115 80 7MB
French Pages 241 [240] Year 1999
Islam et musulmans de France
(Ç)L'Harmattan, ISBN:
1999 2-7384-8152-3
Abderrahim Lamchichi
Islam et musulmans
de France
Pluralisme, laïcité et citoyenneté
Éditions L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris - FRANCE
L'Harmattan Inc. 55, rue Saint-Jacques Montréal (Qc) - CANADA H2Y lK9
Du même auteur Ouvrages: Islam et contestation au Maghreb, L' Harmattan, 1989. L~lgérie en crise, L' Harmattan, 1991. L 1slamisme en Algérie, L' Harmattan, 1992. Islam, islamisme et modernité, L' Harmattan, 1994. L'Islamisme en question(s), L' Harmattan, 1998. Le Maghreb face à l'islamisme, L' Harmattan, 1998.
Direction: Les R£plis identitaires,Confluences-Méditerranée, L'Harmattan, 1993 Géopolitique des mouvements islamistes, Confluences- Méditerranée, éditions L'Harmattan, 1994 (avec Jean-Paul. Chagnollaud et Bassma Kodmani-Darwish). Islam-Occident:/aconfrontation?,Confluences-Méditerranée,L'Harmattan, 1996. La France et le Monde arabe. Au-delà des fantasmes, ConfluencesMéditerranée, éditions L'Harmattan, 1997 (avec Jean-Christophe Ploquin). Transition démocratique au Maroc, Confluences- Méditerranée, éd. L'Harmattan, 1999. En collaboration: Cao-Huy Thuan et Alain Penet (dir.), La coexistence:un enjeueuropéen, PUP,1997. ACAT, Fondamentalismes, intégrismes. Une menace pour les droits de l'homme?, Editions Bayard / Centurion, 1997. Guy Hennebelle (dir.), L'Islam est-il soluble dans la Ripublique ?, Panoramiques, éd.Corlet/ Arléa, 1997. Gilles Manceron (dir.), Algérie, comprendrela crise,éd.Complexe, 1996. Sophie Bessis et Andrée Dore-Audibert (00.), Femmes deMéditeTTonée. Politique,religion,travail,éd. Karthala, 1995. Penser1~lgérie , lntersignes, éd. de l'Aube, 1995. Jacques Chevallier (dir.), Les bonnesmoeurs,PUP, 1994. Jacques Chevallier (dir.), La solidarité,un sentiment républicain?, PUF, 1992. Islam et modernitédans la culturearabe,Passerelles, 1991.
Pour
Sarah
et 'Leila, avec tendresse.
Avant-propos
A la suite de la crise économique mondiale, consécutive au premier chocpétrolier, puis de l'atTêt officiel de l'immigration et de la politique du regroupement familia4 de profondes transformations internes ont affecté les structures de l'immigration,. ces transformations ont entraîné l'installation définitive en France de familles musulmanes - dont les enfants ont, dans la plupart des cas, la nationalité française, sont nés et ont été scolarisés et socialisés en France,. elles sont désormais désireuses de sy établir, dy vivre comme des citoyens à part entière et de s'approprier leurs projets et leurs lieux de vie. C~tte réalité inédite a suscité une quête en faveur de la reconnaissance publique et institutionnelle de l'islam et des exigences spécifiques concernant des conditions plus dignes d'exercice du culte. Une légitime revendication d'égalité apparaît au sein de la Jeunesse d'origine maghrébine et de culture musulmane, couplée avec une fOrte demande de reconnaissance de la place de l'islam et des musulmans en France,. la lutte pour obtenir un traitement de l'islam sur un pied d'égalité avec les autres confessions
se développe surtout après l'épuisement des premiers mouvements de (( beurs)) en faveur des droits civiques - celui du début des années quatre vingt. Sans qu'il s'appuie tOUjours sur une fOrte conviction religieuse, ni sur une pratique suivie - la faiblesse de la pratique religieuse desJeunes issus de l'immigration est tout à fait comparable à celle du reste de la société -, l'islam apparaît dès lors - pour de nombreuses associations, fédérations d'associations ou leaders indépendants - comme un instrument permettant de négocier une place nouvelle dans la société française, comme un des moyens de se valoriser, de donner une image
5
positive de soi, ou encore de seprésenter comme acteur et médiatet{r entre les autorités et les diverses communautés musulmanes de France. Alors que certains observateurs, une partie des médias et de l'oPinion interprétent la rencontre entre 11slam et l'Occident comme un ''choc des civilisations" (Samuel P. Huntington) et considèrent la présence des musulmans en Europe comme une source d'affrontements et de troubles, cesjeunes musulmans - précurseurs d'un nouveau dialogue socia4 de nouvelles solidarités et acteurs d'une intégration certes difficile, mais en marche - sont convaincus, au contraire, que cetteprésence est une chance d'enrichissement mutuel pour l'islam et pour l'Europe. Depuis /e début des années quatre vingt, des revendications nouvelles vont ainsi progressivement s'exprimer exigeant la construction de lieux de culte plus décents dans les quartiers, l'aménagement de salles de prière dans le monde du travai4 et plus généralement enfin, le respect des rites religieux: alimentation collective dans les restaurants d'entreprise ou dans les cantines scolaires, droit au congé pour les princiPales fltes religieuses, respect du Jeûne du mois de ramadan, place accordée à l'islam dans les émissions religieuses à la radio et à la télévision, etc. Ces demandes furent d'abord exprimées dans les cités et les banlieues où seftrmèrent des communautés souhaitant simplement se regrouper pour la prière. Bientôt l'exigence de reconnaissance de l'islam va se faire plus impérieuse, notamment sous l'influence de divers mouvements de « renaissance islamique) - parmi lesquels des associations animées par les missionnaires du courant dit Tablîgh waDa'wa (appelé en France "Foi et Pratique'; - puis, surtout, par des associations de Jeunes musulmans, de plus en plus autonomes, qui tentent d'allier le combat pour la citoyenneté et celui pour la reconnaissance de leur identité islamique. Une ftis engagée, cette dynamique de départ devait donc assez vite échapper à ses premiers initiateurs, pour se muer en revendication d'un autre tYPe : celle de l'intégration dans la société française. Il s'agit donc, désormais, d'une aspiration à l'intégration qui refuse certes la simple « assimilation ), mais se réclame également, et tout à la ftis, des ftndements d'un is/am spécifiquement français, des principes de la Ripublique et des valeurs de la modernité. Des ftrmes d'expressions religieuses nouvelles - plurielles
6
et très
souvent publiques
-
vont
ainsi progressivement
émerger
transformant profondément l'islam de France et sc substituant lentement aux premières formes, fort discrètes, de religiosité des parents. L'islam actuel sc détache, en cfftt, de l'islam à la fois traditionne4 familial et très confidentiel de la première génération de travailleurs immigrés, pour emprunter diverses formes originales: un islam individualiste, spiritualiste et sécularisé cohabite ainsi avec un islam collectif et culturel,. un islam cultuel et identitaire, ou encore un islam activiste et ostentatoire coexistent avec une religiosité du for intérieur, etc. Aussi,
peut-on
constater que, d'une manière générale, l'irruption
de
l'islam dans l'espace public suscite - aussi bien en France que dans le reste des pays de l'Union Européenne - des interrogations légitimes et des inquiétudes motivées, mais paifois i11Justes,i11Justiftées ou carrément .
mal fondées et démesurées.
On peut citer panni ces nombreuses questions - sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir amplement -, celles relatives au rapport entre l'islam et le !)stème français de la laïcité, ou encore celles qui concernent la manière dont les musulmans vivent, ici et maintenant, leur islamité et articulent leurs croyances et leurs pratiques religieuses aux modes de vie d'une société moderne. Au regard des critères de la laïcité, quel statut accorder à la deuxième religion de France? Sur quel mode d'organisation les musulmans pouTTOnt-ils finalement
sc mettre d'accord
afin de créer leurs propres institutions représentatives? Faut-il cantonner l'islam dans la sphère privée ou bien lui reconnaître une certaine fonne d'expression politique, respectueuse cependant des princzpes de la République et des valeurs fondamentales du modèle français de la citoyenneté démocratique? Avant de tenter d'apporter quelques éléments qe réponse à ces questions, il est intéressant, d'abord, de s'attacher à l'analYse de la diversité des comportements et des aspirations des populations d'ongine musulmane. Dans quelle mesure une telle pluralité des modes de penser et de vivre /a foz~ ainsi que la montée des revendications en faveur d'une
7
reconnaissance patents
institutionnelle
d'une
Comment cités
et
conséquences
-
paysage
islamique
dijis
pour
de la
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susceptibles
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est très minoritaire.
plus
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c'est-à-dire,
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historique
du
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et d'Europe? d'une
-
euroPéen
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démocratiques
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beaucoup
signes
au cœur des
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et les processus
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l'islamisme
identitaire
cesser d'en exagérer
de changements
L'installation sur
du
mais
l'effervescence,
de
cet islam
ravageuses?
lourdes
positifs
ces conditions,
et de la crispation
donc pas
les tendances
constituent-elles
certes difficile
défavorisées,
religion,
laïque
Ne faut-il
dans
banlieues
de la
République
de l'islam
en marche,
comprendre, des
pathologie aux
intégration
quelle nouvelles
d'émerger)
pour
des musulmans, de vie des sociétés
?
Mais si ce problème de l'évolution interne et de la réforme de I~slam demeure encore entier, il est un autre diji considérable,. celui d'une grande politique française de l'intégration - qui appelle des mqyens à la hauteur
des
enjeux.
Car,
même
si
les
populations
l'immigration individuels
connaissent des réussites indéniables d'intégration exemplaires, une frange
importante
de la Jeunesse
des espaces
de marginalité
d'ongine
musulmane
et à diverses
8
issues
se trouve
ség~gations.
de
et des parcours de plus en plus hélas
Comment
livrée éviter
à
alors que celle-ci ne succombe de l'islam,. France
il Y va surtout et en Europe.
Désormais
à l'idéologie
intégriste?
Il y va de l'avenir
de la cohésion sociale et de la paix
les musulmans
élaborent
civile en
leurs prq/ets
individuels et collectifs non plus en fOnction d'un mythique «(retour au pqys )), mais en vue d'une intégration réussie en France,. leur attachement à l'islam paraît tout à fait conforme à leur désir ardent de citoyenneté,. ils veulent s'insérer pleinement dans la société qui a accueilli leurs parents et qui est devenue désormais la leur et celle de leurs descendants,. mais ils aspirent dans le même temps à préserver une part essentielle de leurs caractères identitaires, qui passent - pour beaucoup d'entre eux - par la liberté de pratiquer dignement leur religion. Depuis les années quatre vingt, où se sont constituées finalement les lignes de fOrce de ce nouveau paysage islamique en France, les autorités françaises ont pris conscience qu'il fallait maintenant une réponse appropriée à ces revendications légitimes,. ceci nécessite, d'abord, une lutte résolue contre les exclusions qui alimentent les frustrations et les peurs,. mais il faut également une pleine reconnaissance de la place de l'islam dans les institutions et dans la société - ce qui implique notamment une "relecture'~ ou plutôt un approfondissement et un enrichissement des grands principes de la République comme ceux cie la laïcité, de la citoyenneté,
de l'intégration et du pluralisme
confessionnel et culturel
Une grande partie de l'ouvrage s'attachera donc à étudier, plus particulièrement, la diversité des populations musulmanes, la pluralité des expressions religieuses qui en émanent, les problèmes posés par l'absence d'organisation représentative mais aussi le désir ardent d'intégration des musulmans et leur aspiration à ce.que l'islam soit pleinement reconnupar la République. Une autre partie de l'ouvrage aura également à traiter de la question de la «(crise)) du modèle français de l'intégration et de ses rapports à l'islam. Il existe bien, en effet, un modèle français plutôt
bien fOnctionné Jusqu'ici
- même s'il y
d'intégration qui a
a lieu de constater (( en aUJourd'hui que la «(machine à intégrer)) comtJle l'on dit, est
9
panne ». D'autre part, il faut
sc rappeler que la nation française
éminemment politique. Sa dijinition estfondée plus particulièrement
est sur
l'idée de contrat social,. son existence est, selon la célèbre formule d'Ernest Renan, « un plébiscite de tous lesJours», autrement dit une adhésion volontaire. Cette conception de la nation n'a donc ni contenu ethnique, ni contenu linguistique, ni contenu religieux,. elle est, avant tout, le résultat d'un « accord commun», d'un «pacte fictif», d'une « volonté de vivre ensemble ». Ainsi, en cc qui concerne les relations de
la nation aux différentes confessions, il convient de souligner que la République française se doit de respecter toutes les religions - à condition que celles-ci,comme le proclame la Déclaration des droits de l'homme (article 10), ne viennent pas troubler l'ordrepublic. Dans un tel cadre, comment les musulmans, et surtout leurs représentants, doivent-ils sc comporter? Pou'fTaient-ils accepter de pratiquer leur religion et respecter les normes et interdits que le droit musulman prescrit, dans les limites imposéespar la loi? Pourraient-ils s'intégrer normalement dans les sociétés d'accueil sans pour autant renoncer à certains traits de la tradition dont il ne faut pas nier qu'ils sont peu compatibles avec les modes de vie en Europe? Toutes ces questions demeurent légitimes- et d'ailleurs, beaucoup de musulmans eux-mêmes se les posent, depuis fort longtemps,. mais à regarder les réalités de l'islam français de plus près, il convient néanmoins de relativiser grandement la prétendue « résistance culturelle ou religieuse à l'intégration». Toutes /es études sérieusessur le terrain ont constaté, en effet, le déclin de la pratique religieuse chez les deuxième et troisième générations, ainsi que la fréquence des mariages ou des unions mixtes. En outre, l'intégration réussie d'une grande partie des musulmans (cadres, professions libérales, commerçants, professeurs, chercheurs, artistes, etc.) est patente - même si certains médias préfèrent n'évoquer que les problèmes de ceux qui auraient échoué. On a longtemps Jugé - à
tort - que la plus ou moins grande rapidité el "assimilation" des Maghrébins était liée à leur religion, ou plus généralement, à une prétendue « distance culturelle» qui les séparerait de la société d'accueil: les stéréo!JPesdu « musulman inassimilable», tenté par le « repli communautariste» et dont la religion est prétendument
10
(( incompatible avec les valeurs de la modernité laïque et démocratique » font, aUJourd'hui encore hélas, légion. Pourtant, les situations des populations issues de l'immigration, même lorsqu'elles appartiennent à un même groupe nationa4 sont extrêmement diverses - si l'on considère les trqjectoires individuelles, le fait que les individus aient fréquenté l'école dans leur pays d'origine ou en France, selon la région où ils sont installés, selon le .rystème d'alliances matrimoniales auquel ils appartiennent,
selon les liens de solidarité
tissés avant
leur départ ou la
tradition migratoire de leur pays, etc. Globalement, parmi les Maghrébins, les mariages mixtes augmentent régulièrement, le taux de fécondité diminue, l'usage de la langue française est généralisé. Pour leurs enfants, les résultats scolairessont équivalents à ceux des Français (( de souche ) - à milieu social identique
- et les inscriptionssur les
listes électorales semblent progresser. La pratique de l'islam est mesurée, les modes de consommation s'uniformisent, etc. Autant de caractéristiques qui réfutent l'idée d'une (( irréductible différence). Les Maghrébins apparaissent dès lors non plus comme les (( immigrés) (en fait, une majorité d'entre eux, née, scolarisée et socialisée dans l'hexagone, est désormais de nationalité française ou en voie de l'acquérir) les plus difficilement (( assimilables ), mais comme un ensemble de groupes aux destinées, aux identités et aux aspirations les plus variées. Il est vrai que l'intégration est partiellement en panne, mais cela n'a quasiment rien à voir avec l'islam,. c'est à cause du chômage, mais aussi de la crise de l'école, des insuffisances, voire de l'échecdespolitiques de la ville, des choix urbanistiques et ceux relatifs à l'aménagementdu territoire, etc. Les tensions proviennent également de l'existence de discriminations à l'égard des (( beurs ), notamment en matière de logement et d'emploi,. la loi française" est, en principe, égalitaire,
mais les faits
sont paifois
beaucoup
-
moins flatteurs.
Il faudra
si l'on en croit un récent sondage CSA -Opinion réalisé du 23 novembre au ,er décembre 1998 à la demande de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (Voir Le Monde duJeudi 26 mars 1999,. p. 12) - nuancer ceJugement: les indicateurs du racisme, de la xénophobie et des discriminations à l'embauche en France semblent en légère baisse. L'Enquête fait apparaître une
Il
«(certaine décrispation » de l'oPinion sur la question de l'immigration, 60 % des sondés estimant que les étrangers sont «(source d'enrichissement culturel », soit 18 % de plus qu'en 1992, un recul des attitudes xénophobes et discriminatoires, une plus grande tolérance et ouverture à la multiplicité culturelle. Il n'en reste pas moins que l'islam continue àfocaliser les plus vives inquiétudes liées à cé qui est - à tortconsidéré comme des "problèmes de l'immigration'~ La religion musulmane continue, chez une partie de l'opinion et des médias, à être présentée comme le signe de 1'«( inassimilabilité » des Maghrébins en particulier, alors que leur intégration est en marche. Aussi, toute véritable
politique
d'institutionnalisation
de
l'islam,
doit-elle
se
préoccuper également de l'insertion sociale des musulmans en situation de «(disqualification sociale» ou de précarité. Parce que l'intégration passe aussi par l'école et l'emploi, il est certain que des mesures exceptionnelles en faveur du {Ystème éducatif, pour l'amélioration des méthodes scolaires inadaptées (depuis quelques années, non seulement les différences sociales à l'école se sont amplifiées, mais elles opposent désormais les établissements entre eux, les inégalités y étant devenues de plus en plus flagrantes), et en faveur d'une politique ambitieuse de lutte contre les discriminations et le chômage, seraient un facteur accélérateur de cette insertion. C'est ainsi q~e l'on pourra espérer restaurer l'Etat de droit, mais aussi la structure familiale, l'autorité parentale, l'esprit civique et de responsabilité, et redonner de l'espoir aux jeunes. Il faut
-
mobiliser des mf!Yens considérables - notamment financiers afin de lutter efficacement contre la jracture sociale" dans les banlieues, c'est-àdire contre insupportables,
des exclusions intolérables, des discriminations la montée exponentielle de la violence urbaine, etc.
L'islam français (et européen) en tant que tel a peu à voir directement avec cesproblèmes sociaux, plus complexes et plus généraux. Force est de constater que l'islam s'enracine, devient de plus en plus visible en France,. une nouvelle génération de musulmans modérés éme'l,e qui affirme, avec force, son identité islamique et sa fidélité aux valeurs fondatrices de la France laïque et républicaine,. elle veut lire le Coran selon les exigences des sociétés euroPéennes - dans lesquelles les musulmans
vivent et aspirent
à s'épanouir,.
12
elle plaide imPétueusement
pour une (( normalisation» de J'islam en pariant sur son intégration réussie - ouvrant ainsi despossibilités inédites d'évolution (( endogène» des communautés musulmanes en Europe et permettant de nouvelles perspectives théologiques susceptibles d'avoir des répercussions positives sur une partie du monde musulman lui-même.
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Remarques introductives L'Islam de France et les exigences de la République: la pluralité des manières d'être musulman et la question de la laïcité
Depuis les décolonisations et avec les différentes vagues d'immigration et de regroupement familia4 de fortes minorités musulmanes se sont progressivement puis définitivement installées dans les pays de l'Union EuroPéenne. Cette implantation durable est !)Imbolisée par les enfants de la deuxième et de la troisième générations nés et socialisés en Europe, ayant acquis la nationalité de chaque pqys où ils vivent, et qui aspirent à être appréciés comme des citoyens de plein droit. De sorte que l'islam
- longtemps considéré comme allogène - fait désormaispartie du pqysage euroPéen. Il est devenu une composante indissociable, stable et visible de la culture, des institutions et des cités européennes. Tant que l'émigration était vécue par les premiers travailleurs immigrés (manœuvres ou ouvriers spécialisés dans l'industrie) comme temporaire, ceux-ci avaient accepté une pratique religieuse fort discrète, confidentielle et silencieuse - d'aucuns diraient « honteuse) -; en tous cas qui s'exerçait dans des conditions déplorables, dans des caves et des garages sordides, dans l'attente d'un mythique retour. En revanche,
actuellement,
la
demande
des
musulmans
en faveur
d'une
reconnaissance pleine de l'islam - afin de l'inscrire dans la vie sociale
française avec une certaine visibilité, et dans la durée - accompagne précisément leur marche vers la citoyenneté et la prise de conscience que leur destin et celui de leurs enfants s'accomplissent
Europe.
15
en France et en
En France, au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pqys-Bas, en Belgique, en Italie, en Espagne ou encore en Suède, les musulmans ont noué de très nombreuses et solides attaches,. leur présènce sur le tem"toire européen a cessé depuis fort longtemps d'être vécue comme un phénomène transitoire. Les travailleurs immigrés de la première génération, naguère attachés à l'idée du retour dans leurs pays d'origine, avaient une pratique, somme toute, fort silencieuse de leur religion. Ce n'est plus le cas avec lesJcunes musulmans qui ont rompu avec la discrétion de leurs parents pour devenir à la fois les acteurs de la revendication citoyenne et d'une plus grande visibilité de l'islam. Désormais, beaucoup de Jeunes s'engagent dans de multiples associations islamiques pour réclamer l'institutionnalisation et la reconnaissance publique de leur religion - qu'ils estiment, dans leur immense mqjorité,paifaitement compatible avec le~ règles et valeurs des sociétés d'accitei4 démocratiques et laïques. C'est pourquoi
une grande partie
de cet ouvrage sera entièrement
consacrée à l'étude des réalité~ et des e1lJcux de l'islam en France situation des différentes communautés maghrébines,.
.-
changements dans
les modes de religiosité islamique selon les générations et les milieux sociaux,. pluralité des formes d'expression religieuse,. diverses stratégies individuelles ou associatives qyant recours au référent islamique; mutations subies tant au niveau de la place de l'is/am dans la société que de son statut dans l'espace public ,. obstacles à l'institutionnalisation de l'islam en France,. e1lJcux et perspectives du débat phi/osophico-politique et théologique autour de la problématique
de l'islam confronté à la situation d'une religion minoritaire - que Chantal Saint Blancat nomme «(Islam de la diaspora)) -, et plus généralement,
l'islam face aux
défis de la modernité
et de la laïcité, etc.
Il serait erroné de considérer l'islam comme homogène. De multiples acteurs
-
migrants
de la première
troisième générations,. et modernistes,. femmes euroPéennes, etc.
-
génération,
jeunes
militants fondamentalistes,. modernistes
de la deuxième
musulmans
ou
intégrés
ou sc déclarant musulmanes
et
participent à une dynamique d'invention sociale et
16
culturelle d'un véritable islam européen inédit en train de sc dessiner. En fait, ce dont il s'agit, c'est d'une pluralité des modes d'expression religieuse et une diversité des manières de vivre la foi ,. on voit ainsi cœxister plusieurs manifestations et expressions du religieux chez les musulmans: politisation de la religion et militantisme radical chez une minorité active, certes, mais aussi islamité du for intérieur ou «(privatisation du croire) chez d'autres,. utilisation de l'islam comme vecteur identitaire et mqyen d'intégration aux sociétés d'accueil ou encore comme instrument de revendication citqyenne,. repli communautariste chez les uns,. volonté de concilier l'appartenance islamique avec la modernité chez d'autres,. islam du ressentiment ici, «( islam positif ) (Leila
Babès)
ailleurs,
Si l'islamisme
etc.
radical
-
il ne faut pas le nier - sert paifois de refuge
au désespoir de certainsJeunes des banlieues, cephénomène demeure certes actif mais très marginal La plupart des musulmans - en particulier
les Jeunes
mis en contact,
scolarisés en France
dès leur plus jeune
-, pétris
de l'esprit
âge avec l'éducation
de civisme,
.républicaine
et la
culture issue des Lumières, tentent - malgré les difficultés socioéconomiques et les discriminations dont il font l'objet - d'accommoder leurs convictions spirituelles et leurs pratiques cultuelles aux exigences de la vie dans les sociétés euroPéennes d'accueil Si, à cause de la crise d'intégration et du malaise identitaire, certains J.eunes succombent aux sirènes du radicalisme islamiste, la majorité des musulmans pratiquent un islam quiétiste et tranquille - paifois même un islam spirituel individuel conforme au découpage républicain Privé/public. D'autres arborent l'islam comme identité et osent s'afficher publiquement comme musulmans en demandant à être reconnus comme. tels dans l'espace public - ce qui ne les emPêche pas de prendre beaucoup de libertés avec les dogmes religieux, car la faiblesse de la pra.tique religieuse, voire une certaine désaffection, qui s'obseroe dans l'ensemble de la société concerne également les Jeunes musulmans. Cet «(islam des jeunes) (Farhad Khosrokhavar) apparaît bien plus significativement comme vecteur identitaire, moment de quête spirituelle - dans un monde perçu enperte ) de repères et de sens - ,. même ostentatoire, cet activisme «(islamique
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de certains Jcunes exclus n'est pas à confondre avec l'islamisme politique. C'est bien plutôt un islam d'affirmation de soi face aux discriminations et au racisme. Car si l'intégration est en marche, si beaucoup de musulmans ont réussi, pour d'autres, J'exclusion s'approfondit, et le racisme touche une grande partie des jeunes des banlieues. Par ailleurs, plusieurs groupes et individus d'origine et de culture musulmanes, ou se réclamant ouvertement de l'islam, inscrivent leurs activités sociales et culturelles dans une perspective éminemment démocratique: revendication d'accès à la citqyenneté, pour la justice sociale, enfaveur de l'égalité des droits, de la participation politique, etc. C'est pourquoi, dans la plupart des pays de l'Union Européenne, se pose non seulement la question d'une politique iflicace d'intégration (l'intégration - on l'a dit - est en marche, mais elle est inachevée), et celle de la citoyenneté, mais également celle de la conciliation de la diversité culturelle et religieuse avec le respect des lois communes ,. autrement dit, cellede la coexistenceet de la cohésionsociale. Nous
privilégierons
ici le cas de la France,
d'abord parce
que c'est le
pays européen que nous croyons le mieux connaître - une étude comparative à l'échelle de l'Union européenne, que nous n'excluons pas à l'avenir, aurait nécessité un travail d'une toute autre ampleur,. ensuite, parce que c'est surtout en France que cette question se pose avec le plus d'acuité.
Car dans cepays, où il représente la deuxième religion
par le nombre des adeptes - dont plus de la moitié a d'ores et dfjà acquis la nationalité française par le jus soli ou par voie de «( naturalisation))
susciter tant
-,
l'islam
de malentendus.
semble soulever tant En
particulier
de passions
et
depuis une dizaine
d'années où certains événements graves se sont succédé: affaires du voile dit «( islamique )) depuis 1989,. difficultés rencontrées pour la formation d'un Consistoire islamique,. répercussions dans l'hexagone du drame de l'Algérie livrée à une terrible guerre civile,. attentats tefforistesdes Groupes islamiques armés (G.IA) ,. tragique calvaire des pères trappistes de Tibhirine,
etc. Ces événements ont accentué la
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logique de suspicion à l'égard de l'islam. Beaucoup d'observateurs
- et
une partie de l'opinion - ont tendance à confondre l'islam de France et d'Europe avec les convulsions de l'islamisme radical à l'échelle internationale,. ils ont tendance, également, à stigmatiser comme (( intégristes ) toute forme d'expression islamique, toute revendication en faveur de la reconnaissance de cette religion dans l'espace public. Or -
est-il nécessaire d} insister? - certaines conduites, au demeurant très minoritaires, d'(( extrémisme
que l'on a trop rapidement tendance à qualifier islamiste ), sont en réalité, des réactions protestataires au mal vivre desJeunes et au racisme.
Toutes les enquêtes et études sérieuses l'ont montré: l'immense mtfjorité des musulmans cherche l'intégration, adopte les valeurs et comportements des sociétés d'accuei4 fréquente peu les mosquées et calque sa conduite (mariage, natalité, consommation) sur celle de la m%rité des citoyens français et des européens. On peut même affirmer sans risque d'etTeur, que pour beaucoup de musulmans, la religion n'est pas la principale préoccupation, et ne constitue qu'un élément parmi d'autres de leur identité et de leur socialisation. En outre, la mtfjorité des responsables religieux musulmans des
nouvelles
générations
-
semblent
actuels - enparticulier ceux issus avoir pour
souci primordial
de
favoriser l'émergence d'un islam moderne, ouvert, pacifié, humaniste et universaliste qui reconnaît la supériorité des lois que les sociétés européennes se sont données. Dans leur immense mtfjorité, les musulmans acceptent le pluralisme des sociétés laïques occidentales et le vivent sans trop de conflit. Malgré les problèmes - dus à la fameuse ((fracture sociale) et aux exclusions qu'elle a engendrées, touchant plus particulièrement
une partie
de leur Jeunesse
-, ils manifestent une
remarquable capacité d'adaptation au nouveau contexte européen et un degré profond d'intégration dans les différentes sociétés d'accuei4 voire
d'assimilation de la culture occidentale et de ses valeurs de sécularisation, de pluralisme philosophique
et de modernité notamment.
En un mot, l'islam euroPéen et français marque une nette volonté de promouvoir une nouvelle religiosité paifaitement compatible avec la laïcité - une laïcité qui garantit l'égalité et le libre exercice des cultes.
19
Les pratiques intolérantes de quelques extrémistes ne modifient guère une évolution qui semble inéluctable: celle de la connaissance et de la reconnaissance mutuelles. Les Musulmans semblent accepter de Jouer pleinement leJOeudémocratique et déftndre les valeurs de la laïcité,. de leur côté, les Etats
euroPéens semblent considérer l'islam comme une
religion qui doit avoir, progressivement, toute sa place dans l'espace public, et les musulmans comme des citoyens à part entière. Cet islam n'est pas monolithique,. il est la résultante de diverses formes de vie religieuse où la religion Justement revêt différentes fonctions sociales dans le processus conflictuel d'intégration. C'est pourquoi, nous préférons, dans cet ouvrage parler des musulmans de France, plutôt que de l'islam considéré in abstracto. D'une manière générale, au lieu d'appréhender l'islam en généra4 il est plus intéressant de s'attacher à la diversité du rapport des musulmans au religieux,. il est plus pertinent de privilégier la signification sociale et identitaire des pratiques religieuses, du vécu concret des musulmans, de leurs stratégies et aspirations, plus que du seul contenu de la croyance. Au lieu de débattre abstraitement de l'islam confronté à la laïcité et à la modernité, il faut saisir cette religion comme une interaction entre croyances, pratiques, normes et conduites sociales. Il faut prendre en considération le (( vécu religieux )) des populations, leur degré d'islamisation, leur interprétation sociale de la religion,
leurs
aspirations
concrètes, les stratégies
qu'elles
tentent
d'élaborer pour elles-mêmes et pour l'avenir culture4 religieux, social professionnel de leurs descendants. Au lieu d'épiloguer, à l'infini, sur doctrine musulmane et ce qu'elle dit sur les problèmes actuels de importante, certes mais non suffisante -, modernité - problématique
et la la il
serait plus intéressant de s'attacher à mieux connaître et analYser la conception religieuse élaborée par chaque groupe ainsi que les enseignements et les pratiques que chaque individu intègre concrètement dans sa vie quotidienne. Parler de l'islam en lui-même - religion qui se déploie sur quatorze siècles et concerne, aUJourd'hui, plus d'un milliard d'individus - ne nous renseigneguère ni sur sa pluralité, ni sur la diversité des formes de religiosité, ni sur les différents courants et tendances qui, en tous temps, l'ont parcouru et Je parcourent
20
aUJourd'hui
encore.
Il faut éviter toute globalisation abusive et
être
attentif aux différentes formes d'expressions islamiques ainsi qu'aux interprétations et applications religieuses qui en sont faites par différents groupes et individus dans un contexte historique ou social donné. Il faut être patticulièrement attentif à la variété, à la densité, à la richesse et à la complexité de cette religion appréhendée dans la vie concrète de chaque société, de chaque communauté, de chaque groupe humain et de chaque individu.
-
Comme toute réalité culturelle, l'islam est à la fois un et multiple; loin de constituer une entité homogène, repliée sur elle-même, la population musulmane est une vaste mosaïque humaine et culturelle, ouvette aux diverses influences des sociétés d'accuei4 et dont les pratiques sont diverses, les aspirations multiples, paifois même contradictoires.
L 1slam
européen est aujourd'hui
traversé par
de
multiples courants et tendances, des plus radicaux aux moins otthodoxes,. tous ces courants offrent diverses interprétations et pratiques du religieux. Paifois, ces différents courants ne fonctionnent pas en vase clos, ils interagissent, au contraire, continuellement entre eux, entremêlant religiosité populaire, réélaborations plus abstraites, sécularisation et sectarisme doctrinal et moral. Chaque individu, en fonction de ses origines culturelles, familiales et sociales, de sa trajectoire scolaire et proftssionnelle, de ses liens d'appartenance, de ses stratégies de vie et de sa formation religieuse, puise dans ce réserooir d'expériences religieuses les plus variées, pour choisir sa propre identijication, structurant ainsi, par rapport au religieux, une relation c01Tespondant à ses besoins et à ses aspirations. Pour comprendre les réalités et les tfynamiques de l'islam en Europe, il faut donc sc démarquer de toute approche globalisante qui appréhende cette question exclusivement en de l'islam avec la termes de (( compatibilité ou incompatibilité modernité ). Le prfjugé d'un islam inassimilable et incompatible avec les valeurs des sociétés d'accuei4 est d'autant plus abusif que les musulmans d'Europe proviennent le plus souvent de sociétés elles-mêmes la'Eement sécularisées,. ils viennent, généralement, d'univers quiétistes, où la place qu'occupe la religion, en tant que code moral rigoriste et ensemble d'obligations strictes, n'est pas aussi démesurée que certains
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l'imaginent,.
ils proviennent
de sociétés où l'islam, en mqjorité modéré,
pacifique et tranquille, n'imprègne pas - comme on le croit à tort tous les rapports sociaux,. ces rapports n y sont pas, par ailleurs, strictement disciplinés par un pouvoir religieux imposé. Contrairement à une idée reçue, et à l'exception notable de quelques pays où des régimes fondamentalistes sa dimension
sont au pouvoir, l'islam - vécu bienplus souvent dans culturelle que cultuelle -,
ne s'impose pas
à tous les
aspects de la .vie. Culture globale, étroitement liée aux valeurs de la première socialisation, il représente un. .rystème de valeurs, de riférences, de conduites et d'identification socioculturelle, tOUjours apte à faire des concessions et à élaborer des compromis à l'égard de la modernité. Il constitue, pour beaucoup de musulmans, davantage un patrimoine .rymbolique collectif, culturel et identitaire, qu'un ensemble de codes moraux et normatifs strictement et exclusivement religieux,. les préceptes religieux sy intriquent, de manière assez originale, avec de multiples traditions familiales, régionales et diverses formes de sociabilité
- pour fournir à chacun un
cadre éthique et civil qui ne
l'empêche pas de vivre pleinement dans la modernité. Au lieu donc de poser abstraitement la question de savoir si l'islam peut s'accommoder des valeurs de la modernité, il convient bien plutôt d'essayer de déchiffrer le sens de~ stratégies d'acteurs sociaux - qui tentent sans cesse de réinventer des liens communautaires et de socialisation et de remodeler leurs croyances, leurs pratiques, leurs normes et leurs conduites sociales, en fonction de leurs conditions de vie, édifiant de nouvelles frontières .rymboliques, des riférences identitaires inédites,. il faut essayer de saisir la réalité vivante de cet islam comme un ((fait social)) - où l'on obseroe à la fois des processus de continuité et de rupture, de divergence et de reproduction des traits culturels originels, ainsi que leur inscription, de manière inédite et originale, au sein des sociétés d'accueiL On observe donc, en Europe, un décalage inquiétant négatives
sur J'islam
entre les images
- véhiculées souvent par une partie des médias, de
l'opinion et des hommes politiques -, et ces réalités certes complexes, mais plurielles, évolutives et pleines d'espoir vécues par les musulmans.
22
Par
exemple,
lorsqu'un
acte répréhensible
est commis au .nom de
l'islam, la tendance générale consiste à incriminer cette religion en tant que telle. Il y a tOUjours ceux qui ressassent les mêmes vieux pr{;ugés hostiles à l'islam, et qui se croient habilités, chaque fois que survient un événement révoltant - pour la ma;orité des musulmans eux-mêmes d'ailleurs - à en tirer des conclusions définitives sur la nature (( rétrograde) et (( intolérante» des peuples musulmans et de leur religion. Ainsi que lefait remarquer, à très Juste titre, Amin Maalouf (dans Les Identités meurtrières, éd. Grasset, 1998), lorsqu'un acte répréhensible est commis au nom d'une doctnOne,quelle qu'elle soit, celleci n'en devient pas coupable pour autant,. même si elle ne peut être considérée comme totalement étrangère à cet acte. Il s'agit d'une utilisation possible de la doctrine, certes pas la seule, ni la plus répandue. Il y a tOUjours des inteprétations différentes, paifôis contradictoires, des mêmes textes sacrés ou des mêmes références doctrinales. Toutes les sociétés humaines ont su trouver, au cours des siècles, les citations sacrées qui semblaient Justifier leurs pratiques du moment. Le texte ne change pas, c'est notre regard qui change. Il n) a aucune religion, par essence, tolérante (ou intolérante), portée sur la démocratie (ou autoritaire), respectueuse des libertés (ou liberticide). Ce n'est pas sur l'essence de la doctrine qu'il faut se pencher exclusivement, mais sur les comportements, au cours de l'histoire, de ceux qui s'en réclament. Prenons le christianisme par exemple: celui-ci semble aUJoourd'hui - du moins bon ménage
dans les grandes
démocraties
avec la liberté de conscience et d'expression,
modernes
- faire
l'Etat
de droit,
la laïcité, les droits de l'homme, etc. Or pendant des siècles, on a torturé, massacré, persécuté au nom de cette même religion - ce qui ne signifie, en aucune manière, que les religions aient le monopole des intolérances: les pires horreurs du )(Xe siècle, les pratiques les plus abjectes, en matière de despotisme, d'anéantissement de la liberté et de la dignité, de négation de l'humanité ne sont pas imputables au fanatisme religieux, mais bien plutôt aux idéologies totalitaires, celles que Raymond Aron a nommé les (( religions séculières ). Si les Eglises ont pris acte des évolutions de la modernité euroPéenne (démocratie, Etat de droit, égalité des sexes, laïcité, esprit scientifique et critique, etc.), elles ont généralement suivi le mouvement - avec, cependant, plus ou moins
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de réticences, sinon de résistances - plutôt qu'elles ne l'ont suscité. Souvent, l'impulsion libératrice est venue d'acteurs qui se situaient hors du cadre de la pensée religieuse. Et, pour en revenir à la question de l'islam en France et en Europe, au risque de nous répéter, soulignons, évidence méthodologique:
encore une fois,
au lieu de traiter
de l'islam
cette simple
en général
(en sc
(( est-il
posant cc genre de questions: compatible avec la République? )),. (( n'est-il pas en contradiction avec les valeurs fondatrices de l'Europe moderne? )), etc.), il faut s'attacher aux pratiques - toujours variées et évolutives - et aux diverses interprétations
des significations
!Jmboliques
-
qui ne sont Jamais
des
!)stèmes clos, mais une réinvention permanente,. il faut mettre l'accent sur la religion des musulmans telle qu'elle se vit et se pratique, c'est-àdire comme (( expérience du croire)) dans sa dimension de pluralité de sens. L'islam n'est pas un DJstème clos et immuable,. il évolue en fonction des conduites et des représentations d'individus tOUJ"oursinscrits dans une société et des institutions données - ce qui nécessitede la part de l'observateur un regard anthropologique afin d'ess,ayer de saisir les changements inévitables et leurs significations. Ces remarques sont aussi valables en cc qui concerne le monde musulman lui-même: si l~'slam constitue pour toute la Umma un patrimoine (éthique, spirituel et civilt'sationne~ partagé, si au plan de la foi et de la doctrine, il présente une même perspective, une vision commune du monde d'ici bas (Du1!Jâ) et de celui de l'au-delà (âkhirah), la manière de le vivre concrètement varie d'une époque historique à une autre, d'un environnement socioculturel à un autre, d'une région géographique à une autre, d'un groupe humain
à un autre, voire d'un individu à un autre. L'islam
n'est ni une religion figée, ni un système monolithique,. autres
religions
et crqyances,
il subit,
comme Iqutes les
au cours du temps,
des mutations
profondes, intègre plus ou moins le changement, et peut se trouver, aujourd'hui, profondément affecté par les ((formes contemporaines du croire )). D'une manière générale, toutes les religions - et l'on ne voit pas pourquoi J'islam échapperait à cette règle - peuvent être considérées comme un processus permanent de transformation et un réceptacle des conflits et influences de la société, en particulier
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dans le contexte actuel
de sécularisation et de «(désenchantement du monde ». Il faut,. en effet, dépasser le fantasme de l'irréductible spécificité de' l'islam - que mondialisation des problèmes, enjeux et valeurs ne cesse de démentir. faut également cesser de l'appréhender de manière abstraite intemporelle, et de ne retenir que la seule doctrine. Comme toutes
la Il et les
religions, c'est une culture - c'est-à-dire un !}stèine complexe de sens et de .rymboles qui se transmettent aussi (et surtout) au travers des individus, de leurs pratiques et stratégies, de leurs désirs, etc. Ces individus possèdent de multiples attaches et des identités complexes. L'identité
n'est pas donnée une fois pour toutes,. elle se construit et se
transforme tout au long de l'existence. Constamment mis en demeure, par les fanatiques et les xénophobes de tous bords - qui ont une conception étroite, exclusive, simpliste de l'identité, réduite souvent à une seule dimension, notamment celle de l'appartenance religieuse proclamée de manière ostentatoire, paifois avec rage et haine -, de choisir leur «(camp », sommés de réintégrer les rangs de leur «(tribu», ces individus sont, en fait, capables d'assumer leurs multiples attaches et appartenances. Mieux, ils ont pour vocation d'être des passerelles, des traits d'union, des médiateurs entre les diverses communautés, les diverses cultures, et d'abord entre les musulmans et les sociétés d'accuei~ entre l'islam et la modernité.
Il nous faut refuser d'enftrmer le musulman dans une religiosité abstraite et immuable,. il faut rompre avec une certainetradition culturaliste qui tend souvent à enftrmer l'étude du domaine de l'islam dans un déterminisme identitaire. Il faut prendre en considération l'histoire des sociétés, des hommes et des institutions concrètes. Le monde musulman embrasse un immense éventail d'opinions, de sensibilités et d'écoles philosophiques. C'est un monde qui connaît des mutations et
des dynamiques de changements à tous les niveaux - transformations qui affectent donc le cœur de la théologie elle-même. Il faut refuser cette démarche qui consiste à faire
découler les réalités et les dynamiques
concrètes des sociétés musulmanes d'un certain nombre de catégories purement conceptuelles, appelées «(islamiques ». L 'histoire des sociétés musulmanes
n'est pas surdéterminée par le credo religieux, même si
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celui-cijoue un rôle important. Cette histoire est lefruit d'une invention constante d'acteurs politiques, sociaux et culturels en lutte,. elle est une expérience historique concrète, où sc confrontent des intérêts contradictoires. Elle est, par conséquent, une histoire tOUjours ouverte. Les dogmes, tout autant que les institutions et les différents .rystèmes sociaux, sy transforment sans cesse. Dans cetteperspective, les principes et les valeurs religieux sont constamment enrichis, déftrmés, réintetprétés et réappropriés par les peuples qui font leur histoire et cherchent leur propre voie vers l'avenir. D'ailleurs,
même si l'islam demeure, dans les pqys musulmans,
la
religion mqjoritaire, ces soCiétés n'ont Jamais échapPé aux processus de métissage, de brassage, d'échanges multiples et, depuis-les colonisations, au processus de la modernisation,. aUJourd'hui, ces sociétés n'échappent ni à la globalisation ni aux influences culturelles mutuelles, à la base de toute dynamique d'évolution des mœurs et des institutions. Ceci n'est nullement récent, d'ailleurs, car l'islam n'a cessé, tout au long de son histoire, d'intégrer les multiples cultures et traditions au contact desquelles il s'est fructifié. Rappelons,
en outre, que l'histoire de la pensée islamique elle-même,
malgré l'imposition d'une vision dogmatique et hégémonique, fut constamment marquée par des débats et des controverses assez vifs entre les tenants d'une orthodoxie au service des pouvoirs (ou de groupes de contestation), les partisans d'une vision théocratique de la cité et ceux qui luttaient (paifois au nom du rappel des exigences de l'éthique islamique ou d'une religiosité du for intérieur ou encore d'une conception mystique de la foi) pour la nécessaire mise à distance de la religion par rapport aux imPératifs du combat politique. Estimant qu'une meilleure lecture de l'islam interdit d'élever les sources coraniques en dogmes s'imposant à tous ou d'en faire une cause sacrée de légitimation de l'action politique, ces derniers sont favorables à la primauté du droit positif - et des institutions administratives et Judiciaires sécularisées sur la (( Loi islamique)) (Shart'a).
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Considérons
la problématique - trop souvent mal posée - de.l'Islam
face au pouvoir politique.
La plupart
des commentateurs postulent
que
l'islam est une religion totalisante qui tend au controte absolu - tant religieux
qu'idéologique
et politique
-
lui est souvent attribuée de l'extérieur vision du monde
et de l'organisation
de ses fidèles,.
-,
induirait
cette unité -
qui
donc une même
de la cité, une autonTé juridique
et
normative unique, une même législation, une même morale, un même mode de vie s'imposant unilatéralement à tous, etc. Outre que cette prétendue «(communauté de vue, de conscienceet de vie» entraînerait une «(solidarité islamique» absolument rétive aux lois et mœurs des sociétés non islamiques, elle engendrerait une soumission de tous les musulmans à la «(ui de Dieu », leur obéissance aveugle aux leaders religieux et, par conséquent, une contestat~onpermanente des lois positives que les hommes et les sociétés européennes se sont données notamment la séparation des sphères, les règles de l'Etat de droit et les valeurs de la laïcité. Or, nous avons rappelé que l'islam est plural tant sur le plan doctrinal et intellectuel que sur le plan Cf/lturel et social; aussi est-il simpliste et injuste de postuler une construction du politique qui serait homogène, théocratique ou totalitaire. Les acteurs sociaux gardent l'initiative d'agir aussi bien sur les institutions qu'ils se donnent
que sur les .rystèmes et conceptions qu'ils élaborent, et ne cessent de façonner
et de transformer
pour
en faire
les instruments
.rymboliques
de
leurs propres projets. Evidemment, dans une perspective macrocomparative, on peut toujours trouver des caractéristiques qui incitent à distinguer les trcycctoiresde la constructionpolitique en terre d'islam par rapport à d'autres développementshistoriques dans d'autres cultures (la culture de l'Europe occidentale, par exemple). Ainsi poutTa-t-on évoquer notamment «(moniste»
-
comme le fait, à Juste ttTre, Bertrand Badie
dans Les Deux Etats (Fayard, 1986) - le caractère de la légitimité islamique: celle-ci réside en un Dieu unique
qui n'a pas délégué aux hommes (ni donc aux princes ou aux juristes) la comPétence d'élaborer leJuste. Uniquement révélé, celui-ci ne saurait se retrouver dans l'œuvre législative humaine: pour se légitimer le prince doit donc faire l'effort de se confOrmer à la Sharî'a (Loi Divine) qu'il retrouve dans le Coran, dans la Sunna du prophète (ensemble des
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paroles
et des actes qu'on
d'intetprétation
lui
prête),
voire dans l'ijtihâd
(effort
conforme à la Loi Divine), ou l'ijmâ' (consensus de la
communauté des croyants, ou du moins, des 'U lamâ ~ docteurs de la Loi). Dans la même orientation, le prince doit protéger la communauté des croyants (Umma) et défendre la foi. A cette conception de la légitimité s'ajoute un autre fondement qui garantit le pouvoir du prince: la cité, avant d'être Juste, est nécessaire (dharûrah) pour protéger du chaos et de la sédition (fitna). La persistance d'une telle conception accrédite l'idée que l'islam, en son essence! est la religion de la confusion entre spirituel et tempore4 entre foi et loi, entre sphère de la souveraineté et celle de la spiritualité." En réalité, ce sont les pouvoirs politiques qui
n'ont cessé de manipuler les {ymboles religieux pour justifier (et légitimer) leurs actions. De leur côté, les différents mouvements contestataires, à l'instar des islamistes aUJourd'hui, s'appuient sur le même socle religieux pour combattre ces régimes et réclamer l'instauration d'un «(Etat islamique» plus conforme à la Loi révélée (Sharî'a). Quant au personnel religieux, il a souvent été du côté des pouvoirs. On ne soulignera doncjamais assez la distorsion qui existe, tout au long des quatorze siècles de l'histoire musulmane, entre le paradigme fondateur de l' «(Etat islamique» (al-Dawla al-Islâmfyya) - modèle mythique perpétué à travers le temps par les théologiens au service des pouvoirs ou, à l'inverse, par divers courants «(fondamentalistes» de contestation - et les réalitésde l'exercicedu pouvoir et de l'organisation politico-administrative et institutionnelle, fort éloignées, bien évidemment, de cet idéal Cet aspect du discours politique de l'islam, qui s'est imposé historiquement à d'autres conceptions, peut apparaître comme source d'autoritarisme ou d'arbitraire ,. mais outre qu'il sc trouve inversé dans le répertoire contestataire, il a toujours existé d'autres constructions du politique favorables à la séparation des pouvoirs. Les mouvements religieux contestataires considèrent que leprince «(impie» (kâfir) peut être cause de sédition (fitna) et, qu'à ce titre, il doit être également combattu y compris par le Jïhâd (notion, complexe et controversée,qui signifie: «(effort religieux pour maîtriser sespulsions ou combattre le mal» ou encore «(effort intellectuel pour actualiser le message coranique»,
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communément
traduit par «(guerre sainte)).
La contestation de 11:ature
religieuse se trouve ainsi valorisée et tend à activer l'effort du prince pour se ressourcer à la Loi de Dieu. Cette vision est cependant à mettre en perspective avec d'autres constructions sécularisées et laïques qui ont marqué - ou marquent encore - le devenir de nombreux !)stèmes politiques du monde musulman, soit sous l'effet de facteurs exogènes et notamment de l'importation moderne des modèles politiques occidentaux, soit sous l'effet de traditions quiétistes, voire laïcisantes élaborées dans di.fflrents contextes intellectuels et politiques. AUJourd'hui, la vision doctrinaire qui veut que, dans l'islam, la religion dicte sa loi au politique est imposée essentiellement par les islamistes. Mais l'histoire a montré que bien d'autres conceptions et façons de gérer Jes relations entre loi et morale, politique et religion ont existé. S'il est vrai que globalement l'islam s'est épanoui dans des pqys où cette religion mqjoritaire, voire hégémonique, fut de tout temps soutenue, gérée, réglementée et contrôlée par le pouvoir politique, il convient de noter que deux processus distincts, pour ne pas dire antinomiques ou dichotomiques, ont toujours été à l'œuvre. D'une part, la persistance d'un paradigme fondateur de l'islam politique, d'un modèle mythique du politique, auquel di.fflrents courants idéologiques, di.fflrents acteurs sociaux se réfèrent constamment pour légitimer leur projet politique. D'autre part, le montle musulman s'est doté, depuis fort plupart
longtemps,
d'Etats-natzons
des cas, par
des autorités
territoriaux, séculières.
administrés,
I..e religieux
ny
dans
la
influence
donc que 4e manière relative, sinon purement !)mbolique, les affaires de l'Etat, de la cité politique, voire du -!)lstèmeJuridique - à l'exception notable du droit de la famille et du statut personnel,. mais même à ce niveau, coexistent di.fflrentes conceptions et di.fflrents !)stèmes de normativité qui cohabitent ou se combattent,. di.fflrents pqys n'appliquant pas, à ce domaine, le droit musulman stricto sensu. Dans les pays musulmans, la sharî'a n'est donc pas l'unique source de toute législation. De plus, historiquement, le monde musulman a réussi à aménager un espace politique propre, distinct du religieux. Enfin, face
aux multiples courants
«( intégralistes ),
di.fflrents courants de pensée, militent
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d'autres forces politiques et
-parfois
au nom de la foi et du
rappel du message spiritue4 universaliste et humaniste de l'islam - en faveur de la mise à distance de la religion par rapporl aux imPératifs politiques, c'est-à-dire pour la diffusion d'un droit positif moderne, pour la laïcité et pour la citoyenneté démocratique. D'autres forces politiques et intellectuelles, se fondant soit sur une optique séculière et moderniste du droit et de la politique, soit sur une vision humaniste et tolérante de l'islam, existent donc bel et bien et y livrent une bataille décisive dont l'enjeu n'est rien moins que d'édifier, en terre d'islam, des sociétés, certes respectueuses de leurs traditions vivantes, mais pleinement insérées dans l'histoire, ouvertes au monde, attentives aux exigences du pluralisme démocratique et des valeurs universelles de liberté et de droits de l'homme. Pour ces réformistes et modernistes, la religion n'a prescrit aucun !JjJe particulier de gouvernement, l'Etat étant le produit de l'invention et de l'action des hommes. Distinguant la citoyenneté de la spiritualité, invitant les musulmans à concilier les valeurs de l'islam et celles de la modernité, à accommoder l'éthique coranique aux exigences démocratiques, ils plaident ouvertement pour l'autonomie de l'espace politique et pour la laïcité - car pour eux, la laïcité ne brime pas la foi mais invite lefidèle à l'éprouver autrement. Ainsi, l'expérience de la laïcité ne peut être vécue que
comme
une
revisitées et constamment
chance
- celle de voir les professions de foi
renouvelées et celle
de confronter la foi du
fidèle à une mise en œuvre concrète du respect de l'autre et du sens de la liberté de conscience et de la tolérance. A leurs yeux, une telle séparation des deux domaines est doublement salutaire: pour la religion qui se trouve de la sorte préseroée de toute manipulation politico-idéologique ,. pour
le reste de la société ensuite, car
-
émancipée des magistères
religieux autoritaires et dogmatiques - ellepeut expérimenter la liberté et l'invention démocratique,. elle peut permettre l'émergence d'espaces démocratiques de délibérations et de débats et l'éclosion de formes plurielles de créativité (y compris sur le plan spirituel et religieux) par des croyants réconciliés avec eux-mêmes.
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L'islam
n'est donc ni une totalité abstraite ni une entité
monolithique,. il est une religion, une spiritualité, une éthique et un culte,. mais le terme recouvre également une(des) identités(s) sociale(s) et communautaire(s) vécue(s), toutefois, au sein d'une multitude de sociétés et de groupes culturels. Chacune de ces sociétés est, elle-même, plurielle, et il existe une pluralité d'expressions « islamiques)) et de manières d'être musulman.
C'est-à-dire une extraordinaire
de croire et de vivre la foi au sein de ce bouquet
diversité des formes
civilisationnel
qu'est
le
vaste monde musulman. Il faut donc sc garder de toute tentation globalisante, ou de toute approche qui consiste à réduire cette richesse, cette densité et cette pluralité, en enfermant le musulman dans une religiosité abstraite, intemporelle, massivement homogénéisée, sans considération des sociétés concrètes, ni prise en compte de l'immense diversité géographique, anthropologique, humaine, culturelle, sociale, institutionnelle et intellectuelle des pays où l'islam existe et s'épanouit. La réalité sociologique de l'islam de France et d'Europe révèle encore plus nettement cette extraordinaire diversité et richesse. Pour peu évidemment que l'on tienne compte de la dynamique d'une religion en constante évolution et d'une population elle-même en pleine mutation. Et à condition que l'on sache se défaire des clichés et préjugés tenaces en particulier ceux sous-jacents à la démarche culturaliste ou exagérément différentialiste qui n'appréhende l'islam et les musulmans et qu'en termes abstraits, intemporels, «(décontextualisés )) anhistoriques. L'islam est ainsi appelé à prendre toute sa place dans des sociétés euroPéennes pluralistes et sécularisées,. il ira donc forcément en évoluant constamment. L'islam intetpelle aussi les sociétés d'accueil en posant d'une manière nouvelle la question d'une « laïcité ouverte )), en invitant au dfbat sur la place et le rôle du religieux dans la cité: comment redijinir la citqyenneté par le dialogue et une plus grande tolérance à l'égard du pluralisme culture4 tout en respectant les règles démocratiques et laïques qui garantissent le « vivre ensemble )) et les lois communes?
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Mais sachant que la position socio-économique des membres de cette communauté détermine, en fait, largement leur insertion, et les possibilités qui leur sont offertes d'ascension sociale, il est un autre défi
considérable et décisifpour les sociétéseuroPéennes: celui d'une grande politique d'intégration - qui appelle des mqyens à la hauteur des problèmes à résoudre et des enjeUX à affronter. Une frange de la population jeune se trouve, en effet, livrée à des espacesde mar;ginalitéet à diverses discriminations et ségrégations: comment éviter, dès lors, qu'elle ne succombe à l'idéologie intégriste ou à un (( islam du ressentiment ) ? Il Y va de l'avenir de l'islam, bien évidemment,. il Y va surtout de la cohésion sociale et de la paix civile en France et en Europe. Et,
en même temps,
à travers ces interrogations
d'accuei4
l'islam français
question.
C'est dire à quel point
qu'il pose aux sociétés
et euroPéen ne cesse lui-même la flexibilité
de se remettre
en
des sociétés et des Etats
de
IUnion EuroPéenne, leur capacité à gérer le pluralisme culturel et religieux, leur reconnaissance de l'islam, au même titre que les autres confission.s, seront déterminantes pour l'avenir des' musulmans et la façon dont ils choisiront finalement d'établir une articulation positive entre identité et modernité. Plus fondamentalement encore, l'enjeu pour l'islam demain - et ceci concerne aussi bien l'islam d'Europe que les pqys musulmans euxmêmes - est celui de sa rénovation (Tqjdîd), de sa rfjorme (Islâh) : les musulmans ne poulTont, en effet, relever avec succès les immenses défis du vingt-et-unième siècle s'ils n'abordent avec détermination,
audace et
esprit critique, le rapport de leur religion à la modernité et à la laïcité. A égale distance des détracteurs permanents de l'islam et des (( défenseurs ) a-cntiques de celui-ci, beaucoup de musulmans appellent de leurs vœux à cette profonde rénovation théologique - en ce qui concerne notamment le statut de la femme et le droit de la famille, l'équilibre entre sphère politique et sphère religieuse, la pleine reconnaissance des droits légitimes des minorités, notamment religieuses, la liberté de croire et de créer, la reconnaissance de l'universalité
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des
droits de l'homme. L'islam réinterprétation, d'innovation est, par conséquent, apte -pour
encourage d'ailleurs à un tel cJlôrt de et d'adaptation doctrinale (Ijtihâd) ,. il peu que les hommes le veuillent - à sc
renouveler et à s'adapter aux circonstances changeantes. On ne le répétera jamais assez: la condition minoritaire est une chance inouïe, un moment très fécond pour l'islam. D'une part, parce la réalité sociologique montre déjà une prise de distance progressive des musulmans à l'égard du code de sens fourni par l'orthodoxie et des normes de comportement qu'elle prescrit. De même, peut-on constater une prise de distance par rapport aux cultures d'origine - les individus choisissantfinalement leurspropres stratégies d'intégration, leurs critères d'identification et leurs manières de croire et de pratiquer leur religion. D'autre part, avec les brassages et déplacements des populations, avec les flux migratoires et la mobilité géographique ou sociale, les confrontations aux enjeUX permanents des sociétés d'accuei~ et le développement des médiations culturelles, les musulmans d'Europe ne cessent de redessiner et d'élargir les frontières de leur(s) identité(s) et renégocient les termes de leur participation à la citqyenneté. Comme l'écrit Chantal Saint-Blancat : (( La diaspora est un lieu de tensions et de réqjustements continus tant au plan .rymbolique qu'au niveau des pratiques sociales)) (L1slam de la diaspora, Bqyard Editions, 1997). La condition minoritaire constitue pour la mqjorité des musulmans d'Europe une expérience inédite, qui appelle donc de la part de leurs responsables des réponses inédites aux défis du moment. En
tout état de cause, l'installation
définitive de cette population
-
évaluée à quelques douze millions de personnes - sur le sol euroPéenest un atout considérable pour l'islam qui trouve pour la première fois de son histoire, en tant que (( religion minoritaire )), une occasion précieuse d'efftctuer son indispensable aggiornamento. Notamment, grâce aux possibilités ici offertes de .réinterprétations libres et de recherches critiques et désintéressées. Pourra-t-il dégager des réponses pertinentes aux défis de la modernité? Réussira-t-il à s'intégrer durablement dans une société laïque et à intégrer, de manière significative et irréversible, les valeurs
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démocratiques?
Une rénovation théologique significative, générale et
profonde est nécessaire pour rendre compatibles les convictions spirituelles des croyants, leurs rites et leur culte, et le mode de vie des sociétés occidentales. Une grande partie
de cet ouvrage va précisément
toutes ces problématiques
en étudiant
les cfynamiques
tenter d'approfondir à l'œuvre
dans le
processus de construction de l'islam français: logiques individuelles, logiques des 'organisations, processus d~.nfluences réciproques entre l'islam et la sociétéfrançaise, etc. Nous examinerons les évolutions que connaît l'islam français - certes unique dans sa profession de foi, et sa conception à tendance universaliste, mais multiple quant aux réalités concrètes qu'il recouvre, et quant à son devenir. Cette partie de l'ouvrage vise également à faire le point sur le débat théorique (philosophicopolitique et théologique) autour de la problématique de l'islam confronté à la laïcité. Tenant compte de cette dimension pluraliste et cfynamique, évolutive et moderne de l'islam français et européen, rompant avec toute démarche globalisante de l'islam, nous nous attacherons en particulier à décrire la diversité des manières d'être musulman et la pluralité des expressions de la religiosité islamique. Etant entendu que si la question de l'institutionnalisation de l'islam et sa pleine reconnaissance tant sur le plan juridique que dans l'espace public, demeurent certes capitales, il s'agit d'abord et essentiellement d'intégrer des musulmans, c'est-à-dire des individus aux trqjectoires et aux aspirations très diverses
-
qui contribuent tous, chacun à sa manière, à l'intégration de cette
religion à la société française
et euroPéenne.
De même tenterons-nous de répondre à quelques unes des grandes questions d'ordre plus directement politique: au regard des critères de la laïcité, quel statut accorder à la deuxième religion de France? Comment constituer les musulmans en interlôcuteurs de la République alors qu'ils s'entre-déchirent parfois entre diverses tendances etfactions? Sur quel mode d'organisation les musulmans pourront-ils se mettre d'accord afin de créer leurs institutions représentatives? Faut-il cantonner J'islam dans la sphère privée ou bien lui reconnaître une
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cerlaine forme d'expression publique - respectueuse cependant des valeursfondamentales du modèlefrançais de citoyenneté? Comment les musulmans d'Europe deviendront-ils des acteurs, à part entière, au sein des sociétés dans lesquelles désormais ils ont choisi de s'établir et où vivent désormais leurs enfants? Us musulmans, croyants et pratiquants, vont-ils, dans leur quête identitaire, avoir tendance à se replier sur les dimensions rituelles de la tradition, ou assistera-t-on, au contraire, à une évolution fondée sur les éléments éthiques et prophétiques renouvelés de la tradition? Autre question qui sera abordée: les musulmans vivent une tension entre l'influence des centres religieux de l'islam des pays d'origine (et celle des politiques religieuses des Etats d'origine) et les aspirations et attentes contradictoires des croyants - des jeunes notamment, toujours nombreux à avoir été socialisés dans les sociétés euroPéennes et peu préoccupés
mêmes,.
finalement
de ce qui se passe
dans les pays
musulmans
eux-
c'est une tendance très importante qui reflète les
transformations en cours de l'islam européen. Celui-ci se situe bien dans un entre-deux: allégeances idéologiques à l'extérieur (en raison notamment de l'appel à des imâms encore très largement formés dans les pays musulmans)
et enracinement
dans des sociétés démocratiques
laïques - d'où la nécessité d'adaptations,
et
de changements. L'islam peut
très bien s'accommoder d'une législation qui sépare l'Etat des religions ,. son intégration en France dépend plus d'une évolution des mentalités que du statut des cultes. Cela implique pour les théologiens musulmans un repositionnement critique vis-à-vis du repect de certaines normes. Cela implique également que les autorités françaises (euroPéennes, en général) favorisent la création d'institutions pour former un personnel du culte plus comPétent et pour dispenser un enseignement scientifique de la religion. Mais il faut pour cela déployer des moyens concrets, financiers en l'occurrence, pour aider l'islam indépendance, la plus large possible.
à recouvrer une réelle
L'islam de France et d'Europe connaît actuellement une très profonde mutation,. on assiste à des transformations décisives des référents
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religieux, une évolution des mécanismes de reproduction des valeurs et des notmes de comportement au sein des familles - en particulier, chez les femmes musulmanes, actrices charnières, dans cette phase de construction d'un islam moderne. Elles introduisent - selon le mot de Chantal Saint-Blancat : (( des formes sociales de transgression, d'innovation, en un mot de changement social » (in. L 1slam de la diaspora, éd. Bayard 1997). On peut obseroer, plus généralement, une multiplicité établissent
des relations que les fidèles - Jeunes notamment avec la dimension religieuse, bien au-delà des simples
fonctions d'identification sociale. Semblent émerger ainsi des formes de religiosité islamique en rupture avec la politisation du sacré qui a lieu au sud de la Méditerranée. Cette cfynamique née du pluralisme est féconde: la gestion des conflits qui en résulte entraîne l'émergence de nouveaux acteurs de médiation et de changement sociaL Des défis inédits se posent à ces nouveaux croyants: comment vivre l'islam dans un environnement non musulman,. comment repenser la tradition islamique selon les problèmes, réalités et attentes des sociétés occidentales d'accueil,. comment transformer les référents doctrinaux de telle manière à ne pas se marginaliser en Europe,. comment être musulman et moderne, fidèle à sa tradition et respectueux néanmoins des valeurs de la laïcité et de la Ripublique,.
les musulmans
sont-ils avant tout des
citoyens français ou des musulmans,. sont-ils prêts à faire allégeance à la nation française,. comment vont s'articuler, chez eux, respect de leurs
croyances religieuses et du droit musulman, et, par exemple, le libre choix d'un cOnjoint non musulman pour les femmes notamment (exogamie) ,. comment faire évoluer les normes juridiques du droit musulman, lesprescriptions alimentaires ou sexuelles - encore souvent vécues comme incontournables par certains membres de cette (( diaspora » (Chantal Saint Blanca!) ? La
réponse à toutes ces questions
- et il y en a bien d'autres
encore
-
appartient donc désormais aux lnusulmans eux-mêmes qui sont les véritables acteurs de l'évolution de leur religion. C'est de leur capacité à négocier des compromis,
politiquement
à intégrer
-
socialement,
philosophiquement
et
- les valeurs démocratiques que dépend leur avenir ainsi
36
que l'image de l'islam. Les solutions qu'ils apportent d'ores et d{jà sont multiples,. elles se manifestent dans l'existence de plusieurs modalités de rapport au religieux: islam privatisé, voire agnostique,. islam néocommunautaire mais sécularisé,. islam «(intégraliste)) et militant mais ce dernier est lat;gement minoritaire. Dès lors, globalement, l'islam apparaît bien comme un 111qyen efficace d'intégration à la société française. Comme l'écrit, très Justement S oheib Bencheikh, le grand Mufti de Marseille, dans son ouvrage (Marianne et le Prophète. L 1s1am dans 1998), dans la perspective islamique, théologie (fiqh, 'ilm al-fiqh ). Si la foi
très intéressant et audacieux la France laïque, éd. Grasset, la foi (imân) n'est pas la est un mystère qui transcende l'intelligence de l'homme, la théologie, ce «(discours sur Dieu )), est une
tentative - tOUjours provisoire, relative, changeante - d'éluciderlafoi. La théologie est donc un moment historiquement donné,. elle doit être constamment renouvelée,. elle se nourrit et se développe dans un espace culturellement précis. Ceci est encore plus vrai aUJourd'hui où la mondialisation et la modernité ont profondément bouleversé les représentations héritées du passé. Aussi peut-on constater que dans beaucoup de sociétés musulmanes elles-mêmes, l'islam reste certes source d'inspiration, parfois même élément de légitimation !Jmbolique de grands choix sociaux, mais il ne Joue plus de rôle mqjeur dans la dynamique
de changement et de laïcisation progressive des processus
sociaux et Juridiques - dynamiques
qui reflètent les transformations
sociales en cours. En France, l'Etat moderne laïque et démocratique n'opte pas pour une idéologie mais veille sur l'égalité et l'équité entre toutes les idéologies, les religions, les visions philosophiques, mystiques ou métaphysiques. La laïcité implique une (( neutralité positive)) de l'autorité publique en matière religieuse, et surtout, la garantie Juridique d'une libre expression et des religions et des opinions et un libre exercice des eultes. Cette exigence laïque est étroitement liée à la démocratie et à l'Etat de droit. A notre époque, les droits de l'homme et de la femme, la liberté de
conscience, la liberté et la tolérance religieuses sont les principes fondamentaux les plus consensuels, les mieux partagés par les esprits
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libres quelle que soit leur culture d'origine,.
seuls ces principes
sont
susceptibles de réguler pacifiquement et démocratiquement des sociétés si complexes et si plurales. Comme l'observe encore, à très juste titre, S oheib Bencheikh : (( cette éthique connue et reconnue devrait baliser la démarche de tout exégète qui veut vivre le Coran ici et maintenant ». L'islam n'est nullement incompatible avec ces exigences, et les problèmes que rencontrent quelque fois certains musulmans en Europe ont peu à voir avec la religion,. ils sont bien plutôt intimement liés aux obstacles à l'intégration socioéconomique. La question de la place de I~slam dans la République
ne se réduit certes pas à la question de
l'intégration, mais elle a un rapport étroit avec elle. Une insertion réussie de l'islam dans la vie administrative, culturelle et sociale de J'hexagone, à l'instar des autres grandes communautés religieuses, ne peut que faciliter amplement l'intégration. En sens contraire, l'échec de l'intégration conduit immanquablement pour une petite fraction des musulmans, notamment les plus jeunes, à un zslam de (( repli identitaire » perméable à toutes les dérives. Il nefaut cependant pas en avoir une vision (( mzsérabiliste», ni simpliste. Malgré les (( ratés» de l'intégration, celle-ci est en marche,. cette confession nouvelle, qui commence d'ores et dfjà à sécréter ses propres élites, trouvera assurément
toute la place qu'elle mérite -
comme l'ont fait
avant elle le
protestantisme et le Judaïsme. Cette religion, la seconde de France, concerne toutes les couches de la société, et pas seulentent les catégories sociales difficiles ou des individus en échec. La population musulmane est également - et de plus en plus - composéed'individus en ascension sociale. Cadres, commerçants, enseignants, chercheurs, médecins, avocats, artistes, musiciens, professions scientifiques, sociales et de la création y sont largement représentés. Le mouvement vers la nationalité française, pour ceux qui ne l'ont pas encore, est, grâce au JUs soli, massif et inéluctable. L'immense mqjorité des musulmans de France peu préoccupés du reste par les prescriptions et la pratique religieuses devenus des concitqyens français, aspire essentiellement à l'égalité de droits et de devoirs dans une société laïque caractérisée par le pluralisme confessionnel et philosophique. !)lstème laïque permettent
Ils savent que l'Etat
l'épanouissement
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individuel
de droit et le et collectif et
offrent à tous les cultes un égal traitement, à charge pour leurs fidèles d'inscrire leur liberté religieuse dans le cadre de la loi républicaine. Cependant, pour l'Etat laïque, exiger des musulmans qu'ils consentent davantage de renoncements que les autres: chrétiens, juifs ou bouddhistes - sous prétexte (( d'incompatibilité culturelle et de risque d'atteinte à l'identité nationale)) - serait non seulement fallacieux, mais un renoncement grave aux principes fondateurs de la laïcité.
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1. L'Islam de France: entre les detnandes d'intégration et les stratégies néofondamentalistes
Commencé dès le milieu des années soixante-dix, le processus d'enracinement des populations d'origine musulmane en Europe et en France est désormais irréversible. En outre, contrairement aux décennies cinquante et soixante, où la pratique religieuse des musulmans de France était fort discrète, confidentielle,
pour ne pas dire quasi-clandestine (en raison du désir désormais abandonné - exprimé alors par les immigrés de retour aux pays d'origine; et en raison de la carence d'une politique cohérente des pouvoirs publics en la matière), on remarque, depuis plusieurs années, une visibilité croissante de l'islam. Celle-ci s'exprime notamment à travers les revendications en faveur de la construction de mosquées et de lieux de culte décents, de la demande de généralisation des carrés musulmans dans les cimetières, du respect de l'abattage rituel et des produits «licites », dits Hallâl, de la diffusion de tels produits dans les cantines des écoles et des armées, ou encore de la célébration des fêtes religieuses et du mois de Ramadan. Elle s'exprime également à travers les demandes de formation des Imâms, de construction d'établissements 41
d'enseignement islamique et, surtout, à travers l'essor de centaines d'associations islamiques, du rôlé croissant de la Grande Mosquée de Paris ou d'autres Fédérations d'associations concurrentes dans le débat public - politico-
juridique ou culturel - sur le statut et la place de l'Islam en France et en Europe. Cette visibilité ascendante, l'affirmation vigoureuse d'une «identité islamique» (en réalité, celle-ci est plurielle et il convient de l'entendre dans son acception sociologique et culturelle - car la pratique religieuse stricto sensu est très faible)... apparaissent comme une dimension fondamentale de sédentarisation. Celle-ci s'accompagne inéluctablement d'un besoin intense d'insertion sociale, d'une demande forte de reconnaissance et d'une quête incoercible d'intégration à l'espace de la République. Toutefois, il se trouve que cet ancrage profond et durable de l'Islam dans l'espace européen, la réceptivité croissante des jeunes d'origine musulmane au message religieux et cette affirmation identitaire ont coïncidé avec l'effervescence de l'islamisme radical dans la plupart des pays arabo-musulmans et la montée en puissance de l'islam politique à l'échelle internationale. Ce phénomène ne concerne évidemment pas le seul monde de l'Islam~ Dans un monde marqué plus qu'auparavant par la crise des valeurs, l'épuisement des grands récits idéologiques, la perte de sens et de repères, dans un contexte général de mondialisation et d'exclusions, d'interdépendance planétaire et de malaises sociaux..., le besoin de reconnaissance identitaire et certaines revendications politiques ont tendance à s'exprimer, un peu partout, dans le registre « culturel », en 42
particulier religieux.
par un recours
excessif
aux signifiants
Des événements aussi graves que la guerre du Golfe, la guerre civile en Algérie ou encore le drame incommensurable des populations de BosQie-Herzégovine par exemple, ont probablement affecté les musulmans de France et d'Europe. Néanmoins, dans des contextes aussi périlleux - où l'on sentait l'hostilité et les appréhensions
monter - la sérénité et la dignité dont ceux-ci ont fait preuve constituent, à coup sûr, la meilleure attitude et la meilleure réponse aux sombres desseins de tous ceux qui tentent de ranimer les querelles et les rancœurs, d'accentuer les animosités, les inimitiés et les intolérances. D'autre part, en Europe même, le développement des exclusions sociales, la montée de la xénophobie et du racisme ordinaire n'ont pas manqué d'exacerber les désarrois d'une partie de la jeunesse d'origine musulmane habitant les quartiers difficiles des agglomérations urbaines. Certains de ces jeunes ne voient plus guère dans les valeurs de la société d'accueil que discriminations et agressions à leur égard aiguisant de la sorte l'ardeur militante de quelques groupes extrémistes. Il ne sert effectivement à rien d'occulter les réalités en cherchant à minimiser l'impact de ce prosélytisme intégriste sur une fraction de la population de certaines cités dites «sensibles». Même si les poussées de violence qui embrasent régulièrement ces espaces - et semblent à
présent s'y installer durablement - s'avèrent moins relever d'un phénomène général de mobilisation profonde et significative ou d'une riposte islamistes que d'une multitude de tensions et d'incidents à caractère local (multiplication des contrôles d'identité visant en priorité
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les maghrébins; interpellations policières d'lln membre de la famille ou du quartier, puis riposte collective; remarques désobligeantes; refus d'accéder à des fêtes; tensions nées du discours de l'extrême droite; affrontements, vols, dégradations, etc.). Toutefois, l'intégrisme se nourrit - ici comme ailleurs - du désespoir et des frustrations. Il tente de détourner à son profit (en les dévoyant) l~s besoins de reconnaissance, d'estime de soi et de ressourcement identitaire. Et, surtout, il s'alimente de la dégradation inquiétante de la situation de ces quartiers: échec scolaire, chômage de longue durée et absence de perspectives professionnelles; résignation des parents et étiolement des images parentales comme modèles d'identification; désocialisation. d'une partie de la population juvénile qui se trouve démunie par rapport aux normes sociales minimales; dégradation inquiétante de l'habitat, de l'éducation et de l'emploi; échecs des associations classiques et des services sociaux à juguler ces problèmes persistants; d'où l'intensification d'actes violents et de vandalisme; le développement inquiétant de la délinquance des mineurs, du trafic des stupéfiants, des comportements de bande, de l'insécurité permanente voire de la banalisation de l'utilisation des armes à feu, etc. L'islamisme n'est évidemment pas la cause de cette situation; il est plutôt le symptôme de la crise et cherche à canaliser à son compte les détresses et le marasme social. Cet activisme militant, qui présente de l'islam une lecture radicale à l'abondante affirmation identitaire et à l'ample teneur idéologique, risque - si rien de sérieux, d'étendu et de conséquent n'est fait pour sortir les banlieues de la crise, offrir de l'espoir et des perspectives aux jeunes, restituer à la population qui y demeure la paix, la sécurité
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et l'emploi - d'affaiblir sévèrem,ent et assez rapidement un islam plus modéré, serein, pacifique, sûr de soi et ouvert aux autres, encore très largement majoritaire. Il existe donc une menace réelle de radicalisation d'une frange plus ou moins importante de la jeunesse musulmane. D'autant plus que le mal vivre, le chômage prolongé, l'accentuation de toutes sortes de ségrégations, la diffusion dans l'opinion - à travers certains médias peu enclins à la nuance - d'une représentation négative de l'Islam et des musulmans... tendent à accentuer l'exaspération des populations concernées. Ce que ne manquent pas de récupérer certains groupes qui prônent le repli identitaire, la survalorisation inconsidérée des appartenances communautaires et religieuses. Ces mouvements n'hésitent pas à répandre l'idée néfaste d'irréductibilité des différences culturelles; ce qui les conduit, ipso facto, à une demande plus grande de « communautarisation » (c'est-à-dire, finalement, de « ghettoïsation ») de la société. Plus grave encore, dans certaines cités où des activistes ont réussi à s'implanter, d'âpres affrontements se déroulent autour du contrôle des mosquées, entre musulmans modérés et intégristes, ces derniers n'hésitant pas à recourir à la violence et aux intimidations. L'Islam quiétiste et modéré - celui auquel demeure attachée l'immense majorité des citoyens musulmans (pas tous pratiquants, loin s'en faut) - est absolument compatible avec les lois de la République et les modes de vie des sociétés d'accueil. Les musulmans ne cessent, en effet, d'inventer et d'éprouver des formes plurales et originales de religiosité qui ne contredisent en aucune manière la vie dans les pays européens.
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En revanche, la lecture islamiste (ou néofondamentaliste) de la religion - qui s'adosse à une conception «intégraliste» de la Loi révélée, pour aboutir fmalement à un discours totalitaire - est absolument antinomique avec les fondements de l'Etat laïque et démocratique. Dans une telle perspective, en effet, la foi, dans sa formulation « littéraliste » et dogmatique est censée offrir la totalité de la Vérité, et toute réinterprétation, tout travail critique de l'orthodoxie, sont condamnés comme « hérésies». Cette pathologie de la croyance religieuse - en rupture avec le souci spirituel et éthique - se manifeste, presque toujours, avec une force particulière, un dynamisme redoutable, dans les moments d'incertitude. Une telle conception unilatérale, monolithique du culte, de la doctrine et des
mœurs - qui tourne le dos à la recoPdlaissancede la diversité et de la pluralité du fait religieux - ne peut aboutir qu'à l'intolérance ou au repli sur soi. Les discours et les pratiques de ces groupes intégristes contribuent hélas à l'accentuation des incompréhensions mutuelles et ne font qu'attiser les haines et exacerber les peurs. Car, il faut bien le reconnaître: l'imaginaire occidental, de son côté, entretient nombre de stéréotypes et de simplifications outrancières au sujet d'un islam perçu comme intemporel, monolithique et diamétralement opposé à l'émancipation des femmes, à la laïcité, aux libertés démocratiques, etc. Une part de cet imaginaire puise, en outre, ses fantasmes dans une mémoire largement revisitée et univoque concernant les rapports multiséculaires tourmentés (en particulier pendant la phase des colonisations) entre Islam et Occident. Des deux côtés de la Méditerranée, ne perçoit-on pas, en effet, une inquiétante montée des tendances idéologiques
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régressives (extrême droite en Europe, islamisme radical au Maghreb et dans d'autres pays arabo-musulmans) qui veulent figer les cultures dans une irréductibilité largement
fantasmée - se nourrissant mutuellement d'anathèmes échangés, de xénophobie, de volontés d'hégémonie ou encore de fantasmes de « pureté nationale », religieuse ou ethnique? Ce qui ne peut mener qu'à l'absolutisation d'antagonismes supposés entre Islam et Occident et, finalement à leur incommunicabilité. Enfermant l'islam dans une vision réductrice, fabriquée grâce à l'accumulation de lieux communs et de préjugés tenaces, certains en Europe n'hésitent pas à assimiler cette immense civilisation au fanatisme de mouvements intégristes. Or, ces derniers sont loin d'épuiser l'extraordinaire richesse humaine, intellectuelle, sociale et culturelle du vaste monde musulman. De leur côté, les islamistes, partisans du retour à une «authenticité» (Assâlah) chimérique, estimant que la religion est menacée dans ses fondements, ne perçoivent dans l'Occident qu'un ennemi séculaire et dans la modernité qu'agression culturelle et « immoralité» (Fassâd)." Faire face à cet intégrisme, aux implications politiques et socioculturelles désastreuses, est un devoir moral et civique. Mais il convient également d'éviter la stigmatisation de toute une population qui ne saurait être comptable des agissements de quelques groupes prétendant parler et agir en son nom, et dont certains sont fanatisés et manipulés. De même, il est abusif d'accréditer l'idée que les jeunes des banlieues sont systématiquement et majoritairement embrigadés dans des mouvements islamistes radicaux. Comme il est erroné d'apprécier l'Islam de France à l'aune des seules turbulences
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politiques qui secouent présentement les sociétés maghrébines ou musulmanes. Car on ne fait de la sorte qu'ajouter au désarroi social, précédemment évoqué, des dévastations psychologiques aux conséquences redoutables. La question de la compatibilité (ou non) de la religion musulmane avec la laïcité et la modernité ne doit pas être posée de manière abstraite. Comme pour les autres
religions, l'islam - qui recouvre, rappelons-le, plusieurs dimensions et une très grande diversité de réalités - évolue en fonction de l'aptitude des musulmans eux-mêmes à adapter leurs croyances et leurs pratiques aux réalités vécues. La disposition de la majorité des musulmans à l'ouverture et au respect des valeurs cardinales des sociétés d'accueil, leur souci constant de modération et d'apaisement en cas de conflit, par exemple, constituent des preuves tangibles de cette évolution. D'autre part, l'identification à l'islam peut emprunter de multiples voies, et être diversement motivée. L' « appartenance islamique» est plurielle. Il convient de l'entendre davantage dans son acception culturelle que purement «religieuse». La pratique religieuse stricto sensu est, en réalité, extrêmement faible. La fréquentation régulière des mosquées semble beaucoup moins importante que pour les catholiques se rendant à la messe. Et même si certaines enquêtes indiquent que les jeunes issus de la culture musulmane semblent globalement plus attachés à la religion, l'écart qui les sépare des autres jeunes n'est pas aussi grand que l'on croit; il tend même à s'estomper totalement lorsqu'ils ne sont pas pratiquants. La plupart de ceux qui se disent explicitement musulmans, pratiquent, en fait, un islam individuel qu'ils revendiquent comme une morale personnelle, ou bien encore ne s'y
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identifient qu'en tant qu'il incarne, à leurs yeux, une «identité culturelle ». Quant à la pratique cultu~lle et rituelle, elle tend à se réduire au strict minimum: la pratique des prières, la fréquentation des mosquées, la connaissance et la lecture des textes de base... sont en baisse sensible; de très nombreuses règles ne sont simplement plus observées... En fait, la religiosité se manifeste massivement autour quelques rites ostentatoires comme le ramadan. Elle n'est donc pas, en tant que telle, un obstacle à l'assimilation culturelle. Aussi, convient-il de bien distinguer l'adhésion formelle à la religion de la pratique réelle. Il faut aussi distinguer le poids des structures familiales de l'influence propre du système de la normativité islamique. De même, ne faut-il pas confondre le contenu théologique de la doctrine, des systèmes fort variés et complexes des mœurs, etc. De toute façon, ces pesanteurs sociales tendent à s'estomper avec le temps, en particulier pour les jeunes générations nées en France et en Europe. La plupart des études le montrent: les jeunes issus de l'immigration, « bricolent» des identités intermédiaires, construisent des identités personnelles à partir d'éléments complexes et multiples, pour gérer l'assimilation et éviter les déchirements. Ainsi, très souvent, l'affirmation de plus en plus vigoureuse d'une «identité islamique» doit être interprétée comme une demande forte de reconnaissance qui n'est nullement contradictoire avec une quête incoercible d'intégration à la société française et à l'espace de la République. En bref, la population musulmane de France est constituée d'individus, de familles, de groupes, dont les modes de vie, les manières de croire, les pratiques culturelles et cultuelles, les choix idéologiques, les
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trajectoires individ~elles, les origines socioculturelles et nationales, les aspirations individuelles et les rêves... sont extrêmement divers. Cette diversité tient, d'abord, à la grande variété des systèmes culturels dans les diverses nations, régions, milieux sociaux, quartiers, villes ou villages... dont sont originaires ces populations. De plus, transplantés, depuis plusieurs. générations parfois, dans des nations européennes aux traditions culturelles et juridicopolitiques elles-mêmes très variées, les musulmans d'Europe ont appris, peu à peu, à accommoder leurs systèmes de valeurs respectifs, leurs conceptions propres du religieux... à la condition inédite d'un environnement majoritairement non musulman. Enfin, il convient de distinguer deux choses que l'on a trop souvent tendance à confondre. D'une .part, la pluralité des manières d'être musulman et de s'identifier à sa religion. Et d'autre part, les calculs proprement politiques auxquels se livrent divers animateurs de mouvements politico-religieux et certains dignitaires religieux qui se rendent bien compte de l'enjeu
crucial que représente désormais la question de .
l'institutionnalisation de l'Islam de France (et plus généralement d'Europe) - et entendent en profiter. Avant d'aller plus loin dans l'analyse des multiples formes d'expression et d'identification à l'islam en France, il importe de souligner ici - contrairement à ce qui est souvent affirmé - que l'islam, au même titre que les autres religions, n'échappe pas, surtout en Europe, au processus de sécularisation qui affecte les sociétés contemporaines. En France, on peut même dire que, globalement, l'islam s'accommode fort bien de la laïcité. La majorité des Musulmans ne semble pas contredire le système laïque.
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Ce dernier étant, par excellence, un principe régulateur du pluralisme des convictions, un mode d'institution de la
tolérance - dans le respect du projet commuil de la République. En général, il n'y a nulle contradiction entre le fait d'être musulman et celui de consentir au modèle de la laïcité. Un modèle qui, rappelons-le, fonde le politique sur des bases démocratiques, et permet d'aménager, au mieux, la liberté de conscience, la positivité juridique moderne (absolument distincte de la normativité religieuse) et un espace public de délibérations démocratiques. Cependant, la sécularisation ne signifie point déclin ou éclipse de la religion, mais transjormation-recomposition du religieux. Les dynamiques de modernisation socioéconomique et culturelle (industrialisation et urbanisation, évolution des mœurs, rationalisation et individualisation, différenciation des sphères et autonomisation du politique, esprit critique et contestation des principes d'autorité et de communauté « holistique », etc.) ne se sont nullement traduites par la disparition du religieux. Elles ont plutôt engendré des déplacements de celui-ci, et entraîné de profondes mutations dans les conceptions et pratiques religieuses. On ne saurait, par exemple, interpréter les phénomènes actuels de « renouveau religieux» en terme de « retour », ni sous-estimer la crise sans précédent qui a affecté les institutions religieuses classiques. Et ce, en dépit de la vitalité d"une religion comme l'islam et des poussées islamistes à travers le monde. D'une manière générale, il convient plutôt de mettre l'accent sur l'existence d'une dialectique de la perte et de la permanence du religieux. La sécularisation a certes profondément entamé les vieilles
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visions du monde théologiques et les anciennes autorités dogmatiques. Mais, elle s'est également traduite par l'émergence de nouvelles manières de croire, de nouvelles formes d'expression religieuse. L'ébranlement culturel et spirituel, auquel nous assistons en cette fin de siècle, atteint toutes les spiritualités et toutes les religions instituées, sans exception aucune. Ceci se manifeste certes par une sévèr.e critique des magistères religieux classiques, y compris par des fidèles, de plus en plus attachés au jugement individuel. Ce qui induit un phénomène quasi général de détachement par rapport aux institutions religieuses traditionnelles. Pourtant, cela ne signifie nullement crise du religieux en tant que tel. Mais plutôt, réemplois des référents religieux, mutations profondes du croire, transformations des pratiques et du rapport au divin, etc. Toutes les religions - y compris donc l'islam - sont confrontées, à des degrés divers évidemment, à un double phénomène contradictoire: intégrisme (et/ou sectarisme), d'un côté; individualisme, de l'autre. Les deux dynamiques n'étant pas portées par les mêmes acteurs même si elles peuvent se manifester simultanément. Ainsi, peut-on assister, d'une part, à l'irruption publique de groupes se réclamant d'une tradition religieuse réinterprétée, à l'instrumentalisation des référents religieux pour justifier certaines affinnations identitaires, légitimer des revendications politiques ou, tout simplement, pour reconstituer des communautés. D'autre part, on peut constater, à l'inverse, l'affirmation de l'autonomie de la conscience personnelle, la privatisation d'une religiosité considérée comme relevant quasi exclusivement du for intérieur - on peut parler, dans ce cas, de « privatisation du croire ». On se situe, en effet, au cœur de la crise du
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monde contemporain. Un monde dans lequel les individus sont tiraillés entre un vide existentiel à combler et la soif de divin et d'absolu. Ou, pour le dire autrement, le besoin de réenchantement du monde - un monde considéré comme vide de valeurs et de sens - se fait terriblement sentir. Dans un tel contexte, les religions sont confrontées à un phénomène de « bricolage» : les fidèles opèrent des choix singuliers à l'intérieur des normes, codes et pratiques cultuelles... D'où des croyances vagues et fluides, des pratiques irrégulières, des appartenances flottantes, etc. La demande de spiritualisation peut donc aller de pair avec une contestation, plus ou moins ouverte, des autorités instituées (ou ecclésiales). De même, l'individualisme peut engendrer à la fois une distanciation opérée à l'égard de la pratique, et une intériorisation du croire, c'est-à-dire une primauté accordée au rapport spirituel direct avec le divin, sans médiation, ou encore, une idéologisatiQn du message religieux et son instrumentalisation politique. Ces « libertés» manifestées à l'égard des prescriptions dogmatiques traduisent, en fait, des recherches de « transactions» ou de «compromis» entre tradition et modernité. Une des conséquences importantes de la sécularisation est donc l'éclatement des manières de vivre et de pratiquer la foi. On peut même affirmer que, dans certains cas, les fondamentalismes - comme mouvements de réaction visant au resserrement du lien social et exprimant une demande de reconnaissance et d'intégration - ne contredisent en rien le processus de sécularisation.
Car ils peuvent déboucher sur un «intégralisme» ou « intransigeantisme » subjectif, de type psycho-individuel, visant la seule intégration individuelle, qui s'accommode donc fort bien d'un pouvoir temporel laïc. Mais cette crise
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des institutions religieuses traditionnelles peut tout aussi bien déboucher - comme on le voit bien avec les radicalismes islamistes - sur un fondamentalisme résolument tourné vers l'action politique. Cet islamisme radical débouche, quant à lui, sur un intégralisme social et politique, à prétention unificatrice, totalisante et totalitaire (le système social et politique est, dans une telle perspective, tout à la fois: Dm, Dunyâ et Dawla). Les nouvelles générations de Musulmans de France et d'Europe ont donc de multiples rapports à l'identité islamique, aux normes religieuses et aux prescriptions cultuelles. Comme les fidèles des autres confessions, ce qui les caractérise fondamentalement, c'est la très grande diversité de leurs rapports à la foi et aux pratiques religieuses. Cette diversité des pratiques renvoie à la pluralité de leurs origines géographiques, sociales, ethniques, culturelles, etc. Immergés dans des sociétés modernes, ils évoluent inévitablement et s'acheminent vers une conciliation de leurs multiples appartenances avec les valeurs fondamentales des sociétés d'accueil. L'islam qui en découle ne cesse donc, lui-même, de se transformer, et il convient, par conséquent, de le conjuguer au pluriel. Plusieurs modalités d'appartenance islamique en découlent: les unes mettent l'accent moins sur l'aspect purement normatif ou encore spirituel, que sur la dimension sociale et culturelle. D'autres opèrent une idéologisation du message religieux. POUi"d'autres encore, l'islam semble s'inscrire quasi exclusivement dans le registre du for intérieur et de la vie privée, etc. D'une manière générale, la tendance la plus significative de l'évolution de l'islam d'Europe semble être la dimension individuelle de l'expérience religieuse plutôt qu'une contrainte communautaire simplement héritée ou subie.
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2. La pluralité des modes d'expression de l'islam Ainsi que l'ont montré certains spécialistes (voir la bibliographie complète en fin de volume), l'expression islamique en France aujourd'hui emprunte plusieurs voies, plusieurs modalités distinctes. D'abord, un islam populaire, serein et pacifique qui concerne, jusqu'à présent, la majorité des Musulmans de France. Ensuite, un islam moderne, largement sécularisé, promu par des personnes relativement jeunes appartenant, pour l'essentiel, aux couches moyennes et qui sont attachées à un contenu plus culturel que cultuel de leur « appartenance islamique» ; c'est un islam où l'emporte largement une logique individuelle. Soulignons d'emblée, qu'en règle générale, chez les musulmans qui valorisent ces deux premières formes d'islamité, il n'est pas question de déroger aux lois de la République. Par exemple, ils refusent catégoriquement toute idée d'application du droit religieux et du statut personnel aux musulmans. De même, rejettent-ils
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fermement toute tentation de « communautarisation» de la société française. Pour ces musulmans, la deuxième religion de France est parfaitement compatible avec la laïcité et le régime démocratique. La troisième figure d'expression islamique est celle qui emprunte la voie de la « réislamisation ». Il s'agit ici des stratégies déployées par divers groupes et associations, influencés par l'idéologie de l'islamisme radical ou celle du «néofondamentalisme» et qui utilisent le message religieux à des fms explicitement politiques. Il convient, cependant, de distinguer, à l'intérieur de cette troisième catégorie, trois manifestations différentes de la « réislamisation ». bes réseaux d'activistes radicaux, très marginaux, souvent clandestins et liés à l'étranger. Un islamisme militant, moins clandestin mais très minoritaire aussi, sectaire car formé de petits cercles fermés regroupant un nombre restreint d'adeptes autour de mosquées de quartiers dirigées par des « guides » intégristes autoproclamés. Il y a, enfin, un « néofondamentalisme» beaucoup plus significatif, très visible et plus ambitieux; son projet consiste à fédérer toutes les associations, à rassembler la « Communauté musulmane» pour se poser comme futur interlocuteur de l'Etat français. Les centaines d'associations qui partagent, peu ou prou, ce projet, se distinguent par leur militantisme social (associations cultuelles et culturelles, groupes de soutien scolaire, activités sportives, organisation de forums, etc.), ainsi que par leurs tentatives, explicites et ouvertes, de reconstruction d'une identité commune à partir du seul référent islamiste. Ce qui les conduit, dans le même temps, à diffuser un islam du refus et du ressentiment (critique de l'occidentalisation, stigmatisation de l'assimilation) et à vouloir accomplir des stratégies de
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« communautarisation ». Elles apparaissent à de nombreux jeunes comme une promesse d'authenticité et de réconciliation avec l'identité et comme moyen de contester les institutions. Il faut souligner, qu'à la différence des premiers réseaux clandestins (de terrorisme, souvent), les deux dernières catégories, quoique différentes, ont pour point commun de toucher des jeunes gens des banlieues en voie de marginalisation, à l'identité affectée. Néanmoins, le dernier phénomène est sociologiquement beaucoup plus large - puisqu'il touche aussi les moins jeunes et les cadres-, et politiquement plus significatif de l'évolution de l'Islam de France - puisque sa préoccupation prioritaire n'est pas l'évolution de la situation des pays arabomusulmans, mais l'affirmation d'un Islam spécifique à l'intérieur des sociétés occidentales. Avant de revenir sur ces différentes manifestations d'identification à l'Islam et sur ces différents modes de vie et de pratique de la croyance, pour tenter d'en approfondir les caractéristiques et les implications, notons tout d'abord que les différentes composantes (ethnoculturelles, sociales, professionnelles, classes d'âge... ) des populations d'origine musulmane ne se vivent pas comme appartenant à une véritable Communauté unie et cohérente. Le terme de « Communauté» doit s'interpréter d'ailleurs, et avant tout, au sens sociologique et culturel; comme il doit se conjuguer au pluriel, étant entendu qu'en plus de l'extrême faiblesse de la pratique religieuse, les Musulmans appartiennent à des univers « civilisatiomlels » et sociaux très divers. En outre, on ne peut pas vraiment parler d'une « Communauté musulmane» au singulier, c'est-à-dire d'un groupe uni,
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doté d'un très fort sentiment d'identité commune, ayant les mêmes aspirations, le même projet social et politique. A la fragmentation et à l'extrême diversité de populations qui, lorsqu'il s'agit de pratiquants, ne reconnaissent aucun leader incontesté ou clergé structuré et sont réfractaires à tout encadrement centralisé, il faut ajouter l'âpreté des clivages et des dissensions entre associations. Il convient surtout de noter un long et profond processus d'« acculturation/déculturation» touchant plus particulièrement les jeunes générations nées ou élevées en France et en Europe. Celles-ci se sentent rarement concernées par les différences ethnoculturelles et encore moins par les clivages idéologico~politiques des pays d'origine. Chez la plupart de ces jeunes, les coutumes, la pratique des langues originelles ont tendance à se perdre. De même, l'exercice de la religion et la participation associative sont très marginales. Et même lorsqu'il s'agit de croyants pratiquants, généralement, ceux-ci ne se considèrent pas musulmans simplement parce qu'ils sont nés de parents musulmans; être musulman résulte, chez eux, d'un choix volontariste,
individuel, libre et personnel -
signe d'une forte
imprégnation de la culture individualiste occidentale (française, en particulier) et d'une intégration en train de s'opérer, non sans heurts certes, mais de manière très profonde et irréversible. Extrême diversité des populations; éclatement des représentations, des modes d'identification et d'utilisation des référents religieux; visibilité croissante et demandes de reconnaissance et d'insertion dans l'espace démocratique et laïque; montée, néanmoins, des revendications particularistes, voire accentuation de
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l'instrumentalisation, par divers groupes intégristes, des signifiants identitaires et des malaises sociaux... voilà quelques aspects saillants de l'Islam de France. Mais avant d'aller plus loin dans l'analyse des caractéristiques et de la diversité de ses expressions, examinons - même rapidement - d'abord les chiffres concernant le nombre de musulmans en France, ensuite, le degré de pratiques religieuses des populations musulmanes, tel qu'il ressort des dernières enquêtes effectuées en France ( par exemple: Sondage IFOP pour Le Monde et La Vie, 30 novembre 1989 ; Enquête reprise en 1994, à partir d'un échantillon de 535 personnes. Ou encore: Enquête mobilité géographique et insertion sociale - MGIS - 1992 : 13 000 enquêtés, Rapport final, INED, 1995, publiée sous la direction de Michèle Tribalat).
2.1. Les pratiques
religieuses
des musulmans
Combien y a-t-il de musulmans en France? Comme le note, à juste titre, Alain Boyer (in. L'Islam en France, PUF, 1998 ; p. 18 et suivantes), il n'existe pas de statistiques religieuses officielles en France; à cause des principes de laïcité, il n'existe que des évaluations sociologiques - qui n'éludent d'ailleurs pas le problème de l'imprécision dans la définition de l'appartenance religieuse. S'appuyant sur diverses enquêtes de l'INSEE et de l'INED, l'auteur propose une première approche qui "permet d'évaluer les populations musulmanes, à p.artir 59
des différentes origines, en faisant abstraction différents degr~s d'adhésion religieuse possibles" :
des
Musulmans d'origine arabe maghrébine Dont: Algérie Maroc Tunisie Musulmans. arabes du Moyen-Orient Musulmans non arabes du Moyen-Orient (dont Turcs) Musulmans « africains» (= d'Afrique noire) Convertis français d'origine Demandeurs d'asile et clandestins Asiatiques Autres
2 900 000 1 550 000 1 000 000 350 000 100 000
Total
4 155 000
315 000 250 000 40 000 350 000 100 000 100 000
Alain Boyer, L'Is/am en France, PUF, 1998 ; p. 18.
Ce chiffre important, fait remarquer Alain Boyer, « place la France largement en tête des pays d'Europe occidentale où le nombre total des musulmans est évalué à 8 millions» - avec, pour chaque pays, le nombre de musulmans suivant: Allemagne: 2 500 000 ; Angleterre: 1 750 000 ; Pays-Bas: 500 000 ; Italie: 400 000 ; Belgique 300 000 ; Espagne: 200 000) (Source: Catherine Barthélémy, Marie-Bruno Laugier et Christian Lochon, L'Islam en Europe, Dossiers du Secrétariat pour les Relations avec l'Islam -SRI-, nouvelle série, nal, mars 1996). Ainsi que le remarque Alain Bayer, il est cependant possible d'arriver à une approche statistique plus fine de la
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population musulmane en France à partir des statistiques sur la population étrangère par pays d'origine, supposée «d'appartenance islamique ». Le dernier recensement disponible, celui de 1990, permet, par exemple, de fournir le nombre des étrangers, nés hors de France et en France, par pays: Algérie Maroc Tunisie Turquie Sénégal Mali
614 207 572 652 206 336 197 712 43 044 37 693
Source: Recensement INSEE, in. La connaissancede l'immigrationet de l'intégration,décembre 1992. Rapport au Premier Ministre, éd. La Documentation fr3:nçaise ; p. 96.
Il faut, bien sûr
-
note Alain
Bayer -
ajouter
les
ressortissants de nombreux autres pays (Maliens, Iraniens, Pakistanais...) mais, pour d'autres pays, il est bien difficile de déterminer la part des musulmans (Yougoslaves, Libanais, voire Egyptiens...). A partir de ces données, les statisticiens tentent d'évaluer la descendance des immigrés, en extrapolant, à partir du taux de fécondité, l'apport démographique indirect de l'intégration étrangère. Mais ces approximations risquent de ne pas prendre en compte l'impact de la baisse très nette de fécondité des Français d'origine étrangère. Bien sûr s'y ajoutent les musulmans français qui représentent sans doute plus du tiers de l'ensemble des musulmans de France... mais leur évaluation est encore plus difficile. Ainsi que le remarque Alain Boyer, ils appartiennent, en effet, à trois catégories (auxquelles il convient d'ajouter évidemment les musulmans originaires des Dom-Tom) : 61
les harkis et leurs descendants. Le dernier recensement où ils apparaissent officiellement, celui de 1968, dénombre 85000 « rapatriés français musulmans », 140 000 avec leurs familles. La Délégation aux rapatriés les estime à 450 000, mais certains experts avancent le chiffre, sans doute exagéré, de 700 000 ; les « devenus Français », enfants et petits-enfants d'immigrés ayant acquis la nationalité française par différentes voies (le flux de demandes agréées est d'environ 100 000 par an) mais tous ne sont pas musulmans! les « devenus musulmans » ou convertis à l'islam par conviction ou pour épouser un conjoint musulman que l'on peut estimer à 30 000 environ (les évaluations vont de 10000 à 100 000...). Alain Boyer, L'ls/am en France, PUF, 1998 ; p. 19-20.
Il est encore possible de préciser ces données, en partant des données du recensement de 1990 : Population totale 56 625 000 personnes Résidents étrangers (au total) 3 596 000 personnes Dont résidents de pays musulmans (Algériens) 614 207 personnes Dont résidents de pays musulmans (Marocains) 572 652 personnes Dont résidents de pays musulmans (Tunisiens) 206 336 personnes Dont résidents de pays musulmans (Turcs) 197 712 personnes (Il faut y ajouter les ressortissantsd'un nombre importantde pays d'Afrique noire, du Proche et du Moyen-Orient et même
d'Asie, soit plus de 200 000 personnes au total.) Alain Boyer, L'ls/am en France, PUF, 1998 ; p. 20.
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A ces musulmans résidents étrangers il f~ut ajouter, bien sûr, les Français musulmans. Alain Bayer avance les évaluations suivantes: Rapatriés d'origine nord-africaine (RONA : harkis et supplétifs de l'armée française et leur famille) 600 000 Enfants français issus de parents algériens 400 000 Enfants nés en France de parents d'origine musulmane devenus français par lejus soli à la majorité 200 000 Français de souche convertis à l'islam 40 000 (Il faut ajouter également à cette catégorie les musulmans de Mayotte et des autres DOM-TOM). Alain Boyer, L'lslam en France, PUF, 1998 ; p. 20. On peut estimer - comme le fait remarquer Alain Boyer - que le nombre de musulmans sur lè territoire français a
atteint globalement aujourd'hui un peu plus de quatre millions. C'est le chiffre approximatif sur lequel la plupart des observateurs se mettent d'accord. Cela fait de l'islam incontestablement la seconde religion de France, et de la France le pays de l'Union européenne qui compte le plus fort pourcentage de musulmans (7 % environ de la population totale). La France est aussi le seul pays européen dont la communauté musulmane est majoritairement
maghrébine
-
avec une prédominance
des
Algériens auxquels il faut ajouter les Marocains et les Tunisiens mais aussi beaucoup de citoyens français. Ainsi que le note Alain Boyer: « Outre les musulmans qui avaient obtenu la nationalité française, malgré le problème du statut personnel, après la Première et la Seconde Guerre 63
mondiale, il convient de souligner deux cas: les harkis ou, plus exactement, les rapatriés d'origine nord-africaine (RONA), anciens supplétifs de l'armée française et leur famille, qui, après l'indépendance de l'Algérie, ont dû se replier en France pour se protéger et sont devenus français par choix, et les enfants d'immigrés nés sur le sol français, ou les jeunes nés en Algérie avant l'indépendance, donc dans une colonie française et qui obtiennent leur citoyenneté française à leur majorité par le jus soli. Mais en même temps, coexistent de nombreuses autres communautés musulmanes, turque, indo-pakistanaise, africaine, proche orientale, moyen-orientale, qui font de la France un lieu de rencontres, sinon de brassage, et parfois d'affrontements, entre toutes les cultures du monde islamique ». S'intéressant à l'implantation des musulmans sur le territoire métropolitain, Alain Bayer note qu'elle est très inégale. «Il s'agit d'abord essentiellement des grandes et des très grandes villes (et de leurs banlieues). En tête, la région parisienne en regroupe 38 %, puis Provence Alpes Côte d'Azur 13 %, et Rhône-Alpes 10 %. On tombe à 5 % dans le Nord Pas-de-Calais, et le reste des régions (donc 18 sur 22) n'en compte que 34 % au total. Cette répartition n'empêche pas des spécificités régionales fortes. Prenons l'exemple de l'Alsace qui connaît depuis 1991 une stabilisation de l'effectif global des étrangers d'origine maghrébine et turque, et même une diminution des élèves de confession musulmane (qui étaient 6 910 à la rentrée 1985 dans le Bas-Rhin sur 69 910 élèves, soit 10,1 %, et qui ne sont plus que 6 141, soit 9,32 % à la rentrée 1991). Pour l'ensemble de l'Alsace, l'effectif est passé durant cette période de 13 501 élèves (soit 12,37 %) à 12 490 (soit 11,38 %). Les Turcs, avec 23 200 ressortissants, sont
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la communauté la plus nombreuse, mais l'Alsace est la région où les contacts avec les Maghrébins (39 000 au total) sont très fréquents.» (Alain Boyer, L'Islam en France, PUF, 1998 ; p. 18-22). Il faut, à présent, s'intéresser aux formes et degré de pratiques religieuses des musulmans - et donc opérer des distinctions suivant les taux de pratique et les types de pratique (respect du ramadan, respect des interdits alimentaires, pratiques des prières quotidiennes... ).
Formes et degré de pratiques
religieuses
L'Enquête de l'INED, publiée sous la direction de Michèle Tribalat (Faire France, éditions La Découverte; chapitre 4 : « Pratiques religieuses, l'islam en France» ; p. 91-111), évalue les pratiques des populations d'origine musulmane à partir notamment de la fréquentation des lieux de culte et du degré d'implication religieuse. Ainsi, la fréquentation de lieux de culte apparaît rarissime parmi les immigrés d'Algérie (11 %), et la plus élevée chez les Mandés d'Afrique noire (34 %). Près de la moitié des immigrés d'Algérie déclarent n'avoir pas de religion ou ne pas pratiquer. La part de ceux qui pratiquent régulièrement est la plus faible parmi les migrants algériens (29 %) - avec une différence entre les Kabyles (14 % pratiquent régulièrement) et les Arabes (32 %). Mais la situation est pratiquement inversée parmi les immigrés du Maroc (les Berbères sont les plus pratiquants et tout particulièrement les femmes).
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L'Enquête note une forte réduction des pratiques chez les jeunes d'origine algérienne. La fréquentation des lieux de culte par les jeunes nés en France de deux parents immigrés est rarissime (deux fois moins que les immigrés d'Algérie). Leurs pratiques témoignent d'une certaine indifférence par rapport au « religieux ». Ils sont près d'un tiers à déclarer ne pas avoir de religion, hommes et femmes, soit le double des migrants d'Algérie, et même un peu plus pour les femmes.
Au total, la proportion de non-croyants ou de nonpratiquants est très proche de celle observée dans l'ensemble des jeunes du même âge résidant en France (près de 70 % des hommes et de 60 % des femmes). Les enfants des couples mixtes franco-algériens sont généralement agnostiques, bien plus souvent que ce n'est le cas en moyenne en France. L'univers culturel double dans lequel ils évoluent aboutit donc à un refus du religieux. « Pour le courant algérien - note Michèle Tribalat -, on observe donc, dès la génération des enfants nés en France, un fort ajustement des comportements: les pratiques se sont fortement rapprochées des pratiques moyennes en France (u. ) Le désintérêt manifeste des jeunes d'origine algérienne à l'égard de la religion ne permet guère d'envisager une réislamisation et une montée du fondamentalisme parmi eux. S'il est vrai que la dégradation de la situation sociale de certaines banlieues a permis à l'intégrisme de s'y installer, il faudrait imaginer une véritable démission des pouvoirs publics face aux problèmes sociaux pour qu'il prospère véritablement dans la jeunesse d'origine algérienne. » (Faire France, éd. La 66
Découverte; chap.4 : « Pratiques religieuses, l'islam en France» ; p. 97-98). Quant aux autres pratiques cultuelles (respect du jeûne du mois de ramadan, prescriptions alimentaires, telle l'interdiction de la consommation de l'alcool et du porc), il s'agit d'un fait culturel; elles permettent de mesurer davantage un attachement culturel que l'intensité précise du respect des prescriptions. « Comparées à la fréquence de la pratique religieuse et à la fréquentation d'un lieu de culte, les déclarations en matière d'interdits alimentaires se situent à un niveau tel qu'elles manifestent plus un attachement culturel que l'expression d'un sentiment religieux. » (Michèle Tribalat, op. cit. ; p.l03). L'Enquête fait ressortir une permissivité généralement plus grande à l'égard de l'alcool. Et, qu'il s'agisse du respect des périodes de jeûne ou des interdits alimentaires, les pratiques ne sont pas simples et invariantes dans le temps. Leur respect peut être intermittent. Les Kabyles d'Algérie affichant une plus grande liberté vis-à-vis des interdits religieux que les Berbères du Maroc; et il n'y a guère de différences entre Arabes d'Algérie et Arabes du Maroc (situation exactement inverse pour les migrants du Maroc). On peut faire la même remarque en ce qui concerne les Kurdes parmi les migrants de Turquie. Michèle Tribalat ajoute ensuite: « Si le désintérêt religieux des jeunes nés en France de. deux parents immigrés semble très grand, il touche moins les pratiques du ramadan et les interdits alimentaires: environ les deux tiers déclarent jeûner et ne pas manger de porc et la moitié ne pas boire d'alcool. Sans préjuger des pratiques réelles, ces déclarations affirment plus une fidélité aux origines qu'un intérêt pour la religion (...) (Et) lorsqu'ils sont nés
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dans un couple franco-algérien, le fort désintérêt religieux s'accompagne d'une faible observance des prescriptions de l'islam en matière de jeûne et d'alimentation: un peu plus de 20% respecteraient l'interdit sur le porc et 14% ne boiraient pas d'alcool» (Michèle Tribalat, op. cit.; p.l 04). L'Enquête de Michèle Tribalat compare également les comportements des immigrés d'Algérie (les moins pratiquants des groupes d'immigrés de culture musulmane) à ceux nés en Espagne ou au Portugal et à l'ensemble des résidents en France, en grande majorité de culture catholique. La fréquentation des lieux de culte par des hommes venus d'Algérie est voisine de celle des migrants espagnols. Nouvelle similitude entre les migrants d'Algérie et d'Espagne: ceux qui n'ont pas de religion et ceux qui ne pratiquent pas sont à peu près aussi nombreux dans les deux cas, et un peu moins seulement que la moyenne nationale. Au contraire, ils sont beaucoup moins parmi les migrants portugais, les femmes principalement. Même résultat chez les jeunes d'origine étrangère qui connaissent un degré de pratique religieuse nettement plus faible. De nombreux facteurs viennent moduler ces pratiques religieuses. Outre l'effet d'acculturation ( capacité à maîtriser les codes culturels dominants) important qu'occasionne l'union mixte (à type d'union équivalent, les migrants d'Algérie sont encore ceux dont l'indifférence religieuse est la plus forte), la durée des études (moindre pratique religieuse chez les mieux scolarisés), la situation matrimoniale (fort ancrage religieux des J;1ommesvivant sans leur épouse restée au pays; faible pratique des célibataires) et le type de peuplement du quartier (la
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ségrégation renforce la pression sociale) sont des facteurs importants. Sur ce dernier facteur, Michèle Tribalat note que: « La composition ethnique du quartier est liée à la pratique religieuse, soit parce que les regroupements communautaires favorisent la revendication identitaire, soit parce que la pression sociale qu'ils exercent pousse les individus à se conformer aux préceptes religieux et culturels ». A partir des déclarations des enquêtés, l'équipe dirigée par Michèle Tribalat a construit une typologie des quartiers qu'ils habitent, comprenant les quartiers communautaires (beaucoup d'immigrés de même origine), les quartiers immigrés (beaucoup d'immigrés sans qu'il s'agisse spécialement de personnes de même origine) et les quartiers non immigrés (peu d'immigrés en général). Elle fait l'observation suivante: «Plus la concentration ethnique est grande, plus l'est également la fréquentation d'un lieu de culte: il est clair que la présence d'une mosquée ou d'un lieu de prière collectif dépend de l'importance locale de la population musulmane et module nécessairement la fréquentation. Le degré de pratique religieuse varie de même, la proportion de non-croyants augmente avec la dispersion des immigrés». Elle constate aussi « une plus grande émancipation vis-à-vis du jeûne et des interdits alimentaires dans les quartiers non immigrés, bien que l'attachement à ces pratiques reste important. C'est probablement dans ce domaine que la pression sociale en quartier communautaire s'exerce le plus. Ce n'est cependant pas la différence de localisation qui explique seule la diversité des pratiques religieuses suivant le pays d'origine: la plus faible assiduité des lieux de culte et la pratique relâchée des migrants algériens sont
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générales, quel que soit le type de quartier.» (Michèle Tribalat, op.cit. ; p.l 08-109).
Au total, intégration, acculturation et diversification se conjuguent pour offrir de la population de culture musulmane une image fort peu différente du reste de la société française - y compris en ce qui concerne les pratiques religieuses. En dépit de la crise, l'intégration ne semble pas rencontrer de difficultés insurmontables; elle se traduit dans de véritables mélanges entre populations; dans les domaines de la scolarité, de la vie professionnelle, du logement - en dépit des nombreuses discriminations rencontrées, cette intégration est en marche. En ce qui concerne l'intégration sociale et culturelle, de nombreux signes l'attestent: l'émancipation des femmes, la baisse de la fécondité, l'élévation de l'âge moyen de la maternité (tous deux très proches de ceux des françaises), la disparition de la polygamie, la tendance à la hausse des unions libres et des mariages mixtes (déjà très nombreux), etc. Quant à la pratique religieuse, outre son intermittence et sa très grande variété, elle devient comparable à celle des catholiques. Ainsi, la plupart des musulmans pratiquent un islam individuel qu'ils revendiquent comme une morale personnelle ou un simple référent identitaire ; la pratique des prières, la fréquentation régulière des mosquées ou l'envoi des enfants dans des écoles coraniques sont en baisse tendancielle ; de nombreuses règles de vie ne sont plus respectées. En somme, pour la très grande majorité de la population d'origine musulmane (maghrébine, en particulier), la religiosité se concentre sur quelques rites comme le ramadan ou les interdits alimentaires. Comme le note - à juste titre - Laurent
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Mucchielli : «Il existe donc un décalage important entre une intégration majoritaire et silencieuse et les problèmes très médiatisés que connaissent des banlieues difficiles où certains jeunes issus de l'immigration, cumulant les handicaps économiques et sociaux, se tournent vers la délinquance ou bien cherchent à compenser les situations d'anomie dans un renforcement de leur identité religieuse. Les études menées sur les cités en difficulté montrent en effet la proportion élevée de familles nombreuses et de familles monoparentales, la forte proportion d'enfants en échec scolaire, le taux de chômage plus élevé que la moyenne, la pauvreté plus importante, l'exiguïté et parfois l'insalubrité des logements, enfin la tendance au regroupement ethnique qui renforce encore l'étiquetage des lieux et des individus. L'ethnicité et/ou la religion fonctionnent alors souvent comme une rationalisation de l'échec et un refuge identitaire agressif face à la marginalisation économique, sociale et culturelle. Néanmoins, dans leur immense majorité, les musulmans
s'intègrent - progressivementmais sûrement- au cadre de la société laïque française, et leurs comportements religieux s'apparentent parfaitement à ceux de la majorité des autres citoyens français ». (in. Louis Dim (pseudo.)(dir.), La société française en tendances 19751995, PUF, 1998 ; p.65). Globalement donc, ce n'est pas le fondamentalisme qui caractérise l'islam français, mais bien plutôt un islam quiétiste et très modéré, d'une part ; et, d'autre part, une tendance profonde à la sécularisation - que l'on doit apprécier dans la diversité de sa signification. L'islam tranquille ou quiétiste - celui auquel demeure attachée une nette majorité de musulmans - oscille entre deux types de conduite distinctes: le repliement et l'organisation d'une
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«défense communautaire» - où la dimension religieuse joue un rôle d'identification symbolique, de transmission des valeurs et de reproduction familiale, d'une part. Ou. bien, d'autre part, le choix de comportements d'adaptation et de transformation du fait religieux au nouveau contexte social des sociétés européennes et française d'accueil. Ce processus d'ajustement peut se traduire par une privatisation de la religion ou par une modification des pratiques religieuses et normatives. Comme l'observe également, et à juste titre, Chantal Saint-Blancat (in. L'Islam de la diaspora, Bayard Editions, 1998.), / 'is/am sécularisé est un islam où la dimension religieuse normative stricto sensu est progressivement abandonnée au profit d'une identification plus culturelle, ou bien se recompose autour d'une prise de distance par rapport à la socialisation religieuse traditionnelle, empruntant la voie de ce que l'on pourrait nommer une religiosité du Jor intérieur. Toutefois athéisme ou agnosticisme sont encore rarement invoqués en tant que
tels. Deux tendances à la sécularisation - non nécessairement exclusives l'une de l'autre, d'ailleurs peuvent dès lors être distinguées:
- L'une prétend à une affirmation identitaire et à une visibilité communautaire; -
Tandis que l'autre privilégie la possibilité d'ajustement de l'observance religieuse à un contexte social, culturel, juridique et politique non-musulman. Ici, l'identité religieuse est une affaire essentiellement privée ou familiale.
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L'islam majoritaire en France et en Europe est un islam tranquille, modéré et quiétiste. Il est soit individuel et privé, soit il tend à valoriser la dimension identitaire, sociale et culturelle de l'appartenance religieuse. Dans les deux cas, il se démarque nettement des tentatives d'instrumentalisation politique, et apparaît comme en voie de sécularisation. De nouveaux acteurs, majoritairement jeunes nés et socialisés en Europe, émergent au sein de cet islam désormais stabilisé - pour contribuer à l'intégration et à la citoyenneté et constituer un espace symbolique dans les sociétés d'accueil, susceptible de construire une image positive de l'islam en contexte minoritaire, pluraliste et laïque. Les pratiques religieus~s (domestiques ou collectives) constituent moins le signe d'un « retour du religieux» ou d'une « réislamisation », qu'un mécanisme autour duquel les liens familiaux se resserrent, les relations sociales s'intensifient. C'est le cas notamment des fêtes religieuses (rupture du jeûne ou al-Aïd al-Kébir), des rites de passage (mariages et décès) qui sont des moments fondamentaux de manifestation d'appartenance collective et marquent un processus de transfert de la religiosité formelle au besoin de création de lien social. La majorité de la population d'origine musulmane ne juge pas incompatible le fait d'être musulman et de vivre dans les sociétés européennes; dans un contexte sécularisé, immanquablement, se produisent des processus d'adaptation des conduites religieuses et des mécanismes de « bricolage» individuel et social du champ religieux et des identités. Ces « bricolages» signifient des choix effectués par les individus qui opèrent librement dans le réservoir de valeurs, normes, prescriptions et pratiques
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qu'offre la tradition. Ils signifient également modification ou relâchement de l'observance des rites au bénéfice d'une valorisation de leur caractère convivial, collectif et identitaire ; souplesse et adaptation de la fréquence des prières, du jeûne; transgressions partielles des interdits alimentaires; réinterprétations des symboliques des signifiants religieux; réélaborations symboliques ou pratiques .qui vont dans le sens d'une plus grande convergence avec les valeurs et les mœurs des sociétés d'accueil, etc.
2.2. La diversité des manifestations et des formes de religiosité islamique en France et en Europe
Il importe, dès que l'on examine les réalités de l'islam, d'éviter toute globalisation abusive et d'être attentif aux différentes formes d'expressions islamiques ainsi qu'aux interprétations et applications religieuses qui en sont faites par différents groupes et individus dans un contexte historique ou social donné. Il convient d'être particulièrement attentif à la variété, à la densité, à la richesse et à la complexité de cette religion - appréhendée dans la vie concrète de chaque société, de chaque communauté, de chaque groupe humain et de chaque individu. Parler de l'islam en lui-même - religion qui se déploie sur quatorze siècles et concerne, aujourd'hui, plus d'un milliard d'individus - ne nous renseigne guère ni sur sa pluralité, ni sur la diversité des formes de religiosité, ni sur les différents courants et tendances qui, en tous temps, l'ont parcouru et le parcourent aujourd'hui encore. Que
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signifient réellement - pour une société, un groupe"ou une personne musulmane spécifique, à telle ou telle époque, dans tel ou tel environnement précis - les différents éléments de l'ensemble de ce que les musulmans appellent « islam»? Quels textes sont, par ailleurs, cités à l'appui de tel ou tel argument, de telle ou telle interprétation particulière? Quelles sont les fonctions sociales, culturelles et politiques des discours et pratiques s'inspirant de ces textes ou plus généralement, puisant dans l'immense réservoir normatif et de sens offert par cette religion? Quelles sont les stratégies - explicites ou sous-jacentes - des acteurs sociaux qui l'instrumentalisent de la sorte? Voilà quelques-unes des questions pertinentes qu'il convient de se poser à chaque fois que l'on veut parler de cette religion. Avant d'analyser les différentes formes d'expressions islamiques des musulmans de France, il convient ici de rappeler, préalablement, les différentes formes de ce que nous nommons « islam ». D'abord, il y a l'islam normatif, officiel et formel, « juridique », élaboré par les ulamâ' et fuqahâ', docteurs de la Loi (Sharî'a). Puis, il y a l'islam
vécu - qui est largement un islam social, intrinsèquement lié aux différentes sociétés, régions, nations et cultures particulières; non seulement celui-ci ne coïncide pas nécessairement avec l'islam normatif, mais peut le contredire sur plus d'un aspect; sur un plan individuel, cet islam vécu est un islam de la conduite morale ou de l'expérience religieuse spirituelle, voire mystique. Les différentes formes de religiosité populaire, "souvent orales, font partie de cet islam vécu; ce dernier comporte à côté d'éléments culturels spécifiques à tel groupe humain ou à telle région des éléments religieux non prescrits par, et quelquefois même en conflit avec l'islam normatif; très
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souvent, cette religiosité populaire se caractérise par des syncrétismes assez originaux où se mêlent traditions locales, parfois traits culturels antéislamiques et éléments empruntés à l'islam. Enfm, une autre forme d'islam qui se distingue de l'islam normatif et de l'islam vécu est l'islam idéologisé. Dans ce cas, la religion est présentée en tant qu'idéologie de combat, utilisée à des fins politiques. Nous voy.ons cela par exemple dans beaucoup de mouvements islamistes, anciens ou actuels, qui ont de l'islam idéologisé un usage plus ou moins militant, plus ou moins violent. On le voit, comme toute réalité culturelle, l'islam est à la fois un et multiple, universel et pluriel, communautaire et divisé. Et même si, sur le plan doctrinal et spirituel, il offre à tous les fidèles (croyants ou pratiquants) une même optique, une même conception du monde et de la vie (Weltanschauung), il se caractérise, dans la réalité, par une pluralité des modes d'existence. Comme le souligne, à juste titre, Maxime Rodinson : « La vie du monde qui professe la religion musulmane ne peut s'expliquer entièrement, loin de là, par la doctrine musulmane. Il faut refuser de considérer l'islam comme une totalité conceptuelle, un système d'idées, de pratiques, qui seraient le noyau de tous les comportements, publics et privés. Sans négliger certes l'intérêt de la doctrine, de la foi et des rituels qui leur sont liés, il vaut mieux s'attacher prioritairement à l'étude de la vie des musulmans euxmêmes que de l'islam considéré in abstracto» (in. L'Islam, politique et croyance, Fayard, 1993). Ces remarques sont encore plus valables concernant les musulmans d'Europe. Loin de constituer une entité homogène, repliée sur elle-même, la population
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musulmane est une vaste mosaïque humaine et culturelle, ouverte aux diverses influences des sociétés d'accueil, et dont les pratiques sont diverses, les aspirations multiples, parfois même contradictoires. L'Islam européen est aujourd'hui traversé de multiples courants et tendances, des plus repliés sur eux-mêmes ou extrêmes aux moins orthodoxes et aux plus individualistes; diverses interprétations et pratiques du religieux s'y côtoient. Ces différents courants ne fonctionnent pas en vase clos, ils interagi ssent, au contraire, continuellement entre eux, entremêlant religiosité populaire, réélaborations plus abstraites, sécularisation. et raidissement doctrinal et moral. Chaque individu, en fonction de ses liens d'appartenance, de ses stratégies de vie et de sa formation religieuse, puise dans ce réservoir d'expériences religieuses les plus variées, sa propre identification, structurant ainsi, par rapport au religieux, une relation correspondant à ses besoins et à ses aspirations. S'attacher à comprendre la dynamique de l'Islam en Europe, c'est donc tenter de saisir la réalité vivante d'un
fait social - par-delà les discours abstraits sur l'islam en général opposé aux défis de la modernité, par-delà les propos fantasmagoriques brandissant l'islam comme une altérité absolue ou une menace, par-delà la rhétorique symétrique des fondamentalismes musulmans. Comme l'écrit, à très juste titre, Chantal Saint-Blancat, « l'islam de la diaspora comprend à la fois les processus simultanés de la rupture et du maintien des traits culturels des univers musulmans des origines des populations immigrées, et la dynamique de leurs reconfigurations originales au sein des sociétés d'accueil (...)>>.Et elle ajoute: « Comprendre la réalité de l'Islam ici et maintenant, c'est aussi déchiffrer, par-delà l'aspect concret des flux, des
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mécanismes d'insertion et d'exclusion de ces populations, le sens des stratégies d'acteurs sociaux qui, pris dans la dialectique entre proximité et éloignement, s'emploient à restructurer la différenciation culturelle et à réinventer le lien communautaire. Du lieu de leur exil dans un « Islam transplanté », ils tentent, en effet, de remodeler leurs croyances, leurs pratiques, leurs normes et leurs conduites sociales; ils édifient de nouvelles frontières symboliques, des références identitaires inédites, nonobstant les images déformées, infléchies par le fondamentalisme, qui leur sont volontiers renvoyées d'eux-mêmes et qui érigent le principe de leur impossible intégration» ( in. L 'Is/am de la diaspora, éd. Bayard 1997 ). Examinons, à présent, les différentes manifestations et expressions du religieux dans l'islam français et européen. Nous distinguerons l'islam quiétiste de l'islam sécularisé puis les différentes modalités de la réislamisation.
L'Islam
« quiétiste »
Cet islam «quiétiste» concerne des individus pour la plupart mariés, pères de famille, installés depuis longtemps en France. Ils ne sont pas tous pratiquants, mais l'abandon de toute idée de retour au pays d'origine, l'adoption de la nationalité française par certains d'entre eux, et par la quasi-totalité de leurs enfants (sur quatre millions d'individus d'origine musulmane vivant en France, près de la moitié ont la nationalité française), les incitent à réclamer des écoles coraniques, des salles de prières... et à affirmer, plus vigoureusement que par le passé, leur appartenance islamique.
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Cet islam majoritaire et serein peut engendrer toutefois deux attitudes distinctes. D'un côté, la tendance à la recomposition de petites communautés, très souvent à base ethnonationale, dont la fonction essentielle est de recréer une cohésion et des solidarités (familiales, de quartiers, "nationales"... ) puis de transmettre aux jeunes la langue, la culture, les valeurs religieuses, etc. Ce qui peut conduire, parfois, à une attitude de repli et à une logique défensive vis-à-vis du modèle culturel de la société d'accueil. Et, de l'autre, une attitude d'ouverture et de grande souplesse dans l'interprétation des symboles religieux et dans la pratique cultuelle.
L'Islam
« sécularisé »
Un Islam plus «moderne» et «sécularisé» concerne principalement les personnes nées ou scolarisées en France, plus souvent relativement jeunes, appartenant aux classes moyennes qui, sans toujours se conformer aux règles du culte, considèrent le référent islamique comme faisant partie de leur système culturel. Elles considèrent qu'un tel système contient des valeurs qui font encore sens mais dont les prescriptions leur semblent peu adaptées aux contraintes de la société moderne. Elles veulent faire coexister ces valeurs minimales - transmises par le milieu familial, ou liées à la culture d'origine (islamité, mais aussi arabité ou berbérité, s'agissant des maghrébins) - à un désir affirmé d'ascension sociale et professionnelle et d'accès aux droits civiques et politiques. Car, à l'insertion sociale, ces personnes tentent d'ajouter un plus grand souci de participation citoyenne, un plus grand engagement dans la vie associative.
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La référence à l'Islam (au sens sociologique et culturel du terme, davantage que dans son acception religieuse stricto sensu) apparaît comme une source inestimable de valeurs donnant un sens à leur vie sans pour autant impliquer chez elles un passage à la pratique. Obéissant généralement peu aux normes transmises par la tradition, instaurant une distinction entre croyance, foi et expression rituelle ou publique de celles-ci, voulant cantonner la religion dans le domaine du for intérieur, elles marquent ainsi leur individualité, voire leur profonde imprégnation par les valeurs individualistes. Des travaux récents - comme ceux de Farhad Khosrokhavar, L'Islam des jeunes, Flammarion, 1997 ou de Chantal Saint-Blancat, L'Islam de la diaspora, éd. Bayard, 1997 - ont très bien montré que la sécularisation de l'islam européen s'observe chez certains musulmans pour qui la religiosité ne signifie ni identité collective close, ni différenciation absolue par rapport à la société d'accueil. Comme on l'a vu plus haut, beaucoup se déclarent, en effet, croyants mais pas pratiquants, et leur religiosité s'articule autour d'une distanciation par rapport à une pratique jugée trop ritualiste, institutionnelle ou communautaire. Ce nouveau rapport à l'identité religieuse d'origine s'exprime dans une tendance croissante à la recherche spirituelle individuelle (religiosité du for intérieur, mysticisme). Comme le note, à très juste titre Chantal Saint-Blancat, la sécularisation signifie donc ici subjectivité et privatisation de la croyance, et diminution de l'absolutisme de la Vérité par rapport aux logiques et stratégies de l'action. Ce qui induit une modification du rôle de la religion dans
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l'identification individuelle et collective et une évolution des motivations et des modalités du rapport au religieux. Dans cette tendance à la sécularisation, on observe deux
pôles d'évolution."L'un plus culturel, symbolique - où le lien avec le croire apparaît plus ambivalent. L'autre privilégie une remise en question, une prise de distance par rapport à la «religion communautaire», un éloignement qui ne concerne pas la croyance ou la foi en tant que telles, mais - comme l'écrit Chantal Saint-Blancat - « la médiation introduite par la gestion de la Tradition ». Une telle attitude engendre, très souvent, mie critique des 'Ulamâ' ou lmâms « gestionnaires du sacré». Et plus généralement, il s'agit d'une distance prise à l'égard de toute autorité religieuse, de toute transmission d'un savoir religieux « autorisé» ainsi qu'à l'égard des modèles éthiques et nonnatifs qui en découlent. L'islam culturel renvoie à une religiosité et à une identité où l'islam constitue un patrimoine commun de coutumes, de valeurs, de comportements détachés des impératifs de la tradition religieuse. Certains musulmans sécularisés adoptent une position culturaliste et identitaire (