Journal: (1939-1945) 2070723070, 9782070723072


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French Pages 519 [532] Year 1992

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Journal: (1939-1945)
 2070723070, 9782070723072

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Collection Témoins

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PIERRE DRIEU LA ROCHELLE

JOURNAL 1939-1945 Édition établie, présentée et annotée par julien Hervier



GALLIMARD

Il a été tiré de l'édition originale de cet ouvrage soixante-quatre exemplaires sur vergé blanc de Hollande numérotés de l à 64.

© Éditions Gallimard, 1992.

AVERTISSEMENT DE L'tOITEUR

Fallait-il publier? Ne pas publier? Devant ce journal de guerre explosant de la haine de Drieu contre tous et tout, les femmes, les juifs, ses meilleurs amis et lui�même, c'est la question que beaucoup se poseront et que se sont posée en cascade les responsables de sa publication. Jean Drieu la Rochelle le premier, à qui son frère Pierre avait fait remettre cet encombrant document après son suicide, avec mission de le publier " inté­ gralement, sans aucune hésitation bourgeoise»; il s'y est décidé in extre­ mis, avant sa mort en 1986, en con.fiant l'édition à julien Hervier, dont il avait apprécié la thèse surJünger et Drieu et la connaissance approfondie de l'auteur. Puis sa veuve, Mme Brigitte Drieu la Rochelle, qui n'a pas connu son beaufrère Pierre, mais souhaitait accomplir les volontés de son mari. Puis Antoine Gallimard, qui voulait honorer le contrat signé par son père et pour qui cette publication s 'inscrivait dans le sain désir de se mettre à jour avec le passé historique de la non moins historique maison dont il prenait les rênes. Et moi-même en définitive, qui lui ai proposé, au soulagement général, de publier ce téinoignage exceptionnel dans la collection « Témoins » plutôt que dans la classique collection blanche, pour bien marquer le caractère du document, dont l'annotation historique a été renforcée par julien Hervier avec la coopération de Jean-Pierre Azéina, que je remercie de son travail. Cette annotation n'est ni complète ni critique. Dans son délire de virilité obsessionnelle, Drieu traite, par exemple, tous ses adversaires d'im­ puissants ou de pédérastes, y compris Édouard Daladier(!), comme il taxe à peu près toutes les femmes d'homosexualité ou de complaisance. Allait­ on se livrer à censure ou à vérification systématiqueZ Elles étaient toutes les deux impossibles car où commencer, où s'arrêterZ Nous nous excusons donc auprès de toutes celles et ceux que cette accumulation de violences verbales et de jugements odieux pourrait familialement ou personnelle-

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ment blesser, et les prions de comprendre qu'elle fait si intimement partie du texte que seul pouvait se poser, encore une fois, le problème de savoir s'il fallait ou non publ ier.Or, il suffit, par exemple, de lire le plaidoyer final, où Drieu se place lui-même devant le jugement de l'histoire, pour comprendre qu'en toute conscience éditoriale professionnelle et mème civique la publication nous ait paru s'imposer, Non seulement par la menace, et même l'imminence de publications pirates, non contrôlées et intéressées, que permettait la circulation de copies invérifiées, Mais aussi et surtout par l'importance de l'écrivain et le puissant intérêt de ce témoignage. Drieu la Rochelle a été exonéré de l'opprobre où sont tombés la plupart des fascistes français par la séduction qu'il a exercée sur beaucoup de ses contemporains, Malraux, Aragon, Berl, Jouvenel, Son suicide et la sincérité de son Récit secret en ont fait aux yeux de la génération d'après guerre un héros romantique et nietzschéen, une figure de légende du non-conformisme contestataire, un fasciste qui n'avait pas de sang sur les mains, un intellectuel qui est allé jusqu'au bout de son engagement et s'en est infligé le prix Jort. Son personnage est devenu mythique, On l'acquitte si:ns trop y aller voir.. Eh bien, allons-y! Ce journal en donne l'occasion, A chacun d'y vérifier son jugement. -1 PIERRE NORA Directeur de la collection «Témoins»,

Introduction

Le 9 septembre 1939, Drieu se met à écrire son journal; c'est une activité qu'il ignorait jusque-là presque complètement, ne s'étant livré qu'à une brève tentative de quelques pages en 1927-1928 1, arrêtée aussitôt qu'entreprise car la n écessité n'en apparaissait pas clairement. Il faut donc admettre que quelque chose a changé dans son rapport à ce genre littéraire favorisé par l'individualisme bour­ geois et l'esprit chrétien et qui compte quelques grandes réussites, surtout depuis le x1x• siècle. Il y avait d'ailleurs chez Drieu tout un ensemble de prédis­ position s à se tourner vers ce type d'écriture si l'on en croit les spécialistes du journal intime, telle Béatrice Didier dans le petit livre si stimulant qu'elle a consacré à ce sujet. Drieu est bien un homme de solitude, né dans une famille restreinte où jusqu'à l'âge de dix ans il est resté l'enfant unique. S'il n'est pas célibataire comme Amiel ou Kafka, ses deux mariages ont très vite tourné court, et sa vie sentimentale, quoique agitée, lui laisse de larges plages de temps vides où dialoguer au jour le jour avec le papier blanc. S'il ne fut jamais prisonn ier, comme certains diaristes, les derniers mois de sa vie se passèrent cependant dans des conditions carcérales; menacé pour sa collaboration avec les Allemands pen­ dant la guerre, Drieu dut se cacher dans des propriétés à la cam­ pagne dont il lui était dangereux de sortir. On trouve même chez lui, mais moins qu'il ne s'en est plaint, cette difficulté à agir pour laquelle le ressassement quotidien des choses omises ou à faire constitue une manière d'issue. La matière de son journal se recoupe fort naturellement avec 1. On trouvera ce journal dans« Drieu la Rochelle», L'Htrn�, 1982, p. 30.

Il

celle d'autres journaux intimes; il énumère des listes d'œuvres à écrire ou à parfaire pour publication, il s'interroge sur la valeur de sa création; la confession érotique n'est pas non plus absente, même si elle se borne surtout à la remémoration des femmes qui ont joué un rôle dans sa vie sexuelle ou sentimentale. Par contre, la polémique fait totalement défaut: le journal n'est pas l'œuvre de combat d'un collaborateur qui justifierait son activité à La N.R.F. ou ses rapports avec les Allemands. Drieu s'expose avec une grande sincérité, sans chercher à influencer le jugement porté sur lui par un possible lecteur. Mais Drieu évite aussi un certain nombre des pièges du journal, dont celui de l'énumération maniaque de petits faits sans intérêt. li plane en particulier au-dessus des problèmes d'argent qui ne sont presque jamais évoqués; alors que son rapport à l'argent a toujours été problématique, il dispose par son activité salariée à La N.R.F. d'une honnête aisance qui lui permet de ne plus avoir recours aux « mécènes féminins». Les difficultés de la vie matérielle sous l'Oc­ cupation sont entièrement gommées par un ascétisme implicite qui les juge indignes d'intérêt. Même les problèmes de santé restent fort marginaux et Drieu nous épargne ses malaises ou ses indis­ positions éventuels; non qu'il ne juge sa santé compromise: à l'oc­ casion de ses velléités d'engagement au début de la guerre, il énu­ mère les différents maux dont il souffre avec une sorte d'insistance masochiste sur son prétendu délabrement physique. Mais dès que la situation cesse de leur prêter de l'importance, ces notations disparaissent par volonté délibérée d'ignorer les servitudes du corps. Les contingences mesquines de sa vie personnelle sont passées sous silence avec une désinvolture qui enlève à sonjournal ce qu'a parfois d'irritant l'attention trop méticuleuse portée par certains diaristes à tout ce qui affecte leur moi : Drieu nous parle des autres, de la guerre, de ses méditations religieuses, et il se garde de nous imposer la présence obsessionnelle de ce moi. Pourtant sa personnalité marque fortement tout ce qu'il énonce et le journal complète admirablement l'œuvre romanesque pour qui veut connaître l'homme Drieu; c'est d'ailleurs l'une des raisons qu'il donne de la composition de ce journal qui pourrait, dit-il, devenir.,. un tableau complet de mon esprit, en même temps dans le passé el dans le présent: l'un éclairant l'autre. Le portrait d'un dégénéré el d'un décadent, pensant la décadence el la dégénérescence» (p. 91 ). Ce tableau aura donc double valeur : non seulement il nous aidera à comprendre l'esprit de Drieu, mais il aura vocation exemplaire en

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nous montrant un décadent pensant la décadence. C'est cette valeur de témoignage que revendique ailleurs Drieu pour son journal:

« Ce journal étant un vrai journal sans grand soin littéraire, n'aura d'intérêt que beaucoup plus tard - si quelque érudit s'intéresse à mon témoignage politique pendant cette période » (p. 327). Témoignage et

non confession, car Drieu refuse cet aspect possible du journal :

« Les grands aveux moraux ne signifient pas grand'chose dans l'ordre de la psychologie, ni même dans l'ordre de la morale. Quand j'aurai dit et prouvé que je Jus un chenapan, mon lecteur sera bien avancé. Ce qu'il voudrait savoir, c'est comment le chenapan s'insère sur le solitaire et celui­ ci sur un autre, et quelle famille unie cela fait qui marche toujours du même pied » (p. 105).

. On peut penser que la rédaction du journal correspond auss1 à une motivation historique précise. Ce n'est certes pas un hasard si Drieu commence à l'écrire peu de temps après l'entrée en guerre de la France. Le premier conflit mondial l'avait vu acteur sur le champ de bataille. Cette fois, il ne sera que spectateur d'un des grands bouleversements de notre temps, mais il éprouvera le besoin d'écrire une relation de l'expérience qu'il en a au jour le jour. Ajoutons-y aussi qu'il vient de couronner une première phase de sa création littéraire par la composition de Gilles, le grand roman­ confession qui lui a permis de récapituler l'essentiel de sa viejusqu'à la guerre. En attendant d'autres expériences susceptibles de se prêter à la transfiguration romanesque, il souffle un peu en recou­ rant au médium plus aisé du journal. Ce journal, il l'écrit en effet faute de mieux, et ce n'est pas sans désinvolture qu'il traite le genre: «j'ai horreur, écrit-il, de la concentration avaricieuse des professionnels du journal » (p. 333). Cette manie de thésauriser le moindre petit fait, c'est sans doute chez Gide qu'elle l'agace le plus, et il n'est pas tendre pour lui: «j'en­ trouvre le journal de Gide. Pourquoi couvrir tant de pages de notations qui sont souvent si brèves qu'elles ne contiennent rien ou qu'elles devien­ dront incompréhensibles par leur allusion à tant de noms éphémères »

(p. 113). Surtout, le journal lui paraît un substitut bien insuffisant d'œuvres plus directement créatrices:« C'est une grande faiblesse que

de tenir son journal au lieu d'écrire des œuvres. Quel aveu chez Gide qui

y a concentré peut-être le meilleur de lui faute de trouver en lui-même

quelque chose de meilleur que ce meilleur pour en Jaire des romans ou des pièces. Quel aveu sur lafin de la littérature française » (p. 269). Lui­ même ne s'excepte pas de ce reproche: «je n'ai jamais écrit dans ces cahiers que par paresse, pour ne pas Jaire autre chose, des œuvres de

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taille et de poids. Le journal, c'est la lâcheté de ['écrivain. C'est le comble de la superstition littéraire, du calcul sur la postérité. Pour d'autres, c'est de l'avarice, ne rien perdre» (p. 420). Drieu refuse donc de considérer son journal comme une œuvre· à part entière et il l'écrit de primesaut, sans se livrer sur elle à un méticuleux travail littéraire, comme il l'avait fait en maints passages de Gilles où les corrections abondent. Le manuscrit ne comporte presque aucune retouche, ce qui entraîne parfois quelques négli­ gences mais lui confère aussi la vivacité et la spontanéité du premier jet. Cela n'empêche pas Drieu de se soucier de son œuvre et de craindre pour sa conservation : « Pourvu que Susana Soca veuille bien• partir et sauver ces cahiers. L'écrivain persévère dans son être jusqu'à la· fin» (p. 235). Secrètement, il avait même l'ambition de surpasser les autres diaristes puisqu'il se désole de ne pas être parvenu à faire mieux qu'eux: « Je ne peux plus travailler el je ne sais rien, je n'ex­ périmente rien. Pourtant je vis l'aventure politique. Mais loul cela fait un journal intime aussi vide que tous les journaux intimes. Est-il plus franc que d'autres? Il n'est pas plus complet» (p. 191). Une autre marque de sa désinvolture à l'égard du genre, ce sont les fréquentes interruptions. Drieu n'est pas de ceux qui s'imposent le devoir de noircir chaque jour quelques pages et qui se culpabilisent d'y avoir manqué. Le journal est parfois très dense, écrit presque tous les jours, par exemple pour suivre avec une attention passionnée la débâcle de mai-juin 1940; mais il comporte aussi de longues interruptions: quatorze mois du 13 juillet 1940 au 18 septembre 1941, qui coïncident avec le moment d'intense activité où il relance La N.R.F. ; cinq mois du 20 mai au 28 octobre 1942, qui sont consacrés à l'achèvement de L'Homme à cheval; trois mois encore du 4 octobre 1943 au 12 janvier 1944; deux mois après sa première tentative de suicide, du 11 août au 11 octobre 1944. En tout, une période de vingt-quatre mois d'interruption pour un journal qui s'étend sur quatre ans et six mois, soit presque la moitié du temps considéré. C'est donc une œuvre lacunaire que Drieu prend et laisse à son gré, selon l'importance de ses autres activités ou les contrecoups de ses expériences vitales. À un niveau simplement matériel, le journal apparaît donc souvent comme une sorte de bouche-trou, et Drieu insiste sur le fait qu'il correspond dans sa vie à des périodes de retombée, qui en accusent peut-être encore la tonalité pessimiste: « je ne l'ouvre qu'à des moments de fatigue où, étant chez moi, je ne puis plus lire ni écrire ni rêver» (p. 333). Cela explique la sévérité dont il fait preuve

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à son égard : après la première et la plus longue interruption, il note : «J'en ai relu quelques pages l'autre jour : je les ai trouvées assez faibles et négligées» (p. 269). Avec cet auto-dénigrement systéma­ tique chez lui lorsqu'il s'agit de son œuvre, il s'accuse une fois de plus en termes violents de n'avoir pas de génie: «j'aurais voulu n'être qu'un homme, n'ayant rien écrit : le talent n'excuse pas l'absence de génie. Et ce journal, c'est un graffiti sur le mur d'une pissotière ou d'une cellule, et pourtant le graffiteur croit lui aussi qu'il sera lu» (p. 381). Même comme tableau complet de lui-même, il lui semble que l'essentiel échappe à son journal, dans cette vaine poursuite de la totalité du moi que représente l'écriture, toujours en deçà de l'extrême complexité du vécu : « Ce qui est comique, c'est que je n'ai rien mis dans ce journal du contenu, de la substance de cette solitude, de cette intimité. Qui a pensé que intime est un superlatif, une indication d'extrémisme?» (p. 418). On ne fait que se heurter là aux limites du littéraire qui, pour Drieu, et d'autant plus qu'il va vers sa mort, se subordonne toujours à la méditation métaphysique et religieuse. Le journal n'est pas seulement condamné comme substitut du roman, mais comme littérature en général, après l'expérience intense du premier suicide : « La littérature, c'est la recherche et le culte du concret, du particulier;· certes, par ailleurs, cela comporte une vue de l'universel, mais d'un universel qui reste présent et engagé dans toutes ses parties. C'est Dieu dans ses œuvres, c'est le dieu démiurge et créateur. C'est pourquoi, cette reprise de la littérature et de mon journal après une telle expérience que celle d'août, en dit long sur mon incapacité spirituelle» (p. 423 sq.). Pourtant, le journal occupe une place indispensable dans la vie et la création du dernier Drieu; il joue un rôle dans l'économie de son œuvre en complétant dans cette vaste entreprise d'auto-analyse ce qu'il n'a pas dit dans ses romans. Alors que Drieu caresse le projet d'écrire ses mémoires - mémoires politiques, littéraires et sexuels -, le journal va constituer des sortes de mémoires au pré­ sent; dans les premières pages du journal, il s'interroge sur la forme qui aurait pu correspondre à son génie propre, à son « souffle court», à son « attachement au réel tel quel»; et il conclut que ce serait « quelque chose entre le journal el les mémoires» (p. 90) : et en certains passages, tout imprégnés de remémoration, c'est bien cela qu'il nous donne. « Il me semble que je n'écrirai plus de roman. J'ai assez raconté mon histoire et je n'ai qu'elle à raconter. J'ai cent fois essayé d'inventer des sujets en dehors de moi : cela ne m 'intéresse pas et cela ne part pas» 15

(p. 1 44), écrivait Drieu le 2 février 1 940, mettant e n évidence -l'une des limitations de son imagination créatrice. Pourtant il écrira encore trois romans dont deux sont des chefs-d'œuvre, L 'Homme à cheval et les Mémoires de Dirk Raspe. On peut se demander si cette relance de l'inspiration romanesque n'est pas justement à mettre au crédit de la rédaction du journal. Si Drieu s'enfermait dans l'autobiographie plus ou moins ouverte, si son moi envahissait ses romans, il va tendre à en disparaître pour laisser la place à des créations plus autonomes et plus larges. Il suffit de comparer deux œuvres dont les intri gues ont une structure assez semblable pour s'en assurer : Beloukia et L'Homme à cheval. Si Beloukia était une simple transposition dans une Bagdad imaginaire de l'aventure de Drieu et de Christiane Renault, L'Homme à cheval au contraire-crée le personnage impressionnant de Jaime Torrijos et construit autour de lui une méditation épique sur un fascisme qui échoue. Les machinations de ses ennemis ne permettent pas à Jaime d'intégrer les pauvres Indiens dans la communauté nationale et son ambition de réunifier le continent sud-américain tourne court. Drieu projette dans une situation imaginaire l'actualité qui l'entoure et arrive à créer un univers en dehors de lui-même. De même Dirk Raspe, inspiré par Van Gogh, comporte encore beaucoup de traits de Drieu qui lui permettent de vivre, mais il est aussi une puissante création autonome qui fait de l'œuvre un vrai roman. li semble que Drieu puisse satisfaire dans son journal son besoin d'auto­ analyse au lieu de gauchir la ligne de ses romans pour s'y épancher : Je journal joue ainsi un rôle de contrepoids qui équilibre la création romanesque et lui permet de se formuler en toute liberté. Le journal est indissociable de la vie du dernier Drieu, mais aussi de sa création : en concentrant les éléments personnels de cette vie, il ouvre la voie à un romanesque plus authentique et plus complexe.

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Il est symptomatique que le journal de Drieu s'ouvre par des considérations sur son cœur. Même si leur rôle va s'amenuiser peu à peu au profit d'une orientation mystique, les femmes restent l'une des grandes sources de méditation et d'écriture de ce passionné de séduction qu'il fut si longtemps. Elles s'inscrivent d'ailleurs dou­ blement dans ce journal: au présent, lorsqu'il s'agit de la femme actuellement aimée, et dans la remémoration nostalgique de celles qui ont traversé sa vie, qui l'ont parfois dévastée. Le journal offre 16

ainsi un document essentiel sur les attitudes sentimentales de Drieu, sur ses grandes rencontres avec la féminité. Sa première femme, Colette Jéramec, compte parmi ses expé­ riences féminines majeures, bien qu'il prétende ne l'avoir aimée que trois mois en 19 1 3 : la connaissance de sa correspondance amoureuse avec elle montre qu'en fait ce sentiment de jeunesse a duré nettement plus longtemps. Il avait fait sa connaissance par son frère, André Jéramec, qui était son condisciple aux Sciences politiques, et il avait été séduit par son charme adolescent ; mais le prestige social de la famille avait dû jouer aussi un grand rôle auprès de ce jeune homme pauvre, ou du moins gêné, dont le père dilapidait la dot de sa femme dans des affaires parfois louches qui entraînèrent même sa condamnation à huit jours de prison avec sursis. A u contraire, le père de Colette était un grand homme d'affaires, bien introduit dans les milieux politiques où il était en particulier intime d'Alexandre Millerand, futur président de la République. L'un des premiers, il a dû focarner pour Drieu de façon tangible l'image d'une puissance juive, appuyée sur l'argent et les hautes relations; car les jéramec étaient juifs, Juifs convertis et assimilés, mais cela ne suffisait pas aux yeux de Drieu pour effacer l'appartenance raciale. L'amour ne durera pas, mais la fascination de la puissance et de l'argent subsistera, si bien que Drieu finira par épouser Colette en 1 9 1 7. Amoureuse et généreuse, celle-ci lui octroie à cette occasion un don de 500 000 francs que Drieu dépen­ sera sans compter ; mais tout de suite, il la trompera, et le ménage végétera sans amour jusqu'en 1 921. Cet épisode de sa vie constitue l'un des grands remords de Drieu qui cherche à s'en libérer deux fois par l'affabulation romanesque. Dans Rêveuse bourgeoisie, il retrace les débuts de cet amour : le héros, Yves, est placé vis-à-vis d'Emmy Maindron dans la situation de Drieu face à Colette; mais hanté par la terreur de ressembler â son père, Yves s'engage dans l'armée d'Afrique et meurt pendant la guerre. La relation la plus complète se trouve dans Gilles dont le triste héros épouse pour son argent une jeune Juive qu'il délaisse aussitôt. Drieu est si imprégné de cette transposition autobiographique que dans son journal il lui arrive de désfgner sa première femme Colette du nom de Myriam qu'elle porte dans le roman. Tout le début de Gilles est en quelque sorte le commentaire de cette phrase dujournal : « Quandj'ai épousé ColetteJéramec, je savais ce que je faisais et quelle saloperie je commettais »

(p. 302). Ajoutons que ce mariage comporte encore une part d'in­ connu. Malgré l'affirmation catégorique de Drieu et au vu d'autres 17

témoignages, Pierre Andreu se demande s'il s'est véritablement agi d'un mariage blanc 1 ; il semble cependant que le témoignage de Colette vienne confirmer sur ce point l'attestation de Drieu, bien qu'elle ait attribué d'autres motifs à cette abstention qui serait venue d'elle. Ce qui est en tout cas hors de doute, c'est l'importance consi­ dérable de cette expérience : Drieu range le temps qui suivit la séparation d'avec Colette parmi les rares « moments un peu âpres » de sa vie; et il a toujours gardé pour elle une affection attentive et dévouée : lors d'un grave accident dont Colette est victime après leur divorce, il vient constamment à son chevet ; et malgré le ton agressif dont il relate l'arrestation de sa femme par les Allemands, il n'hésite pas à se poser en solliciteur auprès des occupants afin d'obtenir sa libération. Cette affection mutuelle persiste jusqu'à la fin, puisque à la Libération Colette se préoccupe de le cacher ; il mourra d'ailleurs dans un appartement qui lui appartient, rue Saint­ Ferdinand, après avoir séjourné dans sa maison de campagne de Chartrette : c'est là qu'il a rédigé la fin de ce journal. Malgré son manque d'amour, Drieu ne se sent jamais en face de Colette dans une situation de supériorité, et la mauvaise cons­ cience de commettre une « saloperie » le plonge même en plein complexe d'infériorité : «je n'ai pu me marier avec Colette Jéramec que grâce à cette idée qu 'incessamment elle allait ouvrir les yeux et me préférer quelqu'un d'autre » (p. 96). Dans son rôle de coureur de dots

épousant sans amour une femme qui l'aime, Drieu puise un profond sentiment de culpabilité, et l'on peut penser qu'il y a là l'une des raisons qui encouragent son antisémitisme; car c'est de l'argent juif qu'il s'empare sans la justification d'un sentiment fort; et c'est parce qu'elle est juive qu'il pense ne pas pouvoir aimer Colette. Il lui en veut donc doublement : parce qu'elle est juive, et parce qu'étant juive elle lui fait commettre une mauvaise action. L'amour bafoué se venge en engendrant un remords tenace qui se retourne contre sa victime; ses grands torts envers sa femmejuive ne font finalement que renforcer l'hostilité de Drieu aux Juifs auxquels il en veut de sa propre culpabilité. La seconde femme qui s'impose dans la vie de Drieu est Mar­ cellejeanniot-Lebey-Dullin, dont il rappelle qu'elle a servi de modèle pour Alice, l'infirmière de Gilles. C'est encore Jeanne la Française 1. Voir Pierre Andreu et Frédéric Grover, Drieu la Rochelle, Hachette, 1 979, p, 1 26,

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du journal d'un Homme trompé qui, avec ses quarante ans et ses trois grandes passions, incarne une sorte d'amoureuse par vocation. C'est enfin la Jacqueline de L 'Homme couvert de femmes, dont il est dit: « Elle a toujours été tout entière dans l'amour et tout ce qui l'a touchée s'est toujours naturellement allié à l'amour. Elle n'a jamais eu d'argent; elle travaillait et, bien qu'ellefût née pour ne rienJaire, elle a pu travailler comme un homme. Elle n 'avait aucun besoin comme ils disent, mais elle savait manger, se promener, donnir, se taire, causer 1 • » Marcelle, qui avait été mariée avec Charles Dullin, avait pour amant Léon-Paul Fargue au moment de sa rencontre avec Drieu : il éprouve pour elle la première forte passion de sa vie. Il la fréquente à Paris puis la retrouve dans un hôtel à l'arrière du front, lorsqu'il est nommé interprète auprès d'un état-major américain, non loin de la fron­ tière suisse. Il la tourmente par sa jalousie rétrospective, il lui en veut d'être ce qu'elle est, telle que ses anciens amants l'ont façon­ née. Il étale pour la choquer ses propres besoins d'argent qui s'opposent à son superbe désintéressement. La liaison est intense mais ne dure pas. Drieu se déprend assez rapidement de cette femme qui a presque le double de son âge, et il repart pour de nouvelles conquêtes. C'est Emma Besnard qui émerge ensuite des faciles aventures de l'après-guerre. Drieu qui l'a connue dans un thé à Alger en 1 922 la surnomme volontiers )'Algérienne ; elle était de père pied­ noir et de mère espagnole. D'elle aussi il a fait l'une des femmes mythiques de son œuvre. Dans « Rien n'y fait » (dans journal d'un Homme trompe), elle est Rosita; dans Gilles, elle est Pauline. Elle apporte à la passion une intransigeance ardente qui la transfigure: « Rosita les avait toutes dépassées par son extrême rigueur, elle avait une austérité africaine qui, dans les derniers temps, avait été portée au vertige et au sublime par la maladie. Tout ce qui n 'était pas l'étreinte lui paraissait préciosité méprisable, vaines allégations de l'impuissance, bavardages de cervelles vides. Dès qu'elle était dans mes bras, elle commençait de méditer longuement, profondément, infiniment, pieusement sur l'acte qui allait se produire; puis elle en mourait. Elle était toute dans l'acte pur et cet acte pur était agrandi aux puissances de l'Être 2• » Drieu l'emmène à Klo­ benstein, dans le Tyrol italien, où il se sent merveilleusement heu­ reux, mais elle tombe malade et ils se rendent à Venise pour consulter un médecin, Opérée d'un cancer après son retour à Paris, 1. L'Homme couvert de femmes, Gallimard, 1 925, p. 1 43. • 2. Jaumal d'un Homme trompé, Gallimard, 1934, p. 38.

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Emma Besnard ne parvient pas à guérir et dépérit pendant quelques mois. Drieu essaye de la soigner, mais il se sent déj à détaché d'elle et ne peut s'empêcher de la tromper. Finalement, il la l aisse repartir à Alger où elle mourra auprès d'un ancien amant. Dans le journal d'un Homme trompé, elle sert à illustrer la violence de la jalousie : Gilles, le narrateur, qui l'a accabl ée de question s sur ses ancien s amants, a fi n i par fixer s a rancœur sur Antonio, dan seur mondain dont elle a été deux ans la maîtresse. li rencontre un soir An tonio à demi ivre qui, sortant de chez Maxim's, le reconn aît et lui r aconte à quel point elle l'a aimé, lui, Gilles; même alors qu'elle se croyait trompée par lui, elle n'a pas réussi à lui être infidèle. M ais rien ne peut rassurer Gilles-Drieu : «Je n'ai jamais cru cet homme tombé du ciel 1 • ,. Dans Gilles, P auline occupe une place beaucoup plus impor­ tante que son modèle, puisque Gilles finit par l'épouser et voudrait un enfant d'elle; mais la maladie interrompt la grossesse et l a mort de Pauline revêt une signification symbolique; Drieu a transposé l'épisode douze ans plus tard pour le faire coïncider avec les émeutes de février 1934, le moment où a été écrasé à ses yeux l'ultime espoir d'une régénération de l a France. La dernière de ses anciennes grandes passions que cite Drieu est Constance Wash, celle qu'il a, dit-il, le plus aimée, sa « grande chance dans la vie». Il l'a rencontrée sur la Côte basque en 1924 et une liaison s'en est suivie. Con stance était mariée sans amour à un attaché militaire adjoint à l'ambassade des États-Unis et elle avait une fille. Elle avait de la fortune, et Drieu n'était pas son premier amant. Elle a incarné pour lui toute la beauté de la grande race nordique à laquelle il s'enorgueillissait d'appartenir : il l a dépeint dans Gilles sous le nom de Dora qui signale sa parenté avec l a civilisation dorienne : «Jambes longues, hanches longues. Un thorax puissant, dansant sur une taille souple. Plus haut, dans les nuages, des épaules droites el larges, une barre brillante. Plus haut encore, au-delà des nuages, la profusion solaire des cheveux blonds 2• » « Nue, Dora évoquait le plus grand bien des hommes : la beauté doriq�e s. � Drieu . s'enfl amme immédiatement et veut tout de suite la faire divorcer pour l'épouser. Trois mois durant, il est heureux avec elle à Paris mais Cony hésite à divorcer : elle tient à son enfant, sans doute à sa situation sociale, et elle redoute la passion incontrôlée de Drieu. En janvier, elle part pour le M idi, à Cavalière, avec sa fille et sa 1. journal d'un Homme lrompl, op. cil., p. 1 1 4.

2. Gilles, « Folio », 1984, p. 271. li. Ibid., p. 272.

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mère. Drieu la rejoint, et s'installe à proximité, à Cavalaire. Cony le retrouve deux fois par semaine et la situation paraît réglée : le mari semble accepter le divorce et Drieu projette de venir en Amérique en juillet; mais en avril, Constance repart pour les États­ U n is et lui envoie en mai une lettre de rupture. Cet échec sera un grand choc pour Drieu, même s'il analyse avec une extrême lucidité le sentiment de liberté qu'il éprouve à se trouver ainsi délaissé. Il ira même jusqu'à la tentation du suicide : Constance est la femme de Récit secret dont l'abandon le laisse seul avec son revolver dans une chambre d'hôtel à Lyon. D'envisager de si près la résolution du suicide pour guérir sa souffrance l'en libère en quelque sorte, et avec le reflux de la douleur, le suicide s'écarte. Drieu n'en considère pas moins qu'il reste depuis quelque chose de fêlé en lui. Alors qu'avec Beloukia il se résoudra aux compromis de l'adultère, Constance Wash avait constitué pour lui la chance majeure d'une union réussie dans l'intensité de la passion réciproque. Ses autres .aventures garderont toujours quelque chose de marginal par rap­ port à elle. Il cite en effet dans son journal d'autres femmes qui ont compté dans sa vie mais dont l'importance fut moindre. Il y a Cora Caetani, la comtesse italienne, rencontrée en 1 925 à Paris et qu'il a suivie en Italie. Il la voit à Rome, au milieu d'une société mondaine. Drieu songe en même temps à se marier avec une jeune Juive, Liliane R., mais i l revoit Cora à Nice et à Rome. Finalement, il rompra avec les deux, mais il dédiera à Cora une nouvelle tardive, « L'intermède romain », où elle fait une apparition inoubliable sous le nom d'Ed­ wige ; le narrateur admire la sobriété impeccable de son élégance et remarque que « son visage où il y avait une véritable somptuosité

de ligne contrastait avec cette sobriété, il semblait fait pour baigner dans les dentelles et les brocarts 1 ». Avec ses longues jambes, la pâleur

de son teint ambré, Edwige apparaît à la fois comme une incar­ nation de la beauté et comme la suprême efflorescence d'une société en pleine décomposition. Après elle et « la troupe de [s]es fiancées juives», Drieu essaye une seconde fois de se fixer en épousant la « Polonaise », Alexandra Sienkiewicz, dite Olesia. Il la rencontre au printemps 1 927 et bien qu'elle ne soit pas son type physique, il est séduit en elle par un mélange de force et de tendresse qui l'engage dans une cour pres­ sante. Elle est la fille d'un banquier sans fortune et il ne risque pas 1. Histoires déplaisantes, Gallimard, 1 963, p. 155. 21

avec elle de reproduire la faute de son premier mariage d'argent. Il l'épouse à l'église le 22 septembre 1927 et les jeunes mariés font un merveilleux voyage de noces au Pays basque avant de s'installer à Paris, rue Saint-Louis-en-l'île. Mais très rapidement, leurs liens se distendent ; Drieu séjourne à l'hôtel, il envoie Olesia seule à la montagne et il part lui aussi seul pour la Grèce en avril 1928. Sa correspondance reste tendre et il retrouve Olesia à son retour, mais leur mariage ne durera plus très longtemps ; ils vivent de plus en p)us souvent séparés et ils divorcent en 1931, non sans que Drieu ail connu auparavant de nouveaux coups de foudre. . En février 1929, Drieu a en effet rencontré l'A rgentine, Vic­ toria Ocampo. D'une riche famille aristocratique, élevée en Europe, Victoria jouait un rôle très important dans la vie littéraire de son pays. Elle connaissait bien l'intelligentsia française et passait pour prendre et quitter ses amants selon son caprice. En A rgentine, elle exerçait un mécénat princier et fonda en 1931 la revue Sur dont Drieu fut un des premiers collaborateurs ; il fit d'ailleurs partie du comité de rédaction. A près leur rencontre, il l'accompagne en Angleterre où il se révèle _à elle dans toutes ses angoisses d'homme qui se croit mal aimé : « A propos de je ne sais quoi, j'ai dit à Drieu que je ne serais jamais jalouse de lui, car on ne pouvait pas être jalouse d'un homme comme lui. Il se mit à pleurer en disant qu'alors tout était fini (je lui avais raconté que j'avais été très jalouse d'un autre homme). Cependant, si je lui avais témoigné la moindre jalousie... Ce soir­ là, je le voyais tel qu'en lui-même enfin les chocs avec la vie et le caractère des autres le changeaient: un enfant très malheureux et désirant toujours qu 'une femme lui offre la lune. On avait toujours envie de la lui donner... comme aux enfants 1 • » Victoria rentre en A rgentine

pendant que Drieu passe des vacances à Talloires avec sa femme et entouré d'amis. Victoria commence à lui envoyer de l'argent. A son instigation, il vient en Argentine de juin à octobre 1 932 faire une tournée de conférences qui est un franc succès et qui détermine selon le journal sa « chute dans un destin politique ». Il poursuit avec elle des relations intellectuelles brillantes et une sorte de marivau­ dage sensuel qui lui fait trouver son nouvel amant « channant » tandis que lui-même noue des relations amoureuses avec Angelica, la sœur de Victoria. En 1 933, Drôle de voyage est dédié à Victoria. La guerre d'Espagne les éloignera, car Victoria est hostile au fasop. cil, p. 2 1 7.

J. Lettre de Victoria Ocampo à Frédéric Grover, dans Andreu et Grover,

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cisme et prend nettement parti contre Franco ; mais l 'amitié ne disparaîtra pas, et Victoria est l'une des femmes à qui Drieu écrira au moment de se suicider. Entre-temps s'est cependant située une autre liaison impor­ tante de Drieu : Nicole Bordeaux, une amie d'Olesia qu'il a ren­ contrée à Chalain, dans le Jura, en été 1 93 1 . Elle est libre mais elle a peur du personnage de Drieu et après avoir couché une fois avec lui, elle s'enfuit en A ngleterre. Drieu lui offre alors de l'épou­ ser, mais la mère de Nicole s'effraye d'un prétendant si volage, et dépourvu de revenus fixes. Pourtant, Nicole retombe dans ses bras avant son départ pour l'Argentine. Drieu la voit régulièrement et fait de courts séjours avec elle en vacances : ainsi au bord de la Loire où il travaille à La Comédie de Charleroi au début de 1 933. Cela ne l 'empêche pas de retourner vers Victoria lorsqu'elle vient séjourner en Europe. Mais c'est encore auprès de Nicole que Drieu compose Le Chef aux Baléares en été 1 933, et il passe l'été 1 934 avec elle à Belle-Île où elle a loué une petite maison proche de la mer. Drieu envisage d'avoir un enfant d'elle, mais il hésite. Ce sera le sujet d'une transposition littéraire, la nouvelle intitulée « Journal d'un délicat » (dans Histoires déplaisantes) où l'on voit le héros osciller dans son refus de l'enfant entre les raisons mesquines d'un petit-bourgeois fin de race qui tient à sa tranquillité, et l 'aspiration supérieure d'un intellectuel ascétique qui se prépare à la mort et à la rencontre avec le divin :

Cet enfant se présentait non comme une fin, mais comme un commen­ cement. je ne sentais pas en moi les forces pour un commencement, du moins pour ce commencement-là. Je me sentais en moi des forces, mais pour un autre commencement. Pour le commencement de ma vieillesse, de ma délivrance, ou mieux pour le commencement de ma maturité et de ma culminance. C'était la.fin de mon moi et la germination en moi de ['uni­ versellement intime, du divin 1 • » Leur liaison durera encore quelque ff

temps, mais son échec est déjà définitivement inscrit en elle. Drieu ne se remariera pas et il n'aura pas d'enfant. Nicole est avec lui à Prague, en automne 1 934, lors d'un voyage que Drieu fait en Europe centrale, mais ce sont les derniers mois d'un amour qui se trans­ formera en amitié : la rencontre avec Christiane Renault en janvier 1 935 y mettra le point final. Au moins en son début, le journal se partage en effet entre les réminiscences nostalgiques de celles qui furent aimées et les

1. Histoim diplaisantes, op. cil., p. 68.

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derniers soubresauts d'une passion encore vivace mais en train de s'éteindre pour la femme que Drieu surnomme Beloukia dans la vie et dans le roman qu'il lui a consacré. Fille de notaire, née en 1895, Christiane Boullaire avait épousé Louis Renault en 1918. Elle avait eu de lui un fils, Jean-Louis Renault, né en 1920, mais le couple avait rapidement mené une vie très dispersée. C hristiane avait eu nombre d'aventures, avec des hommes mais aussi avec des femmes, et son riche tempérament la jetait de passion en passion. Mais on prêtait aussi des maîtresses à Louis Renault : la chanteuse Marthe Chenal vers 1923; Mona P aïsa, autre artiste; Aimée Morot­ Dubuffe, cousine de Christiane. M ais surtout, pendant la liaison de sa femme avec Drieu, il rencontre en 1937 l'actrice Andrée Ser­ vilanges, pseudonyme de Mme Andrée Moreau, née M esnier. Louis Renault aurait voulu qu'elle divorçât, et la situation devient très délicate lorsqu'il la loge avenue Foch dans un appartement de l'immeuble où lui-même habite avec sa famille. li est dès lors mal venu de reprocher ses infidélités à son épouse. La liaison de Drieu et de Christiane se déroule cependant dans le secret, aussi long­ temps qu'ils parviennent à le garder. Drieu que constern ait son rôle d'éternel amant, appelé à voir constamment se reformer der­ rière lui des couples qu'il n 'avait séparés que pour un instant - « Je ne suis qu'un amant, un sale amant!» - semble avoir accepté la situation sans la moindre tentative pour la changer; alors que dans son grand amour pour Constance Wash, il ne songeait qu'à la faire divorcer, il se résigne cette fois au rôle marginal qui lui est imparti, non sans en souffrir douloureusement : Beloukia, dit-il, « me laisse vivre dans un désert intenninable. Elle n'est jamais là et toute sa vie l'éloigne de moi» (p. 73). Devant la richesse du mari, sa puissance de gran d industriel, il s'est senti en quelque sorte hors jeu, incapable de proposer à celle qu'il aime une vie qui puisse rivaliser, fût-ce sur un autre terrain, avec les avantages de celle qu'elle menait. A cela s'ajoute une forme d'admiration fascinée pour son rival, l'une des plus fortes incarnations à son époque de l'homme d'action qu'il aurait rêvé d'être. Dans la transcription littéraire qu'il en donne dans Beloukia, il le valorise encore en renforçant sa dimension politique, en en faisant le prince M ansour, dont les avis sont les plus écoutés au conseil du Khalife. On retrouve ici la vérité roma­ nesque chère à René Girard et la situation triangulaire où le pres­ tige du rival rejaillit sur la femme aimée. Hassib le poète aime en quelq ue sorte Beloukia à travers sa jalousie admirative pour l'homme qui a su s'emparer d'elle et en faire sa femme. On atteint ainsi une

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espèce d'équilibre instable que Drieu a fort bien caractérisé dans le résumé qu'il a donné de Beloukia, ce roman qui selon l'expression si juste de Frédéric Grover est comme une longue lettre d'amour à la femme aimée : «- Il y aura toujours desfemmes qui auront aimé un

homme, qui resteront attachées à lui par la persistance de l'œuvre commen­ cée en commun et qui pourtant demanderont à un autre homme cet émoi de renouveau que l'amant précédent, devenu ami, ne peut plus leur donner. Voilà le fond sérieux, permanent de l 'adultère. Mais alors quel est le sort fait à l'amant dans de telles conditions? sort désastreux. L'intérêt premier de Beloukia c'est l'analyse de ce désastre 1 • » Ce désastre qui mène Hassib au choix délibéré d'une mort volontaire en le précipitant sous les armes de ses ennemis n'em­ pêche toutefois pas Beloukia d'être une espèce d'hymne à la passion amoureuse. C'est un livre de bonheur malgré sa fi n tragique qui n e fut pas celle de Drieu : Drieu ne s'est pas suicidé pour une femme et sa passion pour Christiane a survécu de longues années à la fin brutale qu'il lui imagin ait dans sa fiction orientale. Il semble même que cette résignation à l'échec qu'il éprouve auprès de Belou­ kia, toute liée à son fils et à son mari, ait été un gage de durée en instaurant une situation stable. Ce qui détruit son amour, ce n'est pas l'explosion paroxystique de la jalousie telle que la décrivait le roman, mais bien la lente usure du temps. Si cette passion pour Christiane Renault fut la plus longue passion de Drieu, c'est pro­ bablement à cette acceptation désabusée qu'elle le doit. Désabu­ sement tardif, d'ailleurs, et les réflexions désolées que nous lisons n e doivent pas nous faire oublier les élans furieux des débuts de cet amour : on trouvera dans la biographie de Drieu 2 des épisodes rocambolesques qui ne dépareraient pas l'invention romanesque la plus échevelée; c'est ainsi que dans les premiers temps de leur amour, Christiane Renault cache Drieu dans le coffre de sa voiture pour le faire pénétrer dans sa propriété de Giens où elle le loge ensuite clandestinement, n'hésitant pas en cas de danger à le dis­ simuler dans le placard de sa chambre à coucher. Ces épisodes hauts en couleur contrastent avec l'apparition triste et terne que fait Christiane Ren ault dans une autre œuvre de Drieu. Le dernier amour du héros de Gilles s'adresse en effet à une riche bourgeoise séparée de son mari mais obligée de dissimuler 1 . Frédéric Grover, Drieu la Roch,1/e, Gallimard, 1962, pp. I 58 sq. 2. Voir Andreu et Graver, op. cil., p. 334.

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ses aventures pour conserver la pension qu'il lui verse. On retrouve là l'obligation du secret propre aux amants ; mais en revanche, rien dans la personnalité de Berthe Santon n'évoque le rayonnement solaire de Christiane : « Elle avait un corps qui exprimait le plus irré­ sistible goût de vivre et un visage de pierre 1 • » La passion de Gilles pour Berthe, loin d'être un émerveillement tardif, signe définiti­ vement la décadence du héros, et Drieu ne fait que repren dre sous un jour négatif les éléments de la situation que nous avons analysés : « Se retourner vers Berthe, c'était un atroce aveu d'impuissance; il ne pouvait que haïr ce qui sortait des mains d'autrui, et qui ne se livrerait jamais tout à fait. Il n'avait pas un instant devant Berthe les illusions qu'il avait eues devant Dora. Ce retour du passé, avec ses fausses faveurs, c'était encore la punition du passé, une punition qui, semblait-il, ne.finirait jamais 2• » Dans l'économie de son intrigue romanesque, où le héros doit se retrouver aux lisières du déclin et de la mort à l'image de la France qu'il incarne, Drieu accentue encore les traits de son pessimisme existentiel. Il dévalorise son propre élan et la fl ambée sentimentale de sa maîtresse pour créer l'univers élégant, sobre et désespérément stérile où évolue Berthe Santon. On aimerait savoir comment Christiane, qui s'était vue transfigurée par les prestiges orientaux de Beloukia, a pu recevoir l'image exsangue et vide que lui renvoyait en 1939 le grand roman de son amant; le journal reste malheureusement muet sur ce point. Tout en allant vers l'effacement, Beloukia y occupe encore une place infiniment forte; Drieu n'est pas de ces diaristes dont parle Béatrice Didier et qui, fascinés par eux-mêmes, sont incapables de faire vivre les personnages qu'ils aiment ou qu'ils rencontrent. Même en train de s'effriter, sa p assion assure une intense présence à l'être aimé, et l'on compren d en le lisant à quel point la tendresse peut constituer un sentiment fort. Toutes les évocations de Belou­ kia sont dominées par elle : lorsque Beloukia a un grave accident d'automobile en se rendant sur les lieux du bombardement qui vient d'atteindre l'usine de son mari, Drieu constate : « Je n'ai jamais aimé autant Belou. Cet accident m'a fait sentir comme j'étais attaché à elle» (p. 292). Et il s'accuse de ne l'avoir pas assez aimée, de ne pas avoir su tirer d'elle un amour encore plus grand. Il la sent seule au fond d'elle-même, perdue, n'ayant pas d'autre soutien dans la vie que l'amour qu'il lui porte. Il va même jusqu'à se soucier de 1. Gilles, éd. citée, pp. 582 sq. 2. Ibid., p. 583.

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l'avenir de cette femme que l'âge gagne, vouée à l'amour sans amour et à la déception dans sa recherche du plaisir; lui qui a été 'si jaloux, il s'inquiète de ses futurs amants et conclut avec une sorte de brutalité apitoyée : « En voilà une à qui la vieillesse sera dure » (p. 347). Car le drame de leur rapport, c'est la disparition presque complète de la sexualité. Le journal nous confronte au problème de l'impuissance de Drieu lorsqu'il avoue n'avoir plus fait l'amour avec Beloukia depuis six mois. I l peut avoir avec elle des retours de sensualité, où ils se retrouvent au milieu des larmes dans les bras l'un de l'autre ; mais la tonalité dominante est celle d'une disparition du sexe au profit de la tendresse, disparition où se trahit même une sorte d'effroi de Drieu devant les exigences sensuelles de sa maîtresse. Cette sensualité qui le tuait ne le rapprochait pas d'elle, il ne la soutenait « que par une tension forcée » : « pour la satisfaire encore il me fallait épuiser ma santé, me fouetter » (p. 1 52). Sans qu'il lui en fasse le moindre reproche, et plutôt avec une sorte d'admiration, Drieu voit Beloukia comme une dévoreuse d'hommes que toute frustration érotique jette dans les bras de nouveaux amants. Il n'en souffre pas moins d'apprendre leur existence : là encore, l'aveu se fait dans les larmes, car on pleure beaucoup dans cette liaison qui ne veut pas mourir. Et paradoxalement, au sein même de l'évidence sexuelle, Drieu est amené à revoir sa vision trop femelle de la femme, à constater combien chez elle la tendresse peut venir au secours de la sensualité déficiente, assurant ainsi à la passion un relais délicatement spirituel. Pourtant cet amour est moribond, ainsi qu'en témoignent les deux promenades sentimentales qui jalonnent l'itinéraire des amants : la triste errance sur la Riviera vidée par la guerre où Drieu se sent ridicule, « vieux gigolo épuisé » dans son manteau du bon faiseur ; et l'excursion à Chantilly où les deux promeneurs muets pensent chacun de son côté à des choses qui les éloignent l'un de l'autre. Car l'amour de Drieu pour cette femme toute instinct, à qui il se reproche d'avoir, peut-être, apporté « une lueur de dange­ reuse conscience » (p. 1 57), repose sur une incompréhension intellec­ tuelle qui les sépare dès que la passion est retombée : « J'ai tellement

souffert de notre manque d'union, de communion spirituelle. Certes, en gros, nos sensibilités s'accordaient, mais la sienne ne venait pas jusqu'à s'épanouir avec la mienne dans le plan spirituel » (p. 1 5 2) ; «je souffre de ne pouvoir lui communiquer mes pensées, mes idées, l'intéresser à tout ce qui me passionne intimement. De là des silences qui doivent lui faire 27

croirt à ma froidl'Ur » (p. 1 66). Comme en d'autres domaines, Drieu

est ici pris au piège de sa valorisation de l'instinct et de son refus de l'intellectualité; ce qu'il a tant aimé chez Beloukia devient aussi ce qui le sépare d'elle. Pourtant la vie sentimentale de Drieu ne se termine pas sur cette note sombre : deux femmes apparaissent encore à la fin du journal. L'une, Suzanne Tézenas, est à peine présente et c'est plutôt dans la correspondance de Drieu avec elle I que l'on pourra la trouver. L'autre, qui n'est désignée par Drieu que sous son initiale, apporte une ultime touche lumineuse à cette fi n de vie 2 • O n n e saurait être insensible à l a pudeur discrète d e son évocation ; elle aide à comprendre tout le charme tendre dont Drieu a su entourer les femmes qu'il aimait. Alors que souvent la lucidité et l'ironie apportent un contrepoint brutal au discours amoureux, i l n'y a ici que transfiguration idyllique de la personne aimée ; et toujours on retrouve les grandes constantes de l'amour chez Drieu. Depuis Marcelle Jeanniot qui pouvait sembler bête jusqu'à Beloukia en passant par Emma Besnard et Constance Wash, Drieu a toujours préféré les femmes instinctives aux intellectuelles. La seule véri­ table exception est Victoria Ocampo, qu'il avoue avoir rapidement prise en grippe. Dans cette galerie de femmes qui unissent l'épa­ nouissement physique à la sûreté intuitive, K. incarne bien tout ce qu'aime Drieu : « Elit est silencieuse, simple, voluptueuse, très humaine, très animait. [ ... ] Ce sont de ces femmes qui passent pour n 'être pas

intelligentes mais qui comprennent tout. C'est mon type physique et moral. Grande, élancée, épanouie avec de longs membres forts » (p. 3 8 1 ). Elle

apporte à Drieu une véritable jouvence sensuelle qui le repose de Beloukia : car comment interpréter autrement sa sexualité retrou­ vée. Il chérit en elle « une parfaite satisfaction physique, sans fureur ni convulsion » (p. 37 1 ). N'était-ce pas justement que Drieu se rétrac­ tait devant les exigences de la sensualité de Beloukia, toute en «fureur » et en « convulsion »? Cela impose aussi de revoir les idées toutes faites sur l'impuis­ sance de Drieu. Il y a dans son personnage de séducteur universel quelque chose de provocateur qui incite à la contradiction. De ). Lettres d'octobre 1 944 au 9 février 1 945, publiées dans L'Herne, 1 982, pp. 363-373. 2. Drieu écrit d'habitude en clair les noms de ses maîtresses ou de ses amis : il ne les abrège qu 'occasionnellement, par souci de rapidité au cours d'un déve­ loppement, après les avoir initial�ment nommés en to�tes lettre � . Nou� respec­ terons donc son silence, car K. vit encore et ne souhaite pas voir sa vie privée étalée au grand jour.

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même que d'aimables psychanalystes ont voulu voir en Don Juan u n homosexuel qui s'ignore, il est tentant d'imaginer ce Casanova comme secrètement impuissant, d'autant que l'impuissance a consti­ tué l'une de ses hantises : « J'ai commencé très jnme à être impuissant par intmnittence» (p. 393). I l est bon sur ce point de se rappeler quelle vie sexuelle épuisante Drieu a souvent menée dans sa jeu­ nesse, lorsqu'il quittait une de ses maîtresses pour se rendre direc­ tement au bordel ; on serait fatigué à moins, et l'excès sexuel explique certainement beaucoup de ses défaillances. Mais il faut aussi y ajouter la peur irraisonnée de Drieu, sa défiance devant ses capa­ cités amoureuses qui pouvait l'entraîner jusqu'à des paradoxes comiques. Dominique Desanti rappelle la phrase énigmatique que Drieu répétait souvent à ses intimes : « je bande toujours mais je ne jouis jamais», et y ajoute une a necdote truculente qu' Aragon a racontée à André Thirion : « Ils étaient au bordel tous les deux. Cela

leur arrivait souvent. Drieu était un homme de contradictions et de complexes. De temps à autre il s'inquiétait de sa virilité, ce qui le troublait beaucoup. Aragon entendit qu'on l'appelait d'un salon iroisin. C'était Drieu, portant une femme nue dont les cuisses étaient accrochées à ses reins; la femme était solidement chevillée par une virilité sur laquelle elle jouait de la croupe en gémissant. Louis, Louis, criait Drieu avec une angoisse réelle, Louis, Louis, je suis impuissant 1 • »

Avec l'âge, la situation change, et bien que le Drieu du journal n'ait guère qu'une cinquantaine d'années, il semble précocement épuisé par ses excès, si tant est que cette formule puisse avoir un sens. Le journal est clair sur ce point : Drieu reste six mois sans faire l'amour avec Beloukia ou confie : « Quant à la femme, Dieu merci (encore!) je suis impuissant depuis plusieurs années» (p. 392). Mais la rencontre avec K. et sa « parfaite satisfaction physique» apporte un correctif considérable à cette affirmation ; certes, Drieu n'est plus guère tenté par une Beloukia vieillissante dont les fortes exigences sensuelles l'épuisent et l'obligent à forcer sa nature. Mais lorsqu'il rencontre une charmante jeune femme de trente ans, le ton se modifie du tout au tout et la figure de K. s'entoure d'une atmos­ phère voluptueuse. L'image de la femme pâlit au profit de la spé­ culation métaphysique ou de l'inquiétude politique, mais elle ne d isparaît cependant pas entièrement. Cette thématique de l'impuissance est d'ailleurs en relation J. A. Thirion, Révolutionnaires sans révolution, cité par Dominique Desanti dans Driro la Rochelle ou le séductror mystijii, Flammarion, 1978, p. 185. 29

étroite avec deux autres caractéristiques de la sexualité de Drieu : le fiasco devant les jeunes filles et l'idée qu'il se fait d'une virilité idéale. Drieu se plaint de n' avoir pu, faute de situation et d'argent, choisir ses partenaires parmi les jeunes filles; il aurait donc été obligé de séduire des femmes riches qui non seulement n' avaient pas besoin d'être entretenues, mais pouvaient même à l'occasion l'entretenir lui-même, celles qu'il appelle ses « mécènes féminins». Mais il est permis d' imaginer des raison s plus profondes : « Mon premier fiasco fut devant une vierge» (p. 330), avoue-t-il (peut-être s'agit-il précisément de sa première femme). Les vierges lui font peur et l'effrayent encore plus que les femmes honnêtes, et il émet lui-même l'hypothèse que son éducation religieuse lui ait fait assi� miler le coït à une souillure. La pureté de la vierge l'arrache en quel que sorte à son désir et la met dans un monde à part où l'érotisme ne s'exerce plus : elle est glaciale et hors d'atteinte. Son antithèse exacte est la putain qui, déjà souillée par le passage d'in­ nombrables hommes, s'offre aux entreprises charnelles en toute impunité; elle met à l'abri des risques de la séduction : échec, cul pabilité, collage. D'où ce goût intempérant pour les bordels, déjà dépeint abondamment dans Gilles. M ais par un paradoxe qui n'est qu'apparent, Drieu recherche dans les putains ce dont il se prive en renonçant aux vierges : il oublie instantanément auprès d'elles tous les hommes qui les ont déjà maniées, et leur recrée une espèce d'innocence; il oublie qu'il les a payées et cherche auprès d'elles un substitut de l'amour; par les incan tations de sa tendresse, il ten te de les arracher à leur prostitution routinière pour restituer un simulacre de sentiment; et parfois, à son émerveillement, il y parvient. Mais si les putains libèrent Drieu de la jalousie, il la ressent d'autan t plus auprès des autres femmes. Selon des mécan ismes éprouvés, son érotisme passe par la jalousie : « Lesfemmes distinguées que j'ai aimées, je savais qu 'elles avaient eu des a mants et je ne les désirais que dans la mesure où j'étais horriblement jaloux et me représentais leurs fornications passées, présentes et à venir» (p. 33 1 ) ; mais là encore, comme avec les putains, il rêve que la puissance de son amour leur rendra une secon de virginité dans l'absolu du sentiment. Sajalousie emprunte d' ailleurs fréquemment une forme particulière : dans sa liaison avec Beloukia mais aussi de façon plus générale, elle se fixe sur le saphisme qui, contrairement à l'homosexualité masculine, le fascine autant qu'il le repousse : «j'ai été obsédé par le saphisme 30

pendant des années : c'était une obsession masochiste. Je souhaitais et craignais la souffrance que me causaient les scènes imaginées » (p. 324). Sans que cette obsession devienne aussi envahissante que chez un homme comme Céline, Drieu y voit une caractéristique de sa sexua­ lité qui se heurte ici à une sorte de naturel de l'anti-nature, dans l'évidence d'un désir inversé, et à une impossibilité de rivaliser en tant qu'homme avec la personne jalousée : d'où l'impression d'une sorte de fatalité contre laquelle se brise sa jalousie individuelle. Les révélations du journal en ce domaine sont d'autant plus intéres­ santes que l'œuvre publiée se montre très discrète sur ce point, si l'on excepte la violente jalousie que Hassib éprouve envers les aventures féminines de Beloukia. En dehors de cet épisode, le saphisme est très rare dans l'œuvre et engendre généralement les mêmes réactions dégoûtées que la pédérastie : dans « Le Pique­ nique » 1, n ouvelle de jeunesse, le héros, Liessies, surprend sur une plage une scène d'amour à trois où la belle Américaine, Gwen, se défend mollement des entreprises de Gustave tout en enlaçant sa femme, Jeannette. Liessies est aussitôt frappé d'.,. unejalousie dégra­ dante, un dégoût qui semble compromettre à jamais ses appétits les plus vifs, une basse colère. La beauté de Gwen est flétrie 2». Dans Gilles, les aventures de Clérences auxquelles il mêle sa femme Antoinette suscitent une réaction très voisine chez le héros. Comme la drogue, cela apparaît plutôt comme une manifestation de la décadence française que comme un prétexte à excitation érotique. Mais nous disions que l'obsession de l'impui ssance chez Drieu avait encore une autre cause que la difficulté de ses rapports avec les vierges et les femmes pures, à savoir sa conception très parti­ culière de la virilité triomphante. Drieu qui avoue avoir toujours plus désiré le corps des femmes que le plaisir est en effet victime d'une espèce d' aberration machiste : il oublie que son désir relève d'abord d'un émerveillement devant la beauté pour imaginer une espèce de pansexualisme éternellement disponible qui lui paraît incarner la vérité d'un instinct non adultéré par la décadence. A ce titre, il considère que tout homme sain doit désirer toute femme en bonne santé, qu'elle soit belle ou qu'elle soit laide, avec l'évi­ dence d'un mécanisme physiologique qui s'enclenche automatique­ ment. Le simplisme de ces vues est forcément démenti par l'ex­ périence : le désir est infiniment plus capricieux et fugace; quoi d'étonnant s'il fuit en de multiples occasions( l. Dans Plainte contre Inconnu, Gallimard, 1 924. 2. Ibid., pp. 163 sq.

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Peut-être pourrait-on aussi rapprocher de cela sa valorisation exclusive du coït ; qu'il s'agisse de Beloukia ou d'Emma Besnard, Drieu exalte en effet chez la femme la concentration sur l'acte pur, �u détriment de tous les jeux sensuels qui peuvent l'accompagner, A la limite, le raffinement savant de ses caresses lui apparaîtrait comme une sorte de perversion, ou tout au moins de hors-d'œuvre inutile. Comme le fait remarquer Dominique Desanti, il va ainsi à l'encontre de tout ce que la sexologie récente nous apprend sur l a nature polymorphe de l a sexualité féminine 1 • I l va aussi à l'en­ contre de sa propre expérience : la tendresse qui persiste chez Beloukia, alors même que les feu x d'une sensualité plus directe sont éteints, devrait le détourner d'une réduction aussi simpliste de tout le rapport amoureux à I' « acte pur ». Là encore, Drieu remplace les complexités spirituelles de la vie par u n appel à l'ins­ tinct élémentaire dont les éclipses le déçoivent inévitablement. Mais Drieu ne refuse pas seulement les caresses masculines qui s'adressent à la femme - au point d'en faire u n élément du mépris des Anglais pour les Français (p. 396) -; il interprète les caresses féminines comme une dégradation de l'homme qui s'y soumet. Pour lui, un homme doit posséder et non être possédé. Ainsi parvient­ il à une formule frappante pour se déni grer : ... une nature introvertie, invertie, mais avec les femmes » (p. 393). Qu'est-ce que cette hypothé­ tique inversion d'un homme livré aux femmes, sinon de nouveau une exclusion ascétique de toutes les caresses amoureuses pour réduire l'homme à une pure activité de possession - possession dérisoire, d'ailleurs, et cette fois Drieu est trop intelligent pour s'illusionner sur sa réalité : la beauté des femmes vient confondre cette conception simpliste de l'instinct sexuel, elle est ... somme toute

inaccessible à l'homme qui ne l'épuise jamais par le rut. La seule façon de posséder une femme est de la Jaire souffrir » (p. 324). L'esquive

perpétuelle de la beauté devant le désir en appelle finalement a u sadisme, échec définitif du mythe d e la possession saine par l'ins­ tinct pur. On peut s'intel'.roger sur les raisons d'une telle austérité, au moins au niveau du discours conceptualisé, chez un homme qui a tant aimé les femmes. Sans doute faut-il en rechercher les sources dans les premières expériences amoureuses de Drieu, lorsque sa timidité et sa misère sexuelle d'adolescent en m ilieu bourgeois le livraient aux prostituées de bas étage. Les Notes pour un roman sur

l. D. Desanti, op.

ciL,

p. 1 89. 32

la sexualité nous renseignent sur le haut-le-cœur que ressentait le jeune Drieu devant les caresses des putains; son désir de les faire jouir et de dépasser avec elles le rapport professionnel se heurtait à leur volonté de ne pas se fatiguer, de ne pas se commettre dans la jouissance avec leurs clients ; elles lui imposaient leurs caresses selon « leur habitude et leur rite » et le confinaient dans un rôle passif qui au fond lui répugnait profondément « à cause de l'idée qu'il sefai­ sait de la virilité positive 1 ». Ce monde des bordels qu'il a tant aimé reste malgré tout pour Drieu le monde de la souillure, et il transpose à toutes les femmes le dégoût durable qu'il conserve de ses pratiques. Sans enfant, sans femme à son foyer, livré à la quête inassou­ vissable du désir, Drieu s'est souvent conçu comme une sorte de frère ennemi des homosexuels; mais sa formule le précise bien : il n 'est inverti qu'avec les femmes; et si ses ennemis « ont très bien senti [ ... ] le caractère féminin, inverti » de son « amour pour la force » (p. 393), il s'agit là d'une orientation intellectuelle qui n'a rien à voir avec une homosexualité latente que certains ont cru pouvoir lui prêter. On a trop dit combien le problème de la sincérité dans les journaux intimes était un faux problème pour que nous nous étendions sur ce point, mais le journal nous fournit un témoignage essentiel sur le rapport de Drieu à l'homosexualité. Drieu a toute sa vie été coquet avec les pé dérastes, mais son expérience en ce domaine s'est limitée à un seul essai infructueux : «je n'ai jamais

aimé les hommes, et n'ai qu'une fois essayé de coucher avec un homme, par curiosité et meforçant. Ce fut un échec complet, je n'eus aucun désir et une répugnance qui tôt éclata » (p. 399). On ne peut même pas en

appeler à la psychanalyse et prétendre qu'il s'agit d'une simple dénégation, puisque loin d'éviter le sujet, il l'aborde de front. Les Notes complètent cet aveu en rappelant diverses expériences homo­ sexuelles de jeunesse qui restent au niveau des jeux érotiques, à un âge tendre où la sexualité s'est encore mal déterminée et où tous les adolescents conn aissent un moment d'incertitude sexuelle. Surtout, elles sont plus précises sur l'épisode qui mérite d'être cité en entier :

« Pendant la guerre, se trouvant au dépôt de son régiment, il avait été pris d'une curiosité plus décisive. Il avait tellement entendu parler du vice et il en parlait assez. pour être agacé de tenir là-dessus des propos qu'il sentait sots parce que calqués sur les préjugés courants. Par une sorte de scrupule aussi, il se demanda si son aversion n'était pas seulement 1 . Not,s pour un roman sur la sexualitl, inédit, p. 1 5.

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ignorance. Et il avait voulu savoir. Un de ses camarades de régiment qui était brave, instruit, spirituel et assez beau cachait à peine ses préférences. Un soir, il avait fait exprès au hasard d'un cantonnement de se trouver dans le même lit que lui. L'autre, un peu surpris, s'était d'abord montré prudent et s'était Lancé dans des approches oratoires. Mais lui brusquement lui avait dit : • Ne me fais pas de phrases, fais ce que tu veux. " Et puis ç'avait été La mêmefrigidité qu'avec Le peintre. Et pourtant il mourait du besoin deJaire l'amour. Au bout d 'un moment, l'autre lui avait paru ridicule et ennuyeux, même exaspérant et il l'avait repoussé avec un rire un peu brutal 1• »

Cet aveu si complet et si direct semble infirmer du coup l'hy­ pothèse d'une autre expérience homosexuelle que Drieu aurait pu avoir avec Aragon . Vers 1923, Aragon a raconté à M axime Alexandre « que Drieu la Rochelle et Lui s'étaient livrés un jour - ou une nuit, et une seule fois - à des tenta tives de gymnastique pas tout à fait orthodoxes ». Comme Aragon avait bu ce soir-là à l'excès, M axime Alexandre ne voulut pas le croire mais Aragon, dégrisé, lui confirma le lendemain la vérité de ses confidences 2 • En tout état de cause, ce ne peut être cet épisode avec Aragon que rappelle Drieu dans son journal, puisque les Notes précisent bien que la tentative eut lieu avec un camarade de service militaire. Or Drieu est formel, il n'a essayé qu'une seule fois de se livrer à une expérience homosexuelle. La confidence d'Aragon est donc fort sujette à caution, et l'on ne peut que minimiser ce qui a pu se passer entre lui et Drieu. Ce qui est par contre indéniable, c'est le caractère passionnel de l'amitié de Drieu pour Aragon, y compris dans la forme dra­ matique que prit pour lui leur rupture. Le témoignage le plus précis que nous ayons sur elle est Gille, pièce écrite en 1931 que Drieu définissait comme une « comédie sur la jalousie des hommes dans L'amitié ». On y voyait deux amis qui se jalousaient mutuellement, Gille Gambier admirant Jean Blandin pour son talent tandis que ce dernier enviait en lui le charmeur, l'homme à femmes. A leur désaccord était mêlée une femme qui avait été leur maîtresse à tous deux, mais c'est surtout l'hystérie passionnelle de la rupture qui était révélatrice : Jean fin it par dire à Gille qu'il le méprise, et Gille se vautre avec une sorte de délectation masochiste dans l'ivresse d'être méprisé par l'ami qu'il admire. Bien plus que dans des rela­ tions érotiques, c'est dans cette forme de survoltage sentimental 1 . Notes pour un roman sur la sexualité, pp. 2 1 sq. 2. Nous empruntons cette anecdote à Andreu et Grover, op. cit., p. 1 85 sq,

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que réside l 'aspect homosexuel de la relation entre les deux amis; ceci indépendamment de l 'homosexualité partielle mais bien réelle d'Aragon, à laquelle se réfère fort vraisemblablement l'affirmation du journal : « Sexuellement, je l'avais percé à jour : je comprends qu'il ne m'ait pas pardonné cela » (p. 432). On ne rattachera pas à ces problèmes d'homosexualité la miso­ gynie parfois stupéfiante de certains propos du journal ; elle relève beaucoup plus de cet idéal phallocratique qui est à la base des aspirations de Drieu. Son rapport aux femmes est caractérisé par un mélange de besoin et de refus : « Ne pouvant me passer desfemmes

el les haïssant, les méprisant, el parfois les comprenant, m'apitoyant sur elles » (p. 367). Drieu reprend toute une tradition de misogynie qui

va des théologiens archaïques jusqu'à son maître Nietzsche pour dénier aux femmes toute égalité avec l'homme. Le corps des femmes est délicieux comme tout ce qui participe de la nature, mais les femmes n'ont pas d'âme, et à la limite, elles n'existent pas (pp. 385, 396). L'aspect délibérément provocateur de telles affirmations s'éclaire à la lumière d'autres passages où Drieu reproche aux femmes leur absence de génie, d'originalité individuelle et même d'humour : « les femmes sont sérieuses comme la pluie, surtout quand elles sont frivoles » (p. 348). Les femmes n'existent pas par elles­ mêmes, car elles sont le reflet d'un homme. Drieu s'accuse même de s'être trompé dans sa quête en demandant aux femmes de lui apporter une perfection intérieure qui serait une donnée autonome de leur personnalité, alors que c'est à l'homme de faire surgir d'elles la spiritualité latente qui attend son impulsion créatrice. L'homme invente la femme comme il invente ses dieux, elle ne lui fournit qu'un matériau qu'il doit savoir travailler : «je n'ai pas compris que l'homme donne forme à la femme, mais qu'elle lui apporte sa substance,

sa vie, celle magnifique matière brule de sa spiritualité qui appelle le ciseau. Certes, il faut savoir la posséder dans sa chair, mais au-delà elle espère beaucoup, tout » (p. l 33). Dans l'esprit de Drieu, de telles

formulations sont certainement conçues comme un grand hom­ mage à la femme qu'il dote de ce qu'il admire le plus, la force de la vitalité brute ; le lecteur moderne y voit surtout l'opposition entre une activité créatrice et une passivité qui attend sa forme de l'ex­ térieur. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici la distance critique qui nous fait aujourd'hui émettre des réserves sur l'apo­ logie de l'amour faite par les surréalistes, les anciens amis de Drieu : les féministes ont beau jeu de montrer comment la femme surréa­ liste reste une femme objet, fût-ce au sommet d'un piédestal. 35

Même avec la retombée du désir, Drieu reste pourtant l'homme à femmes qu'il a été toute sa vie : le 18 octobre 1944, il n ote encore qu'il passe une large part de son temps à rêver d'elles : «j'imagine

le corps d'une belle femme qui tire ses traits de mes divers soui•enirs et je • me décris mes relations quotidiennes avec elle, selon le mythe d'une liaison réussie et d'un mariage parfait » (p. 425). M ais m algré tout son amour des femmes, Drieu est l'homme le moins fait pour le m ariage, ainsi qu'en témoignent le s deux échecs qu'il a connus. Il n 'est pas de ceux qui ont besoin de vivre en permanence avec une femme : « J'ai

besoin de la femme, mais seulement pour de courtes minutes. Les longues heures de mollesse sur un divan m'ennuient et me donnent du remords »

(p. 152). Le dernier mot revient à la solitude, et le journal est là pour témoigner que d' autres préoccupations absorbent plus de place dans la réflexion de Drieu que la rumination nostalgique de ses amours anciennes.

* Le journal de Drieu va de septembre 1939 à mars 1945 ; c'est dire qu'il s'inscrit à peu de chose près dans le cadre de la Secon de Guerre mondiale. L'intérêt de Drieu pour la politique lui interdit de se perdre, comme Amiel, dans les méandres de l'auto-analyse et des menus faits du quotidien; il a conçu lui-même cette œuvre comme le témoignage d'un intellectuel français sur les grands évé­ nements de son temps. Français nationaliste, puis collaborateur des Allemands, il va suivre le déroulement de deux défaites : celle de son pays, vécue aujour lejour au moment de la débâcle dejuin 1940, puis celle de l'Allemagne, considérée à plus grande distance, pres­ sentie dès les premiers échecs de H itler en Russie. Ces deux débâcles dramatisent profondément le j ournal qui se déroule sur fond de civilisation en train de s'écrouler. Dans cette tourmente, Drieu ne sera qu'un observateur aigu et non un acteur, bien que les velléités de s'engager ne lui aient pas fait défaut. Il y a même au début une sorte de va-et-vient assez lassant entre le souhait de se rendre au front et le désir de réforme, justifié par son ancienne blessure au bras et par divers maladies ou malaises qui handicapent sa santé et en font un guerrier problématique : aortite, m aladie de foie, varices, etc. Sur­ tout, Drieu paraît bien frivole ou bien fragile par rapport à l'enjeu lorsqu'il invoque comme prétexte pour ne pas partir la peur de s'ennuyer ou son horreur de la promiscuité des popotes. Cette 36

indécision qui aboutira finalement à l'abstention est d'autant plus irritante que Drieu n'est pas tendre pour ceux de ses amis que n'enthousiasme pas l'idée de se retrouver sur le front ; il accuse Malraux, pourtant mobilisé dans les chars, de rester dans son trou, ou trouve sinistrement comique le fait que Bertrand de Jouvenel parte avec difficulté dans un régiment d'infanterie : " Cela l'mnuie prodigieusement et la peur le ronge» (p. 1 3 1 ), note-t-il sans aménité. Entre ses maladies et ses blessures, le jeune Drieu entendait autre­ fois ) 'appel du front ; à quarante-six ans, un Drieu vieillissant conserve ses nostalgies guerrières mais il ne va pas jusqu'à les faire aboutir. Il retrouvera cette tension entre le désir de combattre et la rési­ gnation à l'inaction dans les derniers mois de sa vie : il regrettera de ne pas mourir sur le front dans un régiment écossais ou dans un régiment S.S., il cherchera même après sa première tentative de suicide à contacter Malraux pour servir auprès de lui dans l'armée française. Mais cette fois, c'est la mort volontaire qui mettra un terme à toutes ces velléités. En mai-juin 1 940, le journal suit de façon haletante l'effon­ drement de l'armée française. La percée des colonnes de Guderian, l'encerclement des armées anglo-françaises à Dunkerque confirment Drieu dans toutes ses appréhensions et il montre une conception fort juste des nouveaux facteurs de la guerre moderne : " L 'aviation, c'est la nouvelle cavalerie, comme celle des Perses et des Huns qui bouscule les vieilles règles de l'infanterie. Et le tank remplace la légion et la phalange» (p. 1 95). Il voit très bien l'inutilité d'une ligne Maginot qui ne se prolonge pas jusqu'à la mer. Mais il croyait que la force militaire était, comme autrefois à Athènes, la dernière à s'effondrer dans un pays en décadence, et la promptitude de la défaite française le surprend en dépit de son pessimisme : " On est toujours étonné par la réalisation de ce qu'on a pressenti et prévu. Je ne croyais pas tout de même que ça pouvait aller si vite. Et malgré tout, j'étais imbibé de la bêtise environnante» (p. 199). Pour comprendre les rai�ons de la débâcle, il incrimine les faiblesses de conception de l'Etat-Major français qui n'a pas perçu les données de la nouvelle guerre de matériel ; et l'on sait en effet l'infériorité en aviation des armées alliées, la mauvaise utilisation par les Français de leurs unités blin­ dées, presque aussi nombreuses que celles des Allemands, mais mal réparties, éparpillées avec l'infanterie au lieu d'être regroupées en masses offensives 1 • Ensuite, réfugié au Périgord, Drieu cherche l. Les Anglais et les Français possédaient 2 280 blindés modernes contre

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surtout à dégager les raisons morales de cet effondrement : dis­ cutant avec des soldats de passage, il a l'impression que la France s'est dérobée devant le combat : selon la vieille distinction maur­ rassienne, le pays réel a refusé la guerre que lui avait imposé le pays légal. Non que le haut commandement ait trahi , mais « il a fait une espèu de grève intellectuelle » (p. 259) en se désintéressant d e l a guerre. Sans ordre des États-Majors inaccessibles, abandonnés par leurs officiers de troupe, les soldats ont lâché pied sans combattre 1 • Le grand responsable est donc ce pays légal qui n'a pas su s'armer pour la guerre ni mobiliser les énergies quand elle a été inévitable. Drieu n'est pas tendre pour le personnel politique de la I I I• République et, bien avant la débâcle, il trace des portraits au vitriol de Daladier et de Paul Reynaud, les deux présidents du Conseil que connaît la France dans la période de guerre. Sa position coîncide alors avec celle de l'extrême droite, mais celle­ ci n'était pas seule à formuler des critiques. A son arrivée a u pouvoir, Daladier, l e « taureau du Vaucluse », jouissait d ' u n capital de sympathie. Sa simplicité d'homme du peuple plaisait, et il s'était battu courageusement en 1 9 1 4 ; mais son indécision, ses ater­ moiements dégradent rapidement son image et il devient l'homme de la « drôle de guerre », l'attentiste dont l'inaction a condamné la Pologne. Lorsqu'il se retire sur un vote qui lui apporte une majo­ rité de 239 voix mais avec 300 abstentions, c'est non seulement la moitié de la droite mais les socialistes qui lui ont refusé la confiance. Et Paul Reynaud n'obtient l'investiture qu'à une voix de majorité, après des manœuvres de couloir acrobatiques. D'autres que Drieu l'accusent d'être un mondain brillant mais fragile, trop influencé par les avis de sa maîtresse, la comtesse de Portes. Son ministère est un ministère de compromis plus que de consensus, où l'on multiplie les postes pour satisfaire un maximum d'adver­ saires. La vie politique française donne une impression d'impuis­ sance et de combinaisons qui écœure un de Gaulle aussi bien 2 800 pour les Allemands : mais en ce qui concerne l'aviation, la disproportion était dramatique; les Français disposaient d'un millier d'avions auxqu_e ls s'ajou­ taient 350 avions anglais basés en France, tandis que la Luftwaffe pouvait engager 4 000 appareils. 1. Ces propos désabusés reflètent des situations bien réelles, mais il ne faut cependant pas oublier qu'en plusieurs points les Français o �t opposé une résistance fort active, attestée par les pertes des deux adversaire� : 92 000 morts et 200 000 blessés du côté français : 45 000 morts ou portés disparus du côté alle­ mand.

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qu'elle nourrit les tendances anti-démocratiques de l'extrême droite. C'est évidemment avec la débâcle que Drieu va se déchaîner contre les politiciens de la I I I• République et contre tout ce qui incarne la France de son temps : « La chose incroyable fut que ces gens

qui avaient organisé la médiocrité, la somnolence, la perte du sens et la démission générale, brusquement voulurent tirer de cet amas de décombres une force de guerre. Les gens qui avaient tué toutes les vertus de l'esprit et du cœur chez les Français prétendirent les redresser soudain comme des guerriers capables de force, d'adresse et de sacrifice » (p. 248). Et, pour lui, les responsables sont innombrables : les Juifs, les intellectuels de tous ordres,journalistes et écrivains, sorbonna'l'ds et instituteurs, les francs-maçons et les évêques, les parlementaires démocrates et les paysans mesquins qui les ont élus, trop contents de pouvoir les mépriser et de n'avoir au-dessus d'eux que des médiocres. Pour Drieu, l'intellectuel libéral est coupé du sens de la mort qui a toujours habité les penseurs de droite, et du coup il est aussi privé du sens de la vie. Les politiciens sont ignorants de tout, « de la

géographie et de l'histoire, de l'économie, de la stratégie, de l'esprit des lois, du contrat social, de la religion, de la philosophie, de la nature, de Dieu » (p. 265). Leur incapacité serait bouffonne si la guerre ne la rendait tragique ; car Drieu partage avec Céline l'idée que la démo­ cratie a inventé les carnages modernes avec leurs levées en masse et leurs millions de morts. Dans La Comédie de Charleroi, il regrettait les beaux temps de la guerre ancienne qui n 'opposait que des professionnels dans des engagements limités ; dans le journal, il confronte aux grands exacteurs de l'histoire ces petits voleurs de la démocratie qui « deux fois en vingt ans se sont révélés de grands

assassins, de grands pourvoyeurs d'abattoirs, des équarrisseurs très exacts et très épuisants. Le petit-bourgeois, le fils du peuple envoie à la mort quand il est ministre aussi bien et mieux que le noble et le prince. L'ins­ tituteur dans sa morgue rationaliste vous arrange en un tour de main une hécatombe d'un million d'hommes » (p. 249). Drieu avait déjà montré dans Gilles la décadence de la vie politique française, mais la pré­

sence du désastre stimule son tempérament de pamphlétaire et enflamme l'imprécation qui en devient presque lyrique. Car Drieu éprouve une sorte de satisfaction amère à voir se réaliser ce qu'il redoutait depuis longtemps. Dès Mesure de la France, il affirmait que son pays n'avait pu l'emporter sur l'Allemagne que grâce à l'aide de troupes étrangères, d'une coalition qui comportait les Américains. La France est surclassée par l'Allemagne pour n'avoir 39

pas voulu faire d'enfants : dans chaque foyer paysan, on attend avec anxiété des nouvelles du fils unique. La débâcle n'est que l'attestation tangible d'une décadence générale que Drieu dénon­ çait depuis ses premiers livres. M ais, plus encore que matérielle et démographique, la décadence de la France est morale. Physique­ ment, les soldats de la déroute ont encore assez bon aspect, mais c'est le« ver moral » qui est en eux. La France est un pays de petitesse qui a abaissé son aristocratie sans savoir élever son peuple. Elle paye maintenant le prix de sa bassesse et Drieu, comme une grande partie de la droite française et des vichyssois, est tout disposé à voir une punition dans ce qui lui arrive. Les Français sont un peuple vieux par rapport aux Allemands et aux Russes; ils sont incapables de tirer d'eux-mêmes une nouvelle élite comme ils ont pu le faire en 1789. Et l'imagination de Drieu le porte vers deux types d'image pour manifester une décadence qui ne se limite pas aux politiciens. La France lui apparaît, sans qu'il prononce le mot, comme une sorte de cancer rongeur ou de maladie contagieuse qui peut s'étendre à tout son entourage : « La décomposition de la France creuse dans l'Europe un trou de scandale, d'horreur et pourrait prendre un caractère defascination décourageante » (p. 252). M ais elle est aussi victime d'un

phénomène de pétrification qui revient dans ses propos chaque fois qu'il évoque la décadence : le Français « retraite en deçà de l'humain,

en deçà de l'animal, à la songerie inerte, au ruminement idiotement fallacieux de la pierre. Le Français si loin des dieux, des hommes, des animaux est un sédiment déposé pour une passive éternité d'intellectualité pétrifiée, m iné­ rale » (p. 253).

Toutefois il arrive à Drieu de pressentir la part d'arbitraire inhérente à sa condamnation des Français : ne sont-ils pas ici des représentants de toute l'humanité? C'est l'exemple de Nietzsche qui attire son attention sur ce point, lorsqu'il relit Par-delà le bien et le mal : « En effet, tout le mal qu'il dit des Allemands et qu'il croit

uniquement caractéristique de son peuple, est en réalité en quantité équi­ valente au mal qu'un homme comme lui, s'il se laisse aller aux humeurs immédiates, pense forcément de tous les humains. L 'optique nationaliste nousfait reporter sur notre peuple une grande partie de la critique qu'en un siècle plus classique nousferions porter sur le genre humain en général. La psychologie des nations est entachée du préjugé nationaliste. Moi, je tombe constamment dans cet inconvénient, avec les Français » (p. 342).

Un peu plus tard, Drieu intégrera ce raisonnement à sa pen sée sans même se référer à N ietzsche : « Quand on s'occupe trop de son 40

peuple, on finit toujours par injurier en lui l'humanité entière. J'ai vu d'assez près les Allemands pour les trouver aussi idiots que les Français »

(p. 448). Mais il s'agit là d'instants de lucidité ponctuels qui ne contra­ rient qu'à peine le dénigrement masochiste et systématique de son pays vaincu. Ce qui l'emporte au moment de la débâcle, c'est l'ab­ sence de tout espoir, en même temps que se fait jour avec une extrême violence le tempérament réactionnaire de Drieu qui ne rêve que de détruire tout ce qui en France incarne l'universalisme et la modernité. Son programme des 1 9 et 21 juin 1940 relève d'un esprit de revanche forcené ainsi que d'une forme de délire: expulsion de tous les originaires des pays d'Orient et d'Afrique, statut des étrangers, suppression des partis et de la Chambre, sup­ pression des syndicats remplacés par des ordres corporatistes, sup­ pression ou contrôle étroit des journaux, suppression de !'École Normale et de l'agrégation, et j'abrège. Drieu anticipe sur une politique raciale hitlérienne en imaginant des regroupements par provinces qui correspondraient à des origines franques plus ou moins pures, tandis que certaines provinces seraient exclues, comme la Bretagne ou le Pays basque. Il rêve surtout d'un retour au passé par la destruction dans Paris de toutes les constructions récentes ou remontant au x1x• siècle, comme la gare d'Orsay ou la tour Eiffel. Il partage la vieille méfiance de la droite contre les grandes villes et veut renvoyer à la terre les citadins d'origine campagnarde, dans une totale méconnaissance de ce qui fait la force d'un pays moderne: il y a un profond paradoxe à vouloir reconstituer une France agricole quand on a si bien analysé le rôle joué dans la débâcle par le manque d'avions et de chars. C'est dire qu'on ne se trouve plus ici au niveau du raisonnement mais à celui de la passion pure. , Avec de tels principes, on s'attendrait à ce que Drieu salue avec enthousiasme la politique du maréchal Pétain, sa sympathie pour une France rurale. Le 6 juillet 1940, il télégraphie à Vichy pour s'y faire appeler, dans l'espoir dejouer un rôle d'intermédiaire entre les forces vives de Vichy et l'ambassadeur d'Allemagne à Paris, Otto Abetz, à qui le lie une « espèce d'amitié» depuis 1934. Il part pour Vichy le 19 juillet, ayant trouvé une auto ; il y voit le ministre des Affaires étrangères, Baudouin, et son chef de cabinet, Guérard, qui lui donnent un laissez-passer pour regagner Paris 1 • 1 . Pour le rôle politique de Drieu après l'armistice, on consultera le Fragment dt mlmoirts, Gallimard, 1982.

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Mais le spectacle de Vichy, "' vieilleries ramassées en tas 1 », le déçoit, de même qu'à l'occasion d'un nouveau voyage en octobre où il rencontre Bergery. Sans faire partie d'un groupe, Drieu est proche de l'aile radicale de la collaboration parisienne pour laquelle Vichy représente un régime tiède, incapable de mener l'effort de réno­ vation nationale qu'elle juge indispensable. Pour Drieu, avec Vichy, la France "' est sortie de son ornière de gauche pour retomber dans son ornière de droite» (p. 276) : il rêve d'un jeune parti fasciste et il ne trouve que tempor!sation, une racaille de droite qui remplace l a racaille de gauche. A des titres différents, il méprise les deux figures majeures de Vichy : "' Ce vieux con de maréchal, ce salaud de Laval

réagissent comme ils sont aux événements. j'ai toujours méprisé ce général passif, ce défenseur de Verdun purement négatif. Cette vieille bourrique du juste milieu» (p. 303). Sa violence se déchaîne particulièrement

contre Laval envers qui il ressent une sorte de haine raciale ; c'est f( cet ignoble Laval, ce métisse de juif et de Tzigane, ce débris fait derrière une roulotte» (ibid.) comme il l'écrit en novembre 1 942. Mais dès septembre 1 940, son jugement était péremptoire : « à Vichy - ce

Coblentz intérieur, ce lieu de toutes les émigrations, de toutes les fuites, de toutes les peurs, de tous les repliements, ce réceptacle de tous les déchets - on continue à parler, à ne pas travailler, à ne pas gouverner 2».

Patriote européen qui ne croit plus aux petites patries mais aux empires, Drieu militait dès 1 928 dans Genève ou Moscou pour un renforcement de la Société des Nations et la formation d'une Europe fédérale. N'attendant plus rien de la France qui lui semble vouée à une irrésistible décadence, il subit une dérive dangereuse mais logique. Puisque l'Allemagne est victorieuse, c'est elle qui peut prendre la tête de l'unification européenne, indépendamment de toute considération morale. Drieu va donc reporter sur H itler les espoirs qu'ont définitivement déçus les politiciens français. Le journal constitue ainsi une sorte d'adieu au patriotisme. Pendant la lutte avec l'Allemagne, Drieu affirmait son appartenance natio­ nale qu'il faisait passer avant ses choix de politique intérieure, et il attaquait violemment ceux qui, tels les communistes, lui sem­ blaient adopter l'attitude inverse. Toute la puissance de son sen­ timent nationaliste l'attachait à la France, "' cette chose qui fut éner­

gique et exquise et qui l'est encore au fond du peuple et dans les monuments subsistants et chez quelques artistes contemporains» (p. 205). Mais il ) . Fragmtnl dt mémoires, op. cil., p. 36. 2. Ibid., p. 1 08.

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détestait en même temps les Français, par une extension de cette haine de soi qui forme le fond de son caractère : à quoi bon mourir au m ilieu de gens qui méconnaissent désormais tout ce qui pour lui a de la valeur? Le patriotisme français se muait en internatio­ nalisme européen et c'était l'A llemagne qui l'incarnait le mieux, · du moins tant qu'elle était victorieuse, avant de céder le relais à la Russie. On voit ainsi alterner chez Drieu les professions de foi pro­ hitlériennes et les invectives contre la faiblesse et les erreurs qui vont entraîner la défaite allemande. Drieu a craint Hitler, il a même redouté qu'il n'éliminât l'intelligentsia française ; il le juge encore sévèrement au début du journal : comparé au Mémorial de Sainte­ Hélène, .,. Mein Kampf sent aussi la décadence; pensée de journaliste rudimentaire, avide d'un sensationnalisme grossier » (p. 80). Mais, para­ doxalement, c'est lorsque la défaite de Hitler paraîtra inéluctable - que Drieu exprimera le plus violemment sa sympathie pour lui, en des termes fort choquants pour le lecteur moderne qui a l'impres­ sion d'entendre parler d'un autre personnage que de celui qu'il connaît par l'histoire : .,.je ne regrette qu'une chose, c'est de n'avoir pas

cla mé plus Jort mon amour de la violence, de l'aventure, de Hitler et de l'hitlérisme (en dépit de leurs horribles défauts et insuffisances) » (p. 406) ; .,. Hitler me plaît jusqu 'au bout, en dépit de toutes ses erreurs, de toutes ses ignorances, de toutes ses bourdes. En gros, il a dressé devant moi mon idéal politique :fierté physique, recherche de l'allure, du prestige, héroïsme guerrier - et même besoin romantique de s'épuiser, de se détruire dans un élan non calculé, non mesuré, excessif.fatal » (p. 4 1 6). Seuls manquent dans ce panorama exalté les crimes de Hitler ; Drieu se laisse comme emporter par sa sympathie pour le vaincu ; s'il n'admire que les vainqueurs, il se sent toujours du côté des vaincus. Le phénomène d'identification, qui lui faisait retrouver dans la France ses propres faiblesses, se transfère en effet sur l'Allemagne dès lors qu'il place en elle ses nouveaux espoirs : .,.j'ai reporté sur

l'Allemagne le pessimisme que je vouais auparavant à la France. je croirais toujours menacée ou perdue la cause queje soutiendrais » (p. 384).

On voit d'ailleurs souvent se confondre les reproches qu'il adresse à l'Allemagne et ceux qu'il adresse à H itler : Drieu a besoin d'as­ similer un pays à l'homme providentiel qui le dirige, Staline, H itler ou Mussolini. Il veut voir en Hitler l'incarnation du peuple alle­ mand : .,. Sans doute que les Allemands, tout au moins du peuple, restent

attachés à lui parce qu'il est l'image de leur destin, comme Napoléon l'était des Français. Avant Napoléon, qu 'avaient désiré les Français, si 43

u n',st Cl' qu, Napoléim voulut ll'Ur donn,r. Un Hitil'r ou un Napoléon est l'expression du désir, de la foi et de l'impuissance des hommes, de leur espoir et de leur désespoir. Ils ne peuvent renier qu'à la dernière minute, quand il l'St trop tard » (p. 4 1 3 sq,). Cette exaltation du chef constitue

d'ailleurs l'un des mobiles du mépris que Drieu porte aux démo­ craties : aucun homme ne lui sembl e_ incarner la volonté politique de la France, de l'Angleterre ou des Etats-Unis, même s'il lui arrive d'admirer un discours de Winston Churchill ; ce sont des pays orphel ins qu'il désigne par leur nom, jamais à l'aide d'un héros éponyme en qui culminerait une mystique du chef. Toutefois, à l'occasion, surtout lorsque les Allemands se montrent incapables de réaliser les ambitions de Hitler, il refait la distinction entre le chef et ses concitoyens : «je n'ai jamais été gmnanophile ni genna­

nomane. je l'ai toujours dit, on l'a toujours su quand on me connaissait. Ce qui m'a attiré c'est Hitler et l'hitlérisme » (p. 399).

Mais la politique de Hitler en France le déçoit profondément. Il espérait que les Allemands aideraient la France à former un parti fasciste puissant capable de la régénérer. Il ne pouvait évidemment connaître la directive 490, dictée par Hitler le 9 juillet 1 940 : « Soutenir les efforts du gouvernement français pour établir un régime

autoritaire n'aurait aucun sens. Toute forme de gouvernement parais­ sant propre à restaurer les forces de la France se heurtera à l'opposition de l'Allemagne. En Europe, seule l'Allemagne commande. .» C'est

l'épreuve des faits qui lui permettra de jauger cette mauvaise volonté allemande envers les mouvements français fascisants. En novembre 1 942, il se demande si les Allemands craignent la force éventuelle d'une nouvelle France fasciste, ou s'ils désespèrent seu­ lement de la possibilité d'un renouveau fasciste français : « Je suis

arrivé ces jours-ci à la certitude par les actes des Allemands et par leurs propos qu'ils n'avaient que méfiance et dégoût pour les rares éléments fascistes qu'il y a en France » (p. 307). Les Allemands libéraux

souhaitent une France démocrate, tandis que les impérialistes ber­ linois craignent du fascisme un redressement français. Drieu arrive donc à une appréciation fort juste de la politique hitlérienne en France, mais celle-ci se situe aux antipodes de ce qu'il attendait d'elle. Drieu est également très sévère pour la stratégie militaire de Hitler : il lui fait d'abord un reproche très général d'inertie qu'il adresse aussi bien à d'autres nations. Peut-être par réaction contre l'immobilisme de la « drôle de guerre », Drieu était en 1 940 d'un activisme forcené et il aurait vu volontiers les Alliés attaquer tout 44

a

le monde partout la fois. En mars 1 943, il accuse Hitler de n 'avoir ni un cri du cœur ni un sursaut d'imagination : « Il est pltrifil dans la limite de ses forces» (p; 336). En I 942, il lui reprochait déjà de perdre six mois chaque année, au lieu d'attaquer sans trêve ; il rêvait de le voir envahir l'Italie et l' Espagne, s'emparer de Gibral­ tar, boucler la Méditerranée, Planifiée par Drieu, la guerre prend des allures pichrocolines dans la plus superbe ignorance des impé­ ratifs stratégiques, Il en veut ainsi au Japon de ne pas attaquer la Russie et de ne pas être plus offensif, alors même que celui-ci, après ses premières victoires, parvenait mal à maîtriser d'un simple point de vue logistique l'immensité des étendues conquises. Mais surtout, après l'échec de la guerre éclair contre la Russie, Drieu reproche à Hitler d'être aussi bête que Napoléon et de reproduire l'erreur de la campagne de Russie , bien qu'il eût dit autrefois à Louis Renault : «Je ne ferai jamais la bêtise de Napollon, je n'irai jamais en Russie» (p. 28 I ). Ainsi l'histoire se répète; Napo­ léon lisait l'aventure de l'équipée russe de Charles X I I de Suède sans en tirer profit, mais son exemple n'a pas mieux servi à Hitler. Avec beaucoup de clairvoyance, dès décembre 1 94 1 , Drieu estime que les Allemands vont s'enliser dans l'hiver russe. Renseigné par la radio anglaise qu'il écoute régulièrement, éclairé par son pessi­ misme instinctif lorsqu'il s'agit de ses amis, Drieu se montre ici bon prophète, bien avant le désastre allemand de Stalingrad. Il est d'ailleurs conforté dans son jugement par sa manie démographique qui lui a toujours fait mesurer la force d'un pays à son nombre d'habitants et non à sa puissance industrielle. De même qu'il jugeait la France trop peu peuplée devant l'Allemagne, il voit celle-ci débordée à son tour par les millions d'habitants de l'empire russe. Mais pour Drieu, les fautes hitlériennes relèvent surtout de l'ordre politique. Les Allemands sont d'ailleurs pour lui un peuple privé de sens politique parce qu'ils sont mauvais psychologues. Hitler manque terriblement d'hommes de talent autour de lui, ce qui ne peut que renforcer ses carences personnelles. La plus grave est de n'avoir pas su orienter son mouvement dans un sens réso­ lument socialiste ; comme Napoléon encore, hésitant entre les princes et les peuples, il a louvoyé et est resté trop favorable au capitalisme. Son erreur inexpiable a été la nuit des longs couteaux, lorsqu'il s'est débarrassé de l'aile gauche de son parti, de Roehm et des S.A. le 30 juin 1 934. Drieu n'est pas révolté en soi par ce massacre sanglant, mais par le fait qu'il a visé la mauvaise cible au lieu de s'en prendre aux forces réactionnaires.

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Cette erreur de politique intérieure va avoir des conséquences graves en politique internationale. En juin 1940, Drieu place son espoir dans l'Allemagne pour réaliser l'unité européenne : « L'Al­ lemagne socialiste réussira l'internationalisme européen que l'Angleterre et la France plouto-démocratique avaient manqué à Genève» (p. 250). À défaut d'une fédération égalitaire, il imagine une Europe sous hégémonie allemande, mais encore faut-il pour cela que l'Alle­ magne ne se mure pas dans un impérialisme à l'ancienne et que, comme les armées de la Révolution, elle apporte avec elle un bou­ leversement des consciences. Or H itler ne cherche pas à éten dre à l'Europe les innovations qu'il a réalisées sur son propre sol : « Le silence, l'inertie politique de Hitler en Europe depuis deux ans est un signe extraordinaire du crépuscule du génie en Europe. Aucune imagi­ nation, aucune création, impossible de sortir du cercle magique de la nation, de la coquille de la patrie, de la sclérose de la vieille diplomatie militariste et impérialiste» (p. 328). Hitler et les Allemands ne rai­ sonnent qu'en termes d'Allemagne et non pas d'Europe. En 1944, ils « récoltent ce qu'ils ont semé en 40 et 41 : absence d'esprit révolution­ naire. Ils ne pouvaient justifier invasion et occupation que par la révo­ lution. Il ne s'agissait pas de prendre l'Alsace, mais de supprimer la frontière douanière et de fédérer l'Europe contre la Russie» (p. 359). Ici, Drieu se laisse déborder par la déception, la rancune, l'indignation, sans chercher à s'interroger sur le s raisons qui ont pu empêcher l'Allemagne de diffuser à l'extérieur son message nazi. Certes, e lle aurait pu construire un nazisme plus socialiste, mais pour le reste, Drieu néglige totalement la teneur raciale du message nazi ; i l est fort concevable de répan dre dans le monde entier une doctrine universali ste comme celle de la Révolution française ou du commu­ nisme soviétique : mais comment assurer en pays celte ou slave la popularité d'une politique axée sur la restitution de la pureté raciale germanique? Condamné par ses erreurs politiques, Hitler est aussi constam­ ment contrecarré par ses adversaires allemands ou par de pseudo­ parti sans qui sabotent sa politique aux yeux de Drieu. Celui-ci se déchaîne en particulier contre le haut Etat-Major allemand de la Wehrmacht dont il a fort bien senti la réserve aristocratique envers la démagogie hitlérienne. L'attentat du comte Stauffenberg le 20 juillet 1944 ne le surprend pas, de même que la réaction immé­ diate de l'armée contre les S.S. Il va jusqu'à soupçonner Rommel d'être un traître qui « va exprès perdre la bataille de Salerne comme il a perdu exprès El Alamein» (p. 357). Souvent sa lucidité est ain si 46

prise en défaut par sa passion partisane ; il conçoit mal que la

Wehnnacht cherche à limiter le désastre allemand désormais pré­ visible et préfère la considérer comme une cf racaille démodée et réactionnaire » (p. 408), comme une sorte de Vichy allemand où

toutes les forces de la vieille droite s'unissent pour freiner la poli­ tique nazie. Mais les Allemands de Paris lui semblent encore pires si c'est possible. Ralliés à l'hitlérisme par opportunisme, ce sont en fait des cf démocrates de naissance et de nature » (p. 307), Abetz en tête, des cf libéraux lâches et sournois » (p. 4 1 0) qui ont constamment trompé et trahi les forces françaises favorables au fascisme. Drieu oublie qu'il a diagnostiqué dans l'hostilité allemande au fascisme français une volonté délibérée de maintenir une France faible et il n'aperçoit plus partout qu'esprit démocratique et trahison. Les faiblesses et les erreurs de Hitler et des Allemands vont par contre-coup valoriser Staline et les Russes. Alors que « pauvre Hitler » n'était pas assez sauvage (p. 3 1 7), Staline, avec les succès de l'armée russe, va devenir ce maître que Drieu cherche partout autour de lui : cfJe mourrai avec une joie sauvage à l'idée que Staline

sera le maître du monde. Enfin un maître. Il est bon que les hommes aient un maître qui leur fasse sentir l'omn_ipotence féroce de Dieu, l'inexorable airain de la loi » (p. 320). Substitut du Dieu farouche de l'Ancien

Testament, le grand politique apparaît ainsi dans une perspective nettement théocratique. Faut-il voir dans les ambiguïtés du rapport de Drieu à son père, à la fois méprisé et redouté, la source de cette adoration pour une puissance paternelle, politique et divine? Nous sommes en tout cas pleinement dans cette mystique du chef qu'il développe en l'idéalisant dans L'Homme à cheval. Drieu a besoin d'une figure paternelle idéale qui lui impose brutalement sa loi. Il se complaît même dans l'évocation d'un Staline qui égorgera tous les bourgeois (p. 325). Mais il garde pourtant un reste de sa vieille sympathie pour Hitler, dans la mesure où il voit en Staline quel­ qu'un qui a eu plus de chance que lui dans les données de départ : cf D'homme à homme, Staline a l'avantage injuste sur Hitler d'incarner

un peuple plus prudent, plus jeune, plus nombreux, plus riche : cela lui donne du poids, de l'équilibre, lui pmnet de modérer ses passions » {p. 4 1 4).

· Car comme pour Hitler, Drieu tend à confondre le peuple et l'homme providentiel qui le représente. Bien loin d'être prophé­ tique, son Jugement ne fait que suivre la courbe des événements, évoluant d'un mépris profond pour le peuple russe à une appro­ bation sans mélange. Lors des premières difficultés russes de la campagne de Finlande, il plaçait le monde russe plus bas que terre :

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• l'éternelle apathie russe » (p. 134) suscitait même en lui des plaisan­ teries teintées de racisme : les Russes devraient être verts, comme d'autres peuples sont jaunes ou n oirs, cela permettrait de mieux comprendre à quel point ils diffèrent de nous; et il se deman dait s'il n'y avait pas une faiblesse congénitale de la race slave. M ais que les premiers succès russes arrivent, et tout change : comme il le note avec cynisme et lucidité en octobre 1943, « tout le monde est séduit par les Russes. Le succès a un pouvoir irrésistible » (p. 358). L a seule chose qu'il puisse invoquer e n faveur de sa clairvoyance, c'est la précocité de son revirement : dès novembre 1941, il constatait que les Russes effrayaient les Allemands« par leur nombre, leur santé, leur courage, leur foi, leurs ressources » (p. 277); et l'excuse qu'il invoque pour son aveuglement initial, c'est l'enthousiasme de L'Humanité : comment croire un journal qui vous a si souvent trompé! La fai­ blesse du communisme français, cette faiblesse qu'il a cru retrouver aussi en Espagne ou en Chine, lui a masqué la force russe. Au gré des succès et des revers des Russes et des Allemands, Drieu va donc être livré â une oscillation permanente entre les deux idéologies rivales du fascisme et du communisme, montrant bien ainsi la fragilité du fondement de ses convictions. Quand Drieu voit les Russes victorieux, il aban donne du même coup son credo fasciste qui ne lui apparaît plus que comme une ultime réaction du monde bourgeois : « Le conservatisme bourgeois a perverti le fascisme par l'intérieur. Les marxistes ont eu raison : le fascisme n'a été finalement que défense bourgeoise » (p. 350). Ce n'est pas une modification de sa position politique qui motive Drieu, c'est le fait que les Russes soient plus forts que les Allemands, Staline plus fort que Hitler : il est ainsi très semblable â son héros de « L'Agent double » qui se range du côté du leader dont la puissance charismatique lui semble la plus décisive. Cela ne l'empêche pas d'attendre du communisme des catastrophes : il a justement penché du côté du fascisme parce qu'il le pensait moins destructeur que Je communisme (p. 399) ; et il est fort vrai que dans Une Femme à sa fenêtre, le héros, le commu­ niste Boutros, trace de sa doctrine une image fort peu attirante : pauvreté, travail, suspicion policière ; il n e semble guère aller au­ devant de lendemains qui chantent. Chez Drieu, l'adhésion finale est teintée de catastrophisme : « En tous cas, c'est avec joie queje salue l'avènement de la Russie et du communisme. Ce sera atroce, atrocement destructeur, insupportable pour notre génération qui y périra toute de mort lente ou brusque » (p. 379). Cette adhésion reste donc ambiguë. Drieu souligne très lucidement les attaches bourgeoises qui le 48

séparent du communisme : la peur bourgeoise devant l'inconnu qu'a eue son grand-père au moment de la Commune, sa liaison avec Christiane Renault, la plus riche des bourgeoises, ses « répu­ gnances de peau devant un communiste» (p. 344), répugnances qu'il éprouve, il est vrai, aussi devant les bourgeois et tous ceux qui représentent une classe sociale. Et puis il n e peut se déjuger si brutalement de son engagement fasciste; tous ses vœux vont donc au communisme, mais il ne saurait songer à une véritable recon­ version communiste : « Rien ne me sépare plus du communisme, rien ne m'en a jamais séparé que ma crispation atavique de petit-bourgeois. Mais cela est énorme et cela a engendré des paroles et des attitudes auxquelles il vaut mieux rester fidèle, auxquelles je ne puis que rester fidèle » (p. 390). La découverte de la force russe et l'admiration pour le communisme ne constituent donc en aucun cas une solution pour son existence personnelle; elles ne peuvent engendrer chez lui aucune action concrète, elles le laissent éternellement errer dans le rêve et le mirage du politique. Dans l'incapacité de passer en actes du fascisme au commu­ n isme, Drieu acceptera donc jusqu'à la mort les ultimes consé­ quences de son engagement premier; mais cela ne l'empêche pas d'être victime d'une forme d'opportunisme intellectuel qui le range à chaque fois du côté du plus fort. Il ne s'agit pas d'un simple cynisme, mais d'un prolongement de son complexe d'infériorité enfantin. Drieu a toujours eu le sentiment d'être faible physique­ ment et il n'a jamais pu accepter d'être dominé par la force brutale des autres. Nourri d'épopée napoléonienne et de littérature enfan­ tine où s'étalait un héroïsme romanesque, il a rêvé de régner sur les cours de récréation; mais pour être un chef, il lui manquai� la force et il devait recourir à la ruse. Ainsi qu'il le raconte dans Etat civil, une bagarre avec un rival se termine un jour par une défaite humiliante. Plus tard, à l'armée, La Comédie de Charleroi nous le montrera encore incapable de s'imposer physiquement aux mauvais sujets de sa section. Et cette force n'est pas seulement nécessaire aux chefs, mais à tout homme digne de ce nom; en particulier dans le domaine sexuel, Drieu insiste sur le fait qu'un homme doit être en mesure de défendre la femme qui l'accompagne contre toute agression. Le sentiment d'être inférieur à cette exigence développe chez lui un dangereux complexe qui lui fait valoriser en soi toute manifestation de force. Les Alleman ds ont raison au début de l a guerre parce qu'ils gagnent, mais Drieu les abandonnera intellec­ tuellement pour les Russes dès que la situation s'inversera. 49

Le virage de Drieu du fascisme au communisme est donc plus géopolitique qu'idéologique, il est même â la limite raciste dans la mesure où les Russes lui apparaissent comme u n peuple plus jeune qui surclasse les Allemands. La seule permanence politique de la pensée de Drieu, c'est son idée de l' Europe qu'il charge désormais les Russes de réaliser â défaut des Allemands. Cette espèce d'in­ différence â toute conviction idéologique profonde explique en même temps sa versatilité qu'il tend à projeter sur tous les acteurs du drame qui déchire le monde : il redistribue les alliances au gré de sa fantaisie, comme si les différents pays engagés dans la guerre n'étaient qu'un jeu de cartes qu'on peut battre et couper â volonté. li reproche ainsi aux Japonais de ne pas attaquer les Russes, quitte â s'allier avec eux le lendemain (p. 34 1 ). li n'est pratiquement pas de combinaison qu'il n'invente, de renversement d'alliances qu'il n'imagine, dont le plus burlesque est certainement celui d'une hostilité anglo-américaine (p. 280), éventuellement â l' instigation des Russes (p. 358). Mais il voit aussi les Russes s'allier aux Alle­ mands (p. 296), ou au contraire ceux-ci s'allier aux Anglo-Améri­ cains contre les Russes (p. 369). La même fantaisie règne dans le domaine spirituel : il se laisse aisément persuader que l'Église pré­ fère le bolchevisme, ou il lui suppose des sympathies maçonnes. Dans cette combinatoire insensée, il oublie tout ce qui constitue la personnalité historique, politique et même raciale d'un État moderne pour en faire un simple pion qu'on déplace à volonté, comme au temps des renversements d'alliances dans les cours du xvm� siècle. Les seules affinités qu'il consente â reconnaître sont d'ordre psy­ chologique, lorsqu'il envisage la possibilité d'une internationale des dictateurs où Staline accepterait de venir en aide â H itler. Là encore on retrouve une valorisation et une toute-puissance de l'homme providentiel, bien au-dessus des réalités politiques qui sont déli­ bérément ignorées. La seule chose stable qui surnage avec l'idée de l'Europe, c'est plutôt un dégoût, un refus : l'horreur viscérale de la démocratie. Cette constante maurrassienne de la personnalité de Drieu s'ex­ prime â de multiples reprises, et c'est elle en particulier qui justifie le communisme, massacreur de bourgeois.jugé préférable au " retour

de la vieillerie, de la friperie anglo-saxonne, du requinquage bourgeois, du retapage démocratique » (p. 379). C'est elle encore qui explique

une lacune étrange de l'univers politique de Drieu. Puisqu'il vénère partout la réussite et la puissance, on s'attendrait à ce qu'il s'incline devant les succès américains autant que devant les succès russes. 50

Or lui qui a tant admiré autrefois les Américains, il semble désor­ mais fermé au triomphe des États-Unis sur les Japonais et les Alle­ mands ; après s'être demandé au début de 1 942 si les Japonais ne surclassaient pas les Américains grâce à la jeunesse de leur peuple, à la fin du journal il semble ignorer totalement les succès des Américains contre leurs adversaires. Cette tache aveugle de la vision de Drieu relève assurément de son mépris pour la démocratie américaine : même victorieuse, une démocratie ne saurait à ses yeux qu'être faible. Viennent peut-être s'y ajouter deux autres raisons. La première est politique : Drieu attend du vainqueur qu'il unisse l'Europe, et cette tâche lui paraît convenir à la Russie bien plus qu'aux États-Unis, pays extra-européen ; la seconde est raciale, les Etats-Unis lui apparaissant comme un grand pays de métissage, barbare et décadent à la fois : les Américains ne sont qu'un « résidu de bagnards évadés, de transfuges de tout, de planqués » (p. 1 60). Le préjugé raciste se révèle encore plus puissant que l'adoration de la force. Drieu est pourtant bien conscient de la puissance américaine, et il en vient à la redouter pour l'hégémonie russe qu'il souhaite voir triompher : « Encore aujourd'hui, je vois des faiblesses dans la

Russie et le communisme. Je vois bien que la Russie n 'est pas encore arrivée vraiment à la maîtrise industrielle et militaire et que l'Amérique et l'An­ gleterre sont capables de prendre sur elle une revanche momentanée »

(p. 390). Drieu passe ainsi son temps à changer de champion, mais la force de celui-ci ne lui paraît jamais suffisamment assurée. S'il mise sur Staline et les Russes, c'est aussitôt pour mettre en doute leur capacité à réaliser ses espoirs : «Je reporte mon pessimisme sur

les Russes el je me demande s'ils ne devront pas eux aussi s'incliner devant les Anglo-Saxons » (p. 403) ; « Staline pourra-t-il profiter du chemin frayé par ses deux frères [Hitler et Mussolini] ? je commence à douter, je reporte sur lui 111011 éternel pessimisme » (p. 408). Ce phénomène de

report est bien caractéristique de son absence de conviction idéo­ logique véritable ; on assiste chez lui au triomphe du contingent en même temps que se dégage une terrible soif d'absolu. Drieu semble convaincu que la guerre se terminera par la victoire décisive d'un parti sur les autres, par l'établissement d'un ordre mondial définitif. li voit la Seconde Guerre mondiale comme un processus permanent qui ne s'achèvera qu'au moment où les problèmes du monde seront réglés une fois pour toutes. Bien peu instruit par ses études his­ toriques, il n'imagine pas que les équilibres entre puissances sont constamment en train de se faire et de se défaire, que les hégé51

monies ne sont jamais ni entières rii éternelles. Il substitue à l'ins­ tabilité inhérente à la vie une vision figée, il cherche comme il le dit lui-même à « ramener le vivant à une espèce de statisme» (p. 90). Il y a en lui de l'utopiste appliqué à fixer le monde dans une immobilité dernière. Cette vision recoupe un pessimisme historique et culturel beau­ coup plus fondamental encore que son pessimisme politique. I l pense comme Gobineau que l e monde va définitivement vers son décl in. Les soubresauts de la guerre mondiale ne sont qu' un épi­ phénomène ; ce n'est pas la France mais le monde entier qui est voué à la pétrification et à la somnolence : « L'humanité a besoin de donnir mille ans, elle est si fatiguée» (p. 343) ; « La littératurefrançaise

estfinie, de mème que toute littérature en général dans le monde, tout art, toute création. L'humanité est vieille et a hâte d'organiser son sommeil dans un système defounnilière ou de ruche» (p. 1 1 7). Drieu emprunte à Nietzsche sa vision du « dernier homme» mais il ne met aucun

espoir dans !'advenue d'un surhomme qui le contrebalancerait. Autour de lui, il n'aperçoit que de petits hommes; même lorsqu'il imaginait dans l'enthousiasme un triomphe germanique, il le voyait immédiatement sombrer dans la déliquescence : l'Al lemagne vic­ torieuse pourrirait instantanément par un effet de contagion, et l'on verrait « les pédérastes allemands se promener fardés dans les rues de Paris ou de Moscou» (p. 1 7 1). Hitler ne ferait qu'encourager le monde sur sa pente fatale : « Sans doute Hitler donnerait-il à l'Europe

cette sûreté d'automatisme bureaucratique que les Russes n 'ont su mettre au point et à l'abri duquel l'homme épuisé fera cette longue cure de repos, de détente, de monotonie, de stupidité dont il a grand besoin» (p. 1 93).

Plus tard, lorsque Drieu croira au triomphe russe, il restera tout aussi pessimiste : « Quant aux Russes, je crains la déception ·: ce mélange de New York et de Berlin» (p. 4 1 7 sq.). Par rapport à son diagnostic de décadence, Drieu ne voit de salut nulle part. C'est ce ton d'annonciateur permanent des catastrophes qui apparente Drieu aux prophètes bibliques, plus encore que ses dons de visionnaire évoqués par le titre de la pénétrante étude de Pierre Andreu. Drieu s'est à coup sûr voulu prophète, il l'affirme à maintes reprises dans ces pages : «J'ai été vraiment un prophète. Pas un des mots de mes poèmes et de mes essais qui ne porte» (p. 2 1 8). Mais il s'en veut d'avoir été un « prophète discret» au lieu de pousser un cri affreux contre son pays sombré dans la religion du confort. Ce qui lui importe, c'est l'intensité de son imprécation plus que sa vérité. Il croit avoir failli à sa tâche par manque de force plutôt que par

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absence de lucidité. Or s'il est vrai que Drieu passe son temps à prophétiser, ce qu'il annonce est loin de se réaliser à tout coup. Certes, il est souvent d'une prescience très exacte et, pendant la drôle de guerre, il sent que « plus les n.•énnnmts tardent, plus ils seront terribles » (p. 1 1 7) ; dès mai 1 940, il est persuadé que Hitler attaquera la Russie (p. 222) ; en 1 942, bien avant le complot du 20 juillet 1 944, il est certain que son armée «foutra (Hitler] m l'air » (p. 305) : on sait que l'attentat de Stauffenberg échoua de peu et que, dès l'annonce erronée de sa réussite, le général Heinrich von Stülpnagel, gouverneur militaire de la France, avait fait arrêter les 1 200 S.S, et membres du service de sécurité à Paris. De même, Drieu prévoit très bien après la réussite du débarquement de Nor­ mandie un second débarquement sur la Côte d'azur (p. 388) ; mais 11 lui arrive tout aussi souvent de se tromper, et pas seulement lorsqu'il s'agit de renversements d'alliance délirants. Malgré tout son pessimisme, il est le premier surpris du brutal écroulement de juin 1 940; en décembre 1 939, il disait ne pas croire « à la défaite militaire, au brusque ejfondrnnml » (p. 123). Le succès du débarque­ ment allié le surprend, ainsi qu'il l'avoue lui-même : « Eh bien, mon instinct était un vrai instinct, c'est-à-dire quelque chose d'éminemment trompable! Le débarquement est réussi et les choses maintenant doivent aller assez vite » (p. 384). En janvier 1 944, il imagine encore un

arrangement des Allemands avec les Anglo-Américains (p. 360). En 1 942, il est persuadé de ne pas se tromper « dans le calcul essentiel » (p. 306) : après avoir grossièrement sous-évalué la force russe, il la surévalue : la victoire finale sera russe et non anglo­ saxonne. Ses « petites prophéties » (p. 420) sont donc tantôt justes, tantôt fausses; ce qu'il résume assez bien en disant qu'il s'est trompé « sur la Russie plus que sur l'Allemagne. Pas du tout sur la France » (p. 447). C'est dans le pessimisme sur le sort de son propre peuple qu'il triomphe, les faiblesses de la France l'ayant frappé dès la victoire de 1 9 1 8. Et ce n'est pas en vain qu'il se réfère à Isaïe, car le désespoir de ses prophéties fut plus violent qu'il ne veut bien l'admettre. Il y a de l'inspiré biblique dans la fureur des impréca­ tions qui animent toute son œuvre. Plus qu'un analyste lucide, Drieu est un vaticinateur de catastrophe ; et ne le dit-il pas lui­ même : « On peut toujours annoncer des désastres, on a toujours raison tôt ou tard. Car l'histoire n 'est que désastres. Désastre et chants » (p. 284). Mais ce pessimisme fondamental en vient à fausser les pers­ pectives. Si Drieu a raison de voir la France déchue de son rang de grande puissance mondiale, il préfère ignorer les possibilités de 53

redressement qui sub sistent en elle à l'échelon d'une puissance moyenne. S'il avait vécu plus longtemps, il aurait été certes m oins sensible à son développement économique qu'à la désagrégation de son em pire : Diên Biên Phu l'aurait confirmé dan s ses certitudes prophétiques. Dans Les Chiens de paille, l'impuissance politique du jeune Cormont incarnait l'incapacité de la « France seule » à se constituer en force autonome au milieu de ses puissants voisins; Drieu dénie de la même façon à de Gaulle la possibilité de fa ire respecter son pays. En 1 943, il en fait une sorte de prisonn ier des Anglo-Américains : « Et voir la chienlit de De Gaullefaisant du patrio­ tisme el du pseudo-autonomisme sous l'œil des Américains el Anglais, après la chienlit de Pétain-Laval sous l'œil des Allemands - très peu pour moi » (p. 354). En février 1 945, il cerne bien la marge de manœuvre

gaulliste entre les deux blocs, cette politique quelque peu fl orentine où le plus faible peut tenter un jeu de balance entre les puissants; mais c'est pour la récuser instantanément : l'Amérique, I' Angle­ terre et la Russie « savent le peu que la France a fait el le peu qu 'elle

peutJaire. El voilà que de Gaulle croit pouvoir s'équilibrer entre elles, en penchant tour à tour d'un côté et de l'autre. Mais il n 'est qu 'un élément entre beaucoup d'autres, et secondaire » (p. 471 sq.). La politique d'in­

dépendance gaulliste est par avance pour Drieu une illusion pré­ tentieuse à laquelle il refuse de croire : plus d'avenir pour un patriotisme français!

* «je hais les juifs. j'ai toujours su que je les haïssais » (p. 302).

Devant la violence d'une telle affirmation, toutes les explications de type vaguement sociologique semblent dérisoires. Certes Drieu a dû grandir dans une petite bourgeoisie anti-dreyfusarde et anti­ maçonne et son inénarrable père a bien pu rendre les Juifs res­ pon sables de ses malheurs en affaires : mais l'antisémitisme de Drieu est d'une virulence haineuse et irrationnelle qui évoque à l'occasion les délires de Céline. Le Juif est pour lui une sorte de monstre mythique qui incarne tout ce qu'il déteste, m ême s'il invoque des expériences personnelles directes pourjustifier son rejet. Sans m ême parler de ceux qu'il considère comme ses ennemis personnels, tels Bernstein ou Bauër, il prétend que tous, et donc ses amis juifs eux­ mêmes, l'ont agressé : « Pas un que j'ai connu, lu ou observé qui ne

m'ait blessé. Et pas un qui ait pris souci de la blessure faite, qui en ait pris conscience » (p. 188). On aimerait y opposer la lettre très digne

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que son vieil ami Pierre H eilbronn ltii envoya après la publication de Gilles : "'je suis peiné de t'en voir là, surpris de l'opinion que tu tenais en réserve au sujet d'hommes et de femmes dont certains se croyaient tes amis et te tenaient pour le leur. Et je regrette d'avoir pu contribuer à te donner des juifs une impression aussi lamentable. je t'aime bien quand même 1• » Peut-être est-ce ici encore le souvenir lancinant de son mariage d'argent avec Colette Jéramec qui tenaille Drieu et suscite en lui la m auvaise conscience agressive; il n'a jamais pu se pardon­ ner ni pardonner aux Juifs le fait d'avoir accepté sans amour l'ar­ gent que Colette lui apportait : "' La pauvreté m'écartait aussi desfilles de la bourgeoisie. Je pénétrais chez très peu de camarades. Seuls les juifs m'accueillaient. Mais alors mon complexe de culpabilité se renouvela à propos d'eux. je ne pouvais désirer une jeune fille; mais encore moins une juive » (p. 331 ). De n'avoir pu aimer C olette dans le mariage, Drieu rejette toutes les J uives et en fait une sorte de lcii de sa nature; son sentiment de culpabilité se retourne en agressivitè. Dans un moment de très grande lucidité, il en vient à faire des Juifs l'incarnation de la part de lui-même qu' il rejette 2, la civilisation moderne et la grande ville : "' Les Juifs, c'est nous-mêmes rendus grimaçants par la vie des grandes villes » (p. 349) : Drieu exécute ici une variation sur l'opinion qu'il prêtait à Carentan, tuteur spirituel de son héros dans Gilles : "' Moi je ne peux pas supporter les juifs, parce qu'ils sont par excellence le monde moderne que j'abhorre '· » On n'oubliera pas non plus que, . dans Les Chiens de paille, le sort d' Israël devient une préfiguration de celui de la France, vouée à être écartelée entre les ambitions de ses puissants voisins. Si Drieu en veut tant aux J uifs, c'est aussi qu'il se sent trop proche d'eux. San s que Drieu cite Drumont ou les publicistes antisémites de la collaboration, on retrouve chez ltii une vision traditionnelle du périljuif. Et d' abord, les Juifs sont partout; de même qu'Hollywood est juive, la presse française est entièrement aux mains des Juifs; et "' une nouvelle Société des Nations sera le définitif triomphe des juifs qui la prendront en main ouvertement » (p. 122). Tout le monde lui paraît juif ou enjuivé, depuis Achenbach, con seiller de légation à l'ambassade d'Allemagne à Pari s, "' le démocrate, sans doute le quart de juif» (p. 303), à Laval, "' ce métisse de juif et de Tzigane » (ibid.); il en vient même à s'interroger sur Hitler : "' Et quand on pense que

1. Lettre cïtée par Andreu et Graver, cp. ,dt., p. 427. 2. C'est la thèse de Bernard Frank dans son très brillant essa1, La Panoplie liltiraire, Flammarion, 1980, p. 1 43. 3. Gilles, éd. citée, p. 159,

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l'antisémitisme de Hitler est devenu douteux » (p. 90). Dans tous les camps, les Juifs triomphent : Stalin e « n'est-il pas aussi bien dans la main des juifs que de Gaulle » (p. 350)? Choisir entre la dém ocratie et le communisme, « c'est choisir entre deux groupes de Juifs » (p. 305). C'est le thème éculé du complot juif qui reparaît ici, après avoir fait les beaux jours des Protocoles des Sages de Sion. Le Juif s'insinue donc partout : il est comme l'étranger qu'on invite à sa table et qui finit par rnuloir diri ger la m aison . Drieu refuse l'assimilation, car leJuif lui paraît en son essence un apatride, sauf s'il se rallie au sionisme qui mérite tout notre respect, ainsi que Gilles le suggérait déjà. Coupés des racines ataviques de l a lan gue, Maurois et Bernstein s e sentiront parfaitement à l'aise aux États-Unis, où ils « écriro11/ 1'11 n11glais aussi facilement et aussi platement qu'en français » (p. 245). D' ailleurs, les Juifs sont touj ours prêts à fuir leur patrie d' accueil pour des cieux meilleurs, s'ils y voient leur avantage : Wil denstein, le grand antiquaire, n aturalisé français, fait naturaliser son fils américain (p. 189). Mais Drieu ne se contente pas comme Maurras d'un antisé­ mitisme politique, il le complète par un racisme biologique. Fier de son ascendance normande de grand blond aux yeux bleus, il met à déceler les indices physiologiques de judaïté un souci méti­ culeux qui rappelle les opuscules de bas étage qui fleurirent pen­ dant la guerre pour apprendre aux populations « comment recon­ naître le Juif». li croit ainsi pouvoir identifier une J uive qui lui parle de Franco comme d'un massacreur et dont il note le « gros œil un peu dilaté, un peu exorbité, trop bleu, fixe », et les « cuisses mal attachées au bassin » (p. 94). On retrouve le même indice dans le portrait de Colette Jéramec, avec « cette évanescence du bassin dans les genoux », « cette sinistre faiblesse dans la démarche qui caractérise les femmes de son ethnie » (p. 376). Mais Drieu ne prête pas seulement auxJuifs un aspect physique parti culier, c'est toute une mentalité et une intelligence qu'il conteste en eux. S'il leur reconnaît à l'occasion de l'énergie, celle-ci lui paraît brouillonne et s'auto-détruisant par excès d'esprit criti que; les Juifs peuvent être tout au plus des agitateurs politiques sans génie : Trotski ne fait pas plus le poids devant Staline que Kerenski devant Lénine. Les grandes figures juives le gênent et il doit faire appel aux « lisières de la discipline anglaise » (p. 190) pour expliquer la supéri orité d'un Disraëli. De même sur le plan philosophique et littéraire, il lui faut s'accommoder de l'existence d'un M ontaigne, d'un Bergson, d'un Proust, m ais il tente encore de tourner la 56

difficulté : de Bergson et de Proust, il fait des fabricateurs ingénieux qui par l'application et la tension de la volonté parviennent à une qualité d'écriture froide et industrielle à laquelle manque le « jail­ lissement r..uthentique de la verve traditionnelle» {p. 1 80). Pour Mon­ taigne, il est moins à l'aise et se voit contraint, comme pour Disraëli, d'imaginer une forme d'assimilation où les qualités du pays d'ac­ cueil viennent équilibrer l'apport juif; les Juifs d'Espagne se sont longuement habitués à la civilisation française « et la famille de Montaigne avait été longtemps.filtrée à travers les mœurs de la catholicité et de la noblesse française » (p. 1 8 l ). Comme l'a bien noté Charlotte Wardi 1 , l'intelligence juive fascine Drieu qui hésite sur son statut réel et finit par lui préférer l'instinct. On y ajoutera un prolongement idéologique de son antisémi­ tisme sur ses études religieuses ; son souci de minimiser la contri­ bution juive à la civilisation européenne l'entraîne à rabaisser l'im­ portance du judaïsme dans la formation de la religion chrétienne : « Tous les éléments du christianisme sontfixés avant le Christ et en dehors du monde juif qui n'en connaît qu'un reflet atténué» (p. 2 7 1 ) . C'est aller beaucoup plus loin que la simple reconnaissance d'un apport de la philosophie grecque à la constitution d'une métaphysique chrétienne. Fasciné par l'image d'un puissant syncrétisme religieux, Drieu en vient à dissoudre la spécificité de la religion juive : les « Testaments sont pleins d'emprunts étrangers aux juifs et le fait juifest un petit fait au milieu de la masse immense des antiquités» (p. 343). On est là très proche des développements du «Journal d'un délicat » (commencé en 1 934 mais terminé en 1 940) où il soulignait la présence derrière la Bible de tout un mouvement antérieur de la pensée aryenne. Finalement, on retrouve l'idée que les Juifs ne peuvent donner en tous les domaines que des esprits brillants et superficiels auxquels échappent les profondeurs de la philosophie. Une lecture du Zohar dont il s'avoue très déçu le confirme dans cette opinion : « Cela étonne surtout par l'art littéraire, le même qui brille dans la Bible. Les juifs sont plus littérateurs que philosophes » (p. 362). Le bilan de l'antisémitisme de Drieu est donc lourd et ne peut paraître qu'accablant à des contemporains avertis de l'holocauste. Reste que Drieu en a probablement tout ignoré ; non seulement il n'en dit pas un mot dans son journal, mais, nous l'avons vu, il soupçonne l'authenticité de l'antisémitisme de Hitler. li va même 1. « Drieu la Rochelle », L'Htrnt, 1 982, p. 293.

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jusqu'à l'imaginer faisant alliance avec les Juifs (p. 1 59). li ne se représentait certes pas les camps de concentration comme des lieux de délices mais le seul témoignage que nous ayons sur eux dans son œuvre en donne une image euphémisée. Il s'agit d'une lettre à Christiane Renault du 1 5 septembre 1 935 où il raconte la visite d'un camp que les nazis lui ont montré dans les environs de Munich : « La visite du camp a été étonnante. je crois qu'ils ne m'ont pas caché

grand'chose. La note dominante, c'est l'admirable confort et la franche sévérité. » La confiance naïve de Drieu ne lui laisse n ullement

pressentir les camps d'extermination qui d'ailleurs n'existaient pas encore à cette date, et rien ne permet de croire qu'il ait eu l'occasion de réviser son jugement. En outre, les textes du journal sont restés strictement confi­ dentiels jusqu'à aujourd'hui. Leur violence est extrême mais c'est une violence privée, et Drieu n'entre nullement dans le jeu d'une quelconque propagande antisémite. Les écrits publiés pendant la guerre sont au contraire en recul sur l'antisémitisme qui s'étalait dans Gilles en 1 939, ou dans des articles de l'immédiate avant­ guerre : L'Homme à cheval, par exemple, ignore totalement le per­ sonnage du Juif qui aurait pu venir flanquer le franc-maçon et le jésuite de l'intrigue. Drieu n'est pas de ceux qui viennent hurler avec les loups, et sa conduite personnelle est même en opposition flagrante avec ses convictions ; ou, tout au moins, elle est caracté­ ristique d'un homme de droite chez qui le rapport personnel l'em­ porte toujours sur les données de l' idéologie : « Les amis juifs que je

gardais sont mis en prison ou sont en fuite. Je m'occupe d'eux et leur rends service. Je ne vois aucune contradiction à cela. Ou plutôt - la contradiction des sentiments personnels et des idées générales est le principe même de toute humanité» (p. 365). L'antisémitisme est chez lui une

passion intellectuelle violente, mais il ne l'entraîne jamais à des bassesses dans sa conduite privée.

* Le journal révèle peu sur les processus créatifs chez Drieu, Il ne fait pas pénétrer dans l'œuvre comme le journal des Jaux-mon­ nayeurs; ce n'est pas un réservoir romanesque où l'auteur viendrait puiser des ébauches, des idées, des séquences de fiction comme le journal de Kafka. Tout au plus nous renseigne-t-il sur les dates de composition, le moment où Drieu a écrit la première partie de L'Homme à cheval ou le plan du judas. Parfois le travail romanesque

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semble tarir l'in spiration du journal : une longue interrupti on de mai à octobre 1942 coïncide avec l'achèvement de L'Homme à chn;al. Mais on trouve quelques pages lucides de Drieu sur son œuvre dont il perçoit bien le caractère de prime saut; à l'alacrité de l'in spiration première succède trop souvent une lassitude qui empêche l'intrigue et les personnages de mûrir, de prendre de la densité; toujours pessimiste sur lui-même, il ne voit d'abord dans L'Homme à chn.•al que les défauts, et il faut que le jugement de ses amis vienne lui confirmer la réussite générale. La réclusion forcée, le rétrécissement de son univers nous permet tardivement de suivre pas à pas la composition de Dirk Raspe, cette œuvre où il allait peut­ être conquérir enfin la lenteur des accomplissements; et il y a quelque chose de profondément émouvant à voir se dérouler ces deux destins en parallèle, celui d'une projection de Van Gogh qui marche vers le génie, la folie et le suicide, et celui de Drieu lui­ même, pris dans le cheminement vers la mort au moment où se dégage son génie. Mais pour le reste, la nature d'homme de lettres de Drieu se manifeste surtout dans ses préoccupations de directeur de revue. -De décembre 1940 à juin 1943, i l fait reparaître La N.R.F. avec la collaboration de Jean Paulhan qui accomplit l'essentiel du travail matériel. Il a d'abord cédé à un mouvement de revanche sur tous ces littérateurs de la Ill• République qui l'ignoraient ou ne l'ap­ préciaient pas à sa juste valeur : « Quant à La N.R.F., elle va ramper à mes pieds. Cet amas de juifs, de pédérastes, de surréalistes timides, de pions francs-maçons va se convulser misérablement » (p. 246), écrivait­

il le 21 juin 1940. Mais, surtout, il veut maintenir vivante une parole française après avoir craint que les Allemands n'éliminent toute l'intelligentsia; or son ami Abetz lui promet protection et liberté s'il fait une revue littéraire. Drieu qui a toujours eu horreur du repli des intellectuels dans leur tour d'ivoire pense alors qu'il ne peut se dérober à la possibilité d'action qui s'offre immédiatement à lui. C'est ce qu'il appelle sa « manie des responsabilités » (p. 273) dans un passage parmi tant d'autres où il se lamente sur l'ennui que lui cause la revue. Car très vite il semble regretter sa décision : « l'action pour moi, c'est la facilité » (p. 290). En mars et avril 1943, il exprime son désir de mettre fin à la parution de la revue. Mais le moment le plus important de son histoire est probablement celui où il tente de constituer un comité de grands écrivains pour en parrainer l'édition ; on voit ainsi se dessiner les réactions de Gide, de Valéry, de Claudel, en avril 1942. La N.R.F. n'est pas alors 59

vraiment décriée, car si tout se termine sur une dérobade, la pre­ mière réaction - et en particulier celle de Gide - n'est pas celle d'un refus absolu.

*

Le lecteur non averti sera surpris de la place que prend la méditation religieuse chez Drieu, surtout à partir de l'été 1 943. Ce n'est pas ainsi que l'on imagine communément « l'homme couvert de femmes »; mais déjà le roman qui porte ce titre insistait sur l'importance de l'accord à trouver entre l'âme et le monde ; et l'amour n'y était qu'une étape dans un mouvement mystique : « L'amour dPs âmPS n'PSi qu'un dPgrl dans l'Pxaltation t•Prs DiPu 1 • » Drieu y prévoyait en quelque sorte son évolution future, évoquant cette « distraction irrhnMiablP » qui, un jour, l'entraînerait « loin dPs fnnmPs, t•Prs DiPu 2 ». La dimension religieuse n'était pas étrangère à ses poèmes de jeunesse et une lettre de 1 923 à Henri Massis rappelait la présence de la préoccupation religieuse au fond de ses premiers essais. Mais c'est peut-être dans la controverse avec les surréalistes qu'éclate le mieux le tempérament religieux de Drieu. Dans sa première lettre aux surréalistes, il affirmait : « Car voilà

bim la fonction pssmliPlll', la fonction humainl' par Pxullenu qui Psi ojJPrle aux hommes comme vous, hardis et difficiles, c'est de chercher el de trouver Dieu 3• » Devant la violence de la réaction de ses anciens

amis, il essayait dans sa troisième lettre de mieux cerner ce qu'il entendait sous ce terme : « L'employant,je ne croyais pas qu'on pouvait prmdrP Cl' mot au pied dl' la lettre. Pour moi, c'était profondeur du mondP 4• » Insatisfait du christianisme et des dogmes révélés, Drieu hésitait déjà autour d'une idée plus large qui engloberait la notion du divin sans se lier à une religion précise. Réel et passionné, l'intérêt de Drieu pour la méditation reli­ gieuse n'en fait d'ailleurs ni un grand mystique ni un spécial iste de l'histoire des religions. Il a souvent rêvé d'une autre carrière que la sienne qui l'aurait vu se pencher sur l'étude des religions et, dans Le Feu follet, en 1 93 1 , Dubourg, l'historien des religions, n'était qu'une sorte de projection idéalisée de lui-même. En avril 1 940, il 1. L'Hommt couvtrl dt fe,n,n�s. op. cil., p. 1 95. 2. Ibid., p. 182. 3. La N.R.F., août 1925 ; repris dans Sur les lcrivains, p. 48. 4. Les Derniers jours, 7• cahier, 8 juillet 1 927 ; repris dans Sur us lcrivains, p. 69. 60

envisage encore de recommencer sa vie comme historien des reli­ gions si le choix lui en était donné. Mais il ne s'agit là que de velléités qui restent inaccomplies. Il ne fait pas partie non plus de ces très grands mystiques qui accèdent â une intuition soudaine du divin : « moi qui ne suis guère mystique » (p. 336), avoue-t-il en mars 1943; et il dira un peu plus tard que la rêverie lui a tenu lieu de mystique (p. 398). Le désir religieux se manifeste chez lui« comme

une curiosité historique, une fringale de lecture qui sont aussi de [s]es vieilles manies » (p. 361). Sa position religieuse apparaît comme un immense rêve sur des lectures. Le journal témoigne de l'ampleur de cette information qui n'aboutit toutefois pas â l'organisation de connaissances érudites, mais nourrit une espèce d'exaltation rêveuse tournée vers le divin. Sans réelle envolée mystique, Drieu baigne dans une méditation où le recours aux grands textes sacrés n'a pas pour objet un savoir mais la constitution d'une sorte de théologie personnelle et syncrétique qui domine toute l'évolution de ses der­ n ières années. Il lit ou relit ainsi le Vedanta, le Bhagavad-Gita, le Bardo Todol, le Tao-Te-King, les Épîtres de saint Paul ou l'Évangile de Jean ; mais il les complète par la philosophie d' Averroès ou par celle de Platon, dont il ne cite cependant aucun texte précis. Platon, « véritable inventeur du christianisme avant saint Paul » (p. 337), est pour lui la source fondamentale de toute la pensée religieuse occident ale : « Pour ce qui est de l'Occident, ce qui est admirable, c'est le platonisme,

qui est d'une fécondité inépuisable. Tout se ramène à cela, pour nous. Tout ce qui nous intéresse dans la période hellénistique, dans une partie du Moyen Âge, dans la Renaissance, dans l'occultisme plus récent se ramène à Platon » (p. 374). Son rapport à l'occultisme est d'ailleurs

particul ièrement complexe et passe par des alternances d'enthou­ siasme et de découragement. À maintes reprises, en décembre 1942, en juillet 1943, en mars 1944, il insiste sur le fait que l'occultisme l'a déçu ; mais si les occultistes modernes lui apparaissent comme des charlatans, s'il se méfie de ceux du xvm• siècle, il est frappé par la continuité ininterrompue de l'ésotérisme ancien derrière lequel il pressent tout le fond originel indien et grec de philosophie mêlée de religion qui précisément le fascine. Par-delà les religions dogmatiques, il croit à une tradition secrète qui maintient vivante une vérité constante de l'homme : « En tous cas ma vie intérieure a

été totalement bouleversée, renouvelée, approfondie par la découverte que j'ai faite peu à peu depuis quelques années de la Tradition Ésotérique. Oui, j'y crois. Je crois qu'il y a sous toutes les grandes religions une religion 61

secrète et profonde qui lie toutes les religions entre elles et qui n 'en fait qu'une seule expression de l'Homme Unique et partout le même » (p. 36 2).

Alors que la diversité des croyances aboutit à une relativisation de la vérité religieuse, Drieu par son recours à un homme éternel professant partout une même religion retrouve la possibilité d'un absolu de la foi. Ce qui le choque avant tout dans la religion, c'est le moralisme et l'anthropomorphisme des représentations du divin. Dans le chris­ tianisme en particulier, il s'insurge contre la conception d'un dieu personnel qui dépare à ses yeux les Pensées de Pascal : « Je suisfâché

décidément avec cette conception chrétienne si étroite de Dieu. Je ne m 'in­ téresse nullement à ce Dieu personnel qu'on aime, qu'on vénère. Non, il n'y a rien là qu 'une transposition des fantômes sociaux, des fantômes de , la famille et de l'État. C'est un dieu humain, or ce qui peut me séduire dans les notions philosophiques ou religieuses, c'est le violent départ d'avec l'humain, comme chez les Orientaux, à commencer par les A rabes, mais mieux les Indiens et les Chinois » (p. 435) ; contre cette humanisation de la figure divine, Drieu prône une « conception de Dieu in.fini et dévorant, qui transcende toute personnalité pour lui comme pour les autres, qui abolit toute division et distinction » (p. 423). Une telle vision exclut

aussi que Dieu se présente comme un maître de morale et rien n'est plus étranger à Drieu, fasciné par la Grâce, que le salut par les œuvres : «Je méprise profondément le moralisme du christianisme, mais il y a la même chose dans l'islamisme exotérique et l'hindouisme exotérique, inévitable » (p. 386). L'idée qu'une religion incite à se

bien conduire sous la menace de représailles après la mort lui paraît ridicule et niaise, elle est contradictoire avec tou t ce qu'il attend du mystère religieux. La doctrine de la transmigration des âmes dans le Bardo Tiidol est ainsi condamnée pour cause de moralisme élémentaire, car elle ne fa it que rétablir dans l'au-delà un système de peines et de récompenses sanctionnant la conduite durant la vie ; c'est une «façon de Jaire rentrer par la fenêtre le

médiocre démon du bien et du mal qu 'on a chassé par la porte. Cette vulgaire, basse, puérile doctrine de la transmigration, telle qu 'elle est comprise couramment, telle qu 'elle semble affirmée par le Bardo Todol, ce n'est qu'un moyen de sociologie et de police pour ejfrayer et mater les gens » (p. 4 1 5).

Beaucoup plus que pour le bouddhisme, Drieu s'enthousiasme pour les Upanishads du Veda. Appuyé sur l'hindouisme, il tente dans un triple effort de dépasser les notions étroites du moi, de dieu, du panthéisme même en s'interrogeant sur la réalité du monde. Il , 62

n'appréhende pas l'ego occidental dans son autonomie cartésienne mais dans sa relation au soi, ce principe intérieur qui fait qu'un être subsiste dans l' apaisement des passions et la transparence à soi-même ; ce soi que le Veda appelle l'âtman n•est pas couramment désigné sous ce terme par Drieu, m ais il est clair qu'il vise par-delà le moi à cette identité des êtres les uns aux autres, â cette identité au cosmos qui transcende les distinctions individuelles et que l'on trouve dans l'âtman. Il note ainsi en octobre 1 944 que le dépouil­ lement et l'exaltation de la catastrophe de mai 1940 le rapprochent de ce seuil où la séparation du moi s'abolit : « Plus de moi, mais déjà le soi germait » (p. 421). La méditation hindouiste de Drieu l'oriente clairement vers un dépassement du moi en direction du soi, de l'âtman. Ce qui se manifeste moins nettement chez lui, c'est la corré­ lation de l'âtman et du brahman, cet absolu métaphysique qui transcende le monde matériel et constitue l'équivalent macrocos­ mique du microcosme du soi. I l s'efforce toutefois de dépasser la notion chrétienne du dieu personnel pour aboutir à une idée épurée du divin. Dieu ne peut pas être à la façon des hommes et des choses, si bien qu'à la limite « Dieu n'est pas. Il y a l'indicible au-delà du non­ être » (p. 396). Dans l'optique chrétienne, ce qui est le plus proche de cette idée transcendante du divin, c'est le Saint-Esprit où le Christ et Dieu « se lient et se perdent » (p. 422) ; et Drieu revient encore à cet étagement où l'on passe de l'être au non-être et à l'indicible qui résout toutes les contradictions: « Dans l'homme aussi

bien que dans Dieu commence le non-être. Dans le non-être aussi bien que dans l'être commence l'indicible » (Ibid.).

Le rapport particulier de Dieu à l'humain se complète d'un rapport de Dieu au monde qui constitue un point clef de la pro­ blématique de Drieu. S'il affirme que « le monde n'est pas mauvais. Il n'y a pas de bien ni de mal » (p. 330), il reste néanmoins fasciné par les pensées qui condamnent le monde : « Cette pensée terrible que le monde est mauvais, que la création est la proie du malin (Romains)

c'était la pensée de toutes les religions de mystère, de presque toute la philosophie grecque aussi bien que de la pensée de l'Inde » (p. 329). Même

si le monde n'est pas mauvais, il est à tout le moins imparfait et son rapport à la perfection divine pose question. D'où la tentation de le déréaliser en n'en faisant qu'une illusion, un rêve de Dieu : «je crois comme Averroès qu'il n 'y a qu'une seule âme universelle, comme

Sankara qu 'il n'y a qu'un seul soi et que le monde est le rêve de ce soi, dont ce soi se débarrasse en même temps qu'il le produit » (p. 385 sq.).

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Drieu en garde un « sentiment aigu [...] de l'irréalité du monde» (p. 398); il est étranger au panthéisme, car loin d'absorber Dieu dans le monde, il tend vers une sorte d'idéalisme absolu qui absorbe le monde en Dieu. C'est l'existence du monde qui fait problème, et même la conception du monde comme rêve de Dieu ne le satisfait pas totalement : « Le monde rêve de Dieu c'est encore impossible. Pour­ quoi le parfait rêverait-il de l'imparfait ?» (p. 430). Il semble t outefois que Drieu ne soit pas vraiment à l'aise dans l'identification védique du brahman et de l'âtman, de l'absolu exté­ rieur aux choses et du soi intérieur, car il ne la mentionne jamais expressément. Il la décalerait plutôt vers une opposition -confusion entre Dieu et le moi : « La notion védantiste de l'âtman dépasse et abolit les notions empêtrées de Dieu et de l'âme. C'est le contraire du panthéisme balourd» (p. 376). Drieu entre dans le moi et l'amplifie démesu­ rément, ou plutôt le concentre à sa puissance maximum : « Dieu aigu, Dieu acuité du moi met l'esprit dans la bonne direction»(Ibid.). A ses instants de réflexion les plus tendus, Drieu voit se perdre dans le moi ce Dieu indicible qui transcende les notions d'être et de n on­ être : « Dieu n'est pas, je suis Dieu, c'est-à-dire je suis seul! Cela c'est ce qui de la fulgurance brûle les yeux de l'homme d'Occident, qui ne peut rester seul. Quelques-uns surpassent ce seuil : je suis seul, mais rien de ce qui est moi n'est et ce qui éclate et rayonne dans la solitude, c'est ce qui en moi n'est pas moi, c'est ce qui est soi, c'est Dieu» (p. 41 3 sq.).

* Ce détachement progressif des valeurs du moi contribue à orienter un peu plus Drieu vers la mort comme moment d'une fusion avec une entité supérieure à lui. Tout le journal, de même que le très beau Récit secret, est ainsi dramatisé par le fait qu'il s'agit à chaque fois d'un lent cheminement vers la mort. Le journal ne progresse pas sereinement au gré d'un quotidien tranquille, il est aimanté par le suicide qui va deux fois en rompre la trame. Dans les premiers jours d'août I 944, Drieu juge qu'il n'est plus d'autre recours pour lui que le suicide et il écrit une série de lettres d'adieu à son frère Jean, à Malraux, à Ch ristiane Renault, à Olesia Sien­ kiewicz, à Victoria Ocampo et à Suzanne Tézenas. Il h ésite encore sur les moyens du suicide, entre son vieux revolver anglais dont il craint qu'il ne marche mal, et le poison : une dose mortelle de luminal que Colette Jéramec lui avait donnée au printemps 1940, alors que Drieu imaginait une offensive victorieuse de l'Allemagne 64

et souhaitait avoir la possibilité de se soustraire à la vie dans une France occupée. Le 11 août, il rencontre son vieil ami Philippe Clément qui passe à bicyclette et lui pose la question : «' Alors qu'est­ ce que tu fais?» - «Je pars», répond Drieu, mais craignant d'être confondu avec les nombreux collaborateurs qui accompagnent les Allemands dans leur fuite, il ajoute en hâte : «je pars, mais rassure­ toi, je pars proprement. » I l discute une dernière fois de la situation militaire avec Armand Petitjean qui est monté le voir à son studio de la rue de Breteuil. Par un grand beau temps, il fait une ultime promen ade aux Tuileries. Il a prévu jusqu'aux détails de son enter­ rement, la cérémonie civile, le petit nombre d'intimes qu'il souhaite voir se rassembler autour de sa tombe; et, le 11 août au soir, il prend une dose de poison. Mais sa gouvernante Gabrielle avait oublié son sac et revient très tôt le 12 août pour le chercher; elle trouve Drieu encore vivant, et Olesia Sienkiewicz qui est ambulan­ cière le transporte d'urgence à l'hôpital Necker où l'on parvient à le ranimer. Le 15 août, on le transfère à l'hôpital américain. Par une coïncidence insensée, l'ambulance d'Olesia tombe en panne d'essence, et c'est Colette Jéramec qui, passant par hasard en voi­ ture, peut dépanner Olesia. Tout serait prêt pour une retraite sûre à l'étranger. Gerhard Heller lui a apporté un passeport avec des visas pour l'Espagne et la Suisse. Une ambulance est prête à l'em­ mener en sécurité en Suisse. Mais Drieu fait alors une seconde tentative que le hasard déjouera à nouveau : il s'ouvre les veines du poignet, mais pris de faiblesse il s'accroche par mégarde à la sonnerie qui prévient l'infirmière. Les derniers mois de sa vie, il doit se cacher : d'abord à Pari s chez le docteur Legroux chez qui on peut continuer à le soigner, puis, plus en sûreté, près d'Orgeval, dans la m aison de campagne d'une amie américaine, Mme Noël Murphy, qu'il avait fait libérer en 1942 d'un camp d'internement pour étrangers à Vittel. Puis il s'installe chez Colette Jéramec à Chartrettes, toujours à la cam­ pagne, avant de regagner Paris où Colette le loge dans un appar­ tement qui lui appartient rue Saint-Ferdinand. C'est là qu'il absor­ bera la dose fatale qui l'emportera le 15 mars 1945, alors qu'un man dat d'amener a été lancé contre lui. Le 9 août 1944, Drieu constatait : «' Les raisons les plus hautes se mêlent aux plus basses pour m'incliner à m'ouvrir les veines» (p. 418). Il redoute d'une part la situation sans issue où l'écroulement de l'Allemagne enferme le collaborateur qu'il a été. La fuite en Suisse lui répugne et il y a volontairement renoncé ; l'obligation d'avoir 65

à se cacher lui apparaît comme une humiliation à laquelle il ne se soumettra que contraint et forcé ; la prison pourrait constituer un lieu d'ascèse et d'élévation morale mais elle serait entourée d'une « misérable mascarade politique ». Dans les moments de faiblesse où il cède à son éternelle tentation de se dénigrer, il est tenté de ne voir que cet aspect sordide des choses en oubliant les raisons les plus nobles qui le poussent à se suicider : «j'ai souvent envie de m'écrier : • tout cela est mensonge, il ne s'agissait pas de ces consi­ dérations philosophiques, ni de l'âge, ni de quoi que ce fût de si lointain : mais simplement j'avais peur, peur d'être battu, déchiré par la foule - peur d'être humilié par des policiers, des juges, d'avoir à expliquer à des hommes vils mes raisons, mes belles raisons 1 » (p. 496 sq.). Mais Drieu n'a pas attendu d'être acculé pour songer résolu­ ment à la mort. Récit secret constitue l'histoire des multiples ten­ tations de suicide qui l'ont assailli durant sa vie. Au début du journal, quand il est d'abord préoccupé par la faiblesse de la France, puis accaparé par l'activité à La N.R.F., l'obsession du suicide recule, mais elle devient très forte lorsqu'il reprend la rédaction en novembre 1 942 après une longue interruption ; et les dernières pages constituent une brève parenthèse entre un suicide manqué et un suicide réussi, une sorte de suspens pathétique entre la vie et la mort. Il s'approche de la mort par une lente imprégnation, dans un jeu fasciné avec sa décision finale : « Ô splendeur dt ma

solitude et de ma mort. Ma solitude bien-aimée est déjà ma mort que je commence à goûter comme un fruit qui est encore à l'arbre, que j'effleure des lèvres et qui bientôt tombera dans mes mains » (p. 320). Drieu qui

a toujours eu horreur de la vieillesse est soucieux de mourir jeune, et cinquante ans lui paraissent un terme acceptable. Comme celle du fruit, ce sont des images de maturation qui accompagnent l'ap­ proche de sa décision : « Sur le plan philosophique, la mort m 'enchante,

et je suis mûr pour elle. je ne serais pas digne du nom d 'homme, si à cinquante ans je n 'étais pas prêt à la recevoir, fin prêt » (p. 4 1 1 ). 11

semble même que spirituellement, il soit déjà entré dans la mort : «Je ne peux pas dire que je vais me suicider, ni même que je vais mourir : tout est déjà consommé dans mon âme » (p. 380). Loin d'être une démarche négative, le suicide est pour lui une manière d'accomplissement, c'est en quelque sorte sa façon à lui d'avancer sur la voie du détachement religieux. Le suicide n'est 1 . Rlcit stcrtl, Gallimard, 1 961, p. 44. Texte repris, 66

i11Jra,

p. 496 sq.

pas un péché, il n'est nullement en contradiction avec ses convic­ tions profondes l « Pour moi qui ne suis guère mystique le suicide sera au moins une prihe t•écue » (p. 3 3 6). Le suicide est une extrême affirmation de la liberté de l'homme et c'est en même temps pour lui une façon de rejoindre une i mmortalité non personnelle qui se confond avec une perte dans un esprit universel qu'en termes de philosophie indienne Drieu interprète comme la présence du soi dans le moi. Faute de parvenir au détachement spirituel des ascètes hindous, Drieu va trancher le nœud gordien et tenter d'anticiper par la mort une sublimation spirituelle de la vie : « La mort volontaire,

n'est-ce pas [... ] la plus haute manifestation à laquelle mon être trop engagé dans le siècle peut atteindre? » (p. 3 1 1 ). Le suicide devient ainsi l'abou­ tissement de la méditation religieuse de Drieu : « Le suicide est dans la ligne de ma mystique extrêmement libre d'initié dépoun•u d'initiateurs, d'autodidacte supérieur, de solitaire métaphysicien » (p. 354 sq.).

Mais malgré son détachement, Drieu se montre là encore par­ fait écrivain. Tandis qu'il marche vers la mort, il dessine en miroir dans son dernier roman le portrait d'un suicidé. Il choisit le modèle de Van Gogh en s'en inspirant très librement pour conter l'histoire d'un peintre, les Mémoires de Dirk Raspe, dont on suit pas à pas la progression dans les ultimes pages du journal. Drieu éprouve le besoin de poursuivre sur un plan romanesque, parallèlement à sa propre vie, une méditation sur la mort qui marque à quel point, malgré ses réserves sur la littérature coupée du monde, son destin d'homme de lettres se confond avec son destin d'homme. Drieu n'écrit que sur un appel direct de la vie, pour répondre à une situation existentielle dont il veut se libérer, et sa dernière œuvre n 'échappe pas à cette loi. Mais il ne parvient pas à la catharsis littéraire, le suicide de Dirk Raspe ne vient pas se substituer au sien et le fil du roman, peut-être son plus beau, est coupé net par l'irruption brutale du réel dans l'imaginaire : c'est la mort de Drieu qui achève ce roman inachevé; le sang a définitivement triomphé sur l 'encre, et la littérature, même dans son triomphe, apparaît incapable de restaurer les valeurs de la vie. J U LI F.N HF.RV I F.R

Je tiens à remercier particulièrement Jean-Pierre Azéma qui a bien voulu revoir et compléter les notes historiques. J'exprime

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également ma reconn ai ssance pour l'aide qu'ils m'ont apportée à Pierre Andreu, Jean-Pierre Dauphin, Florence Dollfus, Antoine Faivre, François Fédier, Véronique Lelaidier, Claudine Loste. J.H.

Note

Drieu souhaitait qu'on publiât son journal intégralement ou qu'on ne le publiât pas. Le manuscrit a connu un parcours compliqué avant de revenir entre les mains de son frère Jean Drieu. li comporte de minimes coupures qui ont été pratiquées par un auteur inconnu à une date indé­ terminée. Il a fallu d'autre part supprimer cinq lignes de ce manuscrit pour des raisons d'ordre juridique. Ces interventions sont signalées dans le texte. Nous avons également corrigé quelques très rares fautes d'orthographe. Nous donnons en appendice des notes, datées du I" février au 1 4 mars 1945, provenant d'une dactylographie privée de manuscrit (Annexe 1); ainsi que, après les avoir relus à partir des manuscrits originaux, Récit secret, le texte intitulé « Exorde », écrit par Drieu entre ses deux suicides, et la lettre envoyée à son frère Jean au moment de la première tentative de suicide (Annexes li-IV), J.H.

JOURNAL 1 939-1 945

1 9 39

9 septembre Il en est qui écrivent leur journal pour parler de leur cœur. Pour y réussir il y faut une extrême intimité avec soi-même et après cela l'art de faire les parfums, d'extraire les essences. Mais moi, pourquoi parlerai-:ie de mon cœur? Il me semble que j'ai dit l'essentiel dans Gilles et Beloukia et quelques poèmes. Et puis le temps du cœur est fini pour l'Europe comme pour moi. Mon corps est si vieux qu'il ne peut plus nourrir mon cœur, du moins pour des attachements particuliers. Mon cœur va au-delà de l'humain maintenant, où s'y ouvre le dernier recès de l'humain. Ô dieux, ô Dieu. j'ai aimé et j'aime Beloukia, mais elle me laisse vivre dans un désert interminable. Elle n'est jamais là et toute sa vie l'éloigne de moi. A la longue, je ne pouvais pas supporter, étant lié avec une femme, qu'elle ne m'offrît pas tous les jours une image suffisante de la beauté. Si une femme avait un intérêt moral, alors j'étais plus sévère pour elle et ne lui pardonnais pas qu'elle ne fût pas tout extraordinaire de grandeur ou tout exquise dans l'ordinaire. Par exemple, Nicole 1 • Elle a de beaux mouvements, mais seulement indiqués à grands bruits. Aucune exquisité dans l'expression. Beloukia, du moins, a la plénitude d'un type. C'est la grande femme pleine de sang. Comme j'ai eu peu de femmes. Et combien d'ordinaires. Et I. Nicole Bordeaux (voir Introduction, p. 23).

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comme elles aiment l'ordinaire. Cette éternelle allégation qu'elles font du commun des sentiments. Elles se réfugient dans le commun parce qu'elles savent que tôt ou tard nous les y laisserons retomber ... Ma mère ou mon mari ou mon enfant ou mon argent. Autrefois, ma vertu. Passé les premiers temps où l'on chante son désir devant une femme, puisqu'on la chante, puisqu'on se chante - passé le temps du chant, quel ennui. Ou alors qu'elle se lie à votre travail comme un petit miroir voltigeant autour de vos idées, de vos images. - Peut-être trouverait-on une compagne dans le chemin mys­ tique. Mais là encore, elles imitent l'homme. Jamais une seconde une femme ne m'a donné le sentiment d'avoir de l'originalité, de l'initiative même dans les choses du cœur. -Sans doute les grands sentimentaux sont de grands comédiens qui soufflent et jouent tous les rôles à la fois - ceux de la femme et ceux de l'homme. -J'écris ceci parce qu'il ne se passe rien. Parce qu'on n'a pas attaqué ou décidé l'Italie, parce qu'on ne s'est pas rué au secours de la Pologne, quitte à y perdre notre peu d'aviation, parce que les « démocraties » laissent passer l'heure une fois de plus, et sans doute la dernière, parce que l'Europe est mûre pour glisser sous une hégémonie. Chez les peuples décadents, l'élément militaire est maître (Chine, Amérique du Sud) parce que la moindre force triomphe aisément de toutes les faiblesses. Ainsi la cohorte hitlérienne dans l 'Europe du xx• siècle. Les Anglais bombardent Hitler avec des boulettes de papier mâché, cela vaut le parapluie de Cham(berlain]. -J'ai aimé les putains parce qu'elles étaient muettes, et q ue leur corps vu une fois me donnait sa fleur de suggestion. La ligne d'un sein sorti des limbes un instant flattait ma rêverie. Mais si mon regard s'appuie trop longtemps, cette al lusion à la beauté plie et se défait. A une autre. - L'Aigérienne I non plus ne parlait pas, ni Beloukia parfaitement pure de littérature. J'aimais aussi le côté entier de Marcelle Dullin (Alice 2). - Chaque hiver la terre meurt. L'homme primitif sait qu'il 1. Emma Besnard (voir Introduction, p. 19). 2. Alice est le nom que porte, dans Gilles, le personnage inspiré de Marcelle Dullin.

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dépend de toute la vie et que toute la vie dépend de lui. Il exerce sa magie pour que le printemps renaisse. Action des rites, des fêtes, prêtre s, rois. D'un autre côté, chasseur, l'homme dépend de l'animal qui dépend de lui. Il exerce sa magie pour maintenir ce double lien avec l'animal. Là aussi rythme de mort et de renaissance. L'homme meurt par la faim et renaît par la nourriture et pour lui l'animal est un dieu puisqu'il lui donne par sa chair la vie. L'animal meurt et renaît sans cesse comme proie divinement obtenue et offerte par les rites. D'un troisième côté, on nourrit les ancêtres et on leur assure la vie et, en échange, ils assurent parmi nous la perpétuation du pouvoir qu' ils avaient comme vivants et du plus grand pouvoir qu'ils ont comme morts. Les trois choses sont liées dans le sacrifice : renaissance de la nature, renaissance de l'animal, renaissance de l'âme des ancêtres. Par le sacrifice, la renaissance de l'animal (totem proie dieu) est assurée, mais aussi celle de l'homme et de la nature et de l'âme de l'homme dans celle de ses ancêtres. Plus tard tout cela est divinisé, hypostasié. Il y a un dieu dans la nature, un dieu dans l'animal, un dieu dans l 'esprit de l'ancêtre. Cela fait beaucoup de dieux qui sortent tous d'une même matière divine. L'homme pourra plus tard aisément découvrir le Dieu unique parce qu'il garde le souvenir du temps où tous les dieux partici­ paient d'une même matière magique, spirituelle, divine. Le thème essentiel reste toujours le même. Un dieu meurt et renaît par la magie de l'homme, et inversement il assure à l'homme une perpétuelle revie ou survie. Les plus vieilles religions sont autour de ce thème du d ieu chtonien (esprit des ancêtres dans l'enfer et nature dans l'hiver) qui meurt et renaît. D'abord, on n'attend de la communion avec ce dieu (à travers les rites explicités en mythes) que de survivre par la nourriture, la boisson, l'amour, la victoire dans cette vie même et dans la seconde vie de la tombe. Plus tard, toute l'attente porte sur cette seconde vie de la tombe. On dégage la notion pure de l'âme immortelle, de la vie éternelle. Dès lors, bien avant le christianisme tous les éléments de la religion sont constitués. Création - division du mal et du b ien - rédemption Dieu qui crée et Dieu qui sauve

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Communion avec le dieu qui sauve et qui nous fait participer à son immortalité et à sa gloire. Amen.

11 septembre Je dîne avec Bourdet I et sa femme. Il me parle de m a lettre à Giraudoux sur la censure de mon livre 2• N ous sommes dans une situation étrange, que je suis sans doute le seul à sentir. Voilà que le livre d'un écrivain dépend du jugement politique d'un autre écrivain fonctionnaire (cf. quand Malraux était employé chez Gal­ limard s et s'occupait de la publication de mes livres!) B ourdet, lui­ même grand fonctionnaire du régime, trouve cela tout n aturel. Pas moi qui ne serai jamais d'un régime, en dépit de mes passion s politiques. L' homme que j'ai reconnu comme un frère, c'est ce Ernst von Salomon ◄ à Berlin. li avait combattu dan s les corps francs, avait fait six ans de cellule pour le meurtre de Rathe­ nau, et pourtant il n'était pas nazi et avait refusé de participer du triomphe de Hitler. Les idées de H itler étaient voisines des siennes. Mais le voisinage entre les idées d'un homme de l'esprit et d'un homme de l' action, cela fait un abîme. li est certain que Gilles est un réquisitoire féroce contre le régime et surtout contre la psychologie intime du personnel du régime. Si G(iraudoux] et B[ourdet] le lisaient, ils se sentiraient bien touchés. B[ourdet] a un air sinon délabré, du moins terriblement amorti. Cette drogue. Quand on pense que cela a été offi cier de chasseurs à pied en 1 4. Quelles ruines fait la paix. 1 . tdouard Bourdet (1887-1 945), auteur dramatique à succès (u Snu faible, us Tm,ps difficiles). Mobilisé en 1 9 1 4 comme in terprète auprès de l'armée anglaise, i l avait demandé une affectation dans une unité combattante. Administrateur de la Comédie-Française à partir de 1 936. Accidenté en février l 94�. Sa femme, Denise Bourdet, a publié des livres de souvenirs : Edouard Bourdtl fi 5f5 amis (La Jeune Par9ue, 1946), avec une préface de Jean Cocteau ; Pris sur le t•i/ (Pion, 1957), une série de portraits préfacée par Paul Morand ; Visages d'au­ jourd'hui (Pion, 1960), avec une préface de François Mauriac. 2. Ci/lu, qui sortira seulement le 5 décembre, avec des blancs imposés par la censure. 3. Directeur artistique et membre du Comité de lecture des Éditions Galli­ mard de 1 929 à 1 938. 4. Ernst von Salomon ( 1 904-1 972) a raconté sa vie au sein des corps francs dans Lu Riprouvis ( 1 930) et laissé un témoignage fondamental sur l'A llemagne hitlérienne avec Le Questio11nair, ( 1 9 5 1 ). Drieu le cite également de façon élogieuse dans une lettre à Christiane Renault du 8 septembre J 935.

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Quant à elle, cette fille de professeur a toujours quelque chose de studieux dans la frivolité. Elle s'est toujours mal habillée, elle porte le modèle de chez Patou ou Lanvin, tel quel, sans le modifier par son humeur personnelle. Ç'a été aussi une belle fille, que j'ai désirée, hélas. Comme fut atroce ma déception. Je m'en suis atrocement vengé. Un soir dans un dîner,je lui ai lancé : « Je n'aime pas les sonnettes qui ne sonnent pas » ou quelque chose de ce genre. Je déteste tout ce monde officiel, installé. La France est pourrie de littérature. Le radio-communiqué de Gir(audoux) sur la Pologne restera comme un exemple de cette confusion dans l'esprit des derniers Français entre la littérature et la réalité 1 • La littérature peut être réalité et plus réelle que le réel : mais lui fait de la littérature. Ses images ne se modèlent pas sur le réel ; elles plient le réel à leur développement mécanique. Gir(audoux) c'est par excellence la littérature de décadence, la rhétorique. C'est un grand rhétoriqueur. Les événements, les faits de la vie ne sont pour lui que prétextes insignifiants à déclencher son système d'images et de métaphores, qui est un système clos, immuable. On aurait vite fait d'énumérer le petit nombre de ses procédés. C'est le normalien, le maître dans la république des profes­ seurs, le mandarin. C'est tout le parti radical. Ils tiennent main­ tenant toute la France, toute la littérature. Nous autres qui étions des bourgeois artistes, des artistes libres, nous n'avons plus qu'à crever. Place aux Normaliens. Ils tiennent toutes les avenues à droite comme à gauche : Th. Maulnier et Brasillach et Gaxotte 2 d'un côté - Chamson 3 , Giraudoux etc. de l'autre. Il y a aussi les « élèves d'Alain » : Maurois, Prévost ... Et Paulhan, c'est la même chose, Petitjean, toute la N.R.F. -Je suis aussi heureux de n'être plus marié, quand je vois la femme d'un écrivain, épousant toutes ses petites querelles et ses 1. Drieu pense p robablement à l'allocution de Giraudoux « Sur la Pologne » du 8 septembre 1 939. 2. Pierre Gaxotte ( 1 895-1 982), historien et maurrassien, écrit régulièrement dans Candidr et surtout (de 1 930 à 1 940) dansje suis par/oui, dont il est rédacteur en chefjusqu'en 1 937. 3. Contrairement à ce que pense Drieu, André Chamson n'a pas été nor­ malien. Né en 1 900, il a beaucoup puisé l'ins piration de ses livres dans son terroir cévenol. li s'est engagé dans la Résistance, puis dans la « brigade Alsace-Lorraine " aup rès d'André Malraux. Il a été après la guerre conservateur du Petit-Palais, puis directeur des Archives de France.

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tics, partisane, exagérant et trahissant tous les défauts de son homme (quitte à le tromper, par ailleurs, avec ses disciples et tout passant). La femme trahit toujours l'homme. 1 Pour rien au monde, je ne voudrais avoir une femme qui livre en pâture à mes amis (à mes ennem is) tout le détail de mon carac­ tère, tous mes dessous. Une femme, c'est comme un valet de chambre invité à table et qui commente avec une minutie sordide le : pas de génie pour son valet de chambre. Une femme charmante comme Mme Mauriac, avec sa beauté calme, secrètement mouvementée, tout d'un coup quand il s'agit de son affreux académicien de mari, reflète un monde de petites manœuvres et petites intrigues, rancunes et agressions mesquines. Elle devient laide, un instant. Avec quel bon instinct j'ai toujours craint les femmes. C'est pourquoi, le bordel. Trop paresseux pour me salir les mains.

16 septembre La guerre n'a pas commencé du tout pour moi, comme je croyais. Je n'ai pas été appelé et je suis resté chez moi. j'ai été appelé quelques jours par erreur. N'ayant jamais pré­ venu l'autorité de mes changements d'adresse, celle-ci croyait encore que j'habitais rue Ed. Detaille, quittée depuis vingt ans et plus! Ce court séjour (comme en septembre) dans un dépôt de réserve de territoriale m'a confirmé dans mon dégoût de ces repiquées dans les profondeurs du demos en tumulte. Je me suis trouvé avec toute cette petite bourgeoisie qu'est le peuple, supportable sous le feu mais non à l'arrière. Que leur dire. Je suis un merveil leux simulateur, mais un peu trop jovial. N e se méfie-t-on pas de ma rondeur trop parfaite, de ma verdeur? Tout cela sonne peut-être très faux? Puis-je cacher la profonde indiffé­ rence qui me tient. Tous ces jeux sentimentaux ne sont plus de mon âge el j'en ai épuisé autrefois toute la saveur. C'est affreux pour u n homme qui a écrit sur une guerre (ou sur la guerre) de se retrouver dans une autre guerre. Le déjà vu est écrasant. Je ne prendrai aucune part à cette guerre (que celle qui me sera imposée) à moins que je ne trouve un poste un peu intéressant, .

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ce dont je doute - étant donné mon grade minime, mon manque d'entregent et la méfiance que je provoque dans les milieux officiels. En tout cas, Giraudoux m'a laissé bien tomber. Mais il ne me devait rien ; il n'a jamais pu sentir de ma part une faveur particulière ni une convergence d'intérêts, à quoi il aurait pu être sensible. Et le pauvre, il est débordé et sera bientôt balayé! Au Conti­ nental 1 , il ne peut rien faire sans argent, à la tête de 300 crabes intel lectuels, en mal d'embuscades et de sinécures 2 • Mais enfin, les choses auront donné leur pleine signification, et la République radicale aura reconnu son chantre, le normalien décadent et baroque, le sous-Sénèque. • Tout cela est parfaitement régulier. Ce communiqué sur la Pologne 3 a pour moi une saveur exquise : ces phrases contournées, sophistiquées pour commenter le premier terme de la défaite, pour saluer après la Tchécoslovaquie, la Pologne abandonnée. Il fallait ce rhéteur pour dire les mensonges de la fin, en touchant sa lyre mièvre. J'ai senti aussi la haine sourde de Maurois (que j'avais légè­ rement étrillé cet hiver dans je suis partout) quand je suis venu leur proposer un plan d'action en Espagne où j'aurais été bien reçu, comme ancien doriotiste et « fasciste français » (sic). Je m'étais fait accompagner d'un personnage à peine comique mais suffisamment cauteleux, ce Vil lebœuf 4 • Je lui ai donné l'idée de cette mission en Espagne et aussitôt il a commencé de tirer la couverture à lui, avec des ruses de guignol. - Irai-je à l'armée anglaise? Mais quelles besognes sordides y ferai-je? Interprète, ce n'est drôle que 5 minutes par jour. Arri­ verai-je à me loger à une jonction un peu importante. Je rêve d'une espèce de travail de 2• bureau. Illusions l ittéraires. 1 . Les Mmag,s du Co11ti11rntal, « allocutions radiodiffusées du Commissaire général à l'Information » ( 1 9 39- 1 940), ont été publiées en 1 987 dans le n° 16 des C11hi,rs j,an Giraucloux (Grasset). 2. Au commissariat à l ' I nformation créé par Daladier au début de la « drôle de guerre », Giraudoux règne à partir d'août 1 939 " sur un prupl, d',mbusquls, d'i11trl/,clluls lgarls, cl, militair,s qui n 'obéissaimt qu'aux militair,s. L, jour mëm, dt son i11st111/11tio11, 011 lui r,tira la press,, la crnsure, 1, cinlma, l,s relations avtc l,s Ajfairts Étra11gpr,s, la radio-dijfusion tl lts strvim spiciaux ,,. (Jacques Body.Jean Giraudoux. La /;gmd, ,1 1, sm,t, PUF, 1 986, p. 1 56.) 3. L'armée allemande arrive devant Varsovie le 8 septembre. Le 1 4, la ville est coupl>e du reste du pays. Le 1 8 , les troupes russes envahissent à leur tour la Pologne qui signe un armistice le 27 septembre. La dernière résistance polonaise à Gdynia s'effondre le 2 octobre. Drieu fait probablement allusion au communiqué de Giraudoux « Sur la Pologne » du 8 septembre 1 9 39 (voir p. 77). 4. André Villebœuf, né en 1 893, écrivain et peintre.

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- Par moments, j ' ai fort envie de me faire réformer (maladie de cœur hélas suffisamment avancée, bras ankylosé, maladie de foie, hémorroïdes, hernie et j'en passe plus qu'il n'en faut). Cela fait, je me plongerais définitivement dans l'histoire des religions, sans même l'espoir d'écrire des livres. Retour à la rêverie gratuite, à la prière. -Je n'ai plus de ces velléités d'autrefois. M'engager, retourner dans l'infanterie, manier une mitrailleuse. Je crains trop la popote sordide, les heures d'ennui, trop d' heures médiocres. Le lyrisme ne flamberait plus. - C'est qu'aussi je ne crois pa� à la cause de la France {déjà en 1 9 1 4, je n'y croyais pas du tout). Evidemment, Hitler a dépassé l a sainte mesure, il tombe dans l'ubris napoléonienne. M a i s quoi? N'est-ce pas la loi? L'histoire n'est faite que de démesures succes­ sives. La vie est aux passionnés, aux démesurés. Et si Genève a échoué, l'hégémonie anglo-française, il fau t bien qu'une autre s'offre. I l faut bien faire les États-Unis d 'Europe par la violence. li faut bien créer une vaste aire économique sur l'Europe, l'Afrique et l'Asie antérieure. C'est inévitable. N i l'An­ gleterre ni la France ne peuvent plus, ne veulent plus. Alors? H i tler pense. C'est grossier comme toute pensée politique. Mais Napoléon est-ce mieux que Hitler? Oui, dans la mesure où il y avait encore en lui un peu de la culture et des manières d'ancien régime. Compa­ rer le Mémorial à Mein Kampf Même distance que de Giraudoux à Chateaubriand. Mein Kampf sent aussi la décadence ; pensée d e journaliste rudimentaire, avide d'un sensationnalisme grossier. Pourtant, il faut bien faire l'œcumenia, le syncrétisme e uro­ péen. Il est devant le même problème que Roosevelt - m illions d e chômeurs - mais sans matières premières. I l l e résout selon les vieilles coutumes de Frédéric et de Bismarck, de la Convention et de Napoléon. Et puis il y a la question juive, la question des viei lles castes épuisées, de toutes les vieilles formes politiques à balayer. Je lis un propos du Juif Ludwig 1 : « Quand Hitler aura disparu, l'Allemagne reviendra aux formations des vieux partis : i l y aura de nouveau des commu[nistes], des social-démocrates, des Cen1. S'agit-il d'Emil Ludwig ( 1 88 1 - 1 948), écrivain d'origine allemande, auteur de réci_ts hist?riques et de biographies, qui quitta l'Allemagne nazie et se fit naturaliser suisse?

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trum, etc. » Il profère cela tranquillement. Évidemment, seul le canon peut faire le partage des choses : choses mortes, choses vivantes. - Auguste devait être médiocre comme Hitler. Mais Hitler, est-ce Auguste? N'est-ce pas encore quelqu'un avant Auguste. Marius 1 ? - Athènes, 5 minutes avant Chéronée 2, avait encore une belle armée, une belle flotte, quelques alliés. La force militaire, c'est la dern ière chose qui craque. Le cœur pourri sous la cuirasse. Encore beaucoup de héros, quand par ailleurs la tête de la nation est détraquée. - Supposons que nous soyons vainqueurs? Que ferons-nous des 80 millions d'Allemands? Le système de Maurras est périmé. Refaire l'Empire d'Autriche? Une Grande Pologne? - Autrefois, je prédisais la fin de l'Empire britannique. Les Dominions? l is se réfugieront sous la coupe des États-Unis? L'Inde? Hors cela, il reste peu de choses. Alors, de quoi vivront les Anglais? Malthus ou les massacres de cette guerre-ci. - Hitler et Staline. Cf. Napoléon et Alexandre à Tilsit. Trop de gens ont intérêt à la chute de l'Empire britannique. - Curieux, en ce moment, tous les Juifs que je vois, jouent battus. Défaitistes. Les rats s'agitent sur le bateau touché. - L'opinion publique devient mauvaise. L'affaire de Pologne les travaille. Mon concierge, suisse, veut s'en aller. Ma flemme) de ménage luxemb[ourgeoise] ne sait où s'en aller. Les rats.

18 septembre Je m'en vais partir comme agent de liaison avec l'armée anglaise. Je le fais par un vieux réflexe, une vieille disposition à prendre une attitude un tant soit peu virile; mais sans aucun élan. j'ai songé à me faire réformer, ce queje pourrais faire aisément (aortite, maladie de foie, hémorroïdes, hern ie) et à me consacrer 1. Marius (1 57-86 avant J .-C.), représentant à Rome du parti populaire, opposé à Sylla qui défend les positions de l'aristocratie, dans la période de troubles qui marque le passage de la République à l'Empire romain (César sera assassiné en 44 avant J.-C., Auguste obtiendra l'imperiwn à vie en 23 avantJ.-C.). 2. Philippe II de Macédoine remporta à Chéronée en 338 avant J.-C. une victoire sur les armées all iées de Thèbes et d'Athènes qui entraîna la fin de l'indépendance des cités grecques.

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paisiblement à l'histoire des religions. Mais on est le fils de ses œuvresl Du reste,je ne serai peut-être pas du tout dans un poste exposé. Peut-être serai-je moins exposé qu'à Paris? Peut-être aussi joindrai­ je une unité combattante. Qui sait jusqu'où ira le réflexe. En tous cas, je compte m'amuser quelquefois et m'ennuyer souvent, me frotter à beaucoup d'imbéciles et je regrette vivement mes études. j'avais quelques projets en tête. Si ma vie était à recommencer, je me ferais historien et his­ torien des religions (origines grecques du catholicisme). Je n'avais pas le caractère ni le goût définitif d'être un écrivain politique. Quant au roman, je commençai seulement à être capable d'en écrire un qui fût vraiment libre. Il me fallait arriver à un âge où la pleine confession était possible, où je pouvais voir ma vie comme un tout achevé, un passé clos (cf. Stendhal, Dostoïevski). Merci à Beloukia qui m'a donné son plus bel amour, que j'ai aimée. Merci aussi à Nicole :j'aurais aimé lui donner tout ce qu'elle méritait. Je crois que Connie Wash I ne m'a pas aimé, n'a pas su m'aimer. Je pardonne à Bernier 2 et Aragon 5• Qu'ils me pardonnent. li faudrait publier : 1) la série des poèmes d'amour à Beloukia (Crache sur l'Ange 4, etc.) ; 2) mes deux pièces jouées (L'Eau fraîche 5 et Le Chef 6); 1 . Constance Wash, dont l e prénom est aussi abrégé par Drieu en Cony (voir Introduction, p. 20), 2. Jean Bernier (1 894- 1 975), intellectuel très engagé à gauche, est l'auteur d'un roman de g uerre remarquable, La Pncù (1 920). I l est l'objet de caricatures féroces dans Brloukia (Felsan) et Gillrs (Lorin). Il assista aux obsèques de Drieu qui y avait souhaité sa présence (ainsi que celle de Malraux, qu'on ne pourra pas joindre sur le front). 3. Sur l'amitié et la brouille de Drieu avec Aragon, on se reportera à la biographie de Pierre Andreu et Frédéric Grever, Drieu la Roclullt (La Table ronde, 1 989). 4. Ce poème a été publié dans Plaint,s con/r, inconnu, (Frédéric Chambriand, 1 95 1 ). 5. L 'Eau fraîche fut publié en pla �uette par us Cahiers dt Bra110 en aoôt 1 9 3 1 . La première représentation avait e u heu e n mai 1 93 1 à l a Comédie des Champs­ Élysées avec Pierre Renoir, Louis louvet, Valentine Tessier, Lucienne Bogaert dans les rôles principaux. La pièce rut représentée une cinquantaine de fois, mais elle ne fit pas l'objet d'une reprise en volume. 6. ù Chef sera publié avec Char/oit, Corday chez Gallimard en 1944. La pièce avait été jouée cinq fois par les Pitoelf en 1 934.

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3) mes notes récentes sur la politique et autres sujets. Le frag­ ment de journal Septembre 1 93 9 1 ; 4) utiliser les corrections presque complètes apportées à Inter­ rogation, Fond de cantine, Suite dans les Idées. Au moins celles appor­ tées à Interrogation, à peu près définitives 2 • j'aurais voulu écrire encore un court roman sur l'avortement Mort de la France 3• Une pièce sur Charlotte Corday : « Violence contre vio­ lence 4 ». Un volume sur l'histoire des religions pour prouver que le christianisme catholique est l'héritier honorable des religions de mystère et de la philosophie grecque et non de la juiverie. Des mémoires intimes et atroces comme la société française en mérite. Une comédie sur l'amitié s. Plus rien sur l'amour. ·

1 . Le recueil d'articles Cliro11iqt1e /10/itique sera publié par Drieu chez Gallimard en 1943. Le « fragment de journal » figure dans la présente éditi�n. 2 . Ces trois teXll!S SI! trouvent dans la version révisé Je reçois une lettre de Maurras en réponse à celle que je lui ai écrite, pleine d'objections, sur sa vieille thèse de l'Allemagne à mettre en morceaux. Lettre pleine d'une hâtive superbe, d'une autorité fracassante. Je surprends mon caractère sur le vif : je me sens plein d'in ­ dulgence et de vénération pour la majesté de l'ego chez les autres, et au même moment je me refuse les plaisirs et les forces de cette majesté pour mon propre ego. Je me refuse de lui répondre dans mon for intérieur sur le même ton d'assurance indéracin able. Il ne s'agit pas ici d'une subordin ation et d'une révérence que 99

commanderait le génie certain de Maurras. Non , car mon attitude a été souvent la même devant des esprits ou des c aractères de moindre importance. Je n'ai pas envie de jouer ce jeu, mais un autre. j'ai reçu aussi deux ou trois lettres dans m a vie de Claudel dans ce genre. Je songe que Claudel et Maurras se nient l'un l'autre avec cette même superbe. L'un et l'autre m'en veulent d 'avoir souvent associé leurs noms dans le même éloge public ou privé. Il ne s'agit pas ici de sagesse, de raison, que je récl amerais de mon côté. Je sais ce que cachent ces mots. Non , simplement je dis qu'ils ont choisi une voie et moi une autre. Donc, devant le mépris de Maurras pour mes raisons, je suis prêt à en douter ... autant que des siennes. Ce qui ne m'empêchera pas sans doute de persévérer dans les m iennes comme lui dans les siennes, parce que j'ai assez mûri et vieilli, assez changé et éprouvé tous les outils qui sont sur le marché, pour savoir à quoi m'en tenir. Toutefois, il n'est pas dit que je ne changerai pas encore sur tel ou tel point. Maurras à coup sûr ne changera pas. li n'a jamais changé. Cela fait un beau monstre. Ch aque écrivain est ainsi retranché dans son for, comme un petit féodal, se trempant dans l'anarchie du royaume. C hacun de ces gaillards est plein d'un héroïque désir à l'égard de tous les autres. A chaque flèche reçue des autres, il gémit, se navre, dégrin­ gole dans ses profondeurs plein de doute et d'angoisse, puis il remonte à son créneau et lance à son tour un carreau empoisonné. Après cela, on le voit crâner, sombre ou jovial. Et voil à. Je me rappelle ce maniaque de Suarès en 1920, emporté par la colère parce que je l'avais associé à Barrès et Maurras dans un article. La recherche éperdue du succès bruyant chez beaucoup est une fuite devant les doutes, les découragements. « Des applaudis­ sements pour étouffer les murmures séditieux de m on cœur. » Je n'ai vu Maurras que deux fois dans ma vie. Une fois pendant la guerre. Un camarade lui avait montré mon premier_ recueil de poèmes Interrogation. Il me dit que le poème en prose était un genre faux. Cela fut bref et péremptoire. Je le revis après Mesure de la France. Il me dit qu'après une telle synthèse hâtive, il me fallait en venir à des analyses plus serrées. Tout cela était fort juste. Mais sije l'avais écouté,j'aurais trahi ma nature. Son influence littéraire a été rétrécissante. Et pourtant dans 100

ses poèmes il y avait une flamme sombre et torse et prête à s'égarer qui leur donne la vie autant que les contentions de sa forme. Cette flamme-là, on ne l'a vue chez personne autour de lui. Il l'a étouffée chez les autres. Comment pourrais-je m'entendre avec ce Provençal, ce quasi­ Marseillais? Mais il y a au fond des Provençaux une fureur. Voir Puget, Fragonard ; Maurras avait quelque chose à étouffer. Tout est là. Giono, par crainte de s'étouffer, se perd dans les langueurs de l'excès qui retombe, lui le forcené. Il y a sans doute chez Daudet autre chose que la Provence. Sangjuif? Tourbillon parisien? Vérole? Sa mère? C'est un de ces paresseux qui ne peuvent qu'aller vite. Que pourra-t-on repêcher dans son œuvre? Ses mémoires. Les mémoires sont la planche de salut des graphomanes, des poly­ graphes. C'est là seulement qu'ils s'arrêtent ou se fixent. Ou plutôt c'est la postérité qui ayant besoin d'eux à tout prix leur donne enfin du poids.

17 octobre Bertrand de Jouvenel I vient me voir. Il est de passage à Paris, venant de Buda-Pest où il est en service soi-disant secret. Le fait que je ne suis pas au front le rassure et le confirme dans son envie d'en rester loin. J e crois qu'il a très peur. Il me fait croire qu'il court de vagues dangers en Hongrie. Comment un garçon aussi indiscret et bavard, aussi brouillon peut-il rendre des services? Si son emploi est sérieux, il fera quelque bévue. C'est beaucoup plus comme Juif que comme fils d'un person­ nage radical 2 qu'il est pour la guerre et contre l'Allemagne. Ainsi partout, toujours le Juif. J e me demande ce que serait la France en face de l'Allemagne sans les Juifs. Sans doute les Français deve­ nus nonchalants s'en remettent aux Juifs de cette agressivité : s'il n'y avait pas de Juifs, certains Français rempliraient leur office. 1 . Bertrand de Jouvenel ( 1 9Q3-l 987) quitta le parti radical en février 1 934. Essayiste (il publie notamment L'Economie dirigle), il fait partie de la nébuleuse des non-conformis �es (il �onde La !,utte desjeunes, _où écrivit Drie_u). Ami d'Otto Ab etz, _ il obtient une interview de Hitler, le 21 févner 1 936 (publiée dans Pans-M1d1 du 28), qui fit grand bruit; i l allait se retrouver, lui aussi, au P.P.F., attiré qu'il était alors par le fascisme. 2. Henry de Jouvenel ( 1 876-1 935), rédacteur en chef du Matin, sénateur, ministre, haut-commissaire au Levant en 1 925- 1 926. li avait épousé en secondes noces, en 1 9 1 2, la romancière Colette, dont il divorça en 1 924.

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Dans l'hostilité de Maurras à l'Allemagne, il y a beaucoup du fait qu'il est dit-on une sorte de métèque, descendant de Grecs. En tous cas, un Marseillais peut se sentir en permanence méprisé et menacé par les Nordiques. j'étudie avec volupté les ondoiements du métissage dans l'âme de B. de Jouvenel. Dans chaque minute, il est tour à tour j uif et français. Tantôt il se rappelle qu'il est un noble français et il parle avec mépris de la démocratie et de 89 ; mais i l ne peut pas se résoudre à prendre une position définitive contre l e régime. Tout en étant au P.P.F., il s'est gardé des liaisons avec les radicaux. Et Dieu sait même quel rôle il a joué dans le parti à ce point de vue. Mais qui dans le parti n'était pas au service secret ou public des radicaux? Tantôt, il se rappelle sa mère juive et le voilà frémissant devant l'antisémitisme. Dans son comportement, il y a beaucoup de la familiarité trop facile, de la curio sité mal contenue, de la révéren ce servile qui caractérisent les Juifs. Vraiment la n ature juive voile la nature aryenne. Celle-ci n'apparaît que quand il est devant les Juifs et qu'il juge sur eux ses défauts. Ainsi Proust. Et lesJuifs entiers eux-mêmes. Quand on considère sa vie et son caractère, on voit que la société parisienne mérite désormais d'être dite judéo-parisienne. Il se promène comme un enfant gâté au milieu de la politique et du monde. Certes, ses manières un peu frustes d'intellectuel mal dégrossi ne plaisent pas à tout le monde, et les journali stes eux­ mêmes jugent son intelligence superficielle, son talent san s feu ni lieu, son entendement sans direction. Et personne n'a même jeté un regard sur ses mauvais romans. Et somme toute, il est apprécié à sa juste valeur. Mais en politique, il a ses petites entrées et il peut batifoler dans les marges. Il plaît aux femmes. Son type n 'est pas trop accentué (Une nuit dan s la rue, il se regarde dan s une glace et me dit : «' A onze heures du soir, j'ai l'air d'une vieille juive »). Il a du tempérament et fait bien l'amour, me dit Nicole qui, tout antisémite qu'elle est, est trop contente à l'occasion de le voir passer dans son lit. Sa maîtresse actuelle, Paule de Beaumont, est jolie mai s sotte. Quels jolis yeux, quelle jolie peau autour des yeux. Jolies dents. Fort bien mise, assez joli corps. Sotte bien sûr comme les autres. La seule femme dont il ait été épris, prétend-il, est une demi­ Juive américaine queje trouve parfaitement banale et vulgaire dans le genre émancipé et un peu cynique. Elle l'a quitté et est avec

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Hemingway, ce qui me fait juger fort mal cel ui-ci. Mais peut-on juger les hommes d'après leurs femmes? [ ...] . . Au fond, les femmes même J e jugent. Pourq�o1 est-ce q_ue J e le vois? Parce qu'il me relance. Mes seuls « amis » ont éte des hommes qui me télépho naient, qui me relan çaient : Aragon, Berl, lui. Aragon doit donc être juif. . li a ce mélange apparent d'intelligence et d'éléfm ce qu i me leurre cinq minutes, à l'occasion. Au fond, je ne su is qu :un type dans son genre en mieux. Stendhal, Baudela ire ont dû avoir de ces indulgences. Au fond de moi-mê me, je ne puis pas ne pas m 'imaginer que je suis un grand écrivain méconnu, qui aura son heure. Tous les ratés s'imaginent qu'ils sont Stendhal : Jeurs lecteurs les attende nt quarante ans plus tard. Mais Stendhal était reco nnu par ses contem­ porains, par Mérimée, Balzac, Lamart i ne. Le suis-je? Barrès, Clau­ del ont bientôt douté de moi. Maurras m'en veut trop pour que son jugement compte. Gide a dit à Malraux qu'il trouvait excellent La Comédie de Charleroi, mais pour le reste ... Sans doute est-ce mon seul livre. Je crois pourtant qu'Interrogation est assez fort. Le reste c'est du talent gâché, éparpillé ou soudain une extraordinaire absence de talent au milieu des marques du talent. Qu'est-ce qui me manque? Trop intellectuel, pas assez artiste. A mi-chemin entre deux ou trois aptitudes, deux ou trois genres. J'ai essayé presque tous les genres,je n'ai atteint l'achèvement dans aucun. Je suis paresseux, léger, distrait. Pas assez obsédé par moi­ même, par mon monde, mes fantômes pour être romancier. Je pense sans cesse à moi, mais comme à un personnage vu du dehors, un prétexte auquel j'accroche mes idées sur la psychol ogie, la morale et l'histoire. Je n'ai presque jamais écrit une page intime, comme il y en a dans Rilke. Mon point de vue, somme toute, est celui du journaliste. Je pourrais écrire une nouvelle atroce sur Bertrand. U ne nou­ velle à clef, mais le transfigurer en personnage de roman, lui donner ce caractère impalpable et inénarrable de fantôme? N on. Je sais que mon œuvre mourra avec moi, qu'elle meurt avant moi. Alors? A quoi bon ? Pourquoi continuer? Si je me taisais, il me semble que j'obtiendrais une plus grande authenticité inté­ rieure, une plus grande tension. Derrière ma bouche close mon âme s'amoncellerait, se condenserait. Faute d'être quelqu'un, il se passerait en moi quelque chose.Je serais un lieu spirituel où s'achè­ verait une parcelle du divin.

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Le plus clair de mon temps se perd dans la lecture des journaux et des livres d'histoire. Écrirai-je la Fausse couche? ou Charlotte Corday? - Vu le Dr Laubry pour mon cœur. Il me dit « votre aorte ne bouge pas. Mais votre cœur semble palpiter plus dans la sensibilité de votre conscience. Si vous étiez terrassier, vous ne sentiriez rien ». J e crois

que c'est surtout le tabac qui fait bourdonner mon cœur. « Le tabac rend fragile votre organisme et le met à la merci des agitations de votre cœur. » Le tabac et la vérole font aussi, paraît-il, de fâcheuses interférences dont le lieu est le grand sympathique. I l agite l a m a i n pour évoquer d'affreux « métabolismes ». J 'ai toujours cru que m o n impuissance vient d u tabac au moins autant q u e d e l a vérole e t de l'épuisement par l'abus. Curieux que j 'aime plus le tabac que les femmes? Non. Que de vérolés! Baudelaire, Verlaine, Rimbaud (mais seule­ ment en Afrique), Chamfort, Nietzsche. Qu'est-ce que cela prouve? Rien.

19 octobre 1939 Thiébaut I à la Revue de Paris m e refuse u n article où je montre la filiation jacobine des communistes et des fascistes. I l a peur de choquer le monde officiel. Que d'articles on m'a refusés ainsi de tous côtés. Certes. j e ne suis pas adroit et je n'arrondis pas les angles. M ais que pas un directeur en France n'aime les propositions carrées : voilà qui est grave. Ils craignent toujours de choquer quelqu'un et, en effet, on ne peut vivre, respirer, penser, parler sans choquer quelqu'un. Il est vrai aussi quej 'ai toujours manifesté une certaine mobilité dans le choix de mes points d'appui politiques. On m 'en a fait une réputation de personnage inquiétant, dangereux, impossible à sou­ tenir sans déconvenue possible. Mais le fond de mes idées n 'a jamais changé : j 'ai toujours marié l 'Europe et la France, la générosité sociale avec le sens de l 'aristocratie, de la hiérarchie, j 'a i toujours 1. Marcel Thiébault dirigea la Rrout dt Paris depuis 1 925 jusqu'à sa mort en 196 1 . Cette revue plutôt traditionnelle accordait une assez large place à la litté­ rature. Elle avait autrefois publié Renan, Loti, D'Annunzio, Barrès, Romain Rol­ land. L'article auquel Drieu fait allusion est sans doute celui qui a été publié dans Mtsurt dt la Frana, nouvelle édition, Grasset, 1 964, pp. 1 7 1- 1 99.

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fait une apologie latitudinaire mais utile du catholicisme, j'ai tou­ jours condamné le régime radical et le rationalisme du xvm e. A part cela, que m'importe les partis, les opinion s consacrées! Rien de tout cela n e vaut mon attention, mon soin, ma piété, ma fidélité. A d'autres. Je méprise trop les divers personnels et vieux arsenaux idéo­ logiques entre lesquels se distribuent ces pauvres Français pour regretter une seconde d'avoir retiré mes pieds de tous les endroits où je les avais un tant soit peu risqués. L'Action française même, dans son assortiment de braves gens fatigués et butés, de disciples sans génie mais non sans morgue, de rivalités minimes sous une dictature cacochyme n 'a pas mérité que j'y prenne la rame du galérien. Quant aux démocrates populaires, radicaux, socialistes et commun istes, pauvre de moi, si je n'avais pas été distrait et bala­ deur. • Longtemps on a eu raison de me refuser des articles parce qu'ils étaient mal faits. Et encore! Car si on avait risqué d'en passer trois, le quatrième eût été bon, et bien meilleur que tout ce que je peux faire maintenant que je vieillis et perds de ma folie première. On m'a refusé le succès qui eût fouetté quelque temps ma nature nonchalante et négligente. Après cela, j'aurais pu leur tour­ ner le dos à tous, plus sûr de moi et me réserver pour une œuvre difficile. - N e pas confondre verdeur avec profondeur. Le fait que je raconte ici ma vérole ou les tours que j'ai joués à l'armée pour quitter le casernement des tranchées quand j'en étais la& ne me fait pas avancer d'un pas dans mon mystère. Tout cela, c'est de la friperie extérieure. Puis-je dans un journal montrer mes articulations? Ou est-ce que je dépose les débris de moi-même dans une boîte? Les grands aveux moraux ne signifient pas grand'chose dans l'ordre de la psychologie, ni même dans l'ordre de la morale. Quand j'aurai dit et prouvé que je fus un chenapan, mon lecteur sera bien avancé. Ce qu'il voudrait savoir, c'est comment le chenapan s'insère sur le solitaire et celui-ci sur un autre, et quelle famille unie cela fait qui marche toujours du même pied. Pour y parvenir, il ne faut donner ici que des anecdotes sai­ sissantes où est surpris le passage d'un personn age à l'autre et le bref dialogue au moment du chassé-croisé. - II y a vingt ans que je cherche un sujet de roman en dehors 105

de moi. M'attacher à un personnage que j 'ai conn u aussi loin de moi q u'il se peut. Aussitôt je me sens sans imagination et en n uyé. P eindre des gens du commun, quel morne usage de mes heures. les transfigurer, quelle n iaiserie! Balzac m'ennuie à crever. J e trouve la plupart d e ses personnages fastidieux, ses ambitieux sont a_trocem ent vulgaires. La gloire de Balzac est surfaite. Ses ambi­ ti eux, les seuls qui s'élèvent au-dessus du terre à terre sentent trop 1� cuistre et le calicot. Sa platitude immoraliste n 'a d'égale q ue sa n igauderie sentimentale (ses jeunes fil les, ses saintes). Je n'aime que Stendhal, parce que Sten dhal c'est R acine, c'est du r oman noble bien que légèrement fixé à la terre comme G ulliver par cen t fils lilliputiens. Voulez-vous que je vous décrive la vie d'un industriel, d'un médecin, d'un ingénieur tels qu' ils sont? Et si je leur prête mon br illa nt, cela devient ridicule. À moins d'être M auriac de plain­ pied avec ses sales bourgeois, avec ses femmes aigres. Bernanos et Green, cela c'est bien, parce q ue cela se passe dans un monde incontrôlable. Giono aussi quand il ne prêche pas, dans Le Chant du Monde (le seul de lui que j'ai lu entièrement), M alraux, c'est du reportage, à la merci du moindre sérieux chez le lecteur, 24 octobrt

j'ai dîné avec Georges Auric 1 • J e ne l 'avais pas vu depuis lon gtemps, depuis avant la guerre. Je ne le rencontre que de loin en loin, une ou deux fois par an depuis des années. Il sait que je déteste son opium et ses amitiés communistes, il sent que je lui reproche son ratage. j 'avais aimé sa musique des premiers temps, ! 'alacrité, ) 'ironiejoyeuse qui y étaient des promesses. Mais la paresse, le besoin d'argent l'ont fait tomber à n 'être plus q u'un fourn isseur des cinémas. J e me demande quelle est la cause maîtresse de sa perte. I l y a chez lui une forme de paresse que je connais bien et qui me menace moi-même : la curiosité papillotine, la dispersion d 'esprit. Il lit éperdument, sans ordre et sans but. Cela va chez lui jusqu'à l'impuissance foncière. On dit que sexuellement il est impuissant. En tous cas, il n 'y a chez lui aucune possibil ité d'expérience vivante, aucune activité passionnelle et sentimentale qui vienn e n ourrir son 1. Drieu avait dédié en 1 924 au musicien Georges Auric « Le Pique-nique », la troisième nouvelle de Plaint, conlrt Inconnu (Gallimard, 1 924).

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talent. Il a été trop content de trouver dans le besoin d'argent un prétexte à écrire n'importe quoi. On retrouve d'aill eurs par instants de la verve dans ses partitions. Mais il y a aussi de l'imitation à pleine mesure. C'est le type du gogo d'avant-garde, bien qu'il ait dans le détail des personnes et des choses un jugement assez libre. Il s'est laissé dominer tour à tour par Cocteau, Breton ; maintenant par les communistes. Il est extrêmement lâche et peureux. Et la peur de la gauche, ou de ce qu'il croit tel, le tire à gauche. Incapable de s'affirmer nettement dans la conversation, il revient toujours par des biais sournois à sa tendance de gauche. En dépit de quelques plaisanteries sur le sort fait aux commu­ nistes français par les Russes.j'ai senti qu'il croyait encore à l'avenir du communisme. Il croit qu'il y a encore un communisme dans le monde, ou du moins un parti des gens dits communistes dans le monde, capable de l'emporter. Il n'a peut-être pas tort : Stalin peut triompher des divisions de l'Europe. Je sens chez lui cett tendance sourde et invincible que je sens chez tout Juif ou judaïsé sa femme est juive et naïvement judaïsante. À part cela, difforme et jolie, elle ne songe qu'à l'amour avec un bel aryen. Elle peint avec une mièvrerie presque amusante, sans l'ombre de métier ni de talent 1 • Tout cela c'est l'infect milieu parisien où se mêlent étroitement la juiverie, l'argent, le gratin dévoyé, la drogue, la gauche. Petit milieu plein d'arrogance et de suffisance qui pense tenir le mono­ pole de l'intelligence, de l'art et de tout. Un certain nombre de préjugés y règnent de la façon la plus indiscutable et la plus indis­ cutée. Ces préjugés forment le ramassis le plus contradictoire, le plus cocasse et le plus odieux. Toutes les confréries secrètes se rencontrent là et s'entraident avec le fanatisme le plus actif : la drogue, les deux inversions, la juiverie, l'aristocratie de salon, l'art de décadence. Tout cela est couvert par la franc-maçonnerie politique. Un drogué sait qu'il trouvera toujours quelqu'un pour le protéger au pouvoir, un haut fonctionnaire de l'Intérieur ou de la police, un Sarraut quelconque. Cela s'appuie à la fois sur le radicalisme, le socialisme et le communisme. Cela a triomphé au moment du Front Populaire. Cela tient 1. Nora Auric, après être entrée à !'École centrale, se lança dans une carrière de peintre ; elle a laissé des portraits d'Eluard, Crevel, Cocteau, Poulenc, Georges Auric lui-même.

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encore des avenues secrètes. Cela attend la victoire de Staline sur H itler. Cela périrait de cette victoire. C'est ce qui est drôle. Certes, il y a des pédérastes, des gousses et des opiomanes de droite : Gaxotte, Brasillach et d'autres, Bern ard Fay 1 - Ils sont tenus par leurs apparents adversaires. Un homme comme Bourdet qui détestait autrefois les pédé­ rastes les défend maintenant à c ause de l'opium et de sa fem me qui par impuissance vit avec eux. Lacretelle, pédéraste, qui a donné dans le P.S.F. 2 et q ui est académicien est enjuivé. I l a �té longtemps entreten u par un J uif, Robert Bernstein, le frère d'Edouard. Ainsi s'éten d à l'infini le réseau des complaisances qui fait la toute-puissance paralysante de Paris. Auric, qui aime l'argent, la licence de mœurs et d'esprit, a l a nostalgie de la rigueur communiste. Dîné aussi avec Élisabeth de Lanux 5 qui se déclare trans­ formée, transfigurée. Elle n'est plus lesbienne. Elle a dén iché en Espagne rouge où elle a passé six mois l'amour mâle chez u n Espagnol de 28 ans. C'est fort possible. U ne femme ne peut trou­ ver un vrai mâle à Paris, dans le milieu en question. Alors, l a drogue ou le saphisme ou l a mauvaise peinture. E lle aussi fa isait de la mauvaise peinture comme Germaine M alançon-Bergery­ Boris ◄• Je l'ai aimée autrefois quelques mois; mais je n'ai pas eu l a force de l'arracher à son mari impuissant, à l a gousserie, à tout. Elle me paraissait trop sotte. Et il y a au fond d'elle une brave Américaine toute simple. Ayant subi lointainement mon infl uence et frottée à la sim1. Bernard Fa9 avait collaboré au C�u rrier royal du co� te de Paris. l i militait activement, aux côtés de Fernand de Brinon, dans le comité France-A llemagne. Professeur au Collège de France, il allait être nommé par Vichy admin istrateur de la Bibliothèque nationale. Obsédé par le complot judéo-maçon nique, il allait organiser, main dans la main avec l 'occupant, la dénonciation des dignitaires de la franc-maçonnerie. 2. Après la dissolution des Ligues par Léon Blum! en Juin 1 936,_ François de La Rocque transforma les « Croix de Feu » en un Paru Social Français (le P.S.F.), parti de la droite autoritaire. 3. Élisabeth de Lanux est la mystérieuse dame dont parlent Andreu et Graver à propos de la rupture entre Drieu et Aragon (voir Andreu et Graver, op. cil., pp. 1 80 sq.). Elle avait été la maîtresse de Drieu avant d'être courtisée par Aragon ; Drieu aurait fort choqué Aragon en parlant d'elle en termes sexuellement très crus. 4. Germaine Boris-Malançon, artiste appréciée de Dunoyer de Segonzac, a peint surtout des paysages. Elle a exposé au Salon d'Automne en 1 935 et 1 936.

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plicité espagnole elle proclame maintenant la décadence totale de Paris, de New York, la fin inévitable de tout cela. Elle voit maintenant que Picasso a fini la peinture. Elle a une jolie petite fille qu'elle doit élever en chien savant. C'est étonnant de voir la déroute de tout à Paris des années 20, sous les coups conjugués du communisme, du fascisme éclatants. Ils avouent tous maintenant qu'ils étaient sophistiqués, absurdes, stériles, idiots, terrorisés par la mystérieuse dictature de l'irres­ ponsable. Paris finit dans le grotesque de cette fin de siècle. Le surréa­ lisme forme le dernier chapitre de la littérature française. Ce Juif roumain Tristan Tzara (quel est son vrai nom?) qui criait : dada, en 1918. Mais dans l'Europe de demain, qu'elle soit fasciste ou commu­ niste ou les deux, toutes ces misères reparaîtront, sous quelque forme nouvelle. Car l'esprit en pleine décadence, irrémédiablemen l débile, ne peut plus produire que de faibles monstres. Je rassemble des notes pour une Charlotte Corday... 26 octobre

Je suis indépendant, libre (dans le jargon d'hier soir, cela se disait : non conformiste). Je suis en éveil, en défense contre le préjugé dominant qui est le préjugé de gauche, préjugé accumulé dans mon pays par deux siècles et plus. La plupart des Français ont pris l'habitude de penser et de sentir toujours dans ce sens-là, sans plus jamais d'examen intime tel que « leur » Descartes pourtant le recommande. Mais cet examen de Descartes peut être aussi bien qu'autre chose un prétexte, un motif d'hypocrisie. Mais étant aussi en méfiance contre certaines fixations de droite, maurrassiennes - bien que dans l'ensemble, j'adhère à la philoso­ phie de Maurras, à sa raison vivante, goethéen somme toute, qui tient compte à la fois de la nature et de la société, du divin et de l'humain - je suis fort en l'air, fort isolé. Je n'appartiens à aucune secte, les ayant toutes flairées en bon chien au nez et au cul. Grand inconvénient immédiat. D'abord, impossible de gagner ma vie. Comme on ne me craint pas on peut toujours me refuser un article et on ne s'en fait pas faute. Je ne suis pas dans le système d'échange de services ni de la droite ni de la gauche. D'autre part, je n'ai pas de sinécure administrative ou autre; 109

j'ai mangé les quatre sous venus de mon grand-père et de ma mère. Enfin, mes livres ne se vendent guère (aucun de mes livres n e s'est vendu à plus de 7 000 ex.). Pourtant, je m'en suis tiré. Par les femmes. P ar le côté faible et doucereux de ma nature, j'ai toujours eu toute ouverture de c e côté-là. D'abord, ma première femme qui était assez riche e t m'avait donné au momen t du mariage en 1 9 1 7 une dot de 4 ou 500 000 francs. L' ayant quittée en 1 920, j'ai vécu avec ce pécule jusqu'en 1 926. Puis il y a eu un peu d'argent de Gallimard qui m'a. fait une mensualité de 25 à 28, j e crois (2 000 francs). J e me suis remarié et mon beau-père aidait notre triste ménage. Quand G al­ limard s'est arrêté, la vente de l'immeuble de la rue V ictor-Massé, 8, nous a laissé à mon frère et à moi chacun 300 000 francs. C ela a été dépensé en deux ans. Ensuite on t commencé les mécènes féminins : V ictoria Ocampo,, puis An gelica Ocampo 1 , puis Beloukia. Grâce à cette providence qui sent le fagot, j'ai pu toujours vivre selon ma règle de paresse et d'inefficacité, d'immobilité et de rêverie, de lecture lente et d'écriture un peu hâtive. j'avais tout le loisir d'écrire des ch efs-d'œuvre; mais l'indéci­ sion de mon esprit, mon manque d' imagination pragmatique m'ont empêché de concevoir clairement mes œuvres et d'en saisir le point de fécondité. Je me perds dans la méditation préalable, incapable de choisir de façon tranchante entre plusieurs pistes. Je ne dégage pas le principe à quoi tout doit être rapporté. Composant par raisonnement, je n e raisonn e pas assez. Une autre issue serait de me laisser aller à la prolifération du désordre, de renoncer entièrement à toute composition , aussi à toute transposition et de poser seulement des fragmen ts d'obser­ vation et de narration . M on moins mauvais livre est La Comédie de Charleroi, parce que je m'y suis engagé dans ce sens, sans le savoir d'ailleurs. Cette série de nouvelles m'a échappé comme lnlerroga­ lion. Sans doute est-ce que la guerre est la seule chose qui m'ait vraiment ému et en même temps fourni le ton juste. Deux ou trois amours m'ont ému, mais je n 'ai pas trouvé le ton qui assure mon 1. La plus connue de ces deux sœurs Ocampo, qui jouèrent un rôle important dans la vie sentimentale de Drieu, est Victoria ( 1 890- 1 9 79) ; originaire d'une riche famille argentine, élevée en France, elle eut une activité d e mécène et fonda la revue Sur. Elle a laissé des traductions et d'importants Témoignages. U ne troisième sœur, Silvina, fut également femme de lettres et peintre. Les sœurs Ocampo n'ont pas été sans influence sur l'invention par Drieu des sœurs Bustamente dans L 'Ho1111111 à chroal (Gallimard, 1 943).

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témoignage. J'ai bafouillé entre le pathos trop long et l'ironie trop courte. P eut-être me suis:ie enfin établi dans Gilles? Pour en revenir à la question du mécénat il y aurait des dis­ tinctions à faire. J'ai été malhonnête avec Victoria Ocampo. L'ayant prise en grippe, je n'aurais pas dû lui demander de l'argent comme je l'ai fait encore pendant deux ou trois ans. Beloukia, c'est tout autre chose. Je l'ai aimée avec passion, je l'aime encore avec toute ma tendresse, une passion de tendresse. C'est la seule femme qui ait su durer dans ma vie, à cause de son admirable simplesse (qualité la plus appréciée aussi par son mari).

28 octobre Je vais avoir de la peine à continuer ce journal, car me voilà lancé dans une pièce sur Charlotte Corday. Bien que j'aie mis si peu de soins à mes œuvres, j'ai toujours préféré écrire un roman, une nouvelle, une pièce, un poème ou un essai que de noter mes intimités d'âme et de destin. Il y avait longtemps que je pensais à écrire sur la Révolution. D'abord.j'avais songé à un théâtre historique, national qui manque tant à la France. Nous n'avons rien de semblable aux Chroniques de Shakespeare ou même à Faust. Ce qui en tient lieu, c'est Cyrano et Madame Sans-Gêne. Voulais écrire sur Robespierre ou S[aint-lJust. Et soudain me vient l'idée de Charlotte. Désirais tant trouver une héroïne. Et une Normande. Et une noble, sans préjugés. L'idée m'est venue en lisant un méchant livre sur Marat. Presque tout de suite l'idée du parallèle. Et j 'ai trouvé ce bon livre de E. Albert-Clément 1 • Vais:ie pouvoir y mettre toute l'intimité que je veux. Le moins d'histoire possible, le moins d'opinions.

30 octobre B. Parain me dit, dans un moment d'abandon fort gentil, que tout le monde pense que je suis, en effet, un hurluberlu, en politique du moins. li m'avoue cela après que je me suis écrié moi-même : 1 . Voir E. Albert-Clément, La vraie jir;urr dt Charlot� Corday (Émile-Paul frères, 1 935, 320 p.).

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« Il y a vingt ans que j'essaie d'établir un rapport entre la littérature et la politique, ce que personne ne fait plus en France. Cela m'a valu de passer pour un hurluberlu. » Je ne croyais pas si bien dire, me voilà désespéré. C'est une bonne occasion pour dire dans ce journal le mal que je pense de mon « œuvre ». En fait, il n'y a pas d'œuvre.Je sais bien que rien de moi ne restera. Le moins mauvai s sera emporté par le pire. N'étant pas penseur, je ne suis pas assez artiste. N'étant pas artiste, je ne suis pas assez penseur. Par-ci par-là j'ai eu quelques élans lyriques, ou j'ai saisi quelques traits de l'époque. Mais aucun de mes romans n'est achevé, et la suite de mes essais est une galopade de ruines. Cependant, je continue d'écrire avec cette obstination mono­ tone et aveugle qui fait que chaque année des centaines de gens de talent publient des livres, sans compter les milliers de complets ratés qui accumulent des manuscrits. 2 novembre

j'ai parfois joué les prophètes dans mes essais politiques. C'est facile à qui n'est pas dans l'action et dans l'usure quotidienne de tout. Et un astronome a toujours la ressource de faire une belle chute dans un puits. Je me suis bien trompé, quelquefois. Mais moins au temps où j'étais loin des partis et des partis pris et où ce que je laissais bêtement appeler par les autres mes hésitations me permettait d e promener u n regard égal sur tous les côtés d u monde. La vue fondamentale de Mesure de la France sur la question de la population était juste, ainsi que celle sur la persistance du natio­ nalisme. Dans L 'Europe contre les patries, j'analysais assez bien les causes et les effets de l'immaturité politique dans l'Est européen, et l'impossibilité pour l'A llemagne de réussir une hégémonie. Dans Genève ou Moscou, je notais les défauts de Genève et comment l'influence de Moscou était liée au progrès de ces défauts. Mais ces temps-ci, ayant été plus engagé par mes passions, j'ai fait de graves erreurs de jugement. J'ai cru que Moscou marcherait avec les démocraties. Il est vrai que je supposais en même temps que, les ayant poussées à la guerre, elle ne les soutiendrait que de fort loin et en songeant sans cesse à leur perte comme à celle de Hitler. Ce qui se passe est dans l'inverse à peu près équivalent. , 1 1 12

Je croyais aussi que Mussolini avait vendu son âme à Hi tler, qu'il était résigné à jouer le brillant second et à en recevoir un des sous-gouvernements de l'Europe et de l'Afrique. Il est vrai encore que les dés ne sont pas jetés. Mais en tous cas on peut voir qu'à la longue l'Italie use Mussolini. Comme tout cela est terne et crépusculaire. C'est bien la déca­ dence de l' Europe. Les grandes tueries du temps de Galba et Othon 1 • Les fils d'ouvriers Mussolini, Hitler, Staline ne sont pas bien éblouissants.

] novembre Plus de politique. Non, plus de politique. Je me suis parfois dit cela. C'est ce qu'il y a en moi de plus facile. Mais par modestie, sagesse, tact n'aurais-je pas dû m'en tenir à ma facilité. C'était ce qui risquait de moins rater en moi. Non, plutôt gâcher ce peu pour tenter un peu plus. ... Je ne vais donc faire que geindre dans cejournal. Mais quand je prends la plume, il en est souvent ainsi, quand je prends la plume sans savoir ce que je vais dire. Pourtant, personne de plus jouisseur que moi et de plus content au-dedans de mes heures de paresse et de solitude. Jouissance de rêverie glissant peu à peu vers la rêverie et le travail. Jaime écrire une heure ou deux à la fin d'une journée qui m'a saturé de lecture, de nonchalance, de promenade. Autrefois, l'attente ou la fatigue de l'amour occupait presque toutes mes journées . J 'allais au bordel ou je recevais une maîtresse, presque chaque jour. -j 'entrouvre le journal de Gide. Pourquoi couvrir tant de pages de notations qui sont souvent si brèves qu'elles ne contiennent rien ou qu'elles deviendront incompréhensibles par leur allusion à tant de noms éphémères. - Sa méchanceté est infinie. La table annonce qu'il parle de Malraux une douzaine de fois. Je vais au texte : ou il ne fait que prononcer le nom ou bien c'est une perfidie enveloppée. Et voilà comme il traite son plus grand ami dans une génération. 1. C'est un temps où l'empire romain connaît une grande instabilité : Galba élimine Néron en s'appuyant sur les prétoriens, mais ses cruautés entraînent une révolte des légions de Germanie. Il est égorgé en janvier 69 par les prétoriens qui se rallient à Othon ; mais ce dernier est contraint au suicide en avril 69 par la victoire sur les prétoriens des légions de Germanie commandées par Vitellius.

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- M ais san s doute serai-je repris quan d je ferai u n e longue plongée dans ces densités si bien graduées. Je suis sûr que Charlotte ne sera pas une pièce politique.

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Comme c'était à prévoir, ce journal est déjà interrom pu. J e n'ai pas pu mener de front Charlotte Corday et cette éphéméride. li est cocasse que moi qui ai si peu créé, comme on dit, ame n é si peu d'œuvres à une bonne réussite, j'ai pourtant toujours en tête quelque projet de vastes et profondes dimensions qui m ' em pêche de tenir compte de mes journées. j 'ai rapidement construit le plan de Charloue. C el a va toujours vite, trop vite pour moi. Les idées théâtrales affluent d'abord, les images vagues ou même précises, l es situations me sem blent fortes. Mais quand j'en viens au dialogue, à l'exécution de la scène, je suis déçu par la dérobade de mon vocabulaire vers l'abstrait, le manque de prise de mon imagin ation sur les mouvem en ts, les gestes de mes personnages, le peu de foisonnement des épisodes. Je voulais, pour tirer parti de ces défauts, faire une pièce très écrite, une sorte de tragédie. M ais si je n ' ai pas le réalisme com m e u n réAexe efficace dans ma main, j e l'ai com m e disposition d'es­ prit. Impossible de me situer dans un plan franchement trans­ cendant comme Claudel. Somme toute, je resterai toujours le cul entre deux selles. - L'atmosphère de la guerre est de plus en plus sournoise. C'est l'atmosphère de la paix qui continue. A un Américain qui m'in terroge, je dis : « Nous ne sommes pas dans la guerre parce que nous ne voulons pas y être. Il y a comme en 1938 toujours cette sourde et imperceptible conjuration des consciences françaises pour ne pas faire la guerre. Nous n'y seron s peut-être jamais. » Si nous avions voulu faire l a guerre, nous l'aurions faite le premier jour, en nous jetant sur l'Italie... ou sur la Belgique. Nous assistons à un nouveau M un ich, m ais ponctué de quelques coups de canon, comme me l'avait prédit Fabre-Luce en août. Où ferons-nous la guerre? Sur le front hollando -belge? Cela deviendra impossible au printemps : Belges et Hollandais se seron t fortifiés. En Orien t? en Roumanie? Pourrons-nous amener l à-bas assez de monde? Et quel le sera l'attitude de l'Italie? de la R ussie?

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• La grande question est celle du ravitaillement. Le Nro1 States-,

man I dit qu'il n'y a pas de blocus.

Mussolini se réserve soit pour contenir Staline, soit pour nous arracher ce qu'il veut. L'Angleterre aurait dû abandonner la Médi­ terranée orientale â l'Allemagne et â l'Italie et se contenter de l' Inde et de l'Afrique du Sud, de ce joli empire de l'océan Indien (adieu, la Chine). Il y aura une revanche communiste, si la Russie est vraiment assez faible pour ne pas pouvoir se compromettre davantage. Revanche miteuse, d'ailleurs. - Si je n'avais pas Charlotte, je m'ennuierais ferme. Les gens â Paris ont la somnolence hideuse. L'autre soir, au théâtre, voir une reprise de Noël Coward 2• Cette pacotille était jouée par des Juifs. Presque tous les acteurs étaient juifs, et la moitié des spectateurs. Quel goût du médiocre ils ont, de la mièvrerie petite-bourgeoise. I ls sont conservateurs des pires gâtismes. Pédérastie et juiverie, cela va bien ensemble. Quelle piètre décadence. Même pas de grande casse. Où aimerais:je aller? Nulle parti Le monde entier est en déca­ dence. Le « Moderne » est une catastrophe planétaire.

19 novembre 1 Dîné chez les Bourdet avec Jouvet et Madeleine Ozeray 5• Il y avait aussi un pianiste médiocre, fils d'un compositeur médiocre, pédéraste et maquereau, pique-assiette, embusqué, au demeurant le meilleur fils du monde. Ce demi-mondain a exaspéré Jouvet qui a parcouru la soirée d'un train infernal. I l semblait ennuyé d'être là et a tourné sa mauvaise humeur contre toutes les personnes dont on a parlé : acteurs, auteurs vivants et morts. Il n'a guère épargné les présents et m'a lancé deux ou trois plaisanteries humiliantes. 11 a fait une charge â fond con tre Achard, dénonçant sa lâcheté, sa déloyauté, l'infâme faiblesse de son art. Au fond, homme du 1 . Le New Slaltsman and Nation est un hebdomadaire anglais paraissant depuis

1 93 1 .

2. Wnk-md, de Noel Coward, au Thlâtrt dt Rochefort, avec Drain, Pierre Almette, Pierre Guy, France Élys, Nadine Picard, Anie Morène, S. l'itoèlf, Claude Albi. 3. Jouvet et l'actrice Madeleine Ozeray triom p hent cette saison à l'/\thhilt avec l'011dint de Giraudoux. Drieu, qui appréciait beaucoup Madt:leine Ozerny, espérait qu'elle tiendrait le rôle de Charlotte Corday dans sa pièce.

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peuple, il a plus de tempérament que la plupart de ceux q u ' i l fréquente à Paris. À l'entendre dans l e privé, on pourrait croire qu'il ne voulût travailler que pour u n art robuste et s imple. Et pourtant, c'est l'homme qui fait l e plus pour la décadence de l'art français, étant à une place où il pourrait tout, o ù il ne veut rien que le plus facile. Après avoir soutenu la vul garité épaisse de Romains, il a donné dans la mièvrerie d' Achard, le voilà m aintenant qui sert la muse sophistiquée, rhétoricienne et perfide de Girau­ doux. li le sait, mais il ne pense plus qu'à l'argent et depuis longtem ps ne veut plus courir aucun risque. li vieillit avec ses auteurs c om me la N. R.F. avec les siens. Mauvais acteur, abstrait, paresseux, incapable d'observation vivante et de renouvellement, il serait bien incapable de jouer dans un meilleur théâtre que celui qu'il sert. Pourtant, dans L'École des Femmes, il était arrivé à une assez haute im itation intellectuelle du vrai. Mais on sentait l'effort et il forçait le rôle. Je me suis senti plus faible que jamais devant tant d e m échan­ ceté et de brio, mais en même temps bien fort et bien tranquille en deçà de ma faiblesse qui est toute superficielle.Je n'ai absolum ent aucun esprit de repartie, mais dans l'escalier il me vient cette inspiration inutile qui enivre mon cœur solitaire. Moi qui suis égoïste et cruel à l'occasion, je reste stupéfait devant l'infatuation et la méchanceté des autres. Je souris amèrement en me remettant après cette soirée à Charlotie. Je ne suis pas fait pour réussir au théâtre où tout est action exaspérée, dévouement au succès, sacrifice au moment. li faut donc écrire Charlotte en toute liberté comme si cela ne devait jamais être joué. Jouvet et Bourdet ont remarqué que ce qui restait du x,x� siècle, c'était Musset et Mérimée qui n'ont jamais été joués de leur vivant. Et d'aujourd'hui, seul Claudel restera.

23 nqvnnbre Je sens un brusque changement du temps. Finis la prem ière période de la guerre et les beaux sentiments, qui d'ailleurs, ne tenaient pas les gens aux entrailles. L 'h iver c ommence à tout pour­ rir. L'esprit de doute commence à se répandre à l'arrière, dans les dépôts. Les communistes relèvent la tête. Tels q ue j e les connais, 116

ils ne dev.aient pas en démordre. Et ils n 'e n démordront pas. Même si Staline se mettait avec H i tler, davantage : ce qu'il ne fera pas, d'ailleurs. La plus basse jacquerie va lentement se préparer. N 'importe comment, la bourgeoisie me semble perdue. S i les Alliés sont vain­ queurs, ils rencontreront les communistes en A l lemagne et seront débordés par eux. S'ils sont vaincus, H itler s'arrangera pour laisser massacrer l'élite et le reste par la jacquerie, avant d'occuper la France. Si l'Angleterre est mal ravitaillée, il y aura une jacquerie pire là-bas qu'ici. Cette jacquerie anglaise qui aurait dû se produire depuis si longtemps. Si le gouvernement ne profite pas du court répit qu'il a pour se débarrasser des 2 ou 3 000 têtes d u communisme, tout est perdu. Je me sens pris de mon grand frémissement prophétique. Ce n'est pas tant la peur que le frisson d e la double vue. N'importe comment, je sais que ma vie est perdue. La litté­ rature française est fin ie, de même que toute littérature en général dans le monde, tout art, toute création. L'humanité est vieille et a hâte d'organiser son sommeil dans un système de fourmilière ou de ruche. D'autre part, ma vie individuelle est finie. Finis les femmes, les plaisirs sensuels. Mon roman I va paraître dans la distraction de tous. Reste le recueillement, l'occultation des dernières grandeurs. Mais cette méditation qui pourrait remplir une longue vieillesse peut se réduire à la foudroyante vision des dernières heures, avant une mort « prématurée ». Ce qui est i nouï, c'est que personne ne semble sentir que plu les événements tardent, plus ils seront terribles.

26 novembre En sacrifiant tout à l'amour des putains, ma vie, mon bonheur! ma santé, mes enfants, mes amours, mes maîtresses,je n'ai pas trah i la tendresse. Car toujours la tendresse apparaissa_i t dans mes yeu� _ et dans les leurs, aussitôt que mes lèvres et mes mai ns avaient forme les premières incantations de la douceur. « Comme tu es doux ! » J . Gillts.

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s'exclamaient-elles, avant même de s'allonger sur le lit ; ensu ite, elles le soupiraient. Je voudrais parfois écrire un livre où j'évoquerais dans u n e longue série de médailles l e profil qu'elles o n t s i bien intaillé dans ma mémoire. Je me rappelle encore quelques-unes que j e n'ai tenues qu'une fois dans mes bras. J e regrette délicieusement de n'en avoir pas saisi quelques-unes plus longuement. M ais j e crai­ gnais de les voir ailleurs que demi-vêtues dans u n e chambre close. Je craignais leur bavardage, leur sentimentalité qui se serait m ise à gémir, le fol espoir qui les aurait prises d e m e retenir. L'émotion que j'ai eue un jour quand, dans u n bordel assez infâme - mais les bordels de Paris sont-ils infâmes, là où règnent tant de courtoisie, de gentillesse, de tact, de silence, d e pudeur? une femme me demanda : « Pourquoi me prends-tu, m o i ? Pourquoi ne prends-tu pas X (mettons Marcelle)? » - « Pourquoi elle plutôt que toi? » - « Parce qu'elle t'aime, tu ne le sais pas. Elle est folle quand tu ne la prends pas, au choix. Une fois, elle a pleuré. Nous nous moquons d'elle. » Son ton disait que la moquerie n'était pas méchante mais sympathique. Or, je ne me rappelai pas quelle femme portait ce nom. Car je n'ai jamais fait attention aux noms, là comme ailleurs, e t j e n ' e n garde aucune mémoire. Elle était partie de ce bordel et je ne l'ai jamais retrouvée. A moins qu'elle ait été une de celles que je retrouvais de bordel e n bordel. Délicieux Paris des bordels, quelle douce vie furtive j'ai menée dans tes lumières secrètes. A certains moments, j'y allais vrai ment trop et l'amertum e venait à travers l a satiété. J 'entrais, puis j e partais sans avoir choisi aucune femme. C'était là une impolitesse, une impiété, qu'elles ressentaient, le plus souvent dans un silence discret, quelquefois avec un juron. Le tour de mes visites n'était pas très long. Je m e suis toujours demandé avec une curiosité poignante s'il ne m 'en échappait pas quelqu'un, de ces antres si plaisants. Celui que j'ai préféré long­ temps entre 1 920 et 1 926, c'était celui du 1 22 de la rue de Pro­ vence avant sa transformation en usine perfectio n née. Il n 'était pas très cher, mais il avait gardé l'air d'hôtel bourgeois qu'il avait sûreme nt été avant de devenir maison de plaisir. JI y avait aussi le 1 2 de la rue Pasquier, à peu près du m ê m e ton.

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Ceux de la rue de Hanovre étaient plus grossiers. Je n'ai pen­ dant longtemps fréquenté aussi assidûment la rue Saint-Augustin. P ourtant vers 1930, deux ans, j'y retrouvais la plus délicatement v ertueuse des filles. C'était une Basquaise, au profil fin, aux mer­ veilleux seins gonfl és et fragiles comme des grains de muscat. Elle était si pure qu'elle ne voulait pa s gamahucher I les femmes ni en être gamahuchée et qu'on respectait cette intégrité. Elle me suçait avec une bouche simple et pourtant fine. Je suppose que restée paysanne elle aurait trait les vaches avec Je même air gaîment digne, avec ce soin consacré. Ensuite, elle jouissait avec une piété directe qui me rappelait un peu la profondeur de recueillement de l' Algérienne, Emma Besnard (de mère espagnole). Un jour, elle me dit, avec son accent aussi i ntact que tout son comportement : « Je voudrais une fois te voir en chambre. » Cela voulait dire hors du bordel, à son jour de sortie. C'était leur rêve à celles que j'avais séduites de me retrouver dans une atmosphère plus romanesque. Pour elles, mais pas pour moi. Je lui donnai rendez-vous dans un café devant les Galeries Lafayette. J'y vins, mais effrayé je rôdai autour du café pour voir comment elle était vêtue. Elle avait, comme je le craignais, Je teint terrible­ ment blême au jour de ces conventines. Elle m'aperçut, mais je m'enfuis. Quand je la revis, je lui contai une craque et elle ne sembla pas m'en vouloir. Elle partit et je m'enquis d'elle. On m'assura qu'elle s'était mariée en Suisse. Pareille fin leur arrive quelquefois. Celle qui me renseignait admirait sa chance. « Elle était si bien, si gentille. Une vraie camarade. Jamais une crasse ni un potin... Ah oui, elle avait une belle poitrine. » Oh, ces raisins de muscat. 3 décembre Je n'ai pas travaillé du tout cette semaine, Après quinze jours d'efforts assez réguliers, c'était assez. Je n'ai jamais pu travailler plus de une heure ou deux heures par jour à Paris et deux ou trois heures à la campagne, Du moins, d'un travail vraiment effectif, d'un travail d'écriture. Ajoutez à cela une heure de méditation préparatoire à l'écriture. Et deux heures de lecture entrecoupée

1. Pratiquer le cunnilingus,

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de méditation. Cela peut durer dix ou quinze j ours. Après, il m e faut deux ou trois jours de repos, d e distraction, de dérive. li me faut attendre le moment où une saturation de p aresse, de rêverie, d'amusement, de lecture m'amène à un état de mauvaise conscience qui me ramène au travail. Comme j'ai mal joui souvent (pas toujours) de mes longues paresses d'autrefois!Je pensais toujours à Balzac et à ses travaux de Titan. Cela a dû tourner d' autres têtes. Et qu'est-ce qu'il en reste? Que de livres bâclés, mal construits, m al suivis. Il y a l'œuvre de Bal­ zac qui impose à tout le monde, mais peut-être aucune œuvre, aucun livre dans cette œuvre. Sauf peut-être La Cousine Bette. li y a quelques années, cela m'a paru plus achevé que tout le reste. A relire. M ais crainte de m'ennuyer. L'an dernier, La Recherche de ['Absolu m'a rasé. Toujours ce même mécanisme de la fortune qui se défait. Ou alors il y a les romans à effet, p arisiens, à la Bourget du début : Père Goriot, etc... Je n'ai pas tout lu. La série Rubempré est bonne aussi. Et certaines n ouvelles. Au fond, je connais mal la littérature, ayant lu surtout de l'histoire et des ouvrages de vulgari sation. Qu'est-ce que je connais vraiment bien? Stendhal, et encore. Connais très mal Zola. Seulement Nana. Bon travail, bon n e pornographie. C'est un genre rarement réussi. Il y faut u n e vraie naïveté. En prison, Sade avait retrouvé une n aïveté. Était-il devenu impuissant? Ou se masturbait-il en même temps? Ou luttait-il contre la masturbation en écrivant? Beaucoup d'écrivains et des meilleurs n'ont j am ais travaillé plus que moi. Mais il faut reconnaître sa m esure de travail et y proportionner ses ambitions, ses projets. Si je renonçais à écrire, alors j'écrirais quelques bonnes pages. Commencé Charlotte dan s une totale euphorie de paresse, d' in­ différence, de renoncement. Par malheur, la conscience est reve­ nue. Commencé à mesurer ce qui était fait, ce qui restait à faire. Pense tout le temps à Jouvet, en écrivan t pour le théâtre, I névitable : on écrit pour un théâtre, une troupe, un acteur. J ouvet méprise tout ce qu'il joue, m ais n'aurait pas le courage de j ouer quelque chose de plus fort que ce qu'il joue. Je ne réussirai jamais au théâtre parce que je n e donn erai jamais confiance en moi à la troupe. De même, les critiques n 'ont jamais été encouragés par m oi. Mais alors. . . J e ne désorganise pas assez systématiquement m a carrière.

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Brûler tout autour de moi, allonger les espaces mystiques. Je n'ai jamais essayé une longue absence de Paris. M ais je vis un peu à Paris comme je vivrais à Venise, n'y conn aissant personne. Je vis à Paris pour la place de la Concorde, la Seine, les bordels, l'amie. Je n'ai plus d'amis depuis des années. Qu;ai-je eu comme amis? Des médiocres comme Jéramec I et Bernier. Aragon me méprisait ou me haïssait. Lefevre 2 était préoccupé et me préférait... Vaillant­ C outurier 3 • Maintenant plus personne. Quelques Juifs m'ont relancé autrefois : Berl. Encore B. de J ouvenel. Distinguer entre la solitude voulue et approfondie et la négli­ gence qui laisse en jachère certaines amitiés qu'il eût fallu pénible­ ment labourer, encore à mon âge. Gide? Claudel? Bernanos. Malraux a été recherché, fréquenté, assez vite épuisé. On va vite à mon âge. En dehors de la littérature, pas assez recherché des amitiés. - Ces jours-ci, impossible de travailler aussi à cause de l'invasion russe en Finlande 4 et de la lecture de Hermann Rauschning Révo­ lution du Nihilisme 5 • Ce livre en même temps que le fait me boule­ verse. C onfirme mes articles de La Naci6n 6 sur l'absence d'idéolo­ gies au x x• siècle. Cf. Prophéties de Dostoïevski et Nietzsche. 1 . André Jéramec, l'ami d'adolescence de « Sciences Po », frère de la première femme de Drieu, Colette Jéramec, fut tué dès le début de la guerre de 1 9 1 4. 2. Drieu était l'ami de Raymond Lefebvre, un écrivain de la jeune génération marquée par la Grande Guerre. Il serait mort, en octobre 1 920, dans une traversée en bateau, au retour du l i• congrès du Komintern, en compagnie des syndicalistes Vergeat et Lepetit. Drieu lui avait consacré un bel éloge funèbre, « L'Ëquipe perd un homme » (repris dans Mesuu de la Fra11ce, Grasset, 1922). 3. Paul Vaillant-Couturier ( 1 892- 1 9 37) fonda, en 1 9 1 7, avec Raymond Lefebvre et Henri Barbusse, l'Association républicaine des anciens combattants, de tendance pacifiste. Élu député socialiste en 1 9 19, il est membre du jeune parti communiste né lors du congrès de Tours ; il est élu député du P.C.F. en 1 924, perd son siège et le retrouve en 1 93 6 ; après avoir connu une relative disgrâce, ce journaliste militant redevint rédacteur en chef de L'Humanitl en 1 9 32. 4. Les Soviétiques, qui désiraient - disaient-ils - renforcer la défense de Leningrad, sommèrent, le 3 novembre 1 939, les Finlandais de leur céder des bases; sur le refus de ces derniers, )' Armée rouge entrait en Finlande, sans déclaration de guerre, le 30 novembre. La résistance inattendue des forces finlandaises pro­ voqua un mouvement de sympathie dans l'opinion française. Mais le 1 3 mars 1 940 les Finlandais durent signer le traité de Moscou qui imposait des conditions rela­ tivement draconiennes. 5. Hermann Rauschning, président du Sénat de la ville de Dantzig en 1 933, démissionna en 1 934 et entra en conflit avec le national-socialisme. En 1 9 36, il se réfugia en Suisse où il écrivit son grand essai contre Hitler, La Révolution du Nihilisme ( 1 938). 6 . Entre septembre 1 9 36 etjui_n 1 940, Drieu publie un �ert�in nom_b_re d'ar­ ticles dans La Naci6n, à Buenos Aires, pour présenter la s1tuauon pohuque de l'Euro pe aux Sud-Américains. Cf. Pierre Drieu la Rochelle, Textes retrouvés, Édi­ tions du Rocher, 1 992.

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j 'ai écrit dans Soc[ialisme] Fasc[iste] que le fascisme était l'ex­ pression de la décadence européenne. Ce n'est pas une restauration. Il n'y a pas de restauration. Consolidation, replâtrage des débris. Mais ceci même ne viendra que plus tard. Pour le moment grandes convulsions du temps de M arius et Sylla ou d'Alexandre. Grands effondremen ts des institutions , de la culture. Proscriptions, massacres. Plus tard vien dra Auguste q u i fera du ciment avec les fragments. Aspirons à arriver au fond de la décadence. Ainsi n ous retou­ cherons terre. S'il n'y avait pas eu les invasions, que serait deve n u l'empire romain? Une Chine immobile avec une espèce d e demi­ reviviscence perpétuelle sous des formes immobiles. L' aventure humaine est belle dans tous ses moments. Au fond, en dépit de mes plaintes et imprécations, je j ouis de n otre vieillesse comme de moi-même. Gloire au moment. Je suis celui qui sait, le vieillard qui n'a pas oublié sa jeunesse ou qui en fait une utopie à dem i crue. - Qui triomphera dans cette guerre? Les Allemands ou les Juifs. Une nouvelle Société des N ations sera le définitif triomphe des Juifs qui la prendront en main ouvertement. Eux seuls pour­ raient la faire. M ais ils sont si faibles, si abstraits, si brouillons, si inaptes à la politique, si divisés, si h onteux d'eux-mêmes. Et déj à s i épuisés. Je ne crois pas que les Russes triomphent. Ils seront disloqués comme les Goths ou les Vandales, à l'instant, par leurs succès. Je crains pourtant, avec mon instinct de bourgeois, mon goût vicieux pour la peur, une jacquerie momentanée en France, une espèce de surrection de la tourbe étrangère. 5 décembre Je reçois enfin le premier exemplaire de Gilles. Les quelques taches blanches qu'y a déposées la censure y fon t un ornement étrange, suggestif, fascinant. Si ce livre n 'est pas bon, ma vie littéraire est manquée. Je crois qu'il est bon. Je crois qu'il remplit les deux conditions d'un bon livre : cela forme un un ivers qui vit par soi-même, animé par s a propre musique. j 'ai bien fait d'attendre. Je ne pouvais atten dre davantage. Mais que n'ai-j e mieux attendu encore, dans un silence plus résolu

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et plus étanche: Selon l'exemple des vrais maîtres : Nerval et Bau­ delaire, Stendhal et Nietzsche. Ce livre est un pamphlet et aussi une œuvre entièrement déta­ chée. Bonne condition encore. Toute ma génération s'y retrouvera, de gré ou de force. Il faut qu'un livre vive à plein de la vie de son temps et en même temps s'en détache à perte de vue. Avec ce livre, plus La Comédie de Charleroi, plus Interrogation, je peux voir venir ... le Temps ... Ma certitude présente est-ce l'eu­ phorie de l'auteur qui tient enfin son bouquin imprimé? Qui sait? Merci à Beloukia, à ma chère et sage maîtresse qui m'a aidé de toutes manières à l'écrire. Cette femme que les dieux ont pro­ tégée de la lecture sait ce qu'est la force d'un homme et comment elle doit être sauvegardée.

6 décembre

Je me rappelle que déjà en 1 91 4,je croyais à la fin de la France. À Charleroi, j'étais aussitôt persuadé de la défaite. Et la victoire de la Marne me surprit. Il est vrai aussi que là où j'étais, à Deauville dans un hôpital, légèrement blessé, je pus sans reprendre haleine me rejeter dans l'enthousiasme des premiers jours d'août. Après la Marne, je ne pus jamais de nouveau croire à la défaite. Aujourd'hui, je ne crois guère non plus à la défaite militaire, au brusque effondrement - mais je sens plus que jamais la fin de la France. Je sens se tarir son sang et sa pensée. Noblesse et bourgeoisie ont fait leur temps, mais le peuple qui gouverne par tant de nor­ maliens et de parvenus, n'a plus lui-même assez de substance pour tout renouveler. Les normaliens et agrégés, les ouvriers jetés en haut par les syndicats, que ce soient Thorez ou Doriot 1 , n'ont guère plus de sang dans les veines que nous autres bourgeois. lis ont perdu le sens de l'action, de la hardiesse, l'imagination du risque - et n'ayant pas appris à penser, ils ne peuvent embrasser une situation, concevoir un projet. Le pauvre Daladier 2 est là,

1. Drieu a démissionné du mouvement de Doriot, le P.P.F., le 6 janvier 1939. Il y rentrera par défi le 7 novembre 1942. 2. Édouard Daladier, membre éminent du parti radical-socialiste, député du Vaucluse, par trois fois président du Conseil, ministre de la Guerre depuis juin 1936, est chef du gouvernement depuis le JO avril 1938 et le demeurera jusqu'au 19 mars 1940.

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assommé par l'événement, bœuf du Vaucluse, atten dant la pointe fin ale - sous l'œil enragé de dépit et de mépris du J u if M an de l Rothschild 1 , le grand recruteur des nègres et des bicots. Et quelque part, les émissaires russes tiennent en réserve cet autre faux taureau, Thorez, qui n ' aurait même pas la force d'exé­ cuter leurs ordres sanglants, si la chance tournait en leur faveur. Cet abandon de tout le peuple à la superstition russe est le signe le plus certain de notre abâtardissement à tous. Quand u n peuple n'a plus de maîtres, il en demande à l'étranger. Cependant que d'autres Français s' abandonnent à l'attente clandestine de )'Allemand. Quant à la masse, elle est vouée aux Anglais. Il n'est plus de Français pour ainsi dire qui pense et qui veuille français. La velléité française est entièrement partagée entre le parti du centre ou anglais, le parti allemand d'extrême droite e t le parti russe d'extrême gauche. Il y a aussi tous ceux qui veulent qu'on leurJoute la paix, c'est­ à-dire qu'on les en recouvre comme d'une déjection. Y en a-t-il encore qui croi[en ] t dans les Italiens? Ceux-ci verront bientôt les Allemands leur pren dre les Balkans à la barbe, dès qu'il fera froid et qu'il y aura moins de boue par les chemins. Ensuite, ce sera la ruée sur la Bel gique et la Hollande, l'inter­ vention opposée du Japon et de l'Amérique. Alors, les Russes seront obligés de soutenir les Allemands. Et les deux empires se confon­ dront dans un impérial bolchevisme, knouto-germanique. Si les États-Unis entrent en guerre à cause de l'invasion de la Suède e t de la Hollan de et des progrès des Japonais e n Chine et dans le Pacifique, les Russes crain dront plus la défaite de l'Allemagne que sa victoire. I l leur faudra bien se jeter, en dépit de leur peur de faire la guerre et de se défaire par la guerre, sur la Perse et sur l'Irak, sur les sources de pétrole dont il leur faudra priver les Fran co-Britanniques et abreuver les Allemands. Si l'Allemagne n'attaque pas la Hollande, si la Suède est res­ pectée, si le Japon se tient tranquil le, si la Roumanie est sauvegardée (mais tout cela est-il possible?), que se passera-t-il ? L'Allemagne se ruant sur la ligne Maginot en janvier-février. 1. Georges Mandel ( 1 885-1 944), chef de cabinet de Clemenceau pendant la Grande Guerre, élu en Gironde député de la droite classique, antimun ichois, était le min istre des Colonies du gouvernement Daladier; Paul Reynaud en fera, en mai 1 940, son ministre de l ' I ntérieu r ; arrêté, puis in terné en j u i n 1 940, avant d'être emprisonné par Vichy qui le livra à l'occupant, il mourut assassiné par la Milice le 7juillet 1 944.

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Alors, la Russie remuera derrière elle. Alors, l'Allemagne qu i échouera s u r la ligne Maginot se retournera contre la Russie et aura encore bien assez de force pour se retourner vers l'Ukraine. Nous, fatigués, la laisserons faire. Ce sera la paix. Deux blocs l'un en face de l'autre. D'une part France - Angleterre - Italie - Espagne (et les petites démocraties du Nord, Occident et Méditerranée), de l'autre l'Allemagne maî­ tresse de l' Europe centrale et orientale du Danemark à la Rou­ manie, de Sofia à Dantzig. Cette Allemagne, dotée des colonies hollandaises, pourra vivre et pourra désarmer. On désarmera. Et, un jour, l'Allemagne pourra cueillir avec cent m ille hommes une France achevée par sa dernière reprise de démocratie. Les J uifs la lui livreront.

6 décembre Cet admirable égotisme, cet étonnant idéalisme subjectif qui fait qu'au bordel je ne me souciais pas des autres, qui avaient manié une femme tous les instants d'avant et qui allaient la manier encore tous les instants d'après. Elle n'existait que dans mes mains et pour mes yeux. Sa gloire sensible, que suscitaient mes caresses, mes incantations, ma douce démagogie sentimentale et luxurieuse, ne se levait que dans ma conscience. En une demi-heure, je la jetais hors de son destin morne dans un autre destin incroyable, inutile, superflu, absurde et qui la consu­ mait. Elle ne m'oubliait pas. Je marchais dans les rues de Paris et dans la mémoire de cent femmes. Cent ombres, cent colonnes palpitantes, cent lucioles. j 'ai versé ma fortune dans le tronc des pauvres.

8 décembre l) II sera impossible de diviser l'Allemagne parce qu'on ne trouvera plus aucun des éléments qui y aideraient. La révolution nazie, à la faveur de la guerre, aura achevé la destruction ou la dévalorisation des dynasties, de l'aristocratie et de la noblesse, de

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la bourgeoisie, des églises et des clergés, des intellectuels. L a baisse de la culture, le brassage des habitants en tou s sen s aura fait le reste. 2) Il sera aussi impossible de revenir sur les con quêtes alle­ mandes. Hitler prend soin d'établir une division entre Germains et Slave s dans les marches de l'Est qu'on ne pourra plus mo difier, à moins de refaire des déplacements en masse, à la paix. E n tout cas, il aura indiqué fortement une solution au problème des mino­ rités par les déplacements de populations. 3) L'extension de la guerre va établir que les petites n atio n s n e sont plu s viables. Par leur incapacité de se payer les armemen ts modernes (avions, chars, artilleries), leur neutralité n'est plus res­ pectable. Il faudra au moins qu'elles consti tuen t des bloc s : bloc baltique et bloc balkanique. La Suisse et la Belgique Hollande devront s'incorporer au bloc franco-anglais. Cela serait le moindre mal, mais il est à craindre que ces blocs qui seraient encore fai bles même solidement constitués ne paraî­ tront pas. Les hésitations actuelles de l a Suède et de la N orvège sero n t fatales. De même que l a Roumanie et l a Hongrie paiero n t de leur vie leur incapacité à s'entendre entre elles et avec la Bulgarie et l a Yougoslavie. L'I talie, après les fâcheuses épreuves d'Éthiopie et d'Espagne, est en train de s'empêtrer dans ses ruses et ses craintes comme au temps des Borgia. - L'Allemagne doit respirer, voyant la Russie contenue par les Scandinaves d'un côté et les Balkaniqu':s, soutenus par l'I talie, de l'autre, sans oublier la Turquie et les Etats musulmans. Même si ces barrages durent peu, ils auront prouvé la faiblesse de l'U . R . S.S. Plus la Russie se sentira faible, plus elle acceptera l'alliance avec l'Allemagne. 11 dlœmbre j'attends avec impatience le résultat de l'attaque russe sur l a Finlande. Est-ce qu'enfin le rapport russe-alleman d ne v a pas se définir? Pendant les premiers mois de la guerre, j 'ai cru à la duplicité entière de la Russie à l'égard de l 'A llemagne. M aintenant, je suis 126

entraîné à croire à la collusion de plus en plus entière. Pertinax 1 semble de plus en plus gêné pour défendre indirectement la thèse du retournement plus ou moins prochain de la Russie. Les Russes doivent maintenant craindre davantage la chute de l'Allemagne que sa victoire. L'émotion aux U.S.A. en faveur des Scandinaves et Hollandais, l'émotion italienne leur montrent leurs ennemis communs prêts à se coaliser (?). En Espagne, l'A llemagne et la Russie s'étaient beaucoup moins engagées que l'Italie. Y aura-t-il une révolte bolchévique dans les rangs du parti fasciste? Mais les neutres ne se laisseront-ils pas absorber par I' A lle­ magne par l'effet mécanique du double blocus, l'action des partis affiliés aux nazis, la crainte de la barbarie plus destructrice des Russes, la peur du conflit? Hitler, maître de plus en plus du continent, aura d'autres moyens que Napoléon pour en assurer la cohérence contre l'An­ gleterre. li aura le socialisme, l'antisémitisme, la tendance profonde à l'union, à l'autarchie européenne. li faudrait savoir si les communistes deviennent sympathisants du socialisme nazi. Le livre de Rauschning agit dans ce sens, ainsi que la nouvelle du départ de Thyssen 2 et Hugenberg 3• - li y a longtemps que je rêve sur la F.M. 4 et l'Église retombant l'une sur l'autre( - Malgré tout, il y a encore un parti russe en France. Or, les bourgeois de ce parti y étaient par haine de l'Alle­ magne. Je crois qu'ils deviendront anti-russes. Mais les commu­ nistes deviendront des hitlériens sournois, des germanophiles par lâcheté, comme leurs aînés de Kienthal 5 et du wagon 1 . Pertinax (pseudonyme d'An9ré Géraud), le meilleur j ournaliste de poli­ tique étrangère de droite, quiua L 'Echo de Paris pour écrire dans L'Ordre et dans L'Europe nouvelle, où il défendit des positions anumunichoises et l'alliance franco­ soviétique. 2. Fritz Thyssen ( 1 873-195 1), le magnat catholique de la Ruhr, avait quitté l'Allemagne dès le début de la guerre pour fuir les persécutions nazies et s'était réfugié en France. Le gouvernement de Vichy allait le livrer à l'occupant en 1942. 3. Alfred Hu genberg (1 865-195 1), l'un des dirigeants du Stah/helm, une puis­ sante association d'anciens combattants, organisateur, en 193 1 , du front de Harz­ burg qui réunissait l'élite des mouvements contre-révolutionnaires, fac_ilita l'arri_vée au pouvoir de Hitler, avant d'être mis à l'écart par le nouveau chancelier du Reich. 4. Abréviation de Franc-maçonnerie. 5. Des « m inoritaires », les militants socialistes opposés à l'Union sacrée et à la t;>O ursuite de la guerre se réunirent pour la seconde fois en Suisse (cette concer­ tation internationale succédait à la conférence de Zimmerwald en septembre 191 5),

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plombé 1 • Curieux qu'en ce moment M. Flandin 2 (?) et Thorez jouent avec la victoire de Hitler. - Dès maintenant, il est prouvé que l'armée russe est aussi mauvaise qu'on disait. Cela aussi précipitera Staline sous la coupe de Hitler. - Nous sommes faits comme des rats dans la ligne Maginot. Il fallait attaquer Mussolini au premier jour. À moins que celui-ci ne marche avec nous, nous ne pourrons rien faire. Hitler nous laiss�ra moisir dans notre coin. - On comprend maintenant pourquoi il n'a pas ·attaqué la Hollande. L'usure du blocus asphyxiera les neutres, déjà stupides,

13 décembre

J'arrive à la déplorable facilité de l'âge mûr ; moi qui trouvais si pénible d'écrire deux pages à dix-huit ans, à l'âge où Rimbaud avait à peu près fini d'être poète, je n'éprouve aucune fatigue si ce n'est de l'ennui à noircir des douzaines de pages. Je viens de finir le premier jet de Charlotte. Ce qui m 'a perdu, ç'a toujours été cette paresse qui me fait liquider trop tôt la médi­ tation et bâcler l'écriture. A u moment où je brouillonne, je me jure de ne pas m'asservir à ce qui est tracé et de tout reprendre à pied-d'œuvre, mais la paresse ensuite m'induit à ne corriger ql!le le détail et à ne point mettre à bas la charpente de fortune. Je sens dans chacun de mes ouvrages une matière plus riche m'échapper à cause de cette paresse du premier abord. A h, si paresseux, j'aurais dû être poète. Mais le poète, c'est l'homme le plus concentré, le plus travailleur. Aurai-je le courage d'en faire une pièce injouable tout à fait de cette Charlotte? Je ne devrais me priver de rien dans la profusion dans la petite ville de Kienthal, du 24 au 30 avril 1 9 1 6 ; les Français étaient représentés par trois députés socialistes, qui s'étaient déplacés, sans l 'aval de leur parti, Alexandre Blanc, Pierre Brizon, Jean Raffin-Dugens. 1 . Le fameux wagon plombé de Lénine dans lequel, g-râce à la complicité des Allemands, il put regagner la Russie au déclenchement de Ta Révolution. Ce wagon n'était d'ailleurs pas plombé au sens propre, mais Lénine s'était engagé à ne pas le quitter en territoire allemand. 2. Pierre-Étienne Flandin (1 889-1958), l'un des leaders de la formation de droite, l'Alliance démocrati que, président du Conseil de novembre 1 934 à mai 1 935, était un munichois déterminé et continuait de faire profession de pacifisme. Il sera ministre des Affaires étrangères de décembre 1 940 à février 1 94 1 .

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et l'approfondissement, étant donné que je n'aurai jamais l'habileté qui assure le succès immédiat. Je sais tous mes défauts, mais j'y persévère. Récrire L'Eaufraîche, peut-être Le Chef. Et avec Charlotte, publier un gros volume de théâtre pour dire à tous mon désespoir, ma rancune et aussi mon dédain. Tout raté s'imagine au théâtre qu'il ressemble à Musset et à Mérimée, auteurs non joués, et dans le roman à Stendhal. Mais Stendhal fut reconnu par Balzac et par quelques autres. Ensuite, écrire Les Deux Amis, comédie picaresque.j'ai toujours rêvé d'écrire un conte de Noël. L'écrire le soir de Noël, le soir de l'année où je m 'ennuie 1 • - Les Suédois! Quelle lâcheté! Le peuple le plus bourgeois de l 'Europe. Ou les Hollandais? Qu'ils crèvent tous. - Belou m'échappe. Peu à peu enfin elle est blessée. Peut-être entrevoit-elle l'horreur du rôle que j'ai joué auprès d'elle. Je l'ai aimée, je l'aime encore. Et je suis désespéré de tout ce que je n'ai pas su lui prendre. Je crois vraiment que si j'avais été normal, j'aurais pu lui arracher un grand amour. Ce n'est pas sa faute, si elle ne m 'a pas plus aimé, Quelle tendresse se réveille toujours au fond de mon cœur pour elle, Je savais qu'un jour je paierais cher ma débauche, Mais tout dans la vie se paie de la vie, Le bel abîme qu'il y avait entre elle et moi, celui de son •innocence. Ou bien au fond de son cœur, a-t-elle toujours su tout? Que je taise toujours devant elle ce secret qui est peut-être le sien autant que le mien. Il semble bien pourtant que j'ai été seul à en souffrir. Avec son admirable sagesse, si elle a su, elle s'est détournée de cette înutile souffrance,

15 dlcembre

La guerre n'y a rien changé, bien au contraire. Les Français sont plus divisés que jamais, sous l'apparent consentement général que fait leur atonie, 1 . Cette comédie ne si-ra jamais composée ; mais à défaut de conte de Noe!, Drieu avait écrit en 1 935 un récit sur le réveillon de Noël, « Le Souper de réveillon » (dans Histoires dlplaisantes, op. cit.),

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li y a toujours un parti russe et un parti allemand et un parti anglais, voire un parti italien. Le parti anglais est si nombreux et maître des choses depuis si longtemps qu'il ne se voit pas et qu'on ne le voit guère. Il a abandonné à Londres notre politique étrangère, toutes nos i n i tia­ tives et toutes nos volontés et tous nos espoirs. Le parti russe est fait de bourgeois qui joignent la chimère de Moscou à la branlante réalité de Londres, et d'ouvriers qui, inca­ pables de faire la révolution, s'en remettent à Staline pour la leur offrir ou imposer. Le parti allemand masque d'anticom m unisme sa lâcheté. Tous s'en remettent sur les étrangers pour les décharger d e leurs devoirs et de la fatigue d e penser, d'imaginer, de vouloir. Ce parti que nous avons pris de ne pas nous battre a u début de la guerre est la conséquence de ces diverses démissions q u i empruntent chacune u n prétexte différent, mais au fond d e m ê m e espèce. Encore maintenant, la France hésite entre la guerre contre l'Allemagne au risque de faire le jeu de la Russie et la rupture entière avec la Russie et le communisme au risque de faire le jeu de l'Allemagne. Elle ne se sent pas assez forte pour séparer le risque et la chance qui sont dans chacune de ces alternatives.

16 décembre Ce mois de décembre est lugubre. D'ailleurs, le m ois de décembre est toujours lugubre. Revenu de vacances, on n e sent déjà plus que la routine de Paris. O n ne peut encore cro ire au printemps. Et arrivent les horribles fêtes de Noël où l'incapacité des masses à jouir de la ville éclate dans le fracas de vaisselle du réveillon. Sans compter les messes de minuit et l'horreur d e voi r u n s i beau mythe dans des mains si machinales. Ce mois de décembre pourtant bat tous les records. C'est l'agonie de l 'Europe : à Genève on voit la bassesse de cette Europe des petites nations qui tendent le cou au bourreau dans cet espoir qu'ont les idiots affolés de peur que s'ils le tendent bien servilement le bourreau s'attendrira. Staline et H itler doivent tout de même accorder un sourire rapide à cette Suède qui fait la morte et qui sera bientôt morte. I l faut dire que [la) lâcheté des petites nation s est suffisamment expliquée par l'ignominie des grandes. Avec quel

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regret, l'Angleterre et la France se fâchent avec la Russie. D'ail­ leurs, jusqu'à quel point? Et je doute que cet après-midi Ciano rompe les ponts avec qui que ce soit. Le parti russe s'agite désespérément ici et, certes, il n'a pas dit son dernier mot. L'attitude de Paulhan introduisant Aragon à La N.R.F. est significative. Je l'ai dit et je le répète : la Russie fera chanter la France jusqu'à la dernière minute, jusqu'au jour où il sera avéré par des faits énormes que la Russie, de par sa faiblesse intime, est aux mains de l'Allemagne. Et alors encore, quand Hitler fera son entrée à Moscou, il y aura ici des âmes à jamais stupéfaites pour attendre le salut de Russie ou le triomphe du communisme. Les diverses catégories de Français sont à jamais fixées dans leur gâtisme. N'ai-je pas parfois donné jusqu'à un certain point dans la propagande allemande? Mais au fond de mon cœur, j'ai toujours su que le rapprochement avec l'Allemagne signifiait aban­ don. L'Allemagne offrait à la France la situation de l'Écosse dans le Royaume-Uni : la situation du vieux serviteur bien respecté ... et bien exploité. Ces temps-ci, je ne croyais plus à l'attaque allemande sur la ligne M(aginot], je commence à y croire de nouveau. Ce que me racontent des camarades du front n'est pas rassurant : les Alle­ mands nous dominent, paraît-il, dans les escarmouches. Cela ressort même des reportages admis dans les journaux, quand on les lit de près. Au printemps, nous aurions plus d'avions et de canons, mais pas beaucoup plus de bonnes divisions. Donc Hitler peut même attendre le printemps et nous lancer deux millions d'hommes dans la figure après avoir pendant l'hiver bien harassé l'infanterie fran­ çaise et la marine anglaise. Cependant, s'il est suffisamment ravitaillé, il préférera nous laisser moisir. Les premiers effets du moisissement se font sentir. - Dîné avec B. de Jouvenel qui se décide péniblement à partir dans un régiment d'infanterie, où il sera cycliste (?). Cela l'ennuie prodigieusement et la peur le ronge. Cet enfant gâté du régime (fils d'une Juive et d'un ministre radical 1 ), ce Chéri de toutes les facilités, ce talent éperdument superficiel, est au pied du mur : il faut qu'il ait l'air au moins de se battre pour son régime et qu'il 1. Henry de Jouvenel (voir supra, p. 1 0 1 ).

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entre dans cette mauvaise guerre où son régime a jeté la France. Sinistrement comique. Son frère I marié à une autreJuive est embusqué. Communiste millionnaire. Les gens ne sont pas contents que je ne sois pas au front. J e commence à leur laisser entendre que cela m'ennuie à crever, toute cette politique vaseuse de l'Europe. Tout cela a une mor n e couleur de déj à vu. On ne peut plus coucher avec une femme qu'on a eue vingt ans plus tôt. Malraux et M ontherlant restent aussi dans leur trou. Retourner dans une popote du front? Ah non, alors. J e n e suis plus d'âge à supporter la table d'hôte, même transfigu rée par la douleur et la mort. Et j'ai horreur des corvées, des besognes, je n e puis prêter mon attention à de petites choses comme u n carnet de prêt ou une liste d'armes. Quant aux outils, je suis i ncapable de m'en servir. lis sont devenus trop abstraitement précis ou je ne suis pas assez humain, humainement manuel pour les rendre vivants par un maniement adroit. Et puis, je ne pourrais plus supporter la peur comme il y a vingt ans. Je la surmonterai mieux qu'alors mais le peu qui m e reste de santé serait ruin é en quelques jours. j'aime trop mes livres, mes pensées, mon travail. Pourtant, quand j'aurai fini Charlotte? Ce qui ne saurait tarder. Que ferai-je? M'acharn erai-je à approfondir ce journal? Que vaut-il? J e n e le relis pas. 23 décembre Je n'avais pas trente ans que ces jours de fête me paraissaient horribles. C'est le moment de l'année où l'homme sent le plus sa solitude. Solitude que j'ai voulue, de toute la force de mon égoïsme et de par toute la puissance de ma fatalité! Impossible de m'attacher à une femme, impossible de m'abandonner à elle. J e n'en trouvais aucune assez belle. Assez belle intérieurement ou extérieurement. J'ai tout sacrifié à une idée folle de la beauté. Je savais bien d'ailleurs qu'il n'y a de beauté que celle que n ous 1. Il s'agit en réalité de son demi-frère, Renaud « de Comminges », qui a pris tardivement le nom de Renaud de Jouvenel.

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donnons aux êtres,je savais bien que je pouvais mettre de la beauté dans une femme, mais je boudais, j'en voulais à la nature de ne pas me donner ce qu'il me fallait moi-même créer. j'ai repoussé comme une illusion qui ne pourrait jamais me satisfaire jusqu' au fond du cœur cette nécessité pour l'homme de créer la femme. Je me disais avec lassitude : « Oui, j'arriverai à me faire une femme qui sera ma femme, indubitablement marquée de mon sceau. M ais que sera-ce? Seulement une petite guenon qui répétera mes gestes, mes idées, mes sentiments. Jamais ce ne sera la source vive et spontanée qu'on rêve dans son adolescence. » Ainsi, j'ai voulu rester seul pour que soit pleinement et âpre­ ment reconnue la solitude de l'homme qui ne peut peupler la terre que de ses invocations : dieux et femmes. Je n'ai pas compris que l'homme donne forme à la femme, mais qu'elle lui apporte sa substance, sa vie, cette magnifique matière brute de sa spiritualité qui appelle le ciseau. Certes, il faut savoir la posséder dans sa chair, mais au-delà elle espère beaucoup, tout. Et elle donne à l'homme des enfants. Je n'ai pas d' enfants, et c'est dans mon cerveau un vide abominable. Cela est si contraire à tout ce que je crois et sens. Est-ce à cause de ma vérole que je n'ai pas eu d'enfants? Peut­ être, mais sûrement aussi par crainte de la pauvreté. Pourtant, il y a eu Cony Wash. Je ne l' ai pas désirée assez fortement, assez longuement. C'est elle que j'ai le plus aimée et pourtant, je ne l'ai pas encore assez aimée. Si je l'avais vraiment aimée, elle aurait été à moi. Mais j' ai. eu une espèce de crispatior de jouissance égoïste au milieu de mon grand chagrin, quand j'4 su que j'étais débarrassé d' elle. C'est cejour-là que ma vie a flancH vraiment. Aurait-elle été à ma hauteur? j'aurais pu la tenir à ma hauteur. Et maintenant tout est fini. Beloukia s'éloigne de moi. Elle a senti mon cœur se glacer peu à peu auprès d'elle. Et il est vrai qu' il se glaçait. Elle était trop loin de moi. Cette sensualité qui me tuait ne n ous rapprochait pas. Et tous les jours elle s'en allait. 23 décembre

La défaite de l'armée russe I me remplit de joie et me comble de fierté. Ainsi, nous avions raison, nous qui, chez Doriot, procla1 . En décembre, l'armée rouge ne parvient pas à briser sur l'isthme de Carélie

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(

mions que le plus grand crime des communistes à nos yeux était de n'être que faiblesse, désordre, vantardise, impuissance. Fallait-il encore la Finlande pour le prouver? N'avait-ce pas été assez de la Hongrie, de l'Allemagne, de l' Italie, de la Chine, de l'Espagne - si l'on ne voulait pas tenir compte de la R ussie même? J'ai donc bien fait d'écrire dans Genève ou Moscou que le commu­ nisme n'était que l'ombre portée du capitalisme et qu'il n'existait que comme exposant de la dégradation des forces européennes sous l'étreinte de la plouto-démocratie. Le marxisme, c'est toute l'impuissance des Juifs dévorés par l'esprit moderne, et l'impuis­ sance de cet esprit moderne. Il faut plutôt dire : la chose moderne. C'est aussi l'éternelle apathie russe. j'ai souvent dit que les Russes devraient avoir la peau d'une autre couleur que blanche. S'ils étaient verts, par exemple, les gens comprendraient peut-être qu'ils sont aussi différents de nous que les jaunes ou les noirs. Rien ne peut naître de la plaine infinie qui ne se défasse à mesure. Dostoïevski a expliqué que tout en Russie était fait par les allogènes : Baltes, Allemands, Caucasiens.Juifs ; mais ils ne peuvent faire grand'chose, travaillant une matière si dérobée ... Tout cela arrange à merveille les desseins de Hi tler. Il est prouvé ainsi qu'il pouvait se risquer dans l'alliance russe, étant sûr d'être celui qui étranglerait l'autre conjoint. Et Staline avait raison de ne pas se risquer contre Hitler! Nous devrions attaquer les Russes, cela serait la meilleure manière de frapper indirectement H itler. Par le Caucase 1 • Si nous ne le gagnons de vitesse, H itler y arrivera avant nous. Que de temps perdu depuis le début de cette guerre. Les Anglais, plus réveillés que nous, ne semblent pourtant pas capables de concevoir un plan de guerre mondial et d'enjamber certains rubicons.

la défense des Finlandais qui lui infligent même un sévère échec au bord du lac Ladoga. 1 . Ce projet ahurissant n'est p as de l'invention de Drieu. Il était partagé par certains milieux de l'Etat-Major. Paul Reynaud reprit même l'idée de bombarder Bakou pour embraser les champs pétrolifères, lors d'une séance d'un Conseil suprême interallié; mais les Britanniques, sagement, firent échouer le projet.

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3 janvier 1 J'ai quarante-sept ans. C 'est l'âge où Stendhal écrivait Le Rouge et le Noir. Tous les écrivains moyens ou ratés se consolent en pensant

à Stendhal ou à Baudelaire. Pour moi, ce n'est pas une consolation. Je sais bien que Gilles n'est pas un chef-d'œuvre. D'autre part, je sais que je n'en ai plus pour longtemps à vivre, Pourtant je ne sens pas la mort. Me prendra-t-elle si brusquement que je n'aurais pas eu le temps de la sentir? Sans doute est-elle trompeuse l'euphorie qui me fait jouir de cette brusque contraction de ma vie sous la menace. 11 y a dans cette euphorie une jouissance de plus en plus violente à penser, à être ma pensée. Je jouis sauvagement de penser la guerre, de penser ma vie. M a jouissance de penser est telle que j'en viens presque à ne plus souffrir d'écrire. Ma pensée est assez sûre main tenant pour qu'écrire ne soit plus guère une gêne ni une fatigue. N'est-ce pas la graphomanie du vieillard qui m'envahit? Que vaut Gilles? Il me semble qu'il y a encore les traces de la paresse ; je n'y ai pas assez approfondi mes imaginations psycho­ logiq ues ni mes thèmes philosophiques. j'ai bâclé l'intrigue de la 2" et 3• partie. Mais à quoi bon avancer cela? Au fond de moi-même je crois à la valeur de mon esprit à travers cette œuvre imparfaite. Or, les bonnes œuvres ne sont-ce pas des choses pleines de défauts qui survivent à cause de la valeur de celui qui les a écrites? Sauf peut1 . Sur la page de garde intérieure, Drieu a écrit : journal intimt pendant la gutru (2• liasse).

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être quelques chefs-d'œuvre tout à fait calculés, poétiques, comme la Divine Comédie? Mais comme je n'ai pas lu la Divine Comédiel Je doute de mes œuvres et je ne doute pas de moi. Facile. - Passé le réveillon avec Belou. C hère Belou quelle tendresse je sens pour elle en dépit de tout ce qui nous sépare. Je vois son cœur, déchiré par le départ de son fils. Elle est capable de souffrir comme de jouir. C'est la femme la plus entière que j'aie rencontrée. Bourgeoise, mais de la bonne espèce, d'autrefois, où une généreuse humanité n'est pas étouffée par les convenances ou l 'argent. L' ar­ gent pour elle ce n'est vraiment que du bonheur. La femme la p lus entière avec Pauline. Comme Cony était étriquée. M ai s comme je l'étais moi-même alors. Comme je le suis encore. Belou se fout des convenances 1 • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • . . . vivre avec une femme, à moins de prendre terriblement sur lui ou sur elle, à moins de la reléguer ouvertement et cruelle ment dan s ses quartiers pendant trop d'heures de la j ournée. Après tout, je serai capable en core, et peut-être mieux qu'au­ trefois, de supporter une femme. - li me semble que je n 'aurai plus de rapports avec La N.R.F. Paulhan me déteste et je trouve son esprit détestable. Je déteste cet esprit vacant, encombré de futilités. Tout ce tortillage décèle une parfaite absence d'être. En voilà un qui ne croit pas à l'être. Un pion surréaliste. Le vide du professeur j ustifié par la fausse théorie du rare et de l'indicible. Et ça prend des airs de conseiller de la France. Ceci dit, par moments toutes les apparences du bon sens e t de la pertinence. li mériterait d'être tante. Tous ces vieux pédérastes protes­ tants : Gide, Schlumberger 2, Paulhan et ce pédéraste catholique Roger Martin [du Gard). Et aux alentours : le vieux J uif Benda, le Juif larbin Crémieux 3, le faux génie juif Suarès. Plus quelques pions sans nom. Ce sont les enfants de l'impuissance de Gide. Ce grand impui s1 . Ici, un peu plus d'une demi-page a été coupée. 2. Jean Schlu mberger ( 1 8 77- 1 968), l'un des fondateurs de Ltf Nouvelle Revue Française, auteur d'essais, de romans et d'un livre de souvenirs, Eveils ( 1 949). 3 . Benjamin Crémieux, né en 1 888, mourut en déportation à Buchenwald en 1 944. Essayiste, ital ianisant de valeur, il avait parlé d'interrogation dans une note de La N.R.F. à propos d'À l'ouest, rim de nouveau el Drieu lui avait répondu dans le numéro de novembre 1 929 par son texte «Je ne crois pas qu'Interrogation soit un témoignage équitable sur la guerre » (repris dans Sur les écrivains, op. cil., pp. 168-1 72).

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sant. Amie! et Gide, les deux grands impuissants protestants, avec leurs journaux-monuments. Seulement, Gide est né dans un pays d'artistes où il y a tellement de traces laissées par l'art créateur qu'il est parvenu à en imiter le détail exquis. La grandeur de Gide c'est la fin de la France. Giraudoux est la caricature de cette fin. Finir en beauté sur un joli mot. Abondance factice, mémoire de normalien qui embrouille tous les trucs de style. Et moi qui aurais pu mettre dans la littérature française la fureur lyrique des Nordiques, enfin découplée, après Racine, Rim­ baud, Nerval! Quelques phrases tronquées, perdues dans dix volumes sans nécessité, voilà ce qui m'est sorti des entrailles. Je me dis, je me crois normand, mais ne suis-je pas plutôt de ces Nordiques de l'Î le-de-France que je viens de nommer : Racine et Nerval, à la fureur gainée? J'ai pourtant ce détournement du lyrisme vers le réalisme de Flaubert et de Maupassant. Mais Flau­ bert était-il normand? Barbey avait une pensée qui l'a retenu sur la pente du réalisme. Corneille aussi. Poussin aussi. Charlotte aussi! Je vaux tout de même plus que ... Octave Feuillet 1 ? - Les grands révolutionnaires étaient des Nordiques : Robes­ pierre d'Arras (œil vert, faciès tudesque), Saint-Just du Vermandois, Danton de Champagne (faciès tudesque), Carnot de Bourgogne, Le Bas d'Arras. Le seul Normand, je crois, c'est Hébert. Marat est juif 2. Les méridionaux : les Girondins, Barras, Sieyès. Pourtant Mira­ beau. Aurait-il été vraiment grand? Mais ... Couthon 3, Billaud­ Varenne 4 , auvergnats je crois. Barère, méridional et comment! -Je suis furieux de voir Aragon abrité dans La N. R.F. par Paulhan. Ses vers, son roman révèlent mieux que jamais cette ignoble mièvrerie qui me répugnait en lui. Cela sent l'onaniste langoureux.

4 janvier En dépit de leur disposition critique, des hommes comme moi étaient assez imprégnés de l'esprit environnant pour n'avoir pu 1. Octave Feuillet ( 1 8 2 1 - 1 890), auteur de romans et de pièces sentimentales très datées. 2. Hébert est bien normand ; mais Marat n'est pas d'origine juive. 3. Couthon ( 1 755-1 794) est effectivement né à Orcet (Puy-de-Dôme). 4. Drieu se trompe : Billaud-Varenne ( 1 756- 1 8 19) est né à La Rochelle oÎI son père était avocat.

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prévoir que beaucoup de puissances resteraient neutres. C'était avant tout leur façon de se venger de l'incapacité de Londres et de Paris à organiser la paix en 18 et à faire face aux n écessités alleman des. « Puisque vous ne pouvez résoudre le problème allemand, res­ tez-en seuls prisonniers. » Tout le secret de la guerre est dans cette réserve de l'Italie, de la Russie, du Japon et d'autres qui espèrent cette fois-ci n on pas pâtir mais profiter à moindres frais de la bagarre où n ou s voudrions les engager. l i y a quelque chose de fort grave. Les grands neutres (sauf les États-Unis, et encore 1) comptent comme l'Allemagne sur l'u sure de la France et de l'Angleterre. Sans compter les rancunes fascistes. Dans quelle mesure tout cela peut-il être compensé par l a crainte de la Russie? Mais si la Russie est d e moins en moin s à craindre? Ne pourrions-nous pas intéresser l'Italie au dépeçage de la Russie, avant que les Alleman ds n'y songent. M ais ceux-ci ont dû leur promettre l'Afrique et une partie du Proche-Orient. L'An gleterre peut-elle offrir la Sibérie au Japon ? Ceux-ci n e peuvent y vivre et veulent d'abord la Chine. Ils sont attirés par le Sud. - Quelles femmes aurais-j e dû épouser raisonn ablement? M ania Heilbronn 1 ? Elle était belle et riche et sérieuse. M ais elle avait l'esprit stu pide desJuifs riches et frottés au gratin , figés entre l eurs craintes, leurs rancunes et leur éternel gauchissement et l eurs inca­ pables velléités d' assimilation.j'aurais eu mauvaise conscience. Que serais-je devenu, avec des enfants, quan d j' aurais été repris par l'antisémitisme. En aucune situation,je n' aurais pu résister à l' appel venu de l'Allemagne. Le plus raisonnable aurait été d'épouser l a petite M m e de Vibraye annulée en cour de Rome. M ais elle ne pouvait avoir d'en­ fants,je me serais lassé de coucher avec elle et c'était u n e sotte incu­ rable. Quel idiot a-t-elle épousé? Un vague opiomane de l a carrière. Nicole? M ais je ne l'aimais pas vraiment. Je n'aimais pas l e grain de sa peau ni cette espèce d e vulgarité fascinée q u i fait l e fond d e son esprit. Je l'ai déjà écrit, j'ai trop aimé l a beauté. ]. Marie-Antoinette Heilbronn, sœm· du vieil ami de Drieu Pierre Heilbronn (1895-1940), tombé au champ d'honneur le 9 juin 1940. Mania Heilbronn était renommée dans sa famille pour sa beauté et sa passion de la littérature classique.

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Certes le mieux eût été Cony Wash. C'était ma grande chance dans la vie. Elle était de ma race, elle m'aurait fait connaître l'Amé­ rique et nous aurions été étreints et déchi rés par un vrai drame. Tout ce qu'on peut souhaiter dans le mariage. Mais elle ne pouvait pas avoir d'enfants; J'aurais dû faire un enfant à Nicole. C'eût été sauver son âme et la mienne. Mais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Si j'avais eu plus de confiance dans mon charme, j'aurais pu m'attaquer à bien d'autres femmes que j'ai à peine entrevues. L'impossibilité de gagner ma vie m'a aussi paralysé. J'étais voué au célibat ou au mariage d'argent. Je ne regrette pas de n'avoir pas été un écrivain besogneux, qui tire à la ligne pour acheter une robe à sa femme et une culotte à son garçon. Le besoin aurait-il fait jaillir de mon talent des forces plus drues? Qui sait? J'ai peut­ être trop joué de ma lenteur. Mais je l'ai tant aimée.

Dîné l'autre soir �vec René Laporte 2 , qui est le fils d'un per­ sonnage considérable dit-on dans la maçonnerie, médiocre écrivain et embusqué chez Giraudoux. Son père l'a fait déclarer exempt de service militaire. Sa femme était assez jolie mais est enlaidie par l'affreuse avarice de leur vie. Tous ces profiteurs du régime ressentent quelque honte et inquiétude, dans la mesure où leur imagination peut leur faire apercevoir les périls dressés sur l'horizon. Leur ignorance du monde est telle que leur imagination ne peut guère dépasser le bout de leur nez. Ces bourgeois engagés à fond dans le Front Populaire ne renient les communistes que du bout des dents, et ne peuvent se décider à croire à l'inimitié russe. Il parlait de la censure avec hypocrisie et m'assurait que Girau­ doux était compris et aimé du pays. Quand je lui dis qu'un homme 1 . Ici, deux lignes ont été rayées. 2. René Laporte, fondateur de la revue et des éditions Les Cahiers libres (à Toulouse, puis à Paris) de 1924 à 19 34. li est l 'auteur de romans (Les Chasses dt nuvtmbrt, prix Interallié, Denoël et Steele, 1 9 36 : Lts Passagers d'Europe, Gallimard, 1 93 9 : Un Air dt jeunme, Julliard, 1 95 1 ), de poèmes (L'An 40, Le Sagittaire, 1 943), de pièces de théâtre (FeJerigo, Nagel, 1 945). Replié à Antibes, pendant l'Occupation, il y recueillit des réfugiés et occupa des fonctions officielles lors de la libération de Toulouse en 1 944.

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ordinaire ne peut comprendre une allocution de Giraudoux, ses phrases brillantes mais opaques sous le brillant, il me regarde de travers. D'ailleurs, il est prêt à dire du mal de beaucoup de choses qui se font. Ces gens-là ne se veulent jamais responsables d'aucun e chose en particulier, quan t à la responsabilité de l'ensemble ils en fuient la pensée du matin au soir. - Reçu un coup de téléphone étrange. Une voix d'homme m e demande avec violence s i Belou est là, chez moi. D'abord, n e comprenant pas, je raccroche. M ais o n revient à l a charge. Qui a téléphoné? Son mari ? Ou un autre homme? Ne serait-elle pas au front, comme elle me l'a dit? Si c'était u n autre homme? Était-ce u n autre jaloux? O u l e mari d e la maîtresse de son mari, espèce de maître chanteur? Ou un farceur. Impression sinistre. Mais je ne suis plus jaloux. Aucune mor­ sure de curiosité, seulement une grande tristesse. Il y a trois ans, cet incident m'aurait rendu fou de jalousie et d'ango isse. Seule­ ment, une grande tristesse. Son mari est-il donc toujours jaloux de moi? Ou bien, veut-il seulement savoir pour savoir? Il y avait de l'emportement dans la voix, de la rage. Qu'est-ce qui a pu lui faire soupçonner qu 'elle était à Paris, et non pas au front? A-t-elle donc une nouvelle passion ? Tan t mieux pour elle. Mais alors elle souffrira. Tout ce qu'elle me disait du chagrin que l'absence de son fils lui causait, cela masquait-il autre chose? Ou cela allai t-il avec autre chose? J 'aurais donc toujours (à) douter d'elle ... Mais comment un humain peut-il ne pas douter d'un au tr e humain.

12 janvier Belou ne me donne plus signe de vie. Elle ne m'aime plus. Parce que je ne l'aime plus, croi t-elle? Ou parce qu'elle ne m'aime plus. Elle m'avait di t qu'ell e cesserait de m'aimer tout n aturellement si elle croyait ou sentait que je ne l'aimais plus. 1 . Le reste de la page (soit les 2/3) a été coupé.

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Hélas, son absence actuelle, voulue, ressemble tant à son absence de toujours. Elle a fini par prendre conscience qu'elle n'a jamais été dans ma vie , même au temps où elle passait tous les après-midi dans mon lit. Je ne suis pas encore désespéré, mais une sorte de désespoir v a s'insinuer en moi, je le sens. Quelle sorte? Sera-ce la sorte qui est mortelle. Si l'amour disparaît de ma vie sans doute vais-je vrai­ ment commencer à mourir. Belou est la seule femme que j'aie aimée un peu longtemps (cinq ans. Je l'ai rencontrée chez Claudine Loste en janvier 1 935. Nous nous sommes revus pour la seconde fois en mars, elle s'est donnée aussitôt). Pourtant pendant ce long temps je n'ai pas eu le temps de l'aimer. Comment aimer une femme qu'on ne voit que pour faire l 'amour, avec qui on n'a jamais le temps de se taire, de s'oublier, de l'oubl ier tandis qu'elle est là. Horreur de l'adultère. J'ai été ce personnage inénarrable, un amant de quarante-cinq ans. Aurions-nous pu vivre ensemble, entièrement? Comment aurait­ elle pu supporter, elle qui est si vive, si active, si pratique et si sensuelle mes inerties, mes rêveries, ma totale inutilité, mon déta­ chement de tout? Je ne m'intéresse qu'à la peinture, aux maisons et aux jardins de Paris, aux livres, à la politique mondiale, au corps des femmes, aux religions primitives. Elle aime la chasse, les sports, les coups de téléphone, les mille intérêts d'une maison, son fils, la légende de son mari, le coït. Pense-t-elle vraiment à la mort maintenant? Déjà la mort d'un amant l'avait ébranlée dans l'incroyable bonheur où elle avait vécu depuis toujours. Ce bonheur était fait de son admirable santé (un peu menacée maintenant), de son appétit, de sa beauté, de sa sensualité, de sa richesse, de la sagesse de son mari, de la gentillesse de son enfant, de la tranquillité sociale. Elle n'a jamais pensé à Dieu. Est-ce que j'y pense? Non plus jamais, mais sa présence se décèle dans mes pensées tournées vers autre chose. Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'elle fait. Il me semble qu'elle doit coucher avec quelqu'un,je ne l'imagine pas ne couchant pas. Mais peut-être est-ce une vue légendaire. À la longue, elle a souffert et s'est dégoûtée de mon atroce égocentrisme. Ce serait bien juste qu'elle me plaquât :je n'ai pas su surmonter avec elle l'horrible handicap de la solitude.

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- Les gens sont habitués à la guerre qui n'est pas la guerre. Étant dans cette guerre-là, ils entreront beaucoup plus difficilement dans la guerre vraie. Cela fichera à tous une maladie de cœur dont personne ne se relèvera. La décadence doit se précipiter, parce que les événemen ts normaux de la destinée humaine sont de plus en plus mal supportés. Un vieillard se remet moins bien qu'un jeune homme d'une bronchite. L'Europe sortira de cette guerre tout à fait décadente. Que peut être une décadence sans barbares aux frontières? 22 janvier

Pleine monoton ie de cette campagne d'hiver. R ien de nouveau. On est habitué à l'affaire de Finlande et à toutes ses conséquences immédiates : faiblesse des Russes, dépen dance des Russes vis-à-vis de l'Allemagne. En France, il y a toujours un parti russe et autour de ce parti beaucoup de gens qui craignent la rupture avec les R usses. J 'avais bien dit que les Russes garderaient un pouvoir de chantage sur la France et l'Angleterre pendant longtemps. Nous continuons à perdre du temps et à ne pas prévenir les prochain s coups allemands en Orient, en Italie. lis nous laisseront moisir devant la ligne Siegfried et peu à peu pénétreront et modifieront la Russie. Peut-être pourtant tenteront­ ils la bataille dan s le no man's batave. M ais est-ce un no man's lan d? Y a-t-il aussi un parti alleman d? Je ne le crois pas. M ais il y a un vague parti de la paix. - Gilles a assez de succès. Je crois que les gens reconn aissent que c'est un livre important. Lettre de Mauriac qui dit que c'est un maître-livre, un livre essentiel 1 . Lettre de Chardon ne. Réaction violente de Gérard Bauër 2 et des Juifs. Mais déjà je m'éloigne de ce livre et ne m'en soucie plus guère. Je me détach e trop vite et trop complètement de mes œuvri::s. j'ai fini trop vite Charlotte comme je le craignais. L'ayant lu à Nicole, je m'aperçois que c'est bâclé, inachevé. J e doute que cela puisse être joué, en tous cas maintenant. 1. Cette lettre a été publiée in Drieu la Rochelle, Textn relrouvis, op. cil., p. 99 sq. 2. Gérard Baul!r ( 1 888-1967), écrivain et chroniqueur au Figaro. Son billet signé Guermantes, « L'inoubliable "• dans Lt Figaro du 1 6 janvier 1940, est plutôt sévère pour Gilles.

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En ce moment, je ne fais rien. Écrirai:ie un roman d'aventures fantastiques en Amérique du Sud? Une pièce sur l'avortement? Mes essais sur l'esprit du xx• siècle. Je revois mon texte d'interrogation. Déception. Faiblesse intrin­ sèque de tout poème en prose. Maurras m'avait bien dit autrefois que c'est un genre faux. Et pourtant tout de suite j'ai donné l'essen­ tiel de ma pensée. Qu'y ai-je ajouté depuis? Des modulations. Certes, cela vaut la peine. Aussi de fausses déviations de cette pensée. -Je vis au coin de mon feu, fort douillettement jouissant d'être loin du froid et de la promiscuité. Je jouis aussi de mon impuissance sexuelle qui me délivre à demi des femmes. j'aime toujours tendrement Belou, mais comme elle est loin. Est-ce que l'abstinence tue son amour? Voilà ce que je me demande avec une curiosité calme et un peu désespérée. Sa famille l'éloigne tant de moi et toutes ses inclinations habi­ tuelles. La vieillesse la rapprochera+elle de moi? Pour boucher les heures, je vois de temps à autre Nicole avec qui j'ai une vieille amitié qui est comme un tissu cicatriciel, et cette petite Uruguayenne Susana Soca I qui avec sa laideur dégénérée est comme l'image vivante de mon infirmité sexuelle. Je ne peux fréquenter un tel monstre que parce que je ne bande plus. Je continue à penser à tous les seins que j'ai tant aimés, tant désirés, si vainement touchés. Cela devient dans mon imagination un motif métaphysique.

24 janvier

Au Figaro, Brisson 2 semble embêté par l'esclandre qu'a fait Bauër contre moi, écrivant deux billets de Guermantes (plutôt deux billets de Swan[n]) contre mon article sur l'absence de Barrès '· Il

1 . Susana Soca, poétesse uruguayenne, fut aimée par Henri Michaux qui l'avait rencontrée en 1 936 en allant voir Jules Supervielle en Uruguay. Elle fonda après la guerre une revue littéraire, la Licorne, codirigée par Roger Caillois et Pierre David, gendre de Supervielle. Caillois y publia des traductions de P. Neruda et J. L. Borges. Susana Soca devait mourir dans un accident d'avion. 2. Pierre Brisson ( 1 896-1 964), journaliste et critique, était entré au comité de direction du Figaro en 1934. 3. La chronique de Drieu « La Vertu du silence » (le Figaro, 1 1 janvier 1 940), rapportait les propos d'un monsieur • à qui l'âge n'a rien relirl de �a légèreté ,. et qui déplorait l'absence d'un Barrès dans cette seconde guerre mondiale. G. Baui!r croit se reconnaître en ce monsieur et répond dans un « Billet de Guermantes » du 1 5 janvier 1940, « Les Voix de jadis »; dans sa chronique du 1 6 janvier, « L'inoubliable », il y revient et accuse Gilles d'être d'un romantisme éperdu et parfois naîf. ,

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semble craindre que je ne veuille plus écrire au Figaro. Mes articles ont paraît-il du succès, ce qui m'étonne. Je m'attends toujours a u pire. j'étais venu chez lui avec l'idée qu'il avait pris parti pour Bauër contre moi. Toujours mon esprit de persécution, mon sentiment d'infério­ rité, ma noire mélancolie. Tout cela empire depuis quelque temps. Tout se passe en moi comme si je recherchais des prétextes à m'inquiéter, m'effrayer, me déprimer. La tendance profonde de mon caractère lutte désespérément, avec une extraordinaire vio­ lence d'instinct contre le succès qui vient, les facilités qui m'assiè­ gent. Je regrette comme si j'allais le perdre mon sentiment d'être un isolé, un dédaigné, un perdu. Ce ne sont pas vingt années d'insuccès qui ont fait cela, j'étais ainsi au collège à douze ans. 2flurier

Je ne pense plus guère à ce journal, ni à rien.Je suis au-dessous de zéro. Déceptions et ennuis. Je n'ai pas eu un article de franc acquiescement sur Gilles. On me dénie toujours la qualité de roman­ cier. Je voudrais bien croire tous ces médiocres de la critique, mais ils se trompent si souvent. Alors? Pourtant il me semble que je n'écrirai plus de roman. j'ai assez raconté mon histoire et je n 'ai qu'elle à raconter. j'ai cent fois essayé d'inventer des sujets en dehors de moi: cela ne m'intéresse pas et cela ne part pas. A part cela, Gilles se vend un peu, mais pas plus que les autres, 6 000 exemplaires. Charlotte Corday est aux mains de Bourdet, qui refusera cette pièce. Denise Bourdet qui l'a lue la première m'en parle avec répugnance. «- C'est un personnage tout d'une pièce. » Tu parles. «- Ce n'est pas assez long », ça c'est possible. Je travaille à la confection d'un recueil de mes premiers écrits (poèmes et proses courtes. Interrog[ation]. Fond de cant[ine]. Suite dans les Idées). Comme mes idées ont peu changé: l'amour de la guerre et l'horreur de la décadence; la mélancolie de la débauche. Et c'est tout. Je vois bien mes défauts et les raisons de mon échec. J 'ai toujours été dans un genre faux ou à cheval sur deux genres: entre la prose et la poésie, entre l'essai et la rêverie, entre la vue privée et la vue politique. Et j'ai rarement pu mener mon style jusqu'à 144

l'ach èvement, ou alors le desséchant trop. Il y a quelque chose de sec dans tout cela ou de trop discret. Il aurait fallu publier tout cela dans de rares éditions, aussi, mais ce n'était pas assez parfait. Ne vais:ie pas achever de tuer tout cela en essayant de le faire revivre. - Dîné chez les Bourdet avec les Mauriac et Vaudoyer 1 • N'avais pour ainsi dire pas rencontré Mauriac depuis des années. Le succès l'a vulgarisé. I l a beaucoup parlé d'argent et il affecte un demi-cynisme assez affreux. Toujours l'envie de dire des choses perfides et amicales en même temps. Sa voix éraillée souligne toute cette déchéance. Déchéance relative car il s'est toujours mû sur u n plan mondain. Une drôle de partisannerie fait parler ce bourgeois comme u n commun isant. Tout cela sous l'œil abruti de Bourdet , tandis que Denise rêve à ses petits pédérastes. Mme Mauriac est encore assez jolie, mais sa joliesse va de plus en plus vers le sec. La lèvre est presque coupante. Elle épouse terriblement le succès de son mari. Que vaut-il? Son poème d'Athys et de Cybèle 2 est assez beau, assez fort, d'une sensualité assez pénétrante, d'une langue assez ferme, bien que d'une frappe assez anonyme. Je ne lis plus ses romans. Bernanos lui est supérieur, bien que plus maladroit. Mais les meilleurs ne sont-ils pas maladroits? li en est ainsi des peintres. Alors Gilles serait bon ?I - Envoyé un article à Brisson qui ne semble pas vouloir le publier. Suite de l'incident Bauër. Les Juifs du Figaro feraient barrage? li est caractéristique que ce journal mondain soit aux mains d'un maquereau juif roumain qui a épousé cette Mme Coty ', sans doute une ancienne bonne. L' Agence Havas est aussi aux mains d'un Juif maintenant me dit-on (M. Stern). Les Bunau-Varilla 4 au Matin sont juifs? Mais enfin ils tiennent moins la presse qu'en 1. Très p robablement Jean-Louis Vaudoyer (1 883-1 963), romancier et essayiste, qui fut administrateur de la Comédie-Française de 194 1 à mars 1944. 2. Le Sa11g d'Atys, poème publié par Mauriac dans La N.R.F. en janvier 1 940, puis chez Grasset en cette même année 1940. La N.R.F. de Drieu en donnera un compte rendu très critique en avril 1 9 4 1 sous la plume d'Henri Thomas. 3. L'homme d'affaires roumain Léon Cotnaréanu avait épousé Yvonne Le Baron, d ivorcée d'avec François Coty. 4. Maurice Bunau-Varilla (1 856-1944), homme d'affaires français, avait acquis Lt Matin en 1886. Sous l'Occupation, il soutient la politique de collaboration.

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Allemagne avant Hitler. Pourtant toute la rédaction de Paris-Soir est juive (Lazareff 1 , Mille 2 , Gombaud, etc ... ) ; à Marianne et à L 'In­ tran beaucoup de Juifs. Et ils tiennent toute la grande administration (Huisman 5 , Cain, Roland-Marcel 4), Beaux-Arts, Travail, Conseil d' État (Cahen-Sal­ vador 5), la Sorbonne, la médecine. D'ailleurs, là où ils ne sont pas, ça ne vaut guère mieux. Les Juifs ont le goût des pires conservations quand ils peuvent e n profiter. Ils ont l e goût des conventions au théâtre e t partout (Halévy, Bernstein, Tristan Bernard, Porto-Riche, Blum). I ls n'apportent aucun élément puissant, créateur. Il n'y a pas un grand écrivain juif en France (Maurois! Benda = cuistre, Suarès = faux génie). Pourtant, Bergson. Demi-Juif comme Proust? Ce ne sont pas de vrais révolutionnaires. En Russie, ils ont mis des bâtons dans toutes les roues. Trotski a été contre Lénine pendant des années, puis contre Staline. Les autres Zinoviev 6, Kamenev 7 , Kaganovitch 8 lamentables. Dans la social-démocratie, bas conservateurs, conser­ vateurs de ce qui a coïncidé avec leur avènement, une certaine intellectualité Second Empire.

4 fn.1rier Je relis avec effarement quelques pages d'État civil. Je m'aper­ çois que j'avais oublié presque tout ce que j'y dis de mon enfance. 1 . Pierre Lazareff ( l 907-1 972), directeur de la rédaction de Paris-Soir depuis 1937, gagnera les États-Unis en 1940 avant de prendre la direction de France-Soir à la Libération. 2. Pierre Mille (1864-194 1 ), journaliste et romancier. 3. Georges Huisman, directeur général des Beaux-Arts en 193 9 . 4. Pierre Roland-Marcel, conseiller d'État, commissaire génér.il au tourisme en 1 939. 5. Geor$es Cahen-Salvador, président de la section de l'i ntl,rieur du conseil d'État à partir de 1936. li a surtout contribué avant la guerre à la réforme des assurances sociales et à la création du Conseil national i,conomique dont il fut secrétaire général de 1 925 à la guerre. 6. Apfelbaum, dit Zinoviev (1 883-1936), aida Staline à éliminer Trotski mais fut accusé de trahison et exécuté . . �- Rsenfel_d, dit Kamenev ( 1 883-1 936), eut le même parcours que Zinoviev, mais 1I prit tardivement la défense de Trotski. 8. Lazar Moïseïevitch Kaganovitch (1 893-?), membre du Politburo depuis 1 930, est vice-président du Conseil des Commissaires du peu p le en 1 938. Pendant la i;uerre, il sera vice-président du Comité des transports. li sera exclu du Pr.1e­ sid1um du Parti en 1 957 et dispar.iitra sans laisser de traces.

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Ainsi donc de grands pans de ma mémoire, de ma vie sont déjà écroulés. Je m'en doutais, mais la constatation est effarante. Ce n'est pas mal écrit, plus simple, plus direct que des choses écrites plus tard. Mais cela est mal organisé autour de quelques idées directrices. Ces idées y sont mais trop violemment éparpillées. Et puis quelle austérité dans l'ensemble. Et toujours ce porte-à­ faux entre la politique et la vie privée. Voilà qui a dû me faire le plus de tort. -Je déteste le monde de Mauriac, ce monde de bourgeoisie pourrie où l'auteur se complaît sans recours. Rien de semblable chez ma grand-mère à cette mystique infâme et ménagère. A la longue l'horreur l 'emporte pourtant chez lui et il est près de jeter par-dessus bord toute cette religion d'héritage. Ce qui est assez rare chez lui, c'est que le succès tend à le libérer, à l'arracher à ses préjugés - qui sait, à son mensonge. Une fois à l'académie, il semble près de se défroquer. , . Mais alors, il se jette vers les préjugés de gauche. Ce n'était pas une hautaine libération. - Aperçu dans un restaurant, Belou avec son fils. Elle paraît jeune et gaie ; chez moi elle est contrainte et vieillie. Elle ne m'aime plus. Elle ne peut plus aimer l'amant mort. Cette passion pour son fils soldat est vraie et admirable. Mais ce doit être aussi un refuge pour elle, si elle ne m'a remplacé d'aucune manière. Elle partage les idées les plus banales et les plus courtes de son milieu, mais elle y met une passion entière qui chez elle les rend singulières. Peu de mères en ce moment craignent le printemps avec une inquiétude aussi prophétique. Et moi, le vieil amant, ne serais-je pas mieux au front que lui? Mais cette guerre m'ennuie trop. Aurais-je aussi peur qu'autrefois? Il me semble que l'âge doit émousser la peur comme le reste, mais ce n'est pas sûr. Car je vois que le moindre dérangement commence à me jeter dans une hystérie de vieil lard.

5 fi�rfrr 1 Au printemps Mussolini sera contre nous 2 • Peut-être ne fera­ t-il qu 'esquisser une diversion, une démonstration dans la Médi1 . Drieu a écrit par erreur : 5 janvier. 2. En septembre 1 939, l'Italie s'était déclarée puissance « non belligérante » : c'est le 10 juin 1 940, qu'elle déclarera la guerre à la France et à la Grande­ Bretagne, pour participer à la curée.

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terranée, mais cela suffira à nous faire le plus grand tort. Cela nous barrera la route de l'Orient et permettra l'offensive allemande à l'ouest. Certes, il ne veut pas livrer les Balkans à l'Allemagne, encore moins à la Russie. Mais la Russie n'est guère à craindre et il a besoin d'une défaite anglo-française pour obtenir la moitié a u moins de la Méditerranée, a u moins une des deux portes. li a eu intérêt à attendre un an, pour que nous devenions assez forts et contrebalancions mieux l'Allemagne. Il ne souhaite pas notre écrasement, mais notre grand affaiblissement contre celui de l'Allemagne. Une bonne bataille sur le front occidental fera son affaire. Cependant, il garde un point faible : l'Abyssinie qu'envahi­ raient les troupes de l'Inde et de l'Afrique du Sud. Un autre point faible : la Cyrénaïque. C'est pourquoi il ne fera qu'une mobilisation, sans entrer en guerre. Plus que jamais, je crois que nous aurions dû le forcer en septembre à prendre parti et au besoin l'envahir. Nous le pouvions, il n'était pas prêt. Notre inaction [d']alors nous fera perdre la guerre. - Il se passe quelque chose de très grave en Finlande. Il va se former là une légion étrangère I et une intervention européenne, voire américaine de caractère antikomintern. Tout cela sert I' Al­ lemagne, la consolide contre la Russie, justifie sa vieille prétention de défense ami-communiste et facilite ses opérations ultérieures contre nous. Ne point secourir la Finlande, c'était exposer l'Allemagne aux coups indirects de la Russie, souligner le péril de la politique Rib­ bentrop 2, c'était jouer un jeu dangereux mais hardi. Nous servons l'Allemagne en Finlande et en Roumanie en lui livrant nos pétroles. Partout la crainte du communisme continue à nous livrer à l'Allemagne. Mais si nous ne secourions pas la Finlande, les neutres dout[er]aient de nous décidément. L'absence d'infanterie anglaise continue à peser sur notre poli­ tique. Il nous fallait dans la première année de la guerre un mi llion d'Anglais dans le Proche-Orient. Or, nous n'avons pas semble-t-il 1. Une partie notable de l'opinion publique fran çaise désirait voir se former un corps expéditionnaire pour soutenir les Finlandais. 2. Le ministre des Affaires étrangères du Reich passait pour détester les démocraties occidentales et souhaiter maintenir de bonnes relations avec les Sovié­ tiques.

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d'armée d'Orient, Les troupes indiennes sont paralysées par la menace russe et la menace italienne. La menace de l'aviation italienne sera terrible au printemps. Sans compter les Espagnols. • Cette fois-ci les Américains arriveront trop tard. A moins qu'ils ne puissent faire arriver leur aviation par l'air dans la belle saison. Quels sont les véritables premiers résultats de la guerre aérienne et marine dans la mer du Nord? - Ce qui fait que mon œuvre vaut peu, c'est que j'ai manqué d'audace. J e n'ai pas suivi ma pensée essentielle qui était de dénon­ cer et de hâter mainte destruction. Par exemple, je n'ai pas suivi mon pressentiment que les patries étaient finies. En ce moment je pèche contre cette pensée, en écrivant des articles hypocrites et doucereux sur la France. Mais la France est finie comme I'Alle­ magne. En Europe, ce ne sont même plus des idéologies qui se battent pour la domination de tout le continent, ce sont des bandes qu s'agrègent, se désagrègent et se ragrègent selon de mystérieuse causes d'attraction. Il ne s' agit plus de démocratie, de communisme, de fascisme, tout cela est déjà confondu à la base. Il s'agit d'une bataille entre deux ou trois césars, dont on ne sait celui qui deviendra Auguste. La bataille est entre Staline, Mussolini et Hitler. Les Occidentaux ne forment plus qu'un obstacle matériel de résidus. L'Amérique a compris et veut nous laisser mourir. La Finlande n'est foutre pas une démocratie, mais un peuple jeune qui a échappé à la déchéance communiste, un peuple libéral nordique, de libéralisme mâle préservé par l'éloignement de Londres et Paris, qui, mené par un seigneur du xv11c s., fait récif. 13 février La plus grosse erreur qu'ait faite l'Angleterre c'est d'avoir brimé Mussolin i au moment de l'affaire abyssine 1 • C'était le moment de faire la part du feu comme pour le Maroc à la France. 1, La Grande-Bretagne avait fait effectivement pression sur l'Italie dans l'au­ tomne 1 935, en concentrant la moitié de la Royal Navy dans le port d'Alexandrie ; après que Mussolini eut décidé, mal1v é tout, d'envahir l' Éthiopie, le gouvernement de Sa Majesté, sous l'influence de I opinion publique, avait soutenu une politique de sanctions limitées contre l'Italie.

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L'A ngleterre devait renoncer à la Méditerranée alors pour garder l'In de et l' Afrique du Sud (l'océan indien par où elle aurait pu garder à revers le Proche-Orient?) - ou alors faire aussitôt la conscription. Ayant braqué l' Italie contre nous, il fallait nous jeter sur elle au début de la guerre pour effacer l'effet de nos erreurs . Je persiste à croire que tout cela pèse essentiellement sur la guerre. - Reçu une note de Petitjean I sur la psychologie du Combat­ tant (« Nous sortirons de la guerre » à paraître dans son courrier). On le sent atteint déjà et épouvanté par la désagrégation qu'il constate enfin à vif. I l se crispe, mais cela sent déjà le désespoir. Pauvre petit. Il connaîtra plus terriblement que moi la honte qui m'a brisé si jeune. Je corrige mes écrits de jeunesse (lnt[errogalion), F[ond) de c[antine], Le J[eune] E[uropùn], [La] Suite [dans les idées]). Je vois que j'avais tout dit tout de suite de ce quej'avais à dire. Je suis désespéré de voir à la fois que je l'avais bien et mal dit, mais que même si le meilleur était encaqué dans le pire, le silence qui m'a entouré a été profondément injustice. Mais la première i njustice n'est-elle pas venue de moi? N'aurais-je pas dû appeler toutes les armes basses : le bluff, le scandale, l'intrigue pour faire entendre ma voix de sûr prophète. j'ai tout de suite, dès 1 8, vu toute la décadence de la France et de l'Europe, la menace des derniers jours. Mais ma vision m e détachait déjà de l a France. Il aurait fallu me situer au-dessus de l' Europe, en un Sils Maria 2 • Mon tort infini a été de ne pas aller au bout, de courir au pessimisme total. Et surtout de masquer mon pessimisme européen d'un pessimisme français. Et j'aurais dû m'en tenir au pamphlet et à l'essai, ne pas me salir par la description du mal dans toutes ses petitesses. - Le vaudevilliste Bourdet a refusé ma Charlolle Corday au Français. Il m'a expliqué bien gentiment que ma Charlotte était trop

1. Armand Petitjean, né en 1 909, auteur d'essais (Prlsmtation d, Swift, Gal­ limard, 1939 : Mis, d nu, Vigneau, 1 946) et de nombreuses traductions de l'anglais, a également traduit La Paix d'Ernst jünger, en collaboration avec Banine p.-_a Table _ronde, _1 97 1) :_ il devait perdre la main droite dans les combats de JUm 1 94 0 : 11 a pubhé plusieurs articles dans La N.R.F. de Drieu, dont un essai, en se pte_mbre 1 94 1 , qui s'appuie sur son expérience de la guerre, « Combats préli­ mma1res». 2. Lieu favori de séjour en Suisse de Friedrich Nietzsche qui y écrivit certains de ses plus grands textes et y eut la révélation de l'éternel retour.

J.

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d'une pièce. Tu parles. Après cela, il est allé fumer l'opium, avec son inepte jolie femme [ ... ]

1 7 février

La Finlande craque et je sens craquer mes os bourgeois. Je sens aussi craquer les os de la vieille Europe démocratique et capi­ taliste et rationaliste; ce qui me console largement. On s'aperçoit que tout le monde s'était détendu sur le répit finlandais de décembre et sur la trêve militaire d'Occident. Tout cela va finir. A dieu vat. Maintenant on va voir quel est le véritable rapport entre Russes et Allemands. Les Allemands ont-ils aidé les Russes, ces jours-ci, devant la ligne Mannerheim 1 ? Vont-ils prendre part à la curée et s'assurer la Suède et la Norvège? Ou vont-ils réduire les frais? Les communistes vont relever la tête ici et le régime qui n'a pas profité de l'occasion des dernières semaines va se mordre les doigts, car ils vont devenir incontrôlables. L'attitude des Suédois qui refusent des secours aux Finlandais n'est pas plus ignoble que celle des Français et Anglais vis-à-vis de la Tchéco-Slovaquie, de l'Autriche ou des bords du Rhin. Ils en seront cruellement punis. Voici un nouveau morceau de l'Europe qui se détache. Après tant d'autres, avant tant d'autres. Le public va avoir une fois de plus le sentiment qu'il a été trompé par la presse. Les neutres vont glisser de plus en plus à l'abandon. Une fois de plus nous aurons manqué absolument d'initiative. - Belou est dans la zone des armées. Son corps est-il mort comme le mien ou le donne-t-elle à quelque officier dans un hôtel de rencontre? Tant mieux pour elle si elle a retrouvé la joie pour laquelle elle est faite. -Je voudrais partir comme reporter pour l'Orient. Le prin­ temps arrive, il est temps de sortir de sa tanière. Et je suis las d'écrire.

1 . En février et mars, la disproportion des forces permet aux Russes d'en­ foncer le front finlandais en débordant la ligne Mannerheim, du nom du maréchal qui commande l'armée finlandaise. La paix est signée le 1 2 mars 1 940 et donne entière satisfaction aux Russes. Pendant toute la campa gne, Hitler n'est pas venu en aide à la Finlande et les projets d'intervention des alhés n'ont même pas connu une amorce de réalisation.

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23 février

C'était bien ce que je pensais. Belou me trompe depuis plu­ sieurs semaines. Elle me l'a avoué l'autre soir. Nous avons beaucoup pleuré. Cela était inévitable. Il y avait six mois que je ne couchais plus avec elle. Comment pouvait-elle faire, elle qui a un franc tempérament et des habitudes, et alors que j' avais exaspéré en elle si c'était possible la luxure? Pourquoi me l'a-t-elle avoué? J'espère que c'est bien parce que je l'avais toujours suppliée de ne pas me mentir et de ne pas mettre sur notre amour cette tache de sottise et de mesquinerie qu'est le mensonge ? Peut-être voulait-elle aussi me reprendre? Ou, à défaut, se mieux libérer de moi ? À travers l'obscurité des actes, l'instinct mène son chemin sûr qui comporte plusieurs étapes, contradictoires apparemment entre elles. Son aveu m'a fait souffrir à crier, mais cette souffrance aiguë et criante n'a pu que se précipiter dans l'énorme fond de souffrance qui s'est accumulé en moi depuis longtemps à cause d'elle. j'ai tellement souffert de notre manque d'union, de communion spi­ rituelle. Certes, en gros, nos sensibilités s'accordaient, mais la sienne ne venait pas jusqu'à s'épanouir avec la mienne dans le plan spi­ rituel. Et, à l'inverse, ma sensual ité ne soutenait la sienne que par une tension forcée. Quand je l'ai rencontrée, j'étais déjà si las et si désireux d'oublier peu à peu mon corps surmené et exaspéré. Pouvais-je l'oublier, ce corps? Pourrai-je jamais l'oublier? Hélas, il vit d'une terrible vie imaginaire qui se nourrit inépuisablement de tout mon esprit? Mon esprit est à jamais dévoré d'une lourde convoi tise. Comment pourrais-je oublier le corps de la femme qui est inscrit dans toutes les fibres de ma rêverie et de ma pensée. L'obsession des seins est aussi forte que jamais devant mes yeux. J'avais dû renoncer physiquement à elle parce que pour la satisfaire encore il me fallait épuiser ma santé, me fouetter. Et puis surtout, j'ai besoin de la femme mais seulement pour de courtes minutes. Les longues heures de mollesse sur un divan m'ennuient et me donnent du remords. Seulement, chaque jour contempler pendant un quart d'heure une paire de beaux seins. Elle me dit qu'elle m'aime toujours et qu'elle ne peu t se passer de moi. Sans doute, est-ce vrai. Il y a entre nous un réseau de 1 52

pensées tendres, d'habitudes délicieuses tissé par cinq années. Qui comme moi se penchera sur elle avec tant de pénétration, de compréhension, de bonté, de louange, de sagesse? Comme j'ai eu raison de ne pas vouloir profiter de ses premiers élans de passion et la laisser accomplir des actions irréparables. J'ai veillé sur son foyer, sur son amitié avec son mari, son amour pour son fils. Je savais bien que je ne pourrais toujours suffire à sa nature dévorante. Pas plus qu'elle ne pourrait suffire à la mienne. Ai-je donné assez à son corps, dans les trois ou quatre premières années? Peut-être. A-t-elle donné assez à mon esprit? Le spectacle de sa forte nature a plu à mon esprit et flatté ses plus profondes dispositions. Elle était comme une belle figure de la Renaissance devant moi. Toute en sensualité simple et drue, mais enveloppée dans une certaine délicatesse d'éducation dont j'ai fait revivre les plis à peine perceptibles sur sa nudité. Elle n'a pas été insensible à mon appel moral. Cet être qui peut paraître grossier à ceux qui ne la pénètrent pas n'est pas étrangère au scrupule, à la nuance. Elle l'avait prouvé avant de me connaître, à propos de cet amant dont la mort avait mis un remords en elle. Remords peut-être vain, mais qui témoignait d'une vraie force de vibration. Je ne suis plus jaloux, moi qui l'ai tant été. Je ne souhaite guère savoir qui est celui avec qui elle a bien dû me trahir? Y en a-t-il un seul? Quand cela a-t-il commencé? Voilà des arcanes qui ne me tentent plus. Ce qui est admirable, c'est qu'elle ne doute pas de moi. Est­ elle donc si sûre de mon impuissance? li est vrai qu'elle n'a jamais aimé que l'étreinte la plus directe. Et toutes les caresses dont je suis capable l'ayant plutôt agacée qu'autre chose, n'en ayant jamais été curieuse, elle ne peut en être jalouse. Et elle sait que je lui donne raison au fond de moi. Pourtant ... Cette amitié passionnée qu'elle m'offre encore, qu'en advien­ dra-t-il? 27 frorier Délice de ma solitude entourée de la haie des épines du regret, de la mélancolie, du désir mutilé et retourné. Beloukia s'éloigne de moi ou si elle reste près de moi, une certaine rupture est consommée. Hier, je lui faisais dire: « Oui, je 153

retomberai dans la tentation, je li' trahirai dorénamnt toujours. » Son

aveu n'a-t-il pas été tardif? N'avait- elle pas commencé plus tôt à chercher des compensations, diversions ou complém ents? I l y avait déjà un an avan t la guerre que je la privais de plus en plus. Nous avons refait l'amour ensemble. Dans les larmes. Charme désolant de la ch ose qui fuit et qui est encore là, qui m eurt dans une sphère et revit dans une autre. Elle a peur de me perdre et elle me perd tous les jours. J 'ai peur de la perdre et je la perds tous les jours. Elle veut encore faire l'amour avec moi. Est-ce comme elle le dit parce qu'elle m e désire toujours, ou parce que la guerre la prive de nouveaux amants, ou pour donner un peu de nourriture à l'amitié sentimentale, à la tendresse trop désincarnée vers laquelle nous évoluons? C'est tout cela. Comment renoncer à un si grand pou voir qu'on a eu sur un être, à un pouvoir don t on a été si jaloux? Avarice de l'amour blessé mais obstiné. Et comment quitter et laisser à la ruine ce monument qu'a construit l'amour pendant cinq ans? Comment n'y pas plutôt ajou­ ter quelque nouvelle tour? Son corps a vieilli. Si luxuriant encore quand je l'ai connu, il commence à s'émacier, à se gondoler un peu. Il garde de son b eau jet et cette espèce de cernure fascinante, plus morale que physique que gardent si tard les corps qui on t été beaux et qui ont logé généreusement le désir et consomme[nt] encore dans cette hospi­ talité tout ce qui leur reste de richesse. Comme je suis encore pris et déjà loin de tout cela. Les chants d'Orphée, les danses de Dionysos, les secrets de Pythagore, cent autres mythes divers et pareils, l'obscur souvenir ou pressentim ent des rites nécessaires, le balbutiem ent sans cesse interrom pu et repris de la prière, l'ébauch e des visions dernières - tout cela m'occupe de plus en plus. Plus que jamais je comprends que pour moi la luxure, la confu­ sion des corps de tan t de femmes, ç'a été une façon de subordonn er l'élém ent féminin dans ma vie à l'exigence d'une spiritualité mâle. Aurais-je tiré davantage d'un mariage religieusement constant avec un seul corps, puis une seule âme? Quelle âme de femm e aurait pu s'extendre assez pour figurer dign ement à mes yeux tout ce côté chtonien de l'univers qu'est la Femme? Aurais:i e dû m'acharner à combattre et à vaincre cette répul154

sion que me donne le caractère passif, imitateur, étriqué de l'effort féminin pour épouser l'impulsion, l'initiative spirituelle de l'homme? Sacrement du mariage je vous ai méconnu, négligé - mais n'était-ce pas que j'allais vers un autre sacrement, celui du célibat érémitique, anachorétique? Ô lisières enflammées de la luxure autour de mon aire d'as­ cétique rêverie. Goinfreries de lecture, vautrements de rêverie ne devenez-vous pas peu à peu méditation, oraison? Ne vous articulez­ vous pas, ne vous musclez-vous pas en vue d'atteindre à de futures explosions nerveuses, à des dissolutions plus subtiles? 9 mars

. Peu à peu la fatalité fait ses nœuds. Le tour de la Finlande approche. Et le tour de la Finlande, c'est le tour de tous les Scan­ dinaves. La chute de la Finlande, c'est la chute de l'Autriche annon­ çant celle de la Tchécoslovaquie. Seconde série d'enchaînements. L'histoire de l'Altmark I est une dérision, cette petite histoire représente ce qu'on aurait dû faire en grand. Jamais les faibles ne veulent se sauver, il faut les forcer à le faire. L'absence d'armée anglaise fait son œuvre. Avais:ie assez rai­ son de réclamer l'infanterie anglaise dans L'Émancipation 2 , il y a deux ansl Nous n'avons pas assez de troupes pour sauver la Scan­ dinavie. En aurons-nous assez pour tenir la ligne Maginot? ' Et voici l'Italie qui se lève pour la curée. Et ensuite ce sera l'Espagne. Bientôt tout le monde sera contre nous. Amère tranquillité du prophète qui voit tout se passer comme il l'avait senti vingt-cinq ans plus tôt. Déjà en 14,je sentais la victoire de l'Allemagne - en tous cas la défaite de la France. Le temps des patries est passé. L'Allemagne ne sera pas vic­ torieuse de la France. L'Allemagne sera noyée dans sa conquête. Il n'y aura pas en elle les mœurs ni l'esprit qui lui permettront de dominer l'Europe de bien haut. Mais l'Europe sera faite. Hitler 1 . L' Amirauté britannique soupçonnait q ue !'Altmark, un navire-citerne de la Kriegsmarine, réfugié dans un fjord norvégien, avait à son bord, en dépit des affirmations des Norvég iens qui cherchaient désespérément à demeurer neutres, des prisonniers britanniques ; l'assaut fut donné par la Royal Navy, le 16 février 1 940, et elle découvrit dans les cales 299 prisonniers anglais. 2. Voir l'article de Drieu « Nous réclamons l'i nfanterie anglaise » dans L'tmancipation nationale du 25 février 1 938 (repris dans Chro11ique polilique, Gal­ limard, 1 943, pp. 1 08-1 1 1).

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sera le faiseur de l'Europe après Napoléon. Celui-ci était venu trop tôt. Pourtant, il s'en était fallu de peu. Restent pourtant possibles des interventions extérieures : R us­ sie, États-Unis - et les brusques mouvements en Asie. Hitler agit à l'égard du communisme comme Constantin I à l'égard du christianisme : il l'embrasse pour mieux l'étouffer. Pour­ tant il s'imprègne du venin de la triomphale victime. Mussolini sera avec Hitler pour aider celui-ci à se défen dre de l 'amitié ou de l'inimitié de Staline. Un bon tiers, si ce n'est la moitié de la France (commun istes, extrême droite cagoularde, Juifs), ricane dans l'ombre de voir s'écrouler la démo-ploutocratie. LesJuifs ricanent car depuis quelque temps ils voient trop bien la faiblesse du régime. Reste cette fameuse gaucherie germanique qui peut touj ours faire des siennes. -Je viens de passer quatre jours dans le M idi (à M onte-Carlo et Nice) avec Belou. Dérision de la Côte d'Azur à moitié morte par ces temps-ci. Encore quelques vieux Américains avec leurs chiens. On parle de rouvrir les casinos. Dérision. Dérision de ce monde inepte qui essaie machinalement de continuer ses gestes idiots. Toutes ces grandes casernes de faux luxe, ces entassements de maisons hideuses. L'affreuse ligne du luxe pour cen t mille million ­ naires et cinq cent mille petits rentiers. Comme la P rovence devait être belle au xv111• siècle! Dérision des vieux amants traînant par les chemins anciens de l'amour. Là j'ai été jaloux, rongé de désir et d'anxiété. Là j'ai écrit « la Baie des Corps Perdus » 2 • Je suis repassé par la trace de mon amour qui était déjà le fan tôme de ma vie. Chère Belou, encore folle, prête au plaisir, à l'oubli, et pourtan t fêlée, frappée, toute parcourue de sanglots précurseurs. Déjà elle pleurait il y a cinq ans, se rappelant son amant mort. Et elle pleurait de nouveau l'autre soir dans les bras de moi, l'autre amant mort. Cette belle grande femme, apparemment si heureuse et si saine : elle a été aimée par u n vieillard, un opiomane, un suicidé 1 . Rappelons que certains historiens doutent de la sincérité de la conversion de Constantin au christianisme el n'y voient qu'un simple opportunisme. Elle fut en tout cas pour lui une « opération politique » (André Aymard dans Rome et son Empire, P.U .F., 1980, p. 489) ; il en vint à faire du christianisme une espèce de religion d'État. 2. Le po�me « La Baie des corps perdus » a été publié dans Plaintes contre .

inconnut, op. cil.

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et moi, l'homme de toutes les ruines. Elle est bien la dernière figure du capitalisme, étreignant la mort. Elle sanglotait parce que je suis mort, parce que son mari va mourir, et son fils, et tout ce qu'elle croyait indestructible : !'Usine, la richesse, la joie, sa santé, sa jeunesse, sa séduction. Comme c'était lugubre, nous deux dans la chambre de l'hôtel à Monte-Carlo. Et pourtant, il y avait la douceur de notre tendresse qui survit à tout. Quelle tendresse nous a étrangement unis. Je la vénère comme la seule femme à qui j'ai eu la chance de ne pas faire de mal. Et encore! Qu'en sais:ie? N'ai-je pas mis en elle une lueur de dangereuse conscience? Nous sentions la vanité de ces passions individuelles, de ce mythe sentimental et sensuel - tout cela balayé par le vent qui de loin en loin souffle sur les humains cachés dans les villes, mal cachés. Comme j'étais ridicule dans Monte-Carlo, avec mon manteau du bon faiseur, vieux gigolo épuisé. Je lui ai parlé de l'Évangile de saint Jean sur le lit, de la Lumière du monde. Tandis que je lui donnais une dernière étreinte fallacieuse, les mots de saint Jean grondaient dans ma tête. « La Lumière véritable qui éclaire tout homme venait dans le monde. Elle était dans le monde et le monde ne l'a pas connue. » Elle me regardait avec une triste dérision, une pitoyable indul­ gence. Je n'avais pas le droit de prononcer devant elle ces mots, moi le vieux débauché impuissant. Je porte dans mes reins la ruine de l'Europe. -Je crois maintenant à l'offensive allemande. Je la sens venir. - Pendant ce temps Gilles se vend . Ce livre du glas de la France. Les critiques ont vainement ricané dans l'ombre. Le prophète cou­ vert d'ordures est entendu. Il me fallait porter toutes les ordures pour les voir sur les autres.

14 mars Le deuxième acte de la guerre de 39 vient de finir : après la Pologne, la Finlande 1 • Après la brochette de paix : Rhin, Autriche, Bohême, Slova­ quie, Memel 2 , voici la brochette de guerre. 1. La Finlande a dO signer la paix avec la Russie le 12 mars 1 940. 2. Memel, ville de Prusse-Orientale, reprise à l'Allemagne au trait� de Ver-

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L'Europe réagit à Hitler comme autrefois à la Convention et à Napoléon, en ordre dispersé et dans un grand dégel de trahisons et de fuites. La Suède n'est pas plus lâche que la France de M unich. On pourrait d'ailleurs encore con stituer un front nordique, mais on ne le fera pas plus que le front balkanique. Quelle est la part dans toutes ces défaillances de secrète complicité avec Hitler. La complicité avec Hitler est partout : chez ses ennemis comme chez ceux qu'il a déjà neutralisés. Par exemple, mon éditeur Gal­ limard subit sans le savoir une attraction irrésistible en publiant La Révolution du Nihilisme de Rauschning, qui est un livre de violente propagande indirecte. Les communistes ont touj ours subi l'attrac­ tion du fascisme. Ils ont toujours favorisé son triomphe sur la démocratie. Le communisme en Europe est un aîné mal ven u du fascisme. Staline, séminariste caucasien, était né pour faire ce qu'a fait Hitler. Les communistes sont les agents provocateurs chargés d'ame­ ner le fascisme. Pourquoi en France a-t-on inventé en 1930-1932 l'anti-fascisme, alors qu'il n'y avait pas de fascisme? Je me rappelle disant à Bergery : «Je suis prêt à entrer dans ton anti-fascisme, parce que c'est le seul moyen de faire naître le fascisme. » Les communistes sont les frères masochi stes, faute de mieux, , des frères sadistes. Fais-moi mal puisque je n'ai pas la force de te faire mal. (De même l'inverti : encule-moi si je ne peux pas te baiser.) Quant aux socialistes, ce sont de s sous-vivants, n'en parlons pas. Vu Daladier sur l'écran. Son visage est définitivement stupéfait. Dans un visage tout en boursoufl ures retombées, deux yeux fixes de velléitaire mort depui s toujours et conservé dans l'alcool, regardent l'inexorable progrès de la débâcle. Au moins, lui la voit, Chamberlain ne la voi t pas. Chamberlain est devant la guerre comme un pharmacien devant Dieu. N'a jamais constaté cette présailles (1919), et rattachée à la Lituanie en 1924 avec un statut d'autonomie. Les Lituaniens y décrétèrent l'état de siège de 1926 à 1938. En décembre 1938, les Al lemands de Memel y ga gnèrent les élections avec une majorité de 87 %, alors que la ville faisait l'objet de contestations depuis l'arrivée au pouvoir des nazis. Le 22 mars 1939, la Lituanie rendit Memel à l'Allemagne. Les autres réussites « pacifistes " de Hitler sont évidemment la remilitarisatio n de la rive gauche du Rhin, !'Anschluss avec l'Autriche, la cession de territoires en Bohême el en Slovaquie après les accords de M unich.

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sence dans ses bilans de fin d'année. C'est le boutiquier anglais, méprisé par Napoléon, Dostoïevski, Nietzsche, dans sa suprême ossification. Dans cette totale momi fication de l'Occident, l 'énergie est représentée par deux marchands de tapis : Ben Elisha fils de Juifs marocains et Rothschild-Mandel 1 • Mais s'ils étaient à la tête, leur énergie critique ne serait plus rien. I ls rejoindraient les grands Juifs de désastre : Kerenski 2 (Garché était son vrai nom), les socialistes juifs d'Italie et d'Allemagne, Blum. H istoire juive qui me fut racontée par un Juif : Dans un conseil d'administration, trois Juifs et deux chrétiens. L'affaire marche bien. Les Juifs critiquent et aiguillonnent le gâtisme des chrétiens. Les deux chrétiens meurent et sont remplacés par deux Juifs. L'af­ faire périclite. Les Juifs sont réduits à se critiquer entre eux, ils se chamaillent et se perdent. Voir la pagaye en Palestine. - L'alliance entre Hitler et les Juifs se fera-t-elle? Elle est peut­ être déjà faite. Les Juifs deviennent défaitistes. Ils se sentent haïs ici maintenant autant que là-bas. Et si H itler leur promet de leur constituer un large État quelque part, en dehors de la Palestine ... De plus, ils veulent sauver leur position en Amérique en ne s'y présentant plus comme des fauteurs de guerre. Hollywood, entiè­ rement juif, semble mettre de l'eau dans son vin antinazi. Et puis il y a leur sentimentalisme pro-russe qui réveille leur sentimenta­ lisme pro-allemand. Les vieilles patries ont beau les battre, ce sont leurs vieilles patries. C'est là où ils ont mariné pendant deux mille ans. Une paye. - Le Pape aussi pourrait bien retourner sa soutane. Comme je l'ai prédit à la fin de Gilles, il faudra bien que le Pape s'entende avec César. Il l'a déjà fait avec la première figure de César : Mus­ solini '· 1. Leslie (Isaac), baron Hore-Belisha ( 1 893- 1 957). L'une des hautes figures du parti libéral de 1 923 à 1 940. Plusieurs fois secrétaire d'État, il devient min istre de la Guerre dans le gouvernement Chamberlain en 1937. Artisan d'une importante politique de réforme et de modernisation de l'armée, il démis­ sionnera le 4 janvier 1 940 à la suite d'une divergence d'appréciation sur I:i situation militaire fr,rnçaise : lui seul, en effet, s'est rendu compte de la fai­ blesse du secteur des Ardennes. Sa carrière politique en sera brisée même si, en 1 945, il est brièvement ministre de la Sécurité sociale dans le gouvernement Churchill. 2. Dans nombre de milieux de droite, Alexandre Kerenski (dont c'est le vrai nom), l'homme fort de la Russie dans le printemps 1 9 1 7 , était celui qui avait, malgré lui, préparé le terrain à la victoire bolchevique d'octobre 1 9 1 7. 3. Les accords du Latran (février 1 929) sanctionnent la réconciliation entre le Vatican et l'État italien.

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- Les Américains, devant César, avoueront ce qu'ils sont: un résidu de bagnards évadés, de transfuges de tout, de planqués un monde passé directement de la barbarie à la décadence, comme tous les empires des confins de la civilisation. Il y a tout de même plus de civilisation dans le séminariste Staline que dans ce sur­ Chamberlain mercantile qu'est Roosevelt. - Ce sera beau de voir après Daladier, le faux fort : Reynaud 1 • Je connais bien sa maîtresse, cette harengère marseillaise, Rebuffel devenue une quelconque comtesse de Portes. Elle voulait absolu­ ment le faire cocu avec moi vers 1 929, quand elle jouait encore les jeunes filles. Une personne d'une vulgarité atroce, d'une ignorance repoussante. Telle femme, tel homme. Politicien salonnard, finan­ cier inquiétant, avec de vagues lueurs sur la réalité du monde passé au fascisme et des velléités de s'adapter à ce monde. Mais tout incapable de le faire par ces vieux réflexes de politicard, d'éco­ nomiste bluffeur, etc... Sans doute, un des grands généraux ne vaudrait pas m ieux. Ce sont de petits fonctionnaires, plus trouillards que les politiciens parce que plus au fait de certaines choses. Quand je pense que j'ai espéré dans La Rocque 2, Doriot. On a beau faire, on est pourri par son milieu. - Le seul bon article sur Gilles, un article injurieux dans Le Mois du 1 er janvier-1 er février 1940, signé A ndré Perrin. Et encore c'est bien vulgaire. Et finalement, c'est une farce: « Le peuple français qui travaille prendra le temps d'interrompre sa tâche pour donner aux Gilles une leçon 5••• » Le chantage au brave type, connais ça. - Comme la France (cette entité artificielle, comme toutes les patries - la seule réalité, c'est la province) a gâché toutes les forces happées sur son pourtour: Corses, Bretons, Basques, Flamands, Alsaciens. Peut-être a-t-elle même gâché les Normands, les Gascons. Sûrement les Provençaux. Ce qu'il faut brûler dans un creuset pour obtenir un diamant: l'esprit de la Seine et de la Loire. I . Paul Reynaud sera effectivement président du Conseil ' i nvesti le 22 mars

1 940.

2. François de La Rocque avait fait des « Croix de Feu» un mouvement d'envergure, avant de le transformer en un parti de masse, le P.S.F. 3. Ce long article de treize pages est en effet très hargneux et d'une vulgarité de t� n certaine. li s�it pas à pas l'imrigue d!-' roman et l'on voit bien ce qui a plu à Dn_eu : la reco_nna1ssance que Gilles const_nue un document inégalable sur une cer�me génération, avec des accents parfois proches de Dostoïevski, l e génie en moms. La phrase ra pportée par Drieu n'est pas une citalion littérale mais elle rend bien le sens de la conclusion.

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- Quoi qu'on fasse, quelque défense mentale qu'on organise, on est victime de la propagande, toujours. Vingt fois j'ai constaté après coup que sur tel ou tel point j'avais subi l'influence de la presse et que mon jugement en avait été altéré. Par exemple, depuis la guerre j'ai cru dans l'efficacité du blo­ cus, les hésitations de Hitler (il n'attaquait pas, ayant voulu atta­ quer), la faiblesse irrémédiable de la Russie devant la Finlande. Et quoi encore?

20 mars

Chute de Daladier. Les « dictateurs » ne durent pas plus long­ temps en France que les vulgaires présidents du Conseil.Je déjeune avec Izard 1 , devenu socialiste il y a deux ans après avoir participé à tous les petits groupes pré-fascistes qui ne devinrent jamais fas­ cistes. Il fut de la Troisième Force, de Travail et Nation 2, avec Bergery, ne fut pas très loin de Doriot à ses débuts. Il me raconte la séance du Comité secret. Blum, Bergery, Frossard 3, Flandin ont attaqué, Tixier 4 aussi. On a été étonné du résultat massif, 300 voix contre. Il m'avoue qu'il ne sait à quel « chef » se vouer. Il y a fort peu de candidats, et aucun ne paraît satisfaisant. En dehors du parle­ ment, rien ; ni chez les militaires, ni chez les civils. On en revient toujours à Reynaud, qui semble maintenant anticommuniste. Je dis : « Reynaud fera n'importe quelle folie pour montrer qu'il est énergique. » Izard opine du bonnet. Après tout, peut-être ne fera­ t-il aucune folie, ni rien du tout. Il a vieilli, tout de même soixante­ trois ans. Et que pourra-t-il faire, si on ne change Chamberlain, aussi? Izard reconnaît que la situation diplomatique et militaire est

l. Georges Izard, philosophe et avocat, nê en 1 903, appartient à la nêbuleuse des non-conformistes des années trente ; il est l'un des fondateurs d'Esprit, crêe la Troisième Force, participe au mouvement frontiste de Berger,r., et en devient un des députês en 1 936 ; préoccupé par les dêrives de Bergery, 1I choisit d'adhêrer dans l'automne 1 937 à la S.F.I.O. 2. Nom d'un bimensuel crêê en 1 936 par Pierre Havard et d'un mouvement qui prônait la crêation d'un syndicat unique. 3 . Oscar Louis Frossard ( 1 889-1 946) fut le premier secrétaire gênêral du jeune parti communiste français, jusqu'au I "janvier 1923 ; il revint un peu plus tard dans la « vieille maison » et demeura à la S.F.I.O. j usqu'en 1 936 ; dépourvu de fonction officielle dans le dernier cabinet Daladier, 11 recevra le ministère de l'Information dans le gouvernement Reynaud. 4. Jean-Louis Tix1er-Vignancour, député d'extrême droite, a êté êlu en 1 936,

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complètement bouchée. Les Scandinaves et les Balkaniques sont complices de l'Allemagne contre la Russie, de même l'Italie. Les Turcs sont fort attiédis. Nous ne pourrons rien faire pour aider la Roumanie ni aucun Balkanique, tous sont à la merci de leurs pro­ tecteurs allemand et italien. Il ne croit pas à l'attaque allemande. Moi, j'y crois par instinct et raisonnement. Depuis un mois et plus. Hitler est sûr de la Rou­ manie, à quoi bon la conquérir, déclencher l'intervention russe et étendre son front? Pour avoir un peu plus de pétrole? À moins que la Russie ne veuille prendre ses garanties de ce côté-là aussi et lui fermer la mer Noire? Dans ce cas, la Hongrie pourvue de la Transylvanie deviendrait une al liée ouverte de H it­ ler. La Bulgarie pourvue de la Dobroudja deviendrait une alliée de la Russie avec qui elle jouxterait aux bouches du Danube. H itler aurait le protectorat sur la Moldavie et la Valachie qu'il atteindrait par un étroit couloir que Slovaques et Hongrois lui ménageraient? D'autre part, l'Italie s'ébranlerait et gagnerait Salonique, ce qui anéantirait la puissance turque en grande partie. Les Russes pourraient ensuite lancer une expédition légère en Perse? La Yougoslavie serait partagée aussi . Bref, toute l' Europe à peu près liquidée, Hitler se retournerait contre nous et fort de ces énormes effets moraux et matériels, nous lancerait un ultimatum. Il nous le lancera peut-être sans attendre tant. I l doit croire que nous sommes divisés et découragés. Il a encore une grosse supériorité d'aviation. Il peut espérer conquérir au moins la Hol­ lande et dès lors tenir l'Angleterre. Izard me dit que les socialistes sont guerriers. Le noyau d'Espinasse I et Paul Faure 2 serait en pleine désagrégation. Laval et Flandin prétendent qu'ils sont maintenant jusqu'aubou­ tistes. Bergery a fait comme d'habitude un discours violemment modéré, avec une arrière-pensée de paix de compromis. Nous n'allons sûrement pas avoir un vrai ministère, avec un vrai chef et quelques collaborateurs bien choisis. 1 . Nous n'avons p� trouver de parlementaire de ce nom. Il doit s'agir d'un lapsus pour Charles Spinasse, né en I 894, avocat, député socialiste de la Corrèze depuis 1 9 24, ministre de )'Économie dans le premier gouvernement Blum, et d u Budget dans l e second; pacifiste, i l sera l e premier député S.F.I.O. à se rallier au projet de révision constitutionnelle en juillet 1940. 2. Paul Faure ( 18 78-1 960), inamovible secrétaire général de la S.F.I.O. depuis 1 920, député de 1 9 24 à 1932 et depuis 1 938, s'oppose violemment à Léon Bl um à la tête de la tendance promunichoise et pacifiste du parti socialiste.

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21 mars s'é�ro� l� sa n s bru it. Il y a deux mois, Daladier, le h éros rad ical, il paraissait indé raci na ? le, �yant I op i n i on de l'armée et de l'arrière et un �f eutre, u n i ncroy pour lui. C'est un pusil) a m me able triple­ patte. Voilà tout ce qu a pu do n � er a la F:a nce depui s la g u erre I Jacob i n s : er des J:I n ot le bavard évasif et le parti radical héri tier s ns oubl_i er le C� autem ps 2 des Sta­ Daladier, le pleutre bou rru, : visky, et l'i n énarrable Sar raut de � a reocc upat1o n du Rhi n . Après cela o n pourrait tirer l'éch elle, ma_is 0� n� la tirera pas. alad ier Ue di s pse udo car je le soup­ La pseudo-maîtres se de_ D_ çonne d'être secrètem e n t pederaste) est une sotte du n om de mar­ quise de Crussol . C'es t la � l ie de marchan ds d� s�rdi n es e n conserves, du n om de Bézier. Peu t-et re a-t-elle du sa n g J uif. Elle avait un salon où je suis passé deux ou_ trois fois. S_' Y _entas saie n t les gens du mo n de avec les hauts domesti ques du reg i me et l�s littérateurs. O n y boursicotait ferme auto� r des valeurs du JOur : toujours chan­ gea n tes et toujours p� re1 lles. Les f�mmes n 'y étaien t pas jolies, pourta n t o n y arra n gea i t qu_elques petites copulation s da ns les coi n s. Cette marquise est d'un: ig n ora n ce �rasse en matière politique, i n capable de disti n guer m les choses m les gens de la pé nombre où elle voit tout. Pas bie n jolie, l'air sale et un peu battu, pas drôle du tout. Il y avait auprès d'elle le gros Arago 4, dégé n éré, cacochyme, zozotant, vétilleux, qui avait do nn é da ns le Fro n t Populaire et passait pour do n n er des co n seils à Daladier aussi poussif que fui. Mme de Fels, la maîtresse de Léger, paraît u n aigle et u ne gaie drôlesse à côté de ce rideau chiffo n né qui est la Crussol, blo ndasse, fade, l'œil bleu pâle, supplia n t, appela n t au secours des conseils pour son amant au gé n ie man qué. Le Reynaud vaut-il mieux? Après l'inertie, ce sera la frénésie, • 1 . t:'.douard Herriot ( 1 872-1957) a été pr�sident de la Chambre des députés de J 936 à J 940. Drieu en a donné u n portrait ravageur dans Gilles sous le nom de Chanteau. 2 . C:a � ille Chaute� ps ( 1 885-1963), une �01a_bilitê dl! parti radical-socialiste, dut dém,ss,onner le 27 3anv1er 1934 quand I alfa 1re Stavisky tourna au scandale politique. 3. Sur Albert Sarraut, cf. supra, p. 89. Il était à la têle du gouvernement, quand Hitler, en mai 1936, décida de remilitariser la Rhénanie. 4. Emmanuel Arago n'était en fait qu'un mondain qui se flattait d'influencer Daladier.

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le n'importe quoi pourvu que ça bouge. Cet homme-là inventera des désastres en plus de ceux qui nous sont normalement dus. Je l'ai vu chez Mme de Brissac (née Schneider) s'isoler ombra­ geusement dans un coin du salon avec ce vieux gaga de Paléologue 1 (descendant des empereurs byzantins!) auprès de qui il s'instruisait sur la Russie. Ça promet. li a paraît-il renvoyé Palewski 2 son chef de cabinet, son âme damnée, Juif polonais (récemment naturalisé?). On dit qu'il est maintenant contre les bolchos. On verra. Peut-être bien que d'ac­ cord avec les Anglais il va tout faire pour renouer avec eux - par exemple, élargir le parti communiste qui n'est déjà pas très à l'étroit. Les gens soupçonnés de sympathies allemandes vont passer un mauvais quart d'heure... Reynaud a des vues claires, n ettes, mais assez raides. Il croit connaître le monde actuel à la différence des autres qui savent qu'ils l'ignorent. Mais tout cela ce sont des lumières salonnardes. li est probable qu'il va faire éclater la guerre. C'est ce que souhaitent sans doute Laval et Flandin qui l'attendent au tournant. Reste Mandel dans l'ombre. 24 mars Est-ce que je continue à croire à l'attaque a llemande pour a vril ou mai? Oui, je crois que Hitler est sûr de notre décomposition politique encore plus après ces séances de la Chambre, or c'est d'après cette sûreté qu'il attaquera. D'autres disent : « Il laissera la décomposition faire son œuvre derrière la ligne Maginot. » Moi, je dis qu'il la croira tellement avancée qu'il puisse attaquer. Il sera sûr de la neutralité bienveillante de Mussolini, de la neutralité assez durable de Staline. Et pour le cas où Staline contre­ atta querait, il aura Mussolini en réserve. Est-ce que Mussolini ne va pas prendre la Grèce pour neutra­ liser les Turcs, empêcher l'intervention alliée dans les Balkan s? C'est à lui à agir. Ainsi il fermerait le débouché des Détroits aux Russes dans l'avenir pour le cas o ù Hitler leur livrerait la Bessarabie 1. Probablement Maurice Paléologue ( 1 859-1 944), ambassadeur en Russie de 1 9 1 4 à 1 9 1 7 et secrétaire général des Affaires étrangères en J 920. 2. Gaston Palewski, qui occupait effectivement une place de choix dans l'en­ tourage de Paul Reynaud, allait rejoindre en 1940 Charles de Gaulle à Londres.

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et les joindrait aux Bulgares. Or il serait plus près d'intervenir en faveur de la Roumanie et de la Hongrie contre Hitler si celui-ci voulait en assurer l'intégrité contre le communisme. Ne va-t-il pas y avoir de la part de Reynaud et de Frossard une nouvelle tentative pour ramener les Russes dans notre camp? Cela ne les amènera-t-il pas à livrer la France aux communistes. On va voir l'issue du procès communiste. . . Les Russes ont tout intérêt â nous redonner le goût de leur alliance au moins en sous-main. Après les votes sur Daladier et Reynaud on sent la France aussi divisée qu'au temps de Munich. Il y a plusieurs factions et personne ne sait comment défendre la cause qu'il défend.

26 mars Beloukia est désemparée, morne. Cette femme ne peut rien sans amour et je ne lui en donne plus. j'en suis désolé et chaque fois que je pense à sa déception mon cœur se serre. Continue-t-elle à me tromper ? Ou y a-t-elle renoncé? Ou n'a-t-elle pas d'occasions? Elle souffre aussi bien de me tromper que de ne pas me trom­ per, et aussi d'en ressentir le besoin. Sa tendresse pourra-t-elle résister à tant d'assauts? Son cœur ne va-t-il pas se durcir ? Je pense parfois que je devrais m'effacer pour lui permettre de revivre; mais alors je la sens si seule, si pitoyable. Elle est au fond très isolée dans la vie, sans amitié vraie, sans occupation, sans consolation, si ce n'est moi. li y a conflit entre son tempérament et sa délicatesse qui ne lui rend pas agréable de faire l'amour sans amour. Elle qui a provoqué de vives passions peut-elle se contenter de moins? Peut-elle encore provoquer de vives passions? Je le sou­ haite pour elle. Moi qui ai été si jaloux, je ne sens plus qu'une infinie tristesse â la voir se débattre dans la pénurie de caresses où je la jette. Mais une langueur terrible s'est peu à peu appesantie sur moi. Comme je suis puni de ma débauche et de ma bestialité. U ni­ quement par rapport à elle. Car s'il n'y avait elle je serai parfai­ tement tranquille les trois quarts du temps de n'être plus dérangé par le désir de ma réflexion. Ah, si mon cœur était plus tendre, plus chaud, plus ingénieux, elle ne souffrirait pas de ma tiédeur sensuelle. Mais je pense trop 1 65

pour sentir assez ... Je pense mal si je ne sens pas bien en même temps. Je souffre de ne pouvoir lui communiquer mes pensées, mes idées, l'intéresser à tout ce qui me passionne intimement. De là des silences qui doivent lui faire croire à ma froideur. Je l'aime tant pourtant d'une tendresse si constante. A cause d'elle, je ne puis me livrer à aucune autre amitié de femme. Non, je ne puis la quitter. Ne sont-elles pas terribles, les aven­ tures d'une femme de plus de quarante ans 1 ? Ne sont-elles point déchiran tes pour le cœur? N'a-t-elle pas besoin de moi pour la consoler, veiller sur elle? Et pourtant elle me fait vivre dans une assez terrible solitude, qui n'est pas choisie. - Reynaud, est-ce vraiment la guerre? On en doute encore. N 'est-ce pas du bluff? Où peut-on se battre? Nulle part. Trop tard pour faire une diversion en Russie. Nous arriverons trop tard dans les Balkans. Peut-être que la guerre navale et aérienne s'envenimant entre la Scandinavie et la Belgique, la guerre terrestre finira par se développer dans cette zone.

28 mars Les œuvres s'usent. Vu hier au soir L'Otage de Claudel à la C[omédie] F(rançaise]. Les parties grossières de l'œuvre commencent à saillir sous le regard apprivoisé du public et la rapprochent de Madame Sans-Gêne. Pourtant, ne les faut-il pas pour véhiculer ces magnifiques dialogues, le féodal du l" acte et le chrétien de la confession au 2• acte. La pièce est mal construite et s'en va à la débandade. Centrée au début sur Georges, elle se déplace autour de Sygne ensuite puis glisse à Turelure. D 'autre part, cette pensée ferme par en dessous est parfois accablée sous une sorte de redondance du raisonnement. Il y a à la fin du I "' acte une discussion sur le principe démocratique qui m'a échappé. Mais partout fulgurent des images et des pensées qui ressai­ sissent le public et le tiennent en haleine. La salle était bien prise 1 . Christiane Renault était née en 1 8 95.

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par ce texte pourtant difficile. Il est vrai que tout cela est devenu d'une extraordinaire actualité: Napoléon = Hitler. Si l'Église n'avait pas les écrivains catholiques que deviendrait­ elle? Ce sont eux maintenant les Pères. Et que furent les Pères, si ce n'est des écrivains? Je ne parle pas de Mauriac, mais de Claudel, de Bernanos. Qui sait, de Céline? 31 mars 1 - Importance des mille ans: dans I'Avesta 2, Héraclite, la Sibylle, Nietzsche, Platon, mille ans est la durée d'une civilisation dans sa fleur en effet. 900-1900. - Le monde est petit. La puissance des Juifs est suspendue à l'empire anglais. Mais si celui-ci les lâchait, ils n'auraient plus que les Etats-Unis qu'ils perdraient aussitôt, car la puissance des Juifs dans un pays n'est due qu'à l'idée qu'on s'y fait de leur puissance universelle. Or, les Anglais perdent plus en Europe qu'ils ne gagnent à leur alliance avec les Juifs. Sans les Juifs, le royaume angevin pourrait re�evenir une pureté. - A peu près terminé la composition du livre Ecrits de jeunesse Corrigés, comprenant Interrogation, Fond de cantine, La Suite dans les Idées, le jeune Européen. Sera-t-il censuré par les soins de M.Julien Cain? Je me suis remis à mon essai : « La Conception du corps dans )'Histoire. » Premier de la série : « L'Esprit du xx• siècle». Le second sera:« La Conception du chef.» Le troisième:« Dieu et les dieux !.» Écrirai­ je La Fausse Couche 4? 3 avril Mussolini mobilise dix classes de la flotte. Il a un million d'hommes sous les armes. Il commence la démonstration de prin­ temps que j'attendais. Ah, comme nous aurions dû l'attaquer en 1. La page est titrée : journal intime pendant la guerre (!I• liasse). 2. L'Avesta: écrits mazdéens des anciens Perses, attribués à Zarathoustra. !I. On peut noter des points communs entre ce projet et les Notes pour comprendre

u siècle, op. cil.

4. Ce titre peut désigner ce qui deviendra la nouvelle «Journal d'un délicat» (dans Histoires dlplaisanùs, op. ciL).

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septembre dernier. Les Anglais ont-ils assez de troupes à la fron­ tière d'Abyssinie. Mussolini est en réserve contre Staline, mais si Hitler craint trop le retournement de Staline, il appellera au secours Mussolini qui fait une démonstration sur le front occidental pour y faciliter une rapide offensive de Hitler en Belgique, Hollande, Danemark. Quid, si Staline entre en Suède et Norvège? 5 avril

- Passé un instant au Salon. Tous les « moyens » sont là, la seconde classe. Des choses délicates, trop faibles même pour être délicates, car il faut encore de la force pour tracer l'arabesque de la délicatesse. Là s'avoue bien l'impuissance de l'époque quand elle ne se masque pas derrière l'extravagant ou qu'elle ne se précipite pas tête baissée dans la destruction (Picasso). Matisse qui a renoncé à l'extravagant en grande partie délimite bien la faiblesse du temps. À peine a-t-il encore la force d'être délicat. Rouault nous donne tout le grincement de l'effort dernier avant l'affaissement. Derain n'est qu'un adroit et assez chaleureux arrangeur de réminiscences. Le seul à son aise dans tout cela c'est Picasso,juif ou levantin - qui tire parti au maximum de son adresse, de son intelligence, de son mimétisme, du cambriolage d'anciens trucs au milieu du chaos revenu. Un bon artisan émacié : Segonzac. Autre artisan : Luc-Albert Moreau, encore robuste dans la gravure (nul dans la peinture) et possesseur d'une vision. Les derniers venus, Boris 1 • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • c'est l'agonie.

9 avril

Enfin la guerre commence. À la ridicule petite « initiative » anglaise - la première depuis le début et si faible - arrive en avalanche la réplique allemande 2 toute prête, plus que prête.

1. Un blanc dans le manuscrit. 2. Pour empêcher !"importation en Allemagne du fer suédois, les All iés envi­ sagent une action en Scandinavie qui se prêcise début avril par des notes aux gouvernements suédois et norvégien. Le 7 avril, Hitler réplique en débarquant des troupes en Norvège et en s"emparant de !"aérodrome d'Oslo avec des para­ chutistes. Le 9 avril, il envahit le Danemark qui doit s'incliner, alors que les troupes anglaises commencent tout juste à s'embarquer.

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Coup terrible pour l'Angleterre et les alliés. Peut-être peuvent­ ils y répondre. Les détachements allemands jetés en Norvège ne sont peut-être pas nombreux et peuvent être contre-attaqués avec des moyens de fortune. J e dis de fortune car je suppose que le mouvement allemand n'a pas ét� prévu dans cette ampleur! Mais la véritable réplique, ce serait d'entrer dès aujourd'hui en Belgique et Hollande. Si nous ne le faisons pas, nous sommes perdus. Le sort de la guerre va se décider cette nuit. D'autre part, que va faire la Russie? Ne va-t-elle pas s'élancer sur le fer de Suède? Alors, cela va être la course des deux amis pour le partage. La Finlande et la Suède vont lutter pour garder le fer aux Allemands. Ou la Suède va-t-elle fa ire la guerre à la fois à l'Allemagne et à la Russie? Et Mussolini ne va-t-il pas bombarder N ice et Marseille, dès demain ou après-demain? L'Amérique va regarder tout cela; elle paiera un jour. • Certes, les alliés ont encore des atouts : contre-attaque en Nor­ vège et en Hollande, victoire sur l'Italie, entrée dans la mer Noire. Sans doute Staline va-t-il faire de nouveaux pas contre la Fin­ lande, contre la Roumanie. Alors l'Allemagne aura de bien vastes fronts à défen dre. À ce moment, Staline pourra commencer à devenir inquiétant pour elle, mais si tard. H[itler] arrivera avant lui sur le fer suédois, point capital, et si Staline remue au Sud avant lui sur les bouches du Danube. Le jour où l'Allemagne sera sur la mer Noire, l'étoile rouge commencera à pâlir sérieusement. Si Staline avance contre la Finlande les Scandinaves vont être de nouveau dans la main de l'Allemagne? Si Mussolini marche avec H itler, c'est que Staline n'est pas sûr. La réaction à tout cela des gens à qui l'on parle est lamentable : la catégorie de l'action a totalement disparu de l'esprit français. I ls ne peuvent même pas se représenter ce qui leur tombe sur la tête. Quant à imaginer des actions venant d'eux-mêmes. . . ! L'idée d'en­ trer en Hollande ne s'impose pas à eux ... JO avril

R igueurs printanières Ô sèves guerrières Scande le talon 169

Hurle le canon Les dieux du Nord descendent Contre eux qu'est-ce que prétendent Des totems oubliés Des charmes repliés? ô grands arbres de nos bois En vain vous disiez la loi Du rude justicier Éternel saisonnier Sur le lit des feuilles mortes Il avance les cohortes Des terribles renouveaux Colorant d'autres drapeaux 1 La Scandinavie ne voudra pas être un champ de bataille, elle préférera se garder pour la défense contre la Russie sous l'égide de Hitler. L'Islan de, le Groenland sont terres danoises. H itler devien t voisin du Canada, des États-Unis. Les événements avancent de nou­ veau avec la rapidité de la foudre. Que von t faire Staline et Mussolini aussi surpris que nous? - C'est ce moment que choisit Jouvet pour me dire que sa maîtresse et leading lady aime beaucoup Charlolle Corday et voudrait la jouer. Au milieu de quelles ruines sera jouée cette pièce écrite à la gloire de la dernière Normande et de la dernière héroïne noble? Pourrais-je écrire encore la nomenclature des nymphes qui ont hanté la ramure de mes rêves? Les perpétuerai-je, comme disait l'autre. Leurs formes annonçaient dans mon esprit celles des idées sacrées qui s'avancent à grands pas. Comme en 19 17 , dan s Interrogation je chantais les horreurs languides de la paix au-delà des horreurs exaspérées de la guerre, aujourd'hui je vois le silence définitif, la somnolence séculaire de l'Europe au-delà de ce dernier spasme de virilité. H itler vainqueur tombera de son haut. Il ne verra plus sous lui qu'une masse à j am ais aplatie. Cela va nous faire une charm ante civilisation doucement pour­ rissante com me la chinoise ou l'hindoue, avant la venue des Euro! . Une version légèrement différente de ce poème a été publiée dans Plaintes

conlrt inconnut (op. ciL), dans la section « Poèmes de la Loi », n• VIII.

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péens, ou celle des Incas. On verra les pédérastes allemands se promener fardés dans les rues de Paris ou de Moscou. Tous les pleutres de la droite et de la gauche grouillent dans les couloirs de la Chambre et du Sénat. Ce ne sont pas les juifs du ministère de l'Information qui sauveront la France.

11 at•ril Il y a toujours en moi un goût de la catastrophe,de la défaite. j'ai reporté sur la France la défaillance de l'être en moi. Mais si je suis ainsi, la France doit être ainsi puisque je porte la Fn:nce dans mes veines et que leur pulsation dit prophétiquement la santé de la France. Le temps des patries est passé. Never more. Plus jamais de France -ni d'Allemagne. Je sens que tout va se confondre dans une Europe, être nouveau étrange qui nous paraîtra monstrueux, forcément. Tout craque, tout tourbillonne. Les petites nations vont dis­ paraître à jamais, et les plus grandes seront encore trop petites. . Danemark, Norvège, Finlande, Suède, à la fosse _commune, après l'Autriche, la Bohême, la Slovaquie, la Pologne. A d'autres. Hégémonie de l'Angleterre ou de l'Allemagne... ou de la Rus­ sie(?). De cette dernière,je doute fort,je la crois même absolument impossible. Staline remue. Que va faire Mussolini? Ô Printemps énorme et dévorant. Adieu, vieilles formes pourries. Disparaissent les der­ niers gouvernements socialistes d'Europe. C'est déjà çal Et aussi quelques royautés, quelles larves royales.

12 avril Il n'est pas confirmé que les Anglais aient débarqué en Norvège septentrionale. Donc il apparaît déjà que les Allemands vont garder la Norvège méridionale, ce qui leur suffira sans doute pour assurer le transport du fer, car désormais la Suède et la Finlande cernées sont à leur merci. Staline ne réagit pas, il abandonne Petsamo 1• Cela démontre 1. Petsamo est un port finlandais du Grand Nord qui peut servir de base pour bloquer le port soviétique de Mourmansk. En fait, ce sont les Franco-Bri­ tanniques qui ont songé à s'en emparer : c'est le plan Petsamo.

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sa faiblesse de façon décisive. Il n'essaie pas de conquérir le débouché sur l'Atlantique, il se laisse boucler mieux que jamais dans la Bal­ tique et la mer Blanche. Ainsi est prouvé qu'il n 'est pas un danger, même seulement éventuel, pour H itler. Donc l'Allemagne triomphe sur toute la ligne. Les Anglais, même s'ils le peuvent, doivent hésiter à établir une force en Nor­ vège septentrionale difficile à ravitailler. Ce serait un n ouveau Gallipoli. Et nous n'entrons pas dans les Pays-Bas, ce qui serait la seule « réplique » foudroyante et de saine stratégie. La France périt par où elle a péché. Par la S.D.N. Elle a donné une importance mensongère à tous ces petits peuples de dimensions périmées, à l'âme rétrécie qui maintenant la déçoivent cruellement en lui opposant leur pusillanimité petite-bourgeoise. La Suède est l'image immonde des petites nations, des petites démocraties. Et la Hollande I qui nous empêche d'entrer chez elle en est une autre non moins immonde. U ne fois de plus la démocratie est trahie par les démocrates. Les derniers gouvernements social-démocrates agonisent et foutent le camp comme les autres ont fait avant eux. Voilà ce qu'il advient de ces délicieuses oasis du socialisme libéral qui faisaient pâmer d'admiration les tartufes de la plouto-démocratie comme MM. Detœuf 2 (de l'Alsthom) et de Tarde (de S.N.C.F.) dans leur petit torchon des Nouveaux Cahiers. Et ce descendant d'un général jacobin, le roi de Suède, est digne des autres descendants des Jacobins. -J'étais fait pour être un bourgeois mesquin, un intellectuel claquemuré et ricanant - comme le Frédéric Moreau de Flaubert deven u le Des Esseintes de Huysmans. Mais là-dessus est arrivé l'exemple américain. De là, la dis torsion grotesque de ma vie. Si je recommençais ma vie, je me confinerais dans la philoso­ phie et l'histoire des rel igions. La littérature n'est intéressan te que pour les hommes de génie. 1. Il s'agit bien plutôt de la Belgique. 2. Auguste Detœuf ( 1 883- 1 947), ancien polytechnicien, alors directeur géné­ ral d' Alsthom, et auteur d'un livre qui fit date, Les propos d'O.L. Barmw11, conj1seur, se réclamant du planisme, préconisait une politique économique volontariste, moderniste et organisée. Il présidera, pendant la guerre, le Comité d'organisation du matériel électrique. Il est l'animateur des Nouveaux Cahiers, une revue men­ suelle, publiée par Gallimard de mars 1 937 à avril 1 940 et à laquelle collaborèrent François Mauriac, Jean Paulhan, René Cassin.

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17 avril J'ai achevé de me fâcher avec Bernstein. Cela ne s'est point passé dans des conditions très brillantes pour moi. Je manque tout à fait d'esprit de répartie et devant quelqu' un qui m'attaque je reste médusé. Mon égocentrisme, mon introversion, mon dolo­ risme, ce sont autant de clous qu'un seul coup de marteau enfonce en moi pour me fixer dans la stupéfaction, quand quelqu'un me lance un mot un peu dur. Au lieu de chercher et de trouver promptement une réponse, n'importe laquelle mais bien clairon­ née, je me sens aussitôt coupable et tombe dans une rêverie verticale sur la vérité possible, probable de ce qui m'est reproché. j'avais déjà eu une collision avec Bernstein il y a de longues années, dans un dîner chez Jacques Pore! 1 • j'avais été au-dessous de tout. Comme J. Pore! parlait devant B[ ernstein] du livre que je venais de publier avec cette admiration un peu nigaude de l'amateur peu éclairé et qui choque tellement l'homme de lettres à qui elle n'est pas adressée, B[ernstein] s'écria : « L'Homme couvert de femmes! Qui a écrit un livre avec un titre aussi grotesque. » Je n'avais pas su réagir et j'avais plongé mon nez dans mon assiette, en rou­ gissant comme un collégien dont la mère vient de découvrir qu'il n'est plus puceau. B[ernstein] voyant sa gaffe et ennuyé m'avait tendu la perche pour que je puisse relever le gant qu'il m'avait lancé par mégarde, mais je m'étais confiné dans un silence obtus qui avait consterné tout le monde. « C'est ennuyeux que Drieu ne réponde pas quand on lui dit quelque chose de désagréable, s'était écrié B[ernstein] en désespoir de cause. On aimerait l'entendre. » Silence. Bien sûr, il n'avait pas pu effacer toute ironie et tout dédain dans ses paroles. En suite, après le dîner, il était venu me parler gentiment et s'excuser presque. j'en avais fait dans les mois et les années suivantes une véritable maladie. Cette fois-ci l'affaire est plus longue et d'un caractère plus vilain. Dans un dîner chez les Castellane-Anchorena, en 1939, B[ernstein] m'avait jeté fort venimeusement : « Ça vous ennuie, la France se relève.» Je m'étais fort décontenancé et je lui avais fort °

1. Jacques Porel, journaliste et écrivain, était le fils de ! actrice Réjane.

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péniblement répondu : « Si je vous réponds sur le même ton, le dîner ne va pas être agréable. » C'était fort insuffisant. Ensuite, je ne l'avais guère rencontré et à chaque rencontre évité. Cette année, je dînais chez les Cossé-Brissac, elle me di t qu'il va venir après le dîner. Je m'écrie que je ne veux pas le voir et que je m'en vais. Mais je le rencontre dans l'escalier et comme il me dit : « Vous me battez froid »,je bafouille une vague dénégation­ après lui avoir serré la main. Dimanche, je le rencontre dans un restaurant. Le voyant entrer alors quej'attendais une table dans le couloir d'entrée, je lui tourne le dos, il vient à moi et me ten d la main. Je lui donne la mienne. Il s'écrie : « Vous me donnez la main, alors que vous dites que vous êtes fâché avec moi. » J'ai répondu, mais pas ce qu'il fallait, pas drôle, pas sec, pas net. Je me suis lancé dans des explications embrouillées, « Il y a un an vous m'avez dit des choses parfaitement désagréables ... » A la sortie, je l'ai attendu et j'ai essayé de me rattraper.J'ai été désagréable à souhait, mais sans grâce ni esprit - sauf le trait final. M'étant éloigné de lui, après lui avoir déclaré que j'estimais dégoûtant son procédé de la main tendue comme un piège, je sui s revenu et lui ai crié : « Comme j'ai l'esprit de l'escalier, je ne vous dis que maintenant le principal : " Votre dernière pièce est très mau­ vaise ", » Cela fut dit sur un ton faussement doctoral assez réussi . Il m'a répondu une chose assez adroite, mais sur un ton assez démonté : «' Votre dernier roman est channant. » Je suis parti avec une impression fort pénible d'avoir été piteux. La vérité, c'est que je ne sui s et ne serai jamais à mon aise dans un salon ni dans un endroit public où règne une certaine convention. Mon premier tort est de fréquenter, si peu que ce soit, des milieux où tout me paraît faux et mensonger. Il me faudrait un cran et un humour bien extraordinaires pour les traverser san s dommages. j'y parais, grognon , effaré e t insolite. On se deman de non sans raison pourquoi je suis là, puisque je ne joue pas bien le jeu et que je ne sais pas remplacer ce jeu par un autre qui serait de casser les vitres avec beaucoup d 'éclat. Sans doute, s'inclinerait­ on aussitôt et m'accorderait-on le privilège d'une spécialité. D'ailleurs, hors du monde, devant des camarades je suis tout aussi flan chard et embrouillé dans les petites choses de rencontre. Il y a donc en moi un fond de lâcheté certain. C 'est la rançon de mes longues solitudes qui ont développé en moi des disposition s 174

inverses de celles qui permettent la réussite dans la vie de société. La vie de société d'aujourd'hui ne mérite pas d'ailleurs les efforts qu'il m'aurait fallu faire pour m'y adapter. J'aurais mieux fait de me situer franchement en dehors de toute mondanité et officialité. Cela m'aurait donné plus de prestige parmi les intellectuels. Mais par ailleurs j'ai horreur d'une certaine ignorance des contacts que décèlent la vie et l'œuvre d'un homme comme Gide. En tous cas, j'aurais pu voyager quelque temps dans le monde, puis m'en écarter une fois pour toutes. Je pourrais le faire encore. Cocassement, je n'ai guère parlé dans mes livres que de ce monde que j'abhorre, méprise et ne connais peut-être même pas très bien. C'est encore une de mes positions fausses. Mais on ne fait son expérience humaine qu'en sautant de position fausse en position fausse. Le fond de toute ma timidité et de ma lâcheté, c'est que je n'ai aucune réaction physique. J e suis un lymphatique nerveux où toute décharge nerveuse s'enfouit dans l'intérieur où elle fait son ravage, au lieu d'inciter les muscles et de produire des détentes extérieures. Et puis, il y a eu ce sentiment d'infériorité que j'ai eu au collège qui venait de la solitude où j'avais vécu dans ma famille et des ennuis qui accablaient cette famille. J'ai été élevé dans un milieu socialement supérieur où j'ai dominé par l'intelligence, jamais par la sûreté des manières. Après cela, vint le sentiment de mes péchés, de mes crimes, de mes tares. Je remarque pourtant une différence dans ma réaction entre les deux incidents Bernstein : après le premier, j'étais tout à fait à bas parce que je doutais de valoir quelque chose. Aujourd'hui, l'assaut plus violent me laisse moins désemparé, parce que je sais que malgré les anicroches, je vaux quelque chose. Et non seulement littérairement, mais moralement. Je sais que j'ai de l'honnêteté, de la droiture, de la fermeté, de l'indépendance dans l'âme. Dans l'ensemble j'ai du caractère, mais foutre pas dans le détail.

19 avril

Gallimard est venu me trouver, il est ennuyé que je me sois entièrement écarté de la N . R.F. depuis que Paulhan y a accueilli

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Aragon, sa femme (et Giono qui ainsi fait figure non plus de phi­ losophe pacifiste, mais de défaitiste communisant). j'ai assez fer­ mement soutenu mon attitude, mais sans ardeur suffisante. Je regrette amèrement d'avoir vingt livres chez cet homme qui est un plouto-anarchiste, toujours attiré par la peur à gauche et qui me semble décidément aux mains des Russes avec tout son personnel. Mais si je n'étais chez lui, où serais-je? Les autres éditeurs sont aussi contaminés ou médiocres. En tous cas, je suis bien décidé à ne plus mettre les pieds à la N . R.F. où dominent les Juifs, les communisants, les anciens sur­ réalistes et toutes sortes de gens qui croient en principe que la vérité est à gauche. Moi,je crois qu'elle n'est absolument pas dans les vieilles gauches ni dans les vieilles droites, que pour le moment elle n'est nulle part en France, si ce n'est comme une lueur offusquée par bien des préjugés habituels dans la poignée d'hommes qui s'obstinent à maintenir ce pays dans une attitude de combat - et encore je ne compte parmi eux que ceux qui n'y ont pas un intérêt international Uuifs ou francs-maçons). En tous cas, Paulhan a pris parti pour Aragon contre moi", I) en refusant de publier la 2• partie de Gilles concernant Aragon, 2) en publiant au contraire poèmes défaitistes et romans and. bourgeois d'Aragon, plus les notes de la femme d'Aragon, Elsa Triolet,Juive bolchevique et de guépéou, 3) en publiant les regrets de La N,R,F, de voir la suppression de Commune 1 • Schlumberger va-t-il se joindre à moi pour protester contre cette attitude de La N.R.F. ? Il n'y collabore plus, non plus, Tout cela d'ailleurs est d'un intérêt bien éphémère, car y aura• t-il encore une littérature française après cette guerre? Je crois toujours que le ciel va s'écrouler sur nous et que la décadence ne fera que se précipiter, Quand Hitler se sera solide­ ment assuré la Norvège, il passera à la Suède, mais en aura-t-il besoin? La Suède est entièrement à sa merci. Ensuite, cela va être le partage des Balkans qui va entraîner la guerre générale. Un matin, sans un mot d'avertissement, 1 . Fondée, en 1933, par Paul Vaillant-Couturier et Louis Aragon (auquel allait succéder Jacques Decour), Commune était l'orsa, ne officiel et très onhodoxe de l'Association des Écrivains et Artistes révoluuonnaires. Henri Barbusse et Romain Rolland y collaborèrent, ainsi que Gide jusqu'à la publication de Retour dt l'U,R.S,S en 1936,

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500 avions italiens sur Marseille. Bien sûr, nous ne prendrons pas les devants. The next step ne peut pas se faire sans l 'intervention de l'Italie, que ce soit l'attaque sur la ligne Maginot ou le partage des Balkans,

24 avril Je viens de passer deux jours en Normandie, aux Andelys où je vais souvent. Aussitôt que la pluie s'est étendue, je n'ai pas pu rester et suis rentré à Paris, J'aurais pu supporter et goûter cette tristesse si dans l'hôtel je n'avais été parqué avec de vieilles Anglaises qui gueulaient des platitudes dans un cockney insolent.. Je ne puis plus endurer la promiscuité ; c'est pourquoi l'armée est devenue impossible pour moi, J 'ai pu pourtant un instant saluer mes belles forêts normandes. Que ne suis-je poète pour pouvoir les chanter? Ou même seulement avoir des yeux, un nez, des sens pour pouvoir saisir leur présence persistante entre Paris et Deauville, C'était presque la première fois que j'allais à la campagne depuis la guerre, Un merveilleux et terrible silence règne dans ces villages, La guerre, c'est la suprême exaspération de la ville qui achève de dévorer les derniers paysans. Tous ces villages ; l es Andelys, Lyons sont charmants en dépit de toutes les ordures que le « tourisme » a déposées sur eux. Je me suis senti incapable de retraite ailleurs qu'à Paris. En province, je sens trop l'œil des gens sur moi. Il me faudrait une maison tout à fait isolée, mais cela existe-t-il ? Un mur bien clos. Belou m'a promené deux fois. Bonne, tendre, mais opaque. Terriblement liée par ses devoirs, la routine de ses sens. Et pourtant notre tendresse est plus forte que tout,

28 avril Dimanche, Les longues journées de dimanche où je suis seul et enfermé, Le dimanche est par excellence mon jour de solitude, Je me vautre dans la solitude, saturé de sommeil, de rêverie, de lecture et quelquefois d'écriture, Longue messe, rite monotone, Cela va mal en Norvège, Les alliés devancés n'ont pas réagi avec l'ampleur voulue, avec cette extrémité de moyens et de risques

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qUi devient de plus en plus indispensable. Trondheim I va-t�il être relié à Oslo? S'il en est ainsi, la N orvège sera pratiquement perdue. Et aussitôt cela va être le déclenchement des Balkans et de l 'Italie. L'Amérique arrivera bien tard avec ses avions en juillet au moment de l'assaut de la ligne Maginot. La seule riposte saine à l'attaque par l'aîle en N orvège était de foncer au centre en Belgique et Hollande, Mais n ous n 'avions pour cela ni l'audace morale, ni les réserves de munitions et d'avia­ tion nécessaires. Première erreur : n'avoir pas attaqué l'Italie en septembre. Deuxième : n'être pas entré dans les Pays-Bas en avril. La situation est très grave. La Suède est cernée. Dès que le golfe de Bothnie sera libre, elle tombera comme un fruit mûr. Mais peut-être par crainte de la Russie s'inclinera-t-elle devant l'Allemagne:? Autour de Trondheim nous avons manœuvré contrairement à toutes les règles par petits paquets qui sont pri s classiquement entre la place et l'armée de secours. 29 avril

Paulhan m'écrit une lettre presque ouvertement injurieuse, sous prétexte de me demander l'autorisation de publier un article de moi qu'i l détient dans ses tiroirs depuis cinq mois. Il déclare que La N.R.F. doit accueillir les écrivains après leurs incartades politiques pourvu qu'ils n'y persévèrent pas : cela ne me paraît pas le cas d'Aragon, lequel est plus communiste que jamais. D'autre part, il me dit que si La N.R.F. n'était pas ainsi in dul­ gente elle devrait consi dérer "' comme suspect entre les suspects » moi qui ne suis "'guère loin de considérer le triomphe de la démocratie comme

un recul de la civilisation ».

Je lui réponds que Aragon était un agent international au service de l'étranger et que moi je soumets mes préférences en politique intérieure à mon obédience nationale. Il est vrai qu'il en est ainsi, mais que ce n 'est pas sans effort de ma part. Il y a des moments où je suis près de désespérer de la France quand je la vois tomber si irrémédiablement aux main s de 1 . À dHaut de pouvoir contrôler Trondheim, un nœud de commun icati on vital, les Franco-Britann iques débarquèrent au Nord, à Namsos, et au Sud à Aandelsnes.

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la clique franc-maçonne et juive et toute livrée à une conception de la vie de plus en plus étroite et de plus en plus invétérée. D'autre part, le problème n'est plus France-Allemagne ni démocratie-fascisme. Les patries ne survivront pas à cette guerre, elles seront noyées dans une fédération européenne dominée ouver­ tement par l'Angleterre ou l'Allemagne, et en tous cas dans cette fédération internationale on fera à outrance du socialisme bureau­ cratique et de l'autoritarisme policier. l" mai

La liaison allemande entre Trondheim et Oslo est établie. Horreur. Cela implique que les troupes qui restaient entre Stôren et Rôros sont anéanties et qu'il ne nous reste en Norvège que deux têtes de ponts à Aandalnes et à Namsos, séparées l'une de l'autre par des centaines de kilomètres. 2 mai

La nouvelle se confirme. Le Figa ro laisse entendre ce matin que nous devrons peut-être évacuer la Norvège. Je pense à la figure grotesque de P. Reynaud, ce petit plouto­ démocrate qui se raidit et se gonfle pour faire figure en face des hommes qui ont travaillé et voulu depuis vingt ans, sans arrêt. P. Reynaud a eu quelques lueurs attrapées on ne sait comment dans les couloirs de la Chambre et les salons, lueurs tout à fait insuffi­ santes et totalement inutiles. Quand on pense qu'il y a autour de lui des figures comme celles de ce Juif polonais dont j'oublie le nom, son chef de cabinet, à la figure pustuleuse, à la main rafleuse, au rire immonde - et ce pauvre gros Emmanuel Arago, hérédo aux idées éparses, et cette fille vulgaire, indiscrète et ignorante de tout qui s'appelle la Comtesse de Portes. Malheur. Sur l'écran on voit la sinistre figure juive de Frossard, demi­ juif, ex-agent de Moscou, bas politicien véreux. Le pauvre Lebrun I pioche la terre pour imiter Mussolini.

1. Albert Lebrun ( 1 87 1 -1950), polytechnicien, député modéré, sénateur, plu­ sieurs fois ministre, succéda à Paul Doumer comme président de la République en mai 1 932 ; il sera réélu à cette fonction en 1 939. li manquait effectivement de caractère et de personnalité.

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- Soir. On apprend l'évacuation d' Aandalnes. Tristesse, dou­ leur. Je souffre dans mon orgueil de Nordique occidental. Voilà donc ce qu'est devenue l'Angleterre d'Oxford et de Westminster. 3 mai

j'ai rompu avec La N.R.F. qui est dans l'ordre littéraire et artistique ce qu'est le parti radical dans l'ordre politique : un timide abandon ou une sournoise inclination vers le communisme. Mais je ne serai pas suivi : les gens de l'extrême droite (?) rêvent d'y entrer ou y sont déjà. La Revue I de Thierry échouera parce qu'elle ne prendra position nettement. Kléber Haedens et Blanchot sont rongés de surréalisme. Maulnier de modérantisme radical et juif. La Maison Corrêa qui soutient la revue doit être protestante ou juive, de Suisse. Je sens ma solitude aussi bien que jamais. - La menace de l'intervention de Mussolini a forcé à se rem­ barquer les troupes alliées du sud de Trondheim, après la pression de l'armée et de l'aviation allemande. Ainsi Mussolini joue bien le rôle que je prévoyais cet hiver 2• - Curieux retour : tous les scions du sémitisme sont réunis : christianisme, islamisme, franc-maçonnerie. Mais il y a aussi tout autre chose dans le christianisme : l'hellénisme et la synthèse de toute pensée antique de l'Inde à la Gaule. - Qu'est-ce que les Juifs ont apporté à la France? Dans l'ordre des lettres et des arts, la moitié de Bergson et de Proust et c'est tout qui soit vraiment de qualité, bien que l'écriture de ces deux hommes ne soit qu'une savante recomposition, l'effet d'une volonté sans cesse retendue. Aucun jaillissement authentique de la verve traditionnelle. Leur entrée en scène n'était possible qu'après l'ap­ parition de la littérature concertée, du style travaillé, de la langue morte embaumée, depuis Flaubert. Mais lisez une page des derniers écrivains naturels de la France - Beyle (je prétends que Beyle écrit bien), Vigny, Musset, Michelet, Barbey, Montherlant - et vous laisserez retomber les pages adroites mais froides de Bergson et les pages industrieuses de Proust. L'un et l'autre ont utilisé avec un grand discernement et une grande

1. La Rruu,française de Thierry Maulnier. 2. Drieu se trompe : la menace d'une intervention mussolinienne ne joue aucun rôle dans le reph des forces franco-britanni q ues : faute de soutien logistique, les positions des Français et des Anglais étaient devenues intenables.

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diligence tout l'acquis de la littérature et de la philosophie, mais ce n 'est que reconstitution et adaptation aux besoins bien calculés du temps. M ontaigne? M ais les Juifs étaient autre chose dans ce temps­ là, surtout les Juifs d'Esp agne. Ils s'étaient profondément arrangés avec une civilisation. Ils s'étaient faits en même temps qu'elle et au même rythme qu'elle, ils n'y étaient pas soudain apparus en intrus. Et la famille de Montaigne avait été longuement filtrée à travers les mœurs de la catholicité et de la noblesse française. Hors cela, rien que de la petite monnaie, de la littérature « parisienne » de bas-étage : H alévy 1, Porto-Riche, Tristan Ber­ nard, Bernstein, Benda et cinquante autres (cf. journal de Gide) ou de la philosophie de seconde zone - ou de la musiquette. Une tradition mineure qui n 'est qu'une routine vulgaire. Suarès est la caricature du génie manqué. 6 mai Déjeuné le 4 avec une demoiselle secrétaire de Daladier et cet Emmanuel Arago, conseiller (?) de P. Reynaud. Avec son intelli­ gence vacillante et lâche, il cède à la nouvelle vague de pessimisme et offre son patron à nos ironies. I l nous confie volontiers que c'est P. Reynaud désireux de réagir p ar quelque coup de tête à l'apathie de Daladier qui a poussé les Anglais à poser les mines sur la côte de Norvège. Ensuite, grand étonnement devant l'action allemande toute prête et sautant sur le prétexte. Arago me décrit une journée de Dimanche de P. Reynaud. Le matin il téléphone à plusieurs hommes politiques pour se faire féliciter du combat de Narvik 2 • Ensuite, il déjeune à la campagne avec sa maîtresse, Hélène Rebuffel dite de Portes, Emmanuel Arago et quelques autres. Après-midi bavardages, arrivée de Minou de Montgomery qui tâche d'être sa favorite, après l'avoir longtemps été de cet affreux Prouvost 5, le propriétaire de Paris-Soir qui livre

1. ttant donné le contexte, on peut penser à Ludovic Halévy (1 834-1908), auteur, avec Meilhac, de vaudevilles et surtout de nombreux livrets d 'opérettes à succès d'Offcnbach, plutôt qu'à l'historien Daniel Halévy, préfacier de Mesure dt la France de Drieu. 2. Le 12 mai, légionnaires et chasseurs alpins allaient investir Narvik, qui tomba seulement le 28. 3. Jean Prouvost (1 885-1976), industriel du textile, homme d'affaires, direc­ teur général de Paris-Soir et de Paris-Midi, sera nommé le 5 juin par Paul Reynaud, ministre de !"Information et deviendra, le 19 juin, Haut-Commissaire à la Pro­ pagande française. 181

son journal et l'opinion française aux J uifs. Vers dix heures R[eynaud] va faire un tour au Quai. Et pen dant ce temps -là notre industrie piétine faute de matières premières et à cause du va-et-vien t de la main-d'œuvre, n otre avia­ tion manque de pilotes et d'avions de bombardement (absence totale d'aviation d' assaut). L'aviation est livrée par Laurent-Eynac 1 ijuif?) à Lazare Weiler des moteurs Gnôme et Rhône, sur le point d'être arrêté il y a quelques mois pour tractations avec l'Allemagne. Dans l' aviation, me confie un aviateur, on ne sait pas se servir de la photo aérienne, les avions de bombardement au début étaient affreusement démodés et la séparation des vieux pilotes d'avec les jeunes a livré ceux-ci à leur inexpérience. N ous avons perdu 80 pilotes contre les Allemands 40 (quelques tués, beaucoup de prisonniers). On croit autour du gouvernement aux « hésitations » de l'I talie. Mais ne sont-elles pas que dans leur imagination? Mussolini se débarrassera du roi au besoin 2 , au nom de la révolution socialiste, et de l'aristocratie. Le parti défaitiste ici va+il relever la tête contre Reynaud? Je déteste et méprise tous ces pleutres du centre-droit : Flandin , Laval. Bergery (demi-Allem and ne l'oublions pas) n égocie avec Laval, mais il voit aussi Reynaud qui pourrait bien retourner ' sa veste. Arago au fond ne croit pas â la guerre et de par sa n ature de dégénéré travaille obscurément â la paix d'aban don . Fabre-Luce sans doute aussi. Léger, qui passe pour russomane et antifasciste acharné, est capable de louvoyer et de renverser sa direction . . . Quant aux généraux, terrés dans la ligne M aginot, ils savourent ce prétexte à ne rien faire. La ligne M aginot grande cause de faiblesse après l'alliance russe. Plutôt signe de faiblesse, n ous avons fait la ligne Maginot pour fixer notre désir secret de démission. Ce qui est plus stupéfiant que la démission française, c'est la démission russe (et la démission italienne). Ainsi donc il y avait au fond du bolchevisme la même lâcheté originelle que dans la social­ démocratie. Bien prouvé par le mot d'ordre de Lénine débarquant à Petrograd et la paix de Brest-Litovsk 5• J. André Laurent-Eynac (1 886-1970). avocat, député puis sénateur radi_cal, occupa de nombreux postes ministériels : il était ministre de l'Air dans le cabinet Reynaud, où il se classa parmi les partisans de la continuation de la lutte. 2. On sait que cette hypothèse ne se réalisera pas. 3. Le traité de Brest-Litovsk, signé le 3 mars 1 9 1 8, entre la Russie soviétique

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Les Juifs ont l'air de flancher en ce moment et de préparer leur bagage. Ou espèrent-ils s'arranger avec Hitler? Il a été prouvé en Norvège qu'il n'y avait pas d'armée anglaise et qu'il y en aurait encore moins que dans l'autre guerre. On [n']improvise pas une armée, surtout moderne. Pauvre France chérie. Le temps est fini des patries. Les hit­ lériens ne sont pas des patriotes, mais des sectateurs d'une Europe qui est déjà au-delà des disciplines abstraites du x1x• siècle - les­ quelles remplaçaient déjà fort mal les mœurs encore spontanées de l'Europe monarchiste et aristocratique. Finis, nationalisme et socialisme aussi bien que libéralisme et capitalisme. Nous allons vers l'énorme et monstrueux syncrétisme des fins de civilisation. Je n'ai jamais aimé l'Empire romain avec son fatras de races, de religions, de philosophie, ce pandémonium bientôt débile. -Je me suis longuement promené dans un Luxembourg déli­ cieux qui repoussait loin de ses grilles d'un geste tout-puissant de sa branche fleurie les maléfices de la ville. Je songeais aux hommes du front tourmentés par l'acier et qui vivaient la vie dangereuse et austère que j'ai chantée et mise au­ dessus de tout. Et moi je me promenais à petits pas, lisant une étude sur Matisse. Déjà dans l'autre guerre j'ai goûté de ces contrastes. Mais le contraste n'est plus que dans mon imagination, non dans ma chair. Ma jouissance n'est pas cynisme. j'ai un sens si animal des triomphantes injustices et contradictions dans la vie. Je suis heureux de n'avoir pas été volontaire pour passer cet hiver dans une armée encasernée au front et toute livrée au sadisme bureaucratique. Par chance, j'aurais eu deux ou trois semaines de la vie de patrouille, pourtant. Mais cette table d'hôte qu'est la popote, et les chefs et les copains : tout cela n'est suportable que dans la grande tourmente et encore? Lutter sans cesse contre l'envie des hommes de n'être rien du tout, d'être des cailloux avec l'espoir qu'on ne marchera pas sur eux ou que les cailloux ne sentent rien (ce qui est infiniment faux). Une belle carrière de martyr s'offrait à moi, si j'avais pris parti contre la guerre. Mais un martyr, c'est un personnage officiel. Et puis, je ne suis pas contre la guerre. Il fallait que cette guerre ait lieu. (qui abandonnait 800 000 km1 et un quart de la population de l'empire russe de 1914) et 1• Allemagne, incarnait pour la droite la trahison bolchevique de l'alliance franco-russe.

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7 mai

La France est une république judéo-française. Chaque cor­ poration, chaque institution a ses Juifs. Par exemple, la Presse.

Le Ma(m - S� propriétaire - Directeur Bunau-Varilla Juif sud-américain publicité : Sapène propriétaire: Cotnareanu - Juif roumain rédacteurs : Le Figaro - 1 Bauër (Guermantes) fils d'un Juif allemand commu­ nard Reynaldo Hahn, Brussel, Warnod Paris-Soir - Rédacteurs : Mille, Gombaud, Lazareff PoP,ulaire - Blum et quarante Juifs L'Epoque - argent juif, journal ouvertement prosémite Bauër L'Europe Nouvelle - argent de Raymond Philipp L'Œuvre - encore Lederlin? Le Petit journal - Les Juifs P.S.F. 1

u

Matin de Bunau-Varilla était en nette perte d'audience en 1939 (de 1. 1, 1 million d'exemplaires en 1 9 1 8 à 320 000 en 1939). Porté par la vague natio­ naliste de la guerre, il était devenu de plus en plus favorable aux régimes tota)i­ taires, de même qu'il avait évolué vers la droite extrême; organe ultra-munichois, il se rallia après 1940 à la politique de la collaboration. Après la mort en 1934 de son ancien mari, François Coty, propriétaire du Figaro, son épouse divorcée Yvonne Le Baron fit valoir ses droits et contrôla le journal ; elle était alors remariée à l'homme d'affaires roumain Léon Comareanu. Lucien Romier fut nommé directeur ; Pierre Brisson, directeur littéraire devint co-directeur en 1 936 et gagna de plus en plus d'influence. Les tirages qui avaient beaucoup baissé remontèrent à 80 000 exem plaires en 1939. L, Figaro suivait alors une ligne politique de droite modérée et dénonçait les dangers de la politique hitlérienne. Paris-Soir atteignait les deux millions d'exemplaires en 1939. Orienté à gauche à l'origine, Paris-Soir avait été racheté par Jean Prouvost en J 930. Assez neutre politiquement, le journal devait son succès au brio d'une équipe rédactionnelle stable et au mélange d'une orientation populaire (illustrations, faits divers) et de collaborations occasionnelles brillantes sur le p lan politique ou littéraire. . Le Populaire, porte-parole des socialistes français, vivait difficilement et tirait à 160 0_0 0 exemplaires en 1939, L 'Epoque se voulait "grand organe catholique d'infonnation ,., À l'origine, on y trouve Henry Simond et Henri de Kerillis, Le journal vécut péniblement, aidé de subventions diverses, venues entre autres de Louis Dreyfus, de la banque La� rd, de Georges Goy, mais aussi du Comité des Forges. li tirait à 80 000 exemplaires en 1939, Kerilhs y combattit vigoureusement la politique de Hitler et Munich, et il prôna l'alliance avec !'U. R.S.S. Fondée en 19 1 8 , dirigée un temps par Louise Weiss, l a revue L'Europe nouv�lle accueillit des collaborations de Jacques Doriot, Alfred Fabre-Luce, Pierre Dneu la Rochelle; en 1938, un changement de rédaction sous la direction en chef de

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Les revues -

Europe -

Argent juif 1

La N.R.F. collusion avec Moscou?

Louis Hirsch, directeur commercial Benda, très influent sur Paulhan Suarès, Wahl, Gabriel Marcel, Benjamin Crémieux

Les Éditeurs : Calmann-Lévy La Revue Critique Corrêa? Les agences de Presse (très important) Fournier 2 Radio 5 Havas (Stern)

7 mai - Ce sont ces radicaux, ces socialistes, ces Juifs qui parlent d'humanisme et d'humanité et de sentiments humains, moyenne­ ment humains et d'humble et scientifique vérité qui nous imposent en guerre - et d'ailleurs aussi dans la paix par des moyens plus détournés et plus sournois, le convenu officiel de leur presse, le ton bénisseur de leurs discours, Je mensonge énorme de leur hypo­ crisie vis-à-vis de ces méchants qui toujours détournent l'Allemagne d'aimer la France qu'ils ont faite. Pertinax en lit un organe antimunichois. Pierre Brossolette, Oscar-Louis Frossard, H ubert Beuve-Méry y collaborèrent. L'Œutw tirait à 274 000 exemplaires en 1 939 et représentait en gros les différents courants radicaux. Ses premiers commanditaires furent Jean Hennessy et le filateur Lederlin, sénateur des Vosges. Lt Ptlil joumal tirait à 178 000 exemplaires en 1 939. Il était passé en 1 937 sous la dépendance de la banque Neuflize et constituait depuis cette date l'organe ofliciel du Parti Social Français, le parti du colonel de La Rocque ; il eut des collaborations brillantes d'André Siegfried, de Gabriel Hanotaux, de Jacques de Lacretelle, de Daniel-Rops. 1. Europt, fondée en 1 923 et patronnée à ses débuts par Romain Rolland, se situait nettement à gauche. Benjamin Crémieux et Emmanuel Berl faisaient partie de son équipe dirigeante. Elle publiait régulièrement des articles d'Aragon et de Jean-Richard Bloch. 2. L'Agence Fournier avait été absorbée en 1 938 par !'Agence économique et financière, dirigée par Robert Bollack. 3. L'Agence Radio, fondée en 1 904 eut une existence très agitée ; elle devint en 1937 un satellite de Havas sous la direction du député socialiste Crugy.

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Tout d'un coup toute la radicaillerie et le social patriotisme se réfugient, s'engloutissent, se perdent dans La Revue des Deux Mondes et l'Académie. On s'aperçoit que tout cela c'est la même chose. (Évidemment,je ne parle pas pour moi qui sais cela au moins depuis l'affaire Stavisky, moi qui hélas ne l'avais pas vu assez clairement dans l'autre guerre, ni après.) L'hypocrisie, l'infatuation insensée, encrassée, indécrottable de cet îlot de démocrates français et anglais qui couverts de reculs, de reniements et de défaites continue à chevroter dans le noir pour se donner du courage. -Quand deux Juifs, Ben-Elisha I et Rothschild-Mandel seront au pouvoir et essaieront de galvaniser ce qu'ils ont lentement depuis des années émasculé . 8 mai

j'ai été tenté [comme]2 tout le monde par les internationales et même plus que la plupart, d'une façon plus poignante, car je sentais aussi fort le lien avec la vieille patrie que l'attirance pour de nouveaux desseins plus larges et mieux mesurés aux conditions du xx• siècle. Mais dans les moments où je me sentais le plus entraîné par la divagation, l'erratisme, où je me sentais même déjà quelques adhérences charnelles à un tout plus vaste, une prudence me retenait. Elle me murmurait quelques mots d'une pertinence indubitable par quoi je pressentais que toujours la masse décisive de mes réflexes et de mes réactions me ramènerait à ce seul centre de gravité : la France. Ceci m'a retenu tour à tour sur les chemins de la mystique sociétaire, et du fanatisme du Komintern et de la complicité fasciste. Et par ceci je sens bien que ma sensibilité me fait rétrograder par rapport à ma pensée et me ramène au niveau arriéré du Français moyen. Mais la sagesse est d'ajuster ses pensées à ses réflexes. Du moins quand on est plutôt un artiste qu'autre chose, quand on ne peut vivre et produire que dans la chaleur d'un milieu. - Il est bon que durant cette guerre, je n'écrive à peu près nulle part, car je dirais des bêtises et je m'enfoncerais dans le compromis avec toute cette immense lâcheté, je ne dirais pas de la 1. Voir p. 159, note I. 2. Le manuscrit porte par erreur: par.

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presse dont on [n']attend rien que le pire et le plus bas, mais des revues, du monde des intellectuels, cette immense lâcheté qui est pire que le naïf cynisme des écrivains de l'autre guerre. Cette immense lâcheté fait qu'ils ne disent m ême pas les énormes bourdes de leurs devanciers. Ils se contiennent, ils se [surveillent 1 ), ils ne veulent pas qu'on les trai te de sous-Barrès. M auriac serre surtout assez bien les fesses ; le sentiment de son catholicisme démoniaque et négatif, de son obscure pédérastie, le souvenir de son embuscade dans l'autre guerre tout cela lui fai t une manière de discipline qu'il a pourtant pas m al enfreinte dans ses articles de Paris-Soir au début de la guerre. Le Duh amel est beaucoup plus relâché. Ses émotions, ses inquiétudes, ses gémissements ressemblent bien à ceux d'une vieille douairière dans l'autre guerre, quand il écrivait Cit•ilisation 2 . D'ailleurs, la crème tournée de cet ouvrage tolstoïen ne valait pas mieux que ses propos d'académicien 1 94 0. Par malheur, j'écris encore un peu dans LP PPtit Dauphinois, dans le j{P] S(uis] P[artout] (oh bien rarement) dans cette Rn•uf FrançaÎSP de Maulnier. C'est en core trop. Dans la NaciANT : 225. AKl5TIPPF. : 45 1. AKl5TOTF. : 374, 44 1 , 442,450,454 ,458, AitLAND, Marcel : 289, 290, 291. A1t1t1CH1, Victor : 278. AUUIBF.RTI, Jacques : 349. Aucus-rt: : 8 1 , 122, 149, 193, 262. AUMONT, Jean-Pierre : 89. AuP1CK (général) : 447. Au1t1c, Georges : 106, 107, 108. Au1t1c, Nora : 1 07. Avr.1t1tot.s : 6 1 , 63, 385, 386, !192, 43 1. AvMARI>, André : 156. Azt.MA (architecte du palais de Chaillot) : 247. Azt.MA, Jean-Pierre : 67. BACH, Jean-Sébastien : 225, 42!1. BACON, Francis : 45 1 , 456. BACON, Roger : 45 1 , 456. BADOGLIO, Pietro : 258, 349, 356, 406. BAIN, Alexander : 456. BALDF.NSPF.RGF.R, Ferdinand : 3 1 6. BALZAC, Honoré de : 103, 106, 120, 129, 306, 369, 375, 445. BARBEY o'AuRF.VILLV, Jules : 137, 180, 263, 4 1 3, 43 1 , 443, 445, 453. BARBUSSE, Henri : 1 2 1 , 176. BARtRE DE VIEUZA, Bertrand : 137. BARRAS, Paul : 137. BARRt.s, Maurice : 100, 103, 1 04, 14!1, 1 87, 246, 366, 368, 372, 373, 42 1 , 445, 446.

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BARTHt.LF.MV, Victor : 300. BATAILLE, Georges : 202. BAUDELAIRE, Charles : 103, 1 04, 1 23, 1 35, 32 1 , 323, 324, 347, 348, 367, 375, 393, 395, 404, 4 1 3 , 4 1 8, 422, 425, 426, 432, 44 1 , 443, 445, 447, 448, 449, 453, 482, 492. BAUDOIN, Paul : 4 1 , 208. BAUF.R, Gérard : 54, 1 42, 143, 1 44, 1 45, 1 84, 246, 263. BF.AUCHAMP (comtesse de) : 202. BF.AUMONT, Paule de : 1 02. BF.DAUX, Charles : 376. BF.LLAV, Joachim du : 443, 445. BF.LOUKIA, voir RF.NAULT, Christiane. BF.NDA, Julien : 88, 1 36, 1 46, 1 8 1 , 1 85, 189, 202, 245, 246, 305, 3 1 4. BF.Nt.s, Edvard : 35 1 . BF.N EusHA, Leslic : 1 59, 186. BF.NOIST-MtCHIN, Jacques : 305, 3 1 5, 402. BF.RGF.RV, Gaston : 42, 85, 87, 1 58, 1 6 1 , 162, 182, 3 1 1 . BF.RGSON, Henri : 56, 57, 146, 180, 190, 356, 36 1 , 452. BERKELEY, Georges : 444, 446, 45 1 , 454, 456. BF.RL, Emmanuel : 8, 103, 1 2 1 , 185, 204, 225, 347. BF.RNADOTTF. : 357. BF.RNANOs, Georges : 1 06, 1 2 1 , 1 45, 167, 203, 245, 295, 3 1 4, 356. BF.RNARD (saint) : 457. BF.RNARD, Tristan : 146, 1 8 1 , 1 89. BF.RNIF.R, Jean : 82, 1 2 1 , 288, 381 , 4 1 8, 432. BF.RNSTF.IN, Édouard : 1 08. BF.RNSTEIN, Henry : 54, 56, 94, 146, 1 73 , 1 7 5, 1 8 1 , 189, 2 1 2, 239, 244, 245, 246, 305. BF.RNSTEIN, Robert : 108. BERTHELOT, Philippe : 206, 207. BF.sNARD, Emma (dite I'« Algérienne ») : 1 9, 28, 32, 74, 96, 1 1 9, 321 , 370, 373, 377, 429 ; Pauline : 1 36. BwvE-Mt.RV, Hubert : 1 85. Bt.21 ER (père de la marquise de Crus­ sol) : 163 . B1ARDEAU, Madeleine : 68. BIBF.Sco, Marthe : 3 1 2.

BILLAUD-VARENNE, Jean : 1 37. B1sMARCK, Otto von : 80, 275, 370, 4 1 4, 452. BLANC, Alexandre : 1 27. BLANCHOT, Maurice : 1 80. BLOCH, Jean-Richard : 87, 1 85, 373. BLov, Léon : 230, 23 1 , 236, 3 1 6, 4 1 3, 43 1 . BL0CHER, Gebhard Leberecht : 357. BLUM, Léon : 94, 95, 1 46, 1 59, 1 6 1 , 1 62, 1 84, 1 90, 198, 2 1 5, 255, 258, 264, 335. BoAs, Claire : 2 1 0. BOEHME, Jakob : 3 1 1 . BornM, Paul Waldemar : 3 1 3 . BOGAERT, Lucienn,e : 82. Bo1GNE (comtesse de) : 388. '\ Bo1LEAu (architecte du palais de Chaillot) : 247. BOLLACK, Robert : 1 85. BONALD, Louis de : 263. BONAVENTURE (saint) : 457, 458, BoNCOUR, Joseph Paul : 255. BONNARD, Abel : 277. BONNIER DE LA CHAPELLE : 3 1 8. BoRDEAUX, N icole : 23, 73, 82, 1 02, 1 38, 1 3 9, 1 42, 1 4 3 , 1 87, 202, 223, 236, 24 1 -242, 370, 373, 382, 430, BoRGES, Jorge Luis : 1 43 , 293. BoRGIA (famille) : 1 26. BoR1s, Georges : 89, 1 68, 1 98. , Bossurr, Jacques Bénigne : 226, 263, 435, 445. BouD1N, Eugène : 443, 445. BouLANGER (général) : 190. Bou RDt:T, Denise : 76, 144, 1 5 1 . BOURDET, Édouard : 76, 1 08, 1 1 5, 1 16, 144, 1 50, 3 1 7. BouRDET (les) : 145. BOURGES, Élémir : 43 I . BouRGET, Paul : 1 20. BOVER, Jean : 204, 2 1 9, 4 1 8. BRADER : 264. BRASILLACH, Robert : 77, 1 08, 203, 246, 277, 342. BRETON, André : 1 07, 356, 4 1 3 . J, BRiANo, Aristide : 402. 1 • BRINON, Fernand de : 108. BRISSAC, M m< de : 1 64. BRISSON, Pierre : 1 43 , 1 45, 1 84.

510

BRIZON, Pierre : 1 27. BRONTF., Emily : 1 87. BROSSOLETT'F., Pierre : 1 85. BROWNING, Robert : 425, 45 1 . BRUNSCHWICG, Léon : 435. BRUSSEL : 1 84. BuNAU-VARILLA, Maurice : 145, BU RKE, Edmund : 225. BuRNOUF; Eugène : 443. BuRNOUF, Jean-Louis : 443. BYRON, George : .347, 450, 45 1 , CABANIS, Georges : 457. CAETAN1, Cora : 2 1 , 1 87,

CHAUMEIX, André : 207. CHAUTEMPS, Camille : 163, 403. CHENAL, Marthe : 24. CHIAPPE, Jean : 254. CHODERLOS DE LACLOS, Pierre : 443. CHURCHILL, Winston : 44, 1 59, 1 94,

1 84.

2 1 1 , 276, 298, 306, 320, 328, 409, 4 1 2 , 470, 474.

CIANO, Galeazzo : 1 3 1 . C1NGRIA, Charles-Albert : 202. CLARK (général) : 357. CLAUDEL, Paul : 59, 100, 103, 1 1 4,

452.

340, 370, 375,

378.

CAGLIOSTRO, Giuseppe Balsamo (comte de) : 374. CAHEN-SALVADOR, Georges : 146. CAILLOIS, Roger : 1 43. CAIN, Julien : 95, 1 46, 167, 2 1 5. CALMANN-LF.vY : 1 85. CALVIN, Jean : 445, 447. CARBUCCIA, Horace de, : 245. CARLU, J. : 247. CARLYLE, Thomas : 225. CARNOT, Lazure : 1 37. CASANOVA : 29. CASSIN, René : 1 72. CASTELLANF.-ANCHORENA : 173. CATHALA, Pierre : 339. CAzO-n-E, Jacques : 207. CtuNF., Louis-Ferdinand : 3 1 , 39, 54,

1 67 , 203, 2 1 6, 245, 246. 8 1 , 280, 304, 3 1 0, 4 1 4,

Ct.sAR, Jules :

4 1 7, 432.

CHADOURNF. (les) : 242. CHAMBERLAIN, Arthur Neville :

74, 1 58, 1 60, 1 6 1 , 1 88, 1 94, 472. C1-1 AMBRIAND, Frédéric : 352, 380. CHAMFORT, Sébastien de : 104 ' 367 ' 443• 445. CHAMSON, André : 77, 92, 94. CHARDONNE, Jacques : 1 42, 277. CHARLES QUINT : 4 1 6. CHARLES Xll : 45, 2 8 1 . CHARLES-Roux, François : 207. CHATEAUBRIAND, François René de : 80, 366, 368, 39 1 , 4 1 4, 443, 445. CHATEAUBRIANT, Alphonse de : 334, .. 342, 402.

1 1 6, 1 2 1 , 166, 167, 203, 236, 263, 293, 295, 3 14, 366, 368, 373, 402, 4 1 3, 445. CLEMENCEAU, Georges ; 4 17. CLt.MENT, Philippe : 65, 94. CLO'l'IS, Josette : 347. CLOVIS : 344. CocrEAu, Jean : 76, 107. COLERI DGE, Samuel Taylor : 422, 425, 427. CoLETrE (Sidonie GABRIF.LLF.) : 101. COMBELLE, Lucien : 406. COMTE, Auguste : 226, 445, 452, 457. CONDILLAC, Étienne Bonnot de : 202203, 452, 456. CONSTANT, Benjamin : 366-367, 391 . CONSTANTIN ; 1 56. CoNY, voir WAsH, Constance. CoRDAY, Charlotte : 83, 1 1 1, 137. CORDIER (abbé) : 318. CORNEI LLE, Pierre : 137, 443, 445. COROT, Camille : 452. CORTOT, Alfred : 88, 89. Cosst.-BR1ssAc : 174. CoTNt.A RU, Léon : 145, 184, 245. CoTY, François : 287. CO'rv, Yvonne (née LE BARON) : 145,

184.

CouTHON, Georges : 1!17. CowARD, Noe( : 1 15. CRt.M1EUx, Adolphe : 190. CRt.MIEUX, Benjamin : 136, 185. CRt.MIEUX, Francis : 345. CREVEL, René : 107. CROMWELL, Oliver : 194, 4 1 4, CRucY : 185. CRUSSOL (marquise de) : 16!1, 207.

51 1

DALADIF.R, Édouard : 7, 38, 79, 86, 92, 94, 1 23, 1 24 , 1 58, 160, 1 6 1 , 1 63 , 1 65, 1 8 1 , 1 9 9 , 206, 2 1 0, 249, 254, 258, 264. DANI F.L•ROPS : 1 85. D'ANNuNz10, Gabriele : 1 04, 436, DANTF. ALIGHIERI ; 452, 457. DANTON, Georges Jacques : 1 37. DARLAN, François : 2 1 9, 275, 278, 286, 287, 304, 305, 3 1 8, 376. DAUDF.T, Léon : 93, 1 0 1 , 203. DAUMAL, René : 392, 424, 442. DAUPHIN, Jean-Pierre : 68. DAVIU, Pierre : 143. DAYF., Pierre : 334, 336. Dt.AT, Marcel : 240, 266, 286, 302, 308, 342, 3 6 1 . OF.BUSSY, Claude : 445. DF.couR, Jacques : 1 76. OF.GAS, Edgar : 188. DF.GRF.LLF., Léon : 242. DF.LACROIX, Eugène : 1 88, 443. DF.LBOS, Yvon : 256. DF.LONCLF., Eugène : 188, 443. DF.Mf.TRIUS POLIORCt.TF. : 4 5 1 . Df.MOCRITF. ; 45 1 . DF.NYS L'ARf.OPAGITF. : 36 1 , 374. [!F.RAIN, André : 168. DF.SANTI, Dominique : 29. 32. DF.scARTF.S, René : 1 09, 226, 356, 372, 425, 436, 445, 452, 453, 456. DFsru·rr DF. TRACY, Antoine : 457. DF.TOF.UF, Auguste : 1 72, 245. OF.VAL, Marguerite : 3 1 7. DIUF.ROT, Denis : 445. D1U1F.R, Béatrice : 1 1 , 26. D1sRAF.L1, Benjamin : 56, 57, 190. DoLLFus, Florence : 68. DORIOT, Jacques : 86, 93, 1 23, 1 33, 1 60, 1 6 1 , 1 84, 245, 272, 282, 286, 289, 296, 300, 302, 303, 306, 308, 3 1 5 , 3 1 6, 3 1 8, 32 1 , 339, 342, 36 1 , 389, 390, 395, 4 1 1 , 4 1 2, 430, 500. Dos-rolF.VSKI, Fiodor : 82, 1 2 1 , 1 34, 1 59, 160, 329, 375, 379, 382, 404, 4 1 7 , 482. DOUMERGUF., Gaston : 26 1 , 265. DRAIN : 1 1 5. DREYFUS, Alfred : 94, 190.

DRF.YFUS, L.L. (Louis Louis-DREYFUS) : 1 84 , 2 1 0. DRIEU, Jean : 7 , 64, 69, 1 1 0, 380, 3 8 1 , 44 1 , 49 1 . DRUMONT, Édouard : 55. DuHAMEL, Georges : 1 87, 245, 270, 3 1 7. DuLuN, Charles : 1 9. DULLIN, Marcelle : 1 8, 1 9, 28, 74, 96, 1 1 8, 330, 370, 373, 376. DuNs ScoT, John : 456. EcKART, Johann (dit Maître) : 3 1 1 , 43 1 . EISENHOWER (général) : 303. ELUARD, Paul : l 07. ELYS, France : 1 1 5 . ENGHIEN, Louis (duc d') : 3 3 5 . ÉPICURE ! 2 5 7 , 450. EPTt NG, Karl : 407. EsPINASSE (Charles SPINASSE?) : 1 62. FABIEN (colonel) : 270. · FABRF. D'ÛLIVET, Antoine : 374. FABRE-LucE, Alfred : 85-86, 87, 1 1 4, 182, 1 84. FABRE-LucE, Robert : 236. FAIVRE, Antoine : 68. FARGUE, Léon-Paul : 1 9. FAULKNER, William : 400, 436. FAURE, Paul : 1 62. FA\', Bernard : 1 08. FF.CHNER, Gustav Theodor : 453. Ftu1ER, François : 68. FF.LS (M ... de, née UE CUMONT) : 1 63 , 207. Ff.NELON, François : 366, 443. FF.RNANUEZ, Ramon : 245, 246, 277. FEUF.RBACH, Ludwig : 453. FEUILLET, Octave : 1 37. FtcHTF., Johann Gotlieb : 444, 453. FLANUIN, Pierre-Étienne : 1 28, 1 6 1 , 1 62, 1 64, 18 2. FLAUBF.RT, Gustave : 1 37, 1 72, 1 80, 193, 443, 445, 448. FLORIAN, Jean-Pierre : 366. FocH, Ferdinand : 47 1 . FONTENELLE, Bernard Le Bovier de : 443, 445. FONTENOY, Jean : 288. FoucHt, Joseph : 95. FOURNIER (agence) : 1 8 5. FRAGONARD, Jean Honoré : 1 0 1 .

512

FRAIGNF.AU, André : 277. FRANCE, Anatole : 227-228, 366, 445. FRANCO BAHAMONDE, Francisco : 56, 94, 266, 348. FRANÇOIS o·Ass1sF. : 457. FRt.DE:IUC I l : 80, 280, 452. FRF.SNAY, Pierre : 3 1 7. FRF.un, Sigmund : 330. FR1scH, Edmond : 207. FROSSARD, Oscar-Louis: 1 6 1 , 1 65, 1 79, 185, 204, 2 1 2. GALBA, Servicius Sulpicius: 1 1 3. GALLIMARD, Gaston : 1 75 , 227, 238, 246 ; (les) 300. GAMELIN, Maurice : 200, 206. GAUDAPADA : 383, 403, GAUGUIN, Paul : 404. GAULLE, Charles de : 38, 54, 164, 20 1 , 253, 254, 257, 306, 3 1 8, 350, 352, 354, 360, 36 1 , 375-376, 388, 403, 4 1 7 , 467-468, 470, 4 71-472, 506. GAUTIF.R, Théophile : 230, 448. GAxo-rrE, Pierre : 77, 86, 1 08, 203. GAZZALI (Al-Ghazali) : 440. GmE, André : 1 3, 59, 60, 1 03, 1 1 3, 1 2 1 , 1 3 6, 1 37, 1 75, 1 76, 1 8 1 , 246, 269, 270, 293, 295, 3 1 4, 349, 368, 372, 373, 445. G1L-ROBLF.s, José Maria : 266. G10No,Jean : 1 0 1 , 1 06, 1 76, 203, 2 1 6, 245, 246, 293, 295 , 356. GIRARD, René : 24. GntAUD, Henri (général) : 200, 201 , 227, 239 , 286, 303. GIRAUDOUX, Jean : 76, 77, 79, 80, 85, 89, 1 1 5, 1 1 6, 1 3 7, 13 9, 1 40, 203, 227, 244, 245, 295, 306, 365-366, 37 1 . Goo1Nt:AU, Clément Serpeille de : 236. GoBINF.AU, Joseph Arthur de : 52, 263. Gor.RING, Hermann : 3 1 5, 335. GoETHF., Johann Wolfgang von : 225, 270, 426, 442, 452. GoMBAULT (Charles) : 89, 146, 1 84. GoMBAULT (Georges) : 89. GORT (lord, général) : 206, 220. GOURMONT, Rémy de : 368, 443, 445, 447. Gox, Georges : 1 84.

GREEN, Julien : I 06. GROUCHY, Emmanuel : 357. GROVF.R, Frédéric : 18, 22, 25, 82, 1 08, 293, 295, 300, 3 1 3, 430. GRUNBAUM, Colette (pseud. Constance Colline) : 94. GUDF.RIAN : 37, 1 97, 20 1 . Gut.NON, Henri : 3 1 1 , 355, 363, 364, 430, 43 1 . Gut.RARD : 4 1 . Gu1CNF.BF.RT, Charles : 88. Gu1LLAUMF. I l : 4 1 4, 4 1 7. G0JRALnt.s, Ricardo : 230. Guv, Pierre : 1 1 5, GvP : 429. HACHA : 267. HAEDF.Ns, Kléber : 1 80, 203. HAHN, Reynaldo : 184. HALDF.R (général) : 293. HALt.vv, Daniel : 146, 1 8 1 , 364. HALt.vv, Ludovic : 1 8 1 . HAMILTON, Sir William : 456. H ANOTAUX, Gabriel : 185. HARDF.YN, Jeanne : 287. HAVARD, Pierre : 1 6 1 . HAVAS (agence) : 185. Ht.eF.RT, Jacques : 137, 443. HF.GEL, Friedrich : 270, 3 1 1 , 405, 423, 44 1 , 453. Hr.1LBRONN, Marie-Antoinette : 138; Pierre : 55, 1 38. H F.LLF.R, Gerhard : 65, 339. Hr.Lvt:nus, Claude Adrien : 457. HF.MINGWAV, Ernest : 103. HF.NNF.SSY, Jean : 185. HENRI IV : 3 1 8. Ht.RACLITF. : 1 67, 36 1 . Hr.RMt.S TRISMt.G1srr. : 374. HF.RNANDF.Z, José : 230. Ht.ROUOTF. : 252. Hr.RRIOT, Édouard : 163. Hr.Rv1F.R, Julien : 7, 359. H1MMLF.R, Heinrich : 352, 408. HJNr.s, Thomas M. : 297. HlRscH, Louis-Daniel : 185, 246. HrrLF.R, Adolf : 36, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 50, 52, 53, 55, 57, 74, 76, 80, 8 1 , 88, 89, 90, 95, 1 0 1 , 108, 1 1 2, 1 1 3, 1 1 7, 1 2 1 , 126, 127, 128, 1 30, 1 3 1 ,

513

1 34, 145, 1 49, 1 5 1 , 1 55, 156, 1 58, 1 59, 1 6 1 , 1 62, 164, 1 65, 1 67, 168, 1 69, 170, 1 72, 176, 182, 184, 188, 1 9 1 , 1 93, 194, 196, 197, 200, 202, 205, 209, 2 1 1, 2 1 2, 216, 2 1 7, 2 1 8, 2 1 9, 220-22 1 , 222, 226, 227, 228, 229, 232, 233, 234, 235, 239, 244, 245, 247, 248, 249, 254, 255, 258, 259, 260, 262, 266, 267, 270, 27 1 , 275, 280, 28 1 , 296, 297, 303, 304, 305, 31 0, 3 1 3, 3 1 4, 3 1 7, 3 1 9, 325, 328, 332, 335, 336, 347, 348, 349, 350, 351, 353, 358, 370, 387, 39 1 , 399, 403, 405, 406, 407, 408, 409, 4 1 1 , 4 1 3, 4 1 4, 4 1 5, 4 1 6, 4 1 7, 437, 438, 446, 465, 470, 474, 487, 506. Hoos,.s, Thomas : 225, 446, 45 1 , 453, 456. HoLBACH, Paul d' : 457. HOLUF.RLIN, Friedrich : 225, 347, 404, 422. HoMtRF. : 324. Ho11AcF., Quintus Horatius Flaccus : 193. HuGF.NBF.RG, Alfred : 1 27. HuGo, Victor : 236, 32 1 , 323-324, 329, 366, 39 1, 404, 4 1 2, 445, 449. Hu1sMAN, Georges : 146. HuMF., David : 444, 446, 450, 453, 454, 455. HuNTZINGF.R (général) : 197. HuxLF.V, Aldous : 442. HuxLF.V, Thomas H. : 455, 456. H uvsMANS, Georges Charles (dit Joris­ Karl) : 172, 187, 42 1 . INGRES, Dominique : 452. !SAIE : 52, 284. !VAN LF. TF.RIIIBLF. : 272, IZARD, Georges : 1 6 1 , 162. JACQUEMONT, Maurice : 83, 287. JEAN (saint) : 6 1 , 1 57, 230, 334, 335, 33� 34� 4 1 3, 433, 43� 45� Jr.ANNIOT-LF.BEv-Duu.1N, voir DULLIN, Jt.RAMF.C, André : 1 7, 1 2 1 . Jt.RAMEC, Colette : 1 7, 55, 56, 64, 65, 94, 96, 1 2 1 , 205, 2 1 9, 302, 348, 370, 376-377, 42 1 , 430, Jtsus : 433, 434.

JoFFRF., Joseph : 206, 47 1 . JouHANllF.AU, Marcel : 2 1 6, 245, 277, 293, 356, 392. JouvF., Pierre Jean : 202. JouvF.NF.L, Bertrand de : 8, 37, 1 0 1 , 1 02, 1 2 1 , 1 3 1 . 2 1 0, 245, 347, 364, 430. JouvF.NF.L, Henry : 1 0 1 , 1 3 1 , 2 1 0. , 1 Jouvr.NF.L, Renaud de : 132, 2 1 0. JouvF.T, Louis : 82, 1 1 5, 1 1 6, 1 20, 1 70. JovcF., James : 400. JuAN, don : 29. J 0NGF.R, Ernst : 1 50. K. : 28, 29, 38 1 , 405. KAFKA, Franz : 1 1 , 58, 400. KAGANOVITCH, Lazar : 146, 202. KAMF.NF.V, Lev Rosenfeld, dit : 1 46 . KANT, Emmanuel : 383, 405, 44 1 , 442, 444, 453, 454, 456. KAvSF.R, Jacques : 92, 94. KF.RF.NSKI, Alexandre : 56, 1 59, 1 90. KF.RILLIS, Henri de : 1 84, 2 1 9, 255. KF.VSF.RLINC, Hermann von : 230. KHROUCHTCHF.V : 202. K1F.RKF.GAAR1>, Sôren : 36 1 . Ku:1sT (général von) : 1 97. ,1 LABONNF., Eirik : 289. LABONNF., Roger : 289. LA B11uvt11E,jean de : 3 1 6, 388, 445. LACRF.TF.LLF., Jacques de : 1 08 . LA FAvETrE, Marie Joseph (marquis de) : 378. LA FAVE'ITE, Marie-Madeleine (comtesse de) : 443. LA FoNTAINE, Jean de : 366, 445. LAFORGUE, J1>les : 230. LAMARTINE, Alphonse de : 1 02, 223, 324, 427, 443, 445. LAMENNAIS, Félicité Robert de : 223. LANSARD, Jean, 3 1 2. LANux, Élisabeth : 1 08. LAO-TSEU : 36 1 . LAPORTE, René : 1 39. LA RocHEFOUCAULD, François (duc de) : 443. LA RocQuE, François de : 1 60, 1 85, 263, 266, 500. LARQUEV, Pierre : 3 1 7.

514

LA TouR ou P1N , Patrice de : 20 3. LAUBRF.AUX, Alain : 2 36. LAUBRY (D') : 1 0 4. LAU RF.NT-EYNAC, André : 1 82. LAUTRtAMONT, Isidore Ducasse (dit le comte de) : 229-2 3 1 , 375 , 4 0 1 , 404, 4 1 3, 422, 43 3 , 445, 448. LAVAL, Pierre : 4 2 , 54, 55, 1 6 2 , 1 64, 1 82, 2 1 9, 254, 2 65, 2 66, 267, 27 0 , 27 5 , 287 , 3 0 3 , 306, 3 1 5, 33 2 , 3 39, 3 5 2 , 354, 402, 4 0 3. LAWRENCF., David Herbert : 2 3 0 . LAWRENCF., Thomas Edward, d'« Arabie» : 3 47 , 4 1 3 . LAZARO (banque) : 89, 1 84 , 1 98. LA7.ARF.FF, Pierre : 145, 1 84, 2 55. LF. BAs, Philippe : 1 37 . L1mEY, André : 94. LEBRUN, A lbert : 1 79, 249. LF.DERLI N : 1 84, 1 85. LEFF.BVRE, Raymond : 1 2 1 , 4 1 9. LEFtVRE, Eugène : 1 88. LtcER, Alexis (Saint-Léger Léger dit SAINT-J OHN PERSE) ; 16 3, 1 8 2 , 20 6, 20 7 , 295 , 3 1 4. LF.GROUX (0') : 65. ' LF.1R1s, M ichel : 2 02. LELAIDIER, Véronique : 68. Lt:LONC (colonel) : 37 0 . LtN I N F., Vladimir llitch Oulianov (dit) : 56, 1 2 8 , 1 46, 1 8 2 , 1 90 , 2 02, 2 2 3, 2 57 , 26 5 , 2 7 0, 40 0 , 4 1 4, 4 1 7 . LtONARO OF. VINCI : 426, 457 . LF.PF.TIT : 1 2 1 . LF. Roy, Eugène : 23 0 . LE RoY-LAoURIF., Gabriel : 2 78, 2 85, 325, 4 1 1 ; les frères : 30 0 . Lo��CA, Charles : 236. Ltvy, Éliphas (pseud. d'Alphonse Louis Constant) : 3 74. L1-.-v1 Nov, M a ksi m : 35 2 . LLOYD G EoRm:, David : 2 1 7 . LOCKE, John : 444, 446, 450, 45 1 , 453, 4 5 4 , 456. LosTE, Claudine : 68, 1 4 1 . LOTI , Pierre : 1 0 4. LOUCHEUR, Louis : 194. Louis I X (Saint Louis) : 2 73. Louis X I V : 1 94, 2 2 5, 2 2 6, 4 1 6. Louis X V I I I : 3 1 8.

Louis-DREYFUS, voir DREYFUS. Lou1s-PH1LIPPE : 4 1 6. Louvs, Pierre : 368. LUCHAIRE, Jean : 402. Luow1c, Emil : 80. LVAUTF.V, Louis Hubert : 252 . MAINE DE BIRAN, François : 457. MAISTRE, Joseph de : 2 63. MALAMouo, Charles : 68. M A LA NÇON·BERGERv-BoR1s, Germa ine : 1 0 8. M A LEBRA NCHE, Nicolas de : 45 2 , 456. MALLA RMt, Stéphane : 89, 37 1 , 37 2 , 373, 375, 393, 404, 4 1 3, 443, 445, 447, 449. MALRAUX, André : 8, 37, 64, 77 , 82, 1 03, 1 06, 1 1 3, 1 2 1 , 1 32, 203, 20 4, 2 1 o. 2 1 6, 225, 227, 234, 245, 246, 2 73, 290, 345, 347, 356, 373, 38 2, 40 0, 4 0 1 , 4 19. MALTHUS, Thomas Robert : 8 1 . MANDEL, Georges (ROTHSCHILD-M A N• DEL) : 1 2 4, ) 64, 1 86, 2 J 8, 242. M A NET, Édouard : 443. MANN, Thomas : 270. MANSOUR, voir RENAULT, Louis. MANSTEIN (von, général) : 3 1 8. MARAT,Jean-Paul : 1 1 1 . 1 37. M A RC-AURtLE : ) 93. M A RCEL, Gabriel : 185. MARtCH A L, Maurice : 24 0. M A IUON, Paul : 2 1 9, 245, 278, 30 0. M A RIUS, Caïus : 8 1 , 122. MARQUET, Adrien : 266. MARTEL, Thierry de : 429. M ARTIN (saint) : 223, 236. M A RTIN ou GARD, Roger : 1 36. MARTINEZ•PASQU ALIS : 374. M A RX, Karl : 25 7, 263, 400-4 0 1 , 402, 43 0, 44 1 , 444, 453. MASSILLON, Jean-Baptiste : 445. M Ass1s, Henri : 60. MATISSE, Henri : 1 68, 1 8 2. MATTH IEU (saint) : 475. MAULNIER, Thierry : 77, 1 80, 1 87, 203 , 245, 246. MA U PASS ANT, Guy de : 1 37, 443, 445, 448.

515

M AURRAS, Charles : 56, 8 1 , 84, 86, 93, 99, 1 00, 1 0 1 , 1 02, 1 03, 109, 1 43, 203, 2 1 5, 234, 246, 257, 26 1 , 264, 266, 37 1 , 372, 373, 44� 46� MAZARIN, Jules : 402. MEI LHAC, Henri : 1 8 1 . MELVILLE, Herman : 2 3 1 . MF.NDt.s FRANCE, Pierre : 198, 373, Mt.Rt, Antoine Gombaud, chevalier de : 435, 443, 445. Mt.RIM�.E, Prosper ; 1 03, 1 1 6, 129. MF.sMt:R, Franz Anton : 374. Mr.rrERNICH, Klemens (prince de) : 452. MEYER, Arthur : 190. MICHAUX, Henri : 143, 202. MICHEL-ANGE (Michelangelo Buonarrotti) ; 192, 284, 426, 457. MICH ELET, Jules ; 1 80, 369, 445. M 1GNF:1", Auguste ; 369. M1LL, John STUART ; 456. MILLE, Pierre : 145, 184. M1 LLERAND, Alexandre : 1 7. M1LTON, John : 425. M1RABEAU, Honoré Gabriel Riqueti (comte de) : 1 37, 378. MITCHELL, Margaret : 436. M1TT0N, Damien .: 435. MOISE : 424-425. MolSE DE Lt.oN : 3 1 2. Mout.RE Uean-Baptiste POQUELIN, dit) : 445. MOLOTOV (Viatcheslav SKRIABINE, dit) : 472. MONDOR, Henri : 88-89. MoNET, Claude ; 445. MONNIER : 246. MONTAIGNE, Michel de : 56, 57, I 80, 226, 372, 435, 443, 445, 452, 456, 475. MoNTF.SQUIF.U, Charles de : 445. MONTGOMERY, Bernard Law (maréchal, vicomte de) : 299, 357. MONTGOMERY, Minon de : 1 8 1 . MONTHERLANT, Henri de ; 1 32, 1 80, 203, 204, 2 1 6, 245, 273, 293, 295, 3 1 6, 356, 443. MoNZIE, Anatole de : 95, MORAND, Paul : 76, 245. MOREAU, Luc-Albert ; 1 68. MoRtNE, Anie : 1 1 5,

MORGAN, Charles : 436. MoROT-DueuFFE, Aimée : 24, MosF.R (aspirant) : 270. MouQUET, Jules : 284. MouToN, Pierre : 236. MozA RT, Wolfga ng Amadeus : 225. MussET, Alfred de : 1 1 6, 1 29, 1 80, 367, 443, 445, 453, 490. MUSSOLINI, Benito : 43, 88, 95, 1 1 3, 1 15, 1 28, 1 47, 149, 1 56, 1 59, 1 64, 1 67168, 169, 1 70, 1 7 1 , 1 79, 180, 1 82, 1 8 8, 1 9 1 , 1 93, 1 99, 202, 2 1 3 , 2 1 8, 220, 222, 224, 226, 23 1 , 232, 255, 258, 260, 349, 354, 358, 408. NAGARJUNA _: 355, 4 1 5, 444. NAPOLtON I" ; 43, 45, 80, 8 1 , 1 27, 15 6, 1 58, 1 59, 1 67, 1 8 8, 1 94, 2 1 3, 226, 270, 28 I, 283, 303, 304, 3 1 0, 3 1 4, 3 1 9, 335, 344, 349, 354, 367, 379-380, 403, 407, 408, 409, 4 1 34 1 4, 4 1 5, 4 1 6, 4 1 7, 423, 437, 464, 506. NAPOLtON I l l ; 4 1 6. NAQUIT (A lfred) : 1 90. Nt.RON : 1 1 3. NERUDA, Pablo : 1 43. NERVAL (Gérard LABRUNIF., dit) : 1 23, 1 37, 223, 347, 372, 4 1 2, 422, 425, 445, 449. NEUFLIZE (banque) : 1 85. N ICOLAS I l : 374. NIETZSCHE, Friedrich : 35, 40, 52, 92, 1 04, 1 2 1 , 1 23, 1 50, 1 59, 1 67, 225, 263, 3 1 1 , 3 1 2 , 342, 343, 347, 350, 356, 36 1 , 368, 37 1 , 372, 379, 380, 382, 393, 400-4 0 1 , 404, 4 1 3 , 4 1 7, 423, 425, 44 1 , 453, 466, 489, NODIER, Charles : 207. NotL-MURPHY, M ,.. ._: 65, 427. NovALIS (Friedrich von HARDENBERG, dit) : 225_. ÛCAMPO, Angelica : 22, 1 1 0. ÜCAMPO, Silvina : I 1 0. ÛCAMPO, Victoria : 22, 23, 28, 64, 1 1 0, 1 1 1 , 1 87, 236, 367, 370, 382. OCCAM, Guillaume d' : 444, 450, 456. ÛLt.slA, voir SIENKIEWICZ,

516

ÜTHON, Marcus Salvius Otho : OzF.RAY, Madeleine : 1 J&, 287.

1 1 3.

PAISA, Mona ; 24.

PA Lt.oLoGuF., Maurice : 164, PALF.WSKI, Gaston ; 1 64. PAPF.N, Franz von ; 407, PAPUS, Gérard (D'ENCAUSSE dit) ; 374, PARAIN, Brice : 1 1 ) , 246,. PARINGAUX, Yves : 286. PASCAL, Blaise : 62, 230, 263, 270, 356,

393, 404, 43 1 , 432, 433, 435-436, 445, 449, 452, 456, 457, 494. PAUL (saint).: 6 1 , 230, 236, 243, 252, 259, 263, 329, 334, 337, 343, 36 1 , 444. PAULHAN. Jean : 59, 77, 1 3 1 , 1 36, 1 37, 172, 175, 1 76, 1 78, 185, 202, 223, 227, 23 1 , 238, 246, 289, 290, 29 1 , 292, 293, 295, 3 1 5, 335, 339, 346, 347, 348.

PAULINE, voir BESNARD. PAULUS, Friedrich : 3 1 8, 325, 466, 472. Pt.Guv, Charles : 23 1 , 364, 445, 475. PEIGNOT, Charles ; 94. Pt.LADAN, Joséphin ; 43 1 . Pt.REIRE, M m< : 239. PF.RRIN, André : 1 60. PF.RTINAX, André (GtRAUO, dit) : 127,

1 85. Pt.TAIN, Philippe : 4 1 , 54, 85, 206, 208, 2 1 8, 222, 242, 244, 265-266, 267, 276, 288, 332, 354, 361, 47 1 .. PETITJEAN, Armand : 65, 77, 1 50, 203, 204, 2 1 9, 23 1 , 245, 246. PHILIPP, Raymond : 1 84. PHILIPPE Il (de Macédoine) : 8 1 , 1 99, 440. PHILON : 93, 336, 444, 449. P1CAR1>, Nadine .: J 1 5. P1cAsso, Pablo .: 1 09, 1 68, 1 87, 208, 400. P1ERRE (saint) : 434. P1TotFF : 82 ; (S) : 1 1 5. P1TT, William : 4 1 4. PLATON ; 6 ) , 93, )67, 223, 27), 3 ) ) , 3 1 2, 329, 336, 337, 374, 392, 442, 444, 450, 454. PLOTIN : 223, 36 1 . PoE, Ed gar ; 37 1 , 422, 425, 436, 494.

PoREL, Jacques : 1 73. PoRTF.S (Hélène Rr.euFFF.L, comtesse de) : 38, 160, 1 79, 18 1 , 207. PoR-ro-R1cHr., Georges de : 146, 1 8 1 ,

189.

PoULF.Nc, Francis ; l07. Pouss1N, Nicolas : 1 37, 443, 445, PRt.VOST, Jean : 77. PRINTF.MPS, Yvonne : 3 1 7. PRouoHoN, Pierre Joseph ; 226, PRous-r, Marcel ; 56, 57, 87, 102,

146,

1 80, 190, PROUVOST, Jean :

181, 184, 239, 24!>,

255..

Psr.uoo-Dr.Nvs : 361 . PucHEU, Pierre J 286,

287, 3 1 1 , 375,

376, 4 1 1_ Pum:r, Pierre : 101, PYRRHUS ; 199. PYTHAGORE/ )54, 336. Qu1 Ncr.v, Thomas de : Qu1NF.T, Ed gar ; 369.

425.

R., Liliane . : 2 1 , RABELAIS, François : 445, RACAN, Honorat d� : 366. RACINE, Jean ; 92. 1 06, 1 37, 423, 445. RAFFIN-DUGENS, Jean ; 1 27. RAMAJUNA ; 37 1 , 423.. RATHENAU, Walter : 76. RAUSCHNING, Hermann : 1 21, 1 27, 158. RtCAMIER, Jeanne : 367. Rr.NAN, Ernest _: 104, 445, 447, RENARD, Jules .: 366. RENAULT, Christiane, dite Beloukia : 16,

23, 24, 25, 26, 27, 28. 29, 30, 3 1, 32, 49, 58, 64, 73, 74, 76, 82, 88, 92, 1 10, 1 1 1, 123, 129, 1 33, 1 36, 140, 1 4 1, 143, 147, 1 51, 1 52, 153, 1561 57, 165- 166, 177, 19 1, 20 1, 202, 2 1 3, 2 1 5, 21 7, 21 8, 2 19-220, 22 1. 222, 223, 245, 259, 262, 287, 29 1 , 292, 298, 309, 31 2, 314, 3 1 7, 324, 334, 338, 346, 347, 367, 370, 373, 38 1 , 382, 404, 507. RENAULT, Jean-Louis : 24.. Rr.NAULT, Louis : 24, 45, 245, 281, RENt.VILLE : 284,

517

RENOIR, Pierre : 82. RENOUVIER, Charles : 452. RETZ, Paul de Gondi (cardinal de) : 443, 445. REYNAUD, Paul : 38, 124, 160, 1 6 1 , 1 63, 1 64, 1 65, 166, 1 79, 1 8 1 , 1 82, 194, 199, 206, 208, 218, 223, 224, 255, 258, 264, 289, 306, 4 1 1 . RmBENTROP,Joachim von : 87, 148, 335, 472, 474. RICHELIEU, Armand Jean du Plessis (cardinal de) : 4 1 4. RILKE, Rainer Maria : 103. RIMBAUD, Arthur : 104, 128, 137, 230, 231 , 273, 323, 347, 348, 367, 375, 393, 395, 40 1 , 404, 4 1 2-4 1 3, 42 1 , 422, 433, 445, 448. R1vAROL, Antoine : 445. R1v1t.RE, Jacques : 227. RooESPIERRE, Maximilien de : 1 1 1 , 137, 270, 353. ROHAN-CHABOT : 239. R0HM, Ernst : 45, 350, 406, 408. ROLAND-MARCEL, Pierre : 146. ROLLAND, Romain : 104, 1 76, 185, 295, 442. ROMAINS, Jules : 63, 1 1 6. RoMIER, Lucien : 184, 287. RmtMEL, Erwin : 46, 197, 299, 300, 309, 357. RoNSARD, Pierre de : 443, 445. RoosEVELT, Franklin Delano : 80, 160, 200, 201, 213, 218, 220, 222, 232, 248, 276, 305, 306, 320, 326, 39 1 , 409, 470, 474. RosTAND, Edmond : 366. ROUAULT, Georges : 168. RoussEAU, Jean-Jacques : 98, 99, 202203, 316, 379, 4 1 7, 45� RUNDSTF.l>T (général von) : 198, 20 1 , 437. RuvseROF.K, Jan van, dit !'Admirable : 375. SA1>F., Donatien Alphonse François (marquis de) : 120. SA1N-r-ExuPt.Rv, Antoine de : 373. SAINT-JOHN PF.KSF., voir Lt.GF.K, SA1N-r:Jus-r, Louis de : I l l , 1 37.

SAINT-MARTIN, Louis-Claude de (dit le philosophe inconnu) : 374. SAINT-SIMON, Louis de Rouvray (duc de) : 443. SA1NT-V1c..-0R, Hugues de : 457. SAINTE-BEUVE, Charles-Augustin : 323, 445. SALAZAR, Ant6nio de Oliveir.i : 86. SALOMON, Ernst von : 76. SAND, Aurore Dupin (dite George) : 445, SANKARA : 63, 385-386, 392, 4 1 5, 4 1 7, 423. SANKVA : 403, 444. SAPt.N E : 1 84. SARRAUT, Albert : 89, 1 07, 1 63. SARTRE, Jean-Paul : 400, 40 1 . SAUERWEIN, Jules : 86, 87. SAVONAROLE, Jérôme : 457. ScHELLING, Friedrich : 453. ScHLUMBERGER, Jean : 1 36, 1 76, 246. ScHOPENHAUER, Arthur : 252, 259, 3 1 1, 3 1 2, 393, 405, 44 1 , 444, 446, 453. ScHuscHNIGG, Kurt von : 266. ScoB1E (général) : 435. Sco-r Érigène, Jean : 457, 458. SEGONZAC, André Dunoyer de : 1 08, 1 68. SENANCOUR, Étienne Pivert de : 208, 223. St.Nt.QUF., Lucius Annaeus Seneca : 79, 193. SEKVILANGF.s, Andrée (MoRF.AU, née M F.SNIEK) : 24. SHAKF.SPEAKF., William : 1 1 1 , 2 1 7 , 270, 306, 423, 426, 427, 452. SHF.LLF.Y, Percy Bysshe : 4 5 1 . S1F.GFKIF.1>, André : 1 85. S1F.NKIF.w1cz, Alexandra (dite Olt·sia) : 2 1 , 22, 23, 64, 65, 96, 2 1 9, 382. S1F.vt.s, Emmanuel Joseph (dit l'abbé) : 1 37. S1MON1>, Henry : 1 84. SKORZF.NY, Otto : 242, 358. SocA, Susana : 14, 1 43, 2 1 4, 235. SOREL, Albert : 369. SouLt.s, Georges, voir ABF.LLIO. SouvAKINF., Boris : 202. SPF.NCF.K, Herbert : 225. SPINASSF., Charles, voir EsPINASSF., SPINOZA, Baruch : 405, 449, 454,

518

STAtL, Germaine de : 367. STALINE, Joseph Vissarionovitch Djou­ gatchvili : 43, 47·, 48, 50, 56, 8 1 , 88,

89, 1 07, 1 08, 1 1 3, 1 1 5, 1 1 7, 1 28, 1 30, 1 34, 146, 149, 1 56, 158, 160, 1 64, 1 68, 169, 1 70, 1 7 1 , 188, 1 90, 1 94, 200, 202, 2 1 3, 21 8, 219, 220, 232, 244, 255, 256, 258-259, 260, 295, 305, 3 1 7, 320, 325, 346, 34 7, 350, 353, 354, 356, 357, 384, 387, 39 1 , 405, 406, 408, 409, 4 1 1 , 4 1 4, 4 1 5, 4 1 7, 434, 461, 467. STAUFFENBERG, Claus Schenk (comte von) : 46, 53, 406, 4 1 4. STAVISKY, Alexandre : 163, 186, 254. STENDHAL (Henri Beyle, dit) : 82, 103,

1 06, 120, 1 23, 129, 135, 180, 360, 367, 369, 375, 445. STERN : 145. STRASSER, Gregor : 406, 408. STRASSER, Otto : 406. ST0LPNAGF.L, Heinrich von : 53. SuARts, André : 1 00, 136, 146, 1 8 1 , 1 85, 1 89, 245, 3 1 4. SuPERVIELLF., Jules : 143, 230, 295. Suso (Heinrich Seuse) : 375. Swr.oENBORG, Emanuel : 223, 236, 3 1 1 , 374. Sw1NBURNE, Algernon Charles : 451. SYLLA, Lucius Cornelius : 81, 4 1 7.

THVSSEN, Fritz : 127. T1x1ER (Jean-Louis Tixier-Vignancour) : 1 6 1 . TOJO : 406. TOLSTOI, Léon : 375, 379, 417. TouKHATCHEVSK1, Mikharl : 408. TRIOLET, Elsa : 176. TROTSKI, Lev Bronstein (dit) : 56, 146,

190, 408, 414. TZARA, Tristan :

1 09.

VAILLANT-COUTURIER, Paul : 121, 176. VALtRv, Paul : 59, 89, 203, 293, 295,

3 1 4, 3 1 7, 368, 370-371, 372, 373, 392, 436, 445. VAN GoGH, Vincent : 16, 59, 67, 404, 412, 413. VAUDOYER, Jean-Louis : 145.

VAUVENARGUES Luc de Clapiers (marquis de) : 443. VERGEAT ! 1 2 1 . VERLAINE, Paul : 104, 367, 445. VERMEIL, Edmond : 194. V1BRAYF., Suzanne de : 138, 378. VICTORIA I" : 194. V1GNY, Alfred dr. : 180, 316, 324, 412,

443, 445, 453. V1LLEDŒUF, André : 79. VI LLENEUVE (amiral) : 492. V1LLIERSDE L'lsLE•AUAM, Auguste : 413,

43 1, 443. TAGNARD, M- : 429. TAINE, H ippolyte : 369. TALLEYRANL>, Charles Maurice de (Tal­ leyrand-Périgord) : 304, 378, 443. TARL>E, Guillaume de : 89, 172, 1 98,

242, 252-253, 255, 256, 257. TCHEKHOV, Anton : 400. TF.SSIER, Valentine : 82. Tt.zENAS, Suzanne : 28, 64,

VI LLON, François : 212, 445. VIRGILE (Publius Virgilius Maro) :

193,

432, 481. Vrrf.LLIUS : 1 1 3. Voct:L : 41 2. VoLTAIRE (François Marie Arouet, dit) :

252, 253, 295, 327, 445. 202.

VOROCHILOV, Kliment :

381, 382,

404, 507. TtttRtsF. o'AVILA (sainte) : 230. TH1tBAULT, Marcel : 104, 207. THIERRY, Augustin : 369. THIERS, Adolphe : 369, 445. THIRION, André : 29. THOMAS o'AQUIN (saint) : 3 1 1 . THOMAS, Henri : 145. THOREZ, Maurice : 123, 124, 128.

WAGNER, Richard : WAHL, jean : 185. WARDI, Charlotte : WARNOI> ! 184. WASH, Constance :

417. 57.

20, 2 1 , 24, 28, 82, 96, 133, 136, 139, 2 1 9, 370, 373, 378, 429. W A'rrr.Au, Antoine : 99, 452. WEI LER, Lazare : 182.

519

WEISS, Louise : W1LoE, Oscar : WILDENSTEIN :

ZEHRFUSS :

184.

WEYGAND, Maxime :

206, 208, 2 1 4, 2 1 8.

146.

448. 56, 189.

ZoLA,

197. William : 427.

ZOROASTRE :

W1NKELMAN (général) : WORDSWORTH,

38 J .

ZINOVIEV (Grigori APFF.LBAUM, dit) : Émile :

445.

120, 2 1 1 , 3 2 1 , 436,

271.

Avertissement de l'éditeur, par Pierre Nora Introduction, par julien Hervier

7 9

1 939 1 940 1 94 1 1 942 1 943 1 944 1 945

73 135 269 283 323 359 439

Annexe 1, Notes (1 945) Annexe Il, Récit secret Annexe III, Exorde Annexe IV, Dernière lettre à son frère

461 475 498 505

Index

509

DU M ÊME A UTEUR

Aux Éditions Gallimard Romans

L ' H O M M E C O U V E RT D E F E M M E S, B L È C H E.

U N E F E M M E A SA F E N fT R E . L E F E U F O L LET.

D R Ô L E DE V O Y A G E .

B E LO U K I A .

R t V E U S E B O U R G E O I S I E.

G I L L ES.

L ' H O M M E A C H EV A L.

L ES C H I E N S D E P A I L L E .

M É M O I R E S D E D I R K RAS P E.

Nouv,11,s

PLAINTE CONTRE INCON N U . L A CO M É D I E D E C H A R L E R O I .

JOURNAL D'UN HOMME TROMPÉ. H I STO I R ES D É P L A I S A N T ES.

Polsi,s

I NTERROGAT I O N . F O N D D E CANTIN E. Tl111oig11ag,s

ÉTAT C I V I L. R É C I T S E C R ET suivi dt J O U R N A L tl d' E X O R D E (repris dans J O U R­ N A L 1 9 39- 1 9 4 5 ). F R A G M E N T D E M É M O I RES I 940- 194 1, précédé d'une étude sur « Le parti unique et P. Drieu la Rochelle » par Robert O. Paxton.

Essais

L E J E U N E E U R O P É EN

suivi dt

GENÈVE O U MOSCOU.

L ' E U R O P E C O N T R E L E S P A T R I ES. S O C I A L I S M E FASCI STE. A VEC D O R IOT. N OTES POUR C O M P R E N D R E LE S I ÈC L E. CHRONIQUE POLITIQUE (1 934-1 942). S U R L E S ÉCR I V A I N S . Thlâlrt

C H A R LOTTE C O R D A Y - L E C H EF. Chn d 'autres éditeurs LA S U ITE D A N S LES

I D É E S (Au Sans Pauil).

M ES U R E D E LA F R A N C E (Grasstt). N E P L U S ATTE N D R E (Grasset).

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du mal.

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Chili : le dossier noir. La C.F.D.T. en questions. L 'Affaire Pasternak. COMBE MAURICE : L'Aiibi. COMMEAU-RUFIN IRÈNE : Lettres des profondeurs de /'U.R.S.S. Le courrier des lecteurs d'Ogoniok. DAVIS ANGELA : S'ils frappent à l'aube. .. DEDUER VLADIMIR : Le Défi de Tito. Staline et la Yougoslavie. DIÉNY JEAN-PIERRE : Le monde est à vous.

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lutionnaire.

FUCHS JÜRGEN : Souvenirs d'interrogatoire. GARTON ASH TIMOTHY : La Chaudière. Europe centrale 1980-1990. GRAMSCI ANTONIO : Lettres de prison. GUIDUCCI ARMANDA : La Pomme et le serpent. HALIMI GISÈLE : Le Procès de Burgos. HARRINGTON MICHAEL : L'Autre Amérique. La pauvreté aux États-Unis. HERSH SEYMOUR M. : Le Massacre de Song My. La guerre du Vietnam

et la conscience américaine.

HIMMLER HEINRICH : Discours secrets. ISAACS HAROLD R. : Épitaphe pour une révolution.

Journal d'un retour en Chine au crépuscule du siècle. JACKSON GEORGE : Les Frères de Soledad. JACKSON GEORGE : Devant mes yeux la mort... JONES LEROI : Le Peuple du blues. JUNG c. o. : «Ma vie». Souvenirs, rêves et pensées. KOUZNETSOV ÉDOUARD : Journal d'un condamné à mort. KOUZNETSOV ÉDOUARD : Lettres de Mordavie. LAQUEUR WALTER : Le Terrifiant Secret. La «solution finale» et l'information étouffée. LEDDA GAVINO : Padre Padrone. LED DA GAVINO : Padre Padrone II. Le langage de la faux. LEJEUNE PHILIPPE : Cher cahier. . . Témoignages sur le journal personnel. LE ROY LADURIE EMMANUEL : Paris-Montpellier. P.C.-P.S. U. 1945-1963. LE ROY LADURIE EMMANUEL : Parmi les historiens, I et II. LEWIS OSCAR : La Vida. Une famille portoricaine dans une culture de pauvreté : San Juan et New York. LEWIS OSCAR : Une mort dans la famille Sanchez. LEWIS OSCAR : Les Enfants de Sanchez. LEWIS o., LEWIS R. M., RIGDON S. : Trois femmes dans la révolution cubaine. LIEHM ANTONIN : Trois générations. Entretiens sur le phénomène culturel tchécoslovaque. LODI MARIO : L 'Enfance en liberté. LONDON ARTUR : L 'Aveu. Dans l'engrenage du procès de Prague. LONDON ARTUR : Aux sources de L'Aveu. . , MANDELSTAM NADEJDA : Contre tout espoir, I, II et III.

MEDVEDEV JAURÈS : Grandeur et chute de Lyssenko. MENDÈS FRANC� PIERRE : La vérité guidait leurs pas. MLYNAR ZDENEK : Le froid vient de Moscou.

MOCZARSKI KAZIMIERZ : Entretiens avec le bou"eau. MYRDAL JAN : Un village de la Chine populaire suivi de Lieou-/in après

la révolution culturelle.

NAIPAUL v. s. : L 'Inde sans espoir. NOWAK JAN : Courrier de Varsovie. ONNEN ÉRIC : Au pied du mur. Chronique

avril 1990.

berlinoise, janvier 1989-

PASOUALINI JEAN : Prisonnier de Mao. PLISSETSKAYA MAYA : Moi, Maïa P/issetskaïa. POLLIER ANNE : Femmes de Groix ou la laisse de mer. RAZOLA MANUEL et CONSTANTE M. : Triangle bleu. Les

Républicains espagnols à Mauthausen. SCHWIEFERT PETER : L'oiseau n'a plus d'ailes... Les lettres de Peter Schwiefert présentées par Claude Lanzmann. SEALE BOBBY : À l'affût. STAJNER KARLO : 7 000 jours en Sibérie. STERN AUGUST : Un procès «ordinaire» en U.R.S.S. Le D' Stem devant ses juges. TROTSKY LÉON et NATALIA : Correspondance 1933-1938. TROTSKY LÉON, ROSMER A. et M. : Correspondance 1929-1939. VEGH CLAUDINE : Je ne lui ai pas dit au revoir. VIENET RENÉ : Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations. VINCENT GÉRARD : Le Peuple lycéen. WELLERS GEORGES : Les chambres à gaz ont existé. WYLIE LAURENCE : Un village du Vaucluse. WYLIE LAURENCE : Chanzeaux, village d'Anjou. ZLATIN SABINE : Mémoires de la «Dame d'lzieu».

Composé et achevé d'imprimer sur Roto-Page par l1mprimerie Floch à Mayenne, /,e 8 décemlm 1999. Dépôt légal : décembre 1999. l" dépôt légal : avril 1992. Numéro d'imprimeur : 47493.

ISBN 2--07--072!07--0 / Imprimé en France.

9 1 308