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French Pages 82 Year 2022
Fragments de Science
Fragments de Science Corinne Labat et Carlos de Matos Volume 2 L’Ulva lactuca La malachite Le Hyaenodon brachyrynchus Les tuyaux sonores La loi de Planck
Dans la collection Fragments de Science, volume 1, « Le Drosera rotundifolia – La pyrite – Le Nautilus – Le prisme de Newton – L’équation de D’Alembert », ISBN : 978-2-7598-2708-4 (2022) Fragments de Science, volume 3, « L’Isatis tinctoria – Le quartz – Les Calamites suckowi – L’anneau de S’Gravesande – Pi », ISBN : 978-2-75982712-1 (2022) Couverture : conception de Miguel Cruz, COX&CO, Paris. Mise en pages : Patrick Leleux PAO Imprimé en France ISBN (papier) : 978-2-7598-2710-7 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2711-4 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.
© EDP Sciences, 2022
CONTRIBUTIONS ET REMERCIEMENTS L’opération « Fragments de Science » a été initiée conjointement par le Service Commun d’Etude et de Conservation des Collections Patrimoniales (SCECCP) et le Pôle Culture de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier. Cette Collection « Fragments de Science » est réalisée grâce aux contributions de : • Didier Béziat, Professeur Émérite au département de Biologie et Géosciences de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, responsable scientifique de la collection de minéralogie. • Guillaume Dera, Maître de Conférences au département de Biologie et Géosciences de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, responsable scientifique de la collection de paléontologie. • Paul Seimandi, Technicien au Jardin Botanique Henri Gaussen de Toulouse et au SCECCP, responsable scientifique de la collection des Herbiers. • Nathalie Séjalon-Delmas, Maître de Conférences au département de Biologie et Géosciences de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, directrice du SCECCP et du Jardin Botanique Henri Gaussen. • Véronique Prévost, responsable du Pôle Culture. Les auteurs remercient l’Université pour son soutien ainsi que France Citrini et les éditions EDP Sciences pour la création de cette nouvelle collection. 5
Sommaire
Préface......................................................................................................................
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Avant-propos....................................................................................................... 11 1. L’Ulva lactuca.............................................................................................. 13 2. La malachite................................................................................................. 27 3. Le Hyaenodon brachyrynchus........................................................ 43 4. Les tuyaux sonores.................................................................................. 57 5. La loi de Planck.......................................................................................... 69
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Préface
À Toulouse, l’histoire de l’université s’écrit depuis près de huit siècles. Dans les cabinets d’histoire naturelle, de physique, de chimie de la faculté des sciences, puis dans les laboratoires de l’université Paul Sabatier, ont été conservés patiemment, plus d’un million d’objets qui forment désormais d’importantes collections patrimoniales et qui témoignent de cette longue et riche aventure humaine et scientifique. Mais pas seulement… Le patrimoine scientifique est un agent actif dans la construction du patrimoine culturel. Ces objets révèlent les liens ténus mais permanents entre science et société, université et territoires, enseignement et innovation. L’université a vocation à diffuser les savoirs, à mettre en partage ce bien commun qu’est la connaissance, à mettre en partage l’histoire des sciences. Le savoir se construit souvent pas à pas, par petites touches, parfois aussi, par ruptures et accélérations brutales, avec des petites et des grandes découvertes, des débats, des controverses, des savants… Comment parler de science autrement ? En racontant toutes ces histoires qui l’ont constituée, et qui ont laissé des traces matérielles ou immatérielles : les objets de nos collections sont autant d’empreintes, de marqueurs, de repères. Ces objets sont donc bien à la fois restes et éclats : des fragments de science. 9
Fragments de science – Volume 2
Il existe déjà, à l’université Paul Sabatier, une opération « Fragments de Science » depuis dix ans, qui propose des expositions permanentes couplées à une vitrine numérique, un site en lien avec l’exposition1, et qui compile photos et textes exposés. S’ajoute une série d’expositions de photographies d’art, « Petits fragments de science », qui mettent en valeur des détails, des couleurs, des textures. Ce nouveau volet vient enrichir l’opération en menant l’enquête un peu plus loin, en s’arrêtant sur des moments, des lieux, des personnages, qui, ici et ailleurs, ont construit l’histoire des sciences. La création de cette collection d’ouvrages a pour vocation de raconter ces histoires, en partant d’objets réels de quatre domaines transversaux, qui, pour la plupart ont été conservés et transmis depuis plus de deux siècles, ou qui, pour certains, souvent par chance, ont échappé à la destruction. Le patrimoine immatériel est aussi convoqué : le cinquième « témoin » est une notion fondamentale. Les auteurs nous invitent, au fil des objets, à une promenade scientifique et culturelle, dans l’espace et dans le temps… Jean-Marc Broto Président de l’université Toulouse III – Paul Sabatier, le 1er mars 2022
1. http://www.fragmentsdescience.com
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Avant-propos
Un fragment est « un morceau d’une chose qui a été brisée en éclats ». Les objets des collections sont des fragments de science qui constituent le patrimoine scientifique, mettent tour à tour en lumière le travail d’un chercheur, l’enseignement de la science, les savoir-faire, les façons de faire, les besoins ou les questions d’une époque. Ils témoignent de l’émergence de notions, de principes scientifiques ; ils éclairent les influences interdisciplinaires et révèlent des pans d’histoires. Ces fragments des collections de l’université Paul Sabatier sont issus de quatre domaines transversaux : la physique, la botanique, la minéralogie et la paléontologie, auxquels s’ajoutent dans chaque volume un objet immatériel (une équation, une notion, un principe). Dans ce deuxième volume on lève le voile sur l’Ulva lactuca, la malachite, le Hyaenodon, les tuyaux sonores et la loi de Planck.
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L’Ulva lactuca
La laitue de mer est une algue très commune mais dont l’identification a été tardive et laborieuse comme pour ses congénères, et qui, comme elles, pose des questions très actuelles.
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Fragments de science – Volume 2
Figure 1 Ulva lactuca L., Herbier Desmazières, Collection de Botanique, Université Toulouse III – Paul Sabatier. © Véronique Prévost [UT3].
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L’Ulva lactuca
UN ORGANISME TRÈS PARTICULIER Les algues ont deux spécificités : d’une part, ce sont des végétaux qui n’ont ni feuilles, ni tige, ni racines, ni fleurs (donc pas de graines) et, d’autre part, elles sont classées non pas en fonction d’un ancêtre commun, mais en fonction de caractéristiques communes dans leur évolution ; ce que les biologistes appellent « un groupe polyphylétique ». On distingue deux types d’organismes dans ce groupe. Ces derniers sont ensuite distingués traditionnellement par couleur : les algues bleues2, les algues brunes, les algues rouges, les algues vertes. La laitue de mer fait partie de la grande famille des algues vertes des Ulvacées. Histoire de brouiller les pistes, c’est une algue dont l’appareil végétatif (thalle) a l’aspect d’une feuille et, dans son cas, d’une feuille de salade. Il est d’un vert brillant ou jaune clair, fixé à la base par un disque. La partie plane (la lame) de ces « feuilles » est très mince et translucide, elle mesure de 5 à 50 cm de long, avec une marge lisse. Le diamètre de la laitue de mer est compris entre 30 et 50 cm, mais il peut atteindre un mètre dans certains étangs littoraux. Enfin, c’est l’activité photosynthétique qui lui fournit l’énergie nécessaire : elle a donc besoin de lumière pour synthétiser de la matière organique et sa localisation en découle. Elle vit en eaux peu profondes, bien éclairées : jusqu’à 10 m. Elle est présente sur la plupart des littoraux océaniques. Elle assimile les nutriments par ce qui lui sert de feuilles (les thalles), qui sont constituées de deux feuillets de cellules et qui permettent une très bonne assimilation. La laitue est comestible et pourtant elle prolifère grâce aux phosphates… et aux nitrates, dont elle se nourrit : comme la quasi-totalité des algues, les ulves assimilent l’azote nécessaire sous la forme 2. Les algues bleues sont désormais classées avec les bactéries.
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Fragments de science – Volume 2
d’ions NH4+ (ammonium), mais elles ont aussi la remarquable particularité de pouvoir assimiler les ions NO3- (nitrates), ce qui n’est pas sans conséquences. Du fait de sa grande tolérance à la pollution et aux apports dus à l’activité humaine3, on la trouve dans les ports, les zones de ruissellement, les flaques, et certains étangs. L’ulve peut se reproduire de plusieurs façons : un mode asexué et un mode sexué. Dans le premier cas, la reproduction se fait par fragmentation ou par bourgeonnement. Dans le deuxième cas, la reproduction sexuée de l’ulve comprend deux stades : le stade diploïde puis le stade haploïde. Le stade diploïde c’est le moment où l’algue produit des spores : les spores se détachent des marges du thalle (la « feuille »). Ces spores vont former des pieds mâles ou des pieds femelles qui eux sont des gamétophytes haploïdes : les premiers produisent des gamètes mâles, les deuxièmes des gamètes femelles. C’est le stade haploïde. Ces gamètes sont libérés à leur tour par la marge des thalles. La fusion, dans l’eau, d’un gamète mâle et d’un gamète femelle forme un zygote4 qui va donner naissance à une algue diploïde, le sporophyte. Le cycle est bouclé ! Mais il y a une particularité toutefois : un sporophyte et un gamétophyte sont absolument identiques. En voyant une ulve il est donc impossible de savoir si celle-ci va produire des spores ou des gamètes ! La laitue de mer a une durée de vie assez courte, quelques semaines en général, mais plusieurs générations se succèdent au cours de l’année.
3. Apports anthropiques. 4. Cellule issue de la fécondation.
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L’Ulva lactuca
IDENTIFICATION Dans l’Antiquité, on connaît peu d’algues, faute de possibilités et de moyens d’observation. Dans son Histoire naturelle5, Pline l’Ancien consacre quelques lignes à ce qu’il nomme le « bryon marin6 », une plante portant des feuilles semblables à celles de la laitue, il est « rugueux et comme resserré sur lui-même, sans tige, les feuilles s’échappant du haut de la racine ». Ce bryon pousse principalement sur les rochers et sur les coquillages « engagés dans le sable ». Carl von Linné, en 1753, donne la description qui fait référence pour la classification mais il reste beaucoup de zones d’ombre. Dans sa Flore française, en 1778, le chevalier de Lamarck7 résume « l’étendue » des connaissances concernant les algues : « Substance aplatie, membraneuse, et qui sous diverses ramifications, s’étend en longueur, et produit des cupules floriformes. Fructification absolument inconnue et insensible8. » En 1805, dans une réédition de sa Flore augmentée de nouvelles informations et réalisée avec des apports de M. de Candolle9, on lit pour les généralités concernant les ulves : « Je réunis sous ce genre les algues membraneuses, dont les graines ou capsules sont éparses sous l’épiderme, n’aboutissent à aucun conduit externe et ne peuvent sortir que par la destruction de la feuille elle-même. » Et encore beaucoup d’incertitudes : « Ce genre comprend des plantes fort hétérogènes ; les unes sont tubuleuses, d’autres sont 5. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Livre XXVII, chapitre XXXIII. 6. Bryon en grec ancien signifie « pousse » : la laitue est donc ce qui « pousse en mer ». 7. Naturaliste, botaniste et zoologue français. 8. M. le chevalier de Lamarck, Flore françoise ou Description succincte de toutes les plantes qui croissent naturellement en France, disposée selon une nouvelle méthode d’analyse, & à laquelle on a joint la citation de leurs vertus les moins équivoques en médecine, & de leur utilité dans les arts, tome 1, BNF, 1778. 9. Fondateur de la géographie botanique.
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planes ; les unes sont membraneuses, d’autres coriaces, quelquesunes gélatineuses ; en général les espèces de ce genre sont des membranes dépourvues de nervures longitudinales : la fructification de plusieurs d’entre elles n’est pas encore connue ; presque toutes habitent la mer10. » On peut lire dans cette édition une description de l’Ulva lactuca : « Elle consiste en une feuille mince pellucide, qui n’affecte ni forme ni proportion constante ; quelquefois elle pousse une seule feuille élargie à sa base et pointue au sommet ; le plus souvent elle pousse de la même base deux ou plusieurs lanières élargies ou réunies à la base, lobées et pointues au sommet ; ses feuilles sont toujours ondulées crépues, en sorte qu’on a comparé cette algue à la laitue frisée. Cette plante devient d’un vert pâle lorsqu’elle souffre ; sa grandeur ordinaire est de 2 décim. de longueur ; elle prend quelquefois des dimensions considérables, et alors elle a été regardée comme une espèce distincte, à laquelle on a donné le nom d’ulve élargie. Elle vit dans la mer, attachée aux rochers et aux coquilles. » Cette planche des collections de l’université Toulouse III – Paul Sabatier provient de l’Herbier Desmazières, elle a été collectée en 1856, et est accompagnée d’une note manuscrite qui, là encore, exprime la difficulté de répertorier ces algues : « Toutes ces plantes paraissent passer de l’une à l’autre par d’innombrables transitions, suivant leur âge, le lieu de récolte, la profondeur de l’eau, etc. ». Même constat en 1867, pour Édouard Grimard qui écrit dans la Revue des Deux Mondes11 : « La flore marine proprement dite appartient presque exclusivement aux algues », « étrange flore », « formes, couleurs, ondulations bizarres, tout étonne dans ce monde sans pareil », elles sont « nuancées 10. MM. de Lamarck et de Candolle, Flore française, ou Descriptions succinctes de toutes les plantes qui croissent naturellement en France, tome 2, 1805. 11. Édouard Grimard, « Essais de Physiologie végétale », Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 68, 1867, p. 664-682.
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L’Ulva lactuca
de tous les tons verts imaginables, rehaussées çà et là par l’ample feuillage de la laitue de mer », et il ajoute que l’on en connaît alors « plus de deux mille espèces ». Un inventaire établi d’après la base de données AlgaeBase recense en 2012, 72 500 espèces d’algues différentes, qui inclut 15 phyla et 64 classes mais ne prend pas en compte les quelque 200 000 espèces de diatomées, micro-algues siliceuses. Au xxe siècle, la question persiste, mais les méthodes scientifiques permettent d’affiner. Le botaniste et algologue Pierre Dangeard, mène une étude sur les ulvacées de la côte atlantique afin de déterminer qu’il s’agit bien de la même espèce que celle que l’on retrouve des côtes anglaises jusqu’au Maroc, sous des aspects divers. Les régimes de températures sont différents, les caractères varient, il montre que « les essaims de gamètes mâles provenant des thalles de l’une des deux stations sont féconds avec les gamètes femelles des algues d’une autre station, et que sur les parois des cuves ainsi garnies, de petites ulves se développent12 ». MISE EN HERBIER La conservation pour ces végétaux si particuliers a exigé la mise au point d’une méthode très précise. Le naturaliste Arthur Eloffe13 décrit les trois opérations de la mise en herbier : le lavage de la plante, son application sur le papier, et enfin sa dessiccation. • Phase 1 : « On prend une petite cuve percée à sa partie inférieure pour laisser écouler l’eau, on y place une claire-voie formée de toile à tamis ; la cuve étant remplie de manière à 12. Lucien Plantefol, « Notice nécrologique sur M. Pierre Dangeard », Compte rendus Académie des Sciences de Paris, tome 271, 28 septembre 1970. 13. Annales de l’Académie de La Rochelle, Section des sciences naturelles, 1855-1881.
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couvrir la claire-voie d’un ou deux centimètres d’eau, on étend la plante sur le tamis avec des pinces dites Bruxelles, on agite doucement la plante pour la débarrasser des matières terreuses, et on termine l’opération par un lavage à l’eau alunée. » • Phase 2 : « On fixe sur la claire-voie une feuille de toile cirée couverte d’une feuille de papier blanc d’un joli grain, on l’introduit dans la cuve comme précédemment ; puis on étale avec la pince les rameaux de la plante sur le papier, en ayant soin de lui donner l’aspect qu’elle avait dans la mer. On fait écouler l’eau ; on détache la toile cirée et le papier porteur de la plante pour les placer au milieu d’un cahier de papier sans colle entre une autre toile cirée et deux feuilles de zinc. » • Phase 3 : « On porte le tout sous une presse que l’on serre graduellement. Au bout de vingt-quatre heures, on enlève le papier sans colle pour achever la pression, qui suffit ordinairement pour faire adhérer la plante au papier. Si l’adhérence était imparfaite, on emploierait une solution légère de gomme arabique pour fixer la plante. » DES USAGES MULTIPLES Très tôt, on lui connaît des vertus médicinales : à l’époque romaine le « bryon » a pour propriété spéciale « de sécher, de resserrer. Il arrête toutes les collections, toutes les inflammations, surtout celles de la goutte, et il est bon dans tous les cas où il s’agit de rafraîchir14 ». Ce qui est bon pour l’homme peut servir à l’animal, et dans l’Économie rurale de Végétius15 au chapitre de la médecine vétérinaire, il est donné un conseil : « Si le soc de la charrue lui a blessé la jambe, on met sur la plaie de la laitue de
14. Pline, Histoire naturelle, op. cit. 15. Traduction d’anciens ouvrages latins relatifs à l’agriculture, et à la médecine vétérinaire. L’économie rurale de Végétius, tome 6, 1783.
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L’Ulva lactuca
mer […] avec du sel. » En Chine, au xvie siècle, on lui reconnaît surtout des propriétés diurétiques.
Figure 2 In James Sowerby, English botany, 1790-1814.
Les ulves sont, de manière générale, comestibles et traditionnellement utilisées dans l’alimentation en Irlande et 21
Fragments de science – Volume 2
surtout en Extrême-Orient, et notamment en Chine. Le grand pharmacologue chinois Li Che-Tchen (1518-1593) a même retiré l’ulve laitue de la famille des herbacées pour la placer dans le chapitre des « légumes aquatiques16 ». Du côté de l’Europe, Lamarck avait précisé que « cette espèce se mange comme salade sur les côtes d’Ecosse ». Dans les Annales de l’Académie de La Rochelle (1855-1881), un article sur les plantes marines, signale rapidement que les algues, dont l’ulve, « fournissent une nourriture saine aux pauvres de l’Europe du Nord17 ». Le Dr É.-L. Trouessart en 1893 donne un verdict sans appel : « De l’avis de ceux qui en ont mangé, c’est un mets peu recommandable même en salade, et la laitue de mer (Ulva lactuca) ne remplace que très imparfaitement celle de nos potagers. » Il reconnaît cependant que, « comme pour tous les aliments, l’habitude est ici pour beaucoup dans les sensations de notre palais18 ». Quand les temps deviennent difficiles, l’opinion révise son jugement : « L’ulve que l’on nomme si gentiment laitue de mer constitue, assaisonnée, une excellente salade19 », lit-on dans le Journal des débats politiques et littéraires le 23 janvier 1943. D’ailleurs, en Islande « ce plat est à l’honneur », les pays du Nord consomment des gelées à base d’algues bouillies dans du lait, « même écrémé », et « certains fournissent un plat savoureux », et les japonais en cultivent quelques espèces 16. Ming Wong, « Contribution à l’Histoire de la matière médicale végétale chinoise », Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 1970, p. 200-226. 17. Annales de l’Académie de la Rochelle, op.cit. 18. Dr É.-L. Trouessart, Au bord de la mer : géologie, faune et flore des côtes de France, de Dunkerque à Biarritz, 1893. 19. Paul Lecourt, « La laitue de mer », Journal des débats politiques et littéraires, 23 janvier 1943.
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L’Ulva lactuca
pour l’alimentation et les utilisent aussi comme condiment. Mais pour ces français novices, ce sont plutôt les gelées qui sont recommandées, qui apportent en plus à l’organisme des « élément intéressants, en particulier des stérols (vitamine D) et des carotènes ». Les articles s’appuient sur les déclarations et les recherches d’un scientifique, M. Lepique qui assure aussi, que ces algues, ne sont pas seulement un « mets de restriction », mais peuvent servir à l’alimentation du cheval (après quelques jours d’accoutumance tout de même) et elles peuvent se substituer au foin, mais les essais semblent indiquer que c’est plus difficile pour les porcs « au palais délicat et à l’estomac rebelle ». Aujourd’hui, elle entre dans différentes préparations agro-alimentaires, souvent sous la forme de paillettes. La laitue de mer fraîchement cueillie peut être consommée crue ou cuite. En France, les principaux producteurs sont en Bretagne (Côtes-d’Armor, Finistère et Morbihan). Elle fait tout doucement son entrée dans la grande cuisine20 et on la trouve désormais dans quelques recettes « traditionnelles » bretonnes. La laitue de mer a une saveur proche de l’oseille et on invite à la consommer crue en salade, mais aussi… dans des smoothies, en chips ou en papillotes ! L’Ulva lactuca fait traditionnellement partie des algues vertes utilisées comme engrais naturels sur les cultures agricoles bretonnes à cause de sa forte teneur en azote et en phosphore. Dans un ouvrage21 publié en 1841 on apprend que « les habitants du littoral de la Toscane, recueillent les plantes qui croissent 20. Le chef Olivier Bellin (2 étoiles au Michelin, 4 toques Gault et Millau) l’utilise pour son pot-au-feu de la mer. 21. Chevalier Filippo Ré, Essai sur les engrais et les autres substances qui servent en Italie pour l’amélioration des terres et sur la manière de les employer, 1841 (traduit de l’italien par Emmanuel Phélippes-Beaulieux, Secrétaire général de la Société archéologique de Nantes, en 1846).
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sur les rivages de la mer, et qu’ils nomment balayures des marais, et écumes de la mer », qu’ils les déposent « par couches, dans les étables, pour servir en guise de litière au bétail », et augmentent ainsi la quantité de leur fumier. De plus, « quelques-uns des habitants, sur différents points, en Istrie, recueillent, pour accroître la masse des fumiers la Zostera marina et l’Ulva lactuca ». L’auteur conclut : « Il serait fort à désirer que dans tous les lieux près de la mer, l’on retirât quelque profit de ces substances. »
Figure 3 © W. Carter, Creative Commons.
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L’Ulva lactuca
LA QUESTION ENVIRONNEMENTALE L’Ulva lactuca contribue, comme d’autres algues, aux phénomènes de marées vertes, d’eutrophisation, et en conséquence à la réduction de la biodiversité. L’eutrophisation peut être « assimilée à l’indigestion d’un écosystème ayant emmagasiné tellement de nutriments qu’il n’est plus en mesure de les décomposer par lui-même », résume Gilles Pinay, directeur de l’Observatoire des sciences de l’Univers de Rennes22. Les sociétés industrielles rejettent en quantité nitrates et phosphates, et les ulves s’en nourrissent. Le phénomène prend véritablement une dimension planétaire vers la fin du xixe siècle, avec l’émergence des grandes agglomérations et surtout la prolifération des zones industrielles. Dans les années 1970, la première crise sera en partie amortie avec la réduction, puis l’interdiction, des phosphates dans les lessives. Au début xxie siècle, nouvelle alerte, mais c’est le milieu marin qui est cette fois plus spécifiquement touché. En l’espace d’une quarantaine d’années, le nombre et l’emprise des zones hypoxiques (à faible concentration d’oxygène) et anoxiques (sans oxygène du tout) a triplé à l’échelle du globe. En France, la Bretagne est particulièrement concernée, mais c’est en associant cette question à celle des marées vertes23 que le sujet arrive enfin au premier plan. Les responsabilités sont partagées entre cultures et élevage intensifs d’une part et, de l’autre, réchauffement climatique : activité humaine, toujours ! Mais si elle est quelquefois sources de problèmes, elle peut aussi devenir ressource dans plusieurs domaines. Des recherches sont en cours pour chercher à valoriser les masses 22. Grégory Fléchet, « Quand les écosystèmes saturent », CNRS le Journal, 2017. 23. Les émanations de sulfure d’hydrogène qui en résultent ont déjà provoqué le décès de plusieurs personnes.
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énormes d’algues vertes qui s’échouent chaque année. Les études portent aussi bien sur la production d’énergie à partir de la biomasse que sur le développement de nouveaux matériaux intégrant ces algues. La fabrication de biocarburants pourrait aussi bénéficier de ces recherches24 : le rendement d’Ulva lactuca est de l’ordre de 12 tonnes de matière sèche par hectare et par an, contre 0,9 tonnes par hectare et par an pour le maïs. Et l’algue ne consomme ni engrais ni eau douce ! Des chercheurs travaillent aussi au développement d’un biopesticide d’origine algale pour protéger les agrumes après la récolte, ce qui constituerait une alternative à l’usage des traitements chimiques classiques. Pour répondre au second objectif, des extraits aqueux d’algues vertes, Ulva linza et Ulva lactuca, ont été préparés et testés comme antifongiques in vivo et in vitro, afin d’étudier leur aptitude à inhiber le développement de Penicillium digitatum sur des agrumes25. Des extraits de Ulva lactuca font l’objet de recherches pharmaceutiques. Enfin, elle peut aussi être séchée et utilisée dans les installations de biogaz pour le traitement des eaux usées, ou encore… pour la dépollution de l’air !
24. N. ElMtili, F.Z. Fakihi Kachkach, M. El Harchi, « Les algues marines nouvelle potentialité économique pour le Maroc. Quelle stratégie biotechnologique ? », Cahier UAE, 8-9, 2013. 25. Al-Alam, Joséphine, Polluants organiques : analyse, application au « biomonitoring » environnemental et introduction des biopesticides (algues marines) comme alternative), Thèse 2017/ Strasbourg, Université libanaise.
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La malachite C’est certainement l’auteur de la Comédie humaine qui a exprimé le plus justement ce que représente la malachite. Dans un dialogue rapporté, il décrit un musée imaginaire où sont exposés tous ses trésors26 : « Tous les murs sont revêtus de haut en bas de malachite. — De malachite ? — Comme qui dirait du diamant. »
26. Léon Golzan, Balzac chez lui, Paris, Michel Levy Frères, 1863.
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Figure 4 Malachite, Collection de Minéralogie, Université Toulouse III – Paul Sabatier. © Véronique Prévost [UT3].
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La malachite
NATURE C’est un carbonate hydraté de cuivre (Cu2(OH)2CO3), on la trouve à l’état naturel sous forme d’encroûtements mamelonnés avec de belles nuances vertes. Elle est constituée de petits cristaux en forme d’aiguille disposés en structure radiée. De ce fait, les masses compactes sont souvent sciées et polies pour montrer de belles surfaces finement zonées qui varient du vert pâle au vert foncé parfois irisé de mauve. De système monoclinique27, sa dureté sur l’échelle de Mohs est de 3,5 à 4 (sur une échelle de 1 à 10), son poids spécifique28 de 3,75 à 4. D’éclat vitreux à soyeux, elle est translucide à opaque ; sa cassure est parfois avec de petits éclats (esquilleuse). La malachite est un minéral secondaire29 des zones d’oxydation des gisements de cuivre. On la trouve donc dans ces gisements, un peu partout sur la planète, mais en quantité et en qualité très différentes. L’origine du terme est toujours discutée. Il est présenté quelquefois comme dérivé de malakos en grec qui signifie « mou », et ferait donc référence à la tendreté de la pierre. Le plus souvent, on la dit composée de malak et de lithos. Lithos c’est la pierre, et malak c’est une fleur très commune en Grèce : la mauve. Or la malachite est verte. Certains spécialistes ont suggéré que l’homonymie viendrait des vertus similaires attribuées à la plante et à la pierre, hypothèse peu convaincante. C’est donc du côté des feuilles qu’il faut se tourner, et il faut même les retourner pour comprendre : les fruits de la mauve, les akènes, se forment au dos des feuilles en petites meules que l’on appelle fromageons qui rappellent assez les motifs circulaires que l’on retrouve sur la malachite. La démonstration semble cette fois, beaucoup plus probante. 27. Dont la maille élémentaire est un prisme incliné à base losange. 28. La densité correspond au rapport entre le poids d’un volume d’un minéral et le poids d’un même volume d’eau. 29. Minéral accidentel, formé de cuivre et de carbone.
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Figure 5 Maille de la malachite, In F. S. Beudant, Traité élémentaire de minéralogie, Libraire-éditeur Verdière, Paris, 1830, 2e édition, tome 1, planche IV.
CASSE-TÊTE POUR LE CLASSEMENT On connaissait et on utilisait la malachite depuis longtemps, mais on a eu bien du mal à en identifier les caractéristiques propres pour la classer. Le baron d’Holbach dans L’Encyclopédie en 1751, tente de préciser l’état de la question : « Pline donne le nom de malachites à un jaspe de couleur verte […], Wallerius met la malachite au rang des chrysocolles […] M. Pott regarde la malachite comme un spath qui tient de la nature du quartz, et qui a été pénétré et coloré par du cuivre, mis en dissolution et réduit en vert-de-gris dans le sein de la terre […], Boëtius de Boot regarde la malachite comme une espèce de jaspe [et] il en distingue quatre espèces, […] M. de Justi, dans son plan du règne minéral, dit que la malachite est une pierre verte et transparente qui n’a point une grande dureté ; 30
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il prétend que l’on a tort de la regarder comme une chrysocolle qui croît en mamelons, dont elle diffère considérablement ; il dit que la malachite est d’une forme ovale et hémisphérique, et qu’elle est remplie à la surface de taches noires et rondes. Il ajoute que la malachite fait effervescence avec les acides. » En résumé, au milieu du xviiie siècle, « on voit […] que les Naturalistes ne sont guère d’accord sur la substance à laquelle ils ont donné le nom de malachite, et qu’ils ont appelé de ce nom des substances très-différentes au fond. Au reste, il s’en trouve dans beaucoup de mines de cuivre, et la malachite doit elle-même être regardée comme une terre imprégnée de cuivre, qui a été dissout et changé en vert-de gris, et par conséquent comme une vraie mine de cuivre qui ne diffère du vert de montagne que parce qu’elle est solide et susceptible de prendre le poli30 ». En 1788, Claude-Henri Watelet31 précise que si on a longtemps distingué quatre espèces, « on ne donne à présent ce nom qu’à une espèce de stalactite cuivreuse, d’un très beau vert ; elle est susceptible du poli, et suivant le morceau et la coupe qu’on en fait, elle offre des dessins variés et fort agréables, soit par des lignes disposées les unes sur les autres, et de différentes nuances de vert, soit par des cercles de diverses grandeurs. » FABRIQUER UN SIMILI « Si la malachite n’était pas si rare, elle fournirait un des plus beaux verts que l’on connaisse. Cette couleur est toute préparée par la nature » : on a donc cherché une solution, et heureusement, on a « trouvé des moyens de faire de la malachite artificielle ». Et voilà la recette : « J’ai dissous du cuivre par l’alkali volatil dégagé du sel ammoniac, par le moyen de l’alkali fixe, en laissant cette dissolution, qui est d’un beau bleu d’azur, exposée à l’air dans un vaisseau. L’alkali, décomposant la matière grasse, reste inhérent au cuivre, & 30. Baron d’Holbach, L’Encyclopédie, tome 9, 1re éd. 1751, p. 929. 31. Claude-Henri Watelet, Encyclopédie méthodique, Beaux-Arts, 1788, p. 782-784.
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lui donne une couleur verte. Par l’évaporation insensible, on obtient des cristaux du plus beau vert, mais rassemblés confusément : c’est ce que je nomme malachite artificielle ; elle a toutes les propriétés de la naturelle »32. Henri Becquerel récidive un an plus tard, avec un nouveau procédé : « Voici maintenant de quelle manière, avec des forces électriques très faibles, il est possible d’arriver au même résultat : on recouvre une lame de cuivre, de cristaux de double carbonate de cuivre et de soude, et l’on dispose l’appareil de telle sorte que cette même lame, plongeant dans de l’eau, en soit le pôle positif ; on fait arriver ensuite lentement sur ce pôle, de l’oxygène et de l’acide sulfurique destinés d’une part, à oxyder le cuivre, et de l’autre à décomposer le double carbonate. Il se forme alors du sulfate de soude, lequel reste dissous, et du carbonate de cuivre, qui cristallise en petites aiguilles33. » En 1852, le même Becquerel revient encore avec un procédé amélioré, à l’issue d’une longue étude de 7 ans, et reconnaît néanmoins que la malachite obtenue « est terne quand le calcaire sur lequel elle est déposée est parfaitement sec ». Il faut « pour lui donner de l’éclat, appliquer sur la surface un vernis à la laque, puis polir légèrement, successivement, avec la ponce et le tripoli, ou mieux encore avec le tampon ». Mais pour achever la démonstration il présente, tout de même, à l’Académie « un vase Médicis de 4 décimètres de hauteur, en calcaire grossier, recouvert de malachite, afin qu’elle puisse voir jusqu’à quel point ce dernier produit imite la malachite naturelle »34.
32. Henri Becquerel, « Sur les moyens de produire à l’aide de forces électriques très faibles, de la Malachite semblable à celle que l’on trouve dans la nature », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, tome 1, 1835, p. 5-22. Cristallographie, Séance du 3août 1835 33. Henri Becquerel, op.cit. 34. Henri Becquerel, Mémoires sur de nouveaux développements relatifs aux effets chimiques produits au contact des solides et des liquides, Mémoire de l’Académie des sciences de l’Institut de France, tome 23, 1852, p. 379.
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Figure 6 In F. Leteur, Traité élémentaire de minéralogie pratique, Librairie Ch. Delagrave, Paris, 1907, planche V (après p. 92).
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On a évidemment cherché un peu partout des gisements de malachite, et on en a même trouvé. Ainsi, en 1858 dans une communication à l’Académie des sciences de Montpellier, on signale que l’arrondissement de Saint-Affrique en Aveyron « offre plusieurs minéraux dont l’industrie semble se préoccuper avec quelque avantage », et, en haut de la liste, on trouve « les malachites de Sainte-Ysaire, des Tourrettes et des Faveyrolles »35. Il n’y a visiblement pas eu de suite à cette annonce et, dans une étude minéralogique de la même région réalisée en 1962 par Pierre Maurel, la malachite n’est pas signalée. Dans les collections de l’université, certains fragments de malachite proviennent de Sibérie comme celui-ci, et d’autres fragments (malachite hétérogénite) ont été récoltés au Congo (Zaïre). La malachite a fait récemment l’objet d’autres études scientifiques mais sa « notoriété » vient surtout de son utilisation en marqueterie, en joaillerie, et en décoration. Et, dans ce domaine, elle est étroitement liée à deux époques et à deux cultures. AU TEMPS DES PHARAONS Généralement, les Égyptiens fabriquaient leur vert à partir de la malachite. La technique utilisée est aujourd’hui perdue, mais des recherches effectuées par Sandrine Pagès-Camagna36 sur des pains de pigments égyptiens ont permis de redécouvrir la « recette » de cuisson d’un mélange de silicium, de calcium, et de cuivre, avec un fondant sodique pour obtenir du vert et du bleu. Daniel Le Fur a confirmé que la principale source de vert est la malachite qui provient du désert oriental ou des 35. Reynes et P. de Rouville, Géologie de l’arrondissement de Saint-Affrique (Aveyron) et des parties limitrophes des départements de l’Aveyron et de l’Hérault, Mémoires de l’Académie des sciences et des lettres de Montpellier, 1858. 36. Docteure en sciences des matériaux, ingénieure au laboratoire de recherche des Musées de France, CNRS.
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mines de cuivre du Sinaï. « Elle est attestée durant toute l’histoire égyptienne37. » Et même, pour fabriquer le « bleu égyptien » on utilise du silicate de cuivre et de calcium obtenu artificiellement par cuisson avec un mélange de sable, de poudre de calcaire, et… de malachite. La couleur verte (ouadj) s’écrit avec le hiéroglyphe représentant un papyrus, et symbolise évidemment la végétation, mais également la jeunesse, la bonne santé et la régénération. Elle partage ainsi une partie de la symbolique de la couleur noire, et c’est pourquoi certains dieux, comme Osiris par exemple, sont représentés tantôt en noir38, tantôt en vert. On la retrouve dans des expressions courantes : « le Grand Vert » (Wadj-wr) est le surnom d’Osiris ; « la Grande Verte » (Ouadjour) désigne la mer ou la couleur du Nil en juin, et « faire des choses vertes » signifiait bien agir. Le vert était la couleur du fard qui entourait les yeux des Égyptiens avant la IVe dynastie (-2670 à -2450). Emile Cartailhac39, rappelle en 1903 que « la plupart des plaques égyptiennes les plus anciennes sont des palettes ayant servi à broyer la couleur », des palettes à fard donc. Et, on broyait « surtout de la malachite qui réduite en poudre et mêlée à un corps gras servait à faire autour de l’œil une ligne assez large qui avait à côté de son rôle décoratif, un rôle utilitaire. On le sait par les monuments de 37. Daniel Le Fur, Les pigments dans la peinture égyptienne, Paris, CNRS Éditions, 2002. 38. Le noir, couleur du limon fertile apporté par la crue annuelle du Nil, est en effet fortement lié à la symbolique de la renaissance. Le limon déposé sur les berges permettait aux cultures égyptiennes de « renaître » après une saison de sécheresse où les plantes semblaient « mourir ». Ce limon, vital pour un peuple d’agriculteurs, donnera le nom ancien de l’Égypte, Kmt (Kemet), « la (terre) noire ». 39. Il est le premier à enseigner l’archéologie préhistorique en 1882 d’abord à la faculté des sciences de Toulouse puis à la faculté des lettres à partir de 1890 jusqu’à sa mort en 1921.
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la troisième dynastie et leurs claires inscriptions40 ». Elles avaient effectivement un usage votif lorsqu’elles étaient déposées dans les tombeaux, vœux certainement essentiels au moment d’entrer dans le monde des esprits ! La malachite qui a donné le vert aux Égyptiens, va imprimer durablement sa marque. Des siècles plus tard, il existe encore un vert que l’on appelle « vert malachite ». François Daumas, égyptologue, explique41 : « Lorsqu’un égyptien ou une égyptienne portait un bijou, il n’avait pas seulement obéi au désir de se parer. Peut-être même ce désir n’était que second. Les bijoux antiques furent avant tout des talismans. […] Le vert est un indice de développement, d’épanouissement. Des pierres semi-précieuses de couleur verte, qui semblent avoir englobé feldspath vert, malachite, béryl, émeraude, jaspe, apportaient par leur présence ces qualité à celui qui s’en parait. » Plus tard, à Rome, la malachite s’appelle « pierre de paon », emblème de la déesse Junon. Taillée en triangle, elle devait préserver du mauvais œil. Pline le signale : « Elle est douée d’une vertu médicale naturelle qui la rend propre à préserver les enfants des dangers qui les menacent. » Elle a aussi cette vertu pour Les Hans, en Chine, dans l’Amérique précolombienne, ou la France du Moyen-Âge. En Italie42, c’est toujours contre la jettatura que l’on utilise la pietra del pavone43 : « On suspend au cou des enfants un morceau de malachite, dont les strates 40. Emile Cartailhac, « Les palettes des dolmens aveyronnais et des tombes égyptiennes », Bulletin de la Société archéologique du Midi de la France, séance du 3 novembre 1903. 41. François Daumas, Pierres précieuse et orfèvrerie dans l’Égypte pharaonique, Académie des sciences et des lettres de Montpellier, 1978. 42. Max Caisson (ethnologue), « Le regard, la science du mauvais œil. Structuration du sujet dans la “pensée folklorique” », Terrain, mars 1998, p. 35-48. 43. Jettatura : mauvais sort, mauvais œil ; pietra del pavone : pierre de paon.
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concentriques rappellent les yeux des plumes de paon (or les plumes de paon sont souvent censées porter malheur : elles ont le mauvais œil !). » La malachite contre le malocchio44 : œil pour œil, en quelque sorte. AU TEMPS DES TSARS En Russie, on extrait de la malachite depuis le viiie siècle, mais c’est à partir du xviiie siècle que l’on découvre les grands gisements de l’Oural. Elle est incrustée dans la culture russe : d’après une légende, on s’initierait au langage des animaux en buvant dans un gobelet en malachite. Le français Jean Chappe D’Auteroche a été l’un des premiers à décrire la malachite de Sibérie. Dans un compte rendu de voyage effectué en 1761 sur ordre du roi, il rapporte45 : « On trouve la malachite dans les cavités des mines de cuivre sous la forme de stalactites et de stalagmites. Celle de Sibérie est très belle, susceptible du poli et propre à toutes sorte de bijoux. Elle est quelquefois mamelonnée, disposée par stries, par couches : elle doit son origine à du cuivre qui a été dans un état de dissolution. » En 1835, on signale46 qu’une « grande masse de malachite vient d’être trouvée dans les mines ouraliennes de M. Demidoff », qui pèserait près de 5 000 kg. On apprend par la même note, que les mines de l’Oural ne fournissent plus à ce moment-là, et que la malachite se fait rare. Cette nouvelle découverte est donc très importante, même si « on n’en connaît pas encore exactement les dimensions ». La Sibérie est 44. Mauvais œil. 45. Jean Chappe d’Auteroche, Voyage en Sibérie, tome 1, 2e partie, 1768, p. 665-669. 46. M. Al. de Humboldt, « Note sur une grande masse de malachite, trouvée dans les mines ouraliennes de M. Demidoff », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, tome 1, 1835, p. 71-92.
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devenue un Eldorado minier47 : « Tagilsk produit du fer et du cuivre. […] À une verste et demie plus loin se trouvent les mines de cuivre et de malachite, que l’on exploite au moyen de puits profonds de trois cents pieds, et qui donnent des profits considérables. Les produits de Tagilsk sont, pendant l’hiver, transportés sur des traîneaux jusqu’à la Tchoussovaia, […] on les expédie au printemps sur Nijni-Novgorod et Moscou. » Un scientifique allemand, associé étranger à l’Institut de France, M. Klaproth a analysé la malachite de Sibérie et montré qu’elle contient « sur cent parties : cuivre pur 58, oxygène 12,50, acide carbonique 18, eau 11,50 48 ». De nombreux palais, monuments et objets sont ornés de malachite. L’Ermitage a « une belle collection d’énormes vases de jaspe de Sibérie et de porphyre. L’un d’eux est surtout précieux pour sa grandeur ; sa largeur est de 5 pieds, et il est composé entièrement de malachite, dont les divers morceaux sont si admirablement joints les uns aux autres, qu’ils semblent former une masse solide49 ». On le trouve dans la salle Malachite, créée vers 1830 par l’architecte Alexandre Briullov, utilisée comme salle de réception par l’impératrice Alexandra Fiodorovna, épouse de Nicolas Ier. « Tous les objets de malachite de cette salle donnent une parfaite représentation de l’habileté des tailleurs de pierre russes. La plupart des ornements dans cette salle affiche également l’art de la “mosaïque russe”. »
47. Cucheval-Clarigny, « La Sibérie et les Progrès de la puissance russe en Asie », Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 14, 1858, p. 835-877. 48. « Pièces envoyées par l’empereur de Russie, pour une exposition aux Tuileries », Journal des arts, de littérature et de commerce, 1799-1814, 26 août 1808. 49. « Saint-Pétersbourg. L’Ermitage et le palais de marbre », Revue des Deux Mondes, période initiale, tome 2, 1829, p. 115-120.
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Lors d’une exposition au Palais des Tuileries à Paris, l’empereur de Russie a envoyé des pièces qui « ne se font pas moins remarquées par la rareté de la matière que par le fini du travail50 ». Cinq d’entre elles sont en plaque de malachite : deux dessus de table, deux fûts de colonne tronquée, et une cuvette ronde. Et effectivement « les malachites sont de l’espèce la plus rare, de celle qui n’est employée qu’en bijoux. Elles proviennent des mines de Goumechefski en Sibérie, à 10 lieues au sud d’Ekaterinbourg […] ». Et le fini des pièces exposées est remarquable : les plaques sont « ajustées avec tant d’art, qu’elles présentent divers dessins de moire non interrompus, dont l’œil le plus exercé, et même armé d’un microscope, ne pourrait en apercevoir les joints », « le travail en est si parfait, qu’on les prendrait pour de très beaux marbres d’une seule pièce, si l’on ne savait que la malachite ne se trouve dans la mine qu’en morceaux de 5 à 6 pouces de diamètre, qui sont sciés pour en former des plaques »51. Les Russes ont développé au début du xixe siècle cette technique dite « de la mosaïque russe » spécifiquement pour l’utilisation de la malachite et la réalisation de pièces de marqueterie, de joaillerie et de décoration : cette période est quelquefois appelée « époque de la malachite ». La pierre est débitée en petites plaques de deux à quatre millimètres d’épaisseur, qui sont ensuite sélectionnées méticuleusement, polies et collées une à une sur la base métallique52 ou de pierre du futur objet, puis on mastique savamment les joints entre les plaques avec des grains de malachite.
50. « Pièces envoyées par l’empereur de Russie, pour une exposition aux Tuileries », op. cit. 51. Idem. 52. Avec un mastic chaud, composé de cire et de colophane.
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Figure 7 Coupe de malachite. © Carlos de Matos.
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Après 1835, avec l’exploitation des mines de Demidof, des dessinateurs et des artisans d’art sont envoyés à Florence, et c’est cette technique florentine qui a permis aux Russes de parfaire le placage sur les objets d’art. Tous les objets sont produits par les trois manufactures lapidaires impériales, à Peterhof, Kolyvn et Ekaterinbourg. La technique a servi aussi pour les lapis-lazulis et les jaspes. Les dirigeants russes, lorsqu’ils font des cadeaux pour sceller des accords, ou pour remercier, utilisent cette ressource : la malachite devient outil de communication. Alexandre Ier offre à Napoléon, en 1808, après le Traité de Tilsit, des présents qui vont être installés dans le grand cabinet de l’empereur aux Tuileries, puis au grand Trianon, en 1811, dans le salon de l’Empereur qui devient alors le salon des Malachites. Le muséum de Paris a aussi bénéficié de ces largesses : « C’est à Buffon, à son génie, à son goût pour le luxe et la représentation, que l’établissement dut, en moins de dix ans, d’être renouvelé. Roi de la science, il traitait, pour ainsi dire, d’égal à égal, avec les têtes couronnées. L’impératrice de Russie, animée pour le naturaliste français de sentiments d’estime, lui avait envoyé de riches mines de malachite, et toutes les plus belles fourrures que produisent ses États. Buffon accepta tout, non pour lui, mais pour le muséum qu’il formait53. » Les cadeaux sont reçus et acceptés, mais de temps à autre, ce privilège réservé aux Russes agace visiblement un peu54 ; on peut lire dans un compte rendu de l’exposition de Londres, en 1851 : « Outre les diamants, les turquoises, les mosaïques de marbre et cette argenterie mêlée de dorures dont ils ont le secret, les Russes ont exposé le mobilier d’un hôtel 53. Alphonse Esquiros, Paris ou les sciences, les institutions et les mœurs au xixe siècle, tome 1, Comptoir des Imprimeurs unis, 1847, p. 38-41. 54. Alexis de Valon, « Le Tour du monde à l’exposition de Londres », Revue des Deux Mondes, nouvelle période, tome 11, 1851, p. 193-228.
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tout entier en malachite : des tables, des cheminées, des vases énormes, des portes à deux battants de vingt pieds de haut en malachite ! Avec cette pierre, dont nous sommes heureux, nous autres pauvres hères, d’avoir un cachet ou des boutons de manchettes, M. Demidoff fait construire des palais. Propriétaire des mines, il loge dans une pierre précieuse comme un marin dans son navire. » Enfin, la littérature russe, bien entendu, est parsemée de références : Tolstoï décrit le salon d’Anna Karenine qui a « une table à écrire avec son buvard en malachite55 », donc quand d’autres utilisaient du sable ou de la poudre de pierre ponce voire d’atacamite pour les plus fortunés, en Russie, on s’offre de la malachite pour éponger l’encre. En France, on n’a pas de malachite mais on a un peu d’humour, et Alphonse allais va livrer un calembour qui restera dans les mémoires, souvent repris par la suite56 : « Aucune végétation ne s’épanouissait en ces lieux, pour cette excellente raison que la terre végétale y était remplacée par un formidable gisement de malachite. Contrairement au vieux dicton, qui prétend que la malachite ne profite jamais, Cap tira un parti étonnant de cette richesse minéralogique. En un rien de temps, il avait fait niveler horizontalement le bloc de malachite, et fondé à Pifpaftown (la plus proche cité du gisement) le Grandiose Billard Club57. »
55. Léon Tolstoï, Anna Karénine (1873-1877), tome 1, Nelson, 1910, p. 238-243. 56. Par Boris Vian notamment. 57. Alphonse Allais, Le Captain Cap, Juven, 1902, p. 141-144.
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Le Hyaenodon brachyrynchus
À la fois « chien et chat », ce fossile a été aussi source de désaccord entre Paris et Toulouse : il représente donc toute une histoire et pas seulement parce que celle-ci remonte à quelques dizaines de millions d’années…
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Figure 8 Hyaenodon [Type], Collection de Paléontologie de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier. © Véronique Prévost [UT3].
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Le Hyaenodon brachyrynchus
LA DÉCOUVERTE Sa vie de fossile commence par sa découverte en 1839. Deux scientifiques vont se pencher sur cette tête. Félix Dujardin58, en 1840, puis Henri de Blainville59, un peu plus tard. Ce Hyaenodon est un fossile « trouvé presque entier », « au bord du Tarn, près de Rabastens » et plus précisément près d’une « des tuileries, au niveau de la plaine alluviale du Tarn, vraisemblablement non loin du lieu-dit Toutoure où de considérables masses d’argile furent exploitées » ; en effet, « ces argiles souvent sableuses affleurent dans la vallée ». « Il était enfoui dans une marne sablonneuse et micacée d’un gris verdâtre, laquelle fait partie du terrain tertiaire moyen. La tête seule fût conservée et fait partie de la collection de la Faculté des sciences de Toulouse. »60 En réalité, c’est Albert MoquinTandon61 qui a trouvé cette tête « chez un particulier de notre ville62 » et qui l’a fait acheter par la faculté pour la somme de 12 francs63.
58. Professeur de minéralogie et de géologie à la faculté des sciences de Toulouse. 59. Élève de Cuvier, professeur à la faculté des sciences de Paris, et titulaire de la chaire d’anatomie comparée au Muséum de Paris à la mort de son maître. 60. Bruno Muratet, Francis Duranthon, Brigitte Lange-Badré et Janine Riveline, « Discontinuité d’origine eustatique dans les molasses oligocènes de l’est du bassin aquitain (SW France). Apport de la biochronologie », Compte rendu de l’Académie des sciences, série 2, mécanique, physique, chimie, sciences de l’univers, sciences de la terre, 1984-1993. 61. Professeur à la faculté des sciences de Toulouse de 1833 à 1852, directeur du Jardin botanique (1834-1852). 62. Lettres inédites de Moquin-Tandon à Auguste de Saint-Hilaire, ClermontL’Hérault, Librairie Saturnin Léotard, 1893. 63. Salaire journalier d’un ouvrier en 1839 : 1,89 francs.
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LES DESCRIPTIONS Dujardin a publié la première note64, et donc la première description : « L’arrière palais » se prolonge en arrière, la crête sagittale (crête osseuse sur le sommet du crâne à l’emplacement de la suture sagittale) permet de dire que le mammifère est doté de muscles masticatoires d’une force exceptionnelle, les os nasaux et l’os lacrymal sont très développés, l’inclinaison des sutures font un pariétal (entre le temporal et l’occipital) de forme triangulaire, les trous-orbitaires (orifices sous les cavités contenant les yeux pour le passage des vaisseaux sanguins et des nerfs) ressemblent à celui des chiens mais placés au-dessus de la troisième molaire. La mâchoire inférieure est, écrit-il, très similaire de celle du Hyaenodon de Laizer et Parieu, avec toutefois « des dents un peu plus fortes et plus saillantes » (ce qui « pourrait tenir de l’âge et du sexe »), et une carnassière plus longue (20 mm contre 17 mm). Cette mâchoire porte encore cinq incisives (sur 6). Ces incisives sont implantées de sorte « qu’elles se rencontrent à leur sommet ». On voit aussi six molaires supérieures. Blainville va compléter et affiner la description : « cette tête à peu près complète quoique écrasée, était, à ce qu’ont dit les ouvriers, accompagnée d’un squelette presque entier, qui a malheureusement été détruit et perdu ». Dans cette description officielle, on en apprend un peu plus : « La tête […] à laquelle manquent seulement la partie occipitale et les arcades zygomatiques, a été singulièrement comprimée obliquement dans toute sa longueur, en sorte que le côté droit semble avoir glissé sur le gauche qui est aussi plus élevé, et que le chanfrein et le palais sont obliques ; la mâchoire inférieure est placée et 64. Note publiée dans le Compte rendu des séances de l’Académie des Sciences de Paris, janvier 1840, p. 134.
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ses dents entrecroisées avec celles d’en haut, d’une manière fort serrée, comme si l’animal était mort dans un état de convulsion tétanique65. » Il donne ensuite une description très détaillée du crâne, puis il s’attarde très longuement, et très précisément, sur la mâchoire car « ce qui rend surtout cette tête fort remarquable, c’est la force et l’épaisseur de ses appendices maxillaires ». De plus, « le système dentaire est au moins aussi remarquable que les appendices sur lesquels il s’implante ». Les avant-molaires sont « parfaitement entrecroisées en avant », les arrière-molaires imbriquées « d’une manière complète latéralement » (les inférieures par les supérieures), toutes « devenant entièrement carnassières ». Suit alors une description des 3 paires d’incisives en haut, puis des 3 paires du bas, des canines robustes, des 6 molaires du haut et des 7 du bas. HYPOTHÈSES D’IDENTIFICATION Dujardin a comparé ce fossile avec « la figure d’une mâchoire inférieure donnée par MM. Laizer et de Parieu », ce qui, pour lui, amène à penser que « ces deux pièces appartiennent à une même espèce de Hyaenodon », de même que « les ossements fossiles d’un carnassier du gypse de Montmartre que G. Cuvier avait rapproché des Coatis66 ». Blainville, dans sa première publication, ne prend pas position puisque « n’ayant pas vu la pièce intéressante dont M. Dujardin était en possession, et ne la connaissant que par une description sans doute abrégée et sans figures », il ne peut, dit-il, 65. H. M. Ducrotay de Blainville, Ostéographie, ou Description iconographique comparée du squelette et du système dentaire des mammifères récents et fossiles pour servir de base à la zoologie et à la géologie, tome II, Paris, 1839-1864. 66. H. M. Ducrotay de Blainville, Ostéographie, op.cit.
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se prononcer, mais après réflexion, il avance tout de même, qu’il est « probable que cette tête fossile indique encore une forme animale distincte de l’ordre des carnassiers monodelphes67 ». Lorsqu’il peut, enfin, livrer une description officielle, il donne un avis plus tranché et surtout argumenté. Il est pour lui « évident » que ce fossile est à rapprocher du Hyaenodon leptorynchus décrit par Laizer et de Parieu du fait des ressemblances des mandibules et des systèmes dentaires, mais il considère cependant que ce sont deux espèces distinctes, et il explique : les dents sont ressemblantes mais pas rigoureusement analogues, elles sont « plus contiguës » pour le Hyaenodon de Dujardin (surtout la troisième arrière-molaire « notablement différente »), la mandibule plus épaisse, plus haute, plus robuste, les trous mentonniers plus rapprochés. Le rapprochement avec le fossile de Montmartre est, d’après ses observations, beaucoup plus « douteux », même s’il existe des analogies. La présence des trois paires d’incisives en haut et en bas, rattache le Hyaenodon aux carnassiers monodelphes « du moins à en juger d’après la généralité des faits [alors] connus ». Et enfin, doit-on ranger les Hyaenodons avec les Subursus ou avec les Canis ? Il « croit devoir avouer que pour décider tout à fait la question il faudrait avoir un plus grand nombre d’éléments et par conséquent de matériaux que ceux que nous possédons68 ».
67. Qui n’a qu’une matrice, on dit aujourd’hui « mammifères placentaires ». Dans la classification qu’il a établie, on a, par opposition, les didelphes qui sont les marsupiaux. 68. H. M. Ducrotay de Blainville, Ostéographie, op. cit.
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Dans les années 1850, une nouvelle théorie apparaît69 : François-Jules Pictet70 se dit « tout prêt à reconnaître que le Hyaenodon n’est ni un ursidé ni un canidé », qu’il ressemble aux ursidés par sa marche plantigrade (c’est en réalité un digitigrade) et aux canidés par la forme de sa mâchoire et le nombre de ses dents. Il préconise de conserver le nom de Hyaenodon (Auguste Pomel71 voulait les rattacher aux ptérodons) qui renvoie à un fait important à ses yeux, « la ressemblance de la dernière molaire inférieure avec la carnassière des hyènes » ce signe si caractéristique qui lui vaut son nom : étymologiquement Hyaenodon signifie « dent de hyène ». Un peu plus tard en 189372, le débat continue : « Les carnassiers produisent plusieurs types actuels […], ils donnent des genres éteints, précieux révélateurs de faunes transitoires : tels sont l’Amphicyon et l’Hyaenodon, intermédiaires entre le chien et l’ours, le premier plus rapproché du chien, le second plus près de l’ours. » Le Hyaenodon, après diverses études, fait partie des Créodontes (un ordre éteint de mammifères carnivores ayant évolué en parallèle du groupe Carnivora actuel). Il en a, en tout cas, les caractéristiques principales. Le cerveau est plus petit (que chez d’autres carnivores), il n’y a pas d’enveloppe osseuse de l’oreille moyenne, la morphologie des molaires est spécifique : la première ou la deuxième molaire supérieure et 69. F. J. Pictet, Traité de paléontologie ou Histoire naturelle des animaux fossiles considérés dans leurs rapports zoologiques et géologiques, tome 1, 1853-1857. 70. Professeur de zoologie et d’anatomie comparée à l’Académie de Genève. 71. Paléontologue et géologue, professeur de géologie à l’École supérieure des sciences d’Alger. 72. Emmanuel Vauchez, La Terre : évolution de la vie à sa surface, son passé, son présent, son avenir, tome 1, 1893.
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la deuxième ou la troisième molaire inférieure forment les dents carnassières tranchantes, alors que chez les carnivores ce sont la 4e prémolaire supérieure et la 1re molaire inférieure. Cette différence est fondamentale, elle révèle que les créodontes ont évolué séparément. En réalité, leur évolution a même été à l’inverse de celle d’autres mammifères : leur taille a diminué, pour donner des espèces de la taille d’un loup73.
Figure 9 Reconstruction du Hyaenodon.
73. Confirmation avec Albert Gaudry, paléontologue, qui indique en 1873 dans ses Considérations sur les mammifères qui ont vécu en Europe à la fin du Miocène (23 à 5 Millions d’années), que précédemment pendant l’éocène (56 à 33,9 Ma) les bêtes de proies étaient peu nombreuses et de petite taille, que le Hyaenodon ne dépassait pas la taille du loup.
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Le Hyaenodon brachyrynchus
AUJOURD’HUI, HYAENODON BRACHYRYNCHUS Le genre Hyaenodon a donc été décrit par les paléontologues Laizer et Parieu en 1838. Ce mammifère appartient à un genre éteint de l’ordre des créodontes, un groupe de carnivores primitifs. Le Hyaenodon mesurait entre 30 cm et 1 m 40 de haut et pouvait peser jusqu’à 500 kg. Si, à première vue, son apparence rappelle les hyènes actuelles, en regardant de plus près, sa morphologie était plus proche de celles des félins que de celles des canidés. Il avait un corps long, robuste, un cou plus court que le crâne long et massif, un museau étroit, cinq orteils pourvus d’une griffe tranchante, et des mâchoires puissantes (sans équivalent depuis) avec huit dents pointues qui permettaient de mordre et de briser le cou de ses proies. On sait qu’il avait un sens de l’odorat très développé et qu’il était rapide (55 à 58 km/h). C’était un redoutable prédateur. En revanche, le cortex relativement petit indique qu’il chassait certainement à l’instinct et en solitaire. Ce crâne fossile date de 30 millions d’années environ (Oligocène inférieur : Stampien moyen), et c’est un Type. Le Type, c’est le spécimen qui a permis de faire la description d’un nouveau taxon74 ou d’une nouvelle espèce, le matériel original sur lequel est fondée la définition d’une unité de classification (espèce, genre, etc.). Le spécimen Type fait référence au niveau international pour toute comparaison ultérieure.
74. Entité regroupant tous les organismes vivants possédant en commun certaines caractéristiques bien définies. Le terme taxon est utilisé dans la classification phylogénétique pour regrouper des êtres vivants en fonction de divers critères.
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LE DIFFÉREND PARIS/TOULOUSE Pourquoi y a-t-il eu une description en deux temps ? Pourquoi la description officielle réalisée par Blainville est publiée si longtemps après la découverte et la première note de Dujardin ? Parce que les relations Paris-Province n’étaient visiblement pas toujours faciles au xixe siècle, et que l’intérêt scientifique passait quelquefois au second plan. C’est par les écrits de Blainville que cette histoire nous parvient : « Je lui avais fait écrire [à Dujardin] par un ami commun, M. de Roissy, pour le prier de me confier cette pièce intéressante, mais il n’a pu le faire, la pièce étant restée à Toulouse, dans la collection de la faculté des sciences à laquelle elle appartient, et qui, malgré les plus vives insistances de ma part, n’a pas cru devoir s’en dessaisir, ni même m’en procurer un moule75. » Cette première publication est ponctuée d’allusions à ce manque : « La forme générale de la tête n’est pas indiquée dans la note citée : je sais seulement, d’après ce que m’en a dit M. de Roissy qui l’a vue, qu’elle était fortement étranglée en arrière des orbites […] seulement il paraît que [la mandibule] était plus courte. » Par conséquent, le papier est une redite de « l’observation de M. Dujardin, [qu’il] continue de copier » : la découverte est suffisamment importante pour qu’il livre tout de même, une description par « ouï-dire » en quelque sorte. Il veut voir ce fossile, et il demande à Auguste de SaintHilaire76 d’intercéder en sa faveur, et celui-ci sollicite MoquinTandon à Toulouse, qui lui, a très envie d’être recruté à Paris. Echange de bons procédés. Mais l’affaire n’est pas si facile : le doyen à Toulouse s’oppose à cet envoi. D’autre part le nouveau professeur de zoologie, a fait valoir que si Blainville voulait ce fossile c’est qu’il devait être intéressant, et il se propose 75. H. M. Ducrotay de Blainville, Ostéographie, op. cit. 76. Botaniste, membre de l’Académie des sciences, qu’il a présidé en 1835.
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désormais de l’étudier. Moquin-Tandon s’en agace : « Ce jeune homme n’est pas plus paléontologue que ses confrères ou que moi77. » Mais lorsqu’un vote est organisé sur cette question à la Faculté, le résultat est sans appel : la tête de Hyaenodon reste à Toulouse ! Et Moquin-Tandon fulmine : « Quand j’ai acheté ce fossile, on n’en faisait presque aucun cas ; voici un membre de l’Institut qui le demande ; tout d’un coup on en fait un diamant, un trésor, une relique78. » Enfin, Blainville a fini par obtenir gain de cause, non sans difficulté : « Les démarches multipliées que j’ai dû faire, les lettres qu’il a fallu écrire à des distances assez considérables, afin d’obtenir de M. Félix Dujardin d’abord, et ensuite de MM. Les professeurs de la faculté des sciences de Toulouse, la faveur de faire figurer dans mon ouvrage la pièce décrite par le premier et dont j’ai parlé sous le titre de Hyaenodon, ont retardé la publication de ce mémoire depuis près de deux mois. » L’intervention de M. de Saint Hilaire a finalement servi : « [Il] a bien voulu m’aider de son influence réelle dans cette petite affaire, ce dont je lui fais mes sincères remerciements, [il] vient de m’annoncer que le fossile va m’être envoyé très incessamment. »79. Ce qui fut fait, mais l’histoire ne dit pas s’il a fallu un « Ordre du ministre » comme l’avait suggéré Moquin-Tandon. Et en introduction de la description officielle, les remerciements sont peut-être un peu forcés : « La faculté de Toulouse, qui possède dans ses collections ce morceau encore unique, ayant bien voulu, à la sollicitation réitérée de M. Dujardin et de M. Leymerie, me le confier à Paris ; j’ai pu, avec la gracieuse autorisation que j’en ai reçue de la Faculté de Toulouse, le décrire moi-même d’une manière comparative, et le faire figurer ». La planche XVII dans l’ouvrage montre effectivement ce fossile tant convoité. Et 77. Lettres inédites de Moquin-Tandon à Auguste de Saint-Hilaire, Clermont L’Hérault, 1893, p. 98-101. 78. Lettres inédites de Moquin-Tandon à Auguste de Saint-Hilaire, op. cit. 79. H. M. Ducrotay de Blainville, Ostéographie, op. cit.
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bien entendu, il a pu aussi « le mouler en plâtre ; en sorte qu’il est aujourd’hui parfaitement représenté dans la collection paléontologique du Muséum [à Paris]80 ». Désormais, le Hyaenodon sera cité sous la forme « Hyaenodon brachyrynchus, Blainville ». À Toulouse, on garde l’original, le Type. Et on ne manque pas de le rappeler, comme le fait Leymerie, quand il est sollicité pour livrer un inventaire du matériel à disposition en 1855, en signalant cette pièce maîtresse de la collection : « Nous citerons particulièrement, parmi les pièces annexées à la collection Lartet, une tête d’Hyaenodon qui provient de la molasse de Rabastens (Tarn), et dont M. Dujardin avait fait l’acquisition pour notre cabinet. Le Muséum d’histoire naturelle de Paris n’en possède qu’un spécimen en plâtre, qui a été moulé sur notre original81 ». Pour l’anecdote, dans cette querelle « de clocher », il faut savoir que Dujardin n’a occupé la chaire de géologie et de minéralogie à l’université de Toulouse que… cette année-là : il arrive en 1839, et l’année suivante, il part à Rennes pour la chaire de botanique et de zoologie. LA PALÉONTOLOGIE AU SERVICE DE LA GÉOLOGIE On sait qu’une découverte dans un domaine peut servir à un ou plusieurs autres domaines, et quelquefois, elle les sert d’abord. De plus, au xixe siècle, la paléontologie est une discipline naissante, et les collections de fossiles sont rattachées aux collections de géologies qu’elles viennent illustrer82. Lorsque Gaston Astre83 publie, en 1926, une note « sur la 80. H. M. Ducrotay de Blainville, Ostéographie, op. cit. 81. « Lettre de M. Leymerie, professeur de géologie à la faculté des sciences », Revue de l’Académie de Toulouse, tome 1, p. 162. 82. Lors d’un inventaire sommaire réalisé en 1855, Leymerie présente la collection de paléontologie en regard de celle de géologie et de minéralogie. 83. Assistant de Géologie à la Faculté des Sciences de Toulouse depuis 1920.
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présence d’un Hyaenodon dans les molasses qui bordent la rive droite de la Garonne84 », le paléontologue qu’il est aussi, assure le service minimum (description, identification) mais c’est bien le géologue qui écrit. Cette dent trouvée, de son propre aveu, présente un intérêt « en raison de la position géographique du gisement ». Il explique : « Quelle que soit l’espèce de Hyaenodon représentée dans cette localité, il n’importe ici ; l’essentiel, c’est que le genre y soit connu ; car il en découle des considérations stratigraphiques intéressantes »85. Cette dent trouvée à Dieupentale (82) apporte des indications précieuses : c’est l’un des gisements pour lesquels il est difficile de préciser s’il s’agit du Stampien ou de l’Aquitanien. Jusqu’alors, le terrain était rattaché à l’Aquitanien (23,03 Ma). Cette dent montre qu’il s’agit en réalité du Stampien supérieur (33,9Ma) : « La présence d’un Hyaenodon dans un gisement implique donc un âge anté-aquitanien. » Un groupe de scientifiques86, dans une étude réalisée dans les années 1980, s’intéresse à cette « discontinuité sur la bordure orientale du bassin aquitain qui s’accompagne de l’absence de l’essentiel des molasses stampiennes, seulement préservées sur la marge du bassin ». Lorsqu’il manque une couche, une strate, on parle de lacune de sédimentation : la sédimentation s’est interrompue pendant toute une période, on a identifié la séquence A, la séquence C, il manque la séquence B. Et cette « disparition […] est consécutive à une phase d’érosion importante (100 m de dépôts ont disparus) survenue à la fin du Stampien et qui peut être mise en relation avec la grande régression oligocène [(-34 à -23 Ma)] ». Cette absence témoigne de 84. Gaston Astre, Sur la présence d’un Hyaenodon dans les molasses qui bordent la rive droite de la Garonne, in Bulletin de la société géologique de France, 1926, 4ème série, tome 26, pp.389 à 393 85. Ibid. 86. B. Muratet, F. Duranthon, B. Lange-Badré et J. Riveline, Op Cit.
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« l’importante baisse du niveau de base marin à cette époque ». Et ce sont notamment les fossiles qui offrent ces apports en biochronologie, et en particulier, dans ce cas, les Hyaenodons du Tarn qui démontrent l’existence de cette lacune (comme le suggérait la découverte du Hyaenodon brachyrynchus de Rabastens), et donc renseignent un peu plus sur l’histoire de la Terre, les processus de formation : des cycles qui se sont déroulés des millions d’années plus tôt.
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Les tuyaux sonores Les plus anciens instruments de musique connus sont des flûtes à encoche à 5 trous datées d’au moins 35 000 ans : des tuyaux qui produisent des sons… Oui mais comment sont produit ces sons ? Les physiciens vont creuser la question, à l’aide notamment de tuyaux sonores, qui sont, en quelque sorte, des témoins de l’histoire de la physique acoustique.
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Figure 10 Tuyaux sonores, Collection des Instruments anciens de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, © Véronique Prévost [UT3].
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Les tuyaux sonores
DESCRIPTION Les tuyaux sonores sont de taille et de forme différentes et permettent d’étudier les ondes sonores et acoustiques. Ils sont composés de quatre parties essentielles87 : le portevent (petite pièce à l’intérieur du tuyau, par lequel l’air va entrer dans le tuyau, qui est en forme de cône renversé), le corps du tuyau, la languette taillée en biseau qui coupe le vent, et enfin les oreilles qui sont de petites lames fixées sur les côtés des tuyaux et qui viennent ouvrir ou fermer une ouverture pour faire varier la hauteur des sons. La languette sert de langue à la bouche du tuyau (l’ouverture) « pour le faire parler » et les oreilles semblent écouter « si les tuyaux sont d’accord ». Il existe des tuyaux ouverts et des tuyaux fermés qui peuvent être à embouchure (comme pour une flûte), à anche libre (qui ne bute nulle part comme dans un harmonica), à anche battante (fixée et vibrant contre une paroi, comme sur le bec des saxophones). HISTOIRE ACOUSTIQUE Au vie siècle avant notre ère, les Pythagoriciens étudient le rapport entre nombres et sons, et vont déterminer la valeur des intervalles de l’échelle musicale, que l’on appelle aujourd’hui la gamme de Pythagore. Musique et mathématiques sont liées, Aristote y ajoute la physique en s’intéressant à la nature du son. L’acoustique doit ensuite, en grande partie à Marin Mersenne et à Daniel Bernoulli, « la découverte des lois qui régissent les vibrations dans les tuyaux sonores88 ».
87. Louis de Jaucourt, « Tuyau », L’Encyclopédie, vol. XVI, 1765, p. 769b. 88. Amédée Guillemin, Le son : notions d’acoustique physique et musicale, 1882.
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Le père Mersenne est en désaccord avec les théories sur la nature du son élaborées par Démocrite et Epicure. Il en donne donc une définition très simplifiée : « c’est le mouvement de l’air extérieur ou intérieur capable d’être ouï », ce qui se traduit aujourd’hui par « le son est une sensation auditive engendrée par une onde acoustique »89. Puis, dans son Harmonie universelle, parue en 1636, il a fait aussi quelques remarques et quelques démonstrations importantes à propos des tuyaux sonores. Par exemple, la largeur des tuyaux n’influe pas de la même manière que leur longueur, et il met en garde : « Si on fait un tuyau deux fois plus large, on n’obtiendra pas un son aussi bas que si l’on avait pris un tuyau de longueur double ; on sera fort loin d’obtenir l’octave inférieure comme on serait tenté de le croire. » Il va calculer ensuite quelle doit être la longueur des tuyaux de même grosseur pour produire les sons avec les intervalles requis « si l’on veut faire un orgue ». Il établit en somme une « loi de similitude pour les tuyaux », même s’il déroge quelquefois, pour des raisons pratiques : « les tuyaux trop larges consommeraient trop de vent et les tuyaux trop étroits auraient un son trop faible ou ne parleraient pas »90. D’autre part, il a observé que les tuyaux qui sont 4 ou 5 fois plus longs que larges, parlent facilement, ou encore que les tuyaux ouverts, gros ou petits, montent à l’octave lorsqu’on force le vent, et jamais à la tierce à la quarte ou à la quinte, en revanche ceux qui sont bouchés « passent à la quinte ou à la douzième ». Enfin, il montre qu’un tuyau rempli d’eau à moitié, ne donnera pas un son plus bas d’une octave, que celui émis par un tuyau vide identique, « lorsqu’il est enfoncé jusqu’au milieu, et conséquemment qu’il est à demi plein d’eau, [le tuyau] descend encore plus bas d’un ton que le tuyau à vide, avec lequel il fait l’unisson […] : 89. Léon Auger, Le R. P., « Mersenne et la physique », Revue d’histoire des sciences, année 1948, 2-1, p. 33-52. 90. Léon Auger, Le R. P., « Mersenne et la physique », op. cit.
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Les tuyaux sonores
conséquemment il n’est pas véritable que le tuyau vide descende à l’octave du même tuyau demi plein ». Cette démonstration contredit la théorie d’Aristote qui faisait l’expérience avec des tonneaux, expérience sur laquelle il a fondé la définition de l’octave. Daniel Bernoulli, au siècle suivant, va laisser une loi qui porte son nom : elle est double en réalité et donne les formules pour calculer la période d’une onde dans les tuyaux ouverts ou fermés. La période, c’est l’intervalle de temps séparant deux états vibratoires identiques et successifs. Dans un tuyau ouvert, il montre que la période correspond au temps mis par l’onde pour parcourir quatre fois la longueur du tuyau, donc pour la calculer on applique la formule : T= 4
L (soit Période = 4 × V
Longueur Vitesse du son
).
Et dans un tuyau fermé, elle est égale au temps mis pour parcourir deux fois la longueur du tuyau : T= 2
L (soit Période = 2 × V
Longueur Vitesse du son
).
OBSERVATIONS Au fil du temps, l’étude des tuyaux sonores et les expérimentations menées ont permis d’émettre nombres d’observations, d’identifier des « règles » qui permettront ensuite de formuler des lois. • La hauteur des sons dépend de la longueur du tuyau. Pour deux tuyaux identiques, mais dont l’un est deux fois plus long que l’autre, le nombre de vibrations du grand sera deux fois moindre ; le petit donnera donc deux fois plus de vibrations que le grand, et le son sera une octave plus haut que celui du grand. (Mersenne) 61
Fragments de science – Volume 2
• Un tuyau peut produire plusieurs sons : le plus grave est le son fondamental, les autres en sont les harmoniques que l’on obtient en « forçant progressivement le courant d’air » • Quand on fait résonner des tuyaux de longueurs différentes, on reconnaît que les plus longs donnent les sons fondamentaux les plus graves : « le nombre de vibrations est en raison inverse des longueurs ». Cette loi est valable pour les tuyaux ouverts ou fermés. • La vitesse de l’air entrant influe sur l’intensité : « Chaque tuyau peut rendre plusieurs sons, d’autant plus aigus ou élevés que la vitesse du courant d’air est plus grande ». • Le son fondamental d’un tuyau fermé est différent du son fondamental d’un tuyau ouvert : les vibrations sont deux fois moins nombreuses. On en déduit que le son fondamental d’un tuyau fermé est égal au son fondamental d’un tuyau ouvert deux fois plus long. • Deux tuyaux de même longueur et de même profondeur mais de largeur différente, donnent le même son, seule l’intensité varie ; le son émis par le tuyau le plus large sera d’une plus grande intensité. (Savart) Et on affine avec des observations et des lois de plus en plus pointues : • Si on considère les sons harmoniques du plus grave au plus aigu, on observe, dans les tuyaux ouverts, que les nombres de vibrations croissent selon la série des nombres entiers (1, 2, 3, 4, etc.), et dans les tuyaux fermés, ces nombres croissent suivant la série des nombres impairs (1, 3, 5, 7, etc.). Petite démonstration : on prend 3 tuyaux, l’un ouvert et deux fois plus long que les deux autres, qui seront l’un ouvert, l’autre fermé, et on obtient les séries suivantes : 62
Les tuyaux sonores
– Grand tuyau ouvert : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 – Petit tuyau ouvert : 2, 4, 6, 8 – Petit tuyau fermé : 1, 3, 5, 7 En d’autres termes : les sons du grand tuyau sont reproduits alternativement par les deux tuyaux moitié moins longs. DES NŒUDS ET DES VENTRES Joseph Sauveur91, s’inspirant de Mersenne et de Descartes, ne s’est pas contenté de préciser, de décrire et d’expliquer scientifiquement les phénomènes bien connus des musiciens et des facteurs d’instruments, il a aussi contribué à mettre en mots cette discipline. Il lui donne le nom d’acoustique, et il est le premier à parler d’harmoniques, mais aussi de nœuds et de ventres. Les colonnes d’air qui vibrent à l’intérieur des tuyaux « se partagent en parties immobiles ou nœuds, et en partie vibrantes ou ventres92 ». On peut les mettre en évidence en faisant glisser à l’aide d’un fil une membrane tendue saupoudrée de sable dans un tuyau : les grains sautillent sous l’impulsion des vibrations à hauteur des ventres, ils sont immobiles quand la membrane est au niveau d’un nœud. Autre observation : « Les nœuds de vibration correspondent à des ventres de pression, c’està-dire une faible pression. »
91. Physicien français, 1653-1716. 92. Léon Auger, « Les apports de Joseph Sauveur (1653-1716) à la création de l’Acoustique », Revue d’histoire des sciences, année 1948, 1-4, p. 323-336.
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Figure 11 La flûte connue la plus ancienne, Divje Babe flute, Musée national de Slovénie à Ljubjana. © Thilo Parg, Creative Commons.
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Les tuyaux sonores
Donc si on considère les extrémités du tube, si le tube est ouvert on observe un ventre de vibration, c’est-à-dire un nœud de pression, si le tube est fermé on voit un nœud de vibration et donc un ventre de pression. Et si le tube a un trou, il y a un nœud de pression correspondant : tout simplement parce que dans ce cas il y a continuité de l’air entre l’intérieur et l’extérieur, et donc une pression identique. Dans les orgues on utilise ce type de tuyaux. Si on ouvre un trou en regard d’un ventre de pression, le son est complètement modifié : le ventre devient un nœud de pression. Cette propriété est utilisée dans un instrument à vent comme la flûte, le long duquel sont percés les trous que l’on ferme avec les doigts. Lorsqu’il expose le problème de Wiener, Henri Bouasse en appelle à ces nœuds et ces ventres : « Il n’y a rien là de plus extraordinaire que de voir dans un tuyau d’orgue du sable s’agiter aux ventres et rester tranquille aux nœuds, tandis qu’une membrane, obturant un orifice dans la paroi du tuyau vibre aux nœuds et reste immobile aux ventres93. » RECHERCHE APPLIQUÉE Si les tuyaux sonores sont un support essentiel pour l’expérimentation en acoustique, ils ont été mis à contribution pour tenter de résoudre quelques problèmes pratiques. En 189394, par exemple, M. Hardy invente le forménophone, instrument qui pourrait prévenir des coups de grisou dans les mines. C’est un article de La Dépêche du 7 décembre 1895 qui signale cette innovation : il a « combiné un appareil dont les 93. Henri Bouasse, Cours de physique : conforme aux programmes des certificats et de l’agrégation de Physique, 5e partie, Delagrave, Paris, 1907, p. 214. 94. Ferdinand Faideau, La science curieuse et amusante, Tallandier, Paris, 1902.
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Fragments de science – Volume 2
battements et vibrations indiquent la densité du grisou présent dans la mine ». Le principe est détaillé dans une note publiée dans les Annales des mines, l’année suivante95 : il est composé de deux tuyaux identiques « à embouchure de flûte », l’un est alimenté « d’air pur », l’autre de l’air que l’on veut tester. Les deux courants sont amenés à la même température, à saturation complète et débarrassés du gaz carbonique qu’ils contiennent. En l’absence de grisou, « ils parlent à l’unisson », sinon ils seront dissonants. Et dans ce cas, la superposition des deux sons « produit des battements dont le nombre dans l’unité de temps est sensiblement proportionnel à la teneur en grisou ». En d’autres termes, en entendant la « chanson du grisou », les travailleurs seraient avertis du danger : « La musique est mauvaise ; voilà les fausses notes et les dissonances qui se succèdent. Allons-nous-en ; la salle va s’effondrer. » Il a mis au point un forménophone portatif, et le forménophone fixe à indications continues. Aussi ingénieuse soit-elle sur le papier, cette invention, n’a visiblement pas remplacé les grisoumètres de Chesneau et autres gazoscopes. DANS LES CABINETS DE PHYSIQUE Les sons produits par les tuyaux dépendent des matériaux de constructions, de l’agencement des pièces, mais aussi des proportions, des mensurations. Le travail des constructeurs se doit d’être précis, et leur rôle a été important pour les études acoustiques. Au xixe siècle, la collaboration entre scientifiques et fabricants devient nécessaire et importante. Deux constructeurs français se sont particulièrement illustrés dans cet art : Albert Marloye, qui a travaillé en étroite collaboration avec Savart notamment, et ensuite 95. « Le forménophone de M. Hardy », Annales des mines, 1896, série 9, vol. 9, p. 576.
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Les tuyaux sonores
Rudolph Koenig. La grande majorité des tuyaux sonores (et des instruments acoustiques) que l’on trouve dans les cabinets de physique dans les facultés de science au xixe siècle portent la marque de ces constructeurs. Ces tuyaux de la collection des instruments anciens de l’université Toulouse III – Paul Sabatier sont signés Marloye et ont été fabriqués vers 1850. Les cabinets de physique doivent permettre de faire toutes les démonstrations qui figurent au programme, on sait grâce à un inventaire réalisé en 1855 par M. Daguin, que celui de Toulouse est pratiquement complet. Et une circulaire de 1842 demandait aux collèges royaux96 d’acquérir : « deux tuyaux cubiques fermés ; deux tuyaux prismatiques et rectangulaires fermés ; des tuyaux ayant des surfaces dans des rapports donnés ; trois tuyaux égaux, un en bois, un en cuivre, un en laiton ; trois tuyaux différents par l’épaisseur ; un tuyau de verre à piston pour la loi de Bernoulli ; un tuyau pour produire une série d’harmoniques ; deux tuyaux pour les battements ; une bouche de tuyau à lèvre mobile ; une anche libre ; une anche battante ; un timbre (Ut=512) et tuyau renforçant ; […] une flûte se démontant pour la loi de Bernoulli. » AILLEURS Dans la doctrine confucianiste97, la musique est un moyen de gouverner l’État. On s’appuie sur deux principes fondamentaux : la musique est la manifestation des émotions 96. Il est probable que les facultés obéissaient aux mêmes exigences, hypothèse confirmée par les travaux de Daguin puis de Bouasse, tous deux professeurs à la faculté des sciences de Toulouse : pour réaliser les démonstrations acoustiques dont ils ont rendu compte dans leurs ouvrages, ils avaient besoin a minima de tout cet équipement en tuyaux sonores. 97. Vladislav Sissaouri, « L’influence chinoise sur la formation du roman japonais au xe siècle. L’Utsuho-monogatari », Études chinoises, année 1987, 6-1, p. 7-28.
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humaines, et les émotions sont toujours le produit d’une interaction avec un « objet » extérieur à l’homme. Le but du confucianisme est de susciter des émotions « correctes » : on va donc devoir créer les instruments pour produire la musique « élevée » qui suscitera ces émotions. On a mis au point une technique qui s’appuie sur le modèle acoustique dit le lülü : douze tuyaux sonores qui donnent un cycle de quartes et de quintes justes. « Le système a été élaboré en observant les phénomènes naturels. Le premier tuyau du lülü sert d’étalon à plusieurs systèmes : mesure de longueur, de capacité et de poids. Au plan des abstractions, les 12 tuyaux sonores sont les symboles des douze mois et ils sont divisés en deux groupes représentant le yang et le yin. Les gammes à cinq degrés qui sont les 5 notes du lülü prises successivement, symbolisent les Cinq Eléments (la terre, l’eau, le feu, le métal, le bois), les Cinq Planètes (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne), les Cinq Couleurs (le jaune, le rouge, le bleu, le blanc, le noir), les Cinq Points cardinaux (le centre, le nord, le sud, l’ouest et l’est). » L’acoustique s’est intéressée initialement à la description des sons audibles, émis notamment par des tuyaux : pression, fréquence, durée, intensité, etc. Il a fallu ensuite formuler, théoriser, et la théorie ondulatoire constitue la clé de voûte de ce domaine. C’est aujourd’hui une discipline aux ramifications nombreuses, qui s’est développée et qui couvre l’audible et l’inaudible (infrason et ultrason) et qui concerne des champs d’applications aussi divers que l’imagerie médicale, l’aéroacoustique, l’électroacoustique, la thermoacoustique, mais aussi des domaines transversaux comme l’environnement, l’industrie et bien entendu la musique.
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© Carlos de Matos.
La loi de Planck
Plaçons l’extrémité d’un tisonnier au cœur d’un feu de cheminée et laissons-le une bonne heure. Que voit-on ? Il est brûlant, et surtout rouge : il rayonne dans une gamme de couleurs directement liée à sa température interne. Pour comprendre ce phénomène, les physiciens vont imaginer un corps idéal qu’ils appellent le « corps noir ». Vont-ils établir la loi qui décrit son rayonnement ? Oui, Max Planck va y parvenir. Oui, mais… si le problème a une solution, la solution va devenir un problème.
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Figure 12 © Carlos de Matos.
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UN « PETIT NUAGE » En avril 1900, William Thomson, alias Lord Kelvin, dans un discours devant le Royal Institut à Londres, reprend l’idée assez répandue à l’époque98 qu’il ne reste que deux petits problèmes à résoudre pour la physique « deux petits nuages à l’horizon ». Et il prédit d’ailleurs que ces éclaircissements ne sauraient tarder. L’un d’eux concerne l’existence de « l’éther » (ce supposé support matériel de propagation de la lumière)99, et l’autre le rayonnement du corps noir. Il est vrai que, depuis deux siècles, on a pu établir des lois et produire les outils qui permettent d’expliquer la plupart des phénomènes : lois du mouvement des corps, gravitation universelle, théorie ondulatoire de la lumière, auxquelles s’ajoutent l’émergence de l’électromagnétisme et de la thermodynamique. La tentation d’imaginer la fin de la physique théorique refait surface. La prédiction de celui qui a donné son nom au système international de température en thermodynamique, va se vérifier dans les mois qui suivent à propos du rayonnement du corps noir, et c’est tout un monde, tout un système de pensée qui se dessinent : l’horizon, loin d’être dégagé, va devenir en réalité bien plus nébuleux. Tous ces « prophètes » auraient dû écouter la mise en garde de Francis Bacon deux siècles plus tôt : « La subtilité des opérations de la nature surpasse infiniment celle des sens et de l’entendement100. » Et le nuage devient noir… 98. « In the clear blue sky of physics there remained on the horizon just two small clouds of incomprehension that obscured the beauty and clearness », dans l’ouvrage Nuages du xixe siècle sur la théorie dynamique de la chaleur et de la lumière, Londres, Royal Institution, 27 avril 1900. 99. Échec de l’expérience de Michelson-Morley qui visait à en faire la démonstration. 100. Francis Bacon, Novum Organum, 1620, Traduction par F. Riaux (Nouvel Oraganum), Charpentier, 1843 (2, p. 7-82).
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LE CORPS NOIR Le céramiste anglais Josiah Wedgwood avait remarqué, dès 1792, que, si on chauffe un morceau de métal, la température à laquelle il change de couleur est toujours la même, quel que soit le métal. Du point de vue expérimental, on sait donc qu’un corps chauffé devient rouge à 600 °C, puis jaune à 1 000 °C, puis blanc à 2 000 °C. Voilà pour le spectre visible. Mais que se passe-t-il au-delà ? En dessous de 600 °C, il rayonne dans l’infrarouge, au-dessus de 2 000 °C il rayonne dans l’ultraviolet. On sait aussi qu’un corps chaud va chauffer un corps froid par le rayonnement qu’il émet : c’est le cas du soleil, mais aussi d’un radiateur, ou d’un four. Chaleur, lumière, couleur, énergie : la thermodynamique qui étudie les transformations de l’énergie doit pouvoir traduire en langage mathématique ces phénomènes physiques. En 1860, Gustav Kirchhoff propose un modèle : on prend une enceinte fermée dont les parois sont noires, un four par exemple, ces parois vont absorber toutes les couleurs du rayonnement (les composantes spectrales). On maximise ainsi les interactions entre la matière (les parois), et le rayonnement. Au bout d’un certain temps, après de multiples interactions, le four atteint un équilibre thermodynamique, un équilibre entre matière et lumière directement lié à la température interne du four. Si l’on perce un petit trou pour observer et mesurer le rayonnement, on constate que les couleurs de ce rayonnement (le spectre lumineux) ne dépendent que de la température du four, et cela, quelle que soit la nature des parois (la matière) : c’est ce qu’énonce la loi de Kirchhoff… et le modèle du « corps noir » est né. Ce corps noir qui absorbe toutes les radiations est, depuis 1880, sur les paillasses des physiciens qui étudient son rayonnement. La couleur du rayonnement ne dépend que de la température, et pas de la nature du corps, de sa composition : autrement dit, on a un invariant. Donc, pour les physiciens en général, et pour 72
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Max Planck en particulier, ce constat est un signal : il est possible d’énoncer une loi fondamentale ! Le Graal du chercheur. Et le corps noir va permettre de faire des mesures, d’expérimenter, d’observer, pour mettre au point une théorie. À la fin du xixe siècle on a déjà deux lois… mais elles présentent chacune une lacune majeure : la loi de Wien101 ne se vérifie pas dans l’infrarouge, et la loi de Rayleigh-Jeans102 est inefficace dans l’ultraviolet103. C’est alors que Max Planck entre en scène… VINGT ANS DE RÉFLEXION104 Depuis sa thèse soutenue en 1879, Max Planck s’intéresse tout particulièrement au second principe de la thermodynamique, et à une notion spécifique : l’entropie. Pour lui, ce principe est un principe fondamental, un principe à partir duquel on va établir des lois. L’entropie représente l’état de désordre, de désorganisation d’un système : le degré de dispersion de l’énergie. Et ce second principe affirme que l’entropie a tendance à augmenter au cours du temps, et que cette augmentation traduit l’irréversibilité du phénomène. Planck pense que la clé est là : si on s’appuie sur ce second principe, on va pouvoir établir une loi pour décrire le rayonnement du corps noir. Certes, Ludwig Boltzmann a donné une interprétation de l’entropie par une approche statistique. Mais ce physicien travaille sur les gaz et, pour lui, l’entropie est liée au mouvement 101. La longueur d’onde de la lumière la plus puissante émise par un corps noir est inversement proportionnelle à sa température. 102. La puissance rayonnée est proportionnelle à la température absolue et inversement proportionnelle au carré de la longueur d’onde. 103. C’est ce qu’Ehrenfest appellera a posteriori « la catastrophe ultraviolette » : selon cette loi, pour les petites longueurs d’ondes, l’énergie croît à l’infini, ce qui est physiquement une aberration. 104. Etienne Klein, Le facteur temps ne sonne jamais deux fois, Paris, Flammarion / Champs Sciences, 2016.
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des particules qui constituent les gaz, donc des molécules, des atomes. À la fin du xixe, l’existence de l’atome est encore une hypothèse, les chimistes l’ont « presque » admise mais la plupart des physiciens la réfutent. Max Planck fait partie de la deuxième catégorie. De plus, il travaille sur ce qu’il considère comme un principe fondamental qui, par définition ne peut donc pas être déduit d’autres principes. Il se refuse à adopter la méthode de Boltzmann. Il regarde dans un premier temps du côté de l’électromagnétisme et du travail de James Clerk Maxwell mais, après quelques années, une publication, signée Boltzmann, encore lui, l’oblige à abandonner la piste : l’interprétation de Maxwell induit la réversibilité or, pour lui, l’augmentation de l’entropie est irréversible. Planck renonce à cette voie : « Il ne me restait plus, dans ces conditions, qu’à reprendre le problème en sens inverse, c’est à dire en me plaçant du point de vue de la thermodynamique105. » Quand, en octobre 1900, il vient devant la société de physique de Berlin, l’explication que Planck présente est un compromis de la loi de Wien de 1896, mais il sait que cette explication est « fragile » : c’est un bricolage mathématique. Et surtout, même si tous les éléments sont là, l’essentiel n’est pas réellement formulé. Sa formule, après vérification expérimentale, fonctionne admirablement bien, mais il faut en donner une interprétation. Alors dans les deux mois qui suivent, le physicien rigoureux qu’il est, va s’atteler à la tâche pour énoncer clairement la loi fondamentale, cette loi sur laquelle il travaille depuis plus de vingt ans. Même s’il ne peut pas admettre l’existence de l’atome, même s’il est en désaccord avec une interprétation statistique de l’entropie, « dans un “acte de désespoir”, il va faire comme si Boltzmann avait raison106 ». 105. Max Planck, Autobiographie scientifique et derniers écrits, coll. Champs science, Flammarion, 2010. 106. Etienne Klein, Comment la physique quantique est-elle née ?,
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L’HEURE h : « L’ACTION » DU DÉSESPOIR Comme l’a montré Léna Soler107, Planck et Boltzmann travaillent sur deux terrains a priori très différents : Boltzmann étudie des gaz composés d’atomes (un système matériel discret, discontinu), et Planck le rayonnement de nature ondulatoire (un système immatériel continu). Cependant, la formulation de leur problème est similaire : pourquoi un phénomène est irréversible à l’échelle humaine alors qu’il est réversible à l’échelle microscopique ? Planck va utiliser une subtilité : il considère que la « matière » du corps noir (l’intérieur de la cavité) est composée de résonateurs, qui sont en quelque sorte des boucles de courant, mais pas réellement des entités matérialisables (surtout pas des atomes !). Et il peut maintenant appliquer la méthode de Boltzmann. Le 14 décembre 1900, il revient à Berlin, et présente devant la société de Physique ce qui va devenir la loi de Planck. Cette loi énonce en substance que l’interaction entre le rayonnement et la matière, l’absorption et l’émission, ne se fait pas de manière continue mais par saccades. Et il appelle ces saccades, des « quanta ». En utilisant la méthode de Boltzmann, pour un système discontinu, il espérait faire un calcul simplifié, intermédiaire, puis le ramener vers un système continu108… mais en faisant ce calcul intermédiaire, il retrouve directement sa loi d’octobre, celle qui oblige à admettre l’existence de quanta. Cette loi d’octobre dans laquelle il n’avait pas encore osé nommer la constante h. Pire ! Si on veut se rapprocher du système continu, on retrouve alors la loi précédente, celle de Rayleigh-Jeans conférence, 2015. 107. Léna Soler, « Les origines de la formule de Planck, ou comment l’analogie est vecteur de nouveauté », Philosophia Scientiae, 5 (2), 2001, 89-123. 108. Passer à la limite et faire tendre l’élément de discrétisation vers 0, pour tendre à nouveau vers un système continu.
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qui amène à la « catastrophe ultraviolette ». Seule l’approche statistique permet d’énoncer une loi opérationnelle, et il est impossible de ramener cette loi dans le cadre traditionnel de la physique. Il n’a pas le choix, il faut se rendre à l’évidence : les échanges d’énergie se font de manière discontinue. Sa loi implique que l’énergie des quanta soit définie comme la multiplication de la fréquence par une valeur constante. Il a appelé cette constante h, qui est l’initiale de « Hilfskonstante » que l’on peut traduire littéralement par « constante de secours », mais qui est de son propre aveu l’initiale de « Hilfe ! », en français « au secours ! ». Elle s’appelle aujourd’hui « la constante de Planck ». La loi de Planck fonctionne pour l’ensemble du spectre : théorie et expérience concordent de l’infrarouge à l’ultraviolet. Mais ce changement d’angle offre une tout autre perspective : la physique classique vacille… les saccades deviennent secousses. CINQ ANS DE SILENCE La communauté scientifique ne réagit pas immédiatement. Tous savent ce que cette loi induit et tout se passe comme si personne ne voulait être celui qui va entériner cette évidence : les fondements de la physique doivent être repensés. Planck lui-même a essayé, en vain, de faire concorder sa loi avec les cadres qui préexistent. Il faut désormais admettre que l’émission et l’absorption d’énergie se font par paquets, par quanta. Il n’avait pas vraiment pris part au débat qui opposait partisans de l’atomisme et partisans de l’énergétisme dans cette fin de siècle, les premiers soutenant que l’atome est le composant élémentaire de la matière, les seconds affirmant que toute réalité est énergie. Planck pensait, d’une part, que les défenseurs de l’énergétisme n’avaient pas compris le second principe de la thermodynamique et, d’autre part, il a écrit en 1883 : « En dépit des grands succès remportés par la théorie atomique jusqu’à présent, il faudra en dernier ressort l’abandonner au profit de 76
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l’hypothèse d’une matière continue109. » Lui qui avait si nettement marqué ses distances avec les deux camps, parce qu’il s’était obstiné à vouloir établir un principe fondamental, en résolvant le problème du rayonnement du corps noir, va trancher ce même débat, « à son corps défendant » en quelque sorte. En 1905, alors que la loi de Planck est posée depuis cinq longues années, Albert Einstein, qui n’est pas encore universitaire, va, non pas discuter ou tester cette loi, mais s’en servir pour donner une interprétation de l’effet photoélectrique. Il démontre que la lumière est composée elle aussi de quanta d’énergie, que l’on baptisera « photons » en 1926. Lumière et matière sont discontinues ! AGITATION DANS LE MONDE SCIENTIFIQUE Avant de renverser la table, et d’envisager toutes les conséquences qui en découlent, la loi de Planck sera enfin discutée, vérifiée, mise à l’épreuve. Le physicien Henri Poincaré publie en 1912 un article110 pour vérifier scientifiquement le bien fondé de « l’hypothèse des quantas ». Il rappelle le principe de la loi : « On sait à quelle hypothèse M. Planck a été conduit par ses recherches sur les lois du rayonnement. D’après lui, l’énergie des radiateurs lumineux varierait d’une manière discontinue, et c’est ce qu’on appelle la théorie des Quanta ». Et il ajoute : « Il est à peine nécessaire de faire remarquer combien cette conception s’écarte de tout ce qu’on avait imaginé jusqu’ici ; les phénomènes physiques cesseraient d’obéir à des lois exprimables par des équations différentielles, et ce serait là, sans aucun doute, la plus grande révolution et la plus profonde que la philosophie naturelle ait subie depuis 109. Max Planck, Physikalische Abhandlungen und Vorträge, tome 1, p. 163, cité dans Etienne Klein, Le facteur temps ne sonne jamais deux fois, op.cit. 110. Henri Poincaré, Sur la théorie des quanta, in Journal de physique théorique et appliquée, 1912.
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Newton. » Il pose alors la question émise par Walther Hermann Nernst qui agite désormais le monde de la physique : « Peut-on néanmoins échapper à cette conséquence ? » Et il prévient, d’emblée : « J’ai été conduit à répondre négativement à la question posée par l’éminent physicien. » Au terme d’une démonstration, au cours de laquelle la théorie de Planck est discutée point par point, il admet que « bien que cette conception des résonateurs de M. Planck soit assez particulière et n’ait d’autre but que de fixer les idées, nous n’avons aucune raison de ne pas l’adopter, puisqu’elle semble ne devoir en aucun cas modifier les résultats essentiels », autrement dit, « l’hypothèse des quanta est donc la seule qui conduise à la loi de Planck ». Mais il est difficile d’abandonner aussi vite : « Une loi expérimentale n’est jamais qu’approximative ; ne pourrait-on imaginer des lois dont les différences avec celle de Planck seraient inférieures aux erreurs d’observation et qui conduiraient à une fonction w continue ? » Échec. « Donc, quelle que soit la loi du rayonnement, si l’on suppose que le rayonnement total est fini, on sera conduit à une fonction w présentant des discontinuités analogues à celles que donne l’hypothèse des quanta. » Rapidement, les discussions se déplacent sur le terrain de la philosophie, et plus précisément de l’épistémologie qui doit donner une vision générale de la science et s’interroger sur ce qui fait science. Comme Max Planck le rappelle dans son Initiation à la physique : « La science physique, tout entière, est un édifice à la base duquel on trouve les mesures. Or toute mesure étant liée à une perception sensible, toute loi physique concerne, au fond, des événements ayant lieu dans le monde sensible ; c’est pourquoi un certain nombre de savants et de philosophes sont portés à penser, qu’en dernière analyse, les physiciens n’ont affaire qu’au monde sensible, et même qu’au monde tel qu’il est perçu par les sens humains111. » Or la découverte des quanta 111. Max Planck, Initiations à la Physique, Paris, Flammarion, 1993.
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induit qu’une part de ce réel échappe à notre perception, ou plutôt que nous ne pouvons en percevoir qu’une infime partie et n’en supposer la totalité que par des calculs de probabilités. Il faut donc réinterroger la nature de la physique, les méthodes de production du savoir, au regard de l’évolution de la discipline. Le xixe siècle a vu essentiellement deux courants philosophiques s’affronter concernant la Physique : le déterminisme Laplacien et le positivisme. Le premier assurant que « nous devons envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre112 », le second qu’il faut cesser de s’interroger sur le « pourquoi » des phénomènes et ne considérer que le « comment ». La loi de Planck et surtout la physique nouvelle qui va en découler vont obliger à réviser ces conceptions, à les adapter. Emile Meyerson a résumé la question : « La physique des quanta n’est pas en mesure de prêter au réel une forme définie et se résigne à en ignorer l’essence, tout en continuant à croire fermement à son existence113 ». Après avoir longtemps évité ces discussions, Max Planck va devoir participer au débat114. Il écrit en 1929115 : « Les résultats les plus poussés et les plus précieux de la recherche ne pourront jamais être atteints qu’en suivant la voie qui mène vers le but, par essence inaccessible, d’une connaissance du monde réel. » C’est certainement, pour lui, le meilleur Réédition de textes et discours produits de 1909 à 1937. 112. Laplace, Théorie analytique des probabilités, 2e édition, 1814, précédée de L’Essai philosophique sur les probabilités (p. VI, VII). 113. Emile Meyerson, Du cheminement de la pensée, Librairie Félix Alcan, 1931. 114. Il sera pris à partie par Ernst Mach notamment, positiviste et opposé à la théorie de l’atome. 115. Max Planck, Das Weltbild der neuen Physik, Monatshefte für Mathematik und Physik, Vienne, 1929.
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compromis : conserver le même objectif tout en concédant qu’il ne peut être atteint. Et, sans rendre les armes, il admet : « La raison nous dit que les lois de la nature ne surgissent pas d’un pauvre cerveau humain, qu’elles ont existé avant que la vie soit apparue sur la terre et qu’elles existeront encore quand le dernier physicien aura disparu116. » POSTÉRITÉ En 1918, Max Planck se voit décerner le prix Nobel « en reconnaissance des services qu’il a rendus à l’avancement de la physique par sa découverte des quanta d’énergie117 ». Le prix lui est officiellement remis l’année suivante. Depuis 1929, il existe en Allemagne un prix qui porte son nom, la médaille Max Planck, pour couronner un travail en physique théorique et il en a été le premier lauréat, avec Albert Einstein. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Société Kaiser Wilhelm Gesellschaft, une des principales institutions de recherche allemandes hors université, est devenue la Société Max Planck et compte pas moins de 83 instituts couvrant la plupart des domaines de recherche. Enfin, en 2009, l’Agence spatiale européenne a donné son nom à un satellite : la mission Planck s’est achevée en 2013. Max Planck reste, dans l’histoire de la physique, comme celui qui est à l’origine d’un bouleversement considérable. C’est parce qu’il a voulu consciencieusement ajuster théorie et expérience, en recherchant la loi universelle qui lève les doutes, démontre, résout, qu’il a remis en cause des fondements auxquels il était lui-même très attaché. Il est devenu
116. Max Planck, Initiation à la Physique, op.cit. 117. The Nobel Prize in Physics 1918, NobelPrize.org, Nobel Media AB 2020, 22 juillet 2020.
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« un révolutionnaire malgré lui118 ». Avec la loi de Planck, c’est tout l’édifice de ce que l’on appelle depuis la physique classique qui a tremblé : la saccade est devenue secousse, et le séisme a eu lieu cinq ans plus tard avec les premiers travaux d’Albert Einstein et l’éclosion de la physique moderne. Et cette révolution en marche est provoquée par trois petites lettres qui énoncent que la quantité d’énergie est égale à la constante de Planck multipliée par la fréquence : ε = hν.
118. F. Herneck, « Max Planck à l’occasion du 10e anniversaire de sa mort », La pensée : Revue du rationalisme moderne, nov-déc. 1957, n o 76.
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