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French Pages 604 [289] Year 2010
L’Internationale
communiste
(1919-1943) Le Komintern
ou le rêve déchu
du parti mondial de la révolution
Je remercie Rosine Fry, ingénieur d’études, qui et relu attentivement tout le manuscrit.
Tous droits réservés © Les Editions de l’Atelier/ Editions Ouvrières, Paris, 2 0 1 0
Imprimé en France
Printed in France ISBN 978-2-7082-4131-2
Serge Wolikow
L’Internationale
communiste
(1919—1943) Le Komintern
ou le rêve déchu
du parti mondial de la révolution Ce livre a été édité avec le soutien de la Fondation Gabriel Péri.
Les Editions Ouvrière: 51-55 rue Hoche 94200 lvry-sur-Seino
Introduction
générale
L’histoire du XX€ siècle constitue un passé proche dont nombre d’aspects sont peu connus alors qu’ils sont pourtant d’un intérêt majeur pour comprendre le monde actuel. L’histoire du communisme sous les différentes formes qu’il a revêtues est aujourd’hui globalement méconnue, notamment pour ce qui concerne ses fondements les plus importants. L’histoire du Komintern que cet ouvrage présente, est sans doute la moins connue et pourtant elle est à la base de toute l’histoire mondiale du communisme. Pourquoi cette méconnaissance, comment aujourd’hui écrire cette histoire? C’est ce que nous souhaitons présenter au lecteur. La fin du système soviétique, marquée par la disparition de l’URSS et par celle des régimes dominés en Europe par les partis communistes, a eu pour effet rétrospectif de centrer l’attention sur ses soixante—treize ans d’exercice du pouvoir dans l’espace politique russe. Bien que l’expérience russe soit fondamentale pour comprendre ce qu’a été l’histoire générale du communisme au cours du XX€ siècle, et en particulier celle du stalinisme, elle ne recouvre pas l’ensemble du phénomène, dont l’ampleur a été beaucoup plus vaste. Le projet politique communiste, porté par des partis et de multiples organisations, partagé par des militants ouvriers, paysans, intellectuels, a revêtu des formes nombreuses et diverses depuis les années
1920. La dimension répressive et dictatoriale des communismes au pouvoir est un élément majeur de l’interprétation du communisme, mais le plus souvent, dans le monde, les mouvements et les actions communistes se sont situés durablement du côté des opprimés et des victimes, du côté des résistants et non du côté des dominants. La survivance du phénomène communiste, au début du XXIe siècle, en Asie ou en Amérique latine confirme sa dimension mondiale. La mondialisation précoce du communisme, comme courant politique, attire l’attention sur un
phénomène majeur de l’histoire politique trop souvent confinée dans l’espace européen. L’histoire du communisme, après avoir mis à juste titre l’accent sur la diversité nationale des ancrages du phénomène, prend aujourd’hui en compte sa
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dimension globale. De ce point de vue, elle peut être considérée comme une pièce majeure d’une démarche historique actuelle qui se propose de revisiter l’histoire des deux derniers siècles en évitant l’européocentrisme. Il faut également la relier à l’histoire plus longue des mouvements sociaux et de la pensée critique tournés vers l’espérance de la transformation sociale inséparable de l’entrée en politique des classes populaires, phénomène majeur du XX€ siècle. En somme, alors que la perception de la globalité des enjeux politiques ne cesse de grandir, revenir sur l’histoire du communisme est un moyen de revisiter l’histoire mondiale récente dont nous restons encore tributaires même si elle nous semble déjà lointaine. La crise majeure qui secoue l’Europe et par contrecoup le monde au moment du
premier conflit mondial constitue tout àla fois un premier ébranlement du système international dominé par les grandes puissances européennes et le moment où émergent au cœur de la tourmente et des destructions, des aspirations nouvelles à l’émancipation sociale: le communisme, en écho à la révolution russe, va en devenir un des vecteurs essentiels. S’ouvre alors une période d’instabilité politique et sociale forte dans de nombreuses régions du monde et pas seulement en Europe. C’est le cas notamment au Moyen-Orient et en Extrême—Orient. L’expansion du communisme, très inégale et beaucoup moins fulgurante que ses initiateurs ne l’avaient prévue, s’appuie sur une organisation dont le projet, la structuration et même l’activité constituent un arsenal exceptionnel. Associée au projet de la révolution mondiale prochaine déduite de la crise générée par la Première Guerre mondiale, l’Internationale communiste (IC) — le Komintern — va connaître
un destin paradoxal en devenant progressivement le principal support à la diffusion de l’exemple russe. De ce fait, l’IC organisera la défense politique de l’Etat sovié— tique. Même si son existence a été courte, formellement de 1919 à 1943, son importance est fondamentale dans l’histoire mondiale du communisme. Son rôle ne se limite pas à être un vecteur de propagande et d’action en faveur de l’URSS. Conçue à l’origine comme un parti mondial construit àla mesure de la révolution
mondiale en gestation, elle a été dotée d’institutions ramifiées destinées à appuyer et à relayer son action. Inspirée davantage par l’expérience de la social—démocratie allemande que par l’activité de l’Internationale socialiste d’avant 1914, elle a mis en place une série de structures destinées à former, à encadrer des militants et des permanents dévoués à l’organisation. Ces derniers étaient également dotés d’une formation idéologique théorique solide. En ce sens, elle est devenue àla fois un lieu d’éducation et d’organisation de la propagande, par le biais d’une presse et d’une politique éditoriale qui ont été pensées dès l’origine d’une manière multilingue et internationale. En transposant le modèle russe par la bolchevisation, puis en étant un vecteur de la stalinisation des partis et de tout le mouvement communiste, elle a contribué à façonner des organisations et des militants dont les références ont perduré bien au--delà de son existence. La culture communiste, qui a marqué l’espace politique international de tout le XX° siècle, s’est constituée dans cette période. Les façons d’envisager le capitalisme, l’État, la nation, le parti révolutionnaire à base de la culture politique des partis communistes après la Seconde Guerre
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mondiale, au temps où l’expansion géographique du communisme s’accélère, ont été forgées dans l’entre—deux—guerres, de telle sorte qu’on peut parler d’une culture kominternienne qui a largement survécu à l’organisation internationale et a été fortement intériorisée par les organisations nationales et leurs cadres. La méconnaissance très répandue de cette histoire internationale a une dimension politique: elle tient en grande partie à l’évolution même du mouvement communiste international après la Seconde Guerre mondiale. Comme on le verra dans le premier chapitre de l’ouvrage, les conditions mêmes de la disparition de l’Internationale communiste sont emblématiques d’une volonté d’effacer son rôle, de tourner la page en disqualifiant une large partie de son action. L’exaltation de l’URSS d’un côté, la nationalisation des partis communistes de l’autre, la diversité croissante des situations nationales, mais aussi le repli de l’URSS sur ses propres intérêts géopolitiques, ont été autant de facteurs qui ont favorisé un oubli systématique du rôle de l’Internationale communiste de la part du mouvement communiste international après1945. Même quand l’URSS prend en 1947 l’initiative de constituer le Bureau d’information des partis communistes est-européens avec en plus les partis français et italiens, elle prend bien soin de se démar— quer de l’héritage de l’Internationale communiste en prétendant mettre sur pied une coordination qui respecte l’indépendance et la spécificité des partis commu— nistes. Plus tard, lors des quatre grandes conférences internationales (1957, 1960, 1969, 1975) qui jalonnent l’évolution du mouvement communiste international, c’est l’indépendance des différents partis et leur prise de distance à l’égard de la centralité soviétique qui est à l’ordre du jour. Aussi, lorsque les dirigeants italiens ou chinois revendiquent sous des formes diverses un polycentrisme, il n’y en a aucun pour se réclamer de l’héritage de l’Internationale communiste. En France, le lien organique avec le Parti communiste de l’URSS proclamé par le PCF jusqu’au milieu des années1960 ne l’empêche pas d’affirmer la dimension principalement française de toute son histoire, gommant notamment les multiples interventions et l’omniprésence de l’Internationale communiste dans la genèse comme dans la construction de sa politique et de son organisation. En 1936, Thorez déclare que la politique du PCF ne se décide pas à Rome, Berlin ou Moscou, mais à
Paris. Pourtant au même moment le Komintern est bien intervenu pour confirmer son opposition àla participation du PCF à un gouvernement de Front populaire1! Les hommes ayant dirigé l’Internationale communiste à sa naissance, puis ayant accompagné son oeuvre organisationnelle, Zinoviev puis Boukharine, au cours des années 1920, comptent parmi les figures majeures des grands procès staliniens et les victimes emblématiques d’une répression qui touche en particulier tous ceux que l’on soupçonne de pactiser avec l’étranger. Leur stigmatisation atteint par contrecoup une Internationale communiste qu’ils avaient incarnée. Dès lors, une
large partie de son histoire est dévalorisée et discréditée par le discours stalinien. Quand, en 1934, Georges Dimitrov, personnalité emblématique de l’antifascisme, arrive à la direction du Komintern, il n’en contrôle pas vraiment l’appareil mais incarne l’orientation de Front populaire plus que l’organisation internationale dans
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son ensemble. Au bout du compte lorsque l’Internationale s’efface complètement devant la diplomatie stalinienne, qui conduit à la signature et à l’application du pacte germano—soviétique de 1939, la figure de l’organisation communiste inter— nationale est largement dégradée, d’autant que nombre de ses cadres ont été victimes d’une répression interne en URSS qui l’a fortement affaiblie. Dès lors est—il étonnant que le nom même de l’Internationale communiste soit tombé dans les oubliettes de l’histoire officielle des partis communistes? Mais si l’histoire du Komintern s’est arrêtée en 1943, celle du parti mondial de la révolution qui a surgi en 1919 n’est certainement pas terminée. Bien sûr, alors même qu’il n’existait pas de parti révolutionnaire dans la plupart des régions du monde si ce n’est le monde industriel occidental, ce projet politique n’a pas véritablement connu le développement annoncé. L’internationalisation des partis communistes a pourtant été un fait remarquable, puisqu’en moins d’un demi—siècle il s’en est créé dans plus de 80 pays dont un grand nombre encore sous domination étrangère et sans espace politique démocratique. L’importance des
conflits mondiaux et coloniaux comme le rôle de l’URSS ont favorisé, pendant plusieurs décennies, la survie de ces partis qui, dans certains pays, se sont profon— dément enracinés. Devenus les enjeux d’un affrontement planétaire, ils ont parfois disparu en tant que tels très tôt à la faveur de la répression et des guerres civiles dont ils furent les victimes. Dans d’autres cas, ils réussirent à incarner le sentiment national collectif en devenant une force politique souvent imbriquée sinon confondue avec l’appareil d’État. Au bout du compte, au moment où, sous une forme ou sous une autre, les partis communistes, tels qu’ils etaient nés, ont disparu à la fin du XXe siècle, la question de la survie des thématiques du projet mondial dont ils sont issus reste d’actualité. En effet, même si la fin des empires coloniaux, des empires autoritaires, l’élargissement de la démocratie politique à de nouveaux pays ont impulsé à l’échelle internationale l’émergence des partis politiques et d’une manière plus générale une extension de la politisation, il reste que des problèmes globaux lourds de risques majeurs pour les peuples persistent et rejoignent par différents côtés ceux qui émergeaient il y a maintenant près d’un siècle. Identifier leur persistance ne signifie pas qu’on les assimile: les inégalités économiques et sociales se sont transformées et perdurent à l’échelle des nations,
des continents mais aussi de la planète dans son ensemble. La logique économique de développement fondée sur l’extension des rapports marchands s’est généralisée en même temps que les formes de régulation publique se sont affirmées ici ou là. Les disparités de statut, loin de disparaître, se sont aggravées avec la construction d’un marché mondial marqué par la baisse des coûts de transport et la mise en concurrence généralisée des travailleurs. La privatisation des richesses naturelles, l’appropriation massive des profits se sont accrues à la faveur du démantèlement des régulations publiques nationales, de la désorganisation des politiques sociales de redistribution. À l’échelle mondiale la question du statut de la main--’dœuvre, d’une nouvelle répartition des richesses, mais aussi d’un contrôle public et inter— national sur les ressources naturelles est posée. L’émergence des organisations
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internationales chargées en principe de traiter certaines de ces questions a
commencé dès les années 1920 — par exemple le Bureau international du travail — parallèlement à la naissance du Komintern. Aujourd’hui, sous la tutelle de l’ONU, ces organismes ne parviennent pas à se coordonner véritablement au niveau mondial faute de moyens, mais ils nous rappellent que la question se pose avec une nouvelle urgence. Les coordinations altermondialistes font écho à la critique sociale et à l’espérance de la révolution mondiale qui accompagnaient en 1919 la naissance de l’Internationale communiste. En ce sens l’histoire du Komintern est celle aussi bien des espérances et des expériences sans précédent que celle des échecs et des déconvenues. Le débat sur le caractère illusoire de tout engage— ment organisé permettant aux plus démunis et au monde du travail de faire irruption sur la scène politique a été relancé dans les années 1970 au temps des crises conjointes du système communiste, de la croissance dans les pays capitalistes mais aussi de la remise en cause des politiques sociales et publiques avec l’émer— gence d’une contre-offensive libérale conservatrice au plan international 2 . La financiarisation de l’économie mondiale, l’effondrement des régimes européens
dirigés par les partis communistes ont débouché sur un bouleversement mondial marqué par une remise en cause des conquêtes sociales du monde du travail à l’ouest tandis qu’à l’est du continent européen se déployait un capitalisme sauvage garanti par des régimes dont la façade parlementaire dissimule parfois mal la persistance des centralisations autoritaires.
Au bout du compte, le capitalisme financier, au début du XXIe siècle, reprenant le mouvement amorcé cent ans auparavant, exporte massivement des capitaux mis en valeur dans des régions du monde propices à l’exploitation d’une nouvelle classe ouvrière puisée parmi les masses paysannes d’Asie comme d’Amérique latine. Audelà de toute nostalgie, ces évolutions attestent que les prédictions sur la fin de l’histoire et notamment celle de la lutte des classes, comme sur la fin des illusions du communisme ont fait long feu 3 . Faut-il pour autant ignorer le tragique de l’histoire et éviter une revisite atten— tive d’une expérience historique multiforme pour ne pas désespérer? La question n’est pas sans interpeller l’historien qui, au-delà et grâce à son travail critique, a une responsabilité essentielle dans la transmission du savoir sur le passé proche. Alors que la médiatisation et la construction de la mémoire historique collective s’opèrent à travers des formes culturelles de masse, cinéma, télévision, Internet, il revient aux historiens de fournir aux générations futures les moyens d’un retour sur le passé grâce auquel le savoir puisse être effectivement une arme critique à disposition de ceux qui souhaitent renouer les fils de l’action démocratique pour transformer les conditions de travail et de vie. L’analyse comme la réflexion
critiques sur le fonctionnement de l’organisation communiste, sur ses justifications idéologiques comme sur ses pratiques effectives méritent d’être menées jusqu’au
bout, c’est—à—dire d’être étudiées sans complaisance et sans œillères; en ce sens l’angle de vue mondial qu’offre le Komintern est approprié.
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La répression stalinienne, dont le communisme soviétique a tragiquement été à la fois le premier acteur et la première victime, ne peut être circonscrite dans un seul pays et reléguée dans l’oubli. Les pratiques répressives dans la société comme dans l’organisation politique posent le problème de l’usage de la violence de masse et de son emploi systématique à des fins politiques. Si le XX° siècle n’a pas inventé la violence de masse, il l’a portée à un niveau particulièrement élevé en élaborant et en mettant en oeuvre notamment des programmes d’extermination de catégories de population. La constitution du Komintern et des partis communistes a partie liée avec la violence que la Première Guerre mondiale a exacerbée entre 1914 et 1918 sur une échelle et avec une intensité nouvelles. La situation politique mondiale a été dominée dès lors par une violence récurrente alimentée par la peur des puissances et classes dominantes de perdre un pouvoir ici ou là ébranlé au lendemain de la guerre et par la diffusion d’idéologies révolutionnaires alimentées dans les différents continents (Asie, Amérique latine, Europe) par des expériences révolu— tionnaires qui toutes associent mobilisations de masse, rôle de l’armée et action de forces politiques structurées (partis, comités, syndicats). L’émergence de nouveaux régimes autoritaires conservateurs, alliant souvent monarchie et armée avec l’ambition d’éradiquer toute idéologie révolutionnaire et démocratique, est devenue un fait mondial majeur durant les années1920 et 1930, du Japon à l’Italie fasciste, en passant par nombre de pays balkaniques avant même la victoire du nazisme en Allemagne. L’anticommunisme a cimenté une action concertée et récurrente des
grandes puissances, y compris celles possédant un système politique démocratique, pour écraser ici les velléités d’indépendances nationales, là pour empêcher les programmes de réforme agraire, ou encore pour liquider dans l’œuf les embryons de mouvements ouvriers. Cette répression active et souvent massive en Chine
comme en Indochine, en Inde comme en Amérique centrale, n’était pas aussi violente dans les pays industrialisés où le mouvement ouvrier était anciennement organisé. Pourtant là aussi la violence contre les milieux populaires ne connaît pas de fléchissement, que ce soit contre les noirs aux États— Unis, le mouvement ouvrier
en Italie ou dans les Balkans. Dans ce contexte, le modèle militaire qui imprègne toutes les forces politiques naissantes après 1918 n’épargne pas le mouvement communiste. Pour une part, c’est au nom de la préparation à la révolution et à la guerre civile que les jeunes partis communistes sont sommés de se réorganiser selon les critères dits de la bolchevisation dès les années 1920 4 . Ensuite, la stalinisation
du Parti communiste russe, c’est-à—dire sa transformation en un système pyramidal, autoritaire, clanique et populiste dominé par une figure charismatique, image emblématique de l’État autant que du parti, devient un modèle qui se transpose rapidement aux différents partis communistes 5 . Le Komintern va servir de truchement à la diffusion d’un modèle que la perspective de la guerre, son déclenchement localisé puis sa généralisation vont conforter. La liquidation de la démocratie interne, puis la répression systématique contre les militants et les cadres comme mode de gouvernement sont acceptées au titre de dispositions liées aux circonstances. Les événements russes et la répression de masse qui atteint le
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Parti communiste soviétique comme la société russe restent dans l’ensemble ignorés de la plupart des adhérents et des militants tandis que les grands procès sont acceptés sur la base de la confiance faite à l’URSS comme rempart et aide des forces ouvrières antifascistes. Si la répression stalinienne est masquée, cela ne signifie pas qu’elle n’ait pas des effets insidieux sur les comportements, notamment chez les cadres et les militants du Komintern. Les leaders des différents partis communistes sont dès lors rompus à une discipline qui met au premier plan l’accord inconditionnel avec la politique de l’État soviétique que Staline1ncarne au moins autant que le Parti communiste russe. Cependant, les principaux dirigeants des partis communistes, au contact avec la direction du Komintern à
Moscou, ne pouvaient tout ignorer d’une répression touchant en particulier
une partie des émigrés qui, pourchassés dans leur pays, avaient trouvé refuge en URSS où ils furent en grand nombre victimes de la suspicion, puis de la répres— sion 6 .
Il reste qu’on ne peut imputer aux militants ni même à tous les dirigeants qui, chacun dans leur pays ont mené des combats politiques courageux et persévérants, souvent au risque de leur liberté sinon de leur vie, au nom des idéaux du Komin—
tern, la responsabilité des actes commis en URSS notamment. De ce point de vue, on ne peut souscrire à la démarche historique fondée sur la thèse du caractère criminogène du communisme en tout temps et en tous lieux permettant de faire le bilan de ses victimes comme preuve à l’appui. Cela n’inf1rme pas la qualité ou l’intérêt de recherches qui, dans des contextes et des territoires bien déterminés, ont mis en lumière notamment ce qu’avait été la terreur de masse 7 . La dimension tragique du paradoxe prend toute son ampleur quand on sait que l’engagement des communistes dans les luttes sociales et politiques du monde jusqu’à l’écrasement des régimes fascistes a été essentiel pour faire émerger un monde politique nouveau au plan international, marqué en particulier par l’affirmation des principes de liberté, d’égalité et d’indépendances des peuples comme des individus. Cet ouvrage ne prétend pas expliquer de manière exhaustive ces contradictions, mais propose de remettre en perspective l’activité internationale communiste au temps du Komintern. Il a le souci de restituer dans son contexte
une activité qui s’est déployée en prenant appui sur une doctrine intimement liée à l’action politique. Les écrits et l’action de Marx sont au centre de la réflexion du Komintern dès sa naissance et ne cesseront de l’être jusqu’à la fin. Si le texte fondateur, en 1919, se réfère à l’Adresse inaugurale de Marx fondant l’Association internationale des travailleurs (AIT) en 1864, les documents de 1943, annonçant la dissolution
du Komintern, l’assimilent à la décision prise par Marx mettant fm, en 1876, a la Irc Internationale! Pourtant, on ne saurait réduire la doctrine du Komintern à une réutilisation permanente de Marx, d’autant que sa connaissance directe est
limitée et qu’elle passe notamment par les interprétations données par Lénine puis par Staline, sans compter, à certains moments, la diversité des écrits des dirigeants du Komintern, Trotsky, Boukharine ou Zinoviev qui se réfèrent chacun à Marx
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8. dans le cadre de leurs interventions La naissance du marxisme—léninisme, au lendemain de la mort de Lénine, participe des luttes autour de son héritage et de son testament politique, mais révèle également l’importance du corps de doctrine constitué par l’organisation communiste âgée alors d’à peine cinq années. En fait, le débat autour de l’héritage de Marx a une dimension internationale que la crise du socialisme international, puis l’émergence du communisme ont placée au premier plan. Toutefois, les polémiques théoriques autour de la pensée de Marx qui avaient agité la Il6 Internationale avant 1914 et auxquelles Lénine avait participé prennent une nouvelle ampleur. Le Komintern naissant, comme le Parti bolchevique en se constituant comme Parti communiste, affirment vouloir revenir aux sources de l’inspiration de Marx. Les cadres du mouvement communiste, dont bon nombre sont des intellectuels ayant lu Marx et Engels, veulent populariser leurs idées afin qu’elles imprégnent en premier lieu l’activité militante. Ils s’inscrivent en cela dans une tradition dont la social—démocratie allemande a été la référence avant 1914. Mais désormais ils prétendent nourrir la doctrine de références, non seulement à l’économie politique, mais également aux sciences sociales développées depuis la fin du XIX° siècle. Le travail idéologique, théorique et finalement doctrinal accompagne l’évolution des organisations communistes. Il est intéressant d’en suivre le mouvement non pas tant pour interroger ce qu’il recèle de vérité que pour comprendre les logiques et les répertoires que la production théorique
construit pour étayer, mais aussi organiser, l’action politique communiste. L’ori-
ginalité du Komintern et de ses sections durant toute la période, c’est sans doute autant cette production idéologique souvent pléthorique que son action proprement dire sur le terrain de la mobilisation sociale. En fait, il faut concevoir cette
élaboration ou ces variations idéologiques comme des formes essentielles de l’ac— tion communiste: que ce soit à travers la publication coordonnée d’articles dans la presse internationale communiste, l’édition d’ouvrages ou encore l’organisation du travail pédagogique spécifique destiné à former les militants et les cadres. Ainsi l’activité doctrinale du Komintern mérite d’être considérée comme un objet histo— rique en lui-même dans la mesure où elle conditionne en grande partie l’engage— ment militant.
Sans doute toute la production idéologique ne fait-elle pas partie également du corpus doctrinal, celui—ci étant de plus en plus constitué de textes officiels, c’est—àdire les documents produits par les instances de direction puis par les quelques dirigeants emblématiques du mouvement. En fin de période, les textes des secré— taires généraux des différents partis deviennent les documents qui, à l’instar de ceux de Staline, constituent la référence pour chaque militant et adhérent mais aussi désormais l’emblème du communisme. Si l’on considère l’ensemble de cette production idéologique foisonnante, mais répétitive, on doit l’envisager comme un arsenal idéologique permettant aux militants d’organiser et de coordonner leur action afin de se situer dans des contextes où il arrive fréquemment qu’ils soient livrés à eux—mêmes. Au—delà du cliché selon lequel le marxisme-léninisme était la
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boussole du militant, il est indéniable qu’il fournit à des militants issus de milieux
peu scolarisés un bagage de connaissances et de références leur permettant de jouer un rôle actif dans les milieux où ils militent. La mise en avant des idéologies politiques comme des religions séculières a souvent été affirmée et réitérée — selon la remarque critique d’Hannah Arendt, qui souligne la nécessité de ne pas confondre idéologies et religions, ni de s’en tenir aux seules approches fonctionnalistes 9 . Le terme de religion séculière pour penser l’activité du Komintern notamment ne semble pas adapté même si un certain nombre de modèles d’organisations d’origine religieuse ont été repris par le mouvement ouvrier bien antérieurement àla naissance du Komintern : que l’on songe au prosélytisme, à la glose sur les textes, à l’éducation des néophytes, à l’initiation des postulants, etc. L’analogie entre l’organisation internationale communiste et l’église catholique romaine est fréquemment avancée 10. Comment ne pas ressentir des similitudes dès lors qu’on envisage ensemble la doctrine du marxisme—léninisme, l’organisa— tion pyramidale internationale et les dirigeants chargés de dire la vérité politique aux adhérents réunis dans des lieux où ils doivent d’abord partager une connais— sance commune de la situation avant d’agir! Il reste que le Komintern fonde un mouvement qui prétend à la connaissance scientifique du monde pour le transformer, qui met en avant la critique de l’état des choses pour le renverser. Que la pensée critique dont il se réclame se transforme assez vite en une pédagogie de l’orthodoxie où la vérité réside avant tout dans la confiance a l’égard des dirigeants qui valident les textes, cela conduit a trouver des similitudes avec l’histoire de l’Église en tant que telle dans la mesure où le communisme et l’Église ont en commun d’accorder une importance centrale a l’organisation, aux institutions englobantes comme à l’orthodoxie de la doctrine.
La faiblesse de l’influence du Komintern dans les pays à majorité protestante ou dans le monde islamique serait à rapprocher de l’absence de clergé fortement constitué face à la communauté des croyants. Ce type de généralisation, parfois en référence à Max Weber, trouve vite ses limites si l’on élargit encore l’espace de l’analyse. Comment, en effet, comprendre, selon ce schéma, la très forte organi-
sation social-démocrate dans les pays de l’Europe du Nord et, aux antipodes, l’implantation directe, sans qu’un Parti socialiste lui ait préparé le terrain, du communisme en Chine et dans le Sud-Est Asiatique, pays marqués soit par la tradition bouddhiste, soit par la pensée confucéenne? Chaque fois, les pionniers du communisme, dans les premières années du Komintern, ont construit leur action contre les institutions d’encadrement religieux et politique des milieux populaires, en s’efforçant de fonder la lutte sociale sur la connaissance du passé historique, sur la démystification des pouvoirs en
place. Que, par bien des aspects, l’entreprise politique de ce qui reste des petits groupes d’avant-garde revête un côté sectaire avec la force des liens qui soudent les uns et les autres dans des situations d’isolement et de résistance dans un milieu
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hostile, c’est indéniablement ce qui rapproche ces premiers communistes des mouvements religieux dissidents de l’Europe moderne, sans remonter plus avant. L’approche anthropologique qui, ces dernières années, a été prise en compte par de nombreux chercheurs étudiant l’histoire du communisme a eu le mérite d’attirer l’attention sur un fonctionnement politique dans lequel la part des individus était un élément essentiel 11. L’attention aux militants et aux dirigeants, de longue date amorcée dans les travaux sur l’implantation territoriale dans des pays comme l’Italie ou la France, s’est généralisée à la plupart des terrains nationaux en même temps que se développaient les études croisées et comparatives 1 2 . De
l’analyse organisationnelle et événementielle du stalinisme, on est passé à des approches centrées sur les ressorts socio--psychologiques permettant de comprendre comment fonctionnait la « remise de soi », une manière pour les militants de se conformer a ce qui était attendu tout en conservant dans leur for 1ntérieur des convictions capables de les mobiliser. Ces recherches, fondées notamment sur les archives longtemps dissimulées et ignorées de l’organisation du Komintern, de la commission des cadres en particulier, ont ouvert de nouveaux champs à l’investigation. De même, la réflexion sur la composition sociale des groupes dirigeants du Komintern, son évolution au cours des années 1930 éclairent la stalinisation de l’organisation au moins autant que le mouvement général d’exaltation des dirigeants communistes internationaux promus secrétaire général dans leur parti
respectif 13. L’histoire du Komintern peut être critique dans la mesure où les recherches et les sources documentaires permettent de restituer les processus par lesquels le mouvement communiste international s’est construit et a réussi à perdurer
plusieurs décennies. Il faut se garder, vu du XXIe siècle, d’un anachronisme qui viendrait sous-estimer l’impact international et historique d’un phénomène qui a marqué profondément le XX€ siècle. Lorsqu’à l’automne1936 les gouvernements allemand et japonais, puis italien en 1937, marquent leur rapprochement, ils le formalisent en signant ce qu’ils désignent comme le pacte anti-Komintern. « Les États se tiendront mutuellement informés des activités del’Internationale communiste, ils se consulteront sur les mesures nécessaires de défense et les mettront en oeuvre en étroite coopération. » Ils prétendent ainsi officialiser et légitimer leurs
politiques nationales respectives ainsi que la coordination de leur diplomatie. L’anticommunisme est, depuis les premiers mois de la révolution russe, une
composante de la politique internationale, mais aussi intérieure de la plupart des grandes puissances qui désignent le Komintern comme l’agent international chargé de déstabiliser les empires coloniaux, de fomenter des grèves et des insur— rections ouvrières, en diffiJsant une propagande illégale et pernicieuse. Cet anticommunisme militant connaît plusieurs phases dès les lendemains de la Première Guerre mondiale jusqu’à ceux de la Seconde. Il manifeste une crainte réelle et en même temps fonctionne comme un repoussoir facile. L’épouvantail communiste brandi conjointement par les différents gouvernements et le monde des proprié-
taires contribue à donner du communisme une image d’intransigeance irréduc-
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tible, attractive pour les milieux ouvriers et populaires restés cantonnés dans les marges du système politique, mais en même temps touchés par les bouleverse— ments accentués parla Première Guerre mondiale et l’extension du capitalisme 14. Lorsque l’URSS émerge comme puissance politique qui se réclame du commu— nisme et qui affirme sa différence, le Komintern devient une organisation qui, tout en ayant abandonné en pratique son projet de révolution mondiale, défend le pays dépositaire des espérances de tous ceux qui aspirent à une transformation radicale de leur statut, nonobstant la méconnaissance de ce qui se passe effectivement sur place. L’isolement et l’encerclement de l’URSS lui confèrent une image héroïque et permettent de mettre en doute les informations négatives qui la concernent. Au sein du Komintern comme des différentes sections, les voix critiques qui s’inter— rogent sur les choix opérés à partir du milieu des années1920 puis en raison de la dérive de l’organisation elle-même àla fin de la décennie, sont écartées et la plupart du temps ignorées de la masse des militants qui ne veut pas les entendre ou les croire. L’émergence d’un nouveau type de dirigeant correspond aux attentes de l’organisation, tournée désormais vers la défense de l’URSS et centralisée selon une discipline toute militaire. Pour autant, il serait erroné d’avoir une vision mono— lithique et linéaire de l’histoire du Komintern; il n’est pas un moment où ne
cessent de s’affirmer des points de vue et surtout des pratiques différentes, mais selon des modalités qui évoluent dans le temps : d’abord explicites, elles deviennent progressivement implicites et masquées du fait de la situation internationale marquée par la chasse aux communistes et au passage dans l’illégalité de la plupart des partis, à l’échelle mondiale. Mais cela tient également à la répression stalinienne qui vient frapper les dirigeants communistes les plus aguerris et les plus anciens, dans le parti russe avant tout, mais aussi parmi les cadres ayant fondé le Komintern, notamment tous ceux qui, originaires de l’Europe centrale et de l’Allemagne, deviennent l’objet de tous les soupçons à la faveur de la xénophobie attisée par la perspective d’un nouveau conflit mondial. Désormais, affirmer son opposition politique signifie pour les membres du Komintern ou pour les membres des partis clandestins risquer la mort ou la déportation en URSS. Dans les partis des autres régions du monde, le sort politique réservé aux opposants est la soumission silencieuse ou l’exclusion. La stigmatisation
des opposants, leur utilisation comme boucs émissaires pour masquer les échecs politiques ou les reniements de l’organisation ont accompagné l’histoire du Komintern. Il faut donc prendre garde à ne pas oublier ces opposants au prétexte qu’ils n’auraient pas joué un rôle majeur dans l’histoire de l’organisation dès leur mise à l’écart. Ils doivent au contraire trouver leur place dans cette histoire qui est avant tout celle de tous ceux qui en ont été les acteurs. Bien évidemment, l’histoire du Komintern c’est également celle de son activité en tant que telle, ses orientations stratégiques, tant du point de vue de ses discours que de ses interventions, son implication dans les événements internationaux comme ses ajustements si ce n’est ses revirements tactiques.
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919—1943)
Les oscillations de la politique du Komintern n’ont pas cessé tout au long de son histoire de sorte que sa stratégie n’a jamais connu un cours tranquille, même si elle a été marquée par des continuités que l’on essaiera de dégager au long de l’ouvrage, au-delà de la diversité des épisodes d’une histoire qu’on ne peut évidemment présenter dans sa globalité. La renaissance des études historiques consacrées au Komintern a été le symp— tôme d’une évolution de la mémoire historique dans certains partis communistes soucieux dans les années1970 de s’interroger de manière critique sur leur héritage. Les études sur le sujet ont de longue date été liées à l’histoire même de l’organisation, comme nous le verrons dans le dernier chapitre. Les premiers historiens du Komintern furent des opposants écartés, mais soucieux de comprendre ce qui leur 15. était arrivé tout en poursuivant un combat politique personnel Cette histoire a été longtemps et fortement marquée par la logique des deux camps, au plan international comme au plan national dans de nombreux pays. Après la fin de l’URSS, puis l’ouverture des archives, le travail historique a pu se fonder sur une documentation nouvelle même si les débats idéologiques ne cessent pas. L’Inter— nationale communiste, en tant qu’objet historique, n’est pas au centre des débats, mais est souvent concernée dans la mesure où ceux-ci portent sur l’interprétation d’ensemble du communisme au XXe siècle. Si l’ouvrage Lesiècle des communismes16 est une manière d’aborder cette histoire de façon très différente du Livre Noir du
communisme17, la publication du Dictionnaire du Kominten18 marque la volonté de renouveler l’histoire du communisme international en portant l’attention sur la biographie collective de ses dirigeants et de ses militants. Aujourd’hui, nous référer au Komintern, dans le droit fil de ces deux livres publiés il y a maintenant une décennie, marque une fidélité à une démarche collective et un souci de revisiter l’histoire longtemps ignorée et méconnue du Komintern en tant que tel. Le travail documentaire et l’investigation des archives de l’organisation, devenus possibles après l’ouverture des archives au début des années 1990, permettent d’envisager cette histoire dans sa globalité. Il s’agit de poser les jalons d’une évolution mal connue, de présenter ce qu’ont été cette organisation et son activité. Grâce aux
archives et aux nouvelles recherches, cet ouvrage apporte des éclairages inédits sur la bolchevisation et la stalinisation des partis communistes, sur le fonctionnement
du cercle dirigeant du Komintern et sur le rôle de Staline. Il met également en lumière les modalités de la répression qui a frappé le Komintern et dans quelles conditions sa disparition a été programmée puis préparée. Mais il a semblé également indispensable d’évoquer plus précisément comment le Komintern a contribué à construire une culture politique qui a servi en premier lieu à former des cadres et des militants, que ce soit au moyen de la presse, du livre ou d’un système de formation développé. De ce point de vue, l’ouvrage met en lumière le rôle souvent pionnier du Komintern. Enfin, l’histoire de la politique du Komintern à laquelle nous nous sommes attachés passe par une attention aux acteurs, aux hommes et aux femmes qui sont les protagonistes de cette histoire. Le « contrôle biographique» établi dans le mouvement communiste international à partir de
INTRODUCTION GÉNÉRALE
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1930, avec ses questionnaires biographiques et ses évaluations, n’est-il pas un aspect clé du système stalinien 1 9 ? Les parcours biographiques détaillés des dirigeants du Komintern et des militants des partis communistes de France, de Belgique, de Suisse et du Luxembourg, se retrouvent dans le cédérom associé à l’ouvrage : il constitue une base documentaire exceptionnelle de près de 800 biogra— phies qui retracent de manière concrète, vivante et détaillée, le parcours de ceux qui ont été les porteurs de la parole et de l’action communistes au temps du Komintern. On retrouvera leur activité évoquée au long de cet ouvrage qui ne prétend pourtant pas à l’exhaustivité. On a laissé de côté certaines organisations internationales très importantes, comme l’Internationale syndicale rouge et le Secours rouge international, évoqués, mais pas étudiés dans le détail. Rares sont les livres publiés en français dans ce domaine. Inscrit dans la lignée des deux ouvrages collectifs déjà cités, ce livre est un essai historique et personnel qui prend notamment appui sur les recherches de la dernière décennie. Qu’il puisse apporter des pistes de réflexion à celles et ceux qui souhaitent s’engager dans cette lecture afin de les inciter à en savoir plus en s’informant notamment sur ces recherches nouvelles que nous nous sommes efforcé de signaler au long du livre. Que ce travail historique trouve un écho aux préoccupations de chaque lecteur qui, aujourd’hui, se sent concerné par l’engagement politique porteur d’un projet de transformation démocratique et sociale, mais aussi par les modalités de l’action collective dans un monde globalisé ou la question de la coordination internationale des mouvements sociaux reste d’actualité. Notes
1. Voir chapitre 4. 2. François Furet, Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XX" siècle, Paris, Librairie Générale Française, 1 9 9 6 .
3. Francis Fukuyama, «La fin de l’histoire», in Commentaire, n° 47, automne 1989; François Furet, Le Passé d’une illusion, op. cit.
4. Voir chapitre 3. 5. Pour une approche comparée lire: Norman LaPorte, Kevin Morgan, Matthew Worley (eds.), Bols/7evism, Stalinism
and the Comintern,
Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2 0 0 8 . S u r l’implication
des individus lire Brigitte Studer, Heiko Haumann (sous la dir.), Sujets staliniens. L’individu et le système en Union soviétique et dans le Comintern, 1929—1953, Zurich, Chronos Verlag, 2006.
6. Sur ce point, à propos de l’implication d’un secrétaire général d’un parti et du Komintern, voir Elena Dundovich, « Nel Grande Terrore, Togliatti dirigente dell’Internazionale communista tra le
due guerre », in Roberto Gualtieri, Carlo Spagnolo, Ermanno Taviani (a cura di), Togliatti nelsuo tempo, Rome, Carocci, 2007. 7. Sur ce point, voir Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panné (sous la dir.), Le livre noir du communisme, Paris, Robert Laffont, 1 9 9 7 .
8. Joseph Staline, Le léninisme, théorie et pratique, Paris, Librairie de l’Humanité, 1924; Grigori Zinoviev, Notre maître Lénine, Paris, Librairie de l’Humanité, 1 9 2 4 ; Nikolaï Boukharine, Lénine
marxiste, Paris, Librairie de l’Humanité, 1925.
9. Hannah Arendt, « Religion and politics », in Confluenees, vol. 2, n° 3, septembre 1953.
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919—1943)
10. Jules Monnerot, Sociologie du communisme. Échec d’une tentative religieuse au XX" siècle, Paris, Gallimard,1949. La polémique entre Arendt et Monnerot a été publiée par la Revue du Mauss, n° 2 2 , 2 0 0 3 / 2
11. Brigitte Studer, Berthold Unfried, Parler de soi sous Staline, La construction identitaire dans le communisme des années trente, Paris, Éditions de la Maison des sciences de lhomme, 2002. 12. Claude Pennetier, Bernard Pudal, Autobiographies, autocritiques, aveux dans le monde commu— niste, Paris, Belin, 2002.
13. Brigitte Studer, Heiko Haumann (sous la dir.), Sujets staliniens, l’individu et le système en Union soviétique et dans le Comintern, 1929—1953, op. cit. 14. Serge Berstein, jean—Jacques Becker, Histoire de l’anticommunisme en France, tome ]: 1917—
1940, Paris, Orban, 1987; Michel Caillat, Mauro Cerutti, Jean-François Payet, Stéphanie Roulin (sous la dir.), Histoire(s} de l’anticommunisme en Suisse, Zurich, Chronos Verlag, 2009.
15. Voir chapitre 11. 16. Michel Dreyfus, Bruno Groppo, Claudio Ingerflom, Roland Lew, Claude Pennetier, Bernard Pudal et Serge Wolikow (sous la dir.), Le siècle des communismes, Paris, les Éditions de l’Atelier, 2000.
17. Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panné (sous la dir.), Le livre noir du communisme, op. cit. 18. José Gotovitch, Mikhaïl Narinski (sous la du ) Komintern: L Histoire et les Hommes. Dictionnaire biographique de l Internatzonale communiste, Paris, les Éditions de l’Atelier, 2001.
19. Claude Pennetier, Bernard Puda1, « Écrire son autobiographie (les autobiographies communistes d’institution, 1931-1939) », in Genèses, n° 23, juin 1996.
PARTIE 1
L’organisation et la stratégie
Pourquoi commencer par présenter les fondements organisationnels du Komintern? Parce qu’ils éclairent et identifient le mouvement communiste, permettent de jeter les jalons de la périodisation. On commence ainsi par une histoire sociale d’un mouvement politique en essayant de comprendre non seule— ment son organisation sur le papier, proclamée dans les discours, mais aussi son fonctionnement réel. Avec la création du Komintern il s’agit d’une véritable nouveauté: après l’ex— périence des deux précédentes internationales, la III€ se construit différemment.
Pourquoi et comment l’héritage revendiqué est—il profondément remanié? L’originalité de la naissance du Komintern conditionne en grande partie sa relation avec les expériences précédentes du mouvement ouvrier. Le traumatisme du conflit mondial est fondamental dans la mesure où il signifie une double crise. Celle—ci affecte le mouvement socialiste et plus largement tout le mouvement ouvrier international, profondément divisé et fracturé à tous les niveaux. Ceux qui, en 1914, étaient encore dans des organisations communes se trouvent séparés par les expériences fortement divergentes de la participation gouvernementale dans des camps opposés. D’autres, moins nombreux, ont été dans l’opposition la plus résolue à la guerre au risque d’une répression violente. La III€ Internationale est donc d’abord rupture et critique de l’organisation socialiste internationale qui a d’ailleurs cessé de fonctionner depuis l’été 1914 et qu’il s’agit de reconstituer ou non en l’état. Cependant, les révolutionnaires, en revendiquant le nom de commu— nistes, veulent signifier cette rupture tout en affirmant vouloir revenir aux sources
de la pensée émancipatrice de Marx. Pourtant, la création du Komintern se fait dans une conjoncture politique internationale bien différente de la création des deux précédentes Internationales en 1864 et 1889. La perspective d’un mouvement révolutionnaire international, même si elle est fortement surestimée par les
bolcheviks, apparaît cependant fondée. L’horizon d’une révolution de dimension mondiale se présente en tout état de cause comme une alternative radicale au nationalisme européen dans lequel le mouvement socialiste a été entraîné. L’autre
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919—1943)
originalité radicale au cœur du paradoxe organisationnel du Komintern, c est que cette 1116 Internationale s appuie sur l’existence d’un État révolutionnaire qui lui
donne tout à la fois un crédit symbolique et des moyens matériels. Cependant, cette originalité est grosse de tensions et de contradictions puisque l’ambition mondiale va entrer très vite en contradiction avec les préoccupations internationales de l’État soviétique. L’organisation internationale J o u e un rôle inattendu en prenant en charge la fabrication de partis politiques nouveaux à bien des égards — les partis communistes — fondés sur l’imitation du Parti bolchevique. L’évolution organisationnelle du Komintern résulte ainsi du croisement — l’horizon de la révolution mondiale s’éloignant — entre les préoccupations de l’État soviétique dont la dimension russe 5’affirme progressivement et l’existence de dizaines de partis communistes dont l’importance politique croît de manière différenciée selon des situations nationales et un contexte international dans lequel l’URSS n’a que des moyens limités. Très rapidement l’organisation du Komintern doit s’adapter à ces évolutions, avant d’être emportée par la guerre à la faveur d’une décision du pouvoir soviétique faisant écho à celle qui avait été la sienne vingt—quatre ans auparavant!
Chapitre 1
Fondation et organisation du parti mondial En mars1919, deux ans après la révolution russe, quelques mois après la fin de la Première Guerre mondiale, la proclamation du Komintern s’inscrit dans une longue série de bouleversements qui ont secoué le mouvement ouvrier. La guerre a fait voler en éclats l’organisation socialiste internationale. Celle-ci, alors que l’agi-
tation révolutionnaire gagne de nombreux pays européens, va—t-elle se reconstituer? Cela paraît d’autant plus difficile que les divergences et les oppositions suscitées par la guerre ne sont pas estompées. Pour autant, les forces qui, au
sein du socialisme, se réclament de la révolution et ont porté le drapeau de l’opposition à la guerre sont peu organisées et demeurent hétérogènes si ce n’est
en Russie où les bolcheviks se sont imposés face aux autres courants socialistes. Mais le pouvoir de Lénine et des bolcheviks est menacé par une montée des oppositions soutenues par les puissances victorieuses désormais dégagées du conflit mondial et qu’inquiète la contagion révolutionnaire. C’est dans ce contexte que le congrès fondateur de l’Internationale communiste s’ouvre le 2 mars1919 à Moscou. Ainsi, après Londres — siège de l’AIT (Asso— ciation internationale des travailleurs) fondée par Marx en 1864 — et Bruxelles — siège de l’Internationale socialiste créée en 1889 —, la capitale russe devient le siège d’une troisième Internationale. En 1917, dans ses « thèses d’avril », Lénine avait souligné la nécessité d’adopter
l’appellation de communiste, de « changer la dénomination du Parti » pour désigner le Parti bolchevique. Il affirmait déjà le besoin de créer une nouvelle Inter— nationale: «Thèse n° 10. Rénover l’Internationale. Prendre l’initiative de la création d’une Internationale révolutionnaire, d’une Internationale contre les social—chauvins et contre le “centre” 1. » Après la « faillite » de l’Internationale socialiste, consommée depuis août 1914, il n’avait cessé, sans succès, d’affirmer ces idées lors des conférences internationales
qui, en 1915 et 1916, à Zimmerwald et à Kienthal, en Suisse, avaient rassemblé les socialistes minoritaires opposés à la politique dite d’« Union sacrée » mais divisés sur les perspectives. Trotsky dans son projet de manifeste pour la conférence de
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
Kienthal avait souligné la nécessité d’une régénération par une rupture au sein de la social-démocratie européenne:
« Une nouvelle Internationale ne pourra être édifiée que sur la base des principes inébranlables du socialisme révolutionnaire ; à sa création, ne pourront prendre part les alliés des gouvernants, les ministres, les députés domestiqués, les avocats de l’impérialisme, les agents de la diplomatie capitaliste, les fossoyeurs de la Deuxième Interna— tionale 2 . »
Tout au long de l’année 1917, Lénine a insisté sur la nécessité de construire une troisième Internationale. En 1918, l’exercice du pouvoir en Russie, la poursuite de la guerre mondiale retardent la mise en œuvre de ce projet, qui prend à nouveau corps après la fin du conflit mondial. En effet désormais la révolution russe paraît annoncer le début d’un processus révolutionnaire international sinon mondial: l’Allemagne et l’ancien empire d’Autriche-Hongrie sont touchés par des mouvements révolutionnaires. Les forces révolutionnaires, encore minoritaires, s’inspi— rant de l’exemple russe défendent l’idée d’une république des conseils ; le mouvement le plus important est celui des spartakistes, dirigés par Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. Pour les bolcheviks, l’extension de l’onde révolutionnaire en Europe est un fait au début de 1919 : « Maintenant, le 1 2 janvier 1919, nous voyons un vigoureux mouvement “sovié—
tique” non seulement dans les différentes parties de l’ancien empire du tsar, par exemple en Lettonie, en Finlande, en Pologne, mais aussi en Europe occidentale, 3. en Autriche, en Hongrie, en Hollande et, enfin, en Allemagne »
Faisant contrepoids aux premières défaites de la révolution allemande, début 1919, des Soviets sont constitués en Hongrie; en Grande-Bretagne le système des shop—stewam's (les délégués d’atelier) est assimilé à celui des conseils ouvriers.
Dans le même temps, la Russie révolutionnaire, en proie à la guerre civile et à l’intervention étrangère, est encerclée et isolée. Certains partis socialistes, une fois
la guerre finie, songent à renouer les fils de l’ancienne organisation internationale et reprennent des contacts. Une réunion internationale est convoquée à Berne en
février 1919 par des dirigeants socialistes européens favorables à la reconstitution de l’unité socialiste internationale. Les bolcheviks espèrent mobiliser les énergies révolutionnaires qui s’amplifient dans nombre de pays. La sympathie grandissante dont la révolution russe jouit dans les rangs du mouvement ouvrier de la plupart des pays, l’essor du mouvement révolutionnaire depuis la fin du conflit mondial, surtout en Allemagne, amènent les dirigeants russes, Lénine en premier lieu, à
escompter une propagation rapide de la révolution à l’échelle mondiale. Il s’agit d’accomplir un geste politique et symbolique proclamant la création d’une organisation destinée à impulser le mouvement révolutionnaire et à empêcher toute reconstitution à l’identique de la II€ Internationale; c’est le sens, en janvier 1919, de la lettre signée par les dirigeants bolcheviks et par des groupes communistes étrangers résidant en Russie, qui appelle àla tenue d’une conférence internationale fondatrice de l’Internationale communiste:
FONDATION ET ORGANISATION D U PARTI MONDIAL
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« Les tentatives des partis social-traîtres de se réunir et d’aider encore leurs gouvernements et leurs bourgeoisies pour trahir la classe ouvrière après s’être mutuellement “amnistiés”, enfin l’expérience révolutionnaire extrêmement riche déjà acquise et le caractère mondial de l’ensemble du mouvement révolutionnaire — toutes ces circonstances nous obligent à mettre à l’ordre du jour la question de la convocation d’un 4. congrès international des partis prolétariens internationaux » Les difficultés du voyage, la faiblesse des mouvements révolutionnaires orga—
nisés expliquent le petit nombre de délégations présentes à ce congrès dont les brefs travaux (du 2 au 6 mars 1919) sont dominés par la présence de Lénine, Trotsky et
Rakovsky. Les interventions de Lénine comme les thèses adoptées insistent sur l’actualité de la révolution:les Soviets sont présentés comme la forme concrète et la solution pratique enfin trouvées de la démocratie prolétarienne. Dans tous les pays, la question à l’ordre du jour doit être leur développement. Comme en Russie au début de l’année 1917, il convient d’agir pour que les communistes, à l’intérieur de
ces conseils, gagnent l’adhésion de la majorité des travailleurs. En tout état de cause, la nouvelle Internationale, dont la création est précipitée par les dirigeants russes, a pour tâche de coordonner et d’impulser ces mouvements révolutionnaires dont la rapide amplification devrait donner corps à la révolution mondiale et, par là même, défendre la révolution en Russie 5 . Lénine, à l’issue de ce congrès, affirme son optimisme: « Ce Ier congrès de l’Internationale communiste, qui a établi que dans le monde
entier les Soviets gagnent la sympathie des ouvriers, nous montre que la victoire de la révolution communiste internationale est assurée 6 . »
L’histoire
des structures: organisation,
activité
et fonctionnement
Le Komintern n’est pas né tout organisé comme parti mondial de la révolution. Autant, en 1919, la révolution mondiale semblait proche, autant les structures de l’Internationale à ses débuts sont faibles et limitées. Son organisation est d’autant plus fragile qu’elle ne s’appuie pas sur des partis organisés. La seule force communiste qui compte en Europe, en dehors de la Russie, est celle des communistes allemands, mais ceux—ci manifestent leur hostilité à l’égard d’une création qu’ils jugent prématurée. En réalité, les moyens matériels et humains essentiels sont ceux que fournissent les Russes. Un Comité exécutif et un Bureau sont constitués pour
assurer le fonctionnement de l’organisation et développer son activité sous la direction d’un président, Grégori Zinoviev, dirigeant bolchevik qui a accompagné les combats internationaux de Lénine durant la guerre. Chaque année un congrès rassemblant les délégués des différentes sections doit définir l’orientation de l’organisation. Durant la première année, l’Internationale communiste est plus un drapeau et un symbole qu’une organisation ayant une activité effective. Il en est
comme de l’Internationale de Marx: elle inquiète les dirigeants des puissances européennes tout en confortant les espérances du mouvement ouvrier. Contrai— rement à ce qu’escomptaient les bolcheviks, la vague révolutionnaire ne submerge
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
pas l’Europe: l’année 1919 voit l’échec et l’écrasement des éphémères républiques soviétiques de Hongrie et de Bavière. Cependant, la mobilisation sociale reste importante, tandis que dans les partis socialistes des fractions importantes penchent en faveur de la III€ Internationale. Après une année terrible, l’Armée rouge, créée au début de 1919, a, sous l’impulsion de Trotslcy, contenu puis défait les diverses armées blanches avant de riposter avec succès à l’offensive déclenchée par l’armée polonaise: la cavalerie rouge se dirige, en juillet 1920, vers Varsovie au moment où les délégués des partis communistes et des divers mouvements se rendent à Moscou pour assister au Il6 congrès de l’Internationale communiste. Des instances
de direction
centralisées
Si le Ier congrès avait juste mis en place un secrétariat puis un bureau à Karkhov et un à Berlin, c’est seulement lors du IIe congrès, réuni en juillet 1920, que sont instituées les structures du Komintern, aussi bien celles de ses organismes centraux que celles de ses sections nationales, les partis communistes. Lors des congrès suivants, en 1921 et 1922, des modifications sont encore apportées aux organismes de direction; elles sont définies de manière détaillée dans une résolution du IV€ congrès. Longtemps on a considéré que cette organisation s’était ensuite
durablement stabilisée. Les études consacrées à cette question conduisent à réviser ce point de vue 7 . En fait, les organismes centraux du Komintern ont connu des modifications nombreuses et multiples dont pendant longtemps les hist0riens n’ont pas mesuré la nature, étant donné le secret qui entourait leur fonctionnement. A l’origine, le congrès mondial, instance suprême, devait se réunir une fois l’an. Ses attributions, très générales, sont ainsi formulées en 1920 : « Il examine et résout les questions essentielles de programme et de tactique ayant trait à l’activité de l’Internationale communiste 8 . » Les premières années, cette périodicité est respectée: les congrès discutent et définissent l’orientation comme les principes de l’activité de l’Internationale. Cependant, progressivement, l’impulsion et la direction effective de l’IC sont transférées à des organismes plus restreints qui fonctionnent avec un personnel permanent résidant à Moscou. Lors du IIe congrès de 1920, la composition et les attributions du Comité exécutif (CE) sont précisées: élu par le congrès, il a la charge de diriger l’Internationale. Au départ, ce gouvernement possède un nombre restreint de membres: cinq pour le Parti bolchevique, parce qu’il est le Parti communiste du pays où siège le Comité exécutif, plus douze
membres, à raison d’un pour chacun des principaux partis. Entre les congrès, ce Comité exécutif doit diriger toutes les activités de l’In— ternationale. Il assure la parution d’une revue théorique: L’Internationale commu-
niste et d’une publication hebdomadaire: La Correspondance internationale. Il a également le pouvoir de contrôler l’activité des sections nationales et notamment d’exclure tous les partis ou membres de partis qui violeraient les décisions du congrès. En contrepartie, les sections nationales, les groupes ou les individus ainsi
FONDATION ET ORGANISATION DU PARTI MONDIAL
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sanctionnés ont le droit de faire appel devant le congrès. Ce système se révèle, dans les faits, bien vite insuffisant. Du fait de l’augmentation du nombre des sections nationales, il faut élargir leur représentation, donc les rangs du Comité exécutif, mais aussi spécialiser son travail tout en assurant sa continuité. La composition du CE est modifiée en conséquence dès 1921 : il comprend désormais 24 membres et 10 suppléants avec l’obligation pour 15 d’entre eux, au moins, de résider en permanence à Moscou. En 1922, il est décidé que l’exécutif se réunira périodiquement en « sessions élargies » ouvertes aux représentants de tous les partis qui enverront des délégations spécialement appelées pour l’occasion. Ces sessions, désignées comme plénums du Comité exécutif, prévues à l’origine pour examiner telle ou telle question précise qu’un congrès n’aurait pu approfondir, vont, à partir de 1925, se substituer progressivement aux congrès dont la convocation est de plus en plus espacée : dix-huit mois entre le IV€ et le V€ congrès, quatre ans entre le V& et le VIe congrès, en 1928, et sept ans avant que ne s’ouvre, en 1935, le VII“" et dernier congrès du Komintern. Parallèlement, l’exercice du pouvoir de direction se modifie surtout à partir du V€ congrès, qui, en 1924, adopte de nouveaux statuts. La centralisation, amorcée en 1922 par la prééminence du Comité exécutif sur les différentes instances nationales, se trouve renforcée. Ses effectifs passent de 37 à 72 membres tandis que ses compétences sont élargies au détriment des sections nationales: celles—ci doivent subordonner leur activité aux décisions d’une assemblée qui, désormais, se réunit de quatre à six fois par an tandis que la périodicité des congrès est restreinte. En fait, dès 1920, la direction politique effective est assurée par un «Bureau restreint » devenu en 1921 le Présidium, complété par un secrétariat et un président, Zinoviev, de 1920 à 1926, auquel succède Boukharine jusqu’au début de 1929, puis Molotov, Manouilski et enfin Dimitrov. Plusieurs sections de travail, dont les plus importantes sont la section d’organisation, la section de l’agit—prop, la section de l’information et de la presse, permettent àla direction du Komintern de suivre et de diriger plus efficacement l’activité des partis communistes par l’envoi, en cas de problème, d’un délégué chargé de mettre en oeuvre les orientations et les
décisions de l’Internationale. Selon la gravité des enjeux et l’urgence des mesures à prendre, le niveau d’importance des envoyés varie: ainsi Humbert-Droz fait le voyage vers Paris puis Rome en 1922 comme Gouralski en 1924 ou Stepanov en
1929. Mais c’est Manouilski en personne qui se rend à Paris, en 1922, 1925 ou 1931 lorsqu’il s’agit de trancher les problèmes du groupe dirigeant français. Ce dispositif de direction est à la fois différencié et fortement centralisé: il ne s’agit pas, comme pour la II€ Internationale, de coordonner les activités des partis nationaux avec leur politique et leurs orientations souvent difficiles à concilier. La Ire Internationale, avec ses sections nationales, constitue la référence explicite de l’Internationale communiste, mais ses sections ne sont plus, comme dans les
années1860, des organisations polyvalentes, elles sont désormais des organisations politiques spécifiques, des partis structurés devenus les sections nationales d’un
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
parti mondial centralisé. Dès le III€ congrès, il est précisé que les comités centraux des partis doivent être subordonnés au Comité exécutif du Komintern. Au début de 1926, le travail du Comité exécutif est profondément réorganisé. Les principales nouveautés résident dans la création de secrétariats régionaux chargés d’un certain nombre de partis. Parmi ces onze secrétariats, réduits à huit en 1928, le Secrétariat latin, sous la responsabilité d’Humbert-Droz, est chargé de suivre, entre autres, les partis communistes de France et de Belgique tandis que le secrétariat de l’Europe centrale, sous l’autorité de Kuusinen, s’occupe notamment du Parti communiste de Suisse. En 1928, est développé à Berlin un Bureau de l’Europe occidentale (WEB), dont Dimitrov est le responsable, pour coordonner l’activité des différents partis de l’Ouest européen. Parallèlement sont institués un «secrétariat politique», véritable direction du Komintern, et une « commission politique» ainsi qu’une « commission restreinte » chargées de préparer ou d’achever le travail du secrétariat, notamment en matière de recrutement des collaborateurs ou de mise au point concrète des décisions. Ainsi, la direction du Komintern se dote d’un appareil constitué de plusieurs centaines de collaborateurs politiques et techniques dont les archives ont permis ces dernières années de découvrir la diversité et l’importance. Sans doute les chiffres doivent-ils être maniés avec précaution, mais dès la seconde moitié des années 1920,
346 personnes sont affectées à cet appareil central, tandis que 15 ans plus tard elles sont 429. La croissance des effectifs provient plus d’une prolifération administrative que d’un développement des activités9. L’organisation concrète des relations avec le siège moscovite du Komintern, essentielle pour assurer le fonctionnement de toute l’organisation, se complique progressivement en fonction de la centralisation accrue, mais aussi de la différenciation des partis et de leurs activités. Le département des liaisons internationales s’occupe de l’organisation matérielle des déplacements des envoyés du Komintern, ainsi que de l’acheminement des informations et des moyens financiers. L’infrastructure technique implique la fabrication de faux papiers, mais aussi des émetteurs et récepteurs de radiotélégrammes, des filières de passage, etc. Ce département est placé sous l’autorité de Piatnitski qui est en même temps àla tête de la section d’organisation jusqu’à sa mise à l’écart en 1935. Au départ, les diverses délégations nationales qui participent aux instances
délibératives expriment le point de vue de chaque parti, dont la direction de l’IC suit de loin en loin la politique effective, même si des envoyés sont dépêchés auprès d’un parti à l’occasion de son congrès et lorsque des problèmes graves de direction se posent. Assez vite cependant, cette procédure, qui fait la part belle aux différents partis à travers leurs représentants, est doublée par un système de commissions spéciales chargées d’auditionner les délégués et d’approuver les décisions de la direction du Komintern les concernant. Ces commissions, constituées
d’abord lors des réunions statutaires en marge des séances plénières, traitent surtout des questions de direction et d’orientation des partis communistes: ainsi lors du V€ congrès, en juillet 1924, une «commission Souvarine 1 0 » est
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réunie. Lors des 6° et 9° plénums puis du VI° congrès du Komintern, des >
Il rassemble plus de 2 000 délégués venus en dépit des obstacles mis par les autorités britanniques, mais aussi par l État turc et par1 Iran, de sorte que plusieurs délégués trouvent la mort et ne parviennent pas au congrès, tandis que d’autres connaissent le même sort à leur retour. A côté des communistes, un peu plus de la moitié des délégués, il y a de nombreux délégués représentant des mouvements nationaux. Ils viennent en majorité du Caucase et de l’Asie centrale, mais on peut
noter la présence de délégations venant de Chine, d’Inde et du monde arabe. Les communistes appartiennent à de nouveaux partis à peine créés dans les zones contrôlées par l’Armée rouge et les bolcheviks, mais aussi dans des pays limitrophes
comme la Turquie ou l’Iran. Souvent il s’agit d’émigrés soit en Europe occidentale, soit en Amérique et le plus fréquemment en Russie. Ils sont divisés et ne repré— sentent en tout état de cause que des mouvements embryonnaires. Pour autant on perçoit au long du congrès en même temps les convergences contre les grandes puissances occidentales, la Grande—Bretagne en premier lieu, mais aussi des tensions entre la conception bolchevik de la révolution mondiale centrée sur la
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révolution prolétarienne dans les pays industrialisés et la lutte révolutionnaire pour l’indépendance nationale d’une partie notamment des mouvements musulmans de Russie et de ses confins d’Asie centrale. Zinoviev, habilement, présente les objectifs du Komintern en empruntant pour une part le vocabulaire nationaliste:
« Camarades! Frères! Le temps est venu de commencer à organiser une véritable guerre sainte du peuple contre les voleurs et les oppresseurs. L’Internationale communiste se tourne aujourd’hui vers les peuples d’Orient et leur dit: Frères, nous vous appelons à la guerre sainte et d’abord contre l’impérialisme britannique... Que cette déclaration soit entendue à Londres, à Paris, dans toutes les villes où les capitalistes ont encore le pouvoir! Qu’elle inspire le serment solennel par les représentants de dizaines de millions de travailleurs d’Orient, qu’en Orient le poids de l’oppression britannique, le joug capitaliste qui pèsent sur les travailleurs doivent cesser!»
Malgré tout, certaines voix dissonantes s’expriment en dépit de l’enthousiasme qui traverse le congrès. Des dirigeants musulmans, du Turkestan notamment, dénoncent des persécutions contre les rites religieux et mettent en cause des pratiques colonialistes. Les propos de Nabourtabekov sont les plus explicites: « Débarrassez—nous de vos contre—révolutionnaires, de vos éléments étrangers qui sèment la discorde nationale, débarrassez-nous de vos colonisateurs travaillant sous le masque des communistes. »
Le congrès publie deux manifestes, un conseil de propagande et d’action qui fera long feu mais qui débouche sur la création à Tachkent d’un Institut de propagande et sur l’Université des peuples d’Orient comportant des branches à Bakou et à lrkoutsk, avec bientôt plusieurs centaines d’étudiants. Après le IV€ congrès du Komintern, en décembre 1922, un bureau de l’Orient est créé pour coordonner sinon diriger l’action communiste dans les zones sous la domination des grandes puissances occidentales et d’y déployer la stratégie de Front unique anti—impérialiste. Il comporte trois sections:Afrique du N—Proche—Orient, Asie du S du S-E, et sera successivement dirigé par Radek, Voitinski et Raskolnikov. Au cours de la décennie1920, de nombreux partis communistes sont créés dans toutes ces zones en dehors de l’Europe. On peut distinguer les zones proches de l’URSS où d’anciens émigrés en Russie s’efforcent d’organiser des partis qui se heurtent souvent à une répression féroce, notamment quand elle combine celle des autorités locales et celle de la puissance britannique ou française, par exemple au Moyen—Orient. En Inde, dans le sillage de l’influence britannique dans les grands centres industriels comme Bombay, les idées marxistes portées par les commu—
nistes se sont développées. Pour autant, les tentatives de coordonner les premiers noyaux, àla suite notamment de l’action de Roy, commencent à porter leurs fruits. Le parcours de Roy est exceptionnel puisqu’avant de travailler a Taschkent au bureau d’Extrême—Orient dès 1920, il est allé en Allemagne et aux États-Unis, a été le cofondateur du Parti communiste mexicain, avant d’etre une des personnalités de premier plan du Il€ congrès du Komintern, où il fait valoir la nécessité d’ajouter des thèses sur la question nationale. Il prend l’initiative de créer un Parti commu-
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niste groupusculaire. Les années suivantes, l’action désordonnée du Komintern pour unifier les différents groupes n’aboutit pas, d’autant que les autorités britanniques organisent une répression systématique et efficace et que les tensions avec le
parti du congrès se creusent, autour de la non—violence critiquée fortement par Roy. Ce n’est qu’en 1925 qu’une conférence rassemblant 500 délégués des différents groupes fonde le Parti communiste de l’Inde. Pour autant, l’influence du Komintern mais aussi du Parti communiste britannique vient perturber l’activité d’un parti qui en 1928 est profondément troublé par le revirement stratégique du Komintern sur la question nationale 24. Le développement du communisme en Chine, après des débuts difficiles, est beaucoup plus fort, mais il doit faire face à des épreuves et à une répression très violente qui réduisent considérablement son influence à la fin des années1920. Là encore, le Komintern accompagne une évolution chaotique dont les enjeux vont d’ailleurs dépasser le seul cadre chinois. On s’en tiendra ici à l’évocation de l’organisation proprement dite, laissant de côté les aspects stratégiques que nous verrons dans le prochain chapitre. L’influence du Komintern est très précoce et accompagne l’évolution du communisme en Chine dès le début des années1920. Très tôt, les préoccupations diplomatiques de la Russie soviétique et l’action du Komintern se croisent. Il faut cependant éviter de tout imputer au Komintern en oubliant la complexité de la situation politique chinoise. Quoi qu’il en soit, la
question chinoise est omniprésente dans la plupart des réunions du Comité exécutif et des congrès du Komintern. Elle devient bientôt un enjeu des luttes internes dans le Parti bolchevique puis dans le Komintern. Il reste que le Parti communiste chinois est réellement fondé en 1922 à partir de différents groupes dominés par de jeunes intellectuels des grandes villes du nord et du centre de la Chine. Sous la direction de Chen Duxiu, premier secrétaire général, le parti
s’engage dans une politique de rapprochement avec le Parti nationaliste Guomindang dirigé par Sun Songshan (Sun Yat—sen). Conseillé par les envoyés du Komin— tern, notamment Maring (Sneevliet), le PCC, dans le prolongement des décisions
du IVe congrès, est invité à entrer dans le Guomindang où il va, en tant que fraction, développer une grande activité en direction du monde ouvrier, notam—
ment des villes du sud et du centre de la Chine. Cette politique coïncide avec une coopération entre la Chine et l’URSS qui comprend notamment des aspects militaires. Très tôt, les envoyés du Komintern vont favoriser la formation des jeunes cadres du parti en Europe de l’,ouest en France et en Allemagne, puis en URSS. Les conseillers et délégués tant du Komintern que de l’État soviétique sont
très nombreux, non sans une certaine confusion liée aux contradictions et flottements de la ligne du Komintern concernant les objectifs du PCC, sommé tout àla fois de soutenir la révolution nationaliste anti—impérialiste et chargé de mettre en
25. oeuvre un programme de réforme agraire Après la mort du fondateur du Guomindang, en 1925, les tensions s’affirment dans le parti nationaliste, dont les chefs militaires vont prendre successivement entre 1926 et 1928 l’initiative de
soulèvements contre la politique d’alliance avec les communistes. Divisés sur la
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conduite à tenir, ils sont encouragés par la plupart des envoyés du Komintern à basculer dans des formes de contre—offensive militaire sans avoir les moyens de les mener. Finalement le PCC, victime d’une répression de masse dans les villes, va s’orienter vers une stratégie de repli sur les campagnes en s’efforçant de constituer une force militaire propre pour se protéger. Le Komintern, sous l’influence prédo— minante de Staline, s’engage dans une stratégie ouvriériste au nom de la ligne classe contre classe, et s’accommode de la politique du PCC qui prétend défendre la même orientation contre la déviation de droite et le trotskysme imputés tout ensemble à l’ancien secrétaire du parti, écarté en 1928. Wang Ming, patronné par le Komintern, devient le nouveau secrétaire qui incarne l’approbation de la politique dite de bolchevisation et de lutte contre les déviations de droite.
Les organisations « auxiliaires » Les difficultés de la Russie révolutionnaire et les retards de la révolution mondiale conduisent très tôt les dirigeants de l’IC à envisager la constitution d’organisations liées à l’Internationale. Les créations de l’Internationale syndicale rouge, du Secours ouvrier international, en 1921, puis d’une organisation interna— tionale paysanne et féminine en 1923, sont d’un autre ordre que la fondation de l’Internationale communiste des jeunes. Celle—ci, constituée à Berlin dès 1919, est, après la déconvenue révolutionnaire allemande, localisée à Moscou où elle est conçue comme une pépinière pour les futurs dirigeants de l’IC. En fait, en 1921, lors du IIIe congrès du Komintern, la création des organisations dites auxi-
liaires correspond àla prise de conscience des changements de situation politique en Europe notamment. Le mot d’ordre de conquête des masses se traduit concrètement par une série d’initiatives dans le cadre desquelles les dirigeants du Komintern s’efforcent de mettre en place des organisations capables de disputer leur influence aux mouvements dits réformistes. Pour autant, ces organisations sont étroitement
contrôlées par le Komintern sous une forme directe ou non. L’illustre dans l’été 1921 la création de l’Internationale syndicale rouge, le Profintern, dont la respon— sabilité est confiée à Losovsky, dirigeant syndical aguerri et bon connaisseur du mouvement ouvrier de l’Europe de l’ouest. Cette internationale syndicale, en dépit des concessions faites aux syndicalistes révolutionnaires français pour qu’ils y adhèrent, va très vite calquer sa politique sur celle du Komintern et développer une conception du syndicat placé sous la direction du parti. La tenue du II€ congrès de l’Internationale communiste des Jeunes (KIM) à Moscou et non à Berlin dans cet
été 1921 marque également la volonté de reprendre le contrôle de cette organisation accusée et soupçonnée d’être un foyer d’opposition. Le développement des organisations auxiliaires se poursuit avec la création, entre autres, du Secours rouge international, d’une organisation sportive internationale, le Sportintern, en 1924, et en 1927 de la Ligue contre l’impérialisme. D’autres organisations telles que les Amis de l’Union soviétique, l’Association des écrivains révolutionnaires ou le Comité mondial contre l’impérialisme et la guerre sont
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également créées, au tournant des années 1920 et 1930. L’influence de l’Interna— tionale communiste s’exerce ainsi de façon indirecte en réponse aux défis de la social—démocratie européenne qui consolide son audience, de 1922-1923 j u s q u ’ à la grande crise de 1929. A la fin de cette première décennie d’après—guerre, l’activité des organisations communistes dites auxiliaires fléchit de même que leurs effectifs. L’échec est patent puisque, à quelques exceptions près, les sections nationales des différentes organisations sont bien plus chétives que leurs homologues socialistes, que ce soit au niveau des syndicats, des organisations de jeunes ou des mouvements sportifs. Elles ont été conçues, au moment où l’IC lançait la politique de Front unique, comme des structures ouvertes, susceptibles d’accueillir les adhérents d’or— ganisations non communistes. On peut prendre à cet égard les exemples du Spor— tintern et du Krestintern qui ont fait l’objet de recherches récentes. Le Sporfintern 26 L’Internationale rouge des sports, nom communément usité pour l’Union internationale des sports et des associations de gymnastique rouges, est une orga—
nisation fondée le 23 juin 1921. Son premier objectif est de disputer à l’Internationale des sports de Lucerne dirigée par les socialistes son influence parmi le monde sportif ouvrier, organisé en clubs et fédérations spécifiques depuis le début du siècle dans de nombreux pays européens. À la fin des années1920, le Sportintern comprend plusieurs sections en Europe, en Amérique du Nord et du Sud— durant ses seize années d’existence il n’a cependant jamais réussi à vraiment concurrencer l’organisation socialiste.
En dehors de l’URSS, l’organisation regroupe 127 000 adhérents en 1926 — le maximum est atteint en 1931 avec environ 280 000 alors que l’organisation
socialiste compte 1,9 million d’adhérents. L’activité centrale de l’organisation a été étroitement liée à celle du Komintern même si celui-ci ne s’y implique pas beaucoup. Les quatre congrès et les huit assemblées du Comité exécutif sont contrôlés et animés par des cadres communistes, nommés et promus par le Komintern. En revanche, les membres des clubs adhérant aux sections nationales du mouvement ne sont pas majoritairement communistes. L’affiliation des clubs obéit autant à des logiques municipales ou sportives qu’à un engagement politique. L’activité de l’organisation internationale connaît des oscillations fortement liées à celles du Komintern et du contexte politique international. L’aventure et le projet des spartakiades qui se déroulent entre 1928 et 1934 sont révélateurs de cette évolution 27. Les premières spartakiades internationales ont lieu en août 1928, parallèlement au VI° congrès du Komintern. En fait l’événement combine une manifestation sportive associant des compétitions et des démonstrations de masse incluant la population soviétique. Il s’agit d’exalter le sport soviétique avec le concours d’athlètes étrangers pris en charge par l’Internationale des sports rouges, qui a constitué dans différents pays des comités des spartakiades
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pour sélectionner les candidats. Cette sélection obéit à des critères sociopolitiques afin de s’assurer que les sportifs invités seront à même de devenir de bons propa— gandistes de la cause du sport soviétique. Finalement plus de 600 sportifs venant de 12 pays différents viennent se joindre aux 3 900 sportifs soviétiques lors de cette première spartakiade. Chaque délégation nationale, dans laquelle on a veillé à inclure quelques sociaux—démocrates, est patronnée par un syndicat russe qui tout au long du séjour va accompagner la délégation dans de multiples activités touristiques, culturelles et politiques qui viennent s’ajouter aux événements spor— tifs auxquels elle participe. En 1931, à l’apogée de l’orientation classe contre classe, la Spartakiade inter— nationale doit se dérouler à Berlin en riposte à l’Olympiade ouvrière organisée à Vienne sous l’égide de l’internationale ouvrière socialiste, dont l’action est dénoncée de façon virulente. Le comité d’organisation, dont Ernst Thälman
fait partie, donne à l’événement l’objectif de servir la « lutte contre la paupérisation due au système capitaliste, contre le fascisme et la menace de guerre impérialiste, et pour la défense de l’Union soviétique ». L’État prussien, à direction social—démocrate, soutient une décision d’ interdiction de la manifestation qui finalement est autorisée sous la forme d’une Fête internationale du sport ouvrier, avec des concours sportifs et une démonstration de masse dans un grand stade de Berlin,
où se déroule un spectacle théâtral auquel participe un chœur de 4 400 personnes qui exaltent le combat prolétarien! Le projet d’une spartakiade mondiale était prévu à Moscou en 1933 pour célébrer l’édification socialiste. En dépit du budget et des moyens accordés par l’État soviétique, la préparation des installations prend du retard, ce qui conduit à reporter la manifestation qui est finalement annulée, au début de 1934, par les instances soviétiques malgré l’opposition de la direction de l’Internationale rouge sportive. Finalement c’est la section française qui est chargée d’organiser une manifestation qui va revêtir une dimension nouvelle. Il s’agit désormais de réaliser un « rassemblement international des sportifs contre le fascisme et la guerre ». La manifestation dans le stade parisien Pershing, au mois d’août 1934, rassemble 3 000 sportifs dont 1 200 étrangers venus de 18 pays devant 20 000 spectateurs. Elle symbolise le rapprochement entre les fédérations communistes et socialistes, à la suite des initiatives prises en France, et des
délégations de l’Internationale socialiste sont autorisées à participer à la rencontre. Après une allocution prononcée par l’écrivain Henri Barbusse, les dirigeants des organisations sportives annoncent l unification prochaine du sport travailliste. À l’1ssue de plusieurs j o u r s de compétitions, notamment de football, une grande manifestation de clôture se tient dans le parc de Garches, dans la banlieue ouest de Paris. Désormais, le Sportintern n’envisage plus de manifes— tations sportives autonomes; après la fusion en France des organisations spor—
tives ouvrières, il prend à son compte la politique de Front populaire et participe au projet de l’Olympiade populaire de Barcelone contre la tenue des jeux olympiques à Berlin. La dissolution en 1937 de l’Internationale rouge des
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sports, contemporaine de celle de l’Internationale syndicale rouge (Profintern), symbolise l’abandon par le Komintern d’une politique désormais considérée comme obsolète. Le Krestintern
Le Krestintern 28 ou Conseil international paysan est fondé en octobre1923. Le premier congrès réunit plus de quarante—huit nationalités et définit les thèses et rapports concernant la paysannerie 29. Zinoviev, qui ouvre les travaux, rappelle au cours du congrès que «l’Internationale paysanne se fonde soixante ans après
l’Internationale ouvrière» et d’ajouter: «ce n’est pas un hasard: les paysans sont plus disséminés, moins lettrés, moins capables d’effort organisé 30 ». Composé de 52 membres, le Krestintern possède un Présidium de onze membres 3 1 . Dirigée, dans un premier temps, par Marius Vazeilles, cette filiale du Komintern participe à « l’union des ouvriers des champs et de ceux des villes » afin de propager la révolution mondiale. De 1925 à 1927, sous l’égide de Boukharine, le Krestintern change de perspective pour rechercher d’autres alliances à la révolution: le Front unique est plus large et le parti mondial a besoin d’alliés nouveaux. Lors du CHIC d’avril 1925, Boukharine souligne que les paysans ne sont pas réactionnaires, mais que leurs organisations sont tenues par les capitalistes et les grands propriétaires. La tâche des communistes est de gagner la lutte qui se développe entre « la bourgeoisie et le prolétariat pour la conquête de la paysannerie 32 ». Il propose de «soutenir l’aile gauche des organisations paysannes ou de faire bloc avec elle 33 ». Dès lors, on assiste un peu partout en Europe à des réunions de paysans élargies, allant des chrétiens démocrates aux communistes.
Toutefois, la place des paysans au sein du Krestintern reste difficile à mesurer, d’autant plus que la plupart des représentants communistes paysans sont devenus des permanents du parti, selon le modèle de la bolchevisation des organisations politiques. Dès lors sont présents les responsables des sections agraires des partis
communistes ou des syndicats proches des communistes. Le IIe congrès du Krestintern a lieu seulement en 1927: dans le contexte de la célébration du dixième anniversaire de la révolution, il est accompagné d’une exposition qui célèbre la modernisation de l’agriculture soviétique. Il envisage de mettre en place un système de correspondants et de développer une revue internationale consacrée au monde paysan. Finalement ces projets sont sans
suite: symptôme des difficultés d’une organisation prise à contre-pied par le tournant de la politique paysanne en URSS, le lancement de la collectivisation et la critique de la politique boukharinienne, dite droitière. De 1928 à 1929, le Krestintern subit les contrecoups de la ligne sectaire de l’IC et de la mainmise de Staline sur l’organisation. Celui—ci remplace Alexandre Smirnov, secrétaire général du Krestintern et ancien commissaire à l’Agriculture en URSS, par Ivan Teodorovich. Dès le début des années 1930, le Krestintern
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décline et même disparaît en 1932 au profit de l’Institut agraire international, dont l’histoire moins éphémère se limite aux années 1925 à 1940.
Cet institut est un laboratoire d’études sur la question paysanne, où l’on retrouve les différents spécialistes internationaux, les différentes publications sur la question agraire. C’est une sorte de centre de recherche et de documentation sur
tout ce qui concerne le monde paysan. Par exemple en France, on prend contact avec des universitaires économistes, 34. juristes et des militants Cet institut est en même temps un centre de formation 35. qui prépare des étudiants à une thèse en trois ans sur les questions agraires L’Institut agraire international entreprend parallèlement des enquêtes précises sur la crise des années1930 dans les campagnes. Cet organisme qui se substitue au Krestintern n’a pas l’apparence d’une affiliation politique même si de nombreux rapports d’instructeurs parviennent directement à l’IAI via l’Internationale communiste.
L’Institut participe activement à la lutte antifasciste; dans la ligne du Front populaire définie par l’IC, il participe à la conférence agraire internationale de Bruxelles en 1936 (du 3 au 6 septembre) et aux assises internationales à Prague le 10 juillet 1938, où se côtoient communistes, socialistes et radicaux comme par exemple Mioch, Vazeilles, Dumont, Tanguy Prigent. Le 18 novembre 1940, après une décision de la Commission du Comité central du PCUS, l’Institut agraire international disparaît définitivement. À travers ces deux exemples, on mesure comment l’histoire de ces organisations est inséparable des options stratégiques du Komintern: dès que l’orientation de Front unique fait long feu, l’avenir des différentes organisations auxiliaires est compromis. La politique d’alliance avec certains mouvements nationalistes et avec les syndicats réformistes, impulsée sous l’égide de Boukharine, leur accorde un certain répit jusqu’en 1928. Mais, ensuite, dans le cadre de la politique « classe contre classe », elles perdent leur utilité sauf à se transformer en simples succursales des partis communistes. Persistent, avec des fortunes inégales, les organisations de jeunes, toujours conçues comme des pépinières de futurs cadres staliniens et
fonctionnant à l’image des sections de l’IC; les syndicats membres de l’Interna— tionale syndicale rouge (ISR) connaissent une hémorragie de leurs adhérents, même en France ou en Tchécoslovaquie où ils continuent d’exercer une réelle influence au sein de la classe ouvrière. Désormais officiellement placés sous la direction du Parti communiste, ils sont invités à organiser des grèves politiques de masse pour préparer les prochaines échéances révolutionnaires. Cette orientation,
qui politise au maximum l’action revendicative, contribue à l’affaiblissement et surtout à l’isolement des organisations syndicales dirigées par une nouvelle génération de cadres chargés d’assurer le contrôle politique du Parti sur les syndicats. Au nom de la réunification syndicale réalisée en France notamment, le Profintern sera
finalement dissous en 1937.
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À partir de 1932, de nouvelles organisations, telles que le Comité de lutte contre la guerre et le fascisme, l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) o u encore, en 1936, le Rassemblement universel pour la paix (RUP),
sont créées. Cela traduit le besoin de reconstituer des organisations de masse susceptibles de relayer les mots d’ordre de l’IC comme vecteurs de son influence dans des milieux non communistes. Mais la perspective de ces mouvements est différente de celles des organisations fondées dix ans plus tôt: leur ambition est limitée à une question et leur horizon n’est plus la révolution. Pour autant, le
contrôle de l’IC sur ces mouvements reste assuré par la section des cadres dont le champ de compétences s’étend après1935 à toutes les activités dans lesquelles des émissaires discrets sont impliqués. De fait, le contrôle du Parti communiste soviétique n’a cessé de s’affirmer sur le Komintern dès le milieu des années 1920, mais avec une accentuation sensible à partir de 1935. En témoigne notamment le rôle de la délégation russe au Komintem.
L’Internafionale, le Parti bolchevique et l’URSS Pour comprendre le fonctionnement du Komintern, il faut prendre la mesure du rôle joué par le Parti communiste russe, devenu en 1926 le Parti communiste de l’Union soviétique. La destinée du Komintern est marquée durablement par l’histoire de la Révolution russe dont il est issu. Entre le Parti communiste russe et le Komintern, il y a dès l’origine un lien privilégié, à la fois explicite et délimité. Le statut particulier dévolu au Parti bolchevique, tout en étant présenté comme temporaire, apparaît tout à fait justifié.
Le siège de l’Internationale est provisoirement fixé à Moscou dans l’attente de la victoire de la révolution allemande, mais il faut attendre le IV€ congrès en 1922 pour que la langue russe dispute à l’allemand le statut de langue de référence. ]usqu’alors, l’espoir demeure de déménager le siège du Komintern à Berlin. En définitive, le rôle grandissant joué par le Parti communiste russe dans l’organisation de l’IC, après1924, ne heurte qu’une minorité de militants. Il est d’autant mieux accepté que les dirigeants russes, dont l’influence s’affirme, restent ceux qui ont conduit au succès la première révolution ouvrière et jeté les bases de l’Interna—
tionale. Pour autant, dès cette époque, cette situation privilégiée du parti russe n’est pas sans inconvénients. Les communistes russes marquent de leur empreinte tout le
fonctionnement et toute la réflexion de l’Internationale communiste. Lénine en prend d’ailleurs conscience en 1921, lorsqu’au cours du III€ congrès, il dénonce le caractère « trop russe » des documents et des statuts élaborés par l’Internationale en les estimant incompréhensibles ou inapplicables par les communistes de bien
d’autres pays. A plusieurs reprises, en 1921—1922, en 1926 ou encore en 1934—1935, des décisions sont prises pour assurer une plus grande présence des communistes des
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autres pays dans les organismes de direction; les résultats en sont limités. Sans doute, des hommes tels que le Finlandais Kuusinen, l’Italien Togliatti (Ercoli), le Suisse Humbert—Droz, les Bulgares Kolarov puis Dimitrov deviennent et restent
pour un temps plus ou moins long les dirigeants de l’Internationale. Cependant la plupart de ceux qui ont dû fuir leur propre pays et leur Parti communiste n’ont pas un grand poids dans le Komintern. Bien sûr, dans le Comité exécutif, il y a de nombreux représentants des partis communistes — allemand, français, tchèque, chinois — mais aucun d’entre eux ne joue effectivement un rôle dirigeant. Jusqu’en 1934, moment après lequel son rôle décline, la direction officielle et réelle de l’Internationale est assurée par des communistes de l’URSS. Zinoviev, Boukha— rime, puis Molotov et Manouilski président successivement, quoique diversement,
un Komintern dont les orientations et les activités évoluent progressivement tandis que les structures, apparemment stables, connaissent comme on l’a indiqué précédemment, elles aussi, des modifications sensibles. Aux échelons intermédiaires ou dans les secteurs décisifs, on trouve également une proportion majoritaire de responsables du Parti communiste de l’Union soviétique. Exemplaire, de ce point de vue, est la présence sans discontinuité jusqu’en 1935, de Piatnitski à la direction de la section d’organisation.
L’histoire du Parti bolchevique et de la révolution russe devient, à partir de 1924, la référence théorique constante de toute la production idéologique de l’Internationale. Le mot d’ordre de « bolchevisation », lancé alors pour caractériser la réorganisation des partis communistes, indique bien que celle-ci est conçue comme une transformation des partis sur le modèle bolchevik. Après la défaite de la révolution allemande, en 1923, puis en 1924, alors que se développent des luttes dans la direction du Parti bolchevique, la question de son rôle dans le Komintern se pose de façon nouvelle. De 1924 à 1926, lors des congrès et des Comités exécutifs
élargis, la question est même soulevée par ceux qui, influents dans leur propre parti et soutenant l’opposition russe, telle l’allemande Ruth Fischer, s’inquiètent du rôle joué par les dirigeants du parti russe. C’est précisément à ce moment que le rôle dirigeant du Parti bolchevique au plan international est affirmé pour ne plus jamais être ouvertement remis en cause; certes en 1935 on proclame la nécessité de laisser chaque parti prendre plus d’initiatives, mais en insistant sur le caractère exemplaire
du Parti bolchevique! Le léninisme, défini par Zinoviev puis codifié par Staline, sert de cadre idéologique pour faire passer dans les différentes sections nationales une réflexion théorique et politique forgée par les dirigeants du Parti communiste de l’URSS. Ainsi le léninisme est construit en opposition au trotskysme dont la stigmatisation alimente l’orthodoxie. Trotsky, lucide dans l’analyse des contradic— tions du Komintern, qu’il pense encore pouvoir redresser en 1929 quand il fait un bilan critique de la première décennie, appuie ensuite le projet de création d’une nouvelle internationale qui ne serait plus un instrument de la politique soviétique, mais redeviendrait l’embryon d’un nouveau parti mondial de la révolution. Cependant, loin d’être vécue comme un poids ou un frein pour le mouvement révolutionnaire, la diffusion systématique du modèle russe de la révolution par le
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Komintern est ressentie par bon nombre de cadres comme un atout pour les communistes des différents pays. Sans doute, les perspectives révolutionnaires sont estompées, mais les communistes, à la différence des réformistes sociauxdémocrates, identifient et concrétisent leur projet politique. L’existence de la Russie soviétique ne prouve—t—elle pas qu’une révolution ouvrière victorieuse est possible et que le socialisme n’est pas une utopie? Cette argumentation permet à Staline de conforter un patriotisme soviétique avatar du nationalisme russe pour
mobiliser les cadres du parti. Jusqu’en 1914, le Parti social-démocrate allemand avait été la principale référence de la II6 Internationale, tandis que les diverses révolutions françaises et la
Commune de 1871 constituaient la source des réflexions sur la transformation révolutionnaire de la société. A partir de 1927, après la défaite de la révolution chinoise qui succède aux déconvenues allemandes de 1921 et 1923, l’URSS et le Parti bolchevique sont identifiés à la révolution modèle qu’il faut défendre. L’autoritarisme grandissant dans le Parti bolchevique, l’élimination successive des principaux dirigeants historiques et l’émergence d’un pouvoir sans partage de Staline ont des effets importants sur le fonctionnement de l’Internationale communiste. Si, pendant un temps, le Komintern a eu à discuter des problèmes internes du Parti communiste de l’Union soviétique, à partir de 1927 les dirigeants de l’opposition n’ont plus la possibilité de s’exprimer dans les instances où ils siègent. Désormais, les débats amorcés dans le bureau politique du Parti communiste de l’Union soviétique, notamment entre Staline et Boukharine, ne sont plus soumis aux organismes du Komintern. En 1929, lors du 10€ plénum, les représentants du
Komintern sont informés de la condamnation et de la mise à l’écart de Boukharine, qui l’a dirigé jusqu’alors ; il n’y a même plus de débats analogues à ceux de 1926, du temps où Trotslcy, Zinoviev et Kamenev, les leaders de l’« opposition unifiée », avaient pu encore défendre leur point de vue devant le 7° plénum du Comité exécutif. Cette évolution ne laisse pas indifférents bon nombre de cadres interna— tionaux, mais il n’en est pas qui expriment ouvertement leur désaccord en séance plénière du Comité exécutif, d’autant que ceux qui ont manifesté des désaccords sont déjà stigmatisés comme droitiers et écartés des nouvelles instances dirigeantes. Du déclin à la dissolution
Bien que l’évolution organisationnelle du Komintern ne soit pas totalement homologue à celle de son rôle, la deuxième décennie du Komintern est marquée par un affaiblissement progressif de son activité spécifique au profit d’une subordination croissante aux préoccupations de l’Etat soviétique et notamment de sa politique internationale. Dans un premier temps les structures existantes servent à
cette instrumentalisation, avant qu’elles ne soient modifiées et adaptées au moment, en 1935, où le bilan international du communisme apparaît plus contrasté que jamais.
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919—1943)
Le Komintern ne devient pas, dès 1929, un simple appendice technique du Parti communiste de l’Union soviétique ou de l’État soviétique même s’il leur est de plus en plus étroitement subordonné. L’influence prédominante de l’URSS s’exerce à travers les structures du Komintern dont le fonctionnement spécifique persiste et à l’intérieur desquelles les communistes, russes ou non, agissent comme dirigeants d’un parti mondial. Il n’y a pas encore, même au début des années 1930, d’ajuste— ment automatique entre la politique du Parti communiste de l’Union soviétique et celle du Komintern, notamment parce que le rôle propre du Parti communiste de I’URSS commence à s’estomper au profit de la politique de l’État soviétique.
Staline n’intervient pas ouvertement dans le fonctionnement de l’Internatio— nale. À la différence d’autres dirigeants soviétiques, il reste en retrait dans les grandes assemblées de l’Internationale communiste, se contentant, quand i l y prend la parole, de présenter le rapport sur la situation de l’URSS. Lorsqu’il commence à y exercer une influence effective, à partir de 1929, c’est d’abord par l’intermédiaire de Molotov, de Manouilski ou encore de Piatnitski, le plus souvent sur des questions dites nationales considérées comme décisives, par exemple la politique du Parti communiste allemand. Cependant, en quelques années, toute la vie démocratique de l’organisation décline puis cesse complètement. Les débats, habituels jusque—là, disparaissent des réunions élargies du Comité exécutif de même que les comptes rendus in extenso des travaux des instances de direction. Il faut attendre quatre ans pour qu’un compte rendu des travaux du VII€ congrès de l’Internationale communiste, tenu en 1935, soit publié sous une forme résumée et expurgée dans laquelle nombre d’interventions et de participants ne sont même pas mentionnés. Pour
la plupart d’entre eux, c’est leur seconde disparition, après avoir été emportés par la répression qui s’amplifie, à partir de 1936, et opère des coupes sombres dans les rangs de l’Internationale. Le climat de terreur et d’intimidation physique qui touche l’ensemble de la population soviétique et particulièrement les cadres du Parti communiste n’épargne pas l’Internationale communiste. Les Soviétiques sont les plus touchés,
qu’il s’agisse des cadres intermédiaires, des instructeurs et des représentants en mission ou des plus hauts dirigeants. Mais nombre d’autres membres de la direction de l’IC sont également frappés 3 6 . L’arrestation de certains a été précédée d’une mise à l’écart politique; ainsi, les Russes Piatnitski, Knorine ou le Hongrois Bela Kun, critiques à l’égard de la nouvelle orientation de l’IC, ne retrouvent pas de postes de responsabilités après le VII€ congrès en 1935. Ils sont arrêtés et fusillés deux ans plus tard 3 7 . Les communistes polonais sont éliminés en 1937 dans le
cadre d’une dissolution du parti polonais approuvée par les dirigeants de l’IC. Cette liquidation, organisée au nom de la lutte contre le trotskysme, procède d’une décision de Staline que Dimitrov et la direction du Komintern entérinent. Il est certain que cet acte symbolise tragiquement l’abdication et la soumission de
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l’Internationale communiste à la politique du pouvoir soviétique. L’entrée de Trisiller alias Moskvine, membre du NKVD, au secrétariat du Komintern, lors du VII€ congrès, concrétise le contrôle de l’appareil policier soviétique. Même si certains cloisonnements persistent entre les services secrets, les services diploma— tiques et l’appareil du Komintern, il reste que celui-ci est désormais en position dominée. La liquidation de Moskvine, à son tour, à l a fin de 1 9 3 8 ne signifie rien
de plus que celle de Ejov qui lui—même est membre du Présidium en même temps que commissaire à l’Intérieur: c’est une manière d’imputer à des dirigeants compromis dans les liquidations la responsabilité des excès commis. Tous les hauts dirigeants, Dimitrov et Manouilski les premiers, ne prennent dès lors plus aucune initiative politique majeure sans en référer explicitement à Staline qui, à partir de 1937, dirige de fait la politique du Komintern. En quelques années, le processus de subordination est réalisé, sans faire disparaître les contradictions d’intérêts ni celles des logiques d’action. Dès lors, les difficultés et les échecs qui résultent de ces facteurs dissimulés et mal maîtrisés sont imputés aux ennemis et aux dissidents assimilés à des dirigeants ayant émis quelques doutes ou n’ayant pas compris à temps les changements d’orientation. En fait, dès 1929 s’affirme la différence entre le contexte dans lequel agissent la plupart des partis communistes et la situation du Parti communiste d’URSS, confronté aux problèmes de la collectivisation et de l’industrialisation, réalisées à marche forcée et grâce àla coercition étatique. Pour les autres partis communistes européens, l’essentiel est de parvenir à conquérir ou à maintenir une influence sur
des mouvements sociaux bouleversés par la crise économique et la montée des forces politiques fascistes. Celles—ci, cimentées par une idéologie explicitement contre—révolutionnaire, utilisant conjointement la violence et la mobilisation idéo—
logique de masse, menacent directement les partis communistes. Le discours du Komintern met l’accent sur tous ces signes, unilatéralement interprétés comme annonciateurs d’un nouveau cycle de guerre et de révolution. Les distorsions entre la politique soviétique et la situation des partis commu— nistes persistent après 1934, même si au lendemain du VII€ congrès du Komintern,
ses grandes orientations comme celles de l’État soviétique coïncident dans l’action conjointe contre le fascisme. Mais il n’en va pas de même de la politique1ntérieure des différents partis communistes: entre l’orientation de Front populaire préco— nisée par l’Internationale et la politique intérieure du Parti communiste de l’Union soviétique, l’écart ne cesse de grandir. Ainsi la question de la participation gouvernementale des communistes français suscite à plusieurs reprises, entre 1935 et 1938, des interventions du Komintern pour s’y opposer et prendre le contre-pied de la direction du PCF sur ce point 3 8 . La fidélité à l’URSS reste intacte, bien que le Parti communiste de l’Union soviétique n’inspire plus de la même manière la politique des partis communistes dans leurs pays respectifs. La perspective d’un nouveau conflit mondial contribue à centrer l’activité du Komintern sur les rela— tions internationales et à épouser d’assez près la politique extérieure de l’URSS. La diplomatie soviétique, engagée depuis 1935 dans une politique de sécurité collec—
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tive et de statu quo avec les démocraties occidentales, change partiellement d’orien— tation en 1938 tout en continuant à privilégier les 1ntérêts de l’État soviétique, ce qui aboutit le 23 août 1939 a la signature du pacte de non-agression avec l’Allemagne. Cet accord avec le Reich national-socialiste allemand prend à contre—pied le Komintern dont les dirigeants surpris diffusent après coup, et non sans quelque trouble, la nouvelle orientation qui dénonce les deux camps impérialistes aux prises, en ménageant l’Allemagne. Le tournant est directement imposé par Staline 39. à Dimitrov au début de septembre 1939 Les recherches récentes à partir des télégrammes échangés entre la direction du Komintern et son secrétariat général notamment, permettent d’établir àla fois comment la ligne antifasciste du Komintern a été effective jusque dans l’été 1939 et ce que fut le tournant imposé par Staline, brutal et soudain, aggravant les difficultés des partis communistes, en Europe du moins. Le journal de Dimitrov apporte de ce point de vue des notes d’ambiance et des informations sur les obsessions de Staline qui éclairent la subordination accrue du Komintern et les raisons de sa marginalisation, et notamment comment le secrétaire général du Komintern se plia régulièrement aux injonctions de Staline. Depuis 1937, Staline ne cesse d’exprimer sa suspicion à l’égard de l’activité du Komintern dont il n’hésite pas à indiquer qu’elle converge avec celles des ennemis 40. de l’URSS: « Vous tous au Komintern travaillez pour aider l’ennemi » C’est la justification de la répression engagée contre des dirigeants du Komintern, mais c’est également un moyen de signifier son doute à l’égard de l’organisation en tant que telle. Début septembre1939, au moment où la guerre s’étend en Europe, le secrétariat du Komintern, avec Dimitrov, Manouilski et Kuusinen, travaille à la mise au point d’un document à l’adresse des partis communistes qui continuerait d’évoquer l’action antifasciste. Mais Dimitrov est convoqué le 7 septembre par Staline, aux côtés duquel se trouvent Molotov et ]danov. Le secrétaire général soviétique expose alors ce que doit être la nouvelle ligne du Komintern en fonction de la situation nouvelle. Il dévoile crûment sa vision internationale de la tactique de l’URSS et la politique des partis communistes qui doivent en être solidaires dans des conditions particulières. « Une guerre a lieu entre deux groupes de pays capitalistes (pauvres et riches au niveau des colonies, des matières premières, etc.). Pour le partage du monde, pour régner sur le monde! Nous n’avons rien contre le fait qu’ils se combattent un bon coup et qu’ils s’affaiblissent l’un l’autre. Cela ne serait pas mal si, grâce à l’Allemagne, la situation des pays capitalistes les plus riches était ébranlée (en particulier l’Angleterre). Hitler, sans le comprendre, ni le vouloir lui—même, ébranle, sape le système capitaliste. La position des communistes qui sont au pouvoir est différente de celles des communistes dans l’opposition. Nous sommes les maîtres en notre demeure. Dans les pays capitalistes les communistes sont dans l’opposition, le maître là—bas est la bourgeoisie. Nous pouvons manœuvrer, pousser un côté contre l’autre, pour qu’ils se déchirent encore mieux. Dans une certaine mesure le pacte de non-agression aide l’Allemagne. La fois prochaine, il faudra donner un coup de pouce à l’autre côté. Les communistes des pays capitalistes doivent, de façon définitive, prendre position contre leurs gouverne-
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ments, contre la guerre. Avant la guerre, il était totalement juste de contrer le fascisme avec les régimes démocratiques. Au cours d’une guerre entre puissances impérialistes, cela ne l’est plus. La séparation entre États capitalistes fascistes et démocratiques a perdu le sens qu’elle avait. La guerre entraîne un changement radical. Le Front populaire uni d’hier avait pour but de soulager la situation des esclaves du régime capitaliste. Mais dans les conditions d’une guerre impérialiste, c’est de l’anéantissement de l’esclavage dont il est question! Être aujourd’hui sur les positions d’hier (Front populaire uni, unité de la nation) cela signifie aller sur les positions de la bourgeoisie. Un tel mot d’ordre n’est plus valable“. »
Pour Dimitrov, qui n’en laisse rien paraître, le choc est rude dans la mesure où c’est bien la politique qu’il a incarnée depuis 1934 qui est balayée et jugée définitivement dépassée. On peut noter également comment Staline développe son analyse de la situation internationale en tenant compte de la position de l’URSS. Il prend soin de la distinguer de la situation des partis communistes dans les autres pays pour mieux indiquer qu’ils ne doivent pas s’identifier à leur Etat, sous—entendu évident pour dire qu’ils doivent avant tout défendre l’URSS. Les propos sur le Front populaire et l’antifascisme sont significatifs d’une conception étroitement circonstancielle de ce qu’a été l’engagement du Komintern les années précédentes. La guerre, en rendant caduque la distinction entre pays fascistes et démocratiques, indique que les combats communistes contre le
fascisme n’ont eu pour Staline qu’une portée réduite. C’est, rétrospectivement, minorer ce qui a été l’essentiel de l’engagement du Komintern à partir de 1936. Désormais, il n’y a plus un seul document du Komintern, signé Dimitrov, qui ne soit revu et corrigé par Staline en personne. Celui-ci, s’adressant à Dimitrov, lui dicte les tâches concrètes qu’il doit accomplir: « Il est indispensable de préparer et de publier les positions du Présidium du Comité exécutif du Komintern 4 2 . » Dès lors, pendant près de deux ans, l’activité des instances dirigeantes du Komintern évolue d’une manière imprévue et selon des modalités dont la complexité ne cessera de grandir. Si la centralisation de la prise de décision finale s’est accrue, le Komintern devant rendre compte à Staline et à son entourage proche, Molotov et ]danov, la
diversité des situations qu’il doit affronter est également en augmentation régu— lière. En effet, la nouvelle ligne générale, du fait même de la caractérisation de la guerre comme conflit entre deux camps impérialistes, dont les communistes doivent se distancier, plaque en définitive la politique du Komintern sur celle de l’URSS. Dans tous les autres pays les communistes doivent faire face à des situations en continuelle évolution. L’etat de guerre, le passage dans l’illégalité de la plupart des partis communistes, compliquent les communications. Le service des transmissions du Komintern s’appuie désormais fortement sur les services de renseignements de l’État soviétique, le NKVD, et le personnel diplomatique
soviétique en poste dans la plupart des ambassades. Le maintien d’un système de radiotélégramme dans des conditions souvent bouleversées par les péripéties militaires à partir du printemps1940 est stratégique pour coordonner l’action du
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Komintern. Il en va ainsi de la restauration du dispositif à Bruxelles autour de Fried, dès le début de la guerre, puis dans la France occupée dans l’hiver 1940— 1941 autour de Duclos. Au début, à l’automne1939 et dans les premiers mois de 1940, les réunions du Présidium, au cours desquelles sont abordés conjointement les problèmes des divers partis pour mettre en oeuvre la nouvelle ligne, continuent de se tenir assez régulièrement. Bientôt elles vont laisser place à des réunions plus restreintes autour des problèmes particuliers que rencontre chaque parti. Les entretiens et les documents perdent leur caractère général pour s’adapter à une multitude de cas nationaux dont la diplomatie soviétique et le Komintern se mettent à tenir compte, surtout à partir de l’automne1940. Les réunions et les contacts deviennent presque exclusivement bilatéraux, àla mesure de la complexité accrue d’une situation internationale qui n’évolue pas comme les dirigeants soviétiques et l’IC l’avaient imaginé. Les directives envoyées aux partis communistes ne
peuvent plus avoir un caractère effectivement international. Pour la première fois depuis 1919, la direction du Komintern hésite à adopter un texte unique pour le 1er mai 1941 et finalement y renonce. Dimitrov note: «j’ai parlé à ]danov à propos de l’appel de l’IC pour le Premier mai. Nous considérons tous les deux qu’il n’est pas utile d’intervenir dans la situation actuelle 43. avec un appel du Komintern pour le 1er mai »
Quelques jours plus tard, Staline fait transmettre par ]danov la nécessité d’un texte adressé à chaque parti pour lequel il donne des indications de contenu. Il y a « nécessité de différencier selon les pays (en guerre, hors de la guerre, occupés, etc.) — Aucune hésitation en en ce qui concerne les directives de base (“la guerre impérialiste est l’affaire des impérialistes, la paix civile est l’affaire de la classe ouvrière et des peuples — la guerre des peuples grec et yougoslave contre l’agression impérialiste est une guerre juste, etc.”) 44 ».
Le 19 avril, les directives sur «le déroulement du 1er mai» sont rédigées et envoyées sous la forme de télégrammes chiffrés à New York, Bruxelles, Londres et Amsterdam 4 5 . Le texte du télégramme résume de manière explicite la situation du Komintern et comment il renonce à définir une ligne commune aux différents partis auxquels est transmise la responsabilité de trouver les mots d’ordre qui conviennent à la situation dans laquelle ils se trouvent. « La plus grande attention à la campagne du 1er Mai. Au lieu d’appel général IC, chaque parti doit publier son propre manifeste, en déterminant sa position sur la base situation particulière, tâches classe ouvrière et travailleurs dans chaque pays — Dans pays occupés, démasquer surtout trahison bourgeoisie, responsable du fait que le pays et le peuple ont perdu l’indépendance nationale, en dirigeant le feu contre cette partie de la bourgeoisie qui se fait l’agent des occupants. Dans chaque pays revendications concrètes pour défense intérêts vitaux des masses. Comme orientation générale souli— gner les points suivants. Guerre devenue guerre mondiale. Aucune des deux parties ne
peut donner issue correspondant intérêts des masses et paix. Perspective ultérieure extension aggravation guerre. Souligner progrès rassemblement des masses dans lutte contre guerre (Angleterre, Etats—Unis), résistance croissante dans pays occupés, juste
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guerre défensive de peuples attaqués (Yougoslavie, Grèce), continuation guerre de libération peuple chinois. Mot d’ordre: contre guerre impérialiste et ses responsables, contre oppression nationale et esclavage colonial, contre paix impérialiste, pour paix populaire sans assujettissement d’autres peuples, assurant liberté nationale de chaque pays, se basant sur collaboration entre les peuples, s’appuyant sur US. Souligner
politique indépendante de paix US, sa position en faveur des peuples défendant leur indépendance — Attaquer fortement social-démocratie. Classe ouvrière doit se libérer définitivement de direction tutelle des chefs sociaux—démocrates ; unir ses forces sous direction révolutionnaire des partis communistes. — Solidarité internationale. Pour libération combattants contre guerre et réaction (réfugiés espagnols internationalistes, Thaelmann, Browder, députés français). Formes manifestations adaptées situation chaque pays. Important arrêt du travail. Partout lutter pour manifestations ouvrières indépendantes contre la bourgeoisie. Toute campagne sous le signe préparation rassemblement force classe ouvrière, travailleurs villes campagnes en véritable Front populaire lutte pour fin rapide guerre et paix 46. populaire »
Les orientations formulées dans ce texte coïncident avec la décision évoquée par Staline auprès des dirigeants du Bureau politique du Parti communiste russe de transformer l’organisation internationale. Argumentant sur le fait qu’on avait donné dès novembre 1940 l’autorisation au Parti communiste des États-Unis de se séparer officiellement du Komintern pour ne pas être obligé d’etre recensé comme une organisation sous contrôle étranger, il propose de généraliser la démarche en créant des partis indépendants pouvant même changer de nom, tout cela dans une loge du théâtre du Bolchoï! « Les partis partent de chez Dimitrov (remarque à propos du parti américain). Ce n’est pas mal. Au contraire il conviendrait de rendre les partis communistes complè— tement indépendants et non des sections de l’IC. Ils doivent se transformer en partis communistes nationaux, avec des noms différents — parti ouvrier, parti marxiste, etc.
Leur nom n’est pas important. Il est plus important qu’ils s’intègrent dans leur peuple et se concentrent sur leurs propres tâches particulières. »
Pour Staline, dès ce moment, il faut envisager une disparition de l’organisation : « Du point de vue de l’intérêt propre des institutions du Komintern, cela n’est peut-être pas agréable, mais ce ne sont pas ces intérêts qui décident 4 7 . » Le journal de Dimitrov apporte des informations précieuses et inédites sur sa manière de tester ensuite l’impact de cette initiative qu’il explicite du point de vue organisa— tionnel.
«J’ai posé, devant Ercoli et Maurice [Thorez], pour discussion, la question de l’arrêt, à court terme, des activités du CEIC, comme instance directrice des partis communistes, et leur transformation en de véritables partis communistes nationaux dans un pays donné, conduits par un programme communiste, mais résolvant leurs problèmes de façon propre, en tenant compte des conditions de leur pays et portant
eux-mêmes la responsabilité de leurs décisions et de leurs actions. À la place du CEIC, avoir un organe d’information, d’aide idéologique et politique pour les partis commumstes. »
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Dimitrov se félicite de la réaction positive des dirigeants italien et français qui approuvent l’analyse qu’il vient de présenter. Pour cause, ils avaient été porteurs implicitement de cette démarche à différentes reprises au cours des années 1930, chacun de manière différente, à propos notamment de la conduite par leur parti respectif de la lutte contre le fascisme ou de leurs alliances politiques. « Tous les deux considèrent cette manière de poser le problème comme globalement valable et rendant parfaitement compte de la situation actuelle du mouvement ouvrier international 4 8 . » Les semaines suivantes Dimitrov aborde la question avec Manouilski puis avec ]danov, désormais secrétaire général adjoint du PCUS. Il s’agit de savoir comment justifier et expliquer publiquement l’arrêt des activités du Komintern 4 9 . En URSS comme à l’étranger, ils s’inquiètent par avance de l’impact d’une telle décision: « La décision doit être basée sur des principes, car il va falloir sérieusement expliquer cela à l’étranger, tout comme à nos communistes soviétiques, pourquoi faisons-nous un tel pas. Le Komintern existait avec sa longue histoire, et, d’un seul coup, il cesse
50. d’exister et d’agir, en tant que centre international unique » Il faut envisager une argumentation pour anticiper les critiques et « tous les
coups des ennemis dirigés sur le fait, par exemple, qu’il s’agirait d’une manœuvre, ou que les communistes rejettent l’internationalisme et la révolution prolétarienne internationale ». Il faut également faire en sorte que le changement apparaisse réel 51. et que l’initiative ne vienne pas du centre, mais de plusieurs partis Enfin la question de l’héritage est également évoquée: « Que faire après? » Au terme de ces conciliabules et travaux préparatoires, les risques apparaissent suffisamment impor— tants pour qu’une préparation minutieuse de la décision soit effectuée, ce qui demande encore quelque temps. « Tout cela ne presse pas — il ne faut pas se presser, mais penser et préparer sérieusement 52. » Finalement, l’invasion allemande va provisoirement reporter la question qui sera abordée à nouveau en 1943 dans un contexte différent, celui de l’URSS dans la guerre, qui facilite la mise en route d’une procédure expéditive marquée du sceau du secret. L’entrée de l’URSS dans la guerre donne à Staline l’occasion d’accentuer le revirement patriotique de la politique soviétique. Les partis communistes qui n’avaient pas pris la mesure du nouveau tournant et avaient marqué jusqu’au
bout leur attachement à la thèse de la guerre impérialiste sont sommés de réviser leur analyse et de soutenir leur propre gouvernement dès lors qu’il est allié de l’URSS. Ainsi les partis communistes britannique et suédois sont vertement critiqués pour s’être opposé au gouvernement Churchill ou avoir prôné une attitude de neutralité. Tous les partis communistes du monde sont appelés à défendre une politique antifasciste et de défense nationale aux côtés de l’URSS. Le Komintern mobilise tous ses moyens et son appareil pour appuyer cette politique qui fait une part importante aux transmissions et il procède très vite à l’envoi de militants et cadres destinés à être infiltrés dans les pays occupés et à l’arrière du front. Le Komintern est chargé du fonctionnement des radios à l’adresse des différents pays impliqués dans le conflit. Les dirigeants du Komintern sont amenés à suivre de près
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la politique des principaux partis pour lesquels des directives très précises sont adoptées. C’est le cas du PCF, suivi de près par le secrétariat général du Komintern avec la participation notamment de Thorez, même s’il n’apparaît jamais officiellement puisque sa présence en URSS doit en principe rester ignorée. En fait, depuis que Churchill et de Gaulle ont répondu négativement durant l’été 1941 à la demande du Komintern concernant la venue de Thorez en Grande-Bretagne, le secret est éventé! Même si l’action du Komintern est loin d’être négligeable, son rôle politique, cependant, reste affaibli par une volonté de ne pas le faire apparaître comme tel. Au lendemain de la parade militaire du 7 novembre 1941, alors que les troupes allemandes avancent sur Moscou, Dimitrov note dans son journal : « Pas la peine de trop mettre en avant le Komintern 53. » Le déménagement en octobre 1941 des personnels et des équipements du Komintern à Oufa accentue les difficultés de fonctionnement et une certaine restriction des moyens alloués à
l’organisation. C’est au printemps 1943, en quelques semaines, que la décision de la dissolution et sa mise en œuvre sont réalisées, au cours des mois de mai et juin. Le 8 mai la décision de principe est adoptée à l’issue d’une réunion entre Dimitrov, Molotov et Manouilski: « Nous avons discuté de l’avenir du Komintern. Nous sommes arrivés à la conclu—
sion que le Komintern, sous la forme de centre dirigeant pour les partis communistes, dans les conditions actuelles, constitue un handicap au développement indépendant des partis communistes et à l’exécution de leurs tâches spéciales. Préparer un document sur la dissolution de ce centre 54. »
Les jours suivants les documents préparés par Dimitrov et Manouilski sont soumis à Staline puis au Présidium. Il est décidé de consulter les différents partis soit par le biais de leurs représentants à Moscou ou par télégrammes. L’accord est unanime et la décision du Présidium est rendue publique dans la vda du 10 juin. Une commission chargée de liquider les affaires du Komintern va trans— férer l’essentiel des activités à une Section d’information internationale du Comité central du PCUS. Dimitrov et Manouilski seront les adjoints de Cherbakov qui en sera le responsable en titre. Staline dans un entretien avec l’agence Reuters insiste sur le fait que cette dissolution « démasque les calomnies des ennemis du communisme sur le mouvement ouvrier selon lesquelles les partis communistes des divers pays agiraient non pas dans l’intérêt de leur peuple, mais selon les ordres de l’étranger 55 ». La disparition de l’organisation internationale met un point final au déclin de l’organisation communiste internationale comme organisme supranational indépendant. Cet événement, précipité sans doute par le conflit mondial et ses péripéties, marque le point d’aboutissement d’une évolution stratégique entamée bien auparavant et sur laquelle il convient de revenir. Notes 7 avril 1917, in Lénine, Œuvres complètes, Moscou, Éditions du Progrès,1971, t. 24, 1. vda, p. 14. 2. Nache Slow, janvier 1916.
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
3. Lénine, lettre aux ouvriers d’Europe et d’Amérique,in Œuvres complètes,t. 28, p. 450. 4. Pierre Broué, Histoire de l’Internationale communiste, I919—1943, Paris, Fayard, 1997, p. 77. 5. Kevin McDermott, Jeremy Agnew, The Comintern, a history of international communism from Lenin to Stalin, Londres, Macmillan Press Ltd, 1996; Pierre Broué, Histoire de l’Internationale communiste, op. cit.
6. Lénine, discours du 6 mars 1919, in Œuvres complètes,t. 28, p. 509. 7.Grant M. Adibekov, Eleonora N.Charnazarova,C.C.Chirinia, Les structures organisationnelks du Komintern (1919—1943) [en russe], Moscou, Rosspen, 1997.
8. « Statuts de l’Internationale communiste, adoptés au 11e congrès de l’IC », in Manfistes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès mondiaux
de l ’Internationale
communiste,
I919—1923, Paris,
Librairie du Travail, 1934. 9. Peter Huber, « Les organes dirigeants du Komintern : un chantier permanent », in Serge Wolikow (sous la dir.), Une histoire en révolution? D u bon usage des archives, de Moscou et d 'ailleurs,
Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1996, p.225. 10. Boris Souvarine, membre du Bureau politique et directeur de la revue du PCF , a pris position en faveur de Trotsky et contre les thèses de la direction du PCF . La commission va statuer sur son
sort en se substituant au PCF et l’exclure pour un an du Komintern. 11. Aleksandr Vatlin, « La délégation russe dans le Komintern », in Komintern : idées, décisions, destins [en russe], Moscou, Rosspen, 2009, p. 149-163.
12. John Mcllroy, Alan Campbell, «The British and French representatives to the Communist International,1920—1939:a comparative survey», in International revue of social history, vol. 50, n° 2, 2005, p. 203—240. 1 3 . Annie Kriegel, Stéphane Courtois, Eugen Fried, Le grand secret du PCF, Paris, Le Seuil, 1997.
14. Serge Wolikow, JeanVigreux, « L’Ecole léniniste internationale: une pépinière de cadres communistes », Cahiers d histoire, revue d histoire critique, n° 79, 2° trimestre 2000, p. 45-56. 15. Séance du Présidium du Comité exécutif du 13 octobre 1935, interventions de Palmiro Togliatti, RGASPI, 495—2—201,cité par Aldo Agosti in Togliatti negli anni del comintern(1926— 1943), documenti inediti dagli archivi russi, Rome, Carocci,2000. 16. Commissariat du Peuple aux affaires intérieures. Il a travaillé de longue date au Comité exécutif, en charge du travail clandestin. Il devient un des secrétaires du Komintern et s’occupe en particulier de l’appareil administratif, du service des liaisons internationales et à partir de janvier 1936 dirige la commission chargée du contrôle du personnel travaillant au Komintern et donc de la répression. Il sera finalement arrêté en novembre 1938 et condamné à mort en 1940. 17. VII" congrès de l’Internationale communiste, Moscou, 1939, p. 524. 18. Antonio Elorza, Martha Bizcarrondo, Queridos camaradas, La Internacional comunistay España, Barcelone, Planeta, 1999, p. 337—341. 19. « Discussion avec le camarade français Armand (section des cadres du PC français) ; adoption
des directives sur le travail des cadres en France », 1°r septembre 1938,in Georgi Dimitrov, journal 1933—1949, Paris, Belin,2005, p. 217. 20. Cf. par exemple la lettre des 250 syndicalistes et cadres du parti qui protestent auprès de la direction du Komintern, le 25 octobre 1925,in Cahiers du hokhevisme, n° 35, 15 janvier 1926. 2 1 . Daniel Spencer, « La vicisitudes de la Internacional communista », i n Centro de Investigacionesy
Estudios Superiores en Antropologia Social Distrito Federal, Mexico, Desacatos, numero 007,2001. 2 2 . Serge Wolikow, L’organisation du PCF a ses débuts, i n Nouvelle fondation, n° 1 , p. 159-165. (http:/ /www.cairn.info/ article.php?1D_REVUE=NF &I D_NUMPUBLIE=NF_OO 1&ID_ARTICLE=NF_OOI_0159, site consulté le 1er septembre 2010).
23. Édith Chabrier, « Les délégués au premier congrès des peuples d’Orient », in Cahiers du monde russe et soviétique, vol. 26, n° 1, janviers-mars 1985, p. 21-42.
FONDATION ET ORGANISATION DU PARTI MONDIAL
55
24. Voir chapitre 9. Sur l’évaluation du rôle du Komintern en Inde, voir l’ouvrage de Sobhanlal Datta Gupta, Comintern and the destiny ofcommunism in India, 1919—1943: dialectics ofreal and a possible history, Calcutta, Seribaan, 2 0 0 6 . Jean Vigreux, « M . N . Roy (1887-1954), représentant des
Indes britanniques au Komintern ou la critique de l’impérialisme britannique », Cahier d histoire, revue d histoire critique,
n° 1 1 1 , 2 0 1 0 , p . 8 1 - 9 5 .
2 5 . Michael Weiner, « Comintern i n East Asia, 1 9 1 9 - 1 9 3 9 », in Kevin McDermott, Jeremy Agnew
(eds.), The Comintern, a History of International communism fiom Lenin to Stalin, op. cit; Steve Smith, « The Comintern, the Chinese Communist Party and the three armed uprisings i n Shanghai, 1 9 2 6 - 1 9 2 7 », i n T . Rees, A. Thorpe, International communism and the Communist Interna-
tional, 1919—1943, Manchester, Manchester University Press, 1998; M. Leutner, R. Felber, M. L. Titarnko, A. M. Grigoriev (eds.), The Chinese Revolution in the 19205: Between triumph and disaster, Londres/New York, Routledge/Curzon, 2002.
26. André Gounot, « Sport or political organization? Structures and characteristics of the Red Sport International, 1921—1937 », in journal of Sport History, spring 2001. 27. André Gounot, Les Spartahiades internationales, manifestations sportives et politiques du communisme, in Cahiers d histoire, revue d histoire critique, n° 88, 2002. 28. Ce passage reprend les informations et les analyses de Jean Vigreux dans son Habilitation à diriger les recherches consacrée au «communisme aux champs durant l’entre-deux-guerres » et soutenue en 2007: le texte doit être prochainement publié. Dans ce cadre il a présenté une substantielle recherche originale consacrée au Krestintern dont nous reprenons, d’une manière simplifiée et donc réductrice, les principales analyses. 29. Voir CPI, ]" Conference internationalepaysanne, Thèses, messages et adresses, Paris, Bibliothèque paysanne, 1923, 120 p.
30. Ibid., p. 68—69. 31. Smirnov (Russie), Dombal (Pologne), Burghii (Allemagne),,Vazeilles (France), Rydlo (Tché— coslovaquie), Gorov (Bulgarie), Hero (Scandinavie), Green (Etats-Unis), Galvane (Mexique),
Khaiacko (Japon) et Ai Quak (Indochine). 3 2 . Nicolas Boukharine, La question paysanne,
Paris, Librairie de l’Humanité, 1 9 2 5 , p . 1 1 .
33. Ibid., p. 25. 34. Tels que Michel Augé Laribé, Charles Gide ou des responsables communistes paysans comme Renaud Jean et Marius Vazeilles. 35. RGASPI, 536—1—128, 2 3 juillet 1930 : il y a treize étudiants boursiers (dont un Français).
36. Sur la mise en route de la répression et les kominterniens concernés, voir ci-dessous chapitre11. 37. William J. Chase, Ennemies within the Gates? The Comintern and theStalinist Repression,1934— 1939, New Haven, Yale University Press, 2001.
38. Voir chapitre 4. 3 9 . Natalja Lebedeva e t Mikhaïl Narinski, Le Komintern
et la Seconde Guerre mondiale,
Moscou,
t. 1, 1994. 4 0 . 1 1 février 1 9 3 7 , i n Georgi Dimitrov, journal
1933-1949,
op. cit., p . 1 8 6 .
41. Ibid., p. 340-341.
42. Ibid., 7 septembre 1939, p. 341. 4 3 . Ibid., 9 avril 1 9 4 1 , p . 4 5 4 . 4 4 . Ibid., 1 8 avril 1 9 4 1 , p . 4 5 7 .
45. Ibid., p. 458. 4 6 . Télégramme du 1 9 avril 1 9 4 1 , i n Bernhard H . Bayerlein, Mikhaïl Narinski, Brigitte Studer,
Serge Wolikow, Moscou—Paris-Berlin, Télégrammes chiflÏés du Komintern {1939—1943}, Paris,
Tallandier, 2003, p. 400-401. 47. Georgi Dimitrov, journal, op. cit., p. 459.
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919—1943)
4 8 . Ibid., 2 1 avril 1 9 4 1 , p . 4 6 0 .
49. « Nous avons discuté des motivations de la décision sur l’arrêt des activités du CEIC — de nombreuses questions peu claires et difficiles, liées à cette transformation. » Ibid., 12 mai 1941, p. 471. 50. Ibid. 51. « Question très importante — qui prendra l’initiative de le faire: à l’initiative de la direction ou sur proposition de plusieurs partis communistes. Il semble que la dernière solution soit la meilleure. » Ibid, p. 472. 52. Ibid. 53. Ibid., p. 549. 54. Ibid., p. 803. 55. Ibid., p. 816.
Chapitre 2 \
A quand la révolution? Le Komintern est né de la révolution russe et de l’ébranlement qu’elle a suscité dans un monde secoué par la guerre mondiale. L’espérance en une révolution mondiale et globale, inéluctable et proche, est à la base des textes fondateurs de l’organisation comme de tous ceux qui l’ont préparée et annoncée. Mais la repré— sentation de ce mouvement révolutionnaire en marche a elle—même une histoire qu’il ne faut pas ignorer si l’on veut comprendre la manière dont la stratégie de la nouvelle Internationale se met en place.
La révolution en marche: imminente et prochaine Elle est bien sûr héritière d’une réflexion qui s’est déployée, durant la guerre, au sein de l’opposition socialiste internationale, non sans tension en son sein entre les « centristes » et le courant révolutionnaire dont les bolcheviks se veulent les porteparole aux côtés des spartakistes. Leurs leaders Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, qui viennent d’être assassinés à Berlin, sont célébrés par le congrès. La filiation est affirmée par une déclaration solennelle qui dissout l’organisation de Zimmerwald et fait de la III€ Internationale son légataire. « Les participants soussignés de Zimmerwald déclarent qu’ils considèrent le grou— pement de Zimmerwald comme dissout et demandent au Bureau de la Conférence de
Zimmerwald de remettre tous ses documents au Comité exécutif de la IIIe Internationale 1 . »
Quand Lénine évoque la création d’une nouvelle internationale, il met cette initiative en relation avec la situation politique qui est devenue favorable. C’est le sens de son argumentation dans ses différentes interventions au début de l’année 1919 et surtout lors de la conférence fondatrice, lors de laquelle ses pronostics sur l’extension de la révolution se précisent. Lénine accueille les congressistes en évoquant la situation internationale qui la rend possible: « Camarades, notre congrès revêt u n e grande importance dans l’histoire mondiale.
Il démontre la banqueroute de toutes les illusions de la démocratie bourgeoise. La
L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
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guerre civile est devenue un fait, non seulement en Russie, mais dans les pays capi2. talistes les plus développés, par exemple en Allemagne »
Les événements sociaux dans de nombreux pays européens semblent annoncer la généralisation d’un processus de décomposition du système impérialiste et de la démocratie bourgeoise marqué par la diffusion du modèle soviétique. « Le mouvement en faveur des Soviets s’étend de plus en plus en Europe orientale aussi bien qu’en Europe occidentale, dans les pays vaincus aussi bien que dans les pays vainqueurs, par exemple en Angleterre; et ce mouvement n’a d’autre objectif que l’instauration d’une démocratie nouvelle, la démocratie prolétarienne; c’est le pas en
avant le plus marquant vers la dictature du prolétariat, vers la victoire totale du communisme
3.
»
Cette imminence de la révolution justifie la création de la nouvelle internationale et lui confere un rôle tourné en premier vers la diffusion des idées, la propagande des idées révolutionnaires. La forme de cette révolution en marche est celle d’une guerre civile internationale qui emprunte des chemins nouveaux puisqu’elle passe par des formes inédites de mobilisation, les Soviets, comités divers qui mettent à mal les formes organisées anciennes, partis et syndicats. Au plan international, les Etats nationaux et le système parlementaire sont en passe d’etre remplacés par des systèmes politiques de type soviétique prenant place dans une république internationale des Soviets. Si la tâche principale est de diffuser l’expérience russe des Soviets, Lénine n’en pense pas moins que le cours des choses, en Europe occidentale, sera sans doute différent et plus rapide qu’en Russie! « Nous devons dire que la conquête de la majorité communiste dans les Soviets constitue la principale tâche dans tous les pays où le pouvoir soviétique n’a pas encore triomphé... Il va sans dire que nous ne saurions}prescrire sa voie de développement. Il est tout à fait probable que, dans beaucoup d’Etats de l’Europe occidentale, la révolution éclatera très prochainement4. »
La tâche fixée à la nouvelle internationale est de coordonner un mouvement révolutionnaire en plein essor, mais qui doit faire face à des ennemis déterminés. Ainsi, explique le Manifeste adopté par le congrès, par rapport aux Internationales précédentes, celle—ci est définie par son soutien à l’action révolutionnaire. « Si la première Internationale a prévu le développement à venir et a préparé les voies, si la deuxième Internationale a rassemblé et organisé des millions de prolétaires, la troisième Internationale est l’Internationale de l’action des masses, l’internationale
5. de la réalisation révolutionnaire »
En somme, la stratégie du Komintern naissant est de s’appuyer sur la poussée révolutionnaire au sein d’une guerre civile internationale dans le cadre de laquelle il convient d’abord de coordonner les forces sans mettre l’accent sur une structure organisationnelle 6 . La question ne fait d’ailleurs l’objet que de quelques lignes dans les documents adoptés pour ce qui concerne les instances de la nouvelle interna— tionale tandis que rien n’est dit de précis sur les partis adhérents si ce n’est qu’ils auront un siège au Comité exécutif lorsqu’ils deviendront membres du Komintern.
À QUAND LA REVOLUTION?
59
Un an plus tard, si la perspective révolutionnaire est toujours réaffirmée avec vigueur et présentée comme proche, l’accent est désormais mis sur l’importance de l’activité politique organisée et sur les sections nationales 7 . La stratégie du Komintern connaît donc un infléchissement que Zinoviev caractérise de manière schémanque: « L’Internationale communiste, jusqu’à présent, a surtout été un organe d’agitation et de propagande. L’Internationale communiste devient maintenant une organisation
de combat qui doit avoir la direction immédiate du mouvement dans les différents pays 8 . »
Les documents adoptés lors du 11° congrès, en 1920, les résolutions, les statuts ou encore le texte des 21 conditions sont dominés par la certitude que le vieux monde est au bord du gouffre et qu’il faut sans tarder organiser les forces du prolétariat capables de réaliser et de diriger la révolution en marche : « Le prolétariat mondial est àla veille d’une lutte décisive. L’époque à laquelle nous vivons est une époque d’action directe contre la bourgeoisie. L’heure décisive est arrivée 9 . » Sans doute Lénine polémique—t—il alors contre divers gauchistes allemands ou italiens mais, dans les débats sur le gauchisme, c’est surtout la tactique à suivre à l’égard des institutions politiques existantes qui est en cause et non le processus révolution—
naire en tant que tel. La critique sociale et politique nourrit une représentation de la révolution comme destruction et disparition d’un monde ancien irrémédiable— ment condamné. Le capitalisme a transformé en prolétariat l’immense majorité de l’humanité. L’impérialisme a tiré les masses de leur inertie et les a incitées au mouvement révolutionnaire: « Il y a dans les cervelles du trouble, des ténèbres, des préjugés, des illusions. Mais le mouvement dans son ensemble a un caractère profondément révolutionnaire. On ne peut ni l’éteindre ni l’arrêter. Il s’étend, se raffermit, se purifie, rejette tout ce qui a fait son temps. Il ne s’arrêtera pas tant que le prolétariat mondial ne sera pas arrivé au pouvoir
10.
»
Les partis socialistes d’avant 1914 avaient coutume de dénoncer le capitalisme, ses contradictions et ses méfaits. Pour le Komintern, désormais, le capitalisme, parvenu au stade de l’impérialisme, est entré, depuis la guerre et la révolution russe, dans une crise générale irrémédiable. Les institutions parlementaires bourgeoises, un temps porteuses de progrès, doivent être remises en cause car elles constituent le principal moyen idéologique de la contre——révolution. Les révolutionnaires ont à agir pour renverser le système politique de l’État bourgeois, en lui substituant une nouvelle organisation étatique fondée sur les conseils d’ouvriers et de paysans. « La guerre civile est mise à l’ordre du jour dans le monde entier. La devise en est: le pouvoir aux Soviets. » Le système des Soviets n’est pas uniquement un principe abstrait que les communistes veulent opposer au système parlementaire:
« Les Soviets sont un appareil du pouvoir prolétarien qui, après la lutte et seulement 11. par le moyen de cette lutte, doit remplacer le parlementarisme »
L’instauration de nouvelles républiques des Soviets, en substituant la dictature du prolétariat à celle de la bourgeoisie, est donc l’objectif central des nouveaux
L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
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partis communistes dont l’action doit être dirigée et organisée par le Komintern: « L’Internationale communiste devient l’organisateur pratique d’une grande lutte 12. mondiale qui n’a pas son égale dans l’histoire » De ce rôle découle une nouvelle responsabilité qui donne au Komintern une dimension inédite. « Tant qu’un parti ou l’autre vient nous exprimer sa sympathie et qu’il ne s’agit que de cela, l’Internationale communiste n’a rien à y perdre. Mais quand il est question du désir des partis qui, hier encore, appartenaient à la 11° Internationale, d’entrer en corps dans la III€ Internationale, il nous faut être prudent. »
Cette prudence débouche sur des obligations et un contrôle sur les candidats à l’entrée en fonction d’une conception de l’organisation internationale elle—même. « Il faut, nous semble—t—il, que les partis susnommés 13se fassent une idée bien nette de ce que devient maintenant la IIIe Internationale et des obligations qu’assume chaque parti en entrant dans son sein
14.
» Il convient donc que ces partis commu-
nistes soient disciplinés, décidés et agissent réellement pour la révolution, d’où les 15. 21 conditions posées pour leur admission dans l’Internationale communiste Ces conditions ont un aspect tactique, éliminer les réformistes et les « centristes », censés voler au-devant du succès de l’Internationale, mais aussi une dimension stratégique dans la mesure où il s’agit ainsi de construire un parti mondial de la révolution, organisé et centralisé, capable de jouer son rôle dans une situation internationale marquée par l’extension de la guerre civile. Celle—ci, bien que gagnée en Russie, ne l’est pas encore au niveau international, malgré l’optimisme qui colore les propos et les réflexions du président du Komintern. « La guerre civile, loin de s’affaiblir, augmente en intensité. La guerre de la Russie soviétiste contre la Pologne aristocratique a une immense portée internationale et ouvre
devant la révolution internationale des perspectives singulièrement favorables 16. »
Présentée de la sorte, la stratégie du Komintern dérive de la situation internationale qui imposerait une structuration renforcée: de la coordination des mouvements on passe à une conception d’un état-major politique centralisé. Au-delà des mots qui justifient l’inflexion, c’est bien une conception différente du processus révolutionnaire qui est affirmée par Zinoviev. « L’Internationale communiste et les partis qui la composent ont à accomplir une oeuvre immense. L’Internationale communiste est appelée à devenir le grand état—
major de l’armée prolétarienne internationale qui grandit sous nos yeux. Le mouvement communiste international se développe avec la rapidité d’une avalanche. La révolution prolétarienne internationale s’étend. L’Internationale communiste doit savoir l’organiser et la diriger. La mission de l’Internationale communiste, ce n’est pas seulement de préparer la victoire, de guider la classe ouvrière pendant la conquête du pouvoir, c’est aussi de diriger toute l’activité de la classe ouvrière après cette conquête 1 7 . »
Dès 1921 cependant, le déclin de l’engouement révolutionnaire est engagé: la révolution mondiale n’est plus imminente même si elle reste à l’ordre du jour. Le Komintern, créé pour organiser et conduire le prolétariat à la victoire dans une révolution déjà amorcée, affronte une situation politique nouvelle, mais étrange—
À QUAND LA RÉVOLUTION?
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ment semblable à celle qu’avaient rencontrée les organisations révolutionnaires d’avant 1914!L’interrogation centrale porte désormais sur le chemin à suivre pour créer les conditions politiques de la révolution. Que peut être l’action politique révolutionnaire dans une situation non révolutionnaire? Que signifie dès lors
préparer la révolution? Ces interrogations, toujours présentes dans les débats et les travaux du Komintern à partir de 1921, reçoivent des réponses variables et successives qui ont pour une part scandé l’histoire de la réflexion politique de toute l’organisation.
L’orientation de Front unique: une première tentative d’accommodation Au début de 1921, les partis communistes en voie de formation ont à œuvrer pour réaliser la révolution proche. Pour réaffirmer leur identité ainsi que celle de l’Internationale, il faut donc lancer des actions révolutionnaires exemplaires. Mais
les tentatives de ce genre se soldent, au cours du printemps, en Allemagne notamment, par un double échec. Non seulement l’Etat bourgeois riposte et réprime le mouvement, mais les communistes, après avoir appelé à des grèves insurrectionnelles et à la mobilisation révolutionnaire, se retrouvent isolés en Pologne et en Italie comme en Allemagne. Les dirigeants et envoyés du Komintern se trouvent impliqués dans des événements où il n’est pas rare qu’ils s’opposent. C’est certai— nement en Allemagne que les questions stratégiques continuent à se poser avec le plus d’acuité. La direction du PCA assurée par Paul Levi est critiquée pour sa politique d’alliance avec les socialistes contre l’extrême droite, au lendemain de la tentative militaire de Kapp d’occuper le pouvoir. Il a, en accord avec Radek qui représente la direction du Komintern, adressé une lettre ouverte aux diverses
organisati0ns ouvrières pour la défense de revendications communes, économiques et politiques, contre l’extrême droite 18. Bientôt Levi est personnellement mis en cause pour son attitude auprès du Parti socialiste italien lors du congrès fondateur du Parti communiste à Livourne pour avoir adopté un point de vue différent de celui de l’envoyé du Komintern, Rakosi. O n lui reproche d’avoir été trop conciliant
avec la tendance centriste de Serrati qui voulait rejoindre le Komintern mais refusait une politique d’exclusion des réformistes. Finalement la scission fondatrice sera minoritaire conformément aux attentes de Zinoviev. Cependant, c’est le
moment où le mouvement ouvrier en Italie connaît ses premières fortes difficultés, surtout le Parti socialiste, qui avait été l’un des premiers à apporter son soutien à la IIIe Internationale dès 1919. En Allemagne, les envoyés du Komintern, Bela Kun et Gouralsky, encouragent le lancement d’une grève générale contre le désarme—
ment des milices armées du parti. Cette « action de mars », critiquée par Levi, mais soutenue par la nouvelle direction du PCA, tourne à la catastrophe. Pour autant, Paul Levi est exclu du parti et dans un premier temps le Komintern réaffirme le bien—fondé de son analyse sur la situation révolutionnaire favorable. Enfin en
Russie, après la révolte des marins et des soldats de Cronstadt contre les bolcheviks,
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
alors que la famine est en passe d’atteindre des régions entières du pays, le X6 congrès du Parti bolchevique opère un tournant radical à l’instigation de Lénine. Celui——ci annonce et explique devant une partie des délégués stupéfaits qu’il faut changer de politique economique et abandonner l’espoir de la construc— tion d’une société communiste sur des ruines. Il préconise notamment le retour partiel vers une économie de marché, en particulier dans le domaine agricole, la privatisation des petites entreprises et une politique d’ouverture internationale. Mais si ce Xe congrès du Parti bolchevique, en mars1921, peut être lu comme celui qui atténue la stratégie révolutionnaire avec l’adoption de la NEP, il est également celui qui met en place les principes et les modalités du monolithisme idéologique. Ces deux aspects, souvent envisagés séparément, sont imbriqués et difficilement séparables. Ils constituent le nouveau visage du communisme russe, qui marque rapidement toute l’activité du Komintern. Bien que les espérances révolutionnaires s’évanouissent, la plupart des partis communistes et nombre de dirigeants de l’Internationale voient mal comment, sans se renier, ils pourraient s’adapter à cet état de fait. D’où la tendance à l’extrémisme de gauche qui prône la valeur exemplaire des actions, même mino— ritaires, pourvu qu’elles soient marquées de l’esprit révolutionnaire, le cas allemand étant le plus significatif de ce point de vue. Même si le mot d’ordre de Front unique n’est lancé qu’à la fin de 1921, on peut dater du III€ congrès (juin—juillet 1921) le point de départ de l’orientation de Front unique qui marque un infléchissement essentiel dans l’évolution idéologique du Komintern. Sous l’impulsion de Lénine et de Trotsky, les délégués s’efforcent alors de trouver une issue a la situation contradictoire des partis communistes, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Mais cette modification stratégique s’opère péniblement car les résistances sont nombreuses parmi ceux qui, depuis deux ans, ont été les hérauts de la révolution prochaine, les pourfendeurs de tous ceux qui en doutaient. Les travaux du IIIe congrès, dominés par la question allemande, sont donc marqués par des affrontements qui aboutissent à des compromis au niveau des décisions. Les résolutions adoptées constatent que la perspective révolutionnaire s’est éloignée,
que l’heure est aux luttes défensives et que les partis doivent avant tout se renforcer. Cependant, ces propos restent encore marqués par l’optimisme révolutionnaire de
la période précédente tandis que les analyses qui justifient la nouvelle orientation ne sont pas poussées jusqu’à leur terme. Comment «Aller aux masses », nouveau mot d’ordre de l’IC, sans poser la question du rapport avec les autres forces du mouvement ouvrier? La plupart des partis communistes sont d’autant plus mal préparés à affronter cette question que les déchirements liés à leur fondation restent
proches. Quant aux dirigeants de l’IC, Zinoviev le premier, ils éprouvent des difficultés à tirer toutes les conséquences d’une réorientation que Lénine et Trotsky ont du mal à faire accepter. Il faut, à l’automne 1921, l’aggravation de la famine en Russie, les appels et les démarches auprès d’organisations internationales très diverses, bien au-delà du mouvement ouvrier, et d’autre part l’évolution de la
À QUAND LA REVOLUTION?
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situation politique allemande pour que l’IC, àla fin de l’année 1921, lance le mot d’ordre de Front unique. Lors du III€ congrès de l’IC le climat n’est plus à l’exaltation révolutionnaire dans lequel baignait le précédent congrès. Le tournant de la politique intérieure russe, l’échec subi par le Parti communiste allemand alimentent les débats. En fait, la direction de l’Internationale comme celle du parti russe sont divisées 19. Si Lénine, Trotsky et Kamenev souhaitent tirer les leçons stratégiques des derniers événements, Zinoviev, Boukharine ou Bela Kun souhaitent, malgré tout, continuer l’orientation mise en œuvre depuis un an. Lénine obtient que la délégation russe se présente unie, non sans compromis, à propos de la situation allemande. Zinoviev reste en retrait. Le rôle de Trotsky, jusqu’alors effacé dans l’IC, s’affirme durant ce congrès puisqu’il présente un volumineux et stratégique rapport sur la
situation économique internationale 20. Il analyse longuement la politique économique des principaux pays capitalistes et la stratégie de leur classe dirigeante. Soulignant le déclin des puissances européennes par rapport aux Etats—Unis d’Amérique, il insiste sur les contradictions nouvelles qui opposent les différents pays et les problèmes économiques qu’ils ont à affronter, après la fin de l’économie de guerre. Le paysage international qu’il brosse ainsi souligne les possibilités d’action de la politique étrangère russe, mais aussi la reprise en main opérée par les différentes bourgeoisies dans chaque pays. Dans ce contexte la priorité doit être accordée aux luttes économiques défensives qui seules correspondent au nouveau rapport des forces. Cette analyse réaliste de la situation internationale, caractérisée par l’éloignement des perspectives révolutionnaires, est reprise par Lénine dans ses
interventions sur les questions tactiques abordées dans un rapport général présenté par Radek. Les deux dirigeants russes polémiquent avec les tenants de la théorie dite de l’offensive. Ce débat s’engage à propos de la politique de l’IC en Italie et en Allemagne. La question italienne est dominée par les conséquences de la scission de Livourne puisque la majorité des socialistes italiens, derrière Serrati, se trouve, de
fait, mise en dehors du Komintern alors qu’ils y ont adhéré dès sa fondation 21. Le problème est aggravé par la politique de la direction du PCI, qui n’accepte pas le changement tactique proposé par l’IC: le délégué italien Terracini réfute la thèse
selon laquelle la conquête de la majorité de la classe ouvrière doit être un principe fondamental de l’action des partis communistes. Continuant d’insister sur la nécessité de pourfendre le centrisme, il récuse également l’idée du parti de masse. Cette position rencontre le soutien explicite ou tacite de nombreux délégués, notamment ceux du Parti communiste ouvrier allemand invité comme
observateur. Ce débat recoupe celui concernant l’action de mars en Allemagne. L’exclusion de Paul Lévi, qui a dénoncé le putschisme du parti, ne peut être désavouée d’autant que la direction de l’IC est impliquée dans l’orientation aventureuse et désastreuse suivie par le PCA. Finalement le congrès approuve une résolution qui ménage les apparences en ne condamnant pas explicitement la politique du PCA et en célébrant l’héroïsme de ses militants tombés sous les balles de l’armée. Mais, sur le fond, le texte présente une nouvelle orientation
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
centrée sur les luttes revendicatives et les actions de masse. Les thèses sur la tactique qui insistent sur le travail de masse sont adoptées à l’unanimité des votes en dépit de convictions profondes restées différentes. En définitive, seul l’engagement de Lénine et de Trotsky a pu obtenir ce vote qui masque mal la persistance des divergences, notamment parmi les délégations des partis allemand, italien, tchèque ou polonais. Ce repli stratégique et tactique opéré non sans difficulté par l’IC concernant la politique des partis communistes européens trouve son pendant dans le domaine de la politique coloniale et orientale. Les accents révolutionnaires du congrès de Bakou sont absents d’un congrès qui passe brièvement en revue les forces encore faibles des partis communistes d’Asie. La nouvelle politique étrangère russe qui vient d’aboutir à la signature des traités avec la Turquie, la Perse, l’Afghanistan et l’Angleterre affecte l’activité communiste au Moyen-Orient ou en Asie Centrale. Explicitement ou tacitement, les dirigeants russes se sont engagés auprès de
leurs partenaires diplomatiques à ne pas encourager une activité communiste qui
pourrait gêner ceux-ci. Cette contradiction entre les intérêts de la diplomatie soviétique et l’activité de l’IC va dominer durablement le développement des partis communistes dans tous les pays coloniaux en paralysant en partie l’activité communiste dans nombre de pays où la question nationale constitue l’enjeu politique essentiel. Il faut l’engagement personnel de Lénine et les interventions convergentes de Trotsky pour que le IIIe congrès du Komintern modifie substantiellement ces analyses et ces mots d’ordre. Cette modification débouche sur ce qui est appelé en décembre1921, « la tactique du Front unique prolétarien 22 ». Ainsi lors de son 111e congrès, le Komintern reconnaît pour la première fois, avec précaution, que la phase révolutionnaire ouverte en 1917 est achevée: « La première période du mouvement révolutionnaire après la guerre est caractérisée par sa violence élémentaire, par l’imprécision très significative des buts et des méthodes et par l’extrême panique qui s’empare des classes dirigeantes: elle paraît être terminée 23. dans une large mesure »
Est proposée une nouvelle conception de la révolution mondiale, désormais envisagée comme un processus de longue durée. Ainsi la situation du moment n’infirme pas le pronostic révolutionnaire des communistes: « La révolution mondiale, c’est-à—dire la destruction du capitalisme, le rassemblement des énergies révolutionnaires du prolétariat et l’organisation du prolétariat en une puissance agressive et victorieuse, exigera une période assez longue de combats révolutionnaires 24. » Ces analyses sous—tendent la formulation de nouveaux mots d’ordre: « Aller aux masses», « Front unique prolétarien », «Gouvernement ouvrier et paysan», qui synthétisent l’orientation autour de laquelle les partis communistes doivent désormais structurer leur activité. La critique du sectarisme et de l’extrémisme de gauche, fortement exposée par
Lénine, débouche sur l’affirmation que la tâche principale du Komintern est dès
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lors d’étendre l’influence des idées révolutionnaires dans la classe ouvrière. La lutte pour les revendications immédiates, jusqu’alors négligées par les communistes et abandonnées aux sociaux-démocrates, prend une importance centrale. Il est ainsi recommandé aux communistes de ne pas « renoncer à combattre pour les reven— dications vitales actuelles et immédiates du prolétariat, en attendant qu’il soit en
état de les défendre par sa dictature ».
Les initiatives de Front unique, portée et limites Le mot d’ordre de Front unique prolétarien, précisé à l’automne1921, repré— sente une innovation encore plus explicite. Il s’agit pour les communistes d’appeler tous les ouvriers à l’action commune contre la bourgeoisie et les forces politiques conservatrices, d’où la formule « unité de tous les travailleurs désireux de combattre le capitalisme». Pour ce faire, les organisations communistes s’adressent à leurs homologues au plan national et international en leur faisant des propositions de luttes conjointes. Puisque les masses ouvrières comprennent mal la division du mouvement ouvrier face àla répression patronale, il convient de leur montrer que les communistes ont le souci réel de l’unité dans l’action. « Il importera de faire en sorte que les pourparlers des communistes avec les autres organisations éveillent et attirent l’attention des masses laborieuses 25. » Il faut une réunion du Comité exécutif pour faire admettre, difficilement, la nouvelle orientation aux partis communistes européens. Dans son intervention devant le Comité exécutif le 4 décembre1921, Zinoviev prend soin d’inscrire ses propositions en faveur d’un Front unique prolétarien dans le prolongement des décisions du III€ congrès de l’IC. Une nouvelle étape est censée s’ouvrir pour tout le mouvement communiste puisque, dans le même temps, la Russie révolution— naire s’engage dans une nouvelle politique economique, la NEP. À l’automne 1921, la situation en Allemagne et l’évolution internationale ont
conforté cette ligne visant à relancer l influence des organisations communistes face à des partis et syndicats sociaux—démocrates et réformistes dont l’audience s’était globalement maintenue et stabilisée. Pour autant, le nouveau mot d’ordre ne va pas
sans poser de nombreuses questions puisqu’il implique des modes d’activité qui prennent le contre-pied de ceux à l’honneur lors de la fondation des différents partis communistes. Dans son discours inaugural du 4 décembre, Zinoviev insiste sur les conditions générales et les problèmes que pose la mise en oeuvre du mot d’ordre nouveau. Tout en convenant que la politique de l’IC est influencée par le cours des événements il en donne une version optimiste puisqu’il discerne une remontée de la combativité ouvrière et assure que jamais les organisations révo26. lutionnaires ne renonceront à leur programme
Lorsque, quelques semaines plus tard, le 28 décembre1921, le Présidium se réunit, il adopte un document présentant une analyse et une argumentation générales qui justifient le nouveau mot d’ordre. Sous la forme de 25 thèses, ce texte, transmis aux différents partis et publié dans la Correspondance internationale,
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919—1943)
revient sur le contexte international dont il souligne à nouveau les aspects positifs avant d’examiner des situations nationales particulières et de conclure sur la manière dont les partis pouvaient envisager de concrétiser le Front unique prolé— tarien. Au moyen de ce document la direction de l’IC a le souci de répondre aux interrogations suscitées par ce nouveau mot d’ordre et de présenter une analyse plus fouillée des tenants et des aboutissants de la politique proposée aux différents partis communistes. Par-delà une analyse globale inchangée, on peut relever l’accent mis sur l’enracinement du réformisme dans le monde ouvrier, à la fois unitaire, soucieux d’action commune mais également toujours attaché aux orga-
nisations réformistes. « Les fractions importantes des masses ouvrières adhérant aux vieux partis social— démocrates n’admettent plus sans résistance les campagnes de calomnies des social— démocrates et des centristes contre l’avant—garde communiste. Elles commencent au contraire à revendiquer une entente avec elle. Ces travailleurs cependant ne sont pas complètement émancipés des croyances réformistes et nombreux sont ceux qui continuent leur appui aux Internationales socialistes et à celle d’Amsterdam. Sans doute leurs aspirations ne sont-elles pas toujours nettement formulées: mais il est certain qu’elles tendent aujourd’hui impérieusement àla formation d’un front prolétarien uni, et à la jonction des partis de la II6 Internationale et des syndicats d’Amsterdam aux communistes contre l’offensive patronale. Ces aspirations sont, dans la même mesure, conformes au progrès 2 7 . »
En conséquence, il faut bien convenir que « le mouvement ouvrier international traverse une période de transition qui pose devant l’Internationale communiste et devant ses sections de nouveaux et importants problèmes tactiques 28 ». Sur ce point, le document se veut précis et explicite. En se référant à l’exemple bolchevik d’avant la guerre, il s’agit de montrer que ce n’est en rien un renoncement aux objectifs révolutionnaires, mais une démarche tactique familière aux bolcheviks, sachant allier l’efficacité tactique à l’intransigeance sur les questions fondamentales 29. «À cette époque les bolcheviks ne se refusèrent pas au Front unique. Loin de là, pour contrebalancer la diplomatie des chefs menchevik, ils adoptèrent le mot d’ordre de “l’unité par en bas”, c’est—à—dire l’unité des masses ouvrières formée dans l’action révolutionnaire pratique contre la bourgeoisie. L’expérience montra que c’était là la
bonne réponse. Par cette tactique, modifiée selon les temps et les lieux, une bonne partie des éléments les meilleurs du mouvement ouvrier fut conquise au commu— nisme
30.
»
Le Komintern indique clairement la nécessité de proposer aux organisations
socialistes, syndicales et anarchistes des actions communes. Tout en précisant que les partis communistes doivent à cette occasion s’aguerrir, le document souligne la nécessité d’une attitude d’ouverture à l’égard « de tous les travailleurs animés de la
volonté de combattre le capitalisme et, par conséquent, aussi de ceux qui suivent encore les anarchistes et les syndicalistes ». Refusant toute autocritique, le texte n’hésite pas à conclure que l’IC a toujours eu cette attitude depuis sa naissance 31!
À QUAND LA RÉVOLUTION?
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Dans l’immédiat, nombre de partis communistes réagissent assez mal à ces initiatives qui viennent prendre le contre—pied de la politique imposée un an plus tôt au moment de la scission. Sans doute est—ce en Allemagne que la nouvelle orientation prend forme le plus nettement pendant qu’à Berlin le représentant de l’IC, Radek, multiplie les contacts avec des représentants des autres Internationales pour envisager un rapprochement qui coïnciderait avec la tenue d’une Conférence internationale où pour la première fois l’URSS serait invitée. Marcel Cachin, le directeur de ! Humanité et l’une des figures du PCF, est sollicité pour des contacts exploratoires avec le gouvernement français 3 2 . Cependant, la plupart des partis qui viennent d’être créés font valoir des critiques d’autant que la décision est soudaine et n’a pas fait l’objet de discussions préalables. C’est également le point de vue de « l’opposition ouvrière » dans le Parti bolchevique qui dénonce la bureaucratisarion croissante de l’Internationale et du Parti bolchevique. Le PCF, au lendemain de son Ier congrès qui s’est tenu à Marseille en ignorant l’essentiel des recommandations du Komintern, exprime des remarques négatives. Elles s’inscrivent dans le cadre d’un contentieux qui s’est développé depuis plusieurs mois autour des remarques critiques transmises par Souvarine, à la fois délégué du PCF et membre du Présidium du Komintern. Le courant de gauche, en signe de protestation contre les décisions du congrès de Marseille, qui a manifesté son refus des critiques du Komintern, a démissionné en bloc.
Le nouveau comité directeur du PCF, réuni pour examiner les directives du Komintern, adopte une position de refus clairement exprimée et mandate ses délégués dans ce sens pour la réunion du Comité exécutif élargi qui vient d’être convoquée à Moscou. « Le comité directeur estime que l’application de la tactique du Front unique est impossible dans notre pays, en ce qui touche l’accord avec les états—majors dissidents et majoritaires confédéraux. Il estime qu’elle présente pour l’Internationale des dangers certains contre lesquels des garanties devront être prises. Il donne mandat en ce sens à ses délégués à la Conférence internationale de février. Il les charge en outre de demander l’inscription de cette question à l’ordre du jour au quatrième congrès mondial
33 . »
À Moscou, lors de la réunion du 1er plénum du Comité exécutif élargi, en grande partie consacré à la question du Front unique, un débat vif se déroule au cours duquel montent les critiques sur la méthode et sur le fond. L’orientation de Front unique était la question centrale qui avait, initialement, justifié la réunion de cette conférence. Les remous suscités par une décision dont Kollonta rappelait la soudaineté justifiaient une assez large discussion, d’autant
qu’il fallait associer les partis communistes d’Europe occidentale à d’éventuelles rencontres avec les Internationales socialistes et réformistes. Cette discussion occupa, trois jours durant, six des dix-sept séances de la conférence. En effet, après le rapport introductif de Zinoviev, un vaste débat s’engagea avec une ving— taine d’intervenants dont plusieurs Français, car le PCF était en première ligne. L’abondance des échanges est bien restituée par les notations de Cachin qui, à
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
l’exception du discours de Renoult, les a retranscrits avec beaucoup de minutie. En même temps il les décrypte et leur donne une clarté supplémentaire par rapport au compte rendu officiel. Les temps forts du débat sont constitués par les interventions de Zinoviev et de Trotsky qui incarnent la direction révolutionnaire de l’IC et du PC russe. Celles de Radek et Lounatcharski viennent également étayer une argumentation mise à mal par quelques délégations dont la véhémence compense le faible nombre. De fait, la plupart des délégués approuvent le mot d’ordre et interviennent pour illustrer sa mise en oeuvre dans leur pays, en Pologne ou en Tchécoslovaquie par exemple. Les
Allemands sont pédagogues mais discrets. Thalheimer, au nom du PCA, admet les risques de la nouvelle orientation: « les dangers de la tactique sont grands, plus grands même que vous ne savez », mais il insiste sur les efforts accomplis par son parti pour réaliser des actions de Front unique comme en Saxe ou en Thuringe où les gouvernements socialistes sont soutenus par les communistes. « En Allemagne,
nous avons tâtonné plus d’un an avant d’y voir clair. » La confrontation avec les Français et les Italiens domine les débats, au cours desquels la vivacité du ton tient lieu d’arguments d’autant que la discussion en ce qui concerne les Italiens renoue avec celle encore récente du IIIe congrès. La réunion d’une commission spéciale n’est pas de trop pour tenter l’établissement d’un document susceptible de faire l’unanimité. Finalement, fait exceptionnel dans l’histoire de l’IC, cette unanimité
n’est pas obtenue puisque les désaccords affirmés par les partis communistes français, italien et espagnol sont confirmés par leur vote négatif. Pour autant, cette situation exceptionnelle ne débouche pas sur une crise ouverte. Bien plus, les différents partis et la direction de l’IC protestent de leur bonne volonté commune. Le poids du contexte est de ce point de vue essentiel. La perspective de la prochaine conférence diplomatique, à Gênes, où la Russie a été pour la première fois officiellement invitée,‘domine les débats même si la question des conférences internationales n’est abordée qu’infine. En dépit de la vigueur de leurs critiques, les dirigeants de l’IC font preuve de compréhension à l’égard des partis communistes réticents. En témoigne la formation, à la fin des débats, d’une commission de 17 délégués représentative des différents points de vue afin d’élaborer un document acceptable par tous. L’essentiel pour la direction de l’IC est la réussite des initiatives internationales liées à la Conférence de Gênes. C’est Radek qui s’explique le plus largement sur le sens de ces réunions internationales proposées dès le mois de décembre par les dirigeants de la gauche socialiste et syndicale. Ces propositions reprises par les communistes doivent permettre d’affirmer la voix du monde ouvrier à côté de celle des États: « Au moment où la bourgeoisie va se réunir pour se partager le monde, il
faut unir le prolétariat dans ce qu’il a d’accord minimum. » L’argumentation ne suffit pas à ébranler la conviction des opposants, qui maintiennent leurs critiques puisque la présentation des résolutions finales sur la question suscite un nouveau débat. Des textes contradictoires sont élaborés soit en faveur du Front unique et de
la tenue de prochaines conférences internationales soit contre des alliances avec les
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organisations socialistes et des réunions internationales avec elles. Cette position minoritaire est celle des délégations française, italienne et espagnole. Après le vote, Cachin, au nom de la minorité, lit une déclaration dans laquelle il précise que les partis resteront « disciplinés et fidèles aux résolutions de la III€ Internationale ». Il se félicite que le Comité exécutif ait admis une partie de leurs critiques à l’égard des réformistes. Cela dit, il ajoute: « Nous nous inclinons devant la majorité qui vient d’accepter la tactique proposée par lui. » Zinoviev, en contrepartie, affirme qu’il tiendra compte des préoccupations ainsi exprimées 3 4 . «Le nouveau Présidium considère que la déclaration des camarades français, italiens et espagnols peut être admise et semble tout à fait satisfaisante 3 5 . » Les dirigeants du PCF, qui demandent de surseoir à la mise en application du Front unique dans l’attente du prochain congrès, prennent acte des décisions de l’IC. En revanche, celle-ci laisse la possibilité aux partis hostiles à la nouvelle orientation non seulement de renouveler leurs critiques, mais aussi d’exprimer leur point de vue consigné dans un document soumis au vote des délégués à cette réunion du Comité exécutif. Le compromis, évident, est commandé par la conjoncture internationale et les objec— tifs de l’IC et de l’État soviétique, qui souhaitent avant tout réussir leurs grandes manœuvres diplomatiques engagées en Europe. Une certaine tolérance al’égard de quelques sections nationales récalcitrantes est dès lors un inconvénient mineur. En somme, la première inflexion stratégique du Komintern recèle tous les éléments qui constituent les contradictions qui ne cesseront de miner l’organisa— tion. En effet, ce qui se joue à la fin de l’année1921 et dans le premier semestre 1922 rassemble tous les ingrédients de l’histoire ultérieure de l’Internationale communiste. S’y trouvent imbriqués la politique intérieure russe dominée par la NEP, une modification de la situation internationale marquée par un déplace— ment des alliances, le lien entre le Komintern et l’État soviétique, leurs rapports avec/les différents partis communistes mais aussi avec les autres forces politiques des Etats capitalistes. C’est enfin la première fois que des relations de coopération entre les différents courants du mouvement ouvrier européen sont envisagées depuis les déchirements de la guerre et de la révolution russe. Mais les pourparlers, engagés en 1922, entre l’Internationale communiste et les
Internationales socialistes lors de la réunion qui se tient en avril à Berlin n’abou-
tissent pas. Les communistes mettent en avant l’action commune contre le capi— talisme tandis que les socialistes soulèvent comme question préalable le sort des mencheviks russes, emprisonnés et jugés dans des conditions critiquables. En dépit de ces déboires, le IV€ congrès du Komintern, à la fin de l’année, réaffirme son attachement au Front unique, mais en même temps tire les conséquences de la fronde qui s’était manifestée contre l’exécutif en affirmant son autorité sur les sections nationales récalcitrantes.
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
Le gouvernement ouvrier: un mot d’ordre sans lendemain Le mot d’ordre de gouvernement ouvrier, adopté lors du IV€ congrès en décembre 1922, pousse à son terme logique la démarche de Front unique puisqu’il définit l’attitude des communistes face à des gouvernements dirigés par des socia— listes et qu’il donne une perspective gouvernementale aux actions communes, en
envisageant même les conditions dans lesquelles les partis communistes pourraient participer à un gouvernement. Partant d’une analyse distinguant cinq types de situations gouvernementales, sont définies deux ouvertures tactiques nouvelles qui ont un impact notable sur l’activité communiste. D’abord est mentionnée la possibilité pour les communistes de soutenir un gouvernement ouvrier non communiste, en fait social-démocrate 36. Est également envisagée la possibilité pour les communistes de participer à des gouvernements qui n’exerceraient pas
encore la dictature du prolétariat. Dans ces situations gouvernementales, les communistes pourraient se trouver alliés à d’autres partis pour lutter contre la bourgeoisie et préparer la dictature du prolétariat 37. Au total, cette nouvelle orientation représente plus qu’une simple modification de l’activité communiste, elle lui donne de nouvelles dimensions, celle de la durée et de l’insertion dans les luttes politiques nationales des pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Elle a des effets concrets sur la politique des partis communistes d’Extrême-Orient, en Chine notamment. Elle est une tentative pour enraciner politiquement les partis communistes dans des pays où il n’y a plus de perspective révolutionnaire et où le mouvement ouvrier organisé demeure majoritairement sous l’influence social-
démocrate. Cette orientation doit certainement beaucoup à la réflexion propre de Lénine qui a pris la mesure d’une situation politique nouvelle et imprévue mais dont il envisage rapidement qu’elle sera durable pour le mouvement communiste. Tout cela explique sans doute la permanence des références faites ultérieurement à cette orientation, alors même qu’elle est abandonnée, voire critiquée dans son contenu effectif. A posteriori, après1934, au moment du Front populaire, son importance est réévaluée pour inscrire la nouvelle orientation antifasciste dans la tradition léniniste. Mais sur le moment, la mise en œuvre de l’orientation de Front unique reste limitée, tout au moins en Europe. Dans les différents partis commu— nistes, les réticences sont très fortes: elles expriment d’une façon ou d’une autre la
difficulté de ces partis, alors que les cicatrices de la scission ne sont pas refermées, à se situer par rapport àla social-démocratie dans le cadre d’une politique d’alliances et de lutte commune pour les revendications immédiates. Les dirigeants de l’Internationale communiste ont d’ailleurs conscience que la nouvelle orientation peut être dangereuse pour leur identité même. « L’exécutif tient à attirer l’attention des partis frères sur les périls qui peuvent en résulter... Pour appliquer avec succès la tactique préconisée, il importe que le parti soit fortement organisé et que sa direction se distingue par la clarté parfaite de ses idées 3 8 . »
Lorsqu’en Allemagne, en 1922 et 1923, en Saxe et en Thuringe, les commu— nistes sont conduits à participer à des gouvernements régionaux de coalition avec
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les socialistes, ils sont entraînés avec eux dans l’échec de ces expériences gouvernementales brisées par les forces conservatrices du régime de Weimar. Au niveau syndical, cette orientation a malgré tout des effets positifs immédiats en permettant d’asseoir l’influence communiste dans les syndicats de certains pays, particulièrement en Tchécoslovaquie. Mais au total le bilan est maigre, malgré les propos des dirigeants de l’Internationale communiste, Zinoviev le premier, qui affirment la pérennité de cette orientation en dépit des difficultés rencontrées. Elle est, en fait, progressivement abandonnée au profit d’une autre orientation adoptée lors du Ve congrès en juin 1924. La défaite et les contradictions de la révolution allemande, la disparition de Lénine et les luttes dans la direction du Parti bolchevique sont autant de facteurs qui jouent dans le sens d’une modification des analyses et du contenu des mots d’ordre, quand bien même ceux-ci sont ressassés. Ce qu’il est
convenu d’appeler le « tournant à gauche » du V€ congrès procède bien davantage des problèmes intérieurs à l’Internationale que des changements dans une situation internationale dont la stabilisation s’affirme à ce moment 3 9 . Il est malaisé de dégager les lignes de force de l’activité stratégique du Komintern durant la période qui va de la mort de Lénine, en janvier 1924, jusqu’à l’élimination de Boukharine de sa direction au printemps1929. L’enchevêtrement des débats et des luttes de groupes interfere avec les oppositions politiques qui traversent l’organisation internationale. Officiellement, le V€ congrès, en juin 1924, ne marque pas la disparition de l’orientation de Front unique. Pour autant, celle—ci est alors substantielle— ment modifiée et amoindrie. Cette orientation, sans disparaître subitement, connaît successivement des atténuations et des réactivations qui progressivement
en estompent le contenu. En même temps apparaissent les linéaments, encore épars, d’une nouvelle orientation, à la fois gauchisante et dogmatique, alliant le volontarisme de l’analyse et de l’action avec le repli sur une organisation communiste dont la centralisation bureaucratique est renforcée. Les procédures décisionnelles connaissent dès cette époque une sensible évolution, marquée par le déclin des grandes assemblées représentatives, congrès ou plénums élargis du Comité exécutif, au profit des organismes restreints, Présidium et Secrétariat, dont le rôle
grandit. Les infléchissements stratégiques, la modification des analyses ou des interventions de l’Internationale communiste sont désormais enregistrés a poste— riori lors des congrès ou des plénums élargis avec un certain retard par rapport à
leur mise en oeuvre effective. Quand Lénine meurt, en janvier 1924, la situation du Komintern est difficile. La plupart des problèmes posés dès 1921 n’ont pas été résolus : si l’organisation des partis communistes est faible, leur audience également. La social-démocratie a reconstitué ses forces et bien souvent accru son audience. La domination mondiale des bourgeoisies européenne et américaine est installée même si elle se heurte à des mouvements nationaux en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient. Mais, sauf en Chine, où s’amorce un mouvement national révolutionnaire avec les communistes, du moins jusqu’en 1927, et bien sûr en URSS, cette domination se main—
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
tient. Sans doute, des contradictions d’intérêts et de nouveaux rapports de forces se sont-ils développés depuis la guerre entre les grandes puissances occidentales. Mais pour l’heure, les solutions internationales tant économiques que diplomatiques (plan Dawes, accords de Locarno) sanctionnent une sorte de statu quo consacrant la
suprématie économique américaine, la primauté diplomatique de la GrandeBretagne et de la France en Europe et, enfin, la renaissance de la puissance allemande. La croissance économique s’affirme dans la plupart des pays, même si les séquelles de la guerre sont loin d’être effacées. Dans ce contexte, le mouvement révolutionnaire est indéniablement retombé, travaillé par ses divisions et durement touché par une répression caractérisée par son ampleur et sa dimension
idéologique. Avec le fascisme, installé en Italie depuis 1922 et qui se consolide, le mouvement ouvrier rencontre une force qui prétend lui disputer son terrain d’action et l’éliminer physiquement. Après la défaite de la révolution allemande, l’URSS devient plus que jamais la seule patrie de la révolution, mais ce, au moment où les problèmes de développement du pays et la question de l’orientation du Parti communiste (b) de l’Union soviétique 40 se trouvent posés au travers de divisions et
d’affrontements qui déchirent sa direction. Dès lors, quelle voie suivre ? Telle est la question posée non seulement à l’URSS, mais également au Komintern. Il faudra plus de quatre ans pour que se dégagent vraiment les réponses apportées à cette interrogation. Que reste—t-il de la révolution
mondiale
(1923—1928) ?
Bien que, dès 1921, le Komintern ait constaté le ralentissement du processus
révolutionnaire, l’instabilité durable de la situation politique dans certains pays, en Allemagne notamment, conduit les dirigeants du Komintern à escompter de nouveau, en 1923, une issue révolutionnaire imminente à la crise qui frappe alors ce pays. Lors du V€ congrès, en juillet 1924, le premier qui se tient en l’absence de Lénine, Zinoviev avance cependant, conjointement à cette hypothèse optimiste, un autre scénario selon lequel la période révolutionnaire est close pour longtemps. Cette hésitation traduit sa difficulté à accepter l’effondrement de la perspective révolutionnaire, présente aux origines de l’organisation communiste. Lors du 5€ plénum du Comité exécutif de l’Internationale, en avril 1925, et surtout en 1926, au cours des 6€ et 7€ réunions de cette même assemblée, il devient tout à
fait évident que l’hypothèse optimiste de Zinoviev ne tient pas. Pourtant, celui—ci, rejoignant Trotsky sur ce point, lie le sort de l’URSS à celui de la révolution mondiale. L’« opposition unifiée » affirme jusqu’en 1927 que le Komintern doit agir autrement pour étendre la révolution mondiale et ce en tirant argument des défaites subies en Grande-Bretagne ou en Chine par les mouvements de masse impulsés par les communistes. Pour elle, le schéma de la révolution mondiale reste inchangé: temporairement ralentie, il faut qu’elle reparte pour permettre a l URSS
de construire le socialisme. Àl’1nverse, dès la fin de 1924, Staline, puis Boukharine, développent une conception toute différente. Pour le premier, puisque à l’échelle
À QUAND LA RÉVOLUTION?
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internationale la révolution marque le pas, et comme aucun Parti communiste n’a
réussi à prendre le pouvoir, l’URSS est devenue l’expression concrète de la révo— lution mondiale. En conséquence, la construction du socialisme en URSS, c’està—dire dans un seul pays, devient l’objectif révolutionnaire le plus élevé de la nouvelle période. En aidant l’URSS, les divers partis communistes contribuent à défendre et consolider les positions de la révolution mondiale, assimilée au sort de l’URSS. Cette perspective a le mérite de proposer aux partis communistes une conception cohérente de la révolution mondiale, mais elle met en cause les fonde— ments de l’identité du Komintern! Il revient à Boukharine d’offrir une conception plus large et différenciée de la révolution mondiale, qu’il précise de 1 9 2 6 à 1928, du 7e plénum au VI€ congrès. Il
développe ainsi une idée envisagée par Lénine et Trotsky, en 1921—1922, d’un processus révolutionnaire mondial de longue durée connaissant des avancées et des reculs. Brisant avec une vision homogène, il distingue trois composantes qu’il appelle les « colonnes de la révolution mondiale » : l’URSS qui construit le socialisme, le mouvement ouvrier révolutionnaire des grands pays capitalistes occidentaux, et les mouvements nationaux des pays colonisés ou dominés. Cette vision de la révolution mondiale comme processus articulé confère une autonomie relative à ses différentes composantes. Les partis communistes doivent, dans des situations
diverses, élaborer leurs propres objectifs. La défense de l’URSS est une dimension concrète de leurs objectifs, mais ne l’épuise pas. Enfin, dans l’immédiat, Boukha— rine, largement sceptique sur les possibilités révolutionnaires en Europe, place ses espoirs dans les mouvements nationaux et révolutionnaires d’Orient dont on perçoit les prémices en Extrême—Orient notamment, malgré le retournement de la situation en Chine Jusqu’en 1928, les conceptions de Staline et de Boukharine cohabitent et l’emportent sur celles de l’opposition parce qu’elles apparaissent plus réalistes et plus cohérentes, notamment aux fonctionnaires des partis et du Komintern. Lors du V1€ congrès, même si le programme du Komintern adopté alors représente les idées de Boukharine, celles-ci sont critiquées et finalement rejetées comme droitières et opportunistes parce qu’ignorant la nouvelle radicalisation révolutionnaire dans les pays capitalistes occidentaux. Finalement, lors du 10e plénum, en juin 1929, les conceptions boukhariniennes laissent la place àla conception stalinienne centrée sur l’URSS, mais qui reprend cependant les idées de l’ancienne opposition sur une vague révolutionnaire imminente liée à la détérioration de la situation internationale. Notes
1. Signataires: Rakovski, Lénine, Zinoviev, Trotsky, Platten. Déclaration faire par les participants de la conférence de Zimmerwald au congrès de l’1C, in Quatre premiers congrès mondiaux de l'Internationale communiste,1919—1923, op. cit., p. 16. 2 . Lénine, discours d’ouverture.
3. Lénine, discours de conclusion, in Œuvres complètes, op. cit., t. 28, p. 501.
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
4. Lénine, in Œuvres complètes, op. cit, t. 31, p. 499. 5. Manifeste de l ’Internationale communiste aux prolétaires du monde entier, Librairie du travail, 1934,p.34. 6. Sur cette question, une mise au point intéressante, in 1. Getzler, « Lenin’s Conception of
Revolution As Civil War », Slavonic and East European Review, n° 3, 1996. 7 . Aldo Agosti, « T h e Concept o f World Revolution and the “World Party for the Revolution”
(1919-1943) », in The International Newsletter ofHistoricalStudies on Comintern, Communism and Stalinism, vol. IV/V, 1997-1998. 8. Grigori Zinoviev, « Ce qu’a été jusqu’ici l’Internationale communiste et ce qu’elle doit être », in Les questions le plus pressantes du mouvement ouvrier international Petrograd,1920, p. 141. 9. « Résolution sur le rôle du Parti communiste dans la révolution prolétarienne », Manifeste du H" congrès de l ’IC, op. cit. p. 49. 10. « Le monde capitaliste et l’Internationale communiste », Manifeste du II" congrès de l ’IC, op. cit., p. 78.
11. « Les tâches principales de l’Internationale communiste », op. cit., p. 43. 12. Ibid. 13. Les partis cités sont: « le parti indépendant d’Allemagne, le Parti socialiste français, le Parti socialiste américain, l’Independent Labour Party anglais, le Parti socialiste suisse et quelques autres groupes ». 14. « Les tâches principales de l’Internationale communiste », op. cit. 15. Voir chapitre 10. 16. Grigori Zinoviev, « Ce qu’a été jusqu’ici l’Internationale communiste et ce qu’elle doit être », op. cit., p. 161. 1 7 . Ibid., p . 1 6 3 .
18. Jean-François Payet, Karl Radek (1885-1939), Biographie politique, Berne, Peter Lang, 2004, p. 360. 1 9 . Edward H . Carr, La révolution bolchevique, t. 3 , Paris, Les Editions de Minuit, 1 9 7 4 , p . 3 9 2 -
393. 20. Cf. Léon Trotsky, La nouvelle étape, Paris, Librairie de l’Humanité,1922. Des extraits substantiels sont publiés dans le recueil de textes présenté par Pierre Broué: Trotsky, Le mouvement communiste en France (1919—1939), Paris, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 105-112. 21. Lénine, « Discours sur la question italienne », 28 J u i n 1921, m Œuvres, op. cit., t. 32, p. 492— 497. 22. «Résolution du Présidium de l’IC du 12 décembre 1921 », Correspondance internationale, n° 6, 1921. 2 3 . « Thèse sur la situation mondiale et la tâche de l’Internationale communiste », III° congrès de
l’IC, in Manifistes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès mondiaux de l’Internationale communiste, 1919-1923, Paris, Librairie du travail, 1934.
24. « Thèse sur la tactique », III€ congrès de l’IC, op. cit., p. 94. 25. Ibid.
26. « Après la fin de la guerre mondiale, nous fiîmes les témoins de l ’eflèrvescence révolutionnaire des masses ouvrières. Puis, vers1920, le réfimnisme reprit desforces. Lafiztigue des masses ouvrières, épuisées par de longues luttes, détermina cette recrudescence indéniable de réfl7rmisme. Les travailleurs voulurent croire a la possibilité de résoudre la question sociale par des mesures pacifiques et de se soustraire par conséquent à des luttes pénibles. On peut aujourd’bui résumer lesflzits de la manière suivante: au moment du III" congrès de Moscou et peut—être encore dans les premiers mois qui le suivirent, la vague révolutionnaire retomba, les masses ouvrières traversèrent unepériode d’indÿfi'rence, d ’aflèrmissement. On peut dire qu ’elles s’orientèrent un
.ÀCfiMŒH)LARÈVÛLUTKHQ?
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moment à droite. Mais la vague remonte. Un revirement s’observe dans les esprits. Les causes en sont économiques : il faut surtout les rechercher dans l’oflensive patronale pour l’avilissement des salaires. » [bid
27. Thèses sur l’unité du Front prolétarien et sur l’attitude à adopter envers les ouvriers adhérant aux Internationales socialistes II et III, à celle d’Amsterdam et aux organisations anarchistes—
syndicalistes (adoptées à l’unanimité par l’exécutif de l’Internationale communiste le 28 décembre 1921), Correspondance internationale,
n° 4 , janvier 1 9 2 2 , p. 25-27.
28. [bid
29. « Le Comité exécutif de l’Internationale communiste croit bien fizire en rappelant à tous les partis fières les expériences des bolcheviks russes, dont le parti est le seul qui ait jusqu’à présent réussi à vaincre la bourgeoisie et a prendre le pouvoir. Pendant les quinze années qui s’étendent entre la naissance du bolchevisme et sa victoire (1903—19!7), celui-ci n’a jamais cessé de combattre le réflmnisme ou, ce qui revient au même, le menchevisme. » [bid 30. [bid 31 . « Dès les premiers jours de son existence,l’Internationale communiste a toujours préconisé a l égard de ces éléments ouvriers, appelés à surmonter peu à peu leurs préjugés pour adhérer au communisme, une
attitude amicale. Les communistes devront dorénavant leur accorder d’autant plus d'attention que le Front unique contre le capitalisme est en voie de réalisation. » [bid
32. Sur la question du Front unique dans le Komintern on peut consulter les Carnets Cachin, 1922, in Denis Peschanski (sous la dir.), présentation SergeWolikow, Carnets Cachin, t. III, 1922-
1935, Paris, Éditions du CNRS,1998. 3 3 . Bulletin
communiste, janvier 1 9 2 2 , p. 7 8 .
34. Les propos de Zinoviev ne sont pas cités tels quels par Cachin qui note malgré tout une phrase sympathique: « Nos camarades de nos meilleures sections restent disciplinés et nous les en remercions. » Ils figurent seulement dans le compte rendu officiel. 35. Compte rendu de la conférence de l’Exécutif élargi de l’Internationale communiste, Paris,
1922,p.225.
36. « Résolution sur la tactique de l’IC », [Ve congrès de l’IC, op. cit., p. 159. 37. 38. 39. 40.
[bid [bid Maurice Andreu, L’[nternationale communiste contre le capital, 1919—1924, Paris, PUF, 2003. Le (b) rappelle qu’il s’agit toujours du Parti bolchevique.
Chapitre 3
La « bolchevisation » des partis communistes La perspective révolutionnaire, dont on a vu comment elle s’était éloignée, est progressivement remplacée dans la démarche stratégique par le projet de transformation des partis communistes, dans le cadre d’un processus d’évolution du Komintern lui-même.
La bolchevisation des partis communistes devient un des principaux mots d’ordre de l’Internationale communiste à partir de 1924. Lancé par le V€ congrès, il est confirmé en 1925 par le 5° plénum, qui se consacre précisément à définir dans des thèses ce qu’il convient d’entendre pratiquement par la bolche— visation. On ne peut ignorer le contexte dans lequel ce mot d’ordre est lancé puisqu’il est formulé au lendemain de la défaite du mouvement révolutionnaire allemand, alors que la polémique se développe parmi les dirigeants du Parti bolchevique. Cinq ans après la création du Komintern, aucun Parti communiste n’a réussi à conquérir le pouvoir comme l’ont fait les bolcheviks. Les résolutions des précédents congrès préconisant la transformation des partis communistes sont restées pour l essentiel lettre morte. À Trotsky, qui critique la politique du Komintern et le fonctionnement du Parti communiste (b) de l’Union soviétique, le groupe dirigeant, formé de Zinoviev, Kamenev et Staline, réplique en se réclamant du bolchevisme, façon de rappeler le passé menchevik de l’auteur du Cours
nouveau. Le ralentissement du processus révolutionnaire met donc à l’ordre du jour non plus la conquête du pouvoir, mais la préparation de la révolution. La bolchevisation, c’est en premier lieu une réorganisation qui transforme fortement la physionomie des partis. Il s’agit de donner aux partis communistes
une nouvelle structure fondée sur des groupes de base, les cellules, qui doivent regrouper les adhérents sur leur lieu de travail et non plus sur le territoire de leur résidence. L’expérience du Parti bolchevique d’avant 1917 est invoquée, mais ce n’est pas le cas pour les nouveaux organismes de direction (bureau politique, comité central, comité de région et de rayon) et les modalités par lesquelles ils sont désignés. Sur ce point, c’est en fait le Parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique de 1924 qui sert de référence, celui où les débats contradictoires et
LA « BOLCHEVÏSATION » DES PARTIS COMMUNISTES
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publics sont bannis des instances dirigeantes, où l’unanimité est la règle. Les nouveaux statuts types, élaborés par l’Internationale communiste, définissent dans les moindres détails le fonctionnement des partis communistes 1 . Le Bureau d’organisation, sous la direction de Piatnitski, supervise l’ainsi nommée bolchevisation organisationnelle des différents partis, tandis que deux conférences internationales dites d’organisation rassemblent, en avril 1925 et mars 1926, les responsables de tous les partis pour qu’ils confrontent leurs expériences. Au lieu de rechercher l’assentiment général des communistes, les dirigeants du Komintern et de la plupart des partis communistes conçoivent, au moins à l’origine, la bolchevisation comme un moyen de battre les « droitiers », les trotskystes, et de se débarrasser des éléments considérés comme sociaux—démocrates demeurant encore dans les partis communistes 2 !
Les résultats ne sont pas àla hauteur des premiers communiqués triomphalistes du début de 1925. La mise en place des nouvelles structures se révèle lente et difficile, d’autant que, bien souvent, le nouveau découpage organisationnel est inadapté ou déséquilibré. Il faut ainsi reconsidérer la question des cellules et admettre que tous les adhérents ne pourraient être affectés à des cellules d’entre— prises, qu’il faudrait également constituer des cellules locales. Les organisations territoriales correspondant aux «divisions administratives de l’État bourgeois », telles que les municipalités ou les départements, ne sont acceptées qu’en 1926. La bolchevisation provoque du mécontentement et de l’incompréhension, mais suscite également de l’enthousiasme dans la jeune génération pour qui c’est la preuve concrète que les communistes sont différents des autres forces politiques. La mobilisation suscitée par la bolchevisation représente un moment politique où le volontarisme et l’espérance révolutionnaire se déplacent de la société vers l’organisation. À défaut de pouvoir faire la révolution sociale dans l’immédiat, l’ordre du jour est de la faire dans le parti! Transformer l’organisation, c’est en premier lieu l’épurer afin de forger l’instrument de la révolution à venir. Pour l’heure, cela encourage des pratiques et des analyses avant—gardistes isolant les partis communistes qui, sur le terrain des luttes politiques et sociales, se refusent à tout compromis et à des actions communes sur des objectifs limités: le Front unique n’est plus qu’un slogan. La bolchevisation, dès le printemps 1926, perd une partie de cette dimension idéologique initiale pour signifier avant tout l’effort d’organisation des partis communistes, qui rectifient alors nombre d’exagérations. Ainsi, on va reconstituer des organisations locales qui avaient été supprimées au
motif qu’elles favorisaient l’électoralisme. Il reste que les structures mises en place alors (d’un parti pyramidal, centralisé et fondé sur une discipline dominée par les instances dirigeantes) vont durer des décennies, prenant appui sur l’autorité du Komintern et le prestige de la révolution russe réinterprétée pour l’occasion.
78
L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
Le déclin des politiques d’alliance Du Ve au Vl° congrès, jamais la référence au Front unique ne disparaît, bien que
la conception et la pratique de celui—ci connaissent de fortes variations avant qu’il ne tombe dans une déshérence durable à partir de 1928. Dès le début de 1924, l’orientation de Front unique a été vidée de son contenu antérieur, lorsque le Présidium du Komintern dénonce la social-démocratie alle—
mande en l’assimilant au fascisme et qu’il interdit aux communistes de passer des alliances avec les organisations socialistes. Lors du V€ congrès, quelques mois plus tard, Zinoviev ne reprend pas cette formulation extrême, mais s’emploie à critiquer comme opportunistes et droitières les conceptions faisant du gouvernement ouvrier une forme politique transitoire, préparatoire à la révolution. Il assimile au contraire gouvernement ouvrier et dictature du prolétariat. Quant àla politique de Front unique, il en limite fortement l’ampleur et la nature. Opposant les accords de sommet entre directions d’organisations et les accords àla base, il insiste surtout sur la dimension manœuvrière du Front unique, dont la finalité est pour lui de démasquer les sociaux—démocrates. Cette conception, qui s’appuie sur la critique des événements allemands, se combine avec les luttes internes dans le Parti communiste de l’Union soviétique. Toujours est-il qu’en dépit des critiques ou des réticences émises par certains dirigeants minoritaires du Komintern (Radek, Zetkin ou le Tchèque Kreibich), la position défendue par Zinoviev est adoptée par le congrès. Dans la plupart des partis communistes européens, dans le Parti communiste français et dans le Parti communiste allemand notamment, de
nouvelles directions mettent en œuvre une orientation gauchisante qui, au nom de la bolchevisation et de la pureté révolutionnaire, conduisent ces partis à s’en— gager dans des actions aventuristes ou mal comprises par leurs propres troupes. Dès le printemps1925, cela suscite une première rectification limitée de l’Internatio— nale, qui appelle sans succès les communistes allemands à se retirer lors du deuxième tour de l’élection présidentielle pour ne pas faire élire le maréchal Hindenburg. Bien que le V6 congrès n’ait pas modifié officiellement la politique communiste en matière syndicale, c’est dans ce domaine que les effets négatifs se font le plus sentir. L’isolement des partis communistes dans le mouvement ouvrier augmente, soit que les communistes, comme en Allemagne, appellent à quitter les syndicats socialisants, soit, comme en France, que les syndicalistes communistes aient pris leurs distances avec le Parti qui, tout àla fois, veut les diriger mais ignore leurs actions revendicatives spécifiques. Les organisations social-démocrates, loin
de perdre de l’influence, en gagnent en occupant des terrains désertés par les communistes, qui négligent les luttes revendicatives au profit de l’agitation révo— lutionnaire.
En 1926, sous l’impulsion de la nouvelle direction du Komintern, désormais assumée par Boukharine après l’élimination de Zinoviev, au terme d’une procédure qui a fait la part belle à la délégation russe, on assiste à un certain renouveau des tactiques d’alliance. Elles se mettent en place autour d’objectifs revendicatifs, par exemple lors de la grève des mineurs en Angleterre, ou politiques limités, en
LA « BOLCHEVÏSATION » DES PARTIS COMMUNISTES
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France contre le retour de la droite au gouvernement. Mais tant dans les discours que dans les pratiques, il n’y a pas de retour à la politique des 111€ et WC congrès. La référence au gouvernement ouvrier est absente et l’accent est mis sur les activités
communes entre organisations syndicales, en Europe, ou avec des organisations dites anti—impérialistes dans les pays orientaux. Il reste que ce nouvel infléchisse— ment affirmé par le 6e plénum, en avril 1926, et confirmé lors du 7°, six mois plus
tard, recentre l’activité des partis communistes sur le terrain des revendications concrètes et donc du travail de masse. En Allemagne, en France comme en Grande— Bretagne ou en Chine, les communistes, sous des formes diverses, prennent alors
des initiatives pour impulser de larges mouvements populaires sur des objectifs limités. Le travail de masse revêt des formes nouvelles avec la réunion, à Bruxelles, en 1927, d’une conférence internationale anti—impérialiste qui crée une Ligue pour continuer le combat ou avec la création, la même année, d’associations comme celle des Amis de l’Union soviétique. Cette orientation du Komintern est critiquée et taxée d’opportunisme droitier par l’opposition dirigée par Trotsky et Zinoviev. Ces critiques ont d’autant plus d’impact que cette politique n’obtient pas de résultats spectaculaires : sans doute, les partis communistes stabilisent ou augmentent quelque peu leur influence, mais sans empêcher les défaites des mouvements de masse dans lesquels ils s’engagent ni réussir à orienter durablement ces mouve— ments. Dans le même temps, la situation internationale se dégrade, l’isolement de l’URSS grandit. L’écrasement de la révolution chinoise, la rupture des relations
diplomatiques de la Grande-Bretagne avec l’URSS, la campagne de la socialdémocratie allemande contre les liens entre l’Armée rouge et la Reichswe/7r3 constituent autant d’evénements qui favorisent un nouvel infléchissement de la politique de l’Internationale. À ce titre, le 8e plénum, réuni en hâte en juin 1927, est le point de départ d’une orientation qui se déploie en 1 9 2 84. La critique de la social-démocratie de gauche, jugée la plus dangereuse, et la dénonciation globale des socialistes comme entièrement intégrés à l’appareil d’État bourgeois, se combi— nent avec la définition d’un nouvel objectif stratégique offert aux partis communistes : la lutte contre le danger de guerre et la défense de l’URSS. Particulièrement significatif est alors le rejet de la proposition de Togliatti pour qu’on retienne le
5. mot d’ordre plus large de la lutte pour la paix L’accent mis sur la différenciation entre révolutionnaires et réformistes est concrétisé par le nouveau mot d’ordre lancé à l’automne1927, « classe contre classe » formulé par Humbert-Droz. Les partis communistes français et britannique sont appelés à se démarquer des orga— 6. nisations réformistes lors des prochaines élections Cette orientation qui, pour une part, vise à désarmer les critiques émises par l’opposition de Trotsky et Zinoviev contre la politique de l’Internationale communiste conduite par Bouk— harine, est déployée et systématisée par Staline en 1928—1929. De ce point de vue,
le VI° congrès est un moment charnière.
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L’orientation
L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
classe
contre
classe
Le VI€ congrès du Komintern se réunit durant l’été 1928, quatre ans après le V6, soit deux ans plus tard que ne le prévoyaient les statuts, en raison des luttes internes qui ont secoué la direction du Parti bolchevique depuis trois ans. Outre l’orienta— tion des partis communistes dans les années à venir, le congrès discute et adopte le programme du Komintern, dont l’élaboration, souhaitée dès le III€ congrès, a été 7. reportée à plusieurs reprises
Le projet de programme et le rapport introductif de Boukharine, par leur élaboration et leur cohérence, tranchent avec les documents souvent hâtifs présentés lors des congrès précédents. Pour une large part, ils constituent l’aboutissement d’un effort de réflexion impulsé par Boukharine depuis deux ans dans certains domaines, comme celui de l’analyse du capitalisme. jusqu’en1925, le Komintern, sous l’impulsion de Zinoviev, a toujours hésité à reconnaître la reprise de l’économie capitaliste internationale. Boukharine, à partir de 1926, analyse l’évolution de l’économie mondiale sans rien en dissimuler. Ses diverses interventions ainsi que les travaux de l’économiste Varga s’efforcent de décrire les évolu8. tions technologiques ou structurelles en cours dans les grands pays capitalistes Outre qu’ils n’ignorent pas la croissance sensible de la production dans ces pays, ils en soulignent les formes nouvelles, marquées par une concentration renforcée, le rôle élargi de l’État et l’apparition d’un chômage chronique. Pourtant ces analyses sont critiquées, lors du VIe congrès, au motif qu’elles sous--estiment les contradictions croissantes d’une stabilisation finissante. La place centrale accordée durant le congrès à la dénonciation de la social-démocratie, en particulier de son aile gauche, indique bien que l’orientation de Front unique est abandonnée. Seuls des accords àla base avec de simples militants socialistes peuvent être envisagés, précise Boukharine. Au plan syndical, le congrès approuve les orientations du IVe congrès
de l’Internationale syndicale rouge (Profintern) qui, réunie peu de temps avant, avait dénoncé le rôle des syndicats réformistes et appelé à l’action contre leurs dirigeants. Désormais, le danger principal est à droite. Il est représenté jusque dans les partis communistes par ceux qui sont désignés comme les « conciliateurs », parce qu’ils ne s’en inquiètent pas assez! Sans doute, la formulation de social-
fascisme pour désigner la social-démocratie est repoussée après des discussions serrées, mais à l’issue de ce congrès, l’infléchissement de l’orientation de l’Inter— nationale communiste, amorcé fin 1927, apparaît confirmé, même s’il n’est pas achevé. En témoigne le débat sur la question du fascisme et de sa caractérisation. La délégation russe et la délégation allemande, qui ont scellé un accord pour critiquer les tendances dites droitières dans leur parti respectif et au plan international, vont faire de cette question la pierre de touche de la nouvelle orthodoxie en construc— tion 9 . Le fascisme pour Thaelmann ou Dengel, les dirigeants allemands, ou pour Manouilski, au nom de la délégation russe, est assimilé à la transformation de la démocratie bourgeoise en lutte contre le communisme avec l’appui de la socialdémocratie. Cet usage extensif et abusif est critiqué aussi bien par Togliatti, qui fait
LA « BOLCHEVISATION » DES PARTIS COMMUNISTES
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référence à l’expérience italienne, que par Semard, qui évoque la nécessité de mobiliser contre le fascisme en identifiant sa nouveauté 10. L’élimination de Boukharine de la direction de l’Internationale communiste et la prééminence de Staline dans le Parti communiste de l’Union soviétique comme dans l’Internationale marquent le moment, en 1929, où se met en place de façon cohérente l’orientation « classe contre classe » qui se maintient jusqu’en 1934.
La fuite en avant sectaire (1929-1933) La période de 1929 à 1933 est pour le mouvement ouvrier des grands pays capitalistes celle des années noires. La crise frappe de plein fouet la classe ouvrière, la plus touchée par le chômage. La montée du fascisme et la terreur conservatrice s’exercent contre les forces démocratiques. Ces années sont également celles des transformations profondes et des contra— dictions du développement de l’URSS. Ses succès apparents dans le domaine industriel tranchent avec la dépression qui touche les pays capitalistes et renforcent son prestige international. La mobilisation pour la défense de l’URSS prend ainsi une dimension supplémentaire: les communistes des différentes sections de l’Internationale communiste ont désormais à défendre les réussites du socialisme, mises au compte du Parti communiste de l’Union soviétique et de Staline. Le poids du Parti communiste de l’Union soviétique dans le Komintern s’accroît alors sensiblement, puisque l’avenir de la révolution mondiale passe désormais par le développement de l’URSS. Le Komintern se voit assigner un rôle subordonné: outre la mobilisation pour la défense de l’URSS, chaque parti doit répéter, dans la perspective d’une seconde phase de la révolution mondiale, ce qu’est censée avoir été l’expérience des bolcheviks avant leur prise de pouvoir. Même si la situation mondiale est bien différente de ce qu’elle a été vingt ans auparavant, l’essor du fascisme, le rôle de la social—démocratie, la crise et l’1ntervention de l’État sont lus comme autant de preuves de la décomposition du capitalisme. Dès lors, il apparaît logique de forger des partis révolutionnaires contre toutes les forces qui refusent ou
entravent la prochaine révolution. La ligne « classe contre classe», cadre stratégique de cette orientation, a des résultats d’ensemble largement négatifs pour le mouve—
ment communiste, comme le reconnaît trente ans plus tard Togliatti dans une réflexion rétrospective et autocritique “ . Sur cette période de l’histoire du mouve-
ment communiste ont longtemps coexisté des jugements contradictoires: ceux de la tradition officielle du mouvement communiste qui en ont fait la période fonda— trice de véritables partis bolcheviks, ceux des oppositionnels puis de la plupart des historiens qui y voient le temps du déclin et du sectarisme. Cette période noire des
combats manqués et du repli laisse son empreinte sur les différents partis communistes, ne serait—ce qu’à travers les cadres formés alors, mais dont la carrière politique dure bien au-delà de cet épisode. Le V1° congrès de l’Internationale communiste a donc été marqué par un certain équilibre entre des orientations contradictoires. Les documents présentés
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
par Boukharine ont subi des critiques indirectes infléchissant leur teneur, mais sans la modifier sur l’essentiel. Dès la fin de 1928, cet équilibre est rompu par le lancement d’une vaste campagne contre le danger de droite qui vise tout particu— lièrement la direction de l’Internationale communiste et Boukharine en premier lieu. Cependant, l’enjeu essentiel de cette offensive, impulsée par Staline, se trouve en URSS.Son objectif est d’asseoir définitivement son contrôle sur le Parti. Le secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique, fort désormais de l’élimination des courants que Trotsky et Zinoviev ont représentés, retourne contre Boukharine, Rykov, le chef de l’État, et Tomski, le responsable des syndicats, certains arguments des opposants maintenant vaincus. En URSS, dominent les problèmes soulevés par le sort de la paysannerie et le rythme de la collectivisation dans l’agriculture mais, au plan international, l’appréciation sur la situation du capitalisme et les perspectives révolutionnaires constituent l’enjeu principal des affrontements. La situation du Komintern évolue rapidement, parallèlement aux événements qui secouent la direction du Parti communiste de l’Union soviétique, dont le poids dans le Komintern vient encore de s’accroître. À l’automne1928, Staline en personne intervient pour restaurer dans le Parti communiste allemand l’autorité de Thaelmann, démis de ses fonctions pour avoir couvert les malversa— tions du trésorier du parti. Staline soutient ainsi les dirigeants allemands qui défendent ses thèses contre la direction de l’Internationale communiste. Au premier semestre 1929, la plupart des équipes dirigeantes des partis communistes connaissent des modifications substantielles au nom de la lutte contre le danger de droite. En France, le V1€ congrès du Parti communiste est marqué par la refonte de la direction, dans laquelle s’affirme, au détriment de Pierre Semard, le rôle d’Henri Barbé, issu des jeunesses communistes et récemment promu au Comité exécutif
du Komintern. Réuni au début du mois de juillet 1929, le 10e plénum de l’Internationale communiste sanctionne la nouvelle situation. Boukharine, déjà écarté des plus hautes responsabilités dans le Parti communiste de l’Union soviétique, est critiqué et exclu du Présidium, ainsi que le Suisse Humbert-Droz et l’Italien Tasca. C’est la fin d’une période où les dirigeants de l’Internationale communiste ont essayé de résoudre les problèmes nés du développement même des partis communistes. En donnant plus de poids aux représentants des partis dans la direction de l’Interna—
tionale communiste, ils avaient tenté de surmonter la contradiction entre la stra— tégie mondiale de l’organisation et l’activité spécifique de chaque parti ou encore entre la défense de l’URSS et les objectifs révolutionnaires propres des diverses sections nationales. Lors du 10€ plénum, les analyses du V1€ congrès sont sensiblement infléchies et une nouvelle interprétation de la situation mondiale élaborée. Elle constituera la
référence idéologique du Komintern pendant plus de quatre ans. Les rapports de Manouilski, Kuusinen et Molotov insistent sur la croissance des contradictions économiques et politiques, ainsi que sur les possibilités révolutionnaires qu’elles
ouvrent. La paupérisation du prolétariat qui découle des nouvelles difficultés du
LA « BOLCHEWSATION » DES PARTIS COMMUNISTES
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capitalisme est censée entraîner la radicalisation des masses ouvrières et annoncer une nouvelle vague révolutionnaire. Celle--ci se heurte à l’État, que la classe dominante transforme, en le fascisant, pour briser le mouvement révolutionnaire.
Mais celui—ci doit également affronter les organisations réformistes, dont l’in— Huence et le rôle sont dénoncés comme le principal obstacle à la radicalisation. Le terme de social-fascisme est désormais employé pour désigner les forces socialistes. Dans le cadre de cette analyse, les courants de gauche dans la social-démo-
cratie sont considérés comme les plus dangereux. Cette caractérisation que le V1° congrès avait repoussée signifie qu’il n’est désormais plus question d’action commune avec les organisations réformistes, assimilées au fascisme. Le Front unique à la base, encore évoqué, ne peut être qu’un moyen pour les affaiblir. Dorénavant, l’action des communistes doit mettre en avant ce qui peut les diffé— rencier de la social-démocratie en organisant notamment la lutte contre la guerre et pour la défense de l’URSS. De ce point de vue, la journée du 1er août 1929, qui doit témoigner de la capacité de mobilisation des partis révolutionnaires en Europe, est décevante, car dans la plupart des pays les manifestations sont de faible ampleur malgré une intense propagande préparatoire. Fin 1929 et début 1930, le krach boursier aux États-Unis, la crise industrielle, l’accélération de la collectivisation en URSS donnent crédit à ces analyses du Komintern et accentuent encore leur schématisme. La décomposition du capita— lisme paraît ainsi confirmée au moment où l’URSS construit le socialisme et révise en hausse les objectifs de son premier plan économique. Deux mondes s’opposent, celui du socialisme, incarné par l’URSS, et celui du capitalisme dont la décompo— sition semble engagée. Un nouveau cycle révolutionnaire est censé commencer du fait des contradictions sociales et politiques du monde capitaliste. La crise engendrerait la guerre\qui elle—même serait le terrain propice à une nouvelle vague révolutionnaire. A la bourgeoisie qui s’engage dans la voie de la dictature terroriste, le prolétariat doit répondre en préparant la révolution et donc l’avènement de sa dictature. Avancées dès 1931, lors du 11e plénum, ces analyses sont reprises sans modification substantielle j u s q u ’ en décembre 1933, lors du 13€ plénum. À diverses reprises cependant, les dirigeants du Komintern conviennent du décalage entre ces prédictions et la situation politique internationale effective, mais ils l’expliquent
par le « retard » des partis communistes à appliquer résolument la ligne du Komin— tern ou par l’action du réformisme, toujours dénoncé comme le principal soutien social de la bourgeoisie. Dans les grands pays capitalistes où leur influence stagne, les partis communistes sont régulièrement conviés à intensifier leur action en s’inspirant de l’exemple allemand, référence pour la réflexion et l’activité du Komintern durant cette période. S’il est un pays où l’orientation «classe contre classe», telle qu’elle avait été redéfinie en 1929, est mise en oeuvre, c’est l’Allemagne, où le Parti communiste considère, au moins jusqu’en 1932, que la social-démocratie, dénoncée comme social-fasciste, représente pour le mouvement ouvrier l’obstacle principal. Les liens entre la direction du Parti communiste allemand et celle du Komintern sont si
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
étroits que les péripéties de la situation allemande scandent largement la vie de l’organisation internationale. Ainsi en 1931, alors que la crise mondiale bat son plein et que les perspectives révolutionnaires semblent proches, le Parti commu— niste allemand est largement encouragé à participer contre le gouvernement socia— liste de Prusse a un référendum où communistes et nazis mêlent leurs voix. À la fin d e ’été 1932, les evénements allemands sont au centre des travaux du 12e plenum : la progression du nazisme s’est affirmée lors des récentes élections, la social-démocratie est écartée du pouvoir en Prusse sans aucune résistance et le Parti commu-
niste se retrouve isolé lors des élections présidentielles à l’issue desquelles Hindenburg a finalement été réélu contre Hitler. Les analyses antérieures sont réaffirmées par les PC et le fascisme interprété comme une tentative réactionnaire de la grande bourgeoisie pour renforcer son pouvoir, mais aussi comme un signe de la décomposition du capitalisme et de la démocratie bourgeoise. Quelques ouver— tures tactiques, qui mettent l’accent sur les mouvements de masse et les possibilités de réaliser un Front unique élargi, sont évoquées par les partis de Tchécoslovaquie et de France, mais sans aboutir à une réflexion neuve de l’Internationale commu— niste. L’arrivée d’Hitler au pouvoir, en janvier 1933, secoue profondément tous les partis communistes et la direction du Komintern. C’est l’absence de réaction organisée du mouvement ouvrier allemand qui sans doute stupéfie le plus les communistes pour lesquels il avait été depuis des années le plus sûr espoir de la révolution en Europe. Durant les premiers mois de 1933, différents partis communistes, notamment les partis tchèque et français, multiplient les initiatives et les démarches auprès des partis socialistes pour développer une action commune contre le nazisme. Relayées dans un premier temps par le Komintern, ces démarches se heurtent aux réticences de l’Internationale socialiste et à celles de la plupart des partis socialistes. Bien vite également, la direction du Komintern affirme qu’il est impossible de discuter et d’agir avec ces partis sociaux—démocrates dont la politique du moindre mal a préparé le terrain au nazisme. En fait, la direction du Komintern, largement impliquée dans la politique du Parti commu— niste allemand depuis 1928, le défend et rejette sur le SPD la responsabilité exclusive de la défaite, considérée comme temporaire, du mouvement ouvrier allemand. Le 1cr avril 1933, le Présidium du Komintern publie dans ce sens
une lettre qui rappelle le bien—fondé des analyses communistes antérieures. Toutes les discussions à l’échelle internationale et nationale entre socialistes et communistes se trouvent interrompues. Certains partis communistes, comme le
parti français, qui s’étaient engagés assez loin dans la voie des pourparlers, sont ainsi pris à contre—pied. Ils sont vertement critiqués pour opportunisme lors du 13€ plénum, en décembre 1933, qui réaffirme le pouvoir des Soviets comme seule alternative au fascisme. Les analyses et les perspectives définies par la ligne « classe contre classe » ont des effets importants sur l’activité des partis communistes réorientée en fonction de ses nouveaux mots d’ordre: la défense de l’URSS, la grève politique de masse. Les
LA « BOLCHEVISATION » DES PARTIS COMMUNISTES
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partis, appliquant la ligne du Komintern, multiplient des interventions et des activités qui se veulent exemplaires: manifestations minoritaires, heurts avec les organisations social—démocrates, propagande antimilitariste, appel a la grève poli— tique de masse à l’occasion du 1er mai ou du 1er août. Cette orientation, transposée dans le domaine syndical au nom de la lutte contre l’économisme, a pour résultat d’affaiblir ou de liquider l’influence communiste parmi les ouvriers ayant un emploi. En général, les communistes parviennent surtout à influencer et organiser
les chômeurs qui, en Allemagne, représentent une part essentielle de leurs forces. Dans les pays extra—européens, cette politique renforce l’isolement des partis communistes qui le plus souvent retombent dans l’illégalité dont ils avaient réussi à sortir par leurs alliances avec des partis agraires ou nationalistes, que ce soit au Chili, au Mexique ou en Inde, sans parler des organisations communistes dans les colonies françaises 1 2 . Dès 1930, les dirigeants de l’Internationale communiste critiquent les excès gauchistes, le « sectarisme » de certaines sections nationales
en dénonçant conjointement danger de gauche et danger de droite. Mais ce ne sont que des rectifications partielles, en général destinées à sauvegarder des partis extrêmement affaiblis. Ainsi le Parti communiste français, dont les effectifs fondent
à moins de 30 000 adhérents, se voit reprocher dès 1930 son « retard » à appliquer la politique de l’Internationale communiste, mais cette critique est assortie d’une dénonciation des erreurs gauchistes 13. L’année suivante, les dirigeants de l’Internationale communiste encouragent un changement dans le groupe dirigeant qui, autour de Maurice Thorez, affirme la nécessité d’en finir avec les pratiques sectaires et fractionnelles, en mettant en cause le groupe de jeunes communistes dont ils avaient favorisé l’ascension pour mettre en oeuvre la ligne « classe contre classe » à l’égard de laquelle le secrétaire général avait marqué ses réticences. En 1932, les dirigeants français, mettant l’accent sur la lutte pour le pain et les revendications, réorientent l’activité du Parti communiste français vers des mobilisations contre la
guerre et le fascisme. En 1933, cette orientation conduit le PCF à dépasser les marges de manœuvre compatibles avec la stratégie du Komintern. Lorsque le PCF propose une alliance avec les socialistes contre le fascisme au lendemain de l’arrivée d’Hitler au pouvoir, les dirigeants du Komintern. après quelques hésitations, réaffirment le bien-fondé de la dénonciation des partis socialistes dans la victoire du nazisme et critiquent la position du PCF, dénoncé pour ses fautes opportun15tes. La stratégie classe contre classe, en dépit des fortes réaffirmations de sa validité en décembre1933 lors du 13e plénum, apparaît à bout de souffle face à l’émotion suscitée par la défaite du mouvement ouvrier allemand et la progression des idées d’extrême droite dans tous les pays européens. Les partis communistes, en dépit du courage et de l’engagement des militants, n’apparaissent pas capables d’impulser des mouvements de masse et restent isolés. Les dirigeants soviétiques découvrent avec inquiétude le risque d’encerclement de l’URSS lorsque le nouveau régime nazi et le gouvernement polonais amorcent un rapprochement diplomatique pendant
que la France offre à l’URSS la possibilité d’une ouverture diplomatique.
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Notes
1. Correspondance internationale, n° 9, 1925; La réorganisation des partis communistes, Paris, Librairie de l’Humanité, 1925. 2. Norman LaPorte, Kevin Morgan, Matthew Worley (eds.), Bolshevism, Stalinism and the Comi-
ntern, Perspectives on stalinization,1917—1953, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2006. 3. Depuis le traité de Rappallo et la reconnaissance diplomatique mutuelle des deux Etats, des accords secrets en matière militaire existaient entre les deux pays permettant à l’Allemagne de contourner les interdictions du traité deVersailles et à l’URSS d’acquérir une technologie de pointe, en permettant la mise au point de prototypes d’armement sur le territoire soviétique. 4. S. A. Smith, Revolution and the People in Russia and China, a comparative history,Cambridge, Cambridge University Press, 2008. 5. Anna Di Biagio, « Togliatti e la lotta per la pace (1927—1935), in Roberto Gualtieri, Carlo Spagnolo, Ermanno Taviani (a cura di), Togliatti nel suo tempo», op. cit., p. 106—123.
6. Kevin Morgan,Gidon Cohen and Andrew Flinn, Communists and British Society, Londresl Sydney/Chicago, Rivers Oram Press, 2007. 7. Ernesto Ragionieri, Il programma dell’ Internazionale comunista, Studi storici XIII, Rome, Instituto Gramsci,1974. 8. Voir ci—dessous, chapitre 7. 9. Sur l’analyse de l’Etat et du fascisme dans le Komintern, voir chapitre 8. 10. Voir sur ce point Aldo Agosti, >. Cette appréciation, qui doit beaucoup aux analyses de Varga, admet une certaine stabilisation de l’économie capitaliste et ne pronostique plus son proche effondrement. Elle exprime, dans ce domaine, l’infléchissement des analyses opéré lors du XVIIe congrès du PC de l’URSS. En somme, de 1 9 2 9 à 1934, le discours de l’IC sur la crise est essentiellement
politique. La nouvelle orientation, mise en forme lors du 10€ plénum, prévoit une montée des contradictions du capitalisme et une poussée révolutionnaire. La vision de la crise, qui éclate peu après, est donc fortement politisée, ce qui conduit à biaiser continuellement l’analyse économique. La place accordée à l’économie, bien qu’importante, reste subordonnée aux impératifs de l’orientation stratégique. Sans doute reconnaît-on que le processus de crise est inégal et irrégulier, mais le discours général de l’IC 1gnore, pour l’essentiel, les transformations economiques structurelles, en particulier le nouveau rôle de l’Etat souligné pourtant par les analyses conjoncturelles. Ces innovations sont au mieux recensées au titre des vaines tentatives pour freiner la généralisation inexorable de la crise. Kuusinen
interprète ainsi le gonflement des dépenses publiques 4 7 . L’approche différenciée de la crise, selon les pays, obéit à un souci d’efficacité politique après les déconvenues des premiers temps, lorsqu’en 1930-1931 les mots d’ordre internationaux de lutte contre le chômage se révèlent inadaptés à la situation de certains pays comme la France. Il reste que cette analyse différenciée se déploie sur la base d’une conception, toujours linéaire, du développement de la crise. Ainsi, dans ce domaine comme dans d’autres, certains pays sont en avance, par exemple l’Allemagne, les États— Unis, la Pologne, tandis que d’autres, tels la
Grande-Bretagne et la France, restent en retard. À côté de ce discours officiel sur la crise économique, persiste également, dans le
Komintern, un travail d’analyse économique assuré par Varga. L’observation de la
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conjoncture fournit des éléments repris par les dirigeants du Komintern et du PC de l’URSS. Mais le contexte politique marque ces études. Varga abandonne ainsi en 1928, sur le certaines des réflexions théoriques les plus novatrices élaborées 48. capitalisme d’État et les formes nouvelles de concentration Au prix de conces— sions non négligeables, Varga parvient à faire admettre son travail economique beaucoup plus ample que son utilisation dans les textes officiels de l’IC. Ses articles de réflexion dans la revue théorique L Ynternationale communiste, et ses chroniques trimestrielles dans la Correspondance internationale, lui donnent une forte audience auprès des partis communistes dont les dirigeants possèdent rarement une forma— tion économique développée.
De l’analyse de la crise à la crise de l’analyse (1934—1939) À partir de 1935 la part de l’analyse économique décline encore quantitativement et qualitativement. Les articles dans les journaux et les revues se font plus rares. Le tournant politique a pris à contre—pied la critique générale du capitalisme construite depuis 1929. La différenciation entre les pays fascistes et les autres, de même que la reprise économique, rendent difficile d’en rester aux généralisations antérieures qui assimilaient au fascisme toutes les interventions économiques de l’État. En décembre1933, lors du 13° plénum, la politique américaine du New Deal est encore stigmatisée de cette manière! La place occupée par la critique du capitalisme lors du VIIe congrès en 1935 est révélatrice des difficultés du Komintern à tenir un discours economique cohérent. À la tribune du congrès, Varga, dans
une brève intervention, dénonce de manière générale la vanité des efforts de planification des économies capitalistes. Dénonçant la démagogie des différents plans de lutte contre la crise, il associe dans la même critique les politiques réformistes en Belgique, aux États— Unis ou en Allemagne! Cependant, les contraintes politiques aidant, il est obligé d’adopter a l’égard des gouvernements sociaux—démocrates un ton différent de celui dont il usait pour dénoncer la politique économique hitlérienne. « Si un parti social-démocrate participant au gouvernement se livre à des manœuvres d’économie planifiée comme les PS belge ou tchèque, il faut, ainsi que
le camarade Dimitrov l’a déjà expliqué, adresser aux chefs réformistes la revendication suivante: Montrez ce que vous pouvez faire! Réalisez votre plan! Le plan tout entier, ainsi que vous l’avez toujours dit. Tenez votre promesse d’améliorer la situation des ouvriers ! »
Mais son jugement sur les réformes économiques structurelles demeure définitivement négatif: «Tant que la bourgeoisie reste au pouvoir, tant que l’appareil d’État bourgeois subsiste, la soi--disant nationalisation” par l’achat d’actions, le transfert d’une certaine
partie des moyens de production a l’État bourgeois dominé par le grand Capital ne constitue pas un affaiblissement, mais un renforcement de la domination de la bour— geoisie 4 9 . »
THÉORIES ET DISCOURS SUR LE CAPITALISME EN CRISE
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Varga dans ses chroniques de La Correspondance intematianale reconnut assez vite l’amélioration de la conjoncture économique mondiale. « Les classes dominantes, grande bourgeoisie, propriétaires fonciers et gros paysans, peuvent jeter sur l’année 1936 écoulée un regard satisfait. Les affaires ont été bonnes. Les prix ont augmenté. Les commandes passées pour 1937 sont importantes... 50 »
Mais se gardant bien d’en tirer des enseignements critiques à l’égard des analyses antérieures de l’IC, il s’efforce au contraire d’attribuer à Staline le mérite d’une
capacité d’analyse à laquelle ses conseils n’étaient pas étrangers! « La décade qui s’est écoulée depuis le XVe congrès du PC de l’Union soviétique est venue apporter une éclatante confirmation de la justesse de l’analyse de la situation mondiale donnée par Staline dans son rapport. Staline y constatait que la production de l’économie capitaliste en 1926 avait atteint d’une façon générale, et en partie dépassé, le niveau d’avant—guerre 51. »
Le terme de crise générale du capitalisme, bien qu’employé plus rarement, ne disparaît pas complètement des textes stratégiques de l’1C même si les discours de propagande et les articles de presse taisent ce genre de formule. Il faut attendre la fin de 1937 pour que reparaisse cette idée, revitalisée par l’offensive japonaise en Chine, le déchaînement de la guerre en Espagne et l’accélération des politiques d’armement. « La crise générale du système capitaliste continue. Elle s’exprime par la présence de dizaines de millions de chômeurs, par les guerres d’Espagne et de Chine, par la piraterie en Méditerranée, par la misère d’une acuité encore inconnue qui accable le prolétariat, par la paupérisation des masses paysannes 52. >> Le ralentissement économique aux États-Unis, en 1937, est relevé avec soula-
gement par l’IC qui y trouve la preuve que l’économie capitaliste est non seulement soumise aux fluctuations cycliques mais que sa situation empire puisque l’économie des USA est à nouveau touchée par une crise sans avoir retrouvé son niveau
de 1929. C’est également l’occasion de justifier a posteriori les réticences de l’IC à reconnaître en 1933 et 1934 la fin de la dépression. «On sait que le camarade Staline, au XVII€ congrès, avait posé la thèse de la dépression d’une nature particulière, qui ne conduit pas à un nouvel essor et à une nouvelle floraison del’industrie. La nouvelle crise qui se manifeste aux États-Unis, le plus riche des pays capitalistes, vient confirmer cette thèse de la façon la plus éclatante 53. »
Dès lors que des signes manifestes de difficultés économiques affectent l’économie mondiale, le Komintern peut à nouveau revenir sur son évolution depuis la
fin de la Première Guerre mondiale. C’est l’occasion ainsi de renouer avec une réflexion abandonnée depuis plusieurs années. En dépit d’une prudence affichée, la forte régression de l’activité économique aux USA laisse augurer un élargissement des difficultés à tous les pays capitalistes en dépit des différences qui les distinguent. « Pour nous résumer : la crise aux USA dépasse par la rapidité de son développement celle de 1929. Il n’existe pas de signe permettant d’escompter une amélioration. En Grande-Bretagne et dans une série d’autres pays, la crise se développe lentement. Dans
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les pays fascistes en guerre, japon, Allemagne, Italie, la crise affecte une forme partiune mesure bien culière, tout son poids étant rejeté sur les masses travailleuses dans 54. plus grande encore que dans les pays bourgeois démocratiques »
Bientôt, cependant, ces pronostics sont démentis, ce que l’IC reconnaît à mots couverts dès l’automne 1938. Les mouvements boursiers observés aux USA en juin
et juillet ne permettent en aucune manière de déclarer que la crise aux Etats-Unis a désormais dépassé son point maximum de dépression de certaines branches indus— trielles, ne sont que des phénomènes passagers qui, de toute vraisemblance, seront très prochainement suivis d’une nouvelle aggravation de la crise — à moins qu’une 55. guerre mondiale n’éclate entre-temps Au début de 1939 on ne sent pas un infléchissement de l’analyse économique: loin d’assimiler les différents pays capitalistes, leur situation tant politique qu’économique est bien distinguée. L’entrée des pays fascistes dans l’économie de guerre est bien mise en évidence face à la situation des pays démocratiques où continuent de j o u e r les règles de la concurrence capitaliste. Au-delà des traits communs liés a l’1ntervention économique de l’État, les différences sont soulignées. « Nous divisons les pays en deux groupes: celui des pays démocratiques et celui des pays agresseurs fascistes. L’économie des pays capitalistes démocratiques se meut selon les lois du capitalisme normal’, bien que les armements et l’influence régulatrice” de l’État engendrent une certaine déformation. Dans les pays agresseurs fascistes (ainsi que dans les pays démocratiques attaqués par eux: Espagne et Chine), l’économie est entièrement sur le pied de guerre. Les modifications dans le volume de la production ne peuvent donc pas être interprétées comme des symptômes de mouvement cyclique de la reproduction capitaliste. Elles ne sont pas déterminées par les possibilités d’écoulement, qui ne peuvent jamais être satisfaites entièrement dans une économie de guerre, mais par 56. le ravitaillement limité en matières premières et autres éléments du capital constant »
Cette distinction reste pourtant relative, face à l’engrenage de la guerre impérialiste, déjà déclarée en Asie et considérée comme annonciatrice de la prochaine guerre mondiale. Ces contradictions entre l’analyse économique conjoncturelle et le propos de politique générale disparaissent lorsqu’à partir de septembre1939 le Komintern considère qu’il n’y a plus de différence entre les différentes puissances impérialistes qui s’.affrontent On peut y voir l’écho direct de la nouvelle argumentation stratégique associée au pacte germano-soviétique 57. Ainsi la doctrine economique du Komintern a constitué un banc d’essai pour une analyse économique qui, dans un premier temps, forte des espérances révolutionnaires, a joué la carte de la globalité de l’économie mondiale. Après avoir difficilement pris la mesure des transformations en cours dans l’économie mondiale, l’analyse économique du Komintern, en synchronie avec la stalinisation, a abandonné l’ambition d’une approche théorique fondée sur l’observation, mais a fractionné l’analyse, et oscillé entre radicalisation politique et pragmatisme, la rendant ainsi largement inaudible sinon inutile pour le mouvement ouvrier qui traditionnellement y puisait des arguments pour l’action. En fait, cela marquait un affaissement durable de l’analyse économique face à l’urgence de l’action politique.
THÉORIES ET DISCOURS SUR LE CAPITALISME EN CRISE
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Notes
1. «Manifeste de llnternationale communiste aux prolétaires du monde entier! 1°r congrès», Manifèstes, thèses et résolutions des quatre premiers congres mondiaux de l’Internationale communiste, 1919—1923, op. cit., p. 31.
2. Nikolaï Boukharine, Evgueni Preobrajensky, ABC du communisme, Paris, Maspero, 1968 (réédition), p. 140. 3. Ibid., p. 74. 4. Ibid., p. 73. 5. Résolution sur la tactique de l’IC, IV° congrès, in Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès mondiaux de l’Internationale communiste,1919—1923, op. cit., p. 155. 6. [bid 7. C’est dans son rapport au XV° congrès du PC de l’URSS qu’il développe de la manière la plus systématique. Correspondance
internationale,
n° 1 2 7 , 2 1 décembre 1 9 2 7 .
8. Correspondance internationale, n° 1, 4 janvier 1928.
9. Rapport cité, Correspondance internationale, n° 127, 21 décembre1927. 10. « Certains camarades ont auparavant exprimé des doutes a ce sujet. Mais depuis ontparu des études spéciales de camarades s occupant de ce problème. Toutes les données sur cette question dont nous disposons actuellement confirment l’existence d’une tendance de capitalisme d’État dans le développement actuel de léconomie impérialiste. » Correspondance internationale, n° 127, 21 décembre1927. 11. Eugen Varga, L’économie de la période de déclin du capitalisme après la stabilisation, Bureau d’Editions, 1928. 12. « L’augmentation de l ’appareildeproduction sepoursuità un rythmeplusfort que l’augmentation de la production dans son ensemble, ce qui veut dire qu’une large accumulation est en train. », Corres— pondance internationale, n° 127, 21 décembre1927. 13. « Il résulte de cette situation une contradiction croissante entre les conditions de la production et de son écoulement, entre la capacité de production et la fl)rce de consommation de la société. » [bid 14. « Ce qui estsûr, c’est que dans lesgrands États industriels, à l’exception de li‘1ngleterre, presque toutes les industries importantes sont déjà groupées en organisation des monopoles et que le processus de la constitution des monopoles se poursuit énergiquement ces dernières années. » Ibid., p. 75. 15. Ibid., p. 50. 16. Ibid., p. 82. Ces analyses recoupent les conclusions de travaux économiques contemporains comme ceux d’Andreev. 17. « Non seulement on étatise desfonctions économiques qui, si elles étaient confiées à des capitalistes privés, constitueraient dans leurs mains un monopole dangereux pour l’ensemble de la classe capitaliste, mais l’État se charge également defonctions dont l’exercice nefburnirait aucun profit, si elles étaient confiées a des capitalistes privés. » Ibid., p. 97. 18. Ibid., p. 95.
19. « Il est clair que tant qu’existe la domination capitaliste, l’État est et reste un organe de la classe capitaliste, que l’État, par conséquent, p,eut dans son activité économique, agir contrairement aux intérêts de quelques groupes, mais jamais contre les intérets de la bourgeoisie tout entière, ou contre les intérêts du capital monopoliste qui joue le rôle prédominant. » Ibid., p. 94. 20. Correspondance internationale, n° 59, 25 juin 1928. 21. [bid 22. Manouilski condamne les théories de Kondratiev et y voit « la démonstration la plus éclatante du caractère de classe de la science bourgeoise qui adapte lesfaits aux considérations politiques de classe de la bourgeoisie», Correspondance
internationale,
n° 7 3 , 1 9 3 0 , p . 9 7 0 .
23. 10e plénum, 1re séance, Correspondance internationale, n° 71, 1930. 24. 10° plénum, 11e séance, Correspondance internationale, n° 87, 1930.
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919—1943)
25. Ibid. 26. 10° plénum, 12° séance, Correspondance internationale, n° 88.
27. Staline, Questions du Léninisme, op. cit. 28. Neumann, discours cité. 29. Selon la formule de Manouilski qui dans son discours de conclusion reproche à Humbert-Droz de ne pas avoir pris la parole. 10° séance, Correspondance internationale, n° 92, 1930. 30. Eugen Varga, « La situation économique mondiale aux 3° et 4° trimestres 1928, au premier trimestre 1929 », Correspondance internationale, 1929.
31. Correspondance internationale, n° 78, 1930. 32. « La session plénière du CE de l’IC] », Correspondance internationale, n° 118, 1929. 33. Correspondance internationale, n° 25, 1930. I”
34. « La crise a réfùté la théorie de Boukharine du “capitalisme organise, la crise industrielle menaçante
qui peut créer dans de nombreux pays une situation révolutionnaire, contredit en même temps la théorie de Boukharine pour qui la cause d’une nouvelle situation révolutionnaire ne saurait être que les antagonismes sur l’arène extérieure, c’est—à-dire des guerres. » Molotov, rapport sur l’activité de la délégation du PC de l’US au CE de l’IC, Correspondance internationale, n° 60, 1929. 35. Molotov, discours cité. 36. « N ’est—ce pas toute la social—démocratie internationale qui masquait l’exploitation capitaliste,la dictature de la bourgeoisie, le fascisme par des légendes sur le capitalisme organisé”, que nous trouvons aujourd’hui, en même temps que le système capitaliste, au banc des accusés, flzce aux millions de chômeurs, fizce a‘ la classe ouvrière tout entière. Ils ne sauraient s’en laver les mains. » Manouilski, rapport au 11° plénum, op. cit. 37. Rapport au Présidium de l’IC, février 1930, cité. 38. Thèses du 11° plénum, citées. 39. L’URSS « s’est définitivement consolidé dans ses positions du socialisme; le second plan quinquennal fixe comme but, la liquidation définitive des classes, la transformation de toute la population travailleuse du pays en édificateurs conscients et actifs de la société socialiste sans classes ».Thèses du 12° plénum, Correspondance internationale, n° 84, 1932. 40. «Efiôndrement de la stabilisation capitaliste, aggravation des antagonismes du capitalisme, accé— lération du rythme dans la radicalisation de la classe ouvrière, accroissement de son mécontentement qui s’accompagnera d’un mécontentement grandissant de la petite bourgeoisie ruinée. La base du réformisme se ratatinera,l’importance de l’aristocratie ouvrière va diminuer dans le mouvement ouvrier. » Manouilski, rapport au CE de l’IC], cité. 41. Ludwig Magyar, « Crise cyclique sur le fond d’une crise générale du capitalisme », L’Interna— tionale communiste,
n° 1 , 1er janvier 1 9 3 1 .
42. Rapport au Présidium élargi, en février 1930, cité.
43. Rapport au 11° plénum, cité. 44. Thèses du 12° plénum. 45. « Nous ne pouvons pas aflirmer que la crise économique va s’aggraver prochainement dans tous les pays capitalistes. Mais ce que nous pouvons et devons souligner, c’est l’aggravation et l’approfondissemmt continu de la crise générale du capitalisme et cela avant tout par suite des mesures même au moyen desquelles la bourgeoisie régnante des principaux pays capitalistes réalise une atténuation passagère de la crise économique », Kuusinen, rapport au 13° plénum, cité.
46. Staline, rapport au XVII° congrès du PC de l’URSS, cité. 47. « Cette politique peut encore déverser de grands bénéfices dans les poches de l’oligarchie financière. Mais plus elle enregistre de ces résultats passagers et plus elle dévore les fl2rces économiques du pays, dévalorise la monnaie, ébranle les finances de l’État, cependant que les charges fiscales et la vie chère réduisent sans cesse le pouvoir d ’achat des masses travailleuses. Les conséquences de cette politique
sont
THÉORIES ET DISCOURS SUR LE CAPITALISME EN CRISE
177
donc telles qu”au lieu de conduire au capitalisme organisé, elles aboutissent à une désorganisation plus profonde de l’économie capitaliste. » Rapport au 13° plénum, cité. 48. Correspondance internationale, n° 15, 1930. 49. VII6 congrès de l’Internationale communiste, compte rendu abrégé, Moscou, 1939, p. 325. 50. « L’année 1936: regards en arrière et perspectives»,Correspondance internationale, n° 12, 15 mars 1937. 51. Eugen Varga, « Développement socialiste et capitaliste au cours de ces dernières années», Correspondance internationale,
n° 5 3 , 11 décembre 1 9 3 7 .
52. Ibid. 53. «Une nouvelle crise économique aux États-Unis », Correspondance internationale, n° 55, 25 décembre 1934. 54. « Le développement de la crise économique », Correspondance internationale, n° 23, p.484-485, 16 avril 1938. 55. «La situation économique mondiale au 2° trimestre 1938 », Correspondance internationale,
n° 47, 15 septembre 1938. 56. « La situation économique mondiale au cours du 2° semestre 1938 », Correspondance internationale, n° 2 5 , 2 mai 1 9 3 9 .
57. Cf. ci—dessus, chapitre 5.
Chapitre 8
La critique de l’État de classe
La question de l’État occupe une place 1mportante dans les documents officiels qui caractérisent l’orientation du Komintern. La référence aux problèmes de l’État capitaliste est essentielle dans la culture communiste. C’est en partie 1’héritage de Lénine et des années fondatrices du Komintern. Cest également un point de clivage décisif avec les partis sociaux—démocrates. L’analyse de l’État dans les pays capitalistes est, enfin, étroitement liée al’orientation générale del’organisation internationale communiste, à tel point qu’elle en est un des meilleurs indicateurs. L’attitude‘a l’égard de l’État capitaliste est constitutive du projet révolutionnaire, mais elle connaît des évolutions et des différenciations qui n’échappent pas à la chronologie générale du Komintern. Il y a pourtant une histoire particulière de cette question. les positions du Komintern sur les questions de l’État ne sont pas la simple illustration des fluctuations de la ligne. Ces questions, étant donnée leur importance, touchent a l’ensemble des activités communistes, mais également‘a l’essence de la stratégie qui s’élabore au début des années1920. Le rapport à l’État capitaliste concentre donc également les contradictions d’une stratégie qui, tout au long des années 1920 et 1930, est aussi bien marquée par une forte permanence
que par de sensibles fluctuations. On peut distinguer trois registres sur lesquels s’organisent discours et réflexions du Komintern sur l’Etat. Le premier, le mieux connu et le plus stable, est celui de la critique globale qui affirme la destruction nécessaire de l’Etat capitaliste. Le deuxième, centré sur le rôle économique de celui-ci, prend en compte l’évolution des principaux pays capita—
listes. Mais, après un essor rapide, de 1925 à 1928, la régression des travaux théoriques est nette, au profit d’études empiriques dénonciatrices, mais limitées. Le troisième registre est celui des réflexions centrées sur les formes du système
politique. Amorcées, de 1926 à 1928, elles sont durablement stoppées jusqu’en 1934 avant de reprendre sous une forme limitée et conjoncturelle. Ainsi, la chronologie n’est pas exactement la même pour chacun de ces registres. Leur
LA CRITIQUE DE L’ÉTAT DE CLASSE
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analyse différenciée doit précéder toute tentative de penser l’orientation générale dans le cadre de laquelle ils coexistent.
Le registre de la critique radicale La critique radicale de l’État bourgeois et de ses différentes formes politiques occupe une grande partie des travaux des deux premiers congrès du Komintern 1 . Ainsi, lors du II€ congrès, les Thèses consacrées au parlementarisme affirment que les institutions parlementaires ont désormais perdu leur caractère progressiste 2 . Cette thèse conduit logiquement à l’affirmation du renversement nécessaire des institutions étatiques: « Les Parlements bourgeois, constituant un des principaux appareils de la machine gouvernementale de la bourgeoisie, ne peuvent pas plus etre conquis par le prolétariat que l’État bourgeois en général. La tâche du prolétariat consiste à faire sauter la
machine gouvernementale de la bourgeoisie, a la détruire, y compris les institutions parlementaires, que ce soit celles des républiques ou celles des monarchies constitutionnelles. 3
Cette critique radicale de l’État bourgeois englobe toutes ses formes politiques et l ensemble de ses appareils qui doivent etre brisés pour faire place‘a un Etat ayant une base sociale et une organisation nouvelles, autrement dit l’État prolétarien de
type soviétique. Le Komintern et les j€Lll”l€S partis communistes, au début des années 1920, se démarquent ainsi de la social—démocratie pour laquelle la démocratisation graduelle de l’État bourgeois est devenue possible. En somme, la réflexion initiale du Komintern sur l’État combine critique radicale et négation violente. Elle semble d’autant plus justifiée que l’ébranlement de la société bourgeoise, au lendemain de la guerre mondiale, paraît irrémédiable. Le Manifeste du 11° congrès proclame: « la guerre civile est mise à l’ordre du jour dans le monde entier 4 ». En 1921 encore, le 111e congrès renouvelle cette assertion d’autant plus vigoureusement que les événements semblent l’infirmer. 5 Dans ces conditions, la lutte politique impulsée par les partis communistes est principalement orientée vers l’insurrection. Les luttes politiques, inscrites dans le cadre de l’État bourgeois, n’ont qu’un intérêt secondaire. Sous l’influence de Lénine il est cependant reconnu que « la tribune du Parlement bourgeois est un de ces points d’appui secondaires 6 ». La participation aux élections est recommandée pour développer les activités de propagande et l’agitation de masse. En somme, la question de l’Etat bourgeois est, à l’origine, subordonnée a la
perspective de sa prochaine désintégration. Cette réflexion, nourrie notamment par l’effondrement des régimes autocratiques d’Europe centrale, est non seulement schématique mais fortement décalée par rapport à la situation politique des pays d’Europe de l’Ouest. En fait, elle a surtout un rôle discriminant puisqu’elle constitue, pour l’IC, le moyen de se démarquer des positions social—démocrates. Même quand les perspectives révolutionnaires s’éloignent, ces positions théoriques demeurent. La critique radicale de l’État bourgeois devient progressivement le
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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (1919-1943)
principal instrument idéologique du Komintern pour exprimer ce qui, au plan
théorique, sépare révolutionnaires et réformistes. Cette critique s’affirme notam— ment au moment où le Parti social—démocrate allemand, lors de son congrès à Kiel 7 en 1927, développe la thèse du capitalisme organisé. du La place de cette question dans le programme Komintern, adopté par le V1° congrès en 1928, illustre bien le statut du discours sur l’É t a t8. La dictature du prolétariat et le nouvel État post—révolutionnaire ne font pas l’objet d’une discussion explicite. Ils ne sont qu indirectement abordés lors du débat sur le commu— nisme de guerre et la nouvelle politique économique (NEP). Le passage du programme intitulé « la période de transition et la conquête du pouvoir par le 9. prolétariat » aborde la question par la stratégie de conquête de l’État Il est rappelé qu’il ne saurait s’agir « d’une conquête pacifique de la machine toute prête de l’Etat bourgeois par une majorité parlementaire ». Face à la violence de la bourgeoisie, celle du prolétariat est indispensable 10. La réflexion novatrice concerne la transition au socialisme, présentée comme un
processus de longue durée. Ainsi