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French, English Pages [39]
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C ATA L O GUE A CCOMPAGN A N T L’E XP O SI T ION LE S É TAT S LIMIT E S : GR AV UR E S , P R É S E N T É E AU 170 0 L A P O S T E DU 4 O C T OBR E 2 0 19 AU 5 J A N V IE R 2 0 2 0
L E 17 0 0 L A P O S T E
L E C ATA L O G U E
LES ÉDITIONS DE MÉVIUS
Directrice générale et artistique Isabelle de Mévius Directeur administratif Roger Lupien Adjointe coordonnatrice Anne Sophie La Haise Commissaire Isabelle de Mévius Scénographie Lupien+Matteau Rédaction des textes Isabelle de Mévius Design graphique Laurent Pinabel Montage Tomico Construction Conception des éclairages Octochrome Communications Béatrice Flynn Relations de presse Rosemonde Communications
Textes Isabelle de Mévius Gérald Gaudet Walter Jule Richard Noyce Anne Sauvagnargues Mention de sources Sean Hurley (page 169) Guy L’Heureux (pages 78-107, 132-137) Laurent Lafuma (pages 124-131, 175) Guy Langevin (pages 32-61, 163) Tracy Templeton (pages 76-77) Conception et coordination éditoriale Isabelle de Mévius Anne Sophie La Haise Conception graphique Laurent Pinabel Infographie Julie Gauthier Traduction Colette Tougas Helge Dascher Révision linguistique Isabelle Dowd Jane Broderick Correction d’épreuves Isabelle Dowd Impression Deschamps Impression Productrice de l’imprimé Joanne Vachon
1700, rue Notre-Dame Ouest Montréal (Québec) H3J 1M3, Canada 1700laposte.com © Guy Langevin, Tracy Templeton, Ariane Fruit, Les Éditions de Mévius Dépôt légal Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2019 Bibliothèque et Archives Canada, 2019 ISBN : 978-2-9816657-4-4 Tous droits réservés. La reproduction d’un extrait quelconque de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans une autorisation écrite de l’éditeur et constitue une infraction sanctionnée par la Loi sur le droit d’auteur. Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
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Guy Langevin Tr a c y Te m p l e t o n Ariane Fruit
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ARIANE FRUIT
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La meute 1 2014 Linogravure / Linocut 100 cm x 175 cm / 39,5 in x 69 in
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La meute 2 2014 Linogravure / Linocut 100 cm x 175 cm / 39,5 in x 69 in
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La meute 3 2014 Linogravure / Linocut 100 cm x 175 cm / 39,5 in x 69 in
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La meute 4 2014 Linogravure / Linocut 100 cm x 175 cm / 39,5 in x 69 in
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La meute 5 2014 Linogravure / Linocut 100 cm x 175 cm / 39,5 in x 69 in
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Scène de crime
Scène de crime (détail)
2017-2018
2017-2018
Linogravure / Linocut
Linogravure / Linocut
215 cm x 285 cm / 84,6 in x 112 in
215 cm x 285 cm / 84,6 in x 112 in
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Passagers – Ligne 2 (1) 2017 Aquatinte / Aquatint 25 cm x 28 cm / 9,8 in x 11 in
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Passagers – RER B (2) 2017 Aquatinte / Aquatint 25 cm x 28 cm / 9,8 in x 11 in
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Passagers – Ligne 2 (2) 2017 Aquatinte / Aquatint 25 cm x 28 cm / 9,8 in x 11 in
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Passagers – Ligne 6 2017 Aquatinte / Aquatint 25 cm x 28 cm / 9,8 in x 11 in
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Passagers – Ligne 2 (3) 2017 Aquatinte / Aquatint 25 cm x 28 cm / 9,8 in x 11 in
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Passagers – RER B (1) 2017 Aquatinte / Aquatint 25 cm x 28 cm / 9,8 in x 11 in
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L A MAI N D’ARIAN E An n e S auva gna r gues
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1. Entretien avec Ariane Fruit à l’Atelier Tilleul Presses, juin 2019.
Ariane Fruit naît en 1975 à Rouen, petite ville dont Flaubert tira son hilarant Dictionnaire des idées reçues, mais aussi étrange port industriel fluvial. À Rouen donc, Ariane Fruit dessine, d’où elle se rend à Paris, y rencontre la photographie à l’université, puis tourne le dos aux grands discours et entre à l’École des Gobelins, réputée pour sa formation aux métiers d’art : « Après la fac, j’avais envie d’apprendre à faire et pas de discourir ! Je voulais mettre mes mains dans le produit… » Elle choisit l’option « photographe de laboratoire1 », qui valorise non pas la prise de vue (l’œil artiste, la pose académique), mais l’humble développement et le tirage en chambre noire (la main technicienne). Ici, déjà, des hiérarchies sont bousculées. Des voies patientes et obscures sont tentées. « Pour passer l’entretien, il fallait présenter un dossier photo ; ça faisait deux ans que je me promenais sur la Petite Ceinture en prenant des photos. Le but, c’était de faire toute la Petite Ceinture, tous les tronçons. J’y allais très souvent pour me promener, j’y emmenais tous ceux qui ne la connaissaient pas. C’était une passion. » Elle entre aux Gobelins avec ce dossier qui noue déjà, au cœur de son travail, un sens aigu de l’observation urbaine, presque documentaire, couplé à un goût pour les existences sociales en marge, les zones urbaines et les circulations floues. Cet abord de l’art par la voie modeste d’une formation pratique et par la déambulation urbaine (une laborantine nomade, qui échapperait d’aventure à sa chambre noire…) est décisif pour expliquer la fraîcheur et l’angle surprenant, à la fois hardi et précaire, par lequel elle se place dans l’art contemporain. Alliant prouesse technique et effet de hasard, montrant une extrême sensibilité aux patientes trouvailles, mais aussi à l’aléatoire, jouant de l’expérimentation la plus experte tout comme des sensibilités chimiques et associant les ressources mécaniques, optiques et numériques des complexes appareillages qu’elle intègre à son arc créatif, Ariane Fruit bouge les lignes qui, en Europe, clivent depuis peu l’art et la technique.
Or, ce partage a lui-même une histoire, qui est celle de la lente émancipation sociale des peintres, sculpteurs, architectes et autres broyeurs de couleurs, bref, de tous les artisans d’art qui convoitaient le statut libéral et les privilèges des doctes littérateurs, alors qu’eux-mêmes se trouvaient cantonnés, dans leurs corporations et guildes des métiers, à l’obscur statut d’artisan. Cette lente dissociation qui favorise leur pénible migration des arts mécaniques aux arts libéraux ne vient à maturité qu’au XVIIIe siècle lorsqu’on en vient à accoupler l’épithète « beaux » à ces arts qu’on dédaigne désormais de tenir pour mécaniques et qu’on cherche à excepter de la production ordinaire par un supplément d’âme. C’est au même moment qu’on se tourne vers la langue grecque pour en exhumer un vocable, technè, qui recouvre pourtant exactement le même sens qu’ars, en latin, afin de marquer une fois pour toutes la différence de valeur au sein de la production entre les nantis qui parlent la langue du beau et l’obscure armée des manœuvres illettrés qui en assurent la fabrication effective. Ce partage entre arts et technique reçu comme une évidence — en Occident seulement —, Ariane Fruit le conteste dès sa décision d’entrer aux Gobelins plutôt qu’à l’École des beaux-arts. Ce n’est pas l’apprentissage de la posture d’artiste ou de son verbiage associé qui la tente, mais la voie plus farouche et autrement prometteuse de l’expérimentation, celle qui consiste à installer la création plastique au cœur de nos dispositifs concrets de fabrication des images, loin des poncifs et des modes dictés par le marché de l’art. Ariane Fruit porte ainsi l’art au cœur de nos dispositifs actuels et contribue à changer l’art contemporain, en nous faisant sortir du vieux paradigme renaissant, curieusement renforcé à un degré cosmique par l’art contemporain, qui valorise l’œil et l’esprit, la belle âme au détriment de la main et du faire.
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« A RM ÉE D’U N A PPA REI L ORDI N A I RE » Ariane Fruit situe son intervention picturale en un lieu qu’elle a littéralement inventé — et inventé dans un laboratoire de technicienne, entre les deux pôles de reproduction mécanique qui délimitent et menacent la peinture occidentale depuis la Renaissance. Entre ces deux procédés de reproduction, la vénérable gravure et la jeune photographie, Ariane Fruit insère son intervention picturale, je dis bien picturale, bien qu’ellemême, fidèle à d’anciens partages, se définisse davantage comme graveuse plutôt que peintre. Mais cela reflète-t-il autre chose qu’une hiérarchie déjà périmée entre les œuvres de l’esprit et les arts appliqués ? En intercalant son intervention picturale entre photographie et gravure, Ariane Fruit monte un nouvel agencement, une alliance tout à fait différente entre des bouquets techniques souvent très disparates, mais surtout intègre la création à la fabrication, ou plutôt renouvelle la création au sein même de procédés complexes de fabrication qui intègrent des auxiliaires techniques sophistiqués : la presse, l’appareil photo, le traitement numérique de l’image, les différentes techniques de l’estampe. Il faut replacer cette rencontre entre art et machines dans la courte histoire de l’art occidental pour mesurer la crise technique et industrielle que la photographie, puis le cinéma à la suite de l’estampe imposent au paysage des arts à la fin du XIXe siècle. C’est exactement ici qu’Ariane Fruit situe son intervention. Noblement et frileusement crispés autour de leur dégoût technique de la reproduction industrielle de masse, tirant leur arrogance de leur emphatique définition en tant que beaux arts, ceux-ci subissent avec la photographie et le cinéma une profanation sauvage et mécanique. Ce tournant ne qualifie pourtant aucun privilège mécanique de la gravure, de la photographie ou du cinéma et ne vaut que pour une conscience 14 0
occidentale des arts, qui entend le privilège spirituel d’une conscience artiste, son exquise plus-value de sensibilité, comme un apogée, apothéose cultivée et mystique de la perception ordinaire. L’appareil photo, plus visiblement que le mot, le pinceau ou l’archet, surimpose son masque industriel au corps artiste disqualifié, greffe son faciès mécanique à l’œil du photographe. Cela a valu d’ailleurs à la photographie, puis au cinéma comme à la gravure en son temps leur statut équivoque de reproducteurs mécaniques, privés d’art, car incapables de représentation spirituelle et cloués à la duplication vulgaire du réel. En intégrant son intervention plastique entre ces deux procédés mécaniques que sont la photographie (capture perceptive) et la gravure (lente élaboration du traitement de l’image, paradoxalement effectué à la main), Ariane Fruit montre une alliance nouvelle entre l’habileté mécanique et les propriétés chimiques optiques, aujourd’hui informatiques du traitement des images. Chez Ariane Fruit, le partage entre photographie et gravure est tout à fait singulier, et précipité en faveur du dessin. D’abord, l’appareil photographique agit comme déclencheur. C’est lui qui autorise des prises de vue de hasard : il en résulte un glissébougé caractéristique, l’appareil étant déclenché à la main et le plus souvent en mouvement (à vélo, en train, en voiture ou à pied). Tenu à bout de bras, selon les aléas d’un parcours qui décoche ses points de perception sous des angles et axes non coutumiers, Ariane Fruit s’autorise un mode de capture par sensorimotricité technique, qui la couple à son appareil photographique, à ses appareils devrais-je dire, car la prise de vue n’offre qu’un départ ponctuel. Ce qui compte pour elle, c’est le développement et l’expérimentation experte, ludique, collective qui autorise des levées de matière colorée au sein même du papier, donnant une épaisseur nouvelle à la surface photographique. Joignant la sophistication du laboratoire à la reproduction par série, mais au profit d’objets picturaux non identifiés qui ne s’en tiennent ni à la photographie, ni à la gravure, ni au dessin manuel, ni à la grande peinture, cette recherche tisse entre ces domaines un nouveau fil d’Ariane qui nous guide et nous précède dans le labyrinthe. De là cette double constante dans son travail : un lieu d’intervention plastique original, qui fait interférer de manière inédite les procédés de la photographie et ceux de la gravure, et qui donne au dessin (la gravure par définition s’en tient préférentiellement au trait), ainsi révélé par l’impression, une monumentalité stupéfiante ; un espace de déambulation social,
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2. Citation d’Ariane Fruit, site Web de la Galerie Documents 15, www.galeriedocuments15. com/news/60. / 3. Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, tome I, Paris, Grasset, 1913, p. 655.
urbain, qui privilégie les friches, la nuit, les lieux de circulation, les transports en commun : les zones. D’ailleurs, elle l’énonce avec précision : « Armée d’un appareil ordinaire, je capte des images dans l’espace public. Mon travail de graveuse consiste à développer ces clichés pendant un temps long, trait par trait, puis à me laisser surprendre par le tirage comme dans un labo photo. J’ai été formée à la photographie dans les années de transition entre l’argentique et le numérique. Je m’intéresse autant à la prise de vue qu’au traitement des images. Mon travail se situe entre ces deux procédés mécanisés : la photographie et la gravure. En gravant, j’inscris en profondeur la virtualité et l’éphémère2. » D’où les « personnages » que privilégie Ariane Fruit : à la croisée des XIXe et XXIe siècles, où l’on trouve un patrimoine industriel désaffecté, mais aussi le heurt violent entre relative nouveauté technique et obsolescence, les communs en friche, la périphérie. Elle tire le portrait de nos équipements de transport collectif, les rails gagnés par la verdure, les aiguillages rouillés, mais aussi les flux et voies de circulation, les modes de transport, avec un sens très sûr pour la mobilité, la vitesse : c’est ainsi un portrait de nos modes d’existence sociaux, dont les humains semblent presque absents, cadrés de dos comme les maisons, ou traversés de reflets parce qu’ils sont aperçus à travers la vitre-écran d’un métro qui nous en éloigne. Absents sans doute du premier plan, mais partout impliqués à la manière des foules qui se pressent dans le métro, à l’état d’échantillons statistiques, unifiés par leur déplacement en masse : non la goutte d’eau, mais la vague. Car un voyage en train ne nécessite pas seulement un déplacement moteur, mais aussi une expérience perceptive qui n’a pas d’équivalent. « Le train tourna […] et je me désolais d’avoir perdu ma bande de ciel rose quand je l’aperçus de nouveau, mais rouge cette fois, dans la fenêtre d’en face qu’elle abandonna à un deuxième coude de la voie ferrée ; si bien que je passais mon temps à courir d’une fenêtre à l’autre pour rapprocher, pour rentoiler les fragments intermittents et opposites de mon beau matin écarlate et versatile3 […]. » Faisant ainsi l’expérience de l’influence de la vitesse sur la perception, et du train comme d’un fantastique dispositif cinématographique de montage, Proust en appelle sans doute à « un tableau continu » que la course du narrateur serait capable de rentoiler. Mais les fragments ne recomposent un ensemble ni du côté du paysage à l’arrêt — que par convention, nous tiendrions pour plus naturel que la vue
donnée par le train — ni du côté du narrateur — qui se précipite au contraire d’une fenêtre à l’autre, toujours surpris et happé par les fragments discontinus, entrecoupés et erratiques que coupe et retaille la vitesse du train, machine à vision kaléidoscopique. Le voyage en train propose son propre travelling, fragmentaire par définition, parce que ses vues agissent par fragmentation, en faisant exploser dans le discontinu et l’incomplétude perceptive une perception démultipliée par son moyen de transport. Ariane Fruit travaille justement sur cette sensorimotricité nouvelle et sur cette fragmentation perceptive. La vitesse influe sur la perception et sur le chemin de fer, comme la caméra ou l’appareil photographique accompagnent une véritable mutation industrielle de notre perception ordinaire. C’est la raison pour laquelle Ariane Fruit privilégie les transports en commun, les agencements collectifs qui distribuent et recueillent les humains en grand nombre et qui nous agitent dans les circuits de nos grandes villes comme des neurones dans un cerveau. Cela correspond aussi bien à son parcours qu’à la fracture de l’époque : formée, comme elle le disait, à la photographie dans les années de transition entre l’argentique et le numérique, le rôle qu’elle donne aujourd’hui à la gravure correspond en somme à l’ancienne photo de laboratoire aujourd’hui obsolète ou réservée à des usages luxueux — à nouveau le grand art séparé du social. Lorsqu’elle décroche son diplôme aux Gobelins, le métier de photographe de laboratoire est déjà obsolète, remplacé par la postproduction, qui implique l’apprentissage de logiciels spécialisés de même qu’une nouvelle gamme d’approches et de savoir-faire. C’est assez naturellement qu’après avoir été assistante aux Musée des beaux-arts de Tours, elle s’initie à la gravure à Strasbourg et revient à Paris pour compléter l’initiation informatique déjà reçue aux Gobelins. Ce n’est pas qu’elle s’est trouvée de fait à cheval entre deux époques, deux mondes techniques. De cette impasse (s’être formée à un métier qui disparaît), elle a fait un nouveau départ. La manière dont elle agence les possibilités du numérique avec les dispositifs anciens du labo argentique propulse le développement argentique lui-même dans cette dimension nouvelle du dessin et de la gravure, repoussant en somme les frontières mutuelles du pictural, du photographique et de l’estampe. Une même prédisposition pour la pointe la plus contemporaine des métiers anciens la pousse à traiter ses clichés à la manière de gravures anciennes, mais aussi à reprendre ses clichés numériques à la main. Au fond, elle substitue au développement argentique un 141
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processus très sophistiqué de gravure et qui se renouvelle de série en série. Cela lui permet de prolonger, d’étirer indéfiniment le travail du développement, qui devient le centre de ce travail, ouvrant à la main de tout nouveaux champs d’exploration. Autant le développement dure, autant la prise de vue s’effectue le plus souvent à la volée, en déambulation dans l’espace urbain (en métro, en balade à vélo, en arpentant la Petite Ceinture). Loin du confort de l’atelier, c’est une sorte de rencontre documentaire avec une douche de la réalité urbaine la plus usuelle, la moins préparée : un carrefour, la voie ferrée, des passagers dans le métro, quelques scènes nocturnes. Mais ces ponctions de réalité urbaines sont aussi souvent décalées : Ariane Fruit privilégie, on l’a vu, les zones. Pas seulement la réappropriation des marges des voies ferrées en nouveaux territoires, mais aussi les ruines de nos équipements collectifs, promis à de nouveaux usages. La capture photographique n’est pas seulement abrégée au maximum — confiée à l’appareil, mécanique ou numérique. Elle est aussi le plus souvent ambulatoire : elle s’effectue en déplacement, d’où un bougé, un tremblé caractéristique qui imprime un mouvement certain aux clichés. C’est pour cela qu’elle se sert le plus souvent d’un petit appareil numérique tout simple : « Pas besoin d’une bonne qualité pour faire des photos floues en marchant. » Le tremblé de la photo restitue la vitesse relative du déplacement de l’appareil photo et celle des « sujets » en mouvement qu’il capte à la volée : un carrefour noyé sous la pluie, des passagers qui se pressent dans un couloir de métro. La prise de vue n’est donc pas assurée par son œil, mais bien par sa main déclenchant l’appareil, et le plus souvent à l’aveugle, selon des angles ou des vitesses d’obturation impossibles à effectuer à l’œil nu. Ariane Fruit introduit la perspective photographique comme un nouvel agent artistique et collabore avec son appareil photo, retravaillant souvent ses clichés à l’ordinateur — autant qu’avec sa presse, son labo photo, ses gouges et ses encres. Car le cliché pris, tout reste à faire. Il s’agit de le développer.
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L A M EU T E La meute, série monumentale de cinq linogravures, présente le flot de voyageurs qui déferlent dans le métro, silhouettes happées par la circulation collective aux heures de pointe, dont l’effet d’aspiration est d’autant augmenté que le format, à l’échelle 1, nous place, par un effet de réel, devant un plan qui s’incurve comme si un couloir de métro nous faisait face et nous happait dans son tohu-bohu. Cette série porte à son maximum le contraste entre l’instantané du flash perceptif, confié à l’appareil aveugle, et l’interminable travail de développement assumé par la main. Ce procédé prend, dans cette série, un caractère nouveau qui s’impose désormais comme l’une des marques du travail d’Ariane Fruit : le caractère herculéen, la prouesse athlétique de l’entaille, qui porte la linogravure bien au-delà des frontières habituelles de l’estampe, vers le monumental, le mural. Elle contraste de manière poignante avec la brièveté extrême de la prise de vue, son caractère haptique, déclenché à la main plus qu’à l’œil. Les photos sont prises au jugé, l’appareil tirant à la sauvette, porté à hauteur de buste, à la manière de Vivian Maier ou de Walker Evans. Cela compte beaucoup pour les cadrages indécis, chaloupés, qui restituent le hasard du mouvement, ainsi que le déplacement dans le métro, cadré à partir du point d’axe de l’appareil photo. En somme, une telle perspective, résultant de cette captation neutre, anonyme et aléatoire, convient pour ces grands cycles de transhumance sociale, fermement rythmés et conduits dans l’équipement collectif de nos routes, tunnels, trains et métro, qui fonctionnent comme des tuyaux à l’intérieur desquels nous circulons. Si bien que ce travail pictural montre aussi le choc que la photographie a fait subir à la grande peinture, en autorisant des prises d’images qui ne sont plus redressées à la verticale dans un plan de composition organisé pour un humain spectateur à l’arrêt, mais qui décoche obliquement des perceptions d’appareils. Difficile sans doute de restituer l’expérience du métro à partir d’un cadrage sage, stabilisé à hauteur d’un humain immobile, qui s’excepterait de la foule. Mais pour rendre La meute sans la représenter de manière spectaculaire, il fallait bien se déprendre
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du modèle qui installe l’artiste dans une position d’extériorité et de surplomb social, face à un paysage qu’il toise de toute sa hauteur, puis met en joue à partir de la grille perspective d’un écranfenêtre, redressé à la verticale. Cette perspective européenne, d’ailleurs constamment tournée et réinventée depuis le XVe siècle, que l’on songe aux plafonds baroques ou aux anamorphoses, s’avère ici non pas obsolète, mais bien locale, conventionnelle, et en tout cas inapte à rendre compte de ce qui se déchaîne ici : la circulation urbaine, la mêlée de transports sociaux, où la déferlante des allées et venues compte autant que la zone de transit du métro, qui apparaît ici comme un personnage à part entière. Car le métro, comme les mines ou les tombes, offre cet exemple rare d’architecture privée entièrement d’extérieur, architecture de vide et non de plein, invisible et sans façade puisqu’elle consiste exclusivement en un espace de circulation interne. Loin toutefois des grands discours sur l’assujettissement social, Ariane Fruit propose cette vue décentrée, jouant des possibilités perceptives d’un appareil qui ajoute à sa perception humaine limitée le relevé presque documentaire de sa situation. Ici, appareil photo et linogravure encadrent son geste d’un appareillage surdimensionné, autorisant cette perspective déjà appareillée, faite de hasard et de contrôle social. La prise de vue instantanée, qui ajoute le bougé du mouvement au flou d’un cadrage qui bave un peu, propose une expérience du métro en mouvement, à peine décentrée — quelques éléments restent bien identifiables, ici les néons, là des silhouettes, mais portés à une échelle qui en restitue le frottement parce que l’image a été déclenchée en bougeant. On sent bien qu’il s’agit d’une perspective visuelle inédite, œil moteur en train d’avancer dans la foule, prise fortuitement par l’optique en train de se déplacer, puis lentement, minutieusement développée à la main. Grâce à ce dispositif complexe, La meute fournit l’épreuve perceptive du transport en commun dans nos grandes métropoles urbaines. Elle ne figure pas le spectacle du métro, mais à la manière d’une installation, elle nous en fait subir l’expérience traumatique. Ce qu’elle montre, c’est nous, portés à l’état collectif… statistique, de particules dans ce flux qui nous vaporise peut-être, mais surtout nous fait rouler en meute à l’état collectif de liquide, ne nous prend en compte que dans la régularité sociale de nos marées, selon le relevé clinique de nos existences urbaines. D’où le climat très contemporain, sinistre ou inquiétant parce qu’il nous montre recueillis par les services et équipements qui organisent nos existences et, en même
temps, ouvre ce relevé documentaire sur de nouvelles possibilités plastiques, tirant de nos existences sociales une nouvelle épreuve. Cet aspect documentaire et politique est toujours présent dans le travail d’Ariane Fruit. Une telle œuvre mériterait d’ailleurs d’être exposée dans le métro. De deux manières, ces linogravures transmettent le choc du métro : d’abord, leur format les tire vers l’affiche et « font métro » par un effet de réel, comme si on subissait de plein fouet l’aspiration collective qui nous entraîne dans le courant. D’où le titre : La meute, qui indique ce passage de l’individu isolé à la foule, nous porte à l’état statistique d’élément fondu dans la masse, ou plutôt nous disperse à l’état gazeux d’un flux durement canalisé par les couloirs vivement carrelés de lumière. Plus que d’une foule, il s’agit bien d’une meute, une foule mise en forme, collectée et contrainte par les tuyaux qui dirigent son déplacement, augmentent ou diminuent sa vitesse et guident sa direction. Cette accélération collective est restituée par le double décentrement, celui du coup d’œil hyper rapide, confié à l’appareil photo, dont on sent bien la vélocité dépasser celle d’un œil humain, qui aurait encore moins pu le restituer, et celui du développement, à la main, grandeur réelle, de cet instantané par le travail herculéen de la taille qui, encoche après encoche, sculpte la matrice en prélevant les blancs. La vitesse est ici rendue de deux manières : par un expert travail du flou, qui traduit et intègre dans l’image la vitesse relative du déplacement de l’optique elle-même, et par les autres corps en mouvements, d’où l’effet de tremblé-bougé caractéristique que nous avons déjà remarqué. Mais aussi par le cisaillement des hachures et la sobriété implacable des noirs et blancs. Ariane Fruit enlève les lumières. C’est tout à fait décisif qu’elle parte du sombre (les silhouettes humaines) et ne grave ou n’intervienne que sur les lumières qui entourent, délimitent et fractionnent ces silhouettes. Celles-ci se trouvent fondues, mangées, balayées par la vitesse de leur déplacement ; non pas incorporées aux tuyaux qui les pompent, mais plutôt à la fois résistantes et tordues comme des algues, baignées dans le flux de photons qui rebondissent sur elles. Cela anime le plan d’un mouvement visqueux, irrésistible, tout en le tordant par une incurvation tubulaire. D’abord, parce que le point de vue (une ligne de vue plus qu’un point) provient du capteur numérique en déplacement, la grande maîtrise du flou permet d’obtenir cet effet cisaillé, déchiré des silhouettes, comme si le dur contraste du noir au blanc effilochait les formes. 14 3
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Il en résulte un effet de crépitement très particulier. D’une part, le flux des voyageurs est rendu par le travail du noir troué, grêlé par un crépitement de lumières, à la manière d’une plaque de toit sur laquelle une averse ricoche et rebondit. D’autre part, entre les pôles de blanc pur et de noir, là où la main n’a pas creusé la plaque pour en faire sortir, à la force du poignet, la lumière se distribue une gamme très nuancée et complexe de hachures et de textures qui vont de la dispersion en gouttes, en brume, en torrents jusqu’aux traits volontaires. Ce mélange de traits emprunte notamment à l’univers BD et en adopte les notations conventionnelles ; par exemple, les striages pour rendre le déplacement. Elles sont importantes pour faire sentir la présence de la main. Entre le noir de l’encre et le papier se déploie tout un éventail étendu de textures, du trait volontaire décidé et impérieux (les néons) aux nuages de hachures qui vaporisent les entailles en brume, les dispersent en pluie ou les concentrent en maelstrom informel. La palette de gris varie en valeur autant qu’en texture et en attaque, du granuleux au quasi liquide, se dispose entre les pôles adverses du noir encré et du blanc pur. C’est là où le papier reste nu qu’il éclaire l’ensemble du tableau. Une peinture percussive agite ces planches. Du velours sombre et onctueux du noir mat naissent non point des silhouettes individuées, mais leur grouillement indistinct. On a déjà noté l’incurvation tubulaire du plan : elle n’est pas réalisée seulement par les marques volontaires qui jouent de manière assez lâche avec nos codes perspectifs usuels : diminution d’échelle, variation d’angles dans les lointains, etc. La gamme des coups de gouge s’entend aussi de manière musculaire, comme une gamme de chocs, et dans La meute, ces marques accentuent cette incurvation tubulaire et déforment les corps à la manière de Munch. On appelle « vue tunnelisée » ou « vue-tunnel » l’effet produit dans certains cas de peur panique ou d’affection oculaire, lorsque la vision s’étrécit au point de perdre toute vision périphérique pour se concentrer exclusivement sur un mobile en déplacement. Cet effet de focale obsessive est rendu ici par les marques libres qui auréolent les corps, à la manière dont Munch, dans Le cri par exemple, privilégie non pas la silhouette hurlante, mais les ondes qui l’entourent, dont on sent bien qu’elles s’expriment autant dans la gamme phonique que visuelle. Il y a quelque chose d’acoustique dans le travail de gravure d’Ariane Fruit, parce que le dessin n’y vaut plus comme contour visuel, mais comme geste d’entaille, frappe percussive qui prélève de la matière et rebondit sur la matrice : vue haptique, 14 4
vision tactile. Un tambourinage restitué à la vue, et qui, s’agissant du métro, rend le brouhaha et les discordances auditives auxquelles nos moyens de transport nous soumettent : fracas des wagons, sonneries hurlantes, piétinement d’une armée en marche dans les couloirs. La percussion tient à la proportion dans l’échelle des valeurs (beaucoup de noirs, quelques blancs), mais surtout à l’entaille. Le dessin ici est rapporté à son aspect moteur. Il fait rythme : un rythme visuel, mais aussi moteur et phonique, qui donne à ces grandes planches un aspect urbain très décidé, un tempo jazzy.
SCÈN E DE CR I M E : PORT R A I T D’U N E « SER IAL G R AV EUSE » Se pose aussi, de manière parfaitement explicite et factuelle, la question de la place des femmes dans l’histoire de l’art — et dans l’histoire tout court, comme on le voit dans Scène de crime. Le crime, ce n’est pas la mise en abyme de l’artiste renaissant, recroquevillé en fœtus, abattu sur le plan et capté d’en haut. On peut bien sûr aussi lire ainsi ce travail, si on tient à le refermer sur cette ancienne histoire. Le crime, c’est d’avoir gravé à la main son revêtement de sol, d’avoir choisi d’installer le grand art là où le plus trivial rejoint le plus utilitaire, au sol. Peu orné en régime occidental (à la différence des tapis persans ou
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des peintures au sol navajos), le sol est toujours réservé aux arts appliqués, même dans les revêtements les plus somptueux de dallage : nous n’avons guère l’art des tapis qui caractérise l’Orient. C’est au sol, là où l’ars mêle indistinctement nécessités utilitaires et expression artistique, qu’Ariane Fruit inscrit, à genoux, son entaille. Elle gratte le sol. Cet aspect de gravure au sol insiste aussi sur l’aspect offensif, percussif de la gravure et réintroduit le manuel, la manœuvre au cœur du pictural. Une scène de crime se passe par terre. Au sol. En bas. Rien d’étonnant : la mort fonctionne aussi comme un dur rappel à la gravité. Un corps tombe à terre… En français, la « tombe » qui recueille les cadavres insiste d’abord sur leur chute, une chute dans la deuxième dimension. D’un côté, nous sommes aplatis au sol, rudement réduit aux deux dimensions de la feuille devant ce corps du délit recroquevillé, vaguement en lévitation sur son plan quadrillé. Marqué, mais inerte. Inerte d’ailleurs, est-ce si sûr ? Une main se détache, s’agite peut-être encore, elle gratte le sol. Mais avant de pouvoir s’intéresser à cette main, on a basculé dans une nouvelle dimension, photographique celle-là, en découvrant sur les bords du cadre l’élévation de tous les meubles et murs restés debout dans la pièce, qui trouent maintenant les quatre bords du plan de leurs falaises verticales. Les murs, tous les meubles (la presse, les tiroirs, le fouillis familier qui traîne sur les plans de travail avec leurs accessoires) fuient maintenant en 3D, se précipitent au sol, qu’ils compriment dans leur cadre rectangulaire. Ariane Fruit se présente de dos, au milieu du relevé instantané de son atelier, prise d’en haut en cliché instantané par un œil décidément — cette œuvre est un manifeste — séparé de son corps aveugle. La gravure bidimensionnelle bascule alors dans la dimension de la photographie métrique judiciaire qui capte du dessus, survole de haut les scènes de crimes pour en établir le relevé légal stéréométrique. C’est cet œil photographique intégré à la gravure qui, en aplatissant la silhouette par terre, nous oblige aussi, par un vertigineux haut-le-cœur, à nous percher en altitude pour la prendre en vue sous la perspective divergente d’un survol qui écrase : le corps aplati est ainsi vu de haut. De très haut. Pas d’aussi haut que le regard de Dieu dans les scénographies baroques, mais enfin d’assez haut, à la hauteur du préfet de police. Somme toute, le dispositif est d’une simplicité provocante. La première décision a été de graver au sol, de sortir tout bonnement des cadres de la gravure d’art, pour prendre
comme support le sol réel de l’atelier, à l’échelle 1. Graver par terre, quelle drôle d’idée ! On dira plutôt : graver par terre, cela tombe bien ! Nos sols sont depuis longtemps quadrillés de dalles orthogonales, jointes bord à bord, intégrant la grille perspective renaissante à nos habitudes domestiques avec leur damier égal. Ariane Fruit les tient ici pour une gigantesque mise au carreau, bien nette, disponible, étalée à même le sol du petit local qu’elle occupe dans l’Atelier Tilleul Presses. Cette mise au carreau déjoue la perspective renaissante qu’Alberti redressait à la verticale, à l’aplomb d’un artiste qui domine le plan de toute sa hauteur. Ici, la grille perspective est retombée par terre. On n’a pas affaire à un regardeur, mais à une graveuse ; pire, à une graveuse en série, dont la place sociale, on s’en doute, reste au sol. La fameuse grille perspective n’était pas une fenêtre, alors, mais un vulgaire tapis de sol ? Mais oui ! Un tapis de sol de préférence en linoléum bien sûr ! Ce revêtement synthétique contemporain de la photographie marque aussi un seuil industriel dans le noble art ancien de la gravure, la linogravure mettant à disposition des moins fortunés ses revêtements synthétiques, moins nobles que le bois, moins sophistiqués que le cuivre. Un tournant populaire aussi, dans l’histoire de la gravure. Ariane Fruit s’en empare afin de faire littéralement sortir la gravure de ses gonds, de l’émanciper de la presse. Avec Scène de crime, c’est le sol en lino lui-même qui fait office de matrice, de sorte qu’Ariane Fruit nous rend sensibles à un aspect géographique de la gravure. Gravure vient de grapho (je trace, j’écris), qu’on retrouve dans géographie (geo : la Terre ; graphein : inciser, écrire, dessiner). Ne s’agit-il pas alors d’une gravure au pied, gravure de sol, qui s’affranchit des cadres de la presse et considère tout support comme matrice ? Au fond, le sol s’essayait sans doute aussi à la gravure, depuis qu’il y a des pieds pour s’y imprimer et des yeux agités pour en scruter les traces. Avec cette géogravure sortie des cadres de la presse, Ariane Fruit conjugue ici la photographie et l’estampe avec les ressources anthropométriques du contrôle social. Il y a donc, dans ce travail, une belle provocation. Le portrait orgueilleux de l’artiste à sa fenêtre, Alberti, le regardeur, est remplacé par une nouvelle venue : la graveuse de carreaux de sol. De plus, le dispositif complexe, érudit, inquiétant, nous fait sortir des salons feutrés de l’art pour nous faire entrer dans les procédures de surveillance de la police judiciaire. L’histoire de l’art croise la criminalistique. Il ne s’agit donc pas d’un autoportrait en abyme de la graveuse, que l’on identifie brusquement au 14 5
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milieu de la scène, larvaire ou épuisée, tenant encore à la main la gouge avec laquelle, entaille après entaille, elle incise son vieux linoléum de sol, mais d’une nouvelle scène. Polyclète, le sculpteur, fixait pour longtemps le Canon (la règle) des belles proportions. Bertillon, obscur scribe kafkaïen de la préfecture de police, chargé de consigner par écrit le signalement des inculpés, s’empare de la jeune photographie pour mettre au point les procédés d’une nouvelle identification judiciaire. Celle-ci recense statistiquement toutes les formes de nez, d’oreilles, de bouches ou de menton, fournissant un nouveau manuel anthropométrique qui alimente autant l’art, la science que la police. Ces ressources photographiques de l’anthropométrie, avec ses mises en série fascinantes de couleurs d’iris, ses planches de nez, d’oreilles et de sourcils, composent le catalogue d’une manufacture légale des banques de données des corps. Nouvelle science du portrait, si on veut, elle s’opère au sein d’un laboratoire qui n’est plus celui des photographes, mais de la police scientifique. Ces données clignotent d’ailleurs un peu partout, sous forme d’indices lacunaires et binaires (noir et blanc brutal de la linogravure). Le parti pris formel ici, outre la décision de graver le sol de l’atelier à l’échelle 1, consiste à mettre en œuvre un procédé également mis au point par Bertillon, celui de la photographie métrique, spécialement conçue pour pouvoir enregistrer les scènes de crime et disposer d’indices relevés sur les lieux susceptibles d’être acceptés comme preuve légale par les tribunaux. Cette photographie métrique fournit la vue d’en haut, avec son pied goniométrique, dont les branches s’élèvent jusqu’à deux mètres de longueur, sur lequel on adapte une couronne horizontale afin de renverser la chambre pour photographier sans déformation, à une échelle connue, les cadavres et les indices éparpillés au sol. Les épreuves obtenues doivent encore être contrecollées sur des cadres métriques permettant les mesures exactes et reproductibles des différents indices photographiés sur la scène de crime. C’est une application des lois de la perspective aux besoins nouveaux de la préfecture de police. On ne se contente donc pas d’être cloué au sol avec Ariane Fruit, en se logeant à la place du corpus delicti : sans corps, il n’y aurait pas de crime. Le dispositif au sol traverse et renverse la gravure en la précipitant dans cette nouvelle dimension photographique et judiciaire. Détour indispensable pour apprécier la brutale torsion du cadre de vue, simultanément cloué au sol, aplati dans la trame perspective et surélevé. C’est ainsi qu’Ariane 14 6
Fruit obtient cette perspective bifide, contradictoire, d’un corps piégé, aplati dans la trame perspective des carreaux. Silhouette surfacée, résolument bidimensionnelle parce qu’elle est captée d’en haut, par survol. Un survol qui écrase, quadrille, aplatit, mais aussi qui dispose, qui suscite et façonne. L’atelier est devenu une chambre photographique où l’opératrice, lilliputienne, distribue péniblement les lumières en les enlevant une à une à la gouge, comme prise au piège, miniaturisée dans une chambre photographique dont elle exécute les ordres à la main, faisant exploser la vieille gravure dans le dispositif de la photographie judiciaire, mais aussi jouant, dans la masse du sol, à rendre visible le procédé même qui l’a rendu possible. Cette stratégie formelle nous force, par un strabisme de points de vue discordants, à éprouver le contrôle qui nous rend visibles. Ce croisement de la gravure ancienne et de la photographie anime depuis le début la recherche d’Ariane Fruit : rencontre de deux procédés de reproduction mécaniques, qu’elle agence de manière à placer son intervention de graveuse (d’aggraveuse) au cœur d’un atelier devenu chambre noire, s’aidant des clichés photo pour restituer une prise de vue mécanique (non humaine) qu’elle développe pour ainsi dire à la main, par incision patiente et grave, en sculptant son dessin en 3D dans la masse de la matrice. On a affaire ici au même procédé qu’avec La meute, où les clichés volés dans le métro, restitués en format monumental, présentent le même tremblé d’extrême vitesse et de lenteur insupportable.
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G ÉOG R AV U RE : DU T R A I T AU VOLU M E, DE L A G R AV U RE À L’I NSTA L L AT I ON Ariane Fruit nous montre la solidarité du dessin et de la statuaire à travers le rôle du tracé moteur en gravure, qui restitue le dessin à son attaque motrice, comme entaille. Par là, elle introduit un espace 3D dans la linéarité du dessin. Au lieu de se contenter de voir le trait comme une trace bidimensionnelle ajoutée à un support plat, on peut très bien le considérer comme l’accident d’une pliure, une incise qui fend la surface et la tord. Tout dessin alors devient pli, accident de surface, minivolume. Le moindre trait graphique entre en continuité avec la statuaire la plus monumentale. Cette expérience insolite se joue de multiples façons dans l’œuvre d’Ariane Fruit et communique avec des procédés de l’art contemporain qui peuvent sembler très éloignés. Je pense ici à un minuscule Untitled de Sol LeWitt de 1971, tiré de sa série des papiers pliés : une simple feuille pliée en quatre et rien de plus. Exposée dépliée, en lévitation sur le fond de la boîte où elle se détend, cette feuille — pliée-dépliée : multipliée — expose son aventure de lignes et de striages, ses pentes et ses crêtes, reliefs et cavités, ses envers et ses endroits. Dans son minimalisme ostentatoire, la simplicité du procédé consonne pourtant avec le dispositif d’Ariane Fruit. Chez elle aussi, le plan pictural fait de lui-même l’épreuve de son tracé minimal, un pliage qui se précise, par volumes convexes et concaves, nous menant sans
transition du dessin au volume. Dessiner alors, c’était non pas adjoindre, ajouter une trace supplémentaire au support, mais le fendre, l’inciser, le sculpter : projeter un monde de volume sur la mince ligne de crête d’une pliure. Traiter tout dessin comme un relief, attaquer toute marque à l’aide de l’incise, de l’entaille : dans la gravure s’exprime un geste de chirurgien. Le trait n’a plus rien d’une marque imposée par la main, mais s’enlève à même la matière, agitation de relief, prise de forme. Ce qui permet de voir un César en miniature dans chaque papier froissé vaut aussi à la limite dans chaque marque et tracé. Dessin implique statuaire. Trait vaut volume. Le moindre papier alors se boursoufle en expansion de forme, germinatif et explosif. La moindre ligne se fait entaille, et la gravure accentue encore cet aspect 3D du dessin, offrant une continuité surprenante entre dessin et statuaire, gravure, photographie et peinture. Ariane Fruit redistribue ainsi les frontières de l’art contemporain. De la même manière, on hésite : faut-il encore intégrer aux œuvres sur papier ces estampes hors format et qui jouent sans discontinuité de l’ensemble de leur processus, de la capture photographique à la lente révélation à la main ? Ne faut-il pas considérer ces estampes plutôt comme des installations ? Comment exposer Scène de crime ? La solution la plus simple consiste à redresser l’œuvre dans l’espace ordinaire dévolu aux œuvres d’art : mais on sent bien que le procédé y perd. Il se pose plutôt un très intéressant problème d’orientation qui montre bien que le centre de gravité perspective utilisé par Ariane Fruit n’est plus l’accord vertical entre corps redressé et tableau-fenêtre. Gravée à genoux par terre, la scène ne présente pas d’orientation verticale particulière, elle est moins sensible à la gravité. Ariane Fruit la destinait plutôt à être présentée en hauteur, pour respecter le format standard des photographies métriques judiciaires. Comme la taille du format est telle que ce projet est difficilement réalisable, parce qu’il demande une hauteur sous plafond considérable, elle est le plus souvent exposée en largeur, c’està-dire, en fin de compte, réorientée en fonction de nos anciennes habitudes visuelles muséales. Or, une fois la scène redressée à la verticale, la même ubiquité d’orientation persiste : ici aussi, différents modes d’exposition sont possibles, et cela installe la gravure dans un rapport de performance qui tient compte de l’ensemble du dispositif et intègre le rapport entre l’exposition de ces planches et le corps du regardeur. Si on oriente la scène en longueur, dans un sens, le corps écrasé s’aplatit contre le fond et s’abat contre 147
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les carreaux, alors que dans l’autre sens, en lévitation, il décolle au contraire du plan, comme s’il se mettait à planer. La même plasticité vaut pour la présentation en hauteur : dans un cas, le corps armé de son stylet se rue vers le bas en apnée, à la manière des anges baroques qui foncent vers la terre en tourbillonnant pour nous pointer du doigt. Cette impression n’a rien de préférentiel, car inversée sur son axe vertical, la même œuvre nous montre un corps allongé qui se redresse et semble remonter à toute vitesse à la surface. Un choix plastique difficile se pose pour l’ensemble de ses présentations. Mais cela veut dire aussi que la présentation compte autant que l’ensemble du (très long) processus de tirage et de développement. Ariane Fruit ne tire pas seulement la photographie vers la gravure, ou le dessin vers le volume, elle montre aussi l’aspect installatif de la moindre tentative picturale. Pied de nez à tous ceux qui s’obstinent à cliver entre grand art et arts appliqués — une distinction, par exemple, qui n’a aucun sens au Japon —, cette ubiquité nous renseigne aussi sur les potentialités de la gravure : elle conserve, on l’a vu, quelque chose du coup de pied par lequel nous géogravons nos marques sur le sol. Mais surtout, elle inclut l’ensemble du processus : la matrice (le vieux lino de l’atelier, qu’on hésite quand même à délocaliser ou à présenter en œuvre dans la mesure où, ainsi « artialisé », il perdrait beaucoup de sa puissance), mais surtout le rapport entre la matrice-tapis de sol et les tirages effectués à quatre pattes, puis mis à sécher comme du linge, ou comme de grandes voiles mobiles. Qu’elle soit présentée en ensemble, dûment marouflée sur un châssis géant qui en restitue la monumentalité ou séparée en feuilles volantes, Scène de crime ne se contente pas de faire vibrer ensemble peinture et dessin, gravure et sculpture, œuvre papier des feuillets de tirage dispersés et tableau monumental lorsque contrecollée sur châssis, l’empreinte de la matrice au sol se redresse dans l’espace conventionnel du musée. Elle nous montre aussi les rencontres et passages entre toutes ces dimensions plastiques, estampes immobilisées pour un temps sur châssis, retournant en somme dans le zoo ordinaire des œuvres exposées, elles qui demandent pourtant à s’en échapper, vagabondes, pour tenter de nouveaux effets. Comment alors présenter une telle œuvre ? Ariane Fruit en effectue les tirages à même le sol, à la main, en s’aidant d’une cuillère ou d’une rotule, carreau après carreau : les tirages peuvent alors être présentés isolément, sous forme fragmentaire, en série ou dans leur ensemble monumental. Le sol de l’atelier, on l’a dit, 14 8
fait autant partie du dispositif, même si, on s’en doute, il est resté sur place. La scène de crime ainsi exposée ne constitue pas le crime lui-même, mais bien son relevé, une épreuve parmi d’autres tirée à même le sol, carreau par carreau, et qui en redresse les tirages dans l’espace habituel des images d’art, à la verticale. Mais l’ensemble de l’œuvre contient en réalité aussi la matrice de la gravure — c’est-à-dire le sol de l’atelier — et son procédé : le temps extrêmement long du révélateur, assumé ici par la graveuse elle-même, à quatre pattes, sorte de limace aveugle. On la toise ici de haut, la surprenant en train d’inciser la mise en perspective de l’atelier réel, transformant copeau par copeau le vieux sol lino en écran, lentement métamorphosé en matrice qui fonctionne comme une surface réfléchissante.
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ARIAN E’S HAN D An n e S auva gna r gues
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1. Interview with Ariane Fruit at Atelier Tilleul Presses, June 2019. 2. [“Small Belt”: a former railway encircling Paris, abandoned in the 1930s.]
Ariane Fruit was born in 1975 in Rouen, the small French town that inspired Flaubert’s satirical Dictionnaire des idées reçues (Dictionary of Received Ideas), and an unusual industrial river port. She started drawing in Rouen, went to Paris, discovered photography in university, then turned her back on academic discourse and enrolled at École des Gobelins, a school renowned for training artisans: “At that point, I wanted to learn how to make, not talk! I wanted to put my hands into the product…”1 She chose the “laboratory photographer” program, which emphasized not the shot (the artist’s gaze, the academic pose), but the humble skills of darkroom developing and printing (the technician’s hand). Already then, she was shaking up hierarchies, experimenting with obscure and time-intensive approaches. “For the interview, you had to submit a photography portfolio. I had been walking along the Petite Ceinture2 for two years, taking photos. The goal was to do the entire Petite Ceinture, every section of it. I’d often go on walks there, and I’d bring along anyone who didn’t know about it. It was a passion.” She was admitted to the college based on the portfolio, which already established, at the core of her work, a keen, almost documentary sense of urban observation, combined with an interest in social existence on the margins, urban wastelands, and indistinct movement. Her decision to approach art via the modest path of practical training and urban wanderings (a nomadic lab technician, occasionally escaping her darkroom) explains the freshness and the surprising perspective, both bold and vulnerable, with which she has established her place in contemporary art. Combining technical skill and chance effects, demonstrating an extreme sensitivity to the results of both patient effort and random discovery, playing on sophisticated experimentation and chemical sensitivities, and combining the mechanical, optical, and digital resources of the complex range of equipment she employs, Fruit pushes the boundaries that, in Europe, have come to separate art from technique.
This division has a history of its own. It arose out of the slow social emancipation of painters, sculptors, architects, and other craftspeople in the arts who aspired to the liberal status and privileges of the learned, while confined by their corporations and guilds to the obscure status of artisan. The slow dissociation that allowed their difficult migration from the mechanical to the liberal arts finally bore fruit in the eighteenth century when the epithet “fine” was added to the “arts,” distancing them from the mechanical and elevating them through the added value of spirit. It was at this time, too, that the term techne was exhumed from the Greek language; although synonymous with the Latin word ars, it was enlisted to mark, once and for all, the difference in value between the production of the chosen few who speak the language of beauty and that of the obscure army of illiterate labourers who ensure its effective manufacture. Fruit has been challenging this division of art and technology – a purely Western distinction – ever since she decided to enter Gobelins instead of the École de Beaux-arts. She was drawn, not to the posturing and language of art, but to the fiercer and otherwise promising path of experimentation, one that involves making plasticity central to the actual devices we use to make images, far from clichés and art market trends. Fruit brings art to the heart of our current devices and is contributing to contemporary art by extricating us from the old Renaissance paradigm that has, strangely enough, been emphatically reinforced by contemporary art, and which values the eye and mind over the hand and making.
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“EQU I PPED WITH AN ORDI N A RY CA M ER A” Fruit situates her pictorial intervention in a space she literally invented. She invented it in the laboratory, as a woman who is a technician, between the two poles of mechanical reproduction that have delimited and threatened Western painting since the Renaissance. It is between these two processes, venerable engraving and young photography, that Fruit inserts her pictorial intervention. I say “pictorial” with explicit reference to painting, although she, consistent with the old divisions, tends to define herself as an engraver, not a painter. But does that reflect anything other than the obsolete hierarchy between “high” and applied arts? By inserting her intervention between photography and engraving, Fruit creates a new assemblage, prompting unprecedented alliances between often disparate sets of techniques. Above all, she integrates creation into production, or rather embeds the act of creation within complex manufacturing processes that integrate sophisticated technical auxiliaries: the printing press, the camera, digital image processing, and various printmaking techniques. We need to situate this encounter of art and machine within the short history of Western art to appreciate the extent of the technical and industrial crisis that photography and cinema imposed on the art world in the late nineteenth century, as had printmaking before them. This is precisely where Fruit situates her intervention. The fine arts, noble and anxious in their disdain for industrial mass reproduction, with an arrogance rooted in their self-definition as the fine arts, underwent a savage and mechanical profanation with the advent of photography and cinema. This development has not, however, conferred any mechanical privilege on engraving, photography, or cinema. And 152
notably, it applies only to the Western conception of the arts, which considers the spiritual privilege of the artist’s awareness, with its exquisite surplus of sensitivity, as an apogee, a cultivated and mystical apotheosis of ordinary perception. The camera, more visibly than words, a paintbrush, or a violin bow, superimposes its industrial mask on the disqualified body of the artist, grafting its mechanical features onto the photographer’s eye. This has given photography and cinema, like engraving in its time, their equivocal status as means of mechanical reproduction, lacking in art because they are incapable of spiritual representation, and limited to the vulgar duplication of the real. By integrating her aesthetic interventions between the two mechanical processes of photography (as perceptual capture) and engraving (through a slow and paradoxically manual elaboration of image processing), Fruit has been demonstrating a new alliance between mechanical skills and the optical-chemical, or today digital, properties of image processing. In Fruit’s work, the division between photography and engraving is quite unique, and precipitated in favour of drawing. The camera acts as the trigger. It is the camera that allows random shots to be taken: the result is a characteristic blur, since Fruit activates the device by hand and most often while in movement (by bike, train, car, or on foot). Holding the camera at arm’s length, following the vagaries of a journey that opens up sightlines from unconventional angles and axes, Fruit captures images via a kind of sensory-motor circuit, one that connects her to her photographic device – or devices, I should say, since any given shot is only a starting point. What matters to her is the development of the image and a skilful, playful, all-encompassing experimentation, allowing coloured matter to be raised within the paper itself and giving new thickness to the photographic surface. By combining laboratory sophistication with serial reproduction for the benefit of unidentified pictorial objects that do not confine themselves to photography or engraving, nor to drawing or painting, this exploration weaves a new thread through these fields, preceding and guiding us in the labyrinth. Hence the double constant in her work: it is an original site of plastic intervention, in which the processes of photography and engraving interfere with one another in new ways and give a stunning monumentality to the drawing revealed by printing (by definition, engraving tends toward the line); and it is a space of social and urban wandering that favours wastelands, the night, high-density areas, mass transit – the city’s “problem zones.”
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3. Ariane Fruit, website of Galerie Documents 15, www.galeriedocuments15.com/ ndew/60. 4. Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, vol. 1 (Paris: Grasset, 1913), 655. [Marcel Proust, Remembrance of Things Past, trans. C. K. Scott Moncrieff (New York: Random House, 1934), 497.]
Fruit states the situation clearly: “Equipped with an ordinary camera, I capture images in the public space. My work as an engraver involves developing the snapshots over a long period of time, line by line, letting myself be surprised by the results, just as I would be in a photo lab. I was trained in photography in the years of its transition from analog to digital, and I’m as interested in shooting images as I am in processing them. My work is situated between these two mechanized processes: photography and engraving. When I engrave, I’m deepening the inscription of the virtual and the ephemeral.”3 Hence the “characters” favoured by Fruit: abandoned industrial heritage at the crossroads of the nineteenth and twentyfirst centuries, but also the violent clash between relative technical novelty and obsolescence, common spaces that have grown wild, the periphery. She creates a portrait of our mass transportation infrastructure, its overgrown train tracks and rusty switches, its pathways and flow, with a keen feeling for mobility and speed. Humans seem to be almost absent in this portrait of our modes of social existence. They are shown from the back, like the houses seen in passing, or traversed by reflections, glimpsed through the window-screen of a subway that carries us away from them. But while they may be absent in the foreground, their presence is implied everywhere, in the crowds pushing into the subway, as statistical samples unified by their mass movement: not the drop of water, but rather the wave. Rail travel involves not only actual movement, but also a perceptual experience that has no equivalent. “The train turned […] and I was lamenting the loss of my strip of pink sky when I caught sight of it afresh, but red this time, in the opposite window which it left at a second bend in the line, so that I spent my time running from one window to the other to reassemble, to collect on a single canvas the intermittent, antipodean fragments of my fine, scarlet, ever-changing morning…”4 In this experience of the influence of speed on perception and of the train as a fantastical film-editing device, Proust calls for a “continuous picture” that the narrator’s running would be able to reassemble. But the fragments do not coalesce into an actual whole, neither on the side of the stationary landscape, which by convention we would consider more natural than the view from the train, nor on the side of the narrator, who instead rushes from window to window, each time surprised and struck by the discontinuous fragments, intermittent and erratic, cut up and resized by the speed of the travelling train, that generator of kaleidoscopic vision. The train journey proposes
its own travelling shot, which is fragmentary by definition, because its views act through fragmentation, shattering into discontinuous and perceptually incomplete parts a perception multiplied by its means of transport. It is precisely this new sensory-motor process and perceptual fragmentation that interests Fruit. Speed influences perception, and trains, like film and photographic devices, are part of a truly industrial transformation of our ordinary perception. That is why Fruit favours public transport systems – those collective assemblages that distribute and gather up humans in great numbers, carrying us through the circuitry of our large cities like neurons through a brain. Doing so corresponds both to her own path and to the fracture of the times: as she describes, she was trained in the transitional years between analog and digital photography. The role she assigns to engraving today corresponds to that of the old lab-developed photograph, now obsolete or reserved for luxury use (once again, high art is separated from the social). By the time she graduated from Gobelins, lab photography was already obsolete as a profession, replaced by postproduction, with its dedicated software and new range of approaches and know-how. After working as an assistant at the Beaux-arts de Tours, she gravitated naturally to engraving in Strasbourg, and then returned to Paris to complete the computer training she had begun at Gobelins. It wasn’t a matter of finding herself straddling two eras, two technical worlds. She took a dead end (that of having trained in a disappearing profession), and turned it into a new beginning. The way she combines the possibilities of the digital with the old devices of an analog lab propels analog development itself into this new dimension of drawing and engraving, pushing back the boundaries between painting, photography, and printmaking. A predisposition for the most contemporary forms of these archaic trades has led her to treat her photographs in the manner of old engravings, but also to recapture digital snapshots by hand. In essence, she has substituted analog development with a highly sophisticated engraving process, which she continues to refine from one series to the next. It allows her to extend, to stretch the development process indefinitely, making it the core of her work and opening up entirely new fields of exploration for the work of the hand. But while developing is a lengthy process, she takes her shots on the fly as she wanders through the urban space (subway commutes, bike rides, walks surveying the Petite Ceinture). Far from the comforts of the studio, her wandering is a kind of 153
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documentary encounter with urban reality at its most mundane, its least embellished: at busy intersections, along train tracks, among subway commuters, by night. But these doses of urban reality are often also out of step: as we have seen, Fruit is drawn to the city’s problem zones. She explores not only the reappropriation of rail corridors as new territories, but also the ruins of our collective facilities, destined for new uses. Photographic capture is not only reduced to a minimum (entrusted to a device, whether mechanical or digital). Most often, it is also ambulatory: it happens in movement, hence the characteristic blur or flicker that gives these snapshots their feeling of motion. That is why Fruit generally uses a simple, small digital camera: “You don’t need sophisticated equipment to take blurry pictures while walking.” The blur marks reflect the relative speed of the camera’s movement and that of the moving “subjects,” caught in passing: a street corner in a downpour, commuters hurrying through a subway corridor. The shot is not determined by her eye, but by her hand activating the device, most often blindly, employing angles and shutter speeds that would be impossible to achieve with the naked eye. Fruit introduces photographic perspective as a new artistic agent and collaborates with her camera, often reworking her shots on the computer – as well as with her printing press, photo lab, gouges, and inks. Because the real work only begins after the picture is taken: it still has to be developed.
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L A M EU T E ( T H E PACK ) La meute, a monumental series of five linocuts, presents the flow of commuters streaming through the subway system, their silhouettes lost in the collective current of rush-hour transit. The feeling of being swept along is intensified by the format of the works, which, at full scale, induce a reality effect, placing us in front of a plane that incurves as if the subway corridor were drawing us into its hustle and bustle. The series maximizes the contrast between the instantaneous nature of the perceptual flash, entrusted to a blind apparatus, and the never-ending work of development, carried out by hand. In this series, the process takes on a new character that has since become a trademark of Fruit’s work: the Herculean nature and athletic prowess of the carved line, which push linocut far beyond the usual boundaries of printmaking toward the monumental, the mural. It contrasts poignantly with the extreme brevity of the shot, its haptic aspect, triggered by the hand rather than the eye. The photographs are taken by approximation, the camera shooting furtively and quickly, worn at chest height, in the manner of Vivian Maier or Walker Evans. This is essential for the undefined, swaying frame, which reconstitutes the randomness of movement and subway commutes, framed from the point of view of the camera’s axis point. This perspective, the result of a neutral, anonymous, random approach to photography, is well-suited to these large cycles of social transhumance with their distinct rhythms, conducted through the collective infrastructure of roads, tunnels, trains, and subways that channel our movement. As such, this pictorial work also reveals the blow that photography delivered to painting, by allowing images to be taken that are no longer set upright in a compositional plane organized for a stationary human spectator, but which obliquely unleashes the perceptions of cameras. It would probably be difficult to render the subway experience using standard framing, stabilized at the height of a motionless human being who stands apart from the crowd. To capture the “pack” without
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resorting to spectacle, the artist had to liberate herself from the convention that places the artist physically and socially beyond the fray, surveying a landscape through the perspective grid of a vertical window-screen. This European perspective, continually reinvented since the fifteenth century (e.g., in baroque ceilings and anamorphoses), turns out to be not obsolete, but local, conventional, and in any case unable to account for what is happening in this space: urban traffic, the chaos of public transit, where the flood of people coming and going is as important as the transit zone of the subway, which appears here as a subject in its own right. Because subways, like mines and tombs, are among the rare examples of architecture that are entirely deprived of an exterior, an architecture of absence, not presence, invisible and without a façade since it consists exclusively of an internal site of circulation. But Fruit steers clear of any grand discourse about social subjection. Instead, she offers us a decentered point of view, playing on the perceptive capacities of a device that adds to her limited human perception an almost documentary record of her situation. Here, camera and linocut frame her gesture with an oversized apparatus, authorizing a perspective that is already “apparated,” the product of chance and social control. The snapshot, which adds the blur of motion to the vagueness of an unstable frame, proposes an experience of a moving subway train, barely decentred – a few elements remain clearly identifiable – the neon lights, the silhouettes, but on a scale that restores their friction, since the image was shot in motion. We sense that this is an unprecedented perspective: a motor-eye, advancing through the crowd, fortuitously captured by the moving optical device, then slowly and meticulously developed by hand. Thanks to this complex device, La meute provides perceptive evidence of public mass transportation in our urban environments. Fruit does not present the spectacle of the subway, but, as in an installation, she draws us into the traumatic experience. What she shows us is ourselves, in our collective state…statistical, particles in a flow that perhaps vaporizes us, but above all moves us as a pack, collectively, like liquid, taking us into account only in the social regularity of our tidal movements, according to a clinical survey of our urban existence. This is what gives the work its contemporary, sinister or troubling feeling: it shows us collected by the services and equipment that organize our lives and simultaneously opens up this documentary record/ statement on new plastic possibilities, drawing a new proof from our social existence. This documentary and political aspect is
always present in Fruit’s work. In fact, work such as this should be exhibited in our subway systems. These linocuts convey the shock of the subway in two ways: first, their format makes them poster-like and, through a reality effect, creates a “subway feeling,” as if we were being pulled in and carried along by the collective current. The title La meute (The Pack) signals this passage from isolated individual to crowd, reduces us to a statistic blended into a mass, or rather disperses us in a gaseous flow that is channelled by the rigid, brightly-lit corridors. Rather than a crowd, this truly is a pack, one that has been shaped, gathered, and constrained by the pipes that determine its movement, increase or decrease its speed, and set its course. This collective acceleration is rendered through a double decentering: that of the hyper-fast glance, entrusted to a camera, which we sense is faster than the human eye to see, let alone to reconstitute a sight; and that of the snapshot’s manual development, at a scale of 1:1, through a tremendous effort of carving, which, notch by notch, sculpts the matrix by taking out the white. Speed is a rendered here in two ways: through an expert handling of blur, which translates and integrates into the image the relative speed of movement of the optical device, and that of other bodies in movement, creating the characteristic flickering effect we noted above. But also through the incision of hatch lines and the implacable sobriety of the blacks and whites. Fruit cuts away light. It is absolutely decisive that she starts with darkness (the human silhouettes) and only carves out, or intervenes on, the light that surrounds, delimits, and divides the silhouettes. They melt into each other, devoured or swept away by the speed of their movement; they are not incorporated into the tubes that pump them, but are resistant and twisted like algae, bathed in the flow of photons that bounce off them. This animates the plane with a viscous, irresistible movement, while also twisting it with a tubular curve. Because the vantage point (a line of sight more than a point) comes from the moving digital device, the very controlled blurring allows for the sheared, torn effect of the silhouettes, as if the harsh contrast of black and white were fraying the shapes. The result is a kind of crackling effect. On the one hand, the flow of commuters is rendered in a perforated black. A hailstorm of lights streams over it, like a downpour ricocheting and bouncing off a roof. On the other hand, between the poles of pure white and the deep black of areas in which the hand has not exerted its force to bring out the light, there is a nuanced and 155
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complex range of hatchings and textures, from dispersed droplets, mist, and torrents to determined lines. This mixture of lines borrows from the world of comics, adopting its conventional notations (for example, action lines to convey movement). Significantly, they make us feel the presence of the hand. Between the black of the ink and white of the paper, a whole range of textures is deployed, from determined, imperious intentional lines (e.g., the neon lights) to clouds of hatching that vaporize the notches into a mist, disperse them as rain, or concentrate them in an informal maelstrom. The range of greys varies in value as much as in texture and dynamic, from granular to almost liquid, and situates itself between the opposing poles of inked black and pure white. Where the bare paper shows through, it illuminates the entire picture. A percussive form of painting agitates these pages. The dark, unctuous velour of the matte black yields not individualized silhouettes, but an indistinct swarming. We have already noted the tubular curve of the plane: intentional marks play loosely with traditional perspective codes (e.g., diminishing scale, variation of angles in the distance). The variety of cut marks can also be understood in a muscular sense, like a range of shocks. In La meute, the way these marks accentuate the curvature and deform bodies recalls Edvard Munch’s work, which also played with this effect. The term “tunnel vision” describes a condition that may be caused by extreme fear or eye disease, involving the loss of all peripheral vision and a resulting focus on moving items. The effect of a focal obsessiveness is rendered here by the freely inscribed marks that surround the bodies. In the same way, Munch, in The Scream, focuses not on the screaming silhouette, but on the wavy lines that surround it; we clearly understand that their range is both phonic and visual. There is something acoustic about Fruit’s engraving, in which drawing is not a matter of defining contours, but of making cuts - percussive strikes that remove material and bounce off the matrix: haptic sight, tactile vision. It is a kind of visual drumming. In the case of the subway, it conveys the noise and auditory dissonance that our means of transportation subject us to: the vibration of subway cars, the screeching of their wheels, the trampling of an army moving through corridors. The percussive effect results from the proportions in the scale of values (extensive black, limited white), but especially from the gouge marks. Drawing functions as a motor. It establishes a rhythm: a visual rhythm, but also a driving, phonic one, which gives these large sheets an intensely urban aspect, a jazzy beat. 156
CR I M E SCEN E: PORT R A I T OF A SERI A L ENG R AV ER There is also the question, clearly and explicitly stated, of the place of women in art history – and in history itself, as we see in Scène de crime (Crime Scene). The crime is not the miseen-abyme of the Renaissance artist, curled up like a foetus, lying on the picture plane and shot from above. We could, of course, limit ourselves to that familiar old story. But no: the crime is in the artist’s having carved, by hand, her floor tiles. It’s the crime of having brought high art down to the ground, where the trivial meets the utilitarian. In Western tradition, the floor is minimally decorated (by comparison to Persian carpets or Navajo floor paintings) and reserved for the applied arts. Even the most sumptuous tiling is no equivalent for Oriental carpet art. It is on the ground, where ars indistinctly mixes utilitarian need and artistic expression, that Fruit, on hands and knees, inscribes her notches. She scratches the ground. It’s an approach that emphasizes the percussive attack of engraving, and that reintroduces the manual, the manoeuvre, into the heart of the pictorial. A crime scene is happening on the floor. Level with the ground. At our feet. It’s not surprising: death is, among other things, a harsh reminder of gravity. A body falls to the ground… In French, the tombe (tomb) that that is home to the dead insists on their fall (tomber, to fall) into the second dimension. Looking at the image, our eyes are drawn to the ground, brutally reduced to the two dimensions of the page, faced with this curled up body, evidence of the crime, vaguely levitating over the grid. Marked, but lifeless. And yet…is it really lifeless? A hand catches our attention: it may still be moving, scratching the ground. But no sooner have we noticed the hand than we tip into another dimension – a photographic dimension – as we discover, along the edges of
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the frame, elevation views of the room’s furniture and walls. Their vertical facades perforate the four sides of the plane. The walls and furnishings (printing press, drawers, familiar mess that litters the work surfaces, the tools) recede in three dimensions, racing toward the ground, which they compress with their rectangular frame. Fruit turns her back to us, here in the middle of this snapshot of her studio, captured from above, by an eye that is clearly – the work is the proof – separated from its blind body. Two-dimensional engraving tips over into the world of forensic photography. Overhead shots examine the crime scene to establish a stereometric legal report. It is this photographic eye, integrated into the engraving, that flattens the silhouette on the ground and forces us, in a vertiginous leap, to assume a high perch and look down from this crushing, divergent perspective. The flattened body is thus seen from above. High above. Not as high as the totalizing God’s-eye view of Baroque scenography, but high enough – equivalent to the height of a police prefect. It is a provocatively simple device. Fruit’s first decision was to engrave the ground itself, defying the conventions of art engraving and using the studio floor as a support, at a 1:1 scale. Engraving the floor: what a strange idea… What a grounded idea. Our floors have long been marked out in squares, with rightangled tiles joined edge to edge, introducing the checkerboard regularity of the Renaissance grid into our domestic lives. Fruit treats them as a gigantic schematic outline, neat, clean, and conveniently laid out on the floor of her small space in the Atelier Tilleul Presses. In so doing, she eschews Alberti’s Renaissance perspective with its upright picture plane, which grants the artist dominance over the scene. Here, the grid pattern has been dropped to the ground. We’re not dealing with an observer, but with an engraver – a serial engraver – whose social rank is presumably low as well. So the perspective grid was not an open window, but simply flooring? Indeed… Preferably linoleum, of course! The synthetic material, a contemporary of photography, marks an industrial turning point in the old art of engraving. Linoleum was an inexpensive alternative to harder materials – less noble than wood, less sophisticated than copper. A step down, a working-class moment in the history of the printmaking. Fruit uses it to literally take engraving off its hinges, freeing it from the printing press. In Scène de crime, the linoleum floor itself becomes the matrix, allowing Fruit to reveal a geographic dimension of engraving. The word “engraving” is derived from grapho (I trace,
I write), also present in “geography” (geo: the earth; graphein: to incise, write, draw). Is this not engraving brought to our feet, onto the ground, freed from the limitations of the printing press and liable to consider any surface as a potential matrix? Of course, we could say that the ground itself has been engraving ever since there were feet to mark it and eyes to study their tracks. In this geo-engraving, liberated from the printing press, Fruit combines photography and printmaking with the anthropometric resources of social control. There is deliberate provocation here. The proud portrait of the artist at his open window, of Alberti the viewer, is replaced by that of a newcomer: the engraver – the female engraver, no less – of floor tiles. Moreover, the complex apparatus, erudite and disturbing, takes us out of the hushed salons of art and into the surveillance procedures of forensic policing. Art history encounters criminology. It turns out that this is not, after all, a self-portrait of the engraver, composed en abyme, whom we identify summarily in the middle of the scene, larval or exhausted, still clutching the gouge with which, notch after notch, she carves her old linoleum flooring. Instead, it’s a new scene. Polykleitos, the sculptor, gave long thought to the “canon” or “rule” of harmonious proportions. Bertillon, an obscure and Kafkaesque clerk at the Paris police prefecture, responsible for recording descriptions of the accused, harnessed the nascent technology of photography to establish new procedures for forensic identification. The Bertillon system kept statistical track of nose, ear, mouth, and chin shapes, providing an anthropometric catalogue that became a source not only for policing, but also for art and science. The photographic resources of anthropometry, with its fascinating classifications of iris color and its charts of noses, ears, and eyebrows, comprise the first catalogue in the legal creation of body databases. It was a new portrait science – one operating not in a photography studio, but in a forensic science lab. Everywhere, evidence flashes at us in the form of incomplete and binary clues (the brutal black and white of linocut). The formal approach, beyond the decision to carve into the studio floor at a 1:1 scale, involves using another procedure developed by Bertillon: metric photography, devised to record crime scenes and compile clues gathered on site to serve as evidence in court. Metric photography offers an overhead view, with a tripod that can extended as high as two metres, on which a downward-facing camera is set to photograph the body and other evidence on the ground, without distortion and at an established scale. The images 157
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are then mounted onto cards to obtain exact and reproducible measurements of the various items at the crime scene. Perspective was enlisted in the service of the police prefecture’s new needs. As such, we cannot stay pinned to the ground with Fruit, in the place of the corpus delicti: without a body, there would be no crime. The grid on the floor shows through the engraving and overturns it, thrusting it into this new photographic and forensic dimension. We have to register it to appreciate the brutal torsion of the viewing frame, which is fixed to the ground, flattened by the perspective grid, and elevated above it. It enables Fruit to obtain this split, contradictory view of a trapped body, laid out on the perspective grid of the tiles. The silhouette is resolutely twodimensional because it is shot from above. Yet while the overhead perspective crushes, measures, and flattens, it also arranges, brings forth, and gives form. The studio has become a view camera in which the operator, Lilliputian, laboriously distributes light, notch by notch, using a gauge. It is as though she were caught in a miniature trap, carrying out the camera’s orders by hand, pushing engraving to its limits within the apparatus of forensic photography, while also making visible, in the mass of the floor, the very process through which the image has come into being. This formal strategy forces us, through a strabismus of conflicting vantage points, to experience the control that makes us visible. This mixture of old and new technologies – of engraving and photography - has been at the heart of Fruit’s approach from the very start: in the combination of two forms of mechanical reproduction, she situates her intervention as an engraver (an aggravator) in a studio that has become a dark room, working from snapshots to reconstitute a mechanical (non-human) image capture that she develops “by hand,” through patient and painstaking incisions, carving her drawing in three dimensions out of the mass of the matrix. The procedure is the same as in La meute, where snapshots taken in the subway and reproduced in monumental format present the same flickering of extreme speed and excruciating slowness.
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GEO-ENGRAVING: F ROM L I N E TO VOLU M E, FROM ENGRAVING TO INSTALLATION Fruit reveals the solidarity between drawing and statuary through the role of the driving line in engraving, which restores drawing to its vital attack in the form of the notch. In so doing, she introduces a three-dimensional space into the linearity of drawing. A line could be considered, not merely as a two-dimensional mark applied to a flat support, but as the accidental result of a fold, an incision that breaks and twists the surface. Every drawing thus becomes a fold, a surface accident, a mini-volume. The slightest drawn line exists on the same continuum as the most monumental sculpture. This unusual experience plays out in many ways in Fruit’s work, linking it to seemingly unrelated contemporary art processes. I’m thinking of Sol Lewitt’s miniscule Untitled (1971), from his folded papers series: it consists of nothing but a simple piece of paper, folded in four. Unfolded for exhibition, levitating over the bottom of the box in which it relaxes, this piece of paper – folded and unfolded: multiplied – reveals its explorations of lines, striations, slopes and ridges, peaks and valleys, front and back. In its ostentatious minimalism, the simplicity of the process is consistent with Fruit’s apparatus. In her work, too, the pictorial plane makes itself into a test of her minimal line, a fold that takes shape through convex and concave volumes, taking us seamlessly from drawing to volume. To draw, then, is not to add an additional trace to the support, but to slash it, incise it, carve it: to project a world of volume onto the thin line of the crest of a fold. Engraving relies on surgical gestures, treating every drawing as a
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relief, approaching every mark through an incision or a notch. The line is no longer a mark imposed by a hand; instead, it lifts itself off of the material, defining a relief, giving rise to shape. If a miniature Caesar can be visible in a crumpled sheet of paper, the same applies to every mark and trace. Drawing implies statuary. Line equals volume. A simple sheet of paper pops up, germinal and explosive. The thinnest line is a notch, and engraving emphasizes this three-dimensional aspect of drawing, revealing a surprising continuity between drawing and sculpture, engraving, photography, and painting. In this way, Fruit shifts the borders of contemporary art. Another hesitation arises: how should we classify these oversized prints, in which the entire process is brought into play, from initial shot to slow manual exposure? Should we call them works on paper? Installations? How should we exhibit Scène de crime? The simplest solution would be to set it upright in a conventional exhibition space – though we sense that the process would lose out. Orientation emerges as an interesting problem as well: clearly, the center of perspectival gravity employed by Fruit is no longer that of an alignment between a standing viewer and the image-as-window. Carved into the floor on hands and knees by the artist, the scene has no specific vertical orientation. It is less sensitive to gravity. Fruit intended it to be presented upright, consistent with the standard format of forensic metric photographs. But the size of the print would require extremely high ceilings, and so it is most often shown on its side, reoriented as a function of our old museum viewing habits. And yet, the question of how to orient it remains: different possibilities present themselves, and this situates the print as a performance that takes account of the entire apparatus and integrates the relationship between the exhibited print and the viewer’s body. Turned on its side one way, the crushed body appears to be falling, crashing onto the tiles; turned the other way, it hovers, suspended above the plane as though gliding. The same malleability applies in a vertical view: in one case, the body, armed with a stylus, dives down, reminiscent of a baroque angel descending to earth in a swirl of garments, its pointing hand ready to single us out. But no preference is granted; inverted, the same work shows us an elongated body straightening out, about to rush up to the surface. Difficult choices attend the presentation of all of Fruit’s work. This underscores that presentation matters as much as does the entire (and very long) printing and developing process.
Fruit not only pushes photography toward relief printing and drawing toward volume, she also calls attention to installation as a dimension of every pictorial effort. In this, she is thumbing her nose at those who insist on separating high art from the applied arts – a distinction that does not, for instance, exist in Japan. The ubiquity of the issue also indicates the potential of engraving: as we have seen, it retains something of the footfall with which we geo-engrave our own traces in the ground. But above all, it includes the entire process: the matrix (the old linoleum studio floor, which, if removed from its site or presented as part of the work and thus “actualised,” would lose much of its power), but also the relationship between the flooring-matrix and the prints, created on all fours and then hung out to dry, like laundry or large mobile sails. Whether presented as a whole, mounted on a giant frame that restores its monumentality, or separated into individual sheets, Scène de crime establishes correspondences between painting and drawing, engraving and sculpture, a work on paper comprised of dispersed sheets and a monumental tableau reconstituted on a frame, with the print, created from a matrix on the ground, set upright in the conventional space of a museum. Yet it also reveals the encounters and passages between all these plastic dimensions. The prints, momentarily immobilized on a frame, consigned to the ordinary zoo of exhibited works, ask only to escape, to break out and explore other possibilities. How, then, to present such a work? Fruit lifts her prints directly off the floor, working by hand with a spoon or baren, tile by tile. The prints can then be displayed individually, in fragments, in series, or as a monumental ensemble. As we have seen, the studio floor is part of the apparatus, even if, unsurprisingly, it remains on site. The crime scene exposed in this way is not the crime; instead, it is its record, one print among many lifted off the floor, tile by tile, and set up vertically, in the usual spaces assigned to art. In reality, however, the work also includes the carved matrix (in other words, the studio floor) and its processing: the time-intensive development, carried out by the artist herself, advancing on all fours like a blind snail. Here, we look down at her from above, catching her as she carves a perspective view of her actual studio, transforming the old linoleum floor, cut by cut, into a screen, which slowly metamorphoses into a matrix that acts as a light-sensitive surface.
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ARIAN E F RU I T
Représentée par la Galerie Documents 15, Paris, France
FORMATION 2000
Diplôme de photographe de laboratoire, École des Gobelins, Paris, France
EXPOSITIONS INDIVIDUELLES 2019 Instants persistants, L’imagerie, Argenteuil, France Scène de crime rue de l’Échaudé, Galerie Documents 15, 6e arrondissement, Paris, France 2014 La meute, Maison de la Gravure Méditerranée, Castelnau-le-Lez, France EXPOSITIONS COLLECTIVES 2019 Les états limites : gravures, 1700 La Poste, Montréal, QC Linolschnitt Heute XI, Städtische Galerie, Bietigheim-Bissingen, Allemagne Biennale internationale d’estampe contemporaine, Trois-Rivières, QC 2018 72e Exposition de la Société des peintres-graveurs, 6e arrondissement, Paris, France 2017 Lumières, Biennale de l’estampe, Saint-Maur, France Les nominés du Prix GRAViX, Fondation Taylor, 9e arrondissement, Paris, France 2016 Villes en papier, Galerie Documents 15, 6e arrondissement, Paris, France 2015 Biennale internationale d’estampe contemporaine, Trois-Rivières, QC Scènes d’estampes, Château du Val Fleury à Gif-sur-Yvette et Mairie du 5e arrondissement de Paris, France 2014 Urb’art, Galerie de l’Aiguillage, 13e arrondissement, Paris, France 2013 Entre chien et loup, Loupian (34), France 2012 Une lumière dans mon livre, Galerie Véra Amsellem, 4e arrondissement, Paris, France 2011 1m2, Galerie Modulab, Metz, France Paysages urbains, Biennale de l’estampe, Saint-Maur, France RÉCOMPENSES 2019 2017
2015
1er prix, Linolschnitt Heute XI, Städtische Galerie, Bietigheim-Bissingen, Allemagne 2e prix, Biennale internationale d’estampe contemporaine, Trois-Rivières, QC Prix de la Fondation GRAViX, Paris, France 2e prix, Biennale de l’estampe, Saint-Maur, France Prix de la Fondation Taylor, Paris, France Prix d’encouragement en gravure de l’Académie des beaux-arts, Paris, France Mention honorable du jury et Prix du public, Biennale internationale d’estampe contemporaine, Trois-Rivières, QC
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