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La Formule au Moyen Âge IV
ARTEM Atelier de Recherches sur les Textes Médiévaux
Volume 31 La collection est publiée à Nancy par le Centre de Recherche Universitaire Lorrain d’Histoire (Université de Lorraine, EA 3945) L’accompagnement éditorial a été assuré par Christelle Balouzat-Loubet et Jean-Christophe Blanchard.
La Formule au Moyen Âge IV
Sous la direction d’ Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison
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Comité scientifique Michel Adroher (Université de Perpignan Via Domitia) Claude Andrault-Schmitt (Université de Poitiers) Marcello Angheben (Université de Poitiers) Christelle Balouzat-Loubet (Université de Lorraine) Caroline de Barrau (Université de Perpignan Via Domitia) Sylvie Bazin (Université de Lorraine) Jean-Louis Benoît (Université de Bretagne-Sud, Lorient) Stéphane Boisselier (Université de Poitiers) Leo Carruthers (Université Paris-Sorbonne) Gregoria Cavero Domínguez (Universidad de León) Fernando Luis Corral (Universidad de Salamanca) Sophie Coussemacker (Université BordeauxMontaigne) Arsenio Dacosta (Universidad de Salamanca) Béatrice Delaurenti (École des Hautes Études en Sciences Sociales) Morgan Dickson (Université de Picardie-Jules Verne) Pierre-Olivier Dittmar (École des Hautes Études en Sciences Sociales) Isabelle Draelants (Institut de recherche et d’histoire des textes) Elyse Dupras (Cégep de Saint Jérôme, Québec) Charles Garcia (Université de Poitiers) Hipólito Rafael Oliva Herrer (Universidad de Sevilla) Cédric Giraud (Université de Lorraine) Nadine Henrard (Université de Liège) Emmanuelle Kuhry (Institut de recherche et d’histoire des textes) Isabella Lazzarini (Università del Molise, Italie)
José Carlos Lera Maillo (Universidad Nacional de Educación a Distancia de Zamora) Anne Mathieu (Université de Lorraine) Laurent Morelle (École Pratique des Hautes Études) Laurence Moulinier-Brogi (Université Lyon 2-Lumière) Emilie Nadal (Université Toulouse-Jean Jaurès) Anne Paupert (Université Paris-Diderot) Fabienne Pomel (Université Rennes 2) Julien Véronèse (Université d’Orléans) Claire Vial (Université Sorbonne Nouvelle) Cécile Voyer (Université de Poitiers) Martine Yvernault (Université de Limoges) Contributeurs Leticia Agúndez San Miguel (Universidad de Cantabria) Adrián Ares Legaspi (Universidad de Sevilla) Agnès Blandeau (Université de Nantes) Edina Bozoky (Université de Poitiers / CESCM) Florentin Briffaz (Université Lumière-Lyon 2) Maria Cristina Cunha (Université de Porto – Portugal / CITCEM) Adele Di Lorenzo (École Pratique des Hautes Études) Valérie Gontero-Lauze (Aix-Marseille Université) Anne Mathieu (Université de Lorraine / IDEA) Pilar Ostos Salcedo (Universidad de Sevilla) Natalia I. Petrovskaia (Utrecht University) Maria João Oliveira e Silva (Université de Porto – Portugal / CITCEM) Véronique Soreau (Université de Poitiers) Colette Stévanovitch (Université de Lorraine / IDEA) François Wallerich (Université Paris-Nanterre)
© 2021, Brepols Publishers n. v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2021/0095/120 ISBN 978-2-503-59414-9 eISBN 978-2-503-59469-9 DOI 10.1484/M.ARTEM-EB.5.123451 ISSN 1782-0286 eISSN 2565-9278 Printed in the EU on acid-free paper.
Élise Louviot
Introduction
La présente publication fait suite au colloque international et interdisciplinaire consacré à l’emploi de formules dans la culture médiévale, qui s’est tenu à Poitiers du 13 au 15 juin 2018, organisé par le Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale (CESCM, unité mixte de recherche relevant de l’Université de Poitiers et du CNRS), avec le soutien de l’équipe de recherche Interdisciplinarité Dans les Études Anglophones de l’Université de Lorraine (IDEA). Ce soutien lorrain ne surprendra pas ceux qui connaissent les origines de ce projet. Le colloque de Poitiers et le présent volume ne sont en effet qu’une nouvelle étape d’un projet de recherche ambitieux consacré à l’étude du phénomène formulaire sous toutes ses facettes et sur tous supports dans l’Occident médiéval, initié en 2010 à l’Université de Lorraine par l’équipe de recherche IDEA. Ce projet a déjà donné lieu à trois publications1, toutes parues dans la collection Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux (ARTeM), désormais sous l’égide du Centre de Recherche Universitaire Lorrain d’Histoire. Il est caractérisé depuis l’origine par plusieurs constantes : l’envie de s’associer à des équipes de recherche différentes ; le souci de faire dialoguer les disciplines, et notamment de faire se rencontrer historiens et spécialistes de langues et littératures ; le désir d’embrasser autant que possible l’ensemble de l’Occident médiéval, sans se limiter à une aire géographique étroite ; la conviction, enfin, qu’une publication internationale ne peut se cantonner à l’emploi d’une seule langue. Ce fut un très grand plaisir de pouvoir organiser le quatrième colloque au CESCM, qui rassemble des spécialistes de toutes les disciplines de la médiévistique, et je remercie chaleureusement pour leur contribution mes collègues et partenaires dans ce projet, l’angliciste Stephen Morrison et l’hispaniste Charles Garcia, tous deux chercheurs au CESCM. Je suis très fière de présenter aujourd’hui le volume que nous avons dirigé ensemble et qui rassemble des contributions en français, en anglais et
1 É. Louviot (éd.), La Formule au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2012 ; I. Draelants et Chr. Balouzat- Loubet (éd.), La Formule au Moyen Âge II, Turnhout, Brepols, 2015 ; O. Simonin et C. de Barrau (éd.), La Formule au Moyen Âge III, Turnhout, Brepols, 2020. Élise Louviot • Université de Reims Champagne-Ardenne La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 5-12 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124019
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en espagnol, prenant en compte des territoires situés de nos jours dans de nombreux pays européens différents (Portugal, Espagne, France, Angleterre, Allemagne, Italie, Islande), et consacrées aussi bien à la diplomatique, à la poésie allitérative et à la prose religieuse qu’aux traités scientifiques et ésotériques. Cette richesse ne constitue pas un éparpillement. Au travers des contributions qui constituent ce volume se dessinent les problématiques centrales de la formularité.
Permanence Au travers du figement de la forme textuelle transparaît le désir de permanence exprimé par la formule. La répétition ostensible, voire ostentatoire d’un segment reconnaissable est un outil qui vise à assurer la pérennisation d’une tradition. En ce sens, la formule invite à regarder dans deux directions. Vers le passé, elle construit une continuité historique jusqu’à une origine garante d’autorité véritable. Cette dimension est particulièrement flagrante dans les textes juridiques, soucieux de garantir leur légitimité. Les formules apparaissent ainsi à des endroits clés pour établir et valider l’auctoritas : prologues de cartulaire (Leticia Agúndez San Miguel), préambules d’acte (Adele Di Lorenzo) ou clauses de corroboratio (Maria Cristina Cunha et Maria João Oliveira e Silva). Comme le fait remarquer Florentin Briffaz, « La présence d’une formule insistante, à des époques variées, et surtout face à des interlocuteurs qui ont changé, est là pour pérenniser le texte » (p. 117). A chaque réitération de la formule, l’autorité du texte originel et sa pertinence présente sont réaffirmées. Ce faisant, une filiation s’établit. Le passé ne s’efface pas mais maintient sa présence. Selon l’expression de saint Augustin, ce n’est pas un véritable passé, mais un présent du passé, la mémoire (praesens de praeteritis memoria, Confessions, XI : 20). Selon les traditions textuelles, les modalités de cette filiation peuvent différer. Ainsi, la tradition allitérative dont le poème moyen-anglais Morte Arthure est l’héritier ne reconnaît pas de texte ou d’auteur fondateur (Anne Mathieu et Colette Stévanovitch). C’est la tradition poétique elle-même, à l’origine et aux contours incertains, qui tient lieu de garante. À l’inverse, d’autres traditions accordent une importance majeure à des figures tutélaires, qui acquièrent au fil du temps une stature toujours plus imposante : Grégoire le Grand et saint Paul, par exemple (Adele Di Lorenzo, François Wallerich), mais aussi des auteurs profanes comme Orose ou Hippocrate (Natalia I. Petrovskaia, Véronique Soreau), ou encore des figures plus ou moins mythiques comme Sydrac ou Merlin (Valérie Gontero-Lauze). L’autre direction vers laquelle la formule invite à regarder est bien évidemment l’avenir. La formule ne sert pas uniquement à garantir le présent, elle vise et dans bon nombre de cas permet effectivement d’établir, pour un temps, une continuité, une postérité. Ainsi, la formalisation de l’acte notarié castillan au xiiie siècle fonde une identité pérenne qui se maintiendra pendant des siècles et s’étendra à de nouveaux territoires (Pilar Ostos Salcedo), tandis que les récits chevaleresques tentent d’accorder une éternité profane à leurs héros, qu’il s’agisse du légendaire roi Arthur (Anne Mathieu et Colette Stévanovitch) ou de princes véritables dont la renommée a perdu désormais de son éclat (Florentin Briffaz). Ce regard tourné vers l’avenir
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n’est pas un seul enjeu de fierté. Il est parfois animé par un souci très concret de préserver un patrimoine matériel. Ainsi, si les moines de Santa Cruz de Coimbra utilisent des formules dans leurs cartulaires, ce n’est pas par simple vanité, mais afin de garantir la continuation de leurs prérogatives, dans un contexte où celles-ci sont contestées (Leticia Agúndez San Miguel).
Instabilité Paradoxalement, ce désir de permanence va de pair avec une grande instabilité et surtout une grande adaptabilité du phénomène formulaire, que ce soit au niveau de la formule en elle-même ou de la définition que l’on veut en donner. Ainsi, la définition de la formule homérique par Milman Parry, citée en exergue du premier volume de La Formule au Moyen Âge2 ne rend compte que d’un cas de figure somme toute assez restreint. Comme le montre l’immense majorité des exemples rassemblés dans ce volume, la formule n’est pas l’apanage de la poésie et elle ne se réduit pas à la simple répétition d’un groupe de mots. Ainsi, Maria Cristina Cunha et Maria João Oliveira e Silva évoquent le fait qu’un acte est par nature une « figure majeure » elle-même subdivisée en « figures mineures », littéralement « petites formes » dotées d’un contenu et de fonctions spécifiques, que sont les différentes parties du texte juridique (invocation, suscription, préambule, etc.). Qualifier ces « petites formes » (formulae) de formules (qui peuvent par ailleurs contenir des séquences de mots récurrentes) ne relève pas du simple jeu de mots. On retrouve dans ces figures mineures plusieurs des caractéristiques clés de l’expression formulaire, en particulier une contrainte formelle forte, associée à une « idée essentielle3 » et à une fonction pragmatique stable. De la même façon, Natalia I. Petrovskaia évoque des formules qui ne sont « pas des séquences de mots, mais plutôt des séquences de concepts » (p. 198), qui ont, qui plus est, un pendant visuel, la mappa mundi. Qu’il s’agisse de la mappa mundi ou de la description textuelle du monde, le principe est le même : un certain agencement, formellement contraint, mais non nécessairement lié à des mots précis, est porteur d’une idée et même d’une idéologie complexe véhiculée de manière implicite. Le présent volume, à la différence des précédents, ne comprend malheureusement pas de contribution consacrée aux arts visuels, mais la possibilité d’une formule graphique est tout de même évoquée par Adrián Ares Legaspi. Son analyse de l’utilisation d’une écriture de prestige dans certains documents liés à Saint-Jacquesde-Compostelle aux xive et xve siècles, présente des parallèles manifestes avec ce
2 « a group of words which is regularly employed under the same metrical conditions to express a given essential idea » (un groupe de mots régulièrement employé dans les mêmes conditions métriques pour exprimer une idée essentielle donnée) : M. Parry, « Studies in the Epic Technique of Oral Verse-Making I. Homer and Homeric Style », Harvard Studies in Classical Philology, 41 (1930), 73-147, p. 80. 3 Voir note ci-dessus.
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qui a été dit au sujet des formules textuelles : l’écriture distinctive n’est pas un simple ornement, mais aussi un moyen de transmettre des valeurs et des idées. Dans certains cas, on peut se demander si la formule est graphique ou textuelle. Il en va ainsi de certaines formules ésotériques, qui alignent des caractères dépourvus de sens (Edina Bozoky), tout en jouant sur la possibilité qu’ils pourraient avoir un sens caché, à la manière d’un acronyme. Entre les formules intelligibles et ces séquences inintelligibles, il y a une continuité évidente, de même qu’il y en a une entre les différentes formules écrites sur un support à porter sur soi et diverses images dépourvues de texte censées avoir les mêmes vertus protectrices ou thérapeutiques (Edina Bozoky). Où s’arrête la formule ? Si l’image est formellement codifiée, si elle renvoie à un discours implicite plus large (ex. une image de la plaie du Christ évoquant les Évangiles, l’exégèse et l’ensemble de récits miraculeux faisant intervenir cet épisode) et si elle a une fonction pragmatique bien identifiée (protection et guérison), n’est-elle pas elle aussi formulaire ? Agnès Blandeau va encore plus loin, en liant la définition de formule à celle de stéréotype : il n’y plus alors de forme tangible stable, que ce soit sur le plan visuel ou textuel, mais simplement une configuration conceptuelle, une association régulière de certaines idées qui constituent un prêt-à-penser, qui fait rentrer le monde dans un moule idéologique prédéterminé, même en l’absence de récurrence textuelle ou visuelle identifiable. François Wallerich envisage également la possibilité d’étendre la notion de formule à certaines configurations narratives récurrentes, même si ce cas de figure n’est pas le seul propos de son article. On peut se demander s’il est raisonnable d’étendre autant le concept de formule, au risque de le vider de son sens. Concernant le stéréotype, l’absence totale de contrainte formelle pose question : le nom même de formule ne suppose-t-il pas l’existence d’une forme particulière ? Malgré tout, la parenté évidente entre la forme d’argumentation implicite permise par les stéréotypes étudiés par Agnès Blandeau et celle véhiculée par les formules incite au minimum à prendre le stéréotype en considération comme un analogue. Les schémas narratifs pourront quant à eux être considérés comme formulaires ou non selon leur fonction. Ainsi, la répétition successive d’un même incident, débouchant sur un résultat différent à la troisième occurrence est un dispositif narratif efficace, que l’on retrouve dans de nombreux récits populaires de toutes origines. Si l’utilisation d’un tel dispositif peut être fréquente dans l’une ou l’autre tradition textuelle, il ne suffit pas, à lui seul, pour constituer une filiation, il ne véhicule pas une idéologie spécifique et il n’est pas propre à une fonction sociale particulière. En revanche, les schémas narratifs typologiques évoqués par François Wallerich fonctionnent véritablement comme des formules porteuses de sens : « L’analogie entre un miracle eucharistique et un type biblique donne au récit une crédibilité fondée sur l’auctoritas de l’Écriture » (p. 184). La récurrence formelle permet en effet ici le renvoi implicite à un ensemble de discours porteurs de sens et de valeurs, qui viennent accorder un supplément de légitimité et de sens au texte. Même lorsque la formule est entendue dans un sens très restreint, comme une séquence de mots récurrente, ses contours se révèlent souvent incertains voire insaisissables. Si c’est de prime abord le figement qui rend la formule saillante et
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reconnaissable, c’est en revanche sa malléabilité qui la caractérise et qui en fait la force (« un répertoire stéréotypé mais pas forcément répétitif, animé d’une circulation intense, démontable et recomposable à merci, adaptable à l’infini », Adele Di Lorenzo, p. 60). Ainsi, le passé éternel ou tout au moins lointain qui sert de garant est sans cesse accordé aux besoins et aux préoccupations du présent. La formule n’est pas un objet textuel clos. Elle admet typiquement des éléments nouveaux en son sein, qu’il s’agisse du nom du malade à guérir (Edina Bozoky), de la maladie à contrer (Valérie Gontero-Lauze) ou de toute autre circonstance. Même lorsque la formule semble se suffire à elle-même, comme dans le cas des épithètes désignant le roi Arthur (Anne Mathieu et Colette Stévanovitch), des changements plus ou moins subtils dans le choix de la formule utilisée ou dans sa forme-même peuvent être révélateurs de sens. Si la formule est typiquement associée à un type de texte spécifique, servant ainsi de « curseur générique » (Valérie Gontero-Lauze, p. 228), elle peut cependant circuler au-delà de son genre de prédilection : ainsi, la formule orosienne de description du monde, privilégiée dans les chroniques et autres récits marqués par un intérêt historique se rencontre également dans des textes à vocation encyclopédique (Natalia I. Petrovskaia), tandis que les formules apotropaïques sont susceptibles d’emprunter des éléments aux bénédictions et aux exorcismes liturgiques (Edina Bozoky). Enfin, son sens lui-même est susceptible d’évoluer. François Wallerich montre comment une même formule (Qui manducat…) est exploitée à des fins différentes au fil du temps, en raison de changements idéologiques et culturels majeurs, comme lors de la réforme grégorienne. Ainsi, si la formule est caractérisée par la récurrence stable d’une certaine forme associée à un sens et à un contexte pragmatique particulier, aucun de ces éléments n’est immuable. Pour que la formule reste formule, pour qu’elle conserve sa force, il importe qu’elle maintienne suffisamment de stabilité pour être reconnaissable. Cependant, de proche en proche, la même formule peut graduellement évoluer jusqu’à perdre toute ressemblance (formelle ou fonctionnelle) avec une occurrence antérieure lointaine. Pourvu que le public à qui est destiné la formule la perçoive comme l’itération d’un modèle familier, cette perte de lien avec une origine plus lointaine ne nuit pas nécessairement à son efficacité.
Pouvoir expressif Le pouvoir de la formule tient à la fois à l’autorité qu’elle convoque et au surplus de sens qu’elle véhicule. La formule est en effet caractérisée par une tension entre dit et non-dit. À la fois elle donne une expression concise et mémorable à un ensemble de valeurs et de représentations qui pouvaient être partagées par une communauté de manière diffuse et, en ce sens, elle donne forme et visibilité à ce qui restait peut-être jusque-là dans un certain implicite. À la fois elle permet, par son économie, de faire référence à tout un ensemble de discours antérieurs sans pour autant avoir à les citer et, ce faisant, le sens qu’elle véhicule avance masqué.
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Le vocabulaire choisi par les auteurs de ce volume traduit cette ambivalence d’une formule qui est à la fois en surplus et en deçà par rapport à une assertion non-formulaire. Ainsi, pour Florentin Briffaz le texte riche en formules « exhale un parfum de préséance princière » (p. 132) et pour Colette Stévanovitch et Anne Mathieu, il permet de « donner un commentaire en filigrane » (p. 161), mais pour d’autres, la formule est beaucoup moins subtile : elle « assène » (Adele Di Lorenzo p. 59) ou elle martèle (Agnès Blandeau p. 165). C’est que l’implicite est en lui-même est une forme de violence argumentative. On peut à ce titre reprendre l’analyse que le linguiste Oswald Ducrot fait de la présupposition, qui donne selon lui la possibilité « d’emprisonner l’auditeur dans un univers intellectuel qu’il n’a pas choisi, mais qu’on présente comme coextensif au dialogue lui-même, et qui ne peut être ni nié ni mis en question sans que soit refusé en bloc ce dialogue4 ». La formule, reposant sur un savoir partagé implicite, emprisonne de la même manière son auditoire. Bien souvent, elle n’asserte rien elle-même ou très peu, si bien qu’il est difficile, voire impossible de la contredire ou de la réfuter. Si la formule véhicule souvent un contenu idéologique très fort, ce n’est pas tant au travers de sa signification littérale que de celle des multiples textes absents qu’elle fait résonner au sein du texte présent. En ce sens, la formule est éminemment polyphonique. Dès lors que la formule est reconnue en tant que telle par son auditoire, une situation de communication particulière est créée, où le producteur et le récepteur ne sont pas pleinement étrangers l’un à l’autre mais deux participants dans un univers discursif commun. Ce faisant, le pouvoir de la formule va au-delà de sa seule capacité à véhiculer du sens. L’utilisation et la reconnaissance de la formule permettent de créer une communauté qui est à la fois textuelle et sociale. Ainsi, l’emploi de la formule comme « curseur générique », indiqué plus haut, permet d’inscrire le texte qui l’utilise dans une communauté d’auteurs et de lecteurs qui partagent un certain horizon d’attente. Cependant, la communauté ainsi créée a aussi une existence extratextuelle. L’exemple des livres de clergie évoqué par Valérie Gontero-Lauze est ainsi intéressant. Bien sûr, les formules qu’ils utilisent permettent de les situer dans le paysage littéraire ou encyclopédique et ainsi de mieux comprendre ce qu’ils proposent en tant que textes. Mais, ce faisant, elles mettent en lumière le fait que ces livres sont « [é]crits par des clercs pour des clercs » (p. 233) : il ne suffit pas de savoir lire les mots pour accéder au sens du texte, il faut appartenir à un certain groupe social et ceux qui n’appartiennent pas à ce groupe sont exclus par un procédé qui vise à cultiver un certain entre-soi. La littérature ésotérique est naturellement particulièrement encline à céder à cette tentation de l’opacité et de l’exclusion. À sa façon, et toutes proportions gardées, le texte juridique procède cependant lui aussi d’une logique semblable. L’utilisation de textes formulaires sert en effet la création d’une communauté à deux niveaux. Ainsi, Pilar Ostos Salcedo note que l’utilisation de formules dans les actes notariés du royaume de Castille permet de créer une identité collective qui se maintient dans le 4 O. Ducrot, Le dire et le dit, Paris : Minuit, 1984, p. 31.
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temps. Ce faisant, une identité castillane distincte de celle de Navarre ou d’Aragon se met en place. Parallèlement, l’utilisation de formules à bon escient a aussi pour fonction de distinguer le document authentique du document falsifié : il crée ainsi une communauté d’utilisateurs avertis, à même de produire et de reconnaître les documents authentiques, distincte du reste de la société. Comme pour toute communauté, il y a ainsi un intérieur et un extérieur : la formule fédère autant qu’elle exclut. Cette ambivalence est particulièrement sensible en ce qui concerne les textes religieux. Ainsi, l’épisode de la mort de Lothaire relaté par Réginon (François Wallerich) met en évidence une construction complexe. Lothaire meurt après avoir communié alors qu’il était coupable du péché dont on l’accusait. La formule qui manducat invite le lecteur à reconnaître à la fois l’épître de saint Paul d’où elle est issue et une tradition de l’ordalie constituée de multiples discours et événements. La reconnaissance et la compréhension de ce sens à demi caché sanctionne l’inclusion du lecteur dans la communauté des bons chrétiens, de même que la participation au rite de la communion assure l’inclusion dans la communauté de l’Église. À l’inverse, la non-reconnaissance de la formule exclut de cette communauté. Il y a ainsi un jeu de miroir entre le fonctionnement formulaire du texte et le fonctionnement du rite de la communion tel qu’il est décrit dans le récit miraculeux : l’instrument de l’unité et du rassemblement est en même temps potentiellement l’instrument de l’exclusion et de la condamnation. En martelant, au fil du texte, une série de formules qui véhiculent une certaine interprétation du christianisme et du rôle de l’évêque, les préambules des actes de l’évêque Barthélemy de Joux (Adele Di Lorenzo) présentent eux aussi une certaine ambivalence : en même temps qu’ils affirment une certaine conception de la communauté chrétienne et invitent le lecteur averti à reconnaître et se sentir intégré dans la tradition textuelle qui fonde cette conception, les textes excluent d’autres interprétations et d’autres courants théologiques. Il est cependant des textes où cette dimension exclusive de la formule prend le dessus de manière bien plus nette. Ainsi, les stéréotypes antisémites analysés par Agnès Blandeau ont comme fonction première d’unir les chrétiens contre une figure radicalement autre. La circulation et la reconnaissance de caractéristiques stables unit les lecteurs chrétiens en même temps qu’elle exclut les juifs, à la fois en tant que membres de la communauté sociale et en tant que lecteurs potentiels. De la sorte, le lecteur juif qui prendrait connaissance du Conte de la Prieure se retrouve dans une situation paradoxale : s’il ne reconnaît pas les stéréotypes utilisés à son encontre, il est exclu de la communauté textuelle instituée par le récit ; à l’inverse, s’il les reconnaît, il devient un participant dans un univers textuel qui le caractérise comme un être abject ne pouvant inspirer autre chose que le rejet. Ainsi, les articles rassemblés dans ce volume, bien qu’abordant des textes de types très différents selon des perspectives variées, permettent de dévoiler les principaux enjeux du phénomène formulaire médiéval. Nous avons choisi de répartir ces treize articles en trois grandes parties, afin de faciliter la circulation dans le volume, mais, comme on peut le voir, ces parties n’ont rien d’hermétique et il y a une continuité réelle entre elles.
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La première partie du volume, consacrée à l’expression du pouvoir, rassemble les articles dont le thème premier est l’utilisation de formules dans des textes officiels émanant d’une autorité séculière ou religieuse afin de définir et d’asseoir le pouvoir de ladite autorité. Ils concernent une aire géographique relativement large et sont organisés principalement par ordre chronologique : l’article de Maria Cristina Cunha et Maria João Oliveira e Silva est consacré à un cartulaire portugais du xie siècle, le Livro de Mumadona (Guimarães) tandis que celui de Leticia Agúndez San Miguel étudie deux cartulaire portugais du xiie siècle, le Livro Santo et le Livro of Don João Teotónio (Santa Cruz de Coimbra) ; celui d’Adele Di Lorenzo analyse les préambules des actes de l’évêque Barthélemy de Joux (1113-1151) ; celui de Pilar Ostos Salcedo s’intéresse aux pratiques notariales de la Castille du xiiie siècle tandis que celui d’Adrián Ares Legaspi examine l’écriture de prestige employée à SaintJacques-de-Compostelle aux xive et xve siècles ; enfin, la contribution de Florentin Briffaz prend en compte l’ensemble de la documentation savoyarde des xiiie, xive et xve siècle pour analyser la représentation qu’elle donne du prince. La deuxième partie du volume, consacrée principalement aux textes narratifs, regarde à la fois vers l’arrière et vers l’avant. Le premier article, coécrit par Colette Stévanovitch et Anne Mathieu et consacré au poème allitératif moyen-anglais Morte Arthure, fait irrésistiblement écho aux chroniques savoyardes de la partie précédente. Il est suivi d’un article d’Agnès Blandeau analysant la représentation stéréotypée des juifs dans les textes moyen-anglais et d’une contribution de François Wallerich qui trace l’utilisation de la formule paulienne qui manducat dans les récits de miracles eucharistiques. Le dernier article de cette partie anticipe la suivante : le texte de Natalia I. Petrovskaia examine en effet la description du monde dans les textes médiévaux selon deux traditions textuelles différentes, l’une historiographique, l’autre encyclopédique. La troisième et dernière partie est consacrée à des textes scientifiques et ésotériques qui visent à protéger et à soigner : l’article de Valérie Gontero-Lauze est consacré à un texte encyclopédique du xiiie siècle, le Livre de Sydrac, celui de Véronique Soreau présente trois réceptaires médicinaux moyen-anglais du xve siècle et celui d’Edina Bozoky présente les différents modes d’utilisation des formules apotropaïques dans l’Occident médiéval au cours du Moyen Âge. La conclusion de cet ouvrage fait écho au discours de clôture prononcé lors du colloque de 2018. Dans ce texte, Charles Garcia utilise les formules liturgiques comme point d’accès au phénomène formulaire médiéval et entreprend ainsi de faire dialoguer les contributions de ce volume ensemble et avec les volumes précédents. Nous remercions toutes les institutions qui ont apporté leur soutien à l’organisation du colloque de Poitiers et à la production de ce volume, en particulier l’équipe de recherche IDEA et le CESCM et nous espérons que les lecteurs et lectrices de cet ouvrage y trouveront matière à réflexion et à discussion.
Expression du pouvoir
Maria Cristina Cunha et Maria João Oliveira e S ilva
Le formulaire de la corroboratio dans les documents d’un cartulaire médiéval portugais
T This article will discuss the cartulary entitled Livro de Mumadona, belonging to the monastery of Guimarães (Portugal). Created originally in the late eleventh century, only a copy of the late thirteenth century is currently preserved. The main purpose of this article is to study the formula of corroboratio, and the different elements of which it is composed (introduction, iussio and announcement of validation), and of the private documents that were copied into this cartulary, dating between [873-910] and 1115. In order to understand the corroboratio’s originality in the documents copied in the Livro de Mumadona, it will be compared to other private acts dating from the same period which were also transcribed in cartularies produced in Portuguese territory.
Le monastère Le monastère de Guimarães occupe une place importante parmi les institutions pré-bénédictines du territoire portucalense (aujourd’hui le Nord du Portugal) au Nord du fleuve Douro, plus concrètement autour de Braga et Guimarães. Cette importance vient, parmi d’autres raisons, du fait qu’il ait été fondé et richement doté, en 950, par la comtesse Mumadona Dias (c. 926-968), tante du roi Ramiro II (931-951). Jusqu’à sa mort, la comtesse a vécu dans ce monastère comme conversa. La dotation, ainsi que d’autres donations, a permis au monastère de Guimarães d’être la plus riche et la plus influente institution du territoire pendant la seconde moitié du dixième
Maria Cristina Cunha • Faculté des Lettres de l’Université de Porto – Portugal / CITCEM Maria João Oliveira e Silva • Faculté des Lettres de l’Université de Porto – Portugal / CITCEM La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 15-28 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124020
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siècle et les premières décennies du suivant1. À cause de cela, il n’est pas étonnant que le monastère ait organisé un scriptorium capable de produire différents types de documents aussi bien pour la communauté monastique que pour les particuliers. Tout au long du cartulaire auquel nous allons faire référence sont rassemblés quelques dizaines de documents qui reflètent, probablement d’une façon très incomplète, la production du scriptorium.
Le cartulaire Du cartulaire composé originellement entre 1072 et 1135, seule une copie est conservée, connue comme Livro de Mumadona2, produite à la fin du treizième siècle ou au début du suivant. Nous sommes, donc, face à un codex qui en copie un autre (aujourd’hui disparu) dans lequel, à son tour, des documents originaux avaient déjà été copiés. Par conséquent, il est impossible d’ignorer une série de limitations, en ce qui concerne la compréhension du contexte et des raisons qui justifient le choix des documents, ainsi que l’évaluation de la fidélité des copies effectuées. Ce dernier aspect est vraiment très important, car nous avons étudié une partie du formulaire des actes. Pour résoudre cette question, nous avons fait la comparaison entre les copies du cartulaire et les très peu nombreux documents (originaux et copies) qui sont conservés aux archives et nous avons constaté qu’au-delà de quelques erreurs de copie, les textes du LM respectent, grosso modo, le contenu et les formulaires des actes originaux. Cependant : Comme on pourrait l’espérer du procès doublé de composition d’un cartulaire original et de la copie de ce même cartulaire dans un nouveau codex, les textes du Livro de Mumadona mettent en évidence certains changements fréquemment associés au travail des compilateurs et des copistes, tels que l’omission de quelques confirmantes et témoins3. Mais, généralement, les documents ont été copiés in extenso et ont conservé la formulation originale (à la première personne), plaçant ce cartulaire dans la catégorie de ce que les diplomatistes allemands désignent Livre de Copies (Kopialbücher). D’autre part, ce souci de la fidélité des copies est bien évident dans le soin apporté à
1 L. C. Amaral, « O mosteiro de Guimarães e a organização do território portucalense (séculos x-xi) : introdução », in L. C. Amaral (coord.), Livro de Mumadona – Cartulário do Mosteiro de Guimarães. Edição crítica, Lisboa, Academia das Ciências de Lisboa, 2016 (Portugaliae Monumenta Historica, Diplomata et Chartae – Chartularia t. VII), p. xxi-xxx. 2 « Livro de Mumadona – Cartulário do Mosteiro de Guimarães. Edição crítica », in L. C. Amaral (coord.), Lisboa, Academia das Ciências de Lisboa, 2016 (Portugaliae Monumenta Historica, Diplomata et Chartae – Chartularia t. VII). Dorénavant LM. Digitalisation du manuscrit originel disponible sur : https:// digitarq.arquivos.pt/viewer?id=1380781. 3 A. E. Marques, « O Cartulário : construção e transmissão », in L. C. Amaral (coord.), Livro de Mumadona – Cartulário do Mosteiro de Guimarães. Edição crítica, Lisboa, Academia das Ciências de Lisboa, 2016 (Portugaliae Monumenta Historica, Diplomata et Chartae – Chartularia t. VII), p. xxxi-lxv.
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la reproduction graphique des signes de souscription des auteurs et des confirmantes de plusieurs documents. Le Livro de Mumadona renferme un total de soixante-dix documents, six diplômes royaux compris. Les autres sont des actes privés (donations, ventes, pactes, etc.), dont nous avons analysé cinquante-huit, datés entre [873-910] et 1115. Afin d’évaluer l’originalité des éléments de la corroboratio des documents du scriptorium du monastère de Guimarães, copiés dans le LM, nous avons fait une étude comparative entre ces actes et ceux présents dans d’autres cartulaires et écrits pendant la même période (c’est-à-dire, entre la fin du neuvième et le début du douzième siècle) dans l’espace correspondant au Portugal actuel. À cet égard, nous avons analysé les documents des cartulaires suivants : a) Le Liber Fidei4, produit à la chancellerie archiépiscopale de Braga, au treizième siècle5, dans lequel nous avons recueilli un total de 274 documents, produits entre 900 et 1115 ; b) Le Liber Testamentorum Cœnobii Laurbanensis6, produit au monastère bénédictin de Lorvão aux alentours de 11207, dans lequel nous avons recueilli soixante-trois documents, datés entre 907 et 1115 ; c) Le cartulaire Baio-Ferrado8, écrit au monastère augustinien de Grijó entre 1164 et 11959, d’où un total de cinquante-sept actes datés entre 922 et 1114 ont été recueillis ; d) Le Liber Testamentorum10, produit dans le monastère bénédictin de Paço de Sousa à la fin du douzième siècle et au début du suivant11, où nous avons recueilli un total de soixante-six documents datés entre 938 et 1115 ;
4 Liber Fidei : Sanctae Bracarensis Ecclesiae, in A. J. Costa (éd.) et J. Marques (reéd.), Braga, Arquidiocese de Braga, 2 t., 2017. Dorénavant LF. Digitalisation du manuscrit originel disponible sur : http://pesquisa. adb.uminho.pt/viewer?id=1414787. 5 M. J. Branco, « Constructing Legitimacy and Using Authority: The Production of Cartularies in Braga during the 12th Century », in K. Herbers et I. Fleisch (éd.), Erinnerung, Niederschrift, Nutzung: Das Papsttum und die Schriftlichkeit im mittelalterlichen Westeuropa, Berlin, Walter de Gruyter GmbH & Co., 2011 (Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften zu Göttingen, Neue Folge 11), p. 31-62. 6 « Liber testamentorum coenobii laurbanensis (estúdios) », in A. A. Nascimento et J. M. Fernández Catón (éd.), León, Centro de Estudios e Investigación San Isidoro, 2008. Dorénavant LTCL. Digitalisation du manuscrit originel disponible sur : https://digitarq.arquivos.pt/viewer?id=4381071. 7 M. J. Branco, « Reis, condes, mosteiros e poderes: o mosteiro de Lorvão no contexto político do reino de Leão (sécs. ix-xii) », in A. A. Nascimento et J. M. Fernández Catón (éd.), Liber testamentorum coenobii laurbanensis (estúdios), León, Centro de Estudios e Investigación San Isidoro, 2008, p. 27. 8 Le cartulaire Baio-Ferrado du Monastère de Grijó : (xi-xiii siècles), in R. Durand (éd.), Paris, Fundação Calouste Gulbenkian/Centro Cultural Português, 1971. Dorénavant B-F. Digitalisation du manuscrit originel disponible sur : https://digitarq.arquivos.pt/viewer?id=4380960. 9 R. Durand, « I. Description du cartulaire », in R. Durand (éd.), Le cartulaire Baio-Ferrado du Monastère de Grijó : (xi-xiii siècles), Paris, Fundação Calouste Gulbenkian/Centro Cultural Português, 1971, p. xix-xx. 10 « Livro dos Testamentos do Mosteiro de São Salvador de Paço de Sousa. Edição crítica », in F. Lopes et M. J. O. Silva (éd.), Lisboa, Academia das Ciências de Lisboa, 2015 (Portugaliae Monumenta Historica, Diplomata et Chartae – Chartularia t. V). Dorénavant LTPS. Digitalisation du manuscrit originel disponible sur : http://pesquisa.adporto.pt/viewer?id=486534. 11 F. Lopes, « Introdução », op. cit., p. xiii ; M. J. O. Silva, « Estudo Paleográfico », op. cit., p. xxxvii.
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e) Le Cartulaire de D. Maior Martins12, produit dans le monastère cistercien d’Arouca entre 1251 et 127413, où un total de cinq documents, datés entre 956 et 1100, ont été recueillis ; f) Le Livro Santo14, produit dans le monastère augustinien de Santa Cruz de Coimbra en 1155 (et augmenté entre 1196 et 1226)15, où sont rassemblés trois documents, datés entre 1102 et 1114.
La formule de la corroboratio Un acte, forme ou figure majeure16 « est un discours, divisé en plusieurs parties »17. Il appartient aux diplomatistes de déconstruire les textes juridiques afin de mieux en comprendre le sens. Chacune de ces parties est composée de plusieurs « figure minore », ou formules (littéralement « piccola forma »), qui ont un contenu et des fonctions spécifiques exprimés en mots18. Ces contenus et fonctions donnent des indications sur leur origine, représentent et marquent les étapes de l’actio et la conscriptio de l’acte juridique. Par conséquent, il est légitime d’étudier chacune des formules en tant que telles, car chacune joue un rôle spécifique dans la composition de chaque texte. Ce travail concret est dédié à la formule de corroboratio. Selon la définition du Vocabulaire International de la Diplomatique : Par la clause de corroboration, parfois assortie d’un ordre de mise par écrit ou d’expédition, (qui peut aussi en être distinct “hanc chartam scriebere jussimus…”) sont annoncés les signes de validation…, en précisant qu’ils sont apposés pour donner validité à l’acte19. Est ainsi matérialisé le fait juridique qui était à sa base, en lui conférant la perpétuité. Autrement dit, les actes écrits n’étaient pas vus comme un moyen de preuve, mais
12 Cartulário de D. Maior Martins : século xiii, in F. A. S. Silva (éd.), Arouca, Associação da Defesa do Património Arouquense, 2001. Dorénavant CMM. Digitalisation du manuscrit originel disponible sur : https://digitarq.arquivos.pt/viewer?id=1459179. 13 F. A. S. Silva, « O Cartulário de D.ª Maior Martins (Descrição) », op. cit., p. 18. 14 « Livro Santo de Santa Cruz : cartulário do séc. xii », L. Ventura et A. S. Faria (éd.), Coimbra, Universidade de Coimbra/Centro de História da Sociedade e da Cultura, 1990, 315 p. Dorénavant LSSC. Digitalisation du manuscrit originel disponible sur : https://digitarq.arquivos.pt/viewer?id=4614123. 15 L. Ventura, « Introdução », op. cit., p. 37-38. 16 G. Nicolaj, Lezioni di Diplomatica Generale. I-Istituzioni, Roma, Bulzioni Editore, 2007, p. 92. Voir aussi : F. Lasala, P. Rabikauskas, Il Documento Medievale e Moderno. Panorama Storico della Diplomatica Generale e Pontificia, Roma, Editrice Pontificia Università Gregoriana / Istituto Portoghese di Sant’Antonio, 2003, p. 49. 17 O. Guyotjeannin, J. Pycke et B.-M. Tock, Diplomatique Médiévale, Turnhout, Brepols, 2006 (L’Atelier du Médiéviste 2), p. 71. 18 G. Nicolaj, Lezioni di Diplomatica Generale, p. 92. 19 Vocabulaire Internationale de la Diplomatique, M. M. Cárcel Ortí (éd.), Valencia, Commission Internationale de la Diplomatique/Universitat de Valencia, 19972, no 246.
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comme la concrétisation du contrat lui-même20. Au dixième siècle, dans l’espace ibérique, la corroboratio renforce l’idée que l’acte écrit était de plus en plus une forme de confirmation d’une actio préalable21. En effet, n’étant pas considérées essentielles à la valeur juridique du document, les clauses corroboratives sont devenues très importantes dans l’histoire du Droit parce qu’elles renvoient à des éléments qui renforcent l’auctoritas de l’auteur du document22. Quelques fois, ces éléments (tels que des sceaux ou des signatures) sont encore visibles. Mais il y en a d’autres qui bien que ne pouvant plus être observés, existaient réellement, tels que des témoins et des confirmantes23. Contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres espaces géographiques24 et d’autres chronologies (plus tard…), la corroboratio était écrite, dans la documentation présente dans les cartulaires portugais jusqu’au début du douzième siècle, après la date. Cette situation nous amène à penser qu’entre la production des chartes et la corroboratio un certain intervalle pouvait s’écouler, celle-ci n’étant « ajoutée » aux actes que lorsque le scribe était devant ceux qui devaient témoigner ou confirmer l’harmonie de l’actio (ou fait juridique) avec la conscriptio (ou acte juridique). Cependant, il est possible que ce soit une spécificité de la documentation portugaise, qui sera conservée tout au long du Moyen Âge. Théoriquement, la corroboratio était composée d’une introduction, d’une iussio et de l’annonce de la validation (que ce soit par souscription et/ou la robora, par la présence de témoins et de confirmantes, ou même par des signa personnelles)25. En plus de ces éléments, elle pouvait également inclure une référence à la remise de l’acte écrit à son destinataire ou à son bénéficiaire (Aushandigungsvermerk), c’est-à-dire à la traditio cartae. Néanmoins, cette dernière partie de la formule ne constituait pas un élément fondamental, car elle était rarement utilisée dans les différents cartulaires que nous avons analysés. Dans le Livro de Mumadona, la « note » de remise du document n’apparaît qu’une seule fois dans les cinquante-neuf actes, avec l’utilisation du verbe adsignare26, ce qui n’est pas surprenant puisque dans les documents des autres cartulaires, la situation est identique (sauf dans le LTPS où ce verbe apparaît quatre fois27).
20 P. Merêa, « A Traditio Cartae e os documentos medievais portugueses », in P. Merêa (éd.), Estudos de Direito Hispânico Medieval, t. II, Coimbra, Universidade de Coimbra, 1953, p. 119. 21 B.-M. Tock, Une chancellerie épiscopale au xiie siècle : Le cas d’Arras, Louvain-la-Neuve, Université Catholique de Louvain / Institut d’Études Médiévales, 1991, p. 91. 22 P. Rück, Die Urkunden der Bischöfe von Basel bis 1213 (vorarbeit zu den Regesta Episcoporum Basiliensium), Quellen und Forschungen zur Basler Geschichte), Basel, Staatsarchiv des Kantons Basel-Stadt, 1966, p. 268. 23 Ibid. 24 L. Schnurrer, Urkundenwesen, Kanzlei und Regierungssystem der Herzöge von Niederbayern (1255-1340), Kallmünz, 1972 (Münchener Historische Studien : Abteilung Geschichtl. Hilfswissenschaften 8), p. 120. 25 L. Schnurrer, Urkundenwesen, Kanzlei und Regierungssystem, p. 120 dit que, dans les actes de la chancellerie des ducs de Niederbayern, la corroboration est composée de cinq éléments (l’introduction, la Beurkundungbefhel, la Siegelankündingung, la Aushandigungsvermerk, la Zeugenankundigung). 26 LM, doc. 61, document de 1022. 27 En 1087, 1107, 1112 (dans ce cas avec le verbe presignare) et 1114. Mais il ne faut pas oublier que le nombre total de documents est identique.
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Introduction de la corroboratio
Dans la plupart des cas, l’introduction à la corroboratio présente une formulation très simple : une introduction (Ego / Nos [suivi du nom de l’auteur de l’acte] supra nominati, in hac scripture / in hoc placitum, etc.), l’omission du pronom initial étant très fréquente, suivie de l’indication du destinataire des documents (tibi ou vobis). Dans le LM, cette indication est très rare, seulement deux fois, la même situation que dans LTPS où elle n’apparaît que huit fois. Dans le LF en plus de tibi (deux fois), vobis se pose également, ce dernier plus fréquemment (trente et une fois) et pratiquement toujours dans les ventes. Dans le B-F vobis et tibi apparaissent de manière irrégulière tout au long de la période analysée, et aussi presque toujours dans les ventes (et seulement trois fois en donations). Les expressions introductives telles que : Quia hanc cartam stabilis / ratum permaneat, ou similaires, n’apparaissent qu’à partir du douzième siècle. Il n’est donc pas surprenant qu’aucune formule similaire à celles-ci n’apparaisse dans les actes antérieurs à 1115 contenus dans tous les cartulaires. Iussio
L’élément de corroboration qui atteste que l’élaboration finale de l’acte (Mundierung) était le résultat d’une action préalable ne fut pas toujours utilisé par tous les scribes avant le douzième siècle. Par exemple, l’iussio n’apparaît jamais dans la rédaction des documents du CMM, et elle n’est pas significative dans les LF (trois fois), et LSSC (deux fois). Ainsi, la différence par rapport au LM (avec un total de 6 jussiones), au LTCL (24 jussiones) et au LTPS (14 jussiones) est grande. Dans tous ces cartulaires, l’expression de l’iussio est variable : a) quod fieri elegi[mus] : LM (six fois) et LTCL (une fois) b) quem / quod fieri uolui[mus] : LTCL (dix fois) c) quem / quod fieri uolui[mus] et religendo cognoui[mus] : LM (deux fois) et LTCL (sept fois) d) quod fieri elegi adimplendum : LM (une fois) e) quod iussimus : LTPS (deux fois) f) in iussione : LTPS (une fois) g) iusso nostro factam : B-F (une fois) h) iussi[mus] facere / fieri : LTCL (cinq fois) et LTPS (onze fois) i) scribere iussi[mus] / iussit / feci : LTCL (deux fois) et B-F (sept fois) Les résultats obtenus montrent que le nombre des expressions de l’iussio est relativement faible dans l’ensemble des actes copiés dans les différents cartulaires. Il faut, cependant, souligner que dans le LTCL, environ 38% du total des documents présente ces expressions. En outre, il semble que les scribes de ce cartulaire sont ceux qui ont utilisé une variété plus grande de iussiones, quelques-unes aussi présentes dans les autres codici analysés. Les verbes utilisés expriment les actions d’ordonner (jubere), ordonner de faire (jubere facere), choisir de faire (eligere facere), vouloir faire (velle facere), faire écrire (scribere facere) ou ordonner d’écrire (scribere jubere). Ces
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verbes sont parfois ajoutés à d’autres actions telles que la relecture et la reconnaissance (religendo cognovi) et la réalisation (adimplendum) de l’acte. En ce qui concerne la chronologie, nous trouvons les expressions de l’iussio dès le dixième siècle (au Livro de Mumadona et aux Libri Testamentorum de Lorvão et de Paço de Sousa). Cette formule disparaît, dans le Livro de Mumadona, pendant le onzième siècle, mais est préservée dans les autres cartulaires jusqu’à la fin de la période que nous avons étudiée (1115). Plus fréquente en donations, on peut également trouver cette partie de la corroboratio en ventes et autres types de documents. L’annonce de la validation Souscription et robora
Comme nous l’avons déjà souligné, un grand pourcentage des actes « portugais » du dixième et onzième siècles complétait l’instrumentation des actes28 avec la roboratio de l’auteur. En effet : Dans les documents de la Reconquista… l’expression ‘in hanc carta manus nostras roboramus’ ou une autre similaire est presque toujours là, affirmant fréquemment que l’acte écrit a été fait en présence de témoins29…. Le Livro de Mumadona ne fait pas exception : plus de 62% des actes copiés font expressément référence à la robora de l’auteur ou des auteurs par des formules telles que : manu(s) [mea(s)] propria roboro/roboramus et manu(s) [mea(s)] propria(s) confirmo et roboro. Des pourcentages pareils, ou même plus élevés, ont été trouvés dans les autres cartulaires analysés30. Néanmoins, dans le Livro de Mumadona, dans seulement cinq documents, la robora prend la forme d’un trait qui coupe l’une des lettres qui constituent le verbe roborare, constituant le mode de validation que, parmi les diplomatistes portugais, il a été convenu d’appeler cruz (croix) de robora31. L’origine de ces « croix » se trouve dans une loi wisigothique32 qui exigeait un signal ou une signature autographe des participants, signes qui seraient lentement remplacés par de petits traits perpendiculaires, qui coupaient une ligne. L’utilisation de ces « croix » semble suggérer que le document ne devait pas être copié33, ou, du moins, lorsque cela arrivait, que l’originalité de l’acte serait bientôt vérifiée. Il ne faut 28 En d’autres mots : les étapes préparatoires à l’instrumentation et des procédures concernant la préparation de cet acte depuis le moment où il est sollicité jusqu’au moment où est prise la décision de la mise par écrit (Vocabulaire, no 13). 29 P. Merêa, « A Traditio Cartae e os documentos medievais portugueses », p. 121. 30 Dans le LTPS, le pourcentage atteint 92%, dans le LTCL, il atteint 66%, dans le LF, il atteint pratiquement 100%, et il atteint ce pourcentage dans les documents du LSSC et du CMM. 31 Dans le LTPS, cette forme de « signature » apparaît également très rarement, sa présence étant inconstante dans le LF. Cette situation est très différente de celle du CMM et du LTCL, où presque toujours quand les mots roboro/roboravi, ou roboramus/roboravimus sont utilisés, des croix sont aussi faites. 32 J. P. Ribeiro, Dissertações chronologicas e críticas sobre a história e jurisprudencia ecclesiastica e civil de Portugal, Lisboa, Academia das Ciências de Lisboa, 1813, t. III, p. 15. 33 P. Rück, Die Urkunden der Bischöfe, p. 268.
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cependant pas oublier que les scribes eux-mêmes ont souvent fait les traits verticaux dans les documents originaux. Cette hypothèse devra donc être mieux analysée. Si c’étaient les auteurs ou les scribes eux-mêmes qui faisaient le trait, dans la plupart des cartulaires il semble y avoir eu un souci de respecter le nombre de personnes impliquées dans le document34, c’est-à-dire, une croix correspond à un intervenant au document, plusieurs croix à plusieurs intervenants. En général, dans les différents cartulaires étudiés, le plus courant est de trouver une, deux ou trois croix, nombre équivalent à celui des intervenants dans l’acte35. Les scribes ont utilisé aussi le verbe confirmare (dans ce cas tout seul, sans précéder ou succéder à celui de roborare) pour se référer à la roboratio de l’auteur ou des auteurs. Cette substitution est plus visible dans les documents du Livro de Mumadona, où elle apparaît vingt fois (environ 34% du total), mais aussi dans treize actes du cartulaire LTCL (20% du total). Elle n’existe presque pas dans les actes des autres codici36. Une caractéristique intéressante est que les scribes ont associé à l’expression manu (s) mea / nostras confirmo/confirmamus non pas une croix de róbora, mais un signe autographe ou un monogramme d’un ou des différents auteurs (ou des confirmantes) et sur lesquels nous parlerons ci-dessous37. Autrement dit, l’utilisation de cette expression, au détriment de celle qui utilise le verbe roborare, semble indiquer un choix délibéré des scribes des originaux (et, éventuellement, des auteurs eux-mêmes) lorsqu’ils étaient en présence d’individus plus aptes à écrire : ceux qui savaient le faire dessinaient leur propre signe autographe. Il faut, cependant, souligner que cette forme de souscription disparaît entre la fin du dixième siècle (à Lorvão) et la première moitié du suivant (à Guimarães), son usage étant limité, dans
34 Cette situation est quelque peu différente de celle que Ruy de Azevedo a étudiée à propos de la chancellerie du premier roi portugais, Afonso Henriques, dans une chronologie un peu ultérieure à celle analysée ici. Dans ce cas, l’auteur affirme qu’il ne trouve aucune relation entre le nombre de traits et le nombre d’auteurs des actes (R. Azevedo, « A Chancelaria Régia Portuguesa nos séculos xii e xiii. Linhas gerais da sua evolução », Revista da Universidade de Coimbra, 14 (1938), p. 8), ce qui se passait déjà à l’époque de sa mère la comtesse D. Teresa, lorsque les notaires ont « négligé la pratique de cette authentification et que, dans la plupart des cas, les croix de la « róbora » ne sont pas tracées par les confirmantees /auteurs (corroborantes), et leur nombre ne correspond pas toujours au nombre de ceux-ci (R. de Azevedo, « Diplomática do conde D. Henrique (1095-1112) e de D. Teresa (1112-1128) », in R. de Azevedo (éd.), Documentos Medievais Portugueses – Documentos Régios, vol. I, t. I, Lisboa, Academia Portuguesa da História, 1958, p. xxx-xxxi). Dans la même chancellerie d’Afonso Henriques, au milieu du douzième siècle (avec le chancelier Mestre Alberto), en plus des témoins et des souscriptions déjà utilisés, « l’expression propria manu roboro est ajoutée et hoc signum facio » (R. Azevedo, « A Chancelaria Régia Portuguesa », p. 15). Dans les cartulaires étudiés cette addition apparaît dans deux documents du LSSC, de 1113 et 1114 (docs. 211 et 186) et dans un document du B-F de 1086 (doc. 167). 35 Dans un cas vraiment exceptionnel, dix-sept croix ont été tirées lors d’une vente dans laquelle dix-huit participants sont mentionnés. Il est possible que le copiste ait oublié de dessiner l’une des croix (LTCL, doc. 24). Dans un autre exemple, douze croix ont été tirées correspondant au nombre de participants dans un acte de dotation d’une église (LF, doc. 602). 36 Deux documents ont été copiés dans le LF, l’un daté de 1003 (doc. 399) et l’autre de 1072 (doc. 135). 37 Dans le LM, la dotation faite par Mumadona Dias comprend un ensemble de quinze signa, dont l’un qui appartient à la comtesse (doc. 1a). Dans le LTCL, le nombre de signa ne dépasse pas trois (docs. 73 et 51).
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la plupart des cas, aux donations. Dans le LM, cette forme de souscription n’apparaît jamais dans les ventes (seulement dans les incomuniações, les actes d’échanges et de dotations entre autres). Dans le LTCL, le verbe confirmare est aussi utilisé dans deux ventes et un échange. Témoins et confirmantes
La présence des témoins et des confirmantes aux actes est habituelle dans tous les documents des cartulaires analysés et tout au long de la période étudiée. Cependant, les scribes n’utilisent pas toujours une formule pour introduire les listes de noms. En fait, dans le LM, seuls 34% des actes (vingt documents) incluent l’annonce des témoins, la présence de cette formule étant plus constante depuis la seconde moitié du onzième siècle. Ce pourcentage est encore plus bas dans le LTCL : 8% (cinq actes). Au contraire, on trouve l’annonce des témoins très souvent dans les cartulaires B-F (87,8%), LTPS (80%), et LF (53,8%)38. En général, les listes des témoins étaient introduites par des expressions telles que : Qui presentes (preses) fuerunt, Pro (Porro) testes, Pro testibus ou Hic sunt testes. Les témoins pouvaient aussi remplir d’autres « fonctions » dans l’expédition des diplômes, en plus de simples témoignages. Cela ressort des expressions qui, dans plusieurs documents, accompagnaient l’annonce proprement dite : qui viderunt et audierunt39, qui presentes fuerunt et nomina sua subscripserunt40, ou quos vidimus et pro testes sumus41. Ces formules semblent signifier que les témoins devaient voir et entendre ce qui était convenu par les auteurs de l’acte42, l’approuvant e le signant. Dans certains cas, cette présence effective était renforcée par l’association de certains noms avec des expressions telles que : quos vidi, quos presens fui, quos previdi43, ic presens fui44, adfui45. Cette participation renforçait le document, faisant de la présence des témoins un moyen de validation. Autrement dit, au-delà de firmare, la fonction des témoins s’étend à corroborare46. 38 Dans ce cas, l’annonce des témoins était incertaine jusqu’à la deuxième moitié du onzième siècle, mais plus tard, beaucoup plus assidue dans tous les types de documents. 39 R. Azevedo, « A Chancelaria Régia Portuguesa », p. 12. À la chancellerie du roi Afonso Henriques, ces expressions étaient généralement introduites : Pro testibus. Dans les documents de l’évêque de Metz, « l’introduction de la liste des témoins se fait le plus souvent par de simples mots […] huius rei testes sunt, permettant aux noms suivants d’identifier les membres des chapitres, les abbés, les seigneurs, les officiers épiscopaux et chevaliers » (M. Parisse, « Les chartes des évêques de Metz au xiie siècle. Étude diplomatique et paléographique », Archiv für Diplomatik Schriftgeschichte, Siegel- und Wappenkunde, 22 (1976), p. 291-292). 40 B-F, doc. 143. 41 LTPS, doc. 142. 42 F. Hasenritter, Beiträge zum Urkunden- und Kanzleiwesen Heinrichs des Löwen, Greifswald, Universitätsverlag Ratsbuchhandlung L Bamberg, 1936, p. 109. 43 LM, doc. 67. 44 LTCL, doc. 18. 45 B-F, doc. 143. 46 Les notaires ont également parfois associé leur fonction de scribes à celle de confirmantes, par exemple, dans le LTCL, doc. 11 et LF, docs. 322/651, 346/670, 337/641 et 339/636.
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Dans la plupart des cas, la participation de chacune des personnes est bien exprimée dans le document, allant de N. conf. et N. testis à N. quos vidit (conf). Du point de vue de la Diplomatique, ces mots ont des significations différentes pour la base juridique du document. Il est possible que le confirmante d’un acte, souvent associé à l’expression quos vidit, soit un « témoin participant », et donc une garantie, et que les testes n’aient que la fonction de témoigner47. Dans le LM, vingt-trois documents ne présentent que des testes ; dans dix-sept actes, seuls des confirmantes apparaissent ; dans seize d’entre eux, des témoins et des confirmantes sont indiqués. Dans les autres cartulaires, les testes sont aussi prédominants, mais les actes avec des témoins et confirmantes sont aussi très nombreux48. Le nombre de témoins dans les documents de tous les cartulaires varie entre deux, au minimum (LTCL et LF), et vingt et un, au maximum (LTCL). En ce qui concerne les confirmantes, le nombre est aussi variable, entre un au minimum (LTCL et LF) et vingt-neuf au maximum (LM). La variation que l’on constate pour les testes et confirmantes n’est pas liée, du moins de manière évidente, à la typologie documentaire. Cependant, dans quelques scriptoria, si l’indication des confirmantes n’impliquait pas leur présence lors de l’expédition des documents49, elle était liée à l’importance sociale et politique des auteurs. Autres validations (signa et monogrammes)
La souscription avec des signes autographes et/ou monogrammes des auteurs ou des confirmantes est un caractère important de validation des actes, raison pour laquelle les scribes étaient si soigneux avec elle50. Il n’est donc pas surprenant que les auteurs matériels du LM, comme ceux du LF et du LTCL aient cherché à imiter, outre les croix que nous avons déjà mentionnées, les différents signes qui apparaissaient dans les originaux, notamment dans les documents jugés les plus importants selon la logique qui a dicté l’élaboration de chacun de ces cartulaires. Dans le cartulaire de Lorvão, vingt-trois documents (pour la plupart des donations) ont des copies des signa des auteurs et des confirmantes, avec un nombre maximum de trois dans une donation au monastère (deux des parties et un d’un confirmante)51. Les scribes du LM ont copié des signa dans vingt-cinq actes (surtout donations), dont dix-sept avec des monogrammes (entre un et quinze) des auteurs et témoins / confirmantes, jusqu’à 1060. Dans le LF, le
47 P. Rassow, « Die Urkunden Kaiser Alfons’ VII von Spanien », in Archiv für Urkundenforschung, t. X (1928), p. 392. Dans le LF les confirmantes sont généralement les chanoines, les témoins sont des individus rarement identifiés ; mais quand il y a dans les actes uniquement une mention à testes, ceux-ci sont souvent des chanoines. 48 À l’exception d’un document du LTPS (doc. 4) et de deux actes du B-F (docs. 130 et 147) fait seulement par confirmantes. 49 Ça arrive en particulier depuis le douzième siècle, comme c’est le cas de la chancellerie du roi Afonso Henriques (R. Azevedo, « A Chancelaria Régia Portuguesa », p. 12). 50 H. Enzensberger, Beiträge zum kanzlei- und Urkundenwesen der Normannischen Herrscher Unteritaliens und Siziliens, Kallmünz, 1971, (Münchener Historische Studien Abteilung Geschichtl. Hilfswissenschaften 9), p. 86. 51 LTCL, doc. 51.
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scribe a copié treize fois le signe autographe de l’évêque Pedro (1070-1091), disparaissant dans la documentation épiscopale ultérieure, à la fois dans les originaux et dans le LF. Mais il faut faire attention au fait que l’habitude d’inclure des signa et/ou des monogrammes comme souscriptions d’actes s’intègre dans une esthétique qui changera avec l’introduction au nord-ouest de la péninsule ibérique des nouvelles « modes » venues du monde au-delà des Pyrénées52. Cette tendance est confirmée par les copies du Livro de Mumadona, puisqu’aucun document ne présente cette forme de validation après la décennie de 1060.
Conclusion À l’exception du monastère de Guimarães, de la chancellerie épiscopale de Braga et du monastère de Paço de Sousa (où les cartulaires LM, LF et LTPS ont été produits), il n’y a pas d’études sur les scriptoria des autres institutions monastiques qui nous permettent de parler des solutions originales trouvées par chacune pour la rédaction des documents, ou sur l’existence de traditions scripturaires transmises entre elles. Nous nous sommes donc limitées à présenter les données que nous avons actuellement et à réfléchir aux idées qu’elles ont suscitées. Dans la documentation des cartulaires portugais, la corroboratio apparaît juste avant la validation, mais après la datation, formule que nous nous attendions à voir « fermer » les formulaires des actes. Cela nous amène à penser qu’entre la réalisation des lettres et la corroboration, il pouvait y avoir un intervalle, la corroboratio n’étant « ajoutée » aux actes que lorsque le scribe était devant ceux qui devaient témoigner ou confirmer l’accord de l’actio (ou des faits juridiques) avec la conscriptio. Il ne fut pas possible de déterminer si cette caractéristique est, ou pas, une spécificité des scriptoria de la région Portucalense. L’analyse que nous avons faite nous permet de conclure qu’il n’y a pas uniformité dans le choix des éléments de la corroboratio (c’est-à-dire, de l’introduction, de la iussio, et de l’annonce de validation). Cependant, presque tous les actes étudiés présentent au moins l’un de ces éléments. Si les variations de l’usage et typologie de l’introduction ne sont pas si remarquables, la iussio est très abondante et très variée dans les actes écrits par les scribes de Lorvão. En ce qui concerne l’annonce de la validation, une grande majorité des documents du Livro de Mumadona réfère expressément la róbora, qui souvent prenait le format d’une croix. Au-delà du verbe roborare, les scribes ont utilisé aussi confirmare, ce dernier étant généralement associé à un (ou plusieurs) signe(s) ou à un monogramme (ou plusieurs) autographiés de l’un des participants dans l’acte. Cela pouvait survenir
52 Cette substitution est également évidente dans la documentation des rois léonais (Alfonso VI, Urraca et Raimundo) qui ont des signa de type wisigoth (Raimundo a dû assumer une souscription typique de la Cour dont il est devenu membre après son mariage avec Urraca), contrairement aux signes des comtes de Portucale qui étaient cruciformes, obéissant par conséquent à une esthétique substantiellement différente de celle utilisée à la Cour de Léon.
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quand les officiers étaient devant des individus très importants qui, par raison de sa richesse, étaient plus capables d’écrire que la majorité de la société. Les témoins et les confirmantes apparaissent dans un grand nombre de documents. Les premiers pouvaient, en plus de témoigner, corroborer également ce qui avait été convenu, l’approuver et souscrire l’acte. À leur tour, les confirmantes de l’acte, fréquemment introduits par l’expression quos vidit, avaient probablement la fonction de s’assurer que le document serait exécuté. La variation du nombre de témoins et de confirmants ne semble pas être liée à la typologie des actes. Finalement, les écrivains des documents copiés dans le Livro de Mumadona ont cherché à imiter les signa et les monogrammes des originaux, afin de donner une plus grande fiabilité aux copies. Bien que l’objectif initial de l’étude se limite au LM, le fait est que l’analyse de la corroboratio dans d’autres cartulaires produits dans divers scriptoria du comté Portucalense nous a permis d’avoir une perspective plus large sur l’utilisation de cette formule dans les actes juridiques jusqu’au début du xiie siècle. Nous croyons que nous avons pu mettre en évidence les phénomènes d’imitation ainsi que les différences de rédaction de cette partie des actes, mais surtout l’importance que les scribes du territoire portugais du dixième et onzième siècles ont conférée à la validation faite par ceux qui, dans les documents originaux, ont laissé des traces visibles de leur présence.
Abréviations B-F Le cartulaire Baio-Ferrado du Monastère de Grijó CMM Cartulário de D. Maior Martins Liber Fidei : Sanctae Bracarensis Ecclesiae LF LM Livro de Mumadona LSSC Livro Santo de Santa Cruz LTCL Liber testamentorum coenobii laurbanensis LTPS Livro dos Testamentos de Paço de Sousa
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Leticia Agúndez San Migue l
Los prólogos de los cartularios de Santa Cruz de Coimbra (siglo xii) Entre la continuidad y la innovación formularia*
The prologues included in the Livro Santo and the Livro of Don João Teotónio, two twelfth century cartularies from the monastery of Santa Cruz of Coimbra, allow us to discover the functions assigned to these codexes. The formulae used in these prologues and in the index suggest patterns of continuity and innovation that reveal not only their authors’ creativity, but also both the common and unique features of their production.
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La confección de dos cartularios muy próximos cronológicamente durante el siglo xii en el monasterio de Santa Cruz de Coimbra, el Livro Santo y el Livro de Don João Teotónio, da buena muestra de la conveniencia que estos códices diplomáticos adquirieron en esa comunidad de canónigos para mantener el recuerdo y la garantía de los principales negocios conservados en su archivo. Esta magna tarea de producción escrituraria conllevó una evidente utilidad práctica y simbólica para la defensa de las aspiraciones monásticas en un contexto de auge en la confección de cartularios por parte de las instituciones eclesiásticas. Con todo, es necesario tratar de averiguar cuáles fueron las motivaciones concretas que impulsaron la composición de cada una de estas fuentes, especialmente con un margen cronológico tan reducido. El análisis de los prólogos insertos en estos manuscritos puede darnos ciertas pistas para valorar la función individual asignada a cada uno de estos proyectos que han sido considerados como integrantes de una misma unidad intelectual, lo que no conllevó necesariamente una homogeneidad en su metodología de confección, ni en la expresión de las razones que los impulsaron. Así, tanto en las fórmulas que componen esos prefacios como en las que clasifican el material de los índices se observan una
* Este trabajo se realizó gracias a una beca postdoctoral de la Fundação para a Ciência e a Tecnologia SFRH/BPD/121542/2016, Universidad de Oporto/CITCEM. Investigación resultado del proyecto CONNECT financiado por MINECO (PID2020-115365GB-I00). Miembro del grupo BULEVA-fuentes. Leticia Agúndez San Miguel • Universidad de Cantabria La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 29-41 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124021
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serie de pautas de continuidad y de libertad que evidencian tanto la creatividad de sus autores como los intereses comunes y particulares de cada proyecto. Con todo, antes de avanzar en este análisis es necesario conocer brevemente la historia de este monasterio y las características de su archivo para contextualizar esta labor de cartularización múltiple.
Breve historia del monasterio de Santa Cruz de Coimbra y de su archivo El acto de fundación de este monasterio portugués data del 28 de junio de 1131 y la iniciativa de su promoción se debe al arcediano catedralicio Telo quien, tras ver frustradas sus aspiraciones al episcopado, constituyó una comunidad de canónigos agustinos en los suburbios de la ciudad de Coimbra1. La nueva fundación nacía de una clara ruptura con el cabildo catedralicio, de donde provenían sus primeros moradores, entre los que destaca el recuerdo del fundador, Don Telo, gracias a la composición de una Vita cuya importancia se pone de manifiesto al inaugurar el Livro Santo2. El nacimiento de esta institución nos remite a un período de profundos cambios en este territorio entre los que destaca la sustitución del rito mozárabe por el romano y los problemas por la delimitación de las jurisdicciones eclesiásticas3. Además, es necesario reconocer la importancia que adquirió en este establecimiento la figura de Alfonso Henriques, segundo conde del condado portucalense y primer rey de Portugal, quien debido al otorgamiento de múltiples privilegios fue erigido al rango de patrón del monasterio. Parece que este apoyo regio se justificaba en el beneficio para los propios proyectos de Alfonso I, dado que la nueva fundación se convertía en un foco de legitimación religiosa y cultural para sus logros políticos y militares. Ciertamente, hay que recordar lo delicado del contexto político de estos años en plena pugna contra los musulmanes por el control del territorio al sur de Coimbra y con el proceso de creación de un nuevo reino4. Entre los años 1135 y 1162 tiene lugar un proceso de consolidación del dominio monástico favorecido, desde la temprana intervención de Inocencio II en 1135, por el patronazgo papal y regio que contribuyó reiteradamente a la protección del nuevo poder emergente frente a las restantes jurisdicciones del entorno. Ello conllevó una serie de conflictos de importante calado especialmente con el cabildo catedralicio de Coimbra. En 1162 se produjo la muerte del primer Prior Mayor, Don Teotónio, y su sucesión en el cargo por su sobrino, Don João Teotónio, quien llevaba más de diez años ocupando el puesto como sustituto. A medida que la identidad institucional se afirmaba a nivel interno se extendía su influencia externa gracias, entre otras, a la 1 A. Martin, O Mosteiro de Santa Cruz de Coimbra na Idade Média, Lisboa, Universidade de Lisboa, 2003, p. 164-190. 2 A. A. Nascimiento (ed.), Hagiografia de Santa Cruz de Coimbra, Lisboa, Edições Colibri, 1998. 3 M. A. Campos, « Coimbra’s parochial network: aspects of its definition in the 12th century », in Ecclesiastics and political state building in the Iberian monarchies, 13th-15th centuries, Lisboa, Cidehus, 2016, p. 248-258. 4 M. J. Barroca (ed.), Reflexões sobre o primero século portugués, Porto, CITCEM, 2017.
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actuación del obispo Miguel Salomão, antiguo canónigo cruzio, quien en 1162 concedió una polémica carta de libertad por la que reconocía la exención del monasterio frente a la jurisdicción episcopal como forma de resolver las hostilidades existentes entre ambas casas. Era previsible la oposición que esta concesión graciosa ocasionó entre el cabildo catedralicio que, tras el regreso de Miguel Salomão al cenobio en 1167, impulsó en manos de los sucesivos prelados una campaña de reclamación frente a la Santa Sede sobre esa y otras prerrogativas que los canónigos cruzios se adjudicaban en virtud de los documentos custodiados en su archivo. Existe unanimidad al reconocer la prolijidad del escriptorio de Santa Cruz de Coimbra debido a la variedad de fuentes diplomáticas, hagiográficas y cronísticas conservadas. Como señala Saul Gomes, en este archivo, calificado de tesaurum (tesoro), «se revelan una funcionalidad y organización muy precoces guiadas por un fuerte espíritu de racionalidad»5. Esto se debe a que los canónigos de Santa Cruz descubrieron desde los primeros años de su existencia la importancia que en las relaciones institucionales y jurisdiccionales jugaba este rico patrimonio documental como fuente probatoria de sus derechos y privilegios. Así, frente a una breve etapa inicial en la que no debió de existir un rigor clasificatorio, el crecimiento exponencial de la documentación que se constata desde el año 1150 impulsó la organización y valorización del archivo, cuya máxima expresión derivó en la confección de dos cartularios. Otra de las formas de estimación de la fuente documental por parte de estos monjes radicó en la producción de diplomas falsificados, especialmente de procedencia regia alusivos a concesiones supuestamente anteriores al año 1155, que también obtuvieron un lugar privilegiado en la confección de estos dos códices diplomáticos6. Es destacable que no se conserven originales de ninguno de ellos y que las copias figuradas o pseudooriginales de los mismos que poseemos daten de finales del siglo xii. Este dato es relevante debido a que en este archivo conservamos originales otorgados por este rey a particulares anteriores al año 1155 y a que casi todos los privilegios que dirigió a este monasterio posteriores a ese año también se conservan.
Los cartularios de Santa Cruz de Coimbra: descripción En este contexto de tensión institucional y de reafirmación del patrimonio documental como fuente de legitimación y de recreación de las aspiraciones monásticas se produce la confección de los dos únicos cartularios que conservamos del monasterio de Santa Cruz para la Edad Media: el Livro Santo y el Livro de Don João Teotónio. 5 S. Gomes, In limine conscriptionis: documentos, chancelaria e cultura no Mosteiro de Santa Cruz de Coimbra, século xii a xiv, Braga, Palimage, 2007, p. 262. 6 R. De Azevedo, Documentos falsos de Santa Cruz de Coimbra (séculos xii e xiii), Lisboa, José Fernandes Junior, 1932. L. Agúndez, « Legitimar el falso: la transmission de un discurso manipulado en los cartularios de Santa Cruz de Coimbra (siglo xii) », in M. Labiano (ed.), De Ayer y Hoy. Contribuciones multidisciplinares sobre pseudoepígrafos literarios y documentales (De Falsa et vera historia 2), Madrid, Ediciones Clásicas, 2019, p. 235-245.
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Ambos demuestran un fuerte sentido archivístico y una clasificación tipológica que reproduce las categorías mentales por las que un monje agustino clasificaba y jerarquizaba la sociedad, con el papa a la cabeza. Como primera advertencia es necesario señalar que la presentación actual de estos códices es fruto de una reordenación de época moderna que, según Saul Gomes7, no debió de alterar en lo sustancial su arquitectura sino reducirse a suprimir algunos de los folios en blanco y de los diplomas repetidos que contenían. La confección del titulado Livro Santo se inició en el año 1155, aunque este cartulario fue objeto de dos fases de ampliación: la primera entre los años 1163 y 1167 cuando se incluyó una nueva serie de documentos pontificios, episcopales y regios en el primer cuadernillo; y una segunda etapa de inserción discontinua de documentos que se desarrolló durante el primer cuarto del siglo xiii8. El códice se componía de dieciocho cuadernos y un total de 148 folios en pergamino de los que en la actualidad, debido a la desaparición del decimosexto cuaderno, quedan 140 folios que registran 249 documentos particulares y tres textos de carácter literario (la Vita Tellonis, el Prólogo y la Vita Sancti Martini Sauriensis, incorporada en el siglo xiii). Los cuaterniones son la unidad básica más frecuente en su composición y el texto se presenta a una columna. La estructura de este cartulario se puede dividir en cuatro unidades: la primera constituida por el primer cuaderno es la que recibió una ejecución material más cuidada e inicialmente se prolongaba hasta el folio nueve, pero su contenido diplomático fue ampliado después de 1163 con una serie de documentos que también fueron copiados en el Livro de Don João Teotónio. Hasta la época moderna, este cuaderno se inauguraba con una copia de la Vita Tellonis, narración hagiográfica destinada a ensalzar la vida y obra del fundador del monasterio, tras la que se insertaron tres bulas otorgadas por Inocencio II en 1135. La primera dirigida al cenobio, atendiendo a la solicitud del propio Telo, para confirmar la tutela y protección del monasterio por la Santa Sede, y las otras dos dirigidas al infante Alfonso Henriques y al obispo de Coimbra, respectivamente, solicitando la protección y salvaguarda de la nueva fundación monástica. La segunda unidad del cartulario contiene el prólogo, el índice y el llamado Liber Testamentorum (libro de las donaciones), ocupando del segundo al noveno cuaderno. La tercera unidad, compuesta por el Liber Venditionum (libro de las ventas) se distribuye entre los siete siguientes cuadernos. Finalmente, la cuarta unidad se compone de una miscelánea de documentos recogidos en el último cuaderno. La mayor parte de la ejecución material del corpus primigenio del códice se debe a la mano de dos copistas, aunque el primero de ellos, identificado por Saul Gomes como el presbítero Paio Serrão9, es el que mayor responsabilidad adquiere
7 S. Gomes, In limine conscriptionis, p. 347. La descripción codicológica de ambos cartularios sigue en lo fundamental la contribución de este autor. 8 Archivo Nacional Torre do Tombo, PT/TT/MSCC/L100. Disponible en https://digitarq.arquivos. pt/details?id=4614123 (Consultado el 5 marzo 2018). L. Ventura y A. Santiago (ed.), Livro Santo de Santa Cruz, Coimbra, Instituto Nacional de Investigação Científica, 1990. 9 S. Gomes, In limine conscriptionis, p. 329.
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en la tarea y quien también contribuyó activamente en la confección del segundo cartulario cruzio. La producción del llamado Livro de Don João Teotónio se inició en el año 1167, aunque entre finales del siglo xii y principios del xiii este códice fue objeto de una importante ampliación10. Su corpus se compone de 205 folios repartidos en treinta y tres cuadernos que presentan el texto a dos columnas y se organizan en tres grandes unidades: la primera ocupa los dos primeros cuadernos y contiene el prólogo, el índice y una serie de noticias de carácter cronístico sobre el monasterio. La segunda unidad se reserva a la copia de los privilegios y donaciones divididos según otorgante, comenzando por las bulas y por los documentos episcopales y regios de exención. La tercera unidad se dispone en los últimos veintidós cuadernos y compila los documentos de compras e intercambios ordenados según un criterio geográfico. Este cartulario recoge documentos emitidos a partir del año 1155 lo que justificaría su producción como complemento de la labor desarrollada en el Livro Santo. No obstante, las diferencias del método de realización y de expresión formularia que demuestran ambas fuentes ponen de relieve otras motivaciones que justifican este trabajo de cartularización múltiple.
Continuidad e innovación formularia en los prólogos e indicies de los cartularios Los dos cartularios confeccionados en este monasterio portugués fueron dotados con sendos prefacios e índices que formaron parte de su plano inicial de trabajo. La inclusión de prólogos no era una práctica generalizada en la producción de cartularios en la Península Ibérica durante el siglo xii, aunque contamos con algunos ejemplos como el Tumbo A de la catedral de Santiago de Compostela (1129) o el cartulario de Santa María de Piasca (1165). Como señala Pascale Bourgain y Marie-Clotilde Hubert11, estos espacios de reflexión literaria evidencian la concienciación por parte del autor del significado material y simbólico de su trabajo y de las supuestas motivaciones de la obra. Sin embargo, las circunstancias históricas que presiden la redacción son raramente expuestas en estos prólogos que tienden a presentar consideraciones más generales o retóricas que resultan un poco artificiosas. Dentro de la clasificación que esos dos autores realizan entre prefacios más literarios o técnicos, los presentados en los cartularios cruzios pertenecen al primer grupo y se ajustan a la elección de temas recurrentes que justifican la obra como forma de superación del olvido, para mantener el recuerdo de los benefactores y como copia de seguridad ante posibles pérdidas o demandas probatorias. A pesar de este espacio de justificación común, 10 Archivo Nacional Torre do Tombo, PT/TT/MSCC/L101. Disponible en https://digitarq.arquivos.pt/ details?id=4614124 (Consultado el 5 marzo 2018). M. J. Pinheiro (ed.), O Livro de D. João Teotónio. Subsídio para a história do mosteiro de Santa Cruz de Coimbra, Universidad de Coimbra, 1970, (Tesis de licenciatura). 11 P. Bourgain y M. C. Hubert, « Latin et rhétorique dans les préfaces de cartulaire », in O. Guyotjeannin, M. Parisse y L. Morelle (ed.), Les Cartulaires. Actes de la Table ronde organisée par L’École Nationale des Chartes et le GDR 121 du CNRS, Paris, École des Chartes, 1993, p. 120-133.
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Saúl Gomes apunta que «los prólogos de los cartularios cruzios revelan un programa historiográfico cargado de objetivos ideológicos»12. Así, según ese autor, parecen manifiestos donde se expresan, en representaciones literarias, las aspiraciones proyectadas sobre su confección como productos complejos e innovadores dentro de las escriptorios eclesiásticos portugueses. Ciertamente, en ambos prólogos encontramos fórmulas cercanas que, repitiendo los temas seleccionados, exponen con una cierta ambición literaria y retórica un discurso semejante, pero también se ponen de relevancia ciertas aportaciones propias que justifican los dos tiempos de producción de estos cartularios. El prefacio del Livro Santo, escrito por una sola mano atribuida a Paio Serrão, se dispone en el folio 17 recto y vuelto del cartulario y se dota de epígrafe propio: Incipit prologus in libro qui dicitur inventarius13. Inicialmente, figuraba a continuación de la Vita Tellonis, de las tres bulas de Inocencio II insertas tras ese texto y de otras dos bulas de Lucio II de 1144 y de Eugenio III de 1148 que ratificaban la primera concesión papal14. Es evidente el vínculo que el prólogo mantiene con el material precedente dado que se inicia con un claro recuerdo a la memoria del fundador Telo y a la obra hagiográfica señalada: Magnum quidem et nimis utile bonum fore videtur ut sicut in precedenti opere ostendimus qualiter monasterium Sancte Crucis in suburbio Colimbrie a Tellone ejusdem civitatis prudentissimo et venerabili archidiacono sit fundatum et in Sancte Romane Ecclesie protectione susceptum ita et in hoc opere quoddam facere memoriale omnium hereditatum quas idem monasterium inpresentiarum possidet quod inventarius nominetur15. Así, la referencia directa a la Vida de Don Telo, a pesar de la distinción codicológica en un cuaderno antepuesto a modo de elocuente apertura del cartulario, conecta con el sentido diplomático de este corpus ofreciendo al lector una inteligente y compleja representación ideologizante «en la que la palabra escrita debe ser interpretada en un contexto jurídico pero sin perder su carácter simbólico y sacro»16. El prólogo nos sitúa en el tiempo fundacional del monasterio, un pasado reciente que hace alusión al material diplomático que integra el cartulario y a la labor de justificación de sus derechos constitucionales, sustentados fundamentalmente en el patronato de la Santa Sede. El texto continúa con el tema de la memoria archivística como forma de evitar la disgregación de los derechos y propiedades monásticas, dado que la pérdida de cualquier documento conllevaba la sustracción de las propiedades 12 S. Gomes, In limine conscriptionis, p. 308. 13 «Comienzo del prólogo en el libro denominado inventario». 14 En su análisis sobre el género epistolar presente en este cartulario, Hélene Sirantoine señala que este códice representa un interesante caso de integración de géneros dado que contiene un texto hagiográfico que a su vez incorpora actas documentales. H. Sirantoine, « Letters in Iberian Cartularies (12th-13th centuries) », in H. Sirantoine (ed.), Epistola 2. La lettre diplomatique. Écriture épistolaire et actes de la pratique dans l’Occident latin médiéval, Madrid, Casa de Velázquez, 2019, nota 60. 15 «Con certeza consideramos buena cosa y extremadamente útil que de la misma manera que en la obra precedente mostramos cómo el monasterio de Santa Cruz fue fundado en los suburbios de la ciudad de Coimbra por Telo, muy sabio y venerable archidiácono de la misma ciudad, y cómo fue tomado bajo la protección de la sagrada Iglesia Romana, igualmente en esta obra, llamada inventario, haremos un especial recuerdo de todas las posesiones que actualmente pertenecen a ese monasterio». 16 S. Gomes, In limine conscriptionis, p. 305.
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confirmadas y del recuerdo de sus otorgantes a los que alude como los auctores a quibus eidem monasterio ipse hereditates date sunt17. La utilidad y fiabilidad de la labor de cartularización se justifica en un grado similar a la conservación de los documentos en el archivo: […] Minutissimis membranis continentur in libro quasi in quodam armario reponantur fieri nanque potest ut sive extractione sive comutatione de loco ad locum seu incuria ocasione res minima facilius periclitetur et perdatur18. Continuando con la defensa de la labor desarrollada como medio de precaución se expone la esmerada dedicación con la que se ha ejecutado la obra: Ad hujus igitur incomodi non mínimum detrimentum utiliter precavendum, statuerunt canonici prefati monasterii hoc opus summo diligentique studio perficere19. Estas fórmulas evitan demostrar un abuso al recurrente tópico de la humildad en la tarea ejecutada por el redactor del texto, cuya personalidad individual se diluye frente a la responsabilidad colectiva de todos los canónigos en la producción del cartulario. Además, debido a la proximidad cronológica de los diplomas transcritos en el códice, no existe la posibilidad de justificar el trabajo por los problemas de conservación o de lectura del patrimonio documental existente. El texto continúa con un nuevo recuerdo a la memoria de los benefactores que es honrada no solo a través de la perpetuación de sus actos por la escritura sino también mediante las oraciones dedicadas por los monjes: […] omnium videlicet benefactorum non abolenda rememoratio ut quotienscumque et a quibus rerum datarum quesita inventa et lecta fuerit memoria quasi inpresenciarum datorum semper habeatur rememoratio et pro omnibus digna dicatur oratio20. Esta fórmula nos remite a la búsqueda del equilibrio entre la inclusión de la comunidad monástica en la topografía humana y su diferenciación como entidad superior privilegiada por sus relaciones con la esfera divina, lo que constituye una pauta común en la memoria de los orígenes de las comunidades eclesiásticas medievales, como apunta Amy G. Remensnyder21. A continuación se produce la datación de la obra en función de dos personalidades fuertemente arraigadas en la historia del cenobio. La primera se refiere al prior Don Teotonio, de quien se señala que se encuentra en el vigésimo cuarto año de su mandato. Seguidamente se fecha por el año de la Encarnación y se alude al reinado de Alfonso I, cuyo prestigio se celebra mediante una breve memoria genealógica que recuerda a sus padres, los condes Enrique y Teresa, y, muy significativamente, a su abuelo, Alfonso VI, en un esfuerzo por ensalzar el linaje del nuevo rey con el
17 «responsables que dieron sus heredades al monasterio». 18 «Pues el pequeño pergamino contenido en este libro, casi como el archivo, puede ser capaz de volver a reponer cómodamente cualquiera de los documentos que se encuentren perdidos o en riesgo de desaparición, ya sea por extracción, por traslado de un lugar a otro o por negligencia». 19 «Por lo tanto, para evitar cualquier pérdida y como útil precaución, los canónigos del dicho monasterio decidieron ejecutar esta obra realizada con especial y dilecto entusiasmo». 20 «Expresamente para que no se destruya el recuerdo de los benefactores y para que la memoria de los negocios por ellos ofrecidos sea buscada y hallada en cualquier momento, casi como si estuvieran presentes, y para que digna oración sea dicha por todos nosotros siempre en su recuerdo». 21 A. G. Remensnyder, Remembering Kings Past: Monastic Foundations Legends in Medieval Southern France, Ithaca, Cornell University Press, 1995, p. 21.
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conquistador de Toledo. El texto finaliza con una detallada exposición del método de trabajo desarrollado que demuestra una cuidada lógica organizativa en dos partes perfectamente tituladas y numeradas para facilitar el trabajo de consulta a los usuarios del cartulario: Ipsum vero opus in duos libros divisimus: in librum testamentorum et in librum venditionum simul et commutationum et unumquemque librum pro diversitate locorum per parte comode distribuimus22. Por su parte, el prefacio contenido en el Livro de Don João Teotónio ocupa el segundo y tercer folio, inaugurando el códice carente de una vida ejemplar o texto literario que impulsase su discurso. El prólogo se inicia con una solemne e inexcusable referencia al tiempo de fundación del monasterio. No obstante, en este cartulario el recuerdo del fundador Telo es sustituido por el del primer prior Teotónio y por el de su sobrino y sucesor en el cargo, Don João Teotónio, cuyas virtudes le habían granjeado no solo el favor interno del claustro sino también un lugar privilegiado en el plano de la política regia y pontificia: Venerabilis dominus Iohanes diuina fauente clementia in regimini monasticum prior succesit secundus. Qui iam antea per decennium et eo amplius a pio ad hunc uiuente patre totius monasterii curam susceperat23. A diferencia del Livro Santo, esta introducción prioriza el tiempo presente de la composición bajo una autoridad intelectual de quien la fuente no solo recibió su nombre sino que, muy probablemente, también se proyectase en su composición. En efecto, como señala Patrick Geary, estos códices diplomáticos son «a la vez un instrumentarium (instrumental) y una narratio (narración) donde la búsqueda documental ha sido claramente sostenida por un proyecto historiográfico que compromete la comprensión de toda la empresa24» y en los que «el valor atribuido a los textos reproducidos está determinado por la identidad del comanditario que cumple con el rol de auctor (responsable)25 ». Seguidamente el texto evidencia la protección papal, concretada específicamente en las bulas confirmatorias otorgadas por Adriano IV en 1157 y Alejandro III en 1163, como garantes incontestables de la libertad monástica. Esta referencia vuelve a aproximarnos a la historia reciente de la institución, actualizando el recuerdo del patrocinio de la Santa Sede. La remembranza del rey Alfonso I se abre entonces paso para alabar su excelsitud con el monasterio debido a la gran devoción que sentía por esta comunidad materializada en una variedad de escripturam libertatem et defensionis (escrituras de libertad y defensa), lo que promoverá la benevolencia de otros fieles cristianos. Como se comprueba, a diferencia de lo analizado en el prólogo del primer cartulario, para estas fechas el reconocimiento del rey en su labor de benefactor del
22 «Esta obra hemos dividimos en dos libros: en el libro de las donaciones y en el libro de las ventas e intercambios, ambos libros distribuidos cómodamente de acuerdo a los distintos lugares». 23 «El venerable don Juan, gracias al favor divino, segundo prior que sucede en el gobierno del monasterio. Quien previamente durante diez años había asumido el cuidado de todo lo del monasterio, estando aún vivo el pio padre anterior». 24 P. Geary, « Auctor et auctoritas dans les cartulaires du Haut Moyen Âge », in M. Zimmermann (dir.), Auctor et auctoritas : invention et conformisme dans l’écriture médiévale. Actes du colloque de Saint-Quentin-en-Yvelines (14-16 juin 1999), Paris, École des Chartes, 2001, p. 64. 25 Ibid., p. 64.
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cenobio ha adquirido una primera posición en la recreación de la memoria institucional, solo por detrás del patronato de la Santa Sede. Resulta bastante tentador conectar esta referencia expresa a la memoria documental regia con la empresa de falsificación que, como ha sido señalado anteriormente, afectó a las actuaciones de este monarca supuestamente anteriores al año 1155 y que recibieron una privilegiada acogida en la confección del primer cartulario. El sentido archivístico que da origen al Livro de Don João Teotónio, nuevamente como el producto de una voluntad colectiva, se hace especialmente evidente en la propia terminología con la que se define, et in merito de multitudine filiorum gauderet ad serviendum Deo viventi, quorum omnium cartulas et annotationes in monumentum posteris, undique congregari fecit et ascribi in hoc libro sive magis dicatur inventario26, y en las categorías jurídicas en las que se jerarquiza su contenido: Inuenientur enim ibi sicut predictum est tam priuilegia romanorum que confirmant sane possessiones et bona que Sancte Crucis ecclesia possidet concessione pontificum largitione regis et principum, seu oblatione fidelium: quam regis instrumenta deuotorum quoque fidelium testamenta et nonullorum fratum27. Este segundo cartulario no solo pretende ratificar su validez como garante de los derechos jurídicos del monasterio sino que también se afirma como un monumentum (recuerdo) indispensable para mantener la memoria de los benefactores: et post multas generationis inuenietur ibi fideliter expressum quo iure monasterium retinere28. A continuación se enumeran al lector las ventajas del trabajo recurriendo a temas ya expresados en el Livro Santo como la fragilidad de la vida y memoria de los hombres o la consecuente pérdida material que conlleva la destrucción documental: Sed et causas huius inuentarii breuiter attingere non incongruum uidetur. Iccirco igitur conmuni assensu et sagacitate peruigili hoc collectionis scriptum digestum est, ut contra breuem figitiuamque hominorum uitam et incomodum memorie omni annotationum quas continet quasi memoriale fieret, ne aliqua uidelicet occasione seu incuria cartula perdita, ipsa hereditas perditum eat […]29. Con todo, es necesario señalar que este prefacio se recrea más extensamente en los contextos conflictivos como justificación de la producción del cartulario en su función de instrumento de prevención ante los intentos de menoscabar la
26 «En beneficio de la multitud de hijos que gozosamente viven al servicio de Dios, todas las cartas y anotaciones han sido reunidas y escritas en este libro, mejor llamado inventario, para la posteridad de su memoria». 27 «En efecto serán encontrados, como hemos dicho, tanto los privilegios papales que confirman las buenas y abundantes posesiones que la iglesia de la Santa Cruz posee por concesión pontificia como la generosidad de los reyes y príncipes, así como las ofrendas de los fieles: las escrituras de los devotos reyes y los documentos de algunos fieles hermanos». 28 «y para que después de muchas generaciones sean aquí encontrados y fielmente expresados los derechos que el monasterio retiene». 29 «Pero brevemente las razones de este inventario quisiera exponer para no parecer incongruente. Así pues, por este propósito, con el consentimiento de la comunidad y sin cese del interés, esta colección de escrituras es organizada para que, en contra de la breve y finita vida de los hombres y de su problemática memoria, todas las anotaciones que contiene actúen como un recordatorio, no sea que por alguna circunstancia negligentemente una escritura se pierda y esa heredad resulte perdida».
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integridad monástica. Esta preocupación explícita resulta reveladora de las tensiones institucionales que amenazaban el poder cruzio y motivaban, en buena parte, la composición de un segundo cartulario. A continuación el texto procede a la datación de la obra a través nuevamente del recuerdo a dos personajes vinculados al monasterio: el prior don João Teotónio, que acapara el protagonismo como representante del monasterio, y el rey Alfonso I. En esta ocasión, es el año de su reinado el que ofrece la data genérica del trabajo acompañado de una breve mención a su linaje, concretado solo en la figura de sus padres como si su autoridad ya no requiriese demasiada legitimación, y del recuerdo de la fundación del cenobio bajo su mandato. Por último, al igual que en el Livro Santo, se procede a la descripción del método de ordenación divido en cinco partes en función de las jerarquías tipológicas que estructuran la obra: Ipsum tanc opus in quinque partes siue clausulas diuiditur. Et prima pars tractat de priuilegiis romanorum pontificum. Secunda pars tractat de regiis instrumentis. Tertia pars tractat de testamentis canonicorum et fratrum laicorum siue sororum. Quarta pars tractat de testamentis secularium hominum. Quinta pars tractat de cartulis uenditionum et cambiationum. Tituli quoque ac titulorumnumeri singulis superpositi sunt cartulis quoquisque facilius quod quesierit repperire ualeat30. Como se comprueba, el esquema de presentación y los temas seleccionados en ambos prólogos presentan una estructura y el empleo de fórmulas semejantes que contribuye a la edificación de un discurso centrado en la defensa de la exención jurisdiccional de monasterio a través de la salvaguarda de su patrimonio documental y del recuerdo de los benefactores, con la actuación de algunos papas en la cúspide. Siguiendo la opinión de Pierre Chastang31, la alusión a las autoridades vinculadas a la institución no solo permiten la defensa patrimonial del señorío sino que también contribuyen a construir un relato de la historia institucional. En ninguno de los dos prólogos se emplea el recurso a citas bíblicas que contribuyan a reforzar su mensaje en un plano más alegórico sino que la explicación del trabajo del cartularización, como expresión de la voluntad colectiva de toda la comunidad de canónigos cruzios, se justifica desde una necesidad real que conjuga la creación de un instrumento de gestión y de gesta32. No obstante, esta línea de continuidad entre ambos textos se quiebra en algunos aspectos concretos que ponen de manifiesto las diferencias entre ambos proyectos.
30 «Esta obra en cinco partes o apartados ha sido dividida. La primera parte trata de los privilegios del romano pontífice. La segunda parte trata de las escrituras de los reyes. La tercera parte trata de los testamentos de los canónigos, hermanos laicos y religiosas. La cuarta parte trata de los testamentos de los hombres seculares. La quinta parte trata de las escrituras de venta e intercambio. Cada uno de los títulos y también sus números son anotados en la parte superior para que se pueda más fácil encontrar lo que se buscara». 31 P. Chastang, « La préface du Liber Instrumentorum Memorialis des Guilhem de Montpellier ou les enjeux de la rédaction d’un cartulaire laïque meridional », in D. Le Blévec (ed.), Les Cartulaires méridionaux, Paris, École Nationale des Chartes, 2006, p. 98. 32 P. Geary, « Entre gestion et gesta : aux origines des cartulaires », in Les Cartulaires, op. cit., p. 13-26.
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En efecto, la creatividad del copista que intervino en los dos textos se abre paso no solo en la definición del tiempo que justifica su labor, el pasado fundacional y el pasado más inmediato o presente de la institución, y en la selección de los personajes que sostienen la empresa, sino también en la elección del vocabulario con el que define estos instrumentos. Así, el Livro Santo, calificado como inuentarius (inventario) y cartularium (cartulario), se define como un munimentum (salvaguarda) pensado para la defensa y provisión de los derechos y privilegios del cenobio. Por su parte, el Livro de Don João Teotónio, designado como un inuentario (inventario) y coleccionis (colección), se presenta como un monumentum (memorial) indispensable para la remembranza de los benefactores que se habían congregado en torno al monasterio de Santa Cruz. Este espacio de libertad también se testimonia en las fórmulas de clasificación del material seleccionado presentes en los índices de estos códices. En ambos proyectos prevalecen las modalidades de adquisición de los bienes obtenidos frente a otros posibles criterios de ordenación. No obstante, como apunta Saul Gomes33, mientras que en el primer cartulario se prioriza una información horizontal subjetiva sobre el acto transcrito De cauto et testamenti Sancti Romani, De testamenti et cauto villani quiaios, aimede et lauaos, De ecclesiatico leirene34, etc., en el segundo cartulario, sin prejuicio de una base topográfica que probablemente deriva de la propia organización del archivo, se privilegia un ordenamiento según las categorías jurídicas, aplicando una nomenclatura de clasificación de los documentos que evidencia su nombre jurídico: testamentum, donationes, venditionis, commutationes y obligationes35.
Conclusiones El análisis de los prólogos contenidos en los dos cartularios procedentes del monasterio de Santa Cruz de Coimbra, como expresión de las motivaciones que impulsaron su confección, confirma su definición como receptáculos privilegiados de temas comunes en este tipo de textos. Es cierto que como integrantes de una misma unidad intelectual ambas narraciones comparten una continuidad formularia que se justifica en la repetición de los mismos temas y del esquema de presentación seleccionado. Consecuentemente, estos prólogos contribuyen a la construcción de un mismo discurso que se nutre de una elaboración retórica común pero que, a su vez, se ajusta a la necesidad pragmática de defender un programa historiográfico articulado en dos obras distintas. La primera razón de esta empresa de cartularización múltiple deriva de la compilación de un material diplomático dividido cronológicamente en torno al año 1155, fecha de composición del Livro Santo. Sin embargo, este motivo no justifica la elección de dos métodos de elaboración distintos, dado que podía haberse repetido el mismo esquema clasificatorio y de presentación. Es entonces cuando los
33 S. Gomes, In limine conscriptionis, p. 310. 34 «Sobre el coto y el testamento del papa de Roma; sobre el testamento y el coto de las villas de Lavos, Quiaios y Emide; sobre el eclesiástico de Leiria». 35 «Testamentos, donaciones, ventas, intercambios y compromisos».
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espacios de creatividad que marcan las diferencias existentes en los prefacios analizados pueden servirnos para tratar de identificar los intereses particulares de cada proyecto. Ciertamente, pese a su próxima confección, el tiempo y los personajes de autoridad que articulan la apertura de estas creaciones discursivas difieren demostrando dos marcos referenciales distintos. Asimismo, la propia definición que estos dos cartularios reciben en cada prólogo, munimentum y monumentum, respectivamente, demuestra una función complementaria pero diferenciada. Una característica que se ratifica no solo en los diferentes criterios de ordenación del material documental seleccionado sino también en las fórmulas de clasificación presentes en los índices de estos códices. La causa de estos márgenes de innovación que se perciben en la expresión formularia y en la presentación codicológica de estas dos fuentes podría residir en las necesidades específicas de su contexto de producción. Así, el Livro Santo es el fruto de un tiempo de engrandecimiento del poder monástico, sustentando en buena parte en la labor de su fundador, en el que empiezan a surgir las primeras tensiones institucionales para lo que se recurre al patrimonio documental como garante suficiente de sus derechos constitucionales. Por su parte, el Livro de Don João Teotónio es el producto de un contexto de agravadas dificultades jurisdiccionales para la comunidad de canónigos cruzios, pero también de una nutrida, aunque aún breve, historia de patrocinio que contaba con el recuerdo de las actuaciones de algunos papas y sobre todo con las del rey Alfonso I como principales promotores de un poder con amplios apoyos sociales. En consecuencia, según se deduce de los prefacios estudiados, ambas fuentes contribuyen a un proyecto historiográfico común que pretende garantizar las exenciones y prerrogativas monásticas aunque los parámetros referenciales considerados prioritarios en sus motivaciones de composición también encuentran espacios de divergencia. Se trata, en definitiva, del pragmatismo que la continuidad y libertad generada en esta empresa de cartularización múltiple y en las propias expresiones de su materialización pueden transmitirnos como representativa de los modos de actuar de los canónigos de Santa Cruz de Coimbra en relación con las prácticas de herencia e innovación escriturarias propias de su tiempo e institución.
Bibliografía Fuentes primarias Livro Santo de Santa cruz de Coimbra, Torre do Tombo, PT/TT/MSCC/L100, https:// digitarq.arquivos.pt/details?id=4614123 Livro de Don João Teotónio, Torre do Tombo, PT/TT/MSCC/L101, https://digitarq. arquivos.pt/details?id=4614124 O Livro de D. João Teotónio. Subsídio para a história do mosteiro de Santa Cruz de Coimbra, ed. by Maria José Vasconcelos de Albergaria Pinheiro, Universidad de Coimbra, 1970, (Tesis de licenciatura). Livro Santo de Santa Cruz, ed. by Leontina Ventura y Ana Santaigo Faria, Coimbra, Instituto Nacional de Investigação Científica, 1990.
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Adele Di Lorenzo
Pro ratione officii nostri debemus Les devoirs du bonus pastor dans les actes de l’évêque Barthélemy de Joux (1113-1151)
The strengthening of the power of the bishops in the wake of the Gregorian reform was accompanied by the growth, both quantitative and qualitative, of the episcopal acts. Anxious to legitimize and validate these solemn documents, the Episcopal Chancellors seized the old practice of the preamble and constituted collections, physical or immaterial, of these pieces, saturated with rhetoric and ideology, subject to the rules of a stereotyped writing guaranteeing efficiency, associated without contradiction with the rhetorical imperative of variatio. The paradigmatic corpus of the acts of the Bishop of Laon Bartholomew of Joux (1113-1151), allows a detailed analysis of this phenomenon. Special attention is paid to the preambles that describe the bishop in his functions (officium/ministerium episcopale), his roles (bonus pastor, speculator, superintendens, administrator, dispensator), his subjects (grex, domus), his attributes (cura, sollicitudo), his purposes (necessitas, utilitas). Themes and terms go far back into the scriptural, exegetic, patristic past, and refer frequently, by quotation or allusion, to the noticeable synthesis of Gregory the Great (letters of the Register as Regula pastoralis). This baggage, perfectly rooted in the ecclesiological context of the twelfth century, could be transferred to the episcopal chancellery either by direct reading or by papal mediation.
T
Depuis le milieu du xxe siècle les préambules des actes d’autorités ont démontré leur intérêt comme voie d’accès aux idéologies et aux concepts sublimés dans une
Adele Di Lorenzo • École Pratique des Hautes Études La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 43-64 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124022
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écriture formulaire1. Les actes épiscopaux, entre autres, n’ont pas manqué de confirmer ces vues comme l’enseigne le corpus des actes mis sous le nom de l’évêque de Laon Barthélemy2. Son activité, longue et sans relâche, est bien illustrée par le travail frénétique de sa chancellerie : sa copieuse production documentaire, qui s’étend sur près de quarante ans, de 1113 à 1151, dessine les traits d’une figure pastorale engagée et influente3. Les préambules de ses actes sont souvent très argumentés, enrichis de la présence de références bibliques et patristiques. On y trouve une structure complexe, développée sur une trame formelle solide, et une tendance évidente à accentuer l’aspect rhétorique avec un goût prononcé pour la variatio ; tous éléments qui concourent à donner aux idées et aux thématiques exprimées un poids et un retentissement certains. Bien que la lecture de ces textes se prête à des approches différentes, ce sont leurs thèmes-clefs, perdurant au long du corpus, qui méritent la plus grande attention. En particulier, on peut y relever la présence d’un lexique identifiant les devoirs de l’évêque, et de la sorte accéder à l’idéologie qui sous-tend la représentation des fonctions et des figurae épiscopales. Définir l’évolution de l’officium episcopale est une entreprise historique, juridique et théologique qui a donné naissance, depuis une cinquantaine d’années, à une bibliographie d’une ampleur considérable. La période qui sépare la rédaction du Décret de Gratien (c. 1140) de celle des décrétales grégoriennes (1234) est marquée par une transformation profonde : dans l’effort de théorisation des canonistes, l’officium episcopi participe d’une perspective ecclésiologique plus générale, au point de perdre ce qu’il avait de temporel, élément caractéristique du siècle précédent4, et de se soumettre aux impératifs de la libertas Ecclesie chère au courant réformateur5. Dans ce contexte, le débat théologique 1 Pour un bilan fouillé, S. Barret et B. Grévin, Regalis excellentia : les préambules des actes des rois de France au xive siècle, 1300-1380, Paris, École nationale des chartes, 2014 (Mémoires et documents de l’École des chartes 98). 2 A. Di Lorenzo, Les préambules des actes des évêques d’Arras et de Laon (ixe-xiie siècle), Paris, École Pratique des Hautes Études (janvier 2016), sous la direction de Laurent Morelle. Le corpus laonnois bénéficie de l’édition critique d’A. Dufour-Malbezin, Actes des évêques de Laon des origines à 1151, Paris, CNRS Éditions, 2001 (Documents, études et répertoires 65) ; les actes de Barthélemy sont désormais cités d’après leur numéro dans cette édition, précédé du sigle D. Pour une autre facette du corpus documentaire laonnois, je renvoie à mon article « Les loci bibliques dans les actes épiscopaux. Paradigmes rhétoriques et modèles exégétiques dans les préambules des actes épiscopaux de Laon », Revue des Sciences Religieuses, 92 (2018), p. 393-414. 3 Pour l’épiscopat de Barthélemy de Joux : J.-L. Tetard, « Barthélemy, évêque de Laon, moine cistercien de Foigny », Mémoires de la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne, 46 (2001), p. 7-20 ; A. Lacourte, L’abbaye de Saint-Martin de Laon sous les abbatiats de Garin (1151-1171), Barthélemy de Mons (1171-1179) et Gautier II (1179-1186), mémoire de Master, Reims, 2007 ; R. Ribeiro, Administrer par l’écrit : le Grand cartulaire de l’évêché de Laon, Paris, 2014 (https://www.memoireonline.com/02/16/9449/ Administrer-par-lecrit--le-grand-cartulaire-de-levche-de-laon.html) [consulté le 26/08/2019]. 4 Cf. J. Paul, « L’église entre le temporel et le spirituel », in Id., L’Église et la culture en Occident, ixe-xiie siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1985, 2 vol. (Nouvelle Clio 15-15bis), t. I, p. 177-220. 5 R. Schieffer, « Freiheit der Kirche : Vom 9. zum 11. Jahrhundert », in J. Fried (éd.), Die abendländische Freiheit vom 10. zum 14. Jahrhundert. Der Wirkungzusammenhang von Idee und Wirklichkeit im europäischen Vergleich, Sigmaringen, Thorbecke, 1991 (Vorträge und Forschungen 39), p. 49-66 ; B. Szabo-Bechstein, « ‘Libertas ecclesiae’ vom 12. bis zur Mitte des 13. Jahrhunderts. Verbreitung und Wandel des Begriffs seit seiner Prägung durch Gregor VII. », ibid., p. 147-175.
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mené par Hugues de Saint-Victor, Bernard de Clairvaux ou Pierre Lombard, pour ne citer que les protagonistes les plus engagés, se révèle très puissant, et tire profit des dispositions juridiques offertes par la législation conciliaire et la littérature canonique6. Ainsi, la Concordia discordantium canonum se présente-t-elle comme le point de départ du débat théorique et de l’intérêt renouvelé quant à l’attitude que l’évêque doit avoir envers ses obligations juridiques, administratives et spirituelles, particulièrement en tenant compte de la nécessaire conformation à la nouvelle définition du pouvoir pontifical7. Les canonistes accueillent dans leurs travaux les délibérations conciliaires, en particulier celles de Latran II (1139), qui fixent comme l’une des priorités principales de l’évêque la cura animarum et l’administration et le contrôle des res Ecclesie8. Au premier comme au deuxième concile du Latran, les constitutions en matière épiscopale font émerger diverses thématiques, parmi lesquelles la nécessité de la réforme des clergés séculier et régulier, la restauration des Églises, le maintien de la paix. Sous le pontificat d’Alexandre III (1159-1181), l’officium épiscopal se trouve au centre des intérêts du pape, lui-même canoniste, qui notamment s’engagea à rendre l’épiscopat plus stable, tout en instituant des organes susceptibles de contrôler les évêques eux-mêmes, dont les légats pontificaux.
Le témoignage des préambules laonnois Du côté des évêques, les actes et plus spécialement les préambules sont les meilleurs vecteurs de la conception que les évêques avaient de leur propre officium ; la moisson promet d’être particulièrement riche pour des épiscopats tels que celui de Barthélemy de Joux à Laon9, concomitant de la floraison d’une « école » théologique réputée10.
6 Cf. A. M. Landgraf, « Diritto canonico e teologia nel secolo xii », Studia Gratiana, 1 (1953), p. 371-413 ; J. Longère, « La fonction pastorale de Saint-Victor à la fin du xiie siècle et au debut du xiiie siècle », in J. Longère (éd.), L’abbaye parisienne de Saint-Victor au Moyen Âge, Paris-Turnhout, Brepols, 1991 (Bibliotheca Victorina 1), p. 291-313 ; B. Jacqueline, Episcopat et papauté chez Saint Bernard de Clairvaux, Sainte-Marguerite-d’Elle, Impr. H. Jacqueline, 1975, p. 235-426 ; M. P. Alberzoni, « ‘Redde rationem villicationis tue’ : L’episcopato di fronte allo strutturarsi della monarchia papale nei secoli xii-xiii », in G. Andenna (éd.), Pensiero e sperimentazioni istituzionali nella societas Christiana (1046-1259), atti della sedicesima settimana internazionale di studio, Mendola, 26-31 agosto 2004, Milan, Vita & Pensiero, 2007, p. 295-370. 7 K. Pennington, Pope and Bishops. The Papal Monarchy in the twelfth and thirteenth centuries, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1984. 8 Cf. M. P. Alberzoni, « Redde rationem », p. 303, n. 21. 9 Pour l’évêché de Laon : N. Le Long, Histoire ecclésiastique et civile du diocèse de Laon, 1980 (réimpr. anast. de l’édition de Châlons, 1783) ; J. Lusse, Naissance d’une cité. Laon et le Laonnois du ve au xe siècle, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1992 (Archéologie et histoire médiévales) ; A. Saint-Denis, Apogée d’une cité : Laon et le Laonnois (xiie-xiiie siècles), Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1994. Pour une synthèse historique sur Laon et ses évêques, voir A. Dufour-Malbezin, Actes des évêques de Laon, p. 9-20. 10 C. Giraud, Per verba magistri. Anselme de Laon et son école au xiie siècle, Turnhout, Brepols, 2010 (Bibliothèque d’histoire culturelle du Moyen Âge 8). Voir aussi G. Lobrichon, La Bible au Moyen Âge, Paris, Picard, 2003 (Les médiévistes français 3).
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Au juste, Laon brille moins par l’originalité des thématiques que par l’éclat donné à leur expression, comme par l’approfondissement conceptuel de certains points, où se vérifie l’association de brillants écolâtres aux travaux de la « chancellerie » épiscopale. Plusieurs cas de figure se discernent : reprise de poncifs et de formulations toutes prêtes, mais pas moins efficaces ; création de morceaux virtuoses (comme la métaphore longuement filée de l’arrivée au port de quiétude après les tempêtes du siècle) ; inlassable variation, au fil des actes, sur un thème original, et ce sans que l’on puisse voir de motif au choix de telle ou telle solution rédactionnelle autre que la « fantaisie » du rédacteur. Cette situation plaide aussi en de nombreux cas pour une rédaction dans l’entourage de l’évêque, encore que l’intervention du destinataire ne puisse être exclue : la question ne me retiendra pas ici, dans la mesure où le dernier cas de figure dénote aussi bien une adhésion aux thèmes promus par les rédacteurs épiscopaux. Ces thèmes peuvent se regrouper autour de trois pôles : (1) Les préambules « pastoraux », qui vont me retenir, posent le prélat dans sa qualité de pasteur de ses ouailles, exerçant quoique indigne l’office ou ministère épiscopal, attentif aux besoins de tous les fidèles, mais plus particulièrement des religieux (quand les destinataires appartiennent au monde canonial ou monastique). Comme chacune de ses composantes (la figure du bon pasteur, la cheville « quoique indigne », les fins du gouvernement épiscopal), ce préambule, indice fort de la diffusion et de la réception des idéaux réformateurs grégoriens et post-grégoriens, fait du neuf avec de l’ancien, en reprenant des formulations et des thématiques scripturaires et patristiques. Barthélemy ne l’a pas introduit à Laon, où ses prédécesseurs Gaudry en 110711 et Hugues en 111212 en livrent déjà des versions articulées et sophistiquées. Pourtant, à défaut d’être original, l’épiscopat de Barthélemy brille par le nombre d’occurrences (tableau ci-après), la variété des images et des emprunts, la structuration de l’exposé, qui concourent à faire de ces pièces les éléments d’un discours insistant et cohérent sur la centralité du pouvoir épiscopal, lié moins aux mérites de la personne qu’à la délégation divine. (2) La deuxième famille de préambules est plus encore liée au moment Barthélemy : signe des temps, elle emprunte au thème qui deviendra presque exclusif dans les préambules de tout le royaume de France, voire au-delà, au fil du xiie siècle, la nécessité de consigner par écrit les actions humaines. Elle montre elle aussi une propension marquée à l’emprunt d’images et de sous-thèmes secondaires : le lien avec la Chute, qui donne naissance à une société violente et inégalitaire et obscurcit la mémoire, l’invention de l’écriture par l’Église. (3) Le dernier groupe est nettement moins fourni et plus varié. On peut y ranger de façon lâche les textes qui touchent à la spiritualité (la vocation religieuse, le don et la charité) mais aussi, ponctuellement, à la norme (un texte sur la simonie13).
11 D57. 12 D61. 13 D76 (1116).
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Un rapide comptage dit bien le poids des préambules pastoraux et l’irrésistible ascension du thème de la mise par écrit : Années
Nb. total d’actes
Préambule pastoral
Mise par écrit
Varia
1113-1121 1122-1131 1132-1141 1142-1151 Total
34 45 79 103 261
2 26 30 25 83 [32%]
6 5 21 31 63 [24%]
5 7 6 6 24
Un ministère conforme aux enseignements de la Regula pastoralis L’on peut engager une confrontation éclairante des préambules « pastoraux » avec la Regula pastoralis de Grégoire le Grand14, qui transparaît non seulement à travers des citations directes, mais aussi dans la substance thématique des textes. Le vocabulaire relatif au devoir de l’évêque est caractérisé par certains lemmes qui identifient les éléments de base de la fonction diocésaine, et qui se sont révélés utiles pour comprendre que les messages véhiculés par les préambules de la chancellerie de Laon évoquent des images et des aspirations parfaitement enracinées dans le contexte ecclésiologique du xiie siècle15. Les préambules des actes de Laon illustrent de manière programmatique les tâches qui sont assignées par le Christ à l’évêque et l’animus que ce dernier doit avoir en les exécutant. Cette partie de l’acte, en effet, fournit les justifications théologiques et morales de la juridiction de l’évêque. L’image de l’évêque qui se dégage de la lecture de ces textes est encore essentiellement celle qui avait été décrite par une ancienne tradition, résumée et confirmée dans la Regula pastoralis de Grégoire le Grand. Dans ce traité, Grégoire avait voulu présenter les caractéristiques idéales d’un pasteur d’âmes – en premier lieu de l’évêque, mais par extension du prêtre aussi – en donnant de précieux conseils sur les pratiques que le « bon berger » doit adopter en traitant les différentes catégories de personnes. La fonction pastorale la plus élevée peut être utilement résumée dans cette phrase : ne aut non purgatus adire quisque sacra ministeria audeat, aut quem superna gratia elegit sub humilitatis specie superbe contradicat16. Cet aspect de la personnalité de l’évêque est si important
14 Pour l’édition et la traduction du texte de la Regula pastoralis : Règle pastorale, I-II, Introduction, notes et index par B. Judic, texte critique par F. Rommel obs et C. Morel sj, Paris, Les Éditions du Cerf, 1992 (Sources chrétiennes 381-382) ; pour une étude complète, voir aussi C. Dagens, Saint Grégoire le Grand, culture et expérience chrétiennes. Paris, Les Éditions du Cerf, 2014 (Bibliothèque du Cerf). 15 J. Paul, L’église et la culture, t. II, p. 564-745. 16 Greg. M. reg., I, 7 : « Que l’on n’ose pas aller aux ministères sacrés sans être purifié ou encore, celui que la grâce supérieure a choisi ne doive pas s’y opposer avec superbe sous prétexte d’humilité ».
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pour le pape Grégoire qu’il a défini ainsi la quatrième et dernière partie de la Regula : Qualiter predicator omnibus rite peractis ad semetipsum redeat, ne hunc vel vita vel predicatio extollat17. Grégoire revient sur l’humilité nécessaire à un pasteur d’âmes. Une tentation particulièrement insidieuse, pour un homme de Dieu fort et vertueux, ce qu’un pasteur d’âmes a le devoir d’être, est de prendre plaisir à ses vertus et à ses mérites apostoliques, oubliant sa faiblesse et se considérant comme supérieur aux autres. De cet avertissement du saint pape résulte la captatio sur laquelle s’ouvrent une certaine partie des préambules de Laon : Quia, Domino annuente, ovilis dominici curam licet indigni suscepimus18. La deuxième partie de la Regula grégorienne, intitulée De vita pastoris, décrit les traits moraux qui doivent être présents chez un bon pasteur d’âmes. De la sorte « la conduite de l’évêque doit être d’autant supérieure à celle du peuple qu’il y a ordinairement de distance du troupeau à la vie du berger »19 ; mener une bonne vie sera donc pour le pasteur une obligation grave, parce que « c’est par référence à sa personne que le peuple est défini troupeau »20. C’est ce qu’affirme Barthélemy en 1137 : Quanto altiori gradu secundum dignitatis nostre officium in Ecclesia Dei preminemus, si a statu rectitudinis nos forte deviare contigerit, tanto graviorem nobis casum imminere non dubitamus21. Le pasteur, selon Grégoire, « doit donc être chaste dans la pensée, exemplaire dans la conduite, prudent dans son silence et utile dans sa parole, proche de chacun par la compassion, voué plus que tout autre à la contemplation, lié par humilité à ceux qui font le bien, inflexible contre les vices des hommes mauvais par zèle de la justice »22. C’est pourquoi Barthélemy, dans un acte de 1124, affirme, au nom du mandat reçu du Christ, qu’il a le devoir de corriger l’erreur là où elle se produit : Quia ex injuncti officii necessitudine, cui auctore Deo deservimus, ęcclesię quam gubernandam suscepimus debito curę pastoralis obligamur, ne qua suorum membrorum parte laboret, sollerter invigilare, bene cepta in melius provehere et,
17 Greg. M. reg., IV, 1, tit. : « Comment le prédicateur, après avoir tout dûment accompli, doit rentrer en lui-même, afin que ni sa vie ni sa prédication ne l’enorgueillissent ». 18 « Puisque, avec l’approbation du Seigneur, nous avons reçu la charge de sa bergerie malgré notre indignité ». 19 Greg. M. reg., II, 1 : Tantum debet actionem populi actio transcendere presulis, quantum distare solet a grege vita pastoris. 20 Ibid. : sub cujus estimatione populus grex vocatur. 21 « Plus haut le degré d’où nous dominons l’Église de Dieu selon l’office de notre dignité, plus grave, nous n’en doutons pas, la chute qui nous menace, si jamais il nous arrive de dévier de l’état de droiture » : D175 (1137). Les actes D132 (1131), D145 (1133), D230 (1143) exposent la même idée. 22 Greg. M. reg., II, 1 : Sit ergo necesse est cogitatione mundus, actione precipuus, discretus in silentio, utilis in verbo, singulis compassione proximus, prae cunctis contemplatione suspensus, bene agentibus per humilitatem socius, contra delinquentium vitia per zelum justitie erectus.
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si qua forte inconsultius acta fuerint, Domino opitulante, pro facultatis et peritię nostrę modulo corrigere debemus23. Dans cette lutte contre les vices, l’évêque doit veiller à ne pas laisser la vie intérieure être affaiblie par les soucis temporels et à ne pas se soustraire aux engagements de ce monde par souci des devoirs spirituels24. Barthélemy sait donc qu’il faut à la fois veiller à la vie spirituelle et à l’entretien matériel de ceux qui lui sont confiés par la divine Providence : Quoniam et ex cura regiminis et ex officii vocabulo admonemur superintendere (episcopus enim dicitur superintendens25) sicut necessitatibus animarum Deo servientium ita et corporum in quantum prevalet, debet munificentia nostra per providentiam subvenire26. Le saint pontife rappelle aux évêques : « il faut savoir aussi que les bons guides doivent chercher à plaire aux hommes, mais en vue d’attirer leurs prochains à l’amour du vrai, grâce à la douceur de leur ascendant, non qu’ils désirent être aimés »27, plutôt que de stigmatiser ce qui est accompli inordinate, à savoir, comme le dit Barthélemy, qu’ils ont pour fonction d’approuver ce qui est accompli correctement pour exalter la force de l’exemple vertueux : Officii nostri est fidelium devotiones approbare, oblationes memorie commendare et ex episcopali auctoritate corroborare28. De cette manière, l’ensemble du traité vise à souligner les caractéristiques d’une action pastorale équilibrée et éloignée des excès opposés. La troisième partie de la Règle pastorale, constituée de quarante chapitres précédés d’un prologue, est la plus longue et la plus intéressante de l’œuvre. L’auteur commence par noter que non una eademque cunctis exhortatio congruit, quia nec cunctos par morum
23 « La nécessité de l’office qui nous est imposé nous contraint, par le devoir de la charge pastorale, à veiller diligemment sur l’Église que, par l’autorité de Dieu, nous servons et dont nous avons reçu le gouvernement, pour qu’elle ne souffre en aucune partie de ses membres ; aussi devons-nous travailler à l’amélioration de ce qui a été heureusement commencé et, si d’aventure certaines choses avaient été faites avec moins de bonheur, les corriger avec l’assistance de Dieu, à la maigre mesure de notre capacité et de notre expérience » : D105 (1124). 24 Cf. Greg. M. reg., II, 1. 25 L’étymologie est expliquée par Augustin, in Psalm., Ps. CXXVI (PL 37, col. 1669) : Nam ideo altior locus positus est episcopis, ut ipsi superintendant et tanquam custodiant populum. Nam et graece quod dicitur episcopus, hoc latine superintentor interpretatur, quia superintendit, quia desuper videt ; elle est reprise, d’après la concordance « Patrologia latina », chez Isidore, Bède, Raban Maur. 26 « Puisque par la charge du gouvernement et par le mot même d’office nous sommes exhortés à surveiller (episcopus, en effet, signifie surveillant), notre munificence doit avec prévoyance subvenir aux besoins tant des âmes de ceux qui servent Dieu que de leurs corps, selon que la nécessité prévaudra » : D292 (1147). 27 Greg. M. reg., II, 8 : Sciendum quoque est quod oporteat ut rectores boni placere hominibus appetant, sed ut sue estimationis dulcedine proximos in affectum veritatis trahant, non ut se amari desiderent. 28 « Il relève de notre office d’approuver les actes de dévotion des fidèles, de confier à la mémoire leurs donations et de les confirmer de l’autorité épiscopale » : D225 (1142).
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qualitas astringi. Saepe namque aliis officiunt, que aliis prosunt29. Le concept fondamental de la section est que celui qui a reçu des biens n’est que l’intendant de Dieu, qui l’a placé en position d’autorité seulement pour distribuer ses biens aux serviteurs nécessiteux et non pour qu’il s’enorgueillisse d’une chose qui ne lui appartient pas30. Et l’évêque Barthélemy veut jouer le rôle du bon intendant de la maison du Père : Quia in summi Pastoris familias domo dispensatoris locum, licet indigni, sortiti sumus, oportet ut ita dominice familie curam agamus ut tritici alimoniam in tempore ad mensuram distribuentes et interiora provideamus et exteriora minime negligamus31.
Les mots du devoir La recherche sur les mots du devoir suit les traces du regretté Père Joseph Avril, qui dans son étude sur les fonctions de l’évêque d’après le vocabulaire des actes32, démontre clairement qu’au moment de la promulgation des décisions prises, les évêques étaient dans l’obligation de mentionner d’où venait leur autorité spirituelle. Cette obligation est notamment présente dans les préambules des actes produits par leurs chancelleries. Ainsi, il est pertinent de s’attarder sur certains des devoirs et des fonctions qui mettent très clairement en évidence le rôle aussi bien spirituel que juridique de l’évêque. Afin d’opérer de plus amples comparaisons avec un éventail de sources d’une provenance plus étendue, compte tenu de l’ampleur des données dont on dispose, il faut isoler une série de lemmes qui, montrant le devoir de l’évêque, en deviennent de vrais paradigmes ecclésiologiques, issus d’une longue et complexe tradition33. 29 Greg. M. reg., III, prol. : « Une seule et même exhortation ne convient pas à tous parce que tous ne sont pas soumis aux mêmes coutumes. En fait, ce qui est bon pour l’un nuit souvent à l’autre ». 30 Cf. Greg. M. reg., III, 20. 31 « Puisque nous est échue, malgré notre indignité, la place d’intendant dans la demeure du suprême Pasteur de famille, il faut que nous assumions la charge de la maison du Seigneur de sorte que, distribuant en temps opportun et en bonne mesure le blé à consommer, nous pourvoyions aux choses intérieures sans négliger les extérieures » : D119 (1129). Le thème est repris dans de nombreux préambules : D116 (1127), D118 (1129), D119 (1129), D130 (1131), D142 (1132), D144 (1132), D145 (1133), D146 (1133), D153 (1133), D170 (1135), D190 (1139), D206 (1141), D282 (1147), D283 (1147), D303 (1148), D310 (1149). 32 J. Avril, « La fonction épiscopale dans le vocabulaire des chartes (xe-xiiie siècles) », in Horizons marins, itinéraires spirituels. Mélanges en l’honneur de M. Mollat, Paris, Publications de la Sorbonne, 1987, p. 125-133. Cf. L. Morelle, « Les mots de la ‘réforme’ dans les sources diplomatiques du siècle. Un premier bilan », in J. Barrow, F. Delivré et V. Gazeau (éd.), Autour de Lanfranc (1010-2010). Réforme et réformateurs dans l’Europe du Nord-Ouest (xie-xiie siècles), colloque international de Cerisy 29 septembre – 2 octobre 2010, Caen, Presses universitaires de Caen, 2015, p. 33-56. 33 Cf. J. Gaudemet, Le gouvernement de l’Église à l’époque classique, 2e partie, Le gouvernement local, Paris, Éd. Cujas, 1979 (Histoire du droit et des institutions de l’Église 8/2) ; K. F. Werner, « Observations sur le rôle des évêques dans le mouvement de paix aux xe et xie siècles », in Mediaevalia christiana, xe-début xiiie siècle, hommage à Raymonde Foreville, Tournai, Éditions universitaires, 1989, p. 148-181 ; B. Lemesle, Le gouvernement des évêques : la charge pastorale au milieu du Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015 (Histoire).
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Les choix de lemmes qui y sont mis en œuvre montrent bien qu’ils sont devenus incontournables dans le vocabulaire et la pratique rédactionnelle. Cependant, le fait que ces lemmes soient répétitifs et fixés n’implique pas qu’ils se soient vidés de leur contenu idéologique et conceptuel ; au contraire, la permanence d’un vocabulaire déterminé révèle le choix fait par les rédacteurs de s’inscrire dans une certaine continuité et de perpétuer la tradition littéraire, lexicale et linguistique qui est la leur – ce qui n’exclut pas l’hypothèse du recours à des formulaires préexistants, compilant selon la typologie des documents des préambules possibles, adaptables à chaque cas juridique précis. Bonus pastor
Pour ce qui est de l’activité de l’évêque, le lemme le plus fréquent dans les préambules de Laon est l’adjectif pastoralis, relatif à la fonction de pastor animarum ; ce lemme a été souvent retrouvé en combinaison avec sollicitudo et cura. L’histoire du lemme est longue et complexe. La fonction de l’évêque comme successeur des Apôtres est bien mise en relief dans le Nouveau Testament, comme on le retrouve d’ailleurs dans les Actes des Apôtres, où il est présenté comme pastor animarum : Adtendite vobis et universo gregi in quo vos Spiritus Sanctus posuit episcopos regere ecclesiam Dei, quam adquisivit sanguine suo34. L’évêque des communautés chrétiennes des origines est souvent désigné comme sacerdos35 et comme minister, ce qui affirme sa participation à l’œuvre du Christ en qualité de serviteur et administrateur des mystères de Dieu : Sic nos existimet homo ut ministros Christi et dispensatores mysteriorum Dei36. La fonction épiscopale est à nouveau expliquée par les paroles de Paul : Pro Christo ergo legatione fungimur, tamquam Deo exhortante per nos. Obsecramus pro Christo, reconciliamini Deo37. 34 Act 20, 28 : « Prenez soin de vous-mêmes et de tout le troupeau sur lequel le Saint Esprit vous a établis évêques pour guider l’Église de Dieu qu’il s’est acquise par son sang ». Paul, 1 Tim 3, 1-7, donne une longue liste des qualités attendues de l’évêque. 35 Les sources des ier et iie siècles définissant, à la suite des Écritures, la fonction de l’évêque, sont d’intérêt majeur. Clément de Rome (1 Clem. 44, 1-6) affirme que l’évêque est le successeur des apôtres et que l’on attend de lui humilité, placidité et bienveillance pour servir dignement et saintement le troupeau du Christ. Nul ne peut donc écarter un évêque du ministère ; ainsi s’établit le rapport matrimonial de l’évêque avec le siège auquel il a été élu, rapport par la suite sanctionné à Nicée (325). Pour Ignace d’Antioche, l’évêque est le garant de l’unité de l’Église ; mieux, selon lui, « là où est l’évêque, là est la communauté ». Toute division, toute opposition ne peuvent être surmontées que par l’obéissance à l’évêque, dont l’autorité ne dérive pas tant de ses qualités personnelles que de la figure qu’il représente, celle du Père (Eph 3-5). 36 1 Cor 4, 1 : « Que l’on nous considère ainsi comme des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu ». 37 2 Cor 5, 20 : « Nous sommes ambassadeurs du Christ : c’est Dieu qui exhorte par nous. Nous vous en supplions au nom du Christ, reconciliez vous avec Dieu ».
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À la suite de cela, les sources liturgiques entre le iie et le ive siècle tracent l’image de l’évêque dans un contexte strictement spirituel et pastoral38. Depuis le ive siècle, les prérogatives du bonus pastor s’étendent nettement, en conformité aux changements de contexte idéologico-religieux. Apporter et garder la paix semble être le propre de l’activité de l’évêque, comme en témoignent les discours que Grégoire de Nazianze consacre à ce thème. Le bon pasteur doit être capable de s’adapter aux exigences de chaque fidèle39. De son coté, Augustin imagine la fonction de pastor en lien avec celle qui vise à réunir les Églises, et il manifeste des doutes envers le rôle juridique accordé à l’évêque dans les litiges civils40. Le profil du bonus pastor s’enrichit fortement à partir du ixe siècle, lorsque le sacerdos devient aussi le protecteur et le bienfaiteur des églises qu’il administre41. L’épiscopat, pendant l’époque carolingienne étend fortement sa responsabilité vis-à-vis du pouvoir impérial ou royal, et se renforce dans la reconnaissance de sa propre dignité au nom de la religion et de la morale42. Le but poursuivi par l’évêque est surtout de préserver les institutions ecclésiales et de limiter les contacts avec l’extérieur et ses passions, comme l’enseignent Augustin et Ambroise43 ; à leur suite, la législation carolingienne évoquera plus d’une fois le rôle de l’évêque comme celui du pasteur d’âme : Ipse episcopus in ecclesia sua taliter studeat et vivere et de se cottidie bona proferre, ut omnem gregem quem commissum habet delectet eum sequi et monita que eis inpendit delectetur eum audire. Clericos suos taliter doceat, qualiter ipse vivit, ut non sint superbi, non sint luxoriosi, non sint latrones, non sint mendaces, non sint usurarii, non negociatores, intenti sint in dilectione. Que de ore proferre debent,
38 Hippolyte de Rome, La tradition apostolique, éd. B. Botte, Paris, 1968 (Sources chrétiennes 11 bis), p. 40-47 ; Les Constitutions Apostoliques, texte grec éd. M. Metzger, Paris, 1985, 3 vol. (Sources chrétiennes 320, 329, 336), I, p. 145 et suiv. 39 Gr. Naz. or., 6, 14, 22 ; 32. Cf. I. Petriglieri, Autorità come servizio. Figura e ruolo del vescovo nei Padri della Chiesa, Vatican, Libreria editrice Vaticana, 2009. 40 Cf. Cod. Theod. 1, 27, 1 (318) ; Aug. in Psalm., 25, 13 ; monach., 29, 37. Pour l’episcopalis audientia, M. R. Cimma, L’episcopalis audientia nelle costituzioni imperiali da Costantino a Giustiniano, Turin, Giappichelli, 1988. 41 Je signale seulement quelques contributions fondamentales parmi une très vaste bibliographie : Y. Congar, L’ecclésiologie du haut Moyen Âge. De saint Grégoire le Grand à la désunion de Byzance et Rome, Paris, Les Éditions du Cerf, 1968, p. 138-151 ; J. Fontaine, « L’évêque dans la tradition littéraire du premier millénaire en Occident », in Les évêques normands du xie siècle, actes du colloque de Cerisy-la-Salle (30 septembre-3 octobre 1993), Caen, Presses universitaires de Caen, 1995, p. 43-51 ; E. Palazzo, L’évêque et son image. L’illustration du Pontifical au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 1999, p. 21-25 ; J. Paul, Le christianisme occidental au Moyen Age, ive-xve siècle, Paris, Armand Colin, 2005 (Collection U), p. 159-294 ; B. Lemesle, Le gouvernement, p. 104-105. 42 Cf. Hinc. Rem., Expositio, 1 (PL 125, col. 1040) : episcopali ac spirituali unctione ac benedictione… potius quam terrena potestate. 43 Cf. G. Tabacco, La relazione fra i concetti di potere temporale e potere spirituale nella tradizione cristiana fino al secolo xiv, éd. L. Gaffuri, Firenze, Firenze University Press, 2010 [éd. orig. Turin, 1950], p. 87-106. Dans le même temps la fonction épiscopale est affectée par l’extension de la notion d’ecclesia, comme en témoigne le concile d’Aix-la-Chapelle en 816 (MGH, Concilia, t. II/1, Concilia Ævi Karolini 1, p. 307 et suiv., en part. p. 312-313).
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hec cum summo studio discant, quia turpe est hoc docere, quod minime scit, nec ignorans alii viam ostendere. Propterea oportet omnia discere cum disciplina et nichil ignorare, quod agere debet alios docere44. Sollicite studeat unusquisque gregem sibi commissum sacra predicatione, quid agere quidve vitare debeat, informare. Et ipse episcopus vita, habitu, forma et conversatione sancta suis subiectis exemplum prebeat, ut iuxta dominicam vocem videant opera eius bona et glorificent45. Au xie siècle, au sein de la dialectique réformatrice, le rôle du pastor prend un grand élan et, sous des angles divers et nombreux, la correspondance de Grégoire VII en porte la trace. Avec insistance, le même sujet est traité dans la documentation de la chancellerie épiscopale de Laon. On ne donnera que deux exemples plutôt paradigmatiques : Ut pastorum premiis donari mereamur, nos, qui pastorum nomine censemur, modis omnibus sanctis Christi pauperibus ea que juste ac rationabiliter probantur acquisisse pontificali auctoritate roborare debemus, quatinus ea absque reclamationis inquietudine Deo solo vacantes perpetuo possideant, et nostrarum maculas culparum ceterorumque suorum benefactorum mundarum inundatione precum diluant46. Le début de la longue période parvient à poser rapidement que le but de l’initiative est de mériter les récompenses de la communauté épiscopale : la proposition principale avec le catégorique debemus focalise l’argumentation avec une forte mise en évidence conceptuelle. Le texte se termine par la métaphore de l’eau débordante de la prière, inundatione precum, qui nettoie les taches des péchés, maculas culparum.
44 Concilium Risp. (798), c. 5 (MGH, Concilia, t. II/1, Concilia Ævi Karolini 1, p. 199, 15-22) : « Que l’évêque s’applique dans son église à vivre et à faire montre chaque jour de ses qualités, en sorte qu’il se délecte de se voir suivi par tout le troupeau qui lui a été confié et qu’il se délecte d’être entendu dans les avertissements qu’il lui prodigue. Qu’il enseigne à ses clercs, comme il vit lui-même, à n’être ni arrogants, ni luxurieux, ni voleurs, ni menteurs, ni usuriers, ni trafiquants, mais à s’appliquer à l’amour. Ce qu’ils doivent dire de leur bouche, ils doivent l’apprendre avec grande application, parce qu’il est indigne d’enseigner ce que l’on ne connaît pas et de montrer aux autres le chemin que l’on ignore. C’est pourquoi il est nécessaire de tout enseigner avec régularité et de ne rien ignorer de ce qu’il doit enseigner aux autres à faire ». Sur la question, voir B. Basdevant-Gaudemet, Église et Autorité. Études d’histoire de droit canonique médiéval, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2006 (Cahiers de l’Institut d’anthropologie juridique 14), p. 87-198. 45 Concilium Turon. (813), c. 4 (ibid., p. 287, 12-15) : « Que chacun s’applique soigneusement à informer le troupeau à lui confié, par sa prédication sacrée, de ce qu’il faut faire ou éviter. Et que l’évêque, par sa vie, son comportement, son aspect, son commerce empreint de sainteté, soit un exemple pour ses sujets afin que, selon les mots du Seigneur, ils voient qu’elles sont bonnes ses œuvres et qu’ils rendent gloire ». 46 « Pour mériter de recevoir les récompenses des pasteurs, nous qui sommes appelés du nom de pasteur devons par tous les moyens renforcer de l’autorité pontificale aux saints pauvres du Christ les biens qu’ils ont acquis justement et légitimement, comme il a été prouvé, pour qu’ils les possèdent à perpétuité sans être inquiétés d’une contestation, se consacrant à Dieu seul, et pour qu’ils dissolvent sous le flot de leurs prières pures les taches de nos fautes et de celles de tous leurs autres bienfaiteurs » : D235 (1145).
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Quoniam in domo Domini humilis parvitas nostra, nulla meritorum prerogativa, sed solius Dei hoc agente clementia, locum pastoris obtinuit, inter cetera nobis injuncta, illis precipue sollicitudinis ac providentie curam debemus inpendere qui solis humane sustentationis stipendiis contenti ad aspectum veri luminis oculos semper tenent apertos47. On retrouve ici la « formule de modestie », qui dit le manque de mérites personnels, compensé par la clémence de Dieu, qui incite comme une forme de gratitude à prendre soin surtout de ceux qui se dédient à la contemplation. Par l’expression de summus Pastor on entend avant tout le Christ, celui qui ramène ses brebis à la bergerie48 et qui représente un modèle de comportement pour toute la hiérarchie ecclésiastique, notamment pour le chef du diocèse49. La même référence se retrouve dans un acte de Barthélemy de 1141 : Quia summi Pastoris gratia ecclesiastice institutionis curam, licet indigni, suscepimus50. L’idée de base du préambule est identifiée à la nécessité de conformer l’action à l’exemple des prédécesseurs et d’aider les serviteurs de Dieu, afin de mériter la vie éternelle, lorsque cela est impossible avec ses mérites personnels. L’évêque / pastor doit être idoneus à son diocèse, dit Grégoire VII, et cette qualité lui est décernée directement par Dieu51. Le devoir du recteur est indiqué d’une façon rigoureuse : sed nomen et officium pastoris habere dignus existat52. De plus, le devoir pastoral n’est pas seulement celui de l’évêque, mais aussi celui du pape lui-même, qui remarque ainsi : Sed ubi pastorale officium, quod in dilectione Dei et proximi quasi in fundamento consistit, licet indignus, accepi53. Il existe un autre exemple de l’emploi de summus Pastor. Il vient d’un acte émis par l’évêque de Verdun, Wigfrid, daté entre 962 et 966. Le prélat y déclare que la dignité épiscopale est décernée par le Pasteur suprême non pas en raison des mérites de l’évêque, mais plutôt grâce à la clémence de Dieu : a summo Pastore injungitur, qui
47 « Puisque dans la demeure du Seigneur notre humble petitesse a obtenu la place de pasteur sans aucune prérogative de nos mérites mais par l’action de la clémence de Dieu seul, parmi ce qui nous est ordonné nous devons prêter une attention particulière, pleine de sollicitude et de providence à ceux qui, se contentant des seuls secours nécessaires à la sustentation de l’homme, gardent les yeux toujours ouverts à la contemplation de la lumière véritable » : D303 (1148). 48 Greg. VII, reg., VI, 7, 5 (MGH, Epistolae selectae, II, 408.5) : ipse summus Pastor ovem perditam…reportare (la source biblique est 1 Petr 2, 25 : Eratis enim sicut oves errantes, sed conversi estis nunc ad pastorem et episcopum animarum vestrarum. 49 Cf. ibid., IV, 14, 20 (MGH, Epistolae selectae, II, 318.20) : sed per ostium intrans Pastor ovium vocari et esse debeat. 50 D213 : « Puisque, par la grâce du Pasteur suprême, nous avons reçu, quoique indigne, la charge de l’institution ecclésiastique ». 51 Greg. VII reg., II, 77 (MGH, Epistolae selectae, II, 240.5) : donec omnipotens Deus per interventum beati Petri ecclesie illi idoneum pastorem provideat. 52 Ibid., V, 5 (MGH, Epistolae selectae, II, 353.5) : « Mais qu’il soit considéré comme digne du nom et de l’office de pasteur ». 53 Ibid., II, 75 (MGH, Epistolae selectae, II, 238.25) : « Mais lorsque j’ai reçu, quoique indigne, la charge pastorale qui est établie sur l’amour de Dieu et du prochain comme sur des fondations ».
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pastores ecclesie non nostris meritis, sed divine dignationis clementia nominamur54. En effet, les évêques doivent bien soigner le troupeau du Seigneur55, le défendre des interférences mauvaises et donc fournir aux brebis une nourriture adéquate, sous peine de punitions divines56. Les évêques ont basé leur ministère sur la référence au Christ Pasteur, en y ajoutant d’autres thèmes, tel le pater familias que l’on retrouve dans quelques préambules de Barthélemy de Laon57. De la même façon, au milieu du xiie siècle, Samson, archevêque de Reims, inspiré par le même sujet, met en relief dans un préambule l’inquiétude de l’évêque vis-à-vis de ses fidèles, comme le fait le bon père de famille, quand le terme se lie à celui de vicarius de Dieu, le vrai père58. Administrator / Dispensator
Aux xe et xie siècles, d’un point de vue institutionnel, l’éclaircissement nécessaire de la définition de la fonction épiscopale fut élaboré avant même que ne s’établît la distinction entre l’auctoritas, issue de l’élection, et l’administratio, issue de la consécration59. En 1140, Gratien, dans le Décret, subdivise les fonctions des évêques en trois catégories : l’ordre, le magistère et la juridiction60. De là, le débat s’élargit remarquablement. Il devient très difficile de repérer le bon terme à utiliser pour les différentes compétences des évêques. On constate que l’officium episcopale n’est pas défini d’une façon nette ; jurisdictio, chez Gratien, est à la fois le pouvoir de gouverner l’Église d’un point de vue temporel et le pouvoir judiciaire de l’évêque rapporté à l’administration de la justice. L’éclaircissement demandé pour la dénomination des fonctions de l’évêque au xiie siècle a été l’œuvre de magister Rufinus qui, le premier, distingue l’auctoritas venant de l’élection et l’administratio venant de la consécration61. On remarque l’écho de ce changement jusque dans les préambules des actes des évêques : la sollicitudo de l’évêque est souvent remplacée ou accompagnée par l’administratio, comme on le voit dans divers actes rédigés par la chancellerie de Barthélemy :
54 J. P. Evrard, Actes des princes lorrains, 2e série, III, Les évêques de Verdun, Nancy, 1977-1982, multigr., I, p. 51, no 22. 55 Jo 10, 1-12. 56 M. Parisse, Actes des princes lorrains, 2e série, II, Les évêques de Metz, Nancy, 1976, multigr., II, no 66, p. 145 (chartes d’Étienne évêque de Metz). 57 Cf. D118 (1129) ; D130 (1131) ; D206 (1141). 58 J. Avril, « La fonction », p. 128 et n. 44. Voir aussi M. Maccarone, Vicarius Christi. Storia del titolo papale, Roma, Facultas theologica pontificii athenaei Lateranensis, 1952. Même Grégoire VII se réfère à sa fonction de vicarius tanti pastoris : et quia caritas domini Dei nostri me quasi aliquid estimans tanti pastoris vicarium ad regendam sanctam matrem nostram elegerat (Registrum, VII, 23 = MGH, Epistolae selectae, II, 500.20). 59 R. L. Benson, The Bishop-elect: a study in medieval ecclesiastical office, Princeton, Princeton University Press, 1968, p. 64-71. 60 Gratian. 61, c. 6, 8, 10, 11, 13-18. 61 M. P. Alberzoni, « Redde rationem », p. 304, n. 27.
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Quia, largiente Domino, licet indigni, cure pastoralis officium sortiti sumus, commisse nobis ecclesie vigilanter servire vinculo debite sollicitudinis obligamur, et predecessorum nostrorum erga Dei cultum bene consulta atque statuta nostre quoque actoritatis favore roborare, et si forte aliquatenus titubaverit, pro facultatis nostre modulo in pristinum statum reformare, sed et de nostro, si vires suppetunt, necessariis ecclesiastice administrationis usibus concurrere necesse habemus62. Pertinet ad officium nostre administrationis ecclesiis nobis commissis in necessitatibus subvenire et altercationes, que inter ipsas et cuiuslibet conditionis homines emerserint, sedare et que a nobis disposita fuerint monumentis litterarum posteris commendare63. Pertinet ad officium nostre administrationis ecclesiis, maxime nobis commissis, in necessitatibus subvenire et earum altercationes sedare et que a nobis disposita fuerunt monumentis litterarum posteris demonstrare64. D’autres lemmes du même champ sémantique se référant au gouvernement et à l’administration apparaissent en variatio ; c’est le cas de cura regiminis : Quoniam ex cura regiminis et ex officii vocabulo admonemur superintendere (episcopus enim dicitur superintendens) sicut necessitatibus animarum Deo servientium ita et corporum in quantum prevalet, debet munificentia nostra per providentiam subvenire65. Dès la fin des années 1120 les préambules de Barthélemy reprennent volontiers à Grégoire le Grand une formulation qui brode de façon originale sur le thème courant du pouvoir confié au pasteur, en renvoyant à l’image néo-testamentaire du bon intendant, Luc 12, 42 : Quis, putas, est fidelis dispensator et prudens quem constituit Dominus supra familiam suam ; parallèle dans Matth 24, 45, qui donne servus pour dispensator : Quis, putas, est fidelis servus, et prudens, quem constituit dominus suus super familiam suam ut det illis cibum in tempore66 ? 62 « Par largesse du Seigneur, malgré notre indignité, nous est échu l’office de la charge pastorale, aussi devons-nous, par le lien de la sollicitude qui est due, servir avec vigilance l’Église à nous confiée et renforcer aussi par la faveur de notre autorité les bonnes dispositions et décisions édictées par nos prédécesseurs sur le culte de Dieu et, si jamais elle venait à chanceler, la restaurer dans son état ancien à la faible mesure de notre pouvoir non moins que contribuer sur nos biens propres, s’il nous est possible, aux besoins nécessaires à l’administration ecclésiastique » : D104 (1124). 63 « Il relève de l’office de notre administration de subvenir aux besoins des églises à nous confiées, d’apaiser les disputes qui surgiraient entre elles et des hommes de toute condition et de donner en garde à la postérité nos décisions par des vestiges écrits » : D160 (1134). 64 « Il relève de l’office de notre administration de subvenir aux besoins des églises, surtout de celles qui nous sont confiées, d’apaiser leurs disputes et de faire voir nos décisions à la postérité par des vestiges écrits » : D256 (1145). 65 D292 (1147). Pour la traduction, voir ci-dessus note 26. 66 Luc 12, 42 : « Quel est donc, crois-tu, l’intendant fidèle et avisé que le Seigneur a établi sur les gens de sa maison ? » ; Matth 24, 45 : « Quel est donc, crois-tu, le serviteur fidèle et avisé que le Seigneur a établi sur les gens de sa maison pour leur donner la nourriture en temps voulu ? ».
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Dispensator est aussi dans Paul : Oportet enim episcopum sine crimen esse, sicut Dei dispensatorem (Tit 1, 7) ; Sic nos existimet homo ut ministros Christi et dispensatores mysteriorum Dei loca regere (1 Cor 4, 1)67. Un premier enrichissement introduit l’image de la maison/maisonnée elle aussi reprise de Grégoire pour désigner l’Église : 1122 Quia in domo Domini, licet indigni, regiminis curam suscepimus68. 1127 Quia divine misericordie respectu in domo Ipsius, licet indigni, regiminis curam suscepimus69. 1129 Quia, Deo auctore, in summi Patrisfamilias domo locum regiminis, licet indigni, tenemus70. 1147 Quia in domo summi Patrisfamilias nos, licet indignos, gratia divina constituit71. Un second enrichissement, avec l’apparition, dès 1129, de dispensator (étymologiquement, celui qui distribue les réserves alimentaires, d’où « intendant »), figure transparente du prélat d’Église (qui distribue la parole et l’eucharistie, qui fournit les nourritures terrestres comme spirituelles). La prégnance de la citation est d’autant plus forte que d’autres termes sont empruntés à des versets proches, servus (cf. Luc 12, 37), Paterfamilias (Luc 12, 39). 1129 Quia in summi Pastoris familias domo dispensatoris locum, licet indigni, sortiti sumus, oportet ut ita dominice familie curam agamus72. 1131 Quia in summi Patris familias domo, Ipsius opitulante clementia, licet indigni, dispensatoris vice fungimur73. 1133 Quia, Domino largiente, in domo Ipsius, licet indigni, dispensatoris vices agere censemus74. 1135 Quia in domo Israelis, divina opitulante clementia, gradu et officio preminentes dispensatoris vice fungimur75.
67 Tit 1, 7 : « Il faut que l’évêque soit irréprochable en sa qualité d’intendant de Dieu » ; 1 Cor 4, 1 voir n. 37. 68 D 97 ; avec quatre autres actes pour le même destinataire, Saint-Martin de Laon, alternant domo Dei et domo Domini : « Puisque nous avons reçu la charge du gouvernement dans la maison du Seigneur, malgré notre indignité ». 69 D 116 : « Puisque, par l’attention de la miséricorde de Dieu, nous avons reçu la charge du gouvernement dans sa maison, malgré notre indignité ». 70 D 118 : « Puisque, par l’autorité de Dieu, nous tenons le rôle du gouvernement dans la maison du Père suprême, malgré notre indignité ». 71 D 310 : « Puisque dans la maison du Père suprême nous avons été établi par la grâce divine, malgré notre indignité ». 72 D 119 : « Puisque nous est échue dans la maison du Pasteur suprême la place d’intendant, malgré notre indignité, il faut que nous assumions la charge de la famille du Seigneur ». 73 D 130 : « Puisque dans la maison du Père suprême, par la faveur de sa clémence, nous tenons la place d’intendant, malgré notre indignité ». 74 D 153 : « Puisque, par concession du Seigneur, nous devons occuper la charge d’intendant dans sa demeure, malgré notre indignité ». 75 D 170 : « Puisque dans la maison d’Israël, par la faveur de la clémence divine, nous tenons la place d’intendant, dominant par le rang et par l’office ».
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1141 Quoniam in domo summi Patrisfamilias fidelis ac prudentis dispensatoris loco divina nos misericordia, licet indignos, constituit76. La citation, sans se dévoiler complètement, a un fort pouvoir d’évocation. Mais aussi, elle s’enrichit progressivement, aboutissant à une métaphore articulée : établi par Dieu sur sa maisonnée, le pasteur est dans la situation de l’intendant à qui est confié un pouvoir de gestion des hommes et des richesses (matérielles et spirituelles), mais qui devra des comptes. L’évêque devra lui aussi des comptes, ce qui renvoie à une autre thématique, celle de l’office. Sollicitudo pastoralis
Le thème du pasteur est encore associé à d’autres, qui visent à définir et à délimiter le ministère ecclésial. L’adjectif pastoralis est utilisé pour indiquer précisément l’action pastorale exercée en qualité de représentant du Christ au sein de l’institution, et pour cela définie comme cura pastoralis ou comme sollicitudo pastoralis77. Le modèle est Grégoire le Grand, nos sollicitudinis cura constringit78, inspiré des tournures du Nouveau Testament : omnem sollicitudinem vestram proicientes in eum, quoniam ipsi cura est vobis79. L’idéologie exprimée par cura et par sollicitudo a été jugée utile par la chancellerie papale pour proclamer la primauté de l’Église de Rome sur toutes les autres ; par conséquent, les évêques ne pouvaient disposer que d’une pars sollicitudinis80. Dans les textes réglementaires carolingiens, le terme cura était déjà lié à l’office de la cura animarum des prélats en général et notamment pour les chefs des diocèses81 ; à la fin du xiie siècle, la même expression sera utilisée pour désigner le ministère des curés. Nous retrouvons en 1145 l’acte de Barthélemy : Officii nostri consideratione ecclesiarum nobis imminet sollicitudo, quibus nostra non solum caritative inpendere, verum etiam aliorum beneficia eis collata vigore imaginis nostre et litterarum nostrarum munimine confirmare debemus82.
76 D 206 : « Puisque dans la maison du Père suprême la miséricorde divine nous a établi à la place d’intendant fidèle et sage, malgré notre indignité ». 77 L’exégèse grégorienne est essentielle pour bien comprendre l’évolution du terme pastoralitas. Cf. G. Hocquard, L’idéal du pasteur des âmes selon saint Grégoire le Grand, Paris, 1958 ; G. Cremascoli, Gregorio Magno, esegeta e pastore di anime, Spolète, Fondazione Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 2012 (Uomini e mondi medievali 32). 78 Greg. M. epist. 9, 139 : « la charge de la sollicitude nous contraint ». La base « Patrologia Latina » indique trois autres occurrences de sollicitudinis cura dans le Registre. Voir aussi B. Lemesle, Le gouvernement, p. 100-104. 79 1 Petr 5, 7 : « Vous déchargent sur lui de tous vos soucis car il prend soin de vous ». 80 Cf. J. Rivière, « In partem sollicitudinis », Revue des Sciences religieuses, 5 (1925), p. 210-231 ; J. Avril, « La fonction », p. 129-130. 81 Conc. Germ. (742), c. V (MGH, Concilia, t. II/1, Concilia Ævi Karolini 1, p. 3-4). Cf. Conc. Suess. (744), c. VI, (ibid., p. 35) ; Conc. Turon. (813), c. IV (ibid., p. 287). 82 « En considération de notre office, nous sommes dominés par la sollicitude que nous avons envers les églises, pour qui nous devons non seulement par charité dépenser notre bien, mais aussi confirmer par la force de notre sceau et la garantie de nos lettres les bienfaits à elles octroyés par autrui » : D255.
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Utilitas / necessitas
On rencontre souvent dans les préambules des actes de Barthélemy de Laon la formulation de l’idéal monastique. En général, elle est liée au comportement pieux des moines. Cependant, si l’on prête attention au présupposé qui y est attaché, il est manifeste, d’après les textes, que les évêques avaient le devoir de rétablir la paix, pour pourvoir de la sorte à l’utilitas Ecclesie. Si le concept d’utilitas était, dans l’Antiquité, lié aux activités publiques, dès les premiers écrits chrétiens le terme est utilisé pour définir le bien des Églises, et se généralise en bien commun, que les évêques avaient le devoir de promouvoir. Cet élargissement sémantique se retrouve ainsi dans les préambules de deux actes de confirmation de la chancellerie de Manassès, évêque de Cambrai, datés de 109883. Dans les actes de Laon qui nous retiennent, cette conception est régulièrement mise en évidence et on en trouve treize occurrences dans ceux de Barthélemy. L’affirmation générique, selon laquelle les efforts de l’évêque portent sur l’utilité des Églises, est l’occurrence la plus fréquente. D’autres fois, l’utilitas est liée à d’autres lemmes, comme consolatio, libertas, pax, quies, salus, qui aident à définir la nature et la destination de l’intervention épiscopale. Un exemple est constitué par un acte de Barthélémy de 1126, où l’on peut lire : sollicitudinis necessitate obligamur. Les thèmes qui expriment le devoir de l’évêque sont bien structurés selon les exigences de l’administration du diocèse. Dans nos sources, les idéaux que les préambules transmettent se sont indubitablement ancrés dans la longue tradition scripturaire et patristique déjà amplement exploitée à l’époque carolingienne. Ces idées paraissent focaliser l’attention sur les caractéristiques de l’humilité de l’évêque en tant que serviteur de son église, et pour laquelle il a été ordonné. En vertu de la même humilité, le chef du diocèse administre et gouverne par la volonté de Dieu et développe ainsi un ministerium et non pas un dominium. Le rapport de l’évêque à Dieu est fondé sur la révérence et sur la volonté de rendre réelle la miséricorde divine par le biais de gestes de générosité, c’est-à-dire la caritas vis-à-vis des serviteurs de Dieu. La formule utilisée par le prélat pour notifier cette volonté est prodesse magis quam preesse, maintes fois rencontrée dans les préambules de Laon, mais qui se trouve aussi dans les préambules émanant des chancelleries des autres évêchés du nord de la France84.
Conclusion Pour riches et séduisants qu’ils soient, les préambules « pastoraux » de Barthélemy de Laon argumentent moins qu’ils n’assènent une certaine image de la fonction épiscopale – au juste, on y lit bien des argumentaires, mais ceux-ci,
83 Les chartes de l’abbaye d’Anchin, 1079-1201, éd. J.-P. Gerzaguet, Turnhout, Brepols, 2005 (ARTeM 6), no 16, p. 110-111, et no 17, p. 111-113. 84 Cf. J. Avril, « La fonction », p. 127.
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placés en queue, ont une autre fin, plus immédiate : montrer péremptoirement que la décision ou l’action notifiée par l’évêque (la paix imposée aux contestataires, l’agrandissement ou la restauration d’un patrimoine ecclésiastique…) procèdent bien d’une autorité légitime. Ce n’est qu’à l’arrière-plan que se distinguent les prélats, incapables de se soustraire au devoir de leur office. Une clausule d’indignité (licet indigni, ou encore non exigentibus meis meritis sed sola Dei gratia, proches du très paulinien si quid sum, Dei gratia popularisé par la comtesse Mathilde de Canossa) conforte le portrait, dont la lancinante répétition d’une pièce à l’autre, tantôt à l’identique, tantôt déclinée en autant d’exercices de style qu’il se peut, donne à voir un pouvoir légitime et responsable, délégué et absolu, engagé dans le siècle et soustrait aux contingences. Thèmes et termes, s’ils ont été explorés et mis en cohérence lors de la réforme grégorienne, n’ont été pourtant ni inventés ni ressuscités dans les décennies qui encadrent la fin du xie et les débuts du xiie siècle : systématisés, ils disposaient déjà d’une forte charge théologique et ecclésiologique, au fondement scripturaire, exégétique et patristique, et encore d’une forte épaisseur historique, dont l’œuvre de Grégoire le Grand était le plus célèbre moment (« Regula pastoralis » aussi bien que Registre). Jamais oubliés à la chancellerie pontificale, ils accompagnèrent la progression de l’acte épiscopal comme produit diplomatique propre. L’on attend toujours une diplomatique comparée qui détaillera les étapes de leur succès, mais il y a peu de doute que thèmes et termes, et encore traits stylistiques caractéristiques, passèrent de la chancellerie pontificale aux rédacteurs d’actes épiscopaux, qui clonèrent à bon escient jusqu’aux incipit de nombreux préambules romains85. Phénomène qui, du reste, n’est pas exclusif d’un accès direct des évêques et de leurs clercs aux textes-sources, Grégoire en tête, lus avec un nouvel intérêt et des perspectives plus rapides de remploi, comme réactivées par la production pontificale. Un premier temps égrainé au fil de l’acte (suscription, préambule, souscription), sans doute avec la valeur de déclarations d’adhésion au parti de la Réforme, thèmes et termes s’organisèrent bientôt en un répertoire stéréotypé mais pas forcément répétitif, animé d’une circulation intense, démontable et recomposable à merci, adaptable à l’infini86, qui accompagna le formidable essor des pouvoirs épiscopaux. Au linguiste 85 Les incipit suivants se retrouvent en tête des préambules de Barthélemy de Laon comme d’actes de papes antérieurs à 1198 : Commissarum…, Cum pastoralis…, Debitores…, Licet omnibus…, Nihil est quod…, Officii nostri…, Pastoralis officii…, Pastoralis sollicitudinis…, Pontificalis officii nos hortatur…, Que ad pacem… Tables utilisées : A. Dufour, p. 469-476 ; Regesta pontificum romanorum ab condita Ecclesia ad annum post Christum natum MCXCVIII, éd. Philipp Jaffé, Leipzig, 1885-1888 ; R. Hiestand, Initienverzeichnis und chronologisches Verzeichnis zu den Archivberichten und Vorarbeiten der Regesta pontificum Romanorum, Munich, 1983 (M.G.H. Hilfsmittel 7). 86 Voir par exemple, chez l’archevêque de Salzbourg, les deux extrêmes de la stéréotypie et de la recherche, où la cura pastoralis est respectivement citée pour elle-même et comparée aux soins prodigués à un nourrisson : Cum ex injuncto nobis cure pastoralis officio teneamur ecclesiarum utilitatibus providere et quibusque subditis nostris ac cunctis fidelibus in sua non deesse justicia… (« Comme nous sommes tenus, de par l’office de la charge pastorale à nous imposé, de pourvoir aux besoins des églises et de ne priver de leur droit aucun de nos sujets ni tous nos fidèles », 1218, cité par K. Sonnleitner, « Die
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qui vient questionner les actes, le corpus prouvera sans doute que la formule crée de la formule.
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Darstellung des bischöflichen Selbstverständnisses in den Urkunden des Mittelalters, am Beispiel des Erzbistums Salzburg und der Bistümer Passau und Gurk bis 1250 », Archiv für Diplomatik, 37 (1991), p. 155-305, aux p. 212-213) ; Regimen Ecclesie parienti mulieri potest comparari, que si prolem non per cottidiana incrementa aluerit, sed vim faciens ablactaverit et rigorem teneritudini pretulerit, se in culpam et fetum ponet in debilitatis ruinam. Ita, qui preest sancte Dei Ecclesie, non subito nec quasi ex abrupto sed per gradus debet summum scale tranquillitatis et requietis scandere ; sic et nos, sedem pontificalem adepti non meritis sed dispositione Dei, sensim et paulatim de multis quedam nobis obstantia superavimus et nunc verbis secundum blandiciem laetis, nunc fortioribus juxta grossitudinem panis ad bonum pacis et commodum difinitionis semper operam dedimus (« Le gouvernement de l’Église peut être comparé à la parturiente qui, si elle n’a pas fourni chaque jour à sa progéniture les aliments nécessaires à sa croissance, mais l’a violemment sevrée, donnant à la rigueur le pas sur la tendresse, se met en faute et expose à une ruineuse faiblesse le nourrisson. De la sorte, celui qui dirige la sainte Église de Dieu ne doit pas gravir subitement et pour ainsi dire abruptement le haut de l’échelle de la tranquillité et du repos, mais graduellement ; de même, nous aussi, après avoir obtenu le siège épiscopal non par nos mérites mais par disposition divine, avons surmonté lentement et graduellement quelques-uns des nombreux obstacles élevés devant nous et avons toujours œuvré au bien de la paix et aux avantages de l’arbitrage, tantôt par des paroles douces et joyeuses, tantôt par des propos plus forts, selon la grosseur du pain », 1141, ibid., p. 185). Encore le premier texte est-il bien de son temps par la mention de la justicia.
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Pilar Ostos Salced o
Derecho es que se fagan lealmente El formulario de la compraventa de Sevilla en la segunda mitad del siglo xiii*
The thirteenth century in Castile proved to be a significant period in the evolution of historical documentation, in no doubt due to the numerous transformations and the new regulations that came into place during the reign of Alfonso X (1252-1284). Over the course of his reign, the notarial institution was established and along with it new forms of documentation, aimed to increase the credibility of these new public instruments. This paper analyses formulas used in trade documentation in Espéculo and las Partidas, and concurrently the notarial practice in Seville between when the institution first materialized within the city in 1253, and 1300. The aim of this research has been to evaluate the evolution of the sales formulary and whether it follows the legal sources. Through this, it has been possible to determine the date of the appearance and modification of certain formulas, in order to conclude that the decade of 1280 was a period of vital importance for the establishment of the sales notarial document in Seville.
T
Durante los siglos xi y xii y en el ámbito de la documentación escrita se dieron en Europa importantes transformaciones. Este cambio, que se podría calificar como un giro práctico, se fue introduciendo en territorios castellano-leoneses paulatinamente y su consolidación coincidió con el reinado de Alfonso X (12521284)1. En efecto, el siglo xiii en Castilla fue una época de especial interés en el hecho documental, tanto en el ámbito de la cancillería real como en el notarial. Centrándonos en esta ocasión en el segundo, se ha de destacar la implantación de la institución notarial y la paulatina fijación de unas formas documentales que
* Este trabajo se ha realizado en el marco del proyecto de investigación Notariado y construcción social de la realidad. Hacia una codificación del documento notarial (siglos XII-XVII), ref. PGC2018-093495-B-I00, financiado por FEDER / Ministerio de Ciencia e Innovación – Agencia Estatal de Investigación. Pilar Ostos Salcedo • Universidad de Sevilla La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 65-83 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124023
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favorecieron la credibilidad de esos nuevos instrumentos públicos formalizados por una institución que podía conferir fe pública a las actuaciones escritas en las que intervenía. Este siglo xiii coincide con dos importantes reinados, el de Fernando III y el de su hijo Alfonso X, cuyos logros – territoriales, legislativos, sociales y económicos – van a sustentar la evolución de esta Corona en los sucesivos siglos medievales. Mencionar Castilla en este periodo es aludir a un amplio territorio que desde el norte de España (Galicia, Asturias y costa cantábrica) se extiende por la meseta central, pasa por Toledo y en el reinado de Fernando III, que primero fue rey de Castilla y después de León, se va a extender a gran parte de Andalucía. En 1248 este monarca llega a Sevilla, no sin antes haber incorporado Córdoba y Jaén. Esta expansión territorial va unida a un afianzamiento de la monarquía, de la ciudad y de la economía. Junto a ello, se consolida la cancillería real, que, desde 1230, pasará a ser de la Corona castellano-leonesa, así como las oficinas de expedición vinculadas a los poderes locales. La aparición de la institución notarial se hace coincidir, en estos territorios, con el reinado de Alfonso X (1252-1284) y con su triple obra legislativa: Fuero Real, Espéculo, llamado también Libro del fuero de las leyes, y las Siete Partidas o Libro de las leyes. De gran importancia, han sido objeto de numerosos estudios pero, aún hoy, persiste cierta controversia acerca de su cronología2. En ellas, y muy especialmente en Espéculo y Partidas, se introduce la nueva cultura del Derecho romanista, procedente de Italia, se crea legalmente la institución notarial y se establece la forma en la que debían ser realizados los documentos notariales. O dicho de otra manera, se establece el paso del scriptor al notarius publicus y de la carta al instrumentum publicum. Respecto a la datación de la Partida III hay un mayor consenso y en especial acerca de los títulos XVIII y XIX, que son los que interesan para cuestiones de Diplomática3. El certero y profundo análisis de José Bono, especialista en Historia del Derecho
1 Vid. F. Menant, « Las transformaciones de la escritura documental entre los siglos xii y xiii », Edad Media. Revista de Historia, 16 (2015), p. 33-53; M. Calleja Puerta, « Institución notarial y transferencias culturales en los reinos de Castilla y León antes de 1250 », in M. Calleja-Puerta y Mª L. Domínguez- Guerrero (ed.), Escritura, notariado y espacio urbano en la Corona de Castilla y Portugal (siglos xii-xvii), Trea, Gijón, 2018, p. 9-26. 2 Se remite a la tesis doctoral de Raúl Orellana Calderón, que recientemente ha analizado las diferentes propuestas, realizadas especialmente por historiadores del Derecho, acerca de la cronología de estos códigos legislativos y las ha valorado (vid. R. Orellana Calderón, La Tercera Partida de Alfonso X el Sabio, estudio y edición crítica de los títulos XVIII al XX, tesis doctoral defendida en 2006 en la Universidad Autónoma de Madrid [https://repositorio.uam.es/handle/10486/2561] (consultado el 12 diciembre 2018). Vid. también J. R. Craddock, Palabra de rey: Selección de estudios sobre legislación Alfonsina, Salamanca, Instituto de Estudios Medievales y Renacentistas, 2008, en especial el capítulo dedicado a la cronología de las obras legislativas de Alfonso X, p. 43-101. 3 El título XIX de la III Partida recoge lo relacionado con el notario o escribano público, que es como se va denominar en Castilla al notario público hasta 1862. Así, se define qué es ser notario y qué beneficios proceden de su labor (P. III, 19, 1); se determina quién tenía facultad de creación de notarios (P. III, 19, 3); se indican los requisitos para ser notarios (P. III, 19, 2), entre los que se señalan ser hombres libres, cristianos, laicos, de buena fama, capaces de guardar secreto, vecinos de la localidad en la que iban a ejercer, saber escribir y entendidos de la Arte de la Escrivanía; se establece su necesaria verificación y la obligatoriedad de prestar juramento (P. III, 19, 4).
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Notarial español y renovador de los estudios de Diplomática notarial, demostró la dependencia de la mayoría de las fórmulas de documentos notariales existentes en el título XVIII con la segunda redacción del Ars Notariae de Salatiel, obra datada en los años centrales de este siglo xiii (1253-1254)4. Esta procedencia directa se aprecia en la identidad del texto y estructura de numerosos tipos documentales, en la coincidencia terminológica y en la similitud de la ordenación del formulario, salvo algunas excepciones5. A su vez reconoce la influencia del Speculum iudiciale de Guillermo Duranti, de 1271-1276, en las leyes destinadas a la refacción de documentos y a definir la institución notarial y el instrumento público6. La filiación textual señalada y los nombres de personas que son citados en diversas leyes del título XVIII, apuntado ya por J. Bono en la obra citada y minuciosamente analizados por R. Orellana Calderón, sitúan la redacción de esta Partida entre 1272 y 1280 y ponen de manifiesto que el papel de la ciudad de Sevilla en su elaboración fue muy destacado7. En el formulario incluido en el título XVIII de la III Partida se aprecia, en primer lugar, una preocupación por defender el valor del documento como prueba de derechos, que se trasluce en una intencionada búsqueda de normalización a través de la fijación de las fórmulas que debían componer los documentos8. De hecho, el título con el que se inicia este apartado es muy ilustrativo: De las escripturas por que se prueban los pleitos. Para que la prueba documental fuera indiscutible, esta debía adoptar unas formas que fueran reconocibles y propias, es decir, hechas lealmente, así como llevar una validación adecuada a la oficina que la expedía. En el preámbulo de este título se defiende, además, la necesidad de contar con una prueba escrita, pues el paso del tiempo favorece el olvido de las cosas y su inexistencia podría causar indefensión. Con la prueba escrita, por tanto, se tiene garantía de los derechos adquiridos. Este intento de normalización abarca las dos principales oficinas de elaboración de documentos. Primero, la que realizaba los documentos emitidos por el rey castellano, es decir, la cancillería real castellano-leonesa9. En segundo lugar, la nueva institución que justo en esas fechas se estaba implantando, es decir, el notariado público. Por este motivo en este título 18 de la III Partida hay primero modelos para la escrituración
4 Vid. J. Bono Huerta, Historia del Derecho notarial español, t. I, Madrid, Junta de Decanos de los Colegios Notariales de España, 1979, p. 213-216. 5 Ibid., p. 246-254. 6 Ibid., p. 251-255. 7 R. Orellana Calderón, « En torno a la datación y lugar de redacción de la Tercera Partida de Alfonso X el Sabio », in J. Elvira (ed.), Lenguas, reinos y dialectos en la Edad Media ibérica: la construcción de la identidad. Homenaje a Juan Ramón Lodares, Madrid, Iberoamericana, 2008, p. 367-388. Vid. también Mª L. Pardo Rodríguez, « Un formulario notarial castellano del siglo xiii: la III Partida », in O. Guyotjeannin, L. Morelle y S. Scalfati (ed.), Les formulaires. Compilation et circulation des modèles d’actes dans l’Europe médiévale et moderne, Praga, Editions Karolinum, 2018, p. 175-187. 8 Guido van Dievoet definía en 1986 un formulario jurídico como «un recueil plus ou moins systématique de formules juridiques ou de modèles d’actes juridiques» (G. van Dievoet, Les coutumiers, les styles, les formulaires et les “Artes Notariae”, Turnhout, Brepols, p. 75). 9 Vid. Mª J. Sanz Fuentes, « Formularios de la cancillería real castellano-leonesa en la Baja Edad Media », in O. Guyotjeannin, L. Morelle y S. Scalfati (ed.), Les formulaires. Compilation et circulation des modèles d’actes dans l’Europe médiévale et moderne, Praga, Editions Karolinum, 2018, p. 335-348.
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de los documentos reales y después, un variado elenco de modelos de documentos notariales. Dicho de otra manera, se incorpora a este libro de leyes un verdadero formulario notarial, que es en el que se centra este análisis10. El formulario notarial no se crea ex nihilo, sino que se van a conjugar en él la tradición documental castellano-leonesa y la novedad importada de Italia, concretamente de Bolonia, de Salatiel y su Ars Notariae, como se ha indicado. Por ello, José Bono defiende que continuidad e innovación cruzaron sus caminos y de ahí surgió en la segunda mitad del s. xiii el nuevo documento notarial11. Siguiendo a este autor, que identifica cada uno de los modelos documentales incorporados en este título XVIII de la tercera Partida con su equivalente en la obra de Salatiel, la incorporación de su doctrina no fue literal, pero sí se aprecia en el estilo notarial y en la desaparición de antiguas fórmulas altomedievales12. El título XVIII está articulado en 121 leyes y tras una primera ley en la que se define lo que es una escritura y sus beneficios, a la tipología de la cancillería real se refieren las cincuenta y dos siguientes (leyes II a LIII) y al ámbito notarial las otras cincuenta y cinco (leyes LVI a CX)13. Se cierra el título con once leyes finales sobre el valor del documento escrito (leyes CXI a CXXI). Es importante destacar que la primera relacionada con el ámbito notarial se trata de una ley en la que se establece el procedimiento a seguir en la fase registral – hacer las notas – y en la extensión de los documentos en sí. Se trata de la ley 54. En ella se señala que se debe poner los nombres de los otorgantes, su contenido, la relación de los testigos instrumentales, la data completa (día, mes, año, era y lugar, es decir data cronológica y tópica). Tras ello y no sin dejar un espacio en blanco, el notario debía añadir su suscripción y signo, señalando incluso la forma en la que debía estar redactada la completio notarial, es decir, la validación imprescindible del documento notarial para otorgarle plena fe pública: «Yo, Fulano, escrivano público de tal lugar, estaua delante, quando los que son escritos en esta carta, fizieron el pleyto, o la postura, o la vendida, o el cambio, o el testamento, o otra cosa qualquier, assí como dize en ella, e por ruego, e por mandado dellos escriuí esta carta pública, e puse en ella mío signo, e escreuí y mi nombre». Entre las cincuenta y cinco fórmulas relacionadas con la práctica notarial hay cincuenta y un modelos de documentos extrajudiciales y sólo cuatro relacionados con la justicia. Predominan los concernientes a la transferencia de los bienes, que suman veintiuno, y muy especialmente los de compraventa, pues se incluyen diez leyes consecutivas relacionadas con esta tipología14, a las que hay que añadir cartas
10 Mª L. Pardo Rodríguez, « Un formulario notarial castellano del siglo xiii: la III Partida », p. 186-187. 11 J. Bono, « La práctica notarial del reino de Castilla en el siglo xiii. Continuidad e innovación », in Notariado público y documento privado: de los orígenes al siglo xiv. Actas del VII Congreso Internacional de Diplomática, I, Valencia, 1989, p. 481-506. 12 Vid. J. Bono Huerta, Historia del Derecho notarial español, t. I, Madrid, Junta de Decanos de los Colegios Notariales de España, 1979, p. 246-250. 13 Utilizo la edición Las Siete Partidas del rey don Alfonso el Sabio, cotejadas con varios códices antiguos por la Real Academia de la Historia, en 1807, t. II: Partida Segunda y Tercera, Madrid, 1972 [En adelante, P. III, XVIII]. 14 P. III, XVIII, leyes LVI-LXV: carta de venta (ley LVI); de fiador de una venta (ley LVII); de una venta hecha por un menor de edad (ley LIX), por un guardador, es decir, por tutor o curador (ley. LX), por un procurador (ley LXI), por un albacea testamentario (ley LXII); venta de un bien raíz de iglesia o
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de permuta15, tres tipos de arrendamiento16, de donación17, de aparcería o de labrar a medias18, etc. Sobre el crédito de cosas o de personas hay cinco modelos (censo19, dos tipos de préstamo20, de pago o quitamiento de deuda21 y de compromiso o avenencia22); sobre servicios, nada más que dos (carta de labor23 y de fletamento24). Los modelos que atañen a la persona y familia son más numerosos, ya que ascienden a trece, entre ellos los típicos poderes25, pero también cartas de emancipación26, adopción27 y manumisión o aforramiento28. Hay cuatro sobre relaciones matrimoniales (carta de promesa de casamiento o esponsales29, de consentimiento matrimonial o matrimonio30, de dote31, y de arras o de donación del marido32), que son los más comunes, y otros cuatro sobre últimas voluntades (testamento33, codicilo34, donación mortis causa35 y renuncia de herencia36), si bien hay que tener en cuenta que la Partida VI está dedicada íntegramente a los testamentos. Finalmente, varios tipos de sentencias son los que representan el ámbito judicial: sentencia judicial ante rebeldía o incomparecencia37, sentencia definitiva38 y sentencia en recurso de alzada39, así como la pronunciada por árbitros40.
15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40
monasterio (ley LXIII); venta de derecho sobre cosa (ley LXIV) y, finalmente, venta de animales, en las Partidas, se dice de bestias (ley LXV). Relacionado con este contrato, es el formulario dedicado al consentimiento de la mujer al marido (ley LVIII). P. III, XVIII, ley LXVI. P. III, XVIII, leyes LXXIII, LXXIV y LXXVI. P. III, XVIII, ley LXVII. P. III, XVIII, ley LXXIX. P. III, XVIII, ley LXIX. P. III, XVIII, leyes LXX y LXXI. P. III, XVIII, ley LXXXI. P. III, XVIII, ley CVI. P. III, XVIII, ley LXXV. P. III, XVIII, ley LXXVII. P. III, XVIII, leyes XCVII y XCVIII. P. III, XVIII, ley XCIII. P. III, XVIII, leyes XCI y XCII. P. III, XVIII, ley XC. P. III, XVIII, ley LXXXIV. P. III, XVIII, ley LXXXV. P. III, XVIII, ley LXXXVI. P. III, XVIII, ley LXXXVII. P. III, XVIII, ley CIII. P. III, XVIII, ley CIV. P. III, XVIII, ley CV. P. III, XVIII, ley CI. P. III, XVIII, ley CVIII. P. III, XVIII, ley CIX. P. III, XVIII, ley CX. P. III, XVIII, ley CVII. Esta escasa presencia de modelos judiciales se explica porque en la primera redacción de la obra de Salatiel (1242) la materia judicial prácticamente no existe y ello fue muy criticado, entre otros por Rolandino Passageri (vid. S. P. P. Scalfati, « Les formulaires toscans d’Ars Notaria », in O. Guyotjeannin, L. Morelle y S. Scalfati (ed.), Les formulaires. Compilation et circulation des modèles d’actes dans l’Europe médiévale et moderne, Praga, Editions Karolinum, 2018, p. 139-174, en especial p. 153.
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En todos ellos, antes de establecer las fórmulas que debían componer los tipos documentales, se define el negocio en sí. Así, por ejemplo, en la carta de manumisión, que en castellano de la época se designa carta de aforramiento, comienza la ley explicando su contenido: «Aforran muchas vegadas los omes sus sieruos e la carta del aforramiento deue ser fecha en esta guisa»41; o bien, en la carta de emancipación se indica: «Emancipar quiere tanto dezir como sacar el fijo de poder de su padre, e la carta de tal emancipación deue ser fecha en esta manera»42. Las expresiones «en esta guisa» o «en esta manera» dan paso al modelo de cada uno de los tipos documentales recogidos. En la práctica notarial castellana se dio un claro predominio de la redacción subjetiva durante toda la etapa medieval frente a la objetiva, realidad radicalmente diferente a la documentación notarial italiana, y ello a pesar de la influencia del Ars Notariae de Salatiel en la composición de este formulario. Asimismo, los documentos notariales están redactados en lengua romance, quedando el latín reservado, en la documentación más antigua, para fórmulas iniciales y finales, concretamente para la invocación, la data y las suscripciones, aunque aproximadamente a partir de 1280 ya desaparece su uso43.
La compraventa en el Espéculo y las Partidas Dado el protagonismo que tuvo Sevilla en la composición de los modelos notariales de este título XVIII de la III Partida, puede ser de interés comparar los documentos notariales sevillanos más antiguos (1253-1300) con lo establecido en la legislación de Alfonso X, concretamente en el Espéculo y en las Partidas. Para ello se ha optado por analizar la compraventa, ya que es uno de los tipos documentales más comunes en la práctica notarial y porque al conservarse un número elevado de originales en Sevilla se puede caracterizar su forma diplomática y conocer su evolución en este decisivo periodo cronológico44. Sobre la compraventa en el Espéculo y en las Partidas se precisa lo siguiente:
41 P. III, XVIII, ley XC. 42 P. III, XVIII, ley XCIII. 43 Después, sólo ciertas palabras y expresiones, relacionadas con leyes de origen romano, son expresadas en latín, como la ley de duobus rei debendi. 44 En la documentación más antigua de Córdoba (1242-1299) esta tipología es la más representada (vid. C. Guerrero Congregado, « La implantación del notariado público en Córdoba (1242-1299) », in M. Calleja-Puerta y Mª L. Domínguez-Guerrero (ed.), Escritura, notariado y espacio urbano en la Corona de Castilla y Portugal (siglos xii-xvii), Trea, Gijón, 2018, p. 75-96.
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ESPÉCULO – libro IV, ley XXXV Invocación: En el nombre de Dios Notificación: Sepan todos los omes que la carta vieren e oyeren Intitulación: tal ome Verbo dispositivo: vende
PARTIDAS – III, XVIII, ley LVI Notificación: Sepan quantos esta carta vieren
Intitulación: Fulano Verbo dispositivo: vende e da por juro de heredad para siempre jamás Dirección: a fulan Dirección: a fulano que recibe, e compra para sí, e para sus herederos Objeto de la disposición: tal casa, tal viña, tal Objeto de la disposición: tal casa, que es en tal heredat, que es en tal lugar, e debe y nombrar los lugar, e ha tales linderos, o tal viña o tal huerta, linderos o tal olivar en que ha tantas arançadas, o tal heredad en que ha tantas yugadas a año e vez, e es en tal lugar, e ha tales linderos, de manera que él, e sus herederos ayan, e tengan, e sean poderosos de aquella cosa que le vende, para fazer della, e en ella todo lo que quisiere Mención de pertenencias Precio: e el precio de la vendida Precio: por precio de tantos marauedís, el qual precio fue pagado al vendedor sobredicho ante mí, Fulano, escrivano público, e ante los testigos que son escritos en esta carta; e otorgó el vendedor, que este precio que recibiera era justo, e derecho, de aquella cosa que vendía, e que tanto valía aquella sazón, e non más, e dixo que era bien pagado dello. Poder para tomar posesión Cláusula de saneamiento: E debe y dezir cómo Cláusula de saneamiento: E otrosí le prometió, e aquel que vende aquella cosa la fará sana a aquel le otorgó, que de la propriedad, nin de la possessión que la conpra de aquella cosa que le vendió, nin por razón de vso, nin de derecho que pertenesciessen a ella, nunca él, nin sus herederos, nin otri por ellos le mouerán pleyto, nin contienda, nin le farían ningund embargo en juyzio, nin fuera de juyzio; ante ge la ampararían, e ge la desembargarían a sus proprias costas e missiones en juyzio, e fuera dél, contra quien quier que ge la quisiesse embargar. Cláusula de promesa de cumplimiento: todas estas cosas, e cada vna dellas prometió, e otorgo el vendedor de suso dicho por sí, e por sus herederos, al comprador sobredicho recibiente por sí, e por los suyos, de guardar, e de cumplir verdaderamente a buena fe sin mal engaño, e de non fazer contra ninguna dellas por sí nin por otri en ningund tiempo, nin en ninguna manera, e de refazerle todo el daño, e menoscabo que el comprador, e sus herederos fiziessen por esta razon en juyzio, e fuera de juyzio
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ESPÉCULO – libro IV, ley XXXV
Data: E deve y nonbrar el día, e el mes e la era en que fuere fecha la carta Validación: E después deven y escribir sus nonbres con sus manos mismas los testigos que y fueren llamados señaladamiente por aquella vendida, e al menos deven seer atales que entiendan la carta e la sepan leer. E, otrosí, el escrivano de conceio que escrivier la carta deve y escrivir su nonbre e fazer y su señal conoscida (= signo) en cabo de toda la escriptura e que sea como encerramiento de todo lo al.
PARTIDAS – III, XVIII, ley LVI Cláusula de sanción penal: so la pena del doblo del precio sobredicho, la qual pena tantas vegadas pueda demandar, e auer el comprador, quantas vezes el vendedor, o otri por él fiziesse contra alguna destas cosas de suso dichas Fórmula de rato manente pacto: la pena pagada, o non, siempre finque la vendida valedera Cláusula de obligación general: porque todas estas cosas fuessen guardadas, assí como dichas son, obligó el vendedor a sí mismo, e a sus herederos , e a todos sus bienes, quantos auía estonce, e auría dende adelante al comprador e a sus herederos Cláusula de renuncia general: e renunció, e quítose de todo derecho, e de toda ley, e de todo fuero, también eclesiástico como seglar, e de toda costumbre de que él se pudiesse ayudar, o amparar contra el comprador, o a sus herederos, en razón destas cosas que sobredichas son, e señaladamente de la pena Data: Fecha la carta en tal lugar, tal día, en tal mes, e en tal era Validación: Testigos llamados e rogados, Fulano, e Fulano.
Yo Fulano, escriuano de tal lugar, fuy presente a todas estas cosas que son escritas en esta carta, e por ruego de Fulano, vendedor, e de Fulano, comprador, los sobredichos, escreuí esta pública carta, e puse en ella mi signo
Se aprecian ciertas diferencias entre el Espéculo y las Partidas, pero ha de tenerse en cuenta, además, que lo existente en el Espéculo no puede considerares como un formulario en sí, mientras que lo existentes en las Partidas sí lo es45. Estas divergencias se concretan, en primer lugar, en la fórmula de inicio de las compraventas, pues en el Espéculo se determina que deben comenzar con una invocación verbal y en las Partidas se propone que lo hagan con una notificación general (Sepan quantos esta carta vieren). La designación de «ome» que aparece en el primero ha sido cambiada
45 J. Bono las califica de «regesta documental» y junto a la compraventa, se recoge también la permuta, deuda, donación, dote, adopción, exención, depósito, testamento y apelación (vid. J. Bono Huerta, Historia del Derecho notarial, t. I, p. 243).
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por «fulano» en las Partidas, más acorde con la realidad de los formularios46. En tercer lugar, en la forma de expresión de la data también se aprecian cambios, pues se omite la fecha tópica en el Espéculo y en las Partidas está este dato y, además, se aporta el modelo concreto de cómo debería estar redactada. La validación del documento, como se sabe, es de especial importancia para cualquier tipo de documento, en ambos códigos se recoge la existencia de testigos y del escribano público. En el Espéculo se plantea la suscripción autógrafa de los testigos, señalando que estos deben saber leer y entender su contenido, mientras que en las Partidas se indica una relación de testigos sin más. Respecto a la completio notarial, al igual que ocurría con la data, mientras que en el Espéculo se dan instrucciones para que la suscripción del escribano público cerrara el documento con su nombre y señal conocida, en las Partidas se da el modelo de cómo debe ser esta suscripción notarial: «Yo, fulano, escribano de tal lugar, fuy presente […] y escribí esta pública carta y puse en ella mi signo». En ambos se establece, no obstante, la obligatoriedad del signo notarial. La disposición está mucho más desarrollada en las Partidas, pues se añade la descripción del objeto y se incluye la fórmula de transmisión de dominio. En el apartado dedicado al precio hay notables diferencias, ya que en el Espéculo sólo se menciona, mientras que en las Partidas se recoge la recepción y satisfacción de haberlo recibido, así como la necesaria presencia del notario y de los testigos a la entrega del dinero, aludiendo, además, a que se trataba de un precio justo. Sólo una cláusula anexa se recoge en el Espéculo, la de saneamiento, pero menos desarrollada que en las Partidas, mientras que en estas, además, se incorporan las cláusulas de obligación general, penal, de renuncia general y de promesa de cumplimiento.
La carta de compraventa en Sevilla De 136 documentos notariales de Sevilla de la segunda mitad del s. xiii, la mayoría conservados en el Archivo de la Catedral de Sevilla, la mitad – 69 – son compraventas o cartas de vendida, que es como son designadas en las Partidas47. La primera es de 1253 y la última de 1300; todas son originales. Este elevado número permite trazar la evolución de su formulario, los cambios que se fueron dando en este periodo, el establecimiento de dos etapas en su composición, así como apreciar la influencia y cumplimiento de las fuentes legales48.
46 Precisa Mª Luisa Pardo que la sustitución del genérico «fulano» por nombres concretos comienza a apreciarse a partir de la ley LXX (vid. Mª L. Pardo Rodríguez, « Un formulario notarial castellano del siglo xiii: la III Partida », p. 182). 47 En G. Centeno Carnero, Real monasterio de Santa Clara de Sevilla. Colección diplomática. 1264-1569, t. I, Sevilla, ICAS, 2017, hay otros dos documentos que no están en la colección anterior, los docs. 6 y 13, p. 64 y 72-73. 48 Según J. Bono, el contrato de compraventa es uno de los que con mayor claridad muestra su dependencia del formulario de Ars Notariae de Salatiel en su estructura, terminología (vid. J. Bono Huerta, Historia del Derecho notarial, t. I, p. 246-248).
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Los documentos más antiguos se inician mediante la fórmula de la invocación verbal, tal y como indicaba el Espéculo. Esta fórmula se redacta en latín – In Dei nomine –, excepto en el último, que es de 1272 y la lleva redactada en castellano. Después de estos primeros momentos, esta fórmula, heredada de la etapa anterior y cuya presencia es lo normal en cronologías pasadas, desaparece de las compraventas – y de la documentación notarial en general –, manteniéndose sólo en unos contenidos muy concretos, como fueron los de últimas voluntades, de relaciones matrimoniales, cartas de perdón y cartas de fletamento, entre otros. La notificación general no suele faltar en los documentos y de hecho se convertirá en una fórmula constante en la documentación notarial castellana, generalmente, además, como fórmula inicial. Se expresa de dos maneras diferentes y su uso se relaciona con una cronología determinada. En los documentos más antiguos se utiliza la siguiente: «Conocida cosa sea a todos los omes que esta carta vieren»49, que no aparece en la regulación alfonsí, pero que fue abandonada bien pronto. A partir de 1264 se expresa con la fórmula recogida en las Partidas: Sepan quantos esta carta vieren y así se va a mantener en el tiempo50. En la intitulación, fórmula que aporta el nombre del otorgante/s, en este caso de los vendedores, el nombre y apellido se enriquecen con otros datos que permiten identificar mejor a los intitulantes, como cargos u oficios, relaciones familiares o filiación y vecindad, que, al tratarse de una ciudad grande como Sevilla, incorpora el barrio o collación en la que vivía; el nombre de la calle será una realidad posterior. La dirección, que lleva una información similar, aparece siempre dentro de la disposición, generalmente tras el verbo dispositivo, al igual que ocurría en el Espéculo y en las Partidas. En la disposición se puede señalar que se ajusta mucho más a lo recogido en las Partidas que al Espéculo. Se emplea la fórmula directa con la utilización constante, desde el principio y con continuidad en el tiempo, de dos verbos iniciales – otorgar y conocer – o a veces sólo el primero, para el acceso a la disposición, que no aparecen en la legislación51. Así, tras los datos de la intitulación, la disposición comienza con otorgo e conosco que / otorgamos e conoscemos que. El verbo dispositivo coincide, como es natural, con el recogido en la legislación: vendo/vendemos. Respecto al desarrollo de la disposición, las ventas sevillanas se semejan más al modelo de las Partidas que del Espéculo, pues junto a las características del objeto, su ubicación y deslinde, así como el origen de la propiedad que se enajena52, se 49 Podría tener su origen en la notificación latina Notum sit cunctis. 50 En cronologías más avanzadas, sobre todo a partir del s. xvi, se suele añadir el contenido jurídico del documento: Sepan quantos esta carta de venta vieren. En la documentación notarial de Córdoba, según está analizando Carmen Guerrero Congregado en su tesis doctoral, la realidad es muy similar, si bien el cambio de una notificación por otra es algo posterior, pues la primera vez que se utiliza la nueva redacción de la notificación general es en 1270. 51 No deben confundirse con los verbos dispositivos, que en el caso que estamos analizando es vender. Esta fórmula de acceso a la disposición se mantendrá en cualquier tipo documental y permanecerá en los documentos notariales de Sevilla. 52 Según J. Bono, esta indicación del título de propiedad era normal en Sevilla pues en estos primeros años de la Sevilla cristiana se hacía necesario acreditar adecuadamente el origen de la propiedad (en «La práctica notarial del reino de Castilla en el siglo xiii. Continuidad e innovación», p. 502).
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añade una fórmula de pertenencia muy similar a la que está en las Partidas, al igual que ocurre con el capítulo del precio, incorporando la recepción y satisfacción del mismo. A partir de 1282 se comienza a utilizar una cláusula renunciativa específica asegurando el precio, que no aparece en el modelo de las Partidas. En estos primeros momentos adopta una redacción breve: «e renuncio que non pueda dezir que los non reçebí; e si lo dixiere, que me non vala53». La disposición se cierra con la tradicional fórmula de transmisión de dominio, pero con una nueva redacción, ya en castellano, que tiene una formulación muy fija, y con la utilización de dos verbos contrapuestos: desapoderar y apoderar, o lo que es lo mismo, el vendedor se desiste del poder que tenía en la propiedad que vende y lo entrega al nuevo propietario. Esta fórmula es constante en las compraventas sevillanas, a pesar de que no aparezca recogida en la legislación. Si nos detenemos en las cláusulas anexas a la disposición, que, como define el Vocabulario internacional de Diplomática54, la aseguran y refuerzan, intentando evitar cualquier impugnación o ulterior anulación del documento, podemos señalar que son habituales y que se ajusta más a lo establecido en las Partidas, pero ello necesita un análisis más pormenorizado55. La cláusula más constante es la de saneamiento y evicción por la que los otorgantes garantizan que defenderán a los compradores ante cualquier demanda o impugnación. Está desde 1253 y, precisamente, será la única existente en los documentos más antiguos. No obstante, su redacción nada tiene que ver con la existente en el Espéculo y en las Partidas. Hay que añadir, además, que esta fórmula seguirá estando presente en documentos de cronología posterior (siglos xiv, xv, xvi) y utilizando la misma expresión: ser fiador de redrar. Clara influencia de las Partidas se observa en la inclusión en el formulario de la cláusula de obligación general, pues se va utilizar y generalizar a partir de 1282, justo cuando ya la III Partida está redactada. No sólo su incorporación al formulario es destacable, también su forma de redacción, pues se trata también de una obligación de persona y bienes, presentes y futuros. La cláusula penal, que también es recogida en las Partidas, coincide en el tiempo con la anterior, década de los 80 de esta misma centuria, si bien la primera vez se aprecia en un documento de 1279. Como en ellas, se refiere a la pena del doblo del precio, pero en Sevilla se añade también la mejora del daño causado, que no está en las Partidas56. En 1285 aparece por vez primera la cláusula 53 Esta renuncia específica será constante en épocas posteriores, pero su redacción será cada vez más larga y acabará encadenando renuncias a leyes relacionadas con la recepción de dinero. 54 Mª M. Cárcel Ortí (ed.), Vocabulaire International de Diplomatique, Valencia, Universitat de València, 1997, p. 58. 55 Como en el Espéculo sólo se recoge la de saneamiento, la comparación se hará básicamente con las Partidas. 56 En la práctica notarial sevillana se ha abandonado la costumbre de incluir penas de tipo espiritual, que proceden de una etapa anterior, sin embargo en Asturias y en estas mismas fechas se mantuvo esta costumbre (vid. E. Albarrán-Fernández, « La evolución de las cláusulas penales en la praxis notarial asturiana de los siglos xiii y xiv: inercias y cambios », in M. Calleja-Puerta y Mª L. Domínguez-Guerrero (ed.), Escritura, notariado y espacio urbano en la Corona de Castilla y Portugal (siglos xii-xvii), Trea, Gijón, 2018, p. 97-114).
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de renuncia general en las compraventas sevillanas y se puede destacar que coincide palabra por palabra con la existente en las Partidas. Aunque en un principio sólo se encuentra en tres ventas (1285, 1294 y 1300), en la centuria siguiente será constante en éste y otros muchos tipos documentales. También en la década de los 80 del s. xiii se incorpora una cláusula de promesa de cumplimiento, que en una ocasión lo es también de juramento, pero la redacción no coincide con la de las Partidas. Los documentos de Sevilla de esta época llevan, además, las cláusulas de tradición y de aceptación que no aparecen en el formulario alfonsí. La primera está en trece ventas y es algo exclusivo de esta primera época, pues no va a continuar después. Su incorporación en el formulario se relaciona con los primeros pobladores de Sevilla y con las donaciones hechas por el monarca a los primeros pobladores. Su contenido recoge la entrega de los documentos acreditativos de los bienes que se trasfieren. La segunda, la de aceptación, sólo se encuentra en una venta de 1285, pero luego será habitual en el formulario. La cláusula de corroboración, que es una cláusula tradicional, no aparece en el Espéculo ni en las Partidas. En las ventas sevillanas se encuentra ya en la década de 1260 y la llevan diez de las sesenta y siete. En ella se anuncia la validación que llevaba el documento y se menciona específicamente el otorgamiento ante los notarios públicos; en caso de llevar otros medios de validación suplementarios, como sello de otorgantes, también se recoge. Respecto a la data, se ha de señalar que 1280 va a marcar un cambio en su forma y de nuevo se puede relacionar con la legislación y la difusión de las Partidas. Este cambio se refiere a la inclusión de la data tópica que tan claramente se indica en el formulario de las Partidas, pero que está ausente en el Espéculo y en las compraventas sevillanas anteriores a 1280. Otra cuestión a mencionar es la lengua empleada. Hasta 1265 será habitual su expresión en latín, pero a partir de este año ya será siempre en castellano, comenzando siempre de la misma manera y ya permanecerá estable en el tiempo: Fecha la carta. Junto a este cambio, hay que indicar también el uso de números romanos para el día del mes y el año. En 1280 dejan de utilizarse y se desarrollan en castellano. Hay una clara explicación del abandono o casi de estos números romanos: la prohibición expresa de su uso que hay en las Partidas57. Por otra parte, la expresión del año es la habitual en todos los ámbitos de documentación castellana y es la que asumen el Espéculo y las Partidas, es decir, la denominada era hispánica, que seguirá en uso hasta que avanzado el s. xiv, el rey Juan I lo prohibiera en las Cortes de Segovia de 1383. Desde los inicios de la documentación notarial en Sevilla la validación va a adoptar una solución singular, que se va a mantener en el tiempo, máxime cuando en unas ordenanzas locales de 1492 se consagra esa práctica. La testificación está protagonizada por dos escribanos del oficio, de los cuales uno era el autor material del documento y lo indica en su suscripción. En este caso, la solución sevillana se acerca más a la propuesta del Espéculo que de las Partidas, pues en estas se indicaba que hubiera una relación de testigos llamados e rogados y en el Espéculo, como se 57 P. III, XIX, ley VII.
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ha indicado antes, se obliga a la intervención personal de los testigos y que estos, además de saber escribir, debían saber leer y tener capacidad de comprensión del contenido del documento. Características que cumplen las personas que trabajaban en las notarías y que por su cualificación – ser escribientes del oficio – tenían. Así, en las compraventas que se analizan, y en cualquier otro tipo documental, la intervención autógrafa de los escribanos en función testifical no falta nunca, generalmente en número de dos, aunque en los más antiguos este número se puede incrementar en tres. El Fuero Real había establecido que fueran tres los testigos58 y las Partidas, que fuesen dos escribanos públicos o bien tres omes bonos59. Como era preceptivo, la suscripción o completio notarial cerraba los documentos. En este caso, la forma de la suscripción se asemeja a la de las Partidas. El signo notarial, que tanto en Espéculo y en Partidas se indicaba como parte integrante de la validación, tarda en aparecer y no será hasta 1272 cuando se incorpore, al principio de manera esporádica, para serlo ya constante en la década de los 80. En los documentos más antiguos – de 1253 a 1259 – es expresada en latín, a partir de entonces los será siempre en castellano. Con independencia de la lengua, su desarrollo es muy similar en todo el periodo. Comienza por el pronombre personal, se da el nombre y apellido, a continuación se indica el lugar en el que ejercía el oficio, se indica que se escribió o bien se ordenó escribir la carta, que es lo más frecuente, se añade el signo a partir de la cronología indicada y se finaliza señalando que también ejercía de testigo del contenido del documento: «Et yo, Garçi Yuannes, escriuano público de Seuilla, escreuí esta carta e mío sig-(signo)-no y fiz e so testigo»60. Lo que tardará en incorporarse en la suscripción notarial es la mención de que se estuvo presente en el acto, que ya indicaban las Partidas, y que en Sevilla se hará en el s. xiv y no de manera constante. Si se recoge lo expresado de la formulación de las compraventas sevillanas en una tabla general se puede apreciar lo siguiente: 1253-1270
1272-1299
Invocación Notificación Intitulación Dirección Disposición Cláusula anexa: de saneamiento Data Suscripciones
Notificación Intitulación Dirección Disposición Cláusulas anexas Data Suscripciones
58 Fuero Real, 9, 1. 59 P. III, XVIII, ley LIV. 60 P. Ostos y Mª L. Pardo, Documentos y notarios del s. xiii, doc. nº 58, p. 284-286.
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Es decir, hay dos diferencias fundamentales, el inicio invocativo de las compraventas más antiguas y la mayor variedad de cláusulas anexas en el segundo periodo. Si se compara la manera de expresión de algunas de sus fórmulas se aprecia lo siguiente: 1253-1270
1272-1299
Conocida cosa sea / Sepan quantos esta carta Sepan quantos esta carta vieren vieren (1264) Cláusula anexa: de saneamiento Cláusulas anexas: de saneamiento, renunciativa, penal, de obligación, de promesa, de aceptación, corroboración Facta carta Fecha la carta en Sevilla
Se puede indicar que los cambios se dieron en los siguientes momentos: la invocación verbal deja de utilizarse en 1272, misma fecha que comienza el signo notarial; la notificación general cambia su forma de redacción en 1264; en 1260 se incorpora la cláusula de corroboración, en 1263 las suscripciones están totalmente expresadas en castellano y dos años después, también la data; la data tópica, la cláusula penal y de promesa entraron en 1280, así como la desaparición de los números romanos en la data; la cláusula de renuncia específica al dinero y la de obligación general lo hicieron en 1282; la de renuncia general y de aceptación comenzaron a utilizarse en 1285. De composición innovadora califica J. Bono la compraventa hecha en Sevilla en este periodo cronológico. Para ello se basa en algunas de las fórmulas ya señaladas y en la desaparición de otras tradicionales, entre las que cabe mencionar la fórmula del regnante rege dentro de la data, la de la notitia testium o la roboración pública61. La periodicidad de la aparición de ciertas fórmulas o el cambio en su forma de expresión muestra que se produjo una evolución y que la década de 1280 fue una etapa de especial importancia para la fijación del modelo de la compraventa sevillana. Se observa un primer momento de indeterminación, pero una tendencia hacia la uniformidad hasta que poco a poco se va cumpliendo en líneas generales la sistematización propuesta en las Partidas. Ha de tenerse en cuenta que en Castilla, a diferencia de otras realidades territoriales, no fueron necesarios otros formularios62. Como se ha señalado, este formulario de las Partidas se encuentra dentro del título dedicado a las escrituras y a su valor como prueba de derechos. No por casualidad, por tanto, las leyes finales están dedicadas al valor probatorio de los documentos63, a los 61 Vid. J. Bono, « La práctica notarial del reino de Castilla en el siglo xiii. Continuidad e innovación », p. 502. 62 En el s. xv se empieza a constatar un cambio y se han conservado tres formularios, entre los que destaca por su relevancia y su proyección el conocido como Notas del Relator, un formulario de los años centrales del s. xv atribuido a Fernán Díaz de Toledo, secretario del rey Juan II. Desde mediados del s. xvi la situación cambia radicalmente pues estos instrumentos para la confección de documentos se van a convertir también en doctrina para la formación de los aspirantes a ser notarios y poder aprobar el examen al que se tenían que someter (vid. J. Bono, « Los formularios notariales españoles de los siglos xvi, xvii y xviii », in Anales de la Academia Matritense del Notariado, t. XXII, (1980), p. 289-317). 63 P. III, XVIII, ley CXIV.
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motivos para refutar un documento64, que pasa por un verdadero peritaje caligráfico y diplomático, así como a precisar las razones para dar credibilidad o no a las cartas públicas en un juicio, fijándose el procedimiento para determinar la originalidad o no de un documento65, que se sustenta, igualmente, en el análisis de la escritura y en la declaración del notario y de los testigos que estuvieron presentes, caso de que todavía vivieran: «… desemejar las letras los variamientos de los tiempos […] o el mudamiento de la tinta o de la péñola […] o por enfermedad o vejez del escribano […] Debe escodriñar la letra e la figura della e la forma e el signo del escribano». En el preámbulo del título XVIII se apela a las bondades de las escrituras como prueba de derechos y a la necesidad de una correcta elaboración, es decir, que se hicieran lealmente e sin engaño, con claridad para que no pudieran llevar a confusión o a error: «E pues que de las Escrituras tanto bien viene, que en todos los tiempos tiene pro, que faze membrar lo oluidado e afirmar lo que es de nueuo fecho, e muestra carreras por do se endereçar lo que ha de ser, derecho es que se fagan lealmente e sin engaño, de manera que se puedan e entiendan bien, e sean cumplidas, e señaladamente aquello de que podría nascer contienda entre los omes»66. Elaboración de documentos hechos por unos notarios o escribanos públicos que debían tener conocimientos de la forma correcta de componer los instrumentos públicos, es decir, ser entendidos de la Arte de la Escrivanía como se indica en el título XIX de la Partida tercera.
Conclusiones El logro de esta reforma notarial fue la obtención de una manera propia de componer unos documentos, con unas fórmulas y unos medios de validación que los identificase. Aunque se ha destacado una finalidad didáctica en esta normativa alfonsí, podría considerarse que más bien esa fue una de sus funciones, servir de modelo en la adecuada composición de los documentos67. Evidentemente, un formulario tiene ese objetivo, pero su inclusión en una obra legislativa permite inducir otro motivo, como sería la necesaria fijación de las formas documentales que debían utilizarse en la producción de las dos principales oficinas de expedición de documentos, la cancillería regia y el notariado público, para que se pudieran presentar en juicio y sirvieran de prueba en caso de litigio. Este fin normativo, que afecta asimismo al establecimiento de la figura del notario en tierras castellanas y a su práctica documental, en unos momentos fundamentales de la consideración del documento escrito como prueba de derechos, nos parece determinante. La construcción de esta identidad se hace en esta época, es decir, en la segunda mitad del siglo xiii, pero su proyección se va a extender en el tiempo y en el espacio.
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P. III, XVIII, ley CXI. P. III, XVIII, ley CXVIII. P. III, t. XVIII, preámbulo. J. Bono Huerta, Historia del Derecho notarial, t. I, p. 250 y, más recientemente, Mª L. Pardo Rodríguez, « Un formulario notarial castellano del siglo xiii: la III Partida », p. 177.
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En el tiempo, porque a pesar de las variaciones lógicas y de la incorporación de nuevas cláusulas al esquema de los documentos notariales, éstas se van a mantener en su composición. Llama la atención que fórmulas que aparecen en estas décadas finales del s. xiii y se implementan en el s. xiv, se sigan utilizando en pleno s. xvii. En el espacio, porque la reforma notarial castellana se va extender a los nuevos territorios que se fueron incorporando a la Corona, los que están en la propia geografía peninsular (antiguo reino de Granada) y a las islas Canarias, pero también al otro lado del océano Atlántico, donde, al igual que otras instituciones, el notariado y su práctica notarial se implantaron rápidamente. Es una realidad incontestable que esta composición formal, el tipo de fórmulas, su forma de expresión, su ubicación y la validación empleada, muy especialmente la suscripción y signo notarial, identifican de manera nítida a esta oficina de expedición de documentos. No se trata de una cuestión de moda, sino de una preocupación por la validez del documento, que fuera inconfundible para evitar cualquier duda o impugnación, tal y como estipulaban las Partidas. Hoy día, quien frecuenta el estudio de los documentos notariales o bien se acerca a ellos para obtener información reconoce en seguida las fórmulas que interesan e incluso casi se aprenden de memoria sin dificultad. Muy especialmente ocurre esto en las cláusulas anexas a la disposición, que se repiten en la gran mayoría de los documentos. Sin embargo, no deben ser tomadas sólo como mero formulismo o práctica rutinaria, por mucho que su forma de expresión y desarrollo se repita una y otra vez. El notario era conocedor, por su propia experiencia y conocimientos – o bien por la copia de modelos –, que cuando actuaba una mujer o un menor de edad existían leyes que los protegían y a las que podían acudir para una ulterior impugnación. Del mismo modo, para la entrega de dinero, un posible precio fraudulento o la actuación solidaria de otorgantes y/o de fiadores existían leyes que los afectaban, por ello se añaden también referencias concretas. En definitiva, la arquitectura del documento notarial castellano se construye en el reinado de Alfonso X, sus cimientos más profundos proceden de la práctica pre-notarial, pero estos se refuerzan y se solidifican con las corrientes italianas del Ars Notariae, especialmente con la sistematización establecida por Salatiel, notario en Bolonia desde 1237, pues está demostrado que su formulario estuvo en la base del recogido en la Partida III, título XVIII68. La intencionalidad es evidente, pues ha de relacionarse con el creciente valor del documento escrito como prueba en caso de litigio, tal y como se establece en las últimas leyes de este título de la Partida tercera69. A pesar de que las Partidas no tuvieron plena vigencia legal hasta 1348, su
68 Una reciente comparación entre la obra de Salatiel y de Rolandino en G. Feo, L. Iannacci, A. Zuffrano, « Il formulario del documento privato tra norma giuridica e prassi notarile. L’apporto della scuola bolognese di notariato del secolo xiii », in O. Guyotjeannin, L. Morelle y S. Scalfati (ed.), Les formulaires. Compilation et circulation des modèles d’actes dans l’Europe médiévale et moderne, Praga, Editions Karolinum, 2018, p. 105-138. El análisis de la aportación de Salatiel en p. 132-136. 69 Sobre esta y otras cuestiones relacionadas con los formularios de cancillería, vid. B. Grévin, « De la collection épistolaire au formulaire de chancellerie (xiiie-xve siècle) : enquêtes fonctionnalistes, transitions typologiques et fractures disciplinaires », in Les regroupements textuels au Moyen Âge, CHETL, París, LAMOP, 2008, p. 24-50.
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formulario estuvo en la base de la nueva documentación producida por los notarios en todas las poblaciones que formaban parte de la Corona castellana y Sevilla no fue una excepción. Es más, se puede afirmar que en esta importante ciudad del sur peninsular y a la que estuvo tan ligado Alfonso X las innovaciones en este ámbito documental se asimilaron bien pronto y quizás algunos de estos cambios recogidos en la legislación pudieran basarse en la práctica sevillana. Este primer momento de creación, daría paso a un espacio común cuando primero se consolidan las fórmulas y después se llega a su reproducción sistemática o, según O. Guyotjeannin, pasiva70. En poco tiempo se consiguió una uniformidad en la documentación notarial castellana, que favoreció la creación de una identidad colectiva y esta fue mantenida en el tiempo merced al habitual conservadurismo de la práctica notarial71. Este «renacimiento diplomático» se vio impulsado por una creciente actividad económica y por la paulatina necesidad de plasmar por escrito los acuerdos y decisiones adoptadas por la sociedad de aquella época. El movimiento será imparable, un cambio lento pero irreversible, según J. Bono72, y será simultáneo al reconocimiento de la figura del escribano público y el valor de las escrituras públicas por él formalizadas73. El resultado fue la construcción de una identidad del documento notarial castellano, que traspasó las fronteras de la etapa medieval y que el creciente fenómeno de los formularios notariales de la época moderna no hizo sino expandir aún más su conocimiento, haciendo posible la creación de redes textuales y la difusión de esta cultura, que tuvieron un largo recorrido.
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70 Vid. O. Guyotjeannin, « Écrire en chancellerie », in M. Zimmermann (ed.), Auctor et auctoritas. Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, París, École des Chartes, 2001, p. 35. 71 Ya M. Zimmermann ponía de relieve la tendencia progresiva a la fijación de las fórmulas en el ámbito documental (vid. « Ouverture du Colloque », in M. Zimmermann (ed.): Auctor et auctoritas. Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, París, École des Chartes, 2001, p. 9. Vid. también M. Coquelin, « La prudence et l’amitié. Politique et imaginaire urbains au miroir de la correspondance erfurtoise », in I. Draelants y Chr. Balouzat-Loubet (ed.), La formule au Moyen Âge II / Formulas in Medieval Culture II, Turnhout, 2015, p. 35-60. 72 J. Bono, « La práctica notarial del reino de Castilla en el siglo xiii. Continuidad e innovación », p. 501. 73 Vid. G. Feo, L. Iannacci, A. Zuffrano, « Il formulario del documento privato tra norma giuridica e prassi notarile », p. 122-123.
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Adrián Ares Leg a spi
La presentación gráfica de las fórmulas diplomáticas en documentos y códices de Santiago de Compostela en los siglos xiv y xv*
Clauses are the basic units of the diploma. Their use depends on the nature of the document although their main function is to ensure that the written act has all the legal force required. However, the material presentation of the clauses (the style of script, among other things) can also convey other kinds of messages: the solemnity of the act, the importance of the document’s issuer, a mark of identification, and so on. The aim of this research is to study the display script used in Santiago de Compostela during the fourteenth and fifteenth centuries, to highlight the clauses of documents and codices. Through the analysis of the written products of the secular and ecclesiastical scriptoria of the city (mainly that of the Cathedral), this paper will examine what the graphic strategies employed in display script were, their components, their function, and characteristics. This study will show the strategies guiding the choice of the display script. T
entonce deue el Judgador tomar amas las cartas, e auer buenos omes, e sabidores, consigo, que sepan bien conocer, e entender las formas, e las figuras de las letras, e los variamientos dellas […] deuese ayuntar con aquellos omes sabidores, e catar, e escodriñar la letra, e la figura della, e la forma1. partidas, III, título XVIII, ley 118
* Esta investigación ha sido posible gracias a la financiación del V Plan Propio de Investigación de la Universidad de Sevilla y al proyecto de investigación I+D “Excelencia” del Ministerio de Economía y Competitividad: Iglesia y Escritura en el Occidente Peninsular (Castilla y Portugal). Siglos xii-xvii (HAR2017-85025-P). 1 Las Siete Partidas del muy noble Rey don Alfonso el Sabio glosadas por el Lic. Gregorio López, del Consejo Real de Indias de S. M., t. II, Madrid, 1843, p. 295. Adrián Ares Legaspi • Universidad de Sevilla La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 85-109 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124024
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En estos términos se refieren las Partidas de Alfonso X al peritaje caligráfico de la escritura para probar la validez de un documento. La elaboración de diplomas en Castilla poseía una regulación definida desde el siglo xiii, cuando en las Partidas se establece un sistema documental reglado2, principalmente en cuanto al formulario de los instrumentos públicos3. Sin embargo, son escasas las leyes en las que se menciona la escritura como componente de la confección material de los diplomas. Por lo tanto, si no existía un precepto concreto sobre la presentación gráfica de las fórmulas diplomáticas, sobre todo de aquellas destinadas a destacar ciertas partes del texto, ¿a qué criterios obedeció esta práctica? ¿Por qué se emplean unos mecanismos y no otros? ¿Con qué propósito se desarrollaron? Nuestra intención en este trabajo es estudiar las diferentes estrategias gráficas desarrolladas a la hora de resaltar algunas de las partes del formulario de los documentos y códices producidos en la ciudad de Santiago de Compostela durante los siglos xiv y xv. Es decir, el análisis desde una perspectiva diacrónica e integral de la denominada por G. Cavallo scrittura distintiva, por modificar esta alguno de sus componentes (tamaño, color o morfología) con el fin de hacer distinguir una parte del texto de la entera composición4. Por su parte, otros investigadores han optado por otros términos como écritures d’apparat5, escrituras publicitarias6 o escrituras decorativas7. No obstante, el análisis de la escritura distintiva no puede ser reducido al examen diacrónico y descriptivo/clasificatorio de las formas gráficas, puesto que en sus características y evolución influyeron otras variantes más complejas. Es por ello que este trabajo se desenvuelve en función de tres facetas del documento, de tres dimensiones del producto escrito en las que la escritura adquiere una naturaleza 2 J. Bono, Historia del derecho notarial español, t. I, Madrid, Junta de Decanos de los Colegios Notariales de España, 1979-1982, p. 245. 3 Mª. L. Pardo Rodríguez, « Un formulario notarial castellano del siglo xiii. La III Partida », in O. Guyot jeannin, L. Morelle y S. P. Scalfati (ed.), Les formulaires. Compilation et circulation des modèles d’actes dans l’Europe médiévale et moderne, Prague, Université Charles, Éditions Karolinum, 2018, p. 175. 4 G. Cavallo, « Iniziali, scritture distintive, fregi. Morfologie e funizioni », in C. Scalon (ed.), Libri i documenti d’Italia: dai longobardi alla rinascita delle cità, Udine, Arti Grafiche Friulane, 1996, p. 15-34. 5 A. Petrucci, « Pouvoir de l’écriture pouvoir sur l’écriture dans la Renaissance italienne », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 43 (1988), p. 823-847; F. M. Gimeno Blay, « Materiales para el estudio de las escrituras de aparato bajomedievales. La colección epigráfica de Valencia », in W. Koch, Epigraphic 1988, Wien, Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1990, p. 195-216 ; P. Stirnemann, M. S. Smith, « Forme et fonction des écritures d’apparat dans les manuscrits latins (viiie-xve siècle) », Bibliothèque de l’école des chartes, 165 (2007), p. 67-100. 6 V. García Lobo, « La escritura publicitaria de los documentos », in T. Kölzer (ed.), De litteris, manuscriptis, inscriptionibus: Festschrift zum 65. Geburtstag von Walter Koch, Wien, Böhlau, 2007, p. 229-255; Mª. L. Cabanes Catalá, « La escritura publicitaria en los libros de la ‘Cort del Justicia’ de Cocentaina y Alcoy (Alicante) », in Mª. E. Martín López y V. García Lobo (ed.), Las inscripciones góticas, León, Universidad de León, 2010, p. 405-412. Otros autores han relacionado el concepto de publicitaria con el de escritura expuesta: J. de Santiago Fernández, « Publicidad y escritura expuesta al servicio de la clase condal catalana (s. ix-xii) », Cuadernos de Investigación Histórica, 28 (2011), p. 343-370. 7 J. Vezin, « Épigraphie et titres dans les manuscrits latins du haut Moyen Âge », in J. C. Fredouille (ed.), Titres et articulations du texte dans les oeuvres antiques, Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 1997, p. 449-458 (a través de P. Ostos Salcedo, « Escritura distintiva en códices y documentos castellanos de la Baja Edad Media », in Mª. E. Martín López y V. García Lobo (ed.), Las inscripciones…, p. 45-63).
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distinta en relación al significado que se le otorga al texto. Primeramente, analizaremos la escritura distintiva en tanto que componente de un objeto material: el libro/ documento, «worthy of devotion in and for itself»8, es el resultado del compendio de toda una serie de elementos materiales que juegan un papel determinado. Consecuentemente, examinaremos cuáles fueron los mecanismos empleados para «crear» las escrituras distintivas, las tipologías diplomáticas en las que aparece cada una de ellas, su disposición espacial y visual en la entera composición o su función. Por otra parte, al igual que los diversos tipos de oficinas/scriptoria donde se elaboran los documentos y libros determinan el contenido del producto escrito final9, así lo hacen también sobre la escritura distintiva10; por lo que, seguidamente, analizaremos cuáles fueron las características de esta última atendiendo a los escritorios donde se realiza o las personas que allí trabajaban. El último punto en este proceso de avance desde lo concreto hacia la contextualización más general11 es el estudio de la escritura publicitaria como manifestación de una realidad más compleja, es decir, de la escritura como expresión de la cultura y las mentalidades de una época12. Esto nos llevará a situar el examen de los modelos gráficos dentro del contexto artístico y cultural de la Baja Edad Media. En el ámbito librario de la Baja Edad, la escritura distintiva empleada en Santiago de Compostela era más frecuente en los libros cuyo contenido, independientemente de su naturaleza, suponía un elemento de gran relevancia en la esfera administrativa, gubernativa o religiosa de la institución a la que pertenecían. Al igual que acontecía en otras ciudades de la Corona de Castilla13, en Santiago, la catedral era la principal consumidora de códices y es entre los libros litúrgicos, como el Breviario de Miranda14, donde la escritura publicitaria no solo era más habitual, sino que también presentaba un mayor número de recursos: modificación del módulo de las letras, trazadas con tintas rojas y/o doradas o bien con múltiples decoraciones (iniciales contorneadas, iniciales ornamentadas, etc15.). En estos libros, la escritura usada era la gótica textualis 8 A. Petrucci, Writers and readers in Medieval Italy: studies in the History of Written Culture, New Haven-Londres, Yale University Press, 1995, p. 22. 9 A. Pratesi, Genesi e forme del documento medieval, Roma, Jouvence, 1979, p. 12. 10 M. B. Parkes, Their hands before our eyes: a closer look at scribes, Aldershot-Burlington, Ashgate, 2008, p. 128. 11 P. Chastang, « L’archéologie du texte médiéval », in E. Magniani (ed.), Le Moyen Âge vu d’ailleurs, Auxerre, Centre d’Études Médievales d’Auxerre, 2008, p. 268. 12 R. Marichal, « La escritura latina y la civilización occidental del Siglo i al Siglo xvi », in M. Cohen y J. S. F. Garnot (ed.), La escritura y la psicología de los pueblos, México, Siglo Veintiuno, 1968, p. 238. 13 Mª. L. Pardo Rodríguez, E. Rodríguez Díaz, « La producción libraria en Sevilla durante el siglo xv: artesanos y manuscritos », in E. condello, G. de Gregorio (ed.), Scribi e colofoni: le sottoscruzioni di copisti dalle origini all’avvento della stampa, Spoleto, Centro Italiano di Studi sull'Alto Medioevo, 1995, p. 214. 14 Aunque contemplemos la referencia a este códice en este estudio, debemos tener en cuenta que no podemos considerarlo como un libro que se haya confeccionado inequívocamente en Santiago, ya que actualmente desconocemos el lugar exacto de su elaboración. 15 H. Toubert, « La lettre ornée », in H. J. Martin y J. Vezin (ed.), Mise en page et mise en texte du livre manuscrit, Paris, Editions du Cercle de la Librairie, 1990, p. 379.
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formata de manera exclusiva16, por lo que existía una concordancia completa entre la escritura del texto y la distintiva17. Ahora bien, si hablamos de fórmulas diplomáticas stricto sensu18, debemos prestar especial atención dentro de la esfera libresca a los cartularios debido a su «doble naturaleza libraria y documental19». En este caso, la solemnidad transmitida por estos libros era diferente a la de los litúrgicos, lo cual tenía su traducción en la mise en page20. Aun así, a pesar de la construcción menos cuidada de la página en alguno de ellos o del escaso número de elementos decorativos en otros, la escritura distintiva continuó siendo la gótica textual fracturada, con una «preferencia», en palabras de Ostos Salcedo, por sus formas minúsculas durante el siglo xv21. En vista de los códices diplomáticos elaborados en Santiago de Compostela, en el siglo xiv predominó el uso de las góticas mayúsculas con un fuerte peso del sistema uncial22 como letras iniciales, pudiendo presentar distintas estrategias decorativas, como por ejemplo, la alternancia de iniciales tintadas en rojo y añil característica de los códices góticos23. Por su parte, en la centuria siguiente, las iniciales destacadas de los cartularios mantuvieron en la mayoría de los casos la misma morfología base, aunque esta vez con la añadidura de otros elementos como cintas o motivos vegetales. A ello se sumaba ahora el recurso a las minúsculas de la gótica textual fracturada, con el aumento de su módulo y grosor, para componer el resto de las letras de la primera o primeras palabras del texto, de todo el primer renglón, del inicio de las copias insertas o bien de las palabras que iniciaban alguna parte relevante del texto (la palabra «fallamos» en las sentencias por ejemplo). Esta pervivencia de las mismas iniciales entre el siglo xiv y xv nos lleva a hablar, en nuestra opinión, más que de un cambio en las «preferencias24» en la escritura distintiva, de una mayor complejidad en esta praxis caracterizada por el multigrafismo relativo organizado25 típico del siglo xv.
16 Mª C. Álvarez Márquez, « El libro en la Baja Edad Media. Su caligrafía », in Mª. E. Martín López y V. García Lobo (ed.), Las inscripciones…, p. 331. Para más ejemplos de la escritura publicitaria en estos libros vid. J. Mª. Fernández Catón, « El libro litúrgico hasta el concilio de Trento », in H. Escolar (ed.), Historia ilustrada del libro español: los manuscritos, Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez, 1996, p. 401-433; R. Gonzálvez Ruiz, « La catedral de Toledo y las artes de la escritura en la Edad Media: 1100-1500 », in F. J. Molina de la Torre, I. Ruiz Albi y M. Herrero de la Fuente (ed.), Lugares de escritura: la catedral, Valladolid, Universidad de Valladolid, 2014, p. 92. 17 P. Ostos Salcedo, « Escritura distintiva… », p. 49. 18 O. Guyotjeannin, J. Pycke y B. M. Tock, Diplomatique médiévale, Turnhout, Brepols, 2006, p. 230. 19 E. Rodríguez Díaz, « Los cartularios en España: Problemas y perspectivas de investigación », in E. E. Rodríguez Díaz y A. C. García Martínez, (ed.), La Escritura de la Memoria: Los Cartularios. Huelva, Universidad de Huelva, 2011, p. 19. 20 Ibid., p. 19. 21 P. Ostos Salcedo, « Escritura distintiva… », p. 50 y 51; F. M. Gimeno Blay, « Materiales para… », p. 199. 22 W. Koch, « The Gothic script in inscriptions. Origin, characteristics and evolution », in Mª. E. Martin López y V. García Lobo (ed.), Las inscripciones…, p. 10. 23 Mª. L. Pardo Rodríguez, « Tradición y modernidad: el volumen IV de las Postillae de Nicolás de Lyra (BUS, MS. 332-148) », Historia. Instituciones. Documentos, 17 (1990), p. 170. 24 P. Ostos Salcedo, « Escritura distintiva… », p. 50. 25 A. Petrucci, « Digrafismo e bilettrismo nella storia del libro », Syntagma, 1 (2005), p. 54.
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Sin entrar todavía en el análisis gráfico de estas escrituras, se puede apreciar una distinción en la relación modular de algunas de ellas en función del otorgante del documento. En el códice denominado Libro de posesiones, anexiones y sinecuras del cabildo catedralicio26, se observa que en la escrituración de los documentos otorgados en los distintos territorios de la diócesis, la gótica textual fracturada empleada al inicio del texto tiene unos trazos más gruesos y cortos que la utilizada en los traslados de documentos papales o de algunos episcopales. Una diferenciación que se debería al tipo de documento y de oficina de expedición del original copiado, puesto que, aun sin tratarse de copias imitativas, estas escrituras distintivas de mayor módulo y de trazos más finos aparecen en traslados de originales en los que las letras del primer renglón solían presentar unas características gráficas similares: las litterae cum serico o bien aquellos episcopales cuyos componentes gráficos se veían influenciados por los productos escritos de la curia pontificia27. Otro aspecto de las escrituras distintivas como componentes de un objeto físico es el «determinismo» que ejerció el contexto socioeconómico y cultural en el que se crea el libro sobre la materialidad del códice28, pudiendo tener un efecto evidente sobre la presentación gráfica de las fórmulas diplomáticas. En el caso compostelano, un claro ejemplo de ello fueron los tres Libros de Constituciones de la catedral, realizados entre 1328 y el primer cuarto del siglo xv29. Ya que los dos últimos son recopilaciones30 posteriores del primero, la materialidad de cada libro y presentación gráfica de sus fórmulas diplomáticas son distintas. Los dos primeros son códices en pergamino de gran tamaño, con una función archivística y de consulta por parte del cabildo, en los que se utiliza, debido a su alto valor de gobierno y de archivo, una gótica híbrida de tipo K31 con abundante presencia de elementos de las escrituras librarias, iniciales afiligranadas, mayúsculas rojas y añiles y algunos pasajes escritos con tintas rojas como el proemio o los títulos de cada estatuto. Sin embargo, el libro tercero, aun manteniendo la misma naturaleza que los anteriores, surge en un contexto (en el entorno más próximo del arzobispo Lope de Mendoza) y con una función (uso diario por parte de los prelados) distintos, lo cual se traduce en una materialidad diferente: un códice en papel de menor tamaño y escrito con una mixta francesa32. En consonancia con estas transformaciones, las iniciales – unciales agrandadas algunas – se simplifican al reducirse a trazos rojos o 26 Archivo-Biblioteca de la Catedral de Santiago (ABCS a partir de ahora), CF35. 27 Vid. nota al pie 56 de este trabajo. 28 C. Bozzolo, D. Coq, D. Muzerelle y E. Ornato, « Noir et blanc : premiers résultats d’une enquête sur la mise en page dans le livre médiéval », en La face cachée du livre médiéval, Roma, Viella, 1977, p. 473-508. 29 ABCS, CF19, CF20 y CF21. 30 D. Belmonte Fernández, « Borradores, originales, copias y recopilaciones: los libros de estatutos del cabildo catedralicio sevillano », Historia. Instituciones. Documentos, 41 (2014), p. 45-74. 31 J. P. Gumbert, « A proposal for a Cartesian nomenclature », in J. P. Gumbert y M. J. M. de Haas (ed.), Essays presented to G. I. Lieftinck, t. IV. Ámsterdam, A. L. Van Gendt & Co, 1976, p. 47. 32 M. Smith, « L’écriture de la chancellerie de France au xive siècle : observations sur ses origines et sa diffusion en Europe », in O. Kresten y F. Lackner (ed.), Régionalisme et internationalisme : problèmes de paléographie et de codicologie du Moyen Âge. Actes du XVe colloque du Comité international de paléographie latine (Vienne, 13-17 septembre 2005), Wien, Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2008, p. 280.
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negros filiformes sin ninguna filigrana y a las que se suma la gótica textual fracturada en la primera palabra de cada párrafo y las rúbricas para el título de cada estatuto. Por último, el hecho de que el libro se origine en el entorno episcopal, posiblemente por un notario acostumbrado al trabajo con documentos episcopales y/o papales, puede explicar que al inicio del proemio aparezca una escritura gótica textual fracturada muy alargada y de trazos finos como influencia de los diplomas pontificios33. La relación entre la escritura publicitaria de los códices diplomáticos y la de los documentos es indiscutible. Sin embargo, parece que, en el caso compostelano, existe cierta discordancia en las fechas y la frecuencia de uso de estas herramientas gráficas, ya que en las notarías públicas de la ciudad, la utilización de las mayúsculas como iniciales resaltadas en el siglo xiv fue más fluctuante: en el mejor de los casos, o se aumentaba el módulo de la letra gótica propia del sistema minúsculo de la época o bien se trazaban iniciales mayúsculas taraceadas o de puzzle, monocromáticas y con la tinta del texto. El criterio que parece residir detrás de esta costumbre está relacionado más bien con el aspecto diplomático de la documentación, y concretamente con tres factores: a) el formulístico del diploma, derivado de su tipología documental; b) el humano (la formación gráfica y el ámbito de trabajo del escriba); y, c) el institucional (existen ciertas notarías en las que las iniciales destacadas son más habituales que en otras34). A partir del siglo xv, y en sintonía con el proceso de «complejidad» o «heterogeneidad» de la escritura distintiva visto en los códices diplomáticos, el número de documentos con estos recursos aumenta, así como la variedad de soluciones mostradas por los amanuenses. En un recorrido desde las más simples hasta las más complejas, debemos mencionar primero las letras góticas agrandadas, sin decorar y con un trazado más filiforme que aparecen en documentos escritos ya sea en una gótica híbrida35 o en una gótica cursiva redonda36 para los diplomas en castellano/ gallego, o bien en una mixta francesa37 para aquellos en latín38. No obstante, algunas de estas iniciales filiformes sí presentan cierta decoración pudiendo incluso ocupar gran parte del margen izquierdo. Se trata de la I inicial cuando el documento empieza con la invocación verbal «In dei nomine», que, aun no adquiriendo un mayor grosor ni carga de tinta, sí puede contener elementos ornamentales como motivos vegetales39.
33 Vid. nota al pie 56 de este trabajo. 34 Sobre los dos últimos volveremos más adelante. 35 C. del Camino Martínez, « La escritura de la documentación notarial en el siglo xiv », Cuadernos del Archivo Municipal de Ceuta, 15 (2006), p. 34. 36 Mª. J. Sanz Fuentes, « La escritura gótica documental en la Corona de Castilla », in Mª. J. Sanz Fuentes y M. Calleja Puerta (ed.), Paleografía II: las escrituras góticas desde 1250 hasta la imprenta, Oviedo, Universidad de Oviedo, 2010, p. 16. 37 M. Smith, « L’écriture… », p. 280. 38 Bigrafismo ya apuntado por C. del Camino Martínez y Y. Congosto Martín, « Lengua y escritura en la Sevilla de fines del xv: confluencia de normas y modelos », Historia. Instituciones. Documentos, 28 (2001), p. 11-30. 39 ABCS, S16/11. Las características más definitorias de este tipo de I entre los documentos del siglo xiv (trazado oscilante, con mayor carga de tinta en la parte media y la realización de una línea más fina por la izquierda) aparecen ya en diplomas de la segunda mitad del siglo xii. Vid. A. Millares Carlo, Tradado
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Esta construcción más «simple» de la escritura publicitaria suele corresponderse con los diplomas producidos en el ámbito del derecho privado y con ciertos documentos de las oficinas episcopales, como comunicaciones por parte del titular emitidas en papel y con un formulario más breve o en los que el método de validación a través del sello pendiente de cera se sustituye por el de cera placado a las espaldas. El siguiente escalón de esta jerarquía de escrituras distintivas de los documentos se caracterizó por el empleo de mayúsculas de gran tamaño, con contraste entre trazos gruesos y finos, iniciales contorneadas, otras de cintas, etc. Unas letras que pudieron implicar la actuación de varias manos o, cuando menos, la confección del documento como mínimo en dos fases distintas, ya que en ocasiones se deja un espacio en blanco con una letra guía para la posterior confección de la inicial40. Se trata de diplomas que poseían una importancia mayor respecto a los anteriores: estatutos episcopales41, sentencias del prelado42 o de algún juez arzobispal43, títulos de beneficios otorgados en romance y con formularios simplificados44, o tipologías documentales más propias del derecho privado pero que, debido a la relevancia del hecho jurídico consignado o a los medios económicos del beneficiario, pueden desarrollar este tipo de escrituras (toma de posesión de beneficios por cardenales y racioneros45, aforamiento de señoríos pertenecientes al cabildo46, etc.). Por último, los documentos donde la escritura distintiva se caracterizaba por componerse de diversas estrategias gráficas (empleo de iniciales mayúsculas decoradas de gran tamaño y góticas textuales fracturadas para el resto de la palabra) eran los más solemnes emanados del poder episcopal como las concesiones de gracias y mercedes a perpetuidad de algún beneficio47; las sentencias emitidas por distintas figuras de la diócesis compostelana (abades, priores, bachilleres…) actuando por delegación papal en pleitos48; títulos de oficiales del cabildo catedralicio (médicos, abogados, etc49.) u otro tipo de documentos como testamentos, foros, ventas… de individuos concretos50 o instituciones (Hospital Viejo de Santiago51, monasterios de
de paleografía española, t. II, Madrid, Espasa-Calpe, 1983, Fig. 150. 40 ABCS, IG347, f. 12r, 15r. 41 ABCS, S15/7-1, S15/8. 42 Archivo Histórico Nacional (AHN en adelante), Clero secular-regular, carp. 524, no 8. 43 ABCS, S16/17. 44 AHN, Clero secular-regular, l. 3072. 45 ABCS, S16/35, S16/68. 46 ABCS, S16/13. 47 Mª. X. Justo Martín y M. Lucas Álvarez, Fontes documentais da Universidade de Santiago de Compostela: pergameos da serie Bens do Arquivo Histórico Universitario (1237-1537), Santiago de Compostela, Consello da Cultura Galega, 1991. 48 Archivo Histórico Universitario de Santiago (AHUS a partir de ahora), Universidad, Pergaminos, nº 288; ABCS, S14/65. 49 ABCS, IG347, f. 17r, 18r. 50 Archivo de la Real Chancillería de Valladolid, Perg., carp. 159, nº. 1 y nº 2. ABCS, S19/29. 51 AHUS, Universidad, Pergaminos, nº 338.
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Figure 1 : Traslado de un foro del monasterio de San Paio de Antealtares, 1488, Archivo Histórico Universitario de Santiago, Fondo de Pinario, Pergamino 104, Santiago de Compostela. © Archivo Histórico Universitario de Santiago.
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San Martín Pinario52 (Fig. 1) y Santa María de Sobrado53, etc.) que por su capacidad económica podían costearse la elaboración de un producto escrito de mayor calidad. Además, la «retórica visual54» de alguno de estos diplomas era la que mostraba mayor semejanza con los pontificios, al tratarse de los documentos que se correspondían, por la solemnidad de su contenido, su formulario y elementos de validación, con las litterae cum serico concedidas por la cancillería papal55. De este modo, puesto que en estas últimas se usaban las litterae elongatae56 para el nombre del papa que intitulaba el documento (al tiempo que lo iniciaba), también en el diploma por el que el arzobispo de Santiago Lope de Mendoza anexiona y une varios monasterios se utilizan en el primer renglón unas letras que recuerdan a las elongatae57 (Fig. 2). Atendiendo al papel jugado por la escritura distintiva, en nuestra opinión, esta debe ser clasificada en tres grupos en función de tres elementos del proceso de transmisión de la información: el emisor, el propio contenido del texto y el lector. Por una parte, la presentación gráfica más cuidada de las fórmulas de los documentos más solemnes pretendía hacer visible la importancia de dichos actos jurídicos y, por lo tanto, de crear un objeto material acorde a su naturaleza58. Por otra, el valor expresivo de la escritura59 se relacionaba también con el prestigio del autor, transmitiendo su autoridad mediante diversas estrategias materiales60. A pesar de que algunos expertos han subrayado que los caracteres externos de un documento por sí solos no tienen por qué mostrar si su emisor es una autoridad o no61, lo cierto es que algunos de los productos escritos de la principal autoridad de Santiago, el arzobispo, o de algún comisionado suyo, presentan una práctica de distinción gráfica 52 AHUS, San Martín Pinario, Pergaminos, nº 104. 53 AHN, Clero secular-regular, carp. 557, nº. 10 y 11. 54 P. Rück, « Die Urkunde als Kunstwerk », in A. von Euw y P. Schreiner (ed.), Kaiserin Theophanu, Köln, Schnütgen-Museum, 1991, p. 311-333. 55 T. Frenz, I documenti pontifici nel Medievo nell’Età Moderna, Città del Vaticano, Scuola Vaticana di Paleografia, Diplomatica e Archivistica, 1989, p. 25. Para la influencia de las oficinas de la curia papal sobre la documentación de otras cancillerías eclesiásticas del occidente europeo vid. P. Herde y H. Jakobs (ed.), Papsturkunde und europäisches Urkundenwesen, Köln, Böhlau, 1999. En el caso de Castilla vid. S. Domínguez Sánchez, « La documentación pontificia y su influencia en la documentación medieval hispana », in A. A. Nascimento y P. F. Alberto (ed.), IV Congresso Internacional de Latim Medieval Hispânico, Lisboa, Faculdade de Letras, Centro de Estudos Clássicos 2006, p. 379-392. 56 T. Frenz, L’introduzione della scrittura umanistica nei documenti e negli atti della curia pontificia del secolo xv, Città del Vaticano, Scuola Vaticana di Paleografia, Diplomatica e Archivistica, 2005, p. 68. 57 ABCS, S1/7-2. 58 H. Atsma y J. Vezin, « Pouvoir par écrit: les implications graphiques », in M. J. Gasse-Grandjean y B. M. Tock (ed.), Les actes comme expression du pouvoir au Haut Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2003, p. 27. 59 A. Petrucci, « Scrittura come invenzione, scrittura come espressione », Estudis Castellonencs, 6 (19941995), p. 1095. 60 H. Flammarion, « Les textes diplomatiques langrois et le pouvoir des évêques aux ixe et xe siècles », in M. J. Gasse-Grandjean y B. M. Tock (ed.), Les actes…, p. 58; E. Rodríguez Díaz, « Los cartularios… », p. 25. 61 M. J. Gasse-Grandjean y B. M. Tock, « Peut-on mettre en relation la qualité de la mise en page des actes avec le pouvoir de leur auteur? », in M. J. Gasse-Grandjean y B. M. Tock (ed.), Les actes…, p. 121.
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Figure 2 : Anexión del monasterio e iglesia de San Jorge de Codeseda a la mesa capitular de Santiago de Compostela por el arzobispo Lope de Mendoza, 1410, Archivo-Biblioteca de la Catedral de Santiago, Documentos sueltos, 1/7-2, Santiago de Compostela. © ArchivoBiblioteca de la Catedral de Santiago.
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sostenida en el tiempo y que cumple unas características que sí reflejarían una cierta transmisión de autoridad en documentos como los títulos colativos de beneficios62: 1. Desde los primeros años del siglo xv se destaca la fórmula inicial de documentos que hasta esa fecha no lo hacían de forma constante y regular63. 2. Cuando estos diplomas son otorgados de manera directa por el prelado o bien por su provisor se inician por la intitulación64, destacando su nombre sobre el texto gracias a la escritura distintiva, lo cual supone una diferencia con los documentos notariales del resto de instituciones de la ciudad65. 3. Este tipo de documentos estaban destinados a ser leídos y/o mostrados en público, por lo que se generaba una «relation de domination symbolique […] au profit de celui qui donne à lire et au détriment de celui qui lit ou devant qui le document est lu»66, para cuyo éxito era imprescindible que la presentación gráfica de las fórmulas diplomáticas satisficiese «l’appropriation visuelle et auditive du document»67. En cuanto al contenido del texto, y en consonancia con la cultura y pensamiento medieval de estos siglos, que «procedía de lo concreto a lo abstracto y expresaba asuntos abstractos mediante símiles con la materia concreta»68, la escritura distintiva permitía al autor expresar ciertas ideas más complejas, como la jerarquía de conceptos o el establecimiento de clasificaciones de múltiples materias. De esta forma, las iniciales decoradas del Breviario de Miranda daban a la parte de la composición a la que acompañaban «una imagen distintiva que facilitase su memorización»69; en algunos códices de la catedral como los de constituciones, la separación, por ejemplo, mediante apartados iniciados con rúbricas permitía una mejor «thématisation de
62 Según O. Guyotjeannin, en los documentos episcopales «l’auteur est autorité». O. Guyotjeannin, « Écrire en chancellerie », in M. Zimmermann (ed.), Auctor et auctoritas, Paris, École des Chartes, 2001, p. 18. 63 «La costanza e la regolarità con le quali un sistema distintivo viene applicato in un manoscritto potenziano l’efficacia dello stesso sistema». P. Fioretti, « Ordine del testo, ordine dei testi. Strategie distintive nell’Occidente latino tra scrittura e lettura », in Scrivere e leggere nell’Alto Medioevo, Spoleto, Centro Italiano di Studi sull'Alto Medioevo, 2012, p. 545. 64 La intitulación supone para M. Zimmermann un reconocimiento de autoridad que va reforzado por la redacción en forma subjetiva del documento. Vid., M. Zimmermann, « Affirmation et respect de l’autorité dans les chartes », in M. J. Gasse-Grandjean y B. M. Tock (ed.), Les actes…, p. 218. 65 P. ostos salcedo, « El documento notarial castellano en la Edad Media », in P. Cherubini y G. Nicolaj (ed.), Sit liber gratus, quem sevulus est operatus, t. I, Città del Vaticano, Scuola Vaticana di Paleografia, Diplomatica e Archivistica, 2012, p. 517-534. 66 J. Morsel, « Ce qu’écrire veut dire au Moyen Âge… Observations préliminaires à une étude de la scripturalité médiévale », Memini. Travaux et documents de la Société des études médiévales du Québec, 4 (2000), p. 19. 67 Ibid., p. 29. 68 H. Kleinschmidt, Comprender la Edad Media: transformación de ideas y actitudes en el mundo medieval, Madrid, Akal, 2009, p. 247. 69 P. Saenger, « La lectura en los últimos siglos de la Edad Media », in G. Cavallo y R. Chartier, Historia de la lectura en el mundo occidental, Madrid, Taurus, 1998, p. 191.
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la matière statutaire»70; o la tinta roja empleada para partes enteras de un mismo libro (el proemio del Tumbo B, por ejemplo) funcionaba como mecanismo de «identificación y articulación de los textos»71. Esta función de la escritura distintiva se vinculó, finalmente, con la aparición de una serie de herramientas, o fonctionnalités additionnelles72 que aseguraban el éxito de la comunicación/legibilidad73, propias del mundo librario que, a su vez, eran el resultado de los cambios operados en la práctica lectora durante el período escolástico: «establecer divisiones, a marcar los párrafos, a dar títulos a los diferentes capítulos, y a establecer concordancias, índices de contenido y alfabéticos74». De este modo, las distintas estrategias gráficas para resaltar el texto que venimos mencionando se ejecutaron también en índices o listas de materias de los códices no solo de la catedral sino también en cartularios de otras instituciones como la cofradía de la Concepción75. En este sentido, ya que a partir de entonces el libro se concebía como un «strumento del lavoro intellettuale76», otro tipo de códices donde se emplearon muy frecuentemente las escrituras distintivas fueron los libros administrativos con un contenido de alto valor. En el Liber Tenencie Horro del cabildo catedralicio, el trabajo con cifras económicas, datos fiscales, sociales, geográficos… ponía de manifiesto esas exigencias intelectuales, cuyo desarrollo se veía facilitado por el uso de apartados y listas de materias organizadas y jerarquizadas gracias a la escritura distintiva. En los siglos xiv y xv, en la ciudad de Santiago de Compostela, los principales organismos de expedición documental eran las cuatro notarías del número, dos del cabildo catedralicio y dos del concejo, proveídas por el arzobispo, y las correspondientes a las oficinas arzobispales77. Como hemos visto anteriormente, en estas notarías se estableció un vínculo entre la escritura distintiva y la tipología documental en función de la solemnidad/relevancia del acto jurídico consignado. No obstante, la frecuencia con que se practicaron estas estrategias gráficas no fue regular a lo largo del tiempo, ni mucho menos en todas las escribanías. Durante la primera mitad del siglo xiv, 70 P. Chastang y F. Otchakovsky-Laurens, « Les status urbains de Marseille : acteurs, rhétorique et mise par écrit de la norme », in D. Lett (ed.), La confection des statuts dans les sociétés méditerranéennes de l’Occident (xiie-xve siècle), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2017, p. 29. 71 A. Suárez González, « La Biblia visigótica de la Catedral de León (Códice 6): primeros apuntes para un estudio arqueológico », Estudios Humanísticos. Historia, 10 (2011), p. 193. 72 R. Bergeron y E. Ornato, « La lisibilité dans les manuscrits et les imprimés de la fin du Moyen Âge : préliminaires d’une recherche », in La face cachée…, p. 526. 73 M. B. Parkes, « The contribution of Insular scribes of the Seventh and Eighth centuries to the ‘grammar of legibility’ », in M. B. Parkes, Scribes, scripts and readers, Londres, Hambledon Press, 1991, p. 2. 74 J. Hamesse, « El modelo escolástico de la lectura », in G. Cavallo y R. Chartier, Historia de la lectura…, p. 160. Vid. también M. B. Parkes, « The Influence of the Concepts of Ordinatio and Compilatio on the Development of the Book », in M. B. Parkes, Scribes, scripts…, p. 35-70. 75 ABCS, CF1 y CF2. 76 A. Bartoli Langeli, « Scrittura e leggibilità del libro manoscritto », in P. M. Cátedra García et al. (ed.), La memoria de los libros: estudios sobre la historia del escrito y de la lectura en Europa y América, Salamanca, Instituto de Historia del Libro y de la Lectura, 2004, p. 196. 77 M. Vázquez Bertomeu, Notarios, notarías y documentos en Santiago y su tierra en el siglo xv, A Coruña, Ediciós do Castro, 2001, p. 17 y ss.
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la escritura publicitaria se ciñó principalmente a la inicial de los diplomas cuando estos comenzaban con la invocación verbal en latín «In dei nomine», incluso aunque, desde el inicio de este siglo, el gallego fuese empleado de manera generalizada en la documentación y el latín fuese «una excepción o un campo reservado para asuntos de administración eclesiástica»78. De este modo, observamos que en dos cartas de venta de 1316 escrituradas en la notaría de Fernando Abril, notario del concejo, una en latín y otra en gallego, el amanuense Pedro Míguez utiliza la misma gótica híbrida tipo H/C79 para ambos textos y traza una I inicial idéntica para la invocación de cada uno de ellos80. Siguiendo estos criterios, un mismo amanuense podía hacer un uso organizado de la escritura publicitaria según la fórmula con la que empezaba el diploma. Iohán Fernández, amanuense de Gómez Aras y Afonso Eanes, realiza una I de gran tamaño y decorada con la tinta de la pluma cuando el documento se inicia con la invocación en latín, una E de mayor módulo respecto al texto cuando este empezaba con la invocación en gallego y, finalmente, una E agrandada de la gótica minúscula cuando la fórmula inicial del documento era la data crónica («Era»81). Por los datos obtenidos hasta el momento, no parece que existiese un formulario establecido para esta práctica, sino más bien una actuación regida por la costumbre. En este sentido, todo parece apuntar que fueron los propios amanuenses los encargados de trazar la escritura distintiva (por lo menos en el siglo xiv, cuando se menciona su actuación en el formulario documental), puesto que bajo la dirección de un mismo notario titular, observamos diferentes estilos de I inicial según el artífice material de la redacción82. Por lo tanto, podemos aseverar que los amanuenses jugaron un papel de especial relevancia en la confección de las letras publicitarias, en función, por una parte, de su ámbito de trabajo y, por otra, de su formación. Primeramente, no podemos desligar el espacio escriturario de las notarías laicas de aquellas destinadas al servicio de la catedral, ya que algunos notarios como Afonso Eanes trabajaron tanto validando documentos en el ámbito del derecho privado como certificando los traslados de diplomas en el Tumbo B de la catedral (primer tercio del siglo xiv)83. Esta compatibilización de espacios/tareas pudo influir profundamente en el desarrollo de la escritura distintiva en estas oficinas, sobre todo, al ver cómo los mismos modelos y estrategias gráficas se repiten en ambos contextos. Un ejemplo de ello es el del presbítero Alfonso Pérez, probable encargado de los rótulos, iluminación y escritura publicitaria del Tumbo B84, mientras que en la notaría de Afonso Eanes (notario que – recordemos – suscribe los traslados en dicho cartulario) actúa como
78 M. Lucas Álvarez, « Paleografía gallega. Estado de la cuestión », Anuario de Estudios Medievales, 21 (1991), p. 458. 79 P. Gumbert, « A proposal… », p. 47. 80 AHUS, Universidad, Pergaminos, nº 34 y 35. 81 AHUS, Universidad, Pergaminos, nº 63 (1326), 49 (1324) y 79 (1328), respectivamente. 82 AHUS, Universidad, Pergaminos, nº 35 y 78. 83 T. González balasch, Tumbo B de la catedral de Santiago, Santiago de Compostela, Seminario de Estudos Galegos, 2004. 84 Ibid., p. 23.
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testigo un Alfonso Pérez, ostentando el cargo de escribano85, y que posiblemente haya sido la misma figura86. Por otro lado, esta capacidad de actuación del escribano/amanuense estaba ligada a su formación, ya que en las notarías de la ciudad esta había tenido lugar normalmente en los propios despachos87. Es lógico comprobar, por lo tanto, cómo algunos notarios que antes habían sido amanuenses en una escribanía pública, posteriormente, durante su ejercicio como titulares de la misma, prestan cierto interés a la escritura distintiva, ya sea en documentos escritos de su propia mano o bien por algún amanuense. Pedro de Angrois, por ejemplo, había trabajado primero a las órdenes del notario Gómez Aras, y luego, entre 1356 y 1369, lo hizo como titular de una de las notarías de la ciudad88. En una carta de donación en 1349 realiza una S inicial mayúscula agrandada, alargando los extremos finales de la letra y adjuntando a la forma base varios trazos filiformes ornamentales, en un momento en el que, como vimos, lo habitual era el empleo de este tipo de escrituras distintivas en la inicial de la invocación (la fórmula que abre el documento en este caso es la notificación en gallego: «Sabean»89). En consecuencia con esta «preocupación», cuando Pedro de Angrois ejerce como titular, observamos que entre los documentos validados por él mismo, algún amanuense realiza una I inicial que ocupa todo el margen izquierdo del documento90 o incluso entre los diplomas enteramente autógrafos de Pedro de Angrois este aumenta el módulo de la E inicial mayúscula («Era») respecto al resto del texto y todavía más la E que inicia su suscripción91. Esta formación en las escribanías y la repetición de una serie de características gráficas de los modelos góticos ha llevado a Lucas Álvarez a hablar del «scriptorium compostelano» o la «escuela compostelana»92. Si bien, es difícil establecer estas categorías de manera inequívoca, puesto que, a la luz de las fuentes conservadas, es complicado determinar si existieron ciertos componentes propios de esta realidad, como por ejemplo, un jefe de escuela especializado o destinado a la enseñanza de
85 AHUS, Universidad, Pergaminos, nº 37, 40, 41, 57. 86 Para la actuación de presbíteros como escribanos en la Península Ibérica vid. D. Piñol Alabart, « Las notarías parroquiales tarraconenses en la Edad Media: fuentes para su estudio », in Iglesia y religiosidad en España. Historia y archivos, t. III, Guadalajara, Anabad Castilla-La Mancha, Asociación de Amigos del Archivo Histórico Provincial de Guadalajara, 2002, p. 1347-1358; M. calleja puerta, « A escribir a la villa. Clerecía urbana, escribanos de concejo y notarios públicos en la Asturias del siglo xiii », Historia, Instituciones, Documentos, 42 (2015), p. 59-82. El recurso a notarios y escribanos como copistas de libros ya ha sido apuntado por E. Rodríguez Díaz, « Ámbito de actuación profesional de los copistas de libros castellanos (s. xv) », in M. C. Hubert, E. Poulle y M. H. Smith, (ed.). Le statut du scripteur au Moyen Âge, Paris, École des Chartes, 2000, p. 299. 87 M. Lucas Álvarez, « Paleografía gallega… », p. 458. 88 E. Bouza Álvarez, « Orígenes de la Notaría: notarios de Santiago de 1100 a 1400 », Compostellanum, 5 (1960), p. 272. 89 AHUS, Universidad, Pergaminos, nº 189. 90 AHUS, Universidad, Pergaminos, nº 215 y 218. 91 AHUS, Universidad, Pergaminos, nº 212 y 214. 92 M. Lucas Álvarez, « Paleografía gallega… », p. 446 y 452.
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la escritura93. A pesar de ello, todo parece indicar que la escritura distintiva era aprendida mediante la educación que los escribanos principiantes recibían en las notarías, existiendo ciertas prácticas formativas («tirocinio») ligadas a esas estrategias gráficas94. De hecho, en el paso del siglo xiv al xv, hubo oficinas como las del notario capitular Gómez García (1418-145095) donde el empleo de la escritura publicitaria ya estaba ampliamente extendido, desarrollándose mayúsculas iniciales filiformes de gran tamaño y de calidad diversa96, independientemente de la fórmula de inicio del diploma – hasta otras iniciales de puzzle muy decoradas97. A esta formación en las propias escribanías de la ciudad hay que sumar la de aquellos notarios – normalmente apostólicos – que habían aprendido los modelos gráficos más allá de las fronteras castellanas98. La intervención de estos profesionales fue requerida cuando el latín se empleaba como lengua de redacción de los diplomas99, por lo que solían ser documentos de cierta solemnidad y, por lo tanto, de buena factura. De este modo, en algunos documentos episcopales del siglo xv o bien en aquellos otorgados por un delegado papal, algunos notarios apostólicos especifican en sus suscripciones autógrafas que habían sido los encargados de la confección material del texto y, con ello, no descartamos que también lo fuesen de las escrituras publicitarias del mismo100. En cuanto a los modelos gráficos empleados como escritura distintiva, ya hemos mencionado que a lo largo del período estudiado la utilización de las letras góticas mayúsculas, con un fuerte peso del sistema uncial, pervivió en el inicio de la primera fórmula de documentos y cartularios. En los productos más solemnes del siglo xv se hizo más patente un multigrafismo relativo organizado donde la gótica textual fracturada – de gran módulo y grosor – estuvo en uso hasta bien entrado el siglo xvi. De hecho, aunque esta última no presenta ni la angulosidad ni la quebradura típica de las textuales del norte de Europa101, las formas más redondeadas de la gótica textual fueron reservadas para el cuerpo del texto y no para la escritura publicitaria. En el interior de este sistema gótico sobresalen dos características en relación a la morfología de las letras: el tradicionalismo de las formas y la adopción de otras más
93 G. Cencetti, « Scriptoria e scritture nel monachesimo benedettino », in G. Cencetti (ed.), Scritti di paleografia, Zürich, Urs Graf, 1993, p. 184. 94 P. Fioretti, « Ordine del testo… », p. 546. 95 M. Vázquez Bertomeu, « El escritorio capitular compostelano (1460-1481) », Historia. Instituciones. Documentos, 24 (1997), p. 533. 96 AHUS, Universidad, Pergaminos, nº 254, 263, 269… y ABCS S14/28 y S14/51. 97 AHUS, Universidad, Pergaminos, nº 265. 98 C. del Camino Martínez, « Notarios y escritura, ¿un signo externo de distinción? », in Mª. A. Moreno Trujillo, J. Mª. de la Obra Sierra y Mª. J. Osorio Pérez (ed.), El notariado andaluz: institución, práctica notarial y archivos: siglo xvi, Granada, Universidad de Granada, 2011, p. 221. 99 C. del Camino Martínez, « El notariado apostólico en la Corona de Castilla: entre el regionalismo y la internacionalización gráfica », in O. Kresten y F. Lackner (ed.), Régionalisme et Internationalisme…, p. 317-330. 100 ABCS, S14/42 y 65; AHN, Clero secular-regular, carp. 495, nº. 14 y 15. 101 A. Derolez, The Palaeography of Gothic Manuscript Books, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
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Figure 3 : Título colativo de beneficio otorgado por el provisor de Santiago, Gonzalo de Ribeira, 1487, Archivo Histórico Universitario de Santiago, Fondo Universitario, Bienes, Pergamino 325, Santiago de Compostela. © Archivo Histórico Universitario de Santiago.
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propias del ámbito epigráfico. Por un lado, el mantenimiento de las mayúsculas con una fuerte carga de las unciales a lo largo del siglo xv evidencia un gran apego a la tradición gótica y, consecuentemente, el «conservadurismo gallego» en términos de historia de la escritura102. Este tradicionalismo no solo se manifestaba en las iniciales, sino que en ocasiones también lo hacía en letras del interior de la palabra103, las cuales se asemejaban más bien a la escritura publicitaria del siglo xiii104 (Fig. 3). Por otro, también en el interior de la palabra de escrituras distintivas de documentos y códices del siglo xv podemos encontrar formas que eran muy habituales en las inscripciones epigráficas de la Península Ibérica (a de cuatro trazos presente ya en las primeras inscripciones del siglo xiv, d angulosa con un astil muy prolongado o n/u descompuesta en dos trazos muy próximos pero que no se tocan105), conviviendo con otras góticas textuales fracturadas. Esta pervivencia de las formas góticas en la escritura distintiva, tanto sobre soportes blandos como duros, es indisociable de lo que estaba ocurriendo en ese instante en el campo de las artes o la cultura. En la pintura, la escultura o la arquitectura desarrolladas en Santiago en el siglo xv, se vivió un proceso de mantenimiento de las tendencias que venían de épocas anteriores o bien se produjeron una serie de influencias procedentes de la zona borgoñona y flamenca106; mientras que el primer tercio del siglo xvi supuso todavía una fase protorrenacentista107. No es de extrañar, entonces, que el mundo de la cultura escrita siguiese vinculado a la tradición gótica en cuanto a la arquitectura de la página de los códices108, su confección material109 o la frecuente actuación de manos arcaizantes que confirman el valor que se le dio a la escritura como imagen durante la Edad Media110. No obstante, la preponderancia del ciclo gótico no fue absoluta, puesto que durante la segunda mitad del siglo xv aparecen los primeros testimonios del
102 M. Lucas Álvarez, « Paleografía gallega… », p. 446. 103 AHUS, Universidad, Pergaminos, nº 326bis. 104 V. García Lobo, « La escritura publicitaria en la Península Ibérica. Siglos x-xiii », in W. Koch y C. Steininger (ed.), Inschrift und Material. Inschrift und Buchschrift, München, Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 1999, p. 175. 105 Mª. E. Martín López, « La escritura publicitaria en la Península Ibéricas. Siglo xv », in W. Koch y C. Steininger (ed.), Inschrift und Material…, p. 198. De igual manera, en algunas inscripciones funerarias como la del sepulcro del canónigo Martín López (1477) se aprecia que en Santiago también se introdujo la escritura gótica textual fracturada en el campo epigráfico. Para esta reciprocidad de influencias vid. N. Rodríguez Suárez, « Paleografía epigráfica: la transición hacia la letra gótica minúscula en las inscripciones españolas », in Mª. E. Martín López y V. García Lobo (ed.), Las inscripciones…, p. 469-477. 106 F. Rodríguez Iglesias (ed.), Galicia. Arte, t. X, A Coruña, Hércules, 1993, p. 367 y 406; ibid., t. XI, p. 489. 107 Ibid., t. XII, p. 57. 108 G. Montechi, « Il passaggio dalla produzione del libro manoscritto a quella del libro a stampa nel xv e nel xvi secolo », in G. P. Brizzi y M. G. Tavoni (ed.), Dalla pecia all’e-book. Libri per l’Università: stampa, editoria, circolazione e lettura, Bologna, Cooperativa Libraria Universitaria Editrice Bologna, 2009, p. 148. 109 E. Rodríguez Díaz, « La factura del códice gótico castellano », Gazette du livre médiéval, 47 (2005), p. 1-13. 110 M. B. Parkes, Their hands…, p. 144.
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sistema humanístico. De hecho, fue en la escritura distintiva donde más temprano se manifiestan estas innovaciones gráficas al emplearse las mayúsculas románicas111 o mayúsculas alla greca112 en algunos libros del cabildo catedralicio en la década de 1470. Aun así, este uso no fue constante ni afectó a toda la escritura publicitaria por igual, ya que en diversos documentos y cartularios capitulares las innovaciones en el campo de las mayúsculas convivieron en el interior de las palabras ornamentadas con las góticas textuales fracturadas113. Mientras tanto, entre los documentos de mayor solemnidad de la cancillería del arzobispo y de la oficina de su provisor, escritos en latín y con una humanística cursiva, el modelo gráfico empleado para su escritura publicitaria fue la capital epigráfica desde las últimas décadas del siglo xv, coincidiendo, así, con el «proceso de afirmación definitiva de la nueva estética que se inició a partir del tercer/cuarto cuarto del siglo xv»114 (Fig. 4). Estas innovaciones gráficas aparecieron durante el gobierno del arzobispo Alonso II de Fonseca, por lo que es muy probable que en este cambio de modelos gráficos hubiese influido el factor humano y cultural/ intelectual de la cancillería: desde los posibles contactos del prelado con la esfera cultural italiana del momento o sus largas estancias en Valladolid y Salamanca115, hasta otras figuras que o bien procedían del entorno del prelado – como el provisor Juan García de Gomara116 – o de ciudades castellanas donde la mentalidad humanística ya había calado (no descartamos en este sentdio que el notario de la audiencia del provisor, Diego de Salamanca, debiera su apellido a su lugar de origen). No obstante, todavía estamos lejos de poder evaluar cuál fue la profundidad de estos cambios: si este «nuevo orden» gráfico solo afectó al trabajo de unas oficinas concretas o bien a la identidad social, política y cultural de un grupo mayor117. En definitiva, la escritura distintiva de los documentos y códices de la Baja Edad Media no solo se configuró como un mecanismo de realce de una parte del texto, sino también como la manifestación de una realidad más compleja del producto escrito. 111 F. M. Gimeno Blay, « De la ‘luxurians littera’ a la ‘castigata et clara’. Del orden gráfico medieval al humanístico (siglos xv-xvi) », Litterae Caelestes, 2 (2007), p. 28. 112 A. Petrucci, « Scrivere alla greca nell’Italia del Quattrocento », in G. Cavallo, G. de Gregorio y M. Maniaci, (ed.), Scritture, libri e testi nelle aree provinciali di Bisanzio, t. II, Spoleto, Centro Italiano di Studi sull'Alto Medioevo, 1988, p. 499-517. 113 En nuestra opinión, esta introducción parcial en una misma palabra podría relacionarse quizás con la concepción de la palabra como una realidad intelectual y no gráfica, leyéndose letra por letra ( J. Morsel, « Ce qu’écrire… », p. 37). Una percepción que nos retrotrae a una práctica de lectura más lenta (B. Parkes, Their hands…, p. 67): la decodificación por el lector de la escritura distintiva, entendida más como una composición visual que una unidad gráfica, implicaba un gasto mayor de tiempo y esfuerzo por su parte que la lectura de las escrituras cursivas del cuerpo del texto. 114 F. M. Gimeno Blay, « Mirae antiqvitatis litterae qvarendae: poniendo orden entre las mayúsculas », in A. Castillo Gómez, Culturas del escrito en el mundo occidental: del Renacimiento a la Contemporaneidad, Madrid, Casa de Velázquez, 2015, p. 26. 115 M. Vázquez Bertomeu, « El arzobispo don Alonso II de Fonseca, notas para su estudio », Cuadernos de Estudios Gallegos, 47 (2000), p. 87-131. 116 Ibid., p. 91. 117 P. Fioretti, « Ordine del testo… », p. 541; F. M. Gimeno Blay, « Mirae antiqvitatis... », pp. 19-32.
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Figure 4 : Título colativo de beneficio otorgado por el arzobispo de Santiago, Alonso de Fonseca, 1492, Archivo Histórico Universitario de Santiago, Fondo Universitario, Bienes, Pergamino 332, Santiago de Compostela. © Archivo Histórico Universitario de Santiago
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De este modo, dependiendo de cómo el investigador afronte su análisis, los datos que este tipo de escritura puede aportar son diversos. Como elemento de un objeto material, la escritura publicitaria permitió una racionalización de la comunicación, una organización de la información y una jerarquía de ideas que hicieron efectiva la transmisión del mensaje. No obstante, el autor del documento/libro pretendía trasladar también una serie de valores e ideas que aparecen reflejadas en la confección material del producto escrito. En este sentido, la escritura distintiva se convierte en un elemento visual con el que vehicular, por ejemplo, la transmisión de la solemnidad del acto jurídico consignado o la autoridad de su otorgante. En Santiago de Compostela, los documentos episcopales más importantes (aquellos que imitaban la retórica visual de algunos papales) son la muestra más fehaciente de ello, alcanzando gran preocupación por estos componentes hasta el punto de ser los que primero recogen las innovaciones gráficas del ciclo humanístico. Una confección cuidada que se va haciendo más compleja a medida que avanzan las centurias, desde las estrategias más simples hasta aquellas que reflejan un multigrafismo relativo organizado con preferencia por las formas unciales y las textuales fracturadas. Finalmente, estas preferencias y prácticas no eran el resultado de un proceso aleatorio, sino de una serie de condicionantes que explican el conservadurismo de la escritura publicitaria en términos gráficos: la tipología de los diplomas, la enseñanza de la escritura distintiva en las notarías, la pervivencia de las técnicas góticas de elaboración de productos escritos o el tradicionalismo de las artes y la cultura en la ciudad en este período, solo transgredidas por la formación intelectual de ciertas figuras como los arzobispos y sus colaboradores más cercanos y los trabajadores de las oficinas episcopales.
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Florentin Bri ffaz
Formuler la prééminence du prince en Savoie (xiiie-xve siècles)
This paper focuses on the use of formulas in the principality of Savoy from the thirteenth to the fifteenth centuries. Through the study of Savoyard documentation in its diversity (especially cartularies, chronicles, but also accounting records, a cornerstone of princely production and a major focus of recent research), the aim of this contribution is to identify how the pre-eminence of the counts and later the dukes of Savoy was formulated. It is necessary to track and analyse these normative and repetitive elements; at the same time, it is imperative to wonder what actors are involved and who the addressees of this rhetoric of power are. The prince intends to show his superiority and to trace, through formulas, various connections, from nobility (during feudal reactivations for instance) to communities of inhabitants, with the use of subsidies for example.
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« Cestuy Felix vesquit avec François et Bourguignons, et si saignement se gouverna au temps des divisions de France, que son pays de Savoye estoit le plus riche, le plus seur et le plus plantureux de tous ses voisins1 ».
Quand Olivier de la Marche, l’un des plus éminents chroniqueurs bourguignons du xve siècle, dépeint, dans ses Mémoires, Amédée VIII, premier duc de Savoie puis pape sous le nom de Félix V de 1439 à 1449, le portrait est des plus élogieux. C’est là un véritable panégyrique du prince-pontife qui est offert au lecteur. S’il écrit
1 H. Beaune et J. D’Arbaumont (éd.), Mémoires d’Olivier de la Marche, maître d’hôtel et capitaine des gardes de Charles le Téméraire, publiés pour la Société de l’Histoire de France, Paris, Librairie Renouard, 1883, tome premier, p. 264. Florentin Briffaz • Université Lumière-Lyon 2 La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 111-136 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124025
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plusieurs décennies après les faits, Olivier de la Marche entend perpétuer le souvenir du souverain humbertien, au travers de ces quelques lignes fameuses qui tiennent du morceau de bravoure et d’une certaine recréation littéraire. En somme, le chroniqueur, après avoir fait état de la division de la chrétienté, écartelée entre deux obédiences papales, recrée pourtant l’unité autour de la figure consensuelle d’Amédée VIII-Félix V. Le maître des Alpes devenu ermite à Ripaille devient un modèle de tempérance. Dans ce paysage qui tient du topos, il apparaît comme un bienfaiteur pour ses sujets, leur assurant paix et prospérité en un temps d’incertitude. Et l’étymologie latine de son nom de pontificat vient naturellement en écho. Le témoignage d’Olivier de la Marche est cependant révélateur de l’image bienveillante accolée dès le xve siècle à la figure tutélaire d’Amédée VIII de Savoie. Il renvoie à la formulation de la prééminence du prince. Par le discours littéraire et édifiant du chroniqueur bourguignon, le duc-pape se distingue ainsi de ses contemporains par ses qualités et ses vertus. Il accède à une prééminence sociale en vertu de sa sagesse. Il devient l’archétype du bon prince qui est au-dessus du lot commun des gouvernants et des gouvernés. De la même façon que lui-même concevait (du moins dans le discours normatif) un projet de société dans laquelle il tenait la place éminente, Amédée VIII est figuré sous les traits d’un prince qui s’impose à tous pour éviter à la Savoie les troubles auxquels sont confrontés ses voisins. Or, la prééminence du prince est une thématique qui transparaît dans bon nombre de documents médiévaux mais également modernes. Deux ouvrages collectifs récents en particulier ont ainsi proposé une réflexion autour de ce processus et des marqueurs qui l’accompagnent dans des contextes variés. L’un est paru en 2010 sous la direction de Laurence Jean-Marie et de Christophe Maneuvrier avec pour titre Distinction et supériorité sociale (Moyen Âge et époque moderne)2 tandis que Jean-Philippe Genet et Igor Mineo ont consacré en 2014 un volume du programme européen Signs and States au thème du marquage de la prééminence sociale3. En réalité, ces deux entreprises s’inscrivent, de façon plus ou moins revendiquée, dans le cadre théorique et dans la filiation idéelle de la notion bourdieusienne de « distinction ». Mais la question de la récurrence de certains dispositifs langagiers exprimant cette prééminence sociale est d’une réelle acuité pour le Moyen Âge et notamment pour la Savoie comtale puis ducale. La période médiévale est en effet largement marquée par la dimension formulaire de nombre de ses écrits et ce, y compris dans des domaines insoupçonnés. Dans le cadre de la quatrième édition du Colloque interdisciplinaire sur la formule au Moyen Âge, l’accent a ainsi été mis sur la nécessité d’une compréhension du phénomène formulaire dans sa totalité et dans ses exemples les plus variés. Si par exemple, les travaux de Vincent Debiais ont mis en évidence cette culture globale
2 L. Jean-Marie et Chr. Maneuvrier (éd.), Distinction et supériorité sociale (Moyen Âge et époque moderne). Actes du colloque de Cerisy la Salle, 27-30 septembre 2007, Caen, Publications du CRAHM, 2010, 312 p. 3 J.-P. Genet et E. I. Mineo (dir.), Marquer la prééminence sociale, Rome-Paris, École française de Rome-Publications de la Sorbonne, 2014 (Collection de l’École française de Rome 485, Le pouvoir symbolique en Occident (1300-1640) – VI), 392 p.
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de l’écrit qui caractérise le Moyen Âge4, montrant que l’épigraphie ne saurait être pensée de façon isolée par rapport aux autres disciplines de l’érudition, il en est de même de la dimension formulaire. Celle-ci semble sourdre à chaque moment des documents médiévaux (écrits ou non) de façon plus ou moins limpide. Il n’est pas de support exclusif. Les plates-tombes funéraires comme les chroniques princières, les actes testamentaires ou encore les documents issus de la comptabilité domaniale par exemple sont empreints de dispositifs formulaires. En définitive, la formule devient l’expression matérielle et idéelle de cette globalité de l’écrit médiéval. La modeste étude proposée ici porte précisément sur l’usage de la formule dans le cadre de la principauté savoyarde du xiiie au xve siècle, en insistant notamment sur l’époque d’Amédée VIII, véritable moment d’apogée politique. À travers l’étude de la documentation savoyarde dans sa variété typologique (des chroniques aux documents de la comptabilité), l’objet de cette communication vise à repérer les marques de formulation de la prééminence des comtes puis ducs de Savoie. Il convient effectivement d’identifier et d’analyser ces dispositifs à la fois normatifs et répétitifs tout en s’interrogeant sur les différents acteurs qui sont mobilisés et qui sont les destinataires de cette rhétorique du pouvoir.
La principauté savoyarde, un laboratoire pour l’étude du phénomène formulaire au miroir de la question de la prééminence sociale Le cadre de l’enquête : une principauté alpine en expansion
Du xiiie au xve siècle, l’espace savoyard est travaillé par différentes dynamiques. La Savoie tardo-médiévale offre ainsi le visage d’une principauté d’empire établie de part et d’autre des Alpes. La dynastie humbertienne a tôt fait de s’assurer le contrôle de cols stratégiques, à l’instar du Mont-Cenis ou du Grand Saint-Bernard, pour n’en citer que deux. Dans un tableau comparatif très stimulant de trois principautés alpines (Savoie, Dauphiné, Provence), Anne Lemonde évoque « une spirale expansionniste impressionnante5 » pour qualifier la naissance et le développement de la première. Or, l’étude de la progression territoriale des Humbertiens est justement au fondement des travaux pionniers de Bernard Demotz, dont la thèse d’État fut consacrée à ce qu’il qualifie comme étant une « principauté réussie6 ». Il faut cependant se garder de toute lecture téléologique (la transmission du Faucigny par Béatrice de Savoie à son époux, le dauphin Guigues, en vertu de son 4 Cf. notamment V. Debiais, Messages de pierre. La lecture des inscriptions dans la communication médiévale (xiiie-xive siècle), Turnhout, Brepols Publishers, 2009 (Culture et sociétés médiévales 17), 422 p. 5 A. Lemonde, « Les principautés alpines occidentales de la fin du Moyen Âge (Savoie, Dauphiné, Provence). Étude comparée », Histoire des Alpes, 10 (2005), p. 187-202, ici p. 201. 6 B. Demotz, Le comté de Savoie du début du xiiie siècle au début du xve siècle. Étude du pouvoir dans une principauté réussie, thèse de doctorat sous la direction de Marcel Pacaut, Université Lyon III, 1985, 6 vol., 1093, 374 p.
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mariage en 1241, annonçait des lendemains qui chantent et créait de facto une enclave territoriale ennemie dans la Savoie en deçà des monts) et il est des événements impromptus qui ont pu jouer en la faveur des comtes puis ducs de Savoie (le sire de Thoire-Villars vend une large partie de ses terres de Dombes et de Bugey au comte de Savoie parce que son fils est mort deux ans plus tôt et parce qu’il est confronté à l’invasion du maréchal de Bourgogne7). La part des circonstances est parfois à réévaluer. Il ne faut pas non plus mésestimer les facteurs de contestation, de rivalités princières (la guerre delphino-savoyarde fut âpre dans des territoires comme le Bugey8 et ne prit fin qu’en 1355 lors du Traité de Paris ; le Dauphiné ayant été transporté en 1349 à la France) de résistance de certaines populations (on songera ici à la force avec laquelle les Faucignerans, spécialement dans la moyenne et la basse vallée de l’Arve, renâclèrent à l’idée de passer dans l’orbite savoyarde en 1355 ou encore à la longue révolte des Tuchins dans le Canavais9). En somme, il est des moments de défis et d’incertitudes, notamment lors des périodes de régence10 ou lors de la concession d’apanages comme le pays de Vaud ou le Piémont qui auraient pu constituer des nœuds gordiens. De même, l’affrontement militaire avec la Milan des Visconti au xve siècle qui tourne à l’avantage des seconds met au jour le fossé séparant les deux entités. Ces nuances préalables ayant été apportées, il convient de poser les principaux jalons de l’expansion savoyarde11. Celle-ci est réelle et se voit confortée par l’implantation de solides assises administratives. Du xiiie au xve siècle, les princes savoyards réussissent à gagner de nouveaux territoires, par la voie matrimoniale (c’est le cas de la Bresse
7 Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre article : Fl. Briffaz, « Amédée VIII et l’acquisition de la sirerie de Thoire-Villars ou la réussite d’une politique ambitieuse entre Saône et Rhône », in L. Perrillat (éd.), État et institutions : autour du 600e anniversaire de l’érection du comté de Savoie en duché. Actes du 46e congrès des sociétés savantes de Savoie, Saint-Jean-de-Maurienne, 1er-2 octobre 2016, Saint-Jean-de-Maurienne, Société d’histoire et d’archéologie de Maurienne, 2018, p. 57-72, spécialement p. 63-64. 8 Sur ce thème, l’ouvrage de référence est le suivant : A. Kersuzan, Défendre la Bresse et le Bugey. Les châteaux savoyards dans la guerre contre le Dauphiné (1282-1355), Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2005 (Collection d’histoire et d’archéologie médiévales 14), 433 p. 9 Cf. notamment A. Barbero, « La rivolta come strumento politico delle comunità rurali: il Tuchinaggio nel Canavese (1386-1391) » in A. Gamberini et G. Petralia (éd.), Linguaggi politici nell’Italia del Rinascimento, Rome, Viella, 2007, p. 245-266. 10 C’est le cas notamment lors de la régence de Yolande de France (1472-1478) lors de la minorité de son fils Philibert. Sur la période de régence et ses défis dans l’aire savoyarde, cf. entre autres L. Gaffuri, « Lo statum reginale tra distinzione ed eccezione : il caso sabaudo (xv secolo) », in J.-P. Genet et E. I. Mineo (dir.), Marquer la prééminence sociale, op. cit., p. 129-156. Les périodes de régence peuvent être marquées par des luttes de partis et de coteries ; c’est spécialement le cas au moment de la minorité d’Amédée VIII de 1393 à 1398. Sur ce point, cf. Fr. Cognasso, « L’influsso francese nello Stato sabaudo durante la minorità di Amedeo VIII. Note e documenti inedi », Mélanges d’archéologie et d’histoire, 35 (1915), p. 257-326. 11 Pour une mise en perspective de l’évolution de la géopolitique savoyarde, cf. dernièrement B. Demotz, « Diplomatie et géopolitique médiévales : les comtes de Savoie et les grandes puissances », in L. Perrillat (éd.), La Savoie et ses voisins dans l’histoire de l’Europe. Actes du 43e congrès des sociétés savantes de Savoie, Annecy, 11-12 septembre 2010, Annecy, Académie florimontane – Académie salésienne – Amis du Vieil Annecy, 2010, p. 15-24.
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en 1272 avec le mariage du prince héritier avec Sybille de Bâgé), l’achat (le comté de Genève en 1401), la conquête militaire (la terre de Gex en 1353 notamment) ou l’entrée en vassalité de certains potentats (par exemple les Lascaris de Tende, coseigneurs de la Brigue en 1406). Le tropisme vers les Alpes méridionales se confirme quand le Comte Rouge, à la suite d’une expédition célébrée dans les chroniques, prend possession de Nice et des Terres neuves de Provence en 1388, obtenant par là-même une petite façade maritime12. Dans le cadre de cette expansion brossée à large traits, il convient de faire une place toute particulière pour l’année 1416. Le 19 février, Amédée VIII est en effet élevé au rang de duc par l’empereur Sigismond en personne, terre d’Empire oblige. L’événement a un certain retentissement et surtout une postérité historiographique puisque les 600 ans de la naissance du duché ont donné lieu à toute une série de conférences et de colloques réunissant universitaires venus de plusieurs pays, témoins de cette histoire à la croisée des chemins aujourd’hui européens. Le principat d’Amédée VIII s’avère réellement un moment d’apogée politique et territorial pour la Savoie médiévale. Ainsi, d’après les calculs de Bernard Demotz, la principauté couvre une zone de quelque 45 000 km2, de la Saône à la plaine du Pô et de Fribourg à Nice. De plus, 175 châtellenies maillent plutôt efficacement le domaine direct13. Variété documentaire et occurrence formulaire
L’expansion princière entraîne un accroissement des territoires mais également de la production écrite, eu égard notamment à la gestion de nouveaux domaines et à la mise au point ou au perfectionnement de certains outils administratifs. Du xiiie au xve siècle, la Savoie comtale puis ducale est marquée par une variété de la documentation écrite14. En donner un inventaire exhaustif relève d’une gageure, mais il faut signaler quelques traits saillants. On trouve des cartulaires, des terriers, des extentes15, des chartes de franchises16, les protocoles des secrétaires comtaux
12 Le renouvellement historiographique a été guidé par les nombreux travaux de Laurent Ripart. Cf. entre autres L. Ripart, « La ‘Dédition’ de Nice à la Maison de Savoie : analyse critique d’un concept historiographique », Cahiers de la Méditerranée, 62 (2001), p. 17-45. 13 B. Demotz, Le comté de Savoie du xie au xve siècle. Pouvoir, château et État au Moyen Âge, Genève, Slatkine, 2000, p. 61. 14 Pour une présentation typologique de cette masse documentaire, cf. B. Andenmatten et G. Castelnuovo, « Produzione e conservazione documentarie nel principato sabaudo, xiii-xv secolo », Bullettino dell’Istituto italiano per il Medio Evo e Archivio Muratoriano, 110/1 (2008), p. 279-348. 15 Cf. N. Carrier et F. Mouthon, « Les ‘extentes’ de la principauté savoyarde (fin xiiie-fin xve siècle) : étude d’une source et de ses apports à la connaissance des structures agraires dans les Alpes du Nord », in G. Brunel, O. Guyotjeannin et J.-M. Moriceau (éd.), Terriers et plans terriers du xiiie au xviiie siècle. Actes du colloque de Paris (23-25 septembre 1998), Paris, École des Chartes-Association d’Histoire des Sociétés Rurales, 2002 (Bibliothèque d’Histoire Rurale 5, Mémoires et Documents de l’École des Chartes 62), p. 217-242. 16 L’étude de référence sur le sujet, mêlant analyse typologique, contexte politique et transcriptions en partie, demeure la suivante : R. Mariotte –Löber, Ville et seigneurie. Les chartes de franchises des comtes de Savoie, fin xiie siècle-1343, Annecy-Genève, Académie florimontane-Librairie Droz, 1973, XXIV-270 p.
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puis ducaux17, quelques chroniques princières – dont la plus fameuse et la plus aboutie, pour l’époque considérée, est sans nul doute celle de Cabaret18 –, quelques documents isolés et surtout l’immense champ de la comptabilité domaniale (comptes de châtellenies, comptes de la trésorerie générale, comptes de l’hôtel, comptes de péages, etc.). Les travaux pionniers de Jean-Louis Gaulin et de Christian Guilleré ont notamment mis l’accent sur les rouleaux de comptes des châtellenies savoyardes en insistant sur cette manne documentaire et son caractère remarquable à l’aune de l’Occident médiéval19. Nonobstant, dans ce panorama des sources de la Savoie médiévale, la formule apparaît souvent, et dans des domaines parfois insoupçonnés. Ainsi, le phénomène formulaire, comme on l’a dit, est constitutif de la culture écrite globale du Moyen Âge. Dans le domaine de la diplomatique20, cela peut sembler une évidence, notamment si l’on songe au discours de l’acte avec le protocole, le préambule du texte, les différentes clauses du dispositif et enfin l’eschatocole. Dans son introduction aux actes du colloque de 2010 qui se voulait un plaidoyer pour « une approche interdisciplinaire de la formule médiévale », Élise Louviot faisait remarquer que les diplomatistes, avec d’autres spécialistes d’autres disciplines, s’intéressaient depuis fort longtemps à la question21. On peut partir d’un exemple concret. Se trouvent ainsi aux Archives départementales de la Côte-d’Or quatre actes de la seconde moitié du xive siècle attachés ensemble et tous promulgués par le comte de Savoie en faveur du sire de Thoire-Villars22. Précisément, les actes sont rangés par ordre chronologique décroissant si l’on puit dire. En effet, les trois premiers actes sont des confirmations du quatrième acte, c’est-à-dire l’acte de référence de 1355 par lequel le sire de Thoire-Villars transfère au 17 Guido Castelnuovo a récemment consacré toute une étude à ce type bien particulier de documentation : G. Castelnuovo, « Les protocoles des comtes de Savoie, moyens et enjeux du pouvoir princier sur l’écrit (première moitié du xive siècle) », in A. Mailloux et L. Verdon, L’Enquête en questions. De la réalité à la « vérité » dans les modes de gouvernement (Moyen Âge-Temps modernes), Paris, CNRS Éditions, 2014, p. 185-193. 18 D. Chaubet (éd.), La Chronique de Savoye de Cabaret. Texte intégral, Chambéry, Éditions Comp’Act, 2006, 423 p. 19 Chr. Guilleré et J.-L. Gaulin, « Des rouleaux et des hommes : premières recherches sur les comptes de châtellenies savoyards », Études savoisiennes, 1 (1992), p. 51-108. Pas moins de 20 000 rouleaux de comptes de châtellenies sont ainsi conservés pour la période s’étalant entre le milieu du xiiie siècle et la fin du xve siècle. Depuis cet article pionnier, véritable appel à recherches, plusieurs études ont été menées et plusieurs bilans de mi-parcours ont été dressés. Cf. notamment A. Kersuzan, « Des châteaux et leurs rouleaux. Les comptes des châtellenies savoyardes du milieu du xiiie à la fin du xve siècle », in A.-M. Cocula et M. Combet (éd.), Château, livres et manuscrits ixe-xxie siècles. Actes des Rencontres d’Archéologie et d’Histoire du Périgord les 23, 24 et 25 septembre 2005, Bordeaux, Ausonius Éditions, 2006 (Scripta Varia 12), p. 41-58. 20 Cf. O. Guyotjeannin, J. Pycke et B. Tock, Diplomatique médiévale, Turnhout, Brepols Publishers, 20063 (L’Atelier du Médiéviste 2), 486 p. 21 É. Louviot, « Pour une approche interdisciplinaire de la formule médiévale », in É. Louviot (éd.), La Formule au Moyen Âge, Turnhout, Brepols Publishers, 2012 (ARTeM 15), p. 7-12, ici p. 9 : « […] la formule est également caractéristique de la culture écrite du Moyen Âge. L’étude des formules est ainsi depuis longtemps au cœur des travaux des codicologues, épigraphistes et diplomatistes, et joue un rôle fondamental dans l’attribution, la datation et la localisation géographique de nombreux documents ». 22 Archives départementales de la Côte-d’Or (désormais ADCO), B759.
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comte de Savoie l’hommage-lige qu’il devait au dauphin de Viennois. En échange – et c’est là la teneur essentielle du texte – le comte de Savoie, Amédée VI, s’engage à maintenir les libertés du sire de Thoire-Villars et à ne rien faire dans le ressort de ce dernier. C’est l’expression de la volonté éminente du prince vis-à-vis d’un nouveau vassal qui, jadis, lui menait la vie dure. L’intérêt majeur, au regard de la question formulaire, réside dans le discours et le vocabulaire des trois premiers actes (suivant l’ordre de lecture aux archives) qui sont des confirmations du pacte de non-agression consécutif à l’entrée en vassalité du sire de Thoire-Villars en 1355. Ces actes de confirmations interviennent à des époques différentes, lors de principats distincts : d’abord, si l’on suit la chronologie, le 16 octobre 1375 à Bourg-en-Bresse par Amédée VI de Savoie, dit le Comte Vert, puis le 8 février 1385 (a.st.) à Ripaille par Amédée VII dit le Comte Rouge, enfin le 15 mai 1396 à Châtillon-en-Dombes (actuelle Châtillon-sur-Chalaronne) par le jeune Amédée VIII. À chaque fois, la liste des témoins est fournie et l’on remarque les conseillers et grands officiers de la cour savoyarde. Ce qui retient l’attention ici, c’est la récurrence du vocabulaire ; les trois actes de confirmation s’appuient sur une même structure syntaxique et narrative qui revient comme une antienne : ex n[ost]ra certa sciencia om[n]ia [et] sing[u]la contenta in dictis l[itte]ris Rata [et] grata habentes l[itte]ras ip[s]as confirmamus iuxta ipsarum tenorem et eas p[er] quoscum[que] n[ost]ros officiarios [et] fideles obs[er]vari volumus [et] mandamus23. La défense d’ingérence dans les terres du sire de Thoire-Villars et le respect du pacte de 1355 sont signifiés avec force par le comte de Savoie à ses officiers et à ses fidèles. Si, dans la définition de la formule au Moyen Âge, on insiste sur le caractère figé, répétitif (voire banal si l’on songe aux usages de la chancellerie), il convient ici de mettre en avant l’idée d’amplification du discours par un phénomène de résonance. Le texte apparaît comme le support de l’autorité du prince et de son discours. La formule devient alors, comme on le voit dans l’exemple, une part de la rhétorique du pouvoir. Le fait que le contenu détaillé de l’acte de référence ne soit pas reprécisé est somme toute, sans vouloir surinterpréter, lourd de sens. Paradoxalement, par cette forme de silence (le bénéficiaire est cependant rappelé), l’acte originel prend d’autant plus d’importance. La présence d’une formule insistante, à des époques variées, et surtout face à des interlocuteurs qui ont changé, est là pour pérenniser le texte, même quarante-et-un ans plus tard. À travers ce petit exemple diplomatique savoyard, on retrouve ici toute l’ambivalence du phénomène formulaire. La formule est un dispositif langagier marquant pour le pouvoir qui peut s’en servir pour diffuser une décision et en augmenter la portée. Elle est intimement liée à l’exercice de la prééminence princière par le monopole du discours et par la marque efficace de l’autorité. C’est un support écrit et en même temps
23 « De notre certaine science, tenant pour valables et agréables toutes et chacune des choses contenues dans lesdites lettres, nous confirmons ces lettres mêmes selon leur teneur et nous voulons et exigeons qu’elles soient observées par nos officiers et fidèles, quels qu’ils soient ».
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l’expression d’une décision verbale. Elle est une parole redondante qui fonctionne de pair avec un référentiel silencieux ; elle se joue ainsi de l’explicite et de l’implicite. Si l’on regarde les autres types de documents issus de la production princière savoyarde, on s’aperçoit que le principe de la formule est au cœur du dispositif écrit. Ceci est particulièrement vrai dans le cas de documents dont la nature est intimement liée à la question des modèles et de leur sérialité. Parce qu’elle est répétition et parfois greffe textuelle dans un nouveau contexte, la formule peut devenir elle-même un référentiel. Dans le cas des chartes de franchises, à la suite des travaux précurseurs de Ruth Mariotte-Löber24, les spécialistes ont mis au jour des familles de chartes. L’analyse textuelle des blocs sémantiques communs, de l’organisation d’items les a conduits à établir une géographie de ces documents et à postuler l’existence de matrices documentaires et de réseaux d’influence. En définitive, c’est bien la formule qui est à la source de ces investigations ; l’établissement de « familles » de chartes provenant de l’analyse serrée et comparée des dispositifs langagiers et normatifs émanant de l’autorité compétente. La thématique formulaire se retrouve aussi au cœur des documents issus de la comptabilité princière, sur laquelle nous reviendrons. Il existe un véritable langage comptable. Les travaux de Christian Guilleré ont mis en évidence toute la richesse de ce type de source, en insistant sur le fait que ces documents ne sont pas produits par hasard et qu’ils procèdent d’un certain discours. Or, la part formulaire est d’autant plus grande que ce type de source est marqué par la sérialité et par des normes d’écriture (les documents sont mis au net). En outre, d’autres sources, de façon plus étonnante au premier abord, révèlent la prégnance du phénomène formulaire dans la Savoie tardo-médiévale. Il en est ainsi des chroniques, à commencer par la chronique de Cabaret, véritable geste des comtes de Savoie commandée par Amédée VIII, fraîchement promu au rang de duc par l’empereur. Ainsi, de façon plus implicite et plus étonnante encore, ce type de source est mâtiné de formules. La chronique de Cabaret fonctionne par rubriques. Or, à la manière de clauses diplomatiques, celles-ci reviennent fréquemment et fonctionnent par des groupes de mots « clé en main ». Cabaret livre un récit enjoué qui se fonde sur une histoire chronologique des différents princes qui se sont succédés à la tête de la Savoie, depuis les origines et le mythique Bérold le saxon, figure tutélaire créée ad hoc par le chroniqueur. À chaque avènement de prince, la formule suivante revient : « Chronique » de untel, son surnom éventuel, son quantième de nom éventuel (avec un décalage), et son quantième de règne. Vient ensuite une précision d’action. C’est en somme un canevas auquel se cantonne Cabaret qui présente toujours de la même façon le nouveau prince au pouvoir : (89) Cronique de Pierre de Savoye, conte novesme ; come il ala assecher Thurin et comme il prit les barons de Waud en bataillie (Pierre II, dit le Petit Charlemagne, r. 1263-1268)
24 Cf. n. 16.
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(100) Cronique de Amé quart dit Grand, .XIme. conte de Savoye ; come Thomas et Loys ses freres alerent chascun en leur contree (Amédée V, r. 1285-1323) (170) Cronique de Amé cinquesme, .XIIIIme. conte, appelé Verd ; rubrique come messire Loys de Savoye son oncle et le conte Amé de Geneve son cousin furent ses thueurs, et come apprés le decés de messire Loys de Savoye fut esleu messire Guillame de la Baulme a estre gouverneur du dit conte (Amédée VI, dit le Comte Vert, r. 1343-1383) (296) Cronique de Amé .VIme., conte .XVme. ; comment il ala servir le roy de France devant Bourbourg contre les Anglois (Amédée VII, dit le Comte Rouge, r. 1383-1391) (323) Cronique de Amé septieme, conte .XVIme., et premier duc de Savoye (Amédée VIII, r. 1391-1439) S’il ne faut pas surinterpréter les choses, cette formule, à côté d’une simplicité de façade, valorise l’accession au pouvoir du prince. Le vocabulaire est resserré mais on a principalement deux types de formulation dans cette source littéraire : d’un côté, la rubrique annonçant l’avènement d’un prince en Savoie introduit par le terme de « chronique », comme inaugurant un nouveau chapitre à l’intérieur du récit général lui-même ; de l’autre côté, des rubriques relatives aux événements (souvent des batailles et autres faits d’armes) commençant systématiquement ou presque par « comme ». La formule revêt alors une fonction symbolique et pratique. Le rythme du discours est marqué par un flot de rubriques événementielles. Or, la présence de la formule introduisant un nouveau souverain rompt d’une certaine façon cette dynamique pour mettre en valeur la figure princière. Elle est également un moyen mnémotechnique. La formule sert alors à la distinction textuelle et symbolique du personnage qui est derrière. Avec cet exemple, on retrouve toute l’ambivalence et, chemin faisant, toute la complexité du phénomène formulaire. La répétition suivant un canevas est à la base de ce fonctionnement. Ici, on perçoit bien un découpage du récit ainsi qu’un rehaut du prince par ce procédé. La généalogie des comtes puis ducs de Savoie se forge alors par résonance. Néanmoins, paradoxalement, la formule, aussi brève soit-elle, ménage une part de variation. Ici, on voit une forme de dissociation, de distinction dans la « chronique » de l’avènement par le surnom accolé à certains princes (« Le Grand » pour Amédée V, « Verd » pour Amédée VI, parangon chevaleresque). La phrase liminaire se clôture avec une forme de référence propre à chaque personnage. Pour Pierre II, le chroniqueur parle du siège de Turin ; Amédée VI est tout de suite qualifié avec ses tuteurs là où Amédée VII apparaît aux côtés du roi de France contre les Anglais. La formule ici liminaire, sorte d’en-tête, ne conduit pas à l’unification des destins des héros de la geste. On retrouve ici toute l’ambivalence formulaire, entre figement et souplesse. Une fenêtre est ouverte sur la variation. Cet aller-retour permanent, à la fois pratique de l’écrit et jeu sémantique, a été noté par Estelle Ingrand-Varenne dans son étude portant sur la place du latin et du français dans les inscriptions médiévales des xiie-
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xive siècles25. Consacrant tout un chapitre aux formules épigraphiques, elle met en évidence les mécanismes langagiers, faisant l’inventaire des éléments fixes et des variantes (par exemple, l’ordre des relatives). Cet aspect double, entre figement et souplesse, tient une bonne part de la définition de la formule proposée pour l’épigraphie par Estelle Ingrand-Varenne qui, malgré certaines spécificités liées au contexte de l’écriture, est en réalité opérante pour bon nombre de domaines de l’histoire : Une formule est une expression lexicale (rarement un syntagme nominal seul, plus régulièrement une collocation – c’est-à-dire l’association habituelle d’un mot à un autre, telle que bone memorie), ou verbale (obiit), ou composée (me fecit), dans certains cas une phrase entière (anima requiescat in pace). Cette expression, simple ou complexe, forme une unité, un cadre expressif. Les formules, en épigraphie, ne sont pas réservées à des thèmes spécifiques ni à des types particuliers d’inscriptions. Elles touchent l’ensemble du discours épigraphique. Plusieurs éléments participent à la définition de ce code formulaire : la récurrence dans les textes épigraphiques ; ce retour permet au lecteur de reconnaître l’expression en tant que formule ; la fixité de sa forme accompagnée d’une certaine souplesse dans ses variantes ; la qualité structurante pour le texte qui l’accueille à une place spécifique ; enfin le paradoxe des formules, le fait d’allier banalité (à cause de l’habitude engendrée par la répétition) et autorité26. Or, cette dualité finalement conciliable se retrouve d’une certaine façon dans la formulation de la chronique de Cabaret. Quand le chroniqueur évoque une expédition militaire d’un des princes (et c’est là l’horizon culturel nobiliaire auquel il est confronté), il commence par une phrase parlant du mandement comtal, à la façon d’un leitmotiv : « come il fit son mandement »27. Le morceau liminaire tient de la répétition, tandis que la fin de la phrase permet de distinguer le champ d’action et, par là-même de personnaliser le chapitre et le récit. Fixité et variation sont à nouveau réunies. La supériorité du prince, un enjeu de formulation
Si la documentation savoyarde des xiiie-xve siècles est largement marquée par le phénomène formulaire, la supériorité du prince devient un enjeu dont la production écrite s’en fait l’écho.
25 E. Ingrand-Varenne, Langues de bois, de pierre et de verre. Latin et français dans les inscriptions médiévales, Paris, Classiques Garnier, 2018 (Histoire culturelle 7), 579 p. 26 Ibid., p. 148. 27 Par exemple, quand le jeune Amédée (le futur Amédée VII), tout juste apanagé par son père en Bresse en 1377, fait ses premières armes militaires l’année suivante en combattant en Dombes contre le sire de Beaujeu : « (277) Comme Amé monseigneur fit son mandemant por guerreer le seigneur de Beaujeu » (La Chronique de Savoye de Cabaret, op. cit., p. 252) ou quand le Comte Vert décide de descendre en Italie du Sud aux côtés de Louis d’Anjou dans l’expédition (1382-1383) qui sera sa dernière séance chevaleresque : « (287) Comme le conte fit son mandemant pour aller a Rome et en Puillie » (Ibid., p. 259).
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On repère en effet une véritable tendance à l’affirmation princière. C’est un phénomène que l’on observe, toutes proportions gardées chez les Thoire-Villars à la toute fin du xive siècle. Le sire de Thoire-Villars se fait ainsi appeler « prince » par ses officiers28. Chez le duc de Bourbon, voisin d’une toute autre envergure, la tendance à l’affirmation d’une supériorité se lit également dans les actes29. Mais si l’on revient à la Savoie, il appert que la supériorité princière devient un véritable enjeu de formulation. Le principat d’Amédée VIII est assurément un tournant dans ce processus d’affirmation. L’obtention de la dignité ducale devient un marqueur qu’il convient d’inscrire dans la documentation écrite. Dès lors, le prince lui-même, arrivé au sommet de la hiérarchie, peut octroyer le titre comtal à des vassaux, manifestant ainsi par là-même autant sa magnificence que l’éclat de son rang. C’est le cas par exemple le 28 juin 1432 à Chambéry, lorsqu’Amédée VIII érige la baronnie de Villars en comté pour Philippe de Lévis. L’acte original, scellé du grand sceau du duc de Savoie, est fort soigné et contient une liste impressionnante de témoins (à commencer par l’héritier de la Maison) répartis en deux catégories, les chevaliers (milites) et les docteurs (doctores)30. Le document met en scène la prééminence du prince par la solennité de l’intitulation. Amédée VIII se présente en premier lieu avec tous ses titres. La titulature peut d’ailleurs être plus ou moins fictive et renvoyer à une idéologie, à un désir, une nostalgie ; on sait par exemple comment René d’Anjou, chassé de Naples par les Aragonais en 1442, continue de se faire appeler « roi de Jérusalem et de Sicile », selon une appellation devenue pour partie mémorielle, pour partie honorifique et fantasmée. Amédée VIII, dans l’acte de promotion de Philippe de Lévis au rang comtal, après une invocation à la Trinité, se pare de tous ses titres : Amedeus Dux Sabaudie Chablaysii et Auguste Princeps marchio in Italia Comes Pedemontium et Gebennensis valentinensisque et dyensis, etc.31. Cette accumulation de titres donne réellement un surcroît d’autorité et une préséance au prince. On retrouve cette énumération complète dans d’autres documents de la même époque, avec une nouvelle fois le jeu d’une formule écartelée entre fixité et variation. C’est le cas du testament d’Amédée VIII du 6 décembre 1439 dans lequel Nice et Verceil sont ajoutées à la longue liste32.
28 Pour ne prendre qu’un exemple, dans sa version latine, en 1405, Pierre Liatod, proche conseiller du sire de Thoire-Villars et de son épouse, se pose en « consiliarius magniffici et potentis principis domini humberti domini de thoyre et de villars » (conseiller du magnifique et puissant prince, seigneur Humbert, seigneur de Thoyre et de Villars) lorsqu’il écrit au bailli de Bresse et de Montagne (Archives nationales, P 1393², cote 938 quater). 29 Olivier Mattéoni fait ainsi remarquer que le trésorier du Forez, Étienne d’Entraigues, met en évidence le qualificatif de « prince » de son maître le duc de Bourbon dans le préambule de son compte de 1394-1397, ce qu’il ne faisait pas en 1382-1384 : O. Mattéoni, « Mots, langue et discours dans les comptes d’Étienne d’Entraigues, trésorier de Forez (2de moitié du xive siècle) », Comptabilités [En ligne], 4 (2012), disponible sur http://comptabilites.revues.org/1156 (consulté le 01 octobre 2016). 30 ADCO, B 760. 31 « Amédée, duc de Savoie, de Chablais et d’Aoste, Prince [de l’Empire], marquis en Italie, comte de Piémont, de Genève, de Valentinois et de Diois, etc. ». 32 Sur ce point, cf. l’article fondamental de Bernard Andenmatten et d’Agostino Paravicini Bagliani : B. Andenmatten et A. Paravicini Bagliani, « Le testament d’Amédée VIII » in B. Andenmatten et A. Paravicini Bagliani (éd.), Amédée VIII-Félix V, premier duc de Savoie et pape (1383-1451). Actes du
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Mais plus encore, tout ceci participe d’un même « projet de société » pour reprendre l’expression de Rinaldo Comba33. Celui-ci se trouve pleinement formulé dans la rédaction des Statuta Sabaudie, promulgués en 143034. Le prince entend ordonnancer la société de son temps autour de lui. Il définit une structure hiérarchique dont il occupe naturellement la plus haute place. Il légifère sur différents aspects, promulguant ainsi des lois somptuaires35. Cette vision surplombante se retrouve ainsi à différents niveaux documentaires. L’acte précité d’érection de la baronnie de Villars en comté est également une des formulations de la prééminence du prince. Amédée VIII, paré de tous ses titres, entend coiffer la structure hiérarchique qu’il impose par les termes, mais également par la disposition du texte. Ainsi, la liste des témoins est impressionnante. Le prince en sort d’autant plus grandi que ceux-ci sont de haute volée et appartiennent aux plus hautes sphères de l’administration et de la cour savoyardes. Mais surtout, dans le texte, les témoins sont répartis en deux groupes bien distincts, les chevaliers (milites) et les docteurs (doctores). La société est ainsi ordonnancée sous l’égide du prince.
Sanctionner la préséance princière par la formule Formuler l’omniprésence pour signifier la prééminence
Dans la documentation savoyarde, le prince est présent souvent par le biais de petites formules. Ce dispositif peut paraître évident et anecdotique, mais il relève colloque international, Ripaille-Lausanne, 23-26 octobre 1990, Lausanne, Bibliothèque historique vaudoise, 1992, p. 465-505 ; l’édition pour la première fois intégrale du testament par les deux auteurs se trouve p. 470-505. Les deux notaires et secrétaires ducaux présentent ainsi le testateur princier dans toute sa prééminence titrée : illustrissimus princeps et dominus noster excelsus dominus Amedeus dux Sabaudie, Chablaysii et Auguste princeps, marchio in Ytalia, comes Pedemontium et Gebennensium Valentinensisque et Dyensis ac dominus civitatum Nycie et Vercellarum (Ibid., p. 471, « Amédée, duc de Savoie, de Chablais et d’Aoste, prince, marquis en Italie, comte de Piémont, de Genève, de Valentinois et de Diois et seigneur des cités de Nice et de Verceil »). 33 R. Comba, « Les Decreta Sabaudiae d’Amédée VIII : un projet de société », in B. Andenmatten et A. Paravicini Bagliani (éd.), Amédée VIII-Félix V, premier duc de Savoie et pape (1383-1451), op. cit., p. 179-190. 34 Les Statuta Sabaudiae ont bénéficié récemment d’un vaste et beau programme de recherches de 2012 à 2015 (« La Loi du Prince. Les Statuts de Savoie de 1430 : les conditions de production, de diffusion et de réception ») financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique et piloté par Franco Morenzoni, Chantal Amman-Doubliez et Matthieu Caesar. Le programme a trouvé son aboutissement et son prolongement dans la tenue d’un grand colloque international à l’université de Genève du 2 au 4 février 2015. Les fruits de cette belle entreprise ont été livrés récemment en deux volumes : le premier a pour ambition de mettre à disposition des chercheurs « la première édition scientifique des Statuts de Savoie » tandis que le second correspond aux actes du colloque de Genève. Cf. Fr. Morenzoni (dir.), La loi du Prince. La raccolta normativa sabauda di Amedeo VIII (1430), Turin, Deputazione Subalpina di Storia Patria, 2019, 2 vol. Nous n’avons pas pu cependant prendre en compte ces deux volumes, parus après l’élaboration du présent article. 35 N. Bulst, « Les dépenses somptuaires dans les ordonnances du xve siècle », in B. Andenmatten et A. Paravicini Bagliani (éd.), Amédée VIII-Félix V, premier duc de Savoie et pape (1383-1451), op. cit., p. 191-200.
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en réalité d’un processus de construction de l’autorité prééminente en vertu d’une omniprésence dans le texte. Si l’on regarde la comptabilité, le cas est assez classique. Les premiers comptes sont peu prolixes, mais on voit au fur et à mesure que la présence du seigneur (presente domino) lors de la reddition de comptes à Chambéry ou ailleurs est précisée le cas échéant. Pour ne prendre qu’un exemple, le tout jeune comte Amédée VI assiste avec ses tuteurs à la reddition de comptes de Jean de Croso, châtelain d’Ambronay en 134436. Cette présence d’autorité du prince, ici comme seigneur domanial (per dominum), se retrouve dans la comptabilité du sire de Thoire-Villars, qui au xive siècle, n’hésite pas à faire écrire la mention « per devant nous », chaque fois qu’il assiste à la reddition de comptes de ses officiers. Plus encore, la mention mandato domini est là parfois, pour spécifier que le compte a été rendu sur l’ordre expresse du seigneur37. Les témoins sont qualifiés par ailleurs souvent en vertu de leur relation professionnelle de service envers le prince. Quand par exemple, Jacques de Fistillieu et Antoine Domengii sont présents lors de la remise du compte du châtelain de Gourdans, Pierre Gabet, en 1418, ils ne sont pas simplement des « maîtres et auditeurs des comptes », mais des « maîtres et auditeurs des comptes du seigneur »38. Il en va de même pour les clercs du seigneur, à l’instar de Jean dit Aiguebelle qui reçoit en cette qualité le compte d’Uffred de Chanet, châtelain de Billiat, à Chambéry en 131839. Tout est vu sous l’angle de la possession par le seigneur, y compris ses serviteurs.
36 P. Cattin et J. Dupasquier (éd.), Les comptes de la châtellenie d’Ambronay (Ain) aux xive et xve siècles (1318-1422), Bourg-en-Bresse, Les Amis des Archives de l’Ain – Les Amis du vieil Ambronay, 2011, p. 58, Compte de Jean de Croso de Montmélian, 23 janvier 1343-1322 juillet 1344 (ADCO, B 6693) : Computus Johannis de Croso de Montemeliano castellani Ambroniaci de redditibus et exitibus ejusdem castellanie a die XXIXa inclusive mensis januarii anno Domini millesimo CCC° XLIII° usque ad diem XXIII mensis julii exclus. anno Domini millesimo CCC° XLIIII° videlicet de uno anno integro et viginti quinque septimanis receptum apud Chamberiacum presentibus domino et ejus [tut]oribus et domino Petro Marescalci Guillelmo Boni et Petro Bonivardi famulis domini per Petrum Monachi de Chamberiaco clericum domini (« Compte de Jean de Croso, de Montmélian, châtelain d’Ambronay, des revenus et dépenses de ladite châtellenie du 29 janvier inclus de l’an du Seigneur et du millésime 1343 jusqu’au 23 juillet exclu de l’an du Seigneur et du millésime 1344, soit pendant une année entière et vingt-cinq semaines, reçu à Chambéry en présence du seigneur et de ses tuteurs et de messire Pierre Maréchal, de Guillaume Bon et de Pierre Bonivard, serviteurs du seigneur, par Pierre Moine, de Chambéry, clerc du seigneur »). 37 Par exemple, compte du damoiseau Pierre de La Balme, châtelain d’Ambronay, du 12 mars 1322 (inclus) au 12 mars 1333 (exclu), ADCO, B 6688, deuxième compte, éd. Ibid., p. 28 : Computus Petri de Balma domicelli castellani Ambroniaci […] receptus apud Burgum de mandato domini presente Johanne Marescalli per Humbertum Diderii de Chamberiaco (« Compte de Pierre de La Balme, damoiseau, châtelain d’Ambronay […] reçu à Bourg sur ordre du seigneur en présence de Jean Maréchal par Humbert Didier, de Chambéry »). 38 ADCO, B 7974 : … Receptus apud cha[m]b[eriacum] presentibus […] domino jacobo de fistilliaco et anthonio domne[n]gii magistris et auditoribus computorum domini (« … Reçu à Chambéry en présence de […] messire Jacques de Fistillieu et de Antoine Domengii, maîtres et auditeurs des comptes du seigneur »). Sur Antoine Domengii et Jacques de Fistillieu, maîtres et auditeurs des comptes, cf. G. Castelnuovo, Ufficiali e gentiluomini. La società politica sabauda nel tardo medioevo, Milan, FrancoAngeli, 1994, p. 195-196. 39 Compte d’Uffred (ou Guiffred) de Chanet 1er août 1317-1319 juin 1318 (ADCO, B 7051, premier compte), éd. Paul Cattin, Billiat et sa région (Ain) au xive siècle d’après les comptes de la châtellenie, Ambérieu-en-Bugey, Les Amis du Château des Allymes et de René de Lucinge, 1997 (Cahiers René de Lucinge 32), p. 33 :
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Certes, on peut y voir une forme de rationalité comptable, un effet de discours administratif, mais ce dispositif langagier, par la récurrence dans le texte, donne en réalité l’impression d’une omniprésence du seigneur, traduisant alors une prééminence sociale. Dans différentes rubriques des comptes, la formule mandato domini (« sur ordre du seigneur ») revient comme une antienne pour rappeler le monopole de décision et la primauté d’action du seigneur. En somme, on rejoint là le paradoxe du phénomène formulaire que mettait en avant Estelle Ingrand-Varenne dans sa définition, c’est-à-dire « le fait d’allier banalité (à cause de l’habitude engendrée par la répétition) et autorité »40. Cette remarque dans le contexte épigraphique est tout à fait opérante dans le cadre ici de la comptabilité domaniale. Ainsi, le panel de formules (per dominum, mandato domini, presente domino, per clericum domini) a une valeur explicative pratique. Par son aspect textuel simple, bref et répétitif, cet ensemble formulaire devient comme habituel donc banal. Pour autant, ce sont des marques de présence insistante du seigneur qui est à chaque bout de la chaîne comptable ; il passe des ordres de dépenses par exemple, impose la reddition de comptes et va jusqu’à être parfois physiquement présent lorsque l’officier remet son travail, ou indirectement et symboliquement par l’intermédiaire des maîtres et auditeurs des comptes, de ses familiers ou de ses serviteurs clercs. C’est en définitive un élément d’autorité. D’ailleurs, le terme même de dominus (« seigneur »), répété parfois à l’envi, est loin d’être neutre et renvoie, par son étymologie, au maître de maison et au chef. La dimension de possession, que l’on retrouve dans les expressions de famulus domini (« serviteur du seigneur »), d’auditores et magistri computorum domini (« auditeurs et maîtres des comptes du seigneur »), de scutiffer domini (« écuyer du seigneur ») ou de clericus domini (« clerc du seigneur »), pour ne prendre que quelques exemples, émerge en réalité de ce type de production. Le contrôle par l’autorité, dans le discours du moins, est donc plus resserré qu’il n’y paraît. Or, cet aller-retour entre banalité et autorité par le biais de la formule se retrouve sans doute davantage dans des documents comme les cartulaires d’hommages et les terriers. Le contexte est certes différent mais le phénomène formulaire est largement présent et pose la prééminence du prince. Ainsi, Amédée VIII de Savoie reçoit à Poncin, en 1423, toute une série d’hommages de la part de plusieurs vassaux du défunt sire de Thoire-Villars dont il vient d’hériter pour une large partie. Le texte est donné dans un cartulaire par une copie de 1460 à partir des protocoles du secrétaire ducal Jean Boubat. Or, le système fonctionne toujours de la même façon suivant un formulaire bien huilé : le vassal prête hommage au duc pour des possessions (terre, château) qui sont précisées et qui relevaient jadis du fief du sire de Thoire-Villars. L’exemple de l’hommage d’Humbert de Grolée, fils
… receptus apud Chamberiacum presentibus Domino Petro de Cella Nova milite Anthonio de Claramonte et Petro Francisci per Johannem dictum Aquabella clericum Domini (« … Reçu à Chambéry en présence de messire Pierre de Sallenôves, chevalier, d’Antoine de Clermont et de Pierre François, par Jean dit Aiguebelle, clerc du seigneur »). 40 cf. n. 25.
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aîné du chevalier Guillaume de Grolée, seigneur de Neyrieu, pour son château de Juis, est représentatif : Idem fecit homagiu[m] dicto d[omi]no n[ost]ro duci causa predicta pro castro et p[er]tinentiis de juys dudum moventibus de feudo et homagio nobili d[ic]ti q[uon]d[am] d[omi]ni de villars instr[ument]o recepto anno et indicione p[re] dictis die XVII julli41 La partie formulaire qui revient est l’item fecit homagium dicto domino nostro pro… ([untel] fit hommage audit notre seigneur pour…), ce qui, en soi, n’était pas forcément obligatoire. Or, on voit bien ici la présence accrue du seigneur face à son nouveau vassal. L’accent est bien mis sur cette nouvelle dépendance, en vertu d’une répétition textuelle. La formulation, aussi classique soit-elle, entraîne une résonance qui assoit l’autorité du prince. C’est une liste qui conduit à une sorte de géopolitique des fidélités pour un seigneur prééminent. Ce fonctionnement se retrouve également dans les terriers, par-delà la complexité de leur terminologie42. On a là affaire à des reconnaissances de tenures qui ne sont généralement pas le fruit de nobles. En Savoie, cependant, on observe une plasticité des termes et une grande influence du vocabulaire féodo-vassalique sur toute la documentation. Les tenures sont ainsi qualifiées ici assez souvent de fiefs, comme le constate Nicolas Carrier43. Dans l’exemple du registre-terrier de Miribel commencé en 138044, différents individus du mandement se reconnaissent la plupart du temps hommes liges du seigneur comte et tenir de lui une vigne, un brotel, un pré, une verchère ou autre chose. Les reconnaissances sont plus ou moins détaillées, mais le registre transcrit toujours de façon formulaire la dépendance par l’expression confitetur esse homo ligius domini nostri et confitetur se tenere a dicto domino nostro comite45…, suivant des variantes toujours proches de ce canevas. La formule sanctionne alors ce lien de dépendance et c’est bien ce rapport subalterne, moyennant redevance, qui est accentué. Le seigneur est à la fois protecteur et autorité de contrôle.
41 ADCO, B 1031, f. 165r. « Ledit [Humbert de Grolée] fit hommage audit seigneur notre duc, pour la raison susdite, pour le château et les dépendances de Juis, mouvant jadis de fief et d’hommage noble de feu ledit seigneur de Villars, l’instrument ayant été reçu l’année et l’indiction susdites et le dix-septième jour de juillet ». 42 Cf. N. Carrier et F. Mouthon, « Les ‘extentes’ de la principauté savoyarde (fin xiiie-fin xve siècle) », art. cit. 43 Constat notamment formulé à propos des extentes vaudoises dans : N. Carrier, Les usages de la servitude. Seigneurs et paysans dans le royaume de Bourgogne (vie-xve siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, p. 232. 44 ADCO, B 659. 45 « Il reconnaît être homme lige de notre seigneur et reconnaît tenir dudit seigneur notre comte… ».
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Formule et récipiendaire
Cette affirmation de la supériorité princière se retrouve vis-à-vis de différents interlocuteurs, c’est-à-dire de personnes au statut parfois fort varié. Dans le phénomène formulaire et le processus de construction de la prééminence sociale, il convient ainsi de s’intéresser à l’articulation entre l’émetteur46, la formule et, spécialement, le récipiendaire. Le prince cherche ainsi à affirmer sa supériorité et entend sanctionner par la formule des liens de dépendance à différentes échelles. Vis-à-vis de la noblesse, il apparaît comme un primus inter pares. Dans le cadre des réactivations fréquentes de liens de vassalité, il est à la tête d’un ensemble important de lignages parfois implantés localement depuis longtemps. Il devient le maître de la carte féodale. Mais d’une façon plus implicite encore, d’autres documents, par l’utilisation de formules, parfois très brèves, reflètent cette préséance à l’égard de la noblesse. Ce dernier groupe est certes hétérogène et il est des lignages turbulents. Néanmoins, la nécessité d’un service à l’égard du prince est solidement formulée dans les différents documents émanant du pouvoir. Les chroniques, comme on l’a vu avec l’exemple de la chronique de Cabaret, mettent en scène cette relation de dépendance. Les nobles se doivent de venir au mandement du comte pour participer aux expéditions militaires. Le moment de rassemblement des troupes devient un rituel dans le récit. Et le chroniqueur utilise de nombreuses formules pour sanctionner ce lien fort entre le prince et sa noblesse. Cela participe de l’idéologie humbertienne. La dimension chevaleresque reste fort prégnante aux xive-xve siècles et le comte devient un modèle pour sa noblesse parce qu’il prend lui-même les commandes de croisades (on songe ici à la croisade contre les Turcs en 1366-1367 du Comte Vert, parangon du prince chevaleresque) ou de societates aristocratiques (les ordres de chevalerie avec en Savoie, l’ordre du Collier par exemple47). La littérature s’en fait l’écho et c’est par ces vertus louées par les chroniqueurs que le prince obtient une forme de préséance sur la noblesse dont il magnifie l’ethos. Une autre source révèle également ce processus : il s’agit d’un questionnaire datant des années 1476-1477 rédigé par Perrinet Dupin48. Stipendié pour écrire une 46 Cf. notamment cette remarque liminaire de Jean-Philippe Genet ( J.-P. Genet, « Introduction », in J.-P. Genet et E. I. Mineo (dir.), Marquer la prééminence sociale, op. cit., p. 9) : « Analyser le politique à partir de la lettre seule du texte politique (qu’il soit pratique ou théorique) est insuffisant puisqu’il ne s’agit là que d’un seul système de signes alors même que, si l’on veut satisfaire aux exigences de l’analyse du discours, d’autres systèmes qui fonctionnent simultanément doivent être pris en compte, telles que la position sociale ou intellectuelle de l’émetteur, les conditions matérielles de production du discours, les spécificités de la prononciation ou la gestique de l’émetteur lorsqu’il s’agit d’une parole ». 47 Sur cette thématique, cf. les travaux de Laurent Ripart, entre autres L. Ripart, « Sociabilité aristocratique et religion princière. L’exemple des ordres princiers de chevalerie savoyards (milieu xive – milieu xve siècle », in P. Paravy et I. Taddei (dir.), Les lieux de sociabilité à la fin du Moyen Âge. Journées d’études des 19-20 avril 2002, Grenoble, CHRIPA (Cahiers du CRHIPA 9), 2006, p. 75-91. 48 Source présentée et éditée par Daniel Chaubet dans : D. Chaubet, « Une enquête historique en Savoie au xve siècle », Journal des Savants, 1-2 (1984), p. 93-125.
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chronique relatant les hauts faits d’Amédée VIII, il demande des informations à son employeuse, la duchesse Yolande, sur certains points afin de mener à bien son travail. Le questionnaire tient assurément du formulaire ; Perrinet Dupin emploie toujours ou presque les mêmes phrases pour poser ses questions : « Item est neccessaire au dit Perrinet savoir » ; « Item requiert Dupin estre adcertennez, se » ; « item convient savoir » ; item convient que Dupin saiche ». Celles-ci peuvent porter sur des événements politiques, sur l’histoire féodale, sur une date oubliée. Perrinet Dupin est cependant grandement attentif à la geste nobiliaire, demandant les noms par exemple des nobles combattant dans l’ost comtal. Comme le montre la question à propos de l’expédition milanaise d’Amédée VIII, il intègre l’idéologie en vigueur qui fait du prince un chef de bataille auprès duquel viennent se ranger les membres de la noblesse : XIIII) Item est neccessaire que Dupin saiche a quel tiltre le conte Amé de Savoye, aprés qu’il ot pris nom de duc, fit guerre au duc de Milan, quelx gens de ses subjectz en ceste guerre l’acompaignerent, et que on dye de Bresse vindrent tieulx et tieulx, et de Vaux tieulx signeurs acompagniez de tieulx chevaliers et escuiers portans tieulx anseignez et divises, et semblablemant de toutes les parties subjectez au duc de Savoye. Et ces choses sont licitez de savoir et de escripre, pour honneur des nobles, qui souvanteffoiz employent une grant part de ce qu’ilz ont pour eulx mectre en point, si qu’ilz puissent honnourablemant servir leur prince. Aussi convient savoir, et que cy dessoubz soyent escriz, les noms des mareschaulx, chiefz de guerre et conseilliers de l’armee, l’arroy ouquel le duc estoit et qui portoit son grant anseigne49. La dimension bellique mâtine encore largement l’horizon nobiliaire auquel est confronté le chroniqueur. Primus inter pares, noble excellent, le prince se trouve naturellement à la tête de sa noblesse en endossant l’armure du chef de guerre, celui qui met en ordre de bataille les aristocrates de ses États. Le questionnaire, tout entier imprégné de l’esprit de cour et de l’éthique de l’honneur, participe de cette formulation de la prééminence ducale comme vectrice d’adhésion de la sanior pars, la société nobiliaire. Mais le prince cherche à affirmer sa supériorité à l’égard de différents acteurs, nobles mais également non nobles. Les communautés d’habitants, suivant des modalités parfois complexes et variables, sont mises à contribution lors des subsides, ces dépenses extraordinaires à l’occasion d’une expédition militaire par exemple, d’un mariage ou d’un achat entre autres. Par exemple, un subside est levé dans la châtellenie de Chaumont en 1403, pour l’achat du comté de Genève deux ans plus tôt et pour les festivités liées à la venue de la comtesse de Savoie, Marie de Bourgogne50. Les comptes de subsides sont eux aussi empreints de formules. Les préambules évoquent systématiquement ou presque une concession au seigneur (de subsidio
49 Ibid., p. 109. 50 Archives départementales de la Haute-Savoie, SA 11231.
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concesso domino51), des « dons »52 ou des « subventions » comme c’est le cas au Châtelard en 1327 (de receptis et lib[ra]tis f[ac]tis p[er] ip[su]m de subvent[i]o[n]ibus f[ac]tis d[omi]no p[er] ho[m]i[n]es castell[an]ie53). Parfois, comme à Yvoire en 1356-1358, le qualificatif de « grace especiale » en latin est là pour souligner plus encore l’effort fourni par la communauté pour son seigneur éminent54. Mais c’est bien la figure du dominus qui apparaît en dernier ressort lors de ces levées qui, normalement, relèvent de l’exception. Elles se généralisent en Savoie à partir de 1331. Elles portent sur chaque feu, c’est donc le nom du chef de famille qui est inscrit à chaque fois. En outre, la supériorité du prince est affirmée à l’égard d’individus et de statuts en particulier. L’affirmation comtale puis ducale s’effectue spécialement vis-à-vis des officiers, dont la majorité se trouve être noble55. Certes, les phénomènes d’engagement ou d’inféodation de châtellenies révèlent, sinon des failles, du moins des faiblesses dans le système. Mais, du xiiie au xve siècle, on repère un contrôle assez étroit du prince à l’égard du monde des officiers. À nouveau, le phénomène formulaire est au cœur de ce dispositif et en révèle toute la force, du moins dans le discours. L’exemple des comptes des châtelains, officiers nommés par le seigneur et mutables et révocables à merci normalement, est tout à fait révélateur. On voit émerger une formulation visant à réprimer toute tentative de corruption de la part de l’officier.
51 Cf. notamment le compte du subside de deux ans levé (pour la succession de Bretagne) sur la châtellenie de Yenne à partir de la Toussaint 1346 et reçu à Chambéry en avril 1348, Archives départementales de la Savoie (désormais ADS), SA 10551, dixième peau : Computus Eiusdem cast[e]ll[an]i de subsidio [con] cesso d[omi]no in cast[e]ll[an]ia p[re]d[ic]ta p[ro] f[ac]to duchissie brittagnie p[ro] solut[i]o[n]e f[ac]ta Regi f[ra]ncor[um] Rat[i]one successionis d[ic]to (sic) d[omi]na (sic) duchissie filie d[omi]ni Com[itis] edd[uardi] q[uo]nd[am] p[er] duos annos Inceptos in festo o[mni]um s[anc]tor[um] anno CCC°XLVI° et dare [con]ven[er]u[n]t videl[icet] illi de infra villam et f[ra]nchesiam yenne ducentu[m] floren[os] semel… (« Compte dudit châtelain du subside concédé au seigneur dans la châtellenie susdite pour l’affaire de la duchesse de Bretagne pour le paiement au roi des Francs en raison de la succession de ladite dame la duchesse, fille de feu le seigneur comte Édouard, pendant deux ans commençant à la fête de Toussaint 1346 ; et précisément ceux qui habitent à l’intérieur de la ville et de la franchise de Yenne convinrent de donner deux-cents florins une fois… »). 52 Par exemple Compte de subsides d’Ugine reçu en 1354, ADS, SA 12440 : de donis seu subsidio f[ac]to d[omi]no p[er] gentes d[ic]te castell[an]ie rat[i]o[n]e sue nove militie mense julii anno d[omi]ni mill[es]i[m] o CCC LIII… (« des dons ou du subside accordé au seigneur par les gens de ladite châtellenie à cause de sa nouvelle milice du mois de juillet en l’an du Seigneur et pour le millésime 1343 »). 53 Compte de subside reçu à Chambéry le 15 mai 1327, ADS, SA 8837 : « des recettes et des dépenses effectuées par lui-même, des subventions versées au seigneur par les hommes de la châtellenie ». 54 Compte d’un subside levé dans la châtellenie d’Yvoire pendant trois années à partir de Pâques 1356, ADS, SA 15772 : de subsidio [con]cesso d[omi]no de grac[ia] sp[eci]ali per banneretos Religiosos et ceteros nob[i]les ip[s]ius cast[e]ll[an]ie ac p[er] ho[m]i[n]es d[omi]ni eiusdem cast[e]ll[an]ie… (« du subside concédé au seigneur de grâce spéciale par les bannerets, les religieux et tous les autres nobles de ladite châtellenie et par les hommes du seigneur de ladite châtellenie… »). 55 Selon les calculs de Bernard Demotz, depuis le xiiie siècle, entre 70 et 90% des baillis et châtelains savoyards sont issus des rangs de l’aristocratie : B. Demotz, Le comté de Savoie du xie au xve siècle, op. cit., p. 403.
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Les premiers rouleaux de comptes ne sont pas très prolixes en la matière. On a simplement à certains moments le rappel de l’interdiction de pots-de-vin, sous peine d’une amende de cinquante livres viennoises, comme c’est le cas à la toute fin du compte de Molier de La Gelière, châtelain de Saint-André-de-Revermont portant sur la période allant du lundi 15 avril 1297 au mardi 15 avril 129856. Mais aux xive-xve siècles, on observe l’apparition puis la fixation d’une véritable formule en fin de préambule du compte, c’est-à-dire avant le début des rubriques. L’officier châtelain jure de rendre son compte de façon honnête et fidèle sous peine d’une amende de vingt-cinq livres fortes. Si l’on compare les différents comptes des années 1350 aux années 1430, on observe une formulation quasiment identique. ADS, SA 8310, Beaufort, 19 juillet 1355-1314 mars 1356 (premier compte après l’échange – permutatio – avec le Dauphin) : Et est sciendum q[uod] d[ict]us d[omi]n[u]s chivrionis cast[e]ll[anu]s juravit et sub pena vigi[n]ti q[u]inq[ue] libr[arum] fort[ium] totiens co[m]ittenda quotiens [con]trarium rep[er]iretur bene et fidel[ite]r [com]putare de Receptis et libratis factis p[er] ip[su]m vel p[er] alium eius no[m]i[n]e quoquom[od] o – Et castru[m] et edifficia d[omi]ni ad sostam ten[er]e suptibus (sic) d[omi]ni57 ADCO, B 8380, Miribel, 1er mars 1385-1er avril 1386 (a.st.) : Qui Castellanus Juravit Et sub pena viginti quinq[ue] l[i]br[arum] fort[ium] totiens co[m]ittenda p[er] ip[su]m quotiens Contrarium Rep[er]iretur bene [et] fidelit[er] co[m]putare de om[n]ib[us] [et] singulis Receptis [et] lib[ra]tis f[ac] tis p[er] ip[su]m cast[e]ll[anu]m aut alium eius no[m]i[n]e p[ro] d[omi]no quo quo modo Castrum q[ue] et edifficia d[omi]ni ad sostam ten[er]e sumptibus d[omi]ni mod[er]atis58 ADCO, B 7286, compte des eaux, forêts et étangs de Bresse, Valbonne et Revermont, 18 mai 1393-1325 juin 1395 :
56 ADCO, B 9521, document transcrit sur le site castellanie (http: http://www.castellanie.net/txt. php?id=B9521&n=1&v=2), l. 98 : Inhibitum est castellano sub pena quinquaginta librarum viennensium ne faciat vel recipiat aliquas drulias : quod si fecerit exigeretur ab eo pena et nulla remissio sibi fiat (« Il est défendu au châtelain, sous peine de cinquante livres viennoises de faire ou de recevoir quelque bonne main : et si jamais il le fait, qu’une peine lui soit infligée et qu’aucune remise ne lui soit accordée »). 57 « Et il faut savoir que ledit seigneur de Chevron, le châtelain, jura, et sous peine de vingt-cinq livres forts à lui infliger chaque fois qu’il aura été trouvé faisant le contraire, de bien et fidèlement rendre compte des revenus et dépenses faites par lui-même ou par quelqu’un d’autre en son nom, de quelque manière que ce soit, et de tenir avec profit le château et les édifices du seigneur aux frais du seigneur ». 58 « Lequel châtelain jura, et sous peine de vingt-cinq livres forts à lui infliger chaque fois qu’il aura été trouvé lui-même faisant le contraire, de bien et fidèlement rendre compte de tous et chacun des revenus et dépenses faites par le châtelain même ou par quelqu’un d’autre en son nom pour le seigneur, de quelque manière que ce soit, et de tenir avec profit le château et les édifices du seigneur aux frais modérés du seigneur ».
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Qui Guiffredus de Rampone rector Juravit Et sub pena vigintiqui[n]q[ue] l[i] br[arum] fort[ium] per Ip[su]m totiens co[m]mittenda quotiens contrarium Rep[er]iretur – bene [et] fideliter computare de om[n]ib[us] et singulis Receptis et libratis factis per Ip[su]m Aut alium eius no[m]i[n]e pro d[omi]no in dicto officio quoq[u]omodo59 ADS, SA 14244, Sallanches, 24 juin 1430-1415 mai 1431 (concédé à Bonne de Berry, princesse d’Armagnac, la mère du duc de Savoie) : Qui locumtenens et procurator iuravit – Et sub pena viginti quinq[ue] librarum fortium Totiens Comittenda per ipsum quotiens contrariu[m] Reperiretur bene et fideliter dicte domine nostre Computare de omnib[us] et Sing[u]lis receptis et libratis factis per eum aut alium eius nomi[n]e in dicto officio pro domina quoquomodo Castrum q[ue] et edifficia que d[ic]ta domina nostra habet ibidem ad sostam tenere sumptibus eiusdem domine nostre moderatis60 » On retrouve l’aspect formulaire dans toute son ampleur, avec une grande fixité et une faible propension à la variation. Les comptes de subsides particuliers peuvent contenir également cette phrase. Il faut bien prendre en compte la question du récipiendaire. Ici, on voit bien une volonté de contrôle plus resserré de l’office. La formule ici sanctionne un lien de dépendance plus étroit entre le châtelain et son seigneur. Le premier prête serment de fidélité au second dans l’exercice de sa charge. La fides, comme dans le cadre féodo-vassalique, est à la base des relations, ici administratives ; elle est marque de soumission au seigneur. Le prince, maître en son domaine, renforce d’autant plus sa prééminence qu’il établit une forme de pression à l’égard de son officier par la menace pécuniaire en cas de concussion ou d’autres fautes. Dispositifs langagiers et représentation sociale
Ainsi, le phénomène formulaire renvoie, de façon plus ou moins implicite à une certaine représentation sociale. Dans ses remarques concluant les actes du volume consacré à la distinction et à la supériorité sociale61, Thierry Dutour insiste sur ce processus constant de construction, après avoir préalablement rappelé que la distinction sociale ne peut exister que par rapport à autrui :
59 « Lequel Guiffrey de Rampone, recteur, jura, et sous peine de vingt-cinq livres forts à lui infliger chaque fois qu’il aura été trouvé lui-même faisant le contraire, de bien et fidèlement rendre compte de tous et chacun des revenus et dépenses faites par lui-même ou par quelqu’un d’autre en son nom pour le seigneur dans ledit office, de quelque manière que ce soit ». 60 « Lequel lieutenant et procureur jura, et sous peine de vingt-cinq livres forts à lui infliger chaque fois qu’il aura été trouvé lui-même faisant le contraire, de bien et fidèlement rendre compte à notre dite dame de tous et chacun des revenus et dépenses faites par lui-même ou par quelqu’un d’autre en son nom dans ledit office pour la dame, de quelque manière que ce soit, et de tenir avec profit le château et les édifices que notre dite dame possède là même aux frais modérés de notre dame ». 61 T. Dutour, « Construire et justifier la supériorité sociale (ixe-xviiie siècle). Réflexions sur la pensée de sens commun », in L. Jean-Marie et Chr. Maneuvrier (éd.), Distinction et supériorité sociale (Moyen Âge et époque moderne), op. cit., p. 289-302.
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Mais la perspective de la rencontre dont ce volume est issu était de développer une interrogation sur les processus de construction, d’expression et de justification de la distinction sociale et donc de la supériorité sociale. Cette perspective envisage la réalité sociale comme une construction permanente ; elle donne comme objet à l’enquête les relations entre les individus et les supports extériorisés et objectivés de ces relations, envisagés comme le produit, en constante évolution de ces dernières (et comme ressources de l’activité humaine). Elle a peu à voir avec celles qui ont dominé le passé de notre historiographie62. Or, dans le cadre de cette enquête sur la formulation de la prééminence du prince en Savoie, l’idée d’un processus, d’une dynamique politique par le biais de ces dispositifs langagiers récurrents est essentielle. En effet, le discours de l’autorité prend d’autant plus de force qu’il est porté par des formules, à l’égard d’interlocuteurs variés. Celles-ci peuvent alors colporter de façon insistante une certaine vision sociale. Amédée VIII par exemple, même s’il n’est pas le premier, loin s’en faut, a une réelle activité normative, ce dont témoigne la promulgation en 1430 des Statuta Sabaudie. Il entend penser la société de son temps de façon hiérarchisée, c’est-à-dire avec des codes par exemple vestimentaires régissant les différentes strates. Or, en y regardant de plus près, la documentation savoyarde des xiiie-xve siècles, même non normative, s’avère porter, sous certaines réserves, le discours du prince éminent qui se représente la société. Ainsi, si l’on reprend l’étude des comptes de subsides, en particulier ceux des années 1330, soit les années du principat d’Aymon, on observe une véritable formulation (classique d’ailleurs) de classement des groupes sociaux. C’est une source certes difficile à manier, car les statuts des personnes et les individus eux-mêmes mis à contribution peuvent varier suivant les époques. Toujours est-il qu’entre 1331 et 1334, les comptes de subsides de Conflans, de Pont-deBeauvoisin, d’Entremont ou de La Rochette par exemple, utilisent la même formule, sans variante ou presque : l’officier rend compte de subsidio concesso domini Aymoni comite Sabaudie per religiosos nobiles et non nobiles63. Ce faisant, cette répartition en trois groupes rappelle furieusement l’opposition classique entre les oratores, les bellatores et les laboratores. Mais dans l’exemple du subside, la dernière catégorie est désignée en réalité en creux, c’est-à-dire par ce qu’elle n’est pas. La formule comptable se fait alors l’écho de la représentation sociale. Elle est cependant le support de changements et de tâtonnements. C’est notamment le cas pour le groupe nobiliaire qui apparaît de façon relativement hétérogène. La formule devient un outil de distinction sociale et un outil d’ordonnancement de la noblesse du pays par le prince. Ainsi, la dimension militaire et chevaleresque demeure fortement ancrée dans l’imaginaire collectif de la Savoie tardo-médiévale. Il convient de distinguer les bannerets, c’est-à-dire ceux qui peuvent rejoindre l’ost comtal en levant bannière. Voilà pourquoi le châtelain d’Yvoire rend compte de subsidio [con]cesso d[omi]no de gra[ci]a sp[ec]iali per banneretos Religiosos et ceteros 62 Ibid., p. 291. 63 ADS, SA 9004 ; SA 9736 ; SA 9090 et SA 9896 : « du subside concédé au seigneur Aymon comte de Savoie par les religieux, les nobles et les non nobles ».
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nob[i]les ip[s]ius cast[e]ll[an]ie ac p[er] ho[m]i[n]es d[omi]ni eiusdem cast[e]ll[an] ie64. L’ordre a changé ici et la noblesse s’est stratifiée avec l’apparition des bannerets en figure de proue. Ceux qui lèvent bannière viennent même avant ceux qui prient. À d’autres moments, le groupe se complexifie encore ; en 1439, le compte du subside de Monthoux, rendu à Amédée VIII, devenu Félix V, propose une triple graduation de la noblesse, des barons aux simples nobles en passant par les bannerets65. Mais le statut des autres personnes, des non nobles est un véritable enjeu de dénomination et dépend aussi de logiques variables de contribution. Les subsides ont aussi des exceptions. Les autres ne sont plus nécessairement qualifiés en fonction des nobles, mais plutôt en fonction du seigneur, façon là encore de marquer la proximité avec le prince éminent et un degré élevé de dépendance. Ce sont les hommes du seigneur (homines domini) voire ses « hommes propres ». À défaut, on précise simplement qu’ils sont des habitants du mandement ou des paroissiens, puisque la paroisse peut être la cellule pour regrouper et compter les feux.
Conclusion Jaillissant à différentes sources de la documentation émanant de l’autorité princière, le phénomène formulaire se rencontre ainsi fréquemment dans les écrits de la Savoie tardo-médiévale. La question même de la prééminence du prince constitue un enjeu important dans le cadre politique et idéel de cette vaste principauté établie de part et d’autre des Alpes. La formule devient alors l’expression de ce discours social et ce, de façon plus ou moins avouée. La Savoie constitue en effet un laboratoire de choix pour l’étude du phénomène formulaire au miroir de sources administratives comme le sont les impressionnantes séries issues de la comptabilité domaniale. Si le discours de supériorité sociale est exprimé pleinement dans les sources normatives comme les Statuta Sabaudie, qui proposent une vision hiérarchique et stratifiée de la société dans laquelle le prince coifferait la structure, un tel dessein n’est, de prime abord, pas perceptible avec la même acuité lorsque l’on déroule le compte d’un châtelain du xiiie siècle. Et pourtant, sans vouloir surinterpréter, la comptabilité est bien loin d’être cette matière trop longtemps vue comme neutre et sans saveur. Au contraire, plus qu’un simple document de gestion, le compte exhale un parfum de préséance princière, par le jeu subtil du vocabulaire, mais aussi par l’usage de structures répétitives disposées suivant une certaine logique. Le prince entend exprimer sa supériorité et sanctionner par l’usage de la formule des liens de dépendance à l’égard de différents acteurs de la société, en particulier vis-à-vis de la noblesse de ses pays dont il est encore le chef de bataille. Les chroniques de cour continuent de valoriser l’éthos aristocratique et le moment de la mise en ordre de la noblesse en armes devient un passage obligé du texte littéraire suivant un usage formulaire du récit.
64 ADS, SA 15772 : « du subside concédé au seigneur de grâce spéciale par les bannerets, les religieux et tous les autres nobles de ladite châtellenie et par les hommes de la même châtellenie ». 65 ADS, SA 14000.
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En somme, comme nous avons tenté de le mettre en évidence, la documentation écrite savoyarde montre dans sa diversité typologique l’importance de l’usage de la formule, spécialement comme marqueur de la prééminence du prince. Toute une série de dispositifs est mise en place ; formuler l’omniprésence du prince revient par exemple à placer au cœur de l’acte et du discours son excellence. L’exemple savoyard illustre, nous semble-t-il, la centralité de la formule dans la culture écrite du Moyen Âge. Elle est d’ailleurs un des marqueurs fort élaborés des circulations et des interactions entre les différents supports qui structurent la pensée et l’expression du pouvoir. Le phénomène formulaire peut évoluer largement dans les sphères de l’implicite et transgresser les frontières documentaires par un jeu d’écho. Un document administratif par exemple comme un cartulaire d’hommages recueille une formulation interne tout comme il transpose, acclimate et développe selon l’ordre du prince la formule rituelle, gestuelle et orale des cérémonies féodo-vassaliques.
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Récits
Anne M athieu et Colette Stévanovitch
Les formules désignant le roi Arthur dans l’Alliterative Morte Arthure
Formulas were the basic units of composition in the oral tradition from which Old English poetry originated; their role and use decreased in Middle English poetry owing to the renewal of themes and metrics that took place under the influence of the French tradition. The Alliterative Morte Arthure differs from the other Middle English Arthurian poems in form – the alliterative verse, analogous to the verse form used in Old English poetry – and in genre – it is an epic poem, not a romance. Also distinctive is its treatment of Arthur, who is pictured from beginning to end as the agent of his own destiny rather than the victim of external circumstances. This article analyses a set of formulas designating Arthur which follow the pattern . It discusses each formula within the line or passage in which it occurs, so as to assess whether its choice was motivated by the context or merely dictated by the constraints of alliteration. It also seeks to determine whether there is an evolution in the choice of formulas as the poem unfolds, from the beginning, when Arthur is at the height of his power, to the end, when he accumulates setbacks. T
Datée de la fin du xive siècle, l’Alliterative Morte Arthure (AMA) nous est connue par une seule version conservée dans un manuscrit du milieu du xve siècle (Thornton MS, Lincoln, Lincoln Cathedral Library, 91)1. Ce poème célèbre la geste héroïque du roi Arthur, ses conquêtes sur le continent et sa fin tragique en Cornouailles. Œuvre épique inspirée principalement par l’Historia regum Britanniae, une chronique composée
1 Les extraits du poème cités dans cet article sont empruntés à V. Krishna (éd.), The Alliterative Morte Arthure : A Critical Edition, New York, Burt Franklin, 1976. Anne Mathieu et Colette Stévanovitch • IDEA, Université de Lorraine La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 139-162 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124026
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entre 1135 et 1137 par Geoffroi de Monmouth2, elle donne un rôle primordial à la chose militaire, aux affrontements guerriers et aux valeurs chevaleresques, s’éloignant en cela de la tradition française qui accorde une large place aux intrigues amoureuses. Dans AMA, Arthur est véritablement « la clé de voûte du poème »3. Il n’est pas simple commentateur des hauts faits de ses chevaliers comme dans la tradition française : il est véritablement acteur de son propre destin, il provoque les événements et subit les conséquences de ses décisions. Son itinéraire se découpe en trois volets : la reconquête de la France injustement occupée par les Romains, la conquête illégitime de nouveaux territoires en Italie, et la reconquête de son propre royaume usurpé par Mordred4. Du point de vue de la forme aussi, AMA se démarque de la tradition française. Le poème est composé en vers allitérés, ce qui le rattache à la tradition vieil-anglaise5. On a souvent insisté sur son oralité6, en raison de la densité importante de formules qui émaillent le texte. Une formule est, selon la définition fondatrice de Parry, « a group of words which is regularly employed under the same metrical conditions to express a given essential idea »7. Le concept de « formule », élaboré dans le cadre de l’analyse de la poésie homérique, a été appliqué avec profit à la poésie vieil-anglaise8 puis à d’autres poésies orales ou d’origine orale ; il est cependant moins pertinent pour l’étude des textes moyen-anglais9, plus éloignés de la composition orale pour laquelle les formules étaient des outils incontournables. L’AMA fait exception car les formules y sont nombreuses.
2 Geoffroi de Monmouth, Histoire des rois de Bretagne, trad. L. Mathey-Maille, Paris, Les Belles Lettres, 1993 (La Roue à livres). 3 Métaphore empruntée à G. Bourquin. Voir son introduction à AMA dans C. Stévanovitch et A. Mathieu (éd.), Les Mort d’Arthur moyen-anglaises en vers, Turnhout, Brepols, 2017, p. 266. 4 Pour le rôle central d’Arthur et les trois volets du poème, voir Bourquin, p. 266-267 (cf. note précédente). 5 Sur la poésie allitérée des périodes vieil-anglaise et moyen-anglaise, voir E. Weiskott, English Alliterative Verse: Poetic Tradition and Literary History, Cambridge, Cambridge University Press, 2016 (Cambridge Studies in Medieval Literature 96), p. 1-147 et 167-239 ; G. Russom, The Evolution of Verse Structure in Old and Middle English Poetry. From the Earliest Alliterative Poems to Iambic Pentameter, Cambridge, Cambridge University Press, 2017 (Cambridge Studies in Medieval Literature 98) ; I. Cornelius, Reconstructing Alliterative Verse: The Pursuit of a Medieval Meter, Cambridge, Cambridge University Press, 2017 (Cambridge Studies in Medieval Literature 99). 6 Le terme « oralité » doit être entendu ici au sens large : AMA s’inscrit dans la tradition orale, même si nous n’avons aucune certitude qu’il soit issu d’un mode de composition oral. 7 A. Parry (éd.), Milman Parry, The Making of Homeric Verse: The Collected Papers of Milman Parry, Oxford, Clarendon Press, 1971, p. 272. 8 Moyennant un certain nombre d’accommodements, dont la prise en compte de « syntactic formulas », « syntactic frames », « formulaic systems », qui n’avaient pas été envisagés par Parry (selon V. Krishna, « Parataxis, Formulaic Density, and Thrift in the Alliterative Morte Arthure », Speculum, 57/1 (janvier 1982), p. 72). 9 Selon Th. Turville-Petre, notamment, la poésie allitérée du xive siècle ne peut en aucun cas être considérée comme formulaire (The Alliterative Revival, Cambridge, D. S. Brewer, Totowa, N.J. Rowman and Littlefield, 1977, p. 92). Pour un historique des recherches et débats consacrés à la question, voir W. Parks, « The Oral-Formulaic Theory in Middle English Studies », Oral Tradition, 1 (1986) et B. Błaszkiewicz, Oral-Formulaic Diction in the Middle English Verse Romance, Varsovie, Warsaw University Press, 2009, en particulier p. 24 et 29-30.
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Etant donné le rôle central d’Arthur dans le poème, il nous a paru intéressant de consacrer ce travail aux formules qui le désignent. Nous étudierons une série de formules qui ont en commun un schéma syntaxique, (avec, éventuellement, postposition de l’adjectif), et un contenu : 10. La fonction de la formule dans la phrase peut varier : souvent sujet, elle peut à l’occasion jouer le rôle de complément d’objet direct ou figurer dans un complément circonstanciel. Un vers allitéré est composé de deux hémistiches qui comportent chacun deux accents et sont unis par une allitération commune, qui porte très souvent sur les deux syllabes accentuées du premier hémistiche, et seulement sur la première syllabe accentuée du second hémistiche. Nous ne considérerons que les formules présentes dans le premier hémistiche, qui sont en écrasante majorité. Ces formules occupent la plus grande partie de l’hémistiche. Elles sont habituellement accompagnées de petits mots grammaticaux, voire d’un mot à contenu, pour compléter l’hémistiche : sans cela il faudrait qu’à la fois le nom et l’adjectif soient longs, ce qui est exceptionnel dans notre corpus. Au moins un des éléments de la formule porte l’allitération, souvent les deux, et l’adjectif toujours. La formule occupe normalement deux accents, et donc les deux sommets accentuels de l’hémistiche. Il y a cependant des cas où un élément accentué est ajouté et où la formule ne comporte peut-être11 qu’un seul accent. Il y aurait une étude intéressante à faire sur le rôle des autres mots de l’hémistiche dans les questions d’accentuation et d’allitération. Nous ne nous attacherons cependant pas ici à la forme mais au contenu, et plus précisément à l’adéquation de ces formules au contexte. Les formules homériques sont chacune réservées à un seul personnage défini par une qualité qui lui est propre, indépendamment du contexte. En poésie vieil-anglaise au contraire chaque personnage se voit attribuer de nombreuses formules, qu’il partage avec d’autres personnages de même statut. La question de l’adéquation au contexte, qui n’a pas de sens dans le cas de la poésie homérique, est objet de débat à propos de Beowulf en particulier12. Puisque plusieurs formules sont possibles pour un même personnage, est-ce l’allitération seulement qui fait que l’on choisit l’une plutôt que l’autre, ou le contenu de la formule est-il aussi
10 Ce choix nous amène à laisser de côté les adjectifs appliqués à Arthur sans déterminant, comme dans « As thow arte ryghtwise Kyng, rewe on thy pople » (866), ou sans nom, comme dans « Fore he was demyd þe doughtyeste þat duellyde in erthe. » (219). 11 H. N. Duggan (« The Shape of the B-Verse in Middle English Alliterative Poetry », Speculum, 61/3 (1986), p. 570) estime que les hémistiches comportant trois accents sont une variante reconnue. Il nous semble que, dans le cas de notre corpus en tout cas, les exemples comportant trois mots à contenu dans un hémistiche peuvent aussi s’expliquer par la suppression de l’accent sur le moins important de ces mots. 12 De son étude sur les désignations du héros dans Beowulf, W. Whallon conclut que, dans une même niche allitérative, les expressions varient en fonction du contexte (Formula, Character, and Context: Studies in Homeric, Old English and Old Testament Poetry, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1969, p. 71-116). Krishna (« Parataxis, Formulaic Density, and Thrift in the Alliterative Morte Arthure, p. 77) prend note de ces conclusions, mais manifeste une grande prudence, soulignant que nous n’avons qu’une connaissance imparfaite des principes qui régissaient la poésie vieil-anglaise, et qu’il n’est donc pas impossible que le choix de ces expressions réponde à des contraintes d’ordre métrique.
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à prendre en considération ? AMA étant un poème allitéré, la question se pose dans les mêmes termes. L’allitération du reste du vers impose une contrainte sur le choix de l’adjectif associé au nom dans la formule, mais ce n’est pas un impératif absolu : le plus souvent le vers pourrait exprimer la même idée avec une allitération différente. L’ajout d’une formule allitérée peut être une solution de facilité pour remplir un vers, ou permettre au contraire un commentaire implicite sur les actions du personnage dans une situation donnée. Selon certains chercheurs13, l’auteur d’AMA choisit ses adjectifs de façon assez arbitraire et souvent, ils ne correspondent pas au contexte. Dans le corpus restreint qui est le nôtre, nous verrons, cependant, que c’est loin d’être le cas. Les formules désignant Arthur font appel à différents noms (king, conquerour, roy, exceptionnellement prince, lord, lede, renk, wye) et à toute une palette d’adjectifs, allitérant ou non avec le nom choisi, qui touche après touche construisent le portrait du roi idéal14. La façon la plus naturelle de désigner un personnage est par son nom ; or le nom d’Arthur est rarement employé : 61 occurrences sur un poème de 4346 vers, c’est peu pour le nom du héros. Cinq de ces occurrences associent le nom au titre kyng, mais le nom d’Arthur est plus souvent accompagné de Sir, comme s’il s’agissait d’un simple chevalier (20 fois), et plus fréquemment encore employé seul (36 fois). Plus habituellement, Arthur est appelé conquerour, roy, et surtout kyng, les trois noms sur lesquels nous concentrerons cet article. Lorsque le nom est accompagné d’un adjectif, les formules occupent souvent un hémistiche entier, ce qui apporte une mise en valeur du personnage, par rapport à l’utilisation du nom propre ou du titre seul. Leur rôle s’arrête-t-il là, ou ces formules permettent-elles aussi de mettre en relief un aspect particulier du personnage par le choix de l’adjectif ou du nom ? Nous considérerons dans un premier temps les deux noms moins courants conquerour et roy, pour nous pencher ensuite sur kyng et les nombreux adjectifs qui lui sont associés.
Conquerour Le poème présente Arthur comme un roi conquérant : le substantif conquerour est donc particulièrement approprié pour le désigner. Du fait de son sémantisme on pourrait s’attendre à le rencontrer dans la première partie du poème, la reconquête des possessions françaises, et dans la seconde, la conquête de nouveaux territoires. La troisième partie, qui montre Arthur tentant de regagner son royaume usurpé, ne
13 Entre autres, Krishna, « Parataxis, Formulaic Density, and Thrift in the Alliterative Morte Arthure », p. 82. 14 Ils s’organisent en plusieurs pôles : physique (vigueur, vaillance, prestance), mental (sagesse), affectif (amour de ses chevaliers), social (puissance). Nous ne considérons ici que les adjectifs qui expriment des qualités intrinsèques du roi, laissant de côté feye, « blessé mortellement » (4252) ou mighty of mirth, « rempli de joie » (3197).
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serait pas appropriée pour ce terme. En fait, comme nous le verrons, il est absent de la seconde comme de la troisième partie. Le terme conquerour est utilisé trente-deux fois dans le poème, cinq fois de façon générique ou pour dénoter une fonction (535, 1579, 1654, 3407, 3424), et vingt-sept fois pour désigner Arthur. Vingt-et-un de ces emplois comportent le nom seul ; les six autres fois, le nom est accompagné d’un adjectif et leur association constitue une formule. Du fait de sa consonne initiale, conquerour est associé aux adjectifs kyde, comliche et kene. L’adjectif kyde est préférentiellement associé à conquerour, car son sémantisme (« connu, célèbre ») convient particulièrement à la notion de conquérant. La formule est plus banale que les deux autres : c’est la formule par défaut lorsque le poète veut utiliser conquerour avec un adjectif. Le début du poème énumère les conquêtes d’Arthur. Puis, à la Noël, Arthur, this ilke kyde conquerour (65), siège en majesté tandis que ses seigneurs lui rendent hommage. Il apparaît comme « le conquérant », celui qui, ses conquêtes terminées, les fait reconnaître par les autres. Un peu plus tard, lors de la fête qu’il donne à cette occasion, Arthur est de nouveau appelé conquerour (71), mais cette fois-ci l’adjectif utilisé n’est plus kyde mais comlyche. Celui-ci, qui signifie « altier », met en valeur la supériorité du roi, sa superbe générosité, et son immense fortune, qui lui permet d’offrir gîte et splendides festins à ses vassaux pendant dix jours ; de son côté, kyde « connu » convenait mieux à un contexte d’hommage rendu : la renommée d’Arthur explique le nombre de ses vassaux, et leur empressement à le reconnaître. L’exemple suivant (232) se situe au moment où Arthur convie à un grand festin les ambassadeurs romains venus le sommer de payer tribut à leur empereur Lucius. Arthur est dans la démonstration de son pouvoir, cherchant à impressionner les ambassadeurs par son faste. L’invitation n’est plus seulement une manifestation de la splendeur du roi ; elle a aussi une visée politique, et kyde remplace comlyche. Il faut attendre la bataille de Val-Suzon pour retrouver conquerour associé à un adjectif. Les Romains s’enfuient, pourchassés par les Bretons. Arthur, þe kyde conquerour, ordonne à Cador de ne pas faire de quartier (2261). Il est en pleine conquête, réactualisant le titre de conquérant qui était déjà sien au début du poème mais qui se voit renforcé par sa victoire sur les Romains. Un peu plus loin, le nom est utilisé à nouveau lorsqu’Arthur, après avoir repris la France aux Romains, se prépare à poursuivre son programme de conquêtes. Trois adjectifs sont associés à conquerour, si bien que la désignation d’Arthur occupe un vers entier : Bot the conquerour kene, curtais and noble (2394)15 Ce vers (et le vers qui suit) introduit la déclaration par laquelle le roi, grisé par ses victoires en France, annonce son intention d’envahir la Lorraine, la Lombardie et la Toscane, de s’emparer de toute une série de territoires. Cette désignation
15 « Mais le conquérant audacieux, courtois et noble ». Toutes les traductions sont celles des auteurs de cet article.
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emphatique est appropriée pour une déclaration si grandiose. Mais pourquoi ces trois adjectifs en particulier ? C’est la seule fois où kene « hardi » est employé en référence à Arthur, à un moment où il se lance dans une entreprise démesurée. Kene dénote, chez un combattant, un engagement maximal ou une ardeur extrême à laquelle se mêle parfois un brin de férocité, en particulier lorsque cet adjectif est attribué aux Sarrasins (4136). Il s’agit d’un état momentané plutôt que d’une qualité habituelle, au contraire de bolde qui apparaît à de nombreuses reprises dans la formule the bolde kyng. Cet emploi unique suggère que kene, contrairement à bolde, n’est pas une qualité de roi. Pourquoi curtais, alors que précisément Arthur se prépare à une invasion violente et illégitime ? Pour répondre à cette question il nous faut considérer la formule récurrente curtais and noble. Curtais and noble est une formule de second hémistiche utilisée à plusieurs reprises à propos d’Arthur16, presque exclusivement dans des contextes d’annonce de conquête violente. Occupant tout un hémistiche, associée à une appellation qui occupe le premier hémistiche, elle donne de l’emphase au vers et donc aux paroles ou actions du personnage. Le contenu sémantique des adjectifs, cependant, semble en décalage avec le contexte, non pour noble, adjectif passe-partout pour désigner un roi ou un chevalier17, mais pour curtais, que l’on attendrait dans des contextes de courtoisie ou de générosité (MED, s. v. « courteis », 1 et 2). Au vers 125 les messagers demandent au roi « courtois et noble » de ne pas leur faire de mal. Les épargner est acte de courtoisie au second sens du mot selon le MED, c’est-à-dire de générosité et de clémence. De même lorsque, au début de l’épisode du géant du Mont-Saint-Michel, Arthur annonce son intention de ne pas laisser impunis le viol et le meurtre de la duchesse de Bretagne (987), ce qui correspond au rôle du chevalier en tant que protecteur des dames. Tous les autres exemples se situent dans des discours agressifs. Le roi s’adresse à l’ambassadeur de Lucius et annonce son intention d’envahir les terres romaines, dans un discours peu amène où le seul moment de courtoisie est le salut envoyé à l’empereur (417). Gauvain transmet à Lucius une sommation de quitter le pays (1318). Même si l’offre d’un combat singulier peut être considérée comme relevant de la courtoisie ou plutôt de la chevalerie, le discours est brutal. Arthur annonce son désir d’envahir la Lorraine, de morceler le duché, puis d’envahir la Lombardie et la Toscane (2394). Cependant il épargnera les provinces papales, ce qui peut être considéré comme généreux et clément. Même si l’on peut toujours trouver un élément de courtoisie dans chaque discours, la plupart
16 Et une fois pour des fils de roi faits prisonniers lors de l’invasion de la Lorraine (2995). La formule gracious and noble est par ailleurs utilisée pour Gauvain, au moment où il harangue ses chevaliers pour les lancer à l’attaque (2851). Des formules similaires utilisent les adjectifs graytheste, vertuus, full conaunde, krouell, full reall, mais ne concernent pas Arthur. 17 Il est aussi utilisé pour Keu, Clément, Clermont, Borel, Gauvain, et pour un guerrier ennemi, Cheldrike, et toujours en position inaccentuée, car les mots commençant par [n] sont nettement moins nombreux que ceux qui ont une autre consonne, comme c’était déjà le cas dans la poésie vieil-anglaise (voir à ce sujet C. Stevanovitch (éd.), La Genèse du manuscrit Junius XI de la Bodléienne, vol. I, Paris, AMAES, 1992 (Publications de l’AMAES, Hors Série, 1), p. 205.
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concernent des paroles d’agression qui ne correspondent pas à ce que l’on entend habituellement par « courtoisie ». On peut se demander si le poète utilise cette formule simplement parce qu’elle est longue et donc emphatique, ou si peut-être il donnerait à l’adjectif un sens plus large, « caractéristique d’un chevalier », ce qui inclurait les déclarations belliqueuses. Un peu plus loin la formule revient au moment du combat entre Gauvain et Priam (2621). Gauvain, déclinant son identité à la demande de Priam, prétend qu’il est « page de la chambre du célèbre conquérant ». Priam répond qu’avec un tel page, ce doit être un roi bien puissant. « Si ses pages sont tels, que penser de ses preux ? Héritier d’Alexandre devant qui tous tremblaient, il sera plus puissant que fut Hector de Troie » : Arthur est comparé au conquérant par excellence. Les différents emplois du mot conquerour, accompagné ou non d’un adjectif, sont toujours associés à un contexte de conquête, montrant que ce mot n’est pas devenu un titre vidé de son sens. La dernière occurrence est celle placée dans la bouche de Gauvain lors de son combat contre Priam. À ce stade Arthur vient de vaincre les Romains, il est en train d’envahir la Lorraine. Le mot n’apparaît plus dans la suite du poème. Il est en particulier absent de la seconde partie, alors même que les conquêtes (ou invasions, si l’on préfère) se multiplient, la Lombardie, puis la Toscane, tombant tour à tour. Il faut croire que le narrateur, en refusant désormais ce titre à Arthur, laisse entendre qu’il réprouve son comportement d’usurpateur.
Roy Roy a un sens équivalent à celui de kyng, mais se rencontre de façon beaucoup moins fréquente que celui-ci : on en compte douze occurrences seulement. Huit d’entre elles sont associées à un adjectif, si bien que les formules avec roy sont finalement plus nombreuses que celles avec conquerour. Roy, signifiant simplement « roi », a, au contraire de conquerour », vocation à être employé tout au long du poème. Il apparaît surtout dans des contextes de paix, de célébration, de pause dans le combat. Le substantif, d’origine française, souvent accompagné de l’adjectif reall de même sens et de même origine, suggère la gloire et la splendeur du souverain établi, majestueux, qui affiche sa puissance et son opulence. Ceci, en tout cas, dans la première partie du poème, car les choses changent ensuite ! L’adjectif pléonastique reall peut être antéposé ou postposé, et les emplois se répartissent autour d’un moment charnière. Au début du poème, l’association dans roy reall de deux mots français (avec paronomase et pléonasme) et d’une syntaxe française suggère grandeur et prestige. La formule est utilisée lors du festin magnifique qu’Arthur offre aux sénateurs romains pour les impressionner avant de leur faire réponse (411). En contraste, l’emploi suivant associe roy à reckless, placé avant le nom (1670). C’est un ennemi qui parle, un allié de Lucius qui traite Arthur de reklesse roy. La pompe et l’orgueil des preux de la Table Ronde sont blâmés. Ceux qui ont suivi Arthur vont regretter la conduite insensée de ce roi irresponsable. Cette dégringolade dans le choix de l’adjectif qui accompagne
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roy, jointe à l’avertissement explicite prononcé par le personnage, annonce déjà les déboires qui découleront de ce choix imprudent, aller guerroyer sur le continent. Clégis, qui défend Arthur, lui aussi utilise un terme moins glorieux que le roy reall du vers 411, puisqu’il appelle Arthur renkes so reall « guerrier si royal » (v. 1675). Arthur est vu comme un prince guerrier, et non plus comme le roi par excellence qu’était the roy reall. La collocation reall + renke ne lui est, en outre, pas réservée, puisqu’elle désigne des princes de Rome au v. 1410 et Sire Bois au v. 1473. Après cette mise en garde, on retrouve roy reall, toujours dans un contexte de célébration et de grandeur. Dans le premier exemple, qui suit la victoire contre les Romains, il n’y a pas de festins, mais la magnificence du roi se marque par la splendeur des funérailles qu’accorde à ses chevaliers the roy ryalle renownde (2372). Arthur, vainqueur, prend le temps de faire inhumer ses chevaliers de façon individualisée chacun sur ses terres et de leur offrir des funérailles magnifiques. Vient ensuite l’invasion de l’Italie. À Viterbe, faisant peser sa menace sur Rome, le roi attend la réponse des ennemis défaits en ripaillant joyeusement avec ses compagnons. L’adjectif reall est présent, associé cette fois-ci aux chevaliers de la Table Ronde. Subtilement, il se trouve ainsi encore à droite de roy, tout en étant antéposé à men selon la syntaxe anglaise classique. This roy with his ryall men of þe Rownde Table (3173)18 Deux this roy reall accompagnent la conquête de Rome, lorsqu’un festin grandiose rassemble les chevaliers d’Arthur ainsi que les messagers (3200), et lorsque, après le départ des messagers, vient le moment des festivités, de la célébration opulente et majestueuse (3206). S’étant vu offrir la couronne de Rome, Arthur s’imagine déjà seigneur de toute la terre, tenant sa Table Ronde à Rome et partant en croisade pour venger la mort du Christ (3211-3217). L’offre de la couronne, avec ces deux emplois de roy reall, est le point culminant de son ascension. À partir de là commence la chute, tandis que roy ne sera plus employé que seul ou avec reall antéposé. La perte de l’adjectif pléonastique et/ou de la syntaxe française diminuent la quantité de prestige qui est attachée à l’emploi du nom français roy. L’emploi suivant de roy ne concerne pas Arthur mais les rois de la roue de Fortune qui sont déjà tombés (3273), et sonne comme un avertissement. Ce que décrivent ces personnages comme étant leurs activités d’avant leur chute, « ripailler, rançonner », correspond exactement au comportement d’Arthur dans l’emploi précédent de ce mot ! Et puis vient l’inversion du nom et de l’adjectif. Après le rêve de la roue de Fortune on ne rencontrera plus que reall roy. La position de l’adjectif s’inverse en même temps que se renverse celle du roi, qui n’est plus conquérant mais envahisseur, et bientôt même plus vraiment roi, une fois tous ses chevaliers morts. C’est dame Fortune qui inaugure le changement en s’adressant à Arthur en songe, au moment où il est au faîte de sa gloire et a soumis Rome. Elle l’appelle thou ryalle roye (3373), avenante cependant, mais plaçant l’adjectif à gauche du nom ; puis à midi (point culminant après lequel il ne peut y avoir que la chute) elle lui annonce 18 « Ce roi avec ses royaux chevaliers de la Table Ronde ».
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qu’il perdra son plaisir et sa vie, et elle tourne la roue. Ses membres se brisent et son trône lui fracture le dos. Juste après le rêve de dame Fortune Caradoc annonce à Arthur que Mordred s’est révolté, et þe Roye s’écrie qu’il en tirera vengeance (3559). C’est le début de la chute, et il est marqué par l’emploi de roy sans l’adjectif reall. Ensuite, au moment où Arthur parvient en vue des falaises de Grande-Bretagne et pavoise ses vaisseaux de pourpre, de nouveau roy est employé sans adjectif (3612). Les emplois suivants de roy apparaissent à la toute fin du poème, lors de la catastrophe finale où se réalisera la prophétie de dame Fortune. Ils ont la forme reall roy, avec l’adjectif à gauche du nom. Arthur, the royall roy of the Rownde Table (4072), déploie son armée pour la bataille finale. Mais l’armée d’Arthur compte seulement huit mille chevaliers contre soixante-mille pour Mordred. Arthur est dans un processus de chute, après le tournant que représente le rêve de dame Fortune. Il conserve ses territoires conquis et son armée, mais a perdu un certain nombre de ses preux, dont Gauvain. Le poète insiste sur la multitude des ennemis et le fait que la victoire est impossible. Le royall roy déploie ses barons comme il l’a fait pour toutes ses batailles, mais vainement. On peut le juger pathétique ou héroïque, mais certainement pas magnifique. Cependant, le choix de royall roy de préférence à kyng, l’ajout du complément of the Rownde Table, mettent en valeur cet effort suprême. Le dernier emploi se fait après la bataille meurtrière contre Mordred. Les chevaliers restants se regroupent autour d’Arthur, þe ryall roy (4292). Il a gagné la bataille, mais a perdu ses hommes. Il n’est plus « souverain », puisqu’il n’a plus de sujets. Depuis le rêve de Fortune, à chaque étape, Arthur est moins roi souverain, a moins d’hommes autour de lui, et voici le point final de sa chute.
Kyng La désignation la plus habituelle d’Arthur est the kyng, avec 90 occurrences où le nom est utilisé sans adjectif et 47 où il est accompagné d’un adjectif. Même si Arthur est le roi par excellence, bien d’autres personnages sont rois dans le poème et peuvent être désignés par ce titre, qui ne le caractérise pas spécifiquement. La désignation the kyng, sans adjectif, est neutre et passe-partout, facilement répétée à un ou deux vers d’intervalle ou multipliée dans certains passages. Les formules utilisant kyng se divisent en deux grands groupes : celles formées avec des adjectifs longs, qui le plus souvent allitèrent avec le nom, et celles avec des adjectifs courts, qui n’allitèrent pas avec lui. En effet kyng est un nom court, et si on l’associe à un adjectif lui-même court l’hémistiche est trop léger. Un autre élément est alors ajouté, et c’est cet élément et non kyng qui porte l’allitération. Cela donne deux schémas très différents par leur qualité d’emphase et potentiellement leur utilisation. Trois adjectifs longs avec suffixe en –liche sont utilisés avec kyng : comliche, le plus courant (5 occurrences), et de façon ponctuelle burliche et semliche, qui quoique longs n’allitèrent pas avec kyng. Ajoutons corowned (3 occurrences), qui n’est pas toujours long car certaines de ses voyelles peuvent être élidées.
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Employer un adjectif long permet de ne pas ajouter un autre élément à l’hémistiche, qui ne contient alors que la formule. Par rapport à des adjectifs courts qui impliquent l’ajout d’un autre élément et la non-allitération du mot kyng, la formule a plus de solennité. Comliche a une gamme de sens gravitant autour de l’idée de noblesse et de prestance (MED, s. v. « comli », 1-2). Celui qui convient le mieux ici est le sens 1a du MED, « stately ». Occupant l’essentiel du premier hémistiche puisque l’adjectif est long, donnant de l’importance au nom puisque celui-ci allitère, cette formule a un poids qui exprime sur le plan formel l’idée de prestance contenue dans l’adjectif. L’adjectif comliche est aussi utilisé pour qualifier divers personnages de fière prestance, ainsi le roi Vaillant de Galles (2058), les chevaliers d’Arthur (1192), mais aussi une série d’objets splendides (3047, 3259, 3335, 3543, 3645, 3674, 3905). La notion de prestance joue un rôle central dans chacun des contextes d’emploi de la formule . L’adjectif est d’abord employé hors formule, au moment où les ambassadeurs revenus à Rome décrivent à l’empereur la puissance et la gloire d’Arthur. L’adjectif, au superlatif, comparant Arthur au reste de la chevalerie et de la chrétienté, fait de lui un personnage des plus imposants : The comlyeste of knyghtehode þat vndyre Cryste lyffes (537)19 Puis viennent une série d’occurrences de la formule . Dans la première (1053) Arthur, se préparant à combattre le géant du Mont-Saint-Michel, fait face à un géant (prestance) et se dévoue pour son peuple (noblesse de sentiments). Les deux mêmes idées sont présentes lorsqu’un peu plus tard la cour du roi de Bretagne s’agenouille devant Arthur, vainqueur du géant du Mont-Saint-Michel (1199). Une idée de prestance est également présente quand Gauvain transmet à Lucius un ordre d’Arthur, qui s’oppose à l’empereur romain et le défie au combat (1318). Pour défier un autre souverain, il faut une formule emphatique, et l’appellation d’Arthur occupe tout un vers. Le second hémistiche est rempli par la formule curtays and noble, que nous avons vue plus haut. La référence à la prestance du roi est encore appropriée au contexte lorsqu’Arthur envisage de glorieuses croisades avant de recevoir en rêve la visite de dame Fortune (3218), et également lorsque le roi, qui vient d’apprendre de Caradoc que les choses vont mal en Angleterre, lui demande des détails, prêt à reprendre les choses en main (3515). Ce même adjectif est utilisé lorsqu’Arthur reconnaît Mordred sous son armure d’emprunt (4187) et qu’il exprime dans un discours de vingt vers son intention de lui faire payer ses fautes, dont la moindre n’est pas de s’être emparé de l’épée d’apparat d’Arthur (le combat fratricide entre les deux épées vient en miroir de celui entre les deux parents). Dans tous ces exemples, qu’il se dresse contre les Romains ou contre son propre régent déloyal, l’image qui est véhiculée est celle d’un roi altier, prêt au combat.
19 « Le plus altier de toute la chevalerie qui suit les lois du Christ ».
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Sous la forme comly et associé à with crowne, l’adjectif se retrouve, avec une syntaxe différente (postposé et suivi d’un complément), dans la troisième partie du poème, lorsqu’Arthur se lamente, après la dernière bataille : Kyng comly with crowne, in care am I leuyde (4275)20 La présence de trois mots allitérants donne de l’emphase à l’hémistiche. La formule entre en contraste avec la situation, avec le mot care, avec l’idée d’impuissance exprimée par in care am I leuyde « je suis accablé de chagrin ». La notion de prestance comme celle de couronne sont en décalage avec la situation réelle de ce « roi altier portant couronne » qui a tout perdu. Nous retrouvons ici un phénomène que nous avons déjà remarqué plus haut : la dernière partie du poème a ses propres lois, et la différence même dans l’utilisation des formules souligne le changement qui se fait dans la situation d’Arthur. D’autres adjectifs longs suffisent, comme comliche, à remplir l’hémistiche, mais n’allitèrent pas avec kyng. Sont dans ce cas burliche et semliche. Selon le MED (s. v. « borlich », 1a et 1b), burliche appliqué à une personne peut signifier « excellent », « noble », « beau », mais aussi « solide », « vigoureux ». Cet adjectif a des connotations de force et de virilité et désigne dans le poème une série d’objets associés au combat21, la barbe du géant (3971) et différents personnages non individualisés22. Du fait de sa longueur, burliche donne une certaine emphase à l’hémistiche, moindre peut-être que comliche qui implique que kyng allitère. Le premier emploi, associé à bolde, élément ajouté à l’hémistiche, se rencontre quand Arthur déploie ses troupes pour la bataille contre les Romains (2010). Bolde exprime l’audace, burlyche la solidité physique, deux qualités du guerrier. Burliche est à nouveau employé quand Arthur, ayant appris par Caradoc la trahison de Mordred, jure de se venger (3557). Ce vers et celui cité précédemment se font écho, dans des situations à la fois similaires et différentes. Au vers 2010 le roi se prépare à un combat victorieux, la bataille de Val-Suzon contre les Romains, tandis qu’au vers 3557 il décide la guerre contre Mordred, qui mènera au massacre des siens. Ce vers doit être étudié en parallèle avec le vers 3515 qui se situe dans le même épisode : Than the comliche kynge kaughte hym in armes (3515)23 The comliche kynge et the burliche kynge se répondent, chacun en réaction à un discours de Caradoc. Le sens de burliche est plus physique que celui de comliche. Comliche est utilisé quand Arthur prend son ami dans ses bras et l’interroge, burliche au moment où Arthur furieux veut se venger.
20 « Roi altier portant couronne, je suis accablé de chagrin ». 21 Epées 1111, 2239, 2252 ; heaumes 730, 2459 ; navires 3662 ; chevaux 2694. 22 Chevaliers ennemis (586), rois tués par le géant (1002) – et, avec des connotations différentes et le sens de beauté, des jeunes filles (2190). 23 « Puis le roi altier le prend dans ses bras ».
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Le troisième adjectif en –liche associé à kyng est semliche. Parmi les sens possibles donnés par le MED, c’est celui de « digne » qui convient le mieux au contexte (s. v. « semeli », 4a). La formule est utilisée lorsqu’Arthur aperçoit à terre le corps de Gauvain : Was neuer oure semliche kynge so sorowfull in herte (3947)24 Semliche allitère ici avec sorrowful. Arthur est « digne » parce que, dans ces circonstances tragiques, ses émotions (chagrin : 3947-3950), ses actions (baisers, regard : 3951-3954), puis ses paroles (complainte, puis vœu solennel de venger la mort de Gauvain) restent conformes à ce qu’on attend du plus noble des rois. C’est la seule occurrence de semliche qui soit associée à un personnage individualisé (ailleurs, l’adjectif qualifie uniquement des objets ou des groupes de personnes). C’est après le tournant marqué par le récit de Caradoc que comlyche laisse la place à burliche puis à semliche : le roi n’est plus altier ; il est encore vigoureux, encore digne, mais il n’a plus la prestance du vainqueur. Corounede, écrit aussi crownede, est peut-être prononcé avec un nombre variable de syllabes (une ou deux pour le radical et une voire deux de plus, peut-être élidées, pour le suffixe). C’est sans doute pour cette raison qu’on peut le rencontrer seul (3955) ou plus souvent avec un élément supplémentaire allitérant lui aussi. Un roi étant par définition couronné, l’emploi de cet adjectif est pléonastique et emphatique. On le rencontre dans des contextes qui insistent sur la gloire d’Arthur. Le premier exemple est celui où les messagers de l’empereur s’adressent à Arthur et, avec force flatteries, le supplient de les épargner : Kyng corounede of kynd, curtays and noble (125)25 Au premier hémistiche entièrement occupé par l’appellation du roi (double mention de sa royauté + idée de race, qui la répète une troisième fois puisque la royauté lui vient de son père), ils ajoutent la formule curtays and noble, qui n’évoque plus la fonction royale mais les qualités personnelles de celui qui la détient. La notion de courtoisie comme celle de noblesse sont appropriées dans un contexte où les messagers demandent au roi de se retenir d’user de violence envers des étrangers qui, isolés à la cour ennemie, seraient dans l’incapacité de se défendre. Il faut attendre la mort de Gauvain pour rencontrer de nouveau cette formule, cette fois-ci avec la variante longue de l’adjectif et sans élément ajouté, ce qui met pleinement la formule en valeur. Il n’est plus question ici de majesté. Le « roi couronné » (3655) s’écrie « ma gloire s’en est allée » en s’agenouillant devant le cadavre de son neveu. Cette fois-ci la formule est en décalage avec le contexte, et l’écho de son précédent emploi ne fait que souligner ce décalage. La puissance théorique du roi contraste avec les malheurs qui l’accablent. Le déclin de la royauté s’accentue encore au vers 4295 lorsque le roi, après le massacre de ses chevaliers, s’agenouille pour remercier Dieu de la victoire (en effet, Mordred est mort et donc techniquement Arthur est
24 « Jamais notre digne roi ne fut si affligé dans son coeur ». 25 « Roi couronné de race (royale), courtois et noble, (ne fais pas de mal aux messagers) ».
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victorieux, même s’il ne lui reste qu’une centaine d’hommes). Il est intéressant de comparer cet exemple au précédent. La formule est la même, le second hémistiche pratiquement identique. Au vers 3955 Arthur, qui était debout, se jette à terre sur le cadavre de Gauvain. Au vers 4295 il est à terre et se redresse afin de s’agenouiller. Ces deux formules créent un cadre entre le moment où Arthur pleure Gauvain et se prépare à le venger, et celui où la vengeance est effective. Ce cadre est formé de la répétition de la formule et de l’inversion des gestes, l’un qui abaisse Arthur vers le sol et l’autre qui le redresse. Peu avant le vers 4295, la formule déjà mentionnée kyng comly with crowne (4275) marquait elle aussi un moment de détresse contrastant avec le rappel du statut de roi couronné. A l’exception du premier, placé dans la bouche des messagers, tous les exemples avec corounede se rencontrent dans des contextes de deuil et de perte. Arthur est appelé « couronné » alors qu’il n’a plus rien, ni royaume ni sujets. Notons l’écho entre les formules kyng comly with crowne, « roi altier portant couronne » (4275) et Christ comly with crowne, « Christ altier portant couronne » (4101, 4154) : d’un côté le Christ tout-puissant, de l’autre le roi terrestre démuni de tout, le contraste souligne l’impuissance de ce qui est humain et les limites de la souveraineté terrestre. C’est dans ce même passage qu’Arthur déclare qu’il aurait aimé donner sa vie pour ses chevaliers (4157-4160). On songe tout de suite à l’exemple du Christ qui donne sa vie pour l’humanité, mais il ne peut pas y avoir de dimension christique : Arthur ne meurt pas pour ses chevaliers, ce sont eux qui meurent pour lui et à cause de lui, tandis que lui meurt pratiquement le dernier. Les adjectifs courts créent des schémas formulaires différents. À la formule proprement dite, composée de l’adjectif suivi du nom, doit s’ajouter, avant ou après, un autre élément de poids qui porte l’allitération et complète l’hémistiche. Dans ces conditions, sauf exception, kyng n’allitère pas26. Les adjectifs courts, plus faciles à placer dans un vers, sont plus fréquents que les longs. Nous ne serons donc pas surpris de voir qu’ils ne sont pas exclusivement réservés à Arthur et peuvent même être partagés par un grand nombre de personnages. Nous étudierons tour à tour bolde, riche, wyese, gude, worthy et swete, dans cet ordre, qui est celui de leur fréquence dans les formules de ce type.
Bolde Arthur est loin d’être le seul chevalier qui soit bolde ; ce n’est même pas lui que cet adjectif caractérise le plus fortement. Bolde est en effet employé en surnom à la suite du nom pour Bedoïer (893) et pour Borel (1775), et comme adjectif substantivé pour désigner Priam, associé à une paronomase (bolde/blode) qui attire l’attention sur l’adjectif et le lui approprie encore plus étroitement (2697). Il s’applique aussi à
26 Nous avons vu une exception ci-dessus avec crowned.
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toute une série de personnages, Bretons mais aussi adversaires, comme le géant du Mont Saint-Michel : l’adjectif est alors à prendre dans son sens négatif27. Au total nous avons onze exemples de bolde kyng faisant référence à Arthur dans le poème. Un adjectif aussi commun conserve-t-il sa valeur lexicale, ou est-il devenu passe-partout ? L’examen montre que bolde kyng souligne des moments de particulière audace. L’élément ajouté à l’hémistiche allitère en général avec bolde, et souvent souligne l’audace d’Arthur dans ce contexte précis. Ce n’est que dans les deux derniers cas (et sans doute pas par hasard) que le lien entre la formule et le contexte ne semble pas aller de soi. Le premier exemple (804) concerne le premier rêve d’Arthur, tandis qu’il fait voile vers la France, au début de la guerre contre l’empereur romain. Le roi est si affecté par la vision qu’il a de l’ours et du dragon que son cœur manque de se briser. Le contexte immédiat n’implique pas d’audace, mais la mention de la hardiesse d’Arthur (illustrée par sa présence sur ce vaisseau qui fait cap sur la France) donne la mesure de l’horreur du rêve qui l’assaille. Bien terribles sont les images qui peuvent affecter aussi violemment un roi aussi audacieux. Le second exemple (1170) intervient au moment où Arthur vient de tuer le géant. Après avoir repris le temps d’un vers la plaisanterie de Bedvere (« Oui, j’ai quêté ce saint »), il rappelle qu’il a déjà accompli un exploit similaire quinze ans plus tôt, dans les Monts d’Arabe. L’audace caractérise ces deux combats, et le courage du roi se manifeste aussi dans sa capacité à plaisanter au sortir d’une épreuve si terrible, d’où l’allitération entre bourdez et bolde. Dans un troisième exemple (2010) Arthur apprend que l’empereur marche sur ValSuzon, s’y rend par un raccourci et déploie son armée sur la plaine, forçant ainsi Lucius à l’affronter. C’est la première fois que les deux souverains se trouvent face à face, la bataille ayant jusque-là eu lieu par chevaliers interposés. L’audace d’Arthur, qui vient ainsi au-devant de son ennemi, va être récompensée : il va tuer l’empereur en combat singulier. Nous avons ensuite un passage de six vers allitérant en [b] (ou peut-être plus, car le vers 2251 a cinq syllabes allitérant et il se peut que le scribe ait fusionné deux vers), avec deux emplois de bolde, dont l’un comportant une paronomase avec blode (c’est son audace qui a fait couler son sang) : The blode of [the] bolde kyng ouer þe breste rynnys ; Beblede at Þe brode schelde and Þe bryghte mayles. Oure bolde kyng bowes Þe blonke be Þe bryghte brydyll (2249-2251)28 Il s’agit du combat entre Arthur et l’empereur. Arthur voit ses chevaliers en mauvaise posture et se précipite à la rescousse. L’empereur le blesse, mais au lieu de fuir, Arthur tourne bride, le frappe et le tue. Bolde kyng marque deux instants d’audace particuliers : celui où Arthur reçoit la blessure et celui où il fait tourner son cheval pour combattre l’empereur.
27 Notons que dans une bataille l’ennemi n’est jamais bolde, même s’il peut agir boldly. 28 « Le sang du roi hardi coule sur sa poitrine, / Rougit le large écu et les mailles brillantes ! / Notre roi hardi retourne son cheval (en le tirant) par sa bride étincelante ».
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Après la mort de l’empereur, deux sénateurs romains viennent faire hommage à Arthur, le hardi roi (2310). Comme dans l’épisode du géant, bolde apparaît au moment où la victoire est acquise, acquise grâce à l’audace dont Arthur a fait preuve : Bowes to þe bolde kyng and biddis hym þe hiltes (2310)29 L’attitude soumise des vaincus (bowes) fait contraste avec l’audace du roi (bolde). Dans l’exemple suivant, il s’agit du siège de Metz. L’audace d’Arthur va très loin ici. Il s’approche des murailles pour déterminer comment disposer les machines de siège. Depuis les remparts, les Lorrains décochent contre lui une pluie de flèches, mais le roi n’en a cure, s’attirant de la part de Ferrer un reproche pour son imprudence, et il affirme en réponse qu’il n’a peur de rien. Arthur se croit invulnérable ? Confiance excessive, ou provocation de bon aloi de la part d’un grand roi-chevalier qui se voit attaqué par de misérables archers30 ? L’allitération contraste ces attaques (bekyrs) et l’audace du roi (bolde) : Bekyrs at þe bolde kyng with boustouse lates (2425)31 Plus loin Arthur a appris la trahison de Mordred. Il prépare son départ : Nowe bownes the bolde kynge with [his] beste knyghtes (3591)32 Ces préparatifs en vue d’une guerre difficile (bownes) sont la marque de son audace (bolde). Arrivée près des côtes de l’Angleterre, la flotte bretonne voit sa route barrée par la flotte ennemie. Arthur, sur une barge, va de vaisseau en vaisseau, exhortant les chevaliers. Son audace (bolde) est associée à ces évolutions en barge (barge) : The bolde kynge es in a barge and abowtte rowes (3629)33 C’est la seule fois dans tout le poème où la formule est placée en tête de vers, ce qui lui donne un relief tout particulier, au seuil d’un épisode-clé dans la trajectoire d’Arthur : sa dernière victoire. Les deux derniers exemples sont plus surprenants. Lorsque Gauvain est mort, Arthur pleure sa perte et souhaite mourir. Yvain lui reproche de se laisser ainsi aller au désespoir, mais Arthur refuse d’abord de se ressaisir : “For blode,” said the bolde kyng, “blyn sall I neuer…” (3981)34
29 « (Deux sénateurs romains) s’inclinent devant le roi hardi et lui tendent la garde (de leur épée) ». 30 Il est intéressant de noter que Richard Cœur-de-Lion est mort de cette façon, tué par un arbalétrier alors qu’il se trouvait près des murailles de la forteresse assiégée, sans armure. Si comme il est probable le poète n’ignorait pas ce détail d’histoire, ce précédent condamne l’inconscience d’Arthur. 31 « Assaillent le roi hardi, le visage plein de haine ». 32 « Maintenant le roi hardi s’affaire avec ses meilleurs chevaliers, (prépare troupe et bagage et se met en route) ». 33 « Le roi hardi est sur une barge et va de vaisseau en vaisseau ». 34 « Par le sang (du Christ), dit le roi hardi, je ne cesserai pas (de pleurer) ».
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Bolde allitère avec blode, mais il s’agit du sang du Christ dans un juron, pas du sang d’Arthur versé par audace, comme au vers 2249. Bolde dans ce contexte est plutôt surprenant, puisque le roi « audacieux » se replie sur sa douleur au lieu de rechercher la vengeance par le combat. Ou peut-être Arthur est-il en train de pleurer sur les conséquences de son audace, la mort du plus cher de ses compagnons. Le dernier exemple concerne les funérailles d’Arthur (4330). On rappelle son audace, louée maintes et maintes fois au cours du poème. Maintenant qu’il est mort, bolde allitère avec bery : toute cette audace va être enterrée avec lui. On peut s’étonner, étant donné le choix d’adjectifs plus remarquables qui ont été appliqués à Arthur, que le poète se contente d’un seul, bref, bolde, au moment de ses funérailles. Ne se le rappellera-t-on que pour son audace, audace qui a mal tourné ? Il n’y a pas d’éloge funèbre (au contraire de ce qu’a reçu Gauvain). Arthur aura all wirchipe and welthe þat any wy scholde (4331), ce à quoi tout preux a droit, ce qui paraît bien peu pour un si grand roi.
Riche Riche est un adjectif très courant, pour désigner des objets en particulier (83 occurrences, avec le sens de « précieux, splendide »). Il est aussi employé pour qualifier des Romains, en raison de l’allitération en [r], et des personnages divers (26 occurrences en dehors du parti d’Arthur) ; il peut alors dénoter soit la richesse matérielle (MED, s. v., 1a), soit l’excellence, la puissance ou la noblesse (MED, s. v., 1c-e). Si l’on se concentre sur les compagnons d’Arthur, riche est un qualificatif plus spécifiquement attribué à Bedoïer (quatre fois sur les sept mentions du personnage, toujours dans une énumération, ce qui suggère qu’il s’agit d’un trait intrinsèque et non d’une qualité manifestée dans une situation particulière). Gauvain reçoit ce qualificatif une seule fois, mais dans une formule remarquable, qui associe l’adjectif au nom ryall remplaçant le nom propre (this ryall þe ryche, 2987), Bois et le duc de Rouen une fois chacun. Les chevaliers de la Table Ronde collectivement sont dits riche sept fois, le mot allitérant avec rounde. Riche est utilisé pour Arthur dans des contextes où sa puissance est soulignée, quelquefois parce qu’elle est manifestée dans la situation présente, d’autres fois parce qu’elle fait contraste avec une situation inacceptable, quelquefois aussi, de manière paradoxale, dans des contextes où Arthur se retrouve impuissant et démuni. On en relève huit exemples au total dans le poème, plus que pour aucun autre personnage. Quatre exemples relèvent de la première catégorie. Lors de la campagne contre les Romains, une fois la bataille gagnée, tout le monde se regroupe autour du ryche kynge, puissant puisqu’il a vaincu (153). Cador, au moment d’attaquer les Romains, prévoit la conduite à tenir en cas de difficultés : se réfugier auprès d’Arthur. C’est parce que celui-ci est puissant qu’il pourra venir à leur secours, et l’allitération associe ryde, la fuite des vaincus, et riche, la puissance de celui qui les sauvera :
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Or ryde to þe riche Kyng, ȝif ȝow roo happyn (1751)35 Juste après le rêve de dame Fortune le roi se lève. Ses atours sont décrits longuement : c’est le roi dans sa splendeur, en dépit de l’annonce que lui a apportée ce rêve. L’utilisation de riche (3456) est à la fois appropriée (Arthur est au faîte sa puissance, et son costume le montre bien) et ironique, puisque nous savons désormais que la roue basculera bientôt. Mordred, qui vient de tuer Gauvain, s’enfuit par peur d’Arthur, le puissant roi (3896) : l’adjectif est encore une fois approprié au contexte, puisque la seule pensée d’Arthur suffit à mettre son ennemi en fuite. Dans les deux exemples suivants, le décalage entre la puissance du roi et la situation des siens appelle à être rectifié. Arthur apprend que sur le Mont-Saint-Michel sévit un géant qui massacre son peuple : Thane romyez the ryche kynge for rewthe of þe pople (888)36 Romyez et rewthe, manifestations de la douleur du roi, s’opposent à ryche qui exprime sa puissance : il est inconcevable qu’étant donné la puissance de ce roi son peuple ait à subir de pareils tourments. Keu vient de mourir. Le roi gémit et se jette dans la bataille pour venger ce forfait : Thane remmes þe riche kynge fore rewthe at his herte (219)37 Comme au vers 888 l’allitération contraste la douleur du roi face à un tort fait aux siens (remmes, rewthe) et sa puissance, et comme dans ce même vers Arthur s’élance au combat pour rectifier ce tort, manifestant ainsi cette puissance en secourant les siens. Les deux derniers exemples se trouvent dans un contexte de pertes. Nous retrouvons le même phénomène qu’avec les emplois paradoxaux de bolde et corounede vus plus haut. L’utilisation de riche crée le même effet quand le roi déplore la perte de ses chevaliers : The riche kynge ransakes with rewthe at his herte (3939)38 Arthur, sur le champ de bataille, retourne tous les corps et découvre celui de Gauvain. Sa puissance est bien affaiblie puisque beaucoup de ses chevaliers, dont Gauvain, le meilleur, ont été tués. Comme pour crownede, l’emploi de ce mot dans ce contexte est paradoxal et ne fait que souligner la perte de sa puissance. L’allitération oppose la puissance revendiquée et la situation réelle, exprimée par ransakes et rewthe. Un emploi similaire se rencontre lorsqu’Ider refuse d’aller aider son père Yvain, ce qui condamne celui-ci, au grand désespoir d’Arthur, le puissant roi (4155), impuissant cependant à se faire obéir :
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« Ou rejoignez le roi puissant si le calme revient ». « Lors rugit le grand roi, de pitié pour le peuple ». « Puis le roi puissant gémit, le désespoir au cœur ». « Le roi puissant fouille (de toutes parts), le désespoir au cœur ».
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Þan remys the riche kyng with rewthe at his herte (4155)39 L’allitération associe de nouveau de façon paradoxale la puissance du roi (riche) et son chagrin (remys, rewthe).
Wyese Ancêtre de l’anglais moderne wise, le moyen-anglais wyese a une gamme de sens plus étendue et couvre différentes facettes de la réflexion (prudence, habileté, ruse, vigilance), qui est souvent un préalable à l’action (MED, s. v. « wise », 1a). Cet adjectif est appliqué six fois à Arthur dans la formule . Dans le premier exemple, le wyese kyng s’éveille après avoir rêvé du dragon et de l’ours (806). Il en appelle à ses sages, qui lui expliquent la signification de ce songe. Nous sommes dans un contexte de réflexion avant une bataille dont ce rêve prédit l’issue. Au lieu d’aborder le combat de manière irréfléchie, Arthur demande conseil à ses sages et tient compte de leurs avis. Au vers 1973 il s’agit de stratégie. Le roi fait avancer son armée à couvert pour couper la route aux Romains. Il se montre ainsi avisé, rusé, prudent : Bot owre wyese Kyng es warre to waytten his renkes And wysely by þe woddez voydez his oste (1973-1974)40 Le poète insiste sur cet aspect en poursuivant l’allitération sur le vers suivant, en reprenant wyese par wysely, et en faisant allitérer wyese avec warre, terme qui suggère lui aussi la circonspection. Au vers 3562 le roi réveille ses barons pour leur annoncer son intention de rentrer en Bretagne la Grande. Il s’agit d’un contexte de conseil et de préparation d’une expédition guerrière. Au vers 3562 Arthur apprend que Gauvain a débarqué, faisant fi de toute raison. Par opposition à son bouillant neveu, Arthur, privilégiant la stratégie, s’est montré avisé. Il dispose maintenant son armée sur le rivage en préparation de la bataille. C’est au vers 2185 seulement que l’adjectif paraît mal adapté au contexte. Keu, blessé à mort, rejoint le roi et lui adresse ses dernières paroles, paroles avisées à l’approche de la mort, mais prononcées par Keu et non par Arthur, pourtant appelé þe wyese kyng. Il faut signaler que ce vers est le premier de trois qui allitèrent en [w], dont l’un utilise le mot woundide, incontournable ici : c’est peut-être pour cette raison qu’Arthur est wyese plutôt que bolde. On peut aussi considérer qu’il s’agit d’une pause dans l’action et d’un moment consacré aux paroles, quel que soit celui qui les prononce. Dans chacun de ces exemples on n’est pas dans l’action mais dans la préparation de l’action (réflexion, conseil, stratégie) ou au minimum, lors de la mort de Keu, dans une pause de l’action. Le terme moderne de « sage », traduction de l’anglais moderne
39 « Lors rugit le grand roi le désespoir au cœur ». 40 « Mais notre roi avisé tient à l’œil ses chevaliers / Prudemment, à couvert, fait avancer son ost ».
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« wise », paraît excessif pour faire référence à ces moments. Il faut admettre que le sens moyen-anglais ne recouvrait pas exactement celui du « wise » moderne et que wyese s’applique simplement à des moments où Arthur est dans la réflexion et non dans l’action. Krishna41 utilise wyese pour démontrer que la plupart des adjectifs d’AMA ne sont pas motivés. Cependant, dans tous les exemples on peut retrouver un contexte de conseil, de stratégie, de réflexion, de pause dans l’action. Ceci est vrai également lorsque l’adjectif ne s’applique pas à Arthur. Les chevaliers, collectivement, sont wyse men of armes (19) lorsque le poète annonce qu’il va conter leur histoire, ce qui peut impliquer habileté et stratégie. Arthur prend conseil de ses wyes knyghttes (149), avisés au point de pouvoir le conseiller. L’emploi de all wyseste men of þe weste marches (2496) lors de l’épisode des fourrageurs est davantage sujet à caution étant donné la manière dont se déroule cette expédition, mais initialement ces hommes peu nombreux étaient censés avoir recours à la ruse et à la stratégie, pas à la force. Gauvain, he þat weysse was and wyghte (2514), est le plus expérimenté de l’expédition, même si en pratique il se montrera le plus fougueux et le moins avisé. Florent recommande de ruser, « en guerriers avisés » (2745), plutôt que d’engager le combat avec les Romains, beaucoup plus nombreux. Guitard conseille de ne pas attaquer, et il est appelé a wyese mane of armes (4025). L’adjectif contraire, vnwyse, est utilisé lorsque Gauvain, en plein délire, se rue sur les ennemis et y perd la vie (3817). Ce rapide passage en revue nous permet de voir que, comme lorsque l’adjectif est utilisé à propos d’Arthur, ces emplois de wyese se trouvent dans des contextes de réflexion et de stratégie, sinon effective, du moins attendue, qui impliquent en particulier de se retenir de combattre dans des circonstances défavorables – au lieu de se lancer aveuglément à l’attaque comme le fait Gauvain, qualifié de vnwyse.
Gude Gud est un terme-chapeau recouvrant toutes les qualités du chevalier parfait : vaillant, plaisant, gai, courtois. Arthur est qualifié trois fois seulement de gude. Cet adjectif ne le caractérise pas spécifiquement. Gauvain au contraire est Sir Gawayne the gude à six reprises (1368, 2218, 3706, 3724, 3943, 3876), et une fois gud Gawayne (2851) : c’est donc lui et non Arthur qui est gude par excellence, ce que favorise l’allitération. Galuth, l’épée de Gauvain, est d’ailleurs la seule épée à être gude (1387, 2558, 3709). D’autres personnages, Cador (2385) et Mawrell (1918), sont désignés par gud Sir X, cette qualité leur étant attribuée avec un sens affaibli par rapport à the gude. D’autres sont appelés gude men42 ou gude men of armes43. On rencontre également justers full
41 « Parataxis, Formulaic Density, and Thrift in the Alliterative Morte Arthure », p. 82. 42 Cinq exemples, parmi lesquels quatre au pluriel dont un qui associe Gauvain et Galeron une fois morts, et un seul au singulier, aussi pour un personnage tué : en fait quatre des cinq exemples font référence à des morts. 43 Six exemples dont quatre au pluriel. Parmi les deux au singulier, l’un désigne Gauvain mort.
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gude (559). L’adjectif a une valeur affaiblie dans les exemples de ce type. Il exprime le potentiel guerrier, utilisé lors des batailles, ou dont on déplore la perte face aux cadavres. À côté de cette prévalence d’exemples s’appliquant à Gauvain d’un côté, des personnages anonymes ou peu importants de l’autre, les trois exemples utilisés pour Arthur sont presque anecdotiques. Par ailleurs le sens de gude est si large que tout contexte pourra paraître approprié. Le géant s’irrite des invectives lancées par le roi. L’allitération entre grefe (l’exaspération causée par Arthur au géant, première étape du combat) et gude souligne ses capacités de combattant : For grefe of þe gude kyng þat hym with grame gretez (1077)44 Le roi accorde sa grâce à deux sénateurs Romains. Il s’agit ici d’un autre aspect de gude, la mansuétude et la générosité. L’allitération le souligne en associant graunte et gude : “I graunte,” quod [the] gude kyng, “thurghe grace of my selfen” (2320)45 Le roi pleure devant le corps de Gauvain, exprimant ainsi sa loyauté envers son parent et ami, autre aspect des qualités du parfait chevalier (3949). Deux vers allitérant en [g] associent à gude divers éléments concourant à l’expression du chagrin. Il est paradoxal qu’en présence de Gauvain ce soit Arthur qui reçoive le qualificatif de celui-ci : Gauvain, mort, est présent en filigrane dans ce qualificatif qui lui a été si souvent associé qu’il l’évoque irrésistiblement – et le changement du personnage qui le reçoit souligne la mort du destinataire habituel.
Worthy / wortheliche Selon le MED (s. v. « worthi », 3a-c), l’adjectif signifie « noble », « illustre », « excellent ». Il apparaît quatre fois dans le poème en association avec Arthur, une fois sous la forme d’une épithète qualifiant le nom wy, « guerrier » (695), deux fois au superlatif dans un éloge du souverain (290, 532), et enfin dans une formule, associé au nom kyng46. Arthur, qui a donné des ordres qui n’ont pas été respectés, pleure la mort de ses chevaliers : Thane the worthy Kyng wrythes and wepede with his eughne (1920)47 L’allitération associe worthy à wrythes et wepede exprimant la douleur. Peut-être y a-t-il, comme déjà plus haut, la suggestion qu’un roi si admirable ne mérite pas pareille catastrophe.
44 « Furieux des invectives lancées par le bon roi ». 45 « J’y consens, dit le bon roi, par ce mien privilège ». 46 En dehors des occurrences où il est appliqué à Arthur, l’adjectif worthy/wortheliche est attribué une fois à Gauvain (1302), et une fois à Priam (2669). 47 « Alors l’excellent roi se tord de douleur et sanglote ».
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Swete L’adjectif swete est rare dans le poème. Il est appliqué une seule fois à un personnage : il est utilisé d’Arthur lorsqu’il se désole devant le corps de Gauvain48 : Than swe[l]tes the swete kyng and in swoun fallis, Swafres vp swiftely and swetly hym kysses (3969-3970)49 L’émotion est à son comble, avec l’évanouissement et les baisers. On n’est pas loin du registre amoureux. Swete appartient au vocabulaire affectif50. Appliqué à une personne, il peut signifier « cher, aimé » ou « aimable » (MED s.v. « swete adj. » sens 5a ou 5c/d). Nous avons examiné les poèmes de l’Alliterative Revival à la recherche de formules parallèles à celle-ci, en vain. The Geste Historiale of the Destruction of Troy comporte cependant un exemple où cet adjectif, même s’il est employé hors formule, a un sens très proche de celui de notre passage, puisqu’il s’agit d’un père qui se désespère de la mort de son fils : Archilagon, the choise knight, was chere to his fader, The noble Duke Nestor, þat noyet full sore. Myche sorow hade his Syre the sun to behold, And oft swonyt that swete, & in swyme felle. (Geste v. 10564-10567)51 Il ne s’agit pas du sens 5a du MED « held in affection, dear, beloved », puisque le fils qui aimait ce père est mort. L’adjectif indique simplement un contexte où l’affectivité prend le dessus, et c’est aussi le sens qu’il a dans notre exemple. Swete n’est pas le seul adjectif du poème qui présente Arthur sous l’angle de l’affectivité. C’est aussi le cas aussi de dere, qui apparaît au v. 1061 dans la formule þe dere kynge :
48 Pour une analyse de la scène dont les vers ci-dessous sont extraits, voir A. Baden-Daintree, « Kingship and the Intimacy of Grief in the Alliterative Morte Arthure », dans F. Brandsma, C. Larrington et C. Saunders (éd.), Emotions in Medieval Arthurian Literature: Body, Mind, Voice, Woodbridge : D. S. Brewer, 2015 (Arthurian Studies 83), p. 87-104. Baden-Daintree inscrit cette scène dans la tradition littéraire, soulignant qu’on en trouve des précédents notamment dans La Chanson de Roland, La Mort le Roi Artu, mais aussi dans l’Iliade (p. 89-96). Elle démontre, en outre, que ce débordement d’émotion, qui s’exprime par des attitudes et des gestes traditionnellement associés aux femmes et à la sphère privée, ne féminise en rien le roi Arthur, mais fait au contraire la preuve, dans cet espace public qu’est le champ de bataille, de sa grandeur et de son attachement aux valeurs toutes masculines de la chevalerie : ses pleurs excessifs annoncent en effet une vengeance terrible, qu’il exercera en accord avec les idéaux martiaux d’AMA (p. 104). 49 « Puis le doux roi chancelle et tombe en pâmoison, / Se redresse soudain et tendrement l’embrasse ». 50 On le rencontre dans des formules comme þe swete wi3t ou þat swete, désignant souvent des femmes (mais pas toujours), et également comme formule d’adresse, dans des relations de courtoisie, quel que soit le sexe de la personne. Il désigne aussi des personnages sacrés (swete Jesus…). 51 L’édition utilisée est celle de G. A. Panton et D. Donaldson, The “Gest Hystoriale” of the Destruction of Troy: An Alliterative Romance Translated from Guido de Colonna’s “Hystoria Troiana”, Londres, Trübner, 1869 et 1874 (Early English Text Society, Original Series, 39, 56). « Archilagon, l’excellent chevalier, était cher à son père, / le noble duc Nestor, qui grandement s’affligea. / La vie était à charge au père, / et le doux homme à maintes reprises tomba en pâmoison ».
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Bot in þe clere daweyng, þe dere kynge hym selfen Comaundyd Sir Cadore, with his dere knyghttes (1601-1602)52 La formule figurant en deuxième hémistiche, elle ne fait pas stricto sensu partie de notre corpus. Elle mérite cependant d’être commentée, étant donné la part qu’elle joue dans la construction de la dimension affective du personnage d’Arthur. Dere peut signifier, dans un sens très large, « excellent », « noble », « vaillant », mais aussi « aimé » (MED, s. v., 1 et 4). Le vers 1601 figure dans le MED parmi les citations qui illustrent le premier sens. Dans le contexte, cependant, dere est chargé de connotations supplémentaires. Le passage précédent (1595-1600) rapporte les paroles prononcées la veille par Arthur, qui promet de toujours chérir ses chevaliers, qui ont montré comment ils le chérissaient. Les deux occurrences de luffe dans ce passage colorent d’affectif le dere qui survient immédiatement après, lorsqu’Arthur commande à Cador et à ses chevaliers d’accompagner à Paris le sénateur Pierre prisonnier (1601-1616). Dans le poème, dere apparaît souvent (mais pas toujours) lorsque sont évoquées des situations où l’affectif occupe une place prépondérante. C’est le cas, notamment, aux v. 1940, 2643, 2652, 2937 et 3066, qui se terminent tous par la formule : Arthur reproche à Cador d’avoir mis en danger la vie de ses chevaliers (1940), Gauvain évoque son adoubement par Arthur en présence des chevaliers de celui-ci (2643), le duc de Lorraine, abandonné par le reste de son armée, a encore auprès de lui ses chevaliers (2652, 2937, 3066), qui le suivent en prison. Le lien de vassalité se double d’un lien d’amour. Il faut noter que seuls Arthur, Cador et le duc de Lorraine (un chevalier fort estimable, même s’il est adversaire d’Arthur) ont des dere knyghtes. Les envahisseurs et les traîtres – le sénateur Pierre, Lucius, Mordred – n’en ont pas. Ces deux adjectifs nous font découvrir Arthur sous un nouveau jour. Il n’est pas qu’un roi audacieux, puissant et avisé, il est aussi un être humain aimant et sensible, ou plutôt, l’affectivité est un autre aspect du bon roi, car le lien de vassalité est aussi, et peut-être prioritairement, un lien d’amour.
Conclusion L’étude de ce petit échantillon nous a permis de démontrer que les formules désignant le roi Arthur ne sont pas employées de façon aléatoire. Tout d’abord, la longueur des deux éléments de la formule, l’adjectif et le nom, joue sur l’effet que produit la formule, sur son caractère emphatique, les formules les plus longues étant réservées aux situations les plus remarquables. Nous avons pu noter aussi que dans la majorité des cas le choix du nom et de l’adjectif est adapté au contexte. Le poète réserve conquerour aux situations où Arthur est en
52 « Mais dans l’aube claire, le roi bien-aimé lui-même / Ordonna à Sire Cador, avec ses chevaliers bien-aimés (de reconduire les ambassadeurs romains) ».
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position de conquérant, roy en théorie à celles où il est particulièrement majestueux et splendide, tandis que kyng est utilisé par défaut dans les contextes plus banals. La plupart des adjectifs sont généralement en adéquation étroite avec le contexte : bolde est utilisé quand Arthur est audacieux, riche quand il est puissant, swete et dere dans des moments où la dimension affective est privilégiée… Les choses ne sont pas toujours aussi simples, et ryche en particulier connaît trois types de contextes, dont deux montrent Arthur ou les siens dans une situation difficile, tandis que le rapport de wyese au contexte nous amène à postuler un sens différent de celui de l’adjectif moderne correspondant. Quelquefois il est difficile de faire coïncider le contexte avec le sens que nous connaissons à l’adjectif – c’est le cas de courtais – et cependant la cohérence des contextes où il est employé est telle qu’il nous faut nous demander si le mot n’aurait pas, pour l’auteur sinon dans l’usage général de son époque, un sens différent de celui généralement reconnu. Certains emplois sont paradoxaux : Arthur reste décrit comme « couronné » ou « puissant » alors qu’il a tout perdu. Ces emplois en décalage avec le contexte, concernant plusieurs formules, sont si systématiques qu’ils ne peuvent pas représenter des maladresses de l’auteur mais doivent être vus comme un procédé littéraire utilisé pour souligner le déclin de la fortune d’Arthur, dont le statut théorique s’oppose dramatiquement à sa situation réelle. Plus intéressants encore sont les cas où l’utilisation d’une formule évolue au cours du poème en parallèle avec les événements. Le titre conquerour cesse d’être utilisé quand Arthur se lance dans des conquêtes illégitimes ; l’adjectif reall passe de la droite à la gauche du nom quand le roi entame son déclin. Le poète utilise les formules pour donner un commentaire en filigrane sur le personnage et les événements.
Bibliographie Sources primaires Geoffroi de Monmouth, Histoire des rois de Bretagne, trad. L. Mathey-Maille, Paris, Les Belles Lettres, 1993 (La Roue à livres). V. Krishna (éd.), The Alliterative Morte Arthure : A Critical Edition, New York, Burt Franklin, 1976. V. Krishna, « Parataxis, Formulaic Density, and Thrift in the Alliterative Morte Arthure », Speculum, 57/1 (1982), p. 63-83. G. A. Panton et D. Donaldson, The “Gest Hystoriale” of the Destruction of Troy: An Alliterative Romance Translated from Guido de Colonna’s “Hystoria Troiana”, Londres, Trübner, 1869 et 1874 (Early English Text Society, Original Series, 39, 56). C. Stévanovitch (éd.), La Genèse du manuscrit Junius XI de la Bodléienne, vol. 1, Paris, AMAES, 1992 (Publications de l’AMAES, Hors Série, 1). C. Stévanovitch et A. Mathieu (éd.), Les Mort d’Arthur moyen-anglaises en vers, Turnhout, Brepols, 2017.
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Sources secondaires A. Baden-Daintree, « Kingship and the Intimacy of Grief in the Alliterative Morte Arthure », in F. Brandsma, C. Larrington et C. Saunders (éd.), Emotions in Medieval Arthurian Literature: Body, Mind, Voice, Woodbridge : D. S. Brewer, 2015 (Arthurian Studies 83), p. 87-104. B. Błaszkiewicz, Oral-Formulaic Diction in the Middle English Verse Romance, Varsovie, Warsaw University Press, 2009. I. Cornelius, Reconstructing Alliterative Verse: The Pursuit of a Medieval Meter, Cambridge, Cambridge University Press, 2017 (Cambridge Studies in Medieval Literature 99). H. N. Duggan, « The Shape of the B-Verse in Middle English Alliterative Poetry », Speculum, 61/3 (1986), p. 564-592. A. Parry (éd.), Milman Parry, The Making of Homeric Verse : The Collected Papers of Milman Parry, Oxford, Clarendon Press, 1971. G. Russom, The Evolution of Verse Structure in Old and Middle English Poetry. From the Earliest Alliterative Poems to Iambic Pentameter, Cambridge, Cambridge University Press, 2017 (Cambridge Studies in Medieval Literature 98). Th. Turville-Petre, The Alliterative Revival, Cambridge, D. S. Brewer, Totowa, N.J. Rowman and Littlefield, 1977. W. Parks, « The Oral-Formulaic Theory in Middle English Studies », Oral Tradition, 1/3 (1986), p. 636-694. E. Weiskott, English Alliterative Verse: Poetic Tradition and Literary History, Cambridge, Cambridge University Press, 2016 (Cambridge Studies in Medieval Literature 96). W. Whallon, Formula, Character, and Context : Studies in Homeric, Old English and Old Testament Poetry, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1969.
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The Stereotypical Representation of the Jewish Figure in Some Late Medieval English Texts
Fréquentes sont les références dans la production littéraire christocentrée en Occident médiéval au sentiment profondément anti-chrétien prêté aux Juifs. En Angleterre, le Conte de la Prieure de Chaucer rédigé à la fin du xive siècle puise dans une rhétorique antijudaïque usant de stéréotypes et formules hérités d’une longue tradition d’incrimination du peuple déicide de Judas, le traître qui a provoqué les souffrances du Christ. Y compris après leur éviction du pays ordonnée par Edward Ier en 1290, les Juifs d’Angleterre continuent d’inspirer cet « enseignement du mépris » qui nourrit l’imaginaire collectif de la population majoritaire, en même temps qu’il contamine le discours sermonnaire, hagiographique, ou encore le genre dramatique des mystères. La labilité des frontières génériques de nombreux textes, en l’occurrence de la période tardo-médiévale, concerne également, à moins qu’elle ne favorise peut-être, la circulation de phrases, expressions, désignations réduisant le Juif à un contempteur de la doctrine chrétienne, dont il profane des rituels ou des symboles, comme le corps du Christ figuré dans l’hostie eucharistique. Ainsi que le suggèrent les références citées dans l’article, il est difficile de démêler la réalité du fantasme à une époque où l’instruction des laïcs et le modèle de l’imitatio christi prôné par l’Église laissent peu entendre la voix des impies, pour ne pas dire des hérétiques. T
Introduction Judaism implies closely poring over and ruminating some crucial texts, unceasingly delved into, interpreted in a new light, and commented upon. This ancient practice has been handed down from father to son for generations. One illustration of the transmission of the judaic tradition is the account of the liberation of Hebrews from Agnès Blandeau • Université de Nantes La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 163-180 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124027
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Egypt on Pesah, the festival of freedom marking the Exodus. On the first night of Passover, Jews have to eat some food items in a specific order, as the word seder indicates, while reciting the Haggadah, or story, that commemorates the release of their ancestors from bondage.1 The saying of these words requires the use of repeated formulas during the ritual. As they recall by retelling the early history of their people, Jews not only mouth but also re-enact the formulaic style of the Seder service that prompts the use of rhymes and mnemonic devices to guide the celebrants through the performance. In medieval England, a very different kind of formulaic discourse played a significant role in the lives of Jews, however. The Jews were subjected to pejorative designation through the use of ready-made language applied disparagingly in “definite and systematic statements”.2 They were the target of stereotypical representation in literature and the visual arts. As a notion, the stereotype pertains to intellectual, social, and identity-related constructs propped up by noticeable traits, fixed images ingrained in individual and collective consciousness, efficiently conveyed in oral and written forms.3 This efficiency can be achieved through stereotypical phrasing, i.e. through the repeated use of near-identical phrases to express the most salient features of the stereotype. However, this needs not be the case. Even without recurring phrases, a stereotype can acquire a stable and recognizable form. While the word “formula” is often employed in a narrow sense, to refer to the recurrence of the same set phrase, I argue that it can be understood in a broader sense to include stereotypes of the kind I have just described. Indeed, most of the characteristics attributed to the formula also apply to the stereotype. Examining the signification and use of the formula, Michel Morel remarks on its tendency to reduce in a binary way the reality it refers to, relying on echo, symmetry, and opposition processes.4 Similarly a pejorative connotation has long clung to the cliché. Cognate with the
1 N. Glatzer and E. D. Goldschmidt (eds), The Passover Haggadah, New York, Schocken Books, [1953] 1969, p. 5-6. The meaning of this festival can be summarised in the tenet which says that in every generation each man should look on himself as if he came forth out of Egypt. “The custom of telling the story of the deliverance from Egypt goes back to the scriptural command: And thou shalt tell thy son in that day, saying: It is because of that which the Lord did to me when I came forth out of Egypt (Exod. 13:8)”. This hortatory formula purports to make the Exodus from serfdom into freedom a living personal experience transmitted through words and the eating of symbolic food that unites the members of a community in the telling of an old but renewed story. 2 J. A. Simpson and E. S. C. Weiner, The Oxford English Dictionary, Second Edition, Oxford, Clarendon Press, [1980] 1991, t. VI, p. 89-90. Definition of formulate: “To reduce to a formula; to express in (or as in) a formula; to set forth in a definite and systematic statement”. 3 M. Grandière, ‘Introduction. La notion de stéréotype’, in Le stéréotype: outil de régulations sociales, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004, p. 7-12, available at https://books.openedition.org/ pur/20998 (accessed 26 October 2019). 4 M. Morel, ‘Préambule: Regards sur la formule’, in La formule dans la littérature et la civilisation de l’Angleterre médiévale, ed. by C. Stévanovitch et al., Presses Universitaires de Nancy, 2011, p. 11. “[…] la propension de la formule à simplifier le donné de réalité de façon réductrice et quasiment binaire, ceci concernant aussi bien les thèmes qu’elle traite que les formes qu’elle affecte. Dans sa dimension à proprement linguistique, la formule repose fréquemment sur des processus d’écho, de symétrie et d’opposition”.
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misconception and the preconceived idea, it is habitually defined as a trite, banal, sometimes overly familiar phrase or opinion.5 Nevertheless, the cliché cannot be dismissed as inefficient because it contributes to producing meaning, and despite the hackeyned themes it conveys – like that of the duplicitous antichristian Jew – it pertains to stylistics and poetics, and is part of the signifying structures necessary in the dynamic of fiction.6 Amossy and Herschberg-Pierrot have carefully examined the close connection between the stereotype and the cliché,7 which I am inclined to perceive as being generically alike. Both frequently resort to formulaic language with a view to hammering home a message or spreading a view. There is a short step from formulaic language to prêt-à-penser or formulaic thinking. Both communicate some ideological traits simplified and set in fixed memorable structures. The risk is to trap and entrench the literary rendering of the Other, the medieval Anglo-Jew in this case. The examples of anti-Judaic rhetoric picked out in the Middle English texts under scrutiny in this article reveal how potently instrumental formulaic designation, in fact formulaic conception, is when it comes to portraying the Jew. Damien Boquet and Piroska Nagy employ the disease metaphor for the antisemitism that still contaminated England’s population after the eviction of the Jewish communitas in 1290.8 They describe a contagious collective emotion that functioned as an outlet for Christian anxieties at a time of political unrest and economic mutation.9 Among the texts examined in this article are examples drawn from medieval drama, essentially
5 See the definition of the cliché given by the online Merriam-Webster Dictionary, available at https:// www.merriam-webster.com/dictionary/clich%C3%A9 (accessed 26 October 2019). 6 R. Amossy et A. Herschberg-Pierrot, Stéréotypes et clichés : langue, discours, société, Paris, ArmandColin, [1997], 20113, p. 63. 7 Ibid., p. 58. 8 R. Mundill, ‘England: The Island’s Jews and Their Economic Pursuits’, in The Jews of Europe in the Middle Ages (Tenth to Fifteenth Centuries), ed. by Chr. Cluse, Turnhout, Brepols, 2002, p. 221. Quoting Louis Rabinowitz, Herem Hayishub (1945), p. 61, the author in his introduction observes that the Anglo-Jewish community was actually “a branch of northern French Jewry with few distinctive or separate characteristics”. The use of the term communitas seems to be justified in Mundill’s article by the fact that “Anglo-Jewry was a society within the society”, as he spells out at p. 222. The notion of communitas was clarified by Victor Turner. In Nicolas Journet, ‘Les rites de passage’, in Sciences Humaines, 112 (2001), at the beginning of the paragraph entitled “Communitas versus structure”, Journet summarizes Turner’s concept as follows: “[…] a communitas is a homogeneous community, egalitarian and based on interpersonal links, which can be opposed to the structured, differentiated, and inegalitarian character of society in ordinary times”. (“[…] une communitas est une communauté homogène, égalitaire et fondée sur des liens interpersonnels, qu’on peut opposer au caractère structuré, différencié et inégalitaire de la société en temps ordinaires.”), available at https://www.scienceshumaines.com/les-rites-de-passage_fr_1079. html (accessed 26 October 2019). In the third chapter (“Liminality and communitas. Forms and attributes of rites of passage”) of The Ritual Process: Structure and Anti-Structure, New York, Aldine de Gruyter, 1995, Victor Turner explains he prefers “the Latin term communitas to ‘community’, to distinguish this modality of social relationship ‘from an area of common living’. The distinction between structure and communitas is not simply the familiar one between ‘secular’ and ‘sacred’, or that, for example, between politics and religion.” (p. 96), available at https://www.iupui.edu/~womrel/Rel433%20Readings/ SearchableTextFiles/Turner_RitualProcess_chaps3&5.pdf (accessed 26 October 2019). 9 D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen-Âge. Une histoire des émotions dans l’Occident médiéval, Paris, Seuil, 2015, p. 328-329.
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religious and thereby designed to trigger compassion and indignation at the sight of Christ’s body tormented following the accusations levelled by the disbelieving Jews. In late medieval England, alongside drama, sermons and narrative poetry otherised the Jewish figure, making it the embodiment of a suspect doctrinal difference.
The Anglo-Jew, a useful “traytoure” and a “wikkid man” A thirteenth-century Spanish Kabbalist10 recommended that Jews avoid conceiving of an abstract object always in the same terms lest thought should become sterile, stunted. To some extent, this view fits the Christian perception of Judaism. Medieval Jews were generally apprehended in a perspective that resisted change and invited formulaic description. Anti-Judaic formulas in Middle English literary productions infused Christian thinking with stereotypes. In a late fifteenth-century dominical sermon, the preacher borrows the hackneyed motif of felonious Judas from the isotopy of Christ’s treacherous enemies among his own people: […] anone after mydnyghte Iudas gaderyd xl knyghtis, strong and bolde, with a grete company of Iewis and cam to take Criste.11 Then, he spells out the symbol of darkness referring again to Judas’ falsehood: the whyche derkenesse makythe mynde how Iudas betrayed Criste, and how the Iewys cam with force of armys as prevely as thei cowde, for drede of the pepyll.12 We are dealing with the cliché of the perfidious Jew, traditionally associated with dissimulation and double-dealing. In a review of Stéréotypes et clichés, Sonia Branca-Rosoff specifies that stereotypical discourse implicitly points at stylistic and rhetoric automatisms while functioning as precious reservoirs of meaningful points and persuasive arguments, however erroneous these may be.13 The aforementioned quotation provides an example of a blatant commonplace drawing on formulaic features, like the derogatory adverb prevely emphasising the Jews’ deceitful and envious nature in the way they 10 E. Wolson, Abraham Aboulafia, cabaliste et prophète. Herméneutique, théosophie, et théurgie, Paris, Éditions de l’Éclat, 1999 (Bibliothèque des sources hébraïques), trans. by J.-Fr. Sené. In his introduction the author exposes the specifity of the cabbalistic method that characterised rabbi Abraham ben Samuel Aboulafia (1240-1291). Aboulafia wrote a treaty in 1276 which laid the foundation of ecstactic Kabbalah. Aboulafia’s goal, he spells out, was to “[…] continuously push the boundaries of rational comprehension”, “accept a logic defying logic itself taking the form of the concomitant affirmation of opposites.” (“[…] repousser constamment les limites de la compréhension rationnelle”, “accepter une logique défiant la logique qui s’exprime par l’affirmation concomitante des contraires”), unlike Maimonid. “There is never one single stasis in his reflection inasmuch as each thing can become its opposite. Each thought is thus a step on a road that perpetually takes us further after a temporary respite.” (“Il n’y a jamais de stase dans sa réflexion, dans la mesure où toute chose peut devenir son contraire. Chaque pensée est ainsi une étape sur une route qui nous emporte toujours plus loin après un répit temporaire.”), available at http://www. lyber-eclat.net/lyber/wolson/wolfson.html (consulted 26 October 2019). 11 St Morrison (ed.), A Late Fifteenth-Century Dominical Sermon Cycle, Oxford University Press for the Early English Text Society, Oxford, 2012, t. I, Sermon 25, De Questionibus Tenebre, lines 11-12. 12 St Morrison (ed.), A Late Fifteenth-Century Dominical Sermon Cycle, 1, 25, lines 24-25. 13 S. Branca-Rosoff, ‘Compte rendu de Ruth Amossy and Anne Herschberg-Pierrot, Stéréotypes et Clichés. Langue, discours, société, Paris, Nathan, 1997’, Langage & société, 87 (1999), p. 143-144, available at https:// www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1999_num_87_1_2861 (consulted 26 October 2019).
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proceeded. In medieval England the doctrine of the Church was the extension of a long-standing attitude with regard to Judaism, and theological opprobium went hand in hand with antisemitism. Unsurprisingly, stereotypical thinking confined the Jew to a purely economic function14 – the first Jewish presence of some economic weight in England dates back to the Norman Conquest. Interestingly, Pam Manix’s article echoes Robin Mundill’s on the subject of the first traces of Jewish presence “on an island at the edge of the known world”,15 as the latter describes medieval England: The medieval English jewries sprang from the Jewish communities of Northern France, known in contemporary rabbinical literature as Zarfat. Modern usage of this term encompasses all of France, but the term then referred to a very specific subgroup of Ashkenazic Jews, concentrated west of the Shum Rhineland communities, across Champagne, Île de France, Picardy and Normandy. Brought to England by William the Conqueror to serve as credit factors in his new kingdom, it is not known precisely when these Jews arrived in London, or in any of the provincial towns.16 Held responsible for murdering Christ, Jews aroused animosity which could take the form of violent punitive action such as collective manslaughter, burning, or hanging. Contempt for the people of the Old Law, “the teaching of contempt”, to quote Jules Isaac’s formula,17 was a preeminent feature of the ecclesial institution. Disregard of the Jewish customs and rabbinical rulings derived from the theology of substitution, the manner in which the Church from the start attempted to define its role, finds its place beside a religion that preexisted it. The destruction of the Temple of Jerusalem in year 70 ad was interpreted as a disqualification of Jews, whilst Pauline hermeneutics foregrounded Christian godliness and enlightenment (Romans 8:9). This theological contention grew out of the belief that God had established a new covenant with Christians. The old alliance with the chosen people was revoked because Jews were unrepentant deicides.18 The interpretation of the precedence of 14 For instance, in the thirteenth century banker Aaron of Lincoln largely financed the building of the local cathedral as well as abbeys and episcopal palaces in other cities. However as soon as Jews were deemed no longer profitable for the Crown, Edward I ordered them out of England. Along with the majority of the English population, at least as was reflected in contemporary writings, the king and his court failed to take into account the close socio-economic interaction between Jews and Gentiles. See K. Lavezzo, The Accommodated Jew: English Antisemitism from Bede to Milton, Ithaca and London, Cornell University Press, 2016, p. 22. 15 R. Mundill, ‘England: The Island’s Jews and Their Economic Pursuits’, p. 221. 16 P. Manix, ‘Oxford: Mapping the Medieval Jewry’, in The Jews of Europe in the Middle Ages (Tenth to Fifteenth Centuries), ed. by Chr. Cluse, Turnhout, Brepols, 2002, p. 406. 17 J. Isaac, L’Enseignement du mépris. Suivi de L’Antisémitisme a-t-il des racines chrétiennes?, Paris, Grasset, 2004. 18 M-A. Ouaknin, Talmudiques, ‘De l’enseignement du mépris à l’enseignement de l’estime’, 01-04-2018, France Culture, available at https://www.franceculture.fr/emissions/talmudiques/talmudiques-dudimanche-01-avril-2018 (consulted 26 October 2019). The Jews as deicides was a formula already in usage at the time of the ecumenical Council of Nicea of 325 ce. In N. Glatzer and E. D. Goldschmidt (eds), The Passover Haggadah, xiv, Solomon Zeitlin in “Jesus and the Last Supper” writes: “At the Council of Nicea, 325 ce, the Christians were prohibited from celebrating pascha at the time the Jews were celebrating
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Judaism as proof of its outdated thereby erroneous character placed medieval Jews in the position of heretics.19 Etymologically, heresy means choice.20 Now, a choice can consist of a divergent stance. In the Good Friday Sermon of A Late Fifteenth Dominican Sermon Cycle, the priest observes that the Jews scorned Christ thrice on the day of Passion with emphasis laid on aggressive irreverence. And yet, the holy Church is magnanimous enough to pray for all its enemies: For the Iewys were on this day thries skornyng Criste knelyng. Then, in these orisons, holy chyrche prayethe for all maner of pepyll: for Iewis, for Sarresyns, for eritykis, for sysmatykis, but no cursyd man.21 The first in the enumeration of non-Christians, the Jews here represent a reminder of the Church’s capacity to extend magnanimous forgiveness to staunch disbelievers. In the first sentence, we notice the contrast between the present participles skornyng and knelyng (only separated by the name of Christ), easy to memorise for the audience. In The Harrowing of Hell, Jesus warns those who will not acknowledge his Lawe that he will juge thame worse thanne any Jewe.22 The spokesman for the Old Testament Jews, Adam hails Jesus as the almighty Lord: Here have we levyd withouten light / Four thousand and vi c yere; / Now se I be this solempne sight / Howe Thy mercy hath made us clene.23 The New Testament reference to Jesus expresses a ruthless condemnation of the Jew as the ultimate embodiment of human villainy, whereas the Old Testament father of humanity earnestly atones for his past blindness away from God’s compassion. Each cue echoes the duality of the Jew, either defamed or pictured as erring, hence the juxtaposition in the same text of vilifying names and adjectives with similes or metaphors that do not cast them in an unfavourable light. Whatever the grammatical forms, the designations of the Jewish man or (less commonly) woman strike as stereotypical. Persistent Judaism antagonized, if not defied, the Christian claim of supremacy that Patristic literature had striven to validate. Still, abhorrence of the Jews palpable in the degrading measures taken against them was somewhat counterbalanced by the consciousness of the utility of Judaism as foil to Christianity. Medieval England faced an embarrassing theological paradox (which drew on Pauline supersession): how to account for the existence of some members of God’s former people24 in a land
Passover. The Emperor Constantine, who presided over the Council, said: ‘Let us have nothing in common with the detestable Jewish crowd’.” Besides, saint Augustine considered that the Jewish diaspora was instrumental in promoting the superiority of Christianity because he presented Jews as the necessary witnesses of its triumph. The Old Testament, which the Jews carried around the world wherever they travelled, embodied material evidence of the advent of a New Law revolving around the concept of mankind’s redemption through the sacrifice of Christ replacing that of liberation from bondage. 19 R. Mills, ‘Violence, Community and the Materialisation of Belief ’, in A Companion to Middle English Hagiography, ed. by S. Salih, Cambridge, D. S. Brewer, 2006, p. 95-97. 20 J. A. Simpson and E. S. C. Weiner, The Oxford English Dictionary, t. VII, p. 164. 21 St Morrison (ed.), A Late Fifteenth-Century Dominical Sermon Cycle, t. I, Sermon 27, p. 63-66. 22 Gr. Walker (ed.), Medieval Drama. An Anthology, York (The Saddlers) The Harrowing of Hell, Oxford, Blackwell Publishers, [2000] 2008, 148, lines 313-314, 320. 23 Gr. Walker (ed.), The Harrowing of Hell, lines 354-357. 24 R. Alter and Fr. Kermode (eds), The Literary Guide to the Bible, Cambridge, Massachussetts, The Belknap Press of Harvard University Press [1987] 2002, p. 669.
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where they did not acknowledge the dominant religion?25 The biblical predecessors of Christians came to be branded as despicable others, enemies of God, idolatrous iudei, even profaners. It seemed to follow some “othering programme”26 avant la lettre foreshadowing their expulsion. In a Miracle of Our Lady, Abraham, a Jewish money-lender, requires an image of the Virgin as security from his debtor, a pious Christian merchant. Therfore go we in to your chirche, / Ther is an ymage of hire iliche, / A-rayed wel with iuweles riche: / Tac thou hire me ther bi the hond! / Of the kep i non othur bond.27 Later, Abraham hides his due sent by the honest borrower, and claims he was never repaid. Miraculously, the statue of Our Lady speaks to confound the Jew, whose villainous trick shames his community. The story ends on his conversion in face of the evidence of divine Grace: The Iewh wox a-schomed tho / And graunted wel that hit was so. / Alle that leeued on his lay / A-schomed weren that ilke day. / Ther he hedde saumple bi good dome / Cristene mon forte bi-come–.28 As both examples testify, the rhythmic effect of salient rhymes like chirche with riche or goode dome with forte bi-come reinforces the formulaic characterisation of the Jew, whose nefarious influence is virtually audible in a dialogue evocative of the contemporary English miracles and mystery plays too. Politically deprived of a voice, medieval Anglo-Jews were ex-centered, denied a decisive role in society, and yet were allowed to live among Christians as long as they were in the service of rulers, to whom they lent money.29 They were accommodated; their presence was tolerated on condition that they adapted to the majority’s interests and welfare, and kept to the limited professional scope authorised for their kind until Edward I ordered them to leave by November 1, 1290. Manix specifies that in July of
25 Augustine saw in the dispersal worldwide of the remnants of the older faith evidence of its paving the way for the fulfilling of the prophecies regarding the Redeemer. The Greek Old Testament indeed translated the Hebrew Messiah as Christos. 26 K. Lavezzo, The Accommodated Jew: English Antisemitism from Bede to Milton, Ithaca and London, Cornell University Press, 2016, p. 17. 27 C. Horstmann and Fr. Furnivall (eds), The Minor Poems of the Vernon Ms… (with a few from the Digby mss. 2 and 86), VI. Hou a iew lente a cristenemon moneye, and took vre lady to borow, Paul K., Trench, Trübner & Co., London, for the EETS, 1892-1901, Ann Arbor, Michigan, University of Michigan Library. Corpus of Middle English Prose and Verse, 158, lines 41-46, available at http://name.umdl.umich.edu/ APE7335.0001.001 (accessed 31 May 2018). 28 C. Horstmann and Fr. Furnivall (eds), VI. Hou a iew lente a cristenemon moneye, and took vre lady to borow, 161, lines 159-164. 29 Traces of a preoccupation with the deleterious influence of capital corrupting human relationships and moral principles underlie the debate-poem Wynnere and Wastoure. See W. Ginsberg (ed.), Wynnere and Wastoure and The Parlement of the Thre Ages, TEAMS, Middle English Texts Series, Kalamazoo, Michigan, 1992. Indeed religion and economy interpenetrated in the medieval western world. Though Wynnere and Wastoure was written after the expulsion, it is likely that the allegorical character of Wynnere (Thesaurus) was inspired by the stereotype of the mercenary Jew compulsively hoarding material wealth, the exact antithesis of the figurative wealth of God’s grace and promise of salvation, the one true good humankind should aspire to. See A. Blandeau, ‘Wynnere and Wastoure ou comment brouiller la transparence du sens dans la représentation allégorique de la thésaurisation et de la prodigalité’, in Transparences médiévales, ed. by M. Yvernault, Limoges, Presses Universitaires de Limoges 2015 (Collection Espaces Humains), p. 29-45.
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that year “the Order of Expulsion gave Jews until November to take with them their possessions, money and pledges (pawns), but all bonds and real estate escheated to the King.”30 Jews were considered wanderers, associated with travelling for business purposes especially. Still, they were represented in a variety of trades since they could be pawnbrokers, artisans, “physicians, goldsmiths, soldiers, vintners, even fishmongers or cheesemongers”.31 In the fifteenth-century East-Anglian Croxton Play of the Sacrament, also known as The Conversyon of Ser Jonathas the Jewe by Myracle of the Blyssyd Sacrament, the characterization of Jonathas, a Jewish merchant, begins with a lengthy catalogue of the astounding diversity of exotic luxurious goods that he buys and sells. John Sebastian remarks on the alliterative boastful display of his mercantile prowess.32 In fact, it echoes the monologue that precedes in which Aristorius, his Christian competitor, prides himself on travelling the seven seas for business motives in a profusely alliterative list of the lands he has visited. For all Aragon I am most myghty of sylver and gold: / For, and yt wer a countre to by, now wold I nat wond!33 […] I am knowen certenly for bying and sellyng.34 Ironically these hubristic words of greed and ambition strike as the type of speech usually placed in the mouth of a Jewish dramatis persona. Now, the most guilty of the two may well be Aristorius because he acted like Judas in selling to a Jew the holy body of Christ for a goodly sum of money. At the end of the play, Synagoga is superseded by Ecclesia as the miracle opens the Jew’s eyes on the Eucharistic truth and leads to his conversion and subsequent exile. As for the Christian merchant, he regrets his on-lefull bargayn for covytyse of good and fears to be blamed for being an heretyke,35 another derogatory word akin to traytoure and wikkid man which can be found in The Cuttelers’ Conspiracy play.36 It is but a short step to demonisation, as suggested in the troubling similarity between the exclamations of Jonathas stunned at the sight of the bleeding Host stabbed in the heart37 and Satan’s rage at his failed temptation of Jesus:38 Ah, owt, owt! Harrow! What devyll ys this? / Of thys wyrk I am in were! (Croxton), Out, out! Harrow! Alas, alas! / I woundyr sore – what is he this? (Temptation). Satan, in The Harrowing of Hell, confesses to entering Judas’ heart to prompt him to betray Christ: ‘Therfore I gaffe to
30 P. Manix, ‘Oxford: Mapping the Medieval Jewry’, p. 413. 31 R. Mundill, ‘England: The Island’s Jews’, p. 227. 32 J. Sebastian (ed.), Croxton Play of the Sacrament. Introduction, University of Rochester, Teams (Middle English Texts Series). A Robbins Library Digital Project, 2012, p. 10, available at https://d.lib.rochester. edu/teams/text/sebastian-croxton-play-of-the-sacrament-introduction (accessed 31 May 2018). 33 Gr. Walker (ed.), The Play of the Sacrament, Oxford, Blackwell Publishers, (2000) 2008, p. 217, lines 7-8. 34 Gr. Walker (ed.), The Play of the Sacrament, p. 217, line 28. 35 Gr. Walker (ed.), The Play of the Sacrament, p. 230, lines 772-777. 36 R. Beadle (ed.), The York Plays. A Critical Edition of the York Corpus Christi Play as Recorded in British Library Additional MS 35290, t. I (The Text), published for The Early English Text Society, Oxford, Oxford University Press, 2009, (The Cutteleres) Conspiracy. This is how Judas is addressed by one of Pilates’ soldiers, p. 222, lines 263-264. 37 Gr. Walker (ed.), The Play of the Sacrament, p. 224, lines 401-402. 38 D. Sugano (ed.), Play 23, The Parliament of Hell; Temptation (from the N-Towns Plays), University of Rochester, Teams (Middle English Texts Series), 2007, lines 187-190.
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the Jewes counsaille / That thei schulde alway garre hym dye. / I entered in Judas / That forwarde to fulfille’, to which his lieutenant Belsabub replies ‘Sir Sattanne, sen we here thee saie / That thou and the Jewes wer same assente’.39 As the quotation from the Croxton play illustrates, accumulating exclamations and rhetorical questions was a frequent stylistic device employed for climactic effect on the audience familiar with colourful utterances, comic ejaculations, and blasphemous interjections recurring from one text to another, whatever the literary category. In the Harrowing of Hell play, Satan’s boastful confession, said like a monologue, underlines the threat posed to humanity while ironically clearing the Jews of their responsibility in the death of Christ.
Misrepresenting Jews “as perpetrators rather than victims of violence”40 In his article devoted to the Anglo-Jews’ economic activities, Robin Mundill, alongside other scholars, is faced with the difficulty to reconcile two antagonistic aspects of Jewish life in medieval England. On the one hand, he describes the Anglo-Jewish community as: […] a small, separate, self-governing and well organized communitas amongst an alien and often hostile society at large. It had the protection of the crown which restricted, regulated and controlled it in return for providing loyalty in the form of arbitrary tallages. It also had to make a living within Christian society as the Jewish community pointed out to Edward I in 1276 when they expressed their concerns about his Statute of the Jewry.41 On the other hand, he indicates the relative degree of independence granted to England’s Jews by the King. Besides, it was “widely accepted by Gentile society that the Jew was allowed to swear on the Torah as the Christian was on the Vulgate.”42 Pam Manix focuses on the situation of Oxford’s Jews before but also after 1290, and concludes against the stereotypical view of Jews as a group keeping apart from the majority: “Oxford’s Jewry, like most, was harldy homogeneous, with Christian and Jewish properties cheek by jowl throughout the ward.”43 A contradiction indeed lay at the core of England’s position regarding its Jews: written after 1290 and before their readmission in the seventeenth century, a great deal of texts vilified them whilst they had supposedly left the country.44 Paradoxically, at the time of the expulsion, and more
39 Gr. Walker (ed.), The Harrowing of Hell, 2008, p. 145-146, lines 163-170. 40 R. Mills, ‘Violence, Community and the Materialisation of Belief ’, p. 96. 41 R. Mundill, ‘England: The Island’s Jews’, p. 224. 42 R. Mundill, p. 222. 43 P. Manix, ‘Oxford: Mapping the Medieval Jewry’, p. 410. 44 H. Ansgar Kelly, ‘Jews and Saracens in Chaucer’s England: A Review of the Evidence’, in Studies in the Age of Chaucer, 27 (2005), p. 129-169, p. 130. The author of the article reminds us of the persistence of Jewish presence in England even after 1290 in houses of converts. In his introduction, he points out: “We sometimes see it argued that the absence of Jews from England made an important difference to
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remarkably afterwards well into the fifteenth century, the social relationships between both communities deteriorated and massacres were perpetrated in the jewries of York, Norwich, or Bury-Saint-Edmunds among other English towns. Poem VI among The Minor Poems of the Vernon Manuscript relates the miracle of a Jewish child put in a burning oven by his own father for having taken holy communion in a Christian church. At the beginning we read: As Iewes weren I-wont to be / Among the cristen and wone I-fere: / The Cristene woneden in on halue / Of that Cite, as I the hete, / And alle the Iewes bi hem-selue / Were stihlet to wone in a strete.45 The words Iewes and Cristene occur twice, so that the spatial and confessional division between both communities cannot be missed. As for the three occurrences of the verb wonen within these six lines, they indirectly bespeak a conflictual cohabitation, unambiguously formulated for an audience familiar with jewries in English towns, at least until the late thirteenth century. A visceral rejection of the Gentiles’ belief and precepts allegedly fueled foul, harmful misdeeds against fervent Christian piety, hence the wave of ritual murders libels contending that helpless believers fell victims to hateful barbarities at the hands of Jews.46 In fact, the slaughters of Jews as early as the first crusade of 1096 entailed desperate reactions on the part of some preferring suicide or the death of their own children to foreswearing their faith. The aforementioned text portrays a Jew who, infuriated by his son’s heartfelt communion at Easter, threw him into a blazing oven without telling his wife. A miracle occurred. When the child’s disconsolate mother eventually found her son, he came out of the burning oven sound and healthy. The Iewesse thorw hire sones sawe / Was conuertet to crist a-non; / The Child tok hym to cristes lawe, / And alle the Iewes euerichon.47 Unsurprisingly, the father was burnt in the oven. The Jews are hardly ever named, as confirmed in the poem, because they are viewed as a uniform group, an indistinct mass, a cliché hostile entity, so to speak. Determined to maintain the unity of an inclusive majority, the Gregorian Church pushed for exclusion, despite the Christian doctrine of love and acceptance and because of an ambiguous rhetoric oscillating between contradictory attitudes from Chaucer’s understanding of the tale told by the Prioress. Not many Christians, it seems, are aware of the presence of the Domus Conversorum in London or of its history, even though the basic facts have long been available.” Further down at p. 133, we read: “Even in Chaucer’s time, the House of Converts was still known as having been established for the maintenance of converts ‘from Jewish depravity’, de Judaica pravitate”. 45 C. Horstmann and Fr. Furnivall (eds), The Minor Poems of the Vernon Ms, IV. hou a Jew putte his sone in a brennyngge ouene, for he was communed wit othur cristene children on the pask-day, Corpus of Middle English Prose and Verse, 150, lines 15-20. The Miracles of Our Lady section of the corpus also contains a poem strangely reminiscent of Chaucer’s Prioress’s Tale. [Hou the Jewes, in despit of vre lady, threwe a chyld in a gonge.], available at http://name.umdl.umich.edu/APE7335.0001.001 (accessed 31 May 2018). The child of the poem also sings the Alma Redemptoris Mater. At lines 33-34, we read: The Iewes hedden that song in hayn, / Therfore thei schope the child be slayn. 46 R. Dahood, ‘English Historical Narratives of Jewish Child-Murder, Chaucer’s Prioress’s Tale, and the Date of Chaucer’s Unknown Source’, in Studies in the Age of Chaucer, 31, ed. by D. Matthews, The New Chaucer Society, Washington University in St Louis, 2009, p. 125-140. 47 C. Horstmann and Fr. Furnivall (eds), The Minor Poems of the Vernon Ms, IV. hou a Jew putte his sone in a brennyngge ouene, for he was communed wit othur cristene children on the pask-day, 153, lines 169-172, available at http://name.umdl.umich.edu/APE7335.0001.001 (accessed 31 May 2018).
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protection for service done to the Crown to forced conversion, not to mention torture. The nation’s policy regarding its Jews lacked consistency actually. Not only were Anglo-Jews blamed for the practice, among other social ills, of usury judged reprehensible for yielding a profit, which jarred with the precept of poverty, but they were also the targets of homiletic crusades againt the non-Christian Other. The Christian faith was to be championed not only in the Holy Land but also at home in England. By the way, as reminded by Jean-Christophe Attias and Esther Benbassa, the Middle Ages was a time when objective conditions of existence for Jews resulted in a profound and long-lasting change in their relation with the Holy Land. Throughout the various Crusades, Christians and Muslims, motivated by spiritual aspirations and imperial appetites, were engaged in a fierce fight over the possession and control of the Promised Land.48 It became properly impossible for Jews to claim their right on their forefathers’ territory.49 Perpetual exile in punishment for denying the validity of christianity would explain Jewish concern with a stable dwelling in the host country. In England anti-Jewish feelings were expressed in the late twelfth century about one hundred and twenty years after some Jews from Rouen came along with William I to settle down in his newly conquered island. Following Canon 68 of the Fourth Lateran Council the English political authorities imposed the wearing of a badge so as to identify the Jews and set them apart. The one hundred years or so from the late twelfth to late thirteenth centuries were punctuated by raids, shameful acts, massacres attesting to growing anti-Jewishness that culminated in the expulsion. The Jews who managed to stay on English soil lived under cover in Houses of Converts, in London and Oxford for instance. The precocious rejection of Jews echoed in the contemporary antisemitic literary production.50 A vehicle of the clerical argument for bringing discredit on Jews, preaching vented anti-Judaic suspicion. Sermons were instrumental in spreading a “pastoral of emotions”, as Boquet and Nagy called it.51 Devotional literature in the vernacular made abundant use of the exemplum to arouse emotion. Pastoral practice by those entrusted with the cura animarum set great store by the sincerity of the religious feeling, deemed indispensable didactically to the successful transmission of various points of the Christian doctrine. “The art of educating through emotions becomes central” from the thirteenth century onwards.52 The duty to strive for eternal salvation required turning away from obsolete Judaic principles. To Dives, his lay interlocutor with whom he is engaged in a disputation of the holy commandments, Pauper explains: […] and therfore in oure preyere, preysyng and wurshepyng we shullyn
48 In the Middle Ages, the terms “Holy” or “Promised Land” were frequently used, whereas “Israel” referred to the people only. 49 J.-Chr. Attias et E. Benbassa, Israël imaginaire, Paris, Flammarion, 1998, 94. The situation of the land of Israel in the Middle Ages during the Crusades provided what Attias and Benbassa call “a historical sanction to the theological claims of christianity and islam” (“une sanction historique aux prétensions théologiques de la chrétienté et de l’islam.”, p. 94. 50 K. Lavezzo, The Accommodated Jew, p. 5. 51 D. Boquet and P. Nagy, Sensible Moyen-Âge, p. 331: “une pastorale des émotions”. 52 D. Boquet and P. Nagy, p. 332: “L’art d’éduquer par les émotions devient central”.
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turnyn vs into the est to seen how Crist fur vs heng vpon the tree and so to han eye on his passioun […]. Also to lettyn the peple that they shullyn nought suwe the Iewys in maner of wursheppyngge.53 What comes out of these Middle English texts regarding the attitude toward the Jewish figure? It is difficult to answer the question, but the prevalent impression may be that the Christian view was hard put to reconcile the Jew with an obsession with doctrinal uniformity. Yet, in an England which confessionalised society Christians and Jews shared a porous space despite the creation of jewries in urban areas. Significantly, the Hebrew word arvah for brother also means I will say. It suggests the notion of dialogue, verbal exchange, and debate. A brotherly bond implies responsibility toward the other, not only in the adelphic sense of the word but also in the broader sense of one who is different, who has another religious faith.54 What may bind together christianity and judaism is a fundamental link that invites a revision or re-reading of their complex kinship. In French, re-reading is relecture, which is etymologically connected with two Latin verbs: religere meaning reread, as well as religare, in other words bind, unite, associate. The history of the cohabitation of Jews with Gentiles in England kept shifting between clash and accommodation (meaning compromise), conflict and arrangement. As in medieval France, Jews in England perceived themselves as a minoritary nation. Nation stems from the Latin natio, itself related to the verb nasci, to be born. There is of course a Hebrew lexicon for the group as nation. The word ham designates the Jewish people, but it derives from him meaning with, so it means being with the other. As for the term goy for the other, it has an Aramaic root which signifies the body.55 The realm of narrative poetry contains an extensively studied Marian miracle, The Prioress’s Tale, steeped in antisemitic rhetoric. The Jewish group of the Asian town forms a body which, far from trying to engage in a dialogue with the Christians, is depicted as a corporation jealous of its space in which any Christian interference whatsoever is proscribed. Resenting the O Alma redemptoris sung by a little Christian child crossing the jewry everyday on his way to school, Fro thennes forth the Jues han conspired / This innocent out of this world to chace.56 The Prioress takes great care to picture these Jews as weak enough to fall under the baleful sway of Oure firste foo, the serpent Sathanas, / That hath in Jues herte his waspes nest.57 She relates a story of Christian purity endangered by Jewish brutality, taking the form of the inhabitants of an Asian district slaughtering a litel clergeon, whose corpse they defile shamefully and
53 Pr. Barnum (ed.), Dives and Pauper, t. I, Part 1, EETS, 1976, Commandment I, Chapter 16, lines 10-14. 54 M.-A. Ouaknin, Talmudiques, France Culture, “De l’enseignement du mépris à l’enseignement de l’estime”, 01-04-2018, available at https://www.franceculture.fr/emissions/talmudiques/talmudiquesdu-dimanche-01-avril-2018 (accessed 31 May 2018). 55 M.-A. Ouaknin, Talmudiques, “Dire la nation: les sources médiévales”, 18-11-2015, France Culture, available at https://www.franceculture.fr/emissions/talmudiques/dire-la-nation-les-sources-medievales (accessed 31 May 2018). 56 G. Chaucer, The Prioress’s Tale, in The Riverside Chaucer, ed. by L. Benson, Oxford, Oxford University Press, [1987] 1988, p. 210, lines 565-566. 57 G. Chaucer, The Prioress’s Tale, 558-559.
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throw in their latrine for singing a Marian hymn. Nevertheless, on close examination the tale revolves around a rather disturbing ambivalence: it ostracises the Jews as a heinous, bloodthirsty mob whilst undermining “fantasies of a pure, distinct, and exalted Christian identity”.58 Chaucer’s tale was written in the context of late fourteenth-century mercantile England, where antisemitic images may have been employed with an intention to indirectly “judaize” Christian mercenary conduct. However, another aspect of the context in which The Prioress’s Tale was composed is that of the historical narratives of Jews crucifying Christian boys. Late medieval imagination in England was permeated with the legends of Hugh of Lincoln, Adam of Bristol contendingly crucified in a Jewish latrine in the thirteenth century, and other boy-singer tales attesting to the persistence of representations of Jews as a dangerous presence to be kept under close watch.59 According to Roger Dahood, the Prioress indirectly invokes the 1255 martyr of Hugh of Lincoln in her version of the Chorister tale. A story that presents itself as Asian turns out to be deeply informed by events in England of the twelfth and especially the late thirteenth century. Some seventy and more years after the discovery of C1 (the first group of Chorister tales distinguished by Carleton Brown) relegated Hugh of Lincoln to the margins of Prioress’s Tale study, it is now perhaps time to move him back closer to the center.60 The contra Iudaeos current running through Christocentric literature ranged from rudimentary antisemitism conveyed in a variety of topoi, formulas and images (like that faitoure so false, as Anna calls Jesus in The Remorse of Judas, a York Corpus Christi play,61 or Pauper’s evocation of the Jews who, on the day of Christ’s passion, stodyn aforn hym and pasydden aforn hym wyt manye scornys and dispittous woordys, wyt mowys and manye a iape62) to theological anti-Judaism oozing out of the hermeneutic gap separating the Old from the New Testaments.63 In a devotional culture, the disparagement of Jews served as a reminder of their agency in the Passion. The sight 58 K. Lavezzo, The Accommodated Jew, p. 107. 59 A. Bale, The Jew in the Medieval Book. English Antisemitisms, 1350-1500, Cambridge University Press, [2006] 2010. See chapter 3 “Miracle: shifting definitions in ‘The miracle of the boy singer’”, in which Bale explains that the Vernon manuscript contains divergent understandings of this particular miracle placed at the beginning of a collection of Marian miracles (p. 75-77). The chapter reminds us that the most compelling version of the miracle is found in Chaucer’s Prioress’s Tale, though others existed. In chapter 4 “Cult: the resurrection of Robert of Bury”, among the sources mentioned Bale quotes the prayer that Lydgate composed in memory of the young martyr (p. 112). This “Praier to St Robert” is contained in a manuscript in which ten other saints are praised alongside young Robert. See H. N. MacCracken and M. Sherwood (eds), ‘29. To St Robert of Bury [MS. Laud 683, leaves 22, back 23]’, The Minor Poems of John Lydgate, University of Toronto, Robarts Library, 1911, p. 138-139, available at https://archive.org/ details/minorpoemsofjohn00lydguoft/page/n15 (accessed 26 October 2019). 60 R. Dahood, ‘English Historical Narratives of Jewish Child-Murder’, 2009, p. 140. 61 R. Beadle (ed.), The York Plays. A Critical Edition of the York Corpus Christi Play as Recorded in British Library Additional MS 35290, t. I (The Text), published for The Early English Text Society, Oxford, Oxford University Press, 2009, (The Cookis and Watirleders) The Remorse of Judas, 293, line 47. 62 Pr. Barnum (ed.), Dives and Pauper, t. I, Part 1, Commandment I, Chapter 16, lines 33-35. 63 A. Bale, The Jew in the Medieval Book, p. 12.
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of Jesus’ suffering was “spectacularized” in drama especially, as it seemed to goad the Jewish tormentors, while adducing an imago pietatis to inspire affective piety. In late medieval England, preeminent in the liturgical calendar was the Holy Week and its processions commemorating Passion followed by Resurrection. This climactic event sometimes aroused violent emotional outbursts caused by the deep-seated prejudice against the Christ-killers staged in an exaggeratedly expressive manner in mystery plays. Underlying the Croxton Play of the Sacrament was the profit motive antagonising the symbolic substantiation acted out in the liturgical affirmation of the eternity of Christ’s body and blood.64 The play about Eucharistic piety contains a forceful, outrageous host-desecration scene in a possible echo of the dolorist emphasis on Christ’s agony. Still, some scholars interpret the empirical testing of the Host by the four Jews as Lollard rejection of the real presence of Christ in the bread during communion, whilst others equate Jonathas and his companions to doubting Christians.65 Such divergent readings point to the necessity to look beyond traditional anti-Judaism and “the literal Jewishness of the play’s Jews for their symbolic significance”, as the editor of the Croxton play put it.66 Nevertheless, today’s temptation to assume that medieval Anglo-Jews were systematically blamed and disgraced needs to be qualified. In the conclusion to an article on Jews and Saracens in Chaucer’s England, Henry Ansgar Kelly remarks: In fact, there was an abundance of positive characterizations of Jews in the realm, as well as negative ones. As well as being denigrated, Jews, like Saracens, were often praised as having morals and characters superior to those of Christians. These latter themes are particularly evident in the sermons of Bishop Brinton, and his lessons, and also his zeal for converting the infidel, undoubtedly influenced William Langland. “Good” and “bad” themes (showing Jews and Saracens as moral and well intentioned, on the one hand, and as evil and deserving of death, on the other) are often mixed together in the same works or in the same collections – for instance, miracles of the Virgin.67 Damien Boquet and Piroska Nagy draw attention to the old inimicitia-amicitia conflict, the oscillation between discord and friendship which characterised the relationships between the Gentile majority and the Jewish minority.68 In the name of national unity and identity in medieval England, historical chronicles fantasised 64 A. Bale, The Jew in the Medieval Book, p. 39. 65 J. Sebastian (ed.), Croxton Play of the Sacrament: Introduction, 2012, available at https://d.lib.rochester. edu/teams/text/sebastian-croxton-play-of-the-sacrament-introduction (accessed 31 May 2018). In his detailed online introduction to the play, John T. Sebastian points out (p. 3) that recent commentators have reaffirmed Cecilia Cutts’ “assessment of the play as anti-Lollard polemic”, whilst others like Heather Hill-Vasquez, he observes (p. 4), view it as “a celebration and reassertion of orthodox belief for the benefit of non-Lollard Christians whose faith might nevertheless need buttressing.” John Sebastian also refers to Michael Jones’ remark on the disagreement the play has always been fuelling among scholars (p. 3). 66 J. Sebastian (ed.), Croxton Play of the Sacrament, Introduction, p. 4, available at https://d.lib.rochester. edu/teams/text/sebastian-croxton-play-of-the-sacrament-introduction (accessed 31 May 2018). 67 H. Ansgar Kelly, ‘Jews and Saracens in Chaucer’s England’, p. 167. 68 D. Boquet and P. Nagy, Sensible Moyen-Âge, p. 324.
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the past in linking it to classical Rome or Troy, even to the biblical world. The primary purpose was to institutionalise a reading of time “reformated in terms of its usefulness and resonance to a Christian present and future”,69 which consequently eclipsed Hebrew history, pre-Incarnation time.
Conclusion The post-Crucifixion continuity of Judaism was controversial in England in the Middle Ages. Stereotypes of Jewish deviancy and malevolence were conveyed through a diversity of formulas. Formulas can provide adequate verbal means to fashion, even circulate, antisemitic tropes, fictitious images by debasing some moral and physical features to exaggerate the Jews’ allegedly toxic contact/conflict with the host community. In addition, the formulation of distrust of the Jew can take the form of clerical use of antijudaic clichés like, for instance, the erroneous identification of the Sabbath day as Saturday. Dives and Pauper devotes several chapters in the discussion of the Third Commandment to this moot doctrinal point to prove that the Jewish error stems from innate vnkyndness and schrewydnesse.70 Lastly, taken in a broader sense, the stereotypical designation of the Jewish figure comprises common motifs. One noticeable illustration is the blind persistence of the old faith giving in to the superior Christian truth. In a disputation between a Christian and a Jew from the Minor Poems of the Vernon Ms, the Jew stubbornly sticks to his law. The Christian deplores: To his trouthe hedde he tiht, / Trewe as the tre:– / That wol I apertly preue: / Thulke lay that he on leeue, / Ffor no gold that me mihte him yeue, / Chaunge wolde not he.71 Another motif concerns the cruel punishment forced onto Jews, done away with, written off the text at the end of The Prioress’s Tale, just as the Asian town is purged of its undesirable Jewish elements and Judaic scoria. ‘Yvele shal have that yevele wol deserve’; / Therfore with wilde hors he dide hem drawe, / And after that he heng hem by the lawe.72 A definition of the formula, found in the plural in A Dictionary of Literary Terms entry,73 observes that the “pre-existent blocks of phrases, sentences, and verses” used by authors borrowing from a poetic tradition could be “re-combined into new arrangements”. The medieval appropriation of the Jewish type with a view to
69 A. Bale, The Jew in the Medieval Book, p. 24. 70 Pr. Barnum (ed.), Dives and Pauper, t. I, Part 1, Commandment III, chapter 17, lines 88 and 90. See also Commandment III, chapter 2, 66-73; chapter 3, 1-15; chapter 11, 25-31; chapter 17, 73-91. 71 C. Horstmann and Fr. Furnivall (eds), The Minor Poems of the Vernon (with a few from the Digby mss. 2 and 86), XLV. A disputison by-twene a cristenemon and a Jew, K. Paul, Trench, Trübner & Co., London, for the EETS, 1892-1901, Ann Arbor, Michigan, University of Michigan Library, Corpus of Middle English Prose and Verse, p. 485, lines 27-32, available at http://name.umdl.umich.edu/APE7335.0001.001 (accessed 31 May 2018). 72 G. Chaucer, The Prioress’s Tale, p. 211, lines 632-634. 73 M. Martin, ed., A Dictionary of Literary Terms, York, Longman York Press, (1984) 1993, p. 124. See Formulae.
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overloading it with predominantly negative meanings partakes to a proneness to reconfigure, fragment, or select narrative material. This can be explained by the blurred delineation between objective perception of reality, moral didacticism and the protean nature of fantasy Judaism, as Anthony Bale formulated it.74
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74 A. Bale, The Jew in the Medieval Book, p. 52.
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François Wallerich
Usage des formules bibliques dans les récits de miracles eucharistiques L’exemple du verset Qui manducat… (1 Cor 11, 29)
Similar motives and narrative structures can often be found in medieval miraculous tales. Many of such motives are derived from biblical episodes and can be considered as formulas, in a broad sense of the term. In these narratives, there are also formulas in a more specific sense, as many of them quote biblical verses. In this article, eucharistic miracles are taken as an example to show two specificities of these biblical formulas. The first is the typological perspective, according to which the miraculous tale is seen as a kind of antitypos, compared with the typos of the biblical episode. The second is the evolution of a formula’s meanings regarding the context in which it takes place : the same words in similar stories can have very different meanings, depending on the context where they are written or pronounced. This article will explore examples of Paul’s verse Qui manducat (1 Cor 11, 29) featured in different eucharistic miracles, and attempt to present their different possible meanings. T
Les similitudes qui caractérisent les récits miraculeux médiévaux ont été soulignées à maintes reprises, dès le xixe siècle. Après avoir évoqué quelques hosties miraculeuses et rapporté les histoires qui s’y rattachent, Jacques Collin de Plancy émet un jugement dont le ton est fidèle aux sarcasmes et à l’ironie qui caractérisent son œuvre, mais qui, déjà, souligne ces récurrences : « Toutes ces histoires se ressemblent beaucoup, parce qu’alors toutes les églises un peu habiles voulaient avoir quelques objets de dévotion, qui attirassent les pèlerins1. » L’explication qu’en donne l’auteur, de nature positiviste, consiste à mettre les ressemblances sur
1 J. Collin de Plancy, « Hosties miraculeuses », in Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, Paris, Guien, 1821, t. 1, p. 387-410, spécialement p. 405. François Wallerich • Université Paris-Nanterre La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 181-195 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124028
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le compte de clercs qui, désireux de donner du prestige à leur sanctuaire, se seraient réapproprié les récits d’inventio déjà existants. Même si elle peut être pertinente pour quelques cas, une telle interprétation doit être rejetée. Au début du xxe siècle, en mettant en évidence l’existence de « motifs » qu’ils ont tenté de répertorier de manière exhaustive, les folkloristes ont ouvert la voie à des lectures structurelles du phénomène2. L’anthropologie historique a suivi cette voie. À partir des années 1960, l’étude des exempla a donné lieu à la production de diverses bases de données, sous forme de livres puis au format électronique, qui recensent les principaux modèles de récits3. La récurrence des motifs et des schémas narratifs dans les récits miraculeux est donc un fait bien connu et largement étudié4. Il est possible d’envisager les similitudes narratives comme des formules, à condition de donner une acception large à cette notion. Il y a cependant, dans les récits de miracles, des formules entendues au sens plus restreint et plus commun de répétitions de groupes de mots. En particulier, les narrations font un usage relativement fréquent de versets bibliques. On se propose d’étudier l’articulation entre ces deux types de formules : les motifs narratifs (sens large) et les citations scripturaires (sens restreint) qui reviennent constamment dans les récits de miracles. Pour ce faire, on a choisi de considérer le cas particulier des miracles eucharistiques. Ces derniers se développent au cours du Moyen Âge à mesure que le dogme relatif à la présence substantielle se précise. Deux moments sont décisifs à cet égard. Le ixe siècle est un premier tournant, surtout en raison du traité De corpore et sanguine Domini de Paschase Radbert, dans lequel la présence du Christ sur un mode non figuratif est affirmée avec force et appuyée sur des récits miraculeux5. Le xie siècle en est un second. La condamnation de Bérenger de Tours aux conciles de Rome de 1059 et 1079 conduit la papauté à préciser pour la première fois le mode de présence du
2 Citons en particulier : S. Thompson, Motif-Index of Folk-Literature. A Classification of Narrative Elements in Folktales, Ballads, Myths, Fables, Mediaeval Romance, Exempla, Fabliaux, Jest-Books and Local Legends, 6 vol., Bloominton-Londres, Indiana university press, 1966-1975. 3 F. C. Tubach, Index exemplorum. A Handbook of Medieval Religious Tales, Helsinki, Suomalainen tiedeakatemia: Academia scientiarum fennica, 1969 (FF communications, t. 84, no 204) ; J. Berlioz et M. A. Polo de Beaulieu (éd.), Les “Exempla” médiévaux. Introduction à la recherche, suivie des tables critiques de l’“Index exemplorum” de Frederic C. Tubach, Carcassonne, GARAE-Hésiode, 1992 (Classiques de la littérature orale) [corrige et complète le précédent]. Auxquels il faut ajouter le Thesaurus Exemplorum Medii Ævi (ThEMA), base de données réalisée sous la direction de Jacques Berlioz, Marie Anne Polo de Beaulieu et Pascal Collomb : http://gahom.huma-num.fr/thema/ [consultation le 26/07/2018]. Sur le genre de l’exemplum, voir : Cl. Bremond, J. Le Goff et J.-Cl. Schmitt, L’“Exemplum”, Turnhout, Brepols, 1982 (Typologie des sources du Moyen Âge 40). 4 La permanence des schémas narratifs a été bien mise en valeur dans le cas des miracles eucharistiques consécutifs à une profanation par les juifs qui apparaissent à partir de la seconde moitié du xiiie siècle. Voir : G. Dahan, Les intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Âge, Paris, Le Cerf, 1990 (Patrimoines. Judaïsme), p. 28. 5 Paschasius Radbertus, De corpore et sanguine Domini, éd. B. Paulus, Turnhout, Brepols, 1969 (Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis, 16). Pour le contexte, voir notamment : G. Macy, The Theologies of the Eucharist in the early Scholastic Period. A Study of the Salvific Function of the Sacrament according to the Theologians c. 1080 – c. 1220, Oxford, Clarendon press, 1984, p. 21-27 : « The first treatises on the Eucharist ».
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Christ dans le sacrement par l’emploi de l’adverbe sensualiter (1059), corrigé ensuite en substantialiter (1079)6. Cette affirmation inédite de la présence sacramentelle selon des modalités réalistes a constitué un terrain favorable à la diffusion de récits de miracles qui illustraient et confirmaient le dogme nouvellement formulé. Comme l’ensemble des récits miraculeux, ceux qui concernent l’eucharistie ont fait l’objet de plusieurs typologies, destinées à mettre en évidence l’existence de motifs récurrents7. Après avoir exploré sommairement comment les formules bibliques peuvent s’inscrire dans quelques-uns d’entre eux, on s’arrêtera plus longuement sur un cas d’étude : l’usage d’un verset de saint Paul dans les récits de communiants indignes miraculeusement châtiés.
Logique formulaire et pensée typologique dans les miracles eucharistiques On peut essayer de saisir la logique formulaire des versets bibliques en se servant de la notion de typologie. Au sens strict, l’expression « typologie biblique » est anachronique puisqu’elle n’apparaît qu’au xviiie siècle ; mais la démarche qu’elle désigne est ancienne, dans la mesure où on en trouve les fondements dans les épîtres de Paul. Au sens strict, il s’agit d’une « méthode d’exégèse selon laquelle un événement ou une personne de l’Ancien Testament préfigure un événement ou une personne qui s’accomplit dans le Nouveau Testament8 ». Saint Paul appelle le premier typos, le second antitypos. Mais on utilisera ici le terme de typologie dans une acception plus large, en suivant en cela la voie déjà ouverte par plusieurs chercheurs. Dans un volume collectif récent qui tentait d’analyser la place de la typologie biblique dans l’historiographie médiévale, certaines contributions retenaient « un sens étendu du lexème “typologie-typologique”, celui de “signification secondaire” et de “projection d’éléments bibliques sur un événement historique” ou de “valorisation d’un personnage
6 Présentation synthétique des événements dans : J. de Montclos, « Lanfranc et Bérenger : les origines de la doctrine de la Transsubstantiation », in G. d’Onofrio (éd.), Lanfranco di Pavia e l’Europa del secolo xi nel IX centenario della morte (1089-1989). Atti del convegno internazionale di studi (Pavia, Almo Collegio Borromeo, 21-24 settembre 1989), Rome, Herder, 1993 (Italia sacra, 51), p. 297-326. La profession de foi Ego Berengarius que l’on impose à Bérenger en 1059 et qui contient le fameux adverbe sensualiter a sans doute été rédigée par Humbert de Moyenmoutier. Elle est connue par la citation qu’en fait Lanfranc dans son De corpore et sanguine Domini (PL 150, col. 410D-411A) avant d’être insérée dans le Decretum Gratiani au xiie siècle. Le protocole du synode romain de 1079, qui contient l’adverbe substantialiter, est édité dans : E. Caspar, Das Register Gregors VII., Berlin, Weidmannsche Buchhandlung, 1923 (Monumenta Germaniae historica : Epistolae selectae 2, 2), p. 425-427. 7 La plus complète est celle proposée dans : P. Browe, Die eucharistischen Wunder des Mittelalters, Breslau, Müller & Seiffert, 1938. 8 M. T. Kretschmer, « Y a-t-il une “typologie historiographique” ? », in M. T. Kretschmer (éd.), La Typologie biblique comme forme de pensée dans l’historiographie médiévale, Turnhout, Brepols, 2014 (Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales. Textes et études du Moyen Âge, 75), p. 1-23, spécialement p. 1.
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ou d’un fait historique par un parallèle ou un modèle tirés de la Bible9”. » Dans ce sens élargi, la plupart des miracles médiévaux ont une dimension typologique. Pour ne citer qu’un exemple élémentaire, de nombreux travaux ont souligné le modèle christique qui présidait aux miracles opérés par les saints10. À cet égard, les miracles de l’eucharistie diffèrent en partie des miracles des saints. Dans la Bible, le Christ opère des prodiges de différentes natures (guérisons, exorcismes, dérogation aux lois naturelles, etc.) que l’on peut aisément transposer sur les saints. En revanche, il n’y a bien sûr pas de miracles de l’eucharistie. Les récits doivent donc précisément se fonder sur des types (ou figures) de l’eucharistie ou transposer des épisodes sur le sacrement. L’analogie entre un miracle eucharistique et un type biblique donne au récit une crédibilité fondée sur l’auctoritas de l’Écriture. Ce rapport d’analogie est souligné dans le récit de manière plus ou moins explicite. Prenons un premier exemple dans les Libri VIII Miraculorum de Césaire de Heisterbach. Moine cistercien dans un établissement proche de Cologne, Césaire entreprend la rédaction de cet ouvrage en 1225-1227. Il l’a sans doute laissé inachevé lorsqu’il meurt à une date inconnue, proche du milieu du xiiie siècle11. Un des récits affirme qu’en Brabant, une sainte femme nommée Tyedela vit, le jour de la Nativité, le Christ lui apparaître sous la forme d’un Enfant. Elle fut ensuite miraculeusement transportée à l’abbaye de Villers (OC), où un moine cistercien célébrait la messe. Elle lui tendit l’Enfant pour le sacrifice. Et Césaire écrit : Lego sanctum Abacuc de Iudea translatum in Babylonem mirabiliter : audio hic Tyedelam de Nivella in Vilarium ineffabiliter transpositam. Bene dixerim ineffabiliter, qui in translatione prophete cincinno manus adhibetur, hic subuentionis modus non inuenitur. Aliquid amplius hic : deferebat ille prandium messorum, ista panem angelorum12. Césaire rapproche donc le miracle qu’il narre au sujet d’une sainte femme contemporaine d’un épisode du livre de Daniel : alors qu’il allait porter le pain aux moissonneurs, Habaquq fut miraculeusement transporté afin qu’il le portât au
9 F. Stella, « L’historiographie en vers de l’époque carolingienne : la typologie politique des peintures d’Ingelheim », in Ibid., p. 25-52, spécialement p. 26. 10 Par exemple, P. A. Sigal, L’homme et le miracle dans la France médiévale (xie-xiie siècle), Paris, Le Cerf, 1985 (Histoire), p. 32-35 : « Le saint imitateur du Christ et des apôtres ». 11 La bibliographie sur Césaire est très vaste. Relevons surtout : F. Wagner, « Studien zu Caesarius von Heisterbach », Analecta Cisterciensia, 29 (1973), p. 79-95 et K. Langosch, « Caesarius von Heisterbach », in Die Deutsche Literatur des Mittelalters. Verfasserlexikon, Berlin – New York, W. de Gruyter, 1978, t. 1, col. 1152-1168. 12 Caesarius Heisterbacensis, Libri VIII Miraculorum, in A. Hilka (éd.), Die Wundergeschichten des Caesarius von Heisterbach, t. 1, Die beiden ersten Bücher der Libri VIII Miraculorum, Bonn, P. Hanstein, 1933 (Publikationen der Gesellschaft für rheinische Geschichtskunde, 43), p. 24 : « Je lis que saint Habaquq fut translaté miraculeusement de Judée à Babylone ; j’entends ici que Tyedela fut transportée de manière ineffable de Nivelle à Villers. J’aurai bien dit “de manière ineffable” : alors que, dans la translation du prophète, une main le saisit par une mèche de cheveux, ici on n’a guère découvert par quel moyen le transport avait eu lieu. Et plus encore. Alors que lui apportait le repas des moissonneurs, elle apportait le pain des anges ».
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prophète Daniel (Dn 13, 14). Le texte vétérotestamentaire indique qu’un ange saisit Habaquq par les cheveux. Conformément à la logique typologique, l’antitype réalise pleinement ce que le type ne faisait que préfigurer : alors qu’Habaquq ne portait qu’un simple repas, Tyedela donne au prêtre le panis angelorum, c’est-à-dire l’eucharistie. Rares sont cependant les miracles eucharistiques qui se coulent à ce point dans un épisode biblique. Dans la plupart des cas, le rapport d’analogie est beaucoup plus ténu. Les auteurs se contentent alors de l’esquisser, en citant un verset. C’est le cas, par exemple, chez le cistercien Herbert de Clairvaux, qui compile un recueil de miracles vers 117813. On y lit la chose suivante. Au lieu de communier, un fidèle avait jeté l’hostie dans le fourrage de ses porcs, afin de les protéger de diverses maladies. Une moniale eut la révélation de la profanation et les autorités retrouvèrent le corpus Christi intact, les animaux ayant miraculeusement refusé de le manger. Herbert écrit alors : Videntes uero fideles sanctum canibus datum et margaritam porcis appositam, grauiter ingemuerunt14. Herbert cite bien évidemment l’évangile de Matthieu : Nolite dare sanctum canibus : neque mittatis margaritas uestras ante porcos, ne forte conculcent eas pedibus suis, et conuersi dirumpant uos (Mt 7, 6)15. La citation biblique identifie la situation à un épisode déjà envisagé dans les Écritures et le pose comme une réitération16. Parfois, la logique typologique se double d’une dimension eschatologique : le miracle rejoue un type biblique, mais n’est lui-même qu’une figure d’un événement qui ne sera pleinement réalisé que lors des fins dernières. Citons à cet égard l’interprétation que livre Pierre de Limoges, prédicateur de la seconde moitié du xiiie siècle, d’un miracle eucharistique célèbre17. Un enfant juif serait entré dans une église et aurait reçu la communion. De retour chez lui, il aurait raconté la chose à son père qui, furieux,
13 Sur Herbert : G. Raciti, « Herbert de Mores », in Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, Paris, Beauchesne, 1969, t. VII, col. 268 ; A. M. Oliva, « Erberto monaco di Clairvaux ed arcivescovo di Torres », Rivista Cistercense, 5 (1988), p. 325-337. 14 Herbertus Claraevallensis, Liber visionum et miraculorum Clarevallensium, G. Zichi, Gr. Fois, St. Mula (éd.), Turnhout, Brepols, 2017 (Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis, 277), p. 176 : « Les fidèles, voyant que ce qui est sacré avait été donné aux chiens et que la perle avait été jetée aux porcs, poussèrent d’âpres gémissements ». 15 « Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré, ne jetez pas vos perles devant les porcs, de crainte qu’ils ne les piétinent, puis se retournent contre vous pour vous déchirer ». 16 Le même verset est cité au sujet du martyre de Tarcisius. L’histoire de ce dernier, dont la mort aurait eu lieu peu après celle du pape Étienne Ier (257), figure dans les martyrologes d’Adon et d’Usuard (ixe siècle), ainsi que dans les Actes d’Étienne. Voir respectivement PL 123, col. 331D-332A (Adon), PL 124, col. 365 (Usuard) et, pour les Acta sancti Stephani papae et martyris Romae, Acta Sanctorum, Aug. I, p. 139-146, spécialement p. 143-144. Alors que Tarcisius porte le corpus Christi, il est attaqué par des païens ; il meurt plutôt que de donner aux chiens ce qui est sacré. L’eucharistie disparaît miraculeusement pour ne pas tomber entre des mains impures. Au xie siècle, Guitmond d’Aversa, un contradicteur de Bérenger, reprend l’histoire du martyr romain (et la citation textuelle de l’évangile de Matthieu) dans son traité sur l’eucharistie. Voir Guitmundus Aversanus, De corporis et sanguinis Domini veritate in sacramento (PL 149, col. 1448D-1449A). 17 Pierre de Limoges semble avoir étudié à Paris, au collège fondé par Robert de Sorbon, avant d’y avoir lui-même enseigné la théologie. Son activité de prédicateur est attestée en 1273 et 1280. Sur l’itinéraire de Pierre et la bibliographie qui lui est consacrée, voir : N. Bériou, « Pierre de Limoges et la fin des temps », Mélanges de l’École française de Rome, 98/1 (1986), p. 65-107, spécialement p. 68-70.
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l’aurait jeté dans une fournaise. Mais la Vierge l’aurait miraculeusement protégé des flammes. L’histoire, originaire d’Orient, est fort ancienne puisqu’elle est attestée en Occident dès Grégoire de Tours18. Dans un sermon prononcé le Jeudi Saint 1272 à la chapelle royale et connu par la reportation du célèbre ms. Paris, BnF, lat. 1648119, Pierre de Limoges cite ce miracle et ajoute : Ille puer, eo quod innocens accesserat, fuit ab incendio liberatus. Sic illi qui digne recipiunt per huius efficaciam ab incendio inferni liberantur, et uere ab omni clade temporali. Et huius figuram pulcre habemus de filiis Israel qui erant XL annis in deserto, et non erat in omnibus eorum infirmus propter uirtutem manne quam comedebant. Et si illa manna que non erat nisi quedam figura tantum uigorem habebat, sic et multo forcius hec uera manna, que est ueritas, liberat ab omni egritudine corporali et ab incendio inferni et etiam purgatorii20. La manne nourrit et préserve miraculeusement les Hébreux lors de leur sortie d’Egypte (Ex 16, 35). Le type est actualisé par le miracle du juif préservé des flammes grâce à la communion. Enfin, il est projeté dans le futur à travers l’évocation eschatologique des feux purgatoires et infernaux, dont l’eucharistie doit préserver les fidèles. Les formules issues de verset biblique signalent donc que le miracle eucharistique s’insère dans la pensée typologique : il constitue à la fois un antitype, par rapport à un événement biblique, ou un type, dans une perspective eschatologique. Dans le détail, cependant, la répétition des mêmes versets n’empêche pas le sens des récits miraculeux d’évoluer en fonction du contexte. C’est ce que l’on peut mettre en évidence à travers l’analyse de la formule Qui manducat…
18 Gregorius Turonensis, Liber in gloria martyrum, éd. B. Krusch, Hanovre, 1885 (Monumenta Germaniae Historica : Scriptores rerum merovingicarum 1,2), p. 44. Grégoire situe l’histoire in Oriente. À la même époque, Évagre le Scholastique († 594) raconte la même histoire en grec en la situant à Constantinople, sous l’épiscopat de Mena (536-552). Evagrius Scholasticus, Histoire ecclésiastique, IV, 36, éd. J. Bidez et L. Parmentier, The Ecclesiastical History of Evagrius with the Scholia, Londres, Methuen and co., 1898, p. 185-186. (Dans les Monumenta Germaniae Historica, il faut bien lire IV, 36 et non IV, 26 dans la référence à Évagre.) Sur l’histoire de l’enfant juif, la bibliographie est assez importante. Signalons notamment : E. Wolter, Der Judenknabe : 5 grieschiche, 14 lateinische und 8 französische Texte, Halle, M. Niemeyer, 1879 (Bibliotheca normannica, 2) et Th. Nissen, « Zu den ältesten Fassungen der Legende vom Judenknaben », Zeitschrift für Fremdsprache und Literatur, 62 (1938), p. 393-403. 19 Le manuscrit a été étudié en détail par Nicole Bériou. Voir notamment : N. Bériou, « La prédication au béguinage de Paris pendant l’année liturgique 1272-1273 », Recherches Augustiniennes et Patristiques, 13 (1978), p. 105-229. On trouvera la liste des sermons du manuscrit ainsi qu’un index des exempla qui y sont utilisés dans : Ead., L’avènement des maîtres de la Parole : la prédication à Paris au xiiie siècle, Paris, Institut d’études augustiniennes, 1998 (collection des études augustiniennes. Série Moyen Âge et temps modernes, 31-32), t. II, annexes no 11, p. 704-713 et no 24, p. 813-847. 20 Ms. Paris, BnF, lat. 16481, fol. 187v : « Cet enfant, parce qu’il s’était avancé [à l’autel] innocemment, fut libéré des flammes. De même ceux qui communient dignement sont, par l’efficacité de ce sacrement, libérés des flammes de l’Enfer et, vraiment, de tout malheur temporel. Et de cela nous avons une belle figure avec les fils d’Israël qui étaient quarante années au désert. Pas un d’entre eux ne fut infirme, grâce à la vertu de la manne qu’ils mangeaient. Et si cette manne, qui n’était rien qu’une figure, avait tant de vigueur, alors à plus forte raison, cette vraie manne qui est la vérité libère de tout mal corporel, des flammes de l’Enfer et même du Purgatoire ».
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Fixité de la formule, évolution du sens : l’exemple du verset Qui manducat et bibit Dès l’Antiquité, les Pères chrétiens ont rapporté des miracles de fidèles châtiés pour avoir reçu indignement la communion. Au iiie siècle, Cyprien de Carthage raconte ainsi qu’après avoir pris part à un sacrifice païen, une jeune fille reçut la communion, qu’elle vomit aussitôt21. Au Moyen Âge, et tout particulièrement à partir du xie siècle, les histoires de communiants châtiés sont légion. Elles citent très souvent plusieurs versets du chapitre 11 de la première épître aux Corinthiens de saint Paul. L’Apôtre y fait ce qui constitue l’un des tout premiers récits de la Cène et met en garde les fidèles sur la nécessité de communier dignement. Il écrit en particulier : Pour moi, en effet, j’ai reçu du Seigneur ce qu’à mon tour je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. » De même, après le repas, il prit la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi. » Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. Ainsi donc, quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du corps et du sang du Seigneur. Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de cette coupe ; car celui qui mange et boit indignement, mange et boit sa propre condamnation, s’il ne discerne le Corps. (Qui enim manducat et bibit indigne, judicium sibi manducat et bibit, non dijudicans corpus Domini.) On comprend aisément comment les récits de communiants miraculeusement châtiés ont pu faire usage de ce passage et, en particulier, du verset 29. L’intérêt de cet objet d’étude réside dans la dialectique entre fixité et variabilité qui caractérise l’usage du verset. Le cadre dans lequel on trouve la formule constitue un contexte fixe (récits de miracles du même type) mais en même temps quelque peu variable (ce ne sont jamais exactement les mêmes récits), ce qui place la formule dans un jeu de tensions. C’est cette dialectique entre stabilité et variabilité que l’on veut explorer en montrant comment, derrière l’apparente fixité de la formule, son usage se dote de nuances différentes en fonction de l’évolution contextuelle.
21 C’est aux chapitres 25 et 26 du traité De Lapsis (vers 251) que Cyprien rapporte une série de miracles punitifs qui frappent des communiants indignes. Voir : Cyprianus Carthaginensis, De Lapsis, éd. M. Bévenot, in Sancti Cypriani episcopi opera. Pars I, Turnhout, Brepols, 1972 (Corpus Christianorum : Series Latina 3), p. 217-242, spécialement p. 234-236. Le verset de saint Paul qui nous occupe n’y figure pas. Le contexte est celui de la réintégration dans l’Église des lapsi, c’est-à-dire les chrétiens qui ont accepté de participer aux sacrifices prescrits par le décret de Dèce de 250. C’est notamment pour défendre sa position assez ferme sur le sujet que l’évêque de Carthage rapporte ces histoires. Sur ce contexte, voir : P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne depuis l’origine jusqu’à l’invasion arabe, t. II, Cyprien et son temps, Paris, E. Leroux, 1902.
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Pendant le haut Moyen Âge et jusqu’au xiie siècle, les miracles eucharistiques où l’on cite le verset Qui manducat insèrent cette formule dans la logique de l’ordalie22. Un individu accusé d’un crime est appelé à communier ; s’il est miraculeusement châtié, il est considéré comme coupable. C’est le terme de iudicium employé par saint Paul qui autorise cette lecture, l’ordalie étant par essence le iudicium Dei. Le cas le plus célèbre de cette utilisation du verset figure chez Réginon de Prüm († 915). Dans sa Chronique, Réginon raconte que Lothaire II avait été excommunié pour avoir répudié son épouse, Teutberge, au profit de sa maîtresse, Waldrade. En 869, Lothaire se rendit à Rome où le pape Hadrien II le mit à l’épreuve, lui enjoignant de communier uniquement s’il était innocent de l’adultère dont on l’accusait. Le roi communia et mourut sur la route du retour, à Plaisance. Réginon rapporte l’événement de cette manière : Qui mente captus, obduratus pariter et obcaecatus, absque retractione communionem corporis et sanguinis Domini de manu pontificis sumpsit, non expauescens illam sententiam quae dicit : Horribile est incidere in manus Dei uiuentis. Qui enim manducat et bibit indigne, iudicium sibi manducat et bibit. […] Igitur quisquis in his se laesum sciens ausu temerario communionem sub tali contestatione porrectam sumere praesumpsit Dei iudicio percussus, ab hac luce subtractus est23 […]. La punition constitue bien un iudicium Dei, dans le cadre d’une procédure juridique en bonne et due forme, bien attestée par ailleurs. Que la mort de Lothaire soit le fruit de son indigne communion est justifié par la citation du verset de saint Paul. On remarque qu’il est précédé d’un autre verset, tiré de l’épître aux Hébreux, qui est quelquefois mobilisé par ailleurs dans ce même cadre ordalique24. À partir de la seconde moitié du xie siècle et, plus encore, durant le xiie siècle, on peut voir apparaître quelques nuances dans l’utilisation de cette formule. Un bon 22 Sur la notion d’ordalie eucharistique, voir : P. Browe, « Die Abendmahlsprobe im Mittelalter », Historisches Jahrbuch, 48 (1928), p. 193-207. 23 Regino Prumiensis, Chronicon, éd. G. H. Pertz, Hanovre, 1826 (Monumenta Germaniae Historica : Scriptores 1), p. 580-581 : « [Lothaire], en proie à la folie, endurci autant qu’aveuglé, sans se rétracter, prit la communion du corps et du sang du Seigneur de la main du pontife, sans craindre cette sentence qui affirme qu’il est horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant (He 10, 31). Qui, en effet, mange et boit indignement, mange et boit sa propre condamnation. […] Donc, celui qui osa par une audace téméraire recevoir la communion, alors qu’il se savait coupable de ce qu’on lui reprochait, fut frappé par le jugement de Dieu (Dei iudicio) et soustrait à cette lumière […] ». 24 Autre exemple dans le dossier hagiographique du pape Léon IX (1049-1054). Voir : Vie du pape Léon IX (Brunon, évêque de Toul), éd. M. Parisse, trad. M. Goullet, Paris, Les Belles Lettres, 20092 (Les Classiques de l’histoire au Moyen Âge, 46), p. 92 : Hinc generale apud Magontiam concilium habuit, in quo Spirensis praesul Sibicho criminali reatu accusatus voluit se expurgare terrifico sacramento Dominici corporis. Sed, ut fertur, maxilla permansit contorta paralisi quandiu praesentis vitae spatium duxit. Quod ideo hic volui breviter adnotare, ut audientibus fiat notum quam horribile sit etiam secura conscientia hujusmodi judicium adire, sacra scriptura dicente : Horrendum est incidere in manus Dei viventis (He 10, 31). (Traduction française, Ibid, p. 93 : « Il réunit un concile général à Mayence, durant lequel Sibicho, l’évêque de Spire, accusé de crime, voulut se disculper en recevant le terrifiant sacrement du corps du Christ ; mais, dit-on, sa mâchoire resta paralysée durant toute la durée de son séjour sur terre. Si j’ai voulu raconter brièvement
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exemple figure dans la Vie de l’évêque d’Amiens Geoffroy, rédigée dans la première moitié du xiie siècle par un certain Nicolas, moine à Soissons. Le contexte est le suivant : Geoffroy a eu connaissance que des fidèles n’ont pas respecté les prescriptions du Carême. Il décide donc de les éloigner de la communion le jour de Pâques et donne des instructions dans ce sens aux prêtres des différentes paroisses de la ville. Or, un homme qui était visé par l’interdit décide de le contourner. Il se déguise en femme pour ne pas être reconnu et reçoit la communion, non diiudicans corpus Domini, nec metuens Apostoli sententiam, eum qui indigne illud manducet, iudicium sibi manducare25. Le miracle ne manque pas d’avoir lieu : Ille, diuina eum persequente vidincta curruit, accerimis viscerum doloribus cruciatur, spumasque cruentas ab ore eiiciens, quod indignus sumpserat, cum multo sanguine, cunctis cernentibus, euomit26. L’hagiographe ne mobilise pas le verset exactement de la même manière que Réginon. Il ne s’agit plus ici d’une procédure d’ordalie visant à établir la culpabilité ou l’innocence d’un individu. Le miracle punit la transgression d’un fidèle désobéissant. Significativement, l’hagiographe ne parle pas de iudicum Dei (comme Réginon) mais de diuina uindicta. En conséquence, le miracle et la formule qui y figure visent avant tout à poser une équivalence entre la désobéissance du fidèle et la profanation du corps du Christ. In fine, c’est l’autorité de l’évêque comme garant de l’ordre social qui est ainsi établie et fondée sur la sacralité de l’eucharistie. Le glissement de sens de la formule s’explique facilement par les évolutions globales qui marquent la seconde moitié du xie siècle et que l’on peut qualifier de « grégoriennes ». Les réformateurs ont souhaité insister sur l’« éminente dignité27 » du sacerdoce, en la fondant notamment sur la potestas conficiendi. Parallèlement, la centralité nouvelle attribuée au sacrement dans une perspective sotériologique28, ainsi que l’accent mis sur la pureté requise pour manipuler les espèces conduisaient à valoriser dans un même mouvement le prêtre et sa victime, le sacerdos et l’hostia. cet épisode, c’est pour que ceux qui l’entendront constatent combien il est horrible de s’exposer à un jugement de ce genre, même la conscience en paix, car la sainte Écriture dit : Il est terrifiant de tomber entre les mains du Dieu vivant »). 25 Nicolaus monachus Suessioniensis, Vita sancti Godefridi XXIV. Episcopi Ambianensis, éd. Laurentius Surius, De Probatis Sanctorum Vitis, Cologne, 1618, p. 224 : « sans distinguer le corps du Seigneur ni craindre la sentence de l’Apôtre : qui le mange indignement mange sa propre condamnation ». 26 Ibid. : « le misérable s’effondre, poursuivi qu’il est par la vengeance divine (diuina uindicta). Il souffre d’atroces douleurs aux viscères, crache par la bouche une écume mêlée de sang et vomit, dans un flot de sang et sous les yeux de tous, ce qu’il avait indignement reçu. » Il faut sans doute lire corruit, au lieu de curruit (qui n’est pas attesté et qui n’aurait pas de sens ici). 27 L’expression est empruntée à : J.-H. Foulon, Église et réforme au Moyen Âge : papauté, milieux réformateurs et ecclésiologie dans les pays de la Loire au tournant des xie-xiie siècles, Bruxelles, De Boek, 2008 (Bibliothèque du Moyen Âge, 27), p. 520-549 : « Le prêtre et son image ». Voir aussi : J. Laudage, Priesterbild und Reformpapsttum im 11. Jahrhundert, Cologne-Vienne, Böhlau, 1984 (Beihefte zum Archiv für Kulturgeschichte, 22). 28 P. Henriet, « En quoi peut-on parler d’une spiritualité de la réforme grégorienne ? », Revue d’Histoire de l’Église de France, 96 (2010), p. 71-91, spécialement p. 81-82 ; Fl. Mazel, « Pour une redéfinition de la réforme ‘grégorienne’. Éléments d’introduction », La réforme « grégorienne » dans le Midi (milieu xie-milieu xiiie siècle). Cahiers de Fanjeaux, 48 (2013), p. 9-38, spécialement p. 19.
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C’est exactement ce qu’illustre le miracle, en identifiant transgression de la parole du prêtre et profanation du sacrement. L’usage de la formule connaît enfin un infléchissement décisif au xiiie siècle, lorsque les récits sont intégrés à la prédication aux laïcs qui se développe alors à grande échelle29. Dans les sermons, les miracles de ce type et le Qui manducat… sont désormais mobilisés afin d’illustrer la nécessité de bien se préparer à recevoir la communion. Les recueils d’exempla offrent des exemples simples de la manière dont la formule pouvait être utilisée dans ce cadre. Dans la compilation contenue dans le ms. Londres, British Library, Add. 33956 (début du xive siècle), on trouve le cas suivant : Contigit in quodam loco quod quidam sacerdos plebanus, justus et sanctus paravit se ad communicandum populum suum in die pasche, ex[h]ortansque populum suum devote, ut nullus auderet ad sacram communionem accedere, nisi contritus penitus et confessus. Sed cum quidam arrogans et superbus et immundus ac pecunie injustus exactor, ad sacram communionem presumeret accedere, predictus sacerdos sacram hostiam eidem porrexit. Et cum aperto ore sacram hostiam contingeret, totum guttur cum lingua rumpitur et in terram cedit, hostiam autem que ad partem incontaminata cecidit, sacerdos in patena reverenter reponit. Et factus est timor magnus in omnes dicentes verbum apostoli : « Qui indigne sumit corpus dominicum, verum judicium sibi manducat et bibit30. » La formule s’inscrit désormais dans un propos pédagogique, dont la vocation est entièrement pastorale. Il s’agit de développer un discours comminatoire (timor magnus) dans lequel la peur du châtiment doit encourager la pratique de la confession comme préalable indispensable à la communion. Les sermons proprement dits peuvent faire un usage pédagogique plus complexe de la formule. Rappelons que le concile de Latran IV (1215) a fixé une communion annuelle obligatoire le jour de Pâques31. C’est donc logiquement dans la prédication du dimanche de Pâques que l’on retrouve la narration de tels miracles. On peut citer l’exemple d’un sermon prononcé par un franciscain à Saint-Germain-des-Prés le
29 Sur l’essor de la prédication au xiiie siècle, voir p. ex. : N. Bériou, « Les sermons latins après 1200 », in B. M. Kienzle (éd.), The Sermon, Turnhout, Brepols, 2000 (Typologie des sources, 81-83), p. 363-447, spécialement p. 367. 30 Ms. Londres, British Library, Add. 33956, fol. 26v : « Il arriva à un certain endroit qu’un prêtre juste et saint se préparait à donner la communion au peuple le jour de Pâques en l’exhortant dévotement, afin que personne n’eût l’audace de s’avancer à la communion sacrée si ce n’est après avoir fait acte de contrition, s’être repenti et confessé. Mais comme un arrogant, orgueilleux, impur et injuste soutireur d’argent eut la présomption de s’avancer à la communion sacrée, il arriva que sa gorge se rompit ainsi que sa langue, et qu’il tomba à terre. L’hostie, préservée de sa souillure, tomba à terre et le prêtre la replaça avec révérence sur la patène. Et il y eut une grande terreur, et tous disaient les paroles de l’Apôtre : celui qui reçoit indignement le corps du Seigneur mange et boit sa véritable condamnation ». 31 C’est la prescription célèbre du canon 21 (Omnis utriusque sexus). Voir à son sujet : P.-M. Gy, « Le canon 21 de Latran IV et la pratique de la confession et de la communion au xiiie siècle », Bulletin de la société nationale des antiquaires de France, 22 (1995), p. 338-344.
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dimanche de Pâques 1282, connu grâce à la reportation du ms. Paris, BnF, lat. 1494732. Le prédicateur y développe l’analogie classique entre la communion et le repas. L’invitation que le Christ adresse au fidèle à venir manger à sa table est comparable à celle qu’adresserait un roi. Il est donc nécessaire pour le fidèle de s’y préparer et de venir propre et bien vêtu à la table du Roi des rois. Filant la métaphore, le frère mineur compare celui qui communie avec l’intention de tomber dans le péché à celui qui se rend au repas du roi avec les mains couvertes de sang ou de boue. C’est tout particulièrement lorsqu’il met en garde contre la récidive que le prédicateur cite la formule qui nous intéresse. Voici le passage en question : Magnum enim periculum est ibi. Et si aliquis sustineat accedere sic cum uoluntate peccandi, si non puniatur prima uice, postea tunc punietur corporaliter. Unde quidam faciunt sicut latrones, qui prima uice trepidanter uadunt ad furtum, sed postquam prima uice non capiuntur, postea uadunt audaciter. Sed eis accidit una hora quod prius nunquam acciderat, quod subito incauti capiuntur. Quia prouerbialiter dicitur quod tantum uadit potus ad aquam quod frangitur, et non faciunt anni quod facit una dies. Ita similiter quamqaum semel uel bis accedentes indigne ad hanc mensam uel cum proposito peccandi uadant impugniti, cum non caueant, subito punientur. Quia secundum Apostolum : qui corpus Christi sumit indigne iudicium sibi manducat et bibit. De hoc autem narrat Bernardus, quod semel cum hac die missam celebrasset et fratres suos communicasset, uenit quidam homo peccator exiens in proposito peccandi ad altare, petens ab eo sibi tribui corpus Christi. Quem intuens, Bernardus uidit et sciuit quod peccator erat. Propter pudorem cum coram fratribus ei non uoluit dicere quod esset indignus, sed dixit ei istud uerbum : Iudicet Deus inter me et te. Et hoc dicto, dedit ei corpus sacrum. Et cum receperit, exiuit per guttur inferius super altare et tunc ille pudore confusus confessus est33.
32 Une part importante du codex est constituée de reportations de sermons prononcés au cours des années liturgiques 1281, 1282 et 1283. Le manuscrit est décrit dans : N. Bériou, L’avénement des maîtres…, op. cit., t. II, p. 665-666. Son contenu est détaillé dans : Ibid., annexe no 13, p. 735-741. 33 Ms. Paris, BnF, lat. 14947, fol. 229 : « Ici réside un grand péril. Si quiconque persiste à s’avancer [à l’autel] avec la volonté de pécher s’il n’est pas puni la première fois dans son corps, il le sera par la suite. C’est pourquoi certains font comme les voleurs qui, la première fois, se lancent dans leur larcin en tremblant et qui, ne s’étant pas fait prendre, s’y lancent ensuite avec audace. Mais il leur arrive en un moment ce qui n’était jamais arrivé auparavant : imprudents, ils sont subitement pris. Car on dit de manière proverbiale : “Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse”, et : “Les années ne font pas ce que fait un jour”. De même, certains s’avancent, ne serait-ce qu’une fois ou deux, indignement à cette table avec le dessein de pécher et vont impunis et, alors qu’ils ne prennent pas garde, sont subitement châtiés. Car, selon l’Apôtre, qui reçoit indignement mange et boit son jugement (1 Cor 11, 29). Et à ce sujet, [saint] Bernard raconte qu’une fois, alors qu’il avait célébré la messe et qu’il communiait les frères, un pécheur vint à l’autel avec l’intention de pécher et lui demanda de lui donner le corps du Christ. L’observant, Bernard vit et sut qu’il était pécheur. Par pudeur, il ne voulut lui dire devant les frères qu’il était indigne, mais lui dit ses paroles : “Que Dieu juge entre toi et moi !” Après quoi, il lui donna le corps sacré. Et comme l’autre le recevait, [le sacrement] sortit du plus profond de sa gorge et se posa sur l’autel. Et alors, rouge de honte, [le pécheur] se confessa. » Le premier proverbe est bien connu, mais le second est assez rare. Il est relevé seulement pour le xive siècle dans : S. Singer, Thesaurus proverbiorum medii aevi, Berlin – New York, 2001, t. 11, p. 255.
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La formule fait toujours écho au récit de miracle34, les deux se corroborant mutuellement. Mais elle s’inscrit dans un discours pédagogique qui en précise l’interprétation, en esquissant la possibilité que le châtiment puisse être différé par rapport au crime. L’ancienne notion d’ordalie eucharistique est présente en filigrane, saint Bernard en appelant au iudicium Dei pour trancher le différend qui l’oppose au moine. Notons enfin que la formule biblique est accompagnée de proverbes. Bien qu’ils ne bénéficient pas de la même auctoritas que les Écritures, ces derniers sont mobilisés dans le cadre d’un « faire croire » qui s’appuie volontiers sur la culture profane et en tire des formules peut-être plus familières à l’auditoire35. Ces quelques exemples nous conduisent à mettre en évidence deux éléments essentiels dans la définition de la formule. Lorsqu’elle est extraite du texte biblique, la formule s’inscrit presque nécessairement dans le cadre de la pensée typologique. L’itération, qui constitue le cœur du phénomène formulaire, y rejoint la logique exégétique et, plus globalement, herméneutique, qui conduit les hommes du Moyen Âge à lire chaque événement comme un antitype dont le modèle figure dans les Écritures. C’est cette logique qui conduit à répéter le même schéma narratif d’une histoire à l’autre, mais aussi les mêmes mots d’un texte à l’autre. En outre, si l’on adopte un point de vue diachronique, la fixité de la formule n’est pas synonyme de rigidité du sens. À mesure que le contexte et la nature de la documentation évoluent, les mêmes mots se parent de nouvelles nuances et donnent lieu à des interprétations variées. Dans le cas du verset Qui manducat…, les évolutions sociales et spirituelles consécutives à la réforme « grégorienne » expliquent à la fois le déclin de la logique ordalique qui présidait à sa citation durant le haut Moyen Âge et l’essor des préoccupations pastorales qui lui sont de plus en plus attachées.
Bibliographie Soures primaires Acta sancti Stephani papae et martyris Romae, Acta Sanctorum, Aug. I, p. 139-146. Ado Viennensis, Martyrologium (Patrologia Latina 123, col. 201-420). Caesarius Heisterbacensis, Libri VIII Miraculorum, in A. Hilka (éd.), Die Wundergeschichten des Caesarius von Heisterbach, t. 1, Die beiden ersten Bücher der Libri
34 L’anecdote est inspirée d’un épisode de la Vie de saint Bernard. Voir Guillelmus a Sancto Theodorico, Vita prima sancti Bernardi, in P. Verdeyen (éd.), Guillelmi a Sancto Theodorico opera omnia. Pars VI, Turnhout, Brepols, 2011 (Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis, 89 : B), p. 70-71. 35 La notion de « faire croire » est empruntée à : Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du xiiie au xve siècle : table ronde (Rome, 22-23 juin 1979), Rome, École française de Rome, 1981 (collection de l’École française de Rome, 51). Sur les différents degrés d’auctoritas des textes, voir aussi la notion de « régime de véridiction » proposée dans : A. Boureau, L’événement sans fin. Récit et christianisme au Moyen Âge, Paris, Les Belles Lettres, 1993 (Histoire, 22).
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Natalia I . Petrovskaia
La formulation tripartite du monde dans les encyclopédies et textes littéraires du Moyen Âge
The present article focuses on the formulaic tripartite description of the world present in many medieval geographical and historiographical texts. In medieval sources, the three parts of the world are often introduced in the order Asia, Europe and Africa, but this order sometimes varies. The focus of the investigation is the order of the components in this tripartite division. Two distinct traditions, both based on the medieval conceptual framework provided by the translatio studii et imperii are presented as possible sources for the two variants of the formula. The first, Asia-Europe-Africa, appears to be dominant among encyclopaedic texts, in particular those reliant on Isidore’s Etymologiae. The second, Asia-Africa-Europe, appears to be more present in texts with a historical focus, such as chronicles, and is here argued to be a product of the popularity of the Trojan origin legends in medieval Europe, but its origins appear to be traceable to Orosius. It is also argued that the reversal of this order, where the formula commences with Europe, first becomes dominant only after the end of the Middle Ages, and coincides with increasing Eurocentrism of historiographical, political, and geographical discourse in that period.
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Introduction1 Comme l’a récemment observé Silvère Menegaldo, dans les descriptions géographiques du monde au Moyen Âge, la représentation conventionnelle des
1 Je voudrais exprimer ma reconnaissance à Élise Louviot et aux deux lecteurs anonymes pour leurs suggestions et conseils sur cet article. Natalia I. Petrovskaia • Utrecht University La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 197-217 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124029
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parties du monde suivait habituellement un ordre établi : Asie, Europe et Afrique2. Cette formule connaissait cependant des variantes. Le but du présent article est de montrer que la formule choisie est révélatrice de la tradition textuelle et du genre dont dépend le texte considéré : la formule Asie-Europe-Afrique correspond à une tradition de genre encyclopédique et géographique fondée sur les Etymologiae d’Isidore de Séville, tandis que la formule Asie-Afrique-Europe correspond à une autre tradition, de genre historiographique, fondée sur Orose. J’appelle la première formule « isidorienne » et la deuxième « orosienne »3. Il existe également une troisième variante, également « isidorienne » dans le sens où elle apparaît dans une œuvre d’Isidore (De natura rerum), mais moins influente au Moyen Âge. Celle-là commence avec l’Europe. Néanmoins, parce que la formule Asie-Europe-Afrique est plus souvent attestée dans les textes fondés sur l’œuvre d’Isidore et paraît être la plus répandue, le terme « isidorienne » est réservé à celle-ci. La formule qui commence avec l’Europe est discutée dans la troisième partie de cet article. Il n’est pas possible, dans le cadre d’un simple article, de présenter une étude définitive ou exhaustive du sujet. L’ambition de ce travail est donc plus modeste : il s’agit, à partir d’un survol de sources variées, de proposer une hypothèse de catégorisation qui pourrait constituer un outil heuristique utile pour des recherches ultérieures. La sélection retenue est suffisante pour mettre en évidence l’existence d’une formule « isidorienne » et d’une formule « orosienne » et pour montrer les liens entre ces formules textuelles et l’expression visuelle du savoir géographique médiéval dans les cartes et représentations schématiques. Dans son introduction à La Formule au Moyen Age, Élise Louviot nous rappelle qu’une formule n’est pas nécessairement textuelle et qu’il peut, de plus, exister « des points de contact entre ces différents types de formule4 ». En effet, la formule de la division tripartite du monde est transmise au Moyen Âge sous forme de texte mais aussi sous forme visuelle5. Les formules examinées ici ne sont donc pas des séquences de mots, mais plutôt des séquences de concepts. La version visuelle correspondante est la mappa mundi (carte du monde) 2 S. Menegaldo, « Géographie et imaginaire insulaire au Moyen Âge, d’Isidore de Sévilla à Jean de Mandeville », Les lettres romanes, 66 (2012), p. 37-86 (p. 42). 3 Isidore et Orose sont deux auteurs parmi les plus influents au Moyen Âge et la bibliographie sur leurs œuvres est énorme. Pour une description brève de la géographie chez Orose et de l’influence de ses idées, voir, par exemple, B. Lacroix, Orose et ses idées, Publications de l’institut d’études médiévales, Montréal, Université de Montréal et Paris, J. Vrin, 1956, p. 55-58 et 207-210 ; voir aussi P. Gautier Dalché, « L’héritage antique de la cartographie médiévale : les problèmes et les acquis », in R. J. A. Talbert et R. W. Unger (éd.), Cartography in Antiquity and the Middle Ages. Fresh Perspectives, New Methods, Technology and Change in History 10, Leyde, Brill, 2008, p. 29-66. Pour Isidore, voir, par exemple, B. Bischoff, « Die europäische Verbreitung der Werke Isidors von Sevilla », in M. C. Díaz y Díaz (éd.), Isidoriana : Colección de estudios sobre Isidoro de Sevilla, León, Centro de Estudios San Isidoro, 1961, p. 317-344 ; M. Reydellet, « La diffusion des Origines d’Isidore de Séville au Haut Moyen Âge », Mélanges d’archéologie et d’histoire, 78, 1966, p. 383-437 ; J. Wood et A. Fear (éd.), Isidore of Seville and his Reception in The Early Middle Ages. Transmitting and Transforming Knowledge, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2016. 4 É. Louviot, « Pour une approche interdisciplinaire de la formule médiévale », in É. Louviot (éd.), La formule au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2012 (ARTeM 15), p. 7-12 (p. 9). 5 Cette division tripartite du monde est qualifiée de formule par, entre autres, K. Oschema, Bilder von Europa im Mittelalter, Mittelalter-Forschungen 43, Ostfindern, Jan Thorbecke Verlag, 2013, p. 90.
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médiévale6. Entre ces deux formats existe un lien indiscutable qui a été abondamment examiné au cours des dernières décennies7. Les cartes accompagnaient les textes, et les auteurs des textes utilisaient des mappae mundi, de type T-O en particulier8. Ce type de carte représentait le monde habité sous la forme d’un disque, séparé en trois parties par le Don, le Nil, et la mer Méditerranée9. L’exemple le plus illustratif de ce lien peut se trouver dans la tradition manuscrite des Etymologiae d’Isidore, dont le texte est souvent illustré par une image schématique de la carte T-O10. Le fait que ces cartes, comme la formule tripartite textuelle, ont connu une diffusion importante au Moyen Âge est probablement à relier à l’importance généralement reconnue de l’œuvre d’Isidore dans la formation du genre encyclopédique au Moyen Âge11. Bien qu’une inspection des cartes médiévales dépasse le cadre de cet article, je voudrais signaler la possibilité que les deux variations de la formule tripartite examinées ici aient un lien étroit avec les représentations visuelles cartographiques12. 6 D. Woodward, « Medieval Mappaemundi », in J. B. Harley et D. Woodward (éd.), Historical Cartography I: Cartography in the Prehistoric, Ancient, and Medieval Europe and the Mediterranean, Chicago et Londres, University of Chicago Press, 1987, p. 286-370. 7 D. Woodward, « Medieval Mappaemundi », p. 287 ; S. Menegaldo, « Géographie et imaginaire insulaire », p. 42 ; P. Gautier Dalché, La « Descriptio Mappe Mundi » de Hugues de Saint-Victor. Texte inédit avec introduction et commentaire, Paris, Études augustiniennes, 1988 ; B. Schöller, « Transfer of Knowledge: mappaemundi between texts and images », Peregrinations, 4 (2013), p. 42-55 ; pour approfondir les liens entre texte et image dans les encyclopédies médiévales, voir P. Barber, « The Evesham World Map: A Late Medieval English View of God and the World », Imago mundi, 47 (1995), 13-33 ; C. Meier-Staubach, « Illustration und Textcorpus. Zu Kommunikations- und ordnungsfunktionalen Aspekten des Bilder in den mittelalterlichen Enzyklopädienhandschriften », Frühmittelalterlishe Studien, 31 (1997), p. 1-31. 8 A. Hiatt, « Geography in Walter of Châtillon’s Alexandreis and its Medieval Reception », Journal of Medieval Latin 23 (2013), p. 255-294 (p. 255, 272) ; J. B. Friedman, The Monstrous Races in Medieval Art and Thought, Cambridge, Massachusetts and London, Harvard University Press, 1981, p. 42. 9 D. Woodward, « Medieval Mappaemundi », p. 297, 301 ; D. Woodward, « Reality, Symbolism, Time and Space in Medieval World Maps », Annals of the Association of American Geographers, 75.4 (1985), p. 510-521 (p. 511). 10 D. Hay, « Imago Mundi nel basso medioevo: un problema di cartografia », in « Imago Mundi » : La conoscenza scientifica nel pensiero bassomedievale, 11-14 ottobre 1981, Convegni del centro di studi sulla spiritualità medievale. Università degli studi di Perugia XXII, Torino, Presso L’Academia Tudertina, 1983, p. 11-33 (p. 22-23) ; E. Edson, « Maps in Context: Isidore, Orosius, and the Medieval Image of the World », in R. J. A. Talbert et R. W. Unger (éd.), Cartography in Antiquity and the Middle Ages: Fresh Perspectives, New Methods, Leiden et Boston, Brill, 2008, p. 219-236 (p. 222) ; Isidore de Seville, Étymologies. Livre XIV. De Terra, éd. et trad., O. Spevak, Paris, Les Belles Lettres, 2011, p. xxxii-xxxiv. 11 B. Ribémont, « On the Definition of an Encyclopaedic Genre in the Middle Ages », in P. Binkley (éd.), Pre-Modern Encyclopaedic Texts, Leiden, Brill, 1997, p. 47-61 (p. 49). Pour la discussion de l’existence de ce genre au Moyen Âge, voir ibid. p. 47-48, R. L. Fowler, « Encyclopaedias: Definitions and Theoretical Problems », dans la même collection, p. 3-29, et M. W. Twomey, « Medieval Encyclopedias », in R. E. Kaske, A. Groos et M. W. Twomey (éd.), Medieval Christian Literary Imagery: A Guide to Interpretation, Toronto, University of Toronto Press, 1988, p. 182-215 ; J. Le Goff, L’Europe est-elle née au Moyen Âge ?, Paris, Éditions du Seuil, 2003, p. 31. 12 Il faut souligner que la division proposée ici entre les deux types de formule : isidorienne et orosienne, paraît avoir un parallèle dans l’identification concernant les mappae mundi d’un type avec des associations isidoriennes et d’un autre avec des associations orosiennes ; voir D. Woodward, « Medieval Mappaemundi », p. 300-301, 309, 347-348. Il faudrait une étude plus approfondie pour examiner un lien possible
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Formule isidorienne : Asie – Europe – Afrique La version textuelle de cette formule la plus connue au Moyen Âge, parce qu’elle a été reproduite dans plusieurs textes encyclopédiques qui à leur tour ont eu une influence énorme, est celle des Etymologiae XIV.2.i d’Isidore de Séville : Diuisus est autem trifarie, e quibus una pars Asia, altera Europa, tertia Africa nuncupatur, « Le monde habité est divisé en trois parties ; l’une d’elles s’appelle Asie, l’autre Europe, la troisième Afrique »13. Comme nous l’avons déjà noté, l’encyclopédie d’Isidore a connu une très importante diffusion tout au long du Moyen Âge et a exercé son influence sur une grande partie des textes scientifiques et encyclopédiques produits en Europe dans cette période14. Il ne serait pas possible d’énumérer ici tous les textes employant cette formule, tant ils sont nombreux. Ce qui suit est une sélection d’exemples de provenances et dates diverses, illustrant la portée sinon la quantité du corpus. Comme on peut le voir dans cette sélection, la plupart des textes qui reproduisent la formule isidorienne sont encyclopédiques et le focus est presque toujours descriptif et géographique. Il existe cependant des exceptions. Ainsi, on rencontre la séquence Asie-Europe-Afrique dans un poème du ixe siècle qui accompagnait une série de peintures dans l’abbaye de Saint-Riquier15. Ce poème reproduit l’ordre d’Isidore, mais il est difficile d’établir si c’est le résultat de l’influence directe de cet auteur. La formule isidorienne n’est souvent qu’un élément dans un ensemble repris par un texte médiéval à partir de l’œuvre d’Isidore. La plupart des textes qui reproduisent la formule isidorienne semblent être basés sur les Etymologies, comme, par exemple, De partibus mundi16, qui reproduit aussi la formule qui nous intéresse : antiqui sapientes. diuiserunt totum mundum in tres partes. Et easdem partes nominauerunt. asiam. europam. africam17, « Les anciens savants ont divisé le monde entier en trois parties, et ont nommé ces parties Asie, Europe, Afrique18 ». Selon Kretschmer, ce texte utilise surtout Orose (I.2.1) et Isidore, mais comme on peut le constater à partir de la citation ci-dessus, la formule utilisée par l’auteur est isidorienne19.
entre ces quatre traditions. Il faudrait aussi considérer les arguments récents d’Evelyn Edson contre la distinction entre cartes orosiennes et isidoriennes ; E. Edson, « Maps in Context: Isidore, Orosius, and the Medieval Image of the World », in R. J. A. Talbert et R. W. Unger (éd.), Cartography in Antiquity and the Middle Ages : Fresh Perspectives, New Methods, Leyde, Brill, 2008, p. 219-236. 13 Isidore de Seville, Étymologies, éd. et trad. O. Spevak, p. 6 et 7. 14 Voir n. 3 ci-dessus pour des informations bibliographiques à ce sujet. 15 L. Traube (éd.), Monumenta Germaniae Historica. Poetae Latini Aevi Carolini III, Berlin, 1896, p. 296-298 ; E. Edson, Mapping Time and Space. How Medieval Mapmakers Viewed Their World, Londres, British Library, 1997 (The British Library Studies in Map History I), p. 5. Voir aussi M. Kupfer, « Medieval World Maps : Embedded Images, Interpretative Frames », Word & Image 10.3 (1994), p. 262-288 (p. 265). 16 Les manuscrits contenant ce texte sont : Bamberg, Staatsbibliothek Hist. 3 (Halberstadt, c. 1000), ff. 17v-19r ; Oxford, Magdalen College MS 14 (anglais, xive siècle), ff. 14r-15r ; et Salisbury, Cathedral Library MS 80 (Salisbury, xiie/xiiie siècle), ff. 17v-18v ; voir M. T. Kretschmer, Rewriting Roman History in the Middle Ages. The ‘Historia Romana’ and the Manuscript Bamberg, Hist. 3, Leiden, Brill, 2007, p. 19, 22, 23. 17 M. T. Kretschmer, Rewriting Roman History, p. 182, 237. 18 Sauf mention contraire, toutes les traductions sont celles de l’auteur de cet article. 19 M. T. Kretschmer, Rewriting Roman History, p. 182.
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Plusieurs des textes dérivés de l’encyclopédie d’Isidore, ont, à leur tour, connu une grande diffusion et une influence énorme. Ainsi, la formule isidorienne est transmise par plusieurs générations de textes. Parmi les encyclopédies basées sur les Etymologies, on peut citer le cas de l’Imago mundi d’Honorius Augustodunensis (souvent appelé Honoré d’Autun, fl. c. 1090-c. 1140)20. L’Imago mundi suit Isidore dans sa description de la structure du monde : Habitabilis zona que a nobis incolitur, in tres partes Mediterraneo mari dirimitur, quarum una Asia, altera Europa, tercia Affrica dicitur21, « La zone habitable où nous vivons, est divisée en trois par la mer Méditerranée, dont l’une est appelée Asie, l’autre Europe et la troisième Afrique ». Les deux œuvres encyclopédiques d’Isidore, Etymologiae et De natura rerum sont les sources principales utilisées par Honorius dans la composition de son texte22, mais l’accent est plutôt sur les Etymologiae. Par conséquent il n’est pas surprenant qu’Honorius non seulement utilise la même formulation qu’Isidore, mais aussi structure sur cette même base l’ensemble de sa discussion des parties du monde23. Le texte d’Honorius a été à son tour énormément diffusé au Moyen Âge, et il a été adapté et traduit en plusieurs langues vernaculaires (souvent, comme c’est le cas des adaptations en français, anglo-normand, espagnol et gallois, plusieurs fois !)24. Même si la formule n’est pas répétée en tant que formule textuelle, elle constitue souvent la structure d’un texte. Un exemple qu’on trouve parmi les textes qui ont été influencés par la tradition textuelle de l’Imago mundi est l’œuvre de Brunetto Latini (1220-1294). Pour cette œuvre, on peut penser que l’une des sources utilisées par Brunetto Latini était l’encyclopédie française du xiiie siècle elle-même basée sur 20 Pour plus sur la question de l’auteur de l’Imago mundi, voir M.-O. Garrigues, « L’œuvre d’Honorius Augustodunensis : Inventaire Critique » (1), Abhandlungen der Braunschweigischen Wissenschaftlichen Gesellschaft 38 (1986), p. 7-136 (surtout p. 27-28), disponible sur https://publikationsserver.tu-braunschweig. de/receive/dbbs_mods_00052887 (consulté le 3 octobre 2018). 21 Honorius Augustodunensis, Imago mundi, éd. V. Flint, Paris, J. Vrin, 1982, (Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge 49), p. 52. 22 Honorius Augustodunensis, Imago mundi, éd. V. Flint, p. 13 ; Garrigues, « L’œuvre », p. 30. 23 Dans la partie géographique de l’Imago mundi, Honorius ne parle pas d’une triade liée dans beaucoup d’autres textes à la formule tripartite du monde, celle des fils de Noé. Bien que l’association des fils de Noé avec les parties du monde soit un phénomène très répandu au Moyen Âge, le fait qu’Honorius ne le mentionne pas dans son texte géographique nous permet de séparer cette association biblique de la discussion géographique. L’association des fils de Noé avec les régions est le sujet des études suivantes : B. Braude, « The Sons of Noah and the Construction of Ethnic and Geographical Identities in the Medieval and Early Modern Periods », The William and Mary Quarterly 54 (1997), p. 103-142 ; M. Kupfer, « The Noachide Dispersion in English Mappae Mundi, ca. 960-ca. 1130 », Peregrinations : Journal of Medieval Art and Architecture 4 (2013), p. 81-106 ; voir aussi D. Woodward, « Reality » ; S. K. Akbari, Idols in the East: European Representations of Islam and the Orient, 1100-1450, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2009, p. 40-42, 137-138 ; K. Oschema, Bilder von Europa, p. 112-117, 336-344 ; H. Mikkeli, Europe as an Idea and an Identity, New York, Macmillan Press, 1998, p. 14-16. 24 La diffusion et l’influence de l’Imago mundi est le sujet du projet « Defining Europe in Medieval Geographical Disourse : the Image of the World and its Legacy, 1110-1500 » à l’Université d’Utrecht (2017-2021) https://definingeurope.sites.uu.nl/ (consulté le 9 octobre 2019). La tradition manuscrite de l’encyclopédie latine et ses traductions et adaptations vernaculaires a été collectée et publiée en ligne : N. Petrovskaia et Kiki Calis, ‘Image of the world: manuscripts database of the Imago Mundi Tradition’ https://imagomundi.hum.uu.nl/ (consulté le 9 octobre 2019).
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l’Imago mundi : l’Image du monde de Gossouin ou Gautier de Metz25. Bien qu’il ne cite pas la formule d’Isidore, il maintient pourtant la formule ordonnée Asie, Europe, Afrique dans la structure de son texte (I.121-124)26. La source est probablement l’Image du monde et donc, indirectement, Isidore. En continuant notre parcours géographique des cas d’utilisation de la formule, en Espagne médiévale, c’était non seulement Isidore mais plus directement l’Imago mundi d’Honorius Augustodunensis qui formait la base de la représentation du monde, comme l’a signalé José Ortega Valcárcel27. L’un des textes géographiques présents dans l’Espagne du Moyen Âge était Semejança del mundo, une traduction du xiiie siècle de l’Imago mundi. Ce texte a survécu en deux versions. L’un des premiers chapitres de ce texte parle de la division du monde habitable en trois parties. Ci-dessous figurent les extraits des deux versions de ce texte28 : [Texte A] Aquesta partida en que moramos, que dize la escriptura zona, departe el mar Mediteraneo en .III. Partes : la una a nombre Asia…, e la otra tercera a nombre Africa Cette partie où nous étions, que le texte appelle zone, la mer Méditerranée [la] sépare en trois parties : l’une a le nom Asie …, et l’autre, la troisième, a le nom Afrique [Texte B] E aquesta partida en que moramos, que dize la escritura zona, departela el Mediterrano en tres partes ; e la vna ha nonbre Asya, e la otra ha nonbre Ehuropa, e la otra terçera ha nonbre Africa. Et cette partie où nous étions, que le texte appelle zone, la mer Méditerranée la sépare en trois parties : et l’une a le nom Asie, et l’autre a le nom Europe, et l’autre, la troisième, a le nom Afrique. Nous trouvons l’ordre Asie, Europe, Afrique non seulement dans les œuvres qui suivent la structure des Etymologiae d’Isidore, comme l’Imago mundi, mais également dans des œuvres qui présentent pourtant une structure différente. Suzanne Conklin 25 B. Ceva, Brunetto Latini. L’Uomo e l’Opera, Milan et Naples, Riccardo Riccardi Editore, 1965, p. 129. Pour plus sur les liens entre le Tresor et l’Image du monde, et sur la structure de ces textes, voir C. Silvi, « La voix de l’autre dans la construction du savoir (Placides et Timéo, Sydrach, L’Image du monde, Li livres dou tresor) : quelles stratégies discursives pour quels enjeux ? », in A. Zucker (éd.), Encyclopédire : formes de l’ambition encyclopédique dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2013, (Collection d’Études Médiévales de Nice, 14), p. 381-402 et C. Connochie-Bourgne, « Ordonner les éléments du savoir, l’exemple des premiers « livres de clergie » en langue française (xiiie siècle) », in A. Zucker (éd.), Encyclopédire, p. 335-348. 26 Brunetto Latini, Li Livres dou Tresor, éd. F. J. Carmody, Berkeley et Los Angeles, University of California Press (University of California Publications in Modern Philology 22), 1948, p. 109-121 ; B. Ribémont, De natura rerum. Études sur les encyclopédies médiévales, Orléans, Paradigme, 1995, p. 347. 27 J. Ortega Valcárcel, « La Imago Mundi en la Castilla Medieval », in L. García Ballester (éd.), Historia de la ciencia y de la técnica en la Corona de Castilla. Vol. 1, Edad Media, Valladolid, Junta de Castilla y León : Consejería de Educación y Cultura, 2002, p. 147-189 (p. 148). 28 Semeiança del mundo: a medieval description of the world, éd., W. E. Bull et H. F. Williams, Berkeley, Californie, University of California Press, 1959, p. 54-55.
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Akbari note l’importance accordée à l’Asie dans l’ordre des parties du monde chez Barthélemy l’Anglais (dans De proprietatibus rerum) et Hugues de Saint Victor (dans les Adnotationes elucidatoriae in Pentateuchon), par exemple29. Barthélemy et Hugues utilisent Isidore parmi d’autres autorités et il est fort probable qu’ils ont pris la formule isidorienne directement des Etymologiae30. L’encyclopédie de Barthélemy, comme l’Imago mundi et les Etymologiae, a eu une transmission répandue et une influence énorme, y compris la célèbre traduction en anglais par John Trevisa et en français par Jean Corbechon31. L’influence de l’Imago mundi et d’Isidore est aussi visible dans des textes produits à une autre extrémité de l’Europe, en Islande, comme, par exemple, dans Hauksbók, manuscrit du xve siècle, où l’ordre de la formule isidorienne semble être suivi (sauf que l’Afrique est omise)32. Par contraste, la chronique dans le manuscrit AM 764 4to présente l’ordre Asie-Afrique-Europe, introduisant l’Islande à la fin de son introduction géographique, ce qui montre que la formule isidorienne n’était pas la seule connue dans le monde nordique et renforce l’hypothèse que, tandis que la formule isidorienne était utilisée dans des contextes encyclopédiques, les textes historiographiques préféraient la formule orosienne33. Il est important de se souvenir que même si, pour presque tous les textes cités ci-dessus en exemples, nous constatons que les auteurs ont utilisé les œuvres d’Isidore comme source, nous savons que la
29 S. C. Akbari, Idols in the East, p. 41 ; Bartholomaeus Anglicus, Le livre des propriétés des choses : une encyclopédie au xive siècle, éd. B. Ribémont, Paris, Stock, 1999, Livre XV ; J.-P. Migne (éd.), Hugonis de S. Victore Opera Omnia I, Paris, 1854 (Patrologiae Latinae Cursus Completus 175), 29-86. 30 M. C. Seymour et al., Bartholomaeus Anglicus and his Encyclopedia, Aldershot, Ashgate, 1992, p. 158. N. Bouloux, « Ressources naturelles et géographie : le cas de Barthélemy l’Anglais », Médiévales, 53, 2007, p. 11-22, mis en ligne le 02 novembre 2010, URL : https://journals.openedition.org/medievales/3193 ; DOI : 10.4000/medievales.3193 (consulté le 09 octobre 2019) ; Akbari, Idols in the East, p. 41. Voir aussi B. Ribémont (éd.), Le livre des propriétés des choses. Une encyclopédie au xive siècle, Paris, Stock, 1999, p. 235 pour une référence directe à Isidore dans la traduction française du texte. 31 M. C. Seymour et al., Bartholomaeus Anglicus and his Encyclopedia, p. 158. B. Ribémont (éd.), Le livre des propriétés des choses. Pour la dissémination de l’encyclopédie de Barthélemy l’Anglais, voir J. Ducos, éd., Encyclopédie médiévale et langues européennes. Réception et diffusion du « De proprietatibus rerum » de Barthélemy l’Anglais dans les langues vernaculaires, Paris, Champion (Colloques, congrès et conférences. Sciences du langage, histoire de la langue et des dictionnaires, 12), 2014 et B. Van den Abeele et H. Meyer, (éd.), Bartholomaeus Anglicus, « De proprietatibus rerum ». Texte latin et réception vernaculaire. Lateinischer Text und volkssprachige Rezeption, Turnhout, Brepols (De diversis artibus, 74, n. s. 37), 2005. Pour la traduction de John Trevisa , On the Properties of Things. John Trevisa’s Translation of Bartholomaeus Anglicus. De Proprietatibus Rerum. A Critical Text. Volume II, Oxford, Clarendon Press, 1975, p. 726. 32 Car les informations géographiques données suivent l’ordre de l’Imago mundi Livre I, chapitres 10-26 ; voir P. Springborg, « Weltbild mit Löwe : Die Imago mundi von Honorius Augustodunensis in der Altnordischen Textüberlieferung », in P. Janni, D. Poli et C. Santini (éd.), Cultura classica e cultura germanica settentrionale. Atti del convegno Internazionale di Studi, Università di Macerata, Facoltà di Lettere e Filosofia, Macerata – S. Severino Marche, 2-4 Maggio 1985, Macerata, Università di Macerata, 1986, p. 167-219 (p. 192). 33 P. Springborg, « Weltbild mit Löwe » p. 187.
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plupart des auteurs de ces textes avaient également consulté Orose34. Il est donc significatif qu’ils choisissent de suivre la formule d’Isidore plutôt que celle d’Orose. Que la formule commence par l’Asie est logique si l’on considère que les œuvres encyclopédiques sont pour la plupart construites selon une logique chronologique : l’histoire du monde commence en effet en Extrême Orient35. Ce fait illustre bien le lien étroit entre la géographie et l’histoire qui peut être également observé pour la représentation du monde sur les mappae mundi et dans les textes au contenu de type géographique36. Dans la structure de la description du monde de l’Imago mundi et ses traductions ou adaptations, par exemple, une trajectoire est identifiable. Dans l’Imago mundi, la description du monde physique (géographie et cosmographie) est suivie dans le deuxième livre par un exposé sur la mesure du temps, et dans le troisième par la chronique. La trajectoire de la description du monde dans le premier livre commence en Asie, dans l’Orient, et se finit dans l’Occident. Comme nous le signale le texte (I.8) : prima regio in oriente est paradysus37, la « première région de l’Orient est le Paradis ». Cette progression de l’Est vers l’Ouest reflète la progression perçue par les auteurs du développement historique de l’Humanité, la translatio studii et imperii et les six âges du monde38. Cette formulation de la progression historique a été initialement utilisée pour décrire la tendance vue par les historiens médiévaux d’un transfert du pouvoir impérial vers Rome à partir de l’Orient, transfert articulé dans l’Énéide de Virgile (trajectoire Troie→Rome, sujet vers lequel nous reviendrons), puis, après la chute de l’empire romain, de ce dernier vers l’empire de Charlemagne39. Vers le début du xiie siècle, une théorie cohérente est formulée par Otton de Freising (c. 1111-1158)
34 Comme, par exemple, Barthélemy l’Anglais, qui cite mot pour mot non seulement Isidore mais aussi Orose ; M. C. Seymour et al., Bartholomaeus Anglicus and his Encyclopedia, p. 158. Voir aussi De partibus mundi cité au début de cette partie (deuxième paragraphe). 35 Selon O. Spevak, cette organisation d’historiographie chrétienne commence avec Orose et est suivi par Isidore et saint Augustin ; O. Spevak (éd. et trad.), Etymologies, p. x-xi. 36 M. Kupfer, « Medieval World Maps », p. 262-263 ; P. Gautier Dalché, La « Descriptio mappae mundi », p. 119. 37 Honorius Augustodunensis, Imago mundi, éd. V. Flint, p. 52. 38 Pour une discussion et une bibliographie, voir N. I. Petrovskaia, « Translatio and Translation : The Duality of the Concept From the Middle Ages to the Early Modern Period », Doshisha studies in English, 99 (2018), p. 115-136 ; disponible en ligne sur https://doors.doshisha.ac.jp/duar/repository/ ir/26025/020000990005.pdf (consulté le 31 octobre 2018). 39 E. Curtius, Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter, Bern, Francke, 1948, p. 36 ; L. Patterson, « Virgil and the Historical Consciousness of the Twelfth Century: The Roman d’Eneas and Erec et Enide », in L. Patterson (éd.), Negotiating the Past: The Historical Understanding of Medieval Literature, Madison, Wisconsin, University of Wisconsin Press, 1987, p. 157-195 (p. 160). Le terme translatio apparaît vers la fin du xie siècle dans la description du couronnement de Charlemagne. On trouve aussi ses échos dans les contemporains de Charlemagne, tels qu’Alcuin, et dans les commentateurs qui écrivaient sur son époque, tels que Notker Balbulus (le Bègue), actif au ixe siècle, moine de St Gall ; E. Gilson, Les idées et les lettres, 1932, 2e édition, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 1955, p. 179-186, 192-197 ; id., La philosophie au Moyen Âge : des origines patristiques à la fin du xive siècle, Paris, Payot, 1962, p. 194.
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dans sa Chronica sive historia de duabus civitatibus (1143)40. Otton associe dans son œuvre l’idée de la transmission de l’empire et l’idée de la transmission du savoir. Par la suite, le concept de translatio fournit une base idéologique aux idées de pouvoir occidental. Ce concept est très vite unifié avec celui des six âges du monde, concept d’origine biblique. Dans l’Épitre 5 et surtout dans son Commentaire sur le Livre de Daniel, Saint Jérôme identifie une séquence des âges du monde et des empires dans le chapitre 2 du Livre de Daniel : Babylone→ Médie→ Perse → Grèce → Macédoine → Rome et ses héritiers41. Ainsi, le concept de translatio unissait des aspects bibliques et légendaires, puisque dans le cadre de l’historiographie médiévale, c’était bien à partir du Paradis que l’histoire humaine était tracée. Le Paradis terrestre, dans les cartes et dans le cadre de la description du monde dans les textes examinés ici, était localisé en Extrême Orient. Le fait que la description du monde chez Honorius, Gossuin, Brunetto Latini et dans Semeiança del mundo commence avec l’Asie et plus précisément avec le Paradis, en est une conséquence logique. Dans ces textes, la forme prise par la description du monde est la suivante : trajectoire Asie-Europe, suivie par le reste du monde, Afrique et les îles, parmi lesquelles surtout des îles méditerranéennes. Il nous reste à expliquer pourquoi l’Europe, qui forme la culmination de la translatio, vient avant l’Afrique dans ces textes. Il est possible que la réponse à cette question réside dans le lien étroit entre texte et image dans le parcours du monde des descriptions géographiques médiévales, déjà signalé dans l’introduction du présent article. L’ordre des parties du monde dans les textes est le même que l’ordre dans lequel on trouve les inscriptions sur les images schématiques du monde que l’on trouve d’abord dans les manuscrits d’Isidore puis dans les manuscrits de la famille de textes liés à l’Imago mundi : les mappae mundi T-O. Il est important, pour contextualiser, de se rappeler que l’Orient, et donc le Paradis, figurait en haut de ces cartes, l’Europe en bas vers la gauche et l’Afrique en bas à droite42. (Voir Fig. 5). Ainsi, lorsqu’une telle carte figure sur la page d’un 40 K. Stierle, « Translatio Studii and Renaissance: From Vertical to Horizontal Translation », in S. Budick et W. Iser (éd.), The Translatability of Cultures. Figurations of the Space Between, Stanford, California, Stanford University Press, 1996, p. 55-67 (p. 56-57) ; J. G. A. Pocock, Barbarism and Religion III : The First Decline and Fall, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 98-126 ; S. Zacher, Rewriting the Old Testament in Anglo-Saxon Verse. Becoming the Chosen People, Londres, New Delhi, New York et Sydney, Bloomsbury, 2013 ; E. Fenzi, « Translatio studii e translatio imperii. Appunti per un percorso », Interfaces: A Journal of Medieval European Literatures 1 (2015), p. 170-208 ; P. Siebeck, « compte-rendu de Werner Goez, Translatio Imperii: Ein Beitrag zur Geschichte des Geschichtsdenkens und der politischen Theorien im Mittelalter und die frühen Neuzeit (Tübingen, 1958) », Bibliothèque de l’école des chartes, 118 (1960), p. 271-275 (p. 272) ; pour d’avantage d’informations sur Otton de Freising et une bibliographie supplémentaire, voir A. Vauchez, B. Dobson et M. Lapidge (éd.), Encyclopedia of the Middle Ages, 2 vol., Cambridge, Clarke, 2000, I, p. 1062. 41 C. Bratu, « Translatio, autorité et affirmation de soi chez Gaimar, Wace et Benoît de Sainte-Maure », in E. Kooper et S. Levelt, (éd.), The Medieval Chronicle VIII, Amsterdam et New York, Rodopi, 2013, p. 134-164 (p. 137) ; J. Stoll, « The Medieval French Lexicon of Translation », Neophilologus, 99 (2015), p. 191-207 (p. 202-203). 42 Le lien entre organisation des cartes et organisation du récit d’Isidore est observé par Spivak, mais elle remarque seulement qu’Isidore a inspiré les représentations du monde sur les cartes ; O. Spivak, éd. et trad., Etymologies, p. xi.
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Asie S
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Afrique
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Figure 5 : Mappa mundi T-O, version schématique. © Natalia I. Petrovskaia.
manuscrit, la lecture de la carte suit le même ordre logique que la lecture d’une page de texte, c’est-à-dire de haut en bas et de gauche à droite. Cet ordre est particulièrement visible dans les versions des cartes T-O dont le contenu est pour l’essentiel textuel, comme dans le revers de la fameuse Psalter Map de la British Library43. Pour cette carte, l’ordre de lecture donne le résultat : Asie-Europe-Afrique.
Formule orosienne : Asie – Afrique – Europe Chez Orose (c. 385-420) nous trouvons, après une formule du même ordre que chez Isidore, une deuxième formule tripartite, mais de séquence différente par rapport à la formule isidorienne : Maiores nostri orbem totius terrae, oceani limbo circumseptum, triquadrum statuere eiusque tres partes Asiam Europam et Africam vocauerunt, quamuis aliqui duas hoc est Asiam ac deinde Africam in Europam accipiendam putarint44 Après l’ordre Asie-Europe-Afrique, Orose présente une alternative : AsieAfrique+Europe. Dans cette formule, l’Afrique est jointe à l’Europe, et l’ordre dans lequel on les nomme est Asie-Afrique-Europe, ce qu’on retrouve dans plusieurs
43 Londres, British Library, Additional MS 28681, f. 9v, manuscrit anglais, c. 1265, disponible sur http:// www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx?ref=add_ms_28681_f009v (consulté le 28 Octobre 2018). 44 Paulus Orosius, Historiarum Aduersum paganos libri VII, I.2.1 ; « Nos ancêtres ont déterminé la division du monde en trois parties, entourées par l’Océan périphérique, appelées Asie, Europe et Afrique, bien que d’aucuns ont cru qu’il devait y en avoir deux : c’est-à-dire Asie, et après Afrique jointe à l’Europe » ; pour le texte et la traduction française, voir Orose : Histoires (contre les païens), éd. M.-P. Arnaud-Lindet, Paris : Les Belles Lettres, 1990.
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textes de genres différents, mais témoignant plutôt d’un intérêt historique, tout au long du Moyen Âge, qui utilisent l’histoire d’Orose comme l’une de leurs sources. Benoît de Sainte Maure, dans sa Chronique des ducs de Normandie, par exemple, donne l’ordre des parties du monde comme Asie-Afrique-Europe : Treis parties i asignerent dum la premere Asie apelerent Afrique, Europe ; tot le monde queclot e aceint mer profonde est en icez treis pars devis45. Il est très probable que Benoît connaissait l’Imago mundi d’Honorius Augustodunensis, car il paraît avoir emprunté certaines idées à ce texte46. Néanmoins il donne les parties du monde dans un ordre différent de celle d’Honorius : Asie, suivi par l’Afrique, et l’Europe. Il est intéressant que, peut-être obligé par la prosodie, Benoît place Asie dans une ligne séparée, mais Afrique et Europe ensemble, comme dans la formule d’Orose. Ainsi, l’utilisation d’une source qui suit la formule isidorienne Asie-Europe-Afrique ne conduit pas nécessairement à l’utilisation de cette formule elle-même. On peut penser que chez Benoît, l’ordre (et non seulement le regroupement) des termes est contraint par la prosodie. Cependant, le même ordre se retrouve dans un texte espagnol en prose, la Primera crónica general (c. 1270) : Los sabios que escrivieron todas las tierras fizieron dellas tres partes : e a la una que es mayor pusieron el nombre Asia, e a la otra África, e a la tercera Europa47« Les savants qui ont décrit toutes les terres ont fait d’elles trois parties : et à l’une qui est la plus grande ont donné le nom Asie, et à l’autre Afrique, et à la troisième Europe ». Ici aussi l’Europe est à la fin de la séquence. Comme Benoît, il est possible que l’auteur de la Primera crónica ait utilisé l’Imago mundi, mais ils suivent tous les deux non pas l’ordre d’Isidore mais la formule orosienne. Il est possible de fournir une explication de ce phénomène en rappelant le fait que l’historiographie médiévale utilisait non seulement le concept de translatio, mais aussi son expression dans la légende de Troie. L’importance du phénomène de la légende troyenne dans le cadre de notre problème de l’ordre des parties du monde dans la formule Asie-Europe-Afrique, est que l’Afrique, uniquement dans la légende de Troie, devient une partie de la translatio, puisqu’elle constitue l’un des éléments de la biographie d’Énée. Parmi les auteurs qui, en tant qu’héritiers de Virgile (et de ses imitateurs), traitaient de la translatio imperii dans le contexte de la légende troyenne, on peut citer Geoffrei de Monmouth, Giraud de Barri, Geoffrei Gaimar et Benoît de Sainte-Maure48. Ces auteurs sont les représentants d’une tradition très répandue en Europe médiévale. Bien que la légende de Troie comme origine de l’empire se 45 ll. 217-221 ; cité par P. Damien-Grint, « Learning and Authority in Benoît de Sainte-Maure’s Cosmography », Reading Medieval Studies, 24 (1998), p. 25-52 (p. 37-38). 46 P. Damien-Grint, « Learning and Authority », p. 29-30. 47 Primera crónica general : estoria de España que mandó componer Alfonso el Sabio y se continuaba bajo Sancho IV en 1289, (éd.) R. Menéndez Pidal, Madrid, Bailly-Ballière é Hijos, 1906, p. 5. 48 C. Bratu, « Translatio » ; U. Krämer, Translatio Imperii et Studii : zum Geschichts- und Kultusverständnis in der französischen Literatur des Mittelalters und der frühen Neuzeit, Bonn, Römischer Verlag, 1996.
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soit établie très tôt et ait duré particulièrement longtemps en France, elle était aussi très répandue dans la plupart des pays de l’Europe occidentale où presque tous les pays, et de nombreuses cités, retraçaient leurs origines jusqu’à Énée ou à l’un de ses compagnons49. Ces légendes de l’origine troyenne n’étaient pas centrales dans la description générale du monde dans une encyclopédie, car elles étaient spécifiques à un pays ou à une unité sociale ou politique. En d’autres termes, une légende racontant l’origine troyenne d’un pays était un phénomène local et n’était pas transférable à un autre pays. Je pense que c’est justement pour cette raison qu’on n’observe pas la légende troyenne être incorporée (bien qu’elle soit visée plusieurs fois) dans le cadre des descriptions diachroniques de géographie qui figurent dans des textes comme l’Imago mundi. La conception des textes encyclopédiques tels que l’Imago mundi (dans son premier livre) était globale : le texte devait être traduisible en une autre langue et pour un autre pays. L’histoire traçant l’origine troyenne des gens d’un pays particulier inhiberait cette fonctionnalité. Pour les chroniques et autres textes d’intérêt historiographique le cas était inverse. Pour ce type de texte, la formule orosienne, Asie-Afrique-Europe, qui invoquait l’idée de translatio imperii, servait à augmenter l’intérêt du texte. On peut l’observer surtout dans les histoires locales. Bien que la formule orosienne soit particulièrement fréquente chez les chroniqueurs et dans les textes historiographiques, on trouve aussi des occurrences dans d’autres genres, comme par exemple la Descriptio mappae mundi d’Hugues de Saint-Victor. Dans ce texte, une partie de la description du monde suit l’ordre orosien50. Selon Patrick Gautier Dalché, ce texte est une description fondée sur une mappa mundi, mais et bien qu’il soit presque impossible de déterminer si l’on parle des sources de la carte ou des sources de la description d’Hugues, le fait est qu’une de ces deux sources était Orose et qu’il n’y a, par contre, aucune trace d’Isidore51. On peut ainsi catégoriser la Descriptio dans la tradition d’Orose, même si c’est un texte d’intérêt encyclopédique52. Il est aussi important de noter qu’il paraît y avoir un lien étroit entre les traditions isidorienne et orosienne de la formule tripartite, car la formule orosienne est parfois, comme chez Orosius lui-même, accompagnée par la formule isidorienne. L’illustration de ce fait nous est fournie par le disciple de Brunetto Latini, Dante Alighieri (1265-1321), dans De Monarchia, où il traite les trois parties du monde dans
49 M. Innes, « Teutons or Trojans ? The Carolingians and the Germanic Past », in Y. Hen et M. Innes, (éd.), The Uses of the Past in the Early Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 227-249 (p. 248-249). 50 P. Gautier Dalché, La « Descriptio Mappae Mundi », p. 239-251. 51 P. Gautier Dalché, La « Descriptio Mappae Mundi », p. 73, 74. Kathleen Biddick suggère que l’oeuvre de Hugues est fondée sur l’Imago mundi, observant que la bibliothèque de Saint Victor en possédait deux manuscrits ; K. Biddick, « ‘The ABC of Ptolemy’: Mapping the World with the Alphabet », in S. Tomasch et S. Gilles (éd.), Text and Territory: Geographical Imagination in the European Middle Ages, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1998, p. 268-294 (p. 274). 52 Une des catégories de mappae mundi proposée par Woodward est le type orosien (« Orosian type ») ; D. Woodward, « Medieval Mappaemundi », p. 300-301, 309, 347-348.
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l’ordre suivant : Asie, Europe, Afrique (structure du texte)53. Dans ce texte, il utilise d’abord la formule isidorienne, et plus tard dans le texte, la formule orosienne. La formule orosienne est clairement associée chez Dante à la légende troyenne, car elle est utilisée dans le contexte de la biographie d’Énée54. Il faut néanmoins avouer que ce cas d’utilisation de l’ordre orosien n’est pas le seul dans ce texte de Dante, et, quelques pages plus tard, en parlant de l’histoire d’Énée et de son voyage, il donne la séquence des parties du monde comme une séquence de ses femmes : Asie (Creusa), Afrique (Dido), Europe (Lavinia)55. Cette variation dans l’ordre des éléments peut avoir plusieurs interprétations différentes. Il est possible qu’il s’agisse d’une influence de la translatio dans deux cadres théoriques différents : d’une part, le cadre de la description diachronique du monde influencé par la translatio des empires et les six âges du monde (tradition d’Isidore et Honorius), et d’autre part le cadre de la translatio exemplifié par la légende troyenne et ici l’histoire d’Énée en particulier. Une autre formule, probablement représentant une réorganisation (pour des raisons prosodiques) de la formule orosienne, est attesté dans l’œuvre d’un autre auteur célèbre du Moyen Âge tardif. Afrique vient avant Europe, mais Asie vient à la fin et non au commencement de la formule, pour rimer avec chevalrie. En Angleterre, Geoffrey Chaucer (c. 1340-1400) parle ainsi des parties du monde dans House of Fame dans l’ordre Afrique, Europe, Asie : For certeyn, whoso koude iknowe Myghte ther alle the armes seen Of famous folk that han ybeen In Auffrike, Europe, and Asye, Syth first began the chevalrie56 Certainement, qui peut savoir Peut voir toutes leurs armes des gens fameux qui ont été En Afrique, Europe et Asie Dès que la chevalerie a commencé. Cette référence est particulièrement intéressante, car Chaucer invoque l’idée de la naissance de la chevalerie, et cela ne peut que nous rappeler la célèbre description de la translatio de la chevalerie dans le prologue de Cligés (c. 1176) de Chrétien de Troyes : Ce nos ont nostre livre apris
53 Pour plus de détails sur la relation entre les œuvres de Dante et Latini, voir, par exemple, B. Ceva, Brunetto Latini, p. 94-97. 54 Dante Alighieri, De Monarchia II.3, éd. M. Pizzica, Milan, Rizzoli Libri, 1988 (Biblioteca Universale Rizzoli), p. 240. 55 Dante Alighieri, De Monarchia II.3, éd. M. Pizzica, p. 242. Voir aussi P. Boyde, Dante, Philomythes and Philosopher: Man in the Cosmos, Cambridge : Cambridge University Press, 1981, p. 101. 56 Geoffrey Chaucer, House of Fame, ll. 1336-1340, in L. D. Benson (éd.), The Riverside Chaucer, Boston, Houghton Mifflin, 1987, p. 364.
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Qu’an Grece ot de chevalerie Le premier los et de clergie. Puis vint chevalerie a Rome Et de la clergie la somme, Qui or est an France venue57. Bien que Chrétien n’utilise pas le terme translatio, c’est une formulation importante de l’idée dans un contexte littéraire, dans une œuvre écrite non pas pour les ecclésiastiques ou pour des savants, mais pour une audience laïque. Ainsi, l’évocation de la provenance de la chevalerie chez Chaucer devient également une évocation de la translatio. Cela suggère que son texte doit appartenir au type isidorien de notre formule. Le fait qu’il donne l’ordre des parties du monde différemment, en commençant avec l’Afrique, s’explique peut-être, comme on l’a signalé ci-dessus, par les contraintes de rime et de prosodie.
De natura rerum : Europe-Asie-Afrique Dans le corpus, il existe des exemples de textes qui utilisent la tradition isidorienne mais ne suivent pas le même ordre des parties du monde que celui des Etymologiae. L’ordre Europe-Asie-Afrique apparaît dans De natura rerum d’Isidore mais la plupart des œuvres qui l’utilisent suivent tout de même la formule isidorienne des Etymologiae. Les textes qui commencent la formule avec l’Europe sont plutôt rares. Les exceptions les plus importantes sont Bède le Vénérable, et l’anonyme de Leyde, dans son De situ orbis (xie siècle)58. Bien qu’on ne puisse aborder cette question en détail dans le cadre de cet article, il faut mentionner le fait, observé par Oschema dans sa discussion de l’association entre les fils de Noé est les parties du monde, que chez les auteurs insulaires, on constate une certaine fluidité dans l’utilisation de la formule. Alcuin, par exemple, donne Europe-Afrique-Inde dans sa lettre 81 (viiie siècle), tandis que dans l’Historia Brittonum (ixe siècle) on trouve quelques variations entre les versions, l’une desquelles donne dans la même phrase Europe-Afrique-Asie suivi par Asie-Afrique-Europe59. Il
57 Chrétien de Troyes, Cligés, ll. 28-33 in A. Micha, éd., Les Romans de Chrétien de Troyes, Edités d’après la copie de Guiot (Bibl. nat. fr. 794), II : Cligés, Paris, Champion, 1957 (Les Classiques Français du Moyen Âge). 58 K. Oschema, Bilder von Europa, p. 111 ; N. Lozovsky, « The Earth is Our Book », Geographical Knowledge in the Latin West, ca. 400-1000, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2000, p. 109-110. Anonymus Leidensis, De situ orbis libri duo, (éd.), R. Quadri, Padua, Antenore, 1974 (Thesaurus Mundi. Bibliotheca Scriptorum Latinorum mediae et recentioris aetatis, 13), 1.5, p. 13-14. Cité dans B. Englisch, « Reisewissen und Raumvorstellung auf der Grundlage der geographischen und kartographischen Quellen des Frühmittelalters » in P. Depreux, F. Bougard, et R. Le Jan (éd.), Les élites et leurs espaces. Mobilité, rayonnement, domination (du vie au xie siècle), Turnhout, Brepols, 2007, p. 31-48, 41 n. 35. 59 Pour la lettre d’Alcuin, voir E. Dümmler (éd.), Epistolae Karolini Aevi II, Berlin, MGH 1895 (Epistolae 4), p. 124 ; pour le Historia Brittonum voir D. Dumville (éd.), The Historia Brittonum vol. 3 : The ‘Vatican’ recension, Cambridge : D. S. Brewer, 1985, p. 71. Ces textes sont cités et commentés dans K. Oschema,
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est fort probable qu’il s’agisse dans cette phrase de la formule orosienne dans les deux cas et que l’inversion de ce la formule pour la deuxième occurrence corresponde à un dispositif stylistique. Il est même possible qu’une inversion de la formule orosienne pour des raisons stylistiques soit également à l’origine de l’exemple cité chez Alcuin. Bien que la période postérieure au Moyen Âge soit hors du champ de la présente étude, il convient de constater que la variation de l’ordre des éléments dans la formule parait plus marquée durant cette période. En particulier, le repositionnement de l’Europe en première place dans la formule devient plus habituel. Pour en donner quelques exemples, chez Johannes Strubbe (1510-1558) et Johannes Buno, Orbis Terrarum Veteribus Cogniti Typus in binis tabulis (Helmstadt, 1694), l’ordre est Europa, Asia, Africa60. Ce point de vue euro-centrique s’observe aussi dans le titre de l’œuvre de Samuel Clarke (1599-1682), A new description of the world, or, A compendious treatise of the empires, kingdoms, states, provinces, countries, islands, cities, and towns of Europe, Asia, Africa, and America… (Londres, 1689)61. Bien qu’il soit possible de lire cette reconfiguration comme une réévaluation de l’importance de l’Europe à l’époque des découvertes géographiques et un impérialisme naissant, il serait peut-être utile d’examiner les origines de cette version de la formule qui commence avec l’Europe, trouvée bien sûr dans le De natura rerum d’Isidore, comme nous l’avons constaté, mais aussi dans des textes plus anciens, comme l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien62.
Conclusion L’objectif de cet article est de proposer une catégorisation de la formule tripartite dans le discours géographique du Moyen Âge. La période médiévale est dominée par l’emploi de deux formules principales, toutes deux associées au concept de translatio, mais envisagées dans des traditions légèrement différentes : l’une encyclopédique et l’autre historiographique. La formule encyclopédique, Asie-Europe-Afrique, est la formule dite « isidorienne », utilisée par Isidore dans les Etymologies et aussi utilisée pour construire la structure de la description du monde dans les encyclopédies géographiques telles que l’Imago mundi. La formule historiographique, Asie-AfriqueEurope, est basée sur l’ordre donnée par Orose et lié, dans l’utilisation médiévale à deux légendes. D’un côté, comme on l’a déjà relevé, on peut interpréter cet ordre
Bilder von Europa, p. 116-117, et n. 80. 60 Copie numérisée disponible en ligne sur http://reader.digitale-sammlungen.de/resolve/display/ bsb11212363.html (consulté le 31 octobre 2018). 61 Voir Early English Books Online, disponible sur http://gateway.proquest.com/openurl?ctx_ver=Z39.882003&res_id=ri:eebo&rft_id=xri:eebo:citation:9514846 (consulté le 25 octobre 2018). 62 Histoire Naturelle III.i.3 ; voir S. Ratti, « L’Europe est-elle née dans l’Antiquité ? », Anabasis. Traditions et Réceptions de l’Antiquité 1 (2015), 193-211 https://journals.openedition.org/anabases/1461 (consulté le 10 October 2019) ; K. Oschema, Bilder von Europa, p. 90.
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dans le cadre plutôt légendaire ou historique (Troie)63. D’un autre côté, l’ordre Asie-Afrique-Europe reflète aussi l’ordre de naissance des fils de Noé associés avec ces régions64. Quelle que soit l’explication pour l’ordre Asie-Afrique-Europe, il est assez clair que la variation, dans la formule tripartite que nous avons observée dans les sources examinées ici, dépend des affiliations textuelles et n’est pas arbitraire. Il est possible de préciser que la variation dans la formule tripartite dépend du cadre organisationnel de la description du monde dans le texte ainsi que du cadre théorique auquel appartient le texte. Le modèle suivant peut être proposé pour l’utilisation de la formule tripartite dans les textes médiévaux : Si le texte appartient au type encyclopédique, et est destiné à un public allant au-delà du seul pays d’origine il suivra probablement l’ordre des Etymologiae d’Isidore : Asie-Europe-Afrique. Un texte historiographique d’intérêt local, en revanche, suivra probablement l’ordre d’Orose : Asie-Afrique-Europe. Il est possible que d’autres études montrent un lien plus étroit entre la formule tripartite et les perceptions du monde, la centralité ou l’importance d’une région ou d’une autre (comme l’Europe, par exemple) dans des textes écrits au cours d’époques différentes. Le but de cet article a été de constituer un premier pas dans cette direction et de montrer que la formule tripartite peut non seulement être regardée comme une formule stable au Moyen Âge, mais peut aussi servir comme un outil heuristique.
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63 Une interprétation supplémentaire pour l’ordre Asie-Afrique-Europe dans la lecture des mappae mundi murales et pour la Descriptio en particulier, est qu’une telle lecture suivrait la trajectoire du signe de croix : de haut en bas, de gauche à droite, mais dans un sens inverse, comme signe de bénédiction effectué sur la carte. 64 C. Gros, « Un nouvel Ailleurs. L’Image du Monde de Giovanni Villani », Cahiers d’études romanes, 32 (2011), p. 11-28 (p. 11-12).
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Protéger et guérir
Valérie Gontero- Lauze
A il herbe pour mal de teste ? Formules et style formulaire dans Le Livre de Sydrac
Formulas are very common in The Book of Sydrac, a thirteenth century encyclopedia. It is a long dialogue between Boctus, an oriental king, and Sydrac, a wise man. This encyclopedia deals with all subjects, and includes a receptary and an antidotary, two treatises about plants and herbs using literary and medical formulas. I want to show that The Book of Sydrac imitates the style of fashionable medieval texts and stays at the crossroads between medical and literary genres. But, contrary to expectations, most of the time it is impossible to identify the herbs or to use the remedies. The clerk does not stop playing with the reader and deceiving them through a skillful use of formulas. The goal of the clerk seems less to teach than to celebrate the power of words. The Book of Sydrac, a heteroclite text, makes it possible to better understand the evolution of literary genres, and especially how literary texts and medical texts move away from each other after the Middle Ages.
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Alors que la sensibilité contemporaine associe la répétition à la lourdeur stylistique, les figures de répétition sont légion dans la littérature médiévale. Certains genres ont même érigé la répétition en système : ainsi la chanson de geste déroule ses laisses par des reprises de vers et d’expressions1. La répétition est alors utilisée comme moyen mnémotechnique, pour guider l’auditeur aussi bien que le jongleur, qui travaille le plus souvent de mémoire. Ce style formulaire ne se limite pas au genre épique. Il se retrouve à des degrés variables dans les littératures narrative et didactique, et
1 Selon Bl. Longhi, « Dans bien des cas, les formules mentionnant la peur apparaissent avant tout comme des outils auxquels a recours le poète pour composer sa chanson et leur sémantisme semble être secondaire, voire presque effacé », « Li plus hardiz est couarz devenuz : les formules mentionnant la peur, indices de l’évolution des chansons de geste ? », in É. Louviot (éd.) La formule au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2012, p. 29-44, en particulier p. 31. Valérie Gontero-Lauze • Aix-Marseille Université La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 221-236 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124030
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est particulièrement marqué dans le genre encyclopédique. Dans le cadre de cette communication, notre corpus se limitera à une encyclopédie en langue romane du xiiie siècle, Le Livre de Sydrac2. Cette encyclopédie est composée, dans sa version longue3, de plus de mille deux cents questions/réponses, avec l’ambition d’embrasser la totalité du savoir. Son originalité réside en sa structure dialoguée : Boctus, roi oriental avide de connaissances, interroge le sage Sydrac, dont la sagesse n’a pas de limites – comme Merlin, il connaît tout du passé, du présent et de l’avenir. Les questions/réponses sont regroupées de façon thématique : la Création du Monde ; la géographie ; le bestiaire ; les maladies ; les mauvais sentiments ; l’astrologie ; le lapidaire ; l’herbier ; le Jugement dernier. Les questions se succèdent selon un ordre conforme à la logique chrétienne, de la Création à la Chute. Il s’agit d’ordonner le savoir, devenu prolifique après la Renaissance du xiie siècle4. Le dialogue entre le roi Boctus et Sydrac5 est un artifice qui vise à conférer la vivacité de l’oral à un long texte écrit. Cette forme particulière reprend un exercice universitaire en vogue au xiiie siècle : le quodlibet. Il s’agit d’une séance orale au cours de laquelle le maître répond aux questions posées par ses élèves, questions qui portent sur n’importe quel sujet, comme l’indique le mot quodlibet (« n’importe lequel »). Les réponses sont mises par écrit dans un second temps. S’ils portent majoritairement sur des questions théologiques ou bibliques, les quodlibets s’élargissent à des préoccupations philosophiques et morales6. Il en est de même pour Le Livre de Sydrac : une grande partie des questions, et surtout des réponses, possède une orientation religieuse. Cette organisation textuelle en question/réponse mime également le repons du chant grégorien – chant alterné entre un chantre soliste et un chœur, utilisé pour l’office liturgique. Les deux formules Le roi demande/Sydrac respont fonctionnent comme un micro récit-cadre qui fait écho au récit-cadre du début du texte. En effet la succession de questions/réponses est précédée d’un récit qui introduit les protagonistes. Le roi Boctus de Bactriane veut faire édifier une tour qui n’a de cesse de s’effondrer : il a beau consulter tous les savants du royaume, personne ne trouve la solution – ce schéma reprend le récit arthurien de Merlin7 et de
2 Les extraits cités sont empruntés à l’édition de E. Ruhe, Sydrac le philosophe, Le livre de la fontaine de toutes sciences, Wiesbaden, Reichert (Wissensliteratur im Mittelalter34), 2000. 3 Le Livre de Sidrac présente 613 questions/réponses dans sa version courte et 1225 dans sa version longue. 4 Comme le souligne B. Beyer de Ryke, « avec le xiiie siècle s’ouvre donc la seconde grande période de l’encyclopédisme médiéval, placée sous le signe de l’abondance intellectuelle. Désormais, on ne rassemble plus pour sauver des connaissances qui risqueraient autrement de disparaître, mais pour faire le tri, classer, organiser la masse considérable des savoirs disponibles afin d’en présenter la synthèse », « Le miroir du monde : un parcours dans l’encyclopédisme médiéval », Revue belge de philologie et d’histoire, 81/4 (2003), p. 1243-1275, en particulier p. 1259. 5 E. Ruhe, « Les livres de Sydrac. L’évolution d’un dialogue encyclopédique », Romania, 129 (2011), p. 321-339. 6 Voir l’article de S. Delmas, « Les formules rédactionnelles dans les quodlibets des maîtres en théologie de l’Université de Paris au xiiie siècle », in I. Draelants et Chr. Balouzat-Loubet, La formule au Moyen Âge II, Turnhout, Brepols, 2015, p. 352-362, en particulier p. 357. 7 P. Zumthor, Merlin le Prophète : un thème de la littérature polémique de l’historiographie et des romans, Paris, Payot, 1943, Genève, Slatkine Reprints, 2002.
Fo r m u l e s e t s t y l e fo r m u l ai r e dans Le Li v re de Sydrac
la tour du roi Vortiger8. Seul Sydrac, qui connaît le livre de l’astronomie qui remonte à Noé, permet de rendre la construction de la tour pérenne : Boctus reconnaît alors la supériorité du Dieu de Sydrac9, Dieu Créateur du Ciel et de la Terre. Boctus, le païen idolâtre, se convertit à la religion de Sydrac et se met à l’interroger pour profiter de ses immenses connaissances. C’est grâce à des herbes magiques10 que Sydrac vient à bout de la merveille de la tour. Les herbes font l’objet d’un traitement particulier dans le déroulé des questions/ réponses. En effet Le Livre de Sydrac consacre deux parties aux herbes. Ces deux ensembles de questions/réponses manifestent un emploi particulièrement marqué de la formule, au sens étymologique – le latin formula signifie « cadre », « règle », « système ». Les études littéraires et linguistiques se sont emparées de ce terme en lui conférant des définitions multiples mais convergentes. Dans son Essai de poétique médiévale, Paul Zumthor définit la formule comme « la combinaison d’un rythme, d’un schème syntaxique et d’une certaines détermination lexicale »11. La contrainte est bien le maître-mot, et elle conditionne les éléments syntaxiques, morphologiques et lexicaux du texte. La définition linguistique contemporaine d’Alice Krieg-Planque convient également à nos textes anciens : la formule est « une expression figée ayant une existence discursive »12. Utilisée de façon systématique, les formules tissent un style formulaire. Dans les articles du Livre de Sydrac que nous allons étudier, formules et style formulaire sont au cœur du tissu textuel. Dans quelle mesure la formule permet-elle de caractériser le style des questions/réponses ? Selon quelles modalités les formules mettent-elles en place un style formulaire ? Le phénomène de répétition est-il le garant de la transmission du savoir ou peut-il camoufler la créativité ?
Deux traités sur les plantes : formule & style formulaire La médecine médiévale faisait grand usage des vertus des plantes. Pour une maladie donnée, la médecine populaire13 utilisait une seule plante, qualifiée alors de simple. La médecine savante préférait mélanger les herbes pour en décupler les effets : on parle alors de remèdes composés. En théorie, il existe deux façons d’exposer les vertus des plantes, deux types de traités. Si l’entrée se fait par le nom de la plante, il s’agit d’un 8 Ch. Connochie-Bourgne, « La Tour de Boctus le bon roi dans Le livre de Sydrach », Furent les merveilles pruvees et les aventures truvees. Hommage à Francis Dubost, Paris Champion, 2005, p. 163-176. 9 Le nom de Sydrac fait référence au Shadrach du Livre de Daniel dans l’Ancien Testament (1,7), personnage qui refuse de se prosterner devant les idoles. 10 Sydrac décrit ainsi les herbes que Boctus doit aller chercher sur la Montagne verte du Corbeau : Et si a en cele montaigne .xij.m. manieres de herbes : les .iiij. m. font proufit, et les .iiij. m. domage, et les .iiij. m. ne font ne domage ne proufit. Et si y a .vij. manieres d’yaues, et s’asemblent toutes en .i. lieu .xij. fois l’an, et puis s’espandent par desur ces herbes et aboivrent celes herbes .xij. fois l’an. Et se vous voulés aler en cele montaigne por les herbes avoir, vos porrez faire quanque vos voudrez de vos enemis et aurez vos desiriers, prologue, § 12. 11 Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, p. 395. 12 La notion de formule en analyse du discours : cadre théorique et méthodologique, Besançon, PUFC, 2009, p. 10. 13 Voir l’ouvrage de T. Hunt, Popular medicine in Thirteen-Century England, Cambridge, Brewer, 1990.
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herbier ; si l’entrée se fait par le nom de la maladie ou du remède, c’est un réceptaire (recueil de recettes) ou un antidotaire (recueil de remèdes plus complexes, qui portent le plus souvent le nom de leur inventeur)14. Dans le réceptaire ou l’antidotaire, toutes sortes d’ingrédients sont utilisés ; dans l’herbier, seulement les herbes. Le Livre de Sydrac contient des conseils de diététique et des recettes médicinales15, dont un grand nombre sur les plantes : on trouve un réceptaire au milieu de l’ouvrage (questions 602 à 631), puis un herbier vers la fin (questions 1092 à 1142). La formule se décline de façon distincte dans ces deux traités. Le réceptaire
Le réceptaire est constitué de trente recettes (questions 602 à 631), présentant une grande variété de formulation dans les questions comme dans les réponses. Cependant la syntaxe des questions devient formulaire à partir de la question 615 et se construit dès lors selon le schéma suivant : pronom complément que verbe fere au futur simple de l’indicatif ou au présent du conditionnel + +
pronom sujet on
préposition por/a + nom de la maladie ou du trouble
+
Cette formule est respectée jusqu’à la fin du réceptaire : 615 Que feroit l’em pour emcombrement de pis ? 616 Que feroit ont por leveure qui ne puet ouvrir ? 617 Que feroit on pour la frenesie ? 618 Que feroit on a mal de fic ? 619 Que fera l’en a home a qui l’alaine put ?
14 J. Barbaud précise que cette distinction ne tient pas toujours : « entre les antidotaires et les réceptaires, on rencontre dans la littérature médicale médiévale un grand nombre de recueils qui procèdent plus ou moins de l’un et l’autre genres », « Les formulaires médicaux du Moyen-âge : Médecines savantes et médecines populaires », Revue d’histoire de la pharmacie, 76/277 (1988), p. 138-153, en particulier p. 143. Voir également les travaux de Cl. de Tovar, par exemple « Contamination, interférences et tentatives de systématisation dans la tradition manuscrite des réceptaires médicaux français : le réceptaire de Jean Sauvage », Revue d’histoire des textes, 3/1973 (1974), p. 239-288. 15 Ch. Connochie-Bourgne précise que « Sydrach […] dispense au roi Boctus deux genres de conseils : les premiers pour la conduite de sa vie spirituelle, les seconds pour le maintien de son corps en bonne santé », « Images de la terre dans les Livres de clergie du xiiie siècle. Image du monde, Livre du Trésor, Livre de Sydrach, Placides et Timeo », La Géographie au Moyen Âge. Espaces pensés, espaces vécus, espaces rêvés, Paris, SLLMOO, 1998 (Perspectives médiévales 24), p. 67-79, en particulier p. 75.
Fo r m u l e s e t s t y l e fo r m u l ai r e dans Le Li v re de Sydrac
Pour la syntaxe des réponses, le texte utilise des temps verbaux à valeur jussive (subjontif présent, impératif présent ou infinitif), pour énumérer les différents gestes à accomplir pour fabriquer le médicament et pour l’utiliser ; le futur de certitude décrit la guérison : 615 Le roy demande : Que feroit l’em pour emcombrement de pis ? Syderac respont : Boive .x. jours de la merde des vermes qui font la soie un pois el cirop d’ysope, il guarra. Et quil ne le puet avoir, boive ensement de la pourreture de leignaus et syrop d’isope .xl. jours, il garra. 629 Le roy demande : Que feroit l’en as ieus enflez ? Syderac respont : Metez dessus les ieulx qui sont emflez poumon de mouton ou de brebiz ou de chievre autressint chault comme il ist de la beste et lier dessus un drap une heure .iiij. jours ou .v. Une simplification stylistique s’opère parfois, doublée d’un raccourcissement. Les formes personnelles du verbe deviennent minoritaires par rapport aux formes non personnelles (infinitif) ; les déterminants disparaissent : 624 Le roy demande : Que fera l’en pour apostume ? Syderac respont : Yaue d’orge et les beles fies sec et ricolice boulir bien et boivre avuecques succre a geun et au vespre .vi. jours, et il le jetra de dessous. Ces changements stylistiques dénotent une propension à l’abstraction, particularité mentionnée par Caroline Foscallo dans son article sur l’écriture formulaire dans les fabliaux : La formule, en n’actualisant pas les substantifs, qui sont essentiellement des termes génériques et ne sont pas précédés de déterminants, ôte toute spécificité possible à la liste et bloque le processus de référentialité. La formule et la liste formulaire sont donc tournées vers l’abstraction et cet état de figement maximal pousse à n’en faire qu’une lecture synthétique qui, de ce fait, demeure complètement dans le domaine du virtuel16 À force de s’amoindrir, le cadre syntaxique peut laisser place à une liste d’ingrédients : 625 Le roy demande : Que l’en fera pour la goute ? Sydrerac respont : Mente, faloill, cresson, poriaus et faire bien boulir durement et laver le mal de cele yaue. /…/ La formule comme liste d’ingrédients est par nature figée et fermée : elle est à respecter à la lettre, le lecteur ne peut rien y ajouter ni rien en retrancher sous peine de la dévoyer et de la rendre inefficace. Ces outils linguistiques orientent le texte vers la dimension abstraite et théorique, dont l’ambition est de ressembler in fine à une formule pharmaceutique.
16 « Pain et vin et char et poissons : listes alimentaires et écriture formulaire dans les fabliaux », La formule au Moyen Âge, op. cit., p. 63-76, en particulier p. 74. Voir également l’article de Br. Laurioux, « Cuisine et médecine au Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales, 13 spécial (2006), 223-238.
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L’herbier
L’herbier17 du Livre de Sydrac témoigne d’un style formulaire davantage stabilisé, utilisé dans l’ensemble des quarante-neuf questions/réponses18 (1092 à 1141). Chaque notice est construite sur le même schéma syntaxique : Le roy demande :
Syderac respont :
A il herbe pour + nom de maladie ?
Il y a unne herbe…(description) (Et) qui + verbe d’action au conditionnel présent (posologie) (Et) Ceste herbe se troeve en + toponyme (lieu de cueillette)
1099 Le roy demande : A il herbe pour la senterie ? Siderac respont : Il y a herbe a soutilles fueilles en guise de fueilles de chiches qui a une fleur jaune, racinne petite et petite semence. Et comme l’en masche d’ele et l’esprime, si descent en guise de sanc. Qui la friroit avuecques le blanc des œuf et puis la donroit a manger a homme qui eust senterie a geun par trois jours, il gairiroit. Et ceste herbe si se troeuve en gastinnes et en champs. 1107 Le roy demande : A il herbe pour pullentie de bouche ? Syderac respont : Il y a unne herbe qui a larges fueilles et a fleur violete et racinne fourchiee et semence jaune. Qui macheroit de lui cinc jors a geun, il gairiroit a tout jours. Ceste herbe si se troeuve es montaingnes et es ruissiaus. Les questions de l’herbier sont formulées en trompe-l’œil. L’herbe est désignée par une périphrase qui précise la maladie qu’elle soigne, mais elle reste anonyme : elle n’est jamais nommée. Au lieu d’énumérer les simples par ordre alphabétique, comme dans un herbier, les notices proposent une entrée par la maladie, comme dans un réceptaire, sauf qu’il s’agit ici d’un traité exclusivement sur les herbes : 1100 Le roy demande : « A il herbe por engroissier femme ? 1101 Le roy demande : « A il herbe pour jaunice ? 1102 Le roy demande : « A il herbe pour mal de pissier ? 1103 Le roy demande : « A il herbe pour mal des dens ? 1104 Le roy demande : « A il herbe pour le nes qui put ? 1105 Le roy demande : « A il herbe pour celui qui n’ot mie bien ? Les maladies ne sont pas classées a capite ad calcem, comme le voudrait la tradition antique, mais de façon aléatoire et parfois même répétitive. Certaines maladies, comme les problèmes de vue19, font l’objet de doublons, mais ne se suivent pas : l’herbier 17 Sydrac précise que la liste des herbes de ce traité pourrait être bien plus longue, s’il ne craignait d’ennuyer son lecteur : la liste se ferme donc paradoxalement sur une ouverture, brodant sur le topos de l’indicible. 18 Il y a bien cinquante-et-une notices dans l’herbier, mais la première et la dernière sont des questions généralistes, qui sortent du cadre formulaire : « 1091 De quelle vertu sont les herbes precieuses et ou se troeuvent ; 1142 Cestes herbes ont il autressint vertu seches comme vertes ? ». 19 « A il herbe por la viste ? (1093) / A il encore herbe por la viste ? (1097) ».
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donne l’impression d’un pot-pourri de maladies et de maux. En outre, les herbes à usage médicinal n’occupent que la moitié des notices : à partir de la question 1123, le contenu du texte s’oriente vers la magie : 1124 Le roy demande : A il herbe pour faire veoir les estoilles de jours ? 1125 Le roy demande : A il herbe qui ne laist homme estre veus ? 1126 Le roy demande : A il herbe pour tolir la parole a la gent ? 1127 Le roy demande : A il herbe d’amours ? 1128 Le roy demande : A il herbe pour hainne ? Ce traité n’est donc ni vraiment un réceptaire, ni totalement un herbier – appellation que nous conserverons néanmoins pour la clarté de l’exposé. Dans les réponses, les figures d’analogie (comparaisons et métaphores) sont systématiques. La forme des herbes est décrite par des comparaisons empruntées au monde végétal, mais pas exclusivement : 1099 Il y a unne herbe a soutilles fueilles en guise de fueilles de chiches = feuilles de pois chiches 1100 Il y a unne herbe /…/ en guise de fueilles de mortele = feuilles d’immortelle 1104 Il y a unne herbe qui ressamble au perressillg = persil 1105 Il y a unne herbe qui semble langue bouvine = langue de boeuf 1112 Il y a une herbe petite a fleur blanche, fueilles qui sont en guise de langues d’oiseaus = langues d’oiseaux L’herbe qui sert à retrouver la parole a des feuilles en forme de langue d’oiseau : c’est la seule occurrence que l’on peut relever de la théorie des signatures dans l’herbier et le réceptaire du Livre de Sydrac. Selon la théorie des signatures, chaque élément de la Création divine a été conçu de manière à ce que l’homme puisse le déchiffrer et en comprendre l’usage. Les vertus des pierres et des plantes sont fondées sur la pensée analogique, d’après le principe de ressemblance : si une pierre ou une plante ressemble à un organe ou à un élément du corps, c’est qu’elle peut le soigner. On peut citer l’exemple de l’hépatique trilobée, plante aux feuilles en forme de foie, qui lui ont valu son nom (du grec ἧπαρ, hepar, « foie ») : pour la pensée analogique, cette ressemblance est le signe que cette plante est utile pour soigner les maladies du foie. La pensée analogique se retrouve dans une autre partie de cette encyclopédie, partie consacrée aux entresignes : la forme et la couleur des différentes parties du corps sont alors utilisés pour renseigner sur le caractère de l’individu (notices 925 à 947) – c’est l’ancêtre de la physiognomonie20. Prenons l’exemple des pieds : 945 Le roy demande : Quelles entressaignes ont les piés ? Syderac respont : Celui qui a le pié petit et gros est de moult petit d’entendement. Et celui qui le pié graille endroit la cheville est moult tres durement couart. Et
20 Le nom féminin entresigne signifie dans l’ancienne langue « signe », « indice », « marque » (Dictionnaire Godefroy). Cette croyance se perpétuera au xixe siècle, notamment avec les traités de physiognomonie.
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celui quil l’a gros est viguereus. Et celui qui a les jambes grosses el milieu est fort de cors, mes il est rudes. Ces entresignes sont bien mentionnés au début de l’herbier21, mais ne donnent pas lieu à développement puisqu’ils ont été abordés en amont dans l’encyclopédie. La taille des herbes est donnée par des indications empruntées au corps humain, qui sert d’étalon de mesure dans le monde médiéval. Cette mesure est systématiquement exprimée par un complément du nom, après la formule « Il y a une herbe », parfois suivie de l’adjectif « longue » : 1096 Il y a une herbe longue d’un bras ou de mains 1109 Il y a une herbe de .i. bras 1097 Il y a une herbe de trois paumes Ce sont toujours les mêmes adjectifs de couleur qui reviennent : jaune, vermeil, blanc, violet, bleu, et vert ; les toponymes appartiennent également à une liste fermée d’une dizaine de termes22 : dans le cadre ordonné de la Création, les herbes ne peuvent pas pousser n’importe où. Tout se passe comme si l’herbier empruntait à un réservoir linguistique pour dessiner des variations sur une base constante. Le style formulaire reprend toujours le même rythme, au sens musical du terme, rythme sur lequel il compose de multiples variations. La formule comme curseur générique
Afin de poursuivre l’étude comparative, il est nécessaire de convoquer pour une confrontation avec l’écriture du Livre de Sydrac deux ouvrages médicinaux médiévaux : L’Antidotaire Nicholas et Le Grant Herbier23. L’Antidotaire Nicolas a été le livre officiel d’enseignement pour la Faculté de Médecine de Paris à partir de 1270 ; à partir de 1322, tout apothicaire parisien devait en avoir un exemplaire dans son officine. Quant au Grant Herbier ou Arbolayre, il collationne le savoir issu de la pharmacopée de l’école de Salerne : c’est la version traduite et augmentée du xiiie au xve du Liber de simplicibus medicinis ou Circa instans de Matheus Platearius, ouvrage rédigé au xiie siècle.
21 « 1092 Le roy demande : De quelle vertu sont les herbes precieuses et ou se troeuvent ? Syderac respont : Les herbes precieuses si sont de moult grant quantité et qui les voudroit toutes conter, moult grant estoire li couvendroit faire ; et en diversse monde se troeuvent. Et d’une partie vos en dirons et vous en deviserons leurs vertus et leurs mannieres et leurs entresseingnes. […] / 1093 Le roy demande : A-t-il herbes por la viste ? Syderac respont : Nous vous deviserons les vertus et les entresseingnes d’une partie chascune par soy… ». 22 On relève les termes suivants : montaingnes, terre gaste/gastinnes, fontaines, yaue/eve, ruisseaus, plains, champs, haies, bois, boscages, costieres, cysternes, desrups, caves, fendeures, pantains. 23 P. Dorveaux, Proposito Niccolo. L’antidotaire Nicolas. Deux traductions françaises de l’Antidotarium Nicolai. L’une du xive siècle suivie de quelques recettes de la même époque et d’un glossaire. L’autre du xve siècle incomplète. Publiées d’après les manuscrits français 25327 et 14827 de la Bibliothèque nationale, Paris, H. Welter, 1896 ; Le Grant Herbier en françois, Paris, Pierre Le Caron, circa 1498, Aix-en-Provence, Bibliothèque Méjanes, Inc. Q. 96.
Fo r m u l e s e t s t y l e fo r m u l ai r e dans Le Li v re de Sydrac
Réceptaire Sydrac
Antidotaire Nicholas
625 Le roy demande : Que l’en fera pour la goute ?
23. Diadragantum
Sydrerac respont : Mente, faloill, cresson, poriaus et faire bien boulir durement et laver le mal de cele yaue. Et se il n’a des herbes, que il se lave bien d’eaue chaude puis s’oigne de cest oignement au soleill ou devant le feu : cire blanche, termentine, saffren, jeune de l’uoef, huile d’olives, huille d’amandes, huille vielle, huille de nois, huille d’orer, sain de porc, huille de camemilla, oes de gambre, moelle d’asne, cervelle de passeroit, miel d’abilles. Et faire de tout oignement mol desseur le feu et user souvent.
Diagragant vaut à vice de piz et de pulmun qui vient de chalor, à étique, à tisique, à tus de chalor et de secheté, à aspresce de langue et de goitrun. Quant il sera usé, soit tenu en la bouche longuement. Pren : dragagant, once .iii. ; gumme arabic, once .ii. ; amidum, once demie ; riquelice, dragme .ii. ; penides, semence de melons, de cohordes, de citrules, de cucumer, ana dragme .ii. ; camfre, dragme demie ; sirop julevi sofeisant. Soit doné ou eve de decocciun d’orge et de dragagant.
Herbier Sydrac
Grant herbier
1108 Le roy demande : A t. il herbe pour le froit et pour le chault ?
De berbena
Syderac respont : Il y a unne herbe longue de deus bras et plus et fueilles menues et blanches fleurs, semence blanche et racinne blanche roonde et grosse. Qui pestriroit celle herbe et em prendroit le jus, comme homme a celui mal et en celle heure li oindroit les narinnes et les oreilles et les leuvres et le fondement trois fois, il seroit gairis. Ceste herbe si se troeuve pres des ruisseaus.
…Pour rompre la pierre en la vessie, donne la racine de vervaine avec ydromel a boire : et tantost tu apperceveras benefice et provoquera orine. Pour la douleur de la teste, fais ung chappeau et le porte : il oste merveilleusement la chaleur. Contre serpens et toutes autres bestes venimeuses. Quiconque porte ceste herbe en sa main ou en aura une sainture sainte : il sera seur de tous serpens…
Le réceptaire du Livre de Sydrac présente des similitudes syntaxiques avec L’Antidotaire Nicolas. Tous deux énumèrent une liste de composés sans déterminant. Les verbes sont majoritairement au présent du subjonctif (ou à l’infinitif pour le réceptaire). À l’inverse, l’herbier du Livre de Sydrac est semblable au Grant herbier avec sa syntaxe plus élaborée. Même si les propositions indépendantes priment, le cœur du texte est constitué d’un système binaire à valeur hypothétique, au présent du conditionnel : Qui pestriroit celle herbe/ il seroit. Ce rythme binaire se retrouve dans Le Grant Herbier. Dans les deux textes, la polysyndète de la conjonction de coordination « et » étoffe les groupes nominaux, les adjectifs et les propositions. Les éléments syntaxiques se dédoublent pour préciser et nuancer la description. La description se fait énumération, conformément au sens premier du verbe descrire, « énumérer ».
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Au terme de cette rapide comparaison stylistique24, il apparaît que le style formulaire, tel qu’on l’entend en littérature médiévale, est davantage affirmé dans l’herbier que dans le réceptaire, lequel évolue vers la liste d’ingrédients, la formule au sens pharmaceutique, d’inspiration galénique. Cette divergence stylistique pourrait s’utiliser pour distinguer les traités médicaux des textes littéraires – la formule pourrait alors servir de curseur générique : + scientifique
+ littéraire
Formule pharmaceutique
Style formulaire
Plus le texte s’orientera vers le domaine scientifique, plus il s’apparentera à une formule pharmaceutique – liste d’ingrédients accompagnée parfois du mode de préparation et de la posologie. A l’inverse, plus le texte s’orientera vers le domaine littéraire, plus il sera modelé par le style formulaire – ensemble de règles syntaxiques, morphologiques et sémantiques. Ces mélanges stylistiques expliquent les problèmes de classification de l’encyclopédie médiévale, qui a longtemps été délaissée par les spécialistes, jugée trop littéraire par les scientifiques, trop scientifique par les littéraires. Les deux types de texte (scientifiques/littéraires) vont se distinguer plus clairement, notamment sur le plan stylistique, dans les époques ultérieures.
Une esthétique du double Dans l’économie du Livre du Sydrac, ces jeux sur la matière verbale sont à lire à l’échelle de l’encyclopédie tout entière. Ils ont valeur d’indice pour guider le lecteur vers un sens second, délaissant alors sa première fonction, médicinale. C’est ce que constate Béatrice Delaurenti dans son étude des réceptaires médicaux : Répétition, allitérations et assonances sont autant de stratagèmes qui organisent la matière verbale de la formule. Dans ces jeux linguistiques et phonétiques, le sens parfois se perd ; mais même lorsque la formule est signifiante, cette mise en œuvre suggère pour le moins que le sens des mots n’est pas la seule dimension du charme. Elle dévoile une conception du langage que l’on pourrait qualifier à la fois de poétique, au sens où les aspects formels du texte importent au moins autant que le sens des mots, et poïétique, au sens où la construction langagière est orientée vers la production d’un effet25.
24 Cette étude comparative mériterait d’être approfondie, mais déborderait alors le cadre de cet article. 25 « La pratique incantatoire à l’époque scolastique. Charmes et formules des réceptaires médicaux en latin et en langues romanes (xiiie-xve siècle) », La formule au Moyen Âge II, op. cit., p. 473-494, en particulier p. 479. Sur le pouvoir des mots, voir l’ouvrage d’E. Bozoky, Charmes et formules apotropaïques, Turnhout, Brepols, 2003 (Typologie des sources du Moyen Âge occidental 86).
Fo r m u l e s e t s t y l e fo r m u l ai r e dans Le Li v re de Sydrac
Le terme charme, au sens de « sortilège », « enchantement », insiste sur la puissance des mots, liée parfois davantage à leur agencement qu’à leur sens propre ou figuré. Transmettre ou dissimuler le savoir ?
Comme nous venons de le voir, l’herbier et le réceptaire, au contenu commun, hésitent entre formules et style formulaire, pour finalement choisir la divergence stylistique. Ces deux traités se répondent, d’autant plus qu’ils décrivent parfois la même maladie, comme par exemple le mal de tête : Réceptaire 622 Le roy demande : Que fera l’en pour mal de teste ? Syderac respont : Une herbe qui a non marqueloge frire avuecques huille d’olives et avuec farine de froument et faire de lei emplastre et mettre dessus le front .ij. foiz ou trois tant chault comme souffrir le porras.
Herbier 1111 Le roy demande : A il herbe pour mal de teste ? Syderac respont : Il y a unne herbe longue de deuls paumes et plus et feullies apres, tendres, en guise de moretele, et n’a point de fleur, mais elle a petite racinne et petite semence. Qui la friroit mout bien avuecques huille d’ollive et la metroit tant chaude comme il la pourroit souffrir desseur som front et desseur ses temples au matin et au vespre, en trois jors seroit gairis de toute maladie de la teste. Et ceste herbe si se troeuve souvent en cysternes et es murs qui sont pres d’yaue et pres des ruisseaus.
Le réceptaire donne le nom de l’herbe qui soigne les maux de tête : c’est la marqueloge. Ce terme est un hapax qui connaît des variantes (marquelage et martheloge26) mais ne permet pas d’identifier la plante. L’herbier ne nomme pas la plante mais souligne sa ressemblance avec l’immortelle – moretele. Les recettes sont similaires : il faut faire frire l’herbe dans l’huile d’olive, puis appliquer cet onguent sur le front (et les tempes). Les deux textes donnent des informations complémentaires, sans toutefois permettre de reconnaître la plante. L’esthétique du double modèle l’écriture médiévale des xiie et xiiie siècles, des figures de répétition aux mises en abyme. Le réceptaire et l’herbier donnent l’illusion de la mise en œuvre d’une esthétique du double, mais le détail du texte invalide cette première lecture. Contrairement à ce que l’on peut attendre d’un herbier, ce texte ne double pas le réceptaire par une entrée par le nom des plantes – fait plus étonnant encore, il ne nomme pas les herbes. Quarante-neuf plantes sont de fait désignées par une périphrase, pour constituer un herbier de papier. Cet herbier est placé après le lapidaire : à l’énumération des pierres precieuses succède celle des herbes precieuses. 26 A. Delboulle répertorie ce mot du Livre de Sydrac sous la forme marquelage et martheloge et le glose par « sorte de plante », dans son article « Mots obscurs et rares de l’ancienne langue française (suite) », Romania, 33 : 132, 1904, p. 556-600, en particulier p. 574.
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Dans la dernière question de l’herbier, Sydrac mentionne les vertus des pierres, des plantes et des mots : (1142) Et si se troeuvent par diversse monde, quar por toutes choses se troeuve vertu en herbes et em paroles et em pierres. Cette trilogie se retrouve à la même époque dans la description du pouvoir des fées du Lancelot du Lac : Eles savoient, ce dit li contes des brettes estoires, la force des paroles et des pierres et des herbes27. Cette référence à la magie peut se lire comme une clé de lecture de l’herbier, qui s’oriente résolument vers la magie dans sa seconde partie : le texte encyclopédique glisse vers l’écriture du merveilleux. Dans la longue notice 1064a, juste avant le lapidaire, il est question des herbes utilisées pour transformer le plomb en or : Sydrac entre alors dans le domaine de la chimie, plus précisément de l’alchimie. Les quatre herbes alchimiques sont décrites avec le même style formulaire que l’herbier, mais elles sont ici nommées – ce qui ne facilite pas forcément l’identification car il s’agit de noms résolument exotiques, sans doute des hapax, même si le premier fait explicitement référence à l’astrologie : strologie, essmed, ariton, tractis. Ces articles alchimiques annoncent le style formulaire de l’herbier, par exemple : Une herbe haute d’une paume de terre ou de moins, foilles petites fendues en .iij. pars, flor blanche, semence vermeille reonde, racine sotile longue : ele a non strologie et se trueve en montaigne pres d’aigue (1064a). Les herbes sont liées à la magie dès le récit-cadre du texte, lien qui se consolide avec l’alchimie et se scelle avec l’herbier. Ce savoir ésotérique est évoqué sans être vraiment livré : tantôt les noms des herbes ne permettent pas leur identification (alchimie), tantôt elles ne sont pas nommées (herbier). Cette impossibilité d’identification se trouve également dans le lapidaire : certains noms de pierres sont des hapax28, et le clerc semble s’amuser à créer des gemmes de toute pièce. À bien y regarder, le réceptaire ne propose pas non plus une transmission du savoir : les listes d’ingrédients comportent parfois des termes rares, connus seulement du monde médical, et les proportions ne sont pas précisées – il s’agit davantage d’un aide-mémoire que d’un ouvrage de vulgarisation : il faut déjà connaître la formule pour pouvoir utiliser le texte. Les encyclopédies du xiiie siècle29 illustrent bien, par leur
27 Lancelot, roman en prose du xiiie siècle, éd. A. Micha, Genève, Droz, 1978-1983, 9 tomes, tome I, chap. 6. 28 Il s’agit des pierres suivantes : dyane ; sorige ; crasmif ; vermidor ; reflambine ; cocrice ; voir mon analyse dans Les pierres du Moyen Âge : Anthologie des lapidaires médiévaux, Paris, Les Belles Lettres, 2016, p. 36-39. 29 B. Beyer de Ryke, « Le miroir du monde : un parcours dans l’encyclopédisme médiéval », Revue belge de philologie et d’histoire, 81/4, 2003, p. 1243-1275. Voir également l’ouvrage suivant : Cl. Thomasset (éd.), L’Écriture du texte scientifique au Moyen Âge. Des origines de la langue française au xviiie siècle, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006 (Cultures et civilisations médiévales 53).
Fo r m u l e s e t s t y l e fo r m u l ai r e dans Le Li v re de Sydrac
titre, cette tension entre montrer et cacher le savoir. L’Image du Monde de Gossuin de Metz ou le Speculum Maius de Vincent de Beauvais utilisent la métaphore du miroir : les connaissances sont données à voir au lecteur. A contrario Le Secretum Secretorum (Lettre d’Aristote à Alexandre) insiste sur un savoir jalousement gardé, réservé ici aux dirigeants. Ainsi, contrairement à ce que laisse entendre son autre titre Le Livre de la fontaine de toutes sciences, Le Livre de Sydrac ne propose pas une vulgarisation immédiate et aisée de tous les savoirs. Écrits par des clercs pour des clercs, ces Livres de clergie cultivent parfois l’entre-soi et mettent en lumière les figures du savoir, comme les Auctoritates ou le sage Sydrac dans notre encyclopédie. Par conséquent, la figure de l’auteur comme celui qui détient le savoir est omniprésente, même dans les ouvrages anonymes. Des sources réelles ou fictives ?
Le Livre de Sydrac met en scène sa propre genèse dans le récit-cadre, en parallèle du déroulement du savoir, comme le précise l’éditeur du texte, Ernstpeter Ruhe : ce sont deux histoires qui nous sont racontées : d’une part, celle du long voyage que le Livre a accompli à travers siècles et pays, depuis l’époque pré-chrétienne de sa rédaction jusqu’en l’an de grâce 1243 ; et d’autre part celle qui raconte comment Sydrac convertit le roi Boctus, l’amena à croire en Dieu et en la Trinité, et comment il répondit avec patience à ses nombreuses questions – échange que le roi reconnaissant fit ensuite consigner pour l’éternité dans le Livre de la fontaine de toutes sciences30. En situant sa source dans l’Ailleurs et l’Autrefois, l’auteur du Livre de Sydrac convoque implicitement les Auctoritates et légitime de facto son texte : ce sont aussi des conditions idéales pour légitimer de façon optimale ce qui est raconté, du moins lorsqu’on sait les utiliser avec autant d’habileté que l’auteur anonyme : il fabrique du neuf avec des choses familières en mobilisant, à l’arrière-plan de son récit, des intertextes narratifs que son époque tient pour majeurs et qui n’ont besoin d’aucune légitimation supplémentaire31. Ses sources, tant en langue latine que romane, sont multiples32 ; elles s’agglomèrent en un patchwork de connaissances glanées çà et là. Il n’existe pas de version latine du Livre de Sydrac : cette encyclopédie aurait été rédigée directement en langue romane,
30 E. Ruhe, « La légitimation du savoir : le dialogue encyclopédique Le livre de Sydrac », in A. Zucker (éd.) Encyclopédire. Formes de l’ambition encyclopédique dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2013 (Collection d’études médiévales de Nice 14), p. 415-427, en particulier p. 416. 31 Idem, p. 417. 32 Selon Ch.-V. Langlois, ce clerc occidental aurait vécu dans l’Orient latin et rédigé son œuvre à la fin du xiie siècle ou au début du xiiie siècle ; il aurait eu à sa disposition une bibliothèque ecclésiastique en latin. La vie en France au Moyen Âge, de la fin du xiie siècle au milieu du xive siècle t. III : la connaissance de la nature et du monde d’après les écrits français à l’usage des laïcs, Paris, 1926-1928, Genève, Slatkine Reprints, 1970, p. 213.
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dans le mouvement de vulgarisation du savoir qui caractérise le xiiie siècle, âge d’or de l’encyclopédie. Toute l’habileté du clerc réside en un réseau de savoirs savants et de fables saugrenues, si finement tissé que le scientifique et le merveilleux s’entremêlent. C’est à la faveur de cette confusion que le clerc peut glisser quelques questions/ réponses inédites, camouflées dans la profusion du texte et grâce au style formulaire. Par l’utilisation habile des formules, le clerc imite parfaitement toutes les caractéristiques des traités médicinaux consacrés aux plantes. Si le dessein du clerc nous échappe, force est de constater que le réceptaire, et plus encore l’herbier, s’engagent sur la voie de la créativité, même si elle avance masquée. Alors que le savoir scientifique, purement dénotatif, n’admet pas les jeux de langage, le clerc du Livre de Sydrac n’a de cesse de jouer avec la langue et avec son lecteur. Tout se passe comme si le clerc s’efforçait d’user et d’abuser des formules, de façon quasi-hypnotique, pour retenir l’attention du lecteur et camoufler le caractère fantaisiste de certaines notices. En outre, si le texte s’attarde à décrire précisément quelque chose qui, littéralement, ne produit pas de sens, c’est qu’il veut faire signe au lecteur, l’inviter à lire un sens second sous les mots – ce qui rappelle la pratique de l’integumentum, empruntée à l’exégèse biblique, et dont les clercs sont familiers. Pour conclure, la formule comme curseur générique permet de décrire l’évolution des textes médicaux et littéraires. Le texte médical, avec sa formule pharmaceutique, s’oriente vers la liste, caractérisée par la répétition à l’identique des ingrédients. Le texte littéraire, avec son style formulaire, s’oriente vers la poésie scientifique, où les règles stylistiques permettent paradoxalement à la créativité de se déployer. De la même manière qu’Umberto Eco distingue liste pratique et liste poétique ou littéraire, il est possible de distinguer la recette pratique de la recette littéraire : la première a une utilité avant tout pratique, avec pour but de soigner une maladie ; la seconde a également une utilité, mais d’ordre esthétique33. Le texte encyclopédique n’est plus seulement au service de la transmission des savoirs, mais devient un laboratoire d’écriture où le clerc s’exerce à différents genres.
Bibliographie Sources primaires J. Barbaud, « Les formulaires médicaux du Moyen-âge : Médecines savantes et médecines populaires », Revue d’histoire de la pharmacie, 76/277 (1988), p. 138-153. Ch. Connochie-Bourgne, « Images de la terre dans les Livres de clergie du xiiie siècle. Image du monde, Livre du Trésor, Livre de Sydrach, Placides et Timeo », La Géographie au Moyen Âge. Espaces pensés, espaces vécus, espaces rêvés, Paris, SLLMOO, 1998 (Perspectives médiévales 24), p. 67-79. —, « La Tour de Boctus le bon roi dans Le livre de Sydrach », Furent les merveilles pruvees et les aventures truvees. Hommage à Francis Dubost, Paris Champion, 2005, p. 163-176.
33 Voir l’ouvrage d’U. Eco, Vertige de la liste, Paris, Flammarion, 2009, p. 113.
Fo r m u l e s e t s t y l e fo r m u l ai r e dans Le Li v re de Sydrac
P. Dorveaux, Proposito Niccolo. L’antidotaire Nicolas. Deux traductions françaises de l’Antidotarium Nicolai. L’une du xive siècle suivie de quelques recettes de la même époque et d’un glossaire. L’autre du xve siècle incomplète. Publiées d’après les manuscrits français 25327 et 14827 de la Bibliothèque nationale, Paris, H. Welter, 1896. Le Grant Herbier en françois, Paris, Pierre Le Caron, circa 1498, Aix-en-Provence, Bibliothèque Méjanes, Inc. Q. 96. E. Ruhe, « La légitimation du savoir : le dialogue encyclopédique Le livre de Sydrac », in A. Zucker (éd.) Encyclopédire. Formes de l’ambition encyclopédique dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2013(Collection d’études médiévales de Nice 14), p. 415427. —, « Les livres de Sydrac. L’évolution d’un dialogue encyclopédique », Romania, 129 (2011), p. 321-339. —, Sydrac le philosophe, Le livre de la fontaine de toutes sciences, Wiesbaden, Reichert (Wissensliteratur im Mittelalter 34), 2000. Sources secondaires B. Beyer de Ryke, « Le miroir du monde : un parcours dans l’encyclopédisme médiéval », Revue belge de philologie et d’histoire, 81/4 (2003), p. 1243-1275, en particulier p. 1259. B. Beyer de Ryke, « Le miroir du monde : un parcours dans l’encyclopédisme médiéval », Revue belge de philologie et d’histoire, 81/4, 2003, p. 1243-1275. E. Bozoky, Charmes et formules apotropaïques, Turnhout, Brepols, 2003 (Typologie des sources du Moyen Âge occidental 86). B. Delaurenti, « La pratique incantatoire à l’époque scolastique. Charmes et formules des réceptaires médicaux en latin et en langues romanes (xiiie-xve siècle) », in I. Draelants et Chr. Balouzat-Loubet, La formule au Moyen Âge II, Turnhout, Brepols, 2015, p. 473-494. A. Delboulle, « Mots obscurs et rares de l’ancienne langue française (suite) », Romania, 33 : 132, 1904, p. 556-600. S. Delmas, « Les formules rédactionnelles dans les quodlibets des maîtres en théologie de l’Université de Paris au xiiie siècle », in I. Draelants et Chr. Balouzat-Loubet, La formule au Moyen Âge II, Turnhout, Brepols, 2015, p. 352-362. C. Foscallo, « Pain et vin et char et poissons : listes alimentaires et écriture formulaire dans les fabliaux », in É. Louviot (éd.) La formule au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2012, p. 63-76. V. Gontero-Lauze, Les pierres du Moyen Âge : Anthologie des lapidaires médiévaux, Paris, Les Belles Lettres, 2016. T. Hunt, Popular medicine in Thirteen-Century England, Cambridge, Brewer, 1990. A. Krieg-Planque, La notion de formule en analyse du discours : cadre théorique et méthodologique, Besançon, PUFC, 2009. Ch.-V. Langlois, La vie en France au Moyen Âge, de la fin du xiie siècle au milieu du xive siècle t. III : la connaissance de la nature et du monde d’après les écrits français à l’usage des laïcs, Paris, 1926-1928, Genève, Slatkine Reprints, 1970. Br. Laurioux, « Cuisine et médecine au Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales, 13 spécial (2006), 223-238.
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Bl. Longhi, « Li plus hardiz est couarz devenuz : les formules mentionnant la peur, indices de l’évolution des chansons de geste ? », in É. Louviot (éd.) La formule au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2012, p. 29-44. Cl. Thomasset (éd.), L’Écriture du texte scientifique au Moyen Âge. Des origines de la langue française au xviiie siècle, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006 (Cultures et civilisations médiévales 53). Cl. de Tovar, « Contamination, interférences et tentatives de systématisation dans la tradition manuscrite des réceptaires médicaux français : le réceptaire de Jean Sauvage », Revue d’histoire des textes, 3/1973 (1974), p. 239-288. Lancelot, roman en prose du xiiie siècle, éd. A. Micha, Genève, Droz, 1978-1983, 9 tomes. P. Zumthor, Merlin le Prophète : un thème de la littérature polémique de l’historiographie et des romans, Paris, Payot, 1943, Genève, Slatkine Reprints, 2002. —, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972.
Véronique Soreau
Medicinal Formulas and the Art of Healing The Power of Words A Study of Middle English Extracts from Medical Recipes of MSS O. 1. 13, R. 14. 32 and R. 14. 51
Dans la sphère des écrits scientifiques et médicaux du Moyen Âge, les recettes médicinales appartiennent à une ancienne tradition populaire et continue. Les recettes médicinales et charmes, dont la fonction était utilitaire, entraient dans les foyers aux revenus aisés et ont participé à l’accélération de l’alphabétisation. Un public de simples lettrés curieux de culture et soucieux d’améliorer leur santé consultait et suivait les formules indiquées dans les recettes médicinales. Parmi vingt-cinq catégories de textes scientifiques recensés par Linda Voigts et Patricia Deery Kurtz, les recettes occupent la place la plus considérable. Résultantes d’une infinie variété de traductions mais aussi de compositions originales en anglais vernaculaire, les recettes médicinales étaient, au Moyen Âge, principalement reléguées à un usage pratique, ce qui leur a valu d’être méprisées par la communauté scientifique du vingtième siècle. Nous souhaitons réhabiliter ces réceptaires remarquables de l’Angleterre médiévale à travers trois manuscrits en moyen anglais, O. 1. 13, R. 14. 32 et R. 14. 51, conservés à Trinity College Library, à Cambridge. Au sein de ces textes se remarque une rhétorique commune empreinte de slogans, de prières ou formules magiques typiques de la médecine, un des sept arts enseignés dans les universités mais non-réservé uniquement aux hautes sphères de la société. T
Spoken and written formulas played a major role in the diffusion of knowledge in the Middle Ages, particularly as regards medical knowledge. The word formula is etymologically derived from the Latin word, which is the diminutive of forma, Véronique Soreau • Université de Poitiers La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 237-263 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124031
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v é ro n i q ue s o r e au
Middle English forme. The latter, according to the Middle English Dictionary, can refer to “[t]he correct or appropriate way of doing something: established process or procedure; customary or traditional usage; prescribed ritual; formal etiquette” (sense 8a). This general meaning gives by extension a more specific and medical sense: “Formula for preparation of a drug, prescription” (sense 10).1 Books of remedies, also called receptaries, were compiled for the use of the practitioner, but also for household private use. They were utilitarian manuals, providing directions for use in order to cure specific diseases. Such texts were easily recognizable by the presence of characteristic words and formulas such as prayers, incantations and catchphrases. These books reveal an ancestral knowledge that rests principally on the transmission of words. They are the result of translations and adaptations of ancient Greek, Latin, and Arabic medical reference texts. Practical and empirical knowledge coexisted in medieval medical sources. Manuscripts in Middle English are the testimonies of this meeting between scholastic sources and popular knowledge of the art of healing. Thousands of Middle English scientific and medical texts from the fourteenth and the fifteenth centuries are extant. They have been identified by Linda Voigts and Patricia Kurtz in their search program, which is an essential tool for scholars.2 Amongst the diverse scientific and medical texts that the two researchers have listed, Linda Voigts has noticed the predominant place of medical recipes.3 However, for a long time, such texts have received relatively little critical attention.4 The aim of this paper is to contribute to a renewal of interest in this body of texts, in the footsetps of Päivi Pahta, Irma Taavitsainen and Tony Hunt, among others.5
1 “Forme”, in Middle English Dictionary, ed. by R. E. Lewis et al., Ann Arbor, University of Michigan Press, 1952-2001, Online edition in Middle English Compendium, ed. by Fr. McSparran et al., Ann Arbor, University of Michigan Library, 2000-2018, available at https://quod.lib.umich.edu/m/middle-english-dictionary/ dictionary (accessed 20 November 2018). 2 Voigts-Kurtz Search Program: eVK2, Kansas City: University of Missouri, 2019), an expanded and revised version of L. Ehrsam Voigts and P. Deery Kurtz, Scientific and Medical Writings in Old and Middle English: An Electronic Reference, CD-Rom, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2000, available at https://cctr1.umkc.edu/search (accessed 15 October 2016). 3 Linda Voigts counts “over 2500 recipes” in Middle English and “approximately 7700 witnesses to [scientific and medical] texts, of which two hundred are Old English and the rest Middle English”. See L. Voigts, ‘Multitudes of Middle English Medical Manuscripts, or the Englishing of Science and Medicine’, in Manuscript sources of medieval medicine, A book of essays, ed. by M. R. Schleisser, Garland Reference Library of the Humanities, 1576, New York and London, Garland, 1995, (Garland Medieval Casebook, 8), p. 183-195. 4 Several editions and studies of medical recipes were published in the first part of the twentieth century, paving the way for a growing interest later on (see next note): Agnus Castus, A Middle English Herbal, ed. by G. Brodin, Uppsala, Uppsala University, 1950; A Leechbook or collection of medical recipes of the fifteenth century, ed. by W. R. Dawson, London, 1934; The Liber de diversis medicinis in the Thornton manuscript, ed. by M. S. Ogden, London, Early English Text Society, 1938; H. E. Sigerist, Studien und Text zur frühmittelalterlichen Rezeptliteratur, Leipzig, Ambrosius Barth, 1923, p. 168-170. 5 See in particular Medical and scientific writing in late medival English, ed. by P. Pahta and I. Taavitsainen, Cambridge, Cambridge University Press, 2004; An Anglo-Norman Medical Compendium, Cambridge, Trinity College MS O.2.5 (1109), ed. by T. Hunt, Oxford, Anglo-Norman Text Society, 2014; T. Hunt,
M e d i c i n al Fo r m u l as and t he Art o f H e ali ng
I illustrate this article by analysing the power of words and formulas in a selection of Middle English medical recipes from Cambridge Trinity College manuscripts O. 1. 13, R. 14. 32, and R. 14. 51.6
The manuscripts Manuscript O. 1. 13 is classified by James under the term “Medica”.7 It is a compilation of different books dated by James to the fifteenth and the seventeenth centuries. Two main themes are developed in the texts: plants and their virtues used in medical recipes, and the stars and their influence on human well-being. Recipes represent a major part of the manuscript (ff. 45-83). They are dated to the fifteenth century by James. Manuscript R. 14. 32 is also entitled “Medica”, and is dated to the fifteenth century by James. It is composed of various treatises: treatises on urine, on pestilence, medical recipes and texts about the distillation of plants, poems on the virtues on plants. Manuscript R. 14. 51 is defined as “Varia” by James. It is composed of a book of medical recipes, in prose and verse, a treatise on horse medicine, a book on philosophy and astronomy, and some ballads. These texts were also dated to the fifteenth century by James.
The medieval medical recipe The Middle English word recepte or receit is defined in the Middle English Dictionary as “a medical recipe, prescription of ingredients for a medical preparation”.8 Studying receptaries has led me to point out that the main characteristic of this special genre of scientific texts is the presence of formulas. Indeed, remedy books contain both the theories of ancient medicine and incantatory formulas, linked to popular beliefs. They were designed as utilitarian texts, and contained instructions for the cure of specific diseases, and they generally conformed to a standard structure.9
Popular medicine in thirteenth century England: Introduction and texts, Cambridge, Boydell and Brewer, 1990. 6 I warmly acknowledge the Master and Fellows of Trinity College Library, Cambridge for allowing me to use the photos of the manuscripts. I also would like to thank Mr Sandy Paul at the Wren Library for his professional help. These texts are edited in my PhD dissertation, accompanied with commentaries and glossaries: V. Soreau, ‘La médecine par les plantes et les étoiles entre le quinzième et le seizième siècle en Angleterre. Édition inédite d’une sélection de textes en moyen-anglais de quatre manuscrits situés à Trinity College Library, Cambridge: MSS O. 1. 13, O. 5. 26, R. 14. 32, R. 14. 51, et commentaires’ (unpublished doctoral thesis, University of Poitiers, 2018). 7 See M. Rh. James, The Western Manuscripts in the Library of Trinity College, Cambridge: A Descriptive Catalogue, Volume III-IV, containing an account of the manuscripts standing in Class O, Cambridge, Cambridge University Press, 1902. See also M. Rh. James, List of Manuscripts Formerly Owned by Dr John Dee: With Preface and Identifications, Oxford, Oxford University Press for the Bibliographical Society, 1921. 8 See “recepte” (sense 1d) and “receite” (sense 4), Middle English Dictionary (accessed 29 August 2018). 9 See the classification done by J. Stannard, ‘Botanical Data and Late Mediaeval “Rezeptiliteratur”’, in Herbs and Herbalism in the Middle Ages and Renaissance, Aldershot, Ashgate, 1999, p. 371-395; see also Sigerist, Studien und Text zur frühmittelalterlichen Rezeptliteratur, p. 168-170.
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They are the result of an important movement of standardisation and codification of medical texts in prose and verse, that occurred at the end of the eleventh century in Europe at the school of Salerno, the main center for the apprenticeship of medicine where scientific texts were produced and translated.10 These receptaries enjoyed a great success in their time and still did for some centuries after, both in medieval England and on the continent. Many such manuscripts were anonymous, but not all of them. Thus, the Thesaurum Pauperum, used as a reference book until the seventeenth century, is attributed to Petrus Hispanus.11 Another remedy book, De curis mulierum is attributed to the healer named Trota of Salerno. It is one of the most important medieval treatises on women’s medicine, which is part of a group of three texts on gynaecology and cosmetics referred to as Trotula.12 Other authors distinguished themselves with books dedicated to medicine, like Gilbertus Anglicus and his Compendium Medicinae. Written around 1240, it also contained a section gathering medical recipes which was often studied and translated in the fifteenth century.13 Another major source of medieval medicine is the compilation of John of Gaddesden: Rosa medicinae or Rosa anglica medicinae, published in 1314.14 This reference book was written in Latin, and even if the author mostly based his observations on Galen and Avicenna’s works, many texts include charms and incantations. Henry Daniel was another talented English author whose aim was to make medical knowledge more accessible.15 He translated and commented two main books about plants and their virtues. His Aaron Danielis is kept in a unique manuscript at the Bodleian Library (Oxford, Bodleian Library, Digby 29) and his 10 See E. De Divitiis, P. Cappabianca and O. De Divitiis, ‘The “Schola Medica Salernitana”: The Forerunner of the Modern University Medical Schools’, Neurosurgery, 55/4 (2004), p. 722-745. 11 Written in Latin and published in 1247, this compilation of medical recipes was translated into many languages, such as Italian, Spanish, English, Portuguese and Hebrew. It was attributed to Petrus Hispanus (Pope John XXI c. 1220-1277). See Il « Thesaurus Pauperum » Pisano: Edizione critica, commento linguistico e glossario, ed. by G. Zarra, Berlin and Boston, De Gruyter, 2018. 12 See The Trotula. A Medieval Compendium of Women’s Medicine, ed. and trans. by M. H. Green, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2011. 13 Gilbertus Anglicus, one of the most celebrated physicians of his time, wanted to compile medieval medical knowledge in this major masterpiece. Published around 1250, it remained a reference book for scholars until the seventeenth century. See Healing and Society in Medieval England: A Middle English Translation of Pharmaceutical writings of Gilbertus Anglicus, ed. and trans. by F. Getz, Wisconsin, The University of Wisconsin Press, 1991. 14 Written between 1304 et 1317, Rosa Anglica was, according to its author, comparable to the most beautiful flower, the rose. See H. P. Cholmeley, John of Gaddesden and the Rosa Medicinae, Oxford, Clarendon Press, 1912. See also J. Pearn, ‘Two Medieval Doctors: Gilbertus Anglicus (c. 1180-c. 1250) and John of Gaddesden (1280-1361)’, Journal of Medical Biography, 21/1 (2013), p. 3-7. 15 Henry Daniel (c. 1315-1320; † after 1385) studied medicine for seven years, he became a specialist of natural sciences and a Dominican friar. He translated many Latin medical treatises, a great herbal, a short book on the culture of rosemary. He wrote two main books based on medical sources in Latin, from the Antiquity: Liber Uricrisiarum, and Aaron Danielis. They are the earliest known Middle English treatises on uroscopy and botany. See Liber Uricrisiarum: A Reading Edition, ed. by E. R. Harvey, M. T. Tavormina and S. Star, Toronto, Toronto University Press, 2020. See also J. H. Harvey, ‘Henry Daniel: A Scientific Gardener of the Fourteenth Century’, Garden History, 15/2 (1987), p. 81-93; G. R. Keiser, ‘Through a Fourteenth-Century Gardener’s Eyes: Henry Daniel’s Herbal’, The Chaucer Review, 3/1 (1996), p. 58-75.
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treatise on rosemary, also called Book of Hainault, is a remarkable text whose longest version subsists in the manuscript O.1.13 (ff. 77r-81r). I will share my observations on an extract of this treatise, based on my edition of the whole text.16 Medieval English medicine was largely influenced both by the main ancient medical authorities such as Galen and Hippocrates, and by intertwined popular and religious traditions. Through the analysis of different textual formulas employed in medical recipes taken from manuscripts O. 1. 13, R. 14. 32, and R. 14. 51, I will first attempt to define the ways in which the literature of receptaries was codified, in order to show that their healing power relied not only on their format and rhetoric, but also on the formulas and references they quote. Then, I will show that the healing process was centered on the natural power of plants coupled with literary devices, before analysing the therapeutic properties of a plant considered as a panacea, betony, whose virtues are celebrated in a medical poem. The last section of this paper is concerned with the religious formulas in charms, which were believed to participate in the activation of the healing process.
The power of formulas in medical recipes: structure and rhetoric Form and structure of a recipe
The texts contained in recipes are usually short, their form is simple, and their structure rarely varies.17 This regularity was studied by Jerry Stannard who distinguished six main parts borrowed from Greek medicine: rubric, indication, composition, preparation, application, and efficacy.18 The rubric can be linked to the type of remedy, to the creator of the recipe, or to a famous patient or practitioner, and even to its effect, or to the organ it is devoted to. The indication establishes the disease that it can cure. The composition lists the different ingredients and the proportion or the appropriate quantity. The preparation gives instructions to make the medicine, and the application explains how the drug should be administered. The efficacy consists in guaranteeing the effectiveness of the recipe. Here is an example of the codified structure of a recipe (see Fig. 6): Ffor þe hevede ache: [Rubric /Indication] Take and seth verveyne and of betoyne and of wormode. [Composition] And þerwith, wasche þe sekes heuede, and þan make a plastre aboue on þe molde on þis maner. Take þe same herbys when þei ben soden, and wrynge hem, and grynde hem smal in a mortier. And temper hem with þe same licour agayne. And do þat to whete branne for to holde in þe lycour, and make a garlande of a keverchere. [Preparation]
16 See Soreau, ‘La médecine par les plantes et les étoiles’, p. 389-392. 17 In this section, I will base my remarks essentially on examples taken from the medical recipes of manuscript O.1.13. 18 Stannard, ‘Botanical Data and Late Mediaeval “Rezeptiliteratur”’.
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Figure 6: Ffor the hevede ache, Middle English medical recipe against the headache. MS O.1.13, Folio 46r, Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century) Facsimile. © Trinity College, Cambridge.
And bynde þe sekes heude þerwith. And lay þe playster vpon þe moolde withinne þe garland as hoot as þe seke may suffre it. And bynde þe hevyd with a volypere, and sette a cappe above. [Application] And do þis but þre tymes, and þe seek schall be hoole on warentyse. [Efficacy] [MS O. 1. 13, f. 45v] The remedies are composed of recurring formulas, and of chronological sequences that enable the practitioner to easily follow the preparation process and the administration of the medicine. The presence of temporal adverbs such as: þan, after, afterwarde, reinforces the linear structure, which is a common characteristic of the medical recipes contained in book remedies or treatises. Here is an example: Her is þe makynge of a plaster þat men callen ottattrorium. Tak þi galabanum […] and brysse hem a lytel in a mortier and after warde stampe hem […] and do it þer to, and þanne melte þi wax, and do þer to, and þan þi colofoyne and þan þi cerpentyn, and þan þi mastyke […] [MS O. 1. 13, f. 56r] Recurring terms and verbal forms
The verbs linked to the remedy’s preparation appear nearly exclusively in the imperative form, as they represent the instructions to make the remedy. Throughout the recipes of manuscript O. 1. 13, the recurrence of the same verbs in the imperative
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form appears as a striking linguistic element: bete, boyle, bray, brenne, bynd, chew, cast away, cut, do, drawe, dry, drynke, dyce, ete, frye, gader, grynde, hele, kepe, lay, let, make, medle, melt, put, sethe, stampe, streyne, take, temper. [MS O.1.13, ff. 45r-83r]. Some of the recipes are designed for the practitioner and the patient. Indeed, the use of the second person pronoun þu suggests that a possibility of self-medication existed. It appears twice in this example: Ffor wormys in þe wombe Take nepte and stamp it, and temper it with whyte wyn, and drynke it when þu felyst þe wormys greven the. And þu schalt be hoole. [MS O. 1. 13, f. 47r] This brings the patient forward as the only actor who uses the remedy for his own recovery. On the contrary, the use of the third person pronoun, which is also a recurring linguistic feature of the recipes, downgrades the agency of the patient. He appears as an object on which the practitioner acts with the help of the remedy. The recipes are then clearly addressed to the physician. The patient is then referred to as þe seeke or he: And late þe seeke vse it in hys potage a sponful at onys, and he schal be hoole. Gyfe þe seeke to drynke, gyfe þe seeke to ete. [MS O. 1. 13, f. 47v] Formulas of efficacy
Such formulas are optional, but often present at the end of recipes. They are made up of short expressions, quotations or idiomatic formulas, in a vernacular language or in Latin. Typical examples include the following, found in different recipes from MS O. 1. 13: and he schal be hoole [f. 52r], and he schal be hoole sekyrly [f. 51v], and þe seeke schall be hoole on warentyse [f. 46r], and þis wyl aswage swellynge and cesse akynge [f. 49r], and it schall aswage þe swellynge and drawe out þe venym [f. 51v], and it is good for all man sores [f. 58v], for it is good for all mane sores both olde and new and it is called þe grace of God [f. 58r], þis oynement is good for scabbes and for bucomes and for many oþer thynges [f. 52r]. In The makynge of waters of Saynte Gyles (manuscript R. 14. 32), the universal virtues of nine waters are described.19 The use of superlatives, adjectives and adverbs glorifying the power of the remedies is particularly noticeable in the text: for this water hath many vertues. / Ffor after the dome and the discrecyon of philisopheres, this is the best medicine that is in the wordle for this euyll /
19 These mysterious waters, obtained after the distillation of different plants, correspond to nine remedies that could cure diverse diseases. The name of St Gyles could correspond to Aegidius (c. 640 - c. 720), the wandering monk who lived and was sanctified in Saint-Gilles in the south of France. He was very much celebrated during the Middle Ages as the protector of the disabled and the beggars, in particular. For more information, see Soreau, ‘La médecine par les plantes et les étoiles’, p. 429-436.
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distroyeth all manner scabbe of whate mater that euer they seme to be. / Ffor in this precyous watir conteyneth many uertues / Ffor there is no sore [in] eyen in the wordle and they be curable be ony medycyne, but that this water schall hele hem. / distroyeth all manner colde dropsies / Is gode for to distroye many infirmytees withinn a mannys body / distroyeth all manner of palsie so that the palsye be not deed. And it comforte[t]h the senowes above all medicines / This water hath many uertues, for it will hele a man / restoryth the kynde of man. / will hele all manere palsye in iij. dayes. / a precyous water and a gode, and is made in this manere and for dyuerse sorys it is gode / And that is a precyouse water and it hath many uertues / A gode water and a precyous and it will do many maystryes / lete him drynke fastynge of this water and he schall haue gode talent / Also this water drunken with sugre and cynamoun is gode and precious / he schall be hole / pourgeth wykkyd humours. / schall lengthe his lyfe ix. days / he schal be perfytly heled and cured. /And this water heleth all manere infirmytees/ werketh mervously in dyuerse infirmytees. [MS R. 14. 32, ff. 96r-98v] Formulas written in Latin seem to be used as a seal of approval that ends the recipe. The use of such a scholarly language marked the seriousness of the content of the text and guaranteed the success of the remedy. However, the formulas were constituted of simple, well-known, accessible and understandable words such as sanantur, probatum, probatum est, optime est probatum, et sic fac deunde sanentour [MS O. 1. 13, f. 53r and f. 60r]. The presence of both Middle English and Latin languages was also a common feature of medical recipes, which may reveal the translation or adaptation of ancient texts. Here is a typical example of this feature at the end of a recipe for the healing of the eyes: A precyous water for eyn that loke fayre and clere, and be blynde. […] This water is gode for all maner vyces of the eyn, and it will make a man to se ryght wele withinne ix. dayes. Probatum est. [MS R. 14. 32, f. 93v] Another striking example of the use of vernacular and Latin languages in the same manuscript appears in A tretys of diverse herbis.20 The version found in this manuscript is composed of 623 lines forming an alphabetical treatise, from “A” (“Aristoloche”)
20 According to George Keiser, the verse text is a hybrid form of the translation into Middle English by Thornton in 1450 of the original Macer Floridus Latin text, and of another prose translation. G. R. Keiser, ‘Reconstructing Robert Thornton’s Herbal’, Medium Aevum, 65/1 (1996), p. 35-53. Nineteen Middle English versions of this text have been identified: The DIMEV: An Open-Access, Digital Edition of the Index of Middle English Verse, Based on the Index of Middle English Verse (1943) and its Supplement (1965), ed. by Linne R. Mooney et al., DIMEV 4171, available at http://www.dimev.net (accessed 20 September 2016).
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to “R” (“Rosemary”), and describing the virtues of 18 herbs, including recipes.21 The probable origin of this text is the Latin poem De viribus herbarum, attributed to the school of Salerno and to Macer Floridus.22 These be the vertues of Rosmary, As we haue of olde techers and leches trewly, Of Saryseynys, of Jues, of Englysch bokes worthy Wele preuyd and jugyd, sothe and justly. Fflores eius manduca per iij. dies et illo anno noli me tangere. Nec lepram, nec alia apostomata habebis.23 [MS R. 14. 32, f. 148r] Here, medical authorities are not specified, but they are alluded to through references to scholastic medicine and knowledgeable people. Both are associated to guarantee the efficacy of the remedy. The choice of the abundance of adjectives belonging to the lexical field of authenticity (underlined in the text) is another way of formulating the reliability of the virtues of rosemary. Moreover, the Latin formula closing this introduction to the virtues of rosemary is composed of two lines taken from the original text attributed to Macer. Another means of proving the efficiency of a recipe is the quotation, either at the beginning or at the end of the text, of the names of the highest medical authorities and other famous contemporary persons from the nobility. Here are two examples where Hippocrates, Galen and Socrates are made responsible for the success of the remedies. This poem from manuscript O. 1. 13, placed as an introduction to the medical recipes, refers to the three wise men. The mention of the illustrious medical figures inscribes the recipes in the most serious context, as they are referred to as the founders of medicine. They appear as supreme authorities of the recipes that follow this introduction (see Fig. 7). Thus sayth Ipocras the good surgeene And Socrates and Galyen, That waren philosophers all thre, Þat tyme þe best in any contre. In þis worlde ware noon here pere,
21 Manuscript R. 14. 32 (f. 134v to 148r), edited in Soreau, ‘La médecine par les plantes et les étoiles’, p. 488-517. 22 This 2200 hexameter poem, composed in the last quarter of the eleventh century, describes seventy-seven plants and their virtues. Macer Floridus, presumably an alias for Odo Magdunensis (1065-?), was a contemporary of the School of Salerno. His attributed poem De viribus herbarum, is dated to the eleventh century. It presents around 80 kinds of plants and is based on the writings of Pliny the Elder, Dioscorides, Galien and Strabo. See A Middle English translation of Macer Floridus ‘De Viribus Herbarum’, ed. by G. Frisk, Uppsala, Almqvist and Wiksell, 1949 (Essays and Studies on English Language and Literature, 6). 23 “Chew the flowers during three days, and the rest of the year don’t touch them. You won’t have leprosy, or any other disease” (unless specified otherwise, all translations are my own).
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Figure 7: What man þat wil on leche crafte lere on leche craft lere […]: verse introduction to Middle English medical recipes. MS O.1.13, f. 45v, Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century). Facsimile. © Trinity College, Cambridge.
Also farre as any man covde here, And praktyȝede medicynes þrowȝh Goddes grace To save mennys lyuys in diuerse place. Cryste þat made bothe est and weste, Leu grace her sowles haue good reste.24 Ther in are medicynes withoute fable, To hele all sorys þat ar curable Euer more in joye for to be In hevyn with þe holy trinite. Amen. [MS O. 1. 13, f. 46r]
24 The form leu or leue comes from the Middle English verb leven. In this context: to be sure, to truly believe. See ‘Leven (v. 4)’, in Middle English Dictionary (accessed 28 November 2018). For this verse, I suggest the translation “Be assured that grace give their souls peace and rest”.
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Winning the reader’s and user’s confidence was essential for such skillfully versified texts dealing with the restoration of health. This poem is a promise of the remedy’s effectiveness where the highest figures of medicine are celebrated. However, God being the supreme healer, the reader is reminded that Hippocrates, Socrates and Galen are practising their art on God’s behalf. Other mentions of ancient physicians appear, this time placed at the end of the recipe. Thus, in this example, Hippocrates is quoted as a way to justify the scribe’s or the author’s speech. And if men drynke it, it is goode for all maner vices of þe stoon þat is noreshede of cooled humores. Ȝif a man drynke it xv days firste and last, and to all thynges beres witnesse the good phylosophre Ypocras. [MS O. 1. 13, f. 57r] He is an unquestionable figure of the healing power of the remedy. Therefore, the patient should be reassured in his use of the medicine, whose quality is guaranteed. The efficiency of a recipe was also guaranteed by its users and initiators. Indeed, famous aristocrats were often quoted. Their names can appear in the incipit of a recipe and even in the title, as they also give their names to the recipe. The translation of the Lytil boke of þe vertuys of rosemaryne by Henry Daniel in manuscript O. 1. 13 was ordered by the Countess of Hainaut, Jeanne de Valois, and intended for her daughter Philippa of Hainaut.25 Both characters are presented from the beginning of the text (see Fig. 8): Þis is þe lytil boke of þe vertuys of rosemaryne þat þe scole of Salerne gaderyd and compiled at the instance of þe Cowntesse of Henowde […] And sche send to þe poope and rosmaryn þerwith to her doughter Qwene Philyppe of Yngelonde ibowten þe ȝer of oure Lord ccc.xlij., for befor þat tyme as never rosmaryn knowyn in Engelond. […] I, Danyel, haue translatyd into vulgar Ynglysch worde for worde as fond in latyn. [MS O. 1. 13, f. 77r] Other references to illustrious persons such as Lady Beauchamp and the Earl of Hereford can also be found in two different recipes called Gracia Dei:26
25 Jeanne de Valois (c. 1294-1342), Countess of Hainaut, granddaughter of Isabella of Aragon and Phillip III of France, married William III, Count of Holland and Hainaut in 1305. She had eight children, amongst them Philippa of Hainaut (c. 1314-1369) who married king Edward III of England. 26 Lady Beauchamp (1428-1471) was the wife of Thomas Beauchamp or the Duke of Warwick (Thomas Beauchamp was a statesman who distinguished himself in the battles of Crécy in 1346 and Poitiers in 1356). The Duke of Hereford: also known as William Fitzosborne, he was one of the companions of William the Conqueror during the battle of Hastings in 1066; Gracia Dei: according to the Middle English Dictionary, “a salve or plaster for cleaning and healing wounds, ulcers, etc.”, see ‘Gracia dei’, in Middle English Dictionary, sense 1b (accessed 19 August 2017).
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Figure 8: Þis is þe lytil boke of þe vertuys of rosemaryne. Treatise on the virtues of rosemary. MS O.1.13, f. 77r., Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century). Facsimile. © Trinity College, Cambridge.
Her is þe makynge of Gracia Dei. This Gracia Dei used þe Lady Beuchampe, þe erlys wyfe of Warwyke. [MS O. 1. 13, f. 57r] Here is another maner Gracia Dei þat þe good Erle of Hereford used þat was holden a noble surgen. [MS O. 1. 13, f. 58r] The fame of such important characters would obviously bring a certain aura to the recipe, which would sometimes have a wider circulation and thus would be more available. Such is the case for the treatise on rosemary: even if the plant had already been recognised as a panacea and many versions of the text were circulating in medieval Europe, the translation of the text by Henry Daniel contained in MS O.1.13,27 27 Henry Daniel was famous for his translation of the treatise on urines attributed to Isaac Judaeus (see further footnote 15). Israeli Isaac ben Salomon (c. 850-950) also known as Isaac Israeli, or Isaac Judaeus, in Arabic: Ishaq ben Sulayman al-Israili. Born in Egypt, his medical treatises were part of the compulsory readings of students in medicine in Europe, until the sixteenth century. His texts were translated into Latin by Constantine the African, notably his medical treatises on urines (De urinis), on fevers (De febribus), and on nutrition (De dietis universalibus). The popularity of De urinis contributed to the fact that uroscopy became one of the most important medical specialties in the Middle Ages, see D. Jacquart, ‘La place d’Isaac Israeli dans la médecine médiévale’, Vesalius (special number, 1998), p. 19-27. See also: Pl. Prioreschi, A History of Medicine IV: Byzantine and Islamic Medicine, Omaha, Horatius Press, 2001, p. 235.
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and commissioned by the Countess of Hainaut for her daughter Philippa certainly added a special value to the recipe, known as the longest and more detailed version of the treatise.28 In medical texts, many formulas referring to the most prestigious universities also appear. The School of Salerno is particularly prominent. This is how manuscript O. 1. 13’s Lytil boke of þe vertuys of rosemaryn has its opening lines mentioning the famous origin of the compilation: This is þe lytil boke of þe vertuys of rosmaryn þat þe scole of Salerne gaderyd and compiled [MS O. 1. 13, f. 77r]. Additionally, the author of the translation himself is warning the reader of the Latin origin of the text: I Danyel haue translatyd into vulgar Ynglysh worde for worde, as fond in Latyn [MS O. 1. 13, f. 77r]. Mentioning the recipes’ sources was another way to increase their value and to bring out another guarantee of their effectiveness. All these linguistic devices enable the reader to have every confidence in using the medical recipe. The text is no longer anonymous, it is sometimes directly addressed to the patient who can rely on a suitable medicine. References to the highest medical authorities and the mentions of famous initiators reassure the patient on the seriousness of the remedy. Users from the nobility represent another proof of success. They participate in a process of creating a familiarity between the user and the recipe, and they offer a concrete certainty of healing.
Formulas in therapeutic preparations: the natural power of plants The therapeutic properties of plants have reached us through copies of medical texts from Antiquity. As an example, the treatise on medical herbs attributed to Galen, De simplicium medicamentorum temperamentis et facultatibus, was reproduced by learned Arabs, notably at the school of Baghdad in the ninth century.29 Reference books such as De materia medica by Dioscorides, the specialist of natural remedies, and the Canon by Avicenna have influenced medical practices until today.30 In 1978, The World Health Organization published a report to promote traditional medicine and the use of plants: they listed 54 essential species that appear to be part 28 The text on the treatise on rosemary in manuscript O.1.13 has been defined as the unique and longest version by several researchers: Fr. Fery-Hue, ‘Le romarin : un traité manuscrit anonyme à travers l’Europe médiévale’, oral presentation for the conference Voyages en Botanique, Besançon (16-17 June, 2005), available at (accessed 30 July 2020); J. H. Harvey, ‘Mediaeval Plantsmanship in England: The Culture of Rosemary’, Garden History, 1/1 (1972), p. 14-21; G. R. Keiser, ‘Rosemary: Not Just for Remembrance’, in Health and Healing from the Medieval Garden, ed. by P. Dendle and A. Touwaide, Woodbridge, The Boydell Press, 2008, p. 180-202 (p. 183-184). 29 Rhazes, Kitāb al-Ḥāwī, traduction en latin par Faraj ben Salim sous le titre Liber Elhavy ou Continens (Livres I-XXV), 1270-1280. Paris, Bibliothèque nationale, Latin 6912 (1-5), available on Gallica at https://gallica. bnf.fr/ark:/12148/btv1b84522030/f438.image (accessed 31 December 2018). 30 Dioscorides, De Materia Medica by Pedanius Dioscorides, translated by L. Y. Beck, Hidesheim: Olms-Weidmann, 2005; Avicenna, The Canon of Medecine, ed. by L. Bakhtiar, Chicago, Kazi Publications, 1999-2014.
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of Dioscorides’ recommended plants, considered necessary to maintain a perfect health.31 Copies and translations were continuously produced in medieval Europe. The most striking formulaic feature of medical recipes, in connection with the use of plants, concerns the units of measure. They are mentioned in the posology, so that the plants, which are the main elements of remedies, can reveal their virtues in the treatment of diseases. These formulas appear in the heart of the text, they reveal its utilitarian aspect and convey an impression of accuracy. The use of common words formed by the suffix –ful referring to a body part or to a tool used in daily life shows the practical character of such medical texts. The most common words are handful, sponful, sawcerful, cupful: a grete handful of betoyne [f. 48r], lete þe seeke use it in hys potage a sponful at onys [f. 47v], take a sawcerful of the ius of hony [f. 48r], gyfe þe seeke to drynke þerof a lytil cupful at onys [f. 47v] [MS O. 1. 13] More specific units of measure also regularly appear in the recipes. The following terms are especially common: porcyon, pound, ounce, quartron, galon and potell. þis is a porcyons oynement [f. 57v], a pound of wederys talowe and a pound of oyle [f. 52r], and take iij unces of whete flour [f. 50r], do therto halfe a quartron of medewax. [f. 52r], do þer to a galon of good wyn and iij. potell of fayre vessel [f. 51r] [MS O. 1. 13] These formulas reveal the practical aspect of such texts. One can easily imagine women preparing the remedies in their kitchen to take care of the family members. Indeed, it has been shown that the art of healing was not strictly reserved to clerks, learned scholars or practitioners, and that very often, women had the important role of healers.32 Medieval medical recipes are defined as simple or compound; they usually refer to a main ingredient or an association of several ones, of plant, animal, or lapidary origins. But most of them are mainly composed of herbs, which are used in various forms. The remaining part of this section will focus on the use of a particularly virtuous plant: betony. Much like rosemary, betony, also belonging to the Lamiaceae family, enjoyed a wide fame in medieval remedies.33 This miraculous ingredient could be administered in all its forms. Everything in it could be consumed, from the leaves to the roots, and it could be used in many forms: juice, mash, plaster, or cataplasm. 31 See The Promotion and Development of Traditional Medicine: Report of a WHO Meeting [held in Geneva from 28 November to 2 December 1977], Geneva: World Health Organization, 1978 (World Health Organization technical report series 622), available at https://apps.who.int/iris/handle/106665/40995. 32 See C. Rawcliffe, Medicine and society in Later Medieval England, Stroud, Sutton, 1995, p. 171 and p. 177. 33 Numerous aromatic herbs are part of this family, some of the most famous are thyme, rosemary, sage, mint, lavender and betony. For a complete definition, see ‘Lamiaceae’, in Encyclopaedia Britannica (2015), available at https://www.britannica.com/plant/Lamiaceae (accessed 30 October 2018).
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According to many sources from Antiquity, this “magical” plant was considered a universal remedy. Thus, Pliny the Elder, in his Natural History writes:34 The Vettones in Spain discovered the plant called vettonica in Gaul, serratula in Italy, and cestros or psychrotrophon by the Greeks, a plant more highly valued than any other. […] So great is its fame that the home in which it has been planted is considered to be safe from all dangers. A whole treatise has been devoted to betony, De Herba vettonica, which was attributed to Pseudo-Antonius Musa.35 The text is probably by a later author and describes no less than 47 medicinal uses of the plant. Throughout the Middle Ages, its curative properties were described, notably in the reference books already cited and their translations and adaptations, but also in encyclopedias such as De proprietatibus rerum. Written in Latin by Bartholomew the Englishman, it was translated into Middle English by John Trevisa.36 The anonymous Agnus Castus, which was a great success during the Middle Ages, includes an important chapter on betony, its virtues and recipes.37 Not only prose texts celebrated betony, but also those in verse. These common poetic forms enabled the practitioner to easily memorize the plant’s virtues. As an example, here is the manuscript R. 14. 51 version of A tretys of diverse herbys, probably based on a translation of the most celebrated poem De viribus herbarum attributed to Macer Floridus.38 This is an incomplete version of the poem, and the last torn pages in the manuscript may indicate that such remedies involving the curative powers of betony were valuable and particularly in demand. Here is my edition of the text (see Fig. 9): To telle of betoygne I haue gret mynde, And of other erbes as I fynde. But fyrst at betoygne I woll begyne, That many vertues bereth with hym. Soule and bodye hit kepeth clene Betoygne say leches by dene. And who so it on him bereth, Ffro the fende hit wolle hym were. In the monethe of Auguste on al wise, Hit schall be gedred on the sonne rise. 34 Pliny the Elder, Natural History, ed. and trans. by W. H. S. Jones, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1938, Book 25, XLVI, 84, p. 197–99. 35 Antonius Musa (27 bc-14 bc) was one of Emperor Augustus’ doctors. The authorship of De herba vettonica was attributed to him, but the text seems a later creation. Thus, the name “pseudo-Musa”; see also: E. Wickersheimer, Les manuscrits latins de médecine du haut Moyen Âge dans les bibliothèques de France, Paris, Centre National de la Recherche Scientifique, 1966. 36 See A. S. G. Edwards, ‘The Text of John Trevisa’s Translation of Bartholomaeus Anglicus’ De Proprietatibus Rerum’, Text, 15 (2003), p. 83-96. 37 See Brodin, Agnus Castus, A Middle English Herbal, p. 133-135. 38 One of the nineteen Middle English versions listed by Lynne Mooney, see above footnote 20.
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Who so drynke betoygne and hath the stone By his vryne it schall out gone. Betoygne boyled and dronke with hony Is gode to lay be the syde for þe dropesy. And plasters ymade of betoygne Is gode to lay be þe syght of þe yen. Jus of betoygne with watere of roses clere Comforteth wele þe heryng of þe ere. And also þe poudere of betoygne is gode Medled with hony for violent blode. Aȝenst the hoste without lake, Hyt comforth gretly the brest and the stomake. The leves of betoygne with salt mad nesshe Is gode for woundes in þe hede fresshe. And also betoygne dronken and eten, The gretynge of þe yen hit wole lete. And also betoygne soden soth to saye /f. 35r/ Ys gode for the bolnynge of the yee. And ȝif hit with rewe be soden and dight, Hit dothe away derkenesse of þe sight. And ȝit doth betoigne sykerly, Hit wascith venyme in mannys body. Betoigne soden in wyne clene Purgyth þe stomac and the splene. Ffoure leues of betoigne fyne, And iij cuppe fulle of olde wyne, And greynes and peper xxvij, And alle to geder euen grounden, And make a drynke therof clenly, Hit purgith þe veynes full mervelously. Betoigne and planteyne togeder þou take Withoute water þou it make, As saith maisters opunliche, Hit couerith þe ffeuere cotidian sykerliche. If thou of vomet wolle haue boote, Make the pouder of betoigne roote. And drynke hit with lewke watere clene, Hit schalle delyuere þe of fylth by dene. Ffoure leues of betoigne dronke with wyne Pourgith the rewme wole and fyne. The seede of Betoigne ytake in tyme, Ys gode ayeynes alle manere of venyme. The pouder of betoigne with wyne I wene Makes a womans materes clene. /f. 35v/ And who so taketh a bene weight,
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Of pouder of betoigne wole ydight, And ete it sone aftere soper ryve, Hit comfortith þe stomac and vertues makith stryf. Who so wole do a surpentene, Make a garland of betoigne grene, And make a cercle hym rounde about, And he schalle nevere on lyue come out. But with hys tayle he schall hym schende, Or with hys tethe hymselfe to rende. Better gresse may non be founde, In alle the worlde vpon the grounde Than betoigne and mynt for þe stomac. And also for pyne in the bak, A plaster of betoigne I saye, Ys gode on the tonge to laye. Of þe hedwerke it abreggith þe bitternesse, And castith to þe yen lightnesse. Yf it befalle to olde or yonge Newliche to lese hys herynge, The ius of betoigne in hys eere leyne, Hit bryngith hys herynge sone ayeyne. And yf a man haue þe tothe ake, Betoigne soden with wyne he take, Kepe it in hys mouthe at euen and morowe, And hit schalle drawe awaye hys sorowe. Who so euere for travayle or grete swynke […]39 [MS R.14.51, ff. 34v-36r] The universal curative powers of betony are firstly called to mind. The poem reveals that sometimes associated with another plant, it can heal any evil or disease of the soul and the body. Thus, the remedies described here appear in various forms: juice, mash, cataplasm, plaster, powder, depending on the diseases they cure. The rhymes used here enabled the practitioner to easily memorize these therapeutic formulas. They also allowed a wider access to medical knowledge and to the curative powers of plants. They are surviving evidence of the oral transmission of medicine. Verse and prose texts were both present in medical treatises written for specialists, but also in compilations. Poems could be integrated into prognostications, or even into blood treatises. Magical powers were attributed to certain plants with healing qualities. Thus, betony was renowned for the prevention of many dangers: poisoning, magic or evil spells. It kept thieves away from home, and soothed any sufferings. Even the time of gathering of the herb was an important ritual which conditioned the efficacy of the 39 Incomplete text: the following pages of the manuscript are missing.
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Figure 9: Medical poem on Betony, from: A tretys of diverse herbys. MS R.14.51, ff. 34v-34r, Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century) Photo. © Trinity College, Cambridge.
remedy: In the monethe of August, on al wise, hit schall be gadred on the sonne rise. This mystical and astrological dimension is a striking character of medical recipes, and it can be even more blatant in a particular type of recipe: the charm.
The charms: the power of incantatory written, chanted and spoken formulas One peculiar category of medical recipes distinguishes itself from others. Called charmes, they are sometimes labelled as such in their titles. But they are often disseminated amongst more traditional medical receptaries, and also in surgery treatises.40 The charms are characterized by a ritualised form of language intertwining religion, medicine and popular beliefs. The definition of the Middle English Dictionary states that a charme consists in “a verse or inscription used in incantation, a charm or magic spell; also something that 40 See M. R. McVaugh, ‘Incantationes in late medieval surgery’, in Ratio et superstitio: Essays in Honor of Graziella Federici Vescovini, ed. by G. Marchetti, O. Rignani and V. Sorge, Turnhout, Brepols, 2003, p. 319-345.
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acts like a charm; the power or effect of such a spell, magic, or sorcery”.41 Manuscript O. 1. 13 has numerous charms appearing amongst a booklet devoted to medical recipes. Some of them seem to be concealed or added amongst more traditional recipes, as they appear without any heading. Most of the time, however, their title is standardised just like a typical medical remedy, announcing the disease it can cure. The style of a charm differs from that of a medical recipe through the use of two languages: Latin and Middle English are often juxtaposed in the same text, and sometimes Latin is omnipresent. Some attempts have been made to classify charms, notably by Payne.42 I have adopted his classification system in the following analysis, based on three examples from manuscript O. 1. 13 which belong to two categories out of the six established by Payne. Firstly, I will focus on the charms using an association of occult words or letters, consisting of magical formulas in Greek, Latin, Hebrew, or Celtic. Secondly, I will study an example of a charm presenting a story taken from the Bible, about the sufferings of Christ or his Passion.
Oblyes, or hosts: two examples of written, chanted or spoken, and eaten formulas Religion played an important part in the process of healing, and the practitioner often relied on religious formulas or prayers that he would write on hosts. Then he would let the patient recite them and eat the hosts. Here is an example of such a charm (see Fig. 10). Ffor þe feuers. Take iij. oblyes and wryte: “Pater est Alpha and oo”, vp to oon. And mak[e] a poynte and lat þe seeke ete þat þe fyrste day. Þe ij. day wryte on þat oþer obely: “ffilius est vita”, and make ij. poyntes and gyfe þe seeke to ete. And on þe iij. day, wryte on þat oþer obly: “Spiritus sanctus est remedium”, and make iij. poyntes and gyfe þe seke to ete. And þe fyrste day, lat þe seek saye a Pater Noster [as] he ete it. And þe ij. day: ij. Pater Noster a[s] he ete it, and þe iij. day: iij. Pater Noster and a Credo.43 [MS O.1.13, f. 47r] These Christian formulas rely on the number three. This symbol of the Trinity is recurring in this passage. It is presumably part of the protection and healing of 41 “Charme”, in Middle English Dictionary, sense 1a (accessed 14 February 2016). 42 See J. Fr. Payne, English Medicine in the Anglo-Saxon Times: The Fitz-Patrick Lectures for 1903, Oxford, Clarendon Press, 1904. 43 “For the fevers. Take three Hosts and write: ‘Pater est Alpha and Omega’ (the Father is Alpha and Omega), and do that for each one. And make a dot, and let the sick man eat it the first day. The second day, write on that other Host: ‘Filius est vita’ (the Son is life) and make two dots and give the sick man the Host to eat. And on the third day, write on that other Host: ‘Spiritus Sanctus est remedium’ (the Holy Spirit is the remedy) and make three dots, and give the sick man the Host to eat. And the first day, let the sick man say a paternoster as he eats it. And the second day: two paternosters as he eats it. And the third day, three paternosters and a Credo”.
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Figure 10: Ffor þe feuers. Middle English medical recipe against the fevers. MS O.1.13, f. 47r, Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century). Facsimile. © Trinity College, Cambridge.
the patient. The religious character of charms is essential. The use of Latin can be considered to correspond to a way of obtaining the approval of the Church, but also of benefiting from the power of such formulas directly taken from Christian prayers. Such linguistic and religious devices were meant to reinforce the beliefs in the healing, which would favour the recovering process. The “treatment” is inscribed on three hosts and lasts three days, when the patient’s recitation of prayers and the eating of the hosts, on which the Christian formulas are written, are requested. What is striking in this example is that the patient appears as an actor of his own healing. Pronouncing himself the sacred words enables the patient to voice his own cure, while the act of ingesting the blessed written formulas on hosts recalls that God is the Supreme Healer of the body and the soul. In this remedy, conscience and body are linked. The repetition of prayers three times on the third and final day appears as the guarantee of the efficacy of the remedy. A second example of the power of written and spoken Christian formulas reveals this recurrence of the number three, which refers to the Holy Trinity. Ffor to charme thre obeles for the feveres Take thre obelyes and wryte þes wordes: on þe fyrste: + l. + Helye + Sabaot +. And in þe secounde: + Adonay + Alpha + and one + Messias. In þe thryd: + pastor + agnus + fons +. And gyfe þe seke to ete ilke a day on, right as þai be wryten, the first day þe firste, þe secound day þe secounde, þe thryd day þe thryd, and at ilke an obelye þat he ete, late þe seke say iij. Pater Noster and iij. Ave Maria and Credo.44 [MS O.1.13, f. 51v]
44 “To charme three Hosts for the fevers: Take three Hosts and write these words: on the first: l + Elie + Sabaoth + And in the second: + Adonai + Alpha + and one + Messiah. In the third: + pastor (shepherd) + agnus (lamb) + fons (fountain) +. And give the sick man one Host to eat each day, right as the words be written. The first day the first, the second day the second, the third day the third, and for each Host that he eats, let the sick man say three paternosters and three Ave Marias and Credos”.
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This charm is very similar to the last rites, as the patient must eat the obelyes on which the names referring to God are inscribed, while pronouncing prayers. These incantations, accompanied by signs of the cross, would probably be also chanted at the patient’s bedside, who was himself called on during his treatment. Once again, the patient voices and acts his own healing, pronouncing the prayers and eating the formulas written on the hosts. Thus, both his own voice and his own body host the mark of the divine formulas. The patient mentally appropriates his recovering through his own conscience or soul by the process of formulating the prayers, and physically through his body which ingests the powerful words. Both the soul and the body bear the patient’s future healing.
The power of formulas in Latin In effect, the following charm accounts for Christ’s sufferings exclusively in Latin. It belongs to the category of charms constituted of stories extracted from the Bible and about Christ’s sufferings. Only its title in Middle English indicates the use of these formulas which were probably declaimed by the practitioner and the patient (see Fig. 11). Here is a charme for þe blody flux In nomine + Patris + et Filii + et Spiritus Sancti +Amen. Stabat + Ihesus contra flummen Jordanis et posuit pedem suum et dixit: Sancta aqua per deum te coniuro. Longinus miles latus Domini nostri + Ihesus Christ lancea perforauit et continuo exiuit sanguis et aqua, sanguis redempcionis et aqua baptismatis. In nomine Patris + restet sanguis + In nomine Filii, cesset sanguis. In nomine Spiritus Sancti non exeat sanguinis gutta ab hoc famulo dei. N. Sicut credimus quod Sancta Maria vera mater est et verum infantem genuit Christum, sic retineant vene que plene sunt sanguine. Sic restet sanguis sicut restat Jordanis quando + quando Christ in ea baptiȝatus fuit. In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen.45 [MS O. 1. 13, f. 48v]
45 “Here is a charm for the bloody flux: In the name of the Father + and the Son + and the Holy Spirit + Amen. + Jesus was standing near the River Jordan, he put in his foot and said: ‘Holy Water, I conjure you by God’. Longinus the soldier pierced the side of our Lord + Jesus Christ with his sword, and blood and water kept on flowing out, and also the blood of redemption and the water of baptism. In the name of the Father + may the blood rest + In the name of the Son, may the blood stop flowing out. In the name of the Holy Spirit, may no blood drop go out of this servant of God: (named here). Just as we believe that Holy Mary is the true Mother and the one who gave birth to the true infant Christ, then may the veins that are full of blood retain it. So may the blood stand still, like the Jordan stands still at the same time when Christ was baptised in it. In the name of the Father, and of the Son, and of the Holy Spirit. Amen”.For more detailed explanations and other variants of this charm, see Lea T. Olsan, ‘The Three Good Brothers Charm: Some Historical Points’, Incantatio: An International Journal on Charms, Charmers and Charming, 1 (2011), 48-78, p. 58-59.
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Figure 11: Here is a charme for þe blody flux. Middle English charm. MS O.1.13, f. 48v, Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century). Facsimile. © Trinity College, Cambridge.
The healing process of the wounds of Christ is often given as an example of something that can occur to mortals, and generally so as to illustrate a remedy to stop the bloody flux. Through these formulas, we can see the sign of a willingness to bring God and the human being closer, in order to gain the patient’s confidence. All these examples reveal the power attributed to formulas. The act of enunciating them enabled the patient a physical and psychological appropriation: voicing, writing, and eating the formulas certainly contributed to the healing. The remedies relied first on a traditional and oral transmission. Then, recorded by scholars and assembled in miscellanies, they reached a different audience. The abundance of the copies of these charms proves that most of the practitioners and a growing proportion of literate patients had faith in the efficiency of these formulaic remedies. Philosophers, practitioners, and theologians have long debated about the power of incantations. During Antiquity, Aristotle thought that the soul acted upon the body through the power of imagination.46 In the Middle Ages, according to Avicenna, the incantations stimulate the power of the soul which is acting on the body and on external elements. Later, Pietro d’Abano saw the incantations as a sensory stimulus.47 He also emphasized the idea of confidence as a natural power:
46 “Timaeus too physicizes that the soul moves the body, since it is interwoven with it.” Aristotle, De Anima, I. 3, quoted by St Menn, ‘Aristotle’s definition of soul and the programme of the De Anima’, Oxford Studies in Ancient Philosophy, 22 (2002), p. 83-139, p. 84. 47 Pietro D’Abano (c. 1250.-c. 1316), physician and philosopher. He taught medicine and natural philosophy in Padua, and also in Paris. His major work is Conciliator, in which he states that the signification of words endows formulas with a certain effectiveness. According to him, these therapeutic incantations acted thanks to an external agent: the soul. Pietro D’Abano, Conciliator differentiarum philosophorum et praecipue medicorum, Venice, 1430, facsimile reprint of the 1565 edition by E. Riondato and L. Olivieri, Padua, Antenore, 1985.
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the hope in healing and the action of the medicine would induce the idea of health inside the body.
Conclusion Medieval medicine, between science and art, was revealed in scholarly texts like specific treatises, but also in medical manuals intended for a practical use where receptaria were massively present. Providing an easy access to these various recipes was the goal of compilers. Thus, the standardised format of such texts gives us a hint of an everyday and utilitarian use. The recurring formulas and the linear structure of medical recipes facilitate the reading of the texts. Moreover, versification was an efficient way for the practitioner to memorize medical information. The vocabulary employed also seems to have been chosen to facilitate the physician’s work, just like the sentences which are often formed on the same structural model. Some variations may appear according to the ingredients used, but the recipes are a codified genre relying mainly on recurring linguistic patterns and specific formulas. Their efficacy was guaranteed by the proven virtues of plants recorded by the most influential ancient practitioners, but also by famous contemporary initiators and users. Formulas used in medical recipes reflect a certain concept of healing, based on the beliefs in the natural powers of miraculous Nature and its plants, combined with a faith in the power of words, and in the power of the divine. In continuity with the cosmology developed by Aristotle and Hildegarde of Bingen, Nature, human beings, and God or divine powers are then united in the act and process of healing.48 In his Natural History, Pliny the Elder had already come to the conclusion that “there is no
48 According to Aristotle, nature and human beings were subjected to the movements of celestial and divine forces and he saw health as a global harmony between the different entities of the universe: “This world necessarily has a certain continuity with the upper motions: consequently all its power and order is derived from them” Meteorology, I. 2. The Works of Aristotle: Meteorologica, ed. and trans. by E. W. Webster, Oxford, Clarendon Press, 1931, p. 338. See also: Aristotle, On the Heavens (De caelo), ed. Jonathan Barnes, in The Complete Works of Aristotle, t. I, Princeton, NJ: Princeton University Press, 1984 (Bollingen Series 71/2), p. 500. Hildegard of Bingen wrote in her Liber Divinorum Operum: “God, who created all things, established those above so that he could stregthen and cleanse through them the things below and bring them to bear upon the soul’s salvation within the human form in which they were sealed”, part I, vision 4, § 2. St Hildegarde of Bingen: The Book of Divine Works, trans. by N. M. Campbell, Washington, DC: The Catholic University of America Press, 2018, p. 132. Moreover, Ruth Walker-Meskop states that Hildegard “offers [through her writings], counsel regarding the way to attain a summum bonum, or true health (veram sanitatem), based on the ancient idea of maintainting a harmony, a balance, […] in the various aspect of human life, [for] health was clearly a multidimensional concept that involved striving for harmony with God, for inner spiritual harmony, for balance among the physical humors, for concord between the soul and the body, and for harmony between human beings and the cosmos.” (‘Health and Cosmic Continuity: Hildegard of Bingen’s Unique Concerns’, Mystics Quarterly, 11/1 (1995), p. 19-25, p. 19). See also H. Schipperges, Hildegard of Bingen: Healing and the Nature of the Cosmos, trans. by J. A. Broadwin, Princeton: Markus Wiener Publishers, 1997: “the human body corresponded to the forces of the universe and paralleled the world of the senses and the life of grace”, note 116, p. 47.
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sure method of discovery, for even of those we already know, chance has sometimes been the finder; at other times, to speak the truth, the discoverer was a god.”49 Thus, these books of remedies are intertwined with Pagan and Christian traditions, they mix Latin and Middle English formulas in the charms, along with prayers. They celebrate the divine healing power of the plants as God’s gift, through poems and medical recipes. Medieval Middle English medical recipes belong to a long continuous tradition. They were enriched through the centuries by the numerous productions, translations and adaptations of original scientific and medical compositions flourishing in medieval Europe. They are part of the English and Western medieval society and culture, and they reflect a constant care for the maintaining of health. Only the editorial work, vital for the survival of manuscripts, will allow scholars to offer more meanings and interpretations of these medical texts.
Bibliography Primary Sources A Leechbook or collection of medical recipes of the fifteenth century, ed. by W. R. Dawson, London, 1934. Agnus Castus, A Middle English Herbal, ed. by G. Brodin Uppsala: Uppsala University, 1950. An Anglo-Norman Medical Compendium, Cambridge, Trinity College MS O.2.5 (1109), ed. by T. Hunt Oxford, Anglo-Norman Text Society, 2014. Aristotle, On the Heavens (De caelo), ed. Jonathan Barnes, in The Complete Works of Aristotle, t. I, Princeton, NJ: Princeton University Press, 1984 (Bollingen Series 71/2) Aristotle, The Works of Aristotle: Meteorologica, ed. and trans. by E. W. Webster, Oxford, Clarendon Press, 1931. Avicenna, The Canon of Medecine, ed. by L. Bakhtiar, Chicago, Kazi Publications, 19992014. Dioscorides, De Materia Medica by Pedanius Dioscorides, translated by L. Y. Beck, Hildesheim, Olms-Weidmann, 2005. Hildegard of Bingen, St Hildegarde of Bingen: The Book of Divine Works, trans. by N. M. Campbell, Washington, DC, The Catholic University of America Press, 2018. Il « Thesaurus Pauperum » Pisano: Edizione critica, commento linguistico e glossario, ed. by G. Zarra, Berlin and Boston, De Gruyter, 2018. Liber Uricrisiarum: A Reading Edition, ed. by E. R. Harvey, M. T. Tavormina and S. Star, Toronto, Toronto University Press, 2020. Macer Floridus (Odo Magdunensis), A Middle English translation of Macer Floridus ‘De Viribus Herbarum’, ed. by G. Frisk, Uppsala, Almqvist and Wiksell, 1949, (Essays and Studies on English Language and Literature, 6).
49 Pliny the Elder, Natural History, ed. and trans. by W. H. S. Jones, Cambridge, MA: Harvard University Press, 1938, Book 25, VI, 16-18, p. 149.
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Edina Bozoky
Les formules apotropaïques Le pouvoir de la parole, le pouvoir des lettres
This paper offers a presentation of apotropaic formulas according to their different uses: oral or written, which sheds light on the importance given to the actual meaning of the formulas. Several criteria are taken into account: whether the formula is meant to be uttered or not (and by whom); whether written formulas are meant to be kept about one’s person for a long time (as is the case for composite amulets and prophylactic jewelry) or to be destroyed through consumption during the ritual; whether the formulas are intelligible or entirely cryptic. It also examines the blurring of the boundary between devotional and profane objects.
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Lors d’un précédent colloque sur la Formule, Béatrice Delaurenti a présenté « La pratique incantatoire à l’époque scolastique. Charmes et formules des réceptaires médicaux en latin et en langues romanes (xiiie-xve siècles)1 ». Un ouvrage collectif sur Le pouvoir des mots au Moyen Âge est aussi paru récemment2. Moi-même, j’ai publié une typologie des charmes et prières apotropaïques3. Je me propose ici de présenter une approche fonctionnelle des formules d’après leurs modes d’administration qui permet d’entrevoir comment le malade (l’utilisateur) percevait ou non le sens des formules. Est-ce que c’est la compréhension des mots prononcés qui avait un effet sur lui ? Dans le cas des formules écrites, est-ce qu’il devait les lire, ou juste regarder, voire seulement les porter sur soi ?
1 B. Delaurenti, « La pratique incantatoire à l’époque scolastique. Charmes et formules des réceptaires médicaux en latin et en langues romanes (xiiie-xve siècles) », in I. Draelants et Chr. Balouzat-Loubet (éd.), La Formule au Moyen Âge II, Actes du colloque international de Nancy et Metz, 7-9 juin 2012, Turnhout, Brepols, 2015, p. 473-494. 2 Le pouvoir des mots au Moyen Âge. Études réunies par N. Bériou, J.-P. Boudet et I. Rosier-Catach, Turnhout, Brepols, 2014. 3 E. Bozoky, Charmes et formules apotropaïques, Turnhout, Brepols, 2003 (Typologie des sources du Moyen Âge occidental 86). Edina Bozoky • Université de Poitiers et Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 265-284 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124032
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Les formules apotropaïques4 et prophylactiques5 – charmes (carmina), incantations, conjurations ou encore « amulettes textuelles » – sont les moyens verbaux, oraux et écrits, utilisés pour la guérison et la protection. Leur usage est déjà largement attesté dans les civilisations mésopotamienne, égyptienne et gréco-romaine6. De l’époque médiévale, les témoignages matériels des formules conservés sont peu abondants par rapport à l’étendue de leur circulation. On les trouve sur les marges des manuscrits, dans les recueils de recettes médicales, dans les citations des traités médicaux, dans des écrits contre la superstition, sur quelques rares pièces individuelles sur parchemin ou papier, enfin sur les inscriptions sur des objets. Bon nombre de formules n’a jamais atteint le stade écrit ; et les formules écrites sur des morceaux de parchemin ou de papier, à l’usage éphémère, n’ont pas été conservées. On peut répartir les formules grosso modo dans deux catégories de base : les formules intelligibles et les formules incompréhensibles, bien que les éléments signifiants et les éléments inintelligibles soient parfois mêlés dans une formule composite. Les formules intelligibles en constituent la majorité, incluant les charmes narratifs, les conjurations, les prières apotropaïques, les listes de noms divins et d’autres êtres sacrés, les versets bibliques, des formules empruntées à la liturgie. Les formules incompréhensibles sont des noms et mots dérivés d’autres langues (hébreu, grec) ainsi que des séries de lettres, qui sont parfois des abréviations, mais qui dans la plupart des cas, sont énigmatiques. Dans un certain nombre de cas, surtout dans les réceptaires (recueils de recettes médicales), les formules sont précédées d’une instruction qui précise leur mode opératoire : si elles doivent être prononcées ou écrites, être accompagnées d’un rituel, etc. Les instructions figurent souvent en langue vernaculaire dans les réceptaires, même si la formule est notée en latin : ffor to staunche bledynge sey this iij tyms & iij pater nosters. Christus in bethlem natus est : in Iordane. baptizatus est : Iordanis aquas ffecit stare sic faciat tuum sanguinem cessare .N7.
4 Du grec apotrépo, « détourner, écarter » ; d’où apotropaios « qui détourne les maux ». 5 Du grec prophulassein, « veiller sur, se prémunir » ; d’où prophulaktikos « qui protège, préserve [de la maladie] ». 6 Quelques échantillons d’une bibliographie abondante : G. Cunningham, « Deliver me from evil ». Mesopotamian incantations 2500-1500 bc, Rome, Pontifico istituto biblico, 1977 ; M. J. Geller, with the Assistance of L. Vacin, Healing Magic and Evil Demons. Canonical Udug-Hul Incantations, Boston et Berlin, De Gruyter, 2016 ; K. North, Aspects of Ancient Egyptian Curses and Blessings : Conceptual Backround and Transmission, Uppsala, Acta Universitatis Upsaliensis, 1996 ; H.-W. Fischer-Elfert et T. S. Richter, Altägyptische Zaubersprüche, Stuttgart, P. Reclam, 2005 ; K. Preisedanz et A. Henrichs, Papyri Graecae Magicae. Die griechischen Zauberpapyri, Stuttgart, Teubner, 1973-1974 ; H. D. Betz, The Greek Magical Papyri in Translation including the Demotic Spells, Chicago et Londres, University of Chicago Press, 1996. 7 Cambridge, Gonville and Caius College 457, fol. 8 (xve s.), S. E. Sheldon (éd.), « Middle English and Latin Charms, Amulets, and Talismans from Vernacular Manuscripts », Ph. D. Tulane University, 1978, p. 204. « pour étancher le saignement dis cela trois fois et trois Notre Père. Le Christ est né à Bethléem ; il fut baptisé dans le Jourdain ; il fit arrêter les eaux du Jourdain ; qu’il fasse cesser ton sang .N. » Sauf mention contraire, toutes les traductions sont celles de l’auteur de cet article.
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Inversement, dans les réceptaires en latin, nous trouvons parfois des formules en vernaculaire, avec des rubriques et des instructions en latin. Ad superos carmen. In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti pone pollicem super ossa et dic : Si cist souros ci est venuz par dialbe [sic] inchantesun, tollet l’en Deus par sa magne resurectium ; si veirement cum Deus fut nez et el presepie fut mis et retrovez si veirement seit cis cavals de cest souros livrez e(n) icez verues8. Cependant dans une grande proportion des formules, on ne trouve pas d’instruction, seulement l’indication de l’usage pour lequel la formule doit être appliquée.
L’oralité : sens et temporalité D’après les instructions, les formules compréhensibles pouvaient être utilisées aussi bien oralement que sous une forme écrite. Dans cette catégorie de formules, le sens devait avoir une fonction essentielle. Elles servaient pour guérir ou soulager dans l’immédiat ou du moins dans un délai bien défini, par exemple dans le cas des fièvres où les formules devaient être répétées durant plusieurs jours. Quand elles étaient prononcées de vive voix, les formules apotropaïques produisaient leur effet de différentes façons. Les conjurations simples – des ordres adressés soit à la maladie, soit au démon de la maladie sont comparables aux exorcismes liturgiques. Le guérisseur qui prononçait la formule jouait le rôle de médiateur direct entre le (la) malade et les forces maléfiques, la maladie : Charmes and medicines for hors and for wormes and stranglioun : Conjuro vos vermes malos per + Patrem et per + Filium et per + Spritum Sanctum per + angelos, per + archangelos et per .xxiiii. seniores ut equum istum in pelle neque in sanguine neque in ullo pagine membrorum noceatis, sed fugite, omnes vermes mali, in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, amen9. Dans le cas des charmes narratifs, une brève historiette introduit la formule conjuratoire10. Il s’agit d’un récit court, un prototype mythique ou miraculeux de la situation (maladie, blessure, etc.) que l’on désire améliorer. Dans le récit, les 8 Londres, BL, Sloane 475, f. 109rv (xiie s.), T. Hunt (éd.), Popular Medicine in Thirteenth-Century England, Cambridge, Brewer, 1990, p. 82. « Charme pour le suros. Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit pose le pouce sur l’os et dis : Si ce suros est venu par le diable, enchantons-le pour que Dieu l’enlève par sa grande résurrection ; autant qu’il est vrai que Dieu est né et fut mis au berceau et retrouvé que ce cheval soit aussi délivré de ce suros et cette verrue ». 9 Londres, BL, Sloane 475, f. 137rv, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 97. « Charmes et remèdes pour chevaux et pour vers et strangullion [difficulté d’uriner] : Je vous conjure, vous, mauvais vers, par + le Père et par + le Fils et par + le Saint Esprit, par + les anges, par + les archanges et par les vingt-quatre vieillards que vous ne nuisiez à ce cheval ni dans sa peau ni dans son sang ni dans une partie de ses membres, mais fuyez, tous les mauvais vers, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen ». 10 Cf. E. Bozoky, « Historiolae apocrypha : les charmes narratifs au Moyen Âge », in M. A. Amir-Moezzi, J.-D. Dubois, C. Jullien et F. Jullien (éd.), Pensée grecque et sagesses orientales. Hommage à Michel Tardieu, Turnhout, Brepols, 2009, p. 117-132 (Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences Religieuses 142).
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protagonistes – le Christ, la Vierge, les saints ou d’autres personnages – accomplissent une guérison miraculeuse. Parfois le récit ne contient même pas de conjuration, il tire son efficacité uniquement de l’acte ayant été réussi dans le passé. David Frankfurter a appelé déclaratif ce type de charme, puisque l’état que l’on veut atteindre est déjà déclaré comme un fait accompli11. Les charmes narratifs avec conjuration sont les plus fréquents. Dans ces formules, c’est le protagoniste mythique – le Christ, la Vierge, les saints, etc. – qui prononcent la conjuration ; ce sont eux les véritables médiateurs entre le malade et la maladie. Parfois le passé mythique et la situation réelle se confondent. Par exemple, dans une conjuration, le protagoniste (le Christ) prononce la conjuration en évoquant le nom du patient réel à la place du personnage du passé (en l’occurrence, saint Pierre) qui est évoqué dans l’historiette : Sanctus Petrus cum sederet super petram marmoream misit manum ad caput, dolore dentium fatigatus tristabatur. Apparuit autem ei Jesus qui ait : Adjuro te, emigranee, per patrem et filium et spiritum sanctum, ut exeas et redeas a famulo dei .N. et ultra eum non ledas12. Dans les réceptaires et d’autres documents de la pratique, on ne précise pas quelle devrait être l’attitude du malade, mais dans les sources théoriques – traités de médecine, de théologie – dans lesquelles la question de l’efficacité de la parole était discutée à l’époque scolastique, on évoquait le problème de la « confiance » du malade. « La grande majorité des médecins explique in fine le pouvoir de guérison des incantations par des mécanismes psycho-physiologiques chez le malade »13. Par exemple, selon Urso de Salerne, l’une des raisons de l’efficacité des incantations est liée à la croyance du malade en la formule que le médecin lui prononce. « Si le malade y croit, ses pensées agiront sur son corps grâce au cœur qui permet au spiritus de se diffuser jusque dans les membres malades et d’éloigner la douleur14 ». Dans quelques formules, on note la nécessité de la confiance en Dieu : Pur goutefestre […] Après une recette physique, suivie du charme de Job : E dirrez ceste charme neof fez e neof Pater Nostres e dirrez al malade k’il eit bone creance en Deu15…
11 D. Frankfurter, « Narrating power: the theory and practice of the magical Historiola in ritual spells », in M. Meyer et P. Mirecki (éd.), Ancient Magic and Ritual Power, Leyde, New York, Cologne, 1995, p. 455-476 (Religions in the Greco-Roman World 129), p. 467. 12 Vienne 2817, f. 28 (xive s.), dans A. Schönbach, « Segen », Zeitschrift für deutsches Altertum, N. F. 15 (1883), p. 308. « Quand saint Pierre était assis sur la pierre de marbre, il mit la main à sa tête, affligé du mal de dents. Apparut alors Jésus et lui dit : Je t’adjure, migraine, par le Père et le Fils et le Saint-Esprit, que tu sortes et que tu t’éloignes du serviteur de Dieu .N. et que tu ne lui nuises plus ». 13 A. Robert, « Le pouvoir des incantations selon les médecins du Moyen Âge (xiiie-xve siècle) », in Le pouvoir des mots au Moyen Âge, op. cit., p. 459-489, ici p. 461. 14 Ibid., p. 463, et n. 17, Urso de Salerne, Aphorismi cum glosulis, Glosula 39, p. 72. 15 Oxford, Bodleian, Digby 86, f. 31v, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 85. « Pour fistule […] Et dites ce charme neuf fois et neuf Notre Père et dites au malade qu’il ait bonne confiance en Dieu ».
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Parfois l’instruction préconise la participation du patient. Par exemple, contre le mal de dents, le patient doit dire lui-même le charme suivant : Item aliud carmen dicat paciens : Ego .N. dolens peto pro amore Dei medicamen. Auxi vereiment comme Dieu suffrit peyne en le seint croice pur pechours rechater de mort en vie, auxi vereiment garrez cest cristien de dolours de dents si Dieus le plest16. Dans un charme contre toutes sortes de fièvres, le patient est interrogé par celui qui doit prononcer le charme pour lui demander quel jour il veut être guéri. Il répond : le troisième jour et il doit aussi observer un jeûne. Suit la formule à prononcer, avec l’évocation du nom du malade : Charme pur chescune manere de fevre : Ki ke veut estre charmé deit prier la charme par charité. E celui qui le deit charmer le deit demander quel jur il veut estre gari. E il respundra ‘le tierz jur’ e il ne deportera a manger ne a beivre par enchaison de la maladie. « Beau Sire, le verrai cors de Vus seit honuré aussi verraiment com Vus estes Père, Fiz e Seinz Esperiz, treis persones e un Deu. Descendistes en la virgine Marie e pus suffristes mort pur nus peccheurs e pus resuscitastes de mort en vie denz le tierz jur e descendistes en enfern e preistes hors Adam par vostre grant valur, par vostre grant duçur, par vostre grant beauté, par vostre grant humilité. Beau Sire, le verrai cors de Vus seit honuré. Aussi veraiement donez santé a ceste home .N. ou a ceste femme .N. » E nomez le non e pus après covient dire .iii. Pater Nostre e .iii. Ave Maria, ke Deus lui doine santé17. Dans une recette contre la maille (macula) de l’oeil, aussi bien le guérisseur que le malade doivent compléter la formule de charme par la récitation des prières. De plus, une recette avec des ingrédients que le malade doit boire est ajoutée aux formules et bénédictions. A la maele de l’oil : In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, Amen. Ter dicatur. Et face le signe sor les oilz. ‘Joe vus cunjur, gute maele, el nun del Père, del Fiz, e del seint Esperit, e de ma dame seinte Marie e dé .xii. apostres e dé .iiii. ewan 16 Compendium de recettes médicales de John of Greenborough, f. 143v, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 86. « Et que le patient dise un autre charme : Moi, .N., souffrant, je demande un remède pour l’amour de Dieu. Autant qu’il est vrai que Dieu souffrit la peine sur la sainte croix pour racheter les pécheurs de la mort à la vie, guéris aussi ce chrétien des douleurs des dents si Dieu le permet ». 17 Londres, BL, Sloane 146, f. 56rv, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 286. « Charme pour chaque sorte de fièvre : Celui qui veut être charmé doit prier le charme par charité. Et celui qui doit charmer, doit lui demander quel jour il veut être guéri. Et il répondra ‘le troisième jour’ et il ne s’abstiendra ni de manger ni de boire pour cause de la maladie. ‘Beau Sire, que Votre vrai corps soit honoré autant qu’il est vrai que Vous êtes le Père, le Fils et le Saint-Esprit, trois personnes en un Dieu. Vous êtes descendu dans la vierge Marie et puis vous avez souffert la mort pour nous pécheurs et puis vous êtes ressuscité de la mort à la vie le troisième jour et vous êtes descendu dans l’enfer et vous en avez sorti Adam par votre grande puissance, par votre grande douceur, par votre grande beauté, par votre grande humilité. Beau Sire, que Votre vrai corps soit honoré. Aussi vraiment donnez la santé à cet homme .N. ou à cette femme .N.’ Et nommez le nom et puis ensuite il convient de dire trois Notre Père et trois Ave Maria, pour que Dieu lui donne la santé ».
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gelistes ki sustenent le throne, Johan, Luc, Marc, Mathieu e par la merite seint Leger, de Eve, de Adam, de flum Jordan e de kanke Deu fist en ciel e terre, se vus estes neire, Dex vus deseivre ; se vus estes ruge, Dex vus derumpe ; se vus estes blanche, Dex vus deface. El nun del Père, del Fiz e del Seint Esperit.’ Li malade die .iii. Pater Noster e celui ki dit le charme di .iii. Pater Noster. Pus pernez un … ke l’en apele…Pernez ent .v. Triblez les en ewe beneite, si li metez… Pus altres .v. destremprez cum les altres. Li donez a beivre. Quant vus nomez les .iiii. ewangelistes, a chescun nun donez la beneiçun sor les oilz al malade. Noef jors le face l’en issi e garra18. Si en général on suppose que le patient doit avoir confiance en l’efficacité des formules qu’il entend et comprend, il y a aussi des charmes que le patient ne doit pas entendre : Charme pur festre e pur cancre e pu gute : Dunc deprimes die la [sic] malade a celui ki deit garir .iii. Pater Noster en leu onnur de la trinité, e pus oie celui ki deit charmer preveement issi ke la [sic] malade ne oit pas cest oresun : ‘Beau Sire Deu, ausi verement cum vus deliverastes seint Susanne hors de la prisun e de la claundre u ele fu enz, ausi verement deliverez cest malade .N. de festre e de gute e de cancre e de tuz mals.’ E li malade face chaunter une messe de Seint Espirit, e une autre de Nostre Dame, e la terce pur les almes tuz cristiens e le malade veit ki il seit ben cunfés e ferme creaunce e verai charité etc.19. La récitation des charmes devait être parfois accompagnée de rituels. Par exemple, pour guérir les plaies, on préparait une lamelle de plomb dont la taille correspondait à celle de la plaie, et pendant trois jours, on prononçait des charmes, puis on posait la lamelle sur la plaie et on appliquait une recette pour laver la lamelle20. Dans une
18 Oxford, Bodleian, Digby 69, f. 180v, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 323. « Pour la macula de l’œil : Au nom du Père et du Fils et de l’Esprit Saint. Amen. Doit être dit trois fois. Et fais le signe [de la croix] sur les yeux. ‘Je vous conjure, macula, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et de madame sainte Marie et des douze apôtres et des quatre évangélistes qui soutiennent le trône, Jean, Luc, Marc, Matthieu, et par le pouvoir de saint Léger, d’Eve, d’Adam, du fleuve Jourdain et de tout ce que Dieu a fait au ciel et sur la terre, si vous êtes noire, que Dieu vous enlève ; si vous êtes rouge, que Dieu vous déchire ; si vous êtes blanche, que Dieu vous efface. Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.’ Que le malade dise trois Notre Père et celui qui dit le charme, dise trois Notre Père. Puis prenez un … que l’on appelle … Prenez-en cinq. Délayez-les dans l’eau bénite, puis mettez-les-lui. Puis délayer cinq autres comme les autres. Donnez-les-lui à boire. Quand vous nommez les quatre évangélistes, à chaque nom, faites la bénédiction sur les yeux du malade. Fais-le pendant neuf jours et il guérira ». 19 Londres, BL, Harley 273, f. 213, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 89. « Charme pour fistule et pour tumeur et pour goutte : que premièrement le malade dise à celui qui doit le guérir trois Notre Père à l’honneur de la Trinité, et puis qu’il soit attentif à celui qui doit le charmer discrètement de sorte que le malade n’entende pas cette oraison : ‘Beau Sire Dieu, autant qu’il est vrai que vous avez libéré sainte Suzanne de la prison où elle fut enfermée ainsi que du scandale1, délivrez aussi ce malade .N. de la fistule et de la goutte et de la tumeur et de tous les maux.’ Et que le malade fasse chanter une messe du Saint-Esprit et une autre pour Notre Dame, et une troisième pour les âmes de tous les chrétiens, et que le malade voie à ce qu’il soit bien confessé et qu’il ait confiance ferme et charité véritable, etc. ». 20 Londres, BL, Add. 15236, f. 31v-32v, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 226-227.
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autre variante, on gravait sur la lamelle cinq croix correspondant aux cinq plaies du Christ et trois trous correspondant aux trois clous de la crucifixion. On priait le Notre Père et on prononçait un charme, on posait la lamelle sur la plaie, la face comportant les croix tournée vers le corps21.
L’écrit éphémère L’écriture des formules apotropaïques, pour un usage immédiat, ponctuel, pouvait prendre plusieurs formes, allant des solutions éphémères à la fabrication des brevi, des charmes écrits sur des feuilles de parchemin ou de papier que l’on portait sur soi. Par exemple, contre les fièvres, on recommandait d’écrire des formules d’origine liturgique sur des hosties et de les faire ingurgiter par le malade. Dans ces cas-là, on peut supposer que le malade n’avait pas la connaissance du sens des écrits ; à l’instar des médicaments, c’est leur absorption qui était censée agir, et le sens des formules (dans les exemples d’origine liturgique) ne jouait pas pour le malade : Sume tres oblatas quarum in una scribatur ‘Pater est Alpha et Omega’, in secunda ‘Filius est vita’, in tercia ‘Spiritus est remedium’. Tunc detur egroto jejuno stomaco primo die prima oblata, secundo die secunda, et tertio die tertia et antequam commedat aliquam illarum omni die dicat Pater Noster et Credo. In prescriptis etiam scribatur ‘Increatus Pater, increatus Filius, increatus Spiritus Sanctus’22. Pour arrêter le saignement, une formule impliquait son écriture sur une cédule et sa ligature sur la main droite du patient qui devait dire trois Pater Noster et Ave Maria durant trois matins à jeun. Le troisième jour, la cédule fut enlevée, brûlée et les cendres furent jetées dans l’eau, pendant que l’on prononçait une formule : Scribatur in sedula subscripta verba per modum infra scriptum et ligetur sedula super manum dextram et dicat paciens .3. Pater Nostre cum totidem salutacionibus virginis gloriose et simbolo cum maxima devotione quolibet die mane jejuno stomacho per tres dies. Tertio vero die removeatur sedula et comburatur et cineres in aqua currentes proiciantur + + + hympnus + artus + arus + tremens + eloy + ventus + affricat + angelus + + nunciat + Christe + liberet + Amen + + + Probatum est23.
21 Londres, BL, Harley 273, f. 85v (xive s.), T. Hunt (éd.), op. cit., p. 88. Cf. aussi E. Bozoky, « La blessure qui guérit », in La blessure corporelle. Violences et souffrances. Symboles et représentation, textes rassemblés par P. Cordier et S. Jahan, Les Cahiers du GERHICO [Poitiers], 4 (2003), p. 7-24. 22 Londres, BL, Add. 15236 (c. 1300), f. 46, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 237. « Prends trois hosties dont sur la première doit être écrit ‘La Père est Alpha et Omega’ ; sur la deuxième ‘Le fils est la Vie’, sur la troisième ‘L’Esprit est le remède’. Alors le premier jour le malade doit ingurgiter à l’estomac vide la première oublie, le deuxième jour la deuxième, et le troisième jour la troisième et qu’il dise le Notre Père et le Credo avant de les manger chacune d’elles ». 23 Ibid., f. 47v-48r, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 239. « On doit écrire sur la cédule les verbes souscrits de la manière indiquée plus haut et la cédule doit être liée sur la main droite et le patient doit dire trois Notre Père, avec le même nombre les salutations de la Vierge glorieuse [Ave Maria] et le Credo avec grande
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D’autres exemples recommandent la consommation de la pomme ou des hosties sur lesquelles les formules contre les fièvres ont été inscrites : Charme pur lé feveris : Pernez un poume et le trenchez en .iii. partyes, si escrivez en la primer partye ‘In principio erat verbum’, en la seconde partye ‘et verbum erat apud Deum’, en la tierce partye ‘et Deus erat verbum.’ Et lessez li malade manger chescun jour un partie par .iii. jours. Item autre : Pernez un poume et escrivez leyns ces tres vers ‘Increatus Pater, inmensus Pater, eternus Pater, etc.’ Et escrivez le noun del malade en my lieu la poume et escrivez cest nuon Jhesus desus, si luy donez a manger. Item autre : Pernez .iii. oblez et en le primer festes un croys, si escrivés ‘Pater est Alpha et Omega’ ; en le seconde festes .ii. croitz et escrivez ‘Filius est veritas’ ; en la tierce ‘Spiritus Sanctus est remedium’ et jettez desuz ewe beneyte et le donez li malade a manger le primer jour ceo que fust primez escrist et issi les autres par ordre24. Dans son sermon contre l’idolâtrie (1425), Bernardin de Sienne évoque également cette pratique contre la fièvre : Contra febrem continuam, tertianam, uel quartanam, dant herbarum folia scripte a comedendum ieiuno stomacho, uel pomum scriptum, sive scriptam hostiam, et hoc tribus diebus25.
Les formules cryptiques : l’effet du non-sens Une partie des formules dérivait des mots ou des formules d’une autre langue, de l’hébreu ou du grec. Pour l’utilisateur occidental médiéval, il est évident que le sens des formules n’était plus perçu. C’est ici qu’il faut classer les mots magiques26 tels
dévotion pendant trois jours le matin à l’estomac vide. Le troisième jour la cédule sera enlevée et brûlée et les cendres seront jetées dans l’eau courante +++ [les mots latins ne constituent pas une formule compréhensible]. C’est éprouvé ». 24 Londres, BL, Sloane 3564 (xve s.), f. 54rv, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 91. « Charme pour les fièvres : Prenez une pomme et tranchez-la en trois parties, et écrivez sur la première partie ‘Au commencement était le Verbe’, sur la deuxième partie ‘et le Verbe était chez Dieu’, sur la troisième partie ‘et Dieu était le Verbe’ [ Jean I, 1-2]. Et faites manger au malade une partie pendant trois jours. / Et un autre : Prenez une pomme et écrivez dedans ces trois vers : ‘Père non créé, Père éternel, etc.’ Et écrivez le nom du malade au milieu de la pomme et écrivez le nom de Jésus dessus, et donnez-la-lui à manger. / Et un autre : Prenez trois hosties et sur la première faites le signe de la croix et écrivez ‘Le Père est l’Alpha et l’Omega’ ; sur les deuxième faites le signe de la croix deux fois et écrivez ‘Le Fils est la vérité’ ; sur la troisième ‘Le Saint-Esprit est le remède’ et jetez là-dessus de l’eau bénite et donnez au malade à manger le premier jour celle qui a été inscrite en premier et ainsi les autres dans l’ordre ». 25 Bernardin de Sienne, Quadragesimale De christiana religione, Sermo X, p. 65. « Contre la fièvre continue, tierce ou quarte, ils donnent des feuilles inscrites ou pomme inscrite ou hostie inscrite pour manger à l’estomac vide durant trois jours ». 26 Cf. C. Lecouteux, Dictionnaire des formules magiques, Paris, Imago, 2014.
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qu’Abrasax ou abraxas27, abracadabra28, AGLA29 et ANANIZAPTA30. Les palindromes, comme le carré magique SATOR AREPO31, dont le sens reste discutable, mais dont l’utilisation a été extrêmement répandue, sont apparentés à cette catégorie. Une autre catégorie est constituée de formules qui alignent des lettres et parfois des signes, qui sont désignées en général par le terme caracteres aussi bien dans les instructions accompagnant les formules que dans les écrits polémiques. Dans ces cas-là, les lettres – de l’alphabet latin – pouvaient être reconnues, mais leur signification n’entrait pas en jeu32. C’est au sens cryptique, caché, que l’on croyait exister derrière les lettres qu’on attribuait un pouvoir. L’absence du sens apparent suggérait l’appartenance de la formule à un langage secret. Les formules composées de séries de lettres inintelligibles étaient utilisées exclusivement par écrit. Même si les lettres correspondent en principe à des sons, les instructions attestent que l’on ne les prononçait pas, qu’elles devaient être écrites sur des feuilles de parchemin ou sur le corps. A propos d’un charme contre les voleurs dans lequel figure une série de lettres, Reginald Scot précise qu’il ne doit jamais être dit, mais porté sur soi : A popish periapt or charme, which must never be said, but carried about one, against theeves. I doo go, and I doo come unto you with the love of God, with the humilitie of Christ, with the holines of our blessed ladie, with the faith of Abraham, with the justice of Isaac, with the vertue of David, with the might of Peter, with the constancie of Paule, with the word of God, with the authoritie of Gregorie, with the praier of Clement, with the floud of Jordan, p p p.c g e g a q q est p t.I ka b g l k 2 a xt. g t b am g 2 4 2 1 q ; p.x c g k q a 99 p. o q q r. Oh onelie Father + oh onlie lord + And Jesus + passing through the middest of them + went + In the name of the Father + and of the Sonne + and of the Holie-ghost +33. 27 D’origine grecque, attestée dès le iie siècle. Cf. A. Dieterich, Abraxas. Studien zur Religionsgeschichte des späteren Altertums, Leipzig, 1891 ; A. Barb, « Abraxas-Studien », in Hommages à W. Deonna, Latomus, 28 (1957), p. 67-86. 28 Le mot serait d’origine hébreu, dérivée de Ha-Brachah-dabarah (« Le nom du Béni »), mais d’autres étymologies ont aussi été proposées. 29 Il s’agit des premières lettres d’une prière en hébreu : aieth gadol leolam Adonaï (« Tu règnes pour l’éternité, Seigneur ») ou atta gibbor leolam Adonaï (« Tu es majestueux pour l’éternité, Seigneur »). 30 Ce serait l’acrostiche de la formule latine Antidotum Nazareni auferat necem intoxicationis santificet alimenta poculaque trinitas. Amen (« Que l’antidote du Nazaréen éloigne la mort violente par poison et que la Trinité bénisse les nourritures et les boissons »). 31 Cf. J. Carcopino, « Le christianisme secret du ‘carré magique’ », Museum Helveticum, 5 (1948), p. 16-59 ; R. E. Bader, « Sator arepo. Magie in der Volksmedizin », Medizinhistorisches Journal, 22 (1987), p. 115-134 ; Ernst Därmstadter, « Die Sator-Arepo-Formel und ihre Erklärung », Isis, 18 (1932), p. 322-329. 32 Cf. la définition dans B. Grévin et J. Véronese, « Les “caractères” magiques au Moyen Âge (xiie-xive siècle) », Bibliothèque de l’École des chartes, 162 (2004), p. 305-379, ici p. 311-312 : « les signes qui peuvent être lus et donc prononcés, c’est-à-dire ceux qui obéissent à un cadre alphabétique qui reste globalement compris, sans pour autant que la question de la signification intervienne (les lettres peuvent être connues, mais les interminables formules qu’elles composent n’avoir ni queue ni tête) ». 33 Reginald Scot, The Discoverie of Witchcraft, 1584, réimp. Suffolk, 1930. « Un périapte ou charme qui ne doit jamais être prononcé, mais porté sur soi, contre les voleurs. / Je vais vers toi avec l’amour de Dieu, avec l’humilité du Christ, avec la sainteté de notre Dame bénie, avec la foi d’Abraham, avec la justice
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La ligature – l’opération de suspendre avec un lien sur le corps – des lettres écrites sur parchemin ou sur d’autres supports est souvent recommandée. Pour arrêter le sang, dans un recueil du xve siècle, mais qui transcrit des recettes beaucoup plus anciennes (Londres, BL, Sloane 962, fol. 135v), après un charme narratif anglais utilisé dans le même but, on propose comme alternative l’écriture d’une série de lettres, avec l’instruction en latin : Pone ista signa ad umbilicum scripta super aliquid. Fac pe. n.m. x. a s. z. i. ii. iii34. Pour le même usage, dans un manuscrit du xiie siècle de la bibliothèque capitulaire de la cathédrale de Durham, on recommande également une série de lettres, complétée par d’autres formules : Ad restringendum sanguinis de venariaris effluentis In nomine patris et filli et spiritu sancti. Sta. sta. stagnum. fluxus sanguinis, sicut stetit iordan in quo iohannes ihesum christum baptizauit. Kyrieleison. amen. Pater noster. Ecce crucem. d. f. p. a. u. l. d. t.i. r. d. in nomine domini. Ad instruum sanguinis. Scribat in folio et detur patient hec. Sicut uere credimus quod beata uirgo maria peperit dominum infantem uerum et hominem sic tu uena retine tuum sanguinem in nomine patris. Stomen. Kaloc. Stomen. Meta Fonn35. Dans le même recueil, une autre formule composite a été utilisée contre les fièvres. Elle contient d’abord une série de mots incompréhensibles, puis une série des noms de Dieu ; s’ensuit l’instruction qui préconise l’écriture de l’inscription sur une croix de plomb qui devra être attachée au cou du patient. Cette instruction est suivie de verbes : « Je brûle. Je ressens. Je m’enfuis ». « À droite ». Et finalement, une série de lettres : d.f.y.d.d.e.m.d.d.fy36 Apparemment, l’utilisation des séries de lettres pour arrêter un saignement était assez fréquente ; on a relevé d’autres séries dans des ouvrages médicaux (mais sans
d’Isaac, avec la vertu de David, avec la puissance de Pierre, avec la constance de Paul, avec le verbe de Dieu, avec l’autorité de Grégoire, avec la prière de Clément, avec le fleuve du Jourdain, p p p.c g e g a q q est p t.1 ka b g l k 2 a x.t. g t b am g 2 4 2 1 q ; p.x c g k q a 99 p. o q q r. Oh Père unique = oh Seigneur unique + Et Jésus + passant au milieu d’eux + est venu + Au nom du Père + et du Fils + et du Saint-Esprit ». 34 Londres, BL, Sloane 962, f. 135v (xve s.), T. Hunt (éd.), op. cit., p. 96. « Pose ces signes écrits sur quelque chose sur le nombril : Fais pe. n. m. x. a s. z. i. ii. iii ». 35 Durham Cathedral Chapter Library, Hunter 100, f. 118, D. C. Skemer (éd.), Binding Words. Textual Amulets in the Middle Ages, Pennsylvania, Pennsylvania State University Press, 2006 (Magic in History), p. 80, n. 11. « Pour arrêter le sang coulé des veines. / Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Arrête. arrête. l’écoulement du sang arrêté comme s’est arrêté le Jourdain dans lequel Jean a baptisé Jésus-Christ. Kyrie eleison. amen. Notre Père. Voici la croix. d. f. p. a. u. l. d. t.i. r. d. au nom du Seigneur. Pour arrêter le sang. On doit écrire sur une feuille et on doit la donner au patient. Comme nous croyons vraiment que la sainte Vierge Marie a enfanté un vrai enfant et homme, de la même façon toi, veine, retiens ton sang au nom du Père. Stomen. Kaloc. Stomen. Meta Fonn ». 36 Ibid.
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la transcription intégrale des charmes). John Ardene (1307-1377) préconise contre le saignement du nez ou blessure : p.x.b.c.p.o.p.x.a.b.q.a37. ou encore Thomas Fayreford (écrit entre 1420 et 1460) : G.k.B.x.k.2.l.o.x.a.o.l.R.o.l38. De même, pour savoir si un malade mourra ou guérira, on doit également utiliser l’inscription des lettres sur un œuf : Perrét un eof ke seit puns meime le jor k’il ad maladie, si escrivét su cette lettres i.so.s.p.q.x.s.y.x.s.9.o. Pus metét cel of là ors de[suz] le cel en saf liu e pus lendemein depescét cel of. Si sanc en ist, si murrat ; si n’i ad nul signe de sanc, si garrat. Esprové chose est. (Le charme vernaculaire est suivi par sa version latine.)39
Les brevia et les amulettes composites. Usage ponctuel, usage permanent Pour les usages ponctuels, répétés et surtout permanents, on confectionnait des amulettes écrites sur parchemin ou papier. Elles pouvaient contenir aussi bien les formules compréhensibles qu’inintelligibles. Appelées brevia ou brefs, ces pièces ont disparu la plupart du temps en raison de leur fragilité, mais on les trouve souvent citées dans les réceptaires. Par exemple, un recueil de recettes en latin et en provençal, rédigé par un notaire à la fin du xive siècle, contient le texte de quatre brevia dont trois contre la fièvre40. Il existait aussi des brefs personnalisés, par exemple un feuillet conservé à Pise (fin xive-début xve siècle)41, assurant la protection contre la peste d’un certain Dominicus : … ego famulus tuus Dominichus in tua protezione comitto animam42 Le texte se termine avec la demande : libera famulum tuum Dominicum (libère ton serviteur Dominique). De même, à la fin du xve siècle, le franciscain observant
37 Londres, BL, Sloane 56, f. 2. 38 Londres, BL, Harley 2558, f. 125v. Cf. L. T. Olsan, « Charms and Prayers in Medieval Medical Theory and Practice », Social History of Medicine, 16 (2003), p. 343-366. 39 Londres, BL, Sloane 3550, f. 224, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 139. « Prenez un œuf qui a été pondu le jour même qu’il y a la maladie, et écrivez sur ces lettres i.so.s.p.q.x.s.y.x.s.9.o. Puis mettez cet œuf en un lieu sûr et puis le lendemain écalez cet œuf. Si du sang en sort, il mourra ; s’il n’y a aucune trace de sang, il guérira. La chose est éprouvée ». 40 D. Le Blévec, « Pharmacopée populaire en comtat venaissin : les recettes du notaire Jean Vital (1395) », Razo, 4 (1984), p. 127-131. 41 Pise, Biblioteca Universitaria, 726 Ronc., F. Cardini (éd.), « Il ‘breve’ (sec. xiv-xv). Tipologia e funzione », Ricerca Folklorica, 5 (1982), p. 63-75, ici p. 72. 42 « moi, ton serviteur, Dominique, je confie mon âme à ta protection ».
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Bernardino de’ Bustis cite deux brevia personnalisés dans un sermon. Le premier a été offert à un certain Sambuco contre les fièvres : Dio ve salvi miser Sambuco, pane e sale io ve lo adduco, febre terzana e febre quartana e febre d’ogni di, tollitela voi che non la volio mi43. Il évoque aussi un autre exemple, porté sur une certaine dame Gioanna, et qui fut ouvert par le confesseur de l’auteur, pour montrer l’ignorance des utilisateurs des brevi. Gioanna pensait qu’elle avait un écrit protecteur, mais en réalité, c’était un sortilège : Madona Gioanna de la febre quartana Dio ve mandi lo malo anno e la mala septimana44. Quelques amulettes écrites composites ont été conservées. Elles contiennent un amalgame de tous les genres de formules apotropaïques, comme si l’on avait voulu renforcer l’efficacité de la pièce par tous les moyens. Mais on peut aussi penser que ce genre d’amulette pouvait servir de modèle pour la confection des brevia particuliers. L’amulette de la Bibliothèque de la cathédrale de Canterbury45 est un exemple extrêmement intéressant. C’est une feuille de parchemin de 51,2 cm × 42,7 cm, écrit sur ses deux faces. L’écriture gothique textualis est organisée en 8 colonnes de 84 lignes. On y trouve aussi une nouveauté : le dessin des sceaux magiques. La feuille devait être conservée pliée, formant 32 rectangles de 12,8 × 5,3 cm. Elle est datable du milieu du xiiie siècle. Il s’agit d’une véritable anthologie de formules apotropaïques, constituant des séries plus ou moins bien délimitées. Ce sont les listes des noms divins qui sont les plus nombreuses ; elles reviennent neuf fois (noms du Christ, noms de Dieu, noms du Seigneur). Parmi les formules apotropaïques « classiques », on trouve la Lettre d’Abgar, l’évocation de la Lettre de Charlemagne (deux fois), de celle de Colomban, la formule des Sept Dormants d’Éphèse. La partie la plus cohérente concerne les formules pour arrêter le sang : pratiquement toutes les formules connues sont rassemblées. Les formules sont plusieurs fois précédées d’une instruction : col. 1 : on recommande de regarder « ces signes grecs » (mais qui sont en fait des lettres latines) pour avoir la grâce de tout le monde ; plus loin, pour être aimé et honoré de tout le monde, et pour être protégé de toute perturbation, on propose d’avoir sur soi une série de lettres avec des mots inintelligibles ; plus loin, d’autres lettres apportent la victoire pour celui qui les portera honnêtement, et personne ne pourra lui nuire ; ensuite, on trouve une liste de noms divins, que l’on recommande de porter sur soi attaché (in lineo mundo). Dans la colonne 4, une série de lettres est précédée d’une liste de noms divins. L’instruction dit que « Celui qui portera ces lettres sur soi sera 43 « Que Dieu vous sauve, messire Sambuco ; je vous apporte du pain et du sel ; emportez la fièvre tierce et la fièvre quarte et la fièvre de n’importe quel jour, car je n’en veux pas ». 44 Bernardino de’ Bustis, Rosarium sermonum, F. Conti (éd.), Preachers and Confessors against “Superstitions”. The Rosarium sermonum by Bernardino Busti and its Milanese Context, Ph. D. thèse, Budapest, CEU, 2011, p. 198. « Dame Gioanna de la fièvre quarte, que Dieu vous envoie la mauvaise année et la mauvaise semaine ». 45 D. C. Skemer, Binding Words, p. 285-304.
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invaincu ». Dans la colonne 5, il y a aussi une petite série de lettres après des noms divins. L’instruction précise qu’il faut dire ces noms contre la tempête qui cessera aussitôt. Plus loin, avant une série de lettres, on trouve l’indication selon laquelle « Le seigneur pape Léon a envoyé à Charlemagne qui se hâta à la guerre ces lettres qu’un ange du Seigneur avait apportées à saint Grégoire et que tous les chrétiens doivent porter sur eux ». La dernière série de lettres se trouve dans la colonne 6, dans la série de formules pour arrêter le sang. On recommande de les écrire sur un bref et de le suspendre sur la poitrine – aussitôt le sang s’arrête. Pour ceux qui n’y croient pas, on propose de faire l’expérience avec un porc comme on l’a vu plus haut. Dans certains cas, les brefs devaient être liés sur une partie précise du corps. Dans un manuscrit anglo-normand de la Lettre d’Hippocrate, pour arrêter le sang, les lettres écrites sur deux morceaux de parchemin devaient être liées sur les deux cuisses. L’efficacité de la formule pouvait être prouvée en tuant un porc : Item escrivez icestes lettres en parchemin en deus lius, si li liez sur ambesdeus les quisses. Si vus nel creez, escrivez les lettres en un cutel, si en ociez un porc ; ja gute de sanc ne li charra. Cestes sunt les lettres p.g.c.p.e.v.o.x.a.g.z46. Pour la femme en difficulté pour accoucher, une recette provençale propose deux solutions : une pratique rituelle et une inscription. Le rituel recommande de prendre de la terre en se tournant vers la porte, puis en mettre sur la tête de la femme en travail. Si cela ne marche pas, il faut écrire des lettres et les lier à sa cuisse : P(er) e(n)trav(i)same(n)t d’e(n)[fant]. Per femena a cui es entrav(i)satz l’enfant el cors prenes la t(er)ra on se torneia la porta ; si la metes sus lo cap d(e) la femna en cros, e tantost lo gitara. E si per aventura tot no(n) lo gieta escrives aquestas letras e lias las li a la cueissa : r.m.?.?.o.t.r.o.x.a.b.l.q.q.f.m.q.r47. Dans d’autres cas, on préconise le port des brefs sur soi. Dans un réceptaire du xive siècle (Oxford, Bodl., Rawlinson C. 814, f. 44), on trouve une « recette » pour obtenir tout ce qu’on veut, notamment la prospérité et la richesse. On doit écrire les lettres et les porter dans sa main gauche : + dd + R.d. + qd.qdd + qq + o oc.ocx Ad.q.ss. + c.d.o.9.W o or.h.c.m.e.ad. + Pour la protection contre l’ennemi, on propose une série de lettres à porter sur soi :
46 Londres, BL, Harley 978, f. 34v, T. Hunt (éd.), op. cit., p. 124. « Puis écrivez ces lettres en parchemin en deux morceaux, et liez-les sur les deux cuisses. Si vous n’y croyez pas, écrivez les lettres sur un couteau et tuez avec un porc ; aucune goutte de sang n’en sortira. Ce sont les lettres p.g.c.p.e.v.o.x.a.g.z. ». 47 Princeton, Garrett 80, f. 11, M. S. Corradini Bozzi (éd.), Ricettari medico-farmaceutici medievali nella Francia meridionale, I, Florence, Olschki, 1997 (Accademia Toscana di Scienze et Lettere “La Colombaria”, Studi 159), no 100, p. 176. « Pour l’enfant en position transversale. Pour la femme dont l’enfant est de travers dans le corps, prenez de la terre en se tournant à la porte ; et mettez-la en croix sur la tête de la femme et aussitôt elle enfantera. Et si par hasard elle ne se délivrera pas, écrivez ces lettres et liez-les à la cuisse : r.m.?.?.o.t.r.o.x.a.b.l.q.q.f.m.q.r. ».
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Enemicz. Persona q(ue) velha q(ue) sois enemicz no li fasso degun mal, porte aquestas en escritz sobre sy : e.et.o.q.t.q.g.ooo.12.1.o.n.o.n.q.q.99.f.p.e.d.n.h.o.v.xxv48. Pour ne jamais être emprisonné à tort, on doit porter des lettres écrites sur parchemin vierge : Prionier. A perssona q(ue) sia mes a tort en presson, porte ho aga aquestas letras escrichas en parguames verges : rr.ii.x.b.q.e.b.a.e.nq.q(ue)..p.i.+49 L’écrit des charmes devait parfois se faire en secret. Pour avoir un enfant, on devait écrire un charme sur un parchemin vierge sans que le mari et la femme fussent au courant : Per aver e(n)fant. A femna q(ue) non pot aver enfant, fassa escrieure aquestas paraulas en parguames verges de guiza e de manieyra q(ue) lo marit ni la molher non sapia deguna caussa, portant sobre sy : o.dd.u.d.o.d.r.p.s.50. Le fait que l’utilisation d’une formule ne nécessitât pas la compréhension de son sens est confirmé par quelques témoignages. On recommanda même de ne pas ouvrir les brevia, car ils perdraient leur efficacité. En 1425, dans un sermon prononcé à Florence, Bernardin de Sienne s’indigne contre cette croyance51. En 1530, le théologien espagnol Pedro Sánchez Ciruelo a constaté que beaucoup de personnes s’abstenaient de lire les amulettes textuelles, craignant que les formules perdent leur pouvoir après l’ouverture des amulettes52. Ces formules de protection étaient parfois fabriquées et diffusées par de véritables escrocs. Dans une facétie (1450), Poggio Bracciolini raconte qu’un frère qui prêchait aux paysans aux environs de Tivoli, leur donna un breve contre la peste tout en leur recommandant de ne pas l’ouvrir avant quinze jours, sans quoi il perdrait son efficacité : mais une fois ouvert, le breve contenait deux vers obscènes53.
48 Auch, AD du Gers, I4066, S. Corradini Bozzi (éd.), no 48, p. 219. « Ennemis. Une personne qui veut que son ennemi ne lui fasse aucun mal, qu’il porte cela écrit sur soi : e.et.o.q.t.q.g.ooo.12.1.o.n.o.n.q.q.99 .f.p.e.d.n.h.o.v.xxv. ». 49 Ibid., no 54, p. 245. « Prisonnier. La personne pour qu’il ne soit emprisonné à tort, qu’il porte ces lettres écrites sur un parchemin vierge : rr.ii.x.b.q.e.b.a.e.nq.q(ue)..p.i.+ ». 50 Ibid., no 40, p. 242. « Pour avoir un enfant. A la femme qui ne peut pas avoir d’enfant, fais écrire ces paroles sur un parchemin vierge de manière que ni le mari ni la femme n’en aient connaissance, portant sur soi : o.dd.u.d.o.d.r.p.s. ». 51 Bernardin de Sienne, Le prediche volgari. Predicazione del 1425 in Siena, « Questa è la predica contro e’ maliardi e incantatori », C. Cannarozzi (éd.), Florence, 1958, t. II, p. 62 : « Ingiustizia è chi à brevi, segni d’ingiustizia è chi dice : ‘Non aprire quello breve, che oerdara la virtu se tu l’apri’ ». 52 Pedro Sánchez Ciruelo, Reprobacion de las supersticiones, p. 75, cité par Skemer, Binding Words, p. 144 et n. 52. 53 P. Bracciolini, Facezie ccxxxii ; trad. fr. Le Pogge, Facéties – Confabulations. Texte latin, note philologique et note S. Pittaluga, trad. fr. et introd. É. Wolff, Paris, Les Belles Lettres, 2005 (Bibliothèque italienne), p. 137 : « Femme, si tu files et que ton fuseau tombe/ Te penchant pour le ramasser garde le cul fermé ». Cf. É. Zanone, « Le ‘breve’ entre fiction et réalité. Les représentations d’une amulette dans les écrits religieux et les nouvelles en Toscane au xive et au xve siècle », Cahiers d’études italiennes, 10 (2010), p. 39-54, ici p. 51.
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Un rare témoignage d’un enlumineur nommé Jean Guillemer, arrêté en 1472, soupçonné d’avoir participé à un complot, apporte de précieuses informations sur la circulation des brefs et sur la façon dont son possesseur les considérait54. Il avait rassemblé un grand nombre de brefs lors de ses déplacements, mais lui-même en avait écrit et mis en mémoire plusieurs « pour aider à guérir. » Le prévôt l’interrogea sur chaque pièce de bref ; dans plusieurs cas, l’enlumineur souligna qu’il ne connaissait pas le sens des croix et des écritures, même s’il savait pour quel usage servaient les brefs55.
La protection permanente : les joyaux prophylactiques Les amulettes textuelles pouvaient être portées sur soi dans des bourses ordinaires mais aussi dans des étuis décorés : une telle pièce est conservée au Pierpont Morgan Library à New York. C’est une petite boîte cylindrique décorée avec les images de sainte Marguerite et le dragon, de saint Pierre et de Jean Baptiste. Elle contient un rouleau de la Vie de sainte Marguerite écrite à la fin du xve siècle56. Il était courant d’utiliser des formules pour renforcer la vertu prophylactique des joyaux57. L’un des plus célèbres bijoux prophylactiques, le pendentif de Middleham (fabriqué entre 1450 et 1475) représente particulièrement bien cette tendance. Il réunit plusieurs éléments : image, étui à relique ou à sacramental, pierre précieuse, inscriptions. C’est un petit boîtier en or, comportant sur son avers un saphir – pierre précieuse de couleur céleste, d’une valeur protectrice générale – et une image gravée de la Trinité. Le cadre de cette face porte une inscription apotropaïque : Ecce agnus dei qui tollis peccate mundi – Tetragrammaton – Ananizapta. Si le début est emprunté à la liturgie de la messe, les deux noms « magiques » figurent souvent dans les charmes écrits. Tetragrammaton désigne le nom hébreu de Dieu en quatre lettres (YHWH) ; Ananizapta – d’une étymologie peu sûre – fut censé protéger contre l’épilepsie et l’empoisonnement. Sur le revers est figurée la Nativité, et sur les bordures, les quinze saints auxiliaires. La petite boîte renfermait probablement un Agnus Dei58 ainsi que de minuscules parcelles de reliques59. Porter sur soi, ou avoir à proximité des objets
54 A. Lecoy de la Marche, « Interrogatoire d’un enlumineur par Tristan l’Ermite », Revue de l’art chrétien, 35 (1892), p. 396-408. 55 Exemple : « Interrogué sur le huictiesme article, que signiffie ung autre brevet en parchemin de la largeur de demi doy, qui est escript en latin, et y a plusieurs croix : dit qu’il ne scet qui lui a baillé, à quoy il est bon, de quoy il sert, ne qu’il signiffie, fors qu’il lui semble qu’il est bon pour guerir des fièvres » (p. 407). 56 D. C. Skemer, Binding Words, p. 158-159. 57 Sur les joyaux médiévaux, voir le livre magistral de R. V. Lightbown, Mediaeval European Jewellery with a Catalogue of the collection in the Victoria & Albert Museum, Londres, Victoria & Albert Publishing, 1992. 58 Les Agnus Dei (Agnuses), fabriqués avec un mélange de baume, de cire d’abeille provenant du cierge pascal, et de chrême, représentaient l’Agneau de Dieu et tiraient leur valeur protectrice de la bénédiction pontificale. On croyait qu’ils étaient efficaces pour la protection des femmes enceintes et contre le péril du feu et de l’eau. Cf. E. Mangenot, « Agnus Dei », Dictionnaire de théologie catholique, t. I, Paris, 1899, col. 605-613. 59 J. Cherry, The Middleham Jewel and Ring, York, The Yorkshire Museum, 1994 ; P. Murray Jones, L. Olsan, « Middleham Jewel : Ritual, Power, and Devotion », Viator, 31 (2000), p. 249-290.
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prophylactiques devait assurer la permanence de leur effet bénéfique. On insérait des reliques dans le revers des pendentifs afin qu’ils soient au contact du corps. Il existait aussi d’autres modalités pour augmenter l’effet de la virtus – le pouvoir thaumaturgique – des joyaux prophylactiques. L’ouverture d’un reliquaire permettait le contact avec les reliques par le toucher et par la vision. Le plus souvent, les inscriptions sur les joyaux sont des versets bibliques utilisés comme formules apotropaïques60, comme par exemple Jhesus autem transiens per medium illorum ibat (« Jésus, passant au milieu d’eux, s’en alla », Luc IV, 30). La formule était utilisée pour protéger les voyageurs en particulier des voleurs. Jean de Mandeville évoqua son usage : « Ainsi, en souvenir de ce que Jésus passa parmi les Juifs cruels et leur échappa, on demande d’échapper en toute sécurité au péril des larrons61 ». Dans l’inventaire de Charles V62, plusieurs objets portent cette inscription : « une pomme à façon d’une pomme garnye d’ambre, laquelle est d’argent, et a escript ou milieu Jhesus autem transeans » (no 2260) ; « Ung reliquaire carré, d’une pierre blanche où est la gésine Nostre Dame d’une part, bordé d’un pou d’argent où il a escript Jhesus autem transiens » (no 2558) ; ou encore une pomme d’argent « en laquelle a ung cercle par le mylieu où est escript Jhesus autem transiens » (no 3088). Une autre formule apotropaïque, le début de l’Évangile de Jean (in principio erat verbum), était encore plus répandue. Le verset figurait sur des Agnus Dei (« Ung Agnus Dei garny d’or, où est escript l’Évangile saint Jehan », no 584) ; sur des ceintures (« Une seinture d’un tissu de soye, où est escript l’Éuangille saint Jehan », no 2776) ; ou encore sur une broche représentant le roi à genoux devant saint Denis, avec « l’évangile saint Jehan escripte au doz » (no 3138). Les noms des Trois Rois Mages, utilisés avant tout pour se préserver du « mal caduc » (l’épilepsie), étaient inscrits sur des boucles d’attache : « fermail a pendre les bourses à la poictrine, escript de lettres des troys roys de Coulogne » (no 591) ; « fermail d’or, esmaillé d’azur, ou nom des troys roys d’une part, et de Avec Maria, d’autre » (no 629) ; ou sur des bourses : « fermail d’or où pendent les bourses du Roy à sa cote, endroit sa poictrine ouquel sont troys saphirs et troys ballaiz carrez, ouvrez à feuillages et neellé, escript au dos des noms des troys roys de Coulogne et, au dessoubz, d’un empereur séant, tenant la pomme et le ceptre » (no 593). Sur les bagues, on trouve parfois non seulement des inscriptions protectrices mais aussi des images de Dieu, de la Vierge et des saints63. Un anneau du xve siècle découvert à Coventry porte l’image du Christ de Pitié et de ses cinq plaies, chacune accompagnée d’une inscription en anglais : The well of
60 Pour une approche générale cf. E. Bozoky, Charmes et formules apotropaïques, op. cit. 61 Jean de Mandeville, Voyage autour de la terre, ch. XIII, traduit et commenté par Ch. Deluz, Paris, Les Belles Lettres, 1993, p. 85. 62 L’inventaire du mobilier de Charles V roi de France de 1380, J. Labarte (éd.), Paris, 1879 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France, 3e série, Archéologie). 63 Voir O. M. Dalton, Franks Bequest. Catalogue of the Finger Rings. Early Christian, Byzantine, Teutonic, Mediaeval and Later, Londres, 1912, en particulier p. 109-111 et 135-142 ; A. Ward, J. Cherry, Ch. Gere et B. Cartlidge, La bague de l’Antiquité à nos jours, Fribourg, Office du Livre, Paris, La Bibliothèque des Arts, 1981, en particulier J. Cherry, « Les bagues médiévales », p. 51-86.
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everlastingh lyffe ; The well of comport ; The well of gracy ; The well of pitty ; The well of merci. À l’intérieur se trouve un mélange de formules dévotionnelles et magiques : Vulnera quinqu’ dei sunt medicina mei, pia crux et passio XPI sunt medicina michi ; Iasper Melchior Baltasar tetragrammaton. Les formules comme AGLA, Ananizapta et d’autres mots magiques, comme + Buro + Berto + Berneto, ont souvent été inscrites sur des bagues64.
L’effacement de la frontière entre objet dévotionnel et objet profane Si la plupart des joyaux prophylactiques cumulent des propriétés protectrices, à la fin du Moyen Âge, on peut aussi constater une tendance à l’effacement des frontières entre les objets dévotionnels et profanes65. Ils peuvent avoir la même forme, et les fonctions religieuse et profane peuvent coexister dans le même objet. C’est le cas notamment des pommes qui contiennent du musc et de l’ambre et qui apparaissent au xiiie siècle et dont certaines peuvent aussi renfermer des reliques. Celle du Louvre (2e moitié du xive siècle) s’ouvre en quatre quartiers dont chacun est muni d’un couvercle coulissant, portant une inscription qui désigne les reliques qui s’y trouvent. Sur la bordure on peut lire une inscription plus longue : Ce sont les reliques des s. Martirs – Ci sunt les reliques des Confessors – Ci sunt les reliques de Vierges – Ci sunt les reliques des Apostres66. L’inventaire de 1380 de Charles V mentionne des pommes-reliquaires semblables : « une pomme d’argent, neellée par dehors à bestes, laquelle se euvre par quartiers, pour mectre relicques » (no 2853) ; « une pomme d’or, laquelle se ouvre à vuys par quatre quartiers à mectre relicques » (no 2874) ; « une pomme de cristal, à mectre relicques, garnye d’or, et se euvre à vuiz, et a plusieurs relicques dedens » (no 2878). Certaines portaient aussi la formule Jhesus autem transiens (Luc IV, 30). Les accessoires de vêtement pouvaient aussi avoir une fonction apotropaïque. Par exemple, certaines broches renfermaient des reliques comme le fermail-reliquaire à aigle du Musée du Moyen Âge de Paris. Sur l’avers se trouve un aigle, constitué de pierreries (grenats, rubis, saphirs, perles) ; le pourtour octolobé contient des logettes pour reliques (milieu du xive siècle, Bohême ou Italie du Nord)67.
64 J. Evans, Magical Jewels of the Middle Ages and the Renaissance particularly in England, Oxford, Clarendon, 1922, p. 123-132. 65 Cf. E. Bozoky, « Private reliquaries and other prophylactic jewels: new compositions and devotional practices in the fourteenth and fifteenth centuries », in S. Page (éd.), The unorthodox imagination in late medieval Britain, Manchester et New York, Manchester University Press, 2010, p. 115-130. 66 Les fastes du gothique. Le siècle de Charles V, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1981, p. 258-259 (no 209). 67 É. Taburet-Delahaye, L’orfèvrerie gothique (xiiie-début xve siècle) au Musée de Cluny, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1989, p. 248-250, no 131.
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Conclusions Premièrement, l’usage de certaines catégories des formules apotropaïques est comparable à celui des bénédictions et exorcismes liturgiques dont d’ailleurs elles empruntent souvent les éléments. Lorsque le sens des paroles prononcées était compris par l’utilisateur, on peut supposer qu’il avait un effet psychosomatique. En effet, les charmes ont été utilisés au même titre que les recettes médicales : on peut parler d’une véritable médecine alternative. Dans plusieurs cas, les réceptaires proposaient à la fois une recette et un charme. Les maladies et les affections ciblées les plus fréquentes étaient les fièvres, le mal de dents, les affections des yeux, le saignement, les plaies, les vers, les accouchements ; de façon générale, les problèmes de santé dont on pouvait espérer une issue heureuse. Le sens des formules écrites pouvait tout à fait échapper à l’utilisateur qui devait faire confiance à leur fabriquant ou à leur diffuseur (vendeur). En dehors de l’usage éphémère de certains charmes écrits, d’autres devaient assurer la protection permanente, à l’instar de celle des reliquaires privés et des images saintes que l’on portait sur soi ou que l’on gardait chez soi. Pour les reliquaires privés, attachés au cou, le contact avec le corps était essentiel, tout comme dans le cas des brevia liés au corps de la malade. Le port et la contemplation de certaines images – celle de plaie de côté du Christ, la mesure de la longueur du corps du Christ, etc. – connurent le même usage que les charmes de protection contre les dangers et divers maux68.
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68 Cf. E. Bozoky, « La protection privée », in La Protection spirituelle au Moyen Âge, no spécial des Cahiers de Recherches Médiévales (xiiie-xve s.), 8 (2001), p. 175-192.
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Conclusion
Charles Garcia
La formularité au prisme des formules liturgiques
Depuis la première rencontre nancéienne de 20101, la question de la « formularité » médiévale s’est voulue interdisciplinaire. Sans rien changer à la problématique originelle, c’est une optique similaire qui a été maintenue à Poitiers en 2018. Or une telle diversité d’approches pose d’emblée un certain nombre de problèmes car le croisement de domaines aussi différents que l’histoire de l’art, la diplomatique, la musicologie, la philologie ou l’histoire avec leurs méthodologies respectives accroît la difficulté d’aboutir à une véritable synthèse. Est-il possible de rassembler des domaines aussi distants dans une même perspective ? Existe-t-il un élément structurant susceptible de regrouper toutes les expressions formulaires et qui serait, en même temps, l’essence de la formule au Moyen Âge ? Rien n’est moins sûr. Ainsi, dès lors que la proposition soulève des questionnements difficiles à résoudre, il est sans doute préférable de varier l’angle d’approche utilisé lors des précédentes rencontres pour tenter d’aboutir à une conclusion. L’angle que j’ai choisi est celui des formules liturgiques, il prendra bien entendu en compte les résultats des communications poitevines, en les augmentant parfois des conclusions extraites de quelques articles des colloques précédents, sans pour cela perdre de vue la globalité et la complexité de la question de la « formularité ». Quelles étaient les formules les plus connues, les plus diffusées et les mieux partagées par les femmes et les hommes du Moyen Âge ? Assurément celles utilisées à l’occasion de la messe dominicale, c’est-à-dire celles de la célébration eucharistique qui, très curieusement, n’ont pas été étudiées en tant que telles depuis l’origine du projet de recherche sur « la formule / les formules ». Or dans la société de l’Occident latin, entièrement structurée par l’Église, il apparaît que le moment de la réitération des formules anaphoriques, ou non, est bien celui de la messe, qu’elle fût quotidienne et, surtout, hebdomadaire. Le sacrifice eucharistique était en effet le moment privilégié des scansions verbales ou musicales, cas des psaumes par
1 É. Louviot (dir.), La formule au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2012. Charles Garcia • Université de Poitiers et CESCM La Formule au Moyen Âge IV, sous la direction d’Élise Louviot, Charles Garcia et Stephen Morrison, Turnhout, 2021 (Atelier de Recherche sur les Textes Médiévaux, 31), p. 287-291 © FHG10.1484/M.ARTEM-EB.5.124033
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exemple, mais aussi de silences comme l’a récemment démontré Vincent Debiais2, toutes sortes de ponctuations en somme qui, à force de répétitions, étaient certes mémorisées par les clercs qui les prononçaient, mais aussi par les laïcs. C’étaient pour l’essentiel des répétitions rythmiques et rimées semblables à celles employées dans les formules apotropaïques qui s’en étaient inspirées (Edina Bozoky). Il faut cependant signaler qu’il n’y eut pas de formules fixes de l’office divin avant le ive siècle et que seules les prières, jusqu’au xiiie siècle, étaient celles du canon qui s’était construit progressivement et dont le schéma resta longtemps invariable : action de grâces, récit de l’institution, anamnèse (prière qui suit la consécration) et épiclèse (invocation au Saint Esprit). Le propre des formules est la répétition, ce qui ne veut pas dire que celles relevant du domaine eucharistique étaient forcément figées, comme inertes, tant elles conservèrent tout au long du Moyen Âge une dimension rituelle qui permit à l’Église de se légitimer en s’inscrivant dans une continuité séculaire et d’en inventer, également, de nouvelles. Les illustrations médiévales des livres liturgiques montrent parfois la variance des images par rapport à la stabilité de la formule orale, ce qui pose l’interrogation sur les éventuelles influences des enluminures sur le rite eucharistique et souligne la souplesse des énonciations dans un registre différent par rapport à l’écriture et à l’oralité, de sorte que les variations iconographiques sont souvent enrichies par les connotations suggérées par les contextes. Saint Hilaire, docteur de l’Église et patron de Poitiers, cité où il est inhumé, observa le premier que le contact avec les choses divines exigeait une forme linguistique particulière, hautement noble, une forme qui s’écartait de la langue de communication. On déduit de ces remarques que c’est bien la primauté accordée à la langue hiératique qui a favorisé la persistance des vieilles formules, y compris dans les documents qui se situent à mi-chemin du religieux et du profane (Leticia Agúndez San Miguel). Pour le saint poitevin, la prédication, comme la messe ou la Sainte Ecriture, exigeait une langue pleine d’onction, révérencieuse. En fait, les médiévaux pensaient que le contact avec le divin éloignait la langue de l’usage courant, qu’il diminuait la fonction sociale de la langue en tant que simple outil – medium – de communication au profit de l’expression des mouvements de la sensibilité, c’est-à-dire des émotions qui favorisaient la conservation des formes anciennes. Pour résumer, on pourrait dire que les formules de la liturgie gardaient une distance entre, d’un côté, le mystère religieux et spirituel, proche des formules « inintelligibles » semblables à celles des « formules apotropaïques » et, de l’autre, la vie profane et matérielle. Comme pour les documents écrits des chancelleries, cas de la « corroboratio dans les documents portugais » (Maria Cristina Cunha et Maria João Oliveira Silva), des « formules diplomatiques dans les scriptoria de Compostelle » (Adrián Ares Legaspi) ou dans celles des princes de Savoie (Florentin Briffaz), les formules de la messe se trouvent à des endroits précis qui déterminent non seulement leur fonction, mais qui impliquent aussi une signification propre, une intention particulière, sachant que leur manifestation est plus stable par rapport aux autres formes d’expression. 2 V. Debiais, Le silence dans l’art, Paris, Le Cerf, 2019.
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Le paradoxe de la formule est donc qu’elle conjugue banalité et autorité, ce qui ne l’empêche pas d’être en même temps porteuse de sens, comme on peut le constater dans l’institutionnalisation des procédures juridiques mises en place par Alphonse X de Castille (Pilar Ostos Salcedo). Ce phénomène est tout aussi valable pour les formules des épitaphes, dont bien sûr celle de hic jacet, la plus célèbre de toutes, caractérisée par sa récurrence, la fixité de sa forme et sa qualité structurante pour le texte, ou le discours, qui l’accueillent à une place singulière. Leur répétition à différents moments du récit en fait des « formules » au sens strict du terme pour reprendre la définition qu’en donne Jack Goody3. L’office divin médiéval a fait l’objet d’une étude très complète par Éric Palazzo dans sa dimension politique, culturelle et sociale4. Lors de la célébration du culte, certains moments étaient plus importants que d’autres, et par conséquent les formules qui étaient prononcées durant ces séquences aussi, cas par exemple du moment où le desservant énonçait le « langage autorisé » qui avait pour but de rappeler la mémoire et le sacrifice christiques présents dans les Évangiles : Hoc est enim corpus meum (ceci est mon corps) ; Hic est enim calix sanguinis mei (ceci est le calice de mon sang) ; In mei memoriam facietis (vous le ferez en mémoire de moi). En même temps que l’énonciation, l’accomplissement du sacrement était le signe qui « effectue ce qu’il représente » car, comme le suggère Éric Palazzo, c’est bien dans la prononciation (formulaire) que résidait l’efficacité sacramentelle de la parole. C’est ce que cet auteur appelle la « parole en acte », ou encore la « formule en acte ». Il apparaît donc que les formules langagières de la messe étaient des instruments qui permettaient de signifier, d’exprimer des pensées mais aussi d’agir sur les choses. L’usage de ces formules était par ailleurs destiné à accroître la solennité d’un rituel, la formule constituant la répétition théâtralisée et conventionnelle d’un rite qui permettait à l’Église d’exprimer son ordre et de le justifier (Adele Di Lorenzo), ainsi que de condamner toute déviation (Agnès Blandeau). Le style formulaire structurait et donnait sens à la célébration. Une célébration esthétique qui mettait en branle les cinq sens, dont l’esthétique visuelle semblable à celle que donnent à voir les documents de Saint-Jacques de Compostelle. L’art du beau étant l’art du vrai, c’est pourquoi la formule liturgique In nomine dei ou domini est d’un usage aussi fréquent dans bon nombre des intitulés initiaux et finaux des manuscrits de l’Occident latin. À travers la parole, car les formules de la célébration eucharistique étaient à la fois écrites et orales, la prière dans la messe mettait en scène deux catégories d’acteurs, les acteurs actifs (prêtres) et les acteurs passifs selon les moments (fidèles), mais toujours présents (ces deux catégories constituant ensemble l’ecclesia, c’est-à-dire la communauté ou l’assemblée réunie des chrétiens). Prises dans leur globalité, les formules de la messe étaient à la fois hiératiques et solennelles, ce qui n’enlevait rien à leur caractère émouvant, d’où leur efficacité, leur performativité, à l’instar de ce qui se produit dans les récits de miracles eucharistiques, à travers l’usage
3 J. Goody, La raison graphique : la domestication de la pensée sauvage, traduit de l’anglais et présenté par J. Bazin et A. Bensa, Paris, Éditions de Minuit, 1978, p. 200. 4 É. Palazzo, Liturgie et société au Moyen Âge, Paris, Aubier, 2000.
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cha r l e s ga rc i a
du verset de saint Paul : « Qui manducat et bibit indigne… » (François Wallerich) ou, enfin, dans les charmes des textes anglais (Véronique Soreau) ou des herbiers français (Valérie Gontero-Lauze). Dans cet ensemble multiforme, la formule médiévale la plus répétée était sans doute celle qui procède du vocable hébreu « Amen » (qui signifie « ferme », « stable », « qui dure », que l’on a traduit finalement dans les langues vernaculaires par « ainsi soit-il »), un vocable qui confirme l’acquiescement du destinataire du discours : le plus souvent le fidèle. Cette formule apparaît dans le canon au ixe siècle et se propagea rapidement. Elle entra dans le vocabulaire des chrétiens par la liturgie (par la voix), et non par les traductions (les textes). C’est un héritage de la communauté primitive de Jérusalem, comme alleluia (louez Yahvé) qu’aucun mot grec disponible ne pouvait rendre efficacement. C’est un mot simple et sacré – une formule – qui n’a jamais été considéré comme étranger et qui perdure encore aujourd’hui. Cependant, est-il possible de parler de formule pour une expression aussi réduite ? Sans doute si on l’insère dans l’ensemble de la célébration eucharistique, mais en aucun cas si l’on suit la définition proposée par Paul Zumthor, un auteur pour lequel une formule se définit par la combinaison d’un rythme, d’un schème syntaxique et d’une certaine détermination lexicale. Le fait est que les formules demeurent un procédé mnémotechnique qui, malgré leur aspect rhétorique, prennent une valeur pleine qui leur donne une authentique profondeur spirituelle. Sur l’ancrage de la langue liturgique des premiers siècles, et sa persistance jusqu’à une date récente, on retiendra également le cri de supplication : « Kyrie eleison » grec (« Seigneur aie pitié »), qui manifeste une tendance des formules à rester fidèles aux traditions des premiers chrétiens car il ne faut pas oublier que le grec fut la langue de la liturgie durant les premiers siècles, y compris à Rome. La liturgie est enfin à l’origine de formules absentes de l’office ordinaire, comme par exemple celle de « anima requiescat in pace », très importante dans le rituel des funérailles après le xiie siècle puisque la messe pour les défunts ne se terminait pas par la conclusion ite missa est de la messe quotidienne, mais par la formule requiescant in pace amen telle qu’elle apparaît dans le Rationale divinorum officiorum de Guillaume Durand. L’analyse des formules de la messe n’est pas nouvelle, elle exista aussi au Moyen Âge. Albert le Grand (1200-1280) et Thomas d’Aquin (1224-1274) traitèrent la question linguistique au xiiie siècle, puis ce fut le tour de Jean Duns Scot (1266-1308). Dans leur ensemble, ces auteurs sont d’accord pour dire que pour que l’eucharistie fût comprise, sa manifestation formulaire devait être impeccable. Pour ces théologiens, les fautes de prononciation avaient des effets néfastes sur le rite, d’où l’importance accordée à l’énonciation qui devait être correcte pour ne pas abaisser le sacrement. Cette formulation étant bien entendu au cœur de la célèbre controverse médiévale sur l’eucharistie : consubstantiation et transsubstantiation, définie comme dogme par le IV concile de Latran en 1215. Dans le contexte liturgique médiéval, l’énonciation des formules concernait, comme nous l’avons observé, autant les paroles que la performativité du rite. Ainsi, certaines formules appelaient une réponse (Per omnia saecula saeculorum (d’origine biblique) / Amen. Dominus vobiscum / et cum spiritu tuo. Sursum corda / Habemus ad Dominum. Gratias agamus Domino Deo nostro / Dignum et iustum est ; … Ite missa est – Deo gratias ; …). Ces formules impliquent que l’unité
L a fo r m u l ar i t é au p r i s m e d es fo rmu le s li t u rgi q u e s
linguistique n’était complète qu’une fois le rite effectué, outre la participation de tous à la célébration. Les unités (formules) énonciatives ne se limitaient pas, bien évidemment, à la célébration eucharistique puisqu’elles apparaissent également dans des domaines proches comme les psalmodies responsoriales ou les prières litaniques similaires à celles du rosaire consacré à la Vierge (turris eburnea, domus aurea, ianua caeli, stella matutina…), ou aux répétitions, variations et différences qui sont présentes dans les recueils des miracles mariaux. Ces formules sont également présentes, dans un registre différent mais dans un but identique, dans les textes narratifs tels l’Alliterative Morte Arthure (Colette Stévanovitch et Anne Mathieu), ou dans les encyclopédies à prétention savante autour de la question de la tripartition du monde (Natalia Petrovskaïa). La raison d’avoir choisi de réfléchir aux formules dans la célébration eucharistique est proche du penchant des théologiens médiévaux pour les formules sacrées, une propension qui était liée au fait que l’univers (cosmos) était contenu (résumé) dans la liturgie. En tant qu’ordre divin, le discours énonciatif devait être parfait pour ne pas l’altérer car les paroles bien dites étaient l’un des moyens privilégiés qui permettaient l’accès à Dieu, donc à la vérité. C’est sans doute la quête de la recherche de la vérité au Moyen Âge qui nous a réunis autour de cette question lors des journées poitevines de 2018 sur la « formule ».
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Table des manuscrits
Auch, Archives Départementales du Gers, I 4066 278 Bamberg, Staatsbibliothek Hist 3 200, 215 Braga, Arquivo Distrital de Braga, Mitra Arquiepiscopal de Braga, Cartulários, liv. 1 (= Liber Fidei) 17, 20-26 Cambridge, Gonville and Caius College, 457 266 Cambridge, Trinity College Library, MS O. 1. 13 237-250, 256-258, 261, 299-300 Cambridge, Trinity College Library, MS R. 14. 32 237-245, 261 Cambridge, Trinity College Library, MS R. 14. 51 237-241, 251-254, 261, 299 Durham, Cathedral Chapter Library, Hunter 100 274 Lincoln, Lincoln Cathedral Library, 91 (= Thornton MS) 139 Lisboa, Arquivo Nacional da Torre do Tombo, Colegiada de Santa Maria Oliveira de Guimarães, liv. 1(= Livro de Mumadona) 15-27 Lisboa, Arquivo Nacional da Torre do Tombo, Cónegos Regulares de Santo Agostinho, Mosteiro do Salvador de Grijó, liv. 50 (= Baio-Ferrado) 17, 20-26 Lisboa, Arquivo Nacional da Torre do Tombo, Ordem de Cister, Mosteiro de Santa Maria de Arouca, liv. 243 (= D. Maior Martins) 18, 20-21, 26-27 Lisboa, Arquivo Nacional da Torre do Tombo, Ordem de Cister, Mosteiro de Lorvão, códice 49 (= Liber Testamentorum Cœnobii Laurbanensis) 17, 20-26 Lisboa, Arquivo Nacional da Torre do Tombo, PT/TT/MSCC/L100 (= Livro Santo de Santa Cruz de Coimbra) 18-22, 26-40 Lisboa, Arquivo Nacional da Torre do Tombo, PT/TT/MSCC/L101 (= Livro de Don João Teotónio) 29-40 London, British Library, Additional 28681 206 London, British Library, Additional 33956 190 London, British Library, Additional 15236 270-271 London, British Library, Harley 2558 275 London, British Library, Harley 273 270-271 London, British Library, Harley 978 277 London, British Library, Sloane 146 269 London, British Library, Sloane 3550 275 London, British Library, Sloane 3564 272 London, British Library, Sloane 475 267
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ta bl e d e s m an u s c r i t s
London, British Library, Sloane 56 275 London, British Library, Sloane 962 274 Oxford, Bodleian Library, Digby 29 240, 270 Oxford, Bodleian Library, Digby 86 268 Oxford, Bodleian Library, Junius XI 144, 161 Oxford, Magdalen College, 14 200 Paris, BnF, lat. 14947 191 Paris, BnF, lat. 16481 186 Pise, Biblioteca Universitaria, 726 Ronc. 275 Porto, Arquivo Distrital do Porto, Convento de São Salvador de Paço de Sousa, liv. 79 (= Liber Testamentorum) 17-26 Princeton, Princeton University Library, Garrett 80 277 Salisbury, Cathedral Library, 80 200 Santiago de Compostela, Catedral de Santiago de Compostela, CF 15 (= Liber Tenencie Horro) 96 Santiago de Compostela, Catedral de Santiago de Compostela, CF 19-21 (= Libros de Constituciones) 89 Santiago de Compostela, Catedral de Santiago de Compostela, CF 28 (= Breviario de Miranda) 87, 95 Santiago de Compostela, Catedral de Santiago de Compostela, CF 35 (= Libro de posesiones, anexiones y sinecuras) 89 Wien, Österreische Nationalbibliothek, 2817 268
Index des œuvres et auteurs
Aaron Danielis (Henry Daniel) 240 Adon de Vienne 185 Agnus Castus (Anonyme) 238, 251, 260 Albert le Grand 290 Alliterative Morte Arthure 6, 12, 139-162, 291 Alphonse X de Castille 65-67, 70, 8082, 85-86, 107, 207, 213 Anonymus Leidensis 210, 212 Antidotaire Nicholas 228-229, 235 Arbolayre, voir Le Grant Herbier Aristote 258-260 Ars Notariae (Salatiel) 67-8, 70, 73, 80 Augustin d’Hippone 6, 49, 52, 168-169, 204 Avicenne 249, 258, 260 Barthélemy l’Anglais (Bartholomaeus Anglicus) 203-204, 212-16, 251, 261 Barthélemy, évêque de Laon 11-12, 43-64 Bède le Vénérable 49, 210 Benoît de Sainte Maure 207 Bérenger de Tours 182-185 Bible 8, 51, 58, 168-171, 181-195, 205, 223, 255-257, 289 Matthieu 56, 185 Luc 56-57, 280-281 Jean 272, 280 Actes 51 Paul 51, 57, 183, 187-188, 290 Brunetto Latini 201-202, 205, 208-209, 212 Buno, Johannes 211 Canon (Avicenne) 249 Césaire de Heisterbach 184
Chaucer, Geoffrey 163, 209-210 Chrétien de Troyes 209-210 Chronicon (Réginon de Prüm) 188 Chronique de Savoye de Cabaret 116120, 126 Circa instans (Matheus Platearius), voir Liber de simplicibus medicinis Clarke, Samuel 211 Clément de Rome 51 Compendium Medicinae (Gilbert l’Anglais) 240 Concilia (Monumenta Germaniæ Historica) 52-53, 58 Conciliator differentiarum philosophorum et praecipue medicorum (Pietro D’Abano) 258 Confessions (Augustin d’Hippone) 6 Conte de la Prieure (Chaucer) 172-177 Croxton Play of the Sacrament 170-171, 176 Cyprien de Carthage 187 Dante Alighieri 208-209 De anima (Aristote) 258 De corpore et sanguine Domini (Paschase Radbert) 182-183 De corporis et sanguinis veritate in sacramento (Guitmond d’Aversa) 185 De curis mulierum (Trota de Salerne) 240 De herba vettonica (Pseudo-Antonius Musa) 251 De lapsis (Cyprien de Carthage) 187 De materia medica (Dioscorides) 249 De opere monachorum (Augustin d’Hippone) 52
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in d e x de s œu vr e s e t au t e u r s
De proprietatibus rerum (Barthélemy l’Anglais) 203, 251 De questionibus tenebre (sermon) 166 De simplicium medicamentorum temperamentis et facultatibus (Galien) 249 De viribus herbarum (Macer Floridus / Odo Magdunensis) 245, 251 Dioscorides 245, 249-250 Disputison bytwene a cristenmon and a Jew 177 Dives and Pauper 173-178 Duns Scot, Jean 290 Enarrationes in Psalmos (Augustin d’Hippone) 49 Epistolae selectae (Monumenta Germaniæ Historica) 54-55, 183 Espéculo (Alphonse X) 65-66, 70-77 Évagre le Scholastique 186 Fuero Real (Alphonse X) 66, 77 Galien 245 Genèse du manuscrit Junius XI de la Bodléienne 144 Geoffrei Gaimar 207 Geoffroi de Monmouth 140, 207 Gilbert l’Anglais (Gilbertus Anglicus) 240 Giraud de Barri 207 Good Friday (sermon) 168 Gossouin / Gautier de Metz 233 Grant Herbier ou Arbolayre 228-229 Gratien 44, 55 Grégoire de Nazianze 52 Grégoire de Tours 186 Grégoire le Grand 6, 47, 56, 58, 60 Grégoire VII 53-55 Guillaume de Saint-Thierry 192 Guillaume Durand 67, 290 Guitmond d’Aversa 185
Harrowing of Hell (York Corpus Christi play) 168-171 Henry Daniel 240, 247-248, 261-262 Herbert de Clairvaux 185 Hildegarde de Bingen 259 Hincmar de Reims 52 Hippocrate 6, 241, 245, 247 Hippolyte de Rome 52 Histoire ecclésiastique (Évagre le Scholastique) 186 Histoire naturelle (Pline l’Ancien) 211, 251, 259-260 Historia Regum Britanniae (Geoffroi de Monmouth) 139-140 Honorius Augustodunensis 201, 205, 209 Hou a iew lente a cristenemon moneye… 169 Hou a Jew putte his sone in a brennyngge ouene… 172 Hugues de Saint-Victor 45, 208 Humbert de Moyenmoutier 183 Ignace d’Antioche 51 Image du Monde (Gossouin / Gautier de Metz) 233 Isidore de Séville 49, 197-217 Jérôme 205 John of Gaddesden 240 Lancelot du Lac 232 Lanfranc du Bec 183 Lettre d’Aristote à Alexandre ou Secretum Secretorum 233 Liber de simplicibus medicinis ou Circa instans (Matheus Platearius) 228 Liber Divinorum Operum (Hildegarde de Bingen) 259 Liber in gloria martyrum (Grégoire de Tours) 186 Liber Uricrisiarum (Henry Daniel) 240, 260
i n d e x d e s œu vre s e t au t e u rs
Liber visionum et miraculorum Clarevallensium (Herbert de Clairvaux) 185 Libri VIII Miraculorum (Césaire de Heisterbach) 184 Livre de la fontaine de toutes sciences, voir Livre de Sydrac Livre de Sydrac ou Livre de la fontaine de toutes sciences 12, 221-236 Lydgate, John 175 Macer Floridus / Odo Magdunensis 244-245, 251 Martyrologium (Adon de Vienne) 185 Martyrologium (Usuard de SaintGermain-des-Prés) 185 Matheus Platearius 228 Mémoires d’Olivier de la Marche 111-112 Météorologiques (Aristote) 259 Natural History, voir Histoire Naturelle Nicolas de Soissons 189 Nouveau Testament, voir Bible Odo Magdunensis, voir Macer Floridus Orose 6, 198-200, 204-208, 211-212 Otton de Freising 204-205 Parliament of Hell ; Temptation (N-Town Play 23) 170 Partidas (Alphonse X) 65-80, 85-86 Paschase Radbert 182 Paul de Tarse 6, 11, 51, 57, 183, 187-8, 290 Paulus Orosius, voir Orose Pierre de Limoges 185-186 Pietro D’Abano 258 Pline l’Ancien 211, 245, 251, 259-260 Praier to St. Robert (Lydgate) 175 Primera crónica general
Prioress’s Tale, voir Conte de la Prieure Pseudo-Antonius Musa 251 Raban Maur 49 Réginon de Prüm 188-189 Registre des lettres (Grégoire le Grand) 43, 58, 60 Règle pastorale ou Regula pastoralis (Grégoire le Grand) 43, 47-50, 60 Remorse of Judas (York Corpus Christi play) 175 Rosa medicinae ou Rosa anglica medicinae ( John of Gaddesden) 240 Salatiel 67-70, 73, 80 Samson, archevêque de Reims 55 Secretum Secretorum, voir Lettre d’Aristote à Alexandre Semeiança del mundo 202, 205 Siete Partidas del muy noble Rey don Alfonso el Sabio, voir Partidas Speculum iudiciale (Guillaume Durand) Speculum maius (Vincent de Beauvais) 233 Strubbe, Johannes 211 Thomas d’Aquin 290 Trota de Salerne 240 Usuard de Saint-Germain-des-Prés 185 Vincent de Beauvais 233 Virgile 204, 207 Vita prima sancti Bernardi (Guillaume de Saint-Thierry) 192 Vita sancti Godefridi episcopi Ambianensis (Nicolas de Soissons) 189 Wigfrid, évêque de Verdun 54 Wynnere and Wastoure 169
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Table des illustrations
Figure 1
Figure 2
Figure 3
Figure 4
Figure 5 Figure 6 Figure 7
Figure 8 Figure 9
Traslado de un foro del monasterio de San Paio de Antealtares, 1488, Archivo Histórico Universitario de Santiago, Fondo de Pinario, Pergamino 104, Santiago de Compostela. © Archivo Histórico Universitario de Santiago.92 Anexión del monasterio e iglesia de San Jorge de Codeseda a la mesa capitular de Santiago de Compostela por el arzobispo Lope de Mendoza, 1410, Archivo-Biblioteca de la Catedral de Santiago, Documentos sueltos, 1/7-2, Santiago de Compostela. © Archivo-Biblioteca de la Catedral de Santiago.94 Título colativo de beneficio otorgado por el provisor de Santiago, Gonzalo de Ribeira, 1487, Archivo Histórico Universitario de Santiago, Fondo Universitario, Bienes, Pergamino 325, Santiago de Compostela. © Archivo Histórico Universitario de Santiago.100 Título colativo de beneficio otorgado por el arzobispo de Santiago, Alonso de Fonseca, 1492, Archivo Histórico Universitario de Santiago, Fondo Universitario, Bienes, Pergamino 332, Santiago de Compostela. © Archivo Histórico Universitario de Santiago103 Mappa mundi T-O, version schématique. © Natalia I. Petrovskaia.206 Ffor the hevede ache, Middle English medical recipe against the headache. MS O.1.13, Folio 46r, Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century) Facsimile. © Trinity College, Cambridge.242 What man þat wil on leche crafte lere on leche craft lere […]: verse introduction to Middle English medical recipes. MS O.1.13, f. 45v, Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century). Facsimile. © Trinity College, Cambridge.246 Þis is þe lytil boke of þe vertuys of rosemaryne. Treatise on the virtues of rosemary. MS O.1.13, f. 77r., Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century). Facsimile. © Trinity College, Cambridge.248 Medical poem on Betony, from: A tretys of diverse herbys. MS R.14.51, ff. 34v-34r, Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century) Photo. © Trinity College, Cambridge.254
3 00
ta bl e d e s i l lu s t r at i o n s
Figure 10 Ffor þe feuers. Middle English medical recipe against the fevers. MS O.1.13, f. 47r, Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century). Facsimile. © Trinity College, Cambridge.256 Figure 11 Here is a charme for þe blody flux. Middle English charm. MS O.1.13, f. 48v, Trinity College Library, Cambridge. (Fifteenth century). Facsimile. © Trinity College, Cambridge.258
Table des matières
Introduction Élise Louviot5
Expression du pouvoir Le formulaire de la corroboratio dans les documents d’un cartulaire médiéval portugais Maria Cristina Cunha et Maria João Oliveira e Silva15 Los prólogos de los cartularios de Santa Cruz de Coimbra (siglo xii) Entre la continuidad y la innovación formularia Leticia Agúndez San Miguel29 Pro ratione officii nostri debemus Les devoirs du bonus pastor dans les actes de l’évêque Barthélemy de Joux (1113-1151) Adele Di Lorenzo43 Derecho es que se fagan lealmente El formulario de la compraventa de Sevilla en la segunda mitad del siglo xiii Pilar Ostos Salcedo65 La presentación gráfica de las fórmulas diplomáticas en documentos y códices de Santiago de Compostela en los siglos xiv y xv Adrián Ares Legaspi85 Formuler la prééminence du prince en Savoie (xiiie-xve siècles) Florentin Briffaz111
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ta bl e d e s m at i è r e s
Récits Les formules désignant le roi Arthur dans l’Alliterative Morte Arthure Anne Mathieu et Colette Stévanovitch139 The Stereotypical Representation of the Jewish Figure in Some Late Medieval English Texts Agnès Blandeau163 Usage des formules bibliques dans les récits de miracles eucharistiques L’exemple du verset Qui manducat… (1 Cor 11, 29) François Wallerich181 La formulation tripartite du monde dans les encyclopédies et textes littéraires du Moyen Âge Natalia I. Petrovskaia197
Protéger et guérir A il herbe pour mal de teste ? Formules et style formulaire dans Le Livre de Sydrac Valérie Gontero-Lauze221 Medicinal Formulas and the Art of Healing : The Power of Words A Study of Middle English Extracts from Medical Recipes of MSS O. 1. 13, R. 14. 32 and R. 14. 51 Véronique Soreau237 Les formules apotropaïques Le pouvoir de la parole, le pouvoir des lettres Edina Bozoky265
Conclusion La formularité au prisme des formules liturgiques Charles Garcia287 Table des manuscrits
293
Index des œuvres et auteurs
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Table des illustrations
299