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French Pages [225] Year 1973
BIBLIOTHÈQUE
DES
IDÉES
ALEXANDRE
KOJÈVE
Kant
nrf
GALLIMARD
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous les pays, y compris l’U.R.S.S.
© Éditions Gallimard, 1973.
NOTE
DE
L’ÉDITEUR
[ans son Introduction à son Essai d’une histoire raisonnée de lu philosophie païenne, Alexandre Kojève avait amplement déve-
|n|)l)é sa « thèse » qu’entre Platon-Aristote et Hegel, 1l n’y avait
cu qu’un seul grand philosophe, à savoir Kant; mais, lorsqu il voulut pubher son manuscrit, il avait égaré cette partie qui a été
ictrouvée dans ses papiers après sa mort (survenue, on le sait, en
1968). Il la remplaça par quelques lignes, mais elle faisait la matière d’un livre entier que nous proposons aujourd’hui aux lecteurs. On y trouvera donc un Kant « kojévien » : Kant est le philosophe qui achève la philosophie en permettant tout discours philosophique, mais qui ouvre le chemin qui mène vers la Sagesse discursive qu’est le système du Savoir hégélien. Cet
ouvrage sur Kant forme donc, avec l’Essaz d’une histoire raisonnée de la philosophie païenne et l’Introduction à la lecture de Hegel,
une histoire complète de la philosophie occidentale, telle que l’avait envisagée Alexandre Kojève.
Précisons maintenant la position historique de Kant, après avoir indiqué sa place dans l’aperçu schématique de l’histoire générale de la Philosophie de l’Occident.
Comme il a été dit plus haut, la coupure entre la période
« antique » ou « classique », voire « naturaliste » ou « théiste », y compris le courant souterrain pré-athée et la période « judéochrétienne » ou moderne, voire « anthropologique » et proprement athée, passe en quelque sorte à l’intérieur du Système
kantien lui-même.
D’une part, l’ «empirisme » kantien, qui est à la fois une reprise intégrale de l’Aristotélisme anti-platonicien et une anticipation
de l’Hégélianisme authentique, détermine en fait le caractère
radicalement athée du Système de Kant. De même, son identification de l’humain dans l’homme à la « Volonté pure » c’est-à-dire à la Liberté créatrice ou, pour parler un langage hégélien, à l’Action négatrice (Négativité agissante), fait du Système kantien l’expression philosophique authentique de l’anthropologie judéochrétienne qui culmine en Hegel. Mais, d’autre part, le maintien par Kant de la notion de la Chose-en-soi classe son Système parmi les Systèmes « rationalistes » classiques, qui sont en dernière analyse (même chez Aristote) d’inspiration théiste. De même, le dualisme irréductible de la Volonté et de la Raison (Vernunft) ou plus exactement de l’Entendement (Verstand), c’est-à-dire de l’Action et du Discours, fait du Système kantien un Système philosophique païen ou antique, où la « nature » ou l’ « essence » de l’'Homme, partout et toujours identique à elle-même, lui est donnée en fonction de la place immuable qu’il occupe au sein du Cosmos ou du Monde « naturel ».
En ce qui concerne l’ « empirisme » ou le « sensualisme » (aris-
9
totélicien) de Kant, résumé par lui dans le passage des Prolégomènes, il est facile de voir qu’il équivaut à l’affirmation que le Discours dans son ensemble tire tout son sens de l’ensemble de la Perception ! (qui comporte un « Tonus » variable et implique parfois le sentiment du Bien- ou Mal-être). Or, l’affir-
mer, c’est non seulement nier la possibilité de parler du 'Trans-
cendant, c’est-à-dire du Non-spatio-temporel quel qu’il soit, mais encore abandonner la foi « rationaliste » en l’existence, pour l’Homme, de vérités antérieures au Discours humain,
accessibles
à l’état isolé par une prise de contact directe appelée Évidence qu’Aristote (C ./. E) admettait encore. Autrement dit, l’ « empirisme » radical de Kant (pour qui C ./. T) l’oblige, en fait, à définir la Vérité (une et unique) par la cohérence d’un seul et même Discours humain, qui intègre tout ce qui peut être dit en
se servant de mots ayant un sens, ce sens provenant en dernière analyse du détachement de son hic et nunc du contenu d’une Perception donnée dans la durée-étendue de l’existence empi-
rique.
Par ailleurs, voir dans l’Homme (contrairement à Aristote) une Volonté lbre au sens fort de ce mot, c’est-à-dire une Action créatrice qui n’existe et ne se manifeste que par la négation d’un donné quel qu’il soit, ce donné pouvant être l’Homme lui-même, c’est rendre l’Homme indépendant du Monde naturel (du Cosmos) aussi en ce sens que le Discours humain peut être (devenir) vrat même s’il est (à un moment donné) en désaccord avec le Monde donné auquel il se réfère. C’est donc admettre que la Vérité (discursive c’est-à-dire le Discours uni-total) se /ait au
cours du temps transformé en Histoire par les Luttes et les 'T'ra-
vaux négateurs ou créateurs des hommes et qu’elle n’est faite ou achevée, c’est-à-dire vraiment ou nécessairement vraie ou vraie
partout et toujours (à partir d’un moment donné) qu’à la fin de l’Histoire, lorsque tous les « Projets » humains, toutes les « possibilités » de Lutte et de ’Travail (créateur) ont été, au moins virtuellement, épuisées. Autrement dit, c’est identifier le Cau T. Ainsi interprété, le Système kantien devient rigoureusement identique au S'ystème du Savoir de Hegel. Et c’est bien ainsi que Hegel l’a interprété. Mais de même Hegel a fort bien vu qu’il s’agissait là d’une « interprétation violente », qui faisait violence à la pensée du Kant historique. Car Kant rapporte le C au T, mais ne les identifie pas. 1. Donc : Le C (éternel) est ./. E dans le T et non hors T. C’est déjà chez Aristote. Mais Kant va plus loin, car chez lui le C (éternel) est . /. Temps (mais non = T, comme chez Hegel). IO
En effet, si la notion de la chose-en-soi (qui est l’Éternité), qui rend cette interprétation hégélienne impossible, est « facilement » éliminable du Système Kantien, qui s’hégélianise alors en uelque sorte de lui-même, Kant, qui a pu encore assister à cette élimination (par Reinhold) s’y oppose formellement.
La question du rôle que la notion de la Chose-en-soi (qui est
la base dernière de toute Philosophie théiste [ou C ./. E]) joue dans le Système de Kant est suffisamment complexe et importante pour qu'’il vaille la peine de s’y arrêter longuement. Le passage suivant, traduit de la première édition de la Critique
de la Raison pure montre à quel point la notion de la Chose-en-soi jouait un rôle fondamental dans la pensée de Kant :
La Sensation (Sinnlichkeit) [qui détermine le caractère spatiotemporel de l’Intuition (Anschauung) humaine, celle-ci limitant à l’espacetemps le domaine du Discours et de la Vérité discursive] et son champ, à savoir celui des Phénomènes, sont eux-mêmes limités par l’Entendement en ce sens que la Sensation porte non pas sur les Choses (telles qu’elles sont) en elles-mêmes, mais seulement sur la façon dont les Choses nous apparaissent par suite de notre constitution subjective. Ceci fut le résultat de toute l’Esthétique transcendantale. Et il suit d’une façon naturelle de la notion d’un Phénomène en tant que tel (überhaupt) qu’il doit lui correspondre quelque chose (Etwas) qui, en soi, n’est pas Phénomène. Parce qu’un Phénomène ne peut rien être pour soi-même et en clehors de notre façon de représenter ( Verstellungsart ), de sorte que là, où ne doit pas se manifester (Herauskommen ) un cercle (vicieux) permanent, le mot Phénomène indique déjà une relation avec quelquechose dont la représentation immédiate est il est vrai sensible ( Sinnlich), mais qui doit être en soi-même, même sans cette constitution de notre sensation (sur laquelle est fondée la forme de notre Intuition), quelque-chose, c’est-à-dire un objet indépendant de la Sensation. (Akademieausgabe ; IV, 164, I5-27.)
Certes, deuxième deuxième le suivant
ce passage un peu brutal n’a pas été maintenu dans la édition de la Critique. Mais d’autres passages de la édition y expriment la même idée, comme par exemple :
La notion d’un Noumène, prise uniquement en tant que problème, est néanmoins non seulement admissible, mais encore, en tant que notion qui pose des limites à la Sensation, inévitable. Mais alors ce n’est pas un objet intelligible particulier pour notre Entendement. Au contraire, un Entendement auquel le Noumenon serait associé (Gehôrte) est lui-même un problème; à savoir [celui] de connaître son objet non d’une manière discursive, par des Catégories, mais d’une manière fntuitive, dans une Intuition non-sensible ; [c’est le problème de l’Entendement] sur la possibilité duquel nous ne pouvons nous faire
l
moindre
représentation
(Vorstellung).
Or,
notre
Entendement
reçoit ainsi une extension négative ; c’est-à-dire, il n’est pas limité par li Sensation, mais limite au contraire celle-ci par le fait qu’il «appelle/nomme (nennt) Noumène les Choses [prises] en elles-mêmes (|c’est-à-dire] non considérées comme Phénomènes). Mais, immédiateII
ment, notre Entendement lui-même pose aussi des limites à lui-même, [qui consistent dans l’obligation] de ne pas connaître les Noumena par des Catégories quelconques [et], par suite, de les penser seule-
ment sous le nom d’un Quelque-chose 27.)
d’inconnu. (Ibid. ; III, 212, 13-
Kant dit ailleurs [à tort, comme nous le verrons plus loin] qu’il n’est pas impossible [= contra-dictoire] qu’une Intuition soit sensible tout en étant autre que l’Intuition humaine, celle-ci étant caractérisée par sa « forme » spatio-temporelle (qui est donc, pour Kant, une donnée irréductible, n’admettant une « déduction
transcendantale » ni à partir du fait du Discours, ni à partir du
Postulat de la Vérité). Quoi qu’il en soit, Kant répète à satiété que l’Intuition non-sensible est nécessairement non spatio-tempo1elle Or, c’est l’Intuition (quelle qu’elle soit) qui « donne » l’Objet 1Entendement en le rendant ainsi accessible à la « Connais-
sance » (suscept1ble d’être vraie). L’Intuition sensible, « par
hasard » spatio-temporelle, « donne » à l’Entendement Tumain l’Objet que Kant appelle « Phénomène », de sorte que la « Connaissance » de cet Entendement est nécessairement limitée aux Phénomènes, par définition spatio-temporels. Donc : C ./. T et
non = T. C’est cette Connaissance seulement que Kant appelle
discursive. Le Discours est donc, pour lui, un phénomène spécifiquement humain, qui n’existe pour l’Homme (et pour son Discours, c’est-à-dire pour lui-même) qu’en tant que Phénomène spatio-temporel et qui consiste dans le développement [spatiotemporel] « discursif » (cohérent) des Catégories dans le cadre de l’Intuition spatio-temporelle « donnant » à l’Homme les Phénomènes dont le Discours humain tire tout son sens. Quant à l’Intuition mon-sensible,
elle « donne
» à un Entendement
non-
humain l’Objet que Kant appelle « Noumenon », de sorte que la « Connaissance » de cet Entendement est limitée au Noumenon transcendant par rapport à toute Spatio-temporalité (c’est-à-dire à 1Etern1te) (les Phénomènes, essentiellement spatzo-temporels lui étant, par définition, 1naccess1bles) Cet Entendement n’est pas discursif en ce sens qu’il n’a pas de « Catégories » susceptibles d’être « développées » (spatio-temporellement) dans un cadre spatio-temporel. Sa Vérité n’est donc pas un Discours au sens d’un Phénomène ayant une durée étendue. Par conséquent, le sens du Discours humain n’est pas une Vérité pour cet Entendement « intuitif » (S « non-discursif ») et ce qui est Vérité pour celui-ci n’a pas de Sens pour l’Homme-qui-parle « parce que les Noumena n’ont [pour lui] aucune signification ( Bedeutung ) positive qui puisse être indiquée [verbalement] ». (/bid., III, 230, 19.) En d’autres termes, le Noumenon est essentiellement ineffable du point de vue humain et l’Entendement « intuitif » qui « connaît » 12
ce Noumenon est radicalement muet pour l’Homme et par rapport à lui (donc : pas de « Révélation »). Il n’y a, certes, aucune contradiction dans le fait que Kant parle u Silence et dit qu’il y a l’Ineffable, puisque la possibilité de parler de ce qui ne parle pas est l’une des implications principales de l’Axiome de l’Erreur [que présunpose le Postulat de la Vérité, lui-même inexprimable sans la prise préalable de
conscience du Fait (brut) du Discours (que ce Postulat, avec
l’Axiome qu’il présuppose, défimissent)]. Ce qu’il dit pourrait simplement signifier que le Discours uni-total, qui intègre tout ce qu’on peut dire sans se contre-dire (y compris ce qu’on dit pour exprimer la Reconnaissance ou pour promouvoir une Réussite), laisse en dehors de lui non seulement la masse des l’aroles contra-dictoires (qui « développent » les notions du type « cercle carré »), mais encore le Silence proprement dit, par exemple musical ou pictural. Alors, la Vérité (une et unique) pourrait être identifiée au Discours uni-total lui-même, les l‘rreurs y étant toutes impliquées au titre d’énoncés qui doivent nécessairement (— partout et toujours) être niés pour que l’ensemble, vrai par définition, puisse être cohérent, c’est-à-dire
précisément non contra-dictoire. En interprétant ainsi les paroles (citées) de Kant [ce qui n’est nullement impossible en soi], on aurait transformé son Système en Système du Savoir hégélien, qui achève et parfait, en en prenant pleinement conscience, le Système de l’Aristote antiplatonicien. Et on obtiendrait alors un Système kantien rigoureusement athée, puisque excluant du discours qui l’expose tout élément de 'Tl'ranscendance quelle qu’elle soit, c’est-à-dire tout énoncé discursif se référant, par son Sens, à ce qui est censé être transcendant par rapport à la Spatio-temporalité. On ne pourrait parler du « Dieu » non temporel et non spatial » à l’intérieur de ce Système, car d’après ce Système, par définition non contradictoire, on ne peut parler de ce « Dieu » que dans le mode de la Contradiction, la notion « Dieu » ou « Être-éternel » / « Éternitéqui-est » (au sens de non-temporel ou non spatio-temporel) étant du type « Cercle carré ». Quant au Silence, tout ce qu’on peut dire de lui sans se contredire, c’est qu’il ne se « rapporte » à rien (dont on puisse parler sans se contredire) sauf à lui-même, d’où Il résulte qu’il doit être rigoureusement et absolument silencieux, s’il ne veut pas, en devenant discursif, être contra-dictoire. En particulier, on ne peut pas dire, sans se contre-dire, que le Silence se « rapporte » à Dieu (— Éternité-qui-est) ou qu’il y a une « Révélation » silencieuse de « Dieu » (au double sens du mot « de »), puisque « Dieu » est une Notion du type contra-dictoire, qui, en
tant que /Votion ou mot doué de Sens, fait partie de l’ensemble des I3
Paroles prononçables et prononcées par l’Homme, mais qui, en tant que Notion contra-dictoire, ne fait pas partie du Discours uni-total, c’est-à-dire cohérent et impliquant fout ce qu’on peut dire sans se contre-dire. Mais une telle interprétation du Système kantien serait « violente » en ce sens que, possible en soi et pour nous, elle serait rejetée par Kant lui-même. Car, dans les passages cités, Kant va, consciemment et volontairement, beaucoup plus loin que ne voulait aller l’interprétation ci-dessus. En effet, Kant y dit que l’Entendement discursif, c’est-à-dire humain, limite la « Sensation » par le fait qu’il nomme (nennt ) les Choses-en-soi « Noumena » [et pourrait, par conséquent, les nommer « Dieu »]. En d’autres termes, Kant affirme que le « Noumenon » (= Éternité) est une Notion au sens propre du mot, c’est-à-dire un mot doué d’un sens qui n’est pas contradictoire en lui-même et qui doit donc faire partie du Discours uni-total, c’est-à-dire du Système du Savoir : il y est, comme il dit, « inévitable ». (Unvermeidlich ; cf., III, 212, 16.) On voit ainsi que, pour Kant, son Système est non pas un Système hégélien, c’est-à-dire un Système « aristotélicien » radicalement et consciemment athée (C = T), mais un Système platonicien (C ./. E & T), qui est toujours, en dernière analyse et souvent inconsciemment, théiste. En effet, l’affirmation kan-
tienne que le Noumenon
est ineffable ne gênerait nullement
Platon, puisque celui-ci a admis, du moins vers la fin de sa vie (dans la VIIe Lettre) que l’Agathon-T'héos n’est accessible en tant que tel à l’homme que dans et par le Silence « extatique » ou « mystique ». Et beaucoup de théologiens « platoniciens », chrétiens ou autres, en seraient gênés tout aussi peu. Il faut se garder, cependant, d’identifier le Système de Kant à celui de Platon (où C ./. E 4 T), car cette identification est impossible ez soi, même en tant qu’ « interprétation violente ». En effet, dans le contexte cité, Kant évite consciemment de nommer « Dieu ». S’il nomme la Chose-en-soi « Nouménon », il s’em-
presse d’ajouter que celui-ci est « un Quelque-chose d’inconnu » (c’est-à-dire C ./. E dans T. Ailleurs il appelle la Chose-ensoi : « Quelque-chose en tant que tel (äberhaupt) », « Objet en tant que tel », « Quelque-chose = X ». Et si la notion de « Dieu » intervient dans la « Dialectique transcendantale », elle n’y fait son apparition (de l’extérieur) que pour se révéler comme « indéveloppable » discursivement sans contra-diction, c’est-à-dire comme « inextensible » à l’intérieur du Système. Ainsi, le Sys-
14
tème de Kant, contrairement à celui de Platon, est en soi non
contradictoire (du moins en principe). Chez
et
pour
Platon,
le
Un-Agathon-Théos
est,
ineffable en tant que tel. Mais, chez et pour lui, le Un
certes,
transcen-
dant détermine le Deux de l’Être en ce sens que l’Être lui-même est transcendant par rapport au monde spatio-temporel et à la Spatio-temporalité elle-même : l’Être platonicien est ainsi issence-Idée [-Nombre ?] accessible au Discours (et fondant le Discours en assurant sa vérité) zndépendamment de la Perception spatio-temporelle. La « notion » (contra-dictoire en elle-même) de l’Un ineffable, fait donc partie intégrante de tout Système platonicien (non aristotélicien) en ce sens qu’elle est discursivement développable (bien qu’elle ne le soit, du vivant de l’homme, qu’en Zaison avec le Discours qui se réfère à la Perception). Platon lui-même pensait que ce développement discusif pouvait être non contra-dictoire. Mais en fait et pour nous, il ne l’est pas (car si l’on peut, sans se contre-dire, dire qu’il y a l’Ineffable, on ne peut dire ce qu’il est, c’est-à-dire développer discursivement cette Notion ineffable ou discursivement indéveloppable, sans se contre-dire). Ainsi, la notion de l’Un, censé être ineffable, pénètre à l’intérieur du Système ou du Discours uni-total et déforme celui-ci au point de le rendre contra-dictoire en lui-même. Chez et pour Kant par contre, le Discours uni-total ou le Système du Savoir (discursif) est en soi non contra-dictoire, parce qu’il exclut tout développement discursif de ce qui est, par définition, pour lui comme pour Platon, discursivement indéveloppable. Toutefois, pour Kant comme pour Platon, la « Chose-en-soi » ou, si l’on préfère l’appellation platonicienne (son « nom propre » n’ayant, d’ailleurs, aucune importance pour cette pensée non magique, qui n’admet plus de lien indissoluble entre le Phonème et le Sens [que la Poésie conserve, sans vouloir en tirer des Réussites « matérielles »]), le Un-Agathon-'Théos !, est une Notion au sens propre du terme, qui a un sens non contra-dictoire en lui-même. C’est, d’ailleurs, là une [et la seule] « inconséquence » de Kant (héritée de la tradition platonicienne), car il n’arrive jamais à I. On pourrait objecter, à première vue, que la Chose-en-soi ne peut pas être appelée l’Un parce que Kant en parle souvent au pluriel. Mais ceci n’est, de toute évidence, qu’une « façon de parler » (à peine moins satisfaisante que serait la façon d’en parler au singulier que Kant emploie également lorsqu’il dit : Etwas überhaupt ou Etwas = X). En fait, l’Unité et la Pluralité sont des Catégories, chez Kant. Or, aucune Catégorie, d’après lui, ne s’applique à la Chose-en-soi. En fait, celle-ci n’est donc ni une ni multiple. Mais du moment qu’on en parle (ne serait-ce que pour dire qu’elle estineffable), on est bien obligé de dire (simultanément ou successivement, voire alternativement) qu’elle est une et multiple. D’autre part, chez Platon, le Un est antérieur au Nombre, même nombrant, et ne doit donc pas être confondu avec l’Unité des Nombres nombrés.
IS
expliquer pourquoi une notion, qu’il dit [à tort] être non contradictoire, ne peut pas, sans contra-diction, être développée en discours et être ainsi insérée, comme élément-constitutif, dans le Discours uni-total ou le Systeme du Savoir. Quoi qu’il en soit, en tant que « notion » (discursivement indéveloppable), la Choseen-soi est un élément intégrant du Système, sinon du Discours proprement dit. Elle apparaît dans le Système comme un « point singulier », pour ainsi dire, qui n’a pas d’extension discursive propre, mais qui ne peut pas être éliminé et qui mterrompt ainsi le développement discursif par ailleurs continu du Système du Savoir. Ce développement discursif peut s’effectuer « COMME SI »
le « point singulier » de la Chose-en-soi
était un élément
constitutif « ordinaire » du Discours ou du Système. Le Discours devient alors fotal en ce sens qu’il implique (en principe) tout ce qu’on peut dire (sans se contredire). Mais 1l n’est pas vraiment homogène, c’est-à-dire un en lui-même, en raison du mode du « comme-si » qui affecte l’un de ses élémentsconstitutifs. Si l’on supprime ce « comme si », c’est-à-dire si l’on ne remarque pas le caractère « singulier » du « point » de la Chose-en-soi et on le traite comme un élément vraiment « ordinaire », on transforme le Système kantien en Système (théiste) platonicien. Mais 1l devient alors contra-dictoire en lui-même et cesse ainsi d’être uæ ou uni-total. À dire vrai, il cesse même d’être total, car s’il y a un sens de dire que le/qu’un Discours (non contra-dictoire) implique/englobe (du moins en puissance, virtuellement ou implicitemert) fout ce qu’on peut dire sans se contre-dire, cette notion de totalité perd tout son sens dès qu’on admet dans le Discours la centradiction, car celle-ci est, par définition, indéfinissable d’une manière uwnivoque et donc indéfinie : on ne peut jamais (à aucun moment) dire fout ce qu’on peut dire (à un moment quelconque) en se contre-disant, puisque rien ne peut empêcher de contre-dire (à un moment donné) tout ce qu’on a dit (auparavant) et d’inclure cette contra-diction dans un discours (contra-dictoire) qui englobera tout ce qui a été dit auparavant, y compris ce qui vient
d’être dit pour le contre-dire. Kant lui-même évite ce danger de la contra-diction (explicite ou implicite), propre àtout Platonisme ou Théisme, en maintenant expressément le mode du «comme-si » lorsqu’il parle de la Chose-
en-soi trans-spatio-temporelle.
Son
Système
peut donc être
et rester fotal en tant que Discours. Mais, encore une fois, il cesse de ce fait d’être vraiment un ou homogene (voire « cohérent » au sens très fort de ce terme). Chez Kant, le Discours pro-
prement dit ne peut, en fait et pour nous, sinon pour Kant luimême, « justifier » ou « déduire » la présence du « Comme-si » ni 16
en tant que discours (car s’il le pouvait, il aurait inclus ce Comme-
si en lui-même, le supprimant de ce fait en tel que « Comme-si »), ni en tant que Silence (car le Silence, ne parlant pas du tout, ne peut pas parler dans le mode du « Comme-Si »). Par conséquent, lorsque Kant affirme que la notion de la Chose-en-soi et du « Comme-si » discursif qui s’y « rapporte », est une notion «inévitable » (unvermeidlich) à l’intérieur de son Système, il ne se contredit pas, à proprement parler, mais affirme néanmoins quelque chose de rigoureusement in-dé-montrable au sein de ce même Système : il l’affirme, en d’autres termes, comme un « article de foi » (= « Évidence » platonicienne; = « Révélation » ou « Dogme révélé » théologiques). D1 l’on ne croit pas Kant sur parole et constate, sans « partipris », comme l’a fait Hegel à la suite de Reinhold — Fichte — Schelling, que la notion kantienne de la Chose-en-soi trans-
spatio-temporelle est moins « inévitable » qu’ « in-dé-montrable » (et en outre contradictoire dès qu’on la développe discursivement dans un mode autre que celui du Comme-si qu’on ne peut, d’ailleurs, pas « justifier » discursivement au sein du Système) et la supprime en conséquence, on transforme automatiquement le Système de Kant en celui de Hegel. Car le mode du « Commesi » introduit dans la Philosophie par Kant (bien qu’amorcé [inconsciemment ?] par le « Mythe » platonicien) a permis à celui-ci de développer la partie proprement discursive de son Système « comme si » le discours dans le mode du « Comme-si » n’y apparaissait pas. Il suffit donc de prendre cet autre « comme si » kantien au sérieux (ce qui est, d’ailleurs, à la portée de tout le monde), c’est-à-dire d’éliminer du Système de Kant tout ce qui a trait, de près ou de loin, à la Chose-en-soi trans-spatio-tempo-
relle (voire « divine »), tout en laissant quasiment 2ntacte la
partie proprement discursive de ce Système ou la partie qui ne se réfère pas (directement ou indirectement) à la notion de la Chose-en-soi (développée discursivement dans le mode du « Comme-si »), pour obtenir, « automatiquement », le Système
du
Savoir
authentiquement
hégélien,
voire
radicalement
et
consciemment athée. Et c’est cette transformation « automatique » du Kantianisme (platonisant) en hégélianisme (aristotélisant) qui s’est manifestée dans l’histoire de la Philosophie (occidentale) sous la forme de l’avalanche de Systèmes qui furent successivement élaborés, à la suite de Reinhold, par Fichte et Schelling.
Somme toute, la notion de la « Chose-en-soi » est le « point singulier » qui empêche le Système total de Kant d'être vrai-
ment un en lui-même, c’est-à-dire « circulaire » au sens hégélien
e ce mot. Le Système de Kant ne se ferme sur lui-même qu’à 17
condition que son discours passe par un segmént de cercle tracé en pointillé ou développé discursivement dans le mode du Comme-si. Lorsqu’on supprime ce segment en laissant le reste vraiment intact, c’est-à-dire en le figeant par la pensée et en
l’empêchant de se mouvoir dialectiquement lui-même de façon
à « supprimer » la lacune ainsi ouverte (en vue de sauvegarder l’idée de la Vérité identifiée à la totalité du Discours [cohérent]), on obtient un Discours « ouvert » ou « sceptique », qui ne mérite pas et, s’il est conséquent, ne revendique pas le nom du Système. C’est un Discours qui se développe indéfiniment sans jamais s’achever en revenant à son point de départ et qui ne saurait donc être identifié à la Vérité par définition partout et toujours identique à elle-même. C’est un Discours qui ne peut se justifier qu’en tant que Discussion permanente, dont on ne devrait même pas dire qu’elle discute le Vrai-semblable, puisqu’elle exclut, par
définition,
la transposition
du
soi-disant
vrai-semblable
en
Vérité. Et c’est ainsi que, dans l’histoire de la Philosophie occidentale, le Kantianisme (platonisant) débarrassé de la notion de la Chose-en-soi, mais figé par ailleurs dans la forme qu’il a prise avant cette élimination, apparut comme un Néo-scepticisme inauguré par Aenesidimus-Schulze et proposé depuis sous des appellations diverses, y compris celle de Positivisme (tout comme le Système de Platon, débarrassé de l’Un ineffable, mais laissé par ailleurs intact, donne le Scepticisme de l’Académie). Mais si, après avoir supprimé la notion de la Chose-en-soi, on
laisse le Système kantien résiduel, c’est-à-dire proprement discur-
sif, se développer dans un mouvement dialectique immanent, il finira (à travers Reinhold — Fichte — Schelling et d’autres moins connus) par se fermer sur lui-même tout en restant Discours proprement dit. Et ce Discours kantien sans « point singulier » c’est-à-dire fermé sur lui-même ou « circulaire », n’est rien d’autre que le Discours vraiment uni-total, puisque un en lui-même (cohérent au sens fort du mot) et englobant fout ce qu'on peut dire sans se contredire, qui est le discours du S'ys-
tème du Savoir hégélien, qui réussit à être athée sans être « scep-
tique ».
Cet état de choses peut être illustré par le graphique suivant 1. 1. Le « Point double » chez Hegel est l’homologue de la « Lacune irréductible » du Scepticisme « kantien » et du « Comme-si » de Kant lui-même. Ce « Point » est « double » en ce sens qu’il est à la fois le « point de départ » et le « point d’aboutissement » du Discours uni-total circulaire (« Commencement » = « Résultat »), mais il ne provoque aucune « solution de continuité » et peut être placé arbitrairement n’importe où sur le cercle. Le Système platonicien ou théiste comporte également un « Point double », mais ce « Point » est « singulier » en ce sens qu’en passant par lui le discours peut se développer dans deux « sens » opposés, ce qui le rend contra-dictoire; on peut
18
Kant lui-même s’est, d’ailleurs, parfaitement rendu compte de
cet état de choses, comme 1l résulte de multiples passages de ses
écrits et en particulier d’un passage de la Critique de la Raison
pure (que j'ai choisi un peu au hasard) qui peut être traduit
comme suit : KANT -
u
e
>— "SCHULZE” =
ñ
e < cOMME 5/°Y4
Silence
e“
“vtune
SA
poiuetidp …
Silence
S Silence
La notion (Begriff) du (des) Noumenon n’est donc pas la notion d’un Objet (Objekt) [au sens courant du mot, c’est-à-dire au sens d’un « objet du discours », voire de l’ « Expérience » ou de la Perception; car un peu plus loin le Noumenon sera défini comme « Objet transcendantal »], mais un problème ( Aufgabe) qui est lié d’une manière rnévitable (unvermeidlich) avec la limitation de notre Sensation et [qui consiste dans la question de savoir] s’il ne pourrait pas y avoir des objetschosistes ( Gcgenstände) complètement déliés de leur Intuition susmentionnée (c’est-à-dire sens:ble, voire spatio-temporelle); question à laquelle on ne peut répondre que d’une façon indéterminée (unbestimmt ), à savoir [en disant] que, étant donné que l’Intuition sensible ne porte pas sur toutes les choses sans distinction, zl reste la place pour plus et pour d’autres objets-chosistes [que ceux de l’Expérience sensible, seule accessible au Discours proprement dit], de sorte que ces objets-chosistes [non sensibles ou non spatio-temporels] ne peuvent
pas être absolument
(schlechthin)
niés, tout en ne pouvant pas être
affirmés en tant qu’objets-chosistes pour notre Entendement [ou Discours cohérent], à cause du manque d’une notion déterminée [c’est-à-dire discursivement développable, voire « définissable » ou « déductible » (« dé-montrable »), qui pourrait leur « correspondre »], vu qu’aucune
donc dire que ce Point impose l’échappée vers le gulier », c’est-à-dire s’il engage le Discours sur inverse » et donc « impraticable ») tout comme le qu’on peut représenter par le graphique suivant
Silence (lorsqu’il est vraiment « sinune voie déjà parcourue « en sens fait la « Lacune » du Scepticisme. Ce :
PLATON"
0 Discours.
Ontra-dictoite
19
Catégorie n’est utilisable à cette fin [leur utilisation discursive ne pouvant disposer ou « transcender » du domaine de la spatio-temporalité]. Par conséquent, l’Entendement [discursif ou humain] limite la Sensation sans étendre pour autant son propre champ [d’application] ; et dans la mesure où il met en garde (warnt ) la Sensation de façon à ce que celle-ci n’ait pas la prétention (anmasse ) de porter sur les Choses [considérées] en elles-mêmes, mais [porte] uniquement sur des Phénomènes, il se pernse un Objet-Chosiste [pris] en lui-même, mais uniquement en tant qu’Objet transcendantal [le qualificatif « transcendantal » s’appliquant par ailleurs chez Kant à toute notion qui n’est pas extraite d’une manière immédiate de la Perception, mais sans laquelle le Discours (cohérent, qui tire tout son sens « immanent » de la Perception) ne peut pas se comprendre,
voire s’expliquer ou se « déduire » ou se « dé-montrer » lui-même en tant que Discours vrai] qui est LA CAUSE ( Ursache ) du Phénomène (qui
n’est, par conséquent, pas Phénomène lui-même) et qui ne peut être pensé [c’est-à-dire, ici, développé discursivement] ni en tant que Grandeur, ni en tant que Reahte, ni en tant que Substance, ETC., car ces notions [— Catégories] exigent toujours des formes sensibles [c est-àdire spatio-temporelles] dans lesquelles elles déterminent (ou « définissent », voire « déduisent ») un Objet-chosiste ; [un Objet transcendantal], par conséquent, dont il est absolument imconnu [au sens d’'une connaissance (vraie) dzscurswe], si l’on peut le rencontrer en nous ou aussi en dehors de nous, s’il était supprimé (aufgehoben) en même temps que la Sensation ou s’il restait encore comme résidu lorsque nous éliminons cette dernière. Si nous voulons appeler (nennen ) cet Objet [transcendantal] « Noumenon », en raison du fait que sa représentation ( Vorstellung) n'’est pas sensible (c’est-à-dire spatio-temporelle), libre à nous de le faire. Mais puisque nous ne pouvons appliquer (anwenden) à cet Objet aucune de mnos Notions-de-l’Entendement [= Catégories], cette représentation reste néanmoins, pour nous, vide et ne sert à rien [d’autre] qu’à tracer les limites de notre Connaissance sensible [c’est-à-dire spatio-temporelle et dont on peut, par conséquent, dire sans se contre-dire qu’elle est développable discursivement] et à laisser en plus une place inoccupée (Raum übrig zu lassen) que nous ne pouvons remplir [discursivement] ni par une Expérience [spatiotemporelle] possible [transformée en Discours] ni par l’Entendement pur [puisque celui-ci ne peut être discursif que s’il developpe ses notions ou Catégories dans le cadre spatio-temporel]. (Zbid. ; III, 230, 30-231,
1Q.)
Il serait vain et puéril de faire remarquer à Kant que s’il avait développé le ETC. du texte cité, il aurait vu que, d’après lui, on ne peut pas non plus « penser » l’ « Objet transcendantal » en tant que CAUSE (celle-ci étant une des Catégories qu’il a commencé à énumérer), bien qu’il ait dit deux lignes plus haut que cet Objet est la « CAUSE du Phénomène ». Ce serait vain, puisque Kant le dit lui-même quelques pages plus loin (Ibid. ; III, 279, 19-21), et ce serait puéril parce qu’il ne s’agit là que d’une simple apparence de contradiction, qui naît d’un lapsus purement verbal (Kant dit Ursache en voulant dire Grunde). Ce que Kant veut dire dans le passage cité est parfaitement clair et cohérent, bien que ce qu’il y dit ne soit nullement, comme il le pense et dit à tort, inévitable. 20
Kant dit seulement qu’au sein de son Système ou du Discours (cohérent au sens de non contra-dictoire) fotal qui n’est pas et ne se veut pas circulaire (c’est-à-dire vraiment unique et #z), on ne peut pas « dé-montrer » (ou « déduire ») la négation de toute Transcendance par rapport à la Spatio-temporalité. On ne le peut pas parce que le Discours proprement dit ne devient effectivement pas contra-dictoire du seul fait d’impliquer la notion d’une
telle
Transcendance,
à condition
soit
d’identifier
cette
notion à celle du S:lence rigoureux, c’est-à-dire de renoncer définitivement à toute tentative de la développer discursivement d’une manière quelconque (et en particulier de la « définir »), soit de la développer (discursivement) uniquement dans le mode du « Comme-si », de façon à distinguer entre ce développement « singulier » et le Discours proprement dit, qui reste alors couvert » en soi, sans qu’on puisse dire que le « complément » du « Comme-si », qui le présente « comme-si » il était fermé ou circulaire, est soit en accord ou en contra-diction avec le Dis-
cours proprement dit lui-même. [Si le Discours reste « ouvert », on ne peut pas l’identifier à la Vérité, celle-ci étant par définition une et unique ou fermée en elle-même et ne pouvant donc pas coïncider avec un Discours ouvert quel qu’il soit. Si le Discours se ferme par un « Comme-si », on peut l’accepter et s’en servir comme st il était vrai, mais on ne peut pas dire qu’il soit vrai au sens propre du terme puisqu’il implique, par définition, un élément qui n’est valable que dans le mode du « Comme-si »]. Or, c’est seulement lorsque l’inclusion d’une assertion donnée dans le Discours en vue de le rendre total le rend contradictoire qu’il est nécessaire d’inclure cette assertion sous sa forme négative, c’est-à-dire en tant qu’Erreur, en la faisant précéder des mots : « Il n’est pas vrai de dire que.… ». Kant a donc raison de dire que sor Système n’oblige pas à « nier absolument » (schlechtin ableugnen) la Transcendance par rapport à la Spatio-temporalité. Mais, dans le passage cité en dernier lieu, il est suffisamment clairvoyant et honnête pour dire (du moins implicitement) que ce même Système n’oblige nullement à affirmer cette Transcendance [car si celle-ci peut être dite (sans se contre-dire), ne pas exister « hors de nous », c’est-à-dire en
dehors du Discours qui en parle, on ne peut pas dire que ce Discours doit l’impliquer, vu que, par définition, il ne devient
pas contra-dictoire du seul fait de son inclusion|].
On peut et doit donc se demander pourquo: Kant a préféré maintenirla notion de Transcendance au lieu de l’éliminer complètement, bien qu’il dît lui-même qu’il n’était pas obligé à ce main2I
tien par le développement de son Discours et bien qu’il se rendît compte que ce maintien l’obligeait soit à rendre le Discours
contra-dictoire, soit à laisser son Discours à jamais ouvert, soit
à ne le compléter que dans le mode du « Comme-si ». Car il ne suffit pas de dire que, contrairement à ce qu’on a trop souvent avancé, le Sceptique qui opte délibérément pour le Système à jamais ouvert se « contredit » tout aussi peu que ne le faisait le Sage hégélien qui, bien qu’en possession du Discours uni-total circulaire, voudrait goûter de temps en temps les plaisirs et les joies que procure le Silence par exemple érotique ou même « mystique ». Car Kant n’a ni pu, en véritable Philosophe qu’il était, se résigner au Scepticisme puisqu’il a tenu à compléter (seulement dans le mode du Comme-si il est vrai) son Discours en principe total, de façon à le rendre quasi « circulaire » ou un et unique, ni voulu devenir un Sage « hégélien » en laissant son propre Discours proprement dit se fermer en lui-même (ce qui était possible, vu que ce Discours s’est effectivement fermé sous la plume de Hegel). Kant a délibérément choisi la solution du Discours « fermé » uniquement grâce à un élément-constitutif développé discursivement dans le mode du Comme-si, bien qu’un tel Discours consciemment non homogène (et donc « incohérent » au sens très fort du mot) ne pouvait pas le satzsJaire pleinement en tant que Philosophe par ‘définition aspirant à la Sagesse, mais seulement le contenter par son absence de contra-diction. Cette attitude mentale de Kant ressort clairement dans
plusieurs passages de ses œuvres, comme par exemple dans
celui qui se trouve dans les Prolégomènes qui prolonge le passage déjà cité qui ramène la Philosophie « critique » à l’Aristotélisme anti-platonicien et qui peut se traduire somme
suit :
C’est ainsi qu’est maintenue notre assertion [énoncée] ci-dessus, qui est le résultat de toute la Cr1t1que et [qui dit] « que notre Ralson, par tous ses Principes a priori, n’enseigne jamais rien de plus qu’uniquement des Objets-chosistes d'Expérience [spatio-temporelle] possrble et [n’enseigne] de ceux-ci non plus rien de plus que ce qui peut être connu [discursivement] dans l’Expérience » Mais cette limitation N’EMPÊCHE PAS que la Raison nous mène jusqu’à la limite objective de lExper1ence, à savoir jusqu’à la relation (Beziehung) avec Quelquechose qui n’est pas lui-même Objet-chosiste de l’Expérience [et se situe par consequent en dehors de la Spaüo-temporahte], mais qui doit néanmoins être le Fondement (Grund) suprème de toute Expérience ; sans pourtant mous apprendre de ce F'ondement [transcendant par rapport à la Spatio-temporalité] quelque chose [de valable] en soi, mais
seulement en relation avec sa propre utilisation (Gebrauch), completer
et orienter vers les Fins les plus élevées, dans le champ de l’Expérience possible. Or, ceci est aussi toute l’utilité (Nutzen) qu’on peut raisonna22
blement
(Ursache) alinéa.)
même
d’être
désirer
en
content
la
matière
(zufrieden).
des
raisons
(Prolégomènes ; $ s9,
et
dont
on
a
dernier
Le ton du passage montre bien que Kant se « contente » (zufrieden) de cette solution sans en être vraiment satisfait (befriedigt ). Et de nouveau 1l ne dit pas que la « Raison », c’està-dire le Discours cohérent total, oblige à introduire ou maintenir la notion de la Transcendance (qu’il présente même ici expressément comme discursivement indéveloppable [sinon, ce qu’il ne dit, d’ailleurs, pas ici, dans le mode du Comme-si]), mais n’empêche pas seulement de le faire. Dans ces conditions on peut et doit donc se demander pourquoi il le fait. Or, le passage cité semble indiquer trois explications ou « justifications » du comportement kantien [bien que nous n’en retiendrons finalement qu’une seule|. Premièrement, Kant semble dire que la notion de la ’Transcendance par rapport à la Spatio-temporalité ou de la « Chose-ensoi » (pour s’arrêter définitivement à cette appellation) est « inévitable » parce que la notion même du « Phénomène » la présuppose nécessairement, l’ « Expérience » spatio-temporelle ne pouvant pas subsister sans qu’elle ait un « Fondement » transcendant par rapport à elle. Cette interprétation pourrait, certes, se réclamer d’un passage (déjà cité) de la première édition de la Critique de la Raison pure, où Kant dit qu’ « 1l résulte d’une façon naturelle de la notion d’un Phénomène [spatio-temporel] en tant que tel qu’il lui correspond quelque chose qui, en soi, n’est pas Phénomène » (Akademieausgabe ; IV, 164, 19-21). Mais 1l n’en reste pas moins que cette assertion de Kant est une pure et simple crreur de raisonnement.
En effet, s’il est évident ou indéniable
que quelque chose ne peut se « révéler » ou « apparaître » (donnant ainsi lieu à une notion discursivement développable censée être vraie) que si ce quelque chose peut aussi subsister 1ndependam-
ment de son « apparition » ou sans être « révélé », 1l ne s’ensuit
nullement que ce quelque chose doit être transcendant par rapport à la Spatio-temporalité, c’est-à-dire être une Chose-ensoi au sens kantien de ce terme : une étoile filante est une étoile lilante même si personne ne la perçoit, mais même en tant que non perçue elle « file » dans le temps et dans l’espace. Et il semble
que Kant s’est lui-même rendu compte de son erreur, puisqu’il
« supprimé, dans la deuxième édition, le passage qui comporte l’assertion erronée en cause. Quant au passage cité des Prolégomènes, il n’y dit nullement que l’acceptation de la notion de Phénomène ou d’Expérience oblige à poser celle de la Chose-
cn-soi.
23
Il faut donc voir ce que vaut la deuxième « justification » apparente de cette notion de la Transcendance. Kant semble dire
qu’il faut l’introduire en vue de l’ cutilisation complète » (vollstän-
diger Gebrauch) de la « Raison ». On pourrait l’interpréter en ce sens que le Discours ne peut être fotal que s’il implique la notion de la Chose-en-soi [qui ne serait, d’ailleurs, discursivement
développable que dans le mode du « Comme-si »]. Mais nous
savons, grâce à Hegel, que le Discours kantien proprement dit peut parfaitement être développé de façon à le rendre total, c’est-à-dire circulaire, non seulement sans y introduire ou maintenir la notion de la Chose-en-soi, mais que c’est au contraire seulement en éliminant cette notion de ce Discours qu’on peut le rendre circulaire ou total. Certes, Kant aurait pu se tromper sur ce point. Mais du moment qu’il s’est rendu compte que la fermeture de son Discours par le développement discursif de la notion de la Chose-en-soi ne pouvait se faire que dans le mode du « Comme-si » qu’il savait être peu « satisfaisant », on peut difficilement admettre qu’il a introduit la notion en question en vue de « fermer » ainsi son Discours, sans même essayer (comme le firent, dès son vivant, Reinhold, Fichte et Schelling) de le fermer en tant que Discours proprement dit (ou vrai au sens fort et propre du terme). Kant n’a pas introduit la notion de la Chose-en-soi pour pouvoir fermer son Discours dans le mode du Comme-si; il l’a fermé dans ce mode parce qu’il ne voulait pas en éliminer cette notion et ne pouvait pas le fermer autrement sans l’en éliminer. Reste donc la troisième et dernière « justification » possible : Kant a introduit ou maintenu la notion de la Chose-en-soi en vue de l’ « utilisation » de la « Raison » orientée vers les « Fins
les plus élevées » (hôchsten Zwecke).
Il l’a fait parce qu’il
savait que l’élimination de la notion de la Chose-en-soi éliminerait nécessairement ces « Fins » elles-mêmes et parce qu’il ne voulait à aucun prix les éliminer. Il s’est donc comporté dans sa Philosophie exactement comme s’est comporté Platon, avec cette seule et énorme différence qu’il n’a pas voulu rendre son Discours contra-dictoire en y développant discursivement la notion de la Transcendance comme le fit Platon, c’est-à-dire « comme s’il » s’agissait d’un discours proprement dit, vrai au sens propre et fort du terme, et non pas comme il l’a fait lui-même, c’est-àdire en se rendant lui-même compte et en disant qu’il s’agissait d’un développement discursif admissible dans le Discours total uniquement dans le mode du « Comme-si ». La vraisemblance de cette 1nterpretat10n du Système de Kant devient une certitude lorsqu’on se réfère à la « Méthodologie transcendantale » de la Critique de la Raison pure, sans laquelle le
24
Système peut difficilement être compris, mais qui est néanmoins très peu lue, rarement commentée et presque jamais interprétée. Il y a donc intérêt à résumer brièvement une partie du moins e ce qui s’y trouve.
[a notion de la « Méthodologie transcendantale » y est dès le début indissolublement liée à celle du Système complet de la Raison pure, c’est-à-dire du Discours uni-total, car Kant y dit cect : Je comprends donc par Méthodologie transcendantale la (létermination des conditions formelles d’un S'ystème complet de la
Raison pure (Ibid., III, 465, 20-22). Kant y dé-montre ensuite
(, 1) que le Système du Savoir (philosophique) est nécessairement discursif et oppose le Discours philosophique, qui développe discursivement ses notions irréductibles (les Catégories) sur la base de l’lExpérience Spatio-temporelle ou de la Perception, à la Mathématique qui construit ses notions en tant que spatio-temporelles suns se référer à l’existence-empirique de la durée-étendue (cf. zbid. ; III, 472, 32-475, 35). Il distingue en outre la « Critique » de la « Philosophie transcendantale » proprement dite, qui est le « Système » au sens propre du mot (cf. zhid. ; III, 483, 18-32).
Kant oppose ensuite (I, 2) la Philosophie au Scepticisme, dans
unesection intitulée : De l'impossibilité d’une satisfaction ( Befriedigung ) sceptique de la Raison pure divisée avec elle-même (Ibid. ; II[, 495, 15-16), ce qui veut dire que la Philosophie ne doit jamais éliminer la contra-diction de son Discours en le rendant
cle ce fait (ou en vue d’une telle élimination) irrémédiablement
« ouvert », même dans son intention.
Il y décrit d’abord la situation, en disant ceci : L’ensemble (Inbegriff) de tous les Objets-chosistes [qui existent] pour notre Connaissance nous paraît (scheint ) être une surface plane, «ui a son horizon apparent (scheinbaren ), à savoir ce qui comprend l'étendue (Umfang) entière de cette Connaissance [ou de ces Objetschosistes] et [ce] qui a été appelé par nous la notion-rationnelle ( Vernunftbegrieff) de la Totalité inconditionnée (unbedingten). Il est impossible d'atteindre cet horizon empzrzquement et toutes les tentatives de le déterminer a priori d’après un Principe donné quelconque (gewissen) ont été vaines. Cependant, toutes les questions de notre Raison pure portent quand même sur ce qui pourrait se trouver en dehors{hors de cet horizon ou en tout cas aussi dans sa ligne-limite (Ibid. ; IIT, 496, 14-22).
En commentant ce passage, Kant dit que le Scepticisme (qui
est, pour lui, celui de Hume) est obnubilé par le caractère néces-
sairement ndéfini de la Connaissance empirique (qui se développe 25
pendant tout le temps que dure le Discours) et se résigne prématurément et à tort à la notion du Système « ouvert » (qui, de ce fait, n’est précisément pas un Syystème et ne peut pas être interprété comme étant la Vérité). Mais le Scepticisme a raison de ne pas accepter le « Dogmatisme
», qui essaye,
en vain, de
limiter le Système par des « Principes » particuliers ou isolés, considérés à tort comme « irréductibles » ou « indéductibles »,
voire « évidents » en eux-mêmes ou « révélés » en tant que tels. Ce qu’il faut opposer au Scepticisme (et donc au Dogmatisme), c’est la « notion rationnelle » de la Totalité du Discours ou du S'ystème du Savoir. Le Discours total est, par définition, « limité »
en ce sens qu’il n’y a rien en dehors de lui (sinon le Non-discours
ou le Silence, ainsi que la Contra-diction) : il est donc un et unique, c’est-à-dire #w:-total. Mais cette Totalité est « inconditionnée » en ce sens que sa « limite » ne lui est imposée que par elle-même : le Discours uz en lui-même n’est « limité » que parce qu’il est fofal (de même qu’il ne peut être dit fotal que si et parce qu'’il est ## en lui-même, c’est-à-dire cohérent ou non contra-dictoire). Les « limites » du Système uni-total ne sont donc ni floues comme le sont celles des Discours ouverts du Scepticisme, ni non-discursives, comme celles des « Discours » du Dogmatisme. Le Système uni-total ne se « limite » qu’en se développant complètement : ses « limites » sont donc données dès son début, car elles impliquent fout ce qui est discursivement possible
(sans contra-diction) et n’exclut que ce qui est indéveloppable
discursivement (sans contra-diction). Les « limites » du Discours uni-total ne sont rien d’autre que les limites de ses « possibilités ». Or, ces limites peuvent être « déduites », avec une certitude absolue, du fait même du Discours, avant même (« a priori ») que celui-ci n’ait été (complètement) développé. Et cette « limitation » « inconditionnée » « a priori » du Système du Savoir est l’œuvre de la « Critique », qui exclut du Discours tout ce qui ne peut pas y être inclus sans le rendre contra-dictoire et qui assure ainsi l’unité (cohérence) de la fotalité, c’est-à-dire l’unicité ou l’uni-totalité du Système du Savoir discursif, qui, lorsqu’il sera complètement développé (du moins virtuellement), pourra et devra être admis comme étant la Vérité une et unique. Pour nous et pour Hegel, cette conception kantienne du Sys-
tème équivaut à l’affirmation de la circularité du Discours qui le constitue : le Système ne peut se limiter lui-même et être ainsi uni-total ou vrai que si le point d’aboutissement de son développement discursif (ou « dialectique ») coïncide avec son point de départ, car c’est alors seulement qu’on a la certitude absolue qu’il n’y a rien en dehors de lui (sauf le Silence et la Contradiction). Certes, cette conception hégélienne du Système ne se 26
trouve pas en toutes lettres chez Kant. Mais le passage qui clôt l« commentaire du passage qui vient d’être cité équivaut, en soi
ct pour nous, à la formule dont Hegel se sert lui-même pour cxprimer la conception en question. lin effet, Kant y dit ceci :
Notre Raison n’est pas quelque chose comme une surface plane/un plan (Æbene) s’étendant indéfiniment loin, dont on ne connaît les limites quc vaguement d’une manière générale (nur so überhaupt ) [comme le pense à tort le Scepticisme], mais doit, au contraire, être comparée avec une sphère dont le diamètre/rayon peut être trouvé à partir de la courbure du segment [du grand cercle tracé] sur sa surface ([c’est-à-dire à partir] de la nature des assertions synthétiques a priori), d’où l’on peut «yalement indiquer avec certitude son contenu [au sens de « capacité » (Inhalt)] et sa limitation ( Begrenzung). Hors de cette sphère ([qui est l-| champ de l’Expérience [{spatio-temporelle]), rien n’est pour elle |pour la Raison] objet. (Zbid. ; III, 407, 27-33.)
Ceci serait parfait et parfaitement hégélien, voire « aristotélicien » (au sens d’anti-platonicien) ou athée si l’on pouvait
le prendre « à la lettre ». On pourrait dire alors que, pour Kant
cléjà, le Système du Savoir ou la Vérité (discursive) n’est rien ’autre que le Discours (cohérent) qui est uni-total parce que circulaire ou fermé en lui-même, c’est-à-dire ne laissant hors
ce lui que la Contra-diction et le Silence rigoureux et définitif. Mais prendre ce texte à la lettre serait faire violence à la pensée de Kant.
Car Kant ne voue ici au Silence ou à la Contra-diction que ce
«jui se trouve ex dehors de la «sphère » du Discours cohérent. Mais, lans le passage cité précédemment, il évoquait encore dans ce qui se trouve dans ou sur la Ligne-frontière dudit Discours, en lisant que toutes les questions de la « Raison pure » portaient, en
dernière
analyse,
là-dessus.
Or, nous savons que la Ligne-
frontière qui « ferme » le Discours ou le Système proprement kantien est constituée par un pseudo-discours qui « développe » la notion de la Transcendance ou de la Chose-en-soi non spatiotemporelle, développable seulement dans le mode du Comme-si. Nous retrouvons donc la notion de la Chose-en-soi partout où [Kant parle du Système dans son ensemble. Mais, en interprétant un passage des Prolégomènes cité plus haut, nous avons vu que le léveloppement discursif du Système kantien n’exige pas, pour être cohérent, l’introduction de cette notion [qui est donc,
contrairement à ce que Kant dit parfois, bel et bien « T'ranscenlante » (par rapport au Système et au Discours) et non « trans-
cendantales » (c’est-à-dire devant nécessairement être incluse ans le Discours qui veut se fermer sur lui-même, c’est-à-dire (levenir uni-total, en rendant (à la fin) lui-même (discursivement)
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compte de lui-même (et donc de son début)]|. Nous avons vu également que c’est pour « fermer » le Discours et rendre ainsi uni-total le Système,
que Kant introduit cette notion, puisque,
en fait, le Système peut se fermer sans elle et ne peut se « fermer » avec elle que dans le mode du Comme-si, de l’aveu de Kant lui-même. Nous avons pu constater ainsi que Kant introduit, ou plutôt maintient, la notion de la Transcendance (par rapport à la Spatio-temporalité à laquelle il réduit le Discours propre-
ment dit ou vrai au sens fort du terme) parce que, sans elle, la « Raison », c’est-à-dire l’Homme en tant que tel, ne peut pas « justifier » (c’est-à-dire rendre discursivement compte de ses contra-dictions, ne serait-ce que dans le mode du Comme-si)
les « Fins les plus hautes » que, selon Kant, elle ne peut ni ne doit négliger. EN BREF, la notion de la Chose-en-soi est présente dans le Système de Kant pour que celui-ci puisse parler, ne serait-ce que dans le mode du Comme-si, de ce qui est, pour Kant,
la « Fin suprême » de l’humain dans l’Homme. Or, Kant « définit » (c’est-à-dire développe discursivement son contenu en la précisant et explicitant) la notion de cette « Fin suprême » dans la deuxième Section de la « Méthodologie transcendantale », intitulée « Le Canon de la Raison pure », dont la première Subdivision a précisément pour titre : « De la Fin suprême (letzten Zweckes) de l’utilisation ( Gebrauches ) pure de notre Raison ». Et ce qui s’y trouve est à tel point capital pour la compréhension du Kantianisme qu’il vaut la peine de le traduire dans de larges extraits en vue de le soumettre à une interprétation philosophique. Kant y dit ceci : La Raison [c’est-à-dire le Discours non contra-dictoire] est poussée par une tendance (Hang) de sa nature d’aller au-delà de l’utilisation experimentale/-dans-l Expérience [c’est-à-dire spatio temporelle], de se hasarder à aller, dans une utilisation pure [c’est-à-dire dépassant la Spat10-temporahte] et au moyen d’Idées qui ne sont qu’Idées (blosser) [ou « Notions » sans « contenu » ou « signification » spatio-temporelles], jusqu’aux limites extrêmes de toute Connaissance [discursive et donc spatio-temporelle] et à ne trouver le repos que dans l’achèvement ( Vollendung) de son cercle, dans un Tout systématique subsistant pour soi/se maintenant pour soi-même (für sich bestehenden ). Cette tendance [de la Raison] est-elle fondée seulement sur son intérêt spéculatif [c’est-àdire théorique ou dlscur31f] ou, au contraire, uniquement et exclusivement sur son intérêt pratique [c’est-à-dire actif ou agissant]? Je veux, en ce moment, mettre de côté le Bonheur [c’est-à-dire la Joie] que procure (macht ) la Raison pure [utilisée] dans l'intention spéculative et je pose seulement la question des tâches dont la solution constitue sa Fin suprême/dernière (letzten Zweck ), peu importe [d’ailleurs] qu ‘elle l’atteigne ou non, par rapport à laquelle toutes les autres fins n’ont que la valeur de moyens. Ces Fins suprêmes devront de nouveau avoir, conformément à la nature de la Raison, une unité, afin
28
de promouvoir conjointement l’intérêt de l’humanité qui n’est suborconné
à aucun intérêt supérieur.
lintention-finale
(Endabsicht)
à
laquelle
aboutit
finalement
la
“péculation de la Raison dans l’utilisation transcendantale [au sens ce « transcendante » par rapport à la Spatio-temporalité], concerne trois Olyjets-chosistes : la Liberté de la Volonté, l’Immortalité de l’Ame et l'existence de Dieu. Par rapport à tous les trois, l’intérêt purement spéculatif [c’est-à-dire discursif] de la Raison n’est que très faible (srering),…. Ces trois assertions restent, pour la Raison spéculative |«liscursive] toujours transcendantes et n’ont absolument aucune utilisation immanente, c’est-à-dire admissible pour les Objets-chosistes ce l’Expérience [spatio-temporelle] et donc utile (nützliche) pour nous l'une façon quelconque (auf einige Art) ; mais elles sont, considérées «n clles-mêmes, des efforts totalement oiseux et de plus extrêmement
.lillîeiles/penibles de notre Raison. Par conséquent, si ces trois assertions fondamentales/capitales ( Car-
dinalsätze) ne nous sont absolument pas mécessaires pour le Savoir | discursif et donc pour la Vérité discursive] et si elles nous sont néantmoins recommandées par notre Raison [dans la mesure où celle-ci veut, à tort, parler de la T'ranscendance] d’une façon pressante, 1l s’ensuit que leur importance ne devrait concerner, à proprement parler |c'est-à-dire du point de vue du Système kantien], que la Sphère-pratique [das praktische ; c’est-à-dire le domaine de l’Action libre, qui, «’après ce passage, semble pouvoir ou même devoir se passer de tout l’iscours et qui doit se résigner, si elle veut parler, à ne parler, en dernière analyse, que dans le mode du Comme-si]. « Pratique » est tout ce qui est possible par Lzberté [ou Action libre].… Par conséquent, tout l’équipement de la Raison dans l’élaboration
qu’on
peut
appeler Philosophie
pure
[ou Système
du Savoir]
n’est
orienté, en fait, que vers les trois problèmes considérés. Or, ceux-ci ont de nouveau eux-mêmes leur/une intention lointaine : à savoir, ce qu’il faudrait faire s1 la Volonté est libre [et] s1 il y a un Dieu et un Monde futur [s’entend : post-mortel]. Or, puisque ceci concerne notre comportement par rapport à la Fin suprême, l’intention dernière de la Nature lc’est—à-dire de Dieu], qui nous approvisionne avec sagesse, lors de l’arrangement de notre Raison, est orientée, à proprement parler, uniquement sur/vers la Morale (aufs Moralische). Ibid. ; III, s18, 15-33; 51Q, 28-520, I; 520, 17-24.)
On ne peut pas dire plus clairement que loin d’être une exigence « inévitable » du Discours uni-total ou du Système du
Savoir (cf. : Zum notion
de
Wissen garnicht nôtig; III, 519, 34-35), la
la Chose-en-soi
y fait,
corps 'étranger, inutile puisque
au
contraire,
inutilisable
figure
[cette notion
d’'un
ne
pouvant être développée discursivement que dans le mode du Comme-si] et pour cette raison gênant ou même dangereux [car un développement discursif proprement dit de cette notion, introduit dans le Discours, rendrait celui-ci contra-dictoire]. On ne peut pas dire avec plus de force et de netteté que cette notion doit être introduite ou maintenue [en tant que développée discursivement dans le mode du Comme-si] dans le Discours
et le Système uniquement
et exclusivement pour des « fins 29
pratiques », c’est-à-dire en vue de l’Action libre, celle-ci étant la « Fin suprême » de fout ce qui est vraiment humain dans l’homme. À l’occasion du passage cité, ainsi qu’à propos d’autres pas-
sages analogues qui se trouvent un peu partout dans les écrits de Kant, on parle généralement du « moralisme » de ce dernier. Cette façon générale de parler n’est certainement pas « fausse ». Mais le sens du mot « Morale » étant vague et ambigu, il s’agit de le préciser afin de savoir ce qu’on peut et doit dire lorsqu’on parle du « moralisme » de Kant. Or, le passage cité est capital pour la compréhension du « moralisme » kantien. Kant dit, il est vrai (dans le dernier alinéa cité), qu’en dernière analyse la Philosophie et donc le Système du Savoir (discursif) ou le Discours uni-total ne sont là que pour répondre à la question de savoir ce qu’on doit (ou devrait ) faire. Mais on ne remarque généralement pas que cette question, et donc sa réponse,
sont non pas « absolues » ou « catégoriques » (contrairement à ce que Kant dit ailleurs lui-même), mais essentiellement
«hypothétiques » ou « conditionnelles », voire « conditionnées ».
En effet, Kant formule sa question « suprême » comme suit : « ce qu’on devrait faire, sI la Volonté est lbre [et] s1 il y a un Dieu et un Monde futur » (IT, 520, 20-21). Et l’ensemble de la philosophie de Kant montre que ces deux (ou trois) SI ne sont
rien moins qu’un lapsus. La « condition » ou le « si » relatif à la Liberté est banal. On ne
peut effectivement pas parler de « Morale » sans parler de « Liberté » et le Bon-sens se scandaliserait d’un « commandement » adressé à quelqu’un qui serait matériellement incapable de le suivre voire même de vouloir le suivre ou le rejeter. Pourtant l’histoire de la Philosophie nous montre qu’il y a là aussi un « problème ». En effet, d’une part, les Philosophes qui ont voulu discursivement « justifier » (c’est-à-dire « développer »
discursivement, au sens de « définir » et de « déduire ») la ou une « Morale » donnée, comprise comme un ensemble de « comman-
dements » de contenu immuable dans le temps et illimité dans
l’espace,
se sont vus
contraints,
soit de nier
explicitement
la
notion de la Liberté (comme le fit par exemple Spinoza), soit de constater qu’ils ne peuvent pas la « justifier » discursivement, à moins d’interpréter la « Morale » comme un « commandement divin », quitte à nier la toute-puissance de Dieu, ou à admettre (comme le fit saint Paul) que celui-ci, pour des raisons qui leur échappent, n’en fait pas usage pour permettre aux hommes de ne pas se conformer aux commandements, pourtant impératifs qu’il leur a donnés apparemment pour qu’ils les suivent. D’autre 30
part, la Philosophie qui a voulu et pu rendre discursivement compte de la Liberté et qui culmine en Hegel (en passant, entre «utres, par Descartes et le même Kant), a dû finalement « supprimer dialectiquement » la notion « classique » de la « Morale », cn ne voyant plus en celle-ci que les formes générales ou les
« catégories », temporaires et spatialement limitées, de l’Action libre des qu’à la fin prennent titlement
hommes qui créèrent l’Histoire, quitte à admettre de cette Histoire ces formes, dans leur dernier avatar, un caractère définitif, c’est-à-dire permanent et spa« universel ». Mais nous n’avons pas à nous occuper
ct de ce « problème » puisque Kant l’écarte délibérément du
contexte que nous interprétons. Il se contente de faire appel
l’introspection pour établir le fait empirique de la Liberté et
ne fait qu’une brève allusion au « problème-» [dont 1l traitera
lleurs] que pose la « Liberté transcendantale », qu’il définit |n anticipant sur la notion hégélienne de la Négativité] comme
rndépendance vis-à-vis de la Raison théorique et donc vis-à-vis e la Nature elle-même et dont 1l dit qu’elle « semble être contraire (zuwider zu sein scheint ) » à la Loi-de-la-Nature et donc à l’ensemble de l’Expérience spatio-temporelle possible (Cf. zb2d. ; IIT, 521, 26-522, 14). l’ar contre, nous devons interpréter le sens et la portée des leux autres SI ou « conditions » de toute « Morale », à savoir
l’existence de « Dieu » et du » Monde futur ».
On pourrait, à première vue, banaliser également ces deux nouvelles « conditions » en faisant appel à l’opinion fort répandue (prise à son compte. par exemple, par Dostoïevski), selon laiquelle la « Morale » n’a de sens et de portée que s’il y a un Dieu qui la contrôle et la sanctionne, même s’il ne la promulgue pas lui-même, et si, par conséquent, l’Homme est doué d’une âme immortelle qui non seulement est seule à pouvoir le mettre en présence du Dieu éfernel, mais l’empêche encore à se soustraire (par le suicide, par exemple) au « jugement » et aux « sanctions » (le ce dernier. Mais cette opinion, toute répandue qu'’elle soit, « de tout temps été démentie par le Bon-Sens, qui, lorsqu’il voulait établir ou maintenir une « Morale », se fiait moins à l’inter-
vention directe ou « immédiate » de Dieu, qu’à l’action « média-
tisée » de la Police (celle-ci agissant souvent, il est vrai, « au nom
e Dieu », mais pouvant également prendre conscience du fait qu’elle fait respecter des lois d’origine purement humaine, sans pour autant perdre quoi que ce soit de son efficacité). Ce serait donc faire injure à Kant que de supposer qu’il a fait, même «vant la lettre, l’opinion d’un Ivan Karamazov [« S’il n’y a pas 31
de Dieu, tout est permis » : oui, mais seulement dans les limites tolérées par la Police en exercice]. Tâchons donc de dépister les motifs authentiques des deux « conditions » de la « Morale » kantienne. Et interprétons d’abord la « condition du Monde futur ». Ici encore, si l’on pouvait prendre cette expression « à la lettre », on pourrait. dire qu’il s’agit d’une banalité, cette fois acceptée par le Bon-Sens [et d'’ailleurs introduite telle quelle dans le Système du Savoir hégélien], selon laquelle un « commandement moral » n’a de sens et de portée que s’il s’adresse à un homme qui a un avenir devant soi. En effet, que signifie la « Morale » pour un condamné à mort à un moment qui précède, disons, de o,or seconde, celui où le couteau de la guillotine lui touchera le cou ? Si la « Morale » se réfère à l’Action (et la « Morale » dite de l’intention se réfère elle aussi à une intention d’agir, même
si, conformément
à la « Morale », cette
intention ne se réalise pas), il faut bien qu’elle se réfère à l’instant où l’Action en cause n’existe dans le Présent que sous la forme d’un Projet, ce qui signifie précisément que la Morale n’a de sens et de portée que s’1il y a (au moins virtuellement) un « Monde futur » auquel se réfère le Projet de l’Action à laquelle la Morale est censée pouvoir et devoir s’appliquer. Seulement, si l’Action projetée est censée être libre (c’est-à-dire non complètement déterminée par le Monde présent donné), il faut bien admettre qu’elle peut, en s’effectuant, transformer le Monde « futur » devenu « présent » au moment de l’Action efficace de
façon à le rendre autre qu’il n’était censé être lorsqu’il était encore futur et différent du Monde passé qui était présent au moment où l’Action fut projetée. Et rien ne dit alors que la Morale du « Monde futur » approuvera ou désapprouvera l’Action qui, en tant que Projet, était désapprouvée ou approuvée
par la Morale du jour. Or, il est sûr et certain que Kant n’admet-
trait pas ce « relativisme » ou « historisme » de la « Morale »
(même en admettant que l’Histoire a une fin, par rapport à laquelle les Morales « relatives » ont une valeur « absolue », la Morale qui résulte finalement de l’Histoire étant, par définition, à jamais immuable et valable partout). Reste à savoir pourquoi Kant ne l’admettrait pas. Or, pour le dire tout de suite, ce n’est pas parce que Kant voulait éviter le « relativisme » moral que le « Monde futwr » était pour lui /’Audelà de la mort et donc de la Spatio-temporalité, c’est-à-dire une forme de la Transcendance ou, si l’on veut, de la Chose-en-soi.
C’est au contraire parce que le « Monde futur » était pour lui transcendant, qu’il se refusait le droit d’accepter en Morale le « relativisme historique » et optait pour une Morale « impérative » 32
ct « catégorique », c’est-à-dire « a priori » comme 1l disait, ou, en fait, censée être valable partout et toujours où un homme
veut être humain, et ceci non pas seulement à la fir de l’Histoire,
nitis dès son premier début. l’our s’en convaincre, il faut commencer par se demander ce «jrie signifient le désir d’être humain et donc le fait de l’être ou e ne pas l’être. Pour l’Anthropologie (scientifique et philosophique) grecque, antique ou païenne, la réponse est simple. l'tre kumain c’est me comporter de façon à pouvoir prendre conscrence du fait que mon existence empirique (révélée par la
l'erception) est (absolument ou relativement) conforme à mon l'ssence (qui est aussi le Sens du mot « Moi » et qui est révélée
par ce qu’on peut appeler l’ « Intellect », pouvant opérer soit
1 l’intérieur de la Perception [Aristote], soit en dehors d’elle
|llaton]); cette mienne Essence est la même que celle de tous les hommes (il n’y en a peut-être qu’une seule, son unité étant, d'ailleurs, un nombre nombrant et non l’unité nombrée) et cllc ne varie pas au cours du temps; si je constate une coïncidence
(plus ou moins « parfaite ») entre cette Essence (« universelle ») ct mon existence (« personnelle »), je suis (plus ou moins) satisfuit ; étant satisfait par ce que je suis, je ne voudrai plus devenir
autre et je resterai jusqu’à ma mort ce que je doss être partout c( toujours, voire « nécessairement
», à savoir une Existence
conforme à son Essence. En ceci, l’'Homme ne diffère, d’ailleurs,
cn rien de l’Animal et des autres entités « naturelles », qui sont cÎles aussi conformes à leurs Essences respectives, à moins d’être « malades
» et donc
éliminées tôt ou tard du Monde
réel, où
seule l’Existence conforme à l’Essence peut subsister en permanence, sans le dérégler. Mais pour l’Anthropologie (mythologique et philosophique) jucléo-chrétienne la situation est infiniment plus compliquée. La Mythologie juive ne pouvait pas admettre que l’Homme ait une l'ssence au sens grec de ce mot, puisque pour elle on ne pouvait vtre humain que si l’on était né « sous la Loi » ou tout au moins 1 l’on avait été soumis à certains rites initiateurs (la circoncision). Quant à la Mythologie chrétienne (inaugurée par saint Paul), cÎle pouvait encore moins appliquer à l’Homme la notion grecque
de l’Essence, vu qu’elle reposait entièrement sur l’idée de la (‘onversion, qui trans-formait un être seulement anthropomorphe en un être vraiment/authentiquement humain, même ns être obligée de prendre un Juif comme point de
lépart.
Or,
la
Loi
même
qui
faisait
d’un
Juif un
être
lmmain a perdu, aux yeux du Chrétien, sa valeur humanisante à un moment donné de l’Histoire, de sorte qu'’il est levenu « inhumain » de s’y conformer, tandis qu’auparavant, 33
du point de vue du Chrétien lui-même, on ne pouvait s'humaniser qu’en s’y conformant. En d’autres termes, l’Homme judéochrétien n’avait pas d’Essence déterminée d’une façon univoque par la place (topos) qu'il occupait dans le Monde naturel ( Cosmos ) il pouva1t partout et toujours devenir essentzellement autre qu’il n’était (étant le seul des êtres naturels à conserver en soi le Mana que la Mythologie magique voyait en toutes choses). Mais que signifie alors « être humain » * La réponse donnée par la Mythologie judéo-chrétienne (à base religieuse et d’orientation théiste) revient à dire qu’être humain signifie être conforme à Dieu ou « ressemblant » à lui, ce qui permet à l’Homme de changer essentiellement son humanité si Dieu change ou s’il change de Dieu. La Morale consiste dès lors en une « imitation » du Dieu, le modèle à imiter étant
soit Dieu lui-même (dès qu’il se fait Homme pour rendre cette imitation possible), soit un schéma approprié, verbal ou autre, que Dieu met, en vue de cette imitation, à la disposition de l’Homme.
Quant
à l’Homme,
il est, si l’on veut,
« satisfait »
dans et par cette imitation de Dieu, mais il l’est uniquement parce qu’il imite un Dieu censé pouvoir et devoir le rendre heureux après sa mort, si son imitation réussit (au gré de Dieu). Prise en elle-même, l’imitation ne le satisfait pas et ne lui procure pas le bonheur : au contraire, elle est censée aller à l’encontre de ce qu’il aurait voulu faire « spontanément » ou « naturellement ». Car l’hypothèse (indémontrable) de base, qui est la base de toute Religion, est l’impossibilité absolue d’être satisfait, au sens propre et fort du terme, dans l’Ici-bas, c’est-à-dire en menant une vie purement « naturelle », conforme
à ce que les Païens appellent l’Essence de l’Homme et qui n’est,
aux yeux des Judéo-chrétiens, que la « nature » animale qui s’oppose à sa vie humaine. Si par contre un Judéo-chrétien cesse d’être religieux et accepte l’idée-idéal de la philosophie païenne de la satisfaction dans l’Ici-bas, sa position devient difficile et complexe et ce n’est que très tard, dans et par l’Hégélianisme, qu’il trouvera un apaisement définitif dans la satisfaction qu’il pourra enfin effectivement obtenir à la fin de l’Histoire, après l’avoir poursuivie en vain au cours de celle-ci, Car l’Homme judéo-chrétien athée ct arcligieux ne pourra être vraiment satisfait, c’est-à-dire heureux avec la conscience d’être digne du bonheur, que si sa dignité est reconnue par tous, du moins par tous ceux qui sont capables de le faire. En effet, être « satisfait » de soi quand tous
vous désapprouvent est le signe objectif le plus sûr de la Folie
ou de la « maladie mentale ». Et personne n’est assez peu ambitieux pour se satisfaire vraiment d’une reconnaissance défin:t:34
vement partielle, familiale, amicale, sociale, nationale ou autre. L Judéo-chrétien arelrgœux athée pourra et devra donc admettre
L *».lll‘%fflCthfl terrestre, mais il ne pourra l’atteindre effective-
ment qu’à la fin de l’Histoire, c’est-à-dire au sein de l’État universel et homogène !. Aussi bien sa Morale définitive ne pourra être que celle du bon citoyen de cet État. Jusque-là, vule sa Foi ou Espérance subjectivement certaine en cet État
lutur pourra le préserver de la Religion, c’est-à-dire du renonce-
ment définitif de l’'Homme à toute satisfaction sur terre, qui menace d’un désespoir trop affreux pour qu’on n’essaye pas
ce le pallier par l’idée d’une satisfaction transcendante de l’âme tumortelle « reconnue » par Dieu.
Mais revenons à Kant. Dans la deuxième Subdivision du « Canon » il résume lui-même l’ensemble de sa Morale (qui est, pour lui, la Fin suprême de l’Homme) dans le « commandement » uivant : Fais [tout] ce par quoi tu deviens digne d’être heureux (Ibid. ; TIT, 525, 12-13). Et il pose, immédiatement après, la uestion suivante : Si je me comporte de telle sorte que je ne sois pas fndigne du Bonheur, ai-je aussi le droit d’espérer de participer [ciTeetivement] par cela même au Bonheur ? (Zbid. ; III, 525, 1.1-16). Mais que signifie, pour Kant, cette question? Notons d’abord qu’elle n’a aucun sens pour un Païen arelijieux, peu importe qu’il soit athée ou théiste. Il répondra qu’il ne s’agit pas ici d’Espoir ou de Foi, mais de la Certitude ou du savoir. Car s1 un homme est digne d’être heureux, c’est que son cxistence est conforme à son Essence (ce qu’il peut parfaitement vonstater lui-même); or, toute Essence est déterminée par la place qu’elle occupe dans un Monde harmonieux (parce que permanent) et immuable (parce qu’harmonieux) et est par définition « conforme » à cette place; être conforme à son Essence, c'est donc, par définition, avoir une existence conforme à la place « naturelle » qu’elle « doit » occuper dans le Monde; et vette conformité (= « santé » physique et morale) est précisément le Bonheur : être digne d’être heureux (c’est-à-dire le savoir) 1. À première vue, cet État ne peut garantir que l’élément constitutif de la « dignité » ls'est-à-dire de la « reconnaissance universelle ») et non celui du « bonheur », qui est «cpendant indispensable à la satisfaction. Mais ce n’est là qu’une illusion. En effet, «luns cet État seul le comportement rationnel ou raisonnable peut être universellement reconnu. Or, celui-ci écarte par définition le malheur et assure par conséquent h- minimum de bonheur indispensable à la Satisfaction. La seule exception apparente «nt constituée par la souffrance causée par la maladie. Mais, d’une part, la médecine l’atténue de plus en plus. Et, d’autre part, si elle est « intolérable » au point d’annuler l bonheur ou la « joie de vivre », on peut la supprimer par le suicide. Quant à la mort, comme l’a vu Épicure, elle ne peut pas gêner le bonheur car l’homme mort ne vit plus «tl'homme vivant, qui seul peut être heureux, n’est jamais mort.
35
et être heureux est donc une seule et même
chose, ce Bonheur
(= Satisfaction) étant le seul vrai Bonheur, car il est seul à garantir lui-même sa propre permanence et donc l’absence de tout désir de changer; c’est le Bonheur du Sage stoïcien, par exemple. Par conséquent, si Kant pose la question de l’Espoir, il accepte implicitement par cela même l’Anthropologie judéochrétienne (de la Négativité) et rejette l’Anthropologie grecque ou païenne (de l’Identité). Mais que répondra un Judéo-chrétien à la question kantienne ? D’il est areligieux (et donc athée, car un Judéo-chrétien areligieux sera nécessairement athée [du moins s’il est tant soit peu Philosophe] puisque, comme nous le verrons, le théisme discursif cohérent [non mythologique], c’est-à-dire « platonicien » ou « païen », contre-dit l’Anthropologie judéo-chrétienne, avec laquelle il ne peut cohabiter que dans l’incohérence du Mythe, qu’on ne peut vouloir conserver que pour des motifs religieux, du moins dès qu’on constate son incohérence, ce qu’un Philosophe ne devrait pas manquer de faire), il répondra ceci. Le Bonheur dont on est digne n’est rien d’autre que la Satisfaction, qui a deux éléments-constitutifs inséparables : le Bonheur (ou Joie de vivre) que donne, dans certaines conditions, la prise de conscience de soi [qui n’est rien d’autre que le Bonheur du Sage antique] et la Reconnaissance de ce dont on prend conscience soi-même par tous ceux qui sont capables de le reconnaître en en prenant conscience [qui est, si l’on veut, la forme laïcisée
de la reconnaissance par Dieu]; or, la prise de conscience de soi ne peut procurer le Bonheur que s2 ce dont on prend ainsi conscience soi-même est en même temps « reconnu » par tous. Kant se demande si l’inverse est vrai aussi, c’est-à-dire si le fait d’être reconnu par tous suffit pour assurer le Bonheur. La réponse du Judéo-chrétien areligieux et athée est affirmative : une vie consciente d’elle-même ne peut être heureuse (d’une façon permanente) que si elle est rationnelle ou raisonnable (comme les Grecs l’ont déjà compris); or, une telle vie ne peut être reconnue par tous que dans un État rationnel ou raisonnable (c’est-à-dire universel et homogène, à l’image du Discours uni-total, c’est-àdire de la Vérité); mais dans un tel État une vie raisonnable est nécessairement heureuse; par conséquent on peut savoir que lorsqu’on est digne d’être heureux en ce sens qu’on jouit de la reconnaissance universelle, on est heureux effectivement.
Et pourtant, le Judéo-chrétien, même areligieux et athée, admet parfaitement (à l’encontre du Païen areligieux, athée ou théiste) que Kant ait pu parler d’Espoir et non de Savoir. En effet, le raisonnement qui vient d’être tenu (et qui rejoint le raisonnement du Sage antique) ne peut être valablement fait 36
u'i la fin de l’Histoire et était faux à l’époque de Kant. C’est «jue, par définition, une vie raisonnable ne peut pas être reconnue unrersellement avant la fin de l’Histoire, pour la simple raison qu'iavant cette fin le Monde humain n’est pas raisonnable luiméme (sinon il ne changerait pas et serait le dernier, contrairement à la supposition). Avant la fin de l’Histoire, la vie « raivonnable » est nécessairement en désaccord avec le Monde
lumain
(elle est partout et toujours « révolutionnaire ») et
clle est donc toujours et partout plus ou moins malheureuse c1 ne donne jamais et nulle part une pleine et entière satisfaction ne serait-ce qu’en raison du fait qu’elle ne peut pas être rcconnue universellement (car même si, avant la fin de l’Histoire,
une vie ne peut être que relativement raisonnable, elle n’est relatrvement raisonnable que dans la mesure où elle est plus raimonnable que la vie du Monde où on la vit et où elle ne peut pas, par conséquent, jouir d’une reconnaissance universelle). C’est pourquoi, tant que dure l’Histoire, la Satisfaction parfaite (qui umplique nécessairement le Bonheur parce qu’elle présuppose li reconnaissance wniverselle) n’est donc qu’un Espoir et non unce réalité susceptible d'être sue. Cet Espoir peut être associé « une Certitude subjective et avoir ainsi la valeur de la Foi (d’après la définition qu’en donne saint Paul : la certitude de l'espérance) si un discours cohérent permet de dire que tôt ou tard sera réalisé l’État universel et homogène qui achèvera l'Iistoire et rendra ainsi valable le raisonnement fait ci-dessus,
«jut transforme la Foi en question en Savoir ou en Vérité discursive . La Morale consistera alors à agir de façon à accélérer 1. À première vue il y a là contra-diction. L'Espoir n’apparaît chez le Judéo«lirétien que parce que l’Homme, pour lui, est libre. Comment peut-il alors prévoir la hn de l’Histoire et dire qu’elle arrivera un jour nécessairement ? Parce que sa « prévinion » n’est rien d’autre que le Projet d’une Action libre : si l'Homme agit lbrement (c'est-à-dire en Négateur), l’Histoire arrivera à sa fin avec l’État universel et homopène. Or l’Homme est Liberté. Ou bien donc l’Homme cessera d’être humain (avant d'avoir réalisé son Projet, conçu en soi et par nous dès la première Lutte anthroporène), ou bien l’Histoire arrivera à sa fin absolue. (Cesser d’être humain, c’est cesser «le prendre conscience de soi; la prise de conscience, c’est-à-dire la Philosophie, est duonc, si l’on veut, un Postulat [le Postulat de la Vérité] qui peut cesser un jour de «orrespondre à la réalité. Quoi qu’il en soit, à la fin de l’Histoire, l’'Homme cesse d'être libre (= historique) puisqu’il cesse d’être négateur du donné (historique). \lais il n’y a là aucune contra-diction, puisque la Liberté est Action ou Primat de l'Avenir, c’est-à-dire un phénomène essentiellement temporel, voire temporaire. l![omme est né libre en ce sens que la Lutte anthropogène est un Acte de liberté. Mais il n’est libre qu’en tant que Négateur du donné, c’est-à-dire du Naturel ou de l'Animal. T'ant que la Nature (dans l’Homme et hors de lui) peut être niée activement, l'Ilistoire dure et l’Homme est libre. Mais la Nature étant une donnée, c’est-à-dire définie ou finie, sa négation ne peut pas se prolonger indéfiniment. Un jour viendra onc où l’'Homme aura nié tout ce qui est naturel en lui. C’est alors qu’il créera l’État universel et homogène. Mais alors il ne pourra plus se nier, il ne sera donc plus libre «t l’histoire s’arrêtera. Somme
toute, l’homme n’est libre que de cesser d’être animal,
runis il n’est plus libre de cesser d’être dieu le jour où il le deviendra. Et il n’aura nulle «nvie de le faire, puisqu’il sera parfaitement satisfait. Or, nul n’agit librement sans
37
ce processus historique ou tout au moins à ne pas le freiner. Et
bien que cette Morale n’assure pas la Satisfaction absolue (ni le Bonheur), puisque celui qui la pratique meurt avant d’en voir le résultat (à moins de vivre à la veille de la fin de l’Histoire), l’expérience montre qu’elle peut rendre la vie sinon toujours heureuse, du moins passionnante et passionnée, c’est-à-dire « joyeuse » et donc vraiment digne d’être vécue, c’est-à-dire, au fond, satisfaisante. Autrement
dit, sans pouvoir vivre la vie du
Sage avant la fin de l’Histoire, on peut partout et toujours vivre la vie du Philosophe, qui aspire à la Sagesse et a la Foi en elle. Mais que répondrait le Religieux, païen ou judéo-chrétien, à la question kantienne ? Il dirait que jamais et nulle part la Satisfaction, voire le Bonheur, ne peuvent être réalisés sur terre,
en raison de l’imperfection foncière et irrémédiable de l’Homme
et du Monde où 1l vit. Par conséquent, si l’on ne veut pas sombrer dans la nuit du « Malheur
de la Conscience », c’est-à-dire
dans le Désespoir abruti et abrutissant (qui est le pire de tous les péchés possibles, pire que l’orgueil lui-même), 1l faut admettre un au-delà et une âme qui y puisse accéder, où la Satisfaction bienheureuse s’obtiendrait comme conséquence (sinon nécessaire, du moins possible) d’une certaine vie « morale » terrestre. Certes, le Savoir discursif n’a pas accès à cet au-delà qui est l’objet d’un Espoir et non d’une Connaissance. Mais si cet Espoir est subjectivement certain, il est une Foi qui peut être solide comme un roc. Et même si le Savoir discursif ne peut pas assurer cette certitude, il peut tout au moins ne pas la démolir et, dans la mesure où il le peut, on peut et doit s’en occuper, même si on a la chance d’avoir une certitude non discursive, ne serait-ce que pour éliminer les discours qui ébranlent la Foi en attaquant la certitude discursive de l’Espoir.
Sans doute, la négation de la possibilité de la Satisfaction
sur terre ne peut pas être dé-montrée discursivement, car elle présuppose l’inefficacité absolue de l’Action humaine, c’est-àdire son incapacité de transformer le Monde qui, dans son état actuel, ne satisfait pas l’Homme en un Monde susceptible de le satisfaire un jour.
Il s’agit donc là d’une prise de position indémontrable et indis-
cutable,
c’est-à-dire
d’une
« attitude
existentielle
» irration-
avoir envie de le faire. Il n’y a donc là aucune contradiction. C’est au contraire le progrès nécessairement snfini qui limiterait la liberté de l’homme, qui est non seulement la liberté d’agir, mais encore celle de se reposer s’il en a envie (comme Dieu après la création du Monde, mais sans la surprise de la chute d’Adam). S’il n’aura pas la surprise de la chute d’Adam, ce ne sera pas à son désavantage : ceci signifiera simplement que son Monde est plus rationnel ou raisonnable que le l\/}ofxf1de créé par Dieu. Il y a mis, il est vrai, beaucoup plus de temps et peut-être d’efforts.
38
nelle, qui s’exprime discursivement par ce qu’on appelle un « IDogme » ou un « article de foi ». C’est ce Dogme qui est à
lu base même
de tout développement
discursif religieux ou
« théologique » : tout « Théologien », tout Religieux qui parle l’admet nécessairement comme Axiome ou Postulat et il suffit ce l’admettre pour que le discours qui le développe soit « théologique » ou religieux. Or, la réponse que donne Kant à la question qu’il a poséc prouve qu’à la base de toute sa philosophie il y a une attitude
essentiellement et authentiquement religieuse, qui traduit non
pas l’impatience d’être heureux dans n’importe quelles condillons extérieures et sans reconnaissance d’autrui (ce qui rapproche l« pseudo-religieux du fou), mais la conviction profonde que l’Homme et le Monde où 1l vit ne peuvent en aucun cas procurer la Satisfaction qui comprend un Bonheur dont on est digne. En eflet, Kant croit pouvoir déduire de son commandement moral lu notion d’un « Monde futur » transcendant parce que la réalisation de sa Morale dans ce Monde (qui équivaut à la Satisfactlon ou au Bonheur dont on est digne) lui paraît absolument, c'est-à-dire partout et toujours, ämpossible. Il croit pouvoir le faire parce qu’il admet (en tant que Protestant) l’Anthropologie judéo-chrétienne et définit (en tant que Philosophe plus radical encore que Descartes) la Liberté, qui est l’être même de l’Homme judéo-chrétien, comme une Négativité. En d’autres termes, la liberté est, pour lui, nécessairement en contradiction ou conflit
avec la Nature (= Identité), de sorte que l’harmonie entre le levoir et la Réalité (que présuppose la Satisfaction) ne peut se faire qu’au-delà de ce Monde naturel, c’est-à-dire, pour lui, spatio-temporel (Cf. :bid. ; 525, 27-531, 23). Mais cette « déduc-
tion » n’est valable que si l’on admet (comme Kant le fait tacitement) que l’Action humaine (même « morale ») est rigoureusement inefficace, c’est-à-dire foncièrement incapable de transformer le Monde (par la Lutte et le Travail) de façon à le rendre conforme à l’Homme et à ses Projets librement conçus et exé-
cutés, que si l’on admet, en d’autres termes, que le Monde donné restera partout et toujours
le même
et empêchera toujours et
partout l’Homme de faire ce qu’il veut dans la mesure où ses
ésirs ne sont pas déferminés par ce Monde lui-même. Nous pouvons donc dire que Kant est moins un Moraliste (en admettant que ce mot ait, en général, un sens) qu’un Religieux : sa « Morale » commande moins de faire le Devoir de l’homme libre (-= Citoyen) que d’éviter le Péché qui l’affecte nécessairement en tant que Créature, par définition inapte à se satisfaire elle-
même par elle-même. C’est pourquoi, pour Kant, comme pour
tout Religieux, la Morale et l’Action en général n’ont en der39
nière analyse une valeur et un sens qu’à condition de se référer à l’Au-delà. Sa « certitude de l’espérance » qu’il appelle luimême « Foi morale », n’est rien d’autre qu’une Foi relgieuse et, plus particulièrement, une foi religieuse judéo-chrétienne *. Le passage suivant, qui se trouve dans la troisième Subdivision du « Canon », le fait apparaître avec toute la clarté voulue. Kant y dit ceci : %
I. À première vue, cette interprétation semble être en désaccord avec ce que Kant dit à ce sujet dans la troisième Section de l’ « Analytique de la Raison pratique pure » (Ier Livre de la Critique de la Raison pratique) (cf. le résumé; ibid., V, 78, 20-79, 35). Kant y parle du « Mobile » ( Triebfeder) de l’Action libre (= « morale ») et le définit comme un « Sentiment » (Gefühl) (cf. V, 73, 2-5). Dans notre terminologie, le « Sentiment » qui joue le rôle d’un « Mobile » s’appelle Désir. Désir de quoi ? Kant définit le « Sentiment » en question comme le sentiment de l’ « Estime » ( Achtung), voire de l’ « Estime suprême » (Grässten Achtung) (cf. V, 73, 27-34). On pourrait donc dire, dans notre terminologie, que l’Action libre a pour mobile le Désir de Reconnaissance. On a alors l’impression qu’on est en plein hégélianisme (areligieux et athée). Mais ce n’est là qu’une illusion. Car Kant définit l’ « Estime » comme « Estime pour la Loi morale » (cf. V, 73, 34-37). Il s’agit donc de la Reconnaissance de la « Loi morale » en tant que telle et non de l’homme en chair et en os qui agit (librement, c’est-à-dire en fonction du seul Désir de Reconnaissance) dans l’Ici-bas. Quant à cet homme, l’ « Estime pour la Loi morale » provoque (se « révèle ») en lui (pris en tant que Phénomène ou Existence-empirique « révélée », voire consciente-d’elle-même) le sentiment de la « Douleur » (Schmerz) (cf. V, 73, 2-8). Par conséquent, agir en fonction du Désir de la Reconnaissance c’est nécessairement (c’est-à-dire partout et toujours) vivre dans la Douleur, voire dans le Malheur. Ceci-est déjà suffisamment religieux (plus exactement : chrétien). Mais il n’y a pas encore de contra-diction avec l’Hégélianisme, car celui-ci n’affirme ni que l’Action libre, c’est-à-dire effectuée en fonction du seul Désir de Reconnaissance, aboutit nécessairement (c’est-à-dire partout et toujours) au Bonheur, ni que le Malheur soit incompatible avec la Satisfaction que procure (nécessairement) la Reconnaissance. Mais Kant va plus loin et définit la « Douleur » en cause comme « Humiliation » (Demütigung ; mot que je n’ai nulle intention de traduire par « Humilité » qui n’est qu’un euphémisme « hypocrite »). (Cf. V, 74, 23-30.) En définitive, le « Sentiment moral » (= Désir de Reconnaissance) est, dans l’Homme « mondain », à la fois Humiliation de soi et Estime de la Loi (cf£. V, 75, 6-19). Or, ceci est, en fait, religieux (voire théiste ou chrétien) et diamétralement opposé à l’athéisme areligieux de l’Hégélianisme (« chemin du Salut » =Æ « Morale »). Car ceci signifie que l’Homme ne peut vivre dans le Monde naturel en être humain qu’à condition de vivre dans le Malheur et dans l’Humiliation, accompagnée d’une Estime pour la Loi. Mais qu’est-ce que cette « Loi »? Le Religieux chrétien « naïf » répondra : c’est la « Loi divine » (« révélée » ou donnée). Kant répond : c’est la Loi que l’Homme se donne (librement) lui-même à lui-même (« Gewissen »). Mais la différence des deux réponses n’est qu’apparente. Car, pour Kant, l’Homme qui donne la Loi (= Raison pratique pure = Volonté pure) n’est pas le méême que celui à qui elle est donnée (= Sujet empirique = ÂAme sensible) : en fait, c’est l’Ame immortelle qui donne la Loi à l’'Hommedans-le-Monde (que celui-ci ne peut pas appliquer tant qu’il 222 dans le Monde, d’où sa Douleur ct son Humiliation). Or, qui dit « Ame immortelle » (c’est-à-dire nonspatio-temporelle) dit, dans la terminologie kantienne du mode de la Vérité : « Choseen-soi » et dans la terminologie kantienne du mode du Comme-si : « Monde futur » et « Dieu ». Or, le Religieux chrétien « subtil » (ou « astucieux » à l’instar de Kant) dit lui aussi que la Ioi donnée par Dieu doit être librement acceptée par l’'Homme (pour être efficace dans le « Monde futur », en y procurant la Satisfaction, appelée Béatitude), ce qui revient à dire que l’Homme (en tant qu’Ame immortelle) la donne lui-même à lui-même (en tant que Créature mortelle, c’est-à-dire spatio-temporelle). La différence est illusoire car le fond est commun : c’est l’impossibilité absolue pour l’Homme de se satisfaire dans le Monde spatio-temporel par une Action libre, vue l’inefficacité essentielle d’une telle Action; d’où le sentiment de l’Humiliation ou du Mépris de soi, qui ne peut être annulé que par la Foi religieuse, c’est-à-dire par la Certitude subjective de l’Espoir d’être satisfait (béatifié) après la mort dans un Monde futur non spatio-temporel assujetti à la Loi de Dieu.
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[l en va tout autrement de la Foi morale [que de la Foi dogmatique]. C‘ur 1l est ici absolument nécessaire que quelque chose doive se passer, » savoir que je donne suite à la Loi morale dans toutes ses parties
(in allen Stücken). La Fin/le but est ici fixée sans qu’on puisse s’en départir/d’une façon inévitable (unumgängliche); et, d’après toute ma conviction/ce que je peux voir (nach aller meiner Einsicht), il n’y a «qu'’une seule condition possible, dans laquelle cette fin [morale] soit en vonnexion avec toutes les Fins réunies [y compris celles du Monde naturel] et ait ainsi une validité pratique, à savoir que soient un Dieu et un Monde futur. Je sais aussi d’une façon tout à fait certaine, que personne ne connaît d’autres conditions qui mènent à la même unité des l‘ins sous la Loi moraie. Or, puisque la prescription morale est (ainsi) «n même temps ma maxime (comme la Raison commande qu’elle doit l'être), je croirais inévitablement/sans défaillance (unausbleiblich) à l'existence de Dieu et à une Vie future et je suis sr que rien ne pourrait rendre chancelante cette Foi, parce que/qu’autrement [dans le cas contraire] auraient été renversés mes principes moraux eux-mêmes, auxquels je ne peux pas renoncer sans être méprisable (verabschenungs«virdig ) à mes propres yeux. (Ibid. ; 111, 336, 12-26.)
Sans doute, Kant commence ce passage en affirmant que la l’in impliquée dans la Loi morale est posée d’une façon zncond:-
tionnelle et inébranlable, et il le termine en disant qu’il ne peut
pas renoncer aux principes moraux parce que, s’il le faisait, il serait méprisable à ses propres yeux. Mais, d’une part, la Fin morale n’aurait visiblement ni sens, ni valeur, si la Morale cllc-même n’avait pas de « validité pratique » (Praktische Gülligteit); or, Kant dit expressément, que cette « validité pratique » présuppose nécessatrement l’existence de « Dieu » et du « Monde futur »; il est donc indéniable que, contrairement à ce que Kant semble dire d’abord, la « Fin morale » et la « Loi morale » ellesmêmes n’ont, pour lui, un sens et une valeur, voire une « réalité »,
que dans la mesure où 1l y a un Monde transcendant par rapport uu Monde spatio-temporel. D’autre part, s’il faut, d’après Kant, suivre la Loi morale pour ne pas être « méprisable à ses propres yeux», il ne s’ensuit pas qu’il suffit de la suivre pour être satisfait (c’est-à-dire, dans la terminologie de Kant : être heureux en étant digne de l’être). Car entre la simple absence du mépris de soi-même et la présence de la satisfaction de soi 1l y a, e
toute
évidence,
une
distance
énorme,
que
Kant
reconnaît
puisqu’il refuse obstinément de la franchir. En effet, aucun homme sensé (même « romantique ») ne saurait être satisfait cu (seul) fait d’ « appliquer » (si l’on peut dire!) une Morale sans « validité pratique », c’est-à-dire précisément « inapplicable »! Or, encore une fois, la « validité pratique » de la Morale
kan-
tienne dépend uniquement et exclusivement (eine einzige NRedinung ) de l’existence du « Monde futur ». La « satisfaction » que Kant a en vue dépend donc entièrement de ce « Monde futur » et n’est pas réalisable dans le Monde présent (c’est-à-dire
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spatio-temporel), quel que soit son Présent. Et c’est ce que Kant admet expressément lui-même, puisque, pour lui, la Satisfaction
n’est qu’un « éternel » Espoir ou, dans la mesure où cet Espoir est (subjectivement) certain, une Foi, à savoir la fameuse « Foi morale ». Or, la nature de la « certitude » (subjective) et de l’ « Espoir » qui constituent cette Foi ressort clairement du passage cité, qui est écrit précisément pour définir la « Foi morale » (en l’opposant à la « Foi dogmatique » de la Religion courante ou « mythologique »). L’ « Espoir », c’est l’espoir de la Satisfaction dans et par une « Vie future » [la possibilité d’une Satisfaction dans l’Ici-bas, même pour un autre, dans un avenir lointain,
étant exclue « dogmatiquement », c’est-à-dire sans « dé-monstra-
tion », ni « discussion », sur la seule base (inavouée) du Postulat unique de toute Religion, qui est l’affirmation de l’imperfection foncière et irrémédiable de toute « Créature », c’est-à-dire de tout ce qui existe dans le Monde spatio-temporel]; et la « Certitude » « inébranlable », c'est, en dernière analyse, le refus de se mépriser soi-même [tout Religieux devant mécessairement se mépriser en tant que « Créature » et ne pouvant échapper à ce mépris de soi-même qu’en admettant en soi quelque chose qui ne soit pas « Créature » (une Ame-Image de Dieu, par exemple), qui transcende donc toute « Créature » et qui, pour arriver à la Satisfaction de soi, doit transcender la « Créature », tant « matériellement », en « quittant le Monde » pour de bon dans la Mort,
que « moralement », en « quittant le monde » encore de son vivant|. En effet, Kant dit en toutes lettres que sa Foi (en « Dieu » et le Monde « futur ») est certaine (sicher) uniquement parce que, en l’abandonnant, il serait forcé d’abandonner la Morale, ce qui entraînerait nécessatrement le mépris de soi. Kant pourrait donc parfaitement (comme tout homme à tempérament religieux, d’ailleurs) abandonner sa Foi s’il était prêt à payer cet abandon par le mépris qu’il éprouverait alors vis-à-vis de soimême. Or, l’idée de pouvoir se mépriser soi-même a dû paraître tellement monstrueuse à Kant [comme, d’ailleurs, à tout homme de tempérament religieux qui est consciemment et volontairement Rcligieux, c'est-à-dire accepte les servitudes d’une Religion quelconque en échange de la possibilité de ne pas (de ne
plus) se mépriser lui-même et d’avoir un Espoir subjectivement
certain, c’est-à-dirce une Foi, en son « Salut », c’est-à-dire en la
Satisfaction (du moins possible) en dehors du Monde spatio-
temporel, où il accepte d’autant plus facilement les « misères » de la vie « religieuse » qu’il cst profondément convaincu (bien que sans preuve aucune) de l’impossibilité d’y être satisfait ou même tout simplement heureux], qu’il la rejette « naïvement » (c’est-à-dire sans même l’avoir évoquée) ou sans s’en rendre
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compte et fait preuve (pour la seule et unique fois, peut-être,
lans toute sa vie discursive de Philosophe) d’une telle absence (antiphilosophique) de conscience-de-soi et de conscience tout court, qu’il ne remarque même pas à quel point est précaire la l’oi qu’il prétend être « sûre et certaine » (sicher ), voire « inébranlable » (nichts wankend machen kônne ! ). r. Le lecteur pourrait croire, à première vue, que tout ceci n’a rien à voir avec la Cosmo-logie kantienne. En réalité, on est depuis longtemps en pleine « Cosmologie ». Car celle-ci traite, par définition, de la Réalité-objective. Or, chez Kant, celle-ci n’est rien d’autre que la-les Choses-en-soi (le reste n’étant que « Phénomène »). Nous avons donc simplement voulu voir ce qui est, pour Kant, « objectivement-réel » et nous avons vu que c’est non pas le Monde « physique » de Newton (qui n’est que Phénomènc), mais ce qu’il appelle le « Monde intelligible », c’est-à-dire non spatio-temporel, à savoir l’Ame-immortelle-libre (c’est-à-dire « Entité-éternellement-identique-quichange »; première notion du type « Cercle-carré »), la « Vie-future » (c’est-à-dire le Futur-qui-ne-devient-jamais-présent » = « Vie-après-la-mort »; deuxième notion du type « Cercle-carré) et « Dieu-qui-existe » (c’est-à-dire « Être-non-temporel-qui-dure » ; troisième notion du type « Cercle-carré »). Nous avons vu aussi que, d’après Kant, on ne peut parler de la Réalité-objective que dans le mode du Comme-si et que le discours qui s’y réfère est donc l’expression non d’un Savoir, mais d’une Foi, c’est-àdire d’un Espoir à base de Certitude purement subjective. (Quant à l’Être, il se confond, chez Kant, avec la Réalité-objective, opposée à la seule Existence-empirique). Nous verrons cependant que si l’on élimine simplement la notion de la Chose-en-soi (introduite, ou maintenue, comme on vient de le voir, pour des motifs purement et exclusivement religieux) sans toucher au reste, on trouve, chez Kant, une Cosmologie presque identique à celle qui sera la nôtre et qui est la Cosmo-logie hégélienne. On voit ainsi que chaque Philosophie gravite autour de sa Cosmo-logie, qui détermine, en dernière analyse, tout son contenu et l’ensemble de sa structure. — Quoi qu’il en soit, l’analyse de l’attitude existentielle religieuse basée sur l’interprétation d’un texte kantien présente une grande valeur intrinsèque, parce que Kant, comme tout grand Philosophe, est non seulement extrêmement conscient-de-soi (même lorsque, comme dans le texte interprété, la prise de conscience de soi ne se traduit que par des énoncés implicites et probablement znconscients [ce qui n’est pas absurde!]), mais encore, personnellement, doué d’un très solide Bon-sens et absolument exempt de tout « enthousiasme hystérique » ( Schwdärmerei) religieux ou autre, auquel il est résolument hostile, d’ailleurs. Or, le texte kantien montre clairement que l’attitude relirieuse (d’ailleurs présentée ici à son « état pur », c’est-à-dire sans aucun revêtement « mythologique » concret) repose, en dernière analyse, sur le refus du mépris de soi, c’est-à-dire sur le Désir de Reconnaissance, voire sur l’Orgueil ou la Vanité. Autrement dit, l’attitude religieuse est essentiellement et spécifiquement humaine (au sens hégélien de ce mot). Cependant, elle ne l’est pas authentiquement car, par définition, elle ne peut pas elle-même admettre cette sienne origine (le Religieux en tant que Religieux ne peut donc pas être un Sage, c’est-à-dire un homme pleinement conscientde-soi et satisfait par cette prise de conscience). Par ailleurs, cette attitude est irréductiblement ambiguë. D’une part, on peut dire que le Religieux est moins orgueilleux ou vaniteux que l’ « homme du monde » parce que son ambition ne va pas plus loin que le désir de ne pas se mépriser (la Satisfaction [Béatitude] ne pouvant, par définition, être désirée par lui et étant, en outre, même en tant que simple possibilité, reléguée dans un avenir indéfini et ne pouvant pas être assurée d’une façon quelconque). Mais, d’autre part, on peut dire que le Religieux est plus vaniteux ou orgueilleux que l’ « homme du monde », parce que l’idée de « faillir » et d’ « être réprouvé », c’est-àdire la crainte d’être contraint à se mépriser lui est tellement insupportable qu’il est prêt à « tout sacrifier » pour être au moins « subjectivement certain » de ne pas courir ce risque (« tout », c’est-à-dire non seulement les « ennuis » multiples et variés de la vie religieuse, mais encore l’obligation de se contre-dire dès qu’il parle [ce qu’il évite, d’ailleurs, parfois en se réfugiant dans le Silence]). Dans cette deuxième interprétation l’attitude religieuse est une forme extrême du « complexe d’infériorité »; dans la première, c’est l’attitude d’un « grand timide » [mais la « Timidité » n’est peutêtre qu’un avatar du fameux « complexe », qui n’est que l’Orgueil humain et anthropogène « normal », pathologiquement exaspéré]. Quoi qu’il en soit, c’est cet orgueil
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Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement que la « Morale » de Kant est de nature essentiellement religieuse : ce n’est pas une « Morale » qui définit le Devoir de l’Homme (lbre), que celui-ci doit et peut accomplir (c’est-à-dire réaliser) dans le Monde où il v:t de façon à y être heureux et reconnu, c’est-à-dire satisfait par la prise de conscience de soi-même ; c’est une « Discipline intérieure » qui assure l’Homme (servile, dans les cas tout au moins où il reconnaît un Maître qui est le sien) contre le risque du mépris de soi, qui est inévitable si l’Homme se contente de vivre dans son Monde sans se référer à un « Monde futur » qui n’est sien (au sens que la satisfaction de soz y est pour lui possible, bien que, généralement, nullement certaine) que dans la mesure où il y a en lui (de par sa naissance ou à la suite de certains « Rites magiques », qui peuvent être tout ce qu’on veut sauf son Action) un élément-constitutif (le Mana-Ame) qui participe (depuis qu’il est) au « Monde futur » parce qu’il est irréductiblement opposé à ce qui vit au même titre que le « Monde futur » lui-même est opposé irréductiblement au Monde du moment présent, quel que soit ce Présent 1. ou cette vanité, dans l’une ou l’autre interprétation, que le Religieux appelle « Humilité ». — Si l’on reconnaît que le « moralisme » de Kant est une attitude (existentielle) essentiellement religieuse, le fameux « paradoxe » de sa Morale (qui a choqué le Bonsens de tant de gens areligieux, en commençant par Schiller) selon lequel une action cesse d’être « morale » du seul fait d’être effectuée par « Inclination » [naturelle] (Neigung) au lieu de s’effectuer en fonction du seul « Devoir » (Pflich) (qui est, par définition en quelque sorte, radicalement opposé ou contraire à l’Inclination). En effet, c’est là une conséquence inévitable du Postulat religieux fondamental de ’impossibilité de la Satisfaction dans le Monde naturel (c’est-à-dire spatio-temporel). En effet, si je fais mon « devoir » par « inclination », je peux être heureux (en le faisant) tout en étant digne de l’être, ce qui veut dire précisément que je peux être satisfait dans et par ce que je fais dans l’Ici-bas. En admettant que ceci est impossible, Kant explique simplement pourquoi il en est ainsi (en « développant » le Postulat) : je ne peux jamais être satisfait parce que si je ne fais pas mon « devoir » je ne suis pas « digne » (à mes propres yeux) d’être heureux, et si je le fais, je ne suis pas heureux, puisque le « malheur » n’est que la prise de conscience d’une action (ou d’un état) contraire à l’ « inclination ». Certes, le « paradoxe » de Kant est aussi une « conséquence » de l’identification judéo-chrétienne (—> « hégélienne ») de l’'Homme à la Négativité : l’Homme n’est humain (= libre, = historique, = personnel) que dans la mesure où il nie (activement) le donné, y compris celui qu’il est lui-même (ses « inclinations » incluses). Mais en fait, si l’Action négatrice présuppose le « malheur » ou tout au moins l’insatisfaction, elle aboutit, si elle réuwssit (c’est-à-dire trans-forme ce qu’elle nie), à la Satisfaction et au « bonheur ». On ne peut le contester que si l’on n’admet pas que l’Action puisse réussir. Or, c’est précisément ce que n’admet aucun homme
religieux,
Kant y compris.
‘
[Il est tout naturel qu’un Schiller en soit choqué. Car le Poète est Artiste et l’Artiste est l’opposé ou le contraire du Religieux. En effet, le Religieux assigne une valeur négative au Monde donné (spatio-temporel) quel qu’il soit et quoi qu’il s’y fasse, tandis que l’Artiste attribue une valeur positive au Monde quel qu’il soit et quoi qu’on y fasse : un supplice horrible même d’un Saint martyre peut, par exemple, être « beau » et donner lieu à un « joli » tableau ou à une poésie « sublime »]. I. Je voudrais citer à cette occasion un texte particulièrement révélateur de la Critique de la Raison pratique, bien qu’il soit célèbre et universellement connu. Ce texte termine le passage qui commence par la fameuse tirade sur le « Devoir » et se réfère à l’Homme qui vit en fonction de ce seul « Devoir » (cet homme étant, de toute
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somme toute, comme tout homme religieux, Kant ne peut « déduire » la notion du « Monde futur » à partir de sa Morale » que parce que, d’une part, il nie la possibilité même de la Satisfaction dans le Présent spatio-temporel et parce que, d’autre part, il ne veut pas abandonner tout espoir de Satisfaction [cet «bandon total et définitif devant nécessairement se traduire, en
fuit, par le mépris de soi-même, qui est littéralement « insuppor-
table » ou non « viable », parce qu’il mène, en fait, au Suicide ou à la Folie]. Notons cependant que Kant « déduit » de sa « Morale » non seulement le « Monde futur », mais encore l’existence de « Dieu ».
(‘ect n’a rien que de normal dans la mesure où Kant identifie le
« Monde futur » à la « Vie future », c’est-à-dire dans la mesure où sa « Morale » (discursive) implique nécessairement (quitte à «vidence, Kant lui-même). Kant admet que cet homme est fatalement malheureux ns ce monde, mais fait valoir qu’il échappe au mépris de soi (que le manquement au « Devoir » [= à la Discipline religieuse] provoque inévitablement) et jouit de ce tuit d’une « Quiétude intérieure ». « Cette Quiétude (Beruhigung) intérieure est donc purement négative par rapport à tout ce qui pourrait rendre la vie agréable ; à savoir, eÎle est [uniquement] la conjuration/l’éloignement [Abhaltung] du danger de déchoir dans sa valeur personnelle après qu’il ait complètement abandonné la valeur de son état (Zustandes) [dans le monde]. Cette Quiétude est l’action d’une Estime [éprouvée] pour ce qui est tout autre chose (ganz anderes [cf. R. Otto!]) que la vie, en comparaison ct en opposition à quoi la vie, avec fout son agrément (Annehmlichkeit), n’a, bien au contraire, aucune valeur. Il ne vit encore que par devoir [= en vue d’assurer, autant que faire se peut, le bonheur mérité dans l’Au-delà, c’est-à-dire son Salut, par l’application de la Discipline religieuse, appelée elle-aussi (à tort) « Morale » ou « Devoir »] et non pas parce qu’il trouve le moindre goût à la vie. » (V, 88, 13-20.) Avéc les quelques précisions introduites par moi entre crochets, ce texte se passe «de commentaire, car son caractère authentiquement religieux saute à tous les yeux qui veulent voir. Et ce texte montre clairement que Kant se résigne à subordonner ioute sa vie à la seule conjuration du danger « mortel » de se voir se mépriser soi-même. “S'il a ou voudrait avoir d’autres « espoirs », positifs cette fois, il devra les rapporter nécessairement à l’Au-delà, c’est-à-dire à ce qui arrivera après sa mort. Ce qui semble, A première vue, contredire cette interprétation (qui n’est, à vrai dire, qu’un simple commentaire « littéral »), c’est la solution de l’« Antinomie » de la Raison pratique qui se trouve dans la « Dialectique » de la deuxième Critique (Section 11, Subdivision Ir). C'ette © Antinomie » est l’incompatibilité fatale du « Devoir » [= Discipline relisricuse] et du « Bonheur » [« mondain »]. Kant la résout en introduisant la notion de la « Satisfaction de soi » ou, plus exactement, « Contentement de soi » ( Selbst«ufriedenheit), compatible tant avec le « Malheur » qu’avec le « Devoir ». C’est là, évidemment, l’idéal du Sage antique [repris par Hegel] et Kant cite effectivement, à cette occasion, Épicure et les Stoïciens. Mais Kant n’introduit cette notion que pour résoudre la prétendue contra-diction (« Antinomie ») logique, sans affirmer pour autant que ce « Contentement » peut effectivement être atteint ou réalisé sur terre. D'ailleurs, il s'empresse de distinguer ce « Contentement » de l’« Autarcie » ou e la « Suffisance de soi » ( Selbstgenugsamheit) du Sage antique (tout en reconnaissant leur « analogie »), qu’il ne veut attribuer, en bon théiste qu’il est, qu’à l’ « EËtre suprême » (cf. V, 118, 24-37). Quoi qu’il en soit, après avoir tiré ce coup de chapeau (quelque peu « hypocrite ») à la Philosophie authentique (qui est, par définition, « Amour de la Sagesse »), Kant a hâte d’établir le « Primat » de la Raison pratique vis-àvis de la Raison théorique (Subdiv. II1), afin de pouvoir établir son « Postulat » de l'Immortalité de l’âme et de l’existence de Dieu (Subdiv. IV et v), ce qui montre bien que, en ce qui /e concerne, le « Contentement » laïque et athée ne comble pas ses vœux et n’est nullement destiné à remplacer sa certitude subjective de l’espérance du Salut, c’est-à-dire sa Foi (chrétienne).
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être de ce fait contra-dictoire) la notion de l’ « Ame smmortelle ». En effet, de même
que l’Homme en tant qu’organisme vivant
et agissant [même librement] est inconcevable sans la notion du Monde où il vit et agit, l’Ame-immortelle (c’est-à-dire non spatio-temporelle) n’est pas concevable (même au moyen d’une
notion contra-dictoire du type « Cercle-carré ») sans la notion
du « Monde futur » où elle est censée subsister (sinon nécessairement dans la quiétude, du moins sans action autre que subie). Or, ce « Monde » (= « Au-delà », dans la terminologie théiste courante) est par définition « divin » (= « Tout-autre-chose » dans la terminologie de Rudolf Otto), le « divin » ou « Dieu » étant le « réceptacle » des « Ames immortelles » au même titre que le Monde naturel ou spatio-temporel (= « Ici-bas », dans la terminologie théiste courante) est le « réceptacle » de tout ce qui vit et agit.
Or,
chez
Kant,
le « Dieu
» de sa « Foi morale
» n’est
effectivement rien d’autre que le « Gérant » du « Monde futur », qu’il tient entièrement « sous sa coupe » et qu’il gère de façon à y assurer le « bonheur » des Ames qui en sont « dignes ». Ceci étant, un homme occidental a tendance à croire que toute Religiosité (discursive) est nécessairement théiste et qu’il sufft, par conséquent, de constater que le Système kantien est d’inspiration religieuse pour « expliquer » pourquoi Kant y introduit (sans pour autant la « développer » autrement que dans le mode du Comme-si) la notion [contra-dictoire] de « Dieu », en dernière analyse identique quant à son sens [contra-dictoire} à la notion du « Monde futur ». Mais le fait du Bouddhisme montre qu’il n’en est rien, car celui-ci est incontestablement une Relgion authentique radicalement athée !. Et une interprétation du Bouddhisme discursif montre que cette situation n’est nullement « paradoxale ». Pour le comprendre, 1l suffit de constater 1. Ceci est évident pour le Bouddhisme primitif (Hinayana) : un « Bouddha » est un /ommne comme les autres qui, à la suite de nombreuses vies antérieures conformes aux « Morales » respectives (Karman), peut appliquer une « Discipline intérieure » (Vinaya) (que le Bouddha Gautama a pour la première fois promulgué et appliqué dans le Monde actuel) qui lui assure l’anéantissement total (Nirvana) après sa mort (naturelle). Mais c’est vrai aussi pour le Mahayana, qui ne diffère (du point de vue « dogmatique ») de Ilinayana que parce qu’il introduit la notion de « Boddhisattva ». Or, le Boddhisattva est lui aussi un homme comme les autres; seulement, par amour pour ses « prochains » ou, si l’on veut, par « charité », il renonce à l’anéantissement post-mortuaire dont il est « digne » et renaît comme Boddhisattva, l’ « amour agissant » étant une Action (Karman) et donc cause de vie nouvelle. Le Boddhisattva fait vœu de ne s’anéantir qu’en dernier, lorsque tous seront anéantis; mais alors il s’anéantira « comme
tout le monde
». Qu’il ait (à cause de son Action
« moralement
» méritoire),
dans sa vie de Boddhisattva, une Sagesse et une Puissance que les théistes n’attribuent habituellement qu’à leurs Dieux, ne change rien à l’affaire. Le Boddhisattva, comme le Bouddha,
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est un homme au sens propre et fort du terme, et non un « Dieu ».
que le Bouddhiste religieux (comme, en général, tout Religieux athée) part d’un Axiome diamétralement opposé à celui dont part le Judéo-chrétien religieux (comme tout Religieux théiste en srénéral). Pour le Bouddhiste la vie naturelle est éternelle (ou, du
moins, co-éternelle au Temps); il suffit de faire n’importe quoi
(l’agir en fonction du Désir; Karman) pour re-naître et donc vivre indéfiniment; c’est au contraire pour s’anéantir (Nirvana) après la mort naturelle qu’il faut faire quelque chose de spécial, savoir (connaître le « Dogme » [Dharma] et) appliquer la « Discipline » (Vinaya), qui consiste d’ailleurs à ne rzen faire ou à faire « le rien » (cf. le Wel wu-weï des Taoïstes : « faire le non-faire »), c’est-à-dire à supprimer le « Désir (Ràga) qui mène nécessairement à l’Action (Karman) déterminant (même s1 elle vst « morale ») une vie future. Or, en tant que Religieux, le
Bouddhiste admet l’impossibilité de la Satisfaction dans et par la
vie « mondaine ». La « Satisfaction » religieuse ou le « Salut » ne peut donc consister pour lui que dans l’Anéantissement (puisque, même s’il renaît, ce qui est possible si on applique tune certaine « morale », comme Brahma ou Dieu suprême, l vit une vie « mondaine » et n’obtient donc pas la Satisfaction religieuse qui est pour lui la seule valeur véritable. [Ce qui est vraiment remarquable, c’est que le Bouddha déconseille la « morale » suprême qui « divinise » l’'homme parce que, devenu llicu, c’est-à-dire parfaitement heureux ou « béat », 1l ne peut plus se rendre compte du caractère indigne de cette « béati-
tude », de sorte que l’idée même de la véritable Satisfaction
( -- bonheur dont on est digne) lui devient à jamais inaccessible, e sorte qu’il est condamné à une vie éternelle (ou co-éternelle au Temps).] Bien entendu, la Satisfaction n’est « vécue » que u vivant du Bouddha, c’est-à-dire du Bouddhiste « accompli », ct elle n’est, en dernière analyse, rien d’autre que la Fo: au sens d’une certitude subjective de l’espérance de mourir un jour (proche pour le Bouddha et volontairement lointain, voire indéfini, pour le Boddhisattva) définitivement et pour de bon. L’Au-delà e la Religion bouddhiste étant ainsi Néant, on ne peut pas ne pas dire d’elle qu’elle est athée, si l’on ne veut pas appeler « ’Théisme » la négation de toute espèce d’existence d’un Dieu transmondain quel qu’il soit.
Au fond, le Bouddhiste (religieux ou non) est donc athée
parce qu’il prend au sérieux l’homogénéité ou cité absolues de l’Être en tant que différent du Bouddhiste areligieux constate que cet Être (et ést d’une façon quelconque) est nécessairement
l’unité et l’un:i(seul) Néant. Le donc tout ce qui spatio-temporel
ou Devenir (Samsara) sans s’en émouvoir. Le Bouddhiste relz-
gieux s’en émeut jusqu’à l’épouvante et s’impose, pour éviter 47
cet « affolement » une « Discipline » sévère. En dernière analyse, il préfère l’Identité absolue et immuable du Néant à la Différence ou Négation du Devenir quel qu’il soit : peut-être parce
que, en fait, la Différence, qui est Négation dans l’Être de la
Spatio-temporalité et le Négatif dans la Réalité-objective de l’Espace-'l'emps, se « révèle » ou « apparaît » à l’Homme dans l’Existence-empirique de la durée-étendue comme étant, entre autres, sa propre Négativité qu’il appelle par ailleurs Liberté ou Action créatrice ou, parfois, Crime et Péché.
Quant aux T'héistes de tous genres, ils sont tous, en dernière analyse, « dualistes » ou « manichéens » en ce sens que, tout en
admettant (implicitement ou explicitement) qu’il y a quelque chose de commun à tout ce dont on parle, à savoir l’Être, ils s’empressent d’introduire dans cet Être une Opposition-irréductible qui, s’ils sont areligieux, ne les « affole » pas, mais les incite
à l’Action (de la Lutte et du Travail) et au discours efficace et
parfois à la description discursive appelée Cosmo-logie, mais qui, s’ils sont religieux, leur procure la possibilité de parler (et de se contre-dire) d’un Au-delà qui n’est que dans la mesure où l’Ici-bas (dont on parle également) n’est pas, avec tout ce qu’il implique, y compris le Devenir et l’Action. Ainsi, si le Bouddhiste athée religieux fuit l’Action en elle-même, le Judéo-chrétien théiste esquive seulement la responsabilité et l’effort de l’Action efficace. Car si l’Ici-bas (spatio-temporel) est seulement « phénoménal », c’est-à-dire, au fond, l’ « illusion subjective » dont parle
le Théisme
« idéaliste » (que les théistes idéalistes
hindous
appelaient Maya) qui cache la Réalité-objective bien plus qu’elle ne la « révèle », et si la Réalité-objective ne se trouve qu’au-delà de la Spatio-temporalité, c’est-à-dire si, pour parler le langage courant du 'Théisme religieux, le Monde spatio-temporel où l’on vit et agit (et comment pourrait-on agir là où il n’y a ni temps ni espace ? !) est « vain » et « vaniteux », l’Action (qui n’a un sens et une valeur que là où 1l y a espace et temps) est peutêtre possible et peut à la rigueur contribuer à tisser ou créer le « voile de l’illusion », mais elle ne saurait jamais être efficace au regard de la Réalité-objective qui est irréductiblement-opposée à la Spatio-temporalité quelle qu’elle soit. En interprétant ainsi le Bouddhisme religieux athée par opposition à la Religion théiste, on voit qu’il présente de multiples avantages du point de vue du Bon-sens et donc de la Philosophie, voire de la Sagesse. Premièrement, il suffit de convaincre un Bouddhiste religieux qu’il s’anéantira fatalement après sa mort quelle que soit sa vie pour qu’il cesse d’être un « Religieux » (en supposant qu’il veuille être et rester conséquent avec lui-même ce qui, il faut l’avouer, est rare chez les Religieux, 48
ui ne sont pas à une contradiction près dans la plupart des cas) tout en pouvant rester Bouddhiste : car 1l saura alors qu’il
st « Bouddha » (comme tout le monde, d’ailleurs) sans avoir eu besoin de se soumettre préalablement à la « Discipline » reli-
srieuse bouddhiste, ni à aucune autre, d’ailleurs. [Ce qui signifie «que, s’il reste religieux, c’est-à-dire s’il continue
fait par ct donc nant la « Salut
à n’être satis-
aucun « plaisir mondain », il pourra faire n’importe quoi dire que tout /uw est « permis », un crime grave entraîpeine de mort ne pouvant, à ses yeux, qu’accélérer son » : seul un Religieux authentique peut se croire « tout
permis » s’il ne croit plus en Dieu ou, ce qui est la même chose,
se reconnaît comme réellement mortel]|. Deuxièmement, si la Discipline religieuse consiste dans la suppression de toute Action, cÎle peut et doit même s’effectuer en silence (puisque le Discours, en dernière analyse, naît de l’Action ou l’engendre), Gautama étant effectivement devenu Bouddha par la seule Méditation solitaire et silencieuse : le Bouddhiste religieux (conséquent
avec lui-même) peut donc et doit se faire sans rien faire, ce qui
est toujours possible puisque ça ne gêne personne [sauf le médecin qui doit s’occuper d’un tel « malade » en train, par définition, de mourir de faim, puisque consciemment vouloir manger et manger volontairement est une Action ou Karman incompatible avec le quiétisme absolu que la Religion prescrit au Bouddhiste conséquent avec lui-même (à moins que celui-ci soit suffisamment astucieux pour dire que vouloir ne pas manger est une Action plus authentique, parce que plus « négatrice », que vouloir manger)]. Troisiètmement, si le Bouddhiste, même Religieux, est Philosophe (et 1l peut l’être, car la Religion n’est incompatible qu’avec la Sagesse), il pourra parler avec l’intention de dire wrai sans être obligé de se contredire (ce qui est contraire à cette intention même). Car l’Athéisme n’oblige pas
à la contra-diction, puisqu’il affirme l’homogénéité absolue et
dernière de l’Etre (spatio-temporel) et donc de tout ce qui est, sans être obligé de nier immédiatement que la Réalité-Objection ou l’Opposition-irréductible (qui, pour lui, se situe à l’intérieur de l’Etre ou de la Spatio-temporalité qui est) implique une Inter-action entre deux Termes qui sont nécessairement tous les deux d’une seule et même manière, ce que doit nier un T'héiste quel qu’il soit, pour qui l’Au-delà (non spatio-temporel) objectivement-réel ou irréductiblement-opposé à l’Ici-bas (spatiotemporel) « phénoménal » est « tout autrement » qu’est l’existenceempirique de ce dernier (tandis que pour l’Athée l’Existenceempirique « phénoménale » n’est rien d’autre que l’existence « révélée » de l’Être en tant que tel, un et unique). En tant qu’homme de Bon-sens et Philosophe authentique 49
(bien que niant la possibilité de la Sagesse, vu qu’il n’admettait pas, en tant qu’homme religieux, la Satisfaction obtenue par la seule prise de conscience de soi en tant que vivant et agissant dans le Monde « phénoménal »), Kant aurait donc certainement été Bouddhiste (religieux)... s’il eût vécu en Asie bouddhiste. Mais il a été religieux dans un monde exclusivement judéochrétien. Et c’est là la seule « explication » (ou « justification ») admissible ou « plausible » de son Théisme. Sans doute, l’Anthropologie judéo-chrétienne (chère à Kant et vraie, puisque développable et développée sans contra-diction au sens du Discours circulaire) s’accommode parfaitement avec
l’Athéisme,
puisqu’elle
coïncide,
dans
l’essentiel,
avec
l’Anthropologie bouddhiste ou taoïste athée. Et nous verrons même que le Discours qui implique cette Anthropologie ne peut être non contra-dictoire que s il est athée dans son ensemble (en identifiant l’Être à la Spatio-temporalité) [de même que seul le Discours athée peut être circulaire, c’est-à-dire vraiment vrai ou dé-montré en tant que tel par lui-même]. Mais, en fait (et ce fait peut probablement se « comprendre »), l’Anthropologie judéo-chrétienne proprement dite, qui est la seule que Kant connaissait, était impliquée dans une Mythologie théiste. Et ce serait vraiment être injuste envers Kant que de lui reprocher de ne pas avoir vu qu’on peut développer une Philosophie athée même en constatant qu’on est soi-même religieux (et ceci en restant conséquent avec soi-même, c’est-à-dire en restant religieux tout en étant Philosophe [qui, dans ce cas, doit seulement « aimer » et « chercher » la Sagesse sans nul espoir de l’obtenir]). S’il l’avait vu, il aurait presque certainement énoncé lui-même, du moins « en théorie », le Système du Savoir hégélien (tout en le rejetant pour des motifs « religieux », puisque ce Système implique nécessairement l’idée de la Sagesse, étant lui-même le Savoir du Sage). Mais il ne faut quand même pas oublier que l’homme qui l’a énoncé (et admis) effectivement était (comme Aristote) profondément areligieux. itant non seulement religieux, mais encore Philosophe, Kant ne pouvait ni se cantonner dans le Silence (religieux ou « mystique »), ni se contenter de l’ « incohérence » de la Mythologie judéo-chrétienne, qui était d’ailleurs celle de la Religion dans laquelle 1l était né (bien que cette « incohérence » camouflait si bien la contra-diction du 'Fhéisme, qu’il fallait la clairvoyance d’un Kant pour s’en apercevoir). En tant que Philosophe, 1l aspirait à la Vérité discursive et c’est ainsi qu’il élabora un S'ystème de Philosophie à la fois théiste et judéo-chrétien dans son Anthropologie.
Or, en l’élaborant, il retrouva Platon,
pas ne pas retrouver dans cette hypothèse, 50
qu’il ne pouvait
et qu’il ne devait
même pas retrouver puisqu'’il le sous le nom d’Aristote et en tout dlite chrétienne, « scolastique » ou ou « philosophique », telle que celle ou d’un Leibniz.
connatssait, ne serait-ce que cas dans et par la Théologie « moderne », voire « laïque » d’un Descartes, d’un Spinoza
Tout ceci montre, certes, l’extraordinaire puissance qu’exerce la « tradition » historique même sur un « révolutionnaire » de l’envergure d’un Kant. Mais ça montre également que la Contra-diction, non seulement implicite (c’est-à-dire inconsciente) ou (plus ou moins consciente) « camouflée » (par l cincohérence » d’un Mythe, platonicien ou autre), mais même explicite et expresse, inquiète fort peu les hommes (surtout lorsqu’ils sont « érotiques » ou « religieux », voire « mathématiclens » ou « artistes », c’est-à-dire, au fond, voués au Silence qui
est seul à pouvoir sinon les « satisfaire », du moins leur assurer le « bonheur » ou la « joie de vivre »). Même le Philosophe ne fait pas exception (car qui a été plus Philosophe que Kant ?!), parce que seul le Sage n’a plus de raison d’être s’il se contre-dit. Seuls ceux qui parlent le Langage de la Réussite ou veulent exprimer verbalement la Reconnaissance (peu importe qu’elle soit Flattcrie, Mépris ou Estime mutuelle), doivent éviter la contradiction s’ils ne veulent pas « rater leur effet ». Mais ces gens ne nous intéressent pas ici puisqu’ils ne discutent pas de la Vraisemblance de ce qu’ils disent, vu qu’ils ne parlent pas avec l’intention de dire vrai. Quoi qu’il en soit, Kant se crut obligé d’accepter le Théisme (qui, sous sa forme discursive, est nécessairement platonicien ou du moins platonisant, c’est-à-dire grec, antique ou « païen ») tout en voulant maintenir l’Anthropologie judéo-chrétienne (qui, en fait, contre-dit tout Théisme quel qu’il soit). C’est pourquoi il doit être considéré comme un Philosophe essentiellement et spécifiquement chrétien, car le Christianisme (depuis saint Paul) n’est rien d’autre que la tentative de concilier l’inconciliable (d’après le même saint Paul : « folie pour les Grecs »), à savoir l’Anthropologie (« morale ») judaïque de la Lzherté (de la Négativité) [implicitement athée] et le Théisme discursif (de l’Identité) d’origine grecque ou « païenne » [qui exclut, en fait, la Liberté de l’Homme, et qui est donc toujours contra-dictoire, puisque seule la notion de cette Liberté peut être développée discursivement de façon à rendre compte (dans et par un Discours circulaire) du Discours qu’est ce développement luimême]. On peut dire cependant que Kant a été plus Philosophe que SI
tous ses prédécesseurs théistes (et donc plus proche qu’eux de la Sagesse [qui, pour nous, ne peut être qu’hégélienne]) parce qu’il n’a pas voulu admettre (comme le fit même Platon) une contradiction immanente à son Système au même titre que ses autres
éléments-constitutifs. En effet, le développement discursif pro-
prement dit (c’est-à-dire censé être vraiment vrai) du Système kantien n’est pas contra-dictoire [la seule « contra-diction » apparente résidant dans l’affirmation de la vérité d’un Système ouvert ; mais ce n’est qu’une apparence de contra-diction, puisque, en soi et pour nous, comme déjà pour Hegel, ce Système était déjà fermé ou se fermait lui-même dès qu’on en éliminait
la notion « théiste » de la Chose-en-soi], bien qu’il semble être
« ouvert ». Le Théisme (à base religieuse) n’y apparaît discursivement que dans le mode du Comme-si, et ce qui est presente «comme si » c’était vrai ne peut pas contre-dire ce qui se présente comme vrai au sens propre et fort du terme (bien que Kant luimême pense que son Système ne peut se fermer, et donc être dé-montré comme vrai, que par l’élément-constitutif développé discursivement dans le mode du Comme-si).
Par conséquent, le Système de Kant présente le maximum
de Philosophie compatible avec la Religion chrétienne (réduite à sa plus simple expression, d’ailleurs, c’est-à-dire à l’affirmation de la Liberté de l’'Homme et de l’impossibilité pour lui
d’atteindre la Satisfaction sur terre). Et c’est pourquoi on doit dire que Kant est le Philosophe chrétien par excellence *.
1. Si le cas du Bouddhisme montre qu’une Religion authentique peut être rigoureusement athée, l’exemple du « jeune » Aristote platonisant prouve qu’on peut énoncer comme vraie (ou vrai-semblable) une Philosophie incontestablement théiste sans être pour le moins du monde religieux. L’ « indépendance » mutuelle des notions « Religion » et « Théisme » me semble donc être suffisamment établie. Mais on peut, à première vue, opposer à mon développement discursif de ces deux notions l’exemple/ le cas du Judaïsme pré-prophétique, qu’on croit avoir produit une Mythologie théiste qui nie l’immortalité et qui est censée être religieuse tout en admettant la possibilité d’une Satisfaction dans l’Ici-bas. J’avoue, cependant, que cette objection, à première vue plausible, ne me paraît pas être convainquante. En effet, le Judaïsme en question (antérieur au « miracle grec ») reflète une mentalité magico-mythologique ou « primitive » qu’il faut comparer non au Christianisme ou à l’Islam (qui en découlent et qui sont postérieurs au « miracle grec »), mais à d’autres « Mythologies magiques » qu’on trouve par exemple dans le Veda et chez divers « Primitifs ». C’est dire que ce « Judaïsme » est à la fois l’ « origine » de la Magie et de la Science, de la Religion et de l’Art, de la Philosophie et de la « Politique ». La Bible est tout autant une « histoire sainte » qu’une « histoire naturelle » et une «histoire » tout court : on peut donc y trouver tout ce qu’on veut ct il est impossible de l’opposer en bloc à une théorie quelconque de la Religion et du "l'héisme. [Chose curieuse, le texte actuel implique même un écrit (tardif et hellénistique, il est vrai) visiblement athée et areligieux, attribué (par dérision, voudrait-on dire) au roi Salomon, qui a construit le Temple, centre unique du Théisme religieux judaïque]. En ce qui concerne le Théisme du Judaïsme « primitif », il ne faut pas oublier que ce qui deviendra plus tard l’ « Ame immortelle » n’y est encore que le « Mana ». Or, si le Mana dans l’'Homme est « T'out-autre-chose » par rapport à l’existence empirique (même de l’homme), il est incontestablement l’homologue et l’analogue du Mana divin. Ainsi, à mesure que le Mana divin se « définissait » (probablement en fonction du « miracle grec ») en Théos « éternel » ou transmondain
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tau sens de non-spatio-temporel) (ce que n’était certainement pas le Iahvé « primitif »), l« Mana humain se définissait en « Ame immortelle » au sens de non spatio-temporelle (n'identifiant ainsi plus ou moins à la Psyché platonicienne, éternellement identique à clle-même). D'ailleurs, même Abraham, authentiquement théiste [et religieux], se préoccupait énormément de sa sépulture, ce qui est difficilement concevable chez un homme qui ne verrait dans son corps mort qu’un cadavre en décomposition sans uul rapport avec l’ « Immortel » ou une « Survie » même temporelle. En bref, je ne pense pas que les Juifs « primitifs » qui ont imaginé leur Mythologie théiste l’aient a.socice dans leur esprit à une Mythologie anthropologique « matérialiste ». Quoi qu’il vn soit, le développement ultérieur de leur Mythologie théiste a partout et toujours umpliqué le Mythe d’une « Survie » quelconque d’une certaine « Ame » humaine, ce «ui dé-montre qu’il devait en être nécessairement ainsi, d’autant plus qu’on ne connaît pris de Mythologie à « Ame » immortelle sans un « Dieu » quelconque. Si l’on n’admet piis que le « Divin » au sens de « T'out-autre-chose » existe empiriquement, un Philosophe hégélien doit bien admettre que le Sens (même s’il est contra-dictoire) du mot « I)ieu » doit être tiré de la Perception « naturelle ». Or, je ne vois pas ce qu’on peut v trouver à cette fin, sinon le « phénomène » de la Mort. La Mort étant effectivement « tout-autre-chose » que la Vie, il suffit de prolonger (« par extrapolation » discursive) la Vie après la Mort en tenant compte de celle-ci, pour avoir la Notion (contradictoire, c’est-à-dire de type « Cercle-carré ») de la « Survie » et donc du « Monde lutur », c’est-à-dire de « Dieu ». Quant à la Religion judaïque « primitive », il faut se parder de voir un « Religieux » dans tout « Primitif » et croire que toute Mythologie est toujours « religieuse ». Les ethnographes modernes sont revenus de cette erreur et trouvent dans la société « primitive », tout comme dans la nôtre, des Religieux et des llommes d’État, des Savants et des Artistes, voire des Théologiens et des Philosophes (bien que ces types soient beaucoup moins nettement séparés les uns des autres ou « définis » et « définissables » discursivement que dans les sociétés qui ont bénéficié du « miracle grec »). Certes, certains auteurs de textes bibliques « primitifs » admettaient la Satisfaction dans l’Ici-bas et ne connaissaient qu’elle. Mais étaient-ils rel:yieux? On a tout aussi peu de raisons de le supposer que de croire à la religiosité d’un conquérant islamique, qui tire sa satisfaction de ses actions guerrières et ne voit dans l’Au-delà que le prolongement du bonheur « mondain » dont il se croit être digne de par ces actions mêmes. Inversement, rien ne prouve que, dès l’origine, il y a eu des Juifs religieux qui n’admettaient pas la possibilité de se satisfaire dans et par une vie purement et exclusivement « mondaine ». Il y en a certainement eu aux temps des l’rophètes. Or, ces Prophètes (contrairement à ce qu’ils prétendent) ne sont certainement pas « tombés du ciel » et devaient avoir des « précurseurs » [encore que certains « Prophètes » juifs sont moins des Religieux que des Hommes d’État]. D’ailleurs, la «'Terre promise » de la Bible a bien plus la valeur d’un Au-delà, voire d’un « Paradis », «qui est«tout-autre-chose »même s’il est«terrestre», que celle d’une région géographique cu monde « naturel ». Et, après tout, la « Discipline » religieuse judaïque n’a tout de imême pas pour seule et unique préoccupation de procurer des plaisirs dans la vie ce tous les jours. En bref, le Religieux judaïque primitif me semble avoir été tout aussi inapte à se satisfaire de la vie « mondaine » quelle qu’elle soit que n’importe quel Religieux authentique de partout et de toujours, de sorte qu’on peut dire qu’il est nécessaire qu’il en soit ainsi. D’ailleurs, même dans un phénomène aussi évolué que la « Religion chrétienne », des éléments authentiquement religieux s’accommodent, tant bien que mal, d’éléments incontestablement « laïques » (bien que théistes), présentés sous le vocable « Morale ». Certes, saint Paul a vu et dit que la Loi dite « morale » du Judaïsme 1 été promulguée (par Dieu) pour que l’Homme puisse ne pas l’appliquer, en devenant ainsi Pécheur et en rendant donc possible (sinon « nécessaire ») la Rédemption et l’Incarnation. Ce n’est donc visiblement pas en agissant (conformément à la « Morale ») dans l’Ici-bas que le Chrétien ( « Paulinien ») peut être satisfait, c’est-à-dire heureux (ou « bienheureux ») en se sachant être digne de l’être. Et saint Paul, comme plus tard Kant, savait déjà ( « grécisé » qu’il était) que la Satisfaction était non pas un Savoir d’un Sage qui le possédait en fait dès son vivant, mais une simple Espérance qui, lorsqu’elle avait une Certitude (subjective), était une Foi « inébranlable », à savoir la Foi chrétienne en un Dieu (« incarné ») qui assurait (tout comme le IDieu de Kant) la « félicité » des « justes » Quant à ces « justes », ils n’étaient nullement « justifiés » par leurs ÆActes, même conformes (par impossible!, lirait saint Paul) à la Loi « morale ». Ils sont justifiés par leur seule Foi (sola fide), c’est-à-dire précisément par la conviction « inébranlable » qu’on ne peut pas être satisfait dans l’Ici-bas, quoi qu’on y fasse. Seulement, en Homme d’État qu’il était aussi, saint Paul n’a ni pu, ni voulu rester conséquent avec lui-même (en nous montrant
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Voyons maintenant comment le Théisme (à base religieuse)
de Kant détermine la structure et donc le contenu (ou, si l’on veut, car c’est la même chose : le contenu et donc la structure) du Système philosophique kantien. Dans la deuxième Subdivision du « Canon » Kant dit ceci : Tout l’Intérêt de ma Raison (tant l’Intérêt spéculatif que l’Intérêt pratique) s’intègre se/réunit (vereinigt sich) dans les trois questions suivantes : Que puis-je savoir ? Que dois-je faire? Que m'’est-il permis d’espérer ? (Ibid. ; 11I, 522, 30-34.)
Étant donné que tout l’« Intérêt » de la « Raison » est condensé
dans ces trois questions, il est évident que la réponse à ces questions englobe fout ce qu’on peut dire de « sensé » : cette triple réponse n’est donc rien d’autre que le Discours uni-total c’est-àdire l’ensemble de ce qu’on peut dire (ou exprimer avec des mots ayant un sens) avec l’intention de dire vra: et donc sans vouloir se contre-dire ; en d'autres termes, la réponse aux trois questions « dernières » ou « primordiales » est le S'ystème du Savoir
(ou tout au moins de la Philosophie, puisque, d’après Kant, ce
ainsi, en s’en rendant lui-même compte, qu’il n’était pas un Philosophe), et le Christianisme qu’il fonda le suivit sur cette voie de l’inconséquence dans la mesure où il fut et est resté un phénomène social ou politique. En effet, saint Paul a déclaré que la Foi qu’il avait en vue était « morte sans les Actes » et ceci lui a permis de maintenir (en l’adaptant aux « circonstances » du monde romain) la « Morale » judaïque dans la mesure où celle-ci pouvait contribuer à fonder et à maintenir un État (= Église). Si la « Morale » chrétienne ou paulinienne était une « morale » au sens propre du mot, c’est-à-dire une règle de conduite assurant (du moins en principe) la satisfaction dans le monde naturel et social, voire historique, donné où elle était « orthodoxe », c’est-àdire où elle pouvait s’appliquer sans devoir trans-former radicalement ce monde, elle ne serait pas religieuse du tout. Mais les Chrétiens ne sont jamais allés aussi loin que de le dire. Leur « morale » est restée religieuse en ce sens qu’elle n’était censée rendre possible (mais non assurer) la Satisfaction (dans l’Au-delà) que si elle était accompagnée de la Fo: (qui, précisément, présuppose la non-efficacité de toute Morale menant à la seule Action dans l’Ici-bas). Le caractère hydride, mi-religieux mi-laïque, de cette « Morale » chrétienne se manifeste dans et par la notion de « Charité » : le Chrétien est « justifié » non pas parce qu'’il fait ceci ou cela, mais uniquement parce qu’il fait (à peu près n’importe quoi) « par Charité » ou « par Amour », qui est, dans une certaine mesure (d’ailleurs très faible), un « amour » du « prochain » (qui n’est, d’ailleurs, « proche » et « frère » que par et dans la « communion en le Christ »), mais qui, en dernière analyse, est l’amour de « Dieu », de sorte que toute action chrétienne n’est « justifiée » et « justifiante » que dans la mesure où elle est faite « au nom de Dieu » et « à la gloire de Dieu », et non de celui qui l’exécute (le développement discursif de cette notion aboutissant à la négation de la possibilité même, pour l’homme, d’agir au sens propre et fort du terme, ce qui supprime, bien entendu, la Liberté et donc toute l’Anthropologie judéo-chrétienne). Et c’est pourquoi le Christianisme n’a pas pu créer un État proprement dit, mais seulement une Église, qui aurait disparu depuis longtemps en tant que phénomène social ou politique, voire historique (et non « privé ») si elle ne bénéficiait pas (même de nos jours) de l’appui du « bras séculier » qui agit pour de bon et, au fond, en contradiction avec la soi-disant « Morale » chrétienne. La même inconséquence se retrouve dans le Bouddhisme dans la mesure où il est une Église. Mais, dans son développement purement discursif, il a été le seul à rendre compte de l’opposition irréductible entre toute Morale de l’Action en vue de la Satisfaction dans l’Ici-bas et n’importe quelle « Discipline » religieuse en vue du « Salut » dans l’Au-delà.
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“système ne se ferme pas et, n’étant pas vraiment circulaire mais
seulement « bouclé » dans le mode du Comme-si, n’est pas la l'érité [discursive]
au sens propre
et fort du
maccessible à l’'Homme, du moins de son vivant).
mot,
à jamais
A première vue, ce Système implique plus qu’il n’est nécessaire, car la deuxième question semble inciter au Lanpge de la Réussite/Discours efficace et non à la Discussion/au liscours théorique de la Vrai-semblance en vue de la Vérité (discursive). En fait, cependant, le Système de Kant n’implique rien de tel. la deuxième question ne signifie pas : Que dois-je faire pour réussir (dans un Monde, naturel ou historique, donné ou en vue cle le trans-former par mon Action même [de lutte ou de Travail]) ? l‘lle signifie : Comment dois-je agir dans le Monde où je vis pour pouvoir parler de cette mienne Action, c’est-à-dire de moi-même cn tant qu’agissant [librement], avec l’intention de dire vrai ct sans devoir me contre-dire lorsque je parlerai, avec la même intention, de ce Monde lui-même et de moi en tant qu’en parlant [dans le mode de la Vérité] ? En d’autres termes, la réponse à cette deuxième Question est l’Anthropologie philosophique [chez Kant, judéo-chrétienne], c’est-à-dire, dans notre terminologie, la Phénoméno-logie anthropo-graphique, que Kant appelle lui-même « Métaphysique des Mœurs » (Metaphysique der Sitten ) et identifie à ce qu’il appelle la « Morale ». Quant à la première Question, elle peut être précisée de façon i signifier ceci : Que puis-je dire de vrai du Monde où je vis ct dont je parle, et qui comprend par conséquent, entre autres, inon discours et moi-même en tant que parlant en vue de dire la vérité sur le Monde où je parle, mais qui lui-même ne parle pas ? Autrement dit, la réponse à cette première Question réunit l’ensemble de ce que nous avons appelé « Onto-logie », « Cosmologie » et la partie non anthropo-graphique de la Phénoménologie (ou devrait réunir, car nous verrons que Kant en exclut la Phénoméno-logie bio-graphique, qu’il implique, par suite ’un raisonnement fort curieux mais parfaitement compréhen-
sible en ce sens qu’il se « déduit » de l’ensemble de son Système,
lans sa réponse à la troisième Question). La réponse à la troisième Question, qui est une réponse « dernière », ne devrait pas faire, à proprement parler, partie du
Système du Savoir (hégélien). Car ce Système y permet, dans et par son ensemble (fermé ou circulaire), à celui qui le conçoit ou le comprend, de donner la réponse suivante à la troisième Question kantienne : Il n’y a aucun Espoir, pour moi ni pour personne, en ce qui concerne l’Au-delà, puisque je suis un être vivant et donc mortel, c’est-à-dire limité à mon existence-
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empirique dans la durée-étendue; mais, dans la mesure où le Discours que j'émets/je prononce ou assimile/comprends se ferme sur lui-même, je sais (dans le mode de la Vérité discursive) que je puis (étant libre) agir de façon à pouvoir être pleinement satisfait par la seule prise parfaite de conscience de moi-même en tant qu’agissant de la sorte dans le Monde où je vis et où fous « reconnaissent » ma valeur « personnelle » en fonction
de cette mienne action (libre) consciente d’elle-même. Ainsi,
la troisième Question porte non pas tant sur le Système lui-même que sur l’attitude existentielle que le Sage prend vis-à-vis de lui et en fonction de lui, et la Réponse à cette troisième question est précisément l’ensemble du Système du Savoir du Sage. Mais nous avons vu que telle n’est pas la situation chez Kant, qui se sait et veut être Philosophe et non Sage (car affirmant que la Sagesse est impossible, du moins du vivant de l’Homme). sa Réponse « dernière » à cette « dernière » Question (qui est, du point de vue « existentiel », la Question « première » ou la Question tout court) est, comme nous avons vu, celle-ci : D'après ce que je peux savoir (dans le mode discursif de la Vérité), j'ai le droit d’espérer qu’en faisant ce que je dois faire je jouirai (éternellement) du bonheur dont je suis digne (à mes propres yeux et à eux seulement) dans un « Monde futur » (qui a une réalité-objective tout en étant non spatio-temporel, c’est-àdire « transcendant » par rapport à la Spatio-temporalité qui est ou « divin », soit, pour parler comme Kant lui-même, un « Monde intelligible » qui est une « Chose-en-soi »). En d’autres termes, d’ailleurs kantiens eux aussi, la Réponse à la « dernière » Question est la Foi, que Kant appelle « morale » et qui est, en fait,
la Foi religieuse du Chrétien. Car Kant répond à cette ques-
tion (dans et par l’ensemble de son Système) qu’il est « permis » de dire sans se contre-dire qu’on est subjectivement certain dans l’espérance d’être satisfait après sa mort dans l’Au-delà (à condition de se conformer à la « Morale » qui est, en fait, une « Discipline » religieuse inactive, voire quiétiste, ou inefficace dans l’Ici-bas). Or, d’après saint Paul qui devait s’y connaître, la certitude de l’espérance n’est autre chose que la Foi. Et c’est ainsi que nous pouvons dire que, dans et par son intention (« Intérêt ») « dernière » ou « première », le Système authentiquement kantien cst le Système authentique de la Philosophie chrétienne. Dans cette interprétation, qui est celle que Kant donne luimême dans le « Canon » de la « Méthodologie transcendantale » qui parachève la Critique de la Raïson pure, la Réponse à la
troisième Question est (comme dans le Savoir hégélien) le Système lui-même (c’est-à-dire la Réponse « combinée », c’est-à-dire 56
non contra-dictoire, aux deux premières) et non pas une de ses l’arties intégrantes (qui ne sont donc qu’au nombre de deux). Mais la nature (religieuse) de cette Réponse de Kant est telle qu’il ne pouvait pas l’interpréter comme nous venons de le faire, it la suite de Hegel, sans cesser d’être le Philosophe qu’il voulait
être tout en voulant être et rester Chrétien (religieux). Et c’est pour pouvoir être Philosophe (à base religieuse chrétienne) qu’il conçut (après avoir rédigé la « Méthodologie » en cause) une troisième « Critique » qui est la Réponse philosophique ou discursive (non contra-dictoire) à sa troisième Question (existenticlle) [qui est, en fait et pour nous, ainsi que pour Hegel et déjà pour Schelling, sa Phénoméno-logie bio- graphique].
Saint Paul, qui voulait être Chrétien (religieux) sans vouloir ètre Philosophe, pouvait se contenter de la Réponse qu’il donnait i la troisième Question kantienne, Réponse dont se sont partout ct toujours contentés tous les Chrétiens sans intentions ou velléités philosophiques. Cette Réponse chrétienne et religieuse, mais essentiellement aphilosophique, de saint Paul étant la « révélition » de Jésus-Christ, que lui-même a eu dans et par une Perception sui generis (la « Rencontre sur le chemin de [damas »), mais que la plupart des Chrétiens sont censés admettre ou Croire « sur parole » (en dernière analyse, sur la parole de suint Paul lui-même et de ceux qui ont eu la même « expérience » que lui). Saint Paul a vu Jésus, dont il savait qu’il était mort dans l’ignominie « mondaine », réssuscité pour une we transmoncaine (éternelle) dans la Gloire [et, pour confirmer cette « vision », il recherchait avidement le Cercueil vide et les Témoins « oculaires » de la Résurrection]. Or, cette « vision » lui donnait, comme toute Perception, la « certitude subjective » du « fait » que l’Homme peut vivre Ici-bas de façon à ne pas rendre mpossible sa Satisfaction (ou « béatitude méritée », c'est-à-dire la « vie bienheureuse » dont 1l est « digne » [à ses propres yeux, parce que et uniquement parce qu’il en est « digne » aux yeux de Dieu, qui est seul capable de rendre effectivement « bienheureux » ceux, et ceux seulement, qu’il estime « dignes » de l’être, son « Jugement » pouvant d’ailleurs être « arbitraire » ou « libre », voire « irrationnel », c’est-à-dire non partout et toujours (donc « nécessairement ») le même, en ce sens qu’il peut être fondé non sur la Raison, mais sur l’Amour]). Cette « Vision » assure non pas la Satisfaction effective, mais seulement la possibilité de celle-ci, et c’est pourquoi elle fait naître la seule « certitude de l’espérance », c’est-à-dire la Foz. Mais cette Foi suffit amplement au Religieux qui, par définition, se contente d’une assurance contre le risque 57
du mépris de soi-même. Si Dieu, en devenant Homme et en vivant et mourant comme tel (car c’est une grave « hérésie » que de croire qu’il a vécu et est mort en tant que Dieu), a pu ressusciter ou re-naître en tant que Dieu dans la Gloire (« recon-
nue ») de sa Félicité (« bienheureuse »), l'Homme peut, s’il « imite » l’'Homme-Dieu
de son vivant (cette « Imitation
de
Jésus-Christ » étant l’essence de la « Discipline » religieuse chrétienne), avoir après sa mort une vie qui « imite » la vie de Dieu en ce sens qu’elle sera elle-aussi « éternelle », « glorieuse » et « bienheureuse ». Et la Foi « inébranlable » du Chrétien n’est rien d’autre que la « certitude de l’espérance » de cette vie, sinon « divine », du moins « divinisée ». Mais un Philosophe, et Kant voulait en être un, ne peut pas se
contenter de la « certitude subjective » que donne une « Perception » à l’état brut, c’est-à-dire non verbalisé, même si c’est une Perception suz generis, c’est-à-dire une « expérience sensible » spécifique, dite « mystique ». Un homme/l’Homme ne devient Philosophe que si et parce qu’il veut parler avec l’intention de dire vrai. Or, pour le faire, il doit transformer les Perceptions (la Perception lui « révélant » explicitement [par son « contenu »] l’Existence-empirique qui, en tant que ainsi « révélée », est « Phénomène », et, implicitement [par la Sensation du Tonus et le Sentiment de Bien- ou Mal-être] la Réalité-objective et l’Être-donné) en Notions, en les « détachant » de leurs hic et nunc respectifs (c’est-à-dire en transformant les Essences qu’elles « révèlent » en Sens des Phénomènes qu’on leur assigne [« arbitrairement »]). Or, Kant sait qu’il n’avait pas eu la Perception (sui generis) en cause (que prétend avoir eue saint Paul). Et l’aurait-il eue, il ne voudrait pas, en tant que Phzlosophe, se servir de la Notion [contradictoire de l’Homme (mortel)-Dieu (tmmortel)] qui résulterait de l’incarnation phonématique (« arbitraire ») du Sens que deviendrait l’Essence correspondante du fait de son détachement de son hic et nunc [qui est, en fait et pour nous, à la suite de Hegel, sinon pour Kant lui-même, un Acte de Liberté humaine, ancré dans l’Action anthropogène de la Lutte — Travail]. Car Kant savait parfaitement que cette Notion serait contra-dictoire ct contre-dirait le reste de son Système. Aussi bien Kant a-t-il commencé par dire (dans la Critique de la Raison pure ct même dans la Critique de la Raison pratique) que la « certitude subjective » de l’Espoir venait uniquement et exclusivement de la « certitude subjective » du « Devoir moral » (Pflichbewusstsein). Mais nous avons vu que, chez Kant, 1l n’en était rien, car le Devoir « moral » n’avait de sens, pour lui,
que SI il y avait un « Monde futur », de sorte que ce serait commettre un cercle vicieux (et non « dialectique ») que de vouloir 58
fonder la certitude de l’espérance en un « Monde futur » sur la certitude du sentiment du Devoir - Et Kant finit par s’en apercevoir lui-même. Or, s’en étant aperçu, il a dû chercher autre chose, à moins soit d’abandonner sa Foi (ce qu’il ne pouvait ou ne voulait pas faire, vu sa « nature » religieuse), soit de renoncer à en rendre discursivement compte dans un Système philosophique. Cet « autre chose », Kant croira plus tard l’avoir trouvé dans la Perception du Beau et du Vivant [le Beau (comme le Bien/Bon et le Vrai) étant une « variété » du Sentiment du Bien-être, que
la Perception implique parfois et qui est à la base de l’Onto-logie lorsqu’il « révèle » le Sens d’un Phonème (en engendrant la
Notion de l’Être-donné) et à la base de l’Érotisme (« laïque ») ou de la Mystique (religieuse) (en tant que « Bien silencieusement révélé »), de la Mathématique (« pure ») (en tant que « Vrai (« laïque ») silencieusement révélé ») et de l’Art (y compris celui
de la Poésie) (en tant que « Beau silencieusement révélé »)], qu'’il
transforme en Notion et développe discursivement dans la Critique du jugement, qui donne ainsi la Réponse (discursive)
à sa troisième et dernière Question. En d’autres termes, ce que
la « Christologie » est pour le Chrétien religieux saint Paul, la Critique du Fugement l’est pour le Philosophe religieux chrétien Kant. Pour comprendre ce qui vient d’être dit, 1l faut se rémémorer la structure du Système kantien, telle que Kant l’expose dans la troisième Section (non subdivisée) de sa « Méthodologie », qu'il
intitule « L’Architectonique de la Raison pure ». Ce qu'’il y dit a une telle importance philosophique qu’il est indispensable de le traduire ici-même dans de larges extraits (surtout vu le fait qu’en France tout au moins, on lit de nos jours peu et mal cette partie capitale de la Critique de la Raison pure). Kant y dit d’abord ceci : J’entends par une Architectonique l’art des S'ystèmes. Etant donné que l’unité systématique est ce qui transforme au premier chef (allererst ) la connaissance vulgaire en Science [ou Savoir], c’est-à-dire fait d’un simple agrégat de telles connaissances un Système, l’Architectonique 1. Le « Cercle » (discursif) serait « dialectique » et non « vicieux » si le « Sentiment du Devoir » était vraiment une « donnée immédiate (c’est-à-dire « indéductible ») de la conscience ». Mais, en fait, pour Hegel et pour nous, il n’en est rien. L’expérience « behavioriste » et l’introspection montrent que ce « Sentiment » est partout et toujours (c’est-à-dire « nécessairement ») « médiatisé » par le Monde social ou historique où vit et agit l’homme qui a ce « Sentiment ». Or, de toute évidence, on ne peut pas déduire une Foi en l’Au-deld (non spatio-temporel) de ce « Sentiment » qui est un phénomène essentiellement « mondain » (voire spatio-temporel).
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est la doctrine (Lehre) du Scientifique dans notre Connaissance en tant que telle (überhaupt) et elle appartient donc nécessairement à la Méthodologie. Sous le régime de la Raison, nos Connaissances en tant que telles n’ont pas le droit d’être une Rhapsodie, mais doivent constituer un Système, à l’intérieur duquel seulement elles peuvent appuyer et promouvoir des Fins essentielles de la Raison. Or, je comprends par Système l’unité des Connaissances [vraies et donc non contra-dictoires] multiples [établie] sous [l’emprise d’J une Idée [celle-ci étant donc la Totalité de la Connaissance, soit, dans la mesure où elle est développée discursivement, le Discours uni-total qui est le Système lui-même ou la Vérité (discursive)]. Celle-ci est la notion-rationnelle de la forme d’un Tout [= Totalité], dans la mesure où sont déterminés a priori, par cette notion, tant l’étendue (Umfang) du Multiple [de la Connaissance vraie] que la place réciproque/mutuelle des Parties. La notion-rationnelle scientifique contient donc la Fin et la Forme du Tout, celui-ci étant congruant avec cette Fin. L’unité de la Fin à laquelle se rapportent toutes les Parties, en se rapportant aussi, dans l’Idée [discursive uni-totale] de la Fin, les unes aux autres, fait que chacune des Parties peut être constatée comme manquante [c’est-à-dire le serait si elle manquait effectivement] lorsqu’on a pris connaissance des autres [Parties] et que ne se produit aucune addition fortuite, c’est-àdire aucune grandeur indéterminée de la perfection-complète ( Vollkommenheit) qui n'aurait pas sa limite déterminée a priori. Le Tout est donc articulé (articulatio) et non amassé (coacervatio ) ; il peut certes croître Intérieurement (per intussusceptionem), mais non extérieurement (per appositionem), [ce qui veut dire que ce "T'out ne peut croître que] comme un corps animal, la croissance duquel n’ajoute aucun membre, mais, sans changement de la proportion, rend chaque membre plus fort) et plus efficient (tüchtiger) pour sa Fin. (/bid. ; ITI, 538, 20-539, II
Ce texte est si clair et précis qu’il se passe de commentaire et d’interprétation. Il suffira de souligner à son occasion que le Système kantien, qui est, pour lui, la Vérité discursive, est un Discours uni-total, d’une part, parce qu’il est #n en lui-même et unique en son genre (qui est le genre de la Vérité) et, d’autre part, parce qu’il implique (du moins virtuellement) fout ce qu’on peut dire, sans se contre-dire, avec l’intention de dire vra: : le Système peut se « développer » intérieurement par le développement discursif des notions qu’il zmplique (ce développement de ses
éléments-constitutifs n’étant rien d’autre que le développement
discursif de l’ « Idée » discursive uni-totale qu’il est lui-même et qui est lui-même), mais il n’y a aucun discours proprement dit (c’est-à-dire non-contradictoire en lui-même et émis avec l’intention de dire vrai) en dehors de lui-même qui aurait pu lui être ajouté quelque part dans l’espace à un moment quelconque du
temps.
Mais si l’on veut à tout prix un commentaire du passage cité, on le trouvera un peu plus loin dans le texte de Kant lui-même, qui dit ceci (en émettant une conception toute « hégélienne » 60
e l’Histoire de la Philosophie !) : les Systèmes [philosophiques] 1. Je voudrais signaler à cette occasion, sans malheureusement pouvoir m’y arrêter plus longuement en ce lieu, la quatrième et dernière Section (subdivisée en trois puragraphes, avec une introduction) de la « Méthodologie », intitulée : « L’Histoire ce la Raison pure » (qui n’occupe, d’ailleurs, que deux pages et demi). De l’aveu de lkunt lui-même il ne s’agit que d’un bref aperçu, qui indique seulement la place d’un (éveloppement futur dans le Système complet. Mais ce qui importe pour nous, c’est «que Kant a déjà vu ce que Hegel dira plus tard, à savoir le fait que le Système du tmvoir (discursif) implique nécessairement l’Histoire (l’évolution historique) du l'iscours uni-total (qu’est ce Système), c’est-à-dire (pour Hegel) l’Histoire tout court, «le sorte que le Système du Savoir pourrait aussi être exposé sous la forme de l’Histoire ce la Philosophie) qui amena en fait son avènement. — Par ailleurs, les trop brèves 1cmarques de Kant suffisent néanmoins pour montrer à quel point celui-ci (en dépit e sa grande et notoire ignorance des faits de l’Histoire de la Philosophie) comprenait bien le sens et la portée de l’histoire de la Philosophie qui a précédé la science et clonc la place historique de celle-ci. Pour le faire voir, je me contenterai de traduire l« deuxième paragraphe, qui traite de l’évolution historique de la Philosophie. « En «« qui concerne l’origine des Connaissances-rationnelles pures, [en vue de savoir] si celles-ci sont déduites de l’Expérience [spatio-temporelle] ou si elles ont, indépen«lumment d’elle, leur source [soit-disant non spatio-temporelle] dans la Raison |censée être non spatio-temporelle]. » Kant y dit ceci (ibid. ; III, 551, 15-29) : « Aristote peut être considéré comme le chef des Empiristes, Platon par contre comme celui des Noologistes. Locke, qui, dans les temps plus modernes, a suivi le premier, et Leibniz «rui a suivi ce dernier (bien qu’à une distance suffisante de son Système mystique [au sens de « mythologique »], n’ont eux-mêmes pas encore réussi à apporter une décision «ans cette discussion ( Streite). [On peut dire] tout au moins que, de son côté, Épicure procéda d’une façon beaucoup plus conséquente d’après son Système sensualiste (car, «lans ses conséquences [ou Syllogismes; Schlüssen], il ne dépassa jamais les limites de l'Expérience [spatio-temporelle]) que ne le firent Aristote et Locke (mais surtout ce cernier) qui, après qu’il ait déduit toutes les Notions et tous les Principes de la [ seule] lExpérience, va si loin dans leur utilisation qu’il afirme qu’il serait possible de lémontrer (beweisen) l’existence de Dieu et l’immortalité de l’Ame (bien que ces «eux objets-chosistes sont situés tout à fait Rors des limites de l’Expérience possible) «'une façon [discursive] tout aussi évidente [c’est-à-dire « indiscutable » ou « irréfutable »] que n’importe quel théorème mathématique [que Kant croyait, à tort, faire partie du Discours proprement dit et non du Calcul]. » — Ce court passage montre plusieurs choses importantes. D’abord, Kant oppose nettement et radicalement Aristote à Platon, se rangeant résolument du côté du premier (car il prétend, sans le dire ici, avoir tranché la « Discussion » en faveur de l’Aristotélisme dans et par sa (’ritique de la Raison pure). Ensuite, il reproche à Platon ses « Mythes philosophiques » (où le « Comme-si » est souvent présenté « comme si » il s’agissait d’un Discours proprement dit, c’est-à-dire vrai ou tout au moins vrai-semblable, tandis que Kant lui-même ne tolère jamais une telle confusion, pour ne pas dire un tel « camouflage », «lans son propre Système), et il ressort clairement du contexte que ces « Mythes » platoniciens portent essentiellement sur « Dieu » et l’ « Ame immortelle ». Quant à l'Aristotélisme, c’est en Épicure qu’il voit son représentant le plus conséquent, bien «jue pour les contemporains de Kant, le Système d’Épicure était le type même du Système philosophique athée et bien que Kant lui-même dit, entre parenthèses, qu’Épicure était « conséquent » (c’est-à-dire non contra-dictoire) précisément parce «qu’il ne parlait jamais de ce qui n’est pas spatio-temporel. Enfin, Kant reproche à l’Aristote « historique », qui est pour lui l’Aristote « platonicien », et encore plus (ce «qui démontre une grande perspicacité philosophique chez un homme qui ne connaît au fond Aristote qu’à travers la Scolastique qui ne l’utilisa que dans la mesure où il était théiste, c’est-à-dire platonicien) ses successeurs, qu'’il fait représenter (ce qui est un autre signe de grande perspicacité) par Locke, d’avoir parlé de « Dieu » et de l’ « Immortalité de l’âme » en le faisant (sans le dire et sans s’en apercevoir) comme si cette partie de leur discours était elle aussi vraie au sens propre et fort du terme, bien que leurs propres Systèmes bien compris disaient (du moins implicitement) que de 1cls discours ne pouvaient être faits que dans le mode exprès du Comme-si, c’est-àdire de telle sorte que, sans ambiguîté possible, on puisse s’en servir dans la vie et même dans le Discours comme si ils étaient vrais, sans jamais pouvoir dire qu’ils l’étaient « pour de vrai ».
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semblent « s’être constitués, d’abord sous une forme mutilée,
avec le temps d’une façon complète, comme des animalcules (Gewürme) par une generatio aequivoca à partir d’une simple confluence des notions ramassées [au hasard], bien qu’en réalité ils avaient, tous sans exception, leur schéma, en tant que germe
primordial, dans la Raison qui ne faisait que se développer [elle-même, au sens littéral de « se dérouler »; auswiekelnden] et ils sont, par conséquent, non seulement articulés chacun pour soi conformément à une Idée [uni-totale], mais, en plus, encore téléologiquement (zweckmässig ) réunis tous entre eux, de nouveau comme membres d’un Tout [organique], en un [seul] Système de Connaissance humaine [c’est-à-dire du Savoir discursif vrai], et permettent [ainsi] une Architectonique de tout Savoir humain [c’est-à-dire discursif ou vrai au sens propre du mot] qui, de nos jours, puisque tant de matériel a déjà été rassemblé ou peut être près des ruines d’anciens édifices délabrés, serait
non seulement possible mais encore pas même tellement difficile. » (Ibid, ; III, 540,
12-23.)
Voyons maintenant quelle est la structure du Système philosophique de Kant lui-même, d'après l’ « Architectonique » exposée dans la Critique de la Raison pure (première et deuxième édition). Kant y dit ceci : La législation de la Raison humaine [c’est-à-dire discursive] (Philosophie [en tant que Discours uni-total]) a deux objets : Nature et Liberté, et contient donc tant la Loi naturelle que la Loi morale, d'abord dans deux Systèmes particuliers/spécifiques (besonderen), mais finalement en un seul Système philosophique. La Philosophie de la Nature porte sur tout ce qui est, celle des Mœurs seulement sur ce qui doit être. Or, toute Philosophie est soit Connaissance à partir de la Raison pure, soit Connaissance-rationnelle à partir de Principes empiriques. La première s’appelle Philosophie pure, la seconde empirique. La Philosophie de la Raison pure est soit Propédeutique (Préexercice) qui étudie a priori la faculté de la Raison en vue de toute Connaissance pure et s’appelle Critique [de la Raison pure (théorique) et de la Raison pure pratique], soit, deuxièmement, le S'ystème de la Raison pure (Science ), [c’est-à-dire] toute la Connaissance philosophique (tant vraie qu’llusoire) (scheinbare) à partir de la Raison pure [exposée] dans un contexte systématique et [elle] s’appelle [alors] Métaphysique;. La Métaphysique se divise en celles de l’utilisation speculatzze [c’est-à-dire discursive] et pratique [c’ est—a-d1re active ou agissante (mais dans le Système il ne peut, bien entendu, s’agir que du développement discursif de la notion de l’« usage pratique de la Raison » ou de la « Liberté », voire de la « Morale »)] et elle est par conséquent soit Métapbhysique de la Nature, soit Métaphysique des Mœurs… Or, la Métaphysique de la Raison spéculative est ce qu’on a l’habitude d’appeler Métaphysique au sens plus étroit [du mot];... La Métaphysique appelée ainsi au sens plus étroit [c’est-à-dire la
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Métaphysique de la Nature], consiste en la Philosophie transcendantale «t la Physiologie de la Raison pure. La première ne considère que l'Entendement et la Raison eux-mêmes dans un Système de tous les notions et principes qui se rapportent aux Objets-chosistes en tant que tels (überhaupt), sans admettre (annehmen) des Objets qui seraient donnés [dans et par l’Intuition] (Ontologia) ; la deuxième considère [la] Nature, c’est-à-dire l’ensemble de [tous] les Objets-chosistes donnés (qu’ils soient donnés aux Sens [c’est-à-dire à l’Intuition ou à la Perception spatio-temporelles, dans quel cas ils peuvent donner lieu à un suvoir, c’est-à-dire une connaissance discursive vraie,] ou, si l’on veut [se référer à quelque chose dont on ne peut pas parler du tout ou du moins sans se contre-dire], à un autre type d’Intuition [dite « intellectuelle »} et est ainsi Physiologie (bien que seulement rationalisée). Or, l'utilisation de la Raison dans cette considération rationnelle de la Nature est soit physique, soit hyperphysrque ou, mieux, soit immanente, soit lranscendante. La prem1ere [utilisation de la Rmson] porte sur la Nature dans la mesure où la connaissance de celle-ci peut être appliquée dans l'Iixpérience [spatio-temporelle] (in concreto) ; la deuxième [porte]
sur la conjonction/connexion
(Verknäpfung)
des Objets-chosistes de
l'IExpérience qui transcende (übersteigt) toute Expérience [spatiotemporelle]. La Physiologie transcendante [qui ne peut pas être déve|()ppee discursivement sans se contre-dire et qui est par conséquence la « Connaissance philosophique zllusoire » dont il a été question un peu plus haut,] a par conséquent comme son Objet-chosiste [« illusoire »] tine connexion/conjonction soit interne, soit externe, mais qui dépassent toutes les deux l’Expérience possible [c’est-à-dire la Perception pouvant clonner lieu à des Notions développables discursivement sans contradiction]; la première est la Physiologie de la Nature prise-dans-soncnsemble (gesammte), c’est-à-dire la Connaissance du-Monde transcendantale [au sens de transcendante( ?), que Kant appellera une demipage plus bas : « Cosmologie rationnelle »], la deuxième [est la Physiologie] de la connexion_ (Zusammenhangen) de la Nature pnse-dansson -ensemble avec un Être au-dessus (über) de la Nature, c’est-à-dire la Connaissance-de-Dieu transcendantale [au sens de transcendente ( ?), que Kant appellera à l’endroit précédemment indiqué : « T'héologie rationnelle »]. La Physiologie immanente [discursive et vraie] considère par contre la
Nature comme
l’ensemble
(Inbegriff) de tous les Objets-chosistes des
Sens [c’est-à-dire de la Perception], par conséquent telle qu’elle nous est donnée [voire en tant que « Phénomène »], mais uniquement d’après les conditions a pr10r1 dans lesquelles elle peut nous être donnée en tant que telle [puisqu’ ll s’agit toujours de « Philosophie pure » et non « empirique »]. Or, il n’y a que deux types (Zweierlei) d’Objets-chosistes de vette Nature : 1. Ceux des Sens extérieurs, soit l’ensemble de ceux-ci, la Nature corporellee 2. L'Objet-chosiste du Sens intérieur, l’Ame, et, d’après les principes fondamentaux de celle-ci, la Nature pensante [c’est-à-dire discursive] en tant que telle. La Métaphysique [ou, plus exactement, la Physiologie immanente] de la Nature corporelle s’appelle Physique, mais, puisqu’elle ne doit contenir que les principes de sa connaissance a priori, [il faut l’appeler] Physique rationnelle. La Métaphy31que [c’est-à-dire la Physiologie immanente] de la Nature pensante s’appelle Psychologie et pour la raison qui vient d’être indiquée il ne faut comprendre ici [c’est-à-dire dans la « Ph110soph1e pure »] que la connaissance rationnelle de cette Nature. (Ihbid. ; III, 543, 18-544, 2; 544, 9-11 ;
544, 19-20; 546, 16-547, 1O.)
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Pour faciliter la compréhension de cette longue citation on peut résumer son contenu dans le tableau suivant : Philosophie / I. Critique pure de la Raison pure II. Système de la Philosophie pure
r. Métaphysique
des Mœurs
2 Métaphysique
delà Nature
— ‘}
À. Philosophie Ÿ transcendantale
(onto-logie) B. Physiologie
,
42>
a) Physiologie { &, Physiologie rationnelle immanente B. Psychologie rationnelle b) Physiologie { & Cosmologie (illusoire) transcendante { & Théologie (illusoire)
En interprétant ce tableau, commençons par écarter la « Philosophie empirique ». Il s’agit là, chez et pour Kant, de « Science » au sens courant du mot, c’est-à-dire, pour nous, de l’ensemble des discours (au sens large, mais non contra-dictoires) qui ne tiennent ni ne rendent compte du fait même de l’existence empirique du Discours dans la durée-étendue : c’est 1ci que se place l’ensemble de ce que nous appelons « -graphie » (ou « -métries »).
Notons en passant que Kant exclut de la Philosophie quelle qu’elle soit l’ensemble des Mathématiques (et des Sciences qui ont une base mathématique, telle que la Physique newtonienne, par exemple). Il dit, en effet, très clairement (dans une Note) que la Métaphysique de la Nature se distingue complètement de la Mathématique (7bid. ; III, 547, 30), tout comme de la physica generalis (ibid. ; III, 547, 28-37). C’est que, d’après Kant, toute Connaissance rationnelle est soit celle qui [provient] des Notions, soit [celle qui provient] de la construction des Notions ; la première s’appelle philosophique, la deuxième mathématique (zhid. ; INI, 541, 18-20). Sans pouvoir interpréter ici cette citation (zbid. ; IIT, 468, 26-476, 27), nous dirons seulement que Kant oppose la « Connaissance-rationnelle » (Vernunfterkenntnis) philosophique à l’ « Activité-rationnelle » (Vernunftgeschäfte) mathématique parce que la première est discursive, tandis que la seconde est constructive. Quant à la Critique, 1l est plus que probable qu’à l’époque de la première édition de la Critique de la Raison pure (1781) Kant ne connaissait qu’une seule « Critique » conçue comme une sorte d’Introduction (systématique) au Système. Lors de la deuxième édition (1787) il connaissait probablement déjà la Critique de la Raison pratique (publiée en 1788), bien que le texte, à peine
touché en ce qui concerne la « Méthodologie », de la deuxième
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édition de la première Critique n’en tienne nullement compte. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’en 1788 encore Kant ne connaissait pas la Critique de la Force du Jugement (parue en 1790). Mais nous aurons l’occasion d’en reparler un peu plus bas. Reste à interpréter la structure du S'ystème proprement dit. Ce qui frappe tout d’abord, c’est le dualisme radical et extrême que révèle cette structure. On pourrait dire que la Métaphysique de la Nature et la Métaphysique des mœurs s’y opposent comme un Oui et un Non, et une telle formule ne serait nullement excessive.
lin qui la est
effet, d’après Kant, la Liberté humaine est définie comme s’oppose d'une manière irréductible à la Nature humaine, Nature tout court, c’est-à-dire « l’Expérience possible définie par lui comme ce qui est irréductiblement opposé
ce et », à
la Liberté quelle qu’elle soit, car le caractère spécifique de la
Nature et de l’Expérience qui la révèle consiste dans la Causalité ou Nécessité, absolue et totale. Les deux Parties du Système se vontre-diraient donc nécessairement si elles se recouvraient en portant sur un seul et même objet, ce qui serait le cas si l’Homme était à la fois et au même titre un être naturel et un agent lLbre
ou si l’Action lbre (« Liberté ») devait avoir des effets tangibles lans le Monde naturel (« Nature »). Et Kant s’en rend parfaite-
ment compte, comme cela résulte de nombreux passages de ses écrits, dont on pourrait citer, un peu au hasard, celui-ci (extrait du « Canon ») : La Liberté transcendantale exige une indépendance de cette Raison |pratique, c’est-à-dire de la Volonté libre] (en ce qui concerne sa Causalité [, qui consiste dans le fait] de commencer une série de Phénomènes [sans que ce commencement, par définition spontané, soit déterminé d’une façon quelconque par la série des Phénomènes qui le précède]) de toutes les Causes déterminantes du Monde sensible et [cette l iberté] semble ainsi être opposée (zuwider ) à la Loi de la Nature et par conséquent à toute Expérience possible, et [elle] reste donc un Problème [théorique|. (Ibid. ; IIT, 522, 1-5.)
Sans nul doute, ce « Problème » kantien est l’une des multiples formes du fameux conflit entre « Athènes » et « Jérusalem ». Car
ce « Problème » ne se pose que si l’on conçoit à la fois l'Homme (ou l’humain dans l’Homme) conformément à l’Anthropologie judéo-chrétienne (Ame = Mana = Négativité), qui n'admet pas que l’Homme soit nécessairement, c’est-à-dire partout et toujours identique à lui-même, cette 7dentité avec soi étant son « Essence » ou
sa « Nature » en tout point semblable aux autres êtres naturels, et la Nature (l’Homme « naturel » y compris) conformément à la Cosmologie antique ou païenne (Ame — Essence — Identité) qui ne connaît que la seule Identité, celle-ci exigeant, entre
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autres, sous le nom de Causalité ou de Légalité, que les changements apparents des choses naturelles laissent intact ou éternellement identique leur « fond essentiel ». Le « Problème » kantien se pose donc nécessairement à toute Philosophie vraiment chrétienne. Et il s’est posé, bien entendu à Descartes qui, dans ses Cogitationes privatae, avouait que « la Liberté est un mystère ». Mais ce qui est spécifiquement kantien, c’est que le conflit en question se situe non pas, comme chez Descartes et les autres, entre l’Homme et la Nature, mais à l’intérieur de l’Homme
lui-même. En effet, le passage qui vient d’être cité oppose la Raison pratique, c’est-à-dire la Volonté libre, à l’Ensemble de l’Expérience possible, qui, chez Kant, est en grande partie l’œuvre de la Raison théorique (ou « pure »), qui impose, entre autres, à la Nature (« phénoménale ») la catégorie de la Causalité bien que
celle-ci contre-dise la Liberté (de l’Homme
dans le Monde
« phénoménal »). Le conflit se situe donc bien dans l’Homme et est un conflit ou une opposition irréductible entre sa Raison pratique et sa Raison théorique, voire entre sa Volonté et sa Pensée (discursive). Or, si Descartes distingue entre la Volonté (qui est « infinie ») et la Pensée au sens étroit (qui est « finie »)
en admettant une certaine fension entre les deux (la Volonté pouvant induire la Pensée en erreur, mais pouvant également
refuser les erreurs de la Pensée), il les englobe néanmoins toutes les deux dans la « Pensée » au sens large ; loin de les opposer l’une à l’autre d’une façon irréductible, il les identifie au contraire,
puisque est «Pensée » au sens large tout ce qui est Non-étendue
et puisque la Volonté n’est pas plus « étendue » que ne l’est la Pensée au sens étroit elle-même. Ceci nous permet, d’ailleurs, de déterminer la position du Système kantien par rapport à celui de Descartes. On a souvent dit que, dans le Système de Kant, l’ « Étendue » cartésienne a été absorbée par la « Pensée » (au sens étroit) cartésienne, puisque Jl’ « Intuition » spatio-temporelle est, d’après Kant, l’un des éléments-constitutifs d’une seule et même « Subjectivité », dont l’autre élément est la Pensée rationnelle ou discursive, c’est-à-
dire la « Raison pure » qui « réunit » le « Multiple » (« donné » par
l’ « Intuition ») conformément à ses propres « Catégories ». Mais nous voyons maintenant que c'est l’inverse qui est vrai,. En fait, c’est l’ « Étenduce » cartésienne qui a, chez Kant, absorbé la « Pensée » (au sens étroit). Car non seulement la « Raison pure [théorique] » cest rigoureusement limitée par le cadre spatiotemporel, sans jamais pouvoir le dépasser (comme le pouvait la « Pensée » cartésienne), mais elle s’oppose encore (en tant que constitutive pour l’Expérience ou la Nature) à la « Raison [pure] pratique » (= Volonté) de la même façon dont l’Étendue
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(cn tant que Nature) s’opposait, chez Descartes, à la Pensée au sens large (et notamment à la Volonté libre qui en fait partie). l’our Kant, contrairement à tous ses grands prédécesseurs philosophiques, l’Homme est donc un être naturel au sens « grec » de ce mot (c’est-à-dire un être essentiellement identique à lui-même ou déterminé d’une façon univoque et permanente par la « nature » qui est la « sienne » du fait de lui être « innée » ou « co-éternelle » l sa propre durée) non pas seulement en tant qu’Animal ou « Corps », mais encore en tant que Pensée (discursive) ou Discours (Logos) [qui est, d’ailleurs, chez Kant, tout aussi spatio-
temporelle que ne l’est l’ « Étendue » (mais non la « Pensée »)
cartésienne]; c'est uniquement (comme chez Rousseau) en tant qu’ « Agent libre » ou « Volonté » que l’Homme est radicalement différent de l’Animal et de toute « Nature » quelle qu’elle soit, muette ou parlante. Quoi qu'’il en soit, Kant a dès le début reconnu qu’il y avait, à l’intérieur de son Système un conflit latent et une contradiction apparente entre la Métaphysique des Mœurs, qui dit que
l’Momme (seul) est absolument libre et la Métaphysique de la Nature qui le contre-dit en affirmant que l’Homme (comme toute
chose) est absolument déterminé, et il y voyait lui-même un « problème ». La façon dont Kant supprime la contra-diction est bien connue : l’Homme est libre en tant que Chose-en-soi (non spatio-temporelle) et il est déterminé en tant que Phénomène (spatio-temporel). En effet, 1l y aurait contra-diction si l’on affirmait qu’une seule et même chose est en même temps en des leux
différents ou que, au même endroit, une chose est à la fois ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas (c’est-à-dire À et non-À, voire B). Or, Kant ne dit pas que l’Homme est en même temps (en
tant que Phénomène) dans un lieu donné du Monde déterminé ct (en tant que Chose-en-soi) a:lleurs, car, n’étant pas temporelle, la Chose-en-soi ne peut pas être dans le même temps que le Phénomène et, n’étant pas spatiale, elle ne peut pas être a:lleurs
que celui-ci. De même, l’Homme n’est pas dit être à la fois libre
et non-libre (déterminé) au même endroit/lieu puisque en tant que libre ou Chose-en-soi, il n’est pas en un endroit/lieu du tout. Mais si Kant parvient ainsi à éliminer de son Système la contra-diction, il ne supprime pas le « conflit » qu’il reconnaît ct ne résoud pas le « problème » qu’il pose lui-même.
Le « conflit » reste parce que l’homme ne se contente visible-
ment pas de dire qu’il est libre en tant que Chose-en-soi non spatio-temporelle. Sa « Volonté », qu’il dit être lui-même (et, d’après Kant, il le dit avec raison), veut encore agir librement et
il ne peut visiblement pas dire qu’il peut le faire autrement qu’en un lleu à un moment quelconques. Or, sa propre « Raison »
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(du moins d’après Kant) l’oblige à dire que tout ce qui est ou se
fait quelque part à un moment donné est nécessairement, c’est-à-
dire partout et toujours, déterminé et non libre. Quant au « problème », il est non pas résolu, mais bien au contraire précisé, voire dédoublé, par la suppression kantienne de la contra-diction qui l’a fait naître. En effet, Kant supprime la contra-diction en introduisant la notion de la Chose-en-soi. Or, il reconnaît luimême que cette notion est loin d’être une « nécessité théorique »,
même « transcendantale », c’est-à-dire « déductible » en tant que condition sine qua non de la possibilité de l’Expérience (discursive), voire du Discours cohérent en tant que tel. Il dit, au contraire, que cette notion ne s’ «impose » à la Raison qu’en tant
que condition sine qua non de la « Morale », c’est-à-dire précisé-
ment de la Liberté, et que cette condition, si l’on veut « transcendantale », est l’ « existence de Dieu » et du « Monde futur ». La Chose-en-soi non spatio-temporelle est donc nécessairement non seulement
Volonté
libre humaine,
mais
encore
« Dieu
» et un
Monde « divin ». Le « Problème » se précise donc et devient à la fois double : d’une part, il faut « concilier » le Monde « naturel » avec le Monde « divin » et, d’autre part, « harmoniser » la Liberté humaine et l’existence de Dieu. Bien entendu, n’oublions pas que cette double « conciliation » ne peut être, pour Kant,
qu’un « article de Foi », puisqu’il ne
s’agit que d’un développement discursif de la certitude subjective de l’Æspoir. La solution discursive du « Problème » ne peut donc pas être une Vérité (discursive) au sens propre du terme : on peut tout au plus la considérer et se comporter, vis-à-vis
d’elle et en fonction d’elle, comme s: elle était vraie (ce qui est tout autre chose que de dire, avec Platon, qu’elle est vraisemblable). Mais même dans ce mode du Comme-si la solution n’est ni aisée, ni « satisfaisante » pour l’esprit, et encore moins pour l’homme en chair et en os. En ce qui concerne la « conciliation » du Monde « naturel » (où l’'Homme est déterminé) et du Monde « divin » (où il est lbre,
puisque ce n’est qu’en fonction de son Acte de liberté qu’il peut être digne du bonheur dans la « Vie future »), l’affirmation que
les deux ont été « créés » par un seul et même Dieu (qui créa ainsi à la fois tant l'Homme naturel, y compris sa Raison théorique, que l’Homme libre c’est-à-dire sa Volonté ou Raison pratique) n’est d’aucune utilité, car la « solution » spinozo-leibnizienne du « complémentarisme » ou de l’ « harmonie préétablie » supprime la Liberté, non moins que l’occasionalisme de Malebranche [les deux solutions étant, d’ailleurs, expressément rejetées par Kant, qui dit, à juste titre, qu’elles suppriment le « caractère mécessaire » des Catégories et ouvrent ainsi la voie au Scepticisme (cf. 68
ibid. ; III, 128, 24-129, 22)]. La seule « solution » imaginable, qui est celle que propose Kant en reprenant textuellement (peut-être sans le savoir) le célèbre « Mythe » de Platon, consiste à dire que l’homme fait le (libre) choix de sa vie (déterminée) avant sa naissance et que c'est ce (libre) choix prénatal qui fait l’objet d’une « reconnaissance » ou d’une « réprobation » divine post-mortuaire après sa mort (c’est-à-dire après sa vie, qui est entièrement déterminée à la fois par les Lois du Monde naturel ct par son libre choix) : solution qui, tout en étant implicitement contra-dictoire, n’'arrive certainement pas à « satisfaire » le Bonsens, celui-ci n’arrivant jamais à comprendre quel sens et valeur pourrait avoir la comédie « mondaine » (déterminée à l’avance) jouée par l’Homme devant son Dieu après qu’ait été fait le choix (libre) qui fixe déjà le « jugement dernier ». Quant
à l’autre aspect du « Problème
», il n’a encore jamais
trouvé de solution « satisfaisante » d’un point de vue quelconque, pas même de celui de l’imagination, qui serait moins contraclictoire que la « solution » précédente. Car s’il n’est pas « absurde »
de dire qu’un Ëtre divin libre et tout puissant s’abstient parce
que tel est son « bon plaisir », d’une action et donc, entre autres, permet à l’homme d'’agir à sa propre guise (en admettant que la notion d’une action en dehors du temps et de l’espace ne soit pas contradictoire
en elle-même,
ce qu'’elle est, en réalité), on ne
voit pas pourquoi on appellerait « liberté » ce qui est ainsi accordé à l’homme : car autrement 1l faudrait appeler « libres » tant le forçat qui peut se promener « comme il veut » dans la cour
pendant une demi-heure, que l’enfant qui peut faire « ce qu’il
veut » dans la maison paternelle le jour de son anniversaire. Inversement, on ne voit pas très bien pourquoi il faut appeler « Dieu » un être qui ne peut ou ne veut pas empêcher ses cenfants bien-aimés » de subir, à la suite d’une « gourmandise passagère » (d’ailleurs « tolérée », on ne sait trop pourquoi) des souffrances « sans fin », ni à quoi sert ce Dieu si l’'Homme peut cffectivement faire ce qu’il veut et ne subit donc rien d’autre que ce qu’il a voulu lui-même, à moins que Dieu « serve » à ce
à quoi « sert » le torrent du fond lorsqu’un homme tombe, volon-
tairement ou par mégarde, dans le précipice où ce torrent coule « par hasard ». Mais tout ceci a été dit trop souvent avant Kant et de son escient pour qu’il y ait un sens de le lui redire ou de le dire à ses émules (conscients ou non de leur origine). Tout ce qu’on pourrait valablement dire à Kant, c’est ce qu’il a dû se dire à lui-même, en écrivant la Critique de la Raison pure. À savoir, que les notions mêmes d’ « Action prénatale agissant librement » et de « Dieu agissant librement » sont contradictoires elles-mêmes,
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tout comme
est contra-dictoire toute notion du type « Cercle-
carré ». Car si la notion « Action libre » a un sens quelconque, elle
se réfère à la transformation en réalité-objective présente d’un
Projet (objectivement-irréel) concret d'avenir ne découlant pas nécessairement, c’est-à-dire partout et toujours, de l’ensemble du passé. Par conséquent, la notion d’ « Action libre » ne peut pas ne pas impliquer celle de.la « Temporalité », voire de la « Spatiotemporalité » en général, et puisqu’elle se réfère en outre à la Réalité-objective, la Spatio-temporalité qu’elle implique est (comme nous verrons plus tard) l’Espace-temps. Les notions « Dieu libre » ou « Ame libre » sont donc équivalentes à la notion explicitement contra-dictoire « Etre-non-spatio-temporel-dansl’espace-temps » ou « Être-objectivement-réel-qui-n'est-pas. » Or, Kant a dû se dire tout ceci, puisqu’il n’a jamais voulu parler de l’action libre de Dieu et de l’Ame autrement que dans le mode du Comme-si, bien que son tempérament religieux (théiste en raison de sa tradition) l’ait sans nul doute porté à le faire, non moins que Platon. Kant n’a pu se résigner au Comme-si
de sa théologie que parce qu’il savait que n’importe quel discours sur Dieu et l’Ame développé (soi-disant) dans le mode de la Vérité,
devait,
étant contra-dictoire
en lui-même,
inévitable-
ment introduire la Contra-diction dans le Système, c'est-à-dire contre-dire la Partie non-théologique de celui-ci, par définition
non-contra-dictoire en elle-même.
évitait
cette
Contra-diction
Car ce n’est qu’ainsi qu’il
(ruineuse
pour
le Système),
le
discursif Comme-si-c’était-vrai (mais non le Vraisemblable discursif) ne pouvant pas contre-dire le discours sur Ce-qui-est-vrai. Mais c’est un autre aspect encore du « Problème » en question qui nous intéresse en ce moment. La notion du « Monde intelligible » ( Dieu éternel libre — Ame immortelle agissante +
Chose-en-soi « profane ») étant censée avoir un Sens, il fallait
indiquer la source de celui-ci, c’est-à-dire la façon dont ce « Monde » est donné ou révélé à l’Homme-qui-en-parle. Or, toute l’œuvre « critique » de Kant était là pour l’empêcher d’admettre qu’un Sens quel qu’il soit puisse être donné par une « Révélationdivine » (Offenbarung ) ou une « Évidence-non-sensible » (intel-
lektuelle
Anschaung)
quelconque.
En
accord
avec
Aristote,
cette œuvre démontrait (ou supposait comme base « indiscutable ») que fout Sens quel qu’il soit ne pouvait provenir que de l’ « Expérience » (spatio-temporelle ou « sensible »), c’est-à-dire, dans notre terminologie, de la Perception. Or, Kant n’admettait pas les « expériences » sui generis (« visions mystiques ») du genre
de celles qu’a prétendu avoir eu saint Paul sur le chemin de 70
l[Jamas. Car le Sens qui pouvait être extrait (par détachement du
hic et nunc) d’'une telle « Perception », par définition sinon néces-
sairement « unique en son genre », du moins partout et toujours réservée à quelques rares « élus », ne pouvait pas avoir ce caractère « universellement valable » (allgemein gültig ), c’est-à-dire être « reproductible » partout et toujours par tous, sans lequel un ens ne saurait jamais être une Vérité (en s’intégrant, sans contradiction et même en tant qu’élément-constitutif indispensable, dans le Système discursif uni-total). C’est donc dans lu seule Perception « ordinaire » ou accessible à tous, que Kant clevait trouver la source dernière du Sens de la notion du « Monde
intelligible ». Or, telle que l’Expérience était présentée dans la Critique de la Raison pure et même dans l’ensemble du Système
que celle-ci esquissait, il n’y avait aucun moyen même d’y chercher la source du Sens en question. On ne pouvait trouver ce Sens dans la Métaphysique des iMœurs (fondée sur la [future] Critique de la Raison pratique) parce que la seule donnée spécifique que connaît celle-ci est la Conscience-du-Devoir (Pflichtgewusstsein) qui, d’après Kant, n’a aucun contenu théorique (étant un mobile d'Action et non tine source de Connaissance). Quant à la Métaphysique de la Nature (fondée sur la Critique de la Raison pure), qui intègre l’ensemble de la Connaissance (théorique), elle ne pouvait pas la fournir elle non plus. Pour nous en convaincre, voyons ce qu’était ou devait être, à l’époque de la deuxième édition de la Critique (178/7), la Partie théorique du Système de Kant. Voici ce que Kant en dit lui-même dans l’ « Architechtonique » : Ainsi,
le Système
complet
(ganze)
de la Métaphysique
[au sens
étroit, c’est-à-dire de la Métaphysique de la Nature, qui constitue la partie théorique du Système kantien] est constitué par quatre Parties principales : 1. Par l’Ontologie. 2. Par la Physiologie rationnelle [immanente]. 3. Par la Cosmologie rationnelle. 4. Par la T'héologie rationnelle [la Cosmologie et la T'héologie constituant les deux Sections de la Physiologie transcendante]. La deuxième Partie, à savoir la théorie naturelle (Naturlehre) de la Raison pure, comprend deux Sections : la physica rationalis et [la] psychologia rationalis. (Ibid. ; III, 547, 11-15.)
Kant n’a jamais élaboré son Ontologie. Mais l’essentiel de cette
Ontologie kantienne se trouve dans l’ « Analytique transcen-
dantale » de la Critique de la Raison pure (qui traite des « Catégo-
ries » et des « Principes »), comme Kant le dit lui-même très nettement : « [..] le fier nom d’une Ontologie, [...] doit céder la place au nom modeste d’une simple Analytique de l’Entendement pur » (zbid., III, 207, 18-22; cf. aussi : III, 94, 36-37). Par conséquent, ce n’est pas dans l’Ontologie de Kant que peut se JI
trouver la source du Sens des notions de Dieu et du Monde futur, puisque toute cette Ontologie est limitée au domaine
de l’ « Intuition sensible », c'est-à-dire de la spatio-temporalité.
Par contre, Kant a esquissé la « Physiologie immanente », sous le titre Principes métaphysiques de la Science de la Nature (1786). Dans la Préface, il distingue d’abord la Science empirique (« historique ») de la Science rationnelle (dont 1l s’occupe exclusivement) et indique que la « Science de la Nature » se divise, du point de vue systématique, en deux Sections, qu’il définit, quant à leur objet respectif, comme suit : Or, la Nature, …, a, conformément à la distinction principale de nos Sens, deux Parties principales, dont l’une contient les objets-chosistes des Sens extérieurs et l’autre l’Objet-chosiste du Sens intérieur, de sorte qu’en ce qui concerne la Nature, une double Doctrine naturelle ( Naturlehre) est possible, [à savoir] la Doctrine des Corps et la Doctrine de l’Ame, dont la première prend en considération la Nature étendue et la deuxième, — la Nature pensante. (Ibid. ; IV, 467, 12-17.)
Le livre lui-même ne contient, comme on sait, que les premiers éléments (d’inspiration newtonienne) de la Doctrine des Corps (la Doctrine de l’Ame faisant l’objet de l’Anthropologie de 17798). Mais les quelques mots cités suffisent pour faire voir que la Doctrine de l’Ame est, pour Kant, une Science purement naturelle, qui, tout comme la Doctrine des Corps, ne saurait
impliquer aucune échappée vers l’Au-delà. Ce passage confirme, d’ailleurs, ce que nous avons dit plus haut sur les rapports entre Kant et Descartes, car 1l montre clairement que Kant rattache la « Pensée » cartésienne à l’ «Étendue » et la considère comme une entité purement naturelle, voire spatio-temporelle, le non-naturel dans l’Homme
se réduisant à la seule « Liberté », radicalement
opposée à toute « Nature » (cf. ibid., IV, 458, 2 : son Moi proprement dit, c’est-à-dire sa Volonté). Quant à la « Physiologie transcendante », Kant la rejette, comme on l’a vu, dans le domaine de l’ « illusion » (scheinbare philosophische Erkenntnis, cf. ibid. ; III, 544, 1 et 546, 20-35), c’est-à-dire dans le domaine du discours qui ne saurait en aucun cas prétendre à la dignité d’une Vérité (discursive). En ce qui concerne la « T'héologie rationnelle », elle se réduit, chez Kant,
à ce qu’il appelle la « Foi morale », dont 1l parle dans le « Canon » et qu’il expose avec plus de détails dans la Critique de la Raison pratique (17788), ainsi que dans la Religion dans les limites de la seule Raison (1793), où la Liberté morale, c’est-à-dire le Devoir, est radicalement opposée à tout ce qui est Nature, y compris la Nature « donnée » de l'Homme lui-même, même pris en tant que Volonté, comme le Bien qui s’oppose au « Mal radical ». Or, 72
hous avons vu que le sentiment du Devoir ne peut pas être considéré comme la source du Sens de la notion de la Transcendance,
parce que le Devoir lui-même n’a, d’après Kant, de sens que sI « Dieu » et le « Monde futur » sont préalablement admis (cf. ibid, ; III, 520, 17-24). Chez Kant, le Devoir naît, en fait, sinon pour lui, du refus du Mépris de soi, mais l’Action qui en découle étant, d’après le Postulat fondamental de toute Religion, inefficace
ct ne pouvant donc pas procurer la Satisfaction dans l’Ici-bas, le Devoir engendre seulement l’Espoir de la Satisfaction dans l’Au-delà divin. Or, pour que cet Espoir puisse être une Foz, c’est-à-dire pour qu’il puisse être opérant et engendrer l’Action en fonction du Devoir, 1l faut qu’il ait une certitude subjective,
que la Philosophie pratique (« Métaphysique
des Mœurs
»),
«Ile-même
du
ne
fondée
exclusivement
sur la notion
Devoir,
peut pas procurer par définition. Mais la Philosophie théorique
(« Métaphysique de la Nature »), c’est-à-dire l’ « Ontologie » et la « Physiologie immanente », ne peut pas la procurer non plus, comme nous venons de le voir. Car cette C'ertitude, même « subjective », de la Satisfaction en fonction de l’Action libre (morale) ne peut être donnée dans le Théorique, c'est-à-dire, en dernière
analyse, dans la Perception, que si la Perception révèle un accord ou une harmonie entre le Devoir (— Liberté, = Volonté) et la Nature (— Nécessité, — Pensée). Or, bien au contraire, la Nature révélée par la Perception est, pour Kant, du moins en 1878, radicalement et irréductiblement opposée à la Liberté, étant définie comme le Non-libre ou le Nécessaire, tandis que la Liberté est définie comme le Non-naturel, c’est-à-dire comme le Nonperceptible ou comme « Chose-en-soi » non spatio-temporelle, opposée au « Phénomène » spatio-temporel qui est Nature seulement. La Certitude subjective en question ne pourrait donc être tirée de la Philosophie théorique basée sur la Perception que si cette Philosophie impliquait la « Cosmologie rationnelle », que Kant définit comme Physiologie de la Nature prise dans sa totalité (der gesammten Natur). Mais il s’'empresse de dire que cette Totalité (achevée) de la Nature dépasse l’Expérience [sensible ou spatio-temporelle] possible, (zb:d. ; 546, 34, 31). Or, seule cette Totalité naturelle qui, d’après Kant, se rapporte à un Etre au-delà
de la Nature (Wessen über die Natur) ou à Dieu, pourrait se
« rapporter » également à cet « Être au-delà de la Nature » qu’est l’Homme en tant qu’Agent libre, ce « rapport », s’il était
« perceptible », pouvant et devant assurer la Certitude de l’Espoir
de cet Agent et donc la Foï qui le ferait agir, même contre la Nature qui est aussi la sienne propre. Mais si Kant, en 1787, admet la Théologie dans son Système
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ne serait-ce que comme « Foi morale », c'est-à-dire comme discours [d’ailleurs, en fait, contra-dictoire] développé dans le mode
du Comme-si, il se refuse catégoriquement d’y introduire la « Cosmologie » en question, bien qu’il semble déjà se rendre compte du fait que, sans cette « Cosmologie », l’Espoir en lequel culmine la Philosophie pratique, reste sans Certztude subjective (théorique, voire « percevable »), de sorte que sa « Foi morale » est moins une Fo; au sens fort du terme, qu’un « Mythe », peutêtre possible [si l’on admet, à tort, qu’il n’est pas contra-dictoire], mais nullement certain, même au sens d’une Certitude purement subjective. En d’autres termes, ce « Mythe » n’est ni vra: [par définition], ni même wvrai-semblable, et le « Comme-si » même de son développement discursif est sans aucun fondement, du moins théorique. Ce Système kantien des environs de 1787 peut être représenté
graphiquement par la figure qui se trouve à gauche dans le tableau ci-contre.
Le Système de 1787 comporte deux lacunes : l’une consciemment admise et avouée, à savoir celle de la « Cosmologie » inexistante ; l’autre soit-disant comblée, dans le mode du Commesi, par la « Théologie morale », qui est le développement discursif [non présenté explicitement comme contra-dictoire] de la « Foi Morale », censée pouvoir tirer sa prétendue Certitude (subjective) du seul sentiment du Devoir. Mais nous avons vu qu’en fait, l’absence de la « Cosmologie » prive cette prétendue
« Foi » de tout « fondement » (théorique) et donc de toute Cert:tude subjective (puisque la « certitude » du Devoir dépend de
celle de la Foi) *. Le Système a donc bel et bien deux znterrup1. Dans la Critique de la Raison pratique (1788) la situation devient, du point de vue qui nous intéresse ici, extrêmement embrouillée et absolument intenable, mais il serait trop long d’interpréter ce texte en ce lieu. Disons seulement ceci. Le Devoir (développé discursivement dans la fameuse « Loi fondamentale de la Raison pure pratique ») y est présenté (cf. $ 7 et Note) comme un « Fait de la Raison », c’est-à-dire comme une « donnée » immédiate et irréductible, et comme « le seul Fait de la Raison pure ». En particulier, ce « Fait » ne peut pas être déduit « de la Conscience de la Liberté, car cette Conscience ne nous est pas donnée antérieurement [à la donnée du Devoir] », parce que ceci exigerait une « Intuition intellectuelle » que l’Homme n’a pas par définition. Par conséquent, ce « Fait » est une « Évidence » théorique du genre platono-cartésien, que Kant a, par ailleurs, toujours rejetée [à juste titre] et qu’il s’excuse ici, en quelque sorte, d’introduire en soulignant que c’est le seul cas où il le fait. Mais cette « excuse » (implicite, d’ailleurs) n’est certainement pas une « justification » d nos yeux, ni, en fait, à ceux de Kant lui-même. Vouloir fonder le Comme-si de la Foi morale discursive sur cette « Évidence » est impossible. Car si la T'héologie pouvait être fondée sur ou déduite de cette Évidence théorique (et il faut bien qu’elle soit théorique, puisqu’elle précède et conditionne l’évidence « pratique » de la Liberté), elle serait une Vérité et non un Comme-si. Par conséquent, si la Théologie est une Foi, ou bien elle ne peut pas être déduite de l’Évidence théorique en question, ou bien celle-ci n’est qu’une pseudo-évidence elle-
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