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French Pages 556 [610]
CONRAD n'EBERBACH
LE GRAN D EXOR DE DE CITEA UX OU
RECIT DES DEBUTS DE L'ORDR E CISTERC IEN
Traduit du latin par
t
Anthelmett e PIEBOURG
Introductio n de Brian P. McGUIRE Avec la collaboratio n de Marie-Gera rd DUBOIS, Pierre-Yve s EMERY, Placide VERNET; Daniele CHOISSELET; Jacques BERLIOZ, Claude CAROZZI et Pascal COLLOMB
Ouvrage publie sous la direction de JACQUES BERLIOZ
BRE POL S/ C1tea ux-Comm entarii cistercienses
Document de couverture. «Combat du convers cistercien Adam contre le diable » (40 x 60 mm). Grandes chroniques de France, ms Paris, Bibliotheque nationale de France, fr. 28 r 3, 329r.
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© 1998, Brepols, Turnhout. Commentarii cistercienses, Citeaux, Studia et documenta, vol. VII. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. Depot legal I" trimestre 1998 D/1998/0095/8 ISBN 2-503-50677-1 (relie)
Avant-propos
Le Grand Exorde de Citeaux, ecrit en latin au debut du XIIle siecle, probablement par Conrad, moine a Clairvaux puis a Eberbach, est une source fondamentale pour connaitre et comprendre en profondeur les origines, les debuts et le premier siecle de l'histoire de l'Ordre cistercien. Comme le montre plus loin Brian P. McGuire, cet ouvrage, compose a une periode critique du developpement de l'Ordre, n'est pas neutre: rempli de tensions intemes, il offre des recits OU sous chacun pointe la volonte de restaurer l'elan des debuts de Citeaux. D'ou une lecture passionnante, de bout en bout, de cet ouvrage rigoureusement et admirablement construit. Une nouvelle traduction Eµ 1961, le Pere Bruno Griesser (1889-1965), moine de l'abbaye autrichienne de Mehrerau, publia l' edition critique de l' Ex ordi um magnum (Rome, Editiones cistercienses) 1 . Cette remarquable edition sera d'ailleurs republiee prochainement, amendee et completee 2 • Restait la question d'une traduction scientifique, accessible a tous. Une traduction frarn;:aise du Grand Exorde etait certes parue en 1843. Difficile a trouver, fondee Sur un texte peu stir, incomplete, dotee de peu notes ou explications, privee d'index, elle meritait d'etre renouvelee. Scrur Anthelmette Piebourg (1908-1978), moniale cistercienne de Boulaur (France, Gers), eut le courage de traduire de nouveau l'ouvrage de Conrad d'Eberbach, d'apres I' edition latine du P. Bruno Griesser. Mais ce travail etait reste dactylographie. C'est en 1991 que le Frere Jean-Frarn;:ois Holthof, alors prieur de l'abbaye de Citeaux, lanc;:a l'idee d'une publication de cette traduction, 1
Sur le Pere Br. Griesser et ses importants travaux, voir K. Lauterer, « 100 Jahre Cistercienser-Chronik im Spiegel ihrer Schrifteler », dans Cistercienser Chronik, IOI, 3-4, 1994, p. 87-89. 2 Dans le Corpus Christianorum. Continuatio mediaevalis, aux Editions Brepols a Turnhout. Le travail est conduit par le CETEDOC (Universite de Louvain-la-Neuve). Le texte latin integrera les errata signales par Br. Griesser. De plus, cette nouvelle edition - qui beneficiera des recherches faites pour la presente traduction - sera accompagnee de microfiches offrant une concordance des formes (c'est-a-dire la liste de tousles mots avec leur contexte). Elle sera egalement disponible sur l'une des prochaines versions du CD-ROM CLCL T (CETEDOC Library of Christian Latin Texts), Turnhout, Brepols.
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Le Grand Exorde de Citeaux
qu'il convenait de verifier et d'accompagner de notes, de textes introductifs et explicatifs, d'index detailles. 11 m'associa aussitot a ce projet, dont il me confia la direction apres son depart de Citeaux, en juillet 1993, pour mener la vie eremitique. Si j'en assume seul la responsabilite finale, cette publication est d'abord son ceuvre. Une telle entreprise ne pouvait etre que collective. C'est pourquoi il faut citer immediatemen t ceux qui ont participe a la construction de ce volume: Placide Vernet (abbaye de Citeaux); Daniele Choisselet (abbaye de la Coudre); Pierre-Yves Emery (communaute de Taize); Marie-Gerard Dubois (abbaye de Soligny la Trappe); Brian P. McGuire (Universite de Roskilde, Danemark), Claude Carozzi (Universite d'Aix-en-Prove nce) et Pascal Collomb (Universite de Lyon 2). Je remercie egalement mes savants collegues et amis qui ont contribue a eclairer certains passages du texte: Anita Guerreau-Jalabert (CNRS, Paris), Jean-Michel Poisson (EHESS, Lyon), Dominique Iogna-Prat (CNRS, Nancy). Le travail de mise au point informatique pour l'edition a ete pour l'essentiel effectue par P. Collomb, avec l'aide technique de l'Unite Mixte de Recherche 5648 (CNRS, Ecole des hautes etudes en sciences sociales, Universite de Lyon 2). Je tiens egalement a remercier Terryl Kinder (Citeaux. Commentarii cistercienses) pour son ferme appui, et les responsables des Editions Brepols - et en particulier Christophe Lebbe - pour leur infinie patience et leur efficacite.
Lire le Grand Exorde La lecture du Grand Exorde peut certes se faire directement, sans guide. Mais il est certain - pourquoi le cacher - que les lecteurs peu familiers de la litterature religieuse medievale, impregnee de citations, notamment bibliques, OU de la vie monastique des XII° et XIII° siecles peuvent etre parfois deroutes. D'ou la presence clans ce volume de plusieurs aides a la
lecture:
. Une introduction generale presente l'ceuvre, sa composition, ses sources et ses cnjeux . . Des notes sont attachees a la traduction, en pied de page. Elles ne sont pas annoncees par un appel de note clans le texte lui-meme, mais suivent le decoupage de chaque chapitre. Cette division, etablie pour la presente traduction, reflete la structure du texte latin edite par Br. Griesser (le principe suivi a ete !'adoption du point final de la phrase latine comme terme des sections). Volontairemen t reduites, sauf rares exceptions, ces notes offrent pour l'essentiel !'identification des sources de l'auteur et souli-
Avant-propos
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gnent les allusions a l'Ecriture OU a la liturgie 3 . Pour I' identification des noms propres, le lecteur se reportera en fin de volume a l'index des noms de personne et de lieu. Devant les termes interessant la vie monastique, et cistercienne en particulier, il se reportera au glossaire .
. Deux « aides de lecture » sont destinees a foumir un cadre elementaire a la lecture: la premiere est consacree a la presentation systematique des « sources » de Conrad d'Eberbach, la seconde a la vie de la communaute cistercienne aux XII° et XIIIe siecles. Leur lecture preliminaire, avec !'introduction generale, peut etre eclairante, et eviter un recours trop frequent au glossaire . . Quatre « clefs de lecture >> presentent des introductions theologiques et historiques interessant de grands themes qui parcourent le Grand Exorde: penitence et confession; la notion de merite; les mediateurs; la mort et l'au-dela . . Outre l'index des noms de personne et de lieu, un riche index thematique offre la possibilite d'une approche doctrinale et spirituelle, historique et anthropologiquc 4 . L'index des sources prendra place clans la reedition de l'edition latine du Grand Exorde. Au terme de cette entreprise, je ne peux que reprendre les mots de l'avertissement au lecteur de nos predecesseurs du siecle demier: « Ce nous est une joie bien doucc, et qui sera partagee par un grand nombre, d'avoir pu conduire a sa bonne fin la traduction et !'impression de l'Exorde de Cfteaux »5 . ]. B.
Cet ouvrage est dedie a la memoire de Christian de Chcrge, Luc Dochier, Paul Favre-Mirville, Michel Fleury, Christophe Lebreton, Bruno Lemarchand, Celestin Ringeard, moincs trappistes du monastere Notre-Dame de Tibehirine en Algerie, egorges et decapites en mai 1996.
3 Ces notes ont ere redigees par Pl. Vernet, et completees par P. Collomb (liturgie),]. Berlioz (identifications des autorites; exempla; histoire), A. Guerreau-Jalabert, J.-M. Poisson, D. Iogna-Prat. 4 L'index des noms de personne et de lieu a ete etabli par D. Choisselet et P. Collomb; il a ete revu et complete par]. Berlioz. L'index thematique, revu par]. Berlioz, est du a P. Collomb. Malheureusemt>nt, faute de place, la table des termes interessant les fare surnaturels elaboree par D. Choisselet n'a pu etre presentee ici. s Op. cit., p. VII.
Abreviations utilisees Les abreviations des livres bibliques sont celles habituellement employees. AH: Maria Guido DREVES, Clemens BLUME et Henry Marriott BANNISTER, Analecta hymnica medii aevi, Leipzig, 1886-1922, 55 vol. Bouton et Van Damme: J. Bouton et J-B. Van Damme, Les plus anciens textes de C!teaux, Citeaux, 1974. CAO: R.-J. Hesbert, Corpus antiphonalium officii, Rome, Herder, 6 volumes, 1963-1979. Canivez: J.-M. Canivez, ed., Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, Louvain, 1933-1941 (Bibliotheque de la Revue d'histoire ecclesiastique, 9-14B). CCCM: Corpus christianorum. Continuatio mediaevalis (Turnhout-Paris). CCSL: Corpus christianorum. Series latina (Turnhout-Paris). Debuisson: M. Debuisson, «La provenance des premiers cisterciens d'apres les lettres et les vitae de Bernard de Clairvaux », clans Clteaux. Commentarii Cistercienses, 43, 1992, p. 5-rr8. Dimier: A. Dimier, « Les religieux de Clairvaux, moines, convers et novices, sous l'abbatiat de saint Bernard», clans Saint Bernard« pecheur de Dieu », Paris, 1, 1953, p. 173-195. Ecclesiastica Officia: D. Choisselet et Pl. Vernet, ed., Les Ecclesiastica Offida cisterciens du XIIe siecle, CElcnberg, 1989 (La Documentation cistercienne, 22). Diffusion Turnhout-Paris, Brepols. Ghislain et Christophe: G. Ghislain et J.-C. Christophe, trad., Cfteaux. Documents primitifs. Texte latin et traduction franfaise, Citeaux, 1988. Guignard: Ph. Guignard, ed., Les monuments primitifs de la reg le cistercienne d' apres les manuscrits de l' Abbaye de Clteaux, Dijon, l 878. PL: Patrologia latina, ed. J.-P. Migne. Regle de s. Benoit: La Regle de saint Benoit (SC 181,182, 197). RH: Ulysse CHEVALIER, Repertorium hymnologicum. Catalogue des chants, hymnes [ ... ], Louvain, 1892-1922, 6 vol. SBO: Dom J. Leclcrcq et H. Rochais, ed., Sancti Bernardi Opera, Rome, 9 vol., 1957-1977. SC: Sources chretiennes (Paris). Strange: J. Strange, ed., Caesarii Heisterbacensis monachi ordinis cisterciensis Dialogus miraculorum textum ... , Cologne-Bonn-Bruxelles, 2 vol., r85r. Tubach: Fr. C. Tubach, Index exemplorum. A Handbook of medieval religious tales, Helsinki, 1969 . Walther: H. Walther, Proverbia sententiaeque Latinitatis Medii ac Recentioris Aevi, Gi:ittingen, 6 vol., 1963-1969 (Carmina Medii Aevi Posterioris Latina, 2/1-6).
Introduction
« Les grands debuts cisterciens »: voila bien un titre approprie pour un
recueil d'histoires qui relate les origines et le premier siecle de l'histoire de l'ordre cistercien, et redige clans les annees II90-12IO. Ce n'etait pas la premiere fois que l'on tentait une description des premiers temps de Citeaux. Les Cisterciens se mirent a rediger des exordia, OU recits sur leurs origines, pratiquement des le moment ou ils se perc;:urent comme un ordre religieux, aux membres lies par une discipline et une pratique commune sous l' egide de la Regle de saint Benoit". Des maisons cisterciennes suivirent individuellement la meme demarche: peu apres 1200, alors que l'Exordium Magnum recevait sa touche fmale, un moinc d'une lointaine abbaye danoise, Cara Insula OU 0m, composait un recit de fondation qui devait recevoir le titre d' Ex ordi um Carae Insulae 2 . Le narrateur de l'Exordium Magnum nous invite a ne pas lire son cruvre comme un recit historique ou une cruvre de divertissement 3 . 11 ne douta pas un seul instant d'ecrire en vue de l'edification de ses lecteurs. Et pourtant, nous ne pouvons nous empecher de regarder son recit comme un document sur les debuts de l'Ordre et ses progres au cours du premier siecle de son histoire. En lieu et place d'une chronologie d'evenements, 1' Exordium nous foumit une serie d' exemples edifiants tires des vies des abbes et des moines. L'ouvrage visait a encourager les moines cisterciens a preserver leurs anciennes normes de vie, tout en repondant a tous les detracteurs de l'Ordre. Ces derniers, qui incluaient notamment des Bene1 Pour les Exordia, voir Jean de la Croix Bouton et Jean-Baptiste Van Damme, Les plus anciens textes de Citeaux, Citeaux-Achel, 1974 (Commentarii Cistercienses. Studia et Documenta, 2). Pour une interpretation de ces textes a la lumiere des premieres decennies de l'histoire cistercienne, voir Jean-Baptiste Auberger, L' Unanimite cistercienne primitive: mythe OU realite?, Citeaux-Achel, 1986 (Studia et Documenta, 3). 2 Repris dans M. Cl. Gertz, Scriptores Minores Historiae Danicae Medii Aevi, Selskabet for Udgivelse afKilder til Dansk Historie II, Copenhague, 1970, p. 153-264. Vair Br. P. McGuire, The Cistercians in Denmark, Kalamazoo, Michigan, E.-U., 1982 (Cistercian Studies, 35). l Dans l'edition de Bruno Griesser, Exordium Magnum Cisterciense, Rome, 1961, Series Scriptorum S. Ordinis Cisterciensis II, distinctio VI, capitulum ro, p. 369 (a partir de la presente note, je citerai l'Exordium Magnum avec un chiffre romain pour la« partie » suivi d'un chiffre arabe pour le chapitre): « ... qui venustissimam et fecundissimam seriem strenuae conversationis sanctorum patrum relegens velut chronica temporum vel annales regum ad solam curiosam notitiam rerum earn transcurrit et nihil ex his, quae legit, ad accendendum in se compunctionis fervorem ... ».
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Le Grand Exorde de Clteaux
dictins allemands, avaient eu le front d'affirmer que l'Ordre de Citeaux avait ete fonde par suite d'un acte de desobeissance et une transgression de la stabilitas loci, si importante clans le monachisme 4 . L'Exordium Magnum est un ouvrage polemique, qui part en guerre contre quiconque remet en cause la legitimite de la fondation de l'Ordre. Mais il sait egalement faire preuve d'auto-critique, en particulier a l'endroit des maisons cisterciennes qui avaient perdu le contact avec l'elan reformateur original de Citeaux et de Clairvaux. En rappelant a ses lecteurs la saintete de la tradition dont ils sont issus, l'Exordium cherchait a encourager la poursuite d'un processus de reforme et de rcnouveau 5 • L' Exordium Magnum est done un ouvrage rempli de tensions intemes. 11 nous fait connaitre la situation d'une communaute intemationale a un moment critique de son developpement . Les premieres generations, qui avaient vecu !'exaltation de nouvelles fondations et de saints abbes, s'etaient desormais effacees devant des gens qui pouvaient considerer !'existence de l'Ordre comme une chose assuree et aux yeux desquels les saints fondateurs n'etaient plus que des souvenirs lointains. Les Cisterciens etaient accules a s'interroger sur les moyens de garder vivant l'esprit de devotion qui avait differencie leurs maisons de celles rattachees a Cluny, leur rivale. Pour le compilatcur de l'Exordium, la reponse a cette question residait clans un regard retrospectif jete sur sa propre vie de moine a Clairvaux et sur les generations pionnieres qu'il y avait connues. Mais pour ce faire, il decida de prendre pour point de depart les debuts memes du monachisme, a l'epoque de la fondation du christianisme, afin d'y decouvrir l'elan monastique dont il estimait que Citeaux et ses filles avaient ravive la flamme. Sans viser a etre un recit historique, l' Exordium en arrive ainsi a fournir une perspective historique sur les origines du monachisme. De nos jours encore, l'approche historique de l'Exordium continue a susciter des emules en la personne des historiens contemporains qui signent des ouvrages traitant du premier millenaire de la vie monastique chretienne. 4 Exordium Magnum, VI, ro: « ... ut monachis nigri ordinis calumniandi occasionem tolleremus, qui coram saecularibus et rerum ignaris derogant ordini nostro dicentes eum ex praesumptione coepisse et patres nostros, qui primo de Molismo egressi sunt, absque licentia abbatis sui egressos fuisse ... » (Griesser, p. 365) 5 Exordium Magnum, VI, ro: «Et primo quidem, ut fratribus nostris, qui in remotioribus orbis partibus sacrmn ordinem nostrurn professi sanctam dom um Cisterciensem tamquam caput et matrem omnium nostrum itemque sanctam domum Claraevallis propter beatum Bernardum carius amplectuntur, de initio ordinis nostri certam notitiam traderemus, utriusque etiam domus primi patres quam sublimem quamque imitatione dignissimam vitam duxerint, ad ipsorum aedificationem panderemus » (Griesser, p. 365).
Introduction
XIII
L'Exordium n'est pas une cruvre d'une lecture aisee. 11 regorge de passages a la prose amphigourique, d' obscures citations litteraires, de longs couplets edifiants et de sermons stereotypes. Quiconque s'interesse au sens de la vie monastique devrait pourtant se donner la peine de le lire. L' Exordium ne se borne pas a raconter la glorieuse histoire de la naissance de Citeaux mais s'attelle aussi ala relation, plus austere, de la maniere dont les moines sont parvenus, en depit de leur succes meme, a preserver un ideal eleve de vie communautaire monastique et de vie interieure. Pour to us ceux qui voient clans l' ordre cistercien une grande experience de communaute humaine fondee sur des ideaux spirituels et des besoins materiels, l'Exordium est une introduction d'une valeur inestimable a l'esprit cistercien en action. Le jugement de son auteur a decante, evalue et mis en lumiere le sens de 1' engagement que lui et ses amis avaient pris a l'egard de Dieu et les uns envers les autres. Conrad et son reuvre
Conrad, moine a Clairvaux puis aEberbach, fut probablement le compilateur de l' Exordium Magnum. Comme Bruno Griesser le fait remarquer clans son examen si soigne des manuscrits sur lesquels il a fonde sa magnifique edition de l' Exordium, le nom de Conrad ne figure que clans deux manuscrits 6 . Il est toutefois hors de doute que le compilateur de l'Exordium Magnum fut un moine qui sejouma un certain temps a Clairvaux clans la periode 1177-II93 avant de passer en Allemagne, oil il fut en butte aux sarcasmes de moines benedictins. Comme 1' ouvrage se montre par ailleurs fort prolixe a propos de Gerard, abbe d'Eberbach qui remplit egalement les fonctions de prieur a Clairvaux, on ne peut guere douter que le compilateur ait bien connu Eberbach 7 . Enfin, nous savons qu'un moine du nom 6 Griesser, p. 32-33. Il faut rappeler que selon Br. Griesser (p. 42-43), le Grand Exorde est conserve integralement clans six manuscrits: trois du XIII s. (Oxford, Bodi., Cod. Laud. Misc. 238; Munich, Staatsbibl., !at. 7992, provenant de l'abbaye cistercienne de Kaishem; Karlsruhe, Bad. Landesbibl. ro16, provenant de l'abbaye cistercienne de Salem), deux du XIVe s. (Innsbruck, Universitatbibl. 25, provenant de l'abbaye cistercienne de Starns; Paris, Bibi. nat. de France, nouv. acq. lat. 364, provenant de l'Allemagne du Nord OU du Danemark), un du XV siecle (Copenhague, Konig!. Bibl., Gl. Kg!. Sarni. 174, provenant de l'abbaye benedictine de Cismar, clans le Holstein). Un manuscrit (d'Eberbach), per du, est connu partiellement grace des extraits pub lies au XIX" s. Le meilleur de ces manuscrits est celui d'Oxford. Trois manuscrits du XIII" siecle presentent le Grand Exorde sous une forme lacunaire: Bruxelles, Bibi. roy., II ro77 [3872 Ghein], provenance de l'abbaye cistercienne d' Aulne; Laon, Bibi. mun., 331, provenant de l'abbaye cistercienne de Foigny; Cambrai, Bibi. mun., 860, provenant de l'abbaye de Vaucelles. 7 Pour Jes details, voir Br. P. McGuire, «Structure and Consciousness in the Exordium Magnum Cisterciense », clans Cahiers de l' Institut du Mayen Age grec et latin, 30, 1979, p. 33-90 (spec. p. 37-40). 0
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Le Grand Exorde de Citeaux
de Conrad devint abbe d'Eberbach en 1221 et il parait done vraisemblable qu'il ne fait qu'un avec notre Conrad. Toutes les reminiscences classiques qui emaillent l'ceuvre de Conrad semblent indiquer qu'il beneficia d'une bonne education traditionnelle, peut-etre clans une ecole cathedrale rhenane, a une epoque situee peu apres le debut de la seconde moitie du douzieme siecle. Apres 1179, il entra clans l'ordre cistercien, peut-etre a Clairvaux meme, OU il sejourna sous les abbatiats de Pierre le Borgne (u79-u86) et de Garnier de Rochefort (u86-1193) 8 . Ce dernier etait encore abbe lorsque Conrad fut appele a Eberbach. Situee en Rhenanie, pres de Mayence, cette maison etait une fille de Himmerod. A Eberbach, Conrad integra une communaut e fervente etroitement liee a Clairvaux a cause de son abbe, Gerard, pour lequel Conrad professait le plus grand respect (Exordium Magnum II, 29). 11 est fort possible que ce soit Gerard qui ait amene Conrad a Eberbach. Quoi qu'il en soit, c'est la qu'il acheva son Exordium, dont il avait deja entame la redaction a Clairvaux. On peut imaginer Conrad travaillant a l'ombre de la grande eglise romane (u50-I186) qui est parvenue jusqu'a nous. A cette epoque, les abbayes de Rhenanie etaient loin d'etre des havres de quietude. Les controverses opposant le pape a l' empereur etaient pour elles une source de tensions politiques. Dans le meme temps, le corps des freres convers se revoltait contre son statut de seconde zone, comme on peut le voir clans la sombre histoire que Conrad rapporte a propos des freres convers de Schonau, une fille d'Eberbach (IV, rn). Beaucoup de ces maisons fondees clans la quatrieme et la cinquieme decennie du douzieme siecle avaient a leur tour essaime clans les contrees de culture allemande situees plus a l'est, si bien que leur attention etait davantage tournee vers l'Est que vers les regions de l'Ouest qui constituaient le berceau du mouvement cistercien. Conrad etait conscient de cette perte du sens des racines et des origines et cette preoccupatio n se trouve a la base de son ambitieux projet litteraire. J'ai qualifie Conrad de compilateur plutot que d'auteur parce qu'une grande partie de ce qu'il nous transmet consiste en une marqueterie d'elements extraits d'ecrits anterieurs. La distinction etablie aujourd'hui entre l' ecrivain « original » et le compilateur qui « rep rend » n' est cependant guere pertinente pour l'ecrivain monastique medieval. Son objectif etait de communiqu er une verite, symbolique OU litterale, plutot que de frapper le lecteur par quelque chose d' original et d'inoul. De son propre aveu, Conrad ne se soucie pas de nous apporter des nouveautes mais entend 8 Voir M. H. d' Arbois de Jubainville, Etudes sur !'hat interieur des abbayes cisterciennes, Paris, 1858, p. 174-176.
Introduction
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simplement rassembler des histoires « pour une connaissance plus claire de ces chases et le plus grand profit de ceux qui les lisent » (VI, ro). Conrad semble parfois s'effacer derriere la diversite de ses propres sources et ne nous laisse que rarement entrevoir des traits de personnalite tels que nous en revele l' Allemand Cesaire de Heisterbach, son confrere et son cadet clans l' ordre cistercien et en litterature9 . Cesaire utilise sou vent sa vie et son experience propres pour en faire la matiere d'une histoire edifiante, tandis que Conrad est plus guinde et mains autobiographique. L'Exordium n'en fait pas mains ressortir indirectement le portrait d'un glaneur avise d'anecdotes monastiques, et qui se distingue de Cesaire par sa capacite a les disposer clans le cadre d'une perspective historique. Conrad se presente a nous comme un produit du monde monastique du xne siecle, OU des ecrivains isoles pouvaient faire montre de leur talent sans devoir se soumettre a quelque methodologie scolastique determinant le discours theologique. 11 constitue ainsi l'equivalent monastique d'un Pierre le Chantre et de la theologie morale qu'il enseignait a la toute jeune universite de Parisro. Pour le moine allemand comme pour le maitre parisien, l'existence de toutes les formes de litterature avait pour objectif de toucher le creur et l'esprit du lecteur ou de l'auditeur en vue de sa progression clans la vie chretienne, le savoir et l'edification etant pen;:us comme des notions allant de pair. La structure de l'reuvre
L'Exordium ]\1agnum est divise en six parties au distinctiones, dont les quatre premieres contiennent chacune 34 au 35 chapitres, tandis que les deux dernieres n'en ont respectivement que 21 et ro. Le chapitre final de la sixieme partie est qualifie de Recapitulatio .finalis et resume les preoccupations de l'ensemble de l'ouvrage. 11 est vraisemblable que les quatre pre9 Le dialogue des miracles (Dialogus miraculorum), compose par le cistercien Cesaire de Heisterbach entre 1219 et 1223, est l'un des recueils d'exempla latins parmi les plus importants du Moyen Age. L'cdition critique qu'en fit Joseph SLrange a Bonn date de 1851-1857. Cf. Br. P. McGuire,« Written sources and cistercian inspiration in Caesarius ofHeisterbach »,clans Analecta cisterciensia, 35, 1979, p. 222-282 et« Friends and Tales in the Cloister. Oral Sources in Caesarius of Heisterbach's Dialogus miraculorum », clans Analecta cisterciensia, 36, 1980, p. 167-247. Pour les traductions frarn;:aises, voir Cesaire de Heisterbach, Le dialogue des miracles. Livre I: De la conversion. Traduit du latin, presente et annote par Andre Barbeau, OCSO, Oka, 1992 (coll. Voix monastiques, 6); Hermann Hesse, Histoires medievales, trad. J. Hervier, Monaco, 1985, p. I r-63; Andree Duby clans Precher d'exemples. Rfcits de predicateurs du Mayen Age, presentes par Jean-Claude Schmitt, Paris, r 98 5, p. 7 l -8 r. 10 John Baldwin, Masters. Princes and Merchants: The Social Views of Peter the Chanter an his Circle, I-II, Princeton, 1970, notamment p. 88-116.
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Le Grand Exorde de Citeaux
mieres « distinctions » ont ete ecrites a Clairvaux et les deux dernieres a Eberbach 11 • Les deux premiers tiers de l' ouvrage se focalisent sur l'histoire cistercienne primitive et des figures claravalliennes, tandis que son dernier tiers bifurque vers d'autres monasteres et reprend meme des recits etrangers au milieu cistercien. On ne peut cependant rien prouver de maniere assuree sur la composition de l' ouvrage de Conrad. La seule affirmation que l'on puisse avancer de maniere certaine est qu'il fait l'effet d'un compilateur qui se montre tres soigneux clans la selection de ses materiaux et les agence de maniere que les lec;:ons de vie monastique dominent son recit. La premiere partie forme une introduction consacree a la naissance et au developpement du monachisme clans le christianisme, depuis les debuts de l'Eglise jusqu'a la fondation de Citeaux (I, 1-20). L'auteur esquisse alors la biographie d'Etienne Harding (eh. 21-31) et termine sur celle des abbes qui lui succederent ensuite a Citeaux. Conrad rend ainsi a Citeaux ce qui revient a Citeaux mais de la deuxieme partie a la fin de la quatrieme, il se preoccupe avant tout de Clairvaux, qu'il connait tres bien. Les vingt premiers chapitres de la deuxieme partie sont consacres a Bernard; Conrad y remanie avec doigte des sources ecrites anterieures consacrees au saint. Viennent ensuite (II, 21-34) des anecdotes sur les successeurs de Bernard. 11 ne s' agit pas de petites biographies representatives mais plut6t de chapelets d'exempla qui illustrent par l'anecdote la sainte existence de ces hommes et leur contribution a la vie du monastere. Quittant les recits sur des abbes, nous en arrivons, clans la troisieme partie, a des histoires touchant de moines claravalliens celebres, comme Gerard, le cellerier et frere de Bernard (III, 1-3), Humbert, prieur de Clairvaux (III, 4-6, y compris un sermon sur la mort de Humbert), ainsi que nombre de personnages ecclesiastiques illustres devenus eveques apres avoir ete moines a Clairvaux - OU devenus moines a Clairvaux apres avoir ete eveques. La quatrieme partie contraste avec ce qui precede en alignant les anecdotes et les miracles tires de la vie de figures claravalliennes mains bien connues, dont de nombreux freres convers. On trouve ainsi l'histoire d'un frere convers bouvier qui traversa les Alpes sur un bceuf (IV, 18) ou celle d'un moine qui, pour avoir dormi sans ses sandales, ne devait jamais devenir abbe (eh. 24). Dans la cinquieme partie, la densite et la ferveur du milieu claravallien laissent la place a une serie d' admonitions qui portent Sur les perils guettant la vie monastique et ont trait, au-dela de Clairvaux, a la situation qui I I Voir !'introduction de Griesser, p. 33-34, avec lequel je ne suis pas entierement d'accord. Cf. Br. P. McGuire, «Structure and Consciousness in the Exordium Magnum Cisterciense », op. cit., p. 37-3 8.
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prevalait clans de nombreuses maisons allemandes. Taus les dangers defilent ainsi les uns a la suite des autres: desobeissance, conspiration, excommunicatio n, discorde, retard a entendre les confessions, sensualite excessive du chant, etc. Conrad fait deliberement un accroc clans la trame unie des quatre premiers livres pour rappeler au lecteur son jugement initial sur la perte du sens de la discipline et de la devotion dont l'Ordre etait menace. Poussant la digression plus avant, la sixieme partie rapporte des histoires qui excedent le cadre du milieu monastiqu e et s'engage sur le chemin d'une evocation plus large, touchant a la vie de l'Eglise tout entiere. On trouve ainsi un chapitre consacre a des recits sur l'eucharistie (VI, 2), mais la majeure partie de la matiere de cette partie conceme des histoires de contact entre les vivants et les marts. Comme clans le dernier livre des Dialogues1 2 de Gregoire le Grand, dont les contes moraux ant fourni une base litteraire a Conrad, les vivants sont mis en contact avec l'autre monde et tout ce qui peut rappeler que la communic ation avec l'au-dela est possible clans une communio n des saints rendue plus intense et immediate par la priere monastique. De l'histoire des debuts du monachism e a la fondation de Citeaux, l' Exordium deploie une palette de recits de miracles dont l' ampleur depasse de loin l'univers monastiqu e pour plonger clans le monde et relier les vivants aux marts. Cette perspective est resumee clans la recapitulatio finalis, ultime chapitre de la sixieme partie. Conrad tient a s'y assurer que le lecteur a bien compris le sens de son ouvrage. II commenc e par solliciter les prieres de ceux qui pourraient avoir rec,:u quelque aide de son « petit ouvrage » (opusculum). Son intention, affirme-t-il, n'a pas ete de faire ceuvre originale mais, comme on l' a dit en commenc,:ant, de rassembler les elements qu'il avait trouves epars clans l'etat OU les premiers Cisterciens lcs avaient consignes. Certains chapitres, poursuit-il, ne provienne nt pas des anciens auteurs monastiques mais d'autres « personnes religieuses et dignes de foi ». II a ecrit, explique-t-il, en poursuiva nt un double objectif: I. que les freres qui vivent clans des endroits eloignes du berceau de l'Ordre sachent la maniere dont il a debute et le traitent ainsi avec plus d'attention et 2. que «nous puissions priver les moines de l'Ordre Nair (les Benedictins) de tout motif de calomnie ». Cette declaration d'intention , qui reitere des assertions de la premiere partie, debouche sur quelques anecdotes finales touchant a la vitalite du Clairvaux des premiers temps, avec ses filles fondees clans les contrees les 12
Voir Gregoire le Grand, Dialogues, ed. et trad. Adalbert de Vogiie et P. Antin, Paris, 3 vol., 1978, 1979, 1980 (Sources chreriennes, 251, 260 et 265). Voir egalement Carole Straw, Gregory the Great. Perfection in Imperfection, Berkeley, University of California Press, 1988, spec. p. 66-75.
XV III
Le Grand Exorde de Citeaux
plus reculees, les foules de recrues qui peuplaient son noviciat, sans compter le nombre, bien plus important encore, de fn~res convers, la necessite d'envoyer des groupes de freres fonder de nouvelles communautes, simplement par manque de place a Clairvaux meme. Conrad rappelle comment Henri, abbe de Vitsk0l, « avait coutume de raconter » qu'a l'epoque de son noviciat a Clairvaux, il y avait 90 recrues clans le noviciat; un jour, Bernard lui donna personnellement son ordre de marche, avec un morceau de fromage et ces mots: « Mange, frere, car une longue route t'attend)) (VI, IO, 11-13). Ceux qui, a l'instar d'Henri, quitterent Clairvaux a contrecreur mais clans un esprit d'obeissance en conserverent l'empreinte clans leur creur et clans leur esprit. Conrad recense fierement tous les Claravalliens qui devaient etre appeles a occuper de hautes fonctions clans l'Eglise et mentionne bien evidemment Eugene III (u45-1153), le pape cistercien. Il ajoute qu'apres la mort de Bernard, ses successeurs maintinrent la discipline cistercienne a Clairvaux et affirme en avoir fait personnellement !'experience sous les abbes Pierre et Garnier. Il deplore toutefois (VI, ro, 21) que ce niveau eleve n'ait pas ete preserve clans d'autres maisons. Aussi a-t-il esi:ime important de rappeler ce qu'il avait vecu personnellement et ce qu'il avait entendu des anciens de Clairvaux, qui avaient connu Bernard lui-meme. Conrad rapporte egalement « clans la crainte et les tremblements » une histoire racontee jadis en la salle du chapitre de Clairvaux par le prieur Gerard, qui est probablement le meme personnage que son abbe d'Eberbach (p. 368): les ames de freres decedes apparurent a un certain homme inspire, moine de la meme abbaye, et lui exposerent comment ils avaient ete livres a de terribles chatiments, non qu'ils eussent commis quelque offense grave, mais parce qu'ils n'avaient pas suffisamment pris soin d'eviter des actes quotidiens de negligence. Dans un monachisme conc;u comme un tout coherent, les moindres details de la vie quotidienne prennent une importance capitale. Dans les premiers temps, ajoute Conrad, il n'y avait peut-etre que de menues fautes mais a l'epoque OU il ecrit, elles ont pris des proportions demesurees et conduit a des deviations significatives par rapport aux ideaux. Et Conrad de citer Bernard et Horace a l'appui de son point de vue (VI, ro, 25-26). En lisant les faits et gestes des Peres cisterciens et en les comparant aux pratiques presentes, on peut corriger ces dernieres, insiste-t-il. Conrad termine son resume en affirmant ne pas vouloir faire reuvre d'historien. Il n'en demontre pas moins une conscience historique chretienne classique en concluant son expose sur une description de l'approche de la fin des temps. La presence de l'ordre cistercien et de son saint, Bernard, apporte la seule touche d'espoir clans ce sombre tableau. Jesus-
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XIX
Christ « a deverse clans les cceurs de bien des gens l' aiguillon de son saint amour grace a la purete de l' ordre CiStercien I 3 )) • Cette auto-celebration des Cisterciens n'a rien que de tres conventio nnel. Mais la propagand e de Conrad est mise en lien avec une conception de l'histoire de l'Eglise. Conrad a reinterprete le monachism e selon la grille du premier siecle de l'histoire cistercienne. A l'heure actuelle, il n' est guere concevable d' etudier l'histoire medievale sans tenir compte de l'accomplissement cistercien. Or, si nous sommes conscients de cet etat de chose, nous le devons en partie al' ceuvre de Conrad, qui a SU faire preuve de talent clans la collecte de divers materiaux et clans leur refontc en une synthese nouvelle, comme on peut le voir des Jes tout premiers vers du poeme sur lequel s' ouvre l' Exordium. Conrad tient a etre sur qu' aucun lecteur ne pourra manquer de percevoir !'importan ce de la reinterpretation cistercienne de la voie benedictine. La position centrale du mouveme nt cistercien au douzieme siecle, qui tient pour nous de !'evidence, resulte en partie du savoir-faire avec lequel Conrad a su placer l'Ordre au cceur de l'histoire monastique.
La conscienc e historiqu e de Conrad Conrad d'Eberbac h a beau nier etre un historien, la premicre partie de son ouvrage n'en esquisse pas moins une important e histoire du developpement du monachisme. Son point de depart est la doctrine du Christ sur la necessite de la penitence (eh. r). Elle debouche sur !'emergen ce clans l'Eglise primitive d'une vie communa utaire qui servira de modele a !'ensemble de la vie monastiqu e ulterieure (eh. 2). Pour Conrad, ce mode de vie existe aussi longtemps que tout est mis en commun et que les membres d'une telle communa ute ne sont pas distraits par les