles s'éloignent ainsi du but » 4 , Lagarde envoya des messages rassurants affirmant que le Négus restait « entièrement acquis à notre cause » et expliquant que « les troupes éthiopiennes étaient décimées par les fièvres sur la rive droite » 5 . Naïveté ? Lagarde ne pouvait pas ignorer que les Ethiopiens n'avaient pas accompagné l'expédition et que la fièvre ne régnait pas seulement sur une rive de Baro. En tout cas A n d r é Lebon se fit l'écho fidèle de ces nouvelles auprès d'Hanotaux et demanda au Commissaire Général du Congo Français d'accélérer la création de « camps retranchés » dans le Bahr el Ghazal, à la
1 . C h . M I C H E L , op.
cit.,
p. 254.
2. Ibid., récit de l'exploration du Baro, pp. 276-364. 3. Cf. G . N . SANDERSON, « The Foreign Policy of the Negus Menelik, 1896-1897 », The Journal of African History, V, 1, 1964, pp. 87-97. La thèse contraire d'une politique éthiopienne d'expansion agressive a été soutenue par M. H.G. M A R C U S dans The Journal of African History, IV, n° 1, 1963, pp. 82-88 : « Ethio-British Négociations Concerning the Western Border with Sudan ». 4. S.O.M., Somalis, 17, Lebon à Lagarde, 30 oct. 1897. En fait, le télégramme fut sans doute rédigé par Binger, Lebon était en voyage officiel dans les territoires d'A.O.F. en octobrenovembre 1897. 5. Ibid., Lagarde à Lebon, Djibouti, 29 oct. 1897.
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Meschra er Rek ou Gaba Schambé, afin d'y attendre « le contact avec les Ethiopiens » Il est vrai cependant que le Négus semblait se prêter au jeu français en demandant alors aux Derviches d'entrer « en relations amicales » avec iLiotard : un courrier du M a h d i reçut de Lagarde à cet effet « un petit pavillon français avec mission de dire au Mahdi lier amitié avec nos gens d u Bahr el Ghazal qui auraient ce pavillon » 2 . Puis, devant le r e f u s des Mahdistes et leur menace de « massacrer tous les Européens qui pénétreraient chez eux », Ménélik annonça la formation de trois grands corps d'armée, l'un devant s'opposer à la marche de la mission M a c Donald au sud, dans la région du lac Rodolphe, les deux autres devant avancer en direction des territoires des Derviches ; le Ras M a k o n n e m opérerait au n o r d d u Sobat et le dedjaz Tessama soumettrait la région du Sobat et s'installerait, « si l'état sanitaire le permet », à N a s s e r 3 . Ainsi on put croire à u n concours de dernière heure des Ethiopiens. La marche vers le Sobat commença en mars 1898 et le dedjaz Tessama proposa à Bonchamps et ses amis de servir de guides : Faivre et Potter furent choisis, tandis que Bonchamps et Michel retournèrent en arrière chercher instructions, bateau et argent. Mais au lieu d'avancer vers l'est, Tessama engagea son armée vers le sud, le long des frontières du C a f f a , jusqu'à l'Adjouba. Les Français ne purent le convaincre de prendre la direction d u Nil. Tout au plus Tessama leur accorda-t-il, avant de remonter vers le nord en mai 1898, une escorte de 800 hommes sous le commandement du « fitouaraï » (lieutenant du dedjaz) A'ilé [Ha'ilé], L'expédition longeant l'Adjouba à travers une région assez peuplée atteignit Nasser, puis le 22 juin 1898 le confluent du Nil et du Sobat ; tandis que des étendards éthiopiens étaient levés sur la rive droite, deux drapeaux français étaient plantés dans des circonstances pittoresques sur la rive gauche du Nil 4 . Mais les Ethiopiens n'entendaient pas s'installer le long du Nil : ils justifièrent leur retour par le climat, meurtrier pour eux, de ces parages et p a r le m a n q u e de vivres. M . Sanderson a montré qu'en fait la seule occupation de territoires effectuée par les Ethiopiens dans les zones limitrophes de l'empire madhiste f u t celle des Béni Chogoul et qu'elle se fit avec l'assentiment des Derviches 6 . Elle f u t d'ailleurs surtout symbolique ; en novembre 1898, Mangin traversa les Béni Chogoul sans rencontrer d'Ethiopiens. L a marche au Nil semble avoir été une concession aux désirs des
1. Ibid., Lebon à Lamothe, Paris, 5 nov. 1897 et 29 déc. 1897. 2. S.O.M., Somalis, 142, Lagarde à Lebon, Entoto, 24 janv. 1898, et A.E., NS, Afr. 15, m.e. III, fol. 210-211, Lebon à Hanotaux, Paris, 10 fév. 1898. L'initiative, qui semble due à Lagarde, ne fut pas approuvée du premier coup par Hanotaux qui craignait des complications diplomatiques avec l'Angleterre; Ménélik avait, en effet, signé un traité avec les Britanniques lui interdisant, en principe, tout rapprochement avec le Mahdi. En marge de la note de Lebon, Hanotaux observa : « C'est très singulier. » 3. A.N., 99 AP2, Lebon à Lamothe, Paris, 30 déc. 1897. 4. Cf. Ch. MICHEL, op. cit., « Voyage de Messieurs Potter et Faivre », pp. 432-461. Le colonel russe Artamanoff, qui accompagnait l'expédition, et ses deux cosaques se jetèrent à l'eau pour aller porter les drapeaux vers l'autre rive, faute de bateau pour traverser le Nil. 5. Cf. SANDERSON, « The Foreign Policy of the Negus... », op. cit., p. 92.
148
LA MISSION
MARCHAND
Français, permettant d e leur démontrer qu'il n'y avait personne sur les rives du Nil : « Que voulez-vous attendre ? demanda le chef de l'expédition à Potter et Faivre. Vous croyiez vos frères ici avec leurs bateaux et il n'y a personne ! Retournons. » 1 *
Certes le rendez-vous f u t manqué de peu puisque dix-sept jours plus tard, le 9 juillet 1898, Marchand salua les drapeaux au passage. Mais on peut douter qu'une rencontre des Français aurait retenu les Ethiopiens sur les bords du Nil. En fait depuis le début de 1898 l'inquiétude de Lagarde devant les réticences éthiopiennes n'avait cessé de grandir : « Depuis un mois, écrivait-il le 20 février 1898 à Lebon, je passe mon temps à dissiper les doutes, apaiser les colères qui risquent d'ébranler plus d'un édifice et un jour que j'ai senti que tout allait craquer, j'ai offert pour l'expédition [du dedjaz Tessama] une partie de ce que j'avais de disponible. » 2 Ces doutes et ces colères, Lagarde les attribuait à l'époque aux « intrigues anti-françaises » menées p a r les Anglais, les Italiens et m ê m e les Russes 3 . Il dénonçait le comportement suspect de Chefneux qui, chargé par le Négus de toucher l'indemnité italienne, n'avait pas encore fourni « u n simple compte, pas le plus petit bordereau des six millions dont il était le dépositaire » 4 . Bientôt Lagarde pouvait déplorer que « l'insuccès relatif de la mission de Bonchamps attristât le Négus d'une façon presque inquiétante », et conseiller vivement « de renforcer Liotard » 5 . Lagarde ne semble donc pas avoir soupçonné les réticences du Négus à s'engager contre les Derviches. Ces réticences, mises en valeur plus tard, ont certainement été renforcées par u n relatif affaiblissement de l'influence française en 1898. L'arrivée en France d'une délégation éthiopienne accompagnant Lagarde en mai 1898 ne pouvait faire illusion longtemps. E n définitive, la politique de Hanotaux en Ethiopie paraît avoir été fondée sur des illusions comme celle qu'il poursuivait en Egypte. Mais bien d'autres responsables, en particulier André Lebon, ont partagé ces illusions.
1 . C h . MICHEL, op.
2. 3. 4. 5.
cit.,
p. 454.
S.O.M., Somalis, 17, Lagarde à Lebon, 20 fév. 1898. Ceux-ci dénonçaient alors « l'utopie » du chemin de fer de Djibouti à Addis-Abeba. S.O.M., Somalis, 17, Lagarde à Lebon, 20 fév. 1897. S.O.M., Somalis, Affaires Politiques, 142, Lebon à Hanotaux, Paris 13 avr. 1898.
CHAPITRE I I
LA MISSION MARCHAND DANS L'AFRIQUE CENTRALE Janvier 1897 - juin 1898 En janvier 1897, dans l'euphorie qu'il éprouvait au lendemain de la remise en ordre du Bas-Congo, Marchand écrivait à son « grand ami Lagarde » : « Vous pouvez tenir pour certain que le l* r janvier 1898 dernier délai, peutêtre en novembre 1897, j'occuperai Fachoda et vous pouvez agir en conséquence du côté des amis de l'est. » 1 Bel optimisme ! Partie en janvier et février 1897 de Brazzaville, la Mission n'atteignit Fachoda que le 10 juillet 1898, un an et demi plus tard... Sa progression peut se diviser en trois phases : la première fut la remontée du Congo et de l'Oubangui jusqu'aux Sultanats, de janvier à avril-mai 1897 ; la seconde, marquée par de nouvelles difficultés de portage et de dramatiques problèmes de ravitaillement, fut la traversée des Sultanats du M'Bomou d'avril à novembre 1897 ; enfin, de novembre 1897 à juin 1898, durant la troisième phase, l'expédition connut une nouvelle « panne » due à la baisse des eaux du Soueh, rivière que Marchand comptait emprunter pour rejoindre le Nil. La Mission faillit alors se transformer en corps d'occupation du Bahr el Ghazal, tandis que les bruits les plus contradictoires couraient en Europe sur son sort. L'épisode le plus connu de cette marche de Brazzaville à Fachoda est celui du démontage et du transport le long du M'Bomou du petit vapeur réquisitionné par Marchand, le Faidherbe. Il fut célébré, en effet, comme un des grands moments de l'épopée coloniale. Mais nous chercherons surtout ici à déterminer ce qu'on savait des pays que la Mission traversa, ce qu'elle en rapporta et ce qu'elle représenta pour eux, enfin comment évoluèrent l'opinion et la position du gouvernement en France durant cette seconde période.
1. S.O.M., M43, Marchand à Lagarde, Fort Laval, 9 janv. 1897, Paris, 19 mai 1897.
LA MISSION
150
I,
LA
REMONTÉE DU CONGO ET D E L ' O U B A N G U I
JUSQU'AUX
MARCHAND
SULTANATS
Le Congo jusqu'au confluent de l'Oubangui (Mossaka-Liranga) puis l'Oubangui jusqu'à son confluent avec le M'Bomou 1 et aux rapides infranchissables d'Erikassa en amont de Ouango sur le M'Bomou, offraient à la Mission Marchand une chance de couvrir rapidement plus de 2 000 km de parcours : effectivement, elle avait atteint le Sultanat de Rafaï en mai 1897 mais si rapide que fut cette remontée du Congo et de l'Oubangui, elle n'en posa pas moins de délicats problèmes. 1. Brazzaville
- Bangui.
La navigation sur le fleuve était fractionnée en deux sections l'une de 1 300 km en amont de Brazzaville utilisée par les vapeurs, l'autre de 730 km de Bangui à Ouango laissée encore au transport traditionnel par pirogues. Le bief Brazzaville-Bangui constituait une excellente voie et avait été l'axe de la pénétration européenne. Cependant son utilisation complète était commandée par l'allure du lit et le régime des eaux de l'Oubangui : en période de basses eaux, les navires devaient s'arrêter au seuil de Zinga, où un premier transbordement sur pirogues était nécessaire, à 95 km en aval de Bangui. Ces basses eaux de décembre à mars, coïncidant avec les départs des différents groupes de la Mission, devaient donc en compliquer le transport. En outre, celle-ci joua de malchance ; la baisse des eaux en 1897 fut bien plus accusée que les autres années. Le navire qu'emprunta Marchand en mars eut ainsi énormément de peine à approcher Zinga. Par ailleurs la remontée jusqu'à Bangui n'était pas dépourvue de risques ; le parcours était encore mal connu ; surtout, les tornades qui s'enfilaient dans le « couloir » du Congo entre les plateaux Batéké en amont de Brazzaville, créaient un grave danger pour les navires dont les entassements de ballots, haut perchés sur les ponts, offraient une large prise au vent. Le Roi des Belges, un des plus gros bateaux de la S.A.B., venait ainsi de couler lorsque Marchand remonta le fleuve 2 . Enfin, la navigation était plus lente qu'aujourd'hui car tous les jours il fallait s'arrêter pour faire du bois et acheter des vivres. Les étapes étaient environ de 40 à 50 km, la progression à peine plus rapide que celle du portage ; en période de hautes eaux Largeau mit 27 jours pour atteindre Bangui et, en mars, Marchand mit 25 jours pour atteindre Zinga. Ces conditions de navigation ne constituaient cependant que des difficultés secondaires pour Marchand. Le principal problème était de trouver des navires pour transporter 6 000 charges et les hommes de l'expédition. En 1897, le Congo Français possédait bien une flotte fluviale mais elle était incapable d'assurer ce transport ; elle ne comptait en effet, que quatre petits vapeurs, l'Oubangui et le Djoué, vapeurs de 250 CV, l'Alima de 180 CV et le Faidherbe. De plus l'Oubangui avait été prêté à la maison Tréchot, la 1. L'Ouellé étant ici considéré comme le cours supérieur de l'Oubangui. Cf. BARATIER, Souvenirs de la Mission Marchand, I I : Vers le Nil, p. 8.
2.
LA MISSION
DANS
L'AFRIQUE
CENTRALE
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machinerie du Djoué était en réparation, YAlima était destiné à Sangha et seul le Faidherbe pouvait relier Brazzaville à Bangui. Face à cette misérable flotte, l'Etat Indépendant alignait une trentaine de navires, pour la plupart propriété de la S.A.B. Certains étaient déjà de gros transporteurs fluviaux : la Ville de Bruges, alors le plus important bateau circulant sur le Congo, mesurait 40 m de long, 5 m de large, et possédait deux ponts ; c'était un navire rapide propulsé par roues à aube. Trois autres navires de la S.A.B., la Ville de Paris, la Princesse Clémentine et il'Archiduchesse Stéphanie approchaient l'importance de la Ville de Bruges. Ainsi, comme dans le Bas-Congo, l'Etat Indépendant affirmait avec éclat l'écrasante supériorité des moyens dont il disposait et sa volonté de se constituer un monopole d'exploitation commerciale ; une partie des navires de la S.A.B., dont la Ville de Paris, avait d'ailleurs été rachetée à la maison Daumas Afin de remédier à son infériorité, la colonie du Congo Français avait commandé en 1894 deux nouveaux vapeurs, le Jacques d'Uzès et le Léon de Poumayrac, ainsi que cinq ou six chalands d'aluminium. En 1897 Marchand ne pouvait guère compter sur cette « flottille du Haut-Oubangui » dont il avait trouvé les morceaux éparpillés sur la piste de caravanes, dans le Mayombe ou sur les rives de Kouilou et le personnel errant entre Loango et Brazzaville depuis la mort de son chef, le lieutenant de vaisseau Besançon, noyé dans les rapides de Kouilou. Devant ce « gâchis », le premier mouvement de Marchand fut, en août 1896, de demander le rappel de ce personnel dispendieux. Mais, le ministère ne répondant pas, Marchand ordonna de rassembler les pièces de la flottille et chargea son nouveau commandant, le lieutenant de vaisseau Morin 2 , de son montage à Brazzaville. En janvier 1897 le petit vapeur d'Uzès et trois chalands étaient prêts lorsque parvint de Paris un ordre de suppression de la flottille et de rappel du personnel ; Marchand décida alors de passer outre et de conduire les bateaux à Bangui après avoir envoyé un long plaidoyer à Lagarde 3 . Cependant le Jacques d'Uzès et les chalands ne permettaient pas d'assurer les transports massifs et rapprochés que nécessitait l'expédition Congo-Nil : Marchand désirait en effet porter 6 000 charges (180 tonnes) destinées à sa Mission, au Haut-Oubangui et à Gentil, avant avril à Bangui 4 . L'aide de la N.A.H.V. était elle-même insuffisante. La société hollandaise ne possédait que trois navires assez médiocres et lents : l'Antoinette (vapeur de 900 CV), le Holland (vapeur de 450 CV), et le petit Frédérick (vapeur de 200 CV). Dès le début de novembre, Gresshoff mit l'Antoinette et le Frédérick au service de la Mission et un premier convoi comprenant Largeau, Dat, 34
1. Cf. B.C.A.F., 1898, Renseignements Coloniaux n° 3 : « La flotte du Congo Français ». Alphonse MORIN avait été mis à la disposition des Colonies pour exercer le commandement de la flottille du Haut-Oubangui, par le port de Rochefort en 1895. Il mourut à Bangui le 26 août 1897. 3. S.O.M., M43, Marchand à Lagarde, Fort Laval, 9 janv. 1897. 4. S.O.M., Afr. III, 32a, Marchand à Archinard, Brazzaville, 14 fév. 1897. Marchand secourut Gentil en conduisant à Bangui 25 tirailleurs commandés par Frédon et en lui envoyant de nombreuses caisses de perles, de pacotille, de fusils à piston et 2 400 thalers de Marie-Thérèse. Cf. M.A. MENIER, « Une lettre inédite de Marchand à Gentil », Revue d'Histoire des Colonies, XL, 1953, p. 438. 2.
152
LA MISSION
MARCHAND
h o m m e s d'escorte et 2 0 0 0 colis, partit le 17 p o u r B a n g u i E n janvier, l'Antoinette revenue à Brazzaville, VOubangui et le Peace, petit v a p e u r p r ê t é p a r les Missions Evangéliques de K i n s h a s s a 2 , constituèrent le second envoi e m p o r t a n t 1 9 0 0 charges qu'accompagnait le sergent V e n a i l 3 . Mais l'essentiel de l'expédition attendait alors l'embarquement à Brazzaville. Des négociations f u r e n t d o n c engagées p o u r obtenir le c o n c o u r s de l'Etat I n d é p e n d a n t et en janvier 1897, celui-ci m i t ses d e u x plus grands bateaux, la Ville de Bruges et la Ville de Paris à la disposition de M a r c h a n d 4 . S'agissait-il d ' u n a r r a n g e m e n t privé et local ? Il n e le semble pas. M a r c h a n d a f f i r m a qu'il était le f r u i t d ' u n e intervention personnelle d u Roi auprès d u G o u v e r n e u r G é n é r a l d u Congo, le colonel W a h i s 5 . Ce secours belge à la Mission M a r c h a n d p o u r r a i t traduire le désir d u R o i d e se m é n a g e r des atouts en vue de la partie finale. Il n e détruisit d'ailleurs p a s les préventions de M a r c h a n d à l'égard de ces « rivaux [les Belges] bardés d'artillerie » 9 . C'est cependant grâce à leur collaboration q u e la Mission put r e m o n t e r rapidement sur Bangui. L a Ville de Bruges e f f e c t u a d e u x voyages. Le 24 janvier, elle e m m e n a d e Brazzaville, G e r m a i n , Mangin, Simon, Emily, de Prat, Bernard, u n sous-officier destiné à la relève du H a u t - O u b a n g u i , Mottuel, 102 tirailleurs de la Mission, 34 du H a u t - O u b a n g u i , et 1 0 0 0 charges environ. Le vapeur atteignit Z i n g a le 13 février après trois semaines de remontée du C o n g o - O u b a n g u i et il fallut u n e semaine d e plus p o u r rejoindre Bangui en pirogues 7 . L e second voyage de la Ville de Bruges f u t plus difficile e n raison de la baisse des eaux. L e convoi constitué p a r la Ville de Bruges, le chaland Lauzière et u n « boat » d'acier, partit le 10 m a r s d e Brazzaville. Il emportait M a r c h a n d , Baratier, Landeroin, u n médecin et le capitaine Valdenaire affectés dans le Haut-Oubangui, u n agent d u C o n g o Français, l a c q u o t , « réquisitionné » p a r M a r c h a n d , ainsi que 1 100 c h a r g e s 8 . M a i s la Ville de Bruges ne p u t cette fois parvenir jusqu'au seuil de Z i n g a ; après plusieurs jours de navigation dangereuse à travers les bancs de sable et les barres rocheuses d ' u n b r a s d e l'Oubangui n o n exploré au niveau de D o n g o 9 , et malgré le t r a n s b o r d e m e n t d'une partie des charges, la Ville de Bruges s'éventra sur des roches à 35 k m en aval du seuil. E n dépit de ces difficultés et de ces mésaventures, les transports sur le Congo et l'Oubangui e n vapeur, ne constituent q u ' u n court épisode. E n avril 1897, Bangui était déjà en arrière. 2. Bangui -
Ouango.
A partir d e Bangui, e n fait Zinga p o u r les derniers convois d e la Mission, s'effectuait le t r a n s b o r d e m e n t sur pirogues. I m p o s a n t a u x populations u n 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.
A.N., 99, AP2, Journal de marche du détachement Largeau : Brazzaville - Bangui. C'est avec ce petit vapeur que Grenfell avait remonté l'Oubangui en 1886. Cf. MENIER, « Lettres du commandant Marchand... », op. cit., p. 91. S.O.M., Gabon-Congo, 1,40a, Brazza à Lebon, 19 fév. 1897. Cf. MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 71. Cf. MENIER, « Lettres du commandant Marchand... », op. cit., p. 91. Cf. S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 73.
8. Ibid., fol. 68.
9. Grand village et marché « Bondjo » entre Impfondo et Zinga.
'•/¿e
'Commandant
cMatchand
3. Sous-offìciers d e la M i s s i o n , a T o u l o n ,
1899.
5. La Ville da Brugss,
6. T r a n s p o r t d ' u n e c h a u d i è r e d u Faidherbe
1896.
s u r des r o n d i n s chez T a m b o u r a ,
1897.
7, L e Fa'd.'ierbs
est hissé au poste des R a p i d e s , 1397.
8. D a n s
le B a h r
el G h a z a l ,
1898.
•
9.
Ruines
de
la
moudirieh
de
Fachoda,
10. Fachoda, s e p t e m b r e
1898
juillet
1898.
I I . Le Sultan Z é m i o .
12. Le M e k des C h i l l o u k ,
13. M a r c h a n d et le dedjaz T e s s a m a à G o r é , m a r s
1899,
1898
14. L ' a r r i v é e
15. T i r a i l l e u r s
de
Marchand
a s s i s à la c e r r a s s e
à Paris, 2 juin
d'un
café
1899.
parisien, juillet
1899.
LA MISSION
DANS
L'AFRIQUE
CENTRALE
153
concours obligatoire, l'expédition redevenait comme dans le Bas-Congo une « expédition coloniale ». Le transport, grâce aux pirogues des populations du fleuve se faisait jusqu'à Ouango, en amont du confluent de l'Oubangui et de l'Ouellé, sur le M'Bomou. Au-delà la navigation devenait impossible ; les chutes Hanssens et surtout les rapides d'Erikassa, interdisaient le passage par la rivière vers Bangassou. Au total, l'Oubangui jusqu'à Ouango, offrait toutefois u n bief de 7 3 0 km qui permettait d'atteindre rapidement les Sultanats du M'Bomou. La navigation à vapeur y était possible : en 1885, le Peace avait franchi pour la première fois les rapides de Zongo à Bangui ; en 1887, Vangele avec YEn Avant avait franchi ceux de l'Eléphant à 80 km en amont de Bangui, puis ceux de Mobaye, enfin atteint le confluent du M'Bomou et de l'Ouellé. Mais, en 1897, les gros transports comme ceux de la Mission Marchand ne pouvaient encore être confiés qu'à des convois de pirogues. La remontée de l'Oubangui fut l'occasion de noter les habitudes des surtout Alfred D y é 2 et peuples de la rivière. Emily, Baratier, de Prat l'administrateur Henri Bobichon, organisateur des transports, ont laissé de nombreux renseignements 3 . Une fois de plus, constatons-le, Marchand ne semble pas avoir fait preuve de la même curiosité. Dyé décrit la répartition le long de l'Oubangui, divisé en sections comme la route de caravanes, des groupes différents du rameau « Oubanguien ». En 1897, les Européens rencontraient d'abord les « Bondjos » autour de Bangui. L'appellation « Bondjo », impropre, désignait les M'Baka-Modjembo 4 . Leur réputation de « férocité » et de turbulence l'emportait de loin sur celle des Bassoundi du Bas-Congo, et leurs pratiques antropophages faisaient l'objet de nombreux et effrayants récits 5 . Voisins des « Bondjos », les Banziri étaient groupés autour du confluent du Kouango et les Bouraka étaient installés depuis ce confluent jusqu'à Mobaye. Les Sango occupaient ensuite le fleuve de Mobaye à Cétéma. Les Yakoma, considérés comme le groupe le plus nombreux et le plus puissant étaient centrés sur le confluent de la Kotto. Enfin les Dendi, mélange de Yakoma et de Nzakara selon Dyé, « Yakoma soumis à Bangassou » selon Liotard 6 , longeaient le M'Bomou de Ouango à Bangassou. La répartition des hommes était donc semblable à celle d'aujourd'hui 7 . Cependant certains groupes de l'intérieur 8 exerçaient encore, en cette fin du X I X e siècle, une forte poussée vers le fleuve, en particulier des « Bou1. D E PRAT, op.
cit.
2. A.H. DYÉ, « Les pagayeurs du Haut-Oubangui », B.C.A.F., nov. 1899, pp. 444-447, et « Les transports dans l'Oubangui », B.C.A.F., janv. 1900, pp. 23-26. 3. H. BOBICHON, « Les peuplades de L'Oubangui-Chari. M'Bomou à l'époque des Missions Liotard et Marchand (1891-1901) », VEthnographie, 1932, et dans le B.C.A.F., sept. 1931, Renseignements Coloniaux, n° 9, pp. 500-505. 4. On connaît l'anecdote rapportée par G. Bruel selon laquelle le mot Bondjo serait une déformation de « Bondjou! Bondjou »! (« Le Blanc! Le Blanc! »), cris par lesquels les habitants accueillirent les premiers Européens. Cf. G. BRUEL, La France Equatoriale Africaine, p. 270. 5. Cf. Mgr AUGOUARD, Vingt-huit années au Congo.
6. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61a, Rapport Liotard du 27 oct. 1897 à Zémio. 7. Cf. P. KALCK, Réalités Oubanguiennes, pp. 40-41. 8. En réalités ces « ethnies » provenaient d'un métissage Banda-Mandjia selon Bruel.
LA MISSION
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MARCHAND
bous » (Mbougou) de la Kotto et les Mbrou, deux fractions du grand groupe Banda. Mais plus que les populations riveraines du fleuve, ce sont les peuples intermédiaires, les « Ndrys » (Vidri), les « Langouassis » (Langbassi) et les O u a d d a appartenant au grand groupe Banda, qui subirent le choc. Liotard estimait, en septembre 1897, que « les Bondjos, les Ndrys, les Langouassis sont destinés à succomber sous la pression constante des peuples de l'intérieur... Déjà les Langouassis sont chassés par les Ngobous et, tout récemment, une peuplade portant le nom de Mbrou s'est ruée sur les Ouaddas qu'elle a en grande partie exterminés. » 1 Comme ailleurs la « course à la mer », dans l'Oubangui la « course au fleuve » paraît donc pousser les populations les unes contre les autres. Dyé ne se contente pas de donner la répartition des hommes ; comme Bobichon, il se montre observateur curieux et note les particularités des populations ; il remarque les traits fins, « les lèvres minces et les nez aquilins » des Yakoma, Sango, Dendi, Banziri, Bouraka qu'il distingue des « Bondjos » ; il décrit l'habitat, les cases rectangulaires des « Bondjos », les cases rondes des autres, les systèmes d'alimentation et de culture, le rôle de la pêche, les organisations sociales et signale la disparition du « cannibalisme », enfin les armes 2 . Mais évidemment ce qui frappe les voyageurs, c'est la vocation commerciale et les techniques de navigation des peuples riverains de l'Oubangui. Commerçants, les riverains descendaient surtout l'ivoire du haut fleuve mais aussi des vivres et du poisson qu'ils échangeaient aux Batéké contre des marchandises de traite et d u sel. Leur « patois » commun était déjà le Sango ou « Dendi des Belges compris depuis Rafaï où a pénétré le patois arabe d u HautNil jusqu'au confluent de l'Oubangui et du Congo » 3 . C e commerce f o n d é sur les échanges de groupe à groupe n'excluait pas l'intermédiaire monétaire. D y é signale la « ginja », bêche de fer dont les Yakoma sont les principaux producteurs. C'est partout la « monnaie forte » 4 . Les instruments monétaires inférieurs étaient les « barrettes » de cuivre rouge et surtout les fameuses perles Bayakas rouges, corallines, bleues ou blanches. Les rapports entre ces instruments étaient à peu près fixes : la ginja valait 5 cuillers de perles, la barrette de cuivre mesurant 0,70 m. 4 à 5 cuillers. L'unité de compte des échanges entre Européens et Africains était la cuiller à café de perles. A partir de Bangui, les étoffes ne servaient presque plus aux achats : selon de Prat, « elles se donnaient en cadeaux » 5 . La valeur de la cuiller est fixée à environ 0,20 f r a n c par les différents a u t e u r s 6 . Ceci 1. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61a, Rapport Liotard du 23 sept. 1897, à Zémio. 2. DYÉ, « Les pagayeurs du Haut-Oubangui », op. cit., pp. 444-447. Cette description reste cependant superficielle et sans utilité pour l'ethnologue. 3. Ibid. 4. Toutefois Baratier signale une « monnaie » exceptionnelle : le fusil à piston. Le « prix » d'une femme à Bangui était selon lui d'un à deux fusils ou un tube de perles (24 kg) ou 150 « ginjas », soit une centaine de francs. (Cf. BARATIER, op. cit., II, p. 17.) 5. DE PRAT, op. cit.,
p. 25.
6. Selon Dyé, le prix de revient d'une charge de perles, soit 24 kg net ou 1 200 cuillers était de 240 francs à Bangui en 1897.
LA MISSION
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permet de connaître le prix de certains produits sur l'Oubangui : deux œufs valent une cuiller, un poulet vaut 2 cuillers, une chèvre 10 à 20 donc 2 à 4 francs. Les prix des vivres apparaissent ici sans comparaison avec ceux pratiqués dans le Bas-Congo. Il est vrai que cette région était en crise à la fin de 1896. De plus, la cuiller de perles était surévaluée par les populations locales : le coût des transports de la Mission en donne une idée. La journée de pagayage revenait à deux cuillers à café de perles par homme ! Le paiement comprenait une cuiller pour le travail et une cuiller pour la nourriture. A la fin du voyage, le chef de chaque pirogue touchait une gratification de 25 à 30 cuillers. « Paiement trop modique », estimait en 1898 le capitaine Julien qui constatait que l'on ne construisait plus de pirogues On comprend que dans ces conditions le transport par pirogue ne soit pas revenu cher... Bobichon calculait que le prix de revient était, en 1898, de 50 francs par tonne de Bangui à Mobaye (410 km), de 500 francs par tonne de Brazzaville à Bangui en vapeur (1 300 km) enfin de 1 000 francs de Matadi à Léopoldville 2 . Un autre sujet d'observation des voyageurs était la maîtrise du fleuve par ces gens de l'Oubangui, remarquables piroguiers. Dyé, en marin, décrit minutieusement les pirogues « très régulières aux extrémités » des « Bondjos », « larges à fond plat » des Banziri, à fond rond des Yakoma, Sango et Dendi. Ces pirogues mesurent souvent plus de 20 mètres ; toutes possèdent des plates-formes à l'avant et à l'arrière, celle de l'arrière destinée aux manieurs de « tombos » (perches) utilisées à la remontée. L'habileté de l'équipage, une quinzaine d'hommes par pirogues, provoque l'admiration et Baratier s'attarde sur leurs méthodes de pagayage 3 . Le courage et la résistance des piroguiers étaient non moins remarquables : la journée de transport (0,20 franc) durait de l'aube au coucher du soleil avec une heure par jour de repos. Les étapes n'étaient pas plus longues que celles du portage : 30 à 35 km par jour à la montée, 40 à la descente. Mais la capacité de transport par homme était un peu plus élevée puisque chaque pirogue pouvait porter, selon de Prat, 6 passagers et 30 charges. Etant donné ces conditions, le passage de la Mission Marchand, avec plus de 5 000 charges, fut sans doute le plus grand événement de l'histoire du fleuve à la fin du XIX" siècle car jamais on n'y avait vu jusqu'alors autant de Blancs s'y déplacer et demander l'aide d'autant de Noirs. Les chiffres sont impressionnants. Au départ de Bangui tout d'abord. Le premier convoi de pirogues fut celui de Largeau, à la fin de décembre 1896 : il regroupait 41 pirogues et 500 piroguiers Banziri. Le 18 février 1897, Germain partit avec un petit convoi de 5 pirogues et 75 piroguiers. Les deux principaux convois furent ceux de Mangin, fin février, avec 57 pirogues et 716 piro1. S.O.M., Afr. III, 36b, Rapport Julien, daté du 22 fév. 1898 à Ouango. 2. H. BOBICHON, « Le transport de la Mission Marchand », B.C.A.F., fév. 1899. Le prix de la tonne de marchandises par la « route des caravanes » de Loango à Brazzaville revenait à 1 500 francs en 1895. 3. En réalité la pagaie n'est utilisée que par une partie de l'équipage à l'arrière et surtout à la descente. La perche est utilisée par les hommes à l'avant. Baratier décrit avec précision les techniques opposées des Bondjo debout dans leurs pirogues et celles des Banziri assis. ( C f . BARATIER, op.
cit.,
II, p.
15.)
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guiers et celui de Marchand, en avril, avec 7 2 pirogues et 910 hommes. A u total en moins de quatre mois, la Mission utilisa 2 200 piroguiers montant 175 pirogues au départ de Bangui jusqu'à la première étape, Mobaye, que ne dépassaient pas les Banziri et Bouraka. Au-delà commençait la section du fleuve réservée au monopole des Yakoma, Sango et Dendi U n e deuxième série de convois f u t donc nécessaire pour acheminer les charges et les hommes de la Mission jusqu'à Ouango. Ainsi c'est le concours d'au moins 4 4 0 0 piroguiers que nécessita le transport sur l'Oubangui jusqu'aux frontières des Sultanats. U n tel concours fut-il aisé à obtenir ? A u dire des témoins les riverains rivalisèrent de zèle. E n fait, il s'agissait déjà de réquisition, comme le notait Liotard : « Dans l'Oubangui proprement dit, depuis Bangui jusqu'à Ouango-M'Bomou, nous exerçons l'administration directe sur les villages riverains. Ceux-ci sont habitués depuis plusieurs années à fournir des pagayeurs sur réquisition, moyennant un salaire qui est rigoureusement payé à chaque indigène. » 2 Paradoxalement l'administration coloniale paraît ainsi mieux implantée à cette époque dans le lointain Oubangui que dans le Bas-Congo. Le recrutement à Bangui et l'organisation générale des transports de la Mission avaient été pris en main par l'administrateur de Kouango, Henri B o b i c h o n 3 : « Sangos, Bourakas fournissent depuis plus d'un an, sans impatience ni révolte, des efforts considérables, rapportait-il ; leur charge a été augmentée sans qu'on ait touché au salaire faute de crédits. » 4 Les « féroces Bondjos, euxmêmes, pendant le premier trimestre, ont coopéré aux transports depuis Zinga jusqu'à O u a d d a », notait de son côté L i o t a r d 5 . Le concours de ces populations de pagayeurs demeura ensuite tout aussi actif : une équipe de 120 Banziri et de Bouraka entraînés par Bobichon, accepta même de s'aventurer avec la Mission sur le Haut-M'Bomou et le Bokou jusqu'à 70 km de Tamboura. Néanmoins on signala rapidement des « affaires de police » avec les Yakoma et surtout les « Bondjos ». La question Yakoma f u t rapidement réglée. Les Y a k o m a de la Kotto, « relevant de l'autorité du chef T o b o u », avaient profité d u passage de la Mission pour voler des mousquetons et des ballots de perles ; Marchand, en manière de punition, réquisitionna une quarantaine de Y a k o m a qui l'accompagnèrent jusqu'en France. L e problème « Bondjo » fut beaucoup plus grave et fit reparaître l'enchaînement soulèvement — expédition punitive. L'origine des troubles était une exaction d ' u n tirailleur sénégalais dans le village bondjo de Yakoli
1. Les rapides de Cétéma, nécessitant un transbordement, expliquent ce partage du fleuve. 2. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61a, Liotard à Lebon, Zémio, 27 oct. 1897. 3. Celui-ci s'attribua dans son livre sur Le vieux Congo Français tout le mérite de la réussite des transports et du recrutement. En réalité, Paul Comte, administrateur de Bangui, Georges Bruel, administrateur de Mobaye, et Le Mareschal, chef de poste à Gélorguet (Cétéma), contribuèrent puissamment au recrutement. Cf. BOBICHON, op. cit., Annexe: « Les transports du matériel de la Mission Marchand de Bangui jusqu'à la rivière Méré », pp. 154-214. 4. lbid., p. 171. 5. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61a, Liotard à Lebon, Zémio, 27 oct. 1897.
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< à trois heures des chutes en aval de Bangui » 1 . Le personnel du petit poste de Yakoli fut massacré le 7 mai 1897. Une expédition punitive fut entreprise par l'administrateur Comte mais celui-ci périt noyé dans une attaque de nuit contre le village, le 12 juillet. Non seulement les « Bondjos » refusèrent désormais tout concours mais ils entrèrent en dissidence : « Les Bondjos, tous révoltés, étaient devenus tellement menaçants qu'il n'y avait plus aucun ménagement à prendre à leur égard, la sécurité du poste de Bangui et de la mission catholique ' dépendait uniquement de l'énergie qu'il fallait déployer pour étouffer cette révolte... » 3 La seconde expédition punitive, dirigée par le chef de poste Jacquot qui accompagnait Marchand depuis les troubles de Makabendilou, et par l'enseigne de vaisseau Morin, fut sévère. Les environs de Bangui, en amont, furent « nettoyés » : « tous les villages Bondjos ont été détruits » rapportait Liotard en octobre. En aval, les « Bondjos » passèrent le fleuve et se réfugièrent sur la rive belge. Cette situation qui leur permettait « d'attaquer les pirogues ou même de débarquer sur notre rive », inquiétait fortement Liotard et le confirma dans l'idée « qu'il n'y avait rien à attendre de bon de cette population qui a déjà donné tant de mécomptes à l'occupation française depuis 1890 » 4 . Effectivement les « Bondjos » conservèrent très longtemps une attitude hostile ; c'est seulement en 1935 que Bruel put signaler qu'ils s'étaient « beaucoup rapprochés de nous pendant ces dernières années grâce à la création d'une mission à Bétou et à l'ouverture de factoreries » 5 . Comme au Bas-Congo, la Mission Marchand fournit donc le personnel de la remise en ordre. Mais, dans l'Oubangui, les troubles déclenchés en arrière de l'expédition ne devaient pas plus gêner sa progression que « l'incident de Banzyville s> avec les Belges. En juillet 1897, l'essentiel de ses charges et de ses hommes avait traversé le Sultanat de Bangassou et atteint Rafaï. 3. L'affaire
du Léon XIII.
Lorsque Marchand entra dans les Sultanats, il venait de prendre une décision grave, celle de réquisitionner le Faidherbe, n'ayant pu obtenir le Léon XIII, petit vapeur des missions catholiques. En fait, Marchand se persuada très tard de la nécessité d'emmener un navire jusqu'au Nil. Il n'en est pas question dans son projet : le matériel de navigation demandé y est réduit à quelques « canots Berthon et canots en aluminium démontables » 6 . Ce n'est qu'arrivé au Congo que Marchand songea à la nécessité « d'une flottille du Haut-Nil ». Il possédait déjà les chalands récupérés de la flottille du Haut-Oubangui 7 . Il comptait alors 1. Ibid., Liotard à Lebon, Dem Ziber, 25 juin 1897. Il s'agissait, au départ, comme bien souvent, du vol d'une femme par un sergent sénégalais. 2. La Mission de la Sainte-Famille fondée par Augouard. 3. S.O.M., Gabon-Congo, 1,61a, Liotard à Lebon, Zémio, 27 oct. 1897. 4. Ibid. 5 . BRUEL, op. cit., p . 2 9 3 .
6. S.O.M., M43. Projet Marchand. Le nombre n'est pas précisé mais la somme demandée pour ces achats représente cependant 42 000 francs sur 145 000 francs prévus pour le matériel. 7. Trois chalands : le Lauzière, le Crampel, le Pleigneur de 12 m sur 3 m.
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laisser le Jacques d'Uzès au Congo, espérant en effet que Mgr Augouard accepterait de lui vendre son nouveau vapeur, le Léon XIII, dont les pièces venaient d'arriver à Loango. Ce petit vapeur destiné à remplacer l'ancien Léon XIII (Diata-Diata ou Well-Boat d'Augouard) répondait tout à fait aux vœux de Marchand : il était démontable en 850 colis environ de 50 kg maximum, mesurait 22 mètres, filait dix nœuds et avait un très faible tirant d'eau. « Il ferait très bien à la Meschra, celui-là, avec Dyé à bord », s'exclamait Marchand. Il écrivit donc à Paris et réussit à convaincre le ministère de la nécessité de l'achat 1 . Augouard n'eut connaissance de l'affaire qu'en mars 1897 à la suite d'une série de contre-temps 2 . Le ministère proposait 100 000 francs. La réponse de l'évêque fut négative malgré tous les efforts déployés par Marchand. Celuici offrit en vain le transport du ravitaillement des missions de l'Oubangui que risquait de supprimer la vente du Léon XIII — puis, « le dépôt à Brazzaville dans un délai maximum de huit mois, tout monté, d'un vapeur semblable au Léon XIII » 3 . Augouard resta inébranlable et finit par se réfugier derrière l'autorité du Cardinal Ledochowsky : l'ancien archevêque de Poznan, préfet de la Propagande depuis 1892, aurait été mécontent de cette aide à une mission politique française. Marchand et Augouard finirent par se quitter brouillés. Ce fut un dialogue de sourds entre le religieux et le militaire : « Je fis appel à son patriotisme dans une affaire aussi grave, mais là je frappai à une porte depuis longtemps fermée et l'évêque Augouard qui n'est malheureusement qu'un sot, ignorant, vaniteux et ambitieux, me fit une réponse où je compris que l'intérêt delà religion passait avant, comme si nous ne servions pas toujours ces intérêts. » 1
Marchand dut renoncer au Léon XIII. Il ne renonça pas pour autant à sa « flottille du Haut-Nil ». Il songea d'abord à récupérer le Jacques d'Uzès mais celui-ci se révéla très vite intransportable ; il aurait fallu construire neuf chariots. « Ce n'est donc pas le d'Uzès que je désire faire passer », écrivit Marchand à Liotard, en mai 1897 6 . Son choix s'était alors porté sur le Faidherbe, petit vapeur « très rapide » de 100 CV, plus facilement démontable. Ce bateau était à la disposition de la Mission depuis décembre 1896 8 et, en mars 1897, participait aux transports sur l'Oubangui, 1. Cf. MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 67. « J'attends le courrier... de France où doit être la réponse; si c'est oui et ce sera oui le Léon XIII sera le 25 décembre à Brazzaville et je ferai embarquer les 1 000 charges sur un vapeur, puis sur les chalands aluminium qui l'amèneront à Ouango-M'Bomou avant avril. » (Marchand à Liotard, Brazzaville, 17 nov. 1896.) 2. Lebon et Lagarde attendirent le vote du budget en décembre et n'en soufflèrent mot à l'évêque lors de sa visite au Pavillon de Flore, le 6 novembre 1896. Leur proposition ne parvint ensuite à Libreville que le 21 janvier 1897 et à Brazzaville que le 26 février alors qu'Augouard était à Bangui. 3. MICHEL, « Deux lettres de Marchand... », op. cit., p. 74. 4. Ibid., p. 75. 5. Papiers Liotard, Marchand à Liotard, 26 mai 1897. 6. S.O.M., Gabon-Congo, I, 49a, Brazza à Lebon, Libreville, le 22 mars 1897. L'équipage du Faidherbe comprenait Dyé et Morin, Mostuéjouls et Souyri mécaniciens venus de la « flottille du Haut-Oubangui ».
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sous le commandement de Dyé. Marchand le < confisqua » donc pour aller jusqu'au Nil. A ceux qui pouvaient douter du succès d'une pareille entreprise, il répondait : « On ne fera que dix, que huit, que cinq kilomètres par jour dans les mauvais terrains, mais on arrivera au Soueh, aussi vrai que je m'appelle Marchand. Stanley a fait plus fort que cela en transportant dans plusieurs centaines de km de rochers des vapeurs tout montés, et ce qu'a fait un Anglais nous aussi nous le ferons. » 1 D'ailleurs dans son esprit, le Faidherbe n'était que le premier élément d'une « flottille du Haut-Nil ». Pour la constituer, il sollicita l'envoi de quatre chalands démontables, puis d'un nouveau vapeur 2 et d'un personnel de mécaniciens et de laptots 3 . Ses demandes, appuyées par Liotard, furent prises en considération. Binger, successeur de Lagarde aux Colonies, demanda des devis à des entrepreneurs français, anglais et belges, pour la construction d'une cannonière, estimant qu'en dépit de disponibilités budgétaires limitées, « il y avait lieu d'envisager la question d'intérêt général de l'action politique poursuivie dans la région du Haut-Nil par la Mission du capitaine Marchand » 4 . Mais celle-ci coûtait déjà fort cher ; le prix d'un bateau sur le Nil et de son équipage excédait trop les possibilités 6 . L'envoi d'un vapeur fut donc reporté à 1898 « si des économies pouvaient alors être effectuées » 6 . Evidemment, il n'y eut jamais de « flottille française du Haut-Nil ». Le gouvernement se contenta d'envoyer quatre chalands — qui ne dépassèrent pas Zémio 7 . Ainsi la réquisition du Faidherbe en mai 1897 entrait dans le cadre de ce projet de « flottille du Haut-Nil ». Mais la décision du Marchand fut considérablement influencée par un fait nouveau : le changement d'itinéraire imposé par Liotard. En avril 1897, celui-ci obligea Marchand à remonter le cours de M'Bomou jusqu'au Bahr el Ghazal et au-delà le cours de Soueh jusqu'au Nil. La nécessité de bateaux apparaissait donc plus évidente que jamais. Cette décision ouvre une nouvelle période : celle de la traversée des Sultanats.
1. Papiers Liotard, Marchand à Liotard, Bangassou, 26 mai 1897. 2. S.O.M., M43, Note de Binger, Paris, 10 avr. 1897. Marchand faisait la demande d'un bateau de 25 m de long sur 5 de large, « type 'Ville de Bruges' », comprenant trois cabines et pouvant se démonter en pièces de 40 à 45 kg. 3. Ibid., Annexes aux lettres de Marchand à Lagarde des 19 janv. et 9 mars 1897. 4. Ibid., Binger à Lebon, Paris, 3 févr. 1898. 5. Ibid., Note de Binger du 10 août 1897. Yeeraw (ou Sarrow?) en Angleterre demandait 152 000 francs pour un bateau de 35 m, les chantiers de la Loire proposaient 156 000 francs, Cockerill, 80 000 francs pour un bateau de 25 m. Le constructeur anglais était plus diligent (36 jours), Cockerill le plus long (5 mois). Avec le transport et le remontage sur le HautNil, un bateau revenait à 300 000 francs minimum. 6. Ibid., Note de Binger du 30 août 1897. 7. Ibid., Rapport Marchand, II, fol. 47.
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I I . L A TRAVERSÉE DES SULTANATS
1. Le changement d'itinéraire de la Mission. Le choix de l'itinéraire à travers les Sultanats en 1897 est dû à la situation politique de l'est-Oubangui et ne correspondait pas du tout au projet initial de Marchand. En septembre 1895, celui-ci avait pensé atteindre le Nil à Fachoda, en suivant la vallée du « Bali » (Mbari) puis à partir de l'ancien poste belge de Basso sur le Haut-Mbari, un itinéraire ouest-est passant par Bandassi (Haut-Shinko) dont il ferait son « camp retranché », par la vallée du Borou (Boro) et par le Bahr el Arab. A l'époque, le choix d'un tel parcours était motivé par les explorations des lieutenants Julien et Vermot qui indiquaient les rivières Kotto et Chinko comme t absolument impropres à la navigation » 1 . L'idée d'utiliser la voie des Sultanats n'avait même pas effleuré Marchand. Plus tard ce projet se modifia légèrement Marchand choisit Dem Ziber et non Bandassi comme centre de son action, sans doute après avoir eu connaissance, à la fin de 1895, des résultats de la politique de Liotard 2 . Celui-ci signalait, en effet, le désir du Sultan Zémio de voir les Français s'installer à Dem Ziber, « clé du Bahr el Ghazal » 3 : « De cette ville, ajoutait le ministre des Colonies dans ses instructions à Marchand, on peut se rendre en moins d'un mois en passant par Djour Ghattas à la Meschra, point d'atterrissage des vapeurs qui viennent de Khartoum. » 4 Marchand resta donc persuadé qu'on lui conseillait de prendre le chemin de Dem Ziber — mieux : qu'on lui et entraînèrent une enquête 1 . Lamothe, nouveau Gouverneur Général du GabonCongo y répondit en juin 1898 par une lettre longue et lénifiante qui permit d'étouffer l'affaire 2 . Les difficultés de l'année 1897 expliquent le « rendement » de Zémio qui ne fut guère apprécié par Marchand ; alors que Rafaï « donnait » en moyenne 400 porteurs par mois, Bangassou 600, Zémio n'en « donnait » que 280 3 . Le portage directement assuré par Zémio se terminait à Sinangba ; les chefs M'Bima, Rinda, et Goforou, ses vassaux lointains et ses protégés 4 , prenait le relais jusqu'à la Méré ou même jusqu'au Soueh. Ils furent mis lourdement à contribution mais tinrent à honorer les demandes des Français pour paraître aussi puissants que leurs voisins. D e juillet à novembre 1897, ils fournirent tous les porteurs nécessaires pour le transport des charges et surtout des pièces du Faidherbe. Cette période fut la plus dure de la traversée des Sultanats. Le Faidherbe arriva au port de la Méré au début de septembre 1897 sous la conduite de Bobichon et Germain. Son démontage commença immédiatement et le transport jusqu'à Kodjalé sur le Soueh débuta le 20 septembre 6 . Mais les pièces de rechange (caisses de rivets, tôles, peinture), envoyées de France et les deux chaudières du Faidherbe n'arrivèrent au Soueh qu'à la fin novembre. Baratier, Gouly et Dyé vécurent alors des moments difficiles. De la Méré à Rimbio chez Tamboura, les étapes furent bientôt inférieures à 5 km par jour. Les porteurs étaient affamés, écrasés par des charges de 60 k g 8 , ou épuisés par le traînage des chaudières d'une tonne sur des rondins de bois. M'Bima finit par refuser de fournir porteurs et vivres : Baratier dut le prendre en otage et le menacer de le livrer à son ennemi T a m b o u r a 7 . A la fin octobre, le convoi Baratier finit par atteindre péniblement, avec une chaudière, le Yobo, qu'il entreprit de descendre jusqu'à son confluent avec le Soueh. Il fallut vite y renoncer et reprendre le portage avec l'aide d'hommes de M'Bima et de Tamboura ; il arriva à Kodjalé à peu près en même temps que Gouly qui avait réussi à construire un chariot pour le transport de la seconde chaudière. 1. S.O.M., M43, dossier « Comité de défense et de protection des indigènes », avr. 1898. Les signatures sont illisibles. Mais les fonctions des protestataires sont indiquées : deux sénateurs, deux membres de l'Institut, un avocat à la Cour d'Appel, un ancien Conseiller à la Cour d'Appel... Lebon décida de faire une enquête et d'aviser le Président du Conseil. 2. Cf. M. B L A N C H A R D , « Administrateurs d'Afrique Noire », Revue d'Histoire des Colonies, n° 140-141, 1953, pp. 377-430. L'essentiel de la lettre de Lamothe est publié dans cet article (pp. 403-405). 3 . BARATIER, op.
cit.,
II, p. 48.
4. Ces chefs Zandé s'intitulaient aussi « Sultans » bien qu'ils fussent soumis en principe à l'autorité de Zémio. Celui-ci, en tout cas, les protégeait des visées de Tamboura. 5. « Une route de 160 km de long et de 5 m de large fut ouverte à coups de haches, de pioches et de mélénite sur les hauts plateaux boisés de la ligne de partage des eaux. Le Faidherbe coupé en morceaux arrive le 14 octobre au Soueh sous la conduite du lieutenant Largeau et le mécanicien Souyri commence aussitôt le montage. Les autres embarcations suivent. » (S.O.M., M43, Rapport Marchand, I, fol. 76.) 6. BARATIER, op. cit., II, p. 81 : « Les malheureux, Marchand leur a donné la double charge! une charge de soixante à soixante-cinq kilos. » 7. Ibid., p. 74. Des haines familiales séparaient Tamboura et M'Bima ; le père de Tamboura, Rioua, avait été tué dans un combat livré au père de M'Bima, Sonongo.
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Relativement aisé de Bangassou à Rafaï, le portage devint spécialement difficile à partir de Zémio. L'effort demandé aux populations f u t particulièrement intense, le concours des Sultans de plus en plus réticent. Malgré tout, dès septembre 1897 l'essentiel de l'expédition était arrivé chez Tamboura et avait terminé la traversée des Sultanats. « C'est la troisième période qui s'ouvre, note Baratier : occupation du Bahr el Ghazal et du Nil. » 1 En décembre toute l'expédition, flottille, charges et pièces de rechanges — 2 500 colis au total — remontait le Soueh avec l'aide de Tamboura. Le concours de ce dernier fut aussi considérable que celui des autres chefs ; Liotard estima que Tamboura avait mobilisé près de 2 000 hommes « pendant plusieurs jours ou même plusieurs semaines depuis le 1 e r juillet jusqu'au 1 " octobre 1897 ». Cette main-d'œuvre avait servi au portage de M'Bima à F o r t Hossinger et de là au Soueh, à la construction de la route et du « postearsenal » du Soueh ainsi qu'aux explorations. « Si avec cela, ajoutait Liotard à l'adresse de Marchand, vous faites ravitailler vos troupes éparses par Tamboura pendant un mois ou deux, il ne doit pas y avoir dans tout le pays un h o m m e qui ne soit harassé moralement ou physiquement. » 2 Bien entendu les Sultans ne prêtèrent aux Français une aide aussi exceptionnelle que parce qu'ils en espéraient une compensation. Fut-elle à la hauteur de leur collaboration ? Depuis longtemps déjà les Belges et les Français pratiquaient à l'égard des souverains la « politique des cadeaux ». Ainsi Tamboura recevait de Liotard u n cadeau mensuel constitué de pièces d'étoffes et de perles. Mais ces cadeaux ne furent jamais vraiment appréciés : Tamboura trouva le sien « maigre » en 1897. L a Mission Marchand continua cependant, avec solennité, cette « politique des cadeaux » afin de payer les services rendus. Le 22 mai 1897, Bangassou reçut en grande pompe huit fusils à piston, six mousquetons et u n revolver avec u n stock de cartouches et amorces, trois ballots d'étoffes et de coton écru, quelques coupons de soie, quinze chéchias et u n grand tapis. Le 15 juin, Zémio reçut un peu moins : il dut se contenter d'un grand tapis, de vêtements de parade à la mode musulmane (burnous, gandoura brodée, haïk de soie), de trois caisses de perles, de deux ballots d'étoffes, d'une barre de sel de 30 kg, d'un cachet en cuivre... et de deux bouteilles de tafia ; en armes, il n'eut qu'un revolver. Rafaï fut le plus honoré. Liotard lui avait promis depuis deux ans un cadeau digne de lui. Le 4 juin, Marchand lui remit, au nom du Gouvernement, un fusil Kropatchek « à pièces argentées avec son nom et sa devise gravés », un costume de colonel général des chasseurs d'Empire, des vêtements arabes, un sabre turc... ; à ce bric-à-brac prestigieux Marchand ajouta pour les transports des caisses de Bayakas blanches, un ballot de calicot, un grand tapis turc, une barre de sel et 19 mousquetons 1874 avec 400 cartouches 3 . Quant à Tamboura, il avait
1. Ibid., p. 63. 2. A.N., 99AP2, Liotard à Marchand, 13 oct. 1897. Cet effort, que Liotard juge excessif, se prolongea bien au-delà d'octobre. Marchand signale dans son rapport qu'il quitta Fort Hossinger le 27 décembre 1897 « avec 300 porteurs du Sultan Tamboura qui devaient faire deux voyages consécutifs au Soueh et mettre 600 charges au poste des Rapides ». (S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 1.) 3. Nous empruntons ces renseignements à Baratier.
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son cadeau mensuel et Marchand voulut attendre qu'il fît ses preuves pour le récompenser en étoffes, vêtements et perles. Au dire des membres de la Mission, les Sultans se montrèrent ravis : Rafaï f u t même « radieux ». Il est permis de se demander s'ils ne furent pas surtout polis. Les cadeaux ressemblaient trop à des colifichets, et à Paris on pensait volontiers que ces petits potentats barbares s'en contenteraient. Lebon n'avait-il pas prévu la remise, à Zémio, du Mérite agricole « dont la croix poite l'effigie de la République et dont le ruban rappelle des couleurs chères aux Musulmans » ? 1 Ce f u t finalement la croix du Nicham Iftikhar que Marchand accrocha sur la poitrine du souverain. Bangassou f u t le plus direct : « Il se montra satisfait ; il ne fit qu'une petite remarque : il n'y avait pas beaucoup de mousquetons. » 2 Cette remarque traduit, en fait, le sentiment profond de tous les Sultans du M'Bomou. Ce qu'ils attendaient des Français, c'étaient des armes, instruments de prestige et de pouvoir. Or les Belges les avaient gâtés sous ce rapport et continuaient de le faire à l'époque de la Mission Marchand : « Il suffit de voir les meilleurs fusils de provenance belge (fusil à capsule modèle 1842, Albini, Chassepots, etc.) qui se trouvent entre les mains des indigènes depuis Bangassou jusqu'au Soué, pour se rendre compte de la nature des relations que l'Etat Indépendant a eues et possède encore avec les Nsakaras et les Zandés. » 3 Un exemple. Bangassou, en 1897, « utilise toutes les circonstances pour se procurer des fusils et des munitions car c'est grâce à cet appoint continuel d'armes et de munitions que les Nsakaras peuvent faire, chaque année, des expéditions contre les Boubous ». Le fournisseur est alors le poste belge de la rive gauche qui échange, « en cachette et la nuit, en dehors des points habités par Bangassou », l'ivoire contre les fusils 4 . Cette situation rendait les Sultans très exigeants. On ne voulut pas le comprendre en France : « J'ai fait chaque année des demandes de fusils modèle 1842 à capsule, écrivait Liotard. A ces demandes, le Département a répondu, en 1896, par un envoi de fusils à pierre. Les indigènes ne veulent à aucun prix accepter ces armes, même en cadeau. » 5 Aussi la « politique des cadeaux » était-elle dérisoire et les Sultans continuaient-ils à mener un double-jeu entre les Français et les Belges. Pour y mettre un terme Liotard avait sollicité, en 1895, l'envoi de 2 000 mousquetons 6 . Le ministre finit par accepter et Marchand fut chargé de leur acheminement. En fait, il n'emporta qu'un lot de 500 a r m e s 7 . C'était encore insuffisant. En outre, ces armes n'étaient pas vraiment destinées aux Sultans ; elles devaient seulement équiper des compagnies auxiliaires formées d'hommes prêtés par les souverains. On comprend la réticence de Tamboura à fournir ces hommes que Mangin devait instruire 8 . 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.
S.O.M., Gabon-Congo, I, 61a, Lebon à Liotard, Paris, 23 juin 1897. Ibid., Liotard à Lebon, Zémio, 27 oct. 1897. Ibid. Ibid. Ibid. Cf. IIe partie, p. 80, et rapport de Liotard au ministre des Colonies, Zémio, 1 er août 1895. Le reste devait parvenir plus tard au Haut-Oubangui par contingents de 500 fusils.
8 . BARATŒR, op.
cit.,
II, p. 68.
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L a « politique des cadeaux » reposait donc sur des malentendus. Mais elle ne coûtait pas cher et permit de transporter les charges de la Mission à des prix dérisoires. A Bangassou, Baratier se livra à u n calcul révélateur : « Tout cela [ les cadeaux] se chiffre par un millier de francs pour le transport de 2 000 charges entre Bangassou et Rafaï c'est-à-dire pendant huit jours de marche. En ajoutant à ces mille francs la dépense occasionnée par la nourriture des porteurs, soit 16 000 cuillers de perles... [ou] quinze cents francs, cette somme de 2 500 francs donne une dépense inférieure à 16 centimes par charge et par jour. » 1 Les cadeaux à Rafaï et Zémio ne coûtèrent pas plus cher. Mais c'est chez le « Sultan » Rinda que le prix des transports fut certainement le plus bas : il accepta un « contrat » d'un mousqueton par cent porteurs fournis p o u r le trajet de la Méré au Soueh. O n avait fait jouer la vanité du petit chef, son envie de faire mieux q u e Zémio ou Tamboura, pour obtenir de telles conditions. L ' e f f o r t demandé par la Mission M a r c h a n d aux populations de M'Bomou f u t donc très considérable, p e u coûteux pour elle, sans avantages pour les S u l t a n s 2 . En outre, il se prolongea après le passage de l'expédition d u Nil lorsque arrivèrent les Missions J u l i e n 3 et R o u l e t 4 . Cette contribution excessive, les excès des troupes sénégalaises qui succédèrent à la Mission Marchand, enfin l'évacuation du Bahr el Ghazal, expliquent la crise de l'Oubangui en 1898 et 1899. On le voit à travers les rapports adressés à Paris par les successeurs de Liotard, le docteur Cureau, l'administrateur Henry et Bobichon ; ils constatent que les contributions imposées aux populations de l'est-Oubangui par la politique française du Nil laissent le pays, naturellement pauvre, en état de crise ; que les actes d'indiscipline graves et les exactions de toutes sortes des tirailleurs maintenus dans le pays se multiplient 8 ; que les Sultans, enfin, n e cachent plus leur mauvaise volonté. A la fin de 1899, les N z a k a r a de Bangassou sont à la limite de la dissidence ouverte. L'abandon de la politique du Nil et l'évacuation des postes créés dans le Bahr el G h a z a l aggravèrent encore la situation : les Sultans, à qui l'on avait tant d e m a n d é depuis 1895 pour s'installer dans les régions d u Nil ou du Fertit, et qui espéraient quelques compensations de
1. Ibid., p. 36. 2. En ce qui concerne la « politique des cadeaux », il semble que la Mission Marchand ait aussi offert de menus cadeaux en thalers de Marie-Thérèse aux Sultans, si l'on en croit Baratier : 250 francs en thalers à Bangassou et Rafaï, 500 à Zémio, 1 000 à Tamboura. Peu de chose au total. Le Mek des Chillouk aurait reçu, lui, 2 000 francs en thalers. (Cf. A.N., 99 API, Dépenses de la Mission Marchand.) 3. Celle-ci, partie de France en août 1898, arriva à Ouango en février 1899 avec 150 miliciens et 6 officiers. (Cf. S.O.M., Afrique III, 36, Rapport du capitaine Julien, Ouango, 22 fév. 1899.) 4. PALUEL-MARMONT, La mission Roulet, la France sur le Haut-Nil, 1898-1900. 5. Dès décembre 1898, Cureau s'indignait des « faits inouïs » : ainsi par exemple, des tirailleurs sénégalais se révoltaient à Bakary, pillaient et tentaient d'incendier le poste et le village. (Cf. S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14, Cureau à ministre des Colonies, fév. 1899.)
LA MISSION
DANS
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ce côté, se virent sollicités de fournir leur aide au retrait des Français. La lassitude et l'inquiétude des chefs du M'Bomou étaient alors telles que Bobichon craignit sérieusement de les voir rallier la cause de Rabah, encore auréolé de ses victoires au Bornou 1 .
III.
L'OCCUPATION D U B A H R EL G H A Z A L
Novembre
1897-juin
1898
La connaissance de cette nouvelle phase de l'expédition est grandement facilitée par la relation détaillée des événements, que Marchand reprit à la date du 23 décembre 1897 dans la seconde partie de son rapport et qu'il termina à Fachoda, le 10 octobre 1898. L'occupation du Bahr el Ghazal constitue ce que Marchand a appelé « la troisième période » de la Mission. C'est une période d'explorations, de préparatifs, d'installation et aussi d'attente. Attente, car la Mission, arrivée entre juillet et décembre 1897 dans le Bahr el Ghazal, ne put le quitter qu'en juin 1898. Ses premiers éléments rongèrent donc leur frein plus de dix mois et les derniers six mois, avant d'entamer les étapes décisives. Ce nouveau retard ne fut pas sans suscitei l'inquiétude en France et des tensions dans l'équipe. Comment s'expliquet-il? 1. Le nouveau retard de la Mission. La raison la plus évidente de ce retard est d'ordre climatique. Chaque année, d'octobre-novembre à mai, la sécheresse provoque la baisse des eaux des rivières qui convergent vers le bassin central marécageux du Bahr el Ghazal et transforme les régions du pourtour en brousse sèche : Marchand parle des « plateaux brûlés du 6" degré de latitude nord » à cette époque 2 . Aussi, lorsque le Faidherbe et les chalands parvinrent au Soueh, celui-ci avait-il baissé depuis plusieurs semaines. En fait depuis la fin de septembre :
1. S.O.M., Gabon-Congo, I, 63, Bobichon à Lamothe, Bangui, 16 déc. 1899. « Si en vertu d'événements intérieurs, Rabah ne pouvait se maintenir et revenait, selon la conviction de Rafaï, dans le Dar Fertit d'où il est parti et où M. Cureau a vu son ancienne zériba du Mangayat, il serait incontestablement nécessaire de disposer de forces assez importantes pour empêcher les Sultans, chez lesquels nous sommes établis, de se laisser influencer par le conquérant du Bornou. » La crise, ajoutons-le, allait être accentuée par les manœuvres du « syndicat du Tchad », groupe d'intérêts économiques qui avait déjà envoyé sur place la mission de prospection commerciale Bonnel de Mézières. Des accords avaient été alors passés avec les Sultans et des concessions accordées par le gouvernement français. Lamothe, en décembre 1899, envisageait donc de « forcer manu militari nos alliés de la veille à subir les conséquences du contrat qui a disposé, sans leur consentement, sans même qu'ils aient été préalablement consultés, de territoires et de produits à l'égard desquels ils se sont toujours regardés comme investis d'un monopole absolu ». (S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14, Lamothe à Bobichon, 20 déc. 1899.) 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 43. 12
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« le fleuve [était] un mince filet d'eau sinuant autour des bancs de sable ou cascadant par-dessus les innombrables rochers des quatre-vingt barrages, chutes ou rapides. En aval du seuil de la Table 1 les roches dangereuses disparaissaient complètement, mais par contre les bancs de sable se faisaient plus nombreux emplissant presque complètement le lit du fleuve. » 2 Il n'était donc pas question de descendre le cours de cet « oued » et d'atteindre la Meschra er Rek, le « port » du Bahr el Ghazal, ancien terminus des bateaux égyptiens venus du N i l 3 . Il fallut « piétiner » sur place et cette indécision envenima les relations — déjà tendues depuis la difficile période des transports de Zémio à T a m b o u r a — entre M a r c h a n d et ses compagnons, en particulier Mangin. Celui-ci s'impatientait de plus en plus devant les « hésitations » de son chef ; il partageait le sentiment de Dyé, qui estimait possible de lancer une « marche en avant » en utilisant les routes de terre, puis des pirogues à travers les herbes du grand marais. Il s'irritait aussi des relations que M a r c h a n d voulait établir avec les population, de sa politique d'occupation et d'organisation dans laquelle il ne voyait que le désir de se créer un commandement personnel dans le Bahr el Ghazal. Aussi Marchand, pour calmer l'impatience de son subordonné, lui confiat-il la tâche d'installer les postes avancés de la Mission dans le Bahr el Ghazal. Au début de septembre 1897, Mangin installa u n « poste-arsenal » à K o d j a l é sur le Soueh ; dans des hangars de pailles o n centralisa le matériel et les pièces du Faidherbe4. Puis, après une courte reconnaissance du Soueh, Marchand le chargea de la fondation d'un « poste vers 7° 10' pour préparer l'occupation de Koutchouk-Ali » 5 : ce f u t « le poste des Rapides », créé à la limite des pays Djour et Bongo, à la fin de septembre. Enfin, en novembre, Mangin alla occuper, au confluent du Soueh et du Wau, l'ancienne zériba égyptienne de Wau. Il devait y installer le quartier-général du Bahr el Ghazal dont il fut alors nommé commandant militaire par Marchand. L e 28 novembre, il arriva à Wau en compagnie de Largeau, d'une soixantaine de soldats et d'une douzaine de pagayeurs Y a k o m a 6 . Il baptisa alors le nouveau poste Fort Desaix, « du nom du général français qui, sous Bonaparte, s'est avancé le plus loin dans la vallée du Nil » 7 .
1. Ce seuil marque, en aval du « poste des Rapides », la limite des plateaux anciens audessus du bassin marécageux où convergent les rivières. 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 43. 3. « Port » était un bien grand mot. Jiinker décrit la Meschra, une quinzaine d'années auparavant, du temps de sa splendeur, comme une toute petite station d'une demi-douzaine de cases construites sur une île du marais, dans une zone déserte. Les installations commerciales y étaient temporaires, lors des escales des vapeurs. Gessi ne put y construire le grand poste qu'il avait souhaité. (JUNKER, op. cit., I I , pp. 8 3 - 8 5 . ) 4. Kodjalé ou Kodioli était la résidence d'un chef parent du Sultan Tamboura; elle reçut le nom de « Camp du Soueh », puis de « Fort Gouly » après la mort du lieutenant Gouly en mars 1898. 5 . MANGIN, op. cit., p. 97. Kourchouk-Ali ou Koutchouk-Ali est une ancienne zériba, véritable « capitale » commerciale du sud-ouest du Bahr el Ghazal. Schweinfurth l'a décrite en 1878. Cf. SCHWEINFURTH, op. cit., I, pp. 184-185 (dessin). 6. S.O.M., Afr. III, 32a, « Journal de marche du détachement d'occupation de Fort Desaix du 22 au 28 novembre 1897 ». 7 . MANGIN, op.
cit.,
p. 109.
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Ces postes devaient surtout devenir les bases de la grande tentative finale vers le Nil, prévue en mai 1897, lorsque se produirait la crue du Soueh. Une véritable flottille fut montée à cet effet à Kodjalé et aux Rapides. En mai, la Mission disposait de trente-quatre pirogues, de quatre baleinières ou chalands en acier ou aluminium et du Faidherbe remis à neuf Mais la remontée des eaux du Soueh ne se produisit pas, Marchand commença à s'inquiéter : « Le départ pour le Nil était remis à une date... que je n'osais plus supputer. Et pendant ce temps... la crue du grand Nil venant des lacs équatoriaux s'avançait vers Khartoum et Berber et allait ouvrir aux nombreuses canonnières de la puissante flottille anglaise, la porte de la sixième cataracte... [mettant en péril] tout mon plan de conduite de la mission qui devait occuper Fachoda juste à temps pour que les Anglo-Egyptiens l'y trouvassent et sans avoir donné le temps aux armées derviches de l'écraser sous leurs masses. » 1 Il se décida à envoyer un détachement sous les ordres de Mangin occuper la Meschra er Rek par route de terre. Mangin s'y installa le 24 mai. Mais le Soueh restait toujours à l'étiage : au début juin ses fonds n'étaient qu'à cinquante centimètres alors que le Faidherbe, avec son hélice, calait 1.50 m . 3 . Marchand, alors, divisa sa Mission en deux groupes. L'avantgarde quitta solennellement Fort Desaix en pirogues le 4 juin 1898 avec la conscience de vivre un « grand moment » : « Debout dans nos nacelles que le courant emporte nous saluons le pavillon tricolore en même temps que les chefs indigènes et la garnison du fort, rangés sur la haute berge, noire de monde. » 4 Le 19 juillet, le second groupe — Germain, Dyé, Fouques, de Prat, Bernard et 70 hommes, travailleurs, miliciens et piroguiers — quittait Fort Desaix avec le Faidherbe. La relève était assurée par une section de tirailleurs du Haut-Oubangui. L'attente de la crue du Soueh fut donc la raison essentielle du nouveau retard. Mais, en outre, Marchand ne voulut pas lancer sa Mission sans avoir minutieusement préparé ses arrières : stocks de vivres dans les postes, renforts de matériel arrivés sur place 5 , relève assurée, danger d'une pénétration belge écarté et bons rapports avec les populations établies. Il voulut aussi attendre le résultat de l'exploration du marais en aval de Fort Desaix. Celle-ci fut confiée à Baratier et Landeroin. Ce fut une aventure extraordinaire et dramatique, le plus bel épisode de la Mission. Baratier l'a raconté dans son livre A travers l'Afrique. Le 19 janvier 1898, avec 25 tirailleurs et 9 pagayeurs, embarqués sur une baleinière, les deux hommes quittaient Fort Desaix pour descendre les vallées inconnues du Bas-Soueh (Djour) et du Bahr el Ghazal qui devaient conduire à Meschra er Rek : ils ne 1. Un chaland en aluminium, l'Etienne, et trois « boats » en acier. Le Faidherbe avait été rééquipé d'une coque neuve, aux Rapides, à la fin de 1897. 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 49-50. 3. Ibid., fol. 49. 4. Ibid., fol. 61. 5. A.N., 99 AP2, Rapport du lieutenant Fouque au capitaine Marchand, reçu le 8 septembre 1898 à Fachoda. Fouque apporta avec lui 320 charges de farine, sucre, café, « vivres » divers, vins, apéritifs, perles (100 caisses), cartouches et 20 charges en souffrance à Brazzaville.
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revinrent que quarante jours plus tard, le 30 mai. Ils ne disposaient que de renseignements empruntés à Schweinfurth et Jiinker et s'imaginaient que « l'embarcadaire » égyptien était près du confluent d u W a u et du Soueh ils n'avaient emporté que quinze jours de vivres. Ils n e savaient pas non plus q u e le « sedd », végétation d'herbes à dominante de papyrus et « d'oumsouf » dans laquelle o n perd la trace des chenaux, descendait très au sud de la Meschra en 1897. Sans qu'on puisse s'expliquer pourquoi, le « sedd » était devenu u n obstacle particulièrement formidable en cette fin du XIX* siècle et formait u n vaste triangle depuis G a b a Shambé à l'est, le lac N ô au nord et le coude du Djour Soueh à l'ouest. Baratier et Landeroin s'engagèrent donc dans les herbes infestées de moustiques et s'y perdirent. Les rares Dinka rencontrés leur indiquaient la Meschra toujours plus au nord. On n'avança bientôt plus que de quelques mètres par jour ; les barques devaient être péniblement tirées ou poussées à la perche, les fonds atteignant sous les hautes herbes aquatiques souvent 6 m. Les vivres s'épuisèrent. Il fallut se contenter de racines de nénuphars, nourriture heureusement compensée par la pêche et la chasse. Exténuée, la petite expédition finit par déboucher dans le lac Nô, bien au-delà de la Meschra. A ce moment, Marchand inquiet, avait expédié Largeau à sa recherche. « P a r u n hasard providentiel », la jonction se fit en plein marais et l'expédition fut sauvée ! « Pour la première fois, la carte de la route fluviale reliant le territoire de l'extrême Haut-Oubangui au grand Nil était enfin dressée. » 1 I l eût été certainement possible d'occuper la Meschra à ce moment. Mais, pendant l'absence de Baratier, le bruit courut, très inquiétant pour les Français, de l'arrivée dans l'est du Bahr el Ghazal, à Ayak, d'une « forte expédition européenne ». La nouvelle avait été apportée en février à Mangin, au poste de Fort Desaix, par des Dinka. Ayak se trouvait au centre d'un groupe Dinka important, celui des Agar. L a nouvelle parut vraisemblable à Marchand qui pensa immédiatement à une pénétration de l'expédition belge de Chaltin installé depuis février 1897 à Redjaf. La Mission du Nil ne comptait alors, avec les apports d u Haut-Oubangui, que 15 E u r o p é e n s 2 , 225 tirailleurs y compris toutes les garnisons des postes, 20 tirailleurs auxiliaires du Bahr el Ghazal et 80 bazingueurs fournis p a r le S u l t a n 3 . M a r c h a n d décida de s'opposer aux Belges avec ces faibles forces : « Il ne pouvait plus être question en face d'une pareille menace qui mettait en suspens l'avenir de l'occupation française dans le Bahr el Ghazal, de lancer vers le Nil et F a c h o d a l'avant-garde de la Mission. » 4 C e f u t aussitôt un grand branle-bas. Tandis q u e Marchand s'installait avec une petite réserve à Fort Desaix, il envoyait Mangin et Germain à Roumbek, un ancien poste égyptien, et Gouly à M'Bia, afin de couper la route aux rivaux dans la province d'Equatoria. Mangin et Germain
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 37. 2. Le personnel de la Mission, le lieutenant Gouly, le mécanicien Souyri venu de la flottille du Haut-Oubangui, le sergent Chinkirch de la relève du Haut-Oubangui. 3. Ibid., fol. 32. Le Sultan en question est Tamboura. 4. Ibid., fol. 28.
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firent leur jonction à Djour Ghattas et marchèrent avec une soixantaine de tirailleurs sur Rumbek. Gouly atteignit de son côté M'Bia sur le « Roah » (Rohl) le 6 mars 1898. Il apprit alors que l'occupation d'Ayak était un faux bruit. Les mouvements d'une colonne européenne se produisaient beaucoup plus au sud, du côté de Lado et de Redjaf. Il s'agissait des derniers épisodes de la lutte entre les Derviches et les Congolais autour de Redjaf : en 1897, après avoir battu le général mahdiste, Arabi D a f a Allah, Chaltin s'était enfermé dans la forteresse ; mais la situation était restée indécise et les renforts commandés par le commandant Henry avaient été dirigés sur Redjaf pour soutenir Chaltin Ce sont ces mouvements qui avaient été rapportés, considérablement grossis, aux Français. Cette fausse alerte immobilisa cependant la Mission plusieurs semaines. A u moment où la situation s'éclaircit, un événement accidentel empêcha à nouveau la « marche en avant » : le 12 mars 1898, épuisé, le lieutenant Gouly mourut à M'Bia. La nouvelle de sa maladie était parvenue à Marchand quelques jours plus tôt et il s'était porté au secours de son camarade 2 . Il arriva le 5 avril à M'Bia où u n sergent sénégalais et quelques tirailleurs assuraient la garde du corps. Mais il ne rallia pas Fort Desaix immédiatement. Il voulut s'assurer d'abord que « la convention franco-congolaise du 14 août 1894 n'avait pas été violée » 3 . Il suivit une route parallèle à celle d'Emin Pacha en 1881, et arriva « à 5 journées de marche de la frontière de l'enclave de Lado par la grande route d'Amadi et à cinq journées de Redjaf s>4. L'explorateur l'emporta alors un moment sur le chef de Mission chez Marchand ; il décida de rejoindre le Soueh en coupant « à travers la grande steppe inhabitée des plateaux du 6* degré de latitude nord ». Les Bongo, qui croyaient la région hantée par « les génies ténébreux et méchants de la forêt rouge », refusèrent de l'accompagner. Il partit avec vingt-cinq tirailleurs et pour tout guide un « vague itinéraire de Piagga » non relevé sur les cartes. Il rejoignit Kodjalé le 26 avril r \ La Mission du Nil piétinait toujours dans le Bahr el Ghazal. Pourtant Marchand paraît, dans son rapport, fort soucieux de montrer qu'il n'a pas perdu son temps. Il savait qu'en 1897 le gouvernement s'inquiétait. A la fin de juin 1897, Lebon avait télégraphié à Libreville de presser Marchand « d'activer sa marche sur le Nil pour opérer sa jonction avec Clochette qui continue à avancer vers la rive droite » Lorsque la dépêche rejoignit Marchand, au Soueh, en octobre 7 , u n rapport de Liotard était déjà en route pour la France annonçant l'arrivée de la Mission à Fort
1. Cf. R.O. COLLINS, The Southern Sudan, 1883-1898, ch. V. 2. Germain fut d'abord désigné par Marchand ; atteint d'une troisième bilieuse hématurique, il ne put se rendre à M'Bia. 3. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 41. 4. Ibid., fol. 40. 5. Ibid., fol. 47. 6. S.O.M., M44, Ministre des Colonies à Commissaire du Gouvernement à Libreville, Paris, 30 juin 1897. 7. S.O.M., Afr. m , 32a, Marchand à Liotard, Fort Hossinger, 3 nov. 1897.
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H o s s i n g e r L a concentration de l'expédition à Tamboura fut confirmée à Paris le 30 décembre 1897 2 . Marchand insiste aussi sur les bonnes relations établies avec les peuples du Bahr el Ghazal. Il répondait ainsi aux vœux du gouvernement. Au début de 1898, Lebon rappelait en effet à Liotard et Marchand qu'il était « nécessaire de conclure traités avec les chefs de toutes les populations de l'intérieur avec lesquelles [ils étaient] en contact., en vue des revendications ultérieures »... et qu'il était « de toute première importance que les limites indiquées par ces traités se correspondent et ne laissent entre eux aucune solution de continuité dans le territoire du Bahr el Ghazal et rive gauche du Nil » 3 . 2. L'occupation du Bahr el Ghazal. ¡Lorsque la Mission entra dans le Bahr el Ghazal, elle en connaissait très mal la situation ; ses renseignements étaient surtout empruntés à Schweinfurth et Jûnker. Liotard n'avait lui-même que des informations de seconde main. Germain, resté en arrière en juin 1898, s'efforça de regrouper l'essentiel des nouvelles connaissances dans une note destinée à son successeur dans le Bahr el Ghazal 4 . De son côté, Marchand fournit aussi des renseignements intéressants, bien que surprenants, dans son rapport au ministre. Ainsi, Germain et Marchand distinguent quatre grands groupes humains en 1898 : tout à fait au nord, les Nouer, « exclusivement ichtyophages » 5 , dans lesquels Marchand voit une vague d'immigrants venus « buter » contre le puissant groupement Chillouk ; tout à fait au sud les Zandé, dernière vague d'immigrants et de conquérants « arrêtée sur les hauteurs de roches ferrugineuses formant... la crête du « Pays des Rivières... et des deux versants du Nil et du Congo », entre, la vague Dinka et les peuples « refoulés » : Bongo, Ndogo, Djour, Golo. Le groupe des pasteurs Dinka ou Djingué, est alors le groupe dominant du Bahr el Ghazal 8 . Il y occupe les régions à « prairies » depuis le 1. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61a, Liotard à Lebon, Dem Ziber, 15 juin 1897. Il faut relever une remarque de ce rapport. Liotard estime « qu'en attendant qu'elle [la Mission] parvienne à Fachoda, l'occupation de Ghattas et de Koutchouk-Ali, reliée à celle de Ziber, nous assurera la propriété du Bahr el Ghazal tout en entier et si les forces anglo-égyptiennes s'emparaient du Nil dans un bref délai, nous aurions au moins notre débouché sur le grand fleuve égyptien ». Ceci semble renforcer notre opinion selon laquelle Liotard « ne croyait pas à Fachoda ». 2. Ibid., 51b, Télégramme du Commissaire du Gouvernement à Libreville, 30 déc. 1897. 3. A.N., 99 AP2, Lebon à Lamothe, Paris, 8 janv. 1898. 4. A.N., 99 AP2, Le capitaine Germain au lieutenant Jacques, Fort Desaix, juil. 1898. 5. S.O.M., M43, Rapport Marchand., II fol. 22. Cette notation est très surprenante et traduit une fois de plus chez Marchand une observation superficielle. Les Nouer, comme les Dinka, ont toujours été des éleveurs de bétail au premier chef : cf. E . E . EVANS-PRITCHARD, Les Nuer, ch. I, pp. 33-70 : « Des amateurs de bétail ». 6. Marchand et Germain assimilent Djingué et Dinka. La domination des Dinka est une autre notation surprenante puisque, selon M. Evans-Pritchard, ils ont subi les contrecoups d'une expansion Nouer qui remonterait au milieu du siècle dernier. Deux facteurs tendent à faire croire à une nouvelle confusion de Marchand : d'une part, les liens noués par la Mission concernèrent essentiellement des gens du sud-ouest du Bahr el Ghazal; d'autre part, les caractéristiques culturelles et politiques des Nouer et des Dinka sont identiques. Cf. EVANSPRITCHARD, op. cit., pp. 150-155.
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Bahr el Homr au nord jusqu'à la bordure de la cuvette marécageuse au sud, le Rohl à l'est et au sud-est. Il a gardé son organisation de tribus confédérées. Les chefs les plus importants sont alors Ahmet « Sultan » de la rive gauche du Bas-Soueh, Makoatch t le plus voisin au nord de Fort Desaix », Yoll et Mayar dans la même région, Ako dit Yar et Dahal dans la région de Djour Ghattas, et sur le Tondj, Atektek chef des Méloual au nord-est du Bahr et Ghazal entre Pongo et Kourou 1 . Mais la tribu la plus redoutable était celle des Dinka Agar de la région d'Ayak. Guerriers farouches, les Agar avaient beaucoup contribué à la chute des Egyptiens et avaient été travaillés par des émissaires mahdistes : en 1883, les Agar avaient mis à sac Rumbek et massacré sa garnison 2 . En 1897 il ne reste plus aucune trace de l'occupation des « Turcs ». Les anciennes zéribas et postes égyptiens, Wau (Zériba Agad), Koutchouk-Ali, Djour-Ghattas, Biselli, Rumbek, Ayak... établies sur les rivières qui convergent vers les herbes, Djour Soueh, Tondj, Méridi, Rohl, ont disparu. Marchand dut renoncer à installer son quartier-général à Djour Ghattas ou Koutchouk Ali : « A cette époque, les zéribas n'existaient plus que dans le souvenir des indigènes qui y avaient été emmagasinés ; treize ans, douze hivernages avaient passé sur leurs ruines accumulées par la fureur, destruction des Djingués [Dinka] révoltés contre leurs oppresseurs et avaient fait disparaître jusqu'à l'emplacement recouvert par le vert manteau des végétations tropicales. » 3 A l'hégémonie égyptienne dans la vallée du Soueh a succédé l'hégémonie Dinka. Les Dinka ont, en effet, constitué le seul groupe capable de résister aux Arabes au nord et nord-est ainsi qu'aux Zandé du sud. Les autres populations du « Pays des Rivières » avaient dû accepter leur protection. Ce sont les Bongo, les N'Dogo, une partie des Bellanda (l'autre étant sous la suzeraineté de Tamboura), et même les Djour, « cousins » des Dinka. A l'arrivée des Français ces populations étaient en pleine décadence. Les Djour du Soueh, parents pauvres des Dinka, étaient des cultivateurs et éleveurs de moutons. Anciens auxiliaires des Egyptiens, qui les enrôlèrent volontiers comme soldats, ils avaient dû ensuite se soumettre aux Dinka. Ils étaient, en 1898, les meilleurs « introducteurs » auprès de leurs maîtres Dinka : c'est un chef Djour du nord Fort Desaix, Kangui — « un bon colosse », selon Baratier — qui conduisit Marchand chez Ahmet 4 . Bongo, N'Dogo, Golo, Belanda, Biri constituaient « les vestiges de races puissantes aujourd'hui éteintes » : Marchand les estime « à peine à quelque
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 27. 2. Cf. R. G R A Y , A History of the Southern Sudan, 1839-1889, p. 158. M. Gray dans son remarquable ouvrage signale l'apparition à cette époque de « prophètes Dinka ». 3. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 9. Du temps de Jûnker, Djour Ghattas était la plus importante zériba du Bahr el Ghazal ( J Û N K E R , op. cit., II, p. 468); Wau, dont Gessi Pacha voulait faire la station principale de la province, avait été reconstruite près du Soueh (ibid., I, p. 478, et II p. 108) mais Koutchouk Ali, construction modèle à l'époque de Schweinfurth, était déjà en ruine {ibid., I, p. 474). 4. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 25.
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cinq ou six mille individus » 1 . Installés en groupes disloqués, depuis le D a r Fertit jusqu'aux terres de Tamboura, ces agriculteurs menaient une vie instable et misérable, en particulier les Bongo. Ceux-ci, « tous captifs », •servaient de « tampon aux autres peuples » entre le Soueh et le Tondj, dans la région de W a u 2 . E n 1898, M a r c h a n d décrit leur décadence : « Symptôme curieux, ces indigènes ont le pressentiment de leur destinée et de l'inutilité de l'effort pour l'éviter; j'ai entendu plusieurs fois les vieillards et même les jeunes hommes me dire 'qu'avant-derniers rejetons de la vieille souche, ils n'auront pas de petits enfants...' J'ai donné à cette vaste contrée le nom mérité de 'Pays des Tombeaux'. Je l'ai traversée trois fois dans plusieurs directions et j'ai compté bien plus de tombes que d'hommes vivants. » 3 Pourtant ces Bongo avaient connu une relative prospérité du temps des Egyptiens. Cultivateurs remarquables (Marchand parle du Bongo « sobre et dur à la fatigue »), ils avaient fait vivre les zériba et peuplé abondamment le pays ; Schweinfurth avait évalué à 100 000 le nombre des Bongo du Bahr el Ghazal — chiffre exagéré mais traduisant cependant une impression significative 4 . Les N'Dogo et les Golo, que les Egyptiens enrôlèrent aussi dans leurs troupes, étaient en pleine décadence. Les N ' D o g o 8 avaient habité jadis la région entre Pongo et Biri, puis celle de D e m Ziber pendant l'occupation égyptienne. E n 1898, ils disaient encore leur nostalgie de cet ancien habitat Les Golo venaient, eux, de la haute P o n g o 7 . A l'arrivée des Egyptiens, une partie d'entre eux était restée autour de D e m Békir, une autre, sous la direction d'un chef encore vivant en 1898, Kaïongo (Kayonga), avait marché vers le Soueh. A u contact des Egyptiens qu'ils servaient, Golo et N ' D o g o avaient adopté certains de leurs usages, surtout vestimentaires, et la langue « turque » comme second idiome, selon Germain. Kaïongo f u t aussi le premier chef du Bahr el Ghazal qui, à l'instigation de Gessi, lança son peuple dans la culture du coton et la récolte du caoutchouc 8 . L a révolte mahdiste f u t pour ces groupes une catastrophe. Ils furent dispersés et durent chercher la protection des Dinka contre les Z a n d é au sud et les Derviches au nord. Comme eux « d'autres petits peuples en voie de dislocation » les Baré (Biri) et les Bellanda, se réfugièrent dans la région du Soueh et durent accepter la suzeraineté des Dinka ou des Z a n d é 9 . Mais à l'arrivée des Français, tous ces groupes asservis n'attendaient qu'une occasion pour se débarrasser de l'encombrante protection de leurs maîtres.
1. Ibid., fol. 18 et 15. Sur ces populations voir P. S. SANTANDREA, A Tribal History of the Western Bahr el Ghazal. 2. A.N., 99 AP2, Germain à Jacques, Fort Desaix, juil. 1898. 3. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 21. 4. SCHWEINFURTH, op. cit., II, p. 361. Schweinfurth donne aussi pour les Djour le chiffre de 10 000; pour les Golo 6 000, pour les Kreish 2 000, pour les « Mittous-Mahdis-Loubas » (Equatoria) 30 000. 5. Cf. SANTANDREA, op. cit., pp. 83-91.
6. A.N., 99 AP2, Germain à Jacques, Fort Desaix, juil. 1898. 7. Cf. SANTANDREA, op. cit., pp. 72-82. 8 . C f . G R A Y , op.
cit.,
p.
130.
9. A.N., 99 AP2, Germain à Jacques, Fort Desaix, juil. 1898.
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M a r c h a n d s'en aperçut très vite grâce aux premiers contacts noués Mangin avec les Golo et N ' D o g o , à Fort Desaix :
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« Déjà des relations avaient été ébauchées avec ces poussières de peuples par les soins du capitaine Mangin; elles avaient montré que ces petites colonies agricoles et industrielles pliant sous le poids de la tyrannie des Djingués... étaient beaucoup plus aptes à l'assimilation blanche que les multitudes sauvages et inorganisées qui les dominaient. » 1 Dès lors M a r c h a n d fixa c o m m e objectif à la politique française dans le Bahr el Ghazal : « nous attacher ces petites mais intelligentes et industrieuses colonies en les soustrayant à la lourde suzeraineté des D i n k a sans toutefois inspirer de trop vives alarmes à ces derniers. » 2 Golo, N ' D o g o , Bellanda... répondirent assez rapidement aux invites des Français. Ils approvisionnèrent a b o n d a m m e n t les postes en vivres et maind'œuvre. Dès son arrivée à Fort Desaix, M a n g i n reçut 7 600 « rations » et 142 moutons : en avril, le poste avait acheté près de 11 000 « rations » et 1 100 m o u t o n s 3 . Ces achats étaient faits en perles blanches et Mangin notait à ce propos que « les perles bleues ont ici le m ê m e insuccès que les perles noires à Z é m i o et à T a m b o u r a » 4 . Afin de donner un tour plus solennel à cette collaboration, à la transformer en alliance, Marchand entreprit en février 1898 une tournée en pays Golo et N'Dogo, au nord-ouest du Soueh. Il rencontra les deux chefs principaux autour desquels étaient réunis des notables : Kaïongo, chef G o l o et Limbo, chef N ' D o g o 5 . Il f u t considérablement impressionné p a r ce dernier : « Limbo est une figure. De manières affables, gestes rares, langage mesuré au débit lent qui rappelle la manière turque, employant la plus forte partie de son temps à regarder et à réfléchir, il ne se fait aucune illusion sur la disparition prochaine de sa race à moins d'un miracle dont il rêve peut-être; mais à la tête de 100 à 150 guerriers... il tient haut la tête et sait en imposer aux Djingués, ses voisins pour lesquels il professe un souverain mépris tout en gardant la suprême sagesse de ne pas le leur montrer trop ostensiblement. » Son amitié f u t vite acquise : « Limbo, estimait M a r c h a n d , sera toujours un auxiliaire dévoué de l'action française en A f r i q u e Centrale. » 6 Mais p o u r obtenir cette collaboration, M a r c h a n d avait d û vaincre bien des appréhensions et bien des réticences d u côté des Z a n d é et des Dinka. Les Z a n d é ne renoncèrent pas facilement à abandonner u n territoire de razzia qu'ils venaient juste de parcourir. E n effet, lorsque la Mission arriva dans le Bahr el Ghazal, une grande expédition dirigée par le f r è r e d e T a m b o u r a , Gadi, venait de se terminer. Elle avait en partie échoué car, le premier m o m e n t d e terreur passé, N'Dogo, Golo et Djour avaient rassemblé leurs
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 15. 2. Ibid., fol. 16. 3. S.O.M., Afr. III, 32a, « Journal du détachement d'occupation de Fort Desaix ». 4. A.N., 149 AP3, Mangin à Marchand, 27 avr. 1898. 5. En comparant aux informations données par P.S. S a n t a n d r e a (op. cit., pp. 90-91) il s'agit ici du chef Maya-Lingbo (transcrit Limbo), né vers 1850. 6. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 17.
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maigres forces et appelé à l'aide leurs < patrons » Dinka Mais les Zandé étaient rentrés avec des vivres, du bétail et des prisonniers ; parmi les otages, des parents des chefs razziés, surtout la fille d'un chef Djour du nord de Fort Desaix nommé Magod et le frère de Limbo 2 . Dès la fin de novembre 1897 Mangin avait reçu les doléances des victimes au « poste des Rapides ». Doléances d'ailleurs peu rassurantes : la délégation composée de chefs Djour, dont Magod, et d'envoyés des chefs Dinka, Ayoum et Makoatch, demanda aux Français s'ils voulaient « la paix ou la guerrecar du côté de Tamboura, il ne nous est jamais venu que la guerre ». La présence de bazingueurs du Sultan auprès des Français et d'un chef qui avait participé à l'expédition zandé de 1897, Wandou, n'était pas pour rassurer : l'arrivée de Wandou provoqua un « silence glacial » lors de la seconde entrevue qu'eut Mangin avec les adversaires des Z a n d é 3 . Cette entrevue eut lieu le 6 décembre. Mangin y rencontra, cette fois, de grands chefs Dinka, comme Ayoum « un grand vieillard décharné, très raide », Mayar « plus franc, moins quémandeur », Yoll père de Makoatch, « trop vieux », « très effrayé » 4 . Pour obtenir la confiance des Golo, N'Dogo, Djour, et la neutralité des Dinka, Marchand risqua donc une brouille avec Tamboura. Il refusa « l'appui » des contingents de bazingueurs que le Sultan avait voulu envoyer à Wau, écarta Wandou, et en décembre 1897 réclama à Tamboura les prisonniers. L'otage Djour pouvait être récupéré sans trop de heurts, mais non l'otage N'Dogo car « Tamboura considérait] tous les N'Dogo comme ses captifs, le traité signé par Liotard lui [donnant] la suzeraineté de ces peuples jusqu'à la rivière Bongo » (Pongo) 5 . Le Sultan Zandé finit cependant par s'incliner, convaincu, selon Baratier, par les cadeaux remis au nom de la France et par l'intervention personnelle de Zémio 6 . Le problème Zandé provisoirement résolu, les Français restèrent aux prises avec le problème Dinka. Les Dinka n'avaient pas caché leur méfiance envers les nouveaux arrivés ; ils les prenaient pour des « Turcs » venus rétablir leur hégémonie. La protection des petits groupes par les Français risquait, en outre, de les irriter. Mangin le constatait à la fin de décembre 1898 : « La seule source de difficultés à prévoir réside dans les relations des Dinkas avec leurs anciens vassaux, Djours, Golos, Ndogos, Bellandas, Bongos, Barés, qui, n'ayant plus besoin
1. Cf. SANTANDREA, op. cit., p. 67 : le raid eut lieu pendant la saison humide et les Français arrivèrent juste à la fin de cette saison d'après la tradition. 2. Cf. BARATIER, op. cit., II, pp. 88-90. Lorsqu'en novembre 1897, Mangin remonta le Soueh vers Wau, les habitants s'enfuirent croyant à la venue d'une nouvelle expédition de Tamboura (ibid., p. 86). 3. S.O.M., Afr. III, 32a, « Journal de marche du détachement de Fort Desaix ». 4. Ibid. 5 . BARATIER, op.
cit.,
II, p. 90.
6. Zémio écrivit à Tamboura pour le persuader d'accepter les demandes des Français. Nous n'avons pu déterminer exactement la nature du cadeau officiel : cependant les cadeaux faits à Zémio et Rafaï ne devaient guère être très différents.
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de protection contre les pillages des Zandés, sont prêts à rompre tout lien avec les Dinkas... Yoll, frère de Makoatch, et qui remplace effectivement ce vieillard important, est venu se plaindre de Limbo, qui, dit-il, ne donne plus rien aux Dinkas depuis l'arrivée des Blancs et veut leur faire la guerre. Yoll demandait l'autorisation de prendre les devants... Limbo..., de son côté, prétend qu'il n'a jamais payé tribut aux Dinkas, que seuls les Bongos établis près de lui subissaient leurs exactions. Vers le sud-est, le chef Bellanda Occo est dans une situation analogue... Soumis à Dahal, chef d'une fraction de la tribu Dinka des Turcs, il a quitté ces derniers à la suite d'un impôt trop fort sur le prix de moutons vendus au Fort Hossinger... Deux de ses envoyés [sont] venus le 18 décembre demander notre protection... » 1 Cependant la politique française fut facilitée par les divergences d'intérêts des tribus Dinka : « Les difficultés ne seront que toutes locales, constatait Mangin ; elles n'intéressent que les tribus Dinka du sud et de l'ouest sans que le contrecoup puisse alarmer la grosse masse passive du peuple. » 2 De plus les Français engagèrent leurs nouveaux clients, surtout Limbo, à adopter une attitude conciliante. Les Dinka, une fois assurés que les Français n'étaient pas des « Turcs », acceptèrent d'entrer en contact avec eux. A la fin de 1897, Mangin recevait à Fort Desaix des envoyés des chefs Djour et Dinka installés au nord du poste et signalait « les bonnes relations » entretenues avec les chefs de l'ouest, Ayoum et Mayar. En février 1898, Marchand décida de donner à ces contacts un tour solennel en entreprenant une tournée de visites aux chefs du nord comme il venait de le faire chez les Golo et N'Dogo. Guidé par le chef Djour, Kangui, il arriva le 11 février chez le « Sultan » Ahmet, « un des chefs les plus importants de la rive gauche du Soueh » : «Je trouvai chez Ahmet, rapporte-il, les représentants de plusieurs grandes tribus Dinkas du nord, outre les Agouotes et les Alouals et je pus leur répéter moi-même les paroles de paix et d'amitié que leur avait déjà fait entendre le capitaine Mangin à Fort Desaix. Il devait s'écouler encore bien des mois avant qu'elles fussent comprises et portées jusqu'aux extrémités de la vaste étendue du territoire habité par ces méfiantes et sauvages populations. » 3 i (Les relations entre la Mission et les Dinka restèrent donc, au mieux, « neutres ». Ces « sauvages populations » ne paraissent avoir cherché le contact des « Faranze » (nom local donné aux Français) que poussées par le désir de connaître les intentions de ces Blancs venus du sud. Toutefois certains groupes Dinka, au nord-ouest du Bahr el Ghazal, recherchèrent le protectorat de la France : ainsi le chef Atektek qui, d'après Liotard, demanda la protection du poste de Dem Ziber en février 1898. La crainte d'un retour mahdiste joua sans doute mais le motif invoqué fut le désir « de ne pas se ranger » sous l'autorité des Anglais 4 . Le cas d'Atektek
1. A.N., 149 AP3, « Situation politique de la région du Bahr el Ghazal », rapport Mangin à Fort Desaix, 31 déc. 1897. 2. Ibid. 3. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 27. 4. S.O.M., Gabon-Congo, I, 61a, Liotard à Lebon, Mobaye, 17 fév. 1898 : « Atektek
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semble malgré tout exceptionnel et lié à la position prise par son voisin N a c e u r Andel ^ Ailleurs les Dinka se contentèrent seulement de rapports de coexistence et à l'occasion adoptèrent m ê m e une attitude franchement hostile. E n mars 1898, lorsque Mangin alla occuper D j o u r Ghattas sur ordre de Marchand, inquiet de la menace belge au sud-est du Bahr el Ghazal, 1 500 Dinka se rassemblèrent : « Cette situation fut des plus délicates et faillit amener un sanglant conflit avec les contingents des chefs Djengués Ako dit Yar et surtout Dahal, notre irréconciliable adversaire, rassemblés dans la nuit du 23-24 février sur l'emplacement de l'ancien poste égyptien. Un combat à ce moment aurait eu pour conséquence probable le soulèvement des tribus entre Tondj et Soueh et peut-être l'impossibilité de nous maintenir à Fort Desaix. » a L e combat fut évité de justesse. Cette alerte montre bien l'hostilité des Dinka à toute installation étrangère dans leurs territoires de la rive droite du Soueh. Marchand faillit lui-même en être victime en avril lorsqu'il décida d'explorer la région entre M'Bia et Ayak en territoire Agar ; une troupe de « cinq cents guerriers à la massue de bois » se rassembla en avant d'Ayak pour lui barrer le chemin. Cependant, devant l'armement des tirailleurs, les Dinka s'enfuirent et abandonnèrent leurs chefs dont les deux plus influents vinrent présenter l'assurance de leur dévouement et leur vif désir de voir les Français — « dont la modération était bien connue partout » — relever la zériba commerciale d ' A y a k 3 . Marchand leur remit alors des pavillons et u n traité conformément aux instructions de Paris. E n définitive, malgré quelques succès plus apparents que réels du côté Dinka, seules les populations vassalisées d u sud-ouest avaient réellement accepté la présence des Français lorsque la Mission quitta le Bahr el Ghazal ; les Anglais auront beau jeu d'affirmer que leurs adversaires n'occupaient pas vraiment le pays puisque les postes créés par la Mission du Nil et repris par le Haut-Oubangui se trouvaient le long du Soueh, au sud-ouest du Bahr el Ghazal. L a Mission Roulet qui devait réaliser une véritable occupation n'arriva à Fort Hossinger que le 5 août 1898. Le « Pays des Rivières » f u t alors divisé en trois « cercles » : Soueh, chef-lieu Tamboura, Bahr el Ghazal, chef-lieu Djour Ghattas, Rhol, chef-lieu A y a k 4 ; mais Roulet avoue que les deux derniers cercles sont « théoriques » en 1898. L'occupation effective de l'est du Bahr el Ghazal ne f u t entreprise, par Roulet .et Cureau qui a succédé à Liotard, qu'à la fin de 1898 et au début vient d'envoyer à la Moudéria son frère Kwel qui a fait écrire en son nom, par l'interprète du poste, la lettre suivante adressée à M. Valdenaire. Après les saluts : 'Nous avons appris que les Anglais voulaient prendre le Bahr el Ghazal et comme nous ne voulons pas nous ranger sous leur autorité, attendu que nous sommes liés avec les Français d'une grande amitié, nous venons vous demander d'écrire à M. le Commissaire du Gouvernement que nous désirons placer notre sol sous votre protection... Si vous étiez attaqués, nous vous porterions secours. Cette demande est faite par nous librement; personne ne nous a forcés.' Kwel, frère d'Atektek, Bag, chef Dinka, Kadré, chef Bolo, ont apposé des croix au bas de cette lettre. » 1. Ibid. : « Presque en même temps, Naceur Andel demandait des pavillons pour mettre dans ses villages car il désire, dit-il, faire alliance offensive et défensive avec les Français. » 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 40. 3. Ibid. 4. Cf. PALUEL-MARMONT, op. cit., et A. DE TONQUEDEC, AU pays des
Rivières.
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de 1899. La question de Fachoda était alors réglée et lorsque Roulet entreprit son raid vers Gaba Shambé en mars 1899, la délimitation des frontières d u Haut-Oubangui et du Soudan anglo-égyptien était fixée à Paris. C'est pourtant à ce moment que les chefs « Djingués » acceptèrent une série de traités de protectorat que leur proposa Roulet. Il était trop tard ; le 18 juin 1899, il était averti qu'il devait préparer l'évacuation. En outre, dans la partie d u Bahr el Ghazal réellement occupée en 1898, les postes français de D e m Ziber (baptisé Fort Dupleix) et Fort Desaix étaient devenus concurrents. Depuis 1897, Liotard et Valdenaire, chef d u poste de Dem Ziber, en avaient fait u n centre d'attraction humaine. Or les gens du Soueh étaient pour la plupart des réfugiés, originaires de la région de l'ancienne zériba. En les libérant de leurs anciens maîtres et des anciens dangers, Marchand permit leur émigration de la région du Soueh. Les Kreish soumis à Naceur Andel et au Fégui A h m e d dans le D a r Fertit et le M a n gayat, furent les premiers à répondre à l'appel. E n 1898 les N ' D o g o et Golo furent aussi touchés ; Marchand surprit, en mars, des inconnus qui incitaient les sujets de Limbo à gagner D e m Ziber et signala à Valdenaire que « près de soixante individus dont vingt et un de chez Limbo » venaient de se sauver chez lui Marchand semblait craindre l'exode des populations qui faisaient vivre les postes du bas-Soueh. On devine aussi une nouvelle divergence de points de vue avec son chef, Victor Liotard, lorsqu'il écrit : « En fixant le Pongo comme frontière entre les régions du Dar Fertit et du Soueh a-t-il [Liotard] entendu ne laisser à Fort Desaix que la terre... en lui enlevant tous ses habitants? Ce serait un formidable bluff et une désastreuse mesure au point de vue français parce que nous n'aurions plus qu'à nous sauver bientôt et abandonner notre action... il faut jouer cartes sur table, le Haut-Oubangui et la Mission du Nil ne sont pas des organes rivaux mais les instruments d'une action unie. » 1 On pourrait donc se demander si le séjour de M a r c h a n d dans le Bahr el Ghazal n'infléchit pas sa ligne de conduite, si la tentation de créer un nouveau protectorat ne l'emporta pas sur le désir d'aller à Fachoda en novembre 1897 : « Je suis en ce moment en contact avec les Dinkas, écrivait-il à Terrier; si je les gagne à notre cause, s'ils acceptent le pavillon et je l'espère bien, c'est le succès certain, j'entends l'établissement de la France assuré, inébranlable au Nil. Vous savez qu'ils sont 4 à 5 millions. Les Anglais peuvent faire leur deuil du grand projet, ce sera fini, à jamais pour eux. » 3 E n fait, il s'agit ici surtout de l'optimisme d'un chef de mission, sûr de ses arrières. Le 4 juin 1898, M a r c h a n d s'embarquait pour Fachoda ; le 22 juin, Faivre, Potter et les Ethiopiens manquaient le rendez-vous avec la Mission Congo-Nil ; le 25 juin le ministère Méline tombait, Delcassé et Trouillot
1. Papiers Liotard, Marchand à Valdenaire, s.d. 2. Ibid. 3. Bibliothèque de l'Institut, Fonds Terrier, 5904, Marchand à Terrier, Camp du Soueh, 25 nov. 1897, reçue le 25 mai 1898.
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remplaçaient Hanotaux et Lebon dans le nouveau ministère Brisson 1 . On peut tenter alors de faire le p o i n t La Mission avait pris un retard considérable sur le calendrier prévu en janvier 1897. Mais la « course au Nil » n'était pas jouée du t o u t ; Kitchener aussi avait été retenu par l'attente de la crue venue du sud pour atteindre Khartoum en amont de la sixième cataracte. De plus, s'il avait vaincu une grande armée derviche commandée par le général Osman Digna et l'émir Mahmoud à l'Atbara, le 8 avril 1898, il lui fallait encore en découdre avec le gros des forces du Mahdi décidé à défendre Khartoum. D u côté anglais on savait depuis quelques mois que les Français approchaient du but. Certes, en décembre 1897, le bruit d'un désastre de la Mission du Nil s'était répandu en Europe. Il circula d'abord parmi les agents de l'Etat Indépendant qui rapportèrent que la Mission avait dû livrer combat au-delà de Z é m i o 2 . Puis, le 9 décembre, l'ambassadeur de France à Bruxelles, Montholon, avertit Hanotaux d'un massacre de la Mission à la f i n de septembre 1897 3 . L e lendemain « l'information » f u t publiée par Wauters dans Le Mouvement Géographique et immédiatement colportée par la presse britannique et française. On y vit une manœuvre destinée à obliger le gouvernement français à fournir des renseignements. Manœuvre habile car u n e catastrophe était vraisemblable : en juillet 1897 le désastre de la Mission Dhanis avait été annoncé en E u r o p e 4 . Les journaux qui s'étaient plaints justement du mystère dont le gouvernement français entourait la Mission M a r c h a n d 6 prirent, en décembre, la nouvelle du Mouvement Géographique au sérieux. On interrogea en vain Brazza à Alger 6 . On vit apparaître d'extravagants projets de sauvetage de la Mission comme celui de cet employé des postes à Marseille qui proposa de rechercher l'expédition en b a l l o n ' . L a presse demanda des précisions officielles. Dès janvier, on put couper court aux gloses 8 . Mais le gouvernement ne put éviter la multiplication des informations sur la Mission du Nil. L'occupation de Dem Ziber et le passage à travers les Sultanats furent commentés en particulier dans le Bulletin du Comité de l'Afrique Française9, dans la Revue Hebdomadaire
1. A. Lebon battu aux élections d'avril 1898 dans sa circonscription vendéenne laissa les Colonies à Hanotaux. Mais celui-ci ne put en profiter qu'un peu plus d'un mois. 2. S.O.M., M44, Télégramme de Lamothe à Lebon, Libreville, 23 nov. 1897. 3. S.O.M., Afr. III, 32a, Montholon à Hanotaux, Bruxelles, 9 déc. 1897. Van Eetvelde s'engagea alors à renseigner l'ambassade française. La « nouvelle », connue à Brazzaville dès novembre, avait été apportée par des agents belges venus d'amont : « On dit que la Mission Marchand a été anéantie par les Arabes, écrit Augouard le 2 novembre, 13 Blancs auraient été tués. » (Cf. Mgr Augouard, op. cit, p. 205.) 4. Cf. La Patrie, 16 juil. 1897. 5. Cf. Le Figaro 7 juin 1897, La Dépêche Coloniale 24 juin, Le Temps, Le Gaulois 25 juin 6. La Dépêche Tunisienne, 15 déc. 1897). 7. S.O.M., Afr. III, 32c, « Projet Marcillac, 7 février 1898 ». Lebon se pencha sur ce projet et demanda des renseignements sur l'auteur. En mai 1898, Marcillac finit cependant par retirer son projet « avec une amertume profonde ». 8. Le ministère reçut le 30 décembre 1897 un télégramme de Lamothe qui annonçait la concentration de la Mission à Tamboura (S.O.M., Gabon-Congo, I, 51b, Lamothe à Lebon, Libreville, 30 déc. 1897). 9. B.C.A.F., janv. 1898, pp. 2-5, « Notre action dans le M'Bomou », et fév. 1898, pp. 4445.
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où écrivait u n ami de Marchand, Emile Cère et dans les Questions Diplomatiques et Coloniales sous la signature de Paul Bourdarie ; ce dernier estimait, en février 1898, que la jonction entre Marchand et Bonchamps était effectuée 2 . Plus réaliste, La Dépêche Coloniale annonça, en mars, la concentration sur le S o u e h 3 . E n m ê m e temps des lettres de Dyé, de Liotard et de Marchand f u i e n t publiées, ce qui entraîna un vif rappel à l'ordre de la part des ministres *. On ne pouvait donc plus rien ignorer des buts c o m m e de la progression de la Mission, et au début de 1898, le Times admit que les Français pouvaient arriver les premiers à F a c h o d a 6 . Cependant, si l'on envisageait en Grande-Bretagne une victoire possible de la France dans la « course au Nil », on se refusait plus que jamais à lui reconnaître tout droit d'occupation au Soudan : pour les Anglais, il n'y avait aucune mesure entre la Mission Marchand, « poignée de Blancs avec une paire de vapeurs joujoux », et la puissante armée d'occupation que les Anglo-Egyptiens dirigeaient sur K h a r t o u m 6 . E n définitive, l'efficacité de la « résistance » d'Hanotaux dans la question d'Egypte et du Soudan paraît donc bien mince. Son entêtement, loin d'empêcher la marche en avant de Kitchener, l'accéléra et la renforça. Dès 1897, l'expédition sur Khartoum est préparée. La construction du chemin de fer de Wadi H a l f a à Abu Hamed et de là jusqu'à Berber contribua, à ce moment, à retarder l'assaut final. Kitchener en profita pour renforcer son expédition; en 1898 il commandait un corps de 25 000 hommes, dont 8 000 Britanniques, et disposait d'un armement puissant et moderne (on connaît les ravages des mitrailleuses dans les rangs derviches à Omdurman), ainsi que d'une flottille impressionnante 7 . Enfin Hanotaux et Lebon laissaient un lourd héritage à leurs successeurs en juin 1898. Sur le plan diplomatique, la France était isolée ; l'Allemagne avait tiré son épingle du j e u 8 et la Russie se dérobait. Sur le plan 1. Le 21 décembre 1897, Emile Cère publia dans la Revue Hebdomadaire le premier article mettant sérieusement en doute la nouvelle du Mouvement Géographique. Son article servit de référence. 2. Questions Diplomatiques et Coloniales, 15 fév. 1898, pp. 223-236, « Les missions Liotard, Marchand, de Bonchamps », par Paul Bourdarie. (Bourdarie fut le destinataire de plusieurs lettres des membres de la Mission.) 3. La Dépêche Coloniale, 5 mars 1898. 4. Une lettre de Dyé adressée à un professeur d'Alger, datée du 21 août 1897 à Bangassou, avait d'abord été lue devant la Société de Géographie d'Alger puis publiée par Le Temps, L'Autorité, L'Eclair du 13 janvier. Elle mettait en doute l'arrivée prochaine de la Mission dans le bassin du Nil. Elle entraîna la publication d'une série de lettres de Marchand et Liotard par le B.C.A.F. de janvier 1898 en manière de démenti. Le gouvernement, fort irrité par la divulgation de ces correspondances, ouvrit un dossier de blâme au nom de Dyé et interdit à Marchand et ses compagnons toute correspondance privée. (S.O.M., Afrique III, 35b, Lebon à Marchand, janv. 1898.) En juin, on dressa même la liste des principaux correspondants des membres de l'expédition afin de les surveiller : on y trouvait Archinard, Le Hérissé, l'administrateur délégué du Petit Journal et le directeur du Petit Parisien. (Ibid., « Recherche des correspondants de la Mission Marchand », 4 juin 1898.) 5. Cf. Le Times commenté par le B.C.A.F. de fév. 1898, pp. 44-45. 6. Ibid. 7. A.E., NS, Egypte 30, fol. 140, 141, Cogordan à Hanotaux, San Stefano, 14 juin 1898. Effectifs de l'armée anglo-égyptienne. 8. Déjà en 1897, on a vu son attitude expectante. En 1898, le marquis de Noailles, ambassadeur à Berlin, tenta d'obtenir un rapprochement franco-germanique contre l'Angleterre dans la contestation financière qui opposait la Grande-Bretagne au Portugal. Munster ambassa-
LA MISSION
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MARCHAND
* colonial », la Mission Marchand, dangereusement engagée dans le Bahr el Ghazal, était livrée à ses seules forces. Ménélik, à l'est, n'avait prêté aux Français qu'un appui réticent et au total inutile puisqu'il ne maintint pas ses troupes sur le bord du Nil pour venir en aide à Marchand. A l'ouest, les renforts en matériel, particulièrement les pièces d'artillerie que ce dernier attendait depuis des mois, n'arrivaient toujours p a s 1 . U n e relève était aussi décidée, en principe. Mais la Mission Roulet arriva trop tard dans le Bahr el Ghazal et elle était, de toutes façons, trop faible pour secourir Marchand. Il y avait bien aussi la Mission Julien ; son départ n'était pas encore décidé lorsque Lebon et Hanotaux durent abandonner leurs portefeuilles. Ainsi le gouvernement Méline laissait l'affaire du Nil dans la plus grande incertitude. E n juin, comme en février ainsi que l'avait affirmé alors Hanotaux devant la Chambre, « personne ne parle de cette question et tout le monde y pense » 2 . E n fait on en parlait et les opinions se passionnaient déjà. E n France, le « parti enragé », comme l'appelait Cogordan, menait une campagne toujours plus vive contre l'Angleterre. François Deloncle se distinguait à la Chambre, La Patrie dans la presse. E n Angleterre le ton montait aussi. Malgré une accalmie provoquée en m a r s 1898 p a r les affaires de C h i n e 3 , Courcel s'inquiétait de plus en plus de la faiblesse des freins représentés par « la sagesse d'une Reine bientôt décrépite et d'un ministre affaibli par l'âge et la maladie » 4 . Jusqu'au bout Salisbury représenta le seul espoir d'accommodement. Mais la négociation sur le Niger, prélude à celle du Nil, traîna en longueur et en avril 1898, Hanotaux pouvait paraître « a badly frightened m a n » 8 . C o m m e le dit M . Sanderson, lorsque f u t signé l'accord du 14 juin 1898, ni l'opinion britannique, ni Salisbury n'auraient toléré la nouvelle que le drapeau tricolore flottait à F a c h o d a 8 . Ainsi le bilan de la politique suivie par Hanotaux, et p a r Lebon, est-il, en juin 1898, fort inquiétant. Ceux-ci affichèrent cependant le plus grand optimisme 7 . U n e des dernières notes d'Hanotaux traduit bien cet état d'esprit : annonçant la signature de la convention du Niger, le ministre prescrit des mesures pour ravitailler Marchand à travers l'Abyssinie et ne
deur d'Allemagne à Paris appuya en juin 1898. Mais Hanotaux était alors ministre démissionnaire et l'idée d'un rapprochement franco-allemand n'eut pas de suite. (Cf. SANDERSON, England, Europe and the Upper Nile..., op. cit., pp. 330-331). 1. Marchand attendait une batterie de 42 mm achetée par Monteil, débarquée à Loango en avril 1894, puis rembarquée pour Grand Bassam où elle était encore en 1896. 2. B.C.A.F., 1898, Renseignements Coloniaux n° 3, pp. 59-67, Compte rendu du débat à la Chambre pour les budgets des Affaires Etrangères et des Colonies, 7 fév. 1898. 3. En mars 1898, les Russes occupèrent Port-Arthur. 4. A.E., NS, Grande-Bretagne, II, fol. 132, Courcel à Hanotaux, Londres, 12 mars 1898. 5 . SANDERSON, op. cit.,
p. 322.
6. Ibid., p. 323. 7. Hanotaux dans ses « Notes d'audience » conservées au Quai d'Orsay se décerne (ou se fait décerner?) les plus grands éloges : en juin 1898 « la France devenait la plus grande puissance africaine... Il suffisait de régler l'affaire du Nil pour conserver ce magnifique résultat... Les deux noms de Jules Ferry et Hanotaux sont individuellement unis dans l'œuvre coloniale française ». (A.E., Papiers Hanotaux, Notes et Souvenirs, vol. 2, « Notes d'audience », fol. 95-98.)
LA MISSION
DANS
L'AFRIQUE
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doute pas d'un nouveau succès 1 . Il contribua même à voix discordantes qui se manifestaient encore, comme Coloniale ou celle de La Politique Coloniale2 ou < Comité de l'Entente Cordiale » créé par Lanessan par La Patrie 8.
193 étouffer celle de encore et Passy
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1. A.E., NS, Afr. 15, m.e. III, fol. 221-222, Note du 17 juin 1898. 2. Cf. les articles de LANESSAN sur la Mission Marchand, les 6, 7, 8 avr. 1898 dans La Politique Coloniale. Lanessan, décidément grand adversaire de la politique de Lebon et d'Hanotaux, revint à la charge les 10, 11, 13 et 14 avril dans des articles sur l'Afrique et le Congo Français. 3. Ce Comité fut créé en avril 1897. Présidé par les députés Lanessan et Passy il comprenait des personnalités modérées. La Patrie du 18 avril 1897 les qualifia de « coquins » ou de «niais ». Il eut son correspondant en Angleterre. Mais Hanotaux ne voulut tenir aucun compte de ces initiatives — encore moins les encourager. is
Le 4 juin 1898 commençait la dernière période de la Mission ; elle devait se terminer un an plus tard avec le retour triomphal à Paris de Marchand et de ses compagnons, le 2 juin 1899. Trois épisodes, dont les couleurs sont fort contrastées, marquèrent cette dernière année de l'aventure du Nil : celui du succès lors de l'installation des Français en pays Chillouk de juillet à septembre 1898, celui des déceptions de septembre à décembre 1898, celui des « consolations » enfin. Nous insisterons le moins possible sur les aspects diplomatiques de l'affaire de Fachoda dont les péripéties ont été tant de fois analysées et dont M. Sanderson a fourni une mise au point qui paraît définitive 1 . La fièvre nationaliste qui s'empara des opinions françaises et britanniques de septembre à novembre 1898 a également fait l'objet d'études récentes 2 , mais beaucoup moins la reprise de cette fièvre en mai-juin 1899 : on a peu montré comment le retour de Marchand fut alors utilisé par l'ultra-nationalisme au point d'inquiéter sérieusement le gouvernement. La vie de l'expédition sur les bords du Nil en 1898 est encore mal connue, en particulier les relations qu'entretinrent les Français avec la « nation Chillouk » et le régime de coexistence avec les Anglo-Egyptiens de septembre à décembre 1898. Or le rapport que Marchand acheva de rédiger le 11 décembre 1898, jour de l'évacuation de Fachoda, contient justement une relation fort détaillée et fort vivante de l'histoire de l'expédition depuis son arrivée sur le Nil.
1. SANDERSON, England, Europe, and the Upper Nile..., op. cit., ch. XV, « Fachoda : the crisis », pp. 332-362. 2. Sur l'opinion française R. ARIÉ, « L'opinion publique en France et l'affaire de Fachoda », Revue d'Histoire des Colonies, pp. 329-367; les positions de la presse « coloniale » ont été cependant négligées par l'auteur. Sur l'opinion britannique M. HUGODOT, « L'opinion publique anglaise et l'affaire de Fachoda », Revue d'Histoire des Colonies, pp. 113 à 137.
CHAPITRE PREMIER
L'INSTALLATION DES FRANÇAIS SUR LE NIL Juillet-septembre
1898
Avant d'atteindre le cours libre du Nil, l'expédition erra pendant près de deux semaines dans les marais, vivant à son tour l'aventure de Baratier. Le 12 juin, le convoi de petits bateaux entra dans l'immense « roselière », tentant de suivre « l'espèce de trace » laissée par Baratier vers l'est-sud-est et se guidant grâce à l'itinéraire dressé par le capitaine. Ces efforts devinrent vite inutiles : les < boyaux d'écoulement » des eaux ne sont plus à la même place dans cette masse végétale élastique et sans cesse en mouvement ; les blocs d' « oumsouf », herbe du Bahr el Ghazal, ferment les chenaux ; « souvent après des heures d'efforts pénibles, l'embarcation ayant gagné deux ou trois cents mètres se trouve dans une espèce de cul-de-sac formé par les boues » Marchand put craindre pour son expédition le sort réservé par le marais à Gessi et ses compagnons en 1880. Mais le 25 juin, le convoi déboucha au confluent du Soueh (Djour) et du Bahr el Ghazal et rejoignit la Meschra avec l'aide de piroguiers Djingué envoyés à sa rencontre par Mangin. Le 27, la Meschra était entièrement évacuée ; le poste était laissé à la garde des chefs de la tribu des « Luos » ; la descente du Bahr el Ghazal commença. Le 30 juin l'expédition arriva au Nil : « Nos légers bateaux courent en file indienne sur les eaux troubles du lac Nô alors complètement dégagé par le sedd et... dépassaient le confluent du Bahr el Djebel. Nous venions d'entrer dans le Nil Blanc. » 2
I.
LES FRANÇAIS EN PAYS CHILLOUK
Pour la petite expédition, le Bahr el Djebel marquait l'entrée dans un pays nouveau, celui des Chillouk qui peuplent la rive gauche du Nil jusqu'au-delà de Fachoda où résidait leur souverain, le Mek. Les rapports entre les maîtres de Fachoda et les Français devaient donc être au centre des préoccupations de ces derniers jusqu'à l'arrivée des Anglo-Egyptiens.
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 67. 2. Jbid., fol. 71.
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202
LA MISSION
MARCHAND
Les Chillouk sont des Noirs nilotiques, agriculteurs, éleveurs et pêcheurs solidement accrochés à leur rive gauche du Nil depuis des siècles1. Ils ont résisté aux attaques venues du nord grâce à leur cohésion sociale et leur nombre ; en 1898, Marchand évalua à deux millions d'âmes le chiffre de la population constituant la « nation Chillouk » 2 . Ils offrent, en 1898, un contraste saisissant avec leurs voisins Dinka de la rive droite. Les Français en furent extrêmement frappés lors des quelques jours de descente du Nil depuis le confluent du Bahr el Djebel jusqu'à Fachoda : « Les villages Dinkas moins nombreux, moins fournis, moins bien construits et moins soignés que les hameaux Chillouks toujours si proprets, restant à quelques centaines de mètres de la rive au bord d'un bras mort. » 3 Les Dinka fuient la rive, où ils pèchent à la lance, dès que les bateaux des Français font mine d'approcher. Les Chillouk au contraire acceptent le contact. Le 8 juillet, après avoir dépassé « les deux pavillons aux couleurs abyssines encadrant l'embouchure... du Sobat » 4 , eut lieu la première rencontre importante au « pittoresque village de Waou dont les cases proprettes aux toitures de paille dorée, se pressent autour d'une petite place ombragée par un gigantesque figuier » s . Le premier contact rassura Marchand sur la situation à Fachoda : le chef de Waou l'informa qu'aucun Blanc n'y était arrivé. Par contre une forte expédition, « avec des Blancs », devait encore stationner dans la vallée du Sobat : Marchand en conclut à la présence proche des FrancoAbyssins. Quant aux Mahdistes, ils étaient venus chercher du grain à Fachoda « il y a un mois » et en étaient repartis. Mais le chef, tout en se déclarant « l'ami des Turcs », ne voulut pas prendre d'engagement sans l'avis du « Mek el Kébir * qu'il fallait d'abord aller voir à Fachoda 6 . L'attitude qu'adopterait le Mek à l'égard des Français était capitale ; l'autorité qu'il exerçait sur la « nation Chillouk » était en effet très grande. La tradition voyait en lui l'incarnation de l'esprit du fondateur de la dynastie, dispensateur de la richesse des hommes et de la fertilité des sols et des troupeaux T . En outre, sans avoir organisé une administration aussi complexe que celle des royaumes du Bunyoro ou du Bouganda, les Mek avaient su, selon M. Gray, s'entourer « d'ime machine administrative rudimentaire dont ils restèrent le centre » 8 .
1. Cf. P.M. HOLT, A Modem History of the Sudan, pp. 5-6, et GRAY, op. cit., p. 12. 2. S.O.M., M43 Rapport Marchand, II, fol. 92. 3. Ibid., fol. 76. 4. Ibid., fol. 72. Il est curieux que Marchand ne mentionne pas l'existence de pavillons tricolores. Baratier put voir quelques jours plus tard le traité de protectorat abyssin laissé à la garde de « Lire Diock, chef de la tribu Chillouk des Nouokos ». (Ibid., fol. 72, note 1.) 5. Ibid., fol. 72. 6. Les Français sont d'abord appelés « Turcs » car « pour les Chillouks et les Djingués etc... tous les Blancs, tous les gens vêtus [souligné par Marchand] sont Turcs ». (Ibid., fol. 73.) Aussi Marchand présenta les Français sous le nom de « Francs ». Après l'entretien, un marché eut lieu sur la berge « au milieu d'une infernale musique » mais à des prix remarquablement bas : un poulet pour deux cuillers de perles. 7. Cf. E. EVANS-PRITCHARD, « The Divine Kingship of the Shilluk of the Nilotic Sudan», pp. 66-86 in Essays in Anthropology, Londres, Faber and Faber, 1962, 233 p. 8 . GRAY, op.
cit.,
p. 1 2 .
L'INSTALLATION
DES FRANÇAIS
SUR LE
NIL
203
Les Français à Fachoda se trouvèrent toutefois aux prises avec une situation politique fort embrouillée. En 1898, et depuis 1892, les Chillouk étaient divisés par le problème de la légitimité du Mek régnant, nommé Kour Abd el Fadil. Celui-ci devait son pouvoir aux Derviches qui, après avoir tué le Mek Omar en 1892, avaient < reconnu » « un certain Abd el Fadil » 1 comme héritier et successeur. Il ne s'agissait pas vraiment d'une usurpation car, selon Marchand, Fadil était alors « un jeune h o m m e de trente ans qui était le descendant légitime et le plus proche parent de l'ancêtre commun Yor, chef de la dynastie » 2 . Une partie du groupe Chillouk n'accepta pas cette succession car « le pouvoir des Meks Chillouks se transmet parmi les membres de la famille dynastique par rang d'âge et pas toujours d'après le degré de descendance quand le plus proche parent est un tout jeune homme » 3 . Ces Chillouk mécontents se regroupèrent derrière « le prétendant légitime », Tiok, frère du Mek assassiné en 1892, et émigrèrent sur la rive droite Dinka. Marchand fut presque immédiatement sollicité de prendre parti. Les premiers jours il n'eut cependant affaire qu'au Mek Abd el Fadil et ne soupçonna rien de la situation. Ainsi, le 9 juillet Abd el Fadil, averti depuis longtemps de l'arrivée des Français dans le bassin du N i l 4 , avait envoyé son « Oukil » (représentant) à la rencontre de l'expédition : le < Mek des Chillouk désirait saluer ses hôtes blancs de passage devant sa demeure » 6 . Le 17 juillet, le souverain les reçut avec faste et cordialité, entouré de trois cents hommes de sa garde, devant des « cases élégantes sous u n bosquet de feuillage, de sa résidence ». Après la remise du cadeau de bienvenue, deux bœufs, Fadil « se déclara heureux de voir les Français prendre le pays Chillouk sous leur protection » et leur permit de s'installer sur l'emplacement voisin de l'ancienne citadelle égyptienne en ruine : « Le 12 juillet en présence du Sultan Kour Abd el Fadil, grand Mek des Chillouks de la rive gauche du Nil Blanc venu spécialement pour la cérémonie, de sa garde et des Européens et tirailleurs d'escorte de la Mission Congo-Nil, le pavillon tricolore était solennellement hissé sur la moudirieh de Fachoda. » " Trois jours plus tard, le 15 juillet, les adversaires d'Abd el Fadil réagirent. Tiok lui-même se présenta à la moudirieh occupée par les Français : c'était « un vieillard encore solide ». Il se présenta comme « u n e victime des spoliations mahdistes » et en prétendant légitime, successeur malchanceux de son frère, Omar, tué en 1892. Cette situation était embarrassante car Tiok « demanda nettement l'alliance des Francs contre l'usurpateur Fadil, créature du Kalifa d'Omdurman..., imposé aux populations Chillouk, qui ne le toléraient que par crainte des Derviches, ses protecteurs, naturels ennemis des Européens » T. 1. P.M. HOLT, The Mahdist State..., op. cit., p. 190.
2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 88. 3. Ibid. 4. Marchand s'aperçut que les Chillouk, grâce à leurs congénères installés dans le Bahr el Ghazal et aux relations qu'ils entretenaient avec les Dinka et les Nouer, étaient avertis depuis longtemps de la présence des « Turcs ». 5. Ibid., fol. 77. 6. Ibid., fol. 78. 7. Ibid., fol. 88.
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LA MISSION
MARCHAND
Habilement, M a r c h a n d remit l'arbitrage à « une assemblée des chefs de districts » qui se réunirait sur le t terrain neutre » de la moudirieh : un traité de protectorat au nom de la France devait être signé immédiatement avec le Mek désigné. Mais il n'y eut pas besoin de cette réunion : dans la nuit, Tiok rejoignit la rive droite « où Abd el Fadil le fit poursuivre, sans succès d'ailleurs..., les quatre jours suivants... », ce qui n'était, ajoute Marchand, qu'un « prétexte à u n pillage de bœufs Dinkas » 1 . Fadil représentait donc le parti le plus puissant. Marchand s'aperçut vite que la politique habile du M e k vis-à-vis des Derviches en était la cause. Le pays Chillouk, et plus particulièrement les districts de K a k a et de Fachoda, était le « grenier d'abondance » d ' O m d u r m a n 2 . Mais A b d el Fadil avait su lancer les collecteurs Derviches principalement sur les territoires Dinka de la rive droite. Aussi les districts de K a k a et F a c h o d a en étaient-ils reconnaissants à « l'usurpateur » 3 . E n outre, celui-ci, en se posant comme défendeur des Chillouk, avait p u se faire reconnaître des Chillouk du sud-ouest installés dans les districts de W a o u et Tonga, « adversaires irréconciliables des Derviches ». L a querelle dynastique ayant été rapidement tranchée en faveur d'Abd el Fadil, c'était de lui que Marchand devait obtenir la signature du traité de protectorat qu'il présenterait aux Anglais plus tard. Mais cette querelle avait révélé aux Français la duplicité du Mek des Chillouk et ses attaches politiques avec les Derviches. Désormais la « question Derviche » va gouverner les rapports entre Abd el Fadil et les Français jusqu'en septembre 1898. Abd el Fadil n'éprouvait aucune sympathie particulière pour les Mahdistes ; il partageait le sentiment de son peuple pour qui « Turcs et Derviches se valent pour le pillage ». Mais Marchand comprit très vite que le Mek n'avait aucune confiance dans la protection française : « T u as bien peu de soldats et les Derviches, innombrables comme les brins de paille dans la prairie, ne sont pas loin », déclara A b d el Fadil à M a r c h a n d 4 . Pour les Chillouk, les Mahdistes étaient, encore en 1898, les « Victorieux ». Leur respect était d'autant plus grand, ajoute Marchand, qu'ils avaient fort bien connu le M a h d i du temps o ù « il végétait parmi eux » et qu'ils avaient vu ce simple anarchiste du désert vaincre « le grand Pacha de Khartoum... maître incontesté du m o n d e de 1860 à 1884 » 6 . D e plus, les Chillouk avaient aussi des raisons plus immédiates de craindre les Derviches : le Khalife envoyait périodiquement des vapeurs récolter les tributs des gens d u sud. Quatre vapeurs mahdistes étaient venus en juin d ' O m d u r m a n ; ils reviendraient 6 . Aussi Abd el Fadil mena-t-il double jeu dès l'arrivée des Français : il prévint immédiatement les Derviches de K a k a de cette arrivée et « du 1. Ibid., fol. 90, note 1. 2. Ibid., fol. 85. 3. Ibid., fol. 95. En outre les Dinka vivaient sous la souveraineté des Chillouk et Abd el Fadil avait une mère Dinka. 4. Ibid., fol. 94. Marchand n'avait alors avec lui que « 98 fusils commandés par 8 Européens arrivant sur cinq misérables barques sans canons ». (Ibid., fol. 95.) 5. Ibid., fol. 93. 6. Ibid., fol. 85.
L'INSTALLATION
DES FRANÇAIS
SUR LE
NIL
205
petit nombre des Blancs installés à Fachoda » C'était une invitation, à peine déguisée, à venir les attaquer. Puis, au cours des mois de juillet et d'août, il adopta une attitude fort prudente et refusa de trop s'engager du côté français en signant le traité que lui proposait Marchand. Celui-ci fut tenté de perdre patience. Abd el Fadil le sentit et, le 8 août, fit comprendre avec finesse combien le sort des Français dépendait, en fait, de sa bonne volonté, dans un entretien avec Largeau : « Les Chillouk n'attaquent jamais dans les postes des soldats munis d'armes à feu quel que soit leur nombre, expliqua le Mek. Mais ils sont invulnérables dans les grandes herbes de leurs marais où, cachés avec leurs lances, ils détruisent en détail les détachements envoyés aux vivres dans leurs villages, quand ils ont fait le vide autour du fort. » « Nous étions prévenus », commente Marchand. U n coup de force contre le Mek aurait été une politique désastreuse ; les Chillouk auraient fui le marché installé au fort et bientôt affamé la garnison. Ce coup de force n'aurait d'ailleurs pas réussi car Fadil « faisait surveiller les abords de sa résidence très vaste et difficilement enveloppable » 2 .
II.
LE
CHOC
AVEC
LES
DERVICHES
Ainsi les relations entre Français et Chillouk restaient-elles ambiguës ; leur amélioration dépendait de l'issue du choc avec les Derviches. Celui-ci était inévitable ; à Fachoda, Marchand abandonna tout à fait l'idée d'une entente avec ces derniers 3 . Encore aurait-il préféré s'en tenir à une attitude de stricte neutralité qui respectait les instructions de février et juin 1896. Mais les Mahdistes étaient décidés à écraser toute expédition européenne qui entrerait dans leur territoire, on l'a v u 4 . La position des Français était d'autant plus difficile qu'ils s'aperçurent, en quelques jours, de leur isolement complet. A l'ouest, le Faidherbe n'était toujours pas annoncé ; de plus, on savait que s'il passait le « sedd », il ne pourrait plus le traverser à nouveau pour revenir vers le Soueh. A l'est, les coureurs envoyés par Fadil afin de réaliser une jonction avec les forces abyssines revinrent au début août avec les lettres de Marchand. Il était impossible de communiquer avec l'Europe. L a Mission, plus encore que dans le Bahr el Ghazal, ne devait compter que sur ses seules forces : « Tous nos efforts, en concluait Marchand, allaient donc être reportés sur le renforcement de la position, à attendre les événements sur la direction desquels nous n'avions plus aucune action. » 6
1. Ibid., fol. 91 et fol. 85, note 1. 2. Ibid., fol., 103, note 1. 3. « Si... cette entente paraissait politiquement indiquée et assez avantageuse en 1896... il n'en était plus de même en août 1898, alors que l'armée anglo-égyptienne arrivait aux portes d'Omdurman où le Mahdisme agonisait. L'entente avec les Derviches... devenait une lourde faute politique et n'établissait, juste au moment critique, qu'une solidarité compromettante. » {Ibid., fol. 101.) 4. Cf. supra, p. 147. 5. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 95.
206
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La reconstruction du fort était à peu près la seule mesure de défense possible. Du temps de Schweinfurth, la moudirieh, siège du gouvernement provincial, avait été « une forteresse imposante » capable de protéger plusieurs centaines d'hommes. « Quelque chose ressemblant à une ville » s'y était développé à partir de 1867 1 . La révolte Mahdiste et la revanche des Chillouk sur les Egyptiens avaient ruiné la citadelle. A l'arrivée de la Mission, ce n'était plus que « monceaux de briques rouges dont émergeaient la voûte de l'entrée principale... et les murs éventrés de la poudrière » 'J. A la mi-août, les bastions du fort avaient été dégagés et reconstruits par les tirailleurs sous les ordres de Mangin, devenu « commandant militaire de Fachoda » 3 . Au pied du front est du fort, le long du fleuve, s'étendaient des jardins potagers comme du temps du gouverneur égyptien. Les Chillouk, de moins en moins craintifs, s'enhardissaient dans l'enceinte pour y commercer. Aucun « mouvement des bandes mahdistes dont le poste le plus rapproché se trouvait encore à 100 km au nord de Fachoda » n'avait encore été signalé 4 . Mais Abd el Fadil observait toujours une attitude prudente contrastant avec celle de ses sujets. Selon Marchand : « Il devenait des plus évident que la réserve du Sultan qui, toutefois, se montrait assez au fort, empêchait seule le sentiment public de... se déclarer en notre faveur. » 8 En fait, Abd el Fadil trahit les Français au moment décisif. L'assaut mahdiste eut lieu le 25 août : le Mek était au courant de l'arrivée des Derviches par le fleuve, mais afin de détourner l'attention de Marchand, il lui annonça l'arrivée prochaine du t vapeur que les Français attendaient », vers le 25 août à Fachoda®. Cependant il ne put les tromper longtemps. Le 21 et le 22 août Marchand fut averti de la ruse du Mek et de l'approche de deux vapeurs des « Victorieux » par Tiok, le rival d'Abd el Fadil, et par un des Derviches « déserteurs » dont Marchand utilisait les services depuis la Meschra er R e k 7 . Devant cette situation, Abd el Fadil finit par annoncer, à son tour, le 24 août, qu'un courrier venu de Kaka signalait le passage devant ce « village » de l'expédition en route pour Fachoda. De plus, prudent et diplomate, le Mek faisait dire à Marchand que « le danger étant le même pour lui qui avait reçu les Français que pour les Français eux-mêmes, il allait rassembler toute son armée dans 1. SCHWEINFURTH, op.
cit.,
I, p p .
70-71.
S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 7 8 - 7 9 . 3. Cf. S.O.M., Afr. III, 34a, Rapport du capitaine Mangin sur les fortifications de Fachoda. 4. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 109. 2.
5. Ibid.
6. Les Chillouk étaient déjà tous au courant. Le 21, un Chillouk qui suivait la marche des travaux fit cette remarque à Mangin : « Tu remues la terre. Tu fais bien car les Victorieux arrivent avec des canons. » 7. Marchand utilisait trois « informateurs ». Bilali, un Chillouk, était fidèle et donna secrètement des informations sur les Derviches. Son compagnon, Sald, recueilli comme lui à la Meschra, restait « Derviche de cœur » et poussait Abd et Fadil du côté des Mahdistes. Enfin, un Khartoumien qui « avait fait partie pendant 8 ans des armées mahdistes et qui prétendait s'en être évadé parce que les Derviches ne permettaient pas de fumer, était très certainement un espion du Khalifa... Je ne me faisais aucune illusion à son égard et il était trop intelligent pour ne pas l'avoir deviné..., ajoute Marchand, mais en me donnant exactement le chiffre des forces qui nous menaçaient il gagnait honnêtement son argent. » (Ibid., fol. 110, note 1.)
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la plaine derrière le fort, en avant des bois, pour [lui] prêter assistance pendant le combat et qu'il était prêt à mourir à [ses] côtés s'il le fallait » Abd el Fadil attendait bien la décision des armes pour choisir son camp. En apparence les forces en présence étaient disproportionnées. Les Mahdistes envoyés par l'émir Saïd Bogher, commandant à Kaka, arrivaient sur deux vapeurs, le Tewfikieh et le Safia, armés de canons, cuirassés de plaques de tôles et tirant de grandes barges chargées de soldats au nombre de 1 100 à 1 300 environ 2 . Du côté français, 8 Européens, 98 « Sénégalais » armés de Lebel, et 10 Yakoma armés de mousquetons, constituaient toute la défense du fort. Les réserves en munitions n'étaient pas inépuisables : 42 000 cartouches et 40 kg de mélinite. Il n'y avait aucun espoir d'un appui d'artillerie. Enfin on s'attendait à une attaque combinée avec celle des vapeurs, d'une colonne mahdiste venue par voie de terre. En dépit de l'infériorité numérique des Français, Marchand n'était pas inquiet : il comptait sur la supériorité des Lebel et la résistance des fortifications : « J'étais prêt, écrit-il, à recevoir l'attaque de 3 000 hommes aguerris avec artillerie. » 3 Le premier assaut mahdiste eut lieu le 25 août 1898. Marchand consacra seize pages de son rapport au récit de la bataille 4 . Celle-ci dura de l'aube au milieu de l'après-midi. Avertis du danger, les Français avaient occupé leurs positions de combat dans le fort durant la nuit : « Tout le système de défense reposait sur l'occupation du blockhaus central et des deux bastillons nord et sud. » 8 Mangin commanda au nord, Largeau au sud. Baratier fut chargé de surveiller le secteur ouest. Les Mahdistes engagèrent le combat vers six heures trente du matin lorsqu'ils arrivèrent en vue de la forteresse où Marchand avait fait hisser le drapeau tricolore. Après des sondages dans le chenal de la rive gauche qui longeait les murs du fort, les deux navires des Derviches choisirent le passage le long de la rive droite. A 1 800 mètres le Safla commença un bombardement de la moudirieh qui révéla l'inefficacité de l'artillerie mahdiste, mal réglée et mal équipée®. Ce fut sans doute la grande chance des Français : les combats ne furent que des duels au fusil. La première phase de ce duel dura jusqu'à 9 heures du matin. Mangin ouvrit le feu lorsque les navires furent à 1 200 mètres. La flottille étant à 800 mètres, l'engagement devint général dans un grand tumulte 7 . A 9 heures, tout se calme : la flottille est passée en amont, au sud du fort. Marchand jugea alors la situation dangereuse ; le Faidherbe, dont il attendait 1. Ibid., fol. 112. 2. Chiffre approximatif donné par Marchand dans son rapport et comprenant un certain nombre de femmes. (Ibid., fol. 120 et 123.) 3. Ibid., fol. 107, note 1. 4. Ibid., fol. 116 à 131. Il s'agit d'un extrait du « journal de marche de la Mission », dont nous n'avons pu retrouver l'original. 5. Ibid., fol. 115. 6. « Pas fameux les projectiles mahdistes : ce sont des schrapnells en fonte à ailette du calibre 85 mm à peu près remplis de balles sphériques en plomb aggloméré au soufre. Un tiers n'éclate pas au point de chute; quelques-uns, au contraire, éclatent à la bouche de la pièce et mitraillent le fleuve à 2 ou 300 mètres en avant. » {Ibid., fol. 125.) 7. « Les chalands sont chargés de Derviches entassés qui poussent des clameurs et des cris de guerre à chaque coup de canon... La fanfare mahdiste fait rage pendant le combat. » (Ibid. fol. 120.)
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toujours l'arrivée, pouvait être surpris sans pouvoir rejoindre le fort ; d'autre part le fort lui-même se trouverait pris entre le feu des vapeurs et celui de la colonne mahdiste attendue au nord. Marchand décida donc une poursuite le long du fleuve.
Les environs de Fachoda Marchand, Largeau et une section de tirailleurs se faufilèrent le long de la rive gauche à travers les petits villages Chillouk déserts et les champs de mil. A 900 mètres des bateaux, ils engagèrent à nouveau le combat. La seconde phase de la bataille commença. Les tirs d'artillerie des Derviches, mieux ajustés cette fois, délogèrent d'abord les Français. Mais ceux-ci trouvèrent une position protégée beaucoup plus proche de la flottille 1 . Le Safia fut mis à mal, malgré son blindage, par les Lebel dont, i à 600 mètres, les projectiles de 86 traversent 3 mm. de bon
1. « Les vapeurs sont à 600 mètres seulement et nous voyons jusqu'à l'intérieur des chalands du Safia où un flot humain s'entasse. » (Ibid., fol. 122.)
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acier ». Dans les chalands du Safia, les Derviches étaient « paralysés » 1 . A 11 heures, ils abandonnèrent le combat : le Tewfikieh et le Safia dont les chaudières avaient été endommagées, remontèrent le fleuve le long de la rive droite. Les Derviches tentèrent cependant de l'emporter en débarquant sur la rive gauche en amont du fleuve après avoir traversé la barrière des herbes séparant les deux chenaux. Quelques feux de salve, tirés par un petit groupe de Sénégalais envoyés par Marchand, suffirent à les faire reculer ; les Mahdistes crurent la rive entièrement surveillée. Il était 1 heure et demie de l'après-midi. L'attaque par terre n'était plus à craindre. La dernière phase dura très peu de temps. La flottille, reformée en amont, devait repasser le fort pour faire retraite. Les navires, serrés les uns contre les autres, offrirent une cible « idéale » au feu, lorsqu'ils arrivèrent devant le fort vers 2 heures un quart. Pendant plus de vingt minutes, ils subirent « un déluge de balles » sans riposter 2 . Le Safia fut endommagé une seconde fois ; le désordre et l'épouvante arrivèrent à leur comble sur les vapeurs ; les remorques furent lâchées et partirent à la dérive. Ce fut la fin de la bataille. Poursuivie par Mangin sur la rive, la flottille eut du mal à se regrouper en aval pour fuir 3 . Les armes s'étaient prononcées ; l'Oukil du Mek Abd el Fadil vint alors demander « comment va l'affaire avec les Victorieux... » et présenta les compliments de son maître. C'était, certes, un succès qui étonnait les Chillouk ; les sept chalands mahdistes coulèrent ; le Safia fut drossé par le courant à vingt-cinq milles en aval de Fachoda sur la rive Dinka ; plus de la moitié des effectifs derviches furent tués ou blessés ; les quatre chefs de l'expédition et le capitaine du Safia étaient morts 4 . Les Français n'avaient eu que cinq blessés. Mais Abd el Fadil avait encore de bonnes raisons de ne pas se rallier aux Français. Ceux-ci n'avaient gagné qu'une première manche sur les Derviches. L'émir de Kaka, Saïd Bogher était entré « dans une terrible colère quand il vit revenir les débris de l'expédition... Avec les cent cinquante fanatiques qu'il avait gardés près de lui et les restes de la première expédition, il pouvait encore réunir 7 à 8 0 0 hommes. » 5 Par contre le nombre des Français n'avait pas augmenté et ils avaient moins de cartouches : il n'en restait que 28 200. « Il était à penser que la baïonnette allait être utilisée », estimait Marchand 6 .
1. « Les Derviches s'écrasent littéralement essayant de se courber sans pouvoir parvenir à se cacher complètement. Ils sont trop. Leurs vêtements blancs sont un but admirable sur le fond noir du blindage du Safia. Bientôt des hurlements et des cris de souffrance dans les barques. Il y a des femmes à bord. » (Ibid., fol. 123.) 2. « Sous l'averse de plomb, les vapeurs oscillent et embarquent. Un silence de mort règne à bord... Personne ne répond... » (Ibid., fol. 127.) 3. Un dernier épisode dramatique marqua la déroute des Derviches poursuivis par les hommes de Mangin; pour se protéger « les Derviches se fusillaient entre eux pour la conservation des places les mieux abritées ». (Ibid., fol. 130, note 1.)
4. Ibid., fol. 132. 5. Ibid., fol. 133. 6. Ibid., fol. 135. 14
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C'est donc le second assaut qui devait être décisif. Marchand f u t averti de l'avance de Saïd Bogher, le 28 août. L e f o r t se prépara pour l'attaque prévue pour le lendemain. Mais la journée du 29 août fut une succession de coups de théâtre. C e fut d'abord une surprise mahdiste, habilement suscitée par un informateur de Marchand. Celui-ci se présenta au poste vers 8 heures et demie du matin et sut détourner l'attention des officiers au moment où les Derviches attaquaient les tirailleurs dispersés autour du f o r t 1 . L e traître allait être exécuté lorsqu'un second coup de théâtre le sauva : l'arrivée du Faidherbe qui, après quarante-deux jours de traversée du « sedd » , apportait les renforts attendus et trois chalands de v i v r e s 2 . L'avantage passait aux Français. Saïd Bogher regagna K a k a tandis que le Tewfikieh continuait sur Omdurman. Marchand pouvait espérer un répit jusqu'à la fin de l'hivernage, en novembre. D'ici là, « à supposer que l'armée anglo-égyptienne n'eût pas pris Omdurman » , Marchand pensait obtenir les renforts du Bahr el Ghazal grâce au Faidherbe et « armer des contingents Chillouk et Dinka » 3 .
I I I . L E T R A I T É CHILLOUK DU J SEPTEMBRE
1898
Après la défaite mahdiste et l'arrivée du Faidherbe les Français pouvaient compter sur un appui plus sérieux des Chillouk. A b d el Fadil se rallia. Marchand rapporta le savoureux dialogue qui tint lieu de négociation entre le chef de la Mission et le M e k des Chillouk apparemment fort inquiet de l'attitude qu'adopteraient les Français à son égard : « — Les Mahdistes ne sont plus là pour t'inquiéter, car nous ne les reverrons pas ou, s'ils reviennent, ce sera trop tard, affirma Marchand. — Je le sais, répondit le Mek, et c'est pour cela que je suis venu te demander un de tes costumes de Pacha français. Tu es le vrai protecteur des Chillouk aujourd'hui et, devant mon peuple, je ne paraîtrai plus qu'en soldat français. — Le costume est prêt Fadil; les armes aussi, car nous échangerons les armes en signe d'alliance comme chez les Touareg du désert ! Mais j'ai mieux que cela à te proposer. Nous allons donner à l'alliance la consécration du papier. Toi et ton peuple vous voulez être Français, il est nécessaire que non seulement les Derviches mais le monde entier le sache... Est-ce bien cela que tu désires? — Donne-moi ton papier, je vais y placer mon cachet, fut la seule réponse de Fadil. » 4 Est-ce à dire que Fadil était prêt à signer un c h i f f o n de papier dont il ignorait la signification ? N o n , à coup sûr. T o u t d'abord le « traité Chillouk » ne f u t réellement signé que le 3 septembre par le M e k , en
1. Saïd Bogher, à l'entendre, n'aurait pu ramener ses hommes à l'assaut « de ces effrayants França [.t/r] sur lesquels le plomb n'avait pas de prise et dont les fusils lançaient sans bruit des balles d'argent qui traversaient la cuirasse de fer des vapeurs et tous les hommes qui étaient derrière. » (Ibid., fol. 136.) 2. Ibid., fol. 139. 3. Ibid., fol. 140. Effectivement Marchand envoya Largeau demander des renforts en septembre 1898; Largeau put revenir jusqu'à la Meschra d'où il écrivit à Roulet. Mais celui-ci ne put envoyer les hommes et le matériel promis et l'évacuation de Fachoda fut décidée avant qu'il puisse intervenir. 4. Ibid., fol. 141-142.
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présence < des quinze chefs Chillouk principaux du territoire » ; il f u t rédigé en « six expéditions », trois en français, trois en arabe et « toutes les clauses furent longuement commentées et discutées » 1 . E n second lieu Abd el Fadil ne s'engagea pas à la légère car il était au courant de la question d'Egypte et du Soudan : « Il n'ignorait pas l'histoire de la conquête égyptienne du Bahr el Ghazal et par plusieurs Chillouk de son entourage qui avaient longtemps habité Alexandrie (entre autres Feradj Allah et Feradj Mustapha anciens compagnons de voyage de Baker et Gordon) il était au courant de la question égyptienne vis-à-vis des puissances européennes et très à même de comprendre la marche des événements et la position de son pays. » 1 Le traité Chillouk ne f u t pas pour autant u n traité négocié d'égal à égal ; Fadil se trouvait obligé de composer avec les nouveaux maîtres d u pays dont la force était démontrée et dont les intentions étaient menaçantes : « J'étais résolu, déclara Marchand dans son rapport, à enlever le Sultan mais seulement à la veille de l'arrivée des Anglo-Egyptiens si à ce moment je n'avais pu obtenir le traité de protectorat. » 3 C o m m e bien d'autres négociations coloniales, la négociation franco-chillouk est donc aussi u n exemple de « diplomatie inégale ». Le traité mérite considération. Rédigé par Marchand, traduit en arabe par Landeroin et expliqué en chillouk par le « grand interprète », F e r a d j Allah, il comprend neuf articles. Le préambule et le long article 1 e r constituent une rétrospective historique destinée à écarter toute affirmation d'une quelconque suzeraineté égyptienne sur le pays Chillouk depuis 1885 : « Le Sultan Kour Abd el Fadil... déclare que depuis la proclamation de Gordon Pacha gouverneur général du Soudan Egyptien ordonnant l'exécution du firman Khédival visant la désannexion et l'évacuation du district dépendant de Fachoda, évacuation exécutée en l'année 1884, le pays Chillouk a repris son entière indépendance. » 4 Le texte insiste ensuite sur la volonté de maintenir cette indépendance d u temps m ê m e de la conquête mahdiste ; il s'agit en effet de rendre plus éclatant le ralliement, « de plein gré et avec l'assentiment de son peuple consulté », du Sultan K o u r Abd el Fadil au protectorat français. U n e délimitation précise du royaume Chillouk, objet d u protectorat, suit dans l'article II. Elle ne nous apprend rien de particulier : le pays Chillouk, situé sur la rive gauche du Nil, s'étend à l'ouest jusqu'au lac N ô et aux plateaux herbeux « du pays de N o u b a » habités par les tribus « Baggaras », au nord jusqu'à 12° 30' de latitude. Les articles suivants précisent les engagements réciproques des deux parties. Ils sont semblables pour l'essentiel à ceux d u traité signé en 1896 p a r Tamboura, mais le texte soumis à A b d el Fadil est beaucoup plus complet. L a précision des clauses commerciales et politiques montre bien le souci, des
1. Ibid., fol. 142. « Je ne voulais pas qu'aucune contestation étrangère devînt jamais possible sur aucun des points », explique Marchand. 2. Ibid., fol. 98, note 1. 3. Ibid., fol. 104, note 1. 4. S.O.M., Afr. III, 34a, et annexe II, infra, p. 255.
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deux côtés, de ne pas s'engager à la légère. Le pays Chillouk ainsi que le fleuve est ouvert au commerce de toutes les nations mais la possibilité d'un règlement douanier est envisagé et devra faire l'objet d'une négociation avec Abd el Fadil et non d'une décision unilatérale. Le Sultan fournira la main-d'œuvre nécessaire à l'exécution des travaux d'intérêt général... mais des c règlements particuliers » devront fixer les salaires. Les Français pourront choisir les emplacements nécessaires aux établissements commerciaux et aux postes mais ils devront indemniser les indigènes après consultation du Sultan. Enfin et surtout, les Français s'engageront à respecter « les usages, coutumes, habitudes et religion du pays Chillouk en tant toutefois qu'ils n'auraient rien de contraire à l'humanité », ainsi qu'à respecter l'organisation politique et la justice indigène existantes Dans l'esprit de Marchand le traité de protectorat Chillouk devait être l'arme essentielle de l'arsenal diplomatique français au moment du règlement de la question du Soudan. En quelques jours, il renforça encore cet arsenal grâce au ralliement des chefs Dinka de la rive droite qui « vinrent officiellement demander le protectorat français » 2 . Au moment même où Abd el Fadil signait le traité de protectorat, la bataille d'Omdurman, le 1 er septembre 1898, ouvrait le Haut-Nil à Kitchener. Le pays Chillouk l'ignora jusqu'à l'arrivée des Anglo-Egyptiens. Mais pressentant l'imminence de la rencontre, Marchand tenta encore de briser l'isolement des Français avec le Faidherbe : celui-ci partit pour le Sobat avec la correspondance et le traité Chillouk. Le 14 septembre, à son retour, il fallut se rendre à l'évidence : les Abyssins n'étaient pas à Nasser « comme le faisait prévoir la dépêche de Paris du 30 décembre 1897 » 3 . Marchand qualifia la situation de « déplorable ». La seule issue était à l'ouest mais elle devenait elle-même de plus en plus aléatoire en raison de l'épaississement du « sedd » ; le 16 septembre Largeau repartit sur le Faidherbe pour la Meschra où il devait transmettre les documents de la Mission aux gens du Haut-Oubangui et trouver, en principe, les renforts destinés à Fachoda. Le jour même de son départ, le bruit d'une nouvelle offensive mahdiste courait dans la population chillouk. C'est donc dans l'isolement le plus complet que les Français allaient affronter les Anglo-Egyptiens : Paris était à plus de six mois de correspondance.
1. Pièce annexe II, art. IV à IX. Marchand était éloigné de toute idée « d'administration directe », comme l'était Liotard dans le Haut-Oubangui lorsqu'il préconisait « un système de protectorat largement conçu [car] il importe... que les indigènes restent sous leurs chefs reconnus, dont l'autorité est plutôt grandie que diminuée ». (S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14, Liotard, à ministre des Colonies, Zémio, 1 er janv. 1896.) 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 141. Marchand ajoute : « Pas un de mes officiers n'avait passé le fleuve pour aller faire de la propagande chez les Dinkas : je ne donnais pas de traité à la tribu des Nouoks au confluent du Sobat qui en avait déjà reçu du souverain abyssin. » 3. Ibid., fol. 143. Il s'agit du télégramme de Lebon à Lamothe annonçant la volonté des Mahdistes de massacrer tous les Européens qui pénétraient chez eux, et la formation de « trois grands corps d'armée abyssins » dont l'un devait s'établir à Nasser. (Cf. III e partie, p. 147.) Ce télégramme fut apporté à Fachoda, par le Faidherbe, le 29 août 1898.
CHAPITRE I I
ANGLAIS ET FRANÇAIS SUR LE NIL 19 septembre -10 décembre
1898
Malgré leur isolement, Marchand et ses compagnons attendirent la rencontre avec optimisme. N'avaient-ils pas acquis les « gages » que la diplomatie française pourrait utiliser lors de la conférence internationale qu'elle devait déjà avoir suscitée ? On était loin du compte en France où l'opinion se passionnait, où le gouvernement hésitait encore sur la conduite à suivre.
I. DELCASSÉ ET LA POLITIQUE DU N I L EN 1 8 9 8
L'attitude de Delcassé devant l'héritage empoisonné que lui avait légué son prédécesseur en juin 1898, paraît fort embarrassée. Pendant trois mois, jusqu'au début de septembre 1898, Delcassé semble même « oublier » Marchand. Pourtant, Trouillot, nouveau ministre des Colonies, lui avait transmis en juillet la première partie du < Rapport Marchand », datée de décembre 1897 ; en même temps, il avait demandé à Delcassé de participer à la rédaction « des instructions nouvelles qu'aurait à suivre, soit M. le Capitaine Marchand, soit son successeur ». Cet appel aux Affaires Etrangères ne trahissait d'ailleurs aucune inquiétude du Pavillon de Flore ; Trouillot se permettait même de conseiller Delcassé. Il lui recommandait de chercher une caution de l'action française auprès du Sultan, ce qui permettrait, estimait-il, « d'opposer triomphalement à un mandat plus ou moins régulièrement obtenu du Khédive, un mandat que nous aurions reçu du Sultan c'est-à-dire du Suzerain » 1 . L'excellence de cette solution ne dut pas convaincre Delcassé qui répondit le 7 septembre après deux rappels de son collègue 2 par une note fort tortueuse. Affectant d'avoir reçu une lettre
1. S.O.M., M44, Trouillot à Delcassé, Paris, 4 juil. 1898, et A.E., NS, Afr. 16, m.e. IV, fol. 2-7, id. 2. A.E., ibid., fol. 68, Trouillot à Delcassé, Paris 1« août 1898, et ibid., fol. 93, Trouillot à Delcassé, 4 sept. 1898. On peut y ajouter deux interventions de la Direction Politique du Quai d'Orsay, les 23 et 24 août 1898 : cf. A.E., ibid., fol. 73 et 74, Notes pour le ministre.
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de Trouillot quelques jours plus tôt s e u l e m e n t \ Delcassé donnait enfin son avis sur des instructions qu'il espérait déjà parvenues à M a r c h a n d « e n temps utile » afin qu' € il se soit pénétré de leur esprit > ! « Elles [ces instructions] lui recommandaient, en effet, de ne pas pousser jusqu'à Fachoda, mais de s'installer de préférence dans une île à proximité du confluent du Sobat et du Nil, écrivait-il. Les événements récents montrent la sagesse de ces recommandations... d'autant plus... qu'il n'y a pas lieu d'attendre de l'Ethiopie le concours pratique et efficace que nous nous étions un moment flattés d'obtenir. » * C e s instructions dont parle Delcassé existaient-elles ? Il est permis d'en douter car c'est seulement le 15 septembre 1898 que Trouillot annonça leur envoi : le ministre des Colonies annonçait son désir de se mettre sous la direction des Affaires Etrangères pour le règlement de l'affaire... < c a r celle-ci relèvera bientôt des relations internationales > 3 . E n fait, Delcassé ne croyait guère à l'efficacité de nouvelles instructions ; elles ne parviendraient à Marchand que « dans u n temps fort éloigné » remarquait-il, tandis que la situation se modifiait de « jour en jour ». Elles resteraient donc au chapitre des vœux : « Il importe, se bornait-il à souhaiter, que la Mission Marchand s'applique moins à accentuer sa marche en avant qu'à assurer sur ses derrières ses communications avec nos avant-postes de l'Oubangui. » 4 Cette indécision de l'été 1898 sur la conduite à tenir se retrouve dans le problème de la relève de la Mission Marchand. Le 31 mai 1898, Lebon et Binger avaient mis au point le projet d'une relève qui devait être confiée au capitaine Julien, déjà connu p a r son séjour dans le Haut-Oubangui en 1 8 9 3 5 ; sa composition f u t fixée en juillet 1898 6 . Mais o n ne se décidait pas à lui donner des instructions et le capitaine Julien s'embarqua seul, sans aucune indication sur le but de sa mission, au début d ' a o û t 7 . A Dakar, il ne trouva rien non plus. Finalement, en septembre, les Colonies firent partir le reste de l'expédition avec des instructions prescrivant à Julien de rejoindre Marchand, de le remplacer à Fachoda ou de se mettre sous ses ordres si celui-ci désirait demeurer sur place, enfin d'éviter tout heurt avec les Anglais p o u r permettre aux gouvernements de discuter 8 .
1. La lettre de Delcassé à Trouillot, conservée aux archives du ministère des Colonies, porte un coup de crayon bleu appuyé sur la date de réception par le Quai d'Orsay, indiquée par Delcassé, de la note de Trouillot : « 4 septembre », et en marge la correction : «juillet! » 2. S.O.M., Afr. III, 32b, Delcassé à Trouillot, Paris, 7 sept. 1898. 3. Ibid., 36a, Trouillot à Delcassé, Nouvelles instructions au capitaine Marchand, Paris, 15 sept. 1898. 4. Ibid., 32b, Delcassé à Trouillot, Paris, 7 sept. 1898. 5. S.O.M., M31, Rapport au ministre des Colonies par Binger, Paris, 31 mai 1898. 6. S.O.M., Afr. III, 36a, Note de Binger du 7 juil. 1898. La Mission Julien devait comprendre sept officiers, quatre sous-officiers, un mécanicien, trois quartiers-maîtres, un interprète militaire, un médecin, 150 tirailleurs. Elle était donc copiée sur la Mission Marchand. 7. Ibid., 36a, Julien à François, 5 août 1898. Dans cette lettre privée Julien annonce son départ le 12 août de Bordeaux, sans instructions : « Des ordres me seront donnés probablement à Dakar car je ne sais pas jusqu'ici pourquoi j'y vais », écrit-il. La lettre porte une note au crayon bleu : « Lui donner des instructions et ensuite relancer aux Affaires Etrangères éléments instructions à envoyer à Marchand. » 8. Ibid., 36a, Relève de la Mission Marchand, Instructions, 9 sept. 1898.
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Il est curieux que Delcassé, au courant, ait laissé partir la Mission Julien ; en novembre, il demandera seulement qu'on arrête la relève à Bangui 1 . C'est donc dans le plus grand embarras que Delcassé s'apprêtait à affronter la crise en ce début de septembre 1898. En tout cas, il était déjà décidé à choisir la voie de la conciliation, si possible du compromis. Il le fit sentir, dès le 7 septembre 1898, à son collègue Trouillot, au Conseil des Ministres 2 , à Sir E. Monson, ambassadeur de la Reine à Paris 3 , et à Geoffray, ambassadeur de France à Londres 4 . Aux uns et autres, il affirma ne considérer Marchand que comme « un simple émissaire de la Civilisation », dénué de tout pouvoir de trancher des « questions de droit » : « La Mission se justifie le mieux par la nécessité de lutter contre la barbarie dans des pays où aucune autorité régulière n'est exclue et de couvrir nos établissements de l'intérieur, expliqua Delcassé à Trouillot le 7 septembre... Nous ne saurions ni invoquer un mandat confié à la France par le Sultan dans le bassin du Haut-Nil, ni d'ailleurs solliciter un mandat pareil. Il ne faut pas perdre de vue qu'il semblerait difficile que nous puissions nous passer à cet égard de la sanction des Puissances garantes de l'intégrité de l'empire ottoman. » 5 Cependant depuis la fin du mois d'août l'opinion se durcissait rapidement. Après l'accalmie passagère du printemps 1898, la presse suivait à nouveau, avec une attention grandissante, les affaires d'Egypte et du Soudan : Kitchener avançait en effet sur Khartoum. Au début de septembre les journaux français saluèrent la victoire d'Omdurman non sans pointes de dénigrement 6 . Anticipant sur les informations reçues au ministère même, Le Siècle annonça alors que la Mission Marchand avait atteint Fachoda 7 . La nouvelle ne se confirma qu'à partir du 12 septembre lorsque la presse anglaise rapporta le récit du capitaine du Tewfikieh arrivé le 9 septembre à Omdurman ; « les balles trouvées dans le navire sont bien des balles françaises », put-on lire alors dans La Dépêche Coloniale8. C'est à partir de ce moment que la polémique avec la presse anglaise s'envenima. Tous les journaux français se jetèrent dans la bataille. La presse « chauvine » leva l'étendard et La Patrie parla immédiatement de « casus belli » 9 . Le Temps, pourtant modéré, entama avec le Times la querelle juridique sur le Soudan 1 0 . Dans Le Petit Journal, Ernest Judet après s'être « illustré » dans l'affaire Dreyfus se lança dans l'affaire de F a c h o d a u . Même les anciens adversaires de la politique du Nil semblèrent s'y rallier : « Marchand est sans doute sur le Nil, affirmait La Dépêche Coloniale ; il nous semble 1. Ibid., 34a, Delcassé à Trouillot, Paris, 16 nov. 1898. 2. Ibid., 32b, Delcassé à Trouillot, Paris, 7 sept. 1898. 3. Cf. premier « Livre bleu » publié par le B.C.A.F., 1898, Renseignements Coloniaux n° 8, pp. 182-208; Monson à Salisbury, Paris, 7 sept. 1898. 4. Cf. « Livre jaune », B.C.A.F., 1898, Renseignements Coloniaux n° 8, Delcassé à Geoffray, Paris, 8 sept. 1898. 5. S.O.M., Afr. III, 32b, Delcassé à Trouillot, Paris, 7 sept. 1898. Voir aussi A.E., NS, Afr. 16, m.e. IV, fol. 98-99, Note autographe de Delcassé du 7 sept. 1898. 6. Exemple Le Matin, 6 sept. 1898. 7. Le Siècle, 3 sept. 1898. 8. La Dépêche Coloniale, 13 sept. 1898. 9. La Patrie, 12 sept. 1898. 10. Le Temps, 14 sept. 1898. 11. Le Petit Journal, 17 sept. 1898.
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dès lors très difficile de faire la moindre objection à une telle politique d'expansion parfaitement légitime. » 1 A la veille de la rencontre, pourtant, l'affaire Dreyfus faillit éclipser l'affaire du Nil : le 18 septembre, on annonça l'ouverture du procès en révision de Dreyfus et les démissions de Zurlinden, titulaire du portefeuille de la Guerre et de Tillaye, titulaire de celui des Travaux Publics. Mais dès le lendemain, Fachoda reprit la première place dans les titres. Coïncidence plutôt qu'information, Le Matin annonça la rencontre le jour même où elle se produisit. Mais ce n'est qu'à partir du 27 septembre que l'opinion apprit vraiment l'événement 2 .
I I . L A RENCONTRE D U
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Que s'était-il passé à Fachoda ? M. Sanderson a donné un récit de la rencontre en s'appuyant sur les sources britanniques, les livres d'Emily et de Baratier et la relation de Marchand lui-même dans Le Figaro du 26 août 1 9 0 4 3 . Le rapport Marchand n'apporte rien de nouveau qui soit essentiel. Rédigé presque immédiatement après l'événement, il montre bien, cependant, comment il f u t vécu. L a rencontre fut d'abord une surprise pour les Français. Le 18 septembre, en effet, les Chillouk confirmaient le retour en force des Mahdistes vers Fachoda : des coureurs du Mek, « couverts de sueur », annoncèrent la nouvelle « tandis que d'énormes colonnes de fumée s'élevai[ent] sur la rive droite, signaux des Dinka à l'approche d'un grand danger » 4 . Ignorant l'écrasement des Derviches à Omdurman, Marchand et ses compagnons crurent à l'arrivée, dans le sud, des forces du Khalife en retraite. Ces forces paraissaient très considérables : dans la soirée du 18, les informateurs Chillouk les évaluaient « à cinq vapeurs et 20 dabiehs pleines de soldats » et affirmaient qu'ils les avaient vus, « douze kilomètres en aval ». Marchand avoua alors qu'une bataille lui paraissait cette fois aléatoire. Ce n'était pas l'avis de Mangin, nous le verrons. Les Français s'installèrent une nouvelle fois aux postes de combat et attendirent l'attaque des Derviches à l'aube. Cependant Marchand aurait pu soupçonner l'arrivée des Anglo-Egyptiens car durant la nuit on annonça chez les Chillouk le retour de deux des leurs, « disparus depuis plus de quinze ans », et porteurs de lettres. Les deux Chillouk se présentèrent au bastion nord, à 6 heures du matin et les Français reconnurent alors les plumets rouges des tirailleurs soudanais britanniques. Les deux tirailleurs remirent à Marchand la lettre adressée par Kitchener « au chef de l'expédition européenne de Fachoda » : le Sirdar informait ces « Européens quelconques » installés à Fachoda, de la victoire d'Omdurman et de son
1. La Dépêche Coloniale, 12 sept. 1898. 2. Le Temps, Le Matin, Le Siècle, Le Figaro, Le Petit Journal, etc., du 27 sept. 1898. 3. SANDERSON, England, Europe, and the Upper Nile..., op. cit., pp. 334-337. Marchand donna aussi un récit de la rencontre dans L'Illustration, 27 janv. 1934. 4. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 144-145.
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intention de venir au f o r t 1 . Marchand répondit immédiatement au Sirdar iqu'il serait « heureux de le recevoir à Fachoda au nom de la France » et fit expédier sa réponse par une baleinière montée par les piroguiers Yakoma ; Marchand s'intitulait « Commissaire du Gouvernement français sur le HautNil et le Bahr el Ghazal ». La rencontre eut lieu à 10 heures du matin. La flottille, « battant pavillon turc », apparut dans le chenal du fort, le Sultan en tête, < canons en batterie, tous les équipages aux postes de combat » 2 . Ce déploiement de forces était impressionnant : 5 canonnières remorquaient une douzaine d'énormes chalands (dabiehs) portant environ 2 000 hommes : tout l'EtatMajor, 60 officiers anglais ou égyptiens, u n bataillon de Highlanders, et les 10" et 11e bataillons « Sudanese ». Le major Cecil, aide de camp de Kitchener et neveu de Salisbury, accompagné du commandant de la flottille, le commodore Keppel, descendirent à terre pour inviter Marchand à rendre visite au général en chef à bord du Stultan. Quelques minutes plus tard, Marchand et Germain rencontrèrent Kitchener qui était assisté du colonel Wingate chef des services de renseignements égyptiens. Le récit de la célèbre entrevue, que donne Marchand dans son rapport, confirme les autres relations 3 . Bien que l'un et l'autre des deux adversaires aient été fort irrités par le premier contact*, il n'y eut pas d'éclat. Kitchener parla en français et demanda seulement que le drapeau égyptien f û t planté à Fachoda à côté du drapeau français jusqu'à la décision des gouvernements. Cette proposition était le fruit des conseils de Wingate 5 . Elle ne correspondait pas au choix politique fait à Londres le 25 juillet 1898 lorsque le cabinet anglais décida de recommander à Cromer et Kitchener « the two flags policy » 6 . Mais elle permit à Marchand de garder son calme en même temps qu'elle l'embarrassa car il lui était difficile d'y opposer u n refus. Par ailleurs, Kitchener fit apprécier sa puissance à Marchand en lui rappelant la présence de ses 2 000 hommes et de ses canons : Marchand se rendit compte de la vanité et du danger d'une épreuve de f o r c e 7 . 1. A.N., 99 AP2, Correspondance entre le Sirdar et Marchand, 18-22 sept. 1898. S.O.M., Afr. Ill, 34a, id. L'expression maladroite de Kitchener, « Européens quelconques », peut s'expliquer par le fait qu'il n'avait pas obtenu d'informations précises sur la nationalité des Blancs de Fachoda même auprès de l'équipage du Safia, rencontré le 15 septembre. Il pouvait s'agir des Belges. 2. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 148. Les canonnières s'appelaient Sultan, Abu-Kléa, Nasir, Fattah; la cinquième, Dal, était en réalité un vapeur. Kitchener s'était embarqué sur le Dal. Il est probable que Marchand confondit le Sultan et le Dal dans son rapport. 3. Cf. Annexe III. Cette rencontre eut lieu sur le Sultan d'après Marchand, sur le Dal d'après les documents anglais. 4. Wingate avait dû calmer Kitchener, particulièrement irrité par le titre que s'était donné Marchand quelques instants auparavant. (Cf. SANDERSON, England, Europe, and the Upper Nile..., op. cit., p. 334.) 5. Ibid., p. 333. 6. Ibid., p. 332. Par « two flags policy », Londres entendait « politique de collaboration anglo-égyptienne » qui permettrait d'élever les deux drapeaux, britannique et égyptien, à Fachoda. 7. Aucun document ne permet d'accréditerl'allégation de Kitchener selon laquelle Marchand lui aurait dit qu'il espérait le rappel de sa Mission. (Cf. SANDERSON, England, Europe, and the Upper Nile..., op. cit., p. 335.)
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L e drapeau d u Khédive f u t donc planté à Fachoda. Wingate aurait voulu qu'il flottât dans l'enceinte ou sur le bastion sud ; Germain lui fit accepter les ruines en contrebas de ce bastion. U n bataillon soudanais commandé par le m a j o r Jackson s'installa non loin pour assurer la garde du pavillon. Il conservait aussi l'appui de l'Abu-Kléa, amarré près du fort. Les deux camps étaient établis à 500 mètres l'un de l'autre : la coexistence commença. Elle ne f u t pas facile. D u côté français, M a r c h a n d trouva en face de lui un Mangin agressif et désapprobateur. Mangin reprochait ouvertement à son chef de n'avoir pas su tenir un langage plus ferme aux Anglais qui avaient, selon lui, ébloui et intimidé M a r c h a n d 1 . Mangin estimait, en effet, q u e « le résultat d'un combat eût été fort douteux, que les pertes des Anglo-Egyptiens eussent été énormes, groupés qu'ils étaient sur 10 ou 20 mètres de profondeur devant des fusils qui percent trois hommes de part en part... Il est infiniment probable, affirma-t-il, que nous aurions obtenu une zone de 2 000 m. de rayon en toute propriété et une zone neutre pour l'entourer. » ' « C'est donc avec la plus grande confiance que nous attendrions le signal des hostilités », écrivait-il dans son rapport sur la fortification de la citadelle s . Ailleurs encore, dans une autre lettre adressée au général Des Garets, le 6 novembre 1898, Mangin soutint le m ê m e point de v u e 4 . Marchand eut donc du mérite à résister à l'impétuosité de ses subordonnés d'autant plus que l'attitude anglaise se durcit les jours suivants. Après une seconde entrevue dans l'après-midi d u 19, au cours de laquelle Wingate se renseigna
1. « Je suis arrivé ici le premier, j'ai un traité avec le chef du pays... Je reconnais que mer forces sont insuffisantes pour vous en empêcher. Mais elles sont assez nombreuses pour garder la place de Fachoda. Je vous demande de ne pas vous établir à moins d'une journée de marche de l'enceinte gardée par les forces françaises. Si vous refusez, j'exige en tout cas la possession absolue de la zone battue par le feu de mes fusils, soit 2 500 m au minimum. J'ai l'ordre de garder Fachoda et ce n'est pas garder une place que de tolérer la présence d'une troupe étrangère à 500 mètres de mes murs. J'ai le pouvoir d'exécuter cet ordre, je vous interdis de débarquer dans la zone battue par le feu de mes remparts. » Tel était le discours que, selon Mangin, Marchand aurait dû tenir. (Exposition Mangin, nov. 1967, lettre de Mangin à sa sœur Louise, Fachoda, 9 oct. 1898. Cette lettre a été publiée, tronquée, dans les Souvenirs d'Afrique de Ch. Mangin, pp. 140-142.) 2. Ch. Mangin à sa sœur Louise, 9 oct. 1898, lettre citée. 3. A.E., NS, Afr. 19, m.e. VII, fol. 235-256, Rapport Mangin, s.I., n.d. (probablement fin sept. 1898 à Fachoda). 4. «Tout en continuant à rendre justice à l'organisation matérielle de nos adversaires, écrit Mangin,... bien des raisons permettent d'envisager sans appréhension les chances d'une rencontre, dans le cas où... le kaïmakan de Fachoda, Jackson Bey, pousserait trop loin les exigences, ou si MM. les diplomates n'arriveraient pas à s'entendre : a) les canonnières n'ont pas de blindage... b) ... le bien-être des hommes est négligé... ils n'ont pas de moustiquaires. c) le recrutement est déplorable; les bataillons noirs, les seuls qui puissent faire campagne ici, sont composés d'esclaves libérés qui détestent les Egyptiens et les Anglais et n'ont qu'un uésir, retourner chez eux. Beaucoup sont venus nous proposer de déserter pour que nous les conduisions au Bahr el Ghazal... d) les officiers anglais sont affectés par le climat, beaucoup plus que nous; les officiers égyptiens se plaignent tout haut de la façon dont ils sont traités en disant que c'est pour l'Angleterre et non pour l'Egypte qu'ils travaillent en ce moment... » (MANGIN, op. cit., pp. 152-153.)
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sur la région en amont de Fachoda, Kitchener partit pour le sud en laissant une protestation officielle contre la présence des Français. Puis Marchand apprit l'installation d'un second camp anglo-égyptien au confluent du Sobat et du Nil et surtout la proclamation de la reprise de la vallée du Sobat par l'Egypte. Or Marchand ne put demander d'explications au Sirdar sur cette occupation de la vallée du Sobat qui « faisait bon marché des droits consacrés par traités et du pavillon du Souverain abyssin » Le 21 septembre, Kitchener repassa devant Fachoda sans s'y arrêter et Marchand chercha en vain à lui faire parvenir une lettre : « Il apparaissait clairement que des ordres avaient été donnés pour que je ne puisse plus communiquer avec le général anglais, constate-t-il, et jugeant inutile d'insister, j'acceptai de reprendre ma lettre. » 2 La politique du Sirdar était en fait assez simple : isoler le plus possible les Français de façon à transmettre une seule version de la rencontre en Europe. Ceci fut fait le 24 septembre : Kitchener présenta un tableau fort sombre de la situation de la Mission qui était, selon lui, à court de vivres et de munitions, sans soutien dans le pays et « anxious to return as we are to facilitate his departure » 3 . Cette description, M. Sanderson l'a montré, pesa sur les négociations jusqu'à la fin de la crise 4 . Sur un point extrêmement important, la reconnaissance du protectorat français par le Mek des Chillouk, la thèse britannique fut formelle : le chef des Chillouk « nie avoir conclu aucun traité avec Monsieur Marchand » affirmait l'aide-mémoire remis par Monson à Delcassé le 27 septembre 1898®. Le 30 septembre, Rennell Rodd, chef de l'Agence britannique au Caire, répéta la même affirmation en la commentant : « Le Mek des Chillouks nie avoir conclu aucun traité et le Sirdar affirme de nouveau que les Chillouks prirent la Mission Marchand pour nos troupes, mais comme M. Marchand n'avait pas d'interprète avec lui et comme ses hommes ne sortaient pas des anciens bâtiment égyptiens, les Chillouks ne pouvaient savoir à qui ils avaient affaire. Ceci paraît mettre hor de doute qu'aucun traité en bonne et due forme ait été conclu. » • Si cette thèse était consciemment fausse dans sa plus grande partie, elle pouvait être vraie en ce qui concerne l'attitude du Mek des Chillouk. Abd el Fadil était bien capable d'un retournement en faveur du plus fort : il l'avait déjà montré avec Marchand. Il a pu ainsi présenter aux Anglais une version « personnelle » des relations entretenues avec les Français. Enfin, il est significatif que le rapport Marchand ne fait aucune allusion aux Chillouk et à un éventuel soutien de leur part après la rencontre du 19 septembre. 1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 154. 2. Ibld., fol. 155. 3. Télégramme de Kitchener, cité par SANDERSON, op. cit., p. 337. 4. Cette version indigna Marchand et ses compagnons lorsqu'ils l'apprirent. En vain rappellèrent-ils qu'ils n'étaient pas si misérables que cela puisqu'ils avaient pu offrir des légumes et du champagne à leurs adversaires! 5. A.E., NS, Afr. 16, m.e. IV, fol. 193-195, et B.C.A.F., 1898, Renseignements Coloniaux n° 8, pp. 182-208. « Livre jaune », pièce n° 12, Delcassé à Geoffray, Paris, 27 sept. 1898. Le traité Chillouk fut rédigé en arabe et largement discuté, nous l'avons vu. 6. « Livre jaune », pièce n° 18, télégramme de l'agence britannique au Caire communiqué par Monson à Delcassé, Paris, 30 sept. 1898.
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En même temps Kitchener s'efforça de rendre plus inconfortable encore la position des Français. Le 21 septembre, il fit transmettre à Marchand une seconde protestation « au nom des droits réunis de l'Angleterre, de l'Egypte et de la Turquie », et surtout un ordre qui interdisait le transport sur le Nil des munitions de guerre. Marchand y vit une menace voilée à l'égard du Faidherbe. Le Major Jackson réussit à l'apaiser et l'assura que « des ordres avaient été donnés aux commandants des canonnières pour qu'aucun conflit ne pût être soulevé avec le commandant du Faidherbe » et il offrit de porter une lettre. Mais les canonnières angloégyptiennes ne purent atteindre l'embarcadère de la Meschra et attendirent le Faidherbe au confluent du Sobat. En fait, il s'agissait surtout pour les Anglais de décourager ainsi l'arrivée de renforts par l'ouest et de planter le drapeau du Khédive dans le Bahr el Ghazal ; ceci fut fait à l'occasion du voyage des vapeurs anglais Avec beaucoup d'obstination, Marchand tenta à nouveau de briser l'isolement de la Mission par l'ouest : le bruit du passage d'une expédition franco-abyssine non loin des confins éthiopiens circulait à nouveau chez les Dinka de rive droite. Baratier partit donc vers le pays Boroum (Barum), aux confins du plateau abyssin où étaient supposés installés les alliés éthiopiens. Mais, sur le chemin, il apprit que le Ras Makonnem était beaucoup plus loin, sur le Nil Bleu, et que le pays Borum était soulevé. Le 7 octobre, il était de retour. Marchand ne se découragea pas et, le 9, fit partir Germain avec la correspondance de la Mission et le traité Chillouk, vers le Sobat. Or le même jour, un vapeur anglo-égyptien, le Kàibar, vint apporter, avec la nomination de Marchand au grade de chef de bataillon, un câblogramme de Delcassé qui demandait un rapport sur la rencontre de Fachoda 2 . Le contact avec la France était réalisé mais dans les plus mauvaises conditions possibles : par l'intermédiaire des Anglais et au moment même où Marchand venait d'expédier ses documents essentiels vers l'Abyssinie. On ne put rattraper Germain. Marchand se décida à envoyer Baratier au Caire avec des documents secondaires : une série de télégrammes rédigés entre juillet et septembre 1898. Baratier ne put même pas emporter le grand rapport de son chef de Mission : Marchand ne le termina qu'entre le 10 et le 18 octobre et espérait le faire parvenir au Caire par un autre de ses adjoints 3 . Il n'est donc pas étonnant que Delcassé ait trouvé « déroutante » la communication télégraphique que lui adressa Baratier du Caire, le 21/22 octobre 4 et ait convoqué l'officier français à Paris afin d'obtenir quelques explications sur les télégrammes de Marchand et une appréciation plus précise sur la situation à Fachoda 6 . Un des télé1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 156. 2. A.E., NS, 16, m.e. IV, fol. 236, Télégramme de Delcassé à Marchand, Paris, 30 sept. 1898. 3. La seconde partie du « Rapport Marchand », rappelons-le, est signée par Marchand à Fachoda les « 10/18 octobre 1898 ». « Le capitaine Baratier, termina Marchand, devait remettre au Sirdar ou à son représentant une lettre officielle demandant le passage à bord du prochain courrier pour celui de mes officiers porteur du rapport dont j'allais hâter la préparation. » 4. A.E., NS, Afr. 17, m.e. V, fol. 128 à 142. 5. Ibid., fol. 151-152, Delcassé à Lefèvre-Pontalis, Paris, 23 oct. 1898.
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grammes semblait, en effet, accréditer les affirmations de Kitchener : M a r chand ne demandait-il pas instamment une relève, ne laissait-il pas prévoir des « obstacles » s'il était maintenu à Fachoda, ne s'inquiétait-il pas de la « situation sanitaire » et ne se plaignit-il pas que « le séjour ici sous pluies continuelles et dans boue » f û t éprouvant ? 1
I I I . L A DÉCISION FRANÇAISE D'ÉVACUATION (OCTOBRE-NOVEMBRE
1898)
D a n s ces conditions cette visite de Baratier était-elle vraiment utile ? Dès octobre, Delcassé était décidé à accepter le retrait de Fachoda. Les négociations menées par l'intermédiaire de Monson à Paris et de Courcel à Londres depuis le 27 septembre s'orientaient déjà vers cette issue 2 . Le 4 octobre, Delcassé le dit clairement à Courcel en le mettant au courant de l'entretien qu'il avait eu la veille avec Monson. Mais il espérait encore une compensation : « Pour notre part, nous consentirions au retour du commandant Marchand si l'Angleterre reconnaissait le Bahr el Ghazal comme la frontière septentrionale, et depuis le confluent du Bahr el Ghazal, le Nil, jusqu'au parallèle du 5° 30 comme la frontière orientale de notre colonie du Congo. » 3 Après une nouvelle entrevue infructueuse avec le baron de Courcel, le 6 o c t o b r e 4 , Salisbury répondit le 13 par une fin de non-recevoir : les Anglo-Egyptiens, avaient, sur place, proclamé la reprise d u Sobat et du Bahr el Ghazal Les pourparlers s'interrompirent alors jusqu'à l'arrivée de Baratier. Or celui-ci ne fournit à Delcassé aucun élément susceptible de transformer la situation ; dès le 23 octobre Delcassé entama les négociations de r e t r a i t 6 . Cependant il ne pouvait déclarer ouvertement ses intentions. Les 7 et 8 octobre, il avait fait proclamer p a r « son » journal, Le Matin, qu'un retrait était parfaitement compatible avec l'honneur national si la France obtenait u n accès au Nil. Mais les passions s'exaspéraient. La publication du « Livre bleu » britannique détermina en France une campagne anglophobe de la presse « chauvine » : Le Petit Journal et La Patrie se
1. Ibid., fol. 141-142, Télégramme de Marchand, daté du 27 sept. 1898 à Fachoda. 2. Nous renvoyons pour ces négociations essentiellement à SANDERSON, England, Europe, and the Upper Nile..., op. cit., pp. 339-361, et à C. ANDREW, Théophile Delcassé and the Making of the Entente Cordiale, pp. 91-118. Lors des premières conversations, à Paris, entre Monson et Delcassé, celui-ci défendit la thèse du Haut-Nil, Res Nullius depuis 1885, et celle de l'inexistence d'une « Mission Marchand » : « Le vrai chef, c'est Monsieur Liotard et sa mission ne remonte pas à juin 1896 mais à 1893, bien avant la reconquête du Soudan, bien avant la déclaration de Sir Edward Grey, et cette mission, c'est moi qui la lui ai donnée quand j'étais ministre », affirma Delcassé. L'argumentation était, on le voit, pour le moins spécieuse. (Cf. A.E., NS, Afr. 16, m.e. IV, fol. 155, Note de Delcassé, 18 sept. 1898.) 3. A.E., NS, Afr. 17, m.e. V, fol. 14, Delcassé à Courcel, Paris, 4 oct. 1898, et A.E., Papiers Delcassé, 8, fol. 27-30, Delcassé à Courcel, Paris, 4 oct. 1898. 4. A.E., NS, Afr. 17, m.e. V, fol. 61-64, Courcel à Delcassé, Londres, 12 oct. 1898. 5. Cf. III« partie, p. 219. 6 . SANDERSON, England, Europe, and the Upper Nile..., op. cit., pp. 3 4 8 - 3 4 9 .
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distinguèrent. Le 13 octobre, La Patrie commença ses violentes attaques contre le gouvernement : « La France trahie », titrait l'éditorial de Millevoye. Le 17, le même journal annonçait « l'abandon de Fachoda » et reprenait les paroles de Déroulède qui avait qualifié Delcassé de « ministre étranger des affaires françaises bien plutôt que ministre français des Affaires étrangères ». Enfin le 18, « en présence des menaces des Anglais, de l'attitude énergique du commandant Marchand, de la politique équivoque, sans dignité et sans courage de notre gouvernement », Millevoye ouvrit une souscription pour offrir une épée d'honneur à « Monsieur le Commandant Marchand ». Tous les grands noms de l'ultra-nationalisme s'y retrouvèrent vite ; Déroulède, Rochefort, Arthur Meyer, Emile et Armand Massard, Henri d'Orléans, Edouard Drumont, Gauthier de Clagny... 1 Les rebondissements de l'Affaire Dreyfus aggravèrent encore le climat passionnel ; le 25 octobre à la rentrée de la Chambre, Déroulède interpella le gouvernement et le général Chanoine démissionna, ayant sur l'Affaire Dreyfus « une opinion conforme à celle de [ses] prédécesseurs » 2 . La foule, pendant ce temps, manifestait violemment place de la Concorde aux cris de « A bas les traîtres ! A bas les politiciens ! » et de « Vive l'Armée ! » De nombreuses arrestations furent opérées, mais le 26 la manifestation reprit, quoique avec beaucoup plus de retenue, à l'occasion de l'arrivée de Baratier, gare de Lyon. Des milliers de personnes, selon La Patrie, et de nombreuses personnalités, Eugène Etienne, le prince d'Arenberg, Le Hérissé, Le Myre de Villers, Emile Massart, Decazes, Monteil, Lamothe et Marcel Habert représentant la Ligue des Patriotes, vinrent acclamer le héros 3 . Marchand et Baratier se trouvaient ainsi enrôlés dans les rangs des antidreyfusards qui venaient de faire tomber le ministère Brisson. Cette situation inquiéta tellement le gouvernement britannique que Monson écrivit à Salisbury qu'on pouvait craindre un coup d'état militaire en France. Le premier ministre intensifia les préparatifs militaires de l'Angleterre, et, poussé par une opinion violemment « jingoïste », ne fit aucune autre avance L'entrevue que Delcassé accorda à Baratier le 27 octobre ne fit qu'accentuer l'inconfort de la position du ministre. On sait qu'elle se termina très mal, que l'officier se laissa emporter et qu'aussitôt sorti, il alla trouver Eugène Etienne qui lui aurait promis son appui ; le 29 celui-ci aurait rendu publique une déclaration signée par ses amis de la Chambre demandant un débat avant tout accord 6 . A vrai dire aucune trace de cette « déclaration » ne semble exister. Mais la presse nationaliste accentua sa campagne contre l'évacuation au moment même où était constitué le nouveau ministère ; annonçant la formation de la « combinaison Dupuy » e , La Patrie
1. Cette collecte dura jusqu'à la fin d'octobre. Elle rapporta plus de 3 000 francs. Gauthier de Clagny était député de Seine-et-Oise. 2. Godefroy Cavaignac, le 3 septembre 1898, le général Zurlinden, le 17 septembre avaient déjà démissionné à cause de l'Affaire. 3. Cf. La Patrie, 27 oct. 1898. 4. Cf. SANDERSON, England, Europe, and the Upper Nile..., op. cit., pp. 3 6 0 - 3 6 1 . 5. BARATIER, op. cit., III, pp. 206-213. 6. Le nouveau ministère comprenait, à côté de Dupuy et de Delcassé, Guillain aux Colonies, le « vieux Lockroy » à la Marine, Freycinet à la Guerre et Peytral aux Finances.
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s'alarmait des bruits, qui couraient « avec persistance » dans les milieux « bien informés », d'un rappel de Marchand et de l'évacuation de Fachoda ; dans Le Petit Journal, Ernest Judet comparait les « deux Frances », celle de Marchand et celle de Bard, le rapporteur du procès en révision de Dreyfus Ces pressions firent peut-être hésiter Delcassé quelques jours au point d'alarmer vivement Courcel qui demanda à son conseiller d'ambassade Geoffray, alors à Paris, de convaincre le ministre, au besoin d'aller jusqu'à l'Elysée 2 . Courcel ne cacha d'ailleurs pas son « désappointement » à Delcassé et lui rappela que Salisbury « avait entrebâillé une porte malgré la promesse de n'en rien faire » 3 . L'intervention de Félix Faure fut sans doute alors décisive : en persuadant Delcassé de rester à la tête des Affaires Etrangères dans le nouveau ministère Dupuy, le Président de la République l'assura de son soutien à la solution de l'évacuation 4 . Le 3 novembre, le Conseil de Cabinet entérina la décision et Delcassé fit télégraphier par les Colonies à Marchand que « s'inspirant des intérêts généraux de la France, le gouvernement a décidé de ne pas se maintenir à Fachoda » 6 . Cette décision qui mettait fin à la « politique du Nil » allait-elle à contre-courant de l'ensemble de l'opinion et surtout de celle des « milieux coloniaux » en qui M. Sanderson voit les éléments les plus anglophobes et bellicistes du moment ? Nous pensons que le bellicisme et l'anglophobie en France étaient « à fleur de peau ». En fait nous constatons plutôt la volonté de conciliation, mêlée à l'espérance de compensations, de ces « milieux coloniaux », au moins en ce qui concerne les civils. La Dépêche Coloniale en est un bon exemple. Même lorsqu'elle parut se rallier à la « politique du Nil », en septembre, elle publia deux articles contradictoires, l'un d'Eugène Etienne 6 et l'autre d'un publiciste nommé Jourdier qui, à notre avis, exprimait mieux la pensée du journal car il reprenait ses anciens thèmes. Le Bahr el Ghazal est-il « l'Eldorado qu'ont rêvé certains explorateurs en chambre », se demandait Jourdier ou « le marécage qu'il est réellement ? » Qu'en tirera-t-on ? Au point de vue colonial, rien, répondait-il. Par contre il faudra dépenser : « Nous voyons bien ce que coûte le ravitaillement qu'a avec lui le capitaine Marchand ; c'est 1 500 000 francs au minimum chaque année. » Enfin, sur le plan diplomatique, « à qui fera-t-on croire que l'occupation de Fachoda gêne l'Angleterre au point de lui faire abandonner l'Egypte ?... Embêter l'Angleterre, c'est évidemment un moyen assuré d'avoir une bonne presse en France... M. Delcassé... a une autre 1. Le Petit Journal, 29 oct. 1898. 2. D.D.F., XIV, n° 473, 474, Courcel à Geoffray, Londres, 31 oct. 1898, et A.E., NS, Afr. 17, m.e. V, fol. 181-182, Courcel à Delcassé, Londres, 31 oct. 1898. « A mon avis, écrivait Courcel, l'évacuation de Fachoda devra être décidée par nous le plus tôt possible, et spontanée, par la seule considération de la valeur absolument nulle de ce poste avancé pour nos territoires de l'Afrique centrale auxquels il ne peut servir de débouché. » 3. A.E., Papiers Delcassé, 8, fol. 49-53, Courcel à Delcassé, Londres, 1 er nov. 1898, et A.E., NS, Afr. 17, m.e. V, fol. 186-7, Note anonyme en anglais promettant l'ouverture de discussions du territoire après l'évacuation de Fachoda, « Unofficial », 27 oct. 1898. 4. F. FAURE, « Fachoda, 1898 », Revue d'Histoire Diplomatique, 1955, pp. 29-30, et Ch. BRAIBANT, Félix Faure à l Elysée. Souvenirs de Louis Le Gall, Ch. IX, pp. 82-87. 5. S.O.M., Afr. III, 34a, Télégramme de Delcassé à Marchand, 3 nov. 1898. 6. La Dépêche Coloniale, 20 sept. 1898, « La conquête du Soudan », par E. Etienne.
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conception de ce que doit être la politique extérieure d'un grand pays » 1 . D'ailleurs, la position d'Etienne ne fut certainement pas celle que lui prêta Baratier ; s'il défendit publiquement, en septembre, la politique française du Nil, Etienne paraît bien avoir choisi de l'abandonner au moment même où il reçut l'envoyé de Marchand, et être intervenu à cet effet. D'autres objectifs, beaucoup plus sérieux, n'étaient-ils pas offerts à l'expansion française, au Maroc ? Une lettre de Paul Bourde à Etienne, mettant en balance la gêne que la France causait à l'Angleterre et la perspective « d'acquérir le Maroc... un des plus beaux pays du monde, 30 millions d'hectares cultivables », semble bien le prouver ; et Bourde, de plus, demanda à Etienne « d'insister encore » auprès de Delcassé pour qu'un marchandage Maroc-Egypte soit envisagé 2 . Les divergences ont donc été plus apparentes que réelles entre le leader du groupe colonial et la Dépêche. Celle-ci, au début d'octobre, entendit prouver « combien est vaine, au point de vue colonial, l'entreprise que vient de mener à bien le capitaine Marchand » 3 . La Dépêche Coloniale s'efforça toujours non d'exaspérer la crise mais de suivre Delcassé. Le 1" octobre, elle suggéra des compensations à l'évacuation 4 . A la fin d'octobre, elle encouragea le ministre à ne pas se laisser « influencer par les prétentions excessives des impérialistes anglais et des chauvins français » B . Enfin, dès l'annonce du retrait, elle soutint à fond Delcassé et chargea Hanotaux, Lebon et Lagarde : « Sera-t-il permis d'espérer que Fachoda soit la condamnation de cette politique d'aventures que nous n'avons cessé de dénoncer dans ce journal ? » pouvait-on lire le 5 novembre 6 . Les vrais responsables sont alors Hanotaux, Lebon et « dans la coulisse... M. Lagarde qu'on voyait tous les jours frétillant au Quai d'Orsay..., dépositaire de la pensée intime de M. Hanotaux » 7 . La Dépêche Coloniale suivait ici, il est vrai, toute la presse qui avait trouvé en Gabriel Hanotaux un excellent « bouc émissaire ». L'opinion « coloniale » nous semble donc avoir été aussi divisée que le reste de l'opinion française lors de la crise de Fachoda. Ce n'est pas, en tout cas, du côté des amis de La Dépêche Coloniale que se recrutaient les partisans de la politique de force. Dans la presse non spécialisée la majorité se rangea vite aussi du côté de la conciliation : les journaux modérés, Le Temps, Les Débats, Le Matin8 prêchèrent le calme et la modération. Les dreyfusards vinrent renforcer le courant conciliateur : dans Le Siècle Lanessan dénonça l'anglophobie 9 , 1. La Dépêche Coloniale, 20 sept. 1898, « L'occupation de Fachoda », par F. Jourdier. 2. Cette lettre est intégralement publiée dans le livre de H. SIEBERG, Eugène Etienne und die franzosische Kolonialpolitik (1887-1904), pp. 120-121. 3. La Dépêche Coloniale, 1 e r oct. 1898. Le journal songe à un échange avec la Gambie. 4. Ibid. 5. Ibid., 21 oct. 1898. 6. Ibid., 5 nov. 1898, « Fachoda », par J.P. Trouillet. 7. Ibid., 6 et 7 nov. 1898, « L'affaire de Fachoda: les responsabilités ».Jamais La Dépêche Coloniale ne fut aussi sévère pour la politique d'Hanotaux, que dans cet article signé G. Ribes. 8. Il est à noter que c'est Le Matin, le « journal de Delcassé » qui entama, sous la signature d'Emile Cére (un ami de Marchand), la campagne contre l'excellente cible qu'était alors Gabriel Hanotaux (cf. Le Matin, 3 nov. 1898, « Le responsable »). 9. Le Siècle, 20 oct. 1898.
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Yves Guyot et Joseph Reinach, les excès de la c presse cocardière » 1 . Fait significatif de la modération de l'opinion générale, le Conseil municipal de Paris vota le 20 octobre le vœu que le gouvernement français déployât « tous ses efforts en vue d'éviter un grave conflit avec l'Angleterre touchant la question de Fachoda ». Enfin, les socialistes en Angleterre et en France se prononcèrent pour la conciliation le 30 octobre, en affirmant qu'il n'existait « ni en Afrique, ni nulle part ailleurs, une cause de conflit entre la France et l'Angleterre qui puisse justifier une guerre » 2 . En définitive Delcassé eut contre lui les milieux « chauvins » ou « militaris'es », dont les organes d'expression étaient La Patrie, L'Eclair, L'Echo de Paris, L'Intransigeant, Le Gaulois, L'Autorité, La Gazette de France3 et Le Petit Journal. Bien que nombreux, ces journaux — excepté Le Petit Journal — avaient une audience relativement limitée. Enfin, pour active et fort bruyante qu'elle fût, l'opposition de la Ligue des Patriotes et des « coloniaux > extrémistes ne reflétait pas l'opinion, hostile à une guerre fort incertaine. On peut juger de la force des partisans de la résistance à outrance lorsque, au début de novembre, ceux-ci voulurent déposer une demande d'interpellation 4 . Delcassé en obtint sans peine l'abandon et fut approuvé presque par toute la presse 6 . Il avait alors gagné la partie en France. Dès le 4 novembre, Le Matin tira la conclusion de la crise dans un petit billet qui insistait sur le « comique » d'une guerre que la France aurait engagée pour Fachoda alors que l'Alsace-Lorraine était encore occupée.
I V . L E S RISQUES D E RUPTURE (NOVEMBRE-DÉCEMBRE
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Si la période dangereuse de la crise semble bien surmontée dès les premiers jours de novembre en Europe, elle entrait au contraire dans sa phase la plus critique sur place. Dans l'accueil que réserverait Marchand à l'ordre de rappel était le premier risque de rebondissement de la crise. C'est au Caire que le chef de la Mission Congo-Nil apprit la décision du gouvernement français. Le 24 octobre, conformément au vœu émis par Marchand, le colonel Maxwel, commandant à Omdurman, avait mis à sa disposition la canonnière Tama'i — qui faisait le courrier entre Fachoda et Omdurman — afin de lui permettre de faire parvenir son rapport au Caire. Marchand voulut le porter lui-même ; le calme du statu quo entre Français et Anglo-Egyptiens à Fachoda et le désir de ne pas confier ce document aux soins des Britanniques le décidèrent à prendre cette initiative. C'est du moins ce qu'il expliqua longuement dans la troisième et dernière partie de son rapport dont il finit la 1. Jbid., 3, 23, 24 oct., et 3 nov. 1898. 2. Motion de la Social Démocratie Fédération publiée par la Petite République Socialiste, 7 nov. 1890. 3. « Delcassé est-il un traître? » interrogeait encore La Gazette de France, organe royaliste, le 18 novembre 1898. 4. L'initiative de cette interpellation venait des députés A. de Mun et L. Brunei, le député de la Réunion. 5. Cf. La Dépêche Coloniale, 9 nov. 1898. 15
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rédaction à Fachoda, le 10 décembre 1 . Pour se défendre de l'accusation d ' a b a n d o n de poste, il recourut à des arguments quelque peu spécieux justif i a n t son d é p a r t 2 . En fait Marchand ne voulait pas laisser à l'un de ses subordonnés restés à Fachoda, surtout Mangin ou Germain, le soin d'expliquer la situation et de commenter son rapport. Il s'embarqua donc pour L e Caire le 25 octobre laissant le commandement de la Mission à Germain. Le 27 octobre, il était à O m d u r m a n qu'il quitta le 2 9 après avoir visité le champ de bataille sous la conduite d u colonel M a x w e l 3 . Le 30, à l'Atbara, « terminus du chemin de fer du désert », il trouva un train spécial qui le conduisit à W a d i H a l f a : de W a d i H a l f a à Assouan, c'est un nouveau bief fluvial puis enfin le chemin de fer de Haute-Egypte. Le 3 novembre au soir M a r c h a n d atteignit Le Caire après u n voyage de neuf jours pour lequel il tint à remercier les autorités anglaises 4 . Pourtant les nouvelles auraient p u l'indisposer à leur égard. Jusqu'à Louqsor, Marchand ne sut rien de la situation en Europe ; à Louqsor, le 2 novembre, u n Français, « propriétaire directeur du plus grand hôtel » de l'endroit, le mit au courant : « C'est ainsi que j'appris, rapporte Marchand, q u e nous étions à la veille d'une grande guerre avec l'Angleterre pour la question de Fachoda. » 6 A u Caire Marchand fut accueilli par le représentant français LefèvreP o n t a l i s e . Il prit immédiatement connaissance des dépêches ministérielles et de la décision d'évacuation dont la nouvelle venait tout juste d'arriver. C e premier contact avec la réalité lui f u t particulièrement pénible et la réponse qu'il rédigea, dans la nuit même, pour le ministre des Affaires Etrangères, f u t à peine respectueuse. Certes, il obéirait mais l'ordre d'évacuation était pour lui « un crève-cœur » et il n'en comprenait pas les raisons. « Je dois cependant vous faire remarquer, écrivit-il, que l'évacuation de Fachoda avant m ê m e que vous ayez connaissance de mon rapport est l'abandon de droits certainement acquis à nous, sans parler de ceux antérieurs. » 7 Marchand s'en prit surtout à la version, donnée p a r Kitchener, de la situation des Français à Fachoda ; il dit sa « stupéfaction prodigieuse » devant « les affirmations mensongères » de Kitchener, parla « d'infamie qu'il ne méritait pas », et affirma que le Sirdar n'avait jamais vu le
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, III, 27 pages et 5 pages d'Annexes. 2. « Au point de vue matériel de ma situation personnelle... je ferais remarquer que le chef de la Mission... n'était pas plus le commandant de Fachoda que celui de Meschra er Rek ou Fort Desaix ou d'un quelconque des 12 ou 15 postes créés par moi sur un territoire plus grand que la France. Le commandant de Fachoda était le capitaine Mangin, celui de la Meschra er Rek était le capitaine Largeau, celui de Fort Desaix, le lieutenant Jacques, etc. » (Ibid., fol. 9.) 3. Ibid., fol. 12, note 1 : « Le respect de la vérité m'oblige à dire ici que malgré tout mon désir de voir sur le terrain les 26 500 Derviches tués signalés par le Sirdar dans la bataille du 2 septembre, je ne puis en accepter au maximum que 4 000. » 4. Ibid., fol. 13-14. 5. Ibid., fol. 13. 6. Cogordan avait quitté Le Caire fin juin. 7. A.E., Papiers Delcassé, 8, fol. 62-66, Marchand à Delcassé, Le Caire, 4 nov. 1898, 4 h. du matin, et A.E., NS, Afr. 18, m.e. VI, fol. 19-21, id.
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Sultan, ni aucun chef Chillouk 1 . Enfin, il passa à de plus graves propositions : « Je demande dix minutes avec les seules forces que je possède actuellement à Fachoda pour enlever le bataillon Jackson et les 4 pièces d'artillerie puis aller en faire autant à Sobat. » Son exaltation le faisait déborder évidemment de son rôle. Delcassé répondit le jour même avec mesure et fermeté par l'intermédiaire de Lefèvre-Pontalis : « Dites au commandant que la France ne renonce à aucun droit, que le gouvernement a simplement constaté que Fachoda ne constitue pas le débouché naturel sur le Nil, facile et toujours praticable... Enfin le gouvernement, seul juge sous sa responsabilité devant le Parlement des intérêts généraux de la France, estime qu'ils ne doivent pas être liés à ce point du Nil. Je ne doute pas que le commandant Marchand n'accomplisse avec sa poignée de braves l'exploit qu'il propose, mais il réfléchira d'abord qu'il ne pourrait pas l'accomplir si les autorités anglo-égyptiennes, qui lui ont permis de venir au Caire, s'opposent à ce qu'il retourne à Fachoda et que ce simple fait montre cruellement l'infériorité de notre situation... Il comprendra que l'amour de la Patrie se mesure, je le sais, à ce qu'on lui sacrifie. » 2 Marchand ne voulut pas comprendre immédiatement. Le récit que lui fit Baratier, revenu au Caire le 4 novembre, de l'entrevue avec Delcassé, ne fit qu'aggraver sa colère : « Je n'ai qu'à m'incliner devant cette terrible décision, télégraphia-t-il le 5, mais je refuse formellement accepter forme dans laquelle vous voulez la présenter publiquement. Le chef de la Mission française au Nil a reçu ses instructions du gouvernement avec ordre formel réitéré d'occuper Bahr el Ghazal et Fachoda... Evacuer Fachoda pour cause mauvaise situation de la mission française, jamais, le motif est faux et je préfère que vous en chargiez un autre et que vous me rappeliez à votre disposition. » 3 L'affrontement ouvert entre le gouvernement et la Mission était donc menaçant. Heureusement Lefèvre-Pontalis réussit à calmer le commandant jusqu'à son départ pour Fachoda ; le 15 novembre il put rassurer Delcassé sur la conduite de Marchand : « Il s'est ressaisi et dès lors, son attitude au Caire a été irréprochable jusques et y compris l'heure où il a pris 'congé à la gare de Dakour de la colonie française venue en masse le saluer. » 4 Delcassé ne tint d'ailleurs pas rigueur à Marchand de son emportement 8 . Toutefois la rupture avait été évitée de justesse.
1. L'affirmation est difficilement contrôlable. 2. Ibid., fol. 67-68, Delcassé à Lefèvre-Pontalis, Paris, 4 nov. 1898, 21 h. 30, et A.E., NS, Afr. 18, m.e. VI, fol. 23, id. 3. Ibid., fol. 69-70, Marchand à Delcassé, Le Caire, 5 nov. 1898, midi. 4. S.O.M., Afr. III, 34b, Lefèvre-Pontalis à Delcassé, 6 déc. 1898. En fait, Marchand prononça encore un discours assez provoquant au Caire, devant la colonie française. Il y évoqua « l'ombre de Bonaparte ». Mais il ne remettait pas du tout en cause la décision du gouvernement. 5. A.E., Papiers Delcassé, 8, fol. 73, Delcassé à Lefèvre-Pontalis, Paris, 7 nov. 1898,15 h. 15 : « Dites au commandant Marchand que je ne veux me souvenir que des services et de la Mission que je lui confiais moi-même en 1893 dans la Côte d'Ivoire et que son chef militaire ignorera la dépêche qu'il m'a adressée par votre entremise. »
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Lorsqu'il fut de retour à Fachoda, le 4 décembre, Marchand put se rendre compte que là aussi on s'était approché dangereusement du point de rupture. Pourtant, à son départ, le statu quo semblait parfaitement assuré. Le 9 octobre, le Faidherbe était revenu à Fachoda après son expédition à la Meschra er Rek où il était arrivé le 24 septembre. Dyé en rapportait la nouvelle qu'aucune relève, aucun renfort n'était en route pour Fachoda 1 . De plus la Meschra était inoccupée ; Largeau y était donc resté. Les Anglo-Egyptiens voulurent alors profiter de la situation et, le 20 octobre, leurs deux canonnières, le Sultan et YAbu-Kléa, tentèrent de percer le barrage de « sedd ». Ce fut un échec qui renforça le statu quo à Fachoda. Mais pendant l'absence de Marchand, en quelques jours, la situation devint extrêmement tendue ; immédiatement après son départ pour Le Caire, les rapports entre Anglo-Egyptiens et Français s'étaient aigris. Germain et Mangin décidèrent en effet de tenter une nouvelle jonction avec les Ethiopiens : le 10 novembre Germain prit la responsabilité de cette initiative en signant un ordre de mission qui envoyait « Mangin avec cinquante tirailleurs ouvrir communications rive droite du Nil et Abyssinie ». Les motifs invoqués sont extrêmement révélateurs de la dégradation du statu quo à Fachoda et de l'état d'esprit des Français. Ceux-ci reprochaient au « kaïmakan » Jackson un certain nombre de vexations : depuis le départ de Marchand, les Anglo-Egyptiens refusaient tout courrier, « les communications étaient rompues avec la France et le chef de Mission » ; les exigences des Britanniques allaient croissant : ils avaient interdit de naviguer sur le Sobat et le Nil avec du personnel armé, puis interdit de pénétrer dans le Sobat ; enfin, le ravitaillement devenait difficile à cause de leur présence et « faute de monnaie ayant cours », c'est-à-dire de livres. Ces raisons expliquent le mécontentement de la garnison française. Cependant l'envoi de Mangin prenait l'allure d'un petit complot lorsque Germain expliquait au ministre, qu'il agissait « conformément aux intentions antérieures du commandant Marchand » et qu'il espérait par cette mission « permettre réception de vos ordres, faciliter détermination route à suivre pour renforts et enfin presser arrivée Abyssins sur Nil Blanc » 2 . Mangin partit le 11 novembre pour les Béni Chogoul 3 . Lorsque Marchand fut de retour à Fachoda, il trouva une protestation de Jackson suivie bientôt d'une autre beaucoup plus grave du colonel Maxwell qui s'élevait essentiellement contre le fait que des soldats « armés et portant pavillon français avaient été envoyés dans le pays des Dinkas », qu'ils avaient « planté des pavillons français dans les villages » et qu'ils avaient « forcé les indigènes contre leur volonté de faire service comme guides » : « Je suis commandé par les gouvernements anglais et égyptien dont j'ai l'honneur d'être leur représentatif [sic], de protester contre les actes faits pendant votre absence par la Mission [j/c] dont vous êtes le chef. » 4 1. S.O.M., M42, Rapport Marchand, III, fol. 1-2. 2. S.O.M., Afr. III, 34b, Germain au ministre des Colonies, 10 nov. 1898. 3. Nous avons adopté l'orthographe de Marchand : Béni Chogoul. D'autres transcriptions existent : Béni Changoul, Béni Changul. 4. Ibid., 34b, Maxwell à Marchand, 9 déc. 1898.
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L'initiative de Germain et de Mangin était dangereuse surtout parce que les troupes anglaises du Nil Bleu marchaient au même moment de Roseires sur les Béni Chogoul. Marchand réagit immédiatement et une fois de plus contre ses subordonnés indisciplinés. Dès le 5 décembre, il conféra avec Jackson et le major Maxwell et les informa qu'il envoyait un de ses officiers à la recherche du détachement de Mangin « avec une petite escorte qui devrait ramener celui-ci sur le Baro [Haut-Sobat] où il allait lui-même se porter » 1 . Le 7, avec l'accord des Anglo-Egyptiens, il fit donc partir le lieutenant Fouques avec mission d'ordonner à Mangin de rejoindre le gros de l'expédition sur la voie du retour. Ici comme au Caire l'incident fut donc évité de justesse et, finalement, le sang-froid de Marchand, ou le sens de l'obéissance de cet officier sorti du rang, l'emporta sur ses propres sentiments et sur l'imprudence dangereuse de ses compagnons. Les Anglais à Fachoda semblent l'avoir compris en modérant le plus possible leurs réactions et en attendant le retour de Marchand. Cependant leur calme était celui des vainqueurs : Marchand rentrait à l'ancienne mouderieh égyptienne porteur d'un ordre d'évacuation immédiat : « Pendant les journées des 5, 6, 7, 8, 9 et 10 décembre, tout le personnel de la Mission s'occupa activement de préparer [cette] évacuation... Ajouterai-je, écrit Marchand, que pendant toute cette période le fort français ne désemplit pas d'indigènes Chillouks se succédant pour nous supplier de ne pas quitter Fachoda en les laissant aux mains des 'Turcs' [j/c]. Le Sultan Abd el Fadil envoya lui-même des émissaires pour me dire que si je partais de Fachoda lui aussi en partirait pour fuir plus à l'ouest. » 8 On peut douter de la sincérité de ces protestations tardives d'amitié et y voir plutôt un adieu poli après six mois de présence des Français en pays Chillouk. Le 11 décembre à 9 heures du matin, Marchand concluait la dernière partie de son rapport : « Le poste de Fachoda a été évacué, la flottille remonte le Nil dans la direction du Sobat. »
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, III, fol. 19. 2. Ibid., fol. 23.
CHAPITRE I I I
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I. L E PROBLÈME DE L'ÉVACUATION
Les modalités du retour furent négociées au mois de novembre. Le principal problème était celui de l'itinéraire. Le 4 novembre, Marchand avait dit à Delcassé son refus formel de revenir par le Nil avec le concours des Britanniques et en position de quasi-prisonnier. Mais d'autre part, le moral de la compagnie de tirailleurs d'escorte interdisait aussi un retour par le Bahr el Ghazal : « J'aurais une révolte des troupes soudanaises dont les officiers soutiennent le moral depuis trois années de fatigues surhumaines en montrant la France au bout de la route. » 1 Le seul itinéraire possible de retour, selon Marchand, était celui de l'Abyssinie. Le gouvernement français accepta 2 et Delcassé demanda immédiatement à Lagarde d'obtenir le concours des Ethiopiens 3 . Le 18 novembre, Lagarde annonça l'accord de Ménélik 4 . De leur côté les Britanniques se montrèrent accommodants. Lors de son séjour au Caire, Marchand put discuter avec Wingate des conditions et de la date d'un retour par la voie du Sobat et du Baro®. Puis le 26 novembre, d'Omdurman, Marchand télégraphia au Sirdar un plan d'évacuation détaillé ; il s'y réservait u n long délai pour quitter le Haut-Nil :
1. A.E., Papiers Delcassé, 8, fol. 62-66, Marchand à Delcassé, Le Caire, 4 nov. 1898, 4 h. 2. Ibid., fol. 73, Delcassé à Lefèvre-Pontalis, Paris 7 nov. 1898, 15 h. 15 : « J'ai obtenu du gouvernement qu'on autorise la Mission à continuer sa route par le Sobat vers Djibouti. » 3. S.O.M., Afr. III, 34b, Ministre des Colonies (Guillain) à ministre des Affaires Etrangères (Delcassé), 11 nov. 1898; Guillain remercie Delcassé d'avoir demandé à Ménélik d'aider au rapatriement de l'expédition du Nil. 4. Ibid., 34a, Lagarde à Delcassé, Addis-Abeba, 18 nov. 1898, Djibouti, 3 déc. 1898 5. A.E., Papiers Delcassé, 8, fol. 75, Lefèvre-Pontalis à Delcassé, Le Caire, 9 nov. 1898. « J'ai été trouver Lord Cromer... Le commandant Marchand va s'entendre directement avec le colonel Wingate sur la date et les conditions de son départ. »
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« Je crois pouvoir fixer les environs immédiats du 1 e r janvier comme la date d'achèvement de l'évacuation de Fachoda, c'est-à-dire la date où mon pavillon sera amené. Je compte donc pouvoir quitter vers le 25 janvier avec toute ma Mission le confluent Baro-Djeba et atteindre Goré en un mois. » 1 Ce délai devait permettre une évacuation de Fachoda en recourant le moins possible à l'aide des Anglo-Egyptiens. Marchand proposait à cet effet que le Faidherbe effectue deux voyages : u n premier consacré au transport jusqu'au confluent du Baro et du Sobat du personnel et du matériel rapatriés par l'Abyssinie, un second jusqu'à la Meschra er Rek, consacré au transport du matériel renvoyé, à l'ouest, en territoire « français ». Le concours des Anglo-Egyptiens ne serait sollicité que pour le rapatriement rapide des malades 2 . C e plan ménageait un retour honorable à la Mission. Mais il posait indirectement la question du Bahr el Ghazal « français » et de son occupation. D'ailleurs, le 15 novembre, Marchand avait écrit à Delcassé pour lui fixer « les frontières à exiger » : le Tondj ou le Soueh lui paraissaient les limites extrêmes à accorder pour garder la M e s c h r a 3 . Aussi les Anglo-Egyptiens ne s'y trompèrent pas et Marchand reçut, le 29 novembre, un télégramme de Lefèvre-Pontalis faisant état des propositions britanniques au sujet de l'évacuation de Fachoda et de la réponse qui leur avait été donnée en France : « Le gouvernement anglais ayant proposé de mettre gracieusement à votre disposition une canonnière égyptienne pour transporter votre matériel et approvisionnement, excepté munitions, à Meschra er Rek, le gouvernement a accepté. » Marchand s'inclina. Mais il avertit Paris qu'il avait « des raisons de supposer que les deux canonnières égyptiennes qui emporteraient matériel Fachoda à Meschra er Rek y porteront aussi un demi-bataillon égyptien pour essayer occupation. Veuillez me faire savoir plus tôt possible, ajoutait-il, vos intentions au sujet du Bahr el Ghazal et plus particulièrement Meschra car j'ai donné ordre tels à officiers commandant ce poste 4 qu'en absence des instructions du gouvernement français aucun débarquement troupes ne sera toléré sur territoires Bahr el Ghazal » 5 Delcassé fit répondre immédiatement par Lefèvre-Pontalis ; il confirma son acceptation de l'aide « égyptienne » et ordonna que l'officier français chargé du poste de la Meschra, Largeau, conserve « attitude expectante que vous avez observée vous-même dans conditions analogues à Fachoda » 6 . Ainsi Marchand tenta en vain de peser sur la négociation qui s'engageait. De toute façon, son plan d'évacuation était pratiquement inapplicable. Il
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, III, Annexe 1, fol. 28, Marchand à Kitchener. 2. S.O.M., Afr. III, 34a, Marchand à Delcassé, Assouan, 15 nov. 1898. 3. S.O.M., M43, Rapport Marchand, III, Annexe 2, fol. 29, Lefèvre-Pontalis à Marchand. 4. S.O.M., Afr. III, 34a, Delcassé à Guillain, Paris, 21 novembre 1898, et A.E., NS, Afr. 18, m.e. VI, fol. 165, Guillain à Marchand, Paris, 24 nov. 1898. 5. Ibid., Annexe 7, fol. 31-32. 6. A.E., NS, Afr. 18, m.e. VI, fol. 188, Guillain à Marchand, Paris, 1« déc. 1898.
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s'en aperçut lui-même le 30 novembre lorsque le commandant du courrier Tamài, revenant de Fachoda, lui apprit que le Faidherbe, arrêté depuis u n mois par les barrages de « sedd » formés dans le Bahr el Ghazal, n'avait pu atteindre la Meschra er Rek, pas plus d'ailleurs que les canonnières anglaises. Marchand s'en montra tout d'abord fort satisfait Il commença par accepter la solution d'un rapatriement du matériel par le Nil mais « les frais de transport supérieurs à la valeur des objets transportés » le firent revenir à la solution « d'un dépôt au camp égyptien de Fachoda pour être portés à Meschra er Rek quand l'état du fleuve le permettrait » 2 . Seuls les malades de l'expédition, de Prat, Bernard et huit tirailleurs furent ¡renvoyés par la voie du Nil. Le 11 décembre le gros de la Mission s'embarqua sur le Faidherbe et cinq chalands pour le S o b a t 3 .
I I . D E F A C H O D A A D J I B O U T I (DÉCEMBRE 1 8 9 8 - M A I
1899)
Au début de novembre le gouvernement britannique avait accepté le retour des Français par l'Ethiopie. Mais on s'inquiéta très vite en France des réticences qu'auraient manifestées certains responsables anglais, en particulier Lord Cromer ; ce dernier, selon Guillain, avait laissé entendre que le représentant de la reine en Abyssinie, s'autorisant de l'article I du traité anglo-éthiopien, déclinera auprès de Ménélik toute responsabilité dans l'entrée d'une armée française en Abyssinie. Cette attitude ne risquait-elle pas, demandait le ministre des Colonies, « d'apparaître vis-à-vis du Négus comme un blâme ou un désaveu de l'itinéraire adopté par la Mission » ? 4 Elle pouvait au moins amener Ménélik, poussé par l'habile représentant anglais, Harrington, à désarmer la Mission Marchand. Delcassé ne négligea pas l'avertissement qui devait lui être confirmé par Lagarde quelque temps plus t a r d 5 . Le 28 novembre, il annonça à Guillain qu'il avait envoyé « des instructions télégraphiques à notre représentant à Addis-Abeba pour le mettre en garde contre les dispositions défavorables que son collègue anglais pourrait tenter d'inspirer au Négus à l'égard de la Mission » 8 . Le 4 décembre, Lagarde put rassurer Delcassé : Ménélik autoriserait la venue de la Mission en armes et, en outre, lui faciliterait le passage 7 . Lui-même, Lagarde, guiderait en partie la Mission et enverrait à sa rencontre des secours convoyés par ses adjoints 1. « Au fond, je ne fus pas contrarié outre mesure par cette impossibilité matérielle d'exécuter les ordres combinés des gouvernements en ce qui concernait le rapport à la Meschra des approvisionnements français de Fachoda évacué, confessa-t-il, car j'étais bien convaincu que les canonnières anglaises qui devaient faire ce transport devaient en profiter pour occuper Meschra er Rek. » (S.O.M., M43, Rapport Marchand, III, fol. 21.) 2. Ibid., fol. 25. Le dépôt consistait en quelques ballots d'étoffes, quelques tubes de perles et des tonnelets et mallettes « Conza ». 3. Kitchener proposa, en vain, un achat du Faidherbe. (Cf. A.E., NS, Afr. 18, m.e. VI, fol. 178, Monson à Delcassé, Paris, 29 nov. 1898.) 4. S.O.M., Afr. III, 34a, Guillain à Delcassé, Paris, 15 nov. 1898. 5. Ibid., 34a, Lagarde à Delcassé, Addis-Abeba, s.d., Djibouti, 6 déc. 1898, et A.E., NS, Afr. 18, m.e. VI, fol. 204, id. 6. S.O.M., Afr. III, 34a, Delcassé à Guillain, Paris, 28 nov. 1898. 7. Ibid., 34a, Delcassé à Guillain, transmission du télégramme de Lagarde daté du 3 nov. 1898 à Djibouti.
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Convalette et Chabaneix : en effet, Marchand avait demandé « 100 mulets pour le 1 e r février 1899 à Goré » 1 . Le départ du confluent du Sobat eut lieu le 13 décembre. L'itinéraire de retour par l'Abyssinie ne peut être reconstitué en détail. Les localisations ne correspondent ni à celles données par Charles Michel sur la carte de la Mission Bonvalot-Bonchamps, ni aux cartes que nous avons pu consulter. Par ailleurs Marchand arrêta la rédaction de son grand rapport de mission à Fachoda. Aussi la documentation concernant la dernière phase de l'expédition, spécialement la traversée de l'Abyssinie, est-elle restreinte. Baratier dans ses souvenirs inédits de 1901 2 et Mangin dans ses Souvenirs d'Afrique nous fournissent l'essentiel des renseignements. La remontée de la rivière Sobat-Baro à travers des pays très peuplés, au dire de Baratier, par les groupes Nouer-Abigar et Chillouk-Anouok, se fit extrêmement rapidement grâce au Faidherbe : le 21 décembre, la Mission avait déjà laissé derrière elle Nasser, atteignait le confluent du Sobat et de l'Adjouba et entrait dans le Baro. Une courte exploration de la région marécageuse du Baro arrêta quelques jours l'expédition. Puis le 8 janvier, l'expédition arrivait aux premiers rapides du Baro, en aval du village Itchop déjà signalé par Charles Michel ; le Faidherbe ne put remonter plus en amont. Il fut abandonné sur une île près des rapides et confié aux soins d'un chef Abigar, nommé Ouviette, dépendant des Ethiopiens 3 . Marchand n'avait reçu jusqu'alors aucun secours de Lagarde ou des Ethiopiens du dedjaz Tessama, ni même rencontré d'émissaire de ces derniers ; il se confirmait que le Négus n'exerçait aucune autorité dans la vallée du Sobat-Baro sur laquelle les Anglo-Egyptiens proclamaient leurs droits. Laissant là la plus grande partie de la Mission, Marchand et Baratier continuèrent, avec une escorte de 40 tirailleurs, sur Bouré où ils comptaient trouver les Ethiopiens. Le 13 janvier, ils pénétrèrent vraiment en Abyssinie lorsqu'ils escaladèrent la « muraille abyssine » du massif de la région de Gambella. Deux jours plus tard ils étaient à Bouré où ils trouvèrent un membre des expéditions Bonvalot-Clochette, Faivre, que Baratier dépeint comme un « garçon grand, fort, rempli de santé et parlant abyssin » 4 . Puis, le 19, les envoyés de Lagarde, Convalette et Chabaneix, firent à leur tour leur jonction avec Marchand. C'est aussi à Bouré que les Français rencontrèrent le premier « fonctionnaire » abyssin. Quelques jours plus tard, le 27 janvier, le dedjaz Tessama arriva lui-même au-devant de Marchand avec les mulets demandés. Il apportait des nouvelles de Mangin : celui-ci était à Goré depuis le 22 janvier. Mangin a rassemblé les documents essentiels sur son « escapade » dans ses Souvenirs d'Afrique6. Elle fut assez mouvementée. Parti le 11 novembre 1. Ibid., 34a, Delcassé à Guillain, Paris, 29 nov. 1898. En outre, Marchand avait réclamé « 10 000 francs en or et monnaie abyssine à Goré ou Addis-Abeba pour l'entretien de ma Mission à travers l'Abyssinie ». {Ibid., 34a, Delcassé à Guillain, transmission d'un télégramme de Marchand, 28 nov. 1898.) 2. A.N., AP3, Souvenirs de BARATIER, brouillon de la dernière partie intitulée « De Fachoda à Djibouti ». 3. Ibid., p. 67. 4. Ibid., p. 8. 5. Op. cit., ch. VII, « En Abyssinie », pp. 157-192. Dans ce massif des Béni Chogoul, Mangin se guida d'après une carte d'état-major dressée par les Italiens.
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de Fachoda avec 54 hommes, il avait atteint les Béni Chogoul, le 29 novembre après avoir renvoyé 30 hommes « pour ne pas trop dégarnir Fachoda ». Mais il eut du mal à passer. Dans la plaine, il remonta d'abord vers le nord à travers le pays Dinka et laissa un poste en face de Fachoda, Ouali, par où devaient arriver, selon lui, les renforts français. A partir du Djebel Gabrit (au nord-est de Kaka), il obliqua vers l'est à travers une région peuplée en majorité par des Arabes Founke jusqu'à Kourmouck (Kurmuk), contournant le pays Boroum troublé. Mais il se heurta à u n e mauvaise volonté manifeste des Founke : < Les relations sont pénibles », note Mangin qui se procure guides et porteurs par la m e n a c e 1 . En fait, le pays est déjà passé sous l'autorité des Egyptiens et Mangin constate qu' « on ne connaît que les Turcs ». Près de Kourmouck, il entra en contact avec les premiers Béni Chogoul. Ceux-ci connaissaient les Abyssins mais n'en avaient gardé qu'un fort mauvais souvenir. La colonne du Ras Makonnem, en marche vers le Nil Bleu n'avait laissé que ruines et anarchie derrière elle 2 . Le chef principal des Béni Chogoul, Abderrhaman, avait été emmené en captivité au Choa. Aussi des notables proposèrent vite à Mangin de prendre le pays pour ne pas le donner aux Abyssins 3 . Les Abyssins n'occupaient d'ailleurs pas plus la région qu'ils n'occupaient la vallée du Baro. Le 30 novembre Mangin f u t arrêté par « 300 hommes dont plus de la moitié étaient armés de fusils à tir rapide » ; ce n'étaient pas les Ethiopiens mais les hommes du clan Abderrhaman, commandés par le frère de ce dernier. Ils consentirent cependant à lui présenter, le 3 décembre, le représentant du Négus dans le pays : « U n tout jeune s'est présenté, répondant au nom d'Abada (La Fleur). Ce n'était qu'un garde-pavillon... Il était tout à fait ' chambré ' par les Béni Chogoul et ne comprenait rien à la situation. » 4 Le 5 décembre, Mangin finit par apprendre que les Abyssins étaient bien au sud, à Mandi (Mendi) où ils constituaient un camp : deux soldats éthiopiens vinrent, en effet, l'inviter à le suivre jusque-là. Le 9 décembre il arrive au camp abyssin. L'accueil est cordial mais, observe-t-il, « situation Fachoda-Sobat inconnue chefs abyssins qui semblent marcher seulement vers frontière Sennar et ignorer coopération française, Nil ou Abyssinie ». Il est néanmoins convaincu que la France va renforcer Fachoda par l'est : il envoie courrier sur courrier vers Addis-Abeba pour demander à Lagarde ou au ministre des Colonies de presser l'arrivée de renforts en matériel. Surtout il annonce qu'il va s'efforcer de persuader les divers chefs militaires abyssins de la région du Nil Bleu, fitoari ou dedjaz opérant sous les ordres du Ras Makonnem®, « d'amener une colonne à
1. Ibid., Mangin à Germain, p. 157. 2. A Doul, près de Kourmouck, le chef expliqua à Mangin que la colonne Makonnen « lui avait tué 100 hommes, pris 170 femmes ou enfants, 200 bœufs, 40 chevaux, etc. » Tous les récits d'époque attestent ces pillages systématiques des Abyssins en pays galla, arabes ou noirs. 3. Ibid., p. 160. 4. Ibid., p. 161. 5. Mangin parle de deux dedjaz, Dimissi et Dioti, et de deux fitoari (« général d'avantgarde »), Negao et Diétana.
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Fachoda par route directe Kirin-vallée du Yall-Ouali ; 2* colonne par Béni Chogoul-Dj ebel-Gabrit-Choll. » 1 La méfiance des Abyssins à son égard va déjouer ses projets. Le 18 décembre, Mangin rejoignit le dedjaz Dimissi dont les forces se concentraient au sud du massif des Béni Chogoul dans une localité nommée Barebou 2 . Le dedjaz le prit ou feignit de le prendre pour un espion anglais... Il finit cependant par admettre les explications de Mangin. Le 28 décembre, « dans un moment d'expansion », il aurait même proposé au Français de guider les Ethiopiens jusque « chez les Arabes et les Nègres » 3 . Mais deux jours plus tard, le 30 décembre, Mangin reçut un courrier de Fouques lui annonçant l'évacuation de Fachoda. Le 9, Fouques le rejoignait à son tour au camp éthiopien : Mangin, t obligé d'avouer aux chefs abyssins que nous reculions devant les Anglais », dit avoir alors éprouvé « la plus violente colère de sa vie » 4. Mangin s'illusionnait sur les intentions des Ethiopiens. Il est tout à fait invraisemblable que le général abyssin ait accepté de conduire une expédition à Fachoda sans ordre du Ras Makonnem ou du Négus et sur la simple demande d'un officier sans mandat dont l'identité même paraissait douteuse B . En fait Mangin puis Fouques restèrent les prisonniers du dedjaz. Comme plus tôt Bonchamps et ses amis, ils furent adroitement isolés et retenus. Déjà le dedjaz avait interdit à Mangin de circuler dans le pays Galla sous prétexte de sécurité. De plus « toute demande de courriers ou de guides est reçue par une inertie complète », rapportait Mangin en janvier 6 . Enfin l'impuissance des Français était renforcée par leur pauvreté : à la mi-janvier, leur fortune s'élevait à la somme dérisoire de 14 thalers. A cette date l'arrivée de Marchand dans la vallée de Baro avait déjà été colportée par des Noirs captifs 7 . Mangin obtint à grand' peine l'autorisation de rejoindre Goré pour y attendre son chef : cependant, le 29 janvier, après plusieurs jours d'internement, Mangin et Fouques atteignirent Goré, six jours avant la Mission 8 . A partir de Goré, le voyage de retour prit
1. Ibid., Capitaine Mangin à Colonies, Paris, p. 175. Les localisations sont impossibles à déterminer exactement sur les cartes. Cependant la première route traversait le pays Boroum, la seconde est celle qu'avait empruntée Mangin. 2. Barébou aurait été situé à « 203 km., S.E. de Béni Chogoul », donc non loin au nord de Bouré-Goré. 3. Ibid., p. 187, Mangin au général des Garets, Dipdidé (300 km O. d'Entotto), 18 fév. 1899. 4. Ibid., p. 182, Mangin à Marchand, Guédamé, 14 janv. 1899. Au début janvier le dedjaz, en avouant à Mangin qu'il serait retenu par la force au besoin, ajouta encore : « Si tu ne reconnais pas l'autorité de Ménélik chez lui c'est que tu es Turc ou Anglais. » 5. Ibid., p. 181, Mangin à Marchand, Guédamé, 14 janv. 1899. Les lettres de Mangin à Lagarde étaient, selon leur auteur, tout d'abord « transmises à l'empereur avant d'être remises au ministre de France » (p. 180). Les documents non publiés et conservés dans les Papiers Mangin aux Archives Nationales confirment d'ailleurs la mauvaise volonté des Ethiopiens. Le 4 janvier, dans un télégramme adressé au ministre des Colonies, Mangin rapporte que les premières conversations avec le dedjaz Dimissi avaient été « pénibles » et que la nouvelle de l'évacuation de Fachoda, arrivée le 30 décembre, avait produit un « effet déplorable ». (A.N., 143 AP3, Mangin à ministre des Colonies, campement du dedjaz Dimissi, 4 janv. 1899.) 6 . MANGIN, op.
cit.,
p.
182.
7. Ibid., p. 183. 8. Ibid., p. 190, Mangin à son frère Georges,"Ambo, 6 marsl899.
LE
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une allure beaucoup plus officielle et solennelle. Le convoi qui partit du petit centre abyssin le 13 février, comprenait « 15 Européens, 130 tirailleurs, 23 Yakomas, une quinzaine de boys, une centaine d'Abyssins, 223 animaux (mulets, chameaux, ânes) » Le 8 mars l'expédition entrait à Addis-Abeba où l'attendait Lagarde. La prise de contact entre le « duc d'Entotto » et la Mission fut sans doute orageuse car le portrait laissé par Baratier de l'ambassadeur de France est féroce 2 . Lagarde ne put certainement pas éviter les questions de Marchand et de ses amis sur l'échec des missions françaises en Ethiopie. Il était d'ailleurs pressé d'en finir et de revenir en France ! Marchand, selon Baratier, l'empêcha à grand' peine de rentrer avant le départ de la mission britannique Harrington. La Mission Marchand séjourna un mois à Addis-Abeba sans pouvoir rencontrer Ménélik ; celui-ci, malade, était retenu dans le Choa. Malgré le désir du souverain de retarder le départ de l'expédition, celle-ci se remit en route le 8 avril, atteignit Harrar à la fin du mois et le terminus du chemin de fer de Djibouti, au kilomètre 37, le 16 mai. A Djibouti, un paquebot, le d'Assas, attendait l'expédition. Depuis Goré elle s'était presque transformée en voyage touristique : si elle n'avait pu empoiter de la vieille Ethiopie le souvenir des fastes de la réception du Roi des Rois, elle emportait cependant celui de la rencontre avec le dedjaz Tessama, à Goré, et du spectacle des milliers de soldats médiévaux qui l'entouraient.
III. LE
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EN
FRANCE
A Djibouti, la Mission Marchand se trouva à nouveau engagée dans les débats politiques français. Le gouvernement craignait ce retour. Depuis la rencontre sur le Nil, la figure de Marchand entrait peu à peu dans la légende : journalistes, publicistes, chansonniers et dessinateurs « patriotes » comme Forain, exaltaient à qui mieux mieux la figure du « héros de Fachoda ». Les « ultras », qui craignaient de « perdre » l'affaire Dreyfus trouvaient évidemment dans la glorification de ce nouveau Boulanger une occasion de regagner une audience et une popularité déclinantes. Le paroxysme de cette propagande fut atteint en mai, dans les jours qui précédèrent l'arrivée du d'Assas à Toulon. La Libre-Parole du lundi 29 mai publia un extraordinaire supplément illustré de quatre pages sur « la Mission Marchand : une poignée de héros ». On y développait le thème populaire : Marchand « enfant du peuple et de la giberne, fils d'ouvrier, engagé à vingt ans ». On en profitait pour < annexer » Marchand à la cause de la droite antiparlementaire. Marchand devint l'antithèse vivante de « ce misérable traître issu de la
1. D'après Mangin, les Français laissèrent au dedjaz Dimissi, le « cadeau royal » de 2 canons 35 mm, 25 000 cartouches, 8 chalands et du Faidherbe. (A.N., 143 AP3, Ch. Mangin à Louise Suquet, Dipdibé, 18 fév. 1899.) 2. A.N., AP3, Souvenirs de BARATIER, vol. III, p. 24. « Lagarde, type complet de l'égoïste... visant avant tout son intérêt personnel », etc. Baratier en fait non seulement un égoïste mais un vaniteux, un courtisan et un incapable!
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LA MISSION
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classe capitaliste et bourgeoise » devenu « l'idole de ces socialistes et des révolutionnaires fourvoyés dans l'entreprise dreyfusarde ». A l'appui de sa thèse, La Libre Parole publiait une lettre de Marchand à Forain dans laquelle le « héros » expliquait comment, avec ses officiers, il avait appris des Anglais, à Fachoda, la réouverture de l'Affaire à la suite « de l'horrible campagne des infâmes ». La Libre Parole se montra sans doute le plus exalté des organes de presse. Néanmoins les alliés d'octobre 1898, La Patrie, L'Eclair, Le Gaulois, Le Petit Journal qui avait communiqué à Drumont la lettre de Marchand, entonnèrent le même hymne. Ils étaient soutenus par les journaux plus modérés qui partageaient cette fièvre cocardière — tel Le Figaro qui publia, le 28 mai 1899, sous la plume de Georges Dupuy, le morceau sans doute le plus étonnant de cette campagne Une telle exaltation, au moment où l'Affaire Dreyfus risquait de dégénérer en crise de régime, inquiétait fortement le cabinet Dupuy. La Libre Parole n'avait-elle pas demandé en février : « Que voulez-vous espérer de l'avenir d'un pays où ce sont les Delcassé qui commandent et les Marchand qui obéissent ? » 2 La passion entretenue par les journaux anti-dreyfusards, les journaux anti-républicains et la Ligue des Patriotes, ne risquait-elle pas d'exploser en manifestation en faveur de 1' « Armée » à l'occasion du retour de Marchand ? N'allait-on pas se servir de cette figure prestigieuse pour soulever la rue contre le Parlement et le gouvernement et l'acculer ainsi à la démission ? Au lendemain de l'arrivée de Marchand à Paris, certains journaux modérés et gouvernementaux accusèrent clairement Paul Déroulède et Marcel Habert d'avoir projeté de recommencer, et cette fois réussir, l'équipée contre l'Elysée manquée en octobre 1898, puis en février 1899 lorsque Déroulède avait voulu entraîner le général Roget 3 . Un fait parut significatif à certains : « Le principal entrepreneur du Boulangisme, Georges Thiébaud, le plus remuant et le plus dangereux de la bande, partit à la rencontre du jeune officier pour lui remettre une médaille et le sonder adroitement. » 4 Devant ces menaces, la politique du gouvernement fut d'isoler la Mission tout en couvrant ses membres d'honneurs et d'avantages. A Fachoda, Marchand avait été nommé commandant. En mai, sur le d'Assas, les membres de l'expédition reçurent diverses distinctions dans l'ordre de la Légion d'honneur ou de l'avancement 6 . On multiplia aussi les précautions : le ministre 1. « Et Marchand, frappé du trait invisible, meurtrier à l'égal de la courteflèchedu Boschiman que l'Afrique lui décoche, tombe un jour... Loué soit Dieu qui a permis qu'un tel homme se relevât. Vivat Christus qui diligit Francos! » 2. La Libre Parole, 8 fév. 1899, « Professeurs d'énergie », par E. Drumont. 3. Cf. Le Petit Bleu de Paris, 2 juin 1899. Le 23 février 1899, à l'occasion des funérailles de Félix Faure, Déroulède et ses partisans avaient tenté d'entraîner sur l'Elysée le général Roget, ancien chef de cabinet de Cavaignac. 4. Cet écho fut rapporté le 1 er juin 1899 par un journal de Genève, La Suisse. Georges Thiébaud joua effectivement un rôle capital auprès de Boulanger à partir de 1887, époque où ce journaliste, ancien orléaniste, s'étaitraisau service du Prince Napoléon. Cf. A. DANSETTE, Le Boulangisme, Paris, 1946, pp. 123 et sq. 5. Marchand fut nommé commandeur de la légion d'honneur, Germain et Mangin officiers, Fouques, Largeau, Landeroin, Dat chevaliers, Baratier et Dyé reçurent de l'avancement, Venail eut la médaille militaire. Tous les membres de la Mission avaient déjà obtenu par ailleurs le bénéfice de la « campagne de guerre » pour leurs opérations dans le Congo en 1896 et l'octroi d'une médaille « Congo-Nil ».
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des Colonies, Guillain, avait mis en garde le nouveau gouverneur de la Côte des Somalis, Martineau, en l'avertissant de la venue de journalistes ; en particulier de Georges Thiébaud. Martineau intervint avec un certain succès auprès d'eux à Djibouti comme en témoigne son compte rendu : « MM. Georges Thiébaud et de Peux, journalistes venus de Paris, m'ont promis de ne pas essayer de compromettre le commandant par des interviews ou par des déclarations qu'il pourrait ensuite regretter. Monsieur Thiébaud notamment estime, que le commandant Marchand doit être conservé à l'armée et ne pas être engagé, à moins qu'il le veuille, dans une action politique quelconque. J'ai mis à profit mes très1 anciennes relations amicales avec M. Thiébaud pour l'encourager dans ces dispositions. » Il n'y eut effectivement pas de coup d'éclat à Djibouti. Marchand, comme au Caire, se garda de toute déclaration intempestive. Le gouvernement, rassuré provisoirement, se préoccupa activement des conditions de l'accueil de la Mission en France. Fin mai, le d'Assas traversa le canal de Suez « en quarantaine stricte » 2 . Le 30, la Mission débarquait à Toulon ; tandis que les tirailleurs étaient hébergés dans le port méditerranéen, Marchand et le personnel blanc montaient dans le train spécial pour Paris où devait se faire la réception officielle. Le gouvernement avait prévu un accueil solennel et discret à la fois. Un comité d'accueil officiel composé de représentants des responsables des Colonies : Antoine Guillain, de la Marine : Edouard Lockroy, et de la Guerre : Camille Krantz 3 , devait accueillir Marchand et ses compagnons à la gare de Lyon et les conduire au ministère de la Marine où les attendraient les ministres. Au cours d'un déjeuner offert en l'honneur des membres de l'expédition, le ministre des Colonies leur remettrait la médaille « Mission Marchand, Atlantique-Mer Rouge ». Dans l'après-midi, le Président de la République, Emile Loubet 4 , Delcassé et Krantz devaient recevoir Marchand. Le gouvernement accorda cependant deux concessions aux nationalistes : Millevoye et Masart furent autorisés à remettre à Marchand, au •ministère de la Marine, 1' « épée d'honneur » acquise grâce aux souscriptions de La Patrie ; le soir, une grande réception à laquelle assisteraient les ministres et Zurlinden serait organisée au Cercle Militaire. Le gouvernement espérait sans doute désarmer ainsi ses adversaires : Millevoye, admis aux côtés des ministres dans les salons de la Marine, n'avait-il pas été arrêté quelques mois plus tôt, fin février, avec Habert et Déroulède? 6 Ce dernier était encore inculpé : le 31 juin, on apprit son acquittement. Cela ne calma pas les nationalistes ; au contraire, à Avignon, lors du passage du train qui transportait Marchand, des partisans de Déroulède crièrent : « A bas les Dreyfusards ! » L'opposition ne désarmait pas et entendait utiliser la présence de Marchand dans la capitale. 1. S.O.M., Afr. III, 34c, Martineau à Guillain, Djibouti, s.d. 2. Ibid., 34c, télégramme du 23 mai 1899. 3. Krantz avait succédé à Freycinet, démissionnaire le 5 mai 1899, dans le cinquième cabinet Dupuy; le cabinet Dupuy, rappelons-le, s'était succédé à lui-même le 18 février 1899. 4. Celui-ci avait été élu à la Présidence le 18 février 1899. 5. Le 23 février 1899, après l'équipée manquée des nationalistes sur l'Elysée, les dirigeants, Habert et Déroulède, avaient été arrêtés.
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Tous les journaux du 2 juin consacrèrent plusieurs colonnes ou même plusieurs pages à la « journée Marchand » ; il est donc aisé de la reconstituer. Le matin, sur le quai de la gare de Lyon, le gouvernement avait admis la présence aux côtés des « officiels » de personnalités comme Savorgnan de Brazza, le général Noix, président de la Société de Géographie, Gauthiot, secrétaire général de la Société de Géographie Commerciale, et aussi d'opposants plus ou moins marquants comme Henri d'Orléans, Millevoye, Lamarzelle, François Coppée, Boni de Castellane, Lacour-Grandmaison et Henri Galli, le directeur du Drapeau... Le ton est donné par la foule, à l'extérieur : plus de dix mille personnes se sont rassemblées aux abords de la gare, contenues par des barrages de police, dès 8 heures du matin d'après Les Débats. L'atmosphère est détendue et « patriotique » : « Dans la foule, des camelots circulent vendant le portrait du commandant Marchand en chromo lithographique et sa biographie ». A l'arrivée du train les premiers cris éclatent : « Vive Marchand ! Vive Baratier ! Vive l'Armée ! Vive la France ! » parfois « A bas les Juifs ! » ..., mais l'ambiance reste bon enfant 1 . Après les discours de réception prononcés par Noix, Brazza et Gauthiot, Marchand et ses compagnons prennent place dans un cortège qui doit les conduire au ministère de la Marine. Or le convoi est conduit « à une allure folle » à travers les boulevards Henri IV et Saint-Germain puis la place de la Concorde : un cheval s'emballe, des passants sont renversés ; « il semble que l'on voudrait dérober Marchand à la vue du public et le faire arriver au ministère à une heure où la population ne serait pas encore amassée. » 2 La foule, mécontente maintenant, est plus rapide bien que le faubourg Saint-Honoré, la place de la Madeleine et le quai de la Concorde aient été mis « en état de siège ». Un incident accroît sa colère : le ministère n'a pas pavoisé ; les manifestants, députés en tête, veulent lui imposer des drapeaux et deviennent « houleux » 3 . Cependant la manifestation ne dégénéra pas : Marchand parut au balcon aux côtés de Lockroy et les mécontents finirent par se disperser. Le soir au Cercle Militaire, Marchand montra qu'il ne voulait pas devenir u n nouveau Boulanger ou un nouveau Roget. Il arriva à 5 heures : des délégations de la Jeunesse Coloniale, de la Jeunesse Nationaliste, de plusieurs arrondissements de Paris, de la Ligue des Patriotes l'y attendaient. On remarquait des généraux comme Zurlinden ou Thomassin, des députés comme Lasies ou Castellane, des hommes de lettres comme François Coppée, Paul Bourget et Barrés. Dans la soirée, la foule manifesta en faveur de l'Armée aux cris de « Vive Déroulède ! Vive Mercier ! A bas les traîtres ! C'est Déroulède qu'il nous faut ! », et réclama Marchand. Mais celui-ci se présenta à nouveau à la foule et lui cria : < Restons unis ! Vive la France ! C'est ce que je peux vous dire ! » 4
1. Les Débats, 2 juin 1899. 2. La Liberté, 2 juin 1899. 3. Le Figaro, 2 juin 1899. Le Gaulois, 2 juin 1899, affirma qu'il avait donné l'idée et l'exemple de pavoiser aux Parisiens. 4. Le Gaulois, 2 juin 1899.
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Finalement les projets d'utiliser la < journée Marchand » tournèrent court. Dans l'après-midi, Déroulède et Habert se contentèrent de haranguer 1 500 Ligueurs devant le siège de la Ligue ; dans la soirée, un autre groupe de 1 500 manifestants, conduits par les chefs royalistes, le duc de Luynes, le comte de Ramel et Lacour-Grandmaison, s'avancèrent en colonne vers le Cercle Militaire. Ils furent dispersés. ill n'y eut donc pas de marche à l'Elysée, projet que l'on prêtait à Déroulède. La « journée Marchand » fut surtout une fête populaire ; l'atmosphère était plus à la liesse qu'à l'affrontement. Selon les adversaires des nationalistes, la foule aurait même répondu « Vive Gamelle ! » aux royalistes 1 . En outre les nationalistes étaient fort divisés. Signe de ces dissensions, « Patriotes » et « Monarchistes » manifestèrent séparément. Tandis que Le Gaulois affectait de s'affliger des arrestations de patriotes, « il est vrai, monarchistes », la Gazette de France ironisait sur « les efforts de M. Déroulède, essayant d'étouffer les clameurs de cette foule qui s'obstinait à mêler aux applaudissements qu'elle prodiguait à M. Déroulède les cris incessants de « A bas les Juifs ! » 2 Enfin, dès son passage à Djibouti, Marchand montra qu'il ne voulait pas être « engagé dans une action politique... s> La Mission Marchand ne put donc servir la propagande anti-gouvernementale. Aussi le nouveau ministère Waldeck-Rousseau, arrivé au pouvoir le 22 juin 3 , décida-t-il de montrer les « héros » à la foule parisienne lors de la fête du 14 juillet : tirailleurs, sous-officiers et officiers défilèrent pour la dernière fois ensemble à Longchamp lors de la Fête Nationale. Quelques semaines plus tard, le 13 août, les « Sénégalais » et les Yakoma étaient rapatriés sur l'A.O.F. et le Congo. Déjà, les Européens de l'expédition avaient été remis à la disposition de leurs armes d'origine par arrêté du nouveau ministre des Colonies, Decrais 4 . L'aventure du Nil semble alors appartenir au passé : « La période de conquêtes est maintenant terminée. » I V . L A LIQUIDATION F I N A N C I È R E
(1899-1901)
La liquidation des dépenses de la Mission Marchand prolongea celle-ci en fait bien au-delà de son terme politique de juillet 1899. D'interminables discussions empêchèrent de dresser un bilan financier avant la fin de l'année 1901. Elles se déroulèrent d'ailleurs dans la confusion et il n'est pas plus facile aujourd'hui qu'alors d'évaluer le coût de l'expédition, malgré l'abondance de la documentation 6 . L'idée même de récapituler les dépenses de la Mission fut accidentelle : il fallut que la banqueroute de la colonie du Congo Français acculât le gouvernement à solliciter une subvention exceptionnelle au Parlement en 1901. En 1896, rappelons-le, le ministre Lebon avait imaginé une combi1. Le Petit Bleu de Paris, 2 juin 1899. 2. La Gazette de France, 2 juin 1899. 3. Delcassé restait aux Affaires Etrangères; Lanessan, ennemi déclaré de la politique du Nil prenait la Marine, Gallifet, la Guerre, Decrais, les Colonies. 4. Arrêté du 6 juillet 1899. 5. Un carton S.O.M., M14. En outre nombreuses pièces dans M44, Liquidation des affaires financières, dans Mr. n i , 35, et dans A.N., 99 API. 16
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naison fort compliquée, consistant à faire avancer l'argent de l'expédition par le Congo Français sous promesse faite à cette colonie de récupérer cette avance sur les subventions annuelles du Haut-Oubangui. Mais évidemment les dépenses de la Mission, celles du Haut-Oubangui et celles du Congo dépassèrent les prévisions dans les années 1896-1899. Déjà, en 1897, on avait frôlé la catastrophe et Lebon avait évité de justesse un débat parlementaire qui aurait mis en cause la Mission Marchand : les incontestables faiblesses de la gestion de Brazza fournirent un bon dérivatif au ministre 1 . Le rappel de Brazza ne fit cependant que reconduire l'échéance. On dut continuer à employer le système d'expédients utilisé de son temps, en particulier la constitution d'une * Caisse de Réserve » avec les soldes des agents de l'intérieur. En décembre 1899, la situation était devenue intenable : les agents, écrivait le Lieutenant-Gouverneur du Congo Français, n'avaient pas été payés « depuis plusieurs années » ; la Caisse de Réserve était cependant vide. Le déficit s'élevait à 550 000 francs, soit près de 20 % du total des recettes, évaluées à 4 275 000 francs 2 . Dans les deux rapports alarmistes sur la situation financière de la colonie en 1899 qu'il envoya, Lemaire mit cette situation sur le compte des frais de l'expédition du Nil, comme d'ailleurs l'avait fait Brazza en 1897, et annonça « un nouveau dépassement encore plus considérable sur l'exercice suivant » 3 . Obligé de demander à brève échéance un secours financier au Parlement, le ministre des Colonies, Decrais, ordonna alors d'établir un bilan de l'expédition du Nil au Bureau Militaire du Pavillon de Flore. Une mission de contrôle des finances locales du Congo Français fut aussi confiée à un inspecteur général des Colonies nommé Bouchaud 4 . Il fallut plus d'un an pour dresser un semblant de bilan. Périodiquement, au moment où l'on croyait aboutir, on découvrait de nouveaux frais : indemnités à payer, dépenses de rapatriement non réglées, imputations oubliées ou factures tardives venues surtout d'Abyssinie. La vérification s'avérait en outre presque impossible ; Marchand, consulté en avril 1900, répondit qu'il n'avait « aucun moyen de vérifier n'ayant à [sa] disposition aucune pièce et les titres de dépenses [lui] étant absolument inconnus » Il fut donc chargé d'établir son bilan et de procéder à un examen des documents 6 . En juillet 1900, le Bureau Militaire arriva à une première estimation qui fut envoyée au président de la Commission des Comptes du Parlement : les dépenses de la Mission étaient évaluées à 1 114 100 francs, dont 1 098 402 francs payés par le Congo Français à la date du 29 juillet 1 9 0 0 7 . Ce chiffre, qui resta la base des calculs gouvernementaux, fut toujours contesté 1 . Cf. MICHEL, « Autour de la Mission Marchand... », op. cit. 2. S.O.M., M44, Lemaire à Decrais, Libreville, 29 déc. 1899. 3. lbid., M44,1) Lemaire à Decrais, Libreville, 29 déc. 1899, « Au sujet de la situation financière de la Colonie ». « C'est le Congo, vous ne l'ignorez pas Monsieur le Ministre, qui a fait tous les frais de la Mission Marchand », rappelle Lemaire; 2) Lemaire à Decrais. Libreville, 29 déc. 1899, « Dépenses de la Mission Marchand en Abyssinie et en France ». 4. lbid.. Inspection Générale, A.E.F., Mission Bouchaud, 1900-1909. 5. lbid., M44, Marchand à Decrais, 24 avr. 1900. 6. lbid., M44, Drouhez, chef du Bureau Militaire au directeur de la comptabilité, 28 avr. 1900. Marchand établit une « comptabilité en deniers de Paris à Fachoda » et « en thalers en Abyssinie » (ibid., M14) mais ses comptes restèrent partiels. 7. lbid., M44, Dépenses de la Mission Marchand jusqu'au 29 juil. 1900.
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p a r M a r c h a n d et Baratier 1 . Selon Marchand en juillet 1899, seule une somme de 767 465 francs, payée par la Colonie, pouvait être imputée sûrement à son expédition ; il faisait valoir par ailleurs que, celle-ci ayant duré plus de trois ans, le crédit initial, de 600 000 francs, devait en bonne justice être porté à 800 000 francs : ainsi la Mission n'aurait m ê m e pas atteint le plafond de ce qu'elle aurait pu dépenser 2 . Le désaccord éîait total et chacun resta sur ses positions. E n janvier 1901, le ministre, Binger, chargé de la « première direction » au ministère, et la Commission des Comptes du Parlement s'impatientèrent en v a i n 3 . L'idée se répandit alors que la Mission Marchand avait coûté trop cher, « qu'il en résulte pour l'administration des difficultés qui paraissent de nature à nuire au développement de la Colonie » 4 . Celle-ci en profita sûrement pour alourdir la « note à payer > : elle ajouta à ses premières estimations une demande globale et approximative de 500 000 francs correspondant aux vivres, munitions et matériels livrés à la Mission par ses magasins de 1896 à 1 8 9 8 " ; puis elle présenta de nouvelles factures qui portèrent le total des dépenses directement réglées p a r elle à 1 126 027 francs environ au mois de mai 9 . Le chef du Bureau Militaire, le colonel Drouhez, consulta Baratier puis tenta de convaincre ses supérieurs, Binger et le ministre, de la mauvaise foi de la Colonie. C e sont pourtant les chiffres de mai 1901 qui se répandirent dans le public au cours de l'été : La Petite République Socialiste en ayant fait état, Baratier proposa, en vain, de venir s'expliquer devant la Commission du B u d g e t 7 . E n novembre 1901, lors de la discussion du budget des Colonies, le gouvernement présenta donc le bilan de la Mission sous la f o r m e d'une demande de crédit extraordinaire de 2 209 600 francs pour le Congo Français. Le chiffre est impressionnant. Il se décomposait en 1 126 027 francs payés sur factures par la Colonie, 500 000 francs de vivres ou de matériel fournis par celle-ci, et 583 573 francs d'arriérés de solde ou de frais de rapatriement. L a note acceptée par les opposants n'atteignait, elle, que 1 270 000 francs environ : 767 000 francs de dépenses sur factures reconnues par Marchand lui-même, 202 000 francs de dépenses en argent avant le départ puis au cours de l'expédition, 2 7 0 000 francs de frais de rapatriement, et 30 0 0 0 francs de dépenses douteuses 8 .
1. A.N., API, Comptabilité de la Mission Marchand, d'après le commandant Baratier, et lettre de Baratier au Président de la Commission du Budget, Fontainebleau, 3 juil. 1901. S.O.M., M44, accusé-réception par le Bureau Militaire durésumé delà vérification des Comptes par le lieutenant-colonel Marchand, sept. 1900. 2. S.O.M., M44, résumé du rapport financier du lieutenant-colonel Marchand, sept. 1900. Marchand rejetait 170 921 francs de dépenses ne pouvant être imputées à la mission et 55 741 francs de dépenses douteuses. Il n'arrivait d'ailleurs ainsi qu'à un total d'environ de 994 130 francs. (Nous arrondissons ici les chiffres. Nous avons pu constater, par ailleurs, d'inexplicables « erreurs » de calcul.) 3. lbid., Binger à Drouhez, 24 janv. 1901. 4. Ibid., Commission du Budget, Paris, 13 mars 1901. 5. Ibid., Drouhez à Binger, Paris, 15 mars 1901. 6. Ibid., Transmission de la comptabilité de la Mission Marchand par le Bureau Militaire, Paris, 14 mai 1901. 7. Cf. A.N., 99 API, Baratier au Président de la Commission du Budget, 3 juil. 1901. 8. S.O.M., Air. IU, 35d, Extrait du J.O.R.F., 6 nov. 1901.
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On peut s'étonner de ces estimations, variant du simple au double. A l'époque pourtant (novembre 1901), les services du ministère disposaient d'une évaluation précise des dépenses de la Mission Marchand et du déficit du Congo Français ; l'inspecteur général Bouchaud avait, en effet, achevé la rédaction d'un rapport fort circonstancié depuis juin. Il semblait bien donner raison à Marchand en estimant le coût de son expédition à 1 146 619 francs ; ceci diminuait considérablement la part de la Mission dans la banqueroute de la Colonie puisque les impayés de Marchand ne représentaient que 5 8 5 370 francs alors que le déficit était de 2 158 619 francs et que les arriérés de la milice locale atteignaient 618 963 f r a n c s 1 . Ainsi il paraît évident que les chiffres officiels présentés au Parlement furent gonflés afin de faire peser les responsabilités de la situation sur une politique abandonnée et des responsables discrédités. Que retenir, en définitive, de cette interminable < liquidation financière » de l'expédition du Nil ? Il est impossible de dire combien coûta exactement la Mission Marchand. Certaines dépenses restèrent d'ailleurs secrètes ; ainsi Hanotaux utilisa, pour elle, 25 000 francs de ses fonds secrets en 1 8 9 8 2 . Cependant le bilan (qui tient compte de ces dépenses) présenté par l'inspecteur général Bouchaud nous paraît constituer l'estimation la plus sûre. Au total la Mission coûta donc beaucoup plus cher que prévu en 1896 (600 000 francs) — près du double. Les dépassements provinrent surtout des transports et des opérations du Bas-Congo, des voyages de Baratier à Paris et de Marchand au Caire en 1898, et du retour par l'Abyssinie dont personne ne se soucia jusqu'en 1898 3 . Bien qu'élevé, le coût de l'expédition ne paraît pourtant pas extraordinaire. Certes les éléments de comparaison manquent. Mais en 1900 les dépenses militaires de l'Afrique Occidentale étaient évaluées pour l'année suivante à 12 677 250 francs et celles de Madagascar à 20 147 100 f r a n c s 4 . E n 1901, Bienvenu-Martin, dans la discussion du budget des Colonies, chiffra à 99 millions les dépenses militaires sur un budget de 120 millions 6 . La politique des Missions ne coûtait donc pas très cher. Par ailleurs, comparée à une autre mission, la Mission du Chari, celle du Nil ne paraît pas avoir été exceptionnellement coûteuse : en 1900, les frais de la Mission Gentil pour 1901 sont évalués à 1 578 000 francs. En définitive la Mission Marchand n'eut pas de chance lorsqu'on lui réclama des comptes : elle permit de justifier une demande de crédit extraordinaire de la colonie du Congo Français. De même, cette dernière n'eut pas de chance lorsqu'on lui imposa de financer la Mission comme les autres missions françaises en Afrique Centrale. Il fallut bien multiplier les subventions métropolitaines. E n novembre 1901, Bienvenu-Martin en évalua le total
1. S.O.M., Inspection Générale, Rapport de l'inspecteur général Bouchaud au ministre des Colonies, Libreville, 20 juin 1901. 2. A.E., Papiers Hanotaux, 11, Mémoires et Documents, VI, fol. 118, fonds secrets 1898. 3. Cf. supra, p. 231. Marchand lui-même ne parle pas de retour dans son projet. 4. B.C.A.F., nov. 1900, p. 364, budget des Colonies pour 1901. 5. Ibid., 1901, Renseignements Coloniaux n° 8, pp. 178-179, budget des Colonies pour 1902.
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à plus de 18 millions de 1895 à 1901 1 . La politique des Missions contribua donc puissamment à rendre impopulaire le Congo Français ; la Mission Marchand plus qu'une autre permit ensuite de dénoncer les « innombrables gaspillages » de cette colonie et d'oublier que ce type de colonisation civile était cependant le moins cher.
1. Ibid., 1901, Renseignements Coloniaux n° 8, pp. 178-179.
CONCLUSION L'évacuation de Fachoda décidée par le gouvernement français au début de novembre 1898 ainsi que l'acceptation de cette évacuation par la majorité de l'opinion et par Marchand lui-même marquèrent un tournant décisif : le sens des réalités l'emportait sur la passion. Cependant les menaces de guerre restèrent graves jusqu'en janvier 1899. Aux imprudences commises sur place par les adjoints de Marchand répondirent les discours provocateurs du jeune Winston Churchill, de Chamberlain et surtout de Rosebery 1 . Mais le plus inquiétant était sans doute le maintien des préparatifs navals britanniques et les explications dilatoires qu'en fournissait Salisbury 2 . En décembre 1898, aucune conversation sérieuse au sujet du règlement diplomatique de l'affaire de Fachoda et du sort du Soudan, ne semblait encore en vue. Delcassé s'en tint donc à l'attitude que préconisait son nouvel ambassadeur à Londres, Paul Cambon : « Rester coi et voir venir. » 3 La véritable détente se produisit seulement après la signature du Condominium anglo-égyptien sur le Soudan, le 19 janvier 1899, et le débat du 23 janvier 1899 à la Chambre des Députés : tout en s'efforçant de justifier la politique française du Nil, Delcassé ne protesta pas contre le Condominium et dénonça les « fanfaronnades » d'octobre 1898 *. Cambon, rendant compte à son ministre des réactions anglaises, put parler du sincère désir des parties de s'accorder pour « enterrer la Mission Marchand »®. Les conversations qui s'ouvrirent alors aboutirent à l'accord du 21 mars 1899 présenté comme une « déclaration additionnelle » à la Convention de l'Ouest Africain du 14 juin 1898 8 dont Hanotaux avait accéléré la négociation afin « de déblayer le terrain pour la grande explication sur l'affaire d'Egypte en sacrifiant à l'Angleterre la plus grande partie des régions découvertes par les missions françaises » dans les régions du Niger 7 . 1. A.E., Correspondance Politique, Grande-Bretagne, NS11, Geoffray à Delcassé, 28 oct. 1899 (fol. 166-168) et 16 nov. 1898 (fol. 177). 2 . Cf. SANDERSON, England, Europe, and the Upper Nile..., op. cit., p. 3 6 5 . 3. A.E., Papiers Delcassé, 2, Cambon, à Delcassé, Londres, 12 déc. 1899. 4. J.O.R.F., 1899, Chambre des Députés, Séance du 23 janv. 1899, pp. 107-121. 5. A.E., Papiers Delcassé, 2, Cambon à Delcassé, 12 déc. 1898. Cambon avait accepté l'ambassade de Londres le 29 septembre. Il n'arriva à Londres que le 12 décembre. 6. Cf. D.D.F., XV, n° 116, 117, 119, 120, 121, 122. On trouve la publication de l'accord franco-britannique dans le B.C.A.F., avr. 1899. 7. L . GARCIA, La genèse de l'Administration française au Dahomey, thèse de 3 E cycle, E.P.H.E., 1969, t. I, p. 47.
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Ainsi, en dépit de concessions de pure forme à l'opinion française, aussi bien dans la question de l'Egypte et du Soudan que dans celle du Dahomey, la politique française du Nil définie par Delcassé dès 1893 et poursuivie par Hanotaux fut un fiasco. Mise en question de l'occupation britannique en Egypte, obtention d'un accès au Nil et de territoires dans le Bahr el Ghazal, il ne resta rien des efforts de Marchand et, après lui, de Roulet. Salisbury fut intraitable : Delcassé dut accepter l'abandon de tout le Bahr el Ghazal jusqu'à la ligne de partage des eaux entre le Congo et le Nil. On peut s'interroger sur la valeur de l'enjeu de la rivalité, le Bahr el Ghazal, et sur les raisons de l'obstination avec laquelle les parties en présence s'efforcèrent d'en obtenir la possession. Du côté britannique la nécessité de contrôler le Nil semblait évidente : « Le Nil c'est l'Egypte et l'Egypte c'est le Nil », lançait Rosebery en novembre 1898 Mais le Bahr el Ghazal n'était pas le Nil et Salisbury ne cachait pas « son indifférence assez dédaigneuse pour ces pays de marécages et de fièvres », sa disposition à en sacrifier au besoin une portion plutôt que de se brouiller avec la France 2 . La reine elle-même intervint et refusa de consentir « to a war for a so miserable object » 3 . Nous avons montré qu'en France toute une partie des milieux coloniaux, celle qui représentait les intérêts économiques, partageait ce dédain et désapprouvait depuis ses origines la Mission Marchand. Les responsables eux-mêmes ne cherchèrent guère à la justifier par des considérations économiques. Marchand, enfin, ne vit dans le Bahr el Ghazal, en 1898, qu'un pays appauvri et un marais inhabitable. Est-ce à dire que la Mission Marchand fut exempte de tout objectif économique ? On a vu Liotard insister sur l'importance du contrôle des voies caravanières à travers le Haut-Oubangui et le Darfour et Marchand faire allusion au débouché nécessaire de l'Afrique Centrale Française sur le Nil. En février 1899, s'inspirant de ces vues, Cambon soulignait l'utilité de l'établissement d'un poste de surveillance des caravanes, dans le Bahr el Ghazal : Dem Ziber, Fort Desaix ou « tout autre point du Bahr el Ghazal » 4 . Plus encore que ces réalités économiques, somme toute assez médiocres, des rêves semblent avoir contribué à aviver la rivalité franco-britannique : Courcel le constatait pour l'Angleterre en novembre 1898 : « Un élément qui ne laisse pas d'avoir une certaine part dans le trouble actuel, c'est l'avidité inquiétante des gens d'affaires. On a tant parlé de la fertilité et de la richesse du Bahr el Ghazal qu'ils espèrent, les excitations du patriotisme aidant, monter quelque brillante spéculation fondée sur l'exploitation de ce champ merveilleux ouvert à l'initiative anglaise. L'exemple de Cecil Rhodes est séduisant pour ceux qui rêvent de combinaisons de ce genre. Le général Kitchener lui-même passe pour les encourager et il s'est publiquement exprimé dans un sens favorable à des entreprises de colonisation et de finance. » 5
1. A.E., Papiers Delcassé, 8, fol. 54-58, Courcel à Delcassé, Londres, 5 avr. 1899. 2. Ibid., fol. 40, Courcel à Delcassé, Londres, 29 oct. 1899. 3. La reine à Salisbury, 30 oct. 1898, cité par SANDERSON, England, Europe and the Upper Nile..., op. cit., p. 1. 4. A.E., Papiers Delcassé, 8, fol. 40, Courcel à Delcassé, Londres, 10 fév. 1899. 5. Ibid., fol. 54-58, Courcel à Delcassé, Londres, 5 nov. 1898.
CONCLUSION
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Cette force des mythes, on peut aussi en trouver un troublant témoignage, du côté français, chez Gabriel Hanotaux. En octobre 1897, le délégué français à la Caisse de la Dette, Georges Louis, adressa à Hanotaux un rapport concluant à la nullité économique du Soudan ; en note, le ministre observa : « J'ai toujours pensé qu'on exagérait beaucoup la valeur du Soudan. Toute la question est de savoir si on va aux mines d'or et qu'elle est leur valeur. » 1 Le problème se pose de savoir d'où provenait le mythe du Haut-Nil. On peut remarquer, à cet égard, le rôle que semble avoir joué le livre de Slatin Pacha, Feu et fer au Soudan, dont s'inspirèrent aussi bien les responsables français 2 que les responsables britanniques s . L'objectif économique n'est donc pas totalement à éliminer des raisons qui expliquent l'obstination des dirigeants français à soutenir la < Mission CongoNil ». Mais il reste secondaire par rapport à la volonté, politique et stratégique, de rouvrir la question d'Egypte et de couper la route aux Anglais.
En France, Fachoda fit triompher les thèses des adversaires de la compétition avec l'Angleterre et de l'expansion coloniale « de prestige », adversaires importants, nous l'avons vu, mais réduits à l'impuissance depuis trois ans : Jean de Lanessan, ministre de la Marine dans le cabinet Waldeck-Rousseau, ou Paul d'Estournelles de Constant. Au cours du débat parlementaire du 23 janvier 1899, celui-ci se fit l'avocat chaleureux d'une réconciliation avec l'Angleterre qu'il présenta comme « un bienfait pour l'Europe entière » et stigmatisa la conduite suivie jusqu'en 1898 par le gouvernement français en Egypte et en Afrique Centrale. Fait significatif les partisans de la Mission Marchand protestèrent à peine : l'intervention de Constant fut saluée par « des vifs applaudissements répétés à l'extrême-gauche et sur divers bancs à gauche et à droite » *. Sans doute la coloration de plus en plus ultra-nationaliste qu'avait prise la Mission Marchand, en dépit des vœux de ses responsables, avait fini par la desservir : elle se transformait trop visiblement en instrument de propagande utilisé en vue d'opérations de politique intérieure. En fait, elle combattit plus qu'elle ne servit l'opposition anti-parlementaire. Elle était devenue une cause perdue. Il ne resta, en définitive, de la Mission Marchand qu'une légende qui fut d'ailleurs abondamment exploitée pour susciter les vocations coloniales en France et peut-être aussi pour réveiller une certaine anglophobie latente : il n'est pas indifférent d'observer que plusieurs biographies de Marchand parurent entre 1941 et 1943 8 .
1. A.E., NS 29, Egypte-Soudan, fol. 50-52, Rapport du délégué français à la Caisse de la Dette sur les réserves du Soudan. 2. Cf. supra, p. 55; A.E., NS, Afr. 13, m.e. I, fol. 60, « Renseignements sur l'importance du Bahr el Ghazal d'après Slatin Pacha », s.d. (sept. 1896). 3. A.E., NS, Afr. 15, m.e. III, fol. 43, Cogordan à Hanotaux, Le Caire, 17 mars 1897 : opinion de Wingate sur le Bahr el Ghazal. 4. Cf. J.O.R.F., 1899, Chambre des Députés, Séance du 23 janv. 1899, pp. 107-110. 5. Cf. A. ACARD, La carrière héroïque de Marchand, P. CROIDYS, Marchand, le héros de Fachoda, J . DELEBECQUE, Vie du général Marchand.
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Sur le plan technique, la Mission Marchand peut être considérée comme une des expéditions les mieux préparées et les mieux menées de la fin du X I X ' siècle en Afrique. Elle revint à peu près intacte de sa traversée du continent 1 ; elle créa une quinzaine de postes depuis le Bas-Congo jusqu'à Fachoda dont elle releva les ruines ; elle sauva la flottille du Haut-Oubangui, elle se transforma en colonne de police entre Loango et Brazzaville et soutint le choc des Mahdistes à Fachoda. Pourtant elle ne fut pas une expédition de terreur. Bien qu'il n'ait pas hésité devant l'usage de la force au Bas-Congo, Marchand n'était pas un aveugle apologiste des « méthodes expéditives » et il s'efforça de respecter ses instructions qui recommandaient de conserver à sa mission un caractère pacifique. Plus tard, ce ne sont pas les opérations de 1896 ou les excès du portage chez Zémio que retinrent les anti-colonialistes contre Marchand mais essentiellement la publicité faite autour de son personnage 2 . Lui-même condamnait et dénonçait les exactions, en particulier celles des « brigands sénégalais déguisés en miliciens » à qui l'on devait < les neuf dixièmes des incidents au Congo (et ailleurs) » 3 . Mais Marchand partageait avec ses compagnons, officiers « soudanais », la conviction que l'organisation et la police des territoires coloniaux, pour être vraiment efficaces, devaient être exclusivement confiées aux militaires. Ce fut la raison profonde du conflit avec Brazza et Dolisie. Aussi la Mission Marchand reflète-t-elle le débat, encore si vif, entre les partisans de la colonisation civile et les partisans de la colonisation militaire, entre les disciples d'Archinard et les fidèles de Braisa ; le Congo Français, colonie civile « pilote », offrit en 1896 une cible facile aux premiers. Vis-à-vis des Africains, cette conviction se traduisait par un « paternalisme militaire » dont Marchand voulut démontrer l'excellence au Bas-Congo lorsqu'il réforma le portage. L'expérience ne dura pas. Dans le Haut-Oubangui, il ne pouvait être question d'action directe et la Mission dut négocier avec les Sultans. Elle leur coûta cependant fort cher et troubla, directement ou indirectement, l'équilibre des populations de l'est-Oubangui. Directement, elle mobilisa au service du Blanc des milliers d'hommes — fait nouveau dans ces régions — à des prix en définitive dérisoires. Indirectement, elle entraîna l'arrivée derrière elle de nouvelles troupes françaises, renforts et relève, et aggrava les malentendus apparus lors de son passage entre les Français et les Sultans. La Mission Marchand met donc en valeur le rôle joué par un « groupe de pression », celui des milieux coloniaux « militaires ». Leurs raisons sont complexes ; considérations de prestige national et patriotisme, exaspération quasiment
1. Le chiffre exact des pertes ne peut être absolument sûr car le nombre des tirailleurs a varié au cours de l'expédition et les actes de décès n'ont pas tous été dressés : par exemple, en ce qui concerne le tirailleur Ferdinand décédé à Fachoda en octobre 1898. Un autre tirailleur se noya dans le marais du Bahr el Ghazal. 2. Cf. La Petite République Socialiste, 25 juil. 1900 : « L'œuvre de Marchand »; L'Aurore, 26 juil. 1900 : « Marchand, le geai paré des plumes du paon ». 3. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 64, note 2.
CONCLUSION
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< professionnelle » devant les initiatives du concurrent britannique en Afrique, possibilité de belles carrières et de vastes terrains d'action enfin. On peut remarquer par ailleurs que la Mission Marchand réserva encore de beaux jours à l'Armée d'Afrique. L'accord du 21 mai 1899 ouvrit en effet aux militaires « un nouveau Soudan ». Résistant à la pression de Kitchener qui exigeait une bande de territoires sous influence britannique du Darfour au lac Tchad, Salisbury accorda aux ambitions françaises un vaste domaine à conquérir au nord du Haut-Oubangui, du Ouadaï au Baguirmi ; ce fut bientôt le « Territoire militaire du Tchad » où s'illustra un ancien de la Mission : Largeau. Sur un dernier plan, le plan financier, la Mission Marchand ne fut pas non plus un simple épisode : elle fut l'occasion et la cause essentielle d'une crise qui entraîna la banqueroute du Congo Français et accéléra aussi, indirectement, l'abandon de la colonie aux sociétés concessionnaires. Elle servit aussi à « renflouer » les finances de l'administration locale après avoir puissamment contribué à leur délabrement par ses dépassements. Elle démontra, enfin, qu'il n'y avait pas de grande politique coloniale à bon marché comme on avait fait semblant de le croire en 1896. Si l'on pouvait, après coup, caractériser la politique du Nil et la Mission Marchand, ce serait, dans ce domaine financier, plus encore que dans les autres, par le mot d'inconséquence.
ANNEXE I TRAITÉ AVEC LE SULTAN TAMBOURA
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Les soussignés : Hossinger, Capitaine d'Infanterie de Marine, Commandant les Troupes du Haut-Oubangui, Chevalier de la Légion d'Honneur Agissant pour le Commissaire du Gouvernement dans le Haut-Oubangui, au nom du Gouvernement de la République Française; Angot, Lieutenant d'Infanterie de Marine, au Régiment de Tirailleurs Sénégalais; et Tamboura Rioua, Sultan se déclarant le seul chef absolu au pays ont stipulé ce qui suit : ARTICLE 1 "
Le Sultan Tamboura Rioua déclare se placer, et placer son peuple et tout son territoire, sous le Protectorat de la France dont le pavillon sera seul arboré dans le pays. ARTICLE 2
La France reconnaît Tamboura Rioua comme Sultan absolu du pays s'étendant d'après ses affirmations sur les deux rives du Soué, limité : à l'Ouest, par le Rembio affluent de droite du Bokou qui le sépare de M'Bima (territoire de Sémio), par le cours du Bokou et celui de la Doumeré, affluent de gauche, qui le séparent du territoire de Zéguino; au Sud, par le cours du Bongo, affluent du Soué, remontant au Nord-Est qui le sépare du pays de N'Doruma; à l'Est, par une bande de terrain, de cent kilomètres de large environ parallèle au Soué, et séparée du territoire de M'Bio par la rivière Kita affluent du Soué; au Nord, par une bande de terrain limitée par un parallèle passant à cinquante kilomètres environ au nord de la résidence de Khodiale, et formant un territoire de environ deux cents kilomètres Est-Ouest et cent cinquante environ Nord-Sud, et compris sensiblement entre 5° 50 et 7° 10 de latitude Nord, et 24° 40 et 26°30 de longitude Est de Paris.
1. S.O.M., Gabon-Congo, IV, 14.
LA MISSION
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MARCHAND
ARTICLE 3
Le Gouvernement Français s'engage à faire respecter les personnes, les biens des indigènes, ainsi que leurs coutumes en tout ce qui n'est pas contraire aux règles de l'humanité. ARTICLE 4
Le Gouvernement Français, dans le but d'assurer la protection accordée par le présent traité, pourra prendre toutes les dispositions nécessaires pour la défense du pays : construire des forts, placer des postes militaires, armer les indigènes et les employer comme Troupes Auxiliaires. Le Sultan Tamboura Rioua s'engage à céder en toute propriété, au Gouvernement Français, les terrains qui lui sont nécessaires pour ses établissements. ARTICLE 5
Le protectorat donne en outre l'obligation au Gouvernement Français, de contribuer à la prospérité du pays en s'efforçant d'y introduire le commerce européen et en ouvrant des relations avec les pays voisins. De son côté le Sultan Tamboura Rioua devra assurer sur son territoire la protection et la libre circulation aux individus de toutes nations qui viendront exercer leur commerce avec l'autorisation et sous le contrôle du Gouvernement Français. ARTICLE 6
Le Sultan Tamboura Rioua laisse au Gouvernement Français le soin de traiter toutes les questions politiques, civiles ou judiciaires, avec les puissances étrangères et s'engage à suivre les avis du représentant du protectorat pour toutes les relations avec les Etats voisins. Les individus qui s'établiront dans le pays quelle que soit leur nationalité ne relèveront que de la juridiction française. ARTICLE 7
Les conditions stipulées ci-dessous ont été expliquées au Sultan Tamboura Rioua qui a déclaré les accepter sans réserves et en parfaite connaissance de cause. Elles sont exécutoires le jour même de la signature du traité mais ne pourront toutefois être considérées comme définitives qu'après ratification du Gouvernement Français auquel le traité sera soumis sans retard. En cas de difficulté, il est convenu de part et d'autre que le texte français fera seul foi. Fait en triple expédition, en Français et en Arabe, à Tamboura, l'an mil huit cent quatre vingt-seize et le seize du mois de février correspondant au deuxième jour du mois de Ramadan l'an mil trois cent treize de l'Hégire. L'interprète militaire Grech, près le Commissaire du Gouvernement et l'interprète arabe Idris près le Sultan Tamboura Rioua certifient que le présent traité a été discuté librement avec le Sultan Tamboura Rioua, qu'il lui a été lu, expliqué et commenté et qu'il a été consenti par lui en parfaite connaissance. Nous soussigné : Blancard, sergent fourrier au Régiment de Tirailleurs Sénégalais, Schenck, sergent au régiment de tirailleurs Sénégalais, certifions l'authenticité du cachet du Sultan Tamboura Rioua qui a été apposé sous nos yeux.
ANNEXE
T R A I T É
II
C H I L L O U K
1
Ayikfils deDing; Dingfils de Ring; Akol fils de Y o r ; Ouolfils d'Agouer; Kourfils d'Ador; Akiet fils d'Akour; Feradj Allah grand interprète; Nindok fils de Ding, grand Oukil. A été discuté, consenti, et signé ou scellé le traité ci-après dont les clauses ont été traduites en texte et langue arabes par Monsieur Landeroin Augustin interprète militaire auxiliaire de l'armée d'Afrique attaché à la Mission Congo-Nil : ARTICLE I e r
Le sultan Kour Abd el Fadil élu en l'année 1892 après la mort du précédent Mek, déclare que depuis la proclamation de Gordon Pacha Gouverneur Général du Soudan égyptien ordonnant (14 juillet 1884) l'exécution du firman Kédival visant la désannexion des territoires du sud et l'évacuation du district dépendant de la Moudirieh de Fachoda, évacuation exécutée en l'année 1884, le pays Chillouk a repris son entière indépendance et a été gouverné par des chefs choisis dans la famille de ses anciens souverains — et que le critérium de cette indépendance absolue vis-à-vis de l'Egypte a été la nécessité, pour le pays et ses Sultans élus, de la défendre sans aucun appui étranger contre les entreprises des armées du Madhi établi à Karthoum, ancienne capitale du Soudan Egyptien prise par les Derviches en 1885. A partir de l'année 1892, la suzeraineté du Kalifat d'Omdurman sur le pays Chillouk se réduisait à l'occupation périodique d'un point du territoire situé près de K a k a e t à des visites annuelles pour la perception et le rassemblement d'un tribut en nature dont la quotité variable restait livrée à l'arbitraire. Le combat du 25 août 1898, sous Fachoda, entre les Madhistes et les Français venus du Bahr el Ghazal, la victoire de ces derniers et la fuite de leurs adversaires vers Kartoum [¿/c], ont totalement débarrassé le pays Chillouk des armées Derviches et lui ont rendu son entière indépendance avec la possibilité de fixer ses destinées. En conséquence, de son plein gré et avec l'assentiment de son peuple consulté, le Sultan Kour Abd el Fadil déclare se placer et placer son pays sous la protection de la France. ARTICLE I I
Le Sultan Kour Abd el Fadil déclare que le pays Chillouk dont il est le Souverain et qu'il place sous le protectorat Français est situé sur la rive gauche du Nil Blanc depuis le lac Nô, confluent du Bahr el Djebel et du Bahr el Ghazal, à l'ouest, jusqu'au 12°30' (douzième degré trente minutes) de latitude nord où il confine avec les terres du Kordofan. Sa frontière occidentale est formée par les plateaux herbeux et les montagnes, du pays de Nouba au sud de ladite province de Kordofan et habitée par les tribus Baggaras.
1. S.O.M., Afr. ffl, 34a.
LA
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MISSION
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ARTICLE I I I
Le Sultan Kour Abd el Fadil s'engage pour lui et ses descendants, à user exclusivement de l'intermédiaire officiel des représentants du Gouvernement Français accrédités auprès de lui, soit pour le règlement des questions politiques antérieures dans lesquelles pourait être intéressée la Nation Chillouk à raison des événements du passé depuis l'année 1884, soit pour toutes ses relations futures avec l'extérieur africain ou européen à quelque ordre qu'elles appartiennent. ARTICLE I V
Le pays Chillouk est ouvert au commerce de toutes les nations sans distinction ainsi que le fleuve qui forme sa frontière orientale et méridionale. Si un règlement douanier à ce sujet devient nécessaire, les clauses en seront fixées de concert par le Sultan Abd el Fadil et les représentants du Gouvernement Français établis dans le pays, à l'exclusion de tous autres. ARTICLE V
Pour l'exécution future des travaux d'intérêt général, les constructions de poste, ouvertures de routes, et autres, le Sultan s'engage à fournir la main-d'œuvre indigène; il en sera de même pour le recrutement du personnel domestique des postes, celui des convois par terre et des équipages des bateaux navigant sur les cours d'eau. Les salaires journaliers ou mensuels seront déterminés par des règlements particuliers. ARTICLE V I
D e son côté le Capitaine Commissaire du Gouvernement Français s'engage, au nom du Gouvernement, à assurer la protection du pays Chillouk vis-à-vis l'extérieur et sa tranquillité. Il aura le droit de choisir sur toute l'étendue du territoire les emplacements et terrains nécessaires soit pour assurer l'exécution matérielle de cette clause soit pour la création et le développement du commerce et de la navigation. Pour ceux de ces emplacements dont l'occupation antérieure par un village ou des cultures en rapport nécessiterait l'expropriation, l'indemnité à payer aux indigènes premiers occupants sera fixée de concert entre le Sultan ou ses représentants et les autorités françaises locales. ARTICLE V I I
Il s'engage à respecter les usages, coutumes, habitudes et religions du pays Chillouk en tant toutefois qu'elles n'auraient rien de contraire à l'humanité. ARTICLE
VIII
L'organisation politique intérieure du pays de même que l'administration de la justice indigène restent maintenues telles qu'elles existent depuis l'évacuation égyptienne sous la haute surveillance du Représentant français. ARTICLE I X
Le présent traité de protectorat aura son plein effet à compter d'aujourd'hui. Fait et signé en triple exemplaire, à Fachoda le trois septembre mil huit cent quatre-vingtdix-huit. Je soussigné LANDEROIN Augustin, interprète auxiliaire de l'armée, déclare que c'est bien le sultan Kour Abd-el-Fadzil, grand Mek des Chillouks, en personne, qui, en notre présence, a opposé cicontre son cachet dont la traduction française du texte gravé en arabe est : le Mek Abd el Fadzil 17.
MARCHAND
(Cachet du Sultan Abd et Fadil grand Mek des Chillouk)
ANNEXE I I I LA
RENCONTRE DU D'APRÈS
19 S E P T E M B R E
LE RAPPORT
1898
MARCHAND1
... Le Major Cecil et le Commandant Keppel chef de flottille descendirent aussitôt à terre et, après les présentations de rigueur, me prièrent de vouloir bien faire une visite au Général en chef qui m'attendait sur sa canonnière. Ceci n'était que l'exécution d ' u n devoir auquel j'étais déjà préparé. Accompagné de mon second le Capitaine Germain, je me rendis auprès du Général Kitchener que je trouvais avec le Colonel Wingate chef de l'Intelligence Department égyptien. Après les présentations réciproques, le Sirdar me demanda si je me rendais bien compte de la signification de l'occupation française de Fachoda territoire égyptien; je ne crois rien exagérer en disant que le haut dignitaire anglais était excessivement embarrassé et trouvait difficilement ses expressions après les avoir longuement cherchées. Je dois dire qu'il parlait en Français et reconnaître que le thème de l'entretien ne prêtait pas précisément à l'abondance oratoire facile. Il finit enfin par arriver au bout d'une phrase assez malheureuse et dont voici littéralement les principaux passages : « — C'est bien par ordre du Gouvernement Français que vous occupez Fachoda? » « — Oui, mon général, c'est par ordre de mon Gouvernement que Fachoda est aujourd'hui poste français. » « — Vous savez que... cette terre appartient à son Altesse le Khédive... que... présence... ici... peut... amener... la... guerre... entre nos deux pays? » Je ne pouvais répondre que par une profonde inclinaison de tête à laquelle je me bornai. « — C'est mon devoir alors de protester au nom de la Sublime Porte et de son Altesse le Khédive que je représente au Soudan contre votre présence à Fachoda. » Inclinaison de tête. « — Sans doute, votre intention est de maintenir l'occupation de Fachoda? » « — Oui, mon général; et j'ajoute qu'au besoin nous nous ferons tous tuer ici avant... » Le Sirdar me coupe la parole : « — Oh, il n'est pas question de pousser les choses aussi loin. Je comprends et j'admets que chargé d'exécuter les ordres de votre Gouvernement, votre devoir vous commande de rester à Fachoda jusqu'à ordre contraire. Mais moi aussi, Commandant, j'ai à exécuter les ordres de la Sublime Porte et de son Altesse le Kédive [souligné par Marchand], et ces ordres sont de planter le pavillon égyptien à Fachoda. J'espère que nous pourrons arriver tous deux à une entente qui me permettra de remplir cette simple formalité après laquelle nous laisserons les choses en l'état jusqu'à la décision de nos Gouvernements. »
1. S.O.M., M43, Rapport Marchand, II, fol. 149-153. 17
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LA
MISSION
MARCHAND
Cette dernière phrase était escortée de considérations sur les forces « prépondérantes » de l'expédition Anglo-Egyptienne dont les bâtiments se massaient en ce moment à 80 mètres d e notre réduit dominé par l'artillerie des canonnières, ce qui, entre parenthèse, est une singulière façon de visiter une place militaire où l ' o n est invité amicalement à se présenter. J'eus u n e forte envie de répondre par un refus à l'expression de ce désir brutalement appuyé. Il était courtoisement présenté. L a volonté de ne pas pousser la situation à l'état aigu, état auquel j e n'avais q u ' à perdre si les deux partis devaient séjourner longtemps côte à côte à F a c h o d a , et surtout la mise en avant des seuls droits de la Porte de son Altesse le Kédive à l'exclusion de l'Angleterre, m e portèrent à user de temporisation. Je ne pouvais oublier q u e la diplomatie française a toujours appuyé en ce qui concerne l'Egypte et le Soudan égyptien, les droits n o n abolis de la Turquie dans la vallée du Nil, et c'est la connaissance de cette ligne de conduite qui m'engage à accepter le pavillon égyptien dans le voisinage du f o r t j u s q u ' à décision du Gouvernement Français. Aussi bien ce pavillon ne pouvait-il être placé sur l'ancienne Moudirieh où flottaient les couleurs françaises et, ce point réservé, j e n'étais pas en état d'empêcher le Sirdar d'aller le planter sur n'importe quel point du rivage Chillouk qu'il lui aurait plut de choisir... ce que je lui fis remarquer. L e Colonel Wingate et le Capitaine Germain sur m o n invitation descendirent à terre pour choisir de concert un emplacement convenable. Après leur départ, une conversation amicale s'engagea avec le Sirdar qui se montra plein d'affabilité et de courtoisie. Au sujet de la prise d ' O m d u r m a n et de la délivrance d ' u n pauvre prisonnier allemand qui était dans les fers mahdistes depuis cinq années, il voulut bien me dire que toutes ses sympathies allaient à la France pour laquelle il avait fait campagne en 1870 à l ' E t a t - M a j o r du Général Chanzy. Il ne me fît pas connaître en quelle qualité. Le Colonel Wingate de retour nous déclara qu'il avait t o u t d ' a b o r d choisi la place d'armes de bastion sud pour planter le pavillon égyptien, mais que sur les observations du Capitaine Germain il se contenterait des ruines situées contre ce bastion. Ces ruines faisaient partie de l'ancienne Moudirieh que je tenais beaucoup à garder entière, et j e proposai un autre emplacement situé sur les cultures d ' u n village Chillouk à l'extrémité sud de la grande tranchée extérieure creusée par la garnison égyptienne en 1884 et qui fut accepté, sans enthousiasme cependant, après une courte discussion. Je me transportai moi-même avec le Colonel Wingate et le Capitaine Germain sur ledit emplacement où j e laissai les troupes du Sirdar procéder à la plantation pour rentrer au fort avec m o n second. A une heure du soir le pavillon turc était hissé et salué par la musique et l'artillerie de la flottille égyptienne. Le 1 I e bataillon «soudanese» commandé par le M a j o r Jackson, Kaïmakan égyptien, restait préposé à sa garde. Les deux camps étaient établis à 100 mètres l ' u n de l'autre. D a n s l'après-midi, à 4 heures du soir, le Sirdar Kitchener, voulut bien me rendre la visite que je lui avais faite à son arrivée, accompagné du Colonel Wingate et de son garde de c a m p le M a j o r Cecil. Le Chef de l'Intelligence Department me demanda quelques indications que j e lui donnai puisqu'aussi bien il allait pouvoir les contrôler « de visu » vingt-quatre heures plus tard. Ces indications consistèrent à lui affirmer que l'entrée du Bahr el Djebel était barrée par le Sedd, que les représentants français et russes de Ménélik avaient placé toute la vallée du Sobat j u s q u ' à son embouchure dans le Nil sous le protectorat de ce souverain d o n t le pavillon flottait près du confluent, et que le Faidherbe avait remonté le Sobat jusq u ' e n Abyssinie. Je reconduisis le Sirdar j u s q u ' à son Yacht qui allait continuer à remonter la vallée d u Nil d ' a p r è s ce que venait de m e dire le Général.
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE SOURCES
1.
MANUSCRITES
SECTION OUTRE-MER DES ARCHIVES NATIONALES
(S.O.M.)
— Série Missions (M) : Missions 14 (M 14) : « Comptabilité de Paris à Fachoda » et comptabilité en thalers en Abyssinie ». Missions 31 (M31) : 1899-1900. Relève de la Mission. Missions 42 (M42) : « Documents provenant des archives du Bureau Militaire ». Ce carton contient les principaux « documents préparatoires à la Mission, 1895-1896 », entre autres : — Le projet Marchand de Mission Congo-Nil (11 septembre 1895); — La « note analytique complémentaire » du 19 novembre 1895; — Les instructions de février 1896; — Une série de rapports adressés par Liotard au ministère en 1895; — La correspondance entre Roume et Archinard. Missions 43 (M43) : 1896-1900. Ce carton contient le « Rapport du lieutenant-colonel Marchand » et divers documents concernant le séjour de la Mission en France en 1899. Missions 44 (M44) : 1896-1902. Documents sur la « situation de la Mission Congo-Nil » (1896-1898), sur la « relève » (1897-1898), sur la « liquidation financière (1899-1901) » et sur le personnel. Pour mémoire : Missions 8 : lieutenant Marchand en Côte d'Ivoire (1892-1895). — Série III, 32 III, 33 III, 34 III, 35 n i , 36
Afrique III (« Explorations, missions, voyages y>) (Afr.) : : Mission Marchand (sept. 1895-mai 1899). : Affaire de Fachoda. : Retour (1898-1900). Ce carton contient le « traité Chillouk ». : Personnel, correspondance et indiscrétions (1897-1899). : Relève.
Série Afrique VI (« Relations avec les puissances étrangères ») : VI, 157 : « Acte additionnel à la convention franco-anglaise du 14 juin 1899 » et délimitation frontalière dans la région du Ouaddal. — Série Gabon-Congo I (« Correspondance générale ») (Gabon-Congo) : I, 47 : Janvier 1895-janvier 1896, Dolisie, Commissaire Général p.i. 1,48 : Avril 1895-novembre 1895, Brazza en France.
LA MISSION
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1,49 : Janvier 1896 - mars 1897, Brazza, Commissaire Général. I, 50 : Mars 1897 - décembre 1897, Dolisie, Commissaire Général p.i. I, 51 : Décembre 1897 - août 1898, Lamothe, Commissaire Général. I,52 : Janvier 1898 - décembre 1898, Dolisie, Commissaire Général p.i. Pour la question des transports au Bas-Congo nous avons aussi dépouillé les cartons 36 (1890) à 47 (1895) de cette série. Pour le Haut-Oubangui : I, 61 : Janvier 1895 - mars 1898, Liotard, Lieutenant-Gouverneur. Ce carton contient la plupart des rapports rédigés par Liotard et les instructions concernant la Mission Marchand, adressées au Lieutenant-Gouverneur en février 1896. I, 62 : Mai 1898 - décembre 1899, Cureau, Lieutenant-Gouverneur p.i. I, 63 : Novembre 1898 - juillet 1899, Liotard en France. — Série Gabon-Congo II (« Mémoires et Publications ») : II, 5 : « Travail d'inspection » au Soudan Central par J. Grecht (25 juin 1897). — Série Gabon-Congo III (« Explorations, missions, voyages ») : III, 15 : Mission Decazes (1893-1895). III, 17 : Mission Grecht : mission d'inspection à Basso (1897). — Série Gabon-Congo IV (« Expansion territoriale et politique indigène ») : IV, 14 : Mission Decazes (1894-1895), Haut-Oubangui (1895-1898). Le carton contient des*« notes du Sultan Zémio », plusieurs correspondances entre les Sultans et cheïs du Haut-Oubangui, de nouveaux rapports de Liotard et le traité avec Tamboura. IV, 18 : 1900-1901, évacuation du Haut-Ooubangui, politique à l'égard de Rafaï. — Série Gabon-Congo VI (« Affaires diplomatiques ») : VI, 2 bis : Convention franco-anglaise du 21 mars 1899 et évacuation du Bahr el Ghazal. — Série Gabon-Congo XII : XII, 19 : Question du chemin de fer (1888-1898). XII, 28 : Flottille du Haut-Oubangui (1894-1998). — Série Gabon-Congo XVI (« Troupes et Marine») : XVI, 13 : Troupes et Marines (1896-1898), relève du Haut-Oubangui (1896). — Série Somalis (S) : 17 : Affaires diplomatiques. Ce carton contient à peu près toute la documentation sur les relations françaises éthiopiennes de 1896 à 1898. 142 : Affaires politiques. Documents sur les relations avec Ménélik et la mission Lagarde en 1896. 143 : Affaires politiques. 2 . ARCHIVES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
— Série Mémoires et Documents, Afrique : T 138 : Abyssinie 5 (1888-1895). T 139 : Congo et Gabon 14 (1892-1895). — Série Correspondance Politique : 93 94
: Belgique (mai - décembre 1895). : Belgique (1896).
SOURCES
ET
BIBLIOGRAPHIE
261
— Nouvelles Séries (NS) : Grande-Bretagne II : Relations avec la France (1897-1898). Belgique 14 : Relations avec la France (1897-1914). Égypte 19 : Relations avec la France (1895-1897). Égypte-Soudan 26. Égypte-Soudan 27. Égypte-Soudan 28. Égypte-Soudan 29. Afrique 13 à 20 : Missions d'explorations I à VIII, « Commandant Marchand » : 13, m.e. I, juillet 1895 - juin 1896. 14, m.e. II, juillet-décembre 1896. 15, m.e. III, janvier 1897-juin 1898. 16, m.e. IV, juillet-septembre 1898. 17, m.e. V, octobre 1898. 18, m.e. VI, novembre-décembre 1898. 19, m.e. VII, 1-9 janvier 1899. 20, m.e. VIII, janvier-30 juin 1899. La plupart des pièces du fonds « Commandant Marchand » font en fait double emploi avec les documents conservés par les Archives Nationales, Section Outre-Mer, et les Papiers Delcassé et Hanotaux. Le volume VII (1 er -9 janvier 1898) est une copie du Rapport Marchand dont l'original est rue Oudinot. — Papiers Hanotaux : Vol. 2 : « Notes et souvenirs, II : 1895-1898 », « Notes d'audience du ministre », etc. Vol. 9 à 11 : « Mémoires et documents » I - VII. IV, 1894-1896. V, février - août 1897. VI, août 1897-juin 1898. — Papiers Delcassé : Carton 2 : Correspondance Paul Cambon. Carton 3 : Correspondance du baron de Courcel (10 octobre 1898-5 novembre 1898). Carton 8 : Relations franco-britanniques; dossier « Fachoda ». 3.
ARCHIVES NATIONALES
— Papiers Baratier, 99 API à 8. Seuls les premiers cartons contiennent des documents importants : 1 : Mission Congo-Nil : correspondance des membres de la Mission. 2 : Correspondance générale. 3 : Souvenirs inédits de Baratier (3 vol.) et photographies de la Mission Marchand. — Papiers Mangin, 149 AP2 et 3. 4 . ARCHIVES DE LA GUERRE
États de service de Jean-Baptiste Marchand Albert Baratier Joseph Germain Charles Mangin Emmanuel Largeau. 5 . MARINE
Les archives du ministère de la Marine ne conservent aucun document important sur la Mission Marchand.
262
LA MISSION
MARCHAND
A signaler : — Retour de la Mission, Bb 7 1559 et Bb 1610 (pp. 75-79) (pièces tout à fait secondaires sur l'accueil à Toulon). — Mise en défense de Toulon, Bb a 2475 a et b. — Dépêche télégraphique aux escadres, Bb8 1903c, Bb4 2396. — Dossier A. Dyé, Ce' 4e mod. 317/2. 6.
BIBLIOTHÈQUE DE L'INSTITUT, FONDS TERRIER,
I A CXXXIII (5891-6023)
XTV, 5904 : Correspondance Marchand. LIX, 5949 : Correspondance Marchand (pièces d'intérêt secondaire). CXXII, 6012 : Projet A. Dyé. CXXIX, 6019 : Éthiopie 1894-1912. 7 . PAPIERS LIOTARD
Documents utilisés avec l'aimable autorisation de Mme Victor Liotard : — Journal de route de Liotard de Loango à Brazzaville (1891). — Lettres de Marchand à Liotard (1897). — Correspondance Marchand-Valdenaire (1898). 8 . EXPOSITION MANGIN
Hôtel des Invalides, novembre 1967 : documents déposés au Cabinet des Estampes, Bibliothèque Nationale.
n . SOURCES IMPRIMÉES ET PÉRIODIQUES 1. DOCUMENTS DIPLOMATIQUES FRANÇAIS,
— — — —
I™
SÉRIE
(D.D.F.)
T. XII (mai 1895-octobre 1896) ; T. XII (octobre 1896-décembre 1897); T. XIV (janvier-décembre 1897); T. XV (janvier-novembre 1899). 2 . LES AFFAIRES DU HAUT-NIL
Bulletin du Comité de l'Afrique Française, Renseignements coloniaux, n° 8, 1898, pp. 183-207 : — Le premier livre bleu; — Le livre jaune; — Le second livre bleu. 3. PUBLICATIONS OFFICIELLES
— Annuaire diplomatique et consulaire, 1896-1899. — Journal Officiel de la République Française (J.O.R.F.), 1895-1901. — Journal Officiel du Congo Français (J.O.C.F.), 1891-1898. 4 . PRESSE
Nous avons utilisé les onze cartons « Presse » des « Archives Brazza » déposées à la Section Outre-Mer des Archives Nationales par la famille de Chambrun. En outre nous avons dépouillé systématiquement les organes de la presse « spécialisée » :
SOURCES — — — — — — — —
ET
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BIBLIOGRAPHIE
Bulletin du Comité de l'Afrique Française (B.C.A.F.), Bulletin de l'Union Coloniale, 1895-1896. La Dépêche Coloniale, juillet 1896-1899. Le Mouvement Colonial, 1895-1899. La Politique Coloniale, 1894-1899. Questions Diplomatiques et Coloniales, 1897-1898. La Quinzaine Coloniale, 1897-1899. Revue Coloniale, 1895-1899.
1894-1901.
Enfin nous avons complété notre information par des dépouillements de la « grande presse » à la Bibliothèque Nationale pour les principaux moments de la Mission.
III. BIBLIOGRAPHIE Nous n'avons pas indu ici les quelques ouvrages n'intéressant pas directement le sujet et que nous n'avons utilisés qu'épisodiquement. 1. ARTICLES ET OUVRAGES GÉNÉRAUX
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c) Abyssinie. (P.), Sous la couronne de Salomon. L'Empire des Négus, Paris, Pion, 1925, xiv-312 p. Préf. d'Henry de Jouvenel. — L'Éthiopie et les convoitises allemandes, Paris, Berger-Levrault, 1917, 258 p. [Donne les documents essentuels sur la Mission Rennell Rodd de 1897, le chemin de fer et les textes de traités franco-éthiopiens.] BRUNSCHWIG (H.), « Une colonie inutile, Obock (1862-1888) », Cahiers d'Études Africaines, 1968, vol. VIII, pp. 32-47. DESCHAMPS ( H . ) , DECARY ( R . ) , MENARD ( A . ) , Côte des Somalis, Réunion, Inde, Paris, Berger-Levrault, 1948, 209 p. FISCHEL ( M . M . ) , Le Thaler de Marie-Thérèse. Étude de sociologie et d'histoire économique, Dijon, Marchai, 1912, 206 p. GLEICHEN (E.), With the Mission to Menelik, Londres, Arnold, 1898, 363 p. [Gleichen participa à la Mission Rennell Rodd.] GREENFIELD ( R . ) , Ethiopia. A New Political History, Londres, Pall Mall, Library of African Affairs, 1965, 514 p. H E N R I d'ORLÉANS (Pce), Une visite à l'empereur Ménélik, Paris, Dentu, 1 8 9 8 , 2 6 4 p. JONES (A.H.), MONROE (E.), Histoire de l'Abyssinie des origines â nos jours, Paris, Payot, 1935, 247 p.; rééd. anglaise, Londres, Oxford, University Press, 1955, 196 p. LE ROUX (H.), Ménélik et nous, Paris, Nilson, 1902, 446 p. MARCUS (H.G.), « Ethio-British Négociations Concerning the Western Border with Sudan », Journal of African History, IV, 1963, pp. 82-88. MICHEL (Ch.), Vers Fachoda, à la rencontre de la Mission Marchand à travers l'Éthiopie, Mission de Bonchamps, Paris, Pion, 1900, 538 p. PÉTRIDÈS (S.P.), Le héros d'Adoua, Ras Makonnem, prince d'Éthiopie, Paris, Pion, 1963, 314 p. R O D D (Sir J . RENNELL), Social and Diplomatie Memories, Londres, 1 9 2 3 , 3 tomes, t. I I : 1894-1901, 312 p. SANDERSON (G.N.), « The Foreign Policy of the Negus Menelik (1896-1897 », The Journal of African History, V, 1964, pp. 87-97. SMETS (G.), « Rapport sur le dossier Abyssinie (1894-1903) », Bull, de l'Académie Royale des Sciences Coloniales, Nouvelle Série, 1955, pp. 139-152. La fameuse Chronique du règne de Ménélik II, de Guebrié Sellassié, traduite et annotée par Maurice de Coppet, Paris, Maisonneuve, 1930, 2 vol. et un atlas, ne contient rien sur la Mission Marchand et la politique du Nil en 1 8 9 5 - 9 9 . ALYPE
270
LA MISSION
MARCHAND
VI. CARTES 1. Carte ethnique de l'Afrique Équatoriale, dressée par Marcel Soret, Institut de Recherches Scientifiques au Congo, O. R. S. T. O. M., 5 feuilles, 1955-1961. 2. Section Outre-Mer des Archives Nationales, Service Géographique : BARATIER (Cne A.), Haut-Oubangui, Bahr el Ghazal d'après les travaux des explorateurs de 1863 à 1895, 1 feuille au 1/1 500 000«, Barrère, 1896. — Haut-Oubangui, Bahr el Ghazal, Nil, Éthiopie, Djibouti, 4 feuilles au 1/1 000 000e, Société de Géographie de Paris, 1903. COURTRY (A.), Congo Français, Haut-Oubangui (1897-1898), 12 feuilles au 1/800 000e. HANSEN (J.), Le Congo Français, 1895, 2 feuilles au 1/500 000E. JACOB (L.), Reconnaissances préliminaires pour l'étude des voies de communication entre la côte du Loango et Brazzaville par la vallée du Kouilou-Niari, levé de 1887-1888, c a r t e a u 1/185 000 E .
Mission Marchand, Levés d'itinéraires, 18 feuilles au 1/100 000e (dessins couleurs avec estompage, sans date).
INDEX
INDEX * ABBAS II (Khédive), 21. ABD EL FADIL (Mek des Chillouk), 202-207, 204 n., 206 n., 209-212, 216, 219, 229, 255, 256. ABDERRHAMAN (chef), 235. Abiras (les), (poste), 18 n. Abiggar (ethnie), 146. Abu-Hamed (localité), 131, 191. Abu-Kléa (bateau), 217. Abyssinie, 8, 9, 20, 20 n „ 33, 33 n., 52, 123, 128, 135-136, 138-146, 192, 212, 212 n., 214, 220, 228, 231, 233, 233 n., 234, 235, 235 n., 236, 236 n., 237, 242, 244, 258. Adda (rivière), 17, 45. Addis-Abeba, 144, 145, 235, 237. Adjouba (rivière), 146, 147, 234. Adoua, 52, 138, 139. AHMADOU,
67,
70.
AHMET (chef), 183, 187. AKO dit YAR (chef), 183, 188. Albert-Édouard (lac), 130. Alexandrie, 211. Alger, 27, 66, 190. Algérie, 71. A lima (bateau), 150. Alima (rivière), 84, 85. ALIS (Harry), 15, 19, 21, 27, 27 n. Allemagne, 22, 87, 130, 135, 191, 191 n. ANCEL-SEITZ (maison de commerce), 93, 94. ANOOT (lieut), 253.
Antoinette (bateau), 151, 152. ANTONETTI (Raphaël), 85. Apfourou (ethnie), 85. ARABI DAFA ALLAH,
81.
ARCHINARD (Louis), 28, 28 n., 29, 39, 39 n., 41, 42-44, 48-49, 50, 51, 57, 59, 66, 67, 70, 71, 72, 191 n., 2 5 0 . ARENBERG (Prince d'), 20, 20 n., 67, 73, 222. armement (principalement fusils) — de !a Mission Marchand, 35, 77. — sur rOubangui (monnaie), 154 n. — des Sultans du M'Bomou, 45, 80, 162, 170, 170 n., 175. — de Ménélik, 138 n., 143, 143 n. — des Mahdistes, 207 n. ARNAUD, 31.
articles de Paris, 78. articles musulmans, 78. Assas (d'), (bateau) 237, 238, 239. Assouan, 226. Atbara (rivière), 190. atrocités, 95, 115, 116, 122, 172, 172 n., 173 n., 176, 250. ATEKTEK (chef), 183, 187, 187 n., 188, 188 n. Avignon, 239. AUGOUARD (Mgr), 9, 121, 158, 158 n., 190 n. Ayak (localité), 180, 183, 188. AYOUM (chef), 187. Babembé (ethnie), 91, 121 n. Bacongo (ethnie), 104, 104 n., 105, 107,
* Les noms de personne sont indiqués en PETITES CAPITALES, les noms de matière en italiques. Tous les autres termes (géographiques, ethniques) en bas de casse romains. Les noms de continents et de mers ainsi que les termes Angleterre, France. Marchand (sauf indications biographiques) et Nil n'ont pas été indexés. 18
LA MISSION
274
MARCHAND
108, 108 n., 109, 111 n., 112 n., 113, 118. Baggara (ethnie), 211, 255. Baguirmi, 103, 251. Baguessé (îles et rapides), 164, 171. Bahangala (ethnie), 103, 104, 104 n., 105, 109, 113 n., 114, 116, 120 n., 121. Bahr el Arab (rivière), 33, 160. Bahr el Djebel (rivière), 44 n., 199, 202, 255, 258. Bahr el GhazaI, 8, 9, 16, 21, 21 n., 23, 24, 31-32, 33, 40,42 n., 44,45, 46, 47, 50, 55, 56, 57, 63, 68, 69, 72, 120, 123, 128, 129, 135, 142, 146, 147, 159, 160-163, 165, 171, 174, 176, 177-189, 192, 205, 210, 211, 219 n., 220, 221, 223 , 227, 231-233, 248, 255. Bahr el Homr (rivière), 33, 44, 183. Bakamba (ethnie), 91, 103, 116, 120 n.
Belges, voir État Indépendant (du Congo). Bellanda (ethnie), 170, 183-187. Béni-Chogoul (ethnie et région), 142, 147, 228, 228 n., 229, 235, 236. Bénin, 32.
BAKER (Samuel),
211.
BENOIT,
40.
Bakongo (ethnie), 99, 99 n., 102, 103, 104, 104 n., 105, 107, 110, 113, 118, 120 n. Bakougni (ethnie), 87, 91, 103, 120 n. Bakota (ethnie), 103. Balari, Ballali (ethnie), 104, 104 n., 106, 108, 108 n., 113, 113 n. Balimoéké (localité), 113, 114,115, 116, 120. Bali (rivière), voir M'Bari. Balkans, 131. Bambara (ethnie), 75. Bamako, 67, 74, 75. Banane, 93. Banda (ethnie), 153 n., 154. Bandama (rivière), 67. Bandassi (localité), 17, 34, 48. Bandja (ethnie), 16, 166 n., 167 n., 168. Bangassou (territoire et localité), 8, 17, 22, 157, 166, 174, 176.
Berber,
179, 191.
BANGASSOU, 16, 44, 4 6 , 1 5 3 , 1 6 4 , 1 6 6 , 1 6 6 n.,
167-168, 170, 171, 173-176. Bangui, 15, 35, 63, 66, 99, 134, 152, 153, 154, 156, 157, 164, 165, 215. Banziri (ethnie), 153-156. Banzyville, 134, 157. Baoulé, (rivière) 68. BARATIER (intendant-général), 71 n . BARATIER (Albert), 8, 9, 25, 27, 34, 65, 66,
68, 70, 71-72, 82, 83, 83 n., 90, 110, 113, 114, 115, 116, 152, 153, 155, 164, 165, 167, 168, 171, 173, 176, 179-180, 183, 199, 207, 220-222, 224, 227, 234, 238, n., 240, 243 , 244. BARD,
Bassoundi (ethnie), 8, 91, 96, 97, 99, 100, 103, 104, 104 n., 106, 106 n., 107, 108, 108 n., 109, 112-119, 120 n., 121, 153. BASTIAN (Adolf), 86.
Batéké (ethnie), 97, 103, 104, 105, 106, 108, 108 n., 109-110, 112 n., 113, 114, 116, 117, 119, 154. Bavili (ethnie), voir Vili. Bayombe (ethnie), 90, 90 n. BAYONNE (chef), 94. BAZILLE (Camille), 57, 58, 76 n., 123. BEAUCAIRE (Horric de), 129, 130.
BERGASSE,
98.
BERNARD (Sergt), 73, 82, 152, 179, 233. BERTHELOT (Marcelin), 31, 40, 40 n., 41,
53, 53 n., 58. BESANÇON (lieut' de vaisseau), 151. Biédi (localité), 96, 98. BINGER (Gustave), 34, 36, 37, 75, 83 n.,
159, 214, 243. Biri (ethnie), 161, 183, 184. BLOM,
99
n.
BOBICHON (Henri), 49, 50, 153, 155, 156,
173, 176. BOENDI (chef), 166.
Boko, Boko-Songho (localité), 102, 104 n., 107. Bokou (rivière), voir M'Bokou. BONCHAMPS (Christian
de),
144,
BONNEL DE MÉZIÈRES, 165, 177 n .
BONVALOT (Gabriel), 141, 142, 144, 145, 234.
Bordeaux, 76, 78, 82. Bornou, 32, 103, 177, 177 n. Boro (rivière), 160. Boroum (région), 220. Boubou (ethnie), voir Mbougou. BOUCHAUD,
242,
244.
Bouenza (localité), 85, 87, 91, 96, 113. Bougouni (localité), 75. Bouraka (ethnie), 153, 154, 156. Bouré (localité), 145, 146, 234.
Baro (rivière), voir Sobat. 240.
144 n.,
145, 146, 148, 233, 236. Bondjo (ethnie), voir M'Baka-Modjembo. Bongo (ethnie), 170, 181-184.
BOURDE (Paul), 224.
223.
BARI (chef), 166. BARRES (Maurice),
BARTHOLIN (Léon), 144.
BOURÉE (ambassadeur), 23. BOURGET (Paul), 240.
INDEX (Léon), 2 8 n., 52, 53, 54, 58, 59, 138. Bozégui (rapides), 171.
BOURGEOIS
BRAZZA ( M m e d e ) , 8 3 n . BRAZZA ( P i e r r e S a v o r g n a n
275 30, 36, 37,
de),
9,
50,
15-20,
23, 24, 27, 27 n., 29, 43, 51, 52, 56, 59, 6 6 , 6 9 , 7 5 , 7 9 , 8 0 , 82-84, 83 n . , 8 4 n . , 87, 9 3 , 99-102, 108, 1 0 9 , 110, 119, 120,
Chine, 27, 133, 192. Chinko (rivière), 33, 34, 160, 166, 167. Choa, 136, 235, 237. CHOLET, 8 5 . CHRISTOPHE, 9 8 . CHURCHILL (Winston), 247. CLOCHETTE, 141, 142, 144, 1 4 5 , 1 4 6 ,
181,
234.
121, 122, 122 n., 190, 240, 242, 250. Brazzaville, 15, 18, 58, 63, 65, 68, 81, 82, 84, 85, 87, 90, 91, 92, 92 n., 93, 96, 97, 99, 101, 102, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 118, 119, 120 n., 149, 250.
COGORDAN, 129, 131, 132, 1 9 2 . COLRAT DE MONTROSIER, 1 6 5 . COLVILE ( c o l . H . ) , 2 1 , 2 4 , 3 2 , 4 0 n . , 6 3 .
BRICE, 3 9 n . BRISSON ( H e n r i ) , 1 9 0 . BRUEL (Georges), 156 n., BRUN-ROLLET ( n é g o c i a n t ) ,
Comba (localité et poste), 85, 92, 96, 97, 98, 101, 103, 104, 105, 107, 111, 111 n., 113, 114, 115, 116, 120, 120 n., 121, 122, 122 n.
157. 31.
Bruxelles (Conférence de), 15.
COMBES ( P a u l ) ,
caoutchouc, 95, 107. Cabinda, 18, 100, 103. cadeaux, 35, 78, 80, 154, 174, 175, 176 n., 186, 186 n. Caffa, 145, 147. Caire (Le), 47, 68, 130, 132, 143, 219, 220, 225, 226, 227, 228, 229, 239, 244. CAMBON ( P a u l ) , 2 4 7 , 2 4 8 . CARNOT ( S a d i ) , 19, 2 0 n . , 2 1 , 2 4 , 1 2 8 . CARVALHO (et DA SILVEIRA) (maison de com-
merce), 86 n., 92, 93, 94.
COMTE ( P a u l ) , 4 9 , 5 0 , 1 5 6 n . , 157, 1 6 0 .
Conakry, 80. Congo Français, Bas-Congo, 8, 8 n., 9, 33, 52, 53, 58, 65, 69, 74, 76, 76 n., 80, 8 1 , 82-84,
9 0 , 9 5 , 9 8 , 99-102,
103,
110,
112, 119-122, 149, 150-151, 153, 155, 156, 250, 251.
Congo (fleuve), 15, 22, 106 n., 107, 108, 119, 130, 149, 150, 151, 154, 248. CONVALETTE,
Cétéma, 153. 181.
Chari, 73, 244. CHAUTEMPS, 2 3 n . , 2 6 , 2 8 , 3 1 , 3 7 , 3 9 ,
56.
Comité de l'Afrique Française, 15, 19, 20, 24, 27, 27 n., 36, 37, 56, 67, 68, 73, 73 n., 190. Compagnie Française de l'Afrique Occidentale (maison de commerce), 80.
1 5 7 , 172, 241-245,
CASATI (Gaétano), 166 n. CASTELLANE (Boni de), 240. CASTELLANI, 6 5 , 6 6 , 101, 114, 116. CECIL ( m a j o r ) , 2 1 7 , 2 5 7 , 2 5 8 . CÉRE ( E m i l e ) , 3 7 , 1 9 1 , 2 2 4 n . CHABANEIX, 234. CHALTIN (cd'), 63, 180, CHAMBERLAIN, 2 7 , 2 4 7 . CHANOINE (gèni), 222.
COCHERY (Georges), 36, 37, 54, 58. Cochinchine, 28.
40,
41 n., 42, 58, 140 n. CHAVANNES (Charles de), 17, 18, 91, 95, 96, 113. Chavannes (localité), 113, 113 n., 115 n. CHEFNEUX (Léon), 136,137, 137 n., 143, 148. chemin de fer — du Congo Français, 85, 97, 98. — de l'État Indépendant du Congo, 85, 85 n., 99, 99 n., 121, 134. — « éthiopien », 137, 137 n., 138. Chillouk (ethnie), 69, 146, 182, 197, 199, 202-205, 206, 206 n., 208, 210-212, 216, 219, 220, 227, 229, 234, 255, 256, 258.
233.
Condo-Bondo (localité), 96. Constantinople, 20 n., 129, 213, 215, 220, (258, Turquie). CONZA (maison de commerce), 79. COPPÉE (François), 240. Côte d'Ivoire, 20, 24, 26, 30, 36, 67, 68, 72. Côte des Somalis, 136, 140, 141, 239. cotonnades — de Diville, 77, 77 n. — d'Angleterre, 77, 77 n. — de Hollande, 77-78. — cadeaux, 154. — utilisation monétaire, 93 n., 94, 107 n. COURCEL (baron Alphonse de), 133, 192, 221, 223, 223 n., 248. couvertures, 77, 100 n. CRAMPEL ( P a u l ) , 9 3 . CROMER ( l o r d ) , 2 1 , 2 3 n . , 5 2 , 1 3 3 , 2 1 7 , 2 3 3 .
cuivre et laiton — extraction, 86, 87 n., 107. — utilisation monétaire, 86, 86 n., 93 n., 106, 107, 154.
LA MISSION
276 CUNNINGHAM,
21.
CUNY (explorateur), 31. CUREAU (d r Adolphe), 163, 165, 176, 176 n., 188.
MARCHAND
Djoué, 92 n., 117, 119. Djoué (bateau), 150. Djour (ethnie), 182, 183, 184 n., 185, 186, 187.
Djour-Ghattas, 4 7 , 1 6 0 , 1 6 3 , 1 6 4 , 1 8 1 , 1 8 2 n.,
Dabago,
17, 166.
DAHAL (chef),
183,
183, 183
187,
Dahomey, 122, 248. Dakar, 74, 75, 82, 214. Dar Fertit, 161, 161 n„ 162, 176, 177 n„ 184, 189. Dar Four, 31, 47, 48, 130, 161 n„ 162, 248, 251. Dar Kreish, 45. DAT (Georges), 34, 73 n., 82, 151, 238 n. DAUMAS,
DAUMAS-BÉRAUD
(maison
n., 188.
DOLISIE (Albert), 9, 15 n., 18, 43, 69,
188.
de
commerce), 95, 96, 107 n., 151.
DECAZES (cd l Eugène-Louis), 20, 29, 34,
48, 48 n., 77, 82, 93, 160, 222. DECRAIS (Albert), 241, 241 n. DEHÉRAIN (Henri), 15. DELCASSÉ (Théophile)
— et la Mission Monteil, 18, 20 n., 21, 22, 23, 24, 59. — et Marchand, 69, 71, 227, 231, 232. — et les dépenses du Congo, 30, 84, 96. — et l'Abyssinie, 137-140, 233, 239. — et la crise de Fachoda, 189, 213-215, 214 n., 219-220, 221 n., 221-225, 238, 241 n., 247, 248. DELONCLE (François), 15, 27, 58, 134, 134 n.,
137 n., 192. Dem Békir (localité), 184. Dem Ziber (localité), 45, 47, 48, 160, 161, 163, 166, 170, 172, 182 n., 184, 187, 189, 190, 248. Dendi (ethnie), 153-156.
85,
n., 91, 96, 97, 119, 120, 121, 2 5 0 . Dolisie (localité), 87. Dongo (localité), 152. Dongola (localité), 52, 53. Doufilé (localité), 21. 86
DOUMER (Paul), 36, 36 n., 37, 58, 71.
Dramani (localité),
171.
DREYFUS, 215, 216, 2 2 2 , 2 2 2 n . , 2 2 3 , 2 3 7 , 238. DROUHEZ, 2 4 2 n . , 2 4 3 .
DRUMONT (Édouard), 222, 238. DUBARD, 2 8 n . , 7 5 .
DUFFERIN (lord), 22, 53. DUPUY (Charles), 222, 223, 238, 239 n. DUPUY (Georges), 222 n., 238. DYBOWSKI (Jean), 93.
DYÉ (Alfred), 66, 68, 72, 73, 73 n., 153, 158, 159, 173, 178, 179, 191, 191 n., 2 2 8 , 2 3 8 n. Égypte, 15, 18, 20, 20 n ., 21, 31, 32, 33, 4 0 , 4 0 n., 48, 49, 52, 53, 56, 56 n., 57, 73, 129-133, 140, 143, 162, 191, 2 1 1 , 2 1 5 , 2 1 8 n., 219, 220, 2 2 3 , 2 2 4 , 247, 2 4 8 , 2 4 9 , 258. E L CATIM, 4 5 , 161 n .
Éléphant (rapides de 1'), 153. El Obeid, 31. ÉMILY (Jules), 8, 65, 68, 72, 72 n., 82, 92, 117, 152, 153, 164,
ÉMIN
Pacha,
21,
165.
181.
DHANIS (baron), 53, 54, 63, 134, 190. DURA (Mari), 67.
En Avant (bateau), épidémies, 92, 92 Équatoria, 40 n., Érikassa (rapides), esclaves, 86, 86 n.,
Diélé, 84. Diéna, 71.
ESTOURNELLES d e CONSTANT ( P a u l d ' ) , 5 6 , 249.
DIMISSI (dedjaz), 235 n „ 236, 236 n., 237 n.
État Indépendant (du Congo), 17, 22-24, 29, 32, 44-45, 47 n., 91, 94, 95, 100, 104, 107, 108, 109, 110 n., 112, 130, 134, 135, 139, 152, 171, 189, 2 1 7 n. Éthiopie, voir Abyssinie.
DÉROULÈDE (Paul), 222, 238, 239, 239 n., 241. DEVOLDER,
22.
Dinka ou Djingué (ethnie), 69, 161, 162, 180, 182, 182 n., 183, 184-189, 199, 202, 204,204 n., 210,212 n., 216, 220,228,235. Dinka Agar (ethnie), 180, 183, 188. Diosso (localité), 83. DITTE (cap.), 29, 77.
Djebel Gabrit, 234, 235. Djéma (localité), 160, 161. Djibouti, 8 n., 136, 138, 141, 144, 145, 233, 237, 239, 241.
153. n. 130, 180. 171. 87 n., 105, 170, 170 n.
ÉTIENNE (Eugène), 15, 18, 222, 223, 224, 224
n.
FABRE (Cyprien),
98.
Fachoda, 7-9, 19-20, 49, 55 n., 63, 68, 69, 70, 7 1 , 130, 137, 139, 141, 143, 1 4 5 - 1 4 6 ,
111
INDEX 149, 1 6 0 , 1 6 3 , 1 6 4 , 179, 1 8 9 , 1 9 1 , 192, 197-
210, 214, 216-229, 232, 233, 234, 235, 236,
82, 101, 152, 155, 164, 179, 180, 182, 2 1 8 ,
226, 228-229, 238 n., 250. GESSI Pacha, 163, 183 n., 184, 199.
238, 247, 249, 250, 255, 257.
Faidherbe (bateau), 8, 66, 149-151, 157159, 163, 164, 165, 171, 173-173 n., 177179, 179 n „ 205, 207, 210, 212, 220, 228, 232-234, 258.
GLADSTONE (William Ewart), 21.
FAIVRE, 144, 147, 147 n „
GORDON Pacha, 20, 211, 255.
148, 189, 234.
GOFFINET (baron), 22. GOFOROU (chef), 173.
Golo (ethnie), 161, 161 n., 182-186, 184 n.
FALKENSTEIN (Julius), 86. FAURE (Félix), 53, 53 n., 131, 138, 223.
Goré (localité), 144, 145, 232,^236, 237.
FÉOUI AHMED, 45, 46, 4 9 n., 161 n . , 189.
GRECHT, 162, 166, 170, 254. GRELLE (de), 134.
GOULY (lieut' Eugène), 163, 173*180, 181.
fer
GRESSHOFF (Anton), 100, 100 n., 111 n.,
— travail local, 109. — utilisation monétaire, FERADJ ALLAH, 211. FERADJ MUSTAPHA,
154,
154
n.
211.
Feroge (ethnie), 45, 49, 49 n., 161, 16Fn., 162, 162 n. FERRY (Jules), 67, 192 n. 15 n.
flottille du Haut-Nil, 157, 159, 159 n. flottille du Haut-Oubangui, 98, 99, 99 n. FONDÈRE (Hyacinthe), 99, FORAIN,
237,
Fort Desaix (poste), voir Wau. Fort Dupleix (poste), voir Dem Ziber. Fort Hossinger (poste), voir Tamboura. Fort Laval (poste), voir Makabendilou. Foulakari (rivière), 103, 107, 113, 114, 118, 119. Foulambao (localité), 97, 113, 114 n. Foulani (ethnie), 103. Founke (ethnie), 235. FOUQUES (lieut1), 66, 179, 229, 236,238 n. 101,
151.
GUIEYSSE (Pierre), 28, 28 n., 31, 41, 42,"43,
GUILLAIN (Antoine), 239. GUSSFELDT (Paul), 86. GUYOT (Yves), 225.
101.
238.
FOURNEAU (Alfred),
121,
4 9 , 50, 53, 57, 58, 138. GUILHOT, 65.
Fiottes (ethnie), voir Vili. FLOURENS (Émile),
118,
GRÉVY (Jules), 136. GREY (Sir Edward), 27, 221. GRODET (Albert), 43, 66, 111 n.
112.
Franceville (localité), 84. Frédérick (bateau), 151. FRÉDON, 104, 105, 106, 113-116.
HABERT (Marcel), 222, 238, 239, 239 n., 241. HANOTAUX (Gabriel)
— et Marchand
25, 26, 26 n., 27, 31,
36, 39, 4 0 , 54, 55, 56, 190, 244.
— et la Mission Monteil, 22, 23, 23 n., 24. — et la question d'Égypte, 20 n., 56 n. f 59, 129, 191, 192, 2 4 7 , 248.
— et la question du Soudan, 20 n., 22, 134, 146, 147 n., 191, 192, 248, 249. — et l ' A b y s s i n i e , 9, 5 5 , 1 2 3 , 1 2 9 , 1 3 5 , 1 3 8 , 140, 143, 148.
— et la crise de Fachoda, 224. HANSSENS (cap.
Edmond),
91.
Hanssens (rapides), 153. Harrar, 136, 137 n., 138, 141, 237. HARRINGTON,
233.
HATTON ET COOKSON (maison de commerce),
Gaba
Shambé (localité), 147, 180, 189.
GADI
(chef),
185.
93,
107.
GALLA(S) (ethnie et région), 139, 236.
HATZFELDT (comte von), 135. HAUSSMANN (Jacques), 23, 23 n., 24, 37,
GALLI (Henri), 240. GALLIENI (Joseph), 106.
HAVAS (agence),
GALLIFET ( g é n 1 d e ) , 241
140, n.
Gamanzou (localité), 172. Gambella (localité), 234. GARETS ( g é n 1 des), 218. GAUTHIER DE CLAGNY ( A l b e r t ) , 222, 2 2 2 n . GAUTHIOT, 2 4 0 .
GENTIL (Émile), 93, 96, 97, 101, 151 n., 244. GEOFFRAY, 2 1 5 ,
223.
GERMAIN (Joseph), 9, 34,65, 66, 70, 72-72 n.p
140 n.
132.
Havre (Le), 67. HENRI D'ORLÉANS (prince),
222,
240.
HENRIQUE (Louis), 23 n., 56. HENRY (administrateur), 176. HENRY (cd'), 181.
HETMAN (fils de Rafaï), 167, 172. Hoffrat en Nahas, 16, 17, 32, 46, 160. Holland (bateau), 151. HOSSINGER (cap.), 42, 162, 163, 253,
LA
278
96.
118,
ILG (Alfred), 136, 137. Indochine, 28. Italie, Italiens, 52, 138, 139, 148. Itchop (localité), 234. ivoire, 16, 32, 86, 87 n., 95,107, 170, 170 n. JACKSON (kaïmakan),
218,
218 n.,
220,
227, 228-229, 258. JACOB (Léon),
Jacques d'Uzès
JACQUOT (Marie-Gabriel),
151, 158. 104,
105, 110,
111 n., 115, 152, 157. JAMAIS JAURÈS JUDET JULIEN
(Émile), 18. (Jean), 58. (Ernest), 223. (cap.), 17, 79, 134, 155, 176, 192
214, 214 n., 215. JUNKER (Wilhelm),
8,
146,
171,
178 n.,
180, 182, 183 n. Kalbar (bateau), 220. KAIONGO (chef), 184, 185.
Kaka (localité), 204, 207, 209, 210, 235. Kalaka (localité), 162. KANGUI (chef),
151.
Kourmouck, Kurmuck (localité), 235, 235 n. Koutchouk Ali, Kutshuk Ali (localité), 164, 178, 182 n., 183-183 n. KRANTZ (Camille), 239, 239 n.
Kreish, 161, 162, 184 n. LACOUR-GRANDMAISON, 2 4 0 ,
183.
LAGARDE DE ROUFFEY-
ROUX), 36, 37, 75, 138-149,
LAMBERT (Henri),
31.
212 n., 222. LANDEROIN (Moïse), 65, 66, 72-73-73 n., 152, 179-180, 211, 238 n., 255, 256. LANESSAN (Jean de), 172, 193, 193 n., 224, 2 4 1 n., 2 4 9 . Langbassi, Langouassi (ethnie), LANG-SON,
LARGEAU (Victor), 72 n. LARGEAU (Emmanuel), 9, 54, 65, 66, 70,
72-72 n., 82, 92, 97, 111, 150, 151, 155, 173 n., 180, 2 0 5 , 207, 2 0 8 , 2 1 0 n., 2 1 2 , 2 2 6 n., 232, 2 3 8 n., 2 5 1 . (Paul),
KEPPEL (commodore), 217, 257.
71,
Lauzière (bateau), 152.
KIMBERLEY (lord), 27.
Kimpanzou (poste), 107, 108, 118, 120 n. Kinshassa, 152. KITCHENER
(Herbert),
— et la reconquête du Soudan, 52, 54, 63, 128, 131, 190, 191, 212, 215, 248. — et Marchand, 8, 68, 216, 217-221, 226, 251. KLOBB (lieut.-col.),
99.
Kodjalé (localité), 173, 178, 178 n., 181, 253. Kong, 20, 30, 66, 70, 71, 72. Kongo (ancien royaume du), 104. Kordofan, 130, 161 n., 255. Kotto (rivière), 153, 154, 156, 160. Kouango (rivière), 153. Kouango (poste), 156, 163.
154.
67.
LAVAL,
Kimbédi (poste), 103, 104, 105, 106, 114, 116, 120, 120 n.
n.
LAMOTHE ( H e n r i de), 1 2 1 , 1 7 3 , 1 7 3 n . , 190 n .
LASIES
KHÉTULLE ( d e L a ) , 17, 166, 1 6 7 n .
151, 159,
224, 231, 2 3 3 , 2 3 4 , 235, 237, 2 3 7 LAIGNE (de), 99, 100. LAMARZELLE, 2 4 0 .
Katuaka (localité), 17. Kayes (localité), 70, 74. Kénédougou, 67. Kéré (ethnie), 161, 170. Khartoum, 18 n., 30, 47, 58, 133, 139, 160, 179, 190, 191, 204, 255.
241.
Lado (localité), 47, 53, 130, 139, 142, 164, 181. LAGARDE ( L é o n c e
87.
(bateau),
MARCHAND
Kouilou (rivière), 98, 99 n., 101, 103,115,
HUMBERT (lieut.-col.), 67, 71. HUNTZBUKLER,
MISSION
LEBON LEBON
240.
96.
(Maurice), (André)
22.
— ministre des Colonies, 19, 28, 31, 36, 5 4 n., 1 9 0 n., 191. — et la Mission Marchand, 15, 55, 56, 58, 7 1 , 181,
192, 214,
241-243.
— et Brazza, 81, 84. — et Liotard, 160, 175, 182. — et l'Abyssinie, 9, 123, 140-142, 145, 146, 148, 2 1 2 n. — et la crise de Fachoda, 224.
LE CHÂTELIER (Alfred), 27 n., 98, 99 n., 101.
LEDOCHOWSKY (cardinal, Préfet de la Propagande), 158. LEFÈVRE (explorateur), 31. LEFÈVRE-PONTAVICE,
68,
226,
227,
232.
LE HÉRISSÉ ( R e n é ) , 36, 37 n „ 5 8 , 7 1 , 191 n . ,
222.
Lékéti (rivière), 84. LEMAIRE, LE
242.
MYRE DE VILLERS,
222.
INDEX
279
Léon XIII (Well-Boat) (bateau), 158 n. Léon Blot (bateau), 165. Léon de Poumayrac (bateau), 151. LÉONTIEFF (comte),
157,
135 n., 143, 143 n.
135. Léopoldville, 85, 121, 155. Libreville, 17, 74, 82, 83 n., 102, 120. Lilemboa (localité), 113, 114 n. LIMBO ( c h e f ) d i t MAYA LINGBO, 185, 185 n . , 186, 187.
Linzolo (localité), 107, 108, 108 n., 113 n. LIOTARD (Victor)
— et le Haut-Oubangui, 8, 9, 20, 29, 30, 153, 157. — et les Sultans du M'Bomou, 17, 34, 44-48, 80, 80 n., 165,166, 170, 174 n., 175, 212 n. — et le Nil, 16, 18, 19, 20, 24, 59, 133, 147, 148, 182, 182 n., 187, 188-189, 191, 248. — et Marchand, 42, 43, 49, 50, 51-56, 68, 69, 77, 84, 141, 157-159, 160-164, 221 n. — et le Bas-Congo, 84, 87, 90, 94, 94n„ 95 n., 181. Loanda, 86. Loango (localité), 8, 20, 54, 63, 74, 81-85, 114,
Loango (ethnie), voir Vili. LOCKROY ( É d o u a r d ) ,
dit
SIMON,
71,
29.
Loudima (localité), 85, 87, 90, 91, 92, 102. Loufini (rivière), 103. Louis (Georges), 129, 249. Louqsor, 226. Louvisi (rivière), 114, 114 n. LUPTON Pacha, 161 n., 163, 166, 167 n., 170. LUYNES (duc de), 2 4 1 .
MABALA (chef), 117, 117 n. MABIALA MINGANGA ( c h e f ) , 8,
113 n., MABIALA
105,
113,
114-116. N'KINKÉ,
MACDONALD,
113-115.
147.
Madagascar, 27, 30, 133, 144, 244. Madingou (localité), 91. Mangayat, 45, 160, 161, 161 n. MAGOD (chef),
190.
MAISTRE (Casimir), 20, 20 n .
LÉOPOLD I I , 16, 18 n . , 19, 21, 2 2 , 130, 134,
86, 9 0 , 91, 92, 9 5 , 96, 9 9 , 100-102, 120 n., 151, 2 5 0 .
MAHMOUD,
186.
MAHDI, 31, 31 n., 42 n., 139, 147,147 n., 171. Mahdistes (ou Derviches), 20, 29, 31-33, 41, 43, 45-49, 51, 51 n., 52, 55, 59, 73, 139, 147, 161, 161 n., 162, 170, 171, 181, 184, 189, 202-210, 216, 226 n., 250.
Makabendilou (localité), 96, 97, 103, 104, 105, 106, 108, 111, 114 n., 116, 117 n., 120, 121, 157. MAKITO (chef), 104. MAKOATCH (chef), 183, 186, 187. MAKOKO (le)> 8 6 , 109, 119.
MAKONNEM (Ras), 136 n., 138, 140, 142,
220, 235, 235 n., 236. Mambéré (rivière), 103. MANET (cap.), 26. MANGIN (Charles), 9, 26, 28 n., 34, 36 n.,
37 n., 56 n., 65, 66, 67, 68, 69, 70-71, 72, 74, 82, 83, 84, 101-102, 103, 107, 108, 110, 112, 116, 117-119, 152, 155, 169, 175, 178-180, 188, 206, 206 n„ 207, 218-218 n., 226, 228-229, 234, 235 n., 236, 238. Manyanga (localité), 87, 92 n., 94, 102, 104,106 n., 107, 108, 108 n., 111,118-120. MARCHAND (Georges),
66.
MARCHAND (Jean-Baptiste), jusqu'en 1896, 66-70. Marchand (localité), 113. Maroc, 224. Marseille, 76, 82.
biographie
MARTINEAU (Alfred), 141, 239. MASSART (Armand), 222. MASSART (Émile), 222, 239.
Matadi, 85, 87, 99, 99 n., 100, 104, 107, 121, 155. Matempa (localité), 117. MAXWELL (col.), 225, 226, 228. MAYAR (chef), 183, 186.
Mayombe, 68, 82, 86, 87, 87 n., 90, 90 n., 91, 92, 151. MAYOKÉ (chef), 113, 114, 117, 118, 119. MAZURE,
65.
M'Baka-Modjembo (ethnie), 153, 153 n., 156, 157. M'Bamba (mont), 90. M'Bamou (poste), 105, 110, 113, 117, 118, 119, 120, 121, 162. M'Bari (rivière), 17, 33, 160, 166. M'Bélé (localité), 17, 166. M'Bia (localité), 180, 181, 188. M'BIMA (chef), 173, 173 n., 174.
M'Bima (poste et territoire), 172, 253. M'Bokou (rivière), 90, 156, 164, 165, 165 n., 172, 253. M'Bomou (rivière), 44, 56, 150, 153, 156, 159, 160, 163, 164, 165, 165 n., 166, 171. M'Bomou (région), 8, 16, 17, 19, 22, 34, 44, 50, 54, 63, 69, 130, 149, 153, 166. Mbougou (ethnie), 18, 154, 166, 167, 175.
LA
280 Mbrou (ethnie),
32.
NISARD (Armand), 40, 40 n., 53 n. N'DORUMA (chef), 253.
MÉUNE (Jules), 31, 50, 54, 189, 192. MÉNARD (Joseph), 27. MÉNARD (Louis), 26, 27. MENDI (localité), 235.
N'Driss (ethnie), voir Vidri. Nô (lac), 180, 199.
MÉNÉLIK II, 123, 129, 133, 135, 136-148, 192, 218, 231, 233, 237. Méré (rivière), 164, 173, 176. Méridi (rivière), 183. Meschra er Rek (La) (localité), 47, 147, 158, 160, 163, 178-178 n„ 180, 199, 206, 210 n., 220, 226 n„ 228, 232, 233, 233 n. MEYER (Arthur),
222.
MICHEL (Charles), 141, 143, 144, 147,234. MILLEVOYE (Lucien), 222, 239, 240. MILZ (cd' Jules), 44 n .
NOIX (géni),
240.
Nouba (région), 211, 255. N'Séké (ethnie), 104. N'Tila Voula (localité), 114, 119. Nzakara (ethnie), 17, 18, 34, 49, 153, 166, 166 n., 170, 171, 175, 176. N'Zaoua (rapides), 165.
des Chillouk),
215, 2 1 6 , 225, 2 3 1 , 255,
136,
137.
LANNES DE),
131.
MONTEIL (Parfait-Louis), 7, 13, 18, 19-24, 25, 30, 44, 66, 72, 73, 83 n., 222. 190,
190
n.
MORIN (lieut. de vaisseau Alphonse), 151, 151 n., 157. Mossaka (poste), 150. MOTTUEL, 152. MOURAVIEV, 131, 135, 143. MOUSSA AHMED, 161 n . , 162.
MOUSSOUNGOUNGA (chef), MOUTÉTÉ (chef), 105.
Onyuro (Bunyoro), or, 3 2 , 249. OSMAN
monnaies, voir armement (fusils), cotonnades, cuivre et laiton, fer, perles, poudre, thalers. MONSON (Sir Edmund), 215, 219,221,221 n., 222. MONTEBELLO ( m a r q u i s
203.
Omdurman, 31, 191, 203, 204, 210, 212,
72.
MONTHOLON, 1 3 4 ,
98.
Nouer (ethnie), 182, 182 n., 234.
OMAR (Mek
Mobaye (poste), 134, 153, 156, 156 n., 167. Mombassa, 21. MONDON-VIDHAILLET,
NOBLEMAIRE,
Obock, 33, 69, 136, 141. Ogooué, 84, 85, 103, 120.
Mindouli (localité), 86, 116. Missafo (poste), 120. MISSITOU (chef), 113, 114, 117-119. MIZON (Louis),
MARCHAND
Niogorgoule (ethnie), 45, 49, 49 n., 161, 161 n., 162 n.
154.
MEHEMET ALI, 3 1 ,
MISSION
105.
M'Pila (localité), 107. M'Vouti (localité), 90. NACEUR ANDEL, 4 5 , 4 6 , 4 9 , 4 9 n . , 1 6 1 , 1 6 1 n.,
162, 162 n., 188, 189. Nasser (localité), 146, 147, 212, 234. Ndogo (ethnie), 161, 170, 182-186. Nianza (région), 139. Niari (région), 85, 87,90, 91,102,113,114 n„ 116, 118. Nieuwe Afrikaansche Handels Venootschap (maison de commerce), 93, 95, 99, 100, 107, 122, 151. Nioro (localité), 67, 70. Niger, 58, 130, 133, 192, 247.
DIGNA,
21,
258.
203.
190.
Ouadaï, 32, 45, 48, 103, 170, 251. Ouadda (poste), 154, 156. Ouadelaï (localité), 21. Ouango (poste), 150, 152, 153, 164, 171. Oubangui (rivière), 15, 15 n., 17, 22, 103, 149, 150, 153-156, 158. Oubangui (Haut-) (région), 8, 9, 16, 18, 20, 23, 29-34, 39, 43, 49, 50, 52, 56-58, 65, 69, 76, 77, 80, 82, 83, 84, 97, 98, 103, 115, 120, 122, 141, 142, 144, 151, 152, 154, 157, 160, 164, 176, 179, 180, 188, 189, 212 n., 214, 242, 248, 250, 251. Oubangui (bateau), 150. Ouellé (rivière), 16, 17, 23. Ouganda (Bouganda), 21, 130, 203. OWEN (major), 21.
pacotille, 35, 76, 78. Pahouin (ethnie), 103, 104. PARKES (maison de commerce), 93. PASSY (Louis), 193, 193 n.
Peace (bateau), PLAGGA,
152, 153.
181.
Princesse Stéphanie (bateau), 151. PECHUEL-LŒSCHE (Édouard), 86. PENEY (explorateur), 31. PÉREIRE (Henry), 98.
perles — de Venise, 77, 77 n. — de Bohème, 77, 77 n. — « Bayakas », 79, 79 n., 154.
INDEX
281
— utilisation monétaire, 93 n., 154, 154 n., 155, 176, 202 n. PEUX (de),
PHIPPS
239.
(Sir
Eric),
Rumbek (localité), 181, 183. Russie, Russes, 33 n., 129-131, 135, 139, 142, 147 n., 191.
22.
Pointe-Noire, 113, 113 n. Pombo (région), 86. Pongo (rivière), 161 n., 184, 186.
Safia
PONCET (explorateur),
Saint-Pétersbourg, Saint-Siège, 139.
31.
Pool (Stanley-), 86, 87, 102, 103, 109. portage — au Congo français, 82-85, 90-96, 93 n., 94 n., 99 n., 105, 120, 120 n., 121, 155 n. — dans les Sultanats du Haut-Oubangui, 171-174, 172 n., 173 n., 174 n., 176. PORTAL (Sir
Gerald),
21.
(bateau),
207,
208,
209,
217
n.
SAHLÉ-SÉLASSIÉ, 136. SAÏD BOGHER, 207, 2 0 9 , 210, 210 n .
135,
143.
SAHSBURY (lord), 27, 27 n., 52, 133, 134,
192, 217, 222, 223,
247, 251.
SAMORY, 20, 24, 26, 28, 32, 67, 68, 71.
Sangha (Haute), 17, 18 n., 83, 103, 120. Sango (ethnie), 153-156.
Portugais, 24.
SAUMAONE, 136. SAVOURÉ, 136.
POTTER ( M a u r i c e ) , 1 4 4 , 1 4 7 , 1 4 7 n . , 1 4 8 , 1 8 9 .
Say (-Barroua), 32.
poudre — marchandise, 107. — utilisation monétaire, 93 n. POUMAYRAC (lieut. de vaisseau Léon de), 18.
SCHWEINFÜRTH (Georg), 8, 161 n., 171,
PRAT (Oscar de), 73, 73 n., 74, 82, 92, 114. 152, 153, 154, 164, 172, 179, 233. PROMPT, 19, 2 0 n.
QUIQUANDON (cap.),
67.
180, 182, 183 n., 184, 184 n., 206.
Ségou,
67,
71.
SÉKOU-BA, 71. sel, 86, 94, 107,
154.
Sénégal, 67, 70, 74. Sennar, 130, 235. Séré (ethnie), 161. Shaka (localité), 162. Siam, 27, 133. SIEGFRIED (Jules), 123.
RABAH, 32, 167, 177, 177 n .
Rabet (localité), 161. Rafaî (territoire et localité), 8, 17, 22, 34, 66, 150, 154, 157, 164, 170 n., 174, 176. RAFAI, 44, 46, 4 8 n . , 50, 51 n . , 162, 167167 n . , 168, 170-176, 177 n . , 186 n .
RAMEL (comte de),
241.
Rapides (les) (poste), 178. Redjaf (localité), 180, 181. REINACH
Rembio
(Joseph),
(rivière),
225.
253.
RENAULT (Léopold), 90, 120 n. RENNELL RODD,
143,
219.
RHODES (Cecil), 15, 248. RIBOT (Alexandre), 28 n., 30. RINDA (chef), 173, 176. ROCHEFORT (Henri), 222. ROCHET
d'HÉRICOURT,
ROGET (gén 1 ), 238,
136.
240.
Roi des Belges (bateau), 146. Rohl (rivière), 181, 183, 188. ROSEBERY (lord), 21, 247, 248.
Roseires (localité), Rotterdam, 99.
229.
ROULET (cap.), 1 3 4 , 1 7 6 , 1 8 8 , 1 8 9 , 1 9 2 , 2 1 0 n .
ROUME (Ernest), 35, 36, 36 n., 41 n„ 42-49, 50-52, 53 n., 58, 59.
Siguiri (localité), 75. Sierra Leone, 24. SIMON (lieut1 Pierre), 34, 65, 66,72, 82, 117, 152, 161. Sinangba (poste), 165, 172, 173. SLATIN Pacha, 55, 163, 249, 249 n .
Sobat (rivière) et Baro, 20, 141, 145-147, 202, 212 n., 214, 219, 220, 227, 229, 232, 233-236. Société Anonyme Belge (maison de commerce), 93, 95-95 n., 96, 150, 151. Société d'Études et d'Exploitation du Congo Français, 98, 99, 99 n., 101, 114, 120 n., 122. soieries, 77. Souakim, 130, 131, 135. Souala (rivière), 104. Soudan égyptien, 7, 15 n., 16, 20,22, 31-33, 40, 41, 45, 48, 56, 130,134,139, 189, 191, 211, 212, 215, 247, 248, 257, 258. Soudan occidental, 24, 26, 32, 43, 56 n., 57, 67, 68, 70, 72, 80, 112. Soundji (poste), 120. SOUYRI,
158 n . ,
173
n.
SOLEILLET (Paul), 136. SONGUÉLÉ (chef), 113, 116.
Soueh (rivière), 159, 165, 171, 173, 173 n., 19
LA MISSION
282 174, 176, 177-182, 183-191, 197, 199, 232, 253. Stamboul (bateau), 82. STANLEY (Henry Morton), 9, 109, 159. Stéphanieville, 85. Suez (canal), 129, 239. Sultan (bateau), 217, 217 n., 228. Sunda (localité), 98. Tadjourah (localité), 136. Tamaï (bateau), 225, 233. Tamboura (territoire et localité), 63, 163, 164, 170-170 n., 172, 174, 178, 182, 184, 1 8 5 , 186, 188, 190 n. TAMBOURA, TAMBOURA RIOUA, 8, 17,
22,
47, 47 n., 55, 63, 69, 162, 165, 167-170, 173-176, 186 n., 212, 253, 254. Tanganyika (lac), 20 n., 21 n., 130. Taygète (bateau), 82. Tchad (lac), 15, 16,18, 32, 73, 120,134,251. TENSI (chef), 114, 118, 119, 119 n. TERRIER (Auguste), 37, 67. TESSAMA ( d e d j a z ) , 142, 145-148, 234, 237.
Tewfikiew (bateau), 207, 209, 210, 215. thalers de Ménélik II, 137, 137 n., 143 n. Thibet (bateau), 82. THIÉBAUD (Georges), 238, 238 n.
Thoissey (localité), 66, 67. THOMASSIN (gén 1 ), 240. THYS (Albert), 95.
MARCHAND
VAN KERCKHOVEN (Guillaume), 44 n., 55 n.,
80 n. VEISTROFFER (Albert), 87, 92 n. VENAIL (serg»), 73, 82, 152, 238 n. VERMOT (lieut.), 34, 34 n., 45. VÉRON,
144.
Vidri (ethnie), 103, 154. Ville de Bruges (bateau), 151, 152. Ville de Maranhao (bateau), 82. Ville de Paris (bateau), 151, 152. Vili (ethnie), 86,91,93,97,114 n., 116,120 n. vins et alcools, 79-80, 83, 94. VITTU DE KÉRAOUL, 9 7 , 102, 106, 108, 110, 117, 118.
Vivi (localité), 87. vivres — emportés par la Mission 78-80,
179
Marchand,
n.
— achats et prix locaux, 106, 107, 107 n., 154, 154 n., 155, 185, 2 0 2 n. WAHIS (baron Théophile), 135, 152. Wadi Halfa (localité), 131, 191, 226. WALDECK-ROUSSEAU (Pierre), WANDOU (chef), 186.
241,
249.
Waou (localité), 161, 202, 204. Wau (localité), 178, 179, 180, 183, 183 n., 184-189, 2 2 6 n . WAUTERS, 9 1 , 190. WINGATE, 143, 2 1 7 , 218,
231 n., 258.
TIÉBA, 67.
TILLAYE (Louis), 216. TIOK (chef), 203, 204, 206.
Tombouctou, 67, 70. Tondj (rivière), 183, 184, 188, 232. Tonga (localité), 204. Toucouleur (ethnie), 67. Toulon, 67, 237, 239. TRÉCHOT (maison de commerce), 121, 150. TRENTINIAN (col. Louis), 56 n., 70. TRIVIER (cap.), 87, 90 n. TROUILLOT (Georges), 189, 213, 214, 214 n.,
215. Tumba (localité), 99, 99 n., 100, 107. USAC (Alfred),
15.
UZÈS ( d u c d ' ) , 17, 18, 9 3 .
VALDENAIRE (cap.), 152, 187 n-188 n., 189, 189 n. VANDELEUR,
21.
VAN EETVELDE (baron Edmond), 134, 134 n., 190 n. VANGÈLE (Alphonse), 16, 17, 153.
Yakoli (localité), 156. Yakoma (ethnie), 153-156, 166, 178-207, 237, 241. Yambo (ethnie), 146. Yangéla (localité), 86, 87. Yobo (rivière), 173. YOLL (chef), 183, 186, 187.
YOR (Mek des Chillouk), 203. Zandé (ethnie), 8, 44-46, 49, 55,69,162,164, 167-170, 170 n . , 1 7 1 , 173 n . , 175, 185-187.
183,
Zeilah (localité), 136. Zémio (territoire et localité), 8, 17, 22, 164, 165, 170 n., 1 7 2 , 174, 178, 185, 190, 253. ZÉMIO, 4 4 - 4 7 et n . , 4 8 n . , 51 n . , 5 5 , 160, 162, 167, 168, 168 n . , 170-176, 186 n .
ZIBER Pacha, 47,
167.
Zinga (rapides), 150, 152, 156. Zongo (rapides), 153. ZURLINDEN (gén 1 ), 217, 239, 240.
TABLES
TABLE DES CARTES
La Mission Marchand. La piste des caravanes.
p.
14 88
Mission de Bonchamps de Djibouti au Nil Blanc.
144
De Bangui à Djibouti.
160
La traversée des Sultanats.
168
Carte du Bahr elGhazal.
200
Les environs de Fachoda.
208
TABLE DES PLANCHES
Couverture, 1 e r plat : La Mission Marchand, image colorée, 1901. (B.N., 4 e plat : Gloire à Marchand, chanson, 1899. (B.N., Est.) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 1. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15.
Est.)
Le commandant Marchand. {A.N., fonds Baratier) Charles Mangin, 1899. (B.N., Est., don Mangin) Sous-officiers de la Mission, à Toulon, 1899. (B.N., Est., don Mangin) La Mission dans la brousse en Abyssinie entre Harrar et Djibouti, 1899. ( A . N . fonds Baratier) La Ville de Bruges, 1896. (A.N., fonds Baratier) Transport d'une chaudière du Faidherbe sur des rondins chez Tamboura, 1897, (A.N., fonds Baratier) Le Faidherbe est hissé au poste des Rapides, 1897. {A.N., fonds Baratier) Dans le Bahr et el Ghazal, 1898. (A.N., fonds Baratier) Ruines de la moudirieh de Fachoda, juillet 1898. (B.N., Est., don Mangin) Fachoda, septembre 1898. (B.N., Est., don Mangin) Le Sultan Zémio. (A.N., fonds Baratier) Le Mek des Chillouk, 1898. {A.N., fonds Baratier) Marchand et le dedjaz Tessama à Goré, mars 1899. (A.N., fonds Baratier) L'arrivée de Marchand à Paris, 2 juin 1899. (B.N., Est.) Tirailleurs assis à la terrasse d'un café parisien, juillet 1899. (B.N., Est., don Mangin)
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
7 PREMIÈRE PARTIE
LA GENÈSE DE LA MISSION CONGO-NIL Ch.
I — Les origines de la Mission Congo-Nil I. Ancienneté de l'idée de la marche au Nil par le Congo II. Aux origines de la Mission Marchand : la Mission Monteil Ch. II — Le projet Marchand I. Les initiatives de Marchand (juin-septembre 1895) II. Le projet Marchand du 11 septembre 1895 Ch. III — L'écho du projet Marchand I. Les péripéties de la décision (septembre 1895-février 1896) II. Les péripéties du départ (février-juin 1896)
15 15 18 25 25 30 39 39 50
DEUXIÈME PARITE
D E LOANGO A BRAZZAVILLE Ch.
I — Composition et équipement de la Mission 65 I. Les hommes 65 II. Le matériel 75 Ch. II — L a traversée du Congo Français 81 I. L'arrivée de la Mission Marchand au Congo Français 82 II. Le problème des transports au Bas-Congo Français 84 1. La route des caravanes. — 2. Les causes de la crise des transports. III. L'insurrection bassoundi de 1896 et la Mission Marchand 99 1. Brazza et Marchand. — 2. Le pays Bakongo en 1896. — 3. Les opérations de 1896. TROISIÈME PARTIE DE
BRAZZAVILLE
AU
BAHR
EL
GHAZAL
Janvier 1897 • juin 1898 Ch.
I — La politique d'Hanotaux 129 I. La politique égyptienne de Gabriel Hanotaux 129 1. Les buts. — 2. La politique de "résistance' '. — 3. L'action diplomatique.
LA MISSION
290
Ch.
MARCHAND
II. La politique éthiopienne de Gabriel Hanotaux 1. Les raisons du rapprochement franco-éthiopien. — 2. La mission Lagarde. — 3. Les résultats diplomatiques. — Les missions Clochette et Bonvalot. II — La Mission Marchand dans l'Afrique Centrale (janvier 1897-juin 1898). I. La remontée du Congo et de l'Oubangui jusqu'aux Sultanats. 1. Brazzaville-Bangui. —2. Bangui-Ouango.— 3. L'affaire du Léon XIII. II. La traversée des Sultanats 1. Le changement d'itinéraire de la Mission. — 2. La Mission Marchand dans les Sultanats. III. L'occupation du BahrelGhazal (novembre 1897-juin 1898) 1. Le nouveau retard de la Mission. — 2. L'occupation du Bahr el Ghazal.
136
149 150 160 177
QUATRIÈME PARTIE
L'ÉCHEC ET LE RETOUR Ch.
Ch.
I —L'installation des Français sur le Nil (juillet-septembre 1898) I. Les Français en pays Chillouk II. Le choc avec les Derviches III. Le traité Chillouk du 3 septembre 1898 II — Anglais et Français sur le Nil ( 19 septembre-10 décembre 1898) I. Delcassé et la politique du Nil en 1898 II. La rencontre du 19 septembre 1898 III. La décision française d'évacuation (octobre-novembre 1898) IV. Les risques de rupture (novembre décembre 1898)
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Ch. III — Le retour I. Le problème de l'évacuation II. De Fachoda à Djibouti (décembre 1898-mai 1899) III. Le retour en France IV. La liquidation financière (1899-1901)
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CONCLUSION
247
ANNEXES
253
I. Traité avec le Sultan Tamboura II. Traité Chillouk III. La rencontre du 19 septembre 1898 d'après le rapport Marchand
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SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
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INDEX
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TABLE DES CARTES
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TABLE DES PLANCHES
287
PARIS
M O U T O N & Co
HISTOIRE AFRICAINE
A . H . BA e t J . DAGET
L'empire peul du Macina. 1815-1853. 1962. 310 pages. D . BOUCHE
Les villages de liberté en Afrique Noire française. 1887-1910. 1968. 281 pages. H . BRUNSCHWIG
Brazza explorateur. VOgooué. 1875-1879. 1966. 217 pages. H.
BRUNSCHWIG
Brazza explorateur. Les traités Makoko. 1880-1882. 1972. 304 pages. C . COQUERY-VLDROVITCH
Brazza et la prise de possession du Congo. La Mission de r Ouest africain. 1883-1885. 1969. 503 pages. C . COQUERY-VIDROVTTCH
Le Congo français au temps des grandes compagnies concessionnaires. 1898-1930. 1972. 592 pages.
LA HAYE
G . MAZENOT
La Likouala-Mossaka. Histoire de la pénétration du Haut-Congo. 1887-1910. 1971. 456 pages. B . SCHNAPPER
Aux origines de F impérialisme colonial. Les français dans le golfe de Guinée de 1837 à 1871. 1961. 292 pages. P . VERGER
Flux et reflux de la traite des Nègres entre le golfe du Bénin et Bahia de Todos o Santos du 17e au 19e siècle. 1968. 720 pages. VOLNEY
Voyage en Égypte et en Syrie. Introduction et notes de Jean Gaulmier. 1959. 430 pages. I. WALLERSTEIN
The road to independence. Ghana and the Ivory Coast. 1964. 200 pages.
PARIS
M O U T O N & Co
LA HAYE
ACHEVÉ LE
8
D'IMPRIMER
SEPTEMBRE
SUR LES
PRESSES
L'IMPRIMERIE A
ÉVREUX
1972 DE
HÉHISSEY (EURE)
N° d'imprimeur : 11077 Dépôt légal : 3 e trimestre 1972