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French Pages 322 [328] Year 2019
ORIENT
MÉDITERRANÉE
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UMR 8167, Orient et Méditerranée – Textes, Archéologie, Histoire CNRS, Université Paris-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École pratique des hautes études, Collège de France
HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE CHEZ LES AUTEURS GRECS
n sait à quel point l’écriture de l’histoire, dès ses origines dans la littérature grecque, convoque des savoirs qui, pour les Modernes, relèvent de la « géographie », physique et humaine. Au modèle explicatif du récit se mêle donc constamment celui de la description des territoires et des peuples. Dans quelle mesure le discours historique informe-t-il le propos géographique ? Dans quelle mesure, au contraire, une certaine façon de pratiquer la géographie peut-elle influencer l’écriture historique ? C’est à ces questions que l’ouvrage s’attache à répondre. Au-delà des cloisonnements encouragés par les différences de genre, d’époque ou d’appartenance religieuse, il s’agit de clarifier le rapport qu’entretiennent histoire et géographie chez les auteurs grecs contemporains de la République et de l’Empire romains. Les historiens au sens strict y côtoient des auteurs qui, dans d’autres genres littéraires, ont été eux aussi confrontés au problème posé par l’articulation de l’histoire et de la géographie.
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rom its very beginning within Greek literature, it is well known that historical writing summoned knowledge that in modern terms belongs to ‘geography,’ both physical and human. Narrative as an explanatory model constantly integrated descriptions of territories and peoples. To what extent did historical discourse shape geographical statements? Conversely, in what measure may a certain way of dealing with geography have influenced the writing of history? This book addresses both questions. Beyond distinctions based on genres, times and religious backgrounds, it seeks to shed light on the relations between history and geography in the works of Greek authors during the Roman Republic and Empire. Historians in the strict sense are considered alongside authors writing in other literary genres, who also grappled with the problem of combining history and geography.
ISBN 978-2-7018-0535-1
HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE CHEZ LES AUTEURS GRECS
O
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DU IIe S. AV. J.-C. AU VIe S. APR. J.-C. sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy Sébastien Morlet
Éditions de Boccard
HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE CHEZ LES AUTEURS GRECS DU IIe S. AV. J.-C. AU VIe S. APR. J.-C.
ORIENT
MÉDITERRANÉE
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HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE CHEZ LES AUTEURS GRECS DU IIe S. AV. J.-C. AU VIe S. APR. J.-C.
sous la direction de Michèle COLTELLONI-TRANNOY et Sébastien MORLET
Éditions de Boccard
4 rue de Lanneau, 75005 Paris 2018
Illustration de couverture
Sarcophage des Muses. Marbre, première moitié du iie siècle après J.-C. (Paris, Musée du Louvre. © RMN / Hervé Lewandowski) La cuve de ce sarcophage, provenant de la Via Ostiense, montre les neuf Muses, lesquelles illustrent l’un des idéaux exprimés par l’art funéraire romain, celui de l’homme cultivé dont la fréquentation des Muses était réputée assurer le salut de l’âme et l’immortalité. Clio, muse de l’Histoire, est reconnaissable à sa tablette de cire, tandis qu’Uranie, muse de l’Astronomie, est figurée avec la sphère armillaire.
UMR 8167, Orient et Méditerranée – Textes, Archéologie, Histoire CNRS, Université Paris-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École pratique des hautes études, Collège de France
Directeur de la collection Véronique BOUDON-MILLOT, CNRS - UMR 8167, Orient et Méditerranée Responsable éditoriale Fabienne DUGAST, CNRS - UMR 8167, Orient et Méditerranée Comité scientifique Françoise BRIQUEL CHATONNET Sylvie DENOIX Vincent DÉROCHE Olivier MUNNICH Pierre TALLET Création de la maquette et mise en page Fabien TESSIER © Éditions de Boccard - 2018 ISBN : 978-2-7018-0535-1 ISSN : 2101-3195
Avant-propos
On sait à quel point l’écriture de l’histoire, dès ses origines dans la littérature grecque, convoque des savoirs qui, pour les Modernes, relèvent de la « géographie », physique et humaine. Au modèle explicatif du récit se mêle donc constamment celui de la description des territoires et des peuples. Dans quelle mesure le discours historique informe-t-il le propos géographique ? Dans quelle mesure, au contraire, une certaine façon de faire de la géographie peut-elle influencer l’écriture historique ? C’est à ces deux questions que nous tentons de répondre dans ce volume. Le principe méthodologique qui le sous-tend consiste à envisager la problématique des rapports entre histoire et géographie sur le temps long, chez les auteurs grecs contemporains de l’Empire romain (République et Empire), au-delà des cloisonnements généralement induits par les différences de genre, d’époque ou d’appartenance religieuse. Un tel principe permet de mettre en évidence à la fois des éléments de continuité, mais aussi de rupture entre les méthodes, les lexiques, les modèles rhétoriques, les cadres de pensée ou de représentation du monde, de la fin de l’époque hellénistique à l’Antiquité tardive. Aux grands historiens classiques, il est désormais nécessaire d’adjoindre des figures qui sont souvent laissées dans l’ombre de l’historiographie, tels Cassius Dion1 ou plus encore Hérodien. On a voulu par ailleurs associer aux « historiens » au sens strict des auteurs qui, s’ils n’ont pas produit à proprement parler d’ouvrages historiques, ont été, eux aussi, confrontés au problème posé par l’intersection de l’histoire et de la géographie, dans des genres divers comme le périple ou le discours d’apparat. Il nous a, enfin, paru intéressant de réunir dans ce volume des historiens et des spécialistes de littérature qui travaillent sur le même type de texte, mais souvent sans se croiser, avec des outils d’analyse qui conduisent à d’autres approches, voire à des interprétations parfois différentes.
1. Le projet ANR Dioneia (sous la direction de V. Fromentin, E. Bertrand, M. Coltelloni-Trannoy, M. Molin, G. Urso) a été récemment consacré à cet auteur : voir Cassius Dion : nouvelles lectures, 2016. Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 7-8
8 • AVANT-PROPOS
Les travaux réunis dans ce volume sont le fruit de deux programmes de recherche menés à l’Université Paris-Sorbonne : « Écrire l’histoire à l’époque impériale », programme transversal de l’UMR 8167, sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et de Sébastien Morlet, organisé pendant deux ans (2014-2015)2 ; « Merveille et géographie chez les historiens grecs de Rome », séminaire de master-doctorat de Michèle Coltelloni-Trannoy (2011-2014). Nos remerciements vont aux chercheurs et aux étudiants qui y ont participé. Michèle Coltelloni-Trannoy, Sébastien Morlet
2. Le projet a donné lieu à deux journées d’études organisées le 18 décembre 2014 (« Les méthodes de l’historien »), puis le 7 décembre 2015 (« La géographie chez les historiens chrétiens de l’Antiquité »), ainsi qu’à un colloque, organisé les 29-30 mai 2015 à l’Université de Paris-Sorbonne (« Histoire et géographie chez les auteurs grecs [République et Empire] »).
Polybe et la géographie stratégique de la Grèce septentrionale Frank Daubner
(Universität Trier)
Abstract The Greek ways of writing geography and of writing history converge in the work of Polybius. The general writing history is necessarily writing geography too: It is the military view which dominates the composition of his Histories. So Polybius is not writing forth the traditions of ancient geography but subdues this science to his didactic view of history. For him, the geographical facts per se are neither interesting nor important. They had to fulfil their role as abstract landscapes, backing and staging historical events and thus making them valuable and transferable for future commanders. This decidedly non-intrinsic idea of science makes the writings of the Achaean general accessible for contemporary and later Romans, themselves rather practical men. Not at least Livyʼs translation of whole chapters of Polybiusʼ work proves that he was understandable in both cultures. On the basis of examples from the Macedonian north of the Greek world, a region that the author did not know from autopsy, I show his use of geographical knowledge for his non-scientific purpose of modeling an abstract pattern which backs up the historical incidents in order to create paradigms for future use. Résumé Les modalités grecques d’écrire la géographie et d’écrire l’histoire présentent des points de convergence dans l’œuvre de Polybe. De manière générale, son écriture de l’histoire est nécessairement aussi une écriture de la géographie car c’est la perspective militaire qui domine la composition de ses Histoires. C’est pourquoi Polybe ne maintient pas les traditions de l’ancienne géographie, mais subordonne cette science à la perspective didactique de l’histoire telle qu’il la conçoit. Pour lui, les faits géographiques en eux-mêmes ne sont ni intéressants ni importants : ils dessinent des paysages abstraits, servant d’arrière-plan et de scène aux événements historiques et c’est cette fonction qui leur donne leur valeur et les rend utiles aux futurs chefs de guerre. Cette conception de la science, appréciée non pour elle-même, mais en fonction de son utilité, a permis aux écrits du général achéen d’être accessibles aux Romains de son temps et des époques ultérieures, qui avaient eux-mêmes aussi l’esprit pratique. Ce n’est pas seulement la traduction par Tite live de chapitres entiers de l’œuvre de Polybe qui prouve qu’ils étaient accessibles aux deux cultures. En me fondant sur des exemples relatifs à la Macédoine, au nord du monde grec, que l’auteur ne connaissait pas personnellement, je montre comment il utilisait un savoir géographique dans l’objectif non scientifique de former un modèle abstrait qui serve d’arrière-plan aux faits historiques et qui soit en mesure d’être transposé à des usages futurs.
Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 9-25
10 • FRANK DAUBNER
L’œuvre de Polybe illustre les modalités des discours historique et géographique propres à la Grèce antique. La spécificité de l’écriture de Polybe, autrement dit l’identification qu’il effectue entre le πραγματικὸς ἀνήρ et l’historien, d’un côté, et le chef militaire, de l’autre, a récemment fait l’objet d’une analyse approfondie 1: notre propos ne sera donc pas de montrer ici en détail l’enchevêtrement de ces deux domaines d’activités chez Polybe. Le général-historien fait, en outre, nécessairement œuvre de géographe : le point de vue militaire oriente la composition des histoires polybiennes sous cet aspect. Polybe ne poursuit pas les traditions de la géographie antique : il utilise cette science comme support pour sa vision didactique de l’histoire. Les données géographiques ne sont pour lui ni importantes, ni intéressantes en elles-mêmes. Elles permettent de créer des paysages abstraits servant d’arrière-plan et de scène aux événements historiques ; ces données acquièrent de la sorte de la valeur et de l’utilité pour de futurs chefs militaires2. Fournir des informations et analyser les données géographiques et topographiques spécifiques relèvent des tâches principales tant de l’historien que du général. L’œuvre de Polybe est remplie d’exemples de généraux qui ont remporté la victoire parce qu’ils avaient scrupuleusement analysé l’ouvrage défensif de l’ennemi, l’importance de son armée ainsi que les lieux. Antiochos le Grand n’a pu conquérir Sardes que parce que son officier Lagoras avait exploré les chemins par lesquels il était possible de prendre la ville3 ; avant de commencer la bataille du lac de Trasimène, Hannibal avait rassemblé des informations sur les préparatifs et les projets de son ennemi Flaminius4. Ni Antiochos, ni Hannibal ne s’intéressaient aux données géographiques pour elles-mêmes ; leurs recherches leur ont permis de récolter des informations utiles pour une conduite victorieuse de la guerre selon les techniques les plus modernes. Une telle récolte d’informations devenait, en effet, indispensable à tout chef militaire5. Cette façon d’appréhender la science non pas en tant que telle, mais pour les services qu’elle peut rendre a fait la réputation des écrits du général achéen auprès de ses contemporains ainsi que des Romains des époques ultérieures, qui étaient eux aussi des hommes à l’esprit pratique. Enfin, le transfert d’une grande partie de l’œuvre de Polybe chez Tite-Live montre qu’elle était accessible aux deux cultures, grecque et romaine. Si la thématique de la géographie chez Tite-Live n’a pas encore été étudiée avec précision, ce dernier ne s’intéressait pas non plus, à mon sens, à cette dernière pour elle-même ; c’est ce qui explique qu’il reproduisait fidèlement ce qu’il trouvait dans ses sources. Cette remarque s’applique, en particulier, à son usage de l’œuvre de Polybe qu’il assimilait par chapitres entiers, considérant que les Romains comprendraient et apprécieraient les exposés du Grec. Que cela fut le cas est attesté par les écrits de César, de Flavius Josèphe et de Tacite, qui souhaitaient également faire comprendre les événements militaires à l’aide de descriptions géographiques afin de permettre leur utilisation ultérieure par les généraux. Que les Romains s’inspirassent des écrits des historiens ou géographes grecs en raison de leur caractère utile ou
1. 2. 3. 4. 5.
Maier 2012, p. 295-330. Daubner 2013, p. 113-126. Pol., VII, 15, 10. Pol., III, 80 sq. Cuomo 2007, p. 66.
POLYBE ET LA GÉOGRAPHIE STRATÉGIQUE DE LA GRÈCE SEPTENTRIONAL • 11
exemplaire n’allait nullement de soi. Cicéron songea longtemps à écrire une Geographia, mais il abandonna le projet en avril 59 avant J.-C. Il écrivait à Atticus : J’ai le travail en horreur, et c’est une tâche immense que le traité de géographie que je projetais : Ératosthène n’est d’accord ni avec Sérapion, ni avec Hipparque. Tirannion lui-même se met de la partie. Qu’en dites-vous ? En soi, la matière est embrouillée, monotone et bien moins susceptible d’ornements que je ne pensais6.
Si Cicéron avait pris Agatharchide comme modèle, il aurait éprouvé moins de difficultés en matière d’ornements : en effet, dans l’œuvre d’Agatharchide, tout est ornemental et fleuri, comme le montre le fragment sur l’Arabie heureuse (Arabia Felix) transmis par Diodore7. Polybe n’aurait jamais écrit de cette façon ; il n’aurait pas non plus exécuté un travail scientifique dans le style d’Ératosthène. Pour Polybe, le savoir géographique n’avait pas de valeur en soi ; il n’en avait qu’entre les mains d’un habile chef militaire. Pour ces raisons, la géographie de Polybe ne relève pas de l’histoire de la géographie antique comme discipline scientifique8 ; elle relève davantage de sa conception didactique de l’historiographie et doit être appréhendée par ce biais. Dans ce qui suit, je donnerai un bref aperçu des distinctions établies par Polybe dans ses descriptions géographiques et topographiques9. J’apporterai ensuite des exemples concernant la Grèce septentrionale pour répondre à la question de savoir quand et pourquoi Polybe a estimé qu’il était indispensable de donner des informations spatiales complétant les événements historiques. Je montrerai ainsi qu’il ne cherchait pas à fournir des informations objectives de nature géographique. Son objectif consistait à favoriser la transposition des indications spatiales10. Leurs particularités pouvaient ainsi être réévaluées en d’autres lieux, afin d’éclairer les possibilités d’action, la plupart du temps de nature militaire. On voit ici aisément les similitudes avec la façon dont Polybe traite des faits historiques : Ainsi seulement quand nous y trouvons des situations qui, étant analogues, peuvent être transposées dans le temps où nous vivons, nous en tirons des indications et des modèles qui nous permettent de prévoir l’avenir et, tantôt de prendre certaines précautions, tantôt de nous référer au passé pour affronter avec plus d’assurance les tâches qui nous attendent11.
6. Cic., Att., II, 6, 1 : etenim γεωγραφικὰ quae constitueram magnum opus est. ita valde Eratosthenes, quem mihi proposueram, a Serapione et ab Hipparcho reprehenditur. quid censes si Tyrannio accesserit ? et hercule sunt res difficiles ad explicandum et ὁμοειδεῖς nec tam possunt ἀνθηρογραφεῖσθαι quam videbantur (trad. Nisard 1841). Voir aussi Walbank 2002, p. 49. 7. Diod., Sic., III, 46. 8. Walbank 2002, p. 32. Sur Polybe dans le contexte de la géographie hellénistique voir Aujac 2000, p. 103-139. Voir aussi Texier 1976, p. 385-411. 9. Sur la différence entre les données géographiques et topographiques chez Polybe, voir Pédech 1974, p. 39-64. 10. Maier 2010. 11. Pol., XII, 25b : ἐκ γὰρ τῶν ὁμοίων ἐπὶ τοὺς οἰκείους μεταφερομένων καιροὺς ἀφορμαὶ γίνονται καὶ προλήψεις εἰς τὸ προϊδέσθαι τὸ μέλλον, καὶ ποτὲ μὲν εὐλαβηθῆναι, ποτὲ δὲ μιμούμενον τὰ προγεγονότα θαρραλεώτερον ἐγχειρεῖν τοῖς ἐπιφερομένοις (trad. Roussel 2003, p. 821).
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Si le chef militaire analyse des événements passés dans les lieux où ils se sont déroulés, il peut définir des stratégies opératoires grâce aux analogies topologiques : La nature du lieu où sera exécutée l’opération doit également être prise en considération, car c’est souvent elle qui rend possible ce qui paraissait ne pas l’être, ou qui fait apparaître l’impossibilité d’une entreprise qu’on croyait réalisable12.
En cela, Polybe n’est pas un « nouvel Hérodote »13 ; son travail se situe davantage dans la ligne de celui de Thucydide, « that he used particular incidents as a basis for generalisations which, by their universal validity, would be of help to his readers in similar contexts », pour reprendre les propos de Frank Walbank14. Une grande partie des fragments des livres I-XVI et XVIII proviennent des Excerpta antiqua du xe siècle, lesquels portent une attention particulière aux questions tactiques et géographiques significatives d’un point de vue militaire. Les passages les plus éclairants à cet égard se trouvent dans le livre IX, chapitres 12-16, qui portent sur les divers éléments à prendre en compte lors d’une opération militaire, sur l’usage de stratagèmes et sur l’importance de la connaissance du terrain. Ces extraits, que l’empereur Constantin VII prenait avec lui lors de ses campagnes et utilisait comme un manuel en plus de l’ouvrage de Polyen, contiennent de nombreuses descriptions de villes et de paysages, qui font de Polybe un auteur si important pour la géographie historique. Ces descriptions ne rendent toutefois pas compte de l’ensemble de l’œuvre, à l’instar des fragments repris dans la deuxième partie du De legationibus de Constantin, lesquels pourraient laisser entendre que Polybe s’intéresse surtout à l’histoire diplomatique15. Le livre XXXIV, qui aurait dû traiter de questions géographiques après la rédaction du récit portant sur la montée en puissance de Rome, n’est conservé que de manière trop fragmentaire pour tirer des conclusions assurées sur son contenu et sa position dans l’ensemble de l’œuvre polybienne. Les affirmations de Strabon selon lesquelles ce livre traite, à l’instar d’Éphore, de la topographie des pays indépendamment de leur histoire16, ne peuvent être prises pour argent comptant. Il est d’usage de dire que les citations de Polybe par Strabon viennent du livre XXXIV. Cela n’est pourtant pas certain étant donné que Strabon renvoie aux autres livres de Polybe qu’il connaissait et utilisait. Il est probable que le livre XXXIV, qui a disparu, contenait une géographie des confins du monde et s’inspirait en ce sens davantage d’Hérodote17. Les digressions théoriques de Polybe sur l’utilité de la géographie, que l’on cite souvent, mettent surtout en avant la nécessité de connaître les paysages par les voyages18. En cela, il se distingue des historiens et géographes qui, comme Timée, 12. Pol., IX, 13, 8 : καὶ μὴν οὐδὲ τὸν τόπον τῆς πράξεως ἐν μικρῷ θετέον, ἐπειδὴ πολλάκις παρὰ τοῦτο τὰ μὲν ἀδύνατα δοκοῦντ᾽ εἶναι δυνατά, τὰ δὲ δυνατὰ πέφηνεν ἀδύνατα (trad. Roussel 2003, p. 676). Voir Clarke 1999, p. 85. 13. Berger 1903, p. 499. Pour Polybe et la tradition hérodotienne, voir McGing 2010, p. 55-57 ; p. 81-83. 14. Walbank 1972, p. 1. 15. Engels 1999, p. 151. 16. Strab., VIII, 1, 1 ; XII, 25d. 17. Paassen 1957, p. 305-307. Pour le livre XXXIV, voir aussi Prontera 2011, p. 76 sq. 18. Pol., III, 59 ; XII, 25h.
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ne quittent pas leur cabinet de travail. Polybe est toutefois conscient que seul le rapprochement entre les pays du monde a permis de tels voyages : car à l’époque où nous vivons, quand les voyageurs peuvent, par mer ou par terre, aller partout, il n’est plus question, pour combler nos ignorances, de nous en rapporter aux poètes ou aux mythographes comme on le faisait jadis […]. Il nous faut essayer au contraire de faire en sorte que l’exposé même des faits engendre la certitude dans les esprits des lecteurs19.
On voit clairement à qui Polybe s’oppose ici – à l’exclusion de Timée et des « Anciens » qui ne sont pas spécifiés – quand il rejette la théorie pure : il s’agit des savants de son époque, dont il ne pouvait réellement apprécier l’activité, lui qui était tout à la fois aristocrate, politicien, général, voyageur et historien. Parmi ces derniers, le parangon était Agatharchide, dont la seule tâche comme grammairien (γραμματικός) consistait à « préparer les âmes à supporter dans la vertu (ἀρετή) les vicissitudes de la vie humaine », comme l’illustre une inscription retrouvée à Priène, stipulant les devoirs d’un γραμματικός20. Au livre III, Polybe explique en quoi les digressions géographiques et les descriptions de villes et de paysages lui paraissent nécessaires21 : en effet, on ne peut comprendre le récit des événements si on ne peut pas les localiser. Mais lorsqu’il s’agit de contrées que nous ne connaissons pas, j’estime que ces listes de noms (noms de pays, fleuves et villes) ne signifient absolument rien de plus pour nous qu’une suite de syllabes que nous entendrions sans les comprendre. Car l’imagination ne peut alors s’appuyer sur rien et l’on ne peut mettre le mot entendu en relation avec quelque chose de connu, en sorte que le récit reste confus et inintelligible. C’est pourquoi il nous faut proposer une méthode qui permette de parler d’endroits inconnus de façon à faire naître, autant que possible, dans l’esprit du lecteur des images familières pour lui et aussi exactes que possible.
19. Pol., IV, 40, 2-3 : τοῦτο γὰρ ἴδιόν ἐστι τῶν νῦν καιρῶν, ἐν οἷς πάντων πλωτῶν καὶ πορευτῶν γεγονότων οὐκ ἂν ἔτι πρέπον εἴη ποιηταῖς καὶ μυθογράφοις χρῆσθαι μάρτυσι περὶ τῶν ἀγνοουμένων, ὅπερ οἱ πρὸ ἡμῶν πεποιήκασι περὶ τῶν πλείστων, ἀπίστους ἀμφισβητουμένων παρεχόμενοι βεβαιωτὰς κατὰ τὸν Ἡράκλειτον, πειρατέον δὲ δι᾽ αὐτῆς τῆς ἱστορίας ἱκανὴν παριστάναι πίστιν τοῖς ἀκούουσι (trad. Roussel 2003, p. 401). 20. I. Priene 112, 75 sq. : δι’ ὧν δὲ τ[ὰς ψυχ]ὰς πρὸς ἀρετὴν καὶ πάθος ἀνθρώπινον προάγεσθαι. Voir Ameling 2008 p. 32. Pour Agatharchides et son œuvre, voir Marcotte 2001, p. 385-435. 21. Pol., III, 36, 2-5 : ῥητέον δ᾽ οὐκ αὐτὰς τὰς ὀνομασίας τῶν τόπων καὶ ποταμῶν καὶ πόλεων, ὅπερ ἔνιοι ποιοῦσι τῶν συγγραφέων, ὑπολαμβάνοντες ἐν παντὶ πρὸς γνῶσιν καὶ σαφήνειαν αὐτοτελὲς εἶναι τοῦτο τὸ μέρος. οἶμαι δ᾽, ἐπὶ μὲν τῶν γνωριζομένων τόπων οὐ μικρὰ μεγάλα δὲ συμβάλλεσθαι πεποίηκε πρὸς ἀνάμνησιν ἡ τῶν ὀνομάτων παράθεσις: ἐπὶ δὲ τῶν ἀγνοουμένων εἰς τέλος ὁμοίαν ἔχει τὴν δύναμιν ἡ τῶν ὀνομάτων ἐξήγησις ταῖς ἀδιανοήτοις καὶ κρουσματικαῖς λέξεσι. τῆς γὰρ διανοίας ἐπ᾽ οὐδὲν ἀπερειδομένης οὐδὲ δυναμένης ἐφαρμόττειν τὸ λεγόμενον ἐπ᾽ οὐδὲν γνώριμον, ἀνυπότακτος καὶ κωφὴ γίνεθ᾽ ἡ διήγησις. διόπερ ὑποδεικτέος ἂν εἴη τρόπος, δι᾽ οὗ δυνατὸν ἔσται περὶ τῶν ἀγνοουμένων λέγοντας κατὰ ποσὸν εἰς ἀληθινὰς καὶ γνωρίμους ἐννοίας ἄγειν τοὺς ἀκούοντας (trad. Roussel 2003, p. 281).
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Il n’est pas question ici pour Polybe de fournir des renseignements précis sur les lieux historiques ; la méthode de Polybe pourrait être considérée de la sorte comme une régression par rapport aux avancées de la géographie mathématique, au sens où elle recourt à des procédés hodologiques. C’est une des critiques de Strabon par rapport à la mesure des distances chez Polybe : […] il ne mesure pas le chemin direct, mais se base sur celui qu’un quelconque général a pris par hasard22.
En outre, Polybe met en exergue deux méthodes pour décrire les lieux : la première est le système universel des quatre points cardinaux ; la seconde consiste à établir des relations spatiales par la remémoration d’images connues. Ces chaînes d’associations contribuent à densifier le réseau des points connus. De même que, lorsqu’il s’agit de choses visibles, nous avons l’habitude de tourner les yeux vers tout objet qu’on nous désigne, de même il nous faut diriger par la pensée notre attention vers chacun des lieux dont il va être question dans cet exposé23.
Polybe utilise ces deux méthodes de manière variable et les complète volontiers pour aider à se représenter les distances. Un tel procédé, qui ne s’appuie pas sur des chiffres, peut nous sembler manquer de précision, à nous qui aimerions obtenir des informations concrètes sur les données géographiques. Cependant, il est authentique et correspond au regard de Polybe comme général, qui n’est pas le nôtre en tant qu’historien. Polybe recourt également à des images connues pour appréhender de vastes paysages, telle l’association avec la représentation d’une polis, laquelle constitue toujours chez Polybe le cadre de référence considéré comme connu ; de là résulte peut-être sa méconnaissance de la constitution romaine24. Il nomme volontiers un endroit topographique particulièrement intéressant comme étant l’Acropole d’un pays : telles les Alpes en Italie (III, 54, 2), Thermos en Étolie (V, 8), Éphèse en Ionie (XVIII, 41a). De telles figures métaphoriques présentes chez Tite-Live renvoient avec certitude à Polybe : cela vaut, par exemple, pour sa qualification de Skodra comme l’arx de l’Empire de Gentius (XXXIV, 31, 2)25. L’autre méthode, à laquelle Polybe recourt pour représenter des unités plus grandes, consiste à les appréhender au moyen de figures géométriques (l’Italie et la Sicile sont des triangles), comme chez Ératosthène et Hipparque26 ; une telle 22. Strab., VIII, 8, 5 : αἴτιον δὲ τούτου τὸ μὴ τὴν σύντομον καταμετρεῖν, ἀλλὰ τὴν τυχοῦσαν ἣν ἐπορεύθη τῶν στρατηγῶν τις. 23. Pol., III, 38, 4 sq. : καθάπερ γὰρ ἐπὶ τῆς ὁράσεως εἰθίσμεθα συνεπιστρέφειν ἀεὶ τὰ πρόσωπα πρὸς τὸ κατὰ τὴν ἔνδειξιν ὑποδεικνύμενον, οὕτως καὶ τῇ διανοίᾳ χρὴ συνδιανεύειν καὶ συρρέπειν ἐπὶ τοὺς τόπους ἀεὶ τοὺ καθάπερ γὰρ ἐπὶ τῆς ὁράσεως εἰθίσμεθα συνεπιστρέφειν ἀεὶ τὰ πρόσωπα πρὸς τὸ κατὰ τὴν ἔνδειξιν ὑποδεικνύμενον, οὕτως καὶ τῇ διανοίᾳ χρὴ συνδιανεύειν καὶ συρρέπειν ἐπὶ τοὺς τόπους ἀεὶ τοὺς διὰ τοῦ λόγου συνεπιδεικνυμένους (trad. Roussel 2003, p. 283). 24. Clarke 1999, p. 101 sq. 25. Strabon utilise également cette image : il désigne le Péloponnèse comme l’Acropole de la Grèce (VIII, 1, 3), Lugdunum comme celle de la région environnante (IV, 6, 11) et Gindaros comme l’Acropole de la Cyrrhestis (XVI, 2, 8). 26. Clarke 1999, p. 103.
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méthode est d’ailleurs critiquée par Strabon (« la géographie de l’Italie entière ne se laisse pas aisément appréhender par une seule figure »27). Polybe est fier de ses voyages, et ces derniers ont contribué à la qualité de ses descriptions28. Sur la base d’une statue représentant Polybe à Megalopolis, Pausanias a lu une épigramme indiquant que Polybe avait parcouru les mers et les terres29. Il a effectué, en effet, de vrais voyages de découverte en Espagne et en Afrique du Nord30, et il donne des descriptions tout aussi directes, claires et vivantes de sa patrie péloponnésienne et d’autres régions qui lui sont connues. Le compte-rendu du voyage en Grèce, qu’Aemilius Paullus a entrepris en automne 168, est presque un guide touristique31. Il cite les attractions touristiques de Delphes, Lébadie, Chalcis, Aulis, Oropos, Athènes, Corinthe, Sicyone, Argos, Épidaure, Sparte, Megalopolis, Olympie, que les Romains ont toujours appréciées. Mais de telles descriptions sont assez rares pour une œuvre aussi vaste : on y lit surtout de brèves indications sur l’orographie, l’hydrographie, les côtes, les courants marins et, bien entendu, les villes. Polybe décrit de manière plus ou moins complète environs 80 villes32 ; celles qui attirent particulièrement son attention sont Byzance, Psophis, Phocée, Ambracie, Skodra et Pella. Psophis mise à part, Polybe n’en connaissait aucune33. En effet, de grandes parties de la Grèce continentale lui étaient inconnues ; il ne serait jamais allé en Étolie, ni en Acarnanie. Cela peut expliquer, dans le cas de l’Étolie, la description totalement confuse de la route que Philippe V aurait prise pour combattre contre Thermos34. Tout aussi déconcertantes et vagues sont les données géographiques sur l’expédition (anabase) d’Antiochos III, menée dans des contrées que Polybe ne connaissait très certainement que par une littérature assez peu fiable comme tout historien de cabinet de l’époque alexandrine. Il ne connaissait que partiellement la Thessalie, en raison de son voyage chez le consul Q. Marcius Philippus en 169, au cours duquel il n’aura probablement vu que la partie méridionale de la Macédoine, la région autour de Dion, Phila et Héraklion35. Ce qui surprend ici est la manière dont Tite-Live décrit Pella. Sa situation géographique n’a rien de particulier ; et pourtant, dans le récit, cette ville devient une forteresse imprenable : La situation de cette ville justifiait le choix que les rois de Macédoine en avaient fait pour leur résidence. Pella, bâtie sur une hauteur qui s’abaisse en pente vers le nordouest, est entourée de marais formés par l’écoulement des lacs et d’une profondeur qui les rend impraticables l’été comme l’hiver. Du milieu même du marais le plus
27. Strab., V, 1, 2 : ἑνὶ μὲν οὖν σχήματι σύμπασαν τὴν νῦν Ἰταλίαν οὐ ῥᾴδιον περιλαβεῖν γεωμετρικῶς. 28. Engels 1999, p. 159 sq. 29. Paus., VIII, 30, 8 : ὡς ἐπὶ γῆν καὶ θάλασσαν πλανηθείη. Sur Polybe comme « attraction touristique » de la province romaine d’Achaïe, voir Henderson 2001, p. 31-33. 30. Pédech 1964, p. 555-563. 31. Pédech 1964, p. 533. Le compte-rendu : Pol., XXX, 10, et surtout Liv., XLV, 27-28. 32. Pédech 1964, p. 534 sq., en donne la liste. 33. Une visite de Byzance évoquée par Walbank 1951, p. 469-479, paraît peu vraisemblable. Pédech 1964, p. 520. 34. Pol., V, 7 sq. Sa description de la bataille de Sellasia n’est pas beaucoup plus précise. 35. En ce qui concerne la route suivie lors de ce voyage diplomatique, voir Pédech 1964, p. 517.
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Figure 1 – Pella, acropole, vue de lʼagora, 2010. [© F. Daubner] rapproché de la ville, s’élève, en forme d’île, une citadelle assise sur une digue d’un immense travail, assez solide pour soutenir les murailles et résister à l’humidité des eaux qui l’entourent. De loin, la citadelle paraît contiguë aux murs de la ville, mais elle en est séparée par un canal sur lequel on a jeté un pont de communication. Ainsi elle n’offre aucun accès aux attaques extérieures, et les prisonniers que le roi y fait enfermer ne peuvent s’en échapper que par le pont dont la garde est très facile36.
Cette description ne semble pas correspondre à cette localité (figure 1) : il y a très certainement ici un effet de dramatisation visant à magnifier la victoire des Romains contre les Macédoniens. Quant à savoir si cet effet de style est dû à Polybe ou à Tite-Live, la question n’est pas facile à trancher. L’influence du premier sur les descriptions géographiques de Tite-Live est certes patente, cela d’autant plus que ce dernier, en tant qu’historien de cabinet et que Romain, portait un intérêt fort limité aux questions géographiques37. Pour aller plus loin, il faudrait pouvoir comparer plus précisément les informations géographiques de Tite-Live avec celles de Polybe. La dernière partie de notre contribution pose la question de savoir dans quelles circonstances Polybe considère qu’une description géographique du terrain est
36. Liv., XLIV, 46, 4-7 : (…) situm urbis undique aspiciens, quam non sine causa delectam esse regiam animaduertit. sita est in tumulo uergente in occidentem hibernum ; cingunt paludes inexsuperabilis altitudinis aestate et hieme, quas restagnantes faciunt {amnes. arx} Phacus in ipsa palude, qua proxima urbi est, uelut insula eminet, aggeri operis ingentis imposita, qui et murum sustineat et umore circumfusae paludis nihil laedatur. muro urbis coniuncta procul uidetur ; diuisa est intermurali amni et eadem ponte iuncta, ut nec oppugnante externo aditum ab ulla parte habeat, nec, si quem ibi rex includat, ullum nisi per facillimae custodiae pontem effugium (trad. Nisard 1864). 37. Girod 1982, p. 1199-1203.
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nécessaire ou non. Ma démonstration ne prendra en compte que quelques exemples aisément généralisables. Ces exemples portent sur la Grèce septentrionale et l’Illyrie : Polybe n’a traversé qu’une seule fois ces régions lors de son transfert vers l’Italie. Selon toute probabilité, les Romains ont effectué avec leurs prisonniers la traversée d’Orikos vers Brindisi, un lieu qui était déjà selon Flamininus la dernière étape avant le départ pour l’Italie38. L’œuvre de Polybe ne comporte qu’une mention de la ville d’Orikos, laquelle a été transmise par Stéphanos (« la ville à l’entrée de l’Adriatique, située sur la droite, quand on pénètre dans cette mer »39 ; cette mention est brève et correcte, mais elle ne dit pas grand-chose). En raison de sa situation importante et inhabituelle, presque sans contact avec la terre, cette ville aurait mérité de faire l’objet d’une digression géographique. On n’en trouve pas chez Tite-Live, mais cela ne signifie pas pour autant que Polybe n’ait pas donné de description de cette ville. La question des sources utilisées par Polybe pour faire le récit des guerres illyriques est depuis longtemps controversée et est probablement insoluble. Polybe a lu Fabius Pictor, et il s’est certainement appuyé également sur une source grecque, que nous n’avons malheureusement pas pu identifier40. Il se peut qu’il ait interrogé des dignitaires exilés venus de l’Épire : des ressortissants de l’élite et de riches Épirotes avaient, en effet, fui le régime de terreur de Charops après 16741, probablement en direction de l’Ouest, et s’ils n’étaient pas allés jusqu’à Rome, ils s’étaient rendus en Italie du Sud et surtout en Apulie qui entretenait depuis toujours des rapports étroits avec les villes et pays situés sur l’autre côté de la mer Adriatique. En Italie du Sud, Polybe a pu rencontrer et interroger des témoins oculaires, lorsqu’il circulait librement après 150 et qu’il visitait régulièrement Locres (Lokroi Epizephyrioi)42. Il a encore pu avoir comme informateurs des militaires romains, qui étaient stationnés à Épire. En tous les cas, la description de Skodra, telle qu’elle a été transmise par Tite-Live, est détaillée et précise : […] la prise de cette ville était le point important de la guerre ; Gentius s’y était enfermé, parce qu’il la regardait comme le boulevard de son royaume, et c’était d’ailleurs la plus forte place sans contredit du pays des Labéates ; elle était d’un accès difficile. Elle était entourée par deux rivières, le Clausal à l’orient, et à l’occident le Barbanna qui prend sa source dans le lac Labéatis. Ces deux rivières versent leurs eaux dans le fleuve Orionde qui sort du mont Scodrus, et va se jeter dans la mer Adriatique, après s’être grossi de plusieurs autres rivières43 (figure 2).
38. Liv., XXXIV, 52. 39. Pol., VII, 14d, 1 : οἳ καὶ πρῶτοι κεῖνται περὶ τὴν εἰσβολὴν πρὸς τὸν Ἀδρίαν ἐκ δεξιῶν εἰσπλέοντι. 40. Voir notamment Zahrnt 2008, p. 391-414. 41. Pol., XXXII, 21. 42. Que Polybe n’ait probablement pas pu quitter Rome avant 150 a déjà été démontré de manière convaincante par Cuntz 1902, p. 55 sq. 43. Liv., XLIV, 31, 2-5 : (…) ad Scodram inde uentum est, quod belli caput erat, non eo solum, quod Gentius eam sibi ceperat uelut regni totius arcem, sed etiam quod Labeatium gentis munitissima longe est et difficilis aditu. duo cingunt eam flumina, Clausal a latere urbis, quod in orientem patet, praefluens, Barbanna ab regione occidentis, ex Labeatide palude oriens. hi duo amnes confluentes incidunt Oriundi flumini, quod ortum ex monte Scordo, multis et aliis auctum aquis, mari Hadriatico infertur (trad. Nisard 1864).
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Figure 2 – Scodra, confluence du Klausal et du Barbanna, vue de lʼacropole, 2009. [© F. Daubner]
La description donnée ici vise à rendre compte de sa situation inexpugnable. Skodra n’a pu être prise qu’en raison de la folie des Illyriens qui, plutôt que de résister au siège des Romains qui avaient établi leur campement à 500 pieds devant la ville, la quittèrent pour leur livrer bataille. La description du siège de Skodra ressemble fort à celui de Pella que nous avons évoqué ci-dessus. Cependant, on ne peut établir de parallèle au niveau des spécificités géographiques : la situation géographique de ces deux villes est très différente, tout comme les stratégies mises en œuvre, qui sont liées au terrain. La « forteresse » de Pella n’aurait, en effet, pas résisté à un long siège étant donné sa situation et ses fortifications. En ce qui concerne la prise de la ville de Lissos par Philippe V en 213 ou en 212, elle a été réalisée grâce à des manœuvres tactiques compliquées, liées aux particularités du terrain : il constata alors que Lissos, tant du côté de la mer que du côté de la terre, était très puissamment protégée à la fois par la nature et par des ouvrages défensifs. Quant à l’Acrolissos, située à proximité, il ne pouvait espérer la prendre d’assaut étant donné sa hauteur et tous les obstacles qui se dressaient devant un assaillant éventuel. Il renonça alors à enlever pareille citadelle, mais ne désespéra pas tout à fait de prendre la ville. Il observa qu’entre Lissos et l’Acrolissos, le terrain se prêtait assez bien à un mouvement offensif en direction de la ville et résolut, après avoir éprouvé l’ennemi par quelques escarmouches livrées de ce côté, de recourir à un stratagème approprié à la situation (figures 3-4).
Durant la nuit, il dissimula la majeure partie de ses troupes légères, qui comptaient aussi les meilleurs soldats, sur les versants de la montagne où se trouvait l’Acrolissos ; il attaqua avec les peltastes et le reste des troupes légères à partir du front de mer, se replia pourtant rapidement comme s’il fuyait. Les occupants de l’Acrolissos
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Figure 3 – Lissos et Akrolissos, vue du nord-ouest, 2013. [© F. Daubner]
Figure 4 – Lissos et Akrolissos, plan. [d’après Praschniker, Schober 1919, fig. 39]
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quittèrent alors la forteresse pour s’emparer du butin ; les troupes légères dissimulées sur les pentes de l’Acrolissos entrèrent dans la forteresse et les peltastes, massés en bas sur le côté sud de la ville, firent volte-face et repoussèrent les troupes de Lissos dans la ville. Le jour suivant, la ville fut conquise à la suite d’âpres combats44. On ne peut comprendre le stratagème de Philippe que si on connaît le lieu ou si on en a une description claire. Polybe et peut-être également les auteurs et informateurs qu’il utilisait appréciaient l’importance d’une telle information de sorte que la description du lieu, qu’à peu près personne, tant parmi les lecteurs grecs que romains de Polybe ne connaissait, leur était apparue comme un corollaire indispensable au récit des événements. La description émane très certainement d’une source fiable : elle est détaillée et correcte et se base exclusivement sur des considérations militaires45. Les informations importantes concernent les fortifications, les portes et les obstacles créés par l’eau : ici, il s’agit de la mer ; dans le cas de Skodra ou d’autres lieux, ce sont les fleuves. La ville n’est pas abordée sous ses aspects topographiques ; aucune indication sur les points cardinaux, ni d’autres renseignements de quelque nature qu’ils soient ne sont donnés. Cela dit, une donnée hodologique est mise en avant : Philippe franchit le défilé en deux jours et installa son camp près du fleuve Ardaxanos non loin de la ville46.
Cela dit, nous ne connaissons pas le point de départ de cette marche de sorte que nous ne pouvons pas identifier le défilé dont il est question. Le fleuve Ardaxanos est probablement l’actuel Drino, mais nous ne savons pas comment son lit se dessinait à cet endroit dans l’Antiquité. Les données topographiques pertinentes au plan militaire sont, quant à elles, très clairement décrites, avec un certain degré d’abstraction, de sorte que Constantin VII aurait pu tirer profit de son extrait de Polybe s’il avait voulu conquérir une ville dont la situation présentait des caractéristiques semblables. En 230, les soldats de la reine illyrienne Teuta conquirent Phoïnikè, la principale ville des Épirotes. La prise de la ville se fit en un tour de main ; cependant, à la nouvelle de la perte de Phoïnikè, le déploiement de l’armée des Épirotes ne se fit pas attendre : Ils arrivèrent devant Phoïnikè et établirent leur camp à l’abri de la rivière qui coule à proximité, non sans avoir enlevé, pour plus de sûreté, les planches formant le tablier du pont qui le traversait.
L’armée se divisa, car la ville d’Antigonéia devait être protégée ; la majeure partie de l’armée restée devant Phoïnikè […] en prenait à son aise et jouissait largement des produits de la région, sans même prendre la peine de disposer autour du camp des sentinelles et des postes de gardes.
44. Pol., VIII, 13, 3 : θεωρῶν δὲ τόν τε τοῦ Λίσσου περίβολον καὶ τὰ πρὸς τῇ θαλάττῃ καὶ τὰ πρὸς τὴν μεσόγαιον ἠσφαλισμένον διαφερόντως καὶ φύσει καὶ κατασκευῇ, τόν τε παρακείμενον Ἀκρόλισσον αὐτῷ καὶ διὰ τὴν εἰς ὕψος ἀνάτασιν καὶ διὰ τὴν ἄλλην ἐρυμνότητα τοιαύτην ἔχοντα φαντασίαν ὥστε μηδ᾽ ἂν ἐλπίσαι μηδένα κατὰ κράτος ἑλεῖν, τῆς μὲν περὶ τοῦτον ἐλπίδος ἀπέστη τελέως, τῆς δὲ πόλεως οὐ λίαν ἀπήλπισε (trad. Roussel 2003, p. 638 sq.). 45. Girod 1982, p. 1203, nomme cette manière de procéder « géographie stratégique ». 46. Pol., VIII, 13, 3.
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Voyant alors que l’ennemi avait divisé ses forces […], les Illyriens se mirent en route au cours de la nuit, jetèrent des planches sur les piles du pont et, après avoir traversé la rivière sans être inquiétés, allèrent occuper une forte position, où ils restèrent jusqu’à l’aube.47
Le jour suivant, les Épirotes furent vaincus au cours d’une seule bataille. La situation de Phoïnikè est tout à fait particulière et mérite l’attention (figures 5-6). La ville fortifiée se trouve sur une montagne escarpée située au milieu d’une plaine fertile dans les environs du petit port d’Onchesmos, aujourd’hui Saranda, et de la baie de Bouthrôtos, avec à l’arrière-plan la chaîne de montagnes, derrière laquelle dans la vallée du Drino passe la seule voie terrestre praticable : protégée par la ville fortifiée d’Antigonéia et allant de lʼIllyrie vers le cœur du pays des Épirotes, cette voie conduit vers Passaron et Dodone, si l’on ne souhaite pas prendre le chemin éprouvant à travers les montagnes Acrocérauniennes. D’un côté, toutes ces données sont topographiquement intéressantes ; de l’autre, on ne peut présupposer que Polybe les pensait acquises chez ses lecteurs, qu’ils fussent grecs ou romains. Pourquoi donc ne les mentionne-t-il pas ?
Figure 5 – Phoïnikè, vue de lʼouest, 2009. [© F. Daubner]
47. Pol., II, 5, 5-7 : παραγενόμενοι δὲ πρὸς τὴν Φοινίκην καὶ προβαλόμενοι τὸν παρὰ τῇ πόλει ῥέοντα ποταμὸν ἐστρατοπέδευσαν, τῆς ἐπ᾽ αὐτῷ γεφύρας ἀνασπάσαντες τὰς σανίδας ἀσφαλείας χάριν… αὐτοὶ δὲ τά τε λοιπὰ ῥᾳθύμως διῆγον, ἀπολαύοντες τῶν ἐκ τῆς χώρας ἀνέδην, τῶν τε κατὰ τὰς φυλακὰς καὶ προκοιτίας ὠλιγώρουν. οἱ δ᾽ Ἰλλυριοὶ συνέντες τὸν μερισμὸν αὐτῶν καὶ τὴν λοιπὴν ῥᾳθυμίαν ἐκπορεύονται νυκτός: καὶ τῇ γεφύρᾳ σανίδας ἐπιβαλόντες τόν τε ποταμὸν ἀσφαλῶς διέβησαν καὶ λαβόντες ὀχυρὸν τόπον ἔμειναν τὸ λοιπὸν μέρος τῆς νυκτός (trad. Roussel 2003, p. 167).
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Figure 6 – Phoïnikè et ses environs, plan. [d’après Giorgi 2006, fig. 2]
Il se peut que Polybe n’ait pas connu pas la situation géographique de la ville, et ses informateurs non plus. Il n’estimait pas nécessaire de s’en enquérir plus amplement parce que l’enchaînement des événements pouvait se comprendre sans information topographique supplémentaire : la ville, la proximité du fleuve et le pays fertile suffisaient. Le fleuve, comme obstacle pour s’approcher de la ville, et la fertilité de la contrée, qui assuraient un confort aux assiégeants, jouent un rôle dans le récit : ces éléments sont tout à la fois précis et abstraits et ils fournissent suffisamment d’informations pour suivre les événements, les comprendre et tirer des enseignements utiles pour des actions futures. Ces derniers peuvent signifier que, premièrement, on ne doit pas négliger le service de garde lors d’un siège et que, deuxièmement, l’absence du revêtement d’un pont en bois ne le rend inutilisable que jusqu’à ce que
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la partie adverse ajoute des planches. Ces enseignements peuvent sembler évidents de prime abord, mais ce qui doit retenir notre attention est le fait que ces éléments peuvent être saisis immédiatement dans leur caractère abstrait et donc transposable. Les exemples des sièges de Phoïnikè et de Lissos sont identiques au plan structurel. Mais dans le second cas, la topographie est décrite en détail, à l’inverse du premier : cette différence montre que la géographie n’est pas une fin en soi pour Polybe et qu’elle n’est pas considérée comme une matière à enseigner48. Sur cette question, il se révèle être l’élève fidèle de Philopœmen, sur lequel Plutarque, suivant en cela assurément la biographie de Polybe consacrée à l’homme politique et général achéen, écrit ceci : il laissait là les plans tracés sur les cartes, et c’est sur les lieux mêmes qu’il vérifiait les faits et tâchait d’en faire son profit. Les élévations et les enfoncements du terrain, les coupures de la plaine, les mouvements et les transformations de la phalange soit pour s’étendre, soit pour se resserrer, selon qu’elle rencontre des ruisseaux, des fossés, des défilés, il observait tout à part lui dans les marches, puis le faisait remarquer à ses compagnons49.
Tant Philopœmen que Polybe subordonnaient le théorique au pratique : ils étaient des acteurs de l’histoire, et Polybe évoquait, en outre, de tels acteurs dans son œuvre. Ni l’un ni l’autre n’étaient des érudits de cabinet : c’est la raison pour laquelle il faut envisager un autre critère pour évaluer les qualités de Polybe comme géographe que celui de son intégration dans une vision évolutive de l’histoire des sciences. Traduction de l’allemand : Geneviève Warland (Louvain-la-Neuve)
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Diodorus’ use of Agatharchides’ description of Africa Lisa Irene Hau
(University of Glasgow)
Abstract This paper starts from the premise that Polybius’ Histories is unrepresentative of Hellenistic historiography generally, and that the Bibliotheke of Diodorus Siculus may be a better window into this largely disappeared but once flourishing genre. One of the features that distinguish Diodorus’ work from Polybius’ is his inclusion of large amounts of ethnographic material. This paper examines one of his extended ethnographic sections, 3.2-55, which deals with Africa south of Egypt, as a case study of his practice and purposes with such passages. First it considers Diodorus’ ethnography in the context of the Greek historiographical tradition and shows that Diodorus most likely considered it an integral component of universal history. Secondly, a comparison of the passage as found in Diodorus with a parallel version of it from Photius, which clearly goes back to the same source, Agatharchides of Cnidus, demonstrates that Diodorus seems to be motivated by an interest in exciting details, but also that he makes an effort to make Agatharchides’ narrative fit in with his own thematic concerns, namely pity for the suffering of civilians, especially women, and cruelty of rulers and slave masters. Thirdly, Diodorus’ relationship with the impression gained of Agatharchides of Cnidus from the comparison with Photius is considered. Diodorus and Agatharchides seem to have shared a number of interests, including the suffering of groups of people who have little or no place in the Histories of Polybius, marvels and the marvellous and moral didacticism. The conclusion is that Diodorus seems to have found ethnography as natural an outlet for the themes of his Bibliotheke as history, and that neither he nor his readers seem to have thought ethnography out of place in a work of universal history. Résumé Cet article commence par la constatation que les Histoires de Polybe ne sont pas représentatives de l’historiographie hellénistique en général, et que la Bibliothèque de Diodore de Sicile pourrait être une meilleure fenêtre vers ce genre en grande partie disparu, mais jadis florissant. L’un des faits qui distingue l’œuvre de Diodore de celle de Polybe est son insertion de larges pans du matériel ethnographique. Cet article examine l’une de ces amples sections ethnographiques, 3.2-55, relative à l’Afrique située au sud de l’Égypte, dans le sens où elle propose un cas d’école de la pratique et des objectifs poursuivis par l’auteur dans ces passages. Tout d’abord, on considère l’ethnographie de Diodore dans le contexte de la tradition historiographique grecque et l’on montre que Diodore très souvent la considère comme une composante intégrale de l’histoire universelle. Deuxièmement, la comparaison de ce passage de Diodore avec la version parallèle due à Photius, qui clairement remonte à la même source, Agatharchides de Cnide, démontre que Diodore semble être motivé par son intérêt pour les détails palpitants, mais aussi Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 27-42
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qu’il fait un effort pour adapter le récit d’Agatharchides à ses propres centres d’intérêt, c’est-à-dire la pitié pour les souffrances des civils, en particulier les femmes, et la cruauté des gouvernants et des maîtres des esclaves. Troisièmement, on examine la relation qui existe entre Diodore et l’idée que l’on peut avoir d’Agatharchides à partir de la comparaison avec Photius. Diodore et Agatharchides semblent avoir partagé un certain nombre d’intérêts, tels la souffrance des groupes de populations qui a peu ou pas de place dans les Histoires de Polybe, les merveilles et le merveilleux, ainsi que l’enseignement moral. La conclusion est que Diodore semble avoir trouvé en l’ethnographie un domaine qui prenait naturellement place parmi les thèmes historiques de sa Bibliothèque, et que ni lui-même ni ses lecteurs ne semblent avoir pensé que l’ethnographie n’avait pas sa place dans une histoire universelle.
The Hellenistic period is often overlooked in the study of Greek historiography, despite the fact that we know of several hundred names of historiographers working between the death of Alexander the Great and the Battle of Actium.1 Too often, Polybius’ Histories is assumed to be representative of the genre, although – to judge from the scattered references, paraphrases, and summaries of other works known as “fragments” – it was at most representative of one approach to history among several. Our other main window into Hellenistic historiography, beside Polybius, is Diodorus Siculus. His work, the Bibliotheke Historike, was once a work on universal history in 40 volumes, narrating world history from the creation of humankind to the time of Julius Caesar. Substantial parts of it still exist: books 1-4 and 12-20 in their entirety and a large number of epitomised passages of the rest. It has long been recognised that Diodorus’ text stays uncommonly close to that of his sources, and for a century or more it was common to consider him a “mindless compiler” and to use his work only as a tool for reconstructing the otherwise lost works of Hellenistic historiography which he had used as sources.2 This Quellenforschung approach no longer holds sway, and a partial rehabilitation of Diodorus as a historiographer with his own agenda is underway,3 but it is still obvious that the Bibliotheke owes a large debt to its sources, which means that it offers us some glimpses of the genre of Hellenistic historiography even if they are less direct and more complicated than used to be assumed.4 Moreover, Diodorus repeatedly presents himself as a serious scholarly historian who follows the conventions of history writing, a posturing which can also give us some indication of what were the preoccupations, agendas, and buzzwords of Hellenistic historiography.5 For that reason, Diodorus’ motives for including or excluding certain material are worth investigating, for what they can tell us both about Diodorus’ own working methods and about Hellenistic historiography more generally. * 1. 2. 3. 4. 5.
I would like to thank the organisers of the conference, Michèle Coltelloni-Trannoy and Sébastien Morlet, for inviting me to give a paper, and for making me feel welcome despite my rather stumbling attempts at communicating in French. Of the 856 fragmented works collected by Jacoby (1926-1956), almost half seem to have originated in this time period. See e.g. Schwartz 1903; Kunz 1935; Hornblower 1981; Canfora 1990; Stylianou 1998. See Drews 1962; Sacks 1990; Rubincam 1987; 1989; 1998; Hadley 1996; Lévy 2001; Lefèvre 2002. For attempts at reconciling the two approaches to Diodorus, see Ambaglio 2008; Hau 2009. Both approaches are displayed by the papers in Hau, Meeus, Sheridan (forthcoming). My views on Diodorus’ relationship with his sources have been set out in detail in Hau 2009 and 2016. For Diodorus’ self-representation see Hau forthcoming.
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One of the features of Diodorus’ Bibliotheke that stand out as peculiar, maybe even “un-historical”, from a modern perspective is its inclusion of large amounts of ethno-geography. He says in his preface (1.4.6) that the first six books cover ancient history and mythology, the first three of the barbarians, the following three of the Greeks. He then deals with Egypt in book 1, Assyria in book 2, and turns to Ethiopia, Arabia, and Libya in book 3. In all of this, mythical stories – more or less euhemeristically rationalised – intermingle with geographical and ethnographical information, and there is very little that a modern reader would consider “historical”. In this paper I am going examine one particular, lengthy, ethno-geographical passage in Diodorus’ Bibliotheke in order to ask what made Diodorus include it in a work that was supposedly about history. The passage is 3.2-55, which deals with Africa south of Egypt, and which is based on a now lost work by the Alexandrian scholar Agatharchides of Cnidus. This passage does not seem to relate to the ancient history, or “antiquities”, of Ethiopia at all; in fact, it does not even contain a chronological narrative of events, but offers a purely synchronous description. While the section dealing with Egypt both describes the land and customs of Egypt and narrates the history of successive dynasties of pharaohs – as well as a Euhemeristic version of the Isis and Osiris myth – and the section dealing with Assyria both describes the ethno-geography of the area and narrates its history – with a heavy focus on the legendary Semiramis – the section on Ethiopia is exclusively a description, in the present tense, of the customs of a string of exotic peoples and their environment. What is such an ahistorical narrative doing in a work of history? In order to answer this question, I shall first consider the macro-level of Diodorus’ place in the historiographical tradition. Then I shall zone in on the micro-level and compare the passage with another version of it, namely the summary of Agatharchides by Photius, the Byzantine patriarch. This comparison will allow us to see some of the choices made by Diodorus when adapting Agatharchides and to think about the motives behind them. Thirdly, I shall use the impression gained of Agatharchides’ work from this comparison to investigate the relationship that Diodorus may have had with it, and his reasons for using it at all. Finally, I shall draw some conclusions about the place of ethno-geography in Hellenistic historiography.
Diodorus and the historiographical tradition One answer to the question of what a lengthy passage of ethno-geography is doing in a Hellenistic work of history is surely that both geography and ethnography had been part of historiography since Herodotus. Some historians, such as Thucydides, had rejected it; others, such as Polybius, had relegated it to a separate part of his work (book 34); but others, like Ephorus of Cyme, Timaeus of Tauromenium, the Alexander Historians, and Posidonius had embraced it wholeheartedly.6 By the time of Diodorus ethno-geography was an expected part of a certain type of well-respected
6. For Ephorus’ inclusion of geography see Strabo 7.3-9 (= Ephorus FGrHist 70 F 42). For Timaeus’ see Polybius 12.3 (= Timaeus FGrHist 566 T 19) and Vitruvius De architectura 8.3.27 (= Timaeus FGrHist 566 T 30). For Posidonius’ see e.g. Athenaeus 4.36 151e-152d, 4.40 154a-c, and 6.49 246c-d (= Posidonius FGrHist 86 F 15-17).
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historiography. It is reasonable to suppose that Diodorus considered it an integral part of universal history, which was what he intended to write – after all, the inventor of this genre of historiography, Ephorus, had included a famous digression on the Scythians.7 In fact, Diodorus’ account of the Ethiopians bears many resemblances to Herodotus’ account of the Scythians (Hdt., 4.2-82), and possibly to Ephorus’ too although we cannot know that for certain: it is an account of an uncivilised people with customs that are vastly different from those of the Greeks, and which are presented as being largely determined by the very different natural environment in which they live. Just like Herodotus distinguishes between different groups of Scythians who inhabit different sections of the overall area and have different customs, Diodorus goes through a long list of different Ethiopian people living in different parts of the overall area and having different customs. However, while Herodotus recognises that changes have happened over time to the way the Scythians live, and thus introduces an element of historical narrative into his ethnography, such a historical element is completely absent from Diodorus’ account of the Ethiopians, making it a purely ethno-geographical endeavour. The absence of the historical perspective was perhaps due to a lack of information on the part of Diodorus’ source (about whom more anon): throughout the account the perspective is that of an outsider, and we are told several times that the language of one or other people is unintelligible, or even that they do not have a language. An explorer who does not speak the language of the local people obviously cannot ask them about their history or legends, but can only observe their present way of life. But that does not answer the question of why Diodorus chose to adopt this ahistorical narrative into his work of history. For that, we need to look closer at Diodorus’ source and his relationship with it.
Diodorus and Agatharchides I: adaptation Agatharchides of Cnidus worked for Heraclides Lembus in the Library of Alexandria in the 2nd century BC and wrote several works, which all survive only in “fragments”, i.e. references, quotations, and summaries in later authors.8 Traditionally, the surviving fragments have been thought to come from three separate works: a historical work concerning Europe, a historical work concerning Asia, and a geographical work entitled On the Red Sea, which would be the one used by Diodorus.9 In recent years, however, most scholars have come to agree that On the Red Sea was, in fact, also a historical work despite the fact that it contained long ethno-geographical passages. D. Marcotte and W. Ameling may even be right that the three works were, in fact, all part of the same large work of universal history, later referred to by its constituent parts.10 In that case, the timeless ethnographic “digression” used by Diodorus may 7. For the genre of universal history see Alonso-Nuñez 1990; Liddel, Fear 2010; Marincola 2011. For Ephorus’ invention of the genre see Parmeggiani 2011. 8. Scholarship on Agatharchides: Woelk 1966; Fraser 1972, pp. 539-550; Strasburger 1982, p. 1006-1010; Burstein 1989 and n.d.; Marcotte 2001; Ameling 2008. 9. For this traditional view see Jacoby 1926, pp. 150-151; Fraser 1972, vol. I, p. 516 with notes II, pp. 744-745; Burstein 1989; Burstein n.d.a, n.d.b. 10. Marcotte 2001; Ameling 2008.
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have formed part of a chronologically situated account of the explorations of the Ptolemies, perhaps for the purpose of finding a reliable supply of war-elephants. What makes On the Red Sea particularly useful for our purposes is that a long passage from it is summarised by Photius, the Byzantine patriarch.11 Photius’ summary is 55 pages long in the Belles Lettres edition, and it corresponds closely to Diodorus 3.2-55 (and slightly less closely to Strabo 16.4.5-20), proving that Diodorus took these chapters over directly from Agatharchides with very few changes. Photius’ wording seems to be closer to Agatharchides’ original and have been abbreviated by sections being left out rather than by rephrasing and summarising.12 Diodorus’ version is longer, but feels less bound by the style and focus of Agatharchides’ original, as we shall see below. Strabo probably accessed Agatharchides only through the text of Artemidorus, which makes his text of less interest in this context.13 We shall now examine a few short passages of Diodorus alongside the corresponding passages of Photius in order to discover some characteristics of Diodorus’ ethno-geography. Our first extract is part of a longer description of the horrible conditions of convicts working in the Nubian gold-mines. The left-hand column contains Diodorus’ text, the right-hand column that of Photius. οἱ δὲ ἄνηβοι παῖδες εἰσδυόμενοι διὰ τῶν ὑπονόμων εἰς τὰ κεκοιλωμένα τῆς πέτρας ἀναβάλλουσιν ἐπιπόνως τὴν ῥιπτουμένην κατὰ μικρὸν πέτραν καὶ πρὸς τὸν ἐκτὸς τοῦ στομίου τόπον εἰς ὕπαιθρον ἀποκομίζουσιν. οἱ δ᾽ ὑπὲρ ἔτη τριάκοντα παρὰ τούτων λαμβάνοντες ὡρισμένον μέτρον τοῦ λατομήματος ἐν ὅλμοις λιθίνοις τύπτουσι σιδηροῖς ὑπέροις, ἄχρι ἂν ὀρόβου τὸ μέγεθος κατεργάσωνται.
[2] παρὰ δὲ τούτων τὸν ὀροβίτην λίθον αἱ γυναῖκες καὶ οἱ πρεσβύτεροι τῶν ἀνδρῶν ἐκδέχονται, καὶ μύλων ἑξῆς πλειόνων ὄντων ἐπὶ τούτους ἐπιβάλλουσι, καὶ παραστάντες ἀνὰ τρεῖς ἢ δύο πρὸς τὴν κώπην ἀλήθουσιν, ἕως ἂν εἰς σεμιδάλεως τρόπον τὸ δοθὲν μέτρον κατεργάσωνται. προσούσης δ᾽ ἅπασιν ἀθεραπευσίας σώματος καὶ τῆς τὴν αἰδῶ περιστελλούσης ἐσθῆτος μὴ προσούσης, οὐκ ἔστιν ὃς ἰδὼν οὐκ ἂν ἐλεήσειε τοὺς ἀκληροῦντας διὰ τὴν ὑπερβολὴν τῆς ταλαιπωρίας.
οἱ δὲ ἄνηβοι παῖδες εἰς τοὺς ὑπὸ τούτων ὀρυχθέντας ὑπονόμους εἰςδυόμενοι, καὶ τὴν χάλικα τῶν ῥιπτουμένων ἐπιπόνως συλλέγοντες, ἐκτὸς τῶν στομίων κομίζουσι. Παρὰ δὲ τούτων οἵ τε πρεσβύτεροι καὶ τῶν ἀσθενῶν οἱ πολλοὶ τὸν λίθον μεταφέρουσι· μετακομίζουσι δὲ οὗτοι τοῖς καλουμένοις ἐπωπεῦσιν. Οἱ γὰρ ἐντὼς τῶν τριάκοντα ἐτῶν καὶ τοῖς εἴδεσι καρτεροὶ ὅλμους λιθίνους παρειληφόες ὑπέρῳ σιφηρῷ πτίσσουσιν ἐπιστρεφῶς, καὶ ποιήσαντες τὸ μέγιστον τρύφος ὀρόβῳ παραπλήσιον πρὸς τὴν αὐτὴν ὥραν ἀπομετροῦσιν ἑτέτοις. Οὗτος δέ ἐστιν ὁ πόνος τῶν γυναικῶν τῶν εἰς τὰς φυλακὰς συναπηγμένων ἀνδράσιν ἢ γονεῦσι. Μύλοι γὰρ ἑξῆς πελίους βεβήκασιν, ἐφ’ οὓς τὸν ἐπτισμένον ἐπιβάλλουσι λίθον· καὶ παραστᾶσαι τρεῖς ἑκατέρωθεν πρὸς τὴν μίαν κώπην, οὕτως ἐζωσμέναι δυσπροσόπτως ὥστε μόνον τὴν αἰσχύνην τοῦ σώματος κρύπτειν, ἀλήθουσιν· ἀλήθουσι δὲ ἕως ὑπὸ τὸν τῆς σεμιδάλεως τόπον ἀχθῇ τὸ παραδοθὲν μέτρον.
11. Photius’ summaries, ostensibly for the use of his brother, make him one of our most important sources for otherwise lost works of antiquity. 12. Proved conclusively by Palm 1955, pp. 16-26. 13. For a full discussion of the relationship between Diodorus, Photius, and Strabo respectively with Agatharchides, see Burstein 1989.
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[3] οὐ γὰρ τυγχάνει συγγνώμης οὐδ᾽ ἀνέσεως ἁπλῶς οὐκ ἄρρωστος, οὐ πεπηρωμένος, οὐ γεγηρακώς, οὐ γυναικὸς ἀσθένεια, πάντες δὲ πληγαῖς ἀναγκάζονται προσκαρτερεῖν τοῖς ἔργοις, μέχρι ἂν κακουχούμενοι τελευτήσωσιν ἐν ταῖς ἀνάγκαις. διόπερ οἱ δυστυχεῖς φοβερώτερον ἀεὶ τὸ μέλλον τοῦ παρόντος ἡγοῦνται διὰ τὴν ὑπερβολὴν τῆς τιμωρίας, ποθεινότερον δὲ τοῦ ζῆν τὸν θάνατον προσδέχονται. Young boys, who go down through the galleries to the areas of rock that have been excavated, laboriously pick up the rock that is being dug out bit by bit and carry it outside to a place near the entrance. Men over thirty years of age take it from them and pound a fixed amount of the quarried rock on stone mortars with iron pestles until they reduce it to the size of a vetch seed.
The women and older men receive from them the seed sized rock and cast it into stone mills, several of which stand in a line; and standing beside them, two or three to a handle, they grind it until they reduce the portion given them to a flour-like state. Since there is general neglect of their bodies and they have no garment to cover their shame, it is impossible for an observer to not pity the wretches because of the extremity of their suffering. For they meet with no respite at all, not the sick, the injured, the aged, not a woman by reason of her weakness, but all are compelled by blows to strive at their tasks until, exhausted by the abuse they have suffered, they die in their miseries. For this reason the poor wretches think that the future always will be more fearful than the present because of the extreme severity of their punishment, and they consider death more desirable than life. Diod. Sic. 3.13 (transl. by S. Burstein)14
Οὗτοι πάντες οἱ τὸν εἰρημένον τῆς τύχης κλῆρον ὑπελθόντες ποθεινότερον ἔχουσι τοῦ βίου τὸν θάνατον. Young boys, who go down into the galleries excavated by these men and gather up laboriously the piles of rock that have been thrown down on the floor, carry it outside the entrance. From them the older men and many of the sick take the rock. These bring it to men called “pounders”. They are men less than thirty years old and more vigorous in appearance. After receiving the fragments of rock, they pound them vigorously with iron pestles; and having worked the stone until no piece is larger than a vetch seed, they distribute them immediately to other workers. This next task, however, is that of women who have been led off into captivity with their hunbands or parents. For several mills stand one after the other in a line and into these they cast the crushed rok. Three women, standing oppostie one another at each handle and so scantily dressed that only their private parts are conscealed, do the grinding; and they grind until the portion of rock given them has been reduced to the consistency of flour.
All those subject to the harsh lot just described consider death more desirable than life. Phot. cod. 250.26 448a (transl. by S. Burstein)
14. Burstein 1989 provides a convenient side-by-side view of the texts of Diodorus and Photius, with Strabo in footnotes. The fragment numbers for On the Red Sea used throughout this paper derive from this work.
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Let us focus first on Diodorus’ text. The extract begins with young boys, who climb down into the tunnels to carry out rocks. They give these to men over 30 years of age (οἱ δ᾽ ὑπὲρ ἔτη τριάκοντα), who pound them with pestles until they have broken them down into seed-sized bits. Then they give them to women, who grind these rock-seeds in stone-mills until they have the consistency of flour. We are told that these women have been forced to neglect their bodies (προσούσης δ᾽ ἅπασιν ἀθεραπευσίας σώματος) and have nothing to “cover their shame” (τῆς τὴν αἰδῶ περιστελλούσης ἐσθῆτος μὴ προσούσης), and the narrator then breaks into a passionate exclamation: anyone who saw these poor people would pity them in their misery – except that they meet with no pity from their tormentors and are forced to work under the whip until they die from exhaustion. For this reason, they fear the future and consider death preferable to life. What immediately jumps out at the reader is the combination of passion and scandalisation in this remark: the narrator wants his readers to feel passionate pity for the workers in the mines – but he also wants them to be a little bit thrilled by the idea of these women working hard with not a thread of clothes on. Now let us turn to Photius’ version of the same passage, in the right-hand column. The first thing we notice is that the beginning of the passage is slightly longer than the Diodoran version. It gives us more details of the working procedure at the mine, giving an extra link, namely the old and the sick who carry the rocks from the young boys to the strong men who are to pound it. One detail is different from Diodorus, and makes more sense: it is not the men over 30 years of age who pound the stone to seed-sized bits, but those under 30, in the prime and strength of youth (Οἱ γὰρ ἐντὼς τῶν τριάκοντα ἐτῶν καὶ τοῖς εἴδεσι καρτεροὶ). It seems that Diodorus did not pay much attention to these boring, technical bits, but was eager to get to the pathetic scene with the naked women. This impression only becomes stronger when we continue into the second half of the passage, which describes the work and plight of the women. Here, Photius explains how the women came to be there – they were imprisoned along with their fathers or husbands – a fact which Diodorus ignores. And, interestingly, the two authors disagree on the nakedness of the women: according to Photius, they are wearing just enough to hide their private parts, whereas in Diodorus they wear nothing. What was in Agatharchides’ original is impossible to know: perhaps Diodorus has exaggerated the nakedness in order to make his description more titillating, but it is equally possible that Photius, the Christian patriarch, has toned it down in order to prevent his readers from getting distracted. Finally, Diodorus’ passionate appeal for pity for the sufferers is missing from Photius. Either the patriarch ignored such a plea in Agatharchides, or, which is perhaps more likely, Diodorus added it to Agatharchides’ account of his own accord. Expressions such as οἱ δυστυχεῖς to describe people in miserable situations are common throughout Diodorus’ Bibliotheke, often combined with a statement that the unfortunate is/are being pitied (e.g. 13.20.2, 14.5.4, 16.20.1, 19.11.5). Moreover, he repeatedly extols pity or mercy, συγγνώμη, in a gnome that states that it is preferable to revenge or punishment (τιμωρία) (e.g. 9.12.3, 21.9.1, 31.3.1). These concepts were clearly of importance to Diodorus, who also seems to have had special sympathy for the suffering of civilians, particularly women, in warfare (e.g. 13.57-58, 17.35-36, 19.6.5-8.6)15 and 15. For a discussion of such passages as an act of moralising through pathos see Hau 2016, pp. 113-114.
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even slaves (esp. 34/35.2.1-4, 10, and 13).16 Below we shall discuss how this may have aligned him with the work of Agatharchides; for now we simply note that the description of the miners, although ethnographical rather than historical, fits thematically and tonally into the larger historiographical whole of Diodorus’ Bibliotheke. If we move to the next set of parallel passages from Diodorus and Photius, these extracts detail the method of elephant-hunting among one of the Ethiopian peoples: ταύτης δὲ τῆς χώρας εἰς τὰ πρὸς δυσμὰς μέρη πολὺ διεστηκότες Αἰθίοπες ὑπάρχουσιν Ἐλεφαντομάχοι κυνηγοί. νεμόμενοι γὰρ δρυμώδεις καὶ πυκνοὺς τοῖς δένδρεσι τόπους παρατηροῦσι τῶν ἐλεφάντων τὰς εἰσόδους καὶ τὰς ἐκτροπάς, σκοπὰς ἀπὸ τῶν ὑψηλοτάτων δένδρων ποιούμενοι· καὶ ταῖς μὲν ἀγέλαις αὐτῶν οὐκ ἐπιτίθενται διὰ τὸ μηδεμίαν ἐλπίδα ἔχειν κατορθώσεως, τοῖς δὲ καθ᾽ ἕνα πορευομένοις ἐπιβάλλουσι τὰς χεῖρας, παραδόξοις ἐγχειροῦντες τολμήμασιν. [2] ὅταν γὰρ τὸ ζῷον διεξιὸν γένηται κατὰ τὸ δένδρον ἐν ᾧ συμβαίνει τὸν σκοπεύοντα κεκρύφθαι, ἅμα τῷ παραλλάττειν τὸν τόπον ταῖς μὲν χερσὶν ἐδράξατο τῆς οὐρᾶς, τοῖς δὲ ποσὶν ἀντέβη πρὸς τὸν ἀριστερὸν μηρόν· ἔχων δ᾽ ἐκ τῶν ὤμων ἐξηρτημένον πέλεκυν, κοῦφον μὲν πρὸς τὴν ἀπὸ τῆς μιᾶς χειρὸς πληγήν, ὀξὺν δὲ καθ᾽ ὑπερβολήν, τοῦτον λαβόμενος ἐν τῇ δεξιᾷ χειρὶ νευροκοπεῖ τὴν δεξιὰν ἰγνύν, πυκνὰς καταφέρων πληγὰς καὶ διὰ τῆς ἀριστερᾶς χειρὸς οἰακίζων τὸ ἴδιον σῶμα. παράδοξον δὲ ὀξύτητα τοῖς ἔργοις προσφέρουσιν, ὡς ἂν ἄθλου τῆς ἰδίας ψυχῆς ἑκάστῳ προκειμένου· ἢ γὰρ χειρώσασθαι τὸ ζῷον ἢ τελευτᾶν αὐτὸν λείπεται, τῆς περιστάσεως οὐκ ἐπιδεχομένης ἕτερον ἀποτέλεσμα. [3] τὸ δὲ νευροκοπηθὲν ζῷον ποτὲ μὲν διὰ τὴν δυσκινησίαν ἀδυνατοῦν στρέφεσθαι καὶ συνεγκλινόμενον ἐπὶ τὸν πεπονθότα τόπον πίπτει καὶ τὸν Αἰθίοπα συναπόλλυσι, ποτὲ δὲ πρὸς πέτραν ἢ δένδρον ἀποθλῖψαν τὸν ἄνθρωπον τῷ βάρει πιέζει μέχρι ἂν ἀποκτείνῃ. [4] ἔνιοι δὲ τῶν ἐλεφάντων περιαλγεῖς γινόμενοι τοῦ μὲν ἀμύνεσθαι τὸν ἐπιβουλεύσαντα μακρὰν ἀφεστήκασι, τὴν δὲ φυγὴν διὰ τοῦ πεδίου ποιοῦνται, μέχρι ἂν οὗ συνεχῶς
Ὅτι μετὰ τοὺς εἰρημένους, πολὺ τούτων ἀφεστῶτες καὶ πρὸς ἑσπέραν μᾶλλον ἀνατείνοντες, εἰσὶν οἳ ἐκ τῆς τῶν ἐλεφάντων θῆρας τὸν βίον ποιοῦνται.
Οἱ μὲν ἀπὸ δένδρου, ἐφ’ ᾧ κάθηνται, σκοποῦντες τὰς παρόδους τῶν θηρίων, ταῖς μὲν χερσὶ τῆς οὐρᾶς λαβόμενοι, τοῖς ποσὶ δὲ πρὸς τὸν μηρὸν τὸν ἀριστερὸν ἐπιβαίνουσιν·
εἶτα πελέκει, ὃν ἐπιτήδειον καὶ ἕτοιμον ἔχουσι, τὴν δεξιὰν ἰγνύν, πυκναῖς ταῖς πληγαῖς χρώμενοι, νευροκοποῦσιν,
οὕτω δὲ ἐκτενῶς τῇ μὲν καταφέροντες τῇ δὲ τῆς οὐρᾶς κρατοῦντες, ὡς ἄθλου προκειμένου τῆς ψυχῆς· ἢ γὰρ ἀποκτεῖναι χρὴ ἢ τελευτᾶν, ἄλλην τοῦ καιροῦ δείξοδον οὐκ ἔχοντος.
Ἐπὰν δὲ τὸ ζῷον ἐκ τῆς πληγῆς καὶ τῆς αἱμορραγίας πέσῃ, οἱ συνθηραταὶ παραγίνονται ἐπὶ τὸ πτῶμα, καὶ τοῦ θηρίου ζῶντος ἔτι παρατέμνοντες ἐκ τῶν ὀπισθίων τὰς σάρκας εὐωχοῦνται, τὸν
16. Diodorus’ narrative of the Sicilian Slave War most likely goes back to Posidonius, but it is impossible to know if the sympathy for the slaves originated with Posidonius too or was Diodorus’ own spin on the narrative.
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προβεβηκὼς ὁ τύπτων εἰς τὸν αὐτὸν τόπον τῷ πελέκει διακόψας τὰ νεῦρα ποιήσῃ πάρετον τὸ ζῷον. ὅταν δὲ τὸ ζῷον πέσῃ, συντρέχουσι κατὰ συστήματα, καὶ ζῶντος ἔτι τέμνοντες τὰς σάρκας ἐκ τῶν ὄπισθεν μερῶν εὐωχοῦνται.
ἔσχατον τοῦ καταπονηθέντος οὕτως ὑπομένοντες θάνατον.
At a considerable distance to the west of this country are found the Elephant-fighting Aithiopians. They are hunters. For, inhabiting bushy and densely forested areas, they carefully note the points at which the elephants enter and their separate paths, making their observations from the highest trees. They do not attack the herds because they would have no hope of success, but, acting with extraordinary daring, they lay hands upon those travelling alone. For when the wanderings of a beast bring it under the tree in which an observer is hidden, at the moment it passes the spot, he seizes its tail with his hands and plants his feet against its left thigh. He has hanging from his shoulders an axe that is light enough for blows to be struck with one hand and extremely sharp. Grasping this in his righ thand, he severs the right hamstring tendon by striking repeated blows while supporting his own body with his left hand. They apply themselves with remarkbale swifthness to these tasks as though their own soul had been set before each as a prize. For the situation allows no other outcome than that he should subdue the beast or himself die. Sometimes, as the hamstrung creature is unable to turn because of its impaired movement, it settles back on the wounded spot, falls, and kills itself and the Aithiopian or, sometimes it squeezes the man against a rock or a tree and crushes him with its weithgt until it kills him. Some elephants, maddened with pain, make no attempt to fend off their assailant but take flight across the plain until their attacker by repeatedly striking at the same spot with his axe severs the tendon and renders the beast helpless. When the animal falls, then men run to it as a group; and while it is still alive, they cut pieces of meat from its hind quarters and feast.
After the peoples just described, but located at a considerable distance from them and more towards the west are the peoples whose way of life is based on hunting elephants.
Diod. Sic. 3.26 (transl. by S. Burstein)
Phot. cod. 250.53 452b (transl. by S. Burstein)
They observe the passage of the beasts from a tree in which they perch. With their hands they then grab an elephant’s tail, scramble on to its left thigh with their feet and hamstring its right leg by repeated blows with an axe which they have prepared and ready. They strike frantically with one hand and grasp the tail with the other as though their life were set before them as the prize. For they must kill or die, since the situation allows no other outcome.
When the beast collapses from the blows and loss of blood, the hunter’s comrades rush to the fallen animal; and while it is still alive, they slice the flesh from its hind quarters and feast. In this way the creature, which has been subdued, suffers its final death agony.
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The first thing we notice is that, this time, Diodorus’ version is longer and more detailed than the one by Photius. The extra details do not look like the kind of details that Diodorus would add of his own accord (they are underlined in the passage): he tells us that the elephant-hunters do not attack the herds, but only lone individuals; he gives more details about the axe which the hunter uses to hamstring the elephant; and he describes in detail how the wounded elephant reacts to the pain. These details are based on the specialist knowledge of an eyewitness to such an elephant-hunt and are thus more likely to originate in the text of Agatharchides, who had access to the reports of Ptolemaic explorers in the library of Alexandria, than in that of Diodorus, who most likely composed his work in Rome.17 These details add to the sense of a life-and-death struggle between the hunters and the elephants, and so play into Diodorus’ portrayal as the elephant hunters as heroic, an attitude signalled in the very first line of the extract by his designating of them as “elephant-battling hunters” (Ἐλεφαντομάχοι κυνηγοί). Photius, on the other hand, simply calls the hunters “those who make their living from hunting elephants” (οἳ ἐκ τῆς τῶν ἐλεφάντων θῆρας τὸν βίον ποιοῦνται), which has a much less heroic ring. This fits in with the fact that the only detail which is in Photius and not in Diodorus is the final sentence of the extract, about the suffering of the elephant as it is eaten alive. If this conclusion was in Agatharchides, Diodorus left it out, perhaps because he thought that it muddied his picture of heroic hunters risking their lives to kill prey many times their size. Alternatively, the sentence was not in Agatharchides, and Photius added it because he could not escape the thought of the suffering of the dying animal. In either case, perhaps the reason why Photius abbreviated Agatharchides’ account in the first place, leaving out all the exciting details kept in by Diodorus, was a feeling of distaste for the whole idea of this barbaric hunt. From this comparison of Diodorus’ summary of Agatharchides’ account of the Nubian goldmines and Ethiopian elephant hunting with that of Photius we can conclude that Diodorus seems to be motivated by an interest in exciting details, whether heroic or titillating, but also that he makes an effort to make Agatharchides’ narrative fit in with his own thematic concerns, namely pity for the suffering of civilians, especially women, and cruelty of rulers and slave masters.
Diodorus and Agatharchides II: shared interests On the basis of the impression of On the Red Sea that we get from comparing the adaptations by Diodorus and Photius, it seems that Agatharchides and Diodorus had a number of interests in common. First of all, as noted above, they shared an interest in human suffering, particularly by marginal groups such as women and slaves. In Diodorus, we see it particularly in his detailed narratives of the sacking of cities, torturing of prisoners, and physical
17. For the possible biography and sources of Agatharchides see Fraser 1972 and Burstein 1989. For the Ptolemaic expeditions into Africa south of Egypt see Burstein 1989. For the possible biography of Diodorus see Sacks 1990.
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abuse of slaves.18 In the extract of On the Red Sea preserved by Photius and Diodorus, beside the passage on the Nubian goldmines discussed above, we also find a disturbing description of the horrific deaths of Ethiopians infested with guinea worm (F 59a = Phot. cod. 250 453a-b and F 59b = Diod. Sic. 3.29.1-7), a extended narrative of the miserable lives of Ptolemaic guards on an island that produces topaz (F84b = Diod. Sic. 3.39.3-9), which is left out by Photius, and an extraordinary description of shipwrecked elephant transports and the suffering their crews go through (F85a = Phot. cod. 250 456b-457a, F85b = Diod. Sic. 3.40). Strasburger seems to have been right to insist that such interest in the suffering of marginal groups of people was a characteristic of Agatharchides’ work,19 and it is likely that this was part of what attracted Diodorus to it. Agatharchides and Diodorus also shared an interest in marvels. Thauma and its cognate adjectives and verb forms are extremely common in the Bibliotheke appearing no fewer than 298 times in the extant text. Phenomena as diverse as bitumen production (2.12.1-2), the prophetic powers of the daughter of Teiresias (4.66.6), Celtiberian fighting styles (5.33.5), the wisdom of Pittacus of Mytilene (9.11), the fighting at Thermopylae (11.7.1), the character of Tellias of Acragas (13.84.4), the defence of Perinthus against Philip II (16.74.4), the paradox of Agathocles of Syracuse being able to defeat the Carthaginians in Africa, but not in Sicily (20.13.3), and the generosity of Scipio the Younger (31.27.5) are described as thaumastos. Another favourite adjective is paradoxos, which is used as many as 317 times, often in very similar circumstances to, or even in conjunction with, thaumastos (e.g. 2.4.5, 2.58.2, 7.5.5, 17.41.7). In Photius’ summary of On the Red Sea, both thaumastos and paradoxos are used (F37a and 80a respectively),20 the former to describe the water-fetching expedition of the Fish-Eaters, the latter as an epithet to unusually large snakes. In the parallel passages in Diodorus, the adjectives used are paradoxon about the water-expeditions (fragment 37b = Diod. Sic. 3.17.1) and apista about the snakes (F80a = Diod. Sic. 3.36.1). Which adjectives were in Agatharchides’ original is impossible to know, but Photius is probably more likely than Diodorus to be quoting verbatim.21 In either case, it is clear that Agatharchides wanted to mark out these two phenomena as marvels, and that he used similar adjectives to Diodorus to do that. Thirdly, in On the Red Sea fragments 82a-b, both Photius (Phot. cod. 250 456a) and Diodorus (Diod. Sic. 3.38.5) explain that, in their description of the Arabian coastal areas, they will talk only about that which is most interesting, τὰς ἀξιολογωτάτας κατ’ αὐτὰς ἰδιότητας in Diodorus, τοὺς μνήμης ἀξίους in Photius. In short, it looks as if these expressions, or something similar, of marvels and the marvellous were as frequent in On the Red Sea as they are in the surviving parts of Diodorus’ Bibliotheke. Marvels, then, were a shared interest of Agatharchides and Diodorus.
18. Sacking of cities: 13.57-58, 17.13, 17.70; very similar are 13.89-90, 17.35-36, and 19.6.5-8.6 (see Hau 2016, pp. 113-114). Torturing of prisoners: 10.17.2-3, 10.18, 14.112, 19.11.4-7, 26.14, 36.10.3. Abuse of slaves: 34/35.2.1-4, 10, 13. 19. Strasburger 1982, pp. 1006-1010. 20. On the Red Sea F37a = Phot. cod. 250 450a, F80a = Phot. cod. 250 455a. 21. See Palm 1955, pp. 16-26; Burstein 1989.
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Finally, it looks as if Agatharchides, like Diodorus, meant his work to have a morally didactic component. In Diodorus’ Bibliotheke, the lengthy preface makes it clear that historiography is thought to be primarily a moral-didactic genre, and this purpose is supported by a large number of explicitly moralising passages throughout the surviving parts of the work.22 Likewise, in the relatively short section of Agatharchides’ On the Red Sea preserved by Photius and Diodorus, there are no fewer than seven explicitly moralising passages.23 However, one thing that becomes clear when comparing the summary of Agatharchides by Photius and the rewriting by Diodorus is that Diodorus has either preserved more moralising from Agatharchides than Phtoios has, or has added his own moralising conclusions to some of Agatharchides’ narratives. Sometimes, such as in Diod. Sic. 3.47.8 (compared with Phot. cod. 250 459a), he has kept the moralising, but changed the point. In this case, Agatharchides’ conclusion to a narrative about the wealthy and happy Sabataeans in Arabia Felix is that they would have lost their wealth long ago if they had not lived in such a remote place because “τῆς ῥᾳθυμίας ἀδυνατούσης τὸ ἐλεύθερον πλείω χρόνον διατηρεῖν”, “slackness is unable to preserve freedom for a long time”. This is a message of luxuriousness leading to slackness, laziness, and softness and ultimately to the loss of the luxurious lifestyle, a moral lesson which goes back at least as far as Herodotus. In the Diodoran version, meanwhile, the narrative is concluded by the remark that the Sabataeans would have lost their wealth long ago if they had not lived in such a remote place because other peoples διὰ τὴν ἰδίαν πλεονεξίαν “because of their own greed” think that the property of others is their own ἕρμαιον, gift from God. This is a moral lesson about pleonexia, rather than luxury, but it is noteworthy that Diodorus has changed the moral point rather than deleted it. Moral didacticism was clearly another interest he had in common with Agatharchides. From the above discussion it seems that Diodorus incorporated Agatharchides’ ethno-geographical narrative for several reasons. Firstly, for generic reasons: he was writing universal history and so felt the need to include information about Ethiopia and Arabia even if the information he could find was not strictly historical in the sense of chronologically situated. He may not even have realised that this section of his work, with its synchronic description of customs, might be considered less historical than the rest of the Bibliotheke since he found the Red Sea narrative in Agatharchides’ work of history, and since universal history – with its roots in the work of Herodotus – traditionally included long ethno-geographical sections. Secondly, he found the narrative exciting: Agatharchides is praised by Photius for his “grand and imaginative style” (Agath. FGrH 86 T1), and Diodorus clearly felt attracted to the excitement of elephant hunts and naked, gold-mining women. But this is not the whole story. Diodorus also adapted Agatharchides’ ethno-geography because he felt an affinity for the work: like Diodorus, Agatharchides was interested in the suffering of marginal groups of people, in marvels, and in moral didacticism. Marvels and moral didacticism had always been part of the tradition of Greek historiography, but in the Hellenistic
22. See e.g. 8.15, 11.11, 11.23, 15.33.3, 17.38.4-7, 19.103.5, 27.6. Diodorus’ moral didacticism is the topic of a major chapter in Hau 2016, pp. 73-122. 23. F7 and F11-18 from book 1; F21, F24-29, F49, F100a, F103a from book 5.
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time period they became much more prominent components. The description of suffering had also been part of the historiographical genre since Herodotus and Thucydides, but (as far as we can tell from the fragmented remains) it was only with Agatharchides that the suffering of the non-Greek, the non-male, and the non-free became of equal interest to that of the more traditional protagonists of historiography.24 This interest was by no means shared by all his historiographical successors, but it was shared by Diodorus,25 and it is not too far-fetched to think that this was one of the reasons, perhaps even the main reason, why Diodorus felt drawn to his work. If the inclusion of detailed descriptions of this suffering meant the inclusion of a long stretch of synchronous ethno-geographical narrative in the Bibliotheke Historike, that does not seem to have bothered Diodorus. For him, the modes of life of foreign peoples on the edges of the Greco-Roman world were part of the human experience which should be included in a Library of History, and we have no reason to believe that his readers found the inclusion strange. The hard division between geography, ethnography, and history is a modern invention and one that would have been alien to most Hellenistic prose writers.
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24. See Strasburger 1982, pp. 1006-1010. 25. And perhaps also by Posidonius if the sympathy for the slaves in Diodorus’ narrative of the Sicilian Slave War goes back to his work.
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Entre histoire et géographie, écrire le paysage chez Diodore de Sicile et Strabon Le cas des îles occidentales Laury-Nuria André
(Université Lyon II-Lumière, HiSoMa ; Université Toulouse Jean Jaurès, LARA-SEPPIA)
Abstract What happens when an historian and a geographer try to write about the Iberian Islands between the 1st century BC. and the 1st century AD? Are we reading accurate descriptions, nurtured by real experience or shaped by readings on the topic? What is the chronology of the events? Are mythological, historical, chronological? We are expecting a precise geographical approach from the texts of Strabon, and a detailed chronological story from Diodorus of Sicily. Yet this is not the case. When the reader confronts the episodes about the Western islands in the stories of these two authors, he is really surprised and wonders whether the geographer is not an historian and the historian a geographer. Myth and literary references, sometimes poetic, take precedence to set up the Western islands space. What prevails is the heterogeneity of sources, discourses, temporal strata and models borrowed to inform the Iberian islands space. Why such a diversified approach when the scheme of representation of the island seemed to be unified since the Homeric texts? It is then necessary to summon the plasticity of the landscape in the minds of the Ancients in order to understand how an imaginary representation articulates heterogeneity of discourses in an attempt to inscribe in and through the text the legibility of a geographically and historically unstable space. Résumé Que se passe-t-il quand un historien et un géographe tentent d’écrire sur les îles ibériques entre le ier siècle avant J.-C. et le ier siècle après J.-C. ? Sommes-nous en face de descriptions précises, nourries d’une expérience réelle ou bien façonnées par des lectures sur le sujet ? À quelle chronologie appartiennent les événements relatés ? Sont-ils mythologiques, historiques, chronologiques ? On serait en droit d’attendre de la part de Strabon une approche géographique précise et de la part de Diodore de Sicile un récit chronologique circonstancié. Pourtant, il n’en est rien. Lorsque le lecteur se confronte aux épisodes consacrés aux îles occidentales chez ces deux auteurs, il est même surpris au point de se demander si le géographe ne se fait pas historien et l’historien géographe. Le mythe et les références littéraires, poétiques parfois, prennent le pas pour configurer l’espace insulaire occidental. Ce qui prédomine, c’est l’hétérogénéité des sources, des discours, des strates temporelles et des modèles empruntés pour informer l’espace insulaire ibérique. Pourquoi une telle approche diversifiée alors que le schème de représentation de l’île
Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 43-65
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semblait être unifié depuis les textes homériques ? Il faut alors convoquer la plasticité du paysage dans l’esprit des Anciens, pour comprendre comment un imaginaire de représentation vient articuler une hétérogénéité des discours pour tenter d’inscrire, dans et par le texte, la lisibilité d’un espace des plus instables géographiquement et historiquement.
S’il ne fait aucun doute que Diodore de Sicile, dans la longue et stimulante introduction qu’il donne à sa Bibliothèque historique, se présente comme un historien au service de l’histoire entendue comme magistra uitae1 (I, 1, 4-5), s’il ne fait pas plus de doute que Strabon, dans les deux premiers tomes de sa Géographie développant la fameuse querelle autour de la valeur géographique des informations homériques, valeur démentie par Ératosthène, se présente quant à lui comme un géographe, on est pourtant en droit de se demander, à la lecture des développements que chacun des deux consacre aux îles occidentales et en particulier aux îles ibériques, s’ils n’ont pas dérogé à leur fonction respective et première. Diodore en effet, au livre V consacré à l’espace insulaire méditerranéen, véritable traité des îles (ταύτην τὴν βίβλον ἐπιγράφοντες νησιωτικήν2), se livre, en ce qui concerne les îles occidentales, sur lesquelles nous allons nous concentrer, à une série de descriptions géographiques et paysagères qui présentent la caractéristique sinon d’évacuer entièrement toute chronologie précise, du moins de placer ces paysages insulaires singuliers dans une temporalité tantôt mythologique tantôt archaïque aux contours des plus flous. 1. Diod. Sic., Bibl. hist., I, 1, 4-5 : καλὸν γὰρ τὸ δύνασθαι τοῖς τῶν ἄλλων ἀγνοήμασι πρὸς διόρθωσιν χρῆσθαι παραδείγμασι, καὶ πρὸς τὰ συγκυροῦντα ποικίλως κατὰ τὸν βίον ἔχειν μὴ ζήτησιν τῶν πραττομένων, ἀλλὰ μίμησιν τῶν ἐπιτετευγμένων. Καὶ γὰρ τοὺς πρεσβυτάτους ταῖς ἡλικίαις ἅπαντες τῶν νεωτέρων προκρίνουσιν ἐν ταῖς συμβουλίαις διὰ τὴν ἐκ τοῦ χρόνου περιγεγενημένην αὐτοῖς ἐμπειρίαν ἧς τοσοῦτον ὑπερέχειν συμβέβηκε τὴν ἐκ τῆς ἱστορίας μάθησιν ὅσον καὶ τῷ πλήθει τῶν πραγμάτων προτεροῦσαν αὐτὴν ἐπεγνώκαμεν. διὸ καὶ πρὸς ἁπάσας τὰς τοῦ βίου περιστάσεις χρησιμωτάτην ἄν τις εἶναι νομίσειε τὴν ταύτης ἀνάληψιν. τοῖς μὲν γὰρ νεωτέροις τὴν τῶν γεγηρακότων περιποιεῖ σύνεσιν, τοῖς δὲ πρεσβυτέροις πολλαπλασιάζει τὴν ὑπάρ εσιν, τοῖς δὲ πρεσβυτέροις πολλαπλασιάζει τὴν ὑπάρχουσαν ἐμπειρίαν, καὶ τοὺς μὲν ἰδιώτας ἀξίους ἡγεμονίας κατασκευάζει, τοὺς δ’ ἡγεμόνας τῷ διὰ τῆς δόξης ἀθανατισμῷ προτρέπεται τοῖς καλλίστοις τῶν ἔργων ἐπιχειρεῖν, χωρὶς δὲ τούτων τοὺς μὲν στρατιώτας τοῖς μετὰ τὴν τελευτὴν ἐπαίνοις ἑτοιμοτέρους κατασκευάζει πρὸς τοὺς ὑπὲρ τῆς πατρίδος κινδύνους, τοὺς δὲ πονηροὺς τῶν ἀνθρώπων ταῖς αἰωνίοις βλασφημίαις ἀποτρέπει τῆς ἐπὶ τὴν κακίαν ὁρμῆς. Pour l’histoire comme magistra uitae, voir Cicéron, De oratore, II, 36 : « Car il est beau de pouvoir s’appuyer sur l’exemple des erreurs d’autrui afin de redresser les siennes et, au long des hasards variés de l’existence, de pratiquer moins l’analyse du présent que l’imitation des méthodes qui ont réussi. Si en effet, dans les conseils, nous préférons tous l’avis des vieillards à celui des jeunes gens, c’est en raison de l’expérience qu’ils ont acquise au cours des années. Or l’expérience puisée dans l’histoire surpasse cette expérience individuelle dans la mesure où nous reconnaissons qu’elle l’emporte par l’abondance des données dont elle dispose. Ainsi donc, on ne saurait douter que, dans toutes les situations de la vie, la connaissance de l’histoire soit de la plus grande utilité. À la jeunesse, elle donne les lumières de l’âge ; chez les vieillards, elle multiplie l’expérience acquise ; elle prépare les simples citoyens aux tâches du commandement ; elle pousse les hommes d’État aux plus belles entreprises dans l’espoir d’une gloire immortelle ; enfin, tandis que, par les éloges publiquement décernés aux morts, elle incite les soldats à braver d’un meilleur cœur les dangers pour servir la patrie, par la crainte d’une honte éternelle, elle détourne les méchants de leurs coupables projets » (trad. Y. Vernière, CUF). 2. Diod. Sic., Bibl. hist., V, 2, 1 : Καὶ ταύτην τὴν βίβλον ἐπιγράφοντες νησιωτικὴν.
ENTRE HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE, ÉCRIRE LE PAYSAGE CHEZ DIODORE DE SICILE ET STRABON • 45
Strabon quant à lui, s’il semble se concentrer, en bon géographe rationalisant l’espace maritime et insulaire3, sur des zones géographiques clairement établies pour présenter les îles ibériques, accompagne ses descriptions paysagères insulaires de références historiques précises, non pas placées dans le temps mythologique, mais dans le temps historique des relations entre Syracuse, Carthage et Rome. Ainsi, quand l’un – Diodore – devrait faire œuvre d’historien et jouer sur la temporalité des événements insulaires occidentaux, il se livre en vérité à l’art d’une ekphrasis paysagère des îles occidentales et quand l’autre – Strabon – devrait faire œuvre de géographe et se concentrer sur la morphologie des îles, il pointe et développe plutôt des événements historiques précis afin de bâtir son raisonnement sur l’analyse des espaces insulaires ibériques, et ce, à tel point que le lecteur se demande si tous deux n’ont pas tout simplement échangé leur rôle. Ainsi, l’enjeu de notre réflexion sera de tenter de démêler l’écheveau de ces méthodes croisées entre histoire et géographie, entre temps et espace, autour du cas singulier de l’espace insulaire occidental, pour tenter de voir comment, entre le ier siècle avant J.-C. et le ier siècle après J.-C., on écrit l’histoire non plus seulement à partir d’un jeu sur les strates temporelles, les omissions et les réécritures d’événements4 – comme la critique historique et littéraire l’a dernièrement montré – mais encore à partir d’un jeu sur les strates et les modèles spatiaux et paysagers qui dénoncent tout autant un geste et une intention particulière de l’auteur et cachent peut-être même une volonté ou une vision politique. Dans le cas qui nous occupe, les îles occidentales et ibériques chez Diodore de Sicile et Strabon, il est un fait majeur dont il faut tenir compte : il s’agit d’écrire l’histoire ou de décrire la morphologie d’un espace géographique singulier, celui de l’insularité. Or, cet espace – en tant qu’espace insulaire, en tant qu’île – non seulement est loin d’être idéologiquement neutre5 mais encore est loin d’être désinvesti de la force figurative et imageante de l’imaginaire collectif qui circule dans la société romaine depuis les premières représentations de l’insularité dans les textes homériques6 et ce, jusqu’à l’héritage textuel et iconographique hellénistique7 qui charge l’île de valeurs symboliques, politiques et identitaires8. Il est frappant de constater qu’au moment même des exposés insulaires, on note autant chez l’historien que chez le géographe un recours à l’hétérogénéité des discours : historique et stylistique (références à Timée et Éphore), littéraire (références à Homère), botanique, étymologique, historique (cas de l’île d’Ostéode), géographique et physique (exposé sur l’Etna, sur les minerais de fer des îles Tyrrhéniennes), anthropologique (coutumes funéraires des îles éoliennes, coutumes nuptiales des îles ibériques) chez Diodore de Sicile. Discours géographique (îles Pityuses, îles Gymnésies), historique et précis (référence à Metellus), botanique et naturaliste 3. Arnaud 2005. 4. Selon la logique des fameux récits « pré-explicatifs » ou « récits compensatoires » que Michel Rambaud a mis au jour chez César et Tite-Live pour ne prendre que cet exemple, voir Rambaud 1980, p. 109-126. 5. Payen 1997. 6. Vilatte 1992. 7. André 2012, p. 13-25 ; 2013a, p. 343-361 ; 2014, p. 97-113. 8. Marimoutou, Racault 1995.
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(épisode des lapins de garenne aux Baléares9), mythologique, oraculaire et littéraire (Gadeira), scientifique (marées et système hydraulique du temple d’Héraclès à Gadeira), enfin paradoxographique (flore de Gadeira) chez Strabon. Comment se fait-il que ces îles occidentales soient décrites au moyen d’une importante hétérogénéité des discours faisant éclater, pour l’un la perspective historique, pour l’autre la perspective géographique, alors même que l’île relève d’une logique spatiale et d’un schème paysager des plus unitaires et des plus unifiés dans l’imaginaire et la cartographie antiques ? C’est en redonnant à la notion de paysage toute la force et toute l’épaisseur culturelle et conceptuelle qu’il avait pour les Anciens que l’on comprend mieux cette singularité de représentation du monde. Le paysage est un tertium quid, tout à la fois espace tiers et processus nécessaire à l’articulation de l’hétérogène des données encyclopédiques sollicitées par Diodore et Strabon, permettant d’écrire et de décrire l’insularité occidentale entre histoire et géographie, et ce, en tant que paysage neutre10 : non pas neuter ni histoire ni géographie, mais uterque et histoire et géographie, faisant du paysage insulaire un véritable palimpseste de strates temporelles et spatiales, objet unique et singulier articulant l’hétérogène du monde, du temps et de l’espace des cultures diverses et antagonistes, devenu objet de fascination, objet paradoxographique. On vérifiera cette hypothèse après avoir, dans un premier temps, rappelé l’importance de la figure insulaire dans la pensée et la cartographie antiques, pour faire émerger, dans un second temps, le rôle diégétique, symbolique et peut-être politique du paysage insulaire qui, entre histoire et géographie, transmet « la géographie de l’hellénisme sous la domination romaine »11.
Insularité et cartographie :
transmission et pérennité du modèle hellénistique à
Rome
L’insularité et la géographie dans les textes littéraires : un modèle imaginaire mais structurant Pour se représenter le monde, la pensée grecque – qu’elle se manifeste dans les arts visuels et plastiques ou dans la littérature – a eu recours à des objets métaphoriques12 dont le rapport d’échelle permettait de mettre à portée de main le monde habité, de le voir à échelle réduite. Ce faisant, ces objets sont passés au stade de modélisateurs engageant un jeu de transferts entre forme et création. De la modélisation première, c’est-à-dire de modèle réduit qu’ils étaient, destinés à donner
9. 10. 11. 12.
Épisode d’ailleurs repris par Pline l’Ancien, Hist. nat., VIII, 81. Au sens où Roland Barthes a thématisé cette notion : Barthes 2002. Ferrary 2001, p. 1-22. On pensera ici au bouclier du héros homérique, à la sphère des Présocratiques puis d’Ératosthène, à la chlamyde des géographes ptolémaïques et suivants, au uolumen de la Table de Peutinger. À propos du bouclier-monde, voir Vilatte 1992. En ce qui concerne les Présocratiques et la représentation du monde qui ressort de leurs systèmes philosophiques, on consultera parmi l’immense bibliographie un ouvrage en rapport avec notre cadre théorique large de l’herméneutique, Gadamer 2006. En ce qui concerne la Table de Peutinger et la cartographie à travers l’histoire, on se reportera de manière générale aux travaux de Christian Jacob et plus précisément à Jacob 1992.
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un ordre d’idée au spectateur-lecteur, d’un monde qui dépasse la mesure humaine, et de reflets, d’images métaphoriques du monde qu’ils étaient, ils sont devenus des modèles donnant leur forme à l’actualisation du monde dans sa représentation artistique ou littéraire. De simples modélisations et métaphores imparfaites du monde, ils sont devenus des principes créateurs du monde en l’informant. Ce phénomène de transfert de catégorie est tout particulièrement sensible à l’intérieur du texte littéraire, et plus précisément du texte épique car c’est au sein même du genre de l’épopée qu’a été formulée pour la première fois cette correspondance qui s’enrichit d’une autre épaisseur : celle de la mise en mot du monde. Au sein de l’écriture poétique épique – genre littéraire auquel il incombe la responsabilité de donner à voir, en mots, la forme du monde – il s’opère alors un certain nombre de jeux de composition et de création entre l’image en mots portée par le texte du monde et celle créée par le monde du texte. Or, si le paysage insulaire a prêté sa forme au paysage du monde entier13, l’île entendue comme paysage paradigmatique du monde connu par les Anciens a connu une fortune inégale et, surtout, de profondes mutations tant formelles que fonctionnelles. On distingue en effet quatre grandes étapes dans l’instrumentalisation de l’île comme paysage informant la cosmographie antique. Un premier moment se dessine dès la poésie archaïque d’Homère, où l’île est la figure du monde dans la pensée épique. À la suite des travaux de Sylvie Vilatte, qui a questionné tout à la fois le lexique14 et les représentations textuelles, on peut affirmer qu’il existe une étroite association entre l’île, le bouclier et la forme du monde dans un jeu d’analogie. Cette dernière est tirée d’une expérience visuelle réelle qui dégage les caractéristiques principales du paysage d’une île pour en faire un stéréotype iconique destiné à servir de modèle à la pensée et à la représentation du monde. L’image de l’île est faite de cercles concentriques : le cercle des rivages côtiers, celui de la plaine qui s’étend vers le centre de l’île, entre la bande de sable et le piémont, et enfin le centre de l’île constitué par la montagne qui s’élève et domine en structurant, par sa percée axiale, l’espace insulaire et clôt sur lui-même qu’est l’île. Cette composition à la fois géographique, physique et archétypale, stylisée et stéréotypée, correspond à l’organisation matérielle et plastique du bouclier : il est bombé au centre et il étend sa peau de bœuf jusqu’à la bordure de bronze qui l’encercle et le solidifie tout en l’ornant d’une dimension esthétique et précieuse. 13. Borca 2000. 14. Elle a remarqué que le terme « insularité » n’a pas existé dans la langue grecque ancienne et ce constat rejoint la remarque méthodologique de départ à notre propos : il n’y a pas un seul mot unique et univoque pour désigner le paysage dans la langue grecque ancienne. Cependant, il y a, dans le cas de l’île le substantif νῆσος, île, dont l’origine n’est pas certaine ; il y a aussi des composés, Πελοπόννησος, Χερσόνησος, désignant la péninsule et enfin des dérivés (νησιώτης, habitant d’une île, qui se trouve sur une île, et un adjectif νησιωτικός), qui concernent les habitants d’une île, voire qui se rapportent à une île. Il existe aussi un antonyme à νῆσος : il s’agit d’ἤπειρος, rivage par opposition à la mer, terre ferme et enfin, continent qui possède lui aussi ses dérivés adjectif ou substantif ἠπειρώτης, de la terre ferme, en particulier l’habitant de la terre ferme, plus spécialement de l’Asie Mineure ou de la Grèce du Nord-Ouest, et enfin l’adjectif ἠπειρωτικός, ou le verbe ἠπειρόω, transformer en continent, et encore ἠπειρόωμαι, être rattaché à un continent, comme l’indique Pierre Chantraine (voir Chantraine 1968).
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Il s’agit là d’un objet référent tiré du monde épique, symbole de protection et de force au combat, mais aussi et surtout d’un objet investi d’un fort pouvoir cosmogonique15 depuis la représentation qu’en a donné le chant XVIII de l’Iliade16. Il est important de constater que des traits caractéristiques d’un paysage plus que d’une géographie, le paysage insulaire, sont érigés en stéréotype pour servir d’image uniformisée à la représentation du monde. Avec la pensée archaïque grecque et surtout avec le monde de l’épopée homérique, nous assistons à une composition subtile qui fait glisser la représentation entre deux domaines : le domaine de la vie quotidienne et de l’expérience visuelle que chacun peut effectuer lorsqu’il observe les rivages de son île et qu’il tient un bouclier de soldat, et le domaine de l’imaginaire qui investit plastiquement une image pour la travailler soit sur d’autres objets de la création artistique, soit par la texture des mots et la faire entrer dans le monde du texte afin qu’elle devienne texte du monde. En ce qui concerne la période classique, nous serons plus concise car le paysage de l’Athènes classique, dans les représentations littéraires, consiste essentiellement en une réactualisation de l’insularité archaïque. Comme l’a démontré Christine Pérez, la forme du paysage de l’Athènes classique se structure autour de l’Acropole analogiquement associée au centre de l’île du modèle archaïque tandis que le reste de la ville se répartit en cercles concentriques du centre jusqu’à la périphérie qu’est la chôra17. Cette image insulaire de la ville d’Athènes et de son proche environnement est répandue dans l’ensemble des textes classiques, on en trouve des références chez Xénophon par exemple. L’image de la circularité18 insulaire se déplace ensuite de l’Acropole à l’Agora19 instaurant des jeux de reflets entre les divers espaces de la ville. Le schème insulaire égéen, tel qu’il a été formulé dans l’épopée homérique, se déplace donc dans l’espace et dans le temps et s’adapte aux diverses époques tout en maintenant son pouvoir de représentation et de structuration du monde. Pourtant, dans un troisième temps, à l’époque alexandrine, bien que la représentation de l’île mobilise les codes du schème paysager de l’île homérique, elle n’en offre pas moins une transgression de ces codes qui aboutit en réalité à une remise en question des capacités cosmographiques de l’île et permet l’émergence d’un nouveau modèle pour penser et imager le monde. C’est ce changement de paradigme entre un espace insulaire modélisateur, par l’analogie, de la forme ronde et close du monde et un espace insulaire ouvert, dont la figure référente confine bien plus au déroulement d’un papyrus ou d’une carte à plat, que nous avons mis au jour, dans ses procédés 15. L’abondante bibliographie concernant la dimension cosmogonique du bouclier d’Achille est donnée dans la deuxième partie de l’article, au moment où nous traitons plus particulièrement encore de cette dimension. 16. Pérez 2005, p. 37 : « L’insularité dans le monde homérique se définit aussi par l’image du bouclier du héros, ce fameux bouclier fait de peau de bœuf et de bronze. Dans l’épopée, l’île est circulaire et verticale, elle est totalement cernée – donc protégée – par Okéanos et, de ce fait, elle constitue une image métonymique de Gaia. Elle se subdivise en trois cercles concentriques : le cercle côtier qui la délimite, la plaine, zone intermédiaire, lieu privilégié de la vie des communautés humaines, et le centre, cœur montagneux, élevé, domaine des rois et des dieux ». 17. Pérez 2005, p. 49. 18. Voir à propos de l’image du cercle dans la pensée grecque, Romilly 1971, rééd. 2001. 19. Pérez 2005, p. 62.
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matériels, au cours d’une étude il y a quelques années. Le passage que nous avons sollicité pour cette étude est celui de l’escale à Lemnos dans l’épopée d’Apollonios de Rhodes, les Argonautiques. Des jeux subtils de correspondance et de substitution entre description du paysage et ekphrasis, non plus d’un bouclier forclos mais d’un manteau ouvert, de l’écriture savante jouant sur la forclusion et la dilatation de l’espace insulaire et sur la dynamique ou le statisme symbolique des personnages, nous ont permis de comprendre : qu’il ne s’agit plus comme dans l’épopée homérique de décrire un bouclier, métaphore de la représentation archaïque de l’insularité dont la figure dominante est le cercle, mais de se livrer à la description d’un manteau qui, dans son tissage, porte l’histoire qui se laisse appréhender, comme un texte, de manière linéaire et on voit comment « se jouent deux représentations du monde : l’une ronde, héritée de l’époque archaïque que convoque le modèle homérique et l’autre plane, nouvelle image du monde imposée par l’agrandissement des frontières dû à la conquête d’Alexandre et dont le manteau – vêtement qui se tisse à plat comme s’étale le périple sur la carte des Argonautes devenue planisphère – propose une nouvelle modalité de lecture20.
Ce qui se joue à la période alexandrine, c’est la mise à distance de l’île en tant que schème paysager donnant une forme possible au monde dont le référent est le bouclier rond au profit de l’émergence d’une nouvelle forme, en extension, se référant à un nouvel objet, le manteau, qui, dans son tissage, porte tous les possibles d’un nouveau monde en expansion. La chlamyde est bien l’objet référent qui concurrence le bouclier à la période hellénistique et qui commande une toute autre image du monde. À partir de là, dans un dernier temps, l’île ne disparaît pas, bien au contraire, mais elle revêt d’autres fonctions dégagées des impératifs cosmogoniques, pour se concentrer sur une dimension plus cartographique21. Cette rupture entre la fonction cosmogonique et la fonction cosmographique de l’île-bouclier est désormais établie et l’épopée posthomérique de l’époque impériale la formalise définitivement. Il y a eu, bien entendu une forme de rupture de conception de l’insularité avec les conquêtes romaines, mais il faut remarquer cependant que cette rupture est déjà préparée par la culture hellénistique dont hérite en partie Rome et surtout, que cette rupture romaine n’influence pas tant que cela les représentations littéraires et mentales dont la littérature grecque sous domination romaine témoigne. Le cas de l’île d’Ierné est, à ce propos, révélateur. Ses conditions d’apparition22, dans une œuvre « métissée » telle que les Argonautiques Orphiques, montrent qu’elle occupe une place à part dans cette épopée anonyme, sans doute écrite par un Gaulois hellénisé qui se piquait d’une érudition digne des grandes écoles de rhétorique égyptiennes, telles que celle de Panopolis d’où le célèbre Nonnos, son quasi contemporain, est issu. Le paradigme littéraire de l’insularité vient jouer le rôle d’intégration, dans le tissu épique référant à une strate temporelle mythologique, des événements récents issus des dernières conquêtes romaines. Le schème paysager devient le processus même d’intégration de l’hétérogène du monde en perpétuelle expansion à l’unicité du regard sur le monde que propose, dans sa finalité, la carte ou le traité de géographie. Ce processus 20. André 2013a, p. 359. 21. Voir nos développements infra. 22. Nous synthétisons ici les démonstrations menées à ce propos dans André 2012.
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s’image (remplacer ce verbe par un autre : est à l’œuvre) dans nos textes de Diodore et de Strabon concernant l’insularité occidentale. Ainsi, dans ce dernier temps de l’histoire des représentations insulaires mentales, nous sommes confrontés au boucliermonde d’un côté – dans un héritage homérique divergent, distancié, et actualisé – et de l’autre, à l’île en tant que paysage autonome sur la carte du monde et dont l’autonomie peut prendre en charge un discours de nature autre, tel que celui de l’identité et de la politique. Le manteau et avec lui l’image d’un tissage linéaire occupe désormais la fonction cosmogonique et c’est lui qui va se substituer au bouclier dans sa fonction d’objet référent pour penser et décrire l’image et l’usage du monde, tandis que l’île occupera des fonctions bien plus cartographiques, territoriales et politiques. Cet héritage littéraire qui conditionne les rapports mentaux entre paysage et figuration du monde antique, souvent minoré au profit de l’héritage philosophique dans les études critiques de la cartographie antique comme celle de Klaus Géus23 ou de Christian Jacob24, est pourtant central – il n’y a qu’à considérer la description, par exemple, de la ville d’Alexandrie par Strabon qui mobilise clairement la figure de la chlamyde pour en construire le paysage urbain25 ; et, dans l’enquête qui nous occupe, on va voir que ce modèle paysager littéraire joue un rôle important concernant la présentation des îles occidentales et ibériques, tant sur le plan de la composition narratologique, que sur celui de la symbolique qui ouvre à un dialogue identitaire et politique tout à la fois chez Diodore et Strabon.
Le paysage insulaire occidental chez Diodore et Strabon : un tertium quid entre histoire et géographie
Le paysage comme principe de cohérence de l’écriture historique et géographique chez Diodore de Sicile et Strabon Chez Diodore de Sicile et Strabon, on observe un phénomène singulier d’écriture, celui qui instrumentalise la plasticité du paysage pour en exploiter les possibilités diégétiques. Le paysage insulaire, en tant que schème littéraire et mental, structurant le regard ancien porté sur la géographie du monde connu, organise aussi la composition même de leur traité. 23. Géus 2004, p. 309-324. 24. Christian Jacob a montré, dans nombre de ses travaux, dont l’introduction à Jacob 1990, qu’il opère une franche distinction entre la notion de paysage et celle de géographie chez les Anciens. Cette distinction se légitime dans notre culture contemporaine où la notion de paysage possède une polysémie qui nécessite, sans doute par facilité intellectuelle, de camper des oppositions ; mais camper des oppositions ne doit pas forcément aboutir à la négation ou à l’affirmation de l’inexistence de telle ou telle notion. Dans l’univers antique, dans le regard des Anciens, il n’est pas du tout assuré que cette opposition, que notre approche épistémologique et conceptuelle de contemporains campe – à tort ou à raison, là n’est pas notre débat –, soit effective. Bien au contraire, nous avons montré dans quelques pages de notre thèse de doctorat, précisément pour le cas de Denys d’Alexandrie, que ces descriptions, notamment de paysages urbains (nous maintenons volontairement le terme) empruntent très largement au schème littéraire qui circule, à même date, dans les œuvres écrites. 25. Str., Géogr., XVII, 1, 8 : Ἔστι δὲ χλαμυδοειδὲς τὸ σχῆμα τοῦ ἐδάφους τῆς πόλεως (« Le terrain sur lequel a été bâtie la ville d’Alexandrie possède la forme d’une chlamyde »).
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Trois cas de figures révèlent la dimension intra- extra- et méta-diégétique26 du paysage insulaire occidental. Ou, pour le dire autrement, le paysage insulaire sert d’articulation sur le plan macro-structurel de l’ensemble du traité (extradiégétique) – c’est le cas du paysage insulaire de la Sicile chez Diodore qui informe entièrement le processus de composition du traité – ; cela signifie que le paysage crée des unités géographiques et spatiales et les articule entre elles sur le plan micro-structurel du traité (intradiégétique), d’un groupe d’île à un autre, d’un paragraphe à un autre – c’est le cas des îles éoliennes, siciliennes et tyrrhéniennes chez Diodore de Sicile – ; enfin, cela signifie que le paysage, suivant sa localisation géographique ou ses caractéristiques morphologiques et plastiques, traduit un processus de composition et un parti-pris épistémologique et idéologique (métadiétéique) de l’historien ou du géographe, comme c’est le cas pour Gadeira chez Strabon. Le cas de la Sicile, chez Diodore tout d’abord, nous fournit un bel exemple d’instrumentalisation diégétique du modèle paysager insulaire au sein de la composition de l’œuvre. Il est intéressant de noter tout d’abord que l’historien choisit délibérément le modèle paysager issu de l’espace littéraire et non celui qui est dicté par la morphologie géographique de l’île. Dans le § 2 (le § 1 étant consacré à la discussion sur les modèles d’écriture de Timée et d’Éphore) Diodore rappelle rapidement l’étymologie du toponyme Trinacie et le met en relation avec la forme de l’île. Cette explication morphologique étant posée, l’historien balaie rapidement dans la suite de ce deuxième paragraphe cette dimension géographique pour se concentrer, dans les trois paragraphes suivants sur la dimension mythologique de la Sicile, centrée sur la figure mythologique de Proserpine et de son célèbre rapt. On notera ensuite qu’au cœur même de l’exposé, au § 3 sur les 6 que compte le développement consacré à la Sicile et au cœur même de ce § 3, Diodore se livre à une description détaillée du paysage idyllique de la Sicile mythologique. La description du lieu s’organise spatialement en cercles concentriques27 : la prairie aimée des divinités est de forme arrondie et bordée de précipices (κύκλῳ δ´ ὑψηλὸς καὶ πανταχόθεν κρημνοῖς ἀπότομος), elle occupe le centre de l’île (ἐν μέσῳ κεῖσθαι τῆς ὅλης νήσου), d’où son surnom d’Ombilic de la Sicile (διὸ καὶ Σικελίας ὀμφαλὸς ὑπό τινων προσαγορεύεται). En outre, elle est entourée par un premier cercle de bocages (ἔχει δὲ καὶ πλησίον ἄλση), un deuxième de prés (καὶ λειμῶνας) et un troisième de marais entourant les prés (καὶ περὶ ταῦτα ἕλη). Le paysage idyllique auquel Diodore accorde tant d’importance, au point qu’il se substitue presque au récit événementiel du rapt de Proserpine, concourt à faire de la Sicile un espace de la forclusion, et ce, dans la logique de la figuration de l’insularité archaïque qui repose, nous l’avons vu, sur une succession de cercles concentriques et sur une logique spatiale concentrationnaire. Cette logique de l’enfermement, de l’île forclose, est redoublée, dans le paysage sicilien, par la mention de la présence d’une grotte spacieuse (καὶ σπήλαιον εὐμέγεθες), figure de la claustration spatiale par excellence, mais aussi par un effet de bouclage descriptif qui ouvre et ferme la description paysagère sur la mention des violettes et des fleurs odorantes (ἴοις δὲ καὶ τοῖς ἄλλοις ἄνθεσι παντοδαποῖς), ouvre le passage (τὰ δὲ ἴα καὶ τῶν ἄλλων ἀνθῶν τὰ παρεχόμενα) et le clôt dans une construction quasiment isométrique. 26. On reprend ici la terminologie de Genette 1972. 27. Sur l’ensemble du passage étudié : Diod. Sic., Bibl. hist., V, 3.
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À partir de là, il convient de constater dans un dernier temps que le reste du récit historique sur la Sicile se métisse d’éléments de description paysagère qui reprennent et déploient en cercles concentriques autour du noyau qu’est le § 3, les éléments fondamentaux du paysage de cette prairie idyllique et matricielle. Dans le paragraphe qui précède, en effet, le § 2, Diodore ménage, dans un effet de prolepse spatiale, l’apparition de cette prairie qui est le cœur de sa présentation sicilienne en mentionnant tout de suite après les quelques informations morphologiques d’étendue de l’île, l’association de Cérès et de Proserpine à la Sicile28, la fertilité de l’île et surtout, il se réfère à l’autorité d’Homère pour étayer ses dires concernant la fertilité et la géographie de la Sicile. Ce qui confirme pour nous l’unité de perception insulaire sous le paradigme paysager archaïque qui correspond au temps mythologique du récit. Dans les paragraphes suivants, les § 4 et 5, Diodore reprend et développe les mêmes éléments paysagers : il indique que Proserpine reçoit en héritage les prairies d’Enna (ὁμοίως δὲ ταῖς προειρημέναις δυσὶ θεαῖς καὶ τὴν Κόρην λαχεῖν τοὺς περὶ τὴν Ἔνναν λειμῶνας), il mentionne l’importance des sources qui tissent la dynamique spatiale de cet enlèvement et commémorent, dans le paysage, la trace de ces événements mythologiques29. Il y a bien ici tout un savant tissage de la dimension temporelle des événements mythologiques et de la dimension spatiale que le paysage insulaire sous le paradigme du locus amoenus synthétise en un chronotope30 permettant de construire la logique même de composition du récit historique selon un principe de cohérence qui reflète, jusque dans le texte, la forme même de son propos : une île close et concentrique. Enfin, un tout dernier élément de cohérence par la figure paysagère peut être mentionné au même titre de principe structurant par l’image du paysage : il s’agit du volcan de l’Etna, mentionné dans le chapitre 4 et repris ensuite dans les chapitres suivants 7 à 1231 qui décrivent un autre groupe d’îles, les îles éoliennes, autour de l’image du réseau sous-terrain qui les relie à l’Etna. Le schème insulaire archaïque n’est plus la seule modalité de composition architectonique du traité de Diodore. Le cas des îles éoliennes, siciliennes et tyrrhéniennes témoigne ensuite d’une autre modalité d’actualisation du paysage insulaire en tant que principe structurant l’écriture historique de Diodore de Sicile, à savoir celui qui investit sa dimension plastique et plus précisément sa dimension chromatique. Si la figure de l’Etna et du 28. Diod. Sic., Bibl. hist., V, 2 : Οἱ ταύτην οὖν κατοικοῦντες Σικελιῶται παρειλήφασι παρὰ τῶν προγόνων, ἀεὶ τῆς φήμης ἐξ αἰῶνος παραδεδομένης τοῖς ἐκγόνοις, ἱερὰν ὑπάρχειν τὴν νῆσον Δήμητρος καὶ Κόρης· (« Les Siciliens ont appris, par tradition, de leurs ancêtres, que leur île est consacrée à Cérès et à Proserpine »). 29. Diod. Sic., Bibl. hist., V, 4. 30. L’articulation du lieu et du temps nous autorise ici à solliciter la notion de chronotope définie par Mikaël Bakhtine. Chronotope : « le chronotope, principale matérialisation du temps dans l’espace, apparaît comme le centre de la concrétisation figurative, comme l’incarnation du roman tout entier. Tous les éléments abstraits du roman – généralisations philosophiques et sociales, idées, analyse des causes et des effets, et ainsi de suite, gravitent autour du chronotope et, par son intermédiaire, prennent chair et sang et participent au caractère imagé de l’art littéraire. Telle est la signification figurative du chronotope », Bakhtine 1978, p. 391. 31. Diod. Sic., Bibl. hist., V, 7 : Λέγουσι γάρ τινες ἐκ τούτων τῶν νήσων ὑπονόμους εἶναι κατὰ γῆς μέχρι τῆς Αἴτνης καὶ τοῖς ἐπ´ ἀμφότερα στομίοις συνημμένους· (« Aussi quelques-uns disent-ils que ces îles communiquent avec l’Etna par des voies souterraines, et que la plupart du temps les cratères de ces îles et l’Etna vomissaient alternativement »).
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réseau sous-terrain qui le ferait communiquer avec les sept îles éoliennes permet à Diodore d’effectuer, par un élément paysager, une transition avec un autre espace géographique comme on vient de le noter supra, on remarque que la transition qu’il ménage entre l’espace insulaire des îles éoliennes et celui des îles siciliennes que sont Mélité (Malte), Gaulos (Gozzo) et Cercina (Comino) s’effectue, quant à elle, tout à la fois par un lien thématique et par l’intermédiaire d’un autre espace insulaire, celui d’une île singulière, l’île d’Ostéode. Analysons tout d’abord le lien thématique. Il est fondé sur la dimension chthonienne qui met en rapport dissymétrique d’une part, les funérailles grandioses du roi Liparus, constitutives du degré de civilisation des îles éoliennes dont Lipare est le modèle exemplaire qui vaut pour le reste des îles, et d’autre part, la mort tragique des 6 000 mercenaires carthaginois qui, après une mutinerie, ont été abandonnés sur une petite île déserte au large de Lipare, l’île d’Ostéode, dont la surface a été entièrement recouverte par les os des squelettes des mercenaires morts de faim. L’île tire son toponyme singulier de cet événement tragique comme le relate le § 1132. Ce rapport dissymétrique est également marqué sur le plan temporel puisque d’un côté les funérailles du roi Lipare remontent aux temps mythologiques du roi Éole qui prit sa succession (celui-là même qu’Ulysse visita) et de l’autre, l’histoire de la rébellion des mercenaires carthaginois qui remonte quant à elle aux temps historiques des affrontements entre Syracusains et Carthaginois (le temps d’avant les guerres puniques). Pourtant, ces dissymétries de strates temporelles concernant des espaces géographiques, sinon identiques du moins extrêmement proches, sont comme neutralisées par l’uniformisation chromatique qui ressort du paysage d’Ostéode et qui se réfléchit dans la blancheur se dégageant de l’autre espace insulaire voisin, celui des îles siciliennes décrites dans le § 1233, Mélité (Malte), Gaulos (Gozzo) et Cercina (Comino), mais dont l’origine est le paysage urbain – les habitations sont recouvertes de chaux blanche – et non plus l’espace naturel. Enfin, pour présenter les îles tyrrhéniennes, Diodore l’historien ménage une transition du même ordre, en jouant sur le chromatisme qui ressort globalement de l’île34 : dans ce cas de transition entre deux groupes insulaires, la transition est basée cette fois-ci non pas sur l’harmonie de la blancheur, mais sur le contraste chromatique puisque les îles tyrrhéniennes s’opposent au deux groupes précédents en se présentant comme des îles noires du fait du minerai de fer qui en est extrait, des fourneaux et de la suie qui la recouvrent35. On voit donc comment le paysage, dans sa dimension chromatique, permet à Diodore de passer d’un groupe d’îles à un autre, d’une zone géographique à une autre, et d’intégrer des récits de strates temporelles hétérogènes à l’espace géographique qu’il souhaite rendre cohérent et lisible dans son récit en construisant des unités en correspondance ou en contraste.
32. Diod. Sic., Bibl. hist., V, 11. 33. Diod. Sic., Bibl. hist., V, 12. 34. Un peu à la manière dont les récits périplographiques décrivent les villes ou les côtes aperçues depuis le large. Par exemple on note, dans le corpus des Geographi Graeci Minores, que le Stadiasmus Maris Magni qui présente un périple – une succession d’amers et d’indications succinctes pour les marins – fait une rapide mention de la ville de Leptis, dont Ginettte Di Vita-Évrard propose une libre traduction qui synthétise les données : « Lepcis la blanche derrière sa barrière d’îlots » (Di Vita et alii 2005). 35. Diod. Sic., Bibl. hist., V, 13.
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Enfin, le paysage est également un processus qui permet à l’historien ou au géographe de présenter de manière cohérente et lisible un espace insulaire divers et hétérogène puisque composé d’une multitude d’îles, comme c’est le cas pour l’insularité occidentale autour d’un cas paradigmatique qui vaut pour l’ensemble insulaire, par un procédé de substitution et d’hypertrophie paysagère insulaire. C’est un processus qui équivaut ici, sur le plan spatial, aux raccourcis, aux ellipses et omissions que les historiens pratiquent sur le plan temporel. Quelle surprise en effet, lorsque, après avoir pris connaissance du traité des îles de Diodore de Sicile (concernant la partie occidentale) et de la diversité des espaces insulaires que son récit expose tout en le rendant cohérent par le truchement du schème paysager insulaire, on découvre chez Strabon une réduction considérable de cet espace dans l’exposé qu’il donne des îles ibériques. Certes, Strabon n’organise pas son exposé en un traité insulaire complet et autonome au sein de sa géographie comme Diodore le fait avec sa βίβλος νησιωτικὴ, mais il traite séparément des îles de l’espace ibérique au livre V à la fin de son développement sur l’Ibérie et des îles italiennes au livre VI, chapitre 2 pour la Sicile et les îles Lipari. Pourtant, le cas de l’espace insulaire ibérique est représentatif d’un procédé narratif et descriptif complexe fondé sur la logique de la substitution et de l’hypertrophie paysagère. Un constat frappe d’emblée : Strabon organise clairement son livre III portant sur l’Ibérie en le divisant en cinq parties dont la dernière traite de l’espace insulaire. L’espace insulaire relevant de la zone géographique et de la culture ibériques est divers et singulier puisqu’il englobe à la fois les îles au large de la péninsule ibérique dans la mer Méditerranée, mais aussi celles qui sont au large dans l’Océan atlantique, au-delà du détroit de Gibraltar vers le Sud et ensuite vers le Nord. En toute logique, il s’agit des groupes d’îles composées, du côté de la Méditerranée, par les îles Pityusses (littéralement les îles couvertes de pins) que sont Ibiza et Formentera ainsi que les Gymnésies ou Baliarides ou encore Baléares que sont actuellement Majorque et Minorque ; ensuite il y a les îlots qui marquent le détroit de Gibraltar, associés aux colonnes d’Hercule ; puis, du côté Atlantique, on trouve la presqu’île de Gadeira – actuelle Cadix – et les îles Cassitérides (littéralement les îles d’étain) non clairement identifiées et qui, tour à tour, ont été rapprochées des îlots au NordOuest de l’Espagne, des îles Scilly, de la Cornouaille, ou encore des îles Britanniques. Strabon en dénombre une dizaine. On est alors confronté tout à la fois à l’absence de mention précise des îles de l’espace atlantique du Nord – absence que l’on peut expliquer par le fait que ces îles seront traitées avec l’espace géographique de la Gaule, mais alors dans ce cas pourquoi mentionner les Cassitérides ? – mais encore, nous sommes étonnés de l’absence de mention des îles au large du Sud de l’Espagne et même au Sud de l’Afrique du Nord que Diodore, lui, a décrites au chapitre 20 de son livre V et qui, bien que figurant sans toponyme chez Diodore, s’apparentent par leur description, leur climat et leur végétation aux îles Canaries, aux Açores ou à Madère. C’est donc une certaine incohérence géographique que l’on serait tenté de relever ici de même que des lacunes en matière de géographie insulaire ibérique dont la particularité de ses îles est bien celle d’être réparties sur deux espaces maritimes différents, l’Océan et la Méditerranée, articulée par le point de passage qu’est Gibraltar. Ces « erreurs » ou « incohérences » apparentes semblent être renforcées par le choix de composition de ce chapitre 5 du livre III marqué par la dissymétrie. Après avoir, en effet, expédié le cas des îles
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Pityusses et des Gymnésies en deux paragraphes (§ 1 et 2) d’une part et les Cassitérides en un seul paragraphe d’autre part (§ 11), Strabon se concentre sur le problème essentiel à ses yeux, celui de la localisation, de la définition morphologique, de l’histoire et du mythe de Gadeira et des Colonnes d’Hercule qui occupent donc les neuf autres paragraphes fort denses. Si la composition, par sa dissymétrie, indique clairement au lecteur la prise de position épistémologique de Strabon qui semble plus faire œuvre d’historien-ethnologue et de savant que de géographe observateur impartial, c’est de nouveau le paysage qui nous permet de comprendre en partie pourquoi – outre le problème épineux de la localisation du détroit de Gibraltar marqué par la présence matérielle ou paysagère des Colonnes d’Hercule – le géographe se concentre sur le cas singulier de Gadeira, ni continent ni île, ni terre, ni mer, mais paysage tiers, paysage métis, paysage neutre. S’il ne s’agit pas ici, comme chez Diodore, de construire l’architecture du traité et, partant, l’image mentale de l’espace insulaire occidental qui en découle, ni de ménager des transitions par le schème paysager, puisque chez Strabon les espaces insulaires dépendant des zones géographiques sont clairement définis et circonscrits, en revanche, le paysage est ce qui permet de passer du plan de la représentation mentale au plan de la réflexion épistémologique et géographique, l’un n’empêchant pas la figuration de l’autre. Nous nous expliquons : pour Strabon les données concernant les îles ibériques méditerranéennes sont jugées suffisamment fiables et leur aspect morphologique bien connu. C’est pourquoi il se contente de résumer l’essentiel de ses sources et de perpétrer, en la sélectionnant, l’image paysagère qui lui semble la plus juste. La localisation et la description des îles ibériques sont précises et efficaces ; de plus, la mention des données relevant de la chronologie historique et non plus mythologique comme chez Diodore, confère à cette présentation un caractère actualisable et véridique : l’épisode des lapins de garenne par exemple vient corroborer l’image d’îles pacifiques (au prix toutefois de la fameuse défense nécessaire à coup de fronde) et fertiles, dont le paradigme dominant serait celui hérité depuis Homère et transmis par les diverses sources synthétisées ici. À l’opposé, la description et l’analyse de Gadeira, espace géographique instable et participant de la délicate tâche de la localisation des Colonnes d’Hercule, elles aussi espace géographique inassignable, véhicule de nouvelles formes paysagères en accord avec leur nature géographique singulière et leur place instable sur la carte du monde. Strabon crée, sur le plan de la narration et de la composition de son chapitre, un phénomène de substitution et d’hypertrophie paysagère donnant l’impression que l’espace insulaire occidental associé à la zone géographique de l’Ibérie se condense et se centralise autour de la question des Colonnes d’Hercule et du paysage de Gadeira. Ainsi la description opère, sur le plan spatial, un court-circuit qui condense et centralise la représentation géographique non pas de part et d’autre du détroit, mais bien au sein même de Gadeira comme si la presqu’île, ni île ni continent, ni terre ni mer, était le paradigme figuratif dominant de l’ensemble de l’insularité ibérique qui – en dehors de l’espace des Pityusses et des Gymnésies36 – est dominé par la figure de l’inassignable et de l’indécidable. Ce que viennent d’ailleurs refléter, plus loin 36. Ces îles, finalement, apparaissent comme appartenant à l’autre espace insulaire, celui italien, ou égéen, connu et reconnu.
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et plus au Nord, les îles Cassitérides que Strabon mentionne d’un bloc sans les détailler : l’espace de l’Océan vient brouiller la belle clarté géographique (et historique) de l’espace méditerranéen (connu) en questionnant les frontières et les formes paysagères. Gadeira est d’emblée présentée au travers de la diversité des récits de fondation qui entrent en concurrence37. Si Strabon choisit de la désigner par le terme de νῆσος, en revanche ce qu’il retient des divers récits qui, en réalité, présentent plus sa morphologie que l’histoire de sa fondation, c’est que les habitants « arment une grande flotte bien qu’ils aient une petite île », qu’ils « ont mis très peu pied sur le continent en face » et qu’ils « habitent pour la plupart sur la mer » : οἱ τὰ πλεῖστα καὶ μέγιστα ναυκλήρια στέλλοντες εἴς τε τὴν καθ’ ἡμᾶς θάλατταν καὶ τὴν ἐκτός, οὔτε μεγάλην οἰκοῦντες νῆσον οὔτε τῆς περαίας νεμόμενοι πολλὴν οὔτ’ ἄλλων εὐποροῦντες νήσων, ἀλλὰ πλέον οἰκοῦντες τὴν θάλατταν. La structure même de la phrase, par l’accumulation des négations οὔτε montre qu’en réalité les habitants ne sont ni sur l’île ni sur le continent (οὔτε οἰκοῦν νῆσον οὔτε τῆς περαίας νεμόμενοι), mais qu’ils habitent sur la mer (ἀλλὰ πλέον οἰκοῦντες τὴν θάλατταν) ; de la sorte, cette insularité ne se caractérise pas tant par une opposition île / continent ou par une figuration insulaire stéréotypée comme espace concentrique, mais au contraire Gadeira se singularise par sa dimension maritime et ouverte, la plupart des Gaditans habitant sur la mer. C’est d’ailleurs ce que répète le texte quelques lignes plus loin en décrivant les habitudes de vie des habitants de l’agglomération de Didyme qui est l’agrandissement de la cité primitive : ὀλίγοι γὰρ οἰκουροῦσιν ἐν αὐτῇ διὰ τὸ πάντας θαλαττεύειν τὸ πλέον. Ainsi l’espace insulaire de Gadeira apparaît comme un espace neutre, ni île ni continent ni mer, mais plutôt et île et continent et mer. Son paysage dénonce, dès les récits premiers de sa fondation, sa nature fondamentalement métisse et tierce déjouant les attentes premières du lecteur habitué au schème insulaire égéen et archaïque. Enfin, cette nature qui semble travailler la confusion des espaces insulaires, maritimes et continentaux est ce qui retient l’attention de Strabon : on note qu’à chaque fois que le géographe prononce le mot île pour qualifier Gadeira et localiser sa population, il y associe aussitôt les termes de continent et de mer. En III, 5, 3 on voit apparaître successivement les termes de θάλατταν, mer, νῆσον, île, περαίας continent, νήσων, île, θάλατταν, mer, et enfin Ῥώμῃ, la ville de Rome, valant pour l’espace continental. De sorte que, dans chacune des présentations et descriptions de la ville, les trois termes sont tissés ensemble annulant ainsi, par la répétition de leur présence trinitaire dans l’ensemble du paragraphe, la dimension exclusive et jouant, par les effet d’énumération et de mise sur le même plan syntaxique, de leur juxtaposition et de leur fusion éventuelle : en témoigne en dernier lieu l’image paysagère de la fusion optique de l’île et du continent lorsque Strabon décrit l’endroit précis où se trouve le temple d’Héraclès à Gadeira : τὸ δ’ Ἡράκλειον ἐπὶ θάτερα τέτραπται τὰ πρὸς ἕω, καθ’ ὃ δὴ μάλιστα τῇ ἠπείρῳ τυγχάνει συνάπτουσα ἡ νῆσος, « à l’endroit précis où l’île paraît toucher le continent ».
37. Str., Géogr., III, 5, 3.
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Le paysage métadiégétique : de l’interface culturelle au processus d’articulation de l’hétérogène sur la carte du monde. On l’a vu, le paysage est un principe de cohérence narrative qui permet à l’historien de composer de manière réflexive son traité insulaire tandis qu’il permet au géographe de réfléchir sur la nature même de l’insularité et sur l’espace géographique le plus signifiant dans la zone insulaire occidentale. Mais le paysage insulaire n’opère pas seulement sur le plan de la cohérence narrative qui propose un ordre de lecture de l’espace maritime occidental et de son histoire. Le paysage, tel que Diodore et Strabon le sollicitent, tout particulièrement en tant que principe articulant l’hétérogénéité des discours destinés à cerner la spécificité des îles occidentales, se présente comme une interface culturelle qui permet de relier ensemble la dimension chronotope des îles occidentales à leur valeur culturelle, identitaire et peut-être même politique (ce sera notre conclusion ouverte). Pour ce faire l’historien et le géographe confèrent au paysage une dimension métapoétique que nous révèle la présence de l’hétérogénéité des discours et leur organisation dans la description du paysage insulaire. Si l’historien et le géographe ont le même rapport d’instrumentalisation au paysage en poursuivant cette même visée, en revanche tous deux n’ont pas recours aux mêmes méthodes. Pour l’historien, il s’agit d’articuler la valeur littéraire et culturelle (positive ou négative, civilisée ou barbare) des divers types de paysages sollicités au degré de proximité ou d’éloignement géographique avec le modèle matriciel positif. Pour le géographe, il est question de solliciter la nature même du discours qui campe la description géographique pour l’articuler à la nature même de l’île afin de lui transférer la valeur épistémologique et culturelle dont le texte est porteur. Dans le cas de Diodore, c’est la localisation géographique réelle qui dicte la valeur culturelle que le texte vient actualiser, mettre en forme et rendre lisible pour que le lecteur recrée mentalement l’image symboliquement et culturellement connotée ; et dans le cas de Strabon, c’est la nature du discours et ses valeurs afférentes qui informent l’image insulaire sur la carte du monde donnée à l’imagination du lecteur. Comment la valeur métapoétique du paysage insulaire se construit-elle chez Diodore de Sicile ? Si l’on reprend les analyses précédentes et qu’on les met en perspective sur la carte du monde des Anciens, on s’aperçoit que l’historien a soigneusement articulé l’espace géographique à la valeur littéraire et culturelle de chacun des types paysagers qu’il a sollicités pour décrire les groupes d’îles de l’espace occidental. Tout se passe comme si la Sicile était le point focal d’où partent les cercles concentriques qui déterminent, en fonction du degré de proximité ou d’éloignement spatial, la valeur culturelle qui s’échelonne entre la civilisation et la barbarie, entre le connu et l’inconnu que le paysage vient médiatiser et imager par ses caractéristiques propres. Ainsi, nous avons le centre géographique et culturel de la civilisation que représente la Sicile, île occidentale la plus anciennement marquée par la culture grecque. Son paysage identitaire, comme nous l’avons vu, est celui qui combine le schème insulaire égéen, c’est-à-dire le modèle archaïque de l’île-bouclier concentrique, et
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pour cause, puisque la Sicile est historiquement « grecque » avec le modèle du locus amoenus archétype du lieu charmant et agréable, séjour chéri des dieux. On voit donc qu’aux temps archaïques, c’est-à-dire à ceux qui légitiment, par le mythe, l’installation de la culture grecque en terre occidentale, correspond un type de paysage qui porte des valeurs positives et culturelles fortes se référant à l’identité grecque comme matrice de toute civilisation positive. Viennent ensuite les îles éoliennes, qui sont proches de la Sicile et dont le temps et la valeur se réfèrent également, par le truchement du roi Éole et des références homériques aux temps archaïques et à la civilisation grecque. Puis, un premier basculement vers l’éloignement spatial et culturel s’opère avec l’île Ostéode dont le paysage, chargé négativement, est un locus horridus, un lieu de la répulsion, puisque cette île est composée de l’amoncellement des squelettes des 6 000 mercenaires carthaginois abandonnés à leur triste sort. On note également qu’à ce degré d’éloignement spatial correspond un degré de rapprochement historique puisque nous sommes sortis du temps mythologique pour entrer dans le temps historique des affrontements relatifs aux guerres puniques. Cette île, comme nous l’avons vu, sert d’articulation géographique avec un autre espace insulaire, celui des îles tyrrhéniennes, elles aussi marquées d’un degré supérieur d’éloignement par rapport au centre hellénique qu’est la Sicile, et dont le paysage – signalé par le chromatisme sombre, résultat du minerai et des hauts fourneaux – garde les traces lui aussi d’un traumatisme, celui des pirates. On le voit, le paysage articule donc éloignement spatial et éloignement temporel à des valeurs sociales marquant la civilisation ou la barbarie du peuple qui y vit. Ce procédé est déjà à l’œuvre dans les écrits épiques alexandrins, marqués par la cartographie et le savoir hellénistiques, comme l’a montré Christophe Cusset à propos des îles non pas occidentales mais orientales dans l’épopée d’Apollonios de Rhodes, les Argonautiques38. Pourtant, au sein de ce système émerge un espace de transition singulier : les îles ibériques. Que ce soit les Pityusses ou les Gymnésies, leur paysage se distingue en tant que moyen terme, ni tout à fait civilisé ni tout à fait barbare : les habitants, ayant eu nécessité à se défendre contre les pirates, mais étant de nature pacifique, vivent dans un espace insulaire marqué par une fertilité relative et un degré de civilisation relatif : leurs coutumes sont étranges mais elles n’en constituent pas pour autant des éléments de barbarie ni de répulsion. Somme toute leur insularité est un moyen terme comme leur position géographique l’indique : à mi-chemin entre la civilisation carthaginoise et la civilisation ibérique39, la végétation étant à cette image : le sol est médiocrement fertile, κατὰ δὲ τὴν ἀρετὴν οὖσα μετρία τὴν μὲν ἀμπελόφυτον χώραν ὀλίγην ἔχει, et les oliviers sont greffés sur des oliviers sauvages, τὰς δ´ ἐλαίας ἐμπεφυτευμένας ἐν τοῖς κοτίνοις. L’image du métissage se poursuit avec l’évocation de l’espace urbain qui, pour être majoritairement peuplé de Carthaginois, n’en présente pas moins une population de barbares de diverses races, κατοικοῦσι δ´ αὐτὴν βάρβαροι παντοδαποί, πλεῖστοι δὲ Φοίνικες. De même pour les îles Gymnésies, bien que le sol soit très fertile, ἀμφότεραι δ´ αἱ νῆσοι χώραν ἔχουσιν ἀγαθὴν καρποφόρον, on note une grande rareté du vin et de l’huile d’olive, διὸ καὶ πάντες εἰσὶν ὑπερβολῇ πρὸς τὸν οἶνον εὐκατάφοροι et ἐλαίου δὲ παντελῶς σπανίζοντες. 38. Cusset 2004, p. 31-52. 39. Diod. Sic., Bibl. hist., V, 16.
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Il est alors intéressant de mettre en rapport cette nature médiocre du paysage au sens étymologique du terme, ce caractère de moyen terme, avec le fait que ces îles ibériques, sont, dans la logique du traité de Diodore et sur la carte mentale qu’il propose, l’interface entre l’espace insulaire méditerranéen et l’espace insulaire atlantique comme le § 1940 le montre. Ces îles ibériques, au paysage médiocre et à la civilisation moyenne, permettent à Diodore de lancer sa description des deux groupes insulaires atlantiques, eux aussi organisés sur une logique paysagère positive et négative en fonction de leur localisation. Le groupe insulaire au sud de l’Atlantique, presque en face, si l’on peut dire, des îles ibériques, mais de l’autre côté des colonnes d’Hercule, sont décrites comme des îles à la végétation idyllique, ce qui n’est pas sans rappeler le mythe des Hespérides. Certains commentateurs41 y ont vu une allusion aux îles des Canaries ou des Açores ou bien à Madère et Diodore en célèbre, après la luxuriance végétale et animale, la beauté (Bibl. Hist.,V, 19) au point que (ὥστε δοκεῖν αὐτὴν ὡσεὶ θεῶν τινων, οὐκ ἀνθρώπων ὑπάρχειν ἐμβιωτήριον διὰ τὴν ὑπερβολὴν τῆς εὐδαιμονίας) « en un mot, cette île est si belle qu’elle paraît plutôt le séjour heureux de quelques dieux que celui des hommes ». Dans le même espace maritime et dans la même lignée d’un paysage idyllique, Diodore évoque Gadeira, au paragraphe suivant, § 20, comme une sorte de paradis salutaire, et le temps auquel ces deux espaces insulaires idylliques font référence semble bien être celui du mythe, rejouant le paysage sacro-idyllique de la Sicile, avant de passer à l’évocation, bien plus sombre et repoussante, de l’espace insulaire du nord, avec la mention de la Bretagne : celle-ci est essentiellement présentée comme une île aux mœurs primitives42 et dont la référence temporelle est clairement historique avec la mention de César comme celui qui a réussi à soumettre ces peuples barbares. Enfin, notons un effet de bouclage puisque pour en décrire la morphologie Diodore la compare à la Sicile, mais on voit que sa description géographique déplace sa valeur en fonction de sa localisation géographique. Ainsi, on voit que se rejoue, déplacé et projeté, dans la fameuse logique de l’exoceanismos43, le système d’articulation spatio-temporel que traduit la nature du paysage insulaire sollicité. Les îles ibériques, de ce point de vue, jouent bien un rôle d’articulation sur la carte du monde, auquel s’associe la dimension de tertium quid de leur paysage. Cette valeur catoptrique de l’île ibérique est déjà présente dans l’univers mental des auteurs hellénistiques, en tant que spécificité de l’espace insulaire occidental – ausonien plus exactement44. À chaque type de paysage correspond donc un temps de l’histoire et un rôle sur la carte du monde. Le paysage médiatise donc bien des valeurs culturelles qu’il tire des matériaux et du substrat littéraires qui l’informent dans le texte de l’historien, sa dimension est donc bien métapoétique et symbolique.
40. 41. 42. 43.
Diod. Sic., Bibl. hist., V, 17. Voir Philippe Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/diodore. Diod. Sic., Bibl. hist., V, 21-22. Voir, entre autres, les réflexions sur l’introduction à la Géographie de Strabon ainsi que des articles concernant la part de fiction et de merveilleux géographique que recèle cette figure mentale comme, par exemple, le travail de Jolivet 2013, p. 81-97 ; Schwindt 2005. 44. André 2014.
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Qu’en est-il de la valeur métapoétique du paysage insulaire chez Strabon ? Strabon utilise une autre stratégie de composition et d’instrumentalisation du paysage dans sa description de l’insularité ibérique. Nous avons vu que le procédé de substitution et d’hypertrophie du cas de Gadeira renseigne le lecteur sur les positions épistémologiques et les valeurs culturelles qui intéresse le géographe concernant la partie occidentale de la Méditerranée ainsi que le détroit de Gibraltar et les îles océaniques. Ce procédé de substitution et d’hypertrophie insulaire a déjà été remarqué pour les œuvres épiques et poétiques dont l’influence géographique et cartographique est patente. J’ai relevé ce processus à propos des îles chez Apollonios de Rhodes et chez l’anonyme des Argonautiques Orphiques (épopée posthomérique du ive ou ve siècle après J.-C.) : tous deux sur-investissent un espace insulaire – Lemnos pour Apollonios de Rhodes et Ierné pour l’anonyme – et font subir au paysage de cette île un travail plastique qui – par le relais de l’ekphrasis – en vient à déborder les frontières de l’objet qu’il décrit pour s’étendre à l’espace environnant : ainsi, par la dimension catoptrique propre à l’insularité, ils en font une île paradigmatique de toute une zone géographique et dont les valeurs culturelles et identitaires se comprennent à l’aune de l’objet référent qui sert d’analogie à la description paysagère. Dans le cas de Lemnos chez Apollonios de Rhodes, son statut d’île a-topique, mortifère et ténébreuse se dissipe dès que Jason arrive et que le poète établit une relation analogique et substitutive entre le manteau de Jason qui porte des scènes colorées et paysagères et l’espace de l’île qui, avant son arrivée, était informe : ainsi c’est le manteau du souverain grec qui permet à l’île de retrouver forme et vie et de se charger des valeurs civilisatrices propres à la culture grecque. Dans le cas de Ierné, ce sont les jeux de miroirs entre les différentes îles qui permettent, par un subtil jeu cartographique, de transférer les qualités plastiques et esthétiques du paysage grec des îles orientales au paysage « barbare » des îles britanniques et ainsi, par analogie, de transférer les valeurs culturelles grecques (dans ce cas-là le culte de Dionysos par exemple) à l’espace insulaire nord occidental. C’est un processus assez proche qui se joue dans la description de Strabon à cette différence près que c’est la nature même des textes divers et hétérogènes qu’il sollicite pour décrire Gadeira et tenter de cerner sa nature qui lui confère sa singularité et son identité paysagères. Le processus est long et subtil car il occupe neuf paragraphes denses, nous retiendrons deux faits majeurs : d’une part, le recours aux données littéraires et au schème paysager qu’elles véhiculent pour trancher au milieu de plusieurs autres informations et discours de nature hétérogène ; d’autre part, la clôture de la description de Gadeira sur un élément paysager merveilleux donnant à penser, via cet ultime modèle paradoxographique, la nature même de cette insularité sur un registre esthétique, sur une catégorie de pensée, typiquement grecque. Il est frappant de constater que, parmi la diversité des sources que Strabon ne manque pas de rappeler (πλείους δ’ εἰσὶ λόγοι περὶ αὐτῆς, III, 5, 3), celui-ci choisit de donner l’avantage aux témoignages littéraires de Pindare. Ainsi, après avoir rappelé le récit de la fondation de Gadeira à la suite de trois expéditions, récit qui mêle d’autres informations plus récentes et dont les sources de Strabon sont tour à tour Euctémon d’Athènes, Artémidore, Posidonius et Timée (§ 3 à 5), après avoir rappelé que ces expéditions ont cherché l’identification des colonnes d’Hercule dans le paysage du détroit de Gibraltar à la suite de la prédiction d’un oracle (§ 5), Strabon termine son raisonnement en citant l’information
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donnée par Pindare comme essentielle quand Dicéarque, Ératosthène, Polybe et la plupart des auteurs grecs lui semblent manquer de précision : καὶ Δικαίαρχος δὲ καὶ Ἐρατοσθένης καὶ Πολύβιος καὶ οἱ πλεῖστοι τῶν Ἑλλήνων περὶ τὸν πορθμὸν ἀποφαίνουσι τὰς στήλας. Il nous dit en effet à propos de la citation de Pindare : καὶ τὰς Πλαγκτὰς δὲ καὶ τὰς Συμπληγάδας ἐνθάδε μεταφέρουσί τινες, ταύτας εἶναι νομίζοντες στήλας, ἃς Πίνδαρος καλεῖ πύλας Γαδειρίδας, εἰς ταύτας ὑστάτας ἀφῖχθαι φάσκων τὸν Ἡρακλέα. D’autres auteurs encore transportent à cet endroit les Planctes et les Symplégades et supposent qu’elles constituent les Colonnes que Pindare à cause de l’étroitesse du détroit, appelle « Les Portes Gadirides quand il montre Héraclès atteignant avec elles la fin de la terre ».
Ce qui nous intéresse ici, c’est d’une part le fait que Strabon se tourne vers un modèle littéraire qui lui paraît plus juste, plus précis que les informations de ses prédécesseurs – et c’est précisément à travers la poésie épique que se cristallise et circule l’image du schème insulaire comme figure du monde – et c’est d’autre part le fait qu’à travers la mention de cette suprématie argumentative littéraire (un peu plus loin Strabon dit bien καὶ ὁ Πίνδαρος οὕτως ἂν ὀρθῶς λέγοι πύλας Γαδειρίδας : « c’est à juste titre que Pindare parle des portes Gadirides », III, 5, 6) soit évoqué un phénomène très fréquent dans la géographie des anciens qui est l’ektopismos, c’est-à-dire le fait de transférer d’un endroit à un autre une même réalité géographique. Ici Strabon évoque l’ektopismos des Planctes et des Symplégades, c’est-à-dire les îles flottantes, et c’est même un exoceanismos puisqu’il s’agit de déplacer dans l’Océan atlantique un élément de la géographie insulaire propre à l’espace méditerranéen occidental. Or, le propos de ces îles Planctes ou Symplégades, décrites dans la littérature homérique et posthomérique, est, précisément, de présenter un paysage qui est un tertium quid, mélangeant roche, mer et air dans une figure proche du chaos. Le paysage de ces îles flottantes est proprement une représentation de l’irreprésentable, une figuration de l’inassignable géographique et paysager. Il est donc piquant de remarquer que ce qui permet à Strabon de préciser la morphologie paysagère de Gadeira, face à laquelle tous les auteurs semblent être en peine puisqu’elle déjoue les catégories géographiques déjà établies dans l’espace méditerranéen, c’est précisément la figure de l’inassignable paysager... en un mot on ne semble pas être plus avancé ! Ce qui importe donc ici, ce n’est pas tant de décrire avec précision ce qui relève de l’indescriptible, ni d’assigner une position géographique stable et précise à ce qui relève de l’inassignable géographique et paysager, mais c’est bien, par le relais de la littérature et de ses possibles qui déjouent l’impossible géographique et historique, de valider un autre ordre de la représentation, de faire entrer dans la carte du monde connu un espace qui est de l’ordre de l’instable et qui menace la cohérence et la lisibilité de la figure du monde. C’est donc par le relais du schème paysager littéraire, dominant la représentation d’un imaginaire collectif qui perdure depuis les formulations hellénistiques, que Strabon peut intégrer un espace par trop singulier, un autre régime de l’insularité, mais cette fois propre à l’espace occidental et atlantique en le confrontant aux logiques insulaires égéennes. Enfin, dernier élément qui vient clôturer le travail d’articulation de l’hétérogène des discours par la figure du paysage insulaire, l’élément naturel et paysager de Gadeira, dans le dernier paragraphe
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la décrivant et qui relève du merveilleux. Il s’agit en effet, dans ce passage, de noter la singularité du regard de Strabon : après avoir développé des réflexions poussées d’ordre scientifique sur la nature du système hydraulique du temple d’Héraclès et sur le régime des marées, qui convoque ainsi d’autres strates de discours s’orientant vers l’observation « objective » et scientifique des phénomènes naturels, Strabon opère un retour quasi-brutal vers une autre dimension, celle du merveilleux45 ; l’auteur nous indique en effet : Ἱστορεῖ δὲ καὶ δένδρον ἐν Γαδείροις ὄζους ἔχον καμπτομένους εἰς ἔδαφος, πολλάκις δὲ φύλλα ξιφοειδῆ πηχυαῖα τὸ μῆκος, πλάτος δὲ τετραδάκτυλα. περὶ δὲ νέαν Καρχηδόνα δένδρον ἐξ ἀκάνθης φλοιὸν ἀφιέναι ἐξ οὗ ὑφάσματα γίνεται κάλλιστα. τῷ μὲν οὖν ἐν Γαδείροις καὶ ἡμεῖς οἴδαμεν ὅμοιον ἐν Αἰγύπτῳ κατὰ τὴν τῶν κλάδων κατάκαμψιν, τοῖς δὲ φύλλοις ἀνόμοιον οὐδὲ καρπὸν ἔχον· τοῦτο δ’ ἔχειν φησί. τὰ δ’ ἀκάνθινα ὑφαίνεται καὶ ἐν Καππαδοκίᾳ, φέρει δ’ οὐ δένδρον τὴν ἄκανθαν ἐξ ἧς ὁ φλοιός, ἀλλὰ χαμαίζηλος ἡ βοτάνη. τῷ δὲ δένδρῳ τῷ ἐν Γαδείροις καὶ τοῦτο προσιστόρηται ὅτι κλάδου μὲν ἀποκλωμένου γάλα ῥεῖ, ῥίζης δὲ τεμνομένης μιλτῶδες ὑγρὸν ἀναφέρεται. τοῥίζης δὲ τεμνομένης μιλτῶδες ὑγρὸν ἀναφέρεται. τοσαῦτα καὶ περὶ Γαδείρων (Str., Géogr., III, 5, 10). Il [ Posidonius] signale encore à Gadeira un arbre dont les rameaux se recourbent vers le sol avec des feuilles en forme de glaives dont la longueur atteint souvent une coudée et la largeur, quatre doigts. Un autre arbre, à la Nouvelle-Carthage, produirait des épines un cortex qui se détache de lui et dont on fait de très beaux tissus. Nous connaissons nous-mêmes en Égypte un arbre qui ressemble à celui de Gadeira pour la courbure de ses branches, mais dont les feuilles sont différentes et qui ne porte pas de fruits, tandis que Posidonius certifie que celui-là en a. Quant à la fibre épineuse, on la tisse aussi en Cappadoce, mais aucun arbre ne porte l’espèce d’épine qui le produit : elle pousse sur des arbustes ou sur une plante herbacée. On ajoute encore à propos de l’arbre de Gadeira que si quelqu’un en rompt une branche, il s’en écoule du lait, et que si l’on en coupe une racine, il en sort un liquide vermeil.
Il y aurait beaucoup à dire sur ce paragraphe et les rapprochements entre cet arbre merveilleux et ceux de l’Égypte, pays des merveilles depuis le θαῦμα d’Hérodote, et l’arbre de Cappadoce, région du Proche-Orient dont le paysage des provinces et des cités grecques est essentiellement merveilleux. Nous dirons simplement à propos de ce processus que nous tenons pour paradigmatique qu’après l’ensemble des discours hétérogènes que Strabon sollicite pour cerner la nature fluctuante de la géographie de Gadeira, la nature même des textes, diverse et mouvante, revêt de ce point de vue une dimension métapoétique, et que le géographe décide de terminer sa description sur la nature paradoxographique de la végétation de Gadeira. C’est sans doute là aussi la marque d’une prégnance du modèle littéraire et des catégories de la fiction paysagère qui permet au géographe d’instrumentaliser le paysage – en tant que processus et notion qui fonctionne
45. André 2013b, p. 183-202.
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précisément sur la notion de strates co-présentielles, dont le modèle est le composite, le palimpseste – afin de faire tenir ensemble des notions diverses et hétérogènes : il inscrit ainsi dans la lisibilité de la carte du monde connu des éléments géographiques instables qui mettraient en péril, par le fait qu’ils ne sont peut-être pas cohérents ni lisibles dans la réalité, la notion de cosmos et d’harmonie qui préside à la représentation de l’oikoumène.
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Geografia e storia nel proemio di Strabone Francesco Prontera
(Università degli Studi di Perugia)
Abstract In the two introductions of the proem (I, 1, 1-23; II, 5, 1 ff.) Strabo offers the most elaborate reflection that antiquity has passed down to us on the nature of geography, the tasks of the geographer, and his audience; this theoretical commitment aims to bring together the legacies of Eratosthenes and Polybius. According to Polybius, geography, like history, is useful to politics. Strabo, however, also embraces the lesson of Erathostenes: a description of the ecumene must be based on his clear representation. This explains why an entire section of the proem (II, 5, 1-40) is devoted entirely to cartography. Riassunto Nelle due introduzioni del proemio (I, 1, 1-23; II, 5, 1 sgg.) Strabone offre la più elaborata riflessione, che ci sia giunta dall’antichità, sulla natura della geografia, sui compiti del geografo e sul suo pubblico: questo impegno teorico mira a mettere insieme l’eredità di Eratostene e quella di Polibio. Secondo Polibio la geografia come la storia serve alla politica. Strabone accoglie però anche la lezione di Eratostene: una descrizione dell’ecumene deve basarsi sulla sua chiara rappresentazione. Si spiega così che un’intera sezione del proemio (II, 5, 1-40) sia dedicata interamente alla cartografia.
Dopo le considerazioni svolte da Polibio in diversi luoghi delle Storie (III, XII e XXXIV) ritroviamo nell’esteso proemio dell’opera geografica di Strabone (libri I-II) la più ampia riflessione della letteratura antica sulla natura, i compiti e i destinatari della geografia. In tale contesto proemiale, che è allo stesso tempo critico-normativo e retrospettivo, emerge anche il rapporto fra quella che i moderni chiamano geografia descrittiva e la storiografia. Come si sa, è sempre rischioso applicare all’antico le categorie del sapere moderno, con le sue divisioni più o meno istituzionalizzate. Nel nostro caso, però, alla nozione moderna corrisponde nelle letterature classiche un genere letterario ben definito, quello dei “giri della terra” (perìodos ghes e poi orbis terrarum). Esso appare per la prima volta nella Ionia d’Asia con Ecateo di Mileto (ca. 500 a.C.) nelle condizioni storico-culturali del tardo arcaismo, ben prima della nascita della storiografia greca e comunque prima del conflitto epocale fra Greci e Persiani. Aristotele richiama di passaggio i “giri della terra” come un genere letterario Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 67-74
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che si è ormai affermato, ed è significativo che con la stessa espressione egli potesse ancora designare anche le carte della terra abitata, proprio come aveva fatto un secolo prima Erodoto. Con tutta probabilità il termine gheographìa venne coniato nel III secolo a.C. da Eratostene; da allora in poi il suo campo semantico conserverà sempre una connotazione tecnico-scientifica, per così dire, in particolare cartografica come mostra la Γεωγραφικὴ ὑφήγεσις di Tolemeo.1 L’originario significato scientificocartografico di geografia coesiste durevolmente accanto a quello descrittivo e proprio il lessico di Strabone, soprattutto nei prolegòmena, offre la migliore documentazione in tal senso. Ora, se si tiene conto di questa sommaria storia terminologica, acquista particolare valore un dettaglio: Strabone (VI, 1, 2) usa una volta la vecchia espressione “giro della terra” per riferirsi alla sua opera geografica. E’ il segno eloquente della linea ininterrotta che da Ecateo porta a Strabone e poi alla descrizione dell’ orbis terrarum nella geografia latina (Pomponio Mela e Plinio il Vecchio). L’incremento progressivo del materiale descrittivo salta agli occhi, quando si passa dai 2 libri di Ecateo ai 7 di Eudosso di Cnido, agli 11 di Artemidoro di Efeso e infine ai 15 di Strabone (contro i 3 di Mela e i 4 di Plinio il Vecchio). I “giri della terra” arricchiscono nel corso del tempo i loro contenuti attingendo informazioni in sostanza a due tipi di letteratura, che costituiscono due generi contigui già agli occhi degli antichi: la storiografia politicomilitare e le monografie regionali su vari popoli e paesi, di contenuto etnico-geografico e storico-antiquario (la III sezione dei FGrHist nell’ordinamento di Felix Jacoby). Ciò che nel racconto dello storico appare come un excursus geografico, che interrompe occasionalmente la catena dei fatti e incrina quindi l’asse narrativo, in un “giro della terra” trova invece sistemazione nella regione cui appartiene secondo l’ordine descrittivo. Per le sue dimensioni questo processo di aggiornamento dei quadri etnico-geografici, alimentato dalla storiografia antica in senso lato, è particolarmente evidente nell’Asia centro-orientale dopo la conquista macedone e nell’Europa occidentale (Iberia, Gallia, Italia) dopo la guerra annibalica. Nell’India di Strabone (XVI) vari episodi attinti agli storici e compagni di Alessandro servono a colmare la scarsezza di un’informazione geografica aggiornata. Il flusso di informazioni dalla storiografia politico-militare verso la geografia descrittiva dell’ecumene può spiegare dunque in larga misura la progressiva crescita di quest’ultima da Ecateo a Strabone. Vi contribuiscono, d’altro canto, anche gli sviluppi scientifici della geografia a partire da Eratostene, l’interesse paradossografico per i fenomeni singolari della natura, e infine il peso crescente assunto dalle questioni della geografia omerica nella cultura ellenistica. Che uno storico desse spazio a temi etnico-geografici nel corso della narrazione era comunque un fatto ordinario nella letteratura greca. Piuttosto si poteva discutere se questioni di “geografia generale” – come diremmo oggi – fossero da illustrare in una sezione apposita dell’opera storica, anziché occasionalmente (Polibio). La stretta parentela fra i “giri della terra” e la storiografia (greca naturalmente) è affermata esplicitamente da Strabone nella parte iniziale del proemio (I, 1, 22-23). Due passi della sua opera geografica possono mostrare in che modo si ponesse per Strabone il rapporto con l’opera storica. Nell’XI libro egli dichiara che non parlerà dei costumi dei Parti, per non ripetere cose già dette ampiamente nei Commentari 1. Prontera 2001, col. 187 sg.
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storici (XI, 9, 3 = FGrHist 91 F 1). Più interessante l’altro passo nei prolegòmena (I, 2, 1) che dopo la prima introduzione (I, 1, 1-23) apre la lunga sezione della critica ai predecessori (I, 2, 2 – II, 4, 8) con una riflessione preliminare sui progressi delle conoscenze geografiche, che qui riassumo per sommi capi. Se tratteremo i medesimi temi già affrontati da molti altri prima di noi – osserva Strabone – questo non può essere motivo di biasimo, perché su vari punti è possibile ora apportare delle correzioni alla geografia dei nostri predecessori, anche se molto lavoro resta ancora da fare. Ciò che Eratostene affermò sull’ampliamento delle conoscenze geografiche dopo la spedizione di Alessandro, vale anche per i nostri tempi grazie al dominio dei Romani e dei Parti2. “I Romani hanno scoperto tutte le regioni occidentali dell’Europa fino all’Elba3, che divide in due la Germania, e oltre il Danubio fino al fiume Tyras (Dnjester)”. I paesi che si trovano più in là, e che si estendono fino alla Meotide e al litorale che arriva alla Colchide, sono oggi conosciuti grazie a Mitridate Eupatore e ai suoi generali4. I Parti hanno portato a una migliore conoscenza dell’Ircania, della Battriana e degli Sciti che stanno al di là di queste regioni; perciò oggi ne sappiamo più dei nostri predecessori.
Ovviamente l’ampliamento delle conoscenze etnico-geografiche si deve agli storici “che hanno descritto sia i luoghi sia i popoli, presso cui si erano svolti i fatti, in maniera più attendibile di prima sulla base di una maggiore esperienza diretta di quei paesi”, come leggiamo nella periegesi della Partia (XI, 6, 4)5. L’osservazione secondo cui è la storia politico-militare a incrementare le conoscenze geografiche non era certo nuova; a parte Eratostene, Strabone l’ha ritrovata in Polibio (III, 59, 3). Nella costruzione di una geografia, che con le sue istanze scientifiche comprendesse anche le esigenze pratico-politiche cui mirava l’attività dello storico, Strabone oscillò infatti fra l’eredità di Eratostene e quella di Polibio. Almeno sul piano delle enunciazioni teoriche sviluppate nei due libri del proemio egli tentò di conciliare la lezione di Eratostene con quella di Polibio. L’enfasi posta, anche negli studi recenti, sulla dimensione storica della geografia straboniana è certo ampiamente giustificata, quando si considerano i suoi contenuti e la stessa formazione intellettuale dell’autore. Da tempo un particolare campo di indagine riguarda gli aggiornamenti che Strabone apporta ai diversi quadri regionali, attingendo non solo a fonti storiografiche recenti ma anche a informazioni di prima mano.6 Il ritratto a tutto tondo di uno Strabone storico rischia però di essere
2. I, 1, 16 (Aujac 1969, p. 78, l. 9 sg.) sul mondo diviso in potenze diverse. 3. Str., VII, 2, 4: sui limiti dell’informazione straboniana vedi Nicolet 1988, p. 127 sg. con la nota 17 (p. 136 sg.). Più in generale, sulla sezione geografica delle Res Gestae di Augusto vedi Nicolet 1988, pp. 27-45; sulle campagne militari in Germania, Gehrke 2007-2008, p. 65 sg. 4. Str., XI, 2, 14: gli storici delle guerre mitridatiche sono più attendibili di Artemidoro sulla geografia del Ponto nord-orientale; Biffi 2010. 5. Per l’accostamento di questo passo a Str., I, 2, 1 vedi Lasserre 1975, p. 76 n. 1. Sull’ampliamento “recente” delle conoscenze geografiche verso l’estremità settentrionale e meridionale dell’ecumene, e in particolare sugli storici della Partia (Apollodoro di Artemita) cfr. inoltre Str., II, 5, 12. 6. Lasserre 1984; Pothecary 2005; Panichi 2005; Braund 2005; Safrai 2005.
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parziale senza la componente eratostenica, che impronta la chiara rappresentazione dell’ecumene come pre-condizione per la sua ordinata periegesi. La seconda introduzione dei prolegòmena (ἑτέρα ἀρχή) costituisce in realtà una sezione interamente dedicata alla cartografia (II, 5, 1-40); nelle condizioni in cui ci è giunta la letteratura greca, Strabone offre qui la più ampia guida al disegno della terra prima del famoso trattato di Tolemeo. In tal senso va inteso il verbo χωρογραφεῖν,7 che all’inizio di II, 5, 1 annuncia la parte cartografica dei prolegòmena, dopo che vari problemi della stessa natura erano stati già affrontati nella critica dei predecessori (II, 5, 1: ...λαβόντες ἀρχὴν ἑτέραν, λέγωμεν ὅτι δεῖ τὸν χωρογραφεῖν ἐπιχειροῦντα πολλὰ τῶν φυσικῶς τε καὶ μαθηματικῶς λεγομένων ὑποθέσθαι...). Per raffigurare efficacemente la terra abitata (II, 5, 10) occorre una sfera che abbia un diametro di almeno 10 piedi o una superficie rettangolare il cui lato lungo misuri almeno 7 piedi (m 2 × 1). La sagoma dell’ecumene è paragonata a quella di una clamide, perché all’estremità occidentale e orientale la terra abitata riduce sensibilmente la sua estensione in latitudine (II, 5, 14). La griglia delle coordinate geografiche, tracciate a intervalli irregolari partendo dai due assi principali che si incrociano a Rodi, coincide in sostanza con quella di Eratostene (II, 5, 16). Dall’azione modellatrice dell’oceano, che apre nella terra quattro grandi golfi (5, 17-18), prende forma la figura del mondo abitato, che viene descritto sommariamente nella sequenza della contiguità geografica. Strabone percorre prima il profilo del Mediterraneo con le isole (19-25) poi gli spazi continentali con le loro partizioni fisiche e con la funzione ordinatrice dei sistemi oro-idrografici (26-33). L’elogio del mare interno, particolarmente adatto allo sviluppo di comunità ben governate e con cui è facile intrattenere relazioni, è introdotto dalla considerazione che il litorale mediterraneo presenta una maggiore varietà di forme rispetto a quello oceanico (5, 18). Proprio questa sua peculiarità agevola la rappresentazione dei luoghi nella reciprocità dei rapporti spaziali, operazione che appartiene al campo della cartografia.8 Alla funzione strutturale del Tauro nella carta dell’Asia corrisponde quella dei Pirenei, delle Alpi e dell’Istro/Danubio nella carta dell’Europa. Gli spazi geografici vengono descritti e rappresentati secondo i segni impressi dalla “natura dei luoghi”; nessuno meglio di Strabone ha recepito questa lezione di Eratostene. La tendenza a ordinare in schemi geometrici le divisioni segnate dalla natura si esprime ripetutamente nelle sezioni regionali della periegesi straboniana; si tratta di un aspetto tipico dell’eredità ellenistica, che si è invece perduto nella geografia latina della prima età imperiale (Pomponio Mela e Plinio il Vecchio), pronta ad accogliere solo gli aspetti figurativi della cartografia ellenistica.9 La cartografia sta alla geografia descrittiva come la cronologia sta alla storiografia. Fin dal proemio di Tucidide (I, 97, 2) il confronto sul metodo, vale a dire la discussione su come si dovrebbe scrivere un’opera storica, assegna all’ordine dei fatti narrati il primo criterio di giudizio. Chi non sa distinguere il prima dal poi, chi non sa elaborare
7. Prontera 2011, pp. 99-101. 8. Che questo sia il significato da dare all’espressione γεωγραφικὴ ἱστορία (II, 5, 18: Aujac 1969, p. 100, 2) si ricava dal contesto (...οὐ σχήματα μόνον ζητοῦμεν καὶ μεγέθη τόπων, ἀλλὰ καὶ σχέσεις πρὸς ἄλληλα αὐτῶν...): soprattutto II, 5, 10 (Aujac 1969, p. 91, ll. 1-4). 9. Prontera 2016, pp. 240-247.
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tavole accurate dei sincronismi fra avvenimenti che si svolgono in aree geografiche separate da grandi distanze, non può affrontare la narrazione di una storia universale. Allo stesso modo la geografia descrittiva deve poggiare su una chiara rappresentazione dell’ecumene e delle sue varie parti. Forse nessuno storico come Polibio ha avvertito questa duplice esigenza nei riguardi dei lettori. Ora, Strabone non si limita a riprendere nel proemio l’impianto della carta di Eratostene, ma lo aggiorna con tutta una serie di aggiunte nelle parti descrittive della periegesi. Nella sezione compresa fra le Porte Cilicie e le Porte Caspie la grande catena del Tauro, la “cintura” dell’Asia, presenta degli elementi innovativi rispetto alla carta di Eratostene. Dal corpo principale della dorsale montuosa si staccano varie diramazioni (ἀποσχίδες) e frammenti (ἀποσπάσματα) mentre i fiumi, che incidono la dorsale, segnano l’inizio e il termine delle sue partizioni. Un rappresentazione simile della fascia montuosa con le sue articolazioni etnico-geografiche non può risalire a Eratostene. Le diramazioni meridionali del Caucaso (Str. XI, 2, 10) o quelle settentrionali del Tauro armeno portano nell’orografia dettagli che sono incompatibili con le approssimazioni consapevoli della costruzione eratostenica; ma soprattutto si tratta di aggiornamenti prodotti dalla storia ellenistica dell’Armenia dopo la fine di Antioco III di Siria (Str. XI, 14, 5 e 15), quando con ogni probabilità Eratostene aveva già da tempo terminato il suo trattato di geografia. Lo stesso discorso vale per le regioni interne dell’Europa occidentale (Iberia, Gallia, Italia), la cui fisionomia comincia ad emergere nella letteratura antica solo dopo la guerra annibalica. Anche in questo caso al disegno sommario del proemio corrisponde la descrizione dei profili regionali secondo l’ordine (τάξις) dettato dalla “natura dei luoghi”, vale a dire secondo l’ordine corrispondente alla rappresentazione cartografica. Naturalmente a questa scala regionale o interregionale non si fa più cenno alle coordinate geografiche, il cui tracciato è discusso nella sezione cartografica del proemio. L’impianto geometrico, che guida la descrizione, non può però spiegarsi come l’elaborazione occasionale di una carta mentale ad uso dei lettori. Le interazioni fra le varie parti del disegno presentano un tale grado di sistematicità, da presupporre una vera e propria delineazione cartografica. Senza entrare qui nei dettagli, gli esempi richiamati servono solo a dare un’idea di quanto peso abbia la componente eratostenica nell’opera di Strabone.10 Negli ultimi anni la giusta prudenza o lo scetticismo di molti studiosi sulla possibilità di ricostruire le carte antiche, e anche la comprensibile reazione a interpretazioni modernizzanti sul loro uso e sulla loro circolazione nelle particolari condizioni della civiltà greco-romana, ha avuto come effetto paradossale quasi una sorta di rimozione del problema. Nella biblioteca di Strabone non mancavano certo le carte geografiche, accanto ai testi, come strumento di informazione indispensabile alla descrizione ordinata dei popoli e dei paesi della terra abitata. Fra gli storici greci della potenza imperiale di Roma Strabone si distingue indubbiamente per una spiccata capacità di orientarsi nei rapporti spaziali fra i paesi dell’ecumene e per la chiarezza con cui egli riesce di solito a trasmettere ai lettori i diversi quadri geografici nella loro dimensione regionale o sovraregionale. Altri storici, come Diodoro o Appiano, sono invece palesemente in affanno con la geografia. I motivi di questo divario non stanno solo nella diversità della formazione o del livello intellettuale; il rapporto fra 10. Prontera 2011, pp. 202-238, 255-263.
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geografia descrittiva (con la cartografia che vi è sottesa) e storiografia politico-militare era ancora vivo nella cultura letteraria della tarda età ellenistica, e della vitalità di tale rapporto Strabone costituisce per molti aspetti l’ultimo testimone. Per concludere queste riflessioni sommarie, vorrei richiamare ancora due punti che riguardano il nostro tema: la profondità della prospettiva storica e il posto assegnato nel lungo proemio al dominio romano. Che la storia e il mito intervenissero a caratterizzare vari popoli e paesi, soprattutto quando si trattava di descrivere le regioni in cui più marcata appariva l’impronta della civiltà greca, era un fenomeno ordinario nei “giri della terra”. Le proteste di Polibio contro questa geografia antiquaria costituiscono una conferma della sua fortuna (Str. X, 3, 5). Proprio nella sezione cartografica del proemio lo sguardo di Strabone si sofferma per un momento sulla totalità del mondo conosciuto, come gli appare in una carta generale dell’ecumene (II, 5, 17). Alla varietà degli elementi geografici egli accosta la varietà dei pregi e difetti che nei diversi luoghi derivano o dalla natura o dall’applicazione degli uomini. Il geografo deve però volgere la sua attenzione ai caratteri naturali, perché sono permanenti, mentre i caratteri acquisiti sono esposti al cambiamento. Anche di questi ultimi vanno messi in luce i caratteri che possono durare più a lungo nel tempo e che per la loro fama finiscono col diventare come “connaturati ai luoghi”. Perciò si cercano le tracce dei fatti memorabili del passato, anche se sono scomparsi i loro originari quadri topografici. “Così abbiamo ricordato consuetudini e ordinamenti politici, che oggi non esistono più, spinti a questo dall’utilità proprio come nel caso delle azioni umane, che suscitano emulazione o riprovazione”. Mettendo da parte la trita considerazione retorica della storia come galleria di exempla, l’ultima affermazione ha tutta l’aria di una post-fazione (μεμνήμεθα), che deve giustificare lo spazio esorbitante assegnato nella periegesi alle questioni antiquarie e in particolare alla geografia omerica. All’utilità politico-militare della geografia, proclamata nella prima parte del proemio (I, 1, 1-23)11, si affianca qui la funzione etica che viene assegnata ai luoghi della memoria storica e mitica dei Greci. Sono i due aspetti, in fondo contraddittori, che comporta la ricezione a Roma della tradizione geografica greca. Per venire ora al dominio romano, la sua dimensione territoriale – già colta da Polibio (I, 2) – ricorre solo occasionalmente nei due libri dei prolegòmena; l’ordinamento provinciale dell’impero è illustrato alla fine dell’opera (XVI, 3, 24-25), mentre le tappe della sua formazione chiudono la descrizione dell’Italia (VI, 4, 1-2). L’adesione di Strabone ai motivi ideologici della pax romana (VI, 4, 2) è esplicita nell’elogio dell’Europa, dove i Romani hanno insegnato la vita civile a genti selvagge (II, 5, 26). Riflette probabilmente considerazioni maturate nella cerchia di Augusto la motivazione con cui Strabone spiega la rinuncia dei Romani a conquistare la Britannia, mettendo l’accento sulle diverse esigenze della scienza e del governo.12 D’altro canto, in quanto produttore di conoscenze geografiche, il dominio romano viene posto sullo stesso piano della potenza dei Parti e di Mitridate Eupatore, come si è già visto all’inizio.
11. Aujac 2014-2015. 12. II, 5, 8: cfr. IV, 5, 3 con il comm. di Lasserre 1966, p. 217, n. 6. Il contesto argomentativo di Str., II, 5, 8 – dove agli interessi della scienza si oppongono quelli dell’impero – va confrontato con II, 5, 18: per i Romani è più vantaggioso avere rapporti con i paesi mediterranei, che sono ricchi di tradizioni politiche, tecniche e storiche.
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Dal medesimo atteggiamento, inconciliabile con la mentalità e la sensibilità politica dei Romani, deriva il silenzio di Strabone sulla carta dell’ecumene esposta nella Porticus Vipsania. Basta confrontare la sezione cartografica del proemio con quanto resta dei Commentarii di Agrippa13, per toccare con mano la distanza che separa due modi sostanzialmente diversi di rappresentare gli spazi geografici, che compongono il mosaico della terra abitata. Naturalmente né Augusto né Agrippa potevano ignorare certe acquisizioni “scientifiche” della geografia ellenistica, di cui comunque non ebbero alcun bisogno per assicurare ai Romani il dominio su buona parte del mondo conosciuto. Va ricordato che la vocazione universale della geografia greca fin da Anassimandro ed Ecateo non corrisponde a nessuna realtà e a nessun progetto di dominio politico sull’ecumene, ma riflette istanze intellettuali maturate inizialmente nelle condizioni della cultura tardo-arcaica. Si capisce che ai nostri occhi Strabone possa apparire come il geografo dell’impero romano, ma sarebbe un errore di prospettiva considerare un segno dei tempi il carattere universale del suo “giro della terra”.
Bibliografia Fonti Strabon [1966] Géographie, livres III-IV, éd. F. Lasserre, Paris. [1969] Géographie, livres I et II, éd. G. Aujac, Paris. [1975] Géographie, livre XI, éd. F. Lasserre, Paris. Studi Arnaud (P.) 2007-2008 “Texte et carte de Marcus Agrippa: historiographie et données textuelles”, GeogrAnt XVI-XVII, pp. 73-126. Aujac (G.) 2014-2015 “Strabon, un géographe au service de la politique”, GeogrAnt XXIIXXIV, pp. 211-215. Bianchetti (S.), Cataudella (M.), Gehrke (H.-J.) (dir.) 2016 Brill’s Companion to Ancient Geography, Leiden / Boston. Biffi (N.) 2010 Scampoli di Mithridatika nella Geografia di Strabone, Modugno. Braund (D.) 2005 “Greek geography and Roman Empire: the transformation of tradition in Strabo’s Euxine”, in Dueck et alii (dir.) 2005, pp. 216-234.
13. Per un’ampia e approfondita messa a punto vedi Arnaud 2007-2008, spec. p. 112 sgg. e 117 sgg.
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Dueck (D.), Lindsay (H.), Pothecary (S.) (dir.) 2005 Strabo’s Cultural Geography: the Making of a Kolossourgia, Cambridge. Gehrke (H.-J.) 2007-2008 “Antiche rappresentazioni dello spazio e imperialismo romano”, GeogrAnt XVI-XVII, pp. 61-72. Lasserre (F.) 1984 “Histoire de première main dans la Géographie de Strabon”, in F. Prontera (dir.), Strabone. Contributi allo studio della personalità e dell’opera, pp. 9-26. Nicolet (C.) 1988 L’inventaire du monde. Géographie et politique aux origines de l’Empire romain, Paris. Panichi (S.) 2005 “Cappadocia through Strabo’s eyes”, in Dueck et alii (dir.) 2005, pp. 200-215. Pothecary (S.) 2005 “The European provinces: Strabo as evidence”, in Dueck et alii (dir.) 2005, pp. 161-179. Prontera (F.) 2001 “Karte (Kartographie)”, RAC 20, coll. 187-229. 2011 Geografia e storia nella Grecia antica, Firenze. 2016 “Strabo’s Geography”, in S. Bianchetti, M. Cataudella, H.-J. Gehrke (dir.), Brill’s Companion to Ancient Geography, Leiden / Boston, pp. 239-258. Prontera (F.) (dir.) 1984 Strabone. Contributi allo studio della personalità e dell’opera, Perugia. Safrai (Z.) 2005 “Temporal layers within Strabo’s description of Coele Syria”, in Dueck et alii (dir.) 2005, pp. 250-258.
« La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre » Yann Le Bohec
(Université Paris-Sorbonne, UMR 8167 – Orient et Méditerranée, Antiquité classique et tardive)
Abstract Whether they wrote in Latin or in Greek, ancient historians used to add geographical descriptions to their works. Modern writers say usually that these passages were expected by readers; people did love picturesque descriptions, exotic countries and barbarian words. They wanted to charm them so. It is sure that such an explanation is right. But it is not sufficient to understand their aims. Geography was also linked to war. Officers of the Roman army were educated by such lectures. They learned so geostrategy, that is to say physical geography (reliefs and climates: static explanations), and human geography (peoples and towns: these are dynamic factors). We may see that when reading Caesar, De bello gallico, Josephus, Jewish War, and Tacitus, Germania. Résumé Qu’ils aient écrit en grec ou en latin, les historiens de l’Antiquité parsemaient leurs écrits de descriptions géographiques. Les commentateurs modernes expliquent que ces passages étaient attendus parce qu’ils répondaient au goût des lecteurs pour les descriptions pittoresques, pour l’exotisme et les sonorités barbares, parce qu’ils cherchaient à piquer leur curiosité. Il est bien évident que cette analyse ne peut pas être rejetée. Elle devrait pourtant être complétée, car la géographie est aussi, sinon d’abord, liée à la guerre. Les officiers de l’armée romaine se formaient en partie par leurs lectures ; elles leur enseignaient la géostratégie, c’est-à-dire la géographie physique, relief et climat (ce sont les facteurs statiques), et la géographie humaine, population et villes (ce sont les facteurs dynamiques). César, dans La guerre des Gaules, Flavius Josèphe, dans La guerre des Juifs, et Tacite, dans La Germanie, illustrent ces propos.
Le titre de cette communication est emprunté à un ouvrage célèbre, écrit par un géographe français, Yves Lacoste1. Son propos était de montrer à ses collègues que leur discipline rendait de grands services aux militaires, et il nous a semblé que les antiquisants pourraient tirer profit de ses réflexions. En effet, les descriptions géographiques écrites par beaucoup d’historiens avaient trois fonctions, et l’une
1. Lacoste 2012. Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 75-91
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d’entre elles relevait de la discipline militaire : elles devaient d’abord charmer le lecteur par des traits d’exotisme, ensuite lui permettre de comprendre le récit des guerres qui se déroulaient dans ce cadre. Indirectement, et à plus long terme, elles seraient utilisées par des officiers chargés de mener des opérations dans les pays qui y étaient décrits. Qu’ils aient rédigé leurs textes en grec ou en latin, les historiens de l’Antiquité2 les parsemaient de notices géographiques3. Les commentateurs modernes expliquent que ces passages étaient attendus parce qu’ils répondaient au goût des lecteurs pour les descriptions pittoresques, pour l’exotisme et les sonorités barbares, parce qu’ils cherchaient à piquer leur curiosité. Il est bien évident que cette analyse ne peut pas être rejetée. Elle devrait pourtant être complétée, car la géographie est aussi, sinon d’abord, liée à la guerre. Pour comprendre le déroulement des conflits, il faut distinguer la tactique, qui est la mise en œuvre de moyens divers pour remporter une bataille (ou une autre forme de combat) et la stratégie, qui est la mise en œuvre de moyens divers pour gagner une guerre. Le mot de stratégie désigne d’abord une pratique de terrain et ensuite une science qui s’étudie dans un cabinet, dans un bureau, dans des bibliothèques, des séminaires et des colloques. Un général qui conseille le chef de l’État fait de la stratégie ; un universitaire qui diffuse un enseignement également. Pour les distinguer les uns des autres, quelques spécialistes ont fabriqué un néologisme ; ils parlent de stratège pour désigner un homme de terrain et de stratégiste pour un homme d’étude. On trouve une forme particulière de cette discipline dans la géostratégie, mot qui comprend deux racines, géo-, c’est-à-dire géographie, et stratégie4 ; elle était en gestation dans l’œuvre du célèbre comte de Guibert5, et elle a été réellement fondée par un Anglais, H. J. Mackinder6. La réflexion sur la guerre y est développée en fonction de conditions géographiques qui peuvent être très nombreuses actuellement, qui l’étaient heureusement moins dans l’Antiquité. Un chef d’armée devait tenir compte de la géographie physique, relief et climat (ce sont les facteurs statiques), et de la géographie humaine, population et villes (ce sont les facteurs dynamiques)7. En effet, on ne faisait pas la guerre de la même manière sur les plateaux du bassin parisien et dans les montagnes de l’Arménie. Il faut tenir compte de l’opposition entre la montagne et les basses zones du monde, entre les plateaux et les plaines, et il convient de prendre en compte les fleuves et les lacs, surtout les fleuves ; ces derniers
2. Latte et alii 1956 ; Mazzarino 1973 ; Chevallier 1980 ; Cizek 1995 ; Leclant, Chamoux 2001. En dernier lieu : Marincola 2007a-c ; Bianchetti et alii 2015 n’abordent pas le sujet que nous traitons ici. 3. Cizek 1995. 4. Pour une autre période de l’histoire romaine, la deuxième guerre punique : Fronda 2011, p. 242-259. En général : Le Bohec 1997, p. 31-86. 5. Guibert 2004, p. 222-224. 6. Mackinder 1947. 7. Analyse et exemples dans Curcin 1914-1915, p. 9-21.
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peuvent constituer une aide, pour la navigation et le déplacement des troupes et de la logistique, et ils servent au besoin d’obstacle, car ils sont difficiles à traverser quand des ennemis sont postés sur la rive opposée8. La mer constitue un cas particulier. L’amiral américain A. T. Mahan pensait que le « sea power » jouait un grand rôle, que les empires maritimes l’emportaient sur les empires continentaux, à condition de posséder une marine de guerre, une marine de commerce, des bases et un empire9. Ce point de vue a été contesté par l’amiral français R. Castex qui niait la supériorité de la mer sur la terre et le déterminisme géographique10. De même, les choix opérationnels n’étaient pas les mêmes dans les régions atlantiques, continentales et dans le désert de Syrie. Il convenait également de s’adapter aux ennemis et le combat ne présentait pas le même visage contre des Germains ou contre des Iraniens (qu’on appelait alors les Parthes, avant qu’ils ne deviennent les Perses des sources et des historiens). Pour mesurer les forces en présence, il fallait avoir quelques notions de démographie, fournies par le census dans l’empire, plus difficiles à atteindre ailleurs. L’opposition sédentaires-nomades comptait aussi beaucoup, ainsi que les possibilités d’approvisionnement en blé ; les guerres avaient lieu normalement en été pour que les assaillants puissent couper le blé des assaillis. On voit une belle image sur la colonne Trajane, qui montre un légionnaire occupé à moissonner chez les Daces11. Quant aux villes, elles retenaient l’attention à double titre ; c’est qu’elles constituaient (et constituent toujours, d’ailleurs) des concentrés de richesses et des abris pour des combattants. Les légionnaires étaient attirés par la perspective du pillage : à cet égard, une ville offrait plus de promesses qu’un village ou qu’une campagne. Quant aux officiers, au stratège en particulier, ils ne pouvaient pas laisser dans leur dos un nid d’ennemis, et encore moins une forteresse, quand ils progressaient ; ils couraient le risque d’être pris à revers ou de voir leurs lignes de communication coupées. Les intellectuels de l’époque romaine étaient plus ou moins conscients de ces données et ils se faisaient stratèges sans que cette discipline ait été étayée par des théories ; ils agissaient de manière empirique. Rappelons un débat qui a divisé les historiens et qui doit sans doute beaucoup à des idéologies actuelles. L’Américain E. N. Luttwak avait consacré un ouvrage à La grande stratégie de l’empire romain12. Cet ouvrage, d’abord bien accueilli, a ensuite été critiqué, après que cet auteur eut pris des engagements politiques dans sa patrie13. Il garde pourtant de solides et nombreux appuis dans le milieu de la recherche. Pour notre part, nous avions approuvé ceux qui lui reprochaient d’avoir écrit un ouvrage de seconde main ; mais il avait choisi de bons livres pour élaborer son traité. Et il nous a paru évident que l’empire romain
8. Piquet 1993, p. 75-159. 9. Mahan 1980. 10. Castex 1935 ; Courtois 1939, p. 17-47 et 225-259 ; Starr 1989 ; Le Bohec, Reddé 2004, p. 21-35. 11. Settis 1988, fig. 202, scènes CIX-CX, 291-293. 12. Luttwak 2009. 13. Formulation la plus claire de cette critique : Isaac 1989, p. 231-234.
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ne pouvait pas élaborer une « grande stratégie », c’est-à-dire une stratégie qui prenne en compte tous les facteurs, car les moyens d’information étaient alors moins abondants que de nos jours. C’est pourquoi il nous a paru préférable de parler d’une « petite stratégie »14. En effet, les officiers de l’armée romaine s’informaient sur leurs ennemis avant de partir en campagne et pendant les opérations. On sait maintenant qu’ils recevaient une solide formation préalable par leurs lectures, que l’éducation et les bibliothèques familiales comptaient beaucoup15. Sur le terrain, ils recherchaient le renseignement tactique et stratégique, actif et passif, ce que les Anglais appellent « intelligence » : ils interrogeaient les habitants, les voyageurs, ils envoyaient des commandos rechercher des prisonniers16. On peut approfondir le débat à partir de plusieurs textes de La guerre des Juifs de Flavius Josèphe. Mais les écrivains de langue grecque ne se distinguaient pas dans ce domaine ; les Latins ont en effet procédé de la même manière, comme le montre un examen de César dans La guerre des Gaules et de Tacite dans La Germanie. Les commentateurs utilisent souvent les traductions des Belles-Lettres, dans la collection communément appelée « Guillaume Budé » ; il s’y trouve quelques faux-sens qui nous ont incité à reprendre la version disponible de La guerre des Gaules (chez l’éditeur Economica). S’agissant de César17, les modernes ont l’habitude de dire qu’il a emprunté toutes ses descriptions géographiques à Posidonius d’Apamée, ce qui nous ramènerait à la littérature grecque18. Les Modernes aiment beaucoup cet auteur, qu’ils ont, à notre avis, trop tendance à sur-utiliser : ils lui prêtent souvent des descriptions qu’il n’a peut-être jamais faites et des idées qu’il n’a sans doute jamais eues, ce qui est facile puisque ses écrits disponibles sont fragmentaires. Nous pensons donc qu’il faut renoncer à un schéma trop réducteur de la réalité. Rappelons d’abord que Posidonius n’était pas un grand écrivain, un auteur attique, mais un Syrien de l’époque hellénistique ; l’utiliser et le citer n’auraient rien apporté à la gloire de César. De plus, le proconsul est allé en Gaule, il a vu ce pays et ses habitants, et la plupart des descriptions qu’il a écrites s’inspirent manifestement de la réalité qu’il a observée. En outre, il ne donnait que les précisions indispensables à la compréhension de son projet, projet qui était, de manière évidente, de se célébrer lui-même de manière très subtile19. Dans ce but, il n’hésitait pas à recourir à la « déformation historique », toujours avec une grande habileté20. En auteur soucieux de plaire à ses lecteurs, César a mis beaucoup de soin à brosser des tableaux anthropologiques. En bon tacticien et bon stratège, il a accordé une grande attention aux conditions géographiques ; mais il a fait des choix drastiques en fonction des circonstances : il n’a jamais dit un mot de trop.
14. 15. 16. 17.
Le Bohec 2012a, pour une période ultérieure. Frézouls 1995. Austin, Rankov 1995. Yavetz 1983 (trad. fr. 1990) ; Christ 1994 (essentiel) ; Cizek 1995, p. 95-109 ; Jehne 1997 ; Will 1997, col. 908-916 ; 2009 ; Le Bohec 2001 (réimpr. 2015) ; 2009. 18. Dobesch 2000 ; Rüpke 1997 ; Griffin 2009 ; Le Bohec 2010. 19. Lund 1996, contredit par Fridh 1996 ; Mauduit, Luccioni 1998 ; Ames 2003. 20. Rambaud 1966 ; Kardos 2006.
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Plusieurs passages de La guerre des Gaules pourraient être sélectionnés ; trois d’entre eux retiendront notre attention, ceux qui traitent de la Gaule, de la Germanie et d’Alésia. Ainsi, quand il parle de la Gaule, il insiste davantage sur la population et ses qualités guerrières que sur la topographie et le climat ; il ne donne que les éléments nécessaires pour comprendre sa stratégie. Dans un premier passage21, il accorde toutefois une grande importance aux fleuves comme limites : le Rhin sépare les Gaulois des Germains et les autres fleuves les divisent en plusieurs régions, l’axe Marne-Seine étant placé entre les Belges et les Celtes, la Garonne entre les Celtes et les Aquitains et le Rhône entre la province romaine et le pays indépendant. Certes, les fleuves ne sont pas des barrières étanches ; c’est bien connu. Mais ils présentent deux avantages. D’une part, ils constituent des limites faciles à identifier. D’autre part, ils apportent une aide à la guerre22. Ils sont parcourus par la marine militaire et les défenseurs peuvent se placer derrière leur rive pour empêcher les ennemis de traverser. En outre, César, qui compte trois peuples en Gaule, Aquitains, Celtes et Belges, les distingue par leur courage à la guerre23. On connaît le jugement lapidaire et célèbre, « De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus courageux ». Dans un second passage, il se borne à la géographie humaine, ou plutôt à l’anthropologie. Il décrit une société où les grands écrasent les petits24, et qui est divisée en trois classes, les chevaliers, equites en latin, les druides, qui appartiennent au même milieu, et le peuple25. Il explique les caractéristiques de la religion26 et du droit privé27 (ce qui est normal pour un Romain). Il ne manque pas, toutefois, de relever ce qui intéresse la guerre : la religion intervient dans cette activité28, un dieu qu’il appelle Mars la préside29 et le secret est imposé à tous les habitants quand il s’agit d’affaires militaires30. Quand il traite des Germains, proches des Gaulois à l’en croire, César insiste beaucoup sur leurs qualités militaires ; en ce qui les concerne, il donne également des éléments de stratégie. En décrivant leurs mentalités31, il dit qu’ils passent leur vie à penser aux combats puis à s’y adonner, qu’ils ont les vertus nécessaires aux soldats et que leur principal magistrat est chef de guerre32. Il ne néglige pas les conditions économiques et il décrit des hommes vivant de l’agriculture, surtout de l’élevage, ce qui est exceptionnel dans l’Antiquité (rappelons que, jusqu’au xviiie siècle
21. César, BG, I, 1. 22. Trousset 1993. 23. Voir aussi César, BG, VI, 24 : comparaison des Gaulois et des Germains en ce qui concerne le courage. Ni les uns ni les autres n’en manquaient, ce qui prouve une fois de plus l’excellence de César comme chef de guerre, sans qu’il soit besoin de le dire. Deyber 2009 a approfondi la question du courage, en particulier aux p. 142-144 et 155-156. 24. César, BG, VI, 11-12. 25. César, BG, VI, 13 (les trois groupes), 14 (les druides) et 15 (les chevaliers). 26. César, BG, VI, 16. 27. César, BG, VI, 19. 28. César, BG, VI, 16, 2. 29. César, BG, VI, 17, 3. 30. César, BG, VI, 20. 31. César, BG, VI, 21. 32. César, BG, VI, 21, 3 ; 23, 1 et 4 ; 24. Sur les Germains et la guerre : Speidel 2004.
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et à la révolution industrielle, les céréales, consommées surtout sous forme de pain, se trouvaient à la base de l’alimentation de tous les humains)33. Ils privilégiaient le lait, le fromage et la viande, et leurs travaux agricoles, eux aussi, visaient à satisfaire les besoins de la guerre. Les notations de géographie physique se limitent à rappeler une fois encore que les fleuves servaient de limites, surtout le Danube, et que la Germanie était en partie recouverte par une vaste forêt, la célèbre forêt Hercynienne34. Pour séduire les lecteurs, il consacre quelques phrases à décrire les animaux qui vivaient chez ce peuple, en privilégiant leurs caractères pittoresques35. Au total, il décrivit deux peuples, Gaulois et Germains, qui étaient tous les deux très guerriers. Bien entendu, à son habitude, il ne dit pas qu’il a eu bien du mérite à les vaincre et donc qu’il était lui-même un grand chef de guerre ; c’était sous-entendu et les lecteurs le devinaient sans peine. On voyait aussi qu’il était allé dans des pays exotiques et lointains, au milieu de grands dangers. Il est très probable qu’il développait là une idéologie répandue dans l’Antiquité, l’alexandrinisme, fondée par un des héros les plus admirés de l’époque36. Être un nouvel Alexandre en Gaule faciliterait une grande carrière à Rome. Est-ce à dire que César ne se souciait pas de géographie physique ? Pas du tout. Il l’utilisait quand elle permettait de comprendre un épisode guerrier, comme c’est le cas en ce qui concerne Alésia ; dans ce cas, il passait de la stratégie à la tactique. On nous pardonnera de ne pas revenir sur un problème qui a été résolu il y a cent cinquante ans : l’Alésia de César correspond à Alise-Sainte-Reine, en Côte-d’Or37. L’essentiel, pour notre propos, c’est la description qu’il en donne, et là il ne fait que de la géographie physique, mais dans des termes vagues. Il n’avait pas été formé à cette discipline et on sait que, quand on veut identifier un endroit précis, il faut donner des points cotés. La ville se trouve au sommet d’une hauteur38 ; elle est flanquée par deux fleuves39 ; en avant se trouve une plaine de 4,5 km de large40 et, tout autour, on voit des collines proches et de la même altitude41. Dans ces conditions, il est impossible de prendre Alésia, mais, bien entendu, lui, César, l’a fait ; il a ainsi prouvé qu’il était un exceptionnel chef de guerre, un maître de la poliorcétique et un tacticien sans pareil. Le même souci de la tactique se rencontre dans les descriptions de bataille, par exemple quand il fallut affronter les Helvètes près du mont Beuvray en 58 avant J.-C. Les ennemis étaient installés au pied d’une colline42 ; Labiénus voulut occuper cette
33. César, BG, VI, 22. Pour César et les questions économiques : Le Bohec 2005. 34. César, BG, VI, 25. 35. César, BG, VI, 26-28. 36. Green 1978 ; Della Corte 1989 ; Samsaris 1990 ; Le Bohec 1999. 37. Le Bohec 2012b, p. 91-107. Depuis sa parution, deux rapports rédigés par des archéologues choisis par les partisans de la thèse jurassienne ont été portés à la connaissance du public : la céramique trouvée à La Chaux-des-Crotenay est médiévale en grande majorité et les objets en fer ne sont pas des armes. Il est inutile d’ajouter quoi que ce soit. 38. César, BG, VII, 69, 1. 39. César, BG, VII, 69, 2. 40. César, BG, VII, 69, 3. 41. César, BG, VII, 69, 4. 42. César, BG, I, 21, 1 et 2 ; 22, 1.
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hauteur, mais elle était déjà aux mains des barbares, et il en prit une autre43 ; César installa ses hommes sur une autre colline : deux légions en haut, quatre légions de vétérans à mi-pente, deux légions de bleus et tous les auxiliaires en bas ; devant s’étendait une plaine44. Pour profiter au mieux du relief, Arioviste, la même année 58, s’installe au pied d’un relief (mons, mot souvent traduit par « montagne », ce qui est un faux-sens)45. Quelque cent vingt ans séparent César de Flavius Josèphe. Ce n’est pas le lieu ici de déterminer si l’écrivain juif a été un traître absolu, un chef juste un peu lâche ou simplement un homme de son temps pris dans une situation dramatique46. Ce qui doit nous intéresser, c’est que ce personnage appartenait à la noblesse, aux élites cultivées et qu’il avait exercé de hautes fonctions militaires47. Après avoir effectué une mission à Rome48, il est rentré dans son pays puis, quand la guerre a éclaté, il a d’abord commandé une armée juive. Ensuite, il a été vaincu, fait prisonnier par les Romains à l’issue d’un siège49. Et enfin il a suivi en observateur la guerre que Vespasien puis Titus ont menée contre son propre peuple50. Quand il décrit le pays où s’est déroulé le conflit qu’il étudie, il distingue les trois régions qui le composent, Galilée51, Samarie et Judée, dans cet ordre, sans doute pour mieux suivre la progression de l’armée romaine, qui était venue du nord, de Syrie, et qui a achevé sa mission à Massada, tout au sud (ce nom également écrit « Masada », avec un seul « s »). Cette guerre a vu se dérouler des formes variées de combat, par exemple la guérilla ; on n’y trouve pas de grande bataille en rase campagne ni de bataille décisive. Elle fut marquée surtout par trois sièges. Le premier se déroula devant Jotapata ; Josèphe qui défendait la ville fut capturé après sa chute52. Quand Jérusalem eût été prise à son tour, la guerre était pratiquement gagnée pour les Romains, la capitale ayant succombé53. Mais quelques irréductibles se réfugièrent à Massada, et les légionnaires durent affronter un troisième siège, dans le désert. Ce dernier a été amplement étudié, car les textes et l’archéologie se complètent pour faire connaître un haut lieu du passé du peuple juif et de l’histoire d’Israël54. Dans une guerre de siège, la topographie joue un moindre rôle ; en revanche, la stratégie est importante, et Flavius Josèphe permettait à tout Romain de la comprendre. Dans ses tableaux géographiques, et comme tous les écrivains de son temps, Flavius Josèphe ne fait pas une description classée suivant les critères des auteurs du xxie siècle, et pourtant tout y est, ou presque. Comme César, il attache une grande 43. César, BG, I, 22, 1 et 2. 44. César, BG, I, 24, 1-2. 45. César, BG, I, 48, 1. 46. Critique passionnée de Vidal-Naquet 1977, p. 7-115. 47. Vision plus sereine : Hadas-Lebel 1989, Bibliographie très abondante. On verra Wandrey 1998. Sur les origines de Josèphe, son enfance et son éducation : Hadas-Lebel 1989, p. 15-32 et 60-64, surtout à partir de l’Autobiographie de ce même auteur. 48. Hadas-Lebel 1989, p. 57-74. 49. Ibidem, p. 123-124. 50. Ibidem, p. 241-249. 51. Cohen 1979. 52. Hadas-Lebel 1989, p. 117-130. 53. Ibidem, p. 169-206. 54. Yadin 1967 ; Foerster 1995 ; 1999 ; Hadas-Lebel 1995 ; Magness 2009.
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importance aux limites, de la Galilée (notamment le mont Carmel) et de la Judée (en particulier le Jourdain)55. Il accorde un grand intérêt à la géographie physique, et il apporte toutes les précisions nécessaires pour comprendre les difficultés et aussi les facilités que le pays offrait à une armée. Judée et Samarie ont des hauteurs point trop élevées et des plaines56. Et si elles manquent de fleuves, sauf le Jourdain, elles possèdent des sources et les pluies y tombent en quantités suffisantes57. Plus loin, Flavius Josèphe décrit les eaux fournies par le lac de Génnésar, aujourd’hui lac de Tibériade ou Kinneret, qui se déversent dans le Jourdain58 ; elles sont douces, bonnes à boire, toujours fraîches et profitables aux cultures59. Enfin, il décrit la source de Capharnaüm qui possède une haute valeur fertilisante60. Flavius Josèphe apporte également de nombreuses précisions sur la géographie humaine. La population était dense en Galilée et ses hommes combatifs61, ce qui est évidemment du plus haut intérêt quand on fait de l’histoire militaire. L’agriculture procurait des richesses toujours en Galilée, et aussi en Samarie et en Judée, en raison de la qualité des sols dans ces deux derniers cas62 ; elle était particulièrement prospère autour du lac de Tibériade63 qui en plus donnait du poisson64. Pour un stratège, avons-nous dit, la présence de villes importe au premier chef. Elles étaient nombreuses en Galilée dit encore Flavius Josèphe, qui relève la présence de bourgs à leurs côtés65 : c’était ce que l’on appelle de nos jours un habitat mixte, à la fois groupé et dispersé. Il en allait de même en Judée où se trouve Jérusalem, ville dont l’importance tenait à la fois à ses dimensions et à la valeur religieuse, psychologique et morale qui lui était attachée66. Tous ces détails aident à comprendre le déroulement de la guerre des Juifs ; ils sont également susceptibles de fournir des informations précises et précieuses à un général quelconque qui serait amené à combattre dans cette région. On trouve en Tacite un auteur encore différent de César et de Flavius Josèphe, mais qui reprend une certaine tradition de géographie au service de l’histoire et qui s’en écarte, dans la mesure où il a ses propres exigences d’écriture67. Quoi qu’il en soit, ses textes possédaient des attraits aussi bien pour les lecteurs friands d’exotisme que pour les futurs stratèges68.
55. 56. 57. 58. 59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66.
Flavius Josèphe, GJ, III, 3, 1 (35) et 3, 5 (51). Flavius Josèphe, GJ, III, 3, 4 (49). Flavius Josèphe, GJ, III, 3, 4 (49-50). Flavius Josèphe, GJ, III, 10, 7 (506-513) : analyse longue et détaillée. Flavius Josèphe, GJ, III, 10, 7 (506-508). Flavius Josèphe, GJ, III, 10, 8 (519-520). Flavius Josèphe, GJ, III, 3, 2 (41-43). Flavius Josèphe, GJ, III, 3, 2-4. Flavius Josèphe, GJ, III, 10, 8 (516-519). Flavius Josèphe, GJ, III, 10, 7 (508). Flavius Josèphe, GJ, III, 3, 2 (43) : villes et bourgs. Flavius Josèphe, GJ, III, 3, 5 (51-57) ; il n’insiste pas sur Jérusalem, présentée simplement comme une capitale, sans valeur nationale ni religieuse particulière. 67. Ciaceri 1945 ; Paratore 1962 ; Syme 1967-1971 ; 1970 ; Arnaldi 1973 ; Grimal 1990 ; Cizek 1995, p. 217-253 ; Woodman 2009. Sur ses motivations : Timpe 2007, p. 419-440. 68. Laederich 2001, privilégie les frontières septentrionales et orientales.
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Le cas de la Germanie, du point de vue militaire, doit être expliqué par des conditions particulières. En 16 avant J.-C., les Usipètes et les Tenchtères avaient franchi le Rhin pour piller. Auguste avait décidé, pour mettre un terme définitif à ce genre de guerre, d’annexer tous les territoires qui se situaient entre le Rhin et l’Elbe pour en faire une province de Germanie. De nombreuses campagnes marquèrent les années allant de 12 avant J.-C. à 9 après J.-C. Le désastre subi par Varus au Teutoburg mit un terme définitif au projet : l’empereur renonça à cette annexion et ses successeurs, dit-on en général, adoptèrent la même attitude69. Il n’est pas impossible que quelque souverain en mal de notoriété ait envisagé de reprendre la politique que le premier prince avait initialement adoptée. De toute façon, si les Romains n’attaquaient pas les Germains, c’étaient les Germains qui attaquaient les Romains ; ils avaient faim, ils aimaient la guerre et ils adoraient le pillage70. Il fallait donc prévoir des opérations défensives. Tacite divise sa matière en deux parties, une première consacrée à des thèmes qui intéressent tous les Germains, et une seconde qui traite des différents peuples71. Comme César, il accorde de l’importance aux limites et aux fleuves qui jouent ce rôle, le Rhin et le Danube ; mais, dit-il, ils ne constituent pas des barrières infranchissables72. L’Océan au nord et à l’ouest, des montagnes non nommées au sud et au sud-est complètent ce dispositif73. Il ne néglige pas la géographie physique, puisqu’il parle très vite du climat, qui est rude comme on s’en doute74. Le paysage est le plus souvent fait de forêts et de marécages, ce qui accentue la pauvreté des habitants75 ; le pays des Chattes, qui vivaient au centre de la Germanie, est recouvert de collines et donc il souffre moins de l’humidité, mais il possède lui aussi de vastes forêts76. Et une montagne anonyme coupait en deux le pays des Suèves77, nom donné à tous les peuples qui n’étaient pas voisins de l’empire. Mais, à l’instar de César et de Flavius Josèphe, Tacite pensait que les hommes étaient plus importants que la nature. Et il dépeint des Germains amoureux de la guerre78, une société empreinte de violence79. « Affaires publiques ou privées, ils ne font rien sans être en armes », dit l’historien80, et le cadeau de mariage le plus apprécié est une épée ou une lance81. Plusieurs peuples sont particulièrement redoutables à la guerre, les Bataves, les Chauques, les Cimbres, qui avaient détruit une armée
69. Très abondante bibliographie. Voir par exemple Le Bohec 2013 ; en dernier lieu : Rost, Wilherst-Rost 2014. 70. Speidel 2004. 71. Tacite, Germ, respectivement 1-28 et 29-44 ; 45 et 46 renvoient à des mythes. Lund 2010 ; Krebs 2011. 72. Tacite, Germ, 28, 1. Poignault 1999-2000. 73. Tacite, Germ, 1. 74. Tacite, Germ, 2. 75. Tacite, Germ, 5 et 6. Aubrion 2002. Sur l’agriculture : Fauth 2007. 76. Tacite, Germ, 30, 1. 77. Tacite, Germ, 43, 3. 78. Tacite, Germ, 2 et 3. 79. Tacite, Germ, 14 et 15 ; 31 (à propos des Chattes) ; 31 (Bructères). 80. Tacite, Germ, 13, 1 ; 22, 1 : ils sont toujours en armes. 81. Tacite, Germ, 18.
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romaine à la bataille d’Orange, en 105 avant J.-C., les Suèves qui se paraient pour la guerre, les Naristes, les Marcomans et les Quades82. Le lecteur sera étonné d’apprendre que les Chérusques sont traités de lâches ; dans ce tableau, ils sont même les seuls à subir cet outrage. Nous pensons que cette exception peut être expliquée par les mentalités des Romains et par l’histoire. En effet, le vainqueur du Teutoburg était Arminius et il appartenait à ce peuple. Or ce combat ne fut pas une vraie bataille rangée mais une embuscade, ce qui, dans l’esprit et la tradition des Romains, s’apparentait à un stratagème, invention qu’ils méprisaient par-dessus tout83. Menée au combat par son roi84, chaque armée de Germains suivait une tactique rudimentaire, ce qui a permis de nombreux succès romains sous le Principat85. Ces guerriers aux yeux bleus et aux cheveux blonds effrayaient les Romains ; Tacite le dit, et il reprend César et d’autres auteurs sur ce point86. Le pittoresque s’ajoute ici à l’explication tactique. Autre élément susceptible d’étonner les lecteurs, les femmes intervenaient dans les affaires militaires, et la célèbre Velleda est donnée en exemple87. Pour en revenir à la tactique, il est assuré que les Germains se disposaient en phalange avant le corps à corps, ce qui les désavantageait face aux légions qui adoptaient la triplex acies, un ordre sur trois lignes. Contrairement à ce qui se trouve dans beaucoup de manuels, écrits par des auteurs qui n’ont pas lu Tacite, ou qui l’ont lu trop vite, « c’est surtout l’infanterie qui fait leur force »88. Toutefois, quand ils avaient de la cavalerie, elle était excellente (dans la guerre des Gaules, César en a fait un très judicieux usage), surtout chez les Chattes et les Tencthères89. Il n’y avait pas la possibilité de faire une guerre de sièges, car ces peuples vivaient dans des villages ou dans un habitat isolé ; ils ne possédaient pas de villes90. Des fouilles récentes ont montré que les Romains avaient entrepris d’en bâtir une à Waldgirmes, mais elle a été détruite après leur défaite du Teutoburg et elle n’a jamais été réoccupée91. Si les Germains faisaient la guerre, c’était souvent pour piller, car ils vivaient dans un pays très pauvre. Outre l’économie, plusieurs aspects de leur vie ont retenu l’attention de Tacite. Il décrit longuement leur vie privée92 et publique. Ils étaient, 82. Tacite, Germ, 29 (Bataves) ; 31 (Chattes) ; 35 (Chauques) ; 37 (Cimbres) ; 38 (Suèves) ; 42 (Naristes, Marcomans et Quades). 83. Brizzi 1990 I (période républicaine), surtout p. 189-190 ; Brizzi 2004. 84. Tacite, Germ, 7. 85. Tacite, Germ, 6. Speidel 2004 donne des informations que Tacite ignore et qui sont souvent surprenantes : danse avant le combat, corps peints en blancs, recours à des insignes et vêtements animaux, etc. 86. Tacite, Germ, 4, 2. Voir surtout César, BG, II, 30, 4. Également : César, BG, I, 39, 1 ; IV, 1, 9 ; pseudo-César, BAfr, 40, 6 ; Velleius Paterculus, II, 106 ; Flavius Josèphe, GJ, II, 16, 4 (376) ; Tacite, H, V, 18, 1 ; pseudo-Aelius Aristide, En l’honneur de l’empereur, 35 ; Dion Cassius, XXXVIII, 35 ; XL ; XLVII ; XLIX ; Florus, I, 45, 12 ; Végèce, I, 1. Les Italiens étaient petits et bruns : César, BG, II, 30, 4 ; Végèce, I, 1. 87. Tacite, Germ, 8. 88. Tacite, Germ, 6, 4 ; voir 30 (Chattes). 89. Tacite, Germ, 30 (Chattes) et 32 (Tencthères). 90. Tacite, Germ, 16. 91. Reddé 2014. 92. Tacite, Germ, 17 à 27. Favrod 2004. Sur la chasse : Edwards 2008. Pour une pratique domestique : Krebs 2007.
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avons-nous dit, dirigés par des rois-chefs de guerre ; une assemblée du peuple existait93, et elle se montrait sévère : « Les traîtres et les transfuges sont pendus aux arbres »94. Leur religion a aussi intéressé Tacite95 qui finit son court traité par la description de peuples vivant au bout du monde et dont l’aspect et les mœurs sont étranges, et même incroyables96 : « (Les Sitones) sont gouvernés par une femme. Tant ils dégénèrent non seulement de la liberté, mais encore de la servitude »97. Il termine par une information encore plus incroyable à ses yeux : « Le reste, maintenant, s’apparente à de la fable : les Hellusiens et les Oxions auraient une bouche et un visage humains, mais un corps et des membres de bête sauvage ; je laisserai cette description en suspens, comme non établie »98. Ces considérations visaient évidemment à attirer le lecteur amateur d’exotisme et pas le général. Au total, on voit que les descriptions géographiques qui se trouvent chez les historiens de l’Antiquité ont des finalités diverses et que chacune peut avoir plusieurs objectifs, notamment charmer le lecteur en lui proposant de l’exotisme. Elles peuvent aussi avoir pour but de l’aider, de lui permettre de comprendre les conflits qui se sont déroulés dans le cadre décrit. Sans doute, suivant l’auteur concerné, la proportion de l’une et l’autre préoccupations a-t-elle varié. De toute façon, il ne fait aucun doute que les officiers chargés de mener des opérations se servaient de ces écrits pour mieux organiser leur tactique et leur stratégie. Il est assuré que César, Flavius Josèphe et Tacite illustrent bien ce propos. Dans les temps à venir, il faudrait voir si d’autres historiens sont susceptibles de rendre les mêmes services. Il serait également intéressant de scruter ce que proposent les géographes, comme Pomponius Méla, Pline l’Ancien, dans quelques passages de son Histoire Naturelle, et Ptolémée. Ce sont là de très vastes enquêtes, dont les résultats ne seraient pas inintéressants.
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Le Périple du Pont-Euxin ou Arrien de Nicomédie entre les genres Patrick Counillon
(Université Bordeaux-Montaigne, UMR 5607 - Ausonius)
Abstract In a periplus, geography and history meet in a one-to-one catalogue. But in the Periplus of the Euxine attributed to Arrian, the balance changes from one part to the other, from a letter in which a periplus evokes historical and literary landscapes to a periplus with literary pretensions. Traces of this evolution are to be found in language, in distance measurements and in historical facts. And they may have tried to meet the readers’ expectations over time. I undertook to analyse these in two parts of the Periplus which I compared with parallel texts, the Periplus of Menippus and the pseudepigraphical Periplus of the Euxine. Résumé Dans un périple, la géographie et l’histoire se rencontrent dans un catalogue biunivoque. Mais dans le Périple du Pont-Euxin attribué à Arrien, l’équilibre des termes change d’une partie à l’autre, d’une lettre qui utilise un périple pour évoquer des paysages historiques et littéraires à un périple à prétentions littéraires. Les traces de cette évolution sont à rechercher tant dans la langue que dans les mesures de distance ou les détails historiquement datables, et ont dû correspondre à l’évolution de la demande des lecteurs au cours du temps. J’ai cherché à les analyser dans deux parties du Périple par comparaison avec deux textes similaires, le Périple de Ménippe et le Périple pseudépigraphique du Pont-Euxin.
Le périple est souvent une assez pauvre littérature1. En raison de son style paratactique et répétitif et parce qu’il touche à la littérature technique, sa transmission en fait l’objet de modifications ou d’ajouts dont nul n’interroge la légitimité davantage que pour un traité de médecine ou de pharmacologie : on lui attribuera un géographe illustre pour auteur2 ; parce qu’il a une forme de catalogue, on l’enrichira de
1. Sur ce genre littéraire, González Ponce 2002, p. 559-560 ; González Ponce 2007, p. 41-66. 2. Comme l’écrit Marcotte 2000, à propos de Marcien d’Héraclée, l’éditeur du Périple de Ménippe, p. cxxii : « Les prologues dont il a accompagné les deux opuscules […] suggèrent qu’il pouvait en aller des périples comme des géographies : l’apport des prédécesseurs pouvait y être discuté… ». Le même manuscrit (Parisinus suppl. gr. 443) attribue à Skylax de Caryanda un périple du iiie siècle av. J.-C. Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 93-107
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notices décoratives, par exemple à caractère encyclopédique ou mythographique ; parce qu’il est une méthode descriptive, il peut être réutilisé par bribes, par exemple par les historiens3. Il peut même être détourné à des fins littéraires, didactiques, ou parodiques4. Il peut enfin servir à agrémenter une correspondance comme le fait Arrien dans le Périple du Pont-Euxin5. L’intérêt d’Arrien de Nicomédie pour la géographie est connu, transparaît dans ses œuvres historiques (par exemple dans sa description de l’Inde6) et il s’était vraisemblablement constitué une bibliothèque géographique7. Cette réputation lui a fait du même coup attribuer des textes géographiques apocryphes : ainsi, dans l’unique manuscrit qui conserve notre texte, deux autres périples lui sont attribués, le Périple pseudépigraphe du Pont-Euxin et le Périple de la mer Érythrée8.
Analyser le Périple du Pont-Euxin Le Périple du Pont-Euxin est lui-même un curieux texte composé de trois parties très différentes et à la paternité discutée pour deux d’entre elles9. La première (1-11), dont l’authenticité est le plus souvent admise, fait écho à un rapport qu’Arrien, alors gouverneur de la province de Cappadoce, avait adressé en latin à l’empereur Hadrien pour y décrire un voyage maritime d’inspection de Trapézonte à Dioscurias-Sébastopolis10. Les deux suivantes complètent le périple de la mer Noire : un périple du Hiéron (à l’ouverture du Bosphore) à Trapézous (12-17) et un périple des côtes nord et occidentale du Pont, de Dioscurias au Hiéron (17-25)11. La première partie, qui représente onze chapitres sur les vingt-cinq que compte le Périple, est assez originale. Les deux premiers chapitres traitent de la décoration de Trapézous, les quatre suivants (3-6) racontent le voyage jusqu’à Apsaros et sont les plus colorés et les plus riches du texte en allusions littéraires. Le chapitre 7 est un stadiasme qui récapitule le voyage jusqu’à Apsaros, 8-9 un excursus sur le Phase
3. Par exemple Thc. II, 97. 4. Périégèse de Denys d’Alexandrie, Periégèse iambique du Pseudo-Scymnos, Histoire Vraie de Lucien. 5. Périple du Pont-Euxin : Müller 1855 (GGM I), p. 370-401 ; Marenghi 1958 ; Silberman 1995 ; Liddle 2003. Sur la carrière d’Arrien et le contexte historique, Syme 1982 ; Ameling 1984 ; Silberman 1993 ; Braund 1994, p. 178-201 ; Fernoux 2004, p. 423-425, 456-459, 500 ; Belfiore 2009, p. 20-37. 6. Sur son utilisation de Néarque, Leroy 2013 ; Bucciantini 2015. 7. Marcotte 2000, p. cxxxviii-cxl ; Marcotte 2007 ; 2012 ; Belfiore à paraître. 8. Le Périple apocryphe ou pseudépigraphique du Pont-Euxin, FGrHist 2037, rédigé entre le ve et le viie siècle de notre ère, connu par plusieurs traditions manuscrites, « fait la synthèse des périples pontiques » (Marcotte 2000, p. cxl). Ci-après, Eux. 9. Ἀρριανοῦ ἐπιστολὴ πρὸς Τραιανόν, ἐν ᾗ καὶ περίπλους τοῦ Εὐξείνου Πόντου. Silberman 1978 construit son analyse sur son appartenance au genre du périple. Or, si l’on s’en tient à la lettre initiale, le périple proprement dit n’y représente que trois chapitres sur onze : le raisonnement est donc circulaire. 10. Pér., 6, 3, ἥντινα δὲ ὑπὲρ αὐτῶν τὴν γνώμην ἔσχον, ἐν τοῖς Ῥωμαϊκοῖς γράμμασιν γέγραπται. 11. Cette partie est justifiée par la mort du roi Cotys du Bosphore, mort vers 131-132, Silberman 1995, p. 49, n. 182.
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et un rapport sur la forteresse romaine qui se trouve à son embouchure, 10 reprend le stadiasme jusqu’à Dioscurias-Sébastopolis, 11, 1-3 fournit le catalogue des peuples riverains, 11, 4-5, des indications sur les orientations suivies par la flotte (vers l’est, puis vers l’ouest). La partie proprement périplographique de la lettre est donc réduite (7 et 10) et complétée par un chapitre à mi-chemin entre l’ethnographie et le rapport militaire. Si l’on devait rattacher cette première partie au genre du périple, Arrien en renouvellerait la forme par des procédés originaux comme l’artifice de la lettre à l’empereur, auquel il s’adresse sur un ton de respectueuse familiarité, ou l’abondance des références littéraires12. Quant aux parties proprement périplographiques, elles se présentent comme un rapport sur l’itinéraire d’une flotte qui suit les côtes et relève les distances entre les embouchures des fleuves qu’elle rencontre13 : écrit à la première personne, il relève les haltes et la météorologie14. La première des deux parties complémentaires, le périple du Hiéron à Trapézonte, présente de nombreuses ressemblances avec le périple de la lettre, ce qui a amené les éditeurs récents à le considérer comme authentique15. Bien qu’il ait été beaucoup étudié, en particulier depuis les travaux de Diller, il m’a paru qu’on pouvait encore le relire, car les commentaires cherchent principalement à identifier les toponymes avec l’un ou l’autre point de la côte : dernièrement, K. Belke a par exemple fait la synthèse de tous les périples et portulans de cette partie de la côte pontique en l’accompagnant d’une enquête archéologique sur le terrain et d’une inspection approfondie des sites16. Cette démarche, à vrai dire le principal enjeu de textes compliqués d’analyse, rébarbatifs de fréquentation et écrits dans un grec poussif, tend à mesurer la validité du texte par l’examen du paysage actuel. Or, sans parler même des modifications du paysage depuis l’Antiquité, les périples sont des textes qui en copient d’autres, dialoguent avec eux et sont le plus souvent très loin de
12. Chez Arrien la référence et la citation sont tissées dans la trame du texte au lieu d’y être rattachées, comme dans les autres parties du texte, en excursus (pour Leukè, 21-23) ou en notules référentielles (comme pour Kalpè, 12, 5). Voir par exemple, Pér., 1, 1 (infra, n. 39) ; 3, 2, citation d’Homère, ψυχραὶ μὲν γὰρ ἦσαν αἱ αὖραι, ὡς λέγει καὶ ; 3, 4, citation de tragique, τοῦτο δὴ τὸ τραγικόν, « καὶ τὴν μὲν ἐξαντλοῦμεν, ἣ δ’ ἐπεισρέει » etc. Le ton est empreint d’une forme de plaisante autodérision, 5, 3, ἐχρῆν γὰρ ἄρα μηδὲ τὰς ἐν τῷ Πόντῳ Ἀθήνας παραπλεῦσαι ἡμᾶς ὥσπερ τινὰ ὅρμον ἔρημον καὶ ἀνώνυμον. 13. Trajet de la flotte d’Arrien, en stades : Trapézous-Hyssos, 180 ; Hyssos-Ophis, 90 ; Ophis-Psychros, 30 ; Psychros-Kalos, 30 ; Kalos-Rhizios, 120 ; Rhizios-Ascouros, 30 ; Ascouros-Adiènos, 60 ; Adiènos-Athènes, 180 ; Athènes-Zagatis, 7 ; Athènes-Prytanis, 40 ; Prytanis-Pyxitès, 90 ; Pyxitès-Archabis, 90 ; Archabis-Apsaros, 60 ; Apsaros-Acampsis, 15 ; Acampsis-Bathys, 75 ; Bathys-Akinasès, 90 ; Akinasès-Isis, 90 ; Isis-Mogros, 90 ; MogrosPhase, 90 ; Phase-Chariès, 90 ; Chariès-Chôbos, 90 ; Chôbos-Sigamès, 210 ; Sigamès-Tarsouras, 120 ; Tarsouras-Hippos, 150 ; Hippos-Astéléphos, 30 ; Astéléphos-Sébastopolis, 120. Sur le rôle portuaire des fleuves, voir en dernier lieu Arnaud 2016. 14. Ainsi, Pér., 7, παρημείψαμεν (4 fois) et brises matinales de l’Acampsis et de l’Isis ; 10, halte dans l’embouchure du Chôbos. 15. 12-17. Rien ne la rattache à la lettre sinon une allusion à la fin : voir n. 33. 16. Belke à paraître.
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la réalité qu’ils sont censés décrire, en particulier dans l’évaluation des distances17 – la lettre d’Arrien est un cas exceptionnel, parce que nous avons à peu près l’assurance que les valeurs compilées ont été comparées à un périple réel. Le périple du Hiéron au Thermodôn fournit un objet d’analyse comparative intéressant. Il a l’intérêt de posséder deux parallèles proches : l’un est Eux., qui utilise Arriencomme source principale et dont on peut à l’occasion apprécier les mises à jour18 ; le second est le Périple de Ménippe de Pergame, du dernier quart du ier siècle avant J.-C., conservé (jusqu’à Amisos) par l’Épitomé qu’en a donné Marcien d’Héraclée19. Ces trois textes suivent la même progression, mentionnent souvent les mêmes lieux et partagent un certain nombre d’évaluations de distances. La comparaison de ces mesures, des toponymes et du style me permettront de mettre en relief similitudes et différences de méthode et d’inspiration entre eux. La comparaison interne au Périple du Pont-Euxin d’autre part – entre la lettre d’Arrien et le périple du Hiéron à Trapézous –, bien qu’elle soulève la question de l’authenticité de ce dernier, me permettront d’en souligner les spécificités et d’en mieux cerner les objectifs.
Du Hiéron au Thermodôn, les mesures Les concordances de distances d’étapes entre le Périple et Épit. Mén. traduisent l’existence de valeurs standardisées qui, sur certains traits de côte, impliquent l’utilisation de la même source20 : la distance globale est d’ailleurs parfois maintenue lorsqu’une étape est introduite (ou omise) dans l’un des périples21.
17. Arnaud 1993, p. 237 : « À l’analyse, certains faits frappent néanmoins l’esprit : on constate par exemple la fréquence des valeurs de 120 stades et de ses multiples […]. Cette mesure est présente avec une bonne fréquence dans le Périple du Pont-Euxin d’Arrien, où elle s’intègre dans une série très cohérente de progressions par tranches de 30 stades : 60, 90, 120, 130, 150, 180, 210 stades. Elle pourrait être égale à 1/6 d’une journée diurne de 700 stades, soit deux heures de navigation. L’unité de base de 30 stades correspondrait alors à 1/2 heure solsticiale. À noter, l’usage fréquent chez Arrien et chez [Eux.] de la moitié de cette valeur (15 stades). Une unité complémentaire de 20 stades, fréquente, pourrait avoir exprimé une durée égale à 1/3 d’heure ». Sur les stadiasmes du périple de Néarque, Bucciantini 2013. 18. Dan et alii à paraître. 19. Ci-après, Épit. Mén., voir Belfiore 2011, p. 20-50 ; Altomare à paraître. Pour une comparaison avec le Pér., Gisinger 1931, coll. 869-882. 20. Ἱεροῦ Διὸς Οὐρίου-Ῥήβας, 90 ; Μέλαινα ἄκρα-Ἀρτάνης ποτ., 150 ; Σαγγάριος-Ὕπιος, 180 ; Ἔλαιον-Κάλης, 120 ; Παρθένιος ποτ.-Ἄμαστρις, 90 ; Κρῶμνα-Κύτωρος, 90. Exact parallèle entre Hiéron et Kalpè. 21. La première mesure est celle de Pér., la seconde celle d’Épit. Mén. : Ποσείδειον-Τυνδαρίδαι, 45 + Τυνδαρίδαι-Νυμφαῖον, 15 + Νυμφαῖον-Ὀξίνας ποτ., 30 (= 90) = Ποσείδειον-Ὀξίνος ποτ., 90 ; Αἰγιαλοί-Θύμηνα, 90 + Θύμηνα-Κάραμβις, 120 (= 210) = Αἰγιαλοί-Κλίμαξ, 50 + Κλίμαξ-Τιμολάϊον, 60 + Τιμολάϊον-Κάραμβις, 100 (= 210) ; Σινώπη-Κάρουσα, 150 = ΣινώπηΕὔαρχος ποτ., 80 + Εὔαρχος ποτ.-Κάρουσα, 70 (= 150).
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Ces interventions modifient cependant régulièrement le total global : si l’on met de côté certains écarts qui défient l’analyse22, ces modifications présentent une forme de régularité, soit qu’elles augmentent23, soit qu’elles diminuent celui-ci24. Par exemple, Épit. Mén. traite comme une seule étape le Lykos et Héraclée, ou Tios et le Billaios, alors que le Périple sépare la ville et le fleuve d’une distance de 20 stades, qui s’ajoute au comput général25. Cette mesure de 20 stades est utilisée en concurrence avec des mesures atypiques (10, 15, 40, 45, 75, 100 stades) qui apparaissent soit en décomposition de mesure globale, comme dans le périple de Kalpè à Chèlai, de Poseidéion à l’Oxinas26 ; soit en approximation pour désigner des distances proches, comme pour les fleuves ci-dessus27. La distance de Sinope à Armènè, son emporion, est estimée à 40 stades par le Périple, à 50 par l’Épit. Mén. : il s’agit, je pense, de variantes d’estimations « à vue », comme pour Polémonion et Phadisanè (10 stades), deux villes situées sur les rives opposées d’un fleuve. Si l’on s’en tient aux données chiffrées, même en tenant compte des perturbations issues de la transmission des textes, en particulier du mauvais état du modèle pour l’un, des retouches de Marcien d’Héraclée pour l’autre, il est impossible qu’Arrien, ou son imitateur, ait directement utilisé le texte d’Épit. Mén. Tous deux disposaient d’une ou de plusieurs sources communes qu’ils compilaient pour les adapter à leurs choix éditoriaux. On en prendra pour exemple l’usage qu’ils font du standard des 30 stades et de ses multiples, utilisé dans les deux textes avec des écarts caractéristiques de 30 stades pour des estimations contradictoires28. Le Périple tend toutefois à
22. Ἀβώνου τεῖχος-Αἰγινήτης, 150 + Αἰγινήτης-Κίνωλις, 60 + Κίνωλις-Στεφάνη, 180 + ΣτεφάνηΠοταμοί, 150 + Ποταμοί-Λεπτὴ ἄκρα/Συριάς, 120 (= 660) = Ἀβώνου τεῖχος-Αἰγινήτης, 160 + Αἰγινήτης-Κίνωλις, 60 + Κίνωλις-Στεφάνη, 150 + Στεφάνη-Ποταμοί, 120 + Ποταμοί-Λεπτὴ ἄκρα/Συριάς, 120 (= 610) ; Λεπτὴ-Ἀρμένη, 60/150. Ναύσταθμος-Κωνώπιον, 50/120 ; ΚωνώπιονΕὐσήνη, 120 + Εὐσήνη-Ἀμισός, 160 (= 280) = Κωνώπιον-Ἀμισός, 120. Entre l’Oxinas et Psylla, cela aboutit dans Pér. à une somme supérieure de 100 stades à l’Épit. Mén. : Ὀξίνας ποτ.-Σανδαράκη, 90 + Σανδαράκη-Κρηνίδες, 60 + Κρηνίδες-Ψύλλα, 30 (= 180) = Ὀξίνας ποτ.-Σανδαράκη, 40 + Σανδαράκη-Κρηνίδες, 20 + Κρηνίδες-Ψύλλα, 20 (= 80). Pér. est aberrant puisqu’Eux. revient au total de Ménippe. 23. Ὕπιος-Λιλαῖον ἐμπ., 100 + Λιλαῖον-Ἔλαιον, 60 (= 160) = Ὕπιος-Δίας, 60 + Δίας-Ἔλαιον, 90 (= 150) ; Κάραμβις-Ζεφύριον, 60 + Ζεφύριον-Ἀβώνου τεῖχος, 150 (= 210) = ΚάραμβιςΚαλλιστρατία, 20 + Καλλιστρατία-Γάριος, 80 + Γάριος- Ἀβώνου, 120 (= 220) ; Ζάγωρα-Ἅλυς, 300 = Ζάγωρος-Ζάληκος ποτ., 120 + Ζάληκος ποτ.-Ἅλυς, 150 (= 280). 24. Κάλπη-Ῥόη, 20 + Ῥόη-Ἀπολλωνία νῆσος [Θυνιάς], 20 + Ἀπολλωνία-Χηλαί, 20 + ΧηλαίΣαγγάριος, 180 (= 240) = Κάλπη-Θυνιάς, 60 + Θυνιάς-Σαγγάριος 200 (= 260). 25. Κάλης-Λύκος ποτ., 80 + Λύκος ποτ.-Ἡράκλεια, 20 (= 100) = Κάλης-Ἡράκλεια 80 ; Ψύλλα-Τίος, 90 + Τίος-Βιλλαῖος ποτ., 20 (= 110) = Ψύλλα-Τίος/Βιλλαῖος ποτ., 90 ; Τίος-Βιλλαῖος ποτ., 20 + Βιλλαῖος ποτ.-Παρθένιος ποτ. 100 (= 120) = Τίος-Ψίλις ποτ., 60 + Ψίλις ποτ.-Παρθένιος ποτ., 70 (= 130). 26. Supra, n. 22 et 25 ; Ἰασόνιον-Κιλίκων νῆσος, 15 + Κιλίκων νῆσ.- Βοῶν, 75 = 90. 27. Héraclée-Thermodôn, 40 ; Oinoé-Phigamous, 40 ; Phadisanè-Polémônion, 10 ; TripolisArgyria, 20 ; Koralla-Kordyllé, 40 ; Armènè-Sinope, 40/50. 28. Κίνωλις-Στεφάνη, 180/150 ; Στεφάνη-Ποταμοί, 150/120 ; Ἄμαστρις-Αἰγιαλοί, 60 + Ἐρυθίνοι-Κρῶμνα, 60 (= 120) = Ἄμαστρις-Κρῶμνα, 150. Κάρουσα-Ζάγωρα, 150/120. Ἅλυς-Ναύσταθμος, 90/120.
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les privilégier29, comme s’il normalisait son modèle, sans doute en s’inspirant de la lettre d’Arrien30.
Du Hiéron au Thermodôn, vocabulaire technique La différence est manifeste entre les deux périples. L’Épit. Mén. dispose d’un vocabulaire technique plus étendu et la description des ports et des mouillages y est souvent précise : à Sinope, le diekplous qui permet aux petits navires d’éviter le contournement de la presqu’île et le risque d’affronter les vents à la tête du cap est signalé, alors que le Périple se contente de mentionner le nom de Sinope (14, 5)31. Dans l’Épit. Mén., le cap Karambis est signalé, comme il l’est généralement, dans son opposition au cap Kriou Métopon de Crimée car il sert d’amer pour la traversée directe de la mer Noire vers la Crimée, la plus courante à l’époque et la plus sûre : or le Périple en donne le nom sans que sa position, sa nature, ou sa fonction soit évoquées (Kriou Métopon est d’ailleurs lui aussi ignoré). Ce serait une très curieuse négligence dans un rapport technique adressé à l’empereur. Après Héraclée, seuls les grands fleuves sont mentionnés sans que leur navigabilité soit jamais envisagée32 : les seuls ports (λιμήν) mentionnés sont Kalpè, un port abrité par l’île d’Apollonia, le port d’Armènè, celui d’Ankôn et, en conclusion, celui que ferait créer Hadrien à Trapézonte. Le reste du périple n’envisage qu’une collection d’ὅρμοι au statut imprécis, en parallèle avec des σάλοι33.
29. Ἀρτάνη-Ψίλις ποτ., 150/140 ; Ἡράκλεια-Μητρῷον, 80 + Μητρῷον-Ποσείδειον, 40 (= 120) = Ἡράκλεια- Ποσείδειον, 110. Sur l’ensemble des distances fournies, 28/48 sont des multiples de 30 dans l’Épit. Mén., 36/49 dans Pér. 30. Dans celle-ci, toutes sont des multiples de 15 sauf deux. Arrien est arrêté deux jours par la tempête à Athènes du Pont que 7 stades séparent du Zagatis et 40 stades du Prytanis, où se trouve une résidence royale, et ces mesures pourraient être locales ; dans le second cas, la flotte d’Arrien passe la nuit dans l’embouchure de l’Acampsis, dont il estime à 15 stades la distance à l’Apsaros : la distance entre l’Apsaros et le Bathys étant estimée au standard de 90 stades, celle entre l’Acampsis et le Bathys a pu être calculée à 75 stades par soustraction. À titre d’hypothèse, dans une échelle de conversion de 7 stades 1/2 par mille, rare il est vrai, mais celle justement choisie par Eux., une unité de 15 stades (= 2 milles), incommode pour la conversion de données préexistantes, offrait une échelle de convertibilité commode à la traduction si les distances étaient modulées en fonction de l’échelle. Cette échelle de conversion (comme me l’a signalé P. Arnaud que je remercie) est systématiquement proposée par Héron d’Alexandrie (par exemple Deff. 131 ; Geom. 4.13 ; 22.1 ; 23.19 etc.), à qui Arrien aurait pu l’emprunter. 31. Eux., FGrHist 2037 F 21. Sur Sinope à cette époque, Reddé 1986, p. 258. 32. Ὅρμος a un sens très général, Reddé 1986, p. 148, n. 6 : « Le terme d’ὅρμος et de statio, quoique non synonymes, finissent par prendre, à l’époque impériale au moins, des significations voisines ». Dans la lettre, il est utilisé pour Athènes du Pont, où il a son sens ordinaire de « mouillage ». 33. Par exemple dans la dernière phrase de cette partie, Pér. 16.6, où l’auteur avoue clairement qu’il met à jour un périple antérieur : Ἐνταῦθα σὺ ποιεῖς λιμένα· πάλαι γάρ, ὅσον ἀποσαλεύειν ὥρᾳ ἔτους, ὄρμος ἦν.
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Du Hiéron au Thermodôn, les toponymes Le Périple omet un certain nombre de toponymes mentionnés par l’Épit. Mén. et en mentionne d’autres, parfois les croisant34. La plupart des toponymes originaux apparaissent en Bithynie, en fait sur le territoire d’Héraclée, entre Kalpè et Tios. Plusieurs sont liés à la légende des Argonautes (Apollonia, Lykos, Tyndaridai), sans qu’on puisse en déterminer la source directe. Pour d’autres, le rapport est plus improbable, comme pour Métrôon, Rhoè et Chélai, que le Périple est le seul à mentionner. Érythinai a fait son apparition à l’époque hellénistique, dans le prolongement des revendications homériques des cités côtières de Paphlagonie ; Zéphyrion est en place pour Pline l’Ancien chez lequel le Lilaeus est un fleuve de Bithynie et Eusènè figure chez Ptolémée dans la liste des cités continentales de Paphlagonie35. Des toponymes régionaux, connus donc, mais difficiles à expliquer. En somme, le compilateur a enrichi le périple dont il disposait à partir de sources complémentaires – un historien local d’Héraclée, un périple régional peut-être. L’origine bithynienne d’Arrien et surtout la rédaction par lui des Bithyniaca ont contribué à lui faire attribuer ces ajouts : après le passage en Paphlagonie, le périple devient plus rapide que Ménippe36. Ces multiples ajustements confirment, si c’était nécessaire, que le périple du Hiéron ne traduit pas un progrès dans l’expertise maritime sur ses prédécesseurs et que sa démarche n’est ni scientifique ni pratique mais vise à répartir, de façon vraisemblable et commode, une collection de toponymes, empruntés à des sources multiples, sur une ligne de côte. Sa pauvreté documentaire laisse en effet perplexe : quel bénéfice tactique aurait pu en retirer un empereur, qui, comme le remarquait Chapot, disposait dans ses bureaux et ses bibliothèques d’une documentation technique et géographique complète et à jour37 ? Et quelle gloire géographique son auteur en aurait-il retiré ?
Du Hiéron au Thermodôn, le style On retrouve dans le périple du Hiéron le vocabulaire ou la manière de la lettre dans un certain nombre de remarques banales : origine ionienne ou milésienne d’une cité, citation d’Hérodote à propos de l’Halys, allusions à l’Anabase, comme la séparation des Dix-Mille en Bithynie ou la description de Kalpè. Mais on y reconnaît
34. Par exemple, Αἰγιαλοί-Θύμηνα, 90 + Θύμηνα-Κάραμβις, 120 (= 210) = Αἰγιαλοί-Κλίμαξ, 50 + Κλίμαξ-Τιμολάϊον, 60 + Τιμολάϊον-Κάραμβις, 100 (= 210). 35. Sur Eusènè dans les sources géographiques, Silberman 1995, n. 152, p. 44. Eusènè se trouve en réalité sur la côte, à l’extrémité de l’itinéraire qui passe par Pompéiopolis (Taşköprü) et Néoclaudiopolis (Vezirköprü) : sur cette erreur de Ptolémée, Arnaud 1992 ; Arnaud à paraître signale chez Ptolémée « la tendance marquée à rattacher à l’intérieur les toponymes des itinéraires, même côtiers, lorsqu’ils ne provenaient pas des périples ». 36. Dans la partie bithynienne, le Périple compte 9 étapes absentes d’Épit. Mén., pour 3 en Paphlagonie, ou Épit. Mén. est beaucoup plus détaillé. La teneur mythologique des Bithyniaca (soulignée par Photius FGrHist 156 F 14) en fait une source possible : voir par exemple F 20, 41, 42, 43, 47, 48 Roos-Wirth ; contra, F 45, 49. 37. Chapot 1921, p. 150.
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mal l’érudition retorse de la première partie38. Le début de la lettre d’Arrien, par exemple, jouait avec l’arrivée des Dix-Mille à Trapézous, sur les rives du Pont : Arrien situe la cité sur ses rives et contemple l’Euxin du même point de vue que Xénophon (et Hadrien)39. C’est assez élégamment fait et a séduit le compilateur, qui imite la tournure, mais sans que la situation la justifie40. De même, le mot ἐκβολαί, l’embouchure, s’accompagne en ce sens d’un nom de fleuve au génitif, ordinairement non enclavé : l’hyperbate, ἀπὸ τοῦ ποταμοῦ τῶν ἐκβολῶν est rare, et figure dans les deux parties du Périple ; mais la banalité du contexte dans le périple du Hiéron donne à la formule une surprenante incongruïté41. De même, en arrivant à Athènes du Pont, Arrien a décrit les dangers du mouillage42 : la phrase est informative et culmine dans une digression savante sur les noms des vents dans le Pont-Euxin, utilisant un optatif assez recherché (σῴζοιτο δ’ ἂν καὶ τοῦ βορρᾶ τὰ ὁρμοῦντα πλοῖα) ; l’auteur du périple du Hiéron à Trapézous l’a bien répéré, car il utilise des optatifs similaires à trois reprises, mais là aussi dans des phrases incongrûment formulaires43. Ces parallèles assez patauds laissent douter de l’authenticité de cette partie du Périple du Pont-Euxin, malgré qu’en aient au moins les derniers éditeurs (Silberman, Liddle). Elle avait été vigoureusement attaquée dès 1896 par un article argumenté de C. G. Brandis, suivi par Kiessling et Minns (qui soulignait l’absence invraisemblable de Tyras dans la description de la côte occidentale)44 et corrigé et complété par V. Chapot, qui réfutait les thèses contraires de Reuss et Patsch. Chapot, qui relevait des bizarreries de la composition sans la remettre en cause, rejetait l’hypothèse
38. Xénophon, 12, 5, Kalpè ; 13.6, Thraces bithyniens ; 16.3, Kotyôra. Hérodote, 15, 1, à propos de l’Halys (avec un usage tardif d’ἔργα). Origines de cités : 13, 3, Héraclée ; 13, 5, Tios ; 14, 5, Sinope ; 15, 3, Amisos. Catalogue complet chez Silberman 1995, p. xxiv-xxvii. 39. Pér., 1, 1 : Εἰς Τραπεζοῦντα ἥκομεν, πόλιν Ἑλληνίδα, ὡς λέγει ὁ ἐκεῖνος, ἐπὶ θαλάττῃ ᾠκισμένην, Σινωπέων ἄποικον, καὶ τὴν μὲν θάλασσαν τὴν τοῦ Εὐξείνου ἄσμενοι κατείδομεν ὅθενπερ καὶ καὶ σύ. Xen., An., 4.8.22 : καὶ ἦλθον ἐπὶ θάλατταν εἰς Τραπεζοῦντα πόλιν Ἑλληνίδα οἰκουμένην ἐν τῷ Εὐξείνῳ Πόντῳ, Σινωπέων ἀποικίαν, ἐν τῇ Κόλχων χώρᾳ. 40. Pér., 13, 5 , ἐνθένδε εἰς Τίον, πόλιν Ἑλληνίδα Ἰωνικήν, ἐπὶ θαλάττῃ οἰκουμένην, Μιλησίων καὶ ταύτην ἄποικον. Οἰκουμένην ap. Xen., An., I, 4, 1 ; I, 4, 6 ; IV, 8, 22) / ᾠκισμένην ap. Arr., An., II, 13, 8 ; IV, 2, 4 ; IV, 28, 6 ; VII, 7, 6 ; Pér., 19, 3. Variante plus rare, Pér., 15, 3, Ἀμισός […] ἐπὶ θαλάττῃ οἰκεῖται, Polybe, Hist., IV, 56, 5 ; Str., XI, 2, 3 ; Procope, V, 15 ; VIII, 2 ; VIII, 5, 26. 41. Pér., 12, 4 ; 15, 3, ἀπὸ δὲ τοῦ Ἴριος τῶν ἐκβολῶν ; 13, 2, εἰς τοῦ Ὑπίου τὰς ἐκβολὰς. Chez Thucydide seul, II, 102, imité par Pausanias et Arrien (10 exemples), puis chez les Byzantins : Procope, VII, 28, 2 ; VII, 29, 12 ; Photius (cod. 91, 68a, dans le résumé de l’Anabase d’Arrien) ; 166, 109a. 42. Pér., 12, 4, Ὁ δὲ ὅρμος οἷος ὥρᾳ ἔτους δέχεσθαι οὐ πολλὰς ναῦς καὶ σκέπην ταύταις παρέχειν ἀπὸ νότου ἀνέμου καὶ αὐτοῦ τοῦ εὔρου· σῴζοιτο δ’ ἂν καὶ τοῦ βορρᾶ τὰ ὁρμοῦντα πλοῖα, ἀλλὰ οὐ τοῦ γε ἀπαρκίου οὐδὲ τοῦ θρασκίου μὲν ἐν τῷ Πόντῳ, σκίρωνος δὲ ἐν τῇ Ἑλλάδι καλουμένου. 43. Pér., 4, 4, καὶ πλοῖα μικρὰ ὁρμίζοιτο ἂν πρὸς τῇ πέτρᾳ τῇ ἀνεχούσῃ οὐ πόρρω ἀπὸ τοῦ ποταμοῦ τῶν ἐκβολῶν ; 14, 3 ὅρμος ναυσὶν οὐκ ἀσφαλής, σαλεύοιεν δ’ ἂν ἀπαθεῖς, εἰ μὴ μέγας χειμὼν κατέχοι et σαλεύοιεν ἂν νῆες ὥρᾳ ἔτους. Voir d’autres remarques de Brandis 1896, p. 123. 44. Kiessling 1912 ; Minns 1913, p. 13, n. 2. ; p. 24 : « The addition seems to date from Byzantine times ». Les arguments de Silberman 1978 ne répondent pas aux objections de détail soulevées par Chapot 1921.
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d’interpolations byzantines (la thèse de Brandis) au profit de celle d’une « véritable supercherie »45 : ainsi y aurait-il eu une invraisemblable forfanterie de la part d’Arrien à renvoyer à deux reprises à Xénophon en le nommant Ξενοφών ὁ πρεσβύτερος46. Le périple du Hiéron implique une bonne connaissance du style d’Arrien, compatible toutefois avec différentes hypothèses. Il pourrait être un faux pur et simple, prolongeant la lettre dans la période qui suit le règne d’Hadrien, où Rome reprend en main la côte pontique, et où la lettre d’Arrien pouvait trouver un public nouveau47. On pourrait aussi voir dans la similitude de la méthode et du ton, dans l’abondance des notations sur la Bithynie, la trace d’un travail préparatoire d’Arrien à la rédaction des Bithyniaca, un périple littéraire abandonné et édité en l’état : c’est une possibilité que Marenghi envisage comme hypothèse et qui peut légitimement séduire48. Mais quel que soit l’auteur du périple du Hiéron, un Arrien vieillissant, un éditeur indélicat ou un compilateur zélé, du moins avait-il compris la nature de la lettre d’Arrien : elle n’était pas officielle, puisqu’elle doublait un rapport en latin directement envoyé à l’empereur ; elle n’était pas directement destinée à ce dernier, mais étalait aux yeux du public hellénisé l’érudition de son auteur et sa familiarité avec Hadrien49. Elle était une démonstration de savoir-faire, commémorait une tournée d’inspection militaire, dressait un tableau exotique des confins de l’Empire, en évoquait la situation politique ; le périple n’en était pas le cœur, mais l’un des ornements, un jeu littéraire agrémenté, comme on l’a vu, des attributs de la Seconde Sophistique (mythologie, histoire, curiosités) introduits sur le ton badin de la confidence entre gens cultivés, comme on en trouve sous la plume de Plutarque ou dans les conversations de table qui fleurissent sous l’Empire. L’auteur du périple du Hiéron en a imité le mode de calcul, les tics de style et l’univers littéraire.
45. Chapot 1921, p. 149-150 : « À qui s’adresse, d’autre part, cette sorte d’“indicateur maritime”, au prince le plus instruit des choses de son empire […]. Je reste persuadé qu’il [Hadrien] avait de la région du Pont-Euxin une connaissance sérieuse et ne partait que muni de toutes les informations utiles, plus complètes mêmes que celles qu’il eût trouvées dans le Périple. Il n’avait, pour les tenir sous la main, qu’à s’adresser à quelque adiutor tabulariorum […]. Quel fut enfin l’auteur de cette falsification ? Et quel était son dessin ? Je lui prêterais volontiers des préoccupations purement mercantiles ». Tuomo 1964 montre que Procope ne connaissait du Périple que la lettre à Hadrien. Voir aussi Belfiore 2009 p. 43-45. 46. 12, 5 et 25, 1. Signalé par Brandis 1896, p. 113-114, qui l’oppose à la révérence ordinaire d’Arrien (ὁ Ξενοφῶν ἐκεῖνος). À quel moment Arrien a-t-il reçu le surnom de Νέος Ξενοφῶν? Pour Stadter 1967, Ξενοφῶν était le cognomen original d’Arrien ; Fernoux 2004, p. 500, juge qu’il le reçut après son installation à Athènes. 47. Sur cette région et Pér., Braund 1994, p. 178-201. 48. Marenghi 1958 : « Dirò che l’ipotesi di una falsificazione non presenta, per sé stessa, inverosimiglianza. Bisogna rifarsi alle consuetudini degli scrittori antichi, specie nel campo geografico […]. Diffusa infatti era l’abitudine tra gli scrittori di geografia di divulgare anonime le proprie opere o addirittura intestarle falsamente con nomi illustri ». 49. Cet aspect de la lettre est fort bien décrit par Silberman 1978, p. 161-163 ; Silberman 1995, p. xxiv-xxvi.
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La troisième partie du Périple du Pont-Euxin La troisième partie ramène le lecteur de Dioscurias au Hiéron le long des côtes nord et ouest du Pont-Euxin. Si la lettre n’était interrompue par le périple de Hiéron à Trapézous, son premier tronçon qui mène à Panticapée pourrait passer pour un complément normal de la lettre50 : il est justifié par les circonstances, et la similitude du style et du système de mesures avec la lettre. L’évocation d’Hérodote, la citation d’Eschyle qui le conclut ramènent assez habilement aux questions de division du monde et au Phase51. La suite, que rien n’annonce, ramène au Hiéron, puis à Byzance, en une suite de longues étapes erratiques52. Elle accumule les anachronismes, les omissions incompréhensibles et les erreurs géographiques53. La notice sur l’île de Leukè, qui occupe trois chapitres sur les sept de cette partie est géographiquement imprécise54 et compile maladroitement trois notices mythographiques55 : le style, en particulier au chapitre 21, évoque davantage des scholies que celle même d’un périple. Le Périple du Pont-Euxin est complet sous la forme que nous lui connaissons à l’époque de Justinien, et ces parties adventices ont dû s’y agréger avant l’arrivée du texte à Constantinople56. Elles tentent apparemment de répondre à une double contrainte qui explique leur maladresse, puisqu’elles cherchent à se conformer au modèle littéraire que leur fournissait la lettre d’Arrien en la transformant en périple. Si elles ne sont pas la trace d’un travail inabouti d’Arrien lui-même, c’est qu’un faussaire aura voulu, en somme, rendre au genre un texte qu’Arrien lui avait dérobé : la lettre d’Arrien – et peut-être son complément vers Panticapée – détournait le périple de finalités pratiques pour en faire un objet littéraire et une leçon d’histoire et de culture. La modification de la situation politique et militaire dans les années qui
50. Dans l’état actuel du texte, la transition entre le périple du Hiéron et celui-ci est d’ailleurs étrange, Silberman 1995, n. 180, p. 47. 51. Puisqu’il s’agissait de prévoir une intervention rapide à Panticapée, on justifiera ces deux étapes longues vers des mouillages connus, de Dioscurias à Pityonte et de Sindikè à Panticapée, encadrant une série de mouillages intermédiaires. Mais cette hypothèse est exclusive de l’authenticité des deux autres parties (12-17 et 19.3-25), car cette partie est d’une telle inadéquation qu’Eux. a dû la corriger à partir d’autres sources. 52. Toutes les distances entre Dioscurias et Panticapée sont des multiples de 30, sauf la première (350 stades). Entre Panticapée et Byzance, la moitié seulement. 53. Théodosia et Skythotaurôn Limen, points d’appui du Royaume du Bosphore contre les Scythes, sont déclarés « à l’abandon », le cap Kriou Metôpon ignoré, au profit de petites échelles inconnues par ailleurs comme Kazeca : Lantsov 2001 ; Maslennikov 2007, p. 856857 (« by the time of Arrian, this settlement had completely declined ») ; Gavrilov 2008, p. 193-206 ; Smekalova 2008, p. 207-214. Ou comme Lampas : Tymoshenko à paraître (« Partenit Bay »). Je remercie A. Ivantchik de son aide éclairée. 54. Pér., 21. Leukè est à l’est, et non au sud du Psilon ; confusion entre l’île de Leukè et la Carrière d’Achille. Sur Leukè, voir en dernier lieu Okhotnikov, Ostroverkhov 2007 ; Belfiore 2009, p. 325-349 ; Bucciantini 2015, p. 130-131. 55. Comme les répétitions sur les sacrifices. Silberman, après Reus, signale l’imitation finale de Xénophon, Banquet, 8, 31, mais l’auteur dit le contraire de Xénophon (οὐκ ὡς παιδικοῖς) sur les motivations d’Achille à venger Patrocle. 56. Eux. lit dans cette partie Στεννιτική pour Νιτική ; Μόζυγος pour Βόργυς, Σταχέμφλαξ pour Σταχέμφλας. Son modèle est sans doute moins dégradé que celui de notre texte.
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suivirent le gouvernorat d’Arrien ont pu amener des éditeurs à vouloir lui donner un prolongement et lui rendre l’allure d’un périple pontique, en compilant le matériel dont ils disposaient – y compris dans les brouillons d’Arrien –, et en donnant au résultat la couleur approximative de leur modèle57. La synthèse entreprise plus tard par Eux. en montre bien les insuffisances : le périple y est repris d’Arrien, mais il s’appuie sur des sources complémentaires et contemporaines pour y introduire de nouvelles dénominations, de nouveaux lieux et de nouveaux peuples. Le Périple du Pont-Euxin donne des aperçus intéressants sur l’évolution du genre. Arrien en a perçu les possibilités littéraires pour rivaliser sur un ton nouveau avec les périplographes et les géographes. Un ton léger, élégant, qui faisait du périple un canevas sur lequel on brodait des souvenirs historiques ou littéraires, et faisait en prose ce que Denys d’Alexandrie faisait au même moment en vers. Mais comme pour Denys, et bien plus que pour lui, les changements du temps ont amené à le lire non pour son élégance, mais pour les informations que des siècles plus besogneux ont voulu y chercher : pour Arrien, le renversement s’est fait très tôt, peut-être avant sa mort, ou dans les années qui l’ont suivie, et le texte voué à une fonction pratique, par la copie et la disjection des membres. Le périple est un genre trompeur, qui se fait et se défait au fil du temps, tapisserie ou linceul, sur le métier des copistes : il paraît renvoyer à la plus concrète des réalités, mais qu’on s’en approche d’un peu près, et le tableau qui s’y est dessiné au long du voyage dans les bibliothèques se défait sous nos yeux. Σά βγεῖς στὸν πηγαιμό γιά Ἰθάκη, νά εὔχεσαι νἆναι μακρύς ὁ δρόμος γεμάτος περιπέτειες, γεμάτος γνώσεις58.
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57. Pityonte, détruite en 77, devait devenir dans les années suivantes l’un des principaux forts côtiers romains juqu’au ive siècle, Braund 1994, p. 47, 63, 192, 198, 201. 58. Κ. Π. Καβάφης, Ιθάκη, 1-3, p. 56.
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La géographie et la seconde sophistique :
un parcours entre histoire, rhétorique et périplographie Sergio Brillante
(Université de Reims Champagne-Ardenne, EA3311 - CRIMEL ; Università degli Studi di Bari, DISUM)
Abstract In this study, the author shows the diffusion of geographical knowledge between the 2nd and the first part of the 3rd century AD, examining some significant works written by the principal exponents of the intellectual movement known as Second Sophistic (Philostratus, Aelius Aristides, Lucian). In the second part, more specifically, the author interprets the beginning of Lucian’s Icaromenippus as a parody of periplographical texts. Résumé Dans cette contribution l’auteur met en lumière la diffusion du savoir géographique entre le iie et le début du iiie siècle après J.-C. à partir de la lecture de certaines œuvres significatives de cette période écrites par les principaux représentants du mouvement intellectuel dit de la seconde sophistique (Philostrate, Aelius Aristide, Lucien). La deuxième partie, en particulier, interprète le début de l’Icaroménippe de Lucien comme une parodie des textes périplographiques.
Le iie siècle avant J.-C. représente un tournant fondamental pour la géographie grecque. L’importance de cette période dans le renouvèlement du savoir géographique a déjà été reconnue par Germaine Aujac, qui tenait en particulier à en souligner la composante alexandrine. Dans ce but elle analysait trois personnages exemplaires : Denys le vulgarisateur souligne la dimension poétique de la géographie ; Appien l’historien en montre la dimension politique et la tire vers l’ethnographie ; Ptolémée rappelle, s’il en était besoin, la contribution éminente de l’astronomie et de la géométrie au développement de la géographie grecque et à la mise en carte du monde habité.
*
Didier Marcotte, Pasquale Massimo Pinto et Claudio Schiano ont eu la bienveillance de lire une première rédaction de ce texte et de me donner des conseils précieux ; qu’ils veuillent bien accepter mes remerciements. Je tiens en outre à remercier Aude Cohen-Skalli d’avoir permis à la lime d’accomplir son travail, et Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, éditeurs de cet ouvrage. Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 109-120
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Poètes, historiens, astronomes furent en effet les véritables artisans des progrès réalisés en Grèce dans le domaine des connaissances géographiques. […] L’astronomie apprenait à situer le monde habité sur le globe terrestre ; l’histoire conservait le souvenir de la diversité des pays et des peuples rencontrés au hasard des voyages, dans l’espace ou dans le temps ; la poésie rendait l’enseignement attrayant et l’inscrivait dans la mémoire1.
Cette analyse ne saurait évidemment être démentie. Bien au contraire, dans la mesure où l’on s’éloigne d’Alexandrie, cette petite liste pourrait facilement être étendue au nom de Pausanias, par exemple, qui, sans être un géographe à proprement parler, témoigne néanmoins d’un intérêt répandu à son époque pour les lieux et leurs traditions. Des œuvres comme le Périple du Pont Euxin d’Arrien ou l’Anaplous Bosphori2 sont en revanche plus strictement géographiques. Et si l’on passe du plan de la production à celui de la réception, on note que les quatre papyrus de Strabon qui nous sont parvenus sont datés soit du iie, soit d’une période située entre la fin du iie et le début du iiie siècle3. Cette dernière donnée (et, dans une certaine mesure aussi, le cas déjà mentionné de l’œuvre de Pausanias) nous pousse à croire que la possibilité de dresser une telle liste n’est pas uniquement due aux mécanismes de la tradition des textes anciens, qui a sauvegardé beaucoup d’œuvres de cette période ; il y a sans doute quelque chose de plus concernant l’importance dont le savoir géographique est investi à cette époque. Je voudrais ici me concentrer exclusivement sur la géographie descriptive et ses relations avec le phénomène littéraire le plus marquant du moment, la seconde sophistique – qui se greffe sur la tradition alexandrine et s’en nourrit – et, notamment, sur les modalités par lesquelles la terminologie géographique parvient à se faire discours géographique, et donc à briser les limites de son propre genre pour trouver aussi sa place à l’intérieur de ce mouvement4. Du reste, ce qui nous incite à suivre ce projet est la définition même de seconde sophistique donnée par Philostrate (Vies des sophistes 481). Selon cet auteur, la première sophistique s’était concentrée plutôt sur des sujets philosophiques ou mythiques (« la bravoure, la justice, les héros et les dieux »), tandis que la seconde « décrivit les types du pauvre, du riche du preux, du tyran et traita les sujet nominaux qui sont fournis par l’histoire (τὰς ἐς ὄνομα ὑποθέσεις, ἐϕ’ ἃς ἡ ἱστορία ἄγει) ».
1. Aujac 1990, p. 66. 2. Dans cette liste, si l’on pouvait les dater avec certitude du iie siècle, pourraient entrer aussi les deux stadiasmes – l’un de l’Europe et l’autre de l’Asie – écrits par un certain Hermogène de Smyrne, polygraphe qui consacra sa vie à la composition de plusieurs œuvres à caractère technique sur des sujets différents : la médecine en premier lieu, l’histoire, l’histoire locale et la géographie. Un pinax de ses œuvres est conservé dans une inscription de Smyrne (I.Smyrna I, 536 = FGrHist 579 = BNJ 579 [B. Burliga] = FGrHist IV, 1775 [B. Chrubasik]). Voir Gossen 1912. 3. P.Köln 1, 8 (MP3 1486.2 = LDAB 3978 ; v. Krebber 1972 ; Luppe 1994) ; P.Oxy. 49, 3447 (MP3 1486.3 = LDAB 3976) ; P.Oxy. 65, 4459 + P.Laur. III/294A (MP3 1486.12 = LDAB 3979 ; sur le papyrus de Florence, v. Pintaudi 1996) ; P.Oxy. 73, 4947 (MP3 1486.13 = LDAB 117826). 4. Inversement, Christian Jacob (1985) est parti de l’analyse d’un texte géographique, la Périégèse de Denys, pour y reconnaitre des aspects susceptibles de relier cet auteur à la seconde sophistique.
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Ce passage n’est guère facile à traduire, et il présente d’ailleurs un enjeu qui invite à la prudence5 ; mais la référence aux déclamations fictives de type historique paraît évidente : « L’activité qui définit la seconde sophistique aux yeux de Philostrate est donc la déclamation, sous ses deux formes de déclamation éthique et de déclamation historique »6. Cette définition implique donc une forte relation de la seconde sophistique avec l’histoire et avec les événements d’un passé lointain dans le temps mais aussi dans l’espace. Dans un cadre de ce type, il n’est pas étonnant que la géographie trouve sa place. C’est également ce que suggère le même Philostrate quand, dans la Vie d’Apollonius de Tyane, on le voit se soucier constamment de donner les repères topographiques où l’action de son personnage se déploie. Les excursus de nature géographique – sans compter les sections ethnographiques ni celles qui concernent la flore et la faune de certains lieux et tout ce qui relève de la paradaxographie – sont nombreux et occupent une place importante dans l’économie générale de l’œuvre, comme on va le voir7. Dans l’analyse de ces excursus il faut avant tout mettre en lumière la longue tradition littéraire qui en est à la base8 : les auteurs explicitement mentionnés par Philostrate sont Juba, Néarque, Scylax9 et Orthagoras, mais on note aussi la présence de Ctésias, Hérodote, Strabon, Arrien et des historiens d’Alexandre en général. Cette tradition littéraire si imposante conditionne l’approche ethnographique de Philostrate, toujours influencé par des stéréotypes10, mais aussi les données géographiques. En effet, si dans son voyage en Orient, Apollonios peut suivre le trajet qu’avaient déjà parcouru Alexandre et son armée – ce qui aide Philostrate sur le plan de la fidélité géographique aux lieux décrits –, dans le livre consacré à l’Égypte et à l’Éthiopie (le sixième), par exemple, on a remarqué l’omniprésence du Nil : où qu’il aille, le Nil s’y trouve aussi11. La célébrité du Nil fait que cette région toute entière est réduite à
5. Voir la périphrase à laquelle Wilmer C. Wright, dans sa traduction pour la Loeb Classical Library (1921), est contraint à recourir, témoignant ainsi de la difficulté qu’il eut à interpréter ce passage : « [The second sophistic] sketched the types of the poor man and the rich, of princes and tyrants, and handled arguments that are concerned with definite and special themes for which history shows the way ». 6. Pernot 2003, p. 129 (je remercie Estelle Oudot de m’avoir signalé cette référence) ; cette étude comprend une traduction française du passage de Philostrate (qui à son tour s’appuie sur la plus ancienne traduction offerte par Bourquin 1880) que j’ai ici reprise. 7. Lo Cascio 1974, p. 19-29. 8. Denys le Périégète se vantait de connaître les différents pays sans les avoir vus personnellement : « Mais l’intellect des Muses me porte, qui peuvent sans course errante mesurer la vaste mer, les montagnes, le continent et le chemin éthéré des étoiles » (v. 715-717 ; trad. Jacob). Plus précisément, sur les sources utilisées par Philostrate, voir Mumprecht 1983, p. 990-1008 (mais pour des références plus précises, voir les nombreuses notes ad locum) ; Jones 2005, I, p. 13-17. Une attitude différente (qu’on qualifierait volontiers d’« antiquaire »), mais qui repose toujours sur une base livresque, est celle de l’empereur Hadrien peregrinationis ita cupidus, ut omnia, quae legerat de locis orbis terrarum, praesens vellet adiscere (Historia Augusta, De vita Hadriani 17, 8 ; 26, 5 sur sa ville de Tivoli). 9. Sur l’utilisation de cet auteur par Philostrate, voir Panchenko 2002. 10. Billault 2000, p. 103-104. 11. Manolaraki 2013, p. 275.
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ce fleuve. Finalement, on a l’impression que la géographie connue par Philostrate n’est qu’une succession de lieux consacrés par la tradition, ce qui rend d’ailleurs possible une lecture allégorique de ce voyage, comme on l’a définie12. Cette succession est pourtant bien organisée à l’intérieur de l’œuvre où elle fait figure de cadre si l’on considère la place que les descriptions géographiques y occupent : I, 20 : description de la Mésopotamie (début du voyage à la suite de la rencontre de Damis) ; II, 2-3 : description du Caucase (voyage vers l’extrémité orientale de la Perse) ; III, 1-2 : description de l’Iphase, le fleuve qu’Alexandre lui-même n’avait pu traverser13 (voyage en Inde) ; V, 1-4 : description des lieux autour des Colonnes d’Héraclès et de Gadeira (voyage en Occident) ; VI, 1 : description de l’Éthiopie (voyage en Égypte et en Éthiopie). Le début de chaque livre consacré aux voyages d’Apollonios – les livres VII et VIII décrivant le procès – est donc occupé par une description géographique, à deux exceptions près seulement, que l’on peut du reste expliquer aisément. Le début du premier livre est évidemment occupé par une introduction générale à l’œuvre et par le récit de l’enfance du savant, mais dès qu’Apollonios commence son voyage, la première description se présente au lecteur. L’autre exception serait le quatrième livre, où prend place le séjour d’Apollonios en Grèce et en Ionie, des pays dont une description devait paraître tout à fait inutile ou en tout cas peu passionnante. Cette régularité montre, de plus, la valeur narratologique de ces passages que l’on saurait difficilement appeler excursus, après l’étude attentive d’Alain Billault sur l’esthétique de Philostrate ; ce sont plutôt des parties intégrantes d’un récit qui procède entre exposition et narration : « entre instruire et raconter, Philostrate refuse de choisir »14. À côté de leurs valeurs allégoriques et narratologiques, on pourrait aussi interpréter ces descriptions dans une perspective liée au genre littéraire auquel l’œuvre appartient. Celui-ci n’est pas facile à déterminer étant donné le mélange des thèmes et des formes qui y sont présents, mais l’aspect historique, dans le sens d’une description des événements, y est central ; ce qui explique, par exemple, la déclaration méthodologique qui est au début (I, 2), très soucieuse de souligner la riche recherche documentaire qui est à la base de l’œuvre15. De ce point de vue l’organisation de la matière dans l’œuvre de Philostrate nous rappelle en quelque sorte l’histoire kata ethne d’Appien, quasi contemporain du sophiste, où le critère géographique préside à la subdivision en livres, mais, de façon plus générale, il s’agit de reprendre cette union de la géographie et de l’histoire qui est l’un des traits fondamentaux de l’historiographie grecque16. 12. Depuis Romm 1992, p. 116-119, voir surtout Elsner 1997 ; Manolaraki 2013, p. 258-308. 13. Arrien, Indica 4, 1 ; Pline, VI, 62. 14. Billault 2000, p. 51. 15. Ibid., p. 61 : « [Philostrate] prétend toujours se placer sur le terrain de la réalité. En ce sens il se veut historien ». 16. Sur les liens entre ces deux domaines, les réflexions de Polybe (III, 36-38) sont centrales. Pour une discussion moderne, voir Mazzarino 1966, p. 55-75 ; Prontera 1984 ; Clarke 1999 et les remarques de Latte 1958, suggestives malgré leur brièveté.
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Dans son effort de peindre la vie d’Apollonios, Philostrate nous donne en réalité sans arrêt des informations précieuses sur les pratiques des sophistes de son temps et, en particulier, sur leurs performances rhétoriques. Par exemple à Smyrne, selon Philostrate, Apollonios aurait tenu un discours à ses habitants, qui aurait débuté en exaltant la ville pour sa beauté, sa proximité de la mer17 et son climat, avant de passer au thème central, consistant – de façon inattendue – en une exhortation adressée aux habitants à être fiers d’eux-mêmes plutôt que de leur ville. La succession des éléments du discours d’Apollonios n’est pas fortuite. Ménandre le Rhéteur explique que, pour faire l’éloge d’une ville, il faut tout d’abord en définir la position (θέσις) et le site (φύσις)18 ; et en effet, les différents points à aborder pour réussir dans une telle entreprise sont représentés en partie dans le discours d’Apollonios – dans les limites de la brièveté de l’esquisse philostratéenne. Les deux termes qu’on vient d’évoquer – θέσις et φύσις – utilisés par Mènandre sont ceux qui se trouvent dans les premières lignes de la Géographie (I, 1, 2) de Ptolémée pour définir le but même de la discipline géographique, comme l’a fait remarquer Laurent Pernot, et, en outre, ce sont « les Progymnasmata d’Hermogène [qui] inaugurent pour nous la théorie grecque de l’éloge de la ville »19 ; le discours de Ménandre est donc l’héritier d’une tradition qui remonte, dans son aspect à la fois rhétorique (Hermogène) et géographique (Ptolémée), au iie siècle. Ces prescriptions se retrouvent en effet à l’œuvre dans certains des discours qui nous sont conservés. Entre autres20, il y a par exemple deux discours d’Aelius Aristide (Panégyrique de Cyzique [XXVII = XVI D.], 6 ; Sur la mer Égée [XLIV = XVII D.], 3 ; 7) où l’on retrouve des descriptions minutieuses et d’aspect pour ainsi dire cartographique21, comme il ressort de la lecture du passage de l’un de ces deux textes (Sur la mer Égée, 3) : Ἐν γὰρ τῷ μέσῳ τῆς πάσης οἰκουμένης τε καὶ θαλάττης μάλιστα ἵδρυται, πρὸς ἄρκτον μὲν Ἑλλήσποντον καὶ Προποντίδα καὶ πόντον καταλιπὼν, πρὸς δὲ μεσημβρίαν τὴν λοιπὴν θάλατταν, διαιρῶν μὲν τὴν Ἀσίαν ἀπὸ τῆς Εὐρώπης, ᾗ πρῶτον μεθ’ Ἑλλήσποντον διίστασθον. Elle [la mer Égée] est en effet établie exactement au milieu de l’ensemble de la terre habitée et de la mer : au nord, elle a laissé derrière elle l’Hellespont, la Propontide et le Pont, et, au sud, le reste de la mer, en distinguant l’Asie de l’Europe à l’endroit où elles se séparent pour la première fois après l’Hellespont22.
17. La proximité de la mer comme critère esthétique dans la description d’une ville se retrouve chez Aristide XVII (= XV Dindorf), 22-23 ; XXVII (= XVI D.), 5-7. 18. Ménandre, Rhét., I, 344, 15-351, 19 (éd. Russell-Wilson). Voir aussi Ménandre, Rhét., II, 383, 10-384, 14. J’emprunte la traduction de ces mots à Pernot 1993, p. 202-208, qui, en les analysant, les a rapprochés des termes de la théorie géographique contemporaine. 19. Pernot 1993, p. 178-216 (la citation est p. 187). 20. Ibid., p. 202, n. 426. 21. Dans le cas d’Aristide, des sources livresques sont aussi à la base de ce savoir ; à ce propos voir ce que l’auteur lui-même déclare dans son Discours égyptien [XXXVI], 1. 22. La traduction est celle de Goeken 2012 (v. p. 527-531 pour une introduction à cette œuvre d’Aristide).
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Cette description s’appuie sur un système de repères fondé sur des cordonnées astronomiques (πρὸς ἄρκτον, πρὸς μεσημβρίαν), de catégories qui sont à la base du savoir géographique grec (Ἀσία, Εὐρώπη)23, et même d’un lexique technique (διαιρέω)24. Les auditeurs présents dans le public d’Aristide devaient évidemment se réjouir de ce discours capable de justifier, sur une base objective et même scientifique, l’orgueil qu’ils ressentaient pour leur propre ville, à laquelle la nature bienveillante avait donné cette place d’exception sur la terre. D’ailleurs il ne faut non plus sous-estimer – et cela vaut aussi dans le cas de Philostrate – le rôle joué sur un plan esthétique par la seule et simple énumération des noms des lieux25, comme le même Aristide le dit dans son Discours égyptien : Les poètes, je crois, mieux que toute autre chose, connaissent et suivent l’art de combiner les mythes et d’énumérer les noms des fleuves et des villes (ποταμῶν καὶ πόλεων ὀνόματα ἀπαριθμῆσαι) et d’utiliser de tels embellissements (ποικίλλειν)26.
Cependant, un peu plus loin au sein du même discours, l’auteur ajoute que les poètes ne suffisent pas et, en effet, le savoir géographique ne se fondait pas exclusivement sur les textes poétiques ou les textes en prose déjà classiques ; dans le cas que nous allons examiner, nous verrons que la périplographie aussi, un genre littéraire centré sur l’énumération des toponymes, ne devait pas être ignorée. Dans l’Icaroménippe, le philosophe cynique Ménippe conte à un ἑταῖρος, destiné à rester anonyme, son récent voyage sur la lune. Pour rendre le début du dialogue le plus captivant possible27, Lucien représente Ménippe parlant presque tout seul à voix baisse (ἡσυχῇ), pris dans des calculs bien compliqués (§ 1). Οὐκοῦν τρισχίλιοι μὲν ἦσαν ἀπὸ γῆς στάδιοι μέχρι πρὸς τὴν σελήνην, ὁ πρῶτος ἡμῖν σταθμός· τοὐντεῦθεν δὲ ἐπὶ τὸν ἥλιον ἄνω παρασάγγαι που πεντακόσιοι· τὸ δὲ ἀπὸ τούτου ἐς αὐτὸν ἤδη τὸν οὐρανὸν καὶ τὴν ἀκρόπολιν τὴν τοῦ Διὸς ἄνοδος καὶ ταῦτα γένοιτο εὐζώνῳ ἀετῷ μιᾶς ἡμέρας.
23. Sur l’origine de la répartition, voir Berger 19032, p. 77-100 ; Gisinger 1924, col. 552-553. 24. Διαιρέω est un des termes-clef du lexique des frontières (il est très fréquent dans les deux premiers livres de la Géographie de Strabon) et il peut aussi représenter l’une des tâches majeures du géographe (v. e.g. Strab., I, 4, 7 [C66], en référence à la division de la terre en trois continents ; Strab., VI, 3, 5 [C282], en référence aux discussions sur la subdivision de la péninsule du Salento ; διαίρεσις et τάξις sont les deux composantes essentielles de la description géographique d’après Polybe, III, 36, 6). 25. « Il y a dans la mythologie grecque une musique des noms des lieux » comme l’écrit Veyne 1983, p. 35, repris par Jacob 1992. Philostrate semble avoir pris soin de cet aspect, car les noms qu’il utilise offrent souvent des variantes des noms plus traditionnels et qu’on peut sans doute relier à la tradition locale ; c’est le cas par exemple pour Ἄβιννα, qui serait selon Charax de Pergame le nom répandu κατὰ βαρβάρους (FGrHist 103 F35 = BNJ 103 F35 [G. Squillace]), au lieu des termes plus communs Ἀβίλυξ / Ἀβύλη. 26. Discours égyptien [XXXVI = XLVIII D.], 112. Sur l’importance du terme ποικιλία dans la réflexion théorique de Strabon, voir Raschieri 2016. 27. Ammendola 1925, p. V : « Il modo in cui l’Icaromenippo ha principio, è di quelli che maggiormente destano interesse e curiosità nel lettore ».
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Donc il y avait trois mille stades de la terre à la lune, notre première étape. De là jusqu’au soleil, en haut, environ cinq cents parasanges. Depuis celui-ci jusqu’au ciel proprement dit et à l’acropole de Zeus, cela peut faire encore une montée d’une journée pour un aigle agile.28
Ce premier paragraphe n’est pas seulement empreint d’une forte ironie contre les astronomes et les efforts qu’ils déploient pour mathématiser l’univers29, mais aussi contre les périples, étant donné que, à part la similarité du style, la verve comique de Lucien est principalement dirigée contre les extravagantes unités de mesure employées ici par Ménippe. Il ne s’agit pas d’unités de mesure inventées de toute pièce par Lucien : l’auteur utilise des normes habituelles, mais il les déforme jusqu’à obtenir quelque chose de paradoxal et de parodique30. Les stades, par exemple, sont l’unité de mesure la plus répandue dans le monde grec, mais il n’y a personne capable de parcourir trois mille stades en une étape (σταθμός). Lucien emploie habilement ici le terme σταθμός, qui a une valeur hodologique (étape), d’où son emploi comme unité de mesure : les σταθμοί étaient à l’origine les stations de poste qui se succédaient régulièrement tout au long des routes de l’empire perse, et par voie de conséquence elles désignèrent par la suite la distance entre celles-ci. Le mot fait donc référence à une réalité non grecque, mais perse31, et c’est aussi pour cette raison que Lucien l’emploie ici : le mot permet le lien entre les stades grecs et les parasanges perses évoquées immédiatement après dans le texte. Cela ne manquera pas d’étonner l’ἑταῖρος qui, précisément, reprochera juste après à Ménippe « ce fatras d’étapes et parasanges à l’air passablement étranger » (σταθμούς τινας καὶ παρασάγγας ὑποξενίζοντας). La climax qui anime le récit de Ménippe aboutit enfin à l’unité de mesure qui paraîtrait la plus naturelle ou, en tout cas, la plus ancienne, la journée de voyage ; mais celle-ci aussi fait l’objet d’une réinterprétation jusqu’à devenir la journée de vol « d’un aigle équipé à la légère »32. Lucien a beau jeu ici de se moquer d’une unité de mesure, la journée de voyage, qui est par définition une unité de mesure relative
28. Pour Lucien, ici comme après, le texte et la traduction utilisés sont ceux de Bompaire 2003. 29. Sur ce thème dans l’œuvre, voir aussi § 6 (où il faut toutefois faire attention à notre avis, à l’expression γῆς περιόδους ἀναμετροῦντες). Aristophane déjà se moquait de ces gens dans les Oiseaux 992-1020. 30. En général sur le thème du comique dans ce texte, voir Camerotto 2009. 31. Le mot est bien attesté, par exemple, dans l’Anabase de Xénophon (dont une réminiscence jouerait ici un rôle, selon Helm 1907, ad locum ; pour leur utilisation dans l’œuvre de Xénophon, voir Rood 2010), sans mentionner les Σταθμοί παρθικοί d’Isidore de Charax (GGM I, p. 244-256). Stathmoi et parasanges se retrouvaient en outre ensemble dans l’œuvre de Ctésias (F33 Lenfant). 32. Je recours ici à la traduction de Chambry, qui me paraît mieux répondre au sens du terme grec εὔζωνος (Phot., Lex., ε 2159, s.v. εὔζωνοι· ἔνοπλοι· ἢ οἱ μὴ ἔχοντες φορτία), qui fait référence à un « soldat » capable de marcher vite, grâce à son équipement léger (Xénoph., Anab., VII, 3, 46, est très clair à ce propos ; on y apprend en outre que l’εὔζωνος ne fait pas partie d’une division stable de l’armée, mais peut être créé si nécessaire). Comme il arrive souvent, on constate dans ce cas aussi à quel point la frontière qui sépare guerre et géographie est faible, puisque les mesures obtenues par ces militaires étaient aussi exploitées par les géographes au moins à partir d’Hérodote (Hdt., I, 72, 3 ; 104, 1 ; II, 34, 2 ; Thuc., II, 97, 1-2 ; Strab., IV, 6, 12 [C209] ; VI, 3, 5 [C282] ; XVI, 4, 8 [C771]).
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dont la valeur réelle varie beaucoup selon les circonstances les plus nombreuses et qu’Hérodote déjà, qui se montre conscient du problème, avait essayé d’ancrer dans une mesure plus « objective »33. Mais ce qui fait sourire dans ce premier paragraphe, ce n’est même pas seulement l’emploi d’unités de mesure pleinement insensées, mais plutôt le fait de les utiliser toutes ensemble pour décrire un seul et même voyage. Dans ce détail aussi on reconnaît un élément de la parodie de Lucien, car l’utilisation de plusieurs unités de mesure dans un seul texte est une pratique bien attestée dans les périples. C’est là évidemment l’une des conséquences des différences culturelles et chronologiques qui caractérisent les sources employées par ces anciennes descriptions des côtes. Il faut croire qu’une standardisation de la culture consécutive à l’unification du monde grâce à l’empire romain commençait à rendre quelque peu ridicule ce genre de mélanges34 ; du reste les parodies de Lucien, dans un temps où le sens commun l’emportait généralement sur la philosophie, visaient souvent les philosophes qui poursuivaient leurs querelles abstraites et théoriques sur des sujets concrets et objectivement déterminables35. Par leur complexité, ces calculs sont donc destinés à fatiguer assez rapidement l’interlocuteur, qui arrête Ménippe pour lui demander le but de ses raisonnements apparemment incompréhensibles. Le philosophe répond : Τὸ κεφάλαιον γὰρ δὴ πρὸς ἐμαυτὸν λογίζομαι τῆς ἔναγχος ἀποδημίας. Car justement je calcule à part moi la longueur totale de mon récent voyage.
Derrière ces mots se cache l’allusion à une composante essentielle de la structure du périple, qu’on retrouve dans le seul périple complet de la Méditerranée que l’Antiquité nous ait conservé, celui du Pseudo-Scylax. Cet ouvrage se présente comme une liste des différentes villes du bassin méditerranéen et des distances respectives qui les séparent, mais cette succession est interrompue par trois fois. À la fin de chacune des trois sections qui composent le texte, chacune étant dédiée à l’un des trois continents (Europe, Asie, Lybie), l’auteur « tire ses conclusions », c’est-à-dire donne le résultat de la somme de toutes les distances rappelées jusqu’alors, pour définir la grandeur totale du continent : le terme technique utilisé pour définir cette opération est précisément λογίζεσθαι36.
33. Hérodote, IV, 86 ; Ptolémée, I, 2, 4 (qui conteste aussi l’objectivité du stade) et, après Lucien, Marcien d’Héraclée, Épitomé du périple de Ménippe, 5 (GGM I, p. 567-568) ; Id., Périple de la mer exterieure I, 2 (GGM I, p. 517-518). 34. Voir aussi Strabon, XI, 11, 5 ; Pline, VI, 124 (inconstantiam mensurae diuersitas auctorum facit) ; Ptolémée I, 2 (le chapitre commence par la valeur des périégèses nécessaires à la constitution de la carte du monde, mais toute la suite est occupée par la description des inconvénients de cette littérature, qu’il faut toujours réviser sur la base des données fournies par la géométrie et l’astronomie). Dans un passage éclairant à propos de la conception de la mesure à son époque, Aristide (Pour les quatre [III = XLVI D.], 85) nous laisse comprendre que, pour lui et les hommes de son temps, nombres (ἀριθμοί) et mesures (μέτρα) sont des entités objectives, qui ne peuvent être soumises à l’interprétation. 35. Sur l’accusation de διαφωνία que Lucien adresse aux philosophes, voir Dolcetti 1996, p. 132-143. 36. Pseudo-Scylax, 69, 104, 111 (GGM I, p. 58, 81, 91) ; dans le dernier paragraphe mentionné ici on retrouve le substantif λογισμός.
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Dans le cas de Philostrate, on a vu l’importance et même la nécessité de définir un cadre spatial où insérer l’action ; une nécessité qui transcende la précision de l’information géographique, en réalité souvent trompeuse37. La lecture d’Aristide nous a permis de constater que les descriptions géographiques entrent dans la théorie et la pratique de la rhétorique. Et, en dernier lieu, grâce à Lucien on a vu comment un auteur pouvait à cette époque se servir du langage de la géographie à des fins parodiques, ce qui implique que son jeu littéraire devait être reconnu au moins par une partie de son public (ce qui nous renvoie aux données chronologiques fournies par les papyrus de Strabon)38. Dans un monde désormais unifié par l’empire romain, où les voyages étaient moins périlleux39 – et les auteurs cités étaient eux-mêmes de grands voyageurs40 –, la géographie devait trouver un terrain favorable à son épanouissement41, peut-être aussi en relation avec la grande importance qu’on accordait désormais aux traditions locales42. L’expérience n’avait pour effet que d’augmenter la curiosité de ces rhéteurs, qui pouvait être satisfaite uniquement par la littérature. On ne saurait du reste regretter le caractère livresque de ce savoir, car il ouvre la voie à la géographie grecque tardo-antique43 et notamment à Marcien d’Héraclée, qui se veut lui-même lecteur et éditeur de textes anciens plutôt que géographe, et auquel on doit une bonne partie du patrimoine littéraire à caractère géographique, qu’on peut lire encore aujourd’hui.
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37. Il en va apparemment de même pour Appien (Gómez Espelosín 1993, p. 404-405 ; 1999-2000). 38. Sur la formation culturelle du public des sophistes, voir Schmitz 1997, p. 160-196 ; Korenjak 2000, p. 52-65. 39. À plusieurs reprises, Aristide souligne dans ses œuvres la sécurité dont on pouvait désormais jouir en voyageant par mer (Aux Rhodiens sur la concorde [XXIV = XLIV D.], 31 ; À Rome [XXVI = XIV D.], 100 ; Discours égyptien [XXXVI], 91). 40. L’étude de Christian Fron (2014) sur Aristide va dans cette direction. La contribution de Galli 2005 est riche de suggestions à ce propos, même si elle est faite dans une perspective différente de la nôtre. 41. Van Paassen 1957, p. 21 : « Geographical science has in fact a phenomenological basis; that is to say, it derives from a geographical consciousness. On the one hand, the geographer develops this consciousness and makes society more aware of geography, but on the other hand the rise of geographical science is dependent upon the existence of a pre-scientific and natural geographical consciousness. […] The development of the Roman Empire could not but stimulate geographical consciousness; one might even say that both developments had to go hand in hand ». 42. Sur leur rôle dans la seconde sophistique, voir Schmitz 1999 (Schmitz 1997, p. 181-193) ; Ménandre, Rhét., II, 382, ll. 24-25 pour l’usage des traditions locales dans la rhétorique aussi (epibaterioi logoi : Pernot 1993, p. 95). 43. Voir désormais Gautier Dalché 2014.
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1957 The Classical Tradition of Geography, Groningen.
Veyne (P.) 1983 Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Paris.
Appien et la géographie Philippe Torrens Abstract Some different elements may induce to think that Appian gives geography a special attention: he begins the Preface of his Roman History with a review of all the provinces composing the Roman empire and, above all, he organizes from a geographical point of view the major part of his work, focusing each book on one of the territories successively conquered by the Romans. However, his general interest for geography is rather limited: he makes many errors and confusions in the detail of the narrative and, even more important, he gives geographical data, which are so important for understanding the difficulties of a conquest, a very little relevance: comparing his evocation of Spain with those of Polybius or Strabo shows clearly how different their conceptions are. Appian only uses geography as on original mode of presenting his narrative, easier for the reader; precise elements of landscape allow him to color and enhance some episodes. So his use of geography, rather literary, is not really relevant for his analysis and interpretation of historical events. Résumé Divers éléments incitent à penser qu’Appien porte un intérêt particulier à la géographie : il commence la Préface de son Histoire romaine par une énumération ordonnée de toutes les provinces composant l’Empire et, surtout, il organise géographiquement la plus grande partie de son exposé, centrant la plupart de ses livres sur l’une des provinces successivement conquises par les Romains. Toutefois l’intérêt qu’il porte globalement à la géographie n’est que superficiel. Outre les nombreuses erreurs de détail qu’il commet, il n’accorde aux données géographiques, pourtant si importantes pour comprendre militairement les difficultés d’une conquête, qu’une attention très limitée : la comparaison de son traitement géographique de l’Espagne avec ceux de Polybe et de Strabon éclaire bien la différence entre leurs conceptions respectives. Appien se sert seulement de la géographie pour organiser son propos de façon plus originale et plus claire pour le lecteur, ainsi que pour conférer plus de relief à certains épisodes de son récit. La géographie relève chez lui d’un usage littéraire et elle est peu opérante dans ses analyses et ses interprétations des événements historiques.
La relation entre Appien et la géographie présente quelque chose de mystérieux et de paradoxal : d’une part, la construction de son Histoire romaine et le soin qu’il prend à décrire certains sites amènent à penser que cet historien accorde à la géographie une place privilégiée ; de l’autre, il est depuis longtemps connu pour ses inexactitudes géographiques, au point qu’un spécialiste de la géographie antique, Pietro Janni,
Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 121-134
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a pu le définir comme « ignorantissimo di geografia »1. Comment comprendre la coexistence de l’intérêt apparent que manifeste Appien pour les données géographiques et les négligences parfois importantes qu’il commet dans ce domaine2 ? Rappelons que cet historien a structuré de façon très particulière son Histoire romaine, selon un principe unique dans l’Antiquité : rompant avec la tradition annalistique, qui suivait le plus possible l’ordre chronologique, il a organisé son exposé selon les territoires successivement conquis par Rome (Italie, Grèce, Macédoine, Syrie, Ibérie, Afrique, Gaule, Illyrie). C. Nicolet a judicieusement souligné l’originalité de cette procédure : le plan général tout à fait remarquable de l’œuvre d’Appien : raconter “les guerres des Romains” dans un ordre “ethnographique”, c’est-à-dire à la fois géographique et (en partie) chronologique, qui décrit, en fait, la conquête du monde3.
En outre, Appien commence la Préface de son Histoire romaine par un panorama géographique complet de l’Empire romain. Vers la fin de sa Préface, il annonce le projet d’un vingt-cinquième livre qui devrait conclure tout l’ouvrage (Préf. 15) et où, à propos des Romains, « il montrera l’étendue de leurs forces militaires, les revenus qu’ils perçoivent de chaque province, ce qu’ils dépensent pour leurs flottes, et toutes choses de ce genre »4, autrement dit un « bréviaire de l’Empire » tel qu’il se présente à son époque. Or, d’après C. Nicolet, ce projet présente « une coïncidence presque parfaite avec ce que nous savons du Breuiarium d’Auguste »5, ce premier empereur qui, précisément, portait un intérêt majeur à la géographie6. Enfin, le lecteur est frappé par la précision avec laquelle Appien évoque certains lieux, leur accordant plus de place dans son récit que la plupart des autres historiens : sites de la bataille 1. Janni 1984, p. 114, à propos de Ib., 1, 2, « quando scrive assurdamente che dall’Iberia alla Britannia si va in mezza giornata di navigazione ». Il est toutefois possible d’interpréter le texte autrement : τὸν δ᾿ ἑσπέριον καὶ τὸν βόρειον ὠκεανὸν οὐ περῶσιν, ὅτι μὴ πορθμεύεσθαι μόνον ἐπὶ Βρεττανούς, καὶ τοῦτο ταῖς ἀμπώτεσι τοῦ πελάγους συμφερόμενοι, « On ne franchit pas l’Océan de l’ouest et du nord, sauf à emprunter un détroit qui ne mène qu’en Bretagne, et cela en se laissant porter par la marée » (traduction personnelle). Appien dit en fait que l’Océan est infranchissable, sauf pour se rendre en Bretagne, de Boulogne à Douvres, à partir du nord de la Gaule. Sa formulation est imprécise et opère un raccourci excessif, sans être totalement erronée. 2. Les erreurs géographiques d’Appien ont aussi été soulignées par Schwartz 1896, col. 235, et Richardson 2000, p. 6, énumère toutes celles qu’Appien commet dans le Livre Ibérique, parmi lesquelles la confusion entre Carthagène et Sagonte (appelée de façon erronée « Zacynthai » à cause de la ressemblance entre les deux toponymes et dont la fondation est attribuée pour cela à des colons grecs...), la situation de Sagonte au nord de l’Èbre, l’Èbre lui-même présenté comme se jetant dans l’océan de l’ouest ; à quoi s’ajoutent, dans d’autres livres, la confusion (BC, III, 73, 300) entre une rivière passant près de Modène (Secchia ou Panaro) et celle qui constitue la frontière entre l’Italie et la Gaule Cisalpine (le Rubicon), l’épisode où Octavien (BC, III, 42, 174), après son passage à Rome à l’automne 44, se rendrait à Ravenne alors qu’Antoine arrive avec plusieurs légions à Ariminum. 3. Nicolet 1988, p. 199. 4. Préf., 15, 61 : ἡ δὲ τελευταία καὶ τὴν στρατιὰν αὐτῶν ὅσην ἔχουσιν, ἢ πρόσοδον ἣν καρποῦνται καθ᾿ ἕκαστον ἔθνος, ἢ εἴ τι προσαναλίσκουσιν ἐς τὰς ἐπινείους φρουράς, ὅσα τε τοιουτότροπα ἄλλα, ἐπιδείξει (trad. Nicolet 1988, p. 199). 5. Nicolet 1988, p. 199. 6. Nicolet 1988, p. 181-199.
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de Forum Gallorum (BC, III, 66, 272-67, 276), de Carthage (Lib., 95-96), de la bataille de Philippes (BC, IV, 105-106), ou encore les montagnes au nord-est de Philippes (BC, IV, 103). De tous ces éléments où une importance particulière semble accordée aux lieux, peut-on déduire qu’Appien, malgré certaines bévues, porte une attention privilégiée à la géographie, en particulier telle que la conçoit et la formalise Strabon : une science déterminée par la perspective politico-militaire d’un conquérant et d’un administrateur qui, pour agir efficacement, doit bien connaître les dimensions et la situation d’un pays, son climat et sa nature, c’est-à-dire les hommes et les animaux qui l’habitent, sa végétation, les productions de sa terre et de ses mers7. L’Histoire romaine d’Appien développe-t-elle effectivement ces points ? Pour le déterminer, nous examinerons d’abord sa Préface programmatique, puis la façon dont l’auteur procède dans le détail de son récit, en nous appuyant plus spécialement sur le Livre Ibérique, parce que nous pouvons comparer son traitement géographique de l’Ibérie avec ceux de Strabon et de Polybe. Enfin nous chercherons à définir les critères de sélection d’Appien quand il présente un site de façon assez développée. Dès la Préface, Appien adopte le point de vue du conquérant romain : il commence par dérouler un catalogue des pays constituant l’Empire romain8. Il suit tout d’abord, par la mer, les contours de cet Empire (Préf. 1-3), puis il reprend ce tour en suivant, cette fois beaucoup plus rapidement, ses limites à l’intérieur des terres (Préf. 4) et en ajoutant, pour terminer, les îles (Préf. 5). Ce catalogue est exhaustif, mais il se contente de mentionner, sans presque jamais les caractériser, les pays ou les peuples. Les précisions de dimensions sont rares et vagues (« grand »9, « le plus long »10 « l’île de Bretagne qui est plus grande qu’un grand continent »11). Il expose ensuite son projet de confronter les qualités des Romains à celles des peuples qu’ils ont combattus pour les conquérir : « J’ai voulu examiner à fond leur valeur face à chaque peuple12 » ; mais, dans les histoires annalistiques qu’il lisait, le récit passait souvent de Carthage chez les Ibères, et de chez les Ibères en Sicile ou en Macédoine ou encore à des ambassades ou à des alliances intervenues avec d’autres peuples, puis il revenait à Carthage ou à la Sicile, comme s’il errait, et de nouveau,
7. Ce qui compte avant tout est de préciser « les formes, les dimensions, les distances, les climats », d’indiquer « le degré de chaleur ou de froid, en un mot les conditions atmosphériques » (I, 1, 13 C7). À cela il convient d’ajouter, conseille Strabon, « l’information sur ce qui vit sur terre, êtres animés, plantes, et de manière générale tout ce que produisent d’utile ou de nuisible la terre et la mer » (I, 1, 16 C8). La géographie ainsi conçue est « essentiellement orientée vers les besoins de la vie politique » ; elle est destinée aux chefs de guerre et aux gouvernants pour lesquels il serait « plus facile de prendre en mains un pays si l’on connaissait ses dimensions, sa situation relative, les particularités originales de son climat et de sa nature » (I, 1, 18 C11) – trad. Aujac 1969. 8. Préf., 1, 1 : Τὴν Ῥωμαïκὴν ἱστορίαν ἀρχόμενος συγγράφειν, ἀναγκαῖον ἡγησάμην προτάξαι τοὺς ὅρους ὅσων ἐθνῶν ἄρχουσι Ῥωμαῖοι, « En commençant d’écrire cette Histoire romaine, j’ai jugé nécessaire d’établir les limites de tous les peuples que gouvernent les Romains ». Toutes les traductions de la Préface sont nôtres. 9. À propos de l’Asie Mineure (Préf., 2, 6) : ἡ μεγάλη χερρόνησος. 10. À propos de l’Italie (Préf., 3, 10) : αὐτή τε Ἰταλία μακροτάτη δὴ πάντων ἐθνῶν οὖσα... 11. Préf., 5, 18 : εἰς τὴν Βρετττανίδα νῆσον περάσαντες, ἠπείρου μεγάλης μείζονα... 12. Préf., 12, 46 : τὴν ἀρετὴν αὐτῶν ἐντελῆ καθ᾿ἕκαστον ἔθνος ἰδεῖν ἐθέλοντα...
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alors que ces affaires étaient encore en cours, il changeait de place. J’ai donc fini par rassembler ces morceaux pour moi-même, [regroupant] toutes les fois où ils (sc. les Romains) étaient partis faire campagne en Sicile ou avaient envoyé là des ambassades ou effectué toute action concernant la Sicile, jusqu’au moment où ils y ont établi l’ordre actuel (...). J’ai pensé que d’autres aussi désireraient connaître de cette manière l’histoire des Romains et j’écris donc un récit peuple par peuple13.
On le voit, la préoccupation d’Appien n’a rien de spécifiquement géographique, les « peuples » envisagés constituent essentiellement des terrains d’opérations et Appien n’annonce nullement qu’il va s’intéresser à la façon dont les Romains ont dû affronter des climats, des reliefs ou des nourritures particulières ; il s’intéresse en revanche aux caractères (réduits toutefois à « faiblesse et endurance »14) que les peuples ont manifestés face aux conquérants romains. La raison essentielle de cette nouvelle façon d’organiser la matière historique est donc une certaine clarté de l’exposé, et non une focalisation nouvelle du récit15. D’ailleurs, tous les livres de l’Histoire romaine n’ont pas des titres territoriaux : le Livre d’Hannibal ou le Livre de Mithridate sont centrés sur les opérations menées contre ces deux généraux ennemis des Romains ; le Livre Royal (dont seuls des fragments sont conservés) et les cinq livres des Guerres civiles sont centrés autour de périodes de l’histoire romaine. Qu’en est-il de l’intérêt pour les peuples conquis ? Martin Hose16 discerne chez Appien et chez Florus une tendance commune à valoriser ces peuples, leur courage dans leur combat contre une Rome employant souvent des méthodes discutables (brutalité, tromperie, manquement à la parole donnée17), et il y voit le reflet d’un temps, le milieu du iie siècle après J.-C., où les provinces, de plus en plus intégrées à l’Empire, comprennent un nombre croissant de citoyens romains, tendance que confirma le fameux édit de Caracalla en 212 : « La conception des nationes ne signifie pas seulement un renforcement de la conscience que les provinciaux ont d’euxmêmes, elle implique aussi que ceux-ci se voient reconnaître une signification autonome, une dignité propre et des droits définis. Appien reflète les deux : d’un côté, 13. Préf., 12-13 : ἀπέφερεν ἡ γραφὴ πολλάκις ἀπὸ Καρχηδόνος ἐπὶ Ἴβηρας καὶ ἐξ Ἰβήρων ἐπὶ Σικελίαν ἢ Μακεδονίαν ἢ ἐπὶ πρεσβείας ἢ συμμαχίας ἐς ἄλλα ἔθνη γενομένας, εἴθ᾿ αὖθις ἐς Καρχηδόνα ἀνῆγεν ὥσπερ ἀλώμενον, καὶ πάλιν ἐκ τούτων ἀτελῶν ἔτι ὄντων μετέφερεν, ἕως οὗ τὰ μέρη συνήγαγον ἐμαυτῷ, ὁσάκις ἐς Σικελίαν ἐστράτευσαν ἢ ἐπρέσβευσαν ἢ ὁτιοῦν ἔπραξαν ἐς Σικελίαν μέχρι κατεστήσαντο αὐτὴν ἐς τὸν κόσμον τὸν παρόντα [...]. Νομίσας δ᾿ἄν τινα καὶ ἄλλον οὕτως ἐθελῆσαι μαθεῖν τὰ Ῥωμαίων, συγγράφω κατ᾿ἔθνος ἕκαστον. 14. Préf., 12, 48 : τὴν τῶν ἐθνῶν ἀσθένειαν ἢ εὐτυχίαν... 15. Bucher 2005, p. 62-63, reproche à Appien une tendance générale à la simplification, tant dans le récit d’une bataille comme Pharsale que dans le plan de l’Histoire romaine selon les peuples conquis. 16. Hose 1974, p. 249 : « Die “nationes”-Konzeption bedeutet nicht nur eine Stärkung provinzialen Selbstbewußtseins, sie impliziert auch, daß den Provinzialen eine eigenständige Bedeutung, eine eigene Würde und bestimmte Rechte zugebilligt sind. Appian spiegelt beides wider, einerseits in seiner nach Regionen bestimmten Disposition, die die römische Geschichte zu einer Geschichte von Regionen, die Teile des Imperium Romanum werden, macht, andererseits durch die deutlichen Hinweise auf die Verletzung von Recht und Verträgen gegenüber Völkern und Städten, mit denen deren Würde implizit herausgestellt wird ». 17. Les exemples en sont particulièrement nombreux dans le Livre Ibérique.
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dans sa structuration définie selon les régions, qui transforme l’histoire “romaine” en une histoire des régions qui deviennent des parties de l’Imperium Romanum, de l’autre, à travers les allusions précises à la violation du droit et des traités à l’égard des peuples et des cités, par lesquelles la dignité de ceux-ci est implicitement mise en valeur ». Il faut toutefois remarquer que chez Appien cette valorisation est essentiellement limitée aux qualités militaires des peuples conquis, dont il souligne le courage et parfois la loyauté. Il ne précise que peu de choses concernant leurs coutumes, leurs croyances et cultes, leurs savoirs ou leur mode de vie, domaine où il se montre beaucoup moins curieux qu’un Diodore de Sicile18. Le projet de « bréviaire de l’Empire » développerait-il une problématique plus géographique ? Dans ce qu’il nous en dit, Appien, une fois de plus, met l’accent sur les aspects militaires (armées, dépenses pour les flottes) et les ressources que Rome tire de ses provinces : autrement dit, sa perspective est romanocentrée et impérialiste. Appien ne manifeste en réalité aucun intérêt particulier pour les mondes que l’extension de l’Empire permet de connaître, aussi bien du point de vue naturel que du point de vue humain. Appien développe donc, comme Strabon, une perspective militaro-politique, il a comme lui en tête la conquête et l’administration unifiée d’un immense Empire, mais là s’arrêtent les points communs, si du moins l’on s’en tient à l’exposé du programme. L’évocation des territoires, qui se présente souvent comme relativement développée, répond-elle mieux aux critères définis par Strabon ? Nous examinerons cela d’abord en comparant la présentation générale qu’Appien et Strabon offrent d’un territoire, puis en examinant l’évocation des lieux par Appien dans le détail de son récit. Nous nous appuierons sur l’exemple de l’Ibérie telle qu’Appien l’évoque dans son Livre Ibérique et Strabon au début du livre III de sa Géographie. Appien, dans sa présentation de l’Ibérie19, commence par définir sa situation relative par rapport à la Gaule et précise les frontières du territoire (Pyrénées, mer Tyrrhénienne, océan Septentrional), qui est entouré sur trois côtés par la mer, puis il évoque les peuples qui l’habitent : Ibères et Celtibères. Il effectue un rapide tour du pays par la mer, précisant que, depuis ces côtes, il est impossible de traverser l’océan. Il précise ensuite les dimensions de l’Ibérie qui forme un carré de 10 000 stades (1 800 km) de côté ; elle comporte de très nombreux peuples et possède beaucoup de fleuves navigables. Examinant ses habitants, il n’aborde pas la question de leurs origines, « dont [dit-il] je n’ai guère le goût de me soucier, puisque j’écris seulement l’histoire des Romains »20 et il se contente de mentionner, aux côtés des Ibères originels, des Celtes venus en Ibérie (Celtibères), des Phéniciens et des Grecs (à Tartessos). Il s’attarde un peu sur le culte phénicien rendu au temple d’Héraclès situé aux Colonnes. Il conclut rapidement sa présentation en définissant l’Ibérie comme un « territoire plantureux et regorgeant de richesses »21 qui ont suscité les convoitises des Carthaginois, puis celles des Romains. 18. Voir par exemple ce que Diodore rapporte (V, 33-38) des coutumes ibériques. 19. Ib., 1-3, 1-9. 20. Ib., 2, 5, trad. Goukowsky 1997 : οὐ πάνυ μοι ταῦτα φροντίζειν ἀρέσκει, μόνα τὰ Ῥωμαίων συγγράφοντι. Toutes les traductions du Livre Ibérique qui suivront sont dues à P. Goukowsky. 21. Ib., 3, 9 : τὴν δὲ γῆν τήνδε εὐδαίμονα οὖσαν καὶ μεγάλων ἀγαθῶν γέμουσαν.
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Strabon (III, 1-3) présente l’Ibérie comme un territoire inhospitalier où prédominent surtout les montagnes, les forêts et des plaines peu fertiles et mal irriguées ; le Nord est isolé, parce que rocailleux et froid, le Sud est presque entièrement fertile. Ensuite, Strabon passe à la forme et aux dimensions de l’ensemble : l’Ibérie ressemble à une « peau de bœuf déployée »22 ouest-est sur 6 000 stades de long (1 100 km) sur une largeur entre 5 000 (= 940 km) et 3 000 stades (= 540 km) ; les Pyrénées, qui en forment le bord oriental, sont orientées nord-sud et séparent la Gaule de l’Ibérie. Puis Strabon compare les golfes Celtique et Ibérique. Les limites du pays vont, au sud, des Pyrénées aux Colonnes d’Hercule, puis, à l’ouest, du sud au nord, des colonnes d’Hercule au cap Nerium (cap Finisterre), d’où la côte nord, d’ouest en est, rejoint les Pyrénées. Puis Strabon entame la description détaillée, en commençant par le Promontoire Sacré (cap Sao Vicente), parce qu’il constituerait le point le plus à l’ouest de toute la Terre (III, 4). Cette comparaison montre que les deux auteurs commettent les mêmes erreurs sur l’orientation des Pyrénées, définie comme nord-sud ; les dimensions selon Strabon sont beaucoup plus réduites, ce qui, selon Richardson23, est plus proche de la réalité (d’est en ouest, 920 km ; du nord au sud, 1 170 km). Appien ne fournit aucune indication climatique, il donne de brèves informations sur les fleuves24, mais elles s’appliquent mieux à ceux de la côte atlantique qu’à ceux de la côte méditerranéenne. Ni Strabon ni Appien ne fournissent d’indications sur les reliefs autres que les Pyrénées (Diodore, V, 35, 2, partage l’erreur d’Appien en les considérants comme les plus hautes montagnes d’Europe). Concernant la possibilité de passer en Bretagne, les deux auteurs commettent une erreur caractéristique de leur temps – et partagée par César, Pline et Tacite – en estimant la côte atlantique de l’Ibérie comme assez proche de la côte britannique. Appien omet par ailleurs des éléments importants par lesquels Strabon commence : reliefs ingrats et « inhospitalité » générale du territoire. Dans une présentation à peu près aussi brève, on constate que Strabon fournit une image beaucoup plus juste du territoire et que, dès ce stade, il fournit aussi plus de repères géographiques précis. Comment Appien présente-t-il l’Ibérie au fil du récit ? Là aussi, le lecteur remarque de graves lacunes : presque rien sur la végétation25, peu de notations climatiques26, au point que tout semble se dérouler dans un temps indifférencié, presque sans saisons ; concernant l’économie, l’exposé d’Appien est écartelé entre diverses notations soulignant la richesse de certaines villes27, et d’autres évoquant la pauvreté agricole, dont il remarque à plusieurs reprises qu’elle favorise le brigandage28. Les « fleuves 22. 23. 24. 25. 26.
Trad. Lasserre 1969 [2012] : ἔοικε γὰρ βύρσῃ τεταμένῃ. Richardson 2000, p. 108, n. 4. Ib., 1, 4 : ποταμοὶ πολλοὶ ῥέουσι ναυσίποροι (beaucoup de fleuves navigables y coulent). Ib., 64, 271 mentionne une « montagne plantée d’oliviers ». Ib., 47, 197 : une armée romaine est aux prises avec un froid glacial et une disette dans une région montagneuse du centre ; 67, 287 : Viriathe profite des heures les plus chaudes de la journée pour lancer des attaques contre les Romains ; 58, 244 et 59, 247 : des troupes romaines prennent leurs quartiers d’hiver. 27. Ib., 3, 9 cité n. 21. Sagonte (12, 44) possède or et argent. Carthagène est « une ville pourvue de mines d’argent, d’un territoire prospère ainsi que d’abondantes richesses » (19, 75), une « ville riche et puissante » (23, 88). 28. Ib., 42, 171-172 : « beaucoup d’Ibères, manquant de terres, se révoltèrent contre Rome » (πολλοὶ τῶν Ἰβήρων γῆς ἀποροῦντες ἀπέστησαν ἀπὸ Ῥωμαίων... et plus loin il est question
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navigables » mentionnés au départ ne reparaissent que dans une allusion (91, 398) à un « fleuve large et impétueux » près de Numance (le Duero, près de sa source) et en 71, 301 où il mentione quatre « fleuves navigables » : le Tage, le Léthès (Limia), le Duero et le Baïnis (Minho). Concernant les reliefs, Appien se limite à de rares indications de lieux escarpés ou difficiles, de terrains montagneux, de ravins et de marais29. En matière d’ethnographie, lui qui, au départ, a mentionné les principaux peuples, reprend ensuite souvent les termes Ibères et Celtibères, sans toujours opérer une distinction nette entre eux, le terme Ibères étant employé pour désigner tous les habitants de la péninsule ; mais il mentionne seize peuples précis en les rattachant parfois à l’une ou l’autre des deux grandes ethnies30. Par ailleurs, l’historien insiste sur certains caractères : « une race courageuse et virile », fait-il dire au Numantin Avaros (95, 413), ce qui est souvent illustré par le récit31 qui souligne le courage notable des femmes32, l’indifférence aux richesses marquée par les populations ibériques33 et l’absence de corruption – le seul exemple est fourni par les assassins de Viriathe34. Militairement, ces peuples pratiquent beaucoup l’embuscade35, et ils possèdent des chevaux légers et rapides36. En conclusion, l’image offerte de l’Ibérie se révèle très approximative. Conformément à son programme, Appien met bien en valeur le courage particulier des populations. Mais le récit des combats successifs se déroule dans un décor d’une étonnante neutralité. Appien n’avait pas de connaissance directe de l’Ibérie, mais il n’a pas compensé cela en se documentant soigneusement. Il s’est pourtant, dit-on, inspiré
de ὅσοι δὲ μάλιστα γῆς ἠπόρουν...). Voir également 43, 179 : [Tib. Gracchus] τοὺς δὲ ἀπόρους συνῴκιζε καὶ γῆν αὐτοῖς διεμέτρει... ; 54, 230 : ἡγούμενος ὅλην Ἰβηρίαν πολύχρυσον εἶναι καὶ πολυάργυρον ἐπολέμει, οὐκ ἔλαβεν · οὐ γὰρ εἶχον... ; 59, 250 (traîtreusement, Galba feint de reconnaître que la pauvreté a poussé les Lusitaniens au brigandage) : τὸ γὰρ λυπρόγαιον, ἔφη, καὶ πενιχρὸν ὑμᾶς ἐς λῃστείαν ἄγει. Nouvelle allusion en 75, 321 et 100, 434. 29. Ib., 52, 220-221 ; 61, 257 ; 69, 293 : lieux escarpés ou difficiles ; 88, 381 : « en terrain montagneux à l’abri des crêtes » ; 88, 324 : « cours d’eau difficile à franchir et envasé » ; 89, 388 : « un marécage bourbeux... un ravin ». 30. Ibères : 1, 1 ; 3, 11 ; 5, 17-21 ; 9, 35 ; 57, 1 ; 17, 64 ; 23, 90 ; 25.96 ; 31, 120 ; 39, 158 ; 41, 167 ; 42, 171 ; 43, 176 ; 43, 179 ; 56, 234. Celtibères : 1, 1 ; 2, 5 ; 3, 11 ; 24, 94 ; 28, 111 ; 31, 120 ; 31, 125 ; 43, 175 ; 44, 180 & 183 ; 46, 190 & 193 ; 47, 195-196 ; 49, 208 ; 50, 211-212 ; 55, 231 ; 100, 433 & 436. Ilergètes : 24, 94. Torbolètes : 10, 36-38 ; Lusoniens : 42, 171 ; 79, 345. Belloi : 44, 180 & 183 ; 50, 214 ; 51, 215 ; 48, 204 ; 63, 268 ; 66, 279. Titthoi : 44, 181 ; 48, 204 ; 50, 214 ; 51, 215 ; 63, 268 ; 66, 279. Arévaques : 45, 184 ; 46, 188 ; 48, 204 ; 50, 213-214 ; 51, 215 ; 66, 279 ; 94, 408-409 ; 99, 431. Vaccæens : 51, 215 ; 55, 233 ; 59, 247 ; 76, 322 ; 80, 346 & 349 ; 81, 351-352 ; 87, 380. Carpétaniens : 51, 216. Turdétaniens : 55, 232. Lusitaniens : 56, 234 ; 57, 239 ; 58, 243-244 ; 59, 247 ; 60, 254 ; 61, 257 ; 100, 433. Counéens : 57, 239 ; 58, 246 ; 68, 289. Vettons : 58, 243 ; 70, 300. Bastitaniens : 66, 281. Callaïques : 70, 300. Bracares : 72, 305. Cantabres : 80, 346. 31. Suicide collectif de cités entières avec femmes et enfants : Sagonte (Ib., 12, 45-46) ; Astapa (33, 132-136) ; courage des femmes de Lusitanie (71, 303), des Bracares et de leurs femmes (72, 305-306), d’Indibilis (37, 148) et plus encore de Viriathe (61-74) dont Appien souligne aussi la loyauté et la générosité (69, 294). 32. Ib., 71, 303 ; 72, 305-306. 33. Ib., 54, 230. 34. Ib., 74, 311-313. 35. Ib., 47, 195 ; 48, 198 & 201 ; 51, 216 ; 63, 266 ; 68, 289 ; 78, 337 ; 88, 384 ; 89, 388. 36. Ib., 62, 262-263 ; 67, 287.
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de Polybe, mais il n’a pas retenu de son prédécesseur le souci de présenter globalement avec précision le site d’une bataille, comme l’illustre l’exemple du siège de Carthagène (209 avant J.-C.). Polybe (X, 8), à cette occasion, montre clairement quel rôle la réflexion géographique joue dans les prises de décision d’un grand capitaine, Scipion l’Africain : celui-ci s’informe sur les ressources que Carthagène renferme, l’importance stratégique de la ville pour les ennemis, les facilités qu’il pourrait avoir de s’en emparer. Puis il étudie soigneusement le site lui-même pour déterminer comment il y conduira les opérations. Il connaît à l’avance le phénomène de la marée et se prépare à l’exploiter. Appien, lui, se contente d’une présentation minimale des avantages du site37, qu’il évoque ensuite à mesure que le récit des opérations avance : le lecteur a d’abord l’impression qu’un retranchement peut être établi tout autour de la ville38 et qu’il y a seulement un endroit où celle-ci touche à la mer. Or la ville est entourée aux trois quarts par l’eau (mer ou lagune) et le siège terrestre n’a lieu que sur l’isthme... Cette vision est contredite par la précision qui vient ensuite : Scipion a « posté des navires devant les ports de la ville, afin que les vaisseaux ennemis ne lui échappassent point »39. Ensuite, alors que la bataille fait rage et que son issue reste indécise, Scipion découvre soudain le phénomène de la marée, s’enquiert de son déroulement40 et prétend devant ses troupes bénéficier miraculeusement d’une aide divine41, élément essentiel de son charisme. Appien le montre jouant le rôle de l’inspiré divin pour mieux entraîner ses troupes, mais y croyant aussi lui-même42. Il réduit ainsi beaucoup la part de la réflexion rationnelle chez le général et préfère accentuer le côté théâtral et presque miraculeux de son action. D’autre part, l’évocation lacunaire des lieux suggère qu’Appien ne sélectionne dans la topographie que les éléments qui servent directement à son récit : il n’a retenu que les combats au pied des remparts (sur l’isthme, qu’il ne mentionne pas) et ceux, décisifs, qui ont eu lieu sur le point faible des défenses, du côté de la lagune. Un tel principe se vérifie-t-il ailleurs ? Un bon indice en est fourni par son traitement de la bataille de Philippes (BC, IV, 105-131), quand on le compare à ceux de Dion Cassius (47, 35-49)43 et, avant lui, de Plutarque (Brutus 38-53) : l’élément topographique le plus important est le Symbolon, une barrière montagneuse qui sépare Neapolis (l’actuelle Kavala) de la plaine de Philippes et dont la hauteur varie de 150 à 500 m.
37. Ib., 19, 75. 38. Ib., 20, 76 « Après avoir dès l’aurore entouré la ville d’un retranchement, tandis que les Africains étaient paralysés par la peur, il faisait ses préparatifs pour le lendemain : il avait disposé tout à l’entour des échelles et des machines de guerre, sauf d’un côté où le rempart était certes très peu élevé, mais baigné par une lagune et par la mer ». 39. Ib., 20, 77. 40. Ib., 21, 82 « Scipion vit, vers midi, là où se trouvait le mur bas baigné par la lagune, la mer qui se retirait ». 41. Ib., 21, 83 « La voici maintenant, soldats, l’occasion favorable. Il est maintenant arrivé, le dieu qui combat à mon côté ! Attaquez cette partie du rempart ! La mer s’est retirée devant nous ». 42. Ib., 23, 88 : « Scipion fut envahi par une sublime exaltation et la croyance se renforça que toutes ses actions se conformaient à la volonté divine. Il pensait lui-même ainsi et en faisait courir le bruit... ». 43. Étudié très précisément par Bertrand 2010.
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Il s’agit là d’un site stratégique essentiel dont la maîtrise permet aux républicains de recevoir leur approvisionnement, entreposé dans l’île de Thasos, proche de Néapolis. Dion Cassius commence par là son évocation du site des hostilités : « [Philippes] se situe à la fois à proximité du Pangée et du Symbolon (Symbolon est le nom donné à l’endroit où le Pangée rejoint un autre massif montagneux qui, lui, s’étend dans l’intérieur des terres : il se trouve situé entre les villes de Néapolis et de Philippes, la première des deux étant au bord de la mer, en face de Thasos, tandis que la seconde a été construite à l’intérieur de la zone montagneuse, en surplomb de la plaine) […] Et, comme Saxa et Norbanus tenaient déjà le passage le plus court, à travers le Symbolon, Brutus et Cassius ne tentèrent même pas de l’emprunter, mais contournèrent cette montagne en prenant un chemin plus long (…) Puis, comme ils étaient nettement supérieurs en nombre à leurs adversaires alors présents sur place, ils s’emparèrent du Symbolon après les en avoir délogés, si bien qu’ils pouvaient s’approvisionner soit en acheminant des vivres depuis la mer, soit en faisant des incursions dans la plaine… »44. Plutarque (Brutus 38, 1-2) mentionne également ce massif dans sa présentation des lieux : il montre les républicains « s’avançant vers la mer de Thasos. Là, comme l’armée de Norbanus campait au lieu-dit les Défilés près du mont Symbolon, ils l’encerclèrent, l’obligèrent à partir et à abandonner ses positions »45. Comment expliquer qu’Appien ne mentionne même pas ce dont l’importance militaire n’a pas échappé aux deux auteurs précédents et qu’il présente au contraire une continuité entre le marais et la mer (« au sud s’étend un marais qui précède la mer ») ? Cela vient sans doute de ce que les combats n’ont pas eu lieu sur ce point précis, même si certains détails laissent penser que des combats l’auraient eu pour enjeu (BC, IV, 121, 108 : « quand ils eurent occupé cette hauteur, dix autres légions déplacèrent leur campement de plus de cinq stades en direction de la mer ; deux autres s’avancèrent encore quatre stades plus loin pour, de la sorte, atteindre la mer et, en s’installant sur le bord même de la mer ou dans les marais ou en imaginant n’importe quel autre moyen, couper par la force les ennemis de leur ravitaillement »). Appien ne semble pas avoir bien compris comment la géographie des lieux rendait cet objectif à la fois essentiel et difficile à atteindre pour les troupes triumvirales. La vision d’Appien se confirme ici aussi comme rétrospective : comme le Symbolon n’a pas été le lieu de combats – parce que la position était trop difficile à prendre et que les triumvirs n’ont même pas essayé de s’en emparer, ou parce que la bataille essentielle s’est vite concentrée vers l’intérieur et le camp de Brutus – Appien l’ignore, comme il a ignoré 44. 47, 35, 3 à 36, 1 (avec coupes), trad. Bertrand et Fromentin 2014 : Τὸ δὲ δὴ ἄστυ τοῦτο παρά τε τῷ Παγγαίῳ καὶ παρὰ τῷ Συμβόλῳ κεῖται· Σύμβολον γὰρ τὸ χωρίον ὀνομάζουσι καθ’ ὃ τὸ ὄρος ἐκεῖνο ἑτέρῳ τινὶ ἐς μεσόγειαν ἀνατείνοντι συμβάλλει, καὶ ἔστι μεταξὺ Νέας πόλεως καὶ τῶν Φιλίππων· ἡ μὲν γὰρ πρὸς τῇ θαλάσσῃ κατ’ ἀντιπέρας Θάσου ἦν, ἡ δὲ ἐντὸς τῶν ὀρῶν ἐπὶ τῷ πεδίῳ πεπόλισται. Καὶ – ἔτυχον γὰρ τὴν συντομωτάτην αὐτοῦ ὑπερβολὴν ὅ τε Σάξας καὶ ὁ Νωρβανὸς προκαταλαβόντες – ταύτῃ μὲν ὁ Βροῦτος ὅ τε Κάσσιος οὐδὲ ἐπείρασαν διαβῆναι, ἑτέραν δέ τινα μακροτέραν (…) περιελθόντες (…). Ἦσαν δὲ πολὺ τῷ πλήθει τῶν ἐναντίων τῶν τότε παρόντων καθυπέρτεροι, καὶ διὰ τοῦτο τό τε Σύμβολον ἐκκρούσαντες αὐτοὺς κατέλαβον, καὶ τὰ ἐπιτήδεια ταύτῃ τε δι’ ἐλάττονος ἐκ τῆς θαλάσσης ἐπήγοντο καὶ ἐκ τοῦ πεδίου καταθέοντες ἐλάμβανον. 45. Trad. Ozanam 2001 : ...μέχρι τῆς κατὰ Θάσον θαλάσσης προῆλθον.Ἐκεῖ δὲ τῶν περὶ Νωρβανὸν ἐν τοῖς Στενοῖς λεγομένοις καὶ περὶ τὸ Σύμβολον στρατοπεδευόντων, περιελθόντες αὐτοὺς ἠνάγκασαν ἀποστῆναι καὶ προέσθαι τὰ χωρία.
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l’environnement maritime de Carthagène et son isthme. Son premier critère de sélection est de ne retenir que les éléments utiles pour comprendre le récit des combats qui ont eu lieu, ce qui est se limiter à une vision a posteriori et non présenter une vision tactique globale des lieux : la pratique n’est pas nouvelle et on la trouve déjà chez Tite-Live46. Les sélections qu’Appien opère dans les éléments géographiques semblent par ailleurs obéir à une réelle préoccupation littéraire. Conciliant les traditions de l’histoire « pragmatique » (qui se concentre sur les rapports de force et les stratégies politiques et militaires) et de l’histoire « tragique », Appien affectionne les tableaux spectaculaires et pathétiques comme la reddition des Numantins (Ib. 96-97), le désespoir des Carthaginois quand les Romains leur annoncent leur décision de détruire la ville de Carthage et de la transférer, avec toute sa population, dans l’intérieur du pays (Ib. 92), les derniers moments de cette ville lors de sa prise (Ib. 129-131), la proscription des Triumvirs, qui occupe presque toute la première moitié de BC, IV. Il soigne aussi le récit d’épisodes ridiculisant certains personnages, comme lorsque Cicéron, poursuivi en justice par Clodius, cherche par sa tenue de deuil à apitoyer les passants, mais ne réussit qu’à s’attirer les moqueries des partisans de Clodius (BC, II, 15). Parfois, Appien exploite les particularités de certains décors pour relever ses évocations de combats, qu’il cherche à varier : un bon exemple en est fourni par la bataille de Forum Gallorum en avril 44 (BC, III, 66-67, 273-274) : Comme il ne pouvait pas briller grâce à sa cavalerie, vu que la plaine était trop marécageuse et pleine de fossés, [Antoine] plaça ses deux meilleures légions en embuscade dans les marais, en les cachant dans les roseaux de part et d’autre de la voie, une étroite chaussée artificielle. Carfulenus et Pansa [...] s’étaient engagés à l’aube, avec seulement la légion de Mars et cinq autres cohortes, sur la chaussée artificielle encore libre d’ennemis, et ils scrutaient les marais qui se trouvaient de part et d’autre, quand le mouvement suspect des roseaux éveilla leurs soupçons et déjà, un bouclier quelque part, puis un casque brillait : la cohorte prétorienne d’Antoine apparaissait soudain face à eux47.
Le même épisode est évoqué par Servius Sulpicius Galba, qui a été un de ses acteurs, dans une lettre à Cicéron (Fam. X, 30, 2) : Les cavaliers d’Antoine étant apparus, ni les cohortes prétoriennes ni la légion de Mars ne purent être retenues, nous leur emboitâmes donc le pas [...] quand nous
46. Cordano 1992, remarque que « I cenni geografici di Livio sono solo quelli indispensabili all’esposizione degli avvenimenti [...] Livio, al contrario di Diodoro Siculo e di altri autori direttamente legati alla tradizione greca, non ritiene di dover fare delle introduzioni dedicate eclusivamente al quadro etnogeografico di quei paesi ». 47. BC, III, 66-67, 273-274 (trad. Torrens 2000) : οὐκ ἔχων τοῖς ἱππεῦσιν ἐλλαμπρύνασθαι διὰ τὸ πεδίον ἑλωδέστερον ὂν καὶ τεταφρευμένον, δύο ἐνήδρευσε τέλη τὰ ἄριστα ἐν τῷ ἕλει τῆς ὁδοῦ χειροποιήτου καὶ στενῆς οὔσης, ἑκατέρωθεν, τῷ δόνακι κρύπτων. Καρσουληίου δὲ καὶ Πάνσα [...] ἅμα δ᾿ἡμέρᾳ μόνοις τοῖς Ἀρείοις καὶ πέντε ἄλλαις τάξεσιν ἐς τὴν χειροποίητον ὁδὸ ἐσβαλόντων, ἔτι καθαρεύουσαν πολεμίων, καὶ τὸ ἕλος ἑκατέρωθεν ὂν περισκεπτομένων, ὅ τε δόναξ διακινούμενος ὑποπτεύετο, καὶ ἀσπὶς ἤδη που καὶ κράνος ἐξέλαμπε, καὶ ἡ στρατηγὶς Ἀντωνίου τάξις αὐτοῖς αἰφνίδιον ἐπεφαίνετο ἐκ τοῦ μετώπου.
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eûmes franchi un passage étroit entre des marais et des bois, nous rangeâmes en bataille nos douze cohortes48.
Le récit d’Appien, on le voit, est beaucoup plus riche en notations visuelles précises et en tension dramatique : il adopte le point de vue des deux personnages qui s’avancent avec leur troupe sur la Via Aemilia, et il met en scène une embuscade, là où Galba ne relate même pas un effet de surprise. Frappante est également (BC, IV, 103-104) l’évocation du contournement difficile, par les troupes républicaines, d’un massif montagneux sauvage et sans eau, où il faut construire un chemin, pour arriver à Philippes. On peut aussi comparer la relation par Appien de la terrible défaite subie par Curion et l’armée qu’il a menée en Afrique pour le compte de César (BC, II, 45), avec le récit qu’en donne César lui-même (BC, II, XL, 3) : [Curion] quitte les hauteurs et pousse ses troupes dans la plaine. Lorsqu’il se fut avancé à une certaine distance de ces hauteurs, voyant son armée épuisée de fatigue par une marche de seize milles, il s’arrêta. [Les troupes de Juba encerclent la petite armée. Alors Curion] pensant qu’il restait encore [...] un espoir de salut, commande à ses troupes de gagner toutes ensemble les collines les plus proches, et de marcher dans cette direction. Mais elles sont devancées aussi par la cavalerie envoyée par Saburra, qui s’en empare avant elles. Les nôtres tombent alors dans l’extrême désespoir49.
César réduit les éléments de paysage à des hauteurs et une plaine et n’introduit aucun élément d’atmosphère (chaleur, sécheresse). Voici le récit d’Appien : Curion, dans la chaleur de l’été, vers la troisième heure de la journée, fit marcher le gros de son armée contre Saburra, par un itinéraire sableux et dépourvu d’eau, car tous les ruisseaux qui pouvaient s’y trouver en hiver avaient été asséchés par le feu du soleil. Et le fleuve était occupé par Saburra et le roi, présent en personne. Trompé, par conséquent, dans ses espoirs, Curion se précipita sur les hauteurs, accablé par la fatigue, la chaleur et la soif50.
Cet extrait suffit à montrer le souci qu’eut Appien de suggérer à son lecteur les souffrances des soldats, dans un lieu particulier et dans une atmosphère précise, et l’art avec lequel il accumule les précisions concernant la chaleur, l’aridité du paysage, en réservant pour la fin de la phrase l’apparition fatale de l’armée royale. 48. Beaujeu 1996 : Cum equites Antonii apparuissent, contineri neque legio Martia neque cohortes praetoriae potuerunt ; quas sequi cœpimus coacti [...] postea quam angustias paludis et siluarum transiimus, acies instructa est a nobis XII cohortium. 49. Trad. Fabre 1936 (8e éd. 1972) : copias ex locis superioribus in campum reducit. XLI. Quibus ex locis cum longius esset progressus, confecto iam labore exercitu XVI milium spatio constitit. [...] unam [...] spem reliquam salutis esse arbitratus proximos colles capere uniuersos atque eo signa inferri iubet. Hos quoque praeoccupat missus a Saburra equitatus. Tum uero ad summam desperationem nostri perueniunt. 50. BC, II, 45, 182-184, trad. Combes-Dounous révisée par Torrens 1994 : ὁ Κουρίων θέρους θερμοῦ περὶ τρίτην ὥραν ἡμέρας ἦγε τὸ κράτιστον τῆς στρατιᾶς ἐπὶ τὸν Σαβούρραν, ὁδὸν ψαμμώδη καὶ ἄνυδρον· εἰ γάρ τι καὶ νᾶμα χειμέριον ἦν, ἐξήραντο ὑπὸ τῆς φλογὸς τοῦ ἡλίου, καὶ ὁ ποταμὸς ὑπό τε Σαβούρρα καὶ ὑπ᾿αὐτοῦ παρόντος κατείχετο τοῦ βασίλεως. Σφαλεῖς οὖν τῆς ἐλπίδος ὁ Κουρίων ἐς λόφους ἀνέδραμεν ὑπό τε καμάτου καὶ πνίγους καὶ δίψης ἐνοχλούμενος.
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Son récit manifeste incontestablement plus d’empathie que le rapport de César. De ces exemples, on peut déduire que l’évocation précise des paysages dans le récit d’Appien est moins un élément de compréhension des événements qu’un ornement du récit, une hypotypose, permettant d’individualiser une scène et de lui donner plus de force dramatique. Les précisions géographiques, quand elles sont présentes, contribuent à donner plus d’intensité à un épisode, à faire de lui un tableau qui s’impose à l’imagination et à la mémoire du lecteur. Un tel souci littéraire, qui confère à la narration d’Appien une originalité certaine, est bien éloigné des raisons qui amenaient Polybe à détailler l’évocation géographique des régions ou des sites où se déroulaient de grandes batailles. Appien manifeste en réalité un manque d’intérêt fondamental pour la géographie telle que Polybe et, après lui, Strabon, la concevaient. Et cela peut expliquer bien des erreurs commises dans son œuvre, comme par exemple la confusion entre Carthagène et Sagonte. Appien écrit une histoire factuelle dont les buts ne sont pas toujours clairs et sont appréciés très diversement par les commentateurs modernes : d’après G. S. Bucher51, défense et illustration des bienfaits du Principat, de la part d’un Grec d’Alexandrie, mal à l’aise face à ses compatriotes dans sa situation de notable impérial ? Volonté, selon P. Goukowsky, de « montrer l’ambition sans mesure des hommes et leur terrible amour du pouvoir »52 et d’illustrer par le passé de Rome toutes les raisons que ses contemporains avaient « d’éviter les στάσεις et de pratiquer l’εὐβουλία »53 ? Critique voilée du Principat et de l’impérialisme romain selon I. Hahn54 ? Désir de redonner aux peuples conquis leur dignité au sein d’un Empire qui les a désormais intégrés, selon M. Hose ? En tout cas, les préoccupations géographiques ne semblent pas essentielles, malgré la construction générale de son Histoire romaine et le soin qu’il consacre à l’évocation de certains lieux. Il ne faut certes pas attendre d’Appien, un historien, ce qu’on attendrait d’un géographe comme Strabon, à une époque où histoire et géographie constituent des domaines désormais séparés ; mais par rapport à d’autres historiens, Polybe en premier lieu, il manifeste beaucoup moins d’intérêt pour les données géographiques – et cela parce qu’il ne pense pas en stratège, en homme versé dans l’art militaire, malgré toutes les batailles qu’il raconte et le conflit auquel il a lui-même été mêlé (la révolte juive d’Alexandrie en 115-11755). On peut lui opposer Polybe, mais ses contemporains ou presque contemporains (Plutarque, le Tacite des Histoires et des Annales, Dion Cassius), s’ils sont plus exacts dans les données géographiques qu’ils fournissent, ne leur accordent guère plus d’importance. Prenons l’exemple de Tacite dans le célèbre excursus sur la Judée (Histoires V, 1-8) : après de rapides remarques sur les origines des juifs et certaines de leurs pratiques religieuses, Tacite énonce les limites de leur territoire, caractérise sommairement ses habitants (« corps sain et endurant à la fatigue »56), puis évoque le climat, la végétation (quelques arbres particuliers), puis les lacs, dont la mer 51. 52. 53. 54. 55. 56.
Bucher 2000, p. 445. BC, I, 6, 24, cité par Goukowsky 2010 dans sa notice p. XXXI. Goukowsky 2008, BC, I, Introduction générale, p. LXXIX-LXXX. Hahn, Nemeth 1993, p. 372. Histoire romaine (1962) fr. 19.1. Histoires, V, 6, 1 : corpora hominum salubria et ferentia laborum.
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Morte et les plaines qui la bordent (avec les ruines d’anciennes villes brûlées par la foudre), les fleuves, et les sables mêlés de nitre qui, à l’embouchure du Belius, permettent la fabrication de verre. Il poursuit par les villes et surtout la capitale, Jérusalem, présentée de façon assez détaillée. La description de la zone du Temple sera reprise un peu plus loin, en prélude au récit des combats qui s’y dérouleront. Tacite n’est donc guère plus prolixe qu’Appien sur la géographie physique du pays et il s’attarde sur certains phénomènes sortant de l’ordinaire, mais sans rapport avec la suite de son récit. En revanche, il fournit plus de détails sur les lieux qui auront ensuite une importance militaire. L’image de la Judée fournie par Tacite présente donc bien des points communs avec celle qu’Appien donne de l’Ibérie. Cette relative pauvreté des évocations géographiques est peut-être un trait d’époque – contrastant curieusement avec le progrès qui caractérise alors les connaissances géographiques – plus qu’un défaut particulier d’Appien, qui a, par ailleurs, eu le mérite d’utiliser des éléments de relief, de climat et d’atmosphère (nuit, chaleur, froid, boue, brouillard...) pour conférer plus de vie et d’intensité à ses récits, différencier ainsi certains épisodes, et faire un instant partager à ses lecteurs les émotions des hommes qu’il évoque. Négligent en matière de géographie politique et militaire, Appien se montre en revanche un écrivain original et remarquable quand il s’agit de suggérer à l’imagination du lecteur l’atmosphère particulière d’un moment dramatique grâce à des détails précis concernant l’aspect des lieux et les circonstances spécifiques qui l’entourent.
Bibliographie Sources Appien [1962] Histoire romaine et Préface (Prooimion), éd. P. Viereck et A. G. Roos, add. E. Gabba, Leipzig. [1994] Les Guerres civiles à Rome. Livre II, trad. J.-I. Combes-Dounous, révisée par Ph. Torrens, Paris. [1997] Livre Ibérique, éd. P. Goukowsky (CUF), Paris. [2000] Wars of the Roman in Iberia, éd. J. S. Richardson, Warminster. [2000] Les Guerres civiles à Rome. Livre III, trad. Ph. Torrens, Paris. [2001] Histoire romaine. Livre VIII, le livre africain, éd. P. Goukowsky (CUF), Paris. [2008] Les Guerres civiles à Rome. Livre IV, trad. Ph. Torrens, Paris. [2008] Histoire romaine. Livre XIII, Guerres civiles. Livre I, éd. P. Goukowsky (CUF), Paris. [2010] Histoire romaine. Livre XV, Guerres civiles. Livre III, éd. P. Goukowsky (CUF), Paris. César [1936] Guerre civile (BC), éd. P. Fabre (CUF), Paris. Cicéron [1996] Correspondance, t. XI, éd. J. Beaujeu (CUF), Paris.
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Diodore de Sicile [2015] Bibliothèque historique, livre V, éd. M. Casevitz, A. Jacquemin (CUF), Paris. Dion Cassius [2014] Histoire romaine, livre 47, éd. E. Bertrand et V. Fromentin (CUF), Paris. Plutarque [2001] Vie de Brutus, éd. A. M. Ozanam (CUF), Paris. Strabon [1969] Géographie, livre I, éd. G. Aujac (CUF), Paris. [1969] Géographie, livre III, éd. F. Lasserre (CUF), Paris (3e éd. 2012). Tacite [1921] Histoires V, éd. H. Gœlzer (CUF), Paris. Études Bertrand (E.) 2010 « La bataille de Philippes (42 av. J.-C.) dans l’Histoire romaine de Dion Cassius : un aperçu du travail de l’historien », DHA, suppl. 4/2, p. 329-342. Bucher (G. S.) 2000 « The origin, program and composition of Appian’s Roman History », TAPhA 130, p. 411-458. 2005 « Fictive elements in Appian’s Pharsalus narrative », Phoenix 59/1-2, p. 50-76. Cordano (F.) 1992 La geografia degli antichi, Rome / Bari. Hahn (I.), Nemeth (G.) 1993 « Appian und Rom », ANRW II, 34/1, p. 364-402. Hose (M.) 1974 Erneuerung der Vergangenheit. Die Historiker des Imperium Romanum von Florus bis Cassius Dio, Stuttgart / Leipzig. Janni (P.) 1984 La mappa e il periplo, Rome. Nicolet (C.) 1988 L’inventaire du monde. Géographie et politique aux origines de l’Empire romain, Paris. Schwartz (E.) 1896 s.v. « Appianus » no 2, RE 1896, col. 235.
Histoire d’Athènes, espace égéen et Empire romain : les logiques spatiales d’Aelius Aristide Estelle Oudot
(Université de Bourgogne Franche-Comté, EA 4178 - Centre pluridisciplinaire textes et cultures)
Abstract In his praises of cities, Aelius Aristides observes the rhetorical treatises, which advocate to praise a city through its site and its situation, but the orator deals with these topoi in an original, even paradoxical, way. In the speech To Rome, the Urbs is a “global city”, which eludes the local criteria and makes useless what is depicted about the exploration of the oikoumene both by geography and ethnography. Things go differently with Athens. The Panathenaic Oration defines the city through a symbolic geography: Athens is a center from which Hellenism spreads in concentric rings. These two ways of characterizing a city are, in each speech, closely connected with the use of their history. Moreover, geography, throughout the Panathenaic Oration, must be considered in a contemporary setting, together with the Smyrnaean Orations, the Isthmian Oration and the oration Regarding the Aegean Sea. According to Aristides, Athens somehow gives rise to the Aegean World and organizes it. Together Attica, continental Greece, the islands and Asia Minor form one continent in which the sea plays a central role and where Athens is supposed to have set up colonies, among which Smyrna, both Aristides’ native city and a kind of a second Athens. Aristides obviously wants to celebrate the Aegean world, but without dismissing the presence of Rome. Besides, this vision of space, along with the part granted to Athens in the archaic Ionian settlement, is to be connected with Hadrian’s Panhellenion. Thus in Aristides’work spaces interfere and partially overlap: the oikoumene has several centers, the Greek world itself is polycentric. Finally, for Aristides, Rome and Athens can get along with each other, because the world which they govern does not fall under the same reality. Résumé Dans ses éloges de villes, Aristide suit les traités rhétoriques, qui préconisent de louer la ville pour son site et sa situation, mais il traite ces topoi de façon originale, voire paradoxale. Dans le discours En l’honneur de Rome, l’Urbs est une forme de « ville-monde », qui échappe aux critères de localisation et qui rend vain le discours géographique et ethnographique de découverte de l’oikouménè. Il en va différemment d’Athènes : le Panathénaïque la définit d’abord, en termes de géographie symbolique, comme un centre à partir duquel l’hellénisme rayonne en cercles concentriques. Ces deux modes de définition sont, dans les deux discours, en corrélation étroite avec le traitement de l’histoire. Mais, par ailleurs, la géographie du Panathénaïque est à lire en termes contemporains, en parallèle notamment avec les Discours smyrniotes, le Discours isthmique et le discours En l’honneur de la mer Égée : Athènes génère et organise le monde de l’Égée, faisant de l’Attique, de la Grèce continentale, des îles et de l’Asie Mineure un continent Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 135-164
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unique au milieu duquel la mer circule et où la cité aurait semé des colonies, dont la principale serait Smyrne, ville de l’auteur et sorte de seconde Athènes. On discernera là, de la part d’Aristide, la volonté identitaire de célébrer le monde égéen sans toutefois jamais rejeter la présence de Rome. Cette vision spatiale tout comme le rôle prêté à Athènes dans la colonisation ionienne de l’époque archaïque est à mettre en relation avec le monde du Panhellénion créé par Hadrien. Ainsi les espaces dans l’œuvre d’Aristide interfèrent et se superposent partiellement ; ils témoignent que l’oikouménè peut avoir plusieurs centres. Enfin, pour Aristide, Athènes et Rome peuvent coexister car l’univers que les deux cités régissent ne relève pas du même ordre de réalité.
Qui tenterait de dresser la carte du monde d’Aelius Aristide placerait sans peine les repères connus (le Phase, les colonnes d’Héraclès, l’Éthiopie et l’Euphrate)1 mais aurait plus de difficulté à trouver son centre. Le discours En l’honneur de Rome ne laisse a priori aucun doute : Rome est bien la ville « vers laquelle tout converge »2, mais si nous allons plus avant dans l’œuvre d’Aristide, nous découvrons que la position d’Athènes est comparable à « l’emblème d’un bouclier »3, que Cyzique est « un omphalos situé dans l’espace entre Gadeira et le Phase »4 ou encore que la mer Égée se trouve « exactement au milieu de l’ensemble de la terre habitée et de la mer »5. Combien de centres Aristide donne-t-il à l’oikouménè6 ? Au delà du topos rhétorique, qui attache à la notion de μέσον des propriétés symboliques et des valeurs éthiques, cette multiplication des « centres » donnés à la terre habitée révèle chez Aristide la conscience géographique d’un monde élargi, constituant une terre par excellence d’établissement pour les Grecs, comme l’illustre particulièrement l’hymne À Héraclès : Héraclès fut, écrit Aristide, « le premier à marquer la limite entre la mer extérieure et la mer intérieure, frayant pour les Grecs la voie vers toute cette région en tant qu’elle est propre aux fondations », et les Héraclides sont les « héritiers de sa propre action politique » : certains d’entre eux sont restés dans le Péloponnèse pour y mettre bon ordre, d’autres ont gagné la Sicile et l’Italie ; d’autres encore « passèrent en Asie pour fonder et administrer les cités doriennes de cette région »7. Nous avons choisi de prendre au sérieux ces expressions imposées par l’amplification rhétorique et d’examiner, dans les principales œuvres d’Aristide qui engagent une représentation du monde, l’usage du matériau géographique dans l’éloge de Rome et dans celui d’Athènes, pour déterminer quels modèles d’espaces ces deux villes génèrent et régissent. Les ensembles spatiaux, dans l’œuvre d’Aristide, sontils dichotomiques ou interagissent-ils ? Et, plus précisément, quelle est la place d’Athènes dans ce jeu diversifié de décentrements ou de recentrements spatiaux ?
1. Par exemple En l’honneur de Rome, 82. 2. En l’honneur de Rome, 13 ; 61 (en suivant Pernot [Pernot 1997, ad loc.], qui adopte les corrections de Keil). 3. Panathénaïque, 14 (« Le monde grec tout entier, depuis ses extrémités, tend vers ce lieu central comme vers l’emblème d’un bouclier ») ; 16. Toutes les traductions du Panathénaïque sont nôtres. 4. Panégyrique de Cyzique (or. XXVII), 7. 5. En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 3. 6. Voir Israelowich 2007, p. 91, n. 1 (selon qui la définition de l’oikouménè chez Aristide est avant tout culturelle) et p. 95 (références des études sur le mot et la réalité). 7. À Héraclès (or. XL), 9 (trad. Goeken 2011).
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Notre projet – qui ne peut, dans le cadre d’un article, donner lieu à une étude exhaustive – est de mettre en regard des œuvres d’Aristide trop souvent cloisonnées par les catégories génériques, en l’espèce les éloges d’Athènes et de Rome8, différents hymnes9 et différents discours aux villes d’Asie Mineure qui, comportant une part encomiastique, légitiment un tel rapprochement10. Dans cette perspective, après avoir analysé dans un premier temps la symbolique spatiale dans le discours En l’honneur de Rome, nous examinerons, dans le Panathénaïque, la place de la géographie en la rapportant, certes, aux normes de la rhétorique de l’éloge, mais en l’éclairant aussi par le rôle que l’orateur lui donne à la fois dans l’écriture de l’histoire de la cité et dans la représentation du monde égéen contemporain. Nous nous proposons de mettre au jour la coexistence entre une géographie hautement symbolique et une spatialisation référentielle et, ce faisant, de renforcer une lecture du Panathénaïque inscrite dans le monde politique et culturel contemporain d’Aristide, orateur de langue et de culture grecque et citoyen romain, qui exprime clairement une conscience politique de l’espace et du monde11. Précisons brièvement le contexte dans lequel se forme, chez Aristide, qui n’est pas géographe, un propos de nature géographique. Tout d’abord, la pratique rhétorique d’Aristide se conforme, tout en les retravaillant, aux préceptes théoriques de l’éloge, au point qu’il devient, au siècle suivant, un modèle privilégié par Ménandros I. Or, ce dernier préconise, dans les éloges de villes, d’exploiter des éléments de nature géographique12 – la position (θέσις) et la nature (φύσις) du lieu. Il s’agit, pour reprendre les termes de L. Pernot, « de faire apparaître des valeurs », au nombre desquelles la notion de centre est essentielle13. Le centre territorial, ou plus généralement spatial, devient très rapidement une position symbolique qui cristallise des qualités exceptionnelles. On n’inventera rien en écrivant que le centre est très souvent lié à la géométrie du cercle, figure privilégiée par la rhétorique pour exprimer la délimitation d’un espace en assurant, en théorie, l’équidistance entre le centre et tous les points de sa circonférence14. Le centre est enfin le lieu par excellence du mélange (κρᾶσις, εὐκρασία) et, à partir de là, souvent des bonnes proportions et de l’harmonie (εὐαρμοστία, συμμετρία)15.
8. Panathénaïque (or. I) et En l’honneur de Rome (or. XXVI). 9. Notamment En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV, Discours isthmique en l’honneur de Poséidon (or. XLVI). 10. Notamment les Discours smyrniotes (Smurnaïkos I [or. XVII], Monodie sur Smyrne [or. XVIII], Lettre sur Smyrne [or. XIX], Palinodie sur Smyrne [or. XX], Smurnaïkos II [or. XXI]), Aux villes, sur la concorde (or. XXIII), Panégyrique de Cyzique (or. XXVII). Les remarques qui suivent n’épuiseront pas, tant s’en faut, la diversité des éléments spatiaux et géographiques du monde égéen que contiennent les discours d’Aelius Aristide. C’est davantage une amorce d’étude que nous proposons ici. 11. Israelowich 2007. 12. Ménandros I, 344-353, notamment 344, 16-345, 4 (Russell, Wilson 1981) ; Pernot 1993, p. 202-208. 13. Pernot 1993, p. 205. 14. Voir Cattan 2012, p. 98-100. 15. Pernot 1993, p. 206, n. 453.
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Le propos géographique d’Aristide n’est pas seulement issu des pratiques et des exigences rhétoriques. L’environnement naturel et urbain présent dans son œuvre reflète ses voyages entre les cités où il se produit16 : Rome, la ville où il se rend en 144, au prix d’un voyage aller, par voie de terre, épuisant et semé d’embûches, puis d’un retour par mer, non moins éprouvant17 ; Athènes, la ville d’études où il a fréquenté les écoles platoniciennes et où, sans doute en 155 ou 15618, il prononce le Panathénaïque, mais aussi Corinthe, les grandes cités d’Asie (Pergame, Éphèse et surtout Smyrne), centres d’une vie intellectuelle vibrante. Le monde urbain, dans son architecture, ses fêtes et ses cérémonies religieuses, est une réalité vivante pour lui19. À cette géographie sophistique, il faudrait superposer une géographie religieuse familière à un homme très tôt voué à Asclépios, qui visite nombre de sanctuaires dans la province d’Asie, comme l’attestent les Discours sacrés20. L’espace, chez Aristide, est ainsi appréhendé de deux manières. Il répond à une structuration issue de la rhétorique et il est formé par un regard de proximité et de terrain.
En l’honneur de Rome : ville, empire et monde se confondent C’est à Rome qu’Aristide consacre, en 144, son premier éloge. Ce discours, dans lequel il célèbre l’Empire comme ensemble administratif, politique et militaire, développe le thème de la maîtrise d’un espace comme source de pouvoir. Une maîtrise, et non les étapes d’une expansion – l’impasse complète est faite sur cette période difficile qu’a constituée la conquête romaine. Une des lignes principales de 16. Causerie en l’honneur d’Asclépios (or. XLII), 9 : Aristide parle de sa tournée dans les différentes « villes d’Asie et d’Europe » ; Philostrate, Vies des Sophistes, II, 9, 581-585 ; Bowie 2004, p. 76-81. 17. Discours Sacré, II (or. XLVIII), 60-68. 18. La date du Panathénaïque ne peut être établie avec certitude. Nous retenons l’année 155 ou l’année 156, date avancée par C. A. Behr, en étant consciente que cette date n’est étayée par aucune preuve réelle (Behr 1968, p. 87-88). S. Follet se range à la datation proposée par J. H. Oliver (Oliver 1968, p. 32-34), en apportant toutefois une rectification : il faudrait, selon elle, dater la composition du Panathénaïque peu avant 168, et non avant 167 (Follet 1976, p. 333, n. 2). La seule certitude qu’on puisse avoir est qu’il fut composé après 145-146 (voir le point fait par F. Robert : Robert 2013, p. 437-438). 19. Il célèbre l’éclat de la vie urbaine notamment dans le discours En l’honneur de Rome : « Comme s’il célébrait une panégyrie, le monde entier a déposé son ancien équipement, le fer, et s’est tourné à loisir vers les parures et toutes les sortes de joie. […] Tout est plein de gymnases, de fontaines, de propylées, de temples, d’ateliers, d’écoles, et l’on peut dire en langage savant que le monde, après avoir été en quelque sorte souffrant, a recouvré la santé […] Ainsi donc, les cités resplendissent d’éclat et de grâce et la terre entière est parée comme un jardin d’agrément » (97-99, trad. Pernot 1997). Aristide célèbre là la renaissance des cités grecques, marquée par de nouveaux programmes architecturaux et l’organisation de fêtes et de cérémonies religieuses en grand nombre. 20. Voir Galli 2007, qui fait remarquer que la proximité entre le domaine familial de Lanéion et les sites de culte environnants ont formé le cadre topographique dans lequel Aelius Aristide a pu donner libre cours à ses intérêts religieux (p. 284-286 et p. 277, fig. 4). Voir également Rutherford 1999 et Israelowich 2007, p. 105-108. G. E. Bean suit le récit que donne Aristide d’un de ses voyages dans les Discours sacrés pour retracer la voie SmyrnePergame (Bean 1966, p. 95-114).
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l’argumentation d’Aristide consiste à exploiter autant qu’il peut l’équation entre l’Empire et le monde : l’un et l’autre sont parfaitement coextensifs, et, en vérité, ne font qu’un. Que l’empire et le monde se confondent n’est pas une affirmation nouvelle. C’est une conviction exprimée par Auguste, dans ses Res Gestae, comme on le sait notamment depuis que C. Nicolet a analysé la façon dont Rome prend possession de l’espace (orbis terrarum) et dont la cité se transforme et se pense progressivement en État territorial21. On trouve là une des stratégies que les modernes ont bien identifiées dans la façon dont le pouvoir romain se fait comprendre et se justifie : il s’agit de mettre l’histoire et l’identité romaine en relation avec des « constantes cosmologiques », comme l’éternité ou le monde22. Dans le discours En l’honneur de Rome, Aristide travaille ce thème en profondeur, au point qu’on a pu parler « d’une première théorisation de la réalité d’un empire mondial »23. Mais ce qui est plus nouveau chez lui, c’est que son éloge part de la ville même de Rome. Le discours commence par traiter le topos du site et de la situation de l’Urbs (6-13)24 et s’ouvre sur la première impression du voyageur. La Ville frappe par son immensité ; elle est avant tout un territoire et une surface (γῆν τοσήνδε) réunie sous le nom d’une seule cité. Rien n’est dit de l’architecture de Rome, du plan de ses rues et de ses quartiers. À la place, c’est un paysage naturel, qui réunit divers éléments physiques pour dire, en une sorte de métonymie, le monde physique dans son immensité : Qui, voyant tant de cimes occupées, tant de pâturages urbanisés dans les plaines et un si vaste territoire réuni sous le nom d’une seule cité, pourrait en faire une contemplation exacte ? Depuis quel observatoire approprié ? Ce qu’Homère a dit de la neige, qu’en tombant elle recouvre « les cimes des monts élevés, les hauts promontoires, les plaines herbues, les guérets fertiles des hommes » et qu’« elle est épandue sur la mer grise, sur les havres et les falaises »25, cela est vrai aussi de cette cité…26
L’effet d’extension spatiale s’obtient aussi par la fiction d’une mise à plat des édifices de Rome, cité construite en hauteur. La verticalité, symbole de force (Rome, la « force », soulève d’autres cités au-dessus d’elle), est rapidement traduite en termes de surface : 21. Nicolet 1988 ; Brodersen 2012. C’est un thème développé par plusieurs historiens et géographes grecs de Rome (Polybe, Denys d’Halicarnasse dans le livre I des Antiquités romaines, Strabon…). Par ailleurs, Aristide est contemporain d’Appien, de Denys d’Alexandrie, auteur d’une Périégèse du monde habité à travers la fiction d’un voyage aérien, tout comme il est contemporain de Lucien qui, dans Icaroménippe, propose un voyage dans les airs offrant une vue du monde. 22. Woolf 2001, p. 317-318 (avec références supplémentaires). 23. Quet 2001 (p. 200, n. 8, se référant à Sirago 1989, p. 63-64). 24. Swain 1996, p. 274-284. 25. Iliade, XII, 282-284. 26. En l’honneur de Rome, 6-7 : τίς γὰρ ἂν τοσάσδε ὁρῶν κορυφὰς κατειλημμένας, ἢ πεδίων νομοὺς ἐκπεπολισμένους, ἢ γῆν τοσήνδε εἰς μιᾶς πόλεως ὄνομα συνηγμένην, εἶτα ἀκριβῶς καταθεάσαιτο ἀπὸ ποίας τοιαύτης σκοπιᾶς ; ὅπερ γὰρ ἐπὶ τῆς χιόνος Ὅμηρος ἔφη, χυθεῖσαν αὐτὴν « Ὑψηλῶν ὀρέων κορυφὰς καὶ πρώονας ἄκρους καλύπτειν καὶ πεδία λωτεῦντα καὶ ἀνδρῶν πίονα ἔργα », καί τ’ « ἐφ’ ἁλὸς πολιῆς, φησὶ, κέχυται λιμέσιν τε καὶ ἀκταῖς », τοῦτο ἄρα καὶ ἥδ’ ἡ πόλις. Toutes les traductions de ce discours sont empruntées à Pernot (Pernot 1997).
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Comme un homme qui l’emporte largement sur les autres en taille et en force ne s’avoue pas content s’il n’a pas soulevé autrui au-dessus de sa tête, de même cette cité ne se contente pas d’être installée sur un si vaste territoire, mais, élevant d’autres cités de mêmes dimensions au-dessus d’elle, elle les porte les unes sur les autres. Ainsi elle mérite bien son nom : tout ici n’est que force. Si l’on voulait la dérouler entièrement, en posant à terre les cités qui sont actuellement en l’air et en les plaçant les unes à côté des autres, je crois que tout l’espace libre aujourd’hui en Italie serait rempli et deviendrait une seule cité s’étendant sans interruption jusqu’à la mer Ionienne27.
Une telle présentation offre plusieurs bénéfices à Rome. En traitant ainsi la première impression visuelle que l’on a de la ville, l’orateur s’écarte de la rubrique attendue de la θέσις et de la φύσις de Rome. En investissant l’espace, la Ville échappe aux critères et aux exigences de localisation, à l’énumération des divers éléments naturels qui composent son territoire alentour. Elle ne saurait se définir par référence à une unité topographique supérieure. Au passage, le texte pose une question importante : qui est en mesure de voir une ville telle que Rome ? On ne peut pas la voir comme elle le mérite ; cela requiert en vérité quelque Argos au regard universel ou plutôt le dieu au regard universel qui la possède28.
Ainsi seuls peuvent voir Rome des êtres aux facultés visuelles surhumaines et qui disposent d’un observatoire (σκοπιά, qui désigne, chez Homère, le sommet des montagnes, un point élevé où est installé le guetteur et qui est souvent le lieu où un dieu peut observer les guerres et les batailles des hommes29). Seul un dieu (Hélios, et sans doute, derrière lui, l’empereur30) ou un astre est en mesure d’embrasser du regard la totalité de Rome. De cette incapacité humaine Aristide va faire la preuve du rapport de proportions réel entre Rome et son empire : ce que Rome donne à voir (ou plus exactement ce qu’elle refuse au regard des hommes) correspond à sa puissance réelle : Quand on regarde l’ensemble de l’Empire, on peut éprouver de l’étonnement devant la cité, en jugeant qu’une minime partie gouverne la terre entière ; mais quand on voit la cité elle-même et ses frontières, on ne peut plus s’étonner que la totalité du monde habité soit gouvernée par une cité aussi grande31.
27. En l’honneur de Rome, 8 : καὶ ὥσπερ τις ἀνὴρ πολὺ νικῶν τοὺς ἄλλους μεγέθει τε καὶ ῥώμῃ οὐκ ἀγαπᾷ μὴ καὶ ἄλλους ὑπὲρ αὑτὸν ἀράμενος φέρειν, ὣς δὲ καὶ ἥδε ἐπὶ τοσαύτης γῆς ᾠκισμένη οὐκ ἀγαπᾷ, ἀλλ’ ἑτέρας ἰσομετρήτους ὑπὲρ αὑτὴν ἀραμένη φέρει ἄλλας ἐπ’ ἄλλαις. Ὣς ἄρα ἐπώνυμον αὐτῇ τοὔνομα καὶ οὐδὲν ἀλλ’ ἢ ῥώμη τὰ τῇδε. Ὣστ’ εἴ τις αὐτὴν ἐθελήσειε καθαρῶς ἀναπτύξαι καὶ τὰς νῦν μετεώρους πόλεις ἐπὶ γῆς ἐρείσας θεῖναι ἄλλην παρ’ ἄλλην, ὅσον νῦν Ἰταλίας διαλεῖπόν ἐστιν, ἀναπληρωθῆναι τοῦτο πᾶν ἄν μοι δοκεῖ καὶ γενέσθαι πόλις συνεχὴς μία ἐπὶ τὸν Ἰόνιον τείνουσα. 28. En l’honneur de Rome, 6 : οὐδ’ ἰδεῖν ἀξίως αὐτὴν, ἀλλ’ ὡς ἀληθῶς Ἄργου τινὸς πανόπτου, μᾶλλον δὲ τοῦ κατέχοντος αὐτὴν πανόπτου θεοῦ δεῖ. 29. Voir par exemple Iliade, IV, 275 ; V, 771 ; X, 40 ; X, 515 ; XIII, 10 ; XIV, 58 ; XIV, 135 ; XVI, 299 ; XX, 137 ; XXII, 145. 30. Voir Pernot 1997, p. 60, n. 9. 31. En l’honneur de Rome, 9 : ἔστιν εἰς μὲν τὴν ὅλην ἀρχὴν βλέψαντα μηκέτι τὴν πόλιν θαυμάζειν, πολλοστὸν μέρος τῆς ἁπάσης ἄρχειν νομίσαντα γῆς, εἰς δ’ αὐτὴν τὴν πόλιν καὶ τοὺς τῆς πόλεως ὅρους ἰδόντα μηκέτι θαυμάζειν, εἰ ὑπὸ τοσαύτης ἄρχεται πᾶσα ἡ οἰκουμένη.
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Rome établit l’adéquation exacte entre l’aspect extérieur et le pouvoir réel d’une ville, et en cela, elle réalise l’idéal exprimé par Thucydide au livre I, un idéal que ni Athènes, ni Sparte n’avaient pu réaliser, l’une et l’autre d’apparence trompeuse. Au vu de ce qui restera des édifices de Sparte, une ville qui n’est pas centralisée et qui ne comporte pas de temples ni d’édifices fastueux, les générations futures douteront de sa puissance32. En revanche, si Athènes était soudainement dévastée, « on lui prêterait, d’après les apparences extérieures, une puissance double de la sienne »33. À leur différence, Rome incarne – certes, dans le sens de l’hyperbole – l’accord parfait entre l’apparence et la puissance réelle. La vue qu’elle offre (ὄψις) est gage de vérité (l’analyse rationnelle que préconise Thucydide à ce moment-là est balayée). Par ailleurs, en termes de lecture géographique, ce texte alerte sur la question des rapports de proportions spatiales. En réalité, le discours En l’honneur de Rome s’intéresse à la connaissance de l’espace et, à ce titre, il propose une alternative sous forme de deux possibilités antagonistes. D’une part, Rome a ouvert les portes du monde en facilitant les communications par des routes et des itinéraires, en sécurisant les territoires, en abattant les obstacles naturels. L’Empire est désormais un espace de déplacements et de voyages34 : Aujourd’hui il est loisible aux Grecs comme aux barbares, avec ou sans bagages, de se rendre facilement où ils veulent, absolument comme s’ils allaient d’une patrie à une autre patrie. Nulle crainte devant les Portes de Cilicie ou le passage étroit et sablonneux qui mène à l’Égypte en traversant l’Arabie, ni devant les montagnes difficiles d’accès, la taille immense des fleuves, les farouches races barbares (…). La formule d’Homère selon laquelle « la terre est un bien commun pour tous », c’est vous qui en avez fait une réalité, en mesurant la totalité du monde, en jetant des ponts de toute sorte sur les fleuves, en taillant les montagnes pour rendre le terrain carrossable (…). Vous êtes devenus, vous, les périégètes communs de l’humanité : vous avez ouvert largement les portes du monde habité et offert à tous ceux qui le veulent la possibilité de tout voir de leurs yeux35.
La ville de Rome défie le regard humain, mais l’Empire donne aux hommes une nouvelle aptitude. En les rendant capables de tout voir de leurs propres yeux (αὐτόπται), il leur permet de tout authentifier.
32. Et cela « alors que, précise Thucydide, les Lacédémoniens administrent les deux cinquièmes du Péloponnèse et ont l’hégémonie sur l’ensemble, ainsi que sur de nombreux alliés au dehors ». 33. I, 10, 2 (trad. Romilly). 34. Sur les voyages et les transports dans le monde romain, voir le point fait par Brodersen 2001. 35. En l’honneur de Rome, 100-102 : νῦν γοῦν ἔξεστι καὶ Ἕλληνι καὶ βαρβάρῳ καὶ τὰ αὑτοῦ κομίζοντι καὶ χωρὶς τῶν αὑτοῦ βαδίζειν ὅποι βούλεται ῥᾳδίως, ἀτεχνῶς ὡς ἐκ πατρίδος εἰς πατρίδα ἰόντι· καὶ οὔτε Πύλαι Κιλίκιοι φόβον παρέχουσιν οὔτε στεναὶ καὶ ψαμμώδεις δι’ Ἀράβων ἐπ’ Αἴγυπτον πάροδοι, οὐκ ὄρη δύσβατα, οὐ ποταμῶν ἄπειρα μεγέθη, οὐ γένη βαρβάρων ἄμικτα (…) Καὶ τὸ Ὁμήρῳ λεχθὲν “Γαῖα δ’ ἔτι ξυνὴ πάντων” ὑμεῖς ἔργῳ ἐποιήσατε, καταμετρήσαντες μὲν πᾶσαν τὴν οἰκουμένην, ζεύξαντες δὲ παντοδαπαῖς γεφύραις ποταμοὺς, καὶ ὄρη κόψαντες ἱππήλατον γῆν εἶναι (…).…ὑμεῖς ἅπασι περιηγηταὶ κοινοὶ γεγόνατε, ἀναπετάσαντες ἁπάσας τῆς οἰκουμένης τὰς πύλας καὶ παρασχόντες ἐξουσίαν αὐτόπτας πάντων τοὺς θέλοντας γίγνεσθαι.
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D’autre part – second terme de l’alternative – au moment même où le monde peut être parcouru, sillonné, exploré, le discours dit que le voyage est désormais inutile. Il est tout d’abord inutile pour l’empereur qui, écrit Aristide, « n’a plus besoin de vagabonder sur toute l’étendue de l’Empire (…) pour s’assurer du contrôle de chaque situation », mais qui peut « diriger le monde entier sans se déplacer, au moyen de lettres qui arrivent presque sitôt écrites, comme portées sur des ailes »36. Mais surtout, le voyage est désormais inutile et vain pour tous les hommes car si Rome a ouvert « les portes du monde habité », inversement, le monde entier se donne à voir à Rome même. Rome est, en effet, un résumé, une Épitomè du monde. Les produits de toutes les contrées – qu’ils soient issus de la nature ou issus des arts – affluent vers la Ville37 : De chaque terre et de chaque mer, on apporte tout ce que font pousser les saisons et tout ce que produisent les différents terroirs, les fleuves, les lacs, ainsi que les arts des Grecs et des barbares : si bien que celui qui voudrait avoir une vue de tout cela doit ou bien voyager partout dans le monde habité pour procéder à l’observation, ou bien rester dans cette cité38.
Dès lors, le lecteur-visiteur n’est plus disqualifié parce qu’il n’est pas πάνοπτος (doté de ce regard divin qui embrasse la totalité du monde). Ce qui importe, c’est qu’il soit devenu αὐτόπτης, doué de ce regard sans médiation qui, chez Hérodote, garantit le savoir authentique et contre lequel Thucydide met en garde, s’il n’est pas corrigé par la rationalité. Ainsi, Rome, ville-monde, fonde « l’autopsie » – le regard sans médiation – comme moyen de connaissance. En établissant cela, Aristide disqualifie les autres modes d’appréhension du monde : Il est inutile aujourd’hui d’écrire une périégèse de la terre ou d’énumérer les lois en usage dans chaque contrée, car vous êtes devenus, vous, les périégètes communs de l’humanité39.
Il n’est plus besoin de connaître la politique des autres peuples, comme le permettaient, par exemple, les Constitutions de Critias ou d’Aristote, tout comme il n’est plus besoin du travail des géographes, des récits de voyageurs, des chorographies et des périples. L’inventaire du monde est fait, il est à voir dans Rome même.
36. En l’honneur de Rome, 33. Voir Adams, Laurence 2001. Notons au passage que rien n’est dit du goût des différents empereurs pour les voyages, notamment en Grèce et dans la province d’Asie. 37. C’est l’image qui était déjà donnée d’Athènes dans les textes classiques : Pernot 1997, p. 63, n. 21 (Thucydide II, 38, 2 ; Ps.-Xénophon, Constitution des Athéniens, 2, 7 ; Isocrate, Panégyrique, 42) ; voir également Denys d’Halicarnasse, Art Rhétorique, 5, 5 et Ménandre le Rhéteur III, 377, 22. Pour Rome, voir Gernentz 1918, p. 139. 38. En l’honneur de Rome, 11 : Ἄγεται δὲ ἐκ πάσης γῆς καὶ θαλάττης ὅσα ὧραι φύουσι καὶ χῶραι ἕκασται φέρουσι καὶ ποταμοὶ καὶ λίμναι καὶ τέχναι Ἑλλήνων καὶ βαρβάρων. Ὥστε εἴ τις ταῦτα πάντα ἐπιδεῖν βούλοιτο, δεῖ αὐτὸν ἢ πᾶσαν ἐπελθόντα τὴν οἰκουμένην οὕτω θεάσασθαι, ἢ ἐν τῇδε τῇ πόλει γενόμενον. 39. En l’honneur de Rome, 102 : Οὐδέ γε δεῖ νῦν περιήγηςιν γῆς γράφειν, οὐδ’ οἷς ἕκαστοι χρῶνται νόμοις ἀπαριθμεῖν, ἀλλ’ ὑμεῖς ἅπασι περιηγηταὶ κοινοὶ γεγόνατε.
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Toutefois, ce que l’on peut désormais voir de ses propres yeux n’est plus le spectacle de l’altérité et de la diversité – et le discours ne cesse de le répéter. Les différences ethniques entre les peuples ont disparu40 pour faire place à une partition politique et culturelle : la population du monde se répartit entre Romains et non-Romains41. Ce qui importe, dans le discours En l’honneur de Rome, est l’oikouménè de la citoyenneté. Conséquence de cet éloge de l’uniformisation, l’enquête ethnographique est elle aussi désormais abrogée. L’abolition de l’individualité des cités et des peuples marque la fin du déplacement de l’enquêteur. Mais il y a plus encore : ce nouvel état du monde, désormais tout entier fait de félicité, signe également la fin de l’histoire des peuples, qui ont perdu la mémoire de leur passé : Les uns, comme une eau coulant sans bruit, jouissent de la plus agréable tranquillité, contents d’en avoir fini avec les peines et les malheurs et se rendant compte après coup qu’ils bataillaient vainement contre des ombres ; les autres ont perdu jusqu’à la connaissance et au souvenir de l’empire qu’ils ont jadis exercé (…). Les guerres, on ne croit même plus qu’elles aient jamais eu lieu, et la plupart des gens en entendent parler comme si c’étaient de vains mythes42.
Le discours procède à une refonte de la carte des empires passés (empire perse, empire d’Alexandre et territoires des diadoques…43) qui sont évalués en étant rapportés à l’étendue de l’empire romain. Ce changement d’échelle minore mécaniquement leur extension au point qu’ils deviennent des territoires dérisoires. Les hégémonies des cités grecques n’échappent pas à cette loi. Athènes et Sparte furent bien à la tête d’un empire ; mais « leur expérience est proche de celle de quelqu’un qui, désireux de devenir maître d’un corps, se saisirait des ongles et des extrémités, au lieu du corps tout entier ». Les Athéniens et les Lacédémoniens ont gagné, poursuit Aristide, des petites îles, des promontoires, des ports et des lieux du même type et ils se sont épuisés à vouloir conquérir la mer, « rêvant à l’hégémonie plus qu’ils n’étaient en mesure de l’obtenir »44. Cette Athènes, qui a rêvé de l’hégémonie sans jamais l’obtenir, doit à présent être examinée dans l’éloge qui lui est dévolu, le Panathénaïque, qui constitue une forme d’antistrophe au discours En l’honneur de Rome45. Dans ce dernier, le voyageur-lecteur
40. Voir Fibiger Bang 2012. 41. En l’honneur de Rome, 59-60 et 63 : « Vous avez fait de la qualité de Romain un nom désignant non pas une cité, mais une sorte de race commune […]. Vous ne divisez pas aujourd’hui les races en Grecs et barbares ; […] non, cette division, vous l’avez remplacée par la division en Romains et non-Romains ». 42. En l’honneur de Rome, 69-70 : οἱ μὲν ὥσπερ ὕδωρ ἀψοφητὶ ῥέον ἥδιστα ἡσυχάζουσιν, ἄσμενοι πόνων παυσάμενοι καὶ κακῶν, μετεγνωκότες ὡς ἄρα ἄλλως ἐσκιαμάχουν, οἱ δ’ οὐδ’ ἥν ποτε ἦρξαν ἴσασιν οὐδ’ ἀναμιμνήσκονται (…). Πόλεμοι δὲ οὐδ’ εἰ πώποτε ἐγένοντο ἔτι πιστεύονται, ἀλλ’ ἐν ἄλλως μύθων τάξει τοῖς πολλοῖς ἀκούονται. 43. Étendue de l’empire perse : 16-18 ; l’empire d’Alexandre est reconnu comme une anticipation de l’empire de Rome – le Macédonien a gagné une grande partie de la terre entière, mais il est mort avant d’avoir régné (24-26) : la minoration se fait ici par le facteur temporel. Les diadoques, enfin, firent « figure de bannis » et de « rois déracinés » (27) : l’empire d’Alexandre est désormais émietté. 44. En l’honneur de Rome, 43. 45. Pernot 1993, p. 331.
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était d’emblée dans la Ville même, sans pouvoir l’embrasser du regard. Il en va tout autrement pour Athènes : la ville se découvre au terme d’une approche graduelle et par ailleurs, sa position et sa nature vont être longuement exploitées.
Le traitement dans le Panathenaïque
de la topique géographique propre à l’éloge
Si l’on en croit Ménandros I46, qui voudra faire l’éloge d’un pays (χώρα) devra prendre en considération sa position (θέσις) et sa nature (φύσις). La position s’évalue par rapport à la terre, à la mer et au ciel47 et la « nature » se décrit en renseignant six rubriques (les montagnes et les plaines, l’importance ou non de l’hydrographie, et la fertilité ou la stérilité qui en résulte)48. Pour faire l’éloge d’une cité, l’orateur est invité à envisager son climat et ses saisons, sa position tout d’abord par rapport au continent et à la mer, puis dans le territoire environnant, et la constitution de son relief (montagnes, plaines, rivières)49. Or, il se trouve que le Panathénaïque d’Aristide figure parmi les principaux discours qui ont inspiré les préceptes de Ménandros I, au point que ce dernier le cite en exemple à trois reprises dans ses préconisations relatives à l’exploitation des données géographiques50. De fait, il aurait pu citer bien d’autres éléments. Ainsi, Aristide envisage bien la φύσις de l’Attique comme le recommande Ménandros I : la χώρα d’Athènes comporte des plaines, des montagnes dans l’intérieur des terres, et des lieux du littoral – autant d’éléments qui composent un pays harmonieux et « complet », fécond et prospère, symbolisant le mélange et l’harmonie51. 46. Sur la question de l’identité de cet auteur et de l’attribution des deux traités (Διαίρεσις τῶν ἐπιδεικτικῶν et Περὶ ἐπιδεικτικῶν), voir Pernot 2005. Sur les préconisations de Ménandros I, voir Pernot 1986a et 1986b. Nous citons le texte de Ménandros I dans l’édition Russell, Wilson 1981. 47. Θέσις d’un pays : I, 344, 17-30. 48. I, 344, 31-345, 3. 49. Tout cela est regroupé sous la rubrique de la θέσις (I, 347, 2-351, 17). 50. I, 349, 9-12 : si la cité est au centre du territoire, on la comparera à « un palais royal (βασίλεια) ou à un lieu lié au pouvoir (ἀρχεῖα qui peut désigner les « archives ») ou à la bosse centrale d’un bouclier (ὀμφαλὸς ἀσπίδος) – comme dit Aristide – ou comme le point central d’un cercle » (ἢ ὥσπερ ἐν κύκλῳ μέσον σημεῖον) = Panathénaïque, 14 [en fait, ἀσπίδος ἐπίσημον] ; I, 349, 22-25 : si le relief est un mélange (ἀναμίξ) de plaine et de montagne, on louera, à l’instar d’Aristide, la variété (ποικιλία) = Panathénaïque, 22-23 ; I, 350, 8-10 : si la cité est au commencement du territoire d’autres nations, elle est « disposée à la manière d’une tour de guet » (προβέβληται ἀντ’ἄλλου φυλακτηρίου) = Panathénaïque, 9. Plus généralement, Aristide exploite subtilement les principales valeurs attachées à la nature et à la position de l’Attique et d’Athènes, notamment en combinant les deux binômes χώρα-πόλις et θέσις-φύσις : voir Pernot 1993, p. 202-207, qui fait également remarquer que la φύσις dans le Panathénaïque « revêt un sens plus large qui englobe la θέσις » (notamment p. 204, n. 440) : voir par exemple Panathénaïque, 17. Plus loin, au § 20, elle est la conséquence directe de la θέσις (« Les artisans à qui cette tâche incombait ont placé l’Attique à ce point de la terre, de la mer et des airs. Et c’est un vrai plaisir de montrer les conséquences de tels faits : la beauté des plaines, le charme des faubourgs qui commencent dès les remparts, ou plutôt à l’Acropole, répandus là et se mêlant à la cité… »). 51. Ménandros I, 344, 31-345, 3 : le relief, l’hydrographie et les productions = Panathénaïque, 22-23.
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Mais Aristide infléchit également la topique géographique de l’éloge et imprime une marque personnelle à la présentation topographique d’Athènes et de son territoire. Il construit tout d’abord une spatialité fortement symbolique. Ainsi, le topos de la nature du territoire – en d’autres termes les qualités physiques et naturelles de l’Attique – est l’occasion pour lui de fonder un postulat essentiel à son propos : la nature de l’Attique rejoint (συμβαίνειν) la nature du peuple athénien : Il apparaîtra que la nature de notre pays correspond à la nature de ses habitants, que cette terre ne convient pas à d’autres – comme du reste elle n’a jamais convenu – pas plus que ses habitants n’auraient dû habiter un pays autre que celui-ci ; d’ailleurs, ils n’en ont pas changé mais sont restés dans le pays qu’ils occupaient52.
Grâce à cet accord, le paysage de l’Attique offre, par les lignes de son relief, les contours de son littoral et la présence d’îles à l’entour, une visualisation des qualités foncières des Athéniens : il dessine littéralement leur bonté (ἐπιείκεια) et leur humanité (φιλανθρωπία), qu’expriment la « douceur de leurs manières » (τῇ τῶν τρόπων πραότητι) et « leurs actes de sociabilité » (ταῖς ὁμιλίαις)53. Le voyageur qui approche Athènes par la mer, en passant par le cap Sounion, perçoit dès lors les qualités d’un peuple destiné à accueillir et à protéger54 et le paysage qu’il découvre sur le chemin initiatique qui le mène vers Athènes55, est, avant tout, un paysage éthique. À ce titre, le promontoire de l’Attique, par une présentation anthropomorphique, signale un peuple prédestiné à ouvrir ses portes aux autres : Ce pays offre, pourrait-on dire, un signe de son humanité. Il s’avance très loin dans la mer, cherchant à l’apprivoiser ; et il se mêle aux îles, spectacle des plus charmants que celui d’un continent au milieu des îles. Il s’avance même plus au sud que certaines de ces îles, il est le premier à tendre, pour ainsi dire, une main aux voyageurs qui arrivent par la mer pour les accueillir, le premier à offrir des mouillages et des ports de toutes sortes, en cercle tout autour de lui (…)56.
Par ailleurs, les îles sont présentées comme des éclats de terre détachés du continent, elles constituent des points d’ancrage que la cité a disséminés dans la mer pour escorter le voyageur jusqu’à elle. Comparées à des « faubourgs » (προάστεια) et aux propylées des résidences royales, les îles se trouvent ainsi rattachées à la cité57. 52. Panathénaïque, 8. 53. Ibidem. 54. Panathénaïque, 9-10 : « Telle est la forme de ce pays qu’on l’observe depuis l’intérieur des terres ou depuis la mer. Car il s’avance, faisant fonction d’un autre rempart pour la Grèce : il en a la bonne disposition car il est le premier du côté du soleil levant, il s’avance loin dans la mer et il donne la preuve visible (ἐναργής) que les dieux ont fait de lui une protection pour la Grèce et que c’est à lui seul qu’il revient, par nature, de diriger le peuple grec. Ce pays offre, pourrait-on dire, le signe visible de son humanité… ». 55. Panathénaïque, 12. 56. Panathénaïque, 10-11 : Εἶτα καὶ τῆς φιλανθρωπίας ὡσπερεὶ σύμβολον ἐκφέρει· προβαίνει γὰρ μέχρι πλείστου, τὴν θάλατταν ἡμεροῦσα, καὶ ταῖς νήσοις ἐγκαταμίγνυται, θεαμάτων ἥδιστον, ἤπειρος ἐν νήσοις, καὶ τούτων ἐνίων νοτιωτέρα, πρώτη μὲν τοῖς ἐκ τοῦ πελάγους ὡσπερεὶ χεῖρα προτείνουσα εἰς ὑποδοχὴν, παντοδαποὺς δὲ ὅρμους καὶ λιμένας παρεχομένη κύκλῳ περὶ πᾶσαν ἑαυτήν. 57. D’une certaine façon, Aristide résout la difficulté des géographes, analysée par P. Counillon, à rattacher les Cyclades à un continent et à les définir (Counillon 2001, p. 12-13).
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De tous côtés, les Cyclades et les Sporades chamarrées sont disposées autour de l’Attique, comme si la mer les avait fait jaillir tout exprès pour qu’elles tiennent lieu de faubourgs à la cité ; elles observent la forme d’un chœur, et leur beauté et leur parure ont fini par devenir la beauté et la parure de la cité. Elles ont la même signification que les propylées pour les résidences royales58.
Mais c’est surtout la situation (θέσις) de l’Attique et d’Athènes dans le monde qu’exploite le Panathénaïque. Cette situation est si exceptionnelle qu’elle est caractérisée comme divine59 et, de l’exploitation riche et subtile qu’il en fait, le discours offre plusieurs bénéfices à l’éloge. Le mélange tempéré des saisons ne garantit pas seulement à Athènes une température et un air parfaits60 ; il assure en Attique la présence de la nature entière dans sa diversité et fait de cette région un lieu qui « préserve comme une imitation de la terre habitée » (…πάσης τῆς οἰκουμένης οἱονεὶ μίμημα σῳζούσης)61. Il est, par ailleurs, convenu d’évoquer la « situation par rapport à la terre, à la mer et au ciel »62. Mais l’Attique ne saurait se situer par rapport à ces entités supérieures. C’est à elle, au contraire, que revient la fonction d’orienter l’espace : On ne saurait désigner telle partie de l’Attique comme étant au nord, telle autre comme étant au sud, et ainsi de suite pour les deux autres, mais, sans plus de précision, on peut définir ce qui est d’un côté de l’Attique comme le nord, ce qui est de l’autre côté comme le sud, et tout ce qui est au-dessus et au-dessous, comme le Levant et le Couchant, en définisssant l’Attique elle-même comme limitrophe de toutes ces régions, comme un territoire commun où sont fondus tous les secteurs, sous l’acropole même du ciel, pour ainsi dire, et sous l’empire de Zeus63.
Ainsi définie, l’Attique n’a plus les propriétés d’un espace géographique. Comme elle est centre du monde, elle échappe au monde. « Le caractère spatial est devenu 58. Panathénaïque, 11 : Αἱ δὲ ἐπίκεινται πανταχόθεν πεποικιλμέναι Κυκλάδες καὶ Σποράδες περὶ τὴν Ἀττικὴν, ὥσπερ τῆς θαλάττης ἐξεπίτηδες ἀνείσης ἀντὶ προαστείων τῇ πόλει, χοροῦ σχῆμα σώζουσαι, καὶ τὰ ἐκείνων κάλλη καὶ κόσμους τῆς πόλεως κάλλη καὶ κόσμους εἶναι συμβέβηκε. Δύνανται γὰρ ὅπερ τοῖς βασιλείοις τὰ προπύλαια. 59. Panathénaïque, 19 ; 21. 60. Panathénaïque, 18 : « Elle a reçu en partage un air au-dessus de sa tête et un mélange tempéré des saisons qui connaissent une telle harmonie qu’il serait souhaitable de pouvoir en parler dans de justes proportions. Car Athènes est à l’abri de tous les désagréments et, tout en bénéficiant de la force de chaque saison, elle échappe à tous les inconvénients qui s’y attachent. » ; voir Xénophon, Poroi, 1, 6. 61. Panathénaïque, 22. 62. Ménandros I, 344, 19-21. 63. Panathénaïque, 19 : ὥστε οὐ τὰ μὲν πρὸς ἄρκτον ἂν εἴποι τις εἶναι τῆς χώρας, τὰ δὲ πρὸς μεσημβρίαν ὀνομάζων, οὐδ’ αὖ τὰ λοιπὰ δύο ὡσαύτως, ἀλλ’ἄνευ τῆς προσθήκης ἔξεστιν ὁρίσασθαι τὰ μὲν ἔνθεν αὐ-τῆς ἄρκτον εἶναι, τὰ δὲ ἔνθεν μεσημβρίαν ἤδη, ἀνατολάς τε καὶ δύσεις ὅσον τὸ ἄνω καὶ κάτω, αὐτὴν δ’ εἶναι πάντων ὡσπερεὶ μεθόριον, κοινόν τινα χῶρον, οὗ πάντα τὰ τμήματα συγκεράννυται, ὑπ’ αὐτὴν, ὡς εἰπεῖν, τὴν ἀκρόπολιν τοῦ οὐρανοῦ καὶ τὴν τοῦ Διὸς ἀρχήν. Voir, par comparaison, la situation de la mer Égée où la centralité n’est pas, comme ici, un repère absolu : « Elle est établie au milieu de l’ensemble de la terre habitée et de la mer : au nord, elle a laissé derrière elle l’Hellespont, la Propontide et le Pont, et, au sud, le reste de la mer, en distinguant l’Asie de l’Europe à l’endroit où elles se séparent pour la première fois après l’Hellespont » (En l’honneur de la mer Égée [or. XLIV], 3. trad. Goeken 2012).
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une propriété symbolique »64, une propriété assignée par les dieux eux-mêmes65. Terre entière reflétée en ce lieu, en même temps que repère spatial absolu, l’Attique est soustraite à la caractérisation topique d’un espace géographique. Enfin, si, sans surprise, l’image du centre (μέσον) est utilisée pour qualifier « l’heureuse situation de cette terre »66, cette métaphore est exploitée pleinement. Athènes est, en effet, désignée comme le centre d’un espace élargi, constitué de cercles concentriques : la Grèce est au centre de la terre, l’Attique au centre de la Grèce, la cité au centre de l’Attique et l’Acropole au centre de la cité67, qui, « sommet (κορυφή) de la Grèce », conserve l’essence de l’hellénisme.
Variations sur la topique géographique et éléments structurels de l’histoire d’Athènes Centre du monde et point de départ de l’histoire des hommes L’Attique constitue l’axe du monde et en même temps elle est le point de départ de l’histoire humaine. Le motif de l’autochtonie des Athéniens est revisité par Aristide, qui fait de l’Attique le berceau de l’humanité entière : Votre terre est la première qui ait porté l’homme, elle est la patrie d’origine de l’homme et ce que la terre tout entière est aux animaux terrestres, ce pays est parvenu à l’être pour la race humaine ; elle est une mère et une nourrice commune à tous, elle est le point de départ de la nature humaine…68
Ainsi, Athènes est la cité dans laquelle tout étranger peut trouver une patrie, destinée même à remplacer sa patrie première69. Dans le temps des hommes, Athènes est ainsi point de départ et point d’arrivée. À la fixité de cet espace, lieu d’ancrage et de stabilité pour tous les hommes, répond le traitement du γένος des Athéniens70. Ils sont nés de leur terre, et leur origine est traduite en des termes qui nient les déplacements et les errances : Les hommes ne se sont pas emparés de cette contrée, en lui imposant leur nom, au terme d’une longue errance ou en sillonnant terre et mer, dans l’obscurité, en quête d’une patrie, pas plus qu’ils n’étaient guidés par une double infortune – céder aux plus forts, chasser les plus faibles71. 64. Pernot 1981, p. 104-105. 65. Panathénaïque, 20 : « Les artisans à qui cette tâche incombait ont placé l’Attique à ce point de la terre, de la mer et des airs ». 66. Panathénaïque, 16 (τῆς περὶ γῆν εὐκαιρίας). 67. Panathénaïque, 16. 68. Panathénaïque, 25 : Πρώτη γὰρ ἤνεγκεν ἄνθρωπον καὶ πρώτη πατρίς ἐστιν ἀνθρώπου, καὶ ὅπερ τοῖς πᾶσι ζώοις τοῖς ἐγγείοις ἐστὶν ἡ πᾶσα γῆ, τοῦτο ἥδε νενίκηκεν εἶναι τῷ τῶν ἀνθρώπων γένει, μήτηρ καὶ τροφὸς κοινὴ καὶ τῆς φύσεως ἀφορμή. Voir Ménexène, 238d. Oudot 2001, p. 104-107. 69. Panathénaïque, 54. 70. Panathénaïque, 24-30. 71. Panathénaïque, 25 : Οὐ γὰρ πλάνην καταλύσαντες οὐδὲ ὥσπερ ἐπὶ σκότους πατρίδα ζητοῦντες διὰ πάσης γῆς καὶ θαλάττης, οὐδὲ δυοῖν δυστυχίαιν ἡγησαμέναιν, κατέσχον τὴν χώραν, βιασάμενοι τὴν ἐπωνυμίαν, εἴξαντες μὲν τοῖς κρείττοσιν, ἐκβαλόντες δὲ τοὺς
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Le paysage éthique fixe les valeurs qui vectorisent toute l’histoire de la cité La qualité de φιλανθρωπία que discerne le voyageur à l’approche de l’Attique et d’Athènes est précisément celle qui, tout au long de l’éloge, coiffe l’ensemble des vertus des Athéniens, se distribuant entre le champ du courage, de la vaillance et de l’audace d’un côté, et celui de la douceur, de la bonté et de la magnanimité de l’autre. L’histoire d’Athènes – dans ses actions pacifiques, et surtout dans ses actions guerrières72 – est explicitement présentée par Aristide comme l’illustration de cette qualité englobant toutes les autres. Inscrite dans le paysage, la φιλανθρωπία est originelle et immuable et l’histoire de la cité ne pourra que la manifester, sans jamais la démentir73. Par ailleurs, en représentant une Athènes qui organise autour d’elle un système de cercles concentriques, Aristide donne la traduction géométrique de son statut de centre politique et culturel : l’Attique, « qu’on l’observe depuis l’intérieur des terres ou depuis la mer » (ἐκ γῆς καὶ θαλάττης θεωροῦντι), fait office de « rempart pour la Grèce » (ἀντ’ἄλλου φυλακτηρίου τῆς Ἑλλάδος) : ce pays, qui est « le premier du côté du soleil levant » (πρώτη πρὸς ἥλιον ἀνασχόντα) et « s’avance loin dans la mer » (προμήκης εἰς τὸ πέλαγος), donne « la preuve visible que les dieux ont fait de lui une protection pour la Grèce et que c’est à lui seul qu’il revient, par nature, de diriger le peuple grec » (καὶ μάλα ἐναργὴς συμβαλεῖν ὅτι τῆς Ἑλλάδος ἐστὶν ἔρυμα ὑπὸ τῶν κρειττόνων πεποιημένον καὶ μόνῃ ταύτῃ κατὰ φύσιν ἔστιν ἡγεῖσθαι τοῦ γένους)74. De surcroît, par un mouvement centripète, les peuples grecs convergent vers Athènes, se chargeant, par le glacis protecteur qu’ils forment contre les Barbares75, de préserver un lieu qui s’impose comme le conservatoire de l’hellénisme : Le monde grec tout entier, depuis ses extrémités, tend vers ce lieu central, comme vers l’emblème d’un bouclier et, de tous côtés, des cercles de Grecs entourent le territoire de l’Attique, certains, du côté de la mer, d’autres, du côté de l’intérieur des terres, disposés, comme il se doit, autour du foyer commun du peuple grec76.
En vérité la figure du centre et du cercle ne décrit pas seulement un phénomène d’attraction vers Athènes. Elle décrit surtout une dynamique historique, qui se révèle très productive dans le discours et permet de modéliser une part essentielle de
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ἥττους. Voir également Panathénaïque, 73 (« Ils ne sont venus de nulle part, mais ils sont nés sur place et ont accueilli ceux qui étaient venus de partout en quête d’une cité »). Une des justifications que donne Aristide à la partie substantielle (75-321) qu’il consacre aux exploits militaires est que « l’examen des actes guerriers rejoint la générosité d’ensemble de la cité » (…συμπίπτει τῇ πάσῃ φιλανθρωπίᾳ τῆς πόλεως, 75) dont il vient, dit-il, tout juste de parler. Oudot 2006. Panathénaïque, 9. Elle est séparée des barbares par « la nature de sa géographie ». Aristide traduit ici en termes topographiques un thème traité par le Ménexène de Platon (245c-d) : « Elle est en effet aussi éloignée des coutumes des Barbares qu’elle est séparée de leur pays par la nature de sa géographie. Elle ne partage avec eux aucune rivière, elle n’a avec eux aucune frontière, qui délimite et unit en même temps » (Panathénaïque, 14). Panathénaïque, 14 : ὥσπερ πρὸς ἀσπίδος ἐπίσημον πάντα πρὸς μέσον τοῦτο τὸ χωρίον ἐκ παντὸς ἄκρου τείνει τὰ Ἑλληνικά, καὶ πανταχόθεν κύκλοι περιέχουσι τὴν χώραν Ἑλληνικοί, οἱ μὲν ἐκ θαλάττης, οἱ δ’ ἀπὸ τῆς ἠπείρου περικείμενοι, ὥσπερ εἰκὸς τῇ κοινῇ τοῦ γένους ἑστίᾳ.
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l’idéologie d’Athènes. Une grande partie de l’histoire de la cité s’écrit, en effet, selon un modèle systématique qui associe trois phases dans le temps et l’espace tout à la fois : attraction, accueil et acculturation, et diffusion. Par le biais de ce modèle, Aristide peut articuler le motif de l’accueil des réfugiés, emprunté aux éloges classiques et à l’oraison funèbre, à une nouvelle histoire de la colonisation, dans laquelle Athènes tiendrait un rôle central. Athènes, explique-t-il, a donné asile aux cités et aux nations, ainsi qu’aux individus qui se trouvaient dans le besoin77 ; elle les a aidés pour, ensuite, grâce à l’excédent de population78, « envoyer partout des essaims de colonies et repeupler la terre »79. Dès lors, c’est tout un processus de diffusion de l’hellénisme qui se trouve décrit : Avec pour socle ou pour racine une cité comme Athènes, toutes les colonies grecques se répandirent alors à travers tous les pays. Car les hommes qui avaient été envoyés comme colons et qui s’étaient imposés brûlèrent du désir d’imiter leur métropole. Ils se divisèrent pour coloniser la terre, étendant pour ainsi dire la surface de la Grèce (…)80.
Une telle présentation, comme l’a déjà remarqué S. Saïd, est empruntée au Panégyrique d’Isocrate (34-36) 81. Mais, alors que les expéditions coloniales décrites par Isocrate avaient pour but de contrer l’expansion territoriale des Perses et de remédier, chez les Grecs, au manque de terres, qui générait des conflits entre eux et des expéditions les uns contre les autres, Aristide met en avant la conquête d’un espace ouvert à helléniser : il s’agit avant tout « d’étendre la surface de la Grèce » (ἐκτείνοντες […] μέτρον τὸ τῆς Ἑλλάδος) et tout se passe comme si les Grecs avaient « colonisé » la terre entière : Aujourd’hui, aux deux extrémités de la terre, habitent les enfants de vos enfants ; les uns, partis de Massalia, ont atteint Gadès, d’autres sont répartis sur le Tanaïs et le Lac Méotis82.
77. Panathénaïque, 50 ; 55-60. 78. Panathénaïque, 69 : « Lorsqu’Athènes eut reçu tous les hommes et qu’elle eut partagé avec eux son territoire, ses lois et sa citoyenneté, elle conçut le projet de mettre l’excédent de population au service de la Grèce et de faire des nombreuses cités qui avaient trouvé chez elle le même refuge l’origine d’un grand nombre de cités importantes à l’étranger ». 79. Panathénaïque, 74 : « Vraiment, envoyer de tous côtés des essaims de colonies et repeupler la terre, n’équivaut-il pas à la distribution originelle du blé, surtout lorsque tous ont la possibilité de travailler et de gagner de quoi vivre, plus facilement en raison des resssources ? ». 80. Panathénaïque, 65 : Ταύτης δὲ τοιαύτης ὥσπερ κρηπῖδος ἢ ῥίζης ὑποκειμένης ἐξεφοίτησαν καὶ διὰ πάσης ἤδη γῆς αἱ τῶν Ἑλλήνων ἀποικίαι. Τοῖς γὰρ πεμφθεῖσι καὶ κρατήσασιν ἔρως ἐμπίπτει μιμήσασθαι τὴν μητρόπολιν. Καὶ διαλαβόντες ᾤκιζον τὴν γῆν, ἐκτείνοντες ὥσπερ ἄλλο τι μέτρον τὸ τῆς Ἑλλάδος. 81. Saïd 2006, p. 52-55 : « Whereas Isocrates, in his description of Athenian colonization, praised it as a Panhellenic enterprise and only took into account the salvation it brought for the Greeks, Aristides sees it as a blueprint of the universal dominion of Rome over the oikoumene » et elle rapproche le § 64 du Panathénaïque d’Aristide du discours En l’honneur de Rome (100). 82. Panathénaïque, 66. De même, le phénomène d’une action colonisatrice imitée d’Athènes et répétée maintes fois par les cités-colonies s’inspire de celui que décrit Isocrate (Panégyrique, 36-37), mais si, chez Isocrate, l’action d’Athènes a pu être imitée, c’est parce qu’elle « a délimité un territoire sur lequel il était désormais sûr de conquérir tout l’espace » (36).
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À l’instar d’Isocrate, Aristide procède à une réécriture de l’histoire de la cité, en prêtant à Athènes, dans la colonisation archaïque, un rôle surdimensionné qui n’a pas été le sien.
En marge de ce modèle symbolique d’attraction et d’expansion, une géographie plus nettement référentielle
Athènes n’est pas seulement le centre du cercle abstrait de l’hellénisme qui se diffuse sur le monde et attire tous les peuples, elle redevient une ville qui rayonne à l’échelle du bassin égéen. C’est l’autre lecture à laquelle invite le Panathénaïque. Les déplacements et les flux (d’individus ou de groupes de personnes) sont envisagés avant tout sur un axe est-ouest. Athènes elle-même, au long de son histoire, est présentée essentiellement comme tournée vers l’Est : si elle peut faire fonction d’un rempart pour la Grèce, c’est qu’elle est, par sa disposition (σχήματι), « la première du côté du soleil levant »83. C’est grâce à cette position qu’elle a pu faire naître, sur la rive opposée de l’Égée, « une seconde Grèce, colonie d’elle-même » (ἑτέραν Ἑλλάδα ἄποικον ἑαυτῆς)84, l’Asie Mineure, lieu de ses cités-colonies sur lesquelles elle fait rejaillir la qualité de son climat85. Athènes entre ainsi dans un espace et une histoire du bassin égéen. En vérité, ce mouvement axial s’observe dès la présentation géographique de l’Attique : les îles de l’Égée (les Cyclades plus précisément) deviennent un prolongement d’Athènes et fonctionnent comme des relais entre les deux rives de la mer. Ainsi Léto quitte l’Attique et parvient à Délos au terme d’un vrai voyage à travers les îles, en direction de l’est : Léto (…) dénoua sa ceinture à Zôster86 en Attique et donna son nom à l’endroit87 puis elle marcha, toujours en direction de l’est, guidée par Athéna Pronoia ; du promontoire de l’Attique, elle gagna les îles, aborda à Délos et enfanta les dieux – Artémis et Apollon Patrôos (Ancestral) – qui protégèrent Athènes88. 83. Panathénaïque, 9. 84. Panathénaïque, 15. 85. Panathénaïque, 9 : « La cité déborde tellement de prospérité que ses cités-colonies qui occupent l’Ionie passent pour avoir le meilleur climat de tous les autres peuples, comme si elles avaient là leur part des qualités de leur maison-mère ». Voir Hérodote, I, 142, 1 où l’on retrouve le même schéma de description que pour le climat de l’Attique : « Les Ioniens (…), ceux à qui appartient le Panionion, sont de tous les hommes que nous connaissions ceux qui ont établi leurs villes sous le plus beau ciel et le meilleur climat ; ni les pays situés au nord ni ceux du sud n’égalent l’Ionie, ni ceux qui sont du côté du Levant, ni ceux qui sont du côté du Couchant, affligés les uns par le froid et l’humidité, les autres par la chaleur et la sécheresse » (trad. Legrand). Mais Hérodote ne met pas le climat de l’Ionie en relation avec celui de l’Attique. 86. Le cap Zôster (près de Vouliagmeni), mentionné par Hérodote (VIII, 107) et Hypéride (Déliakos, fr. 67, Jensen), se situe sur la côte occidentale de l’Attique, entre le cap Sounion et le Pirée, à l’extrémité méridionale de l’Hymette. Sur la bande de terre qui relie la péninsule au continent se trouvent les vestiges d’un sanctuaire d’Apollon Zôster (où Apollon, Artémis et Léto étaient honorés), qui remonte au moins au vie siècle avant notre ère et qui avait été rebâti à l’époque impériale. Une telle précision mythologique est préconisée dans le traité de Ménandros I (338, 11-12). 87. Pausanias, I, 31, 1. 88. Panathénaïque, 13 : Λητώ τε γάρ (…) λυσαμένη τὴν ζώνην ἐν Ζωστῆρι τῆς Ἀττικῆς καὶ λιποῦσα τὴν ἐπωνυμίαν τῷ τόπῳ, βαδίζουσα ἀεὶ εἰς τὸ πρὸς ἕω τῆς Προνοίας Ἀθηνᾶς
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Dans un mouvement inverse, les îles servent le dessein politique d’Athènes en facilitant la progression de l’armée perse vers le lieu qui sera celui de sa défaite. L’armée, en effet, passe par les îles, écrit Aristide, « avant de débarquer à Marathon, admirablement guidée par la nature de l’endroit pour être punie des complots qu’elle avait ourdis contre les Grecs »89. Ces flux est-ouest à travers l’Égée se retrouvent dans la partie proprement historique du Panathénaïque. Athènes est une vraie terre d’accueil90, elle qui « se comporta de la même façon envers les peuples des deux rivages, tant occidental qu’oriental »91, écrit Aristide avant d’énumérer longuement tous les peuples qui purent trouver refuge à Athènes quand ils furent dans le besoin92. Toute son histoire archaïque consiste à assurer la protection de la Grèce (en purifiant la mer Égée des pirates, en sécurisant les îles alentour et en peuplant celles qui sont autour du Péloponnèse)93 aux seules fins apparemment de « traverser la mer pour aller au-delà de ses frontières » et d’établir en Asie « un grand nombre de belles colonies »94. Ainsi le Panathénaïque prolonge la tradition littéraire (sans doute athénienne et non pas ionienne) qui fait d’Athènes et de l’Attique le lieu de départ de la colonisation ionienne d’Asie Mineure95, dans la ligne d’Hérodote96 et de l’Ion d’Euripide, mais en
89.
90.
91. 92. 93. 94. 95.
96.
ἡγουμένης, ἀπ’ ἄκρας τῆς Ἀττικῆς ἐπιβᾶσα τῶν νήσων εἰς Δῆλον καταίρει καὶ τίκτει δὴ τοὺς θεοὺς τήν τε Ἄρτεμιν καὶ τὸν πατρῷον Ἀπόλλω τῇ πόλει. Voir Callimaque, Hymne à Délos, v. 150-259 (sur l’arrivée difficile de Léto à Délos) et l’hymne d’Aristide, En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 11. Panathénaïque, 13 : ἥ τ’ἀπὸ τῆς Ἀσίας ἐπὶ τοὺς Ἕλληνας πρώτη διαβᾶσα δύναμις διὰ τῶν νήσων προσέσχεν εἰς Μαραθῶνα, καλῶς ὑπὸ τῆς φύσεως ἀχθεῖσα τοῦ τόπου πρὸς τὸ δοῦναι δίκην ὧν ἐπεβούλευσε τοῖς Ἕλλησιν. Hérodote (VI, 95, 2) confirme ce trajet (qui passe par Naxos). Voir également, dans le Panathénaïque, le récit de l’expédition des Amazones : « Elles avaient désormais mis sur un pied d’égalité les deux continents : elles prirent le Thermodon comme borne de départ de leur expédition, traversèrent l’Asie jusqu’à la Lycie, la Carie et la Pamphylie, comme si elles marchaient dans leur propre camp, puis elles traversèrent l’Europe jusqu’au campement qu’elles dressèrent face à la cité. Mais à ce point précis, comme si un câble s’était rompu, elles firent brutalement marche arrière. L’empire des Amazones était dissous et leur raid achevé » (83-84). Panathénaïque, 54 : « La route qu’avaient suivie les enfants d’Héraclès jusqu’à Athènes fut empruntée plus tard par tous les exilés, ou plutôt ils trouvèrent refuge ici à la suite d’un grand nombre de personnes avant eux. Car c’est à tous les hommes dans le besoin que la cité a ouvert ses portes, d’emblée, dès le début ». Aristide entend par là les deux côtes de l’Égée. Panathénaïque, 55-61. Panathénaïque, 63-64. Panathénaïque, 64. Voir également Smurnaïkos II (or. XXI), 4 ; Sakellariou 1958 ; 1990, p. 133-149. Nous renvoyons ici à l’article de J. Kuciak (Kuciak 2003) : selon certains, les cités ioniennes auraient voulu rendre visibles leurs liens avec Athènes en prétendant avoir été fondées par des colons athéniens. Mais une telle tradition ne se trouve pas dans les sources. D’après J. Kuciak, qui discute les travaux de J. Bremmer (Bremmer 1997) et M. Sakellariou (Sakellariou 1958), l’unité ethnique entre Athéniens et Ioniens n’apparaît que dans des oeuvres du ve siècle (Hérodote, I, 146 ; Thucydide, I, 3 ; puis Hérodote, VII, 94 et VIII, 44, faisant apparaître Ion peut-être d’après le Catalogue des Femmes ; Euripide, Ion). Ce serait là une façon de souligner l’antiquité des Athéniens et leurs liens avec l’Ionie, terre prestigieuse, et de renforcer la fierté impérialiste d’Athènes au moment où elle combat pour préserver son empire. Voir également Prost 2001, p. 116-118. I, 146-147 ; VIII, 44.
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se fondant avant tout sur Thucydide. L’historien fait de la colonisation ionienne le fruit d’une politique d’émigration concertée par Athènes, soucieuse de trouver de nouvelles terres pour une population grossie par l’arrivée d’étrangers « très aisés » (δυνατώτατοι) et par ailleurs faits citoyens. L’émigration vers l’Ionie apparaît alors sous un jour positif, comme le résultat de la longue stabilité politique de l’Attique (sa pauvreté l’ayant prémunie contre les staseis) et non comme celui de départs dus à des guerres civiles et des déchirements intérieurs à l’instar de ce que connaissent la Thessalie, la Béotie et le Péloponnèse (à l’exception de l’Arcadie)97. À l’évidence, Aristide veut réaffirmer la parenté entre Athènes et Smyrne, en l’inscrivant fortement dans le contexte culturel de son époque. De fait, ce lien étroit, tout à la fois topographique et culturel, est également invoqué dans les Discours smyrniotes. Smyrne y apparaît, à plusieurs égards, comme un double d’Athènes : son peuple est né du sol, et les seuls colons qu’elle a accueillis étaient « les descendants des autochtones de l’autre continent » (ἐδέξατο καὶ τούτους ἀπὸ τῶν αὐτοχθόνων ἀπὸ τῆς ἑτέρας ἠπείρου)98. La seconde fondation de Smyrne, qui en connut trois, fut le fait de Thésée, lors de son expédition contre les Amazones, et ses habitants seraient des Athéniens99. Par ailleurs, « colonie » et « métropole » partagent des caractéristiques et des valeurs : elles bénéficient du même climat100, elles connaissent la même délicatesse de vie et montrent le même courage à la guerre101. Elles rivalisent même en matière de paideia : Smyrne est, dans ce domaine, « le cœur du continent » (ἑστίαν τῆς ἠπείρου παιδείας ἕνεκα)102, quand Athènes est célébrée comme « le prytanée de la sagesse » (τὸ τῆς σοφίας πρυτανεῖον) et comme « le foyer et le rempart de la Grèce » (τὴν τῆς Ἑλλάδος ἑστίαν καὶ τὸ ἔρεισμα)103. Et l’orateur compare explicitement leur destin. Toutes deux furent détruites (Athènes par les Perses, Smyrne par le tremblement de terre de 178) et toutes deux connurent ensuite un renouveau extraordinaire104. Tout se passe comme si, dans l’œuvre d’Aristide, Athènes et Smyrne 97. Voir I, 2. Il est intéressant de noter que le cas de l’Attique contredit le schéma explicatif mis en place par l’historien : on quitte l’Attique non pas parce que le pays est riche (schéma initial), mais au contraire parce qu’il est insuffisant (οὐχ ἱκάνης οὔσης τῆς Ἀττικῆς, I, 2, 6). C’est une autre histoire qui s’écrit, qui est sans doute une rétroprojection de la réalité contemporaine, marquée par la propagande favorable à l’impérialisme athénien. 98. Smurnaïkos I (or. XVII), 5. Voir Sakellariou 1958, p. 293-295 : on ne peut connaître avec certitude l’appartenance ethnique des colons grecs qui s’implantèrent à Smyrne. Voir le point fait par C. Franco (Franco 2005, p. 434-440). 99. Smurnaïkos I (or. XVII), 5 ; Monodie sur Smyrne (or. XVIII), 2 ; Lettre sur Smyrne (or. XIX), 4 ; Smurnaïkos II (or. XXI), 4 (en Palinodie sur Smyrne [or. XX], 20, Aristide fait même de Thésée le premier fondateur de Smyrne, suivi par Alexandre, puis par le pouvoir romain). Voir Sakellariou 1958, p. 224 et p. 407-408. Sur l’histoire de Smyrne, voir par ex. Bean 1966, p. 41-52 et Franco 2005, p. 433-440. 100. Panathénaïque, 18-19 ; En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 5-6. 101. Smurnaïkos I (or. XVII), 6. La mention de la délicatesse est un souvenir de Thucydide, I, 6, 3. 102. Smurnaïkos I (or. XVII), 13. Voir Philostrate, Vies des sophistes, I, 25, 531 : l’école que Polémon ouvre à Smyrne attire toute la jeunesse du continent et des îles, une « jeunesse choisie et issue de la Grèce pure » (νεότητος...ἐξειλεγμένης τε καὶ καθαρῶς Ἑλλάδος). 103. Panathénaïque, 401. C’est Polémon, le grand orateur de Smyrne, qu’Hadrien chargea de prononcer le discours d’inauguration de l’Olympieion à Athènes (Philostrate, Vies des sophistes, I, 25, 533). 104. Smurnaïkos II (or. XXI), 12 ; voir Panathénaïque, 191 : « En un mot, Athènes est la seule cité qui, à cause de sa valeur, soit devenue inhabitée, et la seule qui, par suite de sa valeur, ait
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mutualisaient ce qu’elles ont de plus précieux : Athènes a donné Thésée à Smyrne et Smyrne a donné Homère105 à Athènes. Enfin, le bénéfice de cette parenté rejaillit sur Aristide lui-même qui, familier de Smyrne où il a suivi l’enseignement d’Alexandros de Cotiaéion et de Polémon, et où il a connu une grande notoriété106, peut prétendre ipso facto à la qualité d’Athénien, ce qu’il ne manque de revendiquer à mots à peine couverts dans le Panathénaïque107. Mais, au-delà d’un lien privilégié avec Smyrne, Aristide célèbre Athènes comme siège du Panhellenion, et, à ce titre, la géographie qui informe l’histoire de la cité est aussi une géographie contemporaine108. Le Panathénaïque ne désigne pas le Panhellénion par son nom officiel. Pourtant il ne fait aucun doute que cette structure, créée en 131-132 par Hadrien, avec la mission de réunir des cités pouvant fournir un « brevet » d’hellénisme (par des parentés légendaires, des ancêtres communs avec l’une des grandes cités grecques, Athènes, Sparte ou Argos…)109 et de loyauté à Rome110, forme l’arrière-plan d’une déclaration d’Aristide dans le Panathénaïque. Nul ne se ferait honneur d’avoir Pella ou Aigaï pour patrie, mais il n’est aucun Grec qui ne souhaiterait être né Athénien plutôt que citoyen de sa propre cité. Et les individus ne sont pas les seuls à respecter Athènes, les cités aussi la respectent, celles qui ont été véritablement fondées à partir d’ici et par vous préféreraient dire qu’elles descendent de vous plutôt que d’acquérir une puissance égale à la vôtre, et les autres tournent en rond en cherchant le moyen de remonter jusqu’à vous111.
été à nouveau fondée et ait occupé les territoires précédemment inhabités, devenue par ses actes, sa gloire et sa parure tout ensemble, plus belle et plus grande » ; voir également Palinodie sur Smyrne (or. XX), 12-14. Sur le renouveau de Smyrne, voir Franco 2005, p. 484-496. 105. Smyrne se flattait d’avoir vu naître Homère : voir Aristide, Smurnaïkos I (or. XVII), 15. Et Athènes peut se prévaloir du prestige de la poésie d’Homère, parce que la cité du poète est une de ses colonies (Panathénaïque, 328). 106. Anthologia Graeca, XVI, 320 : φασὶν γὰρ πᾶσαι· “Σμύρνη τέκε θεῖον Ὅμηρον / ἡ καὶ Ἀριστείδην ῥήτορα γειναμένη” ; Philostrate, Vies des sophistes, II, 9, 582, à propos des succès obtenus par Aristide auprès de Marc Aurèle pour la reconstruction de la ville : « Dire qu’Aristide fut même un fondateur de Smyrne n’est pas un éloge usurpé, mais tout à fait mérité et tout à fait exact » (trad. Robert, Les œuvres perdues d’Aelius Aristide : fragments et témoignages, Thèse, Strasbourg, 2008, tome II, annexe 1) ; Quet 1992, p. 393-394. 107. Panathénaïque, 8 : « Je crois que si l’on me voit, parfois, parler d’Athènes comme si elle était ma propre cité et que je participais de ses vertus, je ne saurais vous faire honte », et 329 : « Si notre contribution a quelque valeur – il en est ainsi aujourd’hui grâce à la faveur des dieux – c’est à vous qu’elle remonte aussi, et par conséquent on ne peut condamner notre discours pour usurpation de nationalité ». 108. Quet 2000, p. 116-122. 109. Le phénomène est étudié pour l’époque hellénistique par O. Curty (Curty 1995). 110. Sur le Panhellénion, voir notamment Follet 1976, p. 125-135 ; Spawforth, Walker 1985, Jones 1996, Romeo 2002 et Doukellis 2009. Pour la liste des cités, voir par exemple Spawforth, Walker 1985, p. 80-82 et Romeo 2002, p. 23-24 (avec carte). 111. Panathénaïque, 334 : Πέλλῃ μὲν γὰρ οὐδεὶς ἂν φιλοτιμοῖτο πατρίδι οὐδὲ Αἰγαῖς, Ἀθηναῖος δὲ οὐδείς ἐστιν Ἑλλήνων ὅστις οὐκ ἂν εὔξαιτο μᾶλλον ἢ τῆς ὑπαρχούσης πόλεως πολίτης γεγονέναι. Οὐ μόνον δὲ τὰ τῶν ἰδιωτῶν οὕτω πρεσβεύουσι τὰς Ἀθήνας, ἀλλὰ καὶ πόλεις αἱ μὲν ὡς ἀληθῶς ἐνθένδε καὶ παρ’ ὑμῶν οἰκισθεῖσαι ἥδιον ἂν ὡς ἀφ’ ὑμῶν εἰσιν εἴποιεν ἢ τὴν ἴσην ὑμῖν κτήσαιντο δύναμιν, αἱ δὲ κύκλῳ περιέρχονται ζητοῦσαι τρόπον τινὰ εἰς ὑμᾶς ἀνενεγκεῖν.
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Il y a là, à n’en pas douter, une allusion aux exigences relatives à l’inscription au Panhellénion : un certain nombre de cités, ainsi, revendiquèrent des liens de parenté avec Athènes ou affirmèrent qu’elles comptaient parmi ses colonies112. Dans ce cadre, le texte d’Aristide doit être rapproché du témoignage de Pausanias : les cités d’Ionie et des îles, dont la tradition faisait des fondations par des colons venus de l’Attique au temps de la migration ionienne, étaient représentées, en avant de la colonnade du temple de Zeus Olympien, par des statues de bronze, « que les Athéniens, précise le périégète, appelaient ‘statues coloniales’ » (I, 18, 6)113. Le Panathénaïque entre, nous semble-t-il, en parfaite résonance avec cette institution à travers laquelle Hadrien rend officiellement hommage à Athènes, en lui reconnaissant son importance dans l’histoire de l’hellénisme et son rayonnement dans le domaine intellectuel et artistique114. Nous voudrions aller un peu plus loin encore. Le Panathénaïque participe de l’élaboration d’une carte du monde recentrée sur le monde égéen – la mer elle-même, les îles, et les cités qui la bordent. On comprend la pleine signification de ce discours en apprenant à le dissocier du discours En l’honneur de Rome pour le faire dialoguer avec certains des hymnes en prose (notamment l’hymne En l’honneur de la mer Égée) et les discours aux villes dans lesquelles se produit Aristide115. Toutes ces œuvres, prises ensemble, élaborent une représentation de l’espace égéen, en même temps qu’elles tiennent un discours sur lui – un espace allant de Rhodes au Pont-Euxin, décrit par le biais des cités, notamment Smyrne et Éphèse, les grandes cités côtières d’Asie Mineure, ainsi que Cyzique sur la Propontide, auxquelles s’ajoutent différents lieux du pourtour de l’Égée. Dès lors, le monde décrit et célébré par Aristide cesse d’obéir à la stricte bipolarité entre Athènes et Rome, à laquelle invite trop facilement la comparaison de ces deux seuls éloges.
Le monde égéen dans l’œuvre d’Aristide : quelques pistes Nous ne prétendons pas ici recenser tous les éléments de l’espace égéen dans l’œuvre d’Aristide, mais seulement suggérer quelques pistes.
112. Sartre 1991, p. 194-196. Aristide lui-même affirme que Smyrne et Éphèse sont des colonies d’Athènes ; mais pour que Pergame ne soit pas en reste, il ajoute qu’« elle peut aussi avoir des prétentions proches de celles d’Athènes si l’on considère qu’elle a produit des hommes autochtones et des héros » (ἤδη δὲ ἔχει τι καὶ αὕτη παραπλήσιον ταῖς Ἀθήναις αὐχῆσαι κατὰ τὴν τῶν αὐτοχθόνων ἀνδρῶν τε καὶ ἡρώων φοράν – Aux villes, sur la concorde (or. XXIII), 26. 113. Étienne 2004, p. 192-193. 114. Même s’ils sont désignés par des termes génériques, les monuments d’Athènes que mentionne l’éloge d’Aristide (354) reflètent en grande partie le programme architectural d’Hadrien (voir par ex. Spawforth, Walker 1985, p. 92-105). Par ailleurs, rappelons qu’Hadrien rehausse le statut des Panathénées en faisant de ce concours un « concours sacré eisélastique » où les vainqueurs, alors hiéronikai, bénéficient de privilèges substantiels, et ont droit à une entrée triomphale dans leur propre cité (eisélasis). Voir par ex. Follet 1976, p. 331-343. 115. Il prononce ainsi des hymnes à Pergame, dans l’atmosphère cultivée de l’Asclépiéion, à Corinthe, à Smyrne, à Baris également, petite localité de Mysie. Pour plus de précisions, voir Goeken 2012.
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Le lecteur attentif aux éléments topographiques et géographiques est frappé par le fait que plusieurs villes sont célébrées pour leur site qui associe la terre et la mer. Ainsi, Éphèse s’étend autant à l’intérieur des terres que sur la mer elle-même (πολλὴ μὲν γὰρ εἰς μεσόγειαν ἀεὶ βαδίζοντι, πολλὴ δ’ ἐπ’ αὐτῆς τῆς θαλάττης)116. Le golfe de Smyrne est un « sein » (κόλπος) qui protège par sa douceur, son utilité et sa forme117, en même temps qu’une « mer ouverte » (θάλαττα ἐξώπιος)118. Quelle vue est la plus belle sur la cité ? Les voyageurs qui ont pris la voie de mer et ceux qui ont cheminé par la terre se disputent pour savoir lesquels d’entre eux ont éprouvé le plus grand plaisir à ce spectacle119. Le cas le plus éclatant est sans doute celui de Cyzique dans le discours XXVII. Le site si particulier de cette cité de Propontide, « le dos tourné vers la mer, placée à la jonction entre un isthme étroit et une presqu’île montagneuse »120, est caractérisé à plusieurs reprises comme un site « à la fois sur le continent et sur la mer »121 au point que, écrit Aristide, « on pourrait appeler la cité elle-même une île, une péninsule, ou de tout autre terme entre péninsule et continent » (αὐτήν γε τὴν πόλιν καὶ ὡς νῆσον προσείποις ἂν καὶ ὡς χερρόνησον καὶ εἴ τι ἐπέκεινα χερρονήσου πρὸς ἤπειρον)122. Aristide est plus particulièrement sensible aux lieux et aux cités où s’articulent des espaces différents. Grâce à l’Hellespont qui asssure un lien (σύνδεσμον) et grâce au détroit du Bosphore, la même Cyzique est à la jonction à la fois des deux mers, la mer Égée et le Pont Euxin123, et de la zone maritime et de l’arrière-pays. Mais c’est surtout à Corinthe que revient la situation la plus spectaculaire, elle qui, grâce à la géographie de l’Isthme124, peut, par une sorte de verrou façonné par Poséidon, délimiter les deux mers, en recevant de part et d’autre leurs navires et leurs richesses.
116. Aux villes, sur la concorde (or. XXIII), 24. 117. Voir également Discours isthmique en l’honneur de Poséidon (or. XLVI), 24, à propos du golfe de Corinthe et du golfe Saronique. 118. Smurnaïkos I (or. XVII), 22. 119. Aux villes, sur la concorde (or. XXIII), 20. 120. Panégyrique de Cyzique (or. XXVII), 11. Nous reprenons ici la caractérisation de Schlosser 2014, p. 254. 121. Panégyrique de Cyzique (or. XXVII), 6. 122. Panégyrique de Cyzique (or. XXVII), 11 ; 12. Sur cette ambiguïté dans la désignation géomorphologique de l’Arctonnèse (île ou presqu’île), voir Schlosser 2014, p. 260-262 : « La cité de Cyzique a pu être localisée au début de son histoire sur une île qui, à partir du ive siècle avant J.C., s’est trouvée reliée au continent pour former une presqu’île artificielle, puis naturelle ». Elle est placée devant l’Asie, écrit Aristide, « commençant à partir d’une île, s’achevant dans un continent » (§ 6), avant de préciser : « Située au milieu de la mer, elle réunit tous les hommes au même endroit, escortant ceux qui vont de l’intérieur vers l’extérieur et inversement, comme l’omphalos de l’espace qui s’étend entre Gadeira et le Phase » (τῆς γὰρ θαλάττης ἐν μέσῳ κειμένη συνάγει πάντας ἀνθρώπους εἰς ταυτὸν, τούς τε ἀπὸ τῆς εἴσω πρὸς τὴν ἔξω παραπέμπουσα καὶ τοὺς ἔξωθεν πρὸς τὰ εἴσω, ὥσπερ τις ὀμφαλὸς τοῦ μεταξὺ τόπου Γαδείρων καὶ Φάσιδος, 7). 123. Panégyrique de Cyzique (or. XXVII), 6-7. Elle est même, écrit Aristide, au centre « d’une mer qui a plusieurs aspects » (θάλατταν πολλαπλῆν, 8), se référant à la mer Noire et à la mer d’Azov d’un côté, et à l’Hellespont de l’autre. Voir par ailleurs Schlosser 2014, p. 259 : « Leur situation à petite échelle en fait des axes de communication obligés entre l’archipel égéen et l’espace pontique, mais aussi entre l’Europe et l’Asie. Cyzique s’inscrit donc dans un espace d’interface à la fois maritime et continental qui explique et qui sous-tend son histoire ». 124. Voir également l’évocation des autels de Poséidon à l’entrée du Pont-Euxin : Discours isthmique en l’honneur de Poséidon (or. XLVI), 17.
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Il (i.e. Poséidon) a détourné ici de toutes parts la mer tout entière, en ajoutant des portes des deux côtés et en déployant sur elle ce qu’on appelle l’isthme, aussi bien à l’est qu’à l’ouest, et en ménageant en même temps une fermeture (…). À propos des mers, il légiféra et ordonna que chacune conserve ses limites. Puis il les redéploya largement et donna à chacune une grande ouverture vers le large (…). Par conséquent les navires entrent et sortent chacun au même moment avec des brises favorables ; sous l’effet des mêmes vents, on gagne le large et on rentre au port, sur cette terre et cette mer seules au monde ; et tout arrive ici de partout, par terre et par mer125.
D’une façon générale, on voit se créer, entre la terre et la mer, la fiction d’un espace continu dans lequel la mer Égée ne sert plus à délimiter, mais au contraire à unir fortement deux continents. Tel est le sens fondamental de l’hymne qu’Aristide lui consacre (or. XLIV), peut-être en ex voto pour une traversée favorable126. L’Égée est célébrée comme tenant le milieu (μέσον) entre deux terres. Ce rôle de jonction s’exprime aussi par une façon particulière de traiter l’élément marin lui-même. Paradoxalement la mer est moins évoquée comme un élément liquide que comme un espace continental. Sa fonction est avant tout d’accueillir des îles et des îlots de terre, destinés à conduire d’une rive à l’autre sans que l’on « quitte le sol terrestre » : Il s’agit là de la région la plus peuplée et de la plus florissante de la mer. Il est possible d’y naviguer aussi longtemps que l’on veut et d’aller, à l’inverse, par voie de terre aussi longtemps que l’on ne veut pas faire le tour en bateau, pour traverser, après avoir débarqué, jusqu’à un autre rivage, et, de là, gagner le large127.
Et à ce titre, les îles sont mises à l’honneur128 : elles forment un chœur, spectacle « plus sacré que toute ronde dithyrambique », source de réconfort (παραψυχή) au milieu des périls et de récréation (ψυχαγωγία) pour la navigation129. Grâce à elles, la mer Égée devient une mer accueillante et sécurisée, pourvoyeuse de joie et de plaisirs130, une mer qu’Aristide oppose explicitement à celle d’Homère, dangereux
125. Discours isthmique en l’honneur de Poséidon (or. XLVI), 21-22 : πᾶσαν τὴν πανταχόθεν θάλατταν ἐπέστρεψε δεῦρο, πύλας ἑκατέρωθεν ἐπιθεὶς καὶ ἀναπετάσας αὐτῇ τὸν ἰσθμὸν τοῦτον καλούμενον, πρός τε ἕω καὶ πρὸς ἑσπέραν ὁμοίως, συγκλείσας τε ἅμα (…), καὶ νόμον θεὶς καὶ τάξας ἐπ’ αὐταῖς φυλάττειν τὰ ἑαυτῆς ὅρια ἑκάστην, καὶ ἀναπετάσας πάλιν καὶ δοὺς πολλήν τινα τὴν πρόσω εὐρυχωρίαν ἑκάστῃ (…), εἰσπλεῖν τε καὶ ἐκπλεῖν ἐν τῷ αὐτῷ ἐξ οὐρίων ἑκάστους, καὶ ὑπὸ τοὺς αὐτοὺς ἀνέμους ἀναγωγάς τε καὶ καταγωγὰς γίγνεσθαι ἐν μόνῃ τῶν πασῶν τῇ γῇ ταύτῃ καὶ τῇ θαλάττῃ· πάντα τε δεῦρο φοιτᾶν τὰ πανταχόθεν κατά τε γῆν καὶ κατὰ θάλατταν. Les traductions des or. XLIV et XLVI sont empruntées à Goeken 2012. 126. En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 2 ; 18. Goeken 2012, p. 527-528. 127. En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 9 : ὅτι τὸ μάλιστα οἰκούμενον καὶ ἀκμάζον τῆς θαλάττης τοῦτό ἐστι, καὶ τοσαῦτά ἐστι πλεῖν ὁπόσα τις βούλεται, καὶ τοσαῦτά γε αὖ πεζεῦσαι ὁπόσα τις μὴ περιπλεῖν βούλεται, ἀλλὰ διεξελθὼν ἐπ’ ἄλλην ἀκτὴν κατάρας ἐκεῖθεν ἀφιέναι. 128. Cette célébration va à rebours de toute une tradition qui fait des Cyclades des lieux de pauvreté, de sécheresse et d’isolement : voir Diodore V, 50, 4 ; Doukellis 2001, p. 49-52. 129. En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 12. 130. Toutefois, la mer Égée tient son caractère divin du fait qu’elle est non seulement accueillante, mais aussi effrayante (En l’honneur de la mer Égée [or. XLIV], 10).
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espace de désolation131. Les îles constituent même de véritables surfaces sur la mer jusqu’à la transformer, par leur nombre et leur proximité132, en un véritable espace terrestre133. Elles en viennent à être désignées comme des cités, achevant ainsi de métamorphoser la mer en paysage urbanisé134. Seule cette mer n’est pas moins peuplée que la terre elle-même, et il y a autant de distance entre ses cités qu’il y en aurait entre les cités du continent, lesquelles sont séparées par les campagnes intermédiaires135.
Entre terre et mer, Grèce et Ionie, l’espace ne connaît pas de solution de continuité, mais il est, au contraire, unifié et homogène. Cette représentation géographique, qui obéit aux normes rhétoriques mais qui est remarquablement cohérente d’un hymne et d’un discours à l’autre, est le support, chez Aristide, d’une forte vision culturelle. L’univers dont l’orateur ne cesse de décrire et de célébrer l’unité organique est avant tout un univers grec. L’espace égéen et ionien est historicisé, en étant constamment mis en relation avec les cités anciennes de la Grèce continentale. Aristide arrime ainsi le passé des cités d’Asie Mineure qu’il célèbre (Smyrne, Éphèse, Pergame)136 à l’histoire d’Athènes, de Sparte, d’Argos – comme s’il relayait là leur volonté d’hellénisme. L’Hymne En l’honneur de la mer Égée et le Panathénaïque, notamment, se font écho. En envoyant des ressortissants partout dans le monde, et surtout en Ionie, Athènes a comblé tout l’espace entre la Grèce et le littoral d’Asie Mineure137 et, par ailleurs, c’est bien la mer Égée qui unit les deux rives. Elle est bordée, des deux côtés, des peuples les plus illustres et les plus civilisés, d’une part l’Ionie et la terre d’Éolide, et de l’autre la Grèce, si bien que seule cette mer mérite d’être appelée le milieu de la Grèce dans son entier, à supposer qu’on voie là un seul peuple grec sur chacun des deux continents138. 131. En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 9 : « Il n’est pas nécessaire, comme c’est le cas pour la mer d’Homère, de traverser un désert pour parvenir à un lieu habité, en sorte que la route ne soit agréable à aucun des dieux en raison de sa désolation ». 132. En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 13 : « Une fois qu’on est entré dans la mer, que ce soit à la poupe, à la proue, à bâbord ou à tribord, tout finit semblablement par une île, si bien que de prime abord on ne sait même pas comment passer à travers ». 133. En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 8 ; voir Panathénaïque, 10 : « À travers l’Attique, on longe la côte, on contourne les îles, on foule la terre ferme et l’on est en pleine mer, comme dans une procession où l’on choisirait en toute liberté ce qui fait plaisir ». 134. Discours isthmique en l’honneur de Poséidon (or. XLVI), 12 : « À présent cependant, la terre et la mer ont été réunies par ce dieu (i.e. Poséidon) ; il y a bâti pour les hommes des cités, que nous appelons à présent des îles, de sorte que même sur la mer on ne regrette pas la terre et qu’être sur la mer revient à être sur la terre » ; voir également En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 8. 135. En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 9 : Μόνον γὰρ τοῦτο πελαγῶν οὐχ ἧττον οἰκεῖται ἢ αὐτὴ ἡ γῆ· πόλεις τε ἔχει τοσοῦτον ἀλλήλων διεχούσας ὅσον ἂν καὶ τὰς ἐν τῇ ἠπείρῳ πόλεις αἱ μεταξὺ χῶραι διακρίνοιεν. 136. Voir par exemple Smurnaïkos I (or. XVII), 5 ; Monodie sur Smyrne (or. XVIII), 2 et Smurnaïkos II (or. XXI), 3 (Smyrne reçoit Thésée d’Athènes et donne Pélops aux Péloponnésiens) ; Aux villes, sur la concorde (or. XXIII), 26 (Smyrne et Éphèse sont des colonies d’Athènes) ; Pergame, Aux villes, sur la concorde (or. XXIII), 15. 137. Panathénaïque, 65. 138. En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 4 : Γένη δὲ τὰ ἐνδοξότατα καὶ ἡμερώτατα ἐφ’ ἑκατέρας τῆς ἀκτῆς ἔχων, ἔνθεν μὲν Ἰωνίαν καὶ τὴν Αἰολίδα γῆν, ἑτέρωθεν δὲ τὴν Ἑλλάδα. Ὥστε
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Ce faisant, elle concilie, précise Aristide, les deux traditions littéraires qui rivalisent en célébrant l’une, l’Attique, l’autre, l’Ionie. Telle est bien sa supériorité définitive : Cela est évident quel que soit le discours que l’on tient : ceux qui affirment que l’Attique se tient sous la plus belle partie du ciel139 et ceux qui, au contraire, affirment que c’est l’Ionie140 admettent bien les uns et les autres que la meilleure partie se trouve globalement à cet endroit. Dans la mesure où la mer s’étend le long des deux rivages, quel que soit celui des deux que l’on considérerait comme supérieur, il lui appartient ; et s’il fallait, d’autre part, comme dans les autres contestations, faire des concessions mutuelles et en venir au moyen terme, comme je l’ai dit, l’Égée est ce moyen terme141.
Tout le bassin égéen devient un espace qui favorise les voyages, les échanges, le commerce, un espace de « connectivité » comme l’analyse C. Constantakopoulou142. De fait, Aristide célèbre à maintes reprises la sécurité qu’offrent les routes maritimes, la facilité et le plaisir que l’on trouve à traverser la mer en passant d’une île à l’autre. En des termes humains, c’est un univers harmonieux, qui engendre l’amitié et la concorde143 et qui, mieux qu’un autre, jouit des bienfaits de la paix. De même que le paysage de l’Attique donne à voir la philanthrôpia de son peuple, la concorde entre les cités est visualisée par la mer Égée et par l’isthme de Corinthe. Mais, surtout, nous lisons dans l’œuvre d’Aristide un véritable recentrement du monde habité autour du bassin égéen. Tout comme Athènes définissait le centre du monde, la mer Égée est située « au centre de la terre habitée et de la mer ». Aristide explicite : Au nord, elle a laissé derrière elle l’Hellespont, la Propontide et le Pont, et, au sud, le reste de la mer, en distinguant l’Asie de l’Europe à l’endroit où elles se séparent pour la première fois après l’Hellespont144.
Le monde dont le centre est marqué par l’Égée est réduit à la partie orientale du bassin méditerranéen ; toute la Méditerranée et les pays d’Europe occidentale qui la bordent sont englobés et disqualifiés dans l’expression « τὴν λοιπὴν θάλατταν ». μόνον τοῦτο ἂν εἴη πελαγῶν μέσον εἶναι τῆς πάσης Ἑλλάδος ἄξιον εἰπεῖν, εἴ τις ἓν τοῦτο γένος Ἑλλήνων ἐφ’ ἑκατέρας τῆς ἠπείρου τιθείη. 139. Voir les références données par J. Goeken : par exemple, Platon, Timée, 24c5-7 ; voir Euripide, fr. 981 dans Nauck Snell, Tragicorum Graecorum Fragmenta. Supplementum, p. 677 ; Médée, 829-830 ; Plutarque, Alexandre, 52, 8-9 ; Aelius Aristide, Panathénaïque, 19 (Goeken 2012, p. 535, n. 13). 140. Voir les références données par J. Goeken : par exemple, Hérodote, I, 142 ; Hippocrate, Airs, eaux, lieux, 12 et 16 ; voir Aelius Aristide, or. LI, 60 (Goeken 2012, p. 535, n. 4). 141. En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 6 : δῆλον δὲ κατ’ ἀμφοτέρους τοὺς λόγους. οἵ τε γὰρ τὴν Ἀττικὴν ἐν τῷ καλλίστῳ τοῦ οὐρανοῦ φάσκοντες εἶναι οἵ τ’ αὖ τὴν Ἰωνίαν ὁμολογοῦσι δήπουθεν ἀμφότεροι περὶ τοῦτον ὅλως τὸν τόπον εἶναι τὸ βέλτιστον. Kαθότι γὰρ ἀμφοτέρας παρατείνει τὰς ἀκτὰς, ὁποτέραν ἄν τις αὐτῶν τιθῇ κρατεῖν, ἔχει ταύτην, καὶ εἰ δεήσειεν αὖ κατὰ τὰς ἄλλας ἀμφισβητήσεις ἐπιχωρήσαντας ἀλλήλοις ἐπὶ τὸ μέσον ἐλθεῖν, ὅπερ εἶπον, ὁ Αἰγαῖός ἐστι τοῦτο. 142. Constantakopoulou 2007, p. 20-28 et 222-226. 143. Discours isthmique en l’honneur de Poséidon (or. XLVI), 11. 144. En l’honneur de la mer Égée (or. XLIV), 3 : πρὸς ἄρκτον μὲν Ἑλλήσποντον καὶ Προποντίδα καὶ πόντον καταλιπὼν, πρὸς δὲ μεσημβρίαν τὴν λοιπὴν θάλατταν, διαιρῶν μὲν τὴν Ἀσίαν ἀπὸ τῆς Εὐρώπης. ᾗ πρῶτον μεθ’ Ἑλλήσποντον διίστασθον·
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De même, si « toutes les parties les plus remarquables et les plus renommées de la terre ont été consacrées à Poséidon »145, il n’en est pas moins vrai que l’énumération des sanctuaires qu’entreprend Aristide décrit une trajectoire qui part du Pont-Euxin, passe par l’Hellespont, les Cyclades et s’achève au port de Géreste, promontoire du sud-est de l’Eubée, et à l’entrée de la mer Ionienne146. La terre entière semble circonscrite au domaine martitime égéen. Certes Rome n’est pas effacée de ce monde. Aristide ne cesse de rappeler la paix apportée par le régime impérial, il se plaît à célébrer l’action des empereurs, leurs visites et les réalisations architecturales qu’on leur doit147. Mais, à l’évidence, l’empire romain est peu présent dans la topographie et la toponymie (à l’exception toutefois d’Actium à propos de Leucade148), de même qu’il est rarement nommé, dans ces textes, comme l’unité topographique à laquelle rapporter la Grèce et l’Orient grec149. Par l’élaboration d’un espace grec continu, homogène et prospère unissant la Grèce continentale des cités classiques et la province d’Asie, Aelius Aristide opère un fort recentrement sur l’Orient hellénisé, région dont il est originaire. Cette expression d’une identité culturelle et politique n’implique pourtant pas un rejet de Rome : la description du monde égéen est marquée par les actions politiques impériales, scandée par la célébration des bienfaits de la paix romaine et l’exhortation à la concorde. Corollairement, les cités grecques, l’Ionie et Alexandrie sont réintroduites dans le discours En l’honneur de Rome – comme « autant d’offrandes et de parures qui rendent honneur » à Rome150. Le propos géographique d’Aristide confirme la place du monde grec au sein de l’Empire, bénéficiant de la politique impériale. Par ailleurs, cette vision spatiale, tout comme le rôle prêté à Athènes dans la colonisation ionienne de l’époque archaïque, est à mettre en relation avec le monde du Panhellénion créé par Hadrien, dans une volonté d’unir les Grecs.
145. Discours isthmique en l’honneur de Poséidon (or. XLVI), 16. 146. Discours isthmique en l’honneur de Poséidon (or. XLVI), 17-18. Voir également Aux villes, sur la concorde (or. XXIII), 10 (Pergame, Smyrne et Ephèse sont situées dans une région « au cœur de l’empire tout entier », bordée de peuples et de nations pacifiées) et 24 (tous les hommes « qui vivent entre les colonnes d’Héraclès et le Phase auraient raison de penser qu’ils ont des liens personnels avec Éphèse, grâce à l’accessibilité de ses ports et toutes ses infrastructures d’accueil », οἶμαι δὲ καὶ πάντας ὅσοι στηλῶν Ἡρακλέους ἐντὸς καὶ ποταμοῦ Φάσιδος, οἰκειουμένους τὴν Ἔφεσον ὀρθῶς ἂν διανοεῖσθαι, τοῦτο μὲν τῇ τῶν λιμένων κοινότητι, τοῦτο δὲ ταῖς ἄλλαις ἁπάσαις ὑποδοχαῖς). 147. Voir par exemple Lettre sur Smyrne (or. XIX), 9-10 et 13-14 ; Palinodie sur Smyrne (or. XX), 5-7 ; Panégyrique de Cyzique (or. XXVII), 22-39. Voir par ailleurs Goeken 2012, p. 231-232 (selon l’auteur, l’éloge de Poséidon serait aussi une forme d’hommage à Rome). 148. Discours isthmique en l’honneur de Poséidon (or. XLVI), 17 ; Voir J. Goeken : « Peut-être Aristide se souvient-il d’Octave qui fit tirer sa flotte à travers l’Isthme lorsqu’il poursuivait Antoine et Cléopâtre après sa victoire en 31 avant J.C. » (Goeken 2012, p. 243). Voir par ailleurs Hoët-van Cauwenberghe, Kantiréa 2013. 149. Cependant, on peut, selon J. Goeken, lire dans le Discours isthmique en l’honneur de Poséidon « un hommage à Rome, comme si le dieu était, sinon une métaphore, du moins un précédent prestigieux et un garant de l’autorité romaine » (Goeken 2012, p. 230-237, citation p. 232). 150. En l’honneur de Rome, 93-95 (citation 94).
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Le Panathénaïque est là aussi pour célébrer la position hégémonique d’Athènes, comme cité-mère de tous les peuples qui se réclament de l’hellénisme et, en ce sens, loin d’être un discours archaïsant et passéiste, c’est bien l’Athènes des Antonins qu’il célèbre. En termes rhétoriques et littéraires, le discours d’éloge d’Aristide différencie les modes d’approche géographique, au point que la rhétorique de l’espace nous semble, dans son œuvre, un outil de définition de deux ou plusieurs univers. D’un côté, une ville-monde qui englobe l’espace ; de l’autre, un centre qui attire sans contraindre, vers lequel tous les peuples s’inclinent et rayonnent ensuite par cercles concentriques. Là où Rome donne le monde à voir dans sa diversité, Athènes concentre la quintessence de l’hellénisme et fait fonction d’un puissant agent d’unité. Ces deux modes de définition géographique sont en corrélation avec le traitement de l’histoire dans les deux discours. Rome n’a pas d’histoire. Rien n’est dit du passé de la ville, de la formation de sa puissance ; l’empire s’impose dans l’évidence du présent, comme l’aboutissement d’un processus passé sous silence. Mais en même temps que l’image de l’immensité de l’empire romain est projetée dans le passé pour minorer l’extension territoriale des empires précédents et dégrader leur nature, il est implicitement inséré dans une succession temporelle, dont il est seulement le « dernier en date » (the latest) et non the last151. Rome et le monde sont commensurables, mais l’Urbs est inscrite dans l’histoire et implicitement vouée à disparaître. La géographie d’Athènes s’articule aussi au traitement qu’Aristide fait de son histoire. Dès ses origines – Athènes, autochtone, n’a pas de fondation, à la différence de Rome – l’histoire est inscrite dans son paysage. C’est une ville posée comme principe des valeurs humaines, qui est à la fois point de départ et dépassement de l’histoire. Son histoire est fondamentalement définie par la figure du cercle, qui dit que toute ἀρχή est en même temps un τέλος152. Le propos géographique ne dit pas autre chose : Athènes est hors du monde, chargée d’orienter l’espace et de lui imprimer une structuration géométrique symbolique. Ainsi, les éloges de Rome et d’Athènes, l’hymne à l’Égée et les discours centrés sur le monde urbain de l’Asie Mineure dessinent des espaces qui interfèrent et se superposent partiellement, témoignant tour à tour que l’oikouménè peut avoir plusieurs centres, que l’univers grec est polycentrique et, surtout, que Rome et Athènes peuvent coexister, car le monde qu’elles régissent ne relève pas du même ordre de réalité.
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La géographie dans l’Histoire romaine de Cassius Dion Michèle Coltelloni-Trannoy
(Université Paris-Sorbonne, UMR 8167 – Orient et Méditerranée, Antiquité classique et tardive)
Abstract The work of Cassius Dion is a work of History which begins with the foundation of Rome and ends in the contemporary time of the author (Severus Alexander). It is thus natural that the latter placed, at the heart of his analysis, the imperial space whose expansion is a key factor of the political and institutional mutations. The article shows what Dion retained from the geographical models, how he associated reflection on space and reflection on politics in order to develop a cartography of the Empire: the description has nothing to do anymore with the periegetic circuit since it places the extention of the chôra of the origins at the core of the political and spatial analysis; the natural spaces and the fortified sites are favored, and the author is sensitive to scientific advances allowed by the process of conquest not without showing himself very critical towards it. Résumé L’œuvre de Cassius Dion est une œuvre d’histoire qui commence à la fondation de Rome et s’achève à l’époque contemporaine de l’auteur, sous Sévère Alexandre. Il est donc naturel que l’auteur ait placé au cœur de son analyse l’espace impérial dont l’expansion est un facteur clef des mutations politiques et institutionnelles. L’article se propose d’examiner ce que Dion a retenu des modèles géographiques, comment il a associé réflexion sur l’espace et réflexion sur le politique pour élaborer une cartographie de l’Empire : le descriptif n’a plus rien du circuit périégétique puisqu’il place l’extension de la chôra des origines au cœur de l’analyse politique et spatiale ; les espaces naturels et les sites fortifiés y sont privilégiés, et l’auteur est sensible aux avancées scientifiques permises par le processus de conquête, non sans se montrer très critique vis-à-vis de celui-ci.
L’historien d’époque sévérienne Cassius Dion1 est surtout utilisé comme une source d’informations capitale soit sur les institutions républicaines et impériales, soit sur les événements politiques qui accompagnent les mutations institutionnelles à Rome : à juste titre puisque celles-ci offrent, à ses yeux, une clef de lecture indispensable pour comprendre l’évolution de Rome et de son Empire. En revanche peu de 1. Cet historien, plus communément appelé Dion Cassius par les francophones, avait en réalité pour nom Lucius Claudius Cassius Dio, au vu des témoignages épigraphiques (Claudius étant son gentilice, Cassius et Dion ses deux cognomina) : Molin 2016, p. 431-434. Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 165-184
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commentateurs2 se sont interrogés sur son traitement de l’espace, qui est pourtant une dimension fondamentale pour penser le monde romain et son extension. Rappelons que, dès la fin de la République et a fortiori à l’époque où Dion vivait, la géographie était l’une des disciplines essentielles à la formation des élites : elle était devenue un « marqueur social »3 dans le temps (au ier siècle avant J.-C.) où elle avait bénéficié d’un élargissement des connaissances inédit depuis l’expédition d’Alexandre ; puis l’époque de Dion vit également, après les conquêtes de Trajan et celles de Septime Sévère, se renouveler l’intérêt pour les confins orientaux de l’Empire et revenir au premier plan la problématique de son extension et de sa légitimité. Pourtant, la matrice du récit de Dion est aux antipodes des récits de type polybien ou strabonien, comme de celui d’Appien, c’est-à-dire que l’auteur semble avoir pris ses distances avec une tradition grecque qui associait étroitement histoire institutionnelle et géographie, réflexion sur le temps et réflexion sur l’espace : l’Histoire romaine de Dion est essentiellement chronologique, l’auteur ayant recours à différentes temporalités4 en fonction de l’époque qu’il retrace ou du point de vue adopté. Toutefois, la lecture de l’œuvre révèle à l’évidence, comme pour tout traité de géographie ou d’histoire, que l’espace est une dimension du temps, ou bien encore que ces deux champs sont complémentaires et interdépendants5. Dans ce cas, à quels modèles l’auteur s’est-il référé, comment les a-t-il combinés ? Comment s’est-il saisi de ces outils intellectuels – le savoir géographique et la représentation du monde propres à son temps – pour les intégrer dans son projet historique ? La problématique étant vaste, cette étude se concentrera surtout sur la géographie physique à partir de deux angles d’approche. Elle examinera tout d’abord quelques passages dans lesquels apparaît de manière directe ou indirecte la position de l’auteur par rapport au cadre géographique d’un récit qu’il définit d’emblée comme étant l’histoire d’un peuple, celui des Romains. Puis seront mis en évidence certaines caractéristiques de sa cartographie et les modèles auxquels elle est soumise.
Les trois origines de l’Histoire romaine Dion vivait à une époque où s’était depuis longtemps déjà constitué « un savoir partagé » en matière géographique, que l’on retrouve dans de très nombreux ouvrages d’époque impériale, quel qu’en soit le genre et quels que soient la place et le rôle dévolus à la géographie en fonction de l’objectif de l’auteur et de son auditoire6. 2. Plusieurs chapitres d’ouvrages se sont intéressés à la conception qu’avait Dion de l’impérialisme romain : Fechner 1986 ; Hose 1994 ; Lavan 2013 ; Dion Cassius [2014a], p. L-LIX ; toujours dans le cadre de cette problématique de l’impérialisme, Pitcher 2012, p. 257-268, Bertrand 2016a et surtout 2016b prêtent une plus grande attention au traitement de l’espace chez Dion. 3. Arnaud 2007, p. 30-31. 4. Coltelloni-Trannoy 2016a. Mais l’écriture de l’Histoire romaine obéit aussi à des principes thématiques et biographiques : pour la période républicaine, Bertrand et alii 2016 ; Coudry 2016 ; pour le principat, Coltelloni-Trannoy 2016a ; Devillers 2016. 5. L’étude de la confluence entre espace et temps est précisément le projet du livre de K. Clarke (Clarke 1999). 6. Prontera 1984, p. 252, insiste sur le continuum espace-temps, qui est la caractéristique de tout ouvrage d’Histoire ou de Géographie : cette dernière diffère de l’Histoire « perchè in essa la dimensione dello spazio domina… su quella dello tempo ».
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Dans le cas de l’Histoire romaine, il ne saurait s’agir d’un décor conventionnel puisque l’histoire de Rome est aussi l’histoire de son territoire. L’auteur étant avare d’informations sur sa méthode d’écriture et plus encore sur ses sources, seuls de très rares passages indiquent comment il avait envisagé l’enjeu géographique de cette histoire. Ils méritent donc l’attention. Rappelons tout d’abord que le récit est conservé en une faible partie par la tradition directe (les livres XXXVI/LX) et que les deux tiers du récit sont connus par des épitomateurs byzantins (Xiphilin et Zonaras), plus ou moins fidèles au texte authentique, et par des fragments réunis au sein de florilèges byzantins, tels les excerpta constantiniens (xe siècle), où il est parfois difficile de retrouver la place qu’ils occupaient dans le récit d’origine. Ce n’est pas la moindre des difficultés qui entourent ce texte complexe. En outre la préface est entièrement perdue, à l’exception de quelques fragments dont certains importent à la réflexion qui nous intéresse ici ; il est aussi utile de les confronter avec un passage de la préface générale de Zonaras, préface dont Valérie Fromentin a montré qu’elle devait beaucoup à la préface perdue de Dion7. Deux fragments, sans doute issus de sa préface, font partie des rares moments où l’auteur s’explique sur son projet : il le formule à travers une série d’expressions qui relèvent d’une représentation de l’histoire romaine empruntant aussi bien à la dimension spatiale qu’à celle du temps, et qui coordonne cette représentation à l’état de sa documentation : Ἄρξομαι δὲ ὅθενπερ τὰ σαφέστατα τῶν περὶ τήνδε τὴν γῆν, ἣν κατοικοῦμεν, συμβῆναι λεγομένων παρελάβομεν. τὴν χώραν ταύτην, ἐν ᾗ τὸ τῶν Ρωμαίων ἄστυ πεπόλισται. Je commencerai mon récit à l’époque où nous disposons des informations les plus sûres qui soient, parmi les traditions qui nous sont parvenues, à propos de la terre que nous habitons. … ce territoire où la ville de Rome a été fondée (trad. Gros)8.
Dion explique et légitime le choix de sa première borne chronologique9 (Ἄρξομαι δὲ) en tenant compte de trois composantes : documentaire, historique et géographique. Il est remarquable que le point d’origine de son enquête (ὅθενπερ) dépende avant tout de la sûreté de ses informations : un ensemble de traditions, certes orales (λεγομένων), mais qu’il sélectionne parmi un corpus moins fiable et qu’il juge particulièrement sûr et « éclairé » (τὰ σαφέστατα) – Dion reprend ici la terminologie thucydidéenne10 –, conditionne le point d’origine historique et le point d’origine 7. C’est le cas pour le panorama institutionnel : le lexique, certains fragments de phrases et l’approche très institutionnelle de l’histoire de Rome sont empruntés au récit de Dion (Fromentin 2013). 8. Il s’agit des fragments M1 et M2 : fr. I.1.2 dans l’éd. Boissevain 1885-1901, p. 1-2, qui est l’édition de référence ; U. Boisssevain a distingué les deux fragments tout en les plaçant l’un à la suite de l’autre puisqu’ils traitent du même sujet ; l’édition Gros-Boissée 18451870 les réunissait en une même phrase. 9. L’Histoire romaine se déroulait en 80 livres, d’Énée à l’époque contemporaine de Dion. 10. Thuc., I, 9 : λέγουσι δὲ καὶ οἱ τὰ σαφέστατα Πελοποννησίων μνήμῃ παρὰ τῶν πρότερον δεδεγμένοι (ceux qui ont recueilli les faits les mieux assurés dans la tradition des Péloponnésiens).
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géographique de son travail. Son projet prend ainsi la forme d’une quête des origines, origine dans le temps et origine dans l’espace, portée par une tradition ancienne que l’auteur a choisie pour sa qualité documentaire. L’attention que Dion porte à la fiabilité de ses informations est récurrente : il indique lui-même qu’il a lu tout ce qui se rapporte à l’histoire de Rome (LXXII, 23, 5) et qu’il en a sélectionné l’essentiel11 ; il insiste sur le primat de l’« autopsie » sur tout autre mode d’information12 ; il confère aussi une dimension structurelle à l’information, comme l’indiquent deux passages clefs : celui-ci même, placé aux prémices de l’œuvre et qui coordonne l’histoire archaïque de Rome avec l’histoire de sa documentation ; et un second passage, situé à l’orée du récit impérial, quand Dion associe le passage au principat avec le changement de nature de ses sources, difficiles à maîtriser en raison même de la taille de l’Empire (LIII, 19, 4-6). Le projet dans lequel s’engage l’historien ne consiste pas à décrire un espace abstrait, celui des mathématiciens, mais un espace soumis à l’expérience humaine, c’est-à-dire fondé et habité. La terre (γῆ) n’est pas la sphère terrestre, englobée dans la sphère marine et la sphère céleste, autrement dit l’univers. Dion considère le sens restreint de cette notion spatiale, la terre civilisée (oikoumène / orbis terrarum), enroulée autour de la Méditerranée et qui, à l’époque impériale, se confond presque entièrement avec l’Empire. Cette représentation de l’espace habitable, fait de terres et de mer, lieu de circulation et de résidence, est l’héritage de la très ancienne notion grecque de l’oikoumène qui associait une dimension géographique à une dimension socio-politique et idéologique : la terre de culture et de civilisation où « nous habitons » (ἣν κατοικοῦμεν), c’est bien l’oikoumène de la tradition grecque, réévaluée aux dimensions de l’Empire. Le point de vue adopté, s’il n’a certes rien d’original13, est toutefois porteur d’ambiguïtés. Ce « nous », dont Cassius Dion se sent solidaire, désigne-t-il les Romains ? Son lectorat ? Tous ceux qui se reconnaissent dans la culture gréco-romaine quels que soient leur origine, leur statut et leur lieu de résidence ? ou bien simplement les 11. Frag., I, 1, 2, éd. Boissevain 1885-1901, p. 1, l. 1-2. 12. Par exemple pour la Bretagne, XXXIX, 50, 3 : Καὶ τοῖς μὲν πάνυ πρώτοις καὶ Ἑλλήνων καὶ Ῥωμαίων οὐδ’ ὅτι ἔστιν ἐγιγνώσκετο· τοῖς δὲ ἔπειτα ἐς ἀμφισβήτησιν εἴτε ἤπειρος, εἴτε καὶ νῆσος εἴη ἀφίκετο· καὶ πολλοῖς ἐφ’ ἑκάτερον, εἰδόσι μὲν οὐδὲν (ἅτε μήτ’ αὐτόπταις μήτ’ αὐτηκόοις τῶν ἐπιχωρίων γενομένοις) τεκμαιρομένοις δὲ, ὡς ἕκαστοι σχολῆς ἢ καὶ φιλολογίας εἶχον, συγγέγραπται. Προϊόντος δὲ δὴ τοῦ χρόνου, πρότερόν τε ἐπ’ Ἀγρικόλου ἀντιστρατήγου, καὶ νῦν ἐπὶ Σεουήρου αὐτοκράτορος, νῆσος οὖσα σαφῶς ἐλήλεγκται (« Les tout premiers des Grecs et des Romains ignoraient jusqu’à son existence et pour les générations ultérieures son caractère continental ou insulaire devint un sujet de controverse. Beaucoup ont écrit dans un sens ou dans un autre, sans rien savoir étant donné qu’ils n’étaient pas témoins oculaires et qu’ils n’avaient pas interrogé les indigènes, et en se fiant chacun pour sa part à leur travail personnel de lettrés. Mais au cours du temps, d’abord avec le proconsul Agrippa et aujourd’hui sous l’empereur Sévère, sa nature insulaire a été clairement établie », trad. Lachenaud, Coudry 2011). La critique des connaissances livresques n’est pas nouvelle : voir Dion Cassius 2011, p. 141, n. 138 ; Bertrand 2016b. 13. La première association urbs / orbis est énoncée par Cornelius Nepos sous Auguste pour définir le triumvirat : Antoine et Octave désiraient chacun être le premier « non seulement de la Ville, mais du monde » (Att., 20, 5) ; déjà Pompée prétendait être le maître terra marique : Nicolet 1988, p. 47.
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Italiens qui vivent là où Rome vit le jour et où Dion lui-même a résidé et travaillé ?14 L’espace habité semble ainsi soumis à différentes échelles, semble examiné à partir de plusieurs points de vue qui se chevauchent ou s’imbriquent naturellement. La spatialité de l’Empire est certes une réalité unifiée sous l’égide de Rome, mais aussi la somme de diverses modalités spatiales toujours agissantes, de diverses expériences vécues, celle de Dion parmi d’autres. Autre singularité : la focale est dirigée sur le temps présent, de même que le territoire envisagé est celui que connaissent Dion et ses contemporains (κατοικοῦμεν) : mais là aussi, un glissement est à l’œuvre puisque la terre actuelle est en même temps la terre des origines et que, pour comprendre le paysage actuel, il convient de se reporter à sa double origine, dans le temps et dans l’espace. Le projet de Dion s’inscrit à l’évidence dans l’idéologie de la cité antique qui définissait l’identité d’une cité par rapport à un territoire d’origine et à un moment originel, sa fondation. Cette approche est loin d’être nouvelle : elle est apparentée à celle de Tite Live qui se proposait de décrire l’extension de l’Empire dans le temps et dans l’espace depuis l’origine (Préface, 1 et 4) ; elle rejoint celle d’Aelius Aristide, dans l’Éloge de Rome, qui identifiait l’Empire à la chôra de Rome, pourvoyeur de toutes les richesses affluant à l’Urbs. Mais ce qui fait la singularité de Dion, c’est la nature très explicite de sa formulation : l’espace se définit par son histoire, et celle-ci est toujours présente dans l’espace vécu en tant que celui-ci résulte du passé. L’espace de l’Empire est donc unifié par l’histoire de Rome, une idée qui irriguait déjà la réflexion de Polybe, mais que ce dernier envisageait uniquement à partir de la Première guerre punique. Les historiens latins avaient ensuite appliqué ce concept à l’origine même de Rome et Dion se situe dans cette tradition, comme l’indique le fragment suivant : τὰ μὲν γὰρ τῶν Ῥωμαίων πάντα κατὰ δύναμιν ἐπέξειμι, τῶν δὲ δὴ λοιπῶν τὰ πρόσφορα αὐτοῖς μόνα γεγράψεται. Car je compose, suivant mes moyens, une histoire complète des Romains : pour les autres peuples, je me bornerai à ce qui aura quelque rapport avec cette histoire (trad. Gros).15
L’histoire des peuples situés hors de l’histoire de Rome ne saurait être mentionnée dans la mesure où sa réalité n’est révélée qu’au contact de Rome. Une première remarque tient au lexique employé. Dion n’a pas retenu, ni ici ni ailleurs dans son œuvre, le vieux terme historia, l’enquête historienne. Non que l’enquête soit pour lui secondaire, nous avons vu à quel point la recherche d’informations est cruciale à ses yeux ; mais, pour parler de son travail, il se place ici du point de vue de l’objectif final, celui auquel les lecteurs ont accès : ceci l’amène à privilégier la composition ou la rédaction (ἐπέξειμι, γεγράψεται), et donc à choisir les termes qui évoquent l’activité rhétorique, celle qui reconstitue la réalité par le discours et qui lui donne sens. La seconde remarque tient au rôle conféré, selon lui, par la présence de Rome qui simultanément crée l’histoire et crée l’espace : ainsi tout peuple accède-t-il à
14. La même ambiguïté entoure certains passages de Strabon (IV, 4, 5 ; XVII, 3, 24) : à ce sujet, voir Clarke 1999, p. 213. 15. Frag. I, 2, 4, éd. Boissevain 1885-1901, p. 4 (de localisation incertaine).
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la connaissance (des Romains) et donc à l’existence au moment même où (si et seulement si) il se greffe sur l’histoire et sur l’espace de Rome. De la sorte s’élabore une histoire « complète » (τὰ τῶν Ῥωμαίων πάντα), par l’agrégation d’espaces et de peuples nouveaux au continuum spatial romain. Il s’agit bien d’une géographie universelle que l’auteur élabore en même temps qu’il crée une histoire universelle, ou plus exactement « totale »16. Cette conception particulière de l’histoire a deux conséquences : elle exclut de l’espace connu et transformé par l’action des hommes les terres ignorées, c’est-à-dire celles que n’organise pas Rome17 ; elle fait de la conquête le moteur de la connaissance. La valorisation des avancées scientifiques autorisées par les conquêtes n’est pas spécifique à Dion18, mais ce qui lui est particulier, c’est d’avoir inséré ce thème dans la trame chronologique de son œuvre, un processus que L. Pitcher a reconnu comme étant celui de « la révélation de l’espace »19. En effet, Dion mesure l’extension de Rome à l’aune de l’extension des connaissances plutôt qu’à celle de la suprématie militaire, comme il le note à la suite de l’expédition de César en Bretagne : « Il [César] en tirait personnellement une grande fierté et les Romains de l’arrière célébraient l’exploit. Ils constataient que l’inconnu était désormais révélé au grand jour et que des régions dont on n’avait pas entendu parler étaient devenues accessibles » (XXXIX, 53)20. La géographie n’était en effet pas uniquement la science du terrain, mais aussi la science des noms : nommer, c’était reconnaître une existence à l’inconnu ou plus exactement transformer l’inconnu en connu. Le primat accordé à la chose nommée car désormais repérée et absorbée dans le monde romain (celui des connaissances du moins) est clairement revendiqué par Cassius Dion : lui-même se situe dans cette tradition d’érudition onomastique21 ; son archéologie de l’Italie passe d’abord par une archéologie de ses noms successifs22 ; 16. Sur les conceptions de l’universalité de l’histoire qui se succèdent au cours de l’Antiquité, la bibliographie est abondante : citons notamment Payen 2006 ; Inglebert 2014, particulièrement p. 230-260. 17. C’était déjà la perspective de Strabon, II, 2, 34 : « La géographie n’a pas besoin de se consacrer à ce qui se trouve hors du monde habité ». 18. C’est une caractéristique de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, qui est un bilan et une mise en ordre des connaissances permises par la domination de Rome : Naas 2002 ; Murphy 2004, p. 129-164. 19. Pitcher 2012, p. 258. 20. Τούτῳ γὰρ καὶ αὐτὸς ἰσχυρῶς ἐσεμνύνετο, καὶ οἱ οἴκοι Ῥωμαῖοι θαυμαστῶς ἐμεγαλύνοντο. Ἐμφανῆ τε γὰρ τὰ πρὶν ἄγνωστα, καὶ ἐπιβατὰ τὰ πρόσθεν ἀνήκουστα ὁρῶντές σφισι γεγονότα (trad. Lachenaud, Coudry 2011). D’autres passages insistent sur cet accroissement des connaissances : XXXVIII, 38, 4 ; XLIV, 42, 5. 21. LI, 27, 2 : γράφω δὲ τά τε ἄλλα ὥς που παραδέδοται, καὶ αὐτὰ τὰ ὀνόματα. Cette tradition était très sélective puisque, par exemple, Strabon (XVI, 4, 18, pour les ethniques arabes) et Pline (HA, III, 7 et 28 pour les toponymes et les ethnonymes ibériques ; III, 139, illyriens ; V, 1, africains) se refusaient à nommer ce qui, à leur yeux, manquait d’intérêt ou ce qui portait un nom trop compliqué, trop éloigné des normes phonétiques grecques et latines et qui ne se pliait pas à une translittération aisée. 22. Boissevain, t. I, p. 356, frag., 2, 1, le situe parmi les Reliquiae incertae sedis tout en l’attribuant prudemment (fortasse) à la guerre menée entre 341 et 322 (336 varronien) = éd. Loeb 1914, t. 2, p. 501 : Αὐσονία δὲ κυρίως, ὡς Δίων γράφει ὁ Κοκκειανός, ἡ τῶν Αὐρούγκων γῆ μόνη λέγεται, μέσον Καμπανῶν καὶ Οὐόλσκων παρὰ θάλασσαν κειμένη. Συχνοὶ δὲ καὶ μέχρι τοῦ Λατίου Αὐσονίαν εἶναι ἐνόμισαν· ὥστε καὶ πᾶσαν τὴν Ἰταλίαν ἐκ τούτου Αὐσονίαν κληθῆναι. (« Le nom d’Ausonie n’appartient proprement, comme l’écrit Dion Cocceianus, qu’au pays des
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la description des peuples italiens prend la forme de deux listes d’ethnonymes, l’une orientée vers le nord, l’autre vers le sud23. L’intérêt que porte Dion à l’ethnonymie et à la toponymie dans l’ensemble de son œuvre24 est une originalité qui participe toutefois d’une propension plus générale qu’avaient les auteurs anciens à nommer pour connaître et faire connaître. C’est également une caractéristique de l’organisation du monde par les Romains, adossée à l’inventaire des richesses humaines et naturelles, dont la carte d’Agrippa et les Res gestae Diui Augusti furent les premières traductions politiques et monumentales25. Le recours à des listes de toponymes ou d’ethnonymes en est une variante, que Dion exploite cependant de manière tout à fait exceptionnelle : lors du descriptif de l’Italie archaïque – nous l’avons vu supra –, et surtout dans le discours de César qui offre une analyse de l’expansion romaine26 : liste des peuples italiens jadis conquis par Rome (XXXVIII, 37, 5), liste des premières provinces (XXXVIII, 38, 2) puis des provinces ultérieures, « dont auparavant nous ne savions pas exactement les noms » (XXXVIII, 38, 4). Le tableau des provinces au début de l’Empire (LIII, 12) participe aussi de ce modèle descriptif, auquel Dion ne ménage qu’une très faible place et toujours en relation avec un moment historique majeur. Pour désigner l’espace de Rome, Dion a recours à un autre terme riche de résonances pour un Grec. La chôra (fr. M1 et M2, p. 135) n’est pas un topos, qui est un lieu au sens neutre, un objet-lieu, un lieu défini par ses limites. La chôra est le territoire d’une cité, la campagne d’une ville, elle fournit « un emplacement à tout ce qui naît » (Timée, 51b), elle s’apparente au paysage, elle participe de la cité27. Rome est l’astu (urbs) fondée (πεπόλισται) sur cette chôra (l’ager romanus) dont elle est la πόλις (ciuitas). Or, la réflexion que propose Dion dans les deux passages considérés plus haut a pour effet de distendre la chôra de Rome aux limites de l’oikoumène, identifiant les deux notions, l’une civique et politique, l’autre géographique. À l’image d’Aelius Aristide, il revendique clairement le modèle de la cité qui permettait de penser l’Empire dans un cadre conceptuel et culturel ancien, prestigieux, que nul autre modèle ne fut en mesure de concurrencer. Ainsi l’ambiguïté que nous avons reconnue dans la forme verbale κατοικοῦμεν est-elle présente ici aussi en raison de la double lecture dont le passage est susceptible : ce territoire de la fondation est, selon l’angle de vue adopté, soit le siège de la cité de Rome, dans le Latium, soit le vaste espace de l’Empire organisé par elle28 ; en réalité le glissement d’une focale à l’autre s’effectue dans un mouvement naturel qui confère à la localisation ponctuelle du site d’origine l’envergure de l’Empire et qui fait disparaître les catégories du temps (passé / présent). 23. 24. 25. 26. 27. 28.
Aurunces, situé entre celui des Campaniens et celui des Volsques, le long de la mer. Plusieurs ont pensé qu’elle s’étendait jusqu’au Latium, ce qui fit appeler Ausonie l’Italie entière », trad. Gros). Strabon, V, 1 dresse également un historique de l’expansion du nom Italia. XII, 2, 5, éd. Boissevain, t. I, p. 174-175 (daté de 241-236) et XV, 2, 3, ibidem, p. 219-220 (daté de 216). Bertrand 2016b. Nicolet 1986. Sur la relation entre les listes des conquêtes romaines, telles qu’elles sont énoncées par César dans ce passage, et la structuration de l’œuvre de Cassius Dion, voir Bertrand 2016a. Kowalski 2012, p. 41-42. Le terme de chôra est abandonné au profit d’archè (le territoire passé sous domination romaine) dans les livres impériaux : E. Bertrand (Bertrand 2016a) en signale la première occurrence lors de la soumission de l’Égypte en 30 av. J.-C. (LIII, 17, 8).
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Une incursion dans la préface générale de la Chronique de Zonaras (xiie siècle), qui reprend une partie du matériel présent dans la préface de Dion29, vient confirmer cette perspective. Après avoir indiqué quel sera le premier volet de sa chronique – un résumé de la Bible jusqu’à la prise de Jérusalem en 70 –, Zonaras annonce qu’« il est nécessaire de rappeler l’histoire de Rome », en commençant par ses origines : πόθεν τὸ τῶν ῾Ρωμαίων ἔθνος κἀκ τινος ἔσχηκε τῆν ἀρχην καὶ παρὰ τίνος ἡ τῆς Ἰταλίας χώρα πρώην κατῴκιστο30. On observe qu’à l’image de Dion, Zonaras porte attention à la chôra et à sa fondation, c’est-à-dire à l’origine dans le temps et dans l’espace d’un territoire, à la différence que chez lui, ce territoire est identifié à l’Italie, dans le fragment de Dion il est celui de Rome : soit Zonaras a réinterprété le paysage dressé par Dion en le restreignant, soit il s’est appuyé sur un autre passage, désormais perdu ; mais on sait aussi que Dion a commencé son Histoire par l’Italie et par les fondations d’Énée, ce qui est tout à fait la logique de Zonaras. Par la suite, ce dernier ne ménage aucune place à un descriptif du monde dans laquelle s’inscrirait l’oikoumène impérial ou la chôra des origines, et en cela il se modèle bien sur le projet de Cassius Dion. Cette chôra, qui se confond avec l’oikoumène et avec l’astu / urbs, est la matrice géopolitique qui a conditionné le projet de Dion : le récit commence par l’Italie parce qu’elle est à la fois la chôra de la fondation et le centre de l’oikoumène ; l’autre point d’origine est celui des premières fondations attachées à la gens d’Énée. Ainsi le point de départ du récit se situe-t-il simultanément et logiquement à l’origine de la communauté civique et sur le territoire qu’elle occupait avant que l’auteur ne relate l’extension progressive de ce dernier. Un autre passage du récit, bien plus détaillé, est précisément occupé par la réflexion que Dion porte sur la dilatation de l’espace romain : le discours placé dans la bouche de César avant la bataille de Vesontio – très différent de celui du Bellum Gallicum (I, 40) – présente un véritable concentré de l’histoire de Rome ou plutôt de l’histoire de son espace (XXXVIII, 36, 1-46, 4). Il doit beaucoup à la tradition historiographique sur le sujet (polybienne notamment), mais aussi beaucoup à la pensée originale de l’auteur. Son importance, qui n’a pas toujours été bien prise en compte, a été récemment soulignée par les éditeurs des livres XXXVIII-XL aux Belles Lettes et par E. Bertrand31, qui étudient son déroulement général. Nous voulons ici mettre en évidence deux passages qui nous paraissent témoigner particulièrement bien du regard que porte Dion sur l’histoire des conquêtes. Le premier, situé au début du discours (XXXVIII, 37, 3-38, 4), introduit et résume la réflexion menée sur la plus grande partie des chapitres suivants : dans ce passage, Dion segmente l’expansion romaine jusqu’à César en deux phases géographiques, unifiée sous un même « principe politique ». La première phase va de l’origine à l’assujettissement des Gaulois de Cisalpine (XXXVIII, 37, 3-4), la seconde de l’extension outre-mer à César (XXXVIII, 38, 1-4) : l’une et l’autre sont directement mises en relation avec les principes politiques (τά πολιτεύματα) auxquels obéissaient alors les Romains, faisant simplement leur devoir et se préoccupant de leur sécurité. La suite du discours est un historique plus détaillé des conquêtes, assorti de leur éloge, et dont César se revendique l’héritier.
29. Voir supra, n. 7. 30. Zonaras, Praefatio 4, éd. Pinder 1841, t. 1, p. 12 : « d’où vient le peuple romain et comment il eut le pouvoir et comment jadis le territoire de l’Italie fut fondé » (trad. de l’auteur). 31. Dion Cassius [2011], p. LXI-LXVI ; Bertrand 2016a.
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Mais Dion considère que c’est bien avec César qu’apparaît la grande rupture, quand les conquêtes obéissent désormais à un appétit de pouvoir qui introduit à Rome le règne de l’ambition personnelle (XXXVIII, 34, 1-3), au mépris de l’intérêt collectif. Ce jugement négatif transparaît clairement à travers les réactions des officiers de César qui, à la fin de la harangue, traduisent l’état de conflit latent généré par la décision de César : « … personne n’éleva d’objection, bien que certains fussent d’un avis absolument contraire, et même tous acquiescèrent, tout particulièrement tous ceux qu’il soupçonnait de colporter les propos qu’ils avaient entendus » (XXXVIII, 47, 1). Ainsi les expansions de l’espace à l’époque républicaine sont-elles articulées à celles des pratiques politiques et au consensus ou au contraire aux conflits qu’elles génèrent. Ce discours, qui transcrit moins la pensée de César que celle de Dion, attribue à César le changement majeur qui affecta la nature des conquêtes et celle du pouvoir, en quelque sorte une métabolè géographique et politique radicale débouchant sur une monarchia. Le récit de Dion, d’abord centré sur le Latium et l’Italie, ne suit pas le circuit périplotique, mais l’extension progressive de la chôra en relation avec les mutations politiques. Cette représentation de l’espace est parfaitement conforme à la réalité de l’Empire à son époque, dont le centre incontesté est Rome : le temps des décalages et des contradictions entre modèle géographique (périplotique) et modèle politique (romanocentré), visibles dans l’œuvre de Strabon et dans celle de Pline, est désormais bien révolu.
La cartographie de Cassius Dion Le projet historique de Dion se fonde bien sur une géographie, il adopte certaines formulations de type géographique, mais ce n’est pas la géographie des scientifiques hellénistiques à laquelle se réfèrent Polybe ou Strabon dans ses livres I-II : c’est celle des politiques, de la symbolique impériale, celle aussi de la sophistique. C’est ainsi que Dion n’écrit pas un mot sur le substrat mathématique qui pour ses prédécesseurs était essentiel, y compris pour la compréhension de l’Histoire. Les grands éléments naturels délimitant l’oikoumène sont eux-mêmes absents ou réduits à peu de chose : l’auteur ne localise pas explicitement le fleuve Océan entourant l’oikoumène ; il se contente de faire allusion à l’Océan britannique32 ou à la mer Érythrée ouvrant sur l’Océan33. Les confins du monde, les ἐσχατία, sont absents de sa cartographie : une seule occurrence du terme est attestée, au début du discours d’Agrippa34, encore s’agit-il alors des limites de l’empire, et non des confins du monde habité. De même,
32. LIII, 12, 6 : τὴν δὲ κάτω τὴν μέχρι τοῦ ὠκεανοῦ τοῦ Βρεττανικοῦ οὖσαν. (« …la Germanie inférieure s’étend depuis les limites de la Germanie supérieure jusqu’à l’Océan britannique »). 33. LXVIII, 28, 3 : ἐπεθύμησεν ἐς τὴν Ἐρυθρὰν θάλασσαν καταπλεῦσαι. Αὕτη δὲ τοῦ τε ὠκεανοῦ μοῖρά ἐστι ([Trajan] conçut le désir de passer dans la mer Érythrée. Cette mer fait partie de l’Océan). 34. LII, 27, 3 : αὐτοί τε τοσοῦτον ἀπὸ τῶν τῆς ἀρχῆς ἐσχατιῶν ἀπηρτημένοι καὶ πολεμίους ἑκασταχόθι προσοικοῦντας ἔχοντες (« Nous ne pouvons plus, avec des limites si éloignées, avec des ennemis qui nous environnent de toutes parts, faire usage de secours rassemblés à l’instant », trad. Gros modifiée). Je remercie Guy Lachenaud de m’avoir permis de consulter un travail en cours sur le sujet.
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les allusions aux régions extrêmes interviennent lors des récits de campagnes vers la Germanie (franchissement du Rhin, embouchure de l’Elbe ou de la Weser), vers le pays des Parthes au-delà de l’Euphrate, vers le Caucase et la Caspienne ou vers le pays des Sarmates. En aucun cas cette représentation de l’espace ne donne lieu à un descriptif d’ensemble : elle convoque bien le monde parcouru et organisé par les Romains, mais l’image ou la carte de ce monde est dispersée, morcelée sur l’ensemble des livres ; il n’existe pas non plus de synthèse géographique de grande ampleur : le tableau de la répartition des provinces en 27 avant J.-C. ne saurait en tenir lieu (LIII, 12). L’auteur n’est pas davantage sensible à la carte mentale dessinée à partir des formes identifiées par la tradition géographique à des objets du quotidien : peau de bœuf pour l’Espagne, triangle pour la Bretagne, la Sicile et l’Afrique tandis que le Péloponnèse ressemble à une feuille de platane et que l’île de Strongyle tire son nom de sa forme arrondie35. Ainsi Dion échappe-t-il volontairement aux principes d’organisation et de description de l’espace qui avaient marqué la perception du monde et celle de l’Empire chez ses devanciers, aussi bien latins que grecs. Dion a adopté un autre modèle traditionnel, sur lequel il s’explique à quelques reprises : le recours à l’excursus (ornatus / ἔκφρασις) est, à son avis, la méthode la mieux qualifiée pour conférer à la trame événementielle et politique son ampleur géographique et ethnographique ; ce sont précisément ces compléments – nous l’avons vu plus haut – qui apportent la matière nécessaire à l’élaboration d’une « histoire complète ». À cette très ancienne tradition de l’ornatus, qui était un élément nécessaire à la belle œuvre littéraire, conçue pour charmer autant que pour instruire36, l’auteur a conféré un rôle spécifique : créer une nouvelle forme d’histoire universelle en absorbant dans le récit de Rome les peuples et les espaces qui ont progressivement rejoint son territoire. Toutefois, ces compléments nécessaires font l’objet d’une stricte sélection, et Dion est très clair à ce propos : nul projet d’encyclopédisme, du moins le prétend-il37, dans une œuvre qui se caractérise par une économie de moyens mesurée à l’aune de la pertinence des détails au propos central. Le passage suivant est particulièrement instructif sur cette méthode historique et narrative : Ὅτι περὶ Τυρρηνῶν φησιν ὁ Δίων· Ταῦτα γὰρ καὶ προσῆκεν ἐνταῦθα τοῦ λόγου περὶ αὐτῶν γεγράφθαι· καὶ ἄλλο τι, καὶ αὖθις αὖ ἕτερον ὅτῳ ποτ’ ἂν ἡ διέξοδος τῆς συγγραφῆς τὸ ἀεὶ παρὸν εὐτρεπίζουσα προστύχῃ, κατὰ καιρὸν εἰρήσεται. Τὸ δ’ αὐτὸ τοῦτο καὶ περὶ τῶν ἄλλων τῶν ἀναγκαίων ἀρκούντως ἔχοντες· τὰ μὲν γὰρ τῶν Ῥωμαίων πάντα κατὰ δύναμιν ἐπέξειμι, τῶν δὲ δὴ λοιπῶν τὰ πρόσφορα αὐτοῖς μόνα γεγράψεται.
35. Espagne (Str., III, 1, 3), Sicile (Str., VI, 2, 1), Bretagne (un triangle selon César, BG V, 13, 1 et Str., IV, 5, 1 ; un coin selon Tac., Agric., 10, 4, et même un plat allongé ou une hache à double tranchant selon d’autres auteurs dont l’avis est rapporté par Tacite, ibidem), Libye (Str., XVII, 3, 1), Strongyle (Str., VI, 11), Péloponnèse (Str., VIII, 2, 1) ; Alexandrie a elle-même la forme d’une chlamyde (Str., XVII, 1, 8). Sur la question, voir Jacob 1991. 36. Jong 2012, p. 13-14 ; Mauduit et Luccioni (dir.) 1998, p. 143-144 : il n’existe pas de description purement esthétique d’un paysage : les évocations de la nature ou de la ville sont des supports permettant de « parler de l’homme », c’est la nature humaine qui est cherchée à travers la nature dans ses différentes variations. 37. Dion n’échappe cependant pas entièrement à la « tentation » encyclopédique : Bertrand 2016b, p. 706-709 ; Coltelloni-Trannoy, à paraître.
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Dion dit au sujet des Tyrrhéniens : « Je devais placer dans cette partie de mon ouvrage ce que je viens de raconter sur ce peuple : je rapporterai de même, dans le moment convenable, tels et tels autres faits qui, amenés par la suite de ma narration, pourront en orner le tissu. Il suffira d’en faire autant pour toutes les digressions qui seront nécessaires ; car je compose, suivant mes moyens, une histoire complète des Romains : pour les autres peuples, je me bornerai à ce qui aura quelque rapport avec cette histoire » (trad. Gros)38.
Les informations sur les peuples et leur territoire se greffent sur la ligne de fond qui suit l’histoire linéaire des Romains. La géographie n’en est pas la matrice, mais elle n’est pas non plus un simple décor, elle n’est pas davantage strictement « utilitaire », ou du moins ne se réduit que rarement à cette fonction, comme l’indiquent les analyses existant sur le sujet39. Si la contextualisation spatiale est naturellement nécessaire pour situer un fait, la méthode adoptée par Dion indique bien que l’enchâssement des données ethno-géographiques à l’intérieur de la trame chronologique apporte la matière nécessaire à la fabrique de l’Histoire. Une série de passages témoignent de l’application de cette méthode : citons par exemple les notices relatives à des peuples40, ou bien, plus fréquentes, les descriptions de faits naturels intrigants ou d’édifices remarquables41. Toutefois, comme l’a observé E. Bertrand42, le recours à l’excursus n’est pas le moyen par lequel l’auteur introduit la majorité des informations ethnographiques et géographiques : celles-ci sont plutôt distillées tout au long du récit, par remarques isolées, qui n’introduisent pas de rupture dans la chaîne narrative et lui permettent de limiter le recours au standard encyclopédique. Pour nous en tenir aux éléments de géographie physique, lesquels Dion a-t-il retenus et à quelle logique leur place obéit-elle dans la narration ? La première observation portera sur deux absences qui ne sont pas propres à l’auteur puisqu’elles caractérisent de nombreux récits d’historiens et de géographes antiques. La première est celle des paysages cultivés. Si la prospérité des campagnes ou l’activité commerciale sont des ingrédients récurrents chez Strabon, Pline et, dans un registre plus métaphorique, chez Aelius Aristide, aucun d’eux ne prête attention aux champs ou aux pâturages. Chez Dion, l’unique allusion – semble-t-il – à une campagne fertile apparaît dans la bouche de Pyrrhus évoquant la prospérité de l’Italie soumise à Rome43 : un silence remarquable quand on songe à l’importance que revêt à Rome, et plus généralement dans le monde antique, la propriété foncière, à la fois source de dignité pour le citoyen et en particulier pour les élites, et source de profits pour les trésors publics. La seconde absence concerne la mer, rarement décrite en dépit de la place
38. 39. 40. 41.
Frag., I, 2, 4, éd. Boissevain 1885-1901, p. 4 (de localisation incertaine). Pitcher 2012, p. 264 ; Bertrand 2016b. Parthes (XL, 14-15), Juifs (XXXVII, 16, 5-17), Pannoniens (XLIX, 36) et Bretons (LXXVII, 12). Sources du Nil (LXXV, 13), feu d’Apollonie (XLI, 45), éclipses de soleil et de lune (LX, 26), pont sur l’Ister (XLIX, 36), port d’Ostie (LX, 11, 4), etc. 42. Bertrand 2016b, p. 711-713. 43. IX, 40, 27, éd. Boissevain, t. 1, p. 126-127 : « … les terres soumises à leur domination sont couvertes de toute espèce d’arbres et de vignobles, l’agriculture y étale ses merveilles » (trad. Gros, t. 1, p. 205-206).
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qu’elle occupe dans les activités des hommes44. Les littoraux méditerranéens sont esquivés et quand Dion s’attarde sur un milieu maritime, c’est pour évoquer le mouvement étrange de la Manche, peut-être dû à une forte marée, qui faisait reculer les bateaux de l’expédition faisant voile de nuit vers la Bretagne, sous Claude (60.19.4) ; cette indication est associée à l’évocation d’un « flambeau » traversant le ciel en direction de l’occident : ces deux curiosités ont pour fonction de signaler l’entrée de l’armée romaine dans un monde encore largement ignoré en 43 (en dépit d’un premier contact dû à César, voir supra), et qui s’ouvrait désormais à la connaissance en même temps qu’à la conquête. Ce type de notation reste isolé puisque les évocations de paysage marin s’inscrivent, dans leur très grande majorité, soit dans le descriptif de grands travaux portuaires à visée civile (le port d’Ostie, LX, 11, 1) ou militaire (le port de Byzance, LXXIV, 10), soit dans la localisation d’une armée : la situation stratégique du camp d’Octave sur la péninsule d’Actium (L, 12, 7-8) en est un exemple remarquable, qui offre une vue panoramique sur toute la côte. Mais de manière générale, les allusions aux paysages marins sont brèves et imprécises45. L’intérêt de Dion porte bien davantage sur la topographie en tant qu’elle est un enjeu politique ou militaire, et par conséquent sur les accidents du terrain. Les fleuves, parce qu’ils servent de limites géopolitiques aux peuples et aux royaumes, sont les éléments géographiques les plus souvent mentionnés, selon une tradition ancienne46, bien reconnaissable chez Strabon qui aborde, par exemple, la Gaule à partir de son hydrographie (IV, 2), ou chez César qui attribue au Rhin la fonction de frontière entre Germains et Gaulois (BG I, 1), suivi par Dion sur le même sujet (XXXIX, 48, 5). L’auteur ne manque pas d’informer que les Pannoniens sont installés le long de l’Ister (XLIX, 36), les Mésiens entre le Mesus et le Save (LI, 27, 2) tandis que l’Ister délimite le pays des Daces (LXVIII, 13) et que l’avancée de Septime Sévère sur l’Euphrate lui permet de se rendre maître de la Séleucie (LXXV, 2). Ces notations laissent parfois place à des descriptifs à dimension ethnographique et idéologique, relatifs au franchissement des fleuves en tant qu’ordalie de pouvoir. Le passage le plus significatif est le franchissement de l’Arsanias par le roi parthe (LXII, 21) : … instruit en même temps de l’approche de Corbulon que Paetus avait mandé à son aide avant d’être enveloppé, le Parthe laissa partir les assiégés, après avoir auparavant obtenu qu’ils lui jetteraient un pont sur le fleuve Arsanias ; non qu’il eût besoin de ce pont, car il avait passé le fleuve à gué, mais il voulait leur montrer qu’il était le plus fort. Aussi, au lieu d’opérer sa retraite par le pont, il repassa le fleuve sur un éléphant, et fit passer le reste de ses troupes en la manière qu’elles l’avaient fait auparavant (trad. Gros).
Le passage du fleuve est à l’évidence un enjeu de pouvoir dont le roi parthe exploite les différentes modalités. Il renvoie à un motif bien connu dans l’empire achéménide, où le fleuve (ou bien le bras de mer) constituait un élément constitutif
44. Kowalski 2012, en part. p. 44-48. 45. Par exemple, César « tourne un cap saillant en Bretagne » (XXXIX, 51), le camp de Curion est « placé près de la mer » (XLI, 42, 1), l’île située en face de Brindes est « privée de mouillage et d’eau » (XLI, 48). 46. Bedon, Malissard 2001.
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de la geste royale, surtout le passage à gué, auquel se substitue parfois le passage sur un pont de bateaux, métaphore du passage à gué. Le franchissement de l’Euphrate par Cyrus, de l’Hellespont par Xerxès, du Stranga par Alexandre47 en sont des exemples mémorables et le témoignage de Dion indique bien que ce rituel n’avait rien perdu de sa force en Iran à l’époque de Néron. Le roi parthe affirme de manière magistrale sa suprématie sur la région que traverse l’Arsanias en franchissant à deux reprises le fleuve à gué et en se refusant à emprunter le pont qu’il avait exigé des assiégés de Rhandea, parmi lesquels se trouvait une garnison romaine : cet ouvrage d’art, signe de la puissance romaine, est mis en concurrence avec le passage à gué, tandis que l’effort technique des Romains est méprisé avec superbe. Le thème du franchissement des fleuves comme règle d’accès à la souveraineté est également exploité par des Romains, ce qui prouve que ces pratiques iraniennes étaient connues dans l’Empire dès l’époque républicaine, sans doute depuis l’expédition d’Alexandre : Dion relate (après César lui-même) le franchissement du Rhin par César sur un pont de bateaux, en 55 (XXXIX, 47, 4), le général romain ayant eu pour unique objectif de « mettre le pied » en Germanie afin d’affirmer ses prétentions à maîtriser l’au-delà du monde connu ; la même année, son expédition en Bretagne, de l’autre côté du fleuve Océan (XXXIX, 53, 1), avait un sens équivalent48. Deux autres notices pourraient être apparentées à ce modèle héroïque : le projet avorté de Trajan destiné à construire un canal sur l’Euphrate et le Tigre est remplacé par le transfert des bateaux par voie terrestre (LXVIII, 28) ; et surtout l’expédition de Septime sévère sur l’Euphrate lui assure le contrôle du fleuve et de ses berges boisées (où il s’alimente en bois), lui ouvrant ainsi l’accès à la Séleucie et à Babylone (LXXV, 2). Quant au pont de bateaux que Caligula fit construire entre Baies et Pouzzoles pour y célébrer un triomphe privé en 39, il participe lui aussi de cette tradition qualifiant au pouvoir (LIX, 17)49. La nature se plie aux entreprises des souverains : elle devient alors un présage de pouvoir ou un signe destiné à réactualiser la légitimité de celui qui s’en rend maître50. La catégorie des espaces naturels est particulièrement présente dans l’Histoire romaine parce qu’elle permet d’apprécier les rapports de force. Ainsi fleuves, marais, forêts, montagnes et gorges, déserts également, sont-ils des refuges naturels pour les barbares, selon un topos récurrent dans toute la littérature antique, et Dion n’y échappe pas51. Toutefois, son récit suggère aussi une lecture nouvelle puisque ces paysages ont pour fonction première de montrer la faiblesse des Romains évoluant dans ces milieux inhospitaliers. Par exemple, l’armée de Suetonius Paulinus, qui
47. Xén., Anab., I, 4,17-18 (Cyrus) ; Hdt., VII, 33-36, 54-55 (Xerxès) ; Julius Valère, II, 14, 673-679 (Alexandre). 48. L’expédition de Claude en Bretagne apporta à l’empereur, en 43 apr. J.-C., une gloire considérable qu’il sut exploiter de multiples manières (DC, 60, 19-23). 49. Cette tradition est également connue de Suétone (Cal., 19, 4) qui l’évoque de manière explicite : Caligula aurait cherché à conjurer la prédiction de Thrasylle selon laquelle « Gaius n’a pas plus de chance d’être empereur que de traverser à cheval la baie de Baies ». 50. Sur ce motif propre à la culture indoeuropéenne et dont certains épisodes de l’histoire archaïque de Rome témoignent également, voir Briquel 1981 ; Desnier 1995 ; 1997 ; Ratti 2010b. 51. Dauge 1981, p. 482-483 et 488-489 ; Wolff 2011, particulièrement Ch. 2 ; Bertrand 2016b.
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s’aventure en 42 dans l’Atlas, souffre cruellement de la soif, contrairement à ses ennemis qui connaissent les points d’eau, et il faut un « miracle de la pluie » pour sauver l’expédition du désastre (LX, 9). Un milieu sauvage totalement différent, celui des marais de la Tamise, se transforme en piège mortel pour les Romains en 43 (LX, 19, 5 et 20, 5) tandis que les montagnes, les vallées étroites et les forêts profondes de Germanie avaient été le tombeau des légions de Varus, en 9 après J.-C. (LVI, 20-21). En revanche, les défilés du royaume d’Artocès, véritables forteresses naturelles, sont traversés sans danger par Pompée qui profite de l’impréparation des forces ibères (XXXVII, 1). Ces exemples montrent que l’auteur a revisité le stéréotype du site barbare en se montrant sensible aux compétences des chefs : certains savent tourner à leur avantage de difficiles conditions naturelles tandis que beaucoup s’engagent en aveugle dans des contrées inconnues sans préparation sérieuse, ce qui mène à des catastrophes. Ces jugements dépréciatifs se comprennent dans le cadre d’une analyse assez sévère et même pessimiste de l’impérialisme romain, facteur de déstabilisation et de risques majeurs (pas uniquement militaires) : ce point de vue est contraire à l’idéologie impériale, mais conforme à une certaine tradition latine qui eut tendance à lier extension de l’Empire et déclin de Rome, en particulier avec la fin de la République et l’installation du principat52. Il ressort d’une enquête menée sur l’ensemble de l’Histoire romaine que la nature sauvage n’est pas a priori incompatible avec la vie civilisée : l’attention de Dion est en effet particulièrement attirée par les villes bénéficiant de défenses naturelles qui permettent l’accueil des communautés humaines, de sorte que les sites les plus sauvages sont aptes à se transformer en espaces de vie. C’est le cas de villes barbares, celles des Vénètes (XLVI, 40), de Siscia en Pannonie (XLIX, 37), d’Andurium en Dalmatie (LVI, 12) ou d’Arduba en Germanie (LVI, 15). Les Grecs bien entendu ont su mettre eux aussi à profit des repaires naturels : le port de Dyrrachium est uniquement apprécié pour son accès difficile du fait des écueils et des marais qui le défendent (XLI, 49-50). Il faut donc reconnaître que Dion s’est écarté sensiblement des conventions en matière de « beau paysage ». D’une part, il reconnaît aux barbares la capacité à établir des villes, et qui plus est des villes qui utilisent au mieux leur milieu naturel : Dion n’est donc pas un adepte systématique de la barbarologie traditionnelle, à laquelle il souscrit souvent par ailleurs53. D’autre part, son récit est dénué d’ecphraseis urbaines qui donneraient à admirer des villes modèles : ni Rome, ni Athènes (du moins dans le récit conservé) ni aucun des sites urbains sur lesquels il s’attarde ne fournissent matière à un descriptif de leur urbanisme et les monuments exemplaires sont eux-mêmes rares54. En outre, lorsque Dion met en évidence une œuvre ou un complexe architectural admirable, il s’agit d’exemples isolés de leur contexte urbain,
52. Fechner 1986 ; Lavan 2013 ; et surtout Dion Cassius [2014b], p. L-LIX ; pour une synthèse sur ces questions, voir Bertrand 2016a. 53. Voir supra, n. 51. 54. Contrairement à Strabon, qui admire par ex. la ville de Rome (XLII, 8) ; Dion mentionne rapidement le théâtre de Pompée (XXXIX, 38, 1), et sans l’inscrire dans un descriptif général de Rome : κἀν ταῖς αὐταῖς ἡμέραις ὁ Πομπήιος τὸ θέατρον, ᾧ καὶ νῦν λαμπρυνόμεθα, καθιέρωσε.
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tel le pont de Trajan sur l’Ister, amplement détaillé (LXVIII, 13)55. Des belles villes on ne connaît rien de leur apparat : ce que Dion apprécie chez Apollonie en Épire, c’est sa « position admirable par rapport à la terre comme à la mer et aux fleuves » (XLI, 45). À première vue, l’auteur pourrait sembler plus sensible à un autre paradigme que les éloges de ville ont bien souvent transmis : le beau site urbain est d’abord favorisé par la nature, destiné par sa localisation et son climat à l’accueil des citoyens et des étrangers56. Il n’en est rien : en réalité, Dion apprécie surtout les villes en fonction de leur capacité défensive : c’est l’œil du général plutôt que celui de l’esthète qui oriente son intérêt. Son récit suggère une hiérarchie des sites urbains dont les plus éminents à ses yeux sont les lieux naturels impressionnants renforcés par des systèmes défensifs élaborés : c’est à ces derniers que l’auteur consacre les notices les plus détaillées, et d’abord les villes doublement fortifiées, par la nature et par les hommes. Le cas le plus remarquable est sans doute Byzance que Dion a probablement visitée, ce qui pourrait aussi expliquer le détail de la description organisée autour de trois paysages étroitement articulés et garantissant la sécurité de la ville : celui de la nature, celui des murailles urbaines et celui des fortifications portuaires (LXXIV, 10). L’appréciation portée sur la situation des camps obéit à des principes similaires, que ces ouvrages soient adossés à une ville ou construits dans la campagne : à Gergovie, l’implantation des assiégés et celle des assiégeants sont présentées avec précision (XL, 36) ; de même l’historien s’attarde sur le site d’Uzitta en Afrique, dans lequel César prit ses quartiers en élaborant tout un dispositif qui s’appuyait sur la ville et s’étendait sur deux collines (XLIII, 4, 4-6) ; les vastes travaux que Pompée avait effectués près de Dyrrachium de manière à former « un cercle immense que l’ennemi ne pourrait franchir, alors même qu’il aurait l’avantage » (XLI, 50) expliquent la déroute de César. La maîtrise de la nature par les hommes est bien sûr essentielle lors des batailles puisque la topographie explique leur déroulement et souvent le succès remporté par l’une des armées. Ainsi, le terrain sur lequel a lieu la bataille de Philippes – peutêtre connu de Dion – fait-il l’objet d’un compte-rendu minutieux : l’auteur est notre seule source à mentionner le massif du Symbolon dont l’existence – ainsi que l’a montré E. Bertrand57 – éclaire l’implantation choisie par Brutus et Cassius pour établir leur camps, puis l’évolution des combats (XLVII, 35-36.1). On sait aussi par Dion que le terrain de la bataille de l’Issus, qui vit s’affronter Septime Sévère et Pescennius Niger, en 194, était situé entre montagne et précipices ; c’est grâce à la tactique choisie par Septime que ce dernier remporta la victoire, puisque ses soldats, formant la tortue,
55. À Cumes, ce n’est pas la ville qui est valorisée, mais la station thermale, ornée de monuments somptueux (XLVIII, 51, 2), ses trois lacs (XLVIII, 50) et la nature particulière de son terrain (XLVIII, 51) ; le port d’Ostie (LX, 11, 4) est de nature hybride : certes il est bien un élément essentiel du site de la colonie, mais la ville est absente du descriptif : le port est dépeint comme un lieu naturel défavorisé, que la technique a su métamorphoser. Voir ColtelloniTrannoy, à paraître. 56. L’alliance de la belle nature et de la belle ville est propre aux discours d’éloges de villes qui se multiplient à l’époque impériale, le grand modèle étant Athènes (Éloge de Rome, Éloge d’Athènes d’Aelius Aristide, et plus tard encore, au ive siècle, l’Éloge d’Antioche de Libanios). À ce sujet, voir Pernot 1993, p. 178-216 et, dans ce volume, les articles de S. Brillante, B. Cabouret et E. Oudot. 57. Dion Cassius [2014b], p. XXII-XXIII.
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furent ainsi protégés de la pluie diluvienne qui entravait les mouvements de leurs adversaires (LXXIV, 7)58. Nous l’avons vu plus haut déjà, la nature n’explique pas tout : Dion accorde un rôle décisif à l’action des hommes, aussi bien pour rendre viable un site naturel que pour assurer la victoire. Notons enfin que les paysages dont l’historien fait état sont situés dans leur majorité soit en Italie soit dans les régions où il a lui-même résidé ou qu’il a visitées, ce qui explique le poids du monde oriental dans cette carte mentale de l’Empire. L’importance qu’il accorde à l’autopsie, l’information livresque étant subordonnée à l’expérience personnelle, vérifiée, en est certainement la cause, mais une autre raison – de nature plus historique et idéologique – explique également le déséquilibre de sa cartographie. L’Italie, c’est bien sûr à la fois la chôra des origines et le centre de l’Empire, le territoire qui oriente et organise le monde romain ; l’Orient, la Bretagne, la Pannonie l’Afrique ou l’Égypte sont des espaces localisés aux confins de l’Empire, apportés à la connaissance (et donc à l’existence) grâce aux conquêtes. La géographie de Dion semble ainsi dessiner une carte de l’Empire envisagée surtout à partir de ses points remarquables, le centre et les périphéries ; mais des périphéries dont il apprécie avant tout l’apport scientifique, en restant très critique sur le bien-fondé politique et militaire des campagnes dont elles ont fait l’objet59. Le traitement de l’espace, dans l’Histoire romaine de Dion, est défini par des choix effectués au sein de traditions narratives qui étaient aussi des modes d’élaboration de l’espace. L’auteur a produit son propre modèle en prenant ses distances par rapport à la tradition grecque, qui accordait une large place au descriptif géographique, et par rapport à l’encyclopédisme, qui avait la faveur du public grec et latin. Son œuvre est clairement établie sur une triple origine, documentaire, historique et géographique : il ne renouvelle pas à proprement parler l’ancienne conception de l’Histoire de Rome (depuis sa fondation), mais il affirme avec force la place de la documentation au cœur du travail historique. De l’Empire, il propose une carte morcelée, privée des références géographiques de type ératosthénien, mais riche de son expérience personnelle et des apports de l’expansion romaine à la connaissance du monde. Son œuvre est d’emblée une histoire de l’espace et une histoire de la mémoire, toutes deux unifiées par Rome : elle s’inscrit dans une analyse de l’impérialisme romain qui réaffirme la centralité de Rome et de l’Italie – héritière du très ancien modèle de la πόλις – mais en rupture avec la glorification des conquêtes.
58. En revanche, Dion ne livre aucun détail sur le site de la bataille de Lyon pourtant longuement décrite (LXXV, 6). 59. Les réticences de l’auteur sont sensibles en bien des passages : l’expédition d’Arabie, en 23 av. J.-C., fut désastreuse (LIII, 29) ; celles de Trajan (LXVIII, 29, 4) sont très hasardeuses et sans lendemain, bien éloignées de l’exploitation dont elles furent l’objet en leur temps ; de même celles de Septime Sévère (LXXV, 3, 3). Sur ce point de vue, voir Bertrand 2016a. Hérodien témoigne lui aussi de cette hostilité devant les avancées romaines, comme l’indique A. Arbo-Molinier dans ce volume, mais l’auteur est bien plus sensible que Dion à la fragilité de l’Empire, question de génération sans doute.
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L’Empire romain, citadelle assiégée ? Recherches sur Hérodien et la géographie Agnès Molinier Arbo
(Université de Strasbourg, EA 3094 Centre d’analyse des rhétoriques religieuses de l’Antiquité)
Abstract The corpus of geographical and ethnographical references present in the Herodian’s History is very large and seems to illustrate the author’s interest in geography and conviction of its importance in history. Their content is nevertheless generally stereotyped: Herodian seems to know well Asia and probably Rome and Italy, but ignores the rest of the world, which he does not attempt to seriously document because he wants to be the more synthetic possible. The interest of these references lies elsewhere: it is literary, but mainly ideological, because, in an Empire that he perceives as engaged in a process of perpetual degradation since the death of Marcus Aurelius, Herodian stages an Orbis Romanus potentially fractured and barricaded behind its natural boundaries that protect it from an elsewhere now perceived as difficult to control and very offensive. Résumé Le corpus de notices géographiques et surtout ethnographiques présent dans l’Histoire de l’Empire après la mort de Marc est extrêmement fourni et semble de prime à bord illustrer l’intérêt de l’auteur pour la géographie et sa conviction de son importance dans l’histoire. On se rend néanmoins compte à l’examen que leur contenu est généralement stéréotypé et souvent dénué de valeur : Hérodien semble connaître assez bien l’Asie et sans doute Rome et l’Italie, mais ignore le reste du monde, sur lequel il n’a pas cherché à sérieusement se documenter, car son projet historiographique se voulait le plus synthétique possible. L’intérêt de ces notices se situe en fait ailleurs : il est littéraire, mais surtout idéologique, car, face à un Empire qu’il perçoit comme engagé dans un processus de perpétuelle dégradation depuis la disparition de Marc Aurèle, Hérodien met en scène un orbis Romanus potentiellement fracturé et surtout replié derrière des frontières naturelles seules aptes à le protéger d’un ailleurs désormais perçu comme difficile à maîtriser et très offensif.
Hérodien, auteur d’une Histoire de l’Empire qui s’étendait de la mort de Marc Aurèle à l’avènement de Gordien III (180-238), reste une énigme pour nous. On ne possède sur sa vie et son milieu social et professionnel que les maigres informations qu’il a
Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 185-207
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bien voulu nous donner : cet hellénophone originaire de la partie orientale de l’Empire1, qui vécut grosso modo entre 177 et 2502, était sans doute un chevalier3 qui occupa dans une province des fonctions intermédiaires dans l’administration impériale4. Son œuvre n’est guère mieux connue car elle a été jusqu’à la fin du siècle dernier relativement négligée par la critique, qui lui reprochait sa constante imprécision, son enflure rhétorique et sa recherche des effets dramatiques qui n’en faisaient à ses yeux rien de plus qu’un roman historique, incapable de soutenir la comparaison avec les autres sources existantes, et notamment Dion Cassius5. Voilà qui fait déjà planer la suspicion sur la qualité des renseignements d’ordre géographique qu’Hérodien, à l’instar de ses modèles les plus illustres6, se devait de fournir à son lecteur pour l’aider à visualiser les lieux qu’il évoquait et s’y orienter. L’écrivain, qui vécut les règnes précédant immédiatement les décennies difficiles du iiie siècle (et sans doute aussi au moins la première d’entre elles) fait néanmoins depuis quelque temps l’objet d’un intérêt croissant pleinement justifié, entre autres pour les objectifs idéologiques qu’il poursuit dans son récit7. Nous souhaitons quant à nous étudier ici quelques-unes de ses notices géographiques car, au-delà de leur possible valeur intrinsèque, que nous essayerons d’évaluer, elles nous paraissent éminemment révélatrices des positions que pouvait à cette époque avoir à l’égard de l’Empire un membre de l’élite provinciale gréco-orientale.
Hérodien, géographe de l’Empire Un premier survol de l’œuvre laisse l’image d’un Hérodien conscient de l’intérêt de la géographie dans l’histoire et plutôt désireux de fixer avec clarté dans l’esprit de son public le cadre des événements qu’il narre. On comprend d’abord aisément 1. L’hypothèse la plus communément admise jusqu’à la fin du xixe siècle faisait de lui un Grec d’Alexandrie (bibliographie exhaustive dans Hidber 2006, p. 1, n. 2). On le fait également naître en Syrie (voir ibid., p. 3, n. 4 et 5), Asie Mineure (c’est la thèse aujourd’hui la plus défendue : voir entre autres Cassola 1957, p. 3-13 ; Widmer 1967, p. 68-69 ; Whittaker 1969-1970, I, p. XXIV-XXVIII ; Alföldy 1971a, p. 219-227 ; Chastagnol 1994, p. LXI ; Zimmermann 1999a, p. 303-305 ; Kuhn-Chen 2002, p. 251). 2. Nous optons prudemment, comme Galimberti 2014, p. 10, pour la fourchette temporelle la plus large, mais certains (Zimmerman 1999, p. 287) sont tentés de le faire naître après 190. 3. Hérodien ne semble en aucun cas être lié au milieu sénatorial ; si l’on a quelquefois voulu voir en lui un simple affranchi, on le fait aujourd’hui plutôt appartenir au milieu équestre, lié à une élite provinciale orientale : en dernier lieu Galimberti 2014, notamment p. 25-32 et 51-53 avec références bibliographiques aux écrits antérieurs) et Schettino 2016. 4. Lui-même affirme (I, 2, 5), d’une manière sibylline, qu’il assuma des « fonctions impériales ou publiques » (trad. Roques 1990, p. 19, un peu modifiée) ; voir encore II, 15, 7. Diverses hypothèses ont été émises sur la signification de cette expression : voir les discussions de Grosso 1964, p. 47 ; Alföldy 1971a, p. 228-229 ; Zimmermann 1999a, p. 305-306 (avec une bibliographie exhaustive, p. 305, n. 107) ; Kuhn-Chen 2002, p. 250-251 ; Galimberti 2014, p. 25-32 et 51-53 (avec, là aussi, une bibliographie) ; Schettino 2016. 5. Voir notamment Hohl 1932, col. 1143-144 ; 1954, p. 5-46 ; Alföldy 1971, p. 431, etc. ; plus généralement, sur la fortune antique et moderne d’Hérodien et les différentes opinions qui ont été émises sur lui, consulter Martinelli 1987 et Hidber 2006, p. 1-71. 6. Sur ce point, lire par exemple Clarke 1999, notamment p. 2-76 ; Dueck 2012. 7. Voir la revue bibliographique dans Hidber 2006, p. 58-71, à laquelle il faut ajouter à présent Galimberti 2014.
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qu’il conçoit, selon la tradition, l’oikoumène comme une île baignée par l’Océan et formée de trois continents, l’Europe, l’Asie et l’Afrique, communément appelée Libye8. Il s’attache ensuite à décrire les reliefs de ces continents, en particulier leurs montagnes les plus spectaculaires, tels les Alpes9 en Europe et le Taurus10 en Asie, ou leurs fleuves les plus impressionnants, notamment le Rhin et le Danube11 ou le Tigre et l’Euphrate12. Le parallèle souvent établi dans son œuvre entre les montagnes ou les rivières les plus importantes d’Occident et d’Orient témoigne de son souci d’offrir à son lecteur une vision du monde épurée, facile à se représenter et à retenir. Il écrit en effet pour un public hellénophone13 habitant la partie orientale de l’Empire : il précise fréquemment les particularités des sites européens les plus illustres14 et traduit leur nom latin15. Ses renseignements semblent aussi quelquefois étonnamment précis. Il est par exemple la seule de nos sources à nous donner une idée de l’ampleur de l’aire géographique concernée par le bellum desertorum, le conflit suscité vers 186 par le déserteur Maternus : il affirme que tout le territoire celte et l’Espagne furent impliqués16. Cette information, pendant longtemps objet du scepticisme des historiens, est aujourd’hui accueillie favorablement17. Ses indications de distance se veulent même parfois assez minutieuses : il explique que le temple de Sîn était situé à une journée de marche de Carrhes18 ou signale encore les seize milles séparant le fleuve Isonzo d’Aquilée menacée par les troupes de Maximin19. Son Histoire de l’Empire est également emplie de notices ethnographiques. Celles-ci constituaient depuis Hérodote un thème obligé de toute Histoire20. On est frappé de son intérêt quasi-systématique pour les caractéristiques collectives et les habitudes des peuples vivant à l’intérieur de l’Empire, comme les Italiens21, les Illyriens, les Africains (et plus particulièrement les Carthaginois22), les Syriens23, les Osrhoéniens ou encore les Égyptiens24, parmi lesquels les Alexandrins25 occupent une place particulière.
8. Sur la désignation et la délimitation des continents dans l’Antiquité, lire par exemple Romm 2010, p. 215-235. 9. II, 11, 8 ; VIII, 1, 5-6. 10. III, 1, 4. 11. VI, 7, 6 ; VII, 1, 7. 12. VI, 5, 2. 13. Sur ce point, consulter notamment Marasco 1998, p. 2908-2910 ; Hidber 2006, p. 16-19. 14. Voir par exemple en I, 11, 3, les précisions qu’il fournit à propos du Tibre. 15. Ainsi, en VIII, 7, 1, il décrit les canaux dans lesquels se perd le Pô à son embouchure et traduit pour son lecteur le nom local donné à celle-ci, septem maria (sur ce nom, voir également Pline l’Ancien, NH, III, 119). 16. I, 10, 2. 17. Lire sur ce point les discussions de Grosso 1964, p. 235-239 ; Kaiser-Raiß 1980, p. 34 ; Zimmermann 1999a, p. 100-112 ; Saldern 2003, p. 129-135. 18. IV, 13, 3 ; il est vrai qu’Hérodien confond dans ce passage Sîn et Selene : voir Whittaker 1969-1970, I, p. 449, n. 3. 19. VIII, 4, 1. 20. Sur ce point, consulter avant tout Hartog 1980. 21. Voir I, 8, 1 ; II, 1, 3-4 ; 11, 3 ; VIII, 2, 4-5 ; 3, 7. 22. VII, 9, 5. 23. II, 7, 9. 24. I, 17, 6. 25. IV, 8, 7-9 ; 9, 2-3.
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Les hommes vivant au-delà du limes – les Barbares – sont également objets de son attention : il consacre de nombreux développements aux mœurs des Parthes / Perses26 ou à celles des Germains27, ou encore aux Bretons28. Sa lecture des mœurs des uns et des autres est clairement influencée par la théorie des climats tôt mise à l’honneur dans la pensée grecque, entre autres par Hippocrate et Aristote29. Il oppose ainsi couramment les gens du Nord (les habitants des rives du Rhin et du Danube, notamment), tempérants et courageux mais intellectuellement et physiquement lents30, aux hommes vivant sous des climats plus chauds et cléments, comme les Orientaux, vifs et intelligents, mais lâches, indolents et portés aux plaisirs31. Et il insiste toujours sur l’étroite dépendance de l’homme à l’égard de son environnement, ce qui en fait un être difficilement transplantable32. Désir d’aider le lecteur à visualiser les lieux, description des contrées et de leurs habitants, évaluation des espaces, précision terminologique : Hérodien semble dans ces passages avoir eu à cœur de suivre les préceptes d’un Polybe33 qui affirmait qu’un historien digne de ce nom ne se contentait pas d’énumérer des toponymes mais était tenu de situer et de décrire les endroits qu’ils désignaient. Sa conscience géographique peut même paraître particulièrement développée et presque anachronique aux endroits où il se lance dans des excursus touchant à la géographie humaine et économique34. Il signale ainsi la densité de peuplement de certaines zones35 et s’intéresse aux activités économiques de quelques régions, et notamment à leur rendement agricole36. Le développement le plus remarquable à cet égard est celui qu’il consacre à la ville d’Aquilée37 : Ἡ δὲ Ἀκυληία καὶ πρότερον μέν, ἅτε μεγίστη πόλις, ἰδίου δήμου πολυάνθρωπος ἦν, καὶ ὥσπερ τι ἐμπόριον Ἰταλίας ἐπὶ θαλάττῃ προκειμένη καὶ πρὸ τῶν Ἰλλυρικῶν ἐθνῶν πάντων ἱδρυμένη τά τε ἀπὸ τῆς ἠπείρου διὰ γῆς ἢ ποταμῶν κατακομιζόμενα παρεῖχεν ἐμπορεύεσθαι τοῖς πλέουσι, τά τε ἀπὸ θαλάττης τοῖς ἠπειρώταις ἀναγκαῖα, ὧν ἡ παρ´ ἐκείνοις χώρα διὰ χειμῶνoς οὐκ ἦν εὔφορος, ἀνέπεμπεν εἰς
26. 27. 28. 29. 30. 31.
32.
33. 34. 35. 36. 37.
IV, 11, 1-3 ; IV, 15, 2-3 ; VI, 5, 3-4 ; 7, 1. VI, 7, 9 ; VII, 1, 2 ; VII, 2, 3-4 ; VII, 5, 6 ; VIII, 1, 3. III, 14, 6-8. Voir entre autres Desautels 1982 ; Staszak 1995. Par exemple les Pannoniens, II, 9, 11. Cela vaut particulièrement pour les Syriens, et notamment les habitants d’Antioche : II, 7, 9 ; 8, 9 ; 10, 7-8 ; III, 1, 3 ; 11, 8. On a quelquefois prétendu qu’Hérodien était un Syrien d’Antioche, prompt à critiquer les mœurs de ses compatriotes, mais une telle origine est loin d’être prouvée : Hidber 2006, p. 2-5. Voir par exemple VIII, 4, 3, où Hérodien explique que les Germains, habitués aux rivières paresseuses de leurs contrées, se laissent surprendre par le courant de celles d’Italie du Nord et s’y noient ; ou encore VI, 6, 2, où il attribue les maladies qui déciment les troupes illyriennes en Asie au climat, car celles-ci étaient habituées à un air plus rude et à une nourriture plus abondante. III, 36, 1-7. Sur les préoccupations économiques d’Hérodien, lire Marasco 1998, p. 2888-2897. À propos de Carthage, VII, 6, 1 et 9, 8. Il remarque ainsi (VII, 4, 4) que la Libye est majoritairement peuplée d’agriculteurs. VIII, 2, 3-4. À noter que les textes grecs cités dans l’article sont ceux de Lucarini 2005.
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τὴν ἄνω γῆν· πρὸς οἶνόν τε μάλιστα πολύγονον χώραν γεωργοῦντες ἀφθονίαν ποτοῦ παρεῖχον τοῖς ἄμπελον μὴ γεωργοῦσιν. Ἔνθεν πολύ τι πλῆθος ἐπεδήμει οὐ πολιτῶν μόνον ἀλλὰ ξένων τε καὶ ἐμπόρων38.
Voilà un passage qui ne se contente pas de situer la ville et d’expliquer son importance stratégique pour les troupes de Maximin qui s’apprêtent à l’assiéger, mais qui s’attarde sur son dynamisme démographique et explique les causes de sa prospérité économique : Aquilée constituait une plaque tournante du commerce avec l’Illyrie et était elle-même une riche exportatrice de vin, à cause des nombreux vignobles qui tapissaient son arrière-pays. Le renseignement est certainement exact, car nos autres sources montrent que la région était majoritairement viticole39. Hérodien prend même une fois le temps de décrire le spectacle riant qu’offraient les campagnes autour d’Aquilée, avec ses rangées d’arbres proprement alignées et les vignes qui y étaient appuyées40.
L’oikoumène d’Hérodien : une scène de théâtre ? Doit-on pour autant en conclure qu’Hérodien non seulement avait séjourné dans cette partie de l’Empire mais même l’avait considérée avec un œil de géographe ? Il n’est pas du tout impossible qu’il ait vécu en Italie et ait visité Aquilée41. On note cependant que sa description de la ville et de ses environs est loin d’être irréprochable : si Aquilée n’a guère retenu l’attention des historiens ou des géographes qui
38. « Dans le passé déjà, Aquilée, parce qu’elle était une cité très grande, avait eu une population autochtone très abondante. Située au bord de la mer, elle faisait fonction, en quelque sorte, de marché de l’Italie. Bâtie à proximité immédiate de tous les peuples d’Illyrie, elle fournissait à ceux qui naviguaient le commerce des produits du continent qui lui venaient par voie terrestre ou fluviale. Inversement, elle redistribuait aux peuples de l’intérieur les produits qui lui arrivaient par voie maritime et étaient nécessaires aux continentaux parce que les rigueurs de l’hiver ne permettent pas aux gens de ces contrées de les faire pousser. Comme la région d’Aquilée est fort riche en vignobles productifs, elle fournissait abondamment en vin les pays où l’on ne cultive pas la vigne. Aussi trouvait-on dans la ville une foule considérable, composée non seulement de citoyens, mais aussi d’étrangers et de commerçants » (trad. Roques 1990, p. 197, modifiée par l’auteur). 39. Hist. Aug., Max. d., 22, 4, où l’on apprend que Maximin franchit le fleuve sur un pont de tonneaux ; voir aussi Hérodien, VIII, 4, 4. Sur l’activité économique d’Aquilée, se reporter à l’étude magistrale de Panciera 1957, passim ; sur l’importance démographique, politique et économique d’Aquilée au iiie siècle, voir encore Sotinel 2005, p. 10-15. 40. VIII, 4, 5 : Τὰ μὲν οἰκοδομήματα τῶν προαστείων ἔρημα εὕρισκον, ἀμπέλους μέντοι καὶ δένδρα πάντα ἐξέκοπτον, ἃ δὲ ἐνεπίμπρασαν, καὶ τὴν πρότερον τοῖς χωρίοις ὑπάρχουσαν ὥραν κατῄσχυνον. Δένδρων γὰρ στοίχοις ἴσοις ἀμπέλων τε πρὸς ἀλλήλας δέσεσι πανταχόθεν ἠρτημένων ἐν ἑορτῆς σχήματι, στεφάνῳ ἄν τις τὴν χώραν κεκοσμῆσθαι ἐτεκμήρατο· ἅπερ πάντα ῥιζόθεν ἐκκόψας ὁ στρατὸς ἐπὶ τὰ τείχη ἠπείγετο (« Bien que [l’armée de Maximin] eût trouvé vides les habitations des faubourgs, elle coupa ou, dans certains cas, incendia toutes les vignes et tous les arbres, détruisant ainsi la belle apparence qu’avaient antérieurement ces terres (de fait, avec ses rangées égales d’arbres et ses vignes liées les unes aux autres et partout enchevêtrées, le pays avait un air de fête et on l’eût dit orné d’une couronne). Après avoir coupé toute cette végétation jusqu’à la racine, l’armée s’approcha en hâte des remparts » (trad. Roques 1990, p. 201). 41. Comme l’a soutenu avec des arguments convaincants Schettino 2016.
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se contentent généralement de citer son nom, Strabon lui a néanmoins consacré des lignes dont Hérodien pourrait bien s’être en partie inspiré42. Et notre historien n’a pas la rigueur d’un Polybe ou les connaissances d’un Strabon : contrairement à ce dernier, il situe à tort la cité au bord de la mer43. Sa description humaine et économique de la ville fait en outre plutôt figure d’exception dans l’œuvre : ni Byzance, sur laquelle il s’attarde pourtant44, ni surtout Carthage, Alexandrie et Antioche, dont il nous apprend qu’elles se disputaient le deuxième rang dans l’Empire45, n’ont droit à un excursus aussi nourri. Et, quand on considère l’ensemble des informations d’ordre géographique fournies par l’Histoire de l’Empire, on est forcé de reconnaître que les bonnes notices constituent l’exception plutôt que la règle ; la majorité d’entre elles sont lacunaires et stéréotypées, et quelques-unes sont fausses. C’est d’abord parce que de larges pans de l’oikoumène paraissent lui être inconnus. L’Asie, dont il était peut-être originaire46, lui est assez familière : il s’attarde ainsi à décrire la situation et à narrer l’histoire de Pessinonte en liaison avec celle de Rome47. Il connaît assez bien la Syrie pour expliquer qu’à l’époque de Niger cette province, qui était la plus grande de l’Empire, englobait toute la Phénicie et l’entière région qui s’étendait jusqu’à l’Euphrate48. La précision s’imposait car elle fut peu après, en 194, coupée en deux. Mais les zones plus à l’est constituent pour lui un territoire inconnu baignant dans une atmosphère de légende. On lit ainsi au livre III que Septime Sévère, au cours de sa campagne orientale, « après avoir traversé la Mésopotamie et le territoire d’Adiabène, attaqua l’Arabie Heureuse »49. Hérodien confond sans état d’âme les Arabes de l’est de la Mésopotamie et les habitants de l’Arabie Heureuse, dont le nom fort évocateur a dû le marquer : il ne résiste pas à 42. V, 1, 8 : Ἀκυληία δ´, ἥπερ μάλιστα τῷ μυχῷ πλησιάζει, κτίσμα μέν ἐστι Ῥωμαίων ἐπιτειχισθὲν τοῖς ὑπερκειμένοις βαρβάροις, ἀναπλεῖται δὲ ὁλκάσι κατὰ τὸν Νατίσωνα ποταμὸν ἐπὶ πλείστους ἑξήκοντα σταδίους. Ἀνεῖται δ´ ἐμπόριον τοῖς περὶ τὸν Ἴστρον τῶν Ἰλλυριῶν ἔθνεσι· κομίζουσι δ´ οὗτοι μὲν τὰ ἐκ θαλάττης, καὶ οἶνον ἐπὶ ξυλίνων πίθων ἁρμαμάξαις ἀναθέντες καὶ ἔλαιον, ἐκεῖνοι δ´ ἀνδράποδα καὶ βοσκήματα καὶ δέρματα. Ἔξω δ´ ἐστὶ τῶν Ἑνετικῶν ὅρων ἡ Ἀκυληία. Διορίζονται δὲ ποταμῷ ῥέοντι ἀπὸ τῶν Ἀλπείων ὀρῶν, ἀνάπλουν ἔχοντι καὶ διακοσίων σταδίων ἐπὶ τοῖς χιλίοις εἰς Νωρηίαν πόλιν, περὶ ἣν Γναῖος Κάρβων συμβαλὼν Κίμβροις οὐδὲν ἔπραξεν. Ἔχει δὲ ὁ τόπος οὗτος χρυσιοπλύσια εὐφυῆ καὶ σιδηρουργεῖα (« Aquiléia, qui est la plus rapprochée du golfe, a été fondée par les Romains et garnie de remparts contre les barbares de l’arrière-pays. Les vaisseaux marchands l’atteignent en remontant le cours du Natiso sur 60 stades au plus. Elle ouvre son marché aux peuples d’Illyrie qui habitent le bassin de l’Istros : ils viennent y chercher les marchandises acheminées par mer, du vin, qu’ils chargent sur leurs charriots couverts dans des tonneaux de bois, et de l’huile, tandis qu’on leur achète des esclaves, du bétail et des peaux. Aquiléia est sise en dehors des frontières des Hénètes, dont elle est séparée par un cours d’eau qui descend des Alpes et peut être remonté sur 1 200 stades en direction de la ville de Noreia, près de laquelle Gneius Carbo tenta sans succès de s’opposer aux Cimbres. Cette région possède des laveries d’or pourvues d’avantages naturels et une industrie du fer », trad. Lasserre 1967, p. 48). 43. Sur la description « abstraite » qu’Hérodien trace d’Aquilée, voir Sotinel 2005, p. 8-10. 44. III, 1, 5. 45. VII, 6, 1 et IV, 3, 7. 46. Voir supra, n. 1. 47. I, 11, 1-5. 48. II, 7, 4. 49. III, 9, 3.
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la tentation d’expliquer que celui-ci provient des herbes aromatiques poussant en abondance dans cette contrée qui fournit au monde ses parfums50. Il a sur les autres continents des notions tout aussi chancelantes. Il nous transmet certes quelques informations à propos de l’Afrique, évoquant à plusieurs reprises Alexandrie et les Alexandrins51, ou expliquant encore que Capellianus, partisan de Maximin qui vint à bout des Gordiens, était légat « des Maures soumis à Rome que l’on appelle Numides » et avait sous ses ordres des légions destinées à défendre la province des attaques des Barbares qui l’environnaient52. Mais, mis à part ce renseignement, sa connaissance de l’Afrique occidentale se limite à la Proconsulaire, et, plus particulièrement, à Carthage, Thysdrus et leur arrière-pays53 – il est à cet égard significatif que les termes Libye et Libyens désignent chez lui à la fois l’Afrique et les Africains en général et la Proconsulaire et ses habitants54. Surtout, des secteurs entiers de l’Europe pourtant concernés par son récit lui sont totalement inconnus. Il décrit assez bien l’Italie et la capitale de l’Empire55, mais ne s’attarde généralement pas sur les contrées situées plus à l’ouest ou au nord, qui ne représentent manifestement à ses yeux que de grands espaces nébuleux aux contours flous auxquels, au mieux, il associe un ou deux noms de villes, fleuves ou montagnes. Il ne mentionne qu’une seule fois l’Espagne56. De la Κελτῶν χώρα57 ou Γαλλία58, la Gaule, il n’évoque guère que Lyon, sommairement définie comme une ville très grande et prospère59. À propos de la Bretagne, il se contente de signaler que la plus grande partie de l’île est rendue marécageuse par l’incessant mouvement des marées60 et toujours enveloppée de brouillard61 ou encore mentionne, sans plus de précision, la ligne de rivières et de forts qui y formait la limite de l’Empire62. Quant aux zones rhénanes et danubiennes, ses incertitudes terminologiques attestent qu’il les voit comme un unique territoire aux parties et aux peuples interchangeables. Il nomme certes une fois la Mésie63, mais jamais la Rhétie, le Norique,
50. Ibidem. 51. IV, 3, 7 ; 8, 7-9 ; 9, 2-3 ; 9, 8 ; VII, 7, 1-2. 52. VII, 9, 1 ; trad. Roques 1990, p. 187. L’Histoire Auguste (Max. d., 19, 1 ; Gord. tr., 15, 1) décrit en revanche simplement Capellianus comme le gouverneur d’une des provinces de Maurétanie : Whittaker 1970, vol. II, p. 214, n. 2. 53. V, 6, 4 ; VII, 4, 4 ; 6, 1 ; 8, 5 et 8 ; VII, 7, 1. Il est vrai qu’il obéissait tout de même ici aux impératifs de son récit. 54. VII, 4, 1 et 3 ; 8, etc. 55. Sur ce point, lire les discussions de Zimmermann 1999a, p. 306-319 ; Schettino 2016. 56. I, 10, 2 : voir Widmer 1967, p. 38. 57. Ibidem. 58. III, 7, 2. 59. Hérodien (III, 1, 5) emploie la même formule passe-partout pour décrire Byzance. 60. III, 14, 6. 61. III, 14, 8. De telles connaissances étaient conventionnelles. De nombreux écrivains avaient par exemple déjà mentionné avant Hérodien le brouillard breton : Tacite, Agr., 12 ; Minucius Felix, Oct.18, 3, etc. On peut opposer au manque de précision et au caractère générique de la documentation d’Hérodien la description physique que propose de l’île Dion Cassius (LXXVI [LXXVII], 12, 5), souvent pourtant présenté comme la source principale du premier. 62. III, 14, 10. 63. III, 10, 1.
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les Pannonies ou les Dacies64 : les uns et les autres sont invariablement désignés dans l’œuvre par deux vocables passe-partout, Paonie ou Illyrie. Par le premier nom, il entend évidemment les Pannonies et non, selon son sens premier, les alentours du Rhodope et de la Macédoine jusqu’à la mer. Si la confusion est courante chez les écrivains grecs65, un contemporain qui connaissait bien ces régions, Dion Cassius66, prend tout de même la peine de la dénoncer. Celui-ci situe en outre les Pannonies beaucoup mieux67 qu’Hérodien sa Paonie, car ce dernier la confond souvent avec l’Illyrie68. Celle-ci recouvre en principe une région allant du nord de la Macédoine et de la Thrace jusqu’à la Mer Noire, sur le cours inférieur du Danube (Ister), c’est-à-dire les deux Mésies69. Mais, dans l’Histoire de l’Empire après la mort de Marc, elle désigne génériquement toutes les provinces du nord, des Germanies aux Pannonies et à la Mésie, ou bien une partie70, voire l’une ou l’autre d’entre elles. Au reste, l’étude de ses descriptions des voyages et des campagnes des princes suffit à mettre en évidence les lacunes de sa carte mentale de l’Empire. S’il retrace assez bien leurs itinera en Orient71, il évite en revanche systématiquement de mentionner la moindre étape de leurs cheminements entre le nord de l’Italie et la Thrace : il explique ainsi que Commode, revenant en 180, après la mort de son père, de la ligne de front danubien à Rome, fit de nombreuses étapes au cours de son voyage, mais il se garde bien de préciser dans quelles villes il s’arrêta72. Ce laconisme est constant : là ou Dion Cassius nous apprend que le jeune Héliogabale, faisant route, après son élévation au principat, d’Antioche vers la capitale, hiverna à Nicomédie puis passa par la Thrace, la Mésie et les deux Pannonies73, Hérodien évoque simplement la halte en Bithynie74. Et aucun lieu précis n’émerge de son récit de la campagne que Septime Sévère mena en Bretagne à la fin de son règne contre les Barbares qui avaient franchi le mur d’Antonin75.
64. Il emploie certes le terme Germanie, mais moins pour désigner les deux Germanies que le territoire habité par les Barbares germains. 65. Par exemple Appien, Philostrate, Zosime, etc. 66. XLIX, 36, 6. 67. XLIX, 36, 2. 68. Il lui arrive certes de distinguer les deux groupes (voir par exemple II, 9, 1), mais on constate que les termes sont pour lui également souvent interchangeables : en II, 9, 9, il fait ainsi de Pertinax un légat des Illyriens, alors qu’il l’était de la legio I Adiutrix, stationnée en Pannonie Supérieure. 69. Appien, Illyr., I, et surtout Dion Cassius, XII = Zonaras, VIII, 19, 8. Sur les Illyriens et leur localisation, voir Grosso 1964, p. 172, n. 2. 70. Ainsi, en II, 10, 10, Hérodien appelle Illyriens les hommes des légions des Pannonies, des Mésies, de Dacie, de Rhétie, du Norique et des Germanies. Voir encore VI, 7, 2, où il parle des « Illyriens voisins de l’Italie » pour désigner les habitants de la Rhétie et du Norique. 71. On pense en particulier au voyage de Caracalla en Orient en 214 (IV, 8, 1-7) : lire l’analyse de Christol 2012, p. 155-167. 72. I, 7, 1-2. 73. LXXIX [LXXX], 3, 1-2. 74. V, 5, 3-4 ; Bricault 2012, p. 83-105. On peut multiplier les exemples où Hérodien évite de mentionner des lieux précis de Thrace, des Mésies, des Dacies, des Pannonies, du Norique et de la Rhétie : I, 11, 3 ; III, 10, 11 ; VI, 4, 3, etc. Il évoque tout de même Sirmium en VII, 2, 9. 75. III, 14, 3-15, 8.
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Voilà qui écorne sérieusement notre image première d’un Hérodien attentif aux lieux dans lesquels il situe son récit. On soupçonne fréquemment que, lorsqu’il est exact et original, il suit fidèlement la source dont il s’inspire mais que, dans la plupart des cas, il se contente de simplifier et de généraliser celle-ci. Ses notices ethnographiques, dont le nombre constitue pourtant une des originalités de l’œuvre, dépassent aussi rarement le niveau du savoir commun. Son portrait du Barbare breton, toujours nu, peinturluré et nageant constamment dans les marais76, est, plus encore que le passage parallèle de Dion Cassius77, un concentré des clichés rapportés par tous les auteurs ayant évoqué l’île avant lui78, et, au-delà, des stéréotypes attribués au Barbare du nord dans l’imaginaire gréco-romain79. Ses Parthes ne sont guère plus réalistes : la fête qu’il décrit au livre IV, en apparence vivante et colorée, ressemble surtout, avec ses flûtes doubles, syrinx et tambourins, et ses participants ivres, au cortège de Dionysos80. On en vient alors à se demander si Hérodien ne considérait pas les notices géographiques et ethnographiques comme de simples ornements du récit historique, destinés à l’embellir de réminiscences littéraires. Il rappelle encore que le Rhin et le Danube sont les deux plus grands fleuves d’Europe, et surtout déclare, comme le faisait déjà Ovide à propos du second81, que l’on traverse ces rivières à cheval en hiver et que l’on n’y puise de l’eau qu’avec un pic82. Bien qu’il s’en défende dans la Préface83, on peut à bon droit classer l’écrivain parmi les historiens « tragiques » et « rhétoriques »84 : voici par exemple la description qu’il propose du site où se déroula l’ultime combat entre Septime Sévère et Pescennius Niger : Συνέρχεται δὴ ἑκατέρωθεν ὁ στρατὸς εἰς τὸ κατὰ τὸν Ἰσσικὸν καλούμενον κόλπον πεδίον πλατύτατόν τε καὶ ἐπιμηκέστατον, ᾧ περίκειται μὲν λόφος εἰς θεάτρου σχῆμα, αἰγιαλὸς δὲ ἐπὶ θαλάσσης μέγιστος ἐκτείνεται, ὥσπερ τῆς φύσεως εἰργασμένης στάδιον μάχης. Ἐκεῖ φασὶ καὶ Δαρεῖον Ἀλεξάνδρῳ τὴν ὑστάτην καὶ μεγίστην μάχην συμβαλόντα ἡττηθῆναί τε καὶ ἁλῶναι, τῶν ἀπὸ τῶν ἀρκτῴων μερῶν καὶ τότε τοὺς ἀνατολικοὺς νενικηκότων. Μένει δὲ ἔτι νῦν τρόπαιον καὶ δεῖγμα τῆς νίκης ἐκείνης, πόλις ἐπὶ τοῦ λόφου Ἀλεξάνδρεια καλουμένη, ἄγαλμά τε χαλκοῦν οὗ τὴν προσηγορίαν ὁ τόπος φέρει. Συνέβη δὲ καὶ τῶν στρατοπέδων τοῦ Σεβήρου τε καὶ Νίγρου μὴ τὴν σύνοδον μόνον κατ´ ἐκεῖνο γενέσθαι τὸ χωρίον, ἀλλὰ καὶ τὴν τύχην ὁμοίαν τῆς μάχης. Ἀντιστρατοπεδευσάμενοι γὰρ ἑκατέρωθεν περὶ ἑσπέραν, πάσης τῆς νυκτὸς ἐν
76. III, 14, 7-8. 77. LXXVI [LXXVII], 12, 1-4. Dion Cassius répète lui aussi des lieux communs de la littérature à propos de la Bretagne, mais est plus précis qu’Hérodien : il signale entre autres que ce furent les Méates, vivant près du mur d’Antonin et les Calédoniens, installés plus au nord, qui vinrent ravager la Bretagne à cette époque. 78. César, BG, 5, 14 ; Pline l’Ancien, NH, XXII, 1 ; Tacite, Agr., 12 et 36 ; Pomponius Mela, III, 6, etc. Voir Whittaker 1969-1970, vol. I, p. 360 ; Birley 19993, p. 178-179. 79. Ses Germains (voir VII, 2, 5-6) sont eux aussi amphibies et vivent dans les marais. 80. IV, 11, 3. 81. Voir par exemple Tr., III, 10. 82. VI, 7, 6-8. 83. I, 1, 1. 84. Sur ce point, voir Marasco 1998, p. 2904-2907.
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φροντίσιν ἑκάτεροι καὶ δέει διαγρηγορήσαντες, ἅμα ἡλίῳ ἀνίσχοντι ἐπ´ ἀλλήλους ἠπείγοντο, παρορμώντων ἑκατέρωθεν τῶν στρατηγῶν. Προθυμίᾳ δὴ πάσῃ ἐνέπιπτον ὡς ὑπὲρ λοιπῆς καὶ τελευταίας ἐκείνης μάχης, κἀκεῖ τῆς τύχης διακρινούσης τὸν βασιλέα. Ἐπὶ πολὺ δὲ αὐτῶν διαγωνισαμένων πολλοῦ τε ἐργασθέντος φόνου, ὡς καὶ τὰ ῥεῖθρα τῶν διὰ τοῦ πεδίου ποταμῶν ῥεόντων αἵματος πλέον ἢ ὕδατος κατάγειν εἰς θάλασσαν, τροπὴ τῶν ἀνατολικῶν γίνεται. Ἐκβιασάμενοι δὲ αὐτοὺς οἱ Ἰλλυριοὶ τοὺς μὲν εἰς τὴν παρακειμένην θάλασσαν τιτρώσκοντες ἐξωθοῦσι, τοὺς δὲ φεύγοντας ἐπὶ τοὺς λόφους διώκοντες αὐτούς τε φονεύουσι καὶ πολύ τι πλῆθος ἄλλων ἀνθρώπων, ὅπερ ἔκ τε τῶν περικειμένων πόλεων καὶ ἀγρῶν ἤθροιστο, ὡς ἀπ´ ἀσφαλοῦς τοῦ τόπου τὰ γινόμενα θεάσοιντο85.
Le site de la bataille d’Issos correspond certes dans ses grandes lignes réellement à ce que nous en dit Hérodien86. Mais le but premier de celui-ci n’était certainement pas de proposer une description fidèle du terrain où se rencontrèrent les deux armées. Il recherche avant tout les effets dramatiques : il assimile explicitement le lieu du combat à un théâtre – il parle aussi de stade –, bordé par la mer et entouré de collines où s’étaient rassemblés les habitants des alentours pour assister au spectacle. Et il inscrit la bataille dans la continuité du combat légendaire qui avait opposé un héros occidental, Alexandre, au Grand Roi des Perses, Darius. En somme, l’oikoumène d’Hérodien n’est rien d’autre qu’une immense scène de théâtre, un décor se prêtant merveilleusement aux drames humains.
85. III, 4, 2-5 : « Les deux armées se rencontrèrent dans la plaine qui jouxte le golfe appelé golfe d’Issos. Celle-ci, très étendue et très large, est entourée de collines qui affectent la forme d’un théâtre et bordée par une plage fort longue, comme si la nature avait fait de ce lieu un stade où l’on pût lutter. C’est là, dit-on, que Darius engagea son plus grand et son ultime combat, qui vit sa défaite et sa capture : à cette époque déjà, les unités venues du Nord avaient vaincu celles de l’Orient. Il subsiste encore maintenant, de cette bataille fameuse, un trophée et une preuve : c’est la cité appelée Alexandrie, qui est construite sur la colline, et où l’on voit une statue en bronze de celui dont la cité tire son nom. La ressemblance avec cette ancienne bataille ne se limite pas au fait que les soldats de Sévère et de Niger s’affrontèrent dans le même secteur : le sort du combat fut, lui aussi semblable. Les deux armées avaient, vers le soir, établi leur camp face à face. Durant toute la nuit, chacune d’elles resta éveillée, soucieuse et craintive. Au lever du soleil, elles se hâtèrent, à l’instigation de leurs généraux, d’en découdre. Les deux camps mirent toute leur ardeur à assaillir l’adversaire, considérant qu’ils livraient leur ultime et décisif combat et que la Fortune décidait là du choix de l’Empereur. Ils luttèrent longtemps et sans relâche, et le carnage fut si considérable que les fleuves qui coulaient à travers la plaine emportaient, en descendant vers la mer, plus de sang que d’eau. Puis vint la déroute des troupes d’Orient. Les soldats d’Illyrie les pourchassent. Ils en blessent une partie, qu’ils rejettent jusqu’à la mer voisine, et poursuivent l’autre partie, qui fuyait vers les collines. Ces derniers sont tués, tout comme une foule d’autres personnes qui, des villes et des campagnes attenantes, s’étaient rassemblées là, se figurant que, de cet endroit, elles pourraient regarder en toute sécurité le déroulement des événements » (trad. Roques 1999, p. 86-87). 86. Comme me l’a fait remarquer Ph. Torrens, que je remercie ici.
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Une vision de l’Empire inscrite dans la nature L’intérêt manifesté à première vue par Hérodien pour la géographie et l’ethnologie n’est-il donc qu’une imposture et faut-il en définitive dénier toute valeur à la plupart des notices touchant à ces sujets ? Il ne convient pas d’être trop dur avec l’écrivain. D’abord, son projet historique s’inscrivait à contre-courant de ceux de ses contemporains et de ses prédécesseurs87 : il affirme à la fin du livre II qu’il n’a pas l’intention de décrire, comme de nombreux historiens et poètes avant lui, les voyages des empereurs, les cités où l’amènerait son récit ou encore la topographie des champs de bataille, car il souhaite avant tout résumer les événements qui se sont succédé pendant les soixante-dix ans de la période qu’il a choisie88. Il récuse donc en principe les détails trop précis et les digressions au nombre desquelles entrent les notices gégographiques89. Mais pourquoi celles-ci sont-elles alors aussi nombreuses dans son œuvre ? Sans doute parce qu’elles servaient les objectifs idéologiques qu’il poursuivait. On a tracé des portraits assez contradictoires d’Hérodien, faisant tantôt de lui un hellénophone peu concerné par Rome dont il aurait subi, comme tous les Grecs des provinces orientales, la domination sans aucune acculturation90, tantôt un romanophile, partisan convaincu de l’Empire91. On note d’abord en faveur de la première thèse que les périphrases par lesquelles Hérodien évoque l’Asie grecque inscrivent toujours dans la nature sa séparation d’avec l’Europe latine : elle est « le continent qui fait face à l’Europe »92 et « en est séparée par la mer Égée et le détroit de la Propontide »93, décrit comme difficile à traverser94. L’écrivain joue volontiers sur la polysémie du verbe ἀντίκειμαι (« faire face », ou « s’opposer à ») : Septime Sévère, nous apprend-il, savait qu’il lui fallait rassembler de grandes forces « pour lutter contre la totalité du continent opposé à l’Europe »95. Il n’est pas impossible que cette opposition inscrite dans la géographie, cette guerre totale de Septime Sévère contre l’Asie, soutien de son rival soit dans l’œuvre le reflet d’un conflit latent entre l’Europe et l’Asie, l’Occident et l’Orient. Un passage singulier de l’Histoire de l’Empire est à cet égard particulièrement significatif. Après avoir décrit la haine viscérale qui opposait Caracalla et Géta, fils et successeurs de Septime Sévère, Hérodien rapporte l’étrange projet de partition de l’Empire qu’auraient conçu les deux co-empereurs ennemis96 : Καί ποτε ἔδοξεν αὐτοῖς, ἵνα δὴ μὴ μένοντες ἐν τῇ Ῥώμῃ ἀλλήλοις ἐπιβουλεύοιεν, νείμασθαι τὴν ἀρχήν. Συναγαγόντες δὴ τοὺς πατρῴους φίλους, τῆς τε μητρὸς παρούσης, ἠξίουν διαιρεθῆναι τὴν βασιλείαν, καὶ τὰ μὲν ὑπ´ Εὐρώπην πάντα ἔχειν τὸν
87. 88. 89. 90. 91. 92. 93. 94. 95. 96.
Voir Sidebottom 1998, p. 2777-2778 ; Hidber 2006, p. 65-70, 147-152. II, 15, 6-7. Sur l’art du récit chez Hérodien, lire Sidebottom 1998, p. 2813-2822 ; Hidber 2006, p. 124-152. Sidebottom 1998, p. 2804, qualifie ainsi l’Histoire de l’Empire après la mort de Marc d’histoire d’une monarchie étrangère. Roques 1990, p. 13. II, 8, 7. VI, 2, 2. Par exemple V, 4, 2. II, 14, 7, trad. Roques 1990, p. 78. IV, 3, 5-8.
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Ἀντωνῖνον, τὴν δὲ ἀντικειμένην ἤπειρον Ἀσίαν τε καλουμένην πᾶσαν Γέτᾳ παραδοθῆναι· οὕτω γὰρ ἔλεγον καὶ θείᾳ τινὶ προνοίᾳ τὰς ἠπείρους διῃρῆσθαι τῷ Προποντίδος ῥεύματι. Ἤρεσκε δὲ τὸν μὲν Ἀντωνῖνον ἐπὶ τῷ Βυζαντίῳ ἱδρῦσαι στρατόπεδον, τὸν δὲ Γέταν ἐν Χαλκηδόνι τῆς Βιθυνίας, ὡς ἀντικείμενα ἀλλήλοις τὰ στρατόπεδα φρουροίη τε τὴν ἑκατέρου ἀρχὴν καὶ κωλύοι τὰς διαβάσεις. Ἐδόκει τε τῆς συγκλήτου βουλῆς τοὺς μὲν Εὐρωπαίους πάντας ἀπομεῖναι, τοὺς δὲ ἐκεῖθεν ἀπελθεῖν σὺν τῷ Γέτᾳ. Τῇ τε βασιλείᾳ τῇ αὑτοῦ αὐτάρκη ἔσεσθαι ὑποδοχὴν ὁ Γέτας ἔλεγεν ἢ τὴν Ἀντιόχειαν ἢ τὴν Ἀλεξάνδρειαν, οὐ πολύ τι τῆς Ῥώμης, ὡς ᾤετο, μεγέθει ἀποδεούσας. Τῶν δὲ ὑπὸ μεσημβρίᾳ ἐθνῶν Μαυρουσίους μὲν καὶ Νομάδας Λιβύης τε τὰ παρακείμενα Ἀντωνίνῳ δοθῆναι, τὰ δὲ ἐπέκεινα μέχρις ἀνατολῆς προσήκειν τῷ Γέτᾳ. Ταῦτα δὴ αὐτῶν διατυπούντων οἱ μὲν ἄλλοι πάντες σκυθρωποῖς προσώποις ἐς γῆν ἔνευσαν· ἡ δὲ Ἰουλία « γῆν μέν » - ἔφη - « καὶ θάλασσαν, ὦ τέκνα, εὑρίσκετε ὅπως νείμησθε, καὶ τὰς ἠπείρους, ὥς φατε, τὸ Πόντιον ῥεῖθρον διαιρεῖ· τὴν δὲ μητέρα πῶς ἂν διέλοισθε, καὶ πῶς ἡ ἀθλία ἐγὼ εἰς ἑκάτερον ὑμῶν νεμηθείην ἢ τμηθείην; πρῶτον δὴ ἐμὲ φονεύσατε, καὶ διελόντες ἑκάτερος παρ´ ἑαυτῷ τὸ μέρος θαπτέτω· οὕτω γὰρ ἂν μετὰ γῆς καὶ θαλάττης εἰς ὑμᾶς μερισθείην. » Tαῦτα δὲ λέγουσα μετὰ δακρύων καὶ οἰμωγῆς, ἀμφοτέροις τε τὰς χεῖρας περιβάλλουσα καὶ ὑπὸ τὰς ἀγκάλας ἄγουσα, συνάγειν ἐπειρᾶτο. Πάντας δὲ οἴκτου καταλαβόντος διελύθη τὸ συνέδριον, ἥ τε σκέψις ἀπεδοκιμάσθη, ἑκάτερός τε εἰς τὰ ἑαυτοῦ βασίλεια ἀνεχώρησε97.
97. « Ils décidèrent alors de se partager l’Empire pour éviter que leur présence conjointe à Rome ne les poussât à se tendre mutuellement des embûches. Ils rassemblèrent donc les amis de leur père et en présence de leur mère voulurent qu’on partageât l’Empire. Antoninus aurait la totalité de l’Europe tandis que Géta recevrait la totalité du continent opposé, celui qu’on appelle l’Asie ; c’était d’ailleurs par un effet de la Providence divine, disaient-ils, que les continents se trouvaient ainsi séparés par les eaux de la Propontide. Ils trouvaient bon d’y établir chacun une armée, Antoninus à Byzance, Géta à Chalcédoine de Bithynie, afin que, se faisant face, elles protégeassent leur Empire respectif et que chacune interdît à l’autre le franchissement du détroit. Ils étaient d’avis que tous les sénateurs originaires d’Europe restassent à Rome, et que ceux d’Asie la quittassent avec Géta. Pour son Empire, ce dernier disait qu’il trouverait une capitale acceptable à Antioche ou à Alexandrie, qui n’étaient pas, à ses yeux, des cités moins puissantes que Rome. Quant aux provinces du Sud, celles des Maures, des Numides et les terres adjacentes de Libye, on les donnerait à Antoninus, tandis qu’au-delà, et jusqu’en Orient, elles reviendraient à Géta. Tandis qu’ils exprimaient ces conceptions, toute l’assistance, l’air sombre, baissait les yeux vers la terre. Alors Julia prit la parole et dit : « Mes enfants, vous trouvez les moyens de vous partager la terre et la mer : les eaux du Pont, dites-vous, séparent les continents. Mais votre mère, comment vous la partagerez-vous ? Et comment, dans mon malheur, me verrai-je répartie à chacun de vous et coupée en deux ? Commencez donc par me tuer, prenez une moitié de mon corps, puis, chacun, ensevelissez cette partie de ma personne ! C’est ainsi que vous pourrez opérer, pour votre mère, le même partage que pour la terre et la mer ! ». En prononçant ces propos, auxquels elle mêlait larmes et lamentations, Julia les prenait l’un et l’autre dans ses bras et les y serrait en s’efforçant de les réconcilier. Alors, comme tous les participants étaient saisis de compassion, l’assemblée prit fin après rejet du plan proposé, et chacun des antagonistes s’en revint dans la partie du palais qu’il occupait » (trad. Roques 1990, p. 114-115).
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L’historicité de ce plan est suspecte98, car le Bithynien Dion Cassius, qui aurait dû pourtant se sentir concerné au premier chef, n’en dit pas un mot99. On retrouve, amplement développée, l’idée d’une opposition entre l’Europe et l’Asie inscrite dans la nature, voulue θείᾳ τινὶ προνοίᾳ et symbolisée par la lutte fratricide des deux princes. Surtout, on est de prime abord impressionné par un découpage de l’Empire et un dédoublement du Sénat entre ouest et est, partie latine et partie grecque, correspondant, grosso modo et à plusieurs incertitudes près100, à ce qui se produisit effectivement au ive siècle101. On ne doit pas pour autant créditer Hérodien de dons de visionnaire, car le motif de la partition de l’Empire entre ouest et est102 et de la délocalisation du Sénat est présent depuis les origines dans l’historiographie romaine103. On ne peut exclure qu’Hérodien se fasse ici l’écho de tendances séparatistes ou à tout le moins centrifuges qui agitaient au iiie siècle les milieux sénatoriaux orientaux104. Mais, plus vraisemblablement, il évoque le spectre, récurrent en période de guerre civile ou d’instabilité du pouvoir, d’une dissociation possible des différentes parties de l’Empire, et notamment de l’ouest et de l’est. Il la refuse pour sa part catégoriquement : la mise en scène dramatique de Julia Domna, veuve de Septime Sévère, suppliant ses fils de la tuer d’abord puis de s’adjuger chacun une partie de son corps, montre combien était à ses yeux contre-nature une telle scission de l’orbis Romanus105. Cette conviction ne découlait pas tant de son attachement (sans doute bien réel) à Rome que de sa perception qu’il y avait bien pire pour les Grecs que l’impérialisme romain, les ambitions territoriales perses que seul l’appareil militaire romain était capable de contrer106. Il est l’historien qui nous renseigne le mieux sur le changement de dynastie qui survint en 227 au-delà du Tigre et de l’Euphrate, quand le Perse Ardashir (qu’il appelle Artaxerxès) renversa le Grand Roi parthe Artaban107. Or le motif du continent asiatique opposé à l’Europe resurgit à cette occasion, cette fois dans
98. Parmi ceux qui ont cru à l’authenticité du projet, citons Kornemann 1930, p. 88-90 ; Calderini 1949, p. 88 ; Crook 1955, p. 81-82 ; Mazzarino 1974, p. 148-149 ; contra, Balsdon 1962, p. 153 et 309, n. 106 ; Whittaker 1969-1970, I, p. 386, n. 1 ; Alföldy 1972, p. 30-33 ; Birley 19993, p. 256, n. 2 ; Marasco 1998, p. 2871-2873 ; Zimmermann 1999a, p. 203-207 ; Levick 2007, p. 87-88. 99. Voir Marasco 1998, p. 2872. 100. Les contours de ces Empires d’Occident et d’Orient restent assez flous et le sort de certaines régions n’est pas évoquée : voir Roques 1999, p. 253, n. 18. 101. Comme l’a souligné Mazzarino 1966, p. 207. 102. Il suffit d’évoquer la distinction faite par la propagande d’Octave entre son rival orientalisant Marc Antoine et lui-même, résolument romain et « occidental », ou encore, à l’époque d’Hérodien, la dichotomie établie entre Marc Aurèle et son co-empereur Lucius Verus, attiré par les mœurs orientales ; voir encore Zimmermann 1999a, p. 203-207, qui souligne que la lutte entre Géta et Caracalla reproduit jusqu’à un certain point la guerre entre Septime Sévère et Pescennius Niger qui fit rage entre Orient et Occident à la génération précédente. 103. Voir Gabba 1960, p. 221-232 ; Marasco 1998, p. 2872. 104. Voir Millar 1964, p. 1987 ; Mazzarino 1966, p. 207 ; Whittaker 1969-1970, I, p. 387. 105. Sur Hérodien et l’unité de l’Empire, voir Marasco 1998, p. 2873-2876. 106. Dion Cassius (LXXX, 4, 1) et Ammien Marcellin (XVII, 5, 3 ss) évoquent eux aussi les visées conquérantes de l’Empire parthe/perse contemporain : voir en premier lieu Alföldy 1971c, p. 360-366. 107. VI, 2, 1-2.
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une confrontation qui n’est plus seulement géographique, mais aussi historique : selon Hérodien, Artaxerxès aurait ordonné aux Romains d’évacuer la Syrie et « les territoires d’Asie qui font face à l’Europe (…), possessions ancestrales des Perses »108 depuis l’époque de Cyrus109 et malgré les conquêtes d’Alexandre110. Face à de telles prétentions, Hérodien, comme sans doute la plupart des Gréco-orientaux, se sent plus proche des Romains et de leur Empire, qui avait su ménager une place de choix à l’élite hellène111, que des Parthes / Perses, avec lesquels toute forme de communauté, qu’elle soit territoriale, politique, militaire, économique ou même matrimoniale, lui apparaît impossible112. Face au danger barbare, Hérodien prône le caractère infrangible des parties occidentales et orientales du monde romain. On a fait quelquefois de lui l’historien de la « crise de l’Empire »113, dont il aurait perçu les mutations profondes114 tout en continuant envers et contre tout à proclamer sa grandeur115. S’il convient de nuancer considérablement cette thèse116, elle est tout de même jusqu’à un certain point juste, comme en témoigne sa conscience d’une dissociation possible des deux parties du monde romain ou encore du péril représenté par la pression des Barbares – qui n’avait cessé d’augmenter aux frontières depuis le règne de Marc Aurèle –, dont les Perses ne représentent qu’une infime partie. Il affirme certes, selon une conception courante au moins depuis l’époque augustéenne117, la vocation naturelle de l’Empire à devenir universel, à se dilater jusqu’aux limites du monde habité118. Mais, en même
108. VI, 4, 5 ; trad. Roques 1990, p. 159. 109. VI, 2, 2. 110. VI, 2, 6-7. 111. Lire entre autres Forte 1972, p. 451-536 ; Alföldy 1973, p. 479-501 ; 1974, p. 89-111 ; Blois 1984, p. 358-377 ; 1998, p. 3401-3404, qui montrent que les vues d’Hérodien reflètent celles de l’élite grecque des provinces orientales, jusqu’à un certain point consciente de la crise multiforme que traversait l’Empire et qui voyait dans les Romains les meilleurs défenseurs de leur paideia, notamment pendant les années les plus troublées. 112. On peut citer ici l’Empire commun que le perfide Caracalla, selon Hérodien (IV, 10, 1-5), aurait proposé de fonder avec le Grand Roi en unissant leurs territoires et en nouant une alliance matrimoniale, pour, ensuite, traîtreusement l’écraser. La digne réponse d’Artaban, qui explique que les deux peuples ne peuvent se fondre, reflète bien la pensée de l’écrivain ; sur les relations romano-parthes / perses et l’image des Parthes dans l’imaginaire grécoromain, consulter Zecchini 2005, p. 59-82 et Lerouge 2007. 113. On est revenu considérablement depuis quelques années sur cette notion de « crise de l’Empire » : voir notamment Strobel 1993 ; Witschel 1999 ; consulter également Bleckmann 1992. Hérodien (I, 1, 4-6) affirme quant à lui qu’il veut exposer tous les bouleversements qu’a connus sa période. 114. Lire entre autres Alföldy 1971b, p. 429-449 ; Polverini 1988, p. 357 ; Brandt 1997, p. 305 ; Marasco 1998, p. 2837-2927. Pour un tour d’horizon complet des exégètes qui, à la suite de G. Alföldy, ont fait d’Hérodien l’historien de la crise de l’Empire, voir Hidber 2006, p. 55-57. 115. Voir par exemple II, 13, 6, etc. 116. Comme l’ont fait Sidebottom 1998, p. 1792-2803 ; Zimmermann 1999a, p. 287-291 et 327328 ; 1999b, p. 142-143. 117. Lire Nicolet 1988, p. 27-68 : on trouve des traces de cette idéologie dès la fin de la République. 118. I, 5, 6 et 6, 5-6 et surtout VII, 2, 9, à propos des conquêtes que Maximin aurait poursuivies s’il avait vécu.
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temps, il ne peut s’empêcher de le voir comme une citadelle assiégée, repliée derrière ses frontières naturelles. Voici par exemple comment il imagine qu’Auguste avait tracé la carte de l’Empire : Ἐς ὅσον μὲν (…) ἐπὶ δημοκρατίας τὰ Ῥωμαίων διῳκεῖτο καὶ ἡ σύγκλητος ἐξέπεμπε τοὺς τὰ πολεμικὰ στρατηγήσοντας, ἐν ὅπλοις Ἰταλιῶται πάντες ἦσαν καὶ γῆν καὶ θάλασσαν ἐκτήσαντο, Ἕλλησι πολεμήσαντες καὶ βαρβάροις· οὐδέ τι ἦν γῆς μέρος ἢ κλίμα οὐρανοῦ ὅπου μὴ Ῥωμαῖοι τὴν ἀρχὴν ἐξέτειναν. Ἐξ οὗ δὲ εἰς τὸν Σεβαστὸν περιῆλθεν ἡ μοναρχία, Ἰταλιώτας μὲν πόνων ἀπέπαυσε καὶ τῶν ὅπλων ἐγύμνωσε, φρούρια δὲ καὶ στρατόπεδα τῆς ἀρχῆς προυβάλετο, μισθοφόρους ἐπὶ ῥητοῖς σιτηρεσίοις στρατιώτας καταστησάμενος ἀντὶ τείχους τῆς Ῥωμαίων ἀρχῆς· ποταμῶν τε μεγέθεσι καὶ τάφρων ἢ ὀρῶν προβλήμασιν ἐρήμῳ τε γῇ καὶ δυσβάτῳ φράξας τὴν ἀρχὴν ὠχυρώσατο119.
Ce développement a généralement été considéré comme un morceau de rhétorique inspiré d’un passage du célèbre discours de Mécène à Auguste dans l’Histoire Romaine de Dion Cassius120, qui contiendrait une critique voilée du système de défense contemporain, et surtout de l’interdiction faite par Septime Sévère aux Italiens de servir dans la garde prétorienne121. Mais la dernière partie est peut-être la plus intéressante : Hérodien attribue au premier princeps un système de défense de l’Empire dans lequel les obstacles naturels (montagnes, rivières et déserts) jouaient un rôle à part entière. C’est exact et faux à la fois : Auguste déclare bien dans ses Res Gestae122 avoir pacifié l’Empire jusqu’à l’Océan, de Gadès jusqu’aux fleuves du nord. Les limites naturelles qu’il mentionne n’étaient néanmoins pas une ligne de défense mais les confins du monde habité, au-delà desquels il était impossible d’aller. Il est vrai que, derrière le discours officiel d’un orbis Romanus se confondant avec l’oikoumène, se développa, jusqu’au iie siècle, une conception plus réaliste d’un Empire gardé par les reliefs et les fleuves qui l’entouraient123 – parfois assimilés à des barrières culturelles124 –, mais qui avaient également vocation à devenir la base de futures opérations plus éloignées. 119. II, 11, 4-5 : « Tant que les Romains avaient connu la République et que le Sénat avait désigné les responsables militaires, les Italiens avaient porté les armes et soumis les terres et les mers, à la suite des luttes qu’ils avaient contre les Grecs et les Barbares : il n’existait aucun secteur au monde, aucune région sous le ciel où les Romains n’eussent étendu leur Empire. Mais depuis que le pouvoir monarchique était échu à Auguste, ce dernier avait mis un terme aux efforts pénibles auxquels étaient astreints les Italiens et les avait désarmés. Il avait édifié des forteresses et des camps pour protéger l’Empire et y avait établi – rempart destiné à abriter le pouvoir de Rome – des mercenaires, auxquels il avait donné une quantité fixe d’annones. Il avait barricadé l’Empire de vastes fleuves, de fossés ou de montagnes protecteurs, de déserts inaccessibles et l’avait, ainsi, consolidé » (trad. Roques 1990, p. 71-72). 120. LII, 27. 121. Millar 1964, p. 109 ; Whittaker 1969-1970, vol. I, p. 216-217, n. 1. 122. 26 : Gallias et Hispanias prouincias, item Germaniam, qua claudit Oceanus a Gadibus ad hostium Albis fluminis pacaui. Voir également Tacite, Ann., I, 9, 5 : mari Oceano aut amnibus longinquis saeptum imperium. À noter que le discours de cet historien est ambigu, puisqu’il rappelle aussi le conseil posthume donné par Auguste à Tibère de ne pas sortir des frontières. 123. Par exemple Appien, Préface, 4 : Flavius Josèphe, BJ, III, 107, etc. 124. Sur les rivières comme frontières naturelles de l’Empire, voir Alföldi 1952, p. 1-16 ; Campbell 2012, p. 186-197.
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Celui que décrit Hérodien témoigne d’un autre état d’esprit : de nombreuses notices géographiques et ethnologiques de l’Histoire de l’Empire sont motivées, conditionnées par la conviction que l’Empire est certes une réalité incontournable, inscrite dans la nature, mais que, en même temps, ses frontières naturelles constituent une limite entre un monde civilisé qui se replie de plus en plus sur lui-même et un ailleurs barbare non plus susceptible d’être conquis et romanisé mais perçu comme foncièrement sauvage et dangereux125. Les obstacles naturels sont en effet devenus chez Hérodien des limites que les Romains, dans leur propre intérêt, ne doivent plus jamais traverser. Hérodien explique que le vieux Septime Sévère, lors de sa campagne de Bretagne, après avoir franchi « les cours d’eau et les retranchements qui marquaient les limites de l’Empire »126, se retrouva en position de faiblesse face aux Barbares bretons maîtres d’un terrain marécageux et brumeux qu’ils connaissaient bien. Quant à Maximin, si, trompé par des conjurés, il avait accepté de traverser le Rhin, il aurait été lui-même paradoxalement victime de la puissance défensive du fleuve, de sa profondeur et de la force de son courant qui l’auraient placé, sans possibilité de retour en arrière, à la merci des Germains127. Car les rivières et les reliefs sont chez Hérodien indiscutablement plus aptes que les Romains eux-mêmes à protéger leurs provinces. C’est notamment le cas des Alpes au nord de l’Italie. Cette dernière, avec Rome, est toujours considérée dans l’œuvre comme le cœur du monde romain, sa partie la meilleure et la plus précieuse128. Mais c’est un cœur qui est désormais vulnérable : d’abord – et Hérodien insiste beaucoup sur ce point – parce que les Italiens, qui se consacrent depuis plus de deux siècles uniquement aux travaux agricoles et à la paix, ne sont plus des soldats129 ; ils sont donc à la merci d’ambitieux généraux du nord désireux de marcher sur Rome130. Surtout, seule l’Illyrie les sépare des Barbares définis par l’historien comme les plus dangereux à son époque, les Germains131. Il n’y a en définitive que les Alpes, rempart naturel infranchissable qui s’étend de la mer Tyrrhénienne au golfe d’Ionie, qui soient capables d’arrêter la progression des uns et des autres. Hérodien s’attarde ainsi à décrire leur position et leur hauteur impressionnante132 :
125. Il est à cet égard significatif que les Parthes/Perses soient toujours définis dans son œuvre comme les peuples « au-delà des fleuves » (le Tigre et l’Euphrate) : voir par exemple VI, 4, 7 ; II, 8, 8, etc. Quant à leur Grand Roi Artaxerxès, Hérodien (VI, 2, 1) lui reproche de refuser de se laisser contenir par le Tigre et de menacer la Syrie. 126. III, 14, 10 (trad. Roques 1990, p. 107). 127. VII, 1, 7. 128. Comme entre autres Strabon avant lui (voir par exemple Clarke 1999, p. 210-244 et 294336 à propos de la centralité et de la prééminence de Rome dans la vision géographique de cet écrivain), Hérodien vante le climat et la douceur de vivre de l’Italie (I, 6, 2) et attribue aux Italiens une vocation naturelle à commander (I, 8, 1 ; II, 1, 3-4). Selon Alföldy 1971b, p. 440-441, Hérodien avait néanmoins conscience de l’importance grandissante des provinces dans l’Empire, et du déclin parallèle de l’Italie. 129. II, 11, 3 ; VIII, 2, 4. 130. Selon Hérodien, les Italiens furent notamment terrifiés par l’approche de Septime Sévère (II, 11, 3) et de Maximin (VIII, 4, 5). 131. VI, 7, 4. 132. II, 11, 8.
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μέγιστα ἐκεῖνα ὄρη, καὶ οἷα οὐκ ἄλλα ἐν τῇ καθ› ἡμᾶς γῇ, ἐν τείχους σχήματι περίκειται καὶ προβέβληται Ἰταλίας, καὶ τοῦτο μετὰ τῆς ἄλλης εὐδαιμονίας παρασχούσης τῆς φύσεως Ἰταλιώταις, ἔρυμα ἄρρηκτόν τε καὶ αὐτῶν προβεβλῆσθαι, ἀπὸ τῆς ἀρκτῴας θαλάσσης ἐπὶ τὴν πρὸς μεσημβρίαν βλέπουσαν διῆκον133.
On voit ici s’esquisser l’idée que se faisaient Hérodien et ses contemporains du monde romain : ils étaient encore imbus de sa grandeur, mais le concevaient aussi comme barricadé autour d’un centre qui continuait à être (mais pas pour longtemps) Rome et l’Italie. De fait, on assista, jusqu’au ive siècle, à l’émergence progressive, pour contrer des barbares de plus en plus offensifs sur tous les fronts, d’un système de défense renforcé, où les fleuves et les reliefs étaient appelés à jouer un rôle à part entière134. Le sentiment d’insécurité perceptible dans l’ensemble de l’œuvre a sans doute également inspiré plusieurs notices ethnographiques. Hérodien consacre des développements à l’organisation de l’armée perse et à ses modes de combats. Il insiste notamment à plusieurs reprises sur son caractère temporaire (perçu par lui comme une faiblesse car les soldats – et les soldates – perses ont toujours hâte de regagner leurs villages et leurs familles135), sur son armement léger qui lui interdit le corps à corps et l’oblige sans cesse à la fuite136. À ces défauts présumés, il oppose sans cesse l’esprit de discipline de l’armée de métier romaine, et son expérience du corps à corps137. Son intérêt pour les Germains est aussi motivé par son désir de mettre en évidence leurs points vulnérables et définir des méthodes pour les vaincre. Au-delà de l’image conventionnelle du Barbare hantant les forêts et les marais, il donne une description intéressante de leur habitat138, certes conventionnelle et peu fiable139, mais qui en dit long sur les desseins poursuivis par Hérodien dans son Histoire : signalant la fragilité du matériau employé dans les constructions germaines, il indique un moyen à son sens infaillible d’affaiblir ces populations, le feu. Ailleurs, il en signale un autre, plus inattendu : comme, de son point de vue, rien ne vaut un Barbare pour contrer un autre Barbare, il s’intéresse de près aux troupes auxiliaires de l’armée impériale140 et, notamment, au nom de la théorie des climats, propose d’opposer aux Germains, courageux et maîtres du corps à corps, mais lourds et lents, des transfuges ou des
133. Ibid. : « Ce sont de très hautes montagnes comme il n’en existe pas dans nos régions ; elles entourent l’Italie à la façon d’un rempart et lui servent de protection, car la nature a aussi donné aux Italiens, entre autres avantages, celui d’être à couvert d’une fortification infrangible qui s’étend de la mer septentrionale à celle du Sud » (trad. Roques 1990, p. 72) ; voir aussi VIII, 1, 5-6. 134. Le point d’aboutissement de cette vision d’un Empire barricadé derrière ses frontières naturelles et une ligne de forts est représenté par les propositions du De rebus bellicis (notamment 20, 1) : voir Hassall 1979, passim. 135. VI, 5, 3-4 ; VI, 7, 1. 136. III, 4, 8-9 ; IV, 15, 2-3 et 6 ; VI, 7, 1. 137. Voir VI, 3, 7. 138. En VII, 2, 3-4. 139. Tacite (Germ., 16) affirme que les Germains n’ont pas de villes et espacent leurs maisons pour éviter les incendies. 140. Il s’intéresse aux qualités militaires des Numides (VII, 9, 6), des Maures (III, 3, 4-5 ; IV, 15, 1 ; VI, 7, 8), des Osrhoéniens et des Parthes (VI, 7, 8).
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mercenaires parthes, rapides et champions du tir à l’arc141. Barbares du Nord contre Barbares orientaux : cette méthode surprenante révèle tout à la fois le sentiment d’impuissance déjà ressenti au milieu du iiie siècle face à ces populations qui cherchent à pénétrer dans le monde romain et le désir de mieux connaître leurs mœurs et leurs modes de combat pour les tenir en respect. Le corpus de notices géographiques et ethnographiques présent dans l’Histoire de l’Empire après la mort de Marc est significatif des contradictions que la critique a souvent cru déceler dans l’œuvre : elles sont nombreuses, mais leur quantité ne peut apparaître que jusqu’à un certain point comme le signe d’une réelle attention de l’auteur à la géographie et de sa conviction de son importance dans l’histoire, ou encore de sa connaissance (ou de son désir de connaissance) de l’oikoumène, puisque leur contenu est souvent stéréotypé et peu fiable. Leur intérêt se situe en fait ailleurs. Il est littéraire, mais surtout idéologique, car, face à un Empire qu’il perçoit comme engagé dans un processus de perpétuelle dégradation depuis la disparition de Marc Aurèle, Hérodien met en scène un orbis Romanus potentiellement fracturé et surtout replié derrière des frontières naturelles, seules aptes à le protéger d’un ailleurs désormais perçu comme difficile à maîtriser et très offensif.
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Les fonctions de l’universalité spatiale chez les auteurs chrétiens tardo-antiques Hervé Inglebert
(Université Paris Nanterre La Défense, UMR 7041 - ArScAn-THEMAM)
Abstract Linking geography (with its relation to ethnography) and history was not obvious during Antiquity. Some authors could associate both, as Herodotus, Ephorus, Polybius or Ammianus. But some chose to deal with them in different books, as Strabo or Tacitus (Germania). Others were able to write history without introducing geography, as Livius, or to describe the world without establishing relation with the past, as Pomponius Mela, Plinius the Elder or Claudius Ptolemy. First, to understand the various functions of the use of spatial universality by late antique Christian writers, we are going to describe the diverse patterns of spatial universality in the Christian chronicles and ecclesiastical histories from 3rd to 5th century. Then, we will analyse the peculiar cases of the geographical introduction in Orosius’ Histories and the meaning of the dispersal of geographical, ethnographical and chronological knowledges in Isidorus of Sevilla’s Etymologies. Résumé Le lien entre géographie (souvent associée à l’ethnographie) et histoire n’était pas évident dans l’Antiquité. Un auteur pouvait associer les deux dans un même ouvrage, comme Hérodote, Éphore, Polybe ou Ammien Marcellin. Mais un même auteur pouvait traiter les deux aspects dans des œuvres différentes comme Strabon et Tacite (avec la Germanie). Enfin, on pouvait écrire une histoire sans se soucier de géographie comme Tite Live ou inversement décrire le monde sans guère se soucier du passé comme Pomponius Mela, Pline l’Ancien ou Claude Ptolémée. Pour mieux comprendre les fonctions de l’universalité spatiale chez les auteurs chrétiens tardo-antiques, on décrira rapidement les diverses formes de l’universalité spatiale présentes dans les chroniques et histoires ecclésiastiques chrétiennes des iiie-ve siècles avant d’analyser plus précisément les cas de l’introduction géographique des Histoires d’Orose et la signification de la dispersion des savoirs géographiques, ethnographiques et chronologiques dans les Etymologies d’Isidore de Séville.
La géographie antique renvoyait à trois formes très différentes selon qu’elle était réalisée par des astronomes, par des arpenteurs ou par des lettrés, sans parler de ce que certains appellent la common sense geography1. Les géographes astronomes 1. Dueck 2012 distingue la géographie descriptive, la géographie mathématique, la cartographie et la géographie en pratique. Mais comme la géographie mathématique avait pour fin depuis Ératosthène d’établir une carte, le plan proposé est discutable (même si on Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 209-224
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antiques furent toujours rares et les plus importants d’entre eux furent Ératosthène et Claude Ptolémée2. Leurs compétences en géométrie leur permettaient de calculer les coordonnées astronomiques en latitude et longitude de certains lieux terrestres grâce à des systèmes de projection de la sphère céleste sur le globe terrestre. À partir de ces points bien définis, ils tentaient de calculer la position relative des autres lieux en convertissant des durées de voyage terrestre ou maritime en distances pour construire un espace géographique en deux dimensions et réaliser ainsi une carte. Les arpenteurs3, auxquels on peut adjoindre les marins4, mesuraient et décrivaient des distances selon des itinéraires linéaires, une route ou un rivage, et obtenaient ainsi un savoir odologique5 qui pouvait prendre l’aspect textuel d’une liste ou l’aspect graphique d’une ligne annotée (itineraria picta). Ces itinéraires pouvaient être rassemblés comme dans les écrits d’Agrippa à l’époque augustéenne6. La combinaison de ces itinéraires pouvait également prendre la forme d’une carte d’un genre particulier, structurée par des faisceaux de lignes et non par un espace géométrique, du type de celui connu par la table de Peutinger7. Enfin, depuis Hécatée de Milet et Hérodote, la tradition littéraire de description du monde incluait celle des peuples (approche ethnographique) et celle des régions (approche chorographique). Le récit construisait alors une carte mentale dans l’esprit du lecteur à partir d’images (le Péloponnèse en forme de feuille de platane, la Sicile en forme de triangle), d’alignements selon la rose des vents et en s’appuyant souvent sur un périple imaginaire combinant un périple intérieur en Méditerranée et un périple extérieur dans l’Océan8. Dans l’Antiquité, il existait donc quatre types de représentation de l’espace. Le premier était celui, géométrique, de l’espace plan en deux dimensions de la carte astronomique ; il permettait de calculer les distances spatiales entre deux points et conservait les directions selon les points cardinaux polaires. Le deuxième était celui, plan, mais non astronomique, des cartes rondes de l’oikouménè, qui favorisaient les alignements directionnels grâce à l’usage d’une rose des vents, au détriment des distances absolues ; on peut leur adjoindre les cartes rectangulaires (comme celle d’Éphore), qui avaient les mêmes caractéristiques directionnelles, en déterminant les points cardinaux à partir des levers et couchers solsticiaux du soleil. Le troisième type d’espace était celui, odologique, de la ligne et de la liste, qui préservait les distances et les successions linéaires, mais non les directions spatiales. Le quatrième était celui, mental, de la description rhétorique qui conservait les alignements et les distances linéaires ainsi que les directions (grâce à l’usage des noms des vents), mais non les distances spatiales. La réflexion sur les formes non cartographiques de la spatialité permet de donner toute leur place aux usages rhétoriques antiques de l’universalité spatiale. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.
peut distinguer trois types de cartes du monde : les cartes rondes, les cartes rectangulaires [astronomiques] et les cartes itinéraires du genre de la carte de Peutinger). Sur la géographie commune, Geus, Thiering 2014. Harley, Woodward 1987. Dilke 1995. Il faut distinguer les calculs des distances des travaux de centuration des gromatici : Behrens et alii 1998 ; Guillaumin 2010 ; 2014. Parmi les études récentes sur les périples : Medas 2008 ; Boussac et alii 2012. Janni 1984. Nicolet 1988. Talbert 2010. Jacob 1991.
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Le lien entre géographie et histoire n’était pas évident dans l’Antiquité. Un auteur pouvait associer les deux dans un même ouvrage, comme Hérodote, Éphore ou Polybe. Mais un même auteur pouvait traiter les deux aspects dans des œuvres différentes comme Strabon et Tacite (avec la Germanie). Enfin, on pouvait écrire une histoire sans se soucier de géographie comme Tite Live ou inversement décrire le monde sans se soucier du passé comme Pomponius Mela, Pline l’Ancien ou Claude Ptolémée. Dans l’Antiquité tardive, Ammien Marcellin ne décrivit que ce dont il avait besoin pour son propos historien, comme l’empire perse sassanide pour la campagne de Julien ou la Thrace pour la bataille d’Andrinople9. Pour mieux comprendre les fonctions de l’universalité spatiale chez les auteurs chrétiens tardo-antiques, on décrira rapidement les diverses formes de l’universalité spatiale présentes chez les auteurs chrétiens avant d’analyser plus précisément les cas d’Orose et d’Isidore de Séville.
Les descriptions chrétiennes de l’universalité spatiale Chez les historiens antiques, il existe un lien net entre la totalité chronologique, la totalité spatiale et la totalité de signification du récit. Ce lien est attesté sous diverses formes dans la tradition classique : par l’association d’une carte de l’oikouménè et d’un texte chez Éphore ; par la relation entre une histoire définie comme « oikouménique » et la domination romaine sur l’oikouménè chez Polybe ; par la juxtaposition d’une géographie de l’oikouménè et d’une histoire « oikouménique » prolongeant celle de Polybe chez Strabon ; dans une intégration d’une histoire des empires universels et d’une description topographique de la terre habitée chez Trogue Pompée (même si cette dernière manque dans le résumé de Justin) ; et dans l’insertion d’une structure géographique de l’histoire attestée dans les premiers livres de Diodore de Sicile (qui s’inspire alors du plan kata gènos d’Éphore) et ensuite pour les conquêtes romaines chez Appien10. Chez les Juifs, le lien entre la totalité chronologique et la totalité spatiale fut fait de deux manières. Le Livre des Jubilés (vers 150 avant J.-C.) associa l’ethnographie noachique, mélange de généalogie biblique et de midrashisation (actualisation contemporaine) à partir des données grecques, aux trois parties du monde attestées dans la géographie grecque depuis Hérodote, en répartissant les Sémitiques en Asie, les Chamitiques en Afrique et les Japhétiques en Europe11. Mais lorsqu’il fallut parler de la diaspora, nouvelle étape de l’histoire juive, Philon décrivit la puissance de la nation judéenne soit en affirmant la présence « oikouménique » des Juifs (Legatio ad Gaium 214), soit en donnant une liste des régions, de l’Empire ou hors de l’Empire, où ils étaient présents dans les trois parties du monde (Legatio ad Gaium 281-283). On trouve une liste différente, mais dont la fonction est similaire, dans les Actes des apôtres 2, 5-11, avec le discours de Pierre lors de la Pentecôte énumérant les noms de peuples où on trouvait des communautés juives venues en pèlerinage à Jérusalem. 9. Mary 1995. 10. Sur ces thèmes, voir Inglebert 2014a, p. 218-246. Dans des récits historiens régionaux, on a parfois une introduction géographique, comme chez Salluste et La guerre de Jugurtha et César au début de la Guerre des Gaules. 11. Schmidt 1988.
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Chez les chrétiens, successeurs des Juifs, l’universalité spatiale fut utilisée principalement en lien avec le thème de la mission universelle, de l’ethnographie noachique et de l’histoire des empires, ce qui amène à la retrouver dans divers genres littéraires. Pour s’en tenir à ceux qui relèvent des traditions historiennes12, on peut distinguer les chroniques universelles, les histoires ecclésiastiques, les histoires universelles (Orose) et les encyclopédies (Isidore de Séville). On analysera ces deux derniers cas de manière plus précise ensuite. Dans les chroniques universelles, la totalité géographique a pu être exprimée de deux manières. La première fait référence à la spatialité historico-politique, par le biais d’une énumération universelle des pouvoirs qui permet de couvrir les totalités chronologiques et géographiques. On peut y distinguer deux variantes. D’abord, on a l’utilisation de la spatialité politique : ainsi, l’énumération des royaumes chez Jules Africain et dans la première partie de la Chronique d’Eusèbe, la Chronographie (avec les ajouts arméniens ou sassanides dans les versions arméniennes et syriaques de la Chronique), s’achève avec l’empire universel de Rome. Dans ces listes, la totalité politique obtenue par l’addition des royaumes, distincte de la construction de la ligne du temps, permet d’obtenir une totalité chronologique (le temps des États) mais aussi spatiale (celle de l’hégémonie romaine). Ensuite, on trouve une nouveauté révolutionnaire, celle de la spatialité graphique des Canons d’Eusèbe, où les divers royaumes se fondent progressivement dans une seule colonne finale, preuve visuelle de l’universalité spatiale de l’Empire de Rome. Eusèbe obtient ainsi une totalité chronologique et une totalité spatiale par le moyen d’une totalité graphique. Dans les deux cas, les totalités politique, spatiale et temporelle convergent vers l’universalité romaine. On remarquera de plus que, dans le cas d’Eusèbe, l’impression qui ressort des Canons est que non seulement Rome est le dernier empire, mais qu’il est le seul à être universel, puisqu’il est l’unique à rassembler toutes les colonnes. Cette universalité spatiale induite par la méthode synoptique est donc d’un autre ordre que celle supposée par la succession des quatre empires (qu’elle soit classique ou reliée au Livre de Daniel), où les empires universels se succèdent au sein d’une même universalité spatiale, hormis quelques variantes aux marges. L’effet de l’intégration visuelle est supérieur à celui de la succession temporelle.
12. On peut signaler trois autres formes d’expression de la totalité géographique. D’abord, la tradition des empires universels où la totalité géographique est supposée ; cela a existé le plus souvent en lien avec l’exégèse des prophéties de Daniel, mais aussi de manière autonome avec des séries impériales excédant quatre empires (par exemple dans une chronique alexandrine des ve-vie siècles, traduite au viiie siècle en latin et connue sous le nom de Barbarus Scaligeri ; voir Garstad 2012, p. 194-195, ou chez les Syriaques dans la Chronique composite de 640, voir Inglebert 2001, p. 358. Ensuite, dans un cadre d’exégèse biblique, en lien avec des lectures littérales ou allégoriques appliquées à la géographie : ce fut le cas du débat cartographique vers 550 à Alexandrie entre Cosmas Indicopleustès (qui reprenait la carte d’Éphore) et Jean Philopon (qui utilisait celle de Ptolémée), voir Volska-Conus 1962. Enfin, dans la description textuelle du monde, comme dans la Descriptio totius mundi, variante chrétienne de l’Expositio totius mundi, traduite en latin au vie siècle en Italie, sans doute à Vivarium, voir Rougé 1966.
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La deuxième manière de présenter la totalité géographique dans les chroniques universelles fut de le faire par le biais d’une description ou d’une énumération ethnographique reliée à la liste des descendants de Noé en Genèse 10. La finalité est alors d’associer la totalité chronologique et la totalité spatiale via une totalité ethnographique, qui permet d’obtenir une totalité de signification. Les auteurs pouvaient trouver des précédents dans les Actes des apôtres avec les trois conversions (de Juifs, d’un Romain, d’un Éthiopien) qui renvoyaient aux peuples noachiques descendants de Sem, Japhet et Cham, mais aussi dans la tradition juive du lien entre Genèse 10 et l’ethnographie grecque via la midrashisation de Genèse 10 par l’apport de connaissances contemporaines, attestée chez Flavius Josèphe et ses successeurs13. Les auteurs chrétiens se distinguent néanmoins par une utilisation plus systématique des données de l’ethnographie grecque dans le lien avec Genèse 10 par le biais du Diamerismos. Cela est patent chez Hippolyte de Rome et ses successeurs14, car il ne s’agissait plus seulement pour eux de poser des équivalences entre données bibliques anciennes et des données grecques récentes afin d’actualiser la signification du texte biblique (midrashisation), mais de tenter de combiner les données bibliques sur les 70/72 descendants de Noé et les informations ethnographiques gréco-romaines impliquant des peuples bien plus nombreux, d’où la nécessité de produire des schémas nouveaux d’interprétation (division de peuples, migrations…). Dans les histoires ecclésiastiques, la totalité géographique était fondée sur l’idée que l’empire du Christ était plus vaste que celui de Rome. Mais ce qui peut apparaître comme une évidence aujourd’hui (il y avait des chrétiens en dehors de l’Empire romain, par exemple, au ive siècle chez les Goths, en Mésopotamie, dans le Caucase ou en Éthiopie) ne l’était pas forcément autrefois. D’une part, le monde connu allait de l’Atlantique au Gange ; de l’autre, depuis la victoire d’Actium sur Cléopâtre, Marc Antoine et leurs alliés orientaux, affirmer que Rome dominait le monde jusqu’en Inde (et donc la totalité du monde) était une tradition rhétorique bien établie15. Celle-ci semblait confirmée par les ambassades lointaines, venues de Bactriane ou d’Inde du sud, comprises, d’Auguste à Julien, comme des manifestations de soumission ; ou par la reconnaissance de la supériorité mondiale, jusqu’en Inde et à Ceylan, de la monnaie romaine, aussi bien d’argent au Haut-Empire (le denier, Pline l’Ancien, Histoire naturelle VI, 22, 5) que d’or au temps de Justinien (le solidus, Cosmas Indicopleustès, Topographie chrétienne II, 77). Il fallait donc distinguer le contrôle territorial des provinces et l’imperium Romanum, qui s’exerçait également sur les peuples alliés (en fait clients), et que l’on pouvait feindre d’étendre à l’infini. L’affirmation selon laquelle l’empire du Christ était plus vaste que celui de Rome était donc idéologique et non géographique. Elle aurait pu être refusée par un païen du ive siècle au nom d’un imperium romanum sine fine spatial (une des interprétations possible de Virgile, en réalité présente dans le thème de l’Urbs dominant l’orbis attesté depuis Pompée
13. On trouvera les analyses détaillées dans Inglebert 2001, p. 113-125, sur les traditions juives. 14. Sur Hippolyte de Rome, voir Inglebert 2001, p. 125-159 ; sur ses successeurs, l’Origo humani generis, la Chronique Pascale et l’Ancoratus d’Épiphane de Salamine, voir ibidem, p. 160-176. 15. Voir les textes rassemblés dans André, Filliozat 1986.
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et Auguste). Ce pouvoir sans limites de Rome était encore réaffirmé par Claudien, voire même par Sidoine Apollinaire qui, quoique sénateur chrétien, acceptait encore, en 458, le thème du renom de l’empereur de Rome s’étendant jusqu’à l’Asie centrale16. En fait, l’idée d’un empire de Dieu plus vaste que celui de Rome était une reprise du thème de la diaspora juive universelle. Dans le cas chrétien, elle fut adaptée au thème de la mission universelle, qui fut d’abord exprimé de diverses manières17. Après 300, dans les histoires ecclésiastiques, cette idée fut développée de deux manières. La première approche fut rhétorique : rapportant la prophétie selon laquelle « quelqu’un sorti de leur contrée devrait commander à l’oikouménè », Eusèbe de Césarée affirma que les Juifs révoltés contre Rome en 66 l’avaient mal interprétée, de même que les Romains du temps (qui auraient pensé qu’elle s’appliquait à Vespasien, vainqueur des Juifs révoltés, devenu empereur), puisqu’elle se serait en réalité appliquée au Christ18. Mais on a dit qu’une telle affirmation aurait été récusée par un Romain païen distinguant les prouinciae territoriales et la zone d’influence de l’imperium de Rome. La deuxième approche fut descriptive, à partir de la conversion des peuples hors de l’Empire romain. On la trouve d’abord vers 378 chez Ambroise de Milan à propos de l’Évangile prêché in orbem terrae, mais avec les seuls exemples limitrophes et diplomatiques des Goths et des Arméniens. Au début du ve siècle, Chromace d’Aquilée mentionne en revanche les Perses et les Indiens19, mais peut-être ne désigne-t-il là que les chrétiens syriaques de Mésopotamie et les Éthiopiens d’Axoum (India Minor). Rufin d’Aquilée, dans son Histoire ecclésiastique rédigée vers 402 et dédiée à Chromace, décrivait la conversion des Ibères (Géorgiens), des Axoumites et des Saracènes (Arabes)20, qui fut reprise dans les œuvres de Socrate et de Sozomène. Mais tous ces peuples restaient sur la ligne de confrontation qui allait du Caucase au Yémen entre Romains et Sassanides, et au sein d’un imperium Romanum réel ou désiré. Enfin, il exista des approches ecclésiastiques complémentaires, comme celles que l’on trouve chez Jérôme de Stridon vers 380 sur l’universalité de l’origine des pèlerins chrétiens se rendant en Palestine (Lettre 107,2), dans le De uocatione gentium de Prosper d’Aquitaine écrit vers 440 (qui concernait essentiellement les peuples barbares d’Europe centrale), ou, à la même époque, dans la renommée « oikouménique » de Syméon le Stylite rapportée par Théodoret dans son Histoire des moines de Syrie 26. Ainsi l’universalité spatiale était-elle considérée dans l’Antiquité comme une preuve de la véracité et de la supériorité d’un discours dominant : cela fut vrai pour la paideia hellénique (Vie d’Apollonius de Tyane par Philostrate), l’imperium romanum, la connaissance de la Torah et la diffusion de l’Évangile. 16. Carmen V. Panégyrique de Majorien v. 600-603. 17. La méthode employée, comme chez Philon et dans les Actes, fut celle de l’énumération synecdotique, où une liste de peuples était censée exprimer l’universalité ethnographique et donc spatiale. On trouve cela dans la liste des peuples où la loi chrétienne est présente (par exemple, dans le Livre des lois des nations de Bardesane vers 200), ou par l’énumération des langues de la mission chrétienne chez Apponius, In Canticum canticorum 90, CCL XIX, 1986, p. 308-309 (hébreu, grec, latin, copte syriaque) et chez Augustin, Sermon Dolbeau 24, 2 (latin, grec, punique, hébreu, syriaque, indien, cappadocien, copte). Un autre exemple est celui des listes des apôtres associés aux territoires qu’ils évangélisent : voir leur analyse dans Levillayer 2012. 18. Histoire ecclésiastique, III, 8, 10-11. 19. Sermon 30, 3. 20. Thélamon 1981.
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Orose : chorographie et histoire L’introduction géographique d’Orose (I, 2) à ses Histoires contre les païens est une innovation structurelle qui montre l’importance de la dimension spatiale dans son ouvrage, puisqu’elle précède le récit d’une histoire des empires universels. Son seul prédécesseur latin, mais à une échelle bien moindre, fut Salluste, l’historien modèle de la tradition scolaire latine. Dans La guerre de Jugurtha (17, 1-2), ce dernier avait décrit l’Afrique du nord comme introduction à sa description de la guerre et avait justifié l’utilité d’un tel excursus géographique pour comprendre les événements historiques rapportés21, ce que fit également Orose (I, 1, 16-17). Il faut analyser Orose22 dans le contexte de l’historiographie tardo-antique. D’abord, il adopte une description spatiale est-ouest (Asie-Europe-Afrique) qui était devenue courante après 350, sans doute liée à l’usage du codex qui privilégiait la verticalité alors que le uolumen favorisait le recours à l’horizontalité23 ; or l’oikouménè antique était conçu comme deux fois plus longue en longitude que large en latitude. Ensuite, il utilise des noms romains provinciaux pour l’Empire et des noms ethniques extérieurs selon une tradition déjà attestée chez Claude Ptolémée, l’Expositio totius mundi et gentium et que l’on retrouve chez Martianus Capella, opposant ainsi un monde romain administratif (provinces) et un monde extérieur ethnographique (peuples), en privilégiant fort classiquement le premier, mieux connu et plus familier. Orose annonça qu’il décrirait le monde en trois parties, puis en régions et provinces (I, 1, 16). Mais en fait, s’il utilisa les termes de régions, de provinces et de peuples24, il ne maintint pas toujours un usage strict du vocabulaire. Enfin, il a utilisé une source antérieure inconnue mais que l’on peut comparer avec des textes contemporains, la Diuisio orbis terrarum (ive siècle) et la Dimensuratio prouinciarum (ive ou ve siècle), qui dérivent toutes deux du texte, partiellement connu par Pline l’Ancien, de la description du monde faite par Agrippa, gendre d’Auguste25. De ce fait, les connaissances d’Orose étaient traditionnelles mais dépassées, puisqu’il affirmait par exemple que la Caspienne naissait de l’Océan (I, 2, 48), alors que Claude Ptolémée savait qu’elle était une mer fermée. Si certains aspects de la géographie d’Orose sont semblables à ceux que l’on trouve dans des textes contemporains, d’autres en revanche sont beaucoup plus originaux. Une des questions classiques, depuis le ve siècle avant J.-C., était de savoir 21. Merrills 2005, p. 64-65. 22. Sur Orose, on peut partir de la présentation de Inglebert 2014b ; il faut compléter la bibliographie avec Van Nuffelen 2012. 23. Janvier 1982, p. 156-157. 24. Il cita ou mentionna 280 peuples hors de l’Empire, un nombre moindre que ceux attestés chez Pline et Ptolémée : Janvier 1982, p. 238. Histoires contre les païens, I, 2, 16 : Inde (44 peuples, plus 10 ciuitates à Taprobane) ; 18 : Parthie (32 peuples) ; 22 : Mésopotamie et Arabie heureuse (28 peuples) ; 24 : Saracènes et Nabatéens (12 peuples) ; 34 : Égypte supérieure (24 peuples) ; 47 : Hyrcaniens et Scythes (42 peuples) ; 49 : de la Caspienne au Tanaïs (34 peuples) ; 53 : Germanie (54 peuples). 25. Merrills 2005, p. 70 ; dans les trois cas, on trouve une description monotone des régions avec des précisions de mesures et des données sur les régions voisines en utilisant les points cardinaux (est-ouest-nord-sud dans la Diuisio et la Dimensuratio). Cela est moins systématique chez Orose, qui de plus ne donne pas les dimensions des régions.
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s’il fallait diviser le monde habité en deux ou en trois parties, à cause de la moindre importance accordée à l’Afrique. Orose hésita également. Dans son récit historien, il privilégia l’opposition est/ouest, Rome étant une autre Babylone en Occident, ou les quatre points cardinaux qu’il reliait aux quatre empires universels. En revanche, dans sa description géographique, il choisit la tripartition des terres, qu’il décrivit par une périégèse. Un point fort intéressant est qu’il fit trois ajouts à propos des îles de l’océan du nord-ouest (Britannia, Hibernia=Irlande, Mevania=Man, Thulè, 33 Orcades), des sources du Nil en Afrique de l’ouest et du Caucase d’Asie qui traversait selon lui cette partie du monde d’ouest en est. Or, ces régions, qui sont les seules à être un peu décrites par Orose26 avec quelques précisions sur les animaux et les plantes, étaient généralement absentes chez les géographes impériaux. Dans ces ajouts et excursus sur les extrémités du monde27, Orose insista donc sur des régions qui se situaient au-delà du monde habituellement connu des Grecs et des Romain, au-delà de l’Empire, voire même au-delà de la sphère plus large de l’imperium Romanum. Pour Orose, la totalité spatiale était nécessairement extra-impériale. Ce faisant, il opposait la réalité politique romaine et une potentialité géographique dont la conclusion implicite était que seul l’empire du Christ pourrait être universel28. Une autre particularité d’Orose est que, dans sa description, il n’a employé le terme de « barbare » que trois fois, et avec des significations différentes : en I, I, 2, 31, à propos des tribus des sources du Nil, pour une précision linguistique dans la langue barbare locale (à propos du nom donné au fleuve) ; en I, I, 2, 54 où il mentionne le barbaricum européen ; et en I, I, 2, 90, en relation avec les peuples barbares au sud de l’Afrique romaine, sans doute en lien avec son expérience africaine, car on trouverait des parallèles chez Augustin (Lettre 199, 46). Cette utilisation discrète et descriptive du terme est cohérente avec l’idée défendue dans les Histoires selon laquelle les barbares sont conçus comme des peuples dont la vocation est de devenir chrétiens et de se soumettre à Rome. Il s’agit donc d’une altérité qui n’est pas décrite par Orose comme dangereuse pour l’empire théodosien. Il faut enfin noter que chez Orose, la géographie universelle est théoriquement liée avec une histoire universelle qui se fonde sur la succession des empires universels. Le problème est qu’il n’existe pas de lien entre l’introduction et le corps de l’œuvre, entre la description géographique et le récit historien (Babylone et Rome sont absentes de la première et au cœur de la seconde), ni avec des entités politiques connues (hormis l’allusion au Danube comme frontière entre Rome et le barbaricum et la mention des Portes d’Alexandre dans le Caucase). Comme il n’existe pas de relation entre l’importance de l’histoire et le discours chorographique puisque l’Italie est traitée en sept lignes29, on a donc la juxtaposition d’une géographie universelle et d’une histoire universelle qui ne sont pas reliées par une géographie historique. De plus,
26. Orose a également ajouté des digressions périphériques sur des régions qu’il connaissait personnellement (Espagne, région d’Hippone). Mais cela était circonstanciel et non structurel. 27. Mais ces eschatia ne sont plus mythiques comme au temps de la Grèce archaïque : voir Ballabriga 1986 ; Von Brincken 1992. 28. Merrills 2005, p. 98. 29. Janvier 1982, p. 185.
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Orose situe plus qu’il ne décrit, car la fonction de son introduction géographique est seulement de permettre au lecteur de se repérer dans l’espace30. Mais pour cela, une carte graphique aurait été plus utile. Or, à la différence de Strabon ou de Ptolémée, Orose ne donnait pas les outils géométriques permettant au lecteur de réaliser sa propre carte. L’utilisation historiographique de la géographie chez Orose fut donc novatrice, mais son utilité restait nécessairement limitée. La description géographique universelle d’Orose contenait des données anachroniques par rapport à son temps et chronologiquement incompatibles entre elles. Il a ainsi juxtaposé des données grecques classiques sur l’Orient, des données plus récentes sur l’Afrique et l’Europe non romaine, et des données du Haut-Empire pour le monde romain, sauf en Afrique du nord où il disposait de données contemporaines31. Il obtenait ainsi un monde décrit comme une juxtaposition d’espaces-temps différents. Néanmoins, ces anachronismes étaient classiquement présents dans la tradition géographique antique où on corrigeait son prédécesseur sans pouvoir, fautes de sources nouvelles sur toutes les régions, recommencer son œuvre. Ils étaient de plus absolument inévitables puisqu’Orose voulait décrire en théorie 5618 ans d’histoire (VII, 43, 19 ; en fait moins, car il commence avec l’Assyrie) ; or, seule l’utilisation d’un atlas historique, inconnu à l’époque, aurait permis de résoudre le problème. Au Moyen Âge, la Chronique d’Eusèbe-Jérôme devint la norme chronologique et l’introduction d’Orose devint la norme géographique32, à la fois comme ouvrage séparé et comme modèle pour ses successeurs33.
Isidore de Séville : chorographie régionale et ethnographie générale Chez Isidore de Séville, qui écrivait au début du viie siècle, le lien textuel traditionnel entre ethnographie, géographie et histoire fut reformulé de manière tout à fait nouvelle. Isidore inséra sa description de l’Espagne (Laus Spaniae) au début de la deuxième édition de son Histoire des Goths, des Vandales et des Suèves, suivant ainsi le modèle orosien ; de même, il s’inspira de l’introduction géographique d’Orose pour sa propre description du monde. Mais outre le fait que son éloge de l’Hispanie était poétique, et donc ni rhétorique ni géographique, Isidore traita les thématiques des totalités de l’histoire, de la géographie et de l’ethnographie certes au sein d’un même ouvrage, les Étymologies, mais dans des livres séparés (Livre V pour la deuxième édition de la chronique universelle en 627-628, Livre IX pour les aspects ethnographiques, Livre XIV pour les aspects géographiques). Ces savoirs unis depuis Hérodote étaient désormais conçus comme diverses parties d’une connaissance sur
30. Ibidem, p. 172 ; l’auteur montre, p. 189, que les fleuves et les villes sont choisis comme points de repère et non pour leur importance passée ou présente. 31. Ibidem, p. 226. 32. Merrills 2005, p. 99. 33. Le modèle d’Orose fut ensuite repris par Jordanès dans De Origine actibusque Getatum (Getica) avec la description de la Scandinavie, puis par Isidore de Séville avec sa description de l’Espagne (Laus Spaniae) dans la deuxième édition de son Histoire des Goths, des Vandales et des Suèves, puis par Bède avec la description des îles britanniques dans son Histoire ecclésiastique du peuple des Angles ; et la tradition fut poursuivie au Moyen Âge (Paul Diacre, Saxo Grammaticus) : Merrills 2005, p. 2-4.
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le monde à prétention encyclopédique, dont l’unité résidait non plus dans la relation organique entre les thèmes, mais dans l’utilisation d’une même méthode de compréhension des significations étymologiques, comme l’a bien montré Jacques Fontaine34. On étudiera d’abord la géographie d’Isidore, puis son ethnographie. Dans sa description du monde, Isidore a repris un plan général d’est en ouest (Asie-Europe-Afrique) à la suite d’Orose, mais a utilisé des sources différentes, plus littéraires (Solin) et grammaticales (Servius). Les originalités isidoriennes se trouvent dans l’agencement du plan35 et dans l’introduction de quelques éléments chrétiens : la mention du Paradis situé à l’est de l’Asie36 et quelques citations bibliques confirmant certains détails37. Mais le résultat est une description classique à peine christianisée, avec l’habituelle opposition entre un monde romain de provinces et un monde extérieur de peuples. Cette description du monde habité a cependant ses particularités. En effet, son insertion dans un ouvrage, les Étymologies, dont l’intention était d’éclaircir le sens des mots par leur origine, modifia les savoirs de la tradition38. Ainsi, par rapport à la présentation d’Orose, Isidore accrut les parties consacrées à la Grèce et à l’Italie, non pour des raisons géographiques, mais parce qu’il pouvait dans ce cas citer beaucoup d’étymologies, en relation avec les nombreux récits mythologiques. La question la plus intrigante est celle de la description du monde romain. L’utilisation du cadre provincial du Haut-Empire était déjà en partie problématique à l’époque d’Orose, mais elle l’était bien plus au temps d’Isidore alors que l’Empire romain avait disparu en Occident. Ce dernier n’ignorait pas que les savoirs géographiques qu’il compilait dans ses Étymologies étaient désormais obsolètes. Il ne les emploie d’ailleurs pas dans sa Chronique lorsqu’il s’agit de décrire les relations entre les royaumes romano-germaniques successeurs de l’Empire. Dans ce cas précis, il n’y a donc aucun lien entre la description de la totalité géographique et la chronique universelle. Une autre spécificité d’Isidore est l’absence des termes de « barbares » ou de Romania. Ce dernier désignait à l’époque l’Empire romain dirigé par Constantinople, qu’avaient combattu les rois wisigoths afin de reprendre les territoires méridionaux de l’Hispanie conquis sous Justinien. Toutefois, si Isidore a omis la distinction entre Romains et barbares, il n’en a pas oublié une autre, celle des civilisés et des barbares. En conservant l’ancienne limite impériale pour les séparer, il rappelle l’existence d’une frontière géographique culturelle permettant aux peuples installés dans l’ancien Occident romain d’être définis comme non barbares, et donc comme participant à une civilisation caractérisée par la latinité et le christianisme. En effet, Isidore décrit comme « barbarique » la région au-delà du Danube (appelée barbaricum depuis le iiie siècle), qui comprend l’Alanie, la Dacie et la Germanie (XIV, 4, 3).
34. Fontaine 1979 ; 1983 ; 2000. 35. Étymologies, XIV, 3-8, où Isidore décrit classiquement l’Asie, l’Europe, l’Afrique, les îles, mais aussi les caps, les montagnes, les lieux souterrains ; c’est dans cette dernière rubrique qu’il cite la Géhenne biblique. 36. Étymologies, XIV, 3, 2. 37. Étymologies, XIV, 3, 18, sur Tyr avec une mention d’Isaïe 23, 1-18 ; ibid., XIV, 3, 21, avec Jérusalem comme centre de la Palestine. 38. Sur la géographie isidorienne du monde habité, voir Spevak 2009.
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Dans cette description, le statut de la Gothie est particulier ; elle est géographiquement située près de la Dacie (XIV, 4, 3, ce qui renvoie à la situation d’avant 376), mais elle est une des rares régions, dans la partie géographique, à voir l’origine de son nom définie par une précision biblique39. Les Goths, peuple au nom noachique originaire, sont ainsi présentés comme ayant quitté une région barbare pour s’installer dans la zone civilisée, en en devenant ainsi ses héritiers légitimes. Pour Isidore, c’est l’espace et l’héritage culturel romains, et non l’origine ethnique, qui déterminent le statut du civilisé. Ainsi, la spatialité géographique chez Isidore de Séville conserve en creux la marque de l’ancien limes, mais avec une signification culturelle latine et religieuse chrétienne et non plus politique ou ethnique romaines. Dans le livre IX de ses Étymologies, Isidore s’intéressa au problème des peuples par l’analyse des descendants de Noé présents en Genèse 10, mais dans un état d’esprit très différent de celui de ses prédécesseurs latins, héritiers de la Chronique d’Hippolyte de Rome ou des Antiquités juives de Flavius Josèphe. En effet, à cause de son projet personnel visant à expliquer les origines des termes, Isidore traita un double problème, celui des nations noachiques et celui des noms des peuples. Or, trois cas de figure se présentaient : la nation noachique pouvait avoir subsisté en conservant son nom ; ou elle, ou son nom, avaient disparu ; ou une nouvelle nation, ou un nouveau nom, étaient apparus. Il fallait donc rendre compte de ces variations. Pour y parvenir, Isidore rédigea d’abord, à partir de Jérôme (et donc de Flavius Josèphe), un tableau des nations de Genèse 10, puis réalisa un catalogue étymologique des noms des peuples connus à son époque. Cette juxtaposition entre un savoir ethnographique biblique actualisé et un savoir ethnographique gréco-romain classique était déjà présente chez Hippolyte de Rome. Mais Isidore fut doublement original : d’abord, il ne s’appuya pas sur la tradition hippolytéenne ; ensuite, il argumenta pour fonder la juxtaposition de ces deux savoirs. Admettant à la suite de Josèphe, de Jérôme et d’Augustin que certains noms étaient définitivement perdus ou d’origine obscure, il n’avait pas besoin de poser des équivalences midrashiques systématiques, ni, comme Hippolyte, de supposer des peuples dérivés pour combler la différence entre le nombre de peuples noachiques (70 ou 72) et celui des peuples de l’ethnographie classique (plus d’une centaine). L’étymologie, devenue un instrument d’enquête historique, permettait en revanche de classer les peuples selon qu’ils avaient ou non conservé leur prima origo biblique40. Isodore juxtaposa donc deux listes, une midrashique et une ethnographique, toutes deux incomplètes : il ne retint que 61 descendants de Noé et une soixantaine de noms de peuples (mais plus si on compte les divers peuples grecs ou germains). Dans ce dernier cas, Isidore a suivi un schéma géographique de périégèse – Asie, Europe, Afrique – que ses sources41 ne lui imposaient pas. Il aurait pu se contenter pour
39. XIV, 3, 31 : Scithia, sicut et Gothia, a Magog, filio Iafet, fertur cognominata (« La Scythie, tout comme la Gothie, s’appelle ainsi, dit-on, d’après Magog, fils de Japhet »). Voir aussi XIV, 3, 10, où l’Assyrie tire son nom de Assur, fils de Sem, qui occupa la région après le Déluge ; et XIV, 3,12 avec la mention de Nemrod, qui alla en Perse. 40. Reydellet 1984, p. 8-9. 41. Ibidem, p. 19, et dans les notes des pages 60-115, où il rappelle l’importance de Jérôme, Servius, Justin, Solin, Orose pour cette liste de peuples.
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sa démonstration d’un ordre alphabétique ou biblique noachique, mais il a choisi, pour classer les peuples, un schéma géographique classique assez proche de celui qu’il utilisa pour décrire le monde habité42. Si la liste biblique ne résolvait pas tous les problèmes, il en est de même pour la liste étymologique43. La finalité d’Isidore était d’expliquer les origines des noms, mais il ne put toujours le faire (ainsi, à propos des divers groupes de Germains). De plus, sa logique spatiale d’exposition de ses connaissances l’amena parfois à indiquer des peuples dérivant d’autres par filiation ou migration. Mais Isidore n’a pas tenté d’unifier ses généalogies, bibliques ou ethniques, pour tenter de rédiger une histoire des peuples de l’humanité en combinant la Genèse et les sources classiques. À cause de la différence des sources et des statuts, la liste des peuples est fondamentalement distincte de celle des nations de Genèse 10. Les contradictions sont rarissimes44, et les recoupements sont peu nombreux (ils peuvent prendre une valeur idéologique, comme dans le cas des Goths). Il n’y a pas d’opposition entre les deux listes, car les logiques sont différentes – l’opposition entre généalogie temporelle et périégèse spatiale est toujours présente – et elles concernent rarement les mêmes peuples. Entre le savoir divin de la Genèse et celui, humain, des listes ethnographiques, les étymologies des ethnonymes permettaient de comprendre la perte de signification née de la transformation des noms des peuples. Mais cela ne permettait pas de réduire l’écart entre ces noms présents, et ceux, bibliques, des origines. Ainsi Isidore avait-il trouvé une théorie pour rendre compte des divergences entre l’ethnographie d’autrefois et celle d’aujourd’hui. Ceci n’expliquait pas tous les détails et la permanence de traditions différentes amenait parfois quelques contradictions45. Mais l’essentiel n’était pas là : la méthode étymologique amenait une rupture avec l’approche classique qui valorisait a priori pour des raisons cultuelles et politique les Grecs ou les Romains, ou avec l’approche juive qui valorisait, pour des raisons religieuses, les Hébreux. En ceci, elle apparaissait pleinement chrétienne et conforme à la vérité divine qui s’exprimait dans la Création par la dignité de la multiplicité des nations appelées à la conversion. Mais elle permettait aussi de faire l’éloge de certaines qui, comme les Goths ou les Hispaniques, étaient considérées comme plus originaires (et en particulier, plus anciennes que les Romains). Isidore a ainsi exprimé la totalité spatiale de deux manières : par une description géographique classique devenue totalement obsolète à son époque ; et par une ethnographie gréco-romaine atemporelle qui suivait un plan géographique classique. À cela, il ajouta une ethnographie biblique sans lien avec la spatialité. Enfin, ni la géographie ni l’ethnographie n’ont de lien avec la chronique universelle. Et jamais il ne tenta de faire une description géopolitique de son temps, même s’il la suppose de manière implicite dans sa Chronique. Ce constat peut cependant être nuancé de 42. En Étymologies, XIV, 3-5, il décrivit l’orbis terrarum selon les trois continents, Asie, Europe et Afrique. Dans le détail, les deux descriptions des régions et des peuples ne se recoupent pas exactement. Mais dans les deux cas, l’Égypte est considérée comme asiatique (XIV, 3, 27-28). 43. Pour une analyse détaillée de celle-ci, voir Inglebert 2015. 44. Voir sur les Amorhéens : Reydellet 1984, p. 70, n. 82 ; sur les Mèdes, Étymologies, IX, 2, 46, propose sans trancher une étymologie classique et l’étymologie biblique, qui ne sont pas conciliables ; de même pour les Saracènes en IX, 2, 57, et les Égyptiens en IX, 2, 60. 45. Borst 1957, p. 451-452.
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deux manières. D’une part, il existe bien une unité du savoir et du monde, fondée sur la signification des étymologies originaires. Mais celles-ci n’ont pas toutes survécu au passage du temps, et les humains ne peuvent que faire l’inventaire d’un savoir dispersé et plus ou moins proche de leur origine divine. D’autre part, l’unité formelle du projet orosien qui reliait en théorie l’universalité géographique du monde, l’universalité chrétienne et la totalité impériale romaine n’était plus possible au temps d’Isidore. L’Empire romain chrétien, qui faisait le lien entre la totalité géographique ou ethnographique et l’universalité chrétienne n’existait plus comme forme politique acceptée par tous. Chez Isidore, la chronique universelle justifiait l’existence d’un royaume wisigothique espagnol et orthodoxe, et la seule universalité spatiale acceptable était celle de la catholicité romaine. Or, ce lien entre un empire spirituel du Christ dont la Rome pontificale était la citadelle et des nations converties au christianisme de par le monde rendait moins indispensable d’unifier l’histoire politique des royaumes et une géographie classique dépassée car d’origine impériale. La fragmentation des savoirs antiques était donc inévitable. En conclusion, on peut remarquer que : A. Les chrétiens produisirent une image géographique du monde habité, différente de celle de la tradition classique (avec un Paradis oriental, la place centrale de Jérusalem, l’existence des lieux de pèlerinage, la carte de Cosmas Indicopleustès reprise à Éphore) ; mais ceci n’eut guère d’impact sur les descriptions géographiques et les ouvrages historiens chrétiens. B. On peut distinguer trois thèmes principaux dans les relations entre géographie et histoire chez les auteurs chrétiens tardoantiques, qui dans les trois cas visent à affirmer l’universalité spatiale comme argument de supériorité de véridicité du christianisme : - l’insistance sur une universalité centrifuge vers un centre de vérité religieuse qui se situe dans l’Empire de Rome : dans les Actes (le discours de Jérusalem aux Juifs de la diaspora, les conversions noachiques), chez Orose (où les barbares viennent dans l’Empire pour être christianisés) et chez Isidore (où les Goths viennent dans l’Empire pour être civilisés et convertis au catholicisme). - une universalité centripète des missions à partir d’un centre de vérité religieuse qui se situe dans l’Empire de Rome (voyage de Paul dans les Actes, thème des missions apostoliques à partir de Jérusalem aux iie-iiie siècles et des missions historiques à partir de l’Empire romain chrétien aux ive-vie siècles). - la dialectique entre l’empire du Christ et l’Empire de Rome, qui connut trois variantes, liées au thème des missions apostoliques aux iie-iiie siècles ; aux conversions des royaumes et des peuples extérieurs ive-vie siècles ; à la disparition de l’Empire romain en Occident au ve siècle, qui produisit à partir de 440 (avec Léon le Grand et Prosper d’Aquitaine) une dialectique nouvelle entre l’empire matériel de la Rome impériale et l’empire spirituel plus vaste de la Rome pontificale. C. La description littéraire classique de type chorographique a pu être mise en relation avec l’histoire universelle, chez Orose, ou avec l’ethnographie classique, chez Isidore de Séville. La fin de l’Empire romain d’Occident explique cette différence de traitement.
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D. En revanche, il n’existe pas de lien entre l’ethnographie biblique et la géographie classique ou la chronique universelle chrétienne, sauf sous la forme du Diamerismos ; mais celui-ci est toujours traité comme un excursus à part, après le Déluge, et n’est pas inclus au fur et à mesure du devenir dans le récit historien. Il en est de même pour l’introduction géographique d’Orose. Dans les deux cas, l’inexistence de cartes historiques empêchait de faire autrement et d’inclure pleinement le traitement de la spatialité dans la description du devenir.
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History and geography in the work of Eusebius of Caesarea Adele Monaci Castagno
(University of Turin, Department of Historical Studies)
Abstract This article is organized in three main parts: 1) Eusebius as sui generis historian and geographer; 2) the Ecclesiastical History more geographico; 3) the Onomasticon between exegesis and geographical description. Parts 1 and 2 focus on Eusebius’ Ecclesiastical History within the framework of the universal Histories of imperial age. In his Chronici Canones and Ecclesiastical History, Eusebius intended to present a universal history, a concept implying a peculiar perception of the geographical space, if understood as a reinterpretation of the physical space in light of a new historical reality that constitutes its own permanent landmark places. The Ecclesiastical History tells the story of a “new people” who lives in a polycentric oikoumene but who looks at the East as the place where salvation came from. In this sense, the Ecclesiastical History is not different from the other universal Histories of imperial age, which were also written mainly by provincials with a Greek cultural background who, on the one hand, lessened the importance of Rome framing it within a universal picture, and on the other hand, identified in such a universal picture the possibility to value a provincial perspective. Part 3 focuses on the Onomasticon, a work dedicated to Palestine’s biblical places, enriched by historical, religious, biblical and geographical information. Using pre-existing documents, Eusebius depicted a sacred geography of the region, substituting the Greek-Roman imperial perception of it as a negligible “corner” of a world in which decisive events happened elsewhere. Riassunto Lo studio si articola in tre parti principali: 1. Eusebio storico e geografo sui generis. 2) La Storia ecclesiastica more geographico. 3. L’Onomasticon fra esegesi, descrizione geografica, storia regionale. Le prime due si focalizzano sulla Storia Ecclesiastica di Eusebio collocata sullo sfondo delle Storie universali di età imperiale. Nei Chronici Canones e nella Storia ecclesiastica Eusebio intende esporre una storia universale, concetto che implica anche una percezione particolare dello spazio geografico se intendiamo con questa espressione la reinterpretazione dello spazio fisico alla luce di una nuova realtà storica che costituisce propri luoghi di riferimento permanenti in grado di condizionare relazioni e posizioni reciproche. La Storia ecclesiastica racconta l’espansione di un “nuovo popolo” che si riconosce in un policentrismo di sedi paritarie, ma che guarda all’Oriente come alla fonte del messaggio salvifico. Da tale prospettiva la Storia Eccclesiatica non è in soluzione di continuità con le altre Storie di età imperiale anch’esse scritte principalmente da provinciali di cultura greca che, da un lato, diluivano l’importanza di Roma proiettandola su uno sfondo universale, dall’altro, coglievano in tale sfondo proprio la possibilità di valorizzare una prospettiva orientale, talvolta, regionale. La terza parte ha oggetto l’Onomasticon, un’opera
Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 225-240
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dedicata alle località bibliche della Palestina arricchite da informazioni storiche, religiose, bibliche, geografiche. Utilizzando documenti preesistenti, Eusebio ha inteso proporre una geografia sacra della regione che sostituisse la percezione che di essa si aveva all’interno della cultura greco romana imperiale, come “angolo” trascurabile di un mondo i cui eventi decisivi avvenivano altrove.
Eusebius: a sui generis historian and geographer In one of the few studies conducted on the topic that is the focus of this conference,1 Andrew Merrills affirms that geographic descriptions in historical works should not be treated as mere digressions; rather, they should be regarded as an element that supplements the overall task of historical reconstruction. For example, the geographical description of the Roman Empire that appears in the prologue to Appian’s Historia Romana and the one Gibbon puts forward in his Decline and Fall of the Roman Empire can be brought together so as to illuminate these two different perspectives. Appian sought to demonstrate the culmination of an evolutionary process he considered to lie at the center of his narrative; in Gibbon’s case, a description of the Empire at the peak of its expansion offers to readers the ideal starting point for understanding the “decadence” that came after in all of its breadth and depth. Orosius was the first Christian author to include a detailed description of the “inhabited earth”2 in the first of his Historiarum contra Paganos libri VII; as Merrills goes on to argue the aim of Orosius’ description was to convey a clear message, emphasizing the reach and duration of Christianity in contrast to the transience of the kingdoms that came before. In Orosius’ work, geographical description implies and accompanies a Christian interpretation of time. Eusebius of Caesarea’s work, namely his Chronici Canones and Historia Ecclesiastica, played a decisive role in formulating the latter, that is to say, a new conception of time. A first glance at the Historia Ecclesiastica would suggest precisely this; if I am not mistaken, it includes only a very brief description that might be defined as geographical,3 concerning Gaul and the cities of Vienne and Lyon crossed by the Rhone. And yet I believe this perspective might expand were we to reconsider this work as an expression of a history that was intended to be universal, that is to say, a history which reflects deeply on the relationship between space and time, as Mazzarino has observed.4 Let us begin by seeking to interpret the Historia Ecclesiastica against the background of the universal Histories created in the Imperial Period. We know that Eusebius had read and cited a large number of historical works in putting together his Chronici Canones, both monographs dedicated to the histories of individual peoples and universal accounts. Indeed, at least two of these – Dionysius of Halicarnassus’ Antiquitates 1. Merrills 2005. 2. Oros., Hist., I, 1, 16; regarding representations of the physical world in Christian texts, see Marinelli 1908. Although dated in terms of its overall conceptualization, this article continues to represent a useful collection of sources in relation to cosmographic ideas as well. Wolska-Conus 1976; Koder 2011; Inglebert 2001; Traina 2014. 3. H.E., V, 1. In all of Eusebius’ works, there is geographic mention of the ocean as the edge of the earth: De laud. 6, 6. 4. Mazzarino 1966, vol. II, p. 484.
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Romanae5 and Diodorus Siculus’ Bibliotheca historica – reveal first-hand knowledge. As has been noted,6 one of the roots of universal history is the perception that space is in the process of expanding. The universal histories that followed obviously had as one of their landmark works Polybius’ Histories, which set out to explain how and with what form of government the Romans were able to take over the entire oecumene.7 Polybius claimed that, with the exception of Ephorus, his work was unique in that it addressed not individual regions but the history of the whole world.8 His choice of object – which constituted the unifying core, the telos, the meaning of his universal narration – also determined his choice of where to begin the narrative: the 129th Olympiad (264-261 BC), the moment in which the Romans succeeded in conquering territories beyond the peninsula and the turning point in which the account shifts from a description of events taking place in various different regions to “a single whole”9 that is, the 140th Olympiad.10 Indeed Polybius’ Histories, extending as they do from 220 BC up to 146 BC, are universal in the sense that they recount the expansion of a transnational power and the many local places connected to it. Whatever did not form part of this web – the more distant past, origins, peoples and regions not directly involved – was left out of his account. This is not true of the universal histories of the Caesarian and Augustan ages, however, such as the Bibliotheca historica by Diodorus Siculus (90 AC-27 BC); the Universal History by Nicolaus of Damascus (64 BC-after 4 AD) in 144 volumes that has since been lost to us, the Historiae Philippicae by Gnaeus Pompeius Trogus (1st century BC1st century AD) of which only an abridged version from the Severan age remains, and the Antiquitates Romanae by Dionysius of Halicarnassus (60 BC-after 7 BC).11 My intention here is to make a few observations: these works brought the more distant past into the horizons of historical narration and, along with it, an expansion of the geographical terrain. Dionysius of Halicarnassus, who followed in Polybius’ footsteps and addressed the period from the origins of Rome to the beginning of the first Punic War, extolled the pre-eminence of the Roman Empire in contrast to the transience of other empires.12 Although Nicholas of Damascus was certainly not anti-Roman, he was able to make space in his Universal History for other peoples, such as the Hebrew people, and other sources, such as the Bible. In contrast Gnaeus
5. Carriker 2003, pp. 145-147. Regarding the relationship with Diodorus, see Rizzi 2015, pp. 59-62. 6. Alonso-Nunez 2002, p. 11; Momigliano 1984. 7. Regarding Polybius’ universalism, see Clarke 1999, pp. 116-127; Pol., Hist. I, 1, 5. 8. Pol., Hist., II, 37, 4. 9. Pol., Hist., I, 3, 1; I, 3, 3. 10. Regarding Polybius’ universalism, see Clarke 1999, p. 114 and following; Alonso-Nunez 2002, p. 72 and following. 11. These also include the Historical Memoires of Strabo (60 BC-20 AC) in 47 books (only fragments) intended as a continuation of those of Polybius, which were read by Josephus, Plutarch and Tertullian but later disappeared from the historical record. In relation to the focus here, it is interesting to note that he also authored a Geography in 17 books, a work that was also rarely referenced in the ancient world. As a description of places that also addresses the past (often mythical) of these places, this work is not distinct from history: Clarke 1999, pp. 197-292. 12. Dion. Alic., Ant., I, 2, 2-4.
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Pompeius Trogus, writing in a world in which the Parthians still reigned over the East, used the universal framework to represent the power of Rome as less than all-encompassing.13 Indeed, Rome appears much less central when depicted as part of a universal history that does not even address Romans until the end14 of a narrative “journey” the first 43 books of which are devoted to the Orient, Greece, Macedonia and the Hellenistic kingdoms, two books focus on the Parthians and only one book addresses ancient Rome, the Ligurian regions and Marseille, eventually concluding with Spain and Carthage. Diodorus Siculus echoes Polybius in claiming the koinai praxeis as the specific object of his Bibliotheca Historica, but in this case the foundations are different. Rather than being driven by the need to explain an extraordinary example of political success, Diodorus’ work was informed by philosophical foundations rooted in Stoicism: for him, universal history made sense if it was the history of humanity as a whole united by syggeneia, by its belonging to one family and being governed by providence.15 The Bibliotheca delves back into the origins of humanity, granting space to mythical times and “barbarian” peoples and rejecting the concept of successive world empires in favor of a history of civilization built around great personalities, the benefactors of humanity; he granted importance to the role of religion and enlarged his geographic view to include Egypt, which he considered to be the cradle of civilization.16 Albeit appearing in different variations, the universal histories written by Greek provincial authors or scholars who had been educated according to the Greek paideia convey the resilience of the nations subject to the Roman cultural hegemony imposed by the media outlets of the time; these accounts defend the conquered peoples’ historical identity and the role they played in the development of civilization by establishing mythical-historical genealogies linking Rome to the East. Julius Africanus, also a provincial author from Aelia Capitolina, wrote his Chronographiae17 in the Severan age, the period in which the shift from principality to authoritarian monarchy and the expansion of Roman citizenship led thinkers to reconceptualize the Mediterranean area as a single polis under the authority of the Emperor. In this volume, he developed reflections on universal history similar to those already advanced in earlier apologetic writings that sought to assert the chronological and ideological primacy of Judaism’s founding figures at the expense of similar figures from Greek culture.18 On the one hand, Julius Africanus inherited the questions and methods of the Greco-Roman universal histories; on the other hand, he was an exponent of a Christian universalism that was capable of engaging
13. Iust., Epit., XLXI, 1, 1. 14. Iust., Epit., XLIII. 15. Corsano 1998, pp. 405-436. 16. Diod. Sic., Bibl. hist., I, 9, 6. 17. The critical edition is Wallraff 2006. Only fragments of the 5 books remain; this was presumably a hybrid text that alternated between tables, lists, and narrative and philosophical texts: Roberto 2011, p. 103. The first two books were devoted to ancient biblical subjects from creation to the first Olympiad; books III and IV covered from the first Olympiad to the Roman conquest of Judea; the 5th book addressed the chronology of the incarnation, death and resurrection. 18. Wallraff 2010, pp. 22-33; see also Droge 1989.
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the knotty issues that universalist Greco-Roman historiography from the Augustan age had proved unable to resolve: specifically, the issue of when it was permissible to launch a historical account distinct from the realm of myth and the problem of telos as the unifying element of historical narrative.19 The Christians located the solution to both these problems in the revelations provided by their sacred books, which for them also constituted historical accounts. The Chronographiae provide chronological and historiographical foundations for history understood as space and time viewed from a Christian perspective: beginning with Adam, they emphasize the common origins of all humanity. This volume describes and temporally synchronizes the fate of various peoples and empires from the aftermath of the Flood to the key events of the coming of Christ and the resurrection; all these elements converge into a new time, beginning from Christ’s resurrection. The Chronographiae are Christ-centered, but they also remain Rome-centered in that they set the establishment of Augustus’ “monarchy” (in the sense of establishing global hegemony under the dominion of a single Emperor) as coinciding with the incarnation of Christ.20 Based on the Jewish reckoning, the incarnation occurred in year 5500 of the creation of the world that was supposed to end with the second coming in the year 6000. As far as we can tell from the remaining fragments of the Chronographiae, very little space was devoted to events occurring between the resurrection and the year these volumes were completed (221).21 It is beyond my intended scope to even mention the relationship – involving not only debt but also criticism and profound innovation – between the Chronographiae and Eusebius’ Chronici Canones. The only part of this latter volume I will reference is the section addressing the period covered by Eusebius’ Historia Ecclesiastica, and even then only in terms of the specific perspective that is relevant for my purposes here. The space-time progression in Chronici Canones is arranged in parallel columns beginning from Abraham and temporally synchronizes the history of the Jewish people with the other peoples who gradually stepped to the forefront of history; towards the end, however, it comes to focus on a single filum, that of Roman imperial history.22 The Chronici Canones do of course mention Augustus’ “monarchy”23 but this does not represent a narrative junction important enough to give rise to a ‘before’ and ‘after’; for Eusebius, it is more important to stress that Hyrcanus marks the end of the reign and period of legitimate priesthood in Judea and the beginning of the kingdom of Christ, who reigns over the nations and constitutes the fulfillment of Jacob’s prophecy (Genesis 49:10); the other key junction in his account is Christ’s
19. 20. 21. 22.
Roberto 2011, p. 26. Also see another publication by the same author: Roberto 2006. Roberto 2011, pp. 120-123. This is in keeping with the opinion expressed by the author himself: Fragm. 93, 84-85. Only partial and fragmented translations of the Chronici Canones remain to us. They were divided into two parts: the first, comprising the Chronographia, was a collection and discussion of the material. The second (the actual Chronici Canones) included a universal map of time in several parallel columns, each dedicated to different realms, accompanied by concise information covering from Abraham to the 420s (in Eusebius’ last update). This second part was preceded by an explanatory preface. Editions: Schoene 1875; Helm 1984: Jerome’s translation. Regarding the whole highly complicated matter, see Andrei 2010; 2012. 23. Edition Helm 1984, p. 163.
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Passion and preaching “to all nations.” From this time onward, Eusebius’ account in the Chronici and Historia Ecclesiastica maintains the chronological outline built around the succession of emperors as I have mentioned but begins to also focus on another nation expanding around the world: “A new race….but it is not little nor weak, nor founded in some obscure corner of the earth but the most populous of all nations.. a nation confessedly not small, and not dwelling in some corner of the earth”24.
Historia Ecclesiastica more geographico This ambitious undertaking also involved rethinking geographical space in view of a new historical reality: specifically, the author set out to identify places that might represent permanent points of reference, thanks to which it would be possible to establish directions and relative positions within a web that called into question the centrality of Rome, a web that was part of a new history in which time was bound up with eternity. Greco-Roman historiography from the Hellenistic and Imperial age had encountered difficulty in deciding where to set the beginning of world history. In contrast, Eusebius, working in light of the Bible, began his history before the beginning of time itself by starting from the eternal generation of the Son, the preexisting Logos which, as the creator of the world, manifested Himself to Abraham and other Saints of the Jewish people throughout history in order to prepare humanity for the moment He would appear on earth through the incarnation;25 thanks to the activities of the Jewish people,26 His teachings spread to every corner of the earth “through legislators and philosophers27”. The first specific geographical site Eusebius references in speaking of the birth of Jesus is “Bethlehem of Judea” and he locates this event in relation to 1) the end of legitimate descent from Judah for the kings who ruled over the Jews (the 11th year after the beginning of Augustus’ reign), the end of the legitimate priesthood28 in view of the fulfillment of the prophecy in Genesis 49, 10 and Deuteronomy 11, 24-27; 2), the end of the Ptolemies dynasty in Egypt (the 28th year since the beginning of the reign of Augustus; and 3) the moment Augustus took power (the 42nd year).29 Christ thus appears as the “leader”30 the nations had been awaiting, the one who would lead them to salvation. This was in line with Polybius, for whom the representation of places and peoples did not coincide with the known oecumene but rather was linked to the role they played in affirming the Roman politeia.31 Indeed, the Historia Ecclesiastica mentions places and peoples only insofar they are associated with the success of the new people Christ was leading to salvation. 24. H.E., I, 4, 2; eng.tr. Lake 1926, p. 39. 25. H.E., I, 2. 26. Whose “forefather” is Abraham (H.E., I, 4.5); Eusebius distinguishes the Hebrews (from Abraham to Moses) from the Jews who, under the rule of the Law, lost their status as the chosen people, a status which only Christians were able to recover completely: Morlet 2009, pp. 170-208. 27. H.E., I, 2, 23. 28. H.E., I, 6, 7; Demon. Evang., VIII, 2, 55-129. 29. H.E., I, 5, 2; I, 6, 1. 30. H.E., I, 6, 1; 1, 6, 11. 31. Alonso-Nunez 2002, p. 71.
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The spread of the Christian faith “throughout the oecumene” is absolutely central to his vision and it is presented as rooted in Jesus’ preaching, that is, the story about sending out 70 disciples that appears in the Gospel of Luke (Luke 10:1-24). These disciples included Thaddeus, who was sent by Jesus himself to Edessa;32 Ethiopia is mentioned shortly after, in relation to the officer Philip succeeded in converting, who was “the first-fruits of believers throughout the world” and who, according to traditional accounts, returned home and preached the Gospel there.33 At the beginning of the third book, the subject of the diffusion of the apostles and disciples “all over the inhabited earth” is treated systematically: Thomas was assigned the land of the Parthians, Andrea Scythia and John Asia, while the task of evangelizing to the Jews of the diaspora in Pontus, Galatia, Bithynia, Cappadocia and Asia fell to Peter, and Paul preached from Jerusalem all the way to Illyricum, addressing himself to the nations.34 As early as the third book, we can already glimpse another approach to conceptualizing Christian universalism, one that is no longer geographical but which, to use modern terminology, would be called sociological: the conversion “of every kind of man” and in particular men who enjoyed considerable wealth and status.35 And yet, quoting Clement of Alexandria, in the fifth book Eusebius continues to remind readers of Pantaenus, “herald of the Gospel among the nations of the East all the way to the land of the Indians”.36 To the west, the furthest (but only) delimiting boundary is represented by Lyon and Vienne. Eusebius does not provide any information (or perhaps has no information to provide) about Northern Africa, with the exception of a passage devoted to Cyprian of Carthage37. The borders of Eusebius’ oikoumene are more ideological than geographical: for him, the known world coincides with the world inhabited by Christians, according to the information his sources provided. This world thus excludes the “barbarians”, who are labeled such not by virtue of their language or geographical location but because they are not Christian: the Sassanid are barbarians38, as are the Saracen brigands39. Eusebius evidently considered the Armenians to constitute a remote population in that he felt the need to briefly inform his readers about them, but they are not defined as barbarians because they are Christian.40 This illustrates the critical stance Eusebius maintains in relation to both Greek universalism, which concentrated on an aristocratic minority convinced of its own cultural superiority, and the political universalism of the Romans, who had subjugated other peoples but failed to generate a new ethnic / cultural entity.41
32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41.
H.E., II, 1, 6. H.E., II, 13. Eusebius himself makes this statement in Rm 15, 19. H.E., III, 21. H.E., V, 10. H.E., VII, 3. H.E., VII, 13. H.E., VI, 42, 4. H.E., IX, 8, 2. Neri 2010, pp. 63-87.
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In these accounts, Christian expansion is directed from the East toward the West: Rome does not conquer but rather is itself conquered by a sui generis general. The first mention of Rome appears in connection with Simon Magus and the cult the inhabitants of Rome devoted to him, a cult Peter took a stand against: “Providence […] guided Peter, the great and mighty Peter, who for his virtues was the leader of all the other Apostles, to Rome against this great corrupter of life. He like a noble captain of God, clad in divine armour, carried the costly merchandise of the light of the understanding from the East to those who dwelt in the West, proclaiming the light itself, and the word which save souls, and preaching the kingdom of heaven”.42 Already in the second book – that is, beginning in the Apostolic Age – Eusebius identified the four major landmarks as lying in this geographical space, essentially between Bethlehem and Rome: in order, these points of reference were Jerusalem,43 Antioch,44 Rome45 and Alexandria;46 these cities mainly stand out among the many places Eusebius mentions by virtue of the fact that he takes the time to reconstruct the full episcopal succession from the foundation of the apostles for these cities and not others. Naturally, this is an a posteriori reconstruction carried out by a historian who lived in a moment when Antioch, Rome and Alexandria in particular already functioned as metropoles, a fact which was later formally recognized by the Council of Nicaea’s 7th Canon.47 As far as Jerusalem is concerned, Eusebius might actually have been instrumental in raising this city to new prominence since, at the time, the Empire had not yet fully manifested its interest in the sites associated with the life of Christ. Whereas Antioch, Alexandria and Rome inherited the preeminence already enjoyed in Roman territorial arrangements, Jerusalem was only added as a result of its religious significance. According to Eusebius, of the three cities located outside of Palestine, Rome was similar (yet secondary) to Antioch in adhering to the Primacy of Simon Peter;48 if Rome deserved the label of leader, it was if anything for having hosted Simon Magus, “the author of all heresy” who “contrived a plan for seizing the imperial city for himself”.49 Eusebius shows himself better informed about Alexandria, which is also linked to Peter’s preaching, and indeed he dwells at more length on it. If we were to represent the Historia Ecclesiastica cartographically using what geographers call an “outline” map, what would end up constituting its main landmarks? The first points of reference would be the four churches mentioned earlier, along with other churches Eusebius sporadically references in relation to the foundation of the apostles or the identity of the first bishop; other landmarks would be the sites marked by the graves of famous figures,50 the places associated with teachers 42. 43. 44. 45. 46. 47.
H.E., II, 14, 3, trans. Lake 1926, p. 42. H.E., II, 1, 2-4: James was the first “Bishop”, “the brother of the Lord.” H.E., II, 1, 8: beginning with Peter. H.E., II, 1, 14. H.E., II, 16. The Council of Nicaea’s 7th Canon granted Jerusalem a primary place of honor without jurisdiction. 48. Although in H.E., III, 2 he states that Linus was the first Bishop of Rome “after the martyrdom of Paul and of Peter,” in H.E., III, 4, 8 Linus is identified as the first successor of Peter in the Church of Rome; in Antiochia: H.E., III, 36, 2. 49. H.E., II, 13, 1. 50. H.E., III, 18, 1.4; III, 31, 3.
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or bishops whose writings were mentioned in the historical record,51 and the places where heresies had spread. As the author’s account draws closer to his present day, this institutional and cultural landscape undergoes significant changes: the initial harmony of the apostolic age that propelled the gospel throughout the oecumene is compromised, with large areas (Asia / Phrygia, Mesopotamia, Persia) afflicted by heresies and the Churches of entire geographic regions embroiled in doctrinal divergences (the East versus the West).52 When it reaches periods that are chronologically nearer to the author’s own historical moment, the account assumes a regional character: the 6th and 7th books are almost exclusively focused on the Church of Alexandria. At the end of his history, Eusebius comes full circle to engage a concept asserted at the outset: the idea that Christians constitute a new people who spread out from one corner of the world to populate the entire planet.53 Many languages, different cultures, one faith, a single people living in a polycentric oecumene and looking to the East as the geographical wellspring of their salvation. From this point of view, the Historia Eccclesiatica is not different from other histories of the Imperial Age, likewise written primarily by culturally Greek provincial subjects, that widened historical time and geographical space, granted the ancient civilizations of the East a prominent place in their accounts and, at times, celebrated a regional perspective as well.
The Onomasticon: a mix of exegesis, geographical description and regional history Eusebius was an innovator in diverse fields, and indeed he deserves credit for having created the first properly Christian geographical work. This volume – or opusculum as defined by Jerome, who translated it in approximately 390 – was passed down by copyists with the title “The place names appearing in the Holy Scriptures of Eusebius of Pamphilus, Bishop of Caesarea in Palestine.”54 As Eusebius himself states in the preface, this volume comprises multiple sections: the first section lays out his intention of transliterating “into the Greek language the names of the nations throughout the world which have Hebrew names in the Holy Scriptures.”55 He continues: “Then, I shall transliterate into Greek the names for the people the world which appear in Hebrew in Holy Scripture. Then I shall make a map (list? description?), the basis of the whole Bible I will compose a map (list? description?) of ancient Judea from the whole book, dividing the allotted territories of the twelve tribes.
51. 52. 53. 54.
H.E., V, 22. H.E., VII, 5. H.E., X, 4, 19. Critical editions: Klostermann 1966; Timm 2005; English translation: Freeman, Grenville and Chapman 2003. The dedicatee of this volume is Paulinus of Tyre who died in 330. Eusebius does not mention any Constantine churches in relation to Jerusalem, only a pagan cult in Mambre that Constantine abolished in 326. Some scholars place this date much earlier, at the end of the 3rd century (Barnes 1981, pp. 106-110). 55. Klostermann 1966, p. 2: καὶ πρῶτα μὲν τῶν ἀνὰ τὴν οἰκουμένην ἐθνῶν ἐπὶ τὴν Ἑλλάδα φωνὴν μεταβαλὼν τὰς ἐν τῇ θείᾳ γραφῇ κειμένας Ἑβραίοις ὀνόμασι προσρήσεις.
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In addition, I shall trace the representation of their ancient, famous, mother-city, I mean of course Jerusalem, including in this the plan of the Temple, after comparison with the existing remains of sites.”56 He also affirms: “I shall set out the cities and villages contained in Holy Scripture in the ancestral tongue, designating what sort of place they are, and how we name them, whether similarly to the ancients or differently. So, from the whole of divinelyinspired Scripture, I shall collect the names that are sought, and set each one down in alphabetical order, for easy retreval of names when they happen to occur here and there in the reading.”57 This latter is the only section that has survived to the present day in both the original language and Jerome’s translation. From a fragment that we can reconstruct by juxtaposing a passage by Procopius of Gaza and one from Jerome, it appears likely that the first section of the volume belonged to the genre of diamerismos (the division of the earth among Noah’s sons as described in Genesis 10).58 This genre had appeared previously in the Chronicle of Hippolytus (235 AC), who was the first to develop a Christian interpretation of the list of nations provided in Genesis 10. By bringing together various Jewish and Greek-Hellenistic traditions, Hippolytus’ diamerismos provided a framework for organizing the list of Noah’s sons (Sem, Ham, Japheth), the list of the peoples descended from them, the lands associated with these peoples and the regions they occupied and, finally, the peoples resulting from colonization. As Inglebert has noted, Christians were interested in ethnography in part because it offered a means of providing an overall interpretation of space and time for the post-flood period.59 The fragment of Eusebius’ writings focuses on Japheth and the land set aside for him, his descendants, and the peoples who descended from his sons. The interesting point here is that Eusebius – whose account of the peoples’ origins diverges from that of Hippolytus – may have sought to use this work to fill a gap in his Chronici Canones which, as I have mentioned, began with Abraham. The second section contains a list or description of Judea divided into distinct tribes: Eusebius’ Onomasticon repeatedly uses tribes as geographical references, and so we must assume that Eusebius conceived of these two sections as inseparable. As mentioned, the third section (perhaps only an appendix of the second section) contains a description of Jerusalem and the temple area. The Onomasticon displays the same degree of interest in the city in this case as well, frequently mentioning sites located within it or in its immediate surroundings. The Onomasticon is the last section of the work described in the preface, and it includes nearly 1,000 entries, each of which containing all or some of the following information: the corresponding biblical quotation drawn from the hexapla and 56. Ibidem: ἔπειτα τῆς πάλαι Ἰουδαίας ἀπὸ πάσης βίβλου καταγραφὴν πεποιημένος, καὶ τὰς ἐν αὐτῇ τῶν δώδεκα φυλῶν διαιρῶν κληρους, καὶ ἐπὶ τούτοις ὡς ἐν γραφῆς τύπῳ τῆς πάλαιδιαβοήτου μητροπόλεως αὐτῶν, λέγω δὴ τὴν Ἱερουσαλήμ, τοῦ τε ἐν (αὐτῇ ἱεροῦ τὴν εἰκόνα διαχαράξας μετὰ παραθέσεως τῶν εἰς τοὺς τόπους ὑπομνημάτων. Freeman-Grenville and Chapman 2003, p. 11. 57. Eus., Onom. Proem.; Freeman-Grenville and Chapman, p. 11. 58. Klostermann 1966, pp. VII-VIII. 59. Inglebert 2001, p. 127 and following.
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occasionally compared with other versions of the biblical books, the position of the town / village within the tribe’s territory, a concise summary of the events associated with that site, references to other sources (such as Titus Flavius Josephus), where they existed, and the location of 4th century roads or cities with descriptions of the distance and direction in relation to other landmarks. Eusebius quite frequently includes other notations about the inhabitants.60 The presence of Roman fortresses or garrisons, the presence of thermal springs,61 and the presence of tombs or other commemorative artifacts involving Biblical figures.62 Eusebius does not always follow the outline he himself presents at the outset. In the preface, he claims that he will examine the Scriptures in their entirety, but in reality almost all the names are reference places in Palestine and are taken from only certain books of the Bible: Genesis, Numbers, Deuteronomy, Joshua, Kings, Prophets, Gospel and Acts of the Apostles. In addition, he includes numerous reports of rivers, valleys, mountains and other physical landmarks. At times, the information is provided in an inconsistent order; these inconsistencies might derive from the multiple drafts the text underwent over time. Indeed, the text likely went through multiple drafts both before arriving in Eusebius’ hands and afterwards, in the decades that passed between the moment it was composed and the moment Jerome translated it in 390. According to Wolf, indeed, Eusebius adopted a previously existing Judaic list that was already the result of multiple reformulations; he added the names listed in the Gospel along with other information he updated according to the sources available to him at the time. As Wolf argues, Eusebius’ disciples went on to add other notations in the margins which were then incorporated into the text by successive copyists.63 Isaac, who wrote after Wolf but unfortunately did not take Wolf’s study into account, identifies another possible source Eusebius may have used.64 In Isaac’s opinion, the Onomasticon as a document reveals the fact that Roman officials had certain cartographic tools they used in exercising military control over the territory. He therefore argues that the source Eusebius used only contained information about public roads and associated military outposts in the province of Palestine and Arabia. It is true that Eusebius does not
60. He indicates a completely Christian population for two places, Lether, p. 108, 3 and Cariathaim, pp. 112-114. Regarding two others, he states that their sole inhabitants are Jewish people; Zib (1 Sam 23, 14), p. 92, 21 and Naaratha, p. 136, 24. There are also some references to pagan cults: Aena, source and idol of the waters, p. 8, 5; and Ariel-Aeropoli, whose inhabitants continue to worship the idol Ariel de Ares; Beelfegor (p. 44, 12) 25, 3: The idol of Moab; Mambre, p. 76, 1e p. 124, 1). 61. Ammathus, p. 22, 25; Beoaenea, pp. 30-37. 62. Chebron (p.6, 10 and following; p. 42, 10); Galgala (p. 66, 5); Balanus (p. 42, 15); the valley of Moab, near Fogor (p. 64, 21); Tamma (p. 70, 20); Gabata (p. 70, 24; p. 88, 27; p. 114, 17); Ur (p. 140, 10); Modein near Diospoli (p. 132, 17); Cades (p. 112, 10). There are numerous evangelical references: Aneon, near Salim, the place where John the Baptist “to the present day” baptized (p. 40, 1); Bethany, where Lazarus was revived, and where “even today the site of Lazarus is displayed” (p. 40, 1); Bethabara past the Jordan river, where John used to baptize and “the place where even today many brothers wish to take a healthy bath is displayed” (p. 58, 15 and following). 63. Wolf 1964, p. 89. 64. Isaac 1998, pp. 284-309.
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mention other roads that actually existed and had a certain importance, and this might indicate that his information was not derived from first-hand experiences as a traveler. Given that Eusebius is not able to provide precise locations for the sites he mentions, only their relative positions, it is quite likely that his source was found at the offices of the governor of Palestine and consisted of a written text rather than a map. The Onomasticon is interesting because it gives us the opportunity to observe how and under what circumstances an interest originally focused on exegesis in the Christian sphere might become geographical as well, in which geography refers to describing world of the time while also taking into account mythical-historical information about it.65 The Alexandrian school of exegesis, with which Eusebius was associated by means of his master Pamphilus, attributed a great deal of importance to providing nomina sacra in the original Hebrew, both in order to carry out pseudo-etymological genealogies to orient their allegorical interpretations, and in order to determine their exact transliterations by comparing the Hebrew text and the Septuagint translations, which were in turn examined in light of other translations. Eusebius was a meticulous philologist who was trained by studying Origen’s Hexapla, which at the time were still available for consultation at the library of Caesarea. However, he did not share Origen’s enthusiasm for allegorical interpretation: he did not associate names with symbols and allegories but rather with historical events taken from the Bible and, in keeping with the limits of the documents available to him, he added a great deal of additional information suggesting that his interests went far beyond exegesis strictly speaking. These were the more regionalist interests of a bishop whose jurisdiction extended over the vast area of a metropolitan province that bordered Tyre to the north and Alexandria to the south and formed part of a vast diocese with Antioch as its administrative and ecclesiastical capital. The jurisdiction of Caesarea also included that of Jerusalem which, thanks to Constantine and Eusebius himself, had begun in the first half of the 4th century to recover the prestige it once enjoyed before its destruction. It is true that the Onomasticon might have aided in interpreting the Scriptures; however, it associates multiple significant events and figures with sites in Palestine, reminds readers how much of this past history continued to be active and relevant, and makes these sites recognizable and locatable in space as precisely as possible.66
65. Clarke 1999, pp. 294, 337. 66. Of course, the question of whether and to what extent the Onomasticon reflects the exact biblical topography is another matter entirely, and involves numerous issues including the diversity of traditions contained in the Bible and the fact that the same name may refer to different locations and different coordinates may refer to the same place. Eusebius preserved the oldest Jewish traditions but supplemented the topography with real and legendary information from his own time, so his account does not always correspond to the Bible but rather identifies biblical sites with the sites that were known in his region and time (Thomsen ZDPV 26, 1903, p. 141, quoted in Wolf 1964, p. 95.
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The educated pagans, and perhaps even the newly converted peoples, Eusebius addressed with his writings considered Palestine a negligible “corner” in a larger political geography in which the decisive events of the time took place elsewhere: in Rome, at the borders of the empire and in the imperial centers.67 Through the Onomasticon, Eusebius replaced a geography of insignificance with a sacred geography in which Palestine, brilliantly backlit by its mythical-historical past, was transported from the margins to the center of the history of this new people. In terms of enhancing the religious importance of Palestine, the Onomasticon should be understood in relation to the Martyrs of Palestine.68 In the preface to this collection of memories about the persecution that took place in Palestine, Eusebius declares that he wishes to speak about individuals with whom he had the honor of sharing an era, of the figures that brought pride to all of Palestine, this “our” Palestine from which the Savior of all mankind flowed forth like a thirst-quenching spring.69 Travel diaries of the ever-increasing number of pilgrims visiting the Holy Land reveal that the Onomasticon represented a kind of handbook for them.70 Eusebius was cognizant of the interest surrounding the sites associated with the prophets and the life of Christ even in his own times, but he did not compose his volumes with this purpose in mind. His later readers took advantage of this potential, however, and interpreted Palestine’s landscape in the light of Eusebius’ information during their pilgrimages. Over time, the memories and churches that were added went on to enrich the map Eusebius had drawn.
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La géographie de l’accueil chez les auteurs grecs de l’Orient romain : l’exemple de Libanios et de l’Éloge d’Antioche Bernadette Cabouret
(Université Jean Moulin-Lyon 3, HiSoMA)
Abstract Greek authors of the Late Antiquity that we will discuss here are representative of the art of rhetoric. Rhetoric does not propose a speech on reality: it is a way to subject reality to the topic and its intended purpose. That’s why the geography that these authors offer is a construction but not a description, except for the polished descriptions inserted in the speech, as an ornamental piece, the emblema of a picture or the ekphrasis. We will take as an example of this the Antiochean orator Libanios (314-393) and his speech 11, The Praise of Antioch, performed in 356. Through his enkomion of the city, Libanios sets up a real symbolic geography that aims to show Antioch as a “welcoming city”. Either its location, its site or its resources, everything shows that it is a place of hospitality for the inhabitants, the guests who pass through and everyone who is attracted by its reputation and its renowned temples – especially Daphné. When Libanios evokes the populating of the city, he proves this function of hospitality and builds a “roman des origines” justifying Antiocheans’ virtues of hospitality. Finally, the description of the city’s architecture – an originality of Libanios’ speech – highlights the beauty of the city but also its facilities and the urban amoenitas provided, which is the very symbol of civilization. Résumé Les auteurs grecs d’époque tardive invoqués se sont illustrés dans l’art de la rhétorique. Or celle-ci ne sert pas un discours sur le réel, mais est un moyen de faire plier le réel aux exigences du propos et au but visé. C’est dire que la géographie qu’ils proposent est une construction et non une description, à l’exception de descriptions travaillées et insérées dans le discours, comme une pièce ornementale, comme l’emblema d’un tableau, l’ekphrasis. On prendra ici l’exemple du rhéteur antiochéen Libanios (314-393) et du discours 11, l’Éloge d’Antioche, prononcé en 356. Le sophiste construit à travers son enkomion de la ville une véritable géographie symbolique qui vise à montrer que la ville d’Antioche est une « ville-pour-l’accueil ». Sa position, son site, ses ressources, tout la désigne à une fonction d’hospitalité pour les habitants, les hôtes de passage et tous ceux qu’attire le renom de la cité et de ses sanctuaires, en particulier celui de Daphné. L’évocation du peuplement de la ville confirme cette fonction et construit un roman des origines qui justifie les vertus d’accueil des Antiochéens. Enfin la description architecturale de la ville – originalité du discours d’éloge de Libanios – valorise la beauté de la cité, mais aussi ses capacités d’accueil, et l’offre d’une amoenitas urbaine qui est le symbole même de la civilisation.
Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 241-257
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C’est d’une géographie un peu particulière que l’on traitera ici en relisant des auteurs grecs de l’Antiquité tardive : une géographie symbolique, celle de l’hospitalité. La description géographique des Anciens n’a pas pour but, on le sait, de restituer une réalité « scientifique », mais de donner du sens à ce qui est observé. Autrement dit, de montrer que le monde est porteur de valeurs et qu’il les inscrit dans sa structure même : l’univers les donne à lire. La description géographique peut avoir pour objet le monde naturel et tous les éléments qui le composent, montagnes, reliefs, fleuves, côtes, etc., mais aussi les paysages transformés, modelés par l’homme. La quintessence même de l’action anthropique est de ce point de vue la ville. On ne parlera pas strictement de la façon dont les auteurs tardifs traitent de géographie1, ce qui serait engager une étude des représentations et des constructions discursives, mais on proposera un point de vue particulier, à la rencontre de la géographie, de l’histoire et de la morale : une histoire et une géographie de l’hospitalité telle qu’elles sont construites par certains auteurs pour servir leur propos. La démarche d’accueil de l’autre (ξένος : hôte / étranger en grec) est une problématique à l’intersection des courants de pensée et des modes de fonctionnement sociaux dans l’Antiquité tardive. S’il est une pratique, une vertu éminemment grecque, c’est celle de l’hospitalité, dont le modèle remonte à Homère2. Aussi ce qui fait l’un des fondements du comportement et de l’ethos de l’homme civilisé, le sens de l’accueil, peut-il s’ancrer dans l’espace et s’exprimer au sein de contextes appropriés, inséré de manière nécessaire en divers lieux. Il est en effet des lieux privilégiés pour que s’exerce l’hospitalité. La « géographie » ou du moins un certain discours géographique aide à justifier cette qualité éminente de certains peuples et cités : ces lieux et ces habitants sont en quelque sorte prédestinés à pratiquer l’hospitalité, l’une des déclinaisons de la philanthropie. On montrera donc qu’Antioche de Syrie, telle qu’elle est présentée par Libanios, est une « ville-pour-l’accueil », comme pouvait l’être aussi Nicomédie avant sa destruction en 358. Le témoignage discordant de l’empereur Julien sur Antioche offrira un contrepoint. De même le point de vue de Libanios sur Constantinople n’est pas moins représentatif d’une géographie symbolique, cette fois-ci très critique et dépréciative, voire méprisante, pour la cité du Bosphore. On sait que les textes demandent à être passés au crible de la critique et soigneusement pris pour ce qu’ils veulent dire (ou ce que l’on croit) et qu’il faut donc tenir compte de paramètres comme le genre, par exemple enkomiastique, le statut de l’énonciateur, le public visé, l’audience, le statut aussi de l’allusion ou du détail circonstanciel – selon qu’ils sont incidents ou propos principal. Nous nous attacherons tout particulièrement à Libanios et à son Éloge d’Antioche, œuvre de circonstance prononcée par le sophiste officiel de la cité pour les Concours Olympiques de 356, et qui a la particularité d’avoir été présentée devant un large public3, puis publiée4. 1. À propos de Libanios, Schouler 1984. 2. Scherer 2005 ; Montandon 2002 ; 2004. 3. Les Olympia d’Antioche rassemblaient un très vaste public, venu d’Antioche et de sa région, mais aussi des autres cités de Syrie, voire de tout l’Orient. Sur les Olympia à l’époque tardive, Remijsen 2015. 4. Une édition de l’Éloge d’Antioche (or. 11) par M. Casevitz, traduite par O. Lagacherie, introduite et annotée par M. Casevitz et C. Saliou, vient de sortir aux Belles Lettres (2016). Je remercie vivement Catherine Saliou de m’avoir donné accès au texte encore inédit de ses notes. Référence désormais indiquée : Saliou 2016, Or. 11, chapitre annoté et no de note.
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Éloge de ville et hospitalité : une géographie propice à l’accueil Dans l’éloge de toute cité, le rhéteur se doit d’abord de la présenter dans son site naturel, c’est ce que l’on appelle la « position » (θέσις). Ce thème classique de l’éloge de cité est largement détaillé par Ménandre le Rhéteur5 pour lequel le mot s’applique à la situation géographique, donc au site de l’agglomération. Dans la partie consacrée à la description de la cité, Libanios annonce : « Allons, il est temps maintenant d’exposer la situation et l’étendue de la cité (Καὶ δὴ καιρὸς ὑπέρ τε τῆς θέσεως καὶ τοῦ μεγέθους ἤδη διελθεῖν) »6. Ici, le terme est employé dans une acception différente, englobant « l’ordonnance architecturale » de la ville7. Antioche occupe un site particulièrement favorable qui conjoint les avantages de la montagne (Mont dit « Silpios », qui domine Antioche, et qui fait partie de la chaîne du Kosseir), de la mer ainsi que d’un fleuve, l’Oronte, sans oublier la plaine de l’Amuq (figures 1-3). La position proche de la mer est particulièrement valorisante d’autant qu’Antioche ne subit pas les inconvénients d’un ancrage direct sur la côte : elle réconcilie ainsi les points de vue de Platon, dont la cité idéale se situe à l’écart de toute influence maritime, jugée néfaste, et celle d’Aristote qui illustre les mérites et les incidences bénéfiques d’une situation de bord de mer (défense ; approvisionnement)8. Il faut dire qu’une ville « pour l’accueil » ne peut se passer d’une ouverture maritime ! En cela Antioche fait donc aussi penser à Rome, ville de premier pont, qui est reliée à la mer proche par un fleuve navigable, à la fois moyen de passage et mise à distance. Certes Libanios ne souligne pas ce rapprochement – il ne parle quasiment jamais de Rome – mais il n’oublie sans doute pas la prétention revendiquée par Antioche au choix de capitale de l’Empire d’Orient au ive siècle. L’originalité de la « position » d’Antioche, au sens de disposition générale de la ville même, est son étirement. En effet, elle est étendue entre la montagne qui la domine à l’est et la vallée de l’Oronte qui forme une limite à l’ouest, limite qui est franchie certes par les développements urbains, mais n’en impose pas moins une direction générale à l’urbanisme9. Pour Libanios, c’est le fleuve Oronte qui est l’élément structurant. De fait, la rue principale est parallèle au fleuve10 (orientation
5. Ménandre I., p. 344, 16 (éd. Russell-Wilson 1981). 6. Libanios, Or. 11, 196. Traductions d’Odile Lagacherie, légèrement revues, ou personnelles. 7. Le terme de θέσις est donc employé par Libanios dans deux sens distincts au cours de son discours : d’abord au sens littéral de « situation » (§ 39), puis dans un sens urbanistique quand il décrit la parure monumentale de la ville, description à laquelle Libanios s’attache particulièrement et qui fait l’originalité de ce discours : Schouler 1984, p. 922 ; Pernot 1993, p. 208 ; Saliou 2016, Or. 11, 196 n. 1. 8. Platon, Lois, IV, 1 = 704d ; Aristote, Polit., VII, 6 = 1327 a ; Cicéron évoque aussi ce débat à propos du choix de fondation de Romulus : « En homme de haute prévoyance qu’il était, il vit et comprit que les emplacements maritimes ne conviennent pas aux villes fondées avec des espérances de durée et d’empire », De Repub., II, 3. La conclusion attribuée au fondateur de Rome, mais reflétant en réalité les débats des Anciens sur la « cité idéale », est que la situation la plus avantageuse est celle d’une ville construite à quelque distance de la mer. 9. Sur l’orientation particulière de Libanios à savoir est-ouest (« vers le couchant ») au lieu de nord-sud qui correspond à la réalité, Saliou 2016, Or. 11, 196 n. 3 ; Poccardi 1994. 10. Strabon, Géogr., XVI, 2, 7.
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Figure 1 - Carte 1. [D’après C. Kondoleon (dir.), Antioch: the Lost Ancient City, Princeton / Worcester, 2000, p. XIV].
sud-sud-ouest / nord-nord-est). Cette rue reprend un axe de communication très ancien, sans doute déjà voie de circulation avant même toute implantation humaine, du moins pérenne11. Il faut insister sur cette grande trouée qui constitue la colonne vertébrale de la cité et est soulignée par un alignement de portiques, grand’rue particulièrement large et grandiose qui porte chez d’autres auteurs le nom de πλατεία. 11. Cabouret 1999 ; Bejor 1999 ; Saliou 2016, Or. 11, 196 n. 3.
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Figure 1 - Carte 2. [D’après C. Kondoleon (dir.), Antioch: the Lost Ancient City, Princeton / Worcester, 2000, p. XV].
La description de Libanios souligne l’impression donnée par la grande artère toute droite « elle part du Levant pour s’avancer tout droit vers le Couchant (ἀρξαμένη γὰρ ἐξ ἕω πρόεισιν ἐπὶ δυσμὰς ἰθυτενής) ». Un double étage de portiques (δίδυμον στοῶν ὕψος ἐκτείνουσα12) et des boutiques qui en garnissaient le fond contribuaient à faire de la cité un marché permanent et un lieu de convergences et d’intense sociabilité. 12. Libanios, Or. 11, 196.
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Figure 3 - Photo aérienne des années 1930. [D’après C. Kondoleon (dir.), Antioch: the Lost Ancient City, Princeton / Worcester, 2000, p. 2]
On reviendra sur les portiques comme métaphores de l’accueil. La ville ainsi décrite offre donc de nombreuses opportunités naturelles d’accueil : un accès facile, par terre, par fleuve et par mer ; un terrain plat, mais aussi un espace bien protégé, puisqu’adossé au mont qui la borne et assure la fonction d’une acropole ; enfin on ne saurait oublier « le couronnement de ces beautés », à savoir l’abondance des eaux. En effet les sources de Daphné assurent à la ville un approvisionnement exceptionnel. Ces eaux conduites par deux aqueducs desservent nombre de fontaines publiques et de thermes, abondants à Antioche13, mais aussi s’engagent dans les canalisations qui alimentent des réseaux privés, l’eau courante pouvant ainsi parvenir jusque dans 13. Saliou 2014.
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les demeures de (riches) particuliers, luxe suprême. Les atouts géographiques de la ville se conjuguent donc pour faire de celle-ci une ville capable d’offrir les meilleures conditions de vie et le plus grand bien-être aux habitants permanents comme aux hôtes de passage. Il n’est pas jusqu’au climat qui y prédispose puisque l’air venu de la mer adoucit ce qu’une latitude méridionale pourrait imposer de rigoureux14. À ces considérations sur la « qualité » s’ajoutent celles sur la quantité, la profusion des biens, des denrées et des services15. En effet les avantages géographiques, bien exploités par les hommes au cours d’une longue histoire, concourent à faire de cette cité un lieu d’approvisionnement et de plaisirs quasi inépuisables. L’abondance du marché est particulièrement remarquable : Qu’y a-t-il de plus intarissable et de plus satisfaisant que l’abondance des marchandises ? Elles sont si répandues par toute la ville qu’on ne peut nommer aucun point place du marché… la marchandise est à portée de tous, à leurs portes même et partout il n’y a qu’à tendre la main pour la prendre. τῆς δ’ αὖ τῶν ὠνίων περιουσίας τί μὲν ἀφθονώτερον, τί δὲ διαρκέστερον; ἃ διὰ πάσης μὲν οὕτω κέχυται τῆς πόλεως, ὡς μὴ μέρος τι τῆς πόλεως ἓν ἀγορὰν κεκλῆσθαι… πᾶσιν ἐν ποσὶν εἶναι καὶ πρὸ θυρῶν καὶ πανταχοῦ χεῖρα ἐκτείναντι λαβεῖν ὑπάρχειν16.
De fait Antioche, privilégiée par sa situation, est un vaste lieu d’échanges ; les activités artisanales et commerçantes sont attestées en tout lieu de la ville et de ses faubourgs, mais elles sont particulièrement concentrées en ces espaces d’échanges que sont les agorai et les longs portiques (rue principale et transversales). Sous les portiques s’alignent les boutiques aménagées au fond des bâtiments, cellules de plan régulier, toutes construites sur le même modèle et dont l’ouverture donne sous l’auvent du portique, qu’il s’agisse d’une porte ou d’un comptoir de commerce alimentaire. D’autre part, des étals plus précaires sont montés dans les intercolonnements et accueillent de petits marchands (kapeloi)17, ce qui recrée un espace de circulation, une rue dans la rue, bordée de marchandises sur les deux côtés. Julien même, qui dénonce une ville vouée aux plaisirs et à la truphè, s’écrie : « Ne vois-tu pas combien il y a de boutiques dans cette cité ? (οὐχ ὁρᾷς ὁπόσα μὲν ἐν τῇ πόλει ταύτῃ 14. Libanios, Or. 11, 216. 15. L’association de la qualité et de la quantité est un thème récurrent de cette partie du discours. La grandeur et la beauté sont deux topoi importants de l’éloge de ville : Pernot 1993, p. 192-193, 708. Ce qui est vrai pour Antioche (par exemple, Libanios, Or. 19, 5), l’est pour Nicomédie, autre ville chère à Libanios : « Cette ville, parvenue à un tel degré de grandeur et de beauté, et possédant tous les autres biens que procurent la terre et la mer… », Libanios, Or. 1, 52. 16. Libanios, Or. 11, 251. 17. Voir Lavan 2012, p. 337-377. Une taxe (en fait un loyer) est imposée à ces petits boutiquiers par la cité et Libanios proteste contre ce qui risque de les obliger à démonter leurs étals : que se passera-t-il « le jour où chaque boutiquier, après le démontage, aura bien les planches et les autres matériaux mais plus la possibilité d’être installé en cet endroit ? », Libanios, Or. 26, 20-21 (trad. Schouler). Voir aussi Libanios, Or. 22, 37 et Chrysost., Ad populum Antiochenum, Homelia 21.
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καπηλεῖα) »18. Les portiques sont autant des espaces de circulation, des abris que des refuges et ils ont pu même servir, à l’époque tardive, de lieux d’hébergement pour les plus démunis19. À cette abondance des produits, tirés du terroir ou exotiques, s’ajoutent les agréments de l’otium, les édifices de loisirs et de spectacles, ainsi que des éléments de confort urbain au sommet desquels figure l’éclairage des rues20. Cette association est à la fois topique (la quantité et l’abondance) et fondée sur une large vérité, car Antioche dispose en effet d’un grand nombre d’atouts. Les sources si abondantes de Daphné ne sont pas les moindres de ses attraits. Ce que l’on peut reconstituer des conditions et modes de vie à l’époque tardive (vie de relation, sociabilité, banquets et panégyries collectives) prouve que les aristocraties locales étaient particulièrement prospères, vivaient dans des cadres luxueux, et entretenaient aussi grâce à leurs besoins une vie artisanale et commerçante intense, une domesticité fournie qui toutes tachaient de satisfaire ces exigences : « les biens fournis pour le luxe rivalisent avec les biens de première nécessité et il y a une place dans la cité pour les deux conditions, elle vient en aide à la pauvreté et sert les désirs des riches en procurant toutes délicatesses pour leur contentement… »21. La richesse des uns, dans une société en proie à des inégalités criantes, se soldait certes par la misère des autres, mais elle entretenait aussi une activité générale qui profitait à un grand nombre de métiers et de travailleurs libres ou dépendants et stimulait l’activité économique. Dans le cadre de cette excellence générale, Daphné représente la quintessence des atouts naturels et humains de la cité. Sa mise en valeur à la fin du discours relève d’une mise en abîme : elle est l’image du tout. Daphné avec ses jardins, ses sources et ses katagôgai, dessine un véritable programme d’hospitalité. La route qui conduit d’Antioche à Daphné est au sens propre une allée « bordée de fleurs », de plantations et de belles demeures : Aussitôt franchies les portes, c’est, à gauche, variété des jardins, charme des demeures, profusion des fontaines, maisons dissimulées par les arbres et villas dépassant les frondaisons, luxe des bains : un pays digne d’Aphrodite et de son fils l’Archer ; si l’on s’avance, on voit de chaque côté de la route, abondance de vignobles, belles maisons, roseraies, plantes de toutes espèces et ruisseaux : l’un vous attire d’un côté, l’autre d’un autre et, au milieu de tant de plaisirs, voici que l’on arrive à la toute belle Daphné. Εὐθὺς μὲν ὑπερβάλλοντι τὰς πύλας ἐν εὐωνύμοις κήπων τε ποικιλία καὶ καταγωγῶν χάριτες καὶ κρηνῶν ἀφθονία καὶ δένδρεσιν οἰκίαι κρυπτόμεναι καὶ δένδρα ὑπεραίροντες θάλαμοι καὶ λουτρῶν πολυτέλεια, χῶρος Ἀφροδίτῃ πρέπων καὶ τῷ ταύτης υἱεῖ τῷ τοξότῃ. προϊόντι δέ σοι καθ’ ἑκατέραν τῆς ὁδοῦ πλευρὰν ἀμπελουργιῶν τε πλῆθος ὁρᾶται καὶ οἰκιῶν κάλλη καὶ ῥοδωνιαὶ καὶ φυτὰ παντοῖα καὶ νάματα, καὶ τὸ μὲν ἕλκει, τὸ δὲ ἀνθέλκει καὶ διὰ τοιαύτης ἡδονῆς ἐπὶ τὴν παγκάλην ἀφίξῃ Δάφνην22. 18. Julien, Misop., 20. 19. Lassus 1972 ; Cabouret 1999 ; sur l’utilisation des portiques comme lieu d’accueil des « pauvres », Brown 2002, p. 34. 20. Libanios, Or. 11, 267 ; Or. 16, 41 ; Or. 22, 6 et Or. 33, 35-37 ; Ammien Marc., XIV, 1, 9 : « une ville où la clarté des lumières nocturnes égale d’ordinaire l’éclat du jour ». 21. Libanios, Or. 11, 253. 22. Libanios, Or. 11, 234.
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Cette route qui monte à Daphné est donc présentée comme une voie qui mène par étapes aux plaisirs du faubourg (lieux, activités, loisirs) et la progression vers le lieu du sanctuaire s’apparente à un véritable rituel d’initiation. Aussi les hôtes qui y sont accueillis sont-ils particulièrement honorés… ou surveillés. Les exemples historiques jalonnent cette histoire du faubourg : Dion Cassius rappelle que le gouverneur Quintus Didius installa à Daphné des gladiateurs pro-antoniens qui étaient en errance après Actium et pouvaient se révéler dangereux. C’est là que Didius les cantonna, sans doute un moyen de les neutraliser en une sorte de « villégiatureprison », jusqu’à ce qu’Octave règle leur sort23 ! L’épisode le plus célèbre est sans doute celui du séjour de Germanicus à Antioche, le général résidant précisément à Daphné : c’est là qu’il tomba malade et mourut, récit célèbre narré par Tacite24. Ces événements ne sont que des contextes particuliers qui émergent pour nous de la documentation, mais il est certain que la mémoire de Daphné se nourrissait aussi de cette tradition de villégiature et d’hospitalité, à côté de son prestige religieux, et que Libanios peut broder sur un thème reconnu. Daphné représente donc la quintessence de l’hospitalité : le faubourg occupe un plateau, à environ 7 km au sud-ouest de la ville, qui s’élève à une altitude située entre 200 et 300 m au-dessus du niveau de la mer : on « monte » d’Antioche à Daphné et on « descend » de Daphné à Antioche25. La route de l’époque contemporaine reliant Antioche à Laodicée doit reprendre l’itinéraire antique. L’évocation idyllique de Libanios est confirmée par un passage du discours Pour les professeurs, datant vraisemblablement de 36126 : l’orateur y mentionne un vignoble appartenant à la cité, d’excellent rapport, situé à droite de la route de Daphné, le long du fleuve27, ce que confirment aussi des inscriptions, comme celles qu’a étudiées J. Aliquot. L’une d’elles signale un domaine de Kastor (ἐποίκιον Κάστορος)28. On peut aussi rappeler que le terme καταγωγή (littéralement « lieu de repos », « lieu où l’on descend ») désigne soit un asile au sens général, soit un lieu d’étape29 (donc une auberge), mais qu’il est appliqué, à l’époque tardive, à des demeures de prestige, en particulier les lieux de résidence des gouverneurs30. Le terme apparaît dans un autre discours qui offre également une énumération des charmes de Daphné : Tu pourrais toujours prétendre que notre Daphné, si belle, avec ses arbres, ses jardins, ses sources, ses résidences, est un lieu désagréable, tu ne triompheras pas de la vérité ! Tαύτην τὴν οὕτω καλὴν καὶ δένδρεσι καὶ κήποις καὶ πηγαῖς καὶ καταγωγαῖς ἀηδὲς εἶναι λέγοις χωρίον, περιέσῃ τῆς ἀληθείας31. 23. Dion Cassius, LI, 7 : καὶ τήν γε Δάφνην παρὰ τοῦ Διδίου τὸ τῶν Αντιοχέων προαάστειον ἐνοικεῖν… ἔλαβον. Voir Flavius Josèphe, B.J., I, 20. 24. Tacite, Ann., II, 83 : « fut élevé… un cénotaphe à Epidaphné où il avait terminé sa vie ». 25. Chrysost., Discours sur Babyl., 70, l. 12, l. 17 ; 72, l. 3. 26. Norman 2000, p. 67-68 ; Saliou 2016, Or. 11, 234. 27. Libanios, Or. 31, 20. 28. Aliquot 2016, n. 21 (voir carte p. 112) et p. 127-128 sur le témoignage de Libanios concernant les propriétaires. 29. Libanios, Or. 46, 19. 30. Sur ce sens chez Libanios, Or. 1, 115, 167 ; Or. 2, 8 ; Or. 22, 17 ; on le trouve également chez Évagre le Scolastique, H.E., VI, 8 : τῶν στρατηγῶν τὰ καταγώγια. Voir Cabouret 2016. 31. Libanios, Or. 4, 12.
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Là encore ce que désignent ces καταγωγαί reste ambigu : le terme peut renvoyer à des auberges « de charme » ou à des résidences privées, riches villas que documentent tant l’archéologie que d’autres évocations littéraires. Une lettre de Libanios évoque la villa d’Olympios qui se console de ne pas avoir d’enfant « par une merveille de maison (τῷ τῆς οἰκίας θαύματι) », remarquable par la « beauté de ses portiques et de ses fontaines »32. Mais surtout, Daphné est d’abord un sanctuaire et le lieu d’asile qu’il représente découle de cette fonction sacrée. Les espaces sacrés sont prévus pour accueillir des foules nombreuses venues en pèlerinage dans le cadre des grandes panégyries, comme celles des Olympia de 356. Ce peuvent être aussi des célébrations cultuelles plus modestes, mais quotidiennes, ce qui fait que l’affluence est permanente. Le bois sacré qui abritait le sanctuaire d’Apollon était en tout cas un lieu à la fois très fréquenté et éminemment protégé jusqu’à l’époque tardive33. La protection des dieux sur Daphné qui fait écho à la protection des immortels sur Antioche (« depuis l’origine notre pays est aimé des dieux »34) est aussi le couronnement des bénédictions du lieu. Le discours est donc construit en miroir, la description des merveilles de Daphné répondant aux agréments d’Antioche, de même que la ville est encadrée par la montagne, le fleuve et la mer et réalise la synthèse du meilleur environnement possible. À l’harmonie de la configuration géographique répond l’harmonie du discours, exigence fondamentale de l’éloge. Ainsi les ressources disponibles et les accès ouverts à tous, hommes, produits, idées, influences, font qu’Antioche concentre tout ce qu’il est loisible de posséder. La description libanienne présente Antioche comme un microcosme qui est l’image même du macrocosme : les produits de la terre, de l’eau35, de l’air sont ainsi offerts à profusion, comme déversés par une énorme corne d’abondance ou corne d’Amalthée (image d’ailleurs employée par le rhéteur lui-même). Derrière cette terre bénie d’Antioche se profile l’image paradigmatique du royaume des Phéaciens qui est le modèle du « paradis » terrestre où tout est disponible tout au long de l’année dans une éternelle profusion… Le jardin d’Alcinoos décrit par Homère36 jouit, comme Daphné, du souffle d’une douce brise, de sources et d’une végétation abondante et variée, et notamment d’une vigne37. La géographie de Libanios est autant une géographie culturelle qu’une description du « réel ».
32. Libanios, Ep. 660, 3-4 ; Morvillez 2007 ; Martz 2015. 33. CJ, XI, 78, 1 et 2 sur le bois sacré de Daphné ; voir Cabouret à paraître. 34. Libanios, Or. 11, 64. 35. Antioche bénéficie de trois sources d’approvisionnement en poisson : la mer, le lac, le fleuve. L’auteur de l’Expositio totius mundi fait la même remarque à propos d’Alexandrie, en signalant qu’il s’agit d’un trait exceptionnel (Expos. mundi 35) et Libanios a pu vouloir rivaliser avec la mégapole égyptienne. Voir Saliou 2016, Or. 11, 259 n. 1, qui fait remarquer que des poissons différents, plus ou moins raffinés, alimentent des tables variées dans une subtile distinction sociologique. 36. Od., VII, 112-131. 37. Libanios fait allusion à plusieurs reprises aux « jardins d’Alcinoos » : Or. 13, 18 ; Or. 18, 225 ; Ep. 1257, 2.
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Une longue histoire d’accueil et de philanthropie Libanios reconstruit également l’histoire d’Antioche et cette reconstruction répond à des objectifs divers. On peut montrer que c’est une histoire d’hospitalité emboîtée. En effet le site d’Antioche a d’abord été accueillant à des personnages ou à des groupes venus de Grèce, ce qui a le mérite d’anoblir les origines de la cité. Les habitants de la ville qui s’est constituée et a grandi ont ensuite manifesté ces valeurs d’hospitalité tout au long de leur histoire. Libanios après avoir présenté les différents atouts d’Antioche, la « nature du sol », la « douceur des saisons » et la « situation par rapport à la mer », annonce un exposé plus détaillé sur « la noblesse de naissance » des occupants du pays : il introduit ainsi le thème de l’εὐγενεία. Cette « bonne naissance » est celle de ceux qui ont choisi de vivre sur ce site, les fondateurs, et elle devient par métonymie celle de la cité tout entière. La revendication de l’εὐγενεία est un lieu commun de l’éloge tant pour les hommes que pour les cités. Libanios signale incidemment qu’il existait sur le site d’Antioche un établissement humain qui avait précédé les premières communautés grecques issues de migrations : « quand ils (Triptolème et ses compagnons) abordèrent enfin cette terre, ils montèrent sur les hauteurs en quête de ses habitants, en vérité peu nombreux, et se dirigeant vers les maisons, frappèrent aux portes… »38. La présence de ces premiers occupants permet d’introduire le « motif de la vertu d’hospitalité des habitants d’Antioche » qui scande ensuite tout le discours39. En effet, poursuit l’orateur, comme ils avaient trouvé là un accueil hospitalier et conçu un certain amour pour le pays, ils en firent le terme de leur navigation, abandonnant l’élan de leur recherche pour le repos, renonçant au dessein qui les avait fait s’élancer et donnant à la terre qu’ils admiraient plus de prix que le but pour lequel ils avaient embarqué. τυχόντες δὲ ξενίων καί τινα πόθον πρὸς τὴν γῆν λαβόντες τοῦτο πέρας ἐποιήσαντο τοῦ πλοῦ μεταστήσαντες τὴν τῆς ζητήσεως σπουδὴν ἐπὶ τὴν μονήν, ἐφ’ ὃ μὲν ἠπείγοντο, τοῦτο ἀφέντες, ἣν δὲ ἐθαύμασαν γῆν ἐντιμοτέραν θέμενοι τοῦ σκοποῦ, καθ’ ὃν ἐξέπλευσαν40.
Triptolème, Cassos et Héraclès sont les héros que leur quête ou leur errance ont conduits vers le site de la future Antioche. Ces héros itinérants font ainsi éclore des cités et symbolisent les apports grecs successifs qui garantissent la noblesse de leurs origines. La référence à divers fondateurs prestigieux est le propre de ces légendes étiologiques : Triptolème donc jeta les premières bases de la cité, puis disparut ; ses mérites lui valaient d’être compté parmi les héros ; mais la divinité qui avait eu le dessein de fonder la cité, voulant l’accroître par l’apport des meilleurs peuples, fit partir de Crète Casos, un homme de qualité, et le conduisit jusqu’ici, suivi de l’élite des Crétois.
38. Le rhéteur rappelle cette présence d’habitants « autochtones » dans l’Or. 20, 42 et l’Or. 21, 28. Downey 1961, p. 52-53, suggère que des établissements commerciaux ou des lieux d’étape ont pu en effet occuper le site. 39. Saliou 2016, Or. 11, 53, 164, 174. Sur les premiers habitants : Libanios, Or. 21, 28. 40. Libanios, Or. 11, 47.
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Τριπτόλεμος μὲν οὖν τὰς πρώτας ὑποθέσεις βαλόμενος τῇ πόλει μεθίσταται καὶ διὰ τῶν τιμῶν ἐν τοῖς ἥρωσιν ἠριθμεῖτο· θεὸς δὲ ᾧ κατὰ νοῦν ἡ πόλις κατεσκευάζετο, βουλόμενος αὐτὴν ἐκ τῶν ἀρίστων αὐξῆσαι γενῶν κινεῖ Κάσον ἐκ Κρήτης, ἄνδρα ἀγαθόν, καὶ δεῦρο ἄγει, τῷ δὲ ἄρα εἵπετο Κρητῶν τὸ δοκιμώτατον41.
Triptolème, l’Argien cher à Déméter, est le héros initiateur et fondateur par excellence. L’introduction des Crétois assume quant à elle une fonction particulière. La parenté affirmée avec la Crète donne des lettres de noblesse42 à la fondation séleucide, dynastie qui revendiquait elle-même une origine crétoise43. À leur arrivée ils trouvèrent les Argiens mieux disposés que leurs compatriotes. En effet Minos, dans sa haine jalouse, les avait chassés, tandis que les Argiens les accueillaient avec bienveillance (ἀσμένως ἐδέχοντο) : ils partagèrent (μετέδοσαν) avec eux la cité, la terre et tout ce qu’ils possédaient.
L’opposition entre l’expulsion que le roi crétois jaloux avait ordonnée et l’hospitalité généreuse des fondateurs argiens sert à valoriser les hôtes, donc les ancêtres des Antiochiens. Mais surtout elle appelle une autre opposition qui relève d’une référence littéraire célèbre : l’éloge d’Athènes par Périclès chez Thucydide. Notre ville, en effet, est ouverte à tous (τήν τε γὰρ πόλιν κοινὴν παρέχομεν) et il n’arrive jamais que, par des expulsions d’étrangers (ξενελασίαις), nous interdisions à quiconque une étude ou un spectacle, qui, en n’étant pas caché, puisse être vu d’un ennemi et lui être utile44.
La vertu d’accueil des Athéniens, qui devient ensuite un lieu commun de l’éloge de la cité, s’oppose à la xénophobie et aux xénélasies45 qui auraient caractérisé la cité de Sparte. Tout l’éloge de l’idéal athénien se développe en effet en contraste avec la cité rivale. Dans le récit des origines d’Antioche, la comparaison entre l’hospitalité d’Athènes et celle d’Antioche est d’autant plus pertinente que le dernier groupe qui contribue au prestige des origines est justement celui des Athéniens46. Voyons maintenant si elle a préservé aussi les autres qualités des Athéniens qu’elle a reçus comme fondateurs. Sans doute le plus grand éloge qu’on puisse leur adresser est qu’ils ouvrirent un refuge commun aux hommes privés de leur patrie et que des étrangers venus de toute part affluèrent à Athènes47.
41. Libanios, Or. 11, 52. 42. Saliou 1999-2000, p. 361-363 ; Saliou 2016, Or. 11, 53. 43. Peut-être y eut-il réellement une migration crétoise à l’époque hellénistique ; en tout cas l’origine crétoise peut encore être invoquée à l’époque tardive comme une source de fierté. Saliou 2016, Or. 11, 47 et 53. 44. Thucyd., II, 39, 1. 45. Xénophon fait remonter l’institution de la xénélasie au législateur Lycurgue et explique que cette mesure s’accompagnait aussi de l’interdiction faite aux citoyens de sortir de la cité pour éviter de subir une influence extérieure néfaste : République des Lacéd., 14, 4. Athènes, terre d’asile : voir Isocrate, Panég., 41 ; Aelius Arist., Panath., 56. 46. Voir aussi Libanios, Or. 15, 79 : « la cité qui comporte un élément athénien… ». 47. Libanios, Or. 11, 163-164.
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Ainsi la cité d’Antioche, modèle de l’accueil, tire-t-elle de ses nobles origines et de ses nobles fondateurs une garantie d’excellence, comme le résume Libanios : « L’élite de tous ces peuples afflua jusqu’ici comme vers un lieu choisi par les dieux pour recevoir des hommes dignes d’être vénérés »48. Les qualités du lieu le prédisposent à accueillir des hommes d’exception qui y font souche et incarnent ces mêmes valeurs, génération après génération. La protection divine est un topos du genre : là encore s’impose l’exemple d’Athènes et ses thuriféraires les plus célèbres, Isocrate, mais surtout pour la période ici considérée Aelius Aristide49. Qui plus est à Antioche les dieux s’accordent et connaissent une harmonie qui est la condition même d’un discours réussi, car c’est l’harmonie du discours qui compte avant tout, on l’a rappelé. Il n’y a pas d’éloge réussi sans un sujet lui-même harmonieux et sans un profond respect des dieux : « les dieux ont éprouvé de l’amour pour nous sans qu’il y eût de guerre entre eux »50. Il paraît difficile de vérifier le récit de Libanios au sujet de ces apports successifs de peuplement et l’on peut être tenté de rattacher ces migrations successives à des légendes étiologiques ou visant à expliquer les toponymes (Cassios, Héracléis / Héracléia51 sont des noms de lieux à Antioche et Daphné, voire, pour Heracléis, le nom de Daphné même52). Le peuplement était vraisemblablement mélangé, à partir d’un fonds araméen et d’autres peuples orientaux (en particulier assyriens) auxquels s’ajoutèrent sans doute des éléments grecs qui occupèrent le site et ses abords. La dernière occurrence du thème de l’hospitalité apparaît à la fin de la première partie du discours : Ainsi la population de notre cité convient bien à notre terre et la nature de notre terre à notre population. Grâce à cette nature, nous n’avons jamais été forcés d’outrager Zeus Xénios par notre dureté envers les étrangers, malgré l’exemple de Rome qui transforme en abondance la rareté des denrées nécessaires par l’expulsion des étrangers chaque fois que ce malheur lui arrive. οὕτω τῇ τε γῇ πρέπων ὁ ὄχλος ὁ παρ’ ἡμῖν τῷ τε ὄχλῳ τῆς γῆς ἡ φύσις, δι’ ἣν οὐδεπώποτε τὸν Ξένιον ἠναγκάσθημεν ἀδικῆσαι Δία διὰ τῆς περὶ τοὺς ξένους ὠμότητος, καίτοι τὸ παράδειγμα τῆς Ῥώμης ἔχοντες, ἣ τὴν τῶν ἀναγκαίων σπάνιν, ἡνίκα ἂν τοῦτο συμπέσῃ, τῇ τῶν ξένων ἐλάσει πρὸς ἀφθονίαν μεθίστησιν53.
Le culte de Zeus Hospitalier (Xénios) est bien attesté dans le monde grec, de l’Attique à l’Asie Mineure. Zeus Xenios apparaît souvent dans la littérature depuis Homère : garant du droit et protecteur des faibles, Zeus prend sous son patronage les suppliants et les étrangers54. Après le parallèle avec Athènes qui appelait l’opposition avec Sparte, vient la seconde allusion du discours à Rome, péjorative. Libanios 48. Libanios, Or. 11, 57. 49. Isocrate, Panég., 29 ; Aelius Aristide, Panath., 33-46. 50. Libanios, Or. 11, 66-67. 51. Les toponymes dérivés du nom d’Héraclès sont fréquents dans la région : Saliou 19992000, p. 365, n. 30. 52. Malalas, 8, 19. 53. Libanios, Or. 11, 174. 54. RE XV, s.v. « Zeus I », col. 341 [Schwabl] ; RE Suppl. XV, s.v. « Zeus II », col. 1028 [Schwabl].
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présente celle qu’il appelle par ailleurs « la ville des maîtres » comme un modèle d’égoïsme. Sur quels faits peut-il fonder son verdict ? Les sources littéraires ont conservé des souvenirs d’épisodes où les crises de subsistance avaient obligé l’État romain à expulser des pérégrins55 ou certaines catégories d’étrangers. Même si des expulsions d’étrangers ont effectivement dû exister à Rome, le récit des origines de la cité d’Antioche s’inscrit ici dans un parallèle avec Athènes face à Sparte / Rome et c’est donc surtout une réminiscence littéraire – avec les termes τῇ τῶν ξένων ἐλάσει à rapprocher des ξενελασίαις - qui oriente la comparaison. Une autre opposition court à travers toute l’œuvre du sophiste, celle qui met en balance Constantinople et Antioche. À partir d’une appréciation personnelle et d’une expérience vécue – Libanios a très mal supporté son séjour à Constantinople comme professeur, au début de sa carrière –, le rhéteur transfigure l’image de la ville-capitale, qui devient le lieu de tous les vices et de tous les excès. La mégapole, qu’il ne cite jamais par son nom mais désigne toujours par une périphrase – suprême mépris –, profite honteusement de sa position de centre du pouvoir : c’est « une ville alourdie de voluptés » que cette « ville de Thrace qui s’engraisse des sueurs des autres villes ! »56. Sa géographie l’y prédispose : le climat de Thrace est froid et la ville battue des vents. Sa position sur le Bosphore l’entretient dans ses vices : « la grande ville tire son luxe du Bosphore »57. La réputation d’hospitalité d’Antioche que Libanios célèbre et que la nature de ses habitants comme les atouts de son environnement autorisent n’est cependant pas reconnue par tous. Ainsi l’empereur Julien, dont on sait les rapports difficiles avec Antioche, fait entendre une voix discordante dans le Misopogon ou « Ennemi de la barbe »58. C’est dans une lettre au grand-prêtre païen Théodore qu’il engage son clergé païen à manifester concrètement la même philanthropie que les chrétiens dont il reconnaît la pratique des vertus d’accueil et d’entraide59. Nous invoquons Zeus Hospitalier et nous sommes plus inhospitaliers que les Scythes !60
55. En 6 apr. J.-C., Auguste, lors d’une crise de ce type, avait expulsé les étrangers de Rome : Suet., Aug., 42, 4 ; Dion Cassius, LV, 26, 1. Cette pratique est attestée pour la période républicaine. Elle n’était pas rare non plus à l’époque impériale : Moatti 2000. 56. Libanios, Or. 1, 48 et 278 (trad. Petit). Voir Petit 1955, p. 167-169. 57. Libanios, Or. 1, 215. Libanios cherche par tous les moyens à obtenir son exeat pour rentrer à Antioche : il doit faire appel à de puissants appuis et à des médecins car la ville est nuisible à sa santé : « des médecins… expliquèrent que l’air de chez vous soulageait mes maux de tête et que celui de chez eux (= Constantinople) leur était mauvais (ἐχθρὸς δὲ ὁ παρ᾽ ἐκείνοις [ἀήρ]) », Libanios, Or. 1, 94. 58. Quand Julien reproche aux habitants d’Antioche de mal accueillir les « étrangers », il s’agit en fait surtout des troupes, dont des contingents barbares, qui l’accompagnent en prévision de son expédition perse. Et il oppose à cette mauvaise volonté sa propre politique : « je me faisais une obligation absolue de prêter assistance au peuple, comme aux étrangers venus ici à cause de moi ». Misop. 42 = 370 b. On devine que les Antiochéens supportaient mal cette présence de la soldatesque stationnée pendant des mois. 59. Julien, Ep. 84 à Arsace : ἡ περὶ τοὺς ξένους φιλανθρωπία. 60. Julien, Ep. 89, 291 b, à Théodore, grand-prêtre.
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Julien applique cet idéal de l’accueil à son programme de restauration et de philanthropie païennes. Les prêtres doivent prodiguer l’assistance et pratiquer l’hospitalité : Établis dans chaque cité de nombreux établissements d’accueil (xenodocheia) afin que les étrangers aient à se louer de notre humanité, non seulement ceux qui sont des nôtres, mais tous les autres aussi s’ils en ont besoin61.
Cela permet d’évoquer in fine l’accueil chrétien qui esquisse une nouvelle géographie de l’accueil et un nouveau maillage du territoire, de même que les églises créent de nouveaux pôles urbains. Mais leur histoire est relayée par d’autres porteparoles, les Pères de l’Eglise et les auteurs ecclésiastiques. Ainsi la géographie et l’histoire d’Antioche sont-elles reconstruites par Libanios au service d’une démonstration qui relève éminemment de la paideia dans le sens où elle prétend aussi inculquer des valeurs morales. Elles expliquent étiologiquement la vertu d’hospitalité que manifeste Antioche et qui la place bien au-dessus de ses grandes rivales, Constantinople et Alexandrie, sans parler de Rome. Antioche est une véritable « panégyrie », un gigantesque lieu d’accueil, une demeure ouverte aux étrangers et un lieu d’asile. Mais les circonstances du discours expliquent aussi le propos : il est prononcé à Antioche même, lors des concours olympiques, qui sont un concours de type athlétique, donc de tradition éminemment grecque. Le sophiste se doit, face à la foule et aux représentants des cités et des provinces de tout l’Empire, de défendre ce qui fait la condition même d’une panégyrie réussie, la qualité de l’accueil de la cité-mère des concours, au sein d’un discours qui est lui-même un modèle de philanthropie, de réconciliation et d’harmonie.
Bibliographie Sources Libanios [2016] Œuvres III, Or. 11, Antiochicos, éd. M. Casevitz, trad. O. Lagacherie et M. Casevitz, annoté par C. Saliou et M. Casevitz (CUF), Paris. Ménandre le Rhéteur [1981] Menander Rhetor, ed. with translation and commentary by D. A. Russell and N. G. Wilson, Oxford. Études Aliquot (J.) 2016 « Le domaine d’Untel. Toponymie et propriété foncière dans le ProcheOrient romain et protobyzantin », dans F. Lerouxel, A.-V. Pont (dir.), Propriétaires et citoyens dans l’Orient romain (Scripta Antiqua, 84), Bordeaux, p. 11-138. 61. Julien, Ep. 84.
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L’apport des écrits apocryphes sur les apôtres à la constitution d’une géographie chrétienne du sacré dans l’Antiquité tardive Amaury Levillayer
(Université Laval, Québec, Groupe de recherche sur le christianisme et l’Antiquité tardive)
Abstract As Maurice Halbwachs has shown, the Church has not retained its past: it has reconstructed it using data from the present. In this perspective, our text seeks to ensure that one of the functions of the apocryphal writings on the Apostles is well to account, retrospectively, of the progress of the Christian movement from its own patterns of thought, while nevertheless depending more or less on the ethnogeographic knowledge of the era. In other words, it is to show that this heterogeneous literature, Apocryphal Acts and Ancient Catalogues of Apostles and Disciples, bears witness to an original attempt to elaborate a Christian geography of the sacred in Late Antiquity. Résumé Comme l’a montré Maurice Halbwachs, l’Église n’a pas conservé son passé : elle l’a reconstruit à l’aide de données du présent. Dans cette perspective, notre texte ambitionne de vérifier que l’une des fonctions des écrits apocryphes sur les apôtres est bien de rendre compte, a posteriori, des progrès du mouvement chrétien à partir de ses propres schémas de pensée, tout en dépendant néanmoins plus ou moins des savoirs ethnogéographiques de l’époque. En d’autres termes, il s’agit de montrer que cette documentation hétéroclite, Actes apocryphes et catalogues anciens d’apôtres et de disciples, témoigne d’une tentative originale pour élaborer une géographie chrétienne du sacré à l’époque tardo-antique.
Dans ce texte, nous allons traiter du motif apocryphe de la diuisio apostolorum à partir d’une documentation méconnue, en partie inédite, les catalogues anciens d’apôtres et de disciples, et la façon dont il contribue à la structuration des représentations du temps et de l’espace des lettrés chrétiens. L’hypothèse est que les écrits apocryphes sur les apôtres en général, et les catalogues anciens en particulier, permettent de penser, a posteriori, les progrès ethnogéographiques de l’évangélisation de l’œkoumène, et de l’inscrire durablement dans le souvenir de la communauté des chrétiens, entre Antiquité et Moyen Âge. En effet, en raison de la diversité de la matière qu’elles recyclent, des processus mémoriels qu’elles mobilisent et de l’interaction qu’elles génèrent avec la norme (les textes appelés canoniques), les littératures dites Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 259-277
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apocryphes ont eu un impact durable sur l’organisation de la mémoire culturelle des chrétiens, fournissant les bases d’une mythologie chrétienne comparable à celles étudiées, pour d’autres sociétés, par Georges Dumézil, Claude Lévi-Strauss ou Marcel Detienne : c’est-à-dire un ensemble de « traditions relatives aux origines d’une même communauté qui a besoin de se raconter et d’adapter, d’une époque à l’autre, le récit de ses origines »1. En étudiant les catalogues anciens d’apôtres et de disciples sous l’angle proposé ici, il s’agit donc, pour paraphraser Jan Assmann2, d’examiner comment le groupe social des chrétiens se souvient d’un point de vue ethnogéographique, et quelle image de lui-même il construit en se livrant à ce souvenir. Après avoir précisé ce que nous entendons par diuisio apostolorum, nous présenterons brièvement cette documentation atypique que sont les catalogues anciens d’apôtres et de disciples avant de rendre compte de leur apport à la constitution d’une géographie chrétienne du sacré dans l’Antiquité tardive.
Qu’est-ce que la divisio apostolorvm ? On désigne par diuisio apostolorum ou « dispersion des apôtres » tout ce qui se rapporte au partage du monde (réunion, tirage au sort), à son évangélisation (envoi et réalisation de la mission), à l’éventuelle fondation de sanctuaires par les apôtres, ainsi qu’à leur mort et à leurs tombeaux. Cette dénomination est devenue d’usage courant chez les historiens, notamment chez ceux qui s’intéressent aux problèmes de la spatialisation du sacré au Moyen Âge, tels Michel Lauwers3 et Dominique Iogna-Prat4. La diuisio apostolorum est un thème apocryphe qui traverse la littérature et les arts chrétiens antiques et médiévaux : pensons aux ampoules à eulogie de Monza datant du vie siècle, à la mappemonde illustrant le Commentaire sur l’Apocalyspe de Beatus de Liebana de la fin du viiie siècle ou aux programmes iconographiques de deux églises rupestres de Cappadoce datant des ixe-xe siècles. Plus ou moins développée chez des auteurs renommés (Origène / Eusèbe, Jérôme, Grégoire de Nazianze, Gréoire de Nysse, Rufin d’Aquilée, Théodoret de Cyr, Isidore de Séville, etc.), axe central des Actes dits apocryphes, la diuisio apostolorum trouve, dans une documentation singulière, les catalogues anciens d’apôtres et de disciples, l’une de ses expressions les plus fécondes. Par apocryphe, nous voulons simplement signifier qu’il s’agit d’un thème amorcé dans le Nouveau Testament (les douze apôtres, les soixante-dix ou soixante-douze disciples, l’envoi en mission) qui se développe hors de son champ narratif originel. Un sous-continent apocryphe Si pour l’un de ses principaux arpenteurs, feu Jean-Claude Picard, la littérature apocryphe est un immense « continent », on peut affirmer qu’avec les catalogues anciens d’apôtres et de disciples, nous avons affaire à un véritable sous-continent.
1. Picard 1999, p. 259. 2. Assmann 2010, p. 16. 3. Lauwers 2005, p. 183-186. 4. Iogna-Prat 2006, p. 71.
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De quoi s’agit-il ? Que sont donc ces catalogues qu’on désigne de façon sibylline : côté grec Anonyme I (ve-vie siècles), Anonyme II ou Index syro-graecus (ive siècle), Pseudo-Épiphane (fin ive-début ve siècle), Pseudo-Dorothée/Procope (fin vie siècle), etc., côté latin DOOPA (De ortu et obitu prophetarum et apostolorum, ve siècle), Bréviaire des apôtres (fin vie-début viie siècle), DOOP1 (en réalité le De ortu et obitu patrum d’Isidore de Séville, vers 598-615), DOOP2 (le De ortu et obitu patriarcharum et apostolorum du Pseudo-Isidore, seconde moitié du viiie siècle), etc ? La première image qui s’impose est celle d’un Who’s who biblique. Le Nouveau Testament foisonne de personnages, près de deux cents au total. Parce qu’ils ont côtoyé Jésus, les XII et les LXX(II) disciples comptent, pour les croyants, parmi les figures les plus importantes. Or elles demeurent, pour la majorité d’entre elles, inconnues. Cet anonymat dans lequel les Écritures ont laissé ces intimes de Jésus ne pouvait, à terme, satisfaire les fidèles. La curiosité : c’est d’emblée ce qui peut expliquer le succès des premières listes qui ont rompu le silence scripturaire, au bout de plus de trois cents ans d’existence du mouvement tout de même. Parler de « catalogue anciens d’apôtres et de disciples » est une simplification dans la mesure où il s’agit en réalité de l’association de deux structures textuelles sensiblement différentes sur le fond et la forme, selon qu’elles concernent les apôtres ou les disciples. Dans le premier cas, il s’agit d’une douzaine de notices biographiques plus ou moins étoffées qui renseignent sur la naissance de l’apôtre, éventuellement sa parentèle, la ou les régions d’évangélisation qui lui sont attribuées, le lieu voire la manière de sa mort, et parfois la date à laquelle son souvenir est célébré. Dans le second cas, en suivant l’Évangile selon Luc5, il s’agit de 70 à 72 items numérotés, indiquant à chaque fois le nom du disciple, au minimum. Les manuscrits grecs de l’Évangile selon Matthieu privilégient la leçon de LXX, les recensions latines celle de LXXII6, ce clivage numérico-linguistique, apparemment indépassable7, se retrouvant dans l’ensemble des textes que nous avons traités. Pour parvenir au nombre attendu de LXX(II) disciples, les compilateurs ont, dans le cas général, relevé dans le Nouveau Testament les noms des personnes de sexe masculin8 qui figurent dans l’entourage des apôtres, Paul inclus, et dans les saluts par lesquels les épîtres s’achèvent. Parfois, ils sont énumérés dans l’ordre même où les textes les présentent, comme dans le catalogue de la Chronique pascale (premier tiers du viie siècle). Le cas échéant (Pseudo-Épiphane, Pseudo-Dorothée / Procope, Pseudo-Hippolyte), à chacun est attribué un siège épiscopal déterminé, le plus souvent en dehors de toute tradition, l’arbitraire semblant être la règle. Ajoutons que, pour parvenir au nombre des LXX(II), lequel constitue en théorie une limite absolue, les compilateurs usent de tous les
5. Luc 10, 1 ; 17. 6. Un nombre déjà consacré par les traditions bibliques : les soixante-douze peuples noachiques (Genèse 10) ou les soixante-dix anciens accompagnant Moïse, plus les deux absents restés au camp (Nombres 11, 25-26). 7. Son éventuelle origine astrologique a depuis longtemps été soulignée puisque, selon les systèmes assyriens et chaldéens, il y aurait 70 ou 72 degrés qui divisent le cercle du ciel. 8. Les exceptions sont extrêmement rares dans les catalogues latins et grecs que nous connaissons. Cependant, il existe dans la tradition arménienne des séries mettant en avant des femmes martyres : voir Esbroeck 1994.
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artifices possibles, doublant ou retranchant les noms si nécessaire. On peut y voir, comme beaucoup de philologues, les œuvres de faussaires malhabiles ; on peut aussi les considérer, et c’est notre position, comme une performance savante9 qui s’inscrit dans une entreprise plus vaste consistant, comme l’a montré Bruce Metzger10, à désanonymiser le Nouveau Testament, ce qui est la marque d’une mise à distance des Écritures et, in fine, de leur appropriation intellectuelle. D’une manière générale, les catalogues apparaissent au ive siècle, en grec et, peut-être simultanément, en syriaque, avant d’être traduits, dès le ve siècle, en latin. Ils ont connu une grande diffusion tant en Orient qu’en Occident. L’un des derniers témoins, qui marque en même temps la genèse de nouvelles traditions spécifiquement latines, est le fait de l’inquisiteur Bernard Gui, à la fin du premier tiers du xive siècle, rédacteur d’un Traité sur les LXXII disciples et sur les apôtres, qui intègre judicieusement les reliques trouvées en Terre Sainte depuis le début des croisades. Les catalogues ont longtemps eu mauvaise presse, y compris chez certains apocryphologues. Le jugement sévère de Louis Duchesne, fin connaisseur des listes épiscopales11, a dû détourner l’attention de plus d’un historien : « Une critique sage et prudente a ainsi pour premier devoir de ne tenir aucun compte de ces catalogues et de leurs diverses recensions. Tout ce qu’ils représentent de tradition est connu par des documents antérieurs, de valeur inégale, mais plus autorisés par leur âge ; tout ce qu’ils ont de particulier peut et doit même être considéré comme le produit de l’imagination de personnes inconnues, incapables de témoigner, même en fait de tradition populaire. Ils sont à l’histoire apostolique ce que sont les Fausses Décrétales à l’histoire des papes, c’est-à-dire l’équivalent de rien »12. Il faut dire que la dimension véritablement chaotique de la tradition manuscrite, liée au contenu lui-même (des énumérations de noms propres : noms d’apôtres, de disciples, de toponymes), n’a pas beaucoup aidé. Et si les grandes traditions catalogiques ont pu être identifiées, il reste encore beaucoup à faire au plan philologique – notamment dans le domaine latin – et il va falloir patienter pour disposer d’une édition critique, prévue au sein du Corpus Christianorum Series Apocryphorum13. Intertextualité Revenons à la diuisio apostolorum. L’une des plus anciennes occurrences liée à la répartition des champs de la mission apostolique se trouve chez Eusèbe de Césarée, 9. En termes de performance, il faut les rapprocher, au moins au niveau de la structure et du matériau, des litanies des saints qui prennent la forme d’un échange parlé ou chanté (demandes d’intercession auprès des saints qui sont invoqués successivement) entre le clergé et les fidèles, durant un office. Probablement apparues à Antioche au ive siècle, les litanies ont fini par être adoptées par l’Église byzantine. L’un des plus anciens témoins occidentaux de ce genre est la prière litanique du pape Gélase (fin ve siècle). Toutefois, à l’instar des listes épiscopales, nous n’avons aucune indication quant à un usage liturgique des catalogues d’apôtres et de disciples. 10. Metzger 1970. 11. On lui doit une somme en trois volumes sur les fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule. 12. Duchesne 1895, p. 78. 13. Pour un état des lieux du travail en cours, voir, pour le domaine grec, Guignard 20122013 et, pour le domaine latin, l’introduction de Dolbeau 2012.
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en Histoire ecclésiastique, III, 1, 1-3, qui cite un passage des Commentaires sur la Genèse d’Origène (vers 230) : Donc les affaires des Juifs en étaient là. Quant aux saints apôtres et disciples de notre Sauveur, ils étaient répandus sur toute la terre habitée. Thomas, comme cela est contenu dans la tradition, reçut en partage le pays des Parthes, André la Scythie, Jean l’Asie : il y vécut et mourut à Éphèse. Pierre paraît avoir prêché aux Juifs issus de la dispersion dans le Pont, la Galatie, la Bithynie, la Cappadoce et l’Asie ; finalement, il vint à Rome et fut crucifié la tête en bas, après avoir lui-même demandé à souffrir ainsi. Que dire de Paul qui, depuis Jérusalem jusqu’à l’Illyrie, a accompli l’évangile du Christ et qui finalement rendit témoignage à Rome sous Néron ? C’est là ce qu’Origène dit textuellement dans le troisième tome du Commentaire sur la Genèse.
Ce passage a fait couler beaucoup d’encre, notamment chez les philologues et historiens allemands (R. A. Lipsius et A. von Harnack) parce qu’on ne sait pas où commence la citation d’Origène par Eusèbe. De plus, on ne connaît pas le contexte de l’énoncé chez Origène puisqu’on ne possède que des fragments de son Commentaire sur la Genèse. Éric Junod, qui a consacré un article à ce problème, suppose qu’il s’agissait d’une allégorie sur les apôtres comme lumière du monde. En revanche, chez Eusèbe, ce passage intervient à la suite de l’évocation de la guerre entreprise par les juifs contre les Romains (66-73). Puis après avoir rapporté le texte d’Origène, Eusèbe relate l’épiscopat romain de Lin. Il est ensuite question de l’authenticité des lettres des apôtres, puis de la première succession de ceux-ci. Pour Éric Junod, l’ensemble de la séquence sur les zones missionnaires serait d’Origène et ce dont il conviendrait de discuter, dès lors, c’est de la nature et de l’ancienneté de la tradition (παράδοσις) dont l’Alexandrin parle14. Notons enfin, sans qu’on puisse établir un quelconque rapport de causalité, que les cinq apôtres mentionnés dans la citation d’Origène sont les premiers à avoir reçu des Actes. Nous entrevoyons cependant d’autres liens entre l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe (vers 300-325) et les écrits apocryphes sur les apôtres, et en particulier avec les catalogues anciens d’apôtres et de disciples. Outre leur proximité chronologique (la plus ancienne forme d’Anonyme I, d’Anonyme II, voire du Pseudo-Épiphane, remonterait au ive siècle), trois aspects paraissent ressortir : - le principe directeur d’abord, qui caractérise une institution soucieuse de s’inscrire durablement dans le paysage social et mental de son temps : en se focalisant uniquement sur les origines du mouvement et en valorisant les figures et les lieux premiers, Eusèbe ainsi que les compilateurs témoignent, pour reprendre les mots de Sébastien Morlet, d’une volonté de remonter au principe fondateur, Jésus15 ; - les visées historiographiques ensuite. Eusèbe écrit l’histoire de la nation (ἔθνος) chrétienne. Mais en l’inscrivant dans l’œkoumène et en rapportant les événements qui s’y déroulent jusques en ses confins, c’est également une géohistoire universelle qu’Eusèbe écrit, censée concerner « tous les autres hommes, toutes les nations de la terre »16. Mais cette universalité n’est pas un programme : c’est une donnée dudit programme, c’est-à-dire qu’elle est fondée dès le commencement et structurellement. Or cette universalité est consubstantielle à l’ensemble de 14. Junod 1981. 15. Morlet 2006, p. 61. 16. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, I, 2, 23.
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la tradition catalogique : la géographie apostolique que les compilateurs déploient dans les traditions grecques et latines s’étend en effet sur les trois parties du monde connu, Asie, Europe et Libye. Nous allons y revenir ; - Le contenu enfin : comme on vient de le voir, Eusèbe se fait l’écho de la répartition des champs de la mission apostolique. De même, l’idée de la transmission ininterrompue de la tradition depuis les apôtres jusqu’aux évêques constitue la trame de l’Histoire ecclésiastique ; du côté des catalogues, la succession apostoloépiscopale est également centrale, mais davantage affirmée au niveau du groupe des LXX, un groupe au sujet duquel Eusèbe écrit : « Les noms des apôtres du Sauveur sont bien connus de tout le monde par les Évangiles. En revanche, la liste des soixante-dix ne nous est transmise nulle part »17. Pour Eusèbe, les LXX ont constitué l’un des premiers groupes de croyants autour de Jésus, différent des collaborateurs de Paul dont il donne quelques noms : Timothée, Tite, Luc, Crescens, Lin, Clément, Denys l’Aréopagite18, Quadratus et les filles de Philippe19, ou encore Pantène20. Leur nombre total n’est pas précisément connu d’Eusèbe : Combien Pierre et Paul eurent de disciples et lesquels parmi eux devinrent véritablement assez zélés pour être jugé capables, après épreuve, d’être les pasteurs des Églises fondées par les apôtres, il n’est pas facile de le dire, à l’exception de tous ceux dont on peut recueillir les noms dans les écrits de Paul. Un très grand nombre d’entre eux furent ses collaborateurs et, comme il les appelle lui-même, ses compagnons d’armes ; beaucoup ont été jugés par lui dignes d’un souvenir impérissable et il leur rend dans ses propres épîtres un témoignage incessant. Du reste, Luc, dans les Actes, mentionne également ceux qu’il connaît et les désigne par leurs noms21.
Formant ce qu’il appelle la première « succession des apôtres [ἀποστόλων διαδοχῆς] »22, les disciples « édifiaient sur les fondements des Églises que les apôtres avaient commencé à établir en tout lieu ; ils faisaient croître de plus en plus la prédication et semaient largement les sentences salutaires du royaume des cieux dans toute la terre habitée [οἰκουμένην] »23. Successeurs des apôtres, ils ne le sont pas seulement du point de vue générationnel. Aux dires d’Eusèbe en effet, ils appliquent également les méthodes d’évangélisation de leurs prestigieux devanciers : après avoir distribué leurs biens aux indigents, ils quittaient leurs foyers avec « l’ambition de prêcher la parole de la foi à ceux qui n’en avaient encore rien entendu », ne faisant, comme Paul24, que poser « les fondements [θεμελίους] de la foi dans quelques lieux étrangers [ξένοις τισὶ τόποις] » où ils établissaient « d’autres comme pasteurs et leur confiaient le soin de cultiver ceux qu’ils venaient d’introduire (dans l’Église). Après quoi, ils partaient 17. 18. 19. 20. 21. 22.
Ibidem, I, 12, 1. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, III, 4, 5-10. Ibidem, III, 37, 1. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, V, 10. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, III, 4, 3. Voir également en III, 37, 4. Ibidem, III, 4, 11 ; 37, 1 ; 37, 4. Déjà chez Tertullien, La chair du Christ, 2 et Origène, Traité des principes, IV, 9. 23. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, III, 37, 1. 24. 1 Corinthiens, III, 10 : « Selon la grâce que Dieu m’a donnée j’ai, en bon architecte, établi les fondations [θεμέλιον τέθεικα], un autre bâtit dessus ; à chacun de voir comment il bâtit ».
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de nouveau pour d’autres pays et d’autres nations »25. Notons que, sous la plume d’Eusèbe, l’évangélisation du monde relève d’un moment spécifique de l’histoire chrétienne, vraisemblablement révolu : « Il y avait en effet, oui, il y avait encore en ce temps-là un grand nombre d’évangélistes de la parole qui avaient à cœur d’apporter un zèle divin dans l’imitation des apôtres [ἀποστολικοῦ μιμήματος] pour accroître et édifier la parole divine »26. Ainsi, si la liste des LXX n’existait pas, Eusèbe donnait toutes les indications nécessaires pour que des compilateurs à la fois convaincus de l’antiquité de l’institution épiscopale et préoccupés par l’anonymat de tant de figures prestigieuses ayant côtoyé Jésus, se mettent à l’élaborer. Sans préjuger du rôle incitatif qu’a pu involontairement jouer l’évêque de Césarée, il se trouve qu’à partir du ive siècle vont circuler en Orient, puis très rapidement en Occident, de nombreux catalogues d’apôtres et de disciples saturés de toponymes qui, nous le postulons, participent d’un mouvement plus large que les savants modernes ont appelé la « spatialisation du sacré ». Comme l’a montré Maurice Halbwachs, l’Église, comme d’autres institutions, n’a pas conservé son passé ; elle le reconstruit à l’aide de données du présent27. L’une des fonctions des écrits apocryphes sur les apôtres serait donc, dans le cadre d’une institution devenue mature – on est au ive siècle – qui s’interroge sur son passé, de rendre compte a posteriori des progrès du mouvement chrétien à partir de ses propres schémas de pensée (évangélisation apostolique, organisation administrative contemporaine de l’Église, dynamique missionnaire, transmission de la tradition, etc.), tout en dépendant néanmoins, plus ou moins largement, des savoirs ethnogéographiques de l’époque. De sorte qu’au lieu de chercher dans cette documentation (Actes et catalogues anciens) les éléments attestant une christianisation de la géographie, il serait plus judicieux de la considérer comme une tentative originale d’élaboration d’une géographie chrétienne.
Christianisation de la géographie ou géographie chrétienne ? Lors de recherches en amont de la thèse28, nous avons montré que l’universalisme ethnogéographique chrétien relève, dans le Nouveau Testament, à la fois d’un projet (final de Matthieu 28, 19-20) et de sa réalisation, opérée par intégration (liste des nations centripète en Actes 2, 9-11 avec le monde vu de Jérusalem ainsi que la visite de la candace koushite) ou par expansion (voyages pauliniens). Du point de vue de la diffusion du message évangélique, si l’on s’en tient aux seuls realia, les Actes des apôtres ainsi que quelques épîtres rapportent la prédication de Pierre et de Philippe en Palestine et les périples de Paul inscrits dans une aire comprenant le bassin oriental (Palestine, Chypre, sud de l’Asie Mineure), l’espace égéen (ouest de l’Asie Mineure, côte est de la Macédoine, Achaïe) et une partie du bassin occidental (île de Malte, côte ouest de l’Italie et, peut-être, l’Espagne). Quant aux brèves listes de la
25. 26. 27. 28.
Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, III, 37, 2-3. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, V, 10, 2. Halbwachs 1994, p. 178-221 et Halbwachs 2008. Levillayer 2012.
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dispersion apostolique et aux quelques trajectoires individuelles dont à l’occasion les Pères de l’Église se font l’écho, elles doivent être conçues pour l’essentiel comme des conservatoires fortuits de traditions issues d’autres corpus29 : de fait, la mise en œuvre du programme matthéen est l’un des principes directeurs des Actes dits apocryphes. Pris dans leur ensemble, ceux-ci forment un recueil hétérogène qui traduit la grande diversité des cultures de l’Orient romain. La mise en œuvre du programme matthéen Les Actes des apôtres – achevés vers 80-90 par le même auteur que l’Évangile selon Luc dont ils sont la continuation – racontent le destin de la première communauté chrétienne de Jérusalem puis son expansion en dehors de la ville et la diffusion du message évangélique en direction des non-juifs. S’ils sont centrés sur la figure de Paul à partir du chapitre XIII, les Actes des apôtres, comme l’emploi du pluriel l’indique (Πράξεις ἀποστόλων/acta apostolorum)30 ne se limitent pas à lui. À l’inverse, les cinq Actes les plus anciens – ils naissent grosso modo aux iie-iiie siècles – sont focalisés sur la figure d’un seul apôtre31 : il s’agit des Actes de Jean (vers 150), rédigés en Égypte ou en Asie Mineure, des Actes de Paul (vers 150), vraisemblablement composés en Asie Mineure, des Actes d’André (vers 150-200), peut-être originaires d’Achaïe, des Actes de Pierre (fin iie-début iiie siècle), écrits en Syrie ou à Rome, et enfin des Actes de Thomas (vers 200-250) – les seuls à nous être parvenus intégralement –, qui auraient vu le jour en Syrie orientale, probablement à Édesse, sans que cela assure qu’ils aient été rédigés en syriaque. Viennent s’ajouter, plus tard (seconde moitié du ve siècle), les Actes de Philippe, qui connurent une fortune plus modeste. Circulant indépendamment les uns des autres ou sous la forme d’un recueil32, ces Actes, souvent assez longs et au contenu doctrinal diversifié, ont tous été condamnés par les Pères ou les autorités synodales qui, ce faisant, affirmaient une orthodoxie. C’est donc fragmentés, expurgés ou résumés33 que ces Actes ont néanmoins continué d’être lus, notamment par les moines. La dernière partie du récit, qui conte le martyre de l’apôtre – sauf dans les Actes de Jean – a été détachée de l’ensemble et exploitée à des fins liturgiques (lecture le jour de la fête du saint) ou hagiographique, ce qui a facilité sa transmission et, in fine, sa conservation. Bien que rédigés dans des milieux différents géographiquement et théologiquement, ces Actes se ressemblent par leur
29. Il est rare, et c’est un euphémisme, que les Pères de l’Église innovent en la matière : il y a bien le cas de Tertullien qui évoque la mort de Jean, ébouillanté dans une chaudière aux portes de Rome (De la prescription contre les hérétiques, 36, 3), mais d’une part cette mention concerne seulement l’étape ultime de la mission, la mort de l’envoyé, et d’autre part, ce n’est pas parce que nous n’avons pas pu l’identifier qu’il n’existe pas une documentation originelle. 30. Encore que ces dénominations ne sont peut-être pas authentiques. 31. Ces Actes sont composés notamment à partir de traditions personnelles qui existent sur plusieurs des apôtres, sans doute déjà de leur vivant, et dont certaines ont pu être utilisées par l’auteur des Actes des apôtres : Moreschini, Norelli 2000, p. 190 et suivantes. 32. Ce qui est le cas en milieu manichéen au ive siècle. 33. Et éventuellement compilés, tels les Actes latins des apôtres (vie siècle), ex-Collection du Pseudo-Abdias, qui ont été largement diffusés en Occident.
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construction : Enrico Norelli34 les divise en deux groupes génériques selon que l’accent est mis sur les actions (miracles et conversions prodigieuses) de l’apôtre et leur succession (genre des πράξεις, une des composantes littéraires de l’ἐγκώμιον, le discours d’éloges d’un personnage illustre), ou davantage sur ses voyages (genre des περίοδοι). Quoi qu’il en soit, dans un cas comme dans l’autre, le déplacement est une dimension fondamentale de ces récits qui représentent la contribution littéraire la plus importante à l’élaboration d’un modèle idéal du missionnaire chrétien. Pour trois des apôtres concernés, Pierre, Paul et Jean, la fixation des pôles de la mission se fait rapidement et de façon pérenne, fidèle dans l’ensemble aux données du Nouveau Testament35 : de Jérusalem à Rome en passant par le nord de l’Asie Mineure et la péninsule balkanique pour Pierre ; de Jérusalem à Rome également pour Paul, ainsi que plusieurs capitales provinciales d’Asie et d’Achaïe ; enfin, la cité d’Éphèse pour Jean. On quitte en revanche le cadre strict du monde gréco-romain avec André et Thomas. Dans le cas d’André, les textes oscillent entre une géographie missionnaire d’inspiration helladique (la province romaine d’Achaïe, pour l’essentiel), un peu plus au nord que la zone attribuée à Paul, et une autre ponto-thracique à laquelle se rattachent les Scythes, peuple des confins septentrionaux. À propos de confins, la mission de Thomas apparaît comme la plus extrême, qu’il soit envoyé en Parthie, ennemi héréditaire des Romano-Byzantins, ou en Inde, aux limites orientales du monde connu, les deux destinations entre lesquelles les textes hésitent. Au cours de leur mission – dont ils ont souvent, lors d’une scène inaugurale, refusé le principe même36 – les apôtres doivent faire face à de nombreuses situations périlleuses : au-delà des topoi littéraires et des réalités antiques du voyage37, c’est évidemment l’occasion, pour les auteurs des Actes, de valoriser le « thème théologique de la confiance au Christ, toujours présent aux côtés de l’apôtre »38, ce qui constitue a priori la raison d’être de tous ces écrits. De la brève présentation de ces cinq Actes, nous pensons pouvoir tirer l’idée qu’ils sont un écho, même lointain, même déformé, de l’expansion du christianisme. Il ne s’agit pas d’interroger leur historicité, encore qu’il puisse y avoir ici ou là des éléments probants : dans la tradition ponto-thracique d’André, par exemple, des rapprochements documentaires sont possibles ; pareillement, le nom du roi Goudnaphar, mentionné dans les Actes de Thomas, a, selon ses éditeurs, quelque consistance
34. Moreschini, Norelli 2000. 35. Dans le cas des Actes de Paul cependant, les éditeurs font remarquer que, contrairement à la situation historique de ses voyages missionnaires, Paul n’y fonde jamais de nouvelles communautés, arrivant toujours dans des Églises déjà existantes : Actes de Paul, p. 1121. 36. La réticence de l’apôtre fait en effet partie d’une séquence narrative commune à la plupart des Actes apocryphes, située au début ou, plus rarement, au cœur du récit : ainsi, dans les Actes de Thomas, 1, 2 : « Par le sort et la répartition, l’Inde revint à l’apôtre Judas Thomas, et il ne voulait pas s’y rendre, disant : “Je n’en suis pas capable parce que je suis faible et que je suis un Hébreu. Comment puis-je enseigner les Indiens ?” », ou dans les Actes de Philippe, 8, 2 : « Lorsque Philippe entendit le nom du pays et de la ville qui lui étaient attribués, il trouva la chose rude, et il se mit à maugréer et à pleurer ». La contribution essentielle à ce sujet est celle de Kaestli 1981. 37. André, Baslez 1993, p. 483-540. 38. Baslez 2004, p. 428.
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historique39. Ce qui nous paraît plus intéressant, c’est la dynamique qui les sous-tend : dépendants d’une vision (grecque) ethnocentrique de l’humanité, les auteurs de ces Actes conçoivent la mission apostolique à partir d’un centre, l’Empire romain, vers sa périphérie, de sorte qu’elle affecte une logique chronoconcentrique, de proche en loin, du connu vers l’inconnu, du Même vers l’Autre. Dans un premier temps (iie-iiie siècles), la périphérie est de nature géographique, ce qui veut dire qu’après l’évangélisation de l’Empire (et, au centre du centre, Jérusalem d’une part, berceau de la religion divine, et Rome d’autre part, capitale politique du monde civilisé) par Pierre, Paul et Jean, les apôtres sont conduits sur ses marges septentrionales (André) et orientales (Thomas parthe), voire au-delà (Thomas indien). Dans un second temps (ve siècle), la périphérie est d’ordre anthropologique, lorsque les apôtres s’aventurent aux confins de la non-humanité, ce que rapportent par exemple les Actes d’André et Matthias dans la ville des Anthropophages ou encore les Actes de Philippe40. On se doit de noter toutefois, à la suite de Marie-Françoise Baslez41, que les Actes laissent dans l’ombre des régions entières, telle la Méditerranée occidentale ou, ce qui est plus surprenant encore compte tenu du degré de pénétration du christianisme, l’Égypte. De même pour l’Éthiopie qui, pourtant, apparaît dans le Nouveau Testament sous les traits d’un haut personnage, Candace, qui est en réalité le titre donné aux souveraines koushites. Toujours est-il que la découverte de l’Ailleurs et la rencontre de l’Autre que les Actes apocryphes mettent en scène marquent, du point de vue des cadres mentaux traditionnels, une véritable rupture. L’ethnogéographie de Strabon (vers 58 avant J.-C.vers 25 après J.-C.) – sur laquelle se construisent encore la plupart des savoirs jusqu’au vie siècle au moins42 – n’obéit plus, à la suite d’Ératosthène (iiie siècle avant J.-C.), au schéma classique opposant Grecs et Barbares et privilégie le clivage des uirtutes. Cependant, elle reste relativement indifférente au sort des populations qui vivent loin de l’Empire et nouent peu de contacts avec lui : « La description de ces peuples-là sera plus sommaire parce qu’elle concerne des sauvages », écrit ainsi Strabon43. L’intérêt du géographe rejoint ceux des conquérants lorsqu’il met en avant les seuls enjeux stratégiques : Pour les besoins du gouvernement, il ne saurait y avoir aucun avantage à connaître de tels pays ni leurs habitants, surtout quand ils vivent dans des îles qui ne peuvent nous causer ni tourment ni profit, vu l’inexistence des relations44.
Un peu plus loin dans son exposé, il résume les visées, éminemment politiques, des savoirs ethnogéographiques : Nous désirons connaître les pays dans lesquels la tradition se révèle la plus riche en hauts faits, en régimes politiques, en connaissances techniques, bref en tout ce qui nous forme à la sagesse ; notre intérêt aussi nous pousse vers les régions avec qui
39. Actes de Thomas, p. 1326. 40. Actes de Philippe, 3, 2. 41. Baslez 2004, p. 429. 42. Voir, à ce sujet, les conclusions de Inglebert 2001, p. 104-108 et 189-192. 43. Strabon, Géographie, XI, 12, 1. 44. Strabon, Géographie, II, 5, 8.
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relations et commerce sont à notre portée, c’est-à-dire vers tous les pays habités, ou plutôt vers les pays heureusement habités45.
Pour Strabon, il apparaît très clairement que, hors de l’Empire, il n’y a point de salut possible. Or, en faisant franchir les frontières géographiques et anthropologiques traditionnelles à leurs héros, les Actes attestent l’inverse tout en modifiant la nature du salut qui, désormais, passe par l’adhésion à la foi chrétienne, conduisant à une redéfinition de l’idée de civilisation (post-romaine) et du cadre de sa portée (œcuménique). Effets d’échelle À l’instar des Actes, nous pensons que les catalogues reflètent le progrès ethnogéographique du christianisme, à deux différences près. La première est que la géographie des catalogues est riche et, surtout, innovante : alors que la presque totalité des noms qu’ils contiennent est d’origine néotestamentaire, presque 50 % des toponymes du Pseudo-Épiphane ainsi que du Pseudo-Dorothée / Procope, et jusqu’à 60 % dans le cas de DOOPA, sont ignorés du Nouveau Testament46. La seconde différence est que les catalogues mettent en œuvre une « logique scalaire » : ce que nous voulons dire par là, c’est que la série des XII renvoie à la totalité de l’œkoumène, tandis que la série des LXX(II) revêt une dimension régionale, le changement d’échelle entre les deux (de la plus petite vers la plus grande) témoignant en lui-même d’une évolution de la perception de l’ancrage spatial des communautés chrétiennes – ce que les géographes appellent justement le « franchissement d’un seuil qualitatif »47. Lorsqu’on parle de la totalité de l’œkoumène, il s’agit d’une totalité ethnogéographique. Précisons donc ce que nous entendons par ethnogéographie. Dans l’Antiquité, la démarche ethnologique, qui implique la compréhension d’une société du point de vue de ses propres valeurs, n’existe tout simplement pas. En tout cas, l’approche qu’elle suppose est étrangère aux catégories mentales des sociétés anciennes et aux outils conceptuels de leurs penseurs48. L’ethnographie, comme attitude intellectuelle consistant à observer puis décrire les peuples (τοῦ ἔθνους / gentes) étrangers49, est en revanche commune à toutes les civilisations de la Méditerranée et du Croissant fertile antiques. Cette attitude nous intéresse dans la mesure où elle en dit souvent plus sur le penseur que sur son objet. En effet, outre la façon dont une société ancienne considère l’altérité culturelle, les enjeux portent également sur les moyens
45. Ibidem, II, 5, 18. 46. Il est intéressant de noter que la toponymie du De ortu et obitu patrum d’Isidore de Séville s’écarte beaucoup moins du Nouveau Testament, seulement 25 % des localisations étant « nouvelles ». 47. Lévy, Lussault 2003, p. 284 et suivantes. 48. Voir Inglebert 2001, p. 109-113 et Jacob 1991. 49. C’est surtout dans sa dimension d’étranger que l’Autre intéresse les sociétés antiques. Nous pourrions donc dire que l’ethnographie antique est essentiellement une xénologie, et parfois même seulement une xénonymie. Et bien sûr, des étrangers (gentes externae) aux barbares (barbari), il n’y a souvent qu’une question de degré, pas de nature : voir la douzaine de contributions des antiquisants dans Nourrisson, Perrin 2005.
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qu’elle met en œuvre pour normaliser ce savoir sur l’Autre ainsi que ses méthodes d’acquisition, car ces moyens qu’elle considère comme objectifs reposent en réalité sur une démarche subjective qui, en dernier lieu, interroge l’identité même de cette société. Il reste que l’ethnographie antique n’est pas une forme de connaissance autonome50 : elle sert en général d’autres projets intellectuels, d’autres ambitions idéologiques – on vient de le voir avec Strabon – qui ont une finalité dans le temps ou dans l’espace. De sorte que l’ethnographie antique se trouve organiquement liée soit à la généalogie (elle consiste alors à comparer les peuples du point de vue de leur origine ancestrale51 et de leur filiation, le schème de la parenté, réelle ou symbolique, étant parfois très développé), soit à la géographie (il s’agit dans ce cas d’expliciter la situation des peuples les uns par rapport aux autres). Ces deux dimensions cohabitent dans l’Antiquité, quand elles ne se superposent pas : au type ethnogénéalogique ressortissent la table des nations de Genèse, X (fin du viie siècle avant J.-C. dans l’état final du texte), ou, à un moindre niveau, les Généalogies d’Hécatée de Milet (vers 560-vers 480 avant J.-C.) et de ses successeurs, Hellanicos de Lesbos, Acousilaos d’Argos ou encore Phérécyde d’Athènes52. Quant au type ethnogéographique, on le rencontre presque exclusivement dans la géographie descriptive grecque, depuis la Périégèse d’Hécatée de Milet jusqu’aux Ethniques53 d’Étienne de Byzance (vie siècle), voire dans les traités impériaux (À mon fils Romain54 et Sur les thèmes55) de Constantin VII Porphyrogénète (xe siècle). Par leur histoire et leur formation – en tout cas dans le monde romano-byzantin –, les chrétiens ont connaissance de ces deux types d’approche. Selon la tradition géographique descriptive grecque, donc, le monde habité est divisé en trois continents, l’Asie, l’Europe et la Libye. Prenons le catalogue Anonyme II (ive siècle) ; si on applique la tripartition continentale aux données qui concernent la série des XII, on obtient le tableau ci-après. Cette grille de lecture, nous l’avons utilisée pour l’ensemble des catalogues, domaines grecs et latins confondus. Malgré la difficulté ou l’impossibilité d’identifier certains toponymes56, on obtient le même résultat à chaque fois : c’est bien la totalité de l’œkoumène qui est investie par les XII.
50. Voir Le Ven 2005, p. 964. 51. Au sens de l’ancêtre commun le plus éloigné dans le temps, voire le premier. 52. Hérodote a recours à l’ethnogénéalogie pour expliquer la compétition entre Démarate (famille des Eurypontides) et Cléomène (famille des Agiades), les deux rois de Sparte : Hérodote, Histoires, VII, 51-54. Voir Zographou 2007. Sur les liens féconds et durables entre les pratiques généalogiques et les autres domaines du savoir grec antique, voir Couloubaritsis 2006 et Hartog 1990. 53. Les Ἐθνικά forment un lexique géographique dédié à l’empereur Justinien et utilisé encore par l’empereur Constantin VII Porphyrogénète (913-959). 54. Traduction littérale de Πρὸς τὸν ἴδιον υἱὸν Ῥωμανόν, titre originel du traité connu sous son nom latinisé de De administrando imperio. 55. De même pour Περὶ τῶν θεμάτων (De thematibus). 56. En plus des quatre toponymes de la dernière colonne du tableau ci-après, ajoutons par exemple, le « pays des Aphrons » mentionné, pour Simon le Zélé, dans le Pseudo-Dorothée / Procope, ou l’« Aci Marmarique » attribué à Jacques d’Alphée dans le DOOPA, ou encore « Portoforo » associé à Simon le Zélote et « Nérito d’Arménie » à Jude de Jacques dans le Bréviaire des apôtres.
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Apôtres
Asie
Libye
Europe
1. Pierre
Bethsaïda Antioche
Rome
2. Paul
Tarse en Cilicie Jérusalem
Illyrie Rome
Localisation incertaine
Grèce Patras
3. André 4. Jean (et 5. Jacques) Éphèse 6. Philippe
Bethsaïda Hiérapolis
7. Simon le Zélote
Galilée
Bosphore du pays des Ibères ?
8. Barthélemy
Albanopolis d’Arménie
9. Thomas
Nazareth
10. Matthieu
Érê Parthes
11. Jude de Jacques 12. Jacques d’Alphée
Inde Calamitide
Rebek d’Éthiopie Inde Marmarique
Qu’en est-il des LXX(II) ? Quelle est la géographie que construisent leurs séries ? Pour répondre, il faut d’abord rappeler l’état du corpus en la matière. Commençons par le domaine grec. Dans le cas d’Anonyme I, qui livre selon François Dolbeau la « forme textuelle la plus archaïque »57, le nombre des disciples ne dépasse pas la dizaine et ils sont énumérés dans la continuité des apôtres et des évangélistes. Anonyme II livre le nom de soixante-douze disciples, mais seulement à onze d’entre eux sont associés des toponymes (sièges épiscopaux). Quant au catalogue de la Chronique pascale, il ne mentionne que les noms des XII et des LXX, sans donner aucune indication toponymique. Pour apprécier la géographie des LXX(II), il ne reste donc que le Pseudo-Épiphane et le Pseudo-Dorothée / Procope, qui sont, ce n’est pas un hasard, les traditions ayant le plus circulé. Pour le domaine latin, les choses sont encore plus simples. DOOPA donne une série de seize noms dont deux évangélistes (Luc et Marc) et Timothée. Le Bréviaire des apôtres, comme son titre l’indique, ne livre aucun autre nom que ceux des onze apôtres, plus Paul. Isidore de Séville a retenu dix-huit noms dans son De ortu et obitu patrum, dont ceux de Luc, Marc, Barnabé, Timothée et Tite auxquels sont liés des toponymes. Enfin, dans le De ortu et obitu patriarcharum et apostolorum du Pseudo-Isidore, aux treize noms des apôtres (Paul compris) sont ajoutés ceux de Marc, Luc, Barnabé, Timothée, Tite et Étienne. En réalité, les seules séries « complètes » de LXX disciples
57. Listes d’apôtres et de disciples, p. 463.
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dont on dispose en latin, sont des copies plus ou moins fidèles des traditions grecques : le catalogue Nomina septuaginta duorum discipulorum Christi (ixe siècle au plus tard) a repris Anonyme II en ajoutant Tite et Philémon pour parvenir au résultat attendu dans le monde latin de soixante-douze disciples, alors que le catalogue Hec sunt nomina septuaginta discipulorum domini nostri Ihesu Christi, que inuenit Hieronimus presbyter apud grecos et scripsit Damaso pape (vie-viiie siècles), comme le titre l’indique, conserve le total des 70 disciples de son modèle. Autre exemple, transmis par un unique manuscrit, intitulé Epistula sancti Ieronimi presbiteri ad Chromatium et Heliodorum episcopos de sanctorum apostolorum et de LXX discipulorum ordinatione uel obitu in quacumque regione uel ciuitate resquiescunt (vers 800 ?), est une reprise du Pseudo-Dorothée / Procope. Certes, il est encore prématuré de conclure sur le dossier des traditions catalogiques latines, encore largement à instruire. Cependant nous ne voyons à l’absence des séries mathétiques (du grec μαθητής qui veut dire « disciple ») dans les modèles latins originaux que nous possédons qu’une seule explication : l’orientalisme quasi intégral de la géographie épiscopale telle qu’elle apparaît dans les traditions catalogiques grecques antérieures était de nature à décourager des compilateurs. D’où les deux attitudes observées : la reprise (presque) fidèle du modèle grec, ou l’omission volontaire de la série des disciples. De sorte que, et c’est le premier constat, la géographie des LXX(II) est presque exclusivement orientale, ce qui constitue un premier effet d’échelle par rapport au champ œcuménique des XII. Mais surtout, si l’on se réfère à l’emprise territoriale de l’Empire romain du ier siècle – celui de la Pax augusta tant vantée par les lettrés – cette géographie est totalement romano-centrée. Ainsi, la géographie que développe la série mathétique des deux plus grandes traditions catalogiques grecques entre la fin du ive siècle et la fin du vie siècle, rend compte d’un maillage épiscopal relativement serré de l’Orient romain et consacre l’Empire comme cadre idéal de l’expansion chrétienne58. Ce n’est probablement pas seulement une coïncidence si, au même moment, l’Église connaît un essor spectaculaire et si l’évêque prend le pouvoir dans la cité. Pour les chrétiens de l’Antiquité tardive, le temps qui passe est celui de l’histoire du Salut. Et l’histoire humaine a un sens seulement parce qu’on la considère sous l’angle de la volonté divine. De sorte que cette expansion géographique que l’on constate n’est que l’expression d’un progrès historique de l’humanité vers son Salut. En se situant à ce niveau de compréhension, c’est donc aussi d’une forme d’« impérialisation » de l’histoire sainte dont témoignent les traditions catalogiques. Et si l’on veut bien conserver la notion d’effet d’échelle, nous pouvons interpréter l’invention des catalogues latins elle-même et l’essor des adaptations latines des catalogues grecs comme autant de tentatives d’« occidentalisation » de l’histoire sainte. Le passage de LXX à LXXII disciples s’explique dans ce cadre, tout comme l’ajout de nouveaux toponymes ou, encore, l’apostolat espagnol de Jacques, mentionné pour la première fois dans le Bréviaire des apôtres, qui n’est qu’une des nombreuses conséquences – certes fameuse par sa fortune – de ce processus.
58. Bien qu’il n’y ait pas d’adéquation stricte entre les fondations apostoliques ou mathétiques et les capitales provinciales, la convergence s’accentue avec le temps puisque 30 % des toponymes civiques du Pseudo-Épiphane (fin ive-début ve siècle) et quasiment 40 % de ceux du Pseudo-Dorothée / Procope (fin vie siècle) correspondent à un nom de capitale provinciale.
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Horizons imaginaires et identité socioculturelle Avant de devenir un objet d’étude complexe59, la christianisation – ce « processus lent, condamné à l’inachèvement »60 – paraît être une réalité dont a conscience une partie des lettrés de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge. Autrement dit, il faut, pour la saisir, s’en remettre à ce que les chrétiens de l’époque (iie-ixe s.) pensent du phénomène lui-même. Il s’agit, pour Robert A. Markus61 suivi par Peter Brown, d’« entrer dans ce qui constitua leur propre évaluation du succès. Cela suppose qu’il faille respecter les horizons imaginaires à l’intérieur desquels les chrétiens romains de l’époque tardive pensaient pouvoir agir »62. La manière qu’ont les lettrés d’exprimer la réussite du christianisme en termes ethnogéographiques d’abord, le souci qu’ils ont de faire remonter l’évangélisation du monde et l’organisation de l’Église aux apôtres ensuite, et l’effort qu’ils manifestent à localiser le souvenir apostolique enfin, relèvent pleinement de cette perspective. Élaborer un catalogue suppose, en amont, de collecter, trier puis hiérarchiser des données, ce qui signifie d’une part avoir une certaine opinion quant aux temps et à l’espace concernés, et d’autre part être capable de traiter spécifiquement une documentation, donc d’avoir une méthodologie ; en cela, le travail d’un compilateur se rapproche d’une réflexion historique. À cet effort de mise en ordre s’ajoute l’exigence de la forme : parce que l’espace textuel imparti est limité, le travail intellectuel du compilateur relève de l’ordre du performatif. Ce sont donc à des spéculations de lettrés que nous avons affaire, qui renvoient à une histoire des représentations du temps et de l’espace chrétiens. De tout cela, nous retenons que l’établissement et la circulation des écrits apocryphes sur les apôtres, Actes et catalogues confondus, signifient d’une part tenter de mettre en ordre le monde, de le soumettre à ses propres normes et, d’autre part, d’ancrer le présent dans un récit fondateur constamment réactivé. Ce faisant, ils contribuent à susciter la conscience de soi qu’a le groupe chrétien, à le « localiser » dans l’espace et le temps, bref à forger son identité socioculturelle.
Bibliographie Sources Actes de Paul [1997] Actes de Paul, éd. W. Rordorf et R. Kasser, dans Écrits apocryphes chrétiens, 1997, Paris, vol. I, p. 1115-1177. Actes de Thomas [1997] Actes de Thomas, éd. P.-H. Poirier et Y. Tissot, dans Écrits apocryphes chrétien, 1977, Paris, vol. I, p. 1321-1470. 59. Inglebert et alii (dir.) 2010. 60. Brown 1998, p. 28. 61. Markus 1990, p. 1-17. 62. Brown 1998, p. 46.
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L’APPORT DES ÉCRITS APOCRYPHES SUR LES APÔTRES • 275
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Geografia dell’impero e geografia della chiesa nelle storie ecclesiastiche del V secolo Valerio Neri
(Professore ordinario di storia romana nell’Università di Bologna)
Abstract The ecclesiastical histories of Socrates and Sozomen do not pay a specific attention to geography and do not compose geographical and ethnographical digressions as in the traditional historiography of Herodotean mold. Socrates indeed criticizes this trend in Philip of Side as useless curiosity. But within the limits of the eastern provinces of the Roman Empire, especially the dioceses Asiana Pontica and Orientis the church events are placed systematically and extensively in the contemporary Roman provincial system, thus defining geographical frameworks for christian phenomena, from the spread of heresies and schisms to liturgical use. In this way, with regard to the attention to the location of events and phenomena, the ecclesiastical histories of Socrates and Sozomen approach, while retaining their specificity, the habits of traditional historiography and claim to the ecclesiastical organization an essential role in the Roman imperial identity. Résumé Les histoires ecclésiastiques de Socrate et de Sozomène ne prêtent pas une attention spéciale à la géographie et ne comportent pas de digressions géographiques et ethnographiques comme dans l’historiographie traditionnelle de facture hérodotéenne. Socrate, de fait, critique cette tendance chez Philippe de Sidé comme une curiosité inutile. Mais, dans les limites des provinces orientales de l’Empire romain, notamment dans les diocèses Asiana Pontica et Orientis, les événements de l’Église sont placés systématiquement et largement dans le système provincial romain contemporain, ce qui définit un cadre géographique pour les phénomènes chrétiens, depuis la diffusion des hérésies et des schismes jusqu’à l’usage liturgique. De cette façon, en ce qui concerne l’attention portée à la localisation des événements et des phénomènes, les histoires ecclésiastiques de Socrate et de Sozomène se rapprochent, tout en maintenant leur spécificité, des habitudes de l’historiographie traditionnelle et assignent à l’organisation ecclésiastique un rôle essentiel dans l’identité impériale romaine.
Nelle Storie ecclesiastiche manca, anche quando narrano di eventi militari, l’attenzione agli eventi militari in sé e dunque alla correlazione fra territorio e capacità militari di comandanti e eserciti, che costituisce nella storiografia classica uno degli aspetti principali dell’interesse per la geografia. Socrate critica l’inutile e inopportuna esibizione in Filippo di Side di erudizione scientifica ed anche geografica. D’altronde
Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 279-292
280 • VALERIO NERI
nemmeno l’affermazione del cristianesimo è in generale presentata come una progressiva conquista dei territori, e, quando questo accade, questo non produce una curiosità geografica ed etnografica dei territori cristianizzati. Nemmeno il deserto in fondo, nelle digressioni sui monaci, è presentato, se non in qualche raro episodio, come il teatro ideale dell’ascetismo monastico. La caratteristica essenziale dell’interesse per la geografia nelle nostre Storie ecclesiastiche è il continuo inquadramento di personaggi e vicende della chiesa nel sistema provinciale romano, che, per quanto riguarda l’ambito orientale dell’impero, soprattutto le diocesi asiana pontica ed orientale, richiama un grande numero di province e anche di diocesi contemporanee, mostrandosi a conoscenza, soprattutto in Socrate, anche di divisioni di province avvenute nel IV e agli inizi del V secolo. In Occidente invece, con l’eccezione di casi isolati, vengono genericamente citate regioni, anche con errori geografici evidenti. All’interno delle province vengono citate non solo le città metropolitane, ma anche centri di minore importanza e territori suburbani e rurali. Queste indicazioni geografiche spesso si compongono nella definizioni su base religiosa di una serie di aree territoriali, geografia del credo ortodosso, geografia delle comunità ereticali e scismatiche, dei conflitti per i seggi episcopali, dall’ascetismo monastico, degli usi liturgici e del paganesimo. Premetto che mi occuperò in questa relazione principalmente delle Storie ecclesiastiche di Socrate scolastico e Sozomeno, scritte a pochi anni di distanza la seconda dalla prima, in dichiarata continuazione della Storia ecclesiastica del creatore di questo genere storiografico, Eusebio di Cesarea, nell’ultimo decennio, dal 440 al 450, di un regno ricco di eventi e di sviluppi sul piano politico, culturale e religioso, quale fu quello di Teodosio II1. La scelta di concentrare l’attenzione su questi due autori è principalmente motivata dalle strette analogie tra le due opere, circa l’oggetto e la metodologia storiografica, che, come si vedrà, si estendono anche alla collocazione spaziale degli eventi e dei personaggi dei quali narrano. Un’osservazione preliminare va fatta per entrambe le opere, come in generale per tutte le storie ecclesiastiche, a proposito della funzione in esse della geografia. Nella storiografia classica, narrazione storica e localizzazione dell’azione sul territorio, sono soprattutto una caratteristica della storia militare, nel senso che la conformazione fisica del terreno e i tratti della etnografia delle popolazioni indigene, influenzano in maniera spesso decisiva le scelte dei protagonisti e lo sviluppo degli eventi2. Questo rapporto è sostanzialmente assente nelle Storie ecclesiastiche dei nostri due autori, per quanto essi dedichino uno spazio relativamente importante alla storia politica e militare, di cui Socrate vuole giustificarsi, sostenendo da una parte le interrelazioni fra la sfera politica e quella ecclesiastica, che egli definisce con il termine ed il concetto greco di sympatheia, dall’altro suggerendo il carattere di digressione di questo genere di narrazioni, che interrompono una descrizione dei conflitti teologici dei vescovi che potrebbe generare sazietà. Anche quando i due storici trattano di storia militare, evidentemente il loro interesse non riguarda, a differenza della storiografia classica, la valutazione delle capacità
1. Leppin 1996; Leppin 2003; Van Nuffelen 2004. 2. Dück 2012; Merrill 2005; Clarke 1999.
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militari dei comandanti, e ovviamente, soprattutto degli imperatori, ma il significato che vittorie e sconfitte assumono come manifestazione di un disegno provvidenziale nell’ambito del rapporto fra l’impero e la chiesa. Perciò dunque in questo ambito la geografia non ha un particolare rilievo. Circa la trattazione della geografia all’interno della storia ecclesiastica ha un particolare significato il giudizio di Socrate sulla storia cristiana, non dunque ecclesiastica, di Filippo di Sidé, autore di una storia del cristianesimo dalla creazione del mondo al 426. Socrate gli rimprovera un’ostentazione di cultura scientifica fine a sé stessa: la sua opera contiene un intreccio di teoremi geometrici, di speculazioni astronomiche, di principi musicali, e di descrizioni geografiche di isole, montagne, foreste e varie altre materie di poca importanza ed è inutile agli ignoranti come alle persone colte, agli uni perché sono incapaci di apprezzare questa erudizione, e agli altri perché la trovano fastidiosa3. In questo modo lo storico ecclesiastico mette in evidenza una sostanziale differenza tra la storia ecclesiastica, come egli almeno la intende, e le storie profane, di stampo in qualche misura erodoteo, come è nella tarda antichità l’opera storica di Ammiano Marcellino, che non solo dedica grande spazio nella sua opera alle descrizioni geografiche ed etnografiche in ampie digressioni – ma anche in segnalazioni puntuali nella localizzazione degli eventi4 – ma giudica la geografia meritevole di un’indagine critica analoga a quella storica, come a quella filosofica, che egli riassume nel termine di perplexitas.5 D’altronde Socrate si mostra relativamente coerente con questa affermazione dal momento che non inserisce nella sua storia ecclesiastica digressioni di carattere geografico o etnografico, con l’esclusione, parlando della diffusione dei novaziani in Frigia ed in Paflagonia, delle considerazioni sul carattere e sulle disposizioni etiche degli abitanti di queste regioni, che sono capaci di mantenere un controllo rigoroso delle passioni come nessun altro popolo sulla terra6. Parzialmente diversa è, a questo proposito, la posizione di Sozomeno, che, partendo dall’incendio del tempio di Apollo a Daphné durante il regno di Giuliano, dedica una lunga descrizione alle delizie di questo sobborgo di Antiochia7, come anche, più tardi, partendo dalle vittorie della regina dei Saraceni Mavia verso la fine degli anni ’70 del IV secolo e dalla sua conversione al cristianesimo, scrive una digressione storico-etnografica sui Saraceni8. Se è solo sporadicamente presente nelle nostre Storie ecclesiastici una trattazione della geografia secondo linee di continuità con quella della storiografia classica, si può pensare che vi si trovi una concezione diversa ma coerente del rapporto fra la storia del cristianesimo e il territorio? E’ sviluppata solo in qualche tratto l’evoluzione
3. Socr., HE, 7, 28, 4-5. 4. Sundwall 1996; Feraco 2004; Id. 2011. 5. Amm., 31, 2, 12: Hoc expeditum indomitum que hominum genus externa praedandi auiditate flagrans immani per rapinas finitimorum grassatum et caedes ad usque Halanos peruenit, ueteres Massagetas, qui unde sint uel quas incolant terras, quoniam huc res prolapsa est, consentaneum est demonstrare geographica perplexitate monstrata, quae diu multa luda--- et uaria, 13 tandem repperit ueritatis interna --- abundans aquarum Hister aduenarum magnitudine fluenti Sauromatas praetermeat | ad usque amnem Tanaim pertinentes, qui Asiam terminat ab Europa. 6. Socr., HE, 4, 28, 9-13. 7. Sozom., HE, 5, 19, 4-11. 8. Sozom., HE, 6, 38, 10-16.
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del cristianesimo come conquista e cristianizzazione del territorio. Anche il deserto come teatro ideale dell’ascetismo monastico, nelle sue caratteristiche reali e immaginarie, costituisce un tema secondario soprattutto in Socrate, che pure dedica al monachesimo egiziano una lunga digressione. Diversamente da ciò che afferma Martin George, non si trova nella descrizione di Socrate, diversamente da altri testi della letteratura monastica, un idillio del deserto9. I deserti di Nitria e Sceté non sono chiamati da Socrate nemmeno deserti ma semplicemente montagne; nella digressione di HE, 4, 23 viene richiamato solo un episodio delle vite monastiche descritte che ha evidentemente rapporto con i caratteri dell’ambiente desertico: viene chiesto al monaco Macario di dare dell’acqua a un assetato nel torrido mezzogiorno. Il santo monaco risponde a chi gli ha chiesto l’acqua che può accontentarsi dell’ombra perché ci sono viaggiatori che non dispongono nemmeno di quella10. Nella digressione che Sozomeno dedica al monachesimo egiziano le condizioni geografiche del deserto affiorano talvolta nella narrazione della vita dei santi monaci: Macario l’Egiziano scava un pozzo e scopre che l’acqua trovata è di sapore amaro, ma continua a berla fino alla sua morte11; altri monaci sotto la guida di un Moses cercano nell’area di scavare un pozzo, ma non ne trovano ad alcuna profondità fino a che il monaco Pior, rimproverandoli per la loro mancanza di fede, si cala nel loro scavo e, dopo aver pregato tocca il terreno con una verga facendo zampillare acqua12. Le condizioni estreme del deserto più interno diventano un’arena ascetica in cui solo un’eccezionale fede ed un’eccezionale virtù riescono vittoriosi. Al di là però di questi tratti sporadici, nei nostri due storici il deserto è uno sfondo discreto e remoto nella vita dei monaci. L’evoluzione storica del cristianesimo nell’impero cristiano non viene, se non nell’epoca di Costantino, presentata come una progressiva espansione sul territorio all’interno ed all’esterno dell’impero. Sotto il regno del primo imperatore cristiano si verifica infatti, nella narrazione dei due storici, una straordinaria spinta all’espansione del cristianesimo fuori dai confini dell’impero: vengono convertiti gli Iberi abitanti della odierna Georgia13 e tribù all’interno dell’India14, secondo uno schema che Socrate mutua da Rufino di Aquileia e che Sozomeno mutua da Socrate, ma a questi popoli Sozomeno aggiunge una lunga descrizione della diffusione del cristianesimo in territorio persiano e della persecuzione anticristiana scatenata da Shapur I e arrestata, secondo lo storico, dall’intervento di Costantino15, e ancora una generica allusione alla conversione massiccia dei Germani al di là del Reno e del Danubio16. Questa grande dilatazione dell’orizzonte geografico non stimola però curiosità geografiche ed etnografiche sui territori interessati da questa espansione. Socrate afferma addirittura che gli Iberi caucasici fossero una colonia degli Iberi spagnoli17. Questa spinta universalistica del cristianesimo sotto Costantino ha solo in Sozomeno qualche tardo
9. George 2001. 10. Socr., HE, 4, 23, 47-48. 11. Sozom., HE, 6, 29, 29. 12. Sozom., HE, 6, 29, 30. 13. Socr., HE, 1, 20, 1-6. 14. Socr., HE, 1, 19, 2-14. 15. Sozom., HE, 2, 9-15. 16. Sozom., HE, 2, 6, 1. 17. Socr., HE, 1, 20, 1.
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sviluppo, quando egli scrive della cristianizzazione contemporanea, dei Saraceni della regina Mavia18, mentre in Socrate un richiamo alla geografia dell’oriente persiano, è, dopo Costantino, nella guerra condotta nel 421 dal generale romano Ardabur contro il regno sasanide, che portò, nella narrazione di Socrate all’invasione di una provincia persiana l’Azazene, che era contigua all’Armenia. L’attacco romano alla Persia in questo momento è parzialmente messo in rapporto da Socrate con la reazione romana ad una persecuzione contro i cristiani mossa da re persiano Varanes, che aveva provocata la fuga entro i confini dell’impero di cristiani residenti in Persia. L’espansione del cristianesimo nel territorio imperiale riceve anche minore attenzione. Lo stesso storico individua in un passo in Siria e in Palestina una serie di aree pagane: Celesiria e Syria I vengono cristianizzate lentamente con l’eccezione della città di Antiochia19. Una caratteristica essenziale della geografia delle Storie ecclesiastiche di Socrate e Sozomeno, se escludiamo i riferimenti alla topografia di Costantinopoli, è invece il continuo e pressoché sistematico riferimento, nel corso della narrazione, al sistema provinciale romano, nel quale vengono collocati con relativa esattezza avvenimenti e personaggi della storia della chiesa. In questo contesto una citazione a parte deve essere fatta per la lista dei vescovi partecipanti al concilio di Nicea divisi per province in H.E. 1, 13. Un confronto con le liste provinciali contemporanee, particolarmente con il Laterculus di Polemio Silvio, scritto nel 448/449 e dedicato al vescovo di Lione Eucherio, la cui lista però delle province orientali sembra rispecchiare una situazione degli ultimi decenni del IV secolo20, e con la Notitia dignitatum orientale21, rende visibile la relativa completezza della lista delle provincie citate soprattutto nella Storia ecclesiastica di Socrate. Delle province della diocesi asiana, non sono citate nella narrazione storica di Socrate la Caria (che compare invece nella lista dei vescovi di Nicea ed è citata invece da Sozomeno)22 e la Lycaonia, ma sono citate l’Asia23, la Licia24, la Galazia25, la Lidia26, la Pamfilia27, la Pisidia28 l’Ellesponto29, Della Galazia Socrate sembra conoscere la divisione in due provincie di cui egli cita, oltre alla Galazia, la Galazia minore, la μικρὰ Γαλατία, alla quale attribuisce la città di Ancyra, per cui, se l’indicazione dello storico non è errata, bisognerebbe identificare la Galatia minor con la Galazia I. La Notitia Dignitatum orientale conosce una divisione della Galazia, ma denomina le provincie Galazia e Galazia Salutare, mentre il Laterculus di Polemio Silvio conosce una Galazia indivisa.
18. Sozom., HE, 6, 38, 10-16. 19. Sozom., HE, 7, 15, 11. 20. Sul Laterculus di Polemio Sivio si vedano Wesch-Klein 2002. 21. Recentemente Clemente 2010. 22. Sozom., HE, 6, 12, 4. 23. Socr., HE, 4, 12; 6, 19. 24. Socr., HE, 4, 12; 6, 13. 25. Socr., HE, 1, 36; 5, 21; 5, 25; 6, 22. 26. Socr., HE, 2, 39; 6, 19; 7, 36. 27. Socr., HE, 4, 12; 7, 27. 28. Socr., HE, 4, 12; 5, 8; 7, 36. 29. Socr., HE, 4, 11; 5, 8; 5, 23; 7, 31.
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Della diocesi pontica, Socrate sembra anche conoscere una divisione della provincia di Frigia dal momento che cita la provincia di Frigia Pacatiana alla quale attribuisce la città di Synnada30. La lista di Polemio Silvio riporta una Frigia I ed una Frigia II mentre la Notitia dignitatum orientale cita una Frigia Pacatiana, come Socrate, ed una Frigia Salutaris come il Latercolo31. Presumibilmente dunque Pacatiana è una denominazione della Frigia I, e in questo caso l’indicazione di Socrate sembra corretta. Socrate non riporta la divisione in due province del Ponto, l’Helenoponto ed il Ponto Polemoniaco (solo nella lista nicena egli cita il Diosponto, che poi ricevette da Costantino il nome di Helenoponto in onore della madre, e il Ponto Polemoniaco), come anche della Cappadocia in Cappadocia I e II (Cesarea Nissa e Nazianzo sono collocate senza ulteriori specificazioni in Cappadocia32). Dell’Armenia nella lista di Nicea Socrate cita un’Armenia μεγάλη e un’Armenia μικρά, ma cita un’Armenia μεγάλη anche in una lista di vescovi partecipanti ad un concilio ad Antiochia sotto l’imperatore Gioviano33. Tuttavia le città dell’Armenia che vengono richiamate, Sebaste, Melitene, Cucusus vi sono però collocate senza specificare una divisione della provincia34, anche se nella lista nicena Sebaste è collocata nell’Armenia minore. Lo storico costantinopolitano cita invece correttamente le province indivise di Bitinia35 e di Paflagonia36. Socrate non fa cenno invece all’Honoriade che è stata presumibilmente creata da Teodosio I in onore del figlio Onorio e che viene riportata sia dalla Notitia dignitatum, sia dal Laterculus di Polemio Silvio37. Per quanto riguarda le province della diocesi orientale, Socrate menziona la Cilicia, senza richiamare una sua divisione, (attestata nella Notitia Dignitatum orientale, ma non nel Laterculus di Polemio Sivio)38 l’Isauria39, Cipro40, la Palestina (della quale la Notitia Dignitatum registra una tripartizione, Palestina I, II e Palestina Salutaris)41
30. Socr., HE, 7, 3. 31. Wensch-Klein 2002, pp. 67-68. Sulla denominazione di Salutaris di cinque province tardoantiche, Frigia, Palestina, Galazia, Macedonia e Siria, Pietri 1991; Ward 2012. 32. Per Cesarea Socr., HE, 1, 13; 2, 43; 4, 11; 5, 8; 5, 22; 6, 3; 7, 48; per Nazianzo ibidem 4, 26; per Nissa ibid. 5, 8. 33. Socr., HE, 3, 25. 34. Per Sebaste, Socr., HE, 2, 39; 2, 43; 2, 44; 6, 20; per Melitene ibidem 5, 8; per Cucusso ibid.. 2, 22; 5, 9. 35. Socr., HE, 1, 4; 1, 6; 1, 8; 2, 28; 2, 37; 2, 39; 2, 41; 3, 12; 3, 26; 4, 1; 4, 6; 4, 8; 4, 14; 5, 21; 6, 11; 6, 15; 7, 12; 7, 18; 7, 38. Alla Bitinia vengono attribuite numerose città: Nicomedia, Nicea, Calcedone, Prusa, Elenoupolis; Basilinoupolis. 36. Della Paflagonia Socrate cita Pompeioupolis e Gangre: HE, 2, 39; 2, 42; 2, 43; 3, 10. 37. Wensch-Klein 2002, p. 69; Hunger 1996. 38. Wensch-Klein 2002, p. 70. Le città citate della Cilicia, senza richiamare l’appartenenza all’una o all’altra provincia sono Tarso (Socr., HE, 2, 39; 3, 17; 3, 26; 4, 12; 7, 36), Mopsuestia (HE, 2, 19; 6, 3); Kastabala (HE, 4, 12); Neroniade (HE, 2, 36). 39. Viene citata in Isauria la città di Seleucia (HE, 2, 37; 2, 39; 2, 40; 6, 3). 40. Di Cipro viene ricordata solo Constantia, come sede del vescovo Epifanio (HE, 6, 10), HE, viene altrove richiamato più genericamente come vescovo di Cipro. 41. Socrate cita Gaza (HE, 1, 13; 2, 15), Scitopoli (HE, 2, 9; 2, 39; 2, 43) e, naturalmente, Gerusalemme, senza collocarle nella Palestina, ad eccezione della lista nicena, mentre egli colloca in Palestina senza specificazioni ulteriori Cesarea (HE, 1, 8; 1, 24; 2, 39; 3, 23); Constantia (HE, 1, 18) e Diocesarea (HE, 2, 38).
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la Siria, la Fenicia, senza citarne le divisioni, l’Arabia42 e la Mesopotamia43, alle quali Sozomeno aggiunge Osroene44 ed Euphratensis. Della geografia egiziana attenzione è prestata quasi esclusivamente alla geografia monastica. L’Egitto è generalmente presentato nella sua unità, si parla di vescovi e monaci egiziani, o diviso in due parti, l’Egitto e la Tebaide, il Basso e l’Alto Egitto. La provincializzazione tardoantica dell’Egitto viene solo marginalmente richiamata. Delle provincie egiziane conosciute nelle liste tardoantiche, oltre l’Egitto, l’Augustamnica, l’Arcadia e la Tebaide, l’Augustamnica viene richiamata solo in una epistola di Costanzo II45, dell’Arcadia fa menzione una volta Sozomeno a proposito del villaggio di cui era originario il monaco Antonio46, mentre viene spesso richiamata la Tebaide , soprattutto in relazione alle località sede di insediamenti monastici, con l’eccezione della città di Hermoupolis47, di cui però solo Sozomeno indica la collocazione nella provincia48. Della Tebaide viene indicato da Sozomeno il monastero di Tabenne fondato da Pacomio49 ed altri insediamenti monastici. Un’altra grande area monastica che viene definita nella narrazione di Sozomeno è la regione del delta del Nilo, il lago di Mareotide50, e il deserto di Sketé51. Bisogna considerare che Socrate e Sozomeno fanno riferimento al sistema provinciale romano all’interno di un’opera storiografica e che quindi il genere non li impegna sistematicamente ad una precisione amministrativa. Non è quindi da addebitare ad una loro negligenza il fatto che ordinariamente trascurino di richiamare la divisione in due delle province. E’ forse più significativo che qualche volta la richiamino. Per fare un confronto, Ammiano Marcellino, che è ordinariamente preciso nell’indicazione delle collocazione nelle provincie delle località che cita, menziona sempre una Frigia indivisa, anche se una divisione della provincia è già nel Laterculus Veronensis52. A parte qualche omissione, impressiona invece in un’opera storiografica, e soprattutto in una storia ecclesiastica, questa ricchezza di richiami al sistema provinciale romano in Oriente e la sua sostanziale esattezza. In questa ricchezza ed esattezza si riflette da una parte certo la scelta generale della chiesa di modellare la propria organizzazione sul sistema amministrativo imperiale, per πόλεις ed ἐπαρχίαι, come decretato dal concilio di Costantinopoli, dall’altra però la scelta storiografica dei nostri due autori di mettere in evidenza questo nesso. Ci sono certamente state in corrispondenza con questa scelta da parte della chiesa liste di
42. Della provincia di Arabia Socrate cita solo la città di Filadelfia (HE, 3, 7). Cita Bostra a proposito del vescovo Tito, ma senza richiamare la provincia in cui la città si colloca (HE, 3, 25). 43. Nella provincia di Mesopotamia Socrate colloca la città di Edessa (HE, 2, 9) e di Chascharon (HE, 1, 22). 44. In Osroene Sozomeno, a differenza da Socrate colloca correttamente Edessa (HE, 3, 6, 1). 45. Socr., HE, 2, 23, 57. Socrate (HE, 2, 24, 7) e Sozomeno (HE, 2, 25, 4) richiamano avvenimenti ecclesiastici riguardanti Pelusio che, si trova appunto in Augustamnica ma senza l’indicazione della provincia. 46. Sozom., HE, 1, 13, 2. 47. Socr., HE, 6, 7, 13; 6, 7, 18; 6, 17, 11; Sozom., HE, 5, 21, 8; 5, 21, 9. 48. Sozom., HE, 5, 21, 8. 49. Sozom., HE, 3, 14, 5; 3, 14, 16; 3, 14, 17; 6, 28, 3. 50. Sozom., HE, 6, 29, 3; 6, 29, 23. 51. Sozom., HE, 1, 14, 8; 3, 14, 1; 6, 29, 9; 6, 29, 11; 6, 29, 14; 6, 29, 19; 6,29, 20; 6, 29, 22; 6, 30, 1; 6, 30, 11; 6, 31, 5; 8, 2, 16; 8, 6, 2; 8, 12, 1; 8, 12, 7; 8, 17, 4; 8, 17, 5. 52. Amm. 23, 6, 18; 26, 8, 12; 26, 9, 1, 27, 5, 1.
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sedi episcopali articolate per provincie, come la lista dei vescovi partecipanti al concilio di Nicea in Socrate, H.E. 1, 13, ma la scelta dei due storici, soprattutto di Socrate, non è solo quella di fornire la collocazione provinciale dei vescovi che egli cita, ma di inserire in una griglia provinciale romana tutte le vicende della storia della chiesa. Non solo le province romane della parte orientale dell’impero costituiscono il quadro in cui sono inseriti personaggi ed avvenimenti della storia ecclesiastica, ma, soprattutto in Socrate, le sono anche le diocesi, quella asiana e quella pontica – alle quali talora viene aggiunta della diocesi d’oriente solo la Cilicia – e quella tracica53. Ne è un bell’esempio la sistemazione delle gerarchie episcopali nel concilio di Costantinopoli del 381, com’è riportata, con qualche differenza, da Socrate54 e Sozomeno55: al successore di Basilio sul seggio di Cesarea di Cappadocia, Helladius, viene riconosciuto il patriarcato sulla diocesi pontica – correttamente indicata da Sozomeno come estesa dalla Bitinia all’Armenia – in congiunzione con Gregorio vescovo di Nissa, sempre in Cappadocia, e Otreino, vescovo di Melitene in Armenia. Ad Amfilochio di Iconio (metropoli della Licaonia, provincia creata nel 373) e a Ottimo, vescovo di Antiochia di Pisidia (che non viene citato da Sozomeno), viene assegnato il primato sulla diocesi asiana. Pisidia e Licaonia, sono dunque concordemente riconosciute come appartenenti alla diocesi asiana. Una posizione di preminenza sulle chiese della diocesi d’Oriente, fermo restando il primato Antiochia, viene riconosciuta a Diodoro di Tarso in Cilicia e a Pelagio di Laodicea in Siria. Siria e Cilicia fanno parte comunque senza discussione della diocesi d’Oriente. Socrate attribuisce il primato anche sulla Tracia al vescovo di Costantinopoli Nettario, mentre Sozomeno attribuisce il primato sulle città della Tracia e della Scizia al vescovo Terenzio di Tomi (che è metropoli della provincia di Scizia nella diocesi di Tracia) e Martirio di Marcianopoli, che è metropoli della Mesia II, anch’essa nella diocesi di Tracia. Si potrebbe intendere che Sozomeno alluda con una certa imprecisione al primato di questi vescovi su una parte della diocesi tracica, corrispondente sostanzialmente alle loro provincie? Socrate definisce comunque in maniera più netta il rapporto fra l’area di influenza di questi vescovi e le partizioni amministrative dell’impero. Tra i vescovi vengono ripartite delle provincie (διανειμάμενοι τάς ἐπαρχίας) e delle diocesi, quella asiana, quella pontica, quella orientale, quella tracica. La relativa accuratezza nei riferimenti alla geografia amministrativa della parte orientale dell’impero, che è ancora in qualche misura sensibile nei riferimenti alle province della diocesi tracica (soprattutto per la provincia di Scizia56) e macedonica, in gran parte svanisce nei riferimenti alla geografia amministrativa della parte occidentale dell’impero in cui la collocazione di fatti ed eventi nel territorio è spesso generica e non priva di gravi errori. Localizzazioni in Italia, Gallia, Spagna, Britannia, Illirico sono designate spesso con il solo nome della regione. La precisione del riferimento si manifesta in rare eccezioni, per esempio la corretta indicazione in entrambi gli storici che Vercelli, la sede del vescovo Eusebio, si trova nella Liguria57.
53. Socr., HE, 1, 9, 42; 5, 8; 5, 8; 5, 22. 54. Socr., HE, 5, 8, 15-18. 55. Sozom., HE, 7, 9, 6. 56. Sozom., HE, 6, 21, 3. 57. Socr., HE, 2, 36, 1; 3, 5, 1; Sozom., HE, 4, 8, 3.
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In realtà, all’epoca del vescovo Eusebio, la Liguria era unita all’Aemilia in un’unica provincia di Aemilia et Liguria ma dalla fine del IV secolo, le due province si separarono, o precisa é ancora l’indicazione in Socrate che Poitiers, la sede del vescovo Ilario, si trovava nell’Aquitania II58. Anche in questo caso la notizia non riflette la situazione al tempo di Ilario, in cui l’Aquitania non era ancora divisa, ma la situazione che si crea poco dopo la sua morte, presumibilmente negli anni 369/370. Nell’Illirico occidentale Socrate colloca correttamente Singidunum nella Moesia superior e Mursa nella Pannonia superior59 – che però più avanti, nella narrazione del conflitto di Costanzo II contro l’usurpatore gallico Magnenzio è definita una fortezza gallica60 – e colloca, ovviamente erroneamente, poi Aquincum in Italia61. In Italia viene riportata come metropoli inspiegabilmente (perché Socrate, com’è da attendersi, conosce Milano) Alba62 La Spagna è ricordata genericamente in elenchi di regioni dell’impero e più specificamente solo a proposito di Ossio di Cordova63, dell’origine di Teodosio64 e nella narrazione dell’usurpazione di Costantino III, avendo come fonte in quest’ultimo caso Olimpiodoro. Britannia e, lacuna certamente più grave, l’Africa vengono ricordate da Socrate solo in elencazioni di regioni occidentali. Sozomeno presta relativamente più attenzione all’Africa, sempre citata genericamente, soprattutto a proposito delle vicende politiche e militari dell’inizio del V secolo, ma anche in qualche momento della controversia ariana65. Nei territori micrasiatici ed orientali, in cui, come abbiamo ricordato, la collocazione delle città citate nella rete provinciale romana non si limita solo alle metropoli provinciali, ma viene spesso allargata anche ai centri minori, viene citato in numerose province più di un centro urbano. Per non fare che qualche esempio, della Frigia soprattutto è richiamato dai due storici un considerevole numero di città: viene ricordata Nacolia, la città presso la quale fu sconfitto da Valente l’usurpatore Procopio66, Merum, in cui il governatore della Frigia sotto l’imperatore Giuliano fece ripristinare e riaprire un tempio pagano chiuso da tempo67, Pazoukomé, un piccolo centro presso le sorgenti del fiume Sangarus, in cui si tenne un concilio di novaziani frigi68, Cotyaeum, come sede di un vescovo novaziano69, Agdamia, il cui vescovo fu trasferito ad Antiochia di Pisidia70, Trapezoupoli71, il cui vescovo fu trasferito in Tracia, Tiberiade di Frigia72. In Paflagonia, oltre a Pompeiopolis73 e alla metropoli Gangra, sede di un 58. Socr., HE, 3, 10, 1. 59. Socr., HE, 1, 27, 7.; 2, 12, 3. 60. Socr., HE, 2, 32, 2; Sozom., HE, 4, 7, 2. 61. Socr., HE, 4, 31, 7. 62. Socr., HE, 2, 36: Διονύσιός τε καὶ Εὐσέβιος, ὧν ὁ μὲν Ἄλβας τῆς Ἰταλῶν μητροπόλεως ἐπίσκοπος ἦν. L’errore è condiviso anche da Sozom., HE, 4, 9, 3. 63. Socr., HE, 1, 7, 5; 1, 13, 12; 2, 20,8; 2, 29, 3; 3, 7, 12. 64. Socr., HE, 5, 2, 2. 65. Sozom., HE, 4, 15, 2; 4, 24, 6. 66. Socr., HE, 4, 5, 2. 67. Socr., HE, 3, 15, 1. 68. Sozom., HE, 6, 24, 7; 7, 18, 1; 7, 18, 8. 69. Socr., HE, 4, 28, 18; Sozom., HE, 6, 24, 8. 70. Socr., HE, 7, 36, 19. 71. Socr., HE, 7, 36, 19. 72. Socr., HE, 7, 46, 9; 7, 46, 13. 73. Socr., HE, 1, 13; 2, 39, 17; 2, 40, 19; 2, 42, 6; 3, 10, 7; 3, 25, 3; Sozom., HE, 4, 22, 7; 4, 24, 12; 6, 4, 3.
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noto concilio nel IV secolo74, Socrate e Sozomeno ricordano anche Mantinium come sede di una numerosa comunità novaziana75. Delle due province di Cappadocia, oltre a Cesarea76 e Nazianzo77, vengono ricordate anche Nissa e Sasima78. Non solo però le Storie di Socrate e Sozomeno richiamano città minori soprattutto all’interno, come abbiamo visto, di province micrasiatiche, ma danno spazio anche agli ambiti suburbani e ai territori rurali. Socrate ricorda il villaggio di Nicomedia in cui Costantino aveva giudicato, assolvendolo, delle accuse di lesa maestà mosse contro di lui Atanasio, Psamathia79. Di Helenopolis in Bitinia, un villaggio al quale Costantino conferisce statuto cittadino in onore della madre, Sozomeno cita le acque termali nei pressi della città80; il vescovo Patrophilos si ferma per curarsi gli occhi nei sobborghi di Seleucia Isaurica81. Soprattutto Sozomeno negli ultimi libri della sua Storia ecclesiastica menziona spesso villaggi di cui richiama l’appartenenza ad un territorio cittadino e insieme l’appartenenza della città ad un territorio provinciale. Per esempio, narrando dei miracoli compiuti dal vescovo di Euroea in Epiro, Donato, cita l’incredibile storia dell’uccisione con il solo segno della croce e con la saliva sputata su di lui, di un dragone che affliggeva il territorio divorando il bestiame, ed indica la statio in cui si era insediato, Chamaigephyrai82; e ancora lo stesso santo vescovo fa sgorgare miracolosamente una sorgente in un villaggio, Isoria83, della stessa città di Euroea, episodio del quale egli richiama la testimonianza degli abitanti. Sozomeno poi, come ha ben messo in evidenza Van Nuffelen, offre una serie di indicazioni geografiche puntuali sul suo territorio d’origine84. Lo storico era originario del villaggio di Bethelea nei pressi di Gaza, ma appartenente probabilmente all’episcopato di Maiuma, il porto di Gaza, che ricevette da Costantino, per la presenza di una importante comunità cristiana, lo statuto di città con il nome di Constantia e l’indipendenza da Gaza, che era ancora in maggioranza pagana. Lo storico descrive con dettaglio la geografia monastica dell’area e la dislocazione degli asceti in aree suburbane: il monaco Ammonios che era originario del villaggio di Chapharchonbran, vicinissimo al villaggio natale di Bethelea, i monaci Aurelius, Alexion e Alaphion che vivevano in villaggi nelle prossimità di Maiouma, Anthedon, Bethagathon e Asalea85. I nostri due storici ecclesiastici non si limitano talora a fornire la collocazione nel sistema provinciale romano delle città e, come abbiamo appena visto, anche talora dei villaggi sui territori urbani, ma forniscono in qualche caso anche indicazioni
74. Socr., HE, 2, 43, 2; 2, 43, 6; Sozom., HE, 3, 14, 35; 4, 24, 9. 75. Socr., HE, 2, 38, 29; 2, 38, 30; Sozom., HE, 4, 21, 1; 4, 21, 2. 76. Socr., HE, 2, 43, 1; 4, 11, 9; 4, 26, 11; 5, 18, 15; 5, 22, 55; 5, 22, 59; 6, 3, 8; 7, 48, 2; 7, 48, 5; Sozom., HE, 3, 5, 10; 4, 24, 9; 5, 4, 1; 5, 4, 4; 5, 11, 8; 6, 12, 2; 6, 15, 5; 6, 16, 4; 6, 21, 1; 6, 34, 9; 7, 9, 6; 7, 17, 2. 77. Socr., HE, 4, 11, 9; 4, 26, 13; 7, 36, 10. 78. Socr., HE, 7, 36, 10. 79. Socr., HE, 1, 27, 10. 80. Sozom., HE, 2, 34, 1. 81. Socr., HE, 2, 39, 10. 82. Sozom., HE, 7, 26, 1. 83. Sozom., HE, 7, 26, 5. 84. Van Nuffelen 2004. 85. Sozom., HE, 3, 14, 28.
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geografiche e storiche relative a questi centri. Di Edessa Socrate cita la chiesa dedicata all’apostolo Tommaso86; di Sangarum dice che è una città commerciale, un emporion, presso Helenopolis in Bitinia87; di Praenetum, ugualmente in Bitinia, afferma che era un emporion nei pressi di Nicomedia88; su Chrysopolis scrive un breve excursus storico in cui vengono citati Senofonte, Strabone e Nicolò di Damasco89. Sozomeno, dal canto suo, scrive che Cesarea di Cappadocia è vicina al monte Argeo90, indica con esattezza Tomi come metropoli della provincia di Scythia descrivendola come una popolosa città sul mar Nero alla sinistra di coloro che navigano il mare provenendo evidentemente da Costantinopoli91; cita una montagna, detta Sigaron, nei pressi di Nisibi, che si può collocare tra Nisibi ed Edessa, frequentata da asceti92. Nei limiti che abbiamo indicato nelle nostre storie ecclesiastiche, con relativa precisione ed ampiezza cioè per alcune diocesi orientali, asiana, pontica, orientale e in parte tracia, ma con l’inclusione nel quadro provinciale anche di città minori e di villaggi, il sistema provinciale romano serve, almeno in parte, come riferimento per disegnare una serie di complessi geografici su base religiosa: geografia del credo ortodosso, delle sette ereticali e scismatiche, dei conflitti per i seggi episcopali, dell’ascetismo monastico, degli usi liturgici, del paganesimo. Socrate descrive la dislocazione delle comunità novaziane perseguitate, a Costantinopoli stessa, dove i novaziani sono costretti a ricostruire la loro chiesa a Sycae93, nella tredicesima regione di Costantinopoli, nell’Ellesponto a Cizico94 ad Helenopolis in Bitinia, nella Paflagonia, particolarmente a Mantinium95, e in Frigia96. I Macedoniani sono privati per intervento del vescovo di Costantinopoli Nestorio non solo delle chiese e dei beni che possedevano a Costantinopoli, ma anche a Cizico e nelle aree rurali dell’Ellesponto97. Per lo stesso storico contro Flaviano di Antiochia sono i vescovi di Egitto, Arabia e Cipro, a favore quelli di Palestina, Fenicia e Siria, province di cui non sono citate le suddivisioni98. Partendo poi dalle controversie sulla data della Pasqua, Socrate descrive la varietà locale degli usi liturgici e disciplinari nelle varie chiese – che non produce però conflitti e dissidi all’interno della chiesa – in un lungo capitolo ricco di informazioni di diversa provenienza, talora anche dichiaratamente provenienti da una conoscenza diretta. Per esempio lo storico dice di aver appreso che in Tessaglia i presbiteri, che dopo l’ordinazione hanno rapporti sessuali con le mogli, sono rimossi dall’ordine. Lo stesso costume prevale in Macedonia e in Grecia, mentre in Oriente i presbiteri si astengono di comune accordo con le
86. Socr., HE, 4, 18, 1. 87. Socr., HE, 5, 21, 11. La stessa informazione è riportata da Sozom., HE, 7, 18, 3. 88. Socr., HE, 6, 16, 6. 89. Socr., HE, 7, 25, 13. 90. Sozom., HE, 5, 2, 9. 91. Sozom., HE, 6, 21, 3. 92. Sozom., HE, 6, 33, 1. 93. Socr., HE, 2, 38, 19. 94. Socr., HE, 3, 11, 3. 95. Socr., HE, 4, 38, 29; Sozom., HE, 4, 21, 1. 96. Socr., HE, 4, 28, 1. 97. Socr., HE, 7, 31, 4. Sull’area di diffusione geografica del movimento macedoniano si vedano Socr., HE, 4, 4,6; 5, 8, 5; 5, 22, 59; 7, 3, 1 (in Frigia); 7, 31, 2. 98. Socr., HE, 5, 10, 32.
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mogli da rapporti sessuali ma senza alcuna norma che li costringa a farlo; ancora, in Grecia, in Tessaglia e a Gerusalemme i fedeli iniziano la preghiera appena le candele sono accese, come fanno anche i Novaziani a Costantinopoli, mentre a Cesarea e in Cappadocia e a Cipro le preghiere iniziano alla sera dopo che le candele sono state accese99. In Sozomeno i niceni perseguitati fino alla privazione di un luogo di culto si trovano, sotto l’imperatore Valente, in Tracia, Bitinia ed Ellesponto100: se Bitinia ed Ellesponto sono presumibilmente le due provincie confinanti, ci si può chiedere se Thracia indichi la provincia o più probabilmente l’intera diocesi, come è spesso evidente nelle citazioni di Sozomeno. L’eresia di Apollinare, scrive Sozomeno, si estendeva nella diocesi orientale, dalla Cilicia alla Fenicia, l’eresia eunomiana in direzione opposta dalla Cilicia e dalle montagne del Tauro fino all’Ellesponto ed a Costantinopoli101. Lo stesso storico individua aree prevalentemente pagane ancora alla fine del IV secolo nelle città di Petra ed Areopolis in Arabia, che avevano fatto parte della provincia di Arabia Petraea, ma che probabilmente da Teodosio I, furono inserite nella nuova provincia di Palaestina salutaris; nelle città di Raphia e Gaza in Palestina, che appartenevano al territorio della Palestina I, di Heliopolis in Fenicia, che apparteneva alla provincia di Fenicia Libanensis, e di Apamea in Siria, che apparteneva alla provincia di Syria salutaris102. Sozomeno aggiunge che i pagani di Apamea armarono in difesa dei loro templi gli abitanti delle aree rurali della Galilea, che appartenevano alla Palestina II, e del Libano, che appartenevano, alla provincia di Fenicia Libanensis, che sono effettivamente province confinanti con la Syria salutaris. Viene dunque da Sozomeno identificata un’area geografica coerente caratterizzata da una forte presenza pagana. Per brevità mi limito a citare un tema importante come quello della geografia monastica, che in Sozomeno, com’è noto, è molto più estesa che in Socrate e comprende non solo l’Egitto, ma la Palestina, la Siria e l’Asia minore. In conclusione nei nostri due storici la localizzazione di personaggi ed eventi, nei limiti soprattutto, come abbiamo visto, delle province orientali dell’impero romano, è non solo ampia e dettagliata ma tendenzialmente universale, nel senso che il coinvolgimento del territorio dell’impero nelle azioni narrate riguarda non solo un grande numero di province e di città, ma anche territori rurali. Il territorio imperiale delle province orientali non è solo, come in generale nelle storie profane, teatro di avvenimenti di cui spesso non è attore con i suoi abitanti e i suoi leaders, ma attraverso le personalità dominanti sul piano religioso, i vescovi soprattutto, come anche i monaci, è partecipe delle vicende narrate e dei fenomeni descritti. Protagoniste diventano le città, anche al di là dei grandi centri come Roma, Costantinopoli, Alessandria, Antiochia, nella loro forma più ampia e completa, non solo i centri urbani, ma anche il suburbio ed il territorio rurale. In questa sua capillare estensione geografica nell’ambito soprattutto della struttura politica e amministrativa dell’impero la storiografia ecclesiastica può porsi accanto alla storiografia tradizionale rivendicando alla vita della chiesa un ruolo essenziale nell’identità dell’impero.
99. Socr., HE, 5, 22. 100. Sozom., HE, 6, 10, 2. 101. Sozom., HE, 6, 27, 9. 102. Sozom., HE, 7, 15, 11.
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Der geographische Horizont des Menandros Protektor Bruno Bleckmann
(Universität Düsseldorf)
Abstract Menander Protector provides precise geographical information on the Roman Empire, regarding both current territories and those formerly under Byzantine rule. His work – given the limits of the extant fragments – also includes precise coverage of areas bordering on the Empire. Especially noteworthy are the details on the geography of Central Asia. Their trustworthiness rests upon the fact that Menander extracted the information directly from ambassador accounts and left it unaltered. Zusammenfassung Menander Protektor bietet präzise Angaben zur Geographie des Römischen Reiches, sowohl der verlorenen Gebiete als auch der Gebiete, die unter der Kontrolle von Byzanz standen. Auch einige der an das Reich angrenzenden Gebiete sind, soweit es die Fragmente erfassen, genau beschrieben worden. Besonderen Augenmerk verdienen die Angaben zur Geographie Mittelasiens. Ihre Qualität beruht darauf, dass Menandros sein Material unmittelbar und ohne größere eigenen Eingriffe Gesandtschaftsberichten entnimmt.
Der Historiker Menandros Protektor behandelte die Geschichte der letzten Regierungsjahre Justinians sowie der Regierungen Justins II. und des Tiberius. In den Excerpta de legationibus sind umfangreiche Passagen erhalten, weitere Fragmente verdankt man der Suda und den Excerpta de Sententiis. Sie informieren vor allem über diplomatische Verhandlungen, nämlich zwischen der römischen Reichszentrale einerseits und den Awaren und den Sasaniden, aber auch den Göktürken andererseits1.
1. Ich bereite gemeinsam mit Markus Stein eine Übersetzung und einen Kommentar zu Menandros Protektor in der Serie „Kleine und Fragmentarische Historiker der Spätantike“ vor. Teile dieses Aufsatzes dienen als Vorarbeit für die historische Einleitung und werden identisch wiedergegeben werden. Die Zählung der Fragmente erfolgt in den „Kleinen und Fragmentarischen Historiker der Spätantike“ nach den etablierten Quellensammlungen, also im Falle von Menandros nach Müller (FHG IV), wonach auch hier zitiert wird. Abweichende Zählung der Fragmente bei Blockley 1985. Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 293-301
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Im vollständigen Text des Menandros müssen weitere Gegenstände, wie etwa die Kirchenpolitik, durchaus ebenfalls eine Rolle gespielt haben2. Das Interesse an der Diplomatie ist gleichwohl kein ausschließlich aus der Verzerrung durch die Überlieferung sich ergebender Eindruck, sondern entspricht der Bedeutung, die die Außenpolitik in einer für das römische Reich immer schwierigeren globalen Konstellation besonders seit den 560er Jahren gewonnen hatte. Das römische Reich sah sich in der zweiten Hälfte des sechsten Jahrhunderts in Konkurrenz mit anderen Mächten, die sich mindestens als gleichrangig betrachteten, nämlich den Awaren, den Sasaniden und den Türken, deren locker organisiertes Reich vom Don bis zur Mongolei reichte. Die Türken waren zunächst Verbündete der persischen Sasaniden gewesen, mit denen sie gemeinsam die Hephtaliten unterworfen hatten, hatten sich aber dann in einem Allianzwechsel als Verbündete Roms gegen die Sasaniden gestellt. Diese neue außenpolitische Großwetterlage trug wesentlich dazu bei, dass Justin II. mit einem sehr viel aggressiveren Kurs gegen die Sasaniden den Ausbruch von Feindseligkeiten eröffnete, die mit Unterbrechungen durch kurze Friedenszeiten bis zum Aufstieg der Araber reichen sollten. Der römisch-persische Dauerkonflikt, der einen großen Teil der imperialen Ressourcen kostete, sollte die Lage der byzantinisch-oströmischen Macht in Italien und an der Donau entscheidend verschlechtern. Gerade diese globale Gefährdung in einer Zeit, deren unmittelbarer Zeuge Menandros war, führte dazu, dass er eine recht breite und recht umfassende Sicht der Verhältnisse innerhalb und außerhalb des römischen Reiches hat, die in der Wiedergabe eine Fülle exakter geographisch-politischer Details verrät. Diese Exaktheit kann sowohl für die aktuell zum römischen Reich gehörenden Regionen ebenso festgestellt werden wie auch für die Gegenden, die früher zum Reich gehörten, des Weiteren für die Grenzzonen zwischen Rom und den konkurrierenden Mächten der Sasaniden und Awaren, aber auch für die entlegenen Gebiete der damals bekannten Welt. Für den Westen sind wohl nicht nur Italien und insbesondere Oberitalien (Verona) in den Blick des Autors geraten, sondern etwa auch der Schauplatz der Auseinandersetzungen zwischen Franken und Awaren am Mittellauf der Elbe. Britannien mag im Zusammenhang mit den Rüstungen des Tiberius erwähnt worden sein3. Blockley wirft Menandros vor, dass bei ihm die Schrumpfung des geographischen Horizonts dazu geführt habe, dass er im Unterschied zu Prokop Afrika nicht mehr beachtet habe4. Eine solche Aussage ist bei einem fragmentarischen Historiker kaum möglich. Zusätzlich kann darauf hingewiesen werden, dass Menandros zumindest mit Gelimer den letzten, in Afrika herrschenden Vandalenkönig durchaus kennt5. Gut informiert ist Menandros über die für die Reichsverteidigung zentrale illyrische Donaugrenze, unabhängig davon, ob er Angaben über die Stromschnellen am Eisernen Tor oder über die Errichtung einer Flussbrücke über die Donau enthält6. 2. Erkennbar etwa in dem erst später entdeckten Fragment über ein Stück des wahren Kreuzes, vgl. Halkin 1973. Zur Diskussion vgl. Bleckmann 2015, S. 244-250. Menandros war mit Sicherheit – ebenso wenig wie Prokop – ein religiös indifferenter Autor, vgl. Whitby 1992, S. 44 f.; Brodka 2007, S. 96 f. 3. Vgl. dazu Frg. 40. 4. Blockley 1985, S. 15 mit Anm. 62. 5. Frg. 4. 6. Unklar ist, ob Suda K 2690 und K 745 Menandros zugewiesen werden können.
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Das pannonische Siedlungsgebiet der Langobarden ist ebenso bekannt wie die Pannonia Secunda7 und deren mit topographischen Details beschriebenen Hauptstadt Sirmium8, die Save als Grenzfluss zwischen Pannonia Secunda und Dalmatia9, die Stadt Singidunum10, die Provinz Scythia diesseits der Donaumündung11 etc. Wenig präzise muten dagegen die Angaben zum Awarenreich jenseits der Donau an12 oder zum Siedlungsgebiet der Anten oder Slawen. Möglicherweise gab es aber in den verlorenen Teilen seiner Geschichte hierzu weitere Informationen. Präzisionen sind nämlich in der Tat dort, wo detailliertere und ausführliche Passagen aus Menandros erhalten geblieben sind, auch zu erahnen. Für die römisch-armenische Grenzregion finden sich nicht nur zahlreiche Angaben für die auf römischer Seite stehenden Forts, wie Theodosiupolis13 oder Kitharizon14, sondern auch für die zum persischen Machtbereich gehörenden Gegenden und Völker, wie etwa Bagravand oder die Mareptiker15. Das gleiche gilt für die Verhältnisse an der mesopotamischen Grenze, etwa zur Umgebung von Daras, zu Athraelon als Treffpunkt von persischen und römischen Gesandtschaften, zu Monokarton, dem späteren Tiberiupolis, etc16. In der Regel kann Menandros dabei die Verhältnisse, die durch die Grenzkorrektur von 591 geschaffen wurden, von den vorangehenden Gegebenheiten unterscheiden. Nur bei der Erwähnung eines „Kleinarmenien“, das evidenter Weise nicht mit dem römischen Kleinarmenien als Teil Kappadokiens identisch sein kann, könnte in irgendeiner Form eine Verwirrung über die ständigen Grenzveränderungen gegriffen haben17. Die unübersichtlichen Verhältnisse auf dem Kaukasus werden zwar auch durch Menandros nicht vollends klar. Ihm sind aber immerhin zahlreiche Angaben zu dessen Geographie und Population zu verdanken, von den Apsiliern und dem Darial-Pass18 bis zum jenseits (von Kleinasien aus gesehen) des Kaukasus fließenden Kophen-Kuma-Fluss. Von größter Bedeutung sind schließlich die Angaben des Menandros dort, wo er ganz wesentlich über den bisherigen Horizont der griechisch-römischen Historiographie hinausgreift, nämlich für Zentralasien. Hier kann er im Zusammenhang mit dem gegen die Sasaniden gerichteten türkisch-römischen Bündnis und dem entsprechenden Gesandtschaftsverkehr sehr genaue Angaben bieten. Da das vom Schwarzen Meer19 bis zur Mongolei reichende Göktürkenreich politisch nach China einwirkte, können die Angaben des Menandros über die Machtbildung der Göktürken, ihre politische Organisation, ihre Bestattungsgewohnheiten wiederholt durch chinesische
7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16.
Frg. 9. Zu „Oberpannonien“, das vielleicht nicht mit Pannonia Prima identisch ist, s. Frg. 64. Frg. 27: Thermen von Sirmium. Frg. 66: morsche Brücke nach Dalmatien. Frg. 27 Ende. Frg. 64. Frg. 9. Frg. 27 Ende. Frg. 41. Frg. 52 mit Hinweisen zu den „Eingängen Armeniens“. Frg. 41. Frg. 15 enthält Details zur Topographie von Daras, s. ferner Frg. 46 (Athraelon); Frg. 60 (Monokarton). 17. Frg. 41. 18. Frg. 22. 19. Zur Expansion des Türkenreichs bis in das Schwarzmeergebiet, vgl. Frg. 43 Ende.
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Quellen in ihrer Zuverlässigkeit bestätigt werden20. Menandros verdankt man eine ausführliche Beschreibung der Residenz des westlichen Khagans im Tien-Shan-Gebirge unweit der heutigen chinesisch-kirgisischen Grenze21. Er bietet Informationen zum Verhältnis zwischen dem Türkenherrscher und den nördlich des Amu-Darja (ungefähr im heutigen Usbekistan) wohnenden Sogdern22, die im sechsten Jahrhundert intensiv den Seidenhandel betrieben und möglicherweise auch bereits selbst Seide produzierten23. Besonders großes Interesse hat in der Sekundärliteratur seit jeher der Bericht über die Rückreise des Zemarchos und seiner Gesandtschaft von der Residenz des Khagans nach Byzanz gefunden, in dem die Flüsse Emba, Ural und Wolga vermutlich mit historischen türkischen Namen bezeichnet werden24. Die Beschreibung eines großen und weiten Sees, über dessen sandigen Strand die Gesandten über eine lange Strecke reisen, passt zum Aral-See25. Die Gesandtschaft gelangt nach Überquerung des Kophen-Kuma Flusses und des Kaukasus schließlich in den Ort Rogatorion26. Ähnliche Kenntnisse dürfte Menandros auch von den Verhältnissen im Innern des Sasanidenreichs gehabt haben, auch wenn diesbezügliche Nachrichten im fragmentarischen Quellenmaterial eher selten sind und bei der Darstellung der Reise des Johannes zur Residenz des Khosrau nähere Erläuterungen beispielsweise fehlen27. Insgesamt ist die gesamte erfassbare Ökumene bei Menandros mit einer erheblich größeren intellektuellen Präsenz und wesentlich größeren Kenntnissen beschrieben als bei Autoren, die ein oder zwei Generationen früher geschrieben haben, von Zosimos bis zu Johannes Malalas. Von Zosimos werden selbst Gegenden, die früher zu den Kerngebieten des römischen Reiches gehörten, ignoriert. Zosimos versteht die Angaben in dem ihm vorliegenden Quellenmaterial nicht und verwechselt etwa den Appenin und die Alpen, Singidunum mit Lugdunum und dergleichen mehr28. Solche bemerkenswerten geographischen Konfusionen können viele Gründe haben. Bei Malalas könnte man etwa die Beschränkung des antiochenischen Horizonts anführen. Bei Zosimos, der als ehemaliger advocatus fisci in Konstantinopel lebte und in gleicher Weise wie Menandros Informationen aus der Reichszentrale abgreifen konnte, fällt diese Erklärung aber aus. Vielmehr erklärt sich die Beschränkung vor allem damit, dass der eigentlich zeithistorische Horizont und die Herausforderungen der eigenen Zeit diesen Kompilator nur mäßig interessierten. Ihm ging es vor allem darum, in enger Anlehnung an die von ihm benutzten Quellen einen gegen das christliche Kaisertum gerichteten Abriss zu bieten. 20. Frg. 18-22; 32; 43 und 45. Diskussion der chinesischen Quellen insbesondere bei Chavannes 1903. 21. Frg. 20. 22. Frg. 18 und 20. 23. De la Vaissière 2005. 24. Frg. 21 = 10,4 Blockley. Zum Problem der Namen, s. Golden 1992, S. 129 f.; Dobrovits 2011, S. 391 f. 25. Frg. 21 = 10,4 Blockley. Für die Identifizierung mit dem Aralsee vgl. Herrmann 1914, S. 56 f.; Dobrovits 2001, S. 391 f., Anm. 96. Extreme Skepsis gegenüber allen Identifizierungen Blockley 1985, S. 265 f., Anm. 140. 26. Frg. 22. 27. Frg. 15: Reise von Nisibis zur Königsresidenz. S. auch die Reise des Petros Patrikios nach Bitharmais (Frg. 11). 28. Vgl. Paschoud 1989, S. 124 und S. 187 f.
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Neben der Tatsache, dass es verschiedene Qualitätsniveaus auch bei Historikern gibt, lassen sich aber auch andere Gründe für die auffällige Erweiterung des geographischen Horizonts bei Menandros anführen. Zunächst führte das Werk der justinianischen Reconquista dazu, dass durch den Einsatz von Reichsressourcen in weit entfernten Gegenden auch die Kenntnisse dieser Gegenden und die Informationen über diese Gegenden zunahmen. Die Erweiterung der Kenntnisse etwa über den äußersten Westen, von Britannien bis zu den Franken kann auch bei anderen Historikern dieser Zeit festgestellt werden29. Selbst die Tatsache, dass die Eroberungen im Westen teilweise wenige Jahre nach Justinians Tod wieder verloren gingen, trug paradoxerweise vorübergehend zu dieser Erweiterung des Horizonts bei, da dramatische Ereignisse wie die Eroberung Italiens durch die Langobarden mit entsprechend dichten und genau lokalisierten Nachrichten dokumentiert wurden. Wie gerade der erneute Verlust der von Justinian mühsam zurückgewonnenen Gebiete dazu führt, dass man sich die frühere Ausdehnung des römischen Reiches bewusst machte, zeigt eine Episode aus der Zeit Justins II., der als Zerstörer des Restaurationswerk Justinians galt. Johannes von Ephesos (3,24) berichtet von einem anonymen Pamphlet, das an einem von Justin II. errichteten Leuchtturm angebracht worden war und das den Kaiser folgendermaßen attackierte: „Baue doch deine Säule, baue doch nur und erhebe sie so sehr du kannst, und setze und stelle dich ihr gegenüber, betrachte, schau‘ an und siehe den Orient und Okzident, den Norden und Süden: verheert und vernichtet sind sie in deinen Tagen.“30 Der gleichen Sicht der Dinge ist Menandros verpflichtet, wenn er, letztlich in einer dem Geschichtsbild des Polybios entnommenen Sicht der Dinge, den Arzt und Gesandten Zacharias sagen lässt, dass das römische Reich einst dadurch aufgebaut worden ist, dass Rom „das Meer überbrückte und die Festlandgebiete miteinander verband, dadurch, dass es überall anwesend und überlegen war.“31 Diese Aussage erfolgt vor dem Hintergrund, dass angesichts der aktuellen militärischen Schwäche in der eigenen Zeit genau das Gegenteil stattfand und das römische Reich sich gerade nach der letzten Kraftanstrengung Justinians in Einzelregionen auflöste. Zum Eroberungswerk Justinians gehörte auch - was vom Autor genau vermerkt wird32 – dass in den letzten Jahren der Regierung des Kaisers nach der Erschöpfung der Ressourcen ein vorsichtigerer Kurs eingeschlagen wurde, in dem gegenüber den Völkern außerhalb des Reiches auf den Einsatz militärischer Gewalt verzichtet wurde. Stattdessen wurden in einem großen Stil Subsidien bezahlt. Menandros nennt unter den Empfängern der von Justinian gewährten Subsidien die Awaren33, die Kutriguren und Utiguren34 oder die sarazenischen Araber (= Sarazenen)35. Mit 29. Britannien: Prokopios, Kriege, 20; Ostseeslawen am „westlichen Ozean“: Theophylaktos Simokattes 6,2,10-16. Rekrutierung von Franken: Euagrios 5,14. 30. Johannes von Ephesos, Kirchengeschichte 3,3,24 (Übersetzung Schönfelder 1862, S. 119). Vgl. die Übersetzung von Brooks 1936, S. 112 f: Aedifica columnam tuam aedifica, eamque effer quantumcumque potes, et ascende, et in summo eius sta; et considera et specta et vide orientem et occidentem et septentriones et meridiem tuis diebus iam vastatos et consumptos esse. 31. Frg. 60. 32. Frg. 4. 33. Frg. 4. 34. Frg. 28. 35. Frg. 11.
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der Zunahme solcher Subsidienzahlungen erhöhte sich proportional gegenüber den vorangehenden Epochen vielleicht in noch höherem Maße auch die Notwendigkeit, genaue Informationen über die Verhältnisse im Vorfeld des oströmischen Reiches einzuholen. Insbesondere mussten die sehr raschen Veränderungen der Verhältnisse in diesem Vorfeld beobachtet werden. Solche Beobachtungen lassen sich bei Menandros dokumentieren, wie das Beispiel der Utiguren zeigt, die für den von Menandros beschriebenen Zeitraum zunächst unabhängig sind, dann zum awarischen Reich, dann wiederum zum türkischen Reich gehörten36. Es lassen sich also Gründe dafür anführen, warum das Klima des ausgehenden sechsten Jahrhunderts offenkundig die Einholung qualitätsvoller geographischer Informationen begünstigte. Insgesamt bleibt man auf Vermutungen darüber angewiesen, welche Informationsquellen genau benutzt worden sind. Im Einzelnen kann Menandros für seine Nachrichten direkt auf Zeugnisse aus der Zeit des Eroberungswerks Justinians zurückgegriffen haben. Dazu gehören natürlich insbesondere die Werke, die er unmittelbar fortgesetzt hat, nämlich Prokop und Agathias mit ihren ausführlichen Erzählungen über die Verhältnisse in Italien oder in der Lazike. Hauptquelle der Informationen des Menandros dürften aber die nach Konstantinopel durchgegebenen Informationen der Gesandtschaften gewesen sein, die oft selbst den Charakter kleiner literarischer Erzählungen hatten. Der Rest eines solchen als „Historia“ ausgewiesenen Berichts ist etwa exemplarisch bei Nonnosus vorhanden37. Für einen der Gesandten, nämlich für Zemarchos, verweist Menandros darauf, dass er nach seiner Rückkehr von der Reise zu den Türken „alles erzählte“. Das entspricht der auch sonst belegten Tatsache, dass nach Gesandtschaften ein aide-mémoire für den Kaiser verfasst wurde38. Explizit verweist Johannes von Ephesos (6,23) auf die Existenz eines Berichts. Auch bei den Aufzeichnungen über die Verhandlungen von 561 verweist Menandros auf einen schriftlichen Bericht, nämlich denjenigen des Petros Patrikios. Hier macht er (Frg. 12) deutlich, dass er keine größeren Veränderungen vorgenommen hat. Ein ähnliches Verhältnis ist zwischen der Erzählung des Menandros und den übrigen Berichten von Gesandtschaften zu finden, die in sein Geschichtswerk eingegangen sind. Er hat ohne starke redaktionelle Eingriffe das dort gebotene Material übernommen. Dass gerade dies letztlich zu einer höheren Qualität der geographischen Informationen führt, lässt sich beim Bericht über die Rückkehr der Gesandtschaft von der Residenz des Türkenherrschers zeigen. Wie viel man im Einzelnen mit den von Menandros gebotenen Informationen anfangen kann, ist dort angesichts der Ungewissheit der Identifizierung der großen Flüsse der Steppenzone oder des „großen und weiten Sees“, in dem man den Aral-See erblicken kann, aber nicht muss, zweifelsohne zu diskutieren. Diese Ungewissheit liegt vor allem darin begründet, dass parallele geographische Informationen aus dem gleichen Zeithorizont fast völlig fehlen. Das sollte allerdings nicht an der Authentizität der von Menandros gebotenen
36. Frg. 28 und 43. 37. Bekannt durch Photios, Bibliotheca codicum 3. 38. Vgl. etwa den Bericht des Anatolius und Nonnus über die Gesandtschaftsreise zu Attila (Priskos) oder zu Adamantius über seine Verhandlungen mit Theoderich (Malchus Frg. 20 Blockley, S. 256 f.). S. dazu Lee 1993, S. 38 f.
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Informationen und den mit diesen Informationen verbundenen erheblichen Fortschritt der geographischen Kenntnisse zweifeln lassen. Die antike Geographie bewegte sich auch nach dem Feldzug Alexanders des Großen für die nördlich des Syr-Darja gelegenen Gebiete lange Zeit völlig im Dunkeln. Maiotis und Kaspisches Meer wurden als Ausbuchtungen des Okeanos aufgefasst und es wurde über die Identität von Syr-Darja (Jaxartes) und Tanais reflektiert. Die christliche Geographie, wie sie in den Exkursen des Philostorgios oder bei Kosmas Indikopleustes niedergelegt worden ist, hat selbstverständlich hier keine Korrekturen geboten, insbesondere was die Gestalt des umfließenden Okeanos betrifft. Auch die Angaben eines Autors, wie Ammian, bleiben dort, wo er Auskünfte über die Herkunft der Hunnen gibt, überaus unbestimmt und verlieren sich mit den Aussagen über Gelonen, Agathyrsen und Amazonen in konventionelle herodoteische Topoi39. Demgegenüber reflektieren die Angaben des Menandros, denen zufolge die Gesandtschaften durch die Steppen auf dem Landweg aus Zentralasien zum Ostufer des Schwarzen Meeres gelangten, einen bedeutenden Fortschritt in der Auffassung, wie das Innere Eurasiens aussah. Christliche und herodoteische Geographie nutzte dem oströmischen Reich wenig, um die knappen Ressourcen richtig zu platzieren. Die Gesandten, die immer auch die Rolle von Kundschaftern hatten, sorgten dagegen für größere Genauigkeit und Menandros hat es vorgezogen, deren Angaben in sein Geschichtswerk zu integrieren, statt seine Bildung durch Anleihen aus der herodoteischen oder frühhellenistischen Geographie zu illustrieren. Genau dies erklärt den Wert der Darstellung des Menandros. Literarische Elemente spielen bei der Überarbeitung entweder nur eine sehr untergeordnete oder gar keine Rolle. Vielmehr werden die Realitäten der außerrömischen Welt so wiedergegeben, wie sie den genau beobachtenden Diplomaten, die für das Überleben des Reiches in einer multipolaren Welt präzise berichten mussten, erschienen. Das erklärt die hohe Authentizität und das Interesse, das das Geschichtswerk des Menandros Protektor für den geographischen Orientierungsrahmen bietet, in dem die römische Politik des ausgehenden sechsten Jahrhunderts agierte.
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39. Amm. 31,2,12-16. Andere Ausführungen Ammians (23,6,69 f.) über Mittelasien beruhen noch auf irrigen, vielleicht von Kleitarchos inspirierten, Vorstellungen über die geringe Distanz zwischen Schwarzem Meer und Kaspischem Meer, vgl. Goukowsky 1978, S. 346, Anm. 77.
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Histoire et géographie :
quelques remarques conclusives Yann Le Bohec
(Université Paris-Sorbonne, UMR 8167 – Orient et Méditerranée, Antiquité classique et tardive)
Dans son ouvrage posthume intitulé Apologie pour l’histoire ou le métier d’historien, Paris, 1949, Marc Bloch définissait l’histoire comme l’étude de l’homme dans le temps – on peut préférer une autre formulation : l’étude des hommes dans le temps. Cette conception rend indispensable le respect de la chronologie, mais en même temps elle lui attribue une place secondaire : l’objectif final, c’est l’homme, même s’il est étudié dans sa diversité temporelle. Parallèlement, on pourrait dire de la géographie qu’elle est l’étude de l’homme dans l’espace (ou des hommes dans l’espace). Ici, c’est la géographie physique qui devient à la fois indispensable et secondaire, car le but du géographe est surtout de connaître l’homme dans sa diversité spatiale. Les contributions rassemblées dans ce volume nous rappellent toutefois que les auteurs de l’Antiquité – quel que soit le genre littéraire qu’ils aient adopté – ont réservé le terme « histoire » aux événements qui leur étaient contemporains, et qu’ils n’ont guère eu recours au mot « géographie ». La raison majeure en est que, pour eux, il ne s’agissait pas là de deux disciplines autonomes, mais de deux types de discours apparentés, dont les modèles d’écriture et même en partie le « matériel » scientifique puisaient dans un savoir constitué de longue date. Ces deux types de discours, qui étaient en résonnance, en interaction permanentes, pouvaient être formulés à partir de techniques diverses, par exemple la biographie pour les uns, et la périégèse pour les autres. De la sorte, quand apparaissent les premières descriptions du monde romain à la fin de la République, leurs auteurs sont dépositaires d’un savoir ancien qu’ils appliquent à cet objet nouveau qu’est l’empire territorial et politique de Rome : et tous échappent à nos critères modernes permettant d’identifier une « histoire » et une « géographie » ; mais tous, comme l’observe Marc Bloch, placent bien l’homme au centre de leur préoccupation. Ces discours prenaient leurs modèles en Grèce, Hérodote et Thucydide, évidemment, mais aussi les écrivains d’époque hellénistique, notamment Polybe. Les auteurs de ce volume ont d’abord souligné la continuité de ce savoir à travers plusieurs écrivains du Haut-Empire, Diodore de Sicile, Strabon, Arrien, Aelius Aristide, Lucien, Histoire et géographie chez les auteurs grecs du iie s. av. J.-C. au vie s. apr. J.-C., sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet, 2018 — p. 303-305
304 • YANN LE BOHEC
Appien, Cassius Dion, Hérodien et Philostrate. Ces derniers ont à leur tour transmis ce savoir acquis aux écrivains de l’Antiquité tardive – Eusèbe de Césarée, Libanius d’Antioche, Orose, Isidore de Séville ou Ménandre – et de l’époque byzantine, tel Photius. Le cas des écrits chrétiens apocryphes a reçu dans cet ouvrage un traitement particulier et intéressant du fait que ces textes sont rarement utilisés par les chercheurs modernes dans cette optique. Relire tous ces auteurs anciens a permis de voir pourquoi ils écrivaient et quels étaient leurs points communs, au-delà de différences bien compréhensibles. Trois thèmes paraissent devoir être retenus. En premier lieu, ces historiens-géographes écrivaient pour charmer un public cultivé. Ils le touchaient par plusieurs biais, et d’abord par l’intermédiaire de l’exotisme, comme on le voit dans les écrits de Flavius Josèphe et d’Arrien. Un autre domaine littéraire a été analysé chez Hérodien, car il a décrit le monde habité, l’oikoumène, comme une scène de théâtre. Mais le domaine le plus fréquemment évoqué dans cet ouvrage est la rhétorique, dont tous ces auteurs sont nourris parce qu’elle est pour eux un cadre de pensée indispensable, bien qu’elle soit évidemment plus présente dans les discours d’Aelius Aristide ou de Libanios. En second lieu, le récit historique a un contenu moralisateur, ce qui a été mis en évidence chez Diodore de Sicile. Mais en fait, c’est une caractéristique de beaucoup d’œuvres antiques que de montrer de beaux exemples, des exemples à suivre (on aurait pu en trouver des modèles chez Plutarque), car chez les Romains comme chez les Grecs étaient mis en valeur les hommes qui manifestaient une virtus ou une ἀρετή exceptionnelle. Une valeur originale, c’est l’hospitalité, étudiée chez Libanios d’Antioche : elle était une conséquence de sa géographie, ou plus précisément de son discours de l’éloge, à la croisée de la géographie, de l’histoire et de la morale ; c’est ainsi que la description de Daphné dessine un véritable programme d’hospitalité. En troisième lieu, la géographie est liée à la guerre. Elle permet de comprendre les nombreux récits de batailles. C’est le cas chez Polybe, qui a écrit l’histoire en vrai chef de guerre, et aussi de toute l’œuvre de Flavius Josèphe, et également d’Hérodien, par exemple quand il analyse la situation stratégique d’Aquilée. La géographie était également étudiée pour les enseignements qu’elle proposait aux futurs généraux. Par leurs lectures, ils se renseignaient sur les conditions topographiques et climatiques du pays ennemi, et aussi sur les peuples qu’ils allaient devoir affronter. Il découle de cette recherche que, dans l’esprit des auteurs anciens, ce que nous appelons histoire et géographie étaient intimement liées. Cette situation a été particulièrement vue chez Appien, même s’il est possible de lui reprocher une information insuffisante, avec parfois des imprécisions, voire des erreurs ; de même, elle apparaît dans plusieurs œuvres d’Eusèbe de Césarée. Ménandre le Protecteur, qui ne compte pas au nombre des plus connus, semble avoir été le plus précis : il se tenait plus près de la réalité que de la littérature, il pratiquait peu la rhétorique et il n’abusait pas des stéréotypes. À cet égard, il peut être rapproché de Cassius Dion (ou Dion Cassius, si l’on préfère), un historien ayant accordé une importance particulière aux espaces naturels et aux sites fortifiés, qui faisaient partie du territoire impérial. Au total, on observe une certaine continuité sur le temps long : les auteurs suivaient les mêmes méthodes, mais ils ne visaient pas les mêmes buts. Leur formation rhétorique leur permettait de charmer leur public en ayant recours à l’exotisme et à une morale
HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE • 305
très généralement partagée. Surtout, leur principal cadre de pensée, c’était l’empire, conçu à la fois comme un espace et comme une période de bonheur. Certains Grecs étaient presque plus Romains que les Romains : se faire le chantre des vainqueurs, expliquer que l’hégémonie romaine ne pouvait pas ne pas être, c’était pour eux le moyen de justifier leur défaite. D’autres en revanche (Cassius Dion, Hérodien) ont opté pour un regard critique, détectable aussi chez leurs devanciers latins.
Index des auteurs anciens et médiévaux
Aelius Aristide À Héraclès – 136 | 9 : 136 n. 7 Aux Rhodiens sur la concorde – 31 : 117 n. 39 Aux villes sur la concorde – 137 n. 10 | 10 : 159 n. 146 | 15 : 157 n. 136 | 20 : 155 n. 119 | 24 : 155 n. 116 | 26 : 154 n. 112, 157 n. 136 Discours égyptien : 114 | 1 : 113 n. 21 | 91 : 117 n. 39 | 112 : 114 n. 26 Discours en l’honneur d’Asclépios – 9 : 138 n. 16 | 22-23 : 113 n. 17 Discours isthmique en l’honneur de Poséidon – 135, 137 n. 9, 149, 156, 159 | 11 : 158 n. 143 | 12 : 157 n. 134 | 16 : 159 n. 145 | 17 : 155 n. 124, 159 n. 148 | 17-18 : 159 n. 146 | 21-22 : 156 n. 125 | 24 : 155 n. 117 Discours LI – 60 : 158 n. 140 Discours sacrés – 138, 138 n. 20 Discours smyrniotes – 135, 137 n. 10, 152 Discours smyrniote I – 137 n. 10 | 4 : 152 n. 99 | 5 : 152 n. 98, 152 n. 99, 157 n. 136 | 6 : 152 n. 101 | 12 : 152 n. 104 | 13 : 152 n. 102 | 15 : 153 n. 104 | 22 : 155 n. 118 Discours smyrniote II – 137 n. 10 | 3 : 157 n. 136 | 4 : 152 n. 99 Éloge d’Athènes – 179 n. 56 En l’honneur de la mer Égée – 135, 137 n. 9, 154, 156, 156 n. 125 | 2 : 156 n. 126 | 3 : 113, 136 n. 5, 146 n. 63, 158 n. 144 | 4 : 157 n. 138 | 5-6 : 152 n. 100 | 6 : 158 n. 141 | 8 : 157 n. 133, 157 n. 134 | 9 : 152 n. 127, 157 n. 131, 157 n. 135 | 10 : 156 n. 130 | 11 : 151 n. 88 | 12 : 156 n. 129 | 13 : 157 n. 132 | 18 : 156 n. 126 En l’honneur de Rome – 135, 136, 137 n. 8, 138, 139, 154, 179 n. 56 | 6 : 140 n. 28 | 6-7 : 139 n. 26 | 6-13 : 139 | 8 : 140 n. 27 | 9 : 140 n. 31
| 11 : 142 n. 38 | 13 : 136 n. 2 | 33 : 142 n. 36 | 43 : 143 n. 44 | 59-60 : 143 n. 41 | 61 : 136 n. 2 | 63 : 143 n. 41 | 69-70 : 143 n. 42 | 82 : 136 n. 1 | 93-95 : 159 n. 150 | 100 : 117 n. 39, 149 n. 81 | 100-102 : 141 n. 35 | 102 : 142 n. 39 Lettre sur Smyrne – 137 n. 10 | 4 : 152 n. 99 | 9-10 : 159 n. 147 | 13-14 : 159 n. 147 Monodie sur Smyrne – 137 n. 10 | 2 : 152 n. 99, 157 n. 136 Palinodie sur Smyrne – 137 n. 10 | 5-7 : 159 n. 147 | 20 : 152 n. 99 Panathénaïque – 135, 137 n. 8, 138, 143, 154 | 8 : 145 n. 52, 145 n. 53, 153 n. 107 | 9 : 144 n. 50, 148 n. 74, 150 n. 83, 150 n. 85 | 9-10 : 145 n. 54 | 10 : 157 n. 133 | 10-11 : 145 n. 56 | 11 : 146 n. 58 | 12 : 145 n. 55 | 13 : 150 n. 88, 151 n. 89 | 14 : 136 n. 3, 148 n. 75, 148 n. 76 | 15 : 150 n. 84 | 16 : 136 n. 3, 147 n. 66, 147 n. 67 | 17 : 144 n. 50 | 18 : 146 n. 60 | 18-19 : 152 n. 100 | 19 : 146 n. 59, 146 n. 63, 158 n. 139 | 20 : 144 n. 50, 147 n. 65 | 21 : 146 n. 59 | 22 : 146 n. 61 | 22-23 : 144 n. 50 | 24-30 : 147 n. 70 | 25 : 147 n. 68, 147 n. 71 | 33-46 : 253 n. 49 | 50 : 149 n. 77 | 54 : 147 n. 69, 151 n. 90 | 55-60 : 149 n. 77 | 55-61 : 151 n. 92 | 56 : 252 n. 45 | 63-64 : 151 n. 93 | 64 : 149 n. 81, 151 n. 94 | 65 : 149 n. 80, 157 n. 137 | 66 : 149 n. 82 | 69 : 149 n. 78 | 73 : 148 n. 71 | 74 : 149 n. 79 | 191 : 152 n. 104 | 334 : 153 n. 111 | 401 : 152 n. 103 Panégyrique de Cyzique – 137 n. 10, 155 | 5-7 : 113 n. 17 | 6 : 113, 155 n. 121 | 6-7 : 155 n. 123 | 7 : 136 n. 4 | 11 : 155 n. 120, 155 n. 122 | 12 : 155 n. 122 | 22-39 : 159 n. 147 Pour les quatre – 85 : 116 n. 34
308 • INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX
Agatharchide – 137 n. 10 Sur la Mer rouge – 30, 32 n. 14 Anthologie grecque – XVI, 320 : 153 n. 106 Ammien Marcellin – XIV, 1, 9 : 248 n. 20 | XVII, 5, 3 : 197 n. 106 | XXIII, 6, 18 : 285 n. 52 | XXVI, 8, 12 : 285 n. 52 | XXVI, 9, 1 : 285 n. 52 | XXVII, 5, 1 : 285 n. 52 | XXXI, 2, 12 : 281 n. 5 Anaplous Bosphori – 110 Appien Histoire romaine – 123, 132, 132 n. 55, 226 | Préface : 4, 199 n. 123, 123 | I (Livre Royal), 124 | I, 1 : 123 n. 8 | I-III : 123 | II, 6 : 123 n. 9 | III, 10 : 123 n. 10 | IV : 199 n. 123, 123 | V : 123 | V, 18 : 123 n. 11 | VI (Livre ibérique = Ib.) : 122 n. 2, 124 n. 17, 125 | 1, 1 : 127 n. 30 | 1, 2 : 122 n. 1 | 1, 3 : 125 n. 18 | 1-3, 1-9 : 125 n. 19 | 1, 4 : 126 n. 24 | 1, 9 : 125 n. 18 | 2-5 : 125 n. 20, 127 n. 30 | 3-9 : 125 n. 21, 126 n. 27 | 3, 11 : 127 n. 30 | 5, 17-21 : 127 n. 30 | 9, 35 : 127 n. 30 | 10, 36-38 : 127 n. 30 | 12, 44 : 126 n. 27 | 12, 45-46 : 127 n. 31 | 17, 64 : 127 n. 30 | 19, 75 : 126 n. 27, 128 n. 37 | 20, 76 : 128 n. 38 | 20, 77 : 128 n. 39 | 21, 82 : 128 n. 40 | 21, 83 : 128 n. 41 | 23, 88 : 126 n. 27, 128 n. 42 | 23, 90 : 127 n. 30 | 24, 94 : 127 n. 30 | 25, 96 : 127 n. 30 | 28, 111 : 127 n. 30 | 31, 120 : 127 n. 30 | 31, 125 : 127 n. 30 | 33, 132136 : 127 n. 30 | 39, 158 : 127 n. 30 | 41, 167 : 127 n. 30 | 42, 171 : 127 n. 30 | 42, 171-172 : 127 n. 30 | 43, 175 : 127 n. 30 | 43, 176 : 127 n. 30 | 43, 179 : 127 n. 28, 127 n. 30 | 44, 180 : 127 n. 30 | 44, 181 : 127 n. 30 | 44, 183 : 127 n. 30 | 45, 184 : 127 n. 30 | 46, 188 : 127 n. 30 | 46, 190 : 127 n. 30 | 46, 193 : 127 n. 30 | 47, 195 : 127 n. 35 | 47, 195-196 : 127 n. 30 | 47, 197 : 126 n. 26 | 48, 198 : 127 n. 35 | 48, 201 : 127 n. 35 | 48, 204 : 127 n. 30 | 49, 208 : 127 n. 30 | 50, 214 : 127 n. 30 | 50, 211-212 : 127 n. 30 | 50, 213-214 : 127 n. 30 | 51, 215 : 127 n. 30 | 51, 216 : 127 n. 30,
127 n. 35, 127 n. 35 | 52, 220-221 : 127 n. 29 | 54, 230 : 127 n. 28, 127 n. 33 | 55, 231 : 127 n. 30 | 55, 232 : 127 n. 30 | 55, 233 : 127 n. 30 | 56, 234 : 127 n. 30 | 57, 1 : 127 n. 30 | 57, 239 : 127 n. 30 | 58, 243 : 127 n. 30 | 58, 243-244 : 127 n. 30 | 58, 246 : 127 n. 30 | 59, 247 : 127 n. 30 | 59, 250 : 127 n. 28 | 60, 254 : 127 n. 30 | 61, 74 : 127 n. 31 | 61, 257 : 127 n. 29, 127 n. 30 | 62, 262-263 : 127 n. 36 | 63, 266 : 127 n. 35 | 63, 268 : 127 n. 30 | 64, 271 : 126 n. 25 | 66, 279 : 127 n. 30 | 66, 281 : 127 n. 30 | 67, 287 : 127 n. 36 | 68, 289 : 127 n. 30, 127 n. 35 | 69, 293 : 127 n. 29 | 69, 294 : 127 n. 31 | 70, 300 : 127 n. 30 | 71, 301 : 127 n. 28 | 71, 303 : 127 n. 31, 127 n. 32 | 72, 305 : 127 n. 30 | 72, 305-306 : 127 n. 31, 127 n. 32 | 74, 311-313 : 127 n. 34 | 75, 321 : 127 n. 28 | 76, 322 : 127 n. 30 | 78, 337 : 127 n. 35 | 79, 345 : 127 n. 30 | 80, 346 : 127 n. 30 | 80, 349 : 127 n. 30 | 81, 351-352 : 127 n. 30 | 87, 380 : 127 n. 30 | 88, 324 : 127 n. 29 | 88, 381 : 127 n. 29 | 88, 384 : 127 n. 35 | 89, 388 : 127 n. 29, 127 n. 35 | 91, 398 : 127 | 94, 408-409 : 127 n. 30 | 95, 413 : 127 | 96-97 : 130 | 99, 431 : 127 n. 30 | 100, 433 : 127 n. 30 | 100, 434 : 127 n. 28 | 100, 436 : 127 n. 30 | VII (Livre d’Hannibal) : 124 | VIII (Livre africain = Lib.) : 92 : 130 | 95-96 : 123 | 129-131 : 130 | IX (Livre de l’Illyrie) : 1 : 192 n. 69 | XII (Livre de Mithridate) : 124 | XII, 46 : 123 n. 12 | XII, 48 : 124 n. 14 | XIV (= Guerres civiles, II) : 45, 182-184 : 131 n. 50 | XV (= Guerres civiles, III), 42, 174 : 122 n. 2 | XV (= Guerres civiles, III), 61 : 122 n. 4 | XV (= Guerres civiles, III), 66, 272-67, 276 : 123 | XV (= Guerres civiles, III), 73, 300 : 122 n. 2 | XVI (= Guerres civiles, IV), 103 : 123 | XVI (= Guerres civiles, IV), 103-104 : 131 | XVI (= Guerres civiles, IV), 105-106 : 123 Apponius In Canticum canticorum – 90 : 214 n. 17 Aristophane Oiseaux – 992-1020 : 115 n. 29
INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX • 309
Aristote Politique – VII, 6 = 1327a : 243 n. 8 Argonautiques Orphiques – 60 Arrien Anabase – 99 | II, 13, 8 : 100 n. 40 | IV, 2, 4 : 100 n. 40 | IV, 28, 6 : 100 n. 40 | VII, 7, 6 : 100 n. 40 Indica – 4, 1 : 112 n. 13 Périple du Pont-Euxin – 94, 94 n. 5, 94 n. 8, 96, 96 n. 17, 9619, 9621, 97, 9722, 9829, 98 n. 31, 99, 10147, 102, 102 n. 50, 102 n. 51, 102 n. 56, 103, 110 | 1, 1 : 95 n. 12, 100 n. 39 | 1-11 : 94 | 1, 3-6 : 94 | 3-6 : 94 | 3, 2 : 95 n. 12 | 3, 4 : 95 n. 12 | 4, 4 : 100 n. 43 | 5, 3 : 95 n. 12 | 6, 3 : 94 n. 10 | 7 : 94, 95, 95 n. 14 | 8-9 : 94 | 10 : 95, 95 n. 14 | 11, 1-3 : 95 | 11, 4-5 : 95 | 12-17 : 94, 95 n. 15, 102 n. 51 | 12, 4 : 100 n. 41, 100 n. 42 | 12, 5 : 95 n. 12, 101 n. 46, 100 n. 38 | 13, 2 : 100 n. 41 | 13, 3 : 100 n. 38 | 13, 5 : 100 n. 38, n. 40 | 14, 3 : 100 n. 43 | 14, 5 : 98, 100 n. 38 | 15, 3 : 100 n. 38, 41 | 16, 6 : 98 n. 33 | 17-25 : 94 | 19, 3 : 100 n. 40 | 19, 3-25 : 102 n. 51 | 21 : 102 n. 54 | 21-23 : 95 n. 12 | 25, 1 : 101 n. 46 Athénée de Naucratis Deipnosophistes – IV, 36 151e-152d : 29 n. 6 | IV, 40 154a-c : 29 n. 6 | VI, 49 246c-d : 29 n. 6 Auguste Breuiarium – 122 Res Gestae – 69 n. 3, 139, 199 | 26 : 199 n. 122 Augustin Lettre 199 – 46 : 216
Bède Histoire ecclésiastique du peuple des Angles – 217 n. 33 Bernard Gui Traité sur les LXXII disciples et sur les apôtres – 262 Bréviaire des apôtres – 261, 270 n. 56, 271, 272 Callimaque Hymne à Délos – v. 150-259 : 151 n. 88 Catalogue des femmes – 151 n. 95 César Guerre civile – I : 132 n. 53 | I, 6, 24 : 132 n. 52 | II, 15 : 130 | II, 45 : 131 | II, 45, 182-184 : 131 n. 50 | II, XL, 3 : 131 | III, 66-67, 273274 : 130, 130 n. 47 | IV : 130 | IV, 105-131 : 128 | IV, 121, 108 : 129 Guerre des Gaules – 78, 79, 211 n. 10 | I, 1 : 79 n. 21, 176 | I, 21, 1 : 80 n. 42 | I, 21, 2 : 80 n. 42 | I, 22, 1 : 80 n. 42, 81 n. 43 | I, 22, 2 : 81 n. 43 | I, 24, 1 : 81 n. 44 | I, 24, 2 : 81 n. 44 | I, 39, 1 : 84 n. 86 | I, 40 : 172 | I, 48, 1 : 81 n. 45 | II, 30, 4 : 84 n. 86 | IV, 1, 9 : 84 n. 86 | VI, 11-12 : 79 n. 24 | VI, 13 : 79 n. 25 | V, 14 : 193 n. 78 | VI, 16 : 79 n. 26 | VI, 16, 2 : 79 n. 28 | VI, 17, 3 : 79 n. 29 | VI, 19 : 79 n. 27 | VI, 20 : 79 n. 30 | VI, 21 : 79 n. 31 | VI, 21, 2 : 79 n. 32 | VI, 22 : 80 n. 33 | VI, 23, 1 : 79 n. 32 | VI, 23, 4 : 79 n. 32 | VI, 24 : 79 n. 23, 79 n. 32 | VI, 25 : 80 n. 34 | VI, 26-28 : 80 n. 35 | VII, 69, 1 : 80 n. 38 | VII, 69, 2 : 80 n. 39 | VII, 69, 3 : 80 n. 40 | VII, 69, 4 : 80 n. 41
Barbarus Scaligeri – 212 n. 12
Cicéron Atticus – II, 6, 1 : 11 n. 6 De Oratore – II, 36 : 44 n. 1 De Republica – II, 3 : 234 n. 8
Beatus de Liebana Commentaire sur l’Apocalypse – 260
Charax de Pergame FGrHist 103 F 35 = BNJ 103 F35 – 114 n. 25
Bardesane Livre des lois des nations – 214 n. 17
Chromace d’Aquilée Sermon – 30, 3 : 214 n. 19
Sermons Dolbeau – 24, 2 : 214 n. 17
310 • INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX
Chronique composite de 640 – 212 n. 12 Chronique Pascale – 213 n. 14, 261, 271 Claude Ptolémée Expositio totius mundi et gentium – 215 Code Justinien – XI, 78, 1 : 250 n. 33 | XI, 78, 2 : 250 n. 33 Constantin VII Porphyrogénète À mon fils Romain – 270 De legationibus – 12 Sur les thèmes – 270 Cosmas Indicopleustès Topographie chrétienne – II, 77 : 213 Denys d’Alexandrie Périégèse (du monde habité) – 94 n. 4 Denys d’Halicarnasse Antiquités romaines – I : 139 n. 21, 226, 227 | I, 2, 2-4 : 227 n. 12 Art rhétorique – 5, 5 : 142 n. 37 Denys le Périégète – v. 715-717 : 111 n. 8 Do ortu et obitu prophetarum et apostolorum – 261 De rebus bellicis – 20, 1 : 201 n. 134 Descriptio totius mundi – 212 n. 12 Diodore de Sicile Bibliothèque Historique – 227, 228 | I : 29 | I, 1, 4-5 : 44, 44 n. 1 | I, 4, 6 : 29 | I, 9, 6 : 228 n. 16 | I-IV : 28 | II : 29 | III, 2-55 : 29, 31 | III, 13 : 32 | III, 5 : 54 | III, 46 : 11 | V : 54 | V, 2 : 52 n. 28 | V, 2, 1 : 44 n. 2 | V, 3 : 51 n. 27 | V, 4 : 52 n. 29 | V, 7 : 52 n. 31 | V, 11 : 53 n. 32 | V, 12 : 53 n. 33 | V, 13 : 53 n. 35 | V, 16 : 58 n. 39 | V, 17 : 59, 59 n. 40 | V, 19 : 59 | V, 20 : 54 | V, 21-22 : 59 n. 42 | V, 33-38 : 125 | V, 35, 2 : 126 | V, 50, 4 : 156 n. 128 | VI, 2 : 54 | XII-XX : 28 | XXXIV : 29
Dion Cassius Histoire romaine – 166, 166 n. 4, 167 n. 9 Fragments – M1 (fr. I, 1, 2) : 167 n. 8, 171 | M2 (fr. I, 1, 2) : 167 n. 8, 171 | fr. I, 1, 2 : 168 n. 11 | fr. I, 2, 4 : 169 n. 15, 175 n. 38 | fr. 2, 1 : 170 n. 22 | IX, 40, 27 : 75 n. 43 | XII : 192 n. 69 | XII, 2, 5 : 171 n. 23 | XV, 2, 3 : 171 n. 23 | XVIII, 47, 1 : 173 | XXXVI/ LX : 167 | XXXVII, 1 : 178 | XXXVII, 16, 5-17 : 175 n. 40 | XXXVIII, 35 : 84 n. 86 | XXXVIII, 36, 1-46, 4 : 172 | XXXVIII, 3-4 : 172 | XXXVIII, 27, 3-38, 4 : 172 | XXXVIII, 34, 1-3 : 173 | XXXVIII, 37, 5 : 171 | XXXVIII, 38, 1-4 : 172 | XXXVIII, 38, 2 : 171 | XXXVIII, 38, 4 : 170 n. 20, 171 | XXXVIII-XL : 172 | XXXIX, 38, 1 : 178 n. 54 | XXXIX, 47, 4 : 177 | XXXIX, 50, 3 : 168 | XXXIX, 51 : 176 n. 45 | XXXIX, 53 : 170 | XXXIX, 53, 1 : 177 | XL : 84 n. 86 | XL, 11, 1 : 176 | XL, 14-15 : 175 n. 40 | XL, 11, 4 : 175 n. 41 | XL, 36 : 179 | XLI, 42, 1 : 176 n. 45 | XLI, 45 : 175 n. 41, 179 | XLI, 48 : 176 n. 45 | XLI, 49-50 : 178 | XLI, 50 : 179 | XLIII, 4, 4-6 : 179 | XLIV, 42, 5 : 170 n. 20 | XLVI, 40 : 178 | XLVII : 84 n. 86 | XLVII, 35, 3-36 : 129 n. 44 | XLVII, 35-36, 1 : 179 | XLVII, 35-49 : 128 | XLVIII, 50 : 179 n. 55 | XLVIII, 51 : 179 n. 55 | XLVIII, 51, 2 : 179 n. 55 | XLIX : 84 n. 86 | XLIX, 36 : 147 n. 40 | XLIX, 36, 2 : 192 n. 67 | XLIX, 36, 6 : 192 n. 66 | XLIX, 37 : 178 | L, 12, 7-8 : 176 | LI, 7 : 249 n. 23 | LII, 27 : 199 n. 120 | LII, 27, 3 : 173 n. 34 | LIII, 12 : 171, 174 | LIII, 12, 6 : 173 n. 32 | LIII, 17, 8 : 171 n. 28 | LIII, 19, 4-6 : 168 | LIII, 29 : 180 n. 59 | LV, 27, 2 : 170 n. 21 | LVI, 12 : 178 | LVI, 15 : 178 | LVI, 20-21 : 178 | LXVIII, 13 : 179 | LXVIII, 29, 4 : 180 n. 59 | LIX, 17 : 177 | LX, 9 : 178 | LX, 11, 4 : 254 n. 55 | LX, 19, 5 : 178 | LX, 19-23 : 177 n. 48 | LX, 20, 5 : 178 | LX, 26, 1 : 254 n. 55 | LXX, 27 : 199 n. 120 | LXXII, 23, 5 : 168 | LXXIV, 7 : 180 | LXXIV, 10 : 176, 179 | LXXV, 2 : 177 | LXXV, 3, 3 : 180 n. 59 | LXXV, 6 : 180 n. 58 | LXXV, 13 : 175 n. 41 | LXXVI (LXXVII), 12, 1-4 : 193 n. 77 | LXXVI (LXXVII), 12, 5 : 191 n. 61 | LXXVI (LXXVII), 12, 14 : 193 n. 77 |
INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX • 311
LXXVII, 12 : 175 n. 40 | LXVIII, 28 : 177 | LXVIII, 28, 3 : 173 n. 33 | LXXIX (LXXX), 3, 1-2 : 192 n. 73 | LXXX 4, 1 : 197 n. 106 Éphore – FGrHist 70 F 42 – 29 n. 6 Dimensuratio prouinciarum – 215, 215 n. 25 Diuisio orbis terrarum – 215, 215 n. 25 Épiphane de Salamine Ancoratus – 213 n. 14 Epistula sancti Ieronimi presbiteri ad Chromatium et Heliodorum episcopos de sanctorum apostolorum et de LXX discipulorum ordinatione uel obitu in quacumque regione uel ciuitate resquiescunt – 272 Étienne de Byzance Ethniques – 270 Excerpta antiqua – 12 : 12 Euripide Frag. 981 – 158 n. 139 Ion – 151 n. 95 Médée – 829-830 : 158 n. 139 Eusèbe de Césarée Chronique – 212, 217, 226 Démonstration évangélique – VIII, 2, 55-129 : 230 n. 28 Histoire ecclésiastique – 226, 229, 230, 232, 263 | I, 2 : 230 n. 25 | I, 2, 23 : 230 n. 27, 263 n. 16 | I, 4, 2 : 230 n. 24 | I, 4, 5 : 230 n. 26 | I, 5, 2 : 230 n. 29 | I, 6, 1 : 230 n. 29, 230 n. 30 | I, 6, 7 : 230 n. 28 | I, 6, 11 : 230 n. 30 | I, 12, 1 : 264 n. 17 | II, 1, 2-4 : 232 n. 43 | II, 1, 6 : 231 n. 32 | II, 1, 8 : 232 n. 44 | II, 1, 14 : 232 n. 45 | II, 13 : 231 n. 33 | II, 13, 1 : 232 n. 49 | II, 14, 3 : 232 n. 42 | II, 16 : 232 n. 46 | III, 1, 1-3 : 263 | III, 2 : 232 n. 48 | III, 4, 3 : 264 n. 21 | III, 4, 8 : 232 n. 48 | III, 4, 5-10 : 264 n. 18 | III, 4, 11 : 264 n. 22 | III, 8, 10-11 : 214 n. 18 | III, 18, 1-4 : 232 n. 50 | III, 21 : 231 n. 35 | III, 31, 3 : 232 n. 50 | III, 37, 1 :
264 n. 22, 264 n. 23 | III, 37, 2-3 : 265 n. 25 | III, 37, 4 : 264 n. 21, 264 n. 22 | III, 317, 1 : 264 n. 19 | III, 36, 2 : 232 n. 48 | V, 1 : 226 n. 3 | V, 10 : 231 n. 36, 264 n. 20 | V, 10, 2 : 265 n. 26 | V, 22 : 233 n. 22 | VI, 42, 4 : 231 n. 39 | VII, 3 : 231 n. 37 | VII, 5 : 233 n. 52 | VII, 13 : 231 n. 38 | IX, 8, 2 : 231 n. 40 | X, 4, 19 : 233 n. 53, 237 n. 67 Louanges de Constantin – 6, 6 : 226 n. 3 Martyrs de Palestine – 237, 237 n. 69 Onomasticon – 234, 234 n. 57, 235, 236, 237 Évagre le Scolastique Histoire ecclésiastique – V, 14 : 297 n. 29 | VI, 8 : 249 n. 30 Expositio totius mundi – 212 n. 12 | 35 : 250 n. 35 Flavius Josèphe Antiquités juives – 219 | III, 13 : 32 La guerre des Juifs – I, 20 : 249 n. 23 | II, 16, 4 (376) : 84 n. 86 | III, 3, 1 (35) : 82 n. 55 | III, 3, 2 (41-43) : 82 n. 61 | III, 3, 2 (43) : 82 n. 65 | III, 3, 2-4 : 82 n. 62 | III, 3, 5 (51) : 82 n. 55 | III, 3, 5 (51-57) : 82 n. 66 | III, 3, 4 (49) : 82 n. 56 | III, 3, 4 (49-50) : 82 n. 57 | III, 10, 7 (506-508) : 82 n. 59 | III, 10, 7 (506-513) : 82 n. 58 | III, 10, 7 (508) : 82 n. 64 | III, 10, 8 (516-519) : 82 n. 63 | III, 10, 8 (519-520) : 82 n. 60 | III, 107 : 199 n. 123 Florus – I, 45, 12 : 84 n. 86 Hécatée de Milet Généalogies – 270 Périégèse – 270 Hérodien Histoire de l’Empire – 185, 192, 195 n. 90, 200, 202 | I, 1, 1 : 193 n. 83 | I, 1, 4-6 : 198 n. 113 | I, 2, 5 : 186 n. 4 | I, 3-4 : 187 n. 21 | I, 5, 6 : 198 n. 118 | I, 6, 2 : 200 n. 128 | I, 6, 5-6 : 198 n. 118 | I, 7, 1-2 : 192 n. 72 | I, 8, 1 : 187 n. 21, 200 n. 128 | I, 10, 2 : 187 n. 16, 191 n. 56, 191 n. 57 | I, 11, 1-5 : 190 n. 47 | I, 11, 3 : 187 n. 14, 192 n. 74 | I, 11, 13 :
312 • INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX
187 n. 21 | I, 17, 6 : 187 n. 24 | I, 142 : 158 n. 140 | II : 195 | II, 1, 3-4 : 187 n. 21, 200 n. 128 | II, 7, 4 : 190 n. 48 | II, 7, 8 : 187 n. 23 | II, 7, 9 : 187 n. 23, 188 n. 31 | II, 8, 7 : 195 n. 92 | II, 8, 8 : 200 n. 125 | II, 8, 9 : 188 n. 31 | II, 9, 1 : 192 n. 68 | II, 9, 9 : 192 n. 68 | II, 10, 7-8 : 188 n. 31 | II, 10, 10 : 192 n. 70 | II, 11, 3 : 187 n. 21, 200 n. 129, 200 n. 130 | II, 11, 4-5 : 199 n. 119 | II, 11, 8 : 187 n. 9, 200 n. 132, 201 n. 133 | II, 13, 6 : 198 n. 115 | II, 14, 7 : 195 n. 95 | II, 14, 10 : 200 n. 126 | II, 15, 6-7 : 195 n. 88 | II, 15, 7 : 186 n. 4 | III : 190 | III, 1, 3 : 188 n. 31 | III, 1, 4 : 187 n. 10 | III, 1, 5 : 190 n. 44, 191 n. 59 | III, 3, 4-5 : 201 n. 140 | III, 4, 2-5 : 194 n. 85 | III, 4, 8-9 : 201 n. 136 | III, 7, 2 : 191 n. 58 | III, 9, 3 : 190 n. 49, 191 n. 50 | III, 10, 1 : 191 n. 63 | III, 10, 11 : 192 n. 74 | III, 11, 8 : 188 n. 31 | III, 14, 3-15, 8 : 192 n. 75 | III, 14, 6 : 191 n. 60 | III, 14, 6-8 : 188 n. 28 | III, 14, 7-8 : 193 n. 76 | III, 14, 8 : 191 n. 61 | III, 14, 10 : 191 n. 62, 200 n. 126 | III, 36, 1-7 : 188 n. 33 | IV, 2-3 : 188 n. 26 | IV, 3, 5-8 : 195 n. 96 | IV, 3, 7 : 190 n. 45, 191 n. 51 | IV, 8, 1-7 : 192 n. 71 | IV, 8, 7-9 : 187 n. 25, 191 n. 51 | IV, 9, 2-3 : 187 n. 25, 191 n. 51 | IV, 9, 8 : 191 n. 51 | IV, 10, 1-5 : 198 n. 112 | IV, 11, 1-3 : 188 n. 26 | IV, 11, 3 : 193 n. 80 | IV, 13, 3 : 187 n. 18 | IV, 15, 1 : 201 n. 140 | IV, 15, 2-3 : 188 n. 26, 201 n. 136 | IV, 15, 6 : 201 n. 136 | V, 1, 8 : 190 n. 42 | V, 4, 2 : 195 n. 94 | V, 5, 3-4 : 192 n. 74 | V, 6, 4 : 191 n. 53 | VI, 2, 1 : 200 n. 125 | VI, 2, 1-2 : 197 n. 107 | VI, 2, 2 : 195 n. 93, 198 n. 109 | VI, 2, 6-7 : 198 n. 110 | VI, 3, 7 : 201 n. 137 | VI, 4, 3 : 192 n. 74 | VI, 4, 5 : 198 n. 108 | VI, 4-7 : 200 n. 125 | VI, 5, 2 : 187 n. 12 | VI, 5, 3-4 : 188 n. 26, 201 n. 135 | VI, 6, 2 : 188 n. 32 | VI, 7, 1 : 188 n. 26, 201, 135, 201 n. 136 | VI, 7, 2 : 192 n. 70 | VI, 7, 4 : 200 n. 131 | VI, 7, 6 : 187 n. 11 | VI, 7, 6-8 : 193 n. 82 | VI, 7, 8 : 201, 140 | VI, 7, 9 : 188 n. 27 | VII, 1, 2 : 188 n. 27 | VII, 1, 7 : 187 n. 11, 200 n. 127 | VII, 2, 3-4 : 188 n. 27, 201 n. 138 | VII, 2, 5-6 : 193 n. 79 | VII, 2, 9 : 192 n. 74, 198 n. 118 | VII, 3, 8 : 191 n. 54 | VII, 4, 1 :
191 n. 54 | VII, 4, 3 : 191 n. 54 | VII, 4, 4 : 188 n. 36, 191 n. 53 | VII, 5, 6 : 188 n. 27 | VII, 6, 1 : 188 n. 35, 190 n. 45, 191 n. 53 | VII, 7, 1 : 191 n. 53 | VII, 7, 1-2 : 191 n. 51 | VII, 8 : 191 n. 53, 191 n. 54 | VII, 8, 5 : 191 n. 53 | VII, 9, 1 : 191 n. 52 | VII, 9, 5 : 187 n. 22 | VII, 9, 6 : 201 n. 140 | VII, 9, 8 : 188 n. 35 | VIII, 1, 3 : 188 n. 27 | VIII, 1, 5-6 : 187 n. 9, 201 n. 133 | VIII, 2, 4 : 200 n. 129 | VIII, 2, 3-4 : 188 n. 37 | VIII, 2, 4-5 : 187 n. 21 | VIII, 3, 7 : 187 n. 21 | VIII, 4, 1 : 187 n. 19 | VIII, 4, 3 : 188 n. 32 | VIII, 4, 4 : 189 n. 39 | VIII, 4, 5 : 189 n. 40, 200 n. 130 | VIII, 7, 1 : 187 n. 15 Hérodote Histoire – I, 72, 3 : 115 n. 32 | I, 104, 1 : 115 n. 32 | I, 146 : 151 n. 95 | I, 146-147 : 151 n. 96 | II, 34, 2 : 115 n. 32 | IV, 86 : 116 n. 33 | VI, 95, 2 : 151 n. 89 | VII, 33-36 : 177 n. 47 | VII, 51-54 : 270 n. 52 | VII, 54-55 : 177 n. 47 | VII, 94 : 151 n. 95 | VIII, 44 : 151 n. 95, 151 n. 96 | VIII, 107 : 150 n. 86 | XV, 1 : 100 n. 38 Héron d’Alexandrie Definitiones – 131 : 98 n. 30 Geometrica – 4, 11 : 98 n. 30 | 22, 1 : 98 n. 30 | 23, 19 : 98 n. 30 Hippolyte de Rome Chronique – 219, 234 Hippocrate Airs, eaux, lieux – 12 : 158 n. 140 | 16 : 158 n. 140 Hypéride Déliakos – fr. 67 : 150 n. 86 Index syro-graecus – 261 Isidore de Charax GGM I – 115 n. 31 Isidore de Séville Chronique – 218 De ortu et obitu patrum – 261, 269 n. 46, 271
INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX • 313
Étymologies – 218 | V : 217 | IX : 217 | IX, 2, 46 : 220 n. 44 | IX, 2, 57 : 220 n. 44 | IX, 2, 60 : 220 n. 44 | XIV : 217, 219 | XIV, 3-2 : 218 n. 36 | XIV, 3-5 : 220 n. 42 | XIV, 3-8 : 218 n. 35 | XIV, 3-10 : 219 n. 39 | XIV, 3-12 : 219 n. 39 | XIV, 3-18 : 218 n. 37 | XIV, 3-21 : 218 n. 37 | XIV, 3-27-28 : 220 n. 42 | XIV, 3, 31 : 219 n. 39 | XIV, 4, 3 : 218, 219 Histoire des Goths, des Vandales et des Suèves – 217, 217 n. 33 Laus Spaniae – 217 n. 33 Isocrate Panégyrique – 29 : 253 n. 49 | 34-36 : 149 | 41 : 252 n. 45 | 42 : 142 n. 37 Jean Chrysostome Ad populum Antiochenum, Homelia 21 – 247 n. 17 Discours sur Babylas – 70, l. 12 : 249 n. 25 | 70, l. 17 : 249 n. 25 | 72, l. 3 : 249 n. 25 Jean d’Éphèse Histoire ecclésiastique – III, 3, 24 : 297 n. 30 | III, 24 : 297 | VI, 23 : 298 Jérôme de Stridon Lettre – 107, 2 : 214 Jordanès De origine actibusque Getatum (Getica) – 217 n. 33 Julien Lettres – 84 : 254 n. 59, 255 n. 61 | 89, 291b : 254 n. 60 Misopogon – 20 : 248 n. 18 | 42 = 370b : 254 n. 58 Julius Africanus Chronographiae – 228, 229, 229 n. 22 Frag. 93, 84-85 – 229 n. 21 Julius Valère – II, 14, 673-679 : 177 n. 47 Justin Épitomè de Trogue Pompée – XLIII : 228 n. 14 | XLI, 1, 1 : 228 n. 13
Hermogène Progymnasmata – 113 Histoire Auguste Vie d’Hadrien – 111 n. 8 Vie des Gordiens – 15, 1 : 191 n. 52 Vie des deux Maximins – 19, 1 : 191 n. 52 | 22, 4 : 189 n. 39 Homère Iliade – IV, 275 : 140 n. 29 | V, 771 : 140 n. 29 | X, 40 : 140 n. 29 | X, 515 : 140 n. 29 | XII, 282-284 : 139 n. 25 | XIII, 10 : 140 n. 29 | XIV, 58 : 140 n. 29 | XIV, 135 : 140 n. 29 | XVI, 299 : 140 n. 29 | XVIII : 48 | XX, 137 : 140 n. 29 | XXII, 145 : 140 n. 29 Odyssée – VII, 112-131 : 250 n. 36 Libanios Discours – 1, 48 : 254 n. 56 | 1, 52 : 247 n. 15 | 1, 94 : 254 n. 57 | 1, 115, 167 : 249 n. 30 | 1, 215 : 254 n. 57 | 1, 278 : 254 n. 56 | 2, 8 : 249 n. 30 | 4, 12 : 249 n. 31 Éloge d’Antioche (or. 11) – 241, 179 n. 56, 242, 242 n. 4 | 11, 47 : 251 n. 40, 252 n. 43 | 11, 52 : 252 n. 41 | 11, 53 : 252 n. 42, 252 n. 43 | 11, 53 : 251 n. 39 | 11, 57 : 253 n. 48 | 11, 64 : 250 n. 34 | 11, 66-67 : 253 n. 50 | 11, 163-164 : 252 n. 47 | 11, 164 : 251 n. 39 | 11, 174 : 251 n. 39, 253 n. 53 | 11, 196 : 243 n. 6, 245 n. 12 | 11, 196 : 243 n. 7, 244 n. 11 | 11, 216 : 247 n. 14 | 11, 234 : 248 n. 22, 249 n. 26 | 11, 251 : 247 n. 16 | 11, 253 : 248 n. 21 | 11, 259 : 250 n. 35 | 11, 267 : 248 n. 20 | 13, 18 : 250 n. 37 | 15, 79 : 252 n. 46 | 16, 41 : 248 n. 20 | 18, 225 : 250 n. 37 | 19, 5 : 247 n. 15 | 20, 42 : 251 n. 38 | 21, 28 : 251 n. 38, 251 n. 39 | 22, 6 : 248 n. 20 | 22, 17 : 249 n. 30 | 22, 37 : 247 n. 17 | 26, 20-21 : 247 n. 17 | 31, 20 : 249 n. 27 | 33, 35-37 : 248 n. 20 | 46, 19 : 249 n. 29 Lettres – 660, 3-4 : 250 n. 32 | 1257, 2 : 250 n. 37 Pour les professeurs – 249 Lucien Histoire vraie – 94 n. 4 Icaroménippe – 139 n. 21
314 • INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX
Malchus Frag. 20 – 298 n. 38 Marcien d’Héraclée Épitomé du périple de Ménippe – 93 n. 2, 96 n. 19, 96 n. 21, 97 n. 22, 98 n. 29 | 5 : 116 n. 33 | 96 : 96 n. 17, 96 n. 19, 96 n. 21, 97, 97 n. 22, 98, 98 n. 29, 99, 99 n. 36 Périple de la mer extérieure – I, 2 : 116 n. 33
Orose Histoire contre les païens – I, 1, 2, 31 : 216 | I, 1, 2, 54 : 216 | I, 1, 2, 90 : 216 | I, 1, 16 : 215, 226 n. 2 | I, 1, 16-17 : 215 | I, 2 : 215 | I, 2, 16 : 215 n. 24 | I, 2, 18 : 215 n. 24 | I, 2, 22 : 215 n. 24 | I, 2, 24 : 215 n. 24 | I, 2, 34 : 215 n. 24 | I, 2, 47 : 215 n. 24 | I, 2, 48 : 215 | I, 2, 49 : 215 n. 24 | I, 2, 53 : 215 n. 24 | VII : 226 | VII, 43, 19 : 217
Ménandre le Protecteur Fragments – 4 : 294 n. 5, 297 n. 32, 297 n. 33 | 9 : 295 n. 7, 295 n. 11 | 11 : 296 n. 27, 297 n. 35 | 15 : 295 n. 16, 296 n. 27 | 18 : 296 n. 22 | 18-22 : 296 n. 20 | 20 : 296 n. 21, 296 n. 22 | 21 : 296 n. 24, 296 n. 25 | 22 : 295 n. 18, 296 n. 26 | 27 : 295 n. 8, 295 n. 9, 295 n. 12 | 28 : 297 n. 34, 298 n. 36 | 32 : 296 n. 20 | 40 : 294 n. 3 | 41 : 295 n. 13, 295 n. 15, 295 n. 17 | 43 : 295 n. 19, 296 n. 20, 298 n. 36 | 45 : 296 n. 20 | 46 : 295 n. 16 | 52 : 295 n. 14 | 60 : 295 n. 16, 297 n. 31 | 64 : 295 n. 7, 295 n. 10 | 66 : 295 n. 8
Ovide Tristes – III, 10 : 193 n. 81
Ménandre le Rhéteur Rhétorique – I : 243 n. 5 | I, 327, 2 - 351, 17 : 144 n. 49 | I, 338, 11-12 : 150 n. 86 | I, 344, 15 - 351, 19 : 113 n. 18 | I, 344, 19-21 : 150 n. 86 | I, 344, 31 - 345, 3 : 144 n. 47, 144 n. 51 | I, 344-353 : 137 n. 12 | I, 349, 9-12 : 144 n. 50 | I, 349, 22-25 : 144 n. 50 | I, 350, 8-10 : 144 n. 50 | II, 382, ll. 24-25 : 117 n. 42 | II, 383, 10 - 384, 14 : 113 n. 18 | III, 377, 22 : 142 n. 37
Philostrate Vie d’Apollonius de Tyane – 111, 214 | I, 2 : 112 | I, 20 : 112 | II, 2-3 : 112 | III, 1-2 : 112 | V, 1-4 : 112 | VI : 111 | VI, 1 : 112 | VII : 112 | VIII : 112 Vie des Sophistes – 481 : 110 | I, 25, 531 : 152 n. 102 | I, 25, 533 : 152 n. 103 | II, 9, 581585 : 138 n. 16 | II, 9, 582 : 153 n. 106
Minucius Felix Octavius – 18, 3 : 191 n. 61 Nicolas de Damas Histoire universelle – 227 Origène Commentaire sur la Genèse – 263 | 66-73 : 263 Contre Celse – IV, 36 : 237 n. 67 | VI, 78 : 237 n. 67 Traité des principes – IV, 9 : 264 n. 22 Origo humani generis – 213 n. 14
Pausanias – I, 31, 1 : 150 n. 87 | VIII, 30, 8 : 15 n. 29 Périple de la mer Érythrée – 94 Périple pseudépigraphe du Pont-Euxin – 94, 94 n. 8 Philon Legatio ad Gaium – 214 : 211 | 281-283 : 211
Photius Bibliothèque – Cod. 3 : 298 n. 37 | Cod. 7 : 31 | Cod. 91 : 100 n. 41 | Cod. 166 : 100 n. 41 | Cod. 250 : 32 Lexicon – 2199 : 115 n. 32 Platon Lois – IV, 1 = 704d : 243 n. 8 Ménexène – 238d : 147 n. 68 | 245c-d : 148 n. 75 Timée – 24c5-7 : 158 n. 139 | 51b : 171 Pline l’ancien Histoire naturelle – 170 n. 18 | III, 7 : 170 n. 21 | III, 28 : 170 n. 21 | III, 119 : 187 n. 15 |
INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX • 315
III, 139 : 170 n. 21 | V, 1 : 170 n. 21 | VI, 22, 5 : 213 | VI, 62 : 112 n. 13 | VI, 124 : 116 n. 34 | VIII, 81 : 46 n. 9 | XXII, 1 : 193 n. 78
Pseudo Épiphane – 261, 263, 269, 271, 272 n. 58
Plutarque Alexandre – 38, 1-2 : 129 | 52, 8-9 : 158 n. 139 Brutus – 38-53 : 128 Philopoemen – 6 : 23 n. 49
Pseudo-Isidore De ortu et obitu patriarcharum et apostolorum – 57, 261, 271
Pomponius Mela – III, 6 : 193 n. 78 Polybe Histoires – 227 | I-XVI : 12 | I, 1, 5 : 227 n. 7 | I, 3, 1 : 227 n. 9 | I, 3, 3 : 227 n. 9 | II, 5, 5-7 : 21 n. 47 | II, 37, 4 : 227 n. 8 | III : 13, 67 | III, 36, 2-5 : 13 n. 21 | III, 36, 6 : 114 n. 24 | III, 36-38 : 112 n. 16 | III, 38, 4 : 14 n. 23 | III, 54, 2 : 14 | III, 59 : 12 n. 18 | III, 80 : 10 n. 4 | IV, 40, 2-3 : 13 n. 19 | IV, 56, 5 : 100 n. 40 | V, 7 : 15 n. 34 | V, 8 : 14 | VII, 14d, 1 : 17 n. 39 | VII, 15, 10 : 10 n. 5 | VIII, 13, 3 : 20 n. 44, 20 n. 46 | IX, 12-16 : 12 | IX, 13, 8 : 12 n. 12 | X, 8 : 128 | XII : 67 | XII, 25b : 11 n. 11 | XII, 25h : 12 n. 18 | XII : 67 | XVIII : 12 | XVIII, 41a : 14 | XXX, 10 : 15 n. 31 | XXXII, 21 : 17 n. 41 | XXXIV : 12, 67 | XXXIV, 31, 2 : 14 Posidonius FGrHist 86 F 15-17 – 29 n. 6 Procope – V, 15 : 100 n. 40 | 7, 28, 2 : 100 n. 41 | 7, 29, 12 : 100 n. 41 | VIII, 2 : 100 n. 40 | VIII, 5, 26 : 100 n. 40 Prosper d’Aquitaine De uocatione gentium – 214 Pseudo-Aelius Aristide En l’honneur de l’empereur – 35 : 84 n. 86 Pseudo-César Bellum Africanum – 40, 6 : 84 n. 86 Pseudo-Dorothée / Procope – 261, 269, 270 n. 56, 271, 272 n. 58
Pseudo-Hippolyte – 261
Pseudo-Scylax – 69 : 116 n. 36 | 104 : 116 n. 36 | 111 : 116 n. 36 Pseudo-Scymnos Périégèse iambique – 94 n. 4 Pseudo-Xénophon Constitution des Athéniens – 2, 7 : 142 n. 37 Ptolémée Géographie – I, 1, 2 : 113 | I, 2, 4 : 116 n. 34 | I, 2, 4 : 116 n. 33 Rufin d’Aquilée Histoire ecclésiastique – 214 Salluste Guerre de Jugurtha – 211 n. 10 | 17, 1-2 : 215 Servius Sulpicius Galba Lettre à Cicéron – Fam. X, 30, 2 : 130 Sidoine Apollinaire Carmen IV = Panégyrique de Majorien – v. 600603 : 214 n. 16 Socrate le scolastique Histoire ecclésiastique – I, 4 : 284 n. 35 | I, 6 : 284 n. 35 | I, 7, 5 : 287 n. 62 | I, 8 : 284 n. 35, 284 n. 41 | I, 9, 42 : 286 n. 53 | I, 13 : 284 n. 32, 284 n. 41, 287 n. 73 | I, 13, 12 : 287 n. 63 | I, 18 : 284 n. 41 | I, 19, 2-14 : 282 n. 14 | I, 20, 1 : 282 n. 17 | I, 20, 1-6 : 282 n. 13 | I, 22 : 285 n. 43 | I, 24 : 284 n. 41 | I, 27, 7 : 287 n. 59 | I, 27, 10 : 288 n. 79 | I, 36 : 283 n. 25 | II, 9 : 284 n. 41; 285 n. 43 | II, 12, 3 : 287 n. 59 | II, 15 : 284 n. 41 | II, 19 : 284 n. 38 | II, 20, 8 : 287 n. 63 | II, 22 : 284 n. 34
316 • INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX
| II, 23, 57 : 285 n. 45 | II, 24, 7 : 285 n. 45 | II, 28 : 284 n. 35 | II, 29, 3 : 287 n. 63 | II, 32, 2 : 287 n. 60 | II, 36 : 284 n. 38, 284 n. 62 | II, 36, 1 : 286 n. 57 | II, 37 : 284 n. 35, 284 n. 39 | II, 38 : 284 n. 41 | II, 38, 19 : 289 n. 93 | II, 38, 29 : 288 n. 75 | II, 38, 30 : 288 n. 75 | II, 39 : 283 n. 26, 284 n. 34, 284 n. 35, 284 n. 36, 284 n. 38, 284 n. 39, 284 n. 41 | II, 39, 10 : 288 n. 81 | II, 39, 17 : 287 n. 73 | II, 40 : 284 n. 39 | II, 40, 19 : 287 n. 73 | II, 41 : 284 n. 35 | II, 42 : 284 n. 36 | II, 42, 6 : 287 n. 73 | II, 43 : 284 n. 32, 284 n. 34, 284 n. 36, 284 n. 41 | II, 43, 1 : 288 n. 76 | II, 43, 2 : 288 n. 74 | II, 43, 6 : 288 n. 74 | II, 44 : 284 n. 34 | III, 5, 1 : 286 n. 57 | III, 6, 1 : 285 n. 44 | III, 7 : 285 n. 42 | III, 7, 12 : 287 n. 63 | III, 10 : 284 n. 36 | III, 10, 1 : 284 n. 58 | III, 10, 7 : 287 n. 73 | III, 11, 3 : 289 n. 94 | III, 12 : 284 n. 35 | III, 15, 1 : 287 n. 67 | III, 17 : 284 n. 38 | III, 23 : 284 n. 41 | III, 25 : 284 n. 33, 285 n. 42 | III, 25, 3 : 287 n. 73 | III, 26 : 284 n. 35, 284 n. 38 | IV, 1 : 284 n. 35 | IV, 4, 6 : 289 n. 97 | IV, 5, 2 : 287 n. 66 | IV, 6 : 284 n. 35 | IV, 8 : 284 n. 35 | IV, 11 : 283 n. 29, 284 n. 32 | IV, 11, 9 : 288 n. 76, 288 n. 77 | IV, 12 : 283 n. 23, 283 n. 24, 283 n. 27, 283 n. 28, 284 n. 38 | IV, 18, 1 : 289 n. 86 | IV, 14 : 284 n. 35 | IV, 23 : 282 | IV, 23, 47-48 : 282 n. 10 | IV, 26 : 284 n. 32 | IV, 26, 11 : 288 n. 76 | IV, 26, 13 : 288 n. 77 | IV, 28, 1 : 289 n. 96 | IV, 28, 18 : 287 n. 69 | IV, 28, 9-13 : 281 n. 6 | IV, 31, 7 : 284 n. 61 | IV, 38, 29 : 289 n. 95 | V, 2, 2 : 287 n. 64 | V, 8 : 283 n. 28, 283 n. 29, 284 n. 32, 284 n. 34, 286 n. 53, 286 n. 54 | V, 8, 5 : 289 n. 97 | V, 8, 15-18 : 286 n. 54 | V, 9 : 284 n. 34 | V, 10, 32 : 289 n. 98 | V, 18, 15 : 288 n. 76 | V, 21 : 283 n. 25, 284 n. 35 | V, 21, 11 : 289 n. 87 | V, 22 : 284 n. 32, 286 n. 53, 290 n. 99 | V, 22, 55 : 288 n. 76 | V, 22, 59 : 288 n. 76, 289 n. 97 | V, 23 : 283 n. 29 | V, 25 : 283 n. 25 | VI, 3 : 284 n. 32, 284 n. 38, 284 n. 39 | VI, 3, 8 : 288 n. 76 | VI, 7, 13 : 285 n. 47 | VI, 7, 18 : 285 n. 47 | VI, 10 : 284 n. 40 | VI, 11 : 284 n. 35 | VI, 13 : 283 n. 24 | VI, 15 : 284 n. 35 | VI, 16, 6 : 289 n. 88 | VI, 17,
11 : 285 n. 47 | VI, 19 : 283 n. 23, 283 n. 26 | VI, 20 : 284 n. 34 | VI, 22 : 283 n. 25 | VII, 12 : 284 n. 35 | VII, 18 : 284 n. 35 | VII, 3 : 284 n. 30 | VII, 3, 1 : 289 n. 97 | VII, 25, 13 : 289 n. 89 | VII, 27 : 283 n. 27 | VII, 28, 4-5 : 281 n. 3 | VII, 31 : 283 n. 29 | VII, 31, 2 : 289 n. 97 | VII, 31, 4 : 289 n. 97 | VII, 36 : 283 n. 26, 283 n. 28, 284 n. 38 | VII, 36, 10 : 288 n. 77, 288 n. 78 | VII, 36, 19 : 287 n. 70, 287 n. 71 | VII, 38 : 284 n. 35 | VII, 46, 9 : 287 n. 72 | VII, 46, 13 : 287 n. 72 | VII, 48 : 284 n. 32 | VII, 48, 2 : 288 n. 76 | VII, 48, 5 : 288 n. 76 Sozomène Histoire ecclésiastique – I, 13, 2 : 285 n. 46 | I, 14, 8 : 285 n. 51 | II, 6, 1 : 282 n. 16 | II, 9-15 : 282 n. 15 | II, 25, 4 : 285 n. 45 | II, 34, 1 : 288 n. 80 | III, 5, 10 : 288 n. 76 | III, 14, 1 : 285 n. 51 | III, 14, 5 : 285 n. 49 | III, 14, 16 : 285 n. 49 | III, 14, 17 : 285 n. 49 | III, 14, 28 : 288 n. 85 | III, 14, 35 : 288 n. 74 | IV, 7, 2 : 284 n. 60 | IV, 8, 3 : 286 n. 57 | IV, 9, 3 : 287 n. 62 | IV, 15, 2 : 287 n. 65 | IV, 21, 1 : 288 n. 75, 289 n. 95 | IV, 21, 2 : 288 n. 75 | IV, 24, 6 : 287 n. 65 | IV, 22, 7 : 287 n. 73 | IV, 24, 9 : 288 n. 74, 288 n. 76 | IV, 24, 12 : 287 n. 73 | V, 2, 9 : 289 n. 90 | V, 4, 1 : 288 n. 76 | V, 4, 4 : 288 n. 76 | V, 11, 8 : 288 n. 76 | V, 19, 4-11 : 281 n. 7 | V, 21, 8 : 285 n. 47, 285 n. 48 | V, 21, 9 : 285 n. 47 | VI, 4, 3 : 287 n. 73 | VI, 10, 2 : 290 n. 100 | VI, 12, 2 : 288 n. 76 | VI, 12, 4 : 283 n. 22 | VI, 15, 5 : 288 n. 76 | VI, 16, 4 : 288 n. 76 | VI, 21, 1 : 288 n. 76 | VI, 21, 3 : 286 n. 56, 289 n. 91 | VI, 24, 7 : 287 n. 68 | VI, 24, 8 : 287 n. 69 | VI, 27, 9 : 290 n. 101 | VI, 28, 3 : 285 n. 49 | VI, 29, 3 : 285 n. 50 | VI, 29, 9 : 285 n. 51 | VI, 29, 11 : 285 n. 51 | VI, 29, 14 : 285 n. 51 | VI, 29, 19 : 285 n. 51 | VI, 29, 20 : 285 n. 51 | VI, 29, 22 : 285 n. 51 | VI, 29, 23 : 285 n. 50 | VI, 29, 29 : 282 n. 11 | VI, 29, 30 : 282 n. 12 | VI, 30, 1 : 285 n. 51 | VI, 30, 11 : 285 n. 51 | VI, 31, 5 : 285 n. 51 | VI, 33, 1 : 289 n. 92 | VI, 34, 9 : 288 n. 76 | VI, 38, 10-16 : 281 n. 8, 283 n. 18 | VII, 9, 6 : 286 n. 55, 288 n. 76 | VII, 15, 11 : 283 n. 19, 290 n. 102 | VII, 17, 2 : 288 n. 76 |
INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX • 317
VII, 18, 1 : 287 n. 68 | VII, 18, 3 : 289 n. 87 | VII, 18, 8 : 287 n. 68 | VII, 26, 1 : 288 n. 82 | VII, 26, 5 : 288 n. 83 | VIII, 6, 2 : 285 n. 51 | VIII, 12, 1 : 285 n. 51 | VIII, 12, 7 : 285 n. 51 | VIII, 17, 4 : 285 n. 51 | VIII, 17, 5 : 285 n. 51 Strabon Géographie – 59 n. 43, 69, 227 n. 11 | I-II : 67 | I, 1, 1-23 : 69, 72 | I, 1, 13 C7 : 123 n. 7 | I, 1, 16 : 69 n. 2 | I, 1, 16 C8 : 123 n. 7 | I, 1, 18 C11 : 123 n. 7 | I, 1, 22-23 : 68 | I, 2, 1 : 69 | I, 2, 2-II, 4, 8 : 69 | I, 4, 7 : 114 n. 24 | II, 2, 34 : 170 n. 17 | II, 5, 1 : 70 | II, 5, 1-40 : 70 | II, 5, 8 : 72 n. 12, 268 n. 44 | II, 5, 10 : 70 | II, 5, 12 : 69 n. 5 | II, 5, 14 : 70 | II, 5, 16 : 70 | II, 5, 17 : 70, 72 | II, 5, 18 : 70, 70 n. 8, 269 n. 45 | II, 5, 19-25 : 70 | II, 5, 26 : 72 | II, 5, 26-33 : 70 | III : 125 | III, 1-3 : 126, 174 n. 35 | III, 4 : 126 | III, 5, 3 : 56, 56 n. 37, 60 | III, 5, 6 : 61 | III, 5, 10 : 62 | IV, 2 : 176 | IV, 4, 5 : 169 n. 14 | IV, 5, 1 : 174 n. 35 | IV, 5, 3 : 72 n. 12 | IV, 6, 11 : 14 n. 25 | IV, 6, 12 : 115 n. 32 | V, 1 : 171 n. 22 | V, 1, 2 : 15 n. 27 | VI, 1, 2 : 68 | VI, 2, 1 : 174 n. 35 | VI, 3, 5 : 114 n. 24, 115 n. 32 | VI, 4, 1-2 : 72 | VI, 4, 2 : 72 | VI, 11 : 174 n. 35 | VII, 2, 4 : 69 n. 3 | VII, 3-9 : 29 n. 6 | VIII, 1, 3 : 14 n. 25 | VIII, 2, 1 : 174 n. 35 | VIII, 8, 5 : 14 n. 22 | X, 3, 5 : 72 | XI : 68 | XI, 2, 3 : 100 n. 40 | XI, 2, 10 : 71 | XI, 2, 14 : 69 n. 4 | XI, 6, 4 : 69 | XI, 9, 3 : 69 | XI, 11, 5 : 116 n. 34 | XI, 12, 1 : 268 n. 43 | XI, 14, 5 : 71 | XI, 14, 15 : 71 | XVI, 2, 7 : 243 n. 10 | XVI, 2, 8 : 14 n. 25 | XVI, 3, 24-25 : 72 | XVI, 4, 18 : 170 n. 21 | XVI, 4, 5-20 : 31 | XVI, 4, 8 : 115 n. 32 | XVII, 1, 8 : 50 n. 25, 174 n. 35 | XVII, 3, 1 : 174 n. 35 | XVII, 3, 24 : 169 n. 14 | XLII, 8 : 178 n. 54 Histoire – 227 n. 11 Suétone Auguste – 42, 4 : 254 n. 55 Caligula – 19, 4 : 177 n. 49 Tacite Agricola – 12 : 191 n. 61, 193 n. 78 | 36 : 193 n. 78 Annales – 132 | I, 9, 5 : 199 n. 122 | II, 83 : 249 n. 24
Germanie – 78, 211 | 1 : 83 n. 73 | 1-28 : 83 n. 71 | 2 : 83 n. 74, 83 n. 78 | 3 : 83 n. 78 | 4, 2 : 84 n. 86 | 5 : 83 n. 75 | 6 : 83 n. 75, 84 n. 85 | 6, 4 : 84 n. 88 | 7 : 84 n. 84 | 8 : 84 n. 87 | 9 : 85 n. 95 | 10 : 85 n. 95 | 11 : 85 n. 93 | 12 : 85 n. 93 | 12, 1 : 85 n. 94 | 13, 1 : 83 n. 80 | 14 : 83 n. 79 | 15 : 83 n. 79 | 16 : 201 n. 139, 84 n. 90 | 17-27 : 84 n. 92 | 18 : 83 n. 81 | 22, 1 : 83 n. 80 | 28, 1 : 83 n. 72 | 29 : 84 n. 82 | 29-44 : 83 n. 71 | 30 : 84 n. 88, 84 n. 89 | 30, 1 : 83 n. 76 | 31 : 83 n. 79, 84 n. 82 | 32 : 84 n. 89 | 35 : 84 n. 82 | 37 : 84 n. 82 | 38 : 84 n. 82 | 42 : 84 n. 82 | 43, 3 : 83 n. 77 | 45 : 83 n. 71, 85 n. 96 | 45, 9 : 85 n. 97 | 46 : 83 n. 71, 85 n. 96 | 46, 6 : 85 n. 98 Histoires : 132 | V, 1-8 : 132 | V, 18, 1 : 84 n. 86 Tertullien La chair du Christ – 2 : 264 n. 22 De la prescription contre les hérétiques – 36, 3 : 266 n. 29 Théodoret Histoire des moines de Syrie – 26 : 214 Theophylacte Simocatta – VI, 2, 10-16 : 297 n. 29 Thucydide – I, 2 : 152 n. 97 | I, 2, 6 : 152 n. 97 | I, 6, 3 : 152 n. 100 | I, 9 : 167 n. 10 | I, 10, 2 : 141 n. 33 | I, 97, 2 : 70 | II, 38, 2 : 142 n. 37 | II, 39, 1 : 252 n. 44 | II, 97 : 94 n. 3 | II, 97, 1-2 : 115 n. 32 | II, 102 : 100 n. 41 Timée de Tauroménion FGrHist 566 T 19 – 29 n. 6 FGrHist 566 T 30 – 29 n. 6 Tite-Live Préface – 1 : 169 | 4 : 169 | XXXV, 28 : 23 n. 49 | XLV, 27-28 : 15 n. 31 | XLIV, 31, 2-5 : 17 n. 43 | XLIV, 46, 4-7 : 16 n. 36 | XXXIV, 52 : 17 n. 38 Trogue Pompée Histoires philippiques – 227
318 • INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX
Végèce – I, 1 : 84 n. 86 Velleius Paterculus – II, 106 : 84 n. 86 Vitruve De architectura – 8, 3, 27 : 29 n. 6 Xénophon Anabase – 115 n. 31 | I, 4, 1 : 100 n. 40 | I, 4, 6 : 100 n. 40 | I, 4, 17-18 : 177 n. 47 | IV, 8, 22 : 100 n. 39-40 | VII, 3, 46 : 115 n. 32
Banquet – 8, 31 : 102 n. 55 Poroi – 1, 6 : 146 n. 60 République des Lacédémoniens – 14, 4 : 252 n. 45 Zonaras Chronique – 172 | Praefatio – 4 : 172 n. 30 | VIII, 19, 8 : 192 n. 69
Index biblique I. Ancien Testament Genèse – 10 : 213, 219, 220, 234, 261, 270 | 49, 10 : 230 Nombres – 11, 25-26 : 261 n. 6 Deutéronome – 11, 24-27 : 230 1 Samuel – 23, 14 : 235 n. 60 Isaïe – 23, 1-18 : 218 n. 37
Actes des Apôtres – 221 | 2, 5-11 : 211 | 2, 9-11 : 264 Épître aux Romains – 15, 19 : 231 n. 34 Première Épître aux Corinthiens – 3, 10 : 264 n. 24 IV. Apocryphes du Nouveau Testament Actes d’André – 266, 268
Daniel – 212 n. 12
Actes d’André et de Matthias dans la ville des Anthropophages – 268
II. Écrits intertestamentaires
Actes de Jean – 266
Livre des Jubilés – 211
Actes de Paul – 266, 267 n.35
III. Nouveau Testament
Actes de Philippe – 266, 268, 268 n. 40 | 8, 2 : 267 n. 36
Matthieu – 28, 19-20 : 265 Luc – 10, 1 : 261 n. 5 | 10, 1-24 : 231 | 17 : 261 n. 5
Actes de Pierre – 266, 267, 268 n. 39 Actes de Thomas – 266 | 1, 2 : 267 n. 36
Liste des abréviations utilisées
AAT Aevum(Ant) AHB AJAH AJPh AncSoc APF ANRW BAELAC BAGB BASO BÉFAR BibA BNJ BSNAF Bullett. Ist. di Diritto Romano ClAnt CPh CSCO DHA ÉL EntrHardt FGrHist FHG GeogrAnt GGM GRBS I.Smyrna JHS JRS LDAB MediterrAnt MÉFRA
Atti della Accademia delle Scienze di Torino. 2, Classe di Scienze Morali, Storiche e Filologiche. Aevum Antiquum. The Ancient History Bulletin. American Journal of Ancient History. American Journal of Philology. Ancient Society. Archiv für Papyrusforschung und verwandte Gebiete. Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt. Geschichte und Kultur Roms im Spiegel der neueren Forschung. Bulletin de l’AELAC (Association des Professeurs de Langues Anciennes de l’Enseignement Supérieur). Bulletin de l’Association Guillaume Budé. Bulletin of the American Schools of Oriental Research. Bibliothèque des Écoles française d’Athènes et de Rome. The Biblical Archaelogist. I. Worthington, Brill’s New Jacoby, en ligne (http://referenceworks.brillonline.com/browse/brill-s-new-jacoby). Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France. Bullettino dell’Istituto di Diritto Romano. Classical Antiquity. Classical Philology. Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium. Dialogues d’Histoire Ancienne. Études de lettres. Entretiens sur l’Antiquité classique de la Fondation Hardt. F. Jacoby, Die Fragmente der griechischen Historiker, Berlin / Leiden, Weidmann, 1923-. Fragmenta Historicorum Graecorum, éd. C. Müller, Th. Müller, Paris, 1848-1870. Geographia Antiqua: Rivista di Geografia Storica del Mondo Antico e di Storia della Geografia. C. Müller, Geographi Graeci minores, I-II, Paris, 1855-1861. Greek, Roman and Byzantine Studies. G. Petzl, Die Inschriften von Smyrna, I (Grabschriften, postume Ehrungen, Grabepigramme), Bonn, 1982. Journal of Hellenic Studies. The Journal of Roman Studies. Leuven database of Ancient Books. Mediterraneo Antico. Mélanges de l’École Française de Rome. Antiquité.
320 • LISTE DES ABRÉVIATIONS UTILISÉES
NRS Philol. Woch. RAC RE RÉA RÉAug RÉG RFIC RGZM RH RhM RSCr SCI SDAW TAPhA ZPE ZRGG
Nuova Rivista Storica. Philologische Wochenschrift. Reallexikon für Antike und Christentum. Paulys Realencyclopädie der klassischen Altertumswissenschaft, neue Bearbeitung unter Mitwirkung zahlreicher Fachgenossen, hrsg. von G. Wissowa, W. Kroll, K. Witte, K. Ziegler, I-XXIV, I.A-X.A, Suppl. I-XV, Register, Stuttgart / München, 1893-1980. Revue des études anciennes. Revue des études augustiniennes et patristiques. Revue des études grecques. Rivista di Filologia e di Istruzione Classica. Verlag des Römisch-Germanischen Zentralmuseums. Revue historique. Rheinisches Museum für Philologie. Rivista di Storia del Cristianesimo. Scripta Classica Israelica. Sitzungsberichte der Deutschen Akademie der Wissenschaften zu Berlin. Transactions of the American Philological Association. Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik. Zeitschrift für Religions- und Geistesgeschichte.
Table des matières
Michèle Coltelloni-Trannoy, Sébastien Morlet Avant-propos
7
Frank Daubner Polybe et la géographie stratégique de la Grèce septentrionale
9
Lisa Irene Hau Diodorus’ use of Agatharchides’ description of Africa
27
Laury-Nuria André Entre histoire et géographie, écrire le paysage chez Diodore de Sicile et Strabon. Le cas des îles occidentales
43
Francesco Prontera Geografia e storia nel proemio di Strabone
67
Yann Le Bohec « La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre »
75
Patrick Counillon Le Périple du Pont-Euxin ou Arrien de Nicomédie entre les genres
93
Sergio Brillante La géographie et la seconde sophistique : un parcours entre histoire, rhétorique et périplographie
109
Philippe Torrens Appien et la géographie
121
Estelle Oudot Histoire d’Athènes, espace égéen et Empire romain : les logiques spatiales d’Aelius Aristide
135
Michèle Coltelloni-Trannoy La géographie dans l’Histoire romaine de Cassius Dion
165
322 • TABLE DES MATIÈRES
Agnès Molinier Arbo L’Empire romain, citadelle assiégée ? Recherches sur Hérodien et la géographie
185
Hervé Inglebert Les fonctions de l’universalité spatiale chez les auteurs chrétiens tardo-antiques
209
Adele Monaci Castagno History and geography in the work of Eusebius of Caesarea
225
Bernadette Cabouret La géographie de l’accueil chez les auteurs grecs de l’Orient romain : l’exemple de Libanios et de l’Éloge d’Antioche
241
Amaury Levillayer L’apport des écrits apocryphes sur les apôtres à la constitution d’une géographie chrétienne du sacré dans l’Antiquité tardive
259
Valerio Neri Geografia dell’impero e geografia della chiesa nelle storie ecclesiastiche del V secolo
279
Bruno Bleckmann Der geographische Horizont des Menandros Protektor
293
Yann Le Bohec Histoire et géographie : quelques remarques conclusives
303
Index des auteurs anciens et médiévaux
307
Index biblique
318
Liste des abréviations utilisées
319
Dans la même collection Volume 1 | 2007 Job, ses précurseurs et ses épigones, par Maria Gorea. Volume 2 | 2008 D’Ougarit à Jérusalem. Recueil d’études épigraphiques et archéologiques offert à Pierre Bordreuil, édité par Carole Roche. Volume 3 | 2008 L’Arabie à la veille de l’Islam. Bilan clinique (Actes de la table ronde tenue au Collège de France, Paris, 28-29 août 2006), édité par Jérémie Schiettecatte en collaboration avec Christian Julien Robin. Volume 4 | 2009 Sabaean Studies. Archaeological, epigraphical and historical studies, edited by Amida M. Sholan, Sabina Antonini, Mounir Arbach. Volume 5 | 2009 Les échanges à longue distance en Mésopotamie au Ier millénaire. Une approche économique, par Laetitia Graslin-Thomé. Volume 6 | 2011 D’Aden à Zafar, villes d’Arabie du sud préislamique, par Jérémie Schiettecatte. Volume 7 | 2012 Dieux et déesses d’Arabie : images et représentations (Actes de la table ronde tenue au Collège de France, Paris, 1er-2 octobre 2007), édité par Isabelle Sachet en collaboration avec Christian Julien Robin. Volume 8 | 2012 Alessandro de Maigret, Saba’, Ma’în et Qatabân. Contributions à l’archéologie et à l’histoire de l’Arabie ancienne, choix d’articles scientifiques préparé par Sabina Antonini et Christian Julien Robin. Volume 9 | 2012 Scribes et érudits dans l’orbite de Babylone (travaux réalisés dans le cadre de l’ANR Mespériph 2007-2011), édité par Carole Roche-Hawley et Robert Hawley. Volume 10 | 2012 South Arabian Art. Art History in Pre-Islamic Yemen, par Sabina Antonini de Maigret. Volume 11 | 2012 L’Orient à la veille de l’Islam. Ruptures et continuités dans les civilisations du Proche-Orient, de l’Afrique orientale, de l’Arabie et de l’Inde à la veille de l’Islam (Actes de la table ronde tenue au Collège de France, Paris, 17-18 novembre 2008), édité par Jérémie Schiettecatte en collaboration avec Christian Julien Robin.
Volume 12 | 2013 Entre Carthage et l’Arabie heureuse. Mélanges offerts à François Bron, édité par Françoise Briquel Chatonnet, Catherine Fauveaud et Iwona Gajda. Volume 13 | 2013 Bijoux carthaginois III. Les colliers. L’apport de trois décennies (1979-2009), par Brigitte Quillard. Volume 14 | 2013 Regards croisés d’Orient et d’Occident. Les barrages dans l’Antiquité tardive (Actes du colloque tenu à Paris, Fondation Simone et Cino del Duca, 7-8 janvier 2011, et organisé dans le cadre du programme ANR EauMaghreb), édité par François Baratte, Christian Julien Robin et Elsa Rocca. Volume 15 | 2014 Paradeisos. Genèse et métamorphose de la notion de paradis dans l’Antiquité (Actes du colloque international), sous la direction d’Éric Morvillez. Volume 16 | 2015 Devins et lettrés dans l’orbite de Babylone, sous la direction de Carole Roche-Hawley et Robert Hawley. Volume 17 | 2015 Les Jafnides. Des rois arabes au service de Byzance (vie siècle de l’ère chrétienne) (Actes du colloque de Paris, 24-25 novembre 2008), sous la direction de Denis Genequand et Christian Julien Robin. Volume 18 | 2015 Figures de Moïse, sous la direction de Denise Aigle et Françoise Briquel Chatonnet. Volume 19 | 2016 Le coran de Gwalior. Polysémie d’un manuscrit à peintures, sous la direction de Éloïse Brac de la Perrière et Monique Burési. Volume 20 | 2016 Tamnaʿ (Yémen). Les fouilles italo-françaises. Rapport final, sous la direction d’Alessandro de Maigret et Christian Julien Robin. Volume 21 | 2016 Architecture et décor dans l’Orient chrétien (ive-viiie siècle). Actes de la journée d’étude en hommage au Père Michele Piccirillo (INHA, Paris, 8 décembre 2011), publiés par François Baratte et Vincent Michel. Volume 22 | 2016 Les coutumes funéraires dans le royaume de Méroé. Les enterrements privés, par Vincent Francigny.
Volume 23 | 2017 Du Sinaï au Soudan : itinéraires d’une égyptologue. Mélanges offerts au Professeur Dominique Valbelle, publiés par Nathalie Favry, Chloé Ragazzoli, Claire Somaglino, Pierre Tallet. Volume 24 | 2017 Guérison, religion et raison. De la médecine hippocratique aux neurosciences, textes réunis et édités par Véronique Boudon-Millot et Serena Buzzi. Volume 25 | 2017 Du culte aux sanctuaires. L’architecture religieuse dans l’Afrique romaine et byzantine, édités par François Baratte, Véronique Brouquier-Reddé et Elsa Rocca. Volume 26 | 2018 Tlemcen médiévale : urbanisme, architecture et arts, par Agnès Charpentier. Volume 27 | 2018 Le teint de Phrynè. Thérapeutique et cosmétique dans l’Antiquité, sous la direction de Véronique Boudon-Millot et Muriel Pardon-Labonnelie. Volume 28 | 2018 Le monde de Procope / The World of Procopius, sous la direction Geoffrey Greatrex et Sylvain Janniard, avec la collaboration de JaShong King.
ORIENT
MÉDITERRANÉE
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UMR 8167, Orient et Méditerranée – Textes, Archéologie, Histoire CNRS, Université Paris-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École pratique des hautes études, Collège de France
HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE CHEZ LES AUTEURS GRECS
n sait à quel point l’écriture de l’histoire, dès ses origines dans la littérature grecque, convoque des savoirs qui, pour les Modernes, relèvent de la « géographie », physique et humaine. Au modèle explicatif du récit se mêle donc constamment celui de la description des territoires et des peuples. Dans quelle mesure le discours historique informe-t-il le propos géographique ? Dans quelle mesure, au contraire, une certaine façon de pratiquer la géographie peut-elle influencer l’écriture historique ? C’est à ces questions que l’ouvrage s’attache à répondre. Au-delà des cloisonnements encouragés par les différences de genre, d’époque ou d’appartenance religieuse, il s’agit de clarifier le rapport qu’entretiennent histoire et géographie chez les auteurs grecs contemporains de la République et de l’Empire romains. Les historiens au sens strict y côtoient des auteurs qui, dans d’autres genres littéraires, ont été eux aussi confrontés au problème posé par l’articulation de l’histoire et de la géographie.
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rom its very beginning within Greek literature, it is well known that historical writing summoned knowledge that in modern terms belongs to ‘geography,’ both physical and human. Narrative as an explanatory model constantly integrated descriptions of territories and peoples. To what extent did historical discourse shape geographical statements? Conversely, in what measure may a certain way of dealing with geography have influenced the writing of history? This book addresses both questions. Beyond distinctions based on genres, times and religious backgrounds, it seeks to shed light on the relations between history and geography in the works of Greek authors during the Roman Republic and Empire. Historians in the strict sense are considered alongside authors writing in other literary genres, who also grappled with the problem of combining history and geography.
ISBN 978-2-7018-0535-1
HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE CHEZ LES AUTEURS GRECS
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DU IIe S. AV. J.-C. AU VIe S. APR. J.-C. sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy Sébastien Morlet
Éditions de Boccard