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"" HOMMES DE DIEU ET REVOLUTION
EN PROVENCE
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HOMMES DE DIEU ET REVOLUTION Collection dirigée par BERNARD PLONGERON
C.N.R.S.
" HOMMES DE DIEU ET REVOLUTION
EN PROVENCE
SOUS LA DIRECTION DE
BERNARD
COUSIN
AVEC LA COLLABORATION DE
RÉGIS BERTRAND MONIQUE CUBELLS MARIE-HÉLÈNE FROESCHLÉ-CHOPARD MARTINE LAPIED
RENÉ MOULINAS
BREPOLS
© C.N.R.S. B. PLONGERON et P. LEROU BREPOLS - Steenweg op Tielen 68, B. 2300 TURNHOUT ISBN: 2-503-50412-4
AVANT-PROPOS
Cet ouvrage est le fruit d'un travail collectif mené au long de quatre années, au sein du Centre méridional d'histoire de l'Université de Provence. Le cadre en a été fourni par un programme de recherche développé à 1'occasion du bicentenaire de la Révolution française dans le GRECO 2 "Histoire religieuse" du C.N.R.S., à l'initiative de son directeur, Bernard Plongeron. Il s'agissait de présenter, dans un cadre régional largement taillé le devenir des "Hommes de Dieu" au cours de la période révolutionnaire. Ces travaux ont trouvé place dans la présente collection éditée par BREPOLS. L'enquête menée sur la Provence a été conduite par une équipe que j'ai eu le plaisir d'animer et de coordonner. Nous nous sommes donnés pour objectif de faire le point des recherches anciennes ou récentes sur la question, et qui sont nombreuses dans l'espace provençal, entre Rhône et Var, dans les départements créés sous la Révolution: Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Var, Bouches-du-Rhône, puis Vaucluse après la réunion à la France des terres pontificales. Ce travail collectif a donné lieu à la tenue de plusieurs séminaires de reéherche, et réunions de travail et trouve son aboutissement dans le présent volume. Je tiens à remercier ici tous ceux qui ont collaboré à ce travail : Bernard Plongeron, initiateur du programme et directeur de la collection ; les co-auteurs de l'ouvrage: Monique Cubells, professeur d'histoire à l'Université de Provence, Régis Bertrand et Martine Lapied maîtres de conférences d'histoire à l'Université de Provence, René Moulinas, professeur d'histoire à l'Université d'Avignon, et Marie-Hélène Frœschlé-Chopard, chargée de recherche au C.N.R.S. Il faut y associer Raymond Dartevelle qui pendant deux années a travaillé avec nous, et dont les recherches, et notamment la thèse, ont été très utiles pour ce qui concerne la Provence alpine. Bernard COUSIN Professeur d'histoire à l'Université de Provence
INTRODUCTION
Hommes de Dieu et Révolution en Provence : avant de livrer au lecteur les résultats de cette recherche, il convient de l'éclairer sur son cadre et ses questionnements. Tout d'abord il faut rappeler que ce travail prend place dans la vaste enquête lancée par Bernard Plongeron sur les "hommes de Dieu" pendant la période révolutionnaire dans diverses régions françaises. Il en respecte donc les grandes options. Mener l'enquête dans le Sud-Est de la France, "en Provence", implique d'abord d'en définir précisément le champ géographique. La chose n'est pas aisée car ce travail se situe à une période charnière, la Révolution, où les anciennes divisions administratives et religieuses cèdent la place à de nouvelles, aux contours bien différents. Si notre recherche englobe l'ensemble de l'ancienne Provence, elle déborde aussi quelque peu pour concerner les cinq départements nés de la Révolution: Bouches-du-Rhône, Var, Vaucluse, BassesAlpes et Hautes-Alpes. Ils correspondent à peu près au territoire des quatre anciennes provinces ecclésiastiques d'Aix, Arles, Avignon et Embrun, si on excepte le diocèse de Saint-Paul-Trois-Châteaux, suffragant d'Arles qui s'étendait pour l'essentiel dans le sud du département de la Drôme et celui de Nice suffragant d'Embrun l. Cet espace correspond à la veille de la Révolution, à l'ancien Comté de Provence, situé entre Rhône et Var, avec pour capitale Aix, et à ses terres adjacentes (Marseille, Arles, Salon, les Baux, Entrevaux). Il englobe aussi les territoires pontificaux d'Avignon et du Comtat, la minuscule principauté d'Orange, ainsi que des terres sud-alpines appartenant alors au Dauphiné.
Voir les cartes l. Les diocèses d'Ancien Régime et 2. Départements et districts révolutionnaires.
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HOMMES DE DIEU ET RÉVOLUTION
Nous avons entendu par "hommes de Dieu en Provence" les membres du premier ordre, les pasteurs et rabbins qui occupent des fonctions religieuses dans le Sud-Est au début de la Révolution et au cours de celle-ci. Nous avons évidemment exclu de cette étude les clercs provençaux qui jouent un rôle hors de l'espace régional, tel l'abbé Sieyes, né à Fréjus, ou Charles de la Font de Savine, évêque jureur de Viviers; de même que les hommes de Dieu qui ne séjournent dans la région que pour y conduire une activité politique ou administrative, tels l'évêque Grégoire, l'abbé Mulot et le pasteur Jean-Bon-Saint-André. Le choix de centrer le propos sur "les hommes de Dieu", c'est à dire sur les clercs, peut apparaître comme un retour à une historiographie traditionnelle, alors que les recherches récentes se sont attachées à ouvrir largement l'histoire religieuse de la Révolution aux attitudes et comportements des fidèles, c'est à dire des laïcs 2. En effet la première historiographie de l'histoire religieuse révolutionnaire était presque exclusivement consacrée aux prêtres, ou plutôt aux "bons" prêtres, c'est à dire aux réfractaires, et mieux encore aux "martyrs de la foi" 3. Mais justement cette historiographie ancienne, souvent hagiographique et ponctuelle ou départementale ne donnait nullement une vue d'ensemble du comportement des clercs durant la période révolutionnaire. C'est l'objectif que nous nous sommes fixés dans cette synthèse régionale, qui s'appuie sur un certain nombre de travaux récents, sans nég1iger lapport des études antérieures.
Comme toute synthèse la notre comporte des lacunes, reflets des terrae incognitae de la recherche historique, dans son état actuel. Nous avons cependant privilégié deux options. Tout d'abord faire une place, à côté des prêtres catholiques qui constituent le noyau de notre enquête, d'une part aux religieuses, qui ont payé cm lourd tribut à la Révolution avec les sentences de la Commission populaire d'Orange, d'autre part aux pasteurs et rabbins, représentants de religions certes très minoritaires mais présentes dans l'espace géographique de notre étude. Ensuite construire un récit qui s'articule sur la chronologie, avec ses temps forts (les États généraux, la Constitution civile du clergé et le serment, l'émigration, la déchristianisation), ce qui est indispensable dans une étude portant sur la période révolutionnaire, tout en faisant place, à côté de l'analyse des attitudes collectives, à quelques portraits d'hommes de Dieu en Révolution. On les trouvera au chapitre quatre, avant d'aborder dans un cinquième et dernier chapitre, la reconquête religieuse, avant et après le Concordat de 1802, et la construction d'une "mémoire" du vécu religieux durant la Révolution, qui s'élabore au fil du XIXe siècle.
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Voir notamment Pratiques religieuses dans l'Europe révolutionnaire ( 1770-1820), actes du colloque de Chantilly 27-29 novembre 1986, Turnhout. 1988. 3 Voir "3. Mémoire et représentation" dans le chapitre V.
CHAPITREI LE CLERGÉ EN PROVENCE
À LA VEILLE DE LA RÉVOLUTION
La Provence et ses confins restent à la fin du xvme siècle fortement marqués par l'empreinte du catholicisme. La présence protestante y est la plus discrète de toutes les terres d'oc; celle du judaïsme est restreinte aux "carrières" comtadines et à de petits groupes urbains dont le principal est marseillais. Cet héritage religieux multiséculaire a été profondément renouvelé par la Réforme catholique. Néanmoins, l'impression d'une retombée assez générale du grand effort post-tridentin et même d'un reflux de l'intensité de la foi s'impose en nombre d'aspects du catholicisme de la seconde moitié du xvme siècle, accentué par les très hauts niveaux atteints sous Louis XIV ou au début du règne de Louis XV. Les historiens de la dernière génération ont mis en évidence le fléchissement convergent des clauses testamentaires, du produit des messes ou des quêtes dans les établissements religieux ou hospitaliers, du nombre de confréries, ou bien la réduction de l'espace sacré au profit des personnages et du paysage terrestre sur les ex-voto 1. Ce constat général, qui connaît cependant AGULHON (M.), Pénitents et francs-maçons de l'ancienne Provence, Essai sur la sociabilité méridonale, Paris, 1984 (3° éd.); COUSIN (B.), Le miracle et le quotidien, les ex-voto provençaux images d'une société, Aix, 1983 ; VOYELLE (M.), Piété baroque et déchristianisation, les attitudes devant la mort en Provence au XVII/e siècle, Paris, 1973, et réed. abrégée, Paris, 1978. Pour replacer ces phénomènes dans un contexte général : CHARTIER (R.), Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, 1990, chapitre V, "Déchristianisation et laïcisation", p. 116-137 ; voir aussi les développements de JULIA (D.) dans JOUTARD (Ph.) dir., Histoire de la France religieuse, t. /Il, Du roi Très Chrétien à la laïcité républicaine, XV/Ile -XIXe siècle, Paris, 1991, ceux de LANGLOIS (C.) et TACKETT (T.) dans LEBRUN (F.)
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HOMMES DE DIEU ET RÉVOLUTION
d'assez nettes nuances régionales explique l'impression de suréquipement en couvents, en lieux de dévotion ou en chapelles de pèlerinage qui se dégage des inventaires révolutionnaires comme des dernières visites pastorales d' Ancien Régime.
1. L'encadrement clérical
L'organisation diocésaine Les diocèses d' Ancien Régime correspondaient à une très ancienne géographie religieuse, fixée pour l'essentiel à l'époque paléochrétienne à partir du territoire des civitates gallo-romaines. Le nombre et la petitesse des diocèses provençaux reflétaient donc la forte romanisation de la région. Le Sud-Est était divisé entre quatre provinces ecclésiastiques depuis la création de celle d'Avignon en 1475: - Province d'Arles, diocèses suffragants de Marseille, Toulon, Orange et SaintPau1-Trois-Châteaux Province d'Aix, diocèses suffragants d'Apt, Fréjus, Riez, Sisteron, et Gap - Province d'Embrun, diocèses suffragants de Digne, Glandèves (siège épiscopal dans la ville voisine d'Entrevaux), Senez (près de Castellane), Grasse, Vence et Nice, ce dernier entièrement situé hors de France - Province d'Avignon, diocèses suffragants de Carpentras, Cavaillon et Vaison qui tous débordaient sur le royaume 2.
Le nombre des paroisses de chaque diocèse à la veille de la Révolution varie fortement selon les· sources. Certaines tendent en fait à comptabiliser des succursales de hameaux et même parfois des chapelles de secours, nombreuses dans 1a Provence montagneuse mais aussi dans le terroir marseillais. L'on se bornera à proposer ici un c1assement sommaire établi en fonction des principales fourchettes crédibles : - moins de 30 paroisses: Orange, Cavaillon, Carpentras, Toulon, Grasse, Vence. - entre 30 et 60 paroisses: Saint-Paul-Trois-Châteaux, Avignon, Vaison, Arles, Marseille, Apt, Digne, Glandèves, Riez, Senez. - entre 70 et 100 paroisses : Sisteron, Fréjus et Embrun, ce dernier s'étendant essentiellement en Dauphiné mais englobant les vallées provençales de la Blanche et de l'Ubaye.
dir., Histoire des ca!lwliques de France, Toulouse, 1980 et l'ouvrage de QUENIART 2
(J. ), Les hommes, l'Eglise et Dieu dans la France du XV/Ile siècle, Paris, 1978.
BARATIER (E.), DUBY (G.), HILDESHEIMER (E.) et coll., Atlas historique: Provence, Comtat, Principauté de Monaco, principauté d'Orange, Comté de Nice, Paris, 1969, cartes p.117.
PROVENCE
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- le diocèse de Gap aurait enfin compté 230 paroisses, pour la plupart situées en Dauphiné.
Carte 1
Les diocèses en 1789
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Carte extraite de BERTRAND (R.), BROMBERGE R (Ch), FERRIER (J.P.), MARTEL (C.), MAURON (C.), ONIMUS (J.), Provence, éd. Ch. Bonneton, Paris, 1989.
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HOMMES DE DIEU ET RÉVOLUTION
Plus remarquable est sans doute le nombre relativement réduit des paroisses en milieu urbain. Si Avignon, seconde Rome et donc ville "septenaire", bénéficie de sept paroisses intra-muros, Marseille, ville géante de la Provence, n'est divisée qu'en cinq paroisses urbaines ; Toulon, seconde ville provençale par sa population, est enfin dotée à la veille de la révolution d'une seconde église paroissiale, Saint-Louis. Les cathédrales provençales ont presque toutes des fonctions paroissiales, Saint-Trophime d'Arles étant l'exception; en nombre de petites villes épiscopales, telles Grasse, Vence, Riez ou Sisteron, la cathédrale est aussi l'unique paroisse urbaine. La Provence renfermait quelques-uns des plus pauvres évêchés de France. L'estimation des revenus épiscopaux en 1760, assez peu différente de celle de 1789, a permis à Michel Peronnet de proposer le tableau suivant: -1er groupe, entre 15 et 32% de la moyenne nationale (soit de 5 100 à 9 400 L): 5 diocèses dont Vence, Digne, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Grasse. - 2e groupe, entre 32 et 49% (10 400 à 15 200 l.) :14 diocèses dont Apt, Glandèves, Senez, Toulon et Sisteron. - 3e groupe, de 49 à 66% (16 000 à 21 2001.): 23 diocèses dont Orange, Riez et Gap. - 4e groupe, de 66 à 83% : 22 diocèses dont Fréjus. - 5 e groupe, de 83 à 100% (27 800 à 31 700 t} : 17 diocèses dont Marseille, Arles et Embrun. - 6e groupe, de 1OO à 200% : 34 diocèses dont Aix. - 7 e, se et