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French Pages 310 [296] Year 2021
Cette opération, plus connue sous le nom d’agression du 22 novembre 1970, demeure une date clé de l’histoire moderne guinéenne, qui a marqué le début d’une répression hystérique et injustifiée du régime de l’époque sur son peuple. 50 ans après les faits, alors que la Guinée vit toujours une actualité tourmentée, la réédition de cet ouvrage éclaire d’un jour nouveau la personnalité des acteurs de l’opération Mar Verde. On sait enfin qui étaient ces hommes, quelles puissances ont participé, pourquoi et comment cette vaste opération a échoué. Mêlant archives officielles ou personnelles et témoignages croisés, il est enfin possible d’avoir une vision globale et juste de cet événement focal pour la Guinée.
Journaliste et chef d’entreprise, Bilguissa Diallo est également l’auteur de deux autres ouvrages (un roman et un livre jeunesse). Suite à la découverte de nouvelles archives, elle choisit de se pencher à nouveau sur cette page de l’histoire dans laquelle sa famille est personnellement impliquée.
Illustration de couverture : © duncan-kidd - Unsplash.com
ISBN : 978-2-343-21536-5
31 €
9 782343 215365
Bilguissa Diallo
Au petit matin, la radio guinéenne dénonce l’attaque, les bateaux ont repris le large avec une partie de leurs troupes. Pour les assaillants restés à terre, la chasse s’organise, leur sort est scellé ! Sur le plan diplomatique, les réactions politiquement correctes des chancelleries fusent. Sékou Touré tourne les événements à son avantage et attire la sympathie du monde entier.
GUINÉE, 22 NOVEMBRE 1970
Dimanche 22 novembre 1970, deux heures du matin au large des côtes de Conakry en République de Guinée, six bateaux accostent. A leur bord, quelques centaines d’hommes armés en treillis, ils partent à l’assaut de la capitale guinéenne. Leur objectif ? Prendre le pouvoir en s’emparant d’éléments stratégiques ! Mais qui sontils au fait : Guinéens, étrangers, les deux ?
Bilguissa Diallo
GUINÉE, 22 NOVEMBRE 1970 Opération Mar Verde Nouvelle édition
Guinée, 22 novembre 1970
© L’Harmattan, 2021 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-21536-5 EAN : 9782343215365
Bilguissa DIALLO
Guinée, 22 novembre 1970 Opération Mar Verde
Nouvelle édition
DU MEME AUTEUR :
ROMAN : - Diasporama, Editions Anibwé, 2005 LIVRE JEUNESSE : - N’Deye, Oury et Jean-Pierre vivent au Sénégal, Editions De La Martinière Jeunesse, 2007 ESSAI : - Guinée 22 novembre 1970, Opération Mar Verde Editions l’Harmattan, 2014
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REMERCIEMENTS
J’adresse un grand merci à ceux qui ont bien voulu, par leur témoignage direct, m’éclairer sur le contexte de l’époque. J’adresse également un salut aux auteurs de tous ces livres qui m’ont permis de me faire une idée plus objective de ce qui s’est réellement passé alors. Je souhaite témoigner de ma grande reconnaissance à José Matos, chercheur spécialiste d’histoire militaire du Portugal, qui m’a contacté suite à la parution de la première édition du présent ouvrage. Il a eu la gentillesse de partager avec moi de nombreuses archives, nous échangeons désormais tout le matériel de recherche dont nous disposons. Il pourrait presque co-signer ce livre, c’est un travail d’équipe que nous avons accompli. Une pensée particulière pour M. Luis Manuel Dias da Costa Correia, qui a fourni les clichés de l’opération et a partagé avec moi les souvenirs qu’il avait de mon père. Il a su en quelques heures capter l’essence de son caractère et de ses motivations. Je dédie ce livre à mes parents, mes héros qui seront éternellement pour moi un exemple de droiture, de courage et de générosité ! Maman, je ne te remercierai jamais assez de ton soutien. Papa, j’espère rendre hommage à ta bravoure par ces lignes, malgré les années et l’absence, ta présence reste tangible dans ma vie, merci d’avoir été !
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AVANT-PROPOS
jeudi 2 février 2012 Aujourd’hui, en ce jour frais d’hiver 2012, je choisis d’entamer ce que j’estime être ma modeste contribution au devoir de mémoire et à l’édification d’une histoire véridique de la Guinée moderne. Cette année, nous célébrons le 54ème anniversaire de l’« indépendance guinéenne », le 28ème anniversaire de la Guinée post-Sékou Touré et le second anniversaire de l’avènement de la « démocratie » dans ce pays. Pour autant, bien que je ne réside pas en Guinée et que je m’y sois peu rendue, les contacts familiaux que j’y entretiens, ma proximité avec la diaspora guinéenne de France et mon suivi assidu de l’actualité politique du pays, me font dire que la Guinée s’enfonce inexorablement dans un désastre amorcé en 1958. Aujourd’hui encore, le pays souffre du manque d’eau (un comble pour ce territoire), d’électricité et de tout ce qui fait d’un pays une terre moderne offrant des perspectives à ses concitoyens. Le système éducatif est déliquescent, la monnaie (le franc guinéen) fluctue sous le coup d’une inflation galopante. La corruption, malgré les efforts du nouveau gouvernement, gangrène encore le système. Enfin les Guinéens s’éloignent progressivement les uns des autres depuis la mort de Lansana Conté et les événements politiques qui ont suivi. Tous ceux qui le peuvent fuient le pays, même les nantis ! Les élections présidentielles de 2010, une occasion unique pour les Guinéens de casser le 9
cours calamiteux de l’histoire, ont donné lieu à un champ de bataille électoral qui aurait pu initier une guerre civile. Résultat des comptes : la communauté internationale s’est réjouie de l’avènement de la démocratie en Guinée, ce pays où un candidat crédité de 18% réussit le formidable exploit de battre celui qui a obtenu 43% au premier tour… tout est possible visiblement ! En tant que journaliste et auteur, je ne prétends pas aujourd’hui effectuer un bilan exhaustif de l’histoire guinéenne post-coloniale, d’autres s’y attèlent, parfois avec brio. J’ai choisi de me pencher sur l’opération Mar Verde, le nom de code donné à ce qui est connu internationalement comme l’agression portugaise contre la Guinée, soit la tentative de coup d’état avortée du 22 novembre 1970. La Guinée était alors dirigée d’une main de fer par Sékou Touré depuis octobre 1958, après qu’elle ait refusé le projet de Communauté Française proposé par le général De Gaulle. Cet acte fondateur pour l’histoire du pays avait rendu célèbre le tribun pour son refus du colonialisme, faisant de lui un héros international. Portant sur ses épaules l’espoir de tout un continent, le dirigeant à l’ambition démesurée a progressivement précipité ses concitoyens dans un destin dramatique, chaotique, rythmé par les assassinats politiques et le démantèlement structurel du pays. Le 22 novembre 1970 est une date-clé de l’histoire du régime Sékou Touré. Enfin un complot avéré pour une fois, l’événement servira de justification à l’hystérie et à la multiplication des exécutions sommaires de milliers de Guinéens. A ce jour, personne en Guinée ne s’est réellement penché sur l’origine et le déroulement de cette opération, 10
sur la personnalité de ses protagonistes, sur l’identité des « mercenaires ». Les Guinéens célèbrent chaque année la victoire de la Révolution sur les envahisseurs impérialistes… Et si ces mercenaires étaient des patriotes ? Pourquoi se sont-ils embarqués dans ce fiasco ? Quelles étaient leurs motivations… qui les a entraînés dans cela, pourquoi et qu’est-ce qui explique le résultat calamiteux ? Cette histoire me touche à plus d’un titre. Si elle s’était déroulée autrement, je ne serais probablement pas en train d’écrire ces lignes… et pour cause, mon père y a participé et aurait pu être au nombre des fusillés. Il figurait sur la liste des condamnés à mort par contumace du régime de l’époque. Cet officier guinéen retraité de l’armée française faisait partie des organisateurs de l’opération, il se nommait Thierno Ibrahima Diallo et était communément appelé le Commandant Diallo. À partir de 1966, le FLNG (Front de Libération Nationale de Guinée, mouvement d’opposition au régime de Sékou Touré), en la personne de David Soumah, s’était rapproché de mon père pour qu’il prenne part à la lutte contre le régime en vigueur alors. Son expérience militaire pouvait être mise à profit pour changer le cours de l’histoire. Mon père s’est alors investi corps et âme dans ce combat, et ne cessera qu’à la mort de Sékou Touré en 1984. Ainsi, lorsque j’entends parler de ces traîtres, de ces mercenaires agissant au service des puissances occidentales, ma réaction oscille entre la consternation et le dépit. Tout cela jure avec l’amour que mon père et ses compagnons de lutte portaient à la terre qui les avaient vus naître, cela jure avec les propos que j’entendais dans mon salon pendant mon enfance, avec la nostalgie qui rongeait ces 11
hommes alors sans patrie. Cette image de pantins amoureux du colonialisme est grotesque, parce qu’elle nie tout simplement la volonté propre de ces hommes, leur capacité d’organisation et d’autodétermination, leur courage, leurs idéaux et leurs ambitions aussi. On ne prêterait donc pas à ces hommes la force de décider seuls de mettre en œuvre une telle opération et de chercher l’aide matérielle là où elle se trouve. Ils ne seraient que des complices… des outils, des instruments. Cette vision est finalement très colonialiste ! Bien entendu, ces hommes n’étaient pas parfaits, loin s’en faut. Comme tout être humain, ils pouvaient être intéressés, ambitieux, influencés, corruptibles et même corrompus pour certains. C’étaient des hommes et au moins, ils ont eu le courage d’essayer de casser la spirale meurtrière folle dans laquelle ce pays était englué. On ne saura jamais ce qu’ils auraient fait du pays s’ils avaient réussi leur coup, tout comme personne ne saurait dire si Lumumba ou Sankara seraient restés de grands hommes s’ils avaient vécu. Cependant, je m’interroge sur la perception générale que les Guinéens ont de ces hommes : Quel est ce pays incapable d’honorer les seuls ressortissants qui, au lieu de jouir tranquillement de leur exil parfois doré, décident d’aller jouer leur vie pour le salut de leurs frères guinéens ? Sachant le risque qu’ils courraient en cas d’échec et cela s’est vérifié d’ailleurs… Quel est ce pays, qui s’intéresse si peu à son histoire moderne, que l’on peut au quotidien bafouer la mémoire de milliers de morts qui réclament justice ? Je parle de ceux qu’on a tués sous le prétexte fallacieux de participation à cette opération (alors que tout prouve qu’ils n’avaient rien à voir avec tout ça), de ceux qu’on dénigre encore pour avoir tenté de faire ce qu’ils pouvaient pour libérer leur patrie 12
du joug d’un tyran, je parle aussi des innocentes victimes des purges sanguinaires ayant émaillé les 26 ans du régime Sékou Touré ? Comment les Guinéens ont-ils pu laisser Lansana Conté baptiser le palais présidentiel SékouToureya (chez Sékou Touré) ? Alors que les pendus, les fusillés, les disparus, les affamés, les torturés, les milliers d’infortunés qui ont eu le tort de naître au mauvais endroit et à la mauvaise époque réclament une simple sépulture décente ? Quel a été le génie de ce régime pour qu’il arrive si manifestement à anesthésier le pouvoir de rébellion de tout un peuple ? Et enfin, comment un président qualifié de démocrate, peut expliquer au monde, qu’il va reprendre le pays là où l’a laissé Sékou Touré, cela sans provoquer la moindre réaction… lui, un ancien « opposant » ? Je suis moi-même une « Diaspo »… je suis d’origine guinéenne et née en France, j’y vis depuis lors et je pourrais ne pas me préoccuper de toutes ces questions. Seulement, j’entretiens avec feu mon père, une relation qui perdure au-delà de sa disparition naturelle, survenue le 23 octobre 1990, suite à un cancer… Malgré de multiples tentatives, Sékou ne l’aura pas eu, l’ennemi est venu de l’intérieur ! Ainsi pour sa mémoire, par respect pour le sacrifice qu’il était prêt à faire et par volonté de vérité et de justice, j’entends aujourd’hui donner une autre version de cet événement, pour tous ceux qui s’intéressent à cette page sombre et fondatrice de l’histoire guinéenne. J’entends humaniser l’image de ces « mercenaires, ces suppôts de la 5ème colonne, ces dévots de l’impérialisme et du capitalisme ». Même si mon avis est nécessairement partial, mon but n’est pas de réhabiliter mon père (nul besoin d’ailleurs, il repose en paix, il a fait ce qu’il a 13
pu et ceux qui l’ont connu ont un immense respect pour lui). Je cherche plutôt à apporter aux Guinéens d’aujourd’hui, qui ignorent peut-être tout de cette histoire, le fonds d’archives dont je suis dépositaire, et à étayer les faits de preuves, à croiser les versions, ajouter les témoignages des survivants et ainsi, analyser ces événements avec le recul de 42 ans. Etant journaliste, j’espère réussir à étudier ces faits avec la distance nécessaire à l’importance que revêt ce travail de mémoire… J’espère enfin, que les descendants des victimes des purges de 1971 qui auront accès à cet ouvrage comprendront que tous les Guinéens sont collectivement les victimes de ce régime. Malgré le lourd tribut qu’a généré cette agression, il serait illusoire de penser que Sékou Touré aurait épargné ceux qui furent tués en 1971. Au vu du triste palmarès sanguinaire du régime, seul le calendrier des exécutions en aurait été modifié. Tous ceux que Sékou Touré trouvait dangereux et qui étaient à sa portée, ont été exécutés dès qu’une occasion s’est présentée, ses amis compris. Il aurait juste trouvé un autre mobile. Ainsi, plutôt que de reprocher les actions de ceux qui ont tenté d’infléchir l’histoire au péril de leur vie, j’espère que les héritiers de cette triste épopée sauront avoir un peu d’indulgence envers certains de ces idéalistes qui furent prêts au sacrifice suprême pour le bien collectif et qui ont, pour la majorité d’entre eux, payé très cher leur audace.
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NOUVELLE INTRODUCTION Vendredi 18 septembre 2020 Parfois, l’histoire a une issue surprenante. Lorsque j’ai démarré mes recherches sur l’opération Mar Verde, j’espérais intimement ouvrir un chapitre que d’autres chercheurs accepteraient ensuite de creuser. Je l’estimais central par rapport à l’histoire de la Guinée, surtout que certains de ses protagonistes ont compté par la suite. La prophétie s’est réalisée, ce livre a non seulement redonné vie aux mots que mon père avait couchés sur papier il y a plus de trente ans, il a en plus suscité l’intérêt des milieux universitaires et journalistiques qui travaillent sur la Guinée. Des éléments de mes révélations ont été inclus au vaste travail collectif mené par RFI sur le thème de la violence en Guinée. J’ai participé avec beaucoup de plaisir à des émissions consacrées au sujet. En 2016, j’ai été approchée par M. José Matos, chercheur spécialisé sur l’histoire militaire du Portugal. Il proposait alors de me faire part de ses recherches auprès des archives portugaises. Nous sommes restés en contact depuis lors. Récemment, il m’a recontactée et m’a transmis quelques photos qui ont fait ressurgir le passé : deux clichés de mon père lors de l’opération. J’avais déjà obtenu sur internet l’un de ces clichés, mais la clarté de la version transmise par José a ému tous les membres de ma famille, parce qu’ils capturaient ces hommes dans un moment clé de leur vie, en pleine force de l’âge. Après l’avoir chaleureusement remercié pour cela, José m’a demandé la permission de transmettre mes coordonnées à M. Luis Costa Correia, le capitaine du bateau qui transporta mon
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père et certains des hommes impliqués dans l’opération. Celui-ci souhaitait me parler. Le lendemain, je passais une heure trente au téléphone avec cet homme de quatre-vingts ans qui ne connut mon père qu’au cours de cette incroyable nuit, mais qui garde toujours un souvenir intact et respectueux de lui. Fin psychologue, il a capté avec une surprenante acuité la personnalité de mon père. Il est d’ailleurs celui qui a demandé la prise des deux clichés que José m’a transmis. Il a eu l’extrême gentillesse d’écrire un témoignage personnel sur ses souvenirs de cette nuit spéciale, m’apprenant par la même des éléments nouveaux sur le déroulement de l’opération. En parallèle à cet échange téléphonique émouvant, José Matos, qui finalise son livre à paraître à l’occasion du cinquantenaire du débarquement, m’a transmis de nombreux documents issus de ses recherches, que j’ai pu à mon tour analyser. De mon côté, j’avais poursuivi mon enquête du fait de la déclassification de certaines pièces issues des archives du Ministère des Affaires Etrangères Français et de celui de la Défense. A la lumière de tous ces nouveaux éléments, il est donc pertinent d’ajouter et de corriger pour le cinquantenaire de l’opération ces quelques lignes qui éclairent d’un jour nouveau cette page sombre de l’histoire. Je suis soulagée de constater a posteriori que la majorité des suppositions originales que j’avais émises en 2013 sont confirmées par ces nouveaux éléments. Voici donc la version actualisée de cette recherche passionnante.
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SOMMAIRE Nouveaux éléments 2020 signalés par * -
Ce que l’on sait du débarquement du 22 novembre 1970 ?
P 21
La Guinée enfin indépendante : le modèle de toute une génération
P 23
-
Les premières années du régime
P 27
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Les figures émergentes de l’opposition guinéenne P 31
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Ce que les uns et autres disent du 22 novembre 1970
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1) Les (ex)-collaborateurs 2) Les Guinéens exilés
P 33 P 40
Le régime et sa description des événements
P 59
-
Les arguments des révisionnistes*
P 69
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Qui était le commandant Diallo Thierno ?
P 75
La préparation du débarquement du 22 novembre 1970
P 85
-
-
-
L’arrestation de Mamadou Samba / Rapport présenté par le Cdt DIALLO T. sur l’opération du 22/11/1970 P 89
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Témoignage de L.C. Correia* 17
P 101
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Traduction du documentaire Operacao Mar Verde P 111
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Entretien avec le commandant Guilherme Almor de Alpoim Calvão
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Documents personnels issus des archives du Commandant Diallo Le rapport non signé de David Soumah Le mystérieux Hassan Assad
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Le FLNG et les Portugais*
P 128 P 131 P 133 P 141
Présentation du FLNG Analyse interne du FLNG
P 151 P 156 P 166
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Autres archives portugaises*
P 169
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Le rôle complexe de Senghor*
P 173
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Le volet financier*
P 179
-
Documents publics issus des archives du Commandant Diallo
P 183
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La réaction de l’ONU*
P 203
-
Les témoins de cette époque tourmentée
P 209
Déclarations du RGE, Articles Jeune Afrique
Mme Marie Diara-veuve C. Laye, Mme Kady Dveuve d’un dignitaire assassiné, Dr Thierno Bah, MM Aguibou Diallo et Jammes Soumah
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Les victimes de la répression de 1971* P 223
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Autres archives et courriers personnels post 22 novembre 1970
P 227
La Guinée des années 70, la presse et les publications d’opposition
P 255
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Les opposants et leur vision des faits
P 262
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Archives françaises sur les mouvements d’opposants guinéens* P 265
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Ma conclusion étoffée*
P 281
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Documents annexes d’authentification
P 297
Bibliographie
P 307
Articles sur les pendaisons en 71, sort des familles, espionnage et renseignement…
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CE QUE L’ON SAIT DU DEBARQUEMENT DU 22 NOVEMBRE 1970 ?
Longue est la littérature consacrée à la Guinée de Sékou Touré. Que les ouvrages soient l’œuvre de personnalités proches du régime, ou des opposants, cette période traumatique et fondatrice du pays tel qu’il apparaît aujourd’hui, a généré de nombreux travaux. Pourtant, la partie consacrée aux événements du 22 novembre 1970, bien qu’incontournable, est toujours succincte et pour cause : Les auteurs directs ayant très peu témoigné, les interprétations divergent, n’étant pas étayées par des déclarations précises. On ne peut se baser que sur les témoignages de Guinéens n’ayant pour la plupart rien à voir de près ou de loin avec les organisateurs du coup. Quant à la version officielle, nul n’est besoin de prouver que les régimes dictatoriaux ont toujours su utiliser les événements pour redorer la légende nationale. Il suffit d’observer avec quel lyrisme on décrit la réaction du peuple pour comprendre que rien n’est plausible dans cette version. Par ailleurs, les pays impliqués dans cette action ne s’en sont pas vantés, secret défense oblige du fait de l’échec de la tentative et des conséquences désastreuses. Le régime s’est donc accaparé l’événement, trop content de pouvoir faire la démonstration que les « ennemis de la Guinée », les « traîtres à la solde de l’impérialisme » n’avaient pas triomphé. Profitant donc du vide de sources et de témoignages avérés, chacun y est allé de sa petite histoire, de sa version des faits « comme s’il y était ». C’était simple puisque rares sont ceux qui pouvaient 21
démentir. Cependant, cet acte fondateur fut nécessairement bien plus complexe que ce qu’on en dit. Mais d’ailleurs, de quoi est-on sûr ? Ce qui est avéré : Dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 novembre 1970, six bateaux stationnent au large de Conakry, des hommes en débarquent en pleine nuit et se rendent dans différents points stratégiques de la ville : Le camp Camayenne (rebaptisé Boiro), ainsi que le quartier général du PAIGC sont attaqués. Le PAIGC (ou Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert) lutte alors pour sortir du joug du colonialisme portugais, il avait fait des prisonniers dans le cadre de ce combat anti-colonial. Son leader, Amilcar Cabral, est abrité à Conakry et très recherché par les autorités portugaises. Lors de la nuit du 22 novembre 1970, les prisonniers portugais capturés par le PAIGC ainsi que ceux du camp Boiro, sont libérés par les hommes qui ont débarqué… Parmi ces derniers, on trouve des Blancs qui semblent parler portugais, ainsi que des Noirs dont tout laisse à penser qu’ils sont Guinéens. Au petit matin, la radio guinéenne dénonce l’agression, les bateaux repartent avec une partie de leurs hommes, laissant derrière eux une grande majorité des assaillants guinéens qui paieront le prix fort pour cette audace… Très rapidement, la communauté internationale condamne unanimement cet acte belliqueux, qui va à l’encontre du droit international. L’événement est présenté comme l’expression d’un néocolonialisme grossier et une attaque contre un jeune pays africain encore jugé de manière positive. Voici le peu d’éléments sur lesquels tous s’accordent… Mais avant d’analyser en détail cette affaire, il est nécessaire d’aborder le contexte guinéen de l’époque. 22
LA GUINEE ENFIN INDEPENDANTE : LE MODELE DE TOUTE UNE GENERATION
1958, la Guinée fait partie de l’Union Française, autrement dit la « structure fédérale » qui lie la France à ses territoires et départements d’OutreMer. Le contexte géopolitique international est tendu. En effet, les deux guerres mondiales et plus particulièrement la seconde, ont contribué à démystifier les puissances coloniales. Les hommes des colonies ont payé un lourd tribut dans cet effort de guerre, bon nombre d’entre eux ont participé activement à la libération des territoires européens du joug allemand. Dans ce processus, la proximité avec leurs frères d’armes blancs ainsi que l’intégration de l’universalité des concepts de liberté et d’autodétermination, sont venus saper le statut intouchable du colon. Les années d’après-guerre et la décennie suivante ont donc été le théâtre des luttes coloniales, notamment en Indochine et au Maghreb. Par ailleurs depuis 1946, des leaders africains ont émergé dans le cadre du parti panafricain RDA (Rassemblement Démocratique Africain). Cette initiative lancée par les députés africains de l’Assemblée Nationale française a permis l’avènement d’une classe politique qui constituera le gros des dirigeants des futurs pays africains indépendants. Parmi eux, Sékou Touré, leader issu du mouvement syndicaliste, dont l’influence a progressé inexorablement jusqu’à représenter un pouvoir incontournable en Guinée. De simple commis des PTT au début des années 40, Sékou Touré gravit les échelons politiques, à coup de grèves aboutissant à des avancées sociales et à coup de nominations à des postes clés. Il fonde la section locale du RDA guinéen en 1947 : le PDG 23
(Parti Démocratique de Guinée). C’est avec cet instrument taillé sur mesure pour lui qu’il s’empare progressivement de tous les organes de la conquête du pouvoir syndical et politique. Il devient secrétaire de l’Union des Syndicats CGT de Guinée, puis secrétaire général du Comité de Coordination des Syndicats CGT de l’AOF (Afrique Occidentale Française) en 1951, maire de Conakry et député à l’Assemblée Nationale Française en 1956. Non content de cette incroyable concentration de pouvoirs, Sékou Touré profite de la loi-cadre Deferre de 1956 qui confère une semi-autonomie aux territoires africains, pour consolider son autorité en devenant vice-président du gouvernement. Il supprime la chefferie coutumière fin 1957 et institue les conseils de village et de quartier sous influence du parti PDG, sur tout le territoire guinéen. En 1958, les « événements d’Algérie » et l’instabilité constitutionnelle de la IVème République portent le Général De Gaulle à nouveau au pouvoir et avec lui une nouvelle constitution (la Vème République), ainsi qu’un projet de Communauté Française qui prévoit la mise en place de républiques africaines autonomes sous contrôle français. Les dirigeants de l’AOF et AEF ont des avis divergents sur le sujet. A l’inverse des autres partis guinéens qui veulent refuser le projet, Sékou Touré et le PDG souhaitent un maintien de la Guinée au sein de la communauté franco-africaine à condition que la nouvelle constitution prévoie la possibilité de l’indépendance, ce que le Général refuse, assimilant ce principe à une sécession. A l’été 1958, De Gaulle effectue une tournée en Afrique pour convaincre les populations locales de voter Oui au référendum devant instituer la Communauté Française.
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Comprenant que la population va voter NON, le PDG se ravise et le 28 août Sékou Touré prononce devant le Général sa célèbre phrase : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ». Pour De Gaulle, l’eau est versée. Le ton du tribun est jugé insultant, l’affront inattendu, le général explique que l’indépendance est à la disposition de la Guinée. L’histoire est en marche. La portée de ses mots dépasse Sékou Touré qui prend la mesure de son geste et malgré des déclarations qui viendront atténuer la virulence de son discours du 28, les Guinéens votent donc à 95% contre le texte, abordant ainsi un tournant de leur destin collectif. L’indépendance est prononcée le 28 septembre 1958. Sékou Touré devient ainsi le premier président de la nouvelle république de Guinée, scellant ainsi le sort de quelques millions d’âmes désormais à sa merci. De par le monde, le pays et son dirigeant sont cités en exemple. On admire la verve de Sékou Touré, ses discours brillants. Il est celui qui a su redonner la fierté à son peuple, à son continent, à sa race ! Par ailleurs, l’attitude de la France est d’une rare inélégance : elle rapatrie immédiatement tous ses fonctionnaires, son matériel et ses archives. Le pays est laissé dans l’abandon le plus total. Toute aide à la Guinée est refusée et à la fin de l’année, très peu de Français sont encore installés sur place. La France s’abstient de voter en faveur de l’accession de la Guinée à l’ONU.
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LES PREMIERES ANNEES DU REGIME
Isolé politiquement du fait de la rupture avec la France, Sékou Touré, à présent chef d’état, opte pour une orientation politique et économique non capitaliste. La voie du socialisme est choisie et l’Etat décide de tout. Le seul organe de presse disponible est celui du PDG, les autres partis présents sur la scène politique guinéenne n’ont plus droit de cité, leurs dirigeants sont intégrés au gouvernement (ils disparaîtront par la suite). L’objectif officiel est de créer une nouvelle nation guinéenne qui transcende les groupes ethniques et privilégie les valeurs africaines (langues nationales, arts populaires, héros africains), d’autant plus que cette dynamique s’assortit d’une volonté d’unité avec les autres puissances africaines nouvellement indépendantes. Beau projet sur le papier… Par ailleurs, tout au long des années 60, Sékou Touré multiplie les offensives diplomatiques en Afrique, vers les pays socialistes et à l’ONU, offrant l’asile aux militants qui luttent pour la liberté de leur pays. Ce positionnement fait de lui un dirigeant estimé sur le plan international. Mais ce que la communauté internationale semble ignorer, ce sont les racines de violences inscrites dans les gènes du PDG et de son leader. En effet, de 1954 à 1958, de nombreux incidents violents fomentés par le PDG sont répertoriés dans la presse et dans les enquêtes administratives de l’assemblée de l’Union Française. On cite en particulier les élections pour les conseils de circonscription à l’occasion desquelles des bagarres causent 18 morts et 150 blessés 1 . Après 1
CF le Monde 6 et 8 mai 1958, cité en P 36 de Sékou Touré, un totalitarisme africain, de Maurice Jeanjean, Ed L’Harmattan
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cette période de violence, certains activistes qui ne partagent pas les positions du leader du PDG s’exilent à Dakar, parmi eux un certain David Soumah et d’autres… qui militeront activement contre le nouvel homme fort du pays. Par ailleurs dès ses premières heures, le régime Sékou Touré est émaillé de complots dont la réalité est discutable, mais dont l’issue tourne toujours en faveur du leader : les comploteurs présumés sont démasqués, avouent et sont condamnés à la prison ou à la mort. Cette phase démarre dès 1960 avec le complot des « agents du colonialisme français et des intellectuels tarés ». Ensuite en 1961 avec le complot des enseignants, qui permet de se débarrasser des professeurs syndicalistes qui n’avaient fait que revendiquer des droits dans un rapport transmis au président. Sont arrêtés à cette occasion les responsables du syndicat des enseignants, Keïta Koumandian ainsi que le professeur et historien Djibril Tamsir Niane, condamnés respectivement à 10 ans et 3 ans de prison. Les détails des tortures que ces hommes subiront sont décrits dans l’ouvrage Guinée 61, l’Ecole et la dictature. Suivront ensuite le complot des commerçants en 1963, celui de Petit Touré en 1965 (on condamne un groupe de personnes pour avoir fondé un parti politique), et le complot des officiers félons et des politiciens véreux en 1969. On notera le lyrisme des intitulés… Au fil des années, l’organe répressif s’étoffe et l’on passe d’un système improvisé à une machine bien huilée d’avilissement de la personne, par le biais de torture, d’aveux extorqués et de dénonciations. En 1969, le complot des officiers félons donne l’occasion au dictateur de se débarrasser des éléments gênants de l’armée guinéenne, plus particulièrement ceux d’entre eux qui avaient servi dans les rangs français avant 1958. Il faut d’ailleurs 28
préciser que les militaires qui issus de l’armée française n’ont pas tous été réintégrés dans les contingents guinéens. Et ceux qui ont continué leur service dans l’armée de la puissance coloniale après l’indépendance ont suscité une méfiance accrue, ils ont d’ailleurs été interdits de territoire tant que dura leur contrat avec la France. Il est à noter qu’en 1966 et 1968, le président ghanéen Nkwamé Nkrumah et le malien Modibo Keïta ont subi des coups d’état militaires. Sékou Touré en a tiré une méfiance particulière envers sa propre armée qu’il a volontairement déstructurée et mise sous surveillance du PDG. Aux victimes du complot de 1969, Sékou Touré ajouta d’autres gêneurs politiques, comme Barry Diawadou, son ancien rival, ex-député à l’Assemblée Nationale Française et chef du BAG (Bloc Africain de Guinée, parti créé après-guerre, qui disputait au PDG son hégémonie sur le pays, pour enfin le rallier à la veille du référendum de 1958). Cette installation du totalitarisme en Guinée pousse à l’exil des milliers de Guinéens tout au long de l’histoire du régime. Quelques mots sur les méthodes de Sékou Touré : Sa méfiance extrême envers tous ceux qui pourraient mettre son autorité en péril le conduit à éliminer toute personne compétente de son entourage. Ainsi, il privilégie la nomination à la tête des institutions de personnes non formées, ou médiocres et flatteuses à son égard, afin de pouvoir les contrôler. La délation est encouragée, pour que les informations remontent toujours aux organes du PDG. La méthode d’accusation envers les comploteurs : on leur reproche des faits insignifiants comme la détention d’un journal étranger dont on tire des conclusions spectaculaires comme « atteinte à la sûreté de l’Etat ». On organise des cérémonies publiques ponctuées de discours de 29
Sékou Touré. Un comité révolutionnaire est chargé de prononcer les sentences… Certains condamnés n’ont pas eu de chef d’accusation ni de procès, on est juste venu les chercher à domicile et les conduire en prison, avant de les torturer. Les peines : condamnations à mort ou travaux forcés. Nul besoin de s’appesantir sur les détails des tortures et assassinats politiques qui ont ponctué les 26 ans de ce régime. Une longue littérature a été consacrée aux témoignages des rescapés. Voilà le contexte des années qui virent l’émergence d’une force de contestation, principalement en dehors du pays, le territoire étant muselé, quadrillé par le PDG. En réaction à cette dérive dictatoriale, les Guinéens de l’extérieur se sont organisés en dissidence : Outre les militaires guinéens non incorporés à l’armée nationale et interdits de territoire jusqu’à nouvel ordre, un autre contingent viendrait grossir les rangs des opposants au régime : Les étudiants guinéens présents dans les capitales internationales… comme Dakar, Abidjan ou Paris. Politisés comme l’étaient les jeunes des années 60, ils se sont organisés en association comme la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France) ou UGEEG (Union Générale des Etudiants et Elèves Guinéens). Si ces organisations sont très actives dans le combat pour l’indépendance et le soutien des guerres coloniales d’indépendance, certains de ses membres ont néanmoins été choqués du signe funeste donné par le régime de Sékou Touré lors de l’arrestation des enseignants en 1961. À partir de ce moment, ils ont observé les actes de S. Touré avec attention et très rapidement, un grand nombre des membres de syndicats d’étudiants guinéens se sont mués en opposants.
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LES FIGURES EMERGENTES DE L’OPPOSITION GUINEENNE
Tout au long de la décennie 60, des figures émergent des divers mouvements spontanés d’opposition au régime. La stature de ces hommes et leur réseau les placent bien souvent à l’avant-garde du combat. Situés sur des aires géographiques différentes, chacun s’active à organiser un réseau cohérent sur sa zone et à se rapprocher de ceux qui en font de même ailleurs. Parmi eux, on compte : David Soumah : Ce syndicaliste guinéen chrétien s’est illustré sur la scène politique africaine avant l’indépendance. Il dirigeait le CATG (Confédération Africaine des Travailleurs Croyants) et a refusé que son syndicat soit absorbé par celui de Sékou Touré. Considéré comme un rival par ce dernier, David Soumah a quitté la Guinée en 1956, après le saccage de sa maison par les bras armés du PDG. Très tôt investi dans la lutte, il organise de Dakar, l’opposition au nouveau régime guinéen. Siradiou Diallo : Etudiant et militant depuis les années 50, Siradiou Diallo, tout comme d’autres étudiants guinéens de l’époque, prend position très tôt contre le régime de Sékou Touré. Cet engagement précoce lui vaut la visite des sbires du PDG, ce qui cause d’ailleurs sa fuite de Dakar et son arrivée en France, à Poitiers. Diplômé de Sciences Economiques, l’activiste devient journaliste chez Jeune Afrique et par ce biais, côtoie les grands dirigeants africains, tout en poursuivant son action au sein de l’opposition guinéenne, notamment au RGE (Rassemblement des Guinéens de l’Extérieur), qu’il dirige.
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Jean-Marie Doré : Après des études de Sciences Politiques en France et en Suisse, ce fonctionnaire avait débuté sa carrière en tant que contrôleur du travail en Guinée, avant d’intégrer le Bureau International du Travail à Genève. Il est connu pour son implication dans l’opposition guinéenne depuis les années 60. Une zone d’ombre plane néanmoins sur lui car beaucoup d’opposants l’accusent d’espionnage au profit de Sékou Touré, faits confirmés des années après verbalement par d’anciens membres de l’entourage de Sékou Touré. Bien d’autres ont participé à cette lutte d’opposition, certains sont cités dans cet ouvrage et leur action de l’ombre n’en a pas pour autant été moins engagée, bien que non suivie de résultats positifs. Ils sont le reflet de ces nombreux anonymes qui ont donné du temps, de l’énergie et parfois leur vie à la lutte de libération non fructueuse de la Guinée de Sékou Touré. Parmi eux, figurent quelques éléments au rôle plus trouble. Il apparaîtra ultérieurement dans les documents d’archive de cet ouvrage que ces mouvements étaient fortement noyautés de l’intérieur, infiltrés par des personnes corruptibles qui jouaient un double jeu (le jour partisan de l’opposition, la nuit agents du PDG). Il semble également que la prudence qu’auraient dû observer ces mouvements n’a pas été pratiquée avec assiduité, et ils ont considéré à tort que tout Guinéen situé à l’extérieur du pays était nécessairement opposant au régime. Cela a clairement contribué à l’échec de l’action de l’opposition guinéenne, qui a probablement pêché par manque de méfiance, par naïveté et par impossibilité de s’assurer de l’honnêteté des gens, si ce n’est en se fiant à l’instinct.
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CE QUE LES UNS ET AUTRES DISENT DU 22 NOVEMBRE 1970
Avant de donner la parole à mon père via son témoignage direct ou ses documents d’archives, il convient de faire le point sur les différentes interprétations que les témoins de l’époque ont eu de cet événement clé. On peut les classer en plusieurs catégories : Les ex-collaborateurs du régime, les exilés, les historiens, la communauté internationale, et enfin le PDG et les révisionnistes. -
1) Les (ex)-collaborateurs
Bon nombre de fidèles cadres ou simples employés de l’administration guinéenne fréquenteront les sinistres geôles du camp Boiro, connaîtront le peloton d’exécution ou finiront au bout d’une corde, parfois juste après avoir provoqué la condamnation d’un collègue ou d’un voisin… ou tout simplement après avoir fermé les yeux sur l’arrestation d’une connaissance. En cette époque tourmentée, tous les témoignages convergent : la suspicion était de mise, la délation était une norme et la culpabilité réelle n’avait que très peu à voir avec une condamnation… on pouvait mourir pour rien, parce qu’à un instant T, on gênait le dirigeant ou un de ses proches, qu’on voulait témoigner de sa fidélité au régime en dénonçant et que personne ne se serait aventuré à protester, de peur de rejoindre les rangs des condamnés… Parmi les victimes de ce régime, AlphaAbdoulaye Diallo, au service de l’Etat guinéen de 1959 à 71, date de son arrestation. Cet ex-secrétaire d’état sera emprisonné dix ans au camp Boiro. De ces années d’horreur, il livrera en 1985 un 33
témoignage à l’issue de sa libération en 1981 : La vérité du ministre. Cet ouvrage démarre avec la description du 22 novembre 1970 et son rôle dans la « résistance » à l’agression. Voici quelques éléments de sa description : « Le PAIGC, dans sa lutte révolutionnaire d’indépendance nationale contre le colonialisme portugais, avait fait un certain nombre de prisonniers blancs parmi lesquels le fils du maire de Lisbonne. Décidés à récupérer ces derniers, les autorités portugaises organisèrent l’expédition de Conakry, en complicité avec certains Guinéens de l’opposition extérieure (fortement ‘noyautée’ d’éléments dévoués à Sékou Touré). (…) Les bateaux les transportant arrivent au large de Conakry ce samedi 21 novembre 1970 (…). Le débarquement commence à bord de plusieurs péniches. Les mercenaires prennent position dans différents points de la ville. (…) Aux environs de 2h du matin, les agresseurs débarqués sur la plage de la Minière, essentiellement des Blancs, attaquent le quartier général et la prison du PAIGC d’où ils libèrent les prisonniers portugais blancs qui s’y trouvaient. (…) Ils tirent sur tout ce qui bouge et commettent d’ignobles assassinats dont celui du comte von Tiesenhausen de la RFA. Ils se rendent à la résidence secondaire de Sékou Touré, à Bellevue (…) et, croyant que celui-ci s’y trouvait, détruisent la case principale. Ils acquièrent la conviction que le président est mort et rembarquent, emmenant leurs blessés et leurs morts. »2 Si on se donne la peine d’analyser cette précédente description, on réalise que bon nombre de ces affirmations posent question et peuvent être qualifiées de légères, voire partisanes. En toute honnêteté, peut-on croire que des hommes venus de loin pour accomplir cette tâche auraient l’amateurisme de détruire la maison de Sékou Touré, sans s’assurer qu’il est dedans et considérer 2
Extrait P 24, la Vérité du Ministre, Alpha-Abdoulaye Diallo, Ed CalmannLevy
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qu’il est mort sans vérifier ? Et qui a bien pu affirmer à l’auteur que les assaillants pensaient avoir tué Sékou Touré dans sa villa sans avoir pris la peine de constater la présence du cadavre ? Cette phrase ressemble beaucoup à une affirmation sans preuve, parce que pour dire cela irréfutablement, il fallait être au nombre des assaillants. C’est à croire que les dix ans de geôle n’ont pas anéanti la confiance aveugle que l’auteur avait dans le régime qui l’a embastillé. Quant à l’assertion des « tirs sur tout ce qui bouge », elle est bien légère et sera également contredite par d’autres témoignages ultérieurs. Mais en toute logique, ces hommes étaient visiblement venus libérer des prisonniers blancs et accessoirement débarrasser le pays d’un dictateur. Pourquoi auraient-ils tiré sur tout ce qui bouge ? Qu’est-ce qui le prouve d’ailleurs, puisque nombreux témoignages reproduits dans cet ouvrage évoquent le calme qui régnait cette nuit-là, les témoins affirment d’ailleurs s’être déplacés sans problème, étrange pour une ville en proie à des gens qui tirent sur tout ce qui bouge ? En quoi des Guinéens désarmés constitueraient-ils un danger tel qu’il faille les liquider alors qu’on prétend les libérer ? Autre élément qui interroge dans sa description des faits, l’auteur déclare qu’après avoir eu Sékou Touré en ligne, lui et d’autres membres du gouvernement se rendent au palais étrangement illuminé pour une ville attaquée par des éléments étrangers. Ils trouvent le président habillé de blanc, avec sa femme Andrée, toujours en pyjama. Sékou Touré continue de répondre au téléphone dans le calme le plus total… une personne qui se sait attaquée par des forces extérieures, et qui s’expose en répondant aux appels qui pourraient le localiser, curieuse attitude pour quelqu’un qui voit des 35
traîtres partout, à moins qu’il ait la certitude qu’aucun mal ne lui sera fait ! L’auteur aurait conseillé au président de demander des renforts et d’aller se réfugier, il apprendra par la suite que le président serait allé chez une certaine veuve Guichard, puis une Mme Hadja Neneh Gallé, dont l’époux sera fusillé en 1971 ! L’auteur aurait même indiqué au président de ne pas se vêtir en blanc, mais d’aller se changer. On parle bien du dictateur qui est parvenu à tuer des milliers de Guinéens tout au long de son régime… Dans ce cas, l’attitude directive de l’auteur était bien imprudente ! Par la suite, l’auteur organise littéralement la logistique du Palais, il communique directement des messages à destination des chancelleries étrangères, traite avec les responsables de l’aviation civile pour tenter une riposte, et suggère à Saïfoulaye Diallo (collaborateur de la première heure de Sékou Touré, il a repris le standard téléphonique à son tour) que le président fasse un appel à la radio. Il s’y rend même pour enregistrer une déclaration à l’adresse de la jeunesse. En dehors de ce passage sur les ondes guinéennes, qui peut affirmer que toute cette description est vraie ? La majorité des témoins ne sont plus de ce monde. Le rôle de l’auteur me semble très central voire disproportionné et celui de Sékou Touré laisse penser qu’il était un simple figurant téléguidé par ses ministres. Tout cela semble simplement improbable ! Autre témoignage plus récent d’un ancien cadre de l’état guinéen : Alseny René Gomez, a publié Camp Boiro - parler ou périr en novembre 2008. Celui-ci, alors directeur de l’aviation civile, dit s’être habillé dès qu’il a entendu les tirs et s’être rendu au bureau. Il y a trouvé toute son équipe ! Curieux, 36
dans un pays attaqué en pleine nuit lors d’un mois de ramadan, les travailleurs prendraient leur poste dans la nuit du samedi ou dimanche ? Ces personnes sont donc bien dévouées. L’auteur se rend ensuite avec un collaborateur au camp Alfa Yaya pour voir ce qui s’organise : « Au camp, c’était la frustration voire même un début de débandade. En effet, les officiers étaient là impuissants, car disait-on, ‘les clés de l’armurerie étaient détenues par le Président, et tout le monde était dans l’attente’.»3 Il est donc retourné à son bureau, qu’il n’aurait pas quitté pendant 48 heures, pour répondre aux appels angoissés des dignitaires du régime, dont il dit que certains étaient terrés dans des chambres de l’Hôtel Camayenne. Les ministres se cachent 48 heures alors que l’attaque est déjouée le matin même mais les employés eux se rendent au travail en pleine nuit un soir de coup d’état ! Et il lui a fallu attendre les dépositions publiques pour apprendre l’existence des troupes afro-portugaises ayant refusé d’attaquer l’aéroport et s’étant réfugiées sur place avant de se rendre aux autorités guinéennes au petit matin… Pour quelqu’un qui a passé son temps sur place avec ses équipes, c’est curieux de se révéler si peu informé ! L’auteur mentionne en revanche le massacre de la jeunesse par les assaillants aux abords du camp Samory, cette jeunesse qui sortait de discothèque cette nuit-là (en plein mois de ramadan… Des noms, des chiffres ?). Il mentionne aussi les habitants de Conakry « surpris dans leur sommeil alors que d’autres devaient se battre parfois sans munitions et parfois même sans armes » : contre qui, où dans Conakry, combien de victimes ? Tout cela est bien approximatif et comment imputer de façon aussi certaine ces crimes 3
P 34, Camp Boiro - parler ou Périr, Alseny René Gomez, Ed l’Harmattan
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aux assaillants, alors qu’on a fait les frais des méthodes d’information fantaisistes de ce régime ? Autre témoin-collaborateur, plus sulfureux celuilà : Jean-Paul Alata, dont le témoignage fut interdit en France. Les 6000 exemplaires de son livre Prison d’Afrique, à paraître au Seuil, sont saisis à leur sortie d’imprimerie le 22 octobre 1976, probablement parce que les relations bilatérales entre la Guinée et la France se sont normalisées à cette époque. Valérie Giscard d’Estaing n’aura donc pas voulu brusquer Sékou Touré, son nouveau partenaire diplomatique. Le livre fut ensuite publié en Belgique. Jean-Paul Alata est un Français, né au Congo et qui s’est pris d’affection pour la Guinée. Il y est resté en 1958, a été déchu de sa nationalité française et est devenu conseiller de Sékou Touré. Dans cet ouvrage interdit en France, dont je reproduis des passages, il dit également avoir eu Sékou Touré en ligne directement. Ce dernier faisait visiblement preuve d’une belle assurance pour un président qui court le risque d’un coup d’état. JeanPaul Alata dit s’être ensuite rendu au camp Alfa Yaya : on circulait donc très librement cette nuit-là, bien que l’auteur mentionne des barrages dressés par les mercenaires. Il y décrit le désordre et le désarroi qui règne chez les officiers du camp déjà défaitistes… et un témoin qui observe le manège des mercenaires s’exclame « Je n’y comprends plus rien, on dirait qu’ils rembarquent … ». L’auteur parvient à joindre Saïfoulaye Diallo, celui-ci lui indique que Sékou est en lieu sûr. Alata peine à joindre les dignitaires du régime qui ne sont ni chez eux, ni dans les lieux où ils ont leurs habitudes…4 Vers 10 heures, grâce à l’organisation d’un certain Alassane Diop (responsable administratif), 4
P 48-52, Prison d’Afrique, Jean-Paul Alata, Ed Seuil
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les premiers éléments armés loyalistes entrent dans Conakry. Alata mentionne également l’apathie des populations locales, qui vaquent à leurs occupations sans se soucier des mercenaires… on est donc loin du massacre des populations civiles si on se fie à sa description ! Voici ce que l’auteur dit de l’agression : « En fait, les mercenaires débarqués furent les maîtres incontestés de la ville dès trois heures du matin. On reste confondus devant leur échec final. L’apathie de la population était totale. Les habitants vaquaient à leurs petites affaires sans se presser. Des balafons même se faisaient entendre çà et là. A l’analyse, on trouvera de grossières fautes techniques et tactiques. Conakry II était, depuis plusieurs mois, alimentée en électricité directement des grandes chutes. Les agresseurs l’ignoraient ou ne s’en sont pas préoccupés. Maîtres de la centrale de la ville, ils ont laissé l’immense banlieue éclairée a giorno sans réagir. L’attaque qu’un groupe, commandé par le lieutenant noir portugais Juan Juanario Lopes devait déclencher contre Alfa Yaya ne fut même pas esquissée, cet officier ayant préféré attendre le grand jour, terré avec ses hommes, pour s’en remettre à la clémence de la Guinée. Probablement, ils escomptaient une réaction populaire positive en leur faveur sachant le point de saturation où en était arrivée la masse. Leur grossière erreur a été, alors, de sousestimer la réaction nationale des Guinéens. La population ne s’est pas soulevée, comme on l’a prétendu par la suite, pour rejeter les envahisseurs à la mer, mais les reconnaissant étrangers, elle leur a refusé tout concours. Des cadres politiques guinéens qui se savaient pourtant visés comme c’était le cas de mon malheureux camarade Barry III, ancien leader socialiste, se sont mis avec ardeur au service du parti et de la nation attaqués. (…) Ils en auront tous leur récompense. Barry III sera pendu publiquement. Juan Juanario Lopes égorgé dans sa prison un mois plus tard… » Passons maintenant à une autre catégorie :
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2) Les Guinéens exilés
L’étrange analyse d’Alpha Condé L’actuel président guinéen a publié en 1972 un livre dans lequel il mentionne l’événement. Dans, Guinée : l’Albanie de l’Afrique ou Neo-colonie américaine, aux éditions Git-le Cœur, Alpha Condé décrit le FLNG comme un mouvement opportuniste, ultra-réactionnaire, anti-africain et divisé. L’essentiel de son programme consistant, de son point de vue, à de l’anticommunisme assorti d’une position anti-Nkrumah (le président n’est pourtant plus en poste au Ghana lors des événements qui nous intéressent). Il accuse d’ailleurs le Front d’actes ignobles de corruption et régionalisme Lesquels ? Personne ne sait ! C’est même comique de lire de telles accusations de sa part connaissant aujourd’hui son effroyable bilan de président. Qualifié de pro-impérialiste, ce mouvement porterait donc de sévères coups aux progressistes guinéens, surtout aux étudiants (ça sent le règlement de compte personnel, Alpha Condé a été très impliqué dans le syndicat étudiant FEANF). L’auteur donne donc la description qui suit du 22 novembre : « Le mouvement sollicita le soutien du Portugal et de l’Afrique du Sud. C’est cette alliance qui sera à la base des événements (…) Le 22 novembre à l’aube, un débarquement de 350 mercenaires environ dont une centaine d’anciens soldats de l’armée coloniale française, et environ 200 Portugais, a eu lieu sur cinq points de la ville de Conakry. En moins d’une heure, les mercenaires ont occupé deux camps militaires, les ministères de la Défense et de l’Information, ainsi que la centrale électrique, incendié la villa présidentielle, libéré des prisonniers portugais, procédé à des raids contre la gendarmerie et des postes de police, tué une cinquantaine de militaires guinéens, attaqué enfin le camp du PAIGC. Ils ont occupé des points stratégiques de 2 heures du matin à 13 heures sans subir 40
aucune attaque. L’action déclenchée contre eux à partir de 14 heures, fut essentiellement le fait des combattants du PAIGC. Si l’instrument direct de l’intervention en Guinée a été le Portugal et quelques éléments guinéens, les différents impérialismes ont été plus ou moins concernés. »5 Alpha Condé évoque également l’appui de l’opération par les chancelleries françaises, américaines et allemandes… ça reste à prouver ! Il mentionne le double-jeu de la CIA : « Là où elle est maîtresse du terrain, la CIA préfère la stabilité et l’exclusivité. Ne pouvant plus maintenir cette stabilité, elle prit un risque calculé. D’un côté, elle donne sa bénédiction au Portugal, de l’autre, elle avertit le gouvernement guinéen de l’imminence d’une attaque. (…) En refusant sa collaboration totale sur le terrain, le CIA ruinait toutes les chances de réussites de l’opération. »6 Quelle preuve peut-il avancer sur cela ? Son livre ne fournit aucun témoignage qui viendrait étayer ces élucubrations. Cela dit, son opinion est très tranchée envers le Front ! La rhétorique utilisée rappelle même celle du régime qu’il est censé avoir combattu alors… étrange ! « Les somnambules du prétendu FLNG, qui ignoraient tout du peuple de Guinée, croyaient naïvement qu’en tentant une action, ils seraient reçus en sauveur. »7 Ou encore cette incroyable diatribe de l’auteur sur le FLNG : « Le FLNG était né de la conjonction de deux courants : un courant ultra-réactionnaire représenté par les partisans de l’ancien Bloc Africain de Guinée (BAG) et un courant ultra5 P 244, Guinée : l’Albanie de l’Afrique ou neo-colonie américaine, Alpha Condé, Ed Git le Coeur 6 P 248, Idem 7 P 248, Idem
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opportuniste formé d’intellectuel tarés et dégénérés. Le premier courant s’était caractérisé avant l’indépendance par la soumission servile aux milieux ultra-colonialistes. (…) Ce sont ces vieux fossiles pétrifiés et poussiéreux que l’impérialisme français sortit du musée de l’histoire coloniale, pour former le prétendu FLNG. »8 « Après les événements de novembre 1970, les quelques intellectuels opportunistes regroupés à Paris au sein du ‘FLNG’ ont beau se démener (…), ils ne peuvent plus tromper. Corrompus jusqu’à la moëlle, aveuglés par une ambition morbide qui n’a d’égal que leur médiocrité, ils ont rejoint dans la poubelle de l’histoire africaine les Tschombé. »9 Les propos sont éloquents et n’appellent aucun commentaire. On sent les haines personnelles, les règlements de compte qui n’ont strictement rien à voir avec une quelconque approche historique et documentée ! L’amertume collatérales
compréhensible
des
victimes
Autre description négative de l’événement : Nadine Bari, veuve d’un disparu des purges de 71, dans son récit Les cailloux de la mémoire, livre une analyse très succincte de la situation, prouvant que l’affect y a plus sa place que la réflexion. Jugeant les mercenaires irresponsables (probablement parce qu’elle a payé cher les conséquences des événements), elle ne met point en cause la fidélité et l’organisation des Portugais. En revanche, elle considère les Guinéens comme des bras cassés. Curieux jugements pour une amoureuse de ce 8
P 242, Guinée : l’Albanie de l’Afrique ou neo-colonie américaine, Alpha Condé, Ed Git le Coeur 9 P 251, Idem. Moïse Tschombé, homme d’affaire et politicien katangais (Congo Kinshasa). Il déclare avec son parti la sécession du Katanga en juillet 1960. Soupçonné d’avoir participé à l’assassinat de Patrice Lumumba.
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pays… c’est très manichéen et classique, les Blancs rationnels et les Noirs bordéliques. Quelles sont ses sources pour affirmer cela ? « Seuls les Portugais, bien organisés, avaient atteint leurs objectifs : attaquer le camp où se trouvaient leurs ressortissants faits prisonniers par les guerilleros d’Amilcar Cabral (…) Le malheur voulut qu’une poignée de soi-disant opposants à Sékou Touré se joignent aux assaillants pour tenter de renverser le régime. Dans l’impréparation la plus absolue, dans l’ignorance totale des réalités du terrain (…) voilà que cette bande d’irresponsables venus libérer leurs pays dans les fourgons de l’ennemi plongeait la nation dans l’horreur de la répression. »10 Evidemment, imaginer que ces « irresponsables » aient été lâchés, ou n’avaient que peu de marge de manœuvre ? Questionner la pertinence de l’aide apportée par les Guinéens à un régime qui les tue… pas besoin ! Il est plus simple d’accuser ceux qui ont tenté quelque chose que d’entrevoir les effets désastreux de la passivité d’un pays entier ! Les activistes et historiens de l’opposition : C’est dans le livre de Julien Condé et Abdoulaye Diallo, Une ambition pour la Guinée, qu’on trouve un témoignage comportant le plus de noms de personnes réellement impliquées dans l’affaire. Même si certains propos relèvent de l’interprétation et des variantes de témoignages où chacun semble tirer la couverture à soi, la description de l’organisation est plus détaillée et documentée que celle des précédents auteurs. Voici ce qui est dit : « Après ce débarquement que Sékou Touré appela « agression », certains Guinéens résidant au Sénégal firent l’objet d’expulsion vers la France, dont Barry Antoine, Lelano 10
P 15, Guinée, Les cailloux de la mémoire, Nadine Bari, Ed Karthala
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Antoine, Barry Moundiourou, Guilavogui Akoi, Hassan Assad etc. C’est alors qu’une partie des faits fut mise à nu. (…) Le président Sékou Touré avait exigé du président Senghor de lui livrer ces Guinéens, ce qu’il refusa. Par contre, le président de la Gambie, Daouda Diawara, se plia à ses exigences et livra pieds et mains liés une trentaine de Guinéens résidant en Gambie, lesquels furent largués en pleine mer de l’avion qui les emmenaient à Conakry. Feu David Soumah était l’instigateur, le principal responsable (…) de cette opération. Il était secondé par Jean-Marie Doré, Moussa Keita, le commandant Thierno Diallo, Moundiourou Barry, Antoine Barry, Antoine Lelano, Koly Kourouma, Madiou Diallo et Souleymane Sidibé. Il avait l’appui des autorités du Portugal et, semble-t-il, des Etats-Unis, de l’URSS et de la France. Le recrutement et l’entraînement des intervenants avaient été menés dans la discrétion la plus totale. David Soumah avait nommé comme chef des opérations militaires le commandant Diallo Thierno. Il fut trahi en dernière minute et mis en résidence surveillé à Lisbonne. Lui qui avait tout organisé et avait les tenants et les aboutissants de l’opération avait été mis à l’écart, de même que ses principaux collaborateurs les plus au fait. Il était alors normal que le déroulement des opérations fut voué à l’échec. Le commandant Diallo Thierno, décédé à Paris en 1990, avait emmené Siradiou Diallo, qu’il nommait à l’époque son « Kissinger ». Il ne pourra plus témoigner, de même que David Soumah, décédé à Bègles, près de Bordeaux. C’est dommage que leurs témoignages capitaux n’ait pas été écrits ni enregistrés de leur vivant. De nombreuses personnes ayant participé à l’époque aux événements du 22 novembre sont encore en vie et pourront témoigner. En premier lieu Jean-Marie Doré, qui a participé à toutes les étapes, détient des documents authentiques pouvant confondre certaines personnes. En deuxième lieu, les principaux collaborateurs de David Soumah, notamment Moundiourou Barry, Antoine Barry, Madiou Diallo et Koly Kourouma, sont à même d’éclairer l’opinion sur le déroulement réel des événements. En dernier lieu Hassan Assad aurait beaucoup à dire car, selon ses propres dires, Siradiou Diallo lui devrait la vie puisqu’il l’embarqua à la dernière minute sur une pirogue avec le commandant Diallo, les aidant à rejoindre les bateaux 44
prêts à rejoindre le large. Fin 1970, Sékou Touré et son régime étaient très affaiblis. (…) L’occasion rêvée pour Sékou Touré fut ainsi créée. Grâce à l’intervention des forces du PAIGC, le débarquement échoua, l’armée guinéenne récemment décapitée, était absente, occupée à des travaux champêtres. La confusion qui régna à Conakry fit beaucoup de dégâts et amoncela les cadavres. Pendant ces folles journées, les miliciens et militaires rappelés de toute urgence, faute d’avoir reçu les mêmes mots de passe, s’entretuaient chaque nuit. Se souvenant de la méthode de Hitler, accusant ses adversaires politiques de l’incendie du Reichstag qu’il avait lui-même provoqué, Sékou Touré mit les crimes de sa milice au compte des agresseurs portugais. »11 Cette version a l’avantage de donner des noms, et de nuancer ce qui n’est pas certain. L’auteur affirme que David Soumah, ou mon père car la formulation est vague, aurait été trahi. On ne sait par qui ni comment d’ailleurs. Il évoque une mise en résidence surveillée, cela porte donc à croire qu’il s’agit de David Soumah, qui n’a pas participé aux opérations. Cela dit, n’étant pas militaire et étant destiné à prendre la tête du pays en cas de réussite, il n’avait pas à diriger les opérations sur le terrain. Il est également intéressant de noter que Julien Condé porte un autre jugement sur l’organisation de l’opération. Ici, cela est décrit comme ayant été orchestré correctement (certes avec des failles mais avec discrétion et application). Il mentionne sans préciser des trahisons. Cela n’est pas étayé de noms mais ça a le mérite de souligner qu’une telle opération ne peut réussir qu’avec une intégralité d’hommes incorruptibles et aux buts convergents, ce qui n’était visiblement pas le cas. Enfin, il met à jour la confusion qui régnait auprès des troupes loyalistes guinéennes, faits corroborés par le 11 P 30-32, Une ambition pour la Guinée, Julien Condé – Abdoulaye-Baïlo Diallo, Ed L’Harmattan
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précédent témoignage de M. Alata. L’armée n’ayant pas de moyen et n’étant pas sur place, les miliciens n’étant pas coordonnés, ces troupes auraient fait selon lui de nombreux dégâts qu’il fut facile d’imputer ensuite aux agresseurs, sans preuve aucune ! Thèse plausible et cohérente… C’est un des rares ouvrages à mentionner clairement la présence de Siradiou Diallo lors du débarquement. Ce dernier était fortement soupçonné d’y avoir participé. Il n’a jamais démenti ni confirmé, ce qui permettait de gagner l’estime de ceux qui jugent qu’il était courageux de tenter, et de ne pas endosser la responsabilité de l’échec pour ceux qui estimaient que c’était désastreux… Il est également intéressant de savoir que JeanMarie Doré a participé activement à l’organisation et détenait des documents authentiques. Celui qui a officié jusqu’à sa mort en 2016 sur la scène politique guinéenne aurait pu contribuer à démystifier ces heures troubles du passé, ainsi que le rôle qu’il y a joué… de près ou de loin. Il s’est abstenu et cela en dit long. Ibrahima Baba Kaké, historien et contemporain du jeune Sékou Touré, avait choisi de quitter la Guinée parce qu’il se méfiait des méthodes du leader. Bien lui en a pris, car il fit l’objet d’une condamnation à mort par contumace et d’une tentative d’assassinat de sa part en plein Paris, lors de la visite officielle du « Guide Suprême » en 1982. Malgré cela, il lui consacra une biographie : Sékou Touré, le héros et le tyran, dans laquelle il mentionne notamment les témoignages parus dans Jeune Afrique après le débarquement : celui d’un anonyme qui a participé à l’événement et dont on peut décemment imaginer qu’il s’agisse de Siradiou Diallo, ainsi que celui d’Abou Soumah, seul 46
prisonnier du camp Boiro à ne pas avoir réintégré sa cellule après en avoir été libéré par les assaillants. Il en livre une synthèse que voici : « L’opération avait été prévue de longue date et ses protagonistes étaient en quasi-totalité des Guinéens exilés. Ils avaient été dispersés dans trois camps d’entraînement dans différents pays limitrophes. Le débarquement, en fait, devait avoir lieu beaucoup plus tard, mais la date en avait été subitement avancée pour une banale histoire de disponibilité de bateau (…). L’état-major des Guinéens, à l’approche du jour J, ne tient littéralement plus en place. Le principal responsable va de Toulouse à Lisbonne, de Lisbonne à Genève et de Genève en Afrique, lieux de résidence de nombreux opposants guinéens, pour coordonner les actions. Le point de ralliement des combattants (…) est en réalité dans l’archipel des Bissagos. Deux cents hommes, tous d’origine guinéenne, sont donc rassemblés là où des navires les attendent. Ils sont bien armés, de fusils mitrailleurs et de pistolets de marque soviétique. Ils sont vêtus de treillis kaki, un brassard vert au bras. La nuit du 20 novembre et la journée du 21 novembre sont consacrées à l’examen de cartes et de plans de Conakry, à l’étude des positions à prendre ainsi qu’à la simulation du débarquement. Le 21 en début de soirée, les hommes sont répartis en huit équipes correspondant aux objectifs déterminés. Celles-ci sont ensuite installées, avec quelques portugais, dans quatre bateaux qui lèvent bientôt l’ancre. Direction : Conakry, qui sera atteint sans encombre le lendemain matin vers 2h. Ces deux cents Guinéens sont de fait encadrés par de jeunes officiers portugais. (…) Les divers groupes d’assaillants (…) s’acquittent tant bien que mal de leurs missions. Ils réussissent notamment à prendre le camp Boiro (…). Seuls deux objectifs (…) ne peuvent être atteints ; la radio… et Sékou Touré lui-même. Le groupe chargé d’arrêter Sékou Touré dans sa villa de Bellevue se heurtera en effet à la seule opposition sérieuse rencontrée au cours de l’opération : des militants d’un mouvement indépendantiste qui combat le colonisateur portugais (PAIGC) (…). L’affrontement est meurtrier, mais pour pas grand-chose (…) Sékou Touré est en effet introuvable. A 10h du matin, le 22 novembre (…) tout 47
paraissait terminé, à l’avantage des agresseurs. L’informateur de Jeune Afrique conclut son récit en montrant comment, au cours de cette première étape des combats, les assaillants ont été frappés par l’apathie et pour ne pas dire l’absence de l’armée, le manque de conviction de la milice et l’indifférence de la population. ‘Nous avons pu dynamiter les vedettes de l’armée dans le port, après avoir fait reculer la foule qui assistait au spectacle. Les douaniers n’ont pas bougé’. »12 « Les miliciens, enfin actifs, sont dispersés dans les quartiers et encadrés par quelques 200 cubains, tiraillent un peu n’importe où et n’importe comment, faisant de nombreuses victimes civiles. Le pouvoir ne peut mobiliser qu’un seul char de combat sur les dix que possédait l’armée guinéenne. Vers 14h une contre-attaque des Cubains, renforcés par quelques miliciens, leur permet d’occuper l’enceinte de l’hôpital Donka en face du camp Boiro. La bataille se prolonge jusqu’à 17h. Les hommes qui avaient occupé le terrain, après avoir épuisé leurs munitions, décrochent par le portail, du côté ouest, sans pertes humaines. Ils tentent de retrouver leurs embarcations… et ils s’aperçoivent qu’elles ont pris le large. »13 L’auteur mentionne donc ici une majorité de Guinéens, ce qui tranche avec la vision d’un débarquement essentiellement portugais. On note également que l’échec se serait joué à peu de chose, et malgré le manquement de certains objectifs, les assaillants avaient le dessus pendant longtemps. Aussi, il s’agirait pour ce témoin de Jeune Afrique, plus d’un abandon portugais que d’un échec des assaillants guinéens, ce qui étaye la thèse de la divergence d’objectif. Il confirme également l’idée de la désorganisation des miliciens guinéens et de l’appui très précieux des Cubains et du PAIGC pour 12
P 145, Sékou Touré, le héros et le tyran, Ibrahima Baba Kaké, Ed Jeune Afrique 13 P 148, Sékou Touré, le héros et le tyran, Ibrahima Baba Kaké, Ed Jeune Afrique
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reprendre le terrain aux quelques assaillants restés sur place. En outre, Ibrahima Baba Kaké explicite les réactions des puissances étrangères, qui se rallieront ensuite à la version des faits présentée par Sékou Touré : le pays a subi une attaque colonialiste, par des assaillants étrangers aidés d’éléments d’origine guinéenne. Paris et Abidjan font bonne figure et admettent les faits. Le régime portugais de Marcelo Caetano ne reconnaît rien. Un autre historien, Maurice Jeanjean a publié récemment une biographie de Sékou Touré : un totalitarisme africain. Il y soulève des interrogations pertinentes : Pourquoi le palais était-il illuminé cette nuit-là ? Pourquoi les militaires étaient-ils tous en région alors que Sékou Touré avait vraisemblablement été informé de l’imminence d’une action ? Voici l’analyse qu’il porte sur ces faits : « Les raisons de l’échec de cette opération ont reçu des interprétations très diverses. Selon des sources convergentes, Sékou Touré était informé du projet de débarquement de militaires portugais visant à libérer des prisonniers du PAIGC et notamment le parent d’un haut dignitaire. Il aurait été approché par Amilcar Cabral, leader du PAIGC réfugié à Conakry, à qui les Portugais avaient proposé le versement d’une importante somme d’argent contre la libération de ce prisonnier. (…) En dépit de toutes ces alertes, Sékou Touré ne prit aucune disposition pour mettre son armée en état de mobilisation. Après l’avoir démembrée en 1969, il l’avait envoyée à l’intérieur du pays pour cultiver les champs. En outre on transféra à Conakry, quelques jours avant le débarquement, les prisonniers portugais blancs emprisonnés à Mamou. Durant les quelques heures que dura l’invasion, Sékou Touré fit preuve d’une totale passivité comme s’il avait attendu cette attaque (…). Il est un autre élément troublant : c’est l’illumination permanente du Palais Présidentiel alors que le reste de la ville est plongée dans la plus totale obscurité. (…) 49
Du côté des envahisseurs, la coordination n’est pas la meilleure. Les groupes d’opposants guinéens chargés d’occuper la radio et de se saisir de Sékou Touré n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs. Finalement le bilan de cette opération se limitera à la libération des prisonniers du camp Boiro qui, à l’exception d’un seul, le capitaine Abou Soumah, réintégrèrent leur cellule, à la destruction de la villa du président Sékou Touré (…) à celle d’Amilcar Cabral également absent, et à la libération des prisonniers portugais blancs. (…) Cette expédition avait été préparée dans les plus mauvaises conditions, les objectifs des participants étant différents. Du côté des Portugais, il s’agissait de libérer les prisonniers faits par le PAIGC (…) et d’assassiner Amilcar Cabral. Pour les opposants guinéens, le but était le renversement de Sékou Touré et la mise en place d’un régime démocratique. Le responsable politique de cette opération était David Soumah, syndicaliste chrétien qui s’opposait à Sékou Touré dans les années 55 – 59, et le responsable militaire le commandant en retraite de l’armée française Thierno Diallo. Un gouvernement interethnique avait été constitué. Des désaccords sur sa composition survinrent ultérieurement, faisant écarter David Soumah de l’expédition. De ce fait, les opposants guinéens se virent retirer le soutien plus ou moins promis de plusieurs gouvernements. »14 Dans cette analyse, on note également que l’un des autres objectifs manqué est la personne d’Amilcar Cabral (chef du PAIGC). Ainsi, les deux personnes visées échappent au coup, sans réelle protection des forces guinéennes, alors que les déclarations de Sékou Touré prouvent qu’il s’attendait à une attaque. Du coup une question émerge, un accord tacite a-t-il été mis en place entre le régime et les assaillants portugais pour libérer les prisonniers ? Après tout, l’auteur explique qu’on aurait déplacé des prisonniers portugais de 14 P 146-149, Sékou Touré, un totalitarisme africain, Maurice Jeanjean, Ed L’Harmattan
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l’intérieur du pays à Conakry ! Il s’avère qu’en réalité seul un prisonnier (Antonio Lobato) a été déplacé à Conakry parce qu’il avait tenté une évasion de sa prison à Kindia. Les autres étaient déjà à Conakry. Un autre ouvrage, peu connu celui-ci, traite avec beaucoup de sévérité et parfois de pertinence de l’affaire du 22 novembre. Il s’agit de l’essai de Sako Kondé, paru en 1974, intitulé Guinée, le temps des fripouilles. Après avoir brossé la situation historico-politique de la Guinée d’alors, l’auteur analyse l’événement non sur le plan factuel, n’ayant que très peu d’informations sur les protagonistes, comme tout le monde, il le décortique sur un plan éthique, quasi philosophique : Quelle est la responsabilité des Guinéens face au destin de leur pays ? A-t-on le droit de mêler une puissance étrangère à la libération de son pays ? Les Guinéens ont-ils manqué de courage ? Comment juger les auteurs de ce fiasco ? Bien que très théorique, sévère et parfois contradictoire, l’analyse n’en est pas moins intéressante. Selon l’auteur, les « mercenaires » n’auraient pas dû demander d’aide étrangère ! Il est évident que les jugements a posteriori sont faciles… Comment fait-on quand les forces dont on dispose sont limitées, que le pays visé est fermé et que le pouvoir qu’on entend abattre suspecte même un étudiant qui rentre au pays… Comment renverser un régime sans fonds ni arme, en étant à l’extérieur… sachant le pays muselé à l’intérieur… L’aide logistique paraît à ce stade un problème crucial, une condition de réussite incontournable, même s’il faut toujours s’interroger sur les motivations de celui qui apporte son appui. Ensuite une question demeure… peut-être que la seule révolte légitime dans un pays ne peut venir que de 51
l’intérieur… mais à ce rythme, la France serait encore nazie ! Voici ce que dit l’auteur : « A l'aube du 22 novembre 1970, des Guinéens ont débarqué sur le sol natal, l'arme à la main, décidés à abattre la tyrannie ou à mourir. Si l'opération a tourné à la tragédie, ce ne fut pas, en tout cas, parce que le régime leur a opposé une quelconque résistance (…). Ce fut à cause de la trahison des chefs politiques de l'affaire. »15 Cette déclaration est bien catégorique et pour valider cela, encore faut-il étayer cette affirmation de compléments factuels, au risque d’être accusé de diffamation. De plus, des défaillances techniques et humaines expliquent l’échec, elles sont développées plus loin dans l’ouvrage, et elles n’avaient rien à voir avec l’éthique ou non des chefs du FLNG. Par ailleurs, l’auteur concède : « Mais avant de mourir, les combattants ont fait revivre intensément une chose qu'on aurait cru désormais oubliée des Guinéens : le courage, l'audace. En accomplissant leur devoir comme ils l'ont fait, ils ont administré une terrible leçon à l'actuel personnel politique. Ils l'ont aussi donnée aux quelques Guinéens qui ont conduit l'affaire au niveau politique en la ramenant à la dimension d'une ténébreuse aventure, et prouvé qu'ils appartiennent au même type socio-politique que les dirigeants en place. (…) Il nous fallait, avant de poursuivre, faire cette distinction essentielle et rendre hommage au courage de ces gars bien de chez nous. ». Une reconnaissance que peu de Guinéens ont prononcée à l’égard de ceux qui ont fait sciemment le sacrifice ultime ! La question de l’origine de la révolte est centrale pour cet auteur : « La libération de la Guinée est et doit rester un problème guinéen. Il faut éviter le plus possible de 15
P 225, Chapitre IX, Guinée, le temps des fripouilles, Sako Kondé, Ed La pensée universelle
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mêler l'étranger à nos affaires, car, en général, il est mû par des intérêts qui convergent rarement avec ceux bien compris de notre peuple. » Cependant, l’auteur se contredit quelques lignes plus loin en décrivant la réaction populaire lors du débarquement : « Quelle fut la réaction des populations (…) à l'aube du 22 novembre, quand crépitèrent les premiers coups de feu sur les plages et aux abords des sinistres camps de détention ? La surprise des habitants céda bien vite la place à un immense espoir, à une ineffable joie plus ou moins contenue, quand ils eurent reconnu leurs compatriotes débarqués. En tout cas ils ne leur demandèrent point : « Mais qui sont vos amis ? D'où viennent vos armes ?… » Ils comprirent instantanément que ces armes-là n'étaient pas dirigées contre eux ni contre le pays, mais contre le régime P.D.G. exécré de presque tous. Ils accueillirent les commandos non pas en traîtres, mais en libérateurs. Bref, cet exemple simple révèle une chose essentielle : le consensus populaire qui est le fondement de toute légitimité morale ou politique. Il montre également que nos pères et mères attendent de nous autre chose que de stériles finasseries sur la couleur ou l'origine des concours qui pourraient s'avérer nécessaires à leur libération. La tragédie que vit la Guinée depuis de longues années dans l'indifférence générale impose au plan tant moral que politique, une obligation impérative : celle d'œuvrer pour mettre fin, par tous les moyens, au régime de la honte. Il y va de l'honneur de la Guinée et, sans doute, de l'Afrique. » Comment expliquer alors la sévérité qu’il exprime à l’encontre des assaillants, d’autant qu’il n’argumente pas précisément sur les trahisons politiques et l’arrivisme supposé des organisateurs guinéens du coup ! Si certains dirigeants du FLNG étaient arrivistes, il faut dire qui et en quoi cet arrivisme explique l’échec de la mission. Bien des arrivistes ont dirigé des pays, l’ambition personnelle n’a jamais empêché un coup d’Etat, au contraire ! Donc cet auteur aurait dû s’exprimer plus clairement, ou taire ces accusations qui n’apportent rien, d’autant plus qu’il précise lui-même que la 53
situation de la Guinée impliquait qu’on agisse pour arrêter ce massacre, en cessant « les stériles finasseries » sur la provenance de l’aide ! Alors, Héros ? Aventuriers amateurs ou arrivistes et médiocres ? Peut-être un peu des trois et tout dépend de qui on parle, car tous les acteurs ne sont pas à classer dans les mêmes catégories. On brandit souvent le tribalisme ou l’arrivisme pour discréditer toute initiative, mais en attendant ces hommes se sont alliés et ont joué leurs vies pour changer le destin de ce pays. A posteriori, on sait qu’ils sont quasiment les seuls. Bref, l’argumentation de Sako Kondé est intéressante, mais son articulation est bien floue. Autre regard officiel, Jacques Foccart, l’éminence grise du général De Gaulle, plus connu sous le surnom de Monsieur Afrique (soit le père du système Françafrique), a publié ses mémoires. Il s’agit du journal de ses contacts professionnels quotidiens, autrement dit, les minutes de la Françafrique. Il en ressort que les rapports entre la France et la Guinée ont toujours été complexes depuis l’indépendance, mais qu’après les premières années du régime. La France a tenté de renouer les relations diplomatiques avec Sékou Touré, et ce même à la veille du 22 novembre 1970. Le 19 novembre, Foccart se trouve à Abidjan et discute avec le président Houphouët-Boigny et ses collaborateurs du rétablissement des relations diplomatiques avec Conakry. Et en ce qui concerne le 22 novembre, l’épisode est évoqué par le biais d’une rencontre avec l’ambassadeur de Belgique accrédité à Conakry (et présent lors des événements). Celui-ci raconte à Foccart l’épopée et voici ce que Foccart restitue de la conversation : 54
« Il n’a pas vu de ses yeux un bateau amener des troupes, mais il a vu quantité de personnes qui l’avaient vu. Il est certain qu’il y a eu un débarquement d’hommes noirs. A sa connaissance, il n’y avait pas d’hommes blancs. Les insurgés se sont emparés de leurs objectifs comme ils ont voulu. Personne ne s’y est opposé. Ils ont ouvert les camps, ils ont libéré les prisonniers, ils ont fait de leur côté des prisonniers, y compris un général guinéen, ministre de la Défense, que, d’ailleurs, ils ont relâché en lui bottant le derrière violemment devant témoins. (…) La conclusion de tout cela, pense l’ambassadeur, c’est qu’il s’agissait de Guinéens portugais qui voulaient donner un avertissement à Sékou Touré… »16 Bien vague description pour une personne d’habitude si informée. Plus tard dans l’ouvrage, le débarquement est à nouveau évoqué alors que les procès et pendaisons commencent à Conakry début 1971. La sécurité des Français de Guinée semblait inquiéter Jacques Foccart au point qu’il ait envisagé de débarquer à Conakry. Voilà ses propres propos lors d’une conversation avec le président Pompidou : « Vous avez vu, la situation en Guinée semble assez tragique (…). Il faut que nous soyons bien conscients que toute cette hostilité se cristallise sur la France. Et il faut savoir ce que nous voulons faire en cas d’aggravation vraiment importante, car nous avons là-bas douze à quinze cents ressortissants. (…) L’intervention armée serait la seule qui permettrait de sauver nos compatriotes. Mais cette intervention amènerait vraisemblablement des réactions, l’effondrement du régime de Sékou Touré, et nous en porterions ensuite la responsabilité. »17 Donc, ce qui semble avoir retenu les autorités françaises, c’est la responsabilité qu’ils auraient à la 16
P 541, Journal de l’Elysée, Dans les bottes du général, Jacques Foccart, Ed Fayard - Jeune Afrique 17 P 583, Journal de l’Elysée, Dans les bottes du général, Jacques Foccart, Ed Fayard - Jeune Afrique
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face du monde d’avoir fait flancher le régime de Conakry. D’ailleurs, très rapidement, Pompidou confirmera son opposition à une opération en ces termes : « Ecoutez (…), quand on dirige un pays, on n’est pas là à jouer les dames d’œuvres. Je m’y suis opposé en d’autres occasions, et je ne veux pas non plus qu’on fasse grand-chose pour cette affaire. »18 Ainsi les accusations du régime de Conakry d’alors, semblent infondées selon les dires de Foccart, mais peut-être n’a-t-il pas tout dit dans ses mémoires. S’ils hésitent à intervenir alors que des Français étaient en danger, comment imaginer une connivence directe entre les assaillants et la France ? Et même lorsque Senghor tentera cette même année de pousser Foccart à l’action pour en finir avec Sékou Touré, il dira « Non, jamais ça, je me suis toujours gardé de mener quelque action que ce soit contre Sékou Touré, je n’ai même pas voulu recevoir les gens qui étaient ses opposants pour qu’on ne puisse pas échafauder une hypothèse qui mettrait mon pays en difficulté. »19 Cela dit, en 2006, est paru au Portugal le livre d’Antonio Luis Marinho, Operacao Mar Verde, un documento para a historia, ouvrage réalisé avec la collaboration d’Alpoim Calvão (commandant portugais de l’opération Mar Verde). On y évoquerait des relations entre les dissidents guinéens et les services secrets français… cette collusion n’est absolument pas sourcée ni prouvée, bien qu’on sache avec preuve à l’appui que les services français du SDECE (Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage) surveillaient les dissidents guinéens et qu’auparavant, le SDECE a tenté
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P 588, Idem P 746, Journal de l’Elysée, Dans les bottes du général, Jacques Foccart, Ed Fayard - Jeune Afrique
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d’organiser une révolte partant du Fouta Djalon, en 1963 ! Donc que retenir comme faits convergents lors de ces événements du 22 novembre 1970 ? En résumé, malgré les divergences d’interprétation, quelques éléments ressortent de ces descriptions : -
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Les assaillants ont été maîtres du territoire jusqu’au matin Ils n’ont rencontré que très peu de résistance et sont parvenus à atteindre la majorité de leurs objectifs On a vu d’avantage d’assaillants noirs que de blancs Deux objectifs stratégiques ont fait défaut : la prise de la radio pour des raisons qu’on ignore, et la capture, voire l’assassinat de Sékou Touré et Amilcar Cabral. Malgré l’attaque, les locaux ont circulé dans Conakry cette nuit-là, sans trop d’encombre. Ils n’ont soutenu ni les assaillants, ni les forces loyalistes ! Les assaillants n’ont pas attaqué le Palais, alors qu’il était illuminé… et se sont rendus à la villa de Sékou Touré qui fut détruite mais il n’y était pas Sékou Touré semblait étonnamment calme et ne s’est pas empressé de se cacher, à l’inverse de certains de ses ministres. Le plus grand désordre régnait chez les militaires loyalistes qui n’ont eu de renfort qu’au petit matin (PAIGC et Cubains) Après libération des prisonniers portugais, les dirigeants portugais de l’opération ont pris la décision de repartir avec leur matériel, laissant le gros des équipes guinéennes à leur sort. 57
Ces éléments font émerger quelques questions : -
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Qu’est-ce que Sékou Touré savait de la préparation de l’opération pour être si serein alors que le champ était manifestement libre pour qu’on lui vole le pouvoir ? L’histoire a prouvé que l’événement l’a bien arrangé puisqu’il en a profité pour liquider ensuite tous les gêneurs… Ainsi, dans quelle mesure peut-on être sûr qu’aucun accord n’ait été passé entre lui et une partie des opposants infiltrés au sein du FLNG, puisqu’il est évident que la priorité des objectifs n’était pas la même pour les assaillants en fonction de leur profil ?
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LE REGIME ET SA DESCRIPTION DES EVENEMENTS
Dans une affaire comme celle qui nous intéresse, il paraît évident que chaque partie donne une version des faits qui valide la défense de ses intérêts et de sa position. Aussi, s’il est envisageable que les assaillants du 22 novembre aient (volontairement ou pas, selon leur intégrité intellectuelle) défendu une description de leur implication qui tend à prouver leur altruisme, leur témérité et leur combat à la tête des opérations, il ne fait aucun doute qu’un homme tel que Sékou Touré ait amplifié son action, glorifié son rôle dans tout et masqué ses faiblesses, lui qui, depuis qu’il est impliqué en politique, manie habilement le verbe pour fasciner les masses, utilise les superlatifs les plus improbables pour se décrire. Nul n’est besoin de prouver que sa description des événements ne peut être considérée comme historique, objective, à plus forte raison fiable. Avant même d’évoquer la manière dont le régime a présenté les faits, penchons-nous sur quelques méthodes du régime et sur la façon dont il se présente, pour que le lecteur ait en tête la mégalomanie et l’égocentrisme du personnage au moment où nous aborderons concrètement les arguments du régime sur le 22 novembre : Dès son arrivée au pouvoir, Sékou Touré a eu à cœur de contrôler tout ce qu’il était imaginable de contrôler, en particulier l’information : Un décret du 1er mars 1959 stoppe la parution de Guinée Matin, journal diffusé par le groupe français Charles de Breteuil et seul quotidien indépendant du pays. Il est vrai que s’étant éloigné de l’influence française, on peut comprendre cette prise de position. En 59
revanche, ce journal aurait pu être remplacé par un ensemble de publications indépendantes... Ce n’était pas le style du régime. Horoya, (qui signifie liberté en sousou et malinké, avouons que c’est cynique) devient alors l’organe de presse unique du pays. Il s’agit ni plus ni moins de la voix du PDG. Quelques autres publications naîtront par la suite, toujours sous tutelle des organes annexes du parti (la Giné, publication de l’UFRG, ou Union Révolutionnaire des Femmes de Guinée, l’Ecole Guinéenne, publication des éducateurs…). Quant à l’enseignement, on y a introduit très tôt des cours d’idéologie du PDG. Pour ce qui est de la justice, même s’il existait une Cour d’Appel et un Tribunal Supérieur de Cassation censés garantir les droits des citoyens, une Haute Cour de Justice a été créée le 20 avril 1959 permettant de juger à huis clos les crimes et délits contre la sûreté de l’Etat. Cette Cour étant composée de ministres et du président de l’Assemblée Nationale, autant dire qu’elle était sous tutelle directe de Sékou Touré. A ce dispositif, il faut ajouter les tribunaux populaires (devenus par la suite révolutionnaires) qui opèrent dans chaque village et quartier, sous l’égide du parti unique ! La machine à broyer est bien huilée ! Quant aux libertés personnelles, elles sont évidemment plus que restreintes : tout déplacement doit être signalé à l’officier de police local, tout travailleur non fonctionnaire doit porter un livret de travail à partir du 29 octobre 1969, les étrangers entrant en Guinée se voient retirer leur passeport qui ne leur sera rendu qu’à leur départ. Les professions libérales sont supprimées ou incluses dans la fonction publique. Et pour ce qui est de la culture, voici ce que Sékou Touré déclarait dans un discours du 18 avril 60
1968 : « Dans un régime révolutionnaire comme le nôtre, les recherches artistiques n’admettent pas d’autres références fondamentales que la Révolution elle-même… L’information a pour objet de valoriser les créations du Peuple ». Un comité de censure des films est mis en place dès décembre 1958 et une série de décrets met sous contrôle les activités artistiques… Pour illustrer l’incongruité et le côté mystificateur du personnage, rien de tel que l’évocation d’un long commentaire dans le journal Horoya de Sékou Touré lui-même en décembre 1976, au sujet d’un match de foot perdu par le Hafia (équipe nationale guinéenne). Celui qui n’a vraisemblablement jamais exercé ce sport consacra donc de nombreuses pages à expliquer que la défaite des joueurs était en somme une trahison de l’équipe et de l’encadrement. Ces derniers font évidemment leur autocritique et Sékou Touré de conclure après avoir longuement évoqué l’état du terrain, du climat, le moral du public, l’arbitre etc : « Et si le match avait été joué et perdu avant le premier coup de sifflet, qu’est-ce que cela signifie en idéologie ? Comment cela s’appelle-t-il ? Cela s’appelle trahison ». Edifiant non ? Autres éléments avant de revenir aux événements du 22 novembre, la personnalité de Sékou Touré : un bref bilan des divers titres qu’il s’est attribué donne une idée de l’hypertrophie de l’égo dont il était victime. Après avoir accumulé les titres officiels au sein des syndicats qu’il a dirigés, au sein du parti, de l’administration française coloniale et d’organismes internationaux, on aurait pu penser que son ego en demande serait satisfait. Loin s’en faut, il va donc s’affubler entre autres du qualificatif grandiloquent de Responsable Suprême de la Révolution, comme d’autres « grands hommes » en
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leur temps se firent appeler Duce, Führer ou Grand Timonier. Alors que tous les ingrédients étaient réunis pour manipuler le peuple, voici comment le régime a présenté sa thèse officielle sur le 22 novembre, notamment dans L’agression portugaise contre la République de Guinée, Livre Blanc : « Profitant de la brume et du brouillard sur nos eaux territoriales, près de 500 mercenaires Européens et Africains, armés jusqu’aux dents, ont débarqué le 22 novembre 1970 sur nos côtes à bord de bateaux de guerre, violant ainsi tout principe de non violabilité de l’intégrité territoriale et de l’indépendance des peuples. Le colonialisme portugais servant de tête de pont de l’impérialisme international, n’a pas hésité à profiter de la nuit pour s’attaquer au paisible peuple de Guinée. (…) La riposte de notre Peuple fut instantanée (…) La mobilisation fut spontanée et totale. Dans un haut esprit de patriotisme, les militants ont afflué dans les permanences des Comités du Parti pour réclamer des armes afin d’écraser les envahisseurs. »20 On note le ton lyrique et emphatique, la description de la réaction du peuple tranche avec tous les témoignages recueillis, qui évoquent un peuple apathique, des miliciens et militaires désemparés, des munitions et des ministres introuvables. Autre extrait du livre, on y mentionne l’impérialisme et les puissances étrangères : « Sachant que de l’intérieur elles ne peuvent trouver aucun point d’appui, aucune base d’opération, (…) ces classes décadentes ne pouvaient recourir qu’à la subversion extérieure, à l’agression militaire accompagnée du mensonge pour entretenir dans l’opinion de fausses considérations (…). Ainsi 20
P 7, L’agression portugaise contre la République de Guinée, Livre Blanc
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également des mercenaires européens et africains sont recrutés, entraînés, endoctrinés, domestiqués dans leur mentalité, dans leurs réflexes grâce aux effets de l’alcool et de la drogue, grâce à la corruption, dressés comme des chiens en vue d’être jetés contre le corps de la Révolution guinéenne. »21 Si les impérialistes n’ont trouvé aucune base intérieure, comment expliquer les innombrables condamnations pour complicité intérieure ? « Nos invincibles forces militaires : l’armée populaire, la gendarmerie, la garde républicaine (…) comme un seul homme, ont eu à réagir et à imposer une défaite cinglante aux diverses tentatives de débarquement de mercenaires et aux attaques armées de l’ennemi. »22 On accuse même la République Fédérale d’Allemagne de complicité dans l’organisation de l’opération. 23 L’escalade des accusations conduira d’ailleurs à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays et à l’expulsion des citoyens allemands, alors même que la RFA avait participé activement au financement de la Guinée et que Sékou Touré se gardait de reconnaître la RDA sur le plan diplomatique pour ne pas se priver des subventions de RFA. Les autorités ouest-allemandes ont d’ailleurs accusé la RDA de production de faux documents et de transmission du concept de la 5ème colonne, tout cela ayant nourri la paranoïa de Sékou Touré.24
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P 120, L’agression portugaise contre la République de Guinée, Livre Blanc 22 P 122, Idem 23 P 141, Idem 24 Article : Systemkonflikt in Afrika Deutsch-deutsche Auseinandersetzungen im Kalten Krieg am Beispiel Guineas, 1969–1972, Cord Eberspächer und Gerhard Wiechmann
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Très rapidement les messages de soutien au peuple guinéen affluent de par le monde et sont reproduits dans le livre en question. L’ONU, l’OTAN et même les Américains, le gouvernement sénégalais et le Parti Communiste Français ne manqueront pas à l’appel. Le Secrétaire Général de l’ONU réagira promptement en annonçant l’envoi d’une mission spéciale en Guinée. Ce livre reproduit également les témoignages de Juan Januario Lopes, le lieutenant portugais noir ayant refusé sa mission (la prise de l’aéroport et la destruction des avions MiGs). L’ONU l’ayant interrogé, il ressort qu’il ne connaissait pas l’objectif de sa mission au début, de même que Mario Dies, qui faisait partie du groupe chargé d’arrêter Sékou Touré. On apprend dans son témoignage qu’ils ont connu l’objectif de leur mission très tardivement, que le groupe de M. Dies était composé de cinq portugais noirs et de Guinéens dissidents dirigés par un sous-lieutenant qui recevait ses ordres par radio. Le groupe ne connaissait manifestement pas le terrain. Ce témoin n’avait que onze mois de service dans l’armée. Les témoignages reproduits semblent honnêtes 25 , cependant il est déroutant d’observer les photos de ces mercenaires portugais qui se sont rendus volontairement et qui sont légendés de façon bien ingrate : « Jean Januaro Lopez et Mario Dies. Dressés tels des chiens, ces hommes devaient assassiner notre peuple pacifique » ou encore « Autre mercenaire de la soldatesque portugaise. Pour tuer, il avait été dressé comme un fauve ». Des légendes qui jurent totalement avec le contenu des interviews de l’ONU, qui décrivent des hommes qui ne connaissaient pas 25 P 85 et 101, L’agression portugaise contre la République de Guinée, Livre Blanc
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leur mission, qui ont été instrumentalisés par les autorités portugaises, peu entraînés et qui ont eu le courage de refuser les ordres alors qu’ils risquaient la cour martiale portugaise, sans savoir s’ils allaient être remerciés par les Guinéens ! Le plus décevant est d’apprendre qu’alors qu’ils ont contribué à l’échec de l’opération, le gouvernement guinéen les a gratifiés en les assassinant peu après ces aveux ! Cela donne la mesure de la clémence, de la reconnaissance et de la gratitude d’un régime qui leur doit en partie la survie. Plus loin dans l’ouvrage, Sékou Touré accuse nommément les puissances de l’OTAN dans l’opération qu’il qualifie de reconquête néocolonialiste. Il évoque également la 5ème colonne, soit les dissidents internes qui en veulent à la Guinée… « On sait déjà que l’attentat criminel dont la Nation guinéenne a fait l’objet de la part des puissances de l’OTAN en général et de l’armée coloniale portugaise en particulier ne pouvait se réaliser si l’ennemi extérieur ne disposait pas au sein de la société guinéenne d’une 5ème colonne prête à créer les conditions subjectives et objectives de la réussite d’une telle entreprise foncièrement anti-nationale et anti-populaire. »26 On constate donc la dramatisation intense, la paranoïa totale dont fait preuve Sékou Touré afin de justifier ce qui sera sa vengeance à venir : l’élimination rapide et folle de tous ceux qui le gênent ! D’un peuple de Guinéens qui se lève comme un seul homme contre l’ennemi, on passe à un peuple truffé d’espions de la 5ème colonne ! S’il est envisageable que le FLNG ait eu quelques 26
P 233, L’agression portugaise contre la République de Guinée, Livre Blanc
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contacts à l’intérieur du pays (dans leur position et vu leur objectif, il était normal qu’ils tentent d’entrer en contact avec des Guinéens de l’intérieur du pays pour le renseignement), il est en revanche inconcevable d’imaginer que tous ceux qui périrent dans les purges de 1971 aient eu un quelconque rapport avec le FLNG. Car si cela avait été avéré, on ne peut pas imaginer alors que le régime guinéen n’ait pas flanché. S’il était à ce point attaqué de toute part, le régime serait tombé. Pour poursuivre dans la veine lyrique habituelle, Sékou Touré publie un autre livre blanc sur les événements : L’impérialisme et sa Vème colonne en République de Guinée, ouvrage truffé de messages, discours de lui à son peuple. Dans un style grandiloquent, emphatique, il construit la légende, la fable à laquelle le peuple doit adhérer : « Jamais il n’a été enregistré dans la vie d’un autre Etat, une victoire si importante et si radicale contre un ennemi qui s’était déjà installé en très bonne place dans toutes les institutions, dans tous les secteurs étatiques et politiques de la Nation qu’il entendait réduire en esclavage. »27 Et pour parfaire le tableau de la victoire totale de la Guinée sur ses adversaires, on publie dans ce livre les aveux des complices de la 5ème colonne, comme ceux du général Noumandian Keïta, chef d’état-major des armées. D’après Alpha Abdoulaye Diallo (auteur de la Verité du Ministre), on aurait dit que le général Keïta avait vu Sékou Touré en position de faiblesse le jour du débarquement, car lorsqu’il est arrivé au Palais, Sékou se croyant face à un coup d’Etat organisé par ses militaires aurait déclaré, « tuez-moi mais ne me faites pas honte ». Le 27 P 8, L’impérialisme et sa Vème colonne en république de Guinée, RDA N°47
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général venait chercher les clés des munitions pour repousser les agresseurs. Peu de temps après, il est donc arrêté et voici ce qu’il déclare en fin de déposition : « Mon cher président, depuis l’accession de notre pays à l’indépendance, j’ai trouvé auprès de toi une estime, une confiance et un soutien sans faille. Tu m’as placé à la tête de notre jeune Armée Populaire. (…) Tu m’as fait l’un des plus grands dignitaires des citoyens Guinéens. J’aurais aimé finir ma carrière en beauté et mériter ta confiance, mais hélas, conditionné par des hommes et des groupes d’intérêts cyniques qui ont tissé autour de ma personne une satanique toile d’araignée, je me retrouve aujourd’hui dans les cellules de la Révolution. A toi de mesurer ma honte, à toi de mesurer ma détresse. Du fond du cœur, je te demande pardon, à toi qui incarnes les vertus de cœur et d’intelligence de l’Afrique tout entière. J’espère en ton pardon et aussi en ta clémence légendaire. »28 Y a-t-il quelqu’un de sensé pour croire une seule seconde qu’on puisse rédiger un tel tissu de flagorneries en dehors d’une séance de torture ? Et au fil des pages, chaque ancien ministre s’accuse de forfaits tous plus invraisemblables que les autres. On se demande même comment, avec tous ces complices, la contre-révolution n’est pas arrivée à ses fins ! A ce stade, le régime s’enfonce dans la paranoïa aigüe, voit des ennemis partout. La moitié des ministres en poste fin 1970 seraient impliqués dans l’attaque du 22 novembre, sans compter tous les pays occidentaux, leurs services secrets, la CIA et même d’anciens officiers nazis à travers les cas du Baron von Tiessenhausen (supposément complice et 28
P 46, L’impérialisme et sa Vème colonne en république de Guinée, RDA N°47
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tué lors du débarquement parce qu’il roulait dans une voiture similaire à celle d’Amilcar Cabral) et de Hermann Seibold, cadre ouest-allemand très impliqué en Guinée qu’on a accusé de trahison également et qui a vraisemblablement été assassiné. Et pour couronner le tout, il faut désormais ajouter à ces publications de propagande de l’époque, le révisionnisme actuel dans lequel se complaisent bon nombre de nos contemporains guinéens.
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LES ARGUMENTS DES REVISIONNISTES
Dans la précédente version du présent livre, je consacrais un chapitre à l’hagiographe de Sékou Touré. A la réflexion, et bien qu’il soit toujours nécessaire de combattre ses arguments, il ne faut en aucun cas contribuer à mettre en lumière ces travaux tronqués. Pour cette nouvelle version, j’ai choisi de me concentrer sur les arguments utilisés par les défenseurs du PDG : L’analyse des méthodes et arguments dont se servent ces personnes pour défendre leurs thèses est malhonnête. Les quelques documents dont ils disposent ne sont étudiées que dans l’optique de prouver l’existence des complots et de justifier la répression qui était de leur point de vue légitime de la part du gouvernement d’alors. L’interprétation des faits, l’analyse de ces « preuves » est tellement phagocytée par d’idéologie du PDG, à ce point partisane, qu’on comprend que la manœuvre n’a pour unique but que de réhabiliter Sékou Touré, et s’il est besoin, ce régime incontestablement sanguinaire ! Leur angle d’attaque : se concentrer sur le complot avéré du 22 novembre pour en déduire que tous les autres sont vrais. Etant donné que cette attaque est connue de tous, on sait qu’elle a eu lieu, elle permet ainsi de donner du crédit à la paranoïa de Sékou Touré. On évite d’avoir à argumenter sur la légitimité du complot des enseignants (qui n’a aucun fondement, puisque ses auteurs ne faisaient que revendiquer leur droit via un mémoire), ou du complot petit Touré qui n’a consisté qu’en la création d’un parti (chose qui n’était pas interdite), et de tant d’autres, pour se focaliser sur le seul qui est certain. On a même été 69
jusqu’à faire la publicité de la précédente édition de cet ouvrage en le présentant comme les aveux de la fille d’un mercenaire (sans le lire évidemment), pour défendre la mémoire de Sékou Touré, c’est presque drôle. Par ailleurs, ils utilisent également la diffamation, l’évocation d’anecdotes non sourcées et le dénigrement pour discréditer leurs détracteurs, sans compter le caractère parfois inhumain des arguments à l’encontre des opposants et victimes du régime. En général, les pro Sékou Touré rangent donc les gens en deux camps, les patriotes et les traîtres… on était pour ou contre Sékou Touré et Sékou était la Guinée ! Le ton est donné. Par ce biais, ils justifient une vision binaire de l’état, et nient la capacité d’un citoyen à avoir une vision, une opinion divergente de celle de l’homme fort du régime. Ainsi leur conception du patriotisme est celle d’une nation de moutons fascinée par leur leader, de gens qui ne doivent absolument pas penser, s’opposer ou protester. Un monde dans lequel peu de gens désireraient vivre en fait. Autre manœuvre, passer rapidement sur les cas de tortures et d’assassinats en les qualifiant soit de moyens nécessaires pour la survie d’un régime attaqué de toute part, soit de jérémiades de gens qui n’ont pas la dignité de rester silencieux, et qui cherchent surtout à se justifier. Ceux qui restent silencieux seraient les vrais traumatisés qui ont leur conscience pour eux. On tente ainsi de manipuler l’auditoire, de semer le doute sur ceux qui osent parler et de cautionner le silence de ceux qui, par pudeur, honte ou simple réflexe de survie psychologique, ne parlent pas, laissant ainsi le pays en proie aux mêmes démons. On appréciera leur 70
sens du respect et de l’empathie. Par ailleurs, ils passent rapidement sur les chiffres et les détails des moyens utilisés par le régime pour obtenir des aveux, jamais ils n’évoquent la manière inhumaine dont ce régime tuait ses citoyens d’alors. Pour les révisionnistes, il était légitime que ce régime dérape, parce qu’il y avait des complots partout. Et si on suit cette logique, puisque tout est complot, pourquoi donc la tête pensante de ce régime ne s’est pas demandé pourquoi il générait tant de complots ? Est-ce à dire qu’il ne faisait que des malheureux et donc qu’il était lui-même illégitime et inefficace ? Mais pour les défenseurs de la mémoire de Sékou Touré, il est tellement plus simple de se dire que ceux qui ne sont pas assez intelligents pour comprendre à quel point cet homme était génial, sont juste des traîtres, des vendus à la solde de l’impérialisme international, des tarés et autres qualificatifs qu’affectionnait le Guide Suprême de la Révolution ! Les révisionnistes détournent aussi l’attention en disant qu’on s’en prend au régime Touré au lieu de s’en prendre à ceux qui attaquaient la Guinée. Mais si l’on s’en prend rarement aux dits agresseurs, c’est peut-être parce que ceux qui ont fait les frais de ce régime se disent que ces assaillants avaient de bonnes raisons de venir, en particulier les dissidents guinéens qui tentaient de renverser ce régime fou ! Car à ce jour, ce sont les seuls qui ont essayé concrètement de changer le cours de cette funeste histoire dont les Guinéens paient encore le prix aujourd’hui ! Il est simpliste de proclamer que si le régime s’est radicalisé, c’est à cause de cette attaque. Le souci, c’est que le régime aurait en toute logique dû déclarer la guerre au Portugal. Mais malheureusement, il s’est retourné contre le peuple 71
qu’il dit défendre et représenter. Et s’il est aujourd’hui complexe d’identifier clairement les victimes locales de l’agression, il est en revanche très facile d’identifier les très nombreuses victimes de la répression dont le nombre outrepasse largement ceux causés par l’assaut ! Les listes des pendaisons, condamnations à mort, et enfermements sont éloquentes ! Les révisionnistes discutent le bilan nécrologique du régime, qui tourne autour de 50000 morts selon Amnesty International entre autres. Mais même si on divise ce chiffre par 10, c’est toujours trop et bien supérieur au bilan des victimes de l’agression, sans tomber dans une guerre de chiffre pathétique. Ces morts et victimes-là ont des noms, des visages, sont pour certains d’entre eux connus. Le monde connaît le sort réservé à Barry III, ministre de Sékou Touré et ancien rival en tant que leader du Parti Démocratique Socialiste de Guinée (qui fusionna ensuite avec le BAG de Barry Diawandou, autre victime du régime). Ce ministre fut pendu sans procès au pont de Tombo le 25 janvier 1971, pour complicité dans l’affaire du 22 novembre 1970. On invita même les badauds à lapider son corps. Voilà les méthodes de ce régime et rien ne peut les justifier ! La terminologie utilisée pour qualifier les uns et les autres, permet aussi de voir clair dans la perception de celui qui s’exprime. Qualifier les soldats du FLNG de mercenaires, c’est nécessairement disqualifier leurs objectifs. Utiliser le mot dissident ou opposant légitime leur existence et focalise sur l’antagonisme des deux adversaires sans hiérarchiser les causes. Les mots ont un poids et disent beaucoup.
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Les révisionnistes évoquent également les carnages, les attaques sanglantes, sans jamais donner de chiffre, ni dire qui a été tué par qui et dans quel contexte. Ces méthodes permettent de donner l’impression qu’on sait, alors que rien ne vient étayer les faits avancés. On peut par exemple utiliser le nombre de victimes du débarquement global (autour de 450) sans mentionner qu’elles ont été produites dans les deux camps et que les miliciens désarmés, peu entraînés, ont fait également des victimes innocentes. Aucune liste de victimes guinéennes civiles n’existe. Certains parlent aussi de soulèvement spontané du peuple lors des attaques, ce ne sont que pure légende, même s’il a été dit qu’on a distribué des armes (et une arme qu’on ne sait pas utiliser est plus dangereuse qu’autre chose) ! Sékou Touré ayant déconstruit sa propre armée, se méfiant de tout et de tous, n’allait pas armer sa population en dehors de ce contexte particulier. Et les Guinéens de l’époque vivant dans la peur, n’allaient pas se précipiter au chevet de ce régime, ils attendaient plutôt de comprendre qui prendrait le dessus avant de se manifester dans un sens ou un autre. En outre, rien ne vient confirmer cette thèse, pas un témoignage. Ce ne sont que propagande du PDG. On utilise aussi l’argument ethnique pour discréditer l’opposition à Sékou Touré. Or si on observe l’organigramme des opposants du FLNG, il est totalement pluriethnique. Et cette vision binaire des hommes révèle plus la simplicité du raisonnement des révisionnistes et leur agenda très orienté vers une définition ethnique de la citoyenneté guinéenne. Les Guinéens n’ont toujours pas nettoyé les méfaits de ce régime qui a diabolisé une ethnie en la qualifiant de raciste, tout en 73
appliquant des principes racistes à son encontre, et cela continue jusqu’à présent. Les défenseurs de Sékou Touré se contredisent souvent en attribuant les causes de l’échec du 22 novembre 1970 au fait que le FLNG aurait sousestimé le patriotisme des Guinéens et été surpris par la réaction populaire. Ils auraient menti aux Portugais au sujet de leurs appuis internes. Ce qui porte donc à en déduire que si on pense que le FLNG prend ses rêves pour une réalité, il n’a logiquement pas d’alliés sur place. Pourquoi le régime a-t-il sacrifié tant de gens suite à l’attaque ? Avouons que l’argumentation est très chaotique ! Et en ce qui concerne les soupçons de complicité de Sékou Touré avec les Portugais, les révisionnistes expliquent que la Guinée a toujours critiqué le colonialisme et qu’à ce titre, on ne peut l’accuser d’être complice des Portugais. Seulement même si le fonds de commerce de Sékou Touré était de vitupérer contre le colonialisme, il n’a jamais dédaigné les capitaux capitalistes et impérialistes. Il est mort dans un hôpital américain plutôt que de se faire soigner dans les « grandes cliniques » de Conakry ou de Moscou… cette façade lui a permis d’asservir son peuple, de le mettre sous coupe, au même titre que l’échec du 22 novembre lui a permis de purger son pays de ceux qui le gênaient. Il faut avouer que l’événement lui aura bien profité, vu l’empressement avec lequel il s’est lancé dans la valse macabre des assassinats. J’abandonne donc la critique des arguments révisionnistes pour en venir au fait : les archives laissées par mon père. Voici une courte présentation de sa personnalité, de son parcours et enfin, sa version des faits sur le débarquement.
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QUI ETAIT LE COMMANDANT DIALLO THIERNO ?
Mon père, le commandant Thierno Ibrahima Diallo, est né le 29 décembre 1922 à Simpetin, près de Labé, en Guinée, au sein d’une famille d’éleveurs dont il était le troisième enfant, le second fils. Orphelin de père très jeune, sa mère confia son éducation à un tuteur blanc, Louis Bouquillon, qui résidait à Mamou et permit à mon père d’être scolarisé dans de bonnes conditions, contre quelques menus travaux pour lui. Il eut une enfance dure, son tuteur n’étant pas un tendre, mais il conserva toujours une affection pour celui qui fit de lui un homme indépendant et instruit. Malheureusement, comme bon nombre de ses contemporains, il fit ses premiers pas dans la vie d’adulte avec la seconde guerre mondiale. En tant que sujet français (homme de devoir et non de droit comme il aimait à dire), il fut enrôlé le 2 novembre 1942 dans les rangs des tirailleurs sénégalais, contre son gré. Il ne fit pas partie de ceux qui furent jetés sur les routes de France en 44 pour la libérer, et qui furent ensuite considérés comme indignes de recevoir la même solde que leurs congénères blancs. Parvenant néanmoins à gravir les échelons de l’armée, il décida après la guerre d’y faire carrière, plus par envie de découvrir le monde et pour les perspectives professionnelles que cela comportait, que par amour des armes. Il officia donc dans plusieurs territoires de l’Union Française (Tunisie, Maroc, France, Mali) et servit durant les guerres coloniales qui suivirent (Indochine et Algérie). Il décida de prendre sa retraite au milieu des années 60, afin de se 75
consacrer à un combat bien plus important à ses yeux : la lutte contre le régime de Sékou Touré. Il avait donné 25 ans à la France, il lui semblait évident de devoir contribuer à sortir ce pays qu’il chérissait tant du joug sous lequel il ployait. A la fin de sa vie, ma mère insista lourdement pour qu’il écrive ses mémoires. Son expérience des grands événements qui secouèrent le XXème siècle était suffisamment singulière pour être racontée. De plus, il était doté d’un incroyable talent de conteur. Il concéda au bout de dix ans, en 1988, à entamer ce long travail, bien trop tard malheureusement puisqu’il était sans le savoir, atteint d’un cancer qui devait l’emporter moins de deux ans plus tard, avant ses 68 ans. Il s’est éteint le 23 octobre 1990 à l’hôpital d’Argenteuil, en région parisienne, laissant un vide incommensurable au sein de sa famille et de sa communauté. Etant donné qu’il a eu le temps de se raconter un peu par écrit, je lui cède la place dans ces prochaines lignes. Voici ce qu’il disait en 1988 de son engagement au sein du FLNG et de certains épisodes clés de son action entre 1969 et 1971 : « Mes compatriotes guinéens faisaient pression sur moi pour que je rejoigne l’opposition au régime sanguinaire de Sékou Touré. Le mouvement était dirigé par David Soumah, ancien responsable syndicaliste chrétien de l’Afrique Occidentale Française qui était fortement soutenu par les présidents de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, personnage très influent. J’ai donc quitté l’armée française sur ma propre demande et rejoint l’opposition au régime de Sékou Touré, mouvement dénommé : Front de Libération de la Guinée. J’étais donc chargé de la direction des affaires militaires. J’avais trois officiers à ma disposition, deux capitaines et un lieutenant. Après plusieurs réunions avec les responsables 76
politiques, nous nous sommes accordés sur la répartition des tâches. David Soumah était responsable de l’ensemble des opérations, j’étais chargé de mener les opérations militaires. Il fallait donc procéder au recrutement des anciens militaires guinéens résidant au Sénégal. Malheureusement, aucun moyen n’a été mis à ma disposition afin de me permettre de mener à bien l’action (ni arme, ni argent). Le président du mouvement me déclarait à chacune de nos rencontres que les moyens seraient bientôt débloqués, que tout était prêt, ce n’était qu’une question de jours. Il se déplaçait très souvent entre Dakar, la Côte d’Ivoire, Paris, Bruxelles, Lisbonne etc... Il revenait avec beaucoup d’argent qu’il gaspillait beaucoup en frais particuliers. En ce qui me concernait, je ne voyais pas la couleur des billets, toujours le même refrain, il faut attendre ! Un jour, il est venu me trouver chez moi avec un billet d’avion Dakar-Abidjan. J’avais pour mission de me rendre auprès du président de la république de Côte d’Ivoire (Houphouët Boigny) pour percevoir le matériel nécessaire pour l’opération en cours. Effectivement, le président m’attendait chez lui vers 22 heures, accompagné du docteur Paul Bessan Benoît (en réalité Paul Dechambenoit) son ami, tout deux issus de la même promotion de l’Ecole de Médecine Africaine de Dakar. Il m’a très bien reçu, nous avons passé en revue la situation catastrophique de la Guinée. Il m’a demandé de préparer une liste énumérant le genre d’armes dont j’avais besoin pour armer les éléments partant de Côte d’Ivoire pour la Guinée. Il m’a également demandé si du côté du Sénégal, le nécessaire était fait. Je lui ai répondu que j’avais remis au président Soumah un état nominatif de mes besoins en armes avant mon départ de Dakar pour Abidjan. Je lui remets donc la fameuse liste que j’avais préparée avant de quitter Dakar. Il l’examine très longuement avant de donner son accord. Il téléphone sur le champ à son ministre de la Défense Nationale pour lui demander de me recevoir de toute urgence. Celui-ci me donne rendez-vous le lendemain à 10 77
heures. Je me présente accompagné de Paul Bessan Benoît et de Barry Yaya, secrétaire général de la section de Côte d’Ivoire chargé de prendre la livraison d’armes. Le ministre nous a promis que les armes demandées seraient embarquées pour raison de sécurité et de discrétion dans des véhicules militaires ivoiriens et convoyés jusqu’à la frontière guinéenne. Ensuite, le reste ne le concerne plus ! Avant de le quitter, je le remercie au nom du peuple de Guinée pour ce noble geste de reconnaissance de la part du gouvernement de Côte d’Ivoire. Je l’ai quitté le cœur plein de joie. Ce qui m’a beaucoup frappé chez le président Houphouët, c’est sa franchise de conversation. Je retiens surtout cette phrase, presque en pleurant il m’a dit ceci, je cite : « Je sais que les Guinéens ne me pardonneront jamais. Je suis en partie responsable de leur malheur car je leur ai imposé à leur tête Sékou Touré, au congrès de notre mouvement RDA à Bamako en 1946. Sékou a été désigné par moi-même pour s’occuper de la Guinée. C’est bien là le point de départ de votre malheur, je le reconnais ! » Le soir même, Sékou annonçait à la radio ma présence à Abidjan, disant que j’étais allé chercher des armes pour attaquer la Guinée. J’étais très surpris car effectivement, je me trouvais ici pour cette cause ! J’ai reçu tard dans la nuit un télégramme de David Soumah m’invitant à tout arrêter et à rejoindre Dakar immédiatement : il y avait eu des fuites ! 24 heures après réception de ce télégramme, je quitte Abidjan et rentre à Dakar. Je rencontre aussitôt David Soumah qui me met au courant de la situation récente, me faisant savoir que nous sommes trahis par quelqu’un de notre entourage. Après enquête, nous avons découvert le traître, il s’agissait du capitaine Amadou Dieng, mon premier adjoint qui jouait double jeu. Il était en effet le seul au courant de ma mission à Abidjan. Son second rôle consistait à rendre compte de nos réunions, ainsi que des décisions prises, à l’ambassadeur de Guinée à
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Dakar (M. Tébou Tounkara). Ce dernier les transmettait aussitôt à Sékou Touré. Voilà comment il était renseigné ! Capitaine Dieng recevait une prime régulière auprès de l’ambassadeur chaque fois qu’il rapportait le contenu de nos réunions. Il était d’ailleurs très familier avec l’ambassadeur car sa femme est parente à celle de Tounkara. C’est par ce canal que Sékou Touré était au courant de nos activités à Dakar. A la suite de la découverte de ce traître, David Soumah perd la tête, il a trop peur et me dit de tout laisser tomber, en ce qui le concerne lui, tout est fini, il ne veut plus entendre parler de ce mouvement, il décline désormais toute responsabilité. Quand il m’apprend cette triste nouvelle, je lui dis qu’il manque de courage, qu’il me trahit, il n’a pas tenu sa parole d’homme, ses promesses à mon égard car nous devions mener ensemble cette bataille jusqu’à la victoire finale. J’ai essayé de le ramener à la raison et de lui dire que rien n’était perdu. Mais impossible, il était submergé par sa frayeur. C’était bien regrettable car je pensais qu’il avait l’étoffe d’un chef d’état et qu’il pourrait diriger les affaires du pays dans d’excellentes conditions. C’est à partir de ce moment-là que j’ai décidé de poursuivre seul l’action malgré les multiples difficultés que cela comportait, manque de moyens, pas de soutien extérieur, ne connaissant aucun homme politique qui pourrait m’aider financièrement. J’ai décidé d’entrer en contact avec les Portugais, j’ai dépêché deux personnes de confiance auprès d’eux, un ancien sous-officier courageux et volontaire dans toutes les missions périlleuses : le sergent Mamadou Samba, ainsi que mon grand ami Camara Laye, auteur du livre l’Enfant Noir. Les Portugais leur ont réservé un accueil très chaleureux et promettent de nous aider, à condition que je fasse le premier pas en envoyant auprès d’eux un contingent d’entre 50 et 80 hommes prêts à la lutte, ceci par mes propres moyens ! A partir de là, ils mettront tous les moyens financiers à ma disposition pour me permettre d’effectuer le recrutement dans 79
les bonnes conditions. Je venais d’achever la construction de ma villa à Dakar 29 , il me restait encore une certaine somme disponible dont je n’avais pas besoin dans l’immédiat. Je décide à ce moment de faire venir mon bras droit Mamadou Samba et de le mettre au courant de mes intentions pour poursuivre la lutte. Je lui indique également le montant que je suis immédiatement prêt à mettre à la disposition de notre groupe à titre de prêt en attendant l’arrivée de l’aide promise : somme de 750 000 CFA. Il m’a répondu que c’était suffisant pour effectuer le recrutement. Il est aussitôt sorti de chez moi pour aller prévenir le groupe composé de sous-officiers et de caporaux-chefs. Nous nous sommes tous retrouvés chez moi dans la soirée, le brave Mamadou Samba a réparti la somme en ma présence. C’est un excellent officier courageux, sur qui on peut avoir entière confiance. Au bout de 10 jours, 120 hommes étaient embarqués vers la Guinée Bissao, un autre groupe de 80 hommes est parti une semaine après. Ensuite, un message des Portugais m’est parvenu à Dakar me demandant d’envoyer une personne de confiance pour chercher l’argent. Malheureusement, avant le retour de la personne avec l’argent, un des groupes chargés de recruter dans la région de Kolda a été signalé et arrêté par la gendarmerie de Kolda, puis dirigé sur Dakar. Après leur interrogatoire, ils m’ont dénoncé comme étant le responsable de ce recrutement dans le pays, sans l’autorisation du gouvernement sénégalais. Le ministre de l’Intérieur ordonna au commandant de la gendarmerie de procéder à mon arrestation immédiate. Ils m’ont gardé quelques jours à la gendarmerie puis transféré au commissariat central. Sékou Touré ayant été mis au courant de mon arrestation par les autorités sénégalaises, ainsi que par son ambassadeur, a demandé aussitôt mon extradition vers la Guinée. Un lundi soir, le directeur de la Sûreté Nationale est venu me trouver dans ma 29
Construction de la villa, estimée à début 69
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cellule pour me dire que mercredi, la police militaire viendrait me chercher ! Aussitôt après son départ, je me suis posé la question suivante : Police militaire ? Non, je n’ai rien à faire avec la police militaire, je suis un officier, pas un soldat. Je commençais alors à me poser pas mal de questions sur mon sort étant donné que je ne pouvais communiquer avec personne de l’extérieur, même ma femme. Elle avait pourtant effectué de multiples démarches auprès des autorités sénégalaises sans résultat, elle ne pouvait me rendre visite. La dernière possibilité qui restait à entreprendre était d’essayer de rentrer en contact avec l’ambassadeur de France à Dakar. Elle a aussitôt pris son courage à deux mains, elle s’est rendue à l’ambassade accompagnée de mon ami Camara Laye. L’ambassadeur n’était même pas au courant de mon arrestation, il s’est mis aussitôt en contact avec le Ministre de l’Intérieur en leur spécifiant que je suis un officier français résidant à Dakar sur ma demande. En conséquence, il demanda que je sois à sa disposition pour mon expulsion. Le gouvernement sénégalais ne pouvant faire autrement que d’accepter ordonna mon expulsion dans un délai de 48 heures. 24 heures après, un avion militaire venant de Paris a atterri à l’aéroport de Dakar pour me prendre et me ramener à Paris. Pendant tout le temps de ma détention au commissariat central, j’étais coupé du monde extérieur, personne n’étant autorisé à rentrer en contact avec moi. Vers 5h30 du matin, un détachement de policiers fortement armés, sous la conduite d’un commissaire de police sont venus me prendre et m’emmener sous bonne garde à l’aéroport de Dakar Yoff. 8h15, j’embarque sans savoir le lieu de ma destination. C’est finalement au cours du vol, après s’être éloigné du Sénégal, que l’officier français s’est présenté à moi pour me dire qu’il était chargé de me ramener à Paris. Mais c’est quand l’avion a atterri à Orly après dix heures de vol sans escale que j’ai compris que j’avais échappé à la perdition.
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Mon épouse a joué un rôle important dans cette affaire, c’est bien grâce à son courage et à l’aide précieuse de mon ami Camara Laye que je suis encore là. Avant de fermer ce paragraphe, je tiens à remercier le ministre des Affaires Étrangères de France de l’époque, Mr Maurice Schumann, ainsi que le brave et courageux ambassadeur de France au Sénégal. Je remercie le gouvernement français ! Après mon expulsion de Dakar en juillet 1970, ma famille est restée sur place attendant mes instructions. Quand j’ai demandé l’autorisation qu’elle me rejoigne à Paris, ma femme a aussitôt entrepris les démarches en vue du départ de la famille. Elle a eu tout le mal du monde à sortir la famille du Sénégal, malgré l’autorisation de sortie délivrée par le Ministre de l’Intérieur. Chaque fois qu’ils se présentaient à l’aéroport munis des billets d’avion et du laissez-passer délivré par l’ambassadeur de France et de l’autorisation de Ministre de l’Intérieur, on les refoulait en disant à chaque fois qu’il manquait quelque chose, sans dire exactement quoi. Après plusieurs tentatives sans succès, elle décide de se rendre auprès du Ministre de l’Intérieur et de lui expliquer son cas. Elle a été reçue, toujours accompagnée de Camara Laye. Après avoir examiné son dossier, il lui dit : « Mais Madame vous êtes en règle, rien ne s’oppose à votre départ » Ma femme lui répond : « Ils ne me laisseront pas partir ! » Le ministre téléphone à l’aéroport pour leur dire de laisser partir ma famille, mais ma femme lui a demandé en plus du coup de fil de rédiger un papier de sa main sans cela, elle ne sortirait pas du bureau « vivante ». Le ministre rédigea le mot pour le commissaire de l’aéroport. Satisfaite de ses démarches, le lendemain elle se présente de nouveau à l’aéroport avec les enfants en vue du départ. Les gendarmes examinent de nouveau son dossier et signifient encore qu’ils ne peuvent pas embarquer, il manque toujours une pièce au dossier. 82
Sachant que cette fois-ci, elle était suffisamment armée pour partir, elle dit à l’un des gendarmes d’appeler le commissaire de l’aéroport. Ce dernier arrive, ma femme ouvre son sac, sort la lettre et la lui tend. Ce dernier voyant que tout est perdu pour eux, dit aux gendarmes en wolof : « Baïko Modiara », ce qui veut dire en français : « Laissez-la partir !». Sékou Touré avait réussi à convaincre les autorités sénégalaises d’empêcher ma famille de partir. Voilà la raison pour laquelle chaque fois qu’elle se présentait à l’aéroport, c’était toujours le même refrain : « Il manque une pièce !». C’est ainsi que ma femme et mes trois enfants me rejoignirent à Paris en août 1971. » Voilà ce qu’a écrit mon père de cette période, à la fin de sa vie. Dans ce chapitre, il évoque donc la préparation de l’opération du 22 novembre 70, son expulsion du Sénégal (avant le déroulement de l’opération) et la difficile venue de ma famille en France en 1971. Ces lignes laissent donc entrevoir un objectif clair à sa présence dans le Front : il devait concrètement organiser la liquidation du régime de Sékou Touré. L’évocation de la façon dont mon père est entré en contact avec les autorités portugaises suggère également que ce lien existait déjà avec David Soumah… et cela est d’ailleurs corroboré par l’évocation des voyages de M. Soumah, qui était donc vraisemblablement en contact avec les autorités de plusieurs pays, qui devaient avoir donné leur accord de principe, par voie diplomatique, sur le fait que si une telle opération réussissait, il serait le prochain chef d’état guinéen. Visiblement lâché par l’instigateur du mouvement (David Soumah), mon père décide donc de continuer envers et contre tout. Ambition ou altruisme, un peu des deux sans doute. Cependant, le courage n’est pas absent de cette décision. Cet homme mûr qui a déjà participé à plusieurs 83
guerres, sait le risque qu’il court. En 1970, il est le jeune père du fils de 2 ans qu’il a tant attendu, et mes deux grandes sœurs n’ont que 8 et 9 ans. Il est en retraite militaire, en pleine possession de ses moyens (48 ans), pourvu d’une pension plus que confortable, il jouit d’une vie de grand bourgeois, et fréquente la fine fleur de la société dakaroise… bref la vie est très douce pour lui. Il avait donc toutes les raisons de se contenter d’une vie agréable au soleil, lui qui avait pris part aux grands conflits de ce siècle et en portait les stigmates physiques… Son sens de l’honneur, sa préoccupation du sort de sa famille en Guinée, ainsi que de ses concitoyens, son amour du pays, et également sa persuasion de pouvoir servir au mieux la Guinée, telles sont les raisons qui l’ont poussé à prendre ce risque inouï… malgré ses responsabilités familiales et ce qu’il avait à y perdre. Nous verrons dans les archives à venir que l’arrestation de mon père en 70, avant les événements, a porté un sérieux coup à l’organisation, mettant à jour d’autres traîtrises. David Soumah, a probablement jugé bon de se mettre au secret, pour ne pas mettre en péril le projet. Par ailleurs, cela a visiblement créé une méfiance entre les deux hommes (mon père et David Soumah), méfiance qui sera confirmée dans des correspondances reproduites en annexe.
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LA PRÉPARATION DU DÉBARQUEMENT DU 22 NOVEMBRE 197030
Dans le courant du mois de septembre 1970, le commandant Carvalho (comprendre Calvão, il en a déformé l’orthographe) accompagné du gouverneur de la Guinée Bissao se sont rendus à Paris pour prendre contact avec moi d’une part, et d’autre part pour essayer de me convaincre de me réconcilier avec David Soumah qui venait également d’arriver de Dakar. Le commandant Carvalho m’a fait savoir qu’en cas de refus de ma part, le gouvernement portugais ne pourrait pas venir à notre aide conformément aux accords signés entre le gouvernement sénégalais et le gouvernement portugais. David Soumah était le seul soutenu par le gouvernement sénégalais comme prochain chef d’état de la république de Guinée, ces accords avaient été approuvés par le chef d’état de la Côte d’Ivoire aussi. David Soumah restait à leurs yeux le futur chef d’état de la Guinée : « Dans l’intérêt de nos deux pays et conformément aux accords de bon voisinage entre ces trois pays, nous vous prions commandant Diallo de bien vouloir accepter de vous réconcilier avec David Soumah qui est ici dans une pièce à côté, il est prêt à venir vous présenter ses excuses et tourner la page dans l’intérêt de votre pays ! » J’ai donné mon accord de réconciliation sur le champ, en lui répondant que pour moi, ce qui compte c’est la liquidation pure et simple, sans condition, du régime sanguinaire de Sékou Touré. En ce qui me concerne, le reste n’a aucune importance à mes yeux. Mon unique objectif, c’est de libérer mon pays, même au risque de ma vie. Par la suite, le peuple de Guinée décidera de son avenir. Avant de faire venir David Soumah, le commandant a tenu à me remercier au nom de son gouvernement et en son nom 30 Cet extrait de manuscrit autobiographique est reproduit en annexe P 299 avec des documents d’authentification de l’écriture du commandant Diallo
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personnel. David rentre et fonce directement vers moi, je me lève et voilà l’accolade de réconciliation en présence des autorités portugaises. Après cette cérémonie de retrouvailles, le gouverneur de la région de Guinée Bissao nous invite à déjeuner dans un grand restaurant des Champs Élysées. Après cet excellent repas pris entre un groupe d’amis conjuguant leurs efforts pour atteindre un objectif, partagé en toute liberté, sans pression, nous nous sommes tous séparés. La délégation a pris le chemin de Lisbonne. Quant à David, il est reparti pour Dakar, tout heureux, comme s’il venait d’être nommé chef d’état avant l’opération de liquidation. Dans la première quinzaine du mois de novembre 1970, le commandant Carvalho est venu en personne me chercher pour m’emmener à Lisbonne. Je lui ai demandé si je pouvais emmener quelqu’un avec moi, il m’a répondu que bien sûr. J’ai téléphoné à Siradiou Diallo, journaliste à Jeune Afrique, pour lui dire de m’accompagner à Lisbonne. Il était le seul Guinéen qui m’ait été présenté comme président d’un groupe d’opposition au régime de Conakry. Il accepta de me suivre sans être au courant du but du voyage. Le lendemain, nous nous sommes rendus à l’hôtel George V où le commandant nous attendait. A 10 heures, nous avons pris le chemin de l’aéroport pour notre embarquement à destination de Lisbonne où un accueil particulièrement chaleureux, digne d’un chef d’état, m’a été réservé par les autorités portugaises. Nous avons donc passé une journée et une nuit à Lisbonne, le lendemain tard dans la nuit, nous avons de nouveau pris un avion, mais cette fois pour Bissao où le gouverneur m’attendait à l’aéroport. Nous avons ensuite pris place à bord d’un hélicoptère militaire, à destination d’une île 31 où étaient regroupées les troupes devant se rendre en Guinée dans le cadre de l’opération envisagée. Dès notre atterrissage sur cette île, eut lieu une réunion avec tout l’état-major de l’armée, sous la direction du général Spinola, commandant en chef de l’armée 31
Il s’agit de l’île de Soga
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portugaise. Il brossa la situation catastrophique de la Guinée et exposa la mission de chaque élément. Après avoir pris connaissance du plan d’opération, j’ai demandé au général d’accepter que l’on porte quelques modifications en ce qui concernait les objectifs à atteindre. A mes yeux, si l’on ne rectifiait pas le plan, tel qu’il était conçu nous allions à l’échec. Le général m’a répondu qu’il n’était pas question de modification d’une part, et d’autre part de retarder la date et l’heure de départ, c’est en partie en fonction des conditions atmosphériques favorables pour le débarquement que le moment avait été choisi. Il m’a ensuite posé cette question, je cite : « Vous avez peur, mon commandant, de participer à la libération de votre pays ? _ Dans ce cas, je décline toute responsabilité en ce qui concerne le déroulement de l’exécution de ce plan, nous n’avons aucune chance de réussir sans modification du plan que vous proposez ! » Après ce briefing, nous sommes passés à la revue des troupes ; Le général s’adressa à eux en ces termes : « Dans quelques instants, vous allez embarquer sur des bateaux de guerre ; d’après la météo la mer est calme. Je pense que vous connaissez votre destination alors, je vous souhaite bonne chance. Avant de passer la parole au commandant Diallo, je voudrais savoir premièrement combien avez-vous perçu comme prime avant votre départ de Dakar, et deuxièmement, dans quelles conditions avez-vous laissé vos familles ? » Je l’ai immédiatement interrompu en lui disant qu’il y avait deux groupes, celui de David Soumah et celui de Mamadou Samba, ce dernier n’a rien perçu comme aide de la part des Portugais, je l’ai signalé devant tout le monde. Effectivement Carvalho a reconnu les faits, en disant que l’affaire était en cours d’exécution. Mais par contre, le montant prévu pour les opérations a été intégralement remis à David Soumah. Ce qui 87
veut dire en gros que chaque soldat devait percevoir 100 à 150 000 CFA, et quant aux sous-officiers 350 000 chacun. D’après l’enquête effectuée sur place, il ressort que chaque soldat a perçu 15 à 20 000 CFA et les sous-officiers 75 à 100 00032. Les sommes ont été dilapidées par les hommes de David Soumah chargés du recrutement en première ligne : Diallo Madiou, Barry Moundjirou et Baldé Souleymane. En deuxième ligne venait l’adjudant-chef Barry Antoine, Adj Lélano et Adj Kourouma Koly. Voilà en gros les principaux responsables du détournement des sommes destinées aux soldats et à leurs familles. En ce qui concerne le groupe dit Mamadou Samba, ce dernier n’avait pas encore perçu le montant prévu à cet effet, le groupe a été arrêté en Gambie.
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Voir annexe P 133 (rapport de David Soumah)
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L’ARRESTATION DE MAMADOU SAMBA
Sur dénonciation, Mamadou Samba a été arrêté par la police gambienne avec 37 autres personnes qui s’apprêtaient à s’embarquer pour la Guinée Bissao. Il paraîtrait qu’il a été dénoncé par le compatriote guinéen Barry Moundjirou. Dès que Sékou Touré a appris la nouvelle de l’arrestation de ce groupe, il a immédiatement dépêché un de ses ministres : M. Kabasan. Celui-ci demande au premier ministre David Diawara de Gambie, de les remettre à la disposition du gouvernement guinéen. Celui-ci s’exécute et ils embarquent par avion à destination de Conakry... Il paraîtrait que ce chargement n’est jamais arrivé à Conakry.... (Ils ont été jetés de l’avion !). Ce sont les derniers mots écrits par mon père à Dax en novembre 1988 sur cette affaire, il n’a pas eu le temps de rédiger la suite mais il a laissé des documents rédigés par ses soins à l’époque, notamment un rapport militaire sur le déroulement de l’opération, écrit trois jours après : RAPPORT PRÉSENTÉ PAR LE COMMANDANT DIALLO THIERNO SUR L’OPÉRATION DU 22/11/70
Le voyage et le débarquement se sont déroulés dans d’excellentes conditions et sans incident aucun. Le navire dans lequel je me trouvais en compagnie de mes adjoints les plus proches, « La Montante », a accosté au niveau de la jetée du Yatch Club de Conakry près des réservoirs d’essence jouxtant le port, à 2h15 du matin le dimanche 22 novembre 1970, après avoir débarqué quelque temps auparavant le groupe chargé de prendre le camp de la garde républicaine de Camayenne (Boiro).
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Les deux colonnes constituant en tout une cinquantaine d’hommes ont touché terre au moment où des tirs d’armes automatiques se faisaient entendre du côté de la présidence de la République. Nous avons progressé rapidement en direction du camp Samory situé à environ 1 km de là, après avoir quitté le groupe chargé du contrôle de la centrale. De nombreuses personnes sans doute alertées par les détonations venant de tous côtés se trouvaient devant leurs maisons ou au bord de notre trajet. Cependant, personne n’a manifesté une velléité de résistance ou même un quelconque signe d’hostilité. Les premiers hommes en uniformes rencontrés furent deux officiers de police. Ceux-ci se laissèrent vite désarmer et nous indiquèrent le commissariat en face, tout en nous faisant remarquer que la police n’est que faiblement armée. Tous deux affirmèrent qu’eux-mêmes et tout le monde dans le pays n’avaient que sympathie pour notre cause lorsqu’on leur expliqua notre raison d’être à Conakry : à savoir aider nos compatriotes à se débarrasser du joug de Sékou Touré. Les deux agents placés en tête de notre colonne nous guidèrent jusque devant l’un des portails du camp Samory. Deux de nos hommes bien armés furent chargés de boucler cette entrée tandis que quelques hommes entraient à l’intérieur du camp. Le reste de la colonne sans perte de temps, longea le mur pour atteindre l’entrée principale du camp Samory situé du côté de la route du Niger. Là les sentinelles furent désarmées sans difficulté. Mais quelques instants après notre arrivée, deux véhicules militaires se présentaient devant la place. Nos hommes tirèrent dans leur direction. Les soldats qui s’y trouvaient sautèrent à terre pour prendre la fuite. Deux blessés restèrent sur le sol. Interrogé, l’un d’eux nous affirma que c’est le général Noumandian Keita, chef d’état-major de l’armée guinéenne qui se trouvait dans le second véhicule et qu’il avait fui avec les autres officiers. Lorsque le calme revint, nous tentâmes de nous introduire à l’intérieur du camp. C’est juste à ce moment que le courant fut coupé, plongeant toute la ville dans l’obscurité. Désormais, 90
seuls les deux véhicules abandonnés par les officiers en fuite éclairaient l’entrée du camp. Nous réunîmes alors les quelques prisonniers que nous avions fait, une douzaine environ, devant ce rayon de lumière. On s’apprêtait à avancer à l’intérieur du camp lorsque des coups de feu éclatèrent, tirés sans doute par quelques-uns de mes compagnons énervés. Ce qui déclencha une certaine panique dans nos rangs, panique suivie dans les instants d’après par une fusillade nourrie que ponctuaient les bruits assourdissants des roquettes. Deux de mes compagnons furent touchés, on ne sait trop comment. Nous les relevâmes sans perte de temps et nous nous précipitâmes dehors. A cet instant précis, arrivèrent deux véhicules militaires bourrés de soldats. Mais au premier tir, ils sautèrent à terre et disparurent à travers les rues avoisinantes. Des prisonniers rattrapés nous apprirent qu’ils venaient du camp Alpha Yaya. Ce qui nous parut bizarre étant donné qu’un de nos meilleurs groupes, celui des mortiers, devait en principe barrer complètement les deux voies d’accès vers Conakry au niveau du pont de Tombo. Cette carence eut pour effet de nous inquiéter sérieusement. Si bien qu’on tenta de joindre, mais en vain, les autres groupes par radio. Les postes émetteur-récepteur dont nous disposions s’avérèrent trop faibles. Privés ainsi de contact avec nos compagnons chargés d’autres objectifs, nous décidâmes d’achever bien vite le bouclage du camp Samory afin d’aller nous informer sur l’état de la situation, soit auprès du groupe de Tombo, soit en allant à la centrale électrique. C’est ainsi que notre effectif assez réduit était composé d’une dizaine à peine, d’autres (les commandos afro-portugais) ayant décidé de rejoindre le point de débarquement afin, disaient-ils, d’y ramener leurs camarades blessés. Toujours est-il qu’avec mon effectif ainsi réduit, nous longeâmes le camp situé sur la corniche. C’est d’ailleurs devant la première porte donnant sur la corniche qu’une sentinelle me blessera sérieusement, alors que je tentais de la désarmer. Je reste d’ailleurs persuadé que ce tir n’était pas intentionné. Si bien que le coupable vite neutralisé fut fait prisonnier, mais non exécuté. 91
Nous avons longé la corniche pendant une bonne demiheure, augmentant le nombre de nos prisonniers devant chaque entrée. Ainsi en arrivant au bout du camp, nous nous trouvions avec une trentaine de soldats et d’officiers capturés. Tous nous ont assurés pendant la conversation engagée avec eux, que nous n’avions même pas besoin de tirer, car eux sont aussi hostiles au régime que nous. Toutefois, affirmèrent-ils, le système policier est tel qu’il leur est difficile d’entreprendre quoi que ce soit. Bref, ils manifestèrent plus de sympathie que de peur durant tout le trajet qui nous conduisit du camp Samory à la centrale électrique, en passant par le « Palais du Peuple ». Nous avons également rencontré sur cette route trois groupes de miliciens armés. A chaque fois, ces garçons ont déposé leurs armes sans offrir aucune résistance. Si bien que nous n’avons même pas eu besoin de les garder prisonniers, nous contentant simplement de leur retirer leurs armes. Arrivés devant la centrale électrique, après l’échange du mot de passe, nous y avons retrouvés nos amis, eux non plus n’avaient pu rentrer en contact avec aucun autre groupe. Dans ces conditions, nous avons décidé de nous rendre au point de débarquement pour tâcher de joindre un de nos navires dans l’espoir de pouvoir y faire le point de la situation d’ensemble. De la centrale électrique jusqu’au Yatch Club, nous avons rencontré un grand nombre de citadins de Conakry. Interrogés, ils nous ont indiqués la route à suivre, sans manifester ni peur ni reproche. Mieux, certains notamment les pêcheurs habitant au bord de la mer, nous crieront même des félicitations et des encouragements. Un d’entre eux se proposera volontairement de nous accompagner jusqu’à la jetée où nous trouverons d’importants groupes de jeunes regardant du côté des navires ancrés au large, l’air plus que ravis, tout en tâchant de comprendre comment tout cela est arrivé. Ils nous expliqueront leurs malheurs : leurs pirogues ont été pour la plupart confisquées par le gouvernement, tandis que ceux d’entre eux, très rares, qui en disposent encore, ne peuvent prendre la mer
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sans autorisation... Pour tout cela, dirent-ils, ils ne souhaitent que notre victoire... Des volontaires visiblement encouragés par nos propos sur les méfaits du régime Sékou Touré, offriront spontanément de nous transporter dans leurs barques. C’est ainsi que mon groupe réparti en trois pirogues conduites par de jeunes pêcheurs, gagnera sans encombre « la Montante » ancrée à quelques deux ou trois miles de la côte. Nous atteindrons le pont du navire à 8h30. C’est là que nous apprendrons que l’opération est terminée et que tous ceux qui ont embarqué doivent rester, tandis qu’on tâche de recueillir les hommes demeurant encore sur la terre ferme. Il nous faudra également attendre quelques temps pour apprendre de nos compagnons de retour du camp de la garde républicaine de Camayenne, que de ce côté-là tout s’était bien passé, mais on y déplorait la mort du lieutenant Ferreira de l’armée portugaise. Au nom de mon mouvement et de tous les combattants du Front, je m’incline devant la mémoire de cette victime, ainsi que celle de toutes les autres tombées au cours de cette matinée mémorable. Que leurs familles, l’armée et le gouvernement du Portugal veuille bien accepter l’expression de nos condoléances les plus attristées. Je puis leur affirmer que la Guinée, ma patrie, libérée de la dictature honteuse de Sékou Touré, s’en souviendra. Ce qui s’est passé au camp de Camayenne mérite ma mention spéciale, car des comptes rendus que j’ai reçus, il ressort que les gardes républicains, réputés pourtant très coriaces, n’ont pratiquement offert aucune résistance sérieuse. Le camp a été occupé en un quart d’heure, tandis que tous les prisonniers, environ 450, qui s’y trouvaient dans des conditions aussi atroces qu’inhumaines, étaient tous libérés. Certains, le jour venu, s’en allèrent, d’autres décidèrent d’eux-mêmes de combattre la dictature. C’est pour ne pas abandonner ces derniers à leur sort que le chef du groupe, Barry, refusera de nous rejoindre lorsqu’on est venu par trois fois le chercher pour le conduire dans notre navire. Depuis, nous n’avons pas de nouvelles de lui. Mais, d’après les émissions de « la voix de la
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révolution », on sait que jusqu’à mardi soir, le camp était toujours aux mains de nos amis. En plus de cette libération des prisonniers politiques, le fait le plus notable de cette épopée du camp de Camayenne, restera sans doute aux yeux des Guinéens l’exécution par le commandant afro-portugais Marcelino, d’un important ministre de Sékou Touré. D’après la description que nous a faite ce héros, il s’agit du Général Diane Lansana, ancien Ministre de la Défense et bras droit de Sékou Touré pour tout ce qui relève des actes de répression. Je reste convaincu que tous les Guinéens, lorsqu’ils l’apprendront, se réjouiront de la liquidation d’un personnage aussi sinistre qu’impopulaire. D’une façon générale, je crois pouvoir dire que cette opération aurait pu être couronnée de succès, étant donné la sympathie rencontrée auprès de l’ensemble de la population de Conakry, aussi bien civile que militaire. En tout cas, je reviens avec l’assurance qu’en dépit des fanfaronnades de « la voix de la révolution », le régime du dictateur ne repose que sur du bluff. Car il ne dispose d’aucune sympathie, nous n’avons pas rencontré un seul citoyen décidé à mourir pour lui, ce qui est extrêmement important pour l’avenir. Cependant la réussite d’une opération telle que celle du dimanche 22 novembre 1970 exige que certaines conditions soient remplies. En particulier deux : une parfaite coordination entre les différents groupes au niveau d’un commandement central capable de renseigner, de soutenir et de guider chacun d’entre eux en fonction des nécessités. Ce qui n’était pas le cas cette fois, du moins à ma connaissance. Ensuite, pour mener à bien une entreprise destinée à tenir une capitale comme Conakry, il s’avère indispensable de disposer d’un effectif suffisant ; c’est-à-dire que pour prendre et surtout garder les points stratégiques désignés, il faudrait selon moi environ 1000 à 2000 hommes. Ce qui est bien loin du chiffre de 200 utilisé cette fois. Dans tous les cas, le régime reposant sur une seule personne à savoir Sékou Touré, si on ne parvient pas à s’en saisir, il est 94
indispensable de prendre sinon de détruire sa principale arme, son instrument préféré de gouvernement, à savoir la radio ! L’échec essuyé par le groupe chargé de prendre Radio Conakry me paraît être à cet égard d’une importance capitale dans l’insuccès de cette première opération. Nous ne devons pas nous le dissimuler. En tout cas, pour la prochaine fois, cet objectif doit être considéré comme primordial, les autres étant la saisie sinon la suppression du chef de l’état et de ses principaux ministres, car il s’avère que les camps militaires n’avaient après tout qu’une importance secondaire. Le comportement des forces armées guinéennes ont démontré que loin de constituer un élément de riposte, elles sont tout au plus une masse apathique. Dans ces conditions, il conviendra pour la prochaine fois non seulement de limiter, mais encore de personnaliser les objectifs en les concentrant sur des points stratégiques et surtout sur les principales personnalités du régime, peut-être une dizaine tout au plus, qu’il faudra à tout prix liquider s’il s’avère impossible de les prendre vivantes. En somme cette opération est loin de nous avoir découragés au contraire, nous sommes remplis d’espoir quant aux possibilités qui s’offrent au Front. D’ailleurs je suis convaincu que mes compatriotes de l’intérieur, eux-mêmes encouragés par cette action d’éclat, ne resteront pas désormais apathiques et résignés comme ils en ont donné l’impression jusqu’ici. Pour conclure, je dirais que pour notre part, nous restons entièrement disposés à repartir à l’assaut dès que les conditions le permettront de nouveau. Nous n’avons guère le choix, c’est pour nous une question de survie. Pour atteindre notre objectif, c’est-à-dire libérer notre patrie d’une dictature aussi atroce qu’inefficace et dans tous les cas impopulaire, nous mettrons tout en œuvre et sommes prêts à tous les sacrifices. Nous espérons que nos amis et en particulier le gouvernement de Lisbonne, sans se laisser arrêter par le concert de désapprobations inspiré plus par l’hypocrisie que par un quelconque sentiment de solidarité des autres gouvernements africains avec Sékou Touré, sera toujours à nos côtés et ce jusqu’à la victoire finale. En tout cas seul un effort suivi et 95
conséquent, une politique aussi ferme que persévérante, viendra à bout du dictateur. Le diable a la peau dure dit-on. Mais à la longue, rien ne résiste à qui sait persévérer. Considérons donc l’opération du 22/11/1970 comme une simple répétition, un exercice d’entraînement, et préparons-nous méticuleusement, soigneusement ; mettons toutes les chances politiques, militaires et autres de notre côté et nous réussirons. C’est la seule attitude que commande la raison ainsi que les intérêts qu’hypothèquent le maintien à la tête de l’état guinéen d’un dictateur aussi malfaisant que Sékou Touré. Bissau, le 25 novembre 1970 Signé le commandant en chef de l’armée du FLNG DIALLO THIERNO A la lecture de ce rapport, on comprend donc que mon père ne mesure pas à ce stade les conséquences désastreuses qu’aura cette opération en Guinée, ni ses conséquences diplomatiques qui interdiront la réitération d’une telle action. On peut aisément considérer qu’il s’agit d’une sorte de Baie des Cochons 33 portugaise et force est de constater qu’il avait, dans le processus, oublié de prendre en considération le positionnement colonialiste de ses alliés, tant il était concerné par le sort de la Guinée. Il ne mentionne d’ailleurs pas la libération des prisonniers portugais, comme s’il n’était pas au courant de cette partie de l’opération. Cela pose la question du niveau de son information sur l’ensemble de la mission et la priorité des objectifs. A quel point les Portugais ont-ils été clairs sur ce volet ? Il y a quelque chose de contradictoire entre le fait de vouloir libérer son peuple du joug d’un dictateur en 33
Tentative ratée du gouvernement américain de renversement du régime cubain de Fidel Castro, en avril 1961.
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s’associant à une puissance dictatoriale qui veut maintenir un peuple sous le colonialisme. Ce sont les contradictions des hommes et chacun voit midi à sa porte. D’ailleurs, mon père continuera à entretenir des liens avec quelques Portugais associés à cet événement, dans le but de trouver un terrain de collaboration concrète pour parvenir à faire chuter le régime. En revanche, son témoignage met à jour un élément précis : selon lui David Soumah n’avait pas été écarté, il s’était lui-même mis en retrait par discrétion au moment de l’expulsion de mon père. Siradiou Diallo était bel et bien présent et selon mon père, on l’a intégré en tant que journaliste et représentant d’un mouvement d’opposition... Les troupes n’ont pas rencontré la féroce opposition qu’on nous présente, en tout cas mon père n’en a pas été témoin. Ils n’ont pas commis les carnages qu’on leur attribue, du moins il n’a pas rapporté de tels faits dans un rapport strictement confidentiel destiné à la hiérarchie militaire portugaise et au FLNG et rédigé à chaud, trois jours après les faits. Ce rapport n’ayant pas vocation à être divulgué en dehors des officiels militaires portugais et des dirigeants du FLNG, il n’avait donc pas d’intérêt à l’auto-censure. On objectera que ce point de vue est partisan et que mon père a peut-être atténué son rôle dans sa description. Je déclare qu’en tant que fille, j’assume la confiance que je lui apporte. Connaissant la probité, l’honnêteté du personnage, je crois en ce qu’il a déclaré et sa parole vaut bien plus que celle de tous les autres témoins dont on rapporte les propos, et qui pour la plupart n’étaient ni au combat, ni dans l’organisation de l’opération. A chacun de se faire une opinion à partir de la 97
plausibilité de ce qui est présenté, car au fond, tant qu’on n’a pas vu de ses yeux, on ne peut que choisir de croire ou pas et d’utiliser son intelligence et son instinct pour juger si un fait est présenté de façon plausible ou pas. A posteriori, il ressort donc à mon sens que l’échec de l’opération est à mettre sur le compte de la divergence d’objectif des deux composantes du commando. Il apparaît que les Portugais ont jugé pratique d’utiliser les Guinéens pour masquer leur coup de force. Une fois leurs principaux objectifs atteints et à la constatation de l’échec d’objectifs importants (aéroport, radio, S. Touré), ils ont décidé du repli des troupes. Le matériel radio n’a pas fonctionné mais les Portugais ont quand même tenté de prévenir de l’imminence du départ les groupes avec qui ils avaient contact. En outre, si on considère les témoignages des capturés guinéens et bissau-guinéens, on découvre qu’une grande partie des troupes portugaises n’a pas été avisée clairement de l’objectif. On les a considérés comme des soldats sans conscience alors qu’on était aussi dans un contexte de guerre coloniale où ces hommes avaient la position délicate de « harkis », combattant leur propre pays. On n’a pas considéré qu’ils puissent faire un choix tel que celui de Juan Januario Lopes. Par ailleurs, le fait qu’on ait confié la capture de Sékou Touré à une équipe non politisée, un groupe majoritairement composé d’afro-portugais, sans présence d’un responsable important du FLNG ou d’un officier, prouve à quel point l’objectif n’était pas prioritaire pour les Portugais. Ces derniers étant les bailleurs de fonds, ils avaient l’avantage en termes de décision. Mon père a déclaré qu’il n’avait pas cautionné le plan tel qu’il a été présenté. On dira 98
que c’est facile de le proclamer après coup. Mais il n’a jamais renié sa participation au débarquement, et assume ce qui s’est passé tout en tirant les leçons qu’il convenait de tirer. Par ailleurs, il est encore plus simple à ceux qui n’ont rien fait pendant les 26 ans qu’ont duré cette dictature, qu’ils en aient pâti ou profité, de décréter que les choses ont été mal faites, plutôt que de tenter courageusement de mettre fin au massacre qui avait lieu à l’époque. Il semble surtout que le FLNG ait pêché par excès de confiance, il a été infiltré de façon avérée et les archives présentes dans ce livre le prouvent. Leur manque d’expérience sur le champ de la géopolitique internationale a pesé lourd et conduit à des erreurs aux conséquences graves. Mais pouvaient-ils éviter cela ? Qui pouvait se targuer d’avoir cette expérience de géopolitique à l’époque ? Les indépendances étant récentes, ces pratiques politiques (de socialisme ou capitalisme à la mode françafricaine) étaient neuves et toutes les solutions envisagées après les indépendances ont rarement donné des résultats probants. Afin de poursuivre l’analyse des événements, le chapitre suivant révèle la version portugaise des faits et notamment le témoignage exclusif du capitaine de la LDG Montante, le navire qui transporta une partie des hommes sur les lieux du débarquement. Cinquante ans après les faits, grâce à la publication de la première édition du présent livre, Luis Costa Correia a pu partager ses souvenirs précis de cette nuit historique et dramatique. Il a également fourni le rapport émis juste après l’opération, dont je vous fournis la traduction ciaprès. Ce document est suivi d’un reportage sur le sujet réalisé par une équipe de télévision portugaise, dont je reproduis la traduction. Il est consultable 99
sur internet pour ceux qui parlent portugais. Le commandant Alpoim Calvão y parle de l’organisation côté portugais, en mentionnant les gens du FLNG sans préciser les noms des responsables, c’est dire à quel point ils étaient peu importants pour les Portugais et à quel point le secret d’état pèse, on ne nomme que ceux qui donnèrent leur accord pour ça. C’est aussi pour le commandant Calvão une manière de tirer la couverture à soi et d’en faire une opération héroïque de sauvetage des prisonniers portugais sans assumer les conséquences désastreuses sur le plan de la politique interne guinéenne. Il a tiré beaucoup de gloire de cette opération sans assumer la décision de mettre les dissidents guinéens dans une position où ils ne prenaient pas part à la conception de l’opération, comme s’ils étaient des figurants alors qu’ils étaient ceux qui prenaient un risque plus grand. Place à la parole des témoins portugais :
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TEMOIGNAGE DE LUIS COSTA CORREIA, COMMANDANT DU NAVIRE LA MONTANTE 22 novembre 1970 Conversations en haute mer Il est 18 heures. Le vaisseau de guerre "Montante" poursuit son voyage de retour vers l'île de Soga, qui faisait alors partie de l'empire colonial portugais, en Guinée dont la capitale est Bissau. Cela faisait environ 16 heures que le Portugal avait déclenché une opération sur Conakry visant notamment à la déposition de Sékou Touré, son remplacement par le Colonel Thierno Diallo, la formation d'un gouvernement dirigé par Hassan Assad, avec un ministère de l'information dans lequel la personnalité dominante serait le journaliste Siradiou Diallo. Autre objectif essentiel : l'arrestation d'Amílcar Cabral et son transport vers l'ile de Soga - ainsi que la libération des prisonniers portugais détenus par le PAIGC (Parti Africain pour l'Indépendance de la Guinée et du Cap Vert), parti dirigé par Cabral, qui conduisait des opérations de guérilla contre le gouvernement portugais, basé non seulement sur le territoire sénégalais mais aussi et principalement en République de Guinée. Pour une telle opération, environ 250 hommes s'étaient embarqués sur l’ile de Soga, dans le plus grand secret, à bord de six navires de guerre portugais, parmi lesquels la Montante - qui accueillait près de 50 hommes appartenant au Front National de Libération de la Guinée (FNLG), commandés par le Colonel Thierno Diallo. 101
Parmi les objectifs principaux prévus, seule la libération des 26 prisonniers portugais avait été réalisée, tout comme la destruction des six bateaux légers de guerre guinéens et du PAIGC qui se trouvaient dans le port de Conakry. Le responsable de la force navale (le Commandant Calvão) avait décidé de se retirer sans rechercher activement Sékou Touré, car on n'avait pas trouvé à l’aéroport les avions militaires de la République de Guinée et il craignait qu'ils puissent être garés sur une autre base aérienne et réagir contre les vaisseaux. En tant que Commandant de la Montante, j’avais invité à déjeuner le Capitaine João Bakar Djaló, commandant de compagnie d’une centaine de commandos "africains", qui avaient aussi participé à l’opération, et les trois personnalités guinéennes. La conversation évolua évidemment sur l'opération, un dialogue qui s'est poursuivi en dehors de la chambre des officiers et au cours duquel on a échangé différents points de vue que chacun considérait pertinents. Le Capitaine Djaló, n’ayant pas la maîtrise de la langue française, préféra au bout d'un certain temps aller rejoindre ses officiers ; et j'ai ensuite eu l'occasion d'accompagner les échanges exprimés par les personnalités guinéennes sur la conception et l'exécution de l'opération, ils essayaient diplomatiquement de ne pas désigner ouvertement les facteurs qui ont contribué à ce que le succès souhaité n'ait été que partiel.
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Cependant, et peut-être parce qu'ils sentaient qu'ils pouvaient parler librement, je n'ai pu m'empêcher de remarquer les traits fondamentaux de leurs personnalités et leurs opinions concernant l'avenir de la République de Guinée, ainsi que la manière la plus appropriée pour les oppositions de procéder dans le futur, et les divisions internes presque toujours existantes dans des situations analogues. Cela m’a permis de déduire que le colonel Thierno Diallo était un bon officier, bien préparé, quelque peu naïf, généreux, idéaliste mais pragmatique en tant que membre de l'armée. Hassan Assad m’a semblé astucieux, intelligent, implacable mais probablement bon négociateur - impressions que je confirmerai deux ans plus tard, lors d'un dîner à Paris où il a longuement spéculé sur le déroulement de l'opération et les principaux scénarios qui auraient pu se produire, notamment si le coup d'état avait réussi. Et quant à Siradiou Diallo, il m’est apparu comme déterminé, calculateur et ambitieux. Quelques décennies plus tard, il présenterait sa candidature à la présidence de la République de Guinée. Ensuite avant le dîner, j’ai aussi eu un très intéressant échange de points de vue avec le Lieutenant Zakarias Sayegh (Comando "africain"), qui m'avait interpelé la veille pour m’exposer quelques doutes techniques au sujet de l’exécution du débarquement, et dont la personnalité m’avait fort impressionné. Après le dîner j'ai compris que le colonel Diallo avait envie de discuter un peu plus avec moi, ce que j'ai accepté en lui permettant de monter au pont, ou avec délicatesse et diplomatie, le Colonel a déploré l'échec de l'opération en ce qui concernait la 103
déposition de Sékou Touré - objectif principal, selon lui - et qui n'avait pas été atteint car ses propos n'avaient pas été entendus lors de la présentation du plan d'opérations, observations qu'il aurait faite au Général Spínola (Gouverneur de la Guinée) luimême, mais qui n'auraient pas été acceptées car d’après le Général, tout était déjà préparé et l'opération ne pouvait pas être reportée. Ces observations étaient, d'une part, le manque de combattants, d'autre part, les carences dans les communications avec des conséquences évidentes dans le manque de coordination centrale ; et troisièmement, mais avec la même importance que les précédentes, le fait que son groupe n'était pas censé faire partie de l'assaut sur Sékou Touré, alors qu’il était logique que les opposants de la République de Guinée participent à sa neutralisation et pas seulement des éléments de Guinée-Bissau et du Portugal. Il a également déclaré que le temps de formation de son personnel avait été trop court, soulignant aussi que Radio Conakry aurait dû être l'un des objectifs à faire taire en premier lieu (plutôt que de la détruire, car après la neutralisation d'Ahmed Sékou Touré il aurait été important qu'il y ait immédiatement la proclamation d'un nouveau régime avec indication de son nouveau responsable). Il avait senti qu'après la conversation avec le Général Spínola, les objectifs portugais étaient essentiellement la libération des prisonniers et un affaiblissement profond du PAIGC, le coup d'état étant seulement souhaitable mais pas fondamental.
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Quelques années plus tard, on a su que le Général avait accusé le Commandant Calvão de ne pas avoir compris que l’objectif principal était le coup d’état. Et bien qu'il l’ait dit poliment, il en était venu à croire que le fait que Montante n'était pas près de la jetée à leur retour prouvait sa perception, puisqu'ils avaient été forcés, pour revenir au vaisseau, de rentrer dans des pirogues de pêcheurs qui avaient accédé à sa demande. Ses commentaires ont donné lieu à un dialogue très intéressant dans lequel j'ai commencé par expliquer que mon vaisseau ne pouvait pas être proche de la terre car la marée descendait déjà, et il n’aurait pas été prudent d'être près de la ville car il aurait pu y avoir une réaction de l'artillerie guinéenne - comme en fait cela s'était déjà produit avec le Colonel à bord - et sans préjudice du fait que nous avions aussi envoyé des bateaux hors-bord à terre pour trouver d'autres combattants qui étaient en retard (tels que Marcelino da Mata). Le Colonel Diallo s'est alors tout de suite excusé d'avoir pensé que lui et ses combattants pouvaient être abandonnés à leur sort, affirmant que ma décision avait donc été la meilleure possible, et ajouta qu'à son avis la faute de la situation était principalement le système défectueux de communication. Notre échange s’est ensuite concentré sur ce qui aurait pu se passer si Ahmed Sékou Touré avait été capturé ou tué. Le Colonel ne se cachait pas que même s'il y avait eu une proclamation à la radio qui disait que la présidence de la République lui revenait et la présidence du gouvernement à Assad, il doutait de l’obtention d’un soutien immédiat des 105
forces armées, notamment parce que le personnel guinéen qui avait débarqué avec lui n’était pas nombreux et ni suffisamment préparé pour faire face à des situations complexes qui nécessiteraient par exemple la recherche et arrestation de ministres et de généraux. Selon le Colonel Diallo tout dépendrait du comportement de la population et de toutes les grandes manifestations populaires qu’il était sûr d’obtenir, lui permettant de faire son devoir de lutter pour le bien de son pays, et de ses citoyens. Il espérait qu’en apprenant la disparition politique de Sékou Touré, le peuple aurait un nouvel enthousiasme et l'aiderait à reconstruire le pays, lui pardonnant le fait qu'il s'était allié aux Portugais si les citoyens se rendaient compte que lui et son gouvernement exerçaient un pouvoir équilibré et en transition - puisqu'ils organiseraient des élections libres à court terme. Quelques heures de navigation nous attendaient. On s'est dit au revoir avec la classique salutation militaire en souhaitant bonne chance à nos deux pays. Je n'avais plus jamais entendu parler du colonel Thierno Diallo jusqu'à ce que j'apprenne que sa fille, Bilguissa Diallo, avait publié un livre sur l'opération Mar Verde, que je me suis dépêché d'acheter et que je considère comme un excellent ouvrage de référence sur un épisode exceptionnel de l’histoire. Le livre m’a permis de savoir que le distingué Colonel Thierno Diallo était malheureusement décédé.
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Par l'intermédiaire de José Matos, illustre chercheur et auteur de l'un des meilleurs ouvrages historiques au sujet de l'Opération Mar Verde (publiée dans la prestigieuse Revista Militar, Lisbonne), j'ai pris contact par curiosité avec Bilguissa Diallo, et j’ai eu l'opportunité de connaître cette personne qui n'a pas hésité à se lancer dans la publication d'un livre en mémoire de son père et de son patriotisme, publication qui n’est sûrement pas évidente au vu de l’environnement politique délicat. A l’issue de notre échange de points de vue j'ai pensé qu'il pourrait être intéressant d'apporter publiquement quelques souvenirs à propos de ce que j'ai connu de la courageuse personnalité du Colonel Diallo et des opinions qu'il m'a manifesté au sujet de cette opération - n'oubliant pas que j'ai loyalement exprimé à l’organisateur de l’opération, le Commandant Calvão, au début de la réunion des commandants des six navires participants, mon désaccord avec la part de l’opération en ce qui concernait le «coup d’État» - malgré le sinistre profil du dictateur Touré. Peut-être un jour complémentaires.
j'en
écrirai
quelques
Texte de Luis Costa Correia, 18 août 2020
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mots
Traduction du rapport de M. L.C.Correia sur l’Opération Missions attribuées : détaillées dans les lignes suivantes a) Transport des groupes composés d’éléments de la République de Guinée, du personnel des groupes commandos désignés comme INDIA, MIKE et OSCAR jusqu’au port de Conakry b) Débarquement du groupe OSCAR près du pont ou le plus près possible de la gendarmerie (objectif 27) le 22/11/70 vers 1h30 c) Débarquement des groupes MIKE et INDIA près de la jetée du Yatch Club le 22/11/70 vers 1h30 d) Servir de relai de communication entre ces différents groupes et le commandant des opérations e) Eventuel rembarquement de ces différents groupes f) Collaboration avec les 5 autres navires et liaison permanente avec le commandant des opérations embarqué dans l’ORION 2) Moyens à disposition : 4 bateaux SINTEX avec des moteurs 50 CV pour le débarquement du groupe OSCAR 3 équipements THC destinés à la communication entre les groupes et les navires, cartes hydrographiques et documentations relatives aux objectifs 3) MANIERE DONT S’EST ACCOMPLIE LA MISSION a) Formation précédent la mission Les 3 groupes cités (MIKE, INDIA, OSCAR) ont été embarqués dans leur forme définitive autour des 23h le 20 novembre 1970. Entre temps, les 18 et 19, ils ont effectué des entraînements au large de l’Ile de Soga – avec une garnison de novices, dans le but de perfectionner le dispositif petits bateaux en fonction du débarquement. Le 21 novembre 1970, déjà en transfert, ils ont procédé à une réunion générale avec les chefs des groupes qui débarqueraient pour évaluer les détails du débarquement et effectuer une répétition générale de toute l’opération avec des simulations de communication. 108
b) Débarquement Autour d’1h35 le 22 novembre 1970, le groupe OSCAR a débarqué dans les bateaux conduits par le personnel de bord à proximité du ponton près de la gendarmerie. A 1h40, conformément aux instructions, le navire a atteint la jetée du yatch club et le groupe INDIA a débarqué (avec pour objectif la Centrale Electrique) et le groupe MIKE (avec pour objectif le camp Samory). Avec ces groupes ont également débarqué les personnalités guinéennes qui étaient à bord : le colonel Thierno Diallo, le commandant Assad et le conseiller Siradiou Diallo. La communication entre ces groupes étaient à ce moment-là bonnes. Le navire a jeté l’ancre, récupéré les bateaux et a attendu à 1 mile de distance le cours des événements. c) Déroulement de l’opération A partir de 2h, les communications ont été coupées avec les groupes débarqués, ce fut communiqué autour de 3h au commandant des opérations. Vers 4h le groupe MIKE est revenu près de la base pour informer qu’ils avaient accompli leur mission et qu’ils avaient 3 victimes. Vers 4h30 le groupe MIKE a demandé s’ils devaient réembarquer. Nous avons retransmis cette demande au commandant des opérations qui a répondu par l’affirmative à 4h45. d) Réembarquement Les réembarquement ont été faits par bateaux. Ils furent au complet autour de 6h pour les 2 groupes MIKE et INDIA. Le groupe OSCAR a ramené le corps de leur commandant mort vers 9h. 2 bateaux d’autres navires ont collaboré au rembarquement. Nous n’avons pas réembarqué les individus originaires de la République de Guinée à l’exception des 3 personnalités citées plus tôt. Durant le rembarquement, le bateau a stationné à 1000 yards de distance approximative, ayant été atteint sans dommages, par des tirs d’armes lourdes et ayant effectué en retour, après 109
autorisation, des tirs d’intimidation destinés à tomber à l’eau près de la rive, pour qu’ils cessent les tirs. 4. RESULTATS OBTENUS Deux objectifs décrits au paragraphe 1 de ce rapport ne furent pas atteints intégralement. - En ce qui concerne les objectifs d, à savoir : agir en tant que relai de communication entre les 3 groupes et le commandant des opérations, la manutention de ces communications. Les raisons vérifiées ultérieurement sont les suivantes : 1) L’appareil de communication attribué au groupe OSCAR a été endommagé lorsque le commandant de ce groupe (Alferes Ferreira) a été tué. 2) A partir de 4h30 les communications avec le groupe MIKE ont été déficientes à cause d’un changement de référent (parce que le commandant du groupe Alferes Sisseco a été blessé à la bouche). Le nouveau contact ne comprenant pas bien le portugais, n’a pas tenu compte des demandes de changement de référent de communication. On aurait donc pu accomplir plus rapidement l’objectif e, à savoir le réembarquement, s’il n’y avait pas eu les déficiences de communication précitées, lesquelles provoquèrent une déficience d’identification de point de rembarquement exact qu’ont rencontré les groupes, autant que les données indiquant qu’ils étaient au complet et prêts à réembarquer. 5. Difficultés rencontrées Juste les problèmes de communication cités 6. Propositions et suggestions Rien à signaler Bissau 29 novembre 1970 Le commandant du navire NRP MONTANTE Luis Manuel Dias da Costa Correia 110
TRADUCTION DU DOCUMENTAIRE OPERACAO MAR VERDE34
Présentateur Les Portugais qui ont fait la guerre coloniale portent en eux le stigmate de l’infamie. Et cela, bien plus que les troupes d’Hitler, envers lesquelles le monde sépare l’attitude de l’armée régulière, des atrocités commises par la Gestapo et les SS. Or pendant la guerre coloniale, et cela indépendamment de l’esprit politique ou idéologique de cette guerre dont nous ne faisons pas ici l’analyse, le soldat portugais a seulement fait ce qu’il devait accomplir. Et une des fois où il l’a le mieux accompli, c’est lorsqu’il a envahi la capitale de la Guinée, Conakry, le 22 novembre 1970. 26 ans plus tard, je vous invite à faire avec moi le parcours secret depuis Sofia en Bulgarie, en Guinée Bissau, en passant par Lisbonne, et qui a conduit à Conakry et à la première opération des commandos, « L’opération mer verte ». Un reportage d’Enrique Vasconcelos. Voix off Les entraînements durent depuis sept mois. Ce sont les préparatifs d’une grande opération militaire, mais à peine trois hommes en connaissent tous les secrets. Le Président du Conseil des Ministres, le Gouverneur et Commandant en Chef des Forces Armées, et le Commandant du Centre des Opérations Spéciales. Pour la première fois, des troupes portugaises vont passer la frontière et envahir un pays ayant accédé à l’indépendance. Un acte de guerre, ou une aventure en Afrique ? 26 ans après, les avis continuent à être partagés. Janvier 1963, à Tite, le PAIGC, le Parti pour l’Indépendance de la Guinée, au Cap Vert, a donné l’assaut sur la caserne, et a initié la guerre en Guinée. C’est le deuxième front de bataille de l’Outremer portugais. La supériorité militaire portugaise se 34
https://www.youtube.com/watch?v=sBJ8LNFc4QA
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détériore lentement, permettant au PAIGC dirigé par Cabral, de s’approprier des places significatives. Cinq ans plus tard, la situation est dramatique pour le Portugal. Salazar fait appeler son Général le plus charismatique et le charge de résoudre le problème de la Guinée. Le Brigadier Spinola arrive à Bissau et relève le moral des troupes, avec une équipe d’officiers qui le suivent fidèlement. Spinola a poursuivi son activité officielle. Mais le Brigadier avait aussi des moyens moins consensuels, plus « armée » pour résoudre les problèmes de la guerre. Ce sont des « coups de main » réalisés par son Centre d’Opérations Spéciales. L’un d’entre eux entre dans l’histoire comme étant le plus secret, et ayant le plus soulevé de problèmes politiques au sein de la diplomatie de la dictature. C’est en 1970 en République de Guinée Conakry. Nom de code « Opération mer verte ». Le premier pas a été fait un an avant, le 3 juin 1969. Un document secret du Commandant Chef des Forces Armées de Guinée a prévu pour la première fois la réalisation d’actions spéciales hors des frontières. En tête des préoccupations, les nouvelles armes d’attaque fournies par l’Union Soviétique au PAIGC. ITW Calvão – Commandant du Centre des Opérations Spéciales Dans mon esprit, en tant que Chef des Opérations Spéciales, j’ai soulevé une série de possibilités d’actions que je n’avais pas auparavant. Et j’ai toujours maintenu comme objectif principal les moyens maritimes qui étaient attribués au PAIGC et à la République de Guinée, parce que de par leur qualité, nous pourrions enrayer les problèmes dans le Sud. Et il y avait la question des prisonniers, essentiellement le premier prisonnier qui était déjà à l’époque le mythique Antonio Lobato.
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ITW Antonio Lobato – Ex prisonnier de guerre J’ai été touché, mais sans gravité. Et en toute logique, je me suis dirigé vers la base, avertissant « As » que nous allions nous retirer de l’objectif. Par précaution, je lui ai dit de s’approcher sous l’avion pour voir s’il n’y avait pas de problèmes sur le train d’atterrissage, sachant que nous allions atterrir dans une vingtaine de minutes. As était un jeune garçon, diplômé depuis trois ou quatre mois, et envoyé en Guinée. Il est mort sur le coup. Moi j’ai réussi à me poser en atterrissage d’urgence. Puis les « occupants » m’ont attrapé, et m’ont donné des coups de catana (= machette locale) sur la tête et dans le dos. Et puis sont apparus deux hommes, qui ont été ma chance, sinon j’aurais fini lynché. Voix off Les soldats portugais faits prisonniers sont emmenés en République de Guinée, où le PAIGC est protégé par le Président Sékou Touré. La République de Guinée est en outre le sanctuaire principal du PAIGC et la base à partir de laquelle se sont envolés les volontaires cubains envoyés par Fidel Castro et Che Guevara. La même chose se passe au Nord, au Sénégal. Le Président Léopold Sedar Senghor appuie quelques actions du PAIGC, mais de manière discrète. Alpoim Calvão propose alors à Spinola une action militaire à Conakry. L’idée vient du Commandant Chef des Forces Armées de Guinée qui l’autorise à commencer immédiatement les préparatifs. Alpoim Calvão se fait connaître sous le nom de code secret TG2, et part en mission de reconnaissance. ITW Alpoim Calvão J’ai mené une opération de reconnaissance à Conakry en septembre 1969. J’ai vu une guerre dont on a modifié légèrement l’aspect, et on a hissé un drapeau du PAIGC. Nous avons fait une navigation d’approche, nous sommes entrés par le Sud, nous sommes entrés dans le port, nous avons comparé 113
les cartes à notre disposition avec les nouveaux pontons qui auraient été faits, et nous sommes ressortis. Ceci a été fait de nuit, entre minuit et 4 heures du matin, et on ne nous a pas détectés. Voix off Lorsque Alpoim Calvão arrive à Bissau, il est informé des nouveaux objectifs de la mission. Pour la première fois, on parle d’un coup d’Etat. ITW Alpoim Calvão J’ai eu connaissance à ce moment-là qu’il y avait un groupe qui constituait le Front National de Libération de la Guinée, qui était déjà en contact avec le gouvernement portugais depuis déjà un certain temps, et qui demandait un appui pour faire un coup d’Etat, ou une action militaire contre Sékou Touré. Et donc, en conjuguant les deux choses, nous poursuivions notre opération, et allions faire une tentative de coup d’Etat en utilisant les hommes du Front de Libération Nationale de la Guinée. Voix off C’est sur ces données que se base Alpoim Calvão lorsqu’il prépare ses ordres pour l’Opération Mer Verte. Quatre pages de format A4 écrites à la main à bord du navire de guerre Orion. Sur ces brouillons se trouvent les objectifs de l’opération. En premier lieu, détruire le quartier général du PAIGC à Conakry, puis libérer les 26 militaires portugais, et organiser le débarquement du Front National de Libération. Alpoim Calvão sélectionne aussi les 6 navires de la flotte portugaise qui vont participer à la mission. Il définit la force de débarquement qui sera constituée de 21 fusiliers africains, des compagnies de commandos africains, des membres du FLN, des officiers et des sergents préparés spécialement pour cette mission. En tout, ils sont à peu près 400 hommes. C’est la base du document qui a été remis quelques jours plus tard à Marcelo Caetano à Lisbonne.
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ITW Alpoim Calvão A ce moment, j’ai présenté le plan au Président Marcelo Caetano, qui l’a approuvé, sans aucun doute. Il a juste demandé que nous ne laissions pas de trace, et nous a souhaité bonne chance. J’ai juste tenu à lui dire « Monsieur le Président, je ne sais pas ce que va donner le coup d’Etat pour lequel nous allons juste donner notre aide. Et ce qu’il s’en suivra est un problème dont nous ignorons tout. Nous y allons surtout pour libérer nos prisonniers. » Il m’a répondu « Ca en vaut la peine ». Voix off C’est le feu vert pour l’Opération Conakry. Le centre des opérations est installé sur l’île de Soga. C’est vers ce lieu que Alpoim Calvão dirige les deux centaines d’hommes venus des filières du FLNG et leur donne une instruction militaire identique à celle des commandos africains. L’île devient alors le lieu le plus secret de Guinée. Une seule directive « Celui qui entre sur l’île n’en ressortira qu’après l’opération ». ITW Alpoim Calvão Je venais en Europe et je contactais les membres du FLNG, et on se donnait des dates et des points de rendez-vous pour ramener les hommes. Soit en territoire du Sénégal, ou même en territoire de Sierra Leone, où je suis allé une fois chercher des hommes. (Il regarde une photo) Je reconnais l’uniforme, je reconnais le militaire, je connais son nom, il s’appelait Mamadou Boiro et était sergent-chef dans l’armée française, et avait été en Indochine et en Algérie. Ça c’est exactement la tenue que nous avions fait fabriquer dans les usines d’uniformes. Et comme on peut le voir, il n’y a aucune similitude avec l’uniforme de l’armée guinéenne, ni avec notre armée. L’idée était que ce soit totalement différent pour qu’on ne puisse pas nous confondre, à terre.
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Voix off Alpoim Calvão a besoin d’armes différentes de celles de l’armée portugaise, et de préférence celles utilisées par le PAIGC et par les troupes de République de Guinée, à savoir, des armes soviétiques. Ces armes avaient un avantage logistique. Une fois à terre, les envahisseurs pouvaient utiliser les munitions qui avaient été cachées au préalable dans divers endroits prévus à Conakry. L’achat des armes a été remis à une société proche du ministère de la Défense. Toutes les négociations ont été faites dans les bureaux à Lisbonne. Georges (Starkmann) est un Français habitué aux négociations difficiles, et qui s’est impliqué dans les armes de fabrication soviétique. Comme beaucoup d’autres fois, Georges est allé les acheter à Sofia en Bulgarie, et plus précisément à l’Entreprise KINTEX, spécialisée dans le commerce d’armes soviétiques. KINTEX lui dit avoir les armes disponibles immédiatement. ITW José Joao Zoio – Sté Norte Importadora Je connais Georges depuis mon enfance. C’est une personne qui avait déjà travaillé avec mon père sur diverses opérations. Je ne sais plus lesquelles, mais je sais qu’ils ont travaillé ensemble, qu’ils étaient amis. C’était un homme qui venait régulièrement au Portugal. Voix off Les armes acquises ont été payées avec un chèque émis par le Major Carlos Azeredo, alors sous les ordres de l’homme fort de la PIDE, Barbieri Cardoso. 250 armes automatiques AK47, 12 SPG7, 2 mortiers de 82mm. Coût total 2 450 000 Escudos. Les armes sont envoyées par voie aérienne de Bulgarie à Lisbonne. Puis de Lisbonne par bateau vers l’île de Soga. Alpoim Calvão dispose à présent de tout ce dont il a besoin pour entrer dans Conakry. Il lui manque juste la carte verte qui lui donnerait les pleins pouvoirs pour commander l’opération. Elle arrive le 19 novembre 1970. Dans 116
ce document, Spinola fait savoir que les ordres d’Alpoim Calvão sur l’opération à Conakry doivent être exécutés. Pendant ce temps, en Guinée Bissau, les fusiliers s’entraînent pour la dernière fois au débarquement, une des phases les plus importantes de l’Opération Mer Verte. Sur la terre ferme, Alpoim Calvão fait savoir que le débarquement aura lieu dans les prochains jours. Les services secrets n’ont pas réussi à faire mieux que cette carte, et c’est dessus que Alpoim Calvão inscrit au crayon les 56 objectifs possibles, mais seulement 26 sont retenus pour la mission. Parmi lesquels le port, la Radio Nationale, l’aéroport avec le hangar où sont supposés se trouver les MiGs de Sékou Touré, le quartier du PAIGC, et la prison dans laquelle sont enfermés les soldats portugais. Le dernier ordre donné aux hommes concernait Sékou Touré et Amilcar Cabral. ITW Alpoim Calvão J’ai demandé directement au Commandant en Chef « S’il y a Amilcar Cabral, qu’est-ce-qui se passe ? ». Et l’ordre donné à l’époque fut de procéder à l’arrestation d’Amilcar Cabral. Même chose pour Sékou Touré. J’ai donné des instructions claires : appréhender Sékou Touré, et si ce n’est pas possible, éliminer Sékou Touré. Voix off La nuit du 22 novembre 1970 est une nuit de pleine lune, les conditions sont idéales pour une opération commando. Les hommes ici présents sont tous membres du Front National de Libération de la Guinée. Ils se sont battus contre les milices du dictateur marxiste Sékou Touré. En plus des membres de l’opération, le Gouvernement provisoire prend place à bord des navires portugais.
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Voix off Le 20 novembre 1970 les navires de l’armée portugaise reçoivent l’ordre de lever l’ancre. Deux bateaux de débarquement, et quatre bateaux voguent en direction de la capitale de la République de Guinée. La navigation est de type « formation large » pour démontrer la puissance de la Force Navale. 30 heures de navigation plus tard, vers 21 heures le 21 novembre, les phares de Conakry sont en vue. Alpoim envoie immédiatement un telex à Spinola : « Conakry en vue ». ITW Alpoim Calvão Chaque navire – ce qui démontre les hautes qualités de ses commandants – est arrivé exactement à l’heure prévue sur tous les points. Et au moment défini, j’ai donné l’ordre de débarquement et d’attaque. Voix off Ce seront les dernières heures de captivité pour Antonio Lobato. ITW Antonio Lobato Il devait être 2 ou 3 heures du matin. Je dormais. Et j’ai commencé à entendre au loin des bruits d’avions. Tantôt ils s’approchaient, tantôt ils s’éloignaient, s’arrêtaient, s’approchaient, s’éloignaient… Voix off L’actuel Major (Antonio Lobato) a été le plus ancien prisonnier du PAIGC. ITW Diao Kanté, ex-ambassadeur Aux environs de 1 heure du matin, la ville a été prise d’assaut par des tirs de canon, et nous ne savions pas ce qui était en train de se passer. 118
ITW Kerfalla Bangoura, Deputé de l’Assemblée Nationale Guinéenne Quelques temps après, la lumière a été coupée, et j’ai commencé à entendre quelques coups de fusil. ITW Alpoim Calvão Un des groupes qui a débarqué a été couper la lumière de la centrale électrique. Et au moment déterminé, je ne peux pas préciser à quelle heure, le groupe qui avait pour objectif les prisonniers du PAIGC, est passé à l’action. ITW Antonio Lobato Les tirs avaient lieu à proximité des murs de la prison, et de ce fait, je me suis dit que ça venait vers nous. ITW Victor Capitulo, ex-prisonnier de guerre Nous nous sommes tous réveillés, en panique, nous demandant ce que cela pouvait bien être. Un coup d’Etat ? Quelqu’un qui venait nous tuer ? Nous libérer ? Que se passaitil ? Parce que les armes utilisées étaient les mêmes. Jusqu’à ce que les explosions tombent sur la prison. ITW Antonio Lobato Et soudain, je ne sais pas si c’était un bazooka ou autre chose qui a fait un trou là où il y avait une fenêtre condamnée, dans ma cellule. Et là j’ai entendu une voix crier – il devait être aux environs de 3h30 du matin – une voix crier « Lobato ! ». Il y a des choses qui ne s’expliquent pas, des choses que l’on ressent d’instinct, et j’ai été totalement convaincu à cet instant que ces hommes étaient des nôtres. Je suis passé par le trou et je suis allé les retrouver. ITW Victor Capitulo Et alors j’entends des voix portugaises
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ITW Antonio Lobato Ils m’ont demandé où étaient les autres. Il y avait encore 26 soldats emprisonnés, mais de l’autre côté du bâtiment. Alors nous nous y sommes rendus. ITW Victor Capitulo Ça criait dans tous les sens. Et à un moment j’ai dit « Nous sommes enfermés ici ». Alors ils nous ont demandé d’enfoncer les portes de l’intérieur, pendant qu’ils feraient de même de l’extérieur. Et c’est ce qu’on a fait. Je suis le deuxième à sortir, je cours, et en traversant une grande pièce, je vois un homme, vêtu comme un africain, comme celui qui avait été mon gardien pendant 3 ans, qui me fait signe de sortir. Et du coup j’ai hésité, en me disant que c’était peut-être un piège. Et c’est là qu’il me dit « Du calme, je suis Portugais, je suis blanc. J’ai juste une perruque, je suis maquillé en noir, j’ai un uniforme et une arme comme ton gardien. Allons-nous-en d’ici, tu as un avion qui t’attend à Bissau pour t’emmener vers Lisbonne ». ITW Antonio Lobato Ils nous ont fait sortir, on s’est tous rassemblé, et nous sommes partis. On a marché environ pendant une heure. ITW Victor Capitulo Et on est arrivé sur la plage, où il y avait plusieurs Zodiac. Les prisonniers ont été les premiers à embarquer. Dès que je suis monté dans le bateau, je me suis accroché à la corde de la proue, et je n’arrivais pas à y croire. Je me disais : « Ce n’est pas possible ! ». Voix off C’est alors qu’intervient une désertion au sein des troupes portugaises. Un officier de Spinola déserte avec 20 de ses hommes. La nouvelle arrive par radio.
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ITW Alpoim Calvão A un moment, je reçois un message crypté qui me disait clairement : « Ce fils de pute a déserté avec 20 de mes hommes ». Effectivement, Januario avait disparu avec la moitié du groupe. Ils avaient déserté. Au début j’ai cru qu’il s’était peutêtre perdu, mais plus tard j’ai eu connaissance de ses intentions de déserter. Il en avait parlé autour de lui. Et il l’a fait. Voix off La désertion a eu lieu durant l’attaque, à l’aéroport. ITW Alpoim Calvão Gaetao Morais est parti vers l’aéroport avec 20 de ses hommes, a cherché dans tous les hangars, sur toutes les pistes, mais il n’y avait que des avions de compagnies aériennes civiles. Et à ce moment, je me suis vu dans la situation de quelqu’un qui n’avait plus de position dominante dans les airs. Je n’avais pas de couverture aérienne suffisante. A partir de là, je ne devais penser qu’à une chose, revoir l’organisation de mes forces le plus vite possible. Voix off Un autre objectif raté, c’est la prise de la radio nationale, qui commence ses transmissions dès l’aube. Enregistrement d’époque de la radio guinéenne Des bateaux étrangers sont dans nos eaux territoriales. Des centaines et des centaines de mercenaires européens de diverses nationalités occupent Conakry. ITW Bah Mamadou Ba – Ministre des Finances en 1970 Le matin, lorsque les autorités ont recommencé à contrôler la situation. A Conakry 2 – comme on les appelait à l’époque – 121
on distribuait des armes aux civils. Ils ont amené des caisses d’armes depuis les casernes, et ont commencé à les distribuer. Je me souviens de ça. J’ai vu qu’ils donnaient des armes n’importe comment, à qui en voulait. ITW Victor Capitulo Et puis les troupes de Sekou Touré ont commencé à attaquer depuis la terre. Et moi je disais aux autres que je m’en foutais, que si je devais mourir, je mourrais ici avec mes collègues, que ce n’était pas un problème. Parce que j’étais psychologiquement affecté. Et mes collègues ont dit qu’on ne pouvait pas mourir là, parmi les nôtres. Au vu de tout ce par quoi nous étions passés en prison, n’est-ce-pas… Et alors on a parcouru 2 ou 3 miles dans l’obscurité, et puis on a vu des bateaux de guerre, sans aucune immatriculation, juste des bateaux gris. Je me suis demandé si tout cela était bien réel. J’avais vraiment l’impression que ce n’était pas vrai. Après ces trois années, pour moi, tout ça n’était pas vrai. Je n’arrivais pas à y croire. Voix off Les 26 militaires portugais sont à bord des navires de guerre. Reste à attendre l’ordre de se retirer d’Alpoim Calvão. ITW Alpoim Calvão A ce moment-là, j’ai décidé de retirer mes forces. On a demandé aux hommes ce qu’ils voulaient faire. Continuer, ou réembarquer. Certains ont réembarqué. Et d’autres ont continué, dans l’attente d’un soulèvement potentiel à terre. Voix off Mais à terre, il n’y a aucun soulèvement. Voix off Les insurgés guinéens restés à terre sont capturés, torturés, et fusillés ainsi que d’autres adversaires politiques de Sékou Touré. 122
ITW Kerfalla Bangoura Les Portugais avaient un objectif, je dirais même légitime, c’était de récupérer leurs enfants. Donc je n’en veux pas aux Portugais pour ça. Ce que je désapprouve, c’est le fait que le Parti d’Etat de Sékou Touré se soit servi de la situation pour liquider les Pères Fondateurs de la Guinée. Voix off Januario s’exprime sur la radio nationale et dit qu’il appuie le PAIGC et prétend vouloir rejoindre les forces guinéennes. Il est condamné à mort avec les 20 hommes qui l’ont suivi lors de sa désertion. Quand ils reviennent à Bissau, tous les militaires portugais sont obligés de signer un document, dans lequel ils s’engagent à ne jamais parler de cette opération. Ils doivent couper tout lien avec la journée du 22 novembre 1970. La même chose se produit avec les prisonniers qui arrivent à Lisbonne. Ils sont emmenés au Fort de Carcavelos, et éloignés de leurs familles, le temps nécessaire au régime pour sauver les apparences. ITW Antonio Lobato Nous sommes entrés dans l’aéroport de Lisbonne dans un autocar militaire qui a fait d’immenses détours. Je ne sais pas si c’était pour semer d’éventuels poursuiveurs, ou pas. Mais ça a pris environ 1h30 ou plus pour arriver au Fort. A notre arrivée, nous sommes entrés par cette porte, et à gauche, il y a une salle avec des lits superposés, qui a servi de logement aux 26 prisonniers pendant huit jours. Toutes les fenêtres étaient fermées et calfeutrées, pour qu’il n’y ait aucune possibilité de contact avec qui que ce soit. Voix off Sékou Touré porte plainte contre l’invasion portugaise auprès du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Le Président Nixon dit clairement dans son message envoyé au Président
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Sékou Touré : « Au nom du Gouvernement et du peuple américain, je veux vous dire ma sympathie à votre égard, à l’égard du Gouvernement, et du peuple de la République de Guinée, en ces moments difficiles. Je profite de cette opportunité pour vous donner ma garantie que les Etats-Unis s’opposent à une quelconque violation de la suprématie guinéenne, ou à quelque interférence dans les affaires internes de Guinée ». Malgré les démentis du Gouvernement de Marcelo Caetano, le régime de Lisbonne est une fois de plus condamné par la communauté internationale. Les hommes du Front National de Libération qui ont déserté à Conakry sont interviewés et racontent une autre histoire. RTP – Bissau – 1970 Journaliste Voici un homme de République de Guinée, qui a 42 ans, et qui il y a peu s’est présenté à la frontière de la Guinée portugaise, avec d’autres personnes de République de Guinée, et a demandé l’asile politique. Nous allons lui poser quelques questions : Sergent Akoi, quelles sont les raisons qui vous ont amené à participer au coup d’état du 22 novembre à Conakry ? Sergent Ce qui m’a amené à participer au coup d’état, c’est parce que je suis le fils d’un père et d’une mère guinéens. Et depuis 1958, époque de l’indépendance, Monsieur Sékou Touré trahit le peuple guinéen. Il s’est installé comme un dictateur en République de Guinée. ITW Alpoim Calvão Dans des conditions similaires, et avec les mêmes objectifs, aujourd’hui encore, à 60 ans, je serais capable de refaire ce que j’ai fait. Je retournerais au combat. 124
Voix off Parmi tous ceux qui sont allés se battre sur les plages de Conakry, aucun n’a accepté de s’exprimer sur ce reportage. Parmi les prisonniers, seuls le Major Lobato et le soldat Capitulo ont bien voulu parler. Quant aux commandos africains de Guinée auxquels le Gouvernement portugais a demandé de déposer les armes en 1974, leur sort n’a réellement été connu que dix ans après l’Opération Mer Verte, à l’époque du coup d’état du Général Mino Vieira. Voix off Jusqu’à ce jour, l’Opération Mer Verte n’a pas été reconnue par le Gouvernement portugais. Plateau avec Henrique Vasconcelos – Journaliste / Réalisateur du reportage Présentateur Malgré la rigueur historique, il y a un point qui demeure très sombre : les relations entre les services secrets et les Français. Henrique Vasconcelos Dans la réalité, il n’a jamais été possible de le prouver, et de trouver des documents qui pourraient apporter la preuve de l’existence d’une interaction entre les services secrets et les dirigeants de cette opération. Certaines personnes en parlent. On en parle à Conakry, on en parle à Lisbonne. Mais il n’y a pas de preuves factuelles. Présentateur A votre avis, pourquoi le Gouvernement portugais, après 26 ans, continue-t-il à ne pas reconnaitre l’existence de cette opération ?
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Henrique Vasconcelos Ce n’est pas seulement le Gouvernement portugais, c’est aussi les Forces Armées portugaises qui ne la reconnaissent pas. Cette opération n’a jamais existé, pour eux. Sans doute parce que par rapport au Droit International, l’opération à Conakry a détruit, a fait des victimes, et que toutes ces personnes pourraient le revendiquer et présenter la facture, 26 ans après, au gouvernement portugais. Et puis sans doute aussi à cause des problèmes que cela poserait à la politique extérieure portugaise. Présentateur Donc, entre l’argent, et la mémoire des morts sur cette opération, le Gouvernement portugais opte plutôt pour l’argent ? Henrique Vasconcelos On dirait bien que oui. A la lecture de cette retranscription, il semble incontestable que l’objectif n°1 côté portugais, était la libération des prisonniers (cf partie en gras du texte retranscrit). Même s’ils apportaient une aide aux opposants en leur permettant, éventuellement de faire chuter le régime de Sékou Touré, il est indéniable que l’opération avait pour but principal de libérer les prisonniers et démanteler les bases du PAIGC. Les membres du FLNG sont cités presque comme des figurants et non des protagonistes importants… Aucun nom de dirigeant n’est mentionné, ni aucune de leur action durant l’opération. Par ailleurs, si l’opération avait permis de faire chuter le régime guinéen, les Portugais s’assuraient ainsi une coopération avec les successeurs. L’histoire a été toute autre pour le malheur de la Guinée. M. Calvão mentionne également des armes cachées dans Conakry, ce qui induit deux thèses : la collaboration d’agents 126
guinéens de l’intérieur (malgré la complexité des contacts entre la Guinée et l’extérieur, et le manque de preuves matérielles) ou l’idée de la maîtrise par les troupes d’un type d’arme que les Guinéens utilisaient aussi. Quant à la conclusion de M. Calvão sur la demande faite aux troupes d’assaillants guinéens (s’ils voulaient rester ou pas sur place), c’est un peu léger. C’est présenté comme si on leur avait proposé le retour en sécurité ou la lutte sans soutien logistique ni munition et qu’ils avaient tous choisi la seconde option. Il a été prouvé que des problèmes de communications avaient émergé (talkies walkies inopérants), donc il était matériellement impossible de prévenir toutes les unités à terre, malgré les quelques tentatives de récupération de groupes citées notamment par mon père. Les Portugais ont décidé de partir en laissant de nombreux assaillants guinéens, ils ont même ensuite conduit le reste des troupes guinéennes à Koundara, probablement parce qu’ils considéraient avoir rempli leur part du contrat et qu’ils ne souhaitaient pas essuyer une éventuelle attaque aérienne ni laisser de trace. Mon père a lui-même trouvé que les bateaux avaient pris le large et si ça n’avait été la présence de piroguiers, c’en était fait de son sort. Pour compléter les descriptions faites par mon père et ses compagnons de lutte, j’ai pris le soin de compiler ses documents d’archives qui replacent les faits dans leur époque, donnent des noms aux acteurs inconnus de cette histoire et informent sur les positions de chacun. Par ailleurs, j’ai également eu la possibilité d’obtenir un très bref entretien avec le commandant Alpoim Calvão, le cerveau portugais de l’opération. En voici la retranscription :
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ENTRETIEN AVEC LE COMMANDANT GUILHERME ALMOR DE ALPOIM CALVÃO
Pouvez-vous nous donner des précisions sur la capture des prisonniers portugais du PAIGC ? Les plus anciens d’entre eux avaient été capturés sept ans et demi avant le début de l’opération. Les autres l’ont été tout au long de cette période, jusque très peu de temps avant, puisque nous étions impliqués dans cette guerre coloniale avec la Guinée Bissau et que Conakry abritait les forces du PAIGC. Comment se sont effectués les premiers contacts avec les opposants guinéens ? En fait le FLNG avait approché les autorités portugaises depuis longtemps. Moi je n’ai été mis au courant de ces contacts qu’en 1969, date à laquelle j’ai imaginé la combinaison de deux opérations au sein de l’opération Mar Verde. Nous avions pour but d’une part d’affaiblir les forces du PAIGC, de détruire leur marine, de libérer nos prisonniers et d’autres part de soutenir le coup d’état contre Sékou Touré. Quels sont les personnages clés de l’opération côté FLNG ? Il y en avait plusieurs mais j’échangeais principalement avec Jean-Marie Doré, avec Abou Soumah (qui était un ancien membre du gouvernement sénégalais, à ne pas confondre avec le capitaine Abou Soumah qu’on a libéré des geôles guinéennes lors de l’opération). Ensuite, dans les derniers moments, je suis entré en contact avec les militaires et votre père en faisait partie. Y a-t-il eu un gouvernement provisoire mis en place alors ? Probablement, mais ce qui était notable à l’époque, c’était la rivalité entre les types du FLNG. Tous voulaient manger la vache avant de l’avoir tuée. Le FLNG était-il bien entraîné militairement ? 128
… A ce stade, le commandant Calvão émet le désir de me répondre par écrit, mes questions devenant plus précises. Après plusieurs relances en janvier 2013, je n’obtiens pas plus de réponse à mes questions, ce que je déplore, il aurait pu éclaircir de nombreux points sur cette affaire !
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DOCUMENTS PERSONNELS ISSUS DES ARCHIVES DU COMMANDANT DIALLO o
Le rapport non signé de David Soumah :
Ce document d’une importance majeure évoque les moyens financiers et humains du FLNG, la mise en place des réseaux en Gambie, au Sénégal, au Mali, en Sierra-Leone et en Guinée. Celui-ci met en lumière les malversations financières, les différents groupes qui composaient l’opération, le nom des protagonistes impliqués (il cite entre autre Doré, vraisemblablement JeanMarie Doré). Cela confirme aussi que David Soumah a toujours fait partie du processus jusqu’à la tenue de l’opération. Ce témoignage révèle aussi que le recrutement militaire a été confié à plusieurs personnes : Barry Antoine, Barry Moundjirou, capitaine Diawara et Balde Souleymane. Son témoignage met en lumière que mon père était plus précisément chargé de la gestion opérationnelle d’une partie des troupes et de la coordination technique avec les autorités militaires portugaises. Comment interpréter cette différence de perception entre mon père qui parle en tant que commandant en chef des forces armées du FLNG et David Soumah, qui le présente comme chef de groupe ? Ce dernier aurait-il confié à plusieurs hommes une même mission, semant ainsi le trouble dans l’organisation ? Il ressort également que mon père n’a à aucun moment été impliqué dans le dispatching de l’argent récolté pour l’opération auprès des chancelleries impliquées. Il a recruté sans moyen alloués. M. Soumah a donc confié cette tâche de répartition 131
financière à des malhonnêtes !
gens
qui
se
sont
révélés
Par ailleurs, les détails de l’organisation et l’ampleur des groupes impliqués contredisent la thèse de l’impréparation. M. Soumah évoque également les précédentes tentatives de renversement du régime de Sékou Touré en 1966, lors de laquelle il avait démarré une collaboration financière avec la Côte d’Ivoire et le Ghana qui avait fourni des armes. Mon père travaillait visiblement déjà avec M. Soumah à cette époque, selon ce rapport ! On note également que M. Soumah avait visiblement une perception très positive de l’honnêteté et du patriotisme du commandant Diallo et de ses hommes. Le document évoque également des contacts pris en Guinée en vue d’obtenir des informations. Le FLNG avait donc des contacts intérieurs, ce qui est de bonne guerre au fond. De là à justifier l’implication massive des Guinéens pour les assaillants et donc les assassinats qui ont eu lieu, il y a un pas de géant qu’il est stupide de franchir, tant les accusations sont abracadabrantes et légères ! Voici donc ce document inédit qui en dit long sur l’ampleur de l’organisation (très ambitieuse) et sur ses failles !
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DOCUMENTS PERSONNELS ISSUS DES ARCHIVES DU COMMANDANT DIALLO
Le mystérieux Hassan Assad o Courriers 1970.
d’Hassan Assad
datés d’août
Ce personnage reste mystérieux. Vraisemblablement militaire, ce libanais aurait vécu longtemps en Guinée. Très peu d’informations ont filtré à son propos. Ces lettres révèlent sa proximité avec mon père, les implications internationales dans l’organisation du coup et les rivalités au sein des groupes du FLNG (avec les recruteurs de David Soumah qui auraient été coupables de malversations). o Rapport militaire (dont l’auteur semble être Hassan Assad) Il faisait partie de la même unité que mon père lors du débarquement (objectif camp Samory). On peut constater que son témoignage concorde avec celui de mon père dans son propre rapport. Il cite juste le conducteur d’une unité du camp Alfa Yaya, ainsi que le capitaine Keïta de la gendarmerie, qui ont tout deux résisté et ont donc été abattus. Il évoque aussi d’autres terrains d’opération (Koundara, à la frontière de la Guinée portugaise). Il n’y était pas mais a recueilli les témoignages des rescapés, dont le lieutenant Boiro (celui cité par M. Calvão dans le film ?). Il cite avec précisions les effectifs et leurs actions contre le PAIGC et la milice.
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Son bilan s’avère très précis, le style très militaire. On y trouve presque plus de détails que dans le rapport de mon père qui est plus littéraire dans son style, ce qui colle bien avec sa personnalité. Ce document est donc d’une importance majeure et même s’il comporte des blancs au niveau des noms, ceux-ci sont faciles à combler. Il n’en reste pas moins qu’on ignore tout du rôle exact de Hassan Assad et de son identité. Est-il vivant ou pas ? Nous l’ignorons toujours en 2020, aucune trace de lui !
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LE FLNG ET LES PORTUGAIS Nouveaux éléments des archives portugaises
Au sein des éléments de recherches fournies par José Matos et ses analyses révélées dans son ouvrage qui paraîtra simultanément à cette nouvelle édition du présent livre, se trouvent des documents fondamentaux de dix et trois pages rédigées en français, qui mettent en lumière l’organigramme structurel, l’historique de l’opposition en exil et ses objectifs. Ces documents secrets étaient détenus par les archives portugaises, ils datent du dernier trimestre 1966 et ont probablement été envoyés aux Portugais en guise de présentation et d’analyse du FLNG, par qui ? On l’ignore. Autre option, il peut aussi s’agir de l’interception par la PIDE (Police Internationale de Défense de l’Etat portugais) ou de la transmission à cette dernière d’un rapport d’espionnage français sur les oppositions guinéennes. Ils révèlent que la structure est complexe et organisée entre Abidjan, Dakar et Paris. On y met à jour les rivalités entre les chefs et les groupes, les divergences de visions politiques, leur conscience d’avoir des éléments douteux en leur sein et leur vaine tentative de les neutraliser. On voit donc apparaître les racines de l’échec de l’opération. Leur structure étant majoritairement composée d’exilés sans relai efficace en Guinée, cela vient contredire catégoriquement la thèse du complot permanent. Ils avaient réussi à contacter des Guinéens, qui les renseignaient et distribuaient 151
des tracts dans certaines régions. Mais la force du PDG et l’efficacité de son réseau d’espionnage, couplée à la naïveté et l’appât du pouvoir des opposants, ont eu raison de leurs initiatives, aussi vaillantes furent-elles. En résumé, il apparaît d’après l’ouvrage de José que les premiers contacts entre les opposants guinéens et les autorités portugaises furent établis en 1966 avec les ministères portugais d’Outre-Mer, des affaires étrangères et la délégation de la PIDE en Guinée Bissau. Une rencontre fut organisée à Paris à l’hôtel Alexander de l’avenue Victor Hugo en septembre 1966 entre le Dr Sow Durand et le commandant Correia de Barros, et en parallèle, un certain Karamoko Diallo rencontra à Bissau le chef de cabinet du commandant des forces armées à Bissau (le lieutenant-colonel Castelo-Branco). Les recherches révèlent également qu’au départ, le siège du FLNG était en Côte d’Ivoire, son président était Paul Dechambenoit (l’ami d’Ouphouet-Boigny, qui accueillit mon père lors de sa visite en Côte d’Ivoire avant l’opération). Le mouvement était organisé en trois antennes : le FLNG à Abidjan, le RGS à Dakar (Regroupement des Guinéens du Sénégal) avec pour dirigeant David Soumah, et adjoint Moussa Keïta, ensuite venait la Ligne Guinéenne de Libération Nationale de Paris, (future RGE, Rassemblement des Guinéens de l’Extérieur), avec à sa tête les professeurs Ibrahima Baba Kaké et Djibi Thiam, et l’étudiant en économie Siradiou Diallo. Mon père apparaissait alors parmi les conseillers militaires du RGS de Dakar. Le dissidents guinéens et le
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portugais sont restés dans gouvernement l’expectative durant les années 1967 et 1968 tout en se rencontrant ou échangeant des rapports imaginant divers plans d’actions, transmis par l’intermédiaire de fonctionnaires d’état portugais. Des archives portugaises de 1968 révèlent néanmoins que les deux branches africaines de l’opposition guinéenne sollicitaient l’aide du Portugal chacune de leur côté, le FLNG d’Abidjan et le RGS. Il semblerait qu’ils se soient ensuite unifiés sous le nom générique du FLNG. Ce qui ressort de ces courriers de 67 et 68, est que le maillon faible du mouvement est l’organisation militaire permettant alors de lever un groupe armé. La force que prétendait avoir le mouvement était son réseau d’influence avec les chefs d’états voisins, l’appui supposé de la France bien que rien n’ait jamais été établi à ce sujet et la possibilité de motiver les anciens militaires guinéens de l’armée française. L’appui français prétendu semblait plutôt découler de la supposition que l’accord de Senghor et Boigny rendait implicite celui de la France. Deux documents de 1968 provenant du FLNG à destination des autorités portugaises, rédigés en français, proposent également les différentes modalités d’actions militaires en Guinée : soit l’intervention directe du Portugal, soit l’entraînement par le Portugal d’hommes d’origine guinéenne disposés à attaquer leur pays pour le reconquérir. Les archives portugaises contiennent notamment la lettre en Portugais du secrétaire de la Défense Nationale (Venancio Augusto Deslandes), à
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destination d’un responsable du Ministère des Affaires Etrangères, afin de présenter l’un de ces documents du FLNG. La partie organisationnelle de l’opération a quant à elle démarré à partir de fin 69, par la prise en main du commandant Alpoim Calvão, de deux officiers proches de Spinola (Firmino Miguel et Carlos Azeredo), ainsi que l’inspecteur de la PIDE Barbieri Cardoso pour l’achat du matériel et l’établissement du plan de l’opération. Du côté guinéen, le recrutement par le FLNG d’anciens militaires au Sénégal et ailleurs s’est effectué à cette période. L’argent demandé par le FLNG est versé en partie, et des armes soviétiques (kalachnikov et lancegrenades…) sont achetées en Bulgarie à la société Norte Importadora, via un négociant français du nom de George Starckmann. Il apparaît néanmoins dans les archives que plusieurs ministres portugais (Outre-Mer, Défense et Affaires Etrangères) avaient émis des doutes sur la réalisation d’un coup d’état, à cause de la crainte des répercussions internationales. L’histoire leur a donné raison. Il semblerait que l’accélération des contacts du FLNG avec la PIDE ait finalement décidé les autorités portugaises à accorder leur aide. Le plus curieux des éléments découverts, c’est que le Général Spinola et Alpoim Calvão auraient fait valider concrètement l’opération au chef d’état Marcelo Caetano uniquement mi-novembre 1970 (courrier du 12 novembre de Spinola, suite auquel Calvão est reçu par le chef d’état le 16 novembre 1970), alors que les négociations entre le FLNG et l’état
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portugais couraient depuis quatre ans, et que des fonds avaient été versés, du matériel acheté et des troupes impliquées ! Voici donc l’organigramme et l’historique de l’opposition guinéenne en exil, ainsi que les documents du FLNG communiqués aux autorités portugaises exposant leurs objectifs :
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AUTRES ARCHIVES PORTUGAISES (1969 – 1970) Ce premier document portugais déclassifié est un rapport à propos de David Soumah et du FLNG, probablement rédigé par un membre de la PIDE (police secrète portugaise). La réunion a eu lieu à Genève, on imagine évidemment l’influence de Jean-Marie Doré dans l’organisation. Nous n’y apprenons rien d’incroyable, mais cela met à jour le démarrage des négociations concrètes, fin 1969. Traduction Informations : ultra secret / Déclassifié Les 6 et 7 décembre 1969, s’est tenue une réunion entre les deux représentants de la sécurité (portugaise) et les dirigeants du Front de Libération de Guinée (Jean-Marie Doré et David Soumah). Le front de libération dirigé par David Soumah, travaille activement à l’organisation de la liquidation de Sékou Touré et à s’emparer du pouvoir en Guinée. Il ne fait aucun doute qu’un tel projet requiert une organisation complexe de nature à pouvoir atteindre ces objectifs. D’un autre côté, sur le plan de l’information, ils seraient aptes à nous fournir dès à présent, des éléments courageux capables de nous aider dans notre guerre contre le PAIGC, notre province d’Outre-Mer. David Soumah, en plus d’être un individu cultivé, est très connaisseur des affaires africaines, il participe aux réunions de l’OIT (Organisation Internationale du Travail), et est un ami personnel du président Senghor. Il nous semble qu’il serait intéressant de garder contact avec lui et de l’aider dans la mesure du possible, d’autant plus qu’ils s’engagent à liquider le PAIGC, qu’ils considèrent être leur principal ennemi militaire sur le terrain dans la tentative d’élimination de Sékou Touré. 169
Et depuis le début, le FLNG estime qu’ils ne peuvent rien sans notre aide, bien qu’en ce moment, le montant demandé soit bien moins important que celui d’origine. Effectivement, ils considèrent désormais qu’ils sont en capacité d’atteindre leur objectif à partir du moment où on leur aura fourni une aide de 3500 contos (120.000 $). Il faudra en outre qu’on puisse entraîner une centaine de leurs hommes sur notre territoire de Guinée ou sur les îles voisines. Ces derniers sont prêts à partir dès que possible. Ils assurent également qu’ils ne nous compromettront en rien par leurs actions qui auraient lieu à l’intérieur de la Guinée. En plus de ce qu’ils peuvent offrir sur le champ informatif, il n’est pas nécessaire de revenir sur l’énorme valeur que revêtira une telle action au regard de la somme demandée pour la réaliser. Nous n’avons pris aucun engagement, étant entendu que nous leur donnerons une réponse – positive ou négative – au plus tard le 20 décembre.
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LE ROLE COMPLEXE DE SENGHOR (nouvel élément des archives portugaises)
On a longtemps spéculé sur le soutien supposé du président Senghor à l’opération Mar Verde. Hormis les déclarations incendiaires de Sékou Touré qu’on prend difficilement au sérieux, tant il a pu faire preuve d’outrance, rien de factuel ne venait corroborer cette thèse de l’implication directe des autorités sénégalaises, si ce ne sont les allusions évasives de David Soumah dans son rapport et celles de mon père. On pouvait supposer qu’ils étaient informés, mais nous n’avions pas de preuve. Si nous avions pu mettre à jour via les déclarations du commandant Diallo, qu’Ouphouët Boigny avait soutenu les combattants du FLNG en leur fournissant notamment des armes, le flou demeurait autour du niveau d’information de Senghor quant à l’opération. Le chercheur José Matos, suite à la première parution du présent livre, a fourni les documents suivants, issus des archives portugaises. Ils décrivent une rencontre au palais présidentiel sénégalais entre Jean-Marie Doré, David Soumah, L. S. Senghor et des membres de son gouvernement en date du 24 mars 1970. On y évoque notamment la position officielle de l’OUA qui soutient les combattants du PAIGC dans leur lutte et la volonté de Senghor de conserver des relations cordiales avec le Portugal, ce qui s’avère compliqué parce que contradictoire. Officiellement il est panafricain, officieusement il fait de la tactique 173
politicienne pour éliminer son voisin gênant de Conakry sans en avoir l’air ; Senghor évoque également le fait que Sékou Touré ait le désir de construire un ensemble politique ouest-africain, donc cherche des champs de collaboration tout en poursuivant ses saillies verbales régulières contre le Sénégal, ce qui braque Senghor. Par ailleurs, la présence du PAIGC en Casamance est de nature à créer des troubles dans cette région du Sénégal. Sur le principe, Senghor soutient la légitimité du PAIGC à lutter pour son indépendance, mais dans les faits, si ses actions contreviennent aux intérêts de Senghor, ce dernier est prêt à les livrer en pâture aux Portugais, sans états d’âme. Les membres du FLNG ont conclu à la nécessité de la disparition de Sékou Touré. David Soumah assure que son mouvement est structuré et prêt au combat. A la fin de la rencontre, on évoque le comité militaire du FLNG qui compte donc un ancien capitaine de l’armée française. Avant de vous livrer la traduction de ces documents, on peut donc résumer les éléments majeurs de cette découverte ainsi : Senghor soutenait le FLNG en sous-main, il était totalement informé de ce qui se tramait et avec quels acteurs. Traduction du document :
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Rapport ultra secret / Déclassifié Conversation avec Jean-Marie Doré Doré vient d'arriver de Dakar, a participé à une réunion avec des membres du gouvernement sénégalais. Cette réunion a eu lieu au palais présidentiel le 19 courant, et les personnes suivantes y ont participé : Pour le gouvernement sénégalais : Le président Senghor et le ministre Lo Magatte, président du conseil économique et social. Pour le FLNG : David Soumah, Jean-Marie Doré, Keita Moussa et Soulé Sidibé Le président leur a parlé une fois de plus de son désir de maintenir des relations amicales avec les autorités portugaises, et des difficultés qui se présentent sur le champ politique, pour le rétablissement de ces relations. Les obstacles principaux demeurent : l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) et Sékou Touré. En effet la position de l’OUA demeure l’appui total des forces du PAIGC, considéré comme l’unique force capable de combattre le colonialisme portugais en Guinée. Et cela parce qu’ils écoutent la propagande d’Amilcar Cabral qui prétend contrôler ¾ du territoire de notre Guinée. Maintenant, comme l'OUA n'est prête à apporter son soutien aux mouvements séparatistes que s'ils font quelque chose de concret, il en résulte comme corollaire logique, un appui franc au PAIGC, étant donné que le FLNG n’a à son actif aucune action concrète. Sékou Touré navigue dans les mêmes eaux et utilise les mêmes arguments. Il va jusqu’à affirmer que si le PAIGC ne maîtrise pas la totalité du territoire, c’est de la faute du gouvernement du Sénégal qui non seulement ne lui fournit aucune aide, mais rend compliquée son action. Après ce point, le président a évoqué les résultats issus de la dernière réunion du conseil des ministres de l’OERS, qui s’est tenue à Conakry en janvier dernier et qui, en plus d’avoir été un échec, a également servi à former une barrière plus forte entre les gouvernements guinéens et sénégalais. 175
Concrètement, le président a déclaré que Sékou Touré a exprimé une fois de plus son opinion qu’une union était indispensable entre la Guinée et le Sénégal en vue d’apporter l’aide manquante au PAIGC pour que dans les réunions futures, figure un délégué du PAIGC. Il a déclaré que Touré a proposé la création d’un état le long du fleuve Sénégal comprenant le Sénégal, le Mali, la Guinée, la Gambie, la Mauritanie, et la Guinée de Cabral. Et pour cela, il est indispensable de rendre navigable le fleuve, ce qui représenterait un facteur économique énorme. Senghor a répondu qu’il était là pour parler des affaires de son pays, qu’il n’était pas intéressé et refusait qu’on accorde au PAIGC une représentation dans les prochaines réunions. Par ailleurs, il n’a pas prêté attention à la proposition de Touré quant au pays unitaires car cela n’intéresse pas son pays. Et lorsque Touré a proposé de rendre navigable le fleuve, il a répondu que cela n’était pas dans l’agenda de la réunion et qu’il ne pouvait donc pas en discuter. Senghor a répété que la conférence fut un échec total, bien que les autres chefs d’états aient intercédé auprès de lui pour qu’ils publient un communiqué déclarant une concordance totale de point de vue sur les sujets traités et précisément sur la nécessité de créer une communauté d’état le long du fleuve Sénégal. Ils ont omis la question de la création d’un état unitaire, et l’accusation faite au gouvernement sénégalais de ne pas aider le PAIGC. De retour à Dakar, Senghor a réuni son conseil des ministres, a rendu compte de la manière dont la réunion s’était tenue, et a décidé de ne pas accorder d’importance aux négociations avec l’actuel gouvernement de Guinée. Une fois ce compte rendu fait aux hommes du FLNG, ces derniers ont conclu qu’il fallait absolument éliminer Sékou Touré de la scène politique. David Soumah a ensuite pris la parole, et a déclaré travailler en ce sens, que son mouvement était structuré, et attendait plus précisément une « certaine compréhension » du gouvernement sénégalais. 176
Ce à quoi Senghor a répondu qu’on pouvait compter sur sa compréhension et qu’ils pouvaient agir à leur guise tant qu’ils ne créaient pas de soucis diplomatiques. Il leur a notamment suggéré qu’ils n’hésitent pas à demander l’aide du gouvernement portugais. A l’évocation des incidents frontaliers avec les forces portugaises par David Soumah, Senghor a répondu qu’il s’attendait à d’autres incidents sachant que le PAIGC avait distribué des armes à la population casamançaise. La police sénégalaise appréhendait qu’une grande partie de ces armes soient en possession d’éléments pro-russes ou prochinois. Ces éléments, lorsqu’ils se présentent à proximité de la frontière et des policiers, arrivant même à pénétrer le territoire portugais, mélangés avec des éléments du PAIGC, cherchent à provoquer la réaction des forces sénégalaises. Senghor considère cela comme inévitable. Il espérait que cette zone soit bombardée par les Portugais auquel il avait donné un accord tacite. Il a affirmé que de nombreux éléments du PAIGC ont été coincés dans cette zone et obligés de quitter le territoire sénégalais. Jean-Marie Doré a garanti que le président recevrait un rapport détaillé de la situation élaboré par Soumah, qui décrirait également la situation politique en Guinée. En ce qui concerne le travail de renseignement de son mouvement, il a expliqué qu’ils ont infiltré 24 agents en territoire guinéen et qu’ils comptaient de nombreux informateurs. Sékou Touré a augmenté les salaires de la gendarmerie dans une tentative de sécuriser sa situation qui se révèle critique. Le FLNG compte parmi ses rangs de nombreux éléments de l’armée, parmi lesquels un cousin de JM Doré qui commande un bataillon stationné à Conakry. Au sein du comité militaire du FLNG, qui arrivera à Lisbonne dès que possible, on compte parmi ses rangs un ancien capitaine de l’armée française, qui partira avec le premier avion à Bissau.
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LE VOLET FINANCIER (nouvel élément des archives portugaises)
Sékou Touré a longtemps spéculé sur l’argent de la honte, le salaire de la traitrise qu’auraient reçu les mercenaires pour attaquer leur pays d’origine. Voici un document daté du 11 juin 70, non signé mais écrit de Genève, donc on peut supposer qu’il soit passé dans les mains de JeanMarie Doré. La fin de la note précise que ce document est rédigé pour être remis à « nos partenaires », on devine qu’il s’agit des contacts du gouvernement portugais, « pour être étudié (…) avant l’arrivée à Lisbonne du ou des responsables de notre mouvement ». Tout porte donc à désigner Doré comme étant l’auteur supposé. Ce document établit les dépenses réalisées à cette date et les besoins financiers pour monter l’opération. On indique également que 150 hommes sont recrutés et prêts à l’action.
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DOCUMENTS PUBLICS ISSUS DES ARCHIVES DU COMMANDANT DIALLO (suite) o Déclarations publiques du RGE après le 22 novembre 1970 (Organisme dirigé par Siradiou Diallo) o Témoignage anonyme de Jeune Afrique dans le numéro du 8 décembre 1970 (Témoignage logiquement attribué à S. Diallo). Dans les documents du RGE, celui-ci nie l’implication du Portugal dans l’action. Il est intéressant de constater que la position du témoin anonyme de Jeune Afrique est la même… Elle décrit une action totalement guinéenne, sans aide extérieure. Cela confirme donc la présomption que l’auteur de ces communiqués et de l’article n’est autre que Siradiou Diallo. Ce dernier soutiendrait cette thèse de manière à masquer la responsabilité des Portugais et à amplifier la thèse du soulèvement guinéen. On y reconnaît clairement les personnages : le libano-syrien (Hassan Assad), et le commandant X (militaire de l’armée française en retraite…). Puisqu’on sait que Siradiou Diallo se trouvait à leurs côtés lors de l’opération, on comble encore facilement les blancs. La description de l’article dégage même la responsabilité des membres du FLNG, l’auteur prétend que le commandant X aurait agi seul, par rancœur contre Sékou Touré. Est-ce par volonté ou nécessité de protéger le FLNG et le Portugal, ou pour influencer la perception d’une organisation guinéenne ? Il n’en reste pas moins que la description des motivations des assaillants est bien grossière. On est chez les barbouzes typiques des 183
coups d’état africains de l’époque et c’est dommage, car cette cause était plus noble ! o Témoignage d’Abou Soumah dans Jeune Afrique, numéro du 18 mai 1971 Ce prisonnier guinéen, le seul échappé du camp Camayenne (Boiro), a fui lors du débarquement du 22 novembre. Il donne un précieux témoignage sur la vie à l’intérieur des camps, sur l’ambiance dans la Guinée de l’époque.
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LA REACTION DE L’ONU (nouvel élément)
Les 5, 6, 7 et 8 décembre 1970, se sont tenues au sein de l’ONU les 1560,1,2 et 1563ème séances du conseil de sécurité. Il a donc été question de l’agression subie par la Guinée le 22 novembre 1970. Sékou Touré avait bien entendu fait appel à l’organisation dès le matin des événements en informant le secrétaire général U Thant de l’attaque, dans le style dramatique et lyrique qu’on lui connait. Très rapidement, les états de la sousrégion (OERS, Organisation des Etats Riverains du Sénégal) se sont réunis et l’ONU a dépêché une commission d’enquête de cinq membres pour constater les faits sur place. D’ailleurs à leur arrivée, Sékou Touré s’était cyniquement exclamé qu’il attendait des casques bleus et pas des observateurs. Les textes des séances du conseil de sécurité évoquent le fait qu’on n’ait pu enquêter sur tous les aspects de l’affaire. Au cours de ces séances, se sont succédés principalement les représentants de pays africains ou du tiers monde condamnant de concert l’attaque. A lire les conclusions, on sent que l’on est dans la période de tension entre les nations nouvellement indépendantes, issues des anciens pays colonisés, aspirant donc à une légitimité au moins égale à celle des anciens empires. On évoque régulièrement l’impérialisme, l’OTAN et les Etats-Unis en des termes extrêmement négatifs. On sent que la vision est très manichéenne et politicienne. On qualifie la Guinée de grande nation, héroïque, les termes sont 203
grandiloquents. Aucune critique des politiques internes de ces nouveaux pays n’est permise et entre dirigeants de nations fragiles et potentiellement autocratiques, on se soutient. Il s’agit là de montrer que ces anciens peuples soumis sont dignes de respect, admirables et souverains. Les conclusions du rapport d’enquête de l’ONU mettent donc évidemment à jour la participation active du Portugal considéré comme unique instigateur de l’attaque et principal responsable. On évoque notamment l’interrogatoire de J. J. Lopes qui désigne clairement la chaîne de commandement portugaise avec sa base en Guinée Bissau. La présence du général Spinola sur le terrain les jours précédant l’attaque est révélée, cela constitue donc une preuve irréfutable de la responsabilité du Portugal. On qualifie évidemment les dissidents de fantoches à la solde de l’impérialisme. Le contexte de guerre coloniale portugaise est très présent dans les esprits. Ainsi la majorité des pays demandent que soient prises de fortes mesures de rétorsion à l’égard du Portugal. Leur action étant jugée dans le cadre global des actes visant à maintenir une forme d’hégémonie occidentale sur le Monde. On compare notamment cet acte aux attaques d’Hitler sur ses voisins, on constate là une totale démesure, notamment au point 68 du 5 décembre 70 : « l’agression commise contre la République de Guinée (…) ne peut qu’être comparée qu’aux atrocités commises par Hitler ». On appelle donc le conseil de sécurité à réprimander concrètement et sévèrement le Portugal, en demandant notamment des mesures de dommages 204
et intérêts, ainsi que des sanctions claires qui tendraient à décourager ceux qui seraient tentés d’imiter le Portugal (points 104-105). On parle évidemment de fraternité entre les peuples susceptibles de faire l’objet de ce type d’attaque. On sent également l’influence du communisme sur la lecture des faits. Seul le délégué sénégalais fait preuve d’une certaine ironie en mentionnant la fraternité entre Senghor et Touré, allant même jusqu’à évoquer une déclaration pleine d’esprit de Senghor à l’égard de son turbulent voisin. M. Boye déclare ainsi au point 87 du 5 décembre 70 : « Personne n’ignore ici les relations amicales et fraternelles qui existent entre le Sénégal et la Guinée. Mon président, Léopold Sédar Senghor, a défini le président Ahmed Sékou Touré comme étant l’homme africain qui a pour l’Afrique un amour tyrannique »… Déclaration sibylline et ironique si on considère le rôle qu’a joué Senghor dans le soutien au FLNG, le clin d’œil à l’autoritarisme de Touré, sans oublier l’encouragement qu’il a exprimé à David Soumah de faire appel aux autorités portugaises. On constate donc ici l’écart entre la communication politique, la diplomatie et les manœuvres sur le terrain. Le Sénégal a donc pris soin de bien signifier son soutien sans réserve au régime guinéen, égrainant une déclaration en 17 points tendant à détailler le soutien en question (point 93 du 5 décembre 70). En conclusion, on propose un texte condamnant les faits d’attaque et le colonialisme portugais en Afrique au sens large. Il est notable cependant que les Américains se sont 205
défendus de fournir des armes au Portugal. S’ils condamnent la violence de l’acte, leur lecture des faits est plus mesurée que celle des pays du tiers monde. Ils vont donc annoncer s’abstenir de voter certains éléments de la résolution. L’Arabie Saoudite entre autres a critiqué la tendance au consensus et la volonté de prononcer des sanctions édulcorées à l’égard du Portugal et appelle également l’OTAN à prononcer des mesures contre le Portugal (points 58 à 90 du 8 décembre 70, séance 1563). Le RoyaumeUni et la France, en la personne de son représentant M. Kociusko-Morizet, ont adopté une ligne assez semblable à celle des USA, en condamnant fermement l’agression, mais en émettant des réserves sur certains alinéas et sur la critique de l’OTAN, en se défendant de fournir des armes au Portugal (en ce qui concerne l’Angleterre). Le Royaume-Uni s’abstient donc de voter la résolution dans son ensemble, considérant qu’il faut effectivement condamner l’attaque, mais niant le fait que cette attaque constitue une menace globale pour la paix. Au final, le projet de résolution est adopté par 11 voix contre 4 qui se sont abstenues (USA, RoyaumeUni, France et Espagne). La résolution 290 du conseil de sécurité de l’ONU rend donc le Portugal matériellement responsable des dégâts commis et le condamne pour cet acte dont la responsabilité est avérée. A ce jour, aucun élément ne vient prouver que le Portugal ait dédommagé la Guinée.
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LES TEMOINS DE CETTE EPOQUE TOURMENTEE
Après tous ces témoignages et récits croisés sur l’opération Mar Verde, il est nécessaire de rappeler quelle était la réalité du quotidien en Guinée à l’époque et ce qui justifiait, aux yeux des exilés guinéens, la nécessité d’un putsch. Pour cela, j’ai interrogé quelques personnes qui étaient présentes sur le sol guinéen ou déjà impliquées dans l’opposition guinéenne lors de l’agression, afin de clarifier le contexte, par leur voix. La première est la veuve de l’écrivain Camara Laye, qui se trouve être le meilleur ami de mon père. Mme Marie Diara était au moment du débarquement en prison sur le sol guinéen. Le témoin suivant se trouve être la veuve (anonyme) d’un fonctionnaire guinéen qui sera parmi les premiers fusillés de 71 suite à l’événement. Le docteur Thierno Bah était quant à lui résidant en Côte d’Ivoire lors de l’attaque. Il a dès les années 60 pris position contre la dictature, apportant son soutien aux prisonniers politiques et aux exilés du régime. Sa proximité avec les membres de l’opposition nous apporte également un éclairage sur certaines raisons de l’échec du débarquement… Quant à Aguibou Diallo et Jammes Soumah, ils furent deux compagnons de lutte de mon père. M. Diallo est un ancien militaire de l’armée française. Il a quitté l’armée dans les années 60 et a poursuivi une carrière civile en France, tout en s’impliquant très activement dans l’opposition guinéenne à Paris. Jammes Soumah dirige depuis plusieurs décennies la Ligue Guinéenne de Droits de l’Homme. Il a été très proche de mon père, après le 22 novembre. 209
MME MARIE DIARA (VEUVE DE CAMARA LAYE)
J’avais quitté la Guinée en 1964 avec ma famille, nous nous étions installés à Dakar. En Guinée, mon père, le docteur Lorofi, a été arrêté en 1965 après avoir fondé un parti en toute transparence, avec Petit Touré. Il a été libéré en 1970 et comme tout prisonnier sortant de Boiro, il était affaibli. Je me suis mise en tête de me rendre au chevet de mon père dont on m’avait dit qu’il était très malade. Mon voisin, Sadou Bobo Diallo, visiblement très impliqué contre Sékou Touré (il fréquentait ton père entre autres), est venu me voir un jour pour me dire qu’il a appris que mon père était sorti de prison dans un très piteux état. Il a parlé comme s’il avait vu mon père. Cela m’a inquiétée. Tout mon entourage a tenté de me dissuader de partir : mon mari Camara Laye, ou mon oncle Elie Bleu qui revenait de Conakry et m’avait dit que mon père se remettait sur pied, ou tes parents qui ont passé la nuit à tenter de me convaincre de changer d’avis. Mais j’ai choisi de partir en Guinée. J’ai profité du voyage de l’équipe de football du Sénégal, qui se rendait à Conakry pour 24 heures, je me suis rendue sur place pensant pouvoir voir Papa, lui apporter de la viande et repartir le lendemain. Je n’ai rien emporté avec moi, juste 15 kg de viande dans mes bagages, que je n’ai jamais revus d’ailleurs. A l’aéroport, j’étais attendue. On m’a mise de côté, j’ai aperçu Siaka Touré (le cousin du président), qui nous fréquentait lorsque nous vivions à Paris, il m’a dit : « On va s’occuper de toi ». Et comment, ils m’ont emmené au camp Boiro et j’ai été incarcérée de juin 1970 à mai 1978. Pendant tout le temps que j’y ai passé, Siaka a eu la gentillesse de me faire servir des repas corrects en souvenir des repas qu’il prenait chez moi à Paris, malgré l’opposition de mon mari qui ne le supportait déjà pas à l’époque, c’était bien avant que Sékou soit au pouvoir. Je l’ai supplié de me laisser voir Papa. Au bout de douze jours, il m’y a emmenée. J’y ai passé 211
une semaine, sans même songer à me sauver. Papa, en me voyant, s’est exclamé : « Qu’es-tu venue faire dans cet enfer ? ». Au bout d’une semaine, deux gardes sont venus me rechercher pour interrogatoire, chose qui ne s’est jamais produite, j’ai réintégré ma cellule, que j’ai occupée jusqu’aux événements du 22 novembre. On nous a ensuite transféré à Kindia pendant deux ans et par la suite, je suis revenue à Boiro. J’ai vécu correctement dans ce camp, car même si les conditions étaient dures, j’ai toujours eu de l’aide. C’est sûr qu’en arrivant, je pesais 85 kgs et à ma libération 45. Mais grâce à Dieu, je suis là, j’ai survécu. Le 22 novembre, on a entendu des tirs de nuit. On nous a fait sortir (avec mes deux codétenues, Mme Awa Diané et la femme du capitaine Pierre Koivogui). On nous a dit de nous tenir dans la cour, alors qu’ils cassaient le portail du bloc. Les assaillants étaient en majorité noirs. Parmi les détenus, on se reconnaissait. Certains ministres entre autres faisaient signe de ne rien dire, de peur que les assaillants ne les tuent parce qu’ils avaient participé au régime. Ça a duré jusqu’au matin et puis, on a commencé à comprendre que le régime reprenait le dessus. Personne n’est parti, sauf Abou Soumah. Et très rapidement, nous sommes retournés en cellule. Suite à ces événements, on nous a transféré à Kindia en grande partie. Là-bas j’y ai revu un assaillant, un grand gars que j’avais d’ailleurs vu à Dakar avec ton père et Laye. Il m’a dit « Onon on yaltaï kono menen… ka nder niwré » (vous, vous allez sortir, mais nous, on a un pied dans la tombe). Ils l’ont torturé d’ailleurs et probablement exécuté ensuite. A Kindia, j’ai aussi croisé la famille d’Abou Soumah. Les autorités les ont arrêtés suite à la fuite de ce dernier. Sa sœur était en cellule avec moi et elle est morte là-bas. Certains des agresseurs étaient aussi à Kindia et je sais qu’une nuit, on a sorti des hommes, on les a fusillés et jetés dans une fosse.
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Un autre souvenir de là-bas me revient, je crois d’ailleurs que les assaillants ont oublié un Portugais sur place. Il disait toujours : « ils ont libéré les autres et m’ont laissé ». Malgré notre enfermement, on réussissait à obtenir des nouvelles à Boiro, par les gardiens… J’étais également en prison à Kindia lorsqu’ils ont arrêté Emile Cissé et qu’ils l’ont enfermé. C’était une mauvaise personne, quelqu’un qui jouait double jeu et manipulait Sékou Touré. Il a aggravé sa paranoïa, on a découvert qu’il faisait envoyer des lettres de l’étranger prévenant de complots fictifs et ça a augmenté la névrose du chef. Certains prisonniers ont dansé en apprenant son arrestation. Au fond, je suis convaincue que j’ai été livrée au régime par Sadou Bobo. Il m’a tendu un piège avec l’histoire de mon père. Il savait que c’était mon point faible. Il y a eu plusieurs indices qui me font dire qu’il jouait un double jeu ! Propos recueillis le 11 juillet 2012 PS : Sadou Bobo était un ami proche du Commandant Diallo et de Camara Laye, il est mort subitement en 1976 lors d’une visite à ses enfants à Marseille.
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MME KADY D., VEUVE D’UN HAUT FONCTIONNAIRE ASSASSINE EN JANVIER 1971
En 1970, j’étais une jeune mariée de 20 ans, j’étais l’épouse d’un dynamique secrétaire d’Etat. Nous avions un fils de 18 mois et j’étais enceinte d’un autre bébé. Entre nous, c’était le bonheur, malgré le climat ambiant désastreux. A cette époque, beaucoup de personnes avaient déjà été emprisonnées ou tuées par le régime. La délation était une pratique courante, le régime avait instauré la terreur avec la milice, la présence du parti dans toutes les sphères de la société. Tout était politisé en Guinée alors, même lors des baptêmes, on devait signaler la naissance au parti et planter un arbre au nom de la Révolution. Bref, bon nombre de Guinéens (dont nous) désapprouvions en silence, sans pouvoir y faire grand-chose tant la méfiance était de mise. On a vu des parents dénoncer leurs enfants pour avoir séjourné à l’étranger, et vice versa. Mon mari avait grandi partiellement au Sénégal. C’était un homme qui avait un réel amour pour le Fouta Djalon. Il espérait à son poste pouvoir contribuer à ouvrir le pays et desserrer l’étau qui nous enfermait. La nuit du 21 au 22 novembre 1970, en pleine période du ramadan, je me trouvais à la maison avec mon fils. Mon mari était parti accompagner un groupe d’ambassadeurs lors d’un voyage à l’intérieur du pays, au Fouta en particulier. Mon mari en avait profité pour visiter les membres de sa famille à Labé, Pita, Dalaba et Kindia. Il est rentré tard cette nuit-là. J’avais été réveillée par des coups de feu. Nous habitions dans la zone industrielle de Matam, dans un quartier occupé par les expatriés. Ce soir-là, j’étais terrorisée, j’avais déjà perdu des membres de ma famille, des grands frères, lors du complot de 61. De plus, mon mari voyageait beaucoup de par son métier, et cela m’effrayait parce que ça le rendait exposé (pour le régime). Mon mari était conscient de l’opposition au régime à l’extérieur du pays. En secret, nous écoutions les radios étrangères et nous étions en accord avec leur point de vue. En entendant les tirs, nous pensions avec mon mari à une révolte des militaires. Nous 214
espérions qu’ils arrivent à renverser le régime. Au matin, nous avons entendu Sékou Touré à la radio, il demandait aux assaillants de se rendre. Et là, j’ai vu mon mari terrorisé également. Il avait pris conscience que nous étions des otages. Il comprenait la gravité de la situation, mais il ne pouvait fuir (parce qu’on aurait été chercher toute sa famille). Une chasse à l’homme s’est mise en place, les mercenaires regroupés autour du camp Camayenne ont été tués comme du gibier. Le gouvernement a organisé des démonstrations de force : les barrages ont été mis en place à chaque carrefour, on a exhorté les gens à pister les traîtres. On a distribué des treillis aux miliciens et partisans du pouvoir. En revanche, je n’ai pas vu d’armes chez les civils, seuls les miliciens en avaient. A partir de ce moment, le régime a commencé à parler de 5ème colonne et d’agents de l’intérieur. Un couvre-feu a été instauré. Nous n’avions même pas le droit d’allumer la lumière parce que le gouvernement disait que les agents étaient tapis partout et qu’ils pouvaient tirer. Cette obscurité a contribué à la psychose générale. Et comme Sékou a reçu le soutien de l’ONU, il avait les mains libres pour agir. Mon mari a été parmi les premières victimes, condamné à mort et fusillé le 25 janvier 1971. Tous les jours, on allait chercher les gens, surtout des Peuls. Dans son cas, quelqu’un a rapporté au comité que mon mari avait demandé au chauffeur du bus (qui conduisait les ambassadeurs qu’il accompagnait) d’accélérer, parce qu’il avait un rendez-vous à Conakry le 22 novembre. Donc ça l’incriminait, comme s’il était complice des assaillants. Ils sont venus le chercher en plein jour, le 3 décembre 1970, mais il était au travail. Des hommes en treillis se sont présentés à la maison. Je leur ai dit qu’il était au travail. A son retour, le repas était prêt. Je lui ai dit que des copains à lui étaient passés. Moi, jeune comme j’étais, je n’avais pas compris. Lui oui. Il est parti prendre l’enfant, et s’est allongé avec lui dans la chambre. Là, des civils sont venus cette fois-ci. J’ai été chercher mon mari, toujours naïve que j’étais. Et dès qu’il est sorti de la pièce, toujours avec l’enfant, ils l’ont encadré. J’ai proposé de servir le repas. Les hommes ont mangé 215
avec mon mari, qui avait dû leur faire signe de se taire. Curieusement, mon homme ne mangeait pas. Et au moment de partir, il m’a dit : « Va avertir mon oncle qu’on est venu m’arrêter ». On l’a monté dans un camion et très rapidement, un groupe de militaire a encadré la maison. J’étais pétrifiée. Ils se sont mis à fouiller les lieux, en déchirant les matelas. J’ai été mise en résidence surveillée pendant des mois. Ma sœur vivait là aussi, elle était revenue d’Allemagne de l’Est, où elle avait étudié. Elle travaillait. Ça m’a beaucoup aidée. Même si un membre de ma famille voulait me visiter, il devait demander la permission au comité. Chaque nuit, je subissais des interrogatoires d’une violence verbale indicible. Mon état de grossesse m’a probablement évité le viol. On fouillait la maison chaque nuit pour trouver des armes. On me forçait à traiter mon mari de chien. « Je suis la femme du chien ». Le 25 janvier, on l’a fusillé au pied du Mont Kakoulima, avec d’autres. S’il avait été en état de marcher, je pense qu’il aurait fait partie des pendus qu’on a envoyés dans toutes les régions en guise d’exemple (Barry III en est le symbole). Le matin suivant, on a annoncé sa mort à la radio. Dans la journée, on m’autorisait à sortir pour aller chez ma sage-femme (Mme Diakité). Et j’en profitais pour rendre des visites à des connaissances qui m’ont toutes fermé la porte au nez, en faisant dire à leur boy de ne pas m’ouvrir, ils ne voulaient pas me voir. G. un ami d’enfance de mon mari qui passait beaucoup de temps à la maison auparavant, n’est pas revenu me voir après l’arrestation. Il avait fait l’expérience des camps, et c’était trop pour lui. Des membres de ma famille ont tenté de venir me voir en vain, et plus tard, ils ont été tués. Ma sage-femme m’a été d’une grande aide. Elle avait donné naissance à mon premier fils (à Siguiri) et ensuite, mutée à Conakry, elle a mis au monde ma fille le 13 mai. Les militaires m’ont laissé me rendre chez elle la nuit où les contractions ont démarré. Elle m’a permis de faire le travail chez elle (je m’y suis rendue en pleine nuit). A 6h, elle m’a emmenée à la maternité. J’ai accouché à 7h d’une petite fille de 2 kg. Elle m’a ensuite déposée chez moi. Personne n’a voulu baptiser l’enfant. 216
On a pu le faire chez une belle-sœur, à 6h du matin, en égorgeant le mouton ailleurs. Par la suite, le gouvernement a décidé que j’étais gênante. Ils ont confisqué mes biens en me demandant de quitter Conakry. Mon père m’avait fait parvenir de l’argent. J’ai pu acheter des billets d’avion et regagner Labé avec mes enfants. Mon père m’a récupérée à l’aéroport. Sur ordre du gouvernement, je devais chaque semaine pointer au ministère de la MoyenneGuinée, où je subissais encore des insultes. Le 9 novembre, un autre drame m’a frappé : ma fille est décédée. La ville s’en est émue (en fait ils pleuraient mon mari). Mon père m’a prise à part et m’a demandé de partir : « Qu’on ne t’humilie pas plus ici ma fille ». Je suis rentrée à Conakry et des amis de mon mari se sont arrangés pour organiser ma fuite. Un docteur est passé me visiter une nuit. Je pensais qu’on venait m’arrêter et je suis tombée au sol. Il a dit à ma sœur que je n’allais pas tenir. Je crois (sans être sûre) que c’est lui qui a tout organisé. Un homme est venu me chercher en pleine nuit pour me transférer en camion en Sierra Leone, puis au Libéria. J’ai atterri à Dakar où j’ai pu, grâce aux contacts de mon mari et à ma famille, reprendre des études et assurer un avenir à mon fils. Propos recueillis le 18 juillet 2012
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DR THIERNO BAH, MILITANT DE LA DIASPORA GUINEENNE, AUTEUR J’étais étudiant en médecine au moment de l’indépendance, en 1958 j’étais en 3ème année. J’ai participé à la lutte pour l’indépendance dans le cadre estudiantin. Je suis venu faire ma thèse à Paris ensuite et en 1961 les enseignants guinéens ont été arrêtés. J’étais en congé en Guinée au moment où les membres du syndicat enseignant ont rédigé le rapport qui les a conduits en prison35. Ils m’en ont confié un exemplaire en me disant de le lire dans l’avion lors de mon retour à Paris. A mon arrivée, j’ai appris qu’ils ont été arrêtés. Sékou Touré leur reprochait d’avoir diffusé un rapport subversif à l’étranger via l’ambassadeur de Russie, Raphaël Solod. Je sais qu’ils ne l’ont donné à personne d’autre que moi, et moi je ne l’ai remis à personne. C’est ainsi que je suis rentrée dans la lutte… Les Guinéens de la diaspora sont restés en exils par refus de la dictature. On devait assister nos copains qui avaient été arrêtés injustement. Nous avons organisé un mouvement de protestation de l’extérieur, pour qu’on les libère. En 1965, Amnesty International a élu Keita Koumandian prisonnier de l’année et ils ont braqué les objectifs sur la Guinée. Personnellement je n’ai pas participé à une lutte d’opposition, mais plutôt de protestation, c’était plus humanitaire. Je n’étais pas impliqué dans les mouvements de libération. En 1970, je vivais à Abidjan. J’ai appris par la radio que des Guinéens et des Portugais avaient débarqué en Guinée. On m’a dit d’écouter Radio Conakry et j’ai entendu Sékou Touré parler. Avec les cadres exilés guinéens de Côte d’Ivoire (Dr Charles Diané, Bah Mamadou, Tout Passe, Dr Saïdou Conté, Diallo Ousmane Kankalabé, Koman Diakité), nous nous sommes réunis pour voir ce que nous pouvions faire, parce que nous pressentions qu’il allait y avoir représailles et donc des réfugiés allaient affluer. Je ne savais pas à ce moment que des personnes de mon entourage proche étaient impliquées dans l’opération, 35 Cet événement est connu sous le nom du « complot » des enseignants. CF Guinée 61, L’Ecole et la Dictature, Koumandian Keïta, Ed Nubia
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notamment Siradiou Diallo qui est mon neveu. Très peu de temps après, j’ai eu une mission à Paris. J’en ai profité pour aller voir Siradiou qui m’a donné beaucoup d’explications. Sur ce, il m’entraîne dans un quartier de Paris chez le commandant Diallo, qui portait un pansement fait par un certain Barry Abdoul. Lorsque je l’ai vu, j’étais fier : pour une fois, des Guinéens ont pris le risque d’aller dans ce pays hermétiquement fermé pour déclencher une action militaire. On reprochait aux Guinéens de ne faire que des discours. J’étais heureux d’être devant le gars qui a déclenché ça. Je lui ai dit : « Je ne sais pas comment vous avez fait, ça ne m’intéresse pas, je suis antimilitariste mais je vous soutiens. Ce que vous avez fait, c’est courageux. Et je peux vous dire qu’autour de moi, les gens pensent ça et vous soutiennent. Revoyez vos amis et dites que les Guinéens sont derrière vous. Continuez, on va réussir ». Voilà le premier contact que j’ai eu avec lui et nous avons maintenu cette relation jusqu’à son décès. Je ne sais pas grand-chose de l’organisation de cet événement, n’étant pas impliqué dans le front. J’ai seulement fréquenté des figures qui y ont été impliquées. Siradiou notamment, qui était un leader né, un rassembleur et un homme discret à la fois. J’ai connu David Soumah au Sénégal dans les années 50 à Dakar, mais je ne le fréquentais pas à proprement parler. Je suis de la génération de Jean-Marie Doré et nous nous sommes croisés durant nos études. Cette personne, que je ne fréquentais pas non plus, était contrôleur du travail en Guinée dans les années 57-58. Pour son implication dans le 22 novembre, je n’ai comme éléments que les documents publiés par Sékou Touré dans Horoya. La correspondance de Charles Diané et Conté Saïdou à Jean-Marie Doré a été reproduite dans le journal. Mes amis et moi-même sommes convaincus qu’il a vendu les acteurs du 22 novembre à Sékou Touré. Il travaillait au BIT (Bureau International du Travail) à Genève. Il était officiellement un opposant au régime, mais c’était une couverture. Il était l’agent du régime. Charles Diané me l’a dit et cela a été corroboré par les publications dans le Horoya. 219
Comment Sékou a-t-il obtenu ces lettres personnelles adressées à M. Doré ? On peut tout imaginer, mais il est très probable qu’il lui ait tout simplement communiqué ! C’est globalement ce que je peux dire du 22 novembre… Propos recueillis le 11 septembre 2012
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LES PROCHES DU COMMANDANT DIALLO
Aguibou DIALLO, ancien militaire et activiste de l’opposition guinéenne en France : J’ai intégré l’armée française en 1958, avant l’indépendance, et j’ai servi en Côte d’Ivoire et au Sénégal. A cette occasion, j’ai connu de nombreux acteurs du 22 novembre 1970 bien avant les événements, notamment Siradiou Diallo à Dakar, alors qu’il était étudiant. De par l’armée, j’ai aussi côtoyé bon nombres de militaires qui seront ensuite impliqués dans l’événement. J’ai rencontré ton père à Dakar en 1962, alors qu’il rentrait tout juste d’Algérie. Il faisait partie de ceux qui ont négocié la démobilisation des militaires guinéens de l’armée française, dont on ne savait quoi faire. Nous étions interdits de séjour en Guinée et par ailleurs, nous n’étions pas des citoyens français. Ton père, étant officier, avait accompli des missions diplomatiques entre les militaires et le gouvernement français pour négocier leur solde et leur statut. Je suis arrivé en France, à Perpignan en 1963, mais malgré la distance, nous sommes restés en contact. Dans les années qui ont suivi, David Soumah a convaincu ton père de s’impliquer dans le FLNG. En juillet 1970, les autorités sénégalaises ont eu vent des activités subversives que menait ton père. Senghor a donc décidé de l’expulser. A son arrivée à Paris où je résidais, ton père m’a contacté et nous nous sommes vus dès le lendemain et très régulièrement ensuite. Le commandant Diallo cherchait un intellectuel qui pourrait apporter son soutien et son témoignage dans l’opération en préparation. Nous avons évoqué ensemble certains cadres, mais on ne pouvait pas nous assurer de leur engagement. Nous avons donc entrepris de contacter Siradiou Diallo de Jeune Afrique, qui dirigeait le RGE. Nous n’étions pas totalement sûrs de pouvoir lui faire entièrement confiance, mais on ne voyait que lui qui pourrait convenir malgré tout. J’ai donc mis en contact le commandant et Siradiou, ils se sont rencontrés au Café de la
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Paix, à Opéra. Quelques temps après, ils ont embarqué pour le Portugal. De ce qu’on m’a dit, sur le bateau qui les conduisait sur le lieu du débarquement, certains Guinéens étaient déjà en train de négocier le partage des pouvoirs si l’opération réussissait. Par ailleurs, je sais aussi que durant l’opération, ton père a désarmé le capitaine Ibrahima Diallo, qui était officier de marine à Conakry. Et lorsque le commandant a été blessé, le capitaine en question a accompagné les troupes assaillantes jusqu’à la plage d’où ils ont embarqué pour les bateaux portugais. D’ailleurs, lorsque moi et le commandant, nous sommes retournés à Conakry après la mort de Sékou Touré, c’est chez lui que nous avons logé. Jammes Soumah, président de la Ligue Guinéenne des Droits de l’Homme en France : Moi je ne sais que peu de chose du débarquement, n’étant pas impliqué dans ces affaires. Je suis un ancien cadre des services sociaux français et un militant des Droits de l’Homme. Il se trouve que je suis le neveu de David Soumah, qui a dirigé le FLNG. Avant les événements, il m’avait mis au courant de ce qui se tramait. A l’époque j’étais contre. Je lui ai dit qu’on ne pouvait pas libérer un pays en s’alliant à des fascistes (le gouvernement portugais). Il logeait à l’hôtel près de chez moi. Un jour, je suis passé le voir avant d’aller au boulot, comme je le faisais chaque matin. Et les services de l’hôtel m’ont appris qu’il était parti dans la précipitation. J’ai compris qu’il s’était embarqué pour le Portugal. J’ai su après qu’on l’avait mis en résidence surveillée à Lisbonne pendant l’opération. De mon point de vue, il y a eu de la précipitation dans la préparation. Avaient-ils le choix, je ne sais pas. Mais ils ne se sont pas liés aux bonnes personnes et en ça, ils ont été légers. Propos recueillis le 21 septembre 2012
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LES VICTIMES DE LA REPRESSION DE 1971 (nouvel élément)
Après la constatation de la véracité l’agression et les multiples condamnations internationales, vint le temps de la punition. Trop heureux d’avoir survécu à la menace qui planait sur son régime, Sékou Touré a trouvé là l’occasion rêvée de prouver la légitimité de sa paranoïa. L’événement venait confirmer son état de complot permanent et laisser supposer la véracité des précédents complots lui ayant permis d’éliminer la fine fleur de l’intelligentsia guinéenne, afin d’asseoir son pouvoir insatiable sur son peuple. Les relations diplomatiques entre la Guinée et le Sénégal se sont tendues après les déclarations de Sékou Touré qui se vantait d’avoir mis en place un réseau d’espionnage en territoire sénégalais. L’ambassadeur sénégalais est rappelé par ses autorités et Dakar expulse son homologue guinéen. Les Ouest-allemands se voient accusés de complicité également. Le Sénégal déclare ouvertement punir et expulser les activistes guinéens présents sur son sol. Les archives suivantes proviennent notamment de la presse internationale, et du livre blanc consacré à l’agression. Elles y listent les multiples condamnations des supposés coupables de collaboration avec les agresseurs. On y trouve des gens qui ont de manière avérée mis en place l’opération, majoritairement ceux condamnés par
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contumace. Mais on notera qu’une grande partie du gouvernement ou de dignitaires qui, quelques jours auparavant, condamnaient les assaillants et soutenaient le régime avec zèle, se trouvent au banc des accusés sans pouvoir défendre leur innocence puisqu’on extorque les aveux au moyen de la torture. Les procès sont exécutés avec une rapidité incroyable et suivi de sentences souvent capitales. Il suffit de lire les déclarations pour comprendre. L’ironie du sort étant que les méthodes qu’ils érigeaient eux-mêmes comme étant l’incarnation de la révolution d’un peuple épris de justice sont les raisons qui vont les engloutir dans les abîmes de l’histoire. Autre élément clé, Jean-Marie Doré était un acteur majeur de l’organisation. Beaucoup de suspicion entourent ce personnage. La mise à jour de son rôle clé et le fait qu’il n’ait pas été mis en cause ni condamné lors des procès de 71, alors que tous les autres membres importants l’étaient, signe son forfait : il était la taupe. Il semblerait que l’opposition guinéenne ait commencé à le considérer comme tel à partir de 1973, comme peut d’ailleurs en attester notamment la publication d’époque Guinée libre, qui l’indexa alors comme étant celui qui les aurait vendus à Sékou Touré (cf annexe P242). D’ailleurs le diplomate André Lewin a eu les mêmes conclusions à son sujet dans la biographie qu’il consacra à Sékou Touré : « Curieusement, Jean-Marie Doré, fonctionnaire du BIT à Genève, ne figure pas sur les listes. Pourtant, une semaine avant le 20 novembre 1970, les services spéciaux de Lisbonne avaient
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informé leur antenne de Guinée-Bissau qu’ils allaient lui délivrer un billet d’avion ; ce qui fait que sa présence sur le lieu est très probable ; il a d’ailleurs depuis lors fait des déclarations qui montrent assez clairement qu’il avait gardé à travers toute cette période des contacts avec Sékou Touré. » Pour finir, plusieurs sources citent Madifing Diané, ancien responsable de la sécurité du palais présidentiel guinéen, et Ansoumané Doré, qui auraient déclaré que Jean-Marie Doré était leur indic. En conclusion, les conséquences judiciaires de l’opération donnèrent lieu à 29 condamnations à mort avec exécution immédiate, 32 par contumace et 72 aux travaux forcés. Parmi les condamnés, de nombreux dignitaires dont le fameux Barry III, ancien rival politique de Sékou Touré et ministre en exercice. Dans la liste des condamnés aux travaux forcés, on compte des gens qui ont été tués avant la sentence, notamment Juan Januario Lopes et Mario Dias, égorgés dans leur cellule. On compte notamment l’archevêque Tchidimbo parmi les condamnés aux travaux forcés. Cette valse de condamnations continuera toute l’année 71 et en 72. Selon Amnesty internationale, 50.000 guinéens auraient été tués durant la dictature de Sékou Touré, une grande partie dans l’emblématique camp Boiro (au moins 5.000). Le paroxysme a été atteint à cette période (71/72). Dans le livre de Kaba 4136, on 36
Dans la Guinée de Sékou Touré, P 63, Kaba 41, l’Harmattan, mai 98
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mentionne qu’une liste de 12.000 cadres guinéens aurait été faite en 1959, tous ont déjà disparu en 72. Pour illustrer la mansuétude du régime à l’égard de ses contributeurs, Alhassane Diop, ministre guinéen des télécommunications d’origine sénégalaise, ayant beaucoup contribué à organiser la défense du territoire (selon Jean-Paul Alata), a été chargé de mener une enquête sur l’agression pour mettre à jour les complicités dont avaient joui les assaillants. Il est ressorti de son rapport que les Guinéens n’avaient pas collaboré. On l’aurait remercié et envoyé en congé en Bulgarie pour quinze jours. A son retour, Ismaël Touré avait repris la commission, et conclu à la compromission de Diop lors du procès de la 5ème colonne le 29 juillet 1971. Il fut emprisonné dix ans au camp Boiro… Ceux qui cherchent plus de matière afin de se faire un avis précis sur la répression guinéenne de l’époque devraient consulter la littérature fournie des ex-prisonniers du célèbre camp Boiro. D’aucun pourront apprécier les méthodes du premier régime révolutionnaire !
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AUTRES ARCHIVES ET COURRIERS PERSONNELS POST 22 NOVEMBRE 1970 o Coupures de presse sur la diplomatie guinéenne et les condamnations en 1971 (Noumandian Keïta) o Liste des principaux condamnés à mort suite à l’agression (extraite du livre blanc L’agression portugaise contre la République de Guinée). o Accusation de traitrise à l’égard de JM Doré. Article du journal d’opposition Guinée libre du 22 nov 1973
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AUTRES ARCHIVES ET COURRIERS PERSONNELS POST 22 NOVEMBRE 1970
o Correspondance entre Abdoulaye Sow et le Cdt Diallo concernant le sort des familles des volontaires ayant participé et péri lors de l’opération (liste des hommes disparus) o Liste nominative mouvement FLNG
des
responsables
o Directive de renseignement mettant en lumière la stratégie du FLNG
du
militaire
o Espionnage et soupçons de trahison au sein de l’opposition guinéenne (Horoya publie une lettre du commandant Diallo et de David Soumah entre autres)
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LA GUINEE DES ANNEES 70, LA PRESSE ET LES PUBLICATIONS D’OPPOSITION o Jeune Afrique, 22 novembre 1970 : un an après l’agression, numéro du 11 décembre 1971
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LES OPPOSANTS ET LEUR VISION DES FAITS
Extraits du livre Guinée enchaînée, de Claude Abou Diakité37 L’auteur y publie la lettre d’un condamné à mort par contumace, dans laquelle il s’adresse directement à Sékou Touré. En voici quelques extraits : « En novembre 1970, les choses ont pu apparaître différentes à bon nombre d’observateurs ; la technique de tapage mise au point par vous et vos agents a pu faire croire à une « invasion du pays », à un « massacre des populations » par des « mercenaires de toutes nationalités », à une tentative délibérée d’un prétendu impérialisme international d’enterrer ce que l’on appelle trop pompeusement « la Révolution Démocratique de Guinée ». (…) A juste titre, l’Afrique et le monde se sont émus. Après cette première phase où le peuple de Guinée a été plaint sur tous les continents, où les secours et aides en argent, en cadres militaires (…) ont afflué sur Conakry, on a assisté à une deuxième phase où Radio Conakry a tiré le maximum de profit pour votre pouvoir personnel. (…) Depuis le début janvier, la machine infernale d’un Parti unique sectaire et répressif a été mise en branle pour apporter une prétendue caution populaire à ce crime massif qui dépasse l’entendement. (…) Il apparaît maintenant que cette lugubre mascarade ne recouvrait qu’une vaste opération de liquidation physique de tous les cadres guinéens à l’intérieur et à l’extérieur. De quel impérialisme vous gargarisez-vous sinon du vôtre propre qu’aucun principe, et qu’aucune éthique ne devraient plus justifier ni tolérer ? (…) Les forfaitures que 37
P 227-228, Guinée Enchaînée, Claude Abou Diakité
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vous avez commises à Conakry sont à la dimension de l’Afrique. (…) Elles doivent faire réfléchir et pousser à l’action pour changer le cours des choses avant qu’il ne soit trop tard. En novembre 1970, des patriotes qui aiment la Guinée bien plus que vous-même, écœurés par le spectacle indigne donné par notre pays, ont décidé de jouer de violence contre un régime qui gouverne par la violence. C’est aussi simple. Alors ils ont fait le sacrifice de leur vie pour que soit libéré le pays. Vous l’avez très bien compris. Vous savez très bien qu’il s’agissait moins d’une opération portugaise (…) que d’une courageuse tentative de vous éliminer par les méthodes mêmes que vous employez. (…) Le Portugal a bien sûr pu aider. Il fallait bien vous y attendre. De quels scrupules voulezvous que vos adversaires se réclament alors que vous, vous n’en avez point ? (…) Mais l’aubaine était trop belle. Vous avez saisi la perche et avez échangé quelques coups de feu tirés sur les plages de Conakry (car le peuple ne bougea pas), en cette guerre que vous menez désormais en permanence contre un peuple désarmé et innocent. Le traître c’est vous. (…) Vous êtes le premier et le seul fossoyeur du peuple guinéen et de l’unité de l’Afrique. Vous êtes devenu l’apôtre de la violence et du crime ; vous, le suppôt du plus atroce impérialisme que l’Afrique connaisse »38
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P 229-230, Guinée Enchaînée, Claude Abou Diakité
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ARCHIVES FRANÇAISES SUR LES MOUVEMENTS D’OPPOSANTS GUINEENS (nouvel élément)
Dans les pages suivantes se trouve une sélection des éléments glanés aux archives diplomatiques et dans celles du Ministère de la Défense française. Ce sont des notes issues des représentations françaises en Afrique de l’Ouest à destination du Ministère de la Défense, et des bulletins d’informations de ce même Ministère pour permettre à ses lecteurs d’envisager la situation globale de la Guinée. En 1970 et 71, on tentait de rétablir les relations diplomatiques entre les deux pays et surtout d’éviter d’être accusé d’ingérence dans la politique intérieure guinéenne. La quantité de notes faisant état des ressources minières guinéennes confirme la convoitise de la France sur ces richesses. Malgré l’aide apportée par OuphouëtBoigny et Senghor au mouvement du FLNG, tous les documents consultés, y compris la biographie de Jacques Foccart, semblent indiquer que les autorités françaises n’étaient pas impliquées dans l’opération Mar Verde et l’ont découvert lorsqu’elle est arrivée, et ce bien que les services secrets, et notamment les agents du SDECE, surveillaient les milieux d’opposants afin de prévenir une quelconque mise en danger du rétablissement de bonnes relations entre les deux pays. On remarque notamment la tension à la perspective d’une visite d’Ismaël Touré en France prévue en décembre 1970
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et compromise par le débarquement. Par ailleurs, on notera que le commandant Diallo était étroitement surveillé et le milieu des opposants noyauté d’agents qui rapportaient entre autres au SDECE. Sur une note à destination d’un ministre on lit « Je crois devoir vous recommander de faire contrôler pendant cette période les agissements du capitaine Diallo Thierno, de nationalité française qui a été expulsé par les sénégalais vers la France en juillet dernier pour avoir été à l’origine d’un complot dirigé contre le chef d’état guinéen ». Et dans une autre note du Ministère de la Défense qui fait le bilan de l’opération en avril 1971, on peut lire : « sous les ordres du capitaine DIALLO THIERNO, de nationalité française et ancien officier de notre armée, les expatriés guinéens du front de libération national de Guinée (FLNG) ont fourni la moitié des effectifs engagés ». Il a même été envisagé de faire un tri entre les Guinéens réellement fidèles à la France et les fauteurs de troubles expulsables. Autre élément intéressant, la persistance des opposants guinéens à s’organiser pour trouver un moyen concret de faire chuter le régime jusqu’en 72 à minima. Les archives parlent d’elles-mêmes !
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MA CONCLUSION ETOFFÉE
Que dire à présent de tous ces témoignages sur cet événement ? A la lecture de ces différentes descriptions, avis et versions des faits, plusieurs éléments semblent émerger et concorder : -
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L’opération était orchestrée de longue date, entre le Portugal et les Guinéens engagés dans le FLNG (Abidjan et Dakar). Le dirigeant de Côté d’Ivoire (Houphouët-Boigny) a apporté son aide concrète et matérielle à l’opération. Ce dernier a évoqué l’implication du Sénégal dans l’opération. Dans le récit qu’a fait mon père de sa réconciliation avec David Soumah, il précisait que David Soumah était appuyé par les autorités sénégalaises, des accords officieux avaient été signés entre les Portugais et les autorités sénégalaises. Les derniers documents mis à jour dans le cadre des recherches de José Matos prouvent de manière avérée et indiscutable que Senghor était informé, avait donné son accord pour laisser les activités du FLNG se dérouler, et avait facilité le contact entre le Portugal et le FNLG. Cependant, malgré la connaissance de la préparation de l’opération au plus haut niveau, les autorités sénégalaises ont coopéré à livrer mon père lorsque le recrutement en vue du coup fut découvert (realpolitik oblige). Le FLNG avait mis en place des groupes dans plusieurs autres pays (Mali, Gambie, SierraLeone et finalement France) sans qu’il soit avéré que les pouvoirs locaux soient impliqués matériellement dans l’opération, et
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si tel a été le cas, leur implication fut très discrète, probablement connue uniquement de quelques dirigeants du FLNG, voire tacite. Lors de la dernière parution du livre et au regard des informations que j’avais alors, je considérais que David Soumah n’avait pas été écarté, même si on voyait alors qu’une certaine suspicion avait surgi entre mon père et lui. Je considérais qu’il s’était retranché et que mon père avait continué l’action seul temporairement, interprétant ce retrait de D. Soumah comme de la lâcheté. Selon le témoignage de mon père, les Portugais auraient exigé leur réconciliation quelques jours avant le départ pour l’île de Soga pour continuer à apporter leur soutien au groupe. David Soumah avait jusque-là été pressenti comme étant le potentiel successeur de Sékou Touré si l’opération avait réussi. Cela dit, à la lumière du récent témoignage de Luis Costa Correia, il apparaît que sur les bateaux qui les amenaient à Conakry, il était clair que les trois hommes à bord (Siradiou Diallo, Hassan Assad et mon père) devaient constituer le cœur du gouvernement provisoire qui aurait succédé à Sékou Touré en cas de succès, avec mon père à la tête de celui-ci. Par ailleurs, Luis Costa Correia m’a indiqué qu’un adjoint du commandant Calvão lui aurait dit avoir surpris ce dernier pendant le débarquement en train de fignoler un discours en français. Probablement celui qu’il avait l’intention de fournir à mon père en cas de réussite, cela aurait été lu à la radio pour annoncer l’issue du débarquement. Calvão se serait également rendu dans Conakry à Boulbinet, pendant le débarquement, afin de vérifier la réussite de 282
la prise de la radio. Ayant constaté l’échec de cette étape-là, combinée à celui de l’aéroport, il aurait décidé de rebrousser chemin, parce que ses forces risquaient l’attaque des MiGs (avions russes dont la Guinée était détentrice). Que s’est-il donc passé entre la rencontre de Lisbonne entre Soumah et mon père et la situation du bateau ? Mon père avait indiqué avoir déclaré avant le départ pour Conakry les malversations des hommes mandatés par Soumah et le fait que les soldats n’aient pas été payés. Par ailleurs, lors de mes échanges avec Luis Costa Correia, celui-ci m’a confié avoir lu (probablement dans un rapport de la PIDE) que les autorités portugaises avaient une vision positive de Soumah mais craignaient son appétit pour les choses de la vie (argent notamment), et que mon père était perçu comme intègre. Est-ce ce qui a fait évoluer la situation et placé mon père comme potentiel successeur ? Y a-t-il eu influence de la part de mon père et ses deux acolytes du bateau ou simplement changement d’avis des autorités portugaises à la lumière des malversations et de renseignements sur Soumah ? Il s’avère que c’est Calvão qui a pris cette décision. Il le dit dans le livre de Sidiki Kobélé Keïta, que je ne porte pas dans mon cœur pour son manque d’honnêteté intellectuelle et son soutien indéfectible au PDG. Il a néanmoins obtenu une interview très intéressante d’Alpoïm Calvão dans laquelle il explique longuement comment on a fini par privilégier la branche militaire de la branche civile. En parlant de David Soumah,
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Calvão explique pourquoi il n’était pas sur le terrain39 : « Je voulais ce type à Lisbonne, je ne le croyais pas capable de garder le secret (…) il m’a paru capable de se confier à quelqu’un. (…) Thierno Diallo ou Hassan Assad étaient des militaires (…) David Soumah aurait servi à quoi ? A rien, Les deux premiers ont servi comme militaires. » Alors que Kobélé tente de sous-entendre que mon père, Siradiou et Assad auraient trahi et écarté Soumah et Doré, Calvão confirme que David Soumah a été écarté par lui seul et développe ensuite : « Pourquoi j’aurais transporté un Jean-Marie Doré qui aurait fui au premier coup de canon ? ». Calvão va plus loin dans ses confidences sur son opinion à propos des militaires du FLNG : « Même s’ils avaient eu la chance de renverser le pouvoir, ils n’auraient tenu que trois ou quatre mois (…) mais cela nous intéressait. Ce délai nous aurait permis de couper la tête du PAIGC » Il exprime ses doutes sur les cadres dirigeants du FLNG dont Soumah qu’il qualifie de malhonnête pour avoir prévu plusieurs listes de gouvernement en cas de victoire. Il déclare également pour justifier son choix : « Pour moi les militaires étaient des gens normaux, convaincus qu’ils menaient une bonne chose en faveur du peuple de Guinée (…) Je les ai vus à l’Ile de Soga, De braves gens. ». C’était donc un marché de dupe que Calvão reconnait sans regret dans cette interview. Ils ont laissé penser le FLNG qu’ils avaient une chance de renverser le pouvoir alors même qu’ils étaient convaincus qu’ils ne tiendraient pas trois mois. Et ça leur permettait de libérer leurs prisonniers et d’affaiblir le PAIGC. C’est aussi parce que Calvão était 39
La Guinée de Sékou Touré, P 285, S. K. Keïta, L’Harmattan, 2014,
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conscient que ce marché était malhonnête qu’il ne pouvait pas répondre à mes questions, parce que je suis la fille de celui qu’il était prêt à sacrifier sans vergogne pour les intérêts du Portugal. Il est amusant de lire de la part de cet homme des accusations de malhonnêteté sur le FLNG au même moment où il confesse sans état d’âme ses propres manœuvres très discutables sur le plan éthique. Autre information importante issue des conversations avec Luis Costa Correia, Alpoim Calvão aurait demandé à la PIDE, de faire enfermer David Soumah à Lisbonne pour quelques semaines, le temps que les réactions internationales se calment. Et par ailleurs, environ cent cinquante membres du FLNG ayant participé au débarquement ont été trompés et emmenés à la frontière guinéenne, sous prétexte d’infiltrer le territoire guinéen pour poursuivre l’opération. Les Portugais n’ont pas dit aux hommes que cela avait totalement échoué. Ils ont donc abandonné ces soldats à leur sort à Koundara. Tous ces hommes n’ont pas rejoint le Sénégal au retour de l’opération, leurs noms sont listés dans cet ouvrage par mon père. Cela corrobore le rapport que j’ai transmis dans ce présent ouvrage sur cette « opération Koundara » qui a eu lieu quelques jours après le débarquement. Je m’interrogeais sur son auteur et sa pertinence. Il semble écrit par Hassan Assad mais il n’est pas signé. Il ressort donc que les autorités portugaises se sont débarrassés des gens qui auraient pu parler et valider la réalité du débarquement. Ils ont juste eu l’élégance de ne pas assassiner les chefs, 285
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j’imagine que ça leur est néanmoins passé par la tête. Et pour pouvoir assurer que les informations ne fuitent pas, le Portugal a très probablement exfiltré rapidement mon père, Assad et Siradiou Diallo, ou a minima, fait en sorte qu’ils ne communiquent pas avec les troupes. Le FLNG et le RGE étaient partiellement composés de personnes malveillantes, qui ont au mieux détourné de l’argent destiné aux volontaires pour l’opération et à leurs familles, au pire dénoncé les courageux qui ont tenté d’infléchir le cours de l’histoire (Jean-Marie Doré). Ces hommes sont les seuls à pouvoir être qualifiés de traîtres et portent avec le PDG la responsabilité de l’état actuel de la Guinée. Le Portugal avait pour but premier de récupérer ses prisonniers et de démanteler le PAIGC, dans l’anonymat total, masqué par le coup d’état des membres du FLNG. Le renversement du régime de Sékou Touré était considéré comme une conséquence souhaitable, avec l’installation d’un régime plus amical pour les intérêts portugais, mais pas comme l’objectif premier, et c’est là leur erreur. Les assaillants ont maîtrisé le terrain sans opposition pendant six heures. Ils ont perdu le contrôle en raison de plusieurs facteurs : la défection du matériel de communication (talkies-walkies), la sécession de l’unité de Juan Januario Lopes (qui devait attaquer le camp Alfa Yaya, détruire les avions MiGs et assurer l’impossibilité d’une réplique aérienne), l’ignorance des troupes afro-portugaises de leur mission (l’unité chargée d’appréhender 286
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Sékou Touré a dû être impressionnée de sa mission), le manque de renseignements et d’appuis internes du FLNG qui auraient permis de localiser Sékou Touré… et l’échec de la prise de la radio. Par ailleurs, la trahison de Juan Januario Lopes officialisait la participation du Portugal à l’opération, d’où la décision de départ précipité des Portugais. La seule réelle opposition côté guinéen fut celle des troupes du PAIGC, et de militaires cubains (donc des éléments étrangers proTouré). Les Guinéens ont accueilli l’événement dans le calme, sans savoir vers qui manifester leur approbation, par peur du régime. La population n’a pas pris les armes pour se défendre, on a vêtu de treillis des partisans du PDG et armé les miliciens et militaires une fois que les assaillants furent en minorité. Les assaillants n’ont tué que lorsque c’était nécessaire à la poursuite de leur opération et à leur sécurité. Ils ont désarmé, pris en otage ou libéré des personnes qui étaient pourtant de potentiels ennemis. Chaque victime est une victime de trop évidemment, on en déplore entre 400 et 500, sans pouvoir dire clairement sous quelles balles elles ont péri. Mais la théorie du carnage volontaire est clairement douteuse. Aucun journaliste n’a pu enquêter correctement en Guinée après ces événements. Ce qui est sûr c’est que le gouvernement guinéen en a profité pour liquider tous ceux qu’il aurait de toute façon tués un peu plus tard. Les crimes de Sékou Touré n’ont pas 287
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commencé en 70, le 22 novembre n’a fait qu’accélérer la folie meurtrière du tyran, mais il ne faut pas se tromper de coupable ! Le manque flagrant d’unité de l’opposition guinéenne et le fait qu’ils ne soient pas des politiciens rompus aux tactiques et au cynisme que nécessite cet exercice a beaucoup compté dans son incapacité à faire flancher le régime en place : pas assez d’altruisme et d’unité dans les motivations, trop de rivalité, pas assez de transparence dans la gestion. La facture a été salée pour le peuple guinéen !
D’autres questions qui restaient en suspens sont désormais résolues : -
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Sékou Touré savait l’essentiel de l’opération puisqu’il est avéré que le milieu des opposants était fortement infiltré et que l’on peut considérer comme acquis que JeanMarie Doré, co-dirigeant du FLNG, était en fait un agent de Sékou Touré. Le dictateur connaissait l’existence de ce projet d’attaque et la savait imminente, il n’en avait pas le plan puisqu’il n’a été révélé qu’aux militaires et ce, au dernier moment. Sékou Touré a joué au poker, en laissant l’événement se dérouler puisqu’il ne pouvait l’empêcher… Il a pris le soin de neutraliser sa propre armée pour éviter qu’elle ne se joigne aux forces assaillantes. Il s’est s’abrité dans le calme et avec efficacité en attendant que ça se passe. Il demeure clair qu’il n’y a pas eu collusion entre le Portugal et la Guinée. Trop d’éléments prouvent qu’ils n’avaient aucun intérêt à avoir Sékou Touré au pouvoir. 288
Personne ne peut l’affirmer, et plus on avance dans les recherches, plus les doutes se sont dissipés. Le témoignage de Costa Correia, de Calvão et les recherches de José Matos suggèrent l’inverse, les Portugais semblaient espérer la chute de Sékou Touré. Mon père, en constatant l’éloignement des bateaux de la rive, a douté de leur loyauté et l’a exprimé lors de son échange avec Correia. Celui-ci lui a expliqué les raisons du stationnement à un mile (la marée et la possibilité de tirs). Mais le déroulement des faits a joué en la faveur de Sékou Touré. Il en savait suffisamment pour laisser les Portugais récupérer leurs prisonniers en espérant que ça leur suffirait et qu’ils partiraient. Il a dû compter sur la réaction des Cubains et du PAIGC qui ont été les seuls à résister dignement aux assauts. C’est ce qui s’est passé, un formidable coup de poker au profit du dictateur. J’exhorte les chercheurs guinéens à mener leurs propres recherches sur toute la période du premier régime indépendant, en toute objectivité. C’est bien pour ça que j’ai cherché à enquêter et livrer toutes ces archives. Ce dont il faudra se souvenir à l’avenir, malgré la propagande toujours en vigueur : -
Des centaines d’hommes, civils et militaires, anonymes avant 2014, ont osé dire non à Sékou Touré. Ils se sont alors portés volontaires pour en finir avec le régime qui asservissait leurs familles restées en Guinée. Ils n’étaient pas forcés de le faire, ils étaient à l’abri à l’étranger. Ils ont payé ce sacrifice au prix fort et laissé des familles sans ressources. Leur sang a été versé et l’histoire, jusqu’à présent, les qualifie de mercenaires 289
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ou de traîtres. J’ose espérer que cet ouvrage contribuera à réhabiliter ces patriotes guinéens, ces fous qui ont osé risquer de changer le cours des choses, de reprendre le destin de leur pays en main, de faire cesser la folie qui régnait alors. Les responsables guinéens de l’opération Mar Verde n’étaient que des hommes, avec ce que cela comprend de faiblesse, de compromission, de corruptibilité. Certains avaient de nobles ambitions, d’autres étaient plus cyniques. Les responsables ont survécu au massacre qui a suivi. Ils sont tous morts aujourd’hui, emportant avec eux les questionnements d’un pays, les tourments ou la sérénité de leur conscience. Puisse cet ouvrage contribuer à apaiser les tensions entre les Guinéens, et à informer ceux qui ont subi lourdement les conséquences de cette tentative au sein de leur famille. Puisse ces derniers juger avec un peu d’indulgence ceux qui ont tenté d’agir avec les moyens de l’époque, et puissent-ils réfléchir aux conséquences de la résignation ou de la collaboration de nombreux Guinéens, surtout dans la configuration actuelle du pays qui, en 2020, se voit confisquer son droit à la démocratie par un hold-up constitutionnel.
La Guinée de Sékou Touré vivait sous la terreur, il aurait été souhaitable que cela cesse. Dieu a voulu qu’il en soit autrement. N’oublions pas qu’on déplore des milliers de victimes de ce régime, assassinées de façon aussi atroce qu’inhumaine, parmi lesquels Diallo Telli (premier secrétaire général de l’OUA). Ce funeste régime aura réussi à tuer une grande partie des forces vives, des talents et des cerveaux que la Guinée d’alors comptait. Je 290
souhaite à ce pays que son fardeau s’allège et qu’il puisse rapidement devenir ce qu’il aurait dû être depuis longtemps, une terre de paix et de prospérité. Il ne tient qu’aux hommes d’agir et chacun fait comme il peut pour infléchir l’histoire. D’autres ont tenté à leur manière de faire flancher ce régime, comme les femmes de juin 77, qui ont réussi à faire vaciller le tyran, ou encore les attentats manqués de février 1981 à l’aéroport de Conakry ou de mai 1982 au palais présidentiel, ces événements étant le fait d’opposants de l’intérieur ces fois-ci. Cet ouvrage avait pour but de contribuer à entrevoir la vérité sur cette triste opération Mar Verde du 22 novembre 1970 et ses protagonistes. C’est chose faite, j’estime avoir accompli mon devoir envers mon père et envers mon pays d’origine. Aux Guinéens de continuer à écrire leur histoire et à eux de savoir ce qu’ils feront de leur patrimoine historique. Et pour clore cet ouvrage, je souhaiterais laisser les lecteurs méditer sur les mots que l’auteur Amadou Diallo (qui fut emprisonné aux côtés de Diallo Telli) rapporte du célèbre détenu que Sékou Touré a sacrifié par la diète noire au sinistre Camp Boiro : « Après dix-neuf jours de tortures et de privation de nourriture et d'eau, le Président Ahmed Sékou Touré a obtenu de moi, pour les besoins de sa radio et de sa presse, ma signature et l'enregistrement d'une certaine déclaration. Dans cette déclaration où il est question de trahison, je plaide coupable. Aujourd'hui mon tour est venu d'être trahi par le chef du PDG. En laissant à la sagesse de l'opinion publique le soin de porter un jugement de valeur sur la déclaration enregistrée pour les besoins de la cause, je lui demande d'examiner mon passé politique avec circonspection. Si j'ai trahi, c'est la Guinée, c'est l'Afrique que j'ai trahie. C'est l'espoir que des gens ont mis en moi qui ai eu la chance d'occuper de hautes fonctions. (…) Très honnêtement je dois dire que mon
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silence, devant la transformation de mon pays en une geôle d'une part et l'anarchie politique qui déchire mes compatriotes exilés d'autre part, me fermait la porte de l'exil. (…) Sur les conseils d'amis intimes restés en Guinée, et pour être conséquent avec moi-même, j'ai opté pour le retour au pays. Et je suis rentré pieds et poings liés. Lorsqu'on a fini d'extraire le jus d'un citron, on se débarrasse de l'écorce. Je ne suis pas moins responsable que mes prédécesseurs au Camp Boiro qui ont payé de leur vie la faillite économique du régime. Car toute la vérité est là : incapable de sortir la Guinée de la misère politique, économique, sociale, morale engendrée par le régime, sorte de cercle vicieux créé par lui et dont, il ne peut sortir, Sékou Touré se saisit périodiquement d'une fournée de ministres et d'officiers et les présente au peuple comme étant le frein au bonheur tant attendu. Aujourd'hui nous sommes en plein délire anti-Peul. Mais je crois que malgré toutes les campagnes de haine inspirées par le Président (…) ou d'autres encore, les populations soussous sauront éviter la violence à l'égard de leurs frères peuls, que ces deux populations avec les autres qui constituent la République de Guinée sauront découvrir leur identité et leur complémentarité, ciment de l'unité nationale. Ce jour viendra. »40 DIALLO Telli
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Extrait de la Déclaration authentique de Diallo Telli, rapportée dans l’ouvrage d’Amadou Diallo, La Mort de Diallo Telli, P 183, Ed Karthala
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IMAGES INÉDITES DE MAR VERDE
Photos prises à l’initiative de Luis Costa Correia à l’aller du débarquement De gauche à droite officier Vieira Pita, le Commandant Diallo, Commandant Luis Costa Correia, Hassan Assad, Siradiou Diallo, un médecin militaire portugais
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Au retour du débarquement, de gauche à droite, le commandant Diallo, Hassan Assad, Luis Costa Correia
Photo de groupe prise sur la Montante le 22 novembre 1970
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copyright Paulo Alegria
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DOCUMENTS ANNEXES D’AUTHENTIFICATION o Arrêté d’expulsion sénégalais commandant Diallo en juillet 1970
du
o Scans extraits du manuscrit original de l’autobiographie inachevée du commandant Diallo (extraits cités auparavant dans cet ouvrage en page 85) o Documents personnels d’identification du commandant Diallo : carte d’identité, lettre manuscrite adressée à moi-même sa fille et copie des cartes des partis d’opposition ou association d’entraide franco-guinéenne qu’il a fondés à Paris les années qui suivirent.
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BIBLIOGRAPHIE La Vérité du Ministre, Alpha-Abdoulaye Diallo, Ed Calmann-Levy Sékou Touré, Un totalitarisme africain, Maurice Jeanjean, Ed L’Harmattan Camp Boiro -Parler ou Périr, Alsény-René Gomez, Ed L’Harmattan Mon Combat pour la Guinée, Thierno Bah, Ed Karthala 30 ans de violence politique en Guinée, 1954-1984, Thierno Bah, Ed l’Harmattan Sékou Touré, le héros et le tyran, Ibrahima Baba Kaké, Ed Jeune Afrique Guinée, les cailloux de la mémoire, Nadine Bari, Ed Karthala La Guinée, Muriel Devey, Ed Karthala Une ambition pour la Guinée, Julien Condé Abdoulaye Diallo, Ed L’Harmattan Prison d’Afrique, Jean-Paul Alata, Ed Seuil Guinée : l’Albanie de l’Afrique ou neo-colonie américaine, Alpha Condé, Ed Git-le-Cœur Guinée enchaînée, Claude Abou Diakité L’agression portugaise contre la République de Guinée, Livre Blanc L’impérialisme et sa Vème colonne en République de Guinée, RDA N° 47
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L’Affaire Alata, pourquoi on interdit un livre en France, Hervé Hamon-Patrick Rotman, Ed Seuil Journal de l’Elysée, Tome III : Dans les bottes du Général, Jacques Foccart, Ed Fayard - Jeune Afrique Guinée 61, L’école et la dictature, Koumandian Keïta, Ed Nubia Guinée, le temps des fripouilles, Sako Kondé, Ed La pensée universelle La mort de Diallo Telli, Amadou Diallo, Ed Karthala Dans la Guinée l’Harmattan
de
Sékou
Touré,
Kaba
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La Guinée de Sékou Touré, Sidiki Kobélé Keïta, l’Harmattan José Matos & Mário Matos e Lemos, Ataque a Conakry - Antecedentes e Consequências da Operação Mar Verde, Fronteira do Caos Editores, Lisboa Systemkonflikt in Afrika Deutsch-deutsche Auseinandersetzungen im Kalten Krieg am Beispiel Guineas, 1969–1972, Cord Eberspächer und Gerhard Wiechmann Archives de la Défense Nationale Portugaise Archives des Ministères des Affaires Etrangères et de la Défense Français Archives personnelles du Commandant Diallo
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Cette opération, plus connue sous le nom d’agression du 22 novembre 1970, demeure une date clé de l’histoire moderne guinéenne, qui a marqué le début d’une répression hystérique et injustifiée du régime de l’époque sur son peuple. 50 ans après les faits, alors que la Guinée vit toujours une actualité tourmentée, la réédition de cet ouvrage éclaire d’un jour nouveau la personnalité des acteurs de l’opération Mar Verde. On sait enfin qui étaient ces hommes, quelles puissances ont participé, pourquoi et comment cette vaste opération a échoué. Mêlant archives officielles ou personnelles et témoignages croisés, il est enfin possible d’avoir une vision globale et juste de cet événement focal pour la Guinée.
Journaliste et chef d’entreprise, Bilguissa Diallo est également l’auteur de deux autres ouvrages (un roman et un livre jeunesse). Suite à la découverte de nouvelles archives, elle choisit de se pencher à nouveau sur cette page de l’histoire dans laquelle sa famille est personnellement impliquée.
Illustration de couverture : © duncan-kidd - Unsplash.com
ISBN : 978-2-343-21536-5
31 €
9 782343 215365
Bilguissa Diallo
Au petit matin, la radio guinéenne dénonce l’attaque, les bateaux ont repris le large avec une partie de leurs troupes. Pour les assaillants restés à terre, la chasse s’organise, leur sort est scellé ! Sur le plan diplomatique, les réactions politiquement correctes des chancelleries fusent. Sékou Touré tourne les événements à son avantage et attire la sympathie du monde entier.
GUINÉE, 22 NOVEMBRE 1970
Dimanche 22 novembre 1970, deux heures du matin au large des côtes de Conakry en République de Guinée, six bateaux accostent. A leur bord, quelques centaines d’hommes armés en treillis, ils partent à l’assaut de la capitale guinéenne. Leur objectif ? Prendre le pouvoir en s’emparant d’éléments stratégiques ! Mais qui sontils au fait : Guinéens, étrangers, les deux ?
Bilguissa Diallo
GUINÉE, 22 NOVEMBRE 1970 Opération Mar Verde Nouvelle édition