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French Pages 365 Year 2002
IL ÉTAIT UNE FOIS LE TOUR DE FRANCE
À l'époque tumultueuse de l'entre-deux-guerres 1919 -1939
@ L'Harmattan,
2002
ISBN: 2-7475-5254-3
Jean ROUSSEL
IL ÉTAIT UNE FOIS LE TOUR DE FRANCE ,
A l'époque tumultueuse de l' entre-deux-guerres 1919 -1939
L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris France
L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE
L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALIE
Mon métier, c'est peut-être un métier de branque, mais je l'aime. Je ne te dis pas que je ne préférerais pas être coureur dans d'autres conditions. Mais ça, c'est une autre histoire. Ça va chercher loin. René Vietto *
*Propos recueillis par Marie-Louise Barron. Numéro special de "L'Humanité"du juillet 1950: "Le Tour de France de 1903 à 1950 "
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PROLOGUE On ne dira jamais assez ce que le Tour de France doit au capitaine Dreyfus! Dans les dernières années du XIXe siècle, Pierre Giffard exchef des informations au Petit Journal, est un homme heureux. Le sport cycliste est en pleine expansion et son quotidien aux feuillets vert pistache, Le Vélo, Journal quotidien de la vélocipédie et de tous les sports, tire à 80 000 exemplaires. Organisateur de Paris-Roubaix, de Bordeaux-Paris et à travers le Petit Journal, de Paris-Brest-Paris, Giffard domine la presse sportive de manière insolente. Ses ennuis commencent lors de son différend avec un industriel de l'automobile, le Comte de Dion, sur fond de lutte politique provoquée par l'affaire Dreyfus. Alfred Dreyfus gracié en 1899, est toujours dans la première année du XXe siècle accusé de trahison par une partie de la presse et de l'opinion publique. Dreyfusards et antidreyfusards animés d'une passion irréductible scindent la France en deux. Le Comte de Dion est un antidreyfusard actif, alors que Pierre Giffard affirme sa conviction en l'innocence de Dreyfus dans les colonnes de son journal sportif. Erreur fatale, qu'exploitera de Dion membre d'un groupement d'industriels auquel appartiennent Edmond Michelin fabricant de pneumatiques, et Adolphe Clément constructeur de cycles. Ces hommes-là et quelques autres, agacés par l'hégémonie de Giffard sur la presse sportive, autant que par ses idées, décident de créer un journal qui s'intitulera L 'Auto- Vélo. Ses feuillets seront jaunes, pour bien marquer leur distinction avec ceux du Vélo, et il affirmera son caractère apolitique. Henri Desgrange, agent de publicité d'Adolphe Clément, sera désigné pour présider aux destinées du nouveau journal. Le jaune et le vert Ancien clerc de notaire, premier recordman officiel de l'heure à vélocipède, auteur d'un manuel de conseils cyclistes intitulé "La Tête et les jambes", et propriétaire du Parc des Princes, Henri Desgrange est une forte personnalité. Si de Dion l'a choisi ce n'est pas par hasard.
Autoritaire, patriote et même cocardier, l'homme est assurément de droite, et s'il ne l'affirma jamais de manière claironnante, tout dans ses propos et dans son comportement le laissait supposer. Fut-il pour autant antidreyfusard ? Rien n'est moins sûr. Pas plus qu'il ne fut antisémite, car plusieurs de ses collaborateurs étaient d'origine juivel. D'abord rebuté par la personnalité du futur Père du Tour qu'il trouvait "teignard", de Dion finit par lui confier la direction de son journal, et attribua au discret Victor Goddet la responsabilité financière de L 'Auto- Vélo. Ce fut le début d'une lutte à mort entre le jaune et le vert qui se termina par la déconfiture complète de Pierre Giffard2, malgré une contre-attaque judiciaire de ce dernier qui obligea L'Auto-Vélo à supprimer de son titre le mot Vélo. Par la suite, Giffard, vaincu, quitta la direction de son journal sans explication3. Pourquoi pas un Tour de la France? Au début de 1903, l'issue de la lutte entre les deux journaux est encore indécise. De plus, d'autres titres sportifs voient le jour. Les ventes de L'Auto stagnent. Desgrange est en difficulté. Il faut chercher une idée promotionnelle pour relancer le journal et terrasser définitivement Le Vélo. L'idée va naître un matin dans le bureau de l'exrecordman de l'heure, rue du Faubourg Montmartre. Géo Lefèvre interrogé par son patron, lance au hasard: "Pourquoi pas un Tour de la France? " La proposition est énorme et fait reculer Desgrange, mais il ne la rejette pas et invite, illico, Lefèvre à déjeuner. Entre le bureau de L'Auto et le boulevard Montmartre où se trouve la brasserie Zimmer, Géo Lefèvre élabore son projet en pensée et à la hâte: "J'ai jeté les noms de quelques villes pour faire des étapes possibles. Je concevais des courses indépendantes les unes des autres. C'était plutôt désordre dans mon esprit et encore plus dans mon exposé, heureusement que Desgrange avec son esprit pragmatique a tout remis en ordre4. " Desgrange sort du Zimmer, préoccupé. Quoique séduisante l'idée lui paraît périlleuse, coûteuse et complexe à mettre en œuvre. C'est finalement Victor Goddet qui, mis au courant du projet, y croira 10
immédiatement et fera tomber les réticences du rédacteur en chef de L'Auto en lui ouvrant tout grand son coffre-fort. Le Tour de France lui doit d'exister. Le 1erjuillet 1903 à 15h 16 Le premier Tour de France s'élance de l'intersection de la route de Corbeil par Draveil, un peu avant Montgeron, le 1er juillet 1903 à 15h 16. C'est le commencement d'une aventure qui dure depuis cent ans. Ce jour-là, soixante concurrents prennent le départ pour 2 428 km d'une course en six étapes lancée par le pittoresque Georges Abran. D'une élégance désuète, portant beau comme un cabotin de tournée théâtrale, et "si parfaitement inutile", comme l'écrira plus tard Géo Lefèvre, Abran sera l'inamovible et attendrissant starter des années héroïques. Les coureurs sont répartis en deux catégories: ceux qui concourent pour le classement général et ceux qui s'engagent pour quelques étapes5. Plusieurs jours de repos sont prévus après chaque arrivée. Desgrange, calfeutré dans son bureau, a délégué une part de ses pouvoirs à Géo Lefèvre, qui sera le chef d'orchestre de cette première édition remportée par le favori, Maurice Garin. Présent sur tous les fronts du départ à l'arrivée, sautant d'un train pour enfourcher sa bécane, Lefèvre, à la fois directeur de la course, commissaire sportif, juge à l'arrivée et envoyé spécial, sortit de l'épreuve aussi épuisé que le vainqueur. Des débuts tumultueux La période héroïque du Tour de France, qui s'étendit de 1903 à 1914, fut émaillée d'innombrables péripéties heureuses et malheureuses. Certains concurrents n'étaient que des amateurs présomptueux à la recherche d'une parcelle de gloire et les vrais professionnels étaient peu nombreux. Les vélos étaient lourds et archaïques et les routes cahoteuses. Les chutes et les incidents mécaniques émaillaient quotidiennement la course et les crevaisons fréquentes nécessitaient des réparations aux opérations complexes. Il
Longtemps, les vélos furent équipés de pignons fixes. Des pattes repose-pieds soudées sur la fourche avant permettaient d'éviter le pédalage dans les descentes. Les systèmes de freinage étaient aussi élémentaires que dangereux, et en 1903 certains coureurs freinaient encore en retenant les pédales! Il fallut attendre 1907 pour voir apparaître la roue libre et le freinage Bowden sur j ante, à serrage latéral. La curiosité et l'enthousiasme des spectateurs se mutaient parfois en fanatisme. On sema des centaines de kilos de clous sur les routes, on organisa des barrages et des guets-apens, on tira des coups de feu et l'on bastonna les coureurs. On tricha aussi. Des hommes qui étaient à l'arrière se retrouvaient à l'avant grâce à de providentiels raccourcis, et l'indicateur du chemin de fer appartenait au viatique des concurrents les moins scrupuleux. Ceux-ci profitaient de la nuit et de l'approximation des contrôles pour prendre le train ou grimper dans ,
une berline avec leur bécane! C'est ainsi que le Tour de France 1904 faillit être le dernier6. Convaincus de tricherie, les quatre premiers de l'épreuve furent déclassés?, et Desgrange, découragé par les actes de violence et de malveillance qui émaillèrent la course, signa même son acte de décès dans L'Auto. Malgré ces difficultés inhérentes à toute nouveauté, le succès du Tour ne se démentait pas. Le matériel s'améliorait, le public se rassemblait dans les vélodromes, et les concurrents étaient de plus en plus nombreux à se présenter au départ. Desgrange, d'année en année, complétait son règlement complexe et draconien, et perfectionnait sans cesse l'organisation de ce qui était désormais son Tour de France. Naissance d'une légende Le parcours s'allongeait et épousait de plus en plus parfaitement le contour d'une France mal connue de ses ressortissants. Le Tour avait l'avantage secondaire de leur dispenser une magistrale leçon de géographie à travers les récits imagés des journalistes. Bien que dès 1903 les coureurs escaladèrent le col de la République, la vraie montagne fit son apparition en 1905. Elle s'appelait Ballon d'Alsace, Côte de Laffrey, Col Bayard. Ce n'était rien par rapport au monstrueux massif alpin de la Chartreuse gravi en 1907. En12
suite il y eut les Pyrénées, où les ours régnaient encore en 1910 ! Désormais, rien ne pourrait arrêter l'audace des organisateurs si ce n'était l'épuisement des coureurs. Octave Lapize l'exprima un jour en traitant Desgrange d'assassin! Les noms des cracks étaient sur toutes les lèvres. Garin, Cornet, Trousselier, Pottier, Petit-Breton, Faber, Lapize, Garrigou, Defraye, Thys, inscrivirent leurs noms sur "la liste glorieuse", comme la nommait Desgrange. Le patron de L'Auto, tout comme Géo Lefèvre, écrivait dans la fièvre des articles d'un lyrisme délirant8, qui à défaut de traduire fidèlement la réalité, bâtissaient la légende du Tour de France et le revêtaient des atours de l'épopée. Desgrange magnifiait les exploits de ceux que l'on ne tarda pas à appeler "Les Géants de la route", glorifiait les vainqueurs et accompagnait de sa compassion les vaincus frustrés d'une victoire méritée. Aucouturier, Duboc, Alavoine, Georget, Passerieu, Christophe, furent de ceux-là et bénéficièrent, autant que les vainqueurs, de la ferveur populaire. On affubla les coureurs de sobriquets. Ils étaient l'indicateur de leur notoriété. Garin devint Le Petit Ramoneur, Petit-Breton L'Argentin, Aucouturier Le Brutal, Thys Le Basset, Christophe Le Vieux Gaulois, Henri Pélissier La Ficelle, Faber Le Géant de Colombes, Lapize Le Frisé... Le tirage de L'Auto montait, montait, montait encore, vers des sommets inespérés. Quand les premières canonnades de 1914 commencèrent à gronder, le Tour de France achevait ses classes. Après le carnage, il serait prêt à aborder une autre phase de son développement. Cette période classique, trait d'union entre ~'époque héroïque et la course moderne, naquit dans une paix retrouvée porteuse des espoirs du monde. Elle se déroula d'abord dans l'euphorie, ensuite dans l'inquiétude, et expira au seuil d'une guerre à laquelle personne ne voulait croire. C'est cette période, dont l'évolution refléta fidèlement celle de son temps, qui est évoquée ici. 1. Lire "Les Défricheurs de la presse sportive" . Jacques Marchand. Atlantica 1999. 2. Après la défaite de Giffard, Desgrange, magnanime, l'engagea à L'Auto. 3. Le journal continua sans lui pendant quelques mois. 4. "Les Défricheurs de la presse sportive". Jacques Marchand. Atlantica 1999. 13
5. Il y eut 4 coureurs inscrits pour la 2e étape, 15 pour la 4 e, et 4 pour la 5e. Les coureurs engagés pour le classement général, mais qui abandonnaient en cours d'épreuve, pouvaient s'engager à nouveau pour les étapes suivantes sans, bien entendu, figurer au classement général. C'est ainsi qu'Aucouturier, qui abandonna dans la première étape gagna la seconde et la 3e, et que le Suisse Laeser remporta la 4 e étape après avoir abandonné dans la 3e. 6. "1904, ce Tour de France qui faillit être le dernier". Jacques Seray 1994. 7. On ne sut jamais officiellement ce qui leur était reproché. Le dossier d'enquête a disparu. 8. Henri Desgrange atteignit l'un des sommets de son art, c'est le cas de le dire, dans son article du 10 juillet 1911 intitulé "Acte d'adoration", où il chanta la grandeur du Galibier. En voici un extrait: "Ils se sont élevés si haut qu'ils semblaient de là-haut, dominer le monde! Apôtre des religions nouvelles et des belles santés aussi, la montagne les acclame de l'adorable chanson de ses sources nacrées, du fracas de ses cascades irisées, du tonnerre de ses avalanches et de la stupeur figée de ses neiges éternelles! "
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1919 13e Tour de France. Du 29 juin au 27 juillet 1919
Convalescence "Mes p'tits gars! Mes p'tits gars chéris! Mes p'tits gars français! Ecoutez-moi bien! Il faut que vous les "ayez" ces salauds-là! (...) Mais méfiez-vous! Quand votre crosse sera sur leur poitrine, ils vous demanderont pardon! Ne vous laissez pas faire. Enfoncez sans pitié! Il faut en finir avec ces imbéciles malfaisants qui, depuis quarante-quatre ans, nous empêchent de vivre, d'aimer, de respirer et d'être heureux... " À la déclaration de guerre, Henri Desgrange imaginait-il en écrivant son article, le Grand Match, ce que serait la réalité de la boucherie innommable dont il se faisait le chantre inconscient? Probablement pas. Pas plus que les pioupious, cibles idéales en pantalon garance, qui partirent la fleur au fusil pour une expédition de quelques semaines qui devait durer quatre ans. En novembre 1918, on compte huit millions et demi de morts au combat, auxquels il faut ajouter les populations civiles. 1919, première année de paix, commença par des congratulations entre vainqueurs. Ensuite, il y eut l'insurrection spartakiste de Berlin et la guerre civile en Russie, qui firent quelques victimes de plus, puis le traité de Versailles annonciateur de l'hécatombe suivante. De son côté, la nature démontra qu'elle pouvait faire mieux que la folie des hommes, en propageant la grippe espagnole responsable de la mort de vingt millions d'êtres humains dans le monde. En France, le sentiment patriotique est à son apogée. Raoul Villain qui assassina le pacifiste Jean Jaurès en 1914 est acquitté. Trente six mille monuments aux morts, dont une bonne part achetée sur catalogue, sont érigés sur les communes de France. Un seul osera proclamer: "Maudite soit la guerre". En novembre, le bloc nationaliste triomphera aux élections en donnant à la Chambre des Députés sa couleur Bleu horizon.
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Relance Depuis l'Armistice, Henri Desgrange ne pense qu'à relancer le Tour de France. Une gageure dans l'état où se trouvent le nord et l'est du pays. Tout n'est que ruines, paysages lunaires sculptés par les obus, arbres calcinés, routes défoncées, ponts effondrés, décombres d'immeubles devenus linceuls pour des dizaines de milliers de civils. Pourtant, en avril 1919, le Petit Journal organise le Circuit des Champs de Bataille. Curieuse initiative qui lance sur des routes qui n'en sont plus et dans des décors de fin du monde, quatre-vingt-deux courageux, de Strasbourg à Strasbourg, en passant par le Luxembourg, Bruxelles et Paris. Le Belge Charles Deruyter, né en France à Watreloos près de la frontière belge, gagne cette unique édition 1 courue en sept étapes de cauchemar dans des conditions atmosphériques épouvantables, et qui ressemble davantage à une épreuve de cyclo-cross qu'à une course sur route. Notamment, sur les 338 km de l'étape Bruxelles-Amiens remportée par Deruyter à la moyenne de 18 km/h. On y vit des coureurs errer dans la bourrasque à la recherche de vestiges routiers. À l'arrivée de l'épreuve, ils n'étaient plus que dix-neuf. Cette première course par étapes de l'après-guerre a au moins le mérite de démontrer à Desgrange qu'il peut faire cheminer son Tour de France par l'Est et le Nord. La relance d'un Paris-Roubaix organisé par L'Auto et remporté par Henri Pélissier devant Philippe Thys, à la moyenne horaire la plus faible jamais enregistrée dans l'épreuve, le conforte tout de même dans cette conviction. Les écueils sont importants. Le pays est exsangue, la pénurie règne, les routes du Nord et de l'Est sont hors d'usage, celles qui sont situées hors des zones de combat, mal entretenues pendant la guerre, sont dans un état lamentable, et les gaillards capables de monter sur une bicyclette sont beaucoup moins nombreux qu'auparavant. Octave Lapize, Lucien Mazan, dit Petit-Breton, et le grand François Faber engagé dans la légion étrangère, ont laissé leur vie dans la tourmente; ainsi que quelques-uns de moindre notoriété: Anselme Mazan, Jean Pélissier, le second des quatre frères, Emile Frioul, Emile Engel, François Lafourcade, Henri Alavoine, Marius Thé, Frank Henry, Léon Hourlier, Edouard Wattelier, Léon Cornes. Et d'autres, beaucoup d'autres. Sans compter ceux définitivement marqués dans leur esprit et 16
dans leur chair, et pour lesquels le Tour de France n'est plus qu'un heureux souvenir. L'origine d'un mythe Malgré les difficultés de cet immédiat après-guerre, les 69 concurrents du 13e Tour de France s'élancent le 29 juin depuis le pont d'Argenteuil, après une halte et une minute de silence devant le Café de Colombes où le bon François Faber, forte figure de l'épreuve et vainqueur en 1909, se rendait parfois. L'émotion est intense car nombre de ces hommes sont d'anciens combattants. Henri Desgrange ne doit pas être le moins ému. Engagé volontaire à 52 ans comme 2e classe, il avait demandé sa mutation au Front. Exaucé, il était revenu de l'enfer avec la croix de guerre et la légion d'honneur à titre militaire. Dans l'une de ses hilarantes envolées pompières qu'on imagine inspirées de Barrès et de Déroulède, la veille du départ, Desgrange vante les mérites des concurrents dans L'Auto: "N'est-ce pas notre belle jeunesse qui va passer là, avec des sourires charmants de jeunes dieux, avec de blanches dents de jeunes loups avides de mordre, avec des bielles magnifiques qui forceront le Tourmalet et le Galibier, des dos harmonieux et des volontés infrangibles? C'est la France de demain, osseuse, énergique, volontaire et saine, qui commence la plus belle des croisades, qui va semer sur sa route, par des gestes puissants et gracieux, la bonne parole sportive. " Il n'est pas injuste, même si son style fait aujourd'hui sourire, de rendre grâces à un homme dont le lyrisme rendit passionnante une course qui ne l'était pas toujours. Pour les besoins de sa cause, il se fit bateleur, et excellait à éveiller les attentions assoupies dans des articles flamboyants où se mêlaient du mieux possible sa sincérité passionnée et sa rouerie d'entrepreneur. À la fois journaliste et organisateur de l'événement qu'il commentait, Desgrange excellait à valoriser sa course, comme un industriel vantant sa production, et souvent au détriment d'une réalité qui, si l'on tente de l'approcher, rend une lecture de L'Auto insuffisante. Il confiera à la fin de sa carrière: "Nous avons tarabiscoté le sport sur route de la même façon que les Précieuses du xv/r tarabiscotaient 17
l'amour2." Cet aveu est chargé de sens. Le Tour de France fut souvent passionnant parce qu'il était bien raconté. Les spectateurs n'en avaient qu'une vision fugitive, et la physionomie approximative de la course n'était perceptible que par quelques suiveurs et par les coureurs. Et encore, pas par tous! Desgrange et ses collaborateurs, habiles manieurs de métaphores, s'ingénièrent à rendre la réalité plus chatoyante qu'elle n'était, avec la crédulité complice de leur lectorat, qui ne tarda pas à s'identifier à ces merveilleux fous pédalants sur leurs drôles de machines. Chantés par les plumes exubérantes des reporters de L'Auto, les exploits réels ou supposés de ces aventuriers venus de la plèbe, prenaient une dimension épique, et ouvraient au public populaire une porte sur le rêve et sur l'espoir secret d'une vie meilleure. C'est l'origine d'un mythe. Il perdura grâce à l'appoint de quelques évènements réels qui ne nécessitaient pas de hérauts pour leur attribuer leur grandeur, et ne fut mis à mal que par l'apparition des reportages télévisés en direct. Nouveau départ En vérité, ce ne sont pas 69, mais 68 jeunes loups avides de mordre qui se présentent au départ de ce premier Tour de France de l'après-guerre. La raison en est, qu'entre la place de la Concorde où eut lieu à trois heures du matin le départ symbolique, et le pont d'Argenteuil où fut effectué le départ réel, le jeune et immense Francis Pélissier, cadet d'Henri, est tombé. Il lui faudra deux heures pour réparer sa machine endommagée. Rejoignant quelques attardés, il arrivera au Havre, terme de la première étape, quatre heures après le vainqueur. L'épreuve est la plus longue jamais courue jusque-là: 5 560 km en quinze étapes. Une journée de repos suit chaque étape. Desgrange a supprimé les équipes de marques parce que les As sont réunis dans un consortium, La Sportive, dirigé par Alphonse Baugé, dit Cézigue, et organisé par les firmes les plus importantes pour réduire leurs frais. Les coureurs de La Sportive portent des maillots gris marqués de larges bandes de couleur rappelant leur firme d'origine.
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Desgrange scinde le peloton en deux groupes: 44 concurrents de catégorie A et 25 de catégorie B. Seul le ravitaillement des coureurs de catégorie A est assuré par l'organisateur. Le règlement d'une extrême sévérité, précise que la course sera strictement individuelle. Il interdit de se faire aider et de s'entraider, concept inapplicable et qui le restera. Les coureurs doivent utiliser la même machine poinçonnée pendant toute la course, sauf en cas d'avarie grave dûment contrôlée. Dans ce cas, le coureur accidenté peut utiliser un vélo ou un accessoire de rechange, mais doit porter le vélo ou l'accessoire endommagé sur son dos jusqu'au contrôle et faire constater la réalité des dégâts. En revanche, s'il se révèle que la machine est réparable, le coureur devra effectuer la réparation lui-même sous peine d'une lourde pénalité. C'est ainsi, qu'il sera banal de voir un concurrent juché sur une bicyclette de dépannage en porter une autre sur l'épaule, ou une roue brisée sur son dos, ce qui laissera parfois dans sa chair des traces définitives. Si les routes sont mauvaises, en revanche le matériel s'est amélioré au fil des années. Les bécanes sont toujours très lourdes, entre onze et douze kilos, et les jantes des roues sont toujours en bois. Mais à présent, les moyeux des roues arrière comportent un double filetage pour recevoir chacun deux roues libres, ce qui permet aux coureurs de disposer de quatre vitesses, à condition de mettre pied à terre pour changer de développement. De reprofilage en reprofilage, les guidons jadis droits sont maintenant harmonieusement galbés, rendant possible un changement de position en course tout en offrant moins de prise au vent. La sacoche de guidon cède la place à deux porte-bidons en fil d'acier. Le freinage à patin central agissant directement sur le pneu a été abandonné depuis longtemps au profit du frein sur jante à freinage latéral. Les cadres comportent des pattes arrière retournées qui permettent une tension rapide de la chaîne. Les vis papillons ont remplacé le vieux système à écrou, et les roues avant sont surmontées de courts garde-boue. Bientôt, les premiers chasse-clous vont équiper les machines. Quant au dérailleur, il fut expérimenté en 1911 dans la grande épreuve, mais son manque de fiabilité supposé en fait désormais un objet tabou, et pour longtemps! 19
Outre la lourde bécane, la panoplie du coureur comprend un maillot avec des poches de ravitaillement, un chandail pour la nuit, un cuissard, une ou deux musettes, une casquette, des jambières de laine, une cape imperméable, une paire de lunettes de motard, indispensable protection contre la boue et la poussière, et trois boyaux de rechange, deux sur les épaules, un derrière la selle - ce qui est souvent insuffisant. Le routier est également muni de rouleaux de chatterton, d'une bobine de fil et d'une aiguille pour coudre les boyaux, de rayons de rechange, d'une pompe, d'une burette d'huile de graissage, de différentes clés, dont une clé à rayons et une clé à pédale. Il lui faut aussi quelques petits accessoires de rechange, patins de freins, vis papillons, courroies de cale-pieds et enfin, une pharmacie personnelle. Les coureurs effectuant de nuit une bonne partie du parcours, ils compléteront leur équipement par une lampe électrique de poche dès que cette géniale invention apparaîtra sur le marché. Ainsi accoutré et équipé, le hardi concurrent peut s'élancer pour plus de 5 000 km de galère. Les routes sont difficilement praticables et provoquent chutes et crevaisons en série. Au Havre après la première étape, il ne reste que 41 coureurs en course. L'un des favoris, Philippe Thys, victime de crampes d'estomac a abandonné. Jean Rossius l'emporte au Havre avec un peu plus d'une minute d'avance sur l'aîné des Pélissier, mais il écope d'une demi-heure de pénalité pour avoir donné un bidon d'eau à Thys! Bien que le classement de l'étape soit maintenu, Henri Pélissier, Champion de France, vainqueur cette année de Paris-Roubaix et de Bordeaux-Paris, devient dès la première étape leader de l'épreuve. Henri le rebelle Figure exceptionnelle que cet Henri Pélissier, dit La Ficelle, en référence à la minceur de sa silhouette. Ce fils de fermiers3 est l'aîné de quatre frères, tous coureurs cyclistes. Jean a disparu dans les tranchées de 14-18, et Francis, dit Le Grand, qui mériterait prioritairement le surnom attribué à son frère, vient de faire des débuts professionnels tonitruants, en gagnant Paris-Dijon et en aidant son aîné à remporter 20
Paris-Roubaix. Quant à Charles, le benjamin, qui deviendra célèbre dans les années trente, il n'a que seize ans et rêve de marcher sur les traces de ses frères. Henri a débuté en 1910 dans la catégorie des indépendants. L'appellation lui va comme un gant. Bien qu'investi d'un indéfectible esprit de famille, indépendant il l'est, et le démontrera tout au long de sa carrière en défiant les organisateurs, et en particulier Henri Desgrange à qui il fit passer des nuits blanches. Dès ses débuts, il se signale par une victoire dans Paris-Le Havre et une troisième place dans l'édition du Tour de France des indépendants, organisée par Peugeot. Entre 1911 et 1913, grâce à Lucien Petit-Breton qui l'entraîne avec lui en Italie, il remporte Milan San-Remo, Milan-Turin, Turin-FlorenceRome et le Tour de Lombardie. Ses deux premières tentatives dans le Tour de France, en 1912 et 1913, sont infructueuses malgré une victoire d'étape en 1913, mais dans l'édition de 1914 il gagne trois étapes. Au seuil de la dernière, il est second au classement général derrière Philippe Thys, qui vient d'être lourdement pénalisé d'une demi-heure pour ravitaillement illicite. Gêné par des spectateurs dans la célèbre côte du Cœur-Volant, aux portes de Paris, Henri rate la victoire finale pour une poignée de secondes. D'abord réformé dans des conditions douteuses à la déclaration de guerre, Henri Pélissier bravant la volonté de son père, finira par s'engager en 1916 dans un service auxiliaire, puis dans l'aviation, tandis que son frère Francis reviendra des tranchées avec la croix de guerre, deux blessures et autant de citations. Doté d'un orgueil incommensurable et d'une personnalité hors du commun, nerveux et hypersensible, l'aîné des frères Pélissier est un gagneur, capable d'aller au bout de ses forces tant qu'il croit la victoire possible4. Malheureusement, il est sujet à de brusques dépressions qui expliquent ses mouvements d'humeur et les abandons spectaculaires qui émaillent sa carrière. Sûr de son talent, impulsif et insoumis, c'est une diva du vélo, un seigneur de la route, qui accepte malles contraintes et les diktats qu'on tente de lui imposer, surtout lorsqu'ils lui paraissent stupides. Il fut l'un des rares coureurs à se révolter contre sa condition. Autant dire que ses relations avec l'autocrate Henri Desgrange ne pouvaient être qu'explosives. Et elles le furent. 21
H.D, comme le nomment ses collaborateurs, est un homme d'ordre, un brin paternaliste, qui apprécie ses humbles routiers prolétaires surtout quand ils ne discutent pas la règle du j eu dont il est l'unique rédacteur. Pour lui, Henri Pélissier, bien qu'il surclasse la plupart de ses adversaires, n'est qu'un intellectuel, un raisonneur "à la nervosité de jolie femme", qui juge Desgrange et son Tour de France avec une arrogance de hobereau en se juchant à une hauteur inhabituelle pour un sportsman. Le patron du Tour notait avec perspicacité en 1914 : "Cet Henri Pélissier a toutes les caractéristiques du vrai champion, il est racé, tenace, violent dans l'effort et il a mauvais caractère5. " Christophe l'indestructible Henri Pélissier remporte la 2e étape à Cherbourg devant son frère Francis. À l'arrivée, sur les 69 partants de Paris il ne reste plus que 27 coureurs. Les pneus de mauvaise qualité et les silex n'y sont pas pour rien. À ce rythme, aucun coursier n'arriverait au Parc des Princes. Dans ces années-là, il ne suffit pas de pédaler vite et longtemps, il faut également être habile et avoir de la chance. Le vainqueur n'est pas toujours le plus fort, mais souvent celui qui perce le moins. Cinq, six, parfois dix crevaisons en une seule étape, sont le lot ordinaire du coureur du Tour. L'habileté est aussi importante que la force du jarret. Celui qui sait, malgré le froid et les doigts gourds, coudre les boyaux plus vite que ses adversaires, ou qui change de braquet judicieusement et promptement en retournant sa roue, accroît ses chances de gagner. Le choix du développement en fonction du profil de la route est essentiel. En cas d'erreur, le coureur doit descendre de selle, dévisser les papillons, détendre la chaîne, démonter et retourner la roue, replacer la chaîne sur le bon pignon, la retendre, revisser les papillons. Pendant ce temps, ses adversaires ont largement le loisir de prendre la poudre d'escampette! Un concurrent du Tour de France est un homme rude, impassible face aux épreuves, à tu et à toi avec la fatalité, une sorte de ''poilu du temps de paix6. " Il se doit d'être un artisan ingénieux, bricoleur, mécanicien, parfois forgeron, comme Eugène Christophe que son brasage de fourche dans les Pyrénées en 1913 rendit célèbre. Il est tou22
jours là d'ailleurs, le bon Christophe, Le Vieux Gaulois, qui a rasé en 1912 les célèbres bacchantes qui lui valaient son surnom, parce qu'elles l'empêchaient de boire. Indestructible, bravant les intempéries comme au bon vieux temps, Christophe, à 34 ans passés, ne désespère pas de gagner le Tour de France. Il en a déjà couru six, le premier en 1906, et en a terminé cinq, toujours dans les onze premiers. Le problème de Christophe, c'est cette poisse qui le poursuit avec acharnement, comme dans ce Tour de France 1913 qu'il n'aurait jamais dû perdre s'il n'avait brisé sa fourche dans le Tourmalet. À Bayonne, avant la grande étape des Pyrénées, il était deuxième à peine à cinq minutes de Defraye. Ce qui n'est rien par rapport aux écarts considérables qui séparent parfois les concurrents, au long d'étapes interminables où l'incident guette à chaque méandre de la route. Autant dire que Christophe le grimpeur, premier au sommet de l'Aubisque, aurait dû gagner l'étape et prendre la tête de la course. Malheureusement, le sort lui refusa ce bonheur. À Luchon, il entrait dans la légende en débouchant sur les allées d'Etigny 3 heures et 20 minutes après le vainqueur, Philippe Thys. Il lui avait fallu quatre heures pour braser sa fourche sous le regard de commissaires soupçonneux, dans la forge du village de Sainte-Marie-de-Campan, au pied du Tourmalet7. Beaucoup eurent abandonné, mais pas Eugène Christophe, petit homme volontaire aux jambes arquées de vieux cavalier, figure archétypique du coureur-ouvrier, valeureux et combatif, malchanceux et inusable, et dont les malheurs vont droit au cœur d'un public prompt à l'identification. Sa popularité, considérable, est bâtie d'une part, sur cette fameuse fourche du Tour de France 1913, devenue le vase de Soisson de l'histoire du cyclisme, et d'autre part, sur un paradoxe parfaitement français: on le voudrait vainqueur alors qu'on l'aime parce qu'il est vaincu. On l'admire et on le plaint, comme on admirera et plaindra bientôt Honoré Barthélemy, et beaucoup plus tard, René Vietto, Maurice Archambaud, Jean Robic et Raymond Poulidor, autres martyrs de la bicyclette. Dans ce Tour de France 1919, Christophe est second au classement général à Cherbourg, vingt minutes derrière Hemi Pélissier. Mais il reste treize étapes entre Cherbourg et Paris. Rouler durant trois à quatre cents kilomètres par étape, ce qui représente entre quinze et 23
vingt heures de selle, sur ces routes-là et avec ce matériel-là, c'est un périple, une aventure où tout peut arriver, du coup de théâtre à la divine surprise en passant par le désastre. Christophe le sait mieux que personne. Tous contre les Pélissier À Brest, après 405 km de course, c'est Francis Pélissier qui gagne. Devant Henri. La supériorité des deux frères est écrasante et leurs concurrents sont mortifiés. D'autant qu'Henri claironne avec sa morgue habituelle que ses adversaires sont des "chevaux de labour ". La course individuelle n'est qu'une chimère, un rêve d'Henri Desgrange, car il est évident que l'entraide existe entre les coureurs d'une même marque, et même parfois avec la complicité des autres: "Un accord fut discrètement proposé à Henri qui refusa net: " les plus forts gagneront, répondit-il8." Et les plus forts, ce sont les Pélissier. Mais pourront-ils résister à la coalition organisée contre eux? Dans l'étape Brest-Les Sables d'Olonne, Henri s'arrête pour resserrer sa direction et ôter son imperméable. Les autres, agacés par ses fanfaronnades, sonnent la charge. L'aîné des Pélissier, distancé, chasse durant trois cents kilomètres, rejoint son frère qui s'écroule épuisé dans un fossé, puis Honoré Barthélemy qui le relaie. L'écart qui les sépare des premiers diminue. Desgrange le commandeur, tonne du haut de sa berline et rappelle sèchement le règlement: " Vous n'avez pas le droit de vous relayer! - Et les autres devant ils ne se relaient pas! s'insurgea Henri. Le Directeur insista: - Si Barthélemy vous aide, vous serez déclassés tous les deux9. " Henri voit rouge et décide d'abandonner. Il s'arrête à cinq kilomètres du but, réclame à boire, harangue quelques rares spectateurs, proclame qu'il est un homme libre, comme son frère, et qu'on ne les fera pas plier. Finalement, il remonte en selle et arrive aux Sables d'Olonne en roue libre, 36 minutes après le vainqueur, Jean Alavoine. Le lendemain, dans L'Auto, Desgrange ne l'épargnera pas, ni les jours suivants, car pendant la journée de repos les deux frères décident de ne pas repartir des Sables d'Olonne, suite à un incident survenu la veille. "On leur refuse à table, au repas du soir, un supplément de 24
vin, écrit Roger Bastide. Parfait! Ils traversent la rue, finissent de dîner copieusement au restaurant d'en face et, le lendemain matin, restent béatement allongés dans leur lit. Le Tour repart sans euxlO. " À ce moment, et malgré son caprice, Henri est deuxième au classement général, à douze minutes d'Eugène Christophe leader du Tour pour la première fois de sa vie. Donc, rien n'est perdu. Mais pour l'aîné des Pélissier, le plaisir de contrarier Desgrange vaut bien un abandon dans un Tour de France qu'il aurait la plus grande chance de gagner ! Le maillot jaune de Christophe L'étape Les Sables d'Olonne-Bayonne est remportée par Jean Alavoine. Cet aviateur de la Grande Guerre doit au Tour de France l'essentiel de sa notoriété. Il y brille de mille feux. Il fut Champion de France en 1909, certes, et glana quelques places d'honneur dans des épreuves en ligne, mais il est surtout à l'aise dans les courses à étapes. Il n'en gagnera aucune, mais figurera souvent dans les premiers. Longiligne et d'allure distinguée, cet humoriste fait le bonheur des échotiers friands de ses réparties décochées de sa voix traînante de Parigot. Il fut, est et sera, une figure majeure du Tour de 1909 à 1925. Sur onze participations, il terminera deux fois second et deux fois troisième, en remportant au total 17 étapes. Comme Aucouturier, Passerieu, Georget, Duboc, Eugène Christophe, Hector Heusghem, Honoré Barthélemy et quelques autres, Jean Alavoine fait partie de ces vainqueurs potentiels à qui il manque un peu de chance et, pour certains d'entre eux, cette rage supérieure de gagner qui anime les très grands champions. Dans Bayonne-Luchon, la terrible étape des quatre cols, le petit Italien Lucotti passe en tête au sommet de l'Aubisque. Ensuite, Honoré Barthélemy domine ses adversaires dans le Tourmalet, Aspin, et Peyresourde. Il arrive à Luchon 19 minutes avant le Belge Lambot, en s'affirmant le vrai roi de la montagne de cette année-là. Barthélemy, dit Le Hargneux, est devenu professionnel en 1914, année de la grande déflagration, ce qui n'est pas de chance. En règle générale il n'en a guère, tombe beaucoup et se fait souvent très mal; comme plus tard Maurice Archambaud et Jean-Marie Goasmat, et 25
encore plus tard Jean Robic. Il terminera d'ailleurs sa carrière en portant un œil de verre à la suite d'une chute dans le Tour 1920, près d'Aix-en-Provence. Petit bonhomme au visage rond souvent éclairé d'un large sourire que ses malheurs ne parviennent pas à effacer, Barthélemy alterne en montagne marche à pied et bicyclette, comme le faisait Octave Lapize vainqueur du Tour 1910. Il faut dire, que sur ces chemins de montagne et pour peu que le développement choisi ne soit pas totalement pertinent, on va parfois plus vite à pied qu'à vélo. Quelle que soit la méthode, Barthélemy grimpe efficacement à une époque où les grands escaladeurs de montagnes n'ont pas acquis le prestige qui est le leur aujourd'hui. Il gagne encore à Nice, puis à Grenoble et enfin à Genève, avec des écarts importants sur ses poursuivants. Mais il a perdu trop de temps dans les premières étapes pour inquiéter Christophe, l'inamovible Christophe, qui est parti de Grenoble avec un beau maillot jaune. C'est une grande idée de Desgrange pour distinguer le premier de la course. Une idée soufflée par Alphonse Baugé, le patron de La Sportive. Dans ce Tour, le premier sera particulièrement repérable, puisqu'il ne reste plus que onze concurrents! Pourquoi un maillot jaune? Parce que c'est la couleur des feuillets du journal L'Auto, a-t-on dit. Mais c'est peut-être surtout parce que le jaune se voit bien. Eugène Christophe se fait d'ailleurs un peu brocarder au départ de Grenoble avec son beau maillot. Habituellement, les coureurs portent des couleurs plus classiques, surtout cette année. Pour un peu on trouverait le vieux costaud un brin efféminé. Il n'est donc pas particulièrement fier d'être le premier porteur officiel11 de cet emblème qui, au fil du temps, symbolisera le Tour de France et dont la tache claire tranche avec la dominante grisâtre du peloton rachitique. Plus tard, en 1932, Learco Guerra sera le premier à endosser le maillot rose du Tour d'Italie. Rose, parce que les feuillets du journal organisateur, La Gazzetta dello Sport, sont de cette couleur. On imagine les sifflements faussement admiratifs des coureurs italiens lorsque la Locomotive humaine, jolie comme une bonbonnière, se présenta sur la ligne de départ ! À Metz, Christophe porte toujours son beau maillot. Lambot est à 28 minutes, Alavoine à 49 minutes. L'affaire est entendue. Il reste 26
deux étapes et, à moins d'un accident, le maillot jaune ne peut plus perdre le Tour de France. C'est compter sans la guigne qui poursuit Cri-Cri, et qui va asseoir définitivement sa légende sur les 468 kilomètres qui séparent Metz de Dunkerque, l'une des plus longues étapes courues dans le Tour de France12. La poisse Ce jour-là, il pleut dru. À Valenciennes, Christophe a quatre minutes de retard sur Firmin Lambot. Rien de catastrophique étant donné qu'il reste 140 kilomètres à couvrir. À hauteur de Raismes, à la sortie de Valenciennes, sur les pavés glissants qui font vibrer les bécanes comme des marteaux pneumatiques, Christophe s'affale lourdement. Il se relève; pas de bobo, mais sa fourche est brisée. Le champion ne s'affole pas: il a déjà vécu cette scène. Entouré de curieux qui se bousculent pour l'approcher, il charge son vélo sur son épaule et part à la recherche d'un atelier de mécanique. Le patron d'une petite manufacture de cycles lui ouvre sa porte. L'homme possède une forge. Christophe, ruisselant de pluie et couvert de boue, se met au travail sous le regard de l'artisan, de sa femme, et d'un commissaire de course au faciès impénétrable. Le champion doit débraser les morceaux brisés des fourreaux de sa fourche, et rebraser deux fourreaux neufs. En soixante-dix minutes l'opération est terminée. Christophe remonte en selle, encouragé par quelques admirateurs, mais il est trop tard: Lambot second au classement général et prévenu de la chute du vieux, a mis le grand braquet et fonce vers l'arrivée. Firmin Lambot est un coureur régulier et appliqué, le genre premier de la classe, soucieux de son équipement, attentif à la diététique, respectueux du règlement. Terne mais efficace. Excellent grimpeur, bon rouleur, résistant, constant dans ses résultats, il est le coursier-type du Tour de France comme Alavoine, mais sans sa fantaisie. Son palmarès est modeste parce qu'il concentre toute son attention sur la grande épreuve et considère les autres courses comme des séances d'entraînement. Il n'est pas le seul. Le Tour est une spécialité et beaucoup de coureurs ne s'illustrent que sur son parcours. D'ailleurs, quelques années plus tard, Desgrange fustigera dans L'Auto les concur27
rents qui s'éparpillent dans d'autres courses que la sienne, considérant qu'ils y laissent l'essentiel de leurs forces à son détriment. Trop discret pour être vraiment populaire, consciencieux et habile mais étranger aux grands exploits spectaculaires, Firmin Lambot est un attentiste qui excelle à saisir les opportunités. La chute de Christophe en est une, dans laquelle il s'engouffre sans état d'âme puisque c'est la règle du jeu. À Dunkerque, il franchit la ligne en grand vainqueur, après 21 heures de course. Christophe arrive deux heures et demie plus tard, accompagné de l'élégant Belge Jacques Coomans. Il a perdu son maillot jaune et Lambot vient de gagner le Tour de Francel3. Le surlendemain, Alavoine gagne la dernière étape, ce qui ne change rien aux résultats. Les accents de la Brabançonne, jouée par la fanfare du Parc des Princes en l'honneur de Firmin Lambot, ont retenti depuis une bonne demi-heure quand Christophe, roi des malchanceux, et victime d'une dizaine de crevaisons, arrive onzième et bon dernier. Battu d'une demi-longueur par le Normand Duboc, il est salué par une immense ovation. Paul Dubocl4, dit La Pomme, qui avait frôlé la victoire dans le Tour 1911, sera disqualifié en août après enquête, pour s'être fait conduire par un automobiliste jusqu'à l'atelier le plus proche avec son vélo accidenté. Le courageux Jules Nempon, précédemment Il e, sera donc finalement 10e et dernier du classement général. Dès la onzième étape, ils n'étaient déjà plus que onze dans le peloton. Jamais en pourcentage on n'avait connu une telle hécatombe. Ce qui explique que les rescapés furent l'objet de toutes les attentions, et particulièrement ce Jules Nempon, originaire de Dunkerque et vainqueur dans la catégorie B ; et pour cause, puisqu'il est le seul coureur encore en lice de son groupe. Il bénéficia d'honneurs que son talent ne présageait guèrel5. Ce Tour de France meurtrier, qui laissa aux Français un sentiment d'injustice, se termina malgré tout sur une note édifiante. Ému par les déboires du malheureux Eugène Christophe, Henri Desgrange lança dans L'Auto une grande souscription, qui rapporta au champion une somme supérieure à celle qu'on alloua au vainqueur! 28
En savoir plus: 1. L'année suivante eut lieu un Petit Circuit des Champs de Bataille remporté par Henri Pélissier. 2. Cité par Jacques Seray dans son passionnant ouvrage "1904. Ce Tour de France qui faillit être le dernier." Jacques Seray 1994. 3. Bien que nés à Paris, les frères Pélissier étaient issus d'une famille de fermiers installée rue Mesnil, dans le XVIe arrondissement (eh oui !). les Pélissier exploitaient une laiterie, tout comme les Magne, Auvergnats d'Ytrac installés à LivryGargan, dont les deux fils, Antonin et Pierre, s'illustrèrent brillamment dans le Tour de France. 4. Il est significatif de constater que, sur huit participations, Henri Pélissier ne termina que deux Tours de France. En 1914, il fut second, en croyant jusqu'aux derniers kilomètres qu'il allait l'emporter, et en 1923, il gagna parce qu'il avait décidé qu'il en serait ainsi. 5. Cité par Gaston Bénac dans "Champions dans la coulisse". Éditions L'actualité Sportive. 1944. 6. "Entre-deux-guerres". Sous la direction d'Olivier Barrot et Pascal Ory. Chapitre "Roland Garros" par Denis Lalanne. Éditions François Bourin 1990. 7. Eugène Christophe écopa de 10 minutes de pénalité pour avoir obtenu l'aide du forgeron. 8 et 9. Pierre Chany, dans "La Fabuleuse histoire du Tour de France" Editions Nathan 1991. 10. Roger Bastide, dans "Le Tour a 50 ans" Numéro spécial de l'Equipe. 1953. Il. Pierre Chany, dans "La Fabuleuse histoire du Tour de France", relate que lors d'une interview Philippe Thys fit allusion à un maillot j aune qu'il porta en 1913 et 1914. Les preuves manquent pour l'affmner. 12. La plus longue étape fut "Les Sables d'Olonne-Bayonne" courue de 1919 à 1924. Elle comportait 482 km. "Marseille-Toulouse", courue en 1906, était longue de 480 km. 13. D'après Abel Michea et Emile Besson dans "100 ans de cyclisme" (éditions B. Arthaud 1969), Firmin Lambot aurait confié que Christophe, gêné par des furoncles, n'était pas au mieux de sa forme, et que lorsqu'il cassa sa fourche il avait déjà vingt minutes de retard sur le Belge. Desgrange, dans L'Auto, évalue ce retard à 4 minutes 14. Dans le Tour 1911, Paul Duboc (1884-1941), qui était en position de gagner le Tour, aurait été victime d'un empoisonnement criminel, mais ceci n'a jamais été prouvé. Desgrange, en reniflant son bidon, fut saisi par les effluves nauséabonds qui s'en échappaient. Il semble difficile de croire que Duboc ne les avait pas sentis, lui aussi. Entre 1908 et 1927, Duboc participa à 10 Tours de France, et en termina 7. Il fut2een1911. 15. Jules Nempon (1890-1974) participa à 10 Tours de France entre 1911 et 1928. Il en termina 4.
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Le Tour de France 1919 en un coup d'œil 13e édition du 29 juin au 27 juillet 1919 5 560 Kilomètres. 15 étapes. Départ d'Argenteuil, arrivée à Paris. 14 jours de repos. Moyenne du vainqueur: 24,054 km/h. 69 coureurs au départ dont 44 de catégorie A et 25 de catégorie B. Il rescapés dont 10 classés à l'arrivée. Les équipes de marques sont supprimées. Reste un consortium: la Sportive. Vainqueur: F. LAMBOT. Total des primes: 50 000 F Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Le Havre, 388 km : Jean Rossius. 2. Le Havre-Cherbourg, 364 km : Henri Pélissier. 3. Cherbourg-Brest, 405 km : Francis Pélissier. 4. Brest-Les Sables d'Olonne, 412 km : Jean Alavoine. 5. Les Sables d'Olonne-Bayonne, 482 km : Jean Alavoine. 6. Bayonne-Luchon, 326 km : Honoré Barthélemy 7. Luchon-Perpignan, 323 km : Jean Alavoine. 8. Perpignan-Marseille, 370 km : Jean Alavoine. 9. Marseille-Nice, 338 km : Honoré Barthélemy. 10. Nice-Grenoble, 333 km : Honoré Barthélemy. Il. Grenoble-Genève, 325 km : Honoré Barthélemy. 12. GenèveStrasbourg, 371 km : Luigi Lucotti. 13. Strasbourg-Metz, 315 km : Luigi Lucotti. 14. Metz-Dunkerque, 468 km : Firmin Lambot. 15. Dunkerque-Paris, 340 km : Jean Alavoine. Les maillots jaunes Jean Rossius (1). Henri Pélissier (2). Eugène Christophe (10). Firmin Lambot (2). Pour Rossius et Pélissier, le maillot n'était pas encore créé, et Christophe ne le porta que pendant quatre étapes, à partir du 19 juillet. Classement général final 1. Firmin LAMBOT (Bel) en 231h07'15" 2. Jean Alavoine (Fra) à 1h42'54" 3. Eugène Christophe (Fra) à 2h26'31" 4. Léon Scieur (Bel) à 2h52'15" 5. Honoré Barthélémy (Fra) à 4h14'22" 6. Jacques Coomans (Bel) à 15h21'34" 7. Luigi Lucotti (Ita) à 16hO1'12" 8. Joseph Vandaele (Bel) à 18h23'02" 9. Alfred Steux (Bel) à 20h29'0 1" 10. Jules Nempon (Fra) à 21h44'12" 1erdes "classe B" : Jules Nempon (France)
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Quelques évènements de l'année 1919 - Le Président des Etats-Unis, Monsieur WoodrowWilson, visite Paris. - Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, chefs de l'insurrection spartakiste, sont assassinés à Berlin. - L'aviateur Jules Védrines atterrit sur le toit des Galeries Lafayette. - Louis Cottin tente d'assassiner Georges Clemenceau. - L'escadre française de la Mer Noire se mutine. - L'architecte Walter Gropius crée le groupe du Bauhaus, école d'état pour la création artistique. - Création de la Société des Nations à Genève. - Mussolini publie le programme des faisceaux italiens de combat. - John William Alcock et Arthur Brown réussissent le premier vol au-dessus de l'Atlantique, entre Terre-neuve et l'Irlande. - Le traité de Versailles est signé le 28 juin. - La grippe espagnole fait vingt millions de morts. - Le boxeur américain Jack Dempsey devient Champion du Monde des poids lourds. - Charles Godefroy vole sous l'Arc de Triomphe. - L'armée rouge met fin à la guerre civile. - La République de Weimar est fondée le 31 juillet. - La Loi sur la prohibition pour tous les états américains, est promulguée le 20 octobre. - Jean Patou, Edouard Molyneux et Gabrielle Chanel créent leurs maisons de couture. - André Breton et Philippe Soupault inventent l'écriture automatique. - La loi Renaudel institue la journée de travail de huit heures. - Dans les librairies: "Orage d'acier" d'Ernst Jünger, "Du monde entier" recueil de poèmes de Blaise Cendrars, "À l'ombre des jeunes filles en fleurs" de Marcel Proust, qui obtient le prix Goncourt, "Mitsou" de Colette. - Dans les cinémas: "J'accuse" d'Abel Gance, "Le Cabinet du Dr Caligari" de Robert Wiene. - John Maynard Keynes publie "Les Conséquences économiques de la paix. " - Décès de : Théodore Roosevelt, Président des Etats-Unis, Jules Védrines, aviateur français, Andrew Carnegie, industriel et philanthrope américain, Auguste Renoir, peintre français. - Naissances de : Maria Félix, actrice mexicaine, Gérard Oury, acteur et metteur en scène français, Guy Lux, animateur français de télévision, Louis Jourdan, acteur français, Francis Blanche, acteur et humoriste français, Muhammad Rheza Pahlavi, shah d'Iran, Pierre Doris, comédien et humoriste français, François Perrier, comédien français, François Chalais, journaliste français, Pierre Soulages, peintre françaIs. - Naissances de Pierre Brambilla, Italien, (3e du Tour de France 1947), de Brik Schotte, Belge, (2e du Tour de France 1948), de Fausto Coppi, Italien, (vainqueur des Tours de France 1949 et 1952), de Ferdinand Kubler, Suisse, (vainqueur du Tour de France 1950). 31
1920 14e Tour de France. Du 27 juin au 25 juillet 1920
Le monde bouge Après le grand massacre, le monde se tourne vers l'avenir. On s'agite pour effacer le souvenir de l'horreur en tentant de se convaincre qu'elle n'était qu'une bavure de l'histoire, un cauchemar sans conséquence. Le jazz, importé par les fanfares américaines de 1917, fait des débuts discrets à Paris. Les femmes s'émancipent. L'aviatrice Adrienne Bolland traverse la manche en avion. Les robes et les cheveux raccourcissent. Les chapeaux deviennent cloches et le couturier Paul Poiret crée des écrins somptueux pour les belles qui en ont les moyens. Le corset cède la place au soutien-gorge, invention qui vient à point nommé pour compenser les trépidations du fox-trot et bientôt du charleston, tout en préservant la souplesse des mouvements. À Genève, se tient en juin le premier congrès international féministe. Les Américaines obtiennent le droit de vote et les femmes russes celui d'avorter. Une Française de vingt et un ans, la bondissante Suzanne Lenglen domine le tennis féminin, et l'espiègle Colette publie le sulfureux Chéri. Les dadaïstes interloquent les bourgeois. Marcel Duchamp les scandalise avec sa Joconde à moustache, tandis qu'un peintre italien de trente-six ans, Amedeo Modigliani, beau comme un dieu, tuberculeux, toxicomane et alcoolique, meurt dans son atelier en crachant son sang, entouré de portraits aux regards vides. À Munich, un petit homme antisémite fait ses classes d'orateur au parti ouvrier allemand, et porte sans le savoir, une moustache identique à celle d'un comique juif à la drôle de démarche. À Paris, Paul Deschanel, préféré à Georges Clemenceau dont le prestige est pourtant immense, est élu président de la République. En mai, il défrayera la chronique en tombant en pleine nuit et en pyjama, du train présidentiel: il avait ouvert la fenêtre de son compartiment et pour respirer l'air du soir ou pour soulager sa vessie, s'était penché plus que de raison. La sienne étant vacillante, sa chute sur le ballast 33
n'arrangea rien. On en riait encore dans les chaumines et les estaminets quand les cent treize coureurs du Tour de France prirent le départ sur le pont d'Argenteuil, le 27 juin 1920. Thys l'invincible On compte 31 concurrents de ie classe et 82 de 2e classe. Tous les cracks sont là : Henri Pélissier, flanqué de son indispensable Francis, Philippe Thys, grand rival d'Henri, Firmin Lambot, le vainqueur de l'année précédente, accompagné de son ami Léon Scieur, Barthélemy, Masson, Alavoine et, bien entendu, Christophe. Philippe Thys originaire d'Anderlecht, dans la banlieue ouest de Bruxelles, est le coureur le plus complet, le plus solide, le plus méthodique que le Tour de France ait compté jusque-là. Il s'impose une discipline de fer: "... tout au long de ses dix-sept années de carrière, il se leva chaque jour à trois heures du matin, hors les jours de compétition, pour s'en aller s'entraîner. Rentrant vers dix heures, il se détendait jusqu'au repas par la lecture, accomplissait une courte sieste avant de s'en aller se promener dans la campagne où il alternait la marche et le trottinement, dînait vers i8h 30 et se couchait invariablement à 2i hl. " Ce régime de trappiste devait lui réussir. Celui qu'on appelle Le Basset, en référence à sa petite taille et à sa position ramassée en selle, possède un palmarès exceptionnel. En 1911, il remporte le Tour de France des indépendants, Paris-Turin et Paris-Toulouse. En 1912, il fait ses classes dans le Tour de France, le vrai, qu'il termine à la 6e place. Il confirme sa grande classe en 1913, en remportant l'épreuve, qu'il gagnera également l'année suivante après une lutte indécise jusqu'à Paris avec Henri Pélissier. Engagé dans les Forces aériennes Royales à la déclaration de guerre, Thys profite de permissions spéciales en 1917, et s'octroie Paris-Tours et le Tour de Lombardie... à plat ventre. Il précède Henri Pélissier, placé dans la même position inconfortable après une chute collective à proximité de la ligne d'arrivée. Dans l'enchevêtrement des coureurs, les juges italiens avaient vu le Belge vainqueur. Revenu indemne de la guerre, Thys gagne Tours-Paris en 1918 et termine second de Paris-Roubaix en 1919, derrière Henri Pélissier, qui s'affirme décidément comme son grand rival. Il abandonne la 34
même année dans la première étape du Tour de France, suite à des crampes d'estomac, et surtout à cause d'un désaccord avec son employeur Peugeot, ce qui lui vaut une accusation d'embourgeoisement de la part d'Henri Desgrange. Thys en a gros sur le cœur, et avant le départ de 1920 il écrit au Père du Tour: "Tenez-vous bien, je vais vous prouver que je suis encore un coureur cycliste, car je vais gagner mon troisième Tour de France2. "11 a raison de le penser, car il sait tout faire cet homme-là: il grimpe, sprinte et roule, mieux que personne, menant sa course avec une constance inégalable. Toujours aux avant-postes, il guette en attendant le moment propice; comme son compatriote Lambot, mais avec plus de panache. Pendant ce Tour de France, son plus mauvais classement sera sa Seplace obtenue à Gex, à 2' 34" de Léon Scieur, le vaInqueur. Les ravages du silex Les routes sont toujours aussi lamentables. Dans la première étape, Paris-Le Havre, longue de 388 kilomètres, seize coureurs renoncent dont le dernier du Tour de France 1919 : Jules Nempon. Jean Alavoine, nouveau Champion de France, perce huit fois et arrive au Havre une heure et 38 minutes après le vainqueur. Découragé, il décide de ne pas repartir le surlendemain. Mottiat échappé avec Rossius, Thys, Goethals et Masson, gagne au Havre. Ils sont cinq à être qualifiés du même temps. Mottiat ne portera pas le maillot jaune, l'organisateur ayant oublié de le faire confectionner! Henri Pélissier attardé par des crevaisons, arrive 17 minutes après les premiers. Dans la deuxième étape, Le Havre-Cherbourg, Philippe Thys gagne au sprint devant un peloton de trente coureurs. C'est la première fois qu'une arrivée réunit autant de concurrents. Ce n'est pas la dernière. Ils sont encore treize à renoncer, et la première place est toujours partagée par cinq coureurs. Si le bélinographe a déjà été inventé, la photo-finish sera pour beaucoup plus tard! Le chronométrage est approximatif. Ille restera longtemps3. On compte les écarts serrés en roues, demi-roues, quarts de roues, ce qui remplace les têtes, les longueurs et demi-longueurs des hippodromes. Dans le Tour, on ne les 35
compte pas du tout. Comme il faut bien un premier au classement général, ce sera d'abord Mottiat qui a effectivement passé la ligne le premier au Havre, et PhilippeThys à l'issue de la seconde étape, bien que quatre autres coureurs soient crédités du même temps que le sien. Le double vainqueur du Tour ne démordra plus de la tête du classement général. Partageant encore la première place avec Masson à Bayonne, il frappe un grand coup dans Bayonne-Luchon, l'étape de tous les dangers. Malgré Lambot qui s'envole, et passe en tête dans les quatre grands cols, Thys est sur ses talons. À Luchon, le Wallon est l'unique leader. Hector Heusghem est à 28 minutes, Masson qui s'est écroulé, est à 52 minutes. Christophe, souffrant atrocement des reins depuis plusieurs étapes, se résout à abandonner. Il y a des limites à tout, y compris au courage. Pélissier l'incorrigible Entre-temps, Henri Pélissier a démontré une fois de plus sa grande classe, en remportant la troisième étape Cherbourg-Brest. Ce jour-là il pleut, comme dans les étapes précédentes, et Henri aligne crevaison sur crevaison. Après le contrôle de Morlaix, découragé, il veut abandonner. Il ne serait pas le seul à le faire: Francis, frappé de congestion, a déjà mis pied à terre et arraché son dossard. Au total, ils seront 17 à renoncer dans cette étape terrible. Henri n'a pas un sou vaillant pour prendre le train. Il sollicite les suiveurs. Aucun ne veut lui prêter d'argent, ce qui renseigne sur la sympathie qu'il suscite. Le champion pique une colère: "Survient Eugène Christophe, le "Vieux Gaulois"qui essaie de le faire revenir sur sa décision, écrit Roger Bastide. Henri n'en démord pas. Tout en discutant les deux hommes roulent à toutes pédales ''pour se réchauffer" assure Henri... et les voilà revenus sur un groupe. "Est-ce la tète ?" interroge Henri, soudain métamorphosé - "Oui, c'est la tête l'' - Alors je gagne l'étape4." Et il la gagna, ainsi que la suivante deux jours plus tard aux Sables d'Olonne. Une étape qui provoqua encore une hécatombe de 19 coureurs. Thys, imperturbable, est toujours là, à proximité du Français. Henri Pélissier, privé de son frère, pense-t-il que son retard est insurmontable, qu'il ne pourra battre le Belge-sangsue, et qu'il est pré36
férable pour lui de trouver un prétexte de renoncer afin de préserver sa dignité? C'est possible, car le surlendemain, dans l'étape Les Sables d'Olonne-Bayonne, enrhumé, découragé par la pluie et les crevaisons, il abandonne à Rochefort en compagnie de Tiberghien, en pleine nuit et après 150 kilomètres de course. Desgrange, irrité, écrit dans L'Auto: ''Allons, regrettons-le tous ensemble, Henri Pélissier ne figurera jamais sur la liste glorieuse." À l'automne, en remportant son troisième Tour de Lombardie, en solitaire, Henri Pélissier démontrera une fois encore, que s'il peut engendrer le pire, il est aussi capable du meilleur. Le Roi des Belges Désormais, rien ne pourrait empêcher Philippe Thys de gagner son 3e Tour de France. À part un accident. Il ne viendra pas. Dans l'étape Aix-en Provence-Nice, le Wallon gagne en solitaire et Louis Mottiat abandonne après s'être trompé de parcours. Déjà, dans la poussière ocre de l'arrivée d'Aix, il avait coupé la route à Joseph Van Daele et avait provoqué sa chute. Ce qui lui avait valu un déclassement et une petite amende. Selon la rumeur, le Belge forcerait un peu trop sur les remontants. Dans L'Auto, Desgrange déplore cette pratique sans la sanctionner, probablement parce que son règlement, prolixe sur les changements de machine, la course individuelle et les aides illicites, est muet sur le sujet. Cependant, le patron du Tour exprime le problème de manière très moderne: "Ce n'est pas tant aux coureurs qui se droguent que doit aller la vigueur de nos blâmes, mais aux managers et surtout à certains docteurs. " À Nice, Hector Heusghem a encore perdu 32 minutes. Le voici à une heure du leader, qui reçoit enfin un maillot jaune. Un peu bricolé d'ailleurs, car le maillot officiel n'est toujours pas livré. Il ne le sera qu'à Metz, à deux étapes de l'arrivée. Les Belges écrasent ce Tour de France de leur supériorité. Ils remportent les sept premières places du classement général et douze étapes sur quinze. Au Parc des Princes, les 180 musiciens des trois fanfares jouent inlassablement La Brabançonne. 37
Le solide Joseph Pelletier gagne le Tour des 2e classe. C'est une maigre consolation pour les Français. Ils réservent leur admiration au formidable Barthélemy. Le Hargneux, qui a passé une grande partie de son temps à s'affaler sur la route, arrive sur le vélodrome emmailloté comme une momie avec de surcroît une clavicule brisée et un œil dans un sale état. 4e à Paris, il est Se au classement général et premier français. Devenu le nouveau symbole cycliste de l'héroïsme national, il est porté en triomphe, mais, par égard pour ses blessures, on lui prodigue les précautions qu'on réserve habituellement aux porcelaines. Le Français ne sait pas encore que les Britanniques viennent d'inventer un produit épatant, et qui lui sera bien utile à l'avenir: le mercurochrome! Pour boucler la boucle, Charles Raboisson le dernier des 22 rescapés, aura mis 69 heures de plus que Thys, qui a dominé l'épreuve comme rarement un coureur ne l'a fait: quatre étapes gagnées, sept places de second, deux places de 3e, une place de 4e, et une de Se. À Paris, une foule immense emportée par l'enthousiasme envahit la piste du Parc des Princes pour fêter sa victoire. Il manque d'en mourir étouffé. Trop d'amour tue l'amour. À l'heure du bilan, Desgrange doit ce rendre à l'évidence: en dépit de l'apothéose de l'arrivée, et malgré ses commentaires épiques dans L'Auto, son Tour de France n'a guère été passionnant. La domination de Thys, en panne d'adversaires après les abandons des Pélissier, d'Alavoine et de Christophe, a ôté tout intérêt à l'épreuve. Pour assurer la survie du Tour, il faudra trouver tôt ou tard une formule-miracle, capable de captiver chaque jour le public, d'attiser les rivalités, d'annihiler les ententes, d'encourager les ambitions. Desgrange, taraudé par le problème, s'interroge très honnêtement dans L'Auto: "Existe-t-il un moyen de faire que l'intérêt de notre course, si vif au début, aille crescendo jusqu'à la fin ? ce moyen n'apparaît pas à première vue." Le patron du Tour mettra beaucoup de temps à trouver la bonne réponse. Après le Tour de France, l'attention des sportsmen se tourne vers la Belgique. En août, la ville d'Anvers qui se relève de ses ruines ouvre les VIle Jeux Olympiques d'été de l'ère moderne. Le sprinter amé38
ricain Charles Paddock et les coureurs de demi-fond, le Finlandais Paavo Nurmi et le Français Joseph Guillemot, s'y distinguent. En septembre, Alexandre Millerrand remplace Paul Deschanel, qui décidément ne tourne pas rond, à la présidence de la République. En octobre, le sémillant Georges Carpentier devient Champion du Monde des poids mi-lourds en envoyant l'Américain Battling Levinski dans la résine. C'est un évènement sportif considérable, car la boxe est, en France, un sport aussi populaire que le vélo, et Carpentier en est son héros. En novembre, l'Etat-major décide de choisir parmi les millions de morts de la guerre, un soldat inconnu qui sera inhumé sous l'Arc de Triomphe. C'est au soldat Tain qu'échoit l'honneur de désigner l'élu parmi les huit cercueils qui lui sont présentés. La cérémonie aura lieu en janvier 1921, et rendra un hommage symbolique à ces millions de combattants dont le souvenir hante encore les esprits quatre-vingt-huit ans plus tard. Si cette guerre est terminée, d'autres commencent, ou perdurent. Pour les marchands d'armes l'avenir reste radieux: le conflit grecoturc bat son plein, en août les Polonais et les bolcheviques s'étripaient encore, et en novembre la guerre civile commence en Irlande.
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En savoir plus: 1. "Tours de France 1903-1987 Les vainqueurs". Numéro spécial du Miroir du cyclisme. 1988. 2. "100 ans de cyclisme". Abel Michea et Emile Besson. Éditions B. Arthaud. 1969. 3. En 1936, le chronométrage était encore vigoureusement critiqué par Raymond Huttier dans le Miroir des Sports. Le journaliste en stigmatisait la confusion et le caractère artisanal lié au manque de moyens mis à disposition des chronométreurs. Certains coureurs ou groupes de coureurs étaient en effet, crédités du même temps, alors que parfois les écarts qui les séparaient étaient de plusieurs dizaines de mètres, notamment sur les vélodromes où les temps des coureurs étaient enregistrés à l'entrée de la piste, alors que la course n'était pas terminée et qu'il restait un ou deux tours à couvrir. Une place au classement général se jouant parfois à quelques secondes, la méthode de chronométrage se révélait donc inique. 4. Roger Bastide dans "Le Tour a 50 ans" numéro spécial de L'Equipe. 1953.
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Le Tour de France 1920 en un coup d'œil 14e édition du 27 juin au 25 juillet 1920 5 519 Kilomètres. 15 étapes. Départ d'Argenteuil, arrivée à Paris. 14 jours de repos. Moyenne du vainqueur: 24, 240 km/ho 113 coureurs au départ dont 31 de première classe et 82 de seconde classe. 22 rescapés à l'arrivée, dont 12 deuxième classe. Une seule équipe de marque: La Sportive. Vainqueur: P. THYS. Total des primes: 80 765 F Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Le Havre, 388 km : Louis Mottiat. 2. Le Havre-Cherbourg, 364 km : Philippe Thys. 3. Cherbourg-Brest, 405 km : Henri Pélissier. 4 Brest-Les Sables d'Olonne, 412 km : Henri Pélissier. 5. Les Sables d'Olonne-Bayonne, 482 km : Firmin Lambot. 6. Bayonne-Luchon, 326 km : Firmin Lambot. 7. Luchon-Perpignan, 323 km : Jean Rossius. 8. Perpignan-Aix en Provence, 325 km : Louis Heusghem. 9. Aix en Provence-Nice, 356 km : Philippe Thys. 10. Nice-Grenoble, 333 km : Hector Heusghem. Il. Grenoble-Gex, 362 km : Léon Scieur. 12. Gex-Strasbourg, 354 km : Philippe Thys. 13. Strasbourg-Metz, 300 km : Philippe Thys. 14. MetzDunkerque, 433 km : Félix Goethals. 15. Dunkerque-Paris, 340 km : Jean Rossius Les maillots jaunes Louis Mottiat (1). Philippe Thys (14). À noter que pendant les deux premières étapes, Thys, Mottiat, Goethals, Rossius et Masson partagent la première place. Dans la 3e étape Thys, Goethals, Rossius et Masson sont toujours à égalité. Dans les 4e et 5e étapes, Thys et Masson sont ex aequo. Ce n'est qu'à partir de la 6e étape que Thys sera leader unique. Le maillot jaune ne sera porté par le Wallon qu'à partir de Nice. Classement général final 1. Philippe THYS (Bel) en 228h36'13" 2. Hector Heusghem (Bel) à 57'21" 3. Firmin Lambot (Bel) à 1h39'35" 4. Léon Scieur (Bel) à 1h44'58" 5. Émile Masson (Bel) à 2h56'52" 6. Louis Heusghem (Bel) à 3h40'47" 7. Jean Rossius (Bel) à 3h49'55" 8. Honoré Barthélemy (Fra) à 5h35'19" 9. Félix Goethals (Fra) à 9h23'07 10. Joseph Vandaele (Bel) à 10h45'41" Il. Eugène Dhers (Fra) à 11h15'09" 12. Joseph Pelletier (Fra) à 20h04'32" 13. Théo Wynsdau (Bel) à 25h14'02" 14. Noel Amenc (Fra) à 33h25'47 15. Joseph Muller (Fra) à 33h48'53" 16. Henri Ferrara (Fra) 34h32'27"17.Guglielmo Ceccherelli (Ita) à 48h40'35"18. Marius Matheron (Fra) à 51h11'04"19. Etienne Dorfeuille (Fra) à 53h10'00" 20. Pierre Hudsyn (Bel) à 55h36'42" 21. André Coutte (Fra) à 55h57'46" 22. Charles Raboisson (Fra) à 69hOO'05 " er 1 des "2e classe" : Joseph Pelletier
(France)
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Quelques évènements de l'année 1920 - Naissance de la Société des Nations. - Paul Deschanel devient président de la République française. - Tentative de putsch à Berlin. - À Budapest début de la dictature d'Horthy. - Fin du service militaire obligatoire en France. - Les troupes françaises occupent Alep et Damas. - L'Emir Fayçal devient roi de Syrie. - L'ancien président du Conseil, Joseph Caillaux, est condamné à 3 ans de prison. - En Turquie, Mustapha Kemal devint président de l'Assemblée nationale. - Jeanne d'Arc est canonisée. - Foire-exposition du dadaïsme à Berlin. - Deuxième congrès de l'Internationale Communiste à Petrograd. - La Française Suzanne Lenglen remporte son deuxième Tournoi de Wimbledon. - Georges Carpentier devient Champion du Monde de boxe des poids mi-lourds. - Adrienne Bolland est la première femme à traverser la Manche en avion. - Baden-Powell organise le 2ejamboree des boys-scouts à Londres. - Les Alliés signent un traité de paix avec la Turquie. - Ouverture des Jeux Olympiques d'Anvers. - Après la démission de Paul Deschanel, Alexandre Millerand devient président de la République. - Warren Gamaliel Harding devient le 2ge Président des Etats-Unis. - La Chambre des Lords approuve la séparation de l'Irlande en deux territoires autonomes. - XVIIIe congrès du Parti Socialiste à Tours et création de la section française de l'Internationale Communiste. - Gandhi lance le mouvement de désobéissance civile. - L'Anglais Griffith invente le turbopropulseur. - L'Américain Samuel Waters invente la stéréophonie. - Première station de radio régulière à Pittsburgh. - Premières ventes de T.S.F en France. - Les Ballets russes présentent "Le Chant du rossignol" de Stravinsky. - Maurice Ravel compose "La Valse". - Dans les librairies: "Chéri" de Colette, "Main Street" de Sinclair Lewis, "Femmes amoureuses" de D.H Lawrence. - Dans les salles de cinémas: "Dr Jekill et M. Hyde" de John S. Robertson, "Sept ans de malheur" de Max Linder, " Le Cabinet du Dr Caligari" de Robert Wiene - Décès de : Amedeo Modigliani, sculpteur et peintre italien, Robert Peary explorateur américain, Réjane, actrice française, Max Weber, sociologue et philosophe allemand, Alexandre 1er,Roi de Grèce. - Naissances de : Henri Amouroux et Louis Pauwels, journalistes et écrivains français, Charles Bukowski, écrivain américain, Robert Boulin, Olivier Guichard, Pierre Poujade, Jean Lecanuet, Albin Chalandon, Georges Marchais, hommes politiques français, Charlie Parker et Clark Terry, musiciens de jazz américains, Jean Larteguy, écrivain français, Gene Tierney, actrice américaine, Robert Lamoureux, comédien 42
français, Fédérico Fellini, metteur en scène italien, Pierre Jonquières d'Oriola, cavalier français, Louis Feraud, couturier français, Simone Roussel, dite Michèle Morgan, comédienne française, Boris Vian, écrivain, auteur-compositeur, interprète, journaliste et musicien de jazz français, Sacha Pitoëff, metteur en scène de théâtre français, Michel Audiard, scénariste français, Karol Wojtyla, Polonais, Pape sous le nom de Jean-Paul II, Jean-Jacques Nathan, éditeur français. - Naissances des coureurs cyclistes Stan Ockers (Belge), 2e des Tours de France 1950 et 1952, et Fiorenzo Magni (Italien), vainqueur de 3 tours d'Italie.
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1921 15e Tour de France. Du 26 juin au 24 juillet 1921
David contre Goliath Cette année, le Tour de France doit faire face à un événement sportif considérable qui lui fera de l'ombre: le combat de boxe anglaise pour le titre de Champion du Monde des poids lourds, entre l'Américain Jack Dempsey et le Français Georges Carpentier. Le fils de mineur Carpentier est le Mozart de la boxe. Il a débuté à l'âge de 12 ans en devenant Champion du Monde officieux de boxe française, dans laquelle le pied est aussi important que le poing. Depuis, il a trusté les titres de Champion de France, de Champion d'Europe et même, à 20 ans, de Champion du Monde des poids lourds de race blanche! Aviateur revenu de la Grande Guerre, il a terrassé Battling Levinski à Jersey-City en lui ravissant son titre de Champion du Monde des poids mi-lourds. Carpentier est le roi de l'esquive et du jeu de jambes, hérités de James Corbett. Il est beau, charmant, élégant et gouailleur. Comme Maurice Chevalier, qui fait un tabac au théâtre dans "Dédé", en chantant "Dans la vie faut pas s'en faire". Mieux que Chevalier, Carpentier est l'archétype de l'homme du peuple hissé par son seul mérite au sommet de l'échelle sociale, le héros exemplaire qui fait rêver les foules. D'où l'idée de l'opposer à l'Américain Jack Dempsey, le Champion du Monde en titre, son antithèse. Dempsey, gueule de brute et sourire carnassier, mal vu des ligues patriotiques parce qu'il s'est embusqué pendant la guerre, concentre de la dynamite dans ses poings et pèse 16 livres de plus que Carpentier. Dans ce combat du siècle, face à l'ange, il sera le méchant. Ce match insensé attire plus de 80 000 spectateurs, qui s'entassent dans l'arène en bois de Jersey-City, dressée en plein air pour l'occasion. Venus pour voir David terrasser Goliath, ils laissent 1 800 000 dollars de recette dans les caisses de l'organisateur Tex Rickard. Le miracle n'aura pas lieu. Carpentier se casse la main dès le premier round et, malgré son talent et son courage, doit s'incliner dans la 4e reprise. Cette nuit-là, les Parisiens scrutent le ciel en attendant 45
l'avion qui doit lancer une fusée verte pour annoncer la victoire de l'idole. Malheureusement, c'est une fusée rouge qui jaillit de la carlingue. Il ne reste plus qu'à ''pleurer dans les chaumières", selon l'expression célèbre d'un journaliste de l'époque. 4 millions de cyclistes La direction de L'Auto a été informée du résultat du match Carpentier-Dempsey par radio. Le lendemain, le journal tirait à 630 000 exemplaires. Un tirage que n'aurait pas provoqué la victoire de Louis Mottiat dans la 4e étape, Brest-Les Sables d'Olonne, d'un Tour de France qui dispense un ennui profond. Pourtant, l'intérêt pour l'épreuve non seulement ne fléchit pas, mais enfle d'année en année: "C'est qu'il y a maintenant 4 millions de cyclistes en France, et la taxe de luxe qui frappait les bicyclettes est officiellement supprimée depuis quelques moisI." Quatre millions de cyclistes pour une population évaluée à 39 210 000 habitants, pas plus nombreuse qu'au recensement de 1911 qui ne prenait pas en compte les ressortissants d'Alsace et de Lorraine. Ce qui renseigne sur l'ampleur du carnage de 14-18. Si les bords des routes de campagne sont souvent déserts au passage des coureurs, qui voient davantage de vaches, de cochons, de poules et de canards, que de spectateurs, en revanche, aux abords des villages et des villes, on se bouscule, et les vélodromes sont pleins à craquer. Les voitures suiveuses occupées par les journalistes de la presse française et étrangère, sont de plus en plus nombreuses et créent parfois des embouteillages tels, qu'ils gênent les coureurs. Desgrange promet pour l'année suivante de remédier à cette pagaille. Au départ, le 26 juin, l'affiche est alléchante malgré le forfait des frères Pélissier. Sur les 24 je classe qui signent la feuille de contrôle, une quinzaine d'entre eux peuvent prétendre à la victoire finale, bien qu'Honoré Barthélemy soit le grand favori et le préféré de Desgrange. Mais avec Le Hargneux, généralement poursuivi par la poisse, un pronostic est aléatoire. Les obscurs et les sans-gloire Parmi les 2e classe présents au départ, on pourrait repérer Ernest Paul, demi-frère de François Faber. Il n'avait pas couru le Tour de 46
France depuis 1914. Il sera encore là l'année prochaine, à l'âge de 41 ans, et comme cette année, il terminera l'épreuve. Près de lui se trouve un autre grand ancêtre, Lucien Pothier, surnommé Le Boucher de Sens. Cela fait dix ans qu'il n'a pas couru le Tour. Second de la première édition en 1903, encore second en 1904, mais déclassé pour fraude en compagnie de Maurice et César Garin, et d'Aucouturier, on l'avait suspendu à vie. Ce qui ne l'empêcha pas de participer encore quatre fois au Tour de France avant la guerre, de 1907 à 1911, et d'être toujours là dix ans plus tard. Il terminera le Tour à la 32e place. Il a 38 ans. L'excellent Jules Deloffre, encore un 2e classe, qui obtint une 12e place dans le Tour 1913, a couru son premier tour de France en 1908. Il en courra au total quatorze et en terminera sept. Grand animateur des pelotons, ce sans-gloire devra durant toute sa carrière, se contenter de son statut de déshérité à la recherche d'un gîte et d'un couvert le soir à l'étape. Et cela, après 300 ou 400 kilomètres de course! C'est le sort qu'il partage avec tous les coureurs de sa catégorie qui deviendra un peu plus tard celle des touristes-routiers. Deloffre est le saltimbanque du Tour de France. Pour financer sa participation il exécute des acrobaties aux arrivées devant la foule qui se bouscule pour tenter d'approcher les coureurs. Chandelles, saut périlleux avant, arrière, marche sur les mains, et voilà le travail! Ensuite, le bon Jules fait le Tour de l'assistance. Muni de sa casquette, il vend des cartes postales et débite les boniments qu'on imagine: "À vot'bon cœur M'ssie urs-dam es, mettez tout dans ma casquette, Henri Desgrange vous le rendra l'' Le succès du spectacle conditionne le confort du gîte. Deloffre n'est pas le premier à financer son Tour de France de cette manière. On a vu certains 2e classe s'arrêter en pleine course pour faire la quête. Avant la guerre, Marcel Dozol faisait de même, mais distribuait des cartes postales à son effigie muni d'un chapeau claque pour l'obole. Dozol courut deux Tours de France, devint l'éphémère manager des isolés, se chargeant de leur gîte et de leur couvert, puis il disparut. Il faut dire que pour les touristes-routiers livrés à eux-mêmes, le Tour de France n'est pas une sinécure. Après 400 kilomètres de course, il leur faut trouver un endroit pour dormir et de quoi manger; 47
à leurs frais. Pour eux, pas de masseur, pas de ravitaillement. L'entretien de leur bécane? Ils s'en chargent eux-mêmes et se débrouillent pour trouver en cours de route les accessoires indispensables. Quand ils gagnent par miracle une étape, leur prime est trois fois inférieure à celle que remporte un crack. Certains dorment sous une porte cochère ou dans un jardin public, et font leur toilette à la fontaine. Le journaliste du Miroir des sports, André Reuze, rapportera en 1924, que l'Italien Giovanni Rossignoli, personnage pittoresque et gros mangeur, qui gagnera le Tour de France en 1926 dans la catégorie des touristes-routiers à l'âge de 44 ans, n'était pas d'une ''propreté de communiante." Barthélemy, qui n'avait pas sa langue dans sa poche, lui avait d'ailleurs confié: "Il a le même maillot, la même culotte, la même casquette, depuis Paris. En rentrant chez lui il n'aura qu'à mettre cela dans une marmite et faire bouillir un quart d'heure: il aura un fameux pot-au-feu pour ses cochons2 ! " André Leducq, en passe de devenir une grande vedette à la fin des années 20, et qui aidait de son mieux les touristes-routiers en leur offrant quelques musettes de ravitaillement destinées aux As, se souvint plus tard: "Ge10t, dit" le Flic volant ", agent de police dans le civil, avait de la chance. Les amicales de police s'étaient donné la consigne et elles l'hébergeaient dans chaque ville-étape. Un gars, dont j'ai oublié le nom, était parti grâce au produit d'une collecte de ses camarades de travail. Il avait été éliminé le second jour et, horrible, un des généreux donateurs avait exigé d'être remboursé3 ! " Le grand Léon Dans la première étape, Paris-Le Havre, de ce Tour de France 1921, Barthélemy est second derrière Mottiat, après avoir crevé onze fois! Il confirme qu'il est là pour gagner l'épreuve. Le troisième de l'étape se nomme Léon Scieur, dossard n° 19. On peut également voir son numéro sur la plaque en zinc fixée sous la traverse du cadre de sa bicyclette. C'est la nouveauté de l'année. Chaque concurrent a l'obligation d'en équiper sa bécane. Scieur, dit Le Grand Léon ou Le Colosse ou La Locomotive, est un gars de la campagne, costaud, immense, longiligne, un ancêtre de François, le facteur de "Jour de Fête4". Avec un je-ne-sais-quoi de 48
gaullien dans l'allure. Un "géant musculaire", comme l'écrit Henri Desgrange, avec un sourire d'homme tranquille aux arrivées victorieuses, des manches de maillot qui peinent à couvrir ses bras trop longs, et des mains larges comme des battoirs de lavandière. Elles ont longtemps saisi les poignées d'une charrue avant de tenir un guidon de bicyclette. Il vient de Florennes près de Mons, dans la plaine wallonne, le village où est né son vieux copain et son maître es-cyclisme, Firmin Lambot, qui avait surpris tout le monde en gagnant le Tour de France en 1919. Deux champions pour un si petit village, c'est beaucoup. À croire qu'il y a là-bas un air plus vivifiant qu'ailleurs pour les coureurs. On ne sait pas grand-chose de Léon Scieur, le plus discret des costauds du Tour de France de cette année-là. C'est un taiseux, un timide, qui chaque jour se lève à l'aube pour abattre à l'entraînement ses 125 km en solitaire. En dehors de la bicyclette, il mène une existence paisible, entre une jeune épouse aux rondeurs appétissantes et sa maman qu'il adore. Lambot disait de lui: "Léon était certes secret et pour le demeurer n'hésitait pas à en rajouter sur ses origines paysannes, mais si on l'avait forcé un peu, on se serait aperçu qu'il était très fin, qu'il aimait lire de vrais livres et qu'il pouvait, quand il le voulait, parler unfrançais de vrai bourgeois5 ! " Scieur est un second couteau, pugnace et courageux, un bon faire-valoir du grand drame sportif monté par Desgrange, mais on imagine mal son nom inscrit en haut de l'affiche. Mis à part son succès dans Liège-Bastogne-Liège en 1920, on ne lui connaît pas de grande victoire. Il est essentiellement, comme son ami Lambot, un homme du Tour de France. Ille court depuis 1913, année de ses débuts professionnels, qui suivirent son apprentissage tardif de la bicyclette à l'âge de 23 ans! Depuis il a fait ses classes; discrètement. En 1913 il abandonnait dans la 7e étape Luchon-Perpignan. Deux jours plus tôt, il avait souffert le martyre en s'obstinant à hisser sa grande carcasse au sommet des quatre cols de l'étape Bayonne-Luchon, celle où Christophe avait dû braser sa fourche brisée à Sainte-Marie-deCampan, et il était arrivé plus de 3 heures après Philippe Thys. L'année suivante, il terminait 14e, et 4e en 1919, dans le sillage de Firmin 49
Lambot. Place qu'il confirmait en 1920 après avoir remporté une étape à Gex. Léon Scieur, d'année en année, progresse, sans éclat, mais il progresse. La preuve en est, que cette année il fut classé 3e de ParisRoubaix derrière les intouchables frères Pélissier. On sait que désormais il faudra compter avec lui. Mais de là à le voir gagner le Tour de France... ! Tout commence vraiment pour lui dans la 2e étape. IlIa termine à la seconde place en compagnie d'un autre colosse, Hector Heusghem. Scieur endosse le maillot jaune et comprend qu'il s'agit de la chance de sa vie, d'autant que parmi les quinze coureurs qui abandonnent ce jour-là, on compte Jean Rossius, Louis Heusghem, frère aîné d'Hector, et surtout Philippe Thys ; trois favoris découragés. Ils ont pris un tel retard, dû à d'innombrables crevaisons dans la première étape, que leurs chances de bien figurer s'en trouvaient très compromises. Jacquinot abandonnera à Brest, et Alavoine, épuisé par une saison surchargée, aux Sables d'Olonne. À Perpignan ce sera le tour de Bellenger et à Toulon celui de Christophe. Quatre concurrents dangereux pour le leader. Au pied des Pyrénées, Scieur qui a gagné à Brest, porte toujours le maillot jaune. Barthélemy, malchanceux, semble définitivement distancé, et Hector Heusghem compte une demi-heure de retard. Scieur, malgré Heusghem Heusghem réagit dans la terrible étape Bayonne-Luchon. Sous un soleil de plomb et dans la poussière blanche de la route qui grime les coureurs en pierrots de comédie, le colosse s'envole dans le Tourmalet, puis dans Aspin et Peyresourde. À Luchon, il a repris plus de 25 minutes à Scieur et n'est plus qu'à 4 minutes du grand Léon. Mais l'absence de détermination d'Hector Heusghem causera sa perte. Elle agace Henri Desgrange qui la déplore dans L'Auto: ''À Béziers (...) il se laisse rejoindre par Scieur. Dans Nice-Sospel-Nice, il est pris de douleurs à l'estomac dans la Colle-Saint-Michel où il décramponne Scieur puis se laisse rejoindre. Dans la descente d'Allos, où Scieur a crevé, il se laisse rejoindre. Dans le Galibier où il a décramponné Scieur, il se laisse rejoindre par lui dans la descente, et dans les Ar50
ravis où il pouvait tenter un dernier effort, il se contente de rester sur la roue de son adversaire. Il a conduit sa course comme un enfant... " Dans Toulon-Nice, qui voit la résurrection de Lambot, Scieur démontre qu'il est le patron. À l'arrivée, Barthélemy et Heusghem sont dix minutes derrière lui. Mais la bataille des Alpes n'est pas terminée. L'étape suivante, Nice-Grenoble, voit Heusghem et Barthélemy passer à l'offensive dans les lacets du col d'Allos. Le grand Léon perce pendant l'ascension et lâche prise, mais il retrouve les deux fuyards dans la descente, passe en tête au sommet du col Bayard et arrive seul à Grenoble. Ce jour-là, Barthélemy, encore victime de crevaisons, perd 19 minutes, et Scieur gagne définitivement le Tour de France. Le baroud d'honneur de Barthélemy deux jours plus tard, dans le Lautaret et le Galibier, n'y changera rien. Pas plus que ne le fera sa victoire à Strasbourg, Scieur restant obstinément collé à sa roue arrière entre Genève et Strasbourg, avec Heusghem à proximité. Derrière, sous un soleil accablant, le peloton musarde à 25 minutes des trois hommes. La moyenne du vainqueur est de 24,518km/h. Desgrange s'énerve et impose dans Strasbourg-Metz, en guise de représailles, un départ séparé entre les deux classes de coureurs: les 2e classe partiront deux heures avant les je classe afin de donner plus de vigueur à la course. C'est une sorte de course contre la montre par équipes, avec classement individuel. L'initiative est payante. Les 2e classe mettent un point d'honneur à ne pas être rejoints par les je classe, et ils foncent. Le vainqueur, Félix Sellier, gagne l'étape à la moyenne de 29,580 km/h ! Le premier des jeclasse, Goethals, est à 46 minutes du vainqueur. Ce constat va donner des idées à Desgrange pour plus tard. Les deux dernières étapes, courues suivant la formule habituelle, permettent aux coureurs de retrouver leur allure de curé de campagne, avec des moyennes inférieures à 25 km/ho Scieur garde jusqu'à Paris, un maillot jaune mérité qui récompense sa solidité. C'est le sommet de sa carrière. Il reviendra encore trois fois dans le Tour de France sans jamais revoir le Parc des Princes.
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En savoir plus: 1. "Le Tour a 50 ans" numéro spécial de L'Equipe. 1953. 2. Le Miroir des Sports n0210 du 5 juillet 1924. Giovanni Rossignoli illustre bien ce qu'étaient les costauds du Tour de France de l'époque. Sa carrière s'étendit sur 25 années. Il participa à son premier Tour de France en 1904. Il termina 3e du Giro d'Italie en 1909, 2e en 1911 et 3e en 1912. Il remporta 3 étapes dans cette épreuve. Il courut 8 fois le Tour de France, le termina 6 fois dont la dernière en 1927 à l'âge de 45 ans. En 1926, il gagna le Tour dans la catégorie des touristes-routiers, après avoir survécu à la tempête de la mémorable étape Bayonne-Luchon. 3. André Leducq. "Une Fleur au guidon". Presses de la cité. 1978. 4. "Jour de fête", Film comique de Jacques Tati (1949), qui relatait les aventures charmantes d'un facteur vélocipédiste. 5. "Tour de France 1903-1987. Les vainqueurs". Numéro spécial du Miroir du Cyclisme 1988.
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Le Tour de France 1921 en un coup d'œil ISe édition du 26 juin au 24 juillet 1921 5 484 Kilomètres. 15 étapes. Départ d'Argenteuil, arrivée à Paris. 14 jours de repos. Moyenne du vainqueur: 24,720 km/ho 123 coureurs au départ dont 24 de première classe et 99 de seconde classe. 38 rescapés à l'arrivée dont 30 deuxième classe. Une seule équipe de marque: La Sportive. Vainqueur: L. SCIEUR. Total des primes: 79 550 F Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Le Havre, 388 km : Louis Mottiat. 2. Le Havre-Cherbourg, 364 km : Romain Bellenger. 3. Cherbourg-Brest, 405 km : Léon Scieur. 4. Brest-Les Sables d'Olonne, 412 km. : Louis Mottiat. 5. Les Sables d'Olonne-Bayonne, 482 km : Louis Mottiat. 6. Bayonne-Luchon, 326 km. : Hector Heusghem. 7. LuchonPerpignan, 323 km. : Louis Mottiat. 8. Perpignan-Toulon, 411 km.: Luigi Lucotti. 9. Toulon-Nice, 272 km. : Firmin Lambot. 10 Nice-Grenoble, 333 km : Léon Scieur. Il. Grenoble-Genève, 325 km : Félix Goethals. 12. Genève-Strasbourg, : 371 km. Honoré Barthélemy. 13. Strasbourg-Metz, 300 km : Félix Sellier 14. Metz-Dunkerque, 433 km : Félix Goethals. 15. Dunkerque-Paris, 340 km : Félix Goethals. Les maillots jaunes Louis Mottiat (1). Léon Scieur (14). Classement général final 1. Léon SCIEUR (Bel) en 221h50'26" 2. Hector Heusghem (Bel) à 18'36" 3. Honoré Barthélemy (Fra) à 2hOl'00" 4. Luigi Lucotti (Ita) à 2h39'18" 5. Hector Tiberghien (Bel) à 4h33'19" 6. Victor Lenaers (Bel) à 4h53'23" 7. Léon Despontin (Bel) à 5hOl'54" 8. Camille Leroy (Bel) à 7h56'27" 9. Firmin Lambot (Bel) à 8h26'25" 10. Félix Goethals (Fra) à 8h42'26" Il. Louis Mottiat (Bel) à 8h51'24" 12. Eugène Dhers (Fra) à 9h44'36" 13. Henri Ferrara (Fra) à Ilh58'34" 14. Noel Amenc (Fra) à 12h37'23" 15. Joel Muller (Fra) à 12h59'08" 16. Félix Sellier (Bel) à 13h56'45" 17. Henri Colle (Sui) à 15h02'22" 18. Enrico Sala (Ita) à 19h09'18" 19. Guglielmo Ceccherelli (Ita) à 22h49'12" 20. Auguste Meyer (Fra) à 22h53'44" 21. Benjamin Javaux (Bel) à 25h25'34" 22. Pierre Hudsyn (Bel) à 25h53'44" 23. Joseph Normand (Fra) à 27h05'40" 24. Etienne Dorfeuille (Fra) à 27h07'44" 25. Charles Raboisson (Fra) à 27h57'32" 26. Jules Deloffre (Fra) à 31h09'48" 27. Ernest Paul (Fra) à 32h26'34"28. Edgard Roy (Fra) à 32h43'15" 29. Charles Parel (Sui) à 34h29'08" 30. Paul Coppens (Fra) à 34h50'25" 31. Jean Kienlen (Fra) à 36hI8'06" 32. Lucien Pothier (Fra) à 41h45'11" 33. Lucien Roquebert (Fra) à 49h37'25" 34. Robert Constantin (Fra) à 57h07'39" 35. Charles Cento (Fra) à 57h45'21" 36. Georges Kamm (Fra) à 58hOO'09" 37. Adrien Alpini (Fra) à 60h34'50" 38. Henri Catelan (Fra) à 62hI9'57. 1er des "2e classe" : Victor Lenaers (Belgique) 53
Quelques évènements de l'année 1921 - Inhumation du soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe. - Formation du ministère Aristide Briand. - Le Journal L'Humanité devient l'organe de la Section Française de l'Internationale Communiste. - 56 morts dans le naufrage du sous-marin anglais K-5. - La guerre civile fait rage en Irlande. - Dictature en Perse. - Premier vol d'un hélicoptère. - La révolte antibolchevique de la citadelle de Kronstadt est écrasée. - Le poêle de Landru est vendu aux enchères à l'Hôtel Drouot.
- Arrestations
de communistes
en France.
- Traité de paix entre la Russie et la Pologne. - Condamnation à mort aux Etats-Unis, de Nicolas Sacco et Bartolomeo Vanzetti. - Dissolution par la justice de la Confédération générale du travail (CGT). - Émeutes arabes antijuives en Palestine. - L'athlète américain Charles Paddock bat le record du monde du 100m en 10"4, et du 200 men 20"8. - Première exposition de Max Ernst à Paris. - Première des "Mariés de la tour Eiffel" de Jean Cocteau. - Le bourreau de Grammont, tortionnaire allemand, est acquitté. - Découverte de l'insuline. - Adolph Hitler devient président du N.S.D.A.P. - Famine en Russie pour 18 millions de soviétiques. - Congrès international sur les droits de l'homme à La Haye. - L'explosion d'une usine d'azote en Allemagne fait 500 morts et 1500 blessés. - Anatole France reçoit le prix Nobel de littérature. - L'Irlande du Sud accède à l'indépendance. - Henri Landru accusé d'avoir fait disparaître dix femmes est condamné à mort. - Dans les librairies: "Etat-civil" de Drieu la Rochelle, "Ouvert la nuit" de Paul Morand, "l'Epithalame" de Jacques Chardonne, "Suzanne et le Pacifique" de Jean Giraudoux - Au Théâtre: "Six personnages en quête d'auteur" de Luigi Pirandello Au cinéma: "L'Atlantide" de Jacques Feyder, "Fièvre" de Louis Delluc, "Dream Street" de D.W. Griffith, "The Kid" de Charlie Chaplin. - Décès de : Pierre Kropotkine, théoricien russe de l'Anarchie, Georges Feydeau, auteur dramatique français, Enrico Caruso, ténor italien, Pierre le de Serbie, roi de Yougoslavie, Louis III de Bavière, Camille Saint-Saëns, compositeur français. - Naissances de : César, sculpteur français, Alain Mimoun, athlète français, Patricia Highsmith, romancière anglaise, Eddy Barclay, musicien et impresario français, Giovanni Agnelli industriel italien, Peter Ustinov, acteur britannique, Daniel Gélin, comédien français, Andrei Shakarov, physicien russe, Jean Lacouture, écrivain et journaliste français, Frédéric Dard, romancier français, Manitas de Plata, guitariste espagnol, Yves Montand, acteur et chanteur français, Alexandre Dubcek, homme d'état tchécoslovaque, Georges Brassens, chanteur et auteur-compositeur. 54
1922 16e Tour de France. Du 25 juin au 23 juillet 1922
Quoi de neuf dans le monde en paix ? En France, les premières émissions régulières de T.S.F n'auront lieu qu'à la fin de cette année. Les quotidiens sont donc encore l'essentielle source d'information. En les lisant, que peut apprendre le lecteur français en cette année 1922 ? Pas grand-chose de réjouissant. La guerre civile fait des ravages en Irlande, 33 millions de personnes souffrent de la faim en Russie où le Guépéou, la police politique, remplace la Tcheka. Simple changement de nom pour une activité identique. En France, une nouvelle crise ministérielle met à bas le président du Conseil Aristide Briand, remplacé par le centriste Raymond Poincaré. Henri Landru, l'assassin de Gambais, accusé d'avoir fait brûler dix femmes dans sa cuisinière, est guillotiné le 25 février en clamant son innocence. Le leader nationaliste Gandhi, qui a appelé à la désobéissance civile, est condamné par les Britanniques à six ans de prison. L'Allemagne, assommée par ses dettes de guerre, est rongée par l'inflation qui atteint un niveau catastrophique. En mars, Il faut 329 marks pour obtenir un dollar, en août il en faudra 1990. Bientôt, on prendra une brouette pour acheter un pain ou une bouteille de bière. Le ministre des Affaires étrangères allemand, Walter Rathenau, est assassiné le 24 juin, tout comme le maréchal anglais Henry Wilson, deux jours plus tôt. Le 26 août, c'est au tour de Michael Collins, chef du gouvernement provisoire irlandais, de tomber sous les balles des terroristes. En Italie, le parti fasciste prend le pouvoir, après la grandiloquente marche sur Rome des Chemises Noires, menée par Benito Mussolini. Cette année, les cinéastes Friedrich. W. Murnau, et Fritz Lang expriment magistralement le malaise et les inquiétudes de l'Allemagne renaissante, dans Nosferatu le Vampire et Docteur Mabuse, pendant que les communistes déclarent l'art abstrait, hors-la-loi. Sous prétexte que selon eux, le prolétariat le déteste. De son côté Lénine déclare n'y 55
rien comprendre et n'y prendre aucun plaisir. C'est suffisant pour l'interdire 1. Les optimistes s'orienteront vers des nouvelles plus aimables: L'efficacité avérée de l'insuline dans le traitement du diabète, la visite de l'empereur d'Annam à Paris, la présentation de la 5 CV, 2 places, d'André Citroën, qui lance ses révolutionnaires autochenilles dans un raid de 3 000 kilomètres à travers le Sahara. Les sportifs se passionneront pour les exploits de Suzanne Lenglen à Wimbledon, d'Eugène Criqui, gueule cassée de la Grande Guerre et exemplaire Champion d'Europe de boxe poids plume. Ils applaudiront le Sénégalais Battling Siki, qui enverra l'idole Georges Carpentier au tapis pour le compte en lui ravissant son titre des poidsmi-lourds. Ils encourageront les athlètes féminines, qui disputeront à Paris, en août, les premiers Jeux Olympiques féminins. Deux mois plus tôt, Porte Maillot, ils se bousculeront pour voir les As du Tour de France signer la feuille de contrôle à Luna-Park, avant le départ réel d'Argenteuil. Ils n'y verront pas les frères Pélissier qui, une fois de plus, boudent la grande épreuve. C'est dommageable pour elle, car les deux frères, qui effectuent une saison éblouissante, auraient probablement produit des étincelles 2. La vieille garde Mis à part Arsène Alancourt qui n'a que vingt ans, les 26 coureurs de je classe qui s'alignent à Argenteuil ne sont pas des tendrons. Barthélemy a 31 ans, Philippe Thys et Hector Heusghem 32 ans, Louis Mottiat 33 ans, Scieur et Alavoine 34 ans, Lambot 36 ans, Christophe 37 ans. À l'arrivée, la moyenne d'âge des dix premiers sera de 32 ans. Il est vrai que l'épreuve organisée par le journal L'Auto ne convient guère aux jouvenceaux. Elle est conçue pour les marathoniens aux "volontés infrangibles" comme l'écrit Desgrange, rompus aux traîtrises de la route, aux crevaisons en série, à la fringale, aux crampes et à la solitude des étapes interminables. Insensibles, tout au moins en apparence, à l'obsédante poussière des routes, au vent, à la pluie, à la boue, au froid et à la canicule, ceux-là tendent vers un but obsessionnel : arriver au Parc des Princes, coûte que coûte, après plus de 5 000 56
kilomètres de route cahoteuse, et si possible avec le maillot jaune sur les épaules. Les envolées du Gars Jean Le début de la course est mené rondement par le brun Robert Jacquinot, bel athlète et formidable rouleur, qui prend le maillot jaune au Havre. Grand animateur, il participera sept fois au Tour de France, mais n'en terminera qu'un seul. À 29 ans, il fait figure de jeune, tout comme son ami Romain Bellenger, dit L'Echassier, un costaud longiligne d'un mètre soixante-dix-huit, ce qui est grand pour l'époque. Énergique, rouspéteur, forte personnalité, démontrant un courage à toute épreuve, Bellenger gagne à Cherbourg une étape qu'il a déjà remportée l'année précédente, et qui deviendra son étape. Il en sera encore, deux fois vainqueur. Jacquinot gagne à Brest, grâce à une course éliminatoire sur le vélodrome destinée à départager les 24 premiers arrivants. Le Miroir des sports s'interroge sur le phénomène des arrivées groupées: "De plus en plus les arrivées en groupe, en masse, sont la règle de la course de fond (...) Qu'est-ce à dire? Sinon que cette épreuve si dure, n'est pas assez dure pour trouver les limites de chaque valeur individuelle ... " Eugène Christophe, très présent depuis le début de l'épreuve, démontre qu'il n'est pas là pour jouer les utilités. Sa popularité est au zénith. "Quand il arrive dans un contrôle, son apparition provoque des hurlements. Sur la route, les hommes retirent leur chapeau et les femmes lui jettent des fleurs3. " Christophe prend le maillot jaune aux Sables d'Olonne. À 37 ans c'est une performance. On se prend à croire qu'il peut gagner le Tour de France, ce qui serait la moindre des choses étant donné ses états de service. Mais Jean Alavoine est dans une forme éblouissante. Vainqueur de Paris-Lyon avec Philippe Thys, second du critérium des As, il n'a jamais été aussi fort. Très attardé dans la première étape où il a perdu une heure, il gagne à Bayonne et écrase ses adversaires entre Bayonne et Luchon. Par l'élégance de son style et la fluidité de son coup de pédale, Alavoine préfigure, avec les frères Pélissier, les lé57
vriers qui vont bientôt déferler et balayer les petits râblés et les gros costauds de l'époque héroïque. Souverain dans l'Aubisque, Aspin et Peyresourde, puisque cette année on a contourné le Tourmalet enneigé, Alavoine arrive à Luchon avec un quart d'heure d'avance sur Lenaers. Philippe Thys qui vient de se faire arracher une dent et se dit empoisonné, perd trois heures et demie, en compagnie d'Emile Masson, alors que Jacquinot et Bellenger qu'ils ont retrouvés dans une auberge de Bagnères-de-Bigorre, abandonnent. Entre Luchon et Perpignan, Alavoine passe en tête au Portet d'Aspet en compagnie de Barthélemy. De bûches en gadins et de chutes en gamelles, le pauvre Honoré, souvent couvert de pansements, est rafistolé de partout. Borgne depuis sa chute de 1920, il ne porte pas encore d'œil de verre, mais ça viendra. En revanche, il porte un appareil dentaire, qu'il lui arrivera de perdre, tout comme son œil de verre qu'il cherchera plus d'une fois dans l'herbe ou la poussière. Ses membres sont zébrés de cicatrices et il doit protéger ses poignets fracturés avec des bracelets de force en cuir. Dans la descente du col de Port, Barthélemy fidèle à sa réputation, passe par-dessus le parapet d'un pont et exécute un vol plané de six mètres qui se termine dans un torrent. Sa chute est amortie par sa musette, mais la roue avant de sa machine est brisée et sa jambe gauche est déchirée par une plaie béante. "Il revint à lui dans les bras d'un prêtre. "Qu'on me donne une roue ... j'irai à Ax, dit-iI4." Il alla à Ax, et même à Perpignan en compagnie des 2e classe Nicolle et Bianca, abonnés aux queues de classements. Christophe victime d'une sciatique, ce qui est de son âge, s'accroche avec un courage surhumain et arrive épuisé à Perpignan, 47 minutes après Alavoine. Le Gars Jean gagne au sprint une 3e étape consécutive et prend le maillot jaune, alors qu'aux Sables d'Olonne il était à une heure un quart de Christophe. "Décidément Alavoine n'a jamais été aussi brillant, aussi fougueux, aussi complet, et nous pouvons être fiers de posséder un tel champion", écrit Desgrange.
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Bras deforce Les exploits d'Alavoine font oublier que Lambot, aux avantpostes depuis plusieurs étapes, est 2e à quatorze minutes du maillot jaune. Il attend son heure, comme une doublure de ténor d'opéra qui guetterait patiemment une hypothétique extinction de voix du titulaire. De son côté, Philippe Thys qui est à deux heures et demie du maillot jaune, ne baisse pas pavillon. Il remporte trois étapes consécutivement, à Toulon, à Nice et à Briançon. Alavoine sent le danger. Pendant ces trois étapes sa lutte avec le Wallon sera homérique et démontrera à quel point il domine son sujet. À Toulon, Thys l'emporte au sprint, mais Alavoine est dans le peloton des échappés. À Nice, le Belge gagne encore, mais un seul homme reste accroché à sa roue arrière: Jean Alavoine. Thys tente le tout pour le tout dans Nice-Briançon. Alavoine passe en tête au col d'Allos, mais dans le col de Vars et dans l'inquiétant Izoard qui sont gravis pour la première fois, le triple vainqueur du Tour domine, et distance le maillot jaune. Alavoine réduit son retard dans la descente, et desserre ses cale-pieds à Briançon 32 petites secondes seulement après Thys et Sellier. C'est tout ce qu'il aura perdu dans cette prodigieuse bataille de trois jours, dont le public n'aura pas su grand-chose. Alavoine conserve donc son maillot jaune. Lambot est à 22 minutes. Tout va bien pour le Parisien qui peut envisager d'offrir la victoire finale à sa femme et à ses trois gosses. Quant au malheureux Barthélemy, qui est tombé une fois de plus, il termine à l'énergie plus de trois heures après Thys. Enveloppé dans ses bandages, il ne repartira pas de Briançon La bécane de Monsieur le curé Le surlendemain, la Il e étape, Briançon-Genève, est courue sous le déluge. Émile Masson s'envole dans le Galibier, le Télégraphe et les Aravis. Jean Alavoine tétanisé par le froid, ruisselant de pluie et de boue, aligne crevaison sur crevaison. Comble de malheur, sa chaîne saute sans arrêt. Il doit s'arrêter des dizaines de fois pour la remettre en place. 59
PhilippeThys, éprouvé par ses efforts des étapes précédentes, et victime d'une chute, s'effondre. Quant à Christophe, abonné au malheur, il casse sa fourche dans la descente du Galibier5. C'est banal dans le Tour, où les machines, sur les pavés ou les chemins de montagne défoncés, subissent des épreuves très sélectives. Ce qui est moins ordinaire c'est de parvenir à réparer. Dans la 4e étape, Léon Scieur cassa également sa fourche et abandonna. Dans la 2e étape, Tata Grassin6 connut une mésaventure analogue à celle de Christophe, et mit une heure et demie pour remettre sa machine en état, après avoir attendu pendant le même temps le retour d'un marchand de cycles absent pour cause de.. .Tour de France. Après réparation, Grassin avait couru seul pendant 300 kilomètres contre le vent debout, sans perdre une seconde de plus sur le peloton. Le soir à l'hôtel, ses compagnons de misère, pourtant peu portés sur les débordements sentimentaux, l'avaient accueilli par une formidable ovation. La machine de Christophe n'étant pas réparable dans l'instant, il la pousse jusqu'au petit village de Valloire, dont on parlera beaucoup quelques années plus tard7, Le curé lui propose son vélo, une robuste bicyclette de femme, parfaite pour monter en selle avec une soutane, moins pratique pour courir le Tour de France. Imaginons l'exhortation : "Allez, mon fils, et que saint Christophe vous protège l'' L'enfant de Malakoff repart, passe le tunnel du Télégraphe et aborde la descente vers la vallée de la Maurienne, au rythme des grincements de la bécane ecclésiastique. À Saint-Michel, il en trouve une autre moins pittoresque, et enfin, à Saint-Jean, une bonne âme lui propose un vélo conforme à ses attentes. Il franchira la ligne à Genève plus de trois heures après Emile Masson, le vainqueur. À l'arrivée, Alavoine possède toujours son maillot jaune, mais Lambot le métronome n'est plus qu'à sept minutes de lui et Hector Heusghem à un quart d'heure. Hector le gaffeur et Firmin le veinard Dans l'étape Genève-Strasbourg, c'est l'Hallali. Les ténors multiplient les attaques, et Alavoine qui perce encore six fois, n'y résiste pas. À l'arrivée, son maillot jaune passe sur les épaules du monumental Hector Heusghem, qui le portera le surlendemain pour la première 60
et la dernière fois. Lambot n'est plus qu'à 3'13" du premier et Alavoine à dix minutes environ. Il est écrit qu'Hector Heusghem, qui en a pourtant la stature, ne gagnera jamais le Tour de France. Dans l'étape Strasbourg-Metz, le colosse de Montignies tombe. Son vélo est endommagé, mais il n'est pas irréparable. Le règlement est formel: dans ce cas, il doit réparer. Ce sont les terribles commissaires qui jugent ce qui est réparable et ce qui ne l'est pas. Que faire? Si Heusghem remet sa machine en état, il perdra son beau maillot car Lambot le talonne, et s'il change de machine, il sera lourdement sanctionné, ce qui reviendra au même. Cruel dilemme. Heusghem choisit la seconde solution, arrive à Metz avec le gros du peloton et croit forcer le destin en détruisant sa machine initiale à coups de marteau!! Les commissaires ne sont pas dupes. Le Belge écope d'une pénalité d'une heure, très équitable compte tenu de l'énormité de la faute. Desgrange commente: "Mais quelle mouche aussi a piqué Hector Heusghem ? Et puisqu'il savait Alavoine en mauvaise posture et en panne loin derrière, pour quelle raison a-t-il si stupidement perdu la tête? Son enfantillage lui coûte cher! ". Le Père du Tour oublie que Lambot n'est arrivé que deux minutes après Heusghem. Ce dernier, en tombant, devait perdre le Tour de France d'une manière ou d'une autre. Non pas sur sa valeur, mais par manque de chance, comme Alavoine, comme Christophe, comme Barthélemy, comme Thys, qui tirèrent les marrons du feu pour l'inévitable Lambot. Cette chance qui manque à tous ces champions, Lambot en possède à revendre. Solide comme un roc, souvent aux avant-postes, il crève moins que les autres, tombe moins que les autres, brise sa machine moins que les autres. Il ne gagne pas, ce sont les autres qui perdent. Il ne sème pas, il récolte. C'est donc lui, le coureur régulier dépourvu d'esprit d'initiative, qui brandira à l'âge de 36 ans et pour la seconde fois, le bouquet final du Parc des Princes8. Épilogue décevant d'une épreuve mouvementée qui aurait mérité un vainqueur à la hauteur épique de ses affrontements. Hector Heusghem est 4e à environ 44 minutes du premier, ce qui démontre que sans sa malchance et sa pénalité, sa victoire eût été indiscutable. Dans les deux dernières étapes, il a repris environ huit minutes à Lambot. 61
Les Belges, une fois de plus, écrasent de leur supériorité cette course que Desgrange désigne orgueilleusement comme" la plus passionnante, la plus retentissante des randonnées cyclistes9. " Ils placent sept hommes dans les dix premiers et remportent huit étapes sur qUInze. À quand une victoire française attendue depuis dix ans? En attendant, il faut se contenter du second succès du robuste français Joseph Pelletier, un vrai champion, 15edu classement général et vainqueur des 2e classe. La lanterne rouge, le Français Daniel Masson, mit 65 heures et 53 minutes de plus que Lambot pour boucler la boucle, c'est-à-dire presque trois jours et trois nuits. C'est mieux que la performance de Charles Raboisson dans le Tour 1920. Nous ne saurons jamais rien de ses mésaventures ni de son calvaire. Avec ses compagnons de misère, Charles Hennuyer et Robert Constantin, Masson a souvent fermé la marche, en arrivant très attardé, alors que les As étaient rendus à leur hôtel depuis plusieurs heures. Il ne semble pas injuste de lui rendre hommage ici, ainsi qu'à tous les anonymes faire-valoir qui connurent sur la route, et à travers le temps, des souffrances analogues ignorées du public. Investi d'une constance admirable, Daniel Masson récidiva l'année suivante, et termina dernier de l'épreuve, une fois encore, avec seulement 48 heures de retard sur le premier.
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En savoir plus: 1. "L'aventure de l'Art au XXe siècle". Chêne-Hachette. 1988. 2. En cette année 1922, Henri Pélissier remporte Paris-Tours, le Circuit de Paris, Paris-Nancy, Nice-Mont Agel, et Francis gagne Bordeaux-Paris et Paris-Montceaules-Mines. 3. Le Miroir des sports n0106 du 13 juillet 1922. 4. "Le Tour a 50 ans" Numéro spécial de L'Equipe 1953. 5. C'est la troisième fois que Christophe casse sa fourche dans le Tour de France (1913, 1919, 1922). 6. Robert Gras sin, dit "Toto" Grassin (1898-1980), était un pistard très populaire. On le surnommait "le Roi du plancher". Il fut Champion de France de demi-fond en 1924 et Champion du Monde en 1925. Le Tour 1922 fut le seul auquel il participa. Il abandonna dans la 4e étape. La piste lui permit de faire fortune. Il s'acheta un yacht, ainsi que la casquette et le pantalon assortis! 7. C'est à la sortie de Valloire, qu'en 1930 André Leducq, porteur du maillot jaune, tomba pour la deuxième fois de la journée et songea à abandonner, pour fmalement réagir et gagner l'étape, grâce à la solidarité de l'équipe de France. (Voir l'année 1930 du présent ouvrage) 8. Firmin Lambot est resté le plus vieux vainqueur du Tour de France. 9. Desgrange avait le talent de magnifier son épreuve, dont l'impact médiatique n'était pas ce qu'il devait devenir dans les années 30. Au mois de juillet 1922, le Miroir des sports ne consacrait que quatre pages au Tour de France, alors que l'hebdomadaire en comportait seize, et que dans le même temps il couvrait sur deux pages, le grand prix cycliste de la Ville de Paris à la piste municipale de Vincennes. À la fin des années 30, le magazine consacrait la presque totalité de ses feuilles de juillet à l'épreuve du journal L'Auto, et paraissait trois fois par semaine pendant cette période.
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Le Tour de France 1922 en un coup d'œil 16e édition du 25 juin au 23 juillet 1922 5 375 Kilomètres. 15 étapes. Départ d'Argenteuil, arrivée à Paris. 14 jours de repos. Moyenne du vainqueur: 24,488 km/h. 120 coureurs au départ dont 26 de première classe et 94 de seconde classe. 38 rescapés à l'arrivée dont 22 2e classe. Vainqueur : F. LAMBOT. Total des primes: 79 800 F Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Le Havre, 381 km : Robert Jacquinot. 2. Le Havre-Cherbourg, 364 km. : Romain Bellenger. 3. Cherbourg-Brest, 405 km : Robert Jacquinot. 4 BrestLesSables d'Olonne, 412km. : Philippe Thys. 5. Les Sables d'Olonne-Bayonne, 482 km. : Jean Alavoine. 6. Bayonne-Luchon, 326 km. : Jean Alavoine. 7. LuchonPerpignan, 323 km. Jean Alavoine. 8. Perpignan-Toulon, 411 km. : Philippe Thys. 9. Toulon-Nice, 281 km. : Philippe Thys. 10. Nice-Briançon, 274 km : Philippe Thys. Il. Briançon-Genève, 260 km. : Émile Masson. 12. Genève-Strasbourg, 371 km. : Émile Masson. 13. Strasbourg-Metz, 300 km. : Federico Gay. 14. MetzDunkerque, 432 km. : Félix Sellier. 15. Dunkerque-Paris/Parc des Princes, 325 km. : Philippe Thys. Les maillots jaunes Robert Jacquinot (3). Eugène Christophe (3). Jean Alavoine (5). H. Heusghem (1). Firmin Lambot (3). Classement général final 1. Firmin LAMBOT (Bel) en 222h08'06" 2. Jean Alavoine (Fra) à 41'15" 3. Félix Sellier (Bel) à 42'02" 4. Hector Heusghem (Bel) à 43'56" 5. Victor Lenaers (Bel) à 45'32" 6. Hector Tiberghien (Bel) à 1h21'35" 7. Léon Despontin (Bel) à 2h24'29" 8. Eugène Christophe (Fra) à 3h25'39" 9. Jean Rossius (Bel) à 3h26'06" 10. Gaston Degy (Fra) à 3h49'13" Il. Federico Gay (Ita) à 3h51 '59" 12. Emile Masson sr (Bel) à 4hOO'21" 13. Arsène Alancourt (Fra) à 5h20'56" 14. Philippe Thys (Bel) à 5h48'58" 15. Joseph Pelletier (Fra) à 5h53'29" 16. Joseph Muller (Fra) à 7h51'23" 17. Giuseppe Santhia (Ita) à 8h57'35" 18. Théophile Beeckman (Bel) à 9h40'32" 19. Louis Heusghem (Bel) à 9h50'34" 20. Jules Nempon (Fra) à 12h11'56" 21. Alfons Standaert (Bel) à 12h48'46" 22. Edgard Roy (Fra) à 14h29'01" 23. Joseph Marchand (Bel) à 14h58'14" 24. Enrico Sala (Ita) à 16h27'21" 25. Jules Matton (Bel) à 17h37'39" 26. Pierre Hudsyn (Bel) à 20h30'17" 27. Charles Parel (Sui) à 22h18'09" 28. Léon Van Aken (Bel) à 24hOO'24"29. Marie Aubry (Fra) à 27h20'36" 30. Ernest Paul (Fra) à 28h35'08" 31. Georges Kamm (Fra) à 32h22'57" 32. Charles Loew (Fra) à 36h20'19" 33. Jules Brun (Fra) à 46h36'59" 34. Emmanuele Luigi (Ita) à 47h23'13" 35. Laurent Devalle (Mon) à 54h24'20" 36. Robert Constantin (Fra) à 54h53'29" 37. Charles Hennuyer (Fra) à 59h13'12" 38. Daniel Masson (Fra) à er 65h53'41". 1 des "2e classe" : Joseph Pelletier (France) 64
Quelques évènements de l'année 1922 - Élection du pape Pie XI. - Conférence de Cannes concernant le remboursement des dettes de guerre. - Marie Curie est élue à l'Académie de médecine. - Le dirigeable américain Roma explose en vol. 43 morts. - La Grande-Bretagne renonce à son protectorat sur l'Egypte. - Le sultan Fouad est couronné roi d'Egypte. - Joseph Staline devient secrétaire général du parti communiste russe. - Conférence économique mondiale à Gênes. - 36 mort dans la collision de deux trains de pèlerins en direction de Lourdes. - Ouverture du Cover Garden, le plus grand dancing du monde. - Le cuirassé France coule en rade de Quiberon. - Inflation galopante en Allemagne. - Le Roi de Grèce abdique. - Le Britannique Howard Carter découvre la tombe deToutânkhamon à Louxor. - Albert Einstein reçoit le prix Nobel de Physique. - Exposition à Berlin des peintres constructivistes russes. - Premières émissions de T.S.F de la station Radiola, à Paris. - Création de la B.B.C en Grande-Bretagne. - Naissance de l'U.R.S.S. - Dans les salles de cinéma: "La femme de nulle part", de Louis Delluc, "Docteur Mabuse" de Fritz Lang, "Folies de femmes" d'Eric Von Stroheim, "Nanouk l'Esquimau" de Robert Flaherty, "Nosferatu le vampire" de Friedrich Murnau - Dans les librairies: "La Garçonne", de Victor Margueritte, "Ulysse", de James Joyce. "Les Thibault", de Roger Martin du Gard, "Babitt", de Sinclair Lewis - Décès de : Henri Bataille, poète français, Paul Deschanel, homme politique français, Jules Guesde, écrivain et homme politique français, Alexandre Graham Bell, inventeur britannique du téléphone, Georges Sorel, sociologue français et théoricien du socialisme, Marcel Proust, écrivain français. Pape Benoît XV (Giacomo Della Chiesa) -Naissances de : André Bergeron, syndicaliste français, Jean-Marie Domenach, philosophe français, Frédéric Rossif, cinéaste français, Yitzhak Rabin général et homme politique israélien, Pier Paolo Pasolini et Francesco Rosi, cinéastes italiens, Armand Jammot, producteur de télévision français, Sophie Desmarets, Martine Carol, Micheline Presles, comédiennes françaises, Antoine Blondin, romancier et journaliste français, Yannis Xenakis, compositeur grec, Serge Régianni, comédien et chanteur français, Michel Poniatowski, homme politique français, Enrico Berlinguer, homme politique italien, Alain Resnais, cinéaste français, Judy Garland, comédienne et chanteuse américaine, Pierre Cardin, couturier français, Alain RobbeGrillet, écrivain français, Roland Dumas, homme politique français, Michel Auclair et Gérard Philipe, comédiens français, Marcel Mouloudji, chanteur et comédien français, Emil Zatopek, athlète tchèque, Raymond Devos, comique belge, Maria Casarès, comédienne espagnole, Christian Dotremont, peintre belge, Micheline Ostermeyer, athlète française 65
1923 17e Tour de France. Du 24 juin au 22 juillet 1923
Sombres présages L'année commence par l'occupation de la Ruhr, région industrielle d'Allemagne, par les troupes françaises et belges, en vertu du traité de Versailles que les Allemands, économiquement étouffés, ne parviennent pas à respecter. Cet événement coïncide avec l'organisation du premier congrès national-socialiste, où claquent au vent les bannières à croix gammée brandies par les S.A d'Adolph Hitler. En juin, la faillite de l'économie allemande est consommée. Il faut 10 000 marks pour obtenir 1,60 franc. Des foules inquiètes se pressent devant la Reichsbank à Berlin. En août, il faudra un million de marks pour faire 2,10 francs! Les ferments de la deuxième guerre mondiale bouillonnent sans que personne n'y prenne garde. Les dictatures fleurissent un peu partout en Europe: Mussolini en Italie, Primo de Rivera en Espagne, Horthy en Hongrie, bientôt Hitler en Allemagne, Staline en U.R.S.S, Salazar au Portugal. Le temps des charlatans est venu. Il est illustré au théâtre des Champs-Élysées par Louis Jouvet, qui fait un triomphe dans "Docteur Knock" de Jules Romains, réflexion pertinente sur la crédulité humaine. Retour aux équipes de marques Toujours attentif aux faiblesses de son épreuve, Henri Desgrange procède à des modifications importantes de son fonctionnement. Bien que la course reste individuelle, il réintroduit modestement les équipes de marques, car seuls Peugeot-Wolber, AutomotoHutchinson et Claude Delage- W Russell présentent des équipes conséquentes. Les autres n'alignent que quelques concurrents. Quant au vétéran Paul Duboc, il sera l'unique représentant de l'équipe Allelluia-Mouette. Afin de donner du tonus à la course, Henri Desgrange institue pour la première fois une bonification de deux minutes pour les vainqueurs d'étapes. En outre, la mésaventure d'Heusghem lui a inspiré 67
une importante modification du règlement: il sera désormais possible, dans certaines conditions, de changer des pièces sur les machines. Les coureurs sont répartis en trois groupes: je catégorie, 2e catégorie, et touristes-routiers, nouvelle version des isolés d'avantguerre. Il y a de tout dans ceux-là, des bons, des moins bons, et une cohorte de concurrents sans qualification qui se lancent innocemment et sans assistance dans une aventure dont beaucoup ignorent l'essentiel. Un certain Ottavio Bottecchia Après deux ans d'absence, les Pélissier sont de retour, et ils sont là pour gagner la course. Ce que d'ailleurs, Henri ne manque pas de claironner aux journalistes qui l'interrogent. Les deux frères ont troqué la casaque verte à bande horizontale rouge de Maisonnas, le patron des cycles J.B Louvet, pour le maillot violine de la très forte équipe Automoto. Ils sont accompagnés d'Honoré Barthélemy, le rafistolé, et de trois coureurs belges de grande classe: Hector Heusghem, Victor Lenaers, et Lucien Buysse. Pour compléter son équipe, Montet, le patron d'Automoto, qui possède une succursale en Italie, veut des Italiens. Il choisit une vedette, Giovanni Brunero, vainqueur de deux Tours d'Italie et d'un Milan-San-Remo, et un second couteau, Giuseppe Santhia, qui a déjà couru le Tour en 1914 et 1922. Il en faut un troisième. C'est ainsi qu'Ottavio Bottecchia, recommandé par un journaliste italien et engagé in extremis par Automoto, débarque à Paris à la fin du mois de juin 1923, accompagné du seul Giuseppe Santhia, Brunero s'étant désisté. Bottecchia n'est plus un jeune homme - il va avoir 29 ans - et ses références sont modestes. Soutenu par Alfonso Piccin, un coureur de second plan qui lui sert de conseiller, il a obtenu une Seplace dans le Tour de Lombardie en 1922, année de ses tardifs débuts professionnels, une ge place dans Milan-San-Remo cette année, et surtout, une Se place dans le Tour d'Italie terminé quelques jours plus tôt, et qu'il a gagné dans la catégorie des isolés. Ce qui renseigne sur sa valeur. Mais seuls les connaisseurs savent, qu'une Seplace dans Le Giro sans 68
bénéficier de l'appui d'un constructeur est un exploit remarquable, même s'il n'est pas remarqué. Bottechia vient de San Martino di Colle Umberto, petit village du Frioul, une région pauvre de l'extrême nord-est de l'Italie, au pied des Dolomites, où il travaillait comme maçon, puis comme charretier, avant la guerre. Au moment du conflit, on l'avait versé dans le corps des fiers Bersagliers aux casques emplumés, responsables des transmissions à bicyclette. Il y était resté quatre ans. Probablement que ses va-et-vient sur les chemins du front austro-italien, chargé comme un mulet, lui donnèrent l'idée de participer à des courses cyclistes pour arrondir ses fins de mois. On dit d'ailleurs qu'il déteste la bicyclette et ne voit en elle qu'un moyen de gagner de l'argent. Quand il arrive à Paris, Bottecchia ne sait lire que depuis peu de temps, ne parle pas un mot de français, et sa mine est des plus pitoyables : "Un nez aux arêtes vives, écrit Pierre Chany, des oreilles en coupe-vent, une peau tannée comme un cuir de selle, des rides semblables à des cicatrices et une gaucherie de paysan pauvre. Il porte un costume fripé, sa casquette qui a traversé de nombreux orages et ses souliers sans âge n'ont plus de formesl." Avec sa tête de moineau tombé du nid, le pauvre Bottecchia inspire la pitié. Après hésitation, on lui confie tout de même un vélo. Excellente initiative, car cet homme-là, contre toute attente, va stupéfier son monde. Un domestique entreprenant Face à Automoto, Peugeot-Wolber présente une équipe redoutable : Firmin Lambot, vainqueur de deux Tours de France, Philippe Thys, qui en remporta trois, Robert Jacquinot, très brillant l'année précédente, Jean Alavoine, qui frôla la victoire en 1922, Romain Bellenger, Hector Tiberghien, Gaston Degy, Léon Despontin, Robert Reboul, Joseph Muller. Des baroudeurs qui savent ce que "Tour de France" veut dire. De son côté, La Française-Dunlop n'aligne que trois coureurs, mais quels coureurs! Léon Scieur, vainqueur du Tour précédent, Albert Dejonghe, qui triompha dans le Paris-Roubaix de 1922, et Jean Rossius, vainqueur de cinq étapes du Tour et porteur du maillot jaune en 1920. 69
Ce sont donc dans l'ensemble de beaux champions, bien qu'ils ne soient plus de la première jeunesse, qui s'apprêtent à en découdre dans ce 17eTour de France. Seul Christophe s'est désisté. À 38 ans, il estime que le temps de la retraite est venu. Il suivra le Tour, mais en troquant ses cuissards distendus et ses maillots poussiéreux pour un costume de sport à poches plaquées, un chapeau, une chemise blanche, et une cravate. Il semble un peu endimanché et un brin emprunté dans sa tenue bourgeoise, le Vieux Gaulois, mais ses activités industrielles l'obligent à cette concession: une marque de cycle porte son nom, et il est devenu fabricant de cale-pieds. Cri-Cri vient faire sur le Tour la promotion de sa production, carnet de commande dans sa sacoche en maroquin jaune et nostalgie sous son feutre gris. Henri Pélissier sait que s'il doit remporter le Tour, c'est maintenant ou jamais. Son début de saison a été modeste et sa fin de carrière se profile. Il a 34 ans, et ne pourra éternellement gaspiller ses chances de gagner pour le plaisir de contrarier Desgrange. Il sait aussi qu'il peut compter sur Le Grand, son frère Francis, Champion de France pour la deuxième fois. Le dévouement du cadet étant total, il est certain qu'il soutiendra son aîné jusqu'à l'épuisement s'il le faut, pour la plus grande gloire du nom des Pélissier. Il y a chez ces deux-là des ambitions dynastiques, qui perdureront grâce à Charles, le benjamin. Le tour démarre très mal pour les deux frères. Jacquinot gagne au Havre, comme l'année précédente. Francis est à huit minutes, Henri à treize minutes. La surprise s'appelle Bottecchia. L'Italien est second de l'étape et se permet le luxe de battre Bellenger, Tiberghien et Scieur, au sprint. Deux jours plus tard, il gagne à Cherbourg. Cette fois en battant Mottiat et Bellenger à l'issue d'un sprint qu'il lance à 1 200 mètres du but. En voyant la foule assemblée sur les trottoirs, et incapable de lire les banderoles écrites en français, l'Italien avait cru que l'arrivée se situait beaucoup plus près! Le Havre-Cherbourg est une étape redoutée pour l'état de ses routes. Rossius, Gerbaud et Barthélemy, l'éternel poissard, percent huit ou neuf fois. En panne de boyaux, ils s'arrêtent à Carentan chez un marchand de cycles pour se réapprovisionner. Ils posent leurs machines devant le magasin: "Sur ces entrefaites, un motocycliste en70
thousiaste arrive à toute allure, manque son virage et s'affale avec sa machine dans les trois bicyclettes. Il y a de gros dégâts, des fourches tordues, des roues cassées, des pédales démolies. Les trois coureurs durent tout réparer. Mais ils perdirent un temps précieux, et, à l'arrivée, Barthélemy, qui est un calme et qui en a vu de dures, pleurait à chaudes larmes2." Le lendemain, les trois hommes écœurés abandonneront avec 17 autres coureurs. À Cherbourg, Bottecchia endosse le maillot jaune. C'est la première fois qu'il est porté par un Italien. L'événement ne passe pas inaperçu dans l'Italie de Mussolini qui se félicite de l'exploit du sombre Ottavio. Il est bénéfique pour la propagande de l'état fasciste, bien que le champion italien proche des partis ouvriers soit anti-fasciste et qu'il n'en fasse pas mystère. Après la victoire de Bottecchia, les Pélissier sont mortifiés. Ils réagissent avec panache dans la 3e étape, Cherbourg-Brest, longue de 405 km, et gagnent détachés au vélodrome de Brest. Mais Bottecchia est là, tout près d'eux, à une poignée de secondes, et il conserve son maillot jaune. Dans Brest-Les Sables d'Olonne, Henri Pélissier perd un temps considérable. Il est de plus, pénalisé de deux minutes pour avoir jeté un boyau. Mais cet incident qui les années précédentes aurait suffi à provoquer son abandon ne le décourage pas puisque cette année il a décidé de gagner le Tour. Quant à Bottecchia, victime d'une crevaison, s'il cède son maillot jaune à Bellenger, il a cependant 26 minutes d'avance sur son chef de file. L'oisillon est devenu un aigle royal en quatre étapes. Machination? Pendant la journée de repos à Bayonne, Hector Heusghem qui se rase paisiblement dans sa chambre d'hôtel, entend à travers la mince cloison séparative une conversation qui attire son attention. Une voix affirme que Lambot et Scieur sont dangereux et qu'il faut les éliminer. Heusghem, le visage maculé de savon à barbe, bondit dans le couloir, mais les interlocuteurs se sont tus ou se sont éloignés. Le colosse belge les a-t-il identifiés? L'Histoire ne le prouve pas formellement 3. 71
Si l'on analyse la situation, on constate qu'à la veille de la grande étape pyrénéenne, Scieur, vainqueur en 1921, est 4e au classement général, et que Lambot, qui a gagné deux fois le Tour, est Se. Tous deux sont d'excellents grimpeurs et restent des vainqueurs possibles. Pour qui sont-ils dangereux? Pour Bellenger (1er) et Tiberghien (2e) ? Peut-être. Mais les deux hommes n'ont pas la stature de vainqueurs du Tour ni probablement l'ambition de vaincre. Pour Bottecchia ? Oui, sans doute, mais l'Italien ne parle pas un mot de français. La mystérieuse voix ne pouvait s'adresser à lui, elle pouvait encore moins être la sienne. Pour les Pélissier? Assurément. Francis est 5e à trois minutes de Scieur. Henri est ge, à huit minutes de Lambot et à vingt minutes de Scieur. À qui appartenaient les voix entendues par Heusghem ? À des soigneurs? À des dirigeants de maisons de cycles? À des coureurs ? Ces questions sont restées sans réponses. Personne ne fut formellement accusé et l'on ne put ou ne voulut jamais démontrer, qu'il y avait relation de cause à effet entre le conciliabule de Bayonne et les malheureux évènements de l'étape suivante. Le lendemain, les concurrents s'élancent en pleine nuit à l'assaut des cols de la terrible étape Bayonne-Luchon. Après 15 kilomètres de route, Firmin Lambot casse une manivelle. Il l'examine et constate qu'elle a été sciée4. Il retourne à Bayonne en pédalant d'une jambe, réveille le concessionnaire Peugeot, effectue la réparation et repart. "À l'arrivée, dira Lambot, j'ai constaté que j'avais fait l'étape dans le même temps que le premier. J'ai dépassé une quarantaine de coureurs avant de toucher Luchon. Je me suis aussi trompé de route, ce qui m'a valu la considération des suiveurs et de M Desgrange, mais aussi une amende de 50 francs5. " À Luchon, malgré ses efforts, Lambot a trois heures de retard sur le vainqueur. Tandis qu'il se débat avec ses problèmes de manivelle, son ami Léon Scieur grimpe le Tourmalet en bonne position. Un inconnu lui tend un bidon de café qu'il boit jusqu'à la dernière goutte. Il a tort. Il faudra bientôt l'hospitaliser à Lourdes où il restera huit jours. Il termine tout de même l'étape six minutes avant Lambot. Les deux hommes écœurés abandonnent lors de l'étape suivante: "Cela n'était plus du sport, confiera plus tard Léon Scieur. J'ai abandonné la carrière et comme j'avais monté un garage, je l'ai ex72
ploité consciencieusement6." Il reviendra cependant l'année suivante avec Lambot, et ils abandonneront tous les deux. Alavoine toujours Dans l'Aubisque, le Tourmalet et Aspin, Jacquinot fait cavalier seul. La chaleur est torride. Alavoine, Henri Pélissier et Bottecchia , souffrent loin du premier. Mais une défaillance terrible attend Jacquinot dans le col de Peyresourde. À proximité du sommet, le champion pris de fringale, à bout de forces, s'affale sur un talus où il reste longtemps prostré. Trop longtemps car, au détour d'un virage, il distingue une longue silhouette familière nimbée de la poussière de la route soulevée par les voitures suiveuses. C'est celle de Jean Alavoine, que Jacquinot salue élégamment en ôtant sa casquette d'un geste resté célèbre. Le champion vaincu conforte ce jour-là l'image chevaleresque, parfois réelle, du Tour de France. Une image qui masque les coups tordus et les sombres agissements qui lui sont indissociables. Ce qui n'enlève rien à la pertinence du geste de Jacquinot, reconnaissant que Jean Alavoine reste à trente-cinq ans l'incomparable roi des Pyrénées. Le Gars Jean arrive à Luchon seize minutes avant son ami et adversaire. "À l'heure ou je vous télégraphie, écrit le futur cinéaste Henri Decoin, reporter à L'Auto, Jean Alavoine, alors qu'arrivent encore Bellenger, Huot, Dhers etc, se promène devant l'hôtel Continental, rasé de frais et coiffé soigneusement comme un danseur argentin. " Ce n'est pas le rituel habituel des arrivées. Généralement, les coureurs de je classe sont pris en charge par leurs masseurs dès leur descente de selle, baignés et pansés comme des gosses turbulents au retour de l'école. Leur linge sale est confié à Mme Degy, la lingère du Tour, femme de Gaston Degy, un coureur de l'équipe Peugeot. Ensuite on leur donne un pyjama, et c'est dans cette tenue qu'ils se rendent en voiture à l'hôtel où ils prennent leur repas dans leur chambre, puis se font longuement masser tout en bavardant avec leurs soigneurs: "Ce que nous entendons de confidences au cours du Tour de France est inimaginable. Les espoirs, les découragements, les projets de vengeance, les projets d'avenir, nous connaissons tout et nous avons souvent besoin de donner du réconfort, de la consolation 7. " 73
À Luchon, Henri Pélissier est 4e de l'étape, à 23 minutes du premier, et Bottecchia 6e à 27 minutes, mais il reprend le maillot j aune. L'écart qui le sépare d'Alavoine est de 8' 28". Deux jours plus tard, dans Luchon-Perpignan, les frères Pélissier attaquent en force dans le Portet d'Aspet et le col de Port. Dans la descente, Lucien Buysse tombe exactement à l'endroit où Barthélemy avait fait une chute spectaculaire l'année précédente, et il percute la roue brisée clouée là en guise d'avertissement. Des spectateurs l'agrippent par son maillot et lui évitent une chute dramatique qui aurait pu lui coûter la vie. Henri Pélissier monte en tête le col de Puymorens, mais il est rejoint dans la descente par Bellenger, Tiberghien, Bottecchia, Collé, et Alavoine, qui gagne au sprint à Perpignan et grâce à la bonification ne se trouve plus qu'à 6' 28" de Bottecchia. Le Parisien, dans une forme éblouissante, se trouve à nouveau en position de gagner le Tour de France. Dans l'étape de Toulon, Lucien Buysse remis de ses émotions, s'échappe et prend seize minutes d'avance sur le peloton des favoris. Mais Henri Pélissier apparaît à la 3e place du classement général et Alavoine perd du terrain. À Nice, le Gars Jean gagne encore. Bottecchia est toujours maillot jaune. Alavoine est à douze minutes du premier. Quant à l'aîné des Pélissier, il a une demi-heure de retard. À la veille de l'ascension de l'Izoard il semble avoir perdu toute chance de gagner le Tour. Triomphe et tragédie Henri Pélissier qui a un peu forci ces dernières années, mérite toujours son surnom de La Ficelle, car il est né malin. Convaincu de sa supériorité il a mené jusque-là une course d'attente, mais alors qu'on espère Alavoine, c'est lui le bel Henri, magnifique d'aisance, qui franchit le premier le sommet de l'Izoard en suçant les pastilles contre la soif que lui fournit son entraîneur Henri Manchon, convaincu qu'il faut boire le moins possible en course. Alavoine est à la peine, Bottecchia davantage encore. L'Italien a eu l'imprudence de saisir un bidon tendu par un inconnu, comme Léon Scieur dans le Tourmalet. Il transpire, son souffle est court, ses jambes 74
sont lourdes, son teint cireux. À t-il été empoisonné? C'est possible, mais rien n'a été prouvé. Desgrange se contente d'attribuer sa défaillance à un changement de braquet inopportun. Bottecchia s'accroche, et parvient au sommet de l'Izoard bien après Alavoine qui a 25 minutes de retard sur l'intouchable Henri. Seul Lucien Buysse, merveilleux grimpeur et équipier de Pélissier, lui tient tête en ne perdant que trois minutes. Dans la descente, le malheureux Alavoine tombe lourdement. Son bras droit porte contre l'arête vive d'un rocher qui pénètre dans sa chair jusqu'à l'os. : "Étendu au bord de la route pierreuse, écrira plus tard Henri Manchon, couvert de sang, blessé en plusieurs endroits, désespéré, ne pouvant plus articuler un seul mot, il semblait près de lafin (...) Desgrange qui le suivait en voiture s'écria ''Ah / le malheureux /" et ferma les yeux8 ... " Le Gars Jean sanguinolent remonte en selle, et puisant en lui-même un courage inouï, termine l'étape en 5e position. À Briançon, il n'aura perdu que deux minutes supplémentaires sur Pélissier qui endosse le maillot jaune. Alavoine est second à Il' 25", Bottecchia est 3e à 13'16". Dans L'Auto, Desgrange oubliant sa rancœur vis-à-vis des Pélissier, manifeste son enthousiasme sans réserve. Beau joueur et coutumier des envolées lYriques, il compare la course du champion français à une œuvre de Racine! Malgré sa blessure, Alavoine veut continuer le surlendemain. Les exhortations de ses proches auront raison de sa volonté. Il ne repartira pas. Quelques jours plus tard, au Parc des Princes, il effectuera un tour d'honneur en costume de ville, sur une bicyclette d'emprunt, avec le bras en écharpe et sous les applaudissements d'une foule frémissante d'émotion. Il ne devait pas être le moins ému. Il reviendra encore deux fois dans le Tour, en 1924 et 1925, terminant respectivement 14e et 13e, en mettant un terme honorable à une carrière magnifique. Dans les Aravis et le Galibier, les frères Pélissier assomment leurs adversaires, et arrivent à Genève avec quatorze minutes d'avance sur Bottecchia. Cette fois la cause est entendue, et jusqu'à Paris, les exploits de Bellenger, de Muller et de Goethals ne changeront rien aux résultats. 75
Henri Pélissier remporte un triomphe au Parc des Princes en mettant fin à une série de sept victoires consécutives de la Belgique. Magnanime, le plus grand champion français désigne en Ottavio Bottecchia, inconnu un mois plus tôt, son digne successeur. On en oublie les incidents mystérieux dont furent victimes Scieur, Lambot et Bottecchia. Pierre Chany écrit avec humour dans La Fabuleuse histoire du Tour de France: "... ce fut du délire: tout le monde, il était beau; tout le monde, il était gentil; tout le monde, il était content! Et seuls les esprits mal tournés osaient évoquer l'incident dont Scieur avait été la victime, et peut-être Bottecchia avec lui9." C'est du délire en effet, et l'heure n'est pas aux évocations rncheuses. Les barrières du Parc des Princes s'effondrent pour laisser place au flot enthousiaste des admirateurs d'Henri, et de son fidèle écuyer. Ils sont reçus à l'Hôtel de Ville de Paris, où l'aîné des Pélissier reçoit une écharpe commémorative et une coupe en argent. En rentrant chez lui, le vainqueur grimpe deux à deux les marches qui mènent à son cinquième étage. Après cet ultime exploit, il déclarera superbement à un échotier: "C'est vous dire dans quelles dispositions physiques je me trouvais. J'aurais volontiers fait un match d'escalier avec n'importe qui1o." Et le journaliste, qui tient à donner à son article une conclusion exemplaire, souligne: "Pour être un grand sportif, de fortes qualités morales sont indispensables. Il faut vouloir. Il faut croire en soi et mettre tout en jeu pour prouver sa valeur11."
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En savoir plus: 1. Pierre Chany. "La Fabuleuse histoire du Tour de France" Editions Nathan 1991 2. Le Miroir des Sports n0157 du 5 juillet 1923 3. Bien que Pierre Chany dise que Heusghem a clairement identifié les comploteurs. 4. 5 et 6. "100 ans de cyclisme" par Abel Michea et Emile Besson. Éditions B. Arthaud 1969. 7. Le Miroir des Sports n0156 du 28 juin 1923 8. Henri Manchon, dans le numéro spécial d'avant Tour 1950 de But et Club 9. Pierre Chany. "La Fabuleuse histoire du Tour de France" Editions Nathan 1991 10 et Il. Le Miroir des Sports n° 161 du 2 août 1923
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Le Tour de France 1923 en un coup d'œil 17 édition du 24 juin au 22 juillet 1923 5 386 Kilomètres. 15 étapes. Départ d'Eaubonne, arrivée à Paris. 14 jours de repos.
Moyenne du vainqueur: 24,233 km/ho139 coureurs au départ dont 30 1e catégorie,
24 2e catégorie, et 85 touristes-Routiers. 48 rescapés dont 15 de le catégorie, 9 de 2e catégorie et 24 touristes routiers. 14 équipes de marques: Peugeot-Wolber, AlcyonDunlop, La Française-Dunlop, Griffon-Dunlop, Automoto-Hutchinson, ThomannDunlop, Armor-Dunlop, Lapize-Dunlop, Christophe-Hutchinson, LaborDunlop, Davy-Wolber, Claude Delage-W. Russell, Giraudeau-Menan, Pouchois, Alleluia-Mouette. Vainqueur: H. PELISSIER. Total des primes: 100 050 F. Bonification de 2 minutes aux vainqueurs d'étapes. Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Le Havre, 381 km : Robert Jacquinot. 2. Le Havre-Cherbourg, 371 km : Ottavio Bottecchia. 3. Cherbourg-Brest, 405 km : Hemi Pélissier. 4. Brest-Les Sables d'Olonne, 412 km : Albert Dejonghe. 5. Les Sables d'Olonne-Bayonne, 482 km : Robert Jacquinot. 6. Bayonne-Luchon, 326 km : Jean Alavoine. 7. LuchonPerpignan, 323 km : Jean Alavoine. 8. Perpignan-Toulon, 427 km: Lucien Buysse. 9. Toulon-Nice, 281 km : Jean Alavoine. 10. Nice-Briançon, 275 km : Hemi Pélissier. Il. Briançon-Genève, 260 km : Hemi Pélissier. 12. Genève-Strasbourg, 377 km : Joseph Muller. 13. Strasbourg-Metz, 300 km : Romain Bellenger. 14. MetzDunkerque, 433 km : Félix Goethals. 15. Dunkerque-Paris, 343 km : Félix Goethals. Les maillots jaunes Robert Jacquinot (1). Ottavio Bottecchia (6). Romain Bellenger (2). Hemi Pélissier (6). Classement général final 1. Hemi PELISSIER (Fra) en 222h15'30" 2. Ottavio Bottecchia (Ita) à 30'41" 3. Romain Bellenger (Fra) à 1h04'43" 4. Hector Tiberghien (Bel) à 1h29'16" 5. Arsène Alancourt (Fra) à 2h06'40" 6. Hemi Collé (Sui) à 2h28'43" 7. Léon Despontin (Bel) à 2h39'49" 8. Lucien Buysse (Bel) à 2h40'11" 9. Eugène Dhers (Fra) à 2h59'09" 10. Marcel Huot (Fra) à 3h16'56" Il. Joseph Muller (Fra) à 3h26'46" 12. Ottavio Pratesi (Ita) à 3h35'06" 13. Félix Goethals (Fra) à 4h21 '38" 14. Théophile Beeckman (Bel) à 5hOO'04" 15. Joseph Normand (Fra) à 5h09'59" 16. Gaston Degy (Bel) à 5h35'57" 17. Lucien Rich (Fra) à 6h35'06" 18. Paul Duboc (Fra) à 6h56'41" 19. Camille Botte (Bel) à 7h13'56" 20. Georges Cuvelier (Fra) à 7h30'47" 21. Benjamin Mortier (Bel) à 8h03'43" 22. Alfons Standaert (Bel) à 8h17'38" 23. Francis Pélissier (Fra) à 9h43'12" 24. Hemi Touzard (Fra) à 10hOO'00" 25. Robert Jacquinot (Fra) à 10h41'52" 26. Carlo Longoni (Ita) à 11hOO'47"27. Charles Parel (Sui) à 11h05'53" 28. Louis Mottiat (Bel) à 12h01'57" 29. Giovanni Rossignoli (Ita) à 13h18'28" 30. Pierre Hudsyn (Bel) à 17h20'20" 31. Edgard Roy (Fra) à 19hO1'46" 32. Antoine Riera (Fra) à 22h05'39" 33. Charles Cento (Fra) à 24h17'53" 34. Maurice Arnoult (Fra) à 25h32'25" 35. Charles Loew (Fra) à 32h27'02" 36. Paul Denis (Fra) à 78
33h38'43" 37. Félix Richard (Fra) à 33h42'23" 38. Henri Miège (Fra) à 34h01'56" 39. Jean Kienlen (Fra) à 35h07'38" 40. Giuseppe Ercolani (Ita) à 39h45'41" 41. Alfred Hersard (Fra) à 40h57'43" 42. Vincenzo Bianco (Ita) à 40h57'56" 43. Giuseppe Ruffoni (Ita) à 41h58'42" 44. Georges Kamm (Fra) à 42h18'20"45. Charles Arnulf (Fra) à 42h59'39" 46. Marcel Simonet (Fra) à 43h32'35" 47. Maurice Protin (Fra) à 44h53'46" 48. Daniel Masson (Fra) à 48h31 '07" er 1 des "2e catégorie"
: Henri Collé (Suisse)
1er des touristes-routiers: Ottavio Pratesi (Italie)
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Quelques évènements de l'année 1923 - Les Français et les Belges occupent la Ruhr. - L'aviateur Sadi Lecointe établit un record de vitesse en avion (348km/h). - Marius Plateau secrétaire de l'Action française est assassiné. - L'inflation atteint un niveau catastrophique en Allemagne. - Le naufrage du bateau portugais "Mossamedes" fait 237 morts. - Première course des 24 heures du Mans. - L'école d'architecture et d'art du Bauhaus s'installe à Weimar. - Calvin Coolidge devient Président des Etats-Unis. - 150 000 victimes à Tokyo et 150 000 à Yokohama dans un tremblement de terre. - Primo de Rivera instaure une dictature militaire en Espagne. - La république est proclamée en Turquie. - Putsch manqué à Munich. Hitler va en prison. Il y écrira "Mein Kampf' . - Attentat manqué contre Hiro-Hito, au Japon. - Enseignement obligatoire du latin et du grec dans certaines classes des lycées françaIs. - Premier journal radiophonique à la Tour Eiffel, animé par Georges Delamare. - Première exposition de Piet Mondrian à Paris. - Première apparition des mots croisés dans la presse française. - Création du premier Goulag en U.R.S.S. - Création d'Interpol. - Création de la fIrme Messerschmidt. - L'affaire Seznec (un coupable mais pas de cadavre) défraye la chronique. Seznec sera condamné au bagne à perpétuité. Un doute plane toujours sur sa culpabilité. - Dans les librairies: "Plain-chant", poème de Jean Cocteau, "Sur le fleuve de l'amour" de Joseph Delteil, "Vers l'architecture" de Le Corbusier, "Fervor de Buenos Aires" de Jorge Luis Borges, "Le Blé en herbe" de Colette. "Sonnets à Orphée" de Rainer Maria Rilke. - Dans les cinémas: "Les Dix commandements" de Cécil B De Mille, "La caravane vers l'Ouest" de James Cruze. - Au Théâtre: "Docteur Knock" de Jules Romains - Décès de : Katherine Mansfield, écrivain anglais, Pierre Loti, Maurice Barrès Raymond Radiguet, écrivains français, Sarah Bernhardt, tragédienne française, Gustave Eiffel, ingénieur français, Warren Gamatiel Harding, Président des EtatsUnis. - Naissances de : Jacqueline Maillan, Claude Piéplu, Sylvia Monfort, comédiens français, Norman Mailer, écrivain américain, Franco Zeffirelli, metteur en scène italien, Bernard Clavel, Robert Sabatier, écrivains français, Henri Kissinger, homme politique américain, Louis Rainier III Grimaldi, prince de Monaco, Claude Santelli, réalisateur français de télévision, Charles Hernu, homme politique français, Jean Prat, rugbyman français, Catherine Langeais, présentatrice française de télévision, Shimon Peres, homme d'état israëlien, Edouard Boubat, photographe français, Charlton Heston, acteur américain, Roy Lichtenstein, peintre américain, Morris, dessinateur belge, Léon Schwarzenberg, médecin français, Maria Callas, cantatrice italienne. 80
1924 1~ Tour de France. Du 22juin au 18juillet 1924 Le monde de Kafka Vladimir Illitch Oulianov, dit Lénine, meurt à l'âge de 54 ans, le 21 janvier à Gorki près de Moscou, "d'une sclérose au cerveau due à une activité intellectuelle trop intense ", dit le rapport médical dans cette inimitable langue de bois, dont les soviétiques ont le secret. Partout ailleurs, il ne s'agirait que d'une simple attaque cérébrale, dont ne sont pas exclusivement victimes les intellectuels bouillonnants. Président du Conseil des commissaires du peuple en 1917, pendant la révolution d'octobre, Lénine n'avait plus quitté le pouvoir depuis cette date. Après sa mort, Petrograd deviendra Leningrad, et Simbirsk la ville natale de l'inventeur de la dictature du prolétariat, moins connue sous le nom de dictature du parti, s'appellera désormais Oulianovsk. L'écrivain Tchèque Franz Kafka, qui meurt en juin près de Vienne dans un total anonymat, laisse une œuvre considérable, expression saisissante de son angoisse face à l'absurdité d'un monde de plus en plus mécanisé et bureaucratisé, dont le défunt Vladimir Illitch Oulianov fut justement un artisan actif. En France, un gouvernement en chasse un autre, sans que ces bouleversements modifient notablement la vie des Français. Raymond Poincaré, président du Conseil, se succède à lui-même puis passe la main à Edouard Herriot, qui quelques mois plus tard laissera la place à Paul Painlevé. Pendant ce temps, le président de la République, Alexandre Millerand, démissionne au bénéfice de Gaston Doumergue, et le cartel des gauches remplace la chambre Bleu horizon. En Italie, l'assassinat du député socialiste Giacomo Matteotti par les fascistes, provoque des remous considérables dans la classe politique italienne. Aux Etats-Unis, l'ancien Président Wilson, Prix Nobel de la paix, décède de la maladie qui frappa Lénine. Quelques jours plus tard, son pays se félicite de la première exécution par le gaz qui se81
rait "la façon la plus rapide et la plus humaine de tuer un être humain" . Cette méthode plus humaine sera adoptée par d'autres, un peu plus tard, et à grande échelle. Adolph Hitler, le putschiste, est condamné à cinq ans de forteresse. Comme cela se passe le 1er avril, le verdict pourrait passer pour une plaisanterie. C'en est une, car le futur dictateur sera libéré le 20 décembre. Entre-temps, il aura le loisir d'écrire "Mein Kampf', qui fera beaucoup de dégâts dans les esprits malléables. Les révoltés du Café de la Gare Cette année, le Tour de France doit faire face à la concurrence d'un évènement considérable: les Vme Jeux Olympiques, qui ont lieu à Paris, et qui sont inaugurés au stade de Colombes le 5 juillet sous une chaleur accablante. Le Finlandais Paavo Nurmi survole les épreuves d'athlétisme en remportant le 1 500 m, le 5 000 m, le cross individuel, le cross par équipes et le 3 000 m par équipes. En natation, l'Américain Johnny Weissmuller gagne le 100 m et le 400 m crawl. Dans quelques années, il sera l'inoubliable Tarzan du cinéma "sonore et parlant" . Le départ du Tour a lieu à Argenteuil, après un départ fictif un peu après minuit dans Luna-Park noir de monde. Les frères Pélissier, vedettes d'Automoto, sont présents en compagnie de la révélation du Tour 1923, Ottavio Bottecchia. La performance de l'Italien, inconnu un an plus tôt, a bouleversé sa vie. Le pauvre coureur du Frioul possède un pécule qu'il n'aurait jamais espéré l'année précédente. Son inattendue seconde place de 1923 lui a rapporté 150 000 francs, grâce aux contrats d'après Tour. Son nom est désormais sur toutes les lèvres, surtout en France, car en Italie il est à peu près inconnu, les plus célèbres coureurs de la péninsule étant Costente Girardango l, le premier campionissimo, et Giovanni Brunero, coureur de la Legnano présent cette année dans le Tour2. Derrière eux la relève est assurée, car un jeune Italien qui débuta sa carrière en France, commence à faire parler de lui en collectionnant les victoires. Il se nomme Alfredo Binda. Dès la première étape, Paris-Le Havre, Bottecchia démontre qu'il est là pour gagner le Tour de France. Il l'emporte au sprint au 82
Havre devant son équipier Maurice Ville, et empoche la bonification de trois minutes que Desgrange a décidé d'attribuer au vainqueur de chaque étape. Henri Pélissier, dont la fin de carrière se profile, sent-il que Bottecchia se situe au dessus du lot, et qu'en conséquence ses propres chances de gagner le Tour sont faibles? C'est possible. Une altercation avec Desgrange au départ de la 3e étape, Cherbourg-Brest, va lui donner une belle occasion de se défiler en provoquant un scandale sans précédent. IlIa saisira au vol. Le règlement interdit aux coureurs de jeter un accessoire pendant la course. L'article 48 du règlement est formel à ce sujet. Henri Pélissier a déjà été pénalisé pour s'être débarrassé de boyaux percés, ce qui lui a valu des démêlés avec le patron du Tour. Cette fois, c'est un vulgaire maillot qui va déclencher la tempête. Tout commence dans l'étape le Havre-Cherbourg. Au départ, Henri Pélissier porte deux maillots, comme à son habitude: un premier en soie et un second en laine, enfilé sur le premier, pour mieux résister au froid de la nuit, et dont il se débarrasse dès les premiers rayons du soleil. Au nom de l'équipe italienne, Ottavio Pratesi dénonce à Alphonse Baugé devenu collaborateur de Desgrange, ce qu'il considère comme une anomalie. L'heure est grave, car l'article 48 est manifestement bafoué! L'affaire vient aux oreilles du patron, qui décide illico que désormais les maillots, qui ne sont pas désignés dans l'article 48, ne devront plus être jetés, sous peine de sanction, tout comme le reste du matériel fourni par l'organisation. L'aîné des Pélissier n'est pas pour rien dans la rédaction de cet article 48, lui qui a l'habitude de se délester comme un ballon dirigeable à proximité des arrivées, afin de s'alléger pour les sprints. Avec Henri, les pompes, les bidons, les boyaux et les imperméables, valsent dans les fossés pour le bonheur des rares spectateurs ruraux, ce qui agace prodigieusement l'économe Desgrange3. Au départ de l'étape Cherbourg-Brest, qu'il remporta trois fois, Henri réclame au patron du Tour des explications sur cette grotesque tracasserie administrative. Il rappelle que ses maillots lui appartenant, il peut en faire ce qu'il veut. Desgrange le reconnaît volontiers et l'af83
faire pourrait en rester là, mais Henri ajoute qu'un commissaire est venu lui soulever son maillot pour contrôler qu'il n'en portait pas deux4. L'évocation de cet attouchement incongru avive la colère du champion qui déclare à Desgrange : "Puisque c'est comme ça, J'abandonne! " Néanmoins il prend le départ, mais à hauteur de Coutances, un peu avant Saint-Malo, ayant ressassé sa colère, il se laisse glisser en queue du peloton avec Francis, et leur équipier, le jeune et excellent Maurice Ville, 2e du classement général5. Les trois hommes s'arrêtent et s'installent au Café de la Gare de Coutances. Un abandon des Pélissier dans le Tour de France, c'est banal. Henri en est à son cinquième sur sept participations. On en parlerait dans les journaux et l'affaire serait rapidement oubliée. Sans doute. Mais un événement vient compliquer les choses: le journaliste Albert Londres a pris place dans la caravane des suiveurs6. Albert Londres et les forçats de la route Londres a 40 ans. Grand bourlingueur, ex-correspondant de guerre, ancien journaliste au Matin et à L'excelsior, il est depuis le début de l'année grand reporter au Petit Parisien. C'est le dramaturge du grand reportage. L'homme possède un style, de la conviction et beaucoup de talent. Ses articles engagés, notamment sur Cayenne et le Bataillon d'Afrique, font monter le tirage des journaux auxquels il collabore comme le mercure dans le thermomètre un jour de canicule. Il n'a pas son pareil pour s'insurger contre les souffrances des hommes, restituer un climat, relever le détail frappant, tracer à grands traits vigoureux des images saisissantes, donner du sens à l'événement le plus infime et en dégager toute l'humanité. Albert Londres aborde le Tour de France qui lui est totalement étranger, avec l'œil de Candide et muni de sa méthode personnelle d'approche de l'évènement. Et c'est tant mieux. Depuis le départ d'Argenteuil, il n'en finit plus de griffonner des notes sur les commissaires, les opérations de contrôle, le goudron que l'on commence à répandre sur les routes et qui brûle les yeux, sur les crevaisons des As et des humbles, de Texereau, de Tardenois, deux ténébreux dont personne ne parle, et qu'il nomme par leur numéro de dossard, faute de les connaî84
tree Plus tard, il dissertera sur la qualité de la poussière qui nimbe les routes, différente en goût et en consistance dans le Morbihan et le Finistère, sur l'œil de verre de Barthélemy, sur les talents oratoires d'Alavoine, qu'il verrait bien à l'Académie française. Les Pélissier et Maurice Ville, attablés devant leur chocolat chaud dans la salle du Café de la Gare de Coutances, seront une aubaine qu'il aura le talent de saisir, sans imaginer qu'il sera lui-même une bénédiction pour les deux frères. Londres s'approche d'une bande de gosses: "- Avez-vous vu les Pélissier? - Même que je les ai touchés, répond un morveux. - Tu sais où ils sont? - Au café de la Gare, tout le monde y est7. " Dans le café bondé de curieux avides d'apercevoir les héros insoumis, Henri se confie à Albert Londres. Ce qu'il dit sent le soufre et pourrait lui fermer définitivement les portes du Tour de France, mais il s'en moque, comme il s'en est toujours moqué. Il lui reste un an ou deux avant de raccrocher sa bécane, pas plus. Parce qu'il est riche et célèbre, il peut se permettre de dire ce qu'il pense. Mesure-t-il les conséquences que son coup de force pourrait avoir sur la carrière de son frère et sur celle de Maurice Ville? On pourrait en douter. Mais Henri est aussi autoritaire que Desgrange. S'il abandonne, Francis doit abandonner aussi. Et sans discussion. Quant à Ville, 2e au classement général, s'il justifie son abandon par un mal de genoux qui les transforme "en os de mort", on peut imaginer que la prédominance de son chef de file l'a quelque peu influencé dans sa décision8. L'aîné des Pélissier, qui a tout intérêt à justifier sa désertion, déballe son sac, fait le récit de son calvaire quotidien et de celui de ses compagnons, ponctué par les rires de "bon bébé" de Maurice Ville et les embrassades avec son frère ''par-dessus leur chocolat". Il raconte l'absurdité du règlement, la cocaïne pour les yeux, le chloroforme pour les gencives, les diarrhées, les insomnies, les évanouissements dans les baignoires, les ongles de pieds qui "meurent petit à petit à chaque étape", les chaussettes et les culottes qui ne résistent pas à l'usure et qui mettent leur chair à nu. Les trois hommes montrent les boîtes de 85
pilules qu'ils trimbalent dans leur musette, et qui inspirent à Francis
cet aveu laconique: "Bref, nous marchons à la dynamite". Henri révolté par l'attitude arbitraire des commissaires, lance superbement à l'intention de Desgrange : " Je m'appelle Pélissier et non Azor !... ". Et il termine sur une sentence qui reste d'une brûlante actualité: "Le sport devient fou furieux9 ... " Les deux Pélissier et Maurice Ville, plutôt satisfaits de leur prestation, sortent du Café de la Gare et posent complaisamment pour les photographes dans des postures de gladiateurs au repos, puis ils achètent des vêtements dans un magasin de confection, et rentrent à Paris par le train. L'article d'Albert Londres sur les ''forçats de la route" fit l'effet d'une bombe et eut un retentissement considérable. On peut imaginer qu'Henri Pélissier, vedette du cyclisme au compte en banque confortable, donc très privilégié par rapport aux touristes-routiers, ait un peu forcé le trait en ce qui le concerne et influencé Albert Londres en faisant vibrer la corde sensible. Il n'en reste pas moins que son témoignage s'il concernait davantage la plupart de ses compagnons de route que lui-même, était probablement proche de la vérité, et qu'il ne fut que partiellement atténué dans ses effets par la réponse cinglante d'Henri Desgrange dans L'Auto, qui visait à discréditer le champion. Ce qui est de bonne guerre. Emboîtant le pas à son patron, Louis Delblat tente d'étouffer l'incendie en écrivant dans L'Auto au lendemain du Tour: "Londres décrivit le Tour en profane. Il parla des forçats de la pédale, subissant en cela l'influence de reportages récents, jointe à celle d'Henri Pélissier qui n'a pas son pareil pour assommer une épreuve qu'il gagna l'an dernier. Il fut le chantre de l'effort sportif, mais il se trompa en prenant celui-ci pour de la douleur. Les articles de Londres sur le Tour de France furent de toute évidence préjudiciables à ce dernier. Ils soutinrent une thèse opposée à la nôtre. Londres vit de la souffrance partout, alors que nous vîmes de beaux efforts en différentes circonstances, de la promenade de cyclotourisme en d'autres. " Albert Londres écrivit plusieurs articles durant ce Tour de France, avant et après Coutances, qui dépeignaient dans une tonalité 86
analogue à celle du reportage sur les Pélissier, les dures conditions de vie des coureurs et la pénombre des coulisses de la plus grande course cycliste du monde. Sans doute parce que le grand journaliste eut, dès la première étape, son point de vue sur la question, et que le numéro très au point des Pélissier ne fit que l'étayer. Le travail du reporter du Petit Parisien reste donc, même s'il fut plus impressionniste qu'objectif, un témoignage sur le vif, précieux, sincère et indépendant, qui ne peut être assimilé dans sa globalité, malgré ce qui en a été dit et ce qu'on en dit encore, à la conséquence exclusive d'une perfide manipulation. Il tranche en tout cas avec les envolées ampoulées des journalistes de L'Auto, Desgrange en tête, qui ne pouvaient décemment prétendre à une approche plus incisive de la réalité. À Brest, 24 coureurs arrivent groupés sur le vélodrome du Kerbécam. Pour désigner le vainqueur, on procède comme s'en est devenu l'habitude, par élimination. À chaque tour, le dernier doit descendre de selle et c'est un speaker qui lui annonce qu'il est éliminé. Généralement, il n'entend rien et continue de foncer. "Il devenait très difficile de juger quel était le plus récent dernier parmi plusieurs autres derniers qui continuaient à tourner (...). Faites disputer deux séries et une finale, criait Alavoine. Comme ça, y'aura pas de gourance 10." La confusion est telle, que finalement les deux derniers en lice, Thys et Beeckman, sont déclarés ex œquo après bien des tergiversations. Beeckman est de surcroît premier ex œquo au classement général, avec Bottecchia. Un bel animal de race L'abandon d'Henri Pélissier, son principal rival, ne réjouit pas Ottavio Bottecchia. Non seulement il perd trois équipiers, mais les deux célèbres frères représentent son unique point de repère en France. L'Italien ne prononce que quelques mots de français, et ses compatriotes du Tour sont ses adversaires. Surtout le redoutable Giovanni Brunero, coureur de la Legnano-Hutchinson, qui possède, au contraire de Bottecchia, un très beau palmarès. Le dauphin du Tour 1923 ne pourra compter désormais que sur l'appui du Flamand Lucien Buysse, dont le vocabulaire français n'est pas plus riche que le sien, et qui est de surcroît un vainqueur potentiel. 87
Autant dire que l'ancien maçon du Frioul se sent terriblement isolé. À Bayonne, il est toujours maillot jaune, mais Scieur, Brunero et Tiberghien sont seconds ex œquo à trois minutes de lui. Les observateurs attendent donc avec impatience l'étape Bayonne-Luchon, car c'est là, que traditionnellement, le Tour se joue. La démonstration de l'Italien sera éblouissante. En tête dans les quatre grands cols, Aubisque, Tourmalet, Aspin et Peyresourde, qu'il monte en solitaire, il augmente progressivement son avance, et arrive à Luchon, comme Alavoine l'année précédente, avec seize minutes d'avance sur son équipier, le prodigieux grimpeur Lucien Buysse. "Il est tellement en avant, écrit Albert Londres avec humour, qu'on ne sait plus où il est (. ..) En passant, je regarde de temps en temps dans les ravins, mais il n y est pas non plusll. "
Mottiat est à 34 minutes, le Luxembourgeois Nicolas Frantz un nouveau venu, est à 36 minutes, et Brunero dérive à 48 minutes du vaInqueur. Bottecchia ne grimpe pas, il plane, et fend l'air de son nez acéré comme un bec de rapace. Desgrange, dans L'Auto, s'envole à son tour: "La victoire est venue, du doigt, toucher le front du jeune Bottecchial2. (...) Il faut avoir vu la facilité de son allure, l'unité de son style, la perfection de son abattage. Je ne l'ai pas vu une seule fois faire une danseuse. Il est parti comme un bel animal de race, dans la splendeur de sa forme, et il a été victorieux tout de suite." C'est une révélation pour lui-même et pour les autres: on le savait excellent, et on le découvre exceptionnel. Le Miroir des Sports publie une photo spectaculaire de cette étape décisive. Elle montre Bottecchia dans le Tourmalet, concentré et solitaire, gravissant l'immensité dénudée qui semble l'écraser. En bas de l'image à droite, sur la route qui serpente, un insecte minuscule presque imperceptible, rampe laborieusement. C'est le valeureux Lucien Buysse terrassé par le nouveau roi de la montagne. Ce jour-là, Barthélemy, Emile Masson, Scieur et Defraye, qui brillèrent jadis dans les Pyrénées, abandonnent anonymement. Scieur vainqueur en 1921, ne courra plus jamais le Tour, comme Defraye qui le courut à sept reprises et ne le termina qu'une fois, en 1912 année de sa victoire. 88
Bottecchia a maintenant une demi-heure d'avance au classement général sur Lucien Buysse, Frantz est à 42 minutes. Le lendemain à Perpignan, comme si sa démonstration de la veille était insuffisante, l'Italien gagne au sprint devant Thys et Alancourt et prend quelques minutes de plus à ses principaux adversaires. Il sait qu'il n'a rien à craindre du bienveillant Lucien Buysse, son équipier d'Automoto, mais Brunero et Frantz le menacent, et dans l'étape Nice-Briançon ils déclenchent une attaque et le lâchent sans coup férir. Dans Strasbourg-Metz, Bottecchia fait un écart pour éviter un chien distrait. Il s'affale sur la route. Frantz fonce sans hésitation. Bottecchia résiste. À l'arrivée, il n'a perdu que trois minutes sur le Luxembourgeois. Dans l'étape suivante, le valeureux Giovanni Brunero, 3e au classement général, est malade et contraint à l'abandon. La victoire est revenue au meilleur Au Parc des Princes, Bottecchia gagne au sprint et remporte sans discussion, tout au moins en apparence, son premier Tour de France. Après avoir porté le maillot jaune de bout en bout, il a 35 minutes d'avance sur Nicolas Frantz, coureur d'Alcyon et grande révélation de l'épreuve. Distancé de 50 minutes à Nice, le Luxembourgeois avait repris un quart d'heure au champion italien entre Nice et Paris. Lucien Buysse est 3e, et l'Italien de la Legnano, Bartolomeo Aimo, est 4e. Il rate la 3e place de 35 secondes13. Le lendemain de l'arrivée, Desgrange, dans L'Auto, distribue des lauriers à tout le monde et conclut: "Quoi qu'il en soit, la victoire est revenue au meilleur. " Au meilleur? Est-ce bien sûr? En 1929, Nicolas Frantz qui sera exclu du Tour suivant avec Dewaele, confiera au Miroir des Sports qu'il avait été en mesure de gagner le tour en 1924 : "Simplement, la direction de la course estima qu'il n'avait pas l'envergure, l'image publique nécessaire, pour fournir un vainqueur acceptable. On lui demanda donc de s'effacer et de calmer ses ardeurs. Ce qu'il aurait refusé bien sûr, si son employeur, le légendaire Baugé, ne lui avait pas fait entendre que s'il ne cédait 89
pas, il ne serait pas réembauché la saison suivante, ni par lui, ni par personne d'autre14 ! " Peu avant sa mort, Frantz confirmera ses dires et ajoutera: "Le pire, c'est que si j'avais gagné ce Tour, il est certain que je n'aurais plus couru en 1925. Il faut savoir le pouvoir qu'avaient les marques et les organisateurs à cette époque15. "
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En savoir plus: 1. Première grande star du cyclisme italien, Costente Girardengo (1893-1978), dont la carrière dura 24 ans, remporta entre autres courses: - 9 Championnats d'Italie sur route: 1913, 1914, et de 1919 à 1925 - 2 Tours d'Italie: 1919, 1923. - 6 Milan-San-Remo : 1918, 1921, 1923, 1925, 1926, 1928. - 3 Tours de Lombardie: 1919, 1921, 1922. - 30 étapes du Tour d'Italie. 2. Giovanni Brunero (1895-1934) remporta: - 1 Championnat d'Italie sur route amateur en 1919. - 1 Championnat d'Italie sur route des pros "Aspirants" en 1920. - 3 Tours d'Italie: 1921,1922,1926. - 2 Tours de Lombardie: 1923, 1924. - 1 Milan-San-Remo en 1922. - 8 étapes du Tour d'Italie. - 1 étape du Tour de France. 3. On retrouvera des traces de cette "chasse au gaspi" dans les contrats de 1930 entre les coureurs et le journal L'Auto, qui précisent: "il-le coureur - ne devra jeter aucun de ces 0bj ets sur la route, même au moment de l'effort final" . 4. Il s'agit d'André Trialoux, Commissaire Général du Tour de France, qui eut plus tard des démêlés avec son propre poulain, René Vietto. 5. Maurice Ville (1900-1982) était un coureur de valeur: il termina second des deux premières étapes du Tour de France 1924 et remporta le Tour de Catalogne en 1923, ainsi que le circuit du Cantal la même année. En 1924 il gagna le Tour du Vaucluse et termina 2e de Paris-Roubaix et du circuit des Aiglons. En 1927 il remporta Bruxelles-Paris. 6. Albert Londres (1884-1932) est un Pionnier du grand reportage. Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Au bagne" (1923), "Le Chemin de Buenos Aires" (1927) et "Pêcheurs de perles" (1931). Le 16 mai 1932 il est porté disparu à la suite de l'incendie, dans l'Océan Indien, du paquebot "Georges-Philippar", dans des circonstances non élucidées. Le prix "Albert Londres" qui récompense un ouvrage de journaliste est toujours attribué. 7. Albert Londres." Tour de France, tour de souffrance"Le serpent à plumes 1996. 8. Maurice Ville courut au moins jusqu'en 1927, mais on ne le vit plus jamais dans le Tour de France. Francis Pélissier courut jusqu'en 1932. On le verra encore dans le Tour de France, en 1925 avec Henri. Ils abandonneront tous les deux. En 1927, il remportera la première étape du Tour et portera le maillot jaune pendant 5 étapes avant d'abandonner pour cause de pleurésie. 9. Albert Londres." Tour de France, tour de souffrance"Le serpent à plumes 1996. 10. Le Miroir des Sports n0210 du 5 juillet 1924. Il. Albert Londres." Tour de France, tour de souffrance"Le serpent à plumes 1996 12. Le jeune Bottecchia va avoir 30 ans.
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13. Cette mésaventure lui arrivera deux fois encore: en 1925, l'écart entre Lucien Buysse (2e) et Aimo (3e) est de 2'17", en 1926 l'écart entre Frantz (2e) et Aimo (3e) est de 26 secondes. 14. et 15. Propos rapportés dans le numéro spécial du Miroir du cyclisme "Tour de France 1903-1987. Les Vainqueurs". 1988. La première révélation de Nicolas Frantz avait été publiée dans La galerie des champions n03 de juillet 1929. Éditions du Miroir des Sports. On est en droit de se demander s'il n'y eut pas de relation de cause à effet entre cette déclaration de Frantz et son éviction du Tour 1930. Frantz pensait peut-être que 2 victoires consécutives dans le Tour le mettaient à l'abri de représailles. Il aurait eu tort de le penser. En 1934, André Leducq, vainqueur en 1930 et 1932, ne fut pas sélectionné sur demande du patron d'Alcyon, et en 1938, Lapébie vainqueur en 1937, se vit refuser l'accès au Tour de France parce qu'il était en désaccord avec Desgrange.
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Le tour de France 1924 en un coup d'œil 1se édition du 22 juin au 18 juillet 1924 5 425 Kilomètres. 15 étapes. Départ d'Argenteuil, arrivée à Paris. 14 jours de repos.
Moyenne du vainqueur: 23,972 km/ho157 coureurs au départ dont 43 1e classe, Il
2e classe, et 103 touristes-Routiers. 60 rescapés dont 17 de 1e classe, 5 de 2e classe et 38 touristes-routiers. Vainqueur: O.BOTTECHIA. Total des primes: 100 050 F. Bonification de 3 minutes au vainqueur d'étape. Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Le Havre, 381 km. : Ottavio Bottecchia. 2. Le Havre-Cherbourg, 371 km. : Romain Bellenger. 3. Cherbourg-Brest, 405 km. : Theophile Beeckman et Philippe Thys. 4. Brest-Les Sables d'Olonne, 412 km. : Félix Goethals. 5. Les Sables d'Olonne-Bayonne, 482 km. : Orner Huyse. 6. Bayonne-Luchon, 326 km. : Ottavio Bottecchia. 7 Luchon-Perpignan, 323 km. : Ottavio Bottecchia. 8. PerpignanToulon, 427 km. : Louis Mottiat. 9. Toulon-Nice, 280 km. : Philippe Thys. 10. Nice-Briançon, 275 km. : Giovanni Brunero. Il. Briançon-Gex, 307 km. : Nicolas Frantz. 12. Gex-Strasbourg, 360 km. : Nicolas Frantz. 13 Strasbourg-Metz, 300 km. : Arsène Elancourt. 14. Metz-Dunkerque, 433 km. : Romain Bellenger. 15. Dunkerque- Paris/P arc des Princes, 343 km. : Ottavio Bottecchia. Les maillots jaunes Ottavio Bottecchia (15) Classement général final 1. Ottavio BOTTECCHIA (Ita) en 226h18'21" 2. Nicolas Frantz (Lux) à 35'36" 3. Lucien Buysse (Bel) à 1h32'13" 4. Bartolomeo Aimo (Ita) à 1h32'47" 5. Theophile Beeckman (Bel) à 2h11'12" 6. Joseph Muller (Fra) à 2h35'33" 7. Arsène Alancourt (Fra) à 2h41'31" 8. Romain Bellenger (Fra) à 2h51'09" 9. Orner Huyse (Bel) à 2h58'13" 10. Hector Tiberghien (Bel) à 3h05'04" Il. Philippe Thys (Bel) à 3h15'24" 12. Georges Cuvelier (Fra) à3h21'45" 13. Ermano Vallazza (Ita) à 3h48'24" 14. Jean Alavoine (Fra) à 3h55'45" 15. Gaston Degy (Fra) à 5h11'48" 16. Raymond Englebert (Bel) à 5h20'11" 17. Alfons Standaert (Bel) à 5h41 '48" 18. Louis Mottiat (Bel) à 5h54'19" 19. Ottavio Pratesi (Ita) à 6hOO'04"20. Lucien Rich (Fra) à 6h26'21" 21. Emile Hardy (Bel) à 6h43'13" 22. Henri Touzard (Fra) à 6h50'56" 23. Eugène Dhers (Fra) à 7h11 '37" 24. Henri Ferrara (Fra) à 7h44'31" 25. Félix Gothals (Fra) à 8hOO'04" 26. Maurice Amoult (Fra) à 12h29'46" 27. René Wendels (Bel) à 13h15'14" 28. Charles Parel (Sui) à 14h50'28" 29. Charles Cento (Fra) à 15h16'18" 30. Jaime Janer (Esp) à 15h24'08" 31. Giovanni Rossignoli (Ita) à 15h54'56" 32. Giuseppe Ruffoni (Ita) à 16h11'51" 33. Marie Aubry (Fra) à 16h52'38" 34. Enrico Sala (Ita) à 19h06'49" 35. Jean Martinet (Sui) à 19h11'39" 36. Luigi Vertemati (Ita) à 20h28'18"37. Antoine Riera (Fra) à 21h05'27" 38. Paul Denis (Fra) à 22h11'50" 39. Jean Garby (Fra) à 22h29'17" 40. Henri Catelan (Fra) à 22h29'21" 41. Angelo Erba (Ita) à 23h22'06" 42. Vicente Otero (Esp) à 24h06'31" 43. Robert Loret (Fra) à 27h28'50" 44. Henri Rubert (Fra) à 27h29'43" 45. Félix Richard (Fra) à 27h39'21" 46. Vincenzo Bianco (Ita) à 27h52'14" 47. Emmanuele Luigi (Ita) à 28h24'17" 48. 93
Maurice Protin (Bel) à 29h06'03" 49. Georges Kamm (Fra) à 29h08'30"50. Mose Arosio (Fra) à 29h48'55" 51. Lucien Prudhomme (Fra) à 30h37'47" 52. Augusto Rho (Ita) à 33h42'07" 53. Felice Di Gaetano (Ita) à 35h39'35" 54. Alfred Hersard (Fra) à 36h42'45" 55. Laurent Devalle (Fra) à 36h46'37" 56. Henri Miege (Fra) à 38hOl'35" 57. Adrien Toussaint (Fra) à 41h30'49" 58. François Chevalier (Fra) à 43h17'24" 59. Louis Millo (Fra) à 44h51'39" 60. Victor Lafosse (Fra) à 45h12'05" er 1 des "2e classe" : Orner Huyse (Belgique)
1er des touristes-routiers: Ottavio Pratesi (Italie)
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Quelques évènements de l'année 1924 - Décès de Lénine. Une troïka composée de Zinoviev, Kamenev et Staline prend le pouvoir en U.R.S.S. - Premières Olympiades d'Hiver à Chamonix. - L'Italien Pescara tient en l'air 10' 33" en hélicoptère. - Première exécution publique par le gaz aux Etats-Unis. - Première de la "Rhapsodie in blue" de Georges Gershwin à New-York. - Proclamation de la république en Grèce. - Démission du gouvernement Poincaré. - Reconstitution d'un gouvernement Poincaré. - Nouvelle démission du Gouvernement Poincaré. - Constitution du gouvernement d'Edouard Herriot. - Gaston Doumergue est élu président de la République. - Adolf Hitler est condamné à 5 ans de forteresse à Landsberg. - Le député Giacommo Matteotti est assassiné à Rome par les fascistes. - Victoire du Cartel des gauches aux élections législatives françaises. - Les thèses de Trosky sont condamnées au XIII congrès du parti communiste d'U.R.S.S. - L'Américain Osborne réussit un saut en hauteur de 2,03m (Record du monde). - Les VIlle Jeux Olympiques d'été à Paris sont marqués par les exploits du coureur de demi-fond fmlandais Paavo Nurmi. - Création des camps de vacances. - Expositions Rouault, à Paris, et Matisse à Copenhague. - Début de la croisière noire Citroën. - Adolph Hitler est libéré de prison en décembre. - Louis de Broglie présente à la Sorbonne sa thèse sur la théorie des quantum. - Découverte des vaccins contre la diphtérie et le Tétanos. - Les aviateurs Pelletier-Doisy et Besin réussissent un Raid Paris- Tokio. - Dans les librairies: "Le Manifeste du surréalisme" d'André Breton, "Le Libertinage" de Louis Aragon, "Les Olympiques" d'Hemy de Montherlant, "Le Bal du comte d'Orgel" de Raymond Radiguet, "La Montagne magique" de Thomas Mann - Au cinéma: "Entr'acte de René Clair", "L'inhumaine" de Marcel L'Herbier, "La Croisière du Navigator" de Buster Keaton, "Le voleur de Bagdad" de Raoul Walsh, le "Cheval de fer" de John Ford, "Les Rapaces" d'Eric Von Stroheim, - Décès de : Vladimir Illitch Oulianov, dit Lénine, homme d'état russe, Thomas Woodrow Wilson, homme d'état américain, Eléonora Duse tragédienne italienne, Franz Kafka, écrivain tchèque, Giacommo Matteotti, homme politique italien, Ferrucio Busoni pianiste et compositeur italo-allemand, Joseph Conrad, écrivain anglais, Anatole France, écrivain français, Gabriel Fauré compositeur français, Giacomo Puccini, compositeur italien. - Naissances de : Roland Petit, danseur et chorégraphe français, Jean-François Revel, journaliste et écrivain français, Jean-Jacques Servan-Schreiber, journaliste et homme politique français, Jacques Paoli, journaliste français, Claude Sautet, cinéaste français, Raymond barre, économiste et homme politique français, Zizi Jeanmaire, danseuse étoile et chanteuse française, Michel d'Ornano, homme politique 95
français, James Baldwin écrivain américain, Henri Krasucki syndicaliste français, Lauren Baccal, actrice américaine, Jean Le Poulain comédien et metteur en scène français, Jean Piat, comédien français, Jimmy Carter, homme d'état américain, Alain Bombard, scientifique français, Robert Frank, photographe américain, Marcello Mastroianni, comédien italien.
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1925 1ge Tour de France. Du 21 juin au 19 juillet 1925
Des années dites "folles" Sans qu'on y prenne garde, l'intrigue qui débouchera sur la seconde guerre mondiale se noue discrètement, masquée par la joyeuse apparence des années dites "folles". L'ex-aquarelliste Adolph Schikelgrüberl, plus connu sous le nom d'Adolph Hitler, reprend fiévreusement ses activités politiques. Dès sa sortie de la forteresse de Lamberg, en décembre 1924, il s'active à reconstituer le N.S.D.A.P, parti national-socialiste allemand des travailleurs dissous après son putsch manqué de Munich en 1923. En mai, il publie "Mein Kampf', et demande à Heinrich Hoffman de le photographier tandis qu'il mime l'un de ses discours diffusé par un gramophone disposé à proximité. À l'image du nazisme, les clichés d'Hoffman sont à la fois grotesques et terrifiants. Hitler devait penser de même, car il demanda au photographe de les détruire; ce dont l'artiste s'abstint. En Italie, le futur allié du dictateur allemand, Benito Mussolini, fait du mouvement fasciste un parti unique et obtient les pleins pouVOIrs. En octobre, la conférence de Locarno qui débouche, entre autres résolutions, sur la reconnaissance par l'Allemagne de ses nouvelles frontières issues du traité de Versailles et sur une promesse de paix durable entre les ex-belligérants, donne l'illusion à Aristide Briand que le premier pas vers des Etats-Unis d'Europe a été franchi. Il conclut: ". .. dites si un tel accord ne justifie pas les plus belles espérances de paix. " Aux Etats-Unis, le Ku Klux Klan, organisation raciste qui revendique cinq millions de membres encagoulés, tient les assises de son premier congrès à Washington. Son programme est simple: obtenir, par la terreur et le crime, l'abolition du statut de citoyen pour les "nègres" .
Les lynchages et les pendaisons de Noirs américains se multiplient. Billie Holidal rendra hommage plus tard, dans un blues poi97
gnant, aux ''fruits étranges", ses frères, qui se balancent et pourrissent sous les branches du Deep South. Malgré les menaces qui pèsent sur leur peuple, les Noirs tentent d'affirmer et de préserver leur identité culturelle. C'est une question de survie. Un cornettiste du nom de Louis Armstrong, venu de la Nouvelle-Orléans, grave les premières cires de son Hot jive. En octobre à Paris, La Revue Nègre révèle Joséphine Baker, une jeune danseuse aux trois quarts nue. Elle fait sensation. La revue est accompagnée par l'orchestre de Claude Hopkins qui compte dans ses rangs un saxophoniste soprano du nom de Sidney Bechet dont on parlera beaucoup, plus tard. La musique de jazz bouscule les conventions culturelles. Le jeune et turbulent écrivain André Breton aussi. Il a publié l'année précédente Le Manifeste du surréalisme, et reprit à son compte l'injonction de Rimbaud: "Ilfaut changer la vie". Vaste programme! En novembre, l'exposition surréaliste de la galerie Loeb, présentera des œuvres d'Hans Arp, Man Ray, Juan Miro, Pablo Picasso et Georgio De Chirico. Expression de l'air du temps, l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs qui se tient à Paris en avril, consacre les formes géométriques de L'Art déco qui relèguent au rayon des vieilleries les volutes et arabesques du Modern style. Piliers de l'avant-garde architecturale, Le Corbusier avec son pavillon de l'esprit nouveau, présenté à l'exposition, Mallet-Stevens, Tony Garnier, le soviétique Melnikov et l'Allemand Walter Gropius, qui s'apprête à installer son école d'architecture du Bauhaus à Dessau, s'affirment les chantres de l'architecture fonctionnelle. "Un déchaînement de forces vives remplit le monde" écrit Fernand Léger. Pendant que Berthe Sylva fait pleurer la France profonde, et aussi celle de la surface, en chantant "Les Roses blanches ", Paris explose, s'exhibe, chante, danse et se grime, dans les bals de la Bastille et à Montparnasse. On s'étourdit de champagne pour oublier le carnage qui rode dans les mémoires, tout en espérant exorciser le suivant. La provocation et le scandale font bon ménage sous les signes du sexe, de la drogue, et du charleston. Les lupanars de luxe reçoivent les 98
ministres et les célébrités du moment, pendant que la bourgeoisie du Paris snob côtoie la faune interlope des bouges à la mode. C'est une lubie de riches qui prendraient le métro par extravagance! Jean Cocteau, brillant ordonnateur des festivités mondaines, entraîne au Bœuf sur le toit, 28, rue Boissy d'Anglas, tous ceux qui comptent dans le Paris artistique des années 20, tandis qu'on se bouscule à la Rotonde où Picasso, Derain, Foujita et Chagall, sont rois. On y rencontre des répliques de garçonne plus vraies que celle de Victor Margueritte, dont le roman scandaleux traîne sur les tables de nuit des quartiers chics. Bouleversement Loin de ce bouillonnement qui leur échappe, les concurrents du 1ge Tour de France s'élancent du Vésinet, le dimanche 21 juin 1925. À défaut de révolution, Desgrange impose à son épreuve de profonds changements. Bien qu'il ne cesse jamais, en bon entrepreneur qu'il est, de vanter dans son journal et souvent au détriment de la vérité, les vertus et l'intérêt de sa création, il en est secrètement l'observateur incisif et le critique impitoyable. Le patron du Tour supprime les bonifications aux vainqueurs d'étapes, accordées dans les deux éditions précédentes. Il institue deux primes journalières de bonne conduite pour les coureurs combatifs, ajoute trois étapes aux quinze habituelles, rogne sur les kilométrages et supprime les jours de repos entre Cherbourg et Bayonne et entre Luchon et Toulon, afin d'opérer une sélection plus rigoureuse des concurrents. Les équipes de marques pour les coureurs dits groupés, qui existaient discrètement en 1924, sont remises en valeur. L'incident de Coutances3 incite le père du Tour à autoriser les coureurs groupés à se débarrasser de certains accessoires, à condition de les déposer dans les voitures de leurs constructeurs, mais le rejet sur la route ou dans les fossés reste interdit. D'autres libéralités sont admises: "Ils auront tous le droit de se rendre de menus services, pour ce qui est de la nourriture et des échanges d'accessoires4 ..." Mais la décision la plus importante concerne l'acceptation de la course d'équipe, avec échange de roues, attente des retardataires, ententes tactiques, etc. Ainsi, ce qui était couramment pratiqué parce 99
qu'inévitable, mais au mépris du règlement, devient légal en 1925. C'est la fin de l'hypocrisie. La course devrait y gagner en clarté et en vigueur. C'est du moins à espérer. Malgré leur coup d'éclat de l'année précédente, les frères Pélissier sont encore là. Il était difficile pour Desgrange de les exclure, étant donné leur considérable popularité. L'équipe Automoto comprend également le grand favori Bottecchia, Lucien et Jules Buysse, et Philippe Thys. C'est l'équipe la plus forte avec celle d'Alcyon, qui compte dans ses rangs le Belge Félix Sellier, vainqueur de ParisRoubaix, l'Italien Bartolomeo Aimo, les Belges Mottiat et Masson et le Luxembourgeois Nicolas Frantz. Après deux années de vie civile, l'infatigable quadragénaire Eugène Christophe qui ne supportait plus de voir le peloton s'en aller sans lui, reprend du service à la tête de l'équipe J.E Louvet-Pouchois, à forte majorité belge, alors qu'une autre équipe porte son nom. Quant à Jean Alavoine, il est l'unique concurrent de l'équipe Jean AlavoineDunlop, tandis que le borgne Honoré Barthélemy est relégué dans la catégorie des touristes-routiers5. Un Tour sans surprise Le début du Tour 1925 ressemble comme un frère à celui de 1924. Bottecchia gagne en solitaire au Havre, et Bellenger l'emporte pour la quatrième fois à Cherbourg. Mais à Brest, changement de scénario : le Belge Adelin Benoît endosse le maillot jaune6. Henri Pélissier, mal remis d'une chute dans le Circuit de Paris, abandonne entre Brest et Vannes, ce qui lui vaut les sarcasmes de Desgrange qui n'a pas digéré l'affaire de Coutances. C'est la dernière apparition du grand champion français dans le Tour? Un peu plus tard, Francis Pélissier privé de son frère, abandonnera dans la ge étape Luchon-Perpignan et recevra, par L'Auto interposée, une volée de bois vert de la part du patron du Tour. Desgrange, toujours friand de vocables à connotation militaire, n'hésitera pas à le traiter de déserteur. À Bordeaux, malgré la victoire de Bottecchia, le maillot jaune est toujours sur les épaules du Belge Adelin Benoît. Bottecchia gagne encore à Bayonne et reprend son bien, mais Benoît impérial dans le 100
col de Peyresourde, passe la ligne en vainqueur à Luchon, et relègue Bottecchia à sept minutes au classement général. Malheureusement, à 25 ans il est encore bien jeune pour un coureur du Tour, et il s'effondre dans Luchon-Perpignan, où Bottecchia, loyalement épaulé par un Lucien Buysse qui le ménage, s'installe définitivement à la première place du classement général. Il domine ses concurrents dans les cols des Ares, de Port, de Portet d'Aspet et de Puymorens, sous la pluie et la grêle. Cette année, Buysse qui connut bien des déboires dans Bayonne-Luchon, démontre plus que jamais sa très grande classe, en faisant jeu égal avec l'Italien et en se montrant même supérieur dans plusieurs circonstances. Mais la course d'équipe lui interdit toute velléité offensive vis-à-vis de son coéquipier. Il gagne à Toulon devant
Bottecchia, et à Nice où les deux hommes sont à nouveau 1er et 2e, mais sont pénalisés de dix minutes pour avoir oublié de signer au contrôle de Sospel8. Ensuite, l'étape Nice-Briançon, comme l'année précédente, ne réussit pas au maillot jaune dominé par son compatriote, le vieux Bartolomeo Aimo9. Quelques jours plus tôt, les tennismen français volaient la vedette sportive au Tour de France, en remportant sur l'herbe de Wimbledon et entre deux averses, le tournoi simple dames grâce à Suzanne Lenglen. La Française gagnait également le double-mixte avec Borotra et le double-dames avec l'Américaine Ryan, alors que Jean Borotra, dit Le Basque bondissant, et René Lacoste surnommé Le Crocodile, remportaient à l'arraché le double-messieurs, face aux Américains Hennessey et Casey. Les deux Français étaient également en finale du simple-messieurs remporté par Lacoste. Décidément, la France qui a trusté les titres au tournoi de Roland Garros, est bien la meilleure nation de tennis au monde, et personne ne pouvait penser qu'elle subirait une cuisante défaite face aux Américains, dans sa première finale de Coupe Davis, à Philadelphie, en septembre. Le Il juillet, dans l'étape Briançon-Evian, Bottecchia qui ne parvient pas à distancer Aimo et Lucien Buysse, gagne virtuellement le Tour de France. Ce jour-là, son plus dangereux adversaire, Nicolas Frantz, est malade et perd 38 minutes. D'Evian jusqu'à Paris, l'ancien maçon du Frioul ne sera plus menacé. 101
Le mystérieux Bottecchia Il est communément admis que pendant deux ans Bottecchia écrasa le Tour de France de sa supériorité. Or, en 1924, cette domination absolue, altérée par les pressions dont fut victime Nicolas Frantz, était discutable, et en 1925, le soutien inconditionnel de Lucien Buysse, qui se révéla aussi fort que Bottechia, ainsi que la neutralité bienveillante de son compatriote Bartolomeo Aimo, n'autorisaient pas à dire qu'il était intouchable. Ce qui n'enlève rien au fait qu'il était remarquable, et qu'il fut un beau et étonnant champion. Sa carrière aussi tardive que fulgurante, sa disparition tragique entourée de mystère, et ses opinions politiques qui le cataloguaient comme opposant déclaré au régime fasciste, firent de lui l'une des figures les plus marquantes du Tour de France de l'entre-deux-guerreslo. L'homme est taciturne et peu enclin à sacrifier aux exigences de sa gloire récente. À l'arrivée de l'étape Evian-Mulhouse, où il est attendu par des supporters italiens de Bâle, il boude les manifestations de sympathie de ses compatriotes, et accepte avec réticence la brassée de fleurs que lui tend une jeune italienne aux formes généreuses. On l'exhorte à embrasser l'admiratrice. Ille fait sans enthousiasme, devant les objectifs des photographes, et se rend à son hôtel droit comme un i, sans un regard pour le cadeau qu'on se proposait de lui offrir. Il s'agit il est vrai, d'un invraisemblable fanion en soie brodée sur hampe en fer forgé, décoré des armes de la couronne d'Italie et de la mention Circolo Ciclistico Italiano Bottecchia. Il est probable que l'Italien, eu égard à ses opinions, ne souhaitait pas être associé à cette image-là! Le Belge Hector MartinIl remporte trois des cinq dernières étapes, et à Paris, Ottavio Bottecchia achève son triomphe dans un Tour de France sans histoire en gagnant au sprint devant Romain Bellenger. En franchissant la ligne, Jean Alavoine fait ses adieux au Tour12, comme Philippe Thys13, Louis Mottiat14 et Eugène Christophe, qui malgré ses 40 ans, termine dix-huitième15. Quant au fantaisiste Georges Biscot, vêtu de la tunique jaune, il tourne - aux deux sens du terme - sur la piste du Parc des Princes, la dernière séquence en extérieur, des "Rois de la pédale If,film muet dont il est la vedette et dont le jeune Henri Decoin, héros de la guerre et journaliste à L'Auto, a écrit le scénario mis en scène par Maurice Champreux. 102
Avec la boxe, la bicyclette est le sport-roi. Il n'est donc pas étonnant que le cinéma lui consacre un film, et que la France fredonne avec Dranem16 le grand succès du moment, "Est-ce que je te demande si ta grand-mère fait du vélo?" L'interrogation perdure 79 ans plus tard, dans quelques conversations courantes! Pour les coureurs du Tour le travail continue. André Reuze, qui vient de publier son roman, "Tour de souffrance", détaille dans le Miroir des sports, le programme de Bottecchia : "Le mardi 21 juillet, Ottavio Bottecchia court à Milan; le jeudi suivant à Turin; le vendredi à Gênes; le dimanche à Trévise en matinée, et, le soir, en nocturne, à Padoue. Le lendemain lundi on le verra encore sur la piste de Padoue, le jeudi à Turin, le samedi et le dimanche à Paris, le lundi à Seraing en Belgique, le jeudi à Luxembourg. Et ainsi de suite, à raison de trois courses par semaine, en moyenne jusqu'à la fin de la saison. Ce n'est pas mal, mais que dire des deux Buysse et de Verdyck, qui s'étant reposés dans le train, la nuit du 19 juillet, couraient le lendemain même à Gand! " Bien qu'il célèbre dans son journal, le "transcendant intérêt" de ce 1ge Tour de France, Desgrange est amer. Mis à part Adelin Benoît qui ne tint pas la distance, et Nicolas Frantz malade au mauvais moment, Bottecchia n'eut pas d'adversaires, Buysse s'étant contenté de l'épauler, et Aimo de ne pas le contrarier au-delà du raisonnable. Malgré les efforts du patron du Tour pour rendre sa course plus claire, force est de constater qu'elle ne l'a guère été, et qu'elle s'est déroulée sous le signe des ententes entre firmes et de la bienveillance nationale entre coureurs de différentes marques. En outre, les étapes monotones que Desgrange espérait éviter, ont été aussi soporifiques que d'habitude. Il faudra donc trouver autre chose. Mais quoi? Le coq gaulois n'a pas de raison de se dresser sur ses ergots, car les Français n'ont guère été brillants. En revanche, les Italiens remportent un beau succès dans ce Tour de France, en plaçant trois hommes dans les dix premiers. Une semaine plus tard, le 26 juillet, leur bonheur sportif sera altéré par la mort de leur compatriote, le grand pilote italien, Antonio Ascari. Père d'un petit Alberto 17 qui fera beaucoup parler de lui plus tard, il se tue sur le circuit de Linas-Montlhery. 103
En savoir plus: 1. Dans un Article intitulé" Trois raisons de la déraison" publié dans "Le Monde" le 24 avril 2002, Olivier Duhamel écrivait: "L'historien Ian Kershaw rappelle que le père d' Hitler s'appelait Schickelgrüber. Et que s'il n'avait changé son nom, le cours de l'Histoire eût été différent. Impossible d'enflammer les masses en hurlant "Heil Schickelgrüber." 2. Billie Holiday (1913-1959), la plus célèbre des chanteuses de jazz, fut également la plus émouvante d'entre-elles. Elle sut transformer ses faiblesses vocales en atouts et fut l'une des figures les plus marquantes de la période du Middle Jazz. Elle mena une existence dramatique marquée par la drogue et l'alcool. Un agent de la brigade des stupéfiants vint l'inculper sur son lit de mort. 3. Voir l'année 1924. 4. Pierre Chany " La Fabuleuse histoire du Tour de France" Editions Nathan 1991 5. Si Honoré Barthélemy fut "Le Borgne" du Tour de France, la grande épreuve connut un sourd dans les années 30. Il s'appelait Aureille. Ça ne s'invente pas! 6. Adelin Benoît (1900-1954) participa 4 fois au Tour de France et le termina 2 fois, en 1925 (12e) et en 1927 (Se).!l gagna 4 étapes et remporta Bordeaux-Paris en 1926. 7. Henri Pélissier (1889-1935) abandonna la compétition un an plus tard. Il possède l'un des plus beaux palmarès du cyclisme français: Paris-Le Havre, une étape du Tour de France des indépendants (1910). Tour de Lombardie, Milan-Turin, FirenzeTorino-Roma (1911). Milan-San Remo, 2 étapes du Tour de Belgique (1912). Tour de Lombardie (1913). 2e du Tour de France (1914). Trouville-Paris (1917). Championnat de France, Paris-Roubaix, Bordeaux-Paris, Circuit du Morvan, G.P de la Loire à Saint-Etienne (1919). Paris-Bruxelles, Tour de Lombardie, Paris-Metz, Petit Circuit des Champs de Bataille, G.P de la Loire à Saint-Etienne, G.P de l'Armistice, Challenge de Paris, course de côte du Mont Agel (1920). Paris-Roubaix, course de côte du Mont Agel (1921). Paris-Tours, Paris-Nancy, Circuit de Paris, course de côte du Mont Agel (1922). Tour de France (1923). Paris-Chauny, G.P Automoto à Rouen (1924), et dix étapes du Tour de France. Il participa huit fois à l'épreuve et ne la termina que deux fois. 8. Les opérations de contrôle et leurs bousculades, étaient prisées des spectateurs. Il existait des contrôles avec ravitaillement et sans ravitaillement. À chaque contrôle, les coureurs étaient tenus de descendre de selle et de jouer des coudes jusqu'aux registres posés sur une longue table. Il devaient repérer leur nom et signer en face de celui-ci. Certains coureurs pour éviter les pertes de temps, portaient sur la poitrine un crayon attaché avec une ficelle. Griller un contrôle équivalait à recevoir une lourde pénalité. 9. Bartolomeo Aimo (1889-1970) eut une carrière brève mais remarquable dans le Tour de France. Il participa 3 fois, la première à 35 ans. Il termina 4e en 1924 et 3e en 1925 et 1926, et gagna deux étapes (Nice-Briançon en 1925 et 1926). Il rata la 3e place du Tour 1924, et la deuxième place en 1925 et 1926 pour une poignée de secondes. 10. Ottavio Bottecchia (1894-1927) dut sa notoriété exclusivement au Tour de France. ( 2e en 1923, 1eren 1924, 1eren 1925), non classé en 1926 où il abandonna 104
victime du déluge de l'étape Bayonne-Luchon. En dehors du Tour de France, où il gagna 9 étapes en trois participations, on ne lui connaît que trois victoires notables: Le Tour de la Province de Milan (1924 et 1925) avec Girardengo, et les 6 heures de Buenos Aires (1925). Il. Hector Martin (1898-1972) participa 4 fois au Tour de France et termina 14e en 1925 et ge en 1927. Il remporta 5 étapes. Autres victoires: Bordeaux-Paris 1928, Bruxelles-Paris 1924, Paris-Menin 1924. 12. Coureur très populaire, Jean Alavoine (1888-1943) participa Il fois au Tour de France. Seule la malchance l'empêcha de gagner. Il fut 3e en 1909, 5e en 1912, 1ge en 1913, 3e en 1914, 2e en 1919, 2e en 1922, 14een 1924 et 13e en 1925. Il remporta 17 étapes. Autres victoires: 2 championnats de France (1909,1920), Grand Prix de l'Armistice 1919, Paris-Lyon (1922, 1923), et 3 étapes du Tour d'Italie en 1920, qu'il termina à la 3e place. 13. Philippe Thys (1890-1971) participa 10 fois au Tour de France et le gagna 3 fois (1913,1914,1920). Il remporta 13 étapes, et termina 6e en 1912, 14e en 1922 et Il e en 1924. Sans la guerre, il aurait probablement compté 1 ou 2 succès de plus. Autres victoires: Paris-Tours 1917, Tour de Lombardie 1917, Critérium des As 1921, Paris-Menin 1914. 14. Louis Mottiat (1889-1972) participa 9 fois au Tour de France et le termina 4 fois. Il remporta 8 étapes, essentiellement en plaine. Autres victoires: BordeauxParis 1913, Liège-Bastogne-Liège 1921-1922, Paris-Bruxelles 1914, Paris-Tours 1924, Paris-Brest-Paris 1921, Tour de Belgique 1914,1920, Critérium des As 1920. 15. Eugène Christophe (1885-1970) aussi populaire et malchanceux qu'Alavoine participa à Il Tours de France, il remporta 3 étapes, et termina 2e en 1912, 3e en 1919, 7e en 1913, Il e en 1914, 8e en 1922, 18e en 1925. Il remporta Bordeaux-Paris (1920, 1921), Milan San-Remo en 1910 et Paris-Tours en 1920. Il fut, en outre, sept fois champion de France cyclo-pédestre (de 1909 à 1914 et en 1921). 16. Armand Ménard, dit Dranem (1869-1935) était un célèbre comique qui fit carrière au music-hall, au théâtre et au cinéma. On lui doit l'interprétation des immortels: "Elle avait une jambe de bois", "Les p'tits pois", "Pétronille, tu sens la menthe", "Le trou de mon quai" etc, etc.... 17. Alberto Ascari (1918-1955) fut champion du monde de formule 1 en 1952 et 1953. Il gagna 13 grands prix, et se tua au volant d'une Ferrari lors d'un essai sur le circuit de Monza, en Italie. Précision: Alfonso Piccin, conseiller de Bottecchia, était présent dans le Tour 1925 en tant que coureur de la firme Christophe-Hutchinson. Il récidiva en 1926 et en 1929
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Le Tour de France 1925 en un coup d'œil 1ge édition du 21 juin au 19 juillet 1925 5 430 Kilomètres. 18 étapes. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. 12 jours de repos (Une journée après chaque étape sauf à Brest, Vannes, les Sables d'Olonne, Bordeaux, Perpignan, Nîmes). Moyenne du vainqueur: 24,775 km/h. 130 coureurs au départ, dont 39 groupés et 91 touristes-Routiers. 49 rescapés dont 24 touristesroutiers à l'arrivée. 10 équipes de marques: Automoto-Hutchinson, JB LouvetPouchois, Alcyon-Dunlop, Labor-Dunlop, Thomann-Dunlop, Meteore-Wolber, Christophe-Hutchinson, Armor-Dunlop, J.Alavoine-Dunlop, Jean LouvetHutchinson Vainqueur: O. BOTTECHIA. Total des primes: 98 960 F. Suppression des bonifications aux vainqueurs d'étapes Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Le Havre, 340 km: Ottavio Bottecchia. 2. Le Havre-Cherbourg, 371 km: Romain Bellenger. 3. Cherbourg-Brest, 405 km : Louis Mottiat. 4 Brest-Vannes, 208 km : Nicolas Frantz. 5. Vannes-Les Sables d'Olonne, 204 km : Nicolas Frantz. 6. Les Sables d'Olonne-Bordeaux, 293 km : Ottavio Bottecchia. 7. Bordeaux-Bayonne, 189 km : Ottavio Bottecchia. 8. Bayonne-Luchon, 326 km : Adelin Benoit. 9. Luchon-Perpignan, 323 km : Nicolas Frantz. 10. Perpignan-Nîmes, 215 km : Theophile Beeckman. Il. Nîmes-Toulon, 215 km : Lucien Buysse. 12. Toulon-Nice, 280 km : Lucien Buysse. 13. Nice-Briançon, 275 km : Bartolomeo Aimo. 14. Briançon-Evian, 303 km : Hector Martin. 15. Evian-Mulhouse, 373 km. Nicolas Frantz. 16 Mulhouse-Metz, 334 km : Hector Martin 17. Metz-Dunkerque, 433 km : Hector Martin. 18. Dunkerque-Paris, 343 km. : Ottavio Bottecchia. Les maillots jaunes Ottavio Bottecchia (13). Adelin Benoît (5). Classement général final 1. Ottavio BOTTECCHIA (Ita) en 219h10'18" 2. Lucien Buysse (Bel) à 54'20" 3. Bartolomeo Aimo (Ita) à 56'37" 4. Nicolas Frantz (Lux) à 1h11'24" 5. Albert Dejonghe (Bel) à 1h27'42" 6.Théophile Beeckman (Bel) à 2h24'43" 7. Orner Huyse (Bel) à 2h33'38" 8. Auguste Verdyck (Bel) à 2h44'36" 9. Félix Sellier (Bel) à 2h45'59" 10. Federico Gay (Ita) à 4h06'03" Il. Romain Bellenger (Fra) à 4h26'10" 12. Adelin Benoit (Bel) à 4h37'14" 13. Jean Alavoine (Fra) à 4h39'48" 14. Hector Martin (Bel) à 4h48'44" 15. Jules Buysse (Bel) à 5h07'33" 16. Léon Despontin (Bel) à 5h28'07" 17. Emile Hardy (Bel) à 6h39'01" 18. Eugène Christophe (Fra) à 6h55'31" 19. Giovanni Rossignoli (Ita) à 7h18'13" 20. Raymond Englebert (Bel) à 7h30'06" 21. Michele Gordini (Ita) à 7h31'40" 22. Emile Masson sr (Bel) à 8h55'18" 23. Eugène Dhers (Fra) à 9h34'16" 24. Henri Touzard (Fra) à 9h38'06" 25. Alfonso Piccin (Ita) à 9h47'24" 26. Angelo Gremo (Ita) à 9h55'12" 27. Giovanni Canova (Fra) à 10h24'50" 28. Arturo Bresciani (Ita) à 10h38'43" 29. Charles Martinet (Sui) à 11h51'53" 30. Maurice Amoult (Fra) à 12h26'04" 31. Louis Mottiat (Bel) à 13h26'54" 32. Mose Arosio (Fra) à 15h23'17" 33. Umberto Berni (Ita) à 15h49'19" 106
34. Charles Roux (Fra) à 15h58'38" 35. Alfons Standaert (Bel) à 16h09'19" 36. Vincenzo Bianco (Ita) à 17h12'16" 37. Charles Loew (Fra) à 19hOO'10"38. Antoine Riera (Fra) à 19h07'32" 39. Henri Rubert (Fra) à 20h39'31" 40. Charles Krier (Lux) à 21h20'40" 41. Charles Cento (Fra) à 23h04'54" 42. Roger Lacolle (Fra) à 23h32'54" 43. Edouard Teisseire (Fra) à 25h22'18" 44. Henri Miège (Fra) à 25h50'56"45. Edouard Petre (Fra) à 27h13'41" 46. Lucien Prudhomme (Fra) à 27h17'45"47. Arthur Hendryckx (Bel) à 30h26'16" 48. François Chevalier (Fra) à 34h24'36" 49. Fernand Besnier (Fra) à 36h10'50" er 1 des touristes-routiers:
Léon Despontin (Belgique)
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Quelques évènements de l'année 1925 - Port Alexandre (Afrique de l'Ouest) est englouti sous les eaux. - En Italie, le parti fasciste devient parti unique, les pleins pouvoirs sont accordés à Mussolini. - Reconstitution du parti national-socialiste allemand. - Tchang Kai-chek devient chef du Kuomintang. - Un ouragan fait 8000 victimes aux USA. - Hindenburg est élu président du Reich. - Le gouvernement Herriot démissionne, il est remplacé par le gouvernement de Paul Painlevé. - Ouverture à Paris de l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs. - Des révoltes violentes en chine font 2000 morts.
- M. Berger secretaire administratif de l'Action Française est assassiné. - Charles Maurras est inculpé d'outrage à ministre. - Adolf Hitler publie "Mein Kampf" . - Les troupes françaises évacuent la Rhur. - Premier congrès du Ku Klux Klan, à Washington. - M. Painlevé se succède à lui-même. - M. Briand succède à M. Painlevé. - Les tennismen français perdent la Coupe Davis, après avoir triomphé à RolandGarros et à Wimbledon. - Suzanne Lenglen reste la meilleure joueuse de tennis du monde. - Conférence internationale de Locarno (Suisse). - Revue Nègre avec Joséphine Baker, au théâtre des Champs-Élysées. - Exposition surréaliste à Paris. - L'acteur de cinéma Max Linder tue sa jeune femme et se suicide. - Le pilote automobile Ascari se tue sur le circuit de Linas-MontWéry. - George Bernard Shaw reçoit le prix Nobel de littérature. - Reza Khan monte sur le trône de Perse. - Dans les librairies: "Les Faux-monnayeurs" d'André Gide, "Le Procès" de Franz Kafka. - Dans les cinémas: "La Veuve joyeuse" d'Eric Von Stroheim, "Le Cuirassé Potemkine" de Serge Eisenstein, "La Ruée vers l'or" de Charlie Chaplin. - Décès de : Aristide Bruant, poète et chansonnier français, Louis Feuillade, cinéaste français, Rudolf Steiner anthroposophe autrichien, Lucien Guitry, comédien français, Camille Flammarion, astronome français, Pierre Louys, poète et écrivain français, Robert de Flers, dramaturge français, Max Linder, comédien français, Félix Valloton, peintre français. - Naissances de : Yukio Mishima, écrivain japonais, Pierre Mondy, cinéaste et comédien français, Louison Bobet, vainqueur des Tours de France 1953,1954,1955, et Raphaël Géminiani, coureurs cyclistes français, Peter Brook, metteur en scène anglais, Pierre Boulez, chef d'orchestre et compositeur français, Malcolm Little dit Malcolm X, militant du mouvement noir américain, Otto Frei, architecte allemand, Jean Cau, écrivain et journaliste français, Jacques Delors, homme politique français, Alain Decaux, historien français, Ignace Heinrich, décathlonien français, Alain 108
Peyrefitte, homme politique et écrivain français, Darry Cowl et Michel Piccoli, comédiens français, MikisThéodorakis compositeur grec, Robert F Kennedy, homme politique américain, Henri Oreiller, skieur français, Pierre Bérégovoy, homme politique français, Hildegard Knef, comédienne allemande.
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1926 20e Tour de France. Du 20 juin au 26 juillet 1926 Le Tour le plus long La France est au bord de la faillite, et les Français impuissants assistent à la valse des ministères. Le 15 juin, le cabinet Briand a démissionné. Trois jours après le départ du Tour de France, Aristide Briand en constitue un nouveau. Il nomme ministre des Finances le scandaleux Joseph Caillaux, ancien président du Conseil, qui eut maille à partir avec la justice à la suite de malversations avérées. La veille de l'arrivée du Tour, ce nouveau cabinet est renversé et remplacé par le quatrième cabinet Poincaré d'Union Nationale. L'inflation est catastrophique et le franc au plus bas: il en faut 49 pour faire un dollar. C'est dans cette atmosphère maussade, que se déroule la 20e édition du Tour de France, le plus long jamais conçu et qui le restera: 5 745 kilomètres répartis en 17 étapes, dont certaines approchent ou dépassent les 400 kilomètres. Grande nouveauté, le départ a lieu à Evian, qui sera également ville-étape deux jours avant l'arrivée. Deux grandes enjambées rapprochent la capitale des Alpes. L'idée est d'en terminer au plus vite, pour éviter la routine des fins de Tour de France. Après la montagne, il ne s'y passe généralement rien. Le tracé épouse presque parfaitement le contour de la France, avec des étapes interminables, comme d'habitude. Pourtant, malgré la monotonie que ces longs parcours présagent, la grande épreuve démarre sur les chapeaux de roues. Jules Buysse porte le maillot jaune à l'issue des 375 kilomètres qui séparent Evian de Mulhouse. Son frère Lucien arrive 25 minutes après lui, et Bottecchia le grand favori, avec une demi-heure de retard. La première étape a pour fonction principale d'éliminer les présomptueux: quinze coureurs abandonnent, dont le premier participant japonais de l'histoire du Tour, Kisso Kawamuro, qui récidivera en 1927. Les étapes suivantes sont moins mouvementées que la première. Elles provoquent irrésistiblement les bâillements des suiveurs. 111
5 745 km de torpeur C'est une course qui roupille! C'est sûrement ce que Desgrange pense en arrivant à Bayonne. Et une course qui roupille, c'est dix mille, vingt mille, peut-être cinquante mille lecteurs de moins chaque jour pour L'Auto. Il ne décolère pas. Plutôt que cette promenade de père de famille qui lui fait honte, ce qu'il faut, ce qu'il veut, c'est du talent, du courage et de la sueur, de la souffrance et de la conviction. Ce qu'il exige, ce sont des péripéties, des rebondissements, des coups de théâtre, avant le dénouement de l'intrigue et l'apothéose du Parc des Princes, où le meilleur doit l'emporter, car c'est dans l'ordre de la justice sportive. La monotonie est la hantise de Desgrange et de son état-major. Ce qui explique les innovations, les changements de cap, les modifications incessantes du règlement du Tour de France, parfois heureuses, parfois mal venues, et les grandes décisions qui émaillent son histoire. Malheureusement, Henri Desgrange toujours sous l'emprise du fascinant exploit phénoménal hérité de Bamum, continue de penser que pour qu'elles soient spectaculaires et significatives, les étapes doivent être longues. Comme à l'époque de Garin. En réalité, ces arrivées groupées qui concluent 300 à 400 kilomètres de route, et qui nécessitent sur les vélodromes des courses de séries, des demi-finales et des finales, afin de départager les concurrents, démontrent exactement le contraire. Desgrange ne veut pas le savoir. Il voudrait exhorter ses coureurs à plus d'enthousiasme; tout en sachant qu'ils préfèrent somnoler dans les étapes-marathons en attendant les Pyrénées, plutôt que de puiser au tréfonds d'eux-mêmes l'énergie qu'il réclame pour la plus grande gloire du Tour de France et de lui-même. Somnoler, est-ce le mot juste? Marcel Bidot écrira plus tard: "Je sais quant à moi, que pour juger de la difficulté d'une épreuve, et j'en ai eu la confirmation depuis, il faut être dans le peloton. Les apparences sont souvent trompeuses, et, quand on croit qu'il ne se passe rien, il se passe tout de même quelque chose1. "La preuve en est, qu'au pied des Pyrénées, des cent-vingt-six coureurs présents au départ d'Evian, il n'en reste que soixante-seize, soit plus de cinq abandons en moyenne par étape. On est loin de la promenade de santé dénoncée 112
par la presse. Il n'empêche que l'épreuve manque de flamme, de vigueur, de suspense. Face aux difficultés, le bon sens tend à s'effacer devant l'irrationnel. Il n'y a donc plus qu'à se tourner vers le ciel, et espérer qu'un miracle sauvera de la grisaille ce Tour de France insipide, en lui offrant les saveurs épicées qui lui manquent. Le ciel répondra à ces pieuses attentes, et le miracle se produira entre Bayonne et Luchon. Un miracle qui prendra des allures d'apocalypse. En attendant, les lecteurs de L'Auto se passionnent pour les exploits des tennismen français qui détournent une fois de plus l'attention du public sportif. À Wimbledon, Borotra gagne le simple face à l'Américain Kinsey. Cochet et Brugnon remportent le double. De Bayonne à Luchon, 323 kilomètres de route attendent les coureurs, dont 200 en terrain moyennement accidenté, avec le col d'Osquich pour hors-d'œuvre. Après, il faut escalader l'Aubisque, puis l'énorme Tourmalet. Viendront ensuite, la descente sinueuse vers Sainte-Marie-de-Campan, l'ascension du col d'Aspin, et pour finir, celle du col de Peyresourde avant la longue descente sur Bagnères-deLuchon. Et le tout sur des routes juste bonnes pour les charrettes. Les hommes sont durs à la peine et habitués à affronter des étapes inhumaines, comme celle-ci, parfois par mauvais temps mais très rarement dans la tempête. Et c'est justement ce qui va se produire. Un Flamand bien tranquille À ce moment, le Belge Van Slembrouck détient le maillot jaune depuis sept étapes, et il aurait raison de s'admirer dans la glace de son hôtel à Bayonne en grillant une cigarette avant de monter sur sa machine. Car son maillot, il va le perdre, et ne le retrouvera pas. Orner Huyse, son compagnon de chambre, disait que pendant la nuit précédente, Van Slembrouck avait été victime d'hallucinations. D'ailleurs, Orner avait eu peur quand son équipier le réveilla en affirmant avoir vu une Sainte Vierge pas gentille du tout, et qu'elle lui avait annoncé qu'il perdrait son maillot jaune2. Des apparitions à Bayonne? Pourquoi pas? Lourdes est dans les parages après tout!
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Le départ a lieu à minuit sous une pluie battante. Marcel Bidot aperçoit quelques heureux journalistes écroulés de sommeil sur les banquettes de leurs voitures suiveuses. Illes envie. Parmi les hommes qui se présentent au contrôle de Bayonne, Lucien Buysse est sombre et silencieux3. La mort de l'aînée de ses cinq gosses, quinze jours avant le départ, lui a mis le moral à zéro. Ce Flandrien est un habitué. Il a couru son premier Tour de France en 1914, avec son frère aîné Marcel. Il avait 22 ans, aujourd'hui il en a 34, et ne peut s'empêcher de songer que s'il doit gagner le Tour, c'est maintenant ou jamais. Son début de course avait été catastrophique. Il souffrait des yeux et dut se cramponner fermement à son guidon pour ne pas abandonner. Mais maintenant ça va mieux, et même de mieux en mieux. D'autant, que la baisse de régime de Bottecchia, après deux années de domination, lui ouvre la perspective d'une victoire possible. Buysse est un homme des courses à étapes dont il a une longue expérience. Il reconnaît méticuleusement les parcours, soigne son matériel et l'adapte en fonction des difficultés à affronter. S'il n'obtient rien d'ébouriffant dans les classiques, qui avantagent les sprinters, en revanche il roule bien et il grimpe encore mieux. Le Tour de France est sa course et la montagne son domaine. D'ailleurs, depuis trois ans, il se classe régulièrement aux premières places. Cette année, il serait même l'un des principaux favoris, s'il n'était au service de Bottecchia, comme son cadet, Jules, qui endossa le premier maillot jaune de la famille à Mulhouse. Bayonne-Luchon convient parfaitement à Lucien. Il connaît le parcours sur le bout des pédales, et les conditions météorologiques sont idéales: pluie, vent, froid, brouillard, un vrai temps de Tour des Flandres. Apocalypse now Après 200 kilomètres de route dans la pénombre, les coureurs abordent les pentes de l'Aubisque alors que le jour se lève. Le ciel est sombre et la route boueuse. La pluie et le vent n'ont pas cessé depuis le départ. Au sommet du col, Lucien Buysse passe en tête, deux minutes avant Huyse et Dejonghe. Puis vient le Tourmalet. Malgré leurs capes imperméables, leurs chandails et leurs jambières, les coureurs sont pénétrés par le froid et la pluie violente. La 114
route est creusée d'ornières, aggravées par les voitures suiveuses qui patinent, s'enlisent, glissent dangereusement en bordure des ravins. Des spectateurs transis, agglutinés sur le bord de la route, aident à les désembourber. La boue s'incruste dans les pignons et les chaînes des vélos. Les coureurs descendent de machine pour les nettoyer, parfois en urinant dessus, et ne peuvent remonter en selle, tétanisés par la fatigue et le découragement. Le brouillard s'en mêle, on ne distingue rien à trois mètres devant soi, et quelques rares curieux voient surgir de la brume épaisse, en groupes disparates, des fantômes sombres aux regards hallucinés, poussant silencieusement leurs machines encrassées. Certains s'assoient sur le talus afin de reprendre leur souffle, dégouttants de pluie et de boue, vivantes statues de glaise immobiles dans la tourmente. Lucien Buysse a également mis pied à terre, un peu avant le sommet. Il y a un monde fou là-haut. Rien que des hommes emmitouflés, qui pataugent dans la boue liquide avec leurs bottines de ville, scrutant le brouillard pour y distinguer une ombre qui ressemblerait à un coureur. - En voilà un ! Oui, en effet, et c'est Buysse, sale, grimaçant, poussant péniblement sa bécane. Les hommes se pressent autour de lui, presque à le toucher, et l'accompagnent gravement sur un bout de chemin, les mains dans les poches, en marchant à pas comptés pour ne pas le dépasser. Buysse précède tous les autres coureurs, sauf un, Odile Tailleu, revenu du diable vauvert, et qui l'a doublé juste avant le sommet. C'est un humble celui-là, mais il caracole tout de même douze minutes devant Lucien au classement général. On est étonné de le trouver là, mais il faut se rendre à l'évidence: il y est. Et il grimpe bien l'animal! À ce moment, il al' 34" d'avance sur Buysse et, sans qu'il le sache, il détient virtuellement le maillot jaune. Buysse le rejoint dans la descente et le lâche dans Aspin, pour cause de colique: Tailleu s'est arrêté, erreur fatale, pour boire l'eau glacée d'un torrent. Buysse continue seul. Ses lunettes de motard maculées de boue sont devenues inutiles. Il les porte sur le front et s'essuie le visage avec la manche de son maillot. Il est tendu dans l'action, sûr de son 115
succès, magnifique et dérisoire dans son acharnement à gravir ces pentes monstrueuses; comme s'il voulait se venger des coups du sort, exorciser sa souffrance, vaincre à tout prix à Luchon, et offrir cette victoire, à titre posthume, à sa pauvre gamine qui n'aura rien connu de la vie. Après Peyresourde, dans la descente vers Luchon, il tombe des trombes d'eau. Les torrents inondent la vallée, l'orage gronde et déchire le ciel d'éclairs jaunes; jaunes comme le maillot de Van Slembrouck, qui d'ailleurs à cette heure, doit être noir de boue quelque part entre Aspin et Peyresourde. Malgré la pluie et les rafales de vent, en dépit des chutes et des crevaisons qui le guettent sur le chemin raviné, Buysse maintient son rythme sous le déluge. L'écart avec ses poursuivants se creuse. Mais s'agit-t-il encore de poursuivants? Probablement plus. Uniquement des pauvres types, épuisés, à la volonté tendue vers un seul objectif: terminer cette étape démentielle quel que soit leur classement. D'ailleurs, la plupart ne connaissent même plus leur position. Marcel Bidot a écrit: "Des vélos s'agglutinent aux portes des auberges. Je songe à m'arrêter le temps d'avaler une boisson chaude, mais je sais que si je m'arrête je ne repartirai pas. Alors je continue. De ma vie, je n'ai jamais autant souffert sur une bicyclette que ce jour-là. Je termine à Luchon en compagnie du touriste-routier Rossignoli. Notre retard sur Lucien Buysse atteint une heure et demie et nous sommes classés dans les vingt premiers4. " Les efforts de Rossignoli seront récompensés à Paris par une première place dans la catégorie des touristes-routiers. L'imbécile et invincible envie d'être "le premier" Buysse atteint les allées d'Etigny après plus de dix-sept heures de course. On imagine l'étonnement des rares témoins à la vision de cette apparition boueuse et pédalante ! Le Flamand a gagné le Tour en cent vingt-cinq kilomètres. Derrière lui c'est la débandade. Bottecchia épuisé a abandonné, comme Adelin Benoît, vainqueur à Luchon l'année précédente. L'Italien Aimo arrive 25 minutes après lui, Nicolas Frantz est à 42 minutes 116
du premier. Le maillot jaune Van Slembrouck, ne l'est plus: il a perdu presque deux heures dans la tourmente. La Sainte Vierge avait raison. En 1912, l'écrivain Colette qui avait suivi une étape du Tour de France, notait: " Il Y a en nous, et partout autour de nous, le goût démoniaque de la vitesse, l'imbécile et invincible envie d'être le premiers. " Jamais cette réflexion, qui ne pouvait être osée que par une femme, n'a connu de plus belle illustration que dans la folle étape Bayonne-Luchon du Tour 1926. Cinquante-quatre coureurs terminent la course. Les deux derniers, Tesi et Besnier, des touristes-routiers, arrivent alors que la nuit est tombée depuis longtemps, 5 heures et 35 minutes après le vainqueur. Ils seront restés 23 heures en selle... ou à proximité d'elle, puisque le bruit court que les onze derniers de l'étape ont pris un autocar sur une partie du parcours, tout en arrivant séparés à Luchon avec des écarts plausibles. Ses clients ayant oublié de le payer, le chauffeur du car est d'ailleurs venu se plaindre à Lucien Cazalis, directeur administratif du Tour! La facture est réglée, et il n'y aura pas de représailles. Combien d'autres sont montés dans des berlines afin d'alléger leurs souffrances6 ? La fatigue n'exclut pas l'humour. Le Belge Raymond Decorte, au faciès de ouistiti, épuisé et couvert de boue, descend de selle à Luchon et déclare dans un éclat de rire: "Eh bien, cette montagne on l'a eue. Tout va bien, la vie est belle! Ousqu'est la douche, que je ne perde pas tout de suite l'habitude de laflotte7 ! " Certains retardataires arrivent vêtus de frusques usagées prêtées par des paysans :" L'un deux, écrivit Gaston Bénac, témoin de l'aventure, s'était enroulé le corps dans une vieille jupe de femme; d'autres s'étaient coiffés de sacs et avaient recouvert leurs jambes de vieux pantalons de velours8 ... " Tard dans la nuit, comme des chasseurs en battue, les officiels rechercheront encore des coureurs égarés dans la montagne. Paul Duboc, le Normand, qui participa à son premier Tour de France en 1908, et qui frôla la victoire en 1911, termine l'étape à la 25e place. À Paris, il sera 27e au classement général, et 3e des touristes-routiers. Il a 42 ans9 ! 117
Le règlement prévoit que le temps d'arrivée des retardataires ne doit pas être supérieur de plus de 20 % à celui du vainqueur, sous peine d'élimination. Plusieurs coureurs sont concernés, mais Desgrange ému par leur calvaire décide de ramener la limite d'élimination à 40 %. Tesi, Besnier, qui fut la lanterne rouge du Tour précédent, et quelques autres, pourront donc repartir. Le lendemain, à Luchon, pendant la journée de repos, Marcel Bidot parcourt sa pile de journaux en retard de lecture, et apprend que dans Metz-Dunkerque, il n'a pas su souffrir et qu'il ne finira pas l'épreuvelO. Focalisé sur le Tour de France, il ne prend pas garde à un article de politique étrangère, qui relate le déroulement à Weimar, en Thuringe, du congrès du parti national-socialiste reconstitué après le putsch manqué de Munich. Il y apprendrait qu'un certain Adolph Hitler, instigateur du putsch, debout dans une berline décapotable, vient d'y passer en revue cinq mille hommes au bras tendu. Cet événement, en apparence anodin, annonce pourtant un cataclysme sur l'Europe, en regard duquel la tempête de Bayonne-Luchon n'est qu'une aimable giboulée. Confirmation L'abandon d'Ottavio Bottecchia libère Lucien Buysse. Lui, qui depuis 1923 a servi la soupe à ses chefs de file successifs, Pélissier et Bottecchia, mènera désormais sa course comme il l'entend. Déjà, dans l'édition précédente du Tour, certains pensaient qu'il avait rongé son frein en faveur du champion italien. Cette fois, plus rien ne le retient. Le lendemain de la journée de repos de Luchon, il lâche ses adversaires au col de Puymorens, et assure définitivement sa victoire en chargeant de dix-sept minutes supplémentaires la musette de Nicolas Frantz, son plus dangereux adversaire. Mais Frantz réagit dans Perpignan-Toulon et Toulon-Nice. Il reprend quelques minutes au Flamand, qui voit venir la grande étape des Alpes, Nice-Briançon, avec une certaine appréhension. À cette époque, avec de la malchance, on peut perdre une heure et même davantage en une seule étape. Buysse passe en tête au sommet du col d'Allos, mais dans la descente il casse ses deux freins, et dévale les cols de Vars et d'Izoard 118
à vingt à l'heure, en freinant avec ses pieds. À l'arrivée, il n'a plus de semelles à ses chaussures. Par bonheur pour lui, Nicolas Frantz, malade, essuie une défaillance terrible et ne peut faire mieux que de le suivre jusqu'à Briançon, alors que le vainqueur Bartolomeo Aimo, a franchi la ligne depuis 27 minutes. Entre Briançon et Evian, le Télégraphe, le Galibier et les Aravis, ne changeront rien à l'affaire. Le maillot jaune de Lucien Buysse est définitivement assuré. Ensuite, le peloton retrouvera sans complexes son allure paresseuse jusqu'à Paris, rallié seulement par 41 rescapés, à une moyenne inférieure à celle de 1903. Aimé Dossche gagne au Parc des Princes, et Bartholomeo Aimo, qui avait échappé à la surveillance de Nicolas Frantz, rate de 27 secondes la deuxième place du classement général, après 5 745 kilomètres de course! Retour à Wonterghem La Belgique célèbre la persévérance récompensée, et Lucien Buysse retrouve sa famille endeuillée et ses pigeons voyageurs, - il en possède deux cents - dans sa grande maison de Wonterghem, un village des Flandres orientales. Si l'on excepte les victoires d'étapes, ce Tour de France est son seul succès, après des années et des années de compétition, et des places d'honneur à foison. Mais quelle victoire ! Avec ses gains de vainqueur, il achète un hôtel à Watem et le baptise Hôtel de L'Aubisque, évidemment! En 1929, on le revoit à nouveau dans le Tour, où il passe en tête au sommet de. .. l'Aubisque, justement. Afin de rappeler ce qu'il fut et ne sera jamais plus, il s'offre à 37 ans, un somptueux chant du cygne en pulvérisant le record de l'ascension, avant d'abandonner le jour même. En 1930, il met définitivement pied à terre dans la prodigieuse étape Grenoble- Evian. Quatre ans après sa victoire, il n'est plus qu'un simple touriste-routier, anonyme parmi les anonymes, alors que Leducq et Guerra, éclatants de jeunesse, s'empoignent pour la victoire finale. Une photo montre Lucien Buysse, largement octogénaire, à Deinze dans les Flandres, deux ans avant sa mort. Fragile vieillard en 119
casquette, il pose devant la façade de la petite brasserie qu'il exploite désormais, en tenant fièrement devant lui sa bonne vieille bécane Automoto sans dérailleur, qui contribua à en faire l'irrésistible conquérant des Pyrénées, la locomotive des cimes. Pour un temps très court, celui qui s'écoule généralement entre le triomphe et l'oubli.
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En savoir plus: 1. Marcel Bidot. " L'épopée du Tour de France" Olivier Orban 1975. 2. Rapporté par Jean-Paul Ollivier dans "Maillot jaune" Sélection du Reader's Digest 1999. 3. Le patronyme officiel des Buysse était en réalité Buyze. Trois frères Buysse ont participé au Tour de France: - Marcel Buysse, 4e en 1912, 3e en 1913 (6 victoires d'étapes) 1914 : non classé. Vainqueur d'un Tour des Flandres (1914). - Lucien Buysse non classé en 1914, 1919, 1929, 1930, Se en 1923 (1 victoire d'étape) ; 3e en 1924, 2e en 1925 (2 victoires d'étapes) 1926 : vainqueur du Tour, (2 victoires d'étapes.) -Jules Buysse: 15e en 1925, ge en 1926 (1 victoire d'étape, maillot jaune), 40e en 1932. 4. Marcel Bidot. " L'Epopée du Tour de France" Olivier Orban 1975. 5. Colette. "La Fin d'un Tour de France", dans Le Matin du 2S juillet 1912. Cité par Serge Laget dans" la Saga du Tour de France". Découvertes Gallimard 1990. 6. Combien de coureurs classés n'utilisèrent pas un moyen motorisé pour rejoindre Luchon? André Chassaignon et André Poirier, dans" Le Tour de France ce passionnant fait-divers" (éditions Armand Fleury 1952), avancent le nombre de 5 (les 5 premiers). Si l'on prend pour vraie cette hypothèse, il aurait fallu logiquement éliminer pour fraude 49 concurrents, ce qui eut rendu impossible la poursuite de l'épreuve et expliquerait l'indulgence des officiels. Parmi les voyageurs de l'autocar, il y aurait eu le minuscule Benoît Faure, qui sera éblouissant en montagne dans plusieurs Tours de France, et notamment dans celui de 1930. 7. André Chassaignon et André Poirier dans "Le Tour de France ce passionnant faitdivers". Éditions Armand Fleury 1952. Decorte gagnera deux étapes dans le Tour en1927 et terminera Il e. S. Gaston Bénac. "Champions dans la coulisse" L'Actualité sportive. 1944. 9. Paul Duboc prendra encore le départ en 1927 (à l'âge de 43 ans) mais il abandonnera dans la première étape. Il participa 10 fois, gagna 5 étapes et fut 4e en 1909, et 2e en 1911, dans un Tour qu'il aurait dû remporter s'il n'avait été victime d'un empoisonnement. Il faisait partie des Il rescapés du Tour 1919 (Se), mais on l'avait déclassé pour aide illicite. Il gagna le Tour de Belgique en 1909. 10. Marcel Bidot, rescapé de l'étape Bayonne-Luchon, terminera, malgré les prévisions funestes d'un journaliste, 10e du Tour 1926 et 2e Français, derrière Georges Cuvelier qui sera un temps directeur technique de l'équipe de France, au milieu des années 30. Marcel Bidot, après son frère Jean, occupera ce poste dans les années 50 et emmènera Louison Bobet à la victoire. Dans le Tour 1926, Bidot après être passé en tête aux cols de Braus et de Castillon, et avoir frôlé la victoire d'étape à Nice, sera encore 3e dans la grande étape des Alpes entre Nice et Briançon et 3e dans l'étape finale, à Paris. Comme quoi, les grandes sentences prémonitoires...!
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Précisions: - En 1926, la mort du doux Victor Goddet, l'homme de l'ombre et le vrai patron de L'Auto, endeuille la rédaction du journal. Désormais Henri Desgrange, très affecté par cette disparition, sera assisté de Maurice Goddet, fils aîné de Victor, et de Jacques, son cadet. - Ce Tour le plus long fut également un des plus lents (24,065 km de moyenne) Et Buysse en était l'un des plus vieux vainqueurs (34 ans).
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Le Tour de France 1926 en un coup d'œil 20e édition du 20juin au 18juillet 1926 5 745 Kilomètres. 17 étapes. Départ d'Evian, arrivée à Paris. 12 jours de repos. Moyenne du vainqueur: 24,065 km/h. 126 coureurs au départ dont 82 touristesroutiers. 41 rescapés dont 14 touristes-routiers à l'arrivée. 9 équipes de marques :Automoto-Hutchinson, Christophe-Hutchinson, JB Louvet Wolber, AlcyonDunlop, Armor-Dunlop, Labor-Dunlop, Thomann-Dunlop, Meteore-Wolber, J. Louvet Hutchinson. Vainqueur: L.BUYSSE. Total des primes: 109 000 F Les étapes et les vainqueurs 1. Evian-Mulhouse, 373 km : Jules Buysse. 2. Mulhouse-Metz, 334 km : Aimé Dossche. 3. Metz-Dunkerque, 433 km : Gustave Van Slembrouck. 4. DunkerqueLe Havre, 361 km : Félix Sellier. 5. Le Havre-Cherbourg, 357 km : Adelin Benoît. 6. Cherbourg-Brest, 405 k. : Joseph Van Dam. 7. Brest-Les Sables d'Olonne, 412 km : Nicolas Frantz. 8. Les Sables d'Olonne-Bordeaux, 285 km : Joseph Van Dam. 9. Bordeaux-Bayonne, 189 km : Nicolas Frantz. 10. Bayonne-Luchon, 326 km : Lucien Buysse. Il. Luchon-Perpignan, 323 km : Lucien Buysse. 12. PerpignanToulon, 427 km : Nicolas Frantz. 13. Toulon-Nice, 280 km : Nicolas Frantz. 14. Nice-Briançon, 275 km : Bartolomeo Aimo. 15. Briançon-Evian, 303 km : Joseph Van Dam 16. Evian-Dijon, 321 km : Camille Van de Casteele. 17. Dijon-Paris, 341 km : Aimé Dossche. Les maillots jaunes Jules Buysse (2). Gustave Van Slembrouck (7). Lucien Buysse (8). Classement général final 1. Lucien BUYSSE (Bel) en 238h44'25" 2. Nicolas Frantz (Lux) à 1h22'25" 3. Bartolomeo Aimo (Ita) à 1h22'51" 4. Théophile Beeckman (Bel) à 1h43'54" 5. Félix Sellier (Bel) à 1h49'13" 6. Albert Dejonghe (Bel) à 1h56'15" 7. Léon Parmentier (Bel) à 2h09'20" 8. Georges Cuvelier (Fra) à 2h28'32" 9. Jules Buysse (Bel) à 2h37'03" 10. Marcel Bidot (Fra) à 2h53'54" Il. Odile Tailleu (Bel) à 3h09'08" 12. Joseph Van Dam (Bel) à 4hOO'35" 13. Orner Huyse (Bel) à 4h07'24"14. Camille Van de Casteele (Bel) à 4h28'19" 15. Aimé Dossche (Bel) à 5h23'19" 16. Émile Hardy (Bel) à 6h02'20" 17. Raymond Englebert (Bel) à 6h03'10" 18. Henri Colle (Bel) à 7h10'35" 19. Georges Detreille (Fra) à 7h48'17" 20. Orner Vermeulen (Bel) à 7h49'44" 21. Giovanni Rossignoli (Ita) à 8h23'29" 22. Alfons Standaert (Bel) à 9h37'02" 23. Benoît Faure (Fra) à 9h35'44" 24. Henri Touzard (Fra) à 9h36'34" 25. Léon Devos (Bel) à 10h05'23" 26. Jan Mertens (Bel) à 10h27'05" 27. Paul Duboc (Fra) à 10h30'47" 28. Louis Delannoy (Bel) à 10h41'09" 29. Eugène Dhers (Fra) à 11h26'16" 30. Carlo Longoni (Ita) à 11h50'56" 31. Charles Martinet (Sui) à 12h56'13" 32. Fernand Saive (Bel) à 13h59'59" 33. Maurice ArnouIt (Fra) à 14h24'52" 34. Henri Catelan (Fra) à 15h53'32" 35. Mose Arrosio (Fra) à 17h12'30" 36. Fernand Moulet (Fra) à 18hOO'43" 37. Alfred Francini (Ita) à 18h18'25" 38. 123
Édouard Teisseire (Fra) à 19h14'17" 39. Henri Ferrara (Fra) à 21hOO'22" 40. Jules Gillard (Sui) à 22h47'44" 41. André Drobecq (Fra) à 24h59'03" er 1 des touristes-routiers:
Giovanni Rossignoli
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(Italie)
Quelques évènements de l'année 1926 - Première proj ection de télévision à Londres. - Les Américains Byrd et Bennet survolent le pôle Nord en avion. - Au Maroc, fm de la guerre du Rif. L'EmirAbd et Krim est envoyéen exil. - En Italie, Mussolini rétablit la peine de mort. - L'Allemagne entre à la Société des Nations. - Renversement de la première République portugaise par un coup d'Etat militaire. - La vente des sucettes est interdite en France! - L'Américain Robert Hutchings Goddard réalise le premier lancement d'une fusée. - Le célèbre séducteur hollywoodien Rudolph Valentino meurt des suites d'une appendicite. Des femmes s'évanouissent lors de son enterrement, d'autres se suicident. - Léopold de Belgique épouse la princesse Astrid de Suède. - Le prix Nobel de la paix est attribué à Aristide Briand. - Hiro-Hito devient empereur du Japon. - Reza Pahlavi est couronné roi de Perse. - Le commandant Yves Le Prieur met au point un appareil respiratoire pour la plongée autonome. - En France, un décret instaure la fête des mères. - Le Norvégien E. Rotheim invente l'aérosol. - Découverte de la structure du noyau de l'atome. - Walter Gropius architecte d'avant-garde, construit le "Bauhaus" à Dessau. - Le film d'Eisenstein "Le Cuirassé Potemkine" est interdit à Paris. - Dans les cinémas: "Nana" de Jean Renoir, d'après le roman d'Emile Zola, "Le Mécano de la Générale" de Buster Keaton, "Ben Hur" de Fred Niblo, "Métropolis" de Fritz Lang, "Napoléon" d'Abel Gance - Dans les librairies: "Sous le soleil de Satan" de Georges Bernanos, "Le Serpent à plumes" de David Herbert Lawrence, "Les Sept Piliers de la sagesse" de Thomas Edward Lawrence, dit Lawrence d'Arabie, "Le Meurtre de Roger Ackroyd" d'Agatha Christie, "Les Faux-Monnayeurs" d'André Gide, "Moravagine" de Blaise Cendrars. - Décès de Rainer Maria Rilke, écrivain allemand, Claude Monet, peintre impressionniste français, Antonio Gaudi, architecte visionnaire espagnol, Emile Coué, pharmacien et psychologue français, inventeur de la célèbre méthode. - Naissances de : Valery Giscard d'Estaing, homme politique français, Miles Davis, trompettiste de jazz américain, Marilyn Monroe, actrice américaine, John Coltrane, saxophoniste de jazz américain, Klaus Kinski, acteur allemand, Siné, dessinateur satirique français, Monseigneur Lustiger archevêque de Paris.
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1927 21e Tour de France. Du 19 juin au 17 juillet 1927
L'Amérique est féerique Alors que les coureurs cyclistes cheminent à 30 kilomètres à l'heure, le monde vit plus que jamais à l'heure de la vitesse, et des grands exploits aériens et automobiles. En janvier, la France acclame ses aviateurs, Bernard et Bougault, qui ont relié Madagascar à la France en hydravion. En février, l'Anglais Campbell atteint 281,4 km à l'heure en automobile, record battu fin mars avec 327 km Ih. Partis de Paris le 7 mai, les aviateurs français Nungesser et Coli devaient rallier Paris à New-York sans escale. Persuadé du succès de l'entreprise, le journal La Presse annonce avec force détails, leur arrivée triomphale à New-York le 8 mai. Malheureusement, s'il est probable que Nungesser et Coli atteignirent les côtes américaines avec leur "Oiseau blanc", il est certain qu'ils n'arrivèrent jamais à NewYork, et La Presse ne se releva pas de sa supercherie. Douze jours plus tard, le 20 mai, un grand jeune homme aux allures d'étudiant monte dans la carlingue de son monoplan, le "Spirit of Saint-Louis", muni de cinq sandwichs, d'une bouteille d'eau et d'une bouteille de thé, pour tout viatique. L'avion muni d'un moteur en étoile de 220 CV, a été modifié pour permettre d'y intégrer un énorme réservoir d'essence qui ôte toute visibilité. Le jeune pilote, Charles Lindbergh, qui s'apprête à traverser l'Atlantique sans escale et en solitaire, sera donc contraint de piloter aux instruments. Personne ne croit en cette entreprise insensée. Pourtant, Lindbergh réussira l'inimaginable et se posera au Bourget, 33 heures et 29 minutes après son décollage, qui manqua d'ailleurs de tourner à la catastrophe pour cause de surpoids. Le pilote américain n'est pas attendu, mais au fur et à mesure de sa progression au-dessus de Terre-Neuve, puis de l'Irlande et enfin de Cherbourg, les dépêches s'entassent sur les bureaux des rédacteurs en chef, et l'arrivée de Lindbergh se répand comme une traînée de pou127
dre. De Paris et de ses environs, deux cent mille personnes se ruent vers le Bourget, à pied, en voiture, en moto, ou à bicyclette. Quand le "Spirit of Saint-Louis" se pose sur le sol français à 22 heures et 5 minutes, le 21 mai, une vague humaine envahit la piste, au point que le héros craint un instant que son avion soit détruit par tant d'exaltation. Il doit lui-même son salut à un jeune sous-lieutenant d'aviation, qui l'arrache à l'enthousiasme de la foule. C'est à cet instant qu'il réalise vraiment l'inattendu impact médiatique de sa performance. Son exploit, considérable pour l'époque, se révèlera comparable par son retentissement au premier pas sur la Lune de Neil Armstrong, le 21 juillet 1969. Deux semaines après Lindbergh, son compatriote Chamberlain réussissait la traversée New-York-Berlin en 43 heures, et la postérité ne retint pas son nom. Pas plus qu'elle ne retint les noms de John William Alcock et Arthur Brown, qui réussirent en 1919, le premier vol au-dessus de l'Atlantique, entre Terre-neuve et l'Irlande. Plus que jamais, l'Europe a les yeux fixés sur l'Amérique qui incarne une modernité et une prospérité qu'elle appelle de ses vœux. Une Amérique qu'elle imagine truffée de milliardaires, où tout est riche et gigantesque, où les immeubles sont les plus hauts du monde, où le territoire est immense et le parc automobile considérable. Il y a une automobile pour six habitants, douze fois plus qu'en France. Les immigrants de toute l'Europe s'y précipitent sur des bateaux bondés qui font la navette entre Le Havre et New-York, ou plus exactement entre Le Havre et Ellis Island, le dernier contrôle, l'ultime épreuve avant l'accession au paradis. L'Amérique est la terre promise, le modèle absolu, et Hollywood son ambassadeur culturel. L'an dernier on y a tourné Ben Hur, un péplum mouvementé et somptueux, avec Ramon Navarro en vedette, et cette année, en octobre, le Blanc Al Jolson grimé en Noir caricatural, prononce, en roulant les yeux dans "Le Chanteur de jazz", les premiers mots du cinématographe, qui va s'en trouver bouleversé. L'Europe s'esbaudit. Ce qui n'empêche pas l'esprit critique de s'exercer. De violentes échauffourées, orchestrées par le Parti Communiste, ont lieu à Paris en août, pour protester contre l'exécution des 128
anarchistes Sacco et Vanzetti, auteurs présumés d'un hold-up sanglant.
Ce qui ne fut jamais prouvé1. Mort d'un cycliste À la fin du printemps, une nouvelle terrible assomme le monde du sport. Le 3 juin, Ottavio Bottecchia héros des Tours de France 1924 et 1925, a été retrouvé sur une route de campagne, inanimé et blessé à la tête. Il meurt 12 jours plus tard à l'hôpital de Gemone, petite ville de l'extrême nord-est de l'Italie, sans avoir repris connaissance. Comme Bottecchia s'entraînait en prévision du Tour de France, on pensa à une insolation ou à une chute malencontreuse. Mais deux détails laissaient planer un doute sur ces hypothèses: la position du corps retrouvé de l'autre côté du fossé qui longeait la route, et le vélo qui se trouvait à une dizaine de mètres du champion italien. Il pouvait s'agir d'un coup des fascistes, qui ne portaient pas Bottecchia dans leur cœur, et qui l'avaient menacé à plusieurs reprises. L'étrange coïncidence de la mort du frère de Bottechia sur la même route, et dans des circonstances analogues deux ans auparavant, renforçait cette hypothèse. On pensa aussi à un règlement de compte de la maffia ou de quelque bookmaker. Finalement, l'enquête conclut à un accident, et l'on classa le dossier. La vérité, si tant est qu'elle soit vraiment connue, se révéla en deux fois. D'abord, par l'aveu d'un paysan sur son lit de mort, vingt ans plus tard, qui confessa au curé de son village qu'il avait tué à coups de bâton un cycliste, qui - en plein mois de juin! - grappillait du raisin dans sa vigne. Après la mort du paysan, le curé put enfin se délivrer du secret de la confession. Le dossier fut réouvert, et il semble que la police découvrit, qu'il s'agissait d'un drame de la jalousie, car le paysan connaissait parfaitement Bottechia, et il l'avait tué pour se venger de son infortune supposée: "Le crime crapuleux dans toute son horreur et dont le dossier initial ressorti des archives de la police et de la justice pour la contre-enquête, ne fit que démontrer ce que l'on pressentait déjà au moment des faits, à savoir qu'il avait été bâclé et qu'il contenait déjà tous les éléments qui, s'ils avaient été étudiés avec un 129
minimum de sérieux, n'auraient pas manqué de conduire à l'arrestation de l'assassin. Ce n'était pas parce qu'il était antifasciste que Bottecchia avait été tué mais c'est parce qu'il l'était qu'on n'avait guère fait de zèle pour savoir par qui il l'avait été2 ! " Le règne du chronomètre En s'appuyant sur l'expérience des Tours précédents, Desgrange modifie de manière importante son règlement. Il ne supportait plus les longues processions des étapes de plat, et le fait que son épreuve se jouait essentiellement dans les Pyrénées. Pour donner de la vigueur au Tour de France, il décide donc de scinder les étapes trop longues, et d'adopter le principe des départs séparés pour les étapes de plaine. Seize au total sur vingt-quatre3. Il s'agira de contre-la-montre par équipes, avec classement individuel, formule qui s'était révélée prometteuse en 1921, quand Desgrange agacé par les allures de gastéropode du peloton, avait tenté une expérience en ce sens dans Strasbourg-Metz. Les coureurs groupés s'élanceront par équipes de marques tous les quarts d'heure, et la cohorte des touristes-routiers partira en dernier. On reviendra aux départs en ligne uniquement dans les étapes de montagne et dans quelques étapes de plat. Le Tour de France se bureaucratise. Les coureurs remplissent des formulaires, doivent prouver qu'ils sont en règle avec leur fédération, reçoivent des étiquettes pour le retour des boyaux usagés, et doivent sacrifier à la cérémonie du poinçonnage de leur bécane dans la cour du journal L'Auto, comme aux temps héroïques. En outre, les touristes-routiers signent un contrat avec le responsable de leur catégone. Les équipes de marques sont au nombre de sept, en réalité elles ne sont que quatre, car Thomann, Armor et Labor sont des sousmarques d'Alcyon. Soit douze coureurs au total, parmi lesquels on compte Gaston Rebry, Julien Vervaecke, Marcel Bidot, Adelin Benoît, et un petit jeune du nom d'André Leducq, ex-Champion du Monde amateur sur route. Nicolas Frantz est le chef de file de cette belle formation. 130
Lucien Buysse est avec le défunt Bottecchia, le grand absent de ce Tour, puisque cette année, la firme Automoto qui remporta quatre fois l'épreuve d'affilée a décidé de ne pas participer en raison de la crise qui s'amorce. Face aux maillots bleu ciel d'Alcyon, Pierre Maisonnas patron des cycles J.B Louvet, aligne onze perroquets à casaques rouges et vertes, majoritairement belges, et Messieurs Chichery et Leblanc mettent en lice leur équipe Dilecta, aux maillots bleu et or, avec le grand Francis Pélissier à sa tête et les frères Le Drogo. Elle est totalement française, comme l'équipe Alleluia composée d'inconnus, parmi lesquels on va vite distinguer les frères Magne et Julien Moineau. La première étape très courte - Paris-Dieppe, 180 km - semble donner raison à Desgrange. Francis Pélissier, de l'équipe Dilecta, l'emporte à presque 31km/h de moyenne. Une vitesse qui, jointe à une invraisemblable série de crevaisons, provoque une hécatombe: 35 coureurs abandonnent, dont Odile Tailleu qui s'était distingué l'année précédente dans l'étape Bayonne-Luchon, ainsi que le largement quadragénaire Paul Duboc, et l'unique Japonais du peloton Kisso Kawamuro. Il y a cependant un problème: les spectateurs qui n'y comprennent rien, voient passer des groupes de coureurs portant des maillots identiques, accompagnés par d'autres coureurs concurrents, plus ou moins rapides, séparés de leurs équipes. On ne sait plus qui est premier ou dernier. Les vrais bénéficiaires de l'opération sont les équipes très fortes comme celle d'Alcyon... et les horlogers qui voient monter leurs ventes de chronomètres! D'ailleurs, Desgrange, qui doit commencer à penser que sa bonne idée n'en est pas forcément une, exhorte militairement les spectateurs à "s'armer de leur montre", pour tenter de donner du sens à cette joyeuse pagaille4 ! L'audace des obscurs Après la 5e étape, Francis Pélissier mal remis d'une pleurésie abandonne5, et Ferdinand le Drogo, qui le suit au classement général, endosse le maillot jaune à Brest pour l'équipe Dilecta. Mais le moins que l'on puisse dire, est que l'entente ne règne pas chez les bleu et or, 131
et ils abandonnent tous dans la ge étape, Les Sables d'OlonneBordeaux. Hector Martin, des cycles JB Louvet, qui avait pris le maillot jaune à Vannes, le garde jusqu'à Bayonne. C'est, comme d'habitude, entre Bayonne et Luchon que commencent les choses sérieuses. Les coureurs partent à minuit dans l'obscurité et sous la pluie. André Leducq, qui participe à son premier Tour de France, est parmi eux: ".. .comme les voitures roulaient derrière le peloton très étiré, leurs phares n'éclairaient plus les premiers. Les gars fonçaient dans les descentes et je suivais d'instinct, sans me poser de question. Chacun de nous était devenu une boule sombre dans laquelle on ne distinguait que les yeux, comme des yeux de chat. Les premiers spectateurs, nous les avons vus au petit matin et deux ou trois nous ont crié au passage: "il est passé depuis trois quarts d'heure6 ! " Il, c'est Michele Gordini, un touriste-routier italien de 31 ans, dossard 244, le dernier de la liste. Un colosse aux épaules de déménageur. Il s'était distingué en 1925 dans sa catégorie. C'est son 2e Tour de France. Personne ne l'a vu partir dans la nuit, à la sortie de Bayonne. Et maintenant, ce sacré Gordini qui fonce sans état d'âme, a virtuellement le maillot jaune sur les épaules. Malheureusement, dans la boue de l'Aubisque il a des ennuis avec sa chaîne et son pignon, et il perce plusieurs fois. Il doit descendre de selle, nettoyer sa chaîne, réparer, repartir, redescendre. Au sommet, il a encore dix minutes d'avance. Dans le Tourmalet, Nicolas Frantz le rejoint et le lâche. Gordini verra encore Adelin Benoît, Leducq et Dewaele le doubler et le distancer, mais il résistera suffisamment pour terminer Se à Luchon, à une demi-heure de Frantz. Le Luxembourgeois prend le maillot jaune que, sans la malchance et l'alerte de quelques spectateurs, Michele Gordini l'audacieux, aurait dû endosser ce soir-là. L'Italien aura tout de même la consolation de gagner l'étape dans sa catégorie. Par la suite, avant de retourner à son anonymat, il figurera à la Seplace de l'étape de montagne, Toulon-Nice. Il n'y aura guère d'autres surprises dans ce Tour de France dominé par l'équipe d'Alcyon et consorts, qui gagne onze étapes, et par celle de JB Louvet qui en remporte dix. Seul, l'exploit du touriste-routier 132
Suisse Charles Martinet dans l'étape Briançon-Evian, donnera un peu de piment à la deuxième partie d'une épreuve plutôt fade mais éprouvante, qui vit l'abandon de 84 des 105 touristes-routiers en lice. Dans le Galibier, qui n'est plus qu'une gigantesque masse de boue, il pleut tellement que Desgrange décide de neutraliser la course au sommet du col. Ce qui signifie, qu'après le regroupement des coureurs, on procède à un nouveau départ. C'est dommage pour Antonin Magne qui est arrivé en tête. Martinet, solide coursier de 33 ans, peut-être inspiré par la fugue de Gordini, n'attend pas le signal et dévale la pente boueuse en kamikaze. "Il était déjà remarquable, écrit Leducq, de garder son équilibre sur le vélo pendant une centaine de mètres. On essayait de retirer le plus gros de la boue entre la fourche et la roue avec un morceau de bois ou avec la main, ou bien on prenait son vélo sur l'épaule dans les passages les plus difficiles et l'on repartait? " Miraculeusement, Martinet arrive dans la vallée de la Maurienne sans embûche, grimpe le col des Aravis en solitaire, et fonce vers Evian. Malheureusement, à Thonon-les-Bains il est rejoint par le Flamand Pé Verhaegen, qui surgit du diable vauvert, et le lâche à l'entrée d'Evian. Fin de l'aventure. Nicolas Frantz perd 22 minutes, mais son avance est trop importante pour que la fugue de Martinet et de Verhaegen le mette en danger. Ce Tour de France consacre le talent du solide et discret Luxembourgeois, qui aligne de très bons résultats depuis trois ans8. Ce fils de riches fermiers, qui tient un petit commerce de cycles à Marner, est un bel athlète d'un mètre soixante dix-sept. Il roule, grimpe et sprinte avec un égal bonheur. Professionnel jusqu'au bout des ongles, tacticien remarquable, Frantz ne cherche pas à épater la galerie par des exploits étourdissants, mais seulement à gagner le Tour de France! Pour cela, il met tous les atouts de son côté. Sa méticulosité est légendaire. André Leducq qui débutait dans le Tour, et qui fut son compagnon de chambre, se souvenait qu'à la veille de l'éprouvante étape Bayonne-Luchon, Frantz avait soigneusement rangé sur la table, quelques accessoires jugés indispensables: jambières, chandails, gants de laine, et lampe électrique. "Je lui demande pour quel usage, écrit Leducq, et il me répond, dans son style dépouillé: 133
- On voit pas clair, là-haut... etfroid, très froiJJ. " Leducq retiendra la leçon, s'équipera en conséquence et finira 3e à Luchon, à sa grande surprise. Il gagnera trois étapes dans ce Tour de France, dont la dernière au Parc des Princes, celle qui fait frissonner de bonheur les heureux vainqueurs, et il décrochera la 4e place du classement général. En franchissant l'ultime ligne d'arrivée de ce Tour de France, il est déjà populaire. Le 6e est Antonin Magne. Leducq et Magne sont encore des gamins. Ils n'ont que 23 ans, ce qui est très jeune pour des coureurs du Tour. L'avenir est devant eux et il ne les décevra pas. À l'heure du bilan, et malgré les efforts de Desgrange pour démontrer le contraire, la nouvelle formule se révélait un fiasco. Avec les départs séparés, non seulement les spectateurs étaient contraints à des exercices arithmétiques fastidieux, mais ils avaient le plus grand mal à trouver leurs repères, sauf dans les étapes courues en ligne. Ils se désintéressèrent donc de l'épreuve, au fur et à mesure de son déroulement. Henri Desgrange avait raison sur un point: les étapes de plaine, par départs séparés, étaient courues beaucoup plus rapidement que les étapes équivalentes courues en ligne. Dans les neuf premières, on atteignit ou dépassa les 30km/h sauf dans Dinan-Brest. Dans Les Sables-d'Olonne-Bordeaux, étape longue de 285 km et courue par départs séparés, la moyenne était de 31,869 km/ho Mais le lendemain sur les 189 km de Bordeaux-Bayonne, étape courue en ligne, elle n'était plus que de 26,149 km/ho Desgrange se trouvait placé face à une alternative simple: soit proposer une course en ligne familière aux spectateurs mais accablante d'ennui, surtout pour les suiveurs, soit une course par départs séparés, donc plus vive, mais qui leur provoquerait des migraines, et surtout dont l'intérêt ne serait pas perceptible au plus grand nombre. Il avait finalement choisi un panachage qui ne s'était pas révélé convaincant. Le froid et pragmatique Ludovic FeuilletlO, directeur sportif d'Alcyon, triomphe. L'homme à la blouse blanche et aux lunettes cerclées d'or a gagné onze étapes par coureurs interposés, et placé cinq hommes dans les cinq premiers. 134
Le journal L'Auto, comme à son habitude, se montre satisfait. Il est vrai qu'il serait absurde de scier la branche sur laquelle on est assis! Charles Ravaux, collaborateur de L'Auto, après s'être livré dans les colonnes du journal, à un ahurissant exercice de flagornerie à l'intention d'Alcyon-Dunlop, distribue des lauriers à tout le monde, et conclut son article en estimant que le Tour 1927 a été "vivant, animé, merveilleux." Il n'est pas sûr que dans le secret de son bureau du 10, rue du Faubourg Montmartre, l'exigeant et lucide Henri Desgrange partagea son enthousiasme.
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En savoir plus: 1. Sacco et gouverneur 2. Numéro vainqueurs",
Vanzetti ont été réhabilités en août 1977, 50 ans après leur mort, par le du Massachusetts, Michael Dukakis. spécial du Miroir du cyclisme 1988 : "Tour de France 1903-1987. Les article sur Bottecchia.
3. Départs séparés de la 1e à la ge étape, dans la 14e étape, et de la 18eà la 23 e étape.
4. Jacques Goddet écrira à ce sujet en 1953, dans "le Tour a 50 ans" : "La confrontation ne s'établit plus que sur l'aride cadran des montres. Et la victoire peut ainsi être attribuée à coup sûr au coureur appartenant à la maison la plus puissante, susceptible d'avoir engagé le meilleur cheptel disponible (...) Il est prouvé en deux années de cette expérience, que le système est trop artificiel pour compenser le mal ancien, que le public ne s'accommode pas facilement des calculs chronométriques et que, surtout, l'indispensable élément humain disparaît." 5. Francis Pélissier, (1894-1959) dit Le Grand, dit Le Sorcier de Bordeaux-Paris, n'était pas que l'équipier inconditionnel de son frère Henri. Sa carrière magnifique comprend de nombreux succès: 1919 : Paris-Dijon, Paris-Nancy, Une étape du Tour de France. 1920 : Paris-Nancy, Grand Prix Sporting, Tour du Sud-Est, Circuit de Provence, Circuit de la Creuse, Circuit de la Loire, Turin-Firenze-Rome. 1921 : Championnat de France, Paris-Tours, Circuit de l'Aisne. 1922 : Bordeaux-Paris, Paris-Montceau-les-Mines. 1923 : Championnat de France. 1924 : Championnat de France, Bordeaux-Paris, Tour du Pays-Basque. 1926 : Grand prix Wolber, critérium des as. Par la suite Francis Pélissier deviendra directeur sportif des cycles Mercier (1933), puis de sa propre marque, avant de terminer sa carrière comme directeur sportif chez Mercier. Il doit son second surnom au fait qu'il mena plusieurs fois ses coureurs à la victoire dans Bordeaux-Paris qu'il remporta deux fois. 6.7 8 et 9. André Leducq " Une Fleur au guidon" (Presses de la Cité, 1978) Nicolas Frantz (1899-1985) termina 2e du Tour de France en 1924, 4e en 1925, 2e en 1926, avant ses deux victoires de 1927 et 1928. Il sera 5e en 1929, et 45e en 1932 pour sa dernière participation, en individuel. Frantz remporta 13 titres de Champion du Luxembourg sur route, de 1921 à 1934. Il fut 2 fois Champion du Luxembourg de cyclo-cross en 1923 et 1924, et gagna 21 étapes du Tour de France. Il fut, en outre, Vainqueur de Paris-Tours en 1929, et de Paris-Bruxelles en 1927. 10. Ludovic Feuillet "vira", le jour même de son abandon dans la ge étape, le valeureux Marcel Bidot découragé par une impressionnante série de crevaisons.
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Le Tour de France 1927 en un coup d'œil 21e édition du 19 juin au 17 juillet 1927 5 340 Kilomètres. 24 étapes dont 16 avec départs séparés. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. 5 jours de repos - Bayonne, Luchon, Perpignan, Nice, Evian - Moyenne du vainqueur: 26,839 km/h. 142 coureurs au départ dont 37 groupés et 105 touristes-routiers. 39 rescapés dont 18 groupés et 21 touristes-Routiers, à l'arrivée. 7 équipes de marques: Alcyon-Dunlop, Armor-Dunlop, Labor-Dunlop, Thomann-Dunlop, Dilecta-Wolber, J.B Louvet. Alleluia-Wolber. Vainqueur: N.FRANTZ. Total des primes: 100 000 F Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Dieppe, 180 km : Francis Pélissier. 2. Dieppe-Le Havre,103 km : Maurice Dewaele. 3 Le Havre-Caen, 225 km : Hector Martin. 4. Caen-Cherbourg, 140 km : Camille Van de Casteele. 5. Cherbourg-Dinan, 199 km : Ferdinand Le Drogo. 6. Dinan-Brest, 206 km : André Leducq. 7. Brest-Vannes, 207 km : Gustave Van Slembrouck. 8. Vannes-Les Sables d'Olonne, 204 km : Raymond Decorte. 9. Les Sables d'Olonne-Bordeaux, 285 km : Adelin Benoît. 10. Bordeaux-Bayonne, 189 km : Pé Verhaegen. Il. Bayonne-Luchon, 326 km : Nicolas Frantz 12. LuchonPerpignan, 323 km : Gustave Van Slembrouck. 13. Perpignan-Marseille, 360 km : Maurice Dewaele. 14. Marseille-Toulon, 120 km : Antonin Magne. 15. ToulonNice, 280 km : Nicolas Frantz. 16. Nice-Briançon, 275 km : Julien Vervaecke. 17. Briançon-Evian 283 km: Pé Verhaegen. 18. Evian-Pontarlier, 213 km: Adelin Benoit. 19. Pontarlier-Belfort, 119 km : Maurice Geldhof. 20. Belfort-Strasbourg, 145 km : Raymond Decorte. 21. Strasbourg-Metz, 165 km : Nicolas Frantz. 22. Metz-Charleville, 159 km : Hector Martin. 23 Charleville-Dunkerque, 270 km : André Leducq. 24. Dunkerque-Paris, 344 km : André Leducq. Les maillots jaunes Francis Pélissier (5). Ferdinand Le Drogo (1). Hector Martin (4). Nicolas Frantz (14). Classement général final 1. Nicolas FRANTZ (Lux) en 198h16'42" 2. Maurice Dewaele (Bel) à 1h48'21" 3. Julien Vervaecke (Bel) à 2h25'06" 4. André Leducq (Fra) à 3h02'05" 5. Adelin Benoit (Bel) à 4h45'01" 6. Antonin Magne (Fra) à 4h48'23" 7. Pé Verhaegen (Bel) à 6h18'36" 8. Julien Moineau (Fra) à 6h36'17" 9. Hector Martin (Bel) à 7h07'34" 10. Maurice Geldhof (Bel) à 7h16'02" Il. Raymond Decorte (Bel) à 8h17'12" 12. Louis Muller (Bel) à 8h27'49" 13. Jan Debusschere (Bel) à 10h51'56" 14. Gustaaf Van Slembrouck (Bel) à 11h01'54" 15. Pierre Magne (Fra) à 12h12'37" 16. Louis Delannoy (Bel) à 13h28'02" 17. Jos Hemelsoet (Bel) à 14h08'18" 18. Secundo Martinetto (Ita) à 14h37'12" 19. Henri Touzard (Fra) à 15h08'03" 20. José Pelletier (Fra) à 15h52'28" 21. Maurice AmouIt (Fra) à 16h05'01" 22. Charles Martinet (Sui) à 16h53'36" 23. Albert Jordens (Bel) à 17h18'48" 24. Michele Gordini (Ita) à 17h21'11" 25. Giovanni Canova (Ita) à 17h52'52" 26. André Devauchelle (Ita) à 18h02'10" 27. Charles Krier (Lux) à 20h42'32" 28. Léon Despontin (Bel) à 137
21hI5'02" 29. Giuseppe Rivella (Ita) à 22hI4'26" 30. Marcel Gendrin (Fra) à 22h20'35" 31. Orner Mahy (Bel) à 22h27'49" 32. Giovanni Rossignoli (Ita) à 22h31 '18" 33. Camille Segers (Bel) à 22h52'35" 34. Edouard Teisseire (Fra) à 23h59'59" 35. Jules Nernpon (Fra) à 25h39'05" 36. Armand Goubert (Fra) à 27h04'27" 37. André Drobecq (Fra) à 27hl0'20" 38. Pierre Claes (Bel) à 29hI2'19" 39. Jacques Pfister (Fra) à 30h03'51" er 1 des touristes-routiers:
Secundo Martinetto
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(Italie)
Quelques évènements de l'année 1927 - Débuts à Paris d'un violoniste prodige de 10ans, du nom de Yehudi Menuhin. Kaï-chek occupe Shanghai. - À Vienne, en Autriche, le palais de justice est incendié à la suite d'une émeute. - L'aviateur américain Charles Lindbergh traverse l'Atlantique en solitaire. - Les aviateurs Nungesser et Coli disparaissent en mer. - L'Italien Alfredo Binda remporte le premier Championnat du Monde cycliste professionnel sur route. - L'exécution des anarchistes Sacco et Vanzetti provoque une grave émeute à Paris. - Les mousquetaires du tennis (Cochet, Brugnon, Lacoste, Borotra) remportent leur première Coupe Davis. - Les footballeurs français sont battus par les Hongrois: 13-1. - La danseuse Isadora Duncan meurt étranglée par son écharpe prise dans les rayons d'une roue d'automobile. - Le vice-consul d'Italie est assassiné. - "Le Chanteur de jazz" avec Al Jolson est le premier film sonore et parlant. - Un raz-de-marée fait 3000 morts au japon. - Henri Bergson reçoit le prix Nobel de littérature. - Léon Trotsky est exclu du comité central du parti communiste d'U.R.S.S. - Dans les cinémas : "Napoléon" d'Abel Gance, "La Coquille et le clergyman" de Germaine Dulac, "Les Nuits de Chicago" de Josef Von Sternberg, "Octobre" de S.M Eisenstein. - Dans les librairies: L'œuvre complète de Marcel Proust, "Thérèse Desqueyroux" de François Mauriac, "L'Europe galante" de Paul Morand, "L'être et le temps" de Martin Heidegger. - Décès de : Gaston Leroux, romancier français, Juan Gris, peintre cubiste espagnol, Jérome. K. Jérome, humoriste britannique, Eugène Adget, photographe français, Isadora Duncan, danseuse américaine, Nungesser et Coli, aviateurs français. - Naissances de : Mstislav Rostropovich, violoncelliste américain d'origine russe, Ferenc Puskas, footballeur hongrois, Albert Uderzo, dessinateur français de BD, François Nourissier, écrivain français, José Artur, comédien français et animateur de radio et de télévision, Gina Lollobridgida, actrice italienne, Juliette Greco, chanteuse et comédienne française, Simone Veil, femme politique française, Fidel Castro, homme d'état cubain, Houari Boumediene, homme d'état algérien, François Billetdoux, écrivain français, Günter Grass, écrivain allemand, Pierre Alechinsky, peintre belge, Gilbert Bécaud, chanteur français, Robert Hossein, acteur et metteur en scène français.
- Tchang
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1928 22e Tour de France. Du 17 juin au 15 juillet 1928
Un Tour pour Alcyon Malgré l'insuccès de la nouvelle formule inaugurée l'année précédente, Henri Desgrange persiste. En 1928 il n'y aura que 22 étapes, mais 15 d'entre-elles seront courues par départs séparésl. La nouveauté de l'année, ce sont les neuf équipes régionales de cinq coureurs2, dont les membres sont puisés parmi les 121 touristes-routiers. Ce qui diminuera la cohorte des coureurs de cette catégorie qui partaient en peloton après les équipes de marques, dans les étapes à départs séparés. Huit équipes de marques sont présentes. En réalité, quatre seulement, puisque Alcyon possède deux sous-marques: Armor et Thomann. Au total, le groupe Alcyon comprend dix coureurs avec à leur tête Nicolas Frantz, le grand favori. Face à eux J.B Louvet-Hutchinson, et l'équipe Alleluia-Wolber accompagnée de ses filiales Elvish-Wolber et FontanWolber. Pour la première fois, Ravat-Wonder, une équipe australienne de quatre hommes, dont un Néo-Zélandais, a été engagée. La première étape, Paris-Caen, étant disputée par départs séparés, Alcyon place six coureurs dans les six premiers. Nicolas Frantz endosse le maillot jaune, et ne le quittera plus. Mertens, Rebry, Dewaele et Julien Vervaecke, ses équipiers, sont qualifiés du même temps. Leducq, vainqueur de Paris-Roubaix, figure parmi les favoris au départ, mais pris de fringale, il perd dix minutes. Desgrange qui voudrait bien voir un Français gagner enfin le Tour, est furieux: "Henri Desgrange (...) s'est mis à tirer sur moi à gros boulets, écrira Leducq. C'est simple, pour lui j'avais perdu le Tour! Favori le matin, descendu en flammes le soir. Ce n'était pas l'homme des demi-mesures, le Père du Tour. Il n'aimait surtout pas voir les choses aller à l'encontre de sa volonté3." Vexé, Leducq gagne le lendemain à Cherbourg. Jusqu'à Hendaye, les coureurs d'Alcyon écrasent la course de leur supériorité. Pourtant, à Bordeaux, c'est Fontan qui l'emporte devant son lieutenant l'Espagnol Cardona. 141
Fontan le patriarche Chez lui, dans les Pyrénées, le Béarnais Fontan est l'objet d'une véritable vénération. Ce vieux briscard de 36 ans, dont les ambitions ne dépassent pas le cadre du Pays Basque, avait fait une discrète apparition dans le Tour en 1924 où il avait abandonné dans la 5e étape. Ancien combattant des Dardanelles, deux fois blessé à la cuisse, Fontan petit homme noueux, aux jambes en cerceau et au faciès taillé à la serpe, ne paie guère de mine, mais grimpe magnifiquement en poussant des développements énormes sur les pentes les plus abruptes. Il en fera la démonstration dans l'étape en ligne Hendaye-Luchon. Dès le départ, le Belge Camille Van Decasteele réédite le coup de Gordini dans l'étape Bayonne-Luchon du Tour 1927. Il grimpe en tête l'Aubisque et le Tourmalet, et compte jusqu'à 35 minutes d'avance. Mais il s'effondre avant Luchon et Fontan l'emporte en damant le pion de Nicolas Frantz, qu'il laisse à presque huit minutes. Modeste et discret, Fontan à une réputation de mère poule auprès de ses compagnons, qu'il aide, conseille et réconforte, en patriarche écouté. Sa supériorité sur ses équipiers est telle qu'il roule souvent seul, et que la course par départs séparés se transforme, en ce qui le concerne, en contre-la-montre individuel. Ce qui fausse totalement la physionomie d'une épreuve menée à train d'enfer dans les étapes de plaine, où la moyenne ne sera jamais inférieure à 30 km/h. Fontan, seul coureur menaçant pour Nicolas Frantz, s'épuisera à tenter l'impossible. Une crise de furonculose l'achèvera, et il ne prendra que la septième place à Paris. Mais il aura impressionné le public et les observateurs et deviendra, malgré son âge, un vainqueur envisageable du Tour 1929. Dédé le descendeur André Leducq qui n'est pas un pur grimpeur et qui est de surcroît handicapé par une induration très mal placée, termine à une heure de Fontan à Luchon. Mais dans l'étape suivante, où Antonin Magne se distingue dans le col de Port et le Portet d'Aspet, Leducq, contre toute attente, est 3e au sommet du Puymorens, derrière Frantz et Dewaele. 142
S'il n'est pas un grand grimpeur, le Joyeux Dédé comme on commence à l'appeler, se révèle déjà un descendeur redoutable. Il fond sur ses coéquipiers dans la descente et les bat au sprint à Perpignan. C'est la manière Leducq, celle qui lui permettra de remporter deux Tours de France malgré son handicap relatif dans les côtes, et dont s'inspireront plus tard deux lévriers dans son genre: Georges Speicher et Roger Lapébie. Entre Marseille et Nice, Leducq étonnera encore son monde en passant en tête dans les cols de Braus et de Castillon. À Nice, il ne sera battu que par son chef de file Nicolas Frantz. Les pavés de Longuyon L'écrasante supériorité des coureurs d'Alcyon s'affirme au fil des étapes, malgré les succès de Julien Moineau et d'Antonin Magne dans les Alpes. À Metz, à trois jours de l'arrivée, les coureurs de Ludovic Feuillet occupent les cinq premières places du classement général. Leducq est à 1h15' de Frantz, Dewaele à 1h 27'. Le moins qu'on puisse dire est que le suspense est inexistant. Pourtant, dans l'étape Metz-Charleville courue par départs séparés, et qui s'annonce comme une étape de routine, Frantz va donner des sueurs froides à Ludovic Feuillet. Dès le départ, tout va mal dans l'équipe Alcyon. Rebry et Vervaecke percent, Debusschère a des problèmes de chaîne et Frantz sent que quelque chose ne va pas dans la direction de sa bécane. Dans la traversée pavée de Longuyon, c'est le désastre. Au passage à niveau, sa fourche fléchit. Le Luxembourgeois s'arrête. Dans le camp Alcyon c'est la panique. Mercier, le chauffeur de Ludovic Feuillet, propose d'emmener le maillot jaune chez le concessionnaire Alcyon pour lui permettre d'emprunter un vélo neuf. Feuillet s'y oppose: pas question de renouveler l'erreur d'Heusghem dans le Tour 1922, ce serait la meilleure manière de faire pénaliser lourdement son coureur. Le règlement est formel: il est interdit à un concurrent d'emprunter un vélo de la firme qui l'emploie. La seule solution, pour éviter toute polémique, est d'obliger Frantz à monter sur un vieux clou d'une autre marque! 143
Pendant ce temps, les coureurs d'Alleluia passent à Longuyon et sont prévenus de la débandade des Alcyon. Les frères Magne, Marcel Bidot, Julien Moineau et Marcel Huot, foncent, les mains sous le guidon. Seul Jean Bidot qui a percé n'est pas de la fête. L'équipe Alcyon démantelée, tente de limiter les dégâts grâce à André Leducq, pendant que Frantz attendu par Louis Delannoy et Honoré Louesse enfourche son vélo de rechange. "Nicolas, écrira Leducq, est arrivé au vélodrome de Charleville sur une robuste bicyclette (Peugeot) avec gardeboue en bois bien verni et petit feu rouge à l'arrière4." Frantz n'a perdu que 45 minutes sur le vainqueur, Marcel Huot, et une demi-heure sur Leducq. Il lui reste 47 minutes d'avance sur le Français. C'est largement suffisant pour gagner le Tour de France.
Dans la 21e étape, Malo-les-Bains-Dieppe,c'est Francis Bouillet qui gagne au sprint devant son camarade de l'équipe Alleluia, Antonin Magne. Mais Bouillet ne peut être classé parce qu'il fait partie des coureurs de rechange. C'est difficilement croyable, mais il y a dans le peloton des coureurs de rechange!! Une idée de Desgrange, probablement sa plus bizarre. Bouillet et Alancourt qui avaient été éliminés dans la ge étape avaient été repêchés dans la 12e,mais ils ne pouvaient figurer aux classements. Il en était de même pour Debusschère, Van Hevel, Verdick, Gallotini et Canardo, coureurs de rechange qui participèrent à la 2e partie du Tour, à partir de la 12e étape. À la recherche de laformule idéale À Paris, Nicolas Frantz aura la coquetterie de battre les coursiers d'Alleluia, à l'emballage, sur la piste du Parc des Princes, en affirmant s'il en était besoin son incontestable supériorité 5. Paul Filliat, de l'équipe du Sud-Est, remporte le Tour chez les régionaux et le challenge de la catégorie revient à l'équipe de Champagne. Dans celle des touristes-routiers non-régionaux, il n'y a pas eu de vainqueur, pour la raison simple qu'aucun d'entre eux n'échappa à l'hécatombe! Une fois de plus, la firme Alcyon triomphe dans cette course taillée sur mesure pour elle. Les coureurs au maillot bleu ciel remportent le challenge par équipes, treize étapes, le maillot j aune et les cinq premières places du classement général! 144
Si Charles Ravaud, dans L'Auto, continue contre toute raison de trouver la course merveilleuse, en revanche, Henri Desgrange se lâche, reconnaissant implicitement l'échec des départs séparés: " Voici vingt ans, écrit-il, que nous changeons de formule et que nous courons après la formule idéale, et ce n'est pas encore cette année que nous l'aurons trouvée. " La catastrophique course contre la montre par équipes a vécu. Enfin presque! Comment va le monde? À part cela, comment va le monde? Moyennement. L'Amérique compte quatre millions de chômeurs officieusement et deux millions officiellement. Il y en a autant en Allemagne. En revanche, en France, Raymond Poincaré qui a gagné les élections législatives, a dévalué le franc, ce qui laisse espérer un redressement de l'économie et une nouvelle prospérité. Mais en novembre, le président du Conseil devra après démission des ministres radicaux, se résoudre à constituer un nouveau cabinet. C'est une banalité sous la me République. Les Jeux Olympiques d'Amsterdam sont ouverts le 28 juillet. Les Français remportent 21 médailles dont six d'or. Jules Ladoumègue doit se contenter de la médaille d'argent sur 1500 mètres et Sera Martin, nouveau recordman du monde du 800 mètres, n'en remporte aucune. L'heureuse surprise vient du Français d'origine algérienne, El Ouafi, inattendu vainqueur du marathon. Son nom émergera de l'oubli 28 ans plus tard, quand un autre Algérien, Alain Mimoun, remportera le marathon des Jeux Olympiques de Melbourne. En 1928 on découvre la vitamine C et l'on invente le téléscripteur, et le rasoir électrique portatif. Mais le véritable événement de l'année, bien qu'il gardera longtemps un caractère confidentiel, a lieu le 3 septembre, grâce à un soupirail laissé ouvert par étourderie dans un laboratoire de fortune installé dans le sous-sol du Saint-Mary's Hospital de Londres. Le biologiste Alexander Fleming constate ce jour-là, que la culture de staphylocoques qu'il avait oublié de ranger avant son départ en vacances, avait été dévorée par une moisissure verte qu'il nommera 145
Penicillium notatum. Il aura surtout le mérite de considérer qu'il a fait, grâce au hasard, une découverte capitale. NéalJl11oins, il faudra . onze ans et l'intervention de deux chercheurs, le Britannique Howard Walter Florey et l'Allemand Ernst Boris Chain, pour que le principe actif du Penicillium notatum soit isolé, et donne naissance à la pénicilline qui sauvera des millions d'êtres humains.
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En savoir plus:
e e 1. Départs séparés de la 1 à la 8e étape et de la ISe à la 21 étape.
2. L'équipe du Sud-Est ne comprenait que 4 coureurs. 3 et 4. André Leducq. "Une Fleur au guidon" Presses de la cité. 1978 5. La dernière étape était courue en ligne, principe qui offrait des arrivées beaucoup plus spectaculaires que dans les épreuves par départs séparés.
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Le Tour de France 1928 en un coup d'œil 22e édition du 17 juin au 15 juillet 1928 5 377 Kilomètres. 22 étapes dont 15 avec départs séparés. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. 7 jours de repos (Hendaye, Luchon, Perpignan, Marseille, Nice, Grenoble, Evian) Moyenne du vainqueur: 27,886 km/h. 162 coureurs au départ dont 41 groupés, et 121 touristes-routiers dont 44 régionaux.41 rescapés dont 30 groupés et Il touristes-Routiers régionaux à l'arrivée. 8 équipes de marques: Alcyon-Dunlop, Armor-Dunlop,Thomann-Dunlop, JB Louvet-Hutchinson, Alleluia- Wolber, RavatWonder-Dunlop, Elwish-Wolber, Fontan-Wolber. 9 équipes régionales de 5 hommes: Alsace-Lorraine, Champagne, Normandie, Haute-Bretagne, Sud-Est (4 hommes), Ile-de-France, Nord, Midi, Côte d'Azur. Vainqueur: N.FRANTZ. Total des primes: 100 000 F. Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Caen, 207 km : Nicolas Frantz. 2. Caen-Cherbourg, 140 km : André Leducq. 3. Cherbourg-Dinan, 199 km : Gaston Rebry. 4. Dinan-Brest, 206 km : Pé Verhaegen. 5 Brest-Vannes, 208 km. : Marcel Bidot. 6. Vannes-Les Sables d'Olonne, 204 km. : Nicolas Frantz. 7. Les Sables d'Olonne-Bordeaux, 285 km. : Victor Fontan. 8. Bordeaux-Hendaye, 225 km. : Maurice Dewaele. 9. HendayeLuchon, 387 km : Victor Fontan. 10. Luchon-Perpignan, 323 km. : André Leducq. Il. Perpignan-Marseille, 363 km. : André Leducq. 12. Marseille-Nice, 330 km : Nicolas Frantz. 13. Nice-Grenoble, 333 km. : Antonin Magne. 14. : GrenobleEvian, 329 km. : Julien Moineau. 15. Evian-Pontarlier, 213 km. Pierre Magne. 16. Pontarlier-Belfort, 119 km. : André Leducq. 17. Belfort-Strasbourg, 145 km. : Joseph Mauclair. 18. Strasbourg-Metz, 165 km. : Nicolas Frantz. 19. MetzCharleville, 159 km. : Marcel Huot 20. Charleville-Malo-Ies-Bains, 271 km : Maurice Dewaele. 21. Malo-Ies-Bains-Dieppe, 234 km. : Antonin Magne. 22. DieppeParis, 331 km. : Nicolas Frantz Les maillots jaunes Nicolas Frantz (22). Classement général final 1. Nicolas FRANTZ (Lux) en 192h48'58" 2. André Leducq (Fra) à 50'07" 3. Maurice Dewaele (Bel) à 56'16" 4. Jan Mertens (Bel) à Ih19'18" 5. Julien Vervaecke (Bel) à 1h53'32" 6. Antonin Magne (Fra) à 2h14'02" 7. Victor Fontan (Fra) à 5h07'47" 8. Marcel Bidot (Fra) à 5h18'28" 9. Marcel Huot (Fra) 5h37'33" 10. Pierre Magne (Fra) à 5h41'20" Il. Joseph Mauclair (Fra) à 5h44'01" 12. Gaston Rebry (Bel) à 5h53'44" 13. Louis Delannoy (Bel) à 6h11'35" 14. Camille Van de Casteele (Bel) à 6h52'55" 15. Salvador Cardona (Esp) à 7h33'47" 16. Pé Verhaegen (Bel) à 7h39'56" 17. Julien Moineau (Fra) à 8h03'23" 18. Hubert Opperman (Aus) à 8h34'25" 19. Désiré Louesse (Bel) à 9h27'21" 20. Odile Taillieu (Bel) à 10h23'18"21. Jean Mouveroux (Fra) à 10h49'53" 22. Jean Bidot (Fra) à 10h56'30" 23. Marcel Autaa (Fra) à 11h42'40" 24. Raymond Decorte (Bel) à 12h27'02" 25. Paul Filliat (Fra) à 15h51'56" 26. Raphael Calmette (Fra) à 15h55'08" 27. Maurice 148
AmouIt (Fra) à 16h25'04" 28. Harry Watson (NzI) à 16h53'32" 29. Lucien Laval (Fra) à 16h53'55" 30. Marcel Colleu (Fra) à 17h04'01" 31. Armand Gaubert (Fra) à 18h50'20" 32. René Hamel (Fra) à 19h10'18" 33. Paul Delbart (Fra) à 19h51'17" 34. Henri François (Fra) à 20h02'46" 35. Fernand Moulet (Fra) à 20h10'21" 36. Raphael Dupau (Fra) à 20h47'54" 37. François Menta (Fra) à 21h05'32" 38. Perry Osborne (Aus) à 22h01'49" 39. Fernand Fayolle (Fra) à 24h02'10" 40. Lucien Lange (Fra) à 25h30'57" 41. Edouard Persin (Fra) à 26h56'19" Challenge par équipes de marques: Alcyon-Dunlop Challenge régional: Champagne 1er des régionaux: Paul Filliat (Sud-est)
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Quelques évènements de l'année 1928 - Plus de 200 000 esclaves de Sierra Léone sont libérés. - Trotski s'exile à Alma-Ata. - En Italie, tout mouvement de jeunes non fascistes doit être dissout. - Le Pape Pie XI condamne le mouvement royaliste Action Française. - Instauration, en France, d'une loi sur les assurances sociales. - Le dirigeable"Italia" d'Umberto Nobile s'écrase au pôle Nord. - L'explorateur norvégien Roald Amundsen se tue pendant l'expédition de sauvetage, d'Umberto Nobile. - L'Américaine Amelia Erhard survole l'Atlantique. - Les tennismen français remportent la Coupe Davis. - Jeux Olympiques d'hiver à Saint-Moritz et d'été à Amsterdam. - Le pacte Briand- Kellog, signé à Paris, met la guerre hors la loi. - Le président de la République mexicaine, Alvaro Obregon est assassiné. - Alexander Fleming découvre la pénicilline. - Tchang-Kaï-chek devient président de la République chinoise. e - Herbert Hoover devientle 31 Présidentdes Etats-Unis.
- Couronnement de l'empereur du japon Hiro-Hito à Kyoto. - La banquière-escroc Marthe Hanau est arrêtée. - Création du "Boléro" de Ravel. - Création d"'Un Américain à Paris" de George Gershwin. - Création de"L'Opéra de quat'sous"de Bertolt Brecht et Kurt Weill à Berlin. - Dans les cinémas: "Un Chien andalou" de Luis Bunuel, " La passion de Jeanne d'Arc" de Carl Drayer, "La Chute de la maison Usher" de Jean Epstein, "The Kid" de Charlie Chaplin, "La Foule" de King Vidor. - Dans les librairies: "Les Conquérants" d'André Malraux, "Contrepoint" d'Aldous Huxley, "L'Amant de lady Chatterley" de D.H Lawrence. - Décès de : Thomas Hardy, écrivain anglais, Vicente Blasco Ibanez, écrivain espagnol, Douglas Haig, Maréchal britannique, Loïe Fuller, danseuse américaine, Leos Janacek compositeur tchèque, Mauritz Stiller, cinéaste suédois - Naissances de : Jeanne Moreau, actrice française, Michel Serrault, acteur français, Pierre Tchernia, réalisateur français et animateur de télévision, Jacques Rivette, cinéaste français et critique de cinéma, Robert Badinter, avocat et homme politique français, Serge Gainsbourg, chanteur, compositeur, cinéaste et acteur français, Yves Klein, peintre français, Edouard Molinaro, cinéaste français, Agnès Varda, réalisatrice française, Fabiola, reine de Belgique, Ernesto "Che" Guevara Sema, révolutionnaire argentin, Annie Cordy, artiste et chanteuse belge, Jean-Marie Le Pen, homme politique français, Line Renaud, actrice et artiste française de music-hall, Pierre Maurois, homme politique français, Bernard Buffet, peintre français, Stanley Kubrick, réalisateur américain, Andy Warhol, peintre et cinéaste américain, JeanChristophe Averty, cinéaste français, réalisateur de télévision, animateur de radio. Karlheinz Stokhausen, compositeur allemand, Maurice Jarre, compositeur français.
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1929 23e Tour de France. Du 30 juin au 28 juillet 1929
Retour à la course en ligne S'il maintient les équipes régionales inventées l'année précédente, Henri Desgrange décide de renoncer à la fausse bonne idée des départs séparés. Elle s'était révélée catastrophique pour l'intérêt de la course et l'équité sportive. Pour cette 23e édition du Tour de France, il décide de revenir exclusivement au bon vieux principe des départs en ligne. Mais il prévient et menace, comme un instituteur soucieux de faire entrer un rudiment de discipline dans les caboches obtuses de ses galopins: "Faites bien attention: la première fois que, sauf dans les
montagnes, vous n'atteindrez pas les 30 à l'heure, nous reviendrons aux départs séparés, et cela jusqu'à ce que vous ayez atteint, en départs séparés, la moyenne de l'étape correspondante en 1928..." En réalité, cette menace, si elle est mise à exécution, est pain béni pour les équipes les plus fortes, puisque les départs séparés par équipes et contre la montre les avantagent considérablement. Cependant, l'avertissement du Patron porte ses fruits, et jusqu'à Bayonne la moyenne horaire sera toujours supérieure, dans les étapes de plat, aux fatidiques" 30 à I'heure". Par la suite, les coureurs ne se laisseront aller à la somnolence que trois fois, ce qui leur vaudra les départs séparés promis par Desgrangel. Des sanctions comme s'il en pleuvait Ce Tour de France qui se veut équitable, mais qui restera dans les mémoires comme le plus injuste, est celui des sanctions. Dans certaines étapes, elles pleuvent comme à Gravelotte et sont appliquées avec zèle par des contrôleurs tatillons. Les plus fréquentes proviennent du ravitaillement et de l'entraide illicites, ou de la poussette dans les cols. Parfois elles sont pittoresques, comme celle dont écope le touriste-routier Léon Chène dans la Se étape, pour avoir demandé à un journaliste de lui porter son vélo accidenté jusqu'au contrôle! Ou encore, celle qui sanctionne le mal151
heureux Marcel Ruot dans la même étape: un journaliste avait à sa demande, rempli son bidon! Dans Luchon-Perpignan, Van Rysselberghe est pris en flagrantdélit alors qu'il se fait tracter longuement par un véhicule. Dans Bayonne-Luchon, quatre coureurs sont pénalisés, probablement pour avoir été poussés dans une montée. Mais étant donné la dureté de l'étape, ils bénéficient de la mansuétude des commissaires. Les sanctions peuvent être plus dramatiques. Le Belge Demuysère, de l'équipe Lucifer-Hutchinson, vainqueur de l'étape Luchon-Perpignan, reçoit une lourde pénalité de 45 minutes pour ravitaillement illicite2. Quant au jeune Charles Pélissier, benjamin d'une illustre lignée, et qui bénéficie des faveurs d'Renri Desgrange grâce à une courtoisie de tous les instants, il est pénalisé de 30 minutes dans l'étape Nice-Grenoble, pour abri prolongé derrière des voitures étrangères à la course3. Poussé par son directeur sportif, Pierre Magne devait témoigner contre Charlot: "11était plus qu'accroché, littéralement aspiré sous les yeux de Desgrange impassible dans sa Hotschkiss. "Vous ne voyez pas clair?" lui ai-je crié. Il m'aurait fusillé sur place / (...) Cela a fait toute une histoire à la Fédération de cyclisme. (...) Drôle de situation : si nous chargeons Charles, nous sommes sûrs de ne plus faire le Tour / Nous sommes arrivés devant la table ronde du président de la Fédération, M Achille Gros, et nous avons tout nié. En bloc4 l" Trois maillots jaunes
À Caen, au terme de la 1e étape, Aimé Dossche prend le maillot jaune, mais trois hommes arrivent dans le même temps que le sien: Déolet, Marcel Bidot, le Champion de France, et Maurice Dewaele. Dans la seconde étape, Caen-Cherbourg, un incident démontre s'il en était besoin, le peu de considération que le Père du Tour éprouve pour les touristes-routiers, "les parents pauvres, les sacrifiés, les parias de la course", selon le journaliste Raymond Ruttier. 45 hommes dont sept touristes-routiers, se présentent à l'entrée du vélodrome d'Equeurdreville. Desgrange les arrête et décrète que le classement se ferait sur cinq tours de piste, en séparant les As des touristesroutiers; décision scandaleuse, puisque dans ces conditions les parias 152
seront classés après le dernier des As. Le Belge Omer Taverne gagne la course de sa catégorie et ne se retrouve donc qu'à la 3ge place de l'étape. La colère monte chez les touristes-routiers. Le lendemain, béret enfoncé sur le crâne, Omer Taverne gagne au sprint à Dinan, sous la pluie et sans discussion, en vengeant l'honneur de ses compagnons. C'est un exploit rarissime qui sera salué par la presse, les chances de remporter une étape pour un coureur de cette catégorie, alors qu'il ne dispose d'aucune logistique, étant extrêmement faibles. Aux Sables-d'Olonne, Dewaele est leader, Déolet, Dossche et Bidot sont ensemble à trois minutes du Flamand. C'est Nicolas Frantz qui l'emporte à Bordeaux. Son temps au classement général provoque la perplexité des chronométreurs : il est identique à ceux d'André Leducq et de Victor Fontan. Et c'est ainsi que le lendemain, les trois hommes se présentent ensemble sur la ligne de départ avec le maillot jaune sur les épaules, fait unique dans les annales du Tour de France. Le soir même, le précieux paletot est endossé par le futur triple vainqueur de Paris-Roubaix, Gaston Rebry. Pas pour longtemps. Bayonne-Luchon est l'étape habituelle de tous les drames. Celle-là ne peut être que pour Fontan, le patriarche béarnais né au pied de l'Aubisque. L'année précédente, il avait gagné l'étape Handaye-Luchon et avait confié humblement à André Leducq : "Je ne suis pas meilleur qu'un autre, mais je la connais à fond ma montagne5." Mais ce n'est pas lui qui passe en tête à l'Aubisque, c'est Lucien Buysse le vainqueur du Tour 1926. Le Flamand s'offre un fantastique baroud d'honneur et un record d'ascension, puis il abandonne. Fontan arrive le premier au sommet du Tourmalet accompagné de son lieutenant et ami, l'Espagnol Cardona. Les deux hommes arrivent détachés à Luchon sur les allées d'Etigny, où Fontan offre la victoire à son équipier. C'est une première. Jamais un Espagnol n'avait gagné une étape du Tour de France. En lisant le classement, on imagine qu'elle dut être dure cette étape Bayonne-Luchon. Dewaele est à 8 minutes, Frantz à Il minutes, Demuysère à plus d'un quart d'heure, Antonin Magne à 25 minutes. Leducq navigue à une heure de là en compagnie de Charles Pélissier, avec la certitude d'avoir du plomb dans les mollets. Le dernier de 153
l'étape, qui répond au joli nom d'André Pompon, mettra environ 22 heures pour atteindre Luchon! Le malheureux Pompon en restera là. La dernière chance de Fontan Voici Fontan unique maillot jaune pour la première fois de sa carrière... et la dernière. Quels sont ses atouts à la veille de l'étape Luchon-Perpignan ? Son avance sur Dewaele et sur Nicolas Frantz est confortable, et il reste les Alpes. Ses formidables qualités de grimpeur peuvent donc lui permettre de l'emporter à Paris. Malheureusement, l'équipe Elvish-Wolber, dont il est le leader, est modeste. Il ne lui reste que deux équipiers depuis l'abandon de Camille Foucaux, auxquels il faut ajouter les coureurs de sa sous-marque Fontan-Wolber : Jean Aerts, Salvador Cardona, Désiré Louesse, et François Henri. Fontan doit faire face à la redoutable équipe Alcyon du non moins redoutable Ludovic Feuillet, directeur sportif de la firme et ancien médecin militaire. Maurice Dewaele est devenu le chef de file de l'équipe aux maillots bleu ciel, épaulé par André Leducq, Nicolas Frantz, Julien Vervaecke, Gaston Rebry, et les deux coureurs de la sous-marque d'Alcyon, Marcel Bidot et Louis Delannoy des cycles La Française. Une bande de costauds qui s'apprêtent à ne faire qu'une bouchée du Béarnais et de ses amis. Ce rapport de force ne devrait pas exister, puisqu'en principe, la course est "strictement individuelle". Mais s'il est une réalité que personne ne peut méconnaître, même pas Henri Desgrange du haut de sa Hotschkiss, bien qu'il feigne de l'ignorer, c'est que cette règle est quotidiennement bafouée. Surtout par les grands constructeurs qui n'hésitent pas dans certaines circonstances à faire aider leurs équipes par des individuels payés à la musette, c'est-à-dire au coup par coup. Le départ a lieu à quatre heures du matin. Peu après, dans la pénombre de la route de Saint-Girons, la sorcière aux dents vertes6 attend Fontan : il tombe dans un caniveau, et son vélo s'effondre sous lui. Desgrange l'aperçoit dans le faisceau des phares de sa voiture. Le maillot jaune est désemparé. Pourquoi n'est-il pas entouré de ses équipiers? Mystère. Sans doute était-il en queue de peloton. Le cadre et la roue avant de son vélo sont brisés. Par bonheur un paysan est là, sur le bord de la route. Il lui tend généreusement sa bicyclette. 154
Le Béarnais repart en portant sa machine endommagée sur son dos. Arrivé dans un hameau endormi, il frappe désespérément aux portes en demandant du secours. Un garagiste lui ouvre enfin. Il a bien un vélo cet homme, mais il n'est pas à la taille du coureur. Tant pis, Fontan l'adapte du mieux qu'il peut en utilisant la roue arrière de sa propre machine. À l'avant, les coureurs d'Alcyon prévenus par Rebry apprennent que le Béarnais est en difficulté. Ils foncent comme un seul homme. Une demi-heure après sa chute, Fontan repart sur son vélo de fortune, monte le col des Ares, puis le Portet d'Aspet, et traverse Saint-Girons. Là, il a repris quelques minutes au peloton. Il escalade le col de Port et se jette dans la descente. Au contrôle de Tarascon-sur-Ariège il a 48 minutes de retard. Malgré l'heure matinale, une foule énorme l'entoure. Il s'effondre en larmes et décide d'abandonner. Des suiveurs le consolent et l'exhortent à repartir. Sans grande conviction, il se résout à signer la feuille de contrôle et remonte en selle sous les applaudissements. Après, commence l'ascension du col de Puymorens. Mais le cœur n'y est plus, l'adversité est trop forte, la solitude aussi. Des larmes coulent sur la face recuite du Béarnais. Perpignan est décidément trop loin. Au pont d'Aston, le vieux Fontan découragé, s'arrête sur le bord du chemin. Son aventure se termine là. Il a trente-sept ans, et réalise qu'il vient de laisser passer son unique chance de gagner le Tour de France. Alors, il s'assied sur un talus, cache son visage dans ses mains et pleure longuement son rêve brisé. Après son abandon, un journaliste en verve écrivit en guise d'épitaphe: "Son maillot jaune ne vit pas lejour. " Mais la course continue. Demuysère gagne à Perpignan et Maurice Dewaele reprend la première place du classement général. Les baroudeurs Le blond Maurice Dewaele, métronome à bicyclette, est l'archétype du coureur du Tour de France ancienne manière. On pourrait l'imaginer indestructible. Il est le descendant des costauds de l'époque héroïque, râblé, courageux, opiniâtre et plus soucieux d'efficacité que de style. Quand on le voit rouler sur les routes farineuses, petit bonhomme noueux au menton volontaire, avec ses trois paires de lunettes, 155
ses deux boyaux enfilés sur les épaules, et ses musettes, on l'imagine mal remporter un concours d'élégance vélocipédique ! Ils ont tous à peu près cette allure-là les routiers des années vingt, harnachés comme des colporteurs, poussiéreux sous la canicule, enrobés de boue dans la tempête. Quoique les coureurs groupés, salariés des grands constructeurs, soient encore mieux équipés et soignés que leurs collègues, les malheureux touristes-routiers. Ces derniers, travailleurs indépendants et responsables de leur propre logistique, ressemblent plutôt à des cheminots ou des demi-clochards. Leurs cuissards baillent de partout, leurs maillots sont tachés ou troués, et leurs chaussettes disparaissent dans leurs chaussures éculées. Il s'agit presque d'une esthétique, inspirée de celle des défricheurs de forêts vierges. Elle évoque l'esprit d'aventure, l'effort surhumain, le danger crânement bravé dans une France où la plus grande partie du territoire est inconnue de ses ressortissants, et où les fins fonds ne sont pas tous explorés. Il reste des ours dans les Pyrénées, quelques loups dans les Alpes, et les routes de montagne sont de mauvais chemins ordinairement empruntés par les bergers, leurs vaches, et leurs troupeaux de brebis. Pour le Lillois, Lyon est lointaine et Marseille orientale. ''Après la Loire, c'est l'aventure! "ironisera Jean Gabin en parlant du sud de la France, dans les années d'après guerre. C'est le benjamin des Pélissier, Charles, dont l'aspect raffiné fait l'étonnement de ses collègues et des suiveurs, qui en anticipant sur l'amélioration des routes va modifier l'image des baroudeurs du Tour. Il leur donnera l'exemple d'une élégance vestimentaire bravant les intempéries. Élégance dont Desgrange s'inspirera quand il équipera les As l'année suivante. Mais Charles est plus qu'un mannequin à la tenue irréprochable. Il le prouvera dans l'étape Evian-Belfort. Pour fêter la SainteMadeleine et faire plaisir à sa femme, La Pélissette, dont il est follement amoureux, il gagne à Belfort avec presque 25 minutes d'avance sur un peloton qui roule à une allure de demoiselle. C'est sa première victoire d'étape. Il y en aura beaucoup d'autres.
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La victoire d'un cadavre Au pied des Alpes, Dewaele, ne va pas bien. Fut-il victime d'un empoisonnement? D'une intoxication alimentaire? D'une mixture mystérieuse destinée a lui apporter un surplus de vigueur? On ne le sut jamais. Pendant la journée de repos à Grenoble, le Flamand reste confiné dans sa chambre. Le lendemain, il se rend au départ en titubant et tombe à genoux dans les toilettes. Son teint est livide. André Leducq qui gagna cinq étapes dans ce Tour de France, est témoin de la scène: "Ludovic Feuillet et Meunier sont accourus. Nous l'avons allongé dans le couloir de l'hôtel. Nous lui avons donné
un vulnéraire. Il s'est relevépéniblement; nous l'avons amené au départ avec ses lunettes sur les yeux. Dans le va-et-vient des opérations de contrôle, nul n'a remarqué sa pâleur? " Antonin Magne de l'équipe Alleluia, sait depuis la veille que Dewaele est mal en point. Avec son frère Pierre, il profite de l'obscurité et attaque dès le départ en empruntant la contre-allée. Mais les coureurs d'Alcyon sont au courant, grâce à une indiscrétion de Julien Moineau, de l'équipe... Alleluia! Ils bloquent la course et le peloton met trois heures pour franchir cinquante kilomètres. Trois heures qui suffisent à Dewaele pour retrouver un semblant de santé dans la montée du Galibier. Pendant cette étape Grenoble-Evian, il n'absorbe que le contenu d'un bidon d'eau, et trois cents grammes de sucre pour toute nourriture, mais à l'arrivée il est toujours porteur du maillot jaune. Jusqu'à Paris, les coéquipiers d'Alcyon épaulés par ceux de La Française, soutiennent Dewaele, le seul de l'équipe qui puisse prétendre à la victoire finale. Le Flamand s'accroche avec une énergie surhumaine. Dix fois lâché dans les Alpes, cent fois poussé par ses équipiers au mépris des commissaires, il serre les dents, s'agrippe à son guidon et remonte son handicap mètre par mètre, reculant les limites connues du courage. Marcel Bidot, La mère poule, est sur tous les fronts. Son témoignage sur l'étape Evian-Belfort où Benoît Faure8 a démarré dans la côte de Morteau, est significatif et éclaire ce que fut cette course "strictement individuelle" : "Je remonte en tête du peloton, pour "arrêter la course", rejoins Benoît Faure et l'engueule: "Alors, qu'est-ce 157
que tu essayes de prouver? ... " Cardona débouche à son tour. Je vais le chercher. Puis j'avise Rebry : " Resté avec Leducq et Dewaele. Je m'occupe des autres9..." Par modestie, Marcel Bidot oublie de dire qu'il a même poussé le zèle jusqu'à agripper Benoît Faure par la selle de sa bécane! Dans Charleville-Malo-Ies-Bains, Dewaele va mieux. Tellement mieux qu'il gagne l'étape! Bizarrement d'ailleurs; parce que Desgrange qui a parfois du goût pour les complications, organise deux courses dans la course; entre deux groupes, en départs séparés: un premier groupe dont les coureurs sont classés pairs, 2e, 4e, 6e etc, et un deuxième groupe de coureurs classés impairs. Le vainqueur sera celui du groupe ayant réalisé le meilleur temps. C'est parfait, sauf qu'il y a un problème: le second groupe rejoint le premier et les coureurs arrivent tous ensemble à Malo-les-Bains dans une confusion extrême. Nicolas Frantz passe la ligne le premier, mais Dewaele qui est sixième, réalise le meilleur temps, et les spectateurs qui n'y comprennent rien, le voient entamer le tour d'honneur du vainqueur10 ! Le Flamand remporte largement ce Tour de France du courage... et de la combine11 devant Demuysère et Pancera12. Raymond Ruttier dans le Miroir des Sports écrit: "... le Belge Maurice Dewaele était sûr de gagner le Tour de France. Pour cela tous les concours lui étaient assurés, concours de ses équipiers, concours de certains de ses adversaires mêmes. " Desgrange, fou de rage, en est parfaitement conscient. Cette fois la grande épreuve a touché le fond du puits. Fin juillet, il décoche dans L'Auto sa célèbre diatribe: "On afait gagner un cadavre13. " Il n'y a pas que Dewaele qui est moribond, le Tour de France aussi. Le bon sens voudrait qu'on agisse, et vite. C'est encore Raymond Ruttier qui souffle à Desgrange une solution à laquelle le Patron a probablement déjà pensé: "Pourquoi, en effet, écrit Ruttier, ne reprendrait-on pas cette fameuse idée des "équipes nationales" qui donnerait au Tour de France un caractère réellement sensationnel? " Desgrange va y réfléchir et tenter d'oublier ce Tour exécrable, qui n'est qu'une insignifiante anecdote en regard de ce qui se prépare de l'autre côté de l'Atlantique. En effet, Le 29 octobre survient à Newy ork un événement extra-sportif bien plus important, et qui polarise 158
les inquiétudes : Wall street, le symbole du capitalisme d'outreAtlantique s'effondre dans un énorme krach qui déclenche une récession dramatique. Bientôt viendra le temps des raisins de la colère.
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En savoir plus: 1. Départs séparés dans les12e,1ge et 20e étapes. 2. Elle ne sera pas immédiatement appliquée, mais lors de l'homologation du classement général par l'Union Vélocipédique Française, quatre mois et demi après l'arrivée, Demuysère sera sanctionné de 25 minutes de pénalité, pour prise de boisson illicite. Ce qui le fera rétrograder à la 3e place du classement général fmal, au bénéfice de l'Italien Pancera. 3. Après enquête, Charles Pélissier sera rétrogradé à la dernière place de l'étape, et sera suspendu pendant six mois. 4 et 5. André Leducq "Une Fleur au guidon". Presses de la cité 1978. 6. La sorcière, ou la sorcière aux dents vertes, est un personnage mythique du Tour de France. C'est la guigne, la malchance, tout simplement. 7. André Leducq "Une Fleur au guidon". Presses de la cité 1978. 8. Benoît Faure (1900-1980), dit La Souris, était un personnage singulier. Touristeroutier très populaire et d'un gabarit minuscule, il était ridé comme une vieille pomme à moins de 30 ans et portait souvent un béret noir enfoncé jusqu'aux oreilles. Il fut éblouissant en montagne pendant plusieurs années et donna du fil à retordre à l'équipe de France dans le Tour 1930, avant d'en faire partie lui-même l'année suivante. Si un classement du meilleur grimpeur avait existé en 1929 il l'aurait probablement gagné; d'ailleurs, il termina premier des touristes-routiers. Il fut avec Trueba et avant l'avènement de Vietto, l'un des plus grands grimpeurs de ces années-là. Quoique constitué de courses secondaires, son palmarès est très fourni. 9. Marcel Bidot. " L'Epopée du Tour de France". Olivier Orban 1975. 1O. Source: André Leducq "Une Fleur au guidon". Presses de la cité 1978. Il. Selon Marcel Bidot, pour justifier la victoire de Dewaele dans le Tour de France, les dirigeants d'Alcyon intimèrent l'ordre au Troyen de laisser gagner Dewaele dans le Tour du Pays Basque 1929 qu'il était en train de remporter. Marcel Bidot. "L'Epopée du Tour de France". Olivier Orban 1975. 12. Outre les 25 minutes de pénalité infligées à Demuysère, Pencera récolta lors des homologations 10 minutes de pénalité pour entente illicite après crevaison. Il sera cependantdéclaré 2e devant Demuysère 3e. 13. C'est vrai et faux à la fois. Les combines et les manipulations illicites d'Alcyon pour faire gagner son coureur sont authentiques, mais le courage fantastique de Dewaele n'est pas niable. Contrairement à ce qu'on a souvent dit, ce n'était pas un coureur médiocre. Il termina 2e du Tour 1927, 3e en 1928, 5e en 1931. C'était un homme de la Grande Boucle, comme Lucien Buysse, comme Alavoine, comme Lambot, comme beaucoup d'autres. Par ailleurs, son palmarès est relativement modeste. Cependant, il remporta deux fois le Tour du Pays Basque (1928-1929), deux fois Paris-Menin (1926-1927), et le Tour de Belgique (1931).
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Le tour de France 1929 en un coup d'oeil 23e édition. Du 30 juin au 28 juillet 1929 5 286 kilomètres. Départ de Paris. 22 étapes. 7 jours de repos: Bayonne, Luchon, Perpignan, Marseille, Nice, Grenoble, Evian. Moyenne du vainqueur: 28,320 km/ho 155 coureurs dont 102 touristes routiers au départ. 60 coureurs, dont 34 touristesroutiers à l'arrivée. 10 équipes de marques: Alcyon-Dunlop, La Française-Dunlop, Alleluia- Wolber, De Dion-Bouton- Wolber, Elwish-Wolber, Fontan- Wolber, Dilecta-Wolber, Lucifer-Hutchinson, La Rafale-Hutchinson, J.B Louvet-Wolber. 9 équipes régionales de cinq touristes-routiers: lIe de France, Nord, Normandie, Bretagne, Côte d'Azur, Sud-est, Alsace-Lorraine, Champagne, Midi. Vainqueur M. DEWAELE (Belgique). 150 000 F de prix. Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Caen, 206 km : Aimé Dossche. 2. Caen-Cherbourg, 140 km : André Leducq. 3. Cherbourg-Dinan, 199 km : Orner Taverne. 4. Dinan-Brest, 206 km : Louis Delannoy. 5. Brest-Vannes, 208 km : Gustave Van slembrouck. 6. Vannesles Sables d'Olonne, 204 km : Paul Le Drogo. 7. Les Sables d'Olonne-Bordeaux, 285 km : Nicolas Frantz. 8. Bordeaux-Bayonne, 182 km : Julien Moineau. 9. Bayonne-Luchon, 363 km : Salvador Cardona. 10. Luchon-Perpignan, 323 km : Jef Demuysère. Il Perpignan-Marseille, 366 km : André Leducq. 12. MarseilleCannes, 191 km : Marcel Bidot. 13. Cannes-Nice, 133 km : Benoit Faure. 14. Nice-Grenoble, 333 km : Gaston Rebry. 15. Grenoble-Evian, 329 km : Julien Vervaecke. 16. Evian-Belfort, 283 km : Charles Pélissier. 17. Belfort-Strasbourg, 145 km : André Leducq. 18. Strasbourg-Metz, 165 km. André Leducq. 19. MetzCharleville, 159 km : Bernard Van Rysselberghe. 20. Charleville-Malo-Ies-Bains, 270 km : Maurice Dewaele. 21. Malo-Ies-Bains-Dieppe, 234 km : André Leducq. 22. Dieppe-Paris, 332 km. Nicolas Frantz. Les maillots jaunes Aimé Dossche (3). Maurice Dewaele (16). Nicolas Frantz (1). André Leducq (1). Victor Fontan (2). Gaston Rebry (1). Fontan, Leducq et Frantz ont porté le maillot jaune le même jour dans l'étape Bordeaux-Bayonne. Classement général final 1. Maurice DEWAELE (Bel) en 186h39'16" 2. Giuseppe Pancera (Ita) à 44'23" 3. Jef Demuysere (Bel) à 57' 10" 4. Salvador Cardona (Esp) à 57'46" 5. Nicolas Frantz (Lux) à 58'00" 6. Louis Delannoy (Bel) à 1h06'09" 7. Antonin Magne (Fra) à 1h08'00" 8. Julien Vervaecke (Bel) à 2h01'37" 9. Pierre Magne (Fra) à 2h03'00" 10. Gaston Rebry (Bel) à 2h17'49" Il. André Leducq (Fra) à 2h24'51" 12. Frans Bonduel (Bel) à 2h52'35" 13. Désiré Louesse (Bel) à 2h52'57" 14. Bernard Van Rysselberghe (Bel) à 3h06'23" 15. Benoit Faure (Fra) à 3h33'29" 16. Marcel Bidot (Fra) à 3h40'49" 17. Armand Van Bruaene (Bel) à 4h11 '54" 18. Charles Govaerts (Fra) à 4h14'24" 19. Francis Bouillet (Fra) à 5h07'51" 20. Ernest Neuhard (Fra) à 5h45'12" 21. Orner Taverne (Bel) à 5h49'39" 22. Léon Chene (Fra) à 6hOO'07"23. Jules Mer161
viel (Fra) à 6h05'02" 24. Mario Pomposi (Ita) à 6hI4'09" 25. Georges Laloup (Fra) à 6h30'50"26. Settimo Innocenti (Ita) à 6h43'53" 27. Julien Perrain (Fra) à 8h31'45" 28. Charles Pélissier (Fra) à 8h54'03" 29. Georges Berton (Fra) à 8h55'50" 30. Roger Gregoire (Fra) à 9h50'15" 31. Hector Denis (Fra) à 10h26'25" 32. Charles Martinet (Sui) à 10h33'00" 33. Auguste Encrine (Fra) à Ilh32'17" 34. Albert Jordens (Bel) à Ilh35'10" 35. Adrien Plautin (Fra) à Ilh36'51" 36. Jean Preuss (Fra) à 12hI3'56" 37. Guerrino Canova (Ita) à 12h22'38" 38. François Moreels (Fra) à 12h38'15" 39. Henri Touzard (Fra) à 12h41'44" 40. Roger Lebas (Fra) à 13h08'33" 41. Marcel Mazeyrat (Fra) à 13h27'23" 42. Leopold Boisselle (Fra) à 13h49'49" 43. Guy Bariffi (Sui) à 14h07'34" 44. Paul Delbart (Fra) à 15h06'16" 45. Henri Thomas (Fra) à 16h27'38" 46. Robert Recordon (Sui) à 16h36'50" 47. Eugène Greau (Fra) à 16h49'47" 48. Edouard Teisseire (Fra) à 17h09'50" 49. Battista Berardi (Fra) à 19hI4'16" 50. Georges Petit (Fra) à 19h57'59" 51. Eugen Werner (Sui) à 21h20'17" 52. Marcel Masson (Fra) à 21h52'55" 53. Henri Prevost (Fra) à 22hI4'52" 54. Marcel Gendrin (Fra) à 22h24'53" 55. François Ondet (Fra) à 22h30'00" 56. Charles Cottalorda (Fra) à 23h06'13" 57. Émile Faillu (Fra) à 24h50'41" 58. Paul Denis (Fra) à 25hI7'57" 59. Marcel lIpide (Fra) à 26h08'50" 60. André Leger (Fra) à 31h37'55" 1erdes touristes-routiers: Benoît Faure (Equipe régionale du Sud-est)
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Quelques évènements de l'année 1929 - Des affrontements entre Juifs et Arabes font 500 morts à Jérusalem. - Mies Van der Rohe présente le révolutionnaire pavillon allemand de l'exposition universelle de Barcelone, qui aujourd'hui encore serait qualifié de "moderne". - Le navigateur Alain Gerbaud termine son tour du monde à la voile en solitaire, qui aura duré cinq ans. - Aristide Briand propose les Etats-Unis d'Europe. - Apparition du journaliste Tintin dans le Petit Vingtième. - Krach de Wall street et début de la récession aux Etats-Unis. - Création des Auberges de jeunesse.
- La
construction
de la Ligne Maginot
est décidée.
- Le Corbusier réalise la villa Savoye, à Poissy. - Le dirigeable "Gra/Zeppelin", fait le Tour du Monde en 20 jours. - Louis de Broglie reçoit le prix Nobel de Physique. - Pie XI et Mussolini signent les accords de Latran qui reconnaissent la souveraineté du Vatican sur son territoire et désignent le catholicisme, comme seule religion de l'Etat italien. - Dans les librairies: "Les Enfants terribles" de Jean Cocteau, "Colline" de Jean Giono, "Courrier Sud" d'Antoine de Saint-Exupéry, "À l'Ouest rien de nouveau", réquisitoire contre la guerre, de l'Allemand Erich Maria Remarque. - Dans les cinémas: "Hallelujah!" de King Vidor, premier grand film parlant, entièrement interprété par des Noirs, "L'Argent" de Marcel L'Herbier, "L'Homme à la caméra" de Dziga Vertov, "Loulou" de G.W Pabst. - Au théâtre: Le grand acteur Raimu crée "Marius" de Marcel Pagnol au théâtre des variétés. Création à la Comédie des Champs-Élysées d' "Amphitryon 38", une pièce de Jean Giraudoux. - Décès de : Maréchal Foch, André Messager, compositeur français, Carl Friedrich Bantz, ingénieur allemand, Georges Courteline, écrivain français, Serge de Diaghilev, créateur des ballets russes, Antoine Bourdelle, sculpteur français, Georges Clemenceau, homme politique français, Emile Loubet, ex-président de la République. - Naissances de : Alex Jany, nageur français, Martin Luther King, homme politique américain, Michel Galabru, acteur français, Grace Kelly et Audrey Hepburn, actrices américaines, Jacques Brel, auteur-compositeur belge, Milan Kundera, écrivain tchèque, Anatole Kouznetzov, écrivain russe, Anne Franck, Allemande, auteur du "Journal", Jean-Pierre Mocky, metteur en scène français, Hassan II, Roi du Maroc. Hugues Aufray et Régine, chanteurs français, Pierre Bellemare, animateur de télévision français et producteur, Philippe Bouvard, journaliste français et animateur de télévision.
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1930 24e Tour de France. Du 2 au 27 juillet 1930
Nouvelle donne Le 2 juillet 1930 à sept heures du matin, le portail du 10, rue du Faubourg Montmartre s'ouvre et libère les cent coureurs entassés dans la cour du Journal L'Auto. De là, le peloton se dirige lentement vers Le Vésinet où a lieu le départ officiel. À quoi pense Henri Desgrange à ce moment précis? Il n'y a pas grand risque à imaginer qu'il n'a pas dormi de la nuit et qu'il est saisi d'un sentiment mitigé de fierté et d'inquiétude en se remémorant les raisons qui l'ont poussé à modifier radicalement la physionomie de son Tour de France. N'aurait-il pas été trop loin, par hasard, en voulant innover de manière aussi radicale? S'il s'est trompé, il ne lui restera plus qu'à enterrer définitivement son énorme machinerie, comme il avait cru devoir le faire en 1904. Le poids de sa responsabilité pèse comme jamais sur ses épaules. Après la victoire du cadavre dans le Tour 1929, il ne décolérait pas. Depuis la naissance du Tour, il avait exalté l'effort individuel, dénoncé les entraides entre coureurs et accepté par la suite et en rechignant, une certaine idée de la course d'équipes, pas claire d'ailleurs. Pour revenir finalement à la course individuelle. H.D devait se rendre à l'évidence: il y avait quelque chose de pourri au royaume de la Grande Boucle. L'hégémonie d'Alcyon et de sa sous-marque, La Française, les combines entre constructeurs, avaient faussé le résultat. Le problème ne datait pas d'hier, Desgrange le savait et l'avait écrit dans L'Auto: "Le constructeur veut voir gagner son coureur, même s'il n'est pas le meilleur, l'organisateur, lui, veut voir triompher le meilleur. " Avec un entêtement et une grandeur qui sont le sceau de son caractère, le patron de L'Auto affirme à présent ses principes de loyauté, de vérité et d'excellence, face à la logique du profit. Bien que par le passé son comportement n'était pas toujours en harmonie avec ceuxci, par le fait que ses relations avec les grands constructeurs manquaient de limpidité. Mais après les évènements du Tour 1929, la 165
coupe était pleine et il devenait évident que son enfant était en passe de perdre son âme. Pour Desgrange, c'etait presque aussi grave que de savoir sa patrie en danger. Il devait agir et il l'avait fait. C'était une excellente occasion pour donner un bon coup de jeune au Tour de France, et ouvrir la vieille épreuve à une inévitable modernité en substituant le champion-gentleman au gladiateur archaïque et à l'aventurier marathonien. "11fallait du courage, écrira plus tard Jacques Goddet, beaucoup de courage, pour bifurquer carrément vers les équipes nationales1. " Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit. L'homme de pouvoir qu'est Desgrange, a compris que puisque le mouvement lui échappe il doit feindre d'en être l'organisateur, comme le suggérait Jean Cocteau dans "Les Mariés de la tour Eiffel." Cette belle idée, H.D va en faire son précepte pour la vingt-quatrième édition de la grande épreuve, en concrétisant une idée géniale qu'il a su saisir parce qu'elle était dans l'air: les marques de cycles imposent une course d'équipes, eh bien ils vont en avoir une. .. signée Desgrange ! Il crée donc les équipes nationales dont il sera l'unique sélectionneur. Ce qui lui permet d'éliminer Dewaele dont la victoire lui reste en travers de la gorge, mais aussi Nicolas Frantz. Il est vrai que l'année précédente, le champion luxembourgeois avait tenu des propos imprudents rapportés dans le Miroir des Sports, dans lequel il avait dénoncé certaines pressions dont il avait été l'objet en 1924, parce qu'il devenait menaçant pour le maillot jaune de Bottecchia! Pendant le Tour de France de 1930, Dewaele et Frantz devront se contenter de courir dans le Circuit du Midi2. Dans L'Auto du 25 septembre 1929, l'organisateur définit la nouvelle donne. En résumé, le peloton sera constitué de cinq équipes nationales de huit coureurs, de nationalités italienne, belge, espagnole, allemande et française, plus une cohorte de touristes-routiers, soixante au total, dont trente-neuf seront intégrés à neuf équipes régionales. Quarante participants de l'année précédente seront retenus, et vingt coureurs "qui au cours de la saison auront fait leurs petites preuves (sic)." Les bicyclettes des quarante As appartiendront au Journal, elle seront anonymes, de couleur jaune et frappées du A gothique de L'Auto. Ce pourrait être le A d'Alcyon, car Desgrange a acheté ses bécanes à Edmond Gentil, le PDG de la marque, sans que cet accord soit pu166
bliquement communiqué. Il faut souligner l'ambiguïté de cette entente. Desgrange est en désaccord avec la politique hégémonique d'Alcyon, mais il a besoin du plus important des constructeurs de cycles.
Alors, il affirme son autorité, tout en ménageant la chèvre et le chou3. Le dérailleur reste interdit aux As qui devront se contenter du classique retournement de roue en fonction du profil de l'étape, avec changement de roue libre. Les touristes-routiers ne sont pas astreints à cette bizarrerie. Pour eux, les innovations techniques sont tolérées et notamment le dérailleur, largement utilisé dans les courses autres que le Tour de France. C'est un avantage pour les obscurs. Il faut bien qu'ils en aient un ! Le règlement est toujours aussi sévère: "Défense de s'attendre de s'entraîner, de se ramener". Sauf dans le cas de départs séparés où l'esprit d'équipe est autorisé dans une certaine mesure et au bon vouloir des commissaires de course. Ceux-ci pourront supprimer l'autorisation en cas d'abus. C'est totalement irréaliste et surtout ambigu. La course est-elle individuelle ou collective? Réponse: les deux mon Général! En cas de départs séparés par équipes, les coureurs d'une même équipe peuvent s'entraider sous certaines conditions, mais, en cas de départ en ligne, ils doivent obstinément s'ignorer. Qui pourrait croire cela, à part Henri Desgrange ? Mais au bout du compte et malgré leurs imperfections, plus qu'un bon lessivage, plus qu'une remise à neuf, les nouvelles dispositions sont une révolution. Un tel chamboulement n'est pas sans danger et pourrait provoquer les représailles des constructeurs tentés de supprimer leurs ordres publicitaires. D'autant que dans L'Auto Desgrange a été clair: "Tous répétons-le, As ou touristes-routiers, seront renvoyés à Paris à la première tentative d'aide par une maison commerciale". Le vieux lutteur prend un risque considérable, mais les constructeurs furieux ne broncheront pas. Les retombées du Tour de France sont trop importantes pour qu'ils se permettent des mouvements d'humeur. C'est ce qu'on appelle un rapport de forces équilibré. Desgrange conclut: "Une course toute neuve, en ce sens qu'elle ne comporte plus de concurrence commerciale des marques (..J une course qui essaye loyalement de remédier aux erreurs du passé." On 167
admirera au passage l'habileté dialectique du patron, qui désamorce les critiques éventuelles sur le bien-fondé de sa nouvelle organisation en reconnaissant humblement ses erreurs antérieures. L'Auto prend les As du Tour sous contrat, ce qui en fait les employés de Desgrange pour la durée de l'épreuve. Le journal assume toutes leurs dépenses: hôtels, soigneurs, nourriture, matériels, maillots, casquettes, lunettes, sauf, précisent les contrats, les culottes, les guidons et les selles, les fortifiants, les reconstituants et les drogues! Le patron va plus loin, en accordant une somme forfaitaire aux As, variable en fonction de leur notoriété et à condition que le montant de leurs gains de course soit inférieur à la somme figurant dans le contrat. Bien que les touristes-routiers continuent de se prendre matériellement en charge comme par le passé, le poids financier est énorme et il faut trouver les moyens d'y faire face. D'autant que les prix accordés aux coureurs sont multipliés par quatre, par rapport à ceux de 1929. Une solution paraît possible: la caravane publicitaire. Elle existe déjà discrètement depuis deux ans, et les spectateurs qui s'attardent sur le bord des routes peuvent voir les voitures des réveils Bayard, du cirage Lion Noir et surtout du chocolat Menier, qui apparaissent longtemps après le passage des coureurs. Au fil du temps, la nouvelle formule va attirer d'autres annonceurs, les biscottes Delft, la Vache qui rit, la société Graf, Noveltex, Esders, Ovomaltine, Martini et Rossi, Byrrh, et bien d'autres. La firme Menier, qui a compris que le Tour de France pouvait constituer un support formidable à sa réclame, est omniprésente. Elle obtient de passer avant les coureurs, et distribue des tonnes de tablettes de chocolat et des milliers de bonnets en papier frappés du sigle de sa marque. Elle s'installe en haut des principaux cols, offre du chocolat chaud aux spectateurs et aux coureurs, et attribue des primes aux grimpeurs passés en tête. Cette première offensive commerciale de grande ampleur, qui offre à L'Auto une manne inespérée, obtiendra un grand succès qui incitera Desgrange à renouveler l'expérience et à la développer; d'autant que les ordres publicitaires de la caravane du Tour affluent dans les colonnes du journal. 168
Pour éviter les ententes entre équipiers de marques à l'intérieur de son système, Desgrange introduit une autre innovation: le challenge international qui récompense la meilleure équipe nationale, avec une forte prime à la clef. En outre, les équipes nationales permettent de mettre en valeur les coureurs français. Devenus subalternes depuis la victoire d'Henri Pélissier en 1923, et assujettis aux chefs de file flamands des grandes formations, ils ne pouvaient espérer qu'une place de premier français loin du vainqueur. La belle équipe... Desgrange sélectionne des routiers français déjà populaires et annonce le 3 mars 1930 le nom des heureux élus: Antonin Magne, Victor Fontan, Charles Pélissier, Marcel Bidot, Jules Merviel. Il en manque trois. André Leducq n'apprendra sa sélection que le 8 mai. Si son début de saison fut discret, il a par bonheur gagné Paris-Caen en avril. Cette sélection capitale sera complétée par celles de Pierre Magne et de Jef Mauclair. Tous les hommes sélectionnés, sauf Jules Merviel, ont gagné au moins une étape dans le Tour de France. Victor Fontan, l'ancien, le montagnard, héros malheureux du Tour 1929, sera le capitaine respecté de tous, de cette belle équipe. Il a trente-huit ans. "Nous avions fière allure, écrira Leducq, dans nos maillots tricolores bleus avec bandes horizontales blanche et rouge. Nous n'étions plus les hommes-sandwich d'une marque mais les portedrapeaux de la nation4 /" Les équipements unifiés des As donnent au peloton, un style, un look, qui ne seront pas pour rien dans le prestige grandissant du Tour de France. Seuls les touristes-routiers, qui jouent auprès des nationaux le rôle dévolu à l'asparagus dans les bouquets de roses, à savoir qu'ils offrent un indispensable volume au peloton, conservent leurs tenues hétéroclites de baroudeurs du vélo. Ils démontrent ainsi à l'observateur que la chrysalide n'est pas tout à fait devenue papillon.
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... et le campionissimo En l'absence de Dewaele et de Nicolas Frantz, Desgrange a besoin d'une vedette. Il contacte l'Italien Alfredo Binda, incontestable star internationale qu'on vient de priver de Tour d'Italie. Chez lui c'est un épouvantail, le seul coureur auquel les organisateurs du Giro aient offert la prime promise au vainqueur en le suppliant de ne pas participer à leur épreuve; afin, pensent-ils, de ne pas décourager le peloton de ses adversaires, écrasés par une supériorité qui fait de lui l'un des trois ou quatre plus grands coureurs de tous les temps5. Il n'a pourtant rien d'un athlète cet Alfredo Binda. Auprès de Guerra et de Girardengo, il fait même un peu freluquet. Des bras trop minces, des jambes grêles, mais de l'allure, du style, une pédalée souple, qui donne à ses adversaires le sentiment d'une décourageante facilité, et un rictus permanent dans l'effort, qui passe pour un sourire et qui lui vaudra dans les pelotons le surnom de Joconde. Il sprinte, il roule, il grimpe et ses courses sont des modèles d'intelligence. Il faudra attendre Bartali et Coppi pour retrouver des coureurs de ce calibre. Jusque-là, et si l'on excepte le petit grimpeur Lucotti, Bottecchia double vainqueur en 1924 et 1925 et Aimo, remarquable derrière son célèbre compatriote, les Italiens n'avaient guère brillé dans le Tour. Les supporters de Girardengo, le premier campionissimo, se souvenaient encore de son unique et piètre participation en 1914 : il avait abandonné dans les Pyrénées, noyé dans les profondeurs du classement général. Cette année donc, Binda a promis sa présence à Desgrange, heureux d'afficher une star sur ce tour du renouveau. Et il tient sa promesse. Dès la première étape, tout le monde sauf Desgrange, est convaincu qu'il est là pour gagner. Il termine second ainsi que dans les deux étapes suivantes, puis quatrième, troisième, second à nouveau. Un festival qui annonce la victoire finale dès les premières étapes de montagne. Malheureusement, Binda s'affale au milieu des fougères entre Bordeaux et Hendaye et termine 75e à plus d'une heure du premier, effilochant ainsi ses chances de l'emporter à Paris. Vexé, l'Italien se prend au jeu et il remporte coup sur coup, et magistralement, deux étapes pyrénéennes. Mais dans la 10e étape, après être passé en tête au Portet d'Aspet, il perd du temps dans la 170
descente du col de Port, perturbé par une tige de selle cassée. Finalement, et bien que rien ne soit perdu, il décide d'abandonner, estimant avoir respecté son accord secret avec Desgrange qui lui avait promis une confortable prime de présence pour quelques étapes, tout en sachant qu'il n'irait pas jusqu'au terme de l'épreuve. En réalité, Binda n'avait guère envie de prendre le risque de perdre, préférant concentrer son attention sur la préparation du Championnat du Monde qu'il gagnera. Il reconnaîtra plus tard qu'en abandonnant il avait fait la plus grosse bêtise de sa vie. Malheureusement, on ne le reverra jamais en tant que coureur sur le Tour. Les routes de France ne sont pas pour lui, il s'y ennuie et n'y retrouve pas la ferveur italienne. Sa carrière cycliste terminée, il reviendra après la guerre, muni de son aura, pour mettre sur orbite deux fusées nommées Bartali et Coppi en réussissant à harmoniser leurs traj ectoires, ce qui ne fut pas le moindre de ses exploits. Des Français entreprenants Dès le départ de ce 24e Tour de France, les Français se font remarquer, et leur popularité orchestrée par la presse, enfle chaque jour jusqu'à devenir considérable. Charles Pélissier endosse le maillot jaune dès la première étape à Caen, mais le perd le lendemain au profit de l'Italien Guerra qui s'était échappé jusqu'à Dinan. Pélissier gagne encore à Brest, et Leducq aux Sables d'Olonne, alors que Jules Merviell'emporte à Hendaye. Au pied des Pyrénées, Guerra reste maillot jaune, mais Leducq lui arrache le précieux paletot à Luchon où l'Italien arrive avec treize minutes de retard. Une semaine plus tard, à Grenoble, Leducq est touj ours en tête à la veille de la grande étape des Alpes qui va assurer sa popularité pour plusieurs décennies. Lafin d'un rêve? Grenoble-Evian est devenue une étape classique du Tour, Desgrange la réédite tous les ans. 331 km de montagne, avec le col du Lautaret pour la mise en jambes, l'énorme Galibier, une vieille trouvaille datant de 1911, ensuite le Télégraphe, simple formalité sur ce versant-là, et pour finir le col des Aravis avant la descente sur Evian. 171
Départ à trois heures sous un ciel étoilé, avec des jambières de laine en raison du petit matin frisquet. Dédé Leducq n'est pas impressionné. Il connaît bien le Galibier. Depuis ses débuts dans le Tour il l'a escaladé trois fois, arrivant toujours dans les premiers à Evian. Tout le monde s'accorde à dire que l'ex-Champion du Monde amateur n'est qu'un grimpeur honorable. En revanche, il est un dévaleur de pentes incomparable, fondant comme un rapace sur les grimpeurs ailés, les jockeys du genre Benoît Faure ou Vicente Trueba, qui se jouent de la pesanteur dans les montées, mais n'en profitent guère dans les descentes, où leur faible poids les condamne aux regroupements présageant les arrivées au sprint. Et justement, dans ces arrivées-là, Leducq excelle, en athlète complet qu'il est. Dédé Leducq est un décathlonien du vélo, bon grimpeur, bon rouleur, bon sprinter, bon en tout, exceptionnel en rien, sauf en descente où il ne connaît pas la peur et freine moins que les autres. Le profil parfait d'un vainqueur du Tour. Depuis une semaine donc, il porte le maillot jaune avec la ferme intention de le garder malgré Guerra. "Guerra? Qui c'est ce mec ?" avait dit Leducq au début du Tour. Personne ne le connaissait parmi les Français. Maintenant on sait. Guerra est un coriace, un râblé, aux épaules larges et aux cuisses énormes. Il grimpe correctement, sprinte redoutablement et roule vite et longtemps sans état d'âme, sans stratégie subtile, mais en gardant toujours quelques réserves. Son faciès aux mâchoires volontaires s'éclaire souvent d'un sourire carnassier. On le dit de contact agréable avec les autres coureurs en dehors de la course, mais sur un vélo c'est un tueur, capable d'épuiser ses adversaires en menant un train impitoyable et destructeur. Son endurance et sa régularité lui valent le surnom de Locomotive Humaine ou de Locomotive de Mantoue, selon les humeurs des chroniqueurs. Il n'est professionnel que depuis un an et sa gloire est encore à venir. Les spécialistes voient en lui le digne successeur de Binda, qui pour l'instant règne sans partage sur le cyclisme international. À ce stade de la course, Leducq peut raisonnablement envisager une victoire dans le Tour. Binda a sombré et Learco Guerra est se172
cond au général avec plus de seize minutes de retard. Malgré tout, il faut l'avoir à l'œil. Bien que son retard sur Leducq soit important, il lui a repris presque six minutes à Grenoble où il a gagné haut la main. Le Tour n'est pas terminé. Loin de là. Au sommet du Galibier, Pierre Magne équipier de Leducq, passe en tête. Il est accompagné du minuscule Benoît Faure, dit La Souris, sous le regard de Desgrange qui contrôle les écarts. Derrière eux, Demuysère le Flamand est à une poignée de secondes, suivi de deux Espagnols de poche, Cepeda et Vicente Trueba, La Puce de Torrelavega, et d'un grimpeur allemand Oskar Thierbach. Leducq est à une minute et trente-cinq secondes, Guerra est sur ses talons. Dans la descente, un mauvais chemin creusé d'ornières, Dédé rejoint la tête de la course. Soudain, dans un virage, son vélo décolle du sol à 70 km à l'heure. La cabriole du champion projette ses 75 kilos dix mètres devant, sur la caillasse de la route. Le choc est terrible. Le porteur du maillot j aune gît, affalé sur le dos, inanimé, les genoux et les mains en sang. Pierre Magne qui était juste derrière lui saute de sa machine. Maîtrisant son affolement, il saisit Leducq sous les aisselles et le traîne sur le bas coté du chemin pour éviter une collision, avant de relever le vélo accidenté, de vérifier les freins et de constater qu'une des pédales est faussée. Puis il secoue son ami. Dieu merci, il n'est que sonné: - Dédé, bon sang, redresse-toi, il faut y aller ! Marcel Bidot, le gros Marcel, comme dit Leducq, arrive à son tour. Leducq sort enfin de son brouillard et se relève péniblement, comme un fêtard éméché. Magne et Bidot redressent la pédale faussée, aident Dédé à monter sur sa bécane et le poussent dans la descente. Cent mètres plus bas, son frein avant cède. Bidot et Magne réparent. Redémarrage. Demuysère est prévenu de la situation. Bien placé au classement général, il ajuste l'élastique de ses lunettes. L'occasion est trop belle. Guerra a assisté à la chute. Il fonce et rejoint le Flamand. Les kilomètres succèdent aux kilomètres et l'écart entre les Français et les fuyards se creuse. Dédé souffre en silence, encouragé par Pierre Magne et Marcel Bidot. Son corps est douloureux et sa main gauche tuméfiée 173
l'empêche de serrer le guidon, mais il s'accroche avec l'énergie du désespOIr. Dans la vallée, après le petit village de Valloire, commence la montée du col du Télégraphe. Au bout de deux kilomètres d'ascension, la pédale défectueuse casse net. Le maillot jaune dérape sur les cailloux et part à nouveau dans le décor en provoquant la chute de Bidot. Là, ça commence à faire beaucoup. Magne s'arrête. Leducq se relève en titubant, se laisse choir sur une grosse pierre plate et s'effondre en larmes. Des voitures s'arrêtent et les suiveurs s'agglutinent autour du champion terrassé. Le photographe du Miroir des Sports, Robert Caudrilliers, saute d'une berline et prend plusieurs clichés du guerrier vaincu, hébété, assis sur sa pierre, la tête lovée contre son bras sanglant comme s'il voulait se protéger du monde, du malheur, de l'adversité6. Cette fois c'est bien fini. Son maillot jaune prend la couleur du deuil. Les secondes s'égrènent; des coureurs attardés passent devant les Français. Devant, c'est la curée. Guerra se voit à nouveau en jaune avec la promesse de la victoire finale à Paris. Pour une première participation ce serait un coup de maître. Hors course le Leducq, laminé, écrabouillé, vaincu! Qui aurait pu croire à un pareil coup de théâtre le matin même, sur la ligne de départ, en le voyant paré de son maillot jaune, confiant, joyeux comme à son habitude et entouré de ses équipiers triomphants? Quant à Demuysère, il voit là une occasion unique de remonter au classement général, juste derrière Guerra. Deuxième à Paris ce serait formidable. Une belle revanche. Mieux qu'en 1929 où pour ses débuts dans le Tour il avait terminé 3e derrière Dewaele, après déclassement de sa place de second. Ce Demuysère est un bloc de granit. L'année précédente, Raymond Huttier dans le Miroir des Sports en traçait un portrait qui ne mérite aucune retouche et qui pourrait être celui, général, de ces Flandriens qui marquèrent profondément l'histoire du Tour de France: "C'est le prototype des routiers puissants. Pas très grand mais extrêmement solide, Demuysère a les épaules larges, le cou énorme, le torse épais, la poitrine profonde, les cuisses et les jambes formidables. Avec cela, une tête extraordinaire, aux traits violemment marqués, un masque d'empereur romain taillé au ciseau dans le marbre. 174
C'est le véritable cheval de labour que rien n'effraie ni n'arrête et qui, toujours, ira jusqu'au bout de sa tâche, quoi qu'il arrive." Ch evauchéefan tasûque Demuysère et Guerra s'engouffrent dans le tunnel du col du Télégraphe?, en compagnie de l'Espagnol Vicente Trueba et de Benoît Faure. Les quatre hommes plongent dans la longue descente vers Saint -Michel-de- Maurienne.
Pourtant, à cet instant, la physionomie de la course offre à Leducq noyé dans son désespoir, une chance inattendue qu'il n'analyse probablement pas: Pierre Magne et Marcel Bidot sont avec lui et ses autres équipiers sont à la traîne. Ils arrivent l'un après l'autre. D'abord son copain Antonin Magne, tracassé par une méchante furonculose, Julou Merviel, et Charles Pélissier, dit Charlot, l'aristocrate du vélo, belle gueule, socquettes blanches et gants beurre frais. Son élégance à bicyclette lui vaut un second surnom: Brummel. On s'attendrait presque à le voir au départ avec un œillet rouge épinglé à son maillot. Il faut remonter à Garrigou et Petit-Breton, pour trouver des coureurs aussi soucieux de leur image. Charles Pélissier, c'est Koblet avant Koblet, le coureur suisse qui émoustillera les midinettes dans le Tour de France 1951. Les relations de Charles avec Leducq, souvent houleuses, sont heureusement sauvées par une admiration mutuelle. Chouchouté par Henri Desgrange, encore écrasé par la gloire de ses deux frangins, Henri et Francis, Charles rêve de se faire un prénom. Et il y parviendra cette année-là, en seigneur, en alignant une impressionnante série de performances dans le Tour. Malheureusement, l'homme au marteau8 l'attendait dans l'étape de Grenoble et lui ôtait toute chance de l'emporter à Paris. Ce jour-là, il perdit cinquante minutes sur Guerra. Pour l'instant il tient un gros rhume, ce qui explique qu'il se traîne à l'arrière. Capitaine de l'équipe de France depuis l'abandon du malheureux Fontan qui souffrait de furonculose, Charles Pélissier fait calmement le point de la situation et prend les choses en main. Le Flahute et le Rital caracolent en tête, bon, d'accord, mais seize minutes c'est tout de même un capital! Ça ne s'évanouit pas comme ça, d'un simple claquement de doigts! Ils sont six contre deux, parce que les grimpeurs 175
- La Puce et La Souris - qui accompagnent leurs adversaires ne compteront pas dans la vallée de la Maurienne. Cette fin d'étape de montagne est taillée en partie pour les rouleurs. Et rouler ça les connaît. Alors tous pour un et un pour tous! Leducq désespéré, gémit en appelant sa mère. - Ce coup-là, c'est foutu, c'est complètement foutu, dit-il, j'abandonne, il n'y a plus que ça à faire! Marcel Bidot lui colle sa face burinée de Terre-Neuvier sous le nez: - Arrête de chialer comme une gonzesse, t'es ridicule. Tu la reverras ta mère! Plie ta jambe pour voir. Bon, t'as rien de cassé, alors on repart et on leur tombe dessus! Repartir d'accord, mais avec cette pédale cassée c'est vite dit. Un cycliste spectateur offre généreusement l'une des siennes. Il ne reste qu'à trouver une clé pour sortir la pédale défaillante de sa cage. Mais il faut une clé plate, spéciale, les Français n'en ont pas, et l'unique camionnette de dépannage9 roule derrière le dernier coureur à une heure de là. Bidot questionne fébrilement les spectateurs, courant de l'un à l'autre en quémandant la précieuse clé. Mon royaume pour un cheval. On connaît la chanson! Mais bien que Bidot n'ait rien à offrir, le miracle se produit: un suiveur a une clé et c'est exactement celle qu'il faut. IlIa sort de son coffre et la tend au coureur. La pédale est vissée à la hâte. Leducq remonte en selle en pleurant sous les applaudissements des suiveurs. Et la folle poursuite commence. À ce moment précis, Leducq a perdu son beau maillot, de peu, de très peu, dix secondes, quinze peut-être, c'est ce qu'affirmera plus tard Antonin Magne, et en matière de calcul on pouvait lui faire confiance! Reste que le paletot est virtuellement sur les épaules de Guerra; d'un souffle. Si Leducq n'avait pas perdu sa tunique jaune, l'épopée eût été moins belle et les comptes-rendus moins épiques. Mais un hasard heureux voulut que ces dix secondes offrissent à l'histoire les atours de la légende. Après ce qui reste de la montée du Télégraphe et la vertigineuse descente, où Leducq oubliant sa chute du Galibier redevient le descendeur exceptionnel que l'on connaît, les Français abordent la vallée de la Maurienne. Le retard n'est plus que de treize minutes et treize 176
secondes. Le champion à repris son maillot jaune, mais il ne tient qu'à un fil. Leducq demande à Bidot : - Tu crois qu'on les reverra, Marcel? Et le bon Marcel, La Mère poule, le grand frère, répond que oui, pour ne pas le désespérer, mais il n'en pense pas moins. Il écrira plus tard: "j'arrache mes jambières etje pleure sur le vélo. Je me demande où je vais trouver la force de pédaler aussi vite 10." IlIa trouvera. Charles Pélissier exhorte sa troupe. Il faut rouler à fond avec des relais courts, comme dans une poursuite olympique. Ils s'y collent tous, aspirant littéralement Dédé Leducq dans leur sillage. Un Leducq qui ne pense plus à ses blessures, réconforté et concentré sur une idée fixe: consolider le maillot jaune. Car ce maillot n'est plus le sien, c'est celui de toute l'équipe. Une équipe de sélectionnés pourtant, d'adversaires de marques, donc contre nature, mais pour l'occasion magnifiquement soudés autour de lui et qui parachèvent leur cohésion grâce à cette épreuve inattendue qui semblait, il y avait une heure encore, insurmontable. Le premier à lâcher prise est Julou Merviel, l'Aveyronnais. Il s'arrête pour retourner sa roue et changer de braquet. Ce n'est pas le moment et il ne reverra ses copains qu'à l'hôtel. Ils restent donc à cinq, et ces cinq-là, arc-boutés sur leurs machines, vont faire des merveilles. Au passage, ils recueillent plusieurs coureurs égrenés sur le parcours, loin derrière Guerra et Demuysère : des touristes-routiers, des Belges, des Espagnols qui profitent de l'express en resquilleurs, sans assurer les relais, mais en s'écartant respectueusement de la ligne de chasse des tricolores. Les Français déchaînés n'ont besoin de personne. Leur chevauchée fantastique va durer soixante-quinze kilomètres sans qu'ils disent un mot, juste accompagnés du sifflement du vent dans les rayons des roues et du crissement des gravillons sous les boyaux. Pas besoin de leur faire un dessin. Pas besoin de grand discours. Ils ont tous la même conscience de l'enjeu et de la nécessité de faire corps. La chasse est menée à train d'enfer par un Pélissier investi d'une rage inouïe, relayée par les frères Magne, Marcel Bidot, et Leducq qui ne sent plus son corps douloureux et qui s'y met à son tour. Effacés les furoncles de Tonin ! oubliées les blessures de Leducq ! évanoui le rhume de Charlot! L'écart diminue. Huit minutes à La Chambre, sept 177
minutes à Epierre. Le maillot est à nouveau bien moulé sur le torse de Dédé, mais ça ne suffit pas. Emportés par l'euphorie, les Français mâchoires serrées, le nez sur le guidon, visent la victoire totale qui assommera leurs adversaires une bonne fois pour toutes. Six minutes à Pont d'Aiton, cinq minutes à Aiton. Avant Albertville, ils aperçoivent au loin un nuage de poussière qui signale les voitures suiveuses agglutinées derrière le groupe Guerra-Demuysère. Les tricolores, galvanisés, jettent toutes leurs forces dans la bataille. Devant, l'Italien et le Flamand prévenus de l'incroyable retour des Français, qui sonne le glas de leurs ambitions, ont compris, et ils se relèvent. La j onction est consommée après Albertville, et les fuyards ont juste le temps de sauter dans les roues de la bande de fantômes empoussiérés qui les passent en trombe, les yeux dissimulés par leurs lunettes de motards. Le triomphe des bleus Leducq a envie d'exploser de joie, de crâner aussi, de décocher quelques-unes de ses plaisanteries de titi de Saint-Ouen qui font sa réputation. Mais il se tait car il imagine la répartie ironique de Marcel Bidot : - Alors ça y'est mon grand, tu n'appelles plus ta mère? "Le col des Aravis pour finir, nous l'avons monté plan-plan, on était tous ratatinés", écrira Leducq. Un touriste-routier, Marcel Mazeyrat, grimpeur remarquable, arrive le premier au sommet. Il l'a mérité car c'est l'un des rares à avoir assuré les relais avec l'équipe de France. Après avoir manqué de peu, d'être d~vorés tout cru, les Français sont saisis d'un appétit d'ogre. La cerise sur le gâteau, ce serait la victoire du grand Charles à Evian. Un beau cadeau de l'équipe, un hommage légitime. C'est bien le moins, après les efforts qu'il a fournis et surtout l'énergie qu'il leur a communiquée. - On va t'arranger ça aux petits oignons avec Pierre, on t'emmène et tu passes comme un bolide, dit Dédé. Mais le bolide a présumé de ses forces et c'est Leducq qui franchit la ligne le premier avec Pélissier dans sa roue, après treize heures 178
et trente-neuf minutes de course, ajoutant une dernière touche de sensationnel à ce qui l'est déjà largement. - Alors, qu'est-ce que t'as fabriqué, dit Leducq à Pélissier, on t'avait laissé un boulevard! Pourquoi t'es pas passé? - Passer? T'en a de bonnes, fallait pouvoir! murmure le grand. Rétrospectivement, l'injonction de Desgrange, sur l'interdiction "de s'attendre de s'entraîner, de se ramener" hors des étapes à départs séparés, fait sourire. Si ce point capital du règlement avait été respecté, toute l'équipe de France aurait été éliminée. Le père du Tour est-il en passe de comprendre qu'il est inutile d'interdire ce que l'on ne peut empêcher? C'est probable. Ce qu'il ne peut que constater et que sa rigidité psychologique lui interdit de reconnaître publiquement, c'est que la course d'équipe telle qu'il ne la veut pas vient d'engendrer l'un des plus hauts faits de l'histoire du Tour. Un exploit qui va enthousiasmer les passionnés de la Grande Boucle, faire crépiter les machines à écrire et donner des ailes aux stylos des journalistes. Impossible n'est pas français! Le coq gaulois exulte. Deux jours plus tard, dans L'Auto, Henri Desgrange, prodigieux metteur en scène de l'effort, regrettait sans la nommer que la télévision n'existât pas: "Imaginez qu'hier tous ceux qui s'intéressent au Tour de France aient pu voir la chute de Leducq. Imaginez qu'ils aient pu entendre comme s'ils avaient été sur les lieux le cri tragique de Leducq qui appelle "Maman! Maman!" alors le public saura tout ce que nos moyens actuels d'information ne nous permettent pas de lui dire. " Patience Monsieur Desgrange ! Cette même année un ingénieur écossais a lancé sur le marché, sans succès, le premier téléviseur commercialisable, le Télévisor, qu'il avait déjà présenté en 1925. Au printemps suivant, le physicien René Barthélemy réalisera la première émission de télévision publique à Malakoff. En attendant, il faut se contenter de la T.S.F, qui a fait son apparition sur le tour l'année précédente avec Jean Antoine et Alex Virot. Cette année, ils ont suivi les Français pendant leur chevauchée de la vallée de la Maurienne, tenant en haleine les rares auditeurs collés à leur récepteur. Dans la 1ge étape, Metz-Charleville, courue par départs séparés, Henri Desgrange, peut-être pour faire oublier son indulgence de Gre179
noble-Evian et éviter les critiques, applique strictement le règlement. Pélissier, Merviel, et Pierre Magne ont attendu le maillot jaune. Or, le règlement sur ce point est sans ambiguïté: un coureur peut être attendu par deux équipiers, pas par trois! Les quatre hommes sont pénalisés de deux minutes au classement général. La rigueur s'en satisfait et permet à Guerra de se rapprocher légèrement de Leducq. C'est une maigre consolation pour l'Italien, d'autant qu'à Charleville il s'est fait chiper la victoire d'étape par Pélissier, qui lui a coupé la route dans un virage du vélodrome. Avec Charlot, ils en sont venus aux mains, mais malgré la réclamation de Guerra, le classement a été maintenu Il . Les quatre dernières étapes parachèvent le triomphe de l'équipe de France12. Charles Pélissier les gagne toutes au sprint. Auparavant, il s'offre le luxe, lui le sprinter, de passer en tête au col de la Faucille dans la 17e étape13. Sa popularité est considérable, peut-être supérieure à celle de Leducq, ce qui n'est pas rien. Aux arrivées c'est du délire et sa grande carcasse est souvent portée en triomphe. Huit victoires d'étapes, sept places de second, trois places de troisième. Dixhuit fois placé dans les trois premiers sur vingt et une étapes. Du jamais vu et qu'on ne reverra jamais. - Le vrai vainqueur, c'était lui, dira Leducq. Dans les critériums d'après Tour il gagnait le double de moi! Six Français sont placés dans les neuf premiers, dont cinq maillots bleus à bandes rouge et blanche. Le sixième Français n'est autre que Benoît Faure le touriste-routier, l'individuel, le Judas de l'étape d'Evian. Sa course admirable lui vaudra d'être retenu l'année suivante dans l'équipe de France. L'arrivée à Paris est triomphale et consacre le succès de la nouvelle formule inventée par Henri Desgrange. Un journal parmi d'autres, en l'occurrence Paris-Soir, laisse éclater son enthousiasme: "On n'avait jamais vu ça ! Des centaines de milliers d'êtres humains dans les cent derniers kilomètres ne laissent qu'un étroit couloir par lequel les coureurs eurent bien du mal à passer14. " Quant au quotidien Le Matin, l'affluence sur le parcours du Tour lui permet de relativiser le triomphe du pilote du Spirit of St Louis! : "... aucune épreuve sportive, aucune manifestation de tout ordre n'a jamais attiré une telle cohorte de spectateurs et il faut se rappeler l'enthousiasme qui ac180
cueillait Lindbergh au Bourget pour avoir un pâle reflet du succès délirant de ce Tour de France15." Le Parc des Princes qui n'a jamais aussi bien porté son nom, acclame ses héros comme ils le méritent.. Car au-delà de l'exaltation du sentiment national que les tricolore$ suscitent par leurs exploits, ce que le public populaire applaudit, c'est l'acte fondateur de son équipe de France dans l'étape Grenoble-Evian, c'est le succès d'une bande de copains d'origine plutôt modeste, soudés dans l'adversité, et à laquelle il s'identifie facilement malgré les rivalités et les dissensions inévitables qu'il ignore. Casquette et smoking Au moment précis où Dédé Leducq entame son tour d'honneur sur l'anneau ovale du vélodrome devant un public en casquette, à une encablure de là, au stade Roland Garros, les tennismen Borotra, Brugnon et Cochet conservent la Coupe Davis, en battant les Américains devant le public élégant des beaux quartiers. Celui-ci attend l'hiver pour s'encanailler au Vel D'hiv. C'est du dernier chic, comme la soupe à l'oignon mangée au coude à coude avec les forts des Halles, dans la bousculade des bistrots au petit jour. Champagne et fourrures sur le parterre, saucissonnage et vin rouge dans les gradins, rue Nélaton, on se jauge sans se fréquenter, et depuis les cintres on admire le beau linge, pendant qu'en bas, les muscles enduits d'embrocation des pistards allongés dans leurs guitounes font frissonner les mondaines endiamantées sous le regard de leurs amants en smoking. Étrange et illusoire communion, que celle des contraires soudés par la même ferveur dans le brouhaha des clameurs et des annonces par haut-parleurs du speaker Berretrot. Étonnante trêve hivernale, inexplicable et incongrue, qui ne saurait faire oublier qu'en ce 27 juillet 1930, deux univers étanches l'un à l'autre se tournent logiquement le dos, et expriment leur admiration à leur manière pour les champions de leur caste. Décidément, il n'y a pas que les luttes qui soient de classes, en règle générale les enthousiasmes aussi et les sports également. Les années qui viennent vont se charger de bousculer cet ordre-là ; sans le détruire. La belle équipe de copains du joyeux Dédé présage celle de Duvivier, de Gabin, de Vanel, d'Aimos, et du Front 181
Populaire qui se prépare dans l'ombre. On en devine les prémices: depuis le début de l'année l'assurance sociale est obligatoire.
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En savoir plus: 1. "Le Tour a 50 ans", numéro spécial de l'équipe 1953. 2. Dewaele ne reviendra dans le Tour qu'en 1931, dans l'équipe de Belgique. Il prendra une belle 5e place. Frantz sera au départ du Tour 1932 dans la catégorie "touristes-routiers". Il terminera 45e. 3. Dans son livre de souvenirs, "Une Fleur au guidon" (Presses de la Cité, 1978), André Leducq lève le voile sur les relations étroites entre Desgrange et la fmne Alcyon. Edmond Gentil, PDG d'Alcyon, était furieux des nouvelles dispositions prises par Desgrange. Mais tout bien réfléchi, il constatait que l'organisation matérielle du Tour, prise en charge par L'Auto, lui permettait de faire d'importantes économies en matériel, intendance, primes de victoire et mensualités de juillet à verser aux routiers, ce qui ne l'empêchait pas de faire une énorme publicité sur le nom des coureurs en cas de succès, sans leur verser un sou! De plus, Desgrange en commandant les vélos des As à Alcyon, achevait de lever les dernières réticences de la fmne. Si en 1930 les vélos anonymes portaient le A gothique, plus tard ils affichèrent le nom du journal en entier. 4. André Leducq " Une Fleur au guidon" (Presses de la Cité, 1978). Les hommes sandwich évoqués par Leducq étaient d'une extrême discrétion. Ils portaient simplement des maillots aux couleurs de leur marque. Comparées à celles d'aujourd'hui, leurs tenues étaient d'une sobriété de trappiste! 5. Le palmarès d'Alfredo Binda (1902-1986), qui fut un coureur d'exception, est éloquent: Champion du monde sur route (1927, 1930, 1932) Champion d'Italie (1926,1927,1928,1929). Vainqueur du Tour d'Italie (1925, 1927, 1928, 1929, 1933), de Milan-San Remo (1929, 1931), du Tour de Lombardie (1925, 1926, 1927, 1931), du Tour du Piémont (1926, 1927) du Tour de Romagne (1929), du Tour de Toscane (1926, 1927), du Tour de Vénétie (1928), des Trois Vallées Varésines (1930). Vainqueur de 41 étapes du Tour d'Italie (Record). Recordman du Monde des 10 km, 20km, 50lan. Son nom manque au palmarès de la Grande Boucle. Ce fut aussi dommageable pour le Tour de France que pour le champion italien. 6. Reproduite dans la presse, l'une de ces photos deviendra célèbre, et inspirera le futur sculpteur du troisième Reich, Arno Brecker, qui en donnera sa version taillée dans la pierre. 7. Le Tunnel du Télégraphe a été condamné au moment de la deuxième guerre mondiale. 8. Figure mythique du Tour de France, "l'homme au marteau" désignait l'énorme défaillance qui pend au nez de tous les coureurs. Le grand dessinateur René Pellos en fit une illustration inoubliable dans" Le Tour a 50 ans", numéro spécial de L'Equipe. 1953. 9. En 1930 apparaît la première camionnette de dépannage. Elle roule en suivant le dernier coureur, c'est-à-dire à une ou deux heures des premiers, qui de ce fait ne peuvent guère compter sur elle. 10. Marcel Bidot. "L'Epopée du Tour de France" Olivier Orban 1975.
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Il. Après cet accrochage, on frisa l'incident diplomatique. Le "Duce" demanda des explications. Mais Guerra qui était distant vis-à-vis des fascistes n'envenima pas les choses. 12. Pendant le Tour 1930, l'équipe de France gagne 12 étapes sur vingt et une, remporte le challenge international et classe 5 coureurs dans les 9 premiers. Benoît Faure touriste-routier français termine 8e. Louis Péglion, autre touriste-routier français, remporte une étape. 13. On a souvent dit que Charles Pélissier n'était pas à l'aise en montagne, ce qui était vrai sur les longues distances. Il faut cependant noter qu'il remporta deux fois la course de côte du Mont-Faron, une épreuve difficile réservée aux grimpeurs. 14 et 15. Paris-Soir et Le Matin du 29/7/1930, cités par Philippe Gaboriau dans "Le Tour de France et le vélo. Histoire sociale d'une épopée contemporaine" Editions l'Harmattan 1995.
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Le tour de France 1930 en un coup d'œil 24e édition. Du 2 au 27 juillet 1930. 4 818 kilomètres. Départ du Vésinet. 21 étapes.5 jours de repos: (Luchon, Perpignan,Nice, Grenoble, Evian). 2 étapes par départs séparés (Bordeaux-Hendaye et Metz-Charleville). Moyenne du vainqueur: 27,978 km/h 100 coureurs dont 60 touristes routiers au depart. 59 coureurs dont 33 touristes-routiers à l'arrivée. 5 équipes nationales de 8 hommes: Belgique, Italie, Espagne, Allemagne, France. 9 équipes régionales constituées de touristes-routiers (39 sur 60) : Nord, Sud-Est, Ile-de-France, Champagne, Midi, Côte d'Azur, Normandie, Provence et AlsaceLorraine. 606 000 F de primes. Vainqueur: A. LEDUCQ. Challenge international: FRANCE. Challenge régional: SUD-EST. Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Caen, 206 km. : Charles Pélissier. 2. Caen-Dinan, 203 km. : Learco Guerra. 3. Dinan-Brest, 206 km. : Charles Pélissier. 4. Brest-Vannes, 210 km. : Orner Taverne. 5. Vannes-Les Sables d'Olonne, 202 km. : André Leducq. 6. Les Sables d'Olonne-Bordeaux, 285 km. : Jean Aerts. 7. Bordeaux-Hendaye, 222 km. : Jules Merviel. 8. Hendaye-Pau, 146 km. : Alfredo Binda. 9. Pau-Luchon, 231 km. : Alfredo Binda. 10. Luchon-Perpignan, 322 km. : Charles Pélissier. Il PerpignanMontpellier, 164 km. : Charles Pélissier 12. Montpellier-Marseille, 209 km. : Antonin Magne. 13. Marseille-Cannes, 181 km. : Learco Guerra. 14. Cannes-Nice, 132 km. : Louis Peglion. 15. Nice-Grenoble, 333 km. : Learco Guerra. 16. Grenoble-Evian, 331 km. : André Leducq. 17. Evian-Belfort, 282 km. : Frans Bonduel. 18. Belfort-Metz, 223 km. : Charles Pélissier. 19. Metz-Charleville, 159 km Charles Pélissier. 20. Charleville-Malo-Ies-Bains, 271 km. : Charles Pélissier. 21. Maloles-Bains-Paris, 300 km. : Charles Pélissier Les maillots jaunes Charles Pélissier (1). Learco Guerra (7). André Leducq (13). Classement général final 1. André LEDUCQ (Fra) en 172h12'16" 2. Learco Guerra (Ita) à 14'13" 3. Antonin Magne (Fra) à 16'03" 4. Jef Demuysere (Bel) à 21'34" 5. Marcel Bidot (Fra) à 41'18" 6. Pierre Magne (Fra) à 45'42" 7. Frans Bonduel (Bel) à 56'19" 8. Benoit Faure (Fra) à 58'34" 9. Charles Pélissier (Fra) à 1h04'37" 10. Adolf Schon (AlI) à 1h21'39" Il. Louis Delannoy (Bel) à 1h27'23" 12. Aimé Dossche (Bel) à 1h28'14" 13. Oskar Thierbach (AlI) à 1h35'34" 14. Louis Peglion (Fra) à 1h44'14" 15. Jan Mertens (Bel) à 1h49'24" 16. Salvador Cardona (Esp) à 1h59'43" 17. Valeriano Riera (Esp) à 2h23'09" 18. Marcel Mazeyrat (Fra) à 2h25'23" 19. Georges Laloup (Bel) à 2h31'37" 20. Giuseppe Pancera (Ita) à 2h33'51" 21. Jules Merviel (Fra) à 2h43'42" 22. Felix Manthey (AlI) à 3h10'37" 23. Georges Berton (Fra) à 3h17'11" 24. Vicente Trueba (Esp) à 3h17'19" 25. François Moreels (Fra) à 3h20'30"26. Jean Gouleme (Fra) à 3h36'31" 27. Francisco Cepeda (Esp) à 3h54'47" 28. François Ondet (Fra) à 4h06'40" 29. Louis Bajard (Fra) à 4h09'09" 30. Orner Taverne (Bel) à 4h23'52" 31. Marchio Giuntelli (Ita) à 4h41'30" 32. Auguste Encrine (Fra) à 185
4h52'34" 33. Alfred Siegel (All) à 4h54'30" 34. Juan Mateu (Esp) à 5h11'15" 35. Lucien Laval (Fra) à 5h41'42" 36. Jose Trueba (Esp) à 6h27'47" 37. Henri Touzard (Fra) à 6h44'43" 38. Pierre Jouel (Fra) à 6h51'13" 39. Adrien Plautin (Fra) à 6h56'34" 40. Léopold Boisselle (Fra) à 7h09'57" 41. Fernand Robache (Fra) à 7h48'03" 42. Henri Gottrand (Fra) à 7h58'58" 43. Armand Goubert (Fra) à 8h10'55" 44. Paul Delbart (Fra) à 8h11'14" 45. Jean Martinet (Sui) à 8h23'55" 46. Henri Prevost (Fra) à 8h23'58" 47. Marcel Tissier (Fra) à 8h54'53" 48. Battista Berardi (Ita) à 9h10'33" 49. Guy Bariffi (Sui) à 9h19'38" 50. Lucien Lange (Fra) à 10h20'54" 51. Marcel Masson (Fra) à 10h21'04" 52. Edouard Teisseire (Fra) à 10h23'24" 53. Jean Ampurias (Fra) à 10h40'49"54. Charles Cottalorda (Fra) à 11h49'29"55. Paulin Lanteri (Fra) à 11h55'24" 56. Emile Faillu (Fra) à 12h57'35" 57. Georges Petit (Fra) à 14h14'14" 58. Pierre Bobo (Fra) à14h37'15" 59. Marcel lIpide (Fra) à 15h10'18" er 1 des touristes-routiers: Challenge 1. France, Challenge 1. Sud-Est,
Benoît Faure (équipe régionale du Sud-est)
international 2. Belgique, 3 Allemagne, 4 Italie, 5 Espagne régional 2. Champagne, 3.Ile de France...
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Quelques évènements de l'année 1930 - Création des Kolkhozes en Union soviétique. - Le Pape proteste contre les persécutions infligées aux Chrétiens en U.R.S.S. - Massacre de la garnison de Yen Bay en Indochine. - Inauguration de l'institut du cancer à Villejuif. - Création d'un ministère de la Santé Publique. - Exposition Internationale à Envers. - Première interview télévisée en Grande-Bretagne. - Inondations dans le sud-ouest de la France, Moissac est détruite. 200 morts. - Le C.LO propose que Berlin accueille les Jeux Olympiques de 1936. - Début de la guerre civile en Chine. - Émeutes en Inde après l'arrestation de Gandhi. - Les troupes françaises quittent la Rhénanie - Jean Mermoz traverse l'Atlantique-Sud sur 3450 kilomètres, entre Saint-Louis du Sénégal et Natal, au Brésil, sur l'hydravion" Comte de Vaux" . - L'Allemand Max Schmeling ravit le titre de Champion du Monde de boxe poids Lourds à l'Américain Sharkey par disqualification. - La France remporte la Coupe Davis. - L'Uruguay gagne la première Coupe du Monde de football. - Staline justifie les épurations au sein du Parti Communiste devant le XVIe congrès - Un tremblement de terre en Italie fait 2 534 morts. - Les aviateurs Costes et Bellonte réussissent la première traversée Paris- N ew-York, en 37 heures, sur leur avion Bréguet "Le Point d'interrogation" - Le parti National Socialiste obtient 18,3% des voix aux élections allemandes. Les nazis font scandale en se présentant en uniforme au Reischtag. - L'athlète français Jules Ladoumègue bat le record du monde du kilomètre. - Dans les librairies : "New-York" de Paul Morand, "Le Faucon maltais" de Dashiell Hammet, "Technique du coup d'Etat" de Curzio Malaparte. - Dans les cinémas: "L'Ange bleu" de Josef Von Sternberg, "L"Age d'or" de Luis Bunuel et Salvador Dali, "Le Sang d'un poète" de Jean Cocteau, "La terre" d'Alexandre Dovjenko. - Décès de : Sir Arthur Conan Doyle, écrivain britannique, Siegfried Wagner, compositeur allemand, Daniel Guggenheim mécène américain. - Naissances de : Michel Polac, journaliste français, animateur de débats télévisés, Michel Rocard homme politique français, Helmut Kohl, homme politique allemand, Clint Eastwood, acteur et réalisateur américain, Claude Chabrol et Jean-Luc Godard, metteurs en scène français, Guy Béart et Jean Ferrat, chanteurs et compositeurs français, Neil Armstrong astronaute américain, Sean Connery, acteur écossais, Baudouin 1er,roi des Belges, Philippe Noiret et Jean-Louis Trintignant, acteurs français.
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1931 25e Tour de France. Du 30juin au 26juillet 1931 On est peu de choses I En 1931, les cycles Alleluia se retirent de la compétition et Antonin Magne se trouve au chômagel. L'onde de choc du krach de Wall Street a frappé l'Europe, la crise est là, et aucune firme ne propose d'engagement sérieux au champion auvergnat. Pourtant, depuis sa première participation dans le Tour de France, il a accumulé les bons résultats: 6e en 1927, 6e en 1928, 7e en 1929, 3e en 1930, et quatre étapes remportées. Ce brillant palmarès est insuffisant pour lui assurer la sécurité de l'emploi. Il décide donc de devenir indépendant. C'est un handicap, mais il va tourner à son avantage. Comme il n'est plus assujetti aux exigences d'un employeur, il organise son emploi du temps comme il l'entend et focalise sa saison sur le Tour de France. Magne, qui n'est pas surnommé pour rien Tonin la science, ou Tonin la méthode, s'impose un entraînement spécifique, et part dans les Pyrénées où il s'installe dans le plus grand secret à l'Hôtel de France, à Nay, fief de son ami Fontan. De là, il reconnaît minutieusement le profil montagneux et l'état des routes et en tire de précieux enseignements qui influeront sur sa stratégie. Fontan qui fut vainqueur à Luchon en 1928, et qui connaît les moindres recoins des Pyrénées, lui prodigue ses conseils et lui indique les développements à utiliser. En mémoire de ses résultats et malgré le nouveau statut de Tonin, Desgrange le sélectionne dans l'équipe de France du Tour. Le public n'aurait pas compris qu'il n'y soit pas2. Il choisit également Leducq et Charles Pélissier, ainsi que Jean Maréchal, peut-être par remord. Le Patron n'était pas blanc comme neige dans l'affaire du ParisRoubaix 1930, où le beau Jean, équipé par un petit marchand de vélos, avait été frustré d'une victoire méritée au profit de Julien Vervaecke, coureur de la puissante firme Alcyon. L'équipe de France est complétée par Jef Mauclair, Léon Le Calvez, et deux ex-touristes-routiers : Louis Péglion, vainqueur d'une étape en 1930, et Benoît Faure, le grimpeur. Probablement parce que Desgrange qui se souvient de l'étape Grenoble-Evian de l'année précé189
dente, estime qu'il est préférable d'engager La Souris dans l'équipe de France plutôt que d'en faire son adversaire! Il n'est d'ailleurs pas certain que Benoît Faure fasse une bonne affaire: désormais il devra se passer du dérailleur interdit aux As ! Malgré les promesses de Desgrange, Marcel Bidot l'équipier parfait, le bon Samaritain des coureurs en difficulté, est exclu du Tour parce qu'il est assimilé à un instrument à vent, le Patron voulant selon son expression, une équipe de premiers violons et non pas de trombones à coulisse. Afin d'internationaliser un peu plus son épreuve, Desgrange ajoute une équipe mixte australo-suisse aux équipes nationales de l'année précédente. Son chef de file sera le champion australien Hubert Opperman dont il attend beaucoup, mais qui se révèlera décevant. Quant à l'équipe d'Espagne, elle ne comprend qu'un seul membre, le petit grimpeur Cepeda, qui connaîtra une fin tragique dans le Tour 1935. Le temps des sprinters Quand les concurrents du 25e Tour de France s'élancent le 30 juin 1931, Paris vit depuis deux mois sous le signe de l'exotisme, mais en réalité depuis bien plus longtemps; depuis les années vingt, avec l'engouement des intellectuels pour l'Art Nègre, le jazz, et Joséphine Baker, danseuse de la Revue Nègre, dont la beauté sculpturale et la drôlerie émoustillèrent les Parisiens dès 1925. La France a fredonné, fredonne ou fredonnera, "Ma Tonkinoise", et "À la Cabane bambou", et le tirailleur sénégalais de Banania affiche son large sourire sur les panneaux publicitaires. Tarzan a déjà envahi les écrans au temps du cinéma muet, et va bientôt faire un tabac en poussant des cris synthétiques dans les salles obscures récemment sonorisées. Sous les traits de Johnny Weismuller, champion olympique de natation, Tarzan évoluera dans une jungle hollywoodienne qui étonnera les Africains. Quant au maréchal Lyautey, qui affirme dans Le Figaro: "Notre avenir est outre-mer", il inaugure, le 6 mai, l'énorme exposition coloniale du bois de Vincennes, qui dresse sur une centaine d'hectares, des édifices de plâtre et de carton-pâte représentatifs des possessions européennes en Afrique et en Asie. Le plus impressionnant est le temple 190
d'Angkor, et le plus solide, le Musée des Colonies et de la France extérieure, puisqu'il existe toujours en ce début de XXIe siècle3. On ne sait pas si André Leducq fut mêlé aux 33 millions de visiteurs de l'exposition, mais on sait que sur la ligne de départ du Tour de France, au Vésinet, il s'inquiète en observant Antonin Magne du coin de l'œil. Son copain fait peine à voir. Il est maigre comme sa bicyclette le pauvre Tonin, et son teint livide fait peur. Ce gars-là n'ira pas jusqu'aux Pyrénées dans l'état où il se trouve, ça c'est sûr! "Je confondais, écrira Leducq, le masque émacié de l'homme en forme avec celui d'un grand malade4. " De Paris à Pau, le Tour de France est, comme d'habitude, en attente de la bataille décisive des Pyrénées. Dans la première étape Paris-Caen, 32 hommes arrivent groupés, réglés au sprint par Hammerlinck. Les routes s'améliorent, le matériel aussi, et la course d'équipe s'institutionnalise, rendant les initiatives individuelles difficiles. C'est ce qui explique ces arrivées de plus en plus groupées que Desgrange déteste. Il revient à son vieux démon: les départs séparés par équipes. Cette fois jusqu'à Bayonne5, avec un retour à la course en ligne entre Vannes et les Sablesd'Olonne. Le déroulement de l'étape semble lui donner raison: soixante coureurs arrivent groupés, battus au sprint par Charles Pélissier, qui prend le maillot jaune en même temps que celui qui n'était qu'un inconnu au départ de Paris: Rafaele Di Paco6. Avec celui-là, Charles, qui a la fibre tragédienne, trouve, mieux qu'un adversaire, un partenaire à sa mesure. L'Italien, séducteur irrésistible, roule bien, sprinte encore mieux et sa personnalité toute pétrie de faconde méditerranéenne, séduit les Français, et même André Leducq, l'un de ses rivaux les plus acharnés: "Di Paco, écrira Leducq, (avait) le sens latin du geste et de la situation, ce tempo inimitable au moment de saluer la foule, de sourire ou de s'indigner selon le cas. Sa superbe stature lui permettait d'amplifier le geste de façon théâtrale sans tomber dans la caricature
7. "
La rivalité entre Charles et Rafaele est immédiate, et elle va animer l'épreuve en un étourdissant contrepoint de la course de tête avec laquelle il se confond parfois. Les empoignades du duo de routiers-sprinters passionnent les lecteurs de la grande presse autant que 191
les auditeurs de la T.S.F, et les péripéties de leur bras de force soulèvent l'enthousiasme et exacerbent les passions de leurs partisans audelà du raisonnable. On peut le comprendre quand on suit le déroulement des évènements. Dans la première étape, Paris-Caen, courue en ligne, Pélissier est second et Di Paco 3e. La rivalité s'amorce. Dans Caen-Dinan, courue en départs séparés, Pélissier est 4e et Di Paco Se. Dans Brest-Vannes, toujours par départs séparés, Di Paco est 4e, Pélissier Se seulement, et l'Italien prend le maillot jaune. Mais le lendemain dans l'étape Vannes-Les Sables d'Olonne, courue en ligne, Pélissier l'emporte et Di Paco n'est que 4e. Les deux rivaux sont maillots jaunes ex œquo. Dans les camps français et italien, la tension est à son comble. Ce duel entre seigneurs de la route provoque l'excitation des plus désinvoltes. Il est suivi et commenté à la T.S.F par Jean Antoine et Alex Virot qui tiennent en haleine leurs auditeurs, et il relègue au second plan les succès du touriste-routier Max Bulla. Le coureur autrichien aux oreilles décollées remporte pourtant trois étapes de fort belle manière, et devient le premier maillot jaune de son pays... et le dernier! Au IOde la rue du Faubourg Montmartre, siège de L'Auto, on a installé un immense tableau d'affichage où s'inscrivent les positions des coureurs. Des haut-parleurs placés sur la façade de l'immeuble diffusent les commentaires de la course. On les écoute religieusement en se pressant sur les trottoirs, et même en investissant la rue au désespoir des chauffeurs. Dès que les résultats sont annoncés, une immense houle de dépit ou d'exaltation chauvine emplie l'artère, et parvient par vagues successives jusqu'au boulevard Montmartre. On ne se demande plus qui est maillot jaune, ou qui a gagné l'étape, mais plutôt
comment est placé Charlotpar rapport à Di Paco ! À Bordeaux, Di Paco prend seul le maillot jaune et le conserve jusqu'à Bayonne. Malheureusement pour lui, à Pau, Pélissier passe la ligne le premier et arrache le précieux paletot à l'Italien. Pélissier: 2, Di Paco : O. 192
Ensuite, dans la course réelle, Antonin Magne devient leader entre Pau et Luchon. Intermède qui vient troubler le combat des sprinters. Après Luchon, Di Paco gagne les 10e et Il e étapes devant le Français. Pélissier: 2, Di Paco : 2. Pélissier répond dans les 13e et 16e étapes en les emportant de peu devant son rival. Pélissier: 4, Di Paco : 2. Dans les bistrots de France, les résultats s'inscrivent chaque jour à la craie sur des ardoises, et provoquent des discussions passionnées. Les invectives pleuvent, le pastis coule à flots. e Di Paco remporte la 1ge étape à Belfort et la 21 à Metz. Pélissier : 4, Di Paco : 4. Le suspense devient insoutenable! Le lendemain à Charleville, le benjamin des Pélissier prend le meilleur sur son rival, mais Di Paco l'accuse de l'avoir bousculé. Les deux hommes, qui étaient déjà à couteaux tirés, en viennent aux mains. L'Italien dépose une réclamation, comme Guerra dans le même lieu l'année précédente, et il obtient gain de cause, à l'inverse de Guerra. Le beau Charles est un prédateur parfois un peu brutal dans la violence des arrivées au sprint. André Leducq commentera avec humour: "... lorsqu'il y avait un espace suffisant pour le guidon, il n'hésitait pas à y engager tout le reste de sa personne8 ... " Pélissier: 4. Di Paco : 5 Il ne reste plus qu'une étape pour laver l'affront fait aux Pélissier. Au Parc des Princes, Charles Pélissier, emmené par Dédé Leducq, mord le premier la ligne d'arrivée devant son coéquipier et. . .Di Paco. Pélissier: 5. Di Paco : 5. L'honneur est sauf. L'enthousiasme fait vibrer les gradins du vieux Parc des Princes. Comme à l'arrivée du Tour 1923 gagné par Henri Pélissier, les clôtures cèdent. Sous la pluie, la piste est envahie par les spectateurs et le chéri des foules voltige au-dessus des épaules de ses admirateurs. Une fois de plus, il chipe la vedette au vainqueur. Bien qu'il ne soit que 14e au classement général, il démontre que dans le Tour la personnalité importe plus que la performance. La popularité de Charles est au zénith et n'atteindra plus jamais un niveau pareil. Sa femme Madeleine, La Pélisette, répond aimable193
ment aux centaines de lettres d'amour qu'il reçoit et aux appels téléphoniques de ses admiratrices. Quant à son alter ego, Di Paco, fêté comme il se doit dans son pays, et inconnu des Français un mois plus tôt, son nom est sur toutes les lèvres. L'année suivante il confirmera son magnifique talent dans la 26e édition du Tour de France. Les deux champions viennent de démontrer à Desgrange tout le parti qu'il peut tirer des affrontements entre sprinters, qui jusqu'alors étaient sa hantise. Ils sont pourtant en mesure d'enrichir la dramaturgie de la grande épreuve, pour peu que les partenaires soient remarquables, jaloux l'un de l'autre, et qu'ils n'appartiennent pas à la même équipe. Mais revenons à la course réelle. Dans les premières étapes, les coureurs arrivés groupés étant qualifiés du même temps, ils sont nombreux à partager la première place au classement général. Comme il faudrait beaucoup plus de maillots jaunes que Desgrange n'en dispose, un seul coureur le portera à chaque étape. À Brest, Léon Le Calvez endosse la précieuse tunique, mais ils sont quinze à pouvoir y prétendre. À Vannes, Di Paco est maillot jaune, mais il partage la première place avec 12 concurrents. Aux Sables d'Olonne, dix coureurs sont en tête, avec deux maillots jaunes officiels: Charles Pélissier et Raphaele Di Paco. À Bordeaux et à Bayonne, Di Paco est leader unique, mais ils sont encore dix à partager la première place. À Pau, Charles Pélissier ôte le maillot jaune à son grand rival, mais l'Allemand Erich Metze est crédité du même temps. Heureusement, les Pyrénées, les juges de paix, dans le jargon des journalistes, se profilent enfin et vont mettre un peu d'ordre dans cette confusion! La bataille pour la victoire finale se déclenche comme il se doit, dans l'étape Pau-Luchon. Justement celle qu'Antonin Magne a préparée avec un soin extrême. Antonin Magne, enfin "maillotjaune" ! Dès les premières pentes de l'Aubisque, Magne est lâché par les Flandriens, et Schefers passe le premier au sommet du col en pulvérisant le record de la montée. Au ravitaillement de Luz-St-Sauveur, l'ami Fontan, le conseiller secret, encourage Tonin et lui passe ses musettes. En haut du Tourma194
let, le redoutable Demuysère est en tête, mais l'Escadron noir des Flandriens est victime d'une invraisemblable série de crevaisons sur la route récemment rechargée. Magne qui connaît l'état de la chaussée s'est équipé de pneumatiques adaptés, sur les conseils de Fontan. Il prend la direction de la course et se sort les tripes avec une seule idée en tête: arriver premier à Luchon, avec plus de 3 minutes d'avance sur le second. C'est la grande idée de Desgrange pour cette année-là: trois minutes de bonification si l'avance du vainqueur est supérieure à trois minutes! Magne y parvient en arrivant 4'42" avant Pesenti. Le voici maillot jaune avec 9'32" d'avance sur l'Italien. Mais la grande carrière de Tonin s'amorce seulement. Son autorité n'est pas indiscutable malgré ses bons résultats dans le Tour, et plusieurs coureurs s'estiment en mesure de le vaincre. Les Flandriens, JefDemuysère, Gaston Rebry, Julien Vervaecke, Maurice Dewaele, et l'Italien Antonio Pesenti, le guettent comme des loups au coin d'un bois. C'est grâce à cette adversité et au dévouement de ses équipiers, qu'Antonin Magne, qui n'est peut-être pas le plus fort, va monter d'un cran au-dessus de lui-même, et passer du statut de coureur estimable à celui de champion incontesté. Toninfait de la résistance Magne subit la première attaque sérieuse dans Cannes-Nice, où il tombe dans la descente du col de Braus. C'est le moment que choisit Benoît Faure, le lutin grimpeur, qui oublie qu'il porte le maillot de l'équipe de France, pour démarrer et déclencher malencontreusement l'attaque des Italiens. À Nice, Pesenti n'est plus qu'à cinq minutes du maillot jaune. Le lendemain dans Nice-Gap, Magne ferraille durement avec Demuysère et Pesenti dans la descente du col d'Allos, mais, sur le plat, sa chaîne saute, le Belge et l'Italien foncent et creusent l'écart. Magne isolé, démoralisé, diminué par sa chute du col de Braus, est au bord de l'abandon. Il perd du temps à replacer sa chaîne et part sans conviction à la poursuite de l'Italien et du Flamand. Par bonheur il est rejoint par un groupe de coureurs parmi lesquels se trouve Charles Pélissier. 195
Comme l'année précédente dans Grenoble-Evian, Charles prend les choses en main. Il réconforte Magne et décide de rejoindre les deux fuyards en tirant le maillot jaune dans son sillage. Et ça repart comme en 1930 ! Pendant des dizaines de kilomètres, sans réclamer un seul relais, Pélissier entraîne Tonin à plus de 40km/h. Avec Di Paco à la remorque et qui ne les quitte pas d'un pneu, les deux hommes grignotent l'écart qui les sépare de Pesenti et de Demuysère. À 15 kilomètres du but, ils sont encore à 2'15" de l'Italien lâché par le Flamand. Di Paco démarre à son tour, mais Charles arc-bouté sur sa machine, la mâchoire serrée, le rejoint dans un effort inouï, alors que Magne dans un état second est toujours là, collé à sa roue arrière. En vue de la banderole d'arrivée, les deux Français aperçoivent enfin, en point de mire, le maillot vert de Pesenti. Quant au Belge, il est arrivé depuis un peu plus de deux minutes. Di Paco passe la ligne juste derrière son équipier. Charles Pélissier, exténué, n'était pas en mesure de lui disputer le sprint, mais grâce à son dévouement Antonin Magne n'a perdu que trois secondes sur Pesenti. Une fois la ligne franchie, les deux Français s'affalent contre une barrière de châtaignier. Desgrange vient les féliciter. Une photo célèbre montre les deux coureurs côte à côte, sales et asphyxiés, assis à même le sol. Des hommes s'agitent autour d'eux. Le bras et la jambe gauches de Tonin sont couverts de pansements, conséquence de sa chute du col de Braus. Un suiveur l'évente avec une casquette. La souffrance se lit sur le visage du Français, il semble vaincu et vient pourtant de sauver son maillot jaune. Quand Leducq rejoint ses coéquipiers, un quart d'heure plus tard, ils sont toujours là, prostrés, adossés contre la fragile barrière. Charles le sauveur, Charles le généreux, confie à Leducq d'une voix blanche: - "Vois-tu, (...) ces trucs que je fais pour les autres... je n'arrive pas à les faire pour moi-même9 !" Formidable Antonin Magne, qui le lendemain dans GapGrenoble, à peine remis de sa poursuite dramatique de l'étape précédente, passe en tête au col Bayard! Prodigieux Charles Pélissier, qui malgré son exploit de la veille bat tout le monde au sprint à Grenoble ! De quelle matière sont donc faits ces hommes-là? 196
Dans la 17e étape, Grenoble-Aix-les-Bains, Demuysère et Pesenti, qui décidément s'entendent comme larrons en foire, attaquent à nouveau après le Galibier et distancent le maillot jaune de plus de cinq minutes. Cette fois, c'est Benoît Faure qui rachète sa maladresse du col de Braus en ramenant son chef de file sur les fuyards. À l'arrivée, Magne vidé de ses forces confie à un journaliste: "Je suis mort physiquement et moralement. Jamais je n'aurai pensé que le poids d'un maillot jaune était si lourd! " Avec la 1ge étape, Evian-Belfort, on quitte les Alpes sous l'orage et les grêlons. Le froid est sibérien. Revêtus d'une croûte de boue glacée, les coureurs avancent dans la bourrasque et profitent du ravitaillement pour plonger leurs jambes raidies par le froid dans des baquets d'eau chaude. Desgrange s'inquiète: y aura-t-il encore des coureurs à l'arrivée? Antonin Magne frigorifié est au plus mal. Peut-être qu'à cet instant il n'a jamais été aussi près d'abandonner. Leducq doit sûrement le penser. Il s'arrête, descend de selle, entre dans un bistrot, sort quelques sous du poudrier qui lui sert de porte-monnaie, et achète un bidon de café brûlant qu'il offre à son équipier tremblotant 10. Au fil des kilomètres, l'Auvergnat reprend vie, et parvient à neutraliser ses adversaires jusqu'à Belfort, où Di Paco arrive détaché avec l'Allemand Geyer qu'il bat au sprint. .. sous un soleil radieux. À Charleville, le classement général n'a pas varié depuis Gap. Pesenti est toujours à 4'58" et Demuysère à 12'56" du maillot jaune. Nous sommes à deux jours de l'arrivée et tout peut encore arriver, car entre Charleville et Malo-les-Bains, commence le Nord et ses pavés, le royaume des Flahutes. Un parcours du combattant, truffé de chausse-trappes familières aux redoutables rouleurs que sont Dewaele, Julien Vervaecke, Demuysère et Rebry. Ils s'y ébattent comme des truites dans un torrent de montagne. Le doute qui mine Antonin Magne atteint son apogée. Histoire d'alimenter son inquiétude qui n'en n'a nul besoin, il se remémore le jour où son copain Dédé manqua d'être assommé par un coup de pied de cheval, à deux cents mètres du Parc des Princes. Oui, décidément, tout peut arriver, et jusqu'à la ligne d'arrivée à Paris, le Tour n'est pas terminé. Jean Robic le démontrera magistralement en 1947 dans la côte de Bonsecours, après Rouen, et l'Américain Greg Lemond fera de même, beaucoup plus tard, en ôtant 197
son maillot j aune à Laurent Fignon sur les Champs-Élysées, grâce à huit petites secondes d'avance sur son rival, qui rappelaient aux nostalgiques les coups de théâtre d'antan. Lettre anonyme À Charleville, dans le paquet de lettres d'admirateurs posées sur sa table de nuit, et qu'il néglige souvent de lire, qu'est-ce qui pousse le coureur auvergnat à ouvrir au moment du dépouillement de son courrier, telle enveloppe plutôt que telle autre? Un divin hasard? Une sublime intuition? Ou s'agit-il simplement d'un geste machinal comme on en commet souvent? Le courrier des siens, Magne le reconnaît à l'écriture et au tampon de la poste, celle de Livry-Gargan près de Paris où se trouve la ferme de ses parents, entre campagne et banlieue. Cette enveloppe-là, plus grande que les autres, vient de Menin sur la frontière belge. Il l'ouvre. L'auteur de la missive est un Français qui séjourne en Belgique. Il prévient Tonin qu'il a surpris une conversation dans un café de Menin où il s'est arrêté pour boire une bière. Les tenanciers s'appellent Rebry. Leur fils Gaston court le Tour de France et il leur écrit souvent. Les braves gens sont tout fiers de claironner à leurs clients accoudés au comptoir une information de première main, qu'il faut surtout ne répéter à personne: leur fiston va tenter un grand coup de grisou entre Charleville et Malo-les-Bains avec son ami Demuysère, un rouleur redoutablell, et c'est Antonin Magne qui en fera les frais! Gaston est capable de ça, car il a tout de même gagné Paris-Roubaix cette annéel2. Et Paris-Roubaix ce n'est pas rien! Bien sûr, il n'est pas question qu'il gagne le Tour de France, vu son retard au classement général, mais avec un peu de chance Demuysère pourrait éponger son écart de 12'56" avec le Français. Le maillot jaune reviendrait en Belgique, Gaston gagnerait l'étape, et comme ça tout le monde serait content... sauf les Français ! Voilà, à peu près, ce que rapporte le gentil délateur à Antonin Magne, ou tout au moins, ce que le champion peut en comprendre. Et le maillot jaune ne pense pas une seconde qu'il puisse s'agir d'un canular. Bien au contraire, car cette attaque, ilIa pressent depuis longtemps, et elle lui apparaît maintenant comme une lumi198
neuse évidence. Il suffirait que Pesenti s'agglutinât à l'échappée des deux Flamands, et Magne pourrait dire adieu à son maillot jaune. Avec sa clairvoyance habituelle, l'Auvergnat prépare son vélo pour la grande bagarre qu'il croit possible, et il choisit un grand développement et des boyaux adéquats capables de résister aux pavés. Par peur du ridicule, il ne parle pas de la fameuse missive à ses coéquipiers, et se contente de les prévenir, qu'à son avis, les Flandriens préparent un mauvais coup et qu'il faut ouvrir l'œil. Mais Leducq hausse les épaules. Tout le monde sait qu'Antonin est un inquiet pathologique et qu'il voit du danger partout. 177 kilomètres d'enfer Dès le départ, le Français se place délibérément dans le sillage des deux Belges. Sous une pluie persistante, entre Charleville et Etroeungt, avant Avesnes, les coureurs roulent tranquillement, mais Magne est aux aguets. Et soudain, Rebry Le Bouledogue bondit du peloton comme un diable. Après un temps d'hésitation, le maillot jaune saute dans sa roue, pour 177 kilomètres d'enfer. Demuysère les rejoint comme prévu. Cette fois Magne ne peut compter que sur luimême. Derrière, ni Leducq ni Pélissier n'ont réagi, les développements d'asthmatiques qu'ils ont choisis au départ ne leur permettent pas de le faire. Quant à Pesenti, asphyxié, il ne parvient pas à suivre malgré ses efforts. Les silhouettes des trois fuyards s'estompent dans la brouillasse nordique. À Maubeuge, l'avance des trois hommes est de 2'20". Les deux Flamands se tournent vers Tanin, et lui intiment l'ordre de rouler avec eux, sinon... Comme le Français se fait prier, ils le serrent dangereusement contre la bordure, et finalement il obéit. À Valenciennes, le maillot jaune qui a pris la couleur de la boue, tombe en sautant un rail de tramway, se relève, revient sur les deux Belges, perd à nouveau du terrain, le reprend. À ce moment, les échappés ont six minutes d'avance sur le peloton. Rebry et Demuysère sont chez eux sur ces routes de mâchefer et de pavés disjoints, de voies cyclables glissantes, de perfides trottoirs à monter et à descendre. Sans parler des rails de tramway qui semblent profilés pour piéger les roues des vélos. Les deux champions lou199
voient avec habileté, sautent les trottoirs en acrobates, s'avertissent dans leur dialecte des passages dangereux et des directions à prendre. Antonin Magne finit par les comprendre: "Quandj'entendais"links", racontera-t-il, ça partait à gauche, quand j'entendais "rechts", ça partait à droite13." Moins adroit qu'eux, il passe néanmoins les obstacles de ce gymkhana infernal et résiste aux tentatives de décrochage des deux compères. À Lille, l'avance des trois hommes est de dix minutes. Les chances des Flamands de distancer le Français s'amenuisent au fil des kilomètres, car il est toujours là, Tonin, ruisselant de pluie et poisseux de boue, hypnotisé par la roue arrière de Demuysère, le plus menaçant des deux diables noirs, décollant de dix mètres, puis de vingt et les reprenant à l'énergie. Malgré sa solitude et sa fatigue, il puise, on ne sait comment, au tréfonds de lui-même, les ressources nécessaires pour résister aux coups de boutoirs incessants de ses adversaires que sa pugnacité finit par décourager. Les faubourgs de Malo-les-Bains se profilent enfin. Rebry démarre, prend cent mètres d'avance, et gagne l'étape. Magne met un point d'honneur à franchir la ligne devant Demuysère. En passant sous la banderole, il sait qu'il a gagné ce Tour de France. Mais à quel prix? 17 minutes et 34 secondes après Rebry, un petit groupe mené par Leducq, franchit la ligne d'arrivée. Pesenti est parmi eux. Il est la grande victime du coup de force flamand et rétrograde à la 3e place du classement général, derrière Demuysère14. Mais de ce fait, Antonin Magne conforte son avance, qu'il conservera dans la dernière étape. Le "Fermier de Livry-Gargan" sort de ce Tour de France grandi mais vidé de ses forces. Les efforts réclamés à son organisme ne seront pas sans conséquence. Épuisé physiquement et moralement, il est, pour couronner le tout, victime d'une grave intoxication alimentaire. Les critériums d'après Tour seront un calvaire. Il n'en court que quelques-uns, sous le regard désolé de Leducq, et décide de prendre un long repos, comme un convalescent éprouvé par une longue maladie. Son absence dans le Tour de France 1932 sera le prix à payer pour sa dramatique victoire de 1931.
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En savoir plus: 1. Au chômage, c'est beaucoup dire! Il gère la laiterie familiale avec son frère Pierre, à Livry-Gargan, et achète des" vaches à gros pis", comme dit Leducq, avec ses gains de coureur cycliste. Il est donc déjà propriétaire d'un beau cheptel. 2. Desgrange aura moins de scrupules en 1934 quand il évincera André Leducq du Tour de France pour être agréable aux dirigeants d'Alcyon. Ce qui déclenchera un tollé général. (Voir le récit du Tour de France 1934) 3. Il deviendra plus tard, au gré de l'évolution de l'Histoire, "Musée de la France d'Outre-Mer", puis "Musée des Arts Africains et Océaniens" et enfin "Musée National des Arts d'Afrique et d'Océanie". Au moment de la rédaction de cet ouvrage, le Musée vit ses derniers instants. 4. André Leducq "Une Fleur au guidon". Presses de la cité 1978. 5. La douzième étape sera également courue en départs séparés. 6. Rafaele Di Paco (1908-1996) fut révélé par le Tour de France 1931, alors qu'il n'était pas encore une grande vedette en Italie. Au moment du Tour 1931, il n'avait gagné qu'une étape dans le Giro d'Italie, en 1930, et quelques courses secondaires. Il ne brilla pas particulièrement dans les classiques au cours de sa carrière, et dut sa notoriété sur route essentiellement à ses victoires d'étapes dans le Tour de France, (11) et le Giro d'Italie (15). Il fut cependant 3e de Paris-Tours 1935 et du Tour de Lombardie 1929, et remporta avec Binda le Tour de la Province Milanaise en 1932. Il fut aussi un bon pistard, spécialiste des courses de "6 jours" (il remporta deux fois les 6 jours de Buenos-Aires). Rafaele Di Paco termina en 1944 une brillante carrière commencée en 1928. 7. 8 et 9. André Leducq " Une Fleur au guidon". Presses de la cité 1978. 10. Antonin Magne confiera plus tard à Leducq : "Ce jour-là tu m'as sauvé la vie, André." Par ailleurs, Leducq donnera une autre version de cet épisode: il aurait dépêché un motard pour acheter le précieux bidon et le brave suiveur l'aurait posé sur un muret de clôture. Cette manœuvre était interdite, autant que celle qui consistait à se ravitailler directement hors contrôle. Mais les manquements au règlement étaient légion, car les commissaires ne pouvaient être partout à la fois. Il. Il est communément admis que l'information concernant le coup de force des Flamands provenait d'un admirateur qui aurait entendu le propos dans le café des Rebry. Dans le commentaire à chaud de Raymond Huttier dans le Miroir des Sports, c'est Jef Demuysère qui aurait écrit à sa mère. Jef Demuysère (1907-1969) collectionna les places d'honneur pendant sa brillante carrière. Il remporta Milan-SanRemo en 1934, le circuit des Régions Flamandes en 1931 et le circuit du Morbihan en 1930. Il fut également 2e du Tour d'Italie en 1932 et 1934. 12. Gaston Rebry (1905-1953) gagna trois Paris-Roubaix (1931,1934,1935), le Tour des Flandres en 1934 et Paris-Nice la même année. 13. Récit d'Antonin Magne rapporté par Pierre Chany dans" La Fabuleuse histoire du Tour de France EditionsNathan 1991. 14. Pesenti (1908-1968) se consola l'année suivante en remportant le Tour d'Italie. It.
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Le Tour de France 1931 en un coup d'œil 2se édition du 30 juin au 26 juillet 1931 5 095 Kilomètres. 24 étapes. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. Trois jours de repos (Luchon, Perpignan, Nice.) Moyenne du vainqueur 28,758 km/h. 81 coureurs au départ dont 40 As et 41 touristes-Routiers. 5 équipes nationales de 8 hommes: Belgique, Italie, Australie-Suisse, Allemagne France, et 1 Espagnol. 35 rescapés dont 27 As et 8 touristes-Routiers à l'arrivée. Vainqueur: A.MAGNE. Challenge international : BELGIQUE. Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Caen, 208 km: Alfred Hamerlinck. 2. Caen-Dinan, 212 km: Max Bulla 3. Dinan-Brest, 206 km : Fabio Battesini. 4. Brest-Vannes, 211 km : André Godinat. 5. Vannes-Les Sables d'Olonne, 202 km: Charles Pélissier. 6. Les Sables d'OlonneBordeaux, 338 km : Alfred Hamerlinck. 7. Bordeaux-Bayonne, 180 km : Gérard Loncke. 8. Bayonne-Pau, 106 km : Charles Pélissier. 9. Pau-Luchon, 231 km : Antonin Magne. 10. Luchon-Perpignan, 322 km : Rafaele Di Paco. Il. PerpignanMontpellier, 164 km : Rafaele Di Paco. 12. Montpellier-Marseille, 207 km : Max Bulla. 13. Marseille-Cannes, 181 km : Charles Pélissier. 14. Cannes-Nice, 132 km : Eugenio Gestri. 15. Nice-Gap, 233 km : Jef Demuysère. 16. Gap-Grenoble, 102 km: Charles Pélissier. 17. Grenoble-Aix-Ies-Bains, 230 km : Max Bulla. 18. Aixles-Bains-Evian, 204 km : Jef Demuysère. 19. Evian-Belfort, 282 km : Rafaele Di Paco. 20. Belfort-Colmar, 209 km : André Leducq. 21. Colmar-Metz, 192 km : Rafaele Di Pa co 22. Metz-Charleville, 159 km : Rafaele Di Paco. 23. CharlevilleMalo-les-Bains, 271 km : Gaston Rebry. 24. Malo-Ies-Bains-Paris/Parc des Princes, 313 km: Charles Pélissier. Les maillots jaunes Alfred Hamerlink (1). Max Bulla (1). Léon Le Calvez (1). Raphaël Di Paco (4 dont 1 ex aequo avec C. Pélissier). Charles Pélissier (2 dont 1 ex aequo avec R. Di Paco). Antonin Magne (16). Classement général final 1. Antonin MAGNE (Fra) en 177h10'03 "2. JefDemuysère (Bel) à 12'56 "3. Antonio Pesenti (Ita) à 22'51 "4. Gaston Rebry (Bel) à 46'40" 5. Maurice Dewaele (Bel) à 49'46" 6. Julien Vervaecke (Bel) à 1h10'11" 7. Louis Peglion (Fra) à 1h18'33" 8. Erich Metze (AlI) à 1h20'59" 9. Albert Buchi (Sui) à 1h29'29" 1O. André Leducq (Fra) à 1h30'08" Il. Oskar Thierbach (AlI) à 1h34'03" 12. Hubert Opperman (Aus) à 1h36'43" 13. Benoit Faure (Fra) à 1h40'38" 14. Charles Pelissier (Fra) à 1h45'11" 15.Max Bulla à 1h51'32" 16. Kurt Stoepel (AlI) à 2h05'58" 17. Rafaele Di Paco (Ita) à 2h11 '11 18. Alfons Schepers (Bel) à 2h15'27" 19. Ludwig Geyer (AlI) à 2h16'22" 20. Herbert Sieronski (AlI) à 2h23'40"21. Roger Pipoz (Sui) à 2h25'19" 22. Hermann Buse (AlI) à 2h28'22" 23. Alfred Siegel (AlI) à 2h36'06" 24. Marius Guiramand (Fra) à 3h05'39" 25. Michele Orecchia (Ita) à 3h09'26" 26. André Van Wierst (Fra) à 3h33'44" 27. Joseph Mauclair (Fra) à 3h41'22" 28. Louis Bajard (Fra) à 4h06'02" 29. Fernand Fayolle (Fra) à 4h20'58" 30. Fabio Batlesini (Ita) à 4h39'43" 202
31. Lazare Venot (Fra) à 4h42'04" 32. Jean Marechal (Fra) à 4h43'15" 33. Julius Goedhuys (Bel) à 4h47'09" 34. François Henri (Fra) à 5hI3'00" 35. Richard Lamb (Aus) à 6h27'06" er 1 des touristes-routiers:
Max Bulla (Autriche)
Challenge international 1. Belgique 2. France 3 Allemagne 4. Australie-Suisse.
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5. Italie.
Quelques évènements de l'année 1931 - On dénombre cinq millions de chômeurs en Allemagne, sept millions aux EtatsUnis, deux millions sept cent mille en Grande-Bretagne. - 150 000 mineurs font la grève au Pays de Galles. - Pierre Laval conduit les affaires de la France. - Début de la construction de la ligne Maginot. - Le Mahatma Gandhi signe un accord sur l'amnistie des prisonniers politiques, avec le vice-roi des Indes. - La livre sterling dévalue de 20 %. - Paul Doumer devient président de la République française. - Le roi d'Espagne Alphonse XIII abdique. La République est proclamée. - L'organisation des Jeux Olympiques de 1936 est confiée à Berlin. - En Espagne, le gouvernement Républicain accorde le droit de vote aux femmes. - Le gangster Al Capone écope de onze ans de prison pour fraude fiscale. - Le Français Jules Ladoumègue bat le record du monde du mile. - Les Français remportent leur cinquième coupe Davis. - Adolph Hitler proclame devant la presse américaine qu'il est un démocrate. - Le plafond de la salle sixtine du Vatican s'effondre en ensevelissant 15 000 volumes d'une valeur inestimable. - Dans les cinémas: "M le Maudit" de Fritz Lang, "À Nous la liberté" de René Clair, "Frankenstein" de James Wales, "La Chienne" de Jean Renoir, "Marius" de Marcel Pagnol, "L'Opéra de quat'sous" deG. W Pabst. - Dans les librairies: Drieu la Rochelle publie "L'Europe contre les patries" et "Le Feu-follet". Ernst Jünger présente son essai "Le Travailleur". - Décès de : Maréchal Joffre, Anna Pavlova, danseuse étoile russe, Armand Fallières, homme d'état français, Thomas Edison, inventeur américain, Arthur Schnitzler, dramaturge allemand, Buddy Bolden, trompettiste de jazz américain. - Naissances de : Edmond Maire, syndicaliste français, Thomas Bernhard, écrivain autrichien, James Dean, acteur américain, Françoise Arnoul, Leslie Caron, Annie Girardot, comédiennes françaises, Roger Planchon, metteur en scène français de théâtre, Raymond Kopa et Roger Piantoni, footballeurs français, Igor Barrère, réalisateur français de télévision.
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1932 26e Tour de France. Du 6 au 31 juillet 1932
Un écrin pour les champions Après le tour d'honneur d'Antonin Magne à l'arrivée du Tour de France 1931, la vieille piste du Parc des Princes, construite à l'initiative d'Henri Desgrange en 1897, est confiée à la pioche des démolisseurs. Avec ses vingt mille places, ses installations obsolètes, son anneau ovale et ses virages peu relevés, elle n'est plus compatible avec l'affluence du public et l'engouement extraordinaire que connaissent dans ce premier tiers du XXe siècle, les courses cyclistes en général et le Tour de France en particulier. Desgrange et les frères Goddet, encouragés par le succès de la nouvelle formule, décident donc dès 1930 d'entreprendre la construction, et le plus tôt possible, d'un stade-vélodrome moderne à l'emplacement de l'ancien. La maîtrise d'œuvre du nouveau temple du sport de plein air est confiée aux architectes Haour et Alymoff, Jean Haour étant l'architecte attitré de la famille Goddet. L'ouvrage en briques et béton armé, partiellement couvert d'un immense auvent métallique, est conforme à l'esthétique du temps. Il peut recevoir 50 000 spectateurs. Sa piste de 454,54 m, réalisée en béton rose pour atténuer la réverbération, et ''frottée au chiffon" pour éviter les dérapages, est savamment profilée grâce au travail de Marcel Durand, ingénieur spécialisé et ancien coureur. Elle comprend des virages en falaise et des lignes droites au profil très incliné permettant une bonne évacuation des eaux. L'accès à la piste se fait depuis la rue du vélodrome par un tunnel aménagé sous les gradins. Pendant trente-cinq ans, il verra déboucher des milliers de coureurs; des sans-grade et des seigneurs. Le tunnel du parc sera la porte étroite qui donnera accès après bien des souffrances, à la récompense suprême: les ovations du public parisien. Le complexe est érigé en un temps record, entre le mois d'août 1931 et le mois d'avril 1932. Inauguré le 23 avril, il est donc, à partir de cette date, en mesure d'accueillir l'arrivée du Tour de France. Il sera le théâtre jusqu'en 1967 de ses apothéoses successives. 205
Le dernier à gagner sur la célèbre piste, témoin de tant de triomphes, d'acclamations, de rumeurs, d'émotions et de bonheurs partagés par des centaines de milliers de gens, fut Raymond Poulidor - le Tour lui devait bien cela - qui remporta l'étape contre la montre, VersaillesParis, le 23 juillet 1967. Le panneau d'affichage garda paraît-il pendant plusieurs mois, comme un rappel nostalgique, le temps d'arrivée du Limousin: " 1h 02' 52" ; avant qu'une partie des gradins soit démolie pour laisser place au nouveau boulevard périphérique. Des bonifications pour Charlot Le stade-vélodrome digne de la grande épreuve étant terminé, il ne reste plus qu'à mettre au point les modalités de déroulement du 26e Tour de France. L'admiration et l'affection d'Henri Desgrange pour Charles Pélissier ne sont un secret pour personne. La popularité du beau Charles est considérable, au point que dans les Tours de France 1930 et 1931, elle fit de l'ombre aux vainqueurs André Leducq et Antonin Magne. Malheureusement, malgré son talent, Pélissier passe mal les grandes étapes de montagne, ce qui rend impensable sa victoire dans l'épreuve. Impensable? A moins qu'Henri Desgrange, authentique potentat qui fait ce qu'il veut de son règlement, puisqu'il le modifie à son gré pendant la course elle-même, lui offrît la possibilité de l'emporter. Signalons que dans ses contrats avec les As, H.D précise que s'il le juge utile, il peut interrompre la course d'un concurrent et le faire abandonner, ou proroger selon son bon vouloir le contrat d'un coureur pendant deux années! Investi d'un pouvoir aussi exorbitant, qui pourrait l'empêcher de faire gagner son préféré? Desgrange a bien constaté l'engouement nouveau du public pour les sprinters, et notamment lors de l'empoignade spectaculaire de Pélissier et de Di Paco dans le Tour précédent. Il décide donc de modifier de manière ahurissante le système des bonifications, afin d'avantager les sprinters en général et son poulain en particulier. Désormais les bonifications seront de quatre minutes au premier de l'étape, de trois minutes au second et d'une minute au troisième. Il ajoute trois minutes de bonification au coureur ayant gagné l'étape avec plus de trois minutes d'avance sur le second, comme dans l'édition de 1931. 206
Dans ces conditions, en 1930, Charles Pélissier aurait bénéficié de cinquante-six minutes de bonification, ce qui l'aurait considérablement rapproché du vainqueur! Manque de chance, Pélissier victime d'une chute quelques semaines avant le départ du Tour, déclare forfait, comme Antonin Magne. Tous les regards se tournent alors vers André Leducq. Il a été relativement terne en 1931, mais cette année comme dans toutes les années paires, sa forme est éclatante. Il sera donc leader de l'équipe de France, composée, outre lui-même, d'Albert Barthélemy, Julien Moineau, Louis Péglion, Marcel Bidot - sur l'insistance de Leducq - et de trois petits nouveaux qui vont faire parler d'eux par la suite: Maurice Archambaud, Georges Speicher, et Roger Lapébie. Ce Tour de France confectionné sur mesures pour Charles Pélissier, va très bien à Dédé Leducq, qui s'y glisse comme un coucou dans un nid de mésanges charbonnières. Parce que les bonnes années, il est un grand sprinter lui aussi. Et comme Henri Desgrange a eu l'excellente idée de prévoir des portions importantes de terrain plat après les cols, qui effacent généralement les performances des purs grimpeurs, il pourra compenser sa faiblesse relative en montagne par ses talents de descendeur et de rouleur. Un tour de France sans drame Pour une fois, l'épreuve est dépourvue des ingrédients dramatiques habituels. L'excellent Jean Aerts remporte la première étape, mais la seconde est gagnée au sprint par l'Allemand Stoepel qui s'empare du maillot jaune. C'est la première fois qu'un Allemand gagne une étape et endosse la précieuse tunique. À Bordeaux, Leducq lui ravit le maillot jaune après un sprint extravagant, le plus beau de sa carrière selon son propre témoignage. L'étape Pau-Luchon est comme d'habitude déterminante. Courue par un temps épouvantable, comparable à celui de la terrible étape Bayonne-Luchon du Tour 1926, elle est marquée par l'envolée de La Puce Trueba dans l'Aubisque, et de La Souris Benoît Faure, qui a retrouvé son statut de touriste-routier1 ... et son dérailleur, dans le Tourmalet. 207
Dans la gadoue, André Leducq escalade péniblement les pentes du géant pyrénéen. Il est encouragé par deux spectateurs nostalgiques: Antonin Magne et Jean Bidot, frère de Marcel. Privés de Tour de France, les deux hommes pataugent à ses côtés pendant quelques mètres en lui criant leurs encouragements. Leducq s'accroche, rattrape une bonne partie de son retard dans la descente du Tourmalet et sur le plat, et arrive à Luchon avec seulement 3'53" de retard sur l'Italien Pesenti, grâce à une invention mise au point en collaboration avec Marcel Bidot : l'allongement des pattes de la fourche arrière. Cette idée géniale permet d'adapter sur la bécane un gros plateau de 46, ce qui n'était pas possible sur les charpentes habituelles des vélos. Avec un développement de 46x16, soit 6,14 m, il devient possible de compenser sur le plat le retard pris dans les montées, pour peu qu'on soit un bon rouleur. Leducq conserve son maillot jaune, mais Stoepel est sur ses talons. Par la suite, le Français s'ingéniera à grignoter des bonifications en prenant soin d'arriver dans les trois premiers, et avant l'Allemand moins rapide que lui au sprint. Mais malgré une belle percée de StoepeI dans la boucle de Sospel, où Leducq subit un terrible coup de barre, d'étape en étape et de bonification en bonification, l'écart se creuse inexorablement entre le maillot jaune et son second. Malgré les cols alpins, Leducq, magnifique de courage et de talent, l'emporte à Gap et à Aix-les-Bains... au sprint, après une montée dramatique du Galibier où une fois de plus Trueba et Benoît Faure, indifférents à la tempête de neige, s'envolent. Di Paco, en conformité de sa réputation, remporte quatre étapes, et reconstitue brièvement avec Leducq le duo qui lui valut son succès de l'année précédente. On dit que ce séducteur invétéré, peu enclin à la souffrance et aux efforts répétés, n'emporte avec lui que son pyjama, sa brosse à dents et sa tenue de coureur, pour s'obliger à terminer le Tour de France! À Belfort, Leducq a déjà remporté quatre étapes. Et il pense en avoir gagné une cinquième à Charleville, cité spécialisée dans les réclamations2, en battant Di Paco, Loncke et Stoepel au sprint. Suivant la règle des bonifications, quatre minutes seraient donc attribuées à Leducq, trois à Di Paco, une à Loncke. .. et rien à Stoepel. Une récla208
mation est déposée. On s'attend à ce qu'elle le soit par Di Paco, qui en avait formulé une avec succès l'année précédente dans le même lieu. Mais c'est Stoepel qui affirme aux commissaires que Leducq a été poussé par son coéquipier, Albert Barthélemy. Leducq proteste. Barthélemy ne l'a pas poussé pour une raison simple: il a le bras trop court! Il aurait bien voulu, le brave Albert, mais il a raté le postérieur de Leducq ! L'argument n'émeut pas les commissaires, et la réclamation est retenue. Leducq est déclassé, Di Paco déclaré vainqueur, et Stoepel 3e, bénéficie d'une minute de bonification! Le maillot jaune prend sa revanche dans l'avant-dernière étape qu'il gagne au sprint à Amiens. Le lendemain, à Paris, devant une foule énorme qui se bouscule sur le parcours jusqu'à l'entrée du stade, les coureurs empruntent la rue pavée du vélodrome, s'engouffrent dans la pénombre du tunnel, et débouchent comme des diables jaillissant de la gueule de l'enfer, sur la piste rose du nouveau Parc des Princes, éblouissante sous la lumière d'été. Une immense clameur qui emplit le stade et s'étend bien au-delà de son enceinte, submerge les coureurs. André Leducq ceint de son maillot jaune, les larmes aux yeux, reçoit l'ovation due à ses talents de stratège. Il gagne son deuxième Tour de France à la moyenne record de 29,214 km/h et, emporté par son élan autant que par l'enthousiasme général, ne peut s'empêcher de remporter l'étape - sa sixième - qu'il avait promise à Speicher en récompense de ses bons et loyaux services. Il bat son équipier d'un souffle. Personne n'est parfait. Dans ce Tour de France, l'équipe belge pourtant très puissante, mais empêtrée dans ses problèmes de concurrence interne, ne fut jamais en mesure d'inquiéter le champion français, malgré quelques victoires d'étapes et un exploit de Rebry. Décidément à l'aise sur les pavés du nord, Le Bouledogue gagne à Malo-les-Bains avec une avance considérable sur JefDemuysère, son compère de 1931. Les Italiens qui placent trois hommes dans les neuf premiers, dont un touriste-routier3, remportent le challenge international. Aux Jeux Olympiques de Los Angeles, en août, l'Italie affirmera sa supériorité dans les épreuves cyclistes. Kurt Stoepel, coureur solide et timide, fut pendant la durée du Tour de France, le seul concurrent capable d'inquiéter Dédé Leducq. 209
D'ailleurs, sans le système des bonifications, l'Allemand eut remporté le Tour avec une avance de deux minutes environ4. 1932 était son année. Il y fut touché par une grâce qu'il ne retrouva jamais. Mais s'il se montra courageux et pugnace, il fut également rigide, tatillon, procédurier, voire délateur, en bref pas très sympathique d'après Leducq qui commenta: "Kurt Stoepel était un spécimen de la grande et jeune Allemagne, pure et dure. Personnellement il me mettait mal à l'aise5." Cinq jours après l'arrivée du Tour de France, les élections du 6e Reichstag apportent 37,4 % des suffrages et 230 sièges au parti national-socialiste allemand, qui en font la première force politique du pays.
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En savoir plus: 1. Cette année-là, les touristes-routiers sont devenus des individuels. Le dérailleur interdit aux As était toléré pour cette catégorie. Benoît Faure qui en utilisait un depuis sa première participation dut l'abandonner en 1931 lorsqu'il fut sélectionné dans l'équipe de France. 2. En 1930 Guerra déposa une réclamation contre Charles Pélissier à l'arrivée de Charleville, mais sans succès. En 1931, c'est Di Paco qui déposa une réclamation contre Charles dans la même ville et obtint gain de cause. 3. Francesco Camusso 3e, Antonio Pesenti 4e, tous deux de l'équipe d'Italie, et Luigi BarraI (touriste-routier) ge. 4. Il est vrai aussi, que sans le système des bonifications, auquel d'ailleurs Leducq était opposé, sa stratégie eût été différente, et rien ne prouve qu'il n'aurait pas gagné le Tour. 5. André Leducq. "Une Fleur au guidon". Presses de la cité 1978.
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Le Tour de France 1932 en un coup d'œil 26e édition du 6 au 31 juillet 1932 4 520 Kilomètres. 21 étapes. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. Cinq jours de repos (Nantes, Bordeaux, Luchon, Perpignan, Nice). Moyenne du vainqueur 29,514 km/ho 80 coureurs au départ dont 40 As et 40 individuels. 5 équipes nationales de 8 hommes: Belgique, Italie, Suisse, Allemagne, France. 57 rescapés dont 32 As et 25 individuels à l'arrivée. 700 000 F de prix. Vainqueur: A.LEDUCQ. Challenge international: ITALIE. Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Caen, 208 km: Jean Aerts. 2. Caen-Nantes, 300 km: Kurt Stoepel. 3. Nantes-Bordeaux, 387 km : André Leducq. 4. Bordeaux-Pau, 206 km : Georges Ronsse. 5. Pau-Luchon, 229 km : Antonio Pesenti. 6. Luchon-Perpignan, 322 km : Frans Bonduel. 7. Perpignan-Montpellier, 168 km : Frans Bonduel. 8. MontpellierMarseille, 206 km : Michele Orecchia. 9. Marseille-Cannes, 191 km : Rafaele Di Paco. 10. Cannes-Nice, 132 km. : Francesco Camusso. Il. Nice-Gap, 233 km. : André Leducq . 12. Gap-Grenoble, 102 km : Roger Lapébie. 13 Grenoble-Aix-IesBains, 230 km : André Leducq. 14. Aix-Ies-Bains-Evian, 204 km : Rafaele Di Paco. 15. Evian-Belfort, 291 km : André Leducq. 16. Belfort-Strasbourg, 145 km : Gérard Loncke. 17. Strasbourg-Metz, 165 km : Rafaele Di Paco. 18. Metz-Charleville, 159 km : Rafaele Di Paco. 19. Charleville-Malo-Ies-Bains, 271 km : Gaston Rebry. 20. Malo-Ies-Bains-Amiens, 212 km : André Leducq. 21. Amiens-Paris/Parc des Princes, 159 km : André Leducq Classement général final 1. André LEDUCQ (Fra) en 154h11'49" 2. Kurt Stoepel (AIl) à 24'03" 3. Francesco Camusso (Ita) à 26'21" 4. Antonio Pesenti (Ita) à 37'08" 5. Georges Ronsse (Bel) à 41'04" 6. Frans Bonduel (Bel) à 45'13"7. Oskar Thierbach (AIl) à 58'44" 8. Jef Demuysere (Bel) à 1h03'24" 9. Luigi BarraI (Ita) à 1h06'57"10. Georges Speicher (Fra) à 1h08'37"11. Albert Buchi (Sui) à 1h13'33" 12. Benoit Faure (Fra) à 1h14'12" 13. Jean Aerts (Bel) à 1h16'24" 14. Michele Orecchia (Ita) à 1h18'45" 15. Georges Lemaire (Bel) à 1h19'18" 16. Maurice Archambaud (Fra) à 1h25'27" 17. Jan Wauters (Bel) à 1h29'21" 18. René Bernard (Fra) à 1h35'28" 19. Max Bulla (Aut) à 1h38'23" 20. Gaston Rebry (Bel) à 1h39'01" 21. Augusto Zanzi (Ita) à 1h45'56" 22. Ludwig Geyer (AIl) à 1h49'48" 23. Roger Lapebie (Fra) à 1h55'27" 24. Marcel Mazeyrat (Fra) à 1h56'53" 25. Julien Moineau (Fra) à 1h58'16" 26. Luigio Marchisio (Ita) à 1h59'47" 27. Vicente Trueba (Esp) à 2hOO'40"28. Ernest Neuhard (Fra) à 2h22'21" 29. Georges Antenen (Sui) à 2h24'39" 30. Marcel Bidot (Fra) à 2h29'02" 31. Marius Guiramand (Fra) à 2h29'31" 32. Giuseppe Pancera (Ita) à 2h30'12" 33. Raffaele Di Paco (Ita) à 2h35'51" 34. Gérard Loncke (Bel) à 2h41'25" 35. Fernand Fayolle (Fra) à 2h44'33" 36. Alfred Buchi (Sui) à 2h59'37" 37. Lazare Venot (Fra) à 3h04'31" 38. Amalio Viarengo (Fra) à 3h10'27" 39. Herbert Sieronski (AIl) à 3h15'13" 40. Jules Buysse (Bel) à 3h32'25"41. Alfred Bula (Sui) à 3h34'06" 42. Aleardo Simoni (Ita) à 3h38'18"43. Emile Decroix (Bel) à 3h43'20" 44. François Moreels (Fra) à 3h55'22" 45. Nicolas Frantz (Lux) à 4hOO'17" 46. Jean Gouleme 212
(Fra) à 4h06'02" 47. Louis Peglion (Fra) à 4h13'53" 48. Karl Altenburger (AlI) à 4h20'41" 49. Albert Barthélemy (Fra) à 4h21'05" 50. Jean-Pierre Muller (Lux) à 4h21'15" 51. François Haas (Fra) à 4h32'29" 52. Robert Brugere (Fra) à 4h38'35" 53. Francis Bouillet (Fra) à 4h47'05" 54. Fernand Cornez (Fra) à 4h47'18" 55. August Erne (Sui) à 4h54'45" 56. Georg Umbenhauer (AlI) à 5h03'Ol" 57. Rudolf Risch (All) à 5h05'14" er 1 des individuels:
Luigi BarraI. (Italie)
Challenge international 1. Italie 2. Belgique 3 France 4. Allemagne.
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5. Suisse.
Quelques évènements de l'année 1932 - Les Japonais entrent à Shanghai
- André
Maginot, instigateur de la ligne du même nom, ministre de la Guerre, meurt empoisonné par des huîtres douteuses. - Le fils de Charles Lindbergh est enlevé le 2 mars. On retrouve son corps le 12 mai. - Le coureur à pied Jules Ladoumègue est radié à vie pour professionnalisme. - Hindenburg devance Hitler aux élections présidentielles. - Le président de la République, Paul Doumer, est assassiné. Albert Lebrun le remplace. - Victoire de la gauche aux élections législatives. - Marcel Thil devient Champion du Monde de boxe des poids moyens. - La France remporte sa sixième Coupe Davis. - Le parti nazi est la première force politique en Allemagne. - Les Jeux Olympiques se déroulent à Los Angeles. - Gandhi emprisonné entame une grève de la faim. - F.D. Roosevelt devient Président des Etats-Unis. - Lancement du paquebot Normandie. - Sortie des films : "Les Croix de bois" de Raymond Bernard, "Boudu sauvé des eaux" de Jean Renoir, "Shanghai Express" de Josef von Sternberg, "Scarface" d'Howard Hawks et "Freaks" de Tod Browning. - Pills et Tabet chantent "Couchés dans le foin", de Jean Nohain et Mireille. - Dans les librairies: Charles de Gaulle publie "Au fil de l'épée" et Aldous Huxley "Le Meilleur des mondes". Louis Ferdinand Céline rate le prix Goncourt, mais obtient le prix Renaudot pour "Voyage au bout de la nuit" . - Décès de : Aristide Briand, homme politique français, Albert Santos-Dumont, aviateur brésilien, Georges Eastman, Américain, inventeur du film cinématographique. - Naissances de : François Truffaut et Louis Malle, cinéastes français, Milos Forman, cinéaste américain d'origine Tchèque, Alphonse Halimi, boxeur français, Michel Legrand, auteur-compositeur français, Elisabeth Taylor, actrice américaine, Anouk Aimé, Delphine Seyrig, Jean-Pierre Marielle et Jean-Pierre Cassel, acteurs français, Jacques Chirac, homme politique français, Charly Gaul, coureur cycliste luxembourgeois, vainqueur du Tour de France 1958.
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1933 27 Tour de France. Du 27 juin au 23 juillet 1933 Une grande équipe Cette année, le Tour part dans le sens des aiguilles d'une montre et les Alpes sont franchies avant les Pyrénées. Henri Desgrange change une fois de plus le système des bonifications, en n'accordant que deux minutes de bonus au premier et une minute au second. Peut-être a-t-il pris conscience que ses largesses de 1932 étaient un peu trop voyantes. En effet, il n'était pas nécessaire d'être grand clerc pour comprendre qu'elles étaient destinées à avantager les sprinters. Toujours soucieux de perfectionner sa course, Desgrange décide de valoriser les grimpeurs, et institue le premier Classement du meilleur grimpeur, patronné par la firme d'apéritifs Martini & Rossi avec le concours de L'Auto. Des points sont attribués au passage des cols, - dix au premier, neuf au second, etc. - Seize cols sont concernésl. Le petit grimpeur espagnol Vicente Trueba, qui escalade victorieusement les cimes françaises depuis 1930, va se révéler une fois de plus le meilleur sur les pentes effrayantes des Alpes et des Pyrénées. Il passera en tête au sommet de dix cols sur les seize sélectionnés, dont le Galibier et la plupart des grands cols pyrénéens, et il remportera haut la main, ce premier trophée du meilleur grimpeur. L'année 1933 voit le retour dans l'équipe de France de Charles Pélissier et d'Antonin Magne, enfin remis de sa dramatique victoire de 1931. Les petits jeunes de l'année précédente, Georges Speicher, Roger Lapébie, nouveau Champion de France, et Maurice Archambaud, sont là également, ainsi que leur aîné André Leducq, double vainqueur du Tour dont la côte de popularité est au plus haut. L'équipe est complétée par René Le Grevès, un boulet de canon dans les arrivées au sprint et Léon Le Calvez un routier complet. C'est donc une équipe rénovée et puissante, composée de fortes individualités, qui se présente au départ du Vésinet. Au point que l'unique question qui tracasse les journalistes est la suivante: quel est donc le Français qui va gagner le Tour de France cette année? 215
L'originalité de cette équipe de France provient du fait qu'elle ne possède pas de leader puisque presque tout ses membres peuvent prétendre le devenir. On laissera donc aux évènements le soin de définir qui sera le plus apte à ramener le maillot jaune à Paris. Face aux Français, seul l'Italien Guerra, de retour dans la Grande Boucle après deux ans d'absence et malgré une blessure pendant le Tour d'Italie, semble en mesure de leur opposer une résistance sérieuse, et peut-être le Belge Jean Aerts s'il passe bien la montagne. Grandeur et décadence du "Nabot" Dès le premier jour, l'équipe de France trouve son chef de file en la personne du minuscule Maurice Archambaud2, dit Le Nabot, qui franchit la ligne d'arrivée à Lille avec 2'32" d'avance sur le peloton, après 262 km de route dont une bonne portion de pavés. En dépit de la chasse qu'ils ont menée, et de leur connaissance du terrain, les Belges Louyet, Rebry, Vervaecke, Aerts et consorts n'ont rien pu faire pour revenir sur ce bolide miniature. Avec son visage rond et ses cheveux bien lissés de premier de la classe - Desgrange l'appelle Le Poupard - il n'a pas l'air d'une terreur ce Maurice Archambaud, qu'on dit peu expansif et têtu comme une mule. Pourtant, cette boule de muscles de 1,64m pour 63 kilos, est redoutable sur la route. Il sprinte médiocrement, mais ses jambes aux cuisses énormes, à la Guerra, s'abattent sur le pédalier avec la régularité et la puissance des bielles d'une locomotive. Vainqueur du Grand Prix des Nations contre la montre en 1932, il a déjà battu de 317 mètres, sur la piste d'Alger, le record de l'heure détenu par Oscar Egg depuis 18 ans. Malheureusement sa performance n'a pas été homologuée, les conditions nécessaires au chronométrage officiel n'étant pas remplies. Ce sera pour plus tard. Mais peu importe, cet exploit officieux en dit long sur ses qualités de rouleur. À Lille, il a battu tout le monde à la régulière. Le voici maillot jaune et bien décidé à le rester. Au pied des Alpes, le maillot est toujours sur ses épaules. Le Môme Surdol3, comme l'appelle Leducq, par allusion à ses nombreuses chutes en course, se cramponne dans les étapes des grands cols et détient toujours la tunique jaune à Gap où il a 8'53" d'avance sur Guerra, en difficulté ce jour-là, tout comme lui-même d'ailleurs. 216
On commence à spéculer sur une victoire possible du petit Maurice. Malheureusement, il a présumé de ses forces, et le lendemain, entre Gap et Digne, les intestins en capilotade, il donne d'inquiétants signes de fatigue dans le col de Vars. Il le grimpe presque agonisant, accompagné par son grand ami Lapébie et par André Leducq qui l'encouragent du geste et de la parole. C'est là que se situe un événement qui faillit déboucher sur un incident diplomatique, et dans lequel fut impliqué le talentueux dessinateur René Pellos, envoyé spécial de Match L'Intran, qui était à l'époque une grande revue sportive. ''À ce moment, se souvint Pellos, la voiture d'un quotidien italien qui depuis un bon moment faisait des queues-de-poisson à ce pauvre Maurice surgit, et un de ses occupants "le Commandatore X" réputé pour ses sentiments fascistes, son monocle et sa canne à pommeau d'or se mit à hurler: "Zé la prouve qué lé maillot jaune s'est fait pousser ... c'est la dédans". Il vint près de moi et me mit son appareil sous le nez. (...) Instinctivement, je ne pus m'empêcher d'expédier mon poing dans l'appareil qui alla voler dans le ravin; puis ce fut le tour de la fameuse canne à pommeau d'or4." L'incident prit de telles proportions que le soir, l'équipe italienne menaça d'abandonner. Desgrange se mêla de l'affaire. Des excuses furent exigées de René Pellos... qui ne vinrent pas. Les choses en restèrent là, mais elles renseignent sur la tension politique qui régnait déjà dans le Tour de France, et qui montera encore de plusieurs crans en 1936, avec l'abstention de l'Italie pour cause d'Ethiopie, et le début de la guerre civile en Espagne. Archambaud se traîne dans le col d'Allos, malgré la sollicitude de Dédé de St Ouen qui lui remplit vingt fois son bidon. Au sommet du col, le retard du Nabot sur l'Italien Martano frôle les 19 minutes. Au bord de l'évanouissement, lemaillotjaunedescenddeselle.s.affale un long moment sur la malle arrière d'une berline et repart en rassemblant ce qu'il lui reste d'énergie. Ce jour-là, Speicher vainqueur de l'étape, après avoir déjà dominé la veille, gagne environ 18 minutes sur Archambaud en comptant la bonification accordée au vainqueur. Il passe à la troisième place du classement général, à trois minutes du Belge Lemaire qui prend le maillot jaune devant Guerra. Archambaud "pris la main dans le sac", selon l'expression de Desgrange, sera ultérieurement pénalisé. 217
Un peu de lumière pour les obscurs Après la grande bagarre des Alpes, les 156 km de la brève étape Digne-Nice, sont considérés comme une parenthèse tranquille, sauf pour deux individuels, le Parisien Fernand Cornez et le Niçois Fernand Fayolle, une gloire régionale, épicier dans sa bonne ville, et qui connaît la route comme sa poche. Les deux hommes profitent de la torpeur générale, tirent leur révérence au peloton et foncent vers Nice, le nez sur le guidon. On ne peut trouver plus différents que ces deux-là. L'un, Fayolle, un petit gabarit, remarquable la veille dans le col d'Allos, est beaucoup plus à l'aise en montagne que sur le plat, l'autre, Cornez, un grand costaud, roule bien, mais digère très moyennement les côtes. Ils unissent leurs talents dans cette étape peu accidentée et arrivent à Nice 12'12" avant l'Italien Pastorelli, le Suisse Bula et l'Espagnol Trueba, trois autres individuels. Le Calvez, seul As à avoir manifesté un peu d'inquiétude est 6e à un quart d'heure des premiers, et le peloton musardeur se traîne à presque 23 minutes des deux audacieux. Fayolle, et Cornez vainqueur à 34,348 km/h de moyenne, n'étant pas dangereux au classement général, leur aventure ne devrait être que pittoresque et sans conséquence. Mais seulement si Desgrange n'avait décidé cette année-là, que le seuil d'élimination se situerait à 8 % du temps du vainqueur. Il n'imagine pas qu'en cas d'étape courte et d'écart considérable, cette règle pourrait se révéler dangereuse. Or, dans Digne-Nice, c'est exactement ce qui se produit! Si l'on applique strictement le règlement, seuls les six premiers resteraient en course, et les 37 retardataires, avec tous les favoris, seraient éliminés! Pour couronner le tout, Trueba qui monte les cols comme un ange, mais les descend comme un fer à repasser, prendrait le maillot jaune. Situation délicieusement ubuesque, face à laquelle Desgrange réagit impérialement, comme l'aurait fait sans doute son idole Napoléon Bonaparte. Il choisit l'ordre de préférence à la justice, et décide à l'unanimité - de lui-même - de porter le seuil d'élimination à 10 % ! C'est injuste pour ceux qui furent exclus en vertu de la clause précédente et pour les six premiers de l'étape. Cependant personne ne proteste, car grâce à cette 218
décision inique mais nécessaire, la course est sauvée. Seuls cinq coureurs n'échapperont pas à l'élimination. Cet épisode remarquable nous permet de fixer un instant notre attention sur Fernand Cornez, immense gaillard de vingt-cinq ans, 54e du Tour de France en 1932. Ce coureur courageux et obscur, comme il y en eut tant, réussit dans ce Tour 1933, des exploits oubliés des exégètes : ge à Metz, 2e à Belfort, 6e à Evian, vainqueur à Nice. Dans l'étape suivante, Nice-Cannes, il arrive après les délais avec trois autres individuels, peut-être pour cause de célébration excessive de sa victoire ou en paiement de ses efforts de la veille, mais plus probablement par une propension à rejoindre la queue du peloton dès que la route s'élève un peu trop. TIest repêché, avec ses compagnons de misère, par Desgrange, magnanime, qui décide de repousser le seuil d'élimination à 15 % du temps du vainqueur. Fernand Cornez, galvanisé par son succès de Nice, ne s'arrête pas là : il est 4e à Montpellier, 3e à Perpignan et 2e à Ax-les-thermes, malgré les lacets de Puymorens où, une fois n'est pas coutume, il se trouve en tête en montagne avec Antonin Magne et Trueba. Dans Luchon- Tarbes et dans le Tourmalet, entre Tarbes et Pau, il joue les Samaritains en assistant son copain d'entraînement André Leducq, malade et complètement à la dérive. Au mépris du règlement, il ira jusqu'à lui retourner sa roue pour l'aider à changer de développement, ce que Le Joyeux Dédé, handicapé par un bras enflé, n'est plus capable de faire. Après les Pyrénées, Fernand reprend son bonhomme de chemin: 4e à la Rochelle, 3e à Rennes, 2e derrière Le Grevès à Caen, après un tour de piste chronométré destiné à départager les concurrents. On l'aurait espéré vainqueur au Parc des Princes, pour que l'histoire ressemblât davantage à un conte de fées. Malheureusement, il termine 3ge de l'étape sur 40, et c'est Guerra qui l'emporte. Cornez est 35e au classement général à trois heures du maillot jaune, en récoltant au total cinq minutes de bonification. Bien plus que Martano, 3e du Tour! Il pouvait être satisfait de lui-même notre individuel, d'autant qu'il avait terriblement souffert d'une sale blessure au genou gauche pendant une bonne partie de l'épreuve. Et l'on imagine qu'il dut subir 219
embrassades chaleureuses et claques dans le dos en rentrant à la maison. On ne le reverra jamais dans le Tour de France. Dommages. Passation de pouvoir Après la déroute du col d'Allas, les intestins du poupard inspirent les commentaires inquiets de Desgrange dans L'Auto. Mais le petit Maurice, confortablement lové dans le peloton sommeillant, recouvre sa santé dans l'étape Digne-Nice gagnée par Cornez. Dans l'étape suivante, Nice-Cannes, il passe en tête à la surprise générale dans le col de Castillon, rejoint Trueba qui s'est échappé, dans la descente du col de Braus, et arrive détaché à Cannes. Ses parents sont présents. Il se jette dans leurs bras, rayonnant de bonheur, comme un gosse heureux d'être reçu au certificat d'études. Le voici à nouveau dans la course, avec le maillot jaune sur les épaules. Le soir à l'hôtel, Archambaud se confie à Georges Speicher, son compagnon de chambre. Il lui exprime ses doutes sur son état de santé et lui fait part de sa lassitude. Il devance son ami de quatre minutes, certes, et c'est suffisant pour en faire le leader de l'équipe, mais Speicher, magistral vainqueur des deux grandes étapes alpines, éclate d'énergie, alors que lui, malgré son maillot jaune, est au bout du rouleau. C'est donc en connaissance de cause que le beau Georges aborde l'étape Cannes-Marseille. Un individuel, René Bernard, s'échappe. Speicher dans son style aérien, va le chercher, accompagné d'un autre individuel, Léon Level. Banale péripétie destinée à contrôler la course. Mais les deux individuels insistent. Speicher voit là une occasion de gagner l'étape. Illes relaie. Le peloton chasse sous une chaleur accablante, mais ne rejoint pas les trois hommes. À l'arrivée, ils ont 1'11" d'avance sur le peloton. Speicher gagne facilement au sprint et c'est suffisant, grâce au jeu des bonifications, pour lui faire endosser le maillot j aune quinze secondes devant Lemaire. À l'arrière, Archambaud perturbé par la chaleur et victime d'une crevaison, dérive à huit minutes du vainqueur. Les supporters du petit Maurice hurlent à la trahison et vouent le Judas Speicher aux gémonies. Mais y avait-il autre chose à faire? 220
Speicher le magnifique Speicher, dit le Prince de Montlhéry6, a surgi comme un diable dans le monde du cyclisme professionnel l'année précédente, et a été immédiatement sélectionné dans l'équipe de France du Tour. Cet ancien mécano, engagé à dix-sept ans comme coursier à bicyclette sans savoir tenir sur une bécane, est devenu en un temps très court, l'un des plus grands routiers français. C'est un coureur d'instinct, grand, longiligne, à l'allure superbe. On le dit nonchalant, fantasque, amateur de bal musette, de jolies femmes et de bonne chère, autant que de cyclisme. Son ami Georges Berretrot, célèbre animateur du Vel' d'Hiv, connaissait son talon d'Achille: "... il eut à lutter constamment contre son tempérament indolent qui, dès qu'il se manifestait, le poussait à renoncer. Il lui a fallu éduquer une volonté défaillante. C'est son plus grand mérite (...). Longtemps on l'a considéré, dans les milieux cyclistes, comme un "rigolo" et ce n'est que lorsqu'il a pris conscience de sa réelle valeur qu'il sy est mis sérieusemen/... " Bien qu'il soit plus fin, plus racé, que Leducq, Speicher l'évoque sur bien des plans. Il roule et sprinte bien, limite les dégâts dans les montées et se révèle surtout un prodigieux descendeur, supérieur dans cette discipline à son aîné; ce qui est une référence. Passionné de mécanique comme Leducq, il a trouvé une astuce pour améliorer le freinage arrière: "Il retourna tout simplement l'étrier pour le monter à l'intérieur des haubans, au lieu de le fixer à l'extérieur comme cela se fait habituellement. Dans cette position, le frein arrière travaillant à l'arrachement (dans les mêmes conditions que le frein avant), Speicher obtenait un freinage équilibré à l'avant comme à l'arrière8. " Dans ce Tour de France 1933 Georges Speicher saisit à merveille les opportunités de la course, jongle avec les bonus aux arrivées et construit sa victoire avec intelligence. Le système des bonifications et le profil des étapes de montagne, soigneusement étudiés pour les routiers-sprinters, bouleversent la stratégie du Tour. En 1933, sans les bonifications c'est Martano qui aurait gagné l'épreuve. En 1932, elle serait revenue à Stoepel ; du moins sur le papier. Les écarts au classement général ne s'obtiennent plus en se détachant dans la montagne ou au train sur le plat, à la régulière, mais d'un coup de reins, en franchissant la ligne d'arrivée avec dix 221
centimètres d'avance, ce qui peut rapporter plusieurs minutes de bonifications. À ce jeu-là, Speicher comme son ami Leducq, sont passés maîtres. Ce maillot jaune qu'il vient d'ôter en dilettante à Archambaud, Georges Speicher, grimpeur moyen malgré ses succès dans les Alpes, va le défendre bec et ongles dans les Pyrénées avec un sang-froid remarquable. Une descente d'anthologie Tout se joue entre Tarbes et Pau, dans un chassé-croisé étourdissant. Dans l'impressionnant Tourmalet d'abord. Pendant que l'Espagnol Trueba s'envole une fois de plus et passe au sommet avec cinq minutes d'avance sur le second, le Champion du Monde amateur Giuseppe Martano et son compatriote, le formidable Learco Guerra9, attaquent brutalement Speicher sur les pentes dénudées du géant pyrénéen. Au sommet du Tourmalet, le Français est à 4'40" de Martano et à 2' 07" de Guerra. Il a virtuellement perdu son maillot jaune, mais il reprend une partie de son retard dans la plongée vers la vallée, où il rattrape Guerra. Dans le petit col de Soulor, Speicher rejoint par Archambaud est lâché par Guerra. Mais le maillot jaune se cramponne courageusement, et au sommet embrumé de l'Aubisque il n'est plus qu'à 2'15" des deux Italiens. Déchaîné, Speicher revient sur ses adversaires dans une descente d'anthologie. Déboulant à 80km/h, ce qui est de la pure folie étant donné l'état de la route, traçant des trajectoires parfaites dans les virages, prenant des risques inouïs qui font frissonner spectateurs et suiveurs, il démontre dans cette discipline son incontestable supériorité. Malheureusement une crevaison coupe son élan. Le peu rancunier Maurice Archambaud, ami sincère de Speicher, lui passe sa roue arrière. Guerra crève à son tour. Personne n'est là pour le secourir, et il perd un temps considérable. Malgré son découragement, l'Italien entame une course-poursuite fantastique contre les hommes de tête, et réussit l'exploit prodigieux de les rejoindre avant Pau. À l'arrivée, alors qu'il était archi-battu une heure plus tôt, il s'offre le luxe de gagner au sprint devant Speicher, Martano, Level, Fayolle, Magne et 222
Trueba victime d'une chute dans l'Aubisque. Mais Speicher est deuxième, et la bonification attribuée au second lui permet de grignoter une minute sur Martano et de gagner le Tour de France ce jour-là. Georges Lemaire le Champion de Belgique, l'homme aux jambes envahies par les varices, a le tort rédhibitoire d'être l'unique Wallon dans une équipe de Flamands. Totalement négligé par ses équipiers, isolé dans les Pyrénées, il faiblit dans l'étape Luchon-Tarbes gagnée par son compatriote Jean Aerts. Lemaire se plaint du peu d'assistance dont il est l'objet, mais personne ne l'entend. Dans TarbesPau, victime d'une crevaison, il arrive plus de sept minutes après le vainqueur, ce qui l'exclut de la course au maillot jaune alors qu'avec un soutien de ses coéquipiers ses chances étaient réelles1o. Quant au chef de file de l'équipe Belge, Jean Aerts Il, grand ami de Leducq, il remportera six étapes sans jamais présenter le moindre danger pour Speicher et sans se soucier de la course d'équipe. Cette étape Tarbes-Pau, ainsi que la précédente, Luchon-Tarbes, laissèrent à André Leducq un souvenir pénible. Le vainqueur adulé du Tour de France 1932, piqué par un taon à Luchon, vécut dans les Pyrénées un véritable calvaire sous les quolibets et les invectives d'une foule amnésique. Leducq ne pouvait tenir son guidon que d'une main. "Il avait non seulement le bras, mais la main et l'épaule si enflées que ce bras ressemblait plutôt à une grosse jambe" écrira plus tard Henri Manchon. Malgré tout, le champion assisté de Cornez, tiendra bon et terminera les deux étapes dans les délais, très loin des premiers. Après les Pyrénées, Guerra que son équipe décimée n'a guère aidé, grignote encore quelques minutes grâce aux bonifications. Il franchit la ligne en tête dans un Parc des Princes plein à craquer et enlève la deuxième place du classement général à Martano. À l'arrivée, Il n'est plus qu'à quatre minutes du maillot jaune. Il était temps12 ! Speicher a gagné. C'est une surprise pour tout le monde et pour Desgrange en particulier. H.D exprime dans son inimitable style militaire une satisfaction sous laquelle on sent poindre une réticence: ". . .ne ménageons pas notre admiration à ce beau modèle de notre race française, bien équilibré dans ses lignes, ne froissant aucune de nos notions sur la beauté musculaire, plein de cette mesure qui est une des vertus de notre race. Si vous voulez, nous dirons que c'est un 223
admirable soldat de notre armée sportive et qu'il lui reste à conquérir ses grades d'officier et, par conséquent, de chef" Trois semaines plus tard, Speicher obtiendra ses grades d'officier. Simple remplaçant dans l'équipe de France pour le Championnat du Monde sur route, il est sélectionné à la dernière minute et remporte magistralement le titre à Montlhery, loin devant Antonin Magne. Déjà vainqueur du Tour, il réussit un doublé historique. Ce Tour de France 1933 marque l'apogée, donc bientôt le déclin, des routiers-sprinters dévaleurs de cols et écumeurs de bonifications pour lesquels Henri Desgrange avait taillé son épreuve sur mesure. L'année suivante, il rééquilibrera la course en anoblissant les grimpeurs grâce à des gratifications de temps au sommet des cols et à une réduction des bonus prévus aux arrivées. De ce fait, le profil des futurs vainqueurs s'apparentera davantage à celui d'Antonin Magne qu'à ceux de Leducq, de Speicher, et même de Lapébie. Il faudra désormais, à de rares exceptions près, posséder les qualités de ces grands champions tout en s'affirmant le meilleur au bon moment et au bon endroit, là où l'oxygène se raréfie. Dans cinq ans, le Toscan Gino Bartali va en faire l'éclatante démonstration en fermant le portail sur une époque révolue. La cécité de l'Europe Pendant que les Allemands Stoepel et Geyer terminent honorablement ce 27e Tour de France aux 10e et 12eplaces, leur compatriote le Chancelier Hitler, nouveau maître de l'Allemagne depuis le 30 janvier, ne perd pas son temps à faire du vélo. Trois jours après l'arrivée du Tour de France, le conseil des ministres du Reich adopte la loi sur la stérilisation des personnes victimes de maladies héréditaires. L'Allemagne d'Hitler arrache son masque. Le 20 juillet, 50 000 personnes se sont rassemblées à Hyde Parc pour protester contre l'antisémitisme. Mais rares sont ceux, à part les membres de la diaspora juive, qui comprennent la vraie nature du nazisme malgré les autodafés de livres interdits, les persécutions, et les arrestations arbitraires. La création du camp de concentration de Dachau, les départs d'Allemagne des premiers intellectuels, l'interdiction des syndicats, et la création de la terrible Gestapo, la police secrète d'état, n'ouvriront pas davantage les yeux de l'opinion publique européenne. Lorsque les démocraties sorti224
ront de leur torpeur, il sera trop tard. À la veille de la guerre, en 1938, après la reculade de Munich, Neville Chamberlain, Premier ministre britannique, estimait encore que Monsieur Hitler était un "gentleman ", et Edouard Daladier de retour de Bavière, et craignant le pire à son arrivée au Bourget, s'étonnait de l'accueil enthousiaste d'une foule soulagée qui voulait croire à la paix. Alors que le prochain carnage se profile insensiblement, on tente de penser à autre chose. On joue au yo-yo. Il s'en vend des dizaines de milliers d'exemplaires en France. Il en existe même un modèle à roue libre! On se gonfle d'espoir en apprenant que les Docteurs Calmette et Guerin ont mis au point un vaccin, le B.C.G, qui protègera des millions de vies humaines de la ravageuse tuberculose. On se passionne pour Violette Nozières qui vient de suicider ses parents. On danse la biguine et la rumba, et l'on écoute le chanteur Jean Lumière qui vante à la radio les charmes de sa petite église, "dont lefin clocher se mire dans l'eau. " Tandis que le spectre du chômage s'étend sur le monde, le bon Monsieur Bonhoure, coiffeur à Tarascon, fait rêver les Français pauvres en devenant riche: il gagne les cinq millions du premier gros lot de la Loterie Nationale, grâce au billet N 18 414 de la série H qu'il a eu l'excellente idée d'acquérir. Assommé par la bonne nouvelle, l'excellent homme déclare aux journalistes: "... ça va faire du changement dans notre existence. " On ne pouvait pas faire plus sobre.
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En savoir plus: 1. Ballon d'Alsace, Faucille, Aravis, Télégraphe, Galibier, Laffrey, Vars, AlIos, Braus, Puymorens, Port, Portet d'aspet, Peyresourde, Aspin, Tourmalet et Aubisque, sans distinction de catégorie 2. Outre le Grand Prix des Nations en 1932, Maurice Archambaud (1906-1955), remporta Paris-Nice en 1936 et 1939 et fut recordman de l'heure en 1937 au vélodrome Vigorelli de Milan (45,767 km/h), jusqu'en 1942. Il remporta 10 étapes dans le Tour de France et porta le maillot jaune en 1933 et 1936 3. Le Surdol était un analgésique 4."Pellos", de Pierre Pascal. Éditions SODIEG.1977. René Pellarin dit René Pellos (1900-1998) considéré comme le roi des dessinateurs sportifs, fut un caricaturiste et un dessinateur de BD d'un talent exceptionnel. On lui doit, entre autres, une bande futuriste "culte" (Futuropolis) et de nombreuses illustrations sportives d'un graphisme enlevé et parfaitement maîtrisé. Après la guerre, il fournira à L'Equipe pour la célébration du 50e anniversaire de l'épreuve, 39 planches magnifiques illustrant le Tour de France de 1903 à 1952. Il travaillera pour l'éphémère Equipe-Junior, le Miroir des Sports, Sport Mondial, et reprendra pour très longtemps les "PiedsNickelés", célèbres personnages dessinés par Louis Forton dans L'Epatant, au début du siècle. Match-L'intran, qui employait René Pellos avant la guerre, fut racheté plus tard par le magnat de la presse Jean Prouvost, propriétaire de Paris-Soir. La revue sportive illustrée devint Match, une revue d'information générale illustrée à sensation, avant de devenir Paris-Match après la guerre, sans changer sa formule. 5. L'étape Digne-Nice du Tour de France 1933 fut le principal titre de gloire de Fernand Cornez (1907-1992). Il fut cependant Champion de France militaire en 1929 remporta une étape dans le Tour d'Italie en 1933, exploit rarissime pour un étranger, à l'époque, une première place dans le grand prix de Cannes 1934, et deux étapes de Paris-Nice (1933, 1934). Par la suite Fernand Cornez devint hôtelier près des Andelys. En 1937 l'équipe de France se mit au vert dans son hôtel avant le départ du Tour. Ajoutons que le compagnon de Cornez dans Digne-Nice, Fernand
Fayolle, excellent grimpeur qui brilla dans les Alpes et les Pyrénées, termina Il e à
Paris. 6. Georges Speicher (1907-1978) remporta le Tour du Vaucluse, le Championnat du Monde et le Tour de France 1933, Paris-Reims et Paris-Angers 1935, et ParisRoubaix en 1936. Il fut Champion de France en 1935, 1937, 1939 et remporta 9 étapes dans le Tour de France. Il doit son surnom à son Championnat du Monde et à ses trois titres nationaux remportés sur le circuit de Montlhéry. 7. Extrait du livre de Georges Berretrot "Minuit l'heure des primes" cité dans le numéro hors série du Miroir du cyclisme "Tour de France 1903-1987. Les vainqueurs" . 8. Article "L'Orfèvre du Tour", non signé, dans Sport Digest n08 de juillet 1949. 9. Learco Guerra (1902-1963) fut 5 fois Champion d'Italie de 1930 à 1934 et Champion du Monde sur route 1931. Il remporta, entre autres courses importantes, MilanSan-Remo 1933, le Tour de Lombardie 1934, le Tour d'Italie 1934, et au total30 226
étapes du Tour d'Italie. Il participa deux fois au Tour de France, en 1930 et 1933, et termina deux fois deuxième au classement fmal. Il remporta huit étapes dans cette épreuve, porta le maillot jaune en 1930 et fut le premier porteur du maillot rose du Tour d'Italie. 10. Georges Lemaire (1905-1933) se tuera deux mois plus tard en course, sans avoir exprimé toutes ses potentialités qui étaient, dit-on, considérables. Il. Jean Aerts (1907-1992) fut Champion du Monde sur route en 1935. Il remporta Paris-Bruxelles en 1931, et le Tour de Belgique en 1933, gagna 12 étapes dans le Tour de France dont 6 dans le Tour 1933, et porta le maillot jaune en 1932. 12. C'est le plus faible écart enregistré entre le premier et le second depuis 1914. Il manqua juste un peu de chance à Guerra pour gagner ce Tour de France dans lequel sa supériorité était manifeste, et qui lui permit de remporter cinq étapes. On ne le revit plus jamais dans la grande épreuve. Décidément, elle ne réussissait pas aux campionissimos, Bottecchia, uniquement homme du Tour de France, n'étant pas assimilé aux champions de cette catégorie. Girardengo participa au Tour en 1914 et Binda en 1930. Ils abandonnèrent tous les deux.
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Le Tour de France 1933 en un coup d'œil 27 édition du 27 juin au 23 juillet 1933 4 395 Kilomètres. 23 étapes. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. Rotation dans le sens des aiguilles d'une montre. Quatre jours de repos: (Evian, Nice, Perpignan, Pau). Moyenne du vainqueur 29, 697 km/h. 80 coureurs au départ dont 40 As et 40 individuels. 5 équipes nationales de 8 hommes: Belgique Italie, Suisse, Allemagne, France. 40 rescapés à l'arrivée. 749 300 F de prix. Vainqueur: G.SPEICHER. Challenge international: FRANCE. Classement du meilleur grimpeur: V.TRUEBA. Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Lille, 262 km : Maurice Archambaud. 2. Lille-Charleville, 192 km : Learco Guerra. 3. Charleville-Metz, 192 km : Alfons Schepers. 4. Metz-Belfort, 220 km : Jean Aerts. 5. Belfort-Evian, 293 km : Léon Louyet. 6. Evian-Aix-Ies-Bains, 207 km. Learco Guerra. 7. Aix-Ies-Bains-Grenoble, 229 km : Learco Guerra. 8. Grenoble-Gap, 102 km : Georges Speicher. 9. Gap-Digne, 227 km : Georges Speicher. 10. Digne-Nice, 156 km : Fernand Cornez. Il. Nice-Cannes, 128 km : Maurice Archambaud. 12. Cannes-Marseille, 208 km : Georges Speicher. 13. Marseille-Montpellier, 168 km : André Leducq. 14. Montpellier-Perpignan, 166 km : André Leducq. 15. Perpignan-Ax les Thermes, 158 km : Jean Aerts. 16. Ax les Thermes-Luchon, 165 km : Léon Louyet. 17. Luchon-Tarbes, 91 km. Jean Aerts. 18. Tarbes-Pau, 185 km : Learco Guerra. 19. Pau-Bordeaux, 233 km Jean Aerts. 20. Bordeaux-La Rochelle, 183 km : Jean Aerts. 21. La Rochelle-Rennes, 266 km : Jean Aerts. 22. Rennes-Caen, 169 km : René Le Grevès. 23. Caen-Paris, 222 km : Learco Guerra. Les maillots jaunes Maurice Archambaud (9). Georges Lemaire (2). Georges Speicher (12). Classement général final 1. Georges SPEICHER (Fra) en 147h 51'37".2. Learco Guerra (Ita) à 4'01".3 Giuseppe Martano (Ita) à 5'08" 4. Georges Lemaire (Bel) à 15'45". 5. Maurice Archambaud (Fra) à 21'22". 6. Vicente Trueba (Esp) à 27'27". 7. Léon Level (Fra) à 35'19" 8. Antonin Magne (Fra) à 36'37" 9. Jean Aerts (Bel) à 42'53". 10. Kurt StoepeI (AlI) à 45'28" Il. Fernand Fayolle (Fra) à 56'11". 12. Ludwig Geyer (AlI) à 57'04 13. Albert Büchi (Sui) à 1h07'59" 14. Gaston Rebry (Bel) à 1h20'16" 15. Gaspard Rinaldi (Fra) à 1h22'12" 16. Eugène Le Goff (Fra) à 1h24'59" 17. Léon Le Calvez (Fra) à 1h38'44" 18. Alfons Schepers (Bel) à 1h39'49" 19. René Le Grevès (Fra) à 1h48'31" 20. Alfred Buchi (Sui) à 1h49'59" 21. Decimo Bettini (Ita) à 1h51'51" 22. Emile Decroix (Bel) à 1h52'46" 23. Oskar Thierbach (AlI) à 1h55'51" 24. Robert Brugere (Fra) à 2h06'44" 25. Alfred Bula (Sui) à 2h12'34" 26. Antoine Dignef (Bel) à 2h15'30" 27. Alfons Deloor (Bel) à 2h15'48" 28. Luigi Giacobbe (Ita) à 2h29'19" 29. Roger Lapébie (Fra) à 2h30'37" 30. Walter Blattmann (Sui) à 2h31 '35" 31. André Leducq (Fra) à 2h39'36" 32. Léon Louyet (Bel) à 2h43'14" 33. André Gaillot (Fra) à 2h51'50" 34. René Bernard (Fra) à 2h54'25" 35. Fernand Cornez (Fra) à 2h58'49" 36. Roger Pipoz (Sui) à 3h05'20" 37. Pierre Pastorelli (Fra) à 228
3h15'42" 38. Pierre Cloarec (Fra) à 3h18'30" 39. Vasco Bergamaschi (Ita) à 3h42'49" 40. Ernest Neuhard (Fra) à 3h57'44" er 1 des individuels: Challenge
Giuseppe Martano
(Italie)
international
1e France, 2e Belgique, 3e Allemagne, 4e Suisse, 5e Italie
Classement du meilleur grimpeur
1er Trueba 123points, 2eA. Magne 78 points, 3eMartano 75 points...
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Quelques évènements de l'année 1933 - Le président von Hindenbourg nomme Adolph Hitler Chancelier du Reich 15 000 000 de chômeurs aux USA, et 3 849 000 chômeurs en Allemagne - Un incendie criminel détruit le Reichstag. - Malcolm Campbell porte son record de vitesse automobile à 437 km/h - En Allemagne, entrée en vigueur du boycottage des magasins juifs. Les juifs sont exclus de la fonction publique. Des livres interdits sont brûlés en place publique, les syndicats et les partis politiques, autres que le parti nazi, sont interdits. - Naissance de la compagnie Air-France - À New-York l'Italien Primo Camera devient Champion du Monde de boxe poids lourds. - Violette Nozières, accusée d'avoir assassiné ses parents, est arrêtée à Paris. - Fin de la prohibition aux Etats-Unis. - L'Allemagne se retire de la S.D.N. - Une collision entre le rapide de Strasbourg et l'express de Nancy fait 190 morts et 300 blessés. - L'Exposition Universelle de Chicago ouvre ses portes. - En France, Edouard Daladier devient président du Conseil en janvier. Il est renversé en octobre. - Dans les cinémas: "Zéro de conduite" de Jean Vigo, "La Soupe au canard" de Léo Mc Carey, "King-Kong" de Schoedsack et Cooper, "La Reine Christine" de Rouben Mamoulian. - Dans les librairies: "La Condition humaine" d'André Malraux (prix Goncourt), " La Jument verte" de Marcel Aymé. - Décès de : Calvin Coolidge, homme d'Etat américain, Paul Painlevé, homme d'Etat français, Louis Lépine, Préfet de police, fondateur du concours Lépine, Firmin Gémier, acteur français et directeur de théâtre. - Naissances de : Dalida, chanteuse française, Sacha Distel, chanteur français, Jean Vuamet, skieur français, Pierre Albaladejo et Pierre Domenech, rugbymen français. Jacques Martin, animateur français de Télévision, Jean Yanne, acteur et metteur en scène français, J.C Brialy, acteur et réalisateur français, Rick Van Looy, coureur cycliste belge.
- On dénombre
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1934 2~ Tour de France. Du 3 au 29 juillet 1934 L'égalité 3 juillet 1934. Le cérémonial du départ fictif devant le siège du journal L'Auto et la promenade triomphale à travers Paris jusqu'au Vésinet, où aura lieu tout à l'heure le départ réel du Tour de France, deviennent une tradition, presque une messe. Lorsque les coureurs sortent de la cour du 10, rue du Faubourg Montmartre très tôt dans la matinée, une formidable rumeur salue leur apparition, car une foule nombreuse et impatiente tenue par un cordon de police, afflue sur les trottoirs au passage des quarante As et des vingt individuels. Ceux qu'on appelait précédemment les touristesroutiers ou les isolés sont beaucoup moins nombreux que d'habitude et pour une raison simple: ils sont désormais pris en charge par le journal L'Auto, et cela coûte cher. Bien que leurs conditions de confort soient inférieures à celles des As et qu'ils ne bénéficient pas des vélos jaunes anonymes, c'est cependant une nouveauté considérable, qui extrait leur catégorie du clan des parias dans lequel elle était confinée. Leur intégration est symbolisée par leurs maillots gris fer à bande transversale de couleur, jaune pour les Belges, verte pour les Italiens, rouge pour les Français. "Si la caravane du Tour y a perdu en pittoresque, remarque Jean Routier dans le Miroir des sports, il faut reconnaître quelle y a grandement gagné en netteté... et même en propreté ! " Tumulte Le cortège emprunte au ralenti les Grands Boulevards, passe devant l'Opéra et l'église de la Madeleine, tourne dans la rue Royale et débouche sur la place de la Concorde. C'est là qu'eut lieu le 6 février, une émeute terrible, sur fond de crise économique et d'antiparlementarisme envenimé par l'affaire Stavisky. Pendant le mois de janvier, les manifestations contre les pourris s'étaient succédé. Le 8 janvier, Alexandre Stavisky, escroc en fuite, responsable de la faillite du Crédit Municipal de Bayonne, avec l'ap231
pui d'un député radical-socialiste, d'un ministre, et de quelques complices, était retrouvé suicidé dans un chalet de Chamonix. Le Canard Enchaîné écrivait aussitôt: "Stavisky s'est suicidé d'un coup de revolver qui lui a été tiré à bout portant." Guidées par Charles Maurras, leader des Camelots du roi, les ligues d'extrême droite se déchaînent. Elles mènent depuis plusieurs mois une violente campagne de dénigrement des parlementaires destinée à mobiliser les mécontents de tout poil. Le 6 février, les ligues invitent une nouvelle fois les Parisiens à se réunir place de la Concorde. C'est là qu'a lieu un affrontement terrible entre les forces de l'ordre et une foule hétéroclite folle de rage, qui se dirige vers le PalaisBourbon afin de manifester son indignation à ceux qu'elle estime responsables de l'énorme scandale de l'affaire Stavisky. "Les Anciens combattants, les Croix-de-feu, les Camelots du roi et même les communistes, relatait Joseph Kessel dans "Gringoire", tous enragés ont rompu les barrages de police, bousculé les gardes mobiles, désarçonné les municipaux, coupé les jarrets des chevaux et forcé l'entrée du pont. " Des gardes mobiles affolés tirent sur la foule, faisant dix-sept morts et huit cents blessés. Des autobus sont incendiés, d'autres renversés, tout comme le gouvernement Daladier. Constitué le 30 janvier, il laisse place une semaine plus tard au cabinet formé par Gaston Doumergue. L'ordre n'est pas rétabli pour autant, et de nouveaux affrontements auront lieu entre les 7 et 9 février, suivis d'une grève générale lancée le 12 février par la C.G.T. L'affaire Stavisky laissera des blessures profondes dans la classe politique française et amorcera l'inexorable déclin de la me République. Dédé l'indésirable Le peloton du Tour de France accompagné de motards, de suiveurs à vélo et de voitures officielles, remonte les Champs-Élysées, bordés malgré l'heure matinale d'une haie dense de spectateurs venus surtout encourager les As de l'équipe de France. Rien à dire, elle est belle cette équipe de France du Tour 1934. Avec Charlot Pélissier son capitaine, Tonin Magne plus fort que ja232
mais, Le prince de Montlhéry, Georges Speicher, Champion du Monde sur route, René le Grevès, Le Bouledogue du Morbihan, et le Champion de France Raymond Louviot que tout le monde appelle La Ripette. Il y a aussi Roger Lapébie, dit Le Placide, Maurice Archambaud, Le Nabot, qui s'était si bien distingué dans le Tour précédent, et le jeune espoir cannois René Vietto qui n'a pas encore de surnom. Rien à dire? Si, tout de même: il manque Dédé Leducq qui promenait sa gouaille de môme de Paname dans le Tour de France depuis 1927. Parce que malheureusement, il ne sera pas là le copain de Tanin cher au cœur de la France populaire. Et il en a gros sur le cœur. Pourtant, 1934 est une année paire, et c'est toujours dans les années paires que Dédé Leducq fait des étincelles. Mais son départ de l'équipe Alcyon, pour une histoire de sous - de tous petits sous, d'ailleurs! - et son entrée chez Mercier un modeste constructeur, lui a valu l'hostilité de Desgrange qui ne s'est pas gêné pour lui lancer: "Je ne vous prends pas parce que vous n'êtes plus chez Alcyon. " Ce qui démontre que les relations de H.D avec Edmond Gentil et son directeur sportif Ludovic Feuillet sont toujours au beau fixe, et que sa fameuse indépendance d'esprit est légèrement obérée par son intérêt immédiat. Le problème de Leducq, c'est que Desgrange a davantage besoin d'Alcyon que de lui, et qu'à choisir, il vaut mieux contrarier le chéri des midinettes que se mettre à dos le puissant industriel 1. Malgré ses deux victoires dans le Tour, ses 23 étapes gagnées et sa formidable popularité, Dédé Leducq ne fait pas le poids face à un constructeur qui submerge le journal L'Auto d'ordres publicitaires et dont l'influence sur ses concurrents est avérée. Et puis on commence à dire que le double vainqueur du Tour n'a plus ses jambes de vingt ans, et qu'on le voit plus souvent papillonner dans les cocktails et faire des ronds de jambes devant ses belles admiratrices, que tricoter sur sa bécane à l'entraînement. Mais que ces rumeurs soient vraies ou fausses importe peu, car le fond du problème n'est pas là. Dans cette histoire, Leducq fait office de boule de billard, - sa tête commence à y ressembler d'ailleurs! - chassée du tapis vert par un effet de ricochet. L'origine de l'affaire c'est Francis Pélissier, directeur des cycles Mercier. En évinçant Leducq, Henri Desgrange fait d'une pierre deux coups: il amadoue Edmond Gentil et se venge de ses deux bêtes noi233
res, Francis et Henri Pélissier qui, dans son esprit, ne font qu'un. On est loin de la loyauté sportive prônée par le Père du Tour. Le Grand cirque L'éviction de Leducq déclenche un tollé général, mais rien n'y fera. Le Joyeux Dédé se consolera en suivant le Tour de France dans la voiture de Paris-Soir comme observateur, encadré par deux géants du journalisme: Gaston Benac et Albert Baker d'Isy. Il écrira plus tard: "Les spectateurs me reconnaissaient, m'acclamaient et, dans le même mouvement... sifflaient Henri Desgrange (...J . Le Patron fronçait le sourcil, me prenait par le bras, quand je descendais me mêler au bon peuple, et me poussait discrètement mais fermement vers ma voiture2 ... "
Parmi les nombreux journaux français et étrangers qui couvrent désormais le Tour de France, Paris-Soir, propriété du sémillant Jean Prouvost, est celui qui lésine le moins sur les moyens. Quarante collaborateurs s'activent autour de la plus grande course cycliste du monde. L'équipe du journal dispose de deux avions, de huit voitures, de cinq motos, d'une voiture bélino et d'un car. Les copies tapées dans les berlines par les as du journalisme sont données aux motards du j ourna!. Ensuite, elles sont communiquées par téléphone, pendant que les photographes transmettent par avion ou depuis leurs valises bélino, les clichés pris pendant la course et développés sur le parcours dans leur laboratoire roulant. "Aucun quotidien, écrit Jean Planchais, ne peut mettre en place un dispositif d'une telle puissance et d'une telle rapidité dans l'exécution. Des équipes aussi, talonnées par le goût du record, la recherche de l'exploit journalistique3. " Après le grand événement sportif de l'été, Paris-Soir, journal à sensation qui tire à un million d'exemplaires réussira en octobre un coup journalistique énorme. Grâce à l'assassinat à Marseille par un terroriste croate, du Roi Alexandre de Yougoslavie en visite en France, et de Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères venu l'accueillir. Pendant que les photographes de Paris-Soir fixaient l'événement et échappaient à la bousculade, le journaliste René Barotte commentait à sa rédaction, par téléphone, l'évènement inouï dont il était le 234
témoin depuis une fenêtre de la place de la Bourse. Le journal était en vente à Paris quatre heures plus tard4 ! Dans le Tour, si la logistique de la presse est encombrante, celle de la caravane commerciale l'est bien davantage. Les voitures publicitaires arborent des effigies en relief, énormes, bariolées et d'un goût discutable. Elles vantent les mérites d'une eau gazeuse, d'un apéritif, d'un papier à cigarettes, d'un saucisson, d'un fromage, d'une peinture, d'un béret basque, d'un jouet, d'un bijou, d'un cirage, d'une semelle de chaussure. .. L'invraisemblable bric-à-brac roulant accompagné des grésillements des haut-parleurs, qui diffusent chansons à la mode, flonflons d'accordéon et messages publicitaires, abandonne dans son sillage des tonnes de prospectus et de chapeaux en papier qui encombrent les trottoirs, la chaussée et le bas-côté des routes. L'accordéoniste Fredo Gardoni et le chanteur Jean Cyrano, juchés sur un podium, attirent les danseurs le soir à l'étape. Les chansons sur le Tour de France fleurissent, et les éditions Paul Beuscher publient la marche officielle du Tour de France 1934, "Les Champions de la route ", sur des paroles de.. .Lucien Cazalis directeur administratif du Tour. Lucien Cazalis en écrira d'autres, dont "P'tit gars du Tour" "Chevaliers de la route" et "Ah! les voilà! ". Les a-t-il écrites ou seulement commandées à des nègres complaisants? L'Histoire ne le dit pas! La caravane modeste de 1930 est devenue une énorme machinerie, une kermesse clinquante qui appartient désormais et pour toujours à l'identité du Tour de France. Elle a le double avantage de procurer aux organisateurs des recettes considérables et de distraire les millions de spectateurs qui piétinent d'impatience en attendant l'arrivée des coureurs. Ainsi, par nécessité comptable, Henri Desgrange en consacrant les noces du commerce et du sport cycliste, a créé un spectacle total dont l'ampleur et le retentissement lui échappent désormais. Un spectacle qui, malgré son caractère bon-enfant, annonce pour beaucoup plus tard le déferlement d'un merchandising glacial sur fond de concurrence impitoyable. Il impliquera lourdement les champions, bernera le public, et assimilera, par comparaison, l'attitude du pragmatique Desgrange à celle d'un doux rêveur humaniste. Ce sera le temps des managers aux nerfs d'acier et des financiers sans états d'âme qui 235
feront du Tour un bon produit ou un excellent support, et qui, tout en l'utilisant à leur profit, anéantiront le mythe, relègueront la course et les coureurs au rang d'argument commercial et les spectateurs à celui de consommateurs dociles5. Si l'épreuve du journal L'Auto qui concentre toutes les attentions pendant le mois de juillet est un événement essentiellement populaire, il n'exclut pas pour autant les mondanités. Au Vésinet, avant le départ officiel qui sera donné par le coureur automobile Louis Chiron assisté de l'inévitable starter Georges Biscot, des vedettes du cinéma, du théâtre, de l'actualité, venues autant pour être vues que pour voir, se mêlent à la foule des curieux, piétons, motards et cyclistes, qui se bousculent dans une joyeuse pagaille. Parmi eux, Tristan Bernard, barbe en bataille et chaîne de montre dépassant du gilet, suivra le Tour pour le compte d'un grand quotidien et commentera la course à la radio. Les As sont devenus des stars entourées d'acteurs de second plan comme dans les productions hollywoodiennes. Touchés par une gloire qu'ils savent éphémère, ces hommes du peuple sortis du rang en paient avec simplicité la rançon. Ils posent pour les journaux et les magazines, se plient docilement aux exigences des photographes, et arpentent les rues des villes-étapes en tenue sportive en signant des centaines d'autographes réclamés par une foule fervente. Les reporters Jean Antoine, Alex Virot, et Georges Briquet, perchés sur leurs estrades amovibles, recueillent leurs impressions aux micros de la T.S.F. Des milliers d'auditeurs collés à leur poste écoutent gravement leurs déclarations laborieuses comme si le sort du monde en dépendait. La plupart des champions s'astreignent sans rechigner à cet exercice plus difficile pour certains que l'ascension du Ballon d'Alsace! Un certain René Vietto
Qui peut se douter que ce Tour 1934, presque intime avec ses 60 coureurs, et dont 52 d'entre eux constituent une faible opposition face à la formidable équipe de France, sera l'un des plus beaux, l'un des plus dramatiques, l'un des plus aptes à inspirer la légende? Dès la première étape pourtant, le ton est donné. Speicher gagne à Lille, le Grevès à Charleville, Lapébie à Metz et à Belfort. Le Gre236
vès et Speicher arrivent en tête, et - à peu près- ensemble, sur la ligne à Evian. Speicher empoche la mise à Aix-les-Bains. Ce n'est plus de l'appétit, c'est de la gourmandise! Pour couronner le tout, Antonin Magne prend le maillot jaune dès la deuxième étape et ne le quitte plus. L'Italien Martano est 2e à presque 8 minutes. Seule ombre au tableau: Charles Pélissier blessé et Maurice Archambaud qui est tombé une fois de plus, abandonnent. C'est à ce moment qu'apparaît un personnage d'exception qui apportera au sport cycliste une tonalité romantique déjà exprimée par Charles Pélissier, et dans une moindre mesure, par son frère Henri. Le porteur du dossard n° 38 a tout juste vingt ans et s'appelle René Vietto. Deux succès dans des courses de côtes et sa victoire dans l'épreuve à étapes du prix Wolber, lui ont valu d'être sélectionné dans l'équipe de France. Il n'est guère connu que des spécialistes qui polémiquent sans fin sur le bien fondé de sa sélection. Même s'il est bon grimpeur ce n'est encore qu'un gosse. Aura-t-il les qualités nécessaires pour résister à une épreuve aussi dure que le Tour de France? Les premières étapes semblent donner raison aux sceptiques: Vietto, de surcroît victime de plusieurs crevaisons, se traîne dans les queues de pelotons. Sa 4eplace à Belfort, après une belle ascension du Ballon d'Alsace, lui redonne de l'espoir, mais à Evian il est à huit minutes de Georges Speicher, vainqueur de l'étape. Les yeux gonflés par des projections de goudron, il est au bord de l'abandon, et pleure silencieusement dans un recoin de l'hôtel qui héberge l'équipe de France. Après la journée de repos, René Vietto va mieux et arrive avec le peloton de tête à Aix-les-Bains. Le lendemain, il confirme avec éclat son très grand talent dans l'étape Aix-les-Bains-Grenoble où le peloton s'élance à l'assaut du col du Galibier. Au sommet, le Cannois est deuxième à 55 secondes d'Ezquerra. Lui qu'on disait mauvais descendeur, rejoint le grimpeur espagnol dans la descente, passe en tête en solitaire au col du Lautaret et arrive seul à Grenoble. Il a plus de trois minutes d'avance sur Martano, et sur Antonin Magne qui souffre secrètement de furoncles mal placés. Devant le micro de Georges Briquet, Vietto s'écroule en sanglots et appelle sa mère. De quoi émou237
voir la France! Son nom s'affiche en première page des journaux. Mais pour l'instant il n'est que 16eau classement général. Le lendemain, Vietto assiste en spectateur privilégié à l'empoignade entre Magne et Martano dans le col Bayard, et termine troisième à Gap à quelques secondes des deux premiers. On commence à comprendre que son exploit de la veille n'était pas un feu de paille comme on en avait souvent vu. Le voici 13edu classement général. Le jour suivant, René Vietto passe en tête dans les cols de Vars et d'Allos et arrive seul à Digne après 150 kilomètres d'échappée, avec plus de six minutes d'avance sur son chef de file et sur Martano. Il est 6e au classement général. En quelques jours le petit groom qui croisait les célébrités de l'époque dans les halls de l'Hôtel Majestic et du Palm Beach, devient la coqueluche de la France sportive. Mais c'est dans Nice-Cannes qu'il va déclencher l'enthousiasme. Chez lui, devant son public, il bat Martano au sprint sur les allées de la Liberté, trois minutes devant Antonin Magne, après s'être promené dans les cols de Braus, de Castillon et de La Turbie, qu'il connaît comme sa poche parce qu'il les arpente de sa pédalée fluide depuis son enfance. C'est du délire, et la France est aux anges. Au-delà d'une folle admiration, ce qu'elle éprouve pour ce presque adolescent noiraud à la tignasse indisciplinée, c'est un irrésistible coup de foudre. Parce qu'il est talentueux, beau et mystérieux, orgueilleux et fragile, et que son regard exprime une sensibilité rare mal camouflée derrière son air renfrogné de gosse écorché. Au seuil de la vieillesse, il dira à Louis Nucera, comme s'il s'agissait d'un titre de noblesse: "Moi, Monsieur, je suis suicidaire depuis l'âge de sept ans6 l" L'extase dont il est l'objet est à la démesure de ses dons. Car il n'escalade pas, le jeune Vietto, il bondit et se rue à l'assaut des pentes les plus raides avec l'insolence de la jeunesse, sans effort apparent, effleurant à peine les pédales, pendant que les autres, les malheureux rampants assujettis à la dure loi de la pesanteur, souffrent le martyre. Comme le pauvre Martano et le malheureux Félicien Vervaecke, frère de Julien, qui grimacent, s'arrachent et se contorsionnent sur leur chemin de douleur dans un style heurté, efficace certainement, mais aux antipodes de l'insolente facilité du nouvel élu des cimes. 238
Comment pourrait-il résister, René Vietto, à la délirante bousculade de son arrivée à Cannes qui manque de tourner à l'émeute et qui le fait pleurer de terreur? Comment pourrait-il résister aux manchettes dithyrambiques des quotidiens, à la ferveur qui l'entoure et qui gonfle son ego aux dimensions d'un Zeppelin? Il n'y résiste pas, et se prend à penser qu'il peut gagner ce Tour de France, qu'il doit le gagner. Le public le souhaite, le public le croit. Et tant pis pour Monsieur Tonin ! La réalité est tout autre. Il suffit de lire les classements. Et ils enseignent tellement de choses, les classements! Les larmes de Vietto À Cannes, Magne porte toujours le maillot jaune, et un écart d'environ 30 minutes le sépare de Vietto, 3e au classement général. Entre les deux, il y a Martano, qui n'est plus qu'à deux minutes et cinq secondes d'Antonin Magne, grâce à son échappée en compagnie du jeune cannois. Sans la bonification chipée par Vietto à Martano, l'Italien ne serait plus qu'à l' 20" d'Antonin Magne. Dans Marseille-Montpellier, Vietto n'est pas dans le bon peloton et son retard sur le maillot jaune est maintenant d'environ 36 minutes. Il n'est plus que 4e au classement général. Ses chances de gagner le Tour de France sont pratiquement inexistantes. Dans l'étape Perpignan-Ax-les- Thermes, le peloton aborde les Pyrénées. Elles portent les espoirs secrets du grimpeur surdoué. À ce moment, l'écart entre Antonin Magne et Guiseppe Martano est inférieur à quatre minutes. Une pression énorme s'exerce sur les deux hommes qui s'épient inlassablement. Vietto passe en tête au col de Puymorens, uniquement pour décrocher la prime? Le ciel est d'un bleu pur sans nuages et la chaleur est accablante. Après le sommet du col, quelques coureurs, dont Magne, Martano et Vietto, se regroupent et foncent dans la descente. C'est là, sous un soleil de plomb, dans une nature sauvage, d'éboulis, de caillasses, et d'arbustes rabougris qui s'agrippent à la montagne, que se bâtira le premier acte de la légende de René Vietto. Il descend de selle pour changer de développement en retournant sa roue, ce qui le retarde légèrement. Soudain, à proximité de l'Hôspi239
talet, Magne, dans un virage un peu sec, accroche la paroi rocheuse avec son guidon et s'affale sur la route de terre battue. Vietto arrive à sa hauteur, l'évite de justesse et s'arrête brutalement. Magne n'est pas blessé, mais la jante en bois de sa roue avant est fendue et les rayons sont tordus. Il se relève à proximité d'un muret de pierres sèches. Un muret banal voué à l'anonymat, mais dont le hasard voudra que l'image soit reproduite à des centaines de milliers d'exemplaires dans les quotidiens et bien plus depuis cette époque. Alors que Martano qui a assisté à la scène est déjà loin devant, Lapébie voit Magne accidenté, mais il passe en trombe. Il se croit, il se veut surtout, le mieux habilité à neutraliser l'Italien et à l'empêcher de prendre la bonification due au vainqueur à Ax-les-Thermes8. Malgré une plaie béante au mollet gauche, conséquence d'une chute à Marseille, Lapébie rejoindra Martano à l'entrée d'Ax après une poursuite fantastique et le battra au sprint. Magne examine les dégâts et se tourne vers Vietto : - Donne-moi ton vélo René! - Ah non Tonin, pas mon vélo. Prends ma roue! Antonin Magne démonte sa roue, et place celle de Vietto dans les encoches de sa fourche avec l'aide de son équipier. Puis, après avoir resserré les papillons, il fait tourner la roue pour en vérifier le centrage. Sans un mot, le maillot jaune remonte en selle en voltige et fonce à la poursuite de Martano dans le sillage de l'Allemand Herman Buse, qui vient de le doubler en compagnie d'un petit groupe de coureurs. René Vietto effondré, voit Tonin s'éloigner et disparaître dans un virage. Alors que la France n'a d'yeux que pour lui, le voilà réduit à jouer les Samaritains pour son chef de file. Quelle poisse! Pourquoi lui? Pourquoi pas Lapébie, moins bien placé au classement général? Il en veut à Tonin, il en veut à Lapébie. Ça se voit et il le dit dans un élan rageur. Lapébie ne pense qu'à sa course et Tonin ne sait pas monter sur un vélo, voilà tout! Et le couillon dans l'affaire, c'est le pauvre Vietto ! Des voitures suiveuses se sont arrêtées, dont la berline décapotable du Miroir des Sports. Des cameramen et des photographes des240
cendent des voitures et enregistrent la scène pour la postérité. Vietto se baisse, ramasse la roue accidentée et la jette sur l'herbe. Puis il scrute la route dans l'espoir d'y voir la camionnette de dépannage. Elle ne vient pas. Alors, il cale la fourche de son vélo contre la pierraille, mâchonne nerveusement une tranche de citron, proteste, monologue, se lamente à haute voix, prend à témoin les suiveurs, s'assied, se relève, se rassied. Finalement, une jambe repliée posée sur le muret de pierres sèches, il pleure silencieusement ses illusions perdues, comme un gosse malheureux devant son jouet fracassé. Par une grinçante ironie du sort, le don de cette fameuse roue ne sert à rien, car un peu plus bas, Magne constate que l'axe de la roue de Vietto est mal adapté aux encoches de sa fourche. Il s'arrête. Speicher qui le suit lui tend son vélo. C'est donc sur la machine du Champion du Monde que le porteur du maillot jaune termine l'étape. La camionnette de dépannage arrivera enfin, et Vietto joindra Ax-les- Thermes 4 minutes et 33 secondes après le vainqueur en compagnie de Speicher dont le geste, au regard de l'Histoire, fut complètement occulté par celui de son équipier. Ce jour-là, Antonin Magne ne perdit que 45 secondes sur Martano et conserva son maillot jaune. Vietto rétrograda à la 5e place du classement général. L'image pathétique et idéale du prodige accablé par l'injustice et sacrifiant ses chances pour la gloire de son chef de file, a un retentissement considérable. Elle alimente les polémiques des dîners en famille et les affrontements des stratèges de comptoir. Elle fait surtout entrer le grimpeur surdoué dans la légende du Tour, malgré ses réticences qui seront tues et qui, finalement, rendent son geste encore plus héroïque. Mais que serait la légende, dont on sait qu'elle se nourrit d'hypothèses, sans l'altération de la vérité? Beaucoup plus tard, Vietto las des ressassements de sa mémoire déclara: "Cette roue, je ne l'ai pas donnée, on me l'a prise! C'était un hold-up, j'aurais dû porter plainte
pour vol9! fl. Galéjade? Pudeur? Goût de la mystification? Peut-être, car la personnalité de l'homme était complexe. Mais si l'affirmation était vraie, on ne pourrait que s'émerveiller de l'espièglerie supposée 241
de l'Histoire, qui aurait fait d'un individualiste bon teint l'archétype de l'équipier modèle! Si la vérité, comme souvent, fut moins chatoyante que sa représentation, le sacrifice de René Vietto n'en resta pas moins ancré dans la mémoire collective, parce que nous aimons les héros malheureux, que nous résistons mal aux sirènes de l'identification et que nous préférons voir les choses telles que nous aimerions qu'elles soient plutôt que telles qu'elles sont. Et c'est ainsi, qu'en ce 20 juillet caniculaire de l'an de grâce mil neuf cent trente-quatre, la France entière passa spontanément sa roue à Antonin Magne dans la descente du col de Puymorens, et pleura son rêve évanoui, assise sur un muret de pierres sèches ; pour l'étemité1o. Bis repetita placent Le lendemain de ce jour mémorable, le destin qui adore les facéties tint à donner une suite exemplaire à cette histoire. Il ne lui fallut qu'une nuit pour emprisonner Vietto dans sa légende naissante et lui permettre, dans le col des Ares, de transmuter l'acte inutile imposé par les circonstances en décision sublime née de son initiative personnelle. Que se passa-t-ille soir précédent dans la salle à manger de l'hôtel qui hébergeait les Français? Magne prit-il des mines de pater familias pour réconforter son équipier? D'un mot maladroit, le rem ercia-t-il de son geste? Lui expliqua-t-il que son tour viendrait, mais qu'en attendant, la règle de la course d'équipe subordonnait naturellement l'intérêt particulier à l'intérêt général? On se plait à le penser. Au départ d'Ax-les- Thermes, l'écart entre Magne et Martano n'est plus que de 2'57". La tension est à son comble. Vietto passe en tête au col de Port, empoche la bonification et les dix points du Classement du meilleur grimpeur, mais reste à proximité de son chef de file. Dans le Portet d'aspet, l'Italien Vignoli arrive seul au sommet. Vietto est à 1 minute et 19 secondes du premier. Dans le regroupement de la descente, il roule en compagnie de Magne, Martano, Gijssels, Geyer et Lapébie, mais Vignoli est toujours devant. C'est à ce moment que se produit l'impensable: dans le creux d'un nid-de-poule, la chaîne d'Antonin Magne saute, et les chaînons 242
s'entortillent en endommageant les rayons de sa roue arrière. Le champion se laisse glisser doucement à l'arrière pour ne pas attirer l'attention de ses adversaires. Devant, Vietto ne voit rien, n'entend rien. Dans les premiers lacets du col des Ares, il se retourne, et constatant l'absence du maillot jaune ralentit pour l'attendre. Le voici l'acte spontané qui triomphe de ses réticences et de ses ambitions personnelles! Il est discret mais essentiel. L'Italien Adriano Vignoli s'envole vers la victoire. Une victoire promise logiquement à Vietto qui, pendant ce temps, voit Geyer remonter à sa hauteur. L'Allemand lui lance dans un souffle: "Magne Kaput! " Kaput? René connaît le sens de ce mot affreux. Magne est sûrement mort! et ce Geyer de malheur lui dit ça tranquillement!! Rongé d'inquiétude, il fait demi-tour, dévale la pente qu'il vient de gravir et remonte le Portet d'Aspet sur plusieurs centaines de mètres. Revient-il vers Magne pour respecter l'esprit d'équipe ou simplement parce qu'il craint le pire? L'Histoire ne le dit pas. Quelle que soit la réponse, le geste est noble et touchant d'humanité; il donne son assise à la légende et sacre pour toujours Le Roi René. Un peu plus haut, dans la descente du Portet d'Aspet, Magne, les doigts noirs de cambouis, est empêtré dans sa chaîne de vélo. Impossible de réparer. Il est seul. Cette fois-ci, c'est cuit, car Louviot, Le Grevès et Speicher sont loin derrière. Vraiment cuit? Pas sûr. Levant la tête, Magne aperçoit Vietto grimpant la pente poussiéreuse à sa rencontre. C'est sûrement une hallucination due à la fatigue! Mais non, c'est bien son équipier qui descend de selle et lui tend spontanément sa machine. Là encore, sur ce moment historique, René Vietto s'exprimera beaucoup plus tard et dira devant les caméras de la télévision, à peu près la même chose que pour la fameuse roue du col de Puymorens. Il faut dire, que depuis le temps qu'il racontait son histoire, son numéro était rodé! Derrière la crânerie et l'exagération toute méridionale, on perçoit en vrac chez le vieil homme qu'il est devenu, nostalgie, frustration, espièglerie et fierté du devoir accompli: "... Je suis arrivé, il m'a sauté dessus, il m'a pris mon vélo et il est parti ... c'était normal, j'étais là pour ça... enfin, j'aurais dû porter plainte pour vol... mais je 243
ne ['ai pas fait! (...). Je suis arrivé aux douches, Magne s'était chanIl,, gé. Eh bien, j'étais satisfait de moi, et c'était bien comme ça. Magne se lance à la poursuite de Martano sur le vélo de Vietto. Le jeune cannois est un perfectionniste passionné de mécanique et sa bicyclette n'est pas ordinaire. C'est un bijou parfaitement adapté à la morphologie de son propriétaire; avec une selle effilée, très haute, dix fois remodelée, et un guidon de pistard placé très bas, sous la potence. C'est sur ce vélo-là, qui lui va mal, qu'Antonin Magne retrouve Lapébie qui l'attendait dans le col des Ares. L'ex-Champion de France l'aspire dans son sillage et dans un effort inouï le ramène sur le groupe de l'Italien. À Luchon, Magne, grâce à Vietto et à Lapébie, n'a pas perdu une seule seconde sur son rival, mais le Cannois en raison de son beau geste cède une place supplémentaire au classement général. Magne, en guise de consolation, le gratifiera d'un laconique: "C'est embêtant Renél2. " Ce sera tout. L'abnégation de Vietto devient une affaire nationalel3. On pleure dans les chaumières comme on l'a fait jadis pour Carpentier terrassé par Dempsey. Les lourds reproches de l'opinion publique qui accuse Antonin Magne d'avoir sacrifié Vietto sur l'autel de ses ambitions atteignent profondément le champion auvergnat. Il n'a pas la prestance de Charles Pélissier ni le rayonnement de Leducq, encore moins le prestige de Speicher. Que peut le fils de paysans, convaincu du sérieux de l'existence, austère, appliqué, économe jusqu'à la pingrerie, un peu terne en somme, contre la vague de fond qui porte le lutin des montagnes, l'enfant chéri des foules, l'artiste du vélo, au pinacle que lui n'atteindra jamais malgré sa réelle popularité? Que peut l'homme de la terre contre le gosse qui flirte avec les nuages? Il peut quelque chose et le démontrera dès le lendemain. Épilogue Dans la courte étape Luchon-Tarbes, où Vietto passe en tête dans le col de Peyresourde, Antonin Magne malgré ses furoncles, lâche ses adversaires dans le col d'Aspin, dévale en bolide la longue descente vers Sainte-Marie-de-Campan et arrive détaché à Tarbes avec un écart important sur ses poursuivants. Trueba est à plus de six minutes, Vietto, victime d'une crevaison, est 4e à 7'46". Martano, ma244
lade et blessé au genou, s'effondre, perd 13 minutes et le Tour de France. En 91 km, le méchant Tonin en démontrant que son talent est intact, retrouve d'un coup tout son prestige. Mais le lendemain, dans Tarbes-Pau, Vietto fait à nouveau battre les cœurs, et pas seulement ceux, prêts à exploser, de ses adversaires. Pendant que Martano met pied à terre en début de parcours et songe à abandonner, et qu'Antonin Magne dans un très mauvais jour, perd dangereusement du terrain, René Vietto porté par une grâce mystérieuse qui l'élève au-dessus du commun des mortels grimpe le Tourmalet embrumé en 48 minutes. Il maintient son effort sans faiblir dans le Soulor et dans l'Aubisque, et arrive à Pau deux minutes avant l'Italien mystérieusement ressuscité, et plus de six minutes avant Antonin Magne. Grâce aux bonifications, le prodige cannois se hisse à nouveau à la troisième place du classement général... à presque trois quarts d'heure du premier. La France respire. Il est tout de même fort le petit. Notre petit! Mais sur les 90 km qui séparent La Roche-sur-Yon de Nantes, dans la première étape contre la montre individuelle de l'histoire du Tour, Antonin Magne anticipant sur ses futures victoires dans le Grand Prix des Nations, écarte tout danger et prouve, s'il en était besoin, son incontestable supériorité, comme le feront par la suite et dans les mêmes circonstances les très grands champions. Ce jour-là, Martano14 cède encore du terrain et Vietto perd presque dix minutes. À Paris, l'individuel Sylvère Maës, après avoir échappé dans la côte du Cœur-Volant à un groupe de sept coureurs dont le maillot jaune, débouche en solitaire sur la piste du Parc des Princes, salué par le traditionnel coup de clairon. Tonin offre une ultime frayeur à ses supporters en perçant au pont de Saint-Cloud, à une encablure du vélodrome dans lequel il entrera en grand triomphateur. Après que les journalistes ont interviewé Antonin Magne sous le regard des caméras des actualités, le public réclame un tour d'honneur supplémentaire à René Vietto. Il l'effectue le visage rayonnant, au côté du vainqueur, comme un fils fier de l'estime du père. Georges Briquet, témoin privilégié de la scène, écrivit: "À l'arrivée, lorsqu'on lui posa la question: "Vietto, pouviez-vous vraiment gagner le Tour de 245
France?" le petit Cannois, timide, renfermé, renfrogné même, répondit: "Oui,je crois que j'aurais pu le gagner ce Tour de Francel5. " Vietto est finalement Se au classement général, à une heure d'Antonin Magne. Mais peu importe. Cette défaite vaut une victoire et le jeune prodige restera à tout jamais dans l'esprit du public, l'enfant championl6 qui sacrifia ses chances d'un succès final par loyauté envers son chef de file. Ainsi, la vérité s'effaça t-elle respectueusement devant la légende, au bénéfice du rêve et au mépris de l'arithmétiquel7.
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En savoir plus: 1. Les relations entre les dirigeants du Journal L'Auto et Edmond Gentil PDG d'Alcyon sont très étroites depuis longtemps. L'incident du Paris-Roubaix de 1930 en est une illustration. Jean Maréchal, jeune espoir du cyclisme, avait demandé à un ami marchand de vélos de l'équiper pour la saison, ce qui lui permit de participer à la grande classique qu'il gagna devant Julien Vervaecke, coureur de l'écurie Alcyon. Ludovic Feuillet, directeur sportif d'Alcyon, déposa une réclamation, affmnant contre toute raison que Jean Maréchal avait poussé d'un coup d'épaule Julien Vervaecke et avait provoqué sa chute. Jean Maréchal, malgré ses protestations, rétrograda à la seconde place de Paris-Roubaix, alors que si la faute avait été réelle, elle aurait dû lui valoir la disqualification. Ce qui est troublant, c'est que le procès-verbal des commissaires reprenait exactement la version officielle de la réclamation de Vervaecke, du constructeur Alcyon... et des organisateurs de l'épreuve, Henri Desgrange et Jacques Goddet dirigeants de L'Auto! (voir l'ouvrage d'Henri Quiquéré et Arnaud Pauper "100 ans de Paris-Roubaix." Editions Flammarion 2002). 2. André Leducq "Une fleur au guidon". Presses de la cité 1978. 3 et 4. "Entre-deux-guerres" sous la direction d'Olivier Barrot et de Pascal Orry. Chapitre "Paris-soir" par Jean Planchais. Éditions François Bourin 1990. 5. Dans Libération du 26 juillet 2002 le philosophe Robert Redecker écrivait: "Loin du mythe de naguère, le Tour de France n'est plus qu'un produit insipide usiné par les industries planétaires du divertissement; celles-ci présentent, à l'étal bariolé des chaînes télévisées, un produit mort auquel les spectateurs n'attribuent de vie que par les souvenirs du mythe qu'il fut. L'ennui distillé par le Tour de France contemporain est celui qui suinte de tous les produits de consommation." 6. Cité par Louis Nucéra "Le Roi René" Le comptoir 1996. 7. Le col de Puymorens ne comptait pas pour le Classement du meilleur grimpeur cette année-là 8. Voici la version des faits par Antonin Magne, selon Abel Michea et Emile Besson dans" 100 ans de cyclisme" : "Roger Lapébie, l'un des premiers témoins de ma chute, fila à toutes pédales, bien qu'étant l'un de mes coéquipiers. René Vietto qui était juste derrière moi freina et réussit à m'éviter. -Tu as mal Tonin ? s'inquiéta-t-il. Je ne répondais mot et fonçais voir mon vélo. -Donne-moi ton vélo René, clamais-je. Le vélo pour René c'était quelque chose de sacré. ..Pas étonnant donc qu'il me réponde:
- Oh
non, tiens voilà ma roue..."
En vérité Vietto aurait très bien pu endosser le rôle que Lapébie s'octroya. Il avait déjà battu Martano au sprint à Cannes. Mais les ambitions personnelles et les rivalités étaient fortes au sein de cette équipe de France. Vietto qui en voulut probablement à Lapébie fit le commentaire suivant: "Tonin ayant cassé sa roue et Roger Lapébie ayant oublié de le voir, je lui ai donné la mienne fl.
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9. Cité par Pierre Chany dans" La Fabuleuse histoire du Tour de France" (Editions Nathan 1991) et repris par Louis Nucéra dans "Le Roi René" On sait par ailleurs que Vietto pouvait faire varier ses témoignages en fonction de son humeur. 10. Une plaque commémorative a été apposée à l'endroit précis où René Vietto dépanna son leader, à l'Hospitalet-près-l'Andorre au lieu dit Lacet-des-Couleuvres (La véridique histoire de René Vietto. Jean-Paul Ollivier. Editions Glenat 1997) Il. Interview filmée de René Vietto dans le documentaire de Patrick Le Gall "Chacun son Tour". Dans" 100 ans de cyclisme", le témoignage d'Antonin Magne est tout autre: "Cette fois René ne se fit pas prier. Il m'abandonna sa chère bicyclette." 12. La véridique histoire de René Vietto. Jean-Paul Ollivier. Éditions Glenat 1997. 13. Quelles que furent les motivations avouées ou inavouées du Cannois et la réalité des faits, il n'en reste pas moins que sans lui la victoire d'Antonin Magne eût été plus difficile, bien que probable (voir ci-dessous son avance sur Martano à Paris.) 14. - Guiseppe Martano (1910-1994) fut un coureur valeureux. Il termina 3e du Tour de France en 1933 et 2e en 1934. Ses trois participations suivantes furent discrètes. Par ailleurs, on ne lui connaît que deux victoires importantes: le Tour du Piémont en 1932 et le Tour du Latium en 1935. Il obtint également une 2e place dans le Tour d'Italie en 1935, et fut deux fois Champion du Monde amateur sur route, en 1930 et 1932. 15. Georges Briquet "Ici, 60 ans de Tour de France" La table ronde 1962. C'est Raymond Huttier qui posa la question à Vietto (n0783 du Miroir des sports du 31/7/1934) 16. L'expression est de Louis Nucéra 17. En vérité le sacrifice de Vietto porta sur deux étapes ratées et deux places perdues au classement général, car, sans ses deux "sauvetages", il aurait probablement terminé 3e du Tour de France. En revanche il remporta le 2e Classement du meilleur grlIDpeur. Le reporter Georges Briquet remit les pendules à l'heure, c'est le moment de le dire, par une démonstration arithmétique explicite démontrant le retard irrattrapable de Vietto, et conclut: "Mais Une légende était née, et l'on n'osa plus y toucher, elle était tellement jolie..." (Georges Briquet, "Ici, 60 ans de Tour de France" La table ronde 1962). Une analyse encore plus probante fut faite par Jacques Goddet dans L'Auto au lendemain de l'arrivée au Parc des Princes. Elle relativisait de manière pertinente les effets du sacrifice de Vietto. Précision En 1934, le système des bonifications est modifié comme suit: à l'arrivée, 1'30" et 45" respectivement au premier et au second. En cas de victoire en solitaire, une bonification égale à l'avance sur le second est accordée (maximum: 2'). La même règle est appliquée au sommet des cols du Classement du meilleur grimpeur.
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Le Tour de France 1934 en un coup d'œil 2ae édition du 3 au 29 juillet 1934 4 364 Kilomètres. 23 étapes dont une demi-étape contre la montre individuelle. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. 4 jours de repos (Evian, Nice, Perpignan, Pau) Moyenne du vainqueur: 29, 460 km/h. 60 coureurs au départ dont 20 individuels. 5 équipes nationales de 8 hommes: Belgique, Italie, Suisse-Espagne, Allemagne et France. 39 rescapés dont 15 individuels à l'arrivée. 737 610 F de prix. Vainqueur : A.MAGNE. Challenge international: FRANCE. Classement du meilleur grimpeur: R. VIETTO Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Lille, 262 km : Georges Speicher. 2. Lille-Charleville, 192 km : René Le Grevès. 3 Charleville-Metz, 161 km : Roger Lapébie. 4. Metz-Belfort, 220 km : Roger Lapébie. 5. Belfort-Evian, 293 km : René Le Grevès et Georges Speicher. 6. Évian-Aix-Ies-Bains, 207 km : Georges Speicher. 7. Aix-Ies-Bains-Grenoble, 229 km: René Vietto 8. Grenoble-Gap, 102 km: Guiseppe Martano. 9 Gap-Digne, 227 km: René Vietto. 10. Digne-Nice, 156 km: René Le Grevès. Il. Nice-Cannes, 126 km : René Vietto. 12. Cannes-Marseille, 195 km : Roger Lapébie. 13. Marseille-Montpellier, 172 km : Georges Speicher 14. Montpellier-Perpignan, 177 km : Roger Lapébie 15. Perpignan-Ax les Thermes, 158 km : Roger Lapébie. 16. Ax les Thermes-Luchon, 165 km : Adriano Vignoli 17. Luchon-Tarbes, 91 km : Antonin Magne 18. Tarbes-Pau, 172 km : René Vietto 19. Pau-Bordeaux, 215 km : Ettore Meini. 20. Bordeaux-La Rochelle, 183 km : Georges Speicher. 21a La Rochelle-La Roche sur Yon, 81 km René Le Grevès. 21b. La Roche sur Yon-Nantes, 90 km (contre la montre) : Antonin Magne 22. Nantes-Caen, 275 km: Raymond Louviot. 23 Caen-Paris, 221 km : Sylvère Maës. Les maillots jaunes Georges Speicher (1). Antonin Magne (23) compris les demi-étapes. Classement général final 1. Antonin MAGNE (Fra) en 147h13'58" 2. Giuseppe Martano (Ita) à 27'31" 3. Roger Lapébie (Fra) à 52'15" 4. Félicien Vervaecke (Bel) à 57'40" 5. René Vietto (Fra) à 59'02" 6. Ambrogio Morelli (Ita) à 1h12'02" 7. Ludwig Geyer (AlI) à 1h12'51" 8. Sylvére Maës (Bel) à 1h20'56" 9. Mariano Canardo (Esp) à 1h29'02" 10. Vicente Trueba (Esp) à 1h40'39" Il. Georges Speicher (Fra) à 1h52'21" 12. Raymond Louviot (Fra) à 2h03'21" 13. Edoardo Molinar (Ita) à 2h16'52" 14. Eugenio Gestri (Ita) à 2h21 '09" 15. Adriano Vignoli (Ita) à 2h21 '58" 16. Giovanni Cazzulani (Ita) à 2h32'38" 17. Albert Büchi (Sui) à 2h35'17" 18. Frans Bonduel (Bel) à 2h44'47" 19. Federico Ezquerra (Esp) à 2h53'03" 20. August Erne (Sui) à 2h55'26" 21. Léon Level (Fra) à 2h57'51" 22. Kurt Stoepel (AlI) à 3h01'13" 23. Dante Franzil (Ita) à 3h01 '48" 24. Giovanni Gotti (Ita) à 3h22'40" 25. René Le Grevès (Fra) à 3h26'26" 26. Theo Herckenrath (Bel) à 3h30'51 "27. Vincent Salazard (Fra) à 3h55'39"28. Marcel Renaud (Fra) à 3h57'54" 29. Ettore Meini (Ita) à 249
4hOO'09" 30. Luciano Montero (Esp) à 4h03'25" 31. Jean Wauters (Bel) à 4h27'07" 32. Romain Gijssels (Bel) à 4h28'12" 33. Yves Le Goff (Fra) à 4h29'40" 34. Sylvain Marcaillou (Fra) à 4h38'57" 35. Jean Bidot (Fra) à 4h39'37" 36. Fabien Galateau (Fra) à 5hOO'50" 37. Willi Kutschbach (AlI) à 5h46'38" 38. Rudolf Risch (AlI) à 6h37'55" 39. Antonio Folco (Ita) à 7h15'36" er 1 des individuels: Challenge 1. France.
Félicien Vervaecke
international 2. Italie. 3 Espagne-Suisse.
(Belgique)
4. Allemagne.
5. Belgique.
Nota: le succès de l'équipe de France est sans précédent: 19 victoires d'étapes sur 23. Classement du meilleur grimpeur
1er Vietto 111points, 2eTrueba 93 points, 3eMartano78 points...
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Quelques évènements de l'année 1934 - On retrouve le fmancier Alexandre Stavisky "suicidé" dans un chalet de Chamonix. C'est le commencement d'une affaire qui va ébranler la République et provoquer une émeute le 6 février, à Paris. - Le roi Albert 1erde Belgique se tue en escaladant un rocher. - La révolutionnaire 7CV à traction avant est lancée par la flffi1eCitroën. - Hitler supprime la direction des SA de Rhom lors de la sanglante "Nuit des longs couteaux"
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- À Vienne,
le chancelier Dollfuss est assassiné.
- La parricide
Violette Nozières est condamnée à la peine capitale. Elle sera graciée par la suite. - Le Roi de Yougoslavie et le ministre français des Affaires étrangères Louis Barthou, sont assassinés à Marseille. - L'appareil de l'aviatrice française Hélène Boucher s'écrase à Angers. - L'Italie remporte la Coupe du Monde de football. - Jean Cocteau monte "La Machine infernale" au théâtre des Champs-Élysées. - Luigi Pirandello obtient le prix Nobel de littérature. - Dans les cinémas: "L'Atalante" de Jean Vigo, "L'Impératrice rouge" de Josef von Sternberg, "New-York-Miami" de Frank Capra. - Dans les librairies: "Tropique du cancer" d'Henry Miller, " Le Marteau sans maître" de René Char, "Les Cloches de Bâle" de Louis Aragon, "Tendre est la nuit" de Scott Fitzgerald. - Décès de : Marie Curie, physicienne française, du Maréchal français Lyautey, du président allemand von Hindenburg. - Naissances de : Jacques Anquetil, coureur cycliste français, (vainqueur de cinq Tours de France), Sophia Loren, actrice italienne, et Brigitte Bardot, actrice française, Guy Bedos, acteur et humoriste français, Georges Wolinski, dessinateur humoristique français, Jean-Michel Folon, illustrateur français, Youri Gagarine astronaute russe, Jacques Seguela, publicitaire français
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1935 2ge Tour de France. Du 4 juillet au 28 juillet 1935
Encore des innovations Pour cette nouvelle édition du Tour, Desgrange ne résiste pas à la tentation d'introduire des innovations. Les touristes-routiers, dont la catégorie avait été supprimée en 1932, sont de retour, moins nombreux qu'en 1931. Les équipes nationales de huit hommes sont reconduites ainsi que le système des bonifications. Les individuels sont réunis en équipes de quatre hommes et groupés par nations. Ce sont en réalité des équipes nationales de réserve dans lesquelles les équipes officielles pourront, dans certaines conditions, puiser les coureurs qui leur font défaut en cas d'abandon ou d'élimination. Curieuse idée qui risque une fois de plus de troubler les amoureux de la grande épreuve comme à l'époque des départs séparés. Des idées bizarres, Henri Desgrange en a d'autres. C'est ainsi qu'il crée six étapes contre la montre individuelles, en se basant sur le rôle déterminant de l'étape La Roche-sur-Yon-Nantes du Tour précédent. Certaines de ces étapes se dérouleront dans une pagaille totale. Autre nouveauté, technique celle-là, c'est l'introduction des jantes en duralumin fournies aux coureurs. Jusque-là, les jantes étaient en bois, mais la mésaventure de Tonin Magne dans la descente de Puymorens, a peut-être incité Desgrange à adopter ces jantes révolutionnaires, alors qu'en règle générale il éprouve peu d'intérêt pour les innovations techniques. Ce qui est confirmé par le fait qu'en 1935 le dérailleur utilisé dans toutes les autres courses n'est toujours pas autorisé dans le Tour de France! Drame chez les Pélissier L'équipe de France sélectionnée par Desgrange est aussi puissante que celle de l'année précédente. On y trouve Leducq, Speicher, et Magne, les trois derniers vainqueurs, René Le Grevès, Maurice Archambaud, René Vietto, Jules Merviel, et un nouveau venu, René Debenne, coureur de 21 ans au palmarès déjà confortable et qui vient de se signaler en remportant une étape du Tour d'Italie et le circuit des 253
Deux-Sèvres. Magne, grand favori de l'épreuve, autant du public, des journalistes, que des coureurs, est le leader incontesté de l'équipe de France. Quant à Charles Pélissier, relégué avec Jean Fontenay, Julien Moineau et Roger Lapébie, dans l'équipe de France de réserve, il est victime de la désaffection de Desgrange qui ne croit plus en lui. Le patron du Tour n'a pas le cœur tendre. Il n'aime que les vainqueurs et sait que Charles ne le serajamais1. Un drame terrible qui touche Charles Pélissier de très près s'est produit le 1er mai: Henri son frère bien-aimé, l'irascible Henri, a été abattu de cinq balles de revolver par sa jeune maîtresse, Camille Tharaud2, à la suite d'une dispute dans sa villa de Fourcherolles. Étant donné la personnalité de la victime, considérée comme le plus grand champion français de l'après-guerre, l'événement qui en d'autres circonstances ne serait qu'un banal fait divers, prend des proportions considérables. Charles, accablé, décide malgré tout de s'aligner au départ du Tour ce 4 juillet 1935. Les ambitions de Karel Steyaert L'homme le plus dangereux de l'équipe belge est sans conteste Karel Steyaert, son mentor. Ce petit homme rondouillard au regard vif, journaliste éminent, est une sommité du cyclisme d'outreQuiévrain. Son influence est considérable. Tous les coureurs engagés chez Alcyon le furent grâce aux conseils prodigués auprès de Ludovic Feuillet, leur directeur sportif, par ce passionné de chevaux. Cigare au bec, l'ancien jockey donne ses consignes à ['Escadron noir des Flahutes. Elles sont simples: il faut attaquer dès le premier jour, prendre le maillot jaune et s'y cramponner. La première étape, Paris-Lille, est parfaitement taillée pour les Flandriens. Et particulièrement pour Romain Maës, qui avait justement remporté la Classique Paris-Lille sur le même parcours, deux mois auparavant. Cette course est vraiment la sienne et les Belges se souvenaient que dans cette même étape du Tour 1934, Romain avait été battu d'un souffle par le Français Speicher3 sur l'hippodrome du Croisé- Laroche.
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Les portillons d'Haubourdin À hauteur de Bruay-en-Artois, avant Béthune, Romain Maës sort du peloton après une première attaque de son coéquipier De Caluwé, et prend quelques centaines de mètres d'avance. Mais le peloton chasse, et s'apprête à l'absorber quand se profilent les faubourgs de Lille. Pourtant la chance est avec lui. Au passage à niveau fermé d'Haubourdin, il emprunte sans descendre de selle, les portillons généreusement ouverts par les garde-barrières et fonce les mains sous le guidon. À ce moment précis, un train de marchandise s'arrête et obstrue la voie. Les poursuivants du Flamand, Antonin Magne et Charles Pélissier en tête, enragent. Mais que faire? Sinon s'armer de patience! Romain Maës pénètre dans l'hippodrome des Flandres avec 53 secondes d'avance sur De Caluwé, Pélissier, Aerts et Magne. Rien de bien grave. Mais c'est sur ce rien, ce coup de chance, cette poignée de secondes d'avance accidentelle, qu'il va bâtir contre toute raison, son succès dans ce 2ge Tour de France. Car l'avance du petit Belge lui donne droit à 53 secondes de bonus supplémentaire, étant donné qu'il est arrivé détaché. Si l'on y ajoute les 90 secondes de bonification au vainqueur, cela fait 2'21" d'avance sur le second, son compatriote De Caluwé et 3'06" sur le 3e, Charles Pélissier. L'opération est juteuse et Karel Steyaert peut contempler les volutes de fumée de son éternel cigare en rêvant à la victoire finale. Du mou dans le chatterton Le lendemain, Lille-Charleville, courue sous la canicule, est le théâtre d'un gag invraisemblable: le chatterton qui sert à coller les boyaux sur les belles jantes en duralumin, s'amollit sous l'effet de la chaleur et les boyaux tournent en provoquant des déjantages en série, et des éclatements de boyaux. Des dizaines de réparations sont nécessaires4.Par la suite on utilisera une colle plutôt que du chatterton. Certains coureurs arriveront à Charleville avec un retard considérable, comme Archambaud qui perd 35 minutes ce jour-là, alors que Martano, l'un des concurrents les plus dangereux pour l'équipe de France, préfère renoncer. Romain Maës également accidenté est encadré par ses équipiers. Après une poursuite énergique, il arrive avec le groupe de tête constitué des principaux favoris. 255
Charles Pélissier remporte l'étape et Maës garde son maillot jaune. Il va le sauver souvent pendant ce Tour de France car il sera fréquemment menacé. Mais il fera la démonstration d'une pugnacité et d'un courage exceptionnels. Il est vrai, et cela a été démontré à travers le temps, que le port de l'emblème suprême a un effet magique sur les concurrents. La volonté de Romain Maës Qui est-il ce Romain Maës, trapu et inélégant en selle, qui, au terme de la troisième étape à Metz, est toujours porteur du maillot jaune? Il a presque vingt-deux ans et a fait ses débuts l'année précédente dans le Tour sans éclat particulier5. Pourtant, en 1933, il avait remporté le circuit de l'Ouest, une course par étapes difficile, alors qu'il avait juste vingt ans. Sélectionné dans l'équipe nationale belge en 1934, il s'était révélé un grimpeur très moyen dans les Alpes. Peu après le départ de la dixième étape, Digne-Nice, une fantastique cabriole l'avait envoyé à l'Hôpital de Digne où l'on craignit pour ses Jours. D'où vient l'énergie mystérieuse qui anime ce coureur juvénile au regard clair? Peut-être de son enfance, qui n'est pas sans évoquer un roman d'Emile Zola. Il est né à Zerkegem, un village des Flandres de l'ouest, dans une famille de six enfants élevés par une mère devenue veuve à la suite du suicide de son mari, désespéré, dit-on, de ne pouvoir élever correctement sa progéniture. Madame Maës tient un modeste estaminet, et Romain qui est encore un gamin est engagé comme ouvrier dans une briqueterie pour subvenir aux besoins de sa famille. Mais son triste début d'existence lui donne la rage nécessaire pour l'extraire de sa pauvreté. Il se procure un vélo et débute dans les courses cyclistes locales, nombreuses en Belgique. Sa progression fulgurante le conduit à devenir professionnel, et enfin, à porter en ce mois de juillet 1935, le maillot jaune du Tour de France. Un maillot qu'il a la ferme intention de ne plus. quitter jusqu'au Parc des Princes. Cette idée surprenante commence à faire son chemin dans l'esprit des journalistes quand ils voient Romain lâcher Georges Speicher, excusez du peu, dans la descente du Ballon d'Alsace! 256
Le retour du prodige Genève-Evian, courue individuellement contre la montre, est émaillée d'incidents fàcheux. Di Paco, le vainqueur, a suivi le sillage d'une voiture, et Magne, le second, a profité d'un regroupement. Ils seront mollement sanctionnés. Charles Pélissier et cinq autres coureurs écoperont de pénalités de temps6. Certains concurrents se sont même accrochés à des véhicules. "Et je veux passer rapidement, s'offusque Raymond Ruttier, sur l'histoire de ce coureur qui fut surpris derrière une moto avec, entre les dents, un bouchon attaché à unfil de fer." Desgrange, furieux, décide que le prochain contre-la-montre sera couru par équipes comme au bon vieux temps 7 ! La première étape alpine, Evian-Aix-Ies-Bains, voit l'apparition d'un revenant: René Vietto. Distancé depuis le départ du Tour, il a été victime de quelques déboires: 19 minutes perdues à Lille, suivies d'une rage de dents et d'une collision avec Charles Pélissier, qui lui a valu une arcade sourcilière ouverte. Décidément les choses commençaient mal pour le grimpeur cannois! Pourtant, il arrive à Aix-IesBains détaché, 3'50" avant le peloton, après s'être promené dans le col des Aravis et dans la montée du col de Tamié. Le prodige serait-il de retour? Déjantages en série Dans cette étape, les problèmes de jantes que l'on commençait à oublier ressurgissent, comme en témoigne Claude Tillet : "Les coureurs déjantaient à qui mieux mieux, les provisions de boyaux s'épuisaient à vue d'œil, la presse non spécialisée s'emparait de l'affaire et créait une véritable atmosphère de panique. D'Aix-les-Bains, le Q.G du Tour téléphonait à Paris, réclamant de toute urgence pour l'étape suivante, des roues montées avec des jantes en bois. Dans la nuit, tous les monteurs de roues disponibles se mirent au travail et réalisèrent un tour de force. L'incident fut clos8." Pas complètement, hélas, comme nous allons le voir. Le drapeau rouge de Monsieur Desgrange À Aix -les-Bains, Antonin Magne est second au classement général, à 4'06" de l'oisillon belge. Avec la tranquillité du favori sûr de 257
son fait, il s'apprête à n'en faire qu'une bouchée dans les Alpes. Tonin la méthode que les gesticulations un peu désordonnées du jeune Romain font sourire, maîtrise parfaitement sa course. Comme à l'accoutumée, il évite tout effort inutile et attend le moment idéal pour agir de manière déterminante. Ce moment-là, il le situe dans l'étape suivante, Aix-les-Bains-Grenoble, qui passe par le col du Télégraphe, le Galibier, et pour finir le Lautaret avant la descente sur Grenoble. 229 kilomètres au cours desquels se jouera l'épreuve. Il n'imagine pas, le pauvre Tonin, que ce parcours qui doit assurer sa victoire dans le Tour sera le théâtre de son naufrage. À cause d'un drapeau rouge! Pas l'étendard que le rassemblement populaire de la gauche unie se prépare à agiter entre Bastille et Nation le 14 juillet, mais plutôt celui que Desgrange, que ses inclinations politiques n'incitent guère à lorgner de ce côté-là, tient à portée de la main dans sa Hotschkiss. Il doit servir à arrêter les voitures suiveuses en cas d'incident de course. C'est une des nouveautés de l'année. Elle se révélera décisive dans le déroulement du Tour. Et si le passage à niveau d'Haubourdin fut bien la première chance de Romain Maës, on peut affirmer que le drapeau rouge d'Henri Desgrange fut la seconde. Avant Saint-Michel-de-Maurienne, peu avant les premières pentes du Télégraphe, Benoît Faure, grand agitateur devant l'éternel, démarre. Le peloton se scinde en deux. Desgrange, debout dans sa Hotschkiss décapotable, derrière le deuxième groupe, brandit son drapeau afin d'empêcher les voitures suiveuses de le dépasser et de s'intercaler entre les deux pelotons. Affolés par l'attaque de La Souris, tous les coureurs s'arrêtent afin de retourner leur roue arrière, manœuvre indispensable pour changer de développement: "Tout se passa bien, écrit Georges Briquet,jusqu'au moment où le Laonnais Hubatz s'arrêta brusquement en pleine route. La voiture qui le suivait fit un crochet et se trouva face à face avec un véhicule arrêté en sens inverse, de l'autre côté de la route. Il s'ensuivit une série de coups de freins, de chocs, d'ailes arrachées, de pare-chocs tordus, de réservoirs d'essence crevés9. " Les coureurs qui viennent de changer de braquet buttent à cet instant sur le carambolage et percutent les voitures accidentées. C'est le cas d'Antonin Magne étendu à terre. Il est blessé à la tête, au bras 258
gauche et un coup de pédale lui a profondément entamé le mollet gauche. Il se relève et tente de repartir. André Leducq consterné assiste son ami: ''À chaque coup de pédale, écrit Leducq, le sang giclait de sa plaie béante. Il s'est arrêté au pied du col du Télégraphe. Je croyais, j'espérais qu'il pourrait encore repartir. Il a secoué la tête... . .10 ftInl pour 1Ul ... " Pendant que Leducq remonté en selle, tente de réduire son retard, l'Italien Camusso fait cavalier seul dans le col du Télégraphe. Mais, alors qu'on attendait Vietto dans le Galibier, c'est un Niçois, un certain Gaby Ruozzi Il, que le Cannois connaît bien, qui passe en tête et qui récidive au sommet du Lautaret. Ruozzi, encore un oublié de l'Histoire, court dans la catégorie des touristes-routiers. À un mois près, il a le même âge que René Vietto. Dans les Alpes, il va lui voler la vedette, mais sera malheureusement poursuivi par une malchance invraisemblable dans les Pyrénées. Dans la descente du Lautaret, Vietto est loin derrière Ruozzi et Camusso. Il dévale le col derrière le petit grimpeur Cepeda. Déjà, l'Espagnol avait déjanté à hauteur de Saint-Jean-de-Maurienne, ce qui avait provoqué sa chute et démontré que le fameux problème des jantes n'était pas réglé. Coureur modeste, Cepeda est un fils de notable, ce qui est rare, la plupart des coureurs étant d'origine ouvrière, paysanne, ou fils de petits commerçants, à la recherche d'une promotion sociale. Cepeda participe au Tour pour son plaisir, ce qui consterne sa famille qui doit probablement considérer qu'il s'agit-là d'un bonheur masochiste! Soudain, aux environs de Vizille, un peu avant Grenoble, le boyau de la roue avant de l'individuel espagnol tourne à l'entrée d'un virage. Cepeda amorce un spectaculaire vol plané et tombe lourdement en entraînant l'Italien Vignoli dans sa chute. On le relève à demiinconscient. Vignoli a la clavicule brisée. Pour lui le Tour est terminé, alors que Cepeda tente en titubant de remonter sur sa machine. Des spectateurs l'aident, mais ses forces l'abandonnent et l'on doit le transporter dans une clinique de Grenoble où les médecins diagnostiqueront une fracture du crâne. Trépané, Cepeda décèdera le 14 juillet sans avoir repris connaissance, et les coureurs espagnols, très affectés, envisageront un instant de quitter le Tour 12. 259
Mais le spectacle continue, comme disent les saltimbanques. Camusso gagne à Grenoble, et Romain Maës renforce son maillot jaune en franchissant la ligne d'arrivée avec Bergamaschi, son concurrent le plus dangereux depuis l'abandon de Magne. La résistance du petit Romain Dans l'étape Gap-Digne, laborieusement remportée par René Vietto, Romain Maës s'effondre. Camusso n'est plus qu'à 3'31" du Belge et Morelli, l'Italien de l'équipe de réserve, est à 6'55". Mais le maillot jaune survolté réagit en grand champion dans Nice-Cannes qu'il remporte devant son homonyme, l'individuel belge Sylvère Maës, intégré à l'équipe officielle depuis la deuxième étape. Dans la demiétape contre la montre, Narbonne-Perpignan, Romain Maës résiste bien à Maurice Archambaud, termine second, distance Camusso et consolide sa première place. Mais le soir, il est malade et vomit toute la nuit. Il prend le départ le lendemain matin à Perpignan, très affaibli. Karel Steyaert, peu confiant dans l'avenir immédiat du leader, donne le feu vert à Vervaecke et à Sylvère Maës, "des percherons puissants et solides", selon lui, afin qu'ils tentent leur chance. Ils sauront la saiSIr. Perpignan-Luchon comporte trois difficultés majeures: les cols de Puymorens, de Port et de Portet d'Aspet. Vietto démarre violemment à 250 kilomètres du but, dans la côte de Mont-Louis. Derrière c'est la panique. Speicher, 2e au classement général, et Romain Maës, sont lâchés. Félicien Vervaecke et Sylvère Maës, d'abord distancés, rejoignent Vietto et le lâchent au moment où il descend de selle pour un changement de braquet inopportun. Au sommet de la côte, les deux compères ont plus d'une minute d'avance sur Vietto, et six minutes au col de Puymorens. Au col de Port, gravi sous la pluie et dans la brume, leur avance sur leurs poursuivants est de neuf minutes, puis de douze minutes dans le Portet d'Aspet. Vervaecke et Sylvère Maës, déchaînés et couverts de boue, passent la ligne d'arrivée à Luchon, 13' 35" devant l'Allemand Thierbach et 20 minutes avant René Vietto et Romain Maës. Le maillot jaune, furieux, est la grande victime de l'offensive de ses équipiers!3. 260
Karel Steyaert exulte. Son coup de poker a réussi: Romain conserve miraculeusement son maillot jaune, mais ce n'est pas l'essentiel. À présent, ses coureurs occupent les trois premières places du classement général. En cas de défaillance de Romain, à laquelle il s'attend chaque jour, il lui reste deux atouts majeurs dans la manche. La vie est belle! Dans les rangs français, tout va mal. Quelques jours plus tôt, Julou Merviel est entré tête baissée dans un chargement de bois arrêté en pleine route, au lieu-dit La Londe des Maures, entre Cannes et Marseille, alors qu'il avait vingt minutes d'avance sur le peloton. On dut le transporter d'urgence à l'hôpital d'Hyères pendant que Charles Pélissier volait vers la victoire à Marseillel4. Dans l'équipe, la zizanie règne. Speicher, 2e à Perpignan dans la course au maillot jaune, a complètement sombré entre Perpignan et Luchon par la faute de Vietto, dont il stigmatise à juste titre l'individualisme forcené, et qu'il accuse de haute trahison. Chez les Italiens, c'est la débandade. Camusso15 qui a fait une chute terrible en percutant une voiture, Bergamaschil6, Giaccobi, et Rimoldi, un Italien de l'équipe de réserve, abandonnent. L'équipe nationale italienne est totalement décimée. Il ne reste plus que Morelli 17 et Teani, que les responsables italiens ont puisés dans l'équipe bis maintenant à sec. Et ce sont justement ces deux "pauvres italiens" qui, le lendemain, dans la seconde grande étape pyrénéenne, vont faire des étincelles et mettre le moral de Romain Maës à zéro. Ce ne sera qu'une demisurprise, car si le longiligne Teani est un coureur modeste, le robuste Morelli a terminé 6edu Tour de France précèdent. Vervaecke et Sylvère Maës développent une nouvelle offensive de grande envergure dans les cols de Peyresourde, d'Aspin et du Tourmalet, mais Morelli accompagné du grand Teani, les lâche dans l'Aubisque contre toute attente, et arrive détaché à Pau. Il n'est plus qu'à 2' 30" du maillot jaune énergiquement soutenu par Vervaecke dans les derniers kilomètres. Tout est à refaire. Malheureusement pour Morelli, l'étape Bordeaux-Rochefort lui sera fatale. Il rate la bonne échappée dans laquelle se trouve Romain Maës et concède plus de dix minutes au Belge. L'après-midi, il 261
perd encore du temps dans la demi-étape contre la montre individuelle, Rochefort-La Rochelle. L'affaire est donc entendue, malgré un baroud d'honneur de l'Italien, flanqué de Teani et de deux Allemands, dans la demi-étape contre la montre Vire-Caen, par équipes. Le reste relève de la pure anecdote, comme la victoire de Julien Moineau qui utilise un plateau invraisemblable de 52 dents dans PauBordeaux, et qui passe la ligne d'arrivée un quart d'heure avant le peloton, avec la complicité de ses amis qui ont organisé une buvette sur le bord de la route à l'intention de ses poursuivants! Quant à Leducq, il remporte l'unique victoire contre la montre de sa carrière dans Rochefort-La Rochelle grâce à Fontenay pénalisé de cinq minutes pour avoir suivi le sillage d'une voiture. Maillot jaune de bout en bout À Paris, Romain Maës dans un état second, pénètre dans le Parc des Princes en folie devant un contingent de supporters belges venus l'acclamer. Il réussit l'exploit d'arriver seul, comme s'il se devait de justifier sa victoire finale. Dans les derniers kilomètres, il a distancé Vervaecke et Morelli ses dauphins, et Paul Chocque, qui débouchent à leur tour du tunnel du Parc trente-neuf secondes après le vainqueur. Il faudra attendre presque cinq minutes pour applaudir le peloton dominé par Le Grevès. Le Breton, malheureusement victime d'une chute dans la côte du Cœur-Volant, est frustré d'une cinquième victoire d'étape dans ce Tour de France. Après son tour d'honneur, Romain Maës, avec la démarche d'automate des coureurs qui descendent de selle, traverse la piste rose en claudiquant sur ses cale-pieds et se dirige vers les gradins. Puis il s'effondre en larmes sur la main-courante métallique, auprès de sa mère qui, pour la première fois, avait quitté sa Belgique natale afin d'assister au triomphe de son champion de fils. Ainsi, Romain Maës qui connaîtra à son retour en Belgique l'accueil qu'on réserve habituellement aux souverains en visite, a réussi contre toute attente à conserver le maillot jaune de la première à la dernière étape18. À force de volonté, de souffrance, d'orgueil... et de chance, il vient, à vingt-deux ans, d'atteindre le sommet de sa carrière. 262
Avec ses gains, il achètera une brasserie près de la gare du Nord, à Bruxelles. Elle portera l'enseigne "Au Maillot jaune". Tout va très bien, Madame la Marquise La victoire inattendue du jeune Belge a un impact médiatique considérable. Son attendrissante histoire personnelle en fait, par la magie de la presse, la cendrillon du vélo. Elle est amplifiée par le développement du réseau de T.S.F qui, grâce aux commentaires passionnés des reporters comme Jean Antoine et Georges Briquet, chantres d'une mythologie qui atteint ses sommets, diffuse les exploits des coureurs dans des millions de foyers. Cette année, la figure idéale du prodige Vietto, sacrifié à l'esprit d'équipe, et qui perdit le Tour 1934 alors qu'il devait le gagner, fait place à celle du besogneux Flahute qui, à force de courage et d'audace, gagne une épreuve qui ne lui était pas destinée. Elle est aussi émouvante et en tout cas emblématique d'une certaine morale qui convient à l'esprit populaire, bien qu'elle dissimule une réalité mercantile dont les enjeux échappent aux héros eux-mêmes et davantage encore à leur public19. Le succès des Belges est complet. Ils ramènent chez eux le maillot jaune, le Challenge International, le Classement du meilleur grimpeur, grâce à Félicien Vervaecke, et classent quatre coureurs dans les cinq premiers. En prime, Romain Maës pulvérise le record de la moyenne horaire établi par Speicher en 1933, en dépassant pour la première fois les 30 km/h. Karel Steyaert a rempli son contrat. Mais les exploits des Belges ne sont rien en comparaison de celui d'Alexei Stakanov, mineur russe, qui dans la nuit du 30 au 31 août abat à lui seul cent deux tonnes de charbon, soit quatre fois la norme imposée à un mineur normal. C'est du moins ce qu'affirme la propagande soviétique. C'est l'époque des records. Le luxueux et monumental paquebot Normandie décroche le ruban bleu de la traversée de l'Atlantique à son premier voyage, et à une vitesse moyenne de 31,55 nœuds à l'heure. Les aviateurs Hébrard et Daillière établissent un record de distance en hydravion, en franchissant 4 300 kilomètres d'une seule traite, et Jean Mermoz relie Paris à Dakar sur un avion léger en quinze 263
heures et trente minutes. Le milliardaire américain Howard Hughes bat le record du monde de vitesse en avion en atteignant 566 kilomètres à l'heure, et Benito Mussolini, recordman des décisions hâtives, envahit courageusement une Ethiopie seulement armée de sagaies, sans même prendre le temps de lui déclarer la guerre. La crainte d'un nouveau conflit en Europe s'étend chaque jour. Afin de faire oublier ces sombres pensées, Ray Ventura et ses collégiens amuseront bientôt la France du Front Populaire qui fredonnera: " Tout va très bien Madame la Marquise" et " Ça vaut mieux que d'attraper la scarlatine, ça vaut mieux que d'attraper le choléra". Malheureusement, tout ne va pas aussi bien que cela. Le choléra arrive. Il est de couleur brune et marche au pas de l'oie.
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En savoir plus: 1.Charles Pélissier gagna deux étapes, et termina 13e au classement général. Comme il avait refusé de s'intégrer à l'équipe nationale après les abandons de Merviel et de Debenne, il remporta le Tour... dans la catégorie des individuels! 2. Camille Tharaud utilisa l'arme qui permit à la femme d'Henri Pélissier de se suicider. 3. On a souvent dit que dans l'étape Paris-Lille de 1934, Romain Maës avait battu Speicher déclaré vainqueur. C'est faux. Les photos sont explicites à ce sujet. En revanche, à l'arrivée du Paris-Roubaix 1936, Romain Maës battit Speicher d'une bonne demi-roue, ce qui est parfaitement visible sur les photos et totalement confIrmé par les témoins, y compris, plus tard, par le vainqueur officiel. Seuls les juges avaient vu Speicher vainqueur ! 4. A chaud, les commentateurs assimilèrent ces déjantages en série, à des crevaisons dues à la présence de clous et de morceaux de ferraille. Jusqu'aux Alpes, où le problème se posa à nouveau, personne n'osa affIrmer clairement que les coupables étaient les j antes en duralumin. 5. Si l'on excepte cette première étape-Paris-Lille du Tour 1934. 6. Charles Pélissier, Bernard, et Debenne furent pénalisés de deux minutes et de 200 francs d'amende, Hardiquest, Fayolle et Prior d'une minute et de 25 francs d'amende. Di Paco fut frappé d'une amende de 100 francs, mais ne fut pas déclassé. Antonin Magne reçut un blâme pour avoir roulé en peloton. 7. Sur les six ét~pes contre la montre, Desgrange décida d'en faire courir trois par équipes. 8. ClaudeTillet. Article intitulé "La bicyclette moderne porte l'empreinte du Tour" dans le numéro spécial de L'Equipe "Le Tour a 50 ans" 1953. Selon C.Tillet, il y avait deux raisons à ce problème de jantes: 1) Des boyaux d'un diamètre un peu trop grand. 2) La perte de qualité des adhésifs due à l'échauffement du métal des jantes lors du freinage dans les descentes. Dans l'étape Aix-Grenoble le problème n'était toujours pas réglé, et Jean Routier, dans le Miroir des Sports, lui attribue, sans ambiguïté, les chutes de Cepeda, de Vignoli et de Gestri. D'après Georges Briquet, c'est seulement au départ de Nice que les coureurs furent tous munis de jantes en bois, donc après la mort de Cepeda, et non pas à Aix-les-Bains. Ce qui laisse entendre que l'organisateur, qui fournissait les jantes aux coureurs, aurait pu voir sa responsabilité recherchée. L'époque n'était probablement pas procédurière. Aujourd'hui, une affaire de ce type déclencherait sûrement un beau procès! 9. Georges Briquet "Ici, 60 ans de Tour de France" La table ronde 1962. 10. André Leducq "Une Fleur au guidon". Presses de la cité 1978. Il. Gaby Ruozzi (1914-1988), vainqueur du circuit du Mont Agel en 1941 et 1942, fut un météore dans le Tour. L'année suivante il abandonna dans la 2e étape et l'on ne le revit plus jamais dans la grande épreuve. Il se contenta de participer à des courses régionales. En 1935 il passa en tête dans les cols suivants: Galibier, Lautaret, Côte de Laffrey, Bayard, Braus. Il termina 3e du Classement du meilleur grimpeur et 1er du Tour dans la catégorie des touristes-Routiers
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(ge place au classement général).
12. Cepeda fut le premier mort du Tour de France, pendant l'épreuve elle-même. À noter que le Miroir des sports fait clairement mention de cet accident dramatique dans son numéro du 18 juillet, alors que le drame a eu lieu le Il et le décès de Cepeda le 14. Les chutes d'Antonin Magne et de Julou Merviel suscitèrent beaucoup plus de commentaires que celle du petit coureur espagnol qui y laissa sa vie. Le 16 juillet, Robert Dieudonné publia dans L'Auto un hommage au coureur espagnol, intitulé "Pauvre petit Cepeda." 13. Romain Maës contestait, paraît-il, la fameuse cohésion de l'équipe belge. Il reprochait à Vervaecke de ne pas l'avoir aidé. C'est sûrement un peu injuste, car dans Luchon-Pau Vervaecke resta avec lui jusqu'à la ligne d'arrivée 14. La présence d'un chargement de bois arrêté en pleine route, démontre à quel point le service d'ordre était rudimentaire. Par bonheur, Merviel ne fut victime que d'une fracture de la clavicule et d'un décollement de l'oreille gauche. Sa mésaventure eut une suite heureuse: il épousa son infIrmière. 15. Francesco Camusso (1908-1995) remporta le Tour d'Italie en 1931 et fut second en 1934. Il termina le Tour de France 1932 à la troisième place et à la 4e en 1937. 16. Vasco Bergamaschi (1909-1979) remporta le Tour d'Italie et le Tour de Vénitie en 1935. 17. Ambrogio Morelli (1905-2000) second du Tour 1935 remporta le circuit desTrois Vallées Varésines en 1929. 18. Maurice Garin fut leader du Tour de France 1903 de la première à la dernière étape. Ce fut également le cas pour Trousselier en 1905, Garrigou en 1911, Thys en 1914 et également, après la création du maillot jaune, pour Ottavio Bottecchia en 1924 et Nicolas Frantz en 1928. 19. Dans "Mythologies" Editions du seuil, collection "Pierres vives", 1957, Roland Barthes écrit: "Ce qui est vicié dans le Tour, c'est la base, les mobiles économiques, le profit ultime de l'épreuve, générateur d'alibis idéologiques. Ceci n'empêche pas le Tour d'être un fait national fascinant, dans la mesure ou l'épopée exprime ce moment fragile de l'Histoire où l'homme, même maladroit, dupé, à travers des fables impures, prévoit tout de même à sa façon une adéquation parfaite entre lui, la communauté et l'univers. " Précisions À la suite de l'incident de la descente de Puymorens où Vietto donna sa roue à A. Magne (1934), Desgrange réglemente l'esprit d'équipe dans le Tour 1935 : Du départ jusqu'à Evian les coureurs d'une même équipe ne peuvent échanger leurs vélos. À partir d'Evian jusqu'à Pau, les équipiers peuvent prêter leurs vélos aux leaders, exceptés les 2e et 3e de l'équipe au classement général. À partir de Pau jusqu'à Paris, l'esprit d'équipe est laissé à la liberté des coureurs. (Source: "Le Tour a 50 ans" numéro spécial de L'Equipe. 1953) Le principe des bonifications de l'année précédente est maintenu.
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Le Tour de France 1935 en un coup d'œil 2ge édition du 4 au 28 juillet 1935 4 338 Kilomètres. 21 étapes dont six demi-étapes, contre la montre. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. Quatre jours de repos: (Evian, Nice, Luchon, Pau.) Moyenne du vainqueur: 30,620 km/h. 93 coureurs au départ. 5 équipes nationales de 8 hommes: Belgique, Italie, Espagne, Allemagne et France. 6 équipes d'individuels de 4 hommes: Belgique, Italie, Espagne (3 hommes), Allemagne France et Suisse. 30 touristes-Routiers. 46 rescapés dont 13 As, 15 individuels, et 18 touristes-Routiers à l'arrivée 1 092 050 F de prix. Vainqueur: R. MAËS. Challenge international: BELGIQUE. Classement du meilleur grimpeur: F.VERV AECKE Les étapes et les vainqueurs 1 Paris-Lille, 262 km : Romain Maës. 2 Lille-Charleville, 192 km : Charles Pelissier. 3. Charleville-Metz, 161 km : Rafaele Di Paco. 4. Metz-Belfort, 220 km: Jean Aerts. 5a. Belfort-Genève, 262 km : Maurice Archambaud. 5b. Genève-Evian, 58 km contre-la-montre individuel: Rafaele Di Paco. 6. Evian-Aix-Ies-Bains, 207 km René Vietto. 7. Aix-Ies-Bains-Grenoble, 229 km : Francesco Camusso. 8. Grenoble-Gap, 102 km : Jean Aerts. 9. Gap-Digne, 227 km : René Vietto. 10. Digne-Nice, 156 km Jean Aerts. Il. Nice-Cannes, 126 km : Romain Maës. 12. CannesMarseille, 195 km : Charles Pélissier. 13a Marseille-Nîmes, 112 km : Vasco Bergamaschi. 13b. Nîmes-Montpellier, 56 km contre-la-montre par équipes: Georges Speicher. 14a. Montpellier-Narbonne, 103 km : René Le Grevès. 14b. NarbonnePerpignan, 63 km contre-la-montre individuel: Maurice Archambaud. 15. Perpignan-Luchon, 325 km: Sylvère Maës. 16. Luchon-Pau, 194 km: Ambrogio Morelli. 17. Pau-Bordeaux, 224 km : Julien Moineau. 18a. Bordeaux-Rochefort, 159 km : René Le Grevès. 18b. Rochefort-La Rochelle, 33 km contre-la-montre individuel: André Leducq. 19a. La Rochelle-La Roche sur Yon, 81 km : René Le Grevès. 19b. La Roche sur Yon-Nantes, 95 km contre-la-montre par équipes: Jean Aerts. 20a. Nantes-Vire, 220 km : René Le Grevès. 20b. Vire-Caen, 55 km contre-la-montre par équipes: Ambrogio Morelli. 21. Caen-Paris, 221 km: Romain Maës. Les maillots jaunes Romain Maës, porteur unique de la première à la dernière étape Classement général final 1. Romain MAËS (Bel) en 141h32'00" 2. Ambrogio Morelli (Ita) à 17'52" 3. Félicien Vervaecke (Bel) à 24'06" 4. Sylvère Maës (Bel) à 35'24" 5. Jules Lowie (Bel) à 51'26" 6. Georges Speicher (Fra) à 54'29" 7. Maurice Archambaud (Fra) à 1h09'28" 8. René Vietto (Fra) à 1h21'03" 9. Gabriel Ruozzi (Fra) à 1h34'02" 10. Oskar Thierbach (AlI) à 2hOO'04" Il. Pierre Cogan (Fra) à 2h11 '56" 12. Benoit Faure (Fra) à 2h21'01" 13. Charles Pélissier (Fra) à 2h29'21" 14. René Bernard (Fra) à 2h30'47" 15. René Le Grevès (Fra) à 2h40'05" 16. Fernand Fayolle (Fra) à 2h48'07" 17. André Leducq (Fra) à 2h56'14" 18. Pierre Cloarec (Fra) à 3h19'55" 19. Joseph Mauclair (Fra) à 3h20'36" 20. Antoon Dignef (Bel) à 3h24'52" 21. Dante Gianello (Fra) à 3h28'30" 22. Salvator Cardona (Esp) à 3h50'59" 23. Bruno Roth (AlI) à 3h51 '06" 267
24. Leo Amberg (Sui) à 3hS6'2S" 2S. Jean Fontenay (Fra) à 4h09'S6" 26. Fritz Hartmann (Sui) à 4h14'37" 27. Orlando Teani (Ita) à 4h17'32" 28. Honoré Granier (Fra) à 4h24'36" 29. Jean Aerts (Bel) à 4h28'OS" 30. Julien Moineau (Fra) à 4h33'46" 31. Paul Chocque (Fra) à 4h39'14" 32. Antonio Prior (Esp) à 4hS1'06" 33. Aldo Bertocco (Fra) à 4hS2'33" 34. Erich Haendel (All) à Sh06'16" 3S. Oreste Bernardoni (Fra) à Sh12'28" 36. Louis Thiétard (Fra) à Sh12'47" 37. Charles Berty (Fra) à Sh26'28" 38. Georges Lachat (Fra) à Sh27'SO" 39. Vicente Bachero (Esp) à Sh37'SO" 40. Kurt Stettler (Sui) à Sh49'01" 41. Manuel Garcia (Fra) à 6h01'18" 42. Otto Weckerling (All) à 6h11'SS" 43. Theodore Ladron (Fra) à 6h13'39" 44. Georges Hubatz (Fra) à 6h17'SS" 4S. Ferdi Ickes (All) à 6hS9'19" 46. Willi Kutschbach (AlI) à 7h40'39" er 1 des individuels:
Charles Pélissier
(France)
1er des touristes-routiers: Gabriel Ruozzi (France) Challenge
international
1e Belgique, 2eFrance, 3e Allemagne, 4e Italie, SeEspagne.
Classement du meilleur grimpeur
1er Vervaecke 118points, 2eS. Maës 92 points 3eRuozzi 70 points...
Cette année-là, les individuels pouvaient être incorporés aux équipes nationales pendant la course et pouvaient donc être individuels au début du Tour et nationaux à la fin de l'épreuve. Pour cette raison, Charles Pélissier ayant refusé d'être incorporé à l'équipe nationale, gagne le Tour dans la catégorie des individuels.
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Quelques évènements de l'année 1935 - Irène et Frédéric Joliot-Curie reçoivent le prix Nobel de chimie. - La Sarre redevient allemande. - L'Allemagne émet ses premiers programmes de télévision. - En France, un décret prolonge le service militaire de 12 à 24 mois. - En U.R.S.S, la peine de mort est étendue aux enfants de 12 ans. - Ouverture de l'exposition universelle de Bruxelles. - La Reine Astrid de Belgique meurt en Suisse, dans un accident de voiture. - Le parti nazi met en pratique les lois raciales de Nuremberg qui visent principalement les Juifs. - La " longue marche" des communistes chinois se termine à Yenan. - L'Italie envahie l'Ethiopie. - La SDN condamne le réarmement allemand et décide des sanctions contre l'Italie. - Edvard Benès est élu président de la République de Tchécoslovaquie. - Le franc belge est dévalué de 28 %. - L'Allemagne interdit de diffuser sur ses ondes de la musique de jazz "nègre". - L'Allemagne dissout les loges maçonniques et confisque leurs biens. - Dans les cinémas: "La kermesse héroïque" de Jacques Feyder, "La Bandera" de Julien Duvivier, "Le Crime de Monsieur Lange" de Jean Renoir, "Les Trois Lanciers du Bengale" d'Henry Hathaway, "Les Trente-neuf marches" d'Alfred Hitchcock. Ginger Rogers et Fred Astaire dansent merveilleusement dans "Top Hat", et la petite Sherley Temple émerveille l'Amérique. - Dans les librairies: "Les Nouvelles nourritures terrestres" d'André Gide, "L'homme cet inconnu" d'Alexis Carrel. - Décès de : Henri Barbusse, écrivain et homme politique français, Paul Signac, artiste-peintre français, Thomas Edward Laurence, dit Laurence d'Arabie, homme politique et écrivain anglais, André Citroën, ingénieur et industriel français, Alfred Dreyfus, officier français. - Naissances de : Woody Allen, acteur et réalisateur américain, Elvis Presley, chanteur américain de Rock'n'roll, Bernard Pivot, journaliste français, Huguette Bouchardeau, femme politique et écrivain français, Françoise Sagan écrivain français, Laurent Terzieff, comédien français et metteur en scène de théâtre, Régine Desforges, écrivain et éditeur français, Alain Delon, comédien français.
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1936 30e Tour de France. Du 7juillet au 2 août 1936
Bonheur et inquiétude En mai, après la victoire du Front Populaire aux élections législatives, des grèves sont déclenchées dans les ateliers Breguet du Havre et à l'usine Latécoère de Toulouse. En quelques jours, elles s'étendent à tout le pays. Les rues se hérissent de drapeaux rouges et les usines sont occupées. Les accords de Matignon, le 8 juin, conclus après de difficiles tractations entre les syndicats et le patronat, instituent, entre autres, les conventions collectives pour tous et la semaine de quarante heures. La généralisation des congés payés sans diminution de salaire est votée le Il juin et mise en application dès le mois d'août. Les accords de Matignon, s'ils ne mettent pas fin aux grèves qui se prolongent jusqu'au milieu de l'été, sont cependant une victoire considérable pour la France ouvrière. On danse sur les places publiques pour fêter l'ère nouvelle, on s'enivre d'élans fraternels, de vin blanc et d'accordéon, et l'on prépare ses bagages pour quinze jours de félicité à la mer ou à la montagne que beaucoup verront pour la première fois. Ils seront nombreux les congés payés, les salopards en casquette, comme les nomment les ultras du patronat, à garnir les bords de routes au passage des coureurs. C'est dans cette ambiance tumultueuse où s'expriment le bonheur des uns et la consternation des autres, que les quatre-vingt-dix coureurs de l'épreuve organisée par le journal L'Auto prennent le départ au Vésinet, ce 7 juillet 1936. Le ciel est sombre; aussi sombre que le climat politique de l'Europe. La conquête de l'Ethiopie par les Italiens est achevée et a été finalement ratifiée par la Société des Nations malgré ses menaces de sanction. Mussolini plus arrogant que jamais, bras croisés et menton en encorbellement, exulte, et critique les pays qui initialement avaient exprimé leur réprobation, parmi lesquels: la France. En conséquence, il n'y aura pas de coureurs italiens dans le Tour. Les maillots, les vé271
los, les plaques de cadres, et les dossards 41 à 50, dévolus aux transalpins, resteront dans le magasin aux accessoires. Des Autrichiens, des Roumains, des Yougoslaves La nouveauté de l'année est la suppression des individuels de l'année précédente, c'est-à-dire des équipe bis. En revanche, Desgrange introduit quatre équipes nationales de dix hommes: Belgique, Espagne-Luxembourg, Allemagne et France, et comme il faut bien donner du volume au peloton, il ajoute cinq équipes nationales de quatre hommes: Suisse, Hollande, Yougoslavie, Roumanie et Autriche. À l'issue de la troisième étape, les malheureux Roumains qui durent regretter d'être embarqués dans cette galère, ont tous abandonné. Une hécatombe attend les Autrichiens, les Allemands et les Yougoslaves. Aucun d'entre eux ne ralliera Paris. Comme l'année précédente le programme est truffé d'étapes contre la montre, toutes par équipes, de demi -étapes, et pour la première fois de tiers d'étape entre La Rochelle et Angers. Vietto, touriste-routier Trente touristes-routiers français complètent le peloton, dont Abd-el-Kader Abbès, premier Algérien d'origine à participer au Tour de Francel, ainsi que le Bayonnais Sauveur Ducazeaux, les Bretons Jean-Marie Goasmat et Pierre Cloarec, le Francilien Léon Level, et le Cannois René Vietto. Desgrange n'a pas sélectionné ce dernier dans l'équipe de France. À vrai dire, il ne l'avait pas sélectionné du tout. Il s'était laissé dire que le prodige menait une vie de patachon et que ses résultats n'étaient pas à la hauteur de ce qu'on eût pu attendre de son immense talent. André Trialoux, directeur sportif de la firme He/yett qui emploie René, dut plaider sa cause auprès du Patron et eut raison de ses réticences 2. Vietto n'est pas encore remis de son exploit du Tour 1934. Il ne s'en remettra jamais complètement d'ailleurs, et ne retrouvera pas en tout cas sa grâce aérienne de cette année-là. Depuis, il a pris conscience qu'il n'y a pas que le vélo dans la vie. Pendant une tournée d'après Tour de France dans le Nord, il a rencontré Lisette Vandekerc272
khove lors d'une signature d'autographe et il en est tombé éperdument amoureux. Il l'épousera un peu plus tard. Emporté dans le tourbillon illusoire de sa notoriété toute neuve, Vietto, qui n'a que 22 ans, a la tête à l'envers. À défaut de l'approuver qui ne pourrait le comprendre ? Avec ses gains de coureur le nouveau chéri des foules sportives s'est acheté une automobile, une Mathis décapotable3. Il roule trop vite, s'entraîne moins, fréquente des copains provisoires et des amis éphémères et surtout, s'est lové sous l'aile protectrice d'André Trialoux son directeur sportif, personnage trouble chargé de ses intérêts et qui n'hésitera pas, selon Vietto, à le gruger. C'est ce même Trialoux qui avait provoqué l'abandon d'Henri Pélissier en 1924 alors qu'il était commissaire de course. Desgrange sélectionne à nouveau dans l'équipe de France une partie de la vieille garde, Magne, Speicher, Archambaud, et Le Grevès, nouveau Champion de France. Il leur adjoint un contingent de nouveaux: Fernand Mithouard, Pierre Cogan, Robert Tanneveau, Arthur Debruyckère. Raoul Lesueur, Paul Maye. La roue tourne. Desgrange passe la main La première étape du Tour, Paris-Lille, se déroule sous le déluge. La pluie déborde des caniveaux et inonde les rues. À Carvin, l'eau monte jusqu'aux marche-pieds des voitures, les side-cars sont transformés en baignoires, et d'immenses gerbes d'eau accompagnent le passage des coureurs détrempés qui semblent rouler au milieu d'un fleuve. Henri Desgrange, calfeutré dans sa Hotschkiss aménagée en chambre d'hôpital, va mal. Au mépris de ses soixante et onze ans et avec son obstination habituelle, il a tenu à diriger sa course, malgré une grave opération rénale subie trois semaines auparavant et en dépit du désaccord formel de ses médecins. Mais entre Paris et Lille, le moindre cahot de la route lui arrache des grimaces de douleur. Il renonce à l'issue de l'étape suivante, Lille-Charleville. Le sémillant Jacques Goddet, fils cadet de Victor, prend le relais. Il décida, dit-on, ce jour-là, et l'on n'a jamais su pourquoi, de porter la tenue militaire et le casque colonial qui l'ont rendu célèbre. 273
La maladie de Desgrange a ceci de positif qu'elle donne l'occasion à Jacques Goddet de faire ses classes de futur Directeur du Tour. Goddet appartient à la jeunesse dorée de ce temps-là, joue au tennis et pratique le vélo, comme son père spirituel, Henri Desgrange. Charmeur et distingué, il a fait ses humanités à Oxford où il a acquis une prestance de major de l'armée des Indes qui ne le quittera jamais. C'est un travailleur. Entré très tôt au Journal L'Auto aux côtés de son frère aîné, le charmant et dispendieux Maurice, il connaît parfaitement tous les rouages du Tour de France qu'il suit depuis 1928. Il est l'homme de la situation et Desgrange, qui abandonne le Tour la mort dans l'âme, sait que l'œuvre de sa vie est placée dans d'excellentes maIns. Une organisation complexe Goddet, rédacteur en chef de L'Auto, Directeur-adjoint du Journal, beau-fils du Patron, connaît intimement la Grande Boucle, ses tares et sa grandeur. C'est un homme du XXe siècle, contrairement à Desgrange qui impose à tous depuis toujours, sa mentalité de pionnier de l'industrie du siècle précédent. Au despotisme brutal de H.D, Jacques Goddet substituera ses manières de gentleman. Ce qui n'exclut pas la poigne nécessaire au pilotage de cette "grande machine aux rouages multiples, toujours parfaitement huilés", comme l'écrira plus tard Félix Lévitan, et qui draine à présent des millions de spectateurs au bord des routes de France. Ce succès phénoménal sans précédent qui enfle d'année en année, réclame la participation de centaines de personnes chapeautées par trois organisateurs hors pair. On est loin de la méritoire et artisanale agitation de Géo Lefèvre et des pittoresques effets de drapeau de Georges Abran. Homme massif et de fort caractère, Lucien Cazalis est secrétaire général du Tour et bras droit de Desgrange. Sa voix de stentor, familière aux coureurs, qui redoutent ses colères, retentit lors des appels de contrôle du départ. Maurice Machurey est chronométreur officiel, responsable, en outre, du service du ravitaillement et de l'organisation préalable. Quant à Henri Manchon, il est directeur sportif général. Pendant ce Tour de France, ce sera lui le vrai patron. 274
Henri Manchon, dit Le Révérend, ex-manager des frères Pélissier qui mena Henri à la victoire en 1923, haute stature, costume stricte, cravate, gilet, et béret dissimulant ses cheveux blancs, est l'homme-orchestre du Tour de France. Sous ses ordres, s'activent les masseurs, l'économe, le responsable des bagages, les dix mécaniciens, dont le rôle est essentiel et qui travaillent dur, et souvent dans des conditions pittoresques. C'est Henri Manchon qui communique à Machurey avant son départ sur les routes, la composition des menus d'hôtels qui doivent varier chaque jour et qui sont différents pour un Espagnol, un Allemand, un Belge ou un Français. Machurey commence son périple dès le mois de mars, en effectuant pendant deux mois et demi un Tour de France complet. Il est chargé de mettre au point tous les détails du déroulement des étapes avec les correspondants de L'Auto et notamment le fléchage du parcours, l'organisation des départs et des arrivées, des contrôles, des points de ravitaillement, de l'hébergement, des repas. Ce qui nécessite des rencontres avec les préfets, les sous-préfets, les maires, les commissaires, les gendarmes, les hôteliers, les restaurateurs. Machurey est chargé, avec cinq adjoints, de la délicate question du ravitaillement et de sa distribution. C'est lui qui commande les contenants, musettes et bidons, et le contenu dont voici le détail standard: deux tartelettes, un pain de gâteau de riz, deux ou trois bananes, un quart de poulet, un sandwich au jambon beurré, un sandwich-biscotte, confiture, beurre, une tablette de chocolat au lait, des pruneaux, du sucre et souvent des fruits. Comme boisson, les coureurs ont à choisir entre le thé et le café, le chocolat et l'eau minérale. Bien entendu ces musettes standard peuvent subir quelques modifications en fonction des désirs des uns et des autres. On pourrait ajouter que les coureurs ne se contentent pas de thé ou d'eau minérale. Hors course, ils boivent également pas mal de vin et de bière, notamment pendant les repas des étapes et aussi des demi-étapes, qui nécessitent une organisation spéciale et des cantines sommaires. Les coureurs y déjeunent côte à côte dans une ambiance de colonie de vacances. D'immenses tables posées sur des tréteaux sont dressées à cet effet sous des tentes, dans des hangars, sous un kiosque à musique comme à Narbonne, ou comme à Nîmes sous les voûtes en pierre du 275
viaduc du chemin de fer. Le public se bouscule derrière les barrières pour assister au repas des coureurs comme on assisterait à celui des fauves. Archambaud encore Le Suisse Paul Egli, gagne à Lille, devant Archambaud, une étape qui ressemble davantage à une épreuve de natation qu'à une course cycliste. Pour la première fois un Suisse endosse le maillot jaune. Le lendemain le petit Maurice fait feu de tout bois, arrache le beau maillot à Paul Egli, le perd le jour suivant, puis le reprend. L'étape Aix-les-Bains-Grenoble est courue par un temps de chien. Vietto casse deux fois sa chaîne et décide de renoncer, tandis que Romain Maës, héros du Tour précédent, réalise une ascension foudroyante du col du Télégraphe, s'écroule sans force dans le col du Galibier et abandonne. Ce renoncement, assimilé par certains à une désertion, paraîtra suspect4. De son côté, Archambaud, malgré une chute qui une fois de plus lui rabote le cuir passe courageusement le Galibier et se permet le luxe de terminer second à Grenoble, couvert de pansements, derrière le Hollandais Théo Middelkamp. Le futur Champion du Monde sur route offre à son pays sa première victoire d'étape dans le Tour. Le Môme Surdol5 va-t-il enfin gagner le Tour France? Non, car le lendemain dans l'étape Grenoble-Briançon il est malade, s'effondre et perd huit minutes sur Sylvère Maës qui prend la tête de la course. "Le gars Jean-Marie" L'étape est remportée par un nouveau venu, le touriste-routier Jean-Marie Goasmat. Une énigme sportive celui-là! Un nez à piquer les gaufres, des joues creuses, des oreilles face à la route, une allure décharnée. Avec son mètre soixante-deux pour cinquante-sept kilos, il n'a rien d'Apollon, mais grimpe avec une aisance miraculeuse et ses jambes grêles entraînent des développements énormes qui étonnent Maurice Archambaud. Son seul problème est qu'il descend aussi mal qu'il grimpe bien6, et si cette incapacité à dévaler les pentes fait autant pour sa notoriété que ses talents de grimpeur, elle rend utopique toute ambition pour une place d'honneur au classement final. "Il suait de 276
peur le pauvre Jean-Marie, écrit Pierre Chany, et se livrait à une gymnastique désespérée afin de ralentir sa course. Les poignées de freins serrées, les jambes écartées, il raclait le sol de la semelle, soulevant des nuages de poussière 7." Ce Spectacle lamentable consterne les suiveurs. Par bonheur Briançon est en altitude, et Jean-Marie Goasmat, éblouissant dans la longue côte qui précède l'arrivée, porte l'éloquence de Georges Briquet à son paroxysme. Le Breton franchit la ligne avec un écart de quatre minutes sur son pays, Pierre Cloarec, victime d'une crevaison, et de six minutes sur les favoris et les grands grimpeurs comme Ezquerra et Berrendero
8.
Goasmat s'exprime avec l'accent de sa lande bretonne et en avalant la moitié des mots, ce qui rend ses propos ésotériques. L'aspect pittoresque de son personnage et ses réelles qualités sportives lui valent une popularité considérable. On l'affuble de divers surnoms qui sont le signe de sa notoriété: Le Farfadet pour les journalistes de la presse écrite, Le Gars Jean-Marie pour tout le monde et Adémaï pour Georges Briquet. Le reporter croit lors d'une interview que Goasmat prend un accent typique pour plaisanter, alors qu'il ne fait rien d'autre que de s'exprimer comme d'habitude! Bras deforce franco-belge À Briançon donc, Sylvère Maës l'homme au nez cabossé, a pris le maillot jaune, mais Antonin Magne est troisième à 75 secondes du premier. On s'attend à un bras de force entre les deux hommes dans les jours qui suivront. Pourtant, Maës repousse chaque jour son rival vieillissant de quelques minutes ou de quelques secondes au classement général. Insensiblement. Le 19 juillet, l'Espagnol Ezquerra fait cavalier seul dans le col de Castillon et dans La Turbie, et arrive détaché sous les platanes des allées de la Liberté à Cannes. Une fois la ligne franchie il se laisse aller à son émotion et pleure de joie comme un gosse. Lui, qui était passé si souvent en tête dans les cols, n'avait jamais pu gagner une étape du Tour de France9. Il ne le sait pas encore, mais la guerre civile est déclarée dans son pays depuis la veille, suite à un coup d'état militaire dirigé par le Général Franco contre le gouvernement républicain. 277
Au pied des Pyrénées, Félicien Vervaecke est à un peu plus de quatre minutes de Sylvère Maës et le retard de Magne sur le maillot jaune avoisine les huit minutes. La situation est grave sans être désespérée et Antonin Magne annonce une grande offensive dans Perpignan-Luchon, première grande étape pyrénéenne. À l'arrivée à Luchon, à l'issue d'une étape sans histoire remportée par le touristeroutier Sauveur DucazeauxlO, il n'a pas repris une seconde à Sylvère Maës. C'est sans i,mportance, il portera son attaque le lendemain dans Luchon-Pau. Mais que peut-il faire avec son équipe de bleus face au redoutable Escadron noir des Belges? Archambaud, victime de plusieurs chutes et Speicher renversé dans la descente du Galibier et blessé au genou, ont abandonné, Lapébie n'est pas là ni son vieux Dédé. Tonin, un brin nostalgique, pense à l'équipe des copains du début des années trente, à son frère Pierre, au grand Charles Pélissier, au gros Marcel Bidot, quand, tous ensemble, ils avaient rejoint Guerra et Demuysère après une poursuite d'anthologie dans la vallée de la Maurienne et sauvé le maillot jaune de Leducq. "Que sont mes amis devenus" aurait dit Rutebeuf. Au départ de Luchon le temps est à la pluie. Berrendero passe en tête au col de Peyresourde, mais Magne, Sylvère Maës et Vervaecke, sont là, à quelques mètres. Dans la descente boueuse, Magne est victime d'une crevaison. Maës et Vervaecke foncent en compagnie du colosse normand Yvan Marie et montent ensemble le col d'Aspin et le Tourmalet. Magne est irrémédiablement distancé. Dans le petit col de Soulor, qui précède l'Aubisque, Yvan Marie asphyxié par le rythme que lui imposent les deux diables flamands, cède à son tour et peu après Vervaecke casse son pédalier. Maës continue donc seul sous une pluie diluvienne, avec la détermination tranquille d'un laboureur traçant son sillon. Pendant ce temps, son compagnon monte une partie du col à pied en pleurant à chaudes larmes. Des spectateurs compatissants tendent un vélo à l'éructant Félicien. Un vélo malheureusement muni d'un dérailleur, donc nonréglementaire. C'est un crime de lèse-Desgrange ! Vervaecke reprend sa route. Au sommet de l'Aubisque, sa femme qui l'attendait remplace son bidon de ravitaillement. Le Flamand règle la selle de son vélo 278
d'emprunt et repart. Il a juste 55 secondes de retard sur Sylvère Maës, mais il perdra beaucoup de temps dans la descente et sur le plat avec sa maudite bécane. À Pau, Sylvère Maës rayonnant de bonheur, fête magistralement ses 27 ans en franchissant la ligne d'arrivée sur le cours Camon avec 8'39" d'avance sur le touriste-routier Léon Level qui bat Antonin Magne au sprint. Le succès espéré par le leader français se transforme en débâcle. Comble de malheur, il est pénalisé de cinq minutes pour avoir été ravitaillé par son ami Fontan au contrôle de Sainte-Marie-deCampan. Avec le jeu des bonifications de Maës et sa propre pénalité, Magne perd ce jour-là environ 18 minutes sur son rival. Vervaecke est encore plus mal loti. Son changement de machine et le ravitaillement illicite fourni par sa femme au sommet de l'Aubisque, lui valent une très inéquitable pénalité de onze minutes. Au classement général, avec le jeu des bonus et des malus, Magne est à plus de 26 minutes du premier et le malheureux Vervaecke compte plus de 28 minutes de retard. Une fois de plus le Tour de France a été gagné dans la grande étape pyrénéenne. Comme un damné sur le gril Ainsi, Sylvère Maës, brillant touriste-routier dans le Tour 193411, individuel de réserve de l'équipe belge dans le Tour 1935, l'homme qui gravit les cols à l'arrachée en duo avec Félicien Vervaecke s'apprête à gagner ce 30e Tour de France comme seuls les grands savent le faire. C'est conforme à la logique sportive. Selon Karel Steyaert, Sylvère Maës n'est pas "un artiste de la bicyclette, mais un homme fort, bon à toute épreuve12. "À l'instar de son ami Vervaecke, le style n'est pas sa préoccupation. Le sien sera décrit de manière saisissante en 1939 par le Miroir des sports: "Il pédale à la vacomme-je-te-pousse et, dans les cols, se tortille sur son vélo comme un damné sur le gril". Le style mis à part, Sylvère Maës ressemble à Tonin par bien des aspects. Comme lui il est fils de paysan et connaît la valeur de l'effort, de la subsistance durement arrachée à la terre. Il est sérieux, appliqué, malin et réaliste: "sachant compter en minutes, en se279
condes... et en francs belges et français13 ..." Peu enclin aux actions inconsidérées, à l'exploit pour l'exploit, il est plus soucieux de la prime que de la frime et lorsqu'il gagne "avec panache ", comme disent les journalistes, c'est sans souci esthétique. Il ne répond qu'à une nécessité. Le peloton des Flandriens l'appelle Lepe peer, le père futé. Ce qui lui va comme un gant. Avec ses gains de champion Sylvère Maës a ouvert une brasserie, comme Lucien Buysse, comme son homonyme Romain Maës, comme Félicien Vervaecke. Il l'a baptisée Au Tourmalet parce que L'Aubisque est déjà utilisé par Buysse. Elle est installée à Ghistelles, près d'Ostende, à cinq kilomètres du village de Romain Maës. Sylvère, qui n'est pas un ingrat, reconnaîtra plus tard le rôle bénéfique de Desgrange dans une promotion sociale qu'il n'osait espérer. Du rififi chez les sprinters Après les Pyrénées et la démonstration de Sylvère Maës, le Tour de France est virtuellement terminé. Il n'y a plus qu'à se passionner pour le duel des sprinters comme dans le Tour 1931. Mais cette
fois il ne s'agit plus de Charles Pélissier et de Rafaele Di Paco. Les bolides se nomment Eloi Meulenberg, un grand costaud à la morphologie massive14, et René le Grevès15. Le Champion de France a déjà gagné à Evian et le Belge à Aix-les-Bains. Mais la vraie bagarre a lieu après les Alpes. Le Grevès l'emporte à Marseille, Nîmes, Narbonne et Bordeaux et chaque fois juste devant Meulenberg, d'un souffle, d'un pneu, d'un rien. C'est rageant pour le Belge qui gagne tout de même à Saintes, devant... Le Grevès qui aura le dernier mot à Vire, sans Meulenberg ! Félicien Vervaecke subtilise la deuxième place du classement général à Antonin Magne dans l'étape contre la montre La-Roche-surYon-Cholet, ses équipiers ayant eu la finesse de ne pas lui disputer le sprint pour lui permettre d'empocher la bonification. À Montpellier et à Perpignan, c'est Sylvère Maës qui avait bénéficié de cette aubaine. Mais dans l'étape contre la montre suivante, entre Vire et Caen, les Français l'emportent et utilisent la même stratégie. Magne gagne l'étape et retrouve sa seconde place. La manœuvre n'a pas échappé à 280
Desgrange et à Goddet. L'année suivante, les bonifications dans les étapes contre la montre par équipes seront supprimées. Amer retour Au Parc des Princes, le Luxembourgeois Arsène Mersch, qui a porté le maillot jaune pendant une journée, gagne détaché devant son compatriote le longiligne Pierre Clémens, dont le frère Mathias a remporté l'étape Charleville-Metz. Les trois hommes affirment le renouveau du cyclisme de leur minuscule pays en terminant respectivement Se,4e, et 7e du classement général. Le Français Léon Level, vainqueur à Digne, et second à Pau, remporte le Tour dans la catégorie des touristes-routiers. Les Espagnols, Julian Berrendero, dit El Negro16, lauréat du classement du meilleur grimpeur et Fédérico Ezquerra, 3e, Mariano Canardo, 6e au classement générall? et Emiliano Alvarez, 24e, avaient quitté une Espagne en paix et la retrouveront déchirée par la guerre civile. Lesquels seront Franquistes? Lesquels seront Républicains? Pour Berrendero, on le sait: pendant une journée de repos dans les Pyrénées, il a convoqué la presse afin d'exprimer son émotion et sa colère face à l'agression nationaliste contre la république espagnole. Ce qui lui vaudra une belle ovation au Parc des Princes. La veille de l'arrivée, pendant que la France des usines se bousculait dans les gares, s'égayait en vélo sur les routes de campagne et découvrait les joies du camping et des jeux de plage, le gouvernement socialiste décidait de la non-intervention en Espagne. Uneflèche noire à Berlin Les Olympiades Populaires de Barcelone qui devaient se dérouler à l'initiative de l'Ateneu Enciclopèdic Popular entre le 22 et le 26 juillet, en réaction contre les Jeux Olympiques organisés par Hitler à Berlin, ont été ajournées en raison de la guerre et n'ont donc porté aucune ombre sur la cérémonie d'ouverture, le 1er août, des Xr Olympiades d'été de l'ère moderne. Les nazis conscients du formidable instrument de propagande qui leur est offert l'habillent de tout le faste dont ils sont capables. Hitler ouvre lui-même les Jeux dans un stade plein à craquer, pendant que la cinéaste Leni Riefenstahl filme les 281
délégations nationales qui défilent devant le Fürher. L'équipe de France adresse au dictateur un salut, bras levé, qui déclenchera des polémiques18. L'athlète noir américain Jesse Owens démontre qu'il n'est nul besoin d'être un brillant orateur pour démentir la théorie nazie sur la supériorité de la race blanche. Il remporte les médailles d'or du 100 m, du 200 m, du relais quatre fois 100 mètres, avec l'équipe américaine, et du saut en longueur. Hitler, dit-on, quitta le stade avant d'être obligé de lui serrer la main. Jesse Owens n'en fut sûrement pas bouleversé. Un Noir américain a l'habitude de ces choses-là. En cyclisme, la France truste les médailles, et un certain Guy Lapébie, frère de Roger, qui fera parler de lui dans le Tour de France douze ans plus tard, remporte avec l'équipe de France les médailles d'or sur route par équipes, de poursuite par équipes et termine second de l'épreuve sur route individuelle, derrière son compatriote Robert Charpentier. En septembre, Antonin Magne oublie sa défaite cuisante dans le Tour de France en remportant le Championnat du Monde sur route, à Berne, et son troisième Grand prix des Nations quinze jours plus tard. De quoi acheter quelques vaches "à gros pis" comme dirait Leducq !
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En savoir plus: 1.11y en aura quelques autres après la guerre entre 1947 et 1953. Abd-el-Kader Abbès participa à son deuxième Tour de France en 1951, soit quinze ans après sa première participation. Il arriva après les délais dans la quatrième étape à Paris, après crevaison, et espéra un repêchage qui ne vint pas. Nous avions onze ans, l'âge des émerveillements, et la chance d'avoir un oncle, ancien coureur amateur, qui connaissait le directeur technique de l'équipe d'Afrique du Nord. Nous allâmes à l'Hôtel d'Orsay où l'équipe était hébergée. Et c'est ainsi que nous vîmes, Abd-elKader Abbès, un dieu, parmi d'autres dieux qui s'appelaient Zaaf, Soler, Fernandez, Zelasco, Kabaïli, isolé au bout d'une table de restaurant et pleurant ses dernières illusions dans son potage. Il avait trente-sept ans. Nous étions presque aussi triste que lui et cette scène est restée gravée dans notre mémoire. 2. Pierre Chany, "La Fabuleuse histoire du Tour de France" Editions Nathan 1991 3. "La Véritable histoire de René Vietto" J.P Ollivier. Éditions Glénat. 4. Camille-Jean Fichefet et Jacques Lecoq dans "Cent vedettes sportives belges" Editions Héraly 1942, écrivent ceci: "Avec une unanimité, un empressement décevants, les foules conspuent Romain Maës, démolissent à plaisir l'idole qu'elles avaient adorée un an plus tôt. La L.V.B le suspend, jugeant suspect son abandon.(. ..) Plus tard, trop tard, Romain Maës fut innocenté." 5. Voir le récit du Tour 1933. 6. Cette incapacité à bien descendre les cols était courante chez les grimpeurs spécialistes qui étaient généralement des gabarits légers. Trueba, Berrendero et Ezquerra, grimpeurs remarquables, descendaient médiocrement. Vietto fut une exception. 7. Pierre Chany, "La Fabuleuse histoire du Tour de France" Editions Nathan 1991 8. Malgré son handicap, Jean-Marie Goasmat (né en 1913 à Pluvigner) se construisit un beau palmarès: le Tour de l'Ouest et le grand prix de l'Ouest (1937), le championnat de France militaire et Paris-Vimoutiers (1938), La Polymultipliée (1941), le critérium de France et le Grand Prix des Nations (zone non occupée) en 1942, ainsi qu'une victoire d'étape en 1936 dans le Tour de France. 9. Federico Ezquerra (1909-1986) remporta de nombreuses courses en ligne, et beaucoup d'étapes dans différentes épreuves de son pays entre 1928 et 1943. Il fut champion d'Espagne en 1940. 10. En 1956, Sauveur Ducazeaux (1911-1987), directeur technique de l'équipe régionale du Nord-Centre-Est, accompagnera Roger Walkowiak vers une victoire inattendue mais particulièrement méritée, dans le Tour de France. Il. Sylvère Maës ne fut pas sélectionné dans l'équipe nationale belge du Tour en 1934 et en 1935. La raison en était qu'en 1933 il avait gagné Paris-Roubaix en refusant de laisser la victoire à Julien Vervaecke, coureur-vedette de la fmne Alcyon, ce qui avait déplu à Edmond gentil, PDG de la marque et grand ami de Desgrange. Il fut cependant sélectionné en 1934 dans les touristes-routiers du Tour, gagna la dernière étape à Paris et termina 8eau classement général. L'année suivante, il fut incorporé dans l'équipe belge des individuels, mais termina le Tour dans l'équipe nationale et à la 4e place. 12. "Le Tour a 50 ans" numéro spécial de L'Equipe. 1953. 283
13. Camille-Jean Fichefet et Jacques Lecoq "Cent vedettes sportives belges". Éditions Héraly 1942. 14. Éloi Meulenberg (1912-1989), sprinter belge, remporta 9 étapes dans le Tour de France. Il compte à son palmarès, le Championnat du Monde sur route 1937, LiègeBastogne-Liège 1937, Paris-Bruxelles 1936. 15. Le Savoyard de souche bretonne, René Le Grevès (1910-1946), dit "le Bouledogue du Morbihan" fut l'un des plus grands sprinters français de l'histoire du cyclisme. Il remporta 16 victoires d'étapes dans le Tour. Palmarès professionnel: Paris-Caen 1933 et 1938, Paris-Rouen, 1933, Paris-Rennes 1933, le Circuit de Paris 1935, le Critérium National 1935 et 1937, le Championnat de France 1936, ParisTours 1935, le Circuit du Morbihan 1935. Paris-Sedan 1939. Il se tua accidentellement à St Gervais, son lieu de naissance, le 25 février 1946 lors d'une descente à skis. 16. Julian Berrendero (1912-1995) gagna une étape dans le tour de France 1937 et remporta le Classement du meilleur grimpeur du Tour 1936. On trouve à son palmarès, deux Tours d'Espagne (1941,1942) deux tours de Catalogne (1943,1946) et un Tour de Galice. 17. Mariano Canardo (1906-1987) remporta une étape dans le Tour de France, sept Tours de Catalogne (1928, 1929, 1930, 1932, 1935, 1936, 1939) et un Tour du Pays Basque (1930). 18. Cette attitude de la délégation française en choqua plus d'un. On tenta d'expliquer alors, qu'il ne s'agissait pas du salut nazi, mais de l'antique salut romain. Ne pas confondre!
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Le Tour de France 1936 en un coup d'œil 3ff édition du 7juillet au 2 août 1936 4 438 Kilomètres. 21 étapes dont 16 étapes complètes, 4 par demi-étapes dont 4 demi-étapes contre la montre par équipes, et une par tiers d'étape, dont un tiers d'étape contre la montre par équipes. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. Six jours de repos (Evian, Digne, Cannes, Perpignan, Luchon et Pau) Moyenne du vainqueur: 31.045 km/h. 90 coureurs au départ dont 30 touristes-routiers français. 4 équipes nationales de 10 hommes: Belgique, Espagne-Luxembourg, Allemagne et France. 5 équipes nationales de 4 hommes: Suisse, Hollande, Yougoslavie, Roumanie et Autriche. 43 rescapés dont 25 nationaux, et 18 touristes-routiers à l'arrivée. 1 000 000 de F de prix. Vainqueur: S. MAËS (Belgique). Challenge international: BELGIQUE. Classement du meilleur grimpeur: J.BERRENDERO (Espagne) Les étapes et les vainqueurs 1 Paris-Lille, 258 km : Paul Egli 2. Lille-Charleville, 192 km : Robert Wierinckx. 3. Charleville-Metz, 161 km : Mathias Clemens. 4. Metz-Belfort, 220 km : Maurice Archambaud. 5. Belfort-Evian, 298 km : René Le Grevès. 6. Evian-Aix-Ies-Bains, 212 km : Eloi Meulenberg. 7. Aix-Ies-Bains-Grenoble, 230 km : Theo Middelkamp. 8. Grenoble-Briançon, 194 km: Jean-Marie Goasmat. 9. Briançon-Digne, 220 km : Léon Level 10 Digne-Nice, 156 km : Paul Maye. Il. Nice-Cannes, 126 km : Federico Ezquerra 12. Cannes-Marseille, 195 km : René Le Grevès 13a. Marseille-Nîmes, 112 km : René Le Grevès 13b. Nîmes-Montpellier, 52 km contre-Iamontre par équipes: Sylvère Maës 14a. Montpellier-Narbonne, 103 km : René Le Grevès 14b. Narbonne-Perpignan, 63 km contre-la-montre par équipes: Sylvère Maës. 15. Perpignan-Luchon, 325 km: Sauveur Ducazeaux. 16. Luchon-Pau, 194 km : Sylvère Maës. 17. Pau-Bordeaux, 229 km : René Le Grevès. 18a. BordeauxSaintes, 117 km : Eloi Meulenberg. 18b. Saintes-La Rochelle, 75 km contre-Iamontre par équipes: Sylvère Maës 19a. La Rochelle-La Roche sur Yon, 81 km : Marcel Kint 19b. La Roche sur Yon-Cholet, 65 km contre-la-montre par équipes: Félicien Vervaecke. 19c. Cholet-Angers, 67 km Paul Maye 20a. Angers-Vire, 204 km : René Le Grevès. 20b. Vire-Caen, 55 km contre-la-montre par équipes: Antonin Magne. 21. Caen-Paris, 234 km: Arsène Mersch. Les maillots jaunes (compris demi-étapes et tiers d'étapes) Paul Egli (1). Maurice Archambaud (5). Arsène Mersch (1). Sylvère Maës (20). Classement général final 1. Sylvère MAËS (Bel) en 142h47'32" 2. Antonin Magne (Fra) à 26'55" 3. Félicien Vervaecke (Bel) à 27'53" 4. Pierre Clemens (Lux) à 42'42" 5. Arsène Mersch (Lux) à 52'52" 6. Mariano Canardo (Esp) à 1h03'04" 7. Mathias Clemens (Lux) à 1h10'44" 8. Leo Amberg (Sui) à 1h19'13" 9. Marcel Kint (Bel) à 1h22'25" 10. Léon Level (Fra) à 1h27'57" Il. Julian Berrendero (Esp) à 1h34'37" 12. Sylvain Marcaillou (Fra) à 1h38'06" 13. Louis Thietard (Fra) à 1h47'47" 14. Raoul Lesueur (Fra) à 1h50'15" 15. Albert Van Schendel (Hol) à 1h52'23" 16. Pierre Cogan (Fra) à 1h52'48" 17. Federico Ezquerra (Esp) à 1h54'39" 18. Robert Tanneveau (Fra) à 285
1h57'09" 19. François Neuville (Bel) à 2h01 '16" 20. René Le Greves (Fra) à 2h07'4S" 21. Yvan Marie (Fra) à 2h08'46" 22. Pierre Cloarec (Fra) à 2h13'S3" 23. Theo Middelkamp (Hol) à 2h16'33" 24. Emiliano Alvarez (Esp) à 2h26'00" 2S. Charles Berty (Fra) à 2h28'48" 26. Cyriel Van Overberghe (Bel) à 2h30'14" 27. Alphonse Antoine (Fra) à 2h31 '27" 28. Jean-Marie Goasmat (Fra) à 2h34'22" 29. Arthur Debruyckere (Fra) à 2h34'38" 30. Fernand Lemay (Fra) à 2hS1'49" 31. Albert Hendrickx (Bel) à 2hS7'26" 32. Antoon Van Schendel (Hol) à 3h14'S7" 33. Paul Maye (Fra) à 3h1S'S8"34. Eloi Meulenberg (Bel) à 3h27'32" 3S. Marcel Walle (Fra) à 3h29'14" 36. Raymond Passat (Fra) à 3h33'S8" 37. Sauveur Ducazeaux (Fra) à 3h38'18" 38. Edmond Pages (Fra) à 3h48'26" 39. Gabriel Dubois (Fra) à 4h09'18" 40. Fabien Galateau (Fra) à 4h21'3S" 41. Antoine Latorre (Fra) à 4h23'16" 42. Abdel-Kader Abbes (Alg) à 4h43'33" 43. Aldo Bertocco (Fra) à 4h49'07" er 1 des touristes-routiers: Challenge
Léon Level (France)
international
1e Belgique, 2e Espagne-Luxembourg, 3e France, 4 e Hollande, Se Suisse.
Classement du meilleur grimpeur
1er Berrendero (esp) 132points, 2eS. Maës (bel). 112points 3eEzquerra (Esp) 99
points. ..
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Quelques évènements de l'année 1936 - Fin de la guerre d'Ethiopie. - Fin du procès Stavisky. Sur les vingt inculpés, onze sont acquittés. - En Grande-Bretagne couronnement d'Edouard VIII. - Dissolution des ligues d'extrême droite en France. - Stephen Lux, journaliste Juif allemand, se suicide en pleine séance de la SDN. - En Espagne, victoire du front populaire. - Les troupes allemandes pénètrent en Rhénanie. - Le ravisseur du bébé Lindbergh est exécuté. - Graves affrontements à Jaffa et à Tel-Aviv entre Juifs et Palestiniens. - En France, victoire électorale du Front populaire. - Farouk nouveau Roi d'Egypte, à 16 ans. - Grèves dans toute la France. - Poussée du mouvement rexiste d'extrême droite en Belgique. - L'Italie se retire de la Société des Nations. - En Espagne assassinat de Calvo Sotelo député monarchiste. - La Société des Nations abroge les sanctions contre l'Italie malgré son occupation de l'Ethiopie. - Début de la guerre civile en Espagne le 18 juillet. - Proclamation de la dictature en Grèce. - Seize accusés des premiers procès de Moscou sont exécutés. - XIe Jeux Olympiques à Garmich-Partenkirchen et à Berlin. - Disparition du commandant Charcot en Islande. - En septembre le franc est dévalué de 30 %. - Le quintette du "Hot-Club de France" avec Django Reinhardt et Stéphane GrappelIi, fait danser la jeunesse. - Franco conquiert l'Alcazar et les Légions allemandes "Condor" soutiennent le dictateur espagnol. - Suite à une campagne de calomnies, le ministre français de l'Intérieur Roger Salengro met fin à ses jours. - Le prix Nobel de la paix est attribué au pacifiste allemand Carl von Ossietsky qui croupit dans un camp de concentration nazi. - Jean Mermoz disparaît avec son hydravion "La Croix du Sud" dans l'Atlantique Sud. - Le poète Federico Garcia Lorca est assassiné par les nationalistes espagnols. - Édouard VIII d'Angleterre abdique. - Frank Lloyd Wright réalise "La Maison sur la cascade" en Pennsylvanie. - Henri Langlois et Georges Franju fondent la Cinémathèque française. - Hitler inaugure la première usine Volkswagen. - Les Italiens Certelli et Bini expérimentent l'électrochoc sur le cerveau humain. - L'Américain Kendall découvre la cortisone. - Daimler-Benz construit en série, en Allemagne, la première voiture diesel. - Dans les cinémas: "Le Roman d'un tricheur" de Sacha Guitry, "Les Bas-Fonds" de Jean Renoir, "Les Temps modernes" de Charlie Chaplin, "La Charge de la brigade légère" de Michael Curtiz. 287
- Dans
les librairies: "Mort à crédit" de Louis-Ferdinand Céline, "Le Journal d'un curé de campagne" de Georges Bernanos, "Autant en emporte le vent" de Margaret Mitchell, "Les Beaux quartiers", de Louis Aragon (Prix Renaudot), "L'Empreinte de Dieu" de Maxence Van der Meersch (Prix Goncourt). - Décès de : Rudyard Kipling écrivain anglais, Georges V, Roi d'Angleterre, Ivan Pavlov, savant russe, Roi Fouad d'Egypte, Maxime Gorki, écrivain russe, Luigi Pirandello dramaturge italien. - Naissances de : Jean-Edern Hallier, écrivain français, Ursula Andress, actrice suisse, Raymond Poulidor, coureur cycliste français, Jim Clark, coureur automobile anglais, Claude Brasseur, comédien français, Yves 8t Laurent, couturier français, Philippe Labro, journaliste, écrivain et cinéaste français.
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1937 3ie Tour de France. Du 30 juin au 25 juilleti937 Paris à l'heure de "l'expo" Le président du Conseil Léon Blum renversé par le Sénat le 22 juin, a laissé la place au radical Camille Chautemps. Paris vit depuis le 4 mai à l'heure de l'Exposition Internationale. Consacrée à "L'Art et la technique du temps présent", elle a été ouverte à la hâte dans le quartier de Chaillot où cinquante-deux pays ont installé leurs pavillons de carton, de plâtre, et de staff. Maurice Chevalier, toujours opportuniste, célèbre l'événement en vantant en musique les charmes de "La Petite dame de l'Expo". Dominés par le tout nouveau Palais de Chaillot, les deux pavillons mastodontes, l'Allemand et le soviétique, encadrent le pont d'Iéna et se font face en symbolisant un affrontement futur auquel personne ne pourrait croire. Alors que la France présente l'immense fresque de Raoul Duffy "La Fée Electricité", qui célèbre poétiquement la gloire du progrès technologique, l'Espagne républicaine fait sensation en exposant une toile gigantesque de Pablo Picasso, hommage aux 1 500 morts de la ville basque de Guernica écrasée en avril sous les bombes allemandes de la légion Condor. Trente et un millions de visiteurs auront l'occasion de contempler l'œuvre de Picasso entre mai et novembre. Le 30 juin, malgré la guerre civile qui la ravage, l'Espagne met un point d'honneur à présenter une équipe au départ du 31e Tour de France cycliste. Le retour du patron Si Jacques Goddet reste le Directeur du Tour, et pour longtemps, Henri Desgrange, dont la santé s'est améliorée, en est toujours le maître d'œuvre. Il sera de nouveau omniprésent pendant le déroulement de la grande épreuve. Cette année, toujours obsédé par la peur de la monotonie, il a une fois de plus truffé la course de demi-étapes et de tiers d'étapes. Il y aura donc au total, huit étapes contre la montre dont sept par équipes et une épreuve individuelle. Soit 20 étapes officielles, mais 31 réelles! 289
L'année précédente les Belges s'étaient affirmés très supérieurs dans les étapes contre la montre. Pour cette raison, Henri Desgrange a supprimé les bonus dans ces épreuves, d'autant qu'il a constaté qu'ils font l'objet d'une stratégie qui bénéficie systématiquement au leader de la meilleure équipe. En revanche, il offre aux grimpeurs des bonifications très avantageuses 1. On voit ainsi, qu'en abordant sa 31e édition le Tour est toujours, de tâtonnements en expériences parfois malheureuses, à la recherche de sa formule idéale. Desgrange met en lice quatre équipes nationales de dix hommes, Belgique, France, Allemagne, et Italie, quatre équipes de six hommes, Espagne, Hollande, Luxembourg et Suisse, ainsi que, pour la première fois, une équipe Grande-Bretagne-Canada, représentée par le Canadien Pierre Gachon et par les Anglais Bill Burl et Charles Holland. Aucun d'eux ne terminera l'épreuve. Pierre Gachon fera ce qu'il pourra, mais se révèlera incapable de dépasser la vitesse de 25km/h. Il abandonnera dès la première étape. Comment a-t-il pu être sélectionné? Mystère! Le patron du Tour complète son peloton en ajoutant 31 individuels aux maillots gris agrémentés de bandes de couleurs représentatives de leur nationalité, et qui remplacent les touristes-routiers. Parmi eux, on compte quatre Belges et quatre Italiens. Les individuels seront traités sur un strict pied d'égalité avec les nationaux, ce qui n'était pas totalement le cas précédemment. Depuis 1934 ils étaient pris en charge par l'organisation du Tour, mais ne bénéficiaient pas des vélos jaunes anonymes et leurs conditions de confort étaient inférieures à celles des As. Ils seront désormais logés à la même enseigne. L'équipe nationale sélectionnée par Desgrange comprend d'inamovibles anciens: Lapébie, Le Grevès, Archambaud, Speicher, nouveau Champion de France et quelques coureurs moins prestigieux : Emile Gamard, Pierre Cloarec, Paul Chocque, Louis Thietard, Robert Tanneveau et Sylvain Marcaillou. Vietto, contrarié par des problèmes de genou, n'a pas été sélectionné. Quant à Antonin Magne, il a déclaré forfait et suivra le Tour comme envoyé spécial de Parissoir, tout comme son ami André Leducq. En attendant, c'est lui qui donne le départ au Vésinet en présence de Joséphine Baker. Il rem290
place exceptionnellement "Le Populaire Biscot", acteur et fantaisiste au regard globuleux et au sourire permanent. Engagé par Desgrange depuis plusieurs années comme starter, Georges Biscot, version moderne de Georges Abran, est un peu l'homme à tout faire du Patron. Animateur et auxiliaire de l'organisation, il passe les musettes et pousse les coureurs lors des départs des épreuves contre la montre. "Le joyeux starter, Roi de la pédale" animera également en 1938, pendant le Tour, un radio-reportage sur les ondes de Radio 37, avec la collaboration de l'hebdomadaire Match et en présence de Georges Carpentier, de Jean Gabin et d'Albert Préjean. Le dérailleur, enfin J Cette année, Desgrange et Goddet introduisent deux innovations techniques importantes: les camionnettes de dépannage et le dérailleur. Depuis 1930, un seul véhicule-atelier suivait la course en fin de peloton, généralement à une heure des premiers. Désormais chaque équipe disposera d'une camionnette et de mécaniciens à son service pendant la course. Par un entêtement dont il était coutumier, Desgrange avait proscrit le dérailleur, estimant sans doute qu'il n'y avait rien de plus beau qu'un coureur descendant de selle pour retourner sa roue! L'ancien recordman de l'heure restait imprégné de l'idée-force des premiers âges du Tour, selon laquelle, les coureurs "ces rudes semeurs d'énergie" devaient être d'ingénieux baroudeurs maîtres de leur destin, des surhommes indestructibles, des artisans du vélo à la dextérité sans faille, aussi à l'aise dans le montage d'un boyau que dans la réparation d'un frein. Le retournement de roue appartenait à ce grand principe idéologique. Il était spécifique au Tour de France car il y avait belle lurette que le dérailleur, qui existait déjà avant la Grande Guerre, était utilisé dans les courses importantes, et même par les porteurs de journaux! Curieusement, Desgrange n'imposait cette contrainte qu'aux As ! Jusqu'à l'unification approximative des conditions matérielles des nationaux et des touristes-routiers en 1934, ces derniers étaient autorisés à utiliser les innovations techniques de leur choix. Trueba et 291
Benoît Faure, par exemple, touristes-routiers, isolés, ou individuels, selon les époques, utilisaient le dérailleur, interdit à André Leducq, Antonin Magne et autres seigneurs, ce qui leur donnait un avantage évident en montagne et expliquait, en partie, leurs remarquables performances. Donc, en cette année de grâce mil neuf cent trente-sept, les vélos jaunes fournis par le journal L'Auto à tous les concurrents sans exception, sont munis de dérailleurs anonymes à trois vitesses2. Si elle ne fait pas l'unanimité chez les coureurs, cette importante innovation change la donne. La moyenne horaire du Tour va considérablement s'en ressentir, passant de 31,072 km/h en 1936 à 31,768 km/h en 1937, ce qui, sur une course de 7 heures, représente plus de quatre kilomètres et demi d'écart ! Si tu ne t'intéresses pas à la politique... En 1936 les Italiens s'étaient désistés pour des raisons purement politiques. Cette année ils décident, un mois avant le départ, de participer à la grande épreuve pour des raisons identiques. Mussolini a constaté l'avantage propagandiste que son ami Adolph Hitler a tiré des Jeux Olympiques de Berlin. Pourquoi ne pas tirer profit du prestige de la plus grande course cycliste du monde pour mettre en exergue les qualités sportives de l'Italie fasciste? Les Allemands qui ne brillent pas particulièrement dans le Tour, et qui ont essuyé l'année précédente un échec cinglant, s'obstinent à présenter une équipe chaque année simplement pour affirmer la présence du national-socialisme. Pourquoi les Italiens ne feraient-ils pas de même avec le fascisme? D'autant que la péninsule a la chance de pouvoir présenter des coureurs bien supérieurs aux Allemands et surtout la merveille des merveilles, le jeune Toscan Gino Bartali. S'il gagne le Tour de France, cette victoire rejaillira positivement sur l'image de l'Italie fasciste. Les relations entre le Vatican et Mussolini l'incroyant sont moins idylliques qu'à l'époque des accords de Latran favorables aux Catholiques. Pie XI a publié en mars une encyclique condamnant le national-socialisme. Suivez son regard! Les similitudes entre les doctrines nazie et fasciste sont troublantes et le Souverain Pontife ne peut 292
que s'inquiéter de la déclaration cynique de l'ex-instituteur: "Je prends l 'homme au berceau et je ne le rends au pape qu'après sa mort." Affirmation qui fait de tout Italien un sujet soumis et conditionné par l'état fasciste avant qu'il ne soit reconnu comme enfant de Dieu. Gino Bartali est catholique fervent depuis toujours. Mais la mort de son frère Giulio, champion amateur victime d'un accident mortel en course l'année précédente, a fait de lui un mystique. Par ailleurs, il milite à l'Action Catholique et ne fait pas mystère de ses convictions religieuses. Son attitude envers le fascisme est distante, voire indifférente. La nouvelle étoile du cyclisme italien, qui a d'autres chats à fouetter que d'écouter les discours de l'homme au menton volontaire, ignore encore l'adage: "Si tu ne t'intéresses pas à la politique, la politique, elle, s'intéresse à toi". Il va en constater le bien-fondé. Un Toscan de vingt-trois ans Gino Bartali, fils de paysans de Ponte-a-Ema en Toscane3, tout près de Florence, est un ancien monteur en cycles. Avec son nez cassé, souvenir d'une chute en course à Grosseto trois ans auparavant, on l'imaginerait davantage sur un ring de boxe que sur une bicyclette où pourtant il excelle. Il n'a que 23 ans, mais compte déjà à son palmarès deux Giros d'Italie, un championnat national, un Tour du Pays Basque et un Tour de Lombardie. Sa carrière s'annonce exceptionnelle et en dehors de sa relation avec le Tout-Puissant il s'y consacre corps et âme, ne serait-ce que pour tenter d'oublier la mort de Giulio le frère surdoué, dont on dit qu'il aurait probablement égalé son aîné. En début d'année une broncho-pneumonie a failli envoyer Gino au paradis. Son médecin lui ayant administré une dose de sérum propre à foudroyer un cheval, il s'en était relevé plutôt que d'en mourir. Trois semaines après sa miraculeuse guérison, il prenait le départ du Tour d'Italie malgré la désapprobation de ses médecins, et le gagnait sans discussion. Après cette victoire sensationnelle, Henri Desgrange s'empresse d'inviter Bartali à participer à son Tour de France. Les médecins du Toscan lui conseillent vivement de refuser cette proposition que Gino décline poliment, d'autant que les spécialistes estiment qu'il est impos293
sible de gagner le Giro et le Tour de France la même année. Cette décision qui rend furieuse la presse fasciste, déjà agacée par l'engagement de Bartali à l'Action Catholique, lui vaut une violente campagne de dénigrement qui vise à déstabiliser le champion. Les pressions se succèdent, et débouchent même sur des menaces à peine voilées concernant sa famille. Gino Bartali cède. Bien que les séquelles de sa broncho-pneumonie ne soient pas totalement effacées, il accepte de venir en France. Il s'y rendra accompagné, entre autres, de son ami Camusso et de Martano qui se sont déjà brillamment illustrés dans le Tour. Jules Rossi, vainqueur de Paris-Roubaix, a été sélectionné dans l'équipe nationale italienne à son corps défendant. Fils d'Italiens antifascistes résidant en France, il avait oublié de demander sa naturalisation à sa majorité. Sa victoire revenait donc à l'Italie qui s'empressa d'une part, d'en faire un argument de propagande, et d'autre part, de le sélectionner dans l'équipe nationale dirigée par Monsieur Spositi4 ! La présence des directeurs techniques qui avaient été supprimés en 1930 tend à se généraliser. Karel Steyaert présidait déjà aux destinées des Flamands et Desgrange adjoint cette année un nouveau directeur à l'équipe de France, en la personne du très jeune et très dynamique Jean Leulliot, collaborateur de L'Auto et ancien coureur amateur. Il remplace le controversé Georges Cuvelier, ex-concurrent du Tour de France. Leulliot ne bénéficie pas des mêmes avantages que ses confrères, le Belge Steyaert et l'Italien Spositi, traités comme des seigneurs et qui disposent chacun d'une voiture avec chauffeur. Leulliot voyage dans celle de Jacques Goddet directeur de la course, ce qui ne lui donne pas toute l'aisance nécessaire pour diriger son équipe. En outre, Leulliot doit concilier ses activités de journaliste avec celles de directeur technique et éventuellement d'homme à tout faire. Georges Briquet affirma qu'il surprit un jour le jeune homme lavant lui-même les maillots de ses coureurs! Gino le pieux Maurice Archambaud rêve toujours de remporter le Tour. Pour ce faire il gagne la 2e étape Lille-Charleville, sous la pluie et en aspi294
rant dans son sillage le touriste-routier Godard. Le voici 2e du classement général. Il y sera encore à l'entrée des Alpes où il abandonnera après avoir été renversé par une voiture suiveuse. Il se consolera le 3 novembre en décrochant le record de l'heure sur la piste en bois du vélodrome Vigorelli de Milan. Un record qui tiendra cinq ans, jusqu'à la venue d'un jeune prodige italien nommé Fausto Coppi. Le Tour de France commence vraiment dans le Ballon d'Alsace, où le Champion d'Allemagne Erich Bautz fait cavalier seul. Mais derrière lui, Gino Bartali s'arrache du groupe des poursuivants, distance les favoris et arrive 3e au sommet avec une facilité humiliante. L'impression de puissance et de légèreté qu'offre le champion italien, est telle, qu'Henri Desgrange estomaqué en oublie Erich Bautz et déclare à un journaliste de Match: " Je me moque du classement, je n'ai jamais rien vu d'aussi beau que Bartali dans le Ballon d'Alsace5." Cette réaction est sincère et marque le commencement d'une affection admirative qui ne se démentira pas. On commence à comprendre que la venue de Gino Bartali, à qui ses pratiques religieuses ostentatoires valent immédiatement le surnom de Gino le pieux, n'est pas une apparition. On saisit également que sa prestation du Ballon d'Alsace n'a aucun caractère miraculeux, et qu'elle est due essentiellement à la force de ses mollets racés et à un rythme cardiaque qui épate la Faculté. Dans le Ballon d'Alsace, Bartali s'est contenté de signaler qu'il faudrait compter avec lui. Sans plus. Dans l'étape Aix-les-Bains-Grenoble, un Parisien de vingt-six ans, Pierre Gallien, deux fois vainqueur du Tour de Roumanie, passe en tête au col du Télégraphe et attaque le Galibier en solitaire. À trois kilomètres du sommet, Bartali se dresse sur ses pédales et sprinte furieusement en martyrisant son vélo. En quelques centaines de mètres, il fond sur Gallien et le distance. Alors qu'une foule agitée et de plus en plus dense n'offre qu'un étroit passage aux coureurs, il arrive seul au sommet enneigé et s'engouffre dans le tunnel, salué par ses supporters italiens en délire. C'est la manière Bartali : pas d'effort inconsidéré, mais des accélérations assassines juste au bon moment, suivies d'un sprint-estocade qui laisse ses adversaires sur place et les atteint au moral. Rejoint par Camusso dans la descente, il résiste au peloton de ses poursuivants, Maës, Lapébie, Vicini, Vissers, Gallien, Marcail295
lou, et arrive détaché à Grenoble, Camusso s'étant astucieusement laissé décoller pour lui permettre d'empocher la double bonification6. À l'arrivée, il enfile le maillot jaune. Son avance sur le second, Vissers, est de 9'18", et sur le troisième, Bautz, de 9'55". Ce qu'il vient de réaliser là est un pur chef-d'œuvre de stratégie et de roublardise psychologique. De ceux qu'on analyserait sans fin devant les étudiants des écoles supérieures de cyclisme... si elles existaient. Bartali est au-dessus des autres, comme le sera Coppi douze ans plus tard, et l'on ne voit pas très bien qui, ni quoi, pourrait l'empêcher de ramener le maillot jaune à Paris. Une facétie du destin? Peut-être? Elle se présentera le lendemain entre Gap et Briançon. Un pont de bois sur /e torrent Cou/eau Au départ de Grenoble, Henri Desgrange, avec ses chaussettes montantes et ses éternels knickers serrés aux genoux, pose en souriant pour les photographes de presse en compagnie de Bartali et de Camusso. Il semble heureux, et tient les deux Italiens par les épaules dans un geste affectueux de patriarche fier de ses fils. Bartali radieux et moulé dans son maillot j aune tout neuf, porte autour du cou une médaille de sainte Thérèse, qui ce jour-là lui évitera le pire, ou ne le protègera guère, selon qu'on croit au ciel ou qu'on n'y croit pas. Bartali démontre une fois de plus sa très grande classe, en passant détaché au sommet de l'historique côte de Laffrey, mais après Gap c'est l'Allemand Weckerling, vainqueur du Tour d'Allemagne, qui passe en tête au sommet du col Bayard et fonce vers Briançon en compagnie du Hollandais Van Schendel. Les deux hommes sont talonnés par un petit groupe de coureurs qui abordent la longue descente sinueuse vers Saint-Clément-sur-Durance. Roger Lapébie, Gino BartaIi et ses équipiers, Francesco Camusso et Jules Rossi, sont parmi eux. Ces regroupements de descente sont très dangereux et nécessitent de la part des coureurs une vigilance accrue. Après un virage, les hommes s'apprêtent à traverser un pont de bois qui enjambe le torrent Couleau, un modeste affluent de la Durance gonflé par l'averse qui vient de s'abattre sur le peloton. Soudain, Rossi dérape sur une tache d'huile et accroche violemment Camusso et Bartali. Les trois hommes percutent le garde-corps. Bartali bascule dans le vide et plonge dans le 296
torrent suivi de Camusso et de Jules Rossi: "Avant de tomber, dira Rossi, j'ai vu Bartali effectuer un vol plané de trois mètres, passer par-dessus le parapet et s'effondrer dans le torrent, quatre mètres plus bas7 ! " Pendant que Lapébie voit en passant le champion italien "marcher dans l'eau", Camusso se précipite, l'agrippe par le maillot avant qu'il ne soit emporté par les flots, et le hisse hors du torrent avec l'aide d'un bûcheron qui se trouve-là. Bartali, livide, asphyxié, replié sur luimême, reste prostré un long moment. Le sang coule le long de son genou gauche et de l'un de ses bras, et sa poitrine lui fait affreusement mal. À cet instant, il songe à abandonner. Son équipier le pressent. Blessé à la jambe, il oublie un instant sa propre douleur pour exhorter Gino à repartir. Après examen, Camusso constate que, par bonheur, les vélos sont presque intacts. Aidé du bûcheron, il relève son ami et le remet en selle avant d'enfourcher sa propre machine, pendant que Jules Rossi, hébété, assis sur le bord du pont, assiste impuissant au départ des deux éclopés. Pour lui le tour est fini. Il repartira pourtant, mais abandonnera peu après. Camusso le bon Samaritain, assiste Bartali, l'encourage de la voix et du geste, le pousse dans les côtes, le tire par son maillot jaune taché de sang, l'entoure affectueusement de son bras en lui promettant une arrivée imminente. Pieux mensonge: elle est encore à plus de trente kilomètres. Les deux hommes arrivent enfin à Briançon après bien des souffrances, en compagnie de Vissers et de Canarda. Weckerling le vainqueur a passé la ligne depuis 9'29". Bartali descend de selle épuisé, tuméfié, démoralisé. Mais il est toujours leader, avec deux petites minutes d'avance sur Bautz. Retour en Italie L'étape du lendemain entre Briançon et Digne devait logiquement assurer le triomphe du Toscan. En réalité, elle le voit à la peine sur les pentes terribles du géant Izoard, pendant que Berrendero caracole dans le décor lunaire de la Casse déserte. L'Italien, mal remis de son traumatisme de la veille, passe au sommet plus de trois minutes après l'Espagnol, et son retard s'aggrave dans les cols de Vars et d'Al297
los. À Digne, Bartali termine l'étape en compagnie de Berrendero, Cosson, et le fidèle Camusso, 22 minutes après le vainqueur, l'étonnant Roger Lapébie, grimpeur moyen, mais qui l'emporte à la manière de Leducq, grâce à la descente et à la portion de plat qui suivent la dernière difficulté. Le routier-sprinter français, dont les qualités de descendeur et de rouleur sont remarquables, domine ce jour-là les grands grimpeurs que sont Berrendero, Vervaecke, Gallien et l'individuel aux cheveux carotte, Vicini, grande révélation de ce Tour de France8. C'est d'ailleurs cet Italien inconnu qui endosse le maillot jaune à Digne, vers 17 heures. .. car à 18 heures, le maillot passe sur les épaules de Sylvère Maës à la suite d'une étourderie des organisateurs qui n'avaient pas pris en compte une pénalité d'une minute infligée la veille à Vicini9. Finalement, l'Italien et le Flamand, malgré un écart de 35 secondes, repartiront tous les deux de Digne avec le maillot jaune! Ce qui, dans ces conditions précises, est unique dans les annales du Tour de France. Bartali est à dix minutes du premier. Le Tour est-il perdu pour le Toscan? Ce n'est pas son avis et il confie à Raymond Ruttier pendant la journée de repos de Digne: " Dans quelques jours j'aurai retrouvé tous mes moyens et les Pyrénées me permettront de reprendre ma place en tête du classement général. " Fanfaronnade de Transalpin? Peut-être? Mais le lendemain, Bartali enchante ses tifosis en remportant le sprint du peloton à Nice, à 1'46" de Vervaecke, malgré ses blessures et les séquelles de sa broncho-pneumonie qui le font tousser comme un vieillard catarrheux. Les Italiens se prennent à espérer. La journée de repos à Nice va retaper leur champion et l'on va voir ce que l'on va voir! Malheureusement, dans la première demi-étape suivante, entre Nice et Toulon, Bartali, affaibli par la chaleur, décroche et perd plus de trois minutes. La demi-étape entre Toulon et Marseille est courue contre la montre par équipes. Desgrange, au gré de sa fantaisie, a regroupé les coureurs en six équipes hétéroclites. Le Miroir des sports dénonce ces "salades internationales" : "Les Français étaient complétés par les Suisses; les Italiens se voyaient secourus par les Luxembourgeois et le seul rescapé hollandais; les Espagnols étaient avec les Allemands, 298
rapprochement qui ne manque pas d'un certain piquant; les Belges prenaient en charge le coureur anglais Holland et les individuels étaient répartis en deux groupes selon leur place au classement général. " Bartali perd environ cinq minutes, bien qu'il termine premier des Italiens. Il est maintenant 6e au classement général à presque 17 minutes du maillot jaune, Sylvère Maës. Mais il ne désarme pas et ne manifeste aucunement son intention de renoncer. Malheureusement, le soir, à l'hôtel, le Toscan apprend de la bouche de Spositi accompagné de plusieurs officiels italiens, qu'il doit abandonner. Les ordres viennent d'en haut. Il n'y a pas à protester. Il n'est pas acceptable pour l'état fasciste que son champion termine dixième ou quinzième au Parc des Princes, alors qu'il attend de lui un triomphe indiscutable. Bartali est blessé, donc il est légitime qu'il abandonne. C'est la version officielle. Les fascistes n'ont rien à faire du courage et de la loyauté d'un champion s'ils ne sont pas utiles à leur cause. Le lendemain, Bartali obtempère et prend le train à la gare Saint-Charles, sans manquer de saluer préalablement Henri Desgrange assez peu habitué à recevoir des signes d'affection de la part de ses coureurs. Le vieux lion, très ému, le remercie en lui certifiant qu'il se fait une joie anticipée de sa victoire dans le Tour 1938. Un second Tour de France commence alors. L'un des plus mouvementés de son histoire. De l'eau dans le gaz À Marseille, Roger Lapébie est 2e au classement général à 2'53" de Sylvère Maës. Ce peut être considéré comme un miracle, lorsqu'on sait que, victime d'une hernie lombaire préoccupante, il avait failli ne pas prendre le départ du Tour. Quel Champion ce Lapébie ! Quelle énergie! Quelle classe! À vingt-six ans, il s'est déjà constitué un palmarès remarquable: trois Paris-Saint-Etienne, le Championnat de France et le circuit du Morbihan 1933, Paris-Nice et deux fois le critérium national. Il a même remporté Paris-Roubaix en 1934, pendant quelques minutes, jusqu'à ce que les juges le déclassent pour avoir utilisé un vélo de femme, 299
puis un vélo d'homme, empruntés dans les derniers kilomètres. On lui reconnaît les mêmes qualités qu'à Leducq et Speicher: il roule bien, sa pointe de vitesse est redoutée et il descend les cols comme ses illustres compagnons, c'est-à-dire comme un fou. L'ex-miroitier Lapébie est l'antithèse vivante de Bartali le pieux. Il goûte sans complexes aux plaisirs de la vie, aime les mets capiteux
- il
ne sera végétarien qu'un
peu plus tard - et ne néglige pas de jeter des regards gourmands aux jeunes femmes qui embrassent ses joues maculées de boue aux arrivées victorieuses. Sa trogne rubiconde d'épicurien heureux lui vaut les faveurs du public populaire qui lui trouve une bouille sympathique. Lapébie est doté d'une forte personnalité et ne mâche pas ses mots, ce qui ne lui attire pas que des amis. C'est un gagneur, un malin. Grâce a lui Vietto mérita ses galons de martyr dans la descente de Puymorens, en 1934. Arrivé le premier à l'instant où Antonin Magne cassait sa roue, Lapébie "avait oublié de le voirlO" en laissant le soin à Vietto de dépanner le maillot jaune. Après avoir rejoint Martano, il gagnait à Ax-les-Thermes malgré une blessure au mollet gauche, pendant que Vietto entrait dans la légende! Dans ses bons jours, Roger Lapébie grimpe honorablement, bien qu'il descende encore mieux. Comme dans la ge étape, BriançonDigne, avec l'Izoard, le col de Vars et le col d'Allos au programme, où il a épaté les meilleurs en arrivant détaché à Digne avec plus de deux minutes d'avance sur Félicien Vervaecke, grimpeur attitré de l'équipe belge. Mais bientôt, le peloton abordera les Pyrénées où Silvère Maës et Vervaecke se montreront sûrement meilleurs que lui. Sans oublier qu'il reste six demi-étapes contre la montre par équipes, dans lesquelles les Flamands sont infiniment supérieurs. L'an dernier ils en avaient remporté quatre sur cinq! C'est le moment que choisit Henri Desgrange, qui craint que l'hégémonie flamande ôte tout intérêt à sa course, pour commettre une de ces décisions arbitraires dont il a le secret: les demi-étapes contre la montre sont supprimées, à l'exception de La Rochelle-La RocheGuyon, courue par équipes, et Vire-Caen qui sera une épreuve contre la montre individuelle. Ainsi en a décidé le despote qui n'est pas réputé pour ses reculades. 300
La nouvelle fait l'effet d'une bombe chez les Flamands. Si Henri Desgrange voulait leur faire perdre le Tour de France, il ne s'y prendrait pas autrement. Une chape de plomb s'abat sur la course. À Montpellier, Lapébie a grignoté une poignée de secondes à Maës. Il est toujours 2e du classement général, mais seulement à 2'18" du maillot jaune. Après la ronronnante première étape Pyrénéenne, le Français conserve le même écart. Une folle journée Avant le départ de Luchon-Pau, l'étape des quatre cols - Peyresourde, Aspin, Tourmalet et Aubisque - Jean Leulliot impose à ses coureurs une séance d'échauffement pendant laquelle Lapébie s'affale sur la route, son guidon brisé entre les mains. Il est K.O, mais n'est pas blessé. Revenus de leurs émotions, Leulliot et Lapébie se rendent vite à l'évidence: le guidon du chef de file français a été scié. Les bavures du sciage sont parfaitement visibles. On baigne en plein roman policier. Quel enfant de salaud a pu faire cela? C'est sûrement la question que se posent les tricolores. Et ils pensent connaître la réponse, bien qu'ils ne l'officialisent pas: c'est un coup des Belges. Après enquête, cette assertion se révéla plausible: le mécano de l'équipe de France étant un Belge de la firme Alcyon. La tension est à son comble. Lapébie doit changer de guidon à la hâte, mais celui que son mécanicien adapte sur sa machine ne comporte pas de porte-bidons. Ce détail n'est pas anodin. Le Français a bien reçu sa musette bourrée de tartelettes et de fruits, mais comme il répugne à placer des bidons dans les poches de son maillot, il n'a rien à boire et surtout ne peut se faire approvisionner en boisson hors ravitaillement, règlement oblige. Cette absence de porte-bidons sera assimilée par un reporter à une astuce de Lapébie pour alléger son vélo! Dès le départ, le Français perd du terrain sur les Belges qui l'attaquent en force, et dans Peyresourde il lâche prise. En haut du col, son retard sur Maës est de 2 minutes. Au sommet d'Aspin, il a plus que doublé. Lapébie est à la dérive, démoralisé, au bord de l'abandon. Paul Chocque, qui l'a rejoint, joue alors le rôle de Camusso auprès de Bartali, et fait son possible pour le réconforter. 301
Après la descente d'Aspin, Lapébie attaque le Tourmalet à l'énergie, mais il va mal, et songe à nouveau à l'abandon. Jean Leulliot, depuis la voiture décapotable de Goddet, vient à sa hauteur et le convainc de n'en rien faire. Au sommet, le retard du champion est de 6'47". Les suiveurs l'informent que devant, Maës qui roule en compagnie de Vissers, Cosson, Vervaecke, Berrendero et Vicini, à été victime d'une crevaison et qu'il donne des signes de très grosse fatigue. Cette bonne nouvelle galvanise le Français. Dans la descente du Tourmalet, qu'il dévale à une allure vertigineuse, il crève. Chocque lui passe sa roue. Au contrôle d'Argelès son retard n'est plus que de trois minutes. Déchaîné, poussant un développement énorme, il jette alors toutes ses forces dans la bataille, en compagnie de Chocque, Camusso, Van Schendel, Cosson, Marcaillou et Disseaux regroupés au hasard des péripéties de la course. Au pied du Soulor, Sylvère Maës complètement découragé, est rejoint. Évoquant ce moment intense, l'envoyé spécial du Miroir des sports s'écrie: ''Ah qu'il était beau, en ce moment-là, notre Roger! ses épaules et ses bras athlétiques gonflés par l'effort, sa tête un peu penchée sur le côté, ses cuisses massives pilonnant les pédales. Il ne ressemblait pas du tout au Lapébie désemparé et geignant que nous avions vu quelques instants auparavant dans le Tourmalet." Lapébie crève à nouveau, mais grâce à Sylvain Marcaillou qui lui donne sa roue il revient une fois encore sur Sylvère Maës. Au sommet de l'Aubisque, Vicini passe en tête, suivi de Berrendero. Lapébie, accompagné de Sylvère Maës, n'est pas loin. Mais l'Italien perce dans le nuage de poussière de la descente, et sur le plat Berrendero résiste et arrive seul à Pau. Quarante-neuf secondes plus tard, Lapébie, Vicini, Cosson, Canardo, Sylvère Maës, Frechaut et Camusso, se présentent à l'arrivée. Le Bayonnais Il, dans un ultime coup de rein, gagne le sprint et empoche la bonification due au second de l'étape. Grâce à ce magistral retournement de situation qui est la griffe d'un très grand champion, Lapébie n'est plus qu'à 1'33" du maillot jaune et peut légitimement manifester sa joie. Elle sera de courte durée. À Pau pendant la journée de repos, alors qu'en compagnie de Georges Briquet il savoure des spécialités béarnaises dans un petit 302
restaurant de sa connaissance, les juges décident de lui appliquer une pénalité de 90 secondes, dont une minute âu motif qu'il a bénéficié d'un ravitaillement organisé, principalement par sa famille, et 30 secondes pour avoir été poussé dans le Tourmalet. C'est vrai, il le fut ! Mais la plus spectaculaire poussette fut la moins remarquée. Le vigoureux pousseur resta anonyme jusqu'à l'aveu tardif de Roger Lapébie évoquant son calvaire dans cette étape étourdissante: "... deux kilomètres plus loin, ça n'allait toujours pas, il y a un pont et tout de suite après, un virage aigu. C'est là que se trouvait Felix Lévitan. On ne s'est pas dit un mot. Nos regards se sont croisés. Il a compris. En courant, il m'a poussé des deux mains, longtemps. Personne ne pouvait . . nous vOirgrace au virage.12" Personne? Peut-être! Mais il y eut d'autres poussettes plus visibles. D'où la pénalité de trente secondes en dépit du fait que le coup de main de Félix Lévitan, ami de Lapébie, journaliste à Match et futur Directeur adjoint du Tour de France, soit passé inaperçu! Lapébie et toute l'équipe de France menacent d'abandonner. Ils n'en feront rien grâce aux exhortations de Desgrange, mais la décision des commissaires provoque la colère des partisans du champion français. À Pau, les dirigeants du Tour reçoivent des centaines de télégrammes de protestation et de menace. "Ce fut un beau "Tollé" à Bordeaux, écrit Georges Briquet. On ne parlait rien moins que de molester les commissaires et de saboter le Tour III... Dans l'étape, PauBordeaux, certaines voitures affichèrent même des pancartes portant ces mots: "Nous ne sommes pas des commissairesl3. " Georges Briquet, qui avait défendu Lapébie, reçoit des lettres d'insultes par dizaines, accompagnées de regrets belges d'avoir aidé la France en 14-18 ! '"
Les Belges prennent le train L'écart est maintenant de 3' 03" entre Lapébie et Maës, et le Tour de France baigne dans un climat nauséabond. Le lendemain, la caravane fait étape à Bordeaux, et Lapébie estime qu'il doit absolument réaliser un coup d'éclat dans la ville où il réside depuis sa petite enfance. L'occasion se présente à quarante kilomètres du but où Sylvère Maës est victime d'une crevaison. Il est 303
attendu par deux de ses équipiers et par deux individuels belges appelés à la rescousse par Karel Steyaert, ce qui vaudra 15 secondes de pénalité au maillot jaune, malgré ses protestations. Pour comble de malheur un passage à niveau s'est fermé au mauvais moment ou au bon, c'est selon. Lapébie profite judicieusement de l'aubaine, et fonce avec un groupe dans lequel les Belges sont absents. Après un passage à vide, il arrive second au vélodrome de Bordeaux, sept secondes après le vainqueur, son ami Paul Chocque, qu'il avait délégué pour empocher la bonification. Sylvère Maës, furieux, se présente sur la piste 1'45" plus tard en compagnie du gros peloton. Grâce à sa bonification, Lapébie n'est plus qu'à 25 secondes de son rival. La pénalité infligée au chef de file flamand est la goutte de bière qui fait déborder la chope. Les Belges se plaignent amèrement et énumèrent les péripéties. Pour commencer, Desgrange supprime les épreuves contre la montre par équipes. Ensuite, Lapébie est scandaleusement poussé et ravitaillé dans le Tourmalet et n'écope que de 90 secondes de pénalité, alors que Sylvère Maës a été sanctionné de 15 secondes pour une banale histoire d'aide illicite. Comment ne pas se souvenir que l'année précédente Vervaecke fut pénalisé de Il minutes pour un problème de ravitaillement et d'ennui mécanique au sommet de l'Aubisque. Puis il y eut ce passage à niveau, un peu trop providentiellement fermé devant les Flamands. Pour couronner le tout, le soir en arrivant à l'hôtel, ils sont victimes d'une agression de supporters bordelais excédés par la pénalité infligée à Lapébie, et dont ils attribuent la responsabilité aux Belges. Ces derniers sont bousculés, insultés, molestés, et le futur champion du Monde sur route, Meulenberg, affirme même qu'ils ont reçu du poivre dans les yeux! Décidément, trop c'est trop. Le soir, dans un climat de fin du monde, les Flandriens réunissent un conseil de guerre et menacent d'abandonner si la pénalité n'est pas retirée à Sylvère Maës. Elle ne le sera pas. Le lendemain matin, les hommes de Karel Steyaert ne se présentent pas sur la ligne de départ. Malgré la tentative de médiation de Jacques Goddet et les exhortations de leur mentor belge, rien n'y fait. De Bordeaux, l'Escadron noir prend le train pour Paris, puis pour Bruxelles avec vélos et bagages, entraîné par Sylvère Maës et Félicien Vervaecke qui n'en finissent plus de ruminer leur colère. 304
À la gare de Bruxelles où la réception des héros-martyrs manque de tourner à l'émeute, ils apprennent qu'une large souscription a été lancée en leur faveur par les journaux pour les récompenser de leurs efforts et les dédommager de leurs déboires. "En quatre jours, le montant des prix du Tour était largement dépasséI4." Lapébie le rebelle Le peloton qui possédait deux leaders à Digne repart cette foisci sans maillot jaune et dans une ambiance délétère. Le Tour est-il terminé? Pas encore. Vicini, le rouquin de Cesena, n'est qu'à 2'54". Mais l'épreuve aborde la plaine, terrain de prédilection du champion français. Dans le premier tiers d'étape BordeauxRoyan, il est second derrière l'Allemand Erich Bautz et enfile enfin le maillot jaune qu'il aurait dû logiquement porter au départ de Bordeaux. Il remporte un peu plus tard le troisième tiers d'étape à La Rochelle et récidive le lendemain dans la première demi-étape, La Rochelle- La Roche-sur-Yon, courue contre la montre, par équipes. Vicini est maintenant à 5'05". Dans Rennes-Vire, les commissaires administrent le coup de grâce à l'Italien: il est pénalisé de deux minutes pour aide illicite du national italien Romanatti, après crevaisonIS. Les dieux du vélo sont avec Lapébie ! Dans l'avant dernière étape, courue contre la montre en solitaire, le Bordelais d'adoption, malgré une défaillance terrible, reprend encore douze secondes à son rival italien, qui tentera en vain un baroud d'honneur le lendemain, en attaquant le maillot jaune à proximité de Paris, dans la côte du Cœur-Volant. Mais Lapébie est décidément trop fort, et malgré un saut de chaîne dans les ultimes hectomètres, c'est en grand vainqueur qu'il pénètre sur la piste du Parc des Princes. Dans les gradins, Bartali, nostalgique, assiste au triomphe du Français en rêvant à sa probable victoire de l'année suivante. L'individuel italien Vicini, deuxième au classement général, gagne le Tour de France dans sa catégorie, alors que le Belge Vissers, également individuel, venge ses compatriotes de l'équipe nationale en remportant l'étape. On épiloguera longtemps sur ce Tour extravagant, tumultueux et passionnant de bout en bout. Si Bartali n'était pas tombé... Si les Bel305
ges n'avaient pas abandonné à Bordeaux... Si Lapébie n'avait pas été poussé dans le Tourmalet... Si Desgrange avait maintenu les étapes contre-la-montre... Si... Mais que serait la plus grande épreuve cycliste du monde en l'absence de péripéties, de malchances, de surprises, de coups de théâtre, de rebondissements heureux ou malheureux, de coups tordus et même d'injustices flagrantes? Lapébie fut un beau vainqueur, malgré ce qu'on en disait, et en dépit de ce qu'en pensait Henri Desgrange. On l'invita peu dans les critériums d'après-Tour. Il est vrai qu'il avait revendiqué une présence de tous les membres de l'équipe de France dans ces coursesexhibitions qui, traditionnellement, arrondissent les revenus des coureurs. Desgrange n'aime pas les revendications, et encore moins les champions insoumis au parler franc, comme Henri et Francis Pélissier, comme Lapébie. Il n'aime pas davantage ceux qui s'immiscent dans les brèches, qu'il s'épuise à combler, de son sacro-saint règlement, et il dénonce dans L'Auto les méthodes de Leulliot, qu'il a pourtant placé à la tête de l'équipe de France. Le jeune directeur technique, debout sur le marche-pied d'une berline décapotable, informe ses coureurs comme le ferait un copilote de course automobile. Il hurle des encouragements, indique les braquets à utiliser et renseigne son équipe sur la configuration du parcours. C'est un expert en mécanique cycliste, ce qui ne convient guère au Père du Tour: " Desgrange va également reprocher à Leulliot, écrit Pierre Chany, d'avoir contourné le règlement en faisant fabriquer des moyeux arrière à double filetage permettant aux Français de profiter de 6 vitesses. Les Belges n y avaient pas pensé, le règlement non pIUS16".Quand on sait que les dérailleurs fournis aux coureurs ne comportaient que trois vitesses, on peut imaginer que, dans l'esprit de Desgrange, l'astuce technique de Leulliot put être assimilée à une tricherie. Le contoumement de son règlement ne permettait pas à Desgrange de faire annuler la victoire de Lapébie, ce qui aurait risqué de provoquer une émeute à la suite d'un Tour de France déjà très mouvementé. Il se contenta de sanctionner le champion en ne le sélectionnant pas pour le Tour 193817.Ce que Jacques Goddet confirmera seize ans plus tard: "HD avait barre sur les coureurs. Quand ilfut persua306
dé que Roger Lapébie, en 1937, n'avait pas respecté la règle, il décida sans hésiter d'exclure du Tour suivant celui qui venait de rapporter à Paris le maillot jaunel8." Mais, d'après Lapébie, les démarches du tout-puissant Karel Steyaert auprès d'Henri Desgrangel9 ne furent pas étrangères à une décision peut-être sous-tendue par des raisons plus obscures qu'on pourrait déceler dans cette déclaration attribuée au champion rebelle: "Nous n'étions que du bétail. On voulait que nous nous conduisions comme des esclaves et que nous courions comme des morts. Moi, j'aimais la vie, la vie c'était le vélo et je ne pouvais pas supporter
des pratiques
pareilles20
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000"
En savoir plus: 1. Cette année-là, le système des Bonifications se présentait ainsi: 1'30" et 45" aux deux premiers de l'étape. En cas de victoire en solitaire, une bonification égale à l'avance sur le second est accordée avec un maximum de deux minutes. La même bonification est prévue au sommet des cols avec un maximum de quatre minutes. 2. Ces dérailleurs anonymes étaient de marque "Super-champion". C'était un secret de Polichinelle. 3. Le père de Gino Bartali fut, par la suite, terrassier, puis maçon. 4. Relaté par Henri Quiqueré et Arnaud Pauper dans "100 ans de Paris-Roubaix". Éditions Flammarion 2002. Jules Rossi (1914-1968), vainqueur de Paris-Roubaix 1937 remporta la classique, Paris-Tours, en 1938 et fut à nouveau sélectionné dans l'équipe nationale italienne du Tour de France la même année. Il remporta également Paris-Saint Etienne en 1936, et le Grand Prix des Nations en 1941. Bien qu'il fit l'essentiel de sa carrière en France et qu'il y résidait, il resta Italien. Il mourut à Champigny-sur-Marne. 5. Cité par JP Ollivier dans "Le Lion de Toscane" Biographie de Gino Bartali, éditions Glenat. 6. Voir 1. 7. Le Tour a 50 ans. Numéro spécial de L'Equipe1953. 8. Vicini (1913-1995) remporta le Tour de Toscane en 1938 et le Tour du Latium en 1939. Il termina 2e du Tour de France 1937 comme individuel, et 6e en 1938 dans l'équipe nationale italienne. En 1939 il termina à la troisième place du Tour d'Italie, et à la quatrième place en 1940, après avoir gagné deux étapes. 9. Il fut décidé d'attribuer le maillot jaune aux deux hommes, pour éviter au public de voir Vicini repartir de Digne, après la journée de repos, avec un maillot gris, alors que le maillot jaune lui avait été attribué l'avant-veille! 10. Selon Vietto, cité par Dominique Kerebel dans "Le Tour de France et les Pyrénées". Éditions Cairn 2001. Il. Lapébie (1911-1996) qui passait pour être Bordelais était né à Bayonne. 12. Cité par Pierre Chany dans "La Fabuleuse histoire du Tour de France". Éditions Nathan 1991. 13. Georges Briquet" Ici, 60 ans de Tour de France. Éditions "La Table Ronde" 1962. 14. Camille-Jean Fichefet et Jacques Lecoq dans "Cent Vedettes sportives belges". Éditions Heraly 1942. 15. Pénalité à comparer avec les légères 15" infligées à Sylvère Maës pour la même faute. Ce qui tendrait à démontrer que les pénalités étaient appliquées parfois de manière "politique". 16. "Roger et Guy Lapébie"de JP Ollivier. Éditions Glenat. 2000. 17. Dans le Miroir des sports, à l'automne 1938, Georges Briquet déclare allusivement que Roger Lapébie n'a pu participer au Tour 1938 "par suite d'un concours de circonstances sans précédent". Et il ajoute un peu plus loin: "son abstention dans le Tour de France avait été achetée au prix de contrats avantageux pour les six jours de Paris et diverses courses au Vélodrome d'hiver". On ne peut être plus clair. 308
18. Jacques Goddet, dans un long article du précieux numéro spécial de L'Equipe, "Le Tour a 50 ans", décrit les phases évolutives du Tour de France et évoque l'éviction de Roger Lapébie. Dans la réédition de cet article (numéro spécial de 1978 "Le Tour a 75 ans"), le paragraphe en question a disparu. 19. Dans "Roger et Guy Lapébie", Editions Glenat, 2000, Jean-Paul Ollivier rappelle ce souvenir de Roger Lapébie : "Je ne sais pas encore qu'ils ont accroché ma photo dans tous les bars de Belgique. C'est un jeu. Il faut me crever les yeux avec des fléchettes. Je ne peux pas deviner que l'année suivante, en 1938, Karel Steyaert obtiendra de son égal, Henri Desgrange, que je ne sois pas invité." 20. Déclaration citée dans le numéro hors série du Miroir du cyclisme "Tour de France 1903-1987 "Les vainqueurs". Dans le même numéro, on peut lire une déclaration de Nicolas Frantz, interrogé deux ans avant sa mort: "Il faut savoir le pouvoir qu'avaient les marques et les organisateurs à cette époque. Et je n'en tiens pour preuve qu'en 1938, Roger Lapébie qui avait gagné le Tour en 37 n'a pas été engagé parce que cela ne plaisait pas au directeur de L'Auto!" .
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Le Tour de France 1937 en un coup d'œil 3Ie édition du 30 juin au 27 juillet 1937 4 415 km. 20 étapes dont 12 étapes complètes, 5 par demi-étapes dont 1 demi-étape contre la montre par équipes, et 3 par tiers d'étapes dont un tiers d'étape contre la montre par équipes et un tiers d'étape contre la montre, individuel. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. 6 jours de repos (Genève, Digne, Nice, Perpignan, Luchon et Pau) Moyenne du vainqueur 31.768 km/h (record). 98 coureurs au départ dont 31 individuels, 23 Français, 4 Belges et 4 Italiens. 4 équipes nationales de 10 hommes: Belgique, Italie, Allemagne et France. 4 équipes nationales de 6 hommes: Suisse, Hollande, Luxembourg, Espagne. 1 équipe de 3 hommes (Grande-BretagneCanada). 46 rescapés dont 27 nationaux, et 19 individuels à l'arrivée. 780 000 F de prix. Vainqueur: R. LAPEBIE (France). Challenge international: FRANCE. Classement du meilleur grimpeur: F.VERV AECKE (Belgique) Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Lille, 263 km : Jean Majerus. 2. Lille-Charleville, 192 km : Maurice Archambaud. 3. Charleville-Metz, 161 km : Walter Generati. 4. Metz-Belfort, 220 km. Erich Bautz. 5a. Belfort-Lons le Saunier, 175 km Henri Puppo. 5b. Lons le Saunier-Champagnole, 34 km contre-la-montre par équipes: Sylvère Maës. 5c. Champagnole-Genève, 93 km : Léo Amberg. 6. Genève-Aix-Ies-Bains, 180 km : Gustaaf Deloor. 7 Aix-Ies-Bains-Grenoble, 228 km : Gino Bartali. 8. GrenobleBriançon, 194 km : Otto Weckerling. 9. Briançon-Digne, 220 km : Roger Lapébie. 10. Digne-Nice, 251 km : Félicien Vervaecke. lIa. Nice-Toulon, 169 km : Eloi Meulenberg. lIb. Toulon-Marseille, 65 km contre-la-montre par équipes: Gustave Danneels. 12a. Marseille-Nîmes, 112 km : Alphonse Antoine. 12b. NîmesMontpellier, 51 km René Pedroli. 13a. Montpellier-Narbonne, 103 km : Francesco Camusso. 13b. Narbonne-Perpignan, 63 km : Eloi Meulenberg. 14a. PerpignanBourg Madame, 99 km : Eloi Meulenberg. 14b. Bourg Madame-Ax les Thermes, 59 km : Mariano Canardo. 14c. Ax les Thermes-Luchon, 167 km : Eloi Meulenberg. 15. Luchon-Pau, 194 km : Julian Berrendero. 16. Pau-Bordeaux, 235 km : Paul Chocque. 17a. Bordeaux-Royan, 123 km : Erich Bautz. 17b. Royan-Saintes, 37 km : Adolph Braeckeveldt et Heinz Wengler e.a. 17c. Saintes-La Rochelle, 67 km : Roger Lapébie. 18a. La Rochelle-La Roche sur Yon, 81 km contre-la-montre par équipes: Roger Lapébie 18b. La Roche sur Yon-Rennes, 172 km : Paul Chocque. 19a. Rennes-Vire, 114 km : Raymond Passat. 19b. Vire-Caen, 59 km contrela-montre individuel: Leo Amberg. 20. Caen-Paris, 234 km : Edward Vissers. Les maillots jaunes (compris demi-étapes et tiers d'étapes) Jean Majerus (2). Marcel Kint (1). Erich Bautz (5). Gino Bartali (2). Sylvère Maës (13 dont un ex requo avec Vicini). Vicini (1 ex-requo avec Sylvère Maës). Roger Lapébie (8).
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Classement général final 1. Roger LAPEBIE (Fra) en 138h58'31" 2. Mario Vicini (Ita) à 7'17" 3. Leo Amberg (Sui) à 26'13" 4. Francesco Camusso (Ita) à 26'53" 5. Sylvain Marcaillou (Fra) à 35'36" 6. Edward Vissers (Bel) à 38'13" 7. Paul Chocque (Fra) à 1h05'19" 8. Pierre Gallien (Fra) à 1h06'33" 9. Erich Bautz (AlI) à 1h06'41" 10. Jean Frechaut (Fra) à 1h24'34" Il. Herbert Muller (Bel) à 1h26'51" 12. Raymond Passat (Fra) à 1h27'58"13. Marcel Laurent (Fra) à 1h31'57" 14. Oskar Thierbach (AlI) à 1h34'27" 15. Julian Berrendero (Esp) à 1h34'48" 16. Gustaaf Deloor (Bel) à 1h36'03" 17. Victor Cosson (Fra) à 1h38'55" 18. Jean-Marie Goasmat (Fra) à 1h39'36" 19. Sauveur Ducazeaux (Fra) à 1h41'21" 20. Robert Oubron (Fra) à 1h46'09" 21. Robert Tanneveau (Fra) à 1h47'03" 22. Adolf Braeckeveldt (Bel) à 1h52'29" 23. Henri Puppo (Fra) à 1h56'38" 24. Giuseppe Martano (Ita) à 1h58'33" 25. Fabien Galateau (Fra) à 2h04'20" 26. Augusto Introzzi (Ita) à 2h09'49 "27. Arsène Mersch (Lux) à 2h15'43" 28. Ludwig Geyer (AlI) à 2h16'31" 29. Paul Egli (Sui) à 2h27'54" 30. Mariano Canardo (Esp) à 2h35'11" 31. Robert Zimmermann (Sui) à 2h44'23" 32. Pierre Cloarec (Fra) à 2h46'06" 33. Antoon Van Schendel (Hol) à 2h53'14" 34. Gabriel Dubois (Fra) à 3h11'32" 35. Jean Goujon (Fra) à 3h19'16" 36. Carlo Romanatti (Ita) à 3h19'29" 37. Heinz Wengler (AlI) à 3h28'04" 38. François Neuens (Lux) à 3h32'10" 39. René Pedroli (Sui) à 4h02'48" 40. Raymond Lemarie (Fra) à 4h08'12" 41. Otto Weckerling (AlI) à 4h19'08" 42. Bruno Carini (Fra) à 4h27'42" 43. Herbert Hauswald (AlI) à 5h03'09" 44. Emile Gamard (Fra) à 5h52'42" 45. Reinhold Wendel (AlI) à 6h15'29" 46. Alois Klensch (Lux) à 6h39'25" er 1 des individuels: Challenge
Vicini (Italie)
international
1e France, 2e Italie, 3e Allemagne, 4e Suisse, 5e Espagne, 6e Luxembourg. Classement du meilleur grimpeur 1. Félicien Vervaecke (Bel) 114 pts 2. Mario Vicini (Ita) 96 pts 3. Sylvère Maës (Bel) 90 pts ...
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Quelques évènements de l'année 1937 - Les Italiens interdisent les mariages entre Blancs et gens de couleur dans leurs colonies. - Second procès de Moscou. Dix-sept membres du Parti accusés de Troskysme sont condamnés à mort et exécutés. - Le gouvernement de Front populaire interdit une organisation nationaliste algérienne (ENA). - Découverte du Nylon par la firme Dupont de Nemours. - Une violente manifestation à Clichy contre le Parti Social Français du Colonel de La Rocque fait 5 morts et 300 blessés. - Le pape Pie XI désapprouve le nazisme dans une encyclique. - Inauguration du pont du Golden Gate à San Francisco. - Les Stukas bombardent Guernica (Espagne). - Inauguration de l'Exposition Internationale de Paris. - Le dirigeable Hindenburg explose à l'atterrissage à New-York. 35morts. 63 blessés. Ce drame sonne le glas des grands dirigeables. - Le roi George VI d'Angleterre est couronné. - Le cabinet Blum démissionne. - L'ex-Roi Edouard VIII épouse Miss Wallis Warfield-Simpson. - Le Noir américain Joe Louis devient Champion du Monde de Boxe poids lourds, en battant son compatriote James Braddock. - Le Japon envahit la Chine sans lui déclarer la guerre. - Une exposition itinérante partie de Munich dénonce "l'Art dégénéré". - Hitler reçoit Mussolini à Berlin. - L'Italie se retire de la Société des Nations. - Les camps de concentrations se développent en Allemagne. - Découverte de la méthode de contraception par la courbe de température (méthode Ogino) . - Un épicier de l'Oklahoma invente le chariot de supermarché. - L'Américain John Carlson invente le photocopieur. - Naissance de la SNCF. - Roger Martin du Gard reçoit le prix Nobel de littérature. - Dans les cinémas: "La Marseillaise", film financé par la CGT, et "La Grande illusion" de Jean Renoir, "Gueule d'amour" de Jean Grémillon, "Drôle de drame" de Marcel Camé, " Blanche-neige et les sept nains" de Walt Disney, "Un jour aux courses" des Marx Brothers, "Pépé le Moko" de julien Duvivier - Dans les librairies: "Des Souris et des hommes" de John Steinbeck, "L'Espoir" d'André Malraux, "Comme le Temps passe" de Robert Brasillach, "Mes Idées politiques" de Charles Maurras, "La Ferme africaine" de Karen Blixen. - Décès de : Pierre de Coubertin, créateur des Jeux Olympiques modernes, George Gershwin, compositeur américain, Maurice Ravel et Albert Roussel, compositeurs français, Bessie Smith, chanteuse de blues américaine, Jean Harlow, actrice américaine, John Rockefeller, industriel et fmancier américain, Antonio Gramsci, théoricien italien du socialisme, Lou Andreas-Salomé, écrivain allemand, Gaston Doumergue, homme d'Etat français, Gugliemo Marconi, Physicien italien. 312
- Naissances de : Rudy Altig, coureur cycliste allemand, Romain Bouteille, comédien et metteur en scène français, Jean-Pierre Beltoise, coureur automobile français, David Hockney, peintre anglais, Dustin Hoffman, acteur américain, Samy Frey, comédien français, Claude Lelouch, cinéaste français, Jane Fonda, actrice américaine, Roberto Benzi, chef d'orchestre français, Marcel Maréchal, metteur en scène français.
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1938 32e Tour de France. Du 5 au 31 juillet 1938
Y'a de Lajoie! Ses boucles blondes débordant d'un chapeau porté en arrière du crâne, œillet à la boutonnière, les yeux roulant dans leurs orbites, le blond Charles Trenet révolutionne les ondes de la T.S.F. La France entière, provisoirement oublieuse des tensions politiques qui empoisonnent la planète, fredonne" Y'a de la joie" et "Je chante", ritournelles devenues emblématiques du Front Populaire. Dans les chansons délirantes et toniques du poète narbonnais, la tour Eiffel saute la Seine à pieds joints, le facteur s'envole et porte des lettres au Bon Dieu, et le métro court vers le bois à toute vapeur. Ce qui devrait ravir les surréalistes qui, en début d'année, en réponse à l'exposition internationale de Paris qui s'est déroulée l'année précédente, ont inauguré la première Exposition Internationale du Surréalisme dans la capitale. On pouvait y admirer les œuvres oniriques, de Max Ernst, Yves Tanguy, Marcel Duchamp et Salvador Dali. Ceux qu'on accuse de faire table rase des conventions sociales et de vouloir leur substituer le rêve et l'imagination sans limites, dénonçaient depuis des mois les compromissions du Front Populaire et prédisaient sa fin prochaine. Au printemps 1938 c'est fait! Le grand mouvement ouvrier de 1936 a vécu. Depuis juin 1937, il n'en finissait plus de s'effilocher. En mars, Léon Blum dans un sursaut de moribond, mettait sur pied un gouvernement qui ne devait durer que cinq semaines. Le 10 avril 1938, la formation du cabinet Daladier mettait un terme aux espoirs de la classe ouvrière et d'une jeunesse qui rêvait d'aller" au-devant de la vie". Pendant ce temps, le perfectionniste Henri Desgrange met la dernière main à son Tour de France, qui cette année encore, connaît de profonds bouleversements. Au terme de cette nouvelle édition, le Père du Tour, par ailleurs très conservateur, confiera au micro de Georges Briquet: "Le Tour de France est une épreuve vivante qui ne peut se contenter de rester sur son passél. " 315
Un petit jeune nommé Leducq La Grande Boucle tournera cette année dans le sens contraire des aiguilles d'une montre, comme c'était le cas entre 1913 et 1932. Ce qui signifie que les Pyrénées seront abordées avant les Alpes. On en profitera pour retrouver la Bretagne et l'Alsace, négligées depuis plusieurs années. Les étapes contre la montre par équipes seront enfin abandonnées, Desgrange ayant compris qu'elles avantageaient trop les équipes puissantes au détriment des individualités mal épaulées. Il leur substituera deux étapes contre la montre individuelles. Cette simplicité doit l'inquiéter car il s'empresse de compliquer les choses, probablement pour mettre à l'épreuve l'intellect du spectateur moyen. Dans les étapes constituées de deux demi-étapes, il prévoit un classement unique. Dans celles qui sont constituées de tiers d'étapes, les tiers d'étapes en ligne comporteront un classement unique et le tiers contre la montre bénéficiera d'un classement différencié! Quant aux bonifications, elles sont réduites: une minute pour le vainqueur de l'étape, et une minute pour le premier au sommet des principaux cols, à laquelle est ajoutée son avance sur le second limitée à 1'15". Henri Desgrange supprime la catégorie des individuels, souvenir des temps anciens, et la remplace par deux équipes de douze coureurs, les "Cadets de France" et les "Bleuets de France". Le Patron qui ne sait que faire d'André Leducq, dont la popularité ne se dément pas, le place malgré ses 34 ans et après deux ans d'absence, à la tête des Cadets patronnés par Pernod! Outre Leducq, il y a du beau monde dans cette équipe aux maillots jaunes et bleus: Vietto dont on attend toujours qu'il confirme ses exploits de 1934, Raymond Louviot, ex-Champion de France, et d'autres qui se sont signalé par de belles actions dans les Tours précédents, comme Sauveur Ducazeaux, Raymond Passat, Yvan Marie... Les principales équipes nationales - Italie, Belgique, Allemagne et France - précédemment constituées de dix hommes, en comporteront douze. Les équipes de six coureurs sont conservées - Espagne, Suisse, Hollande, Luxembourg. L'équipe de France presque totalement rénovée ne conserve que deux piliers de la grande époque: Antonin Magne qui en sera le capitaine, et Georges Speicher. Roger Lapébie, vainqueur du Tour précé316
dent, malheureusement brouillé avec Desgrange, a été exclu. Les autres heureux élus, Pierre Gallien, Jean Fréchaut, Auguste Mallet, Marcel Laurent, Pierre Jaminet, Sylvain Marcaillou, Georges Naisse, Victor Cosson, Paul Maye, Champion de France, et Jean-Marie Goasmat, sont de jeunes et brillantes individualités. Mais est-ce suffisant pour constituer une équipe cohérente et unie? Tous pour Gino Le prestige sportif fait partie, plus que jamais, de l'arsenal propagandiste du fascisme. L'Italie a remporté le 19 juin à Paris, sa deuxième Coupe du Monde de Football en battant les Hongrois, et la victoire attendue de Bartali dans le Tour de France viendrait confirmer avec pertinence l'éclatante supériorité des champions transalpins. Conclusion: il faut que Gino Bartali gagne le Tour de France, et que pour cela l'Italie mette tous les atouts de son côté. Les dirigeants fascistes vont œuvrer dans ce sens. Ils feront d'abord pression sur la Legnano, firme qui emploie le Toscan, afin qu'il oriente sa saison exclusivement sur le Tour. Mais Gino souhaite participer au Giro, et comme il est de notoriété publique qu'il est impossible de gagner les deux épreuves2 la même année, il hésite. Il sera aidé dans son choix par la Gazzetta dello sport, dirigée par Monsieur Colombo, qui prend la décision surprenante de réserver le Giro aux jeunes! Gino qui aura bientôt 24 ans est trop vieux! Il ne lui reste plus qu'à porter le maillot bleu olympique uni, de l'équipe italienne du Tour de France. Alors que le matériel est en principe unifié, les Italiens obtiennent d'équiper leurs vélos avec leurs propres dérailleurs et de fournir leurs propres boyaux. La conséquence ne sera pas anodine car les coureurs transalpins auront beaucoup moins de soucis mécaniques avec leurs dérailleurs et perceront moins que les autres. Bartali sur l'ensemble de la course ne crèvera qu'à deux reprises, alors que Victor Casson sera victime des clous et des silex une bonne dizaine de fois. Gino, dirigé par l'ancien campionissimo Costente Girardengo, est entouré d'équipiers talentueux, dont Giuseppe Martano, formidable en 1933 et 1934 dans le Tour de France, le roux Mario Vicini qui avait frôlé la victoire en 1937, et Aldo Bini, vieux rival de Gino à ses débuts. Jules Rossi, l'Italien de France, vainqueur de Paris-Roubaix 317
1937 et de Paris-Tours 1938 couru en début de saison, a été sélectionné dans l'équipe italienne, ainsi que Vasco Bergamaschi, premier du Tour d'Italie 1935, Enrico Mollo, lauréat du Tour de Lombardie 1935 et Nello Troggi, qui vient d'épingler le Tour du Vaucluse à son palmarès. Glauco Servadeï, Giordano Cottur, Augusto Introzzi, et Settimo Simonini feront office de porteurs d'eau. La consigne qu'ils reçoivent est simple: faire preuve d'un dévouement sans limites auprès du champion Toscan, afin qu'il endosse le maillot jaune quand Girardengo l'aura décidé, et qu'il le conserve jusqu'à Paris. Cette équipe italienne préfigure celles qui s'aligneront au départ du Tour après la guerre, toutes à la dévotion de leur campionissimo, et qui d'ailleurs feront école. Trois drames parmi tant d'autres Le Tour commence très mal pour l'équipe de France qui connaîtra par la suite bien des malheurs. Pendant la promenade traditionnelle entre la rue du Faubourg Montmartre et Le Vésinet, à hauteur de Chatou, Paul Maye le Champion de France, tombe lourdement sur la chaussée par la faute d'un motocycliste italien imprudent. Il est durement touché à l'épaule, mais prend tout de même le départ. Pendant cette première étape, Paris-Caen, Maye, malgré sa souffrance, s'accroche avec une volonté inouïe. Très affecté par les quolibets et les insultes d'une foule qui ne comprend rien à son drame, il passe néanmoins la ligne d'arrivée une heure et demie après le vainqueur l'Allemand Willi Oberbeck. Son courage sera inutile car le lendemain il ne prendra pas le départ. Le défilé entre le départ fictif et le départ réel est redouté des coureurs. Antonin Magne estime" qu'il est plus dangereux que la descente du Galibier" et l'envoyé spécial du Miroir des sports interroge l'organisateur: "La chute de Paul Maye incitera t-elle enfin M Desgrange à supprimer un défilé beaucoup plus inutile, désordonné et dangereux que triomphal3 ? " Dans la cinquième étape, Royan-Bordeaux, le Méridional Sylvain Marcaillou connaît une mésaventure équivalente à celle de son coéquipier Paul Maye. Il tombe et heurte de la tête la margelle d'un puits. Resté longtemps inanimé, il est sommairement pansé et repart 318
courageusement sous la canicule pour parcourir, seul, les 120 kilomè-
tres qui le séparent de Bordeaux. Arrivé 91e et dernier, avec plus de 33 minutes de retard, il s'évanouit en franchissant la ligne et ne se présente pas au départ le lendemain matin. La série continue dans l'étape Digne-Briançon. Auguste Mallet, petit bonhomme d'un mètre cinquante-sept pour cinquante-quatre kilos, grimpeur remarquable et spécialiste des cabrioles, est renversé par une voiture de tourisme dans la descente du col de l'Izoard. Transporté à l'hôpital de Briançon, il restera plusieurs jours entre la vie et la mort. Ce qui ne l'empêchera pas d'être présent dans l'édition suivante du Tour de France, qu'il terminera à la 13eplace. Les chutes qui émaillent dramatiquement l'histoire du Tour ne sont qu'une faible part de la condition des coureurs. La pluie, le froid et la canicule, les pentes abruptes, les routes de montagne défoncées, la boue et la poussière, sont leur lot ordinaire. Sans compter l'obsédante adversité, les réveils au petit jour, les crevaisons en série, les incidents mécaniques, la fatigue, la solitude, la fringale, le découragement, les furoncles, les crampes, les indurations, les ampoules. Pourquoi sont-ils là ? Pourquoi reviennent-ils chaque année, malgré le danger et les misères qui les guettent? Pourquoi pleurent-ils quand les croque-morts de la voiture-balai les aident à monter dans le fourgon qui met fin à leurs souffrances? L'attrait du gain n'explique pas tout, d'autant que certains ne sortent pas de cette galère plus riches qu'ils n'y sont entrés. La réponse est qu'ils veulent en être, ressentir les palpitations de la marée humaine qui se presse sur le parcours, éprouver l'incommunicable euphorie de l'arrivée au Parc des Princes, entendre l'immense clameur qui monte des gradins et qui les métamorphose en dieux aussi illusoires qu'éphémères. Le Tour agit sur eux comme une drogue, dont certains ne se privent pas. La dopette, le salage de soupe ou la bomba, comme la nommera plus tard Fausto Coppi, ne sont pas des pratiques exclusives de la fin du XXe siècle4. Mais lorsqu'on sait ce que supportaient ces hommes-là, ce qui étonne, ce n'est pas que certains étaient dopés, mais plutôt que d'autres ne l'étaient pas.
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Le maillot jaune de Dédé Les étapes de plat sont laissées à l'initiative des sprinters. Dans la deuxième étape qui voit l'abandon de Vietto, le grand Luxembourgeois Jean Majerus prend le maillot jaune et le conserve jusqu'à Arcachon. Leducq qu'on disaitjini, étonne le peloton par sa pugnacité. Très présent aux avant-postes depuis le début de l'épreuve, il avait raté in extremis le maillot jaune dans la première étape. À Arcachon, il est 2e à 52 secondes de Majerus. À Bayonne, le chef de file des Cadets, troque, à 34 ans, son maillot aux couleurs de Pernod, pour le maillot jaune qu'il a si souvent porté par le passé. L'Allemand Wengler est 2e à 26 secondes. Ludovic Feuillet, directeur sportif d'Alcyon, qui fut l'artisan de l'éviction de Leducq dans le Tour de France 1934, lui envoie un télégramme discrètement élogieux: "Je croyais tout connaître dans le cyclisme. Je m'aperçois que je ne connaissais rien5." À Pau, Wengler n'est plus qu'à treize secondes du premier, mais Leducq porte toujours le maillot jaune. Ce sera son dernier. Dans la grande étape pyrénéenne, Pau-Luchon, Le Joyeux Dédé reste "collé au goudron". Les choses sérieuses se passent plusieurs kilomètres devant lui, entre Vervaecke et Bartali qui rendra hommage à Leducq en manifestant son espoir de courir aussi bien que le champion français au même âge. Il ne pouvait deviner qu'il ferait encore mieux en gagnant magistralement le Tour de France dix ans après sa première victoire! Unfauve prêt à bondir À Pau, l'Italien était à sept minutes du maillot jaune. Une broutille! Entre Pau et Luchon, il ne cherche pas à creuser l'écart avec Vervaecke, son rival le plus dangereux, mais seulement à décrocher les bonifications au sommet des cols. Il ne fait que suivre à la lettre les consignes de Girardengo : pas de grande démonstration de force, pas de risque inutile. Il faut éviter de prendre le maillot jaune trop tôt et "en garder sous le cale-pied" en attendant les Alpes. Bartali, avec une facilité confondante, passe en tête dans l'Aubisque, le Tourmalet et Aspin. Derrière lui, à une poignée de secondes, Vissers et Vervaecke grimpent à l'énergie. Dans la descente d'Aspin, l'Italien dérape et tombe dans un virage en brisant une roue. Plus de peur que de mal. Jean Leulliot, directeur technique de l'équipe 320
de France, lui passe une roue depuis la voiture de Jacques Goddet, ce qui est scandaleusement contraire au règlement et surtout parfaitement illogique. Bartali résiste bien dans le col de Peyresourde et arrive à Luchon à peine une minute après les deux Belges. Grâce à une belle moisson de bonifications dans les cols, son temps est inférieur à celui de Vervaecke. Le voici second au classement général, à 2'18" du Flamand nouveau maillot jaune. Courue sous le soleil, ce qui n'est pas fréquent, l'étape des quatre cols est toujours aussi éprouvante. Sept coureurs arrivent après les délais. Speicher, à la peine, est surpris en flagrant délit alors qu'il se fait tracter par une voiture suiveuse. Le soir même, le vainqueur de 1933 est mis hors course. Antonin Magne franchit la ligne d'arrivée 20 minutes après Vervaecke, Leducq est à 25 minutes. C'est la fin d'une époque. Après le repos de Luchon, le Toscan humilie ses adversaires dans le col du Portet d'Aspet en sprintant près du sommet comme à son habitude. À Perpignan, il n'est plus qu'à 53 secondes de Vervaecke qui réagit dans le tiers d'étape contre la montre, NarbonneBéziers, en lui reprenant presque trois minutes sur 27 kilomètres! Bartali ne serait-il qu'un spécialiste de la montagne? Comme Berrendero? Comme Ezquerra ? Non! Car dans l'étape de plat, Montpellier-Marseille, qu'il gagne, il bat Vervaecke, Leducq, et Magne, au sprint, sur la piste du vélodrome. Une fois la ligne franchie, rayonnant de bonheur, Gino Bartali tombe dans les bras de Girardengo. Plus qu'une victoire, c'est une revanche, puisque c'est à Marseille qu'il avait dû abandonner l'année précédente sous la pression des autorités fascistes. Dans Cannes-Digne, les deux spécialistes de la montagne, Dante Giannello et Jean-Marie Goasmat, l'emportent, détachés, en offrant aux Français un agréable intermède aux exploits de Bartali. L'Italien grignote encore une minute de bonification au sommet du col de Braus, malgré Vervaecke qui manque de le faire tomber et qui sera pénalisé.
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À la veille de la grande étape des Alpes, Digne-Briançon, BartaIi est à 1'15" du Flamand. C'est-à-dire, juste où il doit se trouver, comme un fauve observant sa proie avant de bondir. Gino l'intouchable Dans AlIos, dans Vars, et surtout dans l'Izoard désertique, les passionnés du Tour comprennent une bonne fois pour toutes ce qu'est un campionissimo. Construisant sa course avec méthode, raflant des bonifications au sommet des cols, Bartali, impérial, fait cavalier seul et assomme ses adversaires. Parmi eux, Vervaecke, victime il est vrai, d'une série de crevaisons, termine l'étape plus de 17 minutes après son vaInqueur. L'arrivée de Bartali à Briançon devant ses compatriotes venus en nombre, frôle le délire: "Les gens s'embrassaient, les femmes pleuraient, des hommes comme fous partaient en courant dans la campagne, les drapeaux italiens surgissaient de toutes parts6. " Le Champion italien endosse le maillot jaune. Au classement général, le Luxembourgeois Mathias Clément est second à 17'45" et Vervaecke troisième à plus de 21 minutes! En Italie, l'annonce des succès de Bartali a un retentissement considérable, et Mussolini en personne ouvre une souscription nationale pour récompenser l'équipe italienne. Que faire contre ce Toscan machiavélique, énigmatique et désarmant ? Impitoyable dans les sinuosités des cols où il distance ses adversaires quand il veut et où il veut, bien qu'il fume comme un pompier dès sa descente de bicyclette 7, il peut être spectaculairement angélique quand, par exemple, il récite le bénédicité à la cantine des demi-étapes devant l'objectif des photographes, les mains jointes et le regard extatique. Ce qui ne l'empêchera pas de déclarer dans L'Auto que sa vie privée ne regarde que lui et qu'il entend bien qu'on la respecte. Félicien Vervaecke a beau s'accrocher à l'Italien "avec l'ardeur et la volonté d'un chien défendant son OS8", il ne peut rien contre ce champion exceptionnel qui le domine là où lui-même a toujours dominé. Grimpeur remarquable, spécialiste du contre-la-montre, le Flamand n'inspire pas, en raison de son style heurté et douloureux, les 322
commentaires lyriques que les journalistes sportifs affectionnent et dont ils submergent l'impassible Bartali. La faveur de la presse et du public va à ceux qui, au-delà de l'efficacité, possèdent la manière. Vervaecke, laborieux insecte rampant n'en est pas pourvu, à l'inverse du Toscan, artiste inspiré du vélo comme l'était le jeune Vietto lors de son éclosion. Quatrième du Tour de France en 1934, troisième en 1935 et en 1936, deux fois vainqueur du Classement du meilleur grimpeur, Vervaecke court après une victoire finale qu'il n'obtiendra jamais malgré ses chevauchées rageuses et son indomptable courage. Dans l'étape Briançon-Aix-les-bains, accompagné de l'Escadron noir, il tente une offensive de la dernière chance, et passe en tête dans le décor grandiose et glacé du col de l'Iseran, emprunté pour la première fois par les coureurs. À l'arrivée, grâce à la bonification, il a repris 1'30" au champion italien. Une goutte d'eau dans l'océan de son retard. Bartali se contente de sourire. Totor le ''parigot'' L'écrasante supériorité du maillot jaune met en exergue les seconds rôles qui osent lui tenir tête. C'est le cas d'un jeune coureur français à la tignasse blonde et au visage grêlé par la varicelle, qui apparaît discrètement au début du Tour à la dixième place du classement général, puis à la cinquième, et enfin à la troisième qu'il ne lâchera plus. Il s'appelle Victor Cosson, et devient du jour au lendemain la coqueluche d'un pays dans lequel une place de troisième du Tour de France assure une confortable notoriété pour plusieurs années. Indépendant, il s'était signalé aux avant-postes montagnards dans le Tour précédent, notamment dans les Pyrénées, ce qui lui avait valu sa sélection dans l'équipe de France de 1938. Ce gabarit léger n'est pas un super-champion, mais il grimpe mieux que bien, se comporte plus qu'honorablement dans les épreuves contre la montre, et mène sa course avec une régularité et une intelligence remarquables. Conscient de ses qualités, mais aussi de ses limites, il calque sa course sur celle de Bartali et se place presque systématiquement dans les dix premiers au sommet des cols, notamment dans le col de Vars où il arrive 19 secondes après le champion italien. Sans une invraisembla323
ble série de crevaisons dans la descente, il aurait terminé en bien meilleure posture à Briançon. Le voici contre toute attente, leader de l'équipe de France. Ce qui ne convient guère à l'ombrageux Antonin Magne, seigneur au passé prestigieux, qui ne fera rien pour l'aider, malgré ses protestations quand on l'en accusait, et qui acceptait mal d'être placé au service d'un jeune coureur de 22 ans sans palmarès. Dans le climat de l'époque, encore imprégné de l'esprit du Front Populaire, le petit coureur de l'Athlétic Club de Boulogne-Billancourt symbolise la revanche des obscurs et des sans-grade sur les étoiles du vélo-système. Le public populaire a toujours adoré les forceurs de destin, les petits qui n'ont pas peur des gros. Victor Cosson est de ceux-là. Et si ses réparties de parigot, son allure tintinesqueget son passé d'ajusteur aux usines Renault expliquent partiellement sa popularité, ils n'occultent pas son réel talent. Totor le stratège réussira le tour de force de terminer troisième à Paris, en ne gagnant pas une seule étape, en ne passant en tête dans aucun col, et en dépit d'une équipe de France dépourvue de cohésionlo. Une arrivée somptueuse Vervaecke, sur les quarante-deux kilomètres du tiers d'étape contre la montre, Laon-Saint-Quentin, réussit un baroud d'honneur qui ne change rien à la physionomie de la course. Depuis les Alpes, la supériorité de Bartali a enlevé tout intérêt à l'épreuve. Une divine surprise va heureusement redonner des couleurs à la plus grande course cycliste du monde, grâce à la somptueuse arrivée du Parc des Princes. Ils en avaient parlé, Tonin et Dédé, de conclure ce Tour de France, leur dernier Tour, ensemble et premiers ex œquo à Paris. Une belle idée qui leur était venue comme ça, en bavardant en bas du col de l'Iseran, juste avant l'ascension. Et puis, dans le feu de l'action, ils l'avaient un peu oubliée. Elle émerge à nouveau dans la dernière étape, traditionnellement dite de routine. Celle où les meilleurs se font photographier en pédalant de front sur la route, les mains sur les cocottes de freins, souriants, détendus, adversaires certes, mais respectueux les uns des autres. Heureux, en tout cas, d'en finir avec leurs souffrances et fiers d'avoir offert tous ensemble un beau spectacle. 324
Les grandes batailles étant derrière les héros, le dernier jour on fait relâche. On spécule sur le vainqueur possible à Paris. Sera-ce le solide Jean Fréchaut de l'équipe de France, qui passa la ligne le premier à Perpignan, à Cannes et à Strasbourg et que l'on voit souvent aux avant-postes depuis plusieurs étapes? À moins que le routiersprinter Marcel Kint11ne tente de mettre une quatrième étape dans son escarcelle, après ses victoires d'Aix-Ies-Bains, de Besançon, et de Metz? Elle est interminable et ennuyeuse cette étape Lille-Paris, longue de 279 kilomètres parcourus sous une chaleur accablante. On bavarde, on plaisante, on chasse la canette de bière ou de limonade en attendant le Parc des Princes, où, en fin d'après-midi, quand l'ombre portée des tribunes s'étendra sur la piste rose gorgée de soleil, tout le peloton aura droit à sa parcelle de gloire. Antonin Magne est à une heure de Bartali, Leducq à presque deux heures. Les deux vieux ne présentent aucun danger pour les premiers du classement général. Alors, quand Leducq démarre dans la côte de Vallangoujard, personne ne réagit, saufTonin, qui connaît son Dédé et se rappelle que c'est dans cette côte-là que son copain a gagné la dernière étape Dunkerque-Paris, dans le Tour de leurs débuts, en 1927. Quand Leducq se retourne après un effort soutenu, Magne est derrière lui, à dix mètres: " ... je t'ai crié: "allez Tonin, on part tous les deux / "Et qu'estce que tu m'as répondu? - Que je ne pouvais faire cela
- J'ai réitéré: ''Allez Tonin / " Et tu m'as expliqué que tu allais encore être accusé de haute trahison vis-à-vis de ton leader, Victor Cosson. Qu'est-ce que je t'ai dit alors? (...) Je t'ai dit: "Tu seras toujours aussi con l", etj'ai continué de foncer12." Magne finit par se décider. Les mains sous le guidon, les deux vétérans traversent Pontoise et filent vers Paris. La foule considérable qui se bouscule sur les trottoirs et aux bords des fossés les reconnaît, malgré leurs lunettes noires qui leur donnent des airs d'insectes monstrueux. - Vous avez vu, c'est Dédé, c'est Tonin ! Y'a pas à dire, il sont toujours là les vieux! 325
À l'entrée du Parc, ils ont cinq minutes d'avance sur le peloton. En abordant la rue pavée du vélodrome, ils se mettent d'accord: " Pas de sprint, on allait entrer enfrères13. " Lorsqu'ils débouchent du tunnel et apparaissent sur la piste, Tonin en tête, ils sont accueillis par une ovation à leur couper le souffle, où se mêlent admiration et reconnaissance. Les cinquante mille spectateurs qui s'étagent sur les gradins, dans la chaleur moite de cette fin d'après-midi, comprennent que la cérémonie d'adieux des deux compères leur est symboliquement offerte en remerciement de la sollicitude et des encouragements dont ils ont été l'objet tout au long de leur carrière. À proximité de la ligne d'arrivée, les deux amis pimentent leur mise en scène d'un soupçon de cabotinage: "... pédalant au ralenti, (ils) n'arrêtaient pas de se faire des politesses: - À toi mon vieux Tonin ! - Non, non, je n'enferai rien, mon cher André14. " Tonin le ténébreux et Dédé l'insouciant, nés à douze jours d'intervalle, débutants ensemble dans la Grande Boucle, onze ans auparavant, vainqueurs de deux Tours de France chacun, quittent, ce 31 juillet 1938, l'épreuve qu'ils ont tant aimée et qui les a tant fait souffrir, en roue libre et fraternellement enlacés, devant un public éperdu d'émotion. Il Y a eu manifestement entraide, et même entente, entre deux coureurs d'équipes différentes, mais les commissaires, craignant peutêtre une émeute, auront le bon goût d'admettre ce que les deux copains souhaitent de tout cœur, et ils les classeront ex œquo. Cinq minutes plus tard, Bartali pénètre à son Tour sur la piste au milieu du peloton des rescapés. Il reçoit de Paris un hommage célébrant son talent, et une supériorité incontestable qui lui vaudra ce commentaire allusif et très parisien de Totor Cosson : "Le premier soin de Gino, après une arrivée, est d'allumer une cibiche, avant même d'aller aux douches! je peux même vous affirmer qu'il a gagné le Tourenfumantlapipe15!" Ces moments de forte émotion et de réelle fraternité sportive font oublier un instant les tourments d'une Europe qui se prépare au pire. Deux jours après sa victoire, Gino Bartali pourrait apprendre par 326
les journaux que son pays exclut des écoles supérieures les juifs venant de pays étrangers. Un mois plus tard, ceux d'entre eux qui sont devenus citoyens italiens après 1919 sont priés de quitter le territoire. Le 30 septembre, les accords de Munich permettent à Hitler d'annexer les territoires tchécoslovaques des Sudètes avec l'approbation de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Italie et sans l'avis des Tchèques qui attendent dans le vestibule de savoir à quelle sauce ils seront mangés. À la radio, Ray Ventura et ses collégiens font un tabac en chantant Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux? La question est pertinente, car le temps presse.
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En savoir plus: 1. N° 1022 du Miroir des sports du mardi 2 août 1938 2. Fausto Coppi démontra le premier que cette idée était fausse en remportant deux fois le Giro d'Italie et le Tour de France la même année. (1949 et 1952) 3. N°1011 du Miroir des sports du jeudi 7 juillet 1938 4. Georges Briquet écrivait dans le N°1012 du Miroir des Sports du 9 juillet 1938 : "Si un informateur curieux avait fait un petit tour dans les chambres de certains coureurs français, après le départ de Saint-Brieuc, il eût trouvé de curieuses ampoules brisées et répandant encore une odeur bizarre et sans doute caractéristique pour ceux qui sont compétents en matière de doping." En 1962, dans son livre" Ici, 60 ans de Tour de France", le célèbre reporter évoquant cette affaire conclura: "... je ne jurerais pas que je n'avais pas mis le doigt sur une chaîne de doping..." Le problème du dopage mériterait un long développement qui dépasserait le cadre de cet ouvrage. Le dopage a touj ours plus ou moins existé, mais il n'était pas de même nature que celui d'aujourd'hui, au caractère hautement scientifique et froidement organisé. À l'époque le dopage, tout aussi dangereux, était empirique et artisanal, et ne faisait l'objet d'aucun contrôle et d'aucune sanction. 5. André Leducq "Une Fleur au guidon ". Presses de la cité 1978. 6. Georges Briquet "Ici, 60 ans de Tour de France" Éditions de la Table Ronde 1962 7. Gino Bartali n'est pas le seul à fumer, c'est également le cas de Vervaecke, comme c'était celui d'Adelin Benoît et de Van Slembrouck. Le régime des coureurs cyclistes n'était pas d'une rigueur extrême. Certains buvaient du vin et de la bière, les photos des repas des demi-étapes le démontrent sans ambiguïté. Ils ne rechignaient pas non plus devant un bon gueuleton, comme Lapébie à Pau en 1937, accompagné par Georges Briquet dans un restaurant béarnais, à un moment crucial du Tour de France. 8. Dans un article de Jean Routier n01015 du Miroir des sports du 16 juillet 1938. 9. Dans l'œuvre d'Hergé, le personnage qui préfigura Tintin se nommait Totor. 10. Il termina à la 3e place du tiers d'étape contre la montre, Laon-St Quentin. Ce fut son meilleur classement. 17e du Tour en 1937, Cosson, qu'on voyait comme un futur vainqueur, ne fut pas à la hauteur des espoirs placés en lui après son inattendue performance du Tour 1938. Malade en 1939, il ne termina que 25e du Tour de France. Il courra pendant la guerre et gagnera Paris-Camembert en 1943. Après la guerre, il s'alignera au départ du Tour (1947), mais abandonnera dans la 10e étape. Victor Cosson devint par la suite motard de presse, et à ce titre participa au Tour de France. Il. La carrière professionnelle de Marcel Kint, dit "L'aigle noir" en raison de son visage anguleux et de son nez busqué, s'étendit sur quinze ans. Son palmarès est remarquable. Il remporta 6 étapes dans le Tour de France (1936, 1938, 1939) devint Champion du monde sur route (1938) et champion de Belgique (1939), remporta Gand-Welvegem (1949), Paris-Bruxelles (1938), Paris-Roubaix (1943), La Flèche Wallonne (1943, 1944, 1945), Bruxelles-Paris (1943). 12. et 13. André Leducq " Une Fleur au guidon". Presses de la cité 1978. 14. N°1022 du Miroir des sports du mardi 2 août 1938. 15. Pierre Chany "La Fabuleuse histoire du Tour de France" Editions Nathan 1991. 328
Le Tour de France 1938 en un coup d'œil 3r édition du 5 au 31 juillet 1938 4 694 km. 21 étapes dont 16 étapes complètes, 2 par demi-étapes et 3 par tiers d'étapes dont 2 tiers d'étape en contre la montre individuel. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. Six jours de repos (Royan, Pau, Luchon, Cannes, Aix-les-Bains et Reims) Moyenne du vainqueur 31.565 km/h. 96 coureurs au départ. 4 équipes nationales de 12 hommes: Belgique, Italie, Allemagne et France. 4 équipes nationales de 6 hommes: Suisse, Hollande, Luxembourg, Espagne. 2 équipes françaises de 12 hommes: les "Cadets" et les"Bleuets". 55 rescapés à l'arrivée. 900 000 F de prix. Vainqueur : G. BARTALI (Italie). Challenge international: BELGIQUE. Classement du meilleur grimpeur: G.BARTALI (Italie) Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Caen, 215 km : Willi Oberbeck. 2. Caen-St Brieuc, 237 km : Jean Majerus. 3. St Brieuc-Nantes, 238 km: Gerrit Schulte. 4a. Nantes-La Roche sur Yon, 62 km : Eloi Meulenberg. 4b. La Roche sur Yon-La Rochelle, 83 km : Eloi Meulenberg. 4c. La Rochelle-Royan, 83 km : Félicien Vervaecke. (classement unique pour Nantes-Royan: Félicien Vervaecke) 5. Royan-Bordeaux, 198 km : Eloi Meulenberg. 6a. Bordeaux-Arcachon, 52.5 km : Jules Rossi. 6b. Arcachon-Bayonne, 171 km : Glauco Servadeï (classement unique pour Bordeaux-Bayonne: Jules Rossi) 7. Bayonne-Pau, 115 km : Theo Middelkamp. 8. Pau-Luchon, 193 km : Félicien Vervaecke. 9. Luchon-Perpignan, 260 km : Jean Fréchaut. lOa. Perpignan-Narbonne, 63 km : Antoon Van Schendel. lOb. Narbonne-Béziers, 27 km contre-la-montre individuel: Félicien Vervaecke. lOcoBéziers-Montpellier, 73 km : Antonin Magne (classement unique pour Perpignan-Narbonne et Béziers-Montpellier: Antoon Van Schendel) Il. Montpellier-Marseille, 223 km : Gino Bartali. 12 Marseille-Cannes, 199 km : Jean Frechaut 13 Cannes-Digne, 284 km : Dante Gianello 14 DigneBriançon, 219 km : Gino Bartali 15 Briançon-Aix-Ies-Bains, 311 km : Marcel Kint 16 Aix-Ies-Bains-Besançon, 284 km: Marcel Kint 17a Besançon-Belfort, 89.5 km: Emile Masson 17b Belfort-Strasbourg, 143 km : Jean Frechaut ( classement unique Besançon-Strasbourg: Masson et Weckerling ex-requo ) 18 Strasbourg-Metz, 186 km : Marcel Kint 19 Metz-Reims, 196 km : Fabien Galateau 20a Reims-Laon, 48 km : Glauco Servadeï 20b Laon-St Quentin, 42 km contre-la-montre individuel: Félicien Vervaecke 20c St Quentin-Lille, 107 km : François Neuville ( classement unique Reims-Laon et St Quentin-Lille: François Neuville) 21 Lille-Paris, 279 km : Antonin Magne et André Leducq e.a Les maillots jaunes (en comptant les demi-étapes et tiers d'étapes) Willi Oberbeck (1). Jean Majerus (7). André Leducq (2). Félicien Vervaecke (8). Gino Bartali (11).
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Classement général final 1. Gino BARTALI (Ita) en 14Sh29'12" 2. Félicien Vervaecke (Bel) à lS'27" 3. Victor Cosson (Fra) à 29'26" 4. Edward Vissers (Bel) à 35'OS"5. Mathias Clemens (Lux) à 42'OS" 6. Mario Vicini (Ita) à 44'59" 7. Jules Lowie (Bel) à 4S'56" S. Antonin Magne (Fra) à 49'00" 9. Marcel Kint (Bel) à 59'49" 10. Dante Gianello (Fra) à 1h06'47" Il. Jean-Marie Goasmat (Fra) à 1h07'34" 12. Albertin Disseaux (Bel) à 1h12'16" 13. Robert Tanneveau (Fra) à 1h13'54" 14. Sylvere Maës (Bel) à 1h21'11" 15. Pierre Gallien (Fra) à 1h24'34" 16. Mariano Canardo (Esp) à 1h26'4S" 17. François Neuville (Bel) à 1h35'43" IS. Jean Frechaut (Fra) à 1h37'24" 19. Rafael Ramos (Esp) à 1h37'40" 20. Glauco Servadei (Ita) à 1h41'3S" 21. Otto Weckerling (All) à 1h42'27" 22. Raymond Passat (Fra) à 1h47'19" 23. Yvan Marie (Fra) à 1h49'49" 24. Jean Fontenay (Fra) à 1h50'04" 25. Giordano Cottur (Ita) à 1h50'OS" 26. Raymond Louviot (Fra) à 1h50'21" 27. Giuseppe Martano (Ita) à 1h52'31" 2S. Fabien Galateau (Fra) à 1h52'43" 29. Julian Berrendero (Esp) à 1h53'31" 30. André Leducq (Fra) à 1h53'42" 31. Paul Egli (Sui) à 2hOO'06"32. Arsène Mersch (Lux) à 2h03'16" 33. Vasco Bergamaschi (Ita) à 2h07'07" 34. Emile Masson jr (Bel) à 2h13'39" 35. Albert Bourlon (Fra) à 2h1S'00" 36. Lucien L~ Guevel (Fra) à 2h22'33" 37. François Neuens (Lux) à 2h23'10" 3S. Enrico Mollo (Ita) à 2h24'35"39. Constant Lauwers (Bel) à 2h26'2S"40. Oreste Bemardoni (Fra) à 2h29'34"41. Robert Oubron (Fra) à 2h43'41 "42. Camille Leroy 2 (Fra) à 3h02'15"43. Theo Middelkamp (Hol) à 3h02'45"44. Pierre Jaminet (Fra) à 3h05'40" 45. Josef Arents (AlI) à 3h15'14" 46. Augusto Introzzi (Ita) à 3h1S'59" 47. Bruno Carini (Ita) à 3h20'52" 4S. Aldo Bini (Ita) à 3h20'55" 49. Jean Majerus (Lux) à 3h22'02" 50. Antoon Van Schendel (Hol) à 3h32'24" 51. René Walschot (Bel) à 3h40'43" 52. Herbert Hauswald (AlI) à 3h50'46" 53. Reinhold Wendel (AlI) à 3h52'57" 54. Nello Troggi (Ita) à 4h1S'17" 55. Janus Hellemons (Hol) à 5h02'34" Challenge international 1e Belgique, 2e France, 3e Italie, 4e Luxembourg-Suisse, Hollande, 7e Bleuets, Se Allemagne.
5e Cadets, 6e Espagne-
Classement du meilleur grimpeur 1. Gino Bartali (Ita.)107 pts. 2.Félicien Vervaecke (Bel) 79 pts. 3. Edward Vissers (Bel) 76 pts ...
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Quelques évènements de l'année 1938 - En Allemagne, les médecins juifs sont exclus des caisses d'assurance maladie. - Hitler devient chef suprême des armées du Reich. En mars il entre sans résistance en Autriche. L'AnscWuss est approuvé par 99 % des Autrichiens. - En France, nouvelle valse des ministères. Chautemps succède à Blum qui succède à Chautemps et est fmalement remplacé par Daladier. - 18 des 21 inculpés des 3eprocès de Moscou sont exécutés. - Les brigades internationales quittent l'Espagne. - L'Italie remporte la deuxième Coupe du monde de football à Paris, en battant les Hongrois. - À New-York, le boxeur Noir américain Joe Louis, Champion du Monde des poids lourds, bat l'Allemand Max Schmeling par K.O au premier round. - Affrontements sanglants en Palestine entre Juifs et Arabes. - Hitler annexe les Sudètes après les accords de Munich - Un gigantesque incendie détruit tout un quartier de Marseille - Suite à l'assassinat d'un conseiller de l'ambassade d'Allemagne à Paris par un jeune juif, la nuit de cristal organisée par les S.A, dévaste des commerces juifs, incendie des centaines de synagogues, et fait 91 victimes. - Un accord franco-allemand de bonne entente est signé à Paris en décembre. - Naissance de Spirou. - Charles Trenet fait un triomphe à l'A.B.C, music-hall parisien. - Edith Piaf chante "L'Accordéoniste". - Orson Welles déclenche une panique aux Etats-Unis en adaptant à la radio C.B.S "La Guerre des mondes" de George Wells. 60 000 personnes partent en exode dans la nuit. - Le physicien italien Enrico Fermi obtient le prix Nobel de Physique. - La compagnie américaine Panam réalise le premier vol transatlantique commercial. - Pierre Dac crée le magazine L'Os à moelle. - Jean Stoetzel, inventeur du terme "sondages", crée l'I.F.O.P, institut français d'opinion publique. - Deux Hongrois, Ladislas et Georg Biro déposent le brevet d'un stylo à bille.
- Jean
Cocteau
présente
"Les Parents
terribles"
au théâtre
des ambassadeurs,
à Paris.
- Le drame de Jean Giraudoux "Electre" est interprété par Louis Jouvet. - Dans les cinémas: "Hôtel du Nord"et "Quai des brumes" de Marcel Camé, "La Femme du boulanger" de Marcel Pagnol, "Alexandre Nevsky" de S.M Eisenstein, "Les Dieux du stade" de Leni RiefenstaW, "Robin des Bois" de Michael Curtiz, "Une Femme disparaît", d'Alfred Hitchcock, "La Bête humaine" de Jean Renoir. - Dans les librairies: "La Conspiration" de Paul Nizan, "Equinoxe de septembre" d'Henry de Montherlant, "La Nausée" de Jean-Paul Sartre, le "Testament espagnol" d'Arthur Koestler, "Araigne" d'Henri Troyat, Prix Goncourt. - Décès de : Gabriel d'Annunzio, écrivain et homme politique italien, Suzanne Valadon, peintre français, King Oliver, musicien de jazz américain, Luswig Kirchner, peintre allemand, Mustapha Kemal Atatürk, homme d'état turc, Suzanne Lenglen, championne de tennis française, Georges Méliès, pionnier français du cinéma. 331
- Naissances
de : Richard Anthony et Enrico Macias, chanteurs français, Claudia Cardinale, actrice italienne, André Amalrik, écrivain soviétique, Mireille Darc et Bernadette Lafont, actrices françaises, Daniel Hechter, couturier français, Frédéric Forsyth, écrivain britannique, Jean-Loup Chrétien, cosmonaute français, Eddie Cochran, musicien américain de rock'n'roll.
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1939 33e Tour de France. Du 10 au 30 juillet1939
De noirs nuages sur l'Europe L'Europe se prépare à la guerre. Depuis le mois de janvier, les mauvaises nouvelles s'accumulent. La persécution des juifs s'intensifie en Allemagne. En janvier, Franco entre en triomphateur à Barcelone, fief des Républicains, et un mois plus tard, la France et la GrandeBretagne reconnaissent sa légitimité. En mars, la France envoie son ambassadeur en Espagne, le très adulé Philippe Pétain, Maréchal de France. Le Pape Pie XI qui avait affirmé son hostilité au nazisme et s'apprêtait à faire de même avec le fascisme, est mort un mois plus tôt. Hitler a envahi la Tchécoslovaquie sans que les démocraties s'en émeuvent, et se fixe un nouvel objectif: le couloir de Dantzig, prémices à la conquête de la Pologne. Quant à Mussolini, qui ne veut pas être en reste, il attaque l'Albanie sous prétexte que les minorités italiennes y sont menacées. Par ailleurs, on affiche un optimisme de façade. Comme en Amérique, où le Président Roosevelt inaugure l'exposition universelle de New-York en exprimant ses espoirs de paix dans le monde. Bientôt, le charmant Ray Ventura, toujours pertinent, chantera avec ses collégiens "Nous irons pendre notre linge sur la ligne Siegfried", en référence à la fortification allemande qui fait face à notre ligne Maginot que chacun veut croire inexpugnable. De son côté, la minuscule Mireille encourage les coureurs du 33e Tour de France en susurrant de sa voix acide un espiègle "Bon voyage, Messieurs du vélo. " Une organisation bouleversée L'organisation de cette nouvelle édition du Tour est un véritable casse-tête. Comment en effet, organiser une épreuve à vocation internationale en l'absence des Italiens, des Allemands et des Espagnols, retenus dans leurs pays respectifs pour raisons politiques? Desgrange doit pourtant s'y résoudre. Il crée six équipes nationales de huit hommes: la Belgique A dont les coureurs porteront, comme d'habitude, le maillot noir à bande j aune et rouge, la Belgique B qui se distinguera 333
de la précédente par des maillots vert uni, la Suisse, le Luxembourg, la Hollande, et la France. Il ajoute quatre équipes régionales: NordEst-Ile-de-France, Ouest, Sud-Est et Sud-Ouest. Ces équipes-là ne sont pas une nouveauté. De 1928 à 1930, Desgrange avait déjà organisé, plus ou moins arbitrairement, une partie des touristes-routiers en neuf équipes régionales de trois, quatre et cinq hommes, dont on eût pu douter de la cohésion. En revanche, les formations de 1939 sont de vraies équipes au même titre que les nationales. L'idée se révèlera excellente. Le Patron met en place cinq étapes contre la montre individuelles, dont une en montagne par l'Iseran, et décide d'éliminer le dernier du classement général entre les 2e et 7e étapes, c'est-à-dire entre Caen et Bordeaux. Histoire de donner du tonus au peloton dans cette portion de parcours qu'il redoute. Les bonifications sont rognéesl, à la lueur de l'expérience de l'année précédente qui avait permis à Bartali de récolter en montagne une moisson de minutes un peu excessive. Enfin, dernière nouveauté, Desgrange donne la possibilité aux coureurs de fournir leurs propres boyaux ainsi que les cadres de leurs bicyclettes, à condition qu'ils soient émaillés en jaune ! Ce Tour de France est celui du repli. Au vu de la situation internationale l'organisateur a évité les frontières sensibles. Cette année, le Tour ne passera pas dans le Nord ni dans l'Est, bien que ces régions aient "reçu l'assurance d'être visitées l'an prochain", précise le Miroir des Sports. Il pénètrera plus profondément en Bretagne, mais ne frôlera la frontière espagnole qu'à Salies-de-Bearn, en évitant Luchon, et surtout Perpignan dont la région est truffée de camps de réfugiés fuyant le régime franquiste. Dernier départ avant la guerre André Leducq et Antonin Magne s'apprêtent à prendre leur retraite. Le 2 août, ils participeront à leur dernière course en duo, au vélodrome de Commercy. Une américaine de 100 kilomètres qu'ils gagneront, histoire de finir en beauté. En juin, Tonin a déclaré forfait pour le Tour. Roger Lapébie accidenté en a fait autant, et Georges Speicher, Champion de France pour la troisième fois, s'est désisté, à 334
moins que sa piètre tricherie du Tour précédent l'ait rendu indésirable. C'est donc une équipe dépourvue de grandes vedettes, malgré la présence de Victor Cosson et de Raymond Louviot, qui se présente sur la ligne de départ2. On trouve dans les équipes régionales des coureurs remarquables, comme René Vietto, Paul Maye, Jean Fréchaut, Maurice Archambaud et René Le Grevès qui, tous deux, ont refusé leur sélection dans l'équipe nationale, Pierre Gallien, Fernand Mithouard, Louis Thiétard, tous anciens membres de l'équipe de France. De quoi constituer une équipe nationale bis plus forte que l'officielle. Ce sont ces hommes-là et quelques autres qui vont imprimer, dès le départ, un rythme infernal au Tour de France. Le Breton Jean-Marie Goasmat, mobilisé à Vannes, a dû laisser sa place dans l'équipe de l'Ouest au benjamin du Tour, Christophe Taeron, qui vient d'avoir vingt ans. Quant au dossard 69, dévolu au Bordelais André Bramard, le seul homme à lunettes du peloton, il est resté vacant. Militaire au camp de réfugiés espagnols de Guers dans les Pyrénées-Orientales, Bramard n'a pu, au dernier moment, obtenir la permission nécessaire à sa présence dans l'équipe du Sud-Ouest. André Leducq qui prend goût au journalisme, commente le Tour à la T.S.F en compagnie de Georges Briquet, pour le Petit Parisien et le Miroir des sports. Son bagout de gars du faubourg y fait merveille. Le grand hebdomadaire sportif lui a attribué une Renault décapotable qui porte son nom inscrit en lettres énormes sur le capot. Son excoéquipier Roger Lapébie , donne le coup de drapeau du départ. Manifestement sorti de son purgatoire, le champion bordelais aurait probablement été sélectionné s'il n'avait pulvérisé sa rotule gauche sur un portillon métallique du Parc des Princes, à l'arrivée de BordeauxParis. Ce qui, d'ailleurs, mit fin à sa carrière. Le départ du Vésinet est troublé par l'apparition de coureurs inconnus, portant des maillots belges, luxembourgeois, et français. Cette intrusion étonne les suiveurs: "Tout devint parfaitement clair quand apparurent les artistes de cinéma Albert Préjean, Maurice Arnoux, la charmante vedette Meg Lemonnier, en combinaison d'automobilistes et l'imposante artillerie des appareils de prise de vue: il s'agissait tout simplement d'un film sur le Tour de France3." En effet, 335
Jean Stelli qui provoquera des inondations lacrymales dans les cinémas de l'Occupation avec son film "Le Voile bleu", tourne "Pour le Maillot jaune ", petit drame cycliste qui se déroule, comme son titre l'indique, pendant le Tour de France. Meg Lemonnier y donne la réplique à l'inamovible jeune premier Albert Préjean, héros sportif largement quadragénaire, qui possède beaucoup d'amis dans les milieux cyclistes, dont Leducq et Speicher. C'est d'ailleurs à un grand champion, le pistard Toto Gérardin que, dans quelques années, Préjean vendra son hôtel particulier ultramoderne de Boulogne-sur-seine. La présence de Meg Lemonnier dans "Pour le Maillot jaune" n'est pas due au hasard. La jeune femme a épousé depuis peu Maurice Goddet, frère de Jacques, principal actionnaire du Vél'd'Hiv et du Parc des Princes, et patron du Journal L'Auto par la grâce de son géniteur Victor Goddet. Ou plutôt ex-patron, puiqu'il vient de vendre ses actions au magnat de la presse Raymond Patrenôtre, sur les conseils de son frère Jacques et d'Henri Desgrange. Les prodigalités du charmant et dilettante Maurice qui menaçaient l'équilibre financier du journal avaient rendu ce dessaisissement nécessaire4. Le retour du Roi René Entre Paris et Caen, Romain Maës tente le coup de l'étape ParisLille du Tour 1935, et prend une minute d'avance. Malheureusement, il perce à quatre kilomètres de l'arrivée et c'est le régional de l'équipe de L'Ile-de-France, Amédée Fournier, dit Médoche, qui l'emporte sur le vélodrome de la Venoix. Romain Maës se consolera le lendemain dans la demi-étape contre la montre, Caen-Vire, qu'il remportera en endossant, brièvement et pour la dernière fois, le maillot jaune. L'après-midi, le régional Tassin gagne la demi-étape, Vire-Rennes, et c'est un autre régional, Fontenay, qui reçoit la précieuse tunique. On constate alors que le second du classement général n'est autre que René Vietto, à 2'10" de Fontenay. Depuis son Tour de France miraculeux de 1934, René Vietto n'a jamais retrouvé la grâce qui avait fait de lui l'enfant chéri de la France sportive. Une chute douloureuse sur l'hippodrome du Croisé-Laroche en 1935 et de sombres démêlés avec son mentor, André Trialoux directeur sportif des cycles Helyett et ex-commissaire du Tour de 336
Frances, avaient grippé la belle mécanique. Trialoux, personnage incemable, illusionniste du verbe, s'était chargé des intérêts financiers de son protégé, ce qui eut pour effet, selon Vietto, de ruiner le coureur cannois, et d'endommager sérieusement son équilibre psychologique. Le problème n'est d'ailleurs pas entièrement réglé, des intérêts d'argent liant encore les deux hommes, et Vietto est toujours empêtré dans ses relations d'affaires avec son directeur sportif. À la veille de la grande étape des Alpes et à la suite d'une conversation téléphonique houleuse avec Trialoux, Vietto se demandera encore dans quelle poche iraient ses gains s'il gagnait le Tour de France6 ! Malgré quelques embellies, notamment dans le Tour 1935 où il gagna deux étapes, Vietto continue de courir après sa gloire. À Rennes, quand Georges Briquet lui demande s'il ferait un bon Tour de France pour faire plaisir à sa jeune femme, il répond à la Vietto, "Ilfaut bien, puisqu'elle veut que je sois coureur7. " Cette réplique désabusée n'est pas forcément significative, car l'homme aime s'entourer de mystère et répugne à dévoiler la moindre de ses batteries. Il a gagné en expérience ce qu'il a perdu en facilité, car il ne grimpe plus aussi bien que par le passé, mais son début de saison sans être mirobolant a démontré que la forme était là, et son ambition secrète de gagner enfin la Grande Boucle est intacte. L 'homme au Leica Parmi les suiveurs, un jeune homme brun se promène dans le Tour de France. Il porte en bandoulière un minuscule appareil photo 35 mm de marque Leica et prend d'innombrables clichés qui n'ont aucun rapport direct avec la course. Rôdant dans les cantines sommaires des demi-étapes ou dans les garages et les hangars où se lavent les coureurs, s'attardant au bord des routes, il photographie tout: la vie quotidienne du Tour, les regards émerveillés des gosses, la houle humaine qui applaudit au passage du peloton, les coureurs-travailleurs, avant ou après leur boulot, des détails, des petits riens, des morceaux d'humanité. L'homme au Leica néglige l'événement au bénéfice de ceux qui le vivent, et Vietto, foulard autour du cou, en socquettes noires et maillot bleu azur, assis à même l'herbe et adossé contre un empilage de caisses de bière, n'échappe pas à son objectif incisif. Ce 337
qu'enregistre le jeune homme brun, c'est, au-delà de l'extrême concentration du coureur cannois, l'âme du Tour de France, et son climat bon-enfant de kermesse populaire, qui masque mal ses petits drames permanents et sa réalité sociale. Ses clichés admirables de simplicité se situent aux antipodes de ceux du talentueux Robert Caudrilliers et de ses adjoints, qui photographient ce que l'on attend d'eux: le Tour de France d'Henri Desgrange, grandiose et esthétique, paisible et rural, héroïque mais humain. Une imagerie académique parfois contrariée par un cliché de pantin désarticulé, ensanglanté au bord d'un fossé, par la fatigue et la souffrance qui se lisent sur les visages goudronnés ou par l'indignation de quelque journaliste plus critique que laudateur. Le jeune homme au Leica a vingt-cinq ans, il est juif, Américain d'origine hongroise et s'appelle Andrei Friedmman, mais il signe ses images du nom de Robert Capa. Le public ne connaît de lui que ses photographies, et principalement l'une d'entre-elles qui a fait le tour du monde, celle d'un milicien républicain espagnol mortellement atteint par une balle ennemie. Envoyé en Espagne par la direction d'un grand magazine, Capa a photographié la guerre de près pendant trois ans, comme personne ne l'avait fait avant lui; la guerre dans sa cruauté, dans son absurdité, dans sa détresse; et la fraternité, et la tendresse, et l'amour, qui sourdent, irréductibles malgré l'horreur. Dans la tourmente, il a perdu sa compagne, Gerda Taro, écrasée par un Tank. Il était à Guernica, il était à Teruel, il était à Cordoue. Il a assisté à la prise de Madrid. Il a franchi l'Ebre aux côtés d'Hemingway. Il a vu les avions ennemis mitrailler les réfugiés de Tarragone, et en mars il a approché le camp de concentration français d'Argelès-sur-mer, où 75 000 républicains espagnols sont internés dans des conditions abominables sur la plage cernée de barbelés. La rétine imprimée par le spectacle de la guerre, comment pourrait-il voir le Tour de France comme le voit le Miroir des Sports? Le maillot jaune pour Vietto À Brest, Jean Fontenay, le Breton au long nez, est toujours maillot jaune, mais dans l'étape Brest-Lorient, il rate la bonne échappée dans laquelle se trouve Vietto. À Lorient, le "Roi René" se voit attri338
buer pour la première fois de sa carrière, le paletot tellement désiré, avec une minuscule avance de six secondes sur l'interminable Luxembourgeois Mathias Clémens. Sa première réaction sur la pelouse du vélodrome de Lorient, lorsque Desgrange accourt pour lui annoncer la bonne nouvelle, est de murmurer: "Merde, je n'en demandais pas tant8." C'est bien vu car il devient maintenant la cible des favoris et principalement des redoutables Flandriens, Sylvère Maës, Edward Vissers et Félicien Vervaecke. Il va néanmoins tomber dans le piège et s'épuiser à conserver sa tunique jaune. À Salies-de-Béarn, au terme de la demi-étape partie de Bordeaux, le beau maillot est toujours sur ses épaules, sans qu'il ait pu grignoter une seule seconde sur Mathias Clémens. Un Tour de France épuisant Depuis Paris, les régionaux ont mené ce Tour de France à un train d'enfer. Fournier a gagné à Caen et à Nantes, Tassin à Rennes, Cloarec à Brest, Pagès à Royan, Passat à Bordeaux. Desgrange voulait, comme toujours, un début d'épreuve très animé, et cette fois il l'a. Il peut donc se frotter les mains: son idée des équipes régionales est vraiment géniale! La seule ombre au tableau, et elle est de taille, c'est que les coureurs sont épuisés. Mais qui s'en soucie? Des voix s'élèvent cependant, dont celle de Raymond Ruttier dans le Miroir des Sports. Sortis du lit à 2h30 du matin, à Bordeaux, les coureurs sommeillaient à moitié du côté de Mont-de-Marsan, lorsqu'une chute envoya sur le goudron Romain Maës, Paul Maye, et Arsène Mersch qui durent abandonner. La grogne règne dans le peloton, car après les 210 kilomètres entre Bordeaux et Salies-de-Bearn, parcourus le matin, le voici engagé l'après-midi dans une étape contre la montre individuelle de 67 kilomètres sur un parcours de montagnes russes entre Salies-de-Bearn et Pau! Ces épreuves-là Vietto ne les aime guère. Il se souvenait trop de la première jamais courue dans un Tour de France, en 1934, quand Antonin Magne lui avait pris 10 minutes. Il est un fait qu'à mi-course, il est à 3'50" du Suisse Litschi, et a virtuellement perdu son maillot, mais dans un effort inouï il remonte son handicap et termine l'étape à 339
la 12e place en confortant sa position. À l'issue de cette terrible journée qui vit l'abandon de quatre coureurs, l'écart qui sépare Vietto du second, Disseaux, est de 58 secondes. Raymond Ruttier s'interroge: "Le père du Tour n'aurait-il pas imposé aux routiers, avant Pau, un effort surhumain?" Et il ajoute: "L'opinion générale était que cette course contre la montre, placée juste avant la montagne et sans repos intermédiaire ne s'imposait pas du tout et était même nuisible à l'intérêt de l'épreuve, car les coureurs, venus de Paris à une moyenne record, se trouvaient déjà, pour la plupart, dans un sérieux état de fatigue. (...J L'excès en tout est un défaut. C'est une maxime que les organisateurs feraient bien de méditer pour l 'avenir9 ... "
Sylvère Maës contre Vissers Le lendemain sera bien pire. Entre Pau et Toulouse, les coureurs doivent escalader trois cols redoutés: l'Aubisque, le Tounnalet et Aspin. Levés à 4h du matin, ils s'élancent à six heures dans un brouillard épais et sous la pluie. À la surprise générale, le premier à lâcher prise est Félicien Vervaecke, le doyen du peloton. L'indomptable bagarreur descend de selle, épuisé, avant même l'attaque du premier col. Désabusé, il avait confié la veille à Georges Briquet que les chiffres ne lui étaient pas favorables: "en 1934, individuel n04, avec le numéro 104, j'arrivais
4e
,.
en 1936, je portais le n03 et j'arrivais
3e ,. l'an dernier
on m'octroyait le n02 et j'arrivais 2e... Cette année, on m'a donné le n02,. alors j'ai comprislO ! " Il oublie de dire qu'en 1935 il tennina 3e avec le dossard n08. Cet aveu réduirait sa théorie à néant! Le lendemain, il bouclera ses valises pour la dernière fois sur le Tour de France et rentrera à Menin, en Belgique, où l'attendent sa famille, ses colombes et sa brasserie "Le Ballon d'Alsace". Vissers passe en tête au sommet de l'Aubisque juste devant Bailleux, un régional, et Sylvère Maës qui suit à 14 secondes. Si quelques courageux en impennéable grelottent en haut du col, sur le parcours, aucun spectateur n'a eu le cran d'affronter la bourrasque. Vietto est déjà à plus de deux minutes. Il transpire anonnalement malgré le froid et se plaint de douleurs aux genoux. La descente transfonnée en pati340
noire est un cauchemar à faire frémir Jean-Marie Goasmat, qui par bonheur n'est pas là. Il Yaurait péri ! Si les routes se sont améliorées, celles de nombreux cols sont encore en terre battue. C'est le cas de l'Aubisque où les suiveurs horrifiés assistent à une hécatombe de coureurs qui s'affalent dans la boue liquide: "Ils devaient hurler sans arrêt pour avertir les voitures de leur présence, et c'est au prix des plus grandes difficultés qu'ils parvenaient à conserver leur équilibre. Ils avançaient comme des aveugles, sans voir ni les virages ni les précipices, se dirigeant souvent avec les pieds au sol et le moindre coup de frein brutal les aurait entraînés dans une chute irrémédiablell." Le regroupement de la descente permet à Vietto de rejoindre les ténors, mais dans la montée du Tourmalet il flanche à nouveau. Vissers, constamment debout sur ses pédales, s'envole, et passe au sommet avec plus de cinq minutes d'avance sur Sylvère Maës et plus de sept minutes sur Vietto. Mais le Cannois reste un descendeur formidable et en bas du Tourmalet il a comblé son retard. Même scénario dans Aspin où une fois de plus Vissers passe en tête. Vietto décroche, mais retrouve Sylvère Maës, Ritserveldt et Gianello dans la descente. Entre le pied du col d'Aspin et Toulouse il reste 160 kilomètres de terrain plat. Vissers résiste héroïquement au retour de ses quatre poursuivants. Il perd du terrain, mais à l'arrivée sur la piste en cendrée du stade municipal de Toulouse, il conserve 4'04" d'avance. Vietto à bout de forces, écroulé sur son vélo, a sauvé son maillot jaune. Huit coureurs ont abandonné, dont quelques costauds comme Meulenberg, Yvan Marie, Litschi.... René Vietto espère-t-il vraiment gagner le Tour de France? Ille déclare en tout cas, mais il est probable qu'il est assailli par le doute. Lui, l'incomparable escaladeur de cols, n'est plus qu'un bon grimpeur. Le voici contraint de limiter les dégâts dans les montées et de construire sa course dans les descentes et sur le plat, comme Leducq, Speicher ou Lapébie. Bien qu'on le sache vulnérable, on le voudrait vainqueur, et si son orgueil l'oblige à expliquer ses baisses de régime par une angine tenace, ou la fragilité de ses genoux, il conserve, malgré tout, une place privilégiée dans le cœur des mordus du vélo qui ne sont pas dupes, mais feignent de l'être. 341
Le soir à l'hôtel, le torchon brûle entre Vissers et Sylvère Maës. Le second étant accusé, à juste titre, d'avoir été particulièrement actif dans la chasse menée contre le premier nommé. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que Sylvère le Flandrien ayant neutralisé Vietto, son coéquipier le Belge Vissers qui caracolait loin devant devenait son adversaire le plus dangereux! En bref, Maës a joué sa carte personnelle sans se soucier de l'esprit d'équipe: "Il y eut de sérieuses explications à Toulouse, avec coups de téléphone de Bruxelles, audition des principaux intéressés, reconstitution du "crime ",promesse de sanctions, tant et si bien que Sylvère Maës menaça de reprendre immédiatement le train pour la Belgique. Mais, bien entendu, comme dans la chanson, tout finit par s'arranger 12."
Le sursis Entre Toulouse et le pied des Alpes, Vietto résiste. Il fait même illusion dans l'étape contre la montre, Béziers-Montpellier, gagnée par Maurice Archambaud, en reprenant 22 secondes à Sylvère Maës dans une discipline où il n'est guère à l'aise habituellement. Son avance sur le Belge est maintenant de 3'19". C'est bien mais insuffisant, car dans la demi-étape Saint Raphaël-Monaco, Maurice Archambaud démarre brusquement avec Sylvère Maës dans son sillage. À l'arrivée Vietto a perdu 90 secondes. Il est furieux et s'en prend publiquement au Nabot qu'il accuse de vouloir sa perte. Le lendemain dans la boucle de SospeI, Archambaud serré de trop près par une voiture dans une descente, quitte le virage et se retrouve sur la route. .. quelques mètres plus bas. Couvert de blessures après son raccourci involontaire, il repartira, et remportera même l'étape contre la montre Dôle-Dijon, sa quatrième victoire dans ce Tour de France. Avant la grande étape alpine, l'écart qui sépare Vietto de Sylvère Maës n'est plus que de 109 secondes. On songe à Bartali qui, l'année précédente, s'était imperceptiblement approché de Vervaecke avant de le terrasser dans les Alpes. Il n'y a plus qu'à espérer un miracle. Il ne viendra pas.
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L'estocade L'étape Digne-Briançon est exclusivement réservée aux grimpeurs et aux descendeurs. Pas question de combler un retard sur de longues portions de plat comme dans la grande étape pyrénéenne, Pau-Toulouse. Les trois cols, AlIos, Vars et Izoard se succèdent sans interruption, et l'arrivée à Briançon a lieu immédiatement après la descente de l'Izoard. Au sommet du col d'Allos, Vissers est en tête, suivit de Sylvère Maës. Tout va bien, Vietto est à 23 secondes, et le regroupement de la descente lui permet de retrouver facilement les coureurs de l'Escadron noir. Au pied du col de Vars, Après le village de Saint-Paul, le décor change. La route goudronnée du col d'Allos a laissé place à un mauvais chemin de terre battue, crevassé, raviné, encombré d'éboulis de roches, et qui serpente dans un décor de caillasses et d'herbe rase. Les coureurs grimpent péniblement dans la fournaise, asphyxiés par la poussière que soulèvent les voitures suiveuses, et s'étirent en une longue guirlande colorée. Au sommet, deux silhouettes noires apparaissent: Vissers et Maës, suivis de Ritserveldt avec son maillot vert uni de l'équipe belge "B". Puis vient Neuville équipier de Maës, suivi à quelques mètres de deux Français, Mallet et Gianello, et d'un Hollandais, De Korver. Vietto n'est pas là. Il ne passera qu'environ deux minutes après les premiers. Il saisit une canette de bière, louvoie au milieu des voitures qui encombrent le sommet, salue d'un hochement de tête le vieux Desgrange perdu au milieu des spectateurs, et s'enfonce dans l'épais nuage de poussière blanche de la descente. Avant le contrôle de Guillestre, il a déjà rejoint Sylvère Maës. Après les gorges du Queyras, que les coureurs n'ont ni le temps ni le cœur d'admirer, ils sont cinq en tête: Sylvère Maës, Vissers, Gallien, Pierre Clémens et Vietto. Après Arvieux, la végétation se raréfie graduellement. Bientôt apparaîtra le chaos desséché de la casse déserte, avec ses gigantesques roches longilignes sculptées par l'érosion, plantées sur les pentes arides comme d'énigmatiques idoles de pierre. La montagne est la providence de Robert Caudrilliers et de ses confrères les photographes du Tour. Munis de leurs lourds appareils grand format, ils peuvent s'en donner à cœur-joie sur le thème: 343
"L'homme opiniâtre luttant contre la nature hostile", en s'essoufflant sur les pitons rocheux, à la recherche du meilleur angle de prise de vue. Les lecteurs raffolent de ces photos-là. Si Vietto doit gagner ce Tour de France, c'est maintenant. En cassant les reins de Sylvère Maës, en montrant qu'il est le plus fort et qu'il est inutile d'insister. Le Flandrien au nez de travers doit y penser. Brusquement c'est lui qui accélère. Sûrement pas avec l'allure souple et aérienne de Bartali, dont l'ombre plane sur les Alpes ce jour-là, ou de Vietto, s'il en avait la force. Non, Sylvère, tête nue, ses lunettes de motard posées sur le front, démarre dans son style à lui. Si l'on peut appeler ça un style, plutôt une incongruité vélocipédique, un défi à l'élégance, qui lui fait agiter furieusement son guidon dans un vif mouvement de balancier, le buste cintré sous l'effort, les épaules épousant les saccades de ses coups de pédales, le visage douloureux, obstiné. Il se retourne, et voit les autres, arc-boutés sur leurs machines, zigzaguer et tenter de recoller à sa roue, mais en vain. L'action était préméditée, ressassée depuis des jours. Peut-être même que Karel Steyaert avait désigné l'endroit précis où Sylvère devrait lancer son attaque. Vietto a lâché prise le premier, il est déjà loin derrière, découragé, vaincu, atomisé, pendant que Gallien s'accroche pour quelques hectomètres. Ce moment dramatique inspira à Raymond Ruttier, témoin à chaud, cette tirade desgrangienne digne d'une anthologie du sport: "... alors que le rude et pesant Sylvère paraissait avoir dérobé les ailes d'un ange, le fin et aérien Vietto donnait l'impression d'être soudainement transformé en une statue de plomb. Asphyxié, anéanti par ce démarrage brutal, il restait agrippé, collé au sol par des tentacules diaboliques, et l'ancien roi de la montagne n'était plus qu'une pauvre épave privée de sang, de nerf, et de vie. (...) on crut qu'il allait succomber à tant de souffrances, et vingt fois peut-être on redouta de le voir rester en équilibre, puis mettre pied à terre à bout de forces, jeter de rage son vélo dans le précipice et s'écrouler en sanglotant contre l'insensible muraillet3. " Encouragé par son équipier Bernardoni, Vietto se cramponne avec l'énergie du désespoir. Mais il sait que la bataille est perdue. Au sommet, Sylvère Maës passe loin devant Gallien, Gianello et Vissers, 344
disséminés sur le parcours. Vietto, effondré, est à presque quinze minutes du premier. Va-t-il reprendre une partie de son retard dans la descente? Non, bien au contraire, car son boyau arrière perce sur la route ravinée. Avec l'aide de Bernardoni, Vietto répare à la hâte et arrive à Briançon avec dix-sept minutes de retard sur Maës. Si l'on ajoute les bonifications attribuées au vainqueur, ce sont dix-neuf minutes qu'il perd ce jour-là. La cause est entendue. Après avoir porté le maillot jaune pendant seize étapes14, le "Roi René" ne gagnera pas le Tour de France et restera à tout jamais un souverain sans couronne. Il se rend à son hôtel les larmes aux yeux. Le coup de grâce Le lendemain de cette journée dramatique, les coureurs sont jetés sur la route à 4 heures du matin pour un calvaire en trois volets. Ils doivent tout d'abord se perdre dans la brume et le froid à l'assaut du col du Galibier, puis après une courte pause, subir les 65 kilomètres du tiers d'étape contre la montre individuel agrémenté de l'escalade du col de l'Iseran à 2 769 mètres d'altitude! Le dernier parti dans le contre-la-montre, devra s'aligner dans le tiers d'étape en ligne de 102 kilomètres Bourg-Saint-Maurice-Annecy, immédiatement après sa course précédente. Sylvère Maës parti le premier, donc avantagé par un repos de deux heures, s'insurge auprès des organisateurs au nom de ses camarades. Il ne sera pas entendu. Raymond Ruttier note en évoquant le départ de cette journée épuisante: "Abattus, harassés de fatigue, soulevés d'indignation, les coureurs avant de s'enfoncer dans la nuit glacée ne purent s'empêcher de manifester des clameurs hostiles à l'adresse de l'organisateur, qui paraît s'ingénier avec une machiavélique obstination, à compliquer singulièrement la tâche des coureurs, au point de la rendre bientôt impossible. " On peut se demander, en effet, quelles sont les parts de sadisme, d'inconscience, d'indifférence à la souffrance des autres, qui président à l'élaboration de ces parcours démentiels. Dans l'étape contre la montre de l'Iseran, qui se déroule par un froid glacial, Sylvère Maës galvanisé par sa retentissante victoire de 345
l'Izoard se montre souverain. Ses partenaires de la veille, Vissers, et Gallien, sont respectivement 2e et 3e, mais le malheureux Vietto poursuit son chemin de croix. Il perd dix minutes, et s'il est toujours second au classement général, il se trouve maintenant à 26 minutes de Maës. Le Tour de France est terminé, les étapes suivantes étant, comme souvent, une simple formalité. Dans la dernière demi-étape, entre Troyes et Paris, le grand espoir de l'équipe de France, Pierre Jaminet, est contraint à l'abandon après une chute sérieuse près de Sens, à 125 km du but. Curieux garçon ce Jaminet, avec son visage joufflu de gros bébé heureux, son dos voûté et sa tête enfoncée dans les épaules. Dilettante du cyclisme, il avait abandonné la compétition après un beau début de carrière, pour devenir conducteur d'autobus. Puis il avait repris l'entraînement et les courses cyclistes. Ses bons résultats lui avaient valu sa sélection dans l'équipe de France l'année dernière, et cette année encore. Judicieuse initiative de Desgrange. À Royan, il est 5e, et 6e à Bordeaux. Dans la 10e étape, Toulouse-Montpellier, tronçonnée en tiers d'étapes courus le même jour, il fait un parcours sensationnel en remportant le premier tiers, Toulouse-Narbonne, détaché. Dans le contre-la-montre Narbonne-Béziers, il est second derrière Archambaud, à 38 secondes, et dans le dernier tiers, Béziers-Montpellier, il termine 3e. Et il continue: 6e à Marseille, 2e à Saint-Raphaël, 5e à Monaco. Il est encore ge dans la boucle de Sospel, 7e à Digne. Ensuite, il remporte l'inhumain tiers d'étape Briançon-Briançon par le Galibier. Le même jour, il est 5e à Annecy. Puis, après la journée de repos, il est 5e à Dôle, 10e à Dijon, et 6e dans la première demi-étape entre Dijon et Troyes, jusqu'à la malheureuse conclusion de sa chute de la dernière demi-étape, à 125 kilomètres de Paris et de son apothéose. On voyait en lui un nouveau Speicher et on lui promettait un brillant avenir dans le Tour de France 1940, ainsi que dans les suivants. Hitler en décida autrement. Marcel Kint le Champion du Monde 1938, gagne au Parc des Princes, sous un ciel triste, la dernière étape des Tours de France de l'entre-deux-guerres, devant Sylvère Maës, et l'inévitable Maurice Archambaud, qui rêve depuis toujours de gagner au Parc et qui n'y parviendra jamais. 346
Maës est bien le plus fort. Il est brûlé par le soleil, décharné, épuisé, mais il a gagné son deuxième Tour de France; haut la main, et à la moyenne record de 31.986 km/h. Ce sera le dernier. Il confie aux journalistes que le Tour est devenu trop dur, qu'il va trop vite15, et qu'il n'y participera plus. Les parcours de plus en plus difficiles, le dérailleur, les étapes contre la montre, les régionaux qui veulent leur part du gâteau, et qui en ont dévoré un gros morceau cette année en gagnant quatorze étapes, tout cela contribue à rendre le Tour impossible pour un coureur de trente ans qui a largement fait ses preuves. Quant à Vietto, il ne désarme pas et déclare que la prochaine édition sera pour lui. Il n'a que vingt-cinq ans. L'avenir lui appartient16. Albert Préjean, l'ami de Speicher et de Leducq, est dans la tribune d'honneur près de Desgrange. Les extérieurs de "Pour le maillot jaune" sont terminés. Sur les gradins, les uniformes se mêlent aux costumes civils. La guerre est là, toute proche, bien qu'on feigne de l'ignorer. Henri Desgrange n'y croit pas. Il décrit à Georges Briquet les grandes lignes de son prochain Tour, celui de 1940 : départ par le Nord et l'Alsace, diminution du nombre d'étapes contre la montre, maintien des équipes régionales et nationales, mais sans les Allemands, trop médiocres, sans les Espagnols qui n'ont que Berrendero, qui fait son joli numéro en montagne, mais pas plus. Il engagera les Italiens s'ils ne sont pas trop exigeants. Si tout va bien il y aura même une équipe d'Angleterre, et plus tard, beaucoup plus tard, une équipe américaine. Le Tour reprendra le sens des aiguilles d'une montre, passera par Roubaix, Reims, Nancy, Lons-le-Saunier, Aix-les-Bains, Annecy, Cannes, Toulouse, Pau, puis on rentrera à Paris en trois jours en passant par Royan. La vie continue. Pourquoi s'arrêterait elle, la vie? Ce Tour-là n'aura pas lieu. Le 23 août, les Russes et les Allemands signent un pacte de non-agression dont les clauses secrètes prévoient le partage de l'Europe entre les signataires. Le 1er septembre, le Reich envahit la Pologne, le 3 septembre la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne. C'est le début d'un chaos qui durera presque SIXans.
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En savoir plus: 1. Les bonifications se présentent ainsi: 30" d'avance pour le premier s'il gagne au sprint et l' s'il arrive avec au moins 30" d'avance. Au sommet des cols, l' pour le premier si son avance sur le second est supérieure à 30", sauf pour le Tourmalet, l'Izoard et l'Iseran, où cette avance doit être au moins d'une minute. 2. L'équipe de France était constituée d'Auguste Mallet, Georges Naisse, Lucien Le Guevel Victor Cosson, Sylvain Marcaillou, Pierre Jaminet, Dante Gianello et Raymond Louviot. 3. Le Miroir des Sports n01072 du 13 juillet 1939. 4. "Jacques Goddet" par Jacques Marchand. Éditions Atlantica 2002 5. C'était Trialoux qui avait provoqué l'abandon d'Henri Pélissier dans le Tour de France 1924, en le contrôlant pour une histoire de maillot non réglementaire. 6. Voir "La Fabuleuse histoire du Tour de France". Pierre Chany. Éditions Nathan1991. 7. Le Miroir des Sports n01072. du 13juillet 1939 8. "La véridique histoire de René Vietto" J.P Ollivier. Glenat 1997 9. Le Miroir des Sports n01075. du 20 juillet 1939 10. Le Miroir des Sports n01076 du 22 juillet 1939. Déjà en 1937, Vervaecke avait confié sa lassitude au Miroir des Sports: "Il faut vraiment avoir besoin de gagner des sous pour s'accrocher tous les jours quand on n'a plus aucune chance de gagner. J'avais encore besoin d'un peu d'argent pour arranger mon café, mais quand j'aurais achevé de payer, je sais bien que je n'aurais plus le courage de repartir dans votre histoire. Le lendemain de cette déclaration, Vervaecke gagnait à Nice. Il remporta le Classement du meilleur grimpeur malgré son abandon, et en 1938 termina 2e du Tour de France. Il. 12. Le Miroir des Sports n01076 du 22 juillet 1939 13. Le Miroir des Sports n01079 du 29 juillet 1939 14. En comptant les demi-étapes 15. Le Tour de France va globalement de plus en plus vite. En 1920, l'écart entre le premier, Philippe Thys, et le dernier, Charles Raboisson, est de 69 heures. En 1939 l'écart entre le premier, Sylvère Maës, et le dernier, Armand Le Moel, est de 4 heures et 26 minutes. Cette progression est due à une sélection plus rigoureuse des coureurs, à l'amélioration des routes et du matériel, aux délais imposés aux concurrents sous peine d'élimination, à l'apparition de la diététique, et peut être aussi du doping! Maës qui ne voulait plus participer au Tour changea d'avis après la guerre et regretta amèrement de ne plus être sélectionné dans l'équipe de Belgique. En 1946, il participa à la Ronde de France, prémices au premier Tour de France d'après-guerre. 16. René Vietto (1914-1988) courut pendant la guerre et obtint quelques succès et des places d'honneur. En 1947, il revint dans le Tour de France, fit une course héroïque, porta longuement le maillot jaune, et finalement termina Se après s'être effondré dans le dramatique contre-la-montre de 139 km à deux jours de l'arrivée. Il participa encore à deux Tours de France, en 1948 (17e) et 1949 (28e).
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Dans les années soixante-dix, René Vietto, grâce à l'écrivain Louis Nucera, fit plusieurs apparitions à la télévision et éblouit les téléspectateurs par sa personnalité originale et son sens de la répartie.
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Le Tour de France 1939 en un coup d'œil 33e édition du10 au 30 juillet 1939 4 224 km. 21 étapes dont 10 étapes complètes, 6 par demi-étapes dont 3 contre la montre, et deux par tiers d'étape, dont 2 contre la montre. Départ du Vésinet, arrivée à Paris. Trois jours de repos (Royan, Toulouse, Annecy) Moyenne du vainqueur 31.986 km/h (record). 79 coureurs au départ. 10 équipes de 8 hommes: Belgique A, Suisse, Hollande, Luxembourg, France, Belgique B, Nord-Est-Ile de France, Ouest, Sud-Ouest et Sud-Est (Bramard sous les drapeaux ne put obtenir de permission). 49 rescapés à l'arrivée. 900 000 F de prix. Vainqueur: S. MAËS (Belgique). Challenge international: BELGIQUE. Classement du meilleur grimpeur: S. MAËS (Belgique) Les étapes et les vainqueurs 1. Paris-Caen, 215 km : Amédée Fournier 2a. Caen-Vire, 63.5 km contre la montre : Romain Maës. 2b. Vire-Rennes, 119.5 km : Eloi Tassin. 3. Rennes-Brest, 244 km : Pierre Cloarec. 4. Brest-Lorient, 174 km : Raymond Louviot. 5. LorientNantes, 207 km : Amédée Fournier. 6a Nantes-La Rochelle, 144 km Lucien Storme. 6b. La Rochelle-Royan, 107 km. Edmond Pages. 7. Royan-Bordeaux, 198 km : Raymond Passat. 8a. Bordeaux-Salies de Béarn, 210.5 km : Marcel Kint 8b. Salies de Béarn-Pau, 68.5 km contre la montre: Karl Litschi. 9. Pau-Toulouse, 311 km Edward Vissers. lOa. Toulouse-Narbonne 148.5 km : Pierre Jaminet. lOb. Narbonne-Béziers, 27 km contre la montre: Maurice Archambaud. 10c. BéziersMontpellier, 70.5 km: Maurice Archambaud. Il. Montpellier-Marseille, 212 km: Fabien Galateau 12a. Marseille-St Raphël, 157 km : François Neuens. 12b. St Raphaël-Monaco, 121.5 km : Maurice Archambaud. 13. Monaco-Monaco, 101.5 km Pierre Gallien. 14. Monaco-Digne, 175 km : Pierre Cloarec. 15. DigneBriançon, 219 km : Sylvère Maës. 16a. Briançon-Briançon, 126 km Pierre Jaminet. 16b. Bonneval-Bourg St Maurice, 64.5 km contre la montre: Sylvere Maës. 16c Bourg St Maurice-Annecy, 103.5 km : Antoon Van Schendel. 17a. Annecy-Dôle, 226 km : François Neuens. 17b Dôle-Dijon, 59 km contre la montre: Maurice Archambaud 18a. Dijon-Troyes, 151 km : René Le Grevès. 18b. Troyes-Paris, 201 km : Marcel Kint. Les maillots jaunes (compris demi-étapes et tiers d'étapes) Amédée Fournier (1). Romain Maës (1). Jean Fontenay (2). René Vietto (16). Sylvère Maës (8). Classement général final 1. Sylvère MAËS (Bel) en 132h03'17" 2. René Vietto (Fra) à 30'38" 3. Lucien Vlaemynck (Bel) à 32'08" 4. Mathias Clemens (Lux) à 36'09" 5. Edward Vissers (Bel) à 38'05" 6. Sylvain Marcaillou (Fra) à 45'16" 7. Albertin Disseaux (Bel) à 46'54" 8. Jan Lambrichs (Hol) à 48'01" 9. Albert Ritserveldt (Bel) à 48'27" 10. Cyriel Vanoverberghe (Bel) à 49'44" Il. Dante Gianello (Fra) à 55'55" 12. Raymond Passat (Fra) à 57'23"
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13. Auguste Mallet (Fra) à 1h02'05" 14. Maurice Archambaud (Fra) à 1h06'24" 15. Albert Van Schendel (Hol) à 1h10'01" 16. Pierre Gallien (Fra) à 1h10'22" 17. Louis Thiétard (Fra) à 1h13'33" 18. Christophe Didier (Lux) à 1h19'07" 19. Georges Naisse (Fra) à 1h23'53" 20. Pierre Clemens (Lux) à 1h24'48" 21. Albert Perikel (Bel) à 1h26'59" 22. Fabien Galateau (Fra) à 1h28'59" 23. Edmond Pages (Fra) à 1h35'24" 24. Oreste Bemardoni (Fra) à 1h46'01" 25. Victor Cosson (Fra) à 1h47'47" 26. Albert Hendrickx (Bel) à 2h04'42" 27. François Neuville (Bel) à 2h15'24" 28. André De Korver (Hol) à 2h15'34" 29. Raymond Louviot (Fra) à 2h16'58" 30. Josef Wagner (Sui) à 2h18'3 8" 31. Pierre Cloarec (Fra) à 2h19'48" 32. Eloi Tassin (Fra) à 2h21 '19" 33. Charles Berty (Fra) à 2h23'45"34. Marcel Kint (Bel) à 2h24'35" 35. Lucien Le Guevel (Fra) à 2h37'54" 36. Trino Yelamos (Fra) à 2h38'04" 37. Joseph Aureille (Fra) à 2h46'15" 38. Antoon Van Schendel (Hol) à 2h51'06" 39. Jozef Dominicus (Hol) à 2h53'19" 40. Victor Codron (Fra) à 3h07'02" 41. Theo Perret (Sui) à 3h14'40" 42. François Neuens (Lux) à 3h15'54" 43. Jean Fontenay (Fra) à 3h16'59" 44. René Pedroli (Sui) à 3h19'33" 45. René Le Grevès (Fra) à 3h35'53" 46. Janus Hellemons (Hol) à 3h44'16" 47. Amédée Fournier (Fra) à 4h01'56" 48. Joseph Soffietti (Fra) à 4h18'46" 49. Armand Le Moal (Fra) à 4h26'39". er 1 des régionaux: Challenge
René Vietto
international
1e Belgique B, 2e France, 3e Belgique A, 4e Luxembourg, 5e Nord-Est-Ile-de-
France, 6e Sud-Est, 7e Hollande, 8e Ouest, ge Sud-Ouest,
10e Suisse.
Classement du meilleur grimpeur 1.Sylvère Maës (Bel.) 86 pts 2.Edward Vissers (Bel.) 84 pts 3. Albert Ritserveldt (Bel) 71 pts ...
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Quelques évènements de l'année 1939 - En Allemagne des lois répressives obligent les juifs à émigrer, mais ils doivent acheter leur départ. - Le physicien italien Enrico Fermi, prix Nobel de Physique, choisit l'exil. - Maryse Bastié effectue un périple de 20 000 km en avion. - Les troupes nationalistes entrent dans Barcelone, fief des Républicains, le 26 j anvIer. - Décès du pape Pie XI. - Lancement du cuirassé allemand Bismark. - La Grande-Bretagne et la France reconnaissent le gouvernement du Général Franco. - Les Allemands entrent à Prague (15 mars). - Le 28 mars, fm de la guerre civile en Espagne. - Le Maréchal Pétain est nommé ambassadeur en Espagne. - Le Cardinal Pacelli devient Pape sous le nom de Pie XII. - N. Chamberlain, Premier Ministre britannique, assure à la Pologne l'inviolabilité de son territoire. - L'Italie envahit l'Albanie. - Albert Lebrun devient président de la République française. - Inauguration à New-York de l'exposition universelle (30 avril). - Le boxeur français Marcel Cerdan devient Champion d'Europe des poids mimoyens. - L'Allemagne et l'U.R.S.S signent un pacte de non-agression (23 août). er - Le 1 septembre, les troupes allemandes entrent en Pologne, L'armée Rouge fait de même le 17 septembre, par l'Est. - Le 3 septembre, La Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l'Allemagne - Le 29 septembre, la Pologne est vaincue. - Le 8 novembre, premier attentat manqué contre Hitler. - Le cuirassé allemand "Graf von Spee" se saborde à Montevideo. - Dans les cinémas, sorties de : "Autant en emporte le vent" de Victor Flemming.. .et de quelques autres, "Espoir (Sierra de Teruel)" d'André Malraux, "Ils Etaient 9 célibataires" de Sacha Guitry, "Le Jour se lève" de Marcel Camé, "La Règle du jeu" de Jean Renoir, "Paradis perdu" d'Abel Gance "La Chevauchée fantastique" de John Ford. - Dans les librairies: "Le Mur" de Jean-Paul Sartre, "Gilles" de Drieu La Rochelle, "Terre des hommes" de Saint-Exupéry, "Les Sept couleurs" de Robert Brasillach. - Décès de : Yvan Mosjoukine acteur et cinéaste russe, Ambroise-Damien Achille Ratti sous le nom de Pape Pie XI, Ambroise Vollard, marchand de tableaux français, Georges Pitoëff, metteur en scène de théâtre français, Sigmund Freud, psychanalyste autrichien. -Naissances de : Ferdinand Bracke, coureur cycliste belge, Jean-Pierre Chevènement et Jack Lang, hommes politiques français, Bertrand Blier, réalisateur français, Jacky Stewart, coureur automobile écossais, Marie Laforêt, chanteuse et comédienne françaIse 352
La guerre, et après... Mort d'un patron Jusqu'en avril 1940, Henri Desgrange ne désarme pas. Contre toute raison et malgré le fait que beaucoup d'acteurs de la grande épreuve soient mobilisés, il croit toujours possible la mise en œuvre d'un Tour de France de dimensions réduites. Mais dès le mois de mai, les évènements se précipitent et la grande débâcle de juin 1940 met fin à ses derniers espoirs. Début août, le général De Gaulle est condamné à mort par contumace. Le 13 août, le Maréchal Pétain annonce la mise en œuvre de la Révolution Nationale. Trois jours plus tard, le 16 août 1940, Henri Desgrange meurt dans sa propriété, Villa Mia, sur les hauteurs de Beauvallon, d'où il dominait la merveilleuse baie de Saint-Tropez. Deux nouvelles opérations rénales et les évènements terribles qui accablent son pays bien aimé ont eu raison de lui. Henri Desgrange qui avait donné des instructions pour que son journal paraisse malgré la présence des Allemands, comme un défi à l'occupant, est mort au bon moment. On peut se demander, en effet, comment l'ancien combattant qui vibrait au micro de Georges Briquet en exprimant son amour pour la France, aurait accepté l'Occupation et ses compromISSIons. Jacques Goddet nouvellement démobilisé assiste à l'enterrement du Père du Tour au cimetière de Grimaud. C'est lui qui, sur l'insistance de Charles Faroux collaborateur doyen de L'Auto, prononce dans le vacarme des cigales l'oraison funèbre qui en fera symboliquement, et avec l'approbation muette de son frère Maurice, le successeur du Patron. Henri le terrible Qui était-il, au fond, cet Henri Desgrange ? Issu d'une droite plus simplement cocardière que subtilement maurrassienne, dur à la peine, conquérant et autoritaire, il était obsédé par l'idée nietzschéenne du dépassement de soi; une idée qu'il avait développée à sa manière en 1895 dans son livre "La Tête et les jambes", manuel d'entraînement cycliste présenté sous forme de lettre à un 353
néophyte, où ses conseils étaient exprimés sur un ton qui décourageait la réplique! "Autocrate insupportable, écrira Maurice Vidal, considérant les coureurs comme ses employés, se "laissant" appeler patron avec une infinie jouissance, il n'en tint pas moins avec une rigueur obstinée à conserver à son épreuve un caractère populaire dans son déroulement, et une irréprochable régularité dans ses résultats1." Si l'irréprochable régularité dans les résultats peut éventuellement être contestée, le caractère populaire du Tour n'est pas niable. Et il est vrai qu'à cette époque, l'énorme public qui suit l'épreuve avec passion et qui ne connaît pas grand-chose de sa réalité sociale ou qui ne veut peut-être rien en savoir, sait cependant reconnaître au passage des valeurs qui lui sont chères. "En dépit des bavures, des erreurs, des trafics de sueur et des faiseurs d'embarras, écrivait Marie-Louise Barron en 1950, le bon sens et la générosité populaires ont su reconnaître dans le Tour ce qu'il a d'humain: les coureurs, et ce qu'il a d'authentique: la lutte qu'ils mènent. Pour le peuple, les gars du Tour, ne sont ni des vélos, ni des chevaux de course. Ce sont des êtres humains. Des hommes qui lui sont proches parce qu'ils font leur métier - très spécial, d'accord - et à qui il tire son chapeau parce qu'ils lefont bien2." Avec sa cohorte de vainqueurs et de vaincus, de seigneurs éphémères portés au pinacle, et de figurants exploités qui n'avaient droit qu'à une considération limitée, Desgrange, au-delà de visées prioritairement mercantiles, fit d'un événement sportif destiné à augmenter le lectorat de L'Auto et à terrasser ses concurrents, un fait social et humain formidablement représentatif de la société globale de son temps, et qui le demeure encore aujourd'hui. La force du Père du Tour était son exemplarité dans un univers exclusivement masculin. Son passé de Poilu quinquagénaire, en 1418, l'autorisait à penser que personne ne pouvait lui donner de leçons de courage, et son record de l'heure, même s'il eut l'idée géniale d'être le premier à l'établir officiellement, empêchait quiconque de l'assimiler à un entrepreneur étranger à la souffrance vélocipédique. Beaucoup plus attentif à son œuvre qu'à ceux qui lui en donnaient un contenu, réclamant des autres les exigences qu'il avait pour lui-même, Henri Desgrange eut des idées géniales et d'autres qui le furent moins ou même pas du tout. Il eut aussi, comme tout le monde, 354
des courages et des lâchetés et son comportement fut souvent singulièrement paradoxal. Il lutta contre l'hégémonie des grands constructeurs, mais ne cessa jamais d'entretenir des liens étroits avec eux. Il détestait Henri Pélissier autant qu'il l'admirait, mais chouchoutait Charles le benjamin de la famille. Il s'insurgeait contre les primes de participation, mais en offrit une, royale et secrète, à Alfredo Binda pour qu'il soit présent dans le Tour 1930. Il pouvait gifler Vietto avant de l'étreindre, verser une larme quand Bartali dut quitter le Tour de France en 1937, mais sanctionner lourdement Lapébie qui sauva l'épreuve par son talent. Il plaisantait avec Leducq qui lui offrit deux Tours de France flamboyants, mais l'élimina injustement en 1934 parce qu'il était de son intérêt immédiat de le faire. Soutenu par sa fascination pour l'exploit phénoménal, droit comme un i sur son rafiot baptisé "Tour de France", Desgrange maintint son cap contre vents et marées avec une obstination qui force le respect, même si l'on peut déplorer qu'il ne se soucia guère de savoir si quelque matelot tombait à la mer. "Ce fut aussi, pour quelques rares intimes seulement, écrira Géo Lefèvre, un ami sûr, un véritable enfant de Paris, aimant la bonne histoire bien croustillante... Mais grands Dieux! Quel terrible patron! Nous aurons été peu à connaître sa double nature3. "
L ~uto dans la tourmente Si pendant l'Occupation le Tour de France est en sommeil, L'Auto continue de paraître, ce qui le condamna à la Libération. Dans une période où l'ambiguïté est reine, Jacques Goddet a forcément de bonnes et de mauvaises raisons pour prendre cette grave décision. Il pratique donc des résistances qui sont à son honneur, comme son refus de relancer le Tour de France, et des indulgences qui le sont moins. Pour compliquer les choses, son frère Maurice avait vendu, avant la guerre, son paquet d'actions majoritaires au patron de presse Raymond Patrenôtre, qui les revendit en 1941 par l'intermédiaire d'un de ses collaborateurs, - aux deux sens du terme - à un consortium allemand. Jacques Goddet poursuivit néanmoins sa route, chargé de cette nouvelle contrainte. 355
Pendant cette sombre période, le journal, qui a toujours été du côté du manche, s'y cramponne une fois de plus et exprime sans ambiguïté et à plusieurs reprises son attachement au Maréchal Pétain4. Sans que cela l'excuse, il ne fut pas le seul. Malheureusement, Goddet qui est prioritairement motivé par la survie de L'Auto est contraint pour atteindre son objectif de surfer sur une vague nauséabonde qui ne peut que l'éclabousser. Administrateur du Vélodrome d'Hiver qui résonna si souvent des clameurs populaires lors des Six Jours, et où s'illustrèrent notamment Charles Pélissier et André Leducq, il assiste, la mort dans l'âme, à la rafle des 16 et 17 juillet 1942, baptisée cyniquement "Vent Printanier" et orchestrée sur ordre des Allemands par Jean Leguay et René Bousquet représentant la Préfecture. Plus de treize mille juifs de tous âges furent, ces jours-là, enfermés dans le vélodrome de la rue Nélaton dans des conditions d'hygiène effroyables, avant d'être dirigés vers les camps de la mort. Le patron de L'Auto et futur patron de L'Equipe en conserva une blessure définitive5. Facétie de l'Histoire, à la Libération, le "Vel d'Hiv" fut à nouveau détourné de sa destination puisqu'il servit de prison provisoire aux collaborateurs et à ceux qui étaient soupçonnés de l'être, avant de devenir, pendant la guerre d'Algérie, centre de détention des Algériens suspectés d'appartenir au F.L.N. Un écho des jours heureux Pendant l'Occupation, des courses cyclistes se déroulent toujours en France, en Belgique, en Italie, en Espagne, et notamment les grandes classiques, malgré les difficultés matérielles dues à la guerre. "Certes, écrira Jean Durry, le matériel était de mauvaise qualité, les boyaux crevaient plus souvent qu'à leur tour, les musettes ne se trouvaient que pauvrement remplies, quelques rares voitures à gazogène formaient de maigres caravanes à la poursuite de pelotons chétifs. Pourtant l'essentiel fut sauvé: le sport cycliste survécut, les maillots aux vives couleurs continuèrent de donner à travers la campagne ou les villes une note joyeuse, un écho des jours heureux6." Marcel Kint, René Vietto, Paul Maye, Raymond Louviot Jules Rossi, Gino Bartali, Guy Lapébie, Dante Gianello, Jean-Marie Goasmat et bien d'autres, poursuivent leur carrière. Sylvère Maës et son 356
homonyme Romain Maës, qui pourtant ne s'aiment guère, forment une équipe de pistards sous l'appellation des diables jaunes, rappel de leur gloire passée. De nouveaux noms apparaissent, Emile Idée, Louis Caput, Lucien Teisseire, Camille Danguillaume, Robert Fachleitner, Pierre Brambilla, André Brulé, Kleber Piot, Fausto Coppi, Fiorenzo Magni, Brik Schotte, Rik Vansteenbergen. . . Il Y a un Tour de Paris, une course dans Paris et même une course de côte à Ménilmontant! À l'automne de 1942, un Circuit de France de six étapes dont quatre demi-étapes, et de 1 515 kilomètres, organisé par le journal La France Socialiste, se donne de faux airs de grande boucle, sous la houlette de Jean Leulliot devenu collaborationniste. L'épreuve sera remportée par le Belge François Neuville. Renaissance Après la Libération, deux courses par étapes, prémices au Tour de France, sont organisées. En 1946, la Ronde de France est dominée par l'Italien Bresci et Monaco-Paris consacre le jeune Apôtre Lazaridès, vainqueur devant son mentor René Vietto. Le troisième de l'épreuve est un Breton irascible du nom de Jean Robie qui fera couler beaucoup d'encre en 1947, à l'issue du premier Tour de France d'après-guerre mis sur pied par Jacques Goddet et organisé dans l'enthousiasme de la paix retrouvée par Le Parisien Libéré et L'Equipe, successeur de L'Auto. Un Tour de France apte à perpétuer la légende, dramatique, disputé, truffé de rebondissements, passionnant de bout en bout parce qu'il n'est pas dominé par un champion supérieur à la caste des meilleurs. Un Tour de France comme l'aurait rêvé Henri Desgrange. Mais ceci est une autre histoire...
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En savoir plus: 1. Maurice Vidal. "L'aventure du Tour de France". Éditions Messidor 1987. 2. Marie-Louise Barron. Supplément de L'Humanité du 6 juillet 1950 : "Le Tour de France de 1903 à 1950. 3. Géo Lefèvre dans "le Tour a 50 ans" numéro spécial de L'Equipe. 1953. 4 et 5. Source: "Jacques Goddet" par Jacques Marchand. Éditions Atlantica 2002. 6. Jean Durry. "La Véridique histoire des géants de la route." Éditions Edita 1981.
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Bibliographie: Ouvrages généraux - "Chronique du XXe siècle". Larousse. RTL. Chroniques S.A 1985. - "Entre-deux -guerres". Sous la direction d'Olivier Barrot et de Pascal Ory. François Bourin. 1990. - "L'Aventure de l'art au XXe siècle". Sous la direction de Jean-Louis Ferrier. ChêneHachette. 1988. Ouvrages généraux sur le Tour de France - "La Fabuleuse histoire du Tour de France". Pierre Chany. Nathan 1991. - "Le Tour de France". Pierre Chany. Liber 1995. - "Maillot jaune". Jean-Paul Ollivier. Sélection du Reader's Digest 1999. - "Le Roman du Tour de France". Jean-Paul Ollivier. Sélection du Reader's Digest 2001. - "Le Tour de France. Lieux et étapes de légende". Jean-Paul Ollivier. Arthaud 2000. - "L'aventure du Tour de France". Maurice Vidal. Messidor 1987. - "Les sommets du Tour de France" Jacques Augendre. Solar 1990. - "Les vainqueurs du Tour de A à ZIf (2 volumes). Maurice Vidal. Vaillant. MiroirSprint Publications. 1983. - "Ici, 60 ans de Tour de France". Georges Briquet. La table Ronde. 1962. - "La Saga du Tour de France". Serge Laget. Découvertes Gallimard. 1990. - "Les Grands Vainqueurs du Tour de France." Robert Ichah. Jean Boully. Critérion 1992. - "Le Tour de France. 100 ans". (3 volumes). L'Equipe. 2003. Autres ouvrages - "La Véridique histoire des géants de la route". Jean Durry. Édita 1973. - "Archives du vélo". Jacques Borgé et Nicolas Viasnoff. Michèle Trinckvel. 1998. - "Les Défricheurs de la presse sportive". Jacques Marchand. Atlantica 1999. - "1904. Ce Tour de France qui faillit être le dernier". Jacques Seray 1994. - "Seigneurs et forçats du vélo". Olivier Dazat. Calmann-Levy 1987. - "100 ans de Paris-Roubaix". Henri Quiqueré et Arnaud Pauper. Flammarion 2002 - "100 ans de cyclisme". Abel Michea et Emile Besson. B. Arthaud 1969 - "Cent Vedettes sportives belges". Camille-Jean Ficheret et Jacques Lecoq. Heraly 1942. - "Tour de France, tour de souffrance". Albert Londres. Le serpent à Plumes. 1996. - "Le Tour de France et le vélo. Histoire sociale d'une épopée contemporaine". Philippe Gaboriau. L'Harmattan. 1995. - "Le Tour de France, ce passionnant fait-divers". André Chassaignon et André Poirier. La Grande ourse. 1952. - "Dictionnaire international du cyclisme". Claude Sudres. Cofidis 1998. - "Tour-Encyclopédie" 1903-1929." Joël Godaert. Robert Janssens. Guido Cammaert. Uitgeverij Worldstrips 1997. - "Mythologies". Roland Barthes. Le Seuil. Collection "Pierres vives" 1957. 359
- "Champions
dans la coulisse". Gaston Bénac. L'Actualité Sportive. 1944. - "La République du Tour de France" Jean-Luc Bœuf. Yves Léonard. Le Seui12003.
Biographies - "Une Fleur au Guidon". André Leducq. Presses de la Cité. 1978. - "La Légende des Pélissier". André Leducq. Roger Bastide. Presses de la Cité. 1981. - " La Véridique histoire. Gino Bartali. Le Lion de Toscane. Jean-Paul Ollivier. Éditions de l'Aurore 1991. - "La Véridique histoire. Roger et Guy Lapébie." Jean-Paul Ollivier. Glenat 2000. - "La Véridique histoire. René Vietto." Jean-Paul Ollivier. Glenat 1997. - "Le Roi René. La passion du vélo" Louis Nucéra. Le Comptoir. 1996. - "Jacques Goddet" Jacques Marchand. Atlantica 2002. - "Henri Desgrange" Noël Truyers Editions Eecloonar 1999. - "L'Epopée du Tour de France" Marcel Bidot. Olivier Orban.1975. - "Pellos" Pierre Pascal. Sodieg 1977. Revues - "Le Tour a 50 ans" numéro spécial de L'Equipe 1953. - "Le Tour a 75 ans" numéro spécial de L'Equipe 1978. - "Tour de France 1903-1987. Les vainqueurs". Hors série du Miroir du cyclisme. Vaillant-Miroir Sprint. 1988. - "Sport-Digest" juillet 1949. - Numéro special de L'Humanité du 6 juillet 1950 : "Le Tour de France de 1903 à 1950". Journaux - La collection du Miroir des Sports. - La collection du Journal L'Auto. - La collection de Match. L'intran. Sites Internet - memoire-du-cyclisme.net
- letour.fr - lequipe.fr
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TABLE DES MA TIERES Pro 10gu e
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Le jaune et le vert Pourquoi pas un Tour de la France? Le 1erjuillet 1903 à 15h 16 Des débuts tumultueux Naissance d'une légende
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Le monde bouge Thys l'invincible Les ravages du silex Pélissier l'incorrigible Le roi des Belges
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David contre Goliath 4 millions de cyclistes Les obscurs et les sans-gloire Le grand Léon Scieur malgré Heusghem
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Quoi de neuf dans le monde en paix? La vieille garde Les envolées du Gars Jean Bras deforce La bécane de monsieur le curé Hector le gaffeur et Firmin le veinard
1923
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Sombres présages Retour aux équipes de marques Un certain Ottavio Bottecchia Un domestique entreprenant Machination? Alavoine toujours Triomphe et tragédie
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Le monde de Kafka Les révoltés du Café de la Gare Albert Londres et lesforçats de la route Un bel animal de race La victoire est revenue au meilleur
1925
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Des années dites folles Bouleversement Un Tour sans surprise Le mystérieux Bottecchia
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Le Tour le plus long 5 745 km de torpeur Un Flamand bien tranquille Apocalypse now L'imbécile et invincible envie d'être le ''premier'' Confirmation Retour à Wonterghem
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L'Amérique estféerique Mort d'un cycliste Le règne du chronomètre L'audace des obscurs
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Un Tour pour Alcyon Fontan le patriarche Dédé le descendeur Les pavés de Longuyon À la recherche de laformule Comment va le monde?
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p .151
Retour à la course en ligne Des sanctions comme s'il en pleuvait Trois maillots jaunes La dernière chance de Fontan Les baroudeurs La victoire d'un cadavre
1930
p.165
Nouvelle donne La belle équipe... ... Et le campionissimo Des Français entreprenants La fin d'un rêve? Chevauchée fantastique Le triomphe des bleus Casquette et smoking
1931 .....................................................................
p.189
On est peu de choses! Le temps des sprinters Antonin Magne, enfin "maillot jaune" ! Toninfait de la résistance Lettre anonyme 177 kilomètres d'enfer
1932
p .205
Un écrin pour les champions Des bonifications pour Charlot Un Tour de France sans drame
1933 .....................................................................
p.215
Une grande équipe Grandeur et décadence du Nabot Un peu de lumière pour les obscurs Passation de pouvoir Speicher le magnifique Une descente d'anthologie La cécité de l'Europe
1934 L'égalité Tumulte Dédé l'indésirable Le Grand cirque
p .231
363
Un certain René Vietto Les larmes de Vietto Bis repetita placent Épilogue
1935
p .253
Encore des innovations Drame chez lesPélissier Les ambitions de Karel Steyaert Les portillons d'Haubourdin Du mou dans le chatterton La volonté de Romain Maës Le retour du prodige Déjantages en série Le drapeau rouge de Monsieur Desgrange La résistance du petit Romain Maillot jaune de bout en bout Tout va très bien, Madame la Marquise
1936 Bonheur et inquiétude Des Autrichiens, des Roumains, Vietto, touriste-routier Desgrange passe la main Une organisation complexe Archambaud encore Le gars Jean-Marie Bras de force franco-belge Comme un damné sur le gril Du Rififi chez les sprinters Amer retour Une flèche noire à Berlin
p.271 des Yougoslaves
1937
p.289
Paris à l'heure de "l'expo" Le retour du patron Le dérailleur, enfin! Si tu ne t'intéresses pas à la politique... Un Toscan de vingt-trois ans Gino le pieux Un pont de bois sur le torrent Couleau Retour en Italie De l'eau dans le gaz Une folle journée Les Belges prennent le train Lapébie le rebelle
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p.315
Y'a de la joie! Un petit jeune nommé Leducq Tous pour Gino Trois drames parmi tant d'autres Le maillot jaune de Dédé Un fauve prêt à bondir Gino l'intouchable Totor le "parigot" Une arrivée somptueuse
1939
po333
De noirs nuages sur l'Europe Une organisation bouleversée Dernier départ avant la guerre Le retour du Roi René L 'homme au Leica Le maillot jaune pour Vietto Un Tour de France épuisant Sylvère Maës contre Vissers Le sursis L'estocade Le coup de grâce La guerre, et après. . . . . . . . . . . . . . . . . . 0. . .0.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0. . . . po353 Mort d'un patron Henri le terrible L'Auto dans la tourmente Un écho des jours heureux Renaissance
Bib Ii0grap hi e
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Achevé d'imprimer par Corlet Numérique - 14110 Condé-sur-Noireau 2003 - Imprimé en France N° d'Imprimeur: 13793 - Dépôt légal: septembre