La chimie et les grandes villes 9782759821532

Les meilleures projections actuelles font état que 70 % au moins de la population mondiale sera citadine en 2050. Commen

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French Pages 272 [266] Year 2017

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La chimie et les grandes villes
 9782759821532

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La chimie et les grandes villes

Cet ouvrage est issu du colloque « La chimie et les grandes villes », qui s’est déroulé le 9 novembre 2016 à la Maison de la Chimie.

 « COLLECTION CHIMIE ET ... » Collection dirigée par Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de La Maison de la Chimie

chimie grandes villes La

et

les 

Yves Brunet, Stéphane Delalande, Paul-Joël Derian, Valérie Issarny, Romain Lacombe, Christophe Ladaurade, François Michel, Carlos Moreno, Jacques Moussafir, Muriel Olivier, Sandra Rey, Bernard Saunier, Frédéric Thévenet, Jean-Paul Viguier Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Conception de la maquette intérieure et de la couverture : Pascal Ferrari et Minh-Thu Dinh-Audouin Images de la couverture : Fotolia.com – 9 comeback, monicaodo, monticello, vectorfusionart ; 123 rf. Iconographie : Minh-Thu Dinh-Audouin Mise en pages et couverture : Patrick Leleux PAO (Caen)

Imprimé en France

ISBN : 978-2-7598-2134-1

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, ­réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de ­l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, ­«  toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette ­représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences 2017

EDP Sciences 17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage : Yves Brunet Directeur de Recherche INRA

François Michel Directeur général Saint-Gobain plafonds

Stéphane Delalande Responsable des Opérations Scientifiques Externes – PSA Groupe

Carlos Moreno Professeur Expert international de la ville intelligente

Paul-Joël Derian Directeur Sciences et Technologies SUEZ Valérie Issarny Directrice de recherche Inria Romain Lacombe CEO et co-fondateur Plume Labs Christophe Ladaurade Directeur Commercial Climespace

Jacques Moussafir PDG et co-fondateur ARIA Technologies

Frédéric Thévenet Professeur de l’Institut Mines Telecom IMT Lille Douai, Département SAGE (Sciences de l’Atmosphère et Génie de l’Environnement) Jean-Paul Viguier Architecte, urbaniste Jean-Paul Viguier et Associés

Muriel Olivier Directrice des Affaires Publiques, Recyclage & Valorisation des déchets Veolia Sandra Rey Fondatrice et CEO Glowee Bernard Saunier Membre de l’Académie des Technologies Président de BSR Technologies

Équipe éditoriale : Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny



Sommaire Avant-propos : par Danièle Olivier et Paul Rigny....................................................... 9 Préface : par Bernard Bigot............................... 13

Partie 1 De la grande ville d’aujourd’hui à celle de demain : les défis de la croissance urbaine Chapitre 1 : Fabriquer la ville du futur d’après la conférence de Jean-Paul Viguier.... 19 Chapitre 2 : Les défis des grandes villes : apport possible des chimistes par Carlos Moreno......................................... 49 Chapitre 3 : La ville interconnectée, la ville intelligente d’après la conférence de Bernard Saunier....... 83 Chapitre 4 : La mobilité urbaine par Stéphane Delalande................................ 95 Chapitre 5 : La bioluminescence, une lumière venue de la mer prête à révolutionner la ville de demain par Sandra Rey.............................................. 107

Partie 2 La chimie au service des nouvelles infrastructures urbaines Chapitre 6 : L’eau et la ville par Paul-Joël Derian..................................... 119 Chapitre 7 : Transformer les déchets en ressources d’après la conférence de Muriel Olivier........ 147

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La chimie et les grandes villes

Chapitre 8 : Le réseau de froid urbain au cœur des enjeux énergétiques de la ville durable d’après la conférence de Christophe Ladaurade.............................. 163 Chapitre 9 : La discrète révolution de la performance énergétique des bâtiments par François Michel....................................... 177

Partie 3 Bien vivre en ville : santé et bien-être Chapitre 10 : Les défis de la santé et du bien-être en ville : pollution atmosphérique, nuisance thermique et odeurs par Jacques Moussafir.................................. 193 Chapitre 11 : Impact de la végétation sur le microclimat urbain et la qualité de l’air par Yves Brunet............................................. 217 Chapitre 12 : L’accès à l’information sur la pollution de l’air, pensée et inspirée par les consommateurs d’après la conférence de Robert Lacombe..... 235 Chapitre 13 : Exposition individuelle et collective aux pollutions urbaines d’après la conférence de Valérie Issarny...... 245 Chapitre 14 : Pollution de l’air intérieur en milieu urbain : diagnostiquer et traiter d’après la conférence de Frédéric Thévenet.................................... 261

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La mission de la Fondation de la Maison de la Chimie est de promouvoir la chimie et ses applications pour qu’elle serve le mieux possible l’homme et la société. Il s’agit en particulier de faire prendre conscience à un public non spécialiste (sans oublier les plus jeunes) tout ce que notre vie quotidienne doit à la chimie – qualité de vie, santé, bien être. Il s’agit aussi de montrer que dans leur structure même, nos sociétés dépendent profondément du savoir-faire des industries de la chimie, science et technique à la base de l’économie des ressources et de l’utilisation intelligente des richesses de la nature. Dans ce cadre, la Fondation a développé depuis 2007 une série de colloques « Chimie et… » ouverts à un public varié qui va des lycéens et de leurs enseignants aux collègues scientifiques de la recherche et de l’industrie, en passant par le public le plus large. Les ouvrages de la collection « Chimie et…. » sont issus de ces colloques et ont le même objectif de répondre aux attentes des citoyens curieux et impliqués dans le développement de la chimie pour le présent et pour l’avenir.

La conception nouvelle des villes est tellement prégnante aujourd’hui qu’elle fait partie des facteurs majeurs de l’évolution de la société. 54 % de la population mondiale est « urbaine » en 2016 alors que 36 % l’était en 1970, et cette proportion continue à croître. Ce changement de situation, d’une population rurale à une population urbaine, entraîne des changements considérables sur toute la vie des populations : les infrastructures de toutes natures, pour la livraison de l’eau, de l’électricité, de la chaleur et du froid, pour les transports, pour la communication, pour la gestion des déchets comme pour la pollution… Tout cela est la préoccupation constante des responsables politiques et administratifs. Mais qui a conscience que les problèmes associés à ces développements cachent aussi des questions qui relèvent de la chimie ? Tous les réseaux de distribution en jeu ne fonctionneront dans le long terme que si les matériaux sont appropriés, et leurs fonctionnements ne pourront être suivis et régulés que par le suivi de paramètres chimiques.

Danièle Olivier et Paul Rigny, Fondation de la Maison de la Chimie

Avantpropos

La chimie et les grandes villes

Le mot infernal est ici celui de « congestion ». Toutes ces populations qui rejoignent les villes s’attendent, sans même en avoir conscience, à ce que les conditions minimum leurs soient garanties. Mais comment cela serait-il possible sans une surveillance constante du fonctionnement de la ville, qui impose le suivi des paramètres chimiques ? C’est ce que ce volume invite à étudier. Conformément à la mission de la Fondation de la Maison de la Chimie, la « Ville » est présentée au lecteur comme un domaine – un de plus – où la chimie joue un rôle majeur. Une raison de plus pour encourager les vocations, les recherches et les activités pratiques dans ce domaine. Contrairement à ce qui se passe dans des questions a priori plus globalisées comme le changement climatique (voir Chimie et changement climatique, EDP Sciences, 2016) ou l’énergie (voir Chimie et enjeux énergétiques, EDP Sciences, 2013), il n’existe pas sur la conception et la gestion des villes d’autorité mondiale supérieure. Les politiques des villes sont d’inspirations locales – l’initiative étant plus importante aujourd’hui ici et demain dans une autre capitale. Mais des contacts de coordination féconds existent : telle initiative de contrôle de la pollution se généralise, telle technique de gestion de réseau de distribution est adoptée par des partenaires…

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Les livres de la collection «  Chimie et… » sont destinés en particulier aux enseignants et aux familles des élèves qui

devront choisir une voie professionnelle. Le présent volume La chimie et les grandes villes les invite d’abord à prendre conscience que le développement de l’urbanisation de la société pose des problèmes techniques nouveaux difficiles, donc susceptibles d’intéresser les professionnels, et ensuite à comprendre que dans ces problèmes les réponses des chimistes sont indispensables. « Problèmes difficiles » signifie aussi encouragement à la recherche et à l’innovation. La simple liste des ouvrages de la collection « Chimie et… » (voir ci-dessous) est déjà un enseignement : on voit que peu de domaines de la vie quotidienne ont échappé à son attention… et d’autres colloques (d’autres ouvrages) sont encore à venir ! Toute cette richesse d’informations scientifiques et techniques, et même économiques puisque c’est l’industrie d’aujourd’hui qui est concernée, est précieuse et doit être valorisée. C’est un des rôles du site Internet www.mediachimie. org, que la Fondation a créé en 2012. Ce site est consulté tant pour l’enseignement de la chimie que pour l’instruction du grand public curieux de connaître la réalité technique en profondeur. Que nos lecteurs se rendent sur ce site et cherchent les réponses à leurs questions… Nul doute qu’ils ne reviennent pour approfondir à la lecture, à côté de celle de nombreuses ressources proposées, de l’un des volumes de la collection « Chimie et… », l’un des quinze parus ou l’une des parutions futures.

La chimie et la mer ; Chimie et santé ; Chimie et art ; Chimie et alimentation ; Chimie et sport ; Chimie et habitat ; Chimie et nature ; Chimie et enjeux énergétiques ; Chimie et transports ; Chimie et technologies de l’ information ; Chimie et expertise, sécurité des biens et des personnes ; Chimie et cerveau ; Chimie et expertise, santé et environnement ;

Chimie et changement climatique ; Chimie, dermo-cosmétique et beauté ; La chimie et les grandes villes.

Avant-propos

Liste des ouvrages de la collection « Chimie et… » :

Danièle Olivier Vice-présidente de la Fondation de la Maison de la Chimie Paul Rigny Conseiller scientifique auprès du président de la Fondation de la Maison de la Chimie

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La chimie et les grandes villes

La collection « Chimie et... » a dix ans et ce seizième volume en confirme l’objectif qui est d’informer de façon objective et rigoureuse nos concitoyens, et notamment les plus jeunes, de ce que les sciences et notamment celles de la chimie ont apporté, apportent et apporteront très probablement dans le futur à notre société, sur des thèmes qui concernent tous les secteurs de l’activité humaine : habitat, alimentation, santé, transport, qualité de vie, énergie, industrie, loisirs, art et culture,... Pour atteindre ces objectifs, nous veillons à réunir quelquesuns des meilleurs experts universitaires et industriels, afin non seulement de faire le point sur l’actualité et les développements futurs potentiels de manière accessible à tous, mais aussi pour répondre aux légitimes questions que ces sujets peuvent appeler. Le thème de ce volume La chimie et les grandes villes illustre par ticulièrement bien cette volonté, quand on sait, comme vous le constaterez dans la première partie de l’ouvrage, qu’aujourd’hui 70 % de la population mondiale habite dans 4 200 villes qui comptent plus de 100 000

habitants, et 12,5 % dans l’une des 28 mégalopoles qui comptent plus de 10 millions d’habitants. Sachant que les prévisions relatives à l’évolution de la population mondiale la situent à hauteur de 9 à 10 milliards de personnes en 2050, la population urbaine ne fera qu’augmenter, non seulement en Afrique et en Asie, mais aussi dans les pays occidentaux. Nous sommes donc tous concernés par la prévention de l’impact sur notre santé, non seulement par les risques liés à la pollution atmosphérique urbaine ou à la mauvaise qualité de l’air intérieur, mais aussi par tout ce que les recherches peuvent apporter pour que les services urbains essentiels comme l’eau, l’énergie, l’assainissement, fonctionnent le mieux possible. Nous le sommes tout autant par les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre le bruit, la chaleur, faciliter la mobilité, afin que ces grandes villes du x xie siècle demeurent des lieux de vie agréable, sure et de partage. La première partie de cet ouvrage présente quelques défis posés par cette croissance urbaine.

Bernard Bigot, Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

Préface

La chimie et les grandes villes

L’architecte de grande réputation internationale qu’est Jean-Paul Viguier explique comment dans ces villes du futur on peut, et on doit, associer la modernité de leurs équipements avec la conservation des racines culturelles et la diversité des modes de vie. L’architecte comme le chimiste joue avec la matière, la lumière, l’énergie,… c’est pourquoi le dialogue avec les chimistes est si enrichissant, et il y fait régulièrement appel.

quement disponibles, mais encore d’un coût élevé. Stéphane Delalande, de PSA, explique l’importance de la chimie pour : diminuer le poids des véhicules, donc la consommation, améliorer globalement les performances énergétiques, diminuer l’empreinte environnementale du cycle de vie, développer de nouvelles batteries plus performantes et de nouvelles sources d’électricité pour les futurs véhicules.

Pour Carlos Moreno, expert international de la « ville intelligente », conseiller auprès de la maire de Paris, le xxie siècle sera le siècle des villes et il faut recentrer les défis urbains sur l’humain. Les chimistes sont au cœur de l’évolution des villes, car leur apport est de contribuer à ce que le « métabolisme urbain » permette de créer un meilleur écosystème pour la vie. Sur de nombreux exemples, il montre les enjeux relatifs au stockage de l’électricité, de l’eau, du carbone, sur les vagues de chaleur ou de froid, sur le cycle de vie et sur la place de l’homme dans la ville de demain.

Sandra Rey présente la lumière biologique, qui pourr ait changer le paysage urbain de demain, en utilisant une source lumineuse vivante, issue de la mer, qui ne consomme donc pas d’électricité, qui ne présente pas de pollution lumineuse et émet peu de gaz carbonique.

Bernard Saunier, de l’Académie des Technologies, montre que la ville interconnectée n’est plus une utopie pour optimiser la mobilité, l’usage de l’énergie et de l’eau, la gestion des services administratifs et des services de santé,… mais qu’il faut tenir compte des difficultés sociologiques qui y sont associées.

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La réduction de l’impact environnemental de la mobilité urbaine mobilise les constructeurs automobiles. Les solutions sont techni-

L’apport des sciences de la chimie dans les nouvelles infrastructures urbaines est illustré dans la partie 2. Paul-Joël Derian explique comment l’entreprise SUEZ fait face à la demande croissante d’eau potable dans les grandes villes, malgré la dégradation de la qualité des ressources aisément accessibles, en mettant en place des procédés plus efficaces, moins énergivores, capables d’utiliser de nouvelles sources jusqu’alors plus difficiles à traiter. Toutes ces innovations font appel à la chimie des matériaux, la physico-chimie des traitements séparatifs, la chimie de produits naturels ou renouvelables. Muriel Olivier montre comment non seulement il faut résoudre de façon satisfaisante sur le plan environnemental

Préface le traitement des déchets urbains, mais comment on peut transformer ces déchets en ressources énergétiques pérennes. Avec le réchauffement climatique, le rafraichisseur devient un enjeu d’aménagement urbain. Vous découvrez avec Christophe Ladaurade le réseau de froid urbain d’une grande métropole comme Paris, qui doit être efficace sur le plan énergétique et environnemental. François Michel, de l’entreprise Saint-Gobain, dresse un panorama de la révolution en cours dans l’industrie de la construction pour répondre à la demande d’efficacité énergétique, mais aussi de confort et de bien-être. Pour répondre à ces enjeux, il faut d’abord résoudre un problème de matériaux, avec une amélioration des performances des matériaux traditionnels et l’apparition de nouveaux systèmes encore réservés à des applications de pointe, mais appelés à se démocratiser. De nombreux exemples sont présentés notamment dans le domaine de l’isolation et des vitrages. La dernière partie de cet ouvrage est consacrée au « bien vivre en ville » et aux mesures pour préserver les conditions sanitaires et améliorer le bien-être de leurs habitants. Jacques Moussafir explique pourquoi il faut comprendre les réactions chimiques complexes entre les masses d’air déjà polluées, qui viennent souvent de loin, et les polluants locaux, pour modéliser, prévoir et si possible agir sur la qualité de l’air en ville.

Avec Yves Brunet, on voit qu’au-delà de son rôle microclimatique, la végétation urbaine intervient directement sur la composition atmosphérique et le bilan des polluants. Il est possible de développer une panoplie de modèles de microclimats urbains qui permet de modéliser et de quantifier les effets de la végétation sur la qualité de l’air. La pollution urbaine est la source de diverses pathologies. Robert Lacombe et Valérie Issarny montrent que le citoyen peut se protéger en s’informant mieux, en utilisant, via son téléphone portable, des applications qui lui permettent de connaître son exposition à la pollution atmosphérique et à la pollution sonore, ainsi que les recommandations pour s’en protéger. Frédéric Thévenet fait un état des lieux de la pollution typique de l’air intérieur en milieu urbain, des mesures à prendre et des perspectives en matière de procédés d’épuration. Plus que jamais, on aura besoin des sciences et technologies, notamment de celles de la chimie, pour relever les défis du développement de l’urbanisation, avec à la clé des métiers d’avenir. C’est le message mobilisateur que cet ouvrage souhaite voir être retenu, particulièrement par les lecteurs les plus jeunes et leurs familles. Je vous souhaite une bonne lecture. Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

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la

ville du futur

Jean Paul-Viguier est un architecte français, diplômé de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, et de Harvard en urbanisme. Avec un grand nombre de réalisations très connues à travers le monde à son actif, Jean-Paul Viguier est à la tête de l’Agence Jean-Paul Viguier et Associés1, qui a une activité internationale, et conçoit des immeubles et des espaces urbains culturels ou publics.

Le lien entre l’architecture et la chimie, qui paraît à certains quelque peu surréaliste, est en réalité un lien réel. L’architecture est un art de la force et de la matière, et la chimie n’est pas très différente. Ce lien intime entre la chimie et l’architecture se confirme, les disciplines se rapprochent surtout aujourd’hui car nous retravaillons dans une certaine idée de serendipité2, et expérimentons le métissage et le rapprochement des disciplines. Nous en sommes parfaitement satisfaits et nous découvrons tous les jours de nouvelles voies de travail en commun, et dans ce cadre, « le futur des 1. www.viguier.com 2. Sérendipité : réalisation d’une découverte scientifique ou d’une invention scientifique de façon inattendue à la suite d’un concours de circonstances généralement lors de recherches sur un sujet différent.

villes » est un sujet au cœur de nos préoccupations. La planète s’urbanise, comme cela est rappelé tout au long de cet ouvrage La chimie et les grandes villes (EDP Sciences, 2017), comme le montre la vision satellite de l’état de la planète la nuit (Figure 1). On voit que les zones lumineuses occupées par les êtres humains se concentrent dans certains endroits du territoire en dehors des mers, 50 % de la population mondiale vit maintenant dans des villes, et ces villes se concentrent essentiellement sur le littoral. Nous devons aussi affronter toute une série de difficultés, liées aux problèmes migratoires et aux populations qui partent des espaces ruraux pour aller habiter dans les villes. La question qui se pose est donc de savoir quelles villes allons-nous faire et comment accueillir ces populations pour

Jean-Paul Viguier

Fabriquer

La chimie et les grandes villes

Figure 1 70 % de la population mondiale vit aujourd’hui dans des villes, essentiellement situées sur le littoral.

les rendre heureuses et faire que leur migration, leur voyage, en valent la peine, c’est-à-dire qu’ils soient finalement plus heureux dans les villes. La question se pose aussi pour les espaces naturels puisqu’une fois que les populations auront migré, comment continuerat‑on à les entretenir, à les protéger, à les faire produire, et à y vivre avec bonheur ?

1

Les grandes villes du monde et leurs contrastes

Les architectes sont des grands voyageurs : je vais dans toutes les villes du monde, je regarde, j’observe, j’interroge, je me pose des questions, et chacune de ces villes apporte une partie des réponses aux questions que nous nous posons.

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Pour que ce voyage alimente notre réflexion, je vous propose d’aller dans quelques

grandes métropoles et de regarder deux images dans chaque ville. L’une sera celle non pas du pire mais du plus difficile, c’est-à-dire des quartiers qui s’auto-construisent, qui abritent souvent des populations démunies arrivant comme premiers migrants dans la ville et y cherchant un destin, et nous verrons le bâti que cela provoque. L’autre sera la partie moderne, qui se veut glorieuse, de la ville, et notamment ce qu’on pourrait imaginer aujourd’hui que sera la ville dans le futur. 1.1. Hong-Kong (Chine) 1.1.1. Kowloon : le bidonville dangereux et insalubre C’est Kowloon qui est représentée sur la Figure 2. Ce bloc urbain très dense a été évidemment bâti sans architecte mais a permis aux premiers migrants de trouver un ac-

Fabriquer la ville du futur

cueil. C’est une construction impénétrable, située au centre Hong Kong, pratiquement sans service, où tout est organisé par un bricolage généralisé : l’énergie, l’évacuation des eaux, les fluides nécessaires à la population. Les avions passent à vingt mètres au-dessus des habitations. L’aéroport, fort heureusement, a été maintenant déplacé, mais l’évolution de la ville s’improvise alors que la réflexion préalable ou continue qui aurait dû être liée à l’accueil des populations nouvelles n’a pas eu lieu. Donc les réponses aux problèmes sont spontanées et parfois fois très violentes ou inadaptées. Les populations sont entassées dans des immeubles monotones, identiques, sans charme, et, dans le même quartier, on a entassé les vivants, mais aussi les morts par manque de place.

Figure 2 La citadelle de Kowloon était un bloc urbain très dense et impénétrable. Source : Wikipédia, licence CC-BY-SA-4.0, Ian Lambot.

1.1.2. La ville nouvelle de Kowloon Pour mieux répondre à l’accroissement des populations, la ville a construit un nouveau quartier sur l’île de Kowloon qui reflète une volonté de modernité exacerbée, déjà largement dépassée (Figure 3), et nous verrons plus loin pourquoi. 1.2. Lagos (Afrique) 1.2.1. Des bidonvilles modernes pour accueillir la population rurale Changeons de continent pour arriver à Lagos en Afrique (Figure 4), où la population rurale a également fortement migré dans la ville. LagosIbadan abrite maintenant plus de 20 millions d’habitants. La

Figure 3 Kowloon a tenté de répondre à la question de l’accueil des populations par la construction d’une ville à la modernité exacerbée déjà dépassée.

croissance de la ville résulte des ressources pétrolières qui ont enrichi le pays artificiellement car les industries, l’agriculture et l’artisanat ne se sont pas développés. L’exploitation pétrolière a favorisé la migration rurale massive, et la ville, n’arrivant

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La chimie et les grandes villes

Figure 4 Lagos (Nigéria), enrichie artificiellement par les ressources pétrolières, est envahie par la migration rurale à laquelle elle n’arrive pas à faire face.

Les architectes africains de Lagos ont imaginé que le destin des « shanty town » était une « shanty town » en hauteur dans laquelle on reprend les mêmes éléments que ceux des bidonvilles. On fait donc passer les routes et les autoroutes dans ces lieux, qui sont souvent des lieux de désespoir, et on y fait surgir des tours qui sont fabriquées avec les mêmes éléments hétéroclites que les bidonvilles au sol, c’est-à-dire des tôles et du bois de récupération. Le futur possible proposé aux habitants de Lagos n’est donc finalement qu’une modernisation du bidonville (Figure 5). 1.2.2. Des rêves pour la ville du futur Les architectes et les urbanistes de Lagos rêvent d’un futur qu’ils expriment par cette image de la Figure 6. Mais ils continuent à imaginer ce futur avec les arguments du e xx siècle sans bien connaître ce que sera l’évolution de la ville et donc apportent des réponses fondées sur des éléments du passé. 1.3. Buenos Aires (Brésil)

Figure 5 Lagos : les bidonvilles anciens, en contraste avec les bidons villes modernisés. Source : www.dezeen.com

pas à y faire face, a vu apparaître ce qu’on appelle des « shanty town », c’est-à‑dire des bidonvilles.

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Quel est dans ces conditions le destin possible de Lagos ? Comment peut-on régler ces problèmes d’une manière heureuse ?

1.3.1. Des favelas de Buenos Aires… Continuons ce grand tour par l’Amérique du Sud et la ville de Buenos Aires, où les observations précédentes sont tout aussi applicables. On voit sur la Figure 7 les immenses favelas 3 brésiliennes. 3. Favela : bidonville brésilien situé sur des territoires occupés illégalement, le plus souvent insalubre et construit avec des matériaux de récupération.

Fabriquer la ville du futur Figure 6 La ville du futur pensée par les architectes et urbanistes de Lagos reprend les arguments du passé pour une ville répondant aux préoccupations et mutations actuelles. Source : www.ekoatlantic.com

Figure 7 Les favelas côtoient la ville qui continue à prendre de la hauteur, rendant le sol de moins en moins sécurisé. Source : Wikipédia, licence, CC-BY-SA-4.0, Leon petrosyan.

1.3.2 …aux quartiers aux hautes tours tout aussi peu sécurisées Dans la ville, la différence entre les très hautes tours et les maisons des quartiers

résidentiels est d’une très grande brutalité (Figure 8). Ces tours très hautes ne créent pas une ville car la rue est inhabitable et très peu sécurisée.

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La chimie et les grandes villes

Figure 8 La différence entre les maisons de quartier et les tours qui ne cessent de prendre de la hauteur est frappante. Source : Wikipédia, licence CC-BY-SA-4.0, Chensiyuan.

1.4. Shanghai (Chine) 1.4.1. Le quartier traditionnel et ses lilong Allons maintenant à Shanghai. L’ancien Shanghai était composé de ces habitations traditionnelles appelées lilong4, qui côtoient maintenant les hautes tours (Figure 9). Beaucoup de ces habitations traditionnelles datent de la première moitié du xxe siècle et sont rempla4. Lilong : quartier fermé typique de Shanghai, composé de ruelles étroites et de maisons mitoyennes.

A

cées par des ensembles de grandes tours qui poussent de plus en plus vite. Comme les lilong constituent un patrimoine historique, s’est posée la question de créer au e xxi  siècle une forme de lilong moderne. Les architectes chinois reprennent donc la structure répétitive et orthonormée des lilong pour la projeter dans un futur possible (Figure 10). Évidemment tout cela est construit au milieu des autoroutes car la mobi-

B

Figure 9 24

À Shanghai se pose la question de la rupture ou de l’alliance entre modernité et tradition (A : lilong). Sources : Fotolia- Catherine Perarnaud, SeanPavonePhoto.

Fabriquer la ville du futur

lité est essentielle dans cette mégalopole et les transports en commun au début de leur développement. 1.4.2. Le nouveau quartier de Pudong Cette image du nouveau quartier de Pudong, au bord du Huangpu river (Figure 11), montre comment la modernité du xxe siècle peut s’exprimer d’une manière flamboyante et artificielle à la fois outrageuse avec ses grandes structures colorées, illustrant le savoirfaire et le cosmopolitisme de la ville. 1.5. Paris 1.5.1. La réponse à la question de la densité date de plus d’un siècle À Paris, dès la fin de la deuxième partie du xix e siècle, la densité sur le terrain bâti était l’une des plus élevées du monde. Nous avons à Paris cette expérience de la ville dense dont l’homogénéité est

souvent un frein à son développement. Sa transformation fait craindre la perte de son caractère, de son identité ou de sa valeur (Figure 12). 1.5.2. Le quartier de la Défense : l’approche du xxie siècle

Figure 10 Les « lilong », habitations traditionnelles de Shanghai, évoluent pour répondre aux problématiques urbaines actuelles. Source : Fotolia – Olivier

Le besoin d’accroitre la densité sur le terrain bâti s’est amplifié durant le xxe siècle, et encore plus pour franchir le x xi e siècle, ce siècle du

Figure 11 Le quartier Pudong à Shanghai. La modernité du xxe siècle s’est exprimée par de hauts bâtiments aux structures originales. Sources : Fotolia – Chungking, Oleksandr Dibrova.

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La chimie et les grandes villes

métissage des disciplines. Le quartier de La Défense est l’exemple parisien d’une première approche pour répondre au défi d’une grande densité (Figure 13) par la rupture du modèle antérieur.

2

L’architecture, l’urbanisation et la qualité de vie des citadins

2.1. Les très hautes tours comme réponse à la densité urbaine Pour répondre au problème de l’augmentation de la densité urbaine, j’ai proposé dans les années 2000-2005 un projet de tour qui s’appelle « habiter les nuages » (Figure 14). Plus la population est grande sur un terrain restant constant, plus la densité augmente, mais cela ne suffit pas pour que les gens soient plus heureux et que la ville soit meilleure.

Figure 12 Au cours du xixe siècle, Paris a été confrontée à la question de la densité. Source : William Crochot/Wikimedia Commons/CC BY-SA-4.0.

Figure 13

26

Le quartier de « La Défense » à Paris. Comment utiliser le métissage des disciplines pour relever les défis du xxie siècle ? Source : ensemble immobilier Cœur Défense à La Défense/ Philippe Guignard.

Il faut selon moi y ajouter la mixité de la vie urbaine. Cette tour proposait donc à la fois des logements, des bureaux, des hôtels, des équipements, le tout intégré dans la même structure (Figure 15). Bien qu’on ait beaucoup parlé de cette tour, cette étude est restée dans les tiroirs parce que c’était une grande utopie de la fin du XXe siècle (maquette : collection permanente au Musée de l’Architecture à Chaillot) qui nécessitait une mobilisation de moyens économiques introuvables à cette époque. Ma réponse concrète aux problèmes de la densité urbaine a été la tour Majunga (Figure 16), qui vient d’être livrée et qui, avec 200 mètres de haut, est l’une des plus hautes de La Défense. Cette tour explore les qualités environnementales que doit avoir un bâtiment de grande hauteur : fenêtres qui s’ouvrent, jardins et loggias tous les deux étages, division par deux voire trois

Évidemment ce niveau technologique est techniquement très difficile à atteindre. Par exemple, la différence de pression à 200 mètres de hauteur est importante entre l’intérieur et l’extérieur de la tour, et quand on ouvre une fenêtre à ce niveau, il faut que les pressions s’équilibrent doucement pour ne pas avoir le même effet que l’ouverture d’un hublot dans un avion en vol ! L’autre question importante à prendre en compte est celle du rapport de ces immeubles de grande hauteur avec le sol et la végétation. Les espaces naturels disparaissent quand la ville se densifie, mais la nature peut revenir en ville en pénétrant le monde bâti.

Fabriquer la ville du futur

des consommations d’énergie, luminosité à l’intérieur, formes libres…

construction à New York est celle réalisée par les architectes Herzog et De Meuron, des architectes de Bâle dont on a beaucoup parlé à Paris (ce sont les architectes de la tour Triangle de la Porte de Versailles) en raison de leurs « inventions urbaines ». J’ai moi-même conçu un projet de tour d’habitation de grande hauteur à New York (Figure 18) qui reprend le pr incipe de l ’intégr ation de la végétation, de jardins d’étages, de vérandas, etc. On voit aussi augmenter dans ces immeubles de grande hauteur les équipements qui n’étaient en général réservés qu’aux structures au sol comme par exemple des piscines au trentième étage. Des terrasses qui se remplissent d’ac tivité sont installées sur les toits des immeubles (Figure 19).

Ces nouveaux bâtiments doivent aussi s’inscrire harmonieusement dans le paysage urbain, comme le montre la Figure 17.

2.2. Les nouvelles problématiques du xxie siècle

Un autre exemple de haute tour d’habitation en cours de

Tous ces efforts de modernisation de la conception archi-

Figure 14 Modèle de tour « Habiter les Nuages ». La hauteur n’est qu’une réponse très partielle à la question de la densité de population dans les villes. Source : étude pour une tour résidentielle « Habiter les nuages », Jean-Paul Viguier et Associés.

Figure 15 La tour « habiter les nuages » est originale dans sa structure comme dans la mixité de ses fonctions. Elle est une utopie de la fin du e xx  siècle qui n’a jamais vu le jour. Source : étude pour une tour résidentielle « Habiter les nuages », Jean-Paul Viguier et Associés.

27

La chimie et les grandes villes

Figure 16

28

La tour Majunga, construite à Paris – La Défense, relève le défi de la hauteur en atteignant 200 mètres de haut. Elle se différencie également par ses qualités environnementales et sa forme libre, proposant des jardins et des loggias lumineuses à plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol. Source : Tour Majunga à la Défense/Takuji Shimmura.

Fabriquer la ville du futur Figure 17 La tour Majunga joue dans la cour des grands à La Défense.

Figure 18 Projet de tour pour New York. Les logements de grande hauteur à New York pourraient aujourd’hui intégrer des végétaux et des jardins d’étage. Source : étude pour une tour à NYC, Jean-Paul Viguier et Associés.

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La chimie et les grandes villes

tecturale de la ville ne sont pas suffisants s’ils se fondent sur des arguments du passé, qui n’essaient pas d’intégrer les ruptures technologiques, psychologiques et démographiques du xxie siècle. Il faut imaginer les conséquences de l’urbanisation de la planète autrement qu’en continuant purement et simplement ce que nous avons fait jusqu’ici, car cela mène à cette vue de

Shanghai aujourd’hui, à 9h30 du matin, sur la Figure 20A, à comparer à la vue glorieuse de la Figure 14. Pour se protéger de la pollution, les enfants doivent traverser la ville masqués pour se rendre à l’école (Figure 20B). On se rend au travail à bicyclette, pour moins polluer, mais il faut mettre un masque sur le nez pour se protéger de la pollution existante ! On observe la même chose à Pékin, à Los Angeles, et dans toutes les grandes métropoles qui se développent et n’arrivent pas à modifier radicalement le modèle urbain (déplacements et mobilité, technique de construction, mixité des fonctions, équilibre harmonieux avec la nature, etc.), à rendre la vie non stressante et saine aux populations. L’habitat urbain doit aussi affronter d’autres nouveaux dangers auxquels les bâtiments ne sont pas préparés : les attaques et agressions de toutes sortes, mais aussi les catastrophes écologiques et

Figure 19 Certains immeubles mettent à profit tous les étages, même le toit, en proposant des terrasses haut de gamme. Source : étude pour une tour à NYC, Jean-Paul Viguier et Associés.

A

B

Figure 20

30

Vue de Shanghai le matin. La qualité de l’air est un enjeu majeur au développement des villes et à l’augmentation de leur population. Sources : Fotolia - Éric Isselée, wusuowei.

peuvent que grandir en hauteur, ou si nous devons chercher à faire revenir la nature dans la ville.

Les villes ne sont pas nécessairement préparées pour cela, et les mutations climatiques vont créer dans les villes des bouleversements auxquels nous devrons faire face (Figure 21). Dans ce cadre, se pose donc la question de savoir si nous devons continuer à évoluer vers des villes extrêmement denses, avec des immeubles qui ne

2.3. Faire revenir la nature dans les villes ?

Fabriquer la ville du futur

météorologiques, comme en 2014 à New York, où il a fallu plusieurs semaines pour évacuer l’eau qui avait envahi le sud de la ville.

Allons-nous avoir d’un côté la nature préservée (Figure 22) et de l’autre côté des villes urbanisées, ou au contraire allons-nous essayer de faire venir la nature dans les villes ? Central Park à New York, créé par le célèbre paysagiste américain F. L. Olmsted (1822-1903)

Figure 21 Les mutations météorologiques sont à prendre en compte dans la modernisation des villes. Sources : Fotolia – Dennis, sdecoret.

Figure 22 L’alliance entre la nature et la modernité : une réponse dans la mutation des villes ? Source : Fotolia - Dave.

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La chimie et les grandes villes

(Figure 23), est le poumon de la ville. Le parc André Citroën que j’ai réalisé à Paris a été une forme de reconquête du territoire urbain par la nature puisque c’était une zone industrielle occupée par les usines Citroën. Évidemment quand la nature revient dans le centre-ville, la ville se transforme.

Figure 23 Vue de Central Park à New York. La nature occupe une place centrale dans la ville de New York, où Central Park est le poumon de la ville. Source : Wikipédia, licence CC-BY-SA-2.0, Ed Yourdon.

Figure 24 Toits, jardins en plein cœur des villes.

Figure 25 32

Apiculture sur les toits de Paris.

La nature en ville est au service de l’homme, et aussi au service de la création d’un lien social. La nature dans la vie urbaine est une nature que l’on pratique, une nature qui sert, mais c’est aussi une nature qui peut produire. On voit un exemple sur les toits de Paris (Figure 24). Sur les toits de l’École Nationale d’Agronomie de ParisTech, les jardins potagers se développent. Pour faire revenir la nature, on réutilise comme lieu de promenade urbaine certains éléments de la ville comme une ancienne voie de chemin de fer, la High Line, à New York, ou comme la coulée verte de Paris (Daumesnil). On voit aussi apparaître du cheptel sur les toitures, comme c’est le cas sur la toiture de notre agence, rue du Champ de l’Alouette à Paris, où nos abeilles ont produit 80 kg de miel sur trois ruches en 2015 (Figure 25). Sur le toit de l’École Nationale d’Agronomie de ParisTech, les légumes et les tomates poussent très bien. Cette volonté de faire revenir la nature en ville est inscrite dans ce projet de gare du Grand Paris que j’étudie pour Bécon Les Bruyères (Figure 26A). Il y est prévu une serre de production

Fabriquer la ville du futur A

B Figure 26 Une gare du Grand Paris, la gare de Bécon Les Bruyères, à l’étude pour répondre aux enjeux de la ville du futur. Un espace public comme cette gare accueille une serre de production, aux mains des associations locales.

de légumes sur la toiture (Figure 26B), dont la gestion sera aux mains d’associations qui cultiveront et vendront ces produits.

Cet ensemble sera intégré dans le complexe très moderne du transport du Grand Paris Express qui est en train de se mettre en place (Figure 27).

Figure 27 La modernisation de la ville se fait grâce à des solutions techniques de pointe.

33

La chimie et les grandes villes

3

Moderniser la ville à partir de son patrimoine

Les grandes villes ont une histoire qui fait partie de leur patrimoine et de leur culture, et la question essentielle pour le futur n’est pas la reconstruction de la ville, mais la transformation de son infrastructure sur des idées neuves. Il faut transformer la ville tout en valorisant son patrimoine, afin de permettre à chaque ville de garder une identité propre et construire son futur à partir de son histoire. La valorisation de ce patrimoine urbain en le projetant dans une idée de modernité est la voie à suivre. Regardons maintenant le cas opposé. 3.1. Masdar, ville autonome construite artificiellement dans le désert Près d’Abou Dhabi se construit une ville de 50 000 habitants, Masdar. Cet exemple est intéressant, car justement cette ville n’a pas d’histoire, mais elle est construite avec les moyens considérables des monarchies pétrolières, ce qui accélère le processus et permet de voir rapidement les résultats. L’objectif est de construire une ville autonome non seulement économe en énergie, mais même capable de produire de l’énergie dans un endroit parfaitement inhospitalier, où il n’y a pas de ressource particulière, en dehors du pétrole.

34

Le plan de cette ville utopique a été dessiné par l’architecte anglais N. Foster avec une vision transversale systé-

mique de l’ensemble urbain : les bâtiments, les rues, la vie urbaine, la santé, la production d’énergie, la forme du bâti, etc. Les anglais ont-ils trouvé dans le Golfe une solution pour la ville du futur ? Dans ce projet de ville sont prévus : des champs de panneaux solaires immenses, des cylindres pour les traitements et le recyclage des effluents, notamment de l’eau (voir le Chapitre de P.-J. Derian, dans cet ouvrage La chimie et les grandes villes). L’architecture des bâtiments est très profonde de manière à protéger du soleil, à créer des microclimats qui soient extrêmement favorables à l’économie d’énergie. Cependant, maintenant que c’est partiellement construit, d’une part on observe que la ville se développe moins vite que ce qu’on imaginait parce que les habitants ne viennent pas, d’autre part que la démonstration n’est pas faite que l’on puisse construire artificiellement une ville du futur autonome, indépendamment de la géographie, de la culture et des feux naturels des populations. 3.2. Favoriser tous les échanges entre les bâtiments Dans les villes d’aujourd’hui, on a toujours cette vision du e xix qui ne s’est pas beaucoup modifiée dans le xxe siècle de la séparation des fonctions et de la séparation des bâtiments : un terrain pour les logements, un autre terrain pour les bureaux, un autre pour une école, etc.

Des essais dans ce sens sont en cours, et certains mêmes ont été réalisés, par exemple à Lyon dans le quartier de Confluences derrière la gare de Perrache : un immeuble de logements et un immeuble de bureaux ont été dessinés par l’architecte japonais Toyo Ito, et construits par l’entreprise Bouygues dans le cadre de ce qu’on appelle la « Smart Grid5 », c’est-à-dire un échange de matières, de fonctions et de fluides entres différentes zones bâties. Par exemple, les bureaux qui ont besoin de froid l’été rejettent des calories puisque les pompes à chaleur s’inversent. Ces calories en général sont perdues, alors que dans ce cas elles sont récupérées par le bâtiment voisin pour produire l’eau chaude des logements où l’on prend des douches tous les jours, même en plein été. Les parkings des bureaux sont utilisés dans la journée, les parkings des logements sont plutôt utilisés la nuit quand les gens reviennent avec leur voiture. On peut ainsi faire la liste de l’ensemble des activités pouvant potentiellement s’échanger d’un immeuble à l’autre. C’est ce que j’ai voulu faire à grande échelle à Lyon Confluence, à Metz quartier de l’Amphithéâtre et à Bruxelles au Heysel près de l’Atonium. 5. Smart Grid : réseau de distribution d’électricité « intelligent », utilisant des technologies informatiques optimisant la production, la distribution et la consommation afin d’améliorer l’efficacité énergétique de l’ensemble du réseau.

Le principe de mixité des fonctions La mixité à l’échelle d’un bâtiment Dans un bâtiment de 100 000 m² destiné aux commerces et aux loisirs, j’ai décidé d’exploiter ce principe de mixité des fonctions. Par exemple dans les quartiers urbains commerciaux, généralement on trouve soit la rue commerçante naturellement ouverte aux intempéries, soit la rue fermée d’un centre commercial dans laquelle on utilise des quantités astronomiques d’air conditionné. J’ai souhaité fusionner ces deux approches : un endroit naturellement ouvert, mais protégé des intempéries par une couver ture de ETFE 6 (Figure 28A).

Fabriquer la ville du futur

Et si ces bâtiments commençaient à se parler les uns avec les autres ?

L’ETFE est un matériau nouveau non issu de la pétrochimie ; il est produit aux ÉtatsUnis, ressemble un peu à de la toile d’abat-jour, est insensible aux ultra-violets et se sublime lorsqu’il brûle. Je l’ai assemblé sous forme de coussins en forme de losanges et les ai gonflés à 1,5 bar de pression (Figure 28B). Nous avons ainsi fabriqué une toiture pour recouvrir le bâtiment avec ce matériau très écologique au sens où il est peu consommateur en énergie, et c’est un matériau durable (Figure 29A). L’ensemble respire, en quelque sorte en pulsation avec les éléments du climat naturel. Comme à Lyon il fait assez beau toute l’année, nous avons posé 6. ETFE : Éthylène Tétrafluoroéthylène, polymère écologique utilisé en architecture.

35

La chimie et les grandes villes A

B

Figure 28 Exemple de réalisation dans le quartier « Confluence » à Lyon. L’ETFE est un nouveau matériau écologique, adapté à la réponse à des contraintes fortes pour la restructuration d’un nouveau bâtiment. Source : pôle de loisirs et de commerces, Lyon Confluence/Takuji Shimmurae.

B

A Figure 29

Exemple de réalisation dans le quartier « Confluence » à Lyon. A) Un bâtiment aux fonctions mixtes dont les différentes parties communiquent se construit à Lyon ; B) un toit innovant, au service d’un bâtiment tourné vers le futur. Source : pôle de loisirs et de commerces, Lyon Confluence/Takuji Shimmurae.

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un hôtel sur cette toiture (en haut à droite sur la Figure 29A). L’ETFE est une très belle matière suffisamment dure pour marcher dessus lorsque le coussin est gonflé (Figure 29B). Cet ensemble abrite un hôtel, des bureaux, des restaurants, des loisirs, des commerces, des cinémas, et constitue un système interactif où toutes ces fonctions échangent et où les fluides et les interactions sont optimisés.

et j’ai pensé que l’on pouvait appliquer ce principe de mixité des fonctions non plus pour un bâtiment mais à l’échelle d’un quartier de ville de 100 000 m2. Ce nouveau quartier est prévu autour du centre Pompidou de Metz (réalisé par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines, Figure 30).

La mixité à l’échelle d’un quartier

La Figure 32 montre que le sol est occupé par des commerces, avec ensuite un étage de bureaux, puis des logements, et

La ville de Metz m’a demandé de créer un nouveau quartier,

Par exemple sur le schéma urbain, toutes les couleurs correspondent à des fonctions différentes (Figure 31).

Fabriquer la ville du futur Figure 30 Un nouveau quartier répondant au principe de mixité se construit autour du Centre Georges Pompidou à Metz. Source : chantier du centre commercial Muse à Metz/Takuji Shimmura.

Figure 31 Des bâtiments aux fonctions mixtes envahissent la ville de Metz. Source : le quartier de l’Amphithéâtre de Metz, Jean-Paul Viguier et Associés.

37

La chimie et les grandes villes

Figure 32 À Metz, dans le quartier de l’Amphithéâtre, des fonctions traditionnellement séparées en différents bâtiments sont réunies pour former une structure interactive. Source : le quartier de l’Amphithéâtre de Metz, Jean-Paul Viguier et Associés.

enfin des terrasses publiques avec vue sur la ville. Bureaux et services sont associés. Les fonctions qui traditionnellement dans l’architecture du e x x siècle étaient séparées, terrain par terrain, bâtiment par bâtiment, s’agrègent en une structure qui devient inter­

A

active, d’une fonction à l’autre, et produit des formes urbaines nouvelles. La Figure 33 montre le chantier en construction avec les commerces en bas, les bureaux au-dessus et les logements qui sont en train de se construire sur la toiture. La

B

Figure 33

38

Une construction à Metz audacieuse à l’intérieur comme à l’extérieur : la construction de bâtiments interactifs alliant plusieurs fonctions est possible grâce à une équipe de spécialistes multidisciplinaire. Source : A) chantier du centre commercial Muse à Metz/Takuji Shimmura ; B) le quartier de l’Amphithéâtre de Metz, Jean-Paul Viguier et Associés.

Ce type de projet demande de l’expérience et beaucoup de travail. Contrairement à l’architecture du XX e siècle où l’architecte cultivait son image d’artiste solitaire, la réalisation de tels projets est un travail de toute une équipe d’ingénieurs et de spécialistes. Je dois coordonner le travail de plusieurs architectes intervenant sur le projet, et souvent, plusieurs maî tres d’ouvr age interviennent aussi. La fabrication de la ville devient collaborative, c’est-à-dire que même si la vision sort d’une seule tête, la mise en place de cette vision et son développement sont un travail collaboratif. Malheureusement en France, nous sommes peu habitués à ces méthodes enseignées depuis longtemps aux États-Unis ou dans l’Europe du Nord. 3.3. Intégrer le présent et le futur dans une ville historique J’ai appliqué cet objectif à un quartier de Bruxelles qui

Fabriquer la ville du futur

forme est audacieuse car il faut que l’architecture provoque dans la ville du futur de l’émotion et de la stimulation.

va accueillir plus de 100 000 habitants sur 400 000 m² (Figure 34). Le quartier à créer est localisé sur l’ancien site de l’exposition universelle de 1958, aujourd’hui visité par 500 000 personnes annuellement, et au milieu duquel se trouve le stade du Heysel, qui n’est plus utilisé depuis que s’est déroulée en 1985 l’une des tragédies les plus marquantes de l’hooliganisme. Le défi est donc de faire renaître ces lieux en harmonie avec la ville (Figure 35). Le croquis de la Figure 36 résume le parti adopté, qui est que le bâtiment lui-même devienne un espace public. En accord avec le Maire de Bruxelles, j’ai rendu à la ville de Bruxelles autant d’espaces publics que ce que je lui en ai pris pour le bâti. Pour réaliser cela, on marche sur les toitures, les bâtiments créent des places et des espaces publics où l’on peut déambuler, il y a des forêts et des fontaines urbaines. On peut ainsi, avec l’agrégation des formes, des bâtiments et des fonctions, concevoir un habitat très durable capable d’apporter une réponse à cette question lancinante de la densité urbaine.

Figure 34 La Grand-Place à Bruxelles.

39

La chimie et les grandes villes

Figure 35 Comment faire naître un nouveau quartier en harmonie avec l’histoire de la ville ? Exemple de Bruxelles. Source : Quartier Europea à Bruxelles, Jean-Paul Viguier et Associés/Golem Images.

Figure 36 Proposition pour la ville de Bruxelles. Un plan d’urbanisation qui conserve à la ville ses espaces verts.

40

Les rues redeviennent des rues normales dans lesquelles les modes de transport sont mélangés (les piétons, le tramway, la voiture, le vélo, Figure 37), afin de rendre possible le rêve urbain qui consiste à avoir le choix

dans les mobilités à chaque moment de la vie quotidienne et selon ses besoins. Le bâtiment n’est plus renfermé sur lui-même comme l’étaient les bâtiments du e xx  siècle, il est ouvert partout, il crée des marchés, des

Fabriquer la ville du futur Figure 37 Une rue réalise le rêve urbain en proposant un large choix de transports. Source : quartier Europea à Bruxelles, Jean-Paul Viguier et Associés/ Golem Images.

Figure 38 Proposition pour la ville de Bruxelles. Le bâtiment nouveau s’ouvre pour offrir des places publiques. Source : quartier Europea à Bruxelles, Jean-Paul Viguier et Associés/ Golem Images.

places publiques, des lieux de rassemblement (Figure 38). Sur la Figure 39A, on a la vue d’une terrasse où l’on peut retrouver les fonctions diversifiées des bâtiments (logements et cinémas au fond), une rue, des arbres, un bassin, c’est-à-dire tout

un ­ensemble de lieux de vie publics (Figure 39B). 3.4. L’exemple de Madagascar : comment diminuer la migration rurale ? Faut-il nécessairement des centaines de millions pour

41

La chimie et les grandes villes

Il faut essayer de fixer ces populations dans les campagnes, et pour cela il faut commencer par les enfants, donc construire des écoles. Il faut aussi apporter de l’énergie, de l’eau propre et des moyens d’assainissement.

A

B Figure 39 Proposition pour la ville de Bruxelles. A) Un bâtiment ouvert propose des fonctions très diverses, allant du logement au loisir ; B) un lieu public offert par des structures nouvelles aménagé en un lieu familial. Source : quartier Europea à Bruxelles, Jean-Paul Viguier et Associés/Golem Images.

améliorer la qualité de vie des gens ? Il faut savoir faire petit afin de fixer la population rurale locale, c’est un besoin notamment en Afrique.

42

À Madagascar (dont j’ai emprunté le nom d’une ville, Majunga, pour construire la Tour du quartier de La Défense), la population est très malheureuse et fuit les campagnes dévastées et déforestées. Quand elle arrive dans les villes, cette population est malheureuse car elle est prise par des réseaux mafieux qui la pervertissent complètement.

Nous avons commencé par construire l’école, et comme les moyens financiers étaient limités, nous nous sommes demandés si la terre crue locale pouvait être, une fois comprimée et séchée, utilisée comme matériau de construction, nous l’avons faite analyser par un laboratoire spécialisé (le laboratoire Craterre à Grenoble). Le laboratoire a donné les méthodes d’utilisation de la terre crue que nous avons expliquées à la population pour qu’elle construise elle-même son école (Figure 40A), afin qu’elle en soit fière et puisse s’approprier cette construction. Nous avons acheté des presses, et, pendant un an et demi, la population a comprimé les 38 000 briques (Figure 40B), qui ont été assemblées pour construire l’école. Pour un investissement limité de 50 000 euros, nous avons ainsi réussi à construire une école pour 80 enfants au fin fond de la planète. Nous avons aussi construit un grenier à riz, car les villageois mouraient de faim, ayant épuisé les récoltes avant la récolte suivante. Nous avons installé une éolienne, puisé l’eau propre via un puits (car à Madagascar l’eau est polluée en surface), installé des toilettes pour assainir. Les enfants vont maintenant à l’école, et tout fonctionne très bien. Avec des petits moyens, un village de 400 habitants

Fabriquer la ville du futur A

B

Figure 40 Étude pour de nouvelles réalisations à Madagascar. A) La population de Majunga utilise la terre crue comme matériau de construction ; B) elle fabrique ses briques à l’aide de presses pour construire son école. Source : école de brousse Besely, Mahajanga, Madagascar/ Faly Randrianjatovo.

reste maintenant sur les lieux ruraux. Il ne faut jamais perdre cela de vue que sur la planète, il faut en permanence faire le grand écart : faire très grand et régler

des problèmes d’habitats de millions de personnes, et faire tout petit et régler le problème de stabiliser la vie rurale dans des villages comme celui de Madagascar (Figure 41).

Figure 41 Étude pour de nouvelles réalisations à Madagascar. Une école pour 80 enfants dans un village malgache permet de limiter la migration rurale de ce village.

43

La chimie et les grandes villes

4

Les matériaux de construction biosourcés

Le bois fait partie des matériaux que nous explorons comme une solution possible des constructions de demain (Figure 42). Les architectes ont toujours utilisé le bois. D’ailleurs en japonais, il n’y a pas de mot pour dire architecte, on dit « Kenchiku », qui veut dire charpentier, c’est-àdire qu’en japonais, un architecte est un charpentier, une personne qui sait assembler les pièces de bois, de telle sorte que 2+2 fassent plus que quatre car l’assemblage doit magnifier la portance et la résistance des pièces assemblées. Nous avons mené de nombreuses études sur l’utilisation du bois comme matériau de construction. Le bois matériau est revenu en France dans la deuxième moitié du e xx  siècle, sous la forme appelée CLT dans les pays nordiques (« Cross Laminated Timber »). C’est du bois croisé, lamellé, collé, avec lequel nous fabriquons non pas des ossatures comme le font les américains pour les maisons

Figure 42

44

Le bois est à l’honneur en France, ce matériau présent depuis des siècles revient à la mode dans le domaine de la construction.

mais des planchers et des voiles. Autrement dit, nous sommes capables avec le CLT de fabriquer des immeubles et des tours, et c’est ce que j’ai décidé de faire. Le résultat est cette tour résidentielle en bois de 57 mètres de haut à l’arrivée proche des TGV gare St Jean (Figure 43), dans laquelle le socle et le noyau intérieur sont en béton, car ils doivent résister à la fois à la nappe phréatique, qui est très haute à Bordeaux, et aux mouvements du sol. La population, qui adore l’idée d’habiter dans un appartement en bois, a très bien accueilli ce programme. Maintenant, non seulement nous savons construire des immeubles en bois, mais ces immeubles n’utilisent en outre que des matériaux biosourcés7, comme cet immeuble à Paris dans le 17e arrondissement à Bessières, sur lequel se développent des terrasses avec des élevages d’abeilles (Figure 44A) et des cultures (Figure 44B). 7. Matériau biosourcé : matériau issu de la biomasse, d’origine animale ou végétale.

Fabriquer la ville du futur Local building supplies: a home made wood tower

Structure Timber post/beam

CLT flooring

Facade framework

Figure 43 La Tour en bois Hypérion à Bordeaux Bois bénéficie d’une structure solide et bien pensée pour résister à l’environnement extérieur. Des terrasses intégrant des espaces verts permettent la réalisation d’un bâtiment moderne. Source : Tour Hypérion à Bordeaux, Jean-Paul Viguier et Associés.

45

La chimie et les grandes villes A

B

Figure 44 Réalisation de l’immeuble « Bessières » à Paris 17e. Un immeuble biosourcé dans lequel les toits se remplissent d’activités comme l’apiculture et la culture.

Quelle ville du futur ?

46

Pour améliorer la qualité de la vie au quotidien, rendre les gens plus heureux tout en protégeant l’avenir de la planète, il faut repenser la ville comme un écosystème urbain flexible, capable de s’adapter aux changements sociétaux comme aux changements climatiques. Le bâti doit servir au vivant, mais le vivant sert à l’évolution du bâti. Pour réaliser cela, le bâti urbain doit maintenant dès sa conception être pensé par des équipes pluridisciplinaires dans lesquelles la chimie, science de la matière et du vivant, tient une large place. Cette vision de l’écosystème urbain repose sur quatre piliers : –  la modularité, c’est-à-dire l’exploitation d’unités d’habitations pouvant se combiner sur le même niveau ou sur plusieurs étages puis se séparer. La conception doit être imaginée pour que cette modularité puisse être mise en œuvre avec simplicité et au moindre coût tout au long de la vie du bâti ; –  l’exemplarité énergétique ;

Fabriquer la ville du futur

– la biodiversité pour permettre aux espèces animales et végétales de retrouver leur place en ville grâce à des aménagements paysagés et partagés dans la ville, mais aussi dans le bâti, sur les toitures et sur les loggias ; – la complémentarité des espaces et des usages en intégrant des espaces de partage entre immeubles : espaces de vie, de loisirs et de travail.

47

Les

Carlos Moreno

défis

des

grandes villes :

apports possibles des

chimistes

Professeur des universités, Carlos Moreno est chercheur dans le domaine du contrôle intelligent des systèmes complexes et ses applications dans la vie urbaine. Il a fondé en 1998 une start-up, devenue une « success story », pour développer les technologies pour la ville intelligente et durable. Il est l’un des pionniers dans la réflexion et l’action autour des défis urbains du xxie siècle. Ces travaux ont donné lieu à l’approche originale dite de la « Human Smart City », la ville vivante. Il a fondé le Forum international de la Smart City Humaine et il est l’un des animateurs reconnus de cette vision sur la scène nationale et internationale. Depuis février 2016, il est l’envoyé spécial ville intelligente de la mairie de Paris.

En tant qu’expert international, je prendrai dans ce chapitre des exemples de villes dans le monde entier, mais également de Paris où je travaille auprès de la maire de Paris, Anne Hidalgo, en tant qu’Envoyé spécial sur les problématiques des villes intelligentes.

1

Les métabolismes urbains

Les villes se présentent sous de multiples formes. Je considère que la ville fait partie de ce qu’on appelle un

organisme artificiel vivant et que c’est le plus grand système artificiel vivant créé par l’homme. Je parlerai donc du « métabolisme urbain », car comprendre son métabolisme, c’est-à-dire la manière dont les villes changent dans un monde qui change, est la grande problématique d’aujourd’hui. 1.1. Un monde qui change Depuis l’Holocène et la dernière glaciation il y a 10 000 années, le monde a beaucoup changé. Les humains sont

La chimie et les grandes villes

Population mondiale (milliards)

devenus sédentaires puis ils se sont groupés pour créer des villes. Cependant, ce changement s’accélère. La Figure 1 montre la croissance vertigineuse de la population mondiale en un siècle à peine, qui nous amène aujourd’hui à dépasser la barre des 7 milliards d’habitants sur Terre. On observe sur cette figure l’évolution de la teneur atmosphérique en CO 2, avec cette

7

2013

400 ppm

6

2000

370

5

1987

350

4

1974

330

3

1960

310

2

1930

300

1

1800

283

0 10 000 av. J.-C.

8000

6000

4000

2000

AD 1 1000 2000

Figure 1 Un monde qui change. En orange : évolution de la population mondiale (en milliard d’habitants). En noir : concentration du CO2 dans l’air en ppm (µg/ m3) : le seuil des 400 ppm a été atteint en 2014.

10 000 5 000 2 000 1 000 500 200 100

Monde

Asie

Europe

e Latine Amériqu

ue Afriq

e du Nord Amériqu

50 20

ie

Océan

10 1950

1960

1970

1980

1990

2000

2010

2020

2030

2040

2050

Figure 2 50

Évolution de la population des différentes zones géographiques mondiales entre 1950 et 2050.

fatidique ligne où les 400 ppm ont été dépassés, ce qui peut mettre en danger l’humanité elle-même1. Zoomons sur les cinquante dernières années et projetons-nous sur les cinquante prochaines pour regarder la distribution de cette population mondiale : nous parlons aujourd’hui de plus de 7 milliards d’habitants et nous parlerons à l’horizon 2050 de presque 10 milliards (Figure 2). Quand on regarde comment cette population se distribue d’une part au niveau mondial, d’autre part au niveau de sa croissance, on voit qu’elle est surtout forte en Asie et en Afrique. Sur un siècle, entre 1950 et 2050, notre vieille Europe reste sur une courbe qui varie entre 600 et 700 millions d’habitants, à comparer aux 7 milliards planétaires que nous sommes aujourd’hui et aux 10 milliards qu’il y aura en 2050 2. Durant le même laps de temps, la population urbaine, qui était de l’ordre de 30 % en 1950, avoisinera les 60 % à l’horizon 2050. Nous avons déjà dépassé la barre des 50 % de population urbanisée dans le monde (Figure 3). Ce développement urbain se fait et croît majoritairement dans des pays autrefois dits « en développement ». On retrouve, pour la courbe en jaune des pays dits « développés », la platitude des courbes d’évo1. www.futura-sciences.com/ planete/actualites/climatologieconcentration-co2-air-point-nonretour-maj-58177/ 2. www.un.org/en/development/ desa/news/population/world-urbanization-prospects-2014.html

Figure 3

Zones urbaines les moins développées

9 000 000

Zones urbaines les plus développées

8 000 000

Zones rurales les moins développées Zones rurales les plus développées

7 000 000

66 % 54 %

6 000 000

Pays urbanisés en voie de développement

5 000 000 4 000 000 3 000 000

Pays développés urbanisés

30 %

Pays ruraux en voie de développement

2 000 000 1 000 000 0 1950

Évolution des populations urbaines dans les différentes parties du monde entre 1950 et 2050. Le pourcentage de la population urbanisée est indiqué en rouge.

1960

1970

1980

1990

lution des populations européennes. Le monde urbain, la culture urbaine dans lesquels nous avons vécu jusqu’à présent, nous échappent, et l’économie de domination de l’axe nord-ouest est aujourd’hui en train de basculer sur un axe sud-est qui est étroitement lié à la manière dont l’homme vit dans les villes et à la manière dont la population urbaine se construit. Quand nous regardons le planisphère de la Figure 4, il y a plus de monde qui vit à l’intérieur du cercle en jaune représentant les pays d’Asie qu’à l’extérieur de ce cercle.

2000

2010

2020

2030

2040

2050

Quand nous nous projetons dans les quinze prochaines années, 90 % de la croissance urbaine mondiale se retrouvera en Asie et en Afrique et un tiers de cette croissance uniquement dans trois pays : la Chine, l’Inde et le Nigéria.

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

10 000 000

Aujourd’hui nous appelons mégalopoles3 les villes de plus de 12 millions d’habitants, tout 3. Mégalopole : ensemble de très grandes agglomérations dont les zones périurbaines finissent par se rejoindre. Elle comporte plusieurs dizaines de millions d’habitants sur une étendue pouvant atteindre plusieurs centaines de kilomètres de long.

Figure 4

Il y a plus de monde vivant à l’intérieur de ce cercle qu’à l’extérieur

Plus de la moitié des habitants sur Terre vivent dans la zone jaune. 80 % de la croissance démographique se fait en Inde, en Chine et au Nigéria. Le cercle noir est celui de la plus forte croissance démographique mondiale.

51

La chimie et les grandes villes

en sachant que déjà une mégalopole de 12 millions d’habitants est une petite mégalopole. Aujourd’hui, nous avons 12 % de la population mondiale qui habite dans 35 villes, et les grandes mégalopoles comme Mexico, Bombay et Tokyo parmi d’autres atteignent 30 à 35 millions d’habitants. À l’horizon de quinze ou vingt ans, on peut déjà prévoir une nouvelle génération de villes qu’on appelle les hyper-métropoles, c’est-à-dire des régions métropolitaines de plus de 50 millions d’habitants (Tableau 1), et c’est déjà le cas aujourd’hui pour des régions telles Shanghai, Tokyo, ce qui viendra encore bouleverser la manière dont l’homme vit et se développe.

Dans ce contexte, si parmi les villes occidentales New York fait encore partie des quinze plus grandes villes du monde, cette situation est en pleine évolution. En effet, la croissance des villes avec un taux de croissance qui est supérieur à 3 %, arrivant même à 5 %, est localisée essentiellement sur l’Asie et l’Afrique. Oui, c’est un fait, le monde urbain bascule sur un axe estsud. Cette photo de la Figure 5 prise dans un bouchon comme il y en a tous les jours à Hyderabad est symbolique, et porte un message bien adapté à la situation : on y voit à gauche des panneaux publicitaires pour lutter contre l’obésité et à droite un message du gou-

Tableau 1 Population des 14 plus grandes métropoles mondiales (2017). Il existe 525 villes dans le monde avec plus d’un million d’habitants.

52

Delta de la Rivière Hong Kong des Perles

65 701 102 hab.

Tokyo

Japon

42 796 714 hab

Jakarta

Indonésie

30 326 103 hab.

Séoul

Corée du Sud

25 425 184 hab.

Karachi

Pakistan

25 305 231 hab.

Shanghai

Chine

24 256 800 hab.

Manille

Philippines

24 197 302 hab.

New York

États-Unis

23 689 255 hab.

Le Caire

Égypte

22 969 528 hab.

Lagos

Nigéria

22 829 561 hab.

Mumbai (Bombay)

Inde

21 900 967 hab.

Delhi

Inde

21 753 486 hab.

Beijing (Pékin)

Chine

21 516 000 hab.

São Paulo

Brésil

21 090 791 hab.

Source : www.populationdata.net/palmares/villes

Les conséquences néfastes sur la santé de l’obésité des hommes pourraient être généralisées et associées à l’obésité des villes.

verneur de la ville, capitale du nouvel État du Telangana, en concurrence pour faire de Hyderabad un pôle technologique aussi important que Bangalore. L’obésité est aussi maintenant un des grands problèmes urbains au niveau mondial. Sur le plan sanitaire, elle est due à une mauvaise alimentation, au manque d’activité physique. L’obésité urbaine est maintenant un signe de pauvreté, là où autrefois c’était un signe de richesse. En sera-t-il de même pour les villes ? La question se pose aussi avec pertinence : l’obésité de nos villes, avec une croissance disparate, est aussi due à un sérieux désordre métabolique. Seule une approche systémique permet de traiter de manière transversale la complexité de sa problématique. 1.2. Un monde urbanisé devient hyperconnecté Si le xxie siècle a la particularité d’être un monde urbanisé, il est également un monde hyperconnecté. L’informatique

diffuse, l’informatique hypermassive a la capacité d’être présente partout, à tout moment, créant ce qu’on appelle aujourd’hui les mobicitoyens 4, et la mobiquité par rapport aux objets mobiles.

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

Figure 5

Quand on regarde la carte des circulations des données informatiques sur la planète, on obser ve une cohérence parfaite avec les usages et échanges dans les grandes concentrations métropolitaines au niveau mondial (Figure 6). Ces flux d’hommes et de femmes qui habitent dans les villes sont devenus également des flux ubiquitaires, parce que les gens sont connectés avec de multiples appareils, même dans les villes où l’on vit avec deux dollars par jour. Ce flux produit une population d’objets ubiquitaires qui est équivalente à la population mondiale de 7 milliards et 4. Mobi-citoyen : mot valise représentant la tendance qu’ont les hommes du xxie siècle à voyager, échanger des informations à travers le monde.

53

La chimie et les grandes villes

économiques, le commerce en particulier, ses quartiers et ses rues, qui savait déjà faire des routes, y compris avec de l’éclairage, avec des matériaux de l’époque utilisés astucieusement.

Flux de trafic (Mbps) 5 000 2500 1000 100

Figure 6 Représentation des échanges de flux de données (en Mégabit/s) à travers le monde.

dont le taux de croissance est trois, voire quatre à cinq fois plus important. C’est-à-dire qu’en arrivant à 7-8 milliards d’habitants sur la planète, nous arriverons peut-être à 24-30 milliards d’objets communicants par Internet. 1.3. La ville est multiforme Mais on aurait tort d’associer la notion de ville intelligente au développement de l’ubiquité et des capteurs. L’homme n’a pas attendu le xxie siècle pour avoir de l’intelligence dans les villes. Cette erreur profonde est souvent liée à des objectifs marketings ou commerciaux, à caractère technologique, loin des vraies réalités socio-territoriales de ce qu’est une ville, ses évolutions, ses besoins et ses vrais enjeux.

54

La Figure 7A montre l’une des premières villes au monde. Ur, Cité – État en Mésopotamie, reconstruite en 3D, remontant au 3e millénaire av. J.-C. – était une ville planifiée, avec ses fortifications, constructions, canaux, espaces de nature différente et aménagements pour les activités

L a Figure 7B représente Teotihuacán, la ville de l’une des premières civilisations de l’Amérique latine florissante, construite en 200 av. J.-C., qui avait aussi une organisation urbaine extrêmement puissante. Plus proches de nous, nous pouvons citer des villes représentant les trois grands empires : la Grèce (Figure 7C), l’empire romain (Figure 7D) et Byzance (Figure 7E) ; toutes avaient une organisation et une intelligence urbaines, dont nous avons encore les vestiges au niveau architectural, au niveau ingénierie, au niveau gestion des espaces. Elles nous ont légué aussi des espaces publics partagés tels le forum romain, l’agora grecque et des œuvres qui perdurent encore comme les viaducs parmi d’autres legs. La ville est multiforme, la ville est une abstraction qui n’a de réalité qu’à travers un contexte qui lui est propre ; ce qui existe, ce sont des villes. Parce que la ville est un organisme vivant qui est né, qui se développe dans un contexte propre, social, économique, politique, culturel et religieux, elle ne peut être traitée que dans son contexte. Les villes possèdent leur propre rythme, se développent de manière inégale et dans le même espace se superposent diverses expressions urbaines qui ont vu le jour à travers le temps. Des villes anciennes de par le monde gardent des

B

C

D

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

A

E

Figure 7 Les villes anciennes, avec leurs systèmes de routes, d’éclairage et une organisation puissante, avaient déjà une intelligence urbaine qui n’a rien à envier aux villes modernes. A) Mésopotamie (reconstitution de la ziggourat d’Ur en image de synthèse) ; B) Teotihuacán (Mexique) ; C) Athènes ; D) Rome ; E) Byzance.

repères de ce que fut leur grand essor. Mais aussi des villes autrefois florissantes, empreintes d’art, de création et de richesse, comme Venise, se voient désertées par leurs habitants dans ces temps modernes car, hélas, il n’y a presque plus de vénitiens qui habitent sur place : un détail,

comme la vue de ces bateaux gigantesques de croisière dépassant les bâtiments de la ville, donne une idée de cette perte de substance urbaine. Il faut bien garder à l’esprit que nos villes dans le monde ont des contextes qui leur sont propres (Figure 8), une âme qu’il faut découvrir. Il n’y pas

55

La chimie et les grandes villes

Figure 8 La diversité des villes : chacune avec un contexte social, économique, politique, culturel et religieux qui lui est propre.

de modèle de ville ni de solution standard que l’on puisse reproduire par un principe de « copier-coller ». Dans ce cadre, il faut aujourd’hui comprendre comment la croissance urbaine a généré de nouvelles situations de vie, et tenter d’appréhender les enjeux, les défis, leurs ressources matérielles et immatérielles, les attentes aussi des citoyens, pour les rendre vivantes. Il est indispensable de connaître les vraies racines de la ville, ce qui change d’une ville à l’autre, et surtout de comprendre comment on vit dans la ville.

2

56

Les racines de la ville

D’une ville à l’autre dans le monde, l’univers urbain va prendre des formes d’organisation différentes. Nous pouvons relever néanmoins les invariants, ces aspects fonctionnels que nous re-

trouvons à chaque fois et qui apparaissent dans le contexte spécifique de chaque ville : l’Urbis, en latin, ce sont les infrastructures, ce qui faisait autrefois ses murailles, ses rues, ce qu’on appelle aujourd’hui la voirie ; le Spatium, c’est l’espace public, autrefois le forum, l’agora ou le Zócalo, associé à la culture en Amérique latine ; la Respublica, la chose publique, le bien commun et les règles du bien vivre ensemble ; Civis, c’est le citoyen qui vit dans la ville et qui finalement doit être au cœur de la manière dont on en construit un développement qui soit à la hauteur de la condition d’être humain. Chaque ville va ainsi forger sa propre identité donnant lieu à sa culture urbaine (Figure 9). 2.1. Les révolutions du xxie siècle Au xxie siècle, l’ubiquité traverse les vies citadines avec des implémentations du

Des architectures symboles des villes.

numérique de différentes formes, que ce soit au travers des réseaux, de la géolocalisation, de la mobilité, et plus récemment de l’IoT5, l’Internet des objets (Figure 10). Mais on aurait tort de croire que la rupture du xxie siècle dans nos villes est uniquement le numérique. Nous vivons au e x xi  siècle plusieurs révolutions en parallèle. L’humanité a été habituée à vivre des révolutions profondes liées à un matériau : l’Âge de Pierre, l’Âge de Bronze, l’Âge de Fer, la vapeur, le silicium. L’homme a apprivoisé ces matériaux, ce qui a donné lieu à de profondes transformations sociétales. Aujourd’hui, au x xi e siècle, nous avons, à côté de la révolution du silicium – la révolution ubiquitaire qui est la plus visible –, trois autres révolutions aussi importantes et aussi transformatrices si on se projette à l’horizon de vingt ans ou encore mieux à l’échelle d’un siècle, qui est un bon critère de connaissance 5. IoT : Internet of Things, Internet des objets connectés. Le terme d’IoT fait généralement référence à l’écosystème des objets connectés qui comprend le marché de ces objets, mais également tous les modèles économiques et marketing issus de leur développement.

et d’évaluation de la manière dont nous vivons (Figure 11) : –  les nanotechnologies : c’est une révolution en profondeur qui va changer la manière dont on construit nos villes, nos matériaux, dont on capte ou restitue la lumière et tous les éléments qui nous sont propres ; –  la bio-systémique  : c’est la connaissance de l’ADN, la connaissance de notre corps, le rapport entre notre corps et le vieillissement, la manière dont on naît, la façon dont on est soigné, dont on prolonge nos vies... ; –  la robotique cognitive6 : parce que nous avons une meilleure perception de notre cerveau humain, nous nous intéressons à l’intelligence artificielle, aux nouvelles intelligences.

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

Figure 9

On parle même de transhumanisme7 quand on mélange bio-systémique, nanotechnologie et ubiquité. C’est la combinaison de ces quatre révolutions qui au6. Robotique cognitive : rendre un robot capable d’apprendre et de raisonner en fonction des situations singulières qu’il rencontre. 7. Transhumanisme : mouvement culturel et intellectuel international prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains.

57

La chimie et les grandes villes

Figure 10 Illustration de la présence d’Internet dans nos vies citadines.

Figure 11 Les quatre révolutions du xxie siècle sont techniques, mais ne définissent pas à elles-seules la notion de « ville intelligente ».

58

jourd’hui au xxie siècle est en train de changer le style de vie dans nos villes et produit cette dérive de « ville intelligente ou smart city », comme objet technologique, avec une vision

techno-centrée, dont je me démarque avec force depuis de longues années en faisant valoir le fait que la véritable intelligence dans la ville n’est autre que celle des citoyens,

2.2. Le xxie siècle sera le siècle des villes L e m a i r e d e D e n v e r, Wellington Webb, dans un très beau discours à l’association des maires des États-Unis en 2009, déclarait : « Le xixe siècle était le siècle des empires, le xxe était le siècle des Nations, le xxie est le siècle des villes ». Les guerres, malheureusement, l’attestent : les guerres du xixe étaient celles des Empires, les guerres du xxe celles des Nations, aujourd’hui la nouvelle compétition est entre les villes. Aujourd’hui, les relations entre les villes par rapport aux États sont traversées par des liens qui se transforment par les effets de la globalisation. La sociologue et économiste néerlando-américaine Saskia Sassen, spécialiste de la mondialisation et de la sociologie des très grandes villes du monde, a développé le concept de la « ville globale » 8, souvent présentée de manière raccourcie comme la « ville monde »9. Dans un monde où les communications, les échanges, la globalisation, ont transformé les frontières, la vie urbaine devenue prépondérante a elle aussi à sa façon contribué à cette mutation. Il y a aujourd’hui cet effet de « dé territorialisation » des villes par rapport aux États, et on constate que souvent il y a plus 8. http://press.princeton.edu/ titles/ 6943.html 9. http://www.moreno-web.net/ de-quoi-la-metropole-est-ellele-nom/

de lien entre les villes à l’extérieur qu’à l’intérieur de leurs territoires nationaux. À titre d’exemple, et indépendamment des couleurs politiques, il y a certainement plus de lien entre Paris et San Francisco ou entre San Francisco et Tel Aviv qu’entre Paris et Bordeaux ou Toulouse, ou qu’entre San Francisco et Boston, parce que se créent ce que Saskia Sassen appelle de nouveaux « anneaux de régulation ». Dans la concurrence existante entre les villes au niveau national et international, les villes doivent devenir attractives, elles doivent devenir créatrices de valeur, elles sont à la pointe dans la bataille pour l’emploi, et donc elles doivent devenir créatives. C’est donc une source de tensions entre les villes y compris à l’intérieur d’un même État. De même, les villes portent des indices de richesses remarquables. À l ’hor izon 2030, nous aurons 60 % du PIB qui sera porté par 750 métropoles (Figure 12). Mais déjà aujourd’hui, près de la moitié du PIB est portée par 140 villes. À cet égard, l’échelle des pouvoirs locaux bénéficie d’une très grande proximité avec le territoire, les habitants et les acteurs de l’ensemble de l’écosystème. Ils sont la colonne vertébrale de la vie sociétale et c’est eux qui jouissent de la plus grande confiance des administrés pour dérouler un agenda de transformation. Les pouvoirs locaux sont aujourd’hui le plus important levier dans la mise en œuvre d’une action décidée de changement et d’adaptation face aux défis de nos sociétés.

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

de l’habitant et de la manière dont il vit dans son habitat.

59

La chimie et les grandes villes

Figure 12 Les prévisions pour 2050 montrent que les 750 plus grandes villes concentreront 60 % du PIB mondial. En 2015, en Europe, 44 % du PIB est produit par 139 villes.

Le développement d’une action de cohésion et d’inclusion sociale territoriale est indispensable dans une France qui se cherche et les pouvoirs locaux sont un acteur clé pour les mener à bien. Rien ne serait possible sans eux.

lui de São Paulo. Pour l’État d’Israël, 51 % du PIB est celui d’une seule ville, Tel Aviv, la « ville qui ne dort jamais ».

Le PIB de nombreuses villes est très important par rapport aux pays et de manière comparative dépasse parfois le PIB de certains États (Encart : « Comparaison de PIB de certaines métropoles aux PIB de pays »). Par exemple au Brésil, 7e puissance économique mondiale, 25 % de son PIB est ce-

La principale question pour une ville n’est donc pas de savoir quel est son niveau d’intelligence, façonnée par un déploiement massif de silicium et octets au m2, mais avant tout comment on peut construire son identité dans son territoire, l’ouvrir aux autres villes et au monde, et donner aux citoyens la capacité d’être acteurs à part entière de son développement (Figure 13). Comment peut-on projeter cette identité sur une pratique citoyenne, construire une ville bienveillante, généreuse tout en étant conscients de sa fragilité ? Il s’agit d’identifier les vecteurs qui font que la gestion de son métabolisme urbain la positionne dans un cercle vertueux, pour que la ville soit un lieu de vie, un lieu

COMPARAISON DE PIB DE CERTAINES MÉTROPOLES AUX PIB DE PAYS PIB New York = PIB Australie PIB Los Angeles = PIB Pays-Bas PIB Chicago = PIB Suisse PIB Seattle = PIB Israël PIB Tel Aviv = +54 % PIB Israël 60

PIB Paris – Ile-de-France > PIB Argentine

2.3. Les facteurs de l’identité des villes

On a souvent tort d’oublier que la ville, comme tout organisme vivant, a intrinsèquement une très grande vulnérabilité. C’est le paradoxe de l’univers urbain, parce qu’il n’y a rien de plus durable qu’une ville : les villes ont survécu aux royaumes, aux empires, aux révoltes, aux guerres et aux destructions. Paris est une ville millénaire, de même que Marseille ainsi que d’autres villes du monde entier, toujours vivantes et qui malgré les grandes difficultés arrivent à renaître. La ville est un organisme très fragile, et cette fragilité de la vie urbaine est liée à des facteurs multiples qui touchent la totalité de notre planète, comme le changement climatique, l’épuisement de nos ressources, mais aussi à leur aggravation par des facteurs endogènes, qui sont liés à nos modes de vie, de culture, de consommation, de production (Figure 14). Regardons de plus près quelques exemples de cette fragilité endogène. Faire la fête à Rio de Janeiro, cette grande capitale mon-

diale, c’est pendant six jours organiser et gérer l’accueil – nourriture, logement, sécurité – de trois millions de personnes, c’est-à-dire deux fois la population de Paris intramuros, sur une bande de terrain, la plage de Coppa Cabana, qui fait 3 par 5 km. Une très belle fête, dans un territoire qui reste néanmoins l’une des villes très inégalitaires au monde, où un habitant sur sept vit dans des favelas. On trouve aussi des plages chinoises accueillant la nouvelle classe moyenne émergente qui veut vivre avec ce que j’appelle les paradigmes culturel s des « miroir s flous » : c’est-à-dire que ces vacanciers en perte de leur propre identité culturelle, partis chercher une identité culturelle, à l’occidentale, qui est celle des vacances, de la plage, de la maison de vacances et un mode de vie, dont peut-être l’Occident est revenu. Images incongrues de personnes agglutinées sur des plages avec des bouées, car la culture du bronzage et la natation leur est étrangère. Mais quand ils rentrent à Beijing après être restés dans des bouchons interminables,

Figure 13 L’identité des villes : deux centresvilles actuels, l’un en Europe (Londres) et l’autre en Asie (Hong Kong).

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

de partage, un lieu de créativité.

61

La chimie et les grandes villes

Figure 14 Les villes et leurs fragilités : pollution, bouchons, violences, catastrophes naturelles…

cet acte social leur permet de dire « J’étais en vacances, j’ai donc un niveau de vie ad hoc ». Le grand défi de la ville intelligente est de combiner la connaissance des facteurs exogènes des perturbations avec la culture endogène, et de questionner en profondeur la manière de vivre. Il s’agit de transformer la relation entre les habitants et leur ville, pour répondre aux défis sociaux, culturels, économiques, écologiques et de résilience qui sont au cœur d’un nouveau paradigme de vie pour les prochaines décennies. C’est l’adaptabilité du citoyen et du territoire par rapport à l’expression de ces facteurs de vie. 2.4. La ville sensible : complexité et diversité des facteurs exogènes

62

Aujourd’hui, c’est une réalité accablante : nous sommes face à un choix de civilisation face au changement cli-

matique. C’est une urgence planétaire pour laquelle les réponses à apporter sont ici et maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Avons-nous conscience que 80 % de l’air que nous respirons dans nos villes à travers le monde est un air pollué, du Nord au Sud, à l’Est et à l’Ouest de la planète ? (Figure 15). Que la santé urbaine se dégrade, jour après jour ? Sommes-nous conscients que ce mode de vie, d’usage de nos ressources énergétiques, d’absence de lien avec la nature et la biodiversité en ville, mettent en danger presque irréversiblement les générations futures ? Aujourd’hui, la pollution est la 5e cause de mortalité d’un pays continent comme l’Inde (Figure 16) ; quand on part en Chine, la première chose à regarder est de savoir si on pourra voir quelque chose à travers le smog, quelles que soient les dates ; 29 % de la

Figure 15

GtC

30 Affaires habituelles

25 20

Réductions nécessaires

15

Projection de l’évolution des émissions de gaz carbonique (en gigatonnes par an) dans le monde au xxie siècle, si on laisse les choses aller (affaires habituelles) ou si l’on protège le climat.

10 5 0 2005

Protection du climat 2050

2100

Figure 16 Unes de journaux internationaux reportant les dangers sanitaires liés à la pollution.

pollution de la baie de San Francisco vient du nuage de pollution permanent localisé au-dessus de la Chine, visible par les satellites : les courants ascendants traversent la mer et déposent la pollution sur la baie de San Francisco10. L’importance de la problématique de l’eau a été présentée dans le Chapitre de P.-J. Derian dans cet ouvrage La chimie et les grandes villes (EDP Sciences, 2017). Sur la Figure 17, on voit ce qui reste de la mer d’Aral, qui était la 4 e surface d’eau douce, et qui maintenant a presque disparu. De même, le barrage 10. www.zmescience.com/ecology/environmental-issues/about29-of-san-franciscos-pollutioncomes-from-china-42334/

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

35

hydroélectrique de São Paulo peut être régulièrement asséché, ce qui provoque des tensions avec Rio et les autres villes car il faut aller chercher et détourner l’eau de plus en plus en amont. En conséquence, les foyers brésiliens sont fréquemment confrontés aux pénuries d’électricité. Agriculteurs et industriels peinent à maintenir leurs niveaux de production habituels. In fine, c’est toute l’activité de la septième puissance économique mondiale qui fonctionne au ralenti. Le stress hydrique11 est une réalité urbaine au niveau mondial (Figure 18). 11. Stress hydrique : consommation d’eau dans une région supérieure au stock d’eau réel.

63

La chimie et les grandes villes

Figure 17 Illustration de l’évolution catastrophique de la mer d’Aral au Kazakhstan-Ouzbékistan.

Figure 18 Répartition du stress hydrique dans le monde. En rouge, les zones où les besoins en eau dépassent les ressources.

Dépendance à l’eau de surface Stress hydrique superficiel

Dépendance aux eaux souterraines Stress lié à l’eau souterraine

Stress hydrique (rapport entre les besoins en eau et les ressources disponibles). Moyenne annuelle (1981-2010). En % 0-0,1 0,1-0,2 0,2-0,4 supérieur à 0,4 Pas de données Pas de stress Bas Moyen Élevé

64

L’une des causes majeures des violences et des guerres sur la planète aujourd’hui est la maîtrise de l’eau, la maîtrise des fleuves pour approvisionner les populations. Bien sûr, il faut y ajouter les conséquences du changement climatique et les nouvelles tensions urbaines qui apparaissent avec les migrations issues des guerres. Les vagues de chaleur ou de froid extrêmes (Figures 19 à 21) sont des phénomènes de plus en plus fréquents. En Île-de-

France, ne l’oublions pas, la canicule de 2003 a causé 4 867 décès (chiffres Inserm - Mairie de Paris). Mais loin d’être un phénomène isolé, le durcissement des conditions climatiques avec la conjonction d’un urbanisme dépassé et la dégradation de conditions de vie se trouvent à l’origine de nouvelles tensions sociales. Certains îlots urbains sont plus vulnérables que d’autres, comme l ’exemple de l a Figure 21 en banlieue au nord

Figure 19

10 20 30 40 km

24 °C 23 °C 22 °C 21 °C 20 °C 19 °C 18 °C 17 °C 16 °C

Températures en Île-de-France lors de la canicule d’août 2003.

Figure 20 New York touchée par une vague de froid.

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

0

Figure 21 Hacking de bornes incendie en banlieue parisienne lors de l’été 2015. Source : Corinne Berardo/ Carlos Moreno.

de Paris où la température atteignait 40 °C le 4 juillet 2015 et où, en l’absence de nature dans la ville, de la gestion de l’eau et de culture citoyenne, pour lutter contre la chaleur, les jeunes s’attaquent aux

bornes d’incendie pour créer des îlots de rafraîchissement, les « piscines verticales », mais source aussi de nouvelles tensions urbaines. Avec le réchauffement climatique, la tropicalisation des

65

La chimie et les grandes villes

Figure 22 Avec le réchauffement climatique, la tropicalisation urbaine remonte en latitude, et des maladies comme la dengue pourraient être davantage véhiculées.

maladies urbaines remonte en latitude. La dengue portée par les moustiques tigres est aujourd’hui présente en méditerranée, et cette situation pourrait s’aggraver dans les prochaines années avec le portage d’autres maladies telles que le Zika ou Ebola (Figure 22).

3

Développer des villes durables, inclusives et résilientes

L’accord obtenu à Paris lors de la COP 21 en 2015 a apporté une lueur d’espoir pour tous ceux qui travaillent au cœur des problématiques urbaines (Figure 23). Nous avons pu constater la puissante mobilisation de maires du monde qui, à cette occasion, avec le leadership du réseau C40 Cities, a donné lieu au Sommet « Cities for Climate »12, rassemblant à l’Hôtel de ville de Paris, presque 1 000 maires et gou12. http://www.c40.org/ending-climate-change-begins-in-the-city

vernances locales. Des actions concrètes ont été adoptées montrant que l’action décidée à l’échelle des villes sera le moteur du changement. Les Nations Unies ont défini au mois de mai 2016 les 17 objectifs du développement durable (Figure 24). L’objectif n° 11 concerne les villes, comment faire des villes durables, comment développer des villes inclusives13 et résilientes14 ? La conférence « Habitat III » de Quito en octobre 2016 (Figure 25) est l’équivalent de la COP21 pour les villes. Cette conférence réunit tous les vingt ans les États pour parler des villes. Un accord a été établi, mais à la différence de la COP21, Habitat III ne revêt pas les mêmes contraintes. De la même manière qu’à Paris, la mobilisation mondiale des maires et des gouvernances locales est venue rappeler que rien n’est possible sans leur engagement et les décisions d’action. 3.1. Remettre l’humain au centre de la ville Ces trois faits majeurs développent l’espoir que finalement, l’essentiel pour les dix ou vingt prochaines années n’est pas tant le développement des villes per se que le développement de la qualité de vie pour les humains qui y habitent (Figure 26). On quitte l’approche urbanistique fonctionnelle pour foca-

Figure 23 66

Signature de l’accord pour la COP 21, en décembre 2015.

13. Inclusif : qui contient en soi. 14. La résilience est la capacité à retrouver ses propriétés après altération. Elle peut aussi définir la capacité à rebondir face à une situation difficile.

Les 17 objectifs fixés par l’ONU pour un développement durable, en mai 2016.

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

Figure 24

Figure 25 Affiche de la conférence Habitat III (Quito, 2016).

Figure 26 Affiche de l’édition « Réver(cités), Villes recyclables et résilientes » par l’architecte Carmen Santana.

67

La chimie et les grandes villes

liser les efforts sur les vrais défis de la ville qui font « le bien vivre ensemble » (Figure 27) : – le défi social pour développer une ville inclusive et bienveillante ; – le défi culturel pour créer une identité de la ville avec son territoire et ouverte vers les autres ; – le défi économique pour faire de la création de valeur sous toutes ses formes et la première parmi elles, l’emploi pour tous ; – le défi écologique pour prendre conscience que c’est

Figure 27 Les défis de la ville de demain visent à améliorer le bien-vivre ensemble.

Figure 28

68

L’hybridation des révolutions technologiques, défi du xxie siècle. Source : Fotolia.com - Nmedia.

au niveau de la ville que l’on doit changer le paradigme concernant les ressources énergétiques et se projeter dans une approche post carbone ; – la résilience pour que malgré les tensions de toute sorte et les crises, la vie continue à se dérouler avec le moins de perturbations possibles. Nous devons être innovants, audacieux et inventifs. Au e x x i  siècle, il faut réussir l’hybridation des révolutions technologiques avec l’esprit d’un meilleur vivre ensemble. (Figure 28). Nos citoyens sont

Les infrastructures et les réseaux eux-mêmes se sont complexifiés parce qu’ils sont imbriqués et se croisent aujourd’hui entre eux. Le vocabulaire a lui aussi évolué. On ne parle plus des transports mais de mobilité, on parle d’habitat plutôt que du logement, de santé plutôt qu’uniquement de l’hôpital comme lieu de soin, de culture urbaine au-delà de l’éducation. Le travail donne lieu à de nouvelles formes d’expression avec le co-working, la télé-présence. (Figure 29). Les plateformes,

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

plus exigeants sur les services du fait qu’ils ont davantage accès aux informations, en temps réel, avec une capacité à réagir très forte.

l’open data, le codage pour tous, transforment aussi les relations entre la technologie et les habitants au travers de nouveaux usages et services.

3.2. La Living City comme expression de la ville vivante et ses innovations La « Living city», la ville vivante, la ville où il fait bon vivre, comme capacité innovatrice, est à la convergence de trois leviers majeurs (Figure 30) : –  l’inclusion sociale pour le mieux vivre ensemble ; –  la réinvention des infrastructures urbaines pour changer de paradigme urbain ;

Loisirs Éducation

Travail Logement Réseaux Infrastructures

Santé Mobilité

Figure 29 Les différents services fournis par la ville à ses habitants.

Figure 30 Les trois leviers majeurs pour créer une Smart City : l’inclusion sociale, l’innovation technologique et la réinvention urbaine. 69

La chimie et les grandes villes 70

–  la puissance des révolutions technologiques au service du citoyen et de nouveaux usages. Nos villes modernes se sont développées dans la prolongation du paradigme du pétrole, de la toute-puissance de la voiture, des boulevards, avenues et rues où les piétons sont devenus inexistants. Elles ont consacré le triomphe du minéral tout azimut sur le vivant. À Paris, La Bièvre a été bétonnée au moment des travaux d’Haussmann, notre biodiversité urbaine a été malmenée, on a bétonné les bords de rivières et on a construit des autoroutes urbaines. Dans beaucoup de villes, les réseaux électriques y compris d’éclairage sont souvent vieillissants, parfois certains datent de quarante à cinquante ans. Ils sont pour l’essentiel centralisés et mono ressource. Il faut donc ré-imaginer d’autres modes de vie, de production, de distribution, de consommation, changer en profondeur les paradigmes en réinventant des nouvelles formes d’infrastructures urbaines, et utiliser la puissance de l’innovation technologique et des révolutions technologiques qui y sont associées. Portons notre attention sur la mise en valeur de la chimie et de son rôle. Oui, la chimie et les chimistes jouent sans doute un rôle important à ce niveau. Voyons quelques exemples mettant en exergue cette discipline associée aux travaux d’architecture et d’urbanisme, avec les récents prix Pritzker, qui est l’équivalent pour l’architecture du Prix Nobel. Dans des zones désertiques comme le désert d’Iquique

au Chili ou les steppes mongoles à Oulan-Bator, là où il y a pourtant très peu de densité urbaine, le problème de la migration rurale et de l’agrégation urbaine a fait néanmoins apparaître des bidonvilles autour des villes. La Figure 31 est la vision de l’architecte chilien Alejandro Aravena, architecte de la transformation des bidonvilles du désert d’Iquique, avec son projet « demi lune ». Il s’est fait connaître pour avoir développé le concept de la « demi-maison collaborative ». Il préfère concevoir une bonne demi-maison plutôt qu’un mauvais logement, dès lors qu’on peut se créer du lien social entre les habitants des demi-maisons afin que cela devienne un quartier vivant. Le concept de demi-maison d’Aravena, d’habitat collaboratif, a donné des réussites extraordinaires qui lui a valu en 2016 le prix Pritzker. À la place du bidonville, la demi-maison est conçue pour être belle et fonctionnelle, et pour porter de manière implicite du lien social très fort. Ce n’est pas un logement, c’est un lieu de vie, d’échange et de partage. Le premier lien social consiste à finir la demi-maison, et ceux qui habitent dans le quartier vont travailler ensemble pour que la demi-maison devienne une maison complète. On retrouve le concept des Indiens d’Amérique latine, la minga15, 15. Minga : désigne une tradition sud-américaine qui met le travail commun au service d’une communauté, d’un village ou d’une famille, à des moments déterminés où un effort important est nécessaire : récoltes agricoles, constructions de bâtiments publics, déménagements...

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes Figure 31 Le concept de demi-maison de l’architecte chilien Alejandro Aravena (prix Pritzker 2016), pour transformer les bidonvilles. Source (à droite) : Cristobal Palma.

où chacun possédait un morceau de terre et où tous travaillaient un jour chez l’autre pour faire pousser des patates et des oignons… C’est par la puissance et la complexité du lien qui se tisse entre les gens – parce que le tout vaut plus que la somme des parties – que se crée la vie urbaine. Aravena choisit avec les gens les matériaux qu’il utilise, et leur explique le choix des peintures, des revêtements, des sols, des toitures, de l’isolation. Alors que quand on construit des maisons bon marché (ce qu’il appelle un mauvais logement), on sacrifie la qualité par exemple, avec un volet en plastique car il revient bon marché, de mauvais isolants

thermiques, des revêtements de mauvaise qualité et peu esthétiques. Faire appel à l’intelligence collective signifie mobiliser les habitants pour trouver des matériaux de qualité, de préférence locaux, qui puissent être réutilisés, en ayant comme levier la mutualisation. L’application de ce concept conduit à des quartiers comme celui de la Figure 31, qui sont beaux, fonctionnels, à la place des bidonvilles. Aravena conçoit ces quartiers avec pragmatisme, en s’appuyant sur la connaissance des matériaux, de la chimie, des lois de la thermodynamique, pour créer des habitats dans lesquels le lien social porte le choix des matériaux et non le contraire. 71

La chimie et les grandes villes

Figure 32 Stade Olympique de Munich par l’architecte allemand Otto Frei (prix Pritzker 2015).

La Figure 32 représente le prix Pritzker 2015. C’était la première fois qu’un prix Pritzker était décerné à titre posthume. Il s’est agi de reconnaître les apports d’un architecte allemand, Otto Frei – hélas décédé la veille –, qui a fait parmi d’autres le stade de Munich, une merveille en termes de réalisation architecturale, que ce soit par rapport aux matériaux, à la physicochimie, mais également par rapport au lien avec le reste de l’écosystème. Otto Frei a conçu une vision holistique de l’architecture, c’est-à-dire où l’objet est un tout sur lequel on va investir, pour travailler en mélangeant les savoirs, les disciplines, les expertises, les matériaux, leur légèreté et leur durée de vie, en collaborant avec des biologistes, des ingénieurs et des philosophes, des historiens, des artistes et bien sûr d’autres architectes. Otto Frei a réalisé des architectures en matériaux légers 72

et plastiques, ou en bois comme le Marché des halles de Mannheim, qui sont de vrais joyaux architecturaux, faisant partie de l’écosystème naturel. En 2016 au Sri Lanka, des équipes réparent encore les effets du tsunami de 2004, qui a ravagé Sumatra, l’Asie du Sud, et a causé 250 000 décès. Le patrimoine culturel vivant et sa transmission à travers le temps ont été particulièrement touchés dans ces îles dont la population est équivalente à près de la moitié de celle de la France. Certaines zones dévastées par le Tsunami ont été reconstruites selon le « concept de l’habitat temporaire à qualité humaine » du professeurchercheur Shigeru Ban, lauréat du Prix Pritzker 2014. Shiguru Ban est japonais donc originaire d’un pays menacé en permanence par les tremblements de terre. Il a vécu le tremblement de terre de Kobé

L a Nouvelle-Zélande est aussi une zone sismique très forte, ravagée il y a peu par un tremblement de terre. La cathédrale de Christchurch (Figure 33), qui a été reconstruite totalement par Shigeru Ban, est une œuvre non seulement artistique, mais aussi un lieu de vie, un lieu de prière, un lieu de méditation, un lieu de lien social, dans lequel les gens ne se sentent pas réfugiés, mais des habitants comme les autres. Shigeru Ban a donc su redonner à travers la maîtrise d’un matériau, le carton, une autre vision du lien social architectural urbanistique pour la qualité de vie. Ma Yansong, qui est le premier architecte chinois à avoir reçu un prix international, construit des bâtiments partout dans le monde, notamment à Toronto et en Allemagne. Actuellement, il finalise un projet à Beijing qui s’appelle Chaoyang Park Plaza16, dont le concept consiste à faire de l’« urbanisme écosystémique à patrimoine vivant » (Figure 34). Il s’inspire des paysagistes chinois, de la peinture chinoise à l’encre, et il conçoit des écosystèmes d’habitats dans lesquels on retrouve beaucoup d’éléments traités dans les diffé1 6 .   w w w. i - m a d . c o m / w o r k / chaoyang-park-plaza/?cid=4

Figure 33 Cathédrale de Christchurch (Nouvelle Zélande) reconstruite après le tremblement de terre de 2011 par l’architecte Shigeru Ban à partir de matériaux issus du carton. Source : Wikipédia, Licence CC-BY-SA-3.0, Schwede66.

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

et a connu les tentes de plastique de l’aide internationale. Il a donc étudié comment réutiliser le carton (les tubes, les microlamelles), sa porosité, sa rigidité, sa flexibilité, afin de construire avec les habitants des habitats en dur, à usage temporaire de qualité et pouvant durer.

rents chapitres de cet ouvrage La chimie et les grandes villes, sur l’eau, sur le choix et l’utilisation des matériaux, sur l’efficacité, etc. Ce projet en cours de réalisation devient un des nouveaux pôles de développement de Beijing en termes d’urbanisme. Le dernier exemple est celui de la ville de Medellin, en Colombie, ville ayant subi une période douloureuse il y a trente ans par l’omniprésence du crime organisé, avec à la tête le puissant cartel mondialement connu du narco trafiquant Pablo Escobar. Aujourd’hui, c’est une ville qui a su « renaître de ses cendres », avec une politique ambitieuse autour de l’innovation sociale et du bien vivre ensemble, ce qui lui a valu une reconnaissance unanime de la communauté mondiale devenant une ville multi primée, avec en parti-

73

La chimie et les grandes villes

Figure 34 Projet urbanistique de Ma Yansong à Pékin.

Source : Chaoyang Park Plaza by MAD Architects, Beijing China.

culier le Prix Lee Kwan Yew, à Singapour en août 2016, lors du « World Cities Summit ». Toujours dans le but de créer du lien social avec un très gros effort sur la qualité du choix des matériaux, douze lignes de métro câblé ont été créées. Chaque station de métro, chaque correspondance, a ainsi pour objectif de créer un lien social basé sur la jeunesse, sur la formation, l’insertion, la vie en collectivité. D’autres initiatives originales ont été prises pour créer du lien social au niveau urbain avec des matériaux innovants, au sein d’un écosystème végétal apportant une autre vision de la ville. Bristol a été la « Green Capital » européenne en 2015. Un travail de réflexion a été mené et réalisé autour de l’eau, de la productivité agricole locale, des circuits cours et du concept de l’économie circulaire : une monnaie locale 74

a vu le jour, le Bristol Pound17, avec pour but de contribuer à créer de la valeur sociale (Figure 35). C’est un outil d’insertion sociale pour des personnes en situation d’exclusion qui, faisant des travaux d’intérêt général, sont payées avec cette monnaie locale convertible dans les magasins participant à ce programme. Ces magasins s’engagent à acheter des produits à moins de 50 km de Bristol afin de favoriser la production locale. Et avec l’argent collecté de la monnaie locale, les magasins l’apportent comme contribution pour leurs impôts et leur taxe professionnelle. Cette politique crée de la valeur, revitalise un port qui était complètement moribond et participe à l’encouragement de l’agriculture locale et de circuits courts. 17. https://bristolpound.org/

Bristol (Angleterre), Green Capital 2015. À gauche, le port, à droite, la nouvelle bibliothèque constructiviste. Source : Wikipédia, licence CC-BY-SA-2.0, Linda Bailey.

Nous avons donc la possibilité aujourd’hui de vivre autrement dans nos villes et nous pouvons ainsi partager nos rêves. P r e n o n s l ’e x e m p l e d e l’Afrique car c’est un continent d’espoir, et dont nous connaissons aussi la souffrance et la détresse. Quand nous parlons du Rwanda, nous pensons tout de suite au génocide et à un pays à l’écart de la communauté mondiale. Il s’opère également dans sa capitale Kigali une transformation en lien avec cette résilience, qui amène à trouver des voies pour renaître. Les drones depuis trois ans sont utilisés couramment, avec une très grande maîtrise pour des actions sanitaires. En effet, ils permettent depuis trois ans de livrer les vaccins et les sachets de transfusion sanguine là où il y avait auparavant des 4x4 qui passaient en brousse avec tous les dégâts écologiques qui s’y produisaient. Donc la maîtrise des micro-matériaux, de la micro-

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

Figure 35

motorisation, des matériaux composites, a permis de créer de nouveaux circuits pour la livraison. Kigali est devenue la plus belle capitale africaine (Figure 36), et c’est même une des plus avancées en termes de développement durable.

Figure 36 Scène de vie à Kigali, capitale du Rwanda. Source : Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, SteveRwanda.

75

La chimie et les grandes villes

Les sacs en plastique y sont interdits depuis longtemps et la conscience de la durabilité fait partie des réflexes naturels des citoyens ; la propreté est totale. 3.3. Les chimistes comme moteurs de l’évolution des villes Parce que le chimiste a un cadre – les citoyens, l’homme dans son territoire –, son approche est différente par rapport à la chimie en tant que science abstraite. L’apport des chimistes est détermi-

nant, parce qu’ils sont au cœur des nouvelles manières pour rendre vivant et puissant le métabolisme urbain à l’échelle de notre territoire. Dans cet ouvrage La chimie et les grandes villes, Romain Lacombe a montré, avec les « citoyens capteurs » (Figure 37), des exemples qui se concrétisent aujourd’hui un peu partout dans le monde (Figure 38). Plusieurs exemples à Paris illustrent la façon dont le chimiste et la conception de la physico-chimie peuvent changer une ville (Figure 39).

serveur bruit

La montre

pollution

Le téléphone

Figure 37 Les citoyens capteurs : relevés de pollutions urbaines (sonores, aériennes) par les citoyens grâce à leurs Smartphones, montrant que les grands axes sont particulièrement touchés.

Figure 38 Exemple de deux sites (au Canada et en Gironde, France), sur lesquels les habitants peuvent alerter les services techniques sur de potentiels problèmes techniques.

76

L’Arc de Triomphe (Paris) éclairé à l’occasion du 100e Tour de France et jeux de lumière sur la Tour Eiffel.

Sans la chimie, la mobilité à Paris n’aurait jamais été ce qu’elle est aujourd’hui grâce aux Vélib’ et aux Autolib’ (Figure 40). Prenons le cas d’AutoLib’ : quand le groupe Bolloré a fabriqué les voitures bleues, son objectif n’était pas

strictement limité de vendre des voitures, mais de positionner la rupture technologique de sa batterie à polymère sec18. 18. https://www.autolib.eu/fr/ notre-engagement/la-bluecarmenu/100-electrique/

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

Figure 39

Figure 40 Les différentes mobilités urbaines.

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La chimie et les grandes villes

C’est avant tout la physicochimie qui a été au cœur de ce qui a été une révolution pour la mobilité urbaine : « en diversifiant son activité historique de producteur de papiers et de films plastiques ultrafins, le Groupe Bolloré est devenu producteur de films diélectriques pour condensateurs, jusqu’à détenir plus d’un tiers du marché mondial. À partir de cette expertise et après vingt ans de R&D, le Groupe a mis au point des composants de stockage d’électricité et des solutions qui les mettent en œuvre ; ces composants reposent sur des technologies uniques  : la batterie LMP (Lithium Métal Polymère) ainsi que des super capacités carbone-carbone. À l’heure où les questions de développement durable et de stockage de l’électricité sont devenues des enjeux majeurs pour les citoyens, les villes et les États, le Groupe Bolloré s’appuie sur cette expertise pour développer des solutions de production,

de stockage et de consommation intelligente de l’électricité ». 3.4. Le réseau de chaleur et de froid par géothermie Aujourd’hui, Paris est l’une des premières capitales mondiales à avoir lourdement investi avec l’ensemble de ses partenaires pour développer dans la capitale un réseau de chaleur et de froid fonctionnant avec la géothermie, en limitant ainsi l’utilisation de l’énergie fossile via le chantier de la Villette (Figure 41). C’est un choix stratégique de Paris dans le cadre de son Plan Climat Énergie, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 75 % en 2050 par rapport à 2004. Paris s’est engagée à devenir une ville à neutralité carbone à l’horizon 2050. Sans les chimistes, sans les physico-chimistes, cela ne serait pas réalisable. L a halle Pajol de Paris (Figure 42A) accueille sur

Figure 41 78

Le réseau de chauffage urbain à Paris. À droite : principe de la géothermie.

Source : Laurent Jacquemin.

La halle Pajol (A) et le stade Jean Bouin (B) : deux exemples du nouvel élan architectural de Paris. Source : A) www.inex.fr ; B) Wikipédia, licence CC-BYSA-4.0, Liondartois.

sa toiture la deuxième plus grande centrale solaire photovoltaïque urbaine en France. Celle-ci compte 1988 panneaux solaires d’un total de 3 500 m² pour une production de 410 000 kWh/an. Les nouvelles technologies et les innovations techniques comme le système de powerpipe, la VMC double flux et le puits canadien permettent, également, de réaliser d’importantes économies d’énergie. Le stade Jean Bouin, faisant partie du patrimoine parisien (Figure 42B), a également été rénové utilisant des matériaux innovants. Équipé en outre pour la récupération des eaux des pluies, il est de plus muni de panneaux solaires pour une meilleure prise en charge énergétique. Implanté à côté du Parc des Princes, dans le 16e arrondissement parisien, ce nouvel équipement, conçu par l’architecte Rudy Ricciotti, respecte finalement l’un des préceptes du Bauhaus, « la fonction crée la forme ». Car ce stade dédié au rugby, qui peut accueillir 20 000 personnes, comportant 7 400 m2

de commerces et 1 000 m2 de panneaux photovoltaïques, est habillé d’une enveloppe alvéolaire à double courbure en résille de béton fibré à haute performance (BFUHP)19.

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

Figure 42

Le projet « Réinventer Paris » (Figure 43) propose de rénover vingt-deux lieux de Paris qui étaient à l’abandon, non exploités, voire même pour 19. http://www.bfuhp.fr/

Figure 43 Espaces urbains rénovés dans le cadre de l’opération « Réinventer Paris », lancée en novembre 2014.

79

La chimie et les grandes villes

certains qui étaient devenus des coupe-gorges. Ce projet est reconnu au niveau mondial comme le projet le plus innovateur de transformation d’une ville, avec Figure 44 Espace parisien en cours de réhabilitation dans le cadre de l’opération « Réinventer Paris ».

Figure 45 80

Projet de création d’un nouvel éco-quartier en banlieue parisienne.

de nouvelles architectures futuristes qui inventent aujourd’hui le Paris de demain. Végétales, écosystémiques, multi-usages, elles portent un nouveau modèle de développe-

Aujourd’hui, l’initiative d’une ville devient celle de trois villes, car le concours « Réinventer la Seine », lancé en janvier 2016, associe Paris, le Havre et Rouen, trois villes de couleurs politiques différentes qui lancent les mêmes objectifs que « Réinventer Paris » à l’échelle de la Seine (Figure 46). À Paris, vingt-deux sites peu utilisés ou tombés en désuétude sont concernés ; cette fois-ci, ce sont quarante lieux situés sur le passage de la Seine qui sont soumis au même concours mondial pour réinventer la Seine avec cette même approche écosystémique.

Figure 46 Sites proposés pour participer au projet « Réinventer la Seine », lancé en janvier 2016.

Les défis des grandes villes : apports possibles des chimistes

ment durable, polycentrique, qui va transformer dans les cinq ans à venir le regard sur Paris (Figures 44 et 45).

La chimie et le métabolisme urbain L’apport de la chimie est sans nul doute considérable car il contribue, au même titre que d’autres disciplines, à ce que le métabolisme urbain crée un meilleur écosystème pour la vie : la ville ne peut être intelligente que si elle est humaine. Les sciences dites « dures », les sciences dites « humaines », et de manière générale toutes les disciplines de la connaissance, trouvent un point de convergence dans les défis que sont la construction et le développement d’une approche humaine de la ville, au service des usages, des habitats, de la démocratie participative, et du bien vivre ensemble. Tous nos efforts doivent être portés pour que nos vies urbaines soient au cœur de toutes les innovations qui permettront d’améliorer la qualité de vie pour tous les citoyens. La ville doit être vue avec les yeux et avec le cœur,

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La chimie et les grandes villes

Figure 47 Comparaison de comportements : regarder la vie avec ses propres yeux, ou à travers son téléphone ?

82

car sa composante d’intelligence émotionnelle est essentielle pour développer l’adhésion des citoyens aux évolutions et aux nombreuses ruptures à venir dans ce xxie siècle. La ville ne peut être vue à travers une science dont la compréhension échappe au grand nombre, ni au travers de Smartphones de citadins hyperconnectés mais totalement déconnectés socialement (Figure 47). La ville pour tous est un travail pédagogique au quotidien ; faire en sorte que chacun se sente concerné par le besoin impératif de faire face aux grands défis que nous avons évoqués dans ce texte. Voilà aussi pourquoi, à l’heure d’écrire ces lignes, Paris est très fière d’accueillir la conférence mondiale « Les villes pour tous », « Cities for Life », qui réunira à Paris en novembre 2017 des villes du monde entier pour réinventer ensemble la ville humaine, inclusive, résiliente et durable.

la

­intelligente Après avoir obtenu deux diplômes d’ingénieur, Bernard Saunier a soutenu sa thèse de doctorat à l’université de Californie à Berkeley. Dès son retour en France, il a créé un bureau d’ingénieur conseil, puis a rejoint le groupe Lyonnaise des eaux1, pour y présider diverses sociétés pendant vingt ans. Puis, à partir de 2005, il a créé Saunier et Associés et BSR Technologies2. Après avoir cédé Saunier et Associés en 2011, il conserve BSR Technologies et travaille en particulier sur la récupération des calories des eaux usées. Il est membre de l’Académie des Technologies.

1

La ville intelligente

1.1. Définition « Ville intelligente », n’est-ce pas un pléonasme ? Une ville, par définition, est intelligente, c’est une construction de l’homme. Cnossos, en Crète, a été construite il y a plusieurs milliers d’années, et près de 2 000 ans avant Jésus-Christ, l’eau était acheminée avec des tuyaux en plomb : n’est-ce pas la manifestation de l’intelligence de l’homme ? Le mot « ville intelligente » est la traduction de « smart city », 1. www.lyonnaise-des-eaux.com 2. www.bsr-technologies.com

une terminologie qui nous vient des États-Unis, mais qui est plus explicitement traduite par « ville numériquement interconnectée ». Le concept a regroupé les politiques et les industriels pour une vision partagée de faire plus en matière de service dans les villes pour le bénéfice des habitants, et le numérique joue un rôle majeur pour cela. 1.2. Évolution depuis trente ans et prospective L’exemple des Systèmes d’Information Géographique

D’après la conférence de Bernard Saunier

ville ­interconnectée, ville

La

La chimie et les grandes villes

(SIG 3) illustre la difficulté de la prospective en matière de développement des systèmes d’information aujourd’hui prisés par les villes intelligentes. Si, dans les années 1980 (Encart : « Le premier SIG en France »), nous nous étions projetés sur ce que pourraient devenir les usages des SIG trente ans plus tard, à peine le tiers de ce qu’on voit aujourd’hui aurait été imaginé. Conclusion logique : on ne pourra aujourd’hui imaginer qu’une fraction modeste de ce que les plus jeunes pourront découvrir dans trente ans. La grande accélération, bien entendu, a été la révolution numérique : la possibilité de placer des capteurs presque partout, mais aussi le cheminement de ces données nu3. SIG (système d’information géographique) : système d’information conçu pour recueillir, traiter, analyser et présenter tous les types de données spatiales et géographiques. Le SIG stocke et gère également l’ensemble de ces données.

mériques, devenu aujourd’hui absolument incroyable en termes de vitesse. Et le mouvement n’est pas fini : la révolution quantique4 finira par déboucher… 1.3. Quelques impacts du numérique Pour saisir l’impact du numérique sur nos sociétés, on peut se pencher sur une enquête 4. Révolution quantique : fait référence à l’essor gigantesque que prend de nos jours la théorie quantique en termes d’innovations, mais aussi dans la compréhension de phénomènes scientifiques relevant d’une échelle atomique, voire moléculaire. Cette théorie implique notamment l’abandon du déterminisme (capacité à prévoir le résultat exact d’une action ou d’un mouvement par exemple) au profit d’une estimation probabiliste des faits. Cette théorie ne cesse de croître depuis maintenant plus d’une centaine d’années, et a permis de concevoir des instruments tels que le laser, l’IRM, le téléphone portable, le GPS, ainsi que le développement de l’informatique, etc.

LE PREMIER SIG EN FRANCE Il y a trente ans, en 1986, Bernard Saunier a été nommé président de SAFEGE, le bureau d’ingénierie de La Lyonnaise. Quinze jours après sa nomination, ses collaborateurs lui déclarent : « Lyonnaise des Eaux a gagné il y a un an la concession de l’eau « rive gauche de Paris ». On doit concevoir et mettre en place un Système d’Information Géographique (SIG). Rien de tel n’existe, on ne sait pas encore faire, mais on a très envie de le faire ». À l’époque, il y avait bien le logiciel intégré « Computer Vision » qui aurait pu les inspirer, mais il était fermé, il n’y avait aucune possibilité d’accès pour l’adapter. Pas question de développer entièrement un logiciel SIG. Ils sont alors entrés en contact avec une petite startup, installée dans un local précaire, qui avait développé APIC, un logiciel ouvert permettant de vectoriser les données, d’associer ainsi les tableurs et les formes dessinées, mais avec lequel, à cette époque, personne n’avait d’expérience. L’adopter était un pari, qu’ils ont tenté. C’est ainsi qu’a été conçu, à partir de cette base pour la gestion de l’eau rive gauche de Paris, leur SIG – le premier en France et l’un des tout premiers dans le monde.

84

Aujourd’hui, le SIG est utilisé pour la géolocalisation des données en ville et sur une surface, comme l’équivalent d’Excel pour les chiffres ; on l’utilise constamment sans même en parler.

Par ailleurs, en Suisse, 13 % des couples déclarent s’être rencontrés sur Internet, et dans le canton d’Argovie, Internet est même le principal lieu de rencontre pour les couples. 1.4. La trajectoire motrice du numérique D’autres chapitres de cet ouvrage La chimie et les grandes villes (EDP Sciences, 2017) présentent l’importance d’Internet pour gérer la « mobilité » ou la distribution de l’eau. Mais tant de développements sont à l’horizon court terme : les modes de partage, les véhicules sans chauffeur, les robots humanoïdes, la télémédecine, la téléchirurgie, les modes de paiement, etc. Le plus gros changement, probablement, sera celui du travail : ainsi les américains analysent que

40 % des emplois futurs aux États-Unis proviendront de la GIG économie5 – l’économie du cachet. 1.5. Le numérique au service des territoires Le projet « Le numérique au service des territoires », dans lequel l’Académie des Technologies et IESF6 s’impliquent, veut alimenter la réflexion collective en posant des questions, et en incitant les acteurs d’un territoire à coopérer pour la construction d’une vision commune. Il propose des outils de formation dans l’action, comme un jeu collaboratif que les acteurs des territoires s’approprient pour construire et adapter en permanence leur propre stratégie. Après quatre ans de travail, ce jeu collectif a été testé sur la métropole de Rennes, ainsi que sur des villes plus petites. Un des enseignements a été de montrer la difficulté des échanges entre les différents acteurs dans les métropoles. On pense que les politiques sont ceux qui « intègrent » les différents points de vue, mais en fait la disponibilité des acteurs fait souvent défaut. À Rennes, on a pu mobiliser, de concert, acteurs et représen5. La « gig economy » (GIG) désigne un environnement où les postes de travail temporaires sont courants. Les organisations concluent des contrats avec des travailleurs indépendants pour des durées limitées, éventuellement très courtes. Le terme est une abréviation de « gigabyte » et vient de l’industrie de la musique où la pratique est répandue en particulier du fait du développement du numérique. 6. Ingénieurs et scientifiques de France.

La ville ­interconnectée, la ville ­intelligente

réalisée récemment en Suisse – un pays souvent en avance sur nous sur les questions technologiques. Aujourd’hui, pour la population suisse, Internet et la téléphonie mobile sont plus importants que la voiture. Près de quatre personnes interrogées sur cinq (79 %) considèrent qu’une connexion Internet rapide à la maison est « importante ou très importante », et 73 % se disent pendus à leur téléphone mobile. Ce dernier est même considéré comme de « plus grande importance que la voiture », que seuls deux sondés sur trois jugent « plutôt ou très importante ». Pour 52 % des personnes interrogées, l’Internet mobile revêt une « importance particulière » et surclasse les transports publics.

85

La chimie et les grandes villes

tants politiques pendant une journée entière pour examiner, à l’aide de ce jeu, leurs priorités pour la ville intelligente7. 1.5.1. Exemple de l’activité « Commerce et distribution » Pour l’activité « Commerce et distribution » (Figure 1 et Encart : « Exemple d’adaptation de l’activité “Commerce et distribution” ») par exemple, une proposition est de mettre en place des plateformes mutualisant les données des consommateurs. En faisant connaître ses attentes à un tiers de confiance, le client peut exprimer sa demande et se connecter aux offres correspondantes, ce qui conduit au renversement de l’acte de vente. Les divisions éthiques de la consommation durable, aujourd’hui principalement relayées par des réseaux sociaux, de particulier à particulier, où chacun trouve les références utiles, sont ainsi rendues plus visibles. 7. L’Académie a publié un rapport sur ce thème en septembre 2016 (www.academie-technologies.fr).

Produits et services

Acteurs Organisation Savoirs

Activités d’appui

Choix de produits

hypermarché com. local e-commerce Logistique distribution

Magasins stationnement

Accès, proximité

CHAÎNE LOGISTIQUE DU CLIENT AU PRODUIT

Entrepôts

Stocks Achats ventes

Transport livraisons

Figure 1 86

Organigramme d’une chaîne logistique : du client au produit. Elle est importante pour favoriser l’intégration des activités.

Une autre trajectoire est celle des centres multi-services de proximité avec les commerces locaux, qui élargissent leur champ de prestations comme relais de réseau de fournisseurs-distributeurs pour les commandes, réser vations, installations, entretiens. La même approche peut être suivie avec la logistique urbaine (Figure 2), qui devient extrêmement impor tante. Avec le numérique, les commandes sont passées à distance, mais il faut tout de même, à la fin, recevoir l’objet de la commande. 1.5.2. Exemple de l’activité « Transport et mobilité »

Services associés

Clients fournisseurs

Une trajectoire lue sur la Figure 1 est celle du commerce dans la ville connectée : des plateformes numériques connectent les systèmes d’informations dans tous les domaines de l’activité urbaine, l’espace public, les bâtiments, les objets communicants, le commerce et les services. Elles deviennent le principal portail d’accès et d’informations sur le commerce, avec les facteurs déclencheurs, les acteurs porteurs, etc.

Données, traitement et flux information

Ce qui est réalisé pour le commerce peut se dupliquer pour l’activité « Transport et mobilité » (Figure 3 et Encart : « Exemple d’adaptation de l’activité “Transport et mobilité” »), d’importance majeure et appelée à s’accroître encore. 1.5.3. Exemple de l’activité « Aménagement et gestion de l’espace » L’aménagement et la gestion de l’espace constituent deux acti-

Une trajectoire possible : le commerce dans la « ville connectée » Des plateformes numériques connectent les systèmes d’information de tous les domaines de l’activité urbaine : l’espace public, les bâtiments, les objets communicants, le commerce et les services. Elles deviennent le principal portail d’accès et d’information sur le commerce. Facteurs déclencheurs : les consommateurs. Acteurs porteurs : les pouvoirs publics et les intermédiateurs. Place du numérique : plateformes collaboratives de réseaux sociaux. Conditions requises : une instance publique qui régule les conflits. Effets attendus : l’activité commerciale tirée par les attentes des consommateurs.

La ville ­interconnectée, la ville ­intelligente

EXEMPLE D’ADAPTATION DE L’ACTIVITÉ « COMMERCE ET DISTRIBUTION »

Une autre trajectoire possible : des centres multiservices de proximité Les commerces locaux élargissent leur champ de prestation comme relais de réseaux de fournisseurs-distributeurs : commandes, réservations, installation, entretien… Facteurs déclencheurs : les attentes des populations isolées, peu mobiles… Acteurs porteurs : les acteurs de proximité : entreprises, communes, associations. Place du numérique : organiser la logistique des fournisseurs et des services. Conditions requises : coopération des acteurs territoriaux. Effets attendus : renforcement de l’offre de proximité et du commerce local.

Services offerts

Acteurs process

Fonctions d’appui

Courrier livraisons

Poste Livreur Déménageur Plombier Infirmière Police Samu

Entrepôts stockage

Matériaux déchets

Services à domicile

LES FONCTIONS DE LA LOGISTIQUE URBAINE

Véhicules

Circulation Stationnement

Sécurité urgences

Données, traitement et flux d’information

Géolocalisation

Figure 2 Organigramme d’une chaîne logistique utilisée pour intégrer les activités et services urbains grâce au numérique.

87

La chimie et les grandes villes

Produits et services

Acteurs Organisation Savoirs

Activités d’appui

Services d’infrastructure

Opérateurs Infra. et services Producteurs véhicules et systèmes

Voirie Gares Station-service

Disponibilité véhicule

Services d’accès

Conducteurs Véhicules Places off. CHAÎNE DE TRANSPORT

Énergie maintenance

Itinéraires Horaires Accès

Données, traitement et flux information

Espaces logistiques

Figure 3 Organigramme d’une chaîne logistique utilisée pour organiser la chaîne des transports dans une ville.

EXEMPLE D’ADAPTATION DE L’ACTIVITÉ « TRANSPORT ET MOBILITÉ » Une trajectoire possible : des véhicules décarbonés à bas coût Les constructeurs automobiles repensent leur modèle de production (vitesse, encombrement, coût). Ils y sont incités par la modification des règles d’usage des voies publiques : vitesses autorisées, statut des voies réservées, espaces de stationnement. Facteurs déclencheurs : l’évolution des modes de vie urbains. Acteurs porteurs : des nouveaux entrants dans la filière automobile. Place du numérique : pilotage numérique du cycle de vie du véhicule. Conditions requises : encadrement réglementaire des pouvoirs publics. Effets attendus : mode d’usage plus efficient de l’espace urbain. Une autre trajectoire possible : autonomisation locale de la mobilité Les acteurs locaux, privés et publics mutualisent leurs moyens et optimisent l’utilisation collective des services de mobilité : covoiturage, parcs d’entreprises, taxis et VTC…

88

Facteurs déclencheurs : le besoin de solutions de mobilité accessibles à tous. Acteurs porteurs : tous les acteurs locaux, publics et privés. Place du numérique : plateforme de gestion collective des moyens disponibles Conditions requises : repenser les limites entre associatif et commercial. Effets attendus : changement d’échelle dans l’optimisation des moyens.

Produits et services

Acteurs Organisation Savoirs

Activités d’appui

Desserte immeubles

Réseaux Bâtiments Esp. public Distributeurs Énergie Communication

Énergie eau

présentent sur l’eau peut se généraliser à l’énergie (avec l’électricité, la chaleur, etc.) et à ses stockages locaux, constituant de véritables « quartiers intégrateurs ».

Disponibilité énergies et fluides

GESTION AMÉNAGEMENT FLUIDES, ÉNERGIE

Traitement stockage

Services de proximité

Cadastre Adresses activités Compteurs consom.

La ville ­interconnectée, la ville ­intelligente

vités essentielles dans la ville (Figure 4 et Encart : « Exemple d’adaptation de l’activité “Aménagement et gestion de l’espace” »). Ce que d’autres chapitres de cet ouvrage

Données, traitement et flux information

Voirie transport

Figure 4 Organigramme d’une chaîne logistique utilisée pour l’aménagement et la gestion d’un espace.

EXEMPLE D’ADAPTATION DE L’ACTIVITÉ « AMÉNAGEMENT ET GESTION DE L’ESPACE » Une trajectoire possible : l’organisation de la vie du quartier Des systèmes intelligents d’optimisation des ressources (smart-grids) à l’échelle des immeubles ou du quartier permettent la gestion mutualisée de services communs : énergie et réseaux, conciergerie, stationnement, télétravail et autres échanges. Facteurs déclencheurs : modification des comportements des habitants. Acteurs porteurs : des syndics et conseils syndicaux de quartier. Utilisation du numérique : pour la gestion des services communs. Conditions requises : la volonté locale de vivre et coopérer ensemble. Effets attendus : économies d’énergie et amélioration du cadre de vie local. Une autre trajectoire possible : régulation d’usage de l’espace public Les autorités locales organisent sa gestion de l’espace public urbain par l’information numérique : détection (caméras de sécurité, feux de signalisation, contrôle du stationnement…), identification des objets ou immeubles (RFID), échange d’informations (services de proximité). Facteurs déclencheurs : les instruments numériques d’observation et de contrôle. Acteurs porteurs : les communes gestionnaires de l’espace public. Utilisation du numérique : des plateformes pour connecter toutes les activités. Conditions requises : surmonter les réticences des riverains. Effets attendus : valorisation de l’espace public.

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La chimie et les grandes villes

Le concept de quartier intégrateur8 (Figure 5) est actuellement en expérimentation, notamment avec « IssyGrid9 » à Issy-les-Moulineaux. Certains 8. Quartier intégrateur : lieu où le numérique permettrait le développement des activités et les services d’un ensemble donné. 9. IssyGrid : c’est le premier réseau de quartier intelligent en France. Créé à Issy-les-Moulineaux, il préfigure la gestion de l’énergie dans le quartier et la ville de demain.

Services offerts

Stockage énergie

Mairie Poste Pharmacie Centre multiservice Syndic. d’immeubles

Acteurs process

Fonctions d’appui

Bâtiments et résaux

Gestion bâtiments

Assistance démarches

LES FONCTIONS DU BÂTIMENT ET DU QUARTIER INTÉGRATEURS

Espace public

Équipements et véhicules

Économie collaborative

Données, traitement et flux information

Locaux collectifs

Figure 5 Mise en place d’un quartier intégrateur par le numérique : lieu de développement des activités et des services.

Services offerts

Acteurs process

Transport public

Adresses Itinéraires Correspondances Réservations Abonnements Contrôles Info-patrimoine

Fonctions d’appui

Espace public

Taxis covoiturage

Stationnement autopartage

LES FONCTIONS DU PASS URBAIN GÉNÉRALISÉ

Opérateurs mobiles

Opérateurs téléphonie

Commerces Musées…

Données, traitement et flux information

Opérateurs bancaires

Figure 6 90

Les atouts d’un pass urbain généralisé : intégration des activités et des services.

groupes français du BTP sont très avancés dans ces réflexions. On pourrait aussi citer l’intérêt de la création d’un « pass urbain » (Figure 6) pour rationnaliser toutes ces trajectoires.

2

La ville interconnectée

2.1. Les objectifs La « ville interconnectée », c’est avant tout une ville où l’on sait gérer les flux pour accroître le bien-être des personnes et des citoyens. Derrière cette expression « gérer les flux », on entend : gérer la circulation (la mobilité), la distribution de l’eau, de la chaleur, de l’électricité, les communications, le commerce, etc. Les développements techniques actuels mettent à disposition des capteurs capables de sensibilités et de vitesses de transmission inimaginables il y a peu et qui permettent des performances augmentées dans ces gestions de flux. La gestion moderne des flux prend également compte des impératifs du « développement durable ». Une illustration est donnée dans le Chapitre de P.-J. Derian dans La chimie et les grandes villes sur la récupération des eaux usées ou des eaux pluviales. Cette préoccupation ancienne a été traitée par l’installation de capteurs, grâce auxquels il est devenu possible de gérer les quantités considérables d’eaux pluviales qui arrivent et qu’on ne peut pas stocker ; on veut recueillir les premières, les évacuer vers une station d’épuration, puis dans une

2.2. Le questionnement Ce concept de ville connectée a beaucoup de mal à se faire accepter et à progresser. Vus sous le seul angle technique, ces développements sont extrêmement séduisants, mais ils entraînent de nombreuses interrogations. Ne serait-on pas en train de mettre en place un monstre, un « Big Brother » qui va nous suivre en permanence ? L’agriculture d’aujourd’hui a remplacé les clochettes des vaches par des boucles d’oreilles qui permettent de suivre les animaux en géolocalisation. Est-ce que demain, cela ne va pas être la même chose pour nous, les humains ? La gestion des services publics dans la ville connectée donne matière à réflexion ; elle conduit à imaginer des organisations de sociétés toutes nouvelles dont les avantages et les inconvénients ne sont pas faciles à évaluer. Le secteur de l’eau, pour prendre un exemple, comprend la production mais aussi la vente puis le relevé des compteurs. Aujourd’hui, tout est réalisé par un même opérateur, mais demain, ne pourrait-on pas avoir un Google quelconque prendre les responsabilités financières en charge et s’occuper des relevés des compteurs

d’eau mais aussi d’électricité, de gaz, de chaleur etc., occupant une position de pouvoir et donnant naissance à ce qu’on appelle, chez les financiers, les sous-jacents10 ? Les sous-jacents, ce sont ceux qui produisent, et au-dessus il y a ceux qui financent et qui possèdent le pouvoir de la décision. On irait vers un monde où les décisions appartiendraient à des êtres supérieurs ou des sociétés supérieures, alors que derrière, les « sous-jacents » feraient le travail réel pour leur compte ? « L’Uberisation », c’est un peu ce phénomène : « Uber » est la première société de taxi au monde, mais ne possède pas une seule voiture ; « Booking. com » est le premier hôtelier au monde mais ne possède pas d’hôtel, « Amazon » est le premier commerçant au monde mais n’a pas une seule boutique, et ainsi de suite.

La ville ­interconnectée, la ville ­intelligente

deuxième phase les évacuer vers une localisation appropriée. Grâce au numérique, tout cela, à savoir fournir des services, entreposer des données privées et publiques, et maîtriser ces données, devient possible. Cela résume les objectifs de la ville interconnectée.

Aujourd’hui, le vrai problème de la ville interconnectée résulte du fait que son « business model » n’a pas encore été validé, car il n’existe pas ; elle ne peut donc pas vraiment se développer. De nombreux autres problèmes, bien sûr, affluent : par exemple celui de la formation des agents, ou encore celui de la sécurisation des outils informatiques, la 10. Sous-jacent : un sous-jacent est un actif financier (c’est-à-dire un titre ou un contrat, généralement transmissible, qui est susceptible de produire à son détenteur des revenus), sur lequel porte un produit dérivé. Ce peut être par exemple une action, une matière première, ou encore une devise. Un sous-jacent peut porter sur tout type d’actifs financiers, y compris un produit dérivé.

91

La chimie et les grandes villes

cybersécurité11, qui prend une importance considérable. Pour synthétiser ces difficultés, on peut dire qu’un des gros problèmes de la ville interconnectée relève de sa gouvernance, qui conditionne la prise de décisions à tous les niveaux. 2.3. La gouvernance Les nouvelles conditions créées par la mise en place de nouvelles méthodes de gestion des flux concernent absolument tous les citoyens. Des règles – la gouvernance – doivent être instituées, qui soient comprises, applicables et acceptées par tout le monde. Et cela ne va pas de soi. Voici quelques exemples de difficultés : – la maîtrise des données liées au ser vice public : aujourd’hui, grâce aux multiples capteurs installés, on peut savoir ce que chacun fait dans son habitation ; c’est un risque de perte de liberté réel, qui est ressenti négativement par beaucoup de citoyens. Autre exemple : le paiement électronique est une technologie qui peut simplifier la vie. Encore faut-il que les citoyens sachent l’utiliser. Or en France, nous avons dans chaque classe d’âge environ 10 % de personnes que l’on peut qualifier d’« illettrées » : ce ne sont pas elles qui vont se précipiter vers l’utilisation courante de cette technologie ou de technologies aussi nou-

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11. Cybersécurité : représente en fait l’ensemble des procédés informatiques mis en place pour protéger les données transitant par Internet.

velles. La même remarque s’applique aux seniors (15 à 20 % de la population) ; – le boulever sement du monde du travail : avec le numérique, la révolution des modes de travail en marche est absolument considérable. L’extension du système des GIG en fournit une illustration : les collaborateurs sont embauchés « à la tâche ». Ce système s’impose dans plusieurs grandes entreprises. Ainsi, sur les 100 000 emplois nouveaux envisagés pour les cinq prochaines années dans l’entreprise ATOS, son président Thierry Breton annonce que 40 % devraient être des GIG. Le statut actuel des intermittents du spectacle préfigure le GIG : des travailleurs qui ne travaillent qu’avec des cachets. Est-ce que demain on n’aura pas les « intermittents de la technologie » liés à ce genre de mode de travail ? Il faudra des réponses politiques à cette question ; –  la question des « concessions » : naguère, on travaillait avec des concessions, c’està-dire, que les politiques confiaient la gestion de l’eau (par exemple) à des grands groupes pour vingt-cinq ou trente ans. Pendant ce laps de temps, le groupe concessionnaire était quasi propriétaire, puisque délégataire de toutes les installations, et rendait compte au propriétaire dans le cadre du contrat. Le modèle de la concession a été critiqué, et les dernières années nous avons constaté un retour vers la municipalisation totale (notamment à Paris) donnant une responsabilité technique complète

2.4. Le rôle du politique On l’aura compris à la lecture des paragraphes précé12. SEMOP (société d’économie mixte à opération unique) : c’est un nouvel instrument de partenariat institutionnel avec les opérateurs privés, permettant aux collectivités territoriales et à leurs groupements de s’adjoindre les capacités techniques, opérationnelles et financières de ces opérateurs, au travers d’une unique procédure de mise en concurrence. Cela leur permet ainsi de sélectionner un actionnaire privé en vue de constituer une société anonyme à laquelle sera directement confié un contrat pour la réalisation d’une opération déterminée.

dents : le rôle du politique est essentiel pour la ville interconnectée. Pour son développement, le regroupement des communes est indispensable. La constitution des communautés d’agglomération, impulsée en France par l’État, va permettre des évolutions très fortes dans le sens d’une bonne (ou d’une meilleure) gouvernance, favorable à la ville intelligente. On ne peut clore cette présentation de la ville connectée sans un mot sur le financement. Abordons la notion du « taux de couverture des services marchands » : les collectivités locales ont en effet des « services marchands ». La cantine publique, la cantine scolaire, les ser vices périscolaires, les services culturels (conservatoire), les activités sportives, la distribution de l’eau, etc., sont des services marchands. La commune fournit un service et reçoit une recette financière en face. Pour la distribution de l’eau, le problème est réglé, la loi exige que le service soit financièrement équilibré, les recettes fixées par le prix de l’eau paient toutes les dépenses. Pour les autres services, la plupart des communes ne connaissent pas le vrai taux de couverture de leurs services marchands (rapport entre la recette et la dépense). La raréfaction des recettes oblige enfin les maires à se poser la question, et à en effectuer le vrai calcul. Lorsqu’ils découvrent que les dépenses ne sont couvertes qu’à 30-35 % par les contributions des usagers – c’est-àdire qu’il faut les subventionner à 65 % (cas fréquent pour

La ville ­interconnectée, la ville ­intelligente

à des municipalités, qui ne sont pas forcément qualifiées pour l’assurer. C’est pour cela qu’ont été imaginées il y a déjà une vingtaine d’années les SEMOP12, des sociétés d’économie mixte « à l’envers », qui unissent le public et le privé en préser vant le contrôle d’une majorité du capital par le privé. Au sein du conseil d’administration, le public et le privé peuvent se concerter, mais la gestion reste privée. La société détient l’ensemble du savoir-faire, mais aussi des données – les fameuses données qui vont prendre une importance considérable. En Amérique latine, les SEMOP, créées en 1994-1995, ont été un immense succès repris par la banque mondiale pour beaucoup d’autres installations et modes de gestion. Il n’y a que depuis 2014 que le système a pu être appliqué en France. La Lyonnaise des eaux a été l’un des premiers à le mettre en place (à Dole dans le Jura).

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La chimie et les grandes villes

les cantines scolaires) – ils commencent alors seulement à s’interroger. Pour la ville numérique, ce sera évidemment la même chose et cela demandera soit de recourir

à l’impôt, soit d’imaginer la possibilité de générer de nouvelles recettes, pourquoi pas celles relevant de l’utilisation des données : une question politique par excellence.

La ville connectée : un bouleversement à réussir La « ville connectée », est-ce une utopie ou un cauchemar ? Ni l’un ni l’autre : c’est une réalité qui éclot, qui est irrésistible et qui amène des évolutions de fond de nos sociétés. La maîtrise des données va devenir un énorme sujet : devront- elles être mises en « open-data » ou pas, et à qui en confier la responsabilité ? Plus généralement, le « business model » de la ville connectée reste à construire. Bien évidemment, le politique a une responsabilité majeure dans ce développement : il lui appartient d’accompagner et de protéger les « non-connectés » (les seniors, les illettrés,…). Les niveaux des dépenses et leur répartition restent à organiser et à maîtriser. À notre sens, la gouvernance privée-publique de tout cet ensemble est appelée à jouer un rôle primordial : ce sera l’une des solutions pour résoudre les problèmes de gestion qui s’annoncent.

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Stéphane Delalande est docteur-ès-sciences, il est en charge, à PSA1 groupe, des relations avec l’université, les centres de recherche et les partenariats scientifiques externes.

1

État des lieux sur la mobilité urbaine

1.1. Un peu d’histoire : de la deux-chevaux à nos jours Beaucoup de lecteurs, à n’en pas douter, se souviendront de cette fameuse voiture : la 2CV2 Citroën (Figure 1). C’était une voiture passe-partout ! Son cahier des charges était simple, relié à la ruralité prédominante à cette époque, et pouvait être formulé en termes simples : « quatre places sous un parapluie, 50 kg de bagages et la voiture devra pouvoir traverser un champ avec un panier rempli d’œufs sans en casser un seul ». Certes, c’était une rupture à l’époque !

prendre comme exemple la C4 Cactus ; elle a une planche de bord aussi dépouillée que la 2CV, cependant il apparaît des écrans tactiles… une touche de modernité (Figure 2). La C4 Cactus, comme sa devancière, est équipée de banquettes à l’avant et à l’arrière. Son utilisation en milieu urbain la voit s’habiller de larges panneaux de protection latérale… ! Afin de se prémunir de tous les petits chocs qu’une utilisation citadine majoritaire induit immanquablement et qu’une peinture, si bonne soit-elle, ne pourra jamais encaisser.

Cette vision simplifiée peut se transposer dans un monde moder ne. Nous pouvons

Pour réaliser ces pièces, la chimie a été d’un grand secours ainsi qu’un peu d’ingénierie, en utilisant une peau en polyuréthane3 (PU) surmoulée sur une

1. www.groupe-psa.com 2. 2CV : la deux-chevaux est une voiture populaire de Citroën produite dans les années 50 à 80.

3. Polyuréthane : polymère notamment utilisé pour fabriquer des élastomères (matériau aux propriétés élastiques).

Stéphane Delalande

mobilité urbaine

La

La chimie et les grandes villes

des contraintes majeures. Ainsi, il a fallu faire évoluer la chimie du polyuréthane pour qu’ils résistent suffisamment au nettoyage, qu’ils ne se rayent pas, ne vieillissent pas aux UV. De nombreuses évolutions de la formulation chimique de ce PU ont été nécessaires.

Figure 1 La 2CV Citroën, voiture emblématique des années 1950. Source : Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Andrzej O.

armature en ABS4 et fixée avec des soudures laser. De l’air est piégée dans les bulles, qui sont « munies » d’un petit trou permettant une respiration de l’ensemble lorsque qu’il est sollicité en compression. De tels panneaux paraissent faciles à concevoir mais un cahier des charges automobile induit 4. ABS (Acrylonitrile Butadiène Styrène) : polymère thermoplastique présentant une bonne tenue aux chocs. Rigide et léger, on peut le mouler pour faire des armatures.

Chaque fonction de la voiture nécessite une connaissance fine de la chimie, afin de pouvoir faire respecter aux matériaux les normes telles que : les chocs piétons, les chocs avants, les chocs latéraux, les vieillissements,… Les matériaux évoluent pour améliorer leurs propriétés et offrir le maximum de sécurité aux personnes présentes à l’intérieur du véhicule tout en garantissant une durabilité à l’usage optimum. 1.2. La situation actuelle : un monde urbain L’évolution du design de l’automobile est à la fois conséquence et cause de l’évolution du profil des villes. Lorsque la 2CV a été conçue, entre les années 30 et les années 40, le monde était rural ; aujourd’hui, il est majoritairement urbain. Les besoins et

Figure 2 96

La nouvelle C4 de Citroën, avec un intérieur moderne et des panneaux de protection latérale.

1.3. Les défis : créer la voiture pour la ville de demain La devise d’une direction scientifique devr ait être «  Nos défis d’aujourd’hui sont nos opportunités de demain ! (Figure 3) ». Une ville plus importante impose de nouveaux schémas de mobilité ; il faudra offrir de nouveaux véhicules mais surtout les adapter à un monde de plus en plus communiquant : les buildings communiquent entre eux, bientôt les voitures communiqueront entre elles et avec les bâtiments afin de garantir une continuité dans l’usage. Dans toutes les réflexions, les considérations économiques doivent être présentes. Les voitures deviennent de plus en plus complexes et luxueuses, mais il faut continuer à construire des voitures pour tout le monde – tout le monde a besoin d’une voiture à un moment ou un autre de sa vie, pour aller travailler ou pour partir en vacances. C’est un instrument de liberté qui est devenu indispensable à tous.

–  réduire l’impact environnemental est un axe prioritaire de nos innovations. Il faut tenir compte des analyses de cycles de vie, utiliser les énergies renouvelables lors des étapes de fabrication (installation de panneaux solaires sur les toits des usines), maîtriser les rejets dans l’environnement, développer tout ce qui concerne les clean-technologies ; –  alléger les véhicules pour économiser l’énergie. Cela est techniquement aisé sur des véhicules très chers, mais il faut aussi l’appliquer sur des véhicules de grandes séries car tout le monde ne peut pas s’offrir des voitures de luxe. Le leitmotiv de base de l’industrie automobile reste primordial : assurer qualité et sécurité. Cela met en jeu autant de la sûreté intrinsèque du véhicule que du comportement quotidien des usagers, mais également la sécurité des personnes fabricant les véhicules.

Comment pouvons-nous nous adapter aux nouveaux modes de mobilité ?

Depuis plusieurs années, il y a eu une prise de conscience de l’impact des véhicules sur l’environnement, pas seulement au cours de leur utilisation mais aussi pendant leur fabrication. C’est maintenant un objectif incontournable que de réduire au maximum cet impact environnemental. Les gr ands objec tifs de l’industrie automobile aujourd’hui sont clairs :

La mobilité urbaine

les usages ont évolué, les matériaux disponibles également, modifiant profondément les formes et les équipements des automobiles.

Comment pouvons-nous diminuer notre impact environnemental ?

Comment pouvons-nous répondre aux attentes de nos clients ?

Offrir de nouveaux véhicules adaptés au déplacement et à la mobilité pour rester compétitifs

Les clean-technologies sont devenues un axe prioritaire d’innovation dans l’industrie automobile

Des véhicules de plus en plus sûrs et attrayants

Figure 3 Nos défis d’aujourd’hui sont nos opportunités de demain.

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La chimie et les grandes villes

2

Les matériaux, l’environnement et la chimie dans le monde de l’automobile

Pourquoi la chimie ? C’était un des refrains préférés d’un de nos anciens directeurs de la direction matériaux il y a une vingtaine d’années. 2.1. La voiture de demain Un véhicule d’une tonne, ce sont 1 000 kg de matériaux. Même le prototype sur la Figure 4, une Peugeot en fibres de carbone et en cuivre, n’est constitué que de matériaux – les métaux, le verre, même les semi-conducteurs –, résultat du travail des chimistes, que l’on retrouve à toutes les étapes, pour les mises au point du passé comme pour les innovations et les développements pour l’avenir. L’évolution des véhicules passe nécessairement par l’évolution des matériaux qui les constituent. L’objectif est de fournir un véhicule pour tout le monde, adapté à une société globale (Figure 5), c’est-à-dire, comme indiqué plus haut, sachant communiquer, économisant l’énergie, à l’impact environnemental le plus faible possible et assurant une sécurité maximum pour ses usagers.

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Objectif plus récent propre au groupe PSA, mais maintenant incontournable, il faut aussi, pour minimiser l’impact environnemental, travailler avec des matériaux recyclés. La difficulté, en l’occurrence, est de conserver les propriétés initiales des matériaux à travers les transformations du recyclage. Même pour les

thermoplastiques 5 , le recyclage a des limites car, à force de recycler, des liaisons se rompent sur les chaînes polymères, et les performances chutent. Ainsi, quand on recycle du plastique, il faut veiller à conserver le rôle protecteur des antioxydants6. L’objectif de diminuer les émissions de CO 2 conduit à développer de nouveaux matériaux. Il peut s’agir de biomatériaux, de matériaux « verts » ayant les mêmes propriétés que les matériaux issus du pétrole. Il peut aussi s’agir de matériaux composites7 mais restant à des coûts raisonnables. La réduction des émissions de CO2 et autres polluants par les moteurs passe par une mobilisation des chimistes autour de la catalyse 8 mais aussi dans la conception de nouveaux capteurs puisque pour améliorer la catalyse, la connaissance fine des gaz émis par le véhicule s’avère de plus en plus nécessaire. 5. Thermoplastique : matière plastique qui peut, de manière répétée, être ramollie sous l’action de la chaleur pour changer de forme et durcie par refroidissement, sans modifier ses propriétés mécaniques. 6. Antioxydant : substance utilisée pour retarder la dégradation de certains produits et en assurer un meilleur vieillissement. 7. Matériau composite : produit solide comportant au moins deux constituants distincts dont une matière plastique, réunis par un matériau de liaison. 8. Catalyse : réaction physico-­ chimique permettant à des substances dites catalyseurs d’accélérer la vitesse des réactions chimiques. Les catalyseurs agissent à des concentrations infinitésimales et se retrouvent inchangés en fin de réaction.

Peugeot Onyx : concept car de voiture de sport du constructeur avec une carrosserie composée de cuivre et de fibre de carbone : 1 000 kg de matériaux et beaucoup de chimie ! Source : Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Liondartois.

Fournir des avantages supplémentaires aux clients et sociétés Véhicules plus sûrs Adaptés en termes d’accessibilité Adaptés en termes d’offre

Réduire les émissions des véhicules CO2 Polluants

Le confort du conducteur, qui s’avère être un facteur de sécurité, est évidemment pris en compte pour la voiture de demain, comme l’illustre le développement de la « vision tête haute » (Encart : « La technique “vision tête haute” »), qui pose des défis aux physicochimistes pour le développement de dispositifs accessibles à tous.

La mobilité urbaine

Figure 4

Figure 5 Les défis de l’industrie automobile pour une mobilité durable. La voiture de demain doit répondre à différents critères sur la réduction des émissions de gaz et son impact environnemental tout en restant accessible à tous et en répondant aux normes de sécurité.

Réduire l’impact environnemental

Recyclabilité Matériaux

2.2. Capteurs et catalyseurs Une tendance de fond dans les projets de mobilité du futur est le développement du véhicule autonome : le véhicule sans conducteur. Ce concept repose sur l’utilisation d’une très grande diversité de capteurs. Aujourd’hui, certains sont coûteux et difficiles à implanter sur tous les véhicules.

99

La chimie et les grandes villes

LA TECHNIQUE « VISION TÊTE HAUTE » Cette expression désigne la capacité de lire les informations sur la conduite directement sur le pare-brise et non plus sur un tableau de bord séparé. La « vision tête haute » a d’abord été développée pour les avions de chasse. Quand on vole à 1 500 ou 2 000 km/h, les temps d’adaptation entre le près et le loin sont très difficiles, ils induisent en plus de la fatigue chez le pilote, résultant d’accommodation rapide et fréquente de son champ de vision. Il faut un système de vision qui lui évite d’avoir à le faire constamment. Ces technologies ont dans un premier temps été installées dans les avions mais pas dans les véhicules automobiles car les impératifs de coût pour les deux domaines d’application étaient très différents. Aujourd’hui, des constructeurs ont démocratisé cette technologie et l’ont adaptée à leurs véhicules. La technologie demande de savoir réaliser des lames nécessitant des traitements chimiques de surface, une conception relativement compacte des trajets optiques pour obtenir un affichage qui corresponde à une vision compatible avec l’adaptation à l’infini (Figures 6 et 7).

Temps d’accommodation (s)

Suivant les technologies employées, il faut maîtriser les angles des vitrages réalisés dans le verre, adapter leur chimie, contrôler les variations d’épaisseur locales voulues, adapter les PVB*. Une solution technologique alternative pour compacter encore ces systèmes consiste à utiliser la plasmonique. Cela nécessite de réaliser des dépôts d’or ou d’argent de très petites dimensions sur des surfaces de verre afin de modifier les propriétés de la matière. Ces axes de travail font appel aux chimistes pour faciliter l’adhésion des revêtements, empêcher l’oxydation de ces matériaux, faire des revêtements durables…

0,8 0,7 0,6

Sans VTH

0,5 0,4

Avec VTH

0,3 0,2 0

Figure 6

0,5

1

1,5 2 Distance (m)

2,5

3

Figure 7

La vision tête-haute fait apparaître les indications du tableau de bord La vision tête-haute (VTH) permet sur le pare-brise. d’avoir un temps d’accommodation Source : Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Affemitwaffe. beaucoup plus court. *

PVB (poly(butyral vinylique)) : polymère utilisé pour séparer le verre feuilleté.

L’idée est de les faire évoluer, par exemple en remplaçant les capteurs infrarouges actuels par des capteurs moins coûteux. 100

Parmi les techniques clés pour la réalisation des cap-

teurs, il faut citer la MOCVD9 (« Molecular Organic Chemical 9. MOCVD (« Metal Organic Chemical Vapor Deposition ») : épitaxie10 en phase gazeuse qui a une bonne reproductibilité et des fortes vitesses de croissance accessibles.

Afin de diminuer et d’éliminer les rejets « polluants » dans l’atmosphère, des catalyseurs à métaux précieux ont été introduits sur les lignes d’échappement des véhicules. Les recherches actuelles s’orientent vers le développement de catalyseurs sans métaux précieux afin d’en réduire les coûts et obtenir des activités catalytiques à plus basse température. Un axe important de nos travaux est le développement de matériaux en rupture. Dans le cadre d’un de nos partenariats OpenLab11 (Encart : « L’approche OpenLab »), la chimie des sol-gel12 et des hybrides organiques/inorganiques est étudiée. Ces voies de synthèse sont à l’œuvre dans la chimie du vivant elle10. Épitaxie : technique de croissance de cristaux utilisée pour former, par réaction chimique, de fines couches de matériaux d’une autre espèce chimique que celle du substrat mais ayant une structure cristalline identique. 11. OpenLab : un lieu et une démarche portés par des acteurs divers, en vue de renouveler les modalités d’innovation et de création par la mise en œuvre de processus collaboratifs et donnant lieu à une matérialisation physique ou virtuelle. 12. Chimie par procédé sol-gel : procédé de synthèse de matériaux verriers ou céramiques dans lequel on part d’une suspension de particules solides, un sol, qui est déstabilisé pour conduire, par agrégation spontanée des particules, à un gel, puis à un solide.

même et sont très fécondes en chimie de synthèse (Figure 8). Un autre exemple très prometteur pour cette chimie est le contrôle de la physicochimie des surfaces. Il est possible par un traitement approprié de modifier l’indice de réflexion des vitrages tout en obtenant une surface hydrophobe et catalytique. Changer l’indice de réflexion des vitrages permettra de supprimer les reflets des planches de bord dans le pare-brise, ce qui permet d’assurer un confort visuel au conducteur tout en laissant aux designers de plus grandes libertés de conception et de choix de teintes. D’autres sujets de recherche concernent le développement de systèmes de production d’énergie en rupture, les aérogels pour l’iso-

La mobilité urbaine

Vapor Deposition ») et l’épitaxie10. Cette dernière technique est coûteuse parce qu’elle se fait sous ultravide, alors que la MOCVD travaille en milieu gazeux basse pression.

L’APPROCHE « OPENLAB » Pour saisir les innovations en rupture dans la chimie du futur, PSA a créé un ensemble de collaborations fédérées au sein du réseau Stellab. Dans les OpenLabs, se déploient des relations privilégiées avec un ensemble de laboratoires mondiaux d’excellence, des échanges ouverts entre des chercheurs et les ingénieurs de recherche du groupe PSA. Sur la chimie des matériaux, un OpenLab autour des thématiques « chimie-physique et biochimie des matériaux », en collaboration avec le LCMCP (Laboratoire Chimie de la Matière Condensée de Paris) et l’Institut Lavoisier, étudie par exemple la filtration avec les MOF* (« Metal Organic Framework »). L’espoir est de capter et de dégrader tous les polluants qui pourraient se trouver dans un environnement fermé – bâtiment ou véhicule. *MOF(« Metal Organic Framework ») : réseau dans lequel des atomes métalliques sont reliés entre eux par des molécules organiques de manière à former un réseau dont la structure périodique à une, deux ou trois dimensions comporte des espaces vides pour permettre le stockage d’une matière gazeuse

101

La chimie et les grandes villes

Stratégies à partir de précurseurs moléculaires

M(OR)n (OR)3Si R’-M(OR)x

Si(OR)3

Stratégies basées sur des gabarits

MXn (sels métalliques)

Ligands multifonctionnels

Alcoxydes organo-fonctionnels ou pontés

Monomères Nanoparticules, clusters hybrides

Conditions hydro(solvo)hydrothermales ∆T, ∆P

Voie sol-gel conventionnelle

Stratégies à partir de nano-objets bien définis

Réactivité contrôlée

Nanoblocs de construction pour dispersionassemblage (NBBs)

Nano-argile HDL…

Connecteurs organiques

Polymères

Polymères Nanocomposites

Auto-assemblage

Séparation contrôlée de phases à porosité bimodale

Fibres hybrides multi-échelles

Mousses hyrides multi-échelles

Particules mésoporeuses séchées par pulvérisation

Approches intégratives et traitement des matériaux Couches minces mésostructurées

Monolithes hybrides denses

Matrices de points méso-structurées imprimées par jet d’encre

Figure 8 Étapes de recherche pour la synthèse de nouveaux matériaux pour catalyseurs. Les techniques de chimie sol-gel sont très fécondes. Source : Sanchez C., Belleville P., Popalld M., Nicole L. (2011). Applications of advanced hybrid organic– inorganic nanomaterials: from laboratory to market, Chem. Soc. Rev., 40 : 696-753.

lation. Ce dernier sujet, économiser l’énergie thermique, trouve son importance pour le véhicule électrique puisque moins d’énergie sera disponible pour la climatisation. 2.3. Exemple de la nouvelle 308

102

Le terme « matériaux verts » désigne, pour l’essentiel, des matières plastiques dont la fabrication ne doit rien à la pétrochimie. Le pétrole étant en voie de raréfaction et les matériaux plastiques ayant pris une place dominante dans l’industrie moderne, fabriquer les matériaux plastiques à partir de matière organique

naturelle sans consommer du pétrole supplémentaire est une « révolution nécessaire ». Cette voie, étudiée par les laboratoires depuis de nombreuses années maintenant, est en train de s’imposer comme une solution technique parfaitement validée. La nouvelle Peugeot 308 en donne un exemple emblématique. La nouvelle 308 est un véhicule où 22 % des matériaux plastiques ont été substitués par des matériaux verts (Figure 9), ce qui correspond environ à 45 kg. Sur ces 45 kg, 19 % sont des matériaux à fibres naturelles, 79 % des matériaux recyclés et 2 % des polymères naturels. Réutiliser la matière

La mobilité urbaine Figure 9 La nouvelle 308 de Peugeot : 45 kg de matériaux verts dont 19 % de matériaux à fibres naturelles, 2 % de biopolymères et 79 % de matériaux recyclés.

usagée pour en refaire de la « neuve » est très avantageux sous l’angle de l’impact environnemental. L’introduction des biopolymères13 reste limitée du fait des risques de surcoûts importants ou de la médiocrité relative des propriétés de certains biopolymères par rapport aux polymères pétrosourcés. Une des applications majeures, mise en œuvre pour la 308, a été de réaliser et d’introduire pour la première fois des pièces injectées de grandes dimensions avec un mélange polypropylène/fibres de chanvre ; les panneaux de portes et médaillons sont fabriqués avec cette matière et permettent un gain de masse de l’ordre de 20 %. Pour d’autres éléments du véhicule, le coton, le lin, la cellulose et la laine sont utilisés. 13. Biopolymère : ensemble des macromolécules biologiques résultant de l’assemblage d’unités de répétition appelées monomères. On peut citer les protéines, les polysaccharides, ou encore l’ADN.

Il faut noter que toutes ces évolutions ont été réalisées à iso cahier des charges pour garantir et préserver les qualités du produit final. 2.4. Les matériaux et la chimie pour l’allégement des véhicules L’« impact CO 2 » d’une voiture, une préoccupation très actuelle de l’industrie automobile, conduit à des objectifs d’allégement des véhicules. Voici quelques résultats, illustrés sur la Figure 10, des modifications résultant des travaux sur les matériaux composites. Ces exemples montrent que le rôle du chimiste est clé : – renforts de portes pour choc latéral : une solution composite avec des renforts tissés en fibres de verre a été développée. Il a fallu synthétiser un copolymère qui permette d’avoir une résistance thermomécanique optimale, mais aussi permettre la meilleure mouillabilité possible

103

La chimie et les grandes villes

A

B

C

Figure 10 Exemples de recherches visant à diminuer l’impact CO2 d’une voiture. Illustrations pour un renfort de porte pour choc latéral (A), un plancher en matériau composite (B) et des hybrides métal-composite (C).

des renforts. Le choix s’est por té sur un copolymère PA6/PA6,614 développé avec DuPont de Nemours ;

thermoplastique-thermo­ durcissable16 ou thermodurcissable-thermodurcissable ont également été développés ;

– un plancher arrière de charge en matériau composite (en SMC15) a été développé avec la société Plastic Omnium : un travail de chimiste a été nécessaire pour formuler des matières à faible taux de styrène et en limiter ainsi les émissions ; des « ouvrants arrière » en composite

–  des études prometteuses sont entreprises sur la mise au point d’hybrides métalcomposite à base de fibres de carbone. Le problème est celui du coût excessif des fibres de carbone actuelles ; c’est pourquoi des voies de synthèse à partir de cellulose17 sont étudiées.

14. Copolymère PA6/PA6,6 : association de polyamides [NH-(CH2)6−NH−CO−(CH2)4−CO]n− [NH−(CH2)5−CO]m 15. SMC (« Sheet Molding Compound ») : procédé par compression pour la mise en forme des matériaux composites.

16. Thermodurcissable : se dit d’une matière plastique qui perd définitivement son élasticité sous l’action de la chaleur. 17. Cellulose : constituant principal de la paroi cellulaire des tissus végétaux et qui participe à leur soutien et à leur rigidité.

La voiture de demain : et le rêve deviendra réalité ?

104

Les recherches et développements présentés dans ce chapitre sont des étapes qui nous conduisent vers des voitures complètement différentes de celles que nous connaissons actuellement. Elles seront différentes car les situations d’usage auront changé, le rôle ou les tâches du conducteur et des passagers également.

18. www.youtube.com/watch?v=LjBoDpfGGio&feature=youtu.be

La mobilité urbaine

Une représentation rêvée de cette voiture du futur est accessible grâce aux vidéos mises à disposition par la DSTF (Direction Scientifique et Technologies Futures) du groupe PSA18. Ces vidéos, pleines d’innovations, sont, entre autres, alimentées par les travaux des projets transversaux « Energy Information », « Skintech », « Vie à bord » de la DSTF. Elles mettent en scène des technologies disponibles à différentes échelles temporelles dans des situations d’usages réalistes et s’intègrent dans une démarche globale de synthèse des travaux de DSTF, en complément des démonstrateurs physiques installés existant au StelLab. Le chemin vers ces horizons est encore long et plein de défis pour les chercheurs, et tout particulièrement pour les chimistes. Les défis sont dans le domaine des matériaux (matériaux à mémoire de forme, matériaux plastiques), sur la combustion, sur les moteurs. Il faut également entrer plus avant dans la conception des systèmes de communication, si prometteurs pour les usagers. En l’occurrence la question de la sécurité des communications est bien évidemment des plus critiques. La voiture du futur, quelle perspective ! Mais quel chantier et quels défis pour les scientifiques et les ingénieurs, et tout particulièrement les chimistes !

105

une

lumière venue de la

mer prête à révolutionner la

ville de demain

Sandra Rey est la créatrice de la société Glowee1, qui utilise les voies du biomimétisme pour produire de la lumière à partir de bactéries.

L’observation et les nouvelles technologies (biomimétisme2 et biologie synthétique 3 ) peuvent nous aider à créer de l’innovation de rupture dans le sens d’une ville différente plus propre et plus durable.

1

La bioluminescence

L a société Glowee (Figure 1) utilise comme source lumineuse la bioluminescence, qui est la capacité qu’ont de nombreux êtres vivants à produire de la lumière.

1. www.glowee.fr 2. Biomimétisme : processus d’innovation qui s’inspire des formes, matières, propriétés, processus et fonctions du vivant. 3. Biologie synthétique : domaine scientifique et biotechnologique émergeant qui combine biologie et principes d’ingénierie dans le but de concevoir et construire de nouveaux systèmes et fonctions biologiques.

On peut citer sur terre : les lucioles, les champignons, les verres luisants. Mais rappelons surtout que plus de 80 % des animaux marins connus sont bioluminescents donc capables de produire cette lumière sans source électrique et pourtant d’origine chimique (Figure 2). La bioluminescence est en effet une réaction biochimique régie par des gènes que portent ces organismes et certains micro-organismes. L’équipe de recherche de Glowee a travaillé et travaille sur ces gènes pour produire une source de lumière durable. 1.1. Bioluminescence et biomimétisme Notre objectif est de remplacer un système de production électrique de la lumière par

Sandra Rey

La bioluminescence,

La chimie et les grandes villes

Figure 1 Glowee, l’océan qui vous éclaire.

Figure 2 Plus de 80 % des animaux marins sont bioluminescents.

108

un système de production biologique (Figure 3). Cette approche biomimétique permettra d’une part de réduire l’impact de la consommation énergétique sur l’environnement, et d’autre part d’imaginer de nouvelles applications, de concevoir de nouvelles formes, de nouveaux supports.

différents états donc se libérer de la contrainte de l’objet ampoule. Cette matière première pourra ainsi être gélifiée ou utilisée à l’état liquide, ce qui lui permettra de prendre des formes différentes et de produire de l’éclairage de surface et non de l’éclairage ponctuel (Figure 4).

Grâce à cette nouvelle matière première constituée de bactéries bioluminescentes, on pourra traiter la lumière sous

De plus, cette lumière plus douce et utilisée sous forme de surface pourra réduire les intensités lumineuses de la

Figure 3 Le biomimétisme : remplacer l’ampoule électrique par de la lumière d’origine biologique ?

Figure 4

1.2. Le principe de la bioluminescence synthétique Nous utilisons des gènes qui codent la bioluminescence chez des micro-organismes vivant en symbiose chez des calamars dans les abysses. Nous récupérons ces gènes pour les intégrer dans des bactéries beaucoup plus classiques qui sont des bactéries de laboratoire (Figure 5). Cette modification génétique est nécessaire parce que d’une part les bactéries naturelles vivent dans des conditions de pression et température qui sont complètement différentes de nos conditions terrestres et donc ne réagissent pas de la même manière, et surtout parce que la bioluminescence est liée dans la nature à une fonction biologique, et que nous n’avons pas forcement envie d’attendre que notre matière

Contrairement à l’ampoule, la bioluminescence est multiforme.

première ait par exemple envie de chasser pour qu’elle s’éclaire et que la ville s’allume ! C’est pourquoi nous récupérons cette fonction lumière et l’intégrons dans des bactéries classiques qui sont évidemment non pathogènes et non toxiques.

La bioluminescence, une lumière venue de la mer prête à révolutionner la ville de demain

ville pour diminuer la pollution lumineuse et la pollution visuelle, qui sont à l’origine de nombreux troubles notamment sur la migration des oiseaux, sur la chute des feuilles des arbres et aussi sur la santé humaine, notamment sur les dérèglements hormonaux.

Il faut ensuite réaliser tout un travail d’ingénierie sur ces bactéries en vue de les rendre plus performantes en intensité lumineuse, ainsi qu’en durée de vie. Ces bactéries sont donc une matière première vivante,

Figure 5 Principe de la bioluminescence synthétique. On récupère les gènes de micro-organismes bioluminescents pour les intégrer dans des bactéries de laboratoire.

109

La chimie et les grandes villes

donc qui ne dépend pas d’une ressource fossile mais qui est vraiment cultivable, et en outre cultivable de manière exponentielle puisque les bactéries se divisent par deux toutes les vingt minutes à une certaine température. Donc nous pouvons cultiver cette lumière pour ensuite l’encapsuler dans différents contenants qui vont pouvoir s’adapter à différents supports pour les usages qu’on a imaginés. 1.3. Les objectifs de cette technologie Notre vision n’est pas une vision radicale, bien que 19 % de la consommation électrique mondiale, donc plus de 5 % des émissions de gaz a effet de serre, soit liés à l’éclairage. Nous ne pensons pas remplacer toutes les sources d’énergie électrique pour la lumière par la bioluminescence.

L’objectif est plutôt de remplacer la lumière électrique là où elle ne sert qu’à mettre en valeur, à donner de la visibilité ou à signaler. Notre objectif est d’avoir « la meilleure source d’énergie au meilleur endroit » en travaillant sur l’alternative, la complémentarité, pour avoir un impact écologique et économique sur l’énergie pour l’éclairage tertiaire (Figure 6).

2

Les applications de la bioluminescence

Une alternative à l’extinction des lumières urbaines la nuit Depuis 2013 en France, un décret interdit l’éclairage des vitrines et des bureaux la nuit. Ce décret n’est pas forcément respecté aujourd’hui parce que c’est une solution radicale, mais il illustre la volonté de l’État de réduire la consommation énergétique, la pollution lumineuse et la pollution visuelle. Avec la bioluminescence, nous pouvons aider cette transition en proposant un système durable, qui permet de palier à ces trois problèmes tout en donnant aux commerçants la possibilité d’avoir une visibilité de nuit complètement différente qui sera beaucoup plus douce et beaucoup moins agressive, et qui permettra aussi de réaliser de nouvelles choses et de donner un nouveau visage aux villes et aux rues commerçantes (Figure 7).

Figure 6 110

La bioluminescence pour réduire l’impact environnemental et économique de l’éclairage urbain.

De nombreuses études sont en cours pour permettre l’extinction des lumières en ville la nuit, notamment rallumer

La bioluminescence pour mettre en valeur les rues commerçantes : apport d’une valeur ajoutée.

ces sources électriques grâce à des capteurs de présence. Ces études montrent qu’effectivement la lumière a un impact très fort sur l’aspect sécuritaire et que créer des trous noirs urbains pose des problèmes qui ne sont pas toujours gérables dans nos sociétés actuelles, dans lesquelles nous avons une vie nocturne développée. Plutôt que de tout éteindre, remplacer, quand on n’a pas besoin, une source d’énergie et de lumière très forte par une source de visibilité plus douce capable de diminuer la consommation énergétique pourrait être une alternative intéressante (Figure 8). Le deuxième cas d’usage est la mise en valeur du paysage urbain, comme par exemple ce qui est signalétique, ou encore l’éclairage du mobilier urbain : bâtiments ou illuminations pour les fêtes. Et le troisième cas d’usage est de disposer d’une source autonome d’énergie là où l’accès à l’électricité est limité. La bioluminescence est une source

de lumière qui n’a pas besoin d’infrastructure, puisqu’elle est autonome en énergie, toute l’énergie étant encapsulée dans le système, et comme la source est vivante et que c’est le métabolisme4 qui agit, la réaction ainsi que la lumière produite continuent tant que la source est vivante. Les sources bioluminescentes peuvent donc être installées à des endroits où l’électricité lumineuse est trop compliquée ou trop coûteuse à apporter. Les usages possibles sont très variés : les parcs et les jardins, mais aussi les chantiers. On peut aussi penser à l’intérêt potentiel que cela représente pour des pays émergents, pour lesquels on peut imaginer des sources de bioproduction permettant de cultiver la lumière à des endroits où l’on n’a pas d’électricité. 4. Métabolisme : ensemble des réactions chimiques qui se déroulent au sein d’un être vivant pour lui permettre de se maintenir en vie, de se reproduire, de se développer et de répondre aux stimuli de son environnement.

La bioluminescence, une lumière venue de la mer prête à révolutionner la ville de demain

Figure 7

111

La chimie et les grandes villes

Figure 8 Là où la lumière électrique peut être remplacée, on peut introduire une lumière plus douce et plus appropriée dans certains espaces.

Le fait que cette lumière devienne une énergie elle-même et n’ait pas besoin d’infrastructure de production permet donc d’imaginer de nombreuses autres applications potentielles.

3

Les avantages écologiques de la bioluminescence

Au niveau de la production, on n’a plus besoin d’extraire les matières premières qui sont les bactéries dont on a besoin, cultivables via des infrastructures qui sont très légères. L’utilisation ne nécessite pas d’apport en énergie ni d’infrastructures. 112

Comme cette technologie est biomimétique et que dans

la nature tous les déchets deviennent utilisables par d’autres éléments de l’écosystème, nous récupérons ces bactéries en fin de vie, sachant que les bactéries sont de la biomasse5 et que cette biomasse peut être ensuite utilisée pour créer des énergies renouvelables (Figure 9). L’éclairage bioluminescent est un bon exemple d’économie circulaire dans laquelle en s’inspirant de ce que fait la nature, on n’achète plus une ampoule, mais finalement on s’abonne à une matière première qui sera récupérée en fin de vie, revalorisée en énergie renouvelable, et le cycle sera bouclé. 5. Biomasse : ensemble de la matière organique.

Avantages écologiques de la bioluminescence : de la production au recyclage en passant par l’utilisation.

Une innovation de rupture qui peut révolutionner le paysage urbain Les applications potentielles montrent que les sources d’éclairage bioluminescentes représentent une innovation de rupture car elles peuvent révolutionner le paysage urbain. Passer de la recherche à l’application ne s’est pas fait en un ou deux ans : à chaque étape de l’avancée en performance de notre technologie, il a fallu sortir du laboratoire et tester sur le terrain. Plus d’une dizaine de personnes sont actuellement dédiées à la recherche en interne de la société Glowee. Parallèlement, il a aussi été simultanément nécessaire de travailler sur l’acceptabilité sociale de cette nouvelle technologie, qui a besoin de temps pour mûrir. En une année, nous avons réussi à passer d’une source lumineuse de quelques secondes de lumière à une source de plus de trois jours. Nous produisons déjà une technologie qui est viable pour des secteurs comme celui de l’événementiel (Figure 10). Notre but est de faire en sorte que, le jour où notre technologie sera prête, en intensité et en durée de vie, ce ne soit plus une bizarrerie que d’utiliser des bactéries pour faire de la lumière, mais que ce soit simplement une évidence. Pour cela il faut

La bioluminescence, une lumière venue de la mer prête à révolutionner la ville de demain

Figure 9

113

La chimie et les grandes villes

passer par plusieurs étapes. Le marché de l’événementiel est une première étape. Le marché de la vitrine est également une étape (Figure 11), mais ce n’est pas une finalité en soi. Il faut cibler le marché de la ville pour enfin atteindre des usages beaucoup plus courants de la lumière et qui peuvent aussi révolutionner nos manières de faire (Figure 12). Si aujourd’hui Glowee arrive à faire de l’innovation sur un phénomène comme la bioluminescence, qui est un phénomène utilisé Figure 10 La lumière de Glowee présente dans l’événementiel.

Figure 11 Glowee met en valeur les vitrines grâce à une lumière multiforme.

114

Glowee : éclairage urbain innovant, propre et peu polluant.

Figure 13 Glowee : une start-up qui révolutionne l’éclairage.

dans énormément de laboratoires maintenant depuis plus de trente ans (Figure 13), c’est parce qu’ont été définis un usage, un business model, c’est-à-dire un cahier des charges, qui drainent l’innovation technologique.

La bioluminescence, une lumière venue de la mer prête à révolutionner la ville de demain

Figure 12

115

Paul-Joël Derian est un ancien élève de l’École Normale Supérieure. Après un doctorat de physique, il a travaillé vingtdeux ans dans la recherche et le développement industriel (Rhodia puis Solvay). Depuis cinq ans, il est directeur Sciences & Technologies du groupe SUEZ1.

L’eau et la ville sont des sujets tous deux particulièrement importants quand on sait que la population mondiale en 2050 sera de 9 à 10 milliards d’habitants, c’est-à-dire que nous aurons une croissance de 2,5 milliards d’habitants dans les trente prochaines années et que l’essentiel de cette croissance (80-90 %) sera localisée dans les villes. Les villes pour l’essentiel sont situées dans des zones côtières, et déjà aujourd’hui, 40 % de ces villes sont exposées à un stress hydrique, c’est-à-dire qu’elles sont situées dans des zones où il peut y avoir une pénurie d’eau ou des problèmes d’approvisionnement en eau. La dimension du problème est donc importante mais nous allons voir que des solutions 1. www.suez.com

existent et qu’il suffit de les mettre en œuvre. Les seuls problèmes auxquels il faut s’attaquer sont des questions d’infrastructure.

1

Le cycle urbain de l’eau

Tout le monde connait le grand cycle de l’eau qui fait que l’eau s’évapore, qu’il pleut et que l’on retrouve l’eau dans la nature. Le cycle urbain de l’eau peut, quant à lui, être divisé en quatre parties (Figure 1) : la production d’eau potable, son assainissement, sa collecte et sa distribution. 1.1. La production de l’eau potable La production d’eau potable utilise les ressources disponibles : les ressources souter-

Paul-Joël Derian

eau et la ville

L’

La chimie et les grandes villes

PRODUCTION • Production eau potable • Dessalement eau de mer ou puits saumâtres (50 000 à 1 million m3/j)

6 La station d’épuration

Précipitations 450 millions de m3 par an Milieu naturel 1 Le prélèvement

Rejets

Captage

DISTRIBUTION • Réseau de distribution (~1 000-5 000 km) • Qualité, énergie, disponible dans l’ensemble du réseau

Il existe 11 stations sur le territoire du Grand Lyon

Le cycle urbain de l’eau

Réseau pluvial Déversoir d’orage 13 millions de m3 par an

Nappes

2 La production d’eau potable 4 La distribution 100 millions de m3 par an Réservoir

Réseau unitaire 180 millions de m3 par an

Industries

5 L’assainissement

3 Le stockage

Logements

Assainissement non collectif

ASSAINISSEMENT • Élimination des pollutions principales (DCO, NH3, phosphates) • Élimination des pollutions nouvelles : micropolluants (molécules agrochimiques et pharmaceutiques) – Antibiorésistance • ReUse : réutilisation de l’eau pour applications diverses (y compris pour potabilisation) COLLECTE • Réseaux collectes eaux usées et pluviales (~1 000-5 000 km) • Captage, pollutions, stockages des eaux, odeurs, inondations…

Figure 1 Le cycle urbain de l’eau. DCO : demande chimique en oxygène.

Source : d’après Eau du grand Lyon

raines, les rivières, les lacs, mais aussi, de plus en plus dans certaines régions du monde, les ressources issues du dessalement2 de l’eau de mer ou de puits saumâtres. Dans une ville, il faut capter et produire 50 000 à 1 million, voire quelques millions de m3 d’eau par jour, ce sont donc des quantités considérables qu’il faut ensuite distribuer dans des réseaux qui font plusieurs milliers de kilomètres à l’échelle d’une ville. 1.2. La distribution de l’eau potable Typiquement, un réseau de distribution d’eau potable représente 1 000 à 5 000 kilo­ mètres sur lesquels il faut assurer la qualité de l’eau, mais aussi résoudre des problèmes

120

2. Dessalement : processus permettant de retirer une partie (ou la totalité) des sels d’une eau pour la rendre potable.

d’énergie : car pomper de l’eau, quand il s’agit de 1 million de m3 par jour, consomme beaucoup d’énergie. De plus, il faut assurer la disponibilité de l’eau dans l’ensemble du réseau, y compris dans les zones où l’eau peut stagner, et on sait que l’eau stagnante est polluée. 1.3. La collecte des eaux usées Le réseau de collecte des eaux usées, mais aussi des eaux pluviales, est lui aussi très important : il représente entre 1 000 et 5 000 kilomètres. Se posent à ce niveau des problèmes de captage, de pollution, de stockage de ces eaux, et aussi éventuellement des problèmes liés aux odeurs et aux inondations. 1.4. L’assainissement des eaux collectées Les eaux collectées doivent être assainies avant de les ré-

3. Micropolluant : substance polluante présente en très faible concentration dans l’eau (de l’ordre du microgramme ou du nanogramme par litre). Les résidus médicamenteux, les pesticides ou certains métaux lourds en sont des exemples.

Ressources

Eau souterraine

L’eau et la ville

injecter dans la nature. Il faut éliminer les polluants connus comme le carbone (la matière organique), les composés de l’azote et du phosphore, mais aussi les micropolluants 3, ces molécules agrochimiques ou pharmaceutiques comme le cachet d’aspirine qu’on prend le matin et qu’on retrouve ensuite dans les eaux usées. Certaines pollutions ne sont pas vraiment des pollutions en tant que telles mais elles peuvent asphyxier le milieu naturel.

Aujourd’hui, la réutilisation de l’eau usée pour des applications diverses dans la ville où elle a été produite est la tendance, surtout dans certaines régions du monde soumises à un grand stress hydrique.

2

Les grands procédés, les technologies, les défis

L’objec tif est de donner quelques éclairages sur les domaines technique et scientifique (notamment la chimie) des différentes étapes du cycle urbain de l’eau. 2.1. La production d’eau potable La Figure 2 résume les différents procédés de production

Traitement de l’eau souterraine

Ultrafiltration

Nanofiltration

Traitement de l’eau de surface

Unités mobiles

GAC Eau de surface

Eau de mer

Dessalement de l’eau de mer

Ultrafiltration

Osmose inverse

Réutilisation d’eau usée

Usine de traitement des eaux usées

Ultrafiltration

Osmose inverse

Ozonation + procédé d’oxydation avancée

UV + H2O2

Figure 2 Techniques de traitement de l’eau en fonction des ressources, pour la production d’eau potable. Source : Michel Hurtrez, Groupe SUEZ.

121

La chimie et les grandes villes

d’eau potable utilisés selon l’origine de la ressource : l’eau souterraine, l’eau de rivière, l’eau de surface, l’eau de mer, et de plus en plus l’eau usée. Sans entrer dans les détails, examinons les traitements classiques. 2.1.1. Les traitements classiques Nous choisirons ici deux traitements classiques : l’adsorption sur charbon actif4 et l’oxydation par l’ozone (O 3) pour éliminer les molécules organiques mais aussi pour éliminer les virus et les bactéries, donc pour assainir. Le choix des procédés et des technologies dépend de la qualité de l’eau et de son 4.  Adsorption : processus par lequel un composé est retenu sur (ou dans) une autre substance (appelée sorbant). Charbon actif : matériau carboné à la structure poreuse présentant une grande surface spécifique. C’est un sorbant très utilisé pour le traitement de l’eau et de l’air.

origine (Tableau 1). L’eau souterraine est en général une eau de bonne qualité, assez facile à purifier, tandis que l’eau de surface est plus complexe à traiter, en particulier lorsqu’elle contient des molécules organiques dissoutes. Certaines eaux sont très compliquées à traiter, ce ne sont pas les eaux que l’on utilise dans les pays comme la France, mais produire une eau potable au Bengladesh est parfois aussi compliqué que de traiter une eau usée. Il faut assurer le traitement de l’eau de façon flexible 24h/24, 365 j/an, il faut combiner les technologies, utiliser des procédés complexes mais aussi robustes, qui permettent d’assurer l’exploitabilité, la fiabilité. Il faut régulièrement mettre à jour les paramètres de fonctionnement des procédés existants. Pour l’ozonation et l’adsorption sur charbon actif, ces paramètres sont rappelés dans le Tableau 2. On retrouve des problèmes de chimie,

Tableau 1 Les traitements classiques : les critères de choix, au cas par cas.

Qualité de l’eau à traiter – définition des taux de traitement : dose de CAP/ozone – influence de la matière organique Type de micropolluants à traiter – affinité avec les technologies disponibles

Évolutivité – des molécules à traiter – des rendements d’élimination Ouvrages existants – intégration facilitée

Objectif de traitement

122

– micropolluants – annexes : désinfection

Exploitabilité, fiabilité

L’eau et la ville

Tableau 2 Les paramètres de fonctionnement pour l’ozonation et l’adsorption sur charbon actif.

Adsorption (charbon actif)

Ozonation – temps de contact minimum de réaction (hydrodynamique) – dose en fonction de la matière organique de l’eau – conception de contacteur adéquate pour garantir un transfert d’ozone optimum (> 90 %)

– temps de contact minimum requis et d’un temps de résidence maîtrisés – dose en fonction de la matière organique de l’eau/type et structure de charbon – réacteur hydrauliquement performant pour assurer l’adsorption et la rétention de CAP

Actions concomittantes – Désinfection – Oxydation des nitrites, Fer, Mg… – Couleur, odeurs – Traitement de la matière organique

– Traitement de la matière organique – Rétention des MES (selon les réacteurs) – Odeurs

Source des images : SUEZ/William Daniels.

voire de génie chimique, de temps de contact, des problèmes d’hydrodynamique, de dose, et tout ce qui est lié à la conception du réacteur pour mettre en contact ce gaz qu’est l’ozone avec l’eau, et assurer que le traitement dans des temps de contact raisonnables. Encore une fois, il faut se rappeler qu’il faut traiter des dizaines de milliers à des centaines de milliers de m3 par jour, donc des débits énormes, et cela, à un coût acceptable. L’eau est tout de même, après l’air, le produit utilisé par l’homme le moins cher. L’ordre de grandeur étant de quelques € par m3, c’est-à‑dire par tonne. La Figure 3 présente un exemple d’installation d’ozonation. Il faut d’abord produire l’ozone (O3) à partir du dioxygène (O2), puis l’envoyer dans un réacteur (le contacteur), dont il faut maîtriser le design pour assurer les bons temps

de contact, et ensuite détruire l’ozone résiduel par des procédés thermo-catalytiques5. L’adsorption sur charbon actif, facile à réaliser au laboratoire, est plus compliquée à mettre en œuvre à très grande échelle dans des ouvrages robustes dans la durée. La Figure 4 présente le procédé PulsazurTM . C’est un équipement qui fait plusieurs dizaines de mètres de haut et la subtilité du traitement est d’assurer une pulsation dans le lit de charbon pour éviter la formation de canaux préférentiels où l’eau passerait et ne serait plus en contact avec le charbon actif. Le problème n’est pas très compliqué mais il faut le mettre en œuvre à très grande échelle, à des coûts acceptables et reproductibles quel que soit le niveau d’éducation des opérateurs qui vont l’utiliser. 5. Procédé thermo-catalytique : procédé catalysé, accéléré, par la température.

123

La chimie et les grandes villes

Générateur d’ozone Prodution à partir de dioxygène

Évent ou destruction

3 O2 → 2 O3

Contacteur : hydraulique et réactions maîtrisées Contre-courant gaz/liquide

Entrée d’eau

Diffusion de l’ozone par diffuseurs poreux ou diffuseur radial Hauteur d’eau élevée

Collecte et destruction d’ozone

Injection du gaz ozoné avec les poreux

Sortie d’eau

Par évent et destruction thermo-catalytique

Figure 3 Installation d’ozonation.

Source : Degrémont.

Figure 4 Le PulsazurTM met en œuvre l’adsorption sur charbon actif en poudre dans un réacteur à lit de boues pulsé pour l’élimination des matières organiques dissoutes et des micropolluants. Source : Degrémont.

124

Le charbon actif en poudre est renouvelé en continu, la vitesse de l’eau au travers du lit est de 8 à 12 m/h. Il faut prévoir un système de collecte et d’évacuation des boues, un système de clarification de l’eau intégré et d’évacuation de l’eau traitée.

2.1.2. Les technologies membranaires Parfois les technologies classiques ne suffisent pas et, selon la taille des polluants à retenir, on utilise diverses technologies membranaires

Selon les cas, on utilise donc des membranes qui ont des perméabilités variables, qui peuvent retenir des objets de plus en plus petits, partant de très gros objets pour la filtration, qui seront des objets de l’ordre du micron (μm), pour aller jusqu’à la nanofiltration qui retiendra même quelques sels dissous, voire à l’osmose inverse, qui est une barrière absolue et élimine strictement tous les composés, ne laissant passer que les molécules d’eau pour produire effectivement de l’eau traitée. L’installation de production d’eau de Saint-Cloud utilise

un procédé d’ultrafiltration à membranes spirales. Cette unité traite 100 000 m3 d’eau par jour. Il faut que les membranes soient robustes et qu’elles puissent être nettoyées pour éviter le colmatage. Aujourd’hui, on sait fabriquer des systèmes qui ont des durées de vie de plusieurs années voire de plusieurs dizaines d’années.

L’eau et la ville

(Figure 5), qui sont des technologies plus nouvelles et aussi plus compactes, dans la mise au point desquelles la chimie a joué un rôle important.

La station d’ultrafiltration de Vigneux (Figure 6), dans le sud de la région parisienne, est une installation construite en unités modulaires. Dans l’usine de traitement d’Hummelston (États-Unis), au lieu d’avoir de l’eau qui ressort de la membrane, c’est de l’eau qui entre dans des membranes immergées, fabriquées par General Electric (Figure 7).

Figure 5 Les techniques membranaires de filtration varient selon la taille des polluants à éliminer. Source : Michel Hurtrez, Groupe SUEZ.

125

La chimie et les grandes villes

Figure 6 La station de Vigneux utilise un système modulaire pour l’ultrafiltration afin d’obtenir des eaux clarifiées (55 000 m3/jour), avec 8 blocs de 28 modules de 64 m². Source : usine de vigneux (©SUEZ Eau France SAS) ; bloc membranes (©SUEZ/Thierry Duvivier).

Figure 7 L’usine d’Hummelston (États-Unis) immerge les membranes dans l’eau pour le traitement (57 000 m3/jour), au lieu de faire passer l’eau à travers. Source : removal©SUEZ.

2.1.3. Le dessalement de l’eau : des techniques au cœur de l’innovation

126

Le dessalement de l’eau est devenu une réalité industrielle : on passe du traitement par filtration à l’élimination de tous les sels de l’eau. D’énormes progrès ont été

réalisés ces dernières années. Aujourd’hui on ne doit pas être loin des 100 millions de m3 d’eau produite par jour par dessalement, par pratiquement 15 000 installations dans le monde dans 150 pays. La Figure 8 représente les unités de SUEZ dans le monde ;

L’eau et la ville

Pionniers : 40 ans d’expérience dans le déssalement durable Capacité installée par pays < 10 000 m3/j > 10 000 m3/j < 50 000 m3/j > 50 000 m3/j < 100 000 m3/j > 100 000 m3/j < 500 000 m3/j > 500 000 m3/j

Figure 8 SUEZ est présent partout dans le monde, avec près de 15 000 installations, dont plus de 250 sont capables de fournir au total 3 700 000 m3/jour.

ce sont de grosses unités qui produisent déjà 4 millions de m 3 d’eau dessalée par jour, dans 250 installations. L’usine de dessalement de Melbour ne en Austr alie (Figure 9) produit pratiquement 440 millions de litres d’eau dessalée par jour, ce qui correspond au pompage et au traitement de 1 million de m3 d’eau de mer par jour : 440 000 m3 d’eau potable sont injectés dans le réseau, et 560 000 m3 d’eau plus concentrés en sels sont rejetés à nouveau en mer. Cette très grosse usine est aussi très belle, localisée au bord de la plage et parfaitement intégrée dans le paysage grâce à un toit végétalisé (Figure 9A). Elle utilise les modules d’osmose inverse sous haute pression pour produire l’eau dessalée (Figure 9B). Bien entendu, quand tout a été éliminé, il faut réalimenter en sel cette eau dessalée pour assurer sa potabilité.

Le dessalement a la réputation d’être très coûteux en énergie, il faut en effet théoriquement environ 1 kW par m3 pour dessaler de l’eau de mer. Mais si on tient compte du fait que pour 1 m3 d’eau de mer traité, 50 % seront effectivement dessalés, mais que 50 % seront rejetés plus salés, cela correspond thermodynamiquement à un coût énergétique plus élevé de 1,56 kW par m3. Aujourd’hui en fait, une unité d’osmose inverse consomme à peu près à 2 kW par m 3 d’eau dessalée, donc presque la limite thermodynamique : le rendement énergétique du traitement de l’eau de mer ne peut donc pas être amélioré. En fait, ce qui peut être amélioré est le problème de l’impact énergétique en termes de gaz à effet de serre. Dans cet objectif, SUEZ développe des usines de dessalement écoénergétiques alimentés par des énergies renouvelables,

127

La chimie et les grandes villes A

B

C Figure 9 L’unité de dessalement de Melbourne (Australie) produit 450 000 m3 d’eau par jour. A) Toit végétalisé couvrant l’installation. B) L’usine est située en bordure de plage. C) Modules de dessalement par osmose inverse. Sources : A) Thiess/Degrémont ; C) SUEZ/Degrémont.

que ce soit à Melbourne avec des éoliennes ou à Masdar (Encart : « SUEZ et la future ville de Masdar ») avec de l’électricité photovoltaïque.

128

Cet effort est justifié car en fait il faut encore ajouter 2 kW par m 3 d’eau dessalée pour le pompage et pour le rejet aux 2 kW mentionnés pour le

procédé d’osmose inverse, ce qui fait un bilan énergétique global de 4 kW/m 3 . Pour la production des centaines de millions de m 3 d’eau dessalée par jour, cela représente beaucoup d’énergie consommée, donc un impact non négligeable en termes de gaz à effet de serre.

L’eau et la ville

SUEZ ET LA FUTURE VILLE DE MASDAR (Abou Dhabi) –  2014 : lancement d’une étude pilote pour choisir l’usine de production d’eau potable de la future cité verte de Masdar ; –  2015 : inauguration du pilote éco-énergétique de SUEZ à Abou Dhabi (Figure 10) ; –  durée du test : 18 mois. Caractéristiques –  Pilote de dessalement alimenté par des énergies renouvelables –  Production 100 m3/jour –  Technologies d’ultrafiltration et d’osmose inverse –  Consommation électrique inférieure à 3,6 kWh/m3 –  Limite thermodynamique : 1,06 kWh/m3 et 1,56 kWh/m3 pour un taux de rejet de 50 %, proche des ~2 kWh/m3 d’une unité d’osmose inverse industrielle. Pompages, prétraitement, post-traitement et rejets. Impact du dessalement sur les gaz à effet de serre : 1,6 kgCO2/m3 ! Figure 10 Une unité de dessalement pilote fonctionnant à l’énergie photovoltaïque a été inaugurée en 2015 à Masdar. Source : SUEZ.

2.1.4. La décarbonatation de l’eau distribuée La décarbonatation6 centralisée de l’eau du robinet dans les régions où l’eau est dure peut être aussi une solution pour réduire l’impact car6. Décarbonatation : diminution de la quantité de carbonates de calcium (CaCO3) dans l’eau (ici) par dissolution de CaO dans l’eau, avec dégagement de CO2.

bone de la production d’eau. Une eau très dure entraîne par exemple des problèmes de canalisations, ou d’entartrage de ballons d’eau chaude (Figure 11), et tous ces inconvénients ont un coût chiffrable : environ 150 € par habitant en moyenne. Distribuer une eau plus douce est technologiquement faisable soit par décantation à

129

La chimie et les grandes villes

Figure 11 Les eaux trop dures entartrent les canalisations et ont un coût notable. Source : SUEZ

la soude, soit par membrane de nanofiltration ou d’osmose inverse. Plutôt que d’utiliser des adoucisseurs d’eau chez soi, la décarbonatation pourrait être centralisée. Des villes commencent à s’y intéresser. Cela entraîne un léger renchérissement du prix de l’eau, parce qu’il faut bien payer l’équipement, mais le bénéfice est évident car à l’échelle nationale, cela représenterait pratiquement un million de tonnes de CO2 économisées par an.

2.2. Des sites de production aux foyers : la distribution de l’eau par un réseau intelligent L’eau produite est distribuée à travers un réseau de quelques milliers de kilomètres (Figure 12). Ces réseaux ont été installés il y a longtemps et ils étaient à l’origine assez peu instrumentés. Aujourd’hui, ils deviennent beaucoup plus intelligents parce qu’on les équipe de multiples capteurs de données en

Idroloc Aquadvanced

Scanner

Outils Capteurs Capteur à large diamètre Débitmètre Valve Valve à air Vidange

Ciclope

Scanner

Figure 12

130

SUEZ a développé un réseau de distribution intelligent, avec des informations accessibles sans avoir à se rendre sur le site. Source : Michel Hurtrez, Groupe SUEZ.

Ces capteurs communiquent en temps réel et doivent avoir une basse consommation énergétique car ils sont intégrés dans un réseau enterré, qui ne dispose pas forcément d’alimentation électrique. Les données collectées sont transmises à des opérateurs, qui doivent disposer de logiciels d’analyse des informations capables de décrire géographiquement le comportement du réseau et d’être des outils d’aide à la décision.

DES RÉSEAUX PLUS « INTELLIGENTS » (Figure 13)

L’eau et la ville

temps réel : de pression, de débit, de turbidité7, de sondes multi-paramètres (Encart : « Des réseaux plus “ intelligents” »).

Des données en temps réel du réseau, des capteurs et des compteurs connectés : Chaque jour... Plus de capteurs, plus de compteurs sur le réseau. Des nouveaux paramètres mesurés. Un flux de données croissant. …apportant plus de possibilités Aide à la décision. Surveillance du réseau. Supervision optimisée (intelligence artificielle). Prédiction et optimisation : énergie, consommation, production, renouvellement de l’eau dans la canalisation,… Prévention : fuites, casses, gestion patrimoniale, risque terroriste.

On peut ajouter à ces outils les compteurs dit intelligents, qui en fait n’ont rien d’intelligents, mais qui donnent une information permanente, et permettent de savoir s’il y a des pertes d’eau en ligne. La Figure 14 résume les différents types d’outils connectés développés pour aider à la décision et à la surveillance d’un réseau de 5 000 km. Les opérateurs qui les utilisent sont sur le réseau, dans la ville, et donc captent les informations sur les tablettes, les smartphones, etc., qui servent à leur donner un tableau de bord, que ce soit effectivement la détection des fuites ou tout autre problème qui peut se produire dans le réseau. D’autres problèmes peuvent être liés à la détection de bactéries en temps réel dans l’eau (Figure 15). Dans certains États, les gens pensent à 7. Turbidité : teneur d’un fluide en matières qui le troublent.

Figure 13 Les capteurs installés sur les installations permettent l’accès à de nombreux indicateurs clés pour la gestion du réseau de distribution. Source : SUEZ.

des risques terroristes, mais il peut heureusement s’agir simplement de ruptures de canalisations, de problèmes de contamination du réseau…

131

La chimie et les grandes villes

Supervision Système d’Information Géographique Bases de données Capteurs Modèle hydraulique Consommations télé-relevées Données d’analyses laboratoire Système de Gestion des Interventions Système de Gestion Patrimoniale Système de Gestion Clientèle Figure 14 Des outils connectés ont été développés pour indiquer aux opérateurs où ils doivent se rendre pour identifier et résoudre les problèmes. Source : SUEZ.

continu

Les bactéries peuvent être détectées en temps réel en seulement quelques minutes.

Spécifique

Biologie moléculaire

GAP technologique Activité enzymatique de fluorescence

10 s-1 min

5-10 min

La surveillance en temps réel des bactéries dans l’eau est un problème complexe résolu dans le cadre d’un partenariat, utilisant des technologies de microfluidique8, de microscopie 3D d’analyse d’images en temps réel (Figure 16). Cette surveillance permet, sans aller faire des analyses très complexes, d’avoir une vision de la qualité bactériologique de l’eau dans un point du réseau.

132

discontinu Méthodes de culture standard Surveillance réglementaire

Surveillance des bactéries Bacmon

Détection

Figure 15

Compteurs de particules Turbidimètres

Non spécifique

8. Microfluidique : science des écoulements dont la dimension caractéristique est de l’ordre du micromètre.

3-8 h

1-3 j

temps

On commence à installer ces nouveaux types de capteurs, par exemple en région parisienne, dans les Hautsde-Seine, pour monitorer en temps réel la qualité de l’eau du réseau, à terme jusqu’aux points de distribution. Comme pour les autres capteurs, les millions de données annuellement obtenues doivent être collectées, centralisées, visualisées et analysées, puis traitées en temps réel par un nombre limité d’opérateurs, et donner de l’aide à la décision (Encart : « Un exemple de déploiement opérationnel »).

Microscope numérique mobile Numérisation 3D de particules

Non-bactérie

L’eau et la ville

Bactérie

Informations 3D par analyse d’image Empilement de photos acquisition d’image ~1 000 images Non-bactérie (décompte/ml)

Cellule d’écoulement Unité d’échange Volume de l’échantillon : 600 µl

Source de lumière LED

Rapport des résultats

Bactérie (décompte/ml)

Figure 16 Ce type de système est installé dans le secteur de Versailles (Figure 18), pour 22 000 municipalités, 400 000 habitants, et

traite 24 millions de m3 d’eau par an. En deux ans d’utilisation, des économies ont été réalisées grâce à la détec-

Les analyses microscopiques d’images 3D donnent une vision de la population bactérienne dans le réseau.

UN EXEMPLE DE DÉPLOIEMENT OPÉRATIONNEL (Figure 17)   1 000 km de réseau de distribution   33 capteurs   7 paramètres   Toutes les 5-15 min

37 millions données/an Analyse des données   Corrélation croisée  Alarmes   Qualité de l’eau KPI   Événement détection   Placement optimal des capteurs   Visualisation sur une carte du réseau

Figure 17 Exemple du département des Hauts-de-Seine : des capteurs installés sur le réseau envoient directement l’information aux stations. Source : SUEZ.

133

La chimie et les grandes villes

Figure 18 En deux ans, 200 000 m3 d’eau ont été économisés dans le secteur de Versailles avec l’utilisation du système AQUADVANCED®.

tion préventive de fuites qui a permis de réparer le réseau aux bons endroits : dans ce réseau déjà de qualité, on a ainsi réussi à économiser 200 000 m3, ce qui correspond à la consommation d’une ville de 4 000 habitants. On voit que l’apport des technologies nouvelles, intégrées dans la gestion d’un métier ancien, permet de réaliser d’énormes progrès.

2.3. Les eaux usées et des eaux pluviales  La collecte des eaux usées et des eaux pluviales est un problème complexe traité en particulier en France dans des réseaux unitaires (Figure 19). Le problème devient compliqué quand il pleut violemment et qu’il faut optimiser en temps réel la capacité de stockage du réseau, pour éviter les inonda-

Figure 19

134

Les eaux pluviales sont collectées sur le même réseau que les eaux usées. Elles sont d’abord stockées et peuvent être relarguées si besoin quelques heures après être entrées. Source : SUEZ/Thomas Vieille.

Cela permet non seulement d’éviter les inondations, mais aussi les pollutions car environ 90 % des pollutions issues de la ville dans les milieux naturels se produisent à des épisodes pluvieux, qui envoient pendant les premières heures de pluie toute la pollution cumulée dans la ville pendant les épisodes secs. Au bout de 2h, on peut en général relarguer l’eau pluviale.

L’installation de ce type d’outil en région parisienne a permis d’économiser près de 400 millions d’euros d’investissement en ouvrages complémentaires de collecte d’eau. Bordeaux n’a maintenant plus d’inondations malgré récemment encore des pluies torrentielles. Le contrôle de la qualité écologique de l’eau dans le port de Marseille permettra bientôt de s’y baigner, et dans des conditions comparables à celle des calanques.

L’eau et la ville

tions. Il faut disposer d’outils modernes qui intègrent l’ensemble de l’information et qui permettent de gérer, voire de piloter, l’ensemble du réseau en temps réel (Figure 20), c’està-dire pomper, fermer des vannes, rediriger des flux d’eau.

Ce même outil est en cours de mise en place à Singapour afin d’éviter des inondations dans certains endroits de la ville, en particulier Marina Bay.

Figure 20 AQUADVANCED® Assainissement est un logiciel de gestion et de pilotage d’un réseau de collecte (égouts, eaux pluviales) visant à optimiser les opérations de collecte et de gestion des eaux usées, optimiser les équipements existants, prévenir des débordements et des inondations et protéger le milieu naturel. Source : SUEZ.

135

La chimie et les grandes villes

2.4. Le traitement des eaux usées

Ces stations d’épuration représentent des ressources

énergétiques potentielles, des ressources en micronutriments10 , et même des ressources en eau. Conçues il y a vingt ou trente ans, en dehors de la ville, elles occupent de grandes surfaces (une trentaine d’hectares). De plus, la ville a grandi, et ces grandes surfaces sont maintenant en milieu urbain, ce qui représente un coût important. Cependant, reconstruire plus loin ce type de station coûterait aussi très cher. Il faut donc concevoir une rénovation de ces équipements sous forme de systèmes plus compacts et plus efficaces, peut-être les imaginer comme des raffineries des eaux usées conçues pour réutiliser l’eau,

9. Boues activées : procédé d’épuration pour le traitement des eaux usées. Il utilise l’épuration bio­ logique (principalement bactériologique) pour traiter l’eau.

10. Micronutriment : anglicisme de micro-élément. Les micro-éléments du corps humain sont (entre autres) le brome, l’iode, le fer ou encore le zinc.

Pour contrôler la qualité des eaux usées, il faut les traiter. La technologie classique des boues activées9 (Figure 21) est une vieille technologie, qui a pour objectif d’éliminer le carbone, le phosphore et l’azote. Les boues issues de ce traitement sont récupérées pour en faire du biogaz, valorisé énergétiquement. Ces unités classiques d’assainissement occupent des surfaces importantes et emploient un grand nombre de personnes (Encart : « L’usine d’assainissement de demain »).

Traitement primaire Éliminatin solide H2O, C, N, P

Traitement biologique Élimination C & N & P

Traitement tertiaire Élimination micropolluants

Filière de traitement des eaux usées UV

Ozonation

H2O Boues activées Ultrafiltration

Filière de traitement des boues

Traitements des boues

Digesteur anaérobie

Figure 21

136

Les unités d’assainissement classiques traitent les eaux en trois temps : un premier traitement élimine les plus gros solides (1er étage), un traitement biologique (boues activées) élimine le carbone, l’azote et le phosphore, puis un dernier traitement élimine les micropolluants (2e étage). Source : Michel Hurtrez, Groupe SUEZ.

L’eau et la ville

L’USINE D’ASSAINISSEMENT DE DEMAIN CE QU’ELLE DEVRA TRAITER 1 million de personnes produisent chaque année : –  déchets organiques 100 000 t/a, dont un contenu minéral de 10 000 t/a ; –  potentiel énergétique : 150 GWh/a ; –  azote 5 500 t/a ; phosphore : 1 500 t/a ; –  eau traitée : 55 000 000 m3/a ; –  surface utilisée : 6 à 30 hectares.

pour mieux produire du biogaz et des nutriments (Figure 22). Les choix d’évolution doivent être économiquement efficaces et tenir compte des dépenses d’investissement (CAPE X) et d’exploitation (OPEX). La Figure 23 montre deux exemples de stations d’épuration, ayant à peu près les mêmes capacités de traitement, mais l’une, à la Farfana (Figure 23A) à Santiago de Chile, où il n’y a pas de contrainte

d’espace, utilise un procédé classique de traitement de boues activées ; elle occupe une surface de pratiquement 1 km2. L’autre, en région parisienne (Figure 23B), où les contraintes d’espace sont importantes, utilise des procédés membranaires de traitement, des biofiltrations. C’est un ensemble de traitements beaucoup plus compacts, plus capitalistiques en investissement, mais qui permet effectivement d’avoir la même efficacité.

Figure 22 Les unités de traitement des eaux usées se transforment en véritable raffinerie d’eaux usées. Source : SUEZ/P. Coppé/CAPA Pictures.

137

La chimie et les grandes villes

A

B

Figure 23 A) Le procédé classique de traitement des boues est mis en place à la Farfana (Santiago de Chile), où l’espace n’est pas restreint ; B) en région parisienne (Colombes), la technologie membranaire est mise en place pour réduire la surface de la station de traitement, à cause des contraintes d’espace. Sources : A) Constance Covillard, SUEZ ; B) www.siaap.fr.

2.4.1. Les nouveaux traitements des eaux usées Nouvelles approches utilisant de nouvelles bactéries Dans le traitement classique des eaux usées, la fraction organique solide est récupérée et la fraction organique dissoute est oxydée, puis on élimine l’azote et le phosphore (Figure 24A). Mais si la dé-

Figure 24

A

A) Les traitements biologiques conventionnels consomment O2 et émettent N2 et CO2 ; B) dans la nouvelle approche, du méthane CH4 serait émis ainsi que N2. Le méthane pourrait être valorisé par la production d’énergie.

138

B

gradation du carbone soluble en CO 2 est efficace du point de vue dépollution, c’est une perte en termes de ressource de biomasse. Des nouveaux traitements (Figure 24B) sont en cours de développement dans lesquels on maximise la capture du carbone sous la forme de boues, avec cette fois l’objectif d’éviter

Figure 25

L’eau et la ville

la dégradation de la matière organique en CO2, pour l’utiliser comme matière première pour faire du biogaz. Ensuite, on éliminera les composés de l’azote et du phosphore.

Les bactéries Anammox réduisent les demandes du traitement en oxygène, en carbone, ainsi que la production de biomasse. Source : SUEZ.

Des nouvelles bac tér ies Anammox11 (Figure 25) sont utilisées pour traiter les composés de l’azote, elles permettent de faire une dismutation12 entre les deux états d’oxydation de l’azote, et de produire de l’azote N2 à partir de NO2 et NH4. 2.4.2. Les micropolluants et leurs traitements Les micropolluants produits dans notre activité au quotidien (Figure 26) sont une préoccupation grandissante, car ils ont un impact avéré sur le milieu naturel (sexe des poissons par exemple), et les effets potentiels sur la santé humaine (effets cocktail), ainsi que le lien de causalité, sont encore mal connus13. Les stations actuelles n’éliminent qu’une partie des micropolluants qui se retrouvent dans les boues d’épuration. La station d’épuration de Sophia Antipolis (Figure 27) est la première station industrielle en France dédiée au traitement des micropol11. Anammox : abréviation pour « oxydation anaérobie de l’ammonium (NH4+) ». C’est une voie métabolique microbienne du cycle de l’azote, réalisée par des bactéries. 12. Dismutation : réaction d’un même élément chimique présent sous deux états (ou degrés) d’oxydation différents. 13. Voir aussi Chimie et expertise, santé et environnement , Chapitres de J.- F. Lloret et P. Hubert, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2015.

micropolluants

pesticides

métaux métalloïdes

perturbateur endocrinien bioaccumulatif Persistant cancérigène … résidus médicamenteux

plastifiants, détergents…

Figure 26 Les micropolluants ont diverses origines et ont des effets potentiels encore mal connus sur la santé humaine.

luants ; elle est située 20 km en amont de l’unité de production d’eau potable d’Antibes (50 000 équivalent habitants). La Suisse, avec ses nombreux lacs qui sont des zones fermées, met en place ce type de solutions, c’est le cas dans la station de traitement des eaux

139

La chimie et les grandes villes

Figure 27 La station de Sophia Antipolis rejette ses eaux 20 km en amont de l’usine de production d’eau potable d’Antibes. Source : Michel Hurtrez, Groupe SUEZ.

Sophia Antipolis

Usine de production d’eau potable Antibes

La Bouillide

Antibes

à Lausanne. Comme on peut le voir dans l’Encart « Quelle stratégie de réduction des micropolluants ? », la réduction des micropolluants à la source est nécessaire mais pas suffisante. On le voit avec le cas

de l’atrazine, interdite d’utilisation depuis des années, que l’on retrouve en quantités importantes dans les eaux souterraines et les eaux de surface. Il faut donc absolument traiter ces micropolluants, que

QUELLE STRATÉGIE DE RÉDUCTION DES MICROPOLLUANTS ? La réduction à la source, nécessaire mais pas suffisante ? –  100 000 molécules chimiques répertoriées en Europe. –  des pollutions souvent diffuses (ex : les médicaments et hormones). –  l’inertie (ex : l’atrazine). Pourquoi des traitements complémentaires sur les stations ? –  la STEP, point stratégique de collecte centralisé, et dernier point de passage avant le milieu naturel. –  des technologies de traitement disponibles à coût raisonné (2 à 3 €/EH.an). –  des bénéfices induits potentiels : reuse. –  un impact favorable démontré sur la vie aquatique du milieu naturel → réduction de l’écotoxicité et élimination des effets perturbateurs endocriniens. 140

→ pertinence d’une approche combinée « préventive » et « curative ».

2.4.3. La méthanisation digestion La méthanisation et la digestion (Figure 28) offrent la possibilité de valoriser les boues résiduelles du traitement des eaux.

L’eau et la ville

ce soit dans les eaux usées ou les eaux de surface.

La Figure 29 résume les différentes étapes de la production du biométhane sur les stations d’épuration et sa valorisation. En France et à l’international, le groupe SUEZ est pionnier du développement du biométhane issu du traitement des eaux usées (Figure 30).

Figure 28 Valorisation de l’énergie Boues résiduelles Valorisation énergétique du biogaz

Effluents industriels

Biodéchets

Prétraitement Méthanisation et et conditionnement post-méthanisation

La méthanisation et la digestion offrent des possibilités pour valoriser les co-produits/déchets issus du traitement des eaux. Source : Michel Hurtrez, Groupe SUEZ.

Digestat Résidus agricoles Valorisation des fertilisants

Figure 29 Une unité de production de biométhane, dans une station d’épuration qui traite les boues de 100 000 habitants, peut produire jusqu’à 3 GWh d’énergie, soit la consommation annuelle de 20 bus ou 100 véhicules légers. Source : SUEZ/Jérôme Meyer-Bisch.

141

La chimie et les grandes villes

Figure 30 Exemples d’unités du groupe SUEZ de production de biométhane issu du traitement des eaux usées.

2.4.4. Les traitements biomimétiques On peut aussi intégrer des technologies douces dans le traitement des eaux, et utiliser les eaux humides pour finir, polir le traitement, et faire une sorte d’interface avec le milieu naturel (Figure 31). Les Zones humides14 naturelles ou les zones de service écosystémiques sont le siège 14.  Pour en savoir plus, voir La chimie et la nature, chapitre d’É. Blin, coordiné par M.-T. DinhAudouin, D .Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2012.

de processus physiques, chimiques et biologiques, qui permettent la régulation hydraulique, la sédimentation, la filtration mécanique, la transformation de la matière, et par conséquent un affinage de l’épuration de l’eau. De plus, elles rendent de nombreux services aux populations comme espace de loisir et de pédagogie, patrimoine naturel ou aménagement paysager. 2.4.5. Eaux usées : de nouvelles ressources en eau ? Dans des zones de stress hydrique, les eaux usées peuvent devenir une nouvelle ressource en eau (Figure 32) quand elles ont été purifiées au maximum. Aujourd’hui à Singapour, 30 % de l’eau usée sert à refaire de l’eau potable. Dans le sud de Los Angeles, une unité de SUEZ réutilise depuis dix ans les eaux usées pour en faire de l’eau agricole, de l’arrosage et des eaux industrielles (Figure 33).

Figure 31

142

La Zone humide est une interface entre le traitement des eaux et le milieu naturel. Source : Michel Hurtrez, Groupe SUEZ.

2.4.6. Les nouvelles technologies Aujourd’hui, toutes les technologies de microbiologie

Figure 32

Station de traitement des eaux usées

Valorisation et réutilisation Traitements supplémentaires

L’eau et la ville

Retour au milieu naturel

Les eaux issues des stations de traitement d’eaux usées peuvent être rejetées dans le milieu naturel, ou traitées une nouvelle fois pour être valorisées et réutilisées. Sources : A) décantation : SUEZ/ ABACA PRESS/Laurent PASCAL ; B) milieu naturel : SUEZ/ William DANIELS ; C) traitement supplémentaire : SUEZ/Thierry Duvivier/Trilogi’c.

Figure 33 Ces eaux retraitées servent pour des usages industriels, agricoles, de type loisir, jusqu’à la potabilisation. Sources : réalimentation : SUEZ/William DANIELS ; recharge : SUEZ/William DANIELS ; potabilisation : SUEZ / William DANIELS.

avancée permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans l’ensemble de ces procédés, qui étaient un peu des boites noires (Figure 34). Les progrès de la biologie moléculaire permettent de comprendre ce qui se passe dans

les digesteurs, et de développer des solutions beaucoup plus efficaces de traitement de l’eau, grâce à des communautés bactériennes adaptées (Figure 35). Dans ce métier de traitement de l’eau, qui paraît ancien,

143

La chimie et les grandes villes

Figure 34 Les avancées en microbiologie permettent de mieux comprendre les procédés utilisés et de les optimiser.

Figure 35 La connaissance des bactéries permet d’en optimiser l’utilisation.

l’utilisation conjointe des technologies de l’information, des technologies de microbiologie avancée, le génie

chimique et la chimie permettent de mieux résoudre les nouveaux problèmes de l’eau dans la ville.

Le traitement des eaux, avenir pour la ville

144

L’eau dans la ville, c’est à la fois une photo de Paris sous les inondations (Figure 36A), ou des images de loisirs (Figure 36B). Si on n’apporte pas l’eau dans la ville, on n’a plus de ville : l’eau est indispensable à la vie, mais c’est aussi indispensable à la ville. Il faudra de plus en plus prendre en compte : la protection des milieux naturels, la croissance

L’eau et la ville A

B

Figure 36 A) La ville de Paris a connu des inondations ; B) l’eau traitée sert largement pour le loisir de tous.

démographique, l’urbanisation et le développement des mégalopoles, et cela dans le cadre d’une raréfaction des ressources, du changement climatique et d’une population de plus en plus connectée. On peut donc prévoir –  une augmentation de la demande pour une gestion contrôlée du cycle de l’eau ; –  le besoin d’accès à de nouvelles ressources et à une gestion optimisée. –  l’émergence d’une économie circulaire et le développement du recyclage.

145

Muriel Olivier est Directrice des affaires publiques pour l’activité recyclage et valorisation des déchets chez Veolia1 (Encart : « Veolia en quelques mots »).

VEOLIA EN QUELQUES MOTS L’entreprise Veolia est la référence mondiale de la gestion optimisée des ressources. « Ressourcer le monde » englobe la préservation de la ressource, le renouvellement de la ressource et la facilitation de l’accès à la ressource. Dans nos interventions, dans nos offres, dans nos propositions auprès des entreprises ou des collectivités locales, il s’agit systématiquement de ces trois objectifs. Il conçoit et déploie, pour la gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie, des solutions qui participent au développement durable des villes et des industries. Veolia : –  est présent sur cinq continents avec plus de 174 000 salariés ; –  a un chiffre d’affaires consolidé de 25 milliards d’euros en 2015 ; –  est concepteur et maître d’œuvre de solutions pour la gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie qui participent au développement durable des villes et des industries. –  contribue à développer l’accès aux ressources, à préserver les ressources disponibles et à les renouveler.

1. www.veolia.fr

D’après la conférence de Muriel Olivier

Transformer les déchets en ressource

La chimie et les grandes villes

1

Ressourcer le monde et valoriser les déchets

Transformer les déchets en ressource ! Bel objectif, mais un déchet ne devient ressource qu’après tri et transformation. Avant d’être une ambition industrielle, c’est la conquête d’un nouveau genre de vie pour les collectivités humaines, particulièrement pour les villes. Le développement maintenant séculaire et toujours en accélération de la société de consommation crée une tension considérable sur la gestion des ressources et sur la gestion des déchets. Une prise de conscience collective est en cours sur la nécessité de gérer efficacement les ressources et notamment par la réutilisation et le recyclage des déchets. Un changement de paradigme est en cours : on veut passer d’une économie linéaire (produit utilisé, déchets détruits ou enfouis) à une économie circulaire (produit utilisé, déchets valorisés, matières récupérées pour de nouveaux

Figure 1

148

Traitement et recyclage des déchets. Les installations de traitement ont pour but de trier les déchets en vue de les recycler. Veolia compte 371 installations de traitement en France, 154 centres de tri et de recyclage de déchets banals, 47 unités de traitement thermique de déchets spéciaux, 25 unités de traitement physico-chimique de déchets spéciaux, 11 unités de recyclage et de valorisation de déchets spéciaux, 80 sites de compostage, 43 installations de stockage (déchets banals) et 4 unités de dépollution de terres ou de sols.

usages, énergie et matières économisées). C’est l’objet de ce chapitre que d’expliciter l’avènement de ces changements de mode de vie et les aventures industrielles qui permettent de les mettre en œuvre. 1.1. Recycler et valoriser les déchets Faire du déchet une ressource se traduit par l’ambition de devenir producteur de ressources renouvelables, matières premières recyclées et énergies vertes en France (Figure 1). Avec l’organisation française actuelle, de proximité, les déchets sont une ressource locale (Figure 2) dont la gestion est organisée à l’échelle régionale (Figure 3). 1.2. Une organisation régionale Veolia détient sur la France 256 installations de recyclage et de valorisation des déchets. Ce sont, en suivant la hiérarchie des filières de traitement de déchets : des

Avec une organisation de proximité, les déchets après transformation sont une ressource locale.

Transformer les déchets en ressource

Figure 2

Figure 3 Les installations de traitement des déchets en France. L’implantation des installations de traitement sur tout le territoire français offre une proximité au service des clients.

centres de tri et de recyclage, des plateformes de traitement biologique, des unités de valorisation énergétique et enfin, pour les déchets ultimes (déchets non recyclables et non valorisables), des installations de stockage de déchets non dangereux. Il existe aussi une partie « déchets dangereux ». 1.3. Des spécialités Veolia gère aussi des filiales de spécialités (Figure 4) : –  une première, VPFR (Veolia Propreté France Recycling),

est la centrale de commercialisation des matières premières de recyclage pour l’ensemble des centres de tri et des unités en France et en Europe ; – une deuxième est Triade Électronique, dont l’objectif est de faire de la déconstruction, de la dépollution et du démantèlement de déchets d’équipements électriques et électroniques. À titre d’exemple, les climatiseurs en fin de vie arrivent sur des sites de Triade Électronique pour être dépollués. On retire les fluides

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La chimie et les grandes villes

VPFR

Triade Électronique

Centrale de commercialisation des Matières Premières de Recyclage issues des 130 centres de tri Veolia : – 1 500 000 t de papiers-cartons – 475 000 t de bois – 100 000 t de plastiques – 200 000 t de fers et métaux Matières triées et conditionnées correspondant aux standards de qualité d’un produit marchand

Déconstruction, dépollution et valorisation des déchets d’équipements électriques et électroniques (D3E) : – Plus de 400 collaborateurs – 5 sites de traitement – 110 000 t de D3E traitées par an – Triple certification renouvelée en 2014

Bartin Recycling

Spécialiste du désamiantage et de la déconstruction d’infrastructures industrielles et de matériels de transport en vue de la valorisation des déchets métalliques : – Jeanne d’Arc/Colbert – RER A – Sous-marins nucléaires…

Figure 4 Les différentes missions des opérateurs de Veolia sur le terrain sont spécialisées.

150

­frigorigènes2, les moteurs, les mousses isolantes des réfrigérateurs. Après cette opération de dépollution, intervient une opération de recyclage, qui concerne jusqu’à 80-85 % des matériaux des équipements électriques et électroniques ;

industrielles et de matériel de transport. Après les opérations de dépollution et désamiantage, interviennent des opérations de recyclage ; on finit sur ce qui n’est pas recyclable par des opérations de traitement des déchets résiduels.

–  une troisième filiale, Bartin Recycling, est spécialisée dans le désamiantage 3 et la déconstruction d’infrastructures

2

2. Fluide frigorigène : fluide qui permet la mise en œuvre d’un cycle frigorifique, utilisé dans les systèmes de production de froid (climatisation, congélateur, réfrigérateur), mais aussi dans les systèmes de production de chaud par pompes à chaleur. 3. Désamiantage : ensemble des actions à réaliser pour retirer l’amiante dans un bâtiment. Il est soumis à une règlementation stricte et doit faire l’objet de précautions particulières en raison du risque sanitaire associé. L’amiante désigne certains minéraux à texture fibreuse utilisés dans l’industrie. Ce sont des silicates magnésiens ou calciques ayant des propriétés réfractaires.

Le contexte législatif et réglementaire pour l’économie circulaire

2.1. La loi de transition énergétique : un tournant de l’économie linéaire vers l’économie circulaire La Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV) (Encart : « La loi de transition énergétique »), votée en août 2015, constitue un tournant de l’économie linéaire vers l’économie circulaire. L’économie linéaire, c’est prélever les ressources, produire, consommer, jeter. L’économie circulaire veut allonger la durée de vie des

La Loi Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV) marque un tournant pour les activités de la gestion des déchets et pour le développement de l’économie circulaire en France. La LTECV concerne l’ensemble des déchets non inertes non dangereux (déchets des ménages et déchets des entreprises), à la différence du paquet Économie Circulaire, qui ne s’attache qu’aux déchets des ménages. Elle propose des objectifs ambitieux en matière de prévention, de recyclage et de gestion des déchets :

Transformer les déchets en ressource

LA LOI DE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

–  réduire de 10 % les quantités de DMA (Déchets Ménagers et Assimilés) produits par habitant et réduire les quantités de DAE (Déchets d’Activités Économiques) par unité de valeur produite en 2020 par rapport à 2010 ; –  augmenter la quantité de déchets faisant l’objet d’une valorisation sous forme de matière, notamment organique, en orientant vers ces filières de valorisation 55 % en 2020 et 65 % en 2025 des DNDNI (Déchets non dangereux non inertes) ; –  valoriser sous forme de matière 70 % des déchets du secteur du BTP en 2020 ; –  diminuer de 30 % le stockage des DNDNI en 2020 et de 50 % en 2025 par rapport à 2010 ; –  réduire de 50 % les quantités de produits manufacturés non recyclables mis sur le marché avant 2020.

ressources, améliorer leur efficacité en agissant sur le cycle de vie des produits. Ces nouvelles pratiques, qui visent à tirer le meilleur parti des ressources, reposent sur trois domaines d’application et « sept piliers » (Figure 5) : – l’approvisionnement durable  : par exemple en utilisant des matières provenant du recyclage ou des matériaux biosourcés ; –  l’écoconception : une démarche devenue très importante aujourd’hui. Il s’agit de prendre en compte, dès la phase de conception et de définition du produit, l’impact (en consommation énergétique, en émission de CO2) de tout le cycle de vie du produit. Cela inclut la fin de vie du produit, bien qu’elle soit souvent la phase la moins importante, en termes de consommation

énergétique tout au long de la vie ; – l’écologie industrielle et territoriale : l’idée est d’utiliser les flux de déchets provenant des entreprises pour alimenter d’autres entreprises. Par exemple, la chaleur provenant de l’incinération de déchets peut être rendue disponible pour les entreprises du voisinage. Incidemment, cela constitue un atout pour le développement économique local et permet d’attirer des entreprises intéressées par cette ressource à coût compétitif et stable ; – l’économie de la fonctionnalité consiste à vendre l’utilisation d’un produit – les services que demande son utilisation – plutôt que de vendre le produit lui-même. Par exemple, chez Michelin, plutôt que d’acheter seulement des

151

La chimie et les grandes villes

Approvisionnement durable

Recyclage Gestion des déchets

Offre des acteurs économiques

Éco-conception Écologie industrielle et territoriale Économie de la fonctionnalité

Demande et comportement des consommateurs

Allongement de la durée d’usage :

Consommation responsable :

• Achat • Consommation collaborative • Utilisation

• Réemploi/Réparation/Réutilisation

Figure 5 Nouvelles pratiques de gestion des déchets introduites par la loi de transition énergétique (2015). Sept piliers constituent les étapes du cycle de vie d’un produit basé sur l’économie circulaire.

pneus, on peut acheter aussi le service qui va avec : remise en état, entretien ; – la consommation responsable suppose de revoir les pratiques de l’achat, de la consommation et de l’utilisation de ses ressources ; – réussir l’allongement de la durée d’usage, par la promotion du réemploi, de la réparation, de la réutilisation des produits ; –  en fin de parcours, on rencontre les objectifs du recyclage des déchets – recyclage matière, recyclage de la fraction organique des déchets –, et finalement l’élimination des déchets soit par incinération (en récupérant de la chaleur), soit par dépôt en centre de stockage de déchets ultimes. 2.2. Le rôle des opérateurs de la gestion des déchets dans l’économie circulaire 152

Dans l’économie circulaire, les opérateurs de la ges-

tion des déchets ont le rôle de garantir aux entreprises consommatr ices de matières premières et d’énergie des quantités de matières pérennes, respectant en tout point leurs cahiers des charges, à un prix compétitif et stable dans le temps. L’avantage économique doit être évalué avec soin car souvent, le prix de revient des matières premières de recyclage est plus élevé que celui des matières vierges, car on ne tient compte, pour ces dernières, du coût des externalités négatives comme le coût de l’énergie. Cela crée une difficulté pratique sur le prix de vente et donc sur le débouché des matières recyclées. Il s’agit, in fine, de sécuriser les filières de valorisation des déchets. L’économie circulaire permet aussi aux entreprises d’économiser du carburant fossile pour ses besoins en énergie. Cela résulte des 114 usines d’incinération en fonctionne-

Le rôle de l’économie circulaire est prioritairement à visée locale – contribuer au développement économique des territoires et à la compétitivité des entreprises – puisque les ressources qu’elle utilise sont essentiellement produites localement. 2.3. Le contexte législatif et réglementaire français La loi de transition énergétique a marqué un tournant pour la gestion des déchets et pour l’économie circulaire en France. Elle concerne tous les déchets non dangereux et non inertes (DNDNI). Cela représente 90 millions de tonnes de déchets. À la suite des lois Grenelles, la loi de transition énergétique pose des objectifs en matière de prévention, de recyclage et de gestion des déchets. Sa nouveauté est de chiffrer également un objectif sur la production : réduire de 50  % les quantités de produits manufacturés non recyclables mises sur le marché avant 2020. D’autres objectifs concernent la valorisation des déchets et le soutien de la commande publique. 4. Combustibles solides de récupération : type de combustible issu du tri des déchets et employé dans une usine d’incinération.

Par ailleurs, la loi stipule d’accroître la quantité de déchets faisant l’objet d’une valorisation sous forme de matière réutilisable. En 2010, on faisait environ 50 % de recyclage en France. La loi demande d’atteindre 55 % en 2020 et 65 % en 2025, de valoriser davantage de déchets du secteur du BTP, de diminuer de 30 % en 2020 et de 50 % en 2025 les déchets non dangereux, non inertes, par rapport à ce qu’on a enfoui en 2010. Cet objectif est très important et est la conséquence de toutes les actions réalisées en amont, puisqu’il demande de réserver plus rigoureusement les centres de stockage aux déchets non recyclables, non valorisables.

Transformer les déchets en ressource

ment en France ainsi que de la disponibilité des combustibles solides de récupération4 produits à partir de déchets non recyclables. Ces sources per mettent l ’exploitation d’installations de production d’énergie pour alimenter des entreprises ou des réseaux de chaleur.

Le respect de ces objectifs impose de mettre en place toutes les installations de tri, de recyclage, de transformation et de production d’énergie à partir de déchets pour diviser par deux les quantités stockées à l’horizon de 2025. Pour produire davantage de matière et d’énergie à partir des déchets, la loi avance toute une série de mesures. La première série de mesures vise à développer le tri à la source chez l’habitant et dans l’entreprise. Plus on trie les déchets en amont, plus on sélectionne des déchets « de valeur », c’est-à-dire de meilleures ressources pour les transformations ultérieures, répondant mieux aux cahiers des charges des entreprises utilisatrices. Les entreprises ont des objectifs réglementaires de tri à la source sur tous les flux de recyclables : les déchets du BTP, les bio-

153

La chimie et les grandes villes

TARIFICATION INCITATIVE POUR LES MÉNAGES Au niveau du ménage, les consignes de tri à la source des déchets sont de plus en plus exigeantes. C’est en particulier le cas pour les matières plastiques. En fait, aujourd’hui on ne sait pas recycler tous les plastiques, et l’industrie correspondante est en cours de développement. L’objectif est de demander à l’habitant de trier tous les plastiques à partir de 2022 ; une tarification incitative1 permet de mobiliser le citoyen sur le geste de tri à la source, le prix de service tenant compte de l’effort de tri ; cette tarification incitative est prévue et devrait concerner 25 millions d’habitants. La tarification incitative doit inciter les habitants à faire de la « prévention des déchets ». Par exemple, il faut développer les pratiques du compostage de déchets verts ou de déchets organiques, pratiquer plus rigoureusement le recyclage, le tri (gestion de la « poubelle jaune »). Cette mesure incitative ne représenterait guère sur l’année que 20 euros d’écart entre celui qui va bien trier et celui qui ne va pas bien trier. L’effet est surtout psychologique et pourrait sensibiliser vraiment l’habitant. 1. Tarification incitative : contribution au financement du service dont le montant exigé aux usagers est fonction de l’utilisation réelle du service. Elle correspond à l’application du principe pollueur payeur appliqué à l’usager bénéficiaire du service public des déchets.

déchets des gros producteurs que sont l’industrie alimentaire, la restauration collective et la grande distribution.

154

Une deuxième série de mesures vise à développer la production d’énergie, par la mise en place d’une filière « Combustible Solide de Récupération ». Cette filière se différencie de la « valorisation énergétique et de l’incinération des déchets » parce que le combustible solide de récupération n’est pas un déchet primaire ; il est produit à partir de déchets résiduels, qui résultent de premières opérations de tri à la source ou de recyclage – ils peuvent par exemple sortir de centres de tri. Par ailleurs, le dimensionnement des unités de production d’énergie à partir de « combustibles solides de récupération » est réalisé en fonction du besoin de l’utilisateur final : industrie, entreprise, réseau de

chaleur. L’objectif en l’occurrence n’est pas tant d’éliminer du déchet que de produire de l’énergie de la manière la plus efficace. Une troisième série de mesures de la politique « déchets » favorise le développement d’un marché des matières recyclées et de l’énergie de récupération. Cet objectif est complémentaire des premiers car le développement d’un marché aval stimule celui de l’offre en amont. Le moyen d’y parvenir passe par une politique d’achat public, qui devient une obligation pour les commandes publiques. Cela constitue une vraie impulsion pour le développement de l’industrie du recyclage car la commande publique représente des volumes très importants. Il s’agit par exemple d’acheter des papiers recyclés à hauteur de 40 % (obligation 2017), d’utiliser des matériaux de réemploi, des matériaux de

Dans le même objectif, il est visé de multiplier par cinq les quantités d’énergies renouvelables et de récupération utilisées dans les réseaux de chauffage urbains à horizon 2030. L’exploitation de réseaux urbains de chaleur augmente considérablement l’efficacité énergétique dans le bâtiment. Une comparaison : dans les pays nordiques, environ 80 % du chauffage urbain se fait par réseaux de chaleur, en France c’est environ 5 %. Toujours dans le même objectif, il s’agit de renchérir l’utilisation des combustibles fossiles en jouant sur la trajectoire d’augmentation de la contribution climat-énergie (CCE) (Figure 6). C’est une taxe qui s’applique aux énergies fossiles ; elle est programmée pour augmenter progressivement et est intégrée à la taxe sur la consommation de combustibles – la taxe pétrole. Les matières recyclées utilisent moins d’énergie que les matières vierges, et seront donc favorisées. Il en est de même de l’énergie de récupération. 2.4. Une prise en main au niveau régional Les objectifs de la loi de transition énergétique sont repris dans les planifications régionales sur la gestion des déchets. Les anciens « plans départementaux » deviennent des « plans régionaux » ; ils en reprennent tous les objectifs et notamment la diminution du volume des déchets

à stocker ou la diminution du recours à l’incinération en deçà d’une certaine efficacité énergétique qui permet de les considérer comme de la valorisation énergétique. Du fait de ces objectifs, lorsqu’il y aura des demandes d’extension de centres de stockage (de décharges existantes) ou de renouvellement de capacités ou des demandes d’autorisation d’exploiter sur des usines d’incinération existantes, le préfet regardera si c’est compatible avec la diminution de 50 % de la capacité de stockage. Ce sera une vraie traduction règlementaire de l’objectif de la loi.

Trajectoire de la composante carbone (€ par tonne de CO) 120 100 80 60 40 20 0

2016

2017

2020

2030

Transformer les déchets en ressource

recyclage comme matériaux de construction pour les chantiers des collectivités locales, etc.

Figure 6 Les énergies fossiles sont soumises à une taxe qui va augmenter progressivement avec le temps.

LA LOI NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) La loi NOTRe et son décret d’application relatif au plan régional de prévention et de gestion des déchets prescrit : –  les plans régionaux qui incluent désormais les déchets d’activités économiques ; –  ils déclinent les objectifs de la LTECV au niveau régional : état des lieux et synthèse des actions projetées en matière de : * tri à la source des biodéchets ; * déploiement de la Tarification incitative ; * extension des consignes de tri des plastiques, harmonisation des schémas de collecte et déploiement de la modernisation des centres de tri ; * « reprise distributeurs ». –  traitement : le plan détermine une limite aux capacités annuelles d’élimination par stockage des déchets non dangereux non inertes (DNDNI) (70 % des quantités 2010 en 2020 et 50 % en 2025) et aux capacités annuelles d’élimination par incinération (entendu non R1 (en deçà de l’efficacité énergétique minimum requise pour considérer les usines comme des unités de valorisation énergétique ; efficacité énergétique de 60 ou 65 selon la date de mise en service des usines) des déchets non dangereux non inertes (75 % des quantités de 2010 en 2020 et 50 % en 2025).

155

La chimie et les grandes villes

2.5. Les directives à réviser pour « boucler la boucle » L’Union Européenne est très sensibilisée aux questions environnementales et en particulier à la gestion des déchets. Elle a publié et révise toute une série de « Directives » qui s’imposent aux États membres (Encart : « Le “paquet d’économie circulaire” et les directives européennes déchets »). Les objectifs « horizon 2030 » ne concernent que les déchets ménagers, qui représentent environ 30 % des flux totaux. Les mesures contraignantes (Encart : « Les “Directives

euro­péennes déchets” à l’horizon 2030 ») sont encore en projet et devraient être votées en 2017. Elles fixeront des perspectives pour 2030, mais avec la loi de transition énergétique, la transposition des directives devrait avoir peu de conséquences. 2.6. Des objectifs qui vont nécessiter des efforts à toutes les échelles Les dispositions législatives donnent une impulsion certaine à la transformation des activités de traitement de déchets pour le recyclage et

LE « PAQUET D’ÉCONOMIE CIRCULAIRE » ET LES DIRECTIVES EUROPÉENNES DÉCHETS Un plan d’action pour l’économie circulaire prévoit de faire évoluer les dispositions actuelles en établissant un cadre de mesures complet sur l’ensemble du cycle de vie des produits, de la production à la consommation, en passant par la gestion des déchets et le développement d’un marché pour les matières premières issues du recyclage. Il prévoit : –  la révision de la législation relative aux déchets, ciblant principalement : * la directive cadre déchets ; * la directive concernant la mise en décharge ; * la directive emballages et déchets d’emballages ; * trois directives sectorielles (véhicules hors d’usage, piles et accumulateurs, déchets d’équipement électriques et électroniques). Il inclut également la révision du règlement fertilisants (libre circulation des composts ; choix entre règlement fertilisant et règles nationales ; hors boues et compost d’OMR) ; * le lancement d’une étude « Waste to Energy » ; * le développement d’une stratégie plastique (Q4/2017) ; *… 156

Les principaux objectifs (contraignants) posés par les propositions de révision des directives Déchets à l’horizon 2030 incluent : –  65 % de recyclage des déchets municipaux ; –  75 % de recyclage des déchets d’emballage ; –  un objectif de réduction de la mise en décharge (moins de 10 % des déchets municipaux produits) ; –  de nouvelles définitions (déchets municipaux, déchets commerciaux et industriels…), une méthode de calcul unique visant l’harmonisation statistique des taux de recyclage dans l’UE ;

Transformer les déchets en ressource

LES « DIRECTIVES EUROPÉENNES DÉCHETS » À L’HORIZON 2030

–  une obligation de collecte séparée des déchets municipaux (papier, verre, plastique, bio) ; –  des règles encadrant les filières REP (Responsabilité élargie du producteur) nouvelles et existantes, avec notamment une meilleure prise en compte du coût du recyclage des produits. À venir : –  vote en commission de l’environnement du Parlement européen en 2017 ; –  conseil des ministres : discussions techniques encore en cours

la valorisation. Les investissements nécessaires à cette transformation d’ici à 2025 ont été évalués à 6 milliards d’euros pour les acteurs publics et privés. On atteindra bien les objectifs demandés si toutes les mesures sont mises en œuvre et que l’ensemble des acteurs publics et privés déploient les efforts nécessaires. Par exemple, le tri à la source est bien inscrit maintenant, mais pour l’amener aux objectifs, il faut installer un vrai contrôle. La loi doit aussi être complétée par ses dispositions pratiques et donner de la visibilité aux investisseurs (Encart : « Aspects pratiques de la mise en œuvre des demandes de la loi ») puisqu’un cadre fiscal et règlementaire stable leur est nécessaire pour investir dans ces nouveaux outils – des centres de tri, des centres de valorisation organique, des unités de

ASPECTS PRATIQUES DE LA MISE EN ŒUVRE DES DEMANDES DE LA LOI La LTECV et la Loi NOTRe donnent une impulsion certaine à la transformation de nos activités du traitement des déchets vers le recyclage et la valorisation des déchets. Cependant : –  les investissements nécessaires à cette transformation sont évalués à 6 milliards d’euros d’ici 2025 ; –  certaines mesures sont insuffisamment contraignantes ou incitatives pour faire levier sur les acteurs publics et privés et modifier leurs pratiques actuelles ; –  un accompagnement des objectifs ambitieux est nécessaire par : * des mesures contraignantes ou incitatives et des moyens de contrôle d’application ; * de la visibilité aux investisseurs sur une durée de dix ans ; * des soutiens financiers pour le déploiement des infrastructures de transformation des déchets en ressources en France.

transformation, des déchets triés en produits et matières premières de recyclage.

157

La chimie et les grandes villes

3

Des solutions pour une ville meilleure

Afin d’optimiser le service de la gestion des déchets dans la ville, un certain nombre d’outils ont été développés. L’économie circulaire permet avant tout aux villes de respecter trois grands enjeux : être durable, compétitive et attractive. À l’instar du système des Smar t Grid 5 pour la maîtrise de la consommation d’énergie, on a mis au point un système « Smart Waste » pour la gestion des déchets. Optimiser les services dans la ville, c’est aussi développer des solutions numériques auprès de l’habitant, auprès des entreprises. 3.1. Trois domaines clés de l’innovation L’innovation s’est por tée en particulier sur trois domaines : la réduction de la consommation de s re ssources, l’optimisation du fonctionnement des services urbains et la réduction des coûts résultants de la gestion des déchets (Figure 7). 3.2. La ville intelligente La nouvelle conception du service du nettoiement urbain mise en œuvre sur le

158

5. Smart Grid : réseau de distribution d’électricité dit « intelligent » qui utilise des technologies informatiques et de télécommunication avec l’objectif d’optimiser le transport d’énergie des points de production à ceux de distribution. Ces réseaux doivent donc permettre de faciliter la mise en relation de l’offre et de la demande entre les producteurs et les consommateurs d’électricité.

centre-ville de Lille donne un exemple de ce que veut être la « ville intelligente ». La méthode traditionnelle pour assurer la propreté de la ville est d’organiser des interventions systématiques – par exemple sortir dix auto-laveuses dans la ville tous les deux jours. Aujourd’hui, on agit selon un « contrat sur performance » signé avec la ville. D’après ce contrat sur performance, on intervient là où il y a besoin d’intervenir, dès qu’on a une information, qu’il y a des déchets, qu’il y a des pollutions. Un ensemble de techniciens contrôlent en permanence l’état de propreté de la ville et déclenchent les interventions pour rendre le service au mieux et au bon moment. Ce n’est plus du systématique, c’est de « la performance ». Les outils numériques permettent aujourd’hui de développer des solutions adaptées à chaque type de besoin, à chaque quartier. Avoir des solutions identiques à tous les quartiers d’une ville n’a plus forcément de sens avec les objectifs de réduction des déchets à la source, avec la tarification incitative où l’habitant va être invité à produire moins de déchets, à ne sortir son bac que quand il est plein. Passer tous les jours dans toutes les rues pour ramasser les déchets ne permet pas d’adapter le service au besoin de la manière la plus efficace. 3.3. Des solutions numériques pour une optimisation des services dans la ville Afin d’offrir un système global, Veolia propose une application, « Urban Pulse », qui in-

• •

OPÉRATIONS

BUDGET

Réduire la consommations des ressources

Uniformiser le fonctionnement des services urbains

Réduire les coûts

Réduire les consommations d’eau, d’énergie, de matières premières

Mesurer via des solutions connectées (IOT) Impliquer les citoyens

Optimiser les opérations Transformer des coûts en valeur

Dynamiser le tri des déchets recyclables : tarification incitative Éviter les déchets inutiles : lutte contre le gaspillage alimentaire par exemple

• •

Sondes de télé-relève sur les conteneurs de rue (PAV) Veille urbaine citoyenne via appli Smartphone

• •

Transformer les déchets en ressource

RESSOURCES

Optimisation des collectes Valoriser le biogaz, la chaleur fatale, les matières premières secondaires

Figure 7 Aspects de la mise en œuvre de la nouvelle gestion des déchets. Quelques exemples innovants de la vie quotidienne qui optimisent la gestion des ressources et déchets dans la ville.

tègre les services déchets au niveau de l’habitant et met à sa disposition l’ensemble des solutions qui s’offrent à lui, avec les équipements déchets à disposition, et lui permet, s’il est en tarification incitative, de suivre les levées de bac (Figure 8). Urban Pulse vient compléter Urban Hypervision pour la gestion optimale de l’eau, et Urban Board pour la collecte des données des capteurs et la mise à disposition de « conteneurs communicants ». Ces « conteneurs communicants » sont équipés de puces qui indiquent le niveau de remplissage, ce qui permet d’adapter les tournées en fonction du vrai besoin (Figure 9). On a souvent des points d’apports volontaires

de déchets, par exemple pour le verre, mais aussi pour les matières recyclables, voire les ordures ménagères. Jusqu’à présent on venait vider les conteneurs régulièrement avec l’inconvénient de parfois les vider quand ils sont à moitié pleins (perte d’efficacité) et d’avoir d’autres fois des conteneurs qui débordent. On peut maintenant les vider quand c’est nécessaire, et seulement quand c’est nécessaire. Le numérique – Système SMART WA STE – permet aussi la gestion des services diffus avec traçabilité et « reporting ». Quand on collecte certains flux spécifiques (les encombrants de l’habitant par exemple), certaines villes collectent « à la demande ».

Figure 8 Des applications au service de l’habitant le sensibilisent, ainsi que les responsables, sur la gestion des déchets.

159

La chimie et les grandes villes

Optimisation

Sondes

Analyse

Collecte

Figure 9 « Conteneurs communicants » : des connections numériques avec un conteneur permettent de ne vider celui-ci que quand il est plein.

L’habitant, tout simplement, communique son besoin d’enlèvement quand c’est nécessaire, et on peut optimiser les tournées d’interventions.

4

La ville circulaire : des exemples concrets

Voici quelques exemples en France ou en Europe de « villes circulaires », fonctionnant sur cette idée de « boucler la boucle » entre production des produits et recyclage final. 4.1. Le recyclage des déchets Le recyclage des déchets propose des matières premières de recyclage aux industriels et s’impose, pour pouvoir pérenniser son activité, de sécuriser leurs approvisionnements.

160

Premier exemple : Ecocis. C’est une usine de production de pâte cellulosique à partir de papiers recyclés installée sur l’ancien site de Voreppe à côté de Grenoble (en Isère). Sur cette unité de fabrication de pâte à papier, on utilise es-

sentiellement des matières premières recyclées. Veolia sécurise complètement l’approvisionnement de ce site en papier recyclé à hauteur de 200 000 tonnes par an à un prix compétitif. Veolia peut assurer cette responsabilité du fait de son rôle d’intégrateur sur la chaîne de valeur du recyclage des papiers en France. L’impact CO 2 de la production de pâte à papier à partir de papier recyclé par ECOCIS, ce sont 60 000 tonnes de CO2 évitées par an. Deuxième exemple : le recyclage des bouteilles plastiques PET6 de l’Allemagne. Une grosse unité centralisée, située à Rostock, traite toutes les bouteilles plastiques en PET collectées en Allemagne – plus d’un milliard de bouteilles – pour produire de nouvelles bouteilles. Le plastique, trié et transformé, retourne à la production de bouteilles plastiques. 6. PET : poly(téréphtalate d’éthylène), plus connu sous le nom anglais de polyethylene terephthalate, est un plastique de type polyester saturé.

Pour la valorisation des matières organiques, on a l’exemple Restau’co dans le Calvados où est construite une boucle biologique locale dans le cadre d’un partenariat entre Veolia et Restau’co, l’un des plus grands réseaux de la restauration collective en France. On collecte les biodéchets dans un collège, le collège d’Argences à côté de Caen. À partir de ces biodéchets, on fabrique un engrais pour des agriculteurs locaux qui produisent des produits alimentaires bio pour la restauration scolaire gérée par Restau’co. Encore une fois, la boucle est bouclée. Une telle boucle a des avantages économiques (prix forfaitaires et commandes régulières), mais aussi des avantages sur les relations entre les acteurs. Un des bénéfices client en est en effet la réconciliation des paysans avec les politiques et les acteurs de la restauration collective puisqu’on approvisionne l’agriculteur en compost de bonne qualité en assurant un débouché à sa production. L’exemple de Restau’co est loin d’être unique. Artois Méthanisation exploite des boucles d’économie circulaire locales selon les mêmes principes. 4.3. Accompagner les collectivités vers une optimisation de leur territoire L’approche systémique qui consiste à gérer les flux de déchets sur un territoire est

rendue possible par le développement du numérique. Cette démarche concerne l’ensemble de la logistique urbaine : de la gestion de la chaleur à tous les autres fluides. Dans cet exemple, une utilisation efficace de l’énergie est mise en œuvre. On est à Bordeaux, sur un centre de stockage de déchets qui récupère le biogaz7 issu de la fermentation des déchets après leur enfouissement. Au lieu de produire l’électricité par des moteurs à combustibles fossiles, on fait marcher depuis 2015 des moteurs au biogaz et on récupère la chaleur produite par leur fonctionnement pour alimenter des serres agricoles implantées sur une emprise foncière du site. Les « Paysans de Rougeline », l’association d’agriculteurs locaux, font donc pousser aujourd’hui 5 000 tonnes de tomates par an à partir de cette chaleur, forcément compétitive, qui vient du centre de stockage. Au passage, 55 emplois ont été créés par les paysans de Rougeline.

Transformer les déchets en ressource

4.2. Donner de la valeur aux matières organiques

4.4. Les énergies renouvelables pour une indépendance durable des villes Les aspects « gestion des déchets » ne sont pas les seuls à être révolutionnés par les concepts des « villes intelligentes ». La question de la fourniture d’énergie, qui leur est d’ailleurs étroitement liée, est aussi un aspect majeur. 7. Biogaz : gaz produit par la fermentation de matières organiques en l’absence d’oxygène.

161

La chimie et les grandes villes

4.5. Vers une économie du partage et de la fonctionnalité La gestion des solvants industriels donne une étonnante illustration des nouveaux fonctionnements qui caractérisent les concepts de l’économie circulaire. Les industries utilisent des quantités importantes de solvants pour le nettoyage ou pour les opérations chimiques de transformation : il s’agit par exemple de xylène, d’acétate

de butyle ou d’isopropyle, des solvants organiques dont on sait que la manipulation à longue durée pose des problèmes. Veolia a imaginé le principe de la « location de solvant ». Le solvant usagé est repris par Veolia, régénéré et remis à disposition d’un client. Le service n’est plus la simple vente du solvant, c’est le fait d’en vendre la fonctionnalité, en reprenant le solvant après usage. C’est un exemple d’économie de fonctionnalité.

Économiser les ressources de façon efficace

162

Les quelques exemples de gestion des déchets présentés dans ce chapitre montrent qu’un profond changement est en train d’intervenir dans les pratiques, tant commerciales qu’environnementales et sociales. L’objectif central est maintenant, à partir de la gestion des besoins, de préserver la propreté de l’environnement, de créer des partenariats créatifs et innovants pour assurer l’adhésion de tous sur les pratiques, et œuvrer en faveur de l’emploi local. La politique est de favoriser cette boucle d’économie circulaire par rapport aux traditionnelles solutions de traitement des déchets. Les solutions technologiques proposées impliquent aussi des innovations contractuelles et partenariales. Sans partenariat, l’économie circulaire est difficile à développer puisqu’elle est inséparable des collaborations entre un producteur de déchets, un transformateur, un utilisateur… pour « boucler la boucle ». L’un des résultats de cette économie circulaire est la création d’emplois. Aujourd’hui, on évoque 40 000 emplois à créer sur la seule activité gestion des déchets d’ici 2025.

au cœur des

urbain

enjeux

énergétiques de la

ville durable Christophe Ladaurade est en charge du développement commercial et du marketing au sein de Climespace1, une filiale d’Engie.

1

Le froid et les enjeux énergétiques et environnementaux de la ville

1.1. Une climatisation en pleine expansion À l’échelle européenne comme à l’échelle mondiale, les villes rivalisent et cherchent à faire valoir leurs attractivités économiques. Paris est en concurrence avec Berlin ou Londres et se comparera bientôt à New York, Los Angeles ou autres. Sur ce fond de concurrence accrue entre les métropoles européennes et mondiales se pose la question de la meilleure façon d’aborder le sujet de la climatisation. Qu’est-ce qui fait l’attractivité d’une ville aujourd’hui ? C’est son attractivité économique et 1. www.climespace.fr

cela passe donc forcément par une activité tertiaire (bureau, commerce et musée) en grand besoin d’être modernisée. Le graphique de la Figure 1 met en évidence le fait que la surface climatisée en Europe, en comptant bien entendu le secteur tertiaire, est en forte crois s ance. Aujour d’hui, environ 50 % de la population mondiale vit en ville, et à l’horizon 2050, ce sera près de 75 %. Les villes sont donc un enjeu majeur du développement durable. Elles mutent, évoluent et commandent des choix politiques d’organis ation, d’ur banis ation. Lorsqu’on veut étendre une ville, il y a deux solutions : on l’étend vers le haut, et c’est la densification, ou de façon horizontale, et c’est l’extension urbaine. Se pose rapidement la densité des quartiers, le périmètre concerné par la

D’après la conférence de Christophe Ladaurade

Le réseau de froid

Évolution de la surface climatisée en Europe à l’horizon 2020. Source : étude Energy Efficiency and Certification of Central Air Conditioners pour la Commission Européenne, 2002.

600 Italie

500 Millions de ma

La chimie et les grandes villes

Figure 1

Espagne

400

France

300

Allemagne

200

Grèce

100

Portugal

0 1985

1990

1995

2000

ville, etc., et ces choix ont un coût direct sur les infrastructures à mettre en œuvre. Parmi les infrastructures concernées, on cite classiquement le réseau d’électricité, le réseau de chaleur, le réseau de télécoms, le réseau d’assainissement, le réseau d’évacuation d’eau usée, et on qualifie les conceptions actuelles de « smart grid2 ». En fait, il y a un petit dernier à considérer, c’est le réseau de froid. 1.2. Le réchauffement des villes : les îlots de chaleur Le système de froid est essentiel pour un aménagement urbain durable, comme nous allons le concrétiser en examinant la ville de Paris, avec le périphérique et la Seine qui traversent la ville. Sur la Figure 2, on note l’effet « îlot de chaleur urbain3 » : entre la banlieue et Paris centre, il y a toujours quelques degrés d’écart – il fait toujours plus

Figure 2

164

Carte des températures moyennes à Paris, illustrant l’effet d’îlot de chaleur en région parisienne. Source : APUR et CSTB.

2. Smart grid : réseau dit « intelligent » utilisant les technologies informatiques afin d’optimiser la production, la distribution et la consommation d’énergie pour une meilleure efficacité énergétique. 3. Îlot de chaleur urbain : élévation localisée de température en milieu urbain par rapport aux zones rurales voisines.

2005

2010

2015

2020

chaud en ville, en été comme en hiver. La zone rouge de la Figure 2 correspond à la rente foncière et tertiaire de la ville de Paris. Ce sont les 1er, 2e, 8e et 9e arrondissements où l’on a des immeubles de type haussmannien avec essentiellement de la surface de bureaux. L’effet d’îlot de chaleur urbain est dû aux activités humaines au sein de la ville (secteur tertiaire), qui sont génératrices de chaleur et d’urbanisation. Plus une ville est dense et donc haute, plus on a le phénomène de couloir d’air chaud dans les rues qui contribue à l’augmentation de la température. Pour Paris et pour de plus en plus de métropoles, il y a la volonté de vouloir se préparer au réchauffement climatique, et cela conduit à s’interroger sur la trajectoire énergétique à donner à la ville, donc quels sont les schémas directeurs énergétiques dans la ville – le chaud, le froid, l’électricité –, et quelle est la meilleure réponse au besoin de froid ?

2

Principe du réseau de froid

Le rapport au froid, à la climatisation, a évolué comme l’exemple de la climatisation des voitures le montre : il y a trente ans, la climatisation était

2.1. Comment produire, stocker et distribuer le froid ? Un réseau de froid remplace les équipements de climatisation autonomes – ceux que l’on trouve en toiture par exemple – par un réseau de distribution d’eau glacée souterrain basé sur des sites de production (Figure 3). On utilise des machines frigorifiques 4 de plusieurs dizaines de mégawatts : des réfrigérateurs géants (nos plus grosses centrales représentent 52 MW de production frigorifique). On produit de l’eau à 5 °C avec laquelle on alimente les immeubles par un réseau de canalisation souterraine pour faire fonctionner leur système de climatisation et produire l’air frais. Après utilisation par les clients, cette eau est restituée la plus chaude possible, de façon à utiliser un maximum de froid sur le mètre cube d’eau utilisé. Ce système nécessite des centrales de production, un réseau de distribution, des postes de livraison dans chacun des bâtiments. Tout cela est supervisé par un réseau intelligent. L’ensemble des 4. Machine frigorifique : machine ditherme ayant pour fonction de refroidir un environnement grâce à des échanges thermiques.

bâtiments servis est connecté au poste de contrôle et aux équipements de stockage d’énergie frigorifique sous forme de chaleur latente5 ou de chaleur sensible6. Où est la chimie dans la conception et le fonctionnement des réseaux de froid ? Elle est en fait un peu partout. Elle est dans le réseau de distribution parce qu’il faut maintenir les caractéristiques physico-chimiques de l’eau et donc la qualité des canalisations. Elle est dans les centrales de production puisque les groupes frigorifiques utilisent des fluides frigorigènes7, des gaz hydrofluorocarbones (HFC), qui sont issus de l’industrie chimique. Elle se trouve aussi dans les équipements d’évacuation des calories, les tours aéroréfrigérantes 8 , qui utilisent des biocides9 pour réduire le risque de développement de légionellose10.

Le réseau de froid urbain au cœur des enjeux énergétiques de la ville durable

une option ; aujourd’hui, c’est un équipement de série dont on n’accepterait plus de se passer. Pour répondre à la demande de froid, il faut mettre en œuvre des technologies innovantes et si possible utiliser les ressources naturelles. Le réseau de froid est une réponse pertinente à cet objectif.

À l’aide du schéma de la Figure 3, on comprend que le réseau de froid a un impact sur la réduction de l’îlot de 5. Chaleur latente : chaleur issue d’un changement d’état. 6. Chaleur sensible : chaleur issue d’un changement de température. 7. Fluide frigorigène : fluide permettant le fonctionnement des cycles frigorifiques en permettant des échanges d’énergie. 8. Tour aéroréfrigérante : échangeur de chaleur permettant le refroidissement de l’eau via un contact direct avec l’air ambiante. 9. Biocide : substance chimique telle que pesticide et/ou antimicrobien. 10. Légionellose : maladie infectieuse d’origine bactérienne dont la bactérie peut se développer dans les tours aéroréfrigérantes ou dans les climatiseurs.

165

La chimie et les grandes villes

SITE DE PRODUCTION • Production de froid sous forme d’eau glacée (entre 1 et 5 °C) • Chaleur dégagée par les équipements de production évacuée : – soit grâce à des tours de refroidissement sec ou humide – soit par des systèmes utilisant des ressources aquatiques de surface

Climatisations autonomes

Réseau de distribution

Climatisations autonomes

Stockage de glace

Seine

Stockage d’eau glacée

Salle de contrôle

Poste de livraison automatisé

Site de production

Figure 3 Principe du réseau de froid avec ses unités clés pour assurer la climatisation d’une ville.

chaleur urbain. La climatisation classique met sur les toits des groupes calorifiques à la place d’une végétalisation ; les calories extraites du bâtiment sont donc rejetées dans l’atmosphère, et ce rejet-là plus la chaleur stockée dans les bâtiments puis rayonnée à l’extérieur contribue à l’îlot de chaleur urbain.

166

Le réseau de froid permet d’évacuer les calories par les sous-sols. Dans les simulations réalisées, on estime la réduction correspondante de température de la rue à au moins un degré. Trois de nos équipements sont raccordés à la Seine qui constitue le fluide dans lequel les calories sont rejetées dans le respect de la loi sur l’eau qui impose que cette opération soit neutre sur la faune et la flore existantes.

2.2. Le réseau urbain de distribution d’eau glacée À côté de la mission d’assurer l’efficacité énergétique, vient celle d’équiper l’espace urbain. Il s’agit de poser des tuyaux en sous-sols. 60 % quasiment du réseau est aujourd’hui en égout, car la ville de Paris bénéficie d’un réseau d’égouts très développé (Figure 4A), et 30 % sont enterrés (Figure 4B). Un idéal serait d’avoir des galeries techniques, mais on ne trouve cela que dans les quartiers qui ont fait l’objet de ré-urbanisation récente (Figure 4C). À la différence du réseau d’eau potable, le réseau de froid nécessite deux tuyaux, l’aller et le retour : c’est « double peine » ! Pour desservir des artères comme les ChampsÉlysées (Figure 4B), ce sont

La Figure 5 représente le poste de livraison qui complète le

A

B

réseau de froid. C’est la sousstation, installée dans chaque bâtiment, et qui en est le point d’entrée. Ses quinze mètres carrés se substituent aux installations de rafraîchissement et de climatisation et libèrent

C

Figure 4 Installations souterraines pour le réseau de froid d’une ville, exemple de Paris. A) Utilisation des égouts pour l’installation du réseau de froid ; B) l’installation est enterrée dans 30 % des cas ; C) utilisation de galeries techniques pour les quartiers récents ou rénovés.

Le réseau de froid urbain au cœur des enjeux énergétiques de la ville durable

deux tuyaux de 70 centimètres de diamètre qu’il faut poser, soit des tranchées de plus de deux mètres, problématiques pour les rues parisiennes.

Figure 5 Poste de livraison d’eau froide pour l’alimentation en froid d’un bâtiment.

167

La chimie et les grandes villes

la toiture pour la végétalisation ou l’agriculture urbaine.

3.1. Climespace en quelques chiffres

Le poste de livraison est constitué d’un échangeur à plaques11 muni de deux vannes, l’une pour contrôler la pression du réseau et l’autre le débit, en fonction de l’énergie appelée dans l’immeuble. L’hiver, la vanne sera fermée ou très peu ouverte, l’été, elle sera grande ouverte.

À la fin 2015, Climespace, représente un effectif de plus de 134 collaborateurs, 600 bâtiments raccordés, 470 gigawattheures par an d’énergie frigorifique distribuée (Encart : « Climespace, concessionnaire de la Ville de Paris depuis 1991 »). Climespace est le deuxième consommateur d’électricité dans Paris intramuros après la RATP avec 400 mégawatts de puissance raccordée.

Comme pour l’électricité, le client dispose d’un abonnement et paye à hauteur de ce qu’il consomme. Il rentre vraiment dans une logique d’économie et peut maîtriser sa consommation énergétique au regard de ses besoins en froid alors qu’en l’absence d’un réseau de froid, la climatisation est noyée dans la consommation d’électricité globale de l’immeuble.

Le réseau urbain de froid fait 73 kilomètres et participe à la spectaculaire vie souterraine de Paris, particulièrement encombrée dans les quartiers haussmanniens à forte densité, avec le métro, les télécoms, le gaz, la chaleur.

3

Climespace, acteur central du réseau de froid

Climespace, qui œuvre dans le cadre d’une délégation de service public, est né en 1991. Son histoire commence avec l’excédent de capacité de la centrale de refroidissement et de rafraîchissement des chambres froides des Halles et avec la décision d’en exporter la capacité à un bâtiment voisin. Un peu plus tard, le musée du Louvre a fait part d’un besoin de froid important, ce qui a entraîné la décision de créer un réseau de froid à l’échelle de la ville de Paris (Figure 6).

168

11. Échangeur à plaques : échangeur de chaleur se présentant sous la forme d’un mille feuilles de plaques où le fluide caloporteur circule entre chaque plaque.

Figure 6 Depuis 1991, le réseau de froid parisien n’a cessé de se développer grâce à la création de Climespace.

–  134 collaborateurs ; –  plus de 600 clients ; –  77 M€ de chiffre d’affaires ; –  470 GWh/an d’énergie frigorifique distribuée ; –  401 MW de puissance froid raccordée (31/12/2015) ; –  10 sites de production et 3 sites de stockage ; –  73 km de réseau urbain ; – 25 M€ d’investissements/ an (centrales/réseau/sousstations) ; –  30 nouveaux clients/an en moyenne ; –  5 millions de m² climatisés à partir du réseau ; –  60 000 tonnes d’émission de gaz carbonique évitées par an.

L’encombrement est parfois tel que certains immeubles ne peuvent pas être raccordés. Le réseau consacre environ 25 millions d’euros par an à l’investissement ; il est rejoint par une trentaine de nouveaux clients par an et concerne cinq millions de mètres carrés climatisés dans Paris intra-­ muros. 3.2. L’étude d’un cas : le réseau de froid parisien La Figure 8 représente les trois réseaux de froid actuellement installés dans Paris intra-muros. Le plus gros réseau, le réseau centre, concerne les 1er, 2e, 8e et 9e arrondissements. Il est constitué d’immeubles haussmanniens installés en bureaux, et correspond à l’îlot de chaleur parisien le plus important (voir la Figure 2). Deux

Figure 7 Climespace, l’entreprise qui gère le réseau de froid de Paris, est certifiée en Qualité, Environnement et Sécurité (Certification Bureau Veritas).

Le réseau de froid urbain au cœur des enjeux énergétiques de la ville durable

CLIMESPACE, CONCESSIONNAIRE DE LA VILLE DE PARIS DEPUIS 1991 (Figure 7)

centrales refroidies par les eaux de la Seine l’alimentent ; elles constituent la base de la production et permettent d’éviter les tours aéroréfrigérantes, chimiquement plus polluantes. Le quartier de la Bibliothèque Nationale de France (BNF) fait ac tuellement l ’objet d’une ré-urbanisation avec un aménageur (la SEMAPA). L’am éna gem ent a com mencé à proximité de la gare d’Austerlitz et se termine aujourd’hui avec les travaux conduits à proximité de la zone d’Ivry sur Seine. Les affectations des parcelles sont diverses : activités tertiaires ou résidentielles. La création d’un réseau de froid Sud-Est accompagne rigoureusement cet aménagement. Le dernier-né, le réseau de froid Nord-Est, dans le quar-

169

La chimie et les grandes villes

Figure 8 Carte de l’ensemble du réseau de froid de parisien.

tier de la porte d’Aubervilliers, a une conception particulière. Il est mixte avec le réseau de chaleur et comprend des thermo-frigopompes12, qui produisent à la fois du froid – valorisé sur le réseau de froid – et de la chaleur – valorisée sur le réseau de chaleur. Il bénéficie d’un puits de géothermie qui permet d’aller puiser les calories complémentaires pendant l’hiver lorsqu’il n’y en a pas assez et d’aller injecter le surplus de calories en été lorsque les besoins de froid sont importants.

170

12. Thermo-frigo-pompe : pompe à chaleur permettant de chauffer en hiver et de refroidir en été.

3.3. Une expertise complète proposée par Climespace Climespace et Engie ont la capacité, ensemble, d’accompagner les villes dans la conception de leurs infrastructures énergétiques, de la spécification d’un schéma énergétique jusqu’à la construction et l’exploitation (Figure 9). Traiter ainsi ensemble toute la chaîne valeur énergétique est la meilleure façon d’assurer l’efficacité énergétique et environnementale. 3.4. Des clients variés et nombreux Les utilisateurs des réseaux de froid de Climespace

Identification des flux énergétiques

qui doivent ouvrir prochainement. D’autres usagers sont des salles de spectacle, des musées comme le musée du Louvre (son client le plus ancien), de l’hôtellerie et des bâtiments officiels et institutionnels comme l’Assemblée Nationale. Depuis 1991, la puissance cumulée du réseau n’a cessé d’évoluer, et sa consommation énergétique d’augmenter (Figure 11). On observe une légère érosion des consom-

Étude d’implantation des infrastructures

Définition du schéma de production énergétique

Obtention des permis de construire et d’exploitation

Construction des ouvrages

Réception et mise en production

Le réseau de froid urbain au cœur des enjeux énergétiques de la ville durable

couvrent pratiquement toutes les activités tertiaires (Figure 10). 70 % des clients sont des parcs de bureaux ; ils correspondent à quatre millions de mètres carré de bureau, soit environ 17 % des bureaux parisiens. Les centres commerciaux sont aussi des clients importants, comme Beaugrenelle, le Carrousel, le Forum des Halles, qui est un client historique, les Galeries Lafayette, comme aussi les magasins de la Samaritaine

Figure 9 Compétences de Climespace pour la mise en place d’un réseau de froid. Climespace assure le rôle de maîtrise d’ouvrage dans le dimensionnement, la conception, l’intégration urbaine et paysagère de ses centrales de production.

BUREAUX Allianz AXA BNP Paribas Constructa Crédit Lyonnais Gecina Generali Groupama Naxistis Scor SFL

CENTRES COMMERCIAUX Beaugrenelle Carrousel du Louvre Forum des Halles Galeries Lafayette MUSÉES, SALLES DE SPECTACLE Le Louvre Musée du quai Branly Musée Grévin Cité de la Musique Salle Pleyel La Philarmonie

PALACES Le Bristol Le Four Seasons Georges V Le Péninsula Le Meurice Le Plaza Athénée BÂTIMENTS OFFICIELS Assemblée Nationale Ministère de la Défense Ministère de l’Écologie Hôtel de Ville de Paris

Figure 10 De nombreux clients de type bureau mais aussi d’autres secteurs pour Climespace.

171

375 305 154 195

13

12

20

11

10

20

20

09

20

08

20

07

06

20

20

05

20

20

… 04

3

02 20

20

00

2

Puissance souscrite (en GW)

-2

1

00

01

-2

0

00 -2

00

20

9

00 -2

99

20

8

99 -1

98 19

19

7

99

19

97

-1

6

99

96

-1

5

99 -1

95

19

4

99 -1

94 19

19

3

99

19

93

-1

2

99 -1

19

92

99

91

90

-1

99

1

100

19

19

406

400 345

-1

La chimie et les grandes villes

450 400 350 300 250 200 150 100 50 0 –50

froid vendu (en GWh)

Figure 11 Évolution de la puissance produite et du froid vendu par Climespace entre 1990 et 2013 : on observe un développement continu du réseau depuis sa création

mations depuis les années 2000. C’est l’effet des réglementations thermiques : les objectifs assignés font que la consommation énergétique des bâtiments baisse également en froid. Climespace a plus de 600 clients (Figure 12). Qu’est ce qui les motive ? –  La durée de vie de l’équipement en froid est aussi longue que celle du bâtiment. –  La facilité de faire évoluer la puissance de l’installation : ce n’est qu’une question de clauses contractuelles avec

Répartition de la puissance souscrite par type de client

7%

Hôtels/palaces/restaurants

8% 13 % 8%

–  La fiabilité de l’exploitation est incomparable. Le réseau est conçu pour être robuste, avec sa conception maillée qui permet de suppléer à une avarie accidentelle. –  Les certifications environnementales (telle que HQE) que recherchent de plus en plus de propriétaires sont plus faciles à obtenir, car le réseau de froid lui-même est vertueux. L’efficacité énergétique et environnementale en est en effet excellente (Figure 13 et 14).

Répartition de la puissance souscrite par tranche (kW)

Bureaux

5%

l’exploitant du réseau de froid.

de 0 à 200 kW

4% 14 %

23 %

Grands magasins/commerces Organismes financiers 59 %

de 401 à 700 kW 12 %

Bâtiments publics et culturels Divers

de 201 à 400 kW

21 %

de 701 à 1 000 kW 26 %

de 1 001 kW à 2 000 kW plus de 2 000 kW

Figure 12

172

Organigramme de la clientèle de Climespace. Des clients variés pour une demande en froid variée. En 2016, plus de 600 clients font confiance à Climespace, qui propose un accompagnement et des conseils adaptés à chaque typologie de client.

Réseau CLIMESPACE

Installation autonome Système humide

Installation autonome Système sec

Figure 13 Comparaison des systèmes de production de froid pour la climatisation. Le réseau Climespace est un système plus performant.

Contenu Carbone MWh froid [kgCO2eq/MWhf]

105

104 kgeqCO2

90 75

66 kgeqCO2

Systèmes autonomes Moyenne : 85 kgeqCO2

60 45 Climespace : 35 kgeqCO2

30

Figure 14 Des émissions carbones affaiblies grâce à Climespace.

De plus, depuis 2013, Clime­ space garantit de ne faire usage que d’énergies renouvelables (Figure 15).

Figure 15 Depuis 2013, Climespace a fait le choix d’approvisionner à 100 % de ses sites de production en électricité garantie d’origine renouvelable.

Le réseau de froid urbain au cœur des enjeux énergétiques de la ville durable

4 3 2 1 0

4

Le réseau de froid pour lutter contre les émissions de CO2.

Près de 25 millions de tonnes d’équivalent CO2 sont émises chaque année par la ville de Paris, qui se décomposent en quatre grandes masses émettant à peu près à valeur s égales : tr anspor t de personnes, consommation et déchets, bâtiments, transport de marchandises (Figure 16). La climatisation sur le secteur tertiaire représente 11 % des émissions (Figure 17). Le remplacement des installations autonomes de climatisation par les réseaux de froid contribue aujourd’hui pour environ 2 % à la réduction des émissions des gaz à effet de serre de la ville de Paris.

173

% 1 +

–1

24,6 millions tonnes eq. CO2

%

6 440 000 6 446 000

%

5 760 000

5 778 000

7

%

–2% depuis 2004

+

État du bilan carbone de Paris en 2009. Sur le seul secteur du bâtiment parisien, la consommation énergétique de 30 677 GWh représente l’émission de 5 760 000 tonnes équivalent carbone.

BILAN CARBONE® DE PARIS ÉDITION 2009

–8

La chimie et les grandes villes

Figure 16

–11 000

ts de Tra pe nsp rs or on t ne de s m Tra ar ns ch p o an r Co di t ns om ses m et ati dé on ch s et s Es pa ce sv er ts

Bâ t

Quel temps fait-on demain ?

In d

us

im

tri

en

es

165 000

PLAN PARISIEN de lutte contre le dérèglement

climatique

1 %

2 705 000

LES USAGES DANS LE SECTEUR TERTIAIRE

–1

%

2 640 000

BÂTIMENTS 5 760 000 tonnes eq. CO2

7%

3%

9% 44 %

%

11 % +3

La climatisation dans le secteur tertiaire : une source importante d’émission. Le secteur tertiaire pèse pour près de la moitié des émissions du bâtiment dans Paris. La consommation énergétique des bâtiments tertiaires est principalement générée par les besoins de chauffage et de climatisation, suivis par ceux de l’éclairage et l’informatique.

–7

Figure 17

415 000

26 % Tertiaire

Résidentiel Construction et voirie

Chauffage Éclairage, informatique Climatisation

Eau chaude et sanitaire Cuisson Process

La climatisation est à prendre au sérieux

174

Les besoins ont changé. Le temps de présence en bureau des adultes au travail n’a plus rien à voir avec celui des générations antérieures. La distribution des produits de consommation se fait selon des méthodes également toutes différentes, avec des centres commerciaux qui ne ressemblent plus aux petits commerces d’autrefois. Les besoins en confort des habitants des villes sont aussi nouveaux. Tous ces changements qui marquent notre « civilisation » imposent la climatisation comme

Le réseau de froid urbain au cœur des enjeux énergétiques de la ville durable

un équipement obligatoire. À l’instar de ce qui se fait pour l’électricité, l’eau ou les télécoms, il faut distribuer le froid aux logements et aux bureaux globalement à l’échelle des quartiers urbains et donc par l’installation et l’exploitation de réseaux. L’exemple des réseaux de froid de Climespace pour la ville de Paris montre que c’est possible, que le savoir-faire existe, que les usagers le comprennent et le mettent en pratique. L’équipement en climatisation illustre ainsi les avantages énergétiques et environnementaux d’actions collectives et techniquement innovantes.

175

de la

révolution

performance

énergétique des

bâtiments

François Michel est diplômé de l’École polytechnique et ingénieur en chef des mines. Il a débuté sa carrière d’abord comme ingénieur au sein d’Alstom puis comme économiste au sein du ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie puis au FMI. Après avoir été trois ans conseiller technique finances publiques à la Présidence de la République, il a rejoint le groupe Saint-Gobain comme directeur de la stratégie et du plan en 2012. Depuis 2015, il dirige l’activité plafonds de Saint-Gobain, dont fait partie le groupe Ecophon (Encart : « Saint-Gobain en quelque mots »).

Partout dans le monde, les méthodes de construction ont engagé une mutation accélérée vers davantage d’innovation et d’efficacité. Il y a eu de telles révolutions par le passé. Aux États-Unis, Chicago a émergé notamment parce que ce fut la première ville à utiliser le « ballon framing », une méthode de construction beaucoup plus rapide que ce qui était réalisé jusqu’alors dans les années 1830-1850, utilisant des charpentes allégées. On peut de même penser au développement des bâtis en béton, en France à partir de 1906. La révolution actuelle, toute aussi importante, n’est pas

liée à un mode de construction particulier, mais à un certain nombre de facteurs que nous allons voir. Elle fait suite à trente à quarante ans de stagnation ou de déclin de la productivité dans le domaine de la construction, largement accompagnés par un faible rythme d’innovation. Il est intéressant de voir que ce déclin de productivité est attesté dans tous les pays développés notamment dans les pays anglo-saxons : un très célèbre article de Steve Allen de 1985 en fait état aux ÉtatsUnis. Depuis lors, un grand nombre d’articles ont montré une tendance similaire aux États-Unis, au Canada,

François Michel

La discrète

La chimie et les grandes villes

SAINT-GOBAIN EN QUELQUES MOTS Saint-Gobain est un groupe très ancien déjà présent au xviie siècle. La Figure 1 donne quelques chiffres clés sur cette entreprise internationale spécialisée dans l’habitat.

Figure 1 Quelques chiffres sur Saint-Gobain et répartition des marchés du groupe, en % du chiffre d’affaires.

Ce savoir-faire sur les matériaux se décline en plusieurs aspects. Saint-Gobain a été classé, et est toujours régulièrement classé, parmi les cent groupes les plus innovants au monde. Le groupe dispose de capacités de recherche importantes : 3 700 personnes travaillent en recherche et développement et déposent 350 brevets par an. La recherche est répartie sur huit centres transversaux de recherche, dont quatre en Europe, un très gros centre aux États-Unis à Northboro et trois centres récemment ouverts en pays émergents : au Brésil, en Inde et en Chine (Figure 2). Figure 2 Saint-Gobain innove partout dans le monde.

178

Cette situation est en train de se retourner et nous allons voir pourquoi.

1

L’innovation dans l’habitat

1.1. Les raisons du développement 1.1.1. Le développement des technologies de l’information Il faut bien percevoir que le monde du bâtiment reste, dans une très large part, artisanal, avec un grand nombre d’acteurs dans des chaînes de valeurs qui sont assez peu structurées. Il a été industrialisé dans le domaine de la fabrication de matériaux ou pour certaines étapes de construction. Grâce au développement des technologies de l’information et de la modélisation des données du bâtiment2 (BIM ou 1. Allen, Steven G. (1985). « Why Construction Industry Productivity is Declining », Review of Economics and Statistics, Vol. LXVII, No. 4 ; Sveikauskas L., Rowe S., Mildenberger J., Price J., Young A. (2016). « Productivity Growth in Construction », J. Constr. Eng. Manage ; Changali S., Mohammad A., van Nieuwland M. (2015). « The construction productivity imperative », McKinsey. 2. Modélisation des données du bâtiment (ou BIM pour Building Information Model) : processus qui implique la création et l’utilisation d’un modèle 3D intelligent pour prendre de meilleures décisions concernant un projet et les communiquer. Cela permet notamment aux équipes de concevoir, visualiser, simuler et collaborer plus facilement tout au long du cycle de vie du projet.

« Building Information Model »), on est maintenant capable de donner de la cohérence au partage et à la structuration de l’information depuis la production des matériaux jusqu’à leur utilisation finale sur le terrain. C’est une évolution qui entraîne des gains de productivité1 : l’étude d’un chercheur canadien sur ce sujet montre un doublement, voire un triplement, de la productivité dans le bâtiment grâce à l’utilisation des outils informatiques aujourd’hui disponibles. La modélisation des données du bâtiment est devenue obligatoire pour l’ensemble des contrats publics d’ores et déjà en Angleterre, et elle est en passe de devenir obligatoire pour les contrats publics dans l’ensemble des pays de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) ; c’est donc un grand mouvement de fond qui est déjà en cours.

La discrète révolution de la performance énergétique des bâtiments

aux Pays-Bas, en Suède, en Allemagne, en France, etc.1

En pratique, l’utilisation du BIM consiste, dès la conception du bâtiment, à attacher à chaque matériau de construction, à chaque plaque de plâtre par exemple, une référence numérique décrivant ses propriétés. Cette référence est intégrée dans une base documentaire numérique de conception classique, tel qu’il en existe sur le marché. Cela permet à l’ensemble des personnes qui travaillent dans la chaîne de construction du bâtiment depuis sa conception – les architectes, les acousticiens, l’ensemble des ingénieurs, jusqu’au poseur et même jusqu’au distributeur –

179

La chimie et les grandes villes

de partager la même base documentaire. Il en résulte une optimisation tout au long de la chaîne de la construction, de la fabrication des matériaux jusqu’à leur livraison sur le chantier et même après la construction lors de l’utilisation finale. Cette révolution informatique est portée par des majors de l’industrie informatique comme Autodesk. 1.2.2. Les conséquences sociétales de l’optimisation de la qualité de l’habitat Grâce à cette profusion d’informations, la demande de sécurité, de confort, de santé, en fait de bien-être dans l’habitat augmente pour une raison structurelle, qui est que les bénéfices de la performance et du bien-être deviennent mesurables. On s ait maintenant par exemple que lorsque le bruit de fond dans une classe augmente de 10 dB, la performance des élèves diminue de 5 à 7 points (selon les scores SAT 3). On sait aussi que cela conduit ces élèves à parler 10 dB plus fort, et que leur capacité à comprendre des énoncés exprimés en langage simple est diminuée de 25 %. On sait enfin que les élèves les plus perturbés sont ceux qui ont le plus de mal à comprendre, ou ceux dont la langue maternelle n’est pas celle qui est enseignée dans la classe. De plus, cela fait courir au professeur ou au présentateur des risques de

180

3. SAT : examen standardisé sur une base nationale et utilisé pour l’admission aux universités des États-Unis.

stress puisque son rythme cardiaque augmente d’environ une dizaine de battements par minutes s’il y a du bruit. Cet exemple en matière d’acoustique pourrait être élargi à d’autres domaines comme l’éclairage ou la qualité de l’air intérieur. On peut depuis une quinzaine d’années mettre des valeurs mesurables sur l’amélioration du confort dans l’habitat. Par exemple, une étude p ub l ique 4 , acce s sib le à tous, et réalisée dans le Massachussetts, montre que dans un bâtiment construit selon les dernières réglementations, la productivité des employés s’accroît de 7,1 % par rapport à celle observée dans un bâtiment ancien. 1.2.3. L’impact des actions gouvernementales La troisième raison de cette évolution est que les gouver4. Seddigh et coll. (2015). « Effect of variation in noise absorption in open-plan office: A field study with a cross-over design », Journal of Environmental Psychology ; Fried et coll. (2002). « The joint effects of noise, job complexity and gender on employee sickness absence », Journal of occupational and organizational psychology, 75 : 131-144 ; « Room Acoustics and Cognitive Load when Listening to Speech » (2010), Luleå University of Technology in Sweden/University of Gävle ; Buxton et coll. (2012). « Sleep disruption due to hospital noises », Ann. Inter. Med., 157 : 170-179 ; Hagerman et coll. (2005). « Influence of intensive coronary care acoustics on the quality of care and physiological state of patients », International Journal of Cardiology, 98 : 267-270 ; www. acousticbulletin.com ; www.usgbc. org/articles/business-case-greenbuilding.

2

Le gain potentiel d’efficacité énergétique des bâtiments

Les ordres de grandeur des économies atteignables sont très importants.

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2018

2019

2020

Belgique Allemagne Italie Espagne Autriche Pologne Rép. Tchèque Roumanie Suède Danemark R.-U.

Finlande

BBC ou zéro énergie

Figure 3 Renforcement des normes énergétiques dans le bâtiment dans les pays européens. Source : Saint-Gobain.

énergétique plus carboné que la moyenne, avec principalement du gaz et des produits pétroliers (Figure 6). La facture moyenne de chauffage, évaluée à 1 400 € par ménage et par an en France, est significative. Nous consommons beaucoup parce que le parc de logement est peu efficace du point de vue énergétique. Les

2.1. Le parc de bâtiments résidentiels est gros consommateur d’énergie

Le chauffage est le premier poste de consommation énergétique dans le secteur du bâtiment et il utilise un mix

2017

Pays-Bas

Sidérurgie 3%

Le bâtiment, on ne le sait pas suffisamment, représente en moyenne en Europe environ 40 % de la facture énergétique (Figure 4). La consommation dans le bâtiment a plutôt tendance à augmenter alors que dans les autres secteurs elle a plutôt tendance à diminuer ou à stagner (Figure 5).

2016

La discrète révolution de la performance énergétique des bâtiments

nements ont pris conscience de l’importance des conséquences de l’innovation dans le bâtiment Après avoir déploré la baisse de la productivité dans le bâtiment durant plusieurs décennies, ils ont réalisé que ce domaine représentait potentiellement un énorme gisement de croissance, d’innovation, et aussi un grand gisement d’économies d’énergie. Par conséquent, les gouvernements ont fortement soutenu l’adoption de normes de plus en plus contraignantes en termes d’efficacité énergétique, mais également des plans de formation des artisans pour essayer de soutenir l’ensemble des filières correspondantes (Figure 3).

120 100

Transport 32 %

Industrie 18 %

80 60

Agriuclture 3%

Bâtiment 44 %

40

2000 Total

Figure 4 Consommation finale d’énergie par secteur en Europe en tep en 2011 (corrigée des variations climatiques). tep (tonne d’équivalent pétrole) : unité de mesure de l’énergie, correspondant au pouvoir calorifique d’une tonne de pétrole « moyenne » (soit 41,868 GJ). Source : base de données Pégase, SOeS.

2005 Industrie

Bâtiments

2010 Transport

Figure 5 Évolution de la consommation d’énergie finale par secteur en Europe (base 100 : 2000). Source : base de données Pégase, SOeS.

181

La chimie et les grandes villes

12 %

15 %

5%

32 %

21 % 48 %

10 % 70 %

56 %

A

32 %

B Renouvelables et autres Gaz et produits pétroliers Électricité

C Chauffage Eau chaude sanitaire Cuisson Électricité spécifique

Renouvelables et autres Gaz et produits pétroliers Électricité

Figure 6 Le chauffage dans les bâtiments d’habitation. A) Consommation d’énergie finale du chauffage par source ; B) consommation d’énergie finale par usage dans le résidentiel en Mtep : le chauffage représente plus de la moitié de cette consommation ; C) consommation d’énergie finale des autres usages par source.

maisons individuelles consomment les 2/3 du chauffage, alors qu’elles ne représentent que la moitié du parc bâti. Les logements collectifs représentent 19 % de la consommation énergétique pour 25 % de la surface construite. Le reste est marginal.

Logements sociaux

12

Logements construits entre 2000 et 2007

10

Logements construits entre 1975 et 2000

8

Logements construits avant1975

6

8 6

2

2

B

< 50

50-90

C

D

E

F

G

H

I

Logements collectifs Logements sociaux

10

4

A

Maisons individuelles

12

4

A

La Figure 7 compare la consommation moyenne du parc résidentiel français selon les typologies de logement : elle est en moyenne de 274 kWh d’éner-

Millions de logements

Millions de logements

0

Le parc résidentiel consomme donc beaucoup pour le chauffage, et principalement dans les maisons individuelles.

0

90-150 150-230 230-330 330-450 450-600 600-800 > 800

(kWhep/m2/an)

A

B

< 50

50-90

C

D

E

F

G

H

I

90-150 150-230 230-330 330-450 450-600 600-800 > 800

B

Figure 7

182

Analyse de la consommation énergétique résidentielle selon les types d’habitation. A) Répartition des logements de différentes époques en fonction de leur consommation énergétique ; B) répartition des différents types de logements de différentes époques en fonction de leur consommation énergétique. Source : ANAH, 2008.

La proportion de maisons individuelles n’est pas le seul facteur en cause dans la facture énergétique. Par exemple, le parc francilien est aussi énergivore que la moyenne nationale, avec 45 % des logements dans les classes les plus basses, alors qu’il n’y a que 27 % de maisons individuelles dans cette région, et que les logements sont bien plus petits que dans le reste du pays. Il y a aussi des causes structurelles, comme la forte proportion de bâtis en pur béton d’après-guerre, avec des grandes surfaces vitrées en simple vitrage, et le faible taux de rotation du parc qui entraîne un taux de travaux d’isolation extrêmement limité.

La discrète révolution de la performance énergétique des bâtiments

gie primaire5 par m² et par an, alors que dans les bâtiments modernes on peut descendre en dessous de 50.

réglementation thermique récente (Figure 8). Donc plus de 40 % de la facture énergétique collective du pays pourrait être comprimée d’un ordre de grandeur entre 3 et 10 ! Si les exigences d’efficacité de la RT 2005 étaient appliquées au stock de bâti en Europe, on économiserait 500 Mtep, c’est-à-dire l’équivalent de la consommation d’énergie primaire de la France et de l’Allemagne réunies (Figure 9). Mais il faut parler du coût : cette rénovation thermique est-elle

kWhep/m2/an

Consommation d’une maison de 160 m2, 4 pièces

600 500

Électroménager

400

Éclairage Eau chaude sanitaire

300

Chauffage

200

2.2. Comment réduire la consommation d’énergie dans le bâtiment ? 2.2.1. Les nouvelles réglementations thermiques Dans le neuf, les réglementations ther miques permettent de comprimer significativement la consommation d’énergie primaire par le chauffage : en effet, la facture de chauffage d’une maison ou d’un bâtiment dans l’ancien avec la réglementation thermique de 2005 est entre 3 à 10 fois plus élevée que pour les bâtiments respectant la

100 0 Ancien

RT2005

RT2012

Passive

Figure 8 Évolution de la consommation d’une maison de 160 m² (4 pièces) en fonction des réglementations successives. Source : Saint-Gobain. Mtep 800 700 600 500

Actuel

400

RT2005

300 200 100 0

5. Énergie primaire : forme d’énergie disponible dans la nature avant toute transformation. Si elle n’est pas utilisable directement, elle doit être transformée en une source d’énergie secondaire pour être utilisable et transportable facilement.

Habitat

Transport

Industrie

Figure 9 Modélisation des économies d’énergie pouvant être réalisées dans différents secteurs grâce à l’application de la réglementation thermique RT 2005. Source : Eurostat.

183

La chimie et les grandes villes

possible et souhaitable même si elle coûte très cher ? 2.2.2. Exemple de rénovation thermique Prenons l’exemple d’une maison typique française individuelle, de plain-pied, de 160 m², localisée dans le nord ou dans l’est du pays (ce qui représente le cas de 30 % du parc français) ; pour une facture d’investissement d’une dizaine de milliers d’euros, il est possible de diviser la facture de chauffage par deux. L’investissement est rentabilisé en sept ans sans même prendre en compte la valorisation du bien. Lorsque les travaux de rénovation ­thermique s’inscrivent dans un bouquet de travaux d’entretien – rénovation plus large (ravalement de façade, rénovation de t­ oiture…) –,

EXEMPLE D’UNE MAISON INDIVIDUELLE DE PLAIN-PIED, DE CLASSE F OU INFERIEURE, EN ZONE CLIMATIQUE H1

le temps de ­retour sur inves­ tissement est encore réduit. Une politique structurée pour favoriser la rénovation énergétique, et en fait l’isolation globale du parc, peut donc créer beaucoup de richesse et réduire énormément notre empreinte carbone6 (Encart : « Exemple d’une maison individuelle »).

3

Les matériaux pour répondre à ces enjeux ?

De nombreux systèmes sont déjà disponibles sur le marché pour aider à optimiser la facture d’énergie : par exemple, des systèmes qui éteignent la lumière ou le chauffage quand on quitte une pièce. Les retours sur investissement de ces systèmes peuvent être très bons dans certains cas, mais il ne faut pas oublier, comme on l’a vu, que les économies d’énergie ainsi atteignables sont faibles en proportion de la consommation énergétique totale d’une habitation. 3.1. Rentabilité des solutions actives ou passives

consommation énergétique en kWh/m2/an en énergie primaire

Logement économe < 50

A

51 à 90 91 à 150

B C

151 à 230

Figure 10

D

231 à 330 331 à 450 > 450

E F G

Logement énergivore

Combles Perdus

1 500 €

Isolation Thermique par l’Intérieur

5 200 €

Fenêtres PVC-double Vitrage

3 600 €

Ajout d’une VMC Simple flux 184

Classification des logements en fonction de leur consommation d’énergie.

Total :

800 € 11 100 €

L’analyse macro montre en effet que, dans le cas du bâti résidentiel occupé la nuit, la solution la plus puissante pour faire des économies consiste à utiliser des solutions passives, c’est-à-dire d’isoler le bâtiment, tandis que dans le cas des bâtiments utilisés quelques heures par jour, comme des écoles ou du tertiaire, les solutions actives ont du sens (Figure 11). 6. Empreinte carbone : quantité de dioxyde de carbone émise par une activité ou une organisation.

Émission CO2 Consommation énergie kWh

55,7 %

22,5 %

63,2 %

Maison individuelle 51,7 %

19,2 %

Immeuble collectif 25,3 %

Surface m2 5,4 %

5,4 %

7,1 %

3,9 %

4,5 %

4,3 %

5,7 %

3,1 %

Bureau 5,1 %

Commerce/restaurant Enseignement/santé 6,1 % 7,5 %

Autres 4,1 %

Rentabilité des solutions actives Figure 11 Comparaison des rentabilités des solutions actives et passives (isolation) pour le chauffage des bâtiments. Plus le temps d’occupation du bâtiment est important plus les solutions passives vont être privilégiées aux solutions actives. Source : MEDDE, Saint-Gobain.

3.2. Les nouveaux matériaux d’isolation Il existe aujourd’hui des solutions complètes pour traiter toutes les sources de déperdition de chaleur dans les bâtiments, que ce soit au niveau des murs, des vitrages, des combles ou des sols. Les principaux matériaux isolants utilisés en France sont la laine de verre, la laine de roche, les mousses, le polystyrène expansé7, le polystyrène extrudé8, etc. (Figure 12) 7. Polystyrène expansé : c’est la forme la plus courante du polystyrène, il se présente sous forme de petites billes blanches et est utilisé pour protéger des chocs ou comme isolant thermique ou phonique. 8. Polystyrène extrudé : c’est un isolant de couleur bleue réalisé à partir de polystyrène et de gaz. Il prend souvent la forme de panneaux à bords lisses ou bouvetés. Il est utilisé pour isoler des chapes ou des sous-planchers.

La discrète révolution de la performance énergétique des bâtiments

Rentabilité des solutions passives

On caractérise le pouvoir d’isolation d’un matériau par sa conductivité thermique λ, qui est la quantité de chaleur par unité de surface et par unité de temps qui passe sous un gradient de température9 de 1 degré par mètre. Le béton armé a un λ de 2 300 mW/m.K, le bois de 230, et la laine de verre de l’ordre de 30 ou 40. La laine de verre est un matériau plus de 70 fois plus isolant que le béton. Beaucoup de recherches sont encore menées pour améliorer les performances de ces matériaux. La laine de verre par exemple est un matériau extrêmement complexe constitué de fibres de tailles et de compositions très différentes, associées par des 9. Gradient (de température) : taux de variation d’un élément (ici la température) en fonction de la distance.

185

La chimie et les grandes villes

Figure 12 La laine de verre, la laine de roche, les mousses, etc., permettent de limiter les déperditions de chaleur dans les bâtiments, que ce soit au niveau des murs, des vitrages, des combles ou des sols. Source : Fotolia.com - Cyril Comtat.

liants variés dont certains sont maintenant organiques et non issus de produits pétroliers. Les recherches dans ce domaine sont importantes et mobilisent de nombreux chimistes, d’autant plus que les nouvelles générations de matériaux d’isolations sont biosourcés10. Ces matériaux biosourcés sont encore un peu moins efficaces en termes de productivité thermique mais ils répondent à une demande sociale importante. Au-delà de l’augmentation de la performance des matériaux,

186

10. Matériau biosourcé : matériau issu de la biomasse d’origine animale ou végétale. Dans le bâtiment, les matériaux biosourcés les plus utilisés sont le bois, la paille, la chènevotte (chanvre), la ouate de cellulose, le liège, le lin et la laine de mouton. On parle parfois aussi de biomatériaux ou d’agroressources.

les ingénieurs travaillent sur des systèmes de plus en plus complexes. Par exemple, le traitement de l’étanchéité à l’air des bâtiments a commencé bien avant la mise en place de la réglementation thermique 2012, date à laquelle il est devenu obligatoire, pour éviter des déperditions thermiques, d’optimiser les rendements de VMC, etc. Pour gérer cette étanchéité à l’air, on utilise notamment des membranes ou des mortiers chimiquement de plus en plus complexes. L’autre exemple dont le traitement exige des systèmes de plus en plus complexes est celui des ponts thermiques, c’est-à-dire la déperdition de chaleur à l’interface entre deux parois (due par exemple à un lien métallique entre deux parois). Dans certains pays plus avancés que la France en matière

Grace aux nouveaux matériaux, on sait maintenant développer des systèmes ITE en préservant l’esthétique des bâtiments. L’image par caméra thermique de la Figure 14B montre les gains en termes de déperdition. D’autres nouveaux matériaux plus isolants que la laine de verre sont déjà disponibles et utilisés notamment dans l’électroménager (Figure 15A). Les aérogels de silice sont des composés de silice amorphe12 très légère, contenant de grandes quantités d’air piégé dans des pores de taille nanométrique ; ils atteignent une λ entre 12 et 17, soit la moitié ou le tiers de celle de la laine de verre. Les panneaux sous vide 11. ITE (Isolation Thermique par l’Extérieur) : technique consistant à poser l’isolant sur les murs extérieurs d’un bâtiment. Cette technique permet de réaliser des économies d’énergies substantielles tout en améliorant l’isolation acoustique de la construction. 12. Amorphe : se dit d’un composé dans lequel les atomes ne respectent aucun ordre à moyenne et grande distance, ce qui le distingue des composés cristallisés.

4 1

6 2

5 3

1 Colle 2 Isolant 3 Fixation mécanique 4 Renforcement 5 Sous-enduit

La discrète révolution de la performance énergétique des bâtiments

d’isolation du parc bâti existant, se développe l’isolation par l’extérieur (l’ITE11), et notamment l’isolation par façade ventilée. Ces systèmes, qui combinent des isolants traditionnels (laines minérales, mousses) et des mortiers isolants (Figure 13), ont des propriétés bien identifiées, conçues en matière de résistance à l’eau, de respiration et évidemment d’isolation. Ils représentent un potentiel important en termes de création de valeur industrielle et d’ingénierie.

6 Enduit

Figure 13 Éléments constitutifs d’une Isolation Thermique par l’Extérieur (ITE) (colle, isolant, armature, renforcement, sous-enduit, enduit).

atteignent des performances encore supérieures, au prix de contraintes d’utilisation plus importantes (Figure 15B). Mais les panneaux sous vide ne peuvent être encore utilisés dans le bâtiment car il est par exemple impossible d’y planter un clou ! La recherche se poursuit dans ces deux directions. Il y a encore d’autres pistes, comme l’exploitation des changements de phase des matériaux, pour permettre de réguler la température interne des bâtiments et pour réduire les consommations énergétiques pour les besoins de climatisation et de chauffage.

187

La chimie et les grandes villes A

B

Figure 14 Effet de l’installation de systèmes d’isolation thermique par l’extérieur (ITE). A) Bâtiment avant isolation par l’extérieur ; B) bâtiment après isolation par l’extérieur. En bas figurent les images thermiques du bâtiment. Source : Saint-Gobain.

A

B

Figure 15 Nouveaux matériaux pour l’isolation thermique. Des super isolants, déjà largement utilisés dans l’électroménager, aux propriétés isolantes 2 à 8 fois supérieures à la laine de verre : A) des aérogels de silice ; B) des panneaux sous vide. Source : Saint-Gobain.

3.3. Les nouveaux vitrages

188

On sait maintenant fabriquer des verres à microcouches métalliques pour rediriger la chaleur sans amoindrir l’apport lumineux des surfaces vitrées. Ici, on parle de coefficient de transmission thermique, qui est l’équivalent pour le

vitrage de la conductivité thermique λ. Entre un double-­ vitrage commercialisé d’il y a une vingtaine d’années et un double-vitrage d’aujourd’hui, la déperdition énergétique a été divisée par un peu plus de deux (Figure 16). L’utilisation de ces vitrages améliore non

B

Figure 16 Amélioration de la qualité thermique des vitrages. A) Des vitrages bas-émissifs avec des microcouches métalliques invisibles déposées sur du verre laissent passer les rayons du soleil mais réfléchissent les rayonnements infrarouges des appareils de chauffage pour les rediriger vers l’intérieur. Montés en double ou triple vitrage, ils permettent de limiter les déperditions de chaleur et d’améliorer l’impression de confort ; B) comparaison des performances énergétiques de différents types de vitrage. Source : Saint-Gobain. 

seulement l’isolation du bâtiment, mais optimise aussi les apports solaires, entraînant ainsi un gain en qualité de vie et en productivité dans les entreprises, et une diminution des besoins d’éclairage. Les vitrages électrochromes constituent un autre type de vitrage innovant en passe de se démocratiser, notamment sur le non résidentiel. Ce sont des vitrages dont on peut

La discrète révolution de la performance énergétique des bâtiments

A

contrôler la teinte par un courant électrique, ce qui permet aussi de contrôler les apports solaires (Figure 17). En cas de surexposition, ils permettent de commander de manière active la teinte du vitrage et de réduire massivement les besoins de climatisation dans les zones chaudes. Un grand nombre de travaux ont aussi été réalisés pour optimiser les apports de lumière

Figure 17 Exemples de vitrages électrochromes commercialisés par Saint-Gobain sous la marque Sage. Source : Saint-Gobain.

189

La chimie et les grandes villes

Les effets sont mesurables en termes d’économie d’énergie et de confort. Un travail de modélisation et d’optimisation est effectué dans cet objectif, associé à un grand nombre de tests grandeur nature.

Plafonds de couleur claire sur le dessus des fenêtres

Lucarnes orientées nord pour les pièces intérieures ou les pièces profondes

Mur ou clôture réfléchissante du nord

Patio réfléchissant Nord

Figure 18 Le « daylighting » permet d’accroître les surfaces vitrées et rediriger la lumière naturelle par des surfaces réfléchissantes, ce qui permet des économies d’énergie et un confort visuel dans les bâtiments résidentiels comme les bureaux.

naturelle dans les bâtiments, d’une part en augmentant les surfaces vitrées, d’autre part en redirigeant la lumière naturelle par des surfaces réfléchissantes (Figure 18).

Un test grandeur nature a été réalisé avec une maison traditionnelle anglaise, « Energy House », qui a été réalisée dans le cadre d’une collaboration entre Stanford University, Leeds University et Saint-Gobain Recherche. On peut faire reproduire en grandeur réelle les conditions météorologiques extérieures, par exemple la pluie (jusqu’à 200 mm d’eau par heure), la température (–12 °C à 30 °C) ou le vent, localisé ou non. Selon les différents types de matériaux et les différents types de systèmes utilisés pour isoler ou pour contrôler la maison, on mesure les conséquences de ces différents facteurs avec l’aide de plus de 2 milliers de capteurs.

L’habitat, un domaine en pleine révolution technologique Ce panorama du mouvement en cours dans l’industrie de la construction montre l’importance de l’évolution technologique qui, dans les dix ou vingt prochaines années, se développera pour accompagner l’amélioration de l’efficacité énergétique et le confort des bâtiments. Il y a évidemment une grande place pour les apports de la chimie qui est partout présente ; le numérique et la modélisation y sont aussi étroitement associés. 190

nuisances thermiques, odeurs

Jacques Moussafir est ingénieur civil de l’École des Mines de Paris et docteur-ingénieur de l’Université Pierre et Marie Curie. Il est l’un des trois fondateurs et le PDG de ARIA Technologies SA1.

1 Pollution atmosphérique  : de  la  planète à la rue L’approche de l’étude de l a p o l l u tio n atm o s p h é rique développée chez ARIA Technologies est celle de la modélisation, c’est-à-dire du calcul scientifique qui résout les équations de la mécanique des fluides et de la chimie de l’atmosphère pour calculer l’évolution de la pollution atmosphérique, à partir de données sur conditions initiales et les conditions de forçage concernant la météorologie (vent, température, humidité, turbulence, rayonnement, nuages), et les émissions de toutes origines. Cette approche scientifique est classique dans les problèmes multi-échelles, comme ceux 1. www.aria.fr

qui sont abordés en météorologie. On s’intéressera en priorité au transport et à la dispersion des polluants qui ont un effet sur la santé, et secondairement à la question des nuisances olfactives qui peuvent résulter de la concentration aérienne en substances odorantes. Les Figures 1 et 2 illustrent l’aspect multi-échelles du problème. La Figure 1 est une extraction, à une heure donnée (ici le mercredi 9 novembre 2016 à 14 h 00), des calculs de prévision de la pollution atmosphérique du système COPERNICUS, système cogéré par plusieurs pays de l’Union Européenne et hébergé par le Centre Européen de Prévision Météorologique à Moyen Terme. Ce système

Jacques Moussafir

défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, Les

La chimie et les grandes villes

Figure 1 Carte du globe montrant la présence importante de la pollution atmosphérique sur l’Europe et l’Asie.

fait tourner un ensemble de modèles pour décrire l’évolution de la pollution atmosphérique sur le globe2. La Figure 1 représente un planisphère étalé, et les aplats de couleur sont fonction de la concentration massique en particules dénommées PM310 (les particules dont le diamètre est inférieur à 10 microns). La Figure 2 présente une carte du nuage de PM2,5 sur l’Europe. Aujourd’hui, le système européen COPERNICUS est capable de faire des prévisions, avec une résolution de 10 km sur l’Europe et de 50 ou

194

2. www.copernicus.eu 3. PM : particules en suspension : les microparticules de la taille du micromètre (µm) sont mesurées dans l’air à travers : des particules PM10, de taille inférieure à 10 µm (6 à 8 fois plus petites que l’épaisseur d’un cheveu ou que la taille d’une cellule) et qui pénètrent dans l’appareil respiratoire ; des particules fines ou PM2,5, inférieures ou égales à 2,5 µm (comme les bactéries) et qui peuvent se loger dans les ramifications les plus profondes des voies respiratoires (alvéoles).

80 km sur le reste du globe, de l’évolution de la pollution atmosphérique moyenne dite « de fond ». On utilise l’expression « pollution de fond » pour caractériser ces valeurs moyennes prévues sur des mailles représentant un rectangle de 10 km de côté (pour la meilleure résolution disponible en 2016), et donc ces valeurs moyennes sont inférieures aux valeurs moyennes plus fortes que l’on pourrait obtenir en examinant une maille de 200 mètres de côté placée sur une grande place d’une grande ville, tout près des émissions du trafic automobile par exemple. À la résolution de 10 km, l’ensemble de Paris intra-muros est représenté par une seule maille, et on affectera une seule valeur moyenne de concentration en PM10 pour toute la ville, alors que si l’on veut comprendre les valeurs moyennes maximum observées le long des axes routiers ou sur la Place de l’Étoile à Paris, il faudra utiliser une résolution de quelques mètres ou quelques dizaines de mètres.

Carte montrant la distribution spatiale instantanée de la concentration aérienne en particules de moins de 2,5 microns pour une heure donnée sur l’Europe. Au moment où cette carte est réalisée, la France paraît épargnée par rapport au reste de l’Europe, mais cela n’est pas significatif puisque la carte change toutes les heures.

On dispose ainsi d’un système météorologique mondial du calcul de la pollution atmosphérique où les européens ont une petite longueur d’avance. Les deux cartes précédentes donnent des représentations de la pollution respectivement à l’échelle de la planète et à l’échelle de l’Europe. En fait, on veut souvent connaître la pollution à l’échelle de la rue – de l’école ou de la piste de jogging… En termes techniques de modélisateur, on dit qu’on a affaire à un problème de descente d’échelle. On part de champs météorologiques, ici en jaune sur la Figure 3A, sur le nord de la France, et de champs de pollution d’échelle moyenne, c’est-àdire à mailles de plusieurs kilomètres de côté. On rajoute ensuite à haute résolution les émissions détaillées, celles du trafic (Figure 3B), des cheminées, du chauffage domestique. Cela permet de dresser des cartes de la qualité de l’air à l’échelle locale (Figure 3C),

ce qui constitue l’objectif principal. Cette approche de calcul principalement déterministe, couplée aux mesures de pollution réalisées avec des micro-capteurs, est la méthode choisie pour établir une cartographie utilisable. Cette prévision déterministe a, tout au moins selon nos chercheurs, plus d’avenir que la seule prévision statistique. Les météorologues sont d’ailleurs engagés dans la même stratégie depuis le milieu du XXe siècle : on obtient (ou on obtiendra sans doute à terme) des résultats de prévision de meilleure qualité en utilisant des calculs déterministes couplés à de l’assimilation de données de mesures, plutôt que des méthodes statistiques seulement. Le regain d’intérêt actuel pour les méthodes statistiques innovantes s’appuyant sur des quantités massives de données (sous la dénomination séduisante de Big Data) ne doit pas masquer cette réalité. Il est vrai que les calculs

Les défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, nuisances thermiques, odeurs

Figure 2

195

La chimie et les grandes villes

A

Météo et pollution de fond

Émissions du trafic

Qualité de l’air locale

Vent à 10 m (m/s) NCEP/AVN+MMS pour le 2013-06-18 09:00 TU

20 19 18 17 16 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0

2450

2400

2350 550

600

650

400 340 275 240 200 180 165 150 135 120 110 100 85 70 55 45 30 15 0

B C

Figure 3 Cartes de qualité de l’air à différentes échelles. A) Cartes du champ de vent (en haut, en jaune) et de la pollution de fond (en bas, en bleu) dans le nord de la France : on distingue la Région Parisienne ; B) carte à haute résolution des émissions du trafic de Paris, brin par brin, à un instant donné ; C) calcul d’une carte de la qualité de l’air locale à haute résolution (3 m), faisant apparaître que la qualité de l’air est moins bonne sur les axes routiers qu’au niveau des habitations.

de prévision déterministe de la météorologie et de la qualité de l’air sont complexes et lourds et qu’ils demandent des calculateurs géants (les ordinateurs utilisés par les grands centres météorologiques sont parmi les plus puissants de la planète). Il en est ainsi en particulier du fait de la complexité de la chimie de l’atmosphère4.

2

Transport de polluants et chimie de l’atmosphère

Afin d’illustrer cette complexité, on peut considérer la question des émissions urbaines d’oxydes d’azote (NOx) et des composés organiques volatils (COV), ainsi que celle de leur contribution à la pro-

196

4. Voir aussi La chimie et la nature, chapitre d’É. Villenave, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2010.

duction d’ozone (O 3) en aval d’une grande ville (Figure 4). Il n’existe pratiquement pas d’émetteur d’ozone et donc ce constituant est uniquement produit et détruit par le jeu des réactions chimiques dans l’atmosphère. Si les masses d’air que les vents apportent sur une grande ville contiennent une certaine quantité d’ozone (résultant du transport à longue distance évoqué au paragraphe 1 à propos des sorties du système COPERNICUS), alors les fortes émissions d’oxydes d’azote de la ville vont réduire considérablement la concentration en ozone en ville, à cause du mécanisme de titration, mais le total des oxydants présents en aval de la ville en sera augmenté. Lorsque les vents transportent ce mélange de constituants réactifs en aval de la ville, où se trouve par exemple une forêt émettant beaucoup de composés or-

Pointe d’ozone rurale

VENT NOx

COV

COV

COV

COV

Figure 4 Émissions d’oxydes d’azote et d’ozone. Au-dessus de la ville, les émissions d’oxydes d’azote NOx consomment de l’ozone O3 en arrivant sur la ville. En aval, les composés organiques volatils (COV) émis par les forêts réagissent avec les oxydes d’azote pour former des pointes d’ozone rurales.

ganiques volatils comme sur la Figure 4, le jeu des réactions chimiques peut aboutir à la création d’une pointe d’ozone rurale. Le citoyen croit ainsi trouver un air sain en forêt, mais il récupère en fait, à plusieurs dizaines de kilomètres du centre-ville, les effets secondaires des émissions de pollution de la ville, encore plus qu’en ville mais sous une autre forme (ozone au lieu d’oxydes d’azote). De telles situations sont mises en évidence par les simulations effectuées quotidiennement par des organismes comme Airparif pour l’Île-de-France5, ou comme l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) pour la France et l’Europe6. Tous ces phénomènes sont très complexes, et l’objectif de la modélisation numérique est de les comprendre en détail pour tenter de les maîtriser. Avec la diversité des polluants, la chimie vient compliquer encore les choses. Les polluants ne se contentent pas en effet de se déplacer d’un point à un 5. www.airparif.asso.fr 6. www.prevair.org

autre sous l’action du vent, ils se transforment chimiquement du fait d’une multitude de réactions chimiques possibles. Le modélisateur doit donc se préoccuper de toute la riche chimie de ces transformations qu’il faut identifier, dont il faut connaître les paramètres (thermodynamiques) et dont il faut évaluer l’importance par le calcul. Bien entendu, les résultats des calculs dépendent en premier lieu de l’état initial du système et des quantités de polluants mises à l’atmosphère : il faut connaître aussi bien que possible la nature et la quantité des polluants émis par les différentes sources, ainsi que l’évolution dans le temps de la pollution de fond. Les polluants parmi les plus surveillés aujourd’hui sont l’ozone (Figure 5) et les particules fines ; ce sont des polluants dits secondaires car non émis directement, mais résultant d’un ensemble de transformations et réactions chimiques. La Figure 6, limitée au mécanisme de production de l’ozone, illustre la complexité des mécanismes de la chimie atmosphérique. Les modèles

Les défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, nuisances thermiques, odeurs

Consommation d’ozone

197

Pic du midi (1982-4 & 1990-93)

50 rapport de mélange (ppb)

La chimie et les grandes villes

Évolution de l’ozone dans la troposphère libre

60

40 30

Pfander Mountain 1940

20

Arosa 1951

Pic du midi (1874-1909)

10

Jungfraujoch 1933

Zugspitze (1977-80)

Hohenpeissenberg (1971-76) Mont Ventoux 1938

0 1880

1900

1920

1940

1960

1980

2000

Figure 5 Évolution de l’ozone dans la stratosphère libre. On observe une augmentation de la pollution de fond à l’échelle mondiale au fil des années. Source : Marenco A., Gouget H., Nédélec P., Pagés J-P. (1994). Evidence of a long-term increase in tropospheric ozone from Pic du Midi series: consequences: positive radiative forcing. J. Geophys. Res, 99 : 16,617-16,632.

Terminaison H2O2 Initiation O3 + hν

NO2 OH

+O3

+HO2 HO2

NO





O3

RO

+O3 NO

+NO2

NO2

HNO3 Terminaison

COV

Atmosphère urbaine

RO2

Propagation +RO2

ROOH Terminaison

À proximité des sites anthropiques

Figure 6 La chimie atmosphérique de l’ozone. Réactions des différentes espèces contribuant à la pollution atmosphérique. La composition de l’atmosphère urbaine dépend des activités humaines du voisinage (activités anthropiques).

198

de simulation les plus avancés comportent des dizaines d’espèces et de groupements chimiques, ainsi que des centaines de réactions. Pour des calculs significatifs, il est

nécessaire de connaître avec autant de précision que possible toutes les émissions : du trafic, du chauffage domestique, des industries, des zones agricoles voisines…

Le modèle CHIMERE est en développement continuel : si la modélisation régionale des espèces gazeuses est relativement maîtrisée, il reste encore de grandes incertitudes sur la modélisation des aérosols. Les aérosols ont des origines différentes (anthropiques et urbaines,

Les défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, nuisances thermiques, odeurs

La description détaillée de ces mécanismes sort du cadre de cet article, mais nous recommandons au lecteur la page Wikipédia et le site Internet du modèle communautaire français CHIMERE consacré à la représentation des phénomènes de pollution atmosphérique à l’échelle régionale, où l’on trouvera un ensemble de références7 complet sur ces questions. Le modèle communautaire CHIMERE est utilisé dans le système PREV’AIR en France et parmi d’autres dans le système européen COPERNICUS. C’est le résultat d’une collaboration tout à fait remarquable et durable des labor atoires de géophysique d’Île-de-France regroupés au sein de l’IPSL (Institut Pierre et Simon Laplace 8), qui développent cet outil depuis plus de vingt ans, et de l’INERIS9.

ou des aérosols de combustion de feux, ou des aérosols minéraux) et des temps de vie différents, rendant complexe leur modélisation fine. Les recherches actuelles se tournent vers les impacts sur la santé, cela incluant la conception de modèles d’exposition de la population aux différents polluants mais aussi à la prise en compte de nouvelles particules à suivre comme les pollens, très allergisants.

3

La pollution atmosphérique en ville

La pollution atmosphérique en ville porte la trace des émissions du trafic automobile (pollution de proximité). Cela est illustré par la carte de la Figure 7, qui représente les concentrations en ox ydes d’azote sur Paris, calculées avec une résolution de 3 mètres par le sys-

1000 500 200

7. www.lmd.polytechnique.fr/chimere/ 8. www.ipsl.fr 9. Colette A., Bessagnet B., Meleux F., Terrenoire E., Rouil L (2014). Frontiers in air quality modelling, Geosci. Model Dev., 7 : 203-210 ; Menut L., Bessagnet B., Khvorostyanov D., Beekmann M., Blond N., Colette A., Coll I., Curci G., Foret G., Hodzic A., Mailler S., Meleux F., Monge J.‑L., Pison I., Siour G., Turquety S., Valari M., Vautard R., Vivanco M.G. CHIMERE 2013: a model for regional atmospheric composition modelling, Geosci. Model Dev., 6 : 981-1028.

100 50 10 1 0,1

Figure 7 Concentrations en oxydes d’azote sur Paris – vue générale. La pollution atmosphérique urbaine porte la trace des émissions du trafic automobile (« pollution de proximité »). Une animation cartographique a été réalisée pour visualiser les concentrations en oxydes d’azote sur Paris, calculées avec une résolution de 3 mètres par le système AIRCITY.

199

La chimie et les grandes villes

rer à distance les paramètres atmosphériques11. Pour ces calculs, il a été nécessaire de prendre en compte tout le bâti, afin de faire ressortir les situations où le polluant est confiné sur une avenue ou sur une rue. Les calculs sont à très haute résolution pour bien identifier les endroits où les émissions du trafic ne peuvent pas être dispersées, c’est-à-dire où les polluants s’accumulent. Les aplats de couleurs de la Figure 8 reflètent les concentrations en oxydes d’azote calculées.

Figure 8 Concentrations en oxydes d’azote sur Paris vues à une résolution de 3 m (système AIRCITY). Les concentrations sont les plus importantes sur les axes routiers et aux grands carrefours.

tème AIRCITY10, co-développé par ARIA Technologies avec Airparif, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et la société Leosphère, qui développe des lasers spéciaux (LIDAR) permettant de mesu-

200

10. www.aria.fr/projets/aircity/

À partir de ces modélisations, qui représentent un volume immense de données (plusieurs centaines de millions de valeurs numériques par jour), il est nécessaire de développer les technologies pour extraire via Internet (Figure 9) des visualisations partielles ou des séries chronologiques de valeurs en vue de répondre simplement aux demandes des clients et des utilisateurs : la puissance des supercalculateurs utilisés ne devient tangible que si l’information qu’ils produisent peut être distribuée de manière très large, et c’est sur ce point que la situation a complètement changé ces dernières années. N’importe qui peut 11. Moussafir J., Olry C., M. Nibart M., A. Albergel A., Armand P., Duchenne C., Mahé F., Thobois L., Loaëc S., Oldrini O. (2014). « AIRCITY: a very high resolution atmospheric dispersion modelling system for Paris », dans : Proceedings of the 4th Joint US-European Fluids Engineering Summer Meeting – ASME - Track 28 - Urban Fluid Mechanics Symposium, August 3-7, 2014, Chicago, IL, USA.

Présentation Internet des données du système de mesure de la concentration en oxydes d’azote. On met en évidence des pics de pollutions entre 10 h et 12 h, et entre 16 h et 17 h.

maintenant avoir accès, à partir de son smartphone, à des informations détaillées sur l’environnement là où il se trouve. Des validations sur des stations de l’hypercentre parisien (Figure 10), ainsi que des séries chronologiques (voir des exemples sur la Figure 11), ont été réalisées en collaboration avec Airparif. Les outils de modélisation peuvent être utilisés non seulement pour la prévision mais aussi pour la prospective, c’est-à-dire pour déterminer ce qu’il convient de faire sur le trafic, sur des aménagements urbains, sur des tunnels, sur des modifications de la circulation. C’est même là la principale différence entre des outils statistiques et des outils déterministes, pour revenir sur la discussion

abordée précédemment : un outil déterministe cherche à établir la liaison de cause à effet entre les émissions et la pollution atmosphérique observée, de façon à pouvoir valider des politiques de réduction des émissions, ce qui ne semble pas à la portée d’un outil statistique pur. Il est possible, avec ces outils numériques, de construire des car togr aphies dynamiques – par exemple du dioxyde d’azote NO2 (Figure 12) – et par exemple de simuler l’effet de la fermeture des voies sur berges à partir d’une estimation de la façon dont le trafic s’est déporté géographiquement et du nombre de personnes qui ont renoncé définitivement à prendre leurs voitures. Ces comparaisons « avant/après » montrent ce

Les défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, nuisances thermiques, odeurs

Figure 9

201

202

0

Station trafic Avenue des Champs Élysées Station trafic Rue Bonaparte

16/6/13 0:00

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NOx (µg/m3)

Station trafic Place de l’Opéra

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0

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10/5/13 0:00

NOx (µg/m3)

La chimie et les grandes villes

Station trafic Boulevard Haussmann

Les stations d’Airparif situées dans l’hypercentre de Paris, le long du trafic, ont permis de valider les résultats des calculs.

Figure 10

Les stations d’Airparif, situées dans l’hypercentre parisien le long du trafic, permettent de valider les calculs de concentrations en oxydes d’azote dans l’air.

350

Station Hausmann – ANALYSE

300 Mesure Modèle

250

200

150

100

50

350

Station Bonaparte – ANALYSE

350

Mesure Modèle

300

250

200

150

100

50

Figure 11

Séries chronologiques des évaluations des concentrations en oxydes d’azote sur deux mois sur les stations Hausmann et Bonaparte.

Évolution de la concentration en oxydes d’azote sur la zone centrale de Paris à différentes heures de la journée.

qu’on gagne ou ce qu’on perd, avec telle ou telle mesure, sur la pollution de l’air ou, si on le souhaite, sur le bruit. Les données obtenues à partir des capteurs situés dans les stations de mesure au sol, les données fournies par des calculs de modélisation sont complétées de façon très prometteuse par des techniques de mesure « à longue distance », qui permettent d’explorer les basses couches de l’atmosphère urbaine par télédétection. On utilise ainsi largement des systèmes laser, du type LIDAR (Figure 13), qui permettent de réaliser des découpes en éventail sur des étendues importantes, en surface ou en volume. La Figure 14 montre la visualisation de la pollution atmosphérique calculée par le système AIRCIT Y, à une heure donnée, dans différents

quartiers du centre de Paris (six images). On peut repérer les quartiers par leurs bâtiments caractéristiques. On représente, près du sol, la concentration calculée en oxydes d’azote avec des couleurs différenciées. La vidéo dont sont extraites ces images est publique et dis-

LIDAR vent 3D (balayage)

Les défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, nuisances thermiques, odeurs

Figure 12

LIDAR aerosols (éventail)

Zone de 1 km2 près du périphérique sud

Figure 13 Les systèmes laser du type LIDAR permettent de faire des validations à distance.

203

La chimie et les grandes villes

Figure 14 Images extraites d’une animation de la distribution en oxydes d’azote au niveau du sol dans les rues de Paris.

ponible au téléchargement12. La concentration calculée en oxydes d’azote est disponible en tout point de la ville, près du sol et au niveau de chaque étage, avec une résolution de 3 mètres, ce qui représente plusieurs millions de valeurs numériques à chaque échéance de calcul du modèle, par exemple toutes les 15 mi-

204

12. www.youtube.com/watch?v= qvqHBwwh3_c

nutes. Dans la vidéo citée, il est possible d’apercevoir des flotteurs bleu et blanc, qui représentent la position des stations de référence permanentes d’Airparif (8 ou 10 stations dans Paris intramuros). Même si ce dispositif de mesures peut être densifié de manière très importante, avec des moyens mobiles légers, pour des campagnes temporaires (jusqu’à 80 points de mesure pour les campagnes

L’analyse de l’origine de la pollution de l’air urbain fait ressortir la nécessité de maîtriser les problèmes à la fois à deux échelles. Premièrement, la qualité de l’air en ville dépend des valeurs de pollution à l’échelle planétaire et régionale. La moitié seulement (environ) des particules mesurées dans le centre de Paris provient des émissions locales. Le reste peut aussi bien venir de Londres ou d’Allemagne, ou d’autres régions de France… La modélisation, qui fournit des images globales, continues, et leur variation temporelle, est à la

base de politiques raisonnées de gestion de la qualité de l’air (non extrémistes), et est notamment utilisée dans le cadre des négociations internationales sur les réductions d’émissions. Cependant, les car tographies planétaires sous-estiment la pollution de proximité, et sont inexactes au cœur de grandes villes. On doit alors élaborer des cartographies dynamiques 3D détaillées à haute résolution – pour l’analyse comme pour la prévision –, et pour cela travailler sur les émissions à l’échelle locale, connaître ce qui est émis par les bus, les voitures, les teintureries, les stations-service, les usines, les incinérateurs, les stations de traitement des eaux… Cela exige de disposer d’un grand nombre de données sur les activités émettrices : on appelle ces grandes bases de données géographiques des inventaires d’émissions spatialisés. Il est souvent nécessaire d’intégrer des mesures de capteurs en ligne pour intégrer les données d’émission qui peuvent être très variables, par exemple pour des centrales thermiques ou des unités industrielles dont le fonctionnement n’est pas régulier. Un système de modélisation efficace à l’échelle urbaine doit donc être couplé aux modèles régionaux de pollution de fond. Par exemple, si on considère une émission d’oxydes d’azote en ville (mélange de NO et NO2), on n’aura pas le même taux de conversion en NO2 suivant la quantité d’ozone de fond présente, qui peut être d’origine fort lointaine (autres régions

Les défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, nuisances thermiques, odeurs

au voisinage des voies sur berge par exemple), on voit bien que seule la modélisation numérique peut permettre de bien représenter la distribution spatiale de la pollution atmosphérique, et de constituer une cartographie complète de la qualité de l’air urbaine, rue par rue, adresse par adresse. Les techniques de modélisation doivent certes constamment s’appuyer sur les mesures des capteurs, que ce soit pour mettre en œuvre des méthodes d’assimilation qui conduisent les modèles à honorer les valeurs mesurées en tout point (a posteriori), ou pour vérifier les prévisions effectuées et améliorer ainsi les modèles. Les résultats présentés montrent bien que la pollution calculée est plus faible dans les jardins que sur la place de la Concorde : c’est une conclusion évidente mais elle prouve bien que la modélisation permet également de bien déterminer l’emplacement de mesures complémentaires et d’aider à leur interprétation.

205

La chimie et les grandes villes

françaises, Grande-Bretagne, Allemagne…). Afin d’illustrer l’utilité des systèmes de modélisation de la pollution atmosphérique, nous présentons des exemples issus des travaux réalisés pour Renault sur le couplage entre le trafic automobile et la pollution atmosphérique dans les villes. Renault est fortement engagé avec Nissan dans la promotion du véhicule électrique en ville et veut contribuer à faire percevoir les réductions d’exposition et de risques pour la

LE PROJET « GREEN TRIP » Renault a souhaité tester le prototype d’un système qui permette de calculer les concentrations cumulées en polluants le long de différents trajets urbains et interurbains proposés par des calculateurs d’itinéraires (Figure 15), en France et en Chine. ARIA Technologies (en collaboration avec Airparif) a réalisé le prototype « Green Trip » permettant de visualiser sur son smartphone la pollution prévue sur le parcours A, sur le parcours B, etc., et de prendre sa décision en connaissance de cause. Airparif a eu une démarche similaire avec son application Itiner’air, consacrée aux piétons et aux vélos, et téléchargeable sur son site Internet (www.airparif.fr).

Figure 15

206

« Green Trip », prototype de système permettant la détermination des concentrations en polluants le long de différents itinéraires.

santé qui résulteraient d’une forte pénétration du véhicule électrique en ville. À Rome par exemple, où le centre historique est particulièrement concentré, avec un très grand nombre de piétons, en particulier les touristes, les calculs réalisés en tenant compte des émissions actuelles du trafic (Figure 16A) indiquent des valeurs d’exposition qui peuvent être conséquentes (Figure 16B) et une forte réduction avec une introduction importante de véhicules électriques. L’existence de zones à trafic limité (ZTL) dans plusieurs grandes villes italiennes (dont Rome) est un autre levier en faveur de l’adoption de véhicules « zéro émissions », auxquels des droits de circulation très étendus peuvent être accordés. Ces études servent à évaluer l’effet de l’introduction de véhicules électriques dans différentes villes, dans dif férentes situations de population et de circulation – à l’évidence une question d’actualité. Pour approcher les problèmes de pollution atmosphérique d’une grande ville asiatique, où la structure du tissu urbain est très différente de celle du bâti parisien (architecture en tours sur un espace limité, contexte topographique complexe, situation en bord de mer), un travail a été également effectué sur la ville de Hong-Kong en collaboration avec l’alliance Renault-Nissan (Figure 17), toujours pour évaluer les effets potentiels sur la qualité de l’air d’une plus grande diffusion des véhicules électriques (Encart : « Le projet “Green Trip” »).

Les défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, nuisances thermiques, odeurs

A

B Figure 16 La pollution de l’air dans le centre de Rome. A) Simulation du trafic dans le centre historique de Rome ; B) distribution des concentrations (haute résolution) permettant de calculer l’exposition de proximité des populations dans les rues de Rome à la pollution atmosphérique.

Figure 17 Modélisation à haute résolution de la qualité de l’air à Hong-Kong pour évaluer l’effet de l’introduction de véhicules électriques.

207

La chimie et les grandes villes

Un autre exemple d’application de la simulation numérique à la compréhension de l’environnement des grandes villes est constitué par les études de confort thermique. Pour ces études, exactement comme pour l’étude de la pollution atmosphérique en ville, il est nécessaire de comprendre comment s’organisent la micro-météorologie et les écoulements d’air sur la ville, à très haute résolution, en fonction de la géométrie des bâtiments, et de leur effet sur le vent et la température. Pour la ville de Wuhan, où une zone va être complètement réaménagée en haute qualité environnementale, une équipe d’ARIA Technologies a effectué des calculs d’indice de confort environnemental en fonction du vent, de la température et de la pollution atmosphérique. Un ensemble de situations météorologiques de référence apparaissant sur la ville de Wuhan a été identifié à travers une méthode de classification automatique

(encore un emprunt aux méthodes « Big Data »), et des calculs détaillés à très haute résolution ont été produits pour chacune des situations, en insérant les nouveaux bâtiments prévus dans le projet d’aménagement. Un exemple de résultat est présenté sur la Figure 18 : les aplats de couleurs sont fonction de la vitesse du vent en mètres par seconde, et sont superposés aux lignes de courant donnant la canalisation par le bâti.

Cartes d’indices de confort. Calcul d’indices de confort environnemental pour les urbanistes en fonction du vent, de la température et de la pollution atmosphérique dans une zone HQE (Haute Qualité Environnementale) (ici : Wuhan, Chine). On représente ici en vue de dessus et en 3D les champs de vitesse du vent en m/s (aplats de couleur) et les lignes de courant.

À l’évidence, il ne semble pas indispensable de faire des modélisations de la qualité de l’air intérieur pour tous

Figure 18

208

L’emploi des techniques à haute résolution permet non seulement de prévoir le niveau de pollution attendu dans une cour de récréation ou dans un square, mais aussi d’alimenter les modèles de la qualité de l’air intérieur pour des bâtiments particuliers. On les couple en effet à la qualité de l’air extérieur. Souvent, les prises d’air des bâtiments ne sont pas au rezde-chaussée mais au niveau des étages supérieurs, et les modélisations en 3D pour l’air extérieur (comme AIRCITY) permettent de tenir compte de ces situations. La Figure 19 est une représentation schématique, en 3D, de l’intérieur d’un bâtiment de bureaux de quatre étages et de ses espaces intérieurs principaux. Le code de couleur du « sol » de chaque pièce est fonction de la concentration moyenne en polluant qu’on y calcule. Cette figure est issue d’une animation numérique donnant l’évolution de la concentration en fonction du temps au cours d’une journée type.

Modélisation au niveau d’un bâtiment. Évolution des concentrations de polluants à l’intérieur des bâtiments en fonction de la qualité de l’air extérieur. Seul un calcul à haute résolution pour l’extérieur permet de piloter le calcul intérieur, étage par étage.

les bâtiments d’une grande ville, mais cela peut être intéressant pour les grands bâtiments publics, les établissements recevant du public, les hôpitaux où des populations sensibles séjournent, les écoles, les universités…

Par exemple, une simulation intéressante a été réalisée autour de l’immeuble emblématique du Conseil Régional de Lombardie, à Milan, un bâtiment à l’architecture moderne complexe représenté sur les Figures 20 et 21, dans lequel

Les défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, nuisances thermiques, odeurs

Figure 19

Figure 20 Concentration en surface en NO2 à 1h du matin autour du Conseil Régional de Lombardie à Milan (Italie).

209

La chimie et les grandes villes

Figure 21 210

Images extraites d’une animation des prévisions (J, J+1) des concentrations NO2 présentes heure par heure dans la ville de Milan.

4

La propagation des substances odorantes

La question de la pollution par les odeurs peut être traitée avec des méthodes très proches de celles utilisées pour les polluants réglementés ayant un effet sur la santé. Elle est associée à l’émission de substances chimiques odorantes particulières qui le plus souvent n’ont pas d’effets sur la santé à faibles concentrations, et généralement à des sources localisées (Figure 22). Pour les espèces en jeu, on peut citer par exemple le sulfure d’hydrogène H2 S, qui a une odeur très désagréable à faible concentration (les « boules puantes »), mais qui peut être toxique (et mortel) à de très fortes concentrations ; ou encore l’ammoniac NH3, ainsi

que différents autres composés organiques volatils. Les problèmes d’odeurs sont associés à des sources très localisées parce qu’ils proviennent souvent de stations d’épuration, de décharges, de certaines activités industrielles ou agricoles (fermes d’élevage intensif) : à l’inverse de ce qui se produit pour les problèmes de pollution atmosphérique urbaine, la question de la pollution de fond, à l’échelle continentale ou nationale, n’est pas pertinente pour les problèmes d’odeurs, parce que les concentrations de fond en substances odorantes sont tout à fait négligeables par rapport à celles que l’on peut observer au voisinage immédiat d’un site industriel. La question de la propagation des odeurs peut donc généralement être traitée avec des modèles purement locaux, qui déterminent le champ de concentration en substances odorantes quelques kilomètres autour du site. L’étude de la propagation des odeurs doit également faire appel à une instrumentation spécifique, adaptée aux processus en jeu dans la génération de substances odorantes : il sera souvent nécessaire par exemple de mesurer l’ammoniac NH3, certains composés organiques volatils, H2 S… À titre d’illustration, un système de sur veillance spécifique, baptisé NOSE ®, a été développé par A RI A Technologies et SUEZ pour les stations d’épuration des eaux (Figure 22). Il permet de réunir dans une plateforme informatique commune les données de site (topographie,

Les défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, nuisances thermiques, odeurs

se tenait un Congrès consacré à la Qualité de l’Air, qui bénéficiait ainsi d’une prévision quotidienne de qualité de l’air. Le calcul extérieur portait sur un domaine carré de deux kilomètres centré sur le bâtiment, et alimenté par les données à plus grande échelle d’une simulation régionale. La pollution (ici la concentration en NO 2 au voisinage du sol) est calculée avec une résolution suffisante pour qu’on voie bien la différence entre les endroits très exposés et les endroits relativement tranquilles, et il est clair que les contrastes sont très importants d’un point à un autre. Les résultats sont également disponibles sous forme d’animation en fonction du temps (Figure 21).

211

La chimie et les grandes villes

Figure 22 Système NOSE® (SUEZ) simulant la propagation des substances odorantes depuis leur source.

212

géométrie 3D des bâtiments et des unités industrielles), d’émission (mesures au plus près des unités émettrices ou dans les conduits de rejet à l’atmosphère), de météorologie (vent, température, humidité, turbulence), ainsi que les données mesurées par des capteurs dans l’air ambiant autour du site. Ces données sont utilisées pour alimenter un modèle de dispersion des substances odorantes, qui peut fonctionner à la fois en mode direct (on calcule le panache attendu si les données d’entrée sont parfaites) et en mode inverse (on corrige les données d’émission à partir des mesures dans l’environnement du site afin d’obtenir la meilleure image possible de l’impact du panache). Le panache calculé apparaît en bleu sur l’écran de commande reproduit sur la Figure 22, ainsi que la trace du réseau de micro-capteurs installés autour de la station ; sur la gauche, l’opérateur peut afficher l’historique des valeurs observées et calculées au fil du temps, et la contribution éventuelle de plusieurs sources différentes aux concentrations calculées

en un point donné (diagramme circulaire). Il est important de souligner que les progrès dans le domaine des micro-capteurs sont essentiels pour épauler les progrès dans la compréhension des phénomènes de dispersion atmosphérique et dans leur modélisation : c’est parce que le prix de revient de chaque point de mesure a été divisé par vingt en dix ans qu’il est maintenant possible de concevoir des systèmes intégrés comme le système NOSE®, et de disposer une dizaine de capteurs autour d’un site industriel pour le surveiller. Sans ces mini-réseaux d’un prix acceptable, il ne serait pas possible de déployer des systèmes de surveillance utilisant de la modélisation inverse, qui impose d’avoir plusieurs mesures pour fonctionner convenablement. Les prochaines étapes dans le développement des systèmes de surveillance des odeurs sont sans doute représentées par la possibilité de prendre en compte les réactions chimiques entre substances odorantes et leur transformation.

Les microcapteurs, les supercalculateurs : les révolutions en marche

Pour comprendre l’avenir de la surveillance de la qualité de l’air dans les grandes villes (et dans les installations industrielles qui en sont proches), il faut porter attention au développement des micro-capteurs permettant de mesurer les concentrations en polluants atmosphériques, avec un faible coût. La technologie de mesure des polluants atmosphériques connaît un mouvement important vers la miniaturisation en suscitant un engouement extraordinaire, tant l’idée de micro-capteurs « personnels », très légers, à très faible consommation, portables à la boutonnière et connectables sans fil à un smartphone, laisse entrevoir un marché gigantesque associé à celui des « objets connectés ». Il suffit de songer au volume de marché représenté par 100 millions de micro-capteurs à 25 € pièce pour comprendre que les investisseurs se bousculent. Les annonces de nouveaux micro-capteurs se multiplient donc, sans que les matériels disponibles à ce jour soient toujours à maturité, l’essentiel étant des préempter une position sur le marché. Mais ce n’est qu’une question de temps : les micro-capteurs deviendront bientôt suffisamment fiables et leurs conditions d’usage suffisamment simples pour qu’ils puissent se généraliser. On peut donc imaginer à partir de 2020 une situation où plusieurs milliers de micro-capteurs « personnels », connectés à Internet, produisent simultanément

des données sur une grande ville comme Paris, chacun des utilisateurs ayant acheté son capteur personnel pour se protéger, mais acceptant de rendre publiques ses mesures à travers son téléphone portable. Reste que cette situation très intéressante pose une série de problèmes d’interprétation sérieux pour produire une information de synthèse utilisable, parce que les micro-capteurs « personnels » seront inévitablement dans les conditions auxquelles sera exposé leur porteur : à la maison, sur la terrasse, dans la cave, dans sa voiture, sur son vélo, dans le métro, au bureau, à pied, au bord d’une avenue très fréquentée, au milieu d’un jardin… L’interprétation des flux de données correspondants suppose donc que l’on connaisse très bien la position géographique de la mesure (notamment par rapport aux sources émettrices). On retrouve là des questions qui se posent déjà dans l’interprétation de la position des téléphones portables pour aborder les problèmes de trafic automobile dans les villes, et pour lesquelles les nouvelles technologies d’analyse statistique de très grands flux de données seront sans doute très utiles (les technologies «Big Data » n’ont pas que des défauts, loin s’en faut !). On assiste déjà à plusieurs expérimentations avec quelques dizaines à quelques centaines de micro-capteurs déployés en ville, à Pékin comme à Paris. Il importe de mentionner également le problème assez ardu de la calibration de ces micro-capteurs, en absolu et entre eux, de la comparabilité

Les défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, nuisances thermiques, odeurs

5

213

La chimie et les grandes villes

de micro-capteurs fournis par différents fabricants, de leur dérive dans le temps, de leur hystérésis. En somme, entre un analyseur de gaz professionnel utilisé par un réseau de surveillance de la qualité de l’air comme Airparif, positionné avec soin dans un abri climatisé, alimenté par une prise d’air dont la hauteur par rapport au sol est réglementaire au niveau européen, régulièrement entretenu et calibré avec des gaz étalon, et le micro-capteur produit en très grande série et posé sur un bureau à l’intérieur d’une tour climatisée, ou bien transporté dans un sac à dos à vélo au milieu du trafic une heure plus tard, il va falloir faire la part des choses et veiller à combiner les informations issues de ces deux classes de mesures. Un deuxième progrès important à attendre est la généralisation de l’usage des supercalculateurs dans le Cloud. Les calculs que réalisent aujourd’hui les équipes d’ARIA Technologies et les autres équipes engagées dans la simulation numérique de la pollution atmosphérique, nous n’en rêvions même pas il y a dix ans. Les puissances de calcul considérables des très grands calculateurs paral-

Figure 23

214

Projet ELISE : cartographie des concentrations en oxydes d’azote dans les rues de Turin réalisée par modélisation numérique (modèle AIRCITY).

lèles en réseau sont maintenant disponibles à travers une simple connexion Internet, et constituent une ressource « à la demande », dont le coût réel d’utilisation connaît une baisse ver tigineuse, sans imposer d’investissement informatique spécifique permanent. Pour une grande ville, les coûts de calcul nécessaires pour la simulation numérique continue de la pollution atmosphérique à très haute résolution représentent aujourd’hui quelques centimes d’euros par habitant et par an, très loin derrière les autres postes de dépense pour l’environnement. Nous présentons ci-dessous l’exemple du projet ELISE, qui associe justement l’usage de micro-capteurs et celui de simulations numériques à très haute résolution. Les Figures 23, 24 et 25, sont extraites de ce travail effectué sur la ville de Turin (Italie). Un modèle de calcul 3D à haute résolution, semblable à celui utilisé dans le projet AIRCITY, a été appliqué sur le centre-ville de Turin, en prenant en compte le détail du bâti, et en utilisant l’inventaire des émissions de polluant (dues au trafic et aux autres sources) fourni par l’Agence Régionale de

graphies semblables à celle présentée sur la Figure 25.

Le caractère innovant du projet a consisté à collecter les données fournies par un réseau de micro-capteurs mobiles représenté sur la Figure 24, et à utiliser des techniques d’assimilation en combinant le champ calculé par le modèle et les données des micro-capteurs, afin d’obtenir une séquence de carto-

Quand ces techniques seront complètement opérationnelles, on pourra disposer d’informations complètes et précises, sous réser ve de vérifier la qualité des microcapteurs et la qualité des inventaires d’émissions, éléments indispensables pour garantir la qualité finale des résultats.

Figure 24 Concentrations moyennes de NO2 (µg/m3) < 30 30-40 40-50 50-60 60-70 70-80 > 80 bâtiments

Projet ELISE : données des microcapteurs (concentration en NO2) sur une partie de la ville de Turin.

Les défis de la santé et du bien-être en ville : ­pollution atmosphérique, nuisances thermiques, odeurs

Protection de l’Environnement du Piémont.

Concentrations moyennes de NO2 (µg/m3) < 30 30-40 40-50 50-60 60-70 70-80 > 80 bâtiments

Figure 25 Projet ELISE : champ de concentration en NO2 au sol résultant du modèle AIRCITY avec l’assimilation des données des micro-capteurs.

215

La chimie et les grandes villes 216

La technologie pour une meilleure connaissance de la pollution urbaine La pollution urbaine a toujours été prise au sérieux, mais les méthodes utilisées pour la connaître sont aujourd’hui en évolution rapide : pour l’instrumentation, on passe de mesures effectuées en un nombre limité de sites « sensibles » à la possibilité d’utiliser un très grand nombre de mesures, mais dont la qualité doit être vérifiée ; pour la simulation numérique, on passe d’un mode où des spécialistes étudiaient de près quelques épisodes critiques à l’utilisation quotidienne de systèmes complexes et multi-échelles, qui balayent réellement toutes les échelles, de la planète à la rue. Le fossé spectaculaire qui existait entre la sophistication des études de modélisation météorologique et celle de l’étude des situations de pollution urbaine est en train de se combler rapidement. L’évolution récente de l’instrumentation de mesure qui fournit des micro-capteurs abordables, pratiques et performants, l’évolution des calculateurs qui permettent les modélisations d’un grand nombre de données et de situations complexes, en chimie ou en aéro­ dynamique, la capacité particulièrement pédagogique de présenter les résultats des modèles sous forme de cartes ou de films, les possibilités de prévision qui permettent d’anticiper les situations et d’éviter les excès… Toutes ces évolutions ont fait passer les prévisions de la pollution urbaine de l’âge artisanal à l’âge de la technologie avancée. Les outils sont là, la parole est maintenant aux politiques chargés de réguler les comportements des citadins. Ils ont en responsabilité le difficile arbitrage entre la qualité sanitaire idéale et le soutien raisonnable de la vie économique, qui ne peut négliger l’importance de la circulation des véhicules automobiles.

Yves Brunet

Impact

de la

­végétation sur le microclimat ­urbain et la

qualité de l’air

Directeur de recherche à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA1), Yves Brunet fait partie de l’UMR ISPA (Interactions sol-plante-atmosphère). Membre de l’Académie d’Agriculture, il a été directeur de deux unités de recherche et chef adjoint du département Environnement et Agronomie de l’INRA. Ses travaux portent sur la formation des microclimats, le transport de particules dans la basse atmosphère, les échanges biosphère-atmosphère et l’impact des tempêtes sur les écosystèmes.

Le confort thermique du citadin et la qualité de l’air qu’il respire sont des éléments essentiels à prendre en compte lorsqu’on s’intéresse au bienêtre et à la santé de la population urbaine. Ce chapitre est consacré au rôle que peut exercer dans ce contexte la végétation urbaine, sous ses différentes formes (grands parcs urbains, jardins publics, squares, jardins de particuliers, ronds-points verts, alignement d’arbres et de haies le long des rues, réseau de noues végétales, coulées vertes, toits et façades végétalisés…). Peut-elle par 1. https://inra.fr

exemple avoir sur l’air une action rafraîchissante lors des pics de canicule ? Une action filtrante lors des épisodes de pollution ? À quelle échelle agit-elle en fonction de sa nature ? De quels outils dispose-t-on pour quantifier et prévoir ses impacts ? Nous nous intéresserons ici à la fois au microclimat et à la pollution atmosphérique, deux aspects de l’environnement urbain qui sont très liés, notamment parce que de nombreuses réactions photochimiques 2 impliquant 2. Réaction photochimique : réaction dans laquelle la lumière fournit l’énergie d’activation nécessaire.

La chimie et les grandes villes

Santé et bien-être du citadin

Confort thermique

Vent Photochimie

Microclimat

Rafraîchissement

Pollution

Qualité de l’air

Épuration Végétation

Figure 1 Dans quelle mesure la végétation peut-elle avoir un effet sur la santé et le bien-être du citadin ?

les polluants sont sous la dépendance de composants essentiels du microclimat comme le rayonnement, la température et l’humidité de l’air (Figure 1). Une attention particulière sera portée sur le vent : il joue un rôle important sur l’intensité des échanges thermiques et, en assurant la ventilation des rues, sur la pollution atmosphérique dans l’espace urbain.

°C 23

4-7h

21

48° 50’N

19 17 15 13

Figure 2

218

Thermographie de Paris et ses alentours (Landsat-5 TM, 9 août 2003, scène composite sur l’intervalle 4-7h) : Paris et sa proche banlieue constituent un îlot de chaleur urbain. Source : Dousset et coll. (2011). Int. J. Climatol., 31 : 313-323.

1

L’îlot de chaleur urbain

1.1. Un aspect emblématique du microclimat urbain Bien que la démonstration de son existence remonte au début du XIXe siècle (observations de L. Howard à Londres), l’îlot de chaleur urbain a été mis en évidence de manière systématique dans les années 70 quand, avec les premières thermographies infrarouges 3 3. Thermographie infrarouge : technique permettant d’obtenir une image thermique d’une scène par analyse du rayonnement infra­ rouge.

de la surface de la Terre, il est apparu flagrant que les villes étaient plus chaudes que les espaces ruraux environnants, en particulier la nuit. La Figure 2 montre un exemple d’image thermique de la ville de Paris et de ses alentours, enregistrée pendant la canicule de 2003. Les températures de surface indiquées sur l’échelle de droite ont été mesurées le 9 août en fin de nuit. On y voit un écart de 5 à 6 °C entre le cœur de Paris, aux alentours de 21-22 °C, et la campagne environnante dont la température n’est que de l’ordre de 16-17 °C. Si l’on réalise dans la journée, à l’aide d’un dispositif mobile, un transect4 de température de l’air à 2 mètres du sol, de l’ouest vers l’est de la région parisienne (Figure 3), on observe bien des températures plus élevées au centre de la ville (environ 28 °C dans cet exemple) qu’à ses alentours (environ 25 °C à l’ouest comme à l’est). On note aussi des fluctuations le long de ce transect, montrant des montées de température dans le centre de certaines villes de banlieue (voir Suresnes) ainsi que des baisses significatives lors de la traversée d’espaces verts (bois de Boulogne notamment, visible aussi sur la Figure 2). Cela constitue une première indication que la végétation des parcs peut constituer des îlots de fraîcheur au sein de l’îlot de chaleur urbain. Nous reviendrons largement sur ce point. 4. Transect : dispositif d’observation de terrain où la représentation d’un espace, le long d’un tracé linéaire, est destinée à mettre en évidence la variation spatiale d’un phénomène.

0 5 RueilBois de Ouest Malmaison Suresnes Boulogne

Paris

10 15 Centre historique

20 Bagnolet

Rosnysous-Bois

25 km Est

Figure 3 Mesure de la température de l’air le long d’un trajet linéaire de 25 km de l’ouest à l’est de Paris. Source : Météo France, CSTB, Mairie de Paris.

Cet îlot de chaleur, observé systématiquement dans les espaces urbains, présente habituellement un cycle journalier caractérisé par une intensité maximale en fin de nuit. Des observations faites dans différentes villes du monde montrent aussi, de manière générale, que l’intensité de l’îlot de chaleur urbain est d’autant plus important que les villes sont grandes et peuplées, avec une graduation qui se fait par grande région géographique : pour une même population, cette intensité augmente selon que l’on va des régions tropicales à l’Europe puis à l’Amérique du Nord, où les sources de chaleur internes à la ville sont multiples (transport, climatisation, industrie…). L’îlot de chaleur urbain peut avoir un impact sur la santé humaine lorsqu’il se combine à des températures caniculaires. Les statistiques de surmortalité quotidienne observées durant la canicule de 2003 à Paris correspondent à la période d’une dizaine de jours pendant laquelle l’inten-

sité de l’îlot de chaleur était de l’ordre de 8 °C sur la température de l’air, au lieu des 4 °C couramment enregistrés aux mêmes dates lors d’un été « normal ».

Impact de la v­ égétation sur le microclimat u ­ rbain et la qualité de l’air

Température à 2 m en °C

30° 29° 28° 27° 26° 25° 24° 23° 22° 21° 20°

1.2. Pourquoi l’îlot de chaleur urbain ? Toute scène urbaine, avec son bâti, sa voirie, sa végétation, ses plans d’eau éventuels, est un lieu d’échange de rayonnement, dont le bilan (apports-pertes) conditionne l’énergie radiative disponible ; elle échange aussi avec l’atmosphère de la vapeur d’eau, de l’énergie, ainsi que du gaz carbonique (CO2), de l’oxygène (O 2), et un ensemble de gaz et de particules diverses. Le tout est régulé en partie par le vent, dont la circulation en ville peut s’avérer complexe. Pour comprendre le phénomène d’îlot de chaleur, il faut examiner ces différents échanges de sur face survenant en ville (Figure 4) ; il est commode pour cela de comparer les bilans d’énergie d’une sur face urbaine

219

La chimie et les grandes villes

Figure 4 Ensemble des échanges qui régissent la température urbaine.

et d’une surface végétale. Considérons en premier lieu le bilan ­r adiatif. 1.2.1. L’apport énergétique : le bilan radiatif, ou rayonnement net Le bilan radiatif constitue le forçage5 radiatif, c’est-à-dire la quantité d’énergie incidente disponible au niveau de la surface urbaine. Il résulte (Figure 5) : – du rayonnement global (Rg) : c’est le rayonnement solaire incident qui, durant sa traversée de l’atmosphère, est sujet à de multiples réflexions sur les nuages présents ; une partie de ce rayonnement est réfléchie par la surface à proportion de son albédo 6 a ; –  de la différence entre le rayonnement thermique émis par l’atmosphère (Ra) et le

220

5. Forçage radiatif : c’est la différence entre l’énergie radiative reçue et l’énergie radiative émise par un système climatique donné. 6. Albédo : pouvoir réfléchissant d’une surface, soit le rapport de l’énergie lumineuse réfléchie à l’énergie lumineuse incidente.

rayonnement thermique émis par la surface de la terre (Rt). Le bilan, appelé rayonnement net Rn (= Rg (1-a) + Ra - Rt), représente la quantité d’énergie disponible au niveau d’une surface donnée. Typiquement, ce rayonnement net culmine à quelques centaines de W.m‑2 pendant le jour et est négatif pendant la nuit, entraînant dans ce dernier cas un refroidissement radiatif. 1.2.2. Le bilan d’énergie En ville existent d’autres sources d’énergie que le rayonnement net (Rn) : ce sont les sources de chaleur interne (Q) dues à la circulation automobile, à la climatisation, au chauffage, à la présence d’industries, etc. Sur les surfaces urbaines, l’ensemble de ces sources d’énergie se convertissent en trois grands flux : un flux de chaleur qui, par conduction7, pénètre dans le sol (G), et deux 7. Conduction : mode de transfert de chaleur provoqué par une différence de température entre deux régions d’un même milieu ou entre deux milieux en contact sans déplacement appréciable de matière.

Bilan des échanges radiatifs en ville.

flux qui sont échangés avec l’atmosphère, un flux de chaleur sensible (H) et un flux de chaleur latente (LE)8, ce dernier représentant le flux de chaleur associé au flux de vapeur d’eau car il faut de l’énergie pour vaporiser l’eau liquide. Il faut aussi tenir compte de l’échauffement ou du refroidissement des surfaces, et donc introduire un terme de stockage de chaleur (ΔS). Ainsi le bilan d’énergie exprime-t-il la conversion de l’énergie incidente, sur une scène urbaine, en flux d’énergie et en variation de stockage interne (Figure 6).

nérer le phénomène d’îlot de chaleur urbain : –  la faiblesse, en milieu bâti, de l’évaporation (E) car les surfaces artificielles sont sèches, sauf immédiatement après une pluie, alors que les surfaces végétales transpirent une bonne partie de l’eau qu’elles prélèvent dans le sol. Lorsque l’évaporation est faible, l’énergie qui n’est pas utilisée pour vaporiser l’eau contribue à réchauffer

Impact de la v­ égétation sur le microclimat u ­ rbain et la qualité de l’air

Figure 5

1.2.3. Bâti et végétation : bilans comparés Prenons deux exemples extrêmes : une scène où ne figure que de la végétation (Figure 7A) et une scène où seul le bâti est présent (Figure 7B). Plusieurs processus concourent à gé8. La chaleur sensible est échangée sans transition de phase physique, entre plusieurs corps formant un système isolé, tandis que la chaleur latente est absorbée lors d’un changement de phase (ici, de l’eau liquide à la vapeur d’eau).

Figure 6 Bilan d’énergie appliqué à la surface urbaine.

221

La chimie et les grandes villes

A

B

Figure 7 Bilan d’énergie sur une scène végétale (A) et une scène de bâti (B). En ville la faible évaporation (E), les sources internes (Q), le meilleur stockage (ΔS) et la plus faible vitesse des vents favorisent l’échauffement.

les surfaces et, par voie de conséquence, l’atmosphère ; –  une plus grande interception de l’énergie radiative en raison du faible albédo (faible pouvoir réfléchissant) de nombreux matériaux urbains et du rôle de « piège radiatif » joué par la présence des bâtiments, en particulier dans les rues étroites bordées de hauts immeubles (« canyons urbains ») ;

222

–  un bien meilleur stockage de chaleur (ΔS) par les matériaux urbains (bâtiments, revêtements…), du fait de leurs propriétés thermiques (les plantes ont une faible inertie thermique et n’emmagasinent que très peu de chaleur) ;

–  l’existence de sources de chaleur interne à la ville (Q), qui n’ont pas d’équivalent dans une scène végétale (production de chaleur par les transports, le chauffage, la climatisation, l’industrie…) ; –  enfin, des vents plus faibles en moyenne à l’échelle de la ville, modérant les échanges thermiques avec l’atmosphère (même si localement peuvent se produire des accélérations, en fonction de la configuration des bâtiments). Ces cinq grandes raisons permettent de comprendre l’origine de l’îlot de chaleur urbain. Un milieu urbain étant constitué d’un mélange, en proportions variables, d’es-

l’évaporation de l’eau du sol (via la transpiration foliaire en particulier), phénomène consommateur en énergie qui tend à limiter l’échauffement des surfaces végétales. Bien sûr, l’ampleur de ces effets dépend considérablement du type de végétation urbaine concerné et de la quantité de biomasse végétale présente.

2

La Figure 8A présente une thermographie infrarouge à fine échelle réalisée sur la ville de Rotterdam. Cette thermographie a été comparée avec une carte d’occupation du sol donnant le pourcentage de surface végétale calculé quartier par quartier. Le résultat de la comparaison est frappant, car la température décroît pratiquement linéairement avec le pourcentage d’espace vert (Figure 8B) : avec 60 % de surface végétale, la température n’est que de 22-23 °C, alors qu’au cœur

La végétation urbaine, un îlot de fraîcheur ?

Les éléments d’explication de l’ îlot de chaleur urbain que nous venons d’évoquer dessinent, a contrario, le rôle potentiel de la végétation urbaine comme régulateur du microclimat : elle induit avant tout un rafraîchissement de l’air par des effets d’ombrage (interception du rayonnement qui, de fait, ne contribue pas à réchauffer les surfaces bâties) et par son action sur

Impact de la v­ égétation sur le microclimat u ­ rbain et la qualité de l’air

paces bâtis et d’espaces végétalisés, les deux premières de ces raisons laissent penser que la présence de végétation en ville est de nature à limiter l’échauffement de l’air (et favoriser son humidification par la transpiration végétale). Aussi des espaces végétalisés sont-ils aptes à constituer des îlots de fraîcheur au sein de l’îlot de chaleur urbain. C’est la question que nous allons maintenant aborder.

2.1. Effet de la végétation à l’échelle de la ville

34 32

R2 ≈ 0,69

30

Tsurf °C

28

293


20

B

0

10

20

30

40

50

60

70

80

% espace vert

Figure 8 A) Thermographie de la ville de Rotterdam (Landsat ETM, résolution 60 m) ; le code couleur est tel que les zones en rouge sont plus chaudes que les zones en bleu ; B) relation entre la température de surface et le pourcentage de surface végétalisée sur chaque pixel de 1×1 km considéré. Source : Réimprimé à partir de The surface heat island of Rotterdam and its relationship with urban surface characteristics, Resourc. Conserv. Recy., Klock et coll., copyright 2012, avec l’autorisation d’Elsevier.

223

La chimie et les grandes villes

de la ville où tout est minéral, elle est 6 ou 7 °C plus élevée. La présence de végétation s’accompagne donc d’une baisse significative de la température de surface ; il faut toutefois noter que sur une telle scène urbaine, les quartiers les plus végétalisés peuvent être aussi ceux où la production d’énergie anthropique (chauffage, industrie, circulation automobile…) est la plus faible. Si nous reprenons maintenant l’exemple de la thermographie de Paris pendant la canicule, on observe une relation équivalente à celle vue pour la Figure 8 à Rotterdam (Figure 9). Les parties les plus végétales de l’agglomération parisienne, notamment les bois de Boulogne et de Vincennes évoqués plus haut, ont les températures les plus faibles. Les parties très minérales, au cœur du nuage rouge, ont les températures les plus élevées.

Température de surface (°C)

42

38

34

30 26 –10

0

10

20

30

40

50

60

70

Indice de végétation normalisé (%)

Figure 9

224

Les parties végétalisées de Paris ont une température plus faible que les parties minérales (l’indice en abscisses est une évaluation de la quantité de surface végétale présente sur une zone donnée ; la température est en ordonnées). Source : PARIS, août 2003 (Dousset et coll., 2011).

2.2. Les parcs urbains Pour examiner l’influence de la végétation urbaine sous ses différentes formes, commençons par les parcs urbains. Une étude a comparé un parc dans la ville de Mexico, d’une taille d’environ 2-3 km de large, à un autre beaucoup plus petit à Kumamoto (Japon), de 200 m de diamètre. Au cœur du parc mexicain, la température au petit matin était de 5 °C inférieure à celle mesurée à quelque distance de là ; pour le parc japonais, la différence était deux fois plus faible. Même si ces exemples sont pris dans des contextes très différents (tissu urbain, saison, espèces présentes…), ils révèlent néanmoins une observation plus générale : la température de l’air est plus faible au cœur du parc qu’à l’extérieur (de quelques degrés au maximum, à un moment donné), et l’intensité de l’îlot de fraîcheur généré dépend de la taille du parc, un petit parc n’affectant que localement la température de l’air alors qu’un grand parc conduit à une baisse plus forte, qui s’étend sur une zone plus étendue. La zone d’influence s’avère être de l’ordre de la taille du parc : un parc de 500 mètres de diamètre diminue la température de manière notable sur environ 500 mètres autour. Ainsi, quelques grands parcs arborés provoqueraient un plus grand refroidissement que de nombreux petits parcs de même surface totale : la surface affectée est la même, mais les températures sont plus basses dans le premier cas. Une synthèse bibliographique a récemment été conduite

2.3. Les arbres de rue L’arbre en ville a d’abord un effet d’ombrage local, limitant l’apport d’énergie radiative sur le piéton, mais aussi sur les surfaces de sol et de bâtiments affectés par l’ombre. Cette baisse de rayonnement incident dépend notamment de la densité de feuillage, de la taille des feuilles et de la géométrie de la couronne ; elle peut entraîner une baisse significative de la température de surface des bâtiments, et donc des dépenses de climatisation et du transfert de chaleur à l’atmosphère, ce qui tend à diminuer le phénomène d’îlot de chaleur urbain. Les arbres à feuilles caduques ont l’avantage de laisser passer le rayonnement en hiver tout en offrant de l’ombrage en été. Cet effet d’ombrage, qui a fait l’objet de nombreuses études, reste très limité spatialement à l’échelle d’un arbre. En revanche, un ensemble d’arbres d’alignement, comme il en existe sur de nombreuses avenues (Figure 10), peut avoir un effet significatif sur le microclimat à une échelle plus

grande. On a pu mettre en évidence des refroidissements de l’air de l’ordre de 2 à 3 °C par une belle journée d’été, ainsi qu’une humidification de l’air. Cet effet est d’autant plus important que la température de l’air est plus élevée. S’il peut être ressenti en dehors de la zone arborée (rues adjacentes), il décroît néanmoins rapidement avec la distance, prise perpendiculairement à l’avenue, et disparaît au bout de quelques dizaines de mètres au maximum. L’effet d’ombrage peut avoir d’autres conséquences indirectes : on a par exemple montré que la présence d’arbres sur les parkings permettait de limiter l’émission de COV (composés organiques volatils, voir plus loin), occasionnée par l’évaporation du carburant des véhicules. De manière générale, la baisse

Impact de la v­ égétation sur le microclimat u ­ rbain et la qualité de l’air

sur environ vingt-cinq parcs urbains, en vue d’étudier leur influence sur la réduction moyenne de la température de l’air. Sur la période diurne (6h-20h) comme pendant la nuit (22h-6h), cette réduction moyenne est de l’ordre de 1 °C (les cas extrêmes étant d’environ 2 °C). Les parcs tendent également à humidifier l’air, par transpiration de la végétation et évaporation de l’eau contenue dans les sols ; peu de données sont disponibles sur ce point.

Figure 10 Arbres d’alignement à Paris (boulevard de Rochechouart et boulevard de Clichy).

225

La chimie et les grandes villes

de température occasionnée par la végétation est de nature à diminuer les émissions de polluants et ralentir la chimie dans lesquels ils sont impliqués. 2.4. La végétalisation des sols urbains Au-delà du cas des parcs urbains et des arbres de rue, la végétalisation de divers types de surfaces urbaines peut apparaître comme une solution prometteuse pour abaisser la température de la ville. Des simulations ont par exemple été réalisées pour déterminer ce qui se serait passé à Paris pendant la canicule de 2003, si 25 %, 50 % ou 75 % des surfaces disponibles de type trottoir ou rond-point (toute surface au sol hors chaussée) avaient été engazonnés. Les résultats de l’étude ont montré que même avec 75 % de surface végétalisée, la température minimale ne diminuerait que d’environ 0,5 °C, tandis que la température maximale, elle, diminuerait de 1 à 2 °C. Les baisses obtenues par engazonnement des surfaces disponibles sont donc réelles, mais restent modérées ; l’engazonnement ne produit pas d’ombrage, il agit essentiellement sur le flux d’évaporation. 2.5. Toitures et façades vertes

226

De nombreuses études ont été menées sur ce sujet ces dernières années (voir aussi le Chapitre de J.-P. Viguier dans cet ouvrage La chimie et les grandes villes, EDP Sciences,

2017). Quatre points sont à retenir : –  si la végétation y est suffisamment dense, ces façades et toitures végétales sont de bons isolants qui améliorent de façon significative la consommation énergétique, aussi bien en hiver pour le chauffage qu’en été pour la climatisation ; – l’impact de ces façades végétales sur la température de l’air est faible, à moins que tous les murs soient couverts de végétation. Compte tenu de leur taille limitée, et même si leur température de surface est plus faible que sur des toitures non végétales, les toitures végétales ont également un impact limité sur la température de l’air ; comme elles concernent des couches d’atmosphère plus élevées, elles n’ont en outre pas beaucoup de conséquences sur le confort du piéton ; –  au-delà du bénéfice visuel qu’elles peuvent apporter, les façades vertes peuvent néanmoins améliorer le confort thermique du piéton, non par un effet sur la température de l’air mais plutôt par un effet radiatif : la végétation s’échauffant beaucoup moins qu’un mur au soleil, elle reste pratiquement à la température de l’air et induit donc une charge radiative plus faible sur le piéton ; –  il faut savoir que l’irrigation de ces façades et toitures végétales consomme beaucoup d’eau, ce qui, en plus de lourdes contraintes techniques liées à l’étanchéité, peut poser des problèmes dans les régions où la ressource en eau n’est pas abondante.

Végétation et polluants urbains

3.1. La végétation, lieu d’échanges La Figure 11 résume les différents échanges de polluants urbains entre la végétation et l’atmosphère. Un certain nombre de composés, sous forme de gaz (NO, NO2, SO2, CO, O 3, COV, etc.) et de particules (dans une gamme de diamètres typiques allant de 1 à 60 microns (µm) pour ces dernières) peuvent se déposer sur la végétation par différents mécanismes : diffusion, interception, impaction, sédimentation (voir les Chapitres de J. Moussafir et F. Thévenet dans La chimie et les grandes villes)… La végétation émet ellemême des composés organiques volatils dits biogéniques 9, ou COVB, produits par des processus chimiques et physiologiques (isoprène10, terpènes11…) ; ces composés, en interagissant avec d’autres gaz (en particulier les oxydes d’azote (NO x) présents dans les gaz d’échappement), sont des précurseurs de l’ozone (O3) et jouent un rôle important dans son cycle. Les plantes émettent également des pollens qui, pour certaines espèces, s’avèrent allergisants et contribuent ainsi 9. Biogénique : qui engendre la vie ou la favorise. 10. Isoprène : composé chimique produit par les plantes dans leurs chloroplastes, à partir du diméthylallyl-pyrophosphate (DMAPP). 11. Terpènes : classe d’hydrocarbures, produits par de nombreuses plantes, en particulier les conifères, dont le squelette carbonique est constitué d’unités isoprène.

Particules (PM2.5, PM10)

Réactions chimiques Microclimat (vent, photochimie)

Gaz

Dépôt

COVB

Pollens allergisants

Émission

Figure 11 La végétation capte des substances « polluantes », mais en émet également.

à une autre forme de pollution de l’air urbain, affectant directement la santé des individus réceptifs.

Impact de la v­ égétation sur le microclimat u ­ rbain et la qualité de l’air

3

Ainsi la végétation peut-elle jouer un rôle à la fois pourvoyeur (émission) et épurateur (dépôt) de polluants. Ces processus de dépôt et d’émission sont sous l’influence du microclimat – notamment le rayonnement, le vent, la température et l’humidité. Leur bilan est donc très variable selon les saisons et les quartiers, en fonction des espèces présentes et de leur densité, des conditions météorologiques et de la morphologie du tissu urbain. 3.2. Dépôt de gaz et particules Les polluants gazeux pénètrent essentiellement dans la feuille par diffusion au travers de petits pores, les stomates (Figure 12) ; ils peuvent ensuite être métabolisés dans les cellules. Cet aspect stomatique est important parce que c’est aussi par les stomates que passe le CO2 utilisé

227

La chimie et les grandes villes

par gravité, être remises en suspension dans l’air ou lessivées par la pluie.

polluants Adsorption sur la cuticule, pénétration dans la feuille par les stomates

CO2

Transport vers troncs et racines, avec ou sans métabolisation H 2O Le stomate

Figure 12 Les stomates des plantes sont utiles à la photosynthèse et captent aussi les polluants. Ils se ferment plus ou moins selon les conditions climatiques et le niveau d’alimentation hydrique de la plante.

pour la photosynthèse et que sort la vapeur d’eau lors du processus de transpiration. Les stomates se ferment à des degrés divers selon les conditions microclimatiques (rayonnement, température, humidité de l’air, stress hydrique, pollution…) et l’état de la plante. Il existe ainsi un fort couplage entre le microclimat et la capacité de la végétation à « dépolluer l’air ». Les par ticules transportées par l’air, quant à elles, peuvent être interceptées par les feuilles et se déposer à leur surface par adsorption : les feuilles recouvertes de cuticule12 (comme on en trouve notamment chez les espèces résineuses), ainsi que les feuilles à la surface rugueuse, collante ou dotée de poils, sont particulièrement efficaces. Ces particules peuvent ensuite tomber au sol

228

12. Cuticule : couche cireuse externe qui recouvre et protège les organes aériens des végétaux, ainsi que les organes de certains animaux.

Qu’il s’agisse de gaz ou de particules, la capacité de filtration de la végétation est très variable. Elle dépend en premier lieu de la surface foliaire présente et du volume d’air occupé : les arbres sont en général plus efficaces que les haies, elles-mêmes plus efficaces que les pelouses. Cette capacité dépend aussi des espèces : par exemple les arbres à feuilles caduques semblent plus efficaces pour assimiler les oxydes d’azote, alors que les conifères piègent mieux les grosses particules (entre 2,5 et 10 µm). Sous réserve qu’elle occupe une surface suffisamment impor tante, la végétation urbaine permet de réduire les concentrations atmosphériques en polluants gazeux. Une étude réalisée sur 55 villes américaines donne des réductions locales allant jusqu’à 16 % pour certains composants tels que l’ozone (O 3) et le dioxyde de soufre (SO2), et 9 % pour le dioxyde d’azote (NO2). Cependant, la moyenne horaire n’est que de l’ordre de 1 à 4 %, et la moyenne annuelle est inférieure à 1 % pour les polluants réglementés. L’effet est donc notable, tout au moins à certaines époques, mais il n’est pas très sensible sur de grandes périodes de temps ; il peut s’avérer particulièrement profitable à certains moments, en permettant par exemple d’écrêter des pics de pollution. En ce qui concerne les particules atmosphériques, cette même étude montre que les

3.3. Émission de COVB et pollens allergisants Si la végétation absorbe de l’ozone par les stomates, un certain nombre d’espèces végétales émettent des COVB qui sont eux-mêmes précurseurs d’ozone et de monoxyde de carbone (CO), et deux à trois fois plus réactifs que les COV anthropogéniques. Ces émissions de COVB dépendent fortement de la physiologie de la plante, du moment de la saison et donc du microclimat. Le bilan est très variable selon les quartiers : il dépend de facteurs géographiques et morphologiques, de la densité de végétation, des essences présentes. Sans entrer dans le détail, l’absorption de l’ozone par la végétation fait en général plus que contrebalancer la création d’ozone due à l’émission des COVB ; le bilan de ces deux processus résulte donc en une dépollution de l’ozone par la végétation. Il vaut cependant mieux éviter en ville certaines espèces qui produisent de grandes quantités de COVB comme par exemple bouleaux, mahonias, liquidambars, platanes, saules, peupliers, chênes et la plupart des conifères. De même, un certain nombre d’espèces végétales (arbres,

graminées, autres plantes) émettent des pollens allergisants, à des taux très variables selon les espèces et les saisons. Ces pollens sont porteurs d’allergènes en surface : soit des glycoprotéines, soit des particules ultrafines issues des moteurs diesels et de la nucléation de polluants secondaires par accrétion surfacique. Là encore, il faut connaître les espèces les plus allergènes et éviter d’en planter en ville : saule, cyprès, armoise, plantain, ambroisie, ray-grass... 3.4. Ventilation des rues et effet d’écran La ventilation des rues joue un rôle très important sur le transport et le dépôt des polluants, notamment particulaires. Pour comprendre son effet, considérons deux cas extrêmes, selon que le vent est dans l’axe de la rue ou perpendiculaire à ce dernier. Dans le premier cas, la ventilation est efficace et induit une très bonne dispersion des polluants ; dans l’autre cas, des mouvements tourbillonnaires (vortex) peuvent s’installer, entraînant le piégeage de particules dans l’espace de la rue. Ce dernier effet est d’autant plus important que le rapport largeur/hauteur (L/H) de la rue est faible. Pour de faibles valeurs de L/H (inférieures à 0,5 par exemple ; on parle alors de « canyons urbains »), plusieurs cellules de recirculation d’air superposées, plus ou moins indépendantes, peuvent se mettre en place, assurant un piégeage efficace de polluants à divers niveaux. Lorsque L/H augmente, la configuration de

Impact de la v­ égétation sur le microclimat u ­ rbain et la qualité de l’air

réductions de concentration ne dépassent jamais 8 %, avec une moyenne annuelle, là encore, de l’ordre de 1 %. Si l’on note des accumulations sur les feuilles les plus efficaces pour capter les particules, ces feuilles ne captent en fait qu’une petite partie de l’ensemble des particules présentes dans l’air.

229

La chimie et les grandes villes

l’écoulement d’air évolue : à L/H = 0,7, un seul vortex est observé, mais pour des valeurs supérieures peuvent émerger des zones protégées, ou au contraire des zones d’accumulation au sol ou sur l’une des faces de la rue. La ventilation peut être affectée par la présence de végétation : pour peu que cette dernière soit suffisamment haute et dense, elle réduit la vitesse du vent en offrant une résistance au déplacement de l’air. Les processus de dispersion dans les rues, en particulier, peuvent être modifiés par la présence d’arbres d’alignement, dont l’effet d’écran a deux effets antagonistes sur la qualité de l’air : une partie de l’écoulement passe au travers du feuillage, qui peut alors capter des particules ; mais une autre partie peut être défléchie vers le sol, entraî-

A

nant éventuellement une accumulation des polluants au pied des arbres. La captation par les arbres est d’autant plus forte que les feuilles ont une surface rugueuse, une surface foliaire totale élevée et une structure de houppier permettant une bonne pénétration de l’air. Des mesures fines (sur maquettes en soufflerie par exemple) ou des simulations numériques peuvent s’avérer nécessaires pour prévoir le comportement de polluants dans des cas réels. On peut simuler, ainsi, l’impact de différents écrans de végétation (Figure 13). On montre par exemple que la présence d’arbres plantés à forte densité et offrant un feuillage large et couvrant peut entraîner une forte réduction de la vitesse du vent ainsi qu’une déconnexion entre l’air au-

B

Différence relative de la vitesse du vent

C

D

Différence relative de la concentration en carbone élémentaire –25 % –15 % –5 %

Différence relative de la concentration en carbone élémentaire

Différence relative de la concentration en carbone élémentaire 5%

15 %

25 %

Figure 13

230

Influence de la nature de l’écran de végétation sur la diffusion d’un polluant (carbone élémentaire). A) Rue avec arbres : réduction de la vitesse du vent ; B) rue avec arbres : accumulation de la pollution au niveau de la rue et des trottoirs ; C) rue avec haie perméable : meilleure diffusion de la pollution ; D) rue avec haie imperméable : accumulation de la pollution au niveau de la rue et amélioration de la qualité de l’air sur les trottoirs. Source : d’après Vos et coll. (2013). Improving local air quality in cities: To tree or not to tree?, Environ. Poll., 183 :113-122.

3.5. Ville, végétation et bilan de carbone Le gaz carbonique n’est pas un polluant de l’air à proprement parler, mais un important gaz à effet de serre. Les activités anthropiques de la ville (industrie, transport, chauffage…) produisant beaucoup de CO2, il est légitime de se demander dans quelle mesure la végétation peut contribuer à absorber, par la photosynthèse, ce surplus de gaz carbonique. À cet effet, une com13. Canopée : partie sommitale de la couronne des arbres en forêt.

paraison a été menée entre deux villes : Baltimore, ville américaine très végétalisée, et Bâle, en Suisse, nettement moins « verte ». Dans le premier cas on a pu montrer que, sur toute une période de l’année (de mars à octobre et de 6h à 18h dans la journée), le flux de carbone capté par la photosynthèse l’emporte largement sur les flux de carbone émis par la ville. À l’opposé, à Bâle, le flux net de CO2 urbain représente une émission : la quantité de végétation présente dans cette ville est insuffisante pour contrebalancer les émissions de CO2. Ces observations peuvent être généralisées. Une synthèse d’études menées sur une trentaine de villes a montré qu’à l’échelle d’une année, on n’observe un stockage net de CO 2 que dans quelques rares cas de figure. Les villes réussissant à compenser les émissions anthropogéniques de CO2 par la végétation sont donc encore peu nombreuses. Il faudrait pour cela une végétalisation très forte, paraissant actuellement illusoire, des villes à forte activité anthropique : on a montré par exemple que la séquestration annuelle de carbone par tous les arbres de l’agglomération de Chicago (États-Unis) était de 140 000 tonnes, ce qui ne représente que la quantité de carbone émise par les transports de la ville en une semaine (données de 1991).

4

Impact de la v­ égétation sur le microclimat u ­ rbain et la qualité de l’air

dessus de la canopée13 et l’air qui est en dessous : les polluants émis par les véhicules peuvent alors avoir tendance à s’accumuler dans les basses couches, là où se déplacent les automobilistes et les piétons. Dans d’autres simulations où les arbres sont remplacés en bordure de chaussée par des haies d’arbustes plus ou moins perméables, on observe que des haies peu perméables ont tendance à confiner la pollution au niveau de la chaussée et à la réduire sur les trottoirs, ce qui constitue un système efficace pour les piétons. Dans le cas de haies plus poreuses, on observe une meilleure diffusion de la pollution sur l’ensemble de la scène, avec des niveaux résultants plus homogènes et plus bas en moyenne. Enfin, on notera que les premières rangées d’arbres sont mieux ventilées par le vent incident, et qu’une configuration en bandes d’arbres est ainsi plus efficace pour la captation de la pollution qu’une disposition en blocs.

La modélisation, un puissant outil

La modélisation est un puissant outil qui s’avère complémentaire des campagnes

231

La chimie et les grandes villes 232

d’obser vation menées en ville, dont le caractère souvent local et la lourdeur (mâts ou tours instrumentées) limitent la faisabilité et la portée. Ont ainsi été développés un grand nombre de modèles urbains reposant sur différentes formulations mathématiques des processus ­h ygro-thermo-aérauliques qui se produisent dans l’environnement urbain. Les modèles les plus complets couplent le fonctionnement de l’atmosphère à celui des surfaces, et diffèrent tant par leur échelle de travail (ville, quartier, rue, voisinage d’un bâtiment) que par les processus qu’ils prennent en compte : vitesse du vent et turbulence, comportement du rayonnement au sol ou sur les murs, transpiration des arbres, régulation thermique des bâtiments, émission, diffusion et dépôt des particules polluantes, couplage avec l’hydrologie urbaine, etc. Ces modèles permettent par exemple de calculer le rayonnement atteignant chaque élément de la ville (murs, toits, chaussée, végétation…), les champs de vent et de température en tout point d’un paysage urbain, la dispersion de particules polluantes et leur dépôt sur la végétation. Des exercices d’intercomparaison de ces modèles ont été menés, faisant ressortir les points clés sans lesquels une bonne simulation des processus est illusoire : connaissance de l’albédo des surfaces, prise en compte de la morphologie urbaine pour le calcul des flux radiatifs thermiques, qualité de la description de la végétation.

Une fois que l’on a pu documenter les caractéristiques des surfaces et de la végétation urbaine, et que l’on s’est assuré de la capacité des modèles à reproduire les phénomènes observés, ces outils de modélisation peuvent être utilisés pour des analyses de sensibilité à la présence de la végétation urbaine. Un exemple simple de simulation, sur un domaine restreint, a été présenté en Figure 13 : il s’agissait de tester l’influence de différents aménagements végétalisés sur la diffusion d’un polluant dans une rue. Audelà de cet exemple particulier, on peut imaginer un grand nombre d’études possibles : par exemple, test de l’impact sur le microclimat et la qualité de l’air de tel schéma de végétalisation (parcs, arbres d’alignement, façades et toitures végétales…) dans telle configuration urbaine (réseau des rues, hauteur du bâti…) ; établissement de scénarios de végétalisation reposant sur certains types d’espèces disposés selon certaines configurations spatiales ; comparaison de schémas d’aménagement reposant, pour les uns, sur de nombreux espaces verts de dimension modeste, et pour les autres sur un faible nombre de grands espaces, etc. Une quinzaine d’équipes françaises ont travaillé ensemble sur ces aspects de 2010 à 2013, dans le cadre du projet VegDUD (Végétation et développement urbain durable), financé par l’Agence nationale de la recherche. Les résultats de ces travaux ont été publiés dans le livre Une ville verte – Les rôles du végétal en ville (éditions QUAE).

Il est capital dans les futures études de considérer les interactions entre différents phénomènes, qui conduisent à penser les scénarios de verdissement urbain en termes de compromis : par exemple, comment assurer un rafraîchissement de l’air urbain par la végétation sans émettre une trop grande quantité de COVB qui pourrait entraîner une augmentation de la teneur en ozone ? Ou encore comment favoriser l’ombrage des rues sans restreindre trop fortement leur ventilation ? Comment favoriser la végétation urbaine sans conduire à une consommation d’eau qui pourrait s’avérer problématique dans un éventuel contexte de restriction ? Ces questions demandent de toute évidence une approche transdisciplinaire de la végétalisation des villes car elles débordent largement du strict cadre du microclimat et de la qualité de l’air : la végétation exerce aussi des effets avérés, non abordés dans ce chapitre, sur la propagation du bruit, l’infiltration de l’eau et le ruissellement, l’érosion du sol, la biodiversité ; et elle remplit des fonctions plus subjectives liés à l’esthétique, au bien-être du citadin, au lien social que peuvent favoriser les espaces verts, etc. C’est bien l’ensemble des services écosystémiques que la végétation urbaine procure aux êtres humains qu’il faudra prendre en compte dès lors que l’on voudra imaginer et mettre en place des schémas de verdissement.

Impact de la v­ égétation sur le microclimat u ­ rbain et la qualité de l’air

Penser la ville verte

233

environnementale pour mieux

ville

respirer en

Romain Lacombe, ancien élève de l’École Polytechnique et du Massachusetts Institute of Technology, a créé la société Plume Labs (Encart), dans laquelle il se propose de compléter et de démocratiser l’information environnementale pour mieux respirer en ville.

PLUME LABS Plume Labs est une société d’une quinzaine de personnes, créée en 2014. C’est une start-up en plein développement, en pleine création, avec des équipes à la fois d’ingénieurs sur la mesure de pollution, mais aussi de scientifiques de l’atmosphère, d’anciens chercheurs en sciences atmo­ sphériques, et de data scientists, c’est-à-dire des mathématiciens appliqués qui mettent au point les modèles pertinents. Ses mesures de routine sont déjà capables de créer des maelstroms médiatiques. Site : https://plumelabs.com

1

La pollution de l’air, un fléau sanitaire

L’entreprise Plume Labs travaille dans le domaine de la chimie, et plus particulièrement de ses applications à l’environnement urbain en relation avec les questions de santé. La pollution urbaine, domaine sur lequel elle rassemble les informations pour les fournir aux consomma-

teurs, est avant tout un problème de santé. D ’a p r è s l ’ O r g a n i s a t i o n Mondiale de la Santé (OMS), ce sont près de 8 millions et demi de personnes, dans le monde, qui perdent la vie chaque année du fait de l’exposition chronique à la pollution de l’air, entre autres de l’air en intérieur. En Europe, on évalue à près d’un demi-million

D’après la conférence de Romain Lacombe

Démocratiser l’­information

La chimie et les grandes villes

Figure 1 La pollution est un problème de santé majeur, à l’origine de 8,5 millions de décès par an, dont 500 000 en Europe, selon l’OMS. Source : “Voyage on the Planet” by Chiu Chih.

le nombre de décès causés chaque année par l’exposition à la pollution (Figure 1). La Banque Mondiale estime à près de 5 000 milliards de dollars l’ensemble des pertes financières liées à la pollution : coût de la santé pour les collectivités, coût pour les employeurs du fait de l’absentéisme lié aux maladies chroniques ou aux crises dues à une exposition personnelle à la pollution, coût en années de vie ou de bonne santé ­perdues.

2

La pollution atmosphérique, un phénomène multifactoriel

2.1. Un phénomène complexe La pollution est le résultat de la façon dont notre système énergétique, de transport, etc., s’est construit en n’en tenant absolument pas compte. Il faut maintenant déployer de nouvelles solutions, qui sollicitent la créativité de nos ingénieurs, le développement de nouveaux matériaux, de nouveaux modes de services, de transports, de compréhension du fonctionnement des villes. La prise de conscience se fait progressivement et une « industrie des villes intelligentes » est en émergence. Les transformations nécessaires prendront de nombreuses années pour rendre l’organisation de la vie urbaine plus efficace et limiter l’émission de produits polluants ainsi que leur impact négatif sur la santé. 236

La question de la pollution a une dimension sociale qui

la rend compliquée. La définition des polluants ellemême est complexe : il est important de distinguer entre des aérosols et une pollution gazeuse, entre les produits de la combustion auxquels on peut être exposé en extérieur, les polluants secondaires1 issus de la transformation des polluants primaires 2 , ou d’autre part les produits présents en milieu intérieur, typiquement les composés organiques volatils (COV) (Figure 2). Ces distinctions parlent peu au grand public. Il faut précisément définir ce que cela veut dire « être exposé à la pollution », si c’est grave, et quand, comment, pourquoi ? Un grand besoin d’information du public apparaît. Il faut aider à faire réaliser l’ampleur du sujet, mais aussi à faire connaître les éléments factuels qui motivent les préoccupations. 2.2. Une forte variabilité spatiale et temporelle L a pollution atmosphé rique a cette caractéristique d’être extrêmement variable. Contrairement à la température, qui présente des tendances saisonnières très claires, la concentration des différents polluants peut varier de manière drastique d’une heure à l’autre de la journée, en fonction des phé1. Polluant secondaire : polluant ne provenant pas originellement d’une source, mais issu d’une réaction chimique entre d’autres gaz. 2. Polluant primaire : polluant direc­tement émis par une source de pollution, tel que le trafic routier, les industries,…

Produits de combustion, polluants primaires, aérosols, composés organiques volatils, particules en suspension… : la pollution atmosphérique est complexe. PM : particulate matter (particules en suspension). Source : Plume Labs.

nomènes atmosphériques ou de l’apparition éventuelle de couches d’inversion3 de températures sur nos villes. Il s’y rajoute aussi la variabilité de l’exposition aux polluants intérieurs. Cette variabilité intrinsèque doit être prise en compte dans tous les modèles. 2.3. Un fléau sans solution miracle Autre facteur d’incertitude dans l’évaluation des effets 3. Couche d’inversion : couche dans laquelle la température croît avec l’altitude, ce qui constitue un véritable « couvercle » pour les gaz se trouvant sous elle, ceux-ci acquérant une grande stabilité qui ne les incite pas à monter encore en altitude.

Démocratiser l’­information environnementale pour mieux respirer en ville

Figure 2

de la pollution : celle qui porte sur l’efficacité des moyens de protection – l’absence de solutions miracles. Dans les environnements extrêmement pollués comme New Dehli ou certaines villes de Chine, on voit des gens porter des masques : est-il assuré que ces masques soient utiles ? Il en est de même pour la lutte contre la pollution de l’air intérieur. N’est-on pas en train, en voulant ioniser ou utiliser des techniques qui vont émettre de l’ozone, de créer plus de problèmes qu’on est en train d’en résoudre ? Il apparaî t de façon prégnante un besoin général de compréhension des phénomènes liés à la pollution et des outils qui permettent de s’en prémunir.

237

La chimie et les grandes villes

3

L’information des citoyens comme moyen de prévention

3.1. Une application mobile pour faciliter les mesures de la pollution La question de la lutte contre la pollution, vue du grand public, s’analyse donc comme un problème d’information. C’est là que Plume Labs intervient. En diffusant les informations sur les outils, en particulier issus des nouvelles technologies, disponibles pour comprendre et remédier aux effets, cette entreprise veut « rendre l’air plus transparent » pour les consommateurs. Elle veut leur donner tous les moyens pour comprendre à quelle exposition ils sont soumis et savoir quels sont les gestes qu’ils peuvent adopter pour se prémunir des effets nocifs. Concrètement aujourd’hui Plume Labs, c’est une application mobile et une pla-

teforme de données, qui d’un côté utilise l’accès aux mesures réalisées par les réseaux scientifiques et les gouvernements sur le niveau de qualité de l’air dans les grandes villes (Figure 3), et de l’autre met à disposition un ensemble d’algorithmes et de modèles de données, pour prévoir l’évolution de la pollution. En résumé, Plume Labs utilise l’intelligence artificielle et les techniques de prévision et de modélisation stochastiques 4, pour anticiper l’apparition des pics de pollution. On utilise ces technologies pour, via une application mobile, informer les citoyens et permettre à chacun d’avoir immédiatement accès à l’information sur ce qu’il respire et sur l’évolution prévue dans la journée. Vous saurez s’il y aura un pic de pollution demain matin : peut-être est-ce soir le moment d’aller courir et non pas demain. Cette information ne corrige pas la pollution, mais elle permet à chacun de s’y adapter. Cette plateforme de données intéresse non seulement les consommateurs mais aussi l’ensemble des industriels qu’une mesure fiable et une prévision de pollution intéressent, soit pour informer leurs clients, soit pour adapter des produits ou des services, pour lancer un système de purification d’air, connecter sa maison intelligente, etc.

Figure 3

238

Suivi de la pollution de l’air urbain. De la réception des mesures par les capteurs de pollution à l’information du consommateur via l’application mobile. Source : Plume Labs.

4. Stochastique : relatif à une théorie ou un modèle s’appuyant sur la théorie des probabilités, qui associe à des variables d’entrée un résultat pondéré d’une certaine probabilité de réalisation.

La Figure 5 montre la concentration moyenne sur l’agglomér ation p ar isienne de particules fines dites PM2.5 (particules fines de diamètre optique de moins de 2,5 microns). La ligne rouge, c’est la moyenne annuelle à Pékin. Le 20 mars 2015, la pollution à Paris a dépassé ce niveau. À cette date, Plume Labs avait déjà construit la plateforme de données qui permettait l’accès à cette information, et les principaux outils de prévision. Ainsi, on s’est aperçu un matin que la pollution à Paris venait de dépasser la moyenne à Pékin. Imaginez notre surprise ! Plume Labs s’est retrouvé en quelques heures au centre d’un maelstrom d’interrogations : estce possible ? Est-ce vrai ? Pourquoi ? Comment ? On s’est retrouvé sur Franceinfo le soir-même ! Au centre de beaucoup d’interrogations sur les raisons de ce pic de pollution, de beaucoup de débats… La décision de mettre en place

Plume Labs collecte, grâce à son application mobile, près de 11 000 stations de mesure dans 54 pays et près de 400 villes. Source : Plume Labs.

140 120 Paris Pékin

100

Démocratiser l’­information environnementale pour mieux respirer en ville

3.2. Des mesures pour anticiper les pics de pollution

Figure 4

Niveau de PM 2,5 mesuré (µg/m3)

Aujourd’hui, ce sont près de 11 000 stations de mesure dont Plume Labs collecte les relevés à travers le monde. Plus de 54 pays, près de 400 villes sont disponibles dans l’application (Figure 4). Avec cette couver ture géographique, on est en capacité aujourd’hui d’apporter à des centaines de milliers d’utilisateurs une information sur leur exposition à la pollution et sur son évolution dans les prochaines heures, pour les aider à mieux s’en prémunir.

80 60 40

Autre traffic décidé…

20

…puis renforcé

0 18 mars

20 mars

22 mars

Figure 5 Suivi de la concentration en particules fines à Paris. Un exemple d’impact de l’accès aux mesures de pollution : la mise en place de la circulation alternée après un pic de pollution… mais trop tardive, faute d’avoir pu l’anticiper. Source : Plume Labs.

la circulation alternée a été prise pour la troisième fois seulement en dix ans. Cette anecdote illustre comment la capacité de prévoir l’évolution des niveaux de pollution peut être importante. Au niveau individuel, qui est celui que l’on vise, elle donne

239

La chimie et les grandes villes

les moyens aux particuliers de comprendre ce phénomène qu’est la pollution de l’air, et c’est la meilleure façon pour moins s’y exposer et ménager sa santé. 3.3. Des capteurs miniaturisés de pollution au quotidien pour chacun Mieux mesurer et mieux connaître la pollution est aussi ce qui guide le besoin de systèmes de transport plus propres, utilisant les dernières technologies de la chimie, pour éviter des produits à impact négatif sur la santé. C’est la conception de notre mission : faire en sorte qu’en informant les particuliers, on leur donne les moyens de se protéger puis dans un deuxième temps d’encourager l’innovation. Le développement des outils technologiques couplé à celui des modèles mathématiques – en particulier liés aux calculs stochastiques et aux techniques de la prévision – permet de traiter la variabilité très forte, même spatiale, de l’exposition à la pollution (voir plus haut). Une application mobile qui indique le taux de pollution moyen dans sa ville nous approche de la compréhension de ce que chacun d’entre nous respire. Au CES 5 , ce grand rendezvous des objets connectés, en janvier 2017, on a pu annoncer cette prochaine étape

240

5. CES : Consumer Electronic Show, considéré comme le plus grand salon consacré à l’innovation technologique grand public, se tenant à Las Vegas en janvier chaque année.

de notre développement, un accessoire connecté, portable, mobile, personnel, pour mesurer les principaux polluants de l’air que l’on respire. Grâce à cet objet, il sera possible, comme le font tous ces objets connectés qui suivent notre activité physique ou notre sommeil, de mieux comprendre notre santé environnementale, de mesurer ce que l’on respire, pour pouvoir mieux s’en prémunir. Il est notable que ce projet, avant même sa mise au point, a d’ores et déjà été primé au CES – une belle façon de commencer sa vie. Le travail a impliqué plusieurs années de collaboration avec le CNRS et la mise au point de versions miniaturisées de différents capteurs de pollution. L’intérêt pratique de ces nouvelles technologies de mesure et de prévision de la pollution a été illustré par le développement de leurs applications dans la ville de Londres (Encart : « Le retour des pigeons voyageurs »). Après la démonstration de faisabilité, nous avons recruté une centaine de volontaires à Londres qui nous ont aidés à financer la production d’une centaine de prototypes. Cette opération, en cours en 2015, permettra un premier test à l’échelle d’une ville, avec une centaine de personnes portant ces prototypes d’objets connectés lors de leurs déplacements. On pourra ainsi comprendre comment la variabilité de l’exposition personnelle se manifeste dans les faits, comment avec une centaine de personnes sur Londres on peut cartographier les différences d’exposition et com-

À l’instigation de Tweeter, nos instruments ont participé à une opération qui est montée à Londres, pour montrer que Tweeter pouvait servir à la communauté. Il s’agissait d’équiper des pigeons voyageurs de petits sacs-à-dos, équipés d’un GPS et de prototypes de nos capteurs de pollution, de les faire voler sur la capitale britannique, et de collecter des données. Les Londoniens pouvaient tweeter en direct avec cette « Pigeon Air Patrol », la patrouille des pigeons, lire et préciser les niveaux de pollution en direct du quartier (Figure 6). Et tout ce plan a marché ! On couplait les données issues du vol, avec des mesures réalisées au niveau du sol, à partir des réseaux que nous collectons dans notre plateforme de données. Cela a permis de construire une image très complète de l’ensemble des niveaux de pollution dans les différents quartiers. Les héros de cette aventure ont été nos pigeons de la Pigeon Air Patrol. Ils se sont retrouvés sur CNN, et le fondateur de Tweeter lui-même a félicité Plume Labs pour le travail, et les pigeons, pour avoir été les vraies stars de cette journée.

Démocratiser l’­information environnementale pour mieux respirer en ville

LE RETOUR DES PIGEONS VOYAGEURS

Figure 6 La Pigeon Air Patrol, une initiative pour informer sur les niveaux de pollution à Londres, en utilisant réseau social et avancées technologiques, un succès scientifique et médiatique partagé dans le monde entier via la CNN, appréciée par les internautes.

prendre l’« exposition longitudinale6 » importante en santé publique. In fine, il devra en résulter la conception d’un 6. Exposition longitudinale : synonyme d’« exposition répétée », et qui désigne une exposition récurrente au cours du temps.

produit à destination du grand public, pouvant intéresser les consommateurs, qui s’équiperont eux-mêmes de ce type de capteurs. Ce travail stimule aussi des recherches en sciences sociales : l’Imperial College,

241

La chimie et les grandes villes

dans son centre de recherche en politique environnementale, étudie l’aspect comportemental. Comment est-ce que moi, individu, si j’ai accès à l’information sur la qualité de l’air, je vais modifier mon comportement ? Est-ce que cela a un impact sur ma santé, est-ce que je peux avoir des recommandations, des conseils les plus précis possibles, pour me permettre d’agir, et donc comment mettre le numérique au service d’une meilleure s anté env ir onnem ent ale (Figure 7) ? Étendre les études au-delà de la pure technique des outils vers celle de la modification des habitudes de vie des consommateurs globale est un changement d’échelle très impor tant. À mesure que l’on multiplie les capteurs, on s’intègre dans la dynamique « ville connectée-ville intelligente », on perfectionne l’équipement

de l’espace urbain. Le résultat est que les consommateurs vont mieux connaître leur propre exposition à la pollution et enrichir la quantité de données disponibles. Progressivement, ces données permettront de construire une vision plus fine, plus gr anulaire, de l’exposition aux polluants, de leur variabilité dans l’espace urbain. On va ainsi emmagasiner des connaissances, qui permettront de rendre les villes plus respirables, et audelà, de mieux comprendre comment encore améliorer la gestion des polluants – quelles concentrations de polluants mesurer et suivre. La généralisation des mesures de polluants crée un cercle vertueux : plus les utilisateurs de nos dispositifs seront nombreux dans les différentes villes de la planète, plus on générera de données sur les expositions auxquelles ils sont soumis

Figure 7

242

Faire participer le citoyen à la mesure de la pollution atmosphérique grâce à des capteurs, pour construire les modèles du futur à partir de données expérimentales ? Source : DigitasLBi.

4

Comment améliorer la santé environnementale de nos villes ?

4.1. Stimuler la demande d’évolution de la santé environnementale des produits… Derrière les concepts de villes plus intelligentes et plus connectées, ce sont des villes en meilleure santé qu’il s’agit réellement. L’enjeu est majeur et souvent encore trop peu compris ou connu. À titre d’exemple, une étude du MIT, réalisée il y a quelques années, estimait à 53 000 chaque année le nombre de décès liés à la pollution de l’air par les véhicules de transport particuliers aux États-Unis. À titre de comparaison, les décès liés à l’accidentologie sont de 36 000 ; il y a donc aux États-Unis davantage de gens qui meurent des émissions polluantes issues des véhicules que des accidents de la route. C’est un constat absolument dramatique, et qui n’est connu que depuis peu de temps. C’est pour cela qu’on voit de nouveaux types de véhicules apparaître, comme les Tesla, et que, plus généralement,

Capteurs

Connaissance Données

Figure 8 L’adhésion du plus grand nombre au projet d’objet connecté de Plume Labs permet de faire progresser la compréhension fondamentale de la pollution atmosphérique.

l’appétence pour les véhicules électriques se développe. Cette tendance est vraie dans le domaine du transpor t, mais aussi pour l’ensemble des industries en contact avec le consommateur final. La qualité environnementale des produits devient une caractéristique majeure de leur diffusion.

Démocratiser l’­information environnementale pour mieux respirer en ville

et sur la caractérisation de notre environnement commun (Figure 8). L’enjeu est de comprendre notre santé environnementale, comment elle est liée à la pollution, comment on peut l’améliorer, et comment on peut collectivement mettre en place des systèmes urbains plus connectés, plus efficaces.

4.2. ...en améliorant l’accès à l’information sur la pollution atmosphérique pour tous les citoyens Cette prise de conscience des consommateurs ne va pas sans ambiguïté : d’un côté évidemment la prise en compte des contraintes environnementales a des conséquences négatives sur les prix, mais cependant on observe que la demande des consommateurs vis-à-vis de la qualité environnementale des produits ou d’un certain nombre d’activités économiques se manifeste avec de plus de plus de force – une tendance stimulée par l’abondance croissante de l’information sur les causes de pollution (Figure 9).

243

La chimie et les grandes villes

Figure 9 L’information sur la pollution, un vecteur pour susciter la demande du consommateur d’une surveillance plus personnelle de sa santé environnementale.

Rendre le consommateur intelligent sur la santé publique L’enjeu d’améliorer la santé publique en luttant contre la pollution chimique dans les villes inspire maintenant largement la politique des villes. Il est compris que la condition du succès, c’est de construire une demande des citoyens en matière de qualité environnementale. Cela nécessite de mieux informer les citoyens sur ce qu’ils respirent dans les villes pour qu’ils soient des consommateurs plus avisés. Leurs comportements d’acheteurs encourageront ainsi le développement de produits améliorés par les innovations chimiques ou technologiques. Cette mobilisation fera finalement de nos villes des plateformes pour inventer l’avenir (Figure 10).

Figure 10

244

Le contrôle de la pollution urbaine doit servir de modèle à une société protectrice de la santé publique.

individuelle et

collective aux

­pollutions urbaines Valérie Issarny est directrice de recherche chez Inria1 (Institut national de recherche dédié au numérique). Elle coordonne une équipe scientifique autour du programme CityLab@Inria2, qui étudie l’application des sciences et technologies du numérique au cadre de la ville connectée, c’est-à-dire l’utilisation des nouvelles technologies dans l’urbain tout en promouvant la participation citoyenne. CityLab@Inria bénéficie de collaborations pluridisciplinaires franco-américaines au travers de l’Inria International Lab Inria@SiliconValley3, ce qui conduit notamment à mener des expérimentations transatlantiques.

Ce chapitre présente les résultats de l’un des projets sur la ville connectée (Figure 1) mené au sein de CityLab@ Inria. Le projet vise concrètement à favoriser la compréhension de l’exposition aux pollutions urbaines, en impliquant le citoyen tant dans la contribution que dans l’accès à l’information pertinente. Dans cet ouvrage La chimie et les grandes villes (EDP S cience s , 2 017 ), C ar los 1. www.inria.fr 2. citylab.inria.fr 3. https://project.inria.fr/siliconvalley/

Moreno montre que la ville intelligente, la « smart city », est avant tout une ville vivante qui favorise et améliore les échanges sociaux. Dans ce cadre, le numérique, avec l ’aide d’une par ticipation citoyenne relativement élevée, joue un rôle important pour mieux comprendre le fonctionnement des infrastructures. La ville intelligente ne doit pas mettre l’humain de côté mais plutôt l’inclure dans la ville et faire en sorte qu’il devienne acteur de sa ville.

D’après la conférence de Valérie Issarny

Exposition

La chimie et les grandes villes

Figure 1 La ville connectée désigne une ville utilisant les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour améliorer la qualité des services urbains ou encore réduire ses coûts.

1

Centre urbain et développement social durable

L’objectif est d’avoir des centres urbains qui encouragent un développement durable, c’està-dire des villes faites pour le bien de tous (Figure 2). Il est

Figure 2 Le développement social durable des centres urbains correspond à une croissance du bien-être et de la participation citoyenne pour une meilleure connaissance des problèmes et de leurs solutions. Sources : 123rf.

246

largement montré dans cet ouvrage qu’il y a une croissance démographique urbaine, et il est important que tout le monde se sente bien en ville, quels que soient ses revenus et sa condition sociale. Les risques liés aux pollutions sont un danger (Figure 3).

Dans ce but, nous avons conçu le projet UrbanCivics4 centré sur la démocratisation des données urbaines. Cette dernière repose sur la création d’une plateforme5 permettant de centraliser et d’exploiter les différentes données urbaines qui contribuent au suivi de l’exposition à la pollution environnementale, incluant les données issues de la participation citoyenne. 1.1. Vers la démocratisation des données urbaines L a maî trise du big-data (Figure 4), qui permet d’exploiter un grand nombre de données, est essentielle pour la démocratisation des don4. http://urbancivics.com 5. Plateforme : base de travail à partir de laquelle on peut écrire, lire, développer et utiliser un ensemble de logiciels. Une plateforme est un environnement permettant la gestion et/ou l’utilisation de services applicatifs.

Figure 3 La pollution dans les grandes villes constitue une nuisance voire un danger pour le citoyen, comme cela est notamment mis en avant par les études de l’OMS.

Exposition individuelle et collective aux ­pollutions urbaines

Pour trouver des solutions efficaces, il est important d’impliquer les citoyens dans la démarche de la compréhension de la pollution et des solutions possibles parce que les villes, telles qu’elles sont actuellement gérées, n’ont pas forcément une vision systémique des problèmes. Les citoyens vivant dans leurs villes peuvent avoir une meilleure connaissance ou en tout cas avoir connaissance de certains problèmes que les gouvernants n’auront pas forcément perçus, et ils peuvent aussi proposer ou tout au moins contribuer à apporter des solutions et mettre en avant d’autres priorités budgétaires.

Figure 4 Le big-data décrit des ensembles de très gros volumes de données – à la fois structurées, semi-structurées ou non structurées –, qui peuvent être traitées et exploitées dans le but d’en tirer des informations intelligibles et pertinentes. Sources : 123rf.

nées urbaines. L’IoTique 6 , qui permet l’intégration de données issues d’une multitude de capteurs physiques dans le monde virtuel, est en outre une source de données majeure de la plateforme. De même, les réseaux sociaux offrent une autre source importante de données qualitatives pour la plateforme. L’objectif essentiel de la plateforme de démocratisation des données urbaines est ainsi de combiner, de la collecte à l’analyse, toutes les 6. IoT (Internet of Things ou Internet des objets, en français) : représente l’extension d’Internet à des choses et à des lieux du monde physique. L’Internet des objets est un réseau de réseaux qui permet, par des systèmes d’identifications complexes, de transmettre des données entre objets physiques et virtuels.

247

La chimie et les grandes villes

sources de données urbaines pertinentes afin d’offrir une meilleure connaissance de notre environnement. De manière tout aussi importante, la plateforme doit également inclure la notion de feed-back loop7, c’est-à-dire, 7. Feedback loop (FBL) ou boucle de rétroaction en français : système mis en place pour améliorer un produit, un procédé, etc., en recueillant et en réagissant aux commentaires des utilisateurs.

impliquer le citoyen dans la compréhension de la pollution environnementale, de ses effets aux solutions pour la réduire. Il faut aussi interpeler le gouvernant, qui idéalement mènera des actions en vue de réduire la pollution environnementale, bénéficiant notamment d’une meilleure connaissance de celle-ci. La réalisation de la plateforme proposée s’appuie sur une infrastructure logicielle de type Middleware8 (Figure 5), qui permet la collecte et l’intégration des différentes sources de données urbaines pertinentes combinant des solutions relevant de : big-data et moyens de communication pour récupérer les données issues des réseaux sociaux aussi bien que de l’IoT avec les données relevant du monde physique (capteurs). Citoyens et gouvernants sont en outre au cœur du dispositif en étant producteurs et consommateurs de la connaissance obtenue à partir de l’analyse des données ainsi agrégées. Développer un tel système conduit à résoudre différents défis. 1.2. Les défis 1.2.1. L’hétérogénéité de l’IoT Les sources de données utilisées dans l’IoT sont nombreuses et variées. Les cap-

Figure 5

248

L’infrastructure logicielle Middleware permet de rassembler toutes les données provenant de différentes sources pour une meilleure compréhension de la ville. Source : Ambiciti.

8. Middleware ou intergiciel en français : un logiciel tiers qui crée un réseau d’échange d’informations entre différentes applications informatiques. Le réseau est mis en œuvre par l’utilisation d’une même technique d’échange d’informations dans toutes les applications impliquées à l’aide de composants logiciels.

Exposition individuelle et collective aux ­pollutions urbaines

teurs physiques (mobiles, fixes et biocapteurs) sont eux-mêmes hétérogènes. De la même manière, les contributions issues des réseaux sociaux sont aussi hautement hétérogènes (Figure 6). Intégrer et assimiler ces données pour faire la cartographie d’un phénomène au niveau urbain est par conséquent complexe. Le défi de l’hétérogénéité de l’IoT est encore loin d’être résolu, comme l’illustre aussi le Chapitre de R. Lacombe dans La chimie et les grandes villes sur le diagnostic et le traitement de la pollution de l’air. Une question essentielle est la capacité à mesurer la pollution environnementale au cours du temps sur une large couverture spatiale. L’émergence de capteurs de relativement bas coût et portables est une solution prometteuse mais souffre, à ce jour, de l’absence de capteurs d’une fiabilité suffisante. Toutefois, le développement de l’IoT et des technologies de capteurs associées laisse présager le déploiement croissant et massif de capteurs d’intérêt dans l’environnement urbain, qu’ils soient fixes ou mobiles. Par ailleurs, les centres urbains déploient déjà des stations de mesure de la pollution environnementale et en particulier de la qualité de l’air. Par exemple, Airparif 9 déploie de l’ordre de soixantedix stations de mesure en Ile-de-France (Figure 7). Ces stations ont l’inconvénient d’avoir un coût très élevé 9. www.airparif.asso.fr

Figure 6 Les différents réseaux sociaux peuvent être utilisés en tant que capteurs pour récupérer l’information. Source : 123rf.

mais ont l’avantage de fournir des observations de qualité. Toutefois, le coût élevé fait que la couverture spatiale est limitée. Aux difficultés des capteurs physiques qui donnent des informations quantitatives de plus ou moins grande qualité, s’ajoutent celles des capteurs sociaux, qui n’apportent que des informations qualitatives. Prenons l’exemple de la pollution sonore, potentiellement dangereuse pour la santé. Selon l’endroit et selon la personne, cette pollution peut être perçue comme une nuisance ou non ; par exemple, un spectateur d’un concert n’évoquera généralement pas une exposition à une pollution sonore. La difficulté est donc de gérer une information subjective et d’être à même de la coupler à une information quantitative issue de capteurs physiques. De plus, tant les

Figure 7 Le capteur physique déployé par Airparif permet d’avoir une grande précision mais à un coût élevé. Source : Airparif.

249

La chimie et les grandes villes

capteurs physiques que les personnes ont des susceptibilités/sensibilités différentes, ce qui rend l’information fournie difficile à intégrer.

les plus grandes. Cela permet par exemple d’informer le déploiement de capteurs fixes.

1.2.2. La modélisation de la pollution environnementale

La démocratie participative et la démocratie directe reposent sur le renforcement de la participation du public à l’élaboration des décisions politiques, en opposition à la démocratie représentative10. Dans ce cadre, les outils numériques apparaissent comme favorisant la participation citoyenne.

Afin de pallier les limites des observations de la pollution urbaine au moyen de capteurs, on fait appel à la modélisation mathématique. Les incertitudes liées à cette modélisation peuvent ensuite être réduites par assimilation des données d’observations issues de capteurs, comme cela est schématisé sur la Figure 8. Toutefois, de nombreux défis restent posés. Cela inclut évidemment d’accroître les performances des capteurs et des modèles mais également de savoir intégrer des données qualitatives pour pouvoir bénéficier des données issues des réseaux sociaux. Il est également intéressant d’exploiter au mieux le couplage modélisation-observation en identifiant notamment les lieux où les incertitudes concernant la connaissance de la pollution environnementale sont

Figure 8

Observations

Schéma de principe de la modélisation de la pollution environnementale urbaine. Source : Ambiciti.

Erreurs obs

Assimilation

MODÈLE Erreurs modèles

250

Modèles améliorés

1.2.3. La participation citoyenne

À notre modeste niveau, nous voulons faciliter la participation citoyenne dans la compréhension de la pollution environnementale dans la ville et influencer la mise en œuvre de solutions pour la réduire. Concrètement, il s’agit de permettre à toute personne de contribuer, par simple utilisation de son smartphone, à la collecte d’observations relatives à la pollution afin de mieux informer mais également d’être informée de l’exposition aux pollutions environnementales et de ses effets sur la santé. Toutefois, un défi majeur consiste à effectivement inciter et encourager la participation (Figure 9). 10. Démocratie directe : système dans lequel les citoyens exercent directement le pouvoir. Démocratie participative : désigne l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens et d’accroître leur rôle dans les prises de décision. Démocratie représentative : un système dans lequel le citoyen délègue son pouvoir à des représentants qui incarnent la volonté générale. Les représentants votent la loi.

Exposition individuelle et collective aux ­pollutions urbaines Figure 9 La participation citoyenne dans les observations et la collecte des données de la pollution implique un intérêt à y participer. Sources : 123rf.

2

La plateforme Ambiciti pour l’intégration des données environnementales

Issue du projet UrbanCivics, la plateforme Ambiciti (Figure 10) a, dans le domaine de la pollution environnementale, pour objectif de collecter les différentes données pertinentes afin de les exploiter pour produire une cartographie horaire de la pollution environnementale, incluant sa

prévision à deux jours, au niveau de la rue. La plateforme combine pour cela simulation numérique, étant donnés les modèles mathématiques précédemment cités, et assimilation de données pour réduire les incertitudes à partir des observations des capteurs. De manière complémentaire à la cartographie de la pollution, un autre objectif est de coupler ces données avec par exemple des études épidé-

251

La chimie et les grandes villes

Éco-système de données environnementales

Plateforme Ambiciti

Données perso.

Compréhension

Simulation

Données comm.

Simulation

Données ouvertes.

Assimilation Étude épidémiologique

Crowd Sourcing & Sensing

Observation

Réseaux sociaux

Observation

IoT

Figure 10 La plateforme Ambiciti combine toutes les sources d’informations disponibles pour une meilleure compréhension de la pollution de la ville. Source : Ambiciti.

miologiques sur les aspects sanitaires pour contribuer à comprendre les impacts de la pollution sur la population. Nous avons initialement développé une première application de la plateforme Ambiciti au cadre de la pollution sonore (Figure 11). En effet, technologiquement, travailler sur la pollution

Figure 11

252

La pollution sonore est un élément de pollution important à prendre en compte. Source : 123rf.

sonore était plus facile dès lors que l’on voulait favoriser la collecte d’observations par les citoyens eux-mêmes car, comme déjà évoqué, la disponibilité, et par conséquent la démocratisation, de capteurs portables pour la pollution atmosphérique reste encore à venir. En revanche, le microphone d’un téléphone suffit à mesurer la pollution sonore à laquelle on est exposé. Par ailleurs, même si la pollution sonore a des effets sanitaires moindres qu’une mauvaise qualité de l’air, elle n’en est pas moins néfaste. De manière tout aussi importante pour l’incitation à la participation citoyenne, la population est fortement sensible à la pollution sonore, et par conséquent a priori encline à contribuer à toute action qui permettrait de la réduire.

Cartographie de la pollution sonore réalisée à San Francisco. Source : création UrbanCivics.

Exposition individuelle et collective aux ­pollutions urbaines

environnementale, en complément de la cartographie initiale de celle-ci par simulation numérique. En contrepartie, l’utilisateur est informé de son exposition individuelle dans le temps, qu’il peut mettre en relation avec les recommandations de l’OMS.

253

2.1. Un cas d’étude : la pollution sonore à San Francisco Afin de mieux évaluer la sensibilité de la population à la pollution sonore, nous avons mené une étude sur la ville de San Francisco. Nous avons précisément considéré la cartographie de la pollution sonore en journée de la ville de San Francisco, laquelle a été produite à partir d’un modèle mathématique qui calcule la pollution sonore à partir de différentes données comme l’information sur le trafic. Sur la carte de la Figure 12, on retrouve effectivement des quartiers de San Francisco connus pour être bruyants, mis en avant par les routes en rouge.

Figure 12

Nous avons ensuite comparé ces données avec la localisation des plaintes émises sur les problèmes de pollution sonore à un numéro (qui s’appelle le 3-1-111), qui sont représentées par les points bleus sur la Figure 12. Comme nous pouvons le constater, il y a une bonne corrélation entre les plaintes et la cartographie de la pollution sonore. 2.2. L’application Ambiciti et la pollution sonore Ce premier travail sur la ville de San Francisco nous a conduits à développer l’application Ambiciti (Figure 13) en complément de la plateforme du même nom. Ambiciti permet d’intégrer la contribution du citoyen en matière d’information sur la pollution 11. Numéro 3-1-1 : un numéro d’appel non urgent permettant de joindre les services publics sans encombrer la ligne d’urgence.

Figure 13 L’application Ambiciti permet de suivre l’exposition individuelle et collective aux pollutions environnementales et en particulier la pollution sonore. Source : Ambiciti.

La chimie et les grandes villes

2.3. La quantification de l’exposition au bruit L’application Ambiciti permet, à partir du micro du téléphone, de quantifier l’exposition au bruit (Figure 14). Cependant, les différents capteurs des téléphones sont très largement hétérogènes et de qualité variable. Ainsi, pour une mesure du bruit effectuée au même moment et au même endroit, des téléphones différents retourneront des valeurs disparates. Cette hétérogénéité peut être surmontée par l’étalonnage du téléphone. Nous organisons par conséquent des rencontres avec des utilisateurs d’Ambiciti pour l’étalonnage des téléphones (Figure 15). Nous avons en outre pu constater que l’étalonnage est le même pour un modèle donné de téléphone (Figure 16). Toutes les personnes qui possèdent un téléphone dont le modèle a été

Figure 14 La quantification de l’exposition au bruit utilise le microphone des téléphones mobiles mais nécessite un étalonnage préalable. Source : Ambiciti.

254

étalonné peuvent ainsi bénéficier d’un étalonnage automatique, directement accessible depuis l’application. L’application permet aussi de relier l’exposition individuelle à la pollution sonore avec des recommandations rel atives à l a santé. L a Figure 17 montre ainsi, au moyen du trait rouge, l’exposition maximale recommandée au cours de la journée en termes d’exposition au bruit ; de cette façon, chaque personne peut suivre son exposition personnelle au bruit et éventuellement prendre des mesures pour être moins exposée. Différentes statistiques sont par ailleurs proposées, toujours dans le but de contribuer à comprendre et éventuellement à diminuer son exposition à la pollution. 2.4. De l’exposition individuelle au bruit à l’exposition collective Si les contributions individuelles concourent à cartographier la pollution environnementale, il est nécessaire de disposer d’une cartographie initiale produite par simulation numérique. En effet, il faudrait collecter un très grand nombre d’observations de qualité élevée pour être à même de produire une carte à l’échelle urbaine. La Figure 18 représente la carte initiale de l’Agence d’Écologie Urbaine de la pollution sonore à Paris. Les collectes individuelles de points d’observations sur le bruit sont ensuite exploitées pour corriger cette cartographie, à Paris notamment (Figure 19).

Des « Calibration Parties » sont organisées pour l’étalonnage des capteurs téléphoniques afin de mieux quantifier l’exposition au bruit. Source : Inria.

Exposition individuelle et collective aux ­pollutions urbaines

Figure 15

Figure 16 Les différents modèles de téléphone n’ont pas le même biais et chacun requiert donc un étalonnage.

Figure 17 L’application s’appuie sur l’implication du citoyen, qui aura une meilleure connaissance sur son exposition individuelle à la pollution. Source : Ambiciti.

255

La chimie et les grandes villes

Figure 18 Cartographie de la pollution sonore à Paris produite par l’Agence d’Écologie Urbaine de la ville de Paris. Source : Ambiciti.

Figure 19 Les niveaux de bruits collectés avec l’application Ambiciti viennent enrichir la compréhension de la pollution sonore. Source : Ambiciti.

3

La participation citoyenne au cœur du projet

256

Pour revenir à la dimension de la participation citoyenne, l’application Ambiciti permet, en fait, deux types de contributions. La première, mise en œuvre par défaut, consiste à mesurer périodiquement, en tâche de fond, la pollution sonore. L’avantage est ici que l’usager n’a pas à se soucier de relever des observations et n’est donc pas dérangé. L’inconvénient est que la qualité des observations est très

disparate et seul un pourcentage réduit des observations communiquées à la plateforme peut être utilisé pour la cartographie de la pollution. Prenons l’exemple du téléphone mis dans le sac à dos : la qualité d’observation sera typiquement moins bonne et ces données devront être filtrées. De même, si la localisation n’est pas suffisamment précise, elle ne peut pas être utilisée pour la cartographie. Dans tous les cas, il faut écarter les données qui ne sont pas pertinentes (Figure 20).

La qualité des observations collectées par les citoyens est variable. L’application doit pouvoir écarter les données non pertinentes. Source : 123rf.

3.1. Le mode parcours et la science citoyenne Afin de pouvoir collecter un plus grand nombre d’observations de qualité suffisante, l’application Ambiciti offre une fonctionnalité, « le mode parcours », qui s’appuie sur la notion de Science Citoyenne, où le citoyen s’engage proactivement et consciemment

Exposition individuelle et collective aux ­pollutions urbaines

Figure 20

dans la collecte de données (Figure 21). Suivant le mode parcours, il est possible de définir la durée et la fréquence des échantillonnages afin d’accroître ainsi la qualité et la quantité des observations. Nous organisons aussi des campagnes de collectes permettant de sensibiliser les

Figure 21 Avec le mode parcours, Ambiciti offre à l’utilisateur le moyen de procéder à une mesure intensive du bruit pour analyser un trajet ou cartographier son quartier, seul ou en groupe. Source : Ambiciti.

257

La chimie et les grandes villes

personnes sur l’utilité du mode parcours, pour qu’elles puissent éventuellement organiser à leur tour des campagnes de collectes dans leurs quartiers (Figure 22).

Des car tes de pollution sonore obtenues après ces campagnes de collecte sont automatiquement générées et mises à disposition des participants (Figures 23 et 24).

Figure 22 Des campagnes de collecte sont organisées avec des balades de mesure collective et citoyenne. Source : Inria/photo : C. Morel.

A

B

Figure 23

258

Exemple de résultats d’une campagne de collecte de pollution sonore par le système Ambiciti. A) La mesure permet à une personne ou à un groupe d’évaluer la pollution sonore le long d’un trajet ou de cartographier un quartier ; B) l’application constitue un historique des mesures effectuées. Source : Ambiciti.

L’assimilation des données à partir des observations vise à reconstituer les niveaux de bruit dans une zone donnée. Source : Ambiciti.

Exposition individuelle et collective aux ­pollutions urbaines

Figure 24

La participation citoyenne à la connaissance de la pollution environnementale : encore des défis à relever On observe une hétérogénéité de la participation citoyenne à la collecte d’observations relatives à la pollution environnementale, tant sur le plan qualitatif que quantitatif. Cela peut être vu comme un handicap à la mise en œuvre d’une solution basée sur la contribution citoyenne de par les difficultés techniques induites. Toutefois, parce qu’elles sont techniques, ces difficultés peuvent être palliées au moyen d’outils et méthodes s’appuyant sur la modélisation mathématique des phénomènes observés. Il est par ailleurs essentiel de minimiser la consommation énergétique de l’application Ambiciti pour téléphone, car c’est un prérequis à son utilisation de masse. Cela oblige notamment à trouver un compromis énergietemporalité approprié, ce qui inclut de limiter la fréquence des communications des observations à la plateforme.

259

La chimie et les grandes villes

L’analyse des observations collectées sur une période d’un an montre en outre que les usagers sont principalement statiques. Par conséquent, les observations fournies par une même personne couvrent des zones relativement limitées, d’où l’importance de collecter des observations par une grande diversité d’usagers. Enfin, si ce chapitre s’est concentré sur le cas de la pollution sonore, l’application Ambiciti traite à présent des pollutions sonores et atmosphériques. Toutefois, les informations de pollution atmosphériques sont à ce jour calculées par simulation numérique car les capteurs mobiles de qualité de l’air sont, comme nous l’avons déjà évoqué, encore en nombre limité (Figure 25).

Figure 25 Ambiciti fournit également des informations de son exposition à la pollution atmosphérique, laquelle est obtenue par simulation numérique. Source : Ambiciti.

Remerciements

260

Valérie Issarny tient à remercier Vivien Mallet, PierreGuillaume Raverdy, Fadwa Rebhi et Raphael Ventura pour leurs contributions aux travaux présentés dans ce chapitre.

air intérieur

de l’ en milieu

urbain :

diagnostiquer et traiter

Frédéric Thévenet est Professeur à l’Institut Mines Télécom1, IMT Lille Douai. Il est spécialiste de l’interaction gaz-surface notamment appliquée au traitement de l’air.

Il y a trois raisons de s’intéresser à la qualité de l’air dans les espaces intérieurs. L a première r aison est qu’on passe finalement peu de temps dans des endroits non abrités, puisqu’on passe 90 % de notre temps dans des espaces confinés. On est donc relativement peu exposé à l’air extérieur par rapport à l’air intérieur : on a commencé avec les cavernes et on a étendu cela à l’habitat, au véhicule, au lieu de travail, à la salle de sport, à l’espace, au transport public (Figure 1). La deuxième raison est le coût d’une mauvaise qualité de l’air intérieur : 40 milliards d’euros dont un milliard directement dédié à des médicaments antiasthmatiques. Cela trahit donc un impact sanitaire marqué. 1. https://www.imt.fr

La troisième raison, c’est le nombre de décès (voir aussi le Chapitre de R. Lacombe dans cet ouvrage La chimie et les grandes villes, EDP Sciences, 2017) : 4 millions par an, causés par une mauvaise qualité de l’air intérieur, un chiffre qui est annoncé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

Figure 1 On passe 90 % de notre temps dans des espaces confinés, d’où l’importance de la qualité de l’air intérieur.

D’après la conférence de Frédéric Thévenet

Pollution

La chimie et les grandes villes

1

L’impact sanitaire d’un air intérieur pollué

1.1. Des pathologies variées La mauvaise qualité de l’air intérieur peut donner lieu à des pathologies variées (Encart : « Les impacts sanitaires de la pollution de l’air intérieur »). Il s’agit principalement de pathologies du système respiratoire : rhinites, bronchites, asthme, mais aussi de pathologies plus diffuses et spécifiques au bâtiment, notamment le « syndrome du bâtiment malsain », qui se traduit par des maux de tête, une fatigue générale, une irritation des yeux, des nausées. D’autres pathologies ont été identifiées, notamment des pathologies liées au trouble du comportement. Des études se développent depuis une dizaine d’années sur la capacité de concentration et la capacité d’apprentissage des

LES IMPACTS SANITAIRES DE LA POLLUTION DE L’AIR INTÉRIEUR Pathologies du système respiratoire (rhinites, bronchites, asthme) (Figure 2) ; Syndrome du bâtiment malsain : maux de tête, fatigue, irritation des yeux, nausées… ; Trouble du comportement : études émergentes sur la capacité d’apprentissage des enfants. Figure 2 Un air intérieur pollué peut conduire à des pathologies variées, notamment du système respiratoire (rhinites, bronchites et asthme).

262

enfants et des étudiants : de quelle manière la capacité d’apprentissage peut-elle être impactée par la composition de l’air intérieur dans lequel l’enseignement se déroule. On savait depuis fort longtemps qu’au-delà de 4 000 - 5 000 ppm de CO2 dans un espace clos, on pouvait ressentir des difficultés de concentration ; on s’aperçoit maintenant qu’il y a une quantité d’autres polluants qui peuvent être concernés. Des études sur ces sujets, réalisées par l’EPA (Environmental Protection Agency) aux ÉtatsUnis, proposent un lien direct entre qualité de l’air intérieur et performances d’acquisition de connaissances. 1.2. Différents types d’exposition aux polluants Les pathologies v ar iées associées à l’air intérieur sont reliées à des polluants eux-mêmes variés car on a affaire à une « soupe » disparate (Encart : « Des polluants variés aux effets variés »). On peut observer des situations d’expositions aiguës, au cours desquelles les effets sur les occupants sont sans appel : il s’agit par exemple d’empoisonnements au monoxyde de carbone (CO) liés à des dispositifs de chauffage par combustion mal réglés et pouvant entraîner la mort des personnes exposées. De manière moins flagrante, on peut observer des expositions chroniques, correspondant à des expositions de longue durée à un cocktail d’espèces – des composés organiques (le formaldéhyde, le benzène) ou des composés issus des éma-

–  Exposition aiguë (empoisonnement au monoxyde de carbone CO) ; –  Exposition chronique (exposition long terme au formaldéhyde, benzène (Figure 3), radon, composés classés cancérogènes). Figure 3 Le formaldéhyde (à gauche) et le benzène (à droite), deux molécules polluantes de l’air intérieur et soumises à des valeurs guides.

nations radioactives du sol comme le radon, ou encore des composés classés cancérogènes, qui sont présents en quantités infimes dans les espaces intérieurs mais qui sont potentiellement dangereux en exposition chronique.

2

Classification des sources de polluants

2.1. Classification selon la nature du polluant On peut classer les polluants en fonction de leur nature : physiques, chimiques ou microbiologiques (Tableau 1).

Pollution de l’air intérieur en milieu urbain

DES POLLUANTS VARIÉS AUX EFFETS VARIÉS

Les polluants physiques sont plutôt reliés à la matière particulaire : les particules issues de l’industrie, du trafic, des processus de combustion, des poussières aussi pouvant être issues de phénomènes d’abrasion, de re-suspension, qui proviennent parfois de processus naturels, ou encore des fibres telles que l’amiante. Les polluants chimiques obser vés en air extérieur, comme dans les espaces intérieurs, sont principalement des gaz, les oxydes de carbone (CO et CO2), les composés organiques volatils (COV), dont certains sont odorants,

Tableau 1 Classification des polluants selon leur nature.

Physique

Particules (industrie, trafic, combustion), poussières (abrasion, re-suspension), fibres (amiantes).

Chimique

Gaz (Composés Organiques Volatils (COV), CO2, CO, O3, NOx), métaux.

Micro­ biologique

Développement de moisissures, propagation de bactéries ou de virus par voie aérienne.

263

La chimie et les grandes villes

des gaz inorganiques tels que l’ozone (O3) et les oxydes d’azote (NOx), voire certains métaux. Les polluants microbio­ logiques sont issus des développements biologiques qui peuvent se produire dans certains espaces intérieurs, notamment mal ventilés – développement de moisissures par exemple –, ou dans des espaces rassemblant un très grand nombre de personnes, favorisant la propagation de bactéries ou de virus par voie aérienne. 2.2. Classification selon la source du polluant On peut aussi classer les polluants selon leur source, c’est-à-dire le lieu d’où ils proviennent (Tableau 2). Il peut s’agir de sources ponctuelles, qui génèrent des bouffées de polluants ; elles sont caractérisées par des temps d’émission très courts mais des doses délivrées parfois importantes. Ce sont des phénomènes observables lors de campagnes de mesures en air intérieur, mais nettement moins pris en compte par rapport aux

s o ur ce s co ntinu e s . L e s sources ponctuelles peuvent être associées à des phénomènes de combustion, comme le tabagisme en air intérieur, les activités de ménage, l’utilisation de parfum d’ambiance ou les activités de cuisine qui peuvent se dérouler dans des espaces confinés. Les sources continues sont caractérisées par un temps d’émission prolongé, des doses délivrées généralement faibles mais conduisant à une exposition chronique des personnes qui vont occuper les différents espaces intérieurs – l’habitat, les habitacles de véhicules, les rames de trains ou les cabines d’avions. Les sources continues sont souvent associées aux matériaux de construction, de décoration ou de l’aménagement de l’espace intérieur ; leurs émissions étaient presqu’ignorées il y a encore une dizaine d’années, mais on sait à présent qu’elles sont majeures en termes d’impact sanitaire sur les occupants. Les polluants de l’air intérieur peuvent aussi provenir des interactions de l’espace

Tableau 2 Classification des polluants selon leur source.

264

Sources ponctuelles

Caractérisées par un temps d’émission court mais des doses délivrées potentiellement importantes (ménage, tabagisme, combustion, cuisine,…).

Sources continues

Caractérisées par un temps d’émission prolongé et des doses délivrées souvent faibles : exposition chronique (émissions de matériaux de construction et/ou décoration).

Polluants industriels et automobiles NOx, SOx, Pb, COV, CO, CO2, particules, fibres

COV

H2O Occupants animaux Particules, CO2, H2O, NH3, poils, micro-orgnaismes

Polluants agricoles Insecticides, fongicides, engrais, champignons

Appareils Nettoyage, de combustion cuisine, ordures CO, CO2, NOx, HCHO, COV, NH3, HCHO, H2O, particules, COV H2O, particules, micro-organismes micro-organismes Tabagisme Particules, CO, COV, Appareils Construction HCHO, NO2 Ameublement électroniques O3 HCHO, particules, fibres, Rn, etc.

Pollens

L’air intérieur : un espace multi-influencé. Il est influencé par l’environnement extérieur : les polluants industriels et automobiles ont une contribution accrue en milieu urbain. Il est aussi impacté par les activités intérieures, qui sont les sources prépondérantes en matière de pollution de l’air intérieur.

Pollution de l’air intérieur en milieu urbain

Figure 4

Rayonnements solaires O3

Sol Rn, Tn et descendants, CH4, H2O

intérieur avec l’environnement extérieur (Figure 4). Il peut s’agir d’ozone O3 ou d’eau, mais aussi de polluants biogéniques tels que des pollens, qui sont des allergisants potentiels, ou de polluants anthropiques, particulièrement en milieu urbain. En fonction de l’environnement dans lequel est placé l’espace confiné considéré, on peut observer la marque des espaces naturel s ou agricoles environnants avec pénétration d’insecticides, de fongicides, d’engrais, voire le développement de champignons spécifiques de ces espèces. Les concentrations d’insecticides ou de fongicides peuvent même être dans les espaces intérieurs très supérieures à ce qu’on peut trouver dans l’environnement très proche (effet de confinement). L’influence de l’environnement urbain sur la pollution des espaces intérieurs est d’importance majeure ; on retrouve bien sûr les polluants industriels et automo-

biles, les oxydes d’azote NOx, le soufre, le plomb éventuellement, ainsi que dans une moindre mesure les composés organiques volatils et les particules. Comme en milieu agricole, on observe dans les espaces urbains l’effet de concentration (effet de confinement) de ces polluants dans les espaces intérieurs. En résumé, l’espace intérieur est soumis à la pénétration de polluants extérieurs vers l’intérieur de l’habitat et à de très nombreuses sources intérieures. Pendant les 90 % de notre temps où l’on se trouve en intérieur, on est soumis à l’ensemble de cette pollution, qu’on ne ressent pas forcément mais qui reste néanmoins bien présente. 2.3. Le cas particulier des COV La classe de polluants qui apparaît actuellement comme la plus critique en matière d’espace intérieur est celle des composés organiques volatils (voir la Figure 4),

265

La chimie et les grandes villes

qui proviennent à la fois des sources internes et externes. Il peut s’agir de sources continues comme de sources ponctuelles. Ces COV sont en majorité de la matière carbonée, gazeuse à température et pression ambiantes. Le mélange de ces espèces conduit régulièrement à une toxicité aiguë et souvent à une toxicité chronique. Les études conduites depuis le début des années 2000 par l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur en France (OQAI) ont permis de prendre conscience de l’importance de l’exposition des occupants des espaces intérieurs à ce type de polluant. La chimie en est la source principale car les produits d’usage comme les matériaux sont en grande partie issus de l’industrie chimique, mais la chimie peut être un outil de diagnostic (la chimie analytique), et dans l’avenir un outil de remédiation (procédés de traitement). Les facteurs qui gouvernent la concentration des COV dans l’air sont au nombre de quatre. 2.3.1. Taux d’émission des matériaux et activités des occupants

Figure 5

266

L’activité des occupants (ménage, cuisine, désodorisants,…) contribue à l’émission de COV dans les habitats.

Le premier déterminant des concentrations en COV dans l’espace intérieur est le taux d’émission des matériaux ou le facteur d’émission des activités des occupants. Les espaces intérieurs, habitats, véhicules, avions, regorgent de matériaux synthétiques à base de colles, de résines, voire de matériaux naturels eux aussi émissifs tels que le bois (Figure 5).

Une remarque : les réglementations thermiques qui limitent le renouvellement d’air des espaces intérieurs est aussi cause de concentration des polluants émis par les différents matériaux qui nous entourent. 2.3.2. Le piégeage des COV par les matériaux Le deuxième déterminant est la capacité des COV à migrer vers d’autres matériaux dont certains, non émissifs, sont au contraire de très bons pièges et peuvent adsorber les COV (Figure 6). C’est par exemple le cas de certains plâtres, de certaines peintures et de plusieurs autres matériaux de construction. Ils peuvent avoir pour effet d’atténuer les pics de pollution ; en revanche, en se gorgeant de polluants, ils peuvent dans certaines conditions devenir à leur tour des sources de pollutions secondaires. Tout un pan de la recherche actuelle dans ce domaine cherche à définir des matériaux de construction innovants (cloisons, murs) avec des propriétés de piégeage des polluants dans les espaces intérieurs. Ces préoccupations ont été consécutives au résultat alarmant des premières campagnes d’observation des COV en air intérieur. 2.3.3. Le taux de renouvellement d’air Le troisième déterminant est le renouvellement de l’air intérieur (Figure 7), qui contribue à l’évacuation des polluants intérieurs, mais permet aussi aux polluants extérieurs de pénétrer.

ka

Kdiff

Figure 6

Figure 7

Certains matériaux ont la capacité naturelle de piéger les COV (plâtres, peintures,…). Ils atténuent les pics de pollution, mais deviennent potentiellement des sources ensuite. Le coefficient de sorption représente l’interaction entre un gaz (par exemple un COV) et la surface d’un matériau.

Changer l’air intérieur en apportant de l’air extérieur permet d’évacuer les COV émis par les sources internes, mais introduit les polluants extérieur (COV, particules et ozone issus du milieu urbain) et induit une perte énergétique massive.

Par ailleurs, on note un conflit essentiel entre les besoins de ventilation pour renouveler l’air intérieur et améliorer sa qualité, vis-à-vis des impératifs d’économies d’énergie qui commandent de restreindre le taux de renouvellement d’air : « je ventile » ou « je respecte les cibles énergétiques » !

secondaires qui peuvent être produits et d’évaluer leurs toxicités potentielles.

Pollution de l’air intérieur en milieu urbain

kd

2.3.4. La capacité des polluants à se transformer Le dernier déterminant des polluants en air intérieur est leur capacité à réagir et à se transformer. Une fois qu’ils sont émis, ils ne vont pas forcément rester stables dans le temps et peuvent se transformer soit en phase gazeuse au contact des différents oxydants de l’air, soit au contact des différentes surfaces présentes dans les espaces intérieurs (Figure 8). Actuellement, tout un pan de la chimie de l’air intérieur s’intéresse à étudier les transformations de ces polluants afin de mieux caractériser les polluants

Figure 8 L’ADEME publie un guide de bonne pratique pour une qualité de l’air optimale.

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La chimie et les grandes villes

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Des actions pour la réduction des teneurs en polluants

Les actions pour réduire les teneurs en polluants sont principalement au nombre de trois. 3.1. Réduire les sources de polluants La première action consiste à réduire les sources. Cela impose un choix judicieux des matériaux introduits dans les espaces intérieurs. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a émis un guide de bonnes pratiques intitulé Un air sain chez soi (Figure 8), mais il faut aussi éduquer les acteurs de la filière construction du bâtiment et des aménagements intérieurs tout comme il faut éduquer les consommateurs dans leurs choix de matériaux. Un progrès considérable a été fait en France en 2012 avec l’étiquetage obligatoire

Figure 9 Étiqueter les matériaux de construction est obligatoire depuis 2012, ce qui va permettre aux consommateurs de choisir des matériaux de construction peu émissifs pour un air intérieur sain.

Figure 10

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La ventilation joue un rôle crucial pour diminuer la pollution intérieure. Il est important d’informer le grand public sur les bonnes pratiques de ventilation et de maintenance des dispositifs de ventilation : plus de 50 % des dispositifs sont en non-conformité.

des matériaux pour l’aménagement, la décoration, la construction, de manière à classer ces matériaux pour la construction, l’aménagement et la décoration en les classant selon leur capacité d’émission en composés organiques volatils. Le matériau le plus vertueux serait étiqueté A+, le moins vertueux C (Figure 9). Au moins à présent, le consommateur connaît l’impact de ses choix et de ses achats sur la qualité de l’air qu’il respirera2. 3.2. Ventiler les espaces intérieurs Le deuxième point est l’aération (Figure 10). Il s’agit de concevoir et d’installer des systèmes de ventilation efficaces et qui restent fonctionnels sur le long terme. Les systèmes VMC (ventilation mécanique contrôlée) simple flux qui équipent très majoritairement les bâtiments nécessitent que les ouvertures aient des tailles minimales, que les grilles d’entrées ne soient pas bouchées, que l’entretien soit réalisé régulièrement, qu’ils soient judicieusement situés dans l’espace. Dans plus de 50 % des logements, ces points ne sont pas respectés, les bâtiments sont sous-ventilés et laissent s’accumuler les polluants. Il faut aussi mentionner une vraie difficulté de principe : l’opposition entre ventilation et économie d’énergie. L’avenir est évidemment à des 2. Voir aussi l’ouvrage La chimie et l’habitat, Chapitre de V. PerneletJoly, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2011.

Cuisine Chambre W-C SdB

3.3. Traiter l’air pour l’assainir La troisième approche pour limiter l’effet des polluants est d’avoir recours à un dispositif de traitement de l’air. Pour les polluants particulaires, la technique la plus répandue est la filtration, elle permet d’éliminer les polluants physiques ou microbiologiques. Souvent, les dispositifs de filtration sont intégrés aux systèmes de ventilation des bâtiments. Les systèmes de traitements intégrés aux centrales de traitement d’air font plus rarement appel à des procédés d’élimination des gaz polluants. Lorsque c’est le cas, sont utilisés parfois des systèmes photocatalytiques, développés récemment avec l’objectif d’éliminer les polluants chimiques et les COV ; néanmoins, les procédés reposant sur l’adsorption restent les plus présents, notamment pour faire face à des problématique industrielles. Tous ces systèmes ont des limitations. Les systèmes par filtration nécessitent une maintenance, et l’on peut se poser des questions sur leur usage à long terme. Par ailleurs, l’efficacité réelle, et surtout l’innocuité des systèmes photocatalytiques, a été fortement discutée car ils sont

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systèmes de ventilation plus vertueux, plus innovants, à double-flux avec des « puits climatiques » pour renouveler l’air sans perdre les calories apportées par les systèmes de chauffage des bâtiments en équipant les dispositifs de ventilation d’échangeurs de chaleur (Figure 11).

Séjour

considérés comme potentiellement générateurs de composés organiques secondaires plus toxiques que les COV primaires qui ont été éliminés. Enfin, l’utilisation de matériaux dépolluants fait l’objet de programmes de recherche et développement, notamment la fonctionnalisation de plâtres, de peintures ou de différents matériaux de construction qui ont intrinsèquement des propriétés de piégeages, pour les améliorer en augmentant leur durée de vie, et ainsi assurer l’épuration de l’air intérieur sur un temps long. Une remarque sur les systèmes de traitement d’air : il n’existe actuellement pas de norme contraignante qu’un système de traitement d’air intérieur doive satisfaire avant sa mise sur le marché. Les normes existantes restent purement informatives et permettent mal le classement des dispositifs les uns par rapport aux autres. Cela signifie que l’on peut acheter un dispositif de traitement d’air sans qu’il ne présente de garantie de capacité de traitement.

Figure 11 Les systèmes de ventilation mécanique contrôlée (VMC) double-flux sont des systèmes de ventilation innovants permettant de renouveler l’air sans perdre de chaleur.

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De nouvelles incitations réglementaires

Figure 12 L’étiquetage des matériaux de construction et de décoration, à la charge des producteurs (essais par des laboratoires accrédités COFRAC), est obligatoire depuis le 1er janvier 2012. Les émissions sont classées de A+ à C et les COV totaux sont indiqués (formaldéhyde, acétaldéhyde, toluène, éthylbenzène, xylène, styrène, triméthylbenzène, tétrachloroéthylène, dichlorobenzène, butoxyéthanol,…).

Les incitations réglementaires sont indispensables pour faire changer les comportements. Les premières sont issues du PNSE 2 (Plan National Santé Environnement mené entre 2009 et 2013) et la loi Grenelle 2 liée à l’étiquetage des matériaux qui a été vraiment une grande avancée, un premier pas (Figure 12). Le deuxième point en matière de réglementation est encore en suspens : c’est la surveillance obligatoire de la qualité de l’air intérieur dans les lieux recevant du public (Figure 13). Le protocole de test est en place mais la mise en œuvre à une telle échelle massive pose des questions : disposet-on des ressources opérationnelles et techniques suffisantes ? Les établissements concernés sont-ils aptes à

assumer le coût des analyses ? Avons-nous suffisamment de laboratoires pour les dizaines de milliers de mesures à assurer sur un temps court ? Il y a de vraies questions de mise en œuvre qui s’ajoutent aux questions techniques à résoudre avant de déployer les dispositifs et les équipes nécessaires sur le terrain. C’est une des raisons qui a conduit à ce que le décret d’application de cette surveillance obligatoire ne soit pas encore paru. Le dernier point est qu’il convient d’élaborer des valeurs guides sur l’exposition liée à l’air intérieur. Cela fait l’objet de recherches avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) sur l’impact sanitaire des polluants. Il faut que l’on puisse savoir si ces valeurs mesurées ou les valeurs recommandées sont bonnes, mauvaises, acceptables, ou nécessitent une remédiation particulière.

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De la recherche en cours sur la qualité de l’air

Figure 13

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La surveillance de la qualité de l’air intérieur dans les lieux recevant du public devient obligatoire, niveau de confinement et définition de seuils à la charge des collectivités, des propriétaires des lieux (essais sur le terrain par des laboratoires accrédités par COFRAC), avec obligation de mise en place d’actions correctives. L’application était initialement prévue en 2015 pour les crèches et écoles, mais l’échéancier a été repoussé.

L’Institut Mines Télécom, IMT Lille Douai, Dépar tement SAGE, en collaboration avec l’ADEME, a conduit un projet de recherche qui a permis entre autres de créer en laboratoire un système permettant de reproduire les conditions réelles de l’air intérieur tout en maîtrisant l’ensemble des phénomènes qui peuvent se produire (Figure 14). Au lieu de multiplier les actions sur le terrain pour tenter de dégager une vision globale de ce qu’on peut trouver dans le parc français, comme cela a été fait

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4,030 m 2,

2,700 m

m

2,100 m

0

0,700 m

1,485 m

2,020 m

72

1,640 m

5,670

2,100 m

3,450

m

m

Figure 14 Simulation de la physico-chimie de l’air intérieur. Un dispositif de taille réelle, une pièce expérimentale élaborée à l’IMT Lille Douai, Département SAGE, pour étudier l’ensemble de la physico-chimie de l’air intérieur à l’échelle 1 en condition réelle : émissions par des matériaux ou des activités, transfert et réactivité des polluants, exposition des occupants, rôle des matériaux de constructions, tests de dispositifs de traitement de l’air intérieur, etc.

dans les années 2000-2015, une autre approche consiste à étudier en laboratoire la chimie de l’air intérieur à l’aide d’une pièce expérimentale de taille réelle (40 m3) permettant de reproduire les phénomènes caractéristiques de l’air intérieur : l’émission des matériaux, les activités des occupants, le transfert et la réactivité des polluants, l’exposition, le rôle des matériaux à la fois en termes de puits ou de sources ; on peut aussi y tester des systèmes de traitement d’air de toute nature afin d’en évaluer l’efficacité. Cette pièce expérimentale unique s’appelle IRINA pour Innovative Room for Indoor Air studies. Notre pièce expérimentale fait 12 m² et 40 m3, elle est complètement instrumentée ; on y contrôle le renouvellement d’air, la température, l’humidité, le taux de CO2, et

l’on peut y générer presque n’importe quelle atmosphère caractéristique des espaces intérieurs de manière ponctuelle ou continue (Figure 15).

Figure 15 Irina, une pièce expérimentale pour la recherche sur l’air intérieur. Taux de renouvellement stabilisé à 0,30 ± 0,1 h–1 ; système de climatisation autonome fermé ; mesure continue de la température, de la concentration en CO2 ; système d’injection/vaporisation de COV (50