Ils se croyaient intouchables
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Ils se croyaient intouchables

DU MÊME AUTEUR

Le Banquier noir,

Éditions du Seuil, 1996.

Karl Laske

Ils se croyaient intouchables

Albin Michel

© Éditions Albin Michel S.A, 2000 22, rue Huyghens, 75014 Paris www.albin-michel.fr ISBN: 2-226-11621-4

à Catherine

« Un mois de prison ferme pour une bouteille de lait, 500 F d'amende pour un kilo de châtaignes, un procès pour un tim­ bre à 40 centimes, quatre ans de prison pour dix bouteilles vides. Voilà pour les pauvres. Qu'en est-il pour les riches? Ce n'est pas avoir l'esprit subversif que de dire qu'ils sont assurément mieux traités, même quand c'est pour des délits infini­ ment plus graves qu'il leur arrive de se retrouver devant les tribunaux. ,. Denis Langlois Les Dossiers noirs de la justice française, 1974.

Sommaire 1. Nous les valets .............. ....................................... 2. Celui dont on ne prononce pas le nom ........... 3. La banque de tous les secrets ............................ 4. La scandaleuse .................................................... 5. Lettres à Éva ........................................................ 6. Roland Dumas pris au piège .............................. 7. L'homme le moins recherché du monde ........ 8. Une vieille histoire de barbouzes ...................... 9. On cherche le téléphone d'Alfred .................... 10. La prise de la tour .............................................. 11. Le système selon le PDG .................................... 12. La vie de château ................................................ 13. Les ennuis du roi de la sape .............................. 14. Les trois cercles ................. .................................. 15. La mécanique du pot-de-vin .............................. 16. Des statuettes en vitrine ..................................... 17. La clé en or et le coffre avec ............................. 18. Malaise dans les hautes sphères ........................ 19. L'homme des «affaires» ................................... 20. Roman photo ...................................................... 21. La Rouquine qui fait peur ................................. 22. Une mauvaise vente pour Dumas ..................... 23. Un dilettante au Quai d'Orsay .......................... 24. Des questions sur le mensonge ......................... 25. Fatima, l'épouse éphémère ................................ 13

15 21 29 35 40 43 53 67 77 83 96 103 10 9 114 119 128 141 146 151 160 166 177 185 1 91 1 95

26. Vies privées, vies manipulées .............................. 204 27. Un divorce chez Elf ............................................. 209 28. Confrontation à l'amiable ................................... 216 29. Les mystères de Taiwan ....................................... 230 30. Le testament qu'on s'arrache ............................. 240 31. Frontières .............................................................. 244 32. On recherche Dédé la sardine ........................... 247 33. Paris-Berlin-Parj.s : le pipe-line ............................ 252 34. Dr Joly et Mrs Eva ................................................ 258 35. L'avertissement .................................................... 267 36. La cohabitation africaine .................................... 271 37. L'émir des Hauts-de-Seine .................................. 285 38. François et Helmut .............................................. 294 39. Les hommes du président ................................... 301 40. Renvoyé c'est pesé ............................................... 309 41. Portrait de groupe ............................................... 315 Annexes ......................................................................... 319

1.

Nous, les valets

Alfred Sirven attendait son avion à l'aéroport de Genève-Cointrain. Un petit aéroport aux vitres teintées, devant les Alpes. Il était sans arrêt à Genève. Toujours à faire des allers-retours. La ville était une des bases arrière d'Elf-Aquitaine, au plan financier, mais pour Alfred, elle était le centre de ses activités. Elle était le siège du trading du groupe, là où Elf négocie ses cargaisons de brut, fabri­ que ses marges au baril et son argent secret. Alfred avait un appartement, rue de Monthoux, dans un immeuble moderne qui jouxtait le Noga Hilton. Le siège d'Elf-Aqui­ taine International (EAI), la filiale dont il était devenu le président, se trouvait dans le même pâté de maisons, rue Plantamour. Facile pour lui d'aller au bureau. Son travail? Il en avait parfois une définition assez lapidaire. « Moi, je suis porteur de valises», confiait-il à ses proches. Des vali­ ses d'argent. Et assez lourdes. Dans une première synthèse, le juge genevois Paul Perraudin a estimé à plus de 1 mil­ liard de francs l'argent soustrait à Elf ayant transité par ses comptes bancaires - une quinzaine ouverts en Suisse. Le juge notait que « d'importants avoirs en liquide provenant desdits comptes ont été réacheminés en France ». « Avec 1. Synthèse effectuée en juin 1998. Citée par Le Monde du 10 juillet 1998.

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tout ce que j'ai piqué, je tiens quarante ans après ma mort», se vantait Alfred. Donc, Alfred prenait le plus souvent l'avion pour ses voyages à Genève. Et quand il revenait à Paris, il lui arrivait de ramener de l'argent. Plutôt par accident. Il avait ses filières à lui. Des passeurs. Un ami pilote qui lui faisait ça de temps en temps. Son banquier aussi. L'avion ne permet pas de passer des valises d'argent. A cause des contrôles. La douane n'autorise que 50 000 F par personne. Ce jour-là, Alfred, Christine Deviers:Joncour et un cadre d'Elf s'apprêtent à prendre l'avion. Ils traînent du côté des duty free. Mais voilà qu'Alfred s'aperçoit qu'il a trop d'argent sur lui. Il donne 50 000 Fà Christine, 50 000 Fau collègue d'Elf. Il en met 50 000 dans son portefeuille. Il en reste encore. Il s'isole. Il va aux toilet­ tes. Quand il rejoint les autres, Alfred boite. Il se plainL Il a mal aux pieds. Il a placé les billets restants dans ses chaussures. Une liasse dans chaque chaussure, il va pas­ ser la frontière en piétinant l'argent d'Elf. C'est doulou­ reux, mais c'est son travail. Un autre jour, à Paris, un dîner un peu spécial se pré­ paraiL Christine l'avait organisé. Elle avait jeté un œil sur touL Elle avait accueilli ses invités, puis s'était éclip­ sée. Alfred, qui habitait dans le même immeuble, rue Robert-Estienne, non loin de la rue Marbeuf, s'était assuré des préparatifs, puis avait, lui aussi, quitté les lieux peu avant. Les invités devaient se rencontrer discrètement et en tête à tête. Le premier, Roland Dumas, était ministre des Affaires étrangères. Le deuxième convive, Charles Pasqua, ancien ministre de l'Intérieur, était l'un des chefs de l'opposition. Si Christine avait organisé ce dîner, dans son apparte­ ment dont le loyer est payé par l'entreprise, c'est qu'Alfred, directeur des « affaires générales» d'Elf­ Aquitaine, son « patron», lui avait demandé de le faire 16

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« en urgence » . Pour le service, elle s'est tournée vers Jimmy Ruiz, un maître d'hôtel qu'elle fera souvent in­ tervenir chez elle par la suite 1 . Elle ne s'est pas vraiment mise aux fourneaux. Elle a commandé les repas chez Fauchon. Pendant que Dumas et Pasqua déplient leurs serviet­ tes et goûtent le vin qu'on leur sert, Christine a rejoint Alfred dans son appartement, quelques étages plus bas. Elle est accompagnée de Daniel Léandri, un brigadier devenu conseiller personnel de Pasqua, qui est égale­ ment salarié par Elf-Aquitaine, très discrètement en Suisse. Tous trois vont dîner à la bonne franquette, tout en regardant l'heure de temps à autre. Sirven a lui aussi jeté un œil sur l'organisation du repas, le menu et les vins. Vers la fin de la soirée, il suggère à Christine d'al­ ler voir en haut où ils en sont. « Ils doivent en être au café. Si tu allais jeter un coup d'œil? » Christine re­ monte et, effectivement, Dumas et Pasqua sont passés au salon. Ils l'invitent à s'asseoir. Le repas à huis clos touchait à sa fin. Les secrets, ou les idées, avaient été échangés. Ces deux responsables avaient-ils vraiment besoin d'Elf pour se rencontrer ? Apparemment oui. Roland Dumas s'est souvenu du dîner. Bien obligé de l'expliquer, devant des juges neuf ans plus tard. Il a dit: «J'ai bien dîné avec Charles Pas­ qua rue Robert-Estienne, mais je n'ai pas à vous dire l'objet de notre rencontre. » Puis il s'est repris: «Je veux bien consentir à vous éclairer, a-t-il dit. Cela fait partie de l'histoire de France 2• » Donc, Dumas éclaire Éva Joly et Laurence Vichniev­ sky. Pendant la première cohabitation, il avait eu un jour des« échanges très vifs » avec Pasqua à l'Assemblée nationale. Il était député, Pasqua ministre. « Il s'agissait d'une controverse à propos du comportement de cer1. Il confirmera son intervention à la justice. 2. Lors de sa confrontation avec Ch. Deviers:Joncour, le 2juin 1999.

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tains Français pendant l'Occupation. Il s'agissait de dis­ tinguer les salopards des courageux. M. Chirac, Premier ministre à l'époque, avait tenu à me présenter publique­ ment ses excuses au nom du ministre de l'Intérieur en séance publique à l'assemblée. « Charles Pasqua était un résistant notoire. Il avait le désir de se réconcilier avec moi et j'avais le désir de me réconcilier avec lui. Nous cherchions un terrain neutre. Christine, qui a effectué un travail de relations publi­ ques chez Elf, dont elle s'acquittait très bien, m'a offert l'hospitalité. Elle a eu la délicatesse de me laisser en tête à tête, et je lui en suis encore reconnaissant. Charles Pasqua et moi nous sommes réconciliés. J'en suis heu­ reux.» Si tel était l'objet de la réunion, Dumas et Pasqua ne se sont donc pas vus pour rien. La dispute évoquée par Dumas remontait au mois de mai 1986. Charles Pasqua est à la tribune de l'Assemblée, et il crée un micro-sou­ lèvement dans les bancs de la gauche, en affirmant qu'en 1940 les députés de gauche s'étaient « couchés devant l'occupant». Dumas s'est levé lui aussi. « Fas­ ciste I Voyou 1 1 » lance-t-il. Les socialistes quittent l'hémi­ cycle. Quand ils reviennent, Pasqua a rejoint les bancs du g�uvemement. Dumas, livide, se précipite vers Pas­ qua. Echange de mots. Rapidement, on s'interpose. «Je lui ai dit que je l'avais traité de voyou pendant la campagne et que je maintenais mes propos, rapporte Dumas peu après. S'il n'avait pas été assis à ce banc, il aurait reçu les deux gifles qu'il méritait. Je le lui ai dit aussi 2•» Pasqua bombe le torse et roule des yeux, selon les journalistes présents. « Ministre ou pas ministre, croyez­ vous que je sois un homme à me laisser gifler? Qu'il vienne me le dire en face3• » 1. Le Monde, 22 mai 1986. 2. Ibid. 3. Ibid.

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Rue Robert-Estienne, Dumas et Pasqua tirent donc un trait sur cette dispute. La discussion a même été cor­ diale. Bientôt les convives doivent s'en aller. Léandri et Sirven remontent eux aussi. On se dit au revoir. Chris­ tine va aider Jimmy Ruiz à ranger. Le maître d'hôtel fait remarquer à Christine que les repas commandés chez Fauchon coûtent bien cher à Elf-Aquitaine. Le traiteur Duplessis serait moins onéreux. La fois suivante, Chris­ tine commandera chez Duplessis. Il y aura d'autres rencontres secrètes Dumas-Pasqua. Charles Pasqua visitera l'appartement de la rue de Lille avant même qu'il soit meublé. Puis le même cérémonial se mettra en place. Mais sans l'appartement du dessous. Sirven et Christine se déplaceront dans une brasserie voisine, pour attendre 1 • Dans l'un de ses livres, Chris­ tine décrit cette attente dans la brasserie: « Nous "les valets", comme dans les pièces de Molière, bavardions à l'écart. [...] Mais chut I Discrétion impérative. Alfred s'épanouissait dans _ce contexte. Lui aussi en savait des choses ... Secrets d'Etat, secrets intimes, services secrets. Regards furtifs vers les tables voisines pour s'assurer qu'aucune oreille indiscrète ne nous écoutait. Des phra­ ses à peine ébauchées, jamais finies. Des noms égrati­ gnés, escamotés 2• » Ce livre devait commencer par ce dîner d'Elf-Aqui­ taine qui réunit la gauche et la droite. Sympathique réconciliation. Mais l'entreprise est-elle vraiment ce «terrain neutre» évoqué par Dumas? Récapitulons: Elf-Aquitaine paie pour l'appartement. Elf paie à dîner. Elf paie les salaires, du côté de Dumas, comme du côté de Pasqua. Est-ce un terrain neutre ou bien plutôt une copropriété, dont Alfred Sirven serait le syndic?... « Alfred Sirven n'aimait pas la gauche, précisera bien plus tard Christine, et en 1. Christine Deviers-Joncour, La Putain de la République, Calmann­ Lévy, 1998. 2. Ibid.

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faisant nommer Le Floch-Prigent [à la tête d'Elf-Aqui­ taine] il tirait les ficelles, et Le Floch saurait satisfaire les exigences impatientes de la gauche en préservant les réseaux de la droite. » Exigences de la gauche, réseaux de la droite... Dans l'affaire, il y a comme ça des noms qui font tilt, de temps en temps, sur les procès-verbaux. François Mitterrand bien sûr. Qui a couvert certaines opérations. Qui a demandé certaines faveurs pour des amis. Il y a aussi plusieurs ministres des années 1989-1993. En plus de Roland Dumas, l_?ominique Strauss-Kahn, ex-ministre de l'industrie ou Edith Cresson, ex-Premier ministre. Tous ont demandé une faveur à Elf. Certains l'ont obte­ nue. Avec huit ans de recul - quatre au début de l'affaire-, l'enquête des juges vise rétrospectivement presque tout un gouvernement, en plus du défunt président de la République. Il y a huit ans, cette en­ quête aurait été impossible. Aujourd'hui, rien ne peut plus l'arrêter.

2. Celui dont on ne prononce pas le nom Il y a un autre nom sur un procès-verbal. Personne n'en parle. Le 22 juillet 1996, Loïk Le Floch-Prigent est extrait de sa cellule de la prison de la Santé. Il vient de démission­ ner de la SNCF. Il est conduit au Palais de justice pour être confronté à Maurice Bidermann, patron d'un groupe textile renfloué par Elf. Bidermann est à la pri­ son de Fresnes. La juge s'interroge sur le degré de connivence des deux hommes. Sur les motifs qui ont pu conduire le groupe pétrolier à injecter près de 800 mil­ lions de francs dans un secteur aussi éloigné de son métier d'origine. Question d'Éva Joly à Maurice Bidermann: - Est-ce qu'il y a eu en 1992-1993 un regain d'intérêt du ministère de l'industrie à l'égard de vos entreprises? - Oui, répond Bidermann. En raison de l'approche des élections et du fait que j'ai des usines dans la cir­ conscription de Jacques Chirac, à Bort -les-Orgues et à 30km. Éva Joly prend note sans poser de questions. La réponse de Bidermann est à côté. Elle lui parlait du sou­ tien du ministre de l'industrie Dominiqu� Strauss-Kahn et Bidermann lui répond Jacques Chirac. Etrange réponse. Elle insiste sur Strauss-Kahn: 21

- Est-ce que vous avez considéré que la lettre du 26 mars 1993 [une lettre que DSKa écrite à Bidermann] était un soutien important à votre entreprise ? - Cette lettre résultait de très nombreuses négocia­ tions menées par Georges Jollès (vice-PDG de Bider­ mann) et moi-même, répond Bidermann. Le ministre de l'industrie y évoque les difficultés du groupe textile et s'engage à l'appuyer dans sa recherche de fonds - en liaison avec les investisseurs institution­ n�ls. DSK dit qu'il a « saisi» Michel Sapin, ministre de l'Economie et des Finances. Il ne parle pas de Chirac, à aucun moment. Pourtant Bidermann a spontanément cité son nom. Il a aussi parlé des élections. En 1993, ce sont les législatives. Quel rapport peut-il y avoir entre l'aide de l'Etat à Bidermann, l'usine de Corrèze et Chi­ rac? Bidermann s'emmêle-t-il les pinceaux? Pas tout à fait. Maurice Bidermann connaît Chirac. D'ailleurs, il s'en vante un peu trop. Il le connaît comme un industriel parisien qui a déjà rencontré le maire. Mais les relations, ça sert toujours à quelque chose. Il a donc invité Le Floch-Prigent et le maire de Paris un jour à déjeuner chez lui. Le chauffeur du PDG d'Elf s'en étonnera auprès de son patron. « Le Floch m'a clairement dit que Mitterrand ne ferait pas de troi­ sième mandat, et qu'il fallait préparer l'avenir 1», s'est souvenu le chauffeur, Didier Sicot. Le Floch-Prigent as­ sure ses arrières. Il donne Chirac gagnant dans la course à la cohabitation, et même à la future élection présidentielle. Et il en obtient certaines assurances. « Jacques Chirac m'avait laissé entendre que je resterais à mon poste au moins jusqu'à la fin de l'année 19932», admet-il. « Le Floch était prêt à aider celui qui le main­ tiendrait à son poste», confirme Maurice Bidermann. 1. Interview de Didier Sicot par Laurent Valdiguié, «Je donnais avec un fusil sous le lit», Le Parisien, 14 mai 1999. 2. Le Nouvel Observateur, 23janvier 1997.

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Quel rapport avec Bort-les-Orgues ? Dans cette petite ville de Corrèze, la manufacture de vêtements a employé jusqu'à 400 personnes environ. Elle a appar­ tenu à Bidermann de 1979 à 1989. L'usine n'est plus sous son contrôle. Elle est passée entre les mains d'un de ses anciens directeurs de production. La manufac­ ture est plutôt du ressort de Chirac, de sa cjrconscrip­ tion et de son suppléant, le maire de Bort. A partir de 1991 donc, elle rencontre des difficultés croissantes. Le maire de Paris a demandé de l'aide à Bidermann. « Nos usines - le textile comme la tannerie - ont toujours été soutenues à l'occasion des élections, analyse un opposant. Il fallait que Jacques Chirac fasse quelque chose pour avoir ses 55 %. » C'est ce que confirment les proches de Bidermann : le maire de Paris « ne pouvait pas se permettre » de laisser fermer la manufacture. Par le passé, l'intermédiaire André Guel.fi avait rendu ce type de service à Chirac, bien avant de travailler pour Elf, lorsqu'il était à la tête du Coq spo,rtif. Il avait créé une usine de chaussures de sport à Egletons. Il avait 1 « perdu beaucoup d'argent » • Comme Guelfi, Bidermann ne s'est pas fait prier. Officiellement, de nouvelles commandes ont atterri à l'usine après l'intervention de Chirac. Mais le groupe Elf, grand défenseur de l'emploi dans les campagnes comme chacun sait, est entré dans la danse. Alfred Sirven, l'homme des affaires réservées, s'est vanté d'avoir rencontré Chirac, sur ce dossier, en janvier 1992. Selon Maurice Bidermann, c'est plutôt avec son entourage qu'il a traité. « Sirven ne demandait qu'une chose, c'était d'aider les puissants du jour », dit-il. Au sein du groupe, on évoque un soutien financier à hauteur de 12 millions de francs partagés à trois entre Bidermann, Elf-Aquitaine et un industriel proche de 1. Débutjuillet 2000, André Guelfi chiffre à 5 millions l'argent englouti à Egletons. Il affirme aussi avoir, à l'époque, remboursé des factures d'avion du maire de Paris.

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Chirac. Un virement de ce montant effectué par Alfred, en juin 1992, pourrait être en relation avec le renfloue­ ment éphémère de Bort-les-Orgues. C'est en tout cas ce qu'Alfred racontait. Mais il se vantait beaucoup. Pour Bidermann, ce sont des « bêtises» : l'argent d'Elf pour Bort-les-Orgues n'est pas passé par ses comptes. Le Floch, lui, assure qu'il n'a « jamais parlé à M. Chirac d'un dossier concernant Bort-les-Orgues 1». Il voyait le maire de Paris à la demande de François Mitterrand. « Le président de la République m'avait demandé de rencontrer les leaders de l'opposition - M. Chirac et M. Giscard d'Estaing - sur des dossiers de politique étrangère», déclare-t-il. La manufacture de vêtements n'a d'ailleurs pas remonté la pente. Reprise une nouvelle fois, en 1995, elle a fermé ses portes deux ans plus tard. Bidermann avait un ami, un homme d'affaires améri­ cain, Jeffrey Steiner, qui connaissait encore mieux Chirac. Le maire lui avait permis de participer à une opération immobilière dans Paris : l'opération de la ZAC. Coulée verte, en 19902• Steiner avait mis Bidermann sur le coup. Le roi du textile s'est engagé pour 26 %. C'était un pâté de maisons situé dans le prolongement du viaduc qui relie la place de la Bastille et la place Daumesnil. Les droits à construire valaient 300 millions de francs. Il y aurait des logements et des magasins. « Une affaire splen­ dide» selon eux, dont ils ne remercieraient jamais assez Chirac. Peu de temps après, les deux hommes se fâ­ chaient : Steiner demandait à Bidermann de lui rembour­ ser l'argent qu'il lui avait prêté aux États-Unis. Si Chirac n'a pas pu sauver la place de Le Floch à la tête du groupe Elf, il lui en a donné une autre : à la 1. Entretien avec l'auteur, le 26 juin 2000. 2. Contrairement à Bidermann, Steiner a finalement aussi fait faux bond au promoteur de la ZAC, la société représentant ses intérêts ayant disparu.

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SNCF. En plein hiver de grèves, le 20 décembre 1995, Le Floch est nommé PpG. Cette décision prend tout le monde à contre-pied. A Matignon comme au ministère des Transports, on affecte « la surprise ». La candida­ ture de Louis Gallois, président de !'Aérospatiale, sem­ blait mieux placée. C'est « une promotion voulue par l'Élysée », appuie-t-on ici et là. Le Monde relève que « le ministère des Transports a pris acte de ce choix, tout en ayant pris soin d'avertir le président des risques encou­ rus par Loïk Le Floch-Prigent sur le plan juridique 1 ». En effet, une information judiciaire sur l'affaire Elf est ouverte depuis le mois d'août 1994. Il est évident qu� la présidence est informée des investigations du juge Eva Joly. « De source proche du dossier, on évoque un "retour d'ascenseur africain" pour expliquer le choix de Jacques Chirac en faveur de l'ancien président d'Elf. Aquitaine (1989-1993) qui, nommé par François Mit­ terrand, aurait �réservé les sources de financement du RPR en Afrique . » Éva Joly semble y voir clair puisqu'elle effectue dès le lendemain de la nomination de Le Floch, le 21 décembre 1995, une série de perquisitions dans les bureaux et au domicile de Bidermann. On ne l'arrêtera pas et, six mois plus tard, le président de la SCNF démissionnera par courrier, depuis sa cellule à la prison de la Santé. Il écrira à Chirac. Chirac n'y pourra plus rien. Il n'est même pas à Paris. C'est depuis Brazzaville qu'il annonce que « le remplacement éventuel de Loïk Le Floch-Prigent est le problème du gouvernement ». Quelques jours après, Bidermann laisse échapper son allusion à Chirac. Neuf mois plus tard, le président de la République intervient en revanche en faveur d'un autre personnage qu'il connaît mieux : André Tarallo. Le monsieur Afri­ que d'Elf-Aquitaine est entendu, toujours par Éva Joly. 1. Le Monde, 5janvier 1996. 2. Ibid.

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L'audition n'est pas sans risque pour lui. Elle agite le microcosme franco-africain. Samuel Dossou, conseiller en hydrocarbures de la République gabonaise et époux de l'ambassadrice du Gabon en France, téléphone au président Omar Bongo qui à son tour appelle Chirac. Le président de la République connaît bien Tarallo, ils ont fait l'ENA ensemble. L'Élysée intervient. Alexandre Benmakhlouf, procureur général près la cour d'appel de Paris, veillera à ce que Tarallo ne soit pas incarcéré. Un autre Corrézien fait son entrée sur procès-verbal. Un ami de Chirac, mais du genre homme de l'ombre. Il s'appelle Patrick Maugein. Il est né à Brive-la-Gaillarde. C'est un polytechnicien qui s'est reconverti dans le tra­ ding et l'intermédiation. Dans ses affaires, il se réclame tranquillement de Jacques Chirac, y compris par écrit, sans être jamais inquiété par la présidence. Il l'a fait des dizaines de fois dans le litige de la mine d'or péruvienne de Yanacocha 1 . Ce n'est sûrement pas un « valet» du genre d'Alfred. Ses amis le surnomment « Louis XIV», ou encore « talonnette», parce qu'il utilise des semelles com­ pensées. Il habite un hôtel particulier dans le XVIe arron­ dissement, et deux ou trois autres propriétés de standing. C'est un homme à tout savoir. Elf'..Aquitaine, il connaît bien. Omar Bongo, il l'a tutoyé. Roland Dumas est l'un de ses amis. Sirven, il l'a rencontré souvent à une certaine époque. Alfred lui aurait même demandé la protection de l'Élysée au début de ses ennuis, en invoquant ses services rendus à Bort-les-Orgues. Sans succès2• 1. Jean Monta.ldo a publié de nombreuses lettres de Maugein dans Main basse sur l'or de la France, Albin Michel, 1998. Voir aussi le portrait de Maugein par Vincent Nouzille et Fabrice Lhom me dans L'Express du 9 décembre 1999. 2. Gilles Gaetner etJean-Marie Pontaut (L 'Homme qui en sait trop, Grasset, 2000) relatent l'épisode. Ils affirment que Maugein répond négativement à la demande d'intervention d'Alfred.

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Amateur d'opéra, Maugein avait pris la suite de Dumas à la présidence de l'association Opéralia. Selon l'un de ses anciens associés, Patrick Maugein s'est intro­ duit dans le cercle des grands intermédiaires français en 1 982, à la mort de Jean-Marie Dauzier, un autre Corré­ zien proche de Chirac. Dauzier avait travaillé en Afri­ que. Le journaliste Pierre Péan l'avait relevé, en 1983, dans son livre Affaires afri,caines1 : « C'est en mars 1980 que l'Élysée s'est aperçu que des grandes manœuvres se déroulaient à Libreville. Jean­ Marie Dauzier, président de la caisse du Crédit agricole de Corrèze,jouant le rôle de vice-trésorier du RPR, tentait de monter une opératio� de courtage sur du pétrole exploité par Elf-Gabon. A la clé de cette affaire, une importante commission pour les caisses des chiraquiens. L'Elysée prévient le ministre de l'industrie, André Giraud, qui déclenche immédiatement une enquête. Le bouillant serviteur de la rue de Grenelle y met d'autant plus de zèle qu'il est persuadé que si la ligne est bien lancée, il pour­ rait bien trouver accroché à l'hameçon Albin Chalandon, président d'Elf-Aquitaine, contre qui il mène un combat sans merci. Giraud ne prendra pas Chalandon en défaut, mais il stoppera la "filière Dauzier". » Fort de ses nombreuses introductions, Dauzier associe Maugein à ses affaires. À sa mort, Maugein prend son envol. Il devient le concepteur de contrats de fourniture de matières premières, cacao et surtout pétrole, à « des conditions privilégiées». Il se fait parfois payer par des cargaisons en nature. C'est son grand secret. C'est ce qui multiplie son chiffre d'affaires. Cette forme de rémuné­ ration est moins « douloureuse» pour les chefs d'État africains. « Maugein multiplie les voyages, les affaires, sollicitant constamment l'intervention téléphonique de Chirac auprès de ses contacts2», rapporte l'un de ses 1. Pierre Péan, Affaires africaines, Fayard, 1983. 2. Note de synthèse en possession de l'auteur.

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associes. Les juges de l'affaire Elf le trouvent logique­ ment sur leur chemin. Un avocat espagnol affirme avoir encaissé certaines sommes d'Elf-Aquitaine pour le compte du Corrézien. Ce n'est pas très bon pour la pré­ sidence. Maugein a toujours été en contact direct avec « son ami » Chirac. Ses appels téléphoniques avaient été retracés dans le cadre d'une affaire criminelle en cours d'!nstruction. Maugein appelait effectivement sans arrêt l'Elysée, sur des numéros réservés 1. Ces lignes avaient été toutes mises hors service par la _suite. Chacun a ses corri­ dors de protection. Ceux de l'Elysée sont les plus effica­ ces. Le Floch-Prigent, comme André Tarallo ou Roland Dumas, ont cru pouvoir en bénéficier. Ils se sont crus hors de portée de lajustice. Ils ont eu tort.

1. Confrontés par écrit aux questions de l'auteur sur l'usine de Bort-les-Orgues et l'éven�elle intervention d'Alfred Sirven dans ce dossier, les services de l'Elysée ont indiqué qu'ils n'entendaient pas commenter une information judiciaire en cours. Concernant les relations de Patrick Maugein avec Jacques Chirac, ils ont seulement fait savoir que « M. Maugein n'ajamais été mandaté par les autorités françaises pour une quelconque mission officielle ou officieuse ».

3. La banque de tous les secrets Au fait, Elf-Aquitaine avait aussi une banque. La Ban­ que française intercontinentale - dite FIBA 1 -, avec des bureaux avenue George-V, dans le VIIIe arrondisse­ ment à Paris, et deux succursales en Afrique - à Braz­ zaville et Libreville. Les juges s'en sont souvenues en trouvant les initiales de la banque dans les comptes de l'association La Colombe. Cette association qui finance le festival de Ramatuelle avait salarié la secrétaire parti­ culière de Dominique Strauss-Kahn, Évelyne Duval, par ailleurs rémunérée par Elf International en 1993. La FIBA est sur le point de fermer. Le ll janvier 2000, son conseil d'administration a voté la cessation d'activité. Déjà envisagée par l'équipe de Philippe Jaffré, la fermeture s'est décidée avec la fusion Total­ Fina-Elf. Le petit personnel n'attend plus que l'agré­ ment de la Banque de France pour savoir à quelle sauce il sera mangé. Les principaux clients sont déjà avertis. Leurs actifs doivent être transférés à d'autres établisse­ ments avant la finj uillet. Mardi 7 mars, Eva Joly et Laurence Vichnievsky font une descente à la FIBA. Elles fouillent le bureau du 1. Son appellation d'origine, e n anglais, est : French Interconti­ nental Bank.

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directeur général Pierre Houdray. Elles prennent son agenda. Dans un tiroir, elles trouvent une enveloppe contenant 200 000 F. C'est une « mise à disposition » pour Bruno 1. datée du 23 décembre 1999. Bruno I. n'est pas venu chercher son argent. Dans le coffre-fort du directeur, elles trouvent un revolver Walter PPK. ainsi qu'une boîte de cartouches. Pierre Houdray est ennuyé : son autorisation expirait en novembre. Dans le deuxième coffre-fort d'étage, les policiers trouvent deux valises. L'une contient 650 000 F. La seconde, des documents. Il y a aussi une liste d'archives, malheureusement détruites lors d'un incendie au Havre, le 19 août 1997 1 . Ces dossiers disparus concernaient entre autres la fondation Elf, et Regourd aviation, une société privée qui avait vendu ses jets au groupe. Deux affaires évoquées à l'instruction. En revanche, une docu­ mentation précieuse est saisie : la liste des coffres résiliés, quelques dossiers de prêts personnels consentis à des cadres du groupe, et surtout les carnets de « mises à disposition » de la banque depuis 1989. Les valises, l'enveloppe et les listings le montrent : la « mise•à disposition » est pour ainsi dire l'objet social secret de la FIBA. Née en 1975, la banque associe étroite­ ment Elf et l'entourage d'Omar Bongo. Le président gabonais en a lui-même 15 %. Sa fille Pascaline en a 6 %, ainsi qu'Albertine et Ali, deux autres enfants d'Omar. Samuel Dossou, le conseiller hydrocrabures du président, et mari de l'ambassadrice du Gabon en France, siège au conseil d'administration aux côtés d'autres notabilités gabonaises2. « L'idée était d'en faire une tirelire et de mettre à disposition du cash pour les grosses éminences africaines », explique un ancien cadre de la FIBA. I. Un entrepôt d'archivage avait pris feu, détruisant par la même occasion une partie des archives de la banque IBSA, filiale du Crédit lyonnais. 2. Antoine Glaser et Stephen Smith évoquent en détail l'histoire de la banque dans Ces messieurs Afrique, t. 2, Calmann-Lévy, 1997.

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Plusieurs chefs d'État africains y ont eu des comptes, jusqu'à ce jour. D'un côté, la FIBA faisait de la gestion de patrimoine, de l'autre, elle gérait une partie des flux d'Elf, la plus-value pétrolière dégagée par le trading. « Plus on rendait de services à nos partenaires, plus on rendait captives leurs ressources, explique un dirigeant. C'est un instrument qui vous donne barre sur les pays producteurs. » Ainsi la FIBA avait-elle géré la dette congolaise - gagée sur du pétrole à extraire. Un relevé de comptes faisait apparaître, en 1994, 202 millions de dollars d'emprunts souscrits auprès de la banque d'Elf. Sans l'argent de la FIBA, les caisses étaient vides au Congo, les fonctionnaires n'étaient pas payés. Quand il faut, la banque va jusqu'à effectuer des vire­ ments à des officines d'aviation ou d'armement. Ainsi le président congolais Pascal Lissouba avait-il ordonné à Pierre Houdray, en 1997, en pleine guerre civile, de payer ses hélicoptères Puma. « La FIBA ne pouvait pas dire non, explique-t-on dans l'entourage du directeur. En outre, il n'y a pas un franc qui sort de la FIBA sans l'autorisation de la Banque de France - qui régente la zone du franc CFA -, et elle n'a rien dit. » Ce point névralgique, ce lieu de pouvoir, Alfred Sirven l'avait convoité. En 1991, il avait tenté d'imposer la mise à l'écart de Jack Sigolet, PDG de la banque. Mais il avait raté son putsch, à cause de Bongo. Sigolet avait reçu des menaces consécutives à la suspension de certains achats d'armes. Un jour, un interlocuteur anonyme le demande au téléphone : « Va regarder ta voiture sur le parking. » Elle était en flammes. Diriger la FIBA était un métier dangereux. La banque avait géré aussi certains investissements inhabituels. Fibaviat avait ainsi été constituée pour facili­ ter l'achat des Falcon, par l'équipe de Le Floch1. Fibaco 1. Dont un Falcon 900, qui n'existait qu'en deux exemplaires en France ; 192 millions de francs en crédit-bail.

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était spécialisée dans la location immobilière. Mais la FIBA renvoyait surtout au cœur du système Elf et de ses circuits financiers, la circulation d'argent entre le tra­ ding, les caisses off shore, et les comptes présidentiels, ou ceux des amis des présidents. Question sensible : cet argent « mis à disposition» par la FIBA, où allait-il? N'y avait-il pas là un chemin pour « les retours » de commission vers des Français? Un collaborateur de la présidence gabonaise l'a affirmé, en évoquant la remise par lui-même de « sacs d'argent» au factotum d'un homme politique français, dans le parking de la succursale de la FIBA à Libreville 1 • Les sous-sols de l'immeuble des Frangipaniers - siège de la banque -, situé sur le front de mer, sont connus pour dissimuler cette activité de « transbordement» de voi­ ture à voiture. Puis, la sortie du territoire gabonais était protégée par des agents de la présidence gabonaise, jusqu'au pied des avions, à l'aéroport de Libreville. La FIBA servait aussi à ça. « Sa clientèle cible - atteinte essentiellement par un jeu de relations tissées depuis Paris - est constituée d'entreprises de haut standing et d'hommes politiques dont la principale caractéristique commune est qu'ils recherchent confidentialité et sécu­ rité de leurs opérations », notait la commission bancaire de l'Afrique centrale, dans un rapport sur la banque2• À Paris, un ancien journaliste, dev�nu spécialiste en terrorisme puis conseiller de chefs d'Etat, figurait sur le listing des « mises à disposition». Il signait à chaque fois. Il dit que les fonds qu'il venait retirer rémuné­ raient ses conseils donnés à la présidence gabonaise3• Il avait un passeport diplomatique, et avait été chargé de pr�parer certaines rencontres de Bongo avec des chefs d'Etat du monde arabe, ou encore des sessions du 1. Témoignage recueilli par Antoine Glaser et Stephen Smith,

op. cit.

2. Ibid. 3. Entretien avec l'auteur, le 30 mars 2000.

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conseil de sécurité de l'ONU dont le _Gabon fait partie. Ces fonds servaient à ses voyages. A chaque fois, ils étaient assortis d'une attestation de la présidence spéci­ fiant qu'ils lui étaient remis dans le cadre de ses mis­ sions. Tout était déclaré aux impôts, expliquait-il. Il n'avait aucune connexion chez Elf, ni avec aucun politi­ que. D'ailleurs sa feuille d'impôt affichait 5 millions de francs. Il avait tout déclaré. Le circuit des « mises à dis­ position », à son avis, n'était pas « un vrai circuit ». Tout au plus permettait-il au président Bongo de rendre par­ fois service à ses amis.

1

Quelqu'un s'est-il inquiété? Tout le monde en réalité. Notamment d'importants clients africains. Dans la nuit du 9 au 10 mars 2000, des visiteurs se sont introduits dans la banque. Une porte-fenêtre du premier étage a été for­ cée. Elle ouvrait sur la « salle des engagements » de la FIBA Des meubles ont été fracturés et vidés. Mais les armoires fortes ont résisté. Les employés ont constaté les dégâts. Officiellement, aucun document n'avait disparu. « Ni document ni valeur », a fait savoir le groupe Total­ Fina-Elf, qui annonce qu'une plainte pour «tentative de vol avec effracti_on » a été déposée le matin même. Du coup, la juge Eva Joly est revenue pour compléter sa perquisition. Depuis le début, les juges avaient leur petite idée. Bien sûr, les comptes de l'association La Colombe. Mais aussi un autre compte, celui de la fondation Elf. Et plus précisément encore, un virement effectué à partir de ce compte, le 22janvier 1993, au profit d'une société d'économie mixte de la Ville de Blois, présidée par son maire Jack Lang. Ce dernier s'est déclaré candidat à la candidature à la mairie de Paris le 24 février 2000. Et c'est comme si les juges avaient ressorti son dossier tout exprès. En effet, elles connaissaient l'existence de cette subvention depuis le mois d'octobre, après l'audition par la brigade fil}ancière d'un ancien responsable de la fondation Elf, Eric de Belleval. Selon Jack Lang, le 33

mécénat en faveur de Blois est parfaitement régulier. Indigné, il a affirmé : « Sur l'honneur, ce versement a été exclusivement destiné au château de Blois 1 . » Le 21mars, une enquête préliminaire est ouverte. Quelgues jours plus tard Jack Lang redevenait ministre de l'Education nationale.

1. Le Monde, le 23 mars 2000.

4. La scandaleuse Christine a déménagé pendant les vacances de Noel 1998. Elle a quitté son « palais » de la rue de Lille pour un appartement plus modeste dans un quartier moins chic, près de la gare du Nord. Pour l'affaire Elf, les juges et l'opinion publique, elle avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Le stade suprême de la corruption, ou de ce que l'on en savait. Christine vou­ lait tourner une page. Laisser derrière elle ses voisins, sa concierge, ses souvenirs, ses anciens amis, les regards, les messes basses. L'hôtel particulier où elle a vécu grâce à Elf fait pen­ ser un peu à un ministère. Un portail de quatre mètres de haut ouvre sur une cour. Il est surplombé de deux immenses pots de fleurs. La cour est pavée. Quelques voitures peuvent s'y garer. L'appartement de Christine était au premier étage, escalier de droite. Il faisait un coude. Ses 320 mètres carrés lui permettaient de don­ ner à la fois sur la rue, la cour, et le parc. Christine avait le plus bel appartement de l'immeuble. Huit pièces. Sur l'un des murs, elle avait pu accrocher une tapisserie de 6 mètres sur 4. Une œuvre flamande du XVIIe. Quand Christine pense à son appartement, il y a un avant et un après la prison. Avant, elle invitait ses voisins à l'apéritif. Tous des gens très comme il faut. Ambassa­ deur à la retraite, avocats ... Elle avait sympathisé avec le 35

mécénat en faveur de Blois est parfaitement régulier. Indigné, il a affirmé : « Sur l'honneur, ce versement a été exclusivement destiné au château de Blois 1 • » Le 21 mars, une enquête préliminaire est ouverte. Quelgues jours plus tard Jack Lang redevenait ministre de l'Education nationale.

I. Le Monde, le 23 mars 2000.

4. La scandaleuse Christine a déménagé pendant les vacances de Noël 1998. Elle a quitté son «palais» de la rue de Lille pour un appartement plus modeste dans un quartier moins chic, près de la gare du Nord. Pour l'affaire Elf, les juges et l'opinion publique, elle avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Le stade suprême de la corruption, ou de ce que l'on en savait. Christine vou­ lait tourner une page. Laisser derrière elle ses voisins, sa concierge, ses souvenirs, ses anciens amis, les regards, les messes basses. L'hôtel particulier où elle a vécu grâce à Elf fait pen­ ser un peu à un ministère. Un portail de quatre mètres de haut ouvre sur une cour. Il est surplombé de deux immenses pots de fleurs. La cour est pavée. Quelques voitures peuvent s'y garer. L'appartement de Christine était au premier étage, escalier de droite. Il faisait un coude. Ses 320 mètres carrés lui permettaient de don­ ner à la fois sur la rue, la cour, et le parc. Christine avait le plus bel appartement de l'immeuble. Huit pièces. Sur l'un des murs, elle avait pu accrocher une tapisserie de 6 mètres sur 4. Une œuvre flamande du XVIIe. Quand Christine pense à son appartement, il y a un avant et un après la prison. Avant, elle invitait ses voisins à l'apéritif. Tous des gens très comme il faut. Ambassa­ deur à la retraite, avocats... Elle avait sympathisé avec le 35

mécénat en faveur de Blois est parfaitement régulier. Indigné, il a affirmé : « Sur l'honneur, ce versement a été exclusivement destiné au château de Blois 1• » Le 21 mars, une enquête préliminaire est o uverte. Quelgues jours plus tard Jack Lang redevenait ministre de l'Education nationale.

I. Le Monde, Je 23 mars 2000.

4. La scandaleuse Christine a déménagé pendant les vacances de Noël 1998. Elle a quitté son « palais » de la rue de Lille pour un appartement plus modeste dans un quartier moins chic, près de la gare du Nord. Pour l'affaire Elf, les juges et l'opinion publique, elle avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Le stade suprême de la corruption, ou de ce que l'on en savait. Christine vou­ lait tourner une page. Laisser derrière elle ses voisins, sa concierge, ses souvenirs, ses anciens amis, les regards, les messes basses. L'hôtel particulier où elle a vécu grâce à Elf fait pen­ ser un peu à un ministère. Un portail de quatre mètres de haut ouvre sur une cour. Il est surplombé de deux immenses pots de fleurs. La cour est pavée. Quelques voitures peuvent s'y garer. L'appartement de Christine était au premier étage, escalier de droite. Il faisait un coude. Ses 320 mètres carrés lui permettaient de don­ ner à la fois sur la rue, la cour, et le parc. Christine avait le plus bel appartement de l'immeuble. Huit pièces. Sur l'un des murs, elle avait pu accrocher une tapisserie de 6 mètres sur 4. Une œuvre flamande du xvu c. Quand Christine pense à son appartement, il y a un avant et un après la prison. Avant, elle invitait ses voisins à l'apéritif. Tous des gens très comme il faut. Ambassa­ deur à la retraite, avocats... Elle avait sympathisé avec le 35

psychanalyste. Un original. Certains se mettent sur liste rouge. Lui s'inscrivait deux fois sur l'annuaire, sous deux noms différents : Daniel André et André Daniel. Tous les deux psychanalystes. Son vrai nom est Androv­ sky. Il est lacanien. Il est chauve, il porte de grosses lu­ nettes et une couronne de cheveux frisés qui lui donne un air savant ou farfelu. C'est le premier lacanien à avoir osé s'installer rue de Lille depuis la disparition de Jacques Lacan, qui habitait au 5. La rencontre s'est faite avec Christine. Daniel a sympathisé avec Dumas, qui avait été justement l'avocat de Lacan. Des dîners ont eu lieu, puis une consultation pour l'aîné des fils de Chris­ tine, Frédéric. De 1996 à 1997, il engage une psychothé­ rapie auprès du voisin psy. Un rythme hebdomadaire. Christine et André deviennent amis. Le psy est reçu en Dordogne dans la maison familiale. Christine sympa­ thise aussi avec la voisine du dessus. C'est Maren Sell, éditrice renommée. Des dîners réunissent les voisins. C'était encore l'époque de la dolce vita. Roland Dumas venait Les voisins le remarquaient «Je croyais qu'il habi­ tait là, se souvient une galériste, voisine d'en face. C'est simple, il se garait à droite ou à gauche de mon porche. Il était accompagné d'un chauffeur et d'un garde du corps. J'ai dit à ma concierge : On a du beau monde en face. Elle m'a répondu : Mais non ! Il vient voir sa bonne amie 1 » Et puis, Christi�e a appris l'histoire de la lettre ano­ nyme adressée à Eva Joly. Griffonnée sur une page de journal, la lettre donnait son adresse. « Visitez son palais de la rue de Lille, disait-elle, tableaux, tapisseries, meu­ bles, vous serez édifiée. » Quelqu'un qui était venu chez elle peut-être, ou quelqu'un à qui on l'avait raconté? Elle recevait tellement Comment savoir? Le corbeau la pré­ sentait comme « maîtresse de Dumas » et « salariée à vie par Le Floch-Prigent ». « Deviers égale porteuse de valise qui en a bien profité. Dumas escroc voleur. » Le corbeau donnait un conseil à lajuge : « Si vous trouvez le nom de la société étrangère propriétaire du [... ] rue de Lille où 36

vit Mme Deviers, vous trouverez le trou suisse d'Elf. » Ce dernier élément, le visiteur occasionnel ne pouvait pas le deviner. L'appartement avait été payé sur les fonds d'une filiale d'Elf en Suisse, Rivunion, qui gère la trésorerie internationale du groupe. Éva Joly s'est mise au travail. Christine l'a su. Elle a cherché des soutiens. Elle s'est rapprochée de Daniel André. À l'automne 1997, les voisins plus curieux remar­ quent que Christine et le monsieur chauve du rez-de­ chaussée font beaucoup de choses ensemble. « On les remarquait, forcément, deux personnes d'un même immeuble. » Quelques jours avant l'arrivée des juges et des policiers chez elle, Christine donne encore un dîner, en présence de Dumas. Daniel André n'arrive qu'à la fin de la soirée. C'est à ce moment-là qu'elle lui aurait remis dans deux très grands sacs l'ensemble des différents objets, photos et documents compromettants pour Du­ mas. Même leurs lettres d'amour. Pour plus de discré­ tion, le psy serait passé par la cave pour rejoindre son appartement 1 • Puis c'est le 7 novembre 1997. L'affaire commence. Ar­ rivée à l'aube, la police reste de longues heures dans l'ap­ partement. Les voisins tombent des nues. Christine est conduite au siège de la brigade financière où va se dérou­ ler sa garde à vue. D'abord, elle raconte que l'apparte­ ment appartient à un banquier suisse, qui lui a donné un pouvoir pour le vendre, et qu'en attendant elle l'occupe. Puis elle prétend que l'appartement appartient à Alfred Sirven. Les juges ne voient qu'une chose : c'est Christine qui l'occupe et depuis plus de cinq ans. Elle est incarcérée à Fleury-Mérogis. Le jour de l'ar­ restation, deux voisines réagissent et proposent de s'oc­ cuper des enfants. Ils étaient grands, mais allaient se 1 . Daniel André a démenti ce scénario. Plusieurs proches de Christine Deviers:Joncour ont cependant été formels lors de leur audition par le juge Philippe Courroye, dans le cadre d'une plainte déposée par l'ex-amie de Roland Dumas.

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retrouver seuls. Le voisin psy les éconduit gentiment : il s'en charge. Trop, de l'avis de l'immeuble. Cette paren­ thèse va durer cinq mois. Autour, les journalistes vien­ nent, fouinent, guettent Les photographes s'installent. Les habitants sont questionnés, parfois pris en photo, ils frémissent, s'énervent Les premières photos de la rue de Lille paraissent dans la presse. La concierge fait la chasse aux intrus. « Vous n'aurez rien ici, leur dit-elle. Les gens ce sont des bourgeois, ils n'aiment pas être dérangés. » La concierge se révèle bavarde, mais plutôt avec la police. Elle raconte aux inspecteurs qu'elle a vu Roland Dumas deux ou trois fois avant même que Christine n'achète l'appartement, en avril-mai 1992. Elle ne l'a pas vu visiter les lieux, mais elle est sûre de l'avoir vu dans la cour. « Il regardait, me saluait et repartait », a­ t-elle dit La concierge imaginait que le ministre était lui-même intéressé par l'appartement. Un autre voisin dira lui aussi qu'il a aperçu Dumas avant l'achat, mais sans certitude quant aux dates. À sa sortie de prison, Christine a changé. Elle ne croise plus les voisins avec le même entrain. Elle est au courant pour la concierge. « On a vu qu'elle avait maigri, dit une voisine. Elle était éprouvée. Elle sortait avec des lunettes noires, une voiture l'attendait dehors, et elle filait, comme dans les films policiers. » Christine ferme les volets de son appartement, parce qu'elle craint les paparazzi. Dans la cour, elle croise sa voisine éditrice, Maren Sell. Elle parle. « j'ai maigri, mais mes cheveux et mes ongles ont poussé énormément, lui dit-elle. C'est comme sur les cadavres, en prison les cheveux poussent plus vite. » « Il faut noter tes souvenirs », lui dit Maren Sell. «Je vais le faire », assure Christine. Sans attendre, elle fait son entrée sur la scène médiatique. Elle donne deux interviews 1 • Elle a décidé d'assumer, de faire front 1. Dans Paris-Match et dans le Vrai]: Au même moment, des fonds sont versés par Elf Internatio­ nal à plusieurs politiques allemands, à titre personnel. Alfred Y, met son visa. Agnès Hürland Büning, ex-secré­ taire d'Etat à la Défense (CDU), Hans Friedrich, ex-mi­ nistre de !' Économie (libéral) , reçoivent chacun plus d'un million de francs d'honoraires versés au titre de leur contribution à un fantomatique observatoire de l'Allemagne orientale1 • Il y a un autre mystère. Par une convention secrète, signée en même temps que l'accord officiel en juillet 1992, Elf autorisait son partenaire Thyssen à se désenga­ ger, dès la fin de la construction de la raffinerie, avec son capital et les subventions de l' É tat allemand. Car la privatisation était subventionnée. Philippe Jaffré décou­ vre le pot-aux-roses, à son arrivée en 1993. Elf a pour ainsi dire accordé à Thyssen le droit de partir avec la caisse : 500 millions de marks, représentant sa part en subvention. Sur cette raffinerie, Jaffré pronostique dans ses comptes une perte de 5 milliards de francs. « Si vous essayez de faire croire que vous avez un partenaire, c'est 1. Büning a reçu par ailleurs près de 8 millions de marks de Thyssen.

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une escroquerie, s'indigne Jaffré auprès de ses proches. Le Floch s'est bien gardé de dire à son conseil d'admi­ nistration qu'il était actionnaire à 100 %, qu'il serait obligé de racheter les 30 % de Thyssen. » Jaffré laisse entendre qu'il va abandonner le deal. En Allemagne, des dossiers ont disparu, notamment à la chancellerie. D'autres sont entre les mains de la com­ mission d'enquête parlementaire. Ils permettent d'éva­ luer le rôle de Dieter Holzer. Holzer, qui avait déjà touché sa commission sous Le Floch, continue à partici­ per aux discussions avec l'équipe deJaffré. Il adresse ses comptes rendus à la chancellerie. « Mon impression est que les Français veulent se désengager, écrit-il. Les insi­ ders d'Elf m'ont confié que seul le chancelier Kohl pourrait intervenir avec succès, en cherchant une ren­ contre avec le Premier ministre, M. Balladur1 . » Philippe Jaffré dit qu'il veut ramener à la baisse l'investissement - estimé à 16 milliards de francs au départ -, et qu'il se met « en position de négocier ». Il a gardé quelques hommes clés du dispositif de Le Floch-Prigent : Frédéric Isoard, directeur général des hydrocarbures, Hubert Le Blanc Bellevaux, alias 007, et surtout Bernard Polge de Combret, le patron du tra­ ding. Les trois hommes participent à une réunion avec les Allemands le 21 novembre 1993. Combret est pré­ senté comme fondé de pouvoir extraordinaire pour le projet Leuna. Les Allemands ? Dieter Holzer et Walther Leisler Kiep, l'ex-trésorier de la CDU. Officiellement, les négociateurs cherchent un remplaçant à Thyssen. Ils ne trouveront pas. Mais Frédéric Isoard a mandaté l'argentier de la CDU, par lettre du 19 octobre. « Nous nous réjouissons que vous acceptiez cette mission, lui écrit-il. Le président Philippe Jaffré est naturellement informé par mes soins de ces développements, les approuve et les encourage. Souhaitant vivement que 1. Lettre de Dieter Holzer du 22 novembre 1993.

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1

votre action puisse contribuer à conduire à bonne fin le projet Leuna, nous vous remercions de votre appui et de votre intervention 1 • » Malgré Walther Kiep, mais surtout à cause de Jaffré, c'est l'escalade des menaces entre Elf et les autorités allemandes. Jaffré s'arc-boute sur la question d'un rem­ plaçant à Thyssen. Comme pour marquer une nouvelle fois que ce projet est bien le sien, Helmut Kohl écrit à Edouard Balladur pour lui demander de faire usage de son « influence personnelle » - il veut dire auprès de Philippe Jaffré - pour que Elf se déclare à nouveau favorable au projet. Kohl évoque la position d'Elf qui demande que la Treuhand - l'organisme de privatisa­ tion -, ou une autre institution allemande, se substitue à Thyssen. Ce qui reviendrait, selon lui, à « renationali­ ser2 » la raffinerie. Le 28 mars 1994, un accord inter­ vient quand même sur la base de l'entrée du groupe chimique Buna, après la construction3• Celle-ci démarre le 25 mai, par des pelletées symboliques de Philippe Jaffré et d'Helmut Kohl. «J'ai toujours affirmé que j'uti­ liserais tout mon pouvoir pour assurer l'avenir du trian­ gle de la chimie », déclare le chancelier, tout sourires. Le 3 janvier 2000, le parquet de Bonn ouvre finale­ ment une information judiciaire à son encontre.

1. Document en possession de l'auteur. Frédéric Isoard nous a fait savoir qu'aucun honoraire n'avait été versé par Elf à Walther Kiep. 2. Lettre d'Helmut Kohl à Edouard Balladur du 18 février 1994, publiée par Libération, le 23 décembre 1999. 3. Cet accord ne sera pas respecté.

39.

Les hommes du président C'est une médaille toujours prisée chez les serviteurs de l' ÉtaL En forme d'étoile à cinq rayons surmontée par une couronne de chêne et de laurier, tenue par un ruban rouge. Elle a été créée par Bonaparte pour récompenser les mérites civils et militaires. Cette décoration, Alfred l'a eue. Dans le journal Le Monde, daté du 16juillet 1993, s'étalait la liste des promotions et nominations. Au titre du ministère de l'industrie, parmi les nouveaux cheva­ liers, on pouvait lire : « Alfred Sirven, président d'une compagnie pétrolière. » André Magnus, un ami personnel de François Mitterrand, lui a accroché la médaille au ves­ ton 1 • Il la portait sur la photo figurant sur son mandat d'arrêt international. La même année, Le Floch, lui, était promu officier. François Mitterrand lui remettait personnellement ses insignes, le 4 mars 1993, sur proposition de Dominique Strauss-Kahn 2. Un an avant, le 17 juin 1992, le président de la République avait remis sa croix de la Légion 1. Magnus la lui a remise à son domicile personnel, ainsi que l'ont relaté Gilles Gaetner et Jean-marie Pontaut, dans L'Homme qui en sait trop, op. cit. 2. Une proposition du ministre de !'Industrie et du Commerce extérieur datée du 7 octobre 1992.

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d'honneur à Alain Guillon, le directeur du raffinage d'Elf-Aquitaine, sur proposition de Pierre Bérégovoy1 . Le club des mis en examen a été à l'honneur. Quels mérites leur avaient valu toutes ces Légions d'honneur ? On l'ignorait. Quels services rendus à la présidence ? On le devine. Leuna ? Les frégates ? Mais encore ? Cer­ tains petits services. André Magnus, un ami de Mitterrand, avait ainsi été salarié à hauteur de 75 000 F mensuels, payables en Suisse. Magnus était alors un vieil homme de 81 ans, un ancien publicitaire qui avait aidé le président quand il le fallait. Sa retraite de chez Elf était l'un des meilleurs salaires d'EAI. Alfred avait mis sur sa liste un autre ami du président, le docteur Laurent Raillard, un cardiolo­ gue également à la retraite, que le petit monde d'Elf surnommait « Lala ». Raillard jouait au golf avec Fran­ çois Mitterrand dès que le permettait l'agenda présiden­ tiel, parfois plusieurs fois par semaine, sur les terrains de Saint-Cloud, Saint-Germain ou Villacoublay. Ils s'étaient connus trente ans plus tôt. En 1993, son salaire (50 000 F) apparaissait sur la liste d'EAI sous couvert d'Overseas Maple, société enregis­ trée à Hong Kong. Le cardiologue évoquera pour se justifier un vague projet d'importation de scanners2• En plus de son salaire en Suisse, Elf s'était occupé de sa villa de Louveciennes. En 1991, le groupe l'avait rache­ tée pour 18 millions de francs. Le montage n'était pas simple. On l'avait laissé dans la place. On imagine mal l'utilité d'une villa pour la compagnie, mais certaines 1. Une proposition du ministre de !'Économie, des Finances et du Budget, du I l décembre 1990. 2. Il avait d'ailleurs donné certains conseils à Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales, ce qui lui avait valu de répondre aux questions du conseiller Van Ruymbeke sur l'affaire des scanners en 1993. Julien Caumer, dans Les Requins {Flammarion, 1999) , rap­ pelle cette affaire de commissions versées en Suisse par des fabri­ cants de scanners, à l'intention de Georgina Dufoix.

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réunions un peu confidentielles y avaient quand même lieu. Officiellement, Raillard s'était replié sur une aile de sa villa, en simple locataire. On lui avait fixé un loyer de 15 000 F mensuels. Au bout de six mois, il avait cessé de le payer. L'équipe de Jaffré lui réclama d'ailleurs trois ans d'arriérés de loyers, en août 1994 1 • Louvecien­ nes n'était pas un viager, mais presque. La villa était quand même utilisée par Le Floch, parfois aussi par Mit­ terrand. Des personnalités de l'opposition y venaient déjeuner discrètement avec le président2• Elf y avait d'ailleurs fait des aménagements coûteux, et payait en plus des factures à « Lala » 3 On restait dans les financements d'ordre domestique. Le propre fils du présidep.t, Jean-Christophe Mitterrand, ex-monsieur Afrique à l'Elysée, alias « Papamadit », allait bénéficier d'émoluments du Centre de recherche entre­ prise et société (Cres), financé par Elf-Aquitaine. Le Floch avait imposé sa collaboration dès les prémisses de la création du Cres en 1992 4. De même, il avait engagé Elf International à faire travailler la Sissie (Société indus­ tries ,stratégies investissement environnement) présidée par Edith Cresson. En 1993 - Cresson n'était donc plus Premier ministre -, la Sissie a fourni des études sur les stations-service reprises par Elf dans le cadre du dossier Leuna-Minol. D'autres appuis financiers plus considérables étaient mis en œuvre au profit des amis du président. Ainsi, Elf International avait accordé un prêt de 15 millions de 1. La villa est vendue pour 8 millions de francs par la nouvelle équipe. 2. Selon Gilles Gaetner et Jean-Marie Pontaut, op. cit., Hervé de Charette, François Léotard et Charles Pasqua. 3. Julien Caumer, op. cit., mentionne un total de 1 464 573 F pour les aménagements. 4. Le fils de François Mitterrand effectuera dans ce cadre plu­ sieurs voyages en Russie, destinés à ouvrir le territoire au groupe. Il est alors employé par la Compagnie générale des eaux. Ses presta­ tions n'ont pas été contestées par l'équipe de Jaffré.

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francs, plus 5 millions d'apport en compte courant à l'hebdomadaire Globe hebdo en 1992. Financement dis­ cret qui transitait par la Banque commerciale privée, et sa filiale, l'Union normande investissement. Dirigé par Georges-Marc Benamou, l'hebdomadaire restait le seul journal mitterrandien 1 • Selon Benamou, le montage n'était pas « clandestin », il était « l'affaire des diri­ geants de la compagnie ». Il n'était pourtal}t jamais apparu au grand jour, ni chez Elf, ni à Globe. Eric Ghe­ bali, ancien secrétaire général de SOS-Racisme, qui avait lui aussi émargé chez Globe, avait été récupéré par Elf. Il évoquait ses « missions » à l'étranger pour justifier sa présence sur la liste d'Alfred. Il avait un bureau à la tour, tandis qu'il s'activait à lancer la revue Vu de gauche, de l'ex-cacique socialiste Jean Poperen. Un autre ami du président, Pierre Bergé, le patron d'Yves Saint Laurent, par ailleurs actionnaire et éditoria­ liste de Globe, avait également fait « une très bonne affaire » avec Elf. Il l'avouait lui-même. Il avait cédé Yves Saint Laurent à Elf-Sanofi pour 3 milliards de francs, dans le cadre d'une fusion absorption. L'opération avait laissé Maurice Bidermann rêveur. « Ça a été payé du simple au double sur un clin d'œil de Mitterrand 2 », dé­ clare-t-il. La Commission des opérations de bourse avait formulé des réserves sur l'opération. Elle jugeait que, dans la transformation d'Yves Saint Laurent en société anonyme, les associés commandités - dont Pierre Bergé - étaient trop bien payés. Sa perte de pouvoir lui était rémunérée à hauteur de 7 % du capital, soit 350 millions environ3. La justice n'a émis à ce jour 1. Le financement de Globe est dévoilé par Le Monde du 5 juillet 1997. 2. Entretien de Maurice Bidermann avec l'auteur, le 22 octobre 1999. 3. La Tribune du 16 avril 1993, qui juge que l'on peut estimer que « la prise de pouvoir par Sanofi dans Yves Saint Laurent est cher payée à Pierre Bergé ».

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aucun doute sur la régularité de cette opération. La presse évoque un « délit d'amifié politique » commis par Le Floch, « sur ordre de l'Elysée 1 ». Le Floch nie. Selon lui, cette opération est due non à Mitterrand, mais à Elf-Sanofi qui souhaitait renforcer son activité parfum 2• Les introductions à l'Elysée faisaient elles aussi l'objet de tractations. André Guelfi avait tenté d'intéresser Françoise Sagan à ses contrats avec Elf, à charge pour elle d'intervenir auprès du président3• Que savait donc Mitterrand de tous ces dérapages ? De ces versements clandestins ? Les détournements avaient-ils été avalisés ? Elf avait-il présenté sa liste des commissions internationales à la présidence ? Seul Jean­ Louis Bianco, l'ex-secrétaire général de la présidence, l'avait admis. Michel Pecqueur, le prédécesseur de Le Floch, lui avait effectivement présenté une liste de com­ missions - des montants par pays -, mais en une uni­ que occasion. Il n'avait pas gardé ce papier4 . Le Floch­ Prigent, lui, a tout gardé en mémoire. « Deux rendez­ vous avaient lieu, relate-t-il. :peux fois par an,j'allais voir le secrétaire général de l'Elysée. Le même jour, Phi­ lippe Hustache allait à Bercy, avec la même feuille de papier. Y figuraient des noms de pays et des sommes. C'était un fonctionnement de la République mis en place par M. Guillaumat et le général de Gaulle. Une procédure beaucoup plus souvent utilisée dans l'arme­ ment que dans le pétrole 5• » Les juges n'ont pas poussé 1. Le Monde du 28 mars 1993. 2. Il admet être intervenu pour que Saint Laurent soit transfor­ mée en SA, mais il souligne que les 300 millions accordés à Bergé l'ont été par les actionnaires d'Yves Saint Laurent. 3. André Guelfi la fait intervenir dans le dossier ouzbek, puis il lui propose 50 % de ses bénéfices sur le contrat russe, dans l'hypo­ thèse où François Mitterrand parviendrait à maintenir Le Floch à la tête d'Elf-Aquitaine. 4. Entretien de Jean-Louis Bianco avec l'auteur, le Il mai 2000. 5. Entretien avec l'auteur le 26juin 2000.

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leur curiosité jusqu'à l' Élysée. Malgré une perquisition ratée en mars 1997 dans la propriété de Gilles Ménage, ancien directeur de cabinet de Mitterrand. Gilles Ménage avait connu les deux hommes clés de l'opération de la raffinerie, Hubert Le Blanc Bellevaux, alias 007, et Dieter Holzer, mais c'était sans aucun rap­ port avec Leuna. Il avait fait l'ENA un an après Le Blanc Bellevaux. Il ne l'avait rencontré qu'après sa sortie de l'école, « par un ami commun ». Encore ne l'avait-il vu que de façon assez épisodique, comme des centaines d'autres personnes. Il n '�vait connu Dieter Holzer qu'après son départ de l'Elysée, lorsqu'il était devenu président d'EDF. « En raison du rôle de liaison qu'il a joué pendant de nombreuses années entre les autorités allemandes et plusieurs personnalités ou ministres aussi bien de droite que de gauche. Ce fait était connu sur la place de Paris. Je suis donc entré en contact avec lui pour pouvoir avoir accès aux responsables du Land de Bavière dans le but de resserrer les liens entre l'électri­ cien bavarois Bayemwerk et EDF1 . » Quant à François de Grossouvre, l'ancien conseiller spécial de François Mitterrand, il avait été en contact avec Pierre Léthier, second bénéficiaire des fonds dans le dossier de la raffinerie. Paris est un petit monde, c'est vrai. D'ailleurs, Ménage avait fait l'ENA avec Phi­ lippe Hustache, l'ex-directeur financier du groupe, et aussi avec Bernard Polge de Combret, l'homme du tra­ ding chez Elf, fondé de pouvoir extraordinaire sur le dossier Leuna. Et alors ? Les corrélations d'itinéraires entre les agents de l' État sont fréquentes. Elles remplis­ sent les lettres anonymes. Philippe Jaffré aussi avait fait l'ENA Certains parlaient de l'ENA, d'autres parlaient de la franc-maçonnerie. Hustache avait eu envie d'expliquer 1. Un communiqué de Gilles Ménage du 3 mars 2000.

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une partie de l'affaire comme ça. Il avait raconté à Éva Joly qu'Alain Guillon était réputé avoir un grade impor­ tant dans la franc-maçonnerie, de même que Sirven, et certains membres de l'équipe de Le Floch-Prigent. Guillon s'était insurgé. En Suisse, on lui avait fait « un procès stalinien », en France c'était « un procès de !'In­ quisition. On cherche à savoir mes opinions philosophi­ ques, c'est une atteinte à ma liberté constitutionnelle ». Alain Guillon avait beaucoup joué à cache-cache avec les juges. Il avait été écroué en 1997. Le 7 janvier 2000, il était de retour en prison. Un rapport de synthèse du juge Perraudin faisait apparaître quelque 100 millions de francs sur ses comptes en Suisse. Guillon refusait de collaborer. Il contestait toutes les informations des juges. Voyait une erreur dans les tableaux de synthèse de Per­ raudin et en prenait prétexte pour refuser de répondre. Éva Joly avait employé une méthode inhabituelle pour le coincer. Elle avait adressé une commission rogatoire à la section de recherche de la gendarmerie de Marseille. Jugeant « probable » qu'il ait une résidence cachée sur la côte, « sous la forme d'une société civile immobilière exotique », elle avait demandé aux gendarmes de consulter leurs fichiers, afin de l'aider « à localiser une résidence à partir d'infractions que la gendarmerie aurait pu être amenée à constater » - code de la route, urbanisme, infractions maritimes, utilisation d'avions privés... Et les gendarmes ont trouvé. Une plainte de la mairie de Gassin pour infraction au code de l'urba­ nisme, visant la villa de Guillon. Bonne intuition 1 Son domicile déclaré, boulevard Murat, était aussi la propriété d'une SCI exotique, comme la maison de sa première épouse, Jacqueline B., comme le chalet de Megève. Les policiers ont perquisitionné l'appartement du boulevard Murat. Alors que Guillon avait déclaré y vivre, ils n'ont vu que des meubles recouverts de housse, des cartons de lait périmé, « datant de plusieurs an­ nées », et un frigo vide. Pour ne rien arranger, Guillon les avait rejoints avec une « forte somme d'argent sur 307

lui ». Les policiers étaient allés voir où vivait Jacqueline, et ils avaient découvert un petit hôtel particulier de trois étages, avec un rez-de:iardin. L'ex-épouse de Guillon y habitait depuis 1993, payant un loyer de 10 000 F à une société étrangère, dont elle n'avait jamais vu ni le pro­ priétaire ni le gérant. Guillon s'était remarié en 1990, au Ritz, avec Nicole Ryll, en présence de tout le gratin de la formule 1, dont il était le sponsor. Il avait encore divorcé depuis. Mais Nicole était sur la liste des 44 salariés fictifs d'Elf Inter­ national. Son nom y apparaissait légèrement trafiqué : Nicole Real. Elle était présente quand François Mit­ terrand avait remis sa Légion d'honneur à Guillon. Elle en avait gardé toutes les photos, de même que celles de ses_ voyages à l'étranger, des rencontres avec des chefs d'Etat et leurs épouses. Depuis son divorce, Nicole était retournée dans son appartement, qui n'appartenait pas à une SCI exotique. Elle s'était laissé aller, avait perdu son travail. Elle était méconnaissable. Elle avait 40 ans mais on lui en donnait quinze de plus. Elle avait terri­ blement grossi. Se déplaçait avec beaucoup de diffi­ culté. Prenait des tranquillisants. Elle essayait d'oublier Elf, mais elle y revenait toujours. Elle n'avait plus d'ar­ gent. On la pressait de déménager. Au printemps, les policiers la placenf en garde à vue, et lui annoncent sa mise en examen. A ses proches, son avocat, son méde­ cin, elle se dit catastrophée. La veille d'un rendez-vous avec son avocat, elle est retrouvée morte dans son appartement. Entourée de cartons. Son suicide n'est pas établi, mais son décès n'est pas suspect pour autant, selon le parquet de Versailles. C'est une mort naturelle, en marge de l'affaire Elf.

40. Renvoyé c'est pesé Il faut croire que le procureur en avait assez d'atten­ dre. Voulait-il inscrire l'affaire Dumas au tableau de chasse des juges parisiens ? Mettre un point final à cette lamentable histoire qui ternissait la République ? Ou bien espérait-il, en concertation avec les hautes autori­ tés, accélérer la démission définitive du président du Conseil constitutionnel ? Jean-Pierre Dintilhac a en tout cas inscrit à la main la date du 9 février, puis il a signé le réquisitoire que lui ont préparé ses substituts. On ne peut pas dire qu'il ait agi dans l'urgence puisque la fin de l'instruction avait été notifiée, en novembre déjà, aux avocats de Dumas, de Christine et des autres. Et les juges s'y étaient repri­ ses à plusieurs fois. Le retournement de Christine leur a donné du travail, ainsi qu'aux substituts 1 . Il fallait rédi­ ger. Il y en a pour quatre-vingts pages. Le procureur re­ quiert le renvoi de tout le monde devant le tribunal correctionnel. Celui de Dumas pour « complicité et recel d'abus de biens sociaux ». On s'en doutait. Mais personne ne s'y attendait. Les avocats attendaient l'avis de la Cour de cassation sur 1. Malgré sa mise à l'écart programmée, Anne-Josée Fulgeras l'a rédigé avec le substitutJean-Pierre Champrenault

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leurs recours en nullité. Entre autres, il y avait la ques­ tion de la garde à vue de Christine, le 6 novembre. Les avocats de Christine estimaient qu'une erreur procédu­ rale avait été faite. On lui avait notifié ses droits à 9 h 05, après trois heures de garde à vue. Dans l'affaire dite du Sentier, cela avait provoqué une annulation de la procédure. En réalité, le cas de Christine était diffé­ rent, parce que les policiers avaient perquisitionné son appartement pendant ces trois heures. Sa garde à vue n'avait réellement commencé qu'à 9 heures. Mais les avocats espéraient. Ça pouvait marcher. Jean-Pierre Dintilhac connaît-il déjà le résultat des courses ? Ou cherche-t-il à l'infléchir en prenant les devants ? Il fait comme si de rien n'était. Il a revu le réquisitoire puis l'a envoyé au procureur général de la cour d'appel de Paris, le 3 février. Le 7 février, il avait le feu vert de sa hiérarchie. Il signait le 9. Les avocats découvrent le document in extenso mais pas en totalité -, dans Le Monde daté du 1 1 fé­ vrier, en vente dès le 10 en début d'après-midi. Sur une pleine page titrée « Le réquisitoire contre Roland Du­ mas ». Les avocats de Dumas ironisent aussitôt sur la pu­ blication de ces extraits dans Le Monde « qui paraît être désormais le journal officiel de la justice française ». Le procureur général Alexandre Benmakhlouf demande aussitôt des explications à Dintilhac sur la fuite. Une enquête de l'inspection générale des services judiciaires est déclenchée. Pour que Le Monde puisse publier le réquisitoire le 10, il fallait le lui donner le 9, jour de sa signature. Et même assez tôt. « Je l'ai signé le mercredi 9, en fin de matinée, explique le procureur, avant de le faire porter au chef de la section financière, rue des Italiens en début d'après-midi, en lui deman­ dant de le faire remettre aux juges d'instruction saisis, ce qui a été fait le même jour à une heure que ce magistrat situe entre 16 et 18 heures. » , En réalité, Laurence Vichnievsky était souffrante et Eva joly n'est arrivée que dans la soirée. Le procureur 310

estime que le nombre de personnes ayant eu ce docu­ ment entre les mains peut s'évaluer à dix au minimum, au seul niveau du parquet et de l'instruction, « sans compter ceux qui ont pu en avoir connaissance tant au parquet général qu'à la chancellerie », explique-t-il. Et les avocats qui ne l'avaient pas encore eu... Le procu­ reur reconnaît ainsi lui-même l'inanité d'un secret de l'instruction partagé par tant de monde. Et il ne parle pas des avocats qui sont une soixantaine à suivre l'af­ faire Elf. Il dit aussi qu'il était « hors de question de ne pas faire connaître à la presse le sens de ces réquisitions dans -q_n dossier tant attendu » et « largement média­ tisé ». A sa façon, il justifie donc la fuite 1 • Pourtant, il lui arrive encore de déclencher des poursuites judiciaires pour violation du secret de l'instruction 2. Le procureur a donc ses critères bien à lui. Dans le cas de Dumas, il approuve. Et on peut le comprendre, au fond : Le Monde a publié son texte. Il est dur pour Dumas. « Force est de constater que de non-réponses en omissions fautives et de demi-vérités en véritables mensonges, Roland Dumas a démontré tout au long de cette instruction une volonté délibérée de dissimulation, accumulant parfois les contradictions en face des évidences qui lui sont signifiées. » Tout y passe. Ses honoraires, ses déclarations au fisc. L'argent liquide sur ses comptes : 9,5 millions de 1989 à 1997. « Roland Dumas ne dispose d'