Ethnies, partis politiques et cohésion nationale: Essai (Nouvelle édition) 2140282523, 9782140282522

Cet ouvrage nous plonge dans la problématique de l'unité nationale dans les États africains. Issus des processus de

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Ethnies, partis politiques et cohésion nationale: Essai (Nouvelle édition)
 2140282523, 9782140282522

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Cet essai ouvre de nombreuses pistes en s’appuyant sur une profonde connaissance de l’histoire séculaire et contemporaine de la République de Guinée. Car cette société se pose aujourd’hui en modèle du genre sur le continent africain et c’est pourquoi l’auteur choisit de mettre en exergue les nombreux facteurs et dynamiques de rapprochement qui consolident la cohésion sociale et soudent les communautés d’Afrique de l’Ouest depuis des siècles. D’autres solutions proactives, puisées dans l’immense héritage social et culturel africain et sa pluralité fertile, sont proposées, telles que la « fraternité à plaisanterie », les pactes de « bon-vivreensemble » ou les forêts sacrées. Ce livre plaide ainsi pour une puissante relance de l’éducation, du civisme et d’une citoyenneté avertie, au service de pratiques démocratiques qui pérennisent l’existence d’États parfois clivés.

Romancier, autobiographe, essayiste, conteur, homme politique et diplomate chevronné, Lamine Kamara est un écrivain reconnu. Ancien président de l’Association des écrivains de Guinée, grand admirateur du poète David Mandessi Diop, du poète et savant persan Omar Khayyâm et de Jacques Prévert, il partage inlassablement son savoir, livre sa contribution éclairée aux enjeux africains et guinéens et trace son sillon littéraire depuis la fin de ses études à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, en 1965 Illustration de couverture : © serg99 - 123rf.com

ISBN : 978-2-14-028252-2

21 €

9 782140 282522

Lamine Kamara

À ce postulat, est venue se greffer une nouvelle donne, le phénomène partisan, à l’avènement des processus démocratiques sur le continent, depuis une soixantaine d’années. Dans ces pays, la moindre campagne électorale éveille des réflexes de repli identitaire qui s’exaspèrent et mettent le feu aux poudres.

Ethnies, partis politiques et cohésion nationale

Cet ouvrage nous plonge dans la problématique de l’unité nationale dans les États africains. Issus des processus de décolonisation européens, ces États-nations sont, par la définition de leurs composantes, « multi-ethniques ».

Lamine Kamara

Ethnies, partis politiques et cohésion nationale Essai Nouvelle édition Préface de Djibril Tamsir Niane

Ethnies, partis politiques et cohésion nationale Essai Nouvelle édition

Lamine Kamara

Ethnies, partis politiques et cohésion nationale Essai Nouvelle édition

Du même auteur Safrin ou le duel au fouet, Présence Africaine, 1991 Le français et les langues africaines, le cas de la Guinée, Le troisième Trimestre du Monde, Paris 1993 Processus de démocratisation en Afrique, le cas de la Guinée, Les cahiers de l’Académie Diplomatique Internationale, Paris 1994 Guinée sous les verrous de la Révolution, L’Harmattan, Paris, 2013 Les Racines de l’Avenir. Réflexions sur la première République, L’Harmattan, Paris 2013 Mariame Waraba ou le destin d’une femme, L’Harmattan, Paris, 2019 Ethnies, partis politiques et cohésion nationale en Guinée. Essai, L’Harmattan, Paris, 2021

© L’Harmattan, 2022 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-14-028252-2 EAN : 9782140282522

« Le devoir est un sentiment étrange. Vous entendez en vous une voix qui vous dit : « il faut… » C’est comme si ceux que vous avez aimés, et qui ont disparu, vous demandaient de prendre la parole et d’écrire. » Martin Gray. À El Hadj Mamadou Saliou Camara, grand imam de la mosquée Fayçal de Conakry, co-président de la Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation nationale. À l’Archevêque de Conakry, Monseigneur Vincent Coulibaly, chef de l’église catholique guinéenne, coprésident de la Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation nationale Au Docteur Marc Pépé Grovogui et à Elhadj Sény Facinet Sylla du Secrétariat de la Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation nationale. Pour leur dire que nous voici ensemble Sur les chemins de la réconciliation et de l’unité nationale. À Madame Guilao Joséphine Leno, à mes frères, Messieurs Ismaël Barry, Mody Oury Barry, Aly Gilbert Iffono, Ibrahima Soumah, et Jean- Marie Touré, aux femmes et aux hommes de l’Association "Le Vivre Ensemble" pour leur souci, et leur lutte constante pour l’unité nationale.

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Sommaire Avant-propos ........................................................................13 Préface ..................................................................................21 Djibril Tamsir NIANE ..........................................................21 I .................................................................................................25 LE FAIT "ETHNIQUE"...............................................................25 Une Afrique plurielle, en un seul mot ...................................27 La République de Guinée ......................................................31 1. Processus de formation du territoire ..............................31 2. La Guinée Indépendante ...............................................41 3. Construire l’État-Nation ................................................43 Le fait "ethnique" en Guinée ............................................. 47 Données négatives des clivages "ethniques" ........................ 49 1. Une parole dévalorisante ...............................................49 2. Des idées reçues ............................................................50 3. Des actes et stigmatisations discriminatoires ...............50 4. Des réflexes identitaires ................................................52 Dynamiques positives de pluralité "ethnique" .......................55 1. L’effacement de signes distinctifs ................................57 2. Les échanges épistolaires ..............................................57 3. Les alliances matrimoniales qui soudent les "ethnies" ..58 4. Toponymie et emprunts lexicaux ..................................61 5. Un tissu social de mixité "ethnique" ..............................64 6. Porosité des cultes religieux à la croisée des "ethnies" ..67 Fait "ethnique" et mouvements migratoires...........................69 1. La vague migratoire de Talansan ..................................69

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2. Les vagues migratoires vers la Basse-Guinée ...............72 3. L’Exil de Dankaran Touman Keïta ...............................74 4. DesOdyssées & des Pactes inter "ethniques"........................ 77 5. Bien-vivre-ensemble à Dabola et au Woulada ..............86 Multilinguisme & cosmopolitisme ........................................91 Les langues de Guinée ......................................................91 Langue officielle, tierce et littéraire ..................................92 Trilinguisme : Sosso, pular, maninka… ............................93 Plurilinguismes : brassages, mobilités et creusets.............94 Traditions, us, coutumes .......................................................97 1. Assimilation et intégration sociale ................................97 2. Du totémisme ..............................................................101 3. De la fraternité à plaisanterie ......................................103 4. De la Forêt Sacrée ....................................................... 111 5. De la noix de kola : fruit d’intégration & de concorde 120 Rente économique et bienfait social................................121 Courtoisie, code et langage .............................................122 Médiation spirituelle, pharmacopée et pacte sacré .........123 Mutations politiques et administratives ...............................127 1. De l’équilibre des pouvoirs .........................................127 2. Des pistes et propositions pour débattre .....................131 II ............................................................................................. 137 LE PHÉNOMÈNE PARTISAN ..................................................137 1. À la fin de l’ère coloniale ............................................139 2. Sous le monopartisme .................................................150 3. Sous le multipartisme ..................................................151 4. Démocratie et affaiblissement de l’État ......................154 5. Pour une nouvelle institution ......................................157

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6. Les dialogues inter-guinéens et la sagesse du peuple .159 7. Maturité démocratique et éducation ...........................160 III ............................................................................................163 L’ESPOIR D’UN PEUPLE RÉCONCILIÉ SUR UNE TERRE DE DÉFIS ...............................................................................163 1. Écrire l’Histoire pour réconcilier la Nation.....................167 2. Espoir en terre de défis, « Won Tanara ! » .....................173 Remerciements ...................................................................177 IV ANNEXES ........................................................................181 Annexe 1.............................................................................183 Annexe 2.............................................................................191 Annexe 3.............................................................................193 Annexe 4.............................................................................199 Bibliographie ......................................................................201

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Avant-propos À l’instar de l’Afrique du Sud, du Rwanda, du Royaume du Maroc, du Mali, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie ou de la Colombie, la République de Guinée, mon pays, à travers la Commission de consolidation de la paix et notamment le Fonds de consolidation de la paix des Nations Unies a initié un processus de réconciliation nationale. En l’année 2011, le 24 juin, une Commission provisoire de Réflexion sur la Réconciliation nationale était créée en Guinée. Deux mois plus tard, le 15 août, les deux plus hautes autorités religieuses du pays, le grand imam de la Mosquée Fayçal de Conakry, El Hadj Mamadou Saliou Camara et l’archevêque de Conakry, monseigneur Vincent Coulibaly étaient nommés co-présidents de cette commission. Ce tandem de foi était secondé par le Docteur Marc Pépé Grovogui et Elhadj Sény Facinet Sylla, deux hommes de haute qualité qui, de manière acharnée, dans la discrétion et l’humilité, ont accompli une tâche considérable. Rendre hommage à ces deux éminentes figures religieuses qui ont présidé la commission, c’est aussi leur rendre pleine justice. Dans le but d’impliquer au mieux l’expertise nationale dans l’analyse des faits de contentieux qui ont jalonné l’Histoire de la Guinée, ces personnalités, ont œuvré durant quatre années avec le cabinet-conseil Africa Label Group (ALG) et des enquêteurs nationaux, pour mettre en place un comité consultatif restreint et pluridisciplinaire, composé de cadres guinéens1. J’ai eu 1

Annexe 1 : Liste des membres du comité consultatif de la commission provisoire de réconciliation nationale (CPRN), p. 191

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l’honneur d’appartenir à ce groupe, dont l’une des tâches fut d’analyser les enjeux imbriqués de réconciliation nationale sous le prisme guinéen. Les axes retenus étaient au nombre de trois : Les faits historiques de violence de masse en Guinée et leur incidence sur la cohésion nationale ; L’état des lieux des efforts de réconciliation nationale et les mécanismes traditionnels de résolution des conflits ; Le phénomène partisan et le fait « ethnique » en Guinée. De prime abord, dans cette énumération un terme ne cessait de m’interpeller : Celui d’‘ethnie’. Tout comme ‘indigène’, ‘tribu’ et tant d’autres vocables du même lexique marqués d’une lourde connotation coloniale. En Europe, personne ne choisit de se référer aux ‘ethnies’ ou aux ‘tribus’ ; pour désigner une population donnée, on opte aussitôt pour les termes de peuple ou de nation, quels qu’en soit la taille ou le nombre. L’Europe du 19ème siècle, avec nombre de ses auteurs, a dénié aux colonisés la qualité de peuple ou de nation, les considérant ainsi comme des barbares dépourvus de culture, en un mot de civilisation. La pensée européenne les a durablement dévalués et séparés sous les exotiques appellations d’ « ethnies » ou de « tribus », toutes expressions à connotation éminemment péjorative qui ont perduré après la décolonisation. Gascons, Normands, Celtes et autres Bretons peuvent « faire nation ». En aucun cas, ni les Yorubas, ni les Sérères, ni les Peuls, ni les Mandingues, ni les Sossos, ni les Ouolofs, ni les Haoussas ne seraient dignes de recevoir cette qualité… Le porte-étendard de ce courant de pensée, l’un des précurseurs de l’idéologie nazie, un certain Joseph Arthur de Gobineau, dit Comte de Gobineau 14

(1816/1882), était écrivain et diplomate français. Dans son « Essai sur l’inégalité des races humaines »2, ouvrage en six tomes, il affirme l’inégalité, proclame l’existence de « races » et vise à établir une hiérarchie des différences qui subdiviseraient l’humanité en autant de « races » « blanches », « jaune » et « noire ». Dans sa doctrine inspirée d’un obscur devancier du nom de Henri de Boulainvilliers et largement exploitée par les tenants du pangermanisme, il allègue également d’une seconde hiérarchie différenciée entre personnes de « race blanche ». Selon lui, la « race » dite nordique ou germanique serait supérieure encore à toutes les autres « races blanches »… Dès 1885, leurs arguments factices sont vigoureusement réfutés par le Haïtien Anténor Firmin, professeur et inspecteur des écoles, homme de presse et homme d’État, ministre des Finances et des Relations extérieures de la République d’Haïti, puis ambassadeur, qui riposte par la publication « De l’Égalité des Races Humaines » à Paris et vise la « réhabilitation de l’Afrique », ainsi qu’il le proclame dans sa préface.3 Sécrété par une vision racialiste, et dans le contexte guinéen comme dans bon nombre de pays africains, ce mot " ethnie", par son estampille coloniale, s’avère de ce fait inadéquat dans un tel essai. C’est bien à contre-cœur que j’ai dû me résoudre à le conserver, le terme étant retenu par la Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation nationale. En outre et depuis des lustres, il est passé dans notre usage quotidien de manière plus 2

Essai sur l’Inégalité des Races humaines, Éd. Didot, Paris, 1853 ; La Pléiade, Éd. Gallimard, 1983 et Lire en ligne : http://classiques.uqac.ca/classiques/gobineau/essai_inegalite_races/essai _inegalite_races.html 3 De l’Égalité des Races Humaines, d’Anténor FIRMIN, Paris, 1885 & L’Harmattan, 2004, à consulter sur Internet : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84229v

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ou moins consciente, bien qu’il ne soit, hélas, aucunement purgé de sa connotation péjorative et discriminatoire dans nos esprits. Notre petit comité consultatif constitué, il nous incombait d’analyser les aspects-clés de l’évolution politique de la Guinée de l’ère précoloniale jusqu’à nos jours, e t de nous prononcer sur les solutions préconisées par le cabinet-conseil pour un apurement des contentieux du passé afin d’aboutir à une réconciliation nationale à la fois apaisée et respectueuse de normes internationales. Pour ce faire, deux mois nous étaient impartis. Deux mois seulement, à temps fractionné, qui ne pouvaient suffire à traiter en profondeur des enjeux aussi complexes. À la tâche, de découverte en découverte, je me promis de ne pas en rester là et de poursuivre la réflexion. Chemin faisant, j’ai voulu approfondir l’analyse à travers cet essai, en vue de l’enrichir et de l’élargir, tout au moins en esprit, à d’autres expériences vécues en Afrique. Les défis des pays du continent africain semblent en effet sensiblement de m ê m e nature, quand bien même à des degrés divers. À l’origine, cet essai s’articulait en trois grandes parties : - Le fait « ethnique », - Le phénomène partisan, - Les violences politico « ethniques » en Guinée et leurs conséquences sur la cohésion sociale et nationale. Afin de rester fidèle à mon option initiale et axer ma réflexion sur la consolidation de l’unité nationale par la réconciliation des citoyens guinéens, j’ai dans la première édition souhaitée remplacer cette troisième partie par : 16

L’Espoir d’un peuple réconcilié sur une terre de défi. Cependant, suite aux commentaires et conseils de mes lecteurs et amis, j’ai réinséré ce chapitre, qui se trouve en annexe. À l’évidence, le fait « ethnique » et le phénomène partisan forment la colonne vertébrale des problématiques posées. C’est donc sur ces deux axes fondamentaux que je développe mon analyse, en les articulant avec la notion d’unité nationale et de réconciliation. Un essai s’entend en soi comme circonscrit à un périmètre ciblé ; de ce fait, il ne prétend pas présenter de manière exhaustive un sujet aussi vaste. Ce n’est donc là que la première ébauche d’une étude qui ira s’enrichissant. Ainsi, je laisse la porte grandement ouverte non seulement aux apports qui pourraient m’être proposés, mais aussi au débat que cet essai pourrait alimenter. Si c’était le cas, je m’en réjouirais doublement. Par les riches interrogations qu’elle soulève, la préface du Pr Djibril Tamsir Niane, l’un de mes maîtres distingués, en offre la primeur. Cet avant-propos resterait inachevé si je ne livrais un aveu à mes frères guinéens, et au-delà, aux lecteurs anonymes de cet essai. Aucun de mes écrits ne m’a autant meurtri. À certains moments ce texte a semblé entrer en rébellion contre moi, se révélant soudain intraitable. Je le voulais écrit, rédigé, il se voulait obstinément parlé, énoncé, proféré. Après une longue lutte, il m’a bien fallu écrire le jour, puis méditer et spéculer la nuit sur ce que ma plume avait tracé, reprendre au point du jour pour bouleverser tout ce qui semblait acquis la veille. Tel fut le supplice que cet essai m’imposait au fil du temps… Précautionneusement, celui qui s’emploie à réconcilier son peuple se doit d’apprendre à marcher sur des œufs sans en casser un seul. De ce fait, 17

sur les cinq cents pages rédigées et si minutieusement corrigées, n’auront survécu que moins des deux centaines que vous allez lire. À quel prix ? Je ne sais encore. Dans mes remerciements4, par les noms des relecteurs que j’ai choisis, mes collègues les professeurs Barry, Iffono et Touré, tous trois enseignants en sciences sociales à l’Université Général Lansana Conté, les lecteurs guinéens noteront qu’ils sont natifs de trois espaces culturels et naturels spécifiques de notre Guinée : le Fouta-Djalon, la Région forestière et la Basse-Guinée. Pour ma part issu de Haute-Guinée, le choix porté sur ces trois confrères — hommes de remarquable qualité — ne se résume pas à leur seul ancrage géographique ou à la fine connaissance qu’ils détiennent des us, des coutumes et de l’Histoire de leurs terroirs, mais aussi, et avant tout à leur profonde et commune foi en l’unité nationale. À eux trois, ils constituent une forme inédite de « jury de libre-soutenance ». Par la qualité et le nombre de leurs contributions, ils pourraient aisément endosser la qualité de co-auteurs de cet essai. Compte tenu de l’épineux sujet et de son extrême délicatesse sous maints aspects, ils ont bien voulu répondre à mon vif besoin d’autres points de vue que le mien. En raison de la nature si cruciale du champ que j’ai voulu fouiller, de sa fragilité sensible, mais surtout du dessein recherché : la consolidation de notre unité nationale, j’ai hésité comme expliqué plus haut, à revenir dans le détail sur les violences de masse et autres violations des droits de l’homme gravées dans l’Histoire de la Guinée. Sans jamais les occulter, j’ai ici pris le parti délibéré d’œuvrer à la réconciliation des citoyens guinéens. Sans au grand jamais oublier notre passé, résolument, portons-nous vers notre avenir, à bâtir tous ensemble dans l’unité en tant que nation. 4

Cf. « Remerciements », p. 165

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Contribuer à fortifier l’unité nationale par la réconciliation à travers la recherche permanente d’une cohésion sociale plus harmonieuse, c’est de cela seulement qu’il s’agit. Je veille ici à privilégier la valorisation de tout ce qui nous rapproche, notamment par les dynamiques positives de nos traditions et coutumes, ainsi que par nos pratiques contemporaines et nos politiques de gouvernance.

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Préface Djibril Tamsir NIANE5 Après une entrée brillante, remarquable, dans l’indépendance par un vote historique en 1958, la Guinée a été l’un des pays phares au moment où elle atteignait la souveraineté nationale. Comme on le sait, elle était à la tête des pays luttant contre le colonialisme et l’impérialisme. C’est à ce moment-là que les Guinéens ont dit fièrement : « Il n’y a plus de Sosso, de Maninka, de Peul, de Toma, de Guerzé et de Kissien… nous sommes tous des Guinéens. » Un slogan qui montre la volonté inébranlable de vivre ensemble malgré tout. Mais, au fil des ans, au fil de la révolution, la mésentente sinon l’hostilité s’est érigée entre les hommes, entre les ethnies. On ne compte plus les États où règnent la mésentente, l’anarchie, voire des guerres entre ethnies. Du Maroc à l’Afrique du Sud, du Kenya à la Mauritanie, ici et là, une sourde hostilité s’est installée entre elles. Comme on le voit, le problème est général, on peut dire qu’aucun État africain n’a pu s’y soustraire. La mésentente est survenue souvent dans des pays où tout semblait aller comme il fallait. Un problème africain. Quelle est la source de tant de maux ? Partout, des commissions de réconciliation nationale ont vu le jour et le résultat n’a pas été le même. 5

Écrivain et historien guinéen, né en 1932 à Conakry (Guinée), spécialiste de l’Histoire du Mandé et de l’Empire du Mali et notamment auteur de : "Soundjata ou l’Épopée Mandingue", Paris, Présence africaine, 1960 ; il a en outre dirigé le vol. IV de L’Histoire Générale de l’Afrique, Ed. UNESCO, 1987.

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En Guinée, l’État a créé la Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation nationale. Ce titre est prudent. Il invite à une étude approfondie des causes, des mésententes, en commençant par faire l’état des lieux. Un comité d’experts, soutenu par le cabinet international Africa Label Group, s’est engagé dans le travail. Lamine Kamara a fait partie de cette commission d’experts qui a identifié les deux sources de mésententes, à savoir : les "ethnies" d’une part, les partis politiques de l’autre. Ancien détenu de la prison politique, le sinistre camp Boiro6 où il a séjourné durant sept longues années, il était plus disposé que quiconque à une telle étude. Si le cabinet a déposé ses conclusions, l’écrivain Lamine Kamara entendait aller plus loin. Il veut qu’on passe rapidement de la Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation nationale à la Commission de Réconciliation Nationale. La prison, et tout ce qu’il a subi, tout ce que le peuple de Guinée a supporté, le pousse à aller résolument à la réconciliation nationale. Pourquoi ethnies et partis s’opposent-ils ? Les ethnies constituent la chair vive de l’Afrique et les partis politiques sont l’expression européenne d’une politique fondée sur la démocratie et ses règles. Il faut rappeler qu’on a vu à l’ère coloniale des ethnies former un bloc unique encadré par des partis politiques, tous en lutte pour la libération. Pourquoi ces deux composantes s’opposent-elles après la victoire, après l’acquisition de l’indépendance ? Cette question mérite réflexion. 6

Camp Mamadou Boiro (1960/1984), ancien camp d’internement militaire, de torture et de mise à mort de Guinée, fermé après la mort de Sékou Touré. Les organisations de défense des droits de l’homme telles qu’Amnesty International estiment que 50 000 personnes y ont perdu la vie, décimant ainsi l’élite guinéenne (NDLR). Consulter: https://www.amnesty.org/download/Documents/204000/afr290091978e n.pdf

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Il y a lieu cependant d’affirmer, contrairement à ce que pensent tant d’Européens, que les ethnies ne sont pas la source essentielle du divorce. Il faut savoir que les ethnies ne sont pas hostiles à une vie commune. Il n’est que de rappeler que l’Afrique n’a eu que des royaumes et des empires qui en dernière analyse étaient des rassemblements d’ethnies qui ont su vivre ensemble. Citons tout simplement l’Empire du Ghana, l’Empire du Mali, l’Empire de Gao qui ont été largement connus en Europe au Moyen Âge. On citera en particulier Mansa Moussa, l’un des empereurs du Mali qui a ébloui par son faste, en 1325, Le Caire et les villes saintes de l’Islam. Il n’est pas inutile de dire que les cartographes de la Méditerranée ont largement fait mention de lui. L’Empire était une union bien réussie de plusieurs "ethnies"… Il faut dire donc que l’ethnie n’est pas hostile à l’union, cette formation fondée sur la langue et la culture se retrouve partout dans le monde. Mais ethnie a pris un sens péjoratif pour désigner les formations sociales en Afrique. Sinon, les Bretons, les Gascons, les Bourguignons, les Bavarois, les Saxons... sont des ethnies avant d’être parties prenantes aujourd’hui. Tout comme les Peuls, les Yoroubas, les Ashantis, les Maninkas… Partis politiques et ‘ethnies’, comme je l’ai dit, se sont unis pour combattre et vaincre le colonialisme. Pourquoi après le colonialisme, ne s’entendraient-ils pas ? Le problème est difficile. Aujourd’hui ici et là en Afrique des hommes politiques ont placé leurs ethnies audessus des partis. Ces hommes politiques en réalité adoptent des lois démocratiques et ne les appliquent pas. Voilà le fond du problème. Certes, il faut souligner qu’il y a des États africains où la marche vers la démocratie va lentement mais sûrement. Ceux-là indiquent la voie à suivre par les autres États. Soulignons aussi l’action 23

négative des puissances européennes qui prônent des principes démocratiques et traitent avec beaucoup de complaisance les présidents dont la politique jure avec la démocratie. Si nous analysons la politique des États cas par cas, nous verrons çà et là les attitudes antidémocratiques des dirigeants. Ce n’est pas que l’Afrique soit hostile à la démocratie, mais la rigueur n’arrive pas à allier démocratie et partis. Lamine Kamara dit, expressément, qu’il a mis de côté volontairement les actes de violence commis çà et là, qui ont largement pesé sur le développement de l’Afrique. L’auteur préfère mettre l’accent sur les facteurs d’unité et ils sont nombreux. Son essai est un poignant appel à l’unité de ceux qui ne peuvent en aucun cas vivre séparés aujourd’hui. Si l’angoisse est désespérée, l’appel reste vibrant et plein d’espoir. En Guinée, les ethnies ne sont jamais entrées en guerre. On a vu plus souvent des dirigeants se faire la guerre. Mais les populations sont restées fidèles à l’esprit républicain. Là, réside la chance de la Guinée. La Guinée est une terre de défi comme l’a souligné l’auteur. Elle a traversé tant de difficultés, remporté tant de victoires sur elle-même pour avancer ! La mésentente règne entre les partis politiques, mais cela ne débouche pas sur une lutte armée.

Djibril Tamsir NIANE.

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I LE FAIT « ETHNIQUE »

Une Afrique plurielle, en un seul mot Les frontières héritées de la colonisation du continent africain ont eu pour conséquence de redessiner une géographie politique d’États composites dont les populations ne partagent généralement pas les mêmes origines. L’Afrique du Nord arabe et berbère, dite « blanche » ; le reste du continent dit « noir », et dans un pays comme l’Afrique du Sud, un nombre significatif de citoyens « blancs » ou asiatiques issus d’immigrations successives formées de Néerlandais, de Chinois et d’Indiens. Outre cette géographie marquée par l’Histoire, la composante dite ‘ethnique’ se subdivise encore en populations différentes. Certains pays, comme la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre), englobe des centaines d’"ethnies". La Côte d’Ivoire voisine en compte plus de soixante-dix. Si, en remontant le temps, des populations africaines peuvent être rattachées à une appartenance commune, elles ne procèdent ni des mêmes cultures ni des mêmes civilisations. Elles n’adorent pas forcément les mêmes dieux, et le cas échéant — quand dans leur quasi-totalité elles ont été converties à l’une ou l’autre des deux grandes religions monothéistes, islam ou christianisme — elles ne pratiquent pas les mêmes cultes, rites ou liturgies. Dans les communautés de foi traditionnelle qui perdurent un peu partout au sein des sociétés africaines sous f o r m e d’animisme ou de vitalisme, les us et coutumes dédiés aux cultes des ancêtres et à l’esprit initiatique semblent plus spécifiques encore. Par-dessus tout, des concitoyens ne parlent pas les mêmes langues. Le continent africain compte environ 2000 langues, catégorisées en afro-asiatiques, nilo27

sahariennes, nigéro-congolaises, khoïsans ou austronésiennes, auxquelles s’ajoutent l’arabe et des langues coloniales (français, anglais, portugais, allemand, espagnol) et une langue de souche européenne créée de toutes pièces sur le continent, l’afrikaans d’Afrique du Sud. Le continent est segmenté en cinq zones géographiques : Afrique du Nord, Afrique occidentale, Afrique Centrale, Afrique de l’Est et Afrique Australe. Chacune de ces régions s’insère dans une aire particulière de civilisation. Dans ses institutions non plus, l’Afrique ne forme guère un bloc monolithique. Les systèmes politiques vont des royautés les plus antiques aux régimes les plus autoritaires, en passant par un éventail de démocraties à géométrie variable. Leurs différences ne se limitent pas à ces quelques seules caractéristiques, il existe encore d’innombrables autres contrastes et mille nuances. Désormais, la plupart des 54 pays du continent africain sont le plus souvent constitués en États-nations.

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Le continnent africain © Éric Gaba & Wikimédia, domainee public

LA CAR RTE POLITIQUE DU CONTINENT T AFRICAIN

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La République de Guinée 1. Processus de formation du territoire Appelée de manière impropre Guinée-Conakry7, la République de Guinée, d e son nom officiel, offre un exemple de ces États issus de la colonisation. Pour s’intéresser de manière particulière à la composition de ses populations, un regard rétrospectif sur l’Histoire du pays révèle que le phénomène partisan et le fait « ethnique » s’imposent comme deux réalités de la société guinéenne que l’on ne saurait ni ignorer, ni occulter. Toutefois, cela ne peut faire oublier aux Guinéens les immenses progrès accomplis dans l’amélioration continue de la cohésion nationale, ni les faire dévier de leur marche résolue vers cet objectif qui débouche sur la pleine unité nationale. Or, les rapports tangents du phénomène partisan et du fait "ethnique" à la cohésion nationale convergent bien souvent en similitudes. À l’examen, ils se révèlent difficilement dissociables. Si le fait ‘ethnique’ se pose en schéma ancestral, le phénomène partisan se superpose en sédiment plus récent ; or, ils ne sont guère antinomiques. L’Histoire de la jeune démocratie guinéenne le montre dès la naissance de ses premiers partis politiques. L’assez récente unité territoriale guinéenne et les composantes de la population issues d’un faisceau de souches distinctes, n’induisent pas nécessairement que phénomène partisan et fait "ethnique" soient considérés 7

L’appellation Guinée-Conakry gagne progressivement du terrain, sans doute pour la différencier des autres Guinées : la GuinéeBissau frontalière, la Guinée Équatoriale et la Nouvelle-Guinée reconnue sous le nom de Papouasie-Nouvelle Guinée.

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comme des ffacteurs de divisions. Les liens qui unisseent les Guinéenns sont plus que séculaires. Si l’on examin ne les principalles caractéristiques de leurs us et coutumees comme de leurs langues, il est difficile d’établir unne radicale difféérenciation entre eux.

Carte de la République de Guinée © Nations Unies, domaine public.

La Répubblique de Guinée est un pays d’Afrique de d l’Ouest situéé sur la façade Est de l’Océan atlantique. Ellle partage des frontières avec six pays : la Guinée-Bissaau au nord-ouest, le Sénégal au nord, le Mali au nord/nord dest, la Côtee d’Ivoire à l’est, le Liberia et la Sierrra Leone au suud. Le pays est issu de l’agrégat successif de terrees conquises, aannexées ou amputées d’autres ensemblees territoriaux par la France, au cours de sa conquêête coloniale de l’ouest du continent africain. C’est en 1891 que fut amorcée la formation de la colonie.

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Le premier maillon constitutif du territoire fut une portion de terre sur la côte Atlantique dénommée par la France « Les rivières du Sud ». Elle faisait alors partie intégrante de la vaste colonie du Sénégal dont la première occupation partielle par la France remonte au 17è siècle, laquelle sera rebaptisée « Sénégal et dépendances », une fois la conquête achevée. Rappelons que le Sénégal porte le nom d’un fleuve, Bafing, « fleuve noir » en maninka, « balèwô » en pular, qui prend sa source dans un repli des monts et hauts plateaux du Fouta-Djalon non loin de la ville de Mamou en Guinée et délimite sa frontière nord avec la Mauritanie. Le Sénégal fut la colonie la plus ancienne de l’Afrique de l’ouest. L’embouchure de son fleuve fut explorée par les navigateurs portugais dès le 15è siècle. Une compagnie dénommée « Sénégal — Gambie » fondée par des marchands des villes portuaires françaises de Dieppe et de Rouen obtint le monopole de la traite négrière au début du 17è siècle. La ville de Saint-Louis en devint le chef-lieu et l’île de Gorée fut investie en site de transit et d’embarquement pour des Africains réduits en esclavage et déportés vers les Amériques. Quant à la Guinée, c’est au mois de novembre 1896 que l’État précolonial théocratique du massif montagneux du Fouta-Djalon fut rattaché au territoire de la Guinée française. C’est lors de la mémorable bataille de Porédaka, à environ 17 km de la ville de Mamou, qu’intervient la défaite de l’un des plus grands résistants à la colonisation française, l’Almamy Bocar Biro Barry. L’accord qui donne lieu à ce rattachement est officiellement acté dans le « Traité de protectorat signé entre la France et le Fouta-Djalon » le 6 février 1897. Cette portion du territoire avait déjà connu deux changements de régime. De protectorat en 1881, elle avait

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été rattachée une première fois à la France en octobre 1882, avant de revenir à un régime de protectorat en 1888. Auparavant, les armées coloniales passant par le Sénégal, avaient déjà conquis le Soudan français, actuelle République du Mali, et avaient poussé leur avancée jusqu’aux villes guinéennes actuelles de Siguiri, Kankan et Kouroussa, administrativement annexées à la colonie du Soudan. C’est seulement après la défaite de l’armée de l’Almamy Samori Touré, autre grande figure de la résistance à la colonisation française, avec la prise par la France en 1894 des villes de Beyla et de Kérouané à la lisière de la Guinée forestière, que Siguiri, Kankan, Kouroussa et d’autres villes de Haute Guinée sont soustraites à la colonie du Soudan et rattachées à la nouvelle entité pour l’étendre. Plus tard encore, le reste de la Haute-Guinée, les villes de Dabola, de Dinguiraye et de Faranah y seront intégrées à leur tour. À partir de 1897, une fois l’armée de Samori repoussée aux confins de la Côte d’Ivoire, les grandes localités de la Région forestière Nzérékoré, Macenta, Guéckédou, Kissidougou, Lola et Yomou, viennent à leur tour compléter la colonie de Guinée française et parachever la formation du territoire de la Guinée tel que nous le connaissons aujourd’hui. Après que les différentes régions conquises furent intégrées à la colonie, les délimitations frontalières s’ensuivirent. Elles sont fixées par la signature d’accords bilatéraux avec le Liberia, État fondé dès 1822 par l’American Colonization Society pour y réinstaller des esclaves affranchis, puis avec l’Angleterre pour la Sierra Leone et avec le Portugal pour la Guinée-Bissau. Elles se trouvent désormais dissociées des colonies françaises du Soudan et du Sénégal par un dernier ajustement frontalier opéré par la métropole. 34

Par un décret du 17 décembre 1891, la colonie baptisée « Rivières du Sud » devient dès lors la Guinée française. On le constate, de fait historique et politique, la République de Guinée d’aujourd’hui, comme nombre d’autres États africains, ne forme pas d’emblée un ensemble territorial homogène. Résultat d’un long processus d’amputations, d’intégrations et de rattachements successifs, la Guinée est donc constituée d’entités distinctes, d’espaces naturels qui coïncident avec de grands groupes ‘ethniques’, eux-mêmes subdivisés en sous-groupes d’importance variable selon la région, et parlant chacun sa langue dans des contextes linguistiques souvent étroitement imbriqués. Ainsi édifiée, la Guinée n’était cependant ni singulière ni exceptionnelle sur le continent africain. Bien au contraire, elle se présentait comme l’un des modèles d’États post-coloniaux types, qu’on dénommera Étatsnations8. À certains égards, du fait de l’extrême diversité des populations qui la composent, elle peut même être considérée comme une forme d’État-synthèse sur le continent. Faut-il le rappeler, c’est à partir du 19è siècle que les pays européens, le Portugal, l’Angleterre, la France, la Belgique, mais aussi les Pays-Bas et l’Espagne, s’étaient lancés à la conquête du continent africain. Sur fond de vives rivalités, chacun s’évertuait à s’emparer des plus vastes étendues de territoires conquis. Après avoir commencé à organiser la traite des noirs dès le 14è siècle, puis décuplé cette dévastatrice entreprise au 16è siècle, les Européens découvrent les énormes richesses que détient 8

Concept théorique, politique structure politique d’État à une considèrent comme liés en tant tel État peut englober plusieurs plusieurs "ethnies"

et historique, qui superpose une nation, formée d’individus qui se que groupe. Nation « civique », un nations, qui incorporent elles-mêmes

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l’Afrique, à partir des rapports fournis par leurs explorateurs qui l’avaient parcourue en tous sens. Au vu des rivalités exacerbées entre les nations de la conquête coloniale européenne, le Chancelier Allemand Otto Eduard Léopold Bismarck convoque une conférence qui les réunit autour d’une table de négociation. La conférence a pour but de mettre fin aux affrontements sanglants entre nations européennes. Elle se tient à Berlin du 5 novembre 1884 au 26 février 1885. Pour « pacifier » les antagonismes et procéder aux partages les plus lucratifs, cyniquement, on s’accorde de fait à découper le continent africain, arbitrairement diviser les peuples et leurs terres en territoires-possessions aux frontières artificielles de convenances coloniales, pour une partition d’avantages entre pays européens.

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A AFRIQUE COLONIALE EN 1913 : LA A PARTITION DU CONTINENT

© Érric Gaba & Wikimédia Commons, domaine public

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Allemagne

Belgique France

Espagne Grande-Bretagne

Italie Portugal

États indépendants

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Devenus indépendants quelque 60 ans plus tard, les pays africains ne remettront pas en cause ce morcellement. Ils vont l’entériner. En effet, par un vote des chefs d’État nouvellement intronisés, l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A, 1963/2002) maintient les frontières héritées de la colonisation et les déclare intangibles à l’issue de sa session inaugurale du 25 mai 1963 à Addis-Abeba en Éthiopie, sous la présidence de l’Empereur Haïlé Sélassié 1er. La raison invoquée à l’époque pour justifier de cette décision sera d’empêcher la désintégration de ces territoires disloqués puis reconfigurés par la colonisation et de prévenir l’éclatement de conflits fratricides entre pays-membres. Pour rappel, l’ordre du jour de la conférence présentait plusieurs propositions alternatives dont trois se dégagèrent assez rapidement : Créer les États-Unis d’Afrique ; Revenir aux frontières précoloniales ; Maintenir les frontières installées par la colonisation. Lors des débats, les deux premières propositions sont rapidement examinées puis écartées, les participants ne les jugeant pas viables si elles venaient à être adoptées. S’agissant des États-Unis d’Afrique, il est établi que l’application s’en avérerait difficile sinon impossible, au regard des grandes disparités entre les entités en présence. On objecte alors qu’aucun des autres blocs continentaux d’Asie, d’Amérique du Nord, d’Amérique du Sud, d’Antarctique, d’Europe ou d’Océanie ne constitue un seul et unique État, aussi l’Afrique ne saurait être assignée à fatalement former un État fédéré. Le retour aux frontières précoloniales fait lui-aussi long feu. Il est jugé comme une intarissable source de conflits. Environ six décennies après les accessions aux indépendances, on peut encore se poser la question : les 39

nouveaux chefs d’État africains pouvaient-ils, devaient-ils agir autrement qu’ils ne le firent ? À mon humble avis, ils ne le pouvaient guère. Devaient-ils revenir aux frontières précoloniales ? À partir de démarcations qui auraient immanquablement débouché sur la création disputée d’États fondés sur des bases mono-ethniques ou mono-linguistiques ? Si tant est qu’elles préexistaient, ces frontières suivaient-elles des tracés précis, incontestables ? Ce sont autant de questions que les chefs d’État ont dû se poser. La situation totalement inédite, il faut l’admettre, était sans doute irréversible. A posteriori, la décision de conserver les frontières issues de la colonisation prise par les chefs d’État s’impose comme pragmatique et en définitive pertinente. Après mûre réflexion et au vu de l’évolution des nouveaux États indépendants, on ne peut qu’admettre cette décision qui aboutit à la création de nos États-nations. Exemple viable de creuset, l’État-nation peut-il être considéré en ce cas d’espèce comme un bien pour un mal ? Ou plutôt comme un mal pour un bien ? Devant ce damier de multiples et singulières réalités, on voit mal comment les Empires du Mali, du Ghana, du Songhaï, Zoulou, les royaumes du Kanem, du Bénin, du Congo et bien d’autres encore, auraient pu être ressuscités sans risque d’interminables confrontations majeures et de périlleux antagonismes fondés sur des micro ou macro-nationalismes. Car il faut bien en convenir, aucun de ces empires et anciens royaumes ne fut jamais ni mono "ethnique", ni même monolingue. Vouloir faire renaître ces entités à l’identique relèverait d’une pure utopie qui voudrait effacer l’Histoire. Pour se convaincre de la sagesse de la décision des chefs d’États, il suffit de rappeler la guerre civile puis sécessionniste du Biafra (au Nigeria, de juillet 1967 à janvier 1970), l’éphémère destin de l’union du 40

Mali et du Sénégal (Fédération du Mali 1959/1960), l’échec de la Confédération de Sénégambie (1982/1989) promue par le Président sénégalais Léopold Sédar Senghor pour consolider le régime gambien et désenclaver la Casamance. Et tant d’autres tensions rencontrées après les indépendances et contingentes à ces frontières artificielles des 54 États africains. 2. La Guinée Indépendante Le 2 octobre 1958, la Guinée prend son destin en main en accédant à la souveraineté. Seule à avoir fait ce choix dans les colonies françaises d’Afrique occidentale (A.O.F) et Équatoriale (A.E.F), le 28 septembre, à plus de 95 % la colonie vote pour le « Non » au référendum constitutionnel pour la création d’une « communauté française » proposée aux territoires sous domination et à la France métropolitaine par le général Charles de Gaulle. D’une superficie de 245 857 km2 et peuplée de 13 740 980 habitants au recensement de 2017 qui exclut une diaspora très importante dont le nombre exact n’a jamais été évalué9, la Guinée comprend quatre régions naturelles : la Guinée forestière au sud ; la HauteGuinée à l’est et au centre ; la Moyenne-Guinée ou Fouta-Djalon au nord et la Basse-Guinée, encore appelée Guinée maritime ou Basse-Côte à l’ouest, où se trouve Conakry, la capitale. Au plan administratif, la Guinée est subdivisée en sept régions administratives auxquelles s’ajoute la ville de Conakry qui jouit d’un statut particulier de collectivité décentralisée. Chacune des régions administratives est dotée de son chef-lieu dénommé gouvernorat ou capitale 9

Chiffres contestés : autour de 3 millions de personnes, encore considéré comme sous-estimé

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provinciale : Nzérékoré en Guinée forestière ; Kankan et Faranah en Haute-Guinée ; Labé et Mamou en MoyenneGuinée ; Kindia et Boké en Basse-Guinée. Toutes, ainsi que Conakry, sont administrées par des gouverneurs. Marqués par l’évolution du pays après l’indépendance et au fil de changements de régimes politiques, d’autres découpages administratifs se succèderont. Mais les premières dénominations en quatre régions naturelles et administratives héritées de la colonisation demeurent dans les esprits. La Guinée est un État laïc jouissant d’une grande réputation de tolérance religieuse. Biconfessionnel, ses deux religions principalement pratiquées sont l’islam, fortement majoritaire, et le christianisme. Pour autant, les spiritualités animistes ancestrales n’ont pas entièrement disparu. Elles subsistent un peu partout et se manifestent sous différents syncrétismes, mythes fondateurs ou cosmogonies, culte des ancêtres et généalogies, parfois même à proximité des lieux de culte des religions dites révélées. Sans se décomposer en une mosaïque de langues comme d’autres États africains, la Guinée en compte néanmoins une trentaine, dont six principales. Ce sont le pular (langue foula), le maninka (langue malinké), le sosso (langue soussou), le kpwèlè (langue guerzé), le lomagwé (langue toma) et le kissié (langue kissienne) ; dont chacune offre un éventail de variantes locales qui se brassent, rayonnent et s’enrichissent, nous y reviendrons10. La Guinée est particulièrement bien dotée en ressources naturelles et dispose d’un potentiel agricole considérable. Elle détient 2/3 des réserves mondiales de bauxite et le plus grand gisement de fer au monde au mont Simandou. De surcroît, le pays renferme 10

Cf « Multilinguisme et cosmopolitisme » p.83 et Annexe 2 p.183

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d’importants gisements d’or, de diamant, de nickel, de manganèse, de cuivre, de cobalt, de chrome, d’uranium, de pierres semi-précieuses, de calcaire, de granit, de dolomite, de marbre et d’autres pierres ornementales... L’autre atout majeur de la Guinée, c’est son importante densité hydrographique. Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest, y prennent leurs sources le Niger, deuxième plus grand fleuve du continent et plusieurs autres cours d’eau transfrontaliers importants dont les fleuves Sénégal, Gambie et Tinkisso. La faune et la flore sont, elles-aussi, d’une richesse exceptionnelle, particulièrement au sud. Non loin des villes de Macenta et de Nzérékoré, on trouve l’une des toutes dernières forêts primaires de la planète et des espèces endémiques d’animaux, notamment les célèbres chimpanzés de Bossou et les grenouilles vivipares du mont Nimba. Mais la plus grande richesse de la Guinée, c’est son peuple, des hommes et des femmes aux innombrables complémentarités qui résultent de plusieurs appartenances « ethniques ». 3. Construire l’État-Nation D’emblée, du fait de sa riche diversité "ethnique" et linguistique, la Guinée ne semblait pas réunir les facteurs pour constituer une nation en cohésion culturelle et sociale harmonieuse. À l’évidence, la politique menée soixante années durant par la puissance colonisatrice, la France, n’avait évidemment pas pour objectif de bâtir une nation avec ses diverses composantes « ethniques » dans sa colonie. Diviser pour régner, tel est le premier artifice, le leurre instigué et savamment exacerbé par tout pouvoir colonial. L’action prioritaire à laquelle les nouvelles autorités du pays se sont attelées après la conquête de l’indépendance 43

proclamée le 2 octobre 1958, à l’issue du vote référendaire du peuple de Guinée, fut de fondre toutes les populations du pays en un ensemble homogène pour forger une nation une et indivisible. Il faut ici le reconnaître et y rendre hommage. Les gouvernements successifs de la Ière République de Guinée (1958/1984) du Président Sékou Touré, de la IIème République (1984/2008) du général Lansana Conté et des IIIème et IVème Républiques du professeur Alpha Condé, y sont-ils parvenus ? Ont-ils atteint cette fusion indispensable que par une forte volonté politique tous pouvaient ambitionner ? Difficile de répondre à cette question, chacun a sans doute accompli ce qu’il a pu. Mais qu’est-ce qu’une nation ? De la conception holiste11 du philosophe allemand Fichte dans ses « Discours à la nation allemande » (1807), à celle vue comme plus individualiste et élitiste de l’écrivain français Ernest Renan dans sa célèbre conférence intitulée, « Qu’est-ce qu’une nation ? », prononcée en Sorbonne le 11 mars 188212, de nombreux livres et de thèses ont voulu cerner ce concept, sans jamais le clarifier complètement. Ainsi des définitions lapidaires du même Renan : « Un plébiscite de tous les jours », sur laquelle se sont rués de nombreux exégètes, voire une autre encore, passablement floue : « une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience qui s’appelle une 11

Qui constitue un ensemble supérieur à la somme de ses parties, au travers d’un processus créateur dans lequel l’univers tend à construire des entités de complexité croissante. 12 Renan y distingue la ‘race’ de la nation, qui est formée sur la base d’associations volontaires d’individus liés par un passé commun. Il ne suffit pas de parler la même langue, ni d’appartenir à un même groupe, c’est selon lui : « avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore ».

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nation », peuvent-elles suffire à élucider cette question centrale ? En Guinée, l’enjeu de la « nation », sans pour autant être tabou, ne fait hélas pas l’objet d’une réflexion suffisante. Un déficit qui pourrait pénaliser l’écriture de notre Histoire et hypothéquer notre avenir. Pour tenter d’apporter quelques éléments de réponse, revenir à cet outil irremplaçable qu’est le dictionnaire permet d’en tirer une définition consensuelle, consentie par le plus grand nombre. En articulant les éléments-clefs de plusieurs sources de références, nous parvenons à un résultat valide. La nation y est définie comme : « un groupe d’hommes auxquels on suppose une origine commune », elle est « caractérisée par une unité linguistique, des traditions historiques et culturelles communes » ; elle a en outre « conscience de son identité historique ou culturelle,… par l’unité linguistique, culturelle ou religieuse » et « spatiale » ajoutent encore d’autres sources13. En ce 21ème siècle pourtant, existe-t-il de par le monde, à proprement parler, un seul pays répondant strictement à ces critères ? Assurément aucun. En se limitant à une telle définition, ni la Guinée, ni quasiment aucun des États africains, ni même un nombre considérable de pays de par le monde, ne pourraient sans doute accéder au titre de nation, en raison d’un certain nombre de traits distinctifs, et notamment leur diversité linguistique. Ni la Guinée, ni aucun autre pays africain, sur aucun autre continent, n’est en capacité de satisfaire absolument à ces critères. 13

Dictionnaires Le Robert 2019, Larousse 2019, ou Le Littré — Dictionnaire de langue française, 1997.

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En revanche, si l’on considère la nation comme : « Un groupe humain, une réunion d’hommes, une grande communauté humaine généralement assez vaste, habitant (ou installée sur) un même territoire, qui se caractérise par la conscience de son unité et la volonté de vivre en commun », « qui se caractérise par des intérêts économiques convergents » ou, « ayant depuis longtemps des intérêts assez communs pour qu’on les regarde comme appartenant à la même 14 communauté. » Alors, assurément, la Guinée peut répondre à cette définition et elle constitue bien une nation. Pour mieux s’en convaincre, il suffit de participer ou d’assister à une compétition sportive, à un simple match de football, où l’équipe de Guinée rencontre un autre pays, voire un proche voisin — frère ou ami — comme le Mali, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Liberia, la Sierra Leone ou la Gambie. En pareille circonstance, c’est la fibre identitaire et nationale de la Guinée qui parle dans sa transversalité, sa pleine diversité ‘ethnique’ et qui soudain vibre à l’unisson. Fort de cette analyse, il est aisé d’opter résolument pour cette dernière acception. C’est à bon escient cette « volonté de vivre en commun » qui peut désormais être reconnue comme une définition consensuelle de la nation. Cela ne nous mène aucunement à nier pour autant l’existence ou la légitimité de disparités inhérentes au fait dit ‘ethnique’, pour nous Guinéens. En tant que telles, ces différences ne sauraient nullement nous opposer ; c’est leur exploitation abusive comme étiquettes sommaires et distinctives, discriminatoires et exclusives qui est navrante et affaiblit notre nation. Bien au contraire, par leur complémentarité 14

Dictionnaire Le Robert, 1995.

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et leur brassage, elles nous enrichissent et concourent à nous unir chaque jour plus étroitement. Le fait « ethnique » en Guinée Diverses, issues d’expressions négatives ou au contraire nées de dynamiques positives, complémentaires, admises ou parfois menaçantes pour la cohésion sociale, les manifestations du fait « ethnique » sont nombreuses. Nous allons explorer les vulnérabilités et les dynamiques de cette mosaïque fondue en un seul et indivisible ensemble il y a 62 ans.

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Données négatives des clivages "ethniques" Les manifestations négatives de l’ethnicité, qu’elles soient anciennes ou récentes, transparaissent trop souvent à travers le langage, des réflexes identitaires frileux, des actes et des stigmatisations discriminatoires, sans oublier les clichés caricaturaux et trop d’idées reçues. En Guinée, les manifestations négatives du fait "ethnique" ont cours de manière quotidienne dans toutes les régions. Toutefois, leurs effets délétères se trouvent atténués et parfois même rectifiés, par nos usages et coutumes, en facteurs vivifiants de rapprochement, tant entre les personnes qu’entre les communautés. En voici quelques-unes des plus répandues. 1. Une parole dévalorisante Les populations de langue sosso de Guinée maritime se moquent quelque peu leurs concitoyens d’autres régions, particulièrement de la Région forestière, en les traitant de « dèfouis », ce qui signifie : ceux qui parlent de travers comme s’ils avaient la bouche pleine…, autrement dit : ceux dont la parole n’est pas intelligible... Les populations de langue maninka de Haute-Guinée qualifient de « kangbè » leur propre langue, ou « langue claire », selon eux seul idiome limpide; ce qui suppose que les langues des autres "ethnies" guinéennes seraient confuses et dépourvues de cette insigne qualité de clarté. Les locuteurs de langue pular persiflent les autres "ethnies" qui, selon eux, parlent « kakkaabè », une onomatopée susceptible de plusieurs interprétations parfois péjoratives, qui souligne une différenciation railleuse pour les langues de leurs compatriotes.

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De tels quolibets teintés d’ironie, existent aussi dans les langues de Guinée forestière pour désigner les langues d’autres régions naturelles. Ainsi, avec une pointe de sarcasme, les Kissias qualifient le pular, le maninka, le sosso et toute langue étrangère de bizarres, obscures sinon saugrenues et qui procéderaient d’une sorte de sortilège. 2. Des idées reçues Un grand nombre de préjugés ne reposent pas sur la moindre vérité scientifique, mais continuent de polluer les relations ‘interethniques’ partout dans le pays ; ils ont la vie dure, et sont hélas aveuglément répétés. Ainsi, préjuger que son « ethnie » est la plus brave, tirer orgueil du simple lignage d’un lointain aïeul qui aurait été un redoutable guerrier, est dérisoire. L’image et le souvenir de l’ancêtre, de ses exploits supposés ou réels ont disparu depuis des lustres dans les brumes de l’Histoire ; croire que son « ethnie » serait seule à disposer des aptitudes au commandement, à l’exercice du pouvoir, tend à priver d’autres citoyens de leurs capacités à gouverner. L’idée, pour chacune des « ethnies » guinéennes de se convaincre d’une hypothétique supériorité face aux autres, ou encore de croire à sa prétendue intelligence dominante, constitue un facteur de division, de désunion et de clivage pernicieux. 3. Des actes et stigmatisations discriminatoires C’est également le cas d’idées et de postures ouvertement discriminatoires, comme de traiter d’autres "ethnies" d’« étrangères » en leur déniant les mêmes droits qu’à la sienne propre ou à toute autre ; Regarder son « ethnie » comme seule autochtone née du sol guinéen, sans le moindre fondement historique ; 50

traiter d’autres « ethnies » de Noirs ou de Nègres « balèbbès »15 ; qualifier ses concitoyens d’esclaves dits « matjoubès »16 vise à dénier à l’autre un statut d’égalité citoyenne ; C’est également le cas de l’expression maninka « an gbansan ne » : nous sommes entre nous seulement, qui affiche la volonté d’exclure les autres, qu’à juste raison l’on peut juger discriminatoire. Il faudrait encore souligner et flétrir une expression négative dont usent toutes nos "ethnies": « marie-toi au seuil de ta porte et aux gens de ta sorte ». Une telle conception invalide et discrédite certaines alliances matrimoniales et envenime sévèrement des relations « inter-ethniques » pourtant séculaires. La prescription de mariages endogamiques – dans son clan ou son « ethnie » — existent dans toutes les régions de Guinée, avec un ancrage plus profond dans les sociétés toma, maninka et peule. Cette endogamie dicte l’obligation aux membres d’un groupe social défini (‘tribu’, culte ou lignage) de ne contracter mariage qu’en son seul sein, à l’exclusion de toute personne appartenant à un autre groupe. L’endogamie s’apparente ainsi à un repli social, corporatif, religieux ou même géographique, qui tend à évincer tous les autres. Enfin, prescrits à l’extrême, ces mariages finalement consanguins peuvent faire ressurgir dans les foyers des tares, des maladies héréditaires et la transmission d’anomalies génétiques graves. De plus, ils favorisent la discorde et les litiges au sein des clans des conjoints, en cas de querelles ou de ruptures dans le couple.

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balèbbès: pluriel de baledjo, ‘noir’ matjoubés pluriel de matjoudo, esclave traduction de madjoubés et non de balèbbès 16

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prière de donner la

4. Des réflexes identitaires Dans la vie communautaire, une personne qui se conforme aux règles de bienséance et de bon voisinage peut être jugée responsable ou se trouver victime de formes de replis identitaires qu’imposent l’observance de coutumes, de traditions de son groupe d’origine ; parfois l’individu peut à son tour victimiser par ses réactions visà-vis des pratiques de personnes d’un autre groupe. En référence à ses propres tabous alimentaires et autres interdits religieux, il peut se croire autorisé à juger ou stigmatiser ses compatriotes de manière malveillante ou même outrancière, ou subir lui-même des jugements d’exclusion ou d’ostracisme. Sous-jacentes à ces intolérances, affleurent des tendances au népotisme, au régionalisme, au communautarisme, en un mot à l’« ethnicisme », qui peuvent vite s’apparenter à des formes de « racisme » social, toutes dérives susceptibles de gangréner dangereusement les relations « inter-ethniques » au sein de la nation. Aujourd’hui, il semble qu’évolue la portée donnée à nombre de ces propos, réflexes, postures, comportements ou perceptions. Ils sont le plus souvent tournés avec humour et relèvent davantage du registre de l’ironie que d’une réelle volonté d’abaisser ou de blesser. Toutefois, ces a priori continuent d’entamer l’harmonie de la société guinéenne. Un effort de notre corps social doit être engagé pour rechercher les moyens de faire disparaître ces travers de nos mentalités et des réflexes de certains citoyens. Les combattre patiemment et efficacement commence par l’éducation familiale dès la prime enfance. Relayée par notre système éducatif et nos disciplines collectives, cela peut jouer un rôle déterminant dans le renforcement citoyen du sentiment 52

d’appartenance nationale, qui doit être porté par tous ceux qui veulent le bien de leur pays. C’est ainsi que nous devons nous garder de tout enfermement communautaire nocif.

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Dynamiques positives de pluralité « ethnique » Si la survivance de certaines de ces tares sape le sentiment national, des dynamiques positives qui remontent à des époques plus ou moins anciennes les battent en brèche et continuent à fluidifier les rapports sociaux sous différentes formes. Dans son évolution vivace, la société guinéenne ne s’est heureusement pas bornée à se replier sur ellemême, pour s’enfermer dans des codes figés et immuables. Au fil des âges, elle a su déployer des mécanismes d’échanges et des valeurs de bon voisinage qui facilitent l’interconnaissance, l’intercompréhension et le bon-vivre-ensemble. Les analyses menées sur ces questions en Guinée, révèlent néanmoins que les recours à ces mécanismes de régulation sociale sont trop peu pratiqués, il faut le regretter et réparer. Nos sociologues, ethnologues, politologues, historiens... ne valorisent pas suffisamment ces dynamiques positives qui viennent consolider notre cohésion nationale. Nous bénéficions cependant de rares et précieuses exceptions, comme s’y emploient feu le célèbre historien guinéen Djibril Tamsir Niane et mes confrères de la jeune génération de professeurs à l’Université Lansana Conté : Ismaël Barry, Aly Gilbert Iffono et Jean Marie Touré. Les travaux de ces éminents historiens cités en bibliographie ouvrent des perspectives inestimables qui font désormais autorité. Ainsi, dans son ouvrage « L’Almamy Samori Touré et le Fouta-Djalon », le professeur Barry insiste sur la profondeur des liens d’amitié tissés entre Peuls et Maninkas. Il montre comment leurs deux États précoloniaux, l’Empire de Samori et l’État théocratique 55

du Fouta-Djalon, ont su entretenir dans la paix et la concorde de très riches relations diplomatiques, politiques, religieuses et économiques. De manière particulière, Ismaël Barry met l’accent sur l’un des épisodes majeurs de l’Histoire de la Guinée : le couronnement de Samori Touré à Timbo qui scelle l’indéfectible entente liant les deux ethnies. Sur proposition des Almamys du Fouta-Djalon, Samori accepte de substituer son titre de Fama (chef, roi ou empereur en maninka, entendez chef de guerre), contre celui d’Almamy (chef ou commandeur des musulmans). Au cours d’une cérémonie solennelle organisée à Timbo, Samori est sacré Almamy de Haute-Guinée et de la Région forestière en 1845. En reconnaissance de cette onction temporelle et spirituelle, celui-ci prêtera main-forte à ses alliés pour vaincre les vaillants guerriers Houbbous de Bokéto devenu un dangereux foyer de déstabilisation pour l’État foutanien durant quarante longues années de 1845 à 1884. Dans le même ouvrage, le Pr. Barry consacre un développement substantiel aux relations amicales encore plus anciennes entretenues entre le Fouta-Djalon et la région de Kankan. Dans cet ardent pôle d’expansion de l’islam dénommé Bâtè, résidaient de grands lettrés arabes parmi lesquels les chérifs occupaient une place prépondérante. C’est en effet Karamo Sidikiba, chérif, maître coranique de Samori, qui fit porter à celui-ci le prestigieux turban de Fodé17. Le professeur Barry ajoute que ces liens explicitent la stratégie conciliante du redoutable chef de guerre Samori à l’égard du FoutaDjalon. 17

Les Chérifs de Kankan seraient descendants directs du Prophète Mahomet ; Karamo Sidikiba était fils de l’érudit Karamo Sékouba, encore vénéré de nos jours dans une large partie de l’Afrique de l’Ouest.

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En multipliant nos recherches en la matière, l’on découvrira de nombreux autres ressorts positifs qui rapprochent, brassent les échanges ‘ethniques’ et attestent de ces multiples ressources sur nos inestimables relations « trans-ethniques », anciennes ou plus récentes, dans une Guinée unie. 1. L’effacement de signes distinctifs Selon les observations recueillies, les scarifications rituelles obéissaient d’abord à un souci thérapeutique ou pouvaient parfois revêtir une fonction esthétique chez les jeunes filles. Censées protéger du mauvais sort, des esprits malins, de maléfices ou de certaines maladies infantiles, peu à peu elles se muèrent en signes distinctifs d’un groupe, d’un clan, d’une "tribu" ou d’une "ethnie" donnée. La disparition de ces scarifications qui marquaient les tempes, les joues, le front, le dos ou la poitrine des hommes et des femmes de certaines ‘ethnies’ gomme nos différences et peut être aujourd’hui considérée comme un facteur du rapprochement entre Guinéens. 2. Les échanges épistolaires De nombreux échanges épistolaires, toujours accompagnés de précieux cadeaux, et traitant d’importants enjeux politiques ou d’autres intérêts communs ont relié les érudits, les grands lettrés en langue arabe, les docteurs de l’islam issus des familles régnantes et des notabilités du Fouta-Djalon, de Haute et de BasseGuinée. On peut citer les courriers échangés entre les chefferies traditionnelles des chefs-lieux de Haute-Guinée et du Fouta-Djalon, de Bâtè à Kankan et de Timbo à Mamou, auxquels s’ajoutent les correspondances longuement entretenues par les familles Bhuba Ndian de Labé et Camara de Kankan. 57

Dans la recherche en Guinée, il semble qu’il est insuffisamment tiré parti de l’étude de ces courriers et manuscrits ou encore de l’inventaire des cadeaux échangés. Car selon leur nature ou leur valeur, les présents qui accompagnaient ces manuscrits portaient des significations précises dont la clef principale visait au renforcement des liens d’amitié pour cimenter la solidarité entre les ethnies des différentes régions. 3. Les alliances matrimoniales qui soudent les "ethnies" À l’ère de ces échanges épistolaires, et plus précocement encore, de très nombreux mariages ont apparenté des familles issues d’ « ethnies » ou de régions différentes à travers toute la Guinée actuelle. L’exemple le plus illustre se situe vers 1850 ; cette alliance donnera naissance au prestigieux Alpha Yaya, né du mariage contracté entre Alpha Ibrahima Diallo, chef du « diwal » (province) de Labé, avec la princesse Koumanthio18 fille du roi mandingue Dianké Waali Sané qui régna sur le Ngabou (actuelle Guinée-Bissau) de 1845 à 1870. Les descendants des deux trônes deviennent ainsi beaux-parents. Plus tard, ce mariage rapprochera les deux "ethnies" jadis belligérantes et alliera plus largement les "ethnies" peule et maninka, qui jusqu’aujourd’hui restent belles-familles. Plusieurs versions narrent le mariage d’Alpha Ibrahima et de la princesse Koumanthio. Celle du professeur Djibril Tamsir Niane nous paraît la plus crédible. Nanthio (noble), de son vrai nom Koumanthio, était une princesse miraculeusement réchappée d’un funeste destin à l’issue fatale de la bataille de Turuban/Kansala. Face aux armées du Fouta-Djalon, son père Dianké Waali Sané pressent la défaite imminente : il réunit femmes et 18

Koumanthio Wali Sané, Trois trônes pour une princesse, de H. Koumanthio Z. Diallo, Ed. La Sahélienne, 2017

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enfants à ses côtés sur un tas de poudre et de munitions et se fait sauter avec les siens, pour ne pas être capturé ni réduit en esclavage par ses vainqueurs peuls. Des décombres, surgit Koumanthio, dès lors trophée de victoire. Au cours d’une cérémonie majestueuse, la princesse est conduite devant l’Almamy Oumar Barry du Fouta-Djalon, qui l’accorde au chef du « diwal » de Labé, Alpha Ibrahima Diallo, comme légitime épouse. C’est de cet hymen que naît Alpha Yaya qui succède à son père, devient un chef prestigieux et l’un des plus grands résistants à la colonisation française. Arrêté et emprisonné, Alpha Yaya sera déporté en 1905 au Dahomey (actuel Bénin), puis en 1911 à Port-Étienne (aujourd’hui Nouadhibou en Mauritanie) où il meurt du scorbut en 1912. La mémoire collective guinéenne reste attachée au nom de cet illustre chef, patriote et fils de deux "ethnies". C’est ainsi que notre hymne national « Liberté » est tiré d’une mélodie populaire composée par Korofo Moussa, griot maninka de Kissidougou, qui l’a dédiée à l’apogée du règne d’Alfa Yaya, fils d’Alpha Ibrahima Diallo et de Koumanthio. Un autre mariage inter ethnique tout aussi illustre, c’est celui qui fut noué entre Alpha Mindjao Sow issu de l’ancienne chefferie traditionnelle de Kèbali dans la région de Dalaba au Fouta- Djallon, avec « Gaboni » Saran Touré, l’une des dernières petites-filles de l’Almamy S a m o r i Touré. Durant son règne, ce grand combattant de la liberté avait été un ami fidèle et un puissant allié de Timbo du Fouta Djalon, avec lequel il avait tissé et entretenu de solides relations avant sa déportation par les Français au Gabon en 1898. La princesse « Gaboni » Saran était née dans cet exil au Gabon, d’où son surnom, et n’entrera en Guinée qu’après la mort de son grand-père à Ndjolé en 1900. 59

Plus récemment, le mariage de Konkédjan, fille du vénérable Walidji Karamo Talibi Kaba de Kankan, à Elhadj Ibrahima Bah, fils de Thierno Oumar Bah, luimême fils de l’ancienne famille régnante « Foulani Bangassi » de Dalaba, au Fouta-Djalon, reste tout aussi emblématique pour les Guinéens. Par les enfants qu’ils ont engendrés, l’alliance matrimoniale nouée entre Dalaba et Kankan maintient le lien filial des deux grandes familles et, au-delà, des deux cités. Des exemples symboliques, comme des milliers d’autres mariages noués entre ‘ethnies’ différentes qui furent et sont scellés pour unir encore aujourd’hui des familles de la Guinée entière et la rendent à jamais indivisible. C’est ainsi qu’il est dit de certaines « ethnies » guinéennes qu’elles seraient liées par cousinages, tels Kissias et Peuls. Le brassage entre compatriotes des deux "ethnies", bien que partiel et localisé, mais réel, daterait de la bataille de Talansan évoquée plus loin dans les mouvements migratoires qui ont sillonné la Guinée. On dit encore que l’aïeule d’un lignage serait issue d’une autre zone « ethnique ». Ce serait le cas des Bagas de Basse-Guinée, ou des Peuls du Fouta-Djalon. Une ascendance qui serait le fruit du même mouvement migratoire à l’issue de la bataille de Talansan.19 19

Selon certains chercheurs, les habitants successifs du Fouta Djallon et les zones s’y rattachant, ont été les Bagas venus de la boucle du Niger, suivis des Djalonké, avant que les Peuls ne s’y installent définitivement, à la suite de luttes guerrières. Timbo est une déformation du mot tumbo (coiffe, coiffure en Baga) ; plus tard, après leur migration vers la Côte, à la recherche des zones plus favorables à la culture du riz, les Bagas seront invités à la cérémonie d’intronisation des chefs du Fouta avant que tout ne devienne obsolète. Timbi issu du même mot tumbo. Les premiers habitants du Fouta étaient les Bagas (Tchtém, Temnè, Landouma, …) venus de la boucle du Niger, suivis et remplacés plus tard par les Djalonkés, d’où

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Depuis des lustres, nos sangs se mêlent, coulent et s’entrelacent dans nos veines, celles de nos parents et de nos enfants. Continuons de nous marier les uns aux autres, hors de nos réseaux ‘ethniques’. Nos enfants nés de ces liens nous rapprocherons toujours et davantage. Métissons-nous encore, si nous ne le sommes déjà. La nation guinéenne en sort chaque fois grandie et plus forte, nous dit l’Histoire. 4. Toponymie et emprunts lexicaux Sait-on que le nom du quartier « Timbo », résidence des chefs de canton de Kankan, l’un des tout premiers de la ville à sa fondation, est dédié à Timbo, ancienne capitale du Fouta-Djalon, en raison des étroites relations tissées dans un lointain passé entre les familles régnantes de ces deux régions naturelles ? Sait-on encore que le second quartier « Kabada » de la même ville a longtemps porté le nom de « Fougoumba », la mémorable cité où les chefs des neuf diwés ou provinces du Fouta-Djalon recevaient l’onction, avant leur couronnement ? Le mot « Fougoumba » s’apparente davantage à une consonance maninka plus que pular, par son suffixe « ba » : « grand » en langue maninka. Par usage et la contraction linguistique, « Fougoumba » a évolué en « fourouban » ou « foumban » autour des bords du Milo20. Ainsi, deux quartiers de la ville de Kankan sont baptisés des noms de deux des

serait issue la langue soussou. Principalement cultivateurs, à la recherche de meilleures terres, éleveurs à l’occasion, les Bagas finiront par s’installer dans la bande côtière s’étendant de Bissau en Sierra Léone, englobant les iles de la Basse Guinée (correspondance de l’auteur avec Tolomsè Camara). 20 Le Milo est le plus grand affluent du Niger ; il traverse la ville de Kankan et en est l’emblème.

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plus importantes cités du Fouta théocratique : Fougoumba la temporelle et Timbo la spirituelle. Sait-on que le mot « karamoko » utilisé au FoutaDjalon pour désigner un érudit ou un saint unanimement reconnu par la communauté, est emprunté à la langue maninka ? L’un des plus illustres aïeux des Peuls du Fouta-Djalon qui portait ce titre est Karamoko Alpha mo Timbo, alias Alpha Ibrahima Sambégou, toujours adulé par les siens. Sait-on que le mot « Almamy », mutation du mot arabe (al imam : l’imam), autrefois en usage chez les Maninkas pour désigner leur chef spirituel devenu chef de guerre au cours de l’islamisation, roi, puis empereur avec Samori Touré, est emprunté aux Peuls du FoutaDjalon ? À l’origine, dans ces deux régions, le terme arabe ne s’attribuait qu’à la personne habilitée à diriger la prière musulmane. Chez les Maninkas, le mot « karan mô » ou karamoko désignait le maître d’école coranique dont la vocation est d’enseigner à des élèves ou d’initier des apprentis à un métier. Les érudits du Fouta-Djalon et de Haute-Guinée, de Timbo et de Batè, ont écrit des pages et des pages sur une période qui a activé tant d’emprunts lexicaux... Ainsi, le mot « Alpha », emprunté aux Peuls par les Maninkas, comme expression de respect pour s’adresser à un notable dans la hiérarchie sociale, est devenu un titre en migrant dans l’autre langue. Kabinè Kaba, l’un d e s plus célèbres aïeux des Kaba de Kankan, ne portera ce titre qu’après avoir noué et entretenu de longues relations d’amitié avec les notabilités du Fouta-Djalon. L’hospitalité lui avait été accordée sept années durant, lors des guerres de religion de Haute-Guinée, dans le Mandingue et le Wassolon. De retour d’exil, Kabinè Kaba s’octroya alors le titre d’Alpha pour s’intituler Alpha Kabinè Kaba. 62

Sait-on que les emprunts à la langue maninka comme dalaba (grande mare), kouroula (haut quartier), kati mourou (couteau de poche pliant), dénnabô (baptême), salimafo (salutation du jour de fête)… sont communément intégrées à la langue pular et depuis longtemps passés dans nos usages ? Sait-on que l’un des nouveaux quartiers de Kankan s’appelle « Labé kura » en maninka, « Labé kesso » en pular et « nouveau Labé » en français ? Des citoyens guinéens venus de toutes les villes du Fouta-Djalon y vivent en parfaite harmonie auprès de leurs frères de Kankan, que ses habitants baptisent du généreux nom de Nabaya, la « ville de bienvenue ou d’hospitalité » . Sait-on encore qu’un village de Haute-Guinée s’appelle Talansan, du nom du mémorable champ de bataille situé au Fouta-Djalon ? Et se souvient-on que les grands artistes Amadou Foula Diallo et Saïdou Sow ne savent chanter qu’en langue maninka ? Or tous deux sont peuls du FoutaDjalon. Ils sont nés à Kankan où ils ont grandi et résident. Au cœur du bien-vivre-ensemble traditionnel de Kankan Nabaya, des mariages mixtes se célèbrent chaque jour, d’où naissent de nombreux enfants et tant d’autres en naîtront. Ils grandiront ensemble en parents, en frères et sœurs. Rien n’a jamais opposé le Fouta-Djalon à la HauteGuinée. Sous le fanion de l’islam, ils ont été invariablement alliés tout au contraire, notamment lors des affrontements religieux contre d’autres Peuls ou Maninkas alors animistes. Rien, ne saurait dissocier les « ethnies » guinéennes les unes des autres. Rien, n’opposa jamais Peuls et Maninkas. Communauté plongeant ses racines dans la culture musulmane, son héritage ancestral depuis près de trois siècles, elle demeurera une et indivisible. La vie politique, les élections quels qu’en soient les enjeux, ne 63

doivent en aucun cas opposer, mais veiller toujours à réunir les citoyens guinéens. Il s’avère impérieux, on le voit, qu’avec le renfort de toutes les autres composantes guinéennes comme les doigts d’une seule main, Peuls et Maninkas œuvrent ensemble de toutes leurs forces pour maintenir et fortifier leur fraternité plusieurs fois séculaire. Les données sociales, culturelles, religieuses ou historiques livrées plus haut ne méritent-elles pas une réflexion approfondie pour être transcendées, valorisées et fusionnées au service de notre unité nationale ? En poussant nos recherches plus loin, d’autres nombreux exemples de la porosité de nos identités si imbriquées peuvent être exhumés et réhaussés par les enfants de toute la Guinée. 5. Un tissu social de mixité « ethnique » Aujourd’hui, nous assistons à d’autres phénomènes de recomposition urbaine qui concourent à une meilleure cohésion sociale. Ainsi, au cours des cérémonies des nombreux mariages "interethniques", le « safina malô » (apporter le savon de mariage en maninka) et le « demba don » (danse de la mère de la mariée en maninka) s’entrelacent avec le « diinguè faré » (danse de la mère en sosso) ainsi qu’avec le « sabar », pas de danse du Sénégal, largement adopté en Basse-Guinée. Reconnue naguère comme une pratique coutumière circonscrite à la Basse-Guinée, la multiplication des mariages avant le début du mois de ramadan s’est progressivement étendue à la plupart des "ethnies" du pays, du moins dans la capitale. Par comparaison avec les langues maninka et pular, la langue sosso autrefois minoritaire connaît une extension croissante, toutes "ethnies" confondues, au fil de son 64

adoption par les nouvelles générations urbaines qui sont nées ou basées à Conakry (3 millions d’habitants). Avant de s’imposer comme langue véhiculaire dans la capitale et de conquérir les locuteurs d’autres régions naturelles, le sosso réussit d’abord à absorber toutes les langues des minorités « ethniques » de la côte maritime. Par sa transversalité grandissante, le sosso s’affirme ainsi comme langue unificatrice et facteur de rapprochement entre les citoyens, plus particulièrement pour la jeunesse guinéenne. Il n’est que d’entendre Sayon Camara, merveilleuse artiste originaire de Faranah (Haute-Guinée), qui chante en sosso mieux que dans sa propre langue maternelle, le maninka. Et aujourd’hui, les jeunes de la capitale nouent plus d’attaches avec leurs quartiers de Conakry et des banlieues où ils font souche : Coronthie, Sandervalia, Manquer-pas, Coléah, Matoto, Madina, Ratoma, Kaporo, ou Nongo, qu’avec d’autres cités guinéennes comme Labé, Nzérékoré ou Kankan, où sont nés leurs parents. Interrogés sur leurs appartenances, ils ne mentionnent pas les terroirs de leurs ascendances, mais leurs lieux de vie ou de naissance. Et de dire sans détours et fièrement : « Moi je suis de Conakry ! Mon père lui, est de Nzérékoré, de Kankan ou de Labé ». Dans leurs relations de tous les jours, ils se lancent gaiement ce cri de ralliement : « Won Tanara ! », « nous sommes ensemble ! » devenu une devise populaire d’unité. Cette conduite naturellement adoptée sans contrainte, accrédite une disposition irrésistible à l’unité nationale qui se matérialise à travers une convergence d’usages linguistiques et de comportements sociaux, qui transcendent les codes "ethniques" ou régionalistes et jusqu’aux pratiques religieuses. Sans attendre d’incitations ou de discours glorificateurs, émerge cette magnifique génération que l’on peut honorer 65

du titre de « Sosso nènè » (nouveaux Sossos, ou néososso) ou encore de « Fula Sosso » (Peuls Sossos) quand il s’agit de peuls ; elle se gausse des ressentiments de parents qui s’obstinent à vouloir cantonner les pas de leurs enfants dans l’empreinte désuète du passé. L’exemple d’artistes comme S. Camara et de la génération « Won Tanara » s’étend à nos sportifs en compétition, qui toutes origines confondues, sans exception, optent pour le Sosso comme langue d’intercommunication. « Won Tanara ! » Quelle essentielle inspiration ! Génération « Won Tanara », nouvelles générations, continuez donc à frayer ensemble, fraternellement, sans distinction d’"ethnies", de langues, de terroirs ou de religion ! Vous êtes le devenir de notre nation.

Ici, la remarquable initiative des fondateurs d’une association mérite d’être saluée, fortement encouragée et mise en exergue. Un groupe de Guinéens, femmes et hommes de toutes générations, toutes régions naturelles, toutes ethnies du pays, ont pris conscience du péril que nous fait courir le communautarisme, l’ethnicisme et le repli identitaire sur soi. Pour réagir, ils ont décidé de s’unir pour tendre la main à tous leurs concitoyens attachés au maintien et au renforcement de la cohésion nationale. Du noyau initial, l’initiative s’est peu à peu élargie à d’autres cercles pour aboutir à la création de l’association « LE VIVRE ENSEMBLE » (L.E.V.E), et s’est vue agréée par l ’ arrêté du 8 septembre 2019 du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. Ce cadre de rencontres, d’échanges, de fraternité engagée et d’amitié active s’est fixé pour objectif de : Rechercher des voies, moyens, stratégies, appuis appropriés et nécessaires pour la promotion des actions du VIVRE ENSEMBLE, à travers :

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La sensibilisation, l’éducation et la communication sur les valeurs, enjeux et principes du vivre ensemble L’organisation des séances d’éducation civique L’organisation des activités à caractère social, culturel dans le cadre de la promotion et du raffermissement des relations humaines entre les communautés du pays. Puisse cette alliance inspirer toujours plus de Guinéens.

6. Porosité des cultes religieux à la croisée des « ethnies » La Guinée jouit d’une réputation de terre de tolérance religieuse, souvent citée pour l’exemplarité de la coexistence pacifique qui règne entre fidèles de toutes confessions. 85 % de musulmans et 8 % de chrétiens, adeptes des deux religions majoritaires, puisent dans ce riche capital spirituel patiemment conquis et continûment cultivé par les Guinéens. C’est bien ainsi qu’ils conquièrent l’harmonie et la quiétude dans leur vie quotidienne. Un legs précieux qui illustre de mille façons cette sage propension au partage et à la tolérance. Ainsi, lors du carême chrétien, les musulmans respectent les actes de dévotion et d’abstinence de leurs frères, au point que cette période prend parfois les dehors d’un mois de ramadan. De même, alors que le carême chrétien prescrit de faire abstinence de certains aliments (viande, desserts…), les Chrétiens de Guinée à leur tour, s’imposent de jeûner toute la journée, à l’image de leurs compatriotes musulmans lors du ramadan. La Saint-Valentin en Guinée, le 14 février, fête clairement marchande et profane jadis entendue comme fête chrétienne des amoureux, se voit célébrée par les chrétiens, mais aussi par des musulmans toujours plus 67

nombreux qui offrent des fleurs et d’autres cadeaux aux dames de leur cœur. La Nativité, Noël et le Nouvel An sont fêtés par les musulmans avec la même ferveur que celle de leurs frères chrétiens. De même, lors des fêtes de Tabaski (donking seli en maninka, aïd el-adha en arabe), les musulmans partagent dans l’allégresse le mouton du sacrifice d’Abraham avec leurs frères chrétiens. Et de plus en plus d’oraisons funèbres prononcées pour accompagner un défunt à son ultime demeure sont entonnées avec recueillement par de plus nombreux musulmans, quand bien même cette pratique chrétienne ne s’étend pas à tout le pays. Insensiblement, bien d’autres rites de la sphère religieuse franchissent les démarcations entre musulmans et chrétiens de Guinée et viennent ainsi renforcer les liens fraternels entre femmes et hommes des deux confessions. Les uns et les autres intègrent l’idée que leur Dieu est le même, Unique, et que ce sont les êtres humains qui sont différents dans leurs façons, multiples, de l’adorer. Dans un grand nombre d’autres domaines, les facteurs de rapprochement et d’appropriation cultuelle s’observent dans notre société guinéenne. D’une région à l’autre, d’une ville à l’autre, ils foisonnent et s’harmonisent.

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Fait « ethnique » et mouvements migratoires Nos mouvements migratoires remontent fort loin dans notre passé commun. Bien antérieurs à la naissance de l’État guinéen, ils s’ébranlent dans la n u i t d e s temps. Dans leurs longues marches à travers les âges pour s’épanouir sous des cieux plus cléments ou en raison de conflits, de climats inhospitaliers ou d’un environnement naturel hostile, les hommes ont traversé d’immenses espaces en quête de nouveaux destins. En Guinée, au fil des siècles, ces pérégrinations ont propagé une infinité de profonds brassages, de mariages entre des femmes et des hommes d’"ethnies" distinctes qui ont engendré, à leur tour, de riches et insondables filiations, créant et consolidant toujours la fraternité des Guinéens. Cet essai ne vise ni à examiner l’ensemble des mouvements migratoires qui ont parcouru le territoire de l’actuelle Guinée, ni même à suivre leur exacte chronologie. Il s’agit ici de simplement rappeler à grands traits cinq vagues des plus exemplaires, pour nous inspirer positivement, nous, Guinéens de toutes régions et de toutes les « ethnies », dans notre inlassable quête d’unité. 1. La vague migratoire de Talansan Il y a trois siècles, au Fouta-Djalon vers l’an 17261728 de l’ère chrétienne, une grande bataille oppose musulmans et animistes à Talansan, village situé sur les rives du fleuve Bafing non loin de Timbo. Sur un pacte non "ethnique" et strictement religieux, Peuls et Maninkas musulmans fondent une solide alliance sous la bannière de leur commune religion, 69

l’islam, et affrontent des réfractaires Djalonkés, des Mandingues du Djalon et des Peuls animistes. Cette bataille dont l’issue fut victorieuse pour le camp musulman, déclencha un vaste mouvement d’émigration qui dispersa les habitants du massif foutanien dans plusieurs directions. Les vaincus, essentiellement composés de Djalonkés, mais aussi de « Poulis » — ainsi que se dénommaient les Peuls animistes — refusaient de se convertir à l’islam. Ils auraient, pour les uns, émigré en majeure partie vers la côte maritime et pour les autres vers la Région forestière, où ils reçurent bon accueil auprès des populations autochtones de même spiritualité animiste. Les Poulis ont longtemps conservé leur identité, leur langue, leurs noms de famille, leurs prénoms et jusqu’aux noms de certains de leurs villages tels que Kébali et Ditinn. Ils finirent néanmoins par se fondre dans ce nouvel environnement en s’assimilant au contact de leurs hôtes, par le biais du mariage, alors fondé sur le régime social du matriarcat. L’éparpillement provoqué par la bataille aurait poussé un autre groupe de Djalonkés à se replier vers la HauteGuinée, jusqu’au cœur du Mandingue, entre Niani, ancienne capitale de l’Empire, et l’actuelle ville de Siguiri. Les Djalonkés et les Poulis qui acceptèrent de se convertir à l’islam continuèrent d’habiter la région du Fouta-Djalon. Au fil du temps, ils finirent eux aussi par s’assimiler aux Peuls et aux Maninkas musulmans, làencore par mariages, mais aussi par d’autres formes d’assimilation dont la plus féconde fut l’emploi des concordances de noms à travers la fraternité, parenté ou alliance à plaisanterie. Un mode de prévention des conflits par interpellations verbales railleuses qui vise encore à se moquer ou s’invectiver sans conséquence, comme moyens de décrispation, de cohésion ou 70

réconciliation sociale, de désamorçage ou de dédramatisation socio-politique, voire une pratique rituelle ou sacrée, dite Sanankounya en mandingue ou Dendiraagal en peul. Nous y reviendrons. Selon les chroniques manuscrites rédigées en arabe, les tarikhs du Fouta-Djalon, le professeur Ismaël Barry signale qu’en 1726, les leaders musulmans de la bataille de Talansan les plus souvent cités, sont : Dans le camp peul : Alpha Ibrahima Sambegu dit Karomoko Alpha mo Timbo, Alpha Ibrahima Yéro Pathé futur Almamy Sori Mawdho de Timbo, Alpha Mamadou Cellou dit Karamoko Alpha mo Labé, Alpha Sadio Seri de Fougoumba, Alpha Samba de Bhouria, Thierno Siré Bouroukâdjè de Timbi Tounni, Thierno Soulaymana Toro de Timbi Tounni, Thierno Saliou Balla de Koyin, Alpha Amadou de Kholladhè, Alpha Moussa de Kébâli, Thierno Adourahmane de Mâci, Thierno mo Sigon, Thierno mo Bouroudji, Alpha Mamoudou Gongorè. Dans le camp maninka : Fodé Kaba Kourou, Fodé Abdoulaye Kourou, Fodé Ousmane Antoun Kourou, Fodé Madi Koulè Koürou, Fodé Ishaka, Timbo Dalaba, Fodé Mahmoudou Dalato, Fodé Saliou Tarawali Dalato, Alpha Amadou Sarèbowal… Certains historiens dont l’auteur de « Historique de la Mosquée Karamoko Alpha mo Timbo. » Ismaël Barry, citent cette bataille comme exemple de solidarité ; au-delà des différences entre les ethnies.21. Dans la tradition islamique mandingue, Fodé n’est pas un nom propre, mais un titre. Il est conféré à ceux qui maîtrisent le Coran, qui le récitent et le traduisent couramment dans leur propre langue. Leur marque distinctive est le port du turban, généralement blanc, 21

En ligne: https://guineematin.com/2016/05/27/historique-demosquee-de-timbo-pr-ismael-barry/ , www.guineematin.com , 27 mai 2016.

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dont on se sépare rarement. De même, une femme qui jouit de la même notoriété en connaissance coranique est désignée par la qualité de Thierno, mot emprunté au pular. Le rang spirituel de Fodé correspond donc à la dignité de Thierno au Fouta-Djalon. Ainsi, au 17è s., deux frères précurseurs des toutes premières migrations, l’aîné Seyri (devenu Sory par l’usage) et le cadet Seydi, respectivement fondateurs des cités de Fougoumba et de Timbo, portaient tous deux ce titre de « Fodé », qui attesterait l’idée soutenue par certains chercheurs qu’ils auraient séjourné dans le Mandingue musulman avant d’atteindre leur terre de destination au Fouta-Djalon. Éloigné de près de trois siècles et jusqu’à quinze générations de distance, l’épisode du mouvement migratoire de Talansan a fait des Peuls et des Djalonkés des sanankoun. Ce cousinage de pacte séculaire traduit la bonne humeur, la joie de vivre, l’acceptation de l’autre, la cohabitation pacifique, la tolérance, le succès de la médiation entre parents, amis, voisins, connaissances ou simplement individus en conflit. Et pour évacuer tout ressentiment, avec humour, les Peuls rappellent alors leur victoire et l’accomplissement de leur croisade sacrée d’islamisation, quand les anciens habitants du Djalon leur rétorquent n’avoir guère perdu au change en gagnant la terre limoneuse de Guinée maritime réputée plus riche que celle du Fouta-Djalon, à quoi s’ajoutent tant d’abondantes ressources de la mer. 2. Les vagues migratoires vers la Basse-Guinée L’Empire mandingue s’étendait des confins du Sahel à l’océan Atlantique. Dès son premier rayonnement au 13è s. sous le règne de Soundjata Keïta, jusqu’à son apogée au 14è s., de nombreux et incessants mouvements de populations l’ont sillonné de long en large 72

et de manière quasiment ininterrompue. Hormis la migration déclenchée par la bataille de Talansan, seuls les flux qui remontent à des périodes plus récentes semblent encore gravés dans la mémoire collective. Il s’agit notamment des mouvements d’autrefois où l’on envoyait des jeunes gens chargés de marchandises négociées en Haute-Guinée dans l’arrière-pays, pour les vendre sur le littoral et en rapporter une denrée rare, le sel, si prisée en ces temps-là. Depuis et dans toutes ses composantes, la parenté des « ethnies » sosso et maninka dépasse les seuls liens linguistiques. Plus profonde, plus ancienne, elle est charnelle. Maurice Delafosse, qui fut gouverneur général de l’A.O.F, mais aussi l’un des premiers africanistes, ethnologue et linguiste, esquissait au début du 20è s. une codification distinctive qui n’a plus cours aujourd’hui, où reprend toute sa place dans l’oraliture22 l’historiographie et l’anthropologie africaines. Car l’odyssée de nos généalogies, sagas, contes, mythes, chansons, proverbes, devinettes ou adages… offrent d’autres sources et chroniques non écrites, conservées avec grand soin pour être racontées et partagées, puis transmises à nouveau par l’art fondamental de la parole africaine. Par sa classification des langues d’Afrique occidentale, M. Delafosse est l’un des premiers Européens à mener des recherches sur les langues des colonies françaises de l’Ouest africain. Ainsi, dans ses désignations dissociées, la langue maninka de Haute-Guinée devient « mandén-tan » alors que la langue sosso de Basse-Guinée devient « mandén-fou », par l’adjonction de leurs variantes

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Patrimoine de sources orales : notion forgée par le philologue et médiéviste suisse Paul Zumthor (1915/1995)

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respectives, le nombre dix, soit « tan » en maninka et « fou » en sosso23. Selon les Kouyaté, illustres griots du Mandingue, fidèles détenteurs de la tradition et de l’Histoire bien avant leur recueil sous forme écrite, ces liens de parenté remontent aux ères où Sossos et Mandingues ne font qu’un, formant un seul grand ensemble issu de la même fratrie : l’aîné Mandéng et le puîné Sosso. Désormais, de nouvelles générations d’historiens africains dont Joseph Ki-Zerbo (Préhistoire) ou Djibril Tamsir Niane (12è/ 16è s.), notamment avec les tomes I et IV de L’Histoire Générale de l’Afrique publiée par l’Unesco à partir de 198024, ouvrent de nouvelles perspectives en puisant et promouvant la valeur de la ‘parole vive’ et nos patrimoines de sources orales dans lesquelles nous puisons pour écrire et comprendre notre propre Histoire. 3. L’Exil de Dankaran Touman Keïta Il y a environ 800 ans, l’un des plus importants mouvements de population fut celui qui provoqua l’exil de Dankaran Touman Keïta, demi-frère de Soundjata Keïta. La chronique légendaire, transmise de père en fils par nos griots, rapporte que les intrigues qui troublaient le palais de l’Empire du Mandingue vont contraindre Dankaran Touman Keïta à prendre le chemin de l’exil. Vaillant chef de guerre, malgré une volonté et une détermination farouche il ne parvient pas à préserver l’intégrité territoriale du Mandingue ni à sauvegarder son 23

Maurice DELAFOSSE, Essai de Langue Mandé, Paris, 1901, réédité en 1973 par l’INALCO ; « La Langue Mandingue & ses Dialectes : malinké, bambara, dioula », Paris, Ed. P. Geuthner, 1929. 24 En 2009, l’Unesco publie : «L’Utilisation pédagogique de l'Histoire Générale de l'Afrique» pour l’enseignement scolaire, à consulter en ligne en cliquant sur https://fr.unesco.org/general-history-africa/teaching

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indépendance. Vaincu par l’ambitieux roi et maître des forces occultes Soumangourou alias Soumaoro Kanté qui peut dès lors occuper le Mandingue, Dankaran Touman doit se résoudre à renoncer à son trône autour de 1220, à quitter Niani, capitale du Mandingue. C’est ainsi que son cadet Soundjata Keïta devra à son tour affronter le même ennemi pour enfin remporter une éclatante victoire lors de la légendaire bataille de Kirina (1235), qui fera de lui l’Empereur du Mandingue. Suivi de sa famille, de ce qui subsiste de son armée et de la frange de la population qui lui reste fidèle, Dankaran Touman parvient sur le site actuel de la ville de Kissidougou. Stupéfié par la densité de la forêt et s’y trouvant en sécurité avec les siens, il se serait exclamé en maninka : « An bara kissi », (nous sommes sauvés !). De ce cri du cœur découlerait le nom de la ville de Kissidougou, en maninka « kissi » signifiant : salut, et « dougou » : terre, soit « terre de salut ». Selon certaines sources, dont celle de nos griots, cette forêt, encore vierge dans cette partie, aurait été initialement occupée par Dankaran Touman et les siens, ce qui ferait d’eux les fondateurs de la cité de Kissidougou. La même légende mentionne que c’est après un rêve prémonitoire de l’une de ses sœurs que Dankaran Touman prendra la direction du sud-est de la Guinée actuelle pour bâtir son asile de paix et de prospérité. Selon d’autres chroniqueurs, les arrivants auraient bénéficié de l’hospitalité généreuse des Kissias et des Maninkas qui y résidaient et ce, grâce au rituel d’échanges coutumiers des noix de kola qui abondent dans cette région. Cet épisode de l’Histoire peut en partie expliquer le peuplement massif de cette région par des Maninkas. D’abord par les clans des Keïta ou Manssadén (Massarén) (noms qui signifient respectivement « prends l’héritage » 75

et « fils de chef » en langue maninka), tous descendants de Dankaran Touman, mais aussi des Kourouma, des Traoré, des Camara, des Kanté héritiers de Soumangourou le roi sorcier, des Touré descendants directs de l’Almamy Samori, des Diaré de la famille régnante Niaré de Bamako et de bien d’autres Maninkas encore, d’intégrations plus récentes. Ce qui éluciderait la fréquence des noms de famille partagés par Kissias et Maninkas, comme des Mara, des Traoré, des Camara et des Kourouma, par exemple. Du temps des chefferies traditionnelles et cantonales, de nombreux mariages inter "ethniques" entre Kissias et Maninkas et l’invariable tradition des noix de kola, ont permis aux Keïta d’occuper le trône de Kissidougou. Le régime du matriarcat y régissait alors les relations matrimoniales et incluait le pouvoir pour les femmes de transmettre leur nom à leurs enfants. Si certaines sociétés de la région forestière demeurent aujourd’hui régies par le matriarcat, peu à peu, la société kissia est devenue patriarcale. La résidence du couple est patrilocale. Les biens composant la matière successorale (culte, fétiches, terres, pouvoir politique, etc.) sont administrés par le père de famille. À sa mort, le legs est dévolu, dans cet ordre de succession : à l’aîné de ses frères, puis à l’aîné de ses fils majeurs, enfin à ses parents les plus proches en ligne paternelle. Cet héritier légitime peut alors devenir le tuteur d’enfants mineurs laissés par le défunt. Malgré cette mutation du régime social, l’empreinte du matriarcat demeure vivace chez les Kissias par l’importance des relations avunculaires. Selon le professeur Aly Gilbert Iffono25, les principales étapes de 25

Aly Gilbert IFFONO, « Naître, vivre et mourir en pays kissi précolonial », Essai d’anthropologie sociale et culturelle. L’Harmattan, Paris, 2011. En ligne :

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la vie en pays kissi (baptême, initiation, mariage et inhumation) ne se déroulent jamais en l’absence de l’oncle maternel, frère de la mère. Sa caution est imprescriptible et son neveu peut être légataire de ses biens ; dans cet esprit, il peut même convoler en secondes noces avec les veuves du foyer. Seul le pouvoir politique lié aux droits du sol et du sang sont exclus de ce champ. Un neveu de l’oncle maternel ne peut y prétendre parce que, dit-on, « son nombril n’est pas enterré dans le village », mais enfoui dans le sol de la résidence de son père. D’autres sources indiquent l’instabilité de cette exception ou même sa transgression dans certains cas… 4. Des Odyssées & des Pactes inter "ethniques" Après la migration de Dankaran Touman au 13è s., le deuxième grand mouvement de population que connut la Guinée forestière, fut celui de Moussadou (ou Missadou) vers les 16è/ 17è S. Il partit du cœur du Mandingue, pour fuir des antagonismes interreligieux et s’installer à Moussadou, non loin de la ville jumelle de Beyla-Diakoldou. Une compagnie se détacha de ce noyau et poursuivit l’odyssée jusqu’à Lola. Quelques décennies plus tard, une partie importante de cette composante reprendra sa migration et atteindra Nzérékoré où elle s’établira. À partir du Mandingue, de nombreuses autres vagues continueront à migrer vers la forêt. Selon les traditionnistes : « Au déclin de l’Empire du Mali, certains groupes ethniques et claniques prirent le chemin du sud. Toumani Kourouma fonda Toumandou sur le plateau de Simandou en 1640. Toumani reçut par ordre d’arrivée, Foromo Doré chef du clan des Mano,

www.sabarifm.com/4/1342/a/fr/culture-dr-ifono-presente-sesouvrages.html

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deux-

Zogo Missa, chef du clan des Kpèlè et Akoï, chef du clan des Logoma. » (Kpèlè ou Guerzé et Logoma ou Toma). Ces vagues successives de migration retracent des filiations singulièrement complexes et soulignent la fréquence de noms de famille communs aux ‘ethnies’ kono, guerzé, et maninka. C’est le cas des Doré, des Soumaoro — par lointaine descendance de Soumangourou Kanté — des Kourouma — descendants de Fakoly, autre figure de l’Empire du Mandingue — des Camara, nom des plus répandus en Guinée et dans les pays limitrophes, des Traoré, des Condé devenus Koné, ou encore des Manémou qui signifie Maninka en langue guerzé. Par les ressources puisées dans les correspondances de noms, la fraternité à plaisanterie, le régime matriarcal et les vertus sociales de la noix de kola, nous savons et devons nous souvenir que ces populations ont de tout temps su vivre en bonne harmonie. Sans hésiter, les plus vieilles souches maninka de Lola rappellent l’ancêtre commun avec leurs frères kono, mano, guerzé et toma. Récemment encore, Amara N i o k è Traoré, doyen de la ville de Nzérékoré — son « Sotikèmo » ou « doyen de la cité » en langue maninka — était un Traoré. Les traditionnistes nous confirment en effet qu’à l’origine nos Guerzés, Tomas, Manos et Konos sont des Maninkas qui vivaient au cœur de l’Empire du Mandingue, y occupant une place importante par la force de leurs fétiches. C’est l’avènement de l’islam accompagné de nombreux conflits qui les poussent à s’exiler de leur berceau pour s’abriter sous le rempart de la forêt dense, alors réputée impénétrable. Ces rameaux de même souche constituent un seul et même peuple parlant la même langue, le « proto-mandéng ». Comment les descendants de Toumani et ses alliés Foromo, Zogo Missa et Akoï peuvent-ils s’affronter 78

aujourd’hui dans des conflits sanglants et meurtriers ? Puissent-ils se remémorer leur origine commune et le serment solennel de leurs parents pour fraterniser et enterrer définitivement la hache de guerre ! « Si nous restons soudés de la manière dont le coton a été filé, aucun mal ne pourra nous atteindre. Soyons et demeurons soudés. Mais si nous nous dispersons et si nous sommes désunis, tout peut alors nous arriver. » Pacte de Missadou, vers 1640 De nos jours encore, la lointaine parenté entre Guerzés, Konos, Tomas et Maninkas et des Manos et Sossos avec eux, se manifeste dans leur héritage linguistique commun. Ainsi, le vocabulaire et la syntaxe des langues parlées par ces « ethnies » présentent autant de similitudes partagées : « nii » l’âme, « gny » dent, « gninè » souris, « nôo » saleté, « ngou », « khoun » ou « khoundji » tête... De même, les mots « tounè » pluie, « ningué » bœuf, « coon » ou « coon gni » coup, « taa » ville, ou « tina » demain et « kli » expérience, sont communs aux Guerzés, Konos et Sossos. Aux sources du « proto-mandeng » et aux racines de son lexique, il existe bien d’autres exemples où la langue dévoile nos fraternités sanguines et nos parentés communes entre ‘ethnies’ qui communient dans ces langues sœurs ou cousines. Au terme de cette séquence consacrée à quelques migrations et aux brassages et parentés qui nous lient si étroitement à t o u t jamais, le rapprochement des Guinéens a partout accompli des progrès considérables. Irrésistiblement, la cohésion nationale s’est poursuivie en se consolidant. Malgré ces progrès, force est de constater que subsistent de nombreux aléas. Comment se contenter de les attribuer à un bas niveau d’instruction ou à une insuffisante 79

appropriation de la pratique démocratique ? Singulièrement, à Nzérékoré, capitale administrative de la Région forestière, l’harmonie entre les habitants reste nettement imparfaite, malgré les efforts indéniables accomplis par les uns et les autres. Certes, de temps à autre ailleurs dans le pays, des troubles tournent parfois aux conflits, mais ils n’atteignent ni l’ampleur ni le péril de ceux que traverse Nzérékoré. De manière récurrente, notamment en période électorale, de sourdes dissensions et autres mésententes semblent affleurer en surface. On ne peut occulter la responsabilité significative des politiciens qui, à la m o i n d r e occasion, n’hésitent pas à réveiller les réflexes « ethniques » et autres crispations aux fins de capter des suffrages prétendument "partisans". En apparence, la conjonction trompeuse de ces discordes attisées en périodes électorales voudrait donc suggérer des clivages plus politiques qu’ « ethniques » ? Or ici, les élections et les outils de communication politiques servent de prétextes à communautarisation, pour désunir ceux que des siècles d’Histoire ont rassemblés. Dans la très grande majorité des cas, ils prennent bien le tour de fragmentations creusées pour générer des affrontements à caractère ‘ethnique’ qui nous coûtent cher. Pour les profondes attaches historiques précédemment évoquées et pour tant d’autres raisons, notamment ses immenses potentialités, cette région dispose pourtant d’atouts indéniables pour que tous — parents ou différents — y vivent heureux, solidaires et en paix. Outre un riche et indissociable tissu imbriqué de complémentarités, l’un des principaux atouts régionaux c’est l’existence du matriarcat. Ce régime, hélas, n’a pas pleinement joué le rôle moteur que lui offre la société guinéenne. Il n’a pas été, comme il se doit, fertilisé. Les 80

mariages mixtes qui pouvaient démultiplier son apport inestimable à la société n’ont malheureusement pas prospéré. Leur faible nombre a rétréci la voie d’une intercompréhension optimisée et élargie. La récurrence des conflits dans cette région interpelle tous les Guinéens, au premier rang desquels les pouvoirs publics. S’ils s’en préoccupent, sans relâche ils doivent s’en saisir davantage, avec tact et une ferme volonté d’appliquer en toute impartialité la loi, leur mission régalienne. La recherche de solutions aux problèmes posés dans cette région de brassages séculaires ne peut se réduire à la sphère politique. Il semble nécessaire, crucial, d’y associer des experts, sociologues, anthropologues, ethnologues, historiens, politologues pour mener des études très approfondies sur le socle historique qui fonde l’inter « ethnicité » sur notre territoire. Pour combattre efficacement le mal, il est primordial d’en connaître les causes. Avant que les résultats de telles études ne soient rendus disponibles et exploitables, il semble que la recherche de solutions doit s’orienter vers la jeunesse, dans toutes ses composantes. Rurale, urbaine, artistique, sportive, étudiante ou enseignante, la jeunesse est une clef de voûte de la situation. Car pour servir des calculs politiciens, comme détonateur et force motrice, elle peut être instrumentalisée et c’est surtout d’elle que peut surgir la belligérance. C’est elle encore qui peut en prévenir ou éteindre le déchaînement qui couve. En parvenant à restaurer l’entente au sein de la jeunesse de la région, on désamorce le trouble parmi le reste de la population. Dans nos traditions, une main tendue ne se refuse pas. Elle est toujours bienvenue. Être le premier à tendre la main à son partenaire dans une contingence conflictuelle, c’est le geste qui grandit. Force vive et avenir de la Guinée, la jeunesse doit avoir une pleine conscience du rôle que la société lui confie. À 81

cœur ouvert, les anciens devraient prendre l’initiative et lancer une passerelle de fraternité et de concorde entre tous les jeunes de toutes "ethnies" vivant dans cette région. À Nzérékoré, l’organisation d’une conférence de conciliation autour de l’unité des jeunes de la Région forestière constituerait un premier pas dans l a direction de l’union régionale comme nationale. L’exemple d’unité, de citoyenneté et de patriotisme récemment offert par les jeunes de Koyama à toute la Guinée, à une centaine de kilomètres de Nzérékoré, doit être une source d’inspiration pour une telle conférence. Koyama est une commune rurale relevant administrativement de la ville de Macenta. En 2000, lors d’une agression venue du Liberia (à 25 km), à laquelle notre pays fut durement confronté au Sud, les jeunes s’y montrèrent exemplairement vaillants à l’épicentre des combats. Unis comme les doigts de la main, Tomas, Toma-Manignans, Koniakés, Maninkas, toute la jeunesse de la localité massivement mobilisée a soutenu l’armée nationale les armes à la main, pour bouter l’agresseur hors du territoire. Témoin oculaire sur le terrain, nous l’avons observé sur le vif, lors d’une mission gouvernementale. Les Toma-Manignans sont implantés dans la région de Macenta et ne constituent ni une ‘ethnie’ ni une langue distincte. Leurs pères ou leurs mères sont tomas, leurs mères ou leurs pères sont maninkas ou koniakés. Ils détiennent le privilège d’appartenir aux deux « ethnies », d’en partager les us et coutumes, d’en parler les langues — celle de leur mère et celle de leur père — et surtout d’être les maillons d’un puissant lien naturel entre deux "ethnies" guinéennes. Un exemple incarné des bienfaits du vivre-ensemble pour les Guinéens.

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Rappelons encore une autre action de bravoure de la jeunesse de la Région forestière à Kissidougou et Guéckédou. Au cours de la même agression, la jeunesse s’est également illustrée en libérant Yendè Millimou occupée tout un mois par les troupes ennemies. À l’issue de la victoire célébrée dans l’allégresse et la fraternité par tout le peuple de Guinée, Koyama et sa jeunesse ont été et demeurent pour nous des symboles d’unité et de patriotisme. Il n’est jamais trop tard pour remédier à une situation quelle qu’en soit la complexité. Jamais trop tard pour mieux faire avec volonté et détermination. Dans la région forestière, multiplions les mariages entre Guerzés, Konos, Manos, Kissias, Tomas, Maninkas, Peuls, Sossos, en mettant en exergue les multiples avantages de ces unions, en les cultivant fortement. Dans ce processus, prendre appui sur les clergés catholiques, protestants et sur les conseils islamiques locaux, favoriserait l’apaisement des cœurs et éclairerait d’une lumière salvatrice la voie fraternelle. Les citoyens de la région de Nzérékoré sont dans leur très grande majorité adeptes de deux religions sœurs ; chrétiens ou musulmans, à l’unisson, ils partagent une même foi en Dieu et d’une seule voix recommandent à leurs fidèles : « aimez-vous les uns les autres ». Pour ôter aux uns comme aux autres le prétexte de toute amorce de chaos ‘ethnique’, les pouvoirs publics et toute la classe politique se doivent d’investir les périodes électorales en enjeu civique, solennel, prioritaire, de paix et de fraternité, par l’organisation d’élections en tous points irréprochables, de l’ouverture des campagnes aux résultats des scrutins. Prévenir les conflits, c’est aussi rappeler aux protagonistes la teneur des pactes et des alliances noués entre leurs communautés de Région forestière. Le pacte 83

de Missadou scellé en 1660 à Djonfa Tintin entre Guerzés, Koniakés, Manos et Tomas, ou conclus en 1905 à Gouéké dans la région de Nzérékoré entre Guerzés, Manos, Koniakés et Tomas et en 2008 à Ndéléou dans la région de Macenta entre Tomas et Maninkas tous doivent, sans relâche, être cités en exemples. Extrait du Pacte de Mara, Kissidougou, 1870 « Puisque Dieu a voulu que nous soyons ensemble, nous devons donc être sincères. » Principaux pactes communautaires de Guinée26 Les pactes inter-communautaires antérieurs à la colonisation : alliance découlant de faits avérés qui ont mis en danger une personne appartenant à une famille ou un clan, et qui a eu la vie sauve grâce à l’intervention d’un tiers (être humain, animal ou végétal). L’alliance reconnaît cette dette jusqu’à s’étendre à l’alliance dite totémique. Le pacte représente la volonté d’humaniser l’alliance naturelle, et comporte un rituel pendant lequel est échange un objet très cher (objet, sang, sacrifice de chair), lui conférant ainsi un caractère sacré ; la prestation d’un serment ; et des sanctions. Le pacte n’est pas transcrit.27 a. Le pacte de Missadou (préfecture de Beyla) de 1680, conclu entre Konia, Guerzé, Toma et Manon 26

D’après le Rapport « Les pactes communautaires, outils de prévention des conflits et de consolidation de la paix : le cas de la Guinée forestière et des pays limitrophes, Liberia, Sierra Leone et Côte d’Ivoire. », PNUD, 2016. Les résultats de cette étude sont hélas trop méconnus en Guinée. Sans diffusion locale à large échelle, sans accès à Internet, les populations de la Région forestière qui doivent en être les premiers légataires ignorent trop souvent leur propre patrimoine de concorde. 27 Rapport « Les pactes communautaires… », pp. 14-15

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b. NB : le pacte de Gouecke (1905) constituerait une mise à jour ou un renforcement de celui de Missadou suite à sa violation par une des parties c. Le pacte de Mara (préfecture de Kissidougou) de 1870 conclu entre autochtones (Kissi, Lélé et Kouranko) et allogènes (Malinke, Mahoka et autres) Les pactes transfrontaliers : ces pactes entre communautés de part et d’autre de la frontière sont des pactes de nonagression et de coopération ; tel le pacte de Déléou, qui est une conséquence des événements déjà cités de 2000, à la frontière entre Guinée et Libéria. a. Pacte de Gbié signé vers 1905 entre le Guéahs de Côte d’Ivoire, les Konons et Manon de la Guinée) b. Pacte de Gbèlèye, entre Manon de Guinée et du Libéria et Guéah de Côte d’Ivoire, scellé en 1911 et renouvelé en 2001 dans le contexte de la guerre au Libéria c. Pacte Kissi de Koindou, scellé en 2005 entre Kissi de Sierra Leone, Libéria et Guinée d. Pacte de Déléou de 2008, entre Toma et Manian du Libéria et Toma et Mania de Guinée. La particularité de ce dernier pacte est qu’il est dit « croisé » : il est scellé entre les Toma et les Mania de Guinée de chaque côté de la frontière, et entre Toma et Mania de Guinée avec ceux du Libéria.

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Enfin, outre les pactes inter-communautaires et les pactes transfrontaliers, l’étude citée du PNUD relate l’existence de conventions inter-communautaires de bon vivre ensemble, lesquelles sont un ensemble de règles de conduite, orales ou écrites, de normes sociales édictées par la communauté pour améliorer les rapports de cohabitation, et qui ont force de loi au sein de la communauté. Elles prévoient peines et sanctions. La Convention de Guéasso, apparue entre 1800 et 1820, est citée en exemple. 5. Bien-vivre-ensemble à Dabola et au Woulada Autrefois et aujourd’hui encore, le Woulada fut toujours une terre fertile d’immigration. Terroir situé à cheval entre trois régions naturelles, la Haute-Guinée, le Fouta-Djalon et la Région Forestière, il a été traversé par diverses vagues de populations, venues de tous horizons et d’abord de Haute-Guinée et du Fouta-Djalon. Le Woulada abrite le centre géographique du pays. À ce titre, la ville de Dabola, son chef-lieu, s’enorgueillit d’être le cœur battant de la Guinée, par lequel respire notre pays. Ville carrefour, Dabola jouit d’une grande facilité d’accès. En effet, baignée par la rivière Tinkisso jadis navigable, parmi les plus grands affluents du fleuve Niger, elle croise la route nationale Conakry-Niger, l’ancien chemin de fer du même nom et l’axe de nombreuses voies de communication qui convergent des villes voisines de Kouroussa à l’est, Mamou à l’ouest, Faranah au sud et Dinguiraye au nord, et drainent journellement leurs flux de diverses populations. Les habitants de ce centre névralgique mettent à profit leur avantageuse situation, un don du Ciel, pour offrir au reste du pays une formidable leçon d’unité, de fraternité et de bien-vivre-ensemble. Quel est donc le secret des habitants de Dabola et du Woulada ? 86

C’est le mariage inter-« ethnique » ! Nulle part ailleurs en Guinée, le mariage inter "ethnique" n’y a prospéré et ne s’y perpétue de manière aussi exponentielle. Pour y avoir vécu en qualité de directeur régional de l’éducation, nous en avons été les témoins privilégiés. Dans les 33 grandes agglomérations du Woulada dont : Arfamoussaya, Banko, Cisséla, Kouroufindén, Kouroufimba, Dogomet, Nono… quand est évoqué un « problème » « ethnique », il est rétorqué avec fierté que l’on appartient aux deux "ethnies" peule et maninka, fruit d’une « greffe » ou plutôt d’un métissage réussi, car assumé avec orgueil. Dans le Woulada en effet, il est rarissime qu’une famille maninka ne compte pas une épouse peule. Et dans les foyers peuls, il en est de même de la présence d’épouses maninka. À commencer par la famille des illustres Almamy Barry de Dabola qui appartiennent à l’ancienne chefferie cantonale ou traditionnelle, dont l’une des célèbres aïeules aurait été d’origine bambara et où les mariages avec des femmes maninka sont innombrables. Autre échantillon comparable à Dabola, est celui de Mali. Ville où le bon-vivre-ensemble plusieurs fois séculaire est si profondément ancré qu’il a fini par engendrer une fusion quasi-totale de toutes les populations qui y vivent dans le partage. Située en plein cœur du Fouta Djalon, aux alentours du Mont Loura, trône en son sommet une mystérieuse silhouette, l’emblématique « Dame de Mali ». Profil merveilleusement sculpté par la nature au flanc de l’arête montagneuse, ou par « l’Esprit saint » comme le rapporte la légende locale, cette dame semble gracieusement veiller sur la cité. Dans cette ville de Mali, des Peuls, des Djalonkés et une importante population de souche malinké, principalement des Souaré, venue de l’Empire du Mali ont vécu et évoluent 87

ensemble dans l’harmonie. Ces derniers descendent de Salimou, l’illustre ancêtre, fin lettré en arabe et érudit de fameuse renommée, qui siège parmi les cinq grands marabouts du Mandingue avec les Bérété, Cissé, Diané et Touré. À Mali, il s’avère presqu’impossible de distinguer les uns des autres du fait d’innombrables modalités d’intégration sociale dont l’usage d’une langue commune, le pular, et surtout du mariage mixte qui y a constamment prospéré de manière croissante. L’harmonie fécondée par le temps a aboli les différences et distillé l’art de bien-vivre ensemble. La Guinée est une famille. Ne nous lassons jamais de le penser et de le répéter. Puissent les exemples de la génération « Won Tanara ! », des jeunesses de Koyama, Kissidougou, Guéckédou, de Dabola et de Mali inspirer les jeunes et leurs aînés à travers toute la Guinée !

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Carte des ssites de scellements de pactes communautaires en Guinéée © Rapport PNUD, 2016

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Multilinguisme & cosmopolitisme Les langues de Guinée28 La Guinée est plurilingue. Au chapitre de la diversité, l’existence de plusieurs langues dans le pays doit être considérée comme un chemin d’enrichissement mutuel et de complémentarité entre ses « ethnies » et ses citoyens. A contrario, on considère que la carence de langue commune véhiculaire dans un pays peut être un facteur d’érosion de l’harmonie sociale. Petit pays par sa superficie et ses quelques 14 millions d’habitants, la Guinée ne dispose pas d’une seule langue nationale partagée par toutes ses "ethnies", à la différence de trois de ses voisins qui bénéficient de cet atout. Le Sénégal dispose du wolof, à la fois véhiculaire et idiome de l’‘ethnie’ du même nom, la Côte d’Ivoire pratique le djoula et, marié au français, le nouchi va croissant comme parler vernaculaire de pure créativité du génie ivoirien. Dans une moindre mesure, le Mali fait de même avec le bambara qui n’est cependant pas parlé partout, notamment au nord ; son plus grand nombre de locuteurs se trouve à Bamako, ville de loin la plus peuplée et pôle de convergence de toutes les autres villes maliennes. L’espoir est toutefois permis en Guinée. Avec l’évolution du pays et les intenses mouvements des habitants entre l’arrière-pays et la capitale Conakry de plus en plus densément peuplée, la langue sosso sous l’impulsion de la dynamique du bel esprit « Won Tanara ! » pourrait finir par jouer ce rôle véhiculaire avant longtemps. 28

Cf. Annexe 2: aspects des langues de Guinée, p.171

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Langue officielle, tierce et littéraire On ne peut évoquer la situation linguistique en Guinée, sans accorder une place historiquement importante et particulière au français, comme dans la plupart des anciennes colonies françaises. Langue officielle, c’est la seule tierce que les populations des quatre régions naturelles utilisent pour échanger à différents échelons de langage. Parfois indispensable pour interagir entre différents locuteurs, elle est enseignée à l’école, dans tous les cycles. Le français est aussi la langue utilisée par les représentants de la Guinée dans les sommets internationaux, notamment au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie, de l’Organisation des Nations Unies, de l’Union Africaine, de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest, de l’Organisation de la Coopération Islamique, etc. Le français est aussi la langue d’expression littéraire en Guinée avec de grands noms tels que Fodéba Keïta, fondateur des célèbres « Ballets Africains » né à Siguiri, auteur du poème mandingue Minuit en 1965, l’un des premiers recueils du pays ; Camara Laye, né à Kouroussa, auteur du roman classique, « L’Enfant noir », best-seller publié en 1953 ; Émile Cissé, né à Mamou, l’un des premiers écrivains de la période post indépendance, auteur des romans Faralako en 1958 et Assiatou de Septembre en 1969 ; Djibril Tamsir Niane, né à Conakry, auteur du mémorable récit « Soundjata ou l’Épopée Mandingue » devenu un classique depuis sa publication en 1960, suivi de bien d’autres ouvrages de référence29 ; William Sassine, né à Kankan, gratifié de nombreux prix, auteur des romans « Saint Monsieur Baly » en 1973, « Le Jeune Homme de Sable » en 1979, « Le Zéhéro n’est pas n’importe qui » en 29

Voir la bibliographie p.179

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1985 ; Tierno Monénembo, enfin, de son vrai nom Thierno Saïdou Diallo, né à Porédaka, grand prix littéraire d’Afrique Noire avec son roman « Les Écailles du Ciel » en 1986, prix Renaudot pour son roman « Le Roi de Kahel » en 2008, et Grand Prix de la Francophonie décerné par l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Ce sont là les plus connus. Le français est si central dans la vie sociale guinéenne que les élites dites « cultivées » et la plupart des leaders politiques, le considèrent comme mieux maîtrisé, au point d’y être plus à l’aise qu’en utilisant leurs propres langues. La langue de Molière semble donc offrir le potentiel pour devenir la seconde ou première langue transversale à l’échelle du pays, jouissant pleinement de ses statuts de langue officielle et d’écriture. Elle reste un puissant vecteur de cohésion sociale et d’unification par son importance dans l’intercommunication et ses niveaux d’utilisation divers et souvent décisifs. Mais dans sa situation actuelle, elle n’est pas parlée par toutes les couches de la population. Moins usitée dans nos zones rurales et même dans une large partie de nos villes, sa pratique s’articule au taux de scolarisation et d’alphabétisation qui restent trop faible pour cela. Cependant, confortée dans la sphère de l’Organisation internationale de la Francophonie dont l’un des fondements est sa promotion dans les États membres, l’avènement du français comme l’une de nos langues véhiculaires approche. Deux langues valent mieux qu’une et leur double pratique nous enrichira. Trilinguisme : Sosso, pular, maninka… En Guinée l’absence de langue véhiculaire transversale aurait pu sous certaines latitudes constituer un obstacle à une solide cohésion sociale, en équilibre. Mais il n’en

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est rien, car existent encore de nombreux ressorts de rapprochement fondés sur la langue. Citons, en premier lieu l’élan du cosmopolitisme qui transcende l’appartenance ‘ethnique’. En effet, dans un nombre croissant de villes guinéennes, progressivement, un véritable creuset de langues infuse la société et conforte l’accession au multilinguisme. Au fil du temps, ce phénomène éminemment urbain s’il en est, tisse un réseau sans cesse renouvelé de relations économiques et socio-culturelles qui façonne des formes neuves de multilinguisme en Guinée. Elles se matérialisent le long du principal axe de communication du pays, la route nationale qui relie la capitale à la deuxième ville du pays, Kankan. On peut l’observer dans une cité trilingue comme Kindia où la langue sosso est majoritairement pratiquée, suivie du pular et du maninka ; dans une autre ville trilingue comme Mamou où le pular prévaut sur le maninka et le sosso ; ou enfin dans des agglomérations bilingues comme Dabola, où maninka et pular sont parlés à quasi-égalité. Plurilinguismes : brassages, mobilités et creusets Par la mobilité et l’interpénétration des populations, les voies de communication dégagent des dynamiques fructueuses de consolidation de la cohésion sociale par le brassage des populations qu’elles activent. Développer de manière exponentielle les voies de communication terrestre, ferroviaire, aérienne, fluviale et maritime sur nos 330 km de côte, c’est promouvoir l’entente et la tolérance entre les Guinéens. À l’écart de cet axe, des villes comme Dinguiraye voient également le trilinguisme s’épanouir avec l’usage majoritaire de l’idiome local, le toucouleur — presque à parité avec sa matrice le pular — et avec le maninka.

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En s’établissant sur la terre de Guinée avec, dit-on, l’agrément de l’Almamy Oumar Barry mo Timbo en 1848, le grand résistant et érudit El Hadj Oumar Tall fonde cette ville de Dinguiraye où il serait parvenu en compagnie de membres de toutes les ‘ethnies’ du bassin du fleuve Sénégal, lesquels seront rejoints par de nouvelles vagues d’arrivants de toute la Guinée et des pays voisins. Ceux-là escomptent y acquérir savoir, bénédictions et protection auprès du saint homme dont le renom rayonne bien au-delà du Fouta-Djalon. À l’avènement de l’économie de marché, suite au changement de régime politique intervenu en 1984, la Guinée connaît une croissance prodigieuse des échanges commerciaux ; s’y ajoute l’exploitation artisanale de l’or qui explose à l’aube du 21è s. Cet essor va favoriser l’arrivée de centaines de milliers de personnes affluant de toute la Guinée et des pays limitrophes vers trois grands centres urbains de Haute-Guinée : Kankan, Siguiri et Mandiana, qui deviennent des villes fortement cosmopolites et, partant, multilingues. Il s’agit là d’un plurilinguisme spécifique. Dans ce processus évolutif, les personnes qui cohabitent sous le même toit ou dans le même voisinage parlent leur propre langue et usent simultanément d’une langue véhiculaire, ici le maninka. Cette mutation est appelée à progresser pour s’inscrire peu à peu dans le sillage des cas précités où les habitants deviennent graduellement polyglottes. Les agglomérations industrielles de Fria et Kamsar s’inscrivent dans la même dynamique au travers des langues sosso et pular. Comme carrefours de brassages, de t o u t temps et en t o u s lieux, les cités minières sont par définition cosmopolites et multilingues. Kamsar et Fria sont à ce titre emblématiques. Créées de toutes pièces, ces villes sont dépourvues de clans fondateurs et 95

leurs arrivants, qui affluent de toutes les régions du pays comme de l’étranger, aussitôt installés se sentent chez eux. De fait, ces cités font office de parfaits creusets. Naturellement, Conakry, pôle d’attraction sousrégionale et nationale, s’impose en ville cosmopolite et multilingue par excellence, ainsi que d’autres grandes villes de Région forestière : Nzérékoré, Kissidougou, Macenta et Guéckédou. La très grande majorité des habitants de toutes ces villes parlent couramment les principales langues du pays et bénéficient ainsi de plus amples facilités d’insertion sociale offertes par le multilinguisme et une forme d’intimité avec d’autres cultures véhiculées par les langues d’échanges, par une plus large ouverture d’esprit aussi, qui suscite une plus grande complicité et tolérance envers autrui.

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Traditions, us, coutumes Au service du renforcement de la cohésion sociale en Guinée, trois facteurs paraissent clairement prédominants. Ce sont : - l’assimilation ; - le totémisme ; - et la fraternité à plaisanterie : parenté ou cousinage à plaisanterie : « Sènènkouya » en langue maninka, devenue « Sanankounya » par l’usage dans les autres langues guinéennes qui l’adoptent. Trois facteurs intrinsèquement liés, si fondamentaux que chacun a vocation à faire l’objet d’une étude spécifique. Transversalement, par leur ancrage social et leur pratique continue, ces permanences socioculturelles irriguent tout le pays de leurs apports et font des Guinéens les enfants d’une seule et même fratrie. 1. Assimilation et intégration sociale Par le mariage, l’accès au savoir, la terre ou l’anoblissement, les processus d’assimilation se déploient dans toutes les régions, au sein de toutes les ‘ethnies’ en Guinée. Autrefois et de nos jours parfois, après les salutations d’usage, une personne qui bénéficie de l’hospitalité d’une autre « ethnie » est d’abord questionnée sur son nom de famille : « Par quel bon nom t’appelles-t-on ? » « Djamoun douman ? », lui demande-t-on en terre mandingue. Le nom décliné, on cherche aussitôt à identifier le nom de famille homologue en terre d’accueil pour qu’immédiatement l’hospitalité lui soit offerte chez ses hôtes ou l’une des familles portant le nom qui lui correspond. Dès lors, ce foyer d’accueil et ce nom 97

analogue deviennent siens. L’étranger qui ne trouve pas sa famille homonyme, recherche naturellement une parenté à plaisanterie. En pays Kissi, ce cas de figure s’applique invariablement. Jadis, si son séjour se prolongeait, et s’il avait qualité à s’établir, ses hôtes lui proposaient un lopin de terre, l’aidaient à y bâtir son gîte et lui offraient gracieusement une parcelle à cultiver avec leur appui, pour gagner ainsi de quoi se nourrir. Avec le temps, on lui proposait de prendre femme s’il ne convolait pas de lui-même, en vertu de son nom homologue dans la cité. De père en fils, son nom d’origine s’éclipsait peu à peu et sa descendance héritait du nom d’accueil qui actait l’assimilation formelle. Sous diverses formes, l’assimilation est l’une des coutumes les plus répandues en Guinée. Toutes les régions naturelles de la Guinée, du FoutaDjalon à la Haute-Guinée, plus que la Basse-Guinée et la Guinée forestière cependant, ont connu ou pratiqué le servage sous une forme ou une autre au cours d’une période de leur Histoire. Ainsi, dans plusieurs circonstances le vaincu à la guerre, le proscrit ou le débiteur, pouvait devenir esclave domestique s’il était capturé ou assujetti. Mais le maître pouvait couramment anoblir son esclave mâle en lui conférant son nom de famille pour l’assimiler. Il pouvait de même anoblir une esclave en l’épousant, l’intégrant ainsi à sa famille, à son clan et à son "ethnie" par le patronyme. L’assimilation p a r l’anoblissement obéissait à des rites secrets assez stricts dans chaque ‘ethnie’, exception faite de certaines sociétés forestières, notamment chez les Kissias où elle pouvait donner lieu à une cérémonie publique, notamment quand il s’agissait d’affranchissement. 98

Généralement, ces rites se fondaient sur différentes formes d’artifices symboliques. Le maître, entouré de dignitaires de son clan ou de son « ethnie », faisait absorber à l’affranchi des potions supposées secrètes, censées exercer un contrôle dont la portée pouvait s’infuser de génération en génération à toute la descendance. Ces médications-placebo, suggéraient une emprise psychologique figurant l’« œil du maître » et sauvegardaient ainsi un ordre de vassalité et d’autorité symbolique. L’islamisation de la plus grande partie de la société guinéenne a progressivement remplacé ces dispositifs par la médiation du Coran. Dès lors, la main sur le Saint Coran, l’esclave jurait éternelle fidélité en son nom et celui de sa descendance. D’autres codes plus ésotériques resteraient destinés à contenir l’affranchi. En terre mandingue, était observé le « doundou » ou loi du secret et règle inviolable. Par cette loi, il était fait injonction à toute la communauté, sous peine d’être frappée de malédiction, de ne jamais révéler le secret de l’affranchissement et de la servitude qui l’avait précédé afin que le statut antérieur s’efface à tout jamais de la mémoire collective et que la volonté ultime de l’intégration atteigne pleinement son achèvement pour l’harmonie dans la société. Ici encore, le rituel et son pacte intègrent le nouveau statut dès lors intangible. Dans le même dessein de bonne entente au cœur des communautés et entre elles, à divers degrés d’observance ce pacte secret est cautionné dans la plupart des régions et dans toutes les « ethnies ». L’impératif ainsi prescrit à tout un clan ou à toute une communauté, vise à gommer le statut initial d’un individu qui peut se dissiper difficilement et incomplètement dans la société où il vit. Car il transparaît encore au cours de cérémonies ou d’assemblées où il est dit que chacun « continue de 99

connaître sa place ». Dans ces circonstances, par le rang qu’on lui assigne, l’affranchi désormais anobli reste conscient du fait qu’il fut esclave et ne se hasarde pas à prétendre aux mêmes honneurs que ses anciens maîtres. À l’exception du « fil du sabre », où l’esclave rebelle, parvenu à vaincre son maître en le passant au fil de l’épée, était fondé à prendre sa place, un affranchi ne pouvait ni devenir chef de la communauté qui l’avait anobli, ni même prétendre conduire la prière collective dans une communauté musulmane, quel que soit son degré d’instruction. En outre, un affranchi ne pouvait s’arroger l’habilitation de demander la main d’une femme issue de la lignée de ses anciens maîtres. Pour permettre l’intégration, subsistent enfin des cas de dissimulation du nom, plus nombreux en Région forestière. À la suite de conflits qui les ont poussés à migrer sous d’autres cieux, par souci de sécurité, des groupes entiers pouvaient devoir dissimuler leurs noms et feindre d’épouser des noms empruntés à leurs communautés d’accueil. Il convient de noter que l’avènement de l’islam a considérablement assoupli ou modifié les rituels, les règles et les conditions de l’affranchissement comme de l’assimilation. Ainsi, au Fouta-Djalon, le maître qui affranchissait son captif et décidait de l’intégrer socialement était tenu de lui trouver une épouse parmi les personnes libres, notamment dans sa propre famille, voire en l’unissant à l’une de ses propres filles. Néanmoins, les pratiques relevant spécifiquement de ces modes d’affranchissement et d’assimilation se rapportent plutôt aux périodes préislamiques qu’au temps actuels où ces statuts serviles ont heureusement disparu de la société, quand bien même peuvent en subsister quelques traces résiduelles ici et là.

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De nos jours en Guinée, l’ampleur de ces mécanismes régulateurs d’intégration sociale, leur étendue et leur profondeur sont difficiles à retracer avec exactitude. En telle cité, en telle localité, qui est natif ? Qui a fait souche sur ce sol ? Quel aïeul fut anobli ? Qui fut assimilé puis intégré ? Il est, à dessein, souvent très difficile de le discerner, le creuset est en fusion constante. 2. Du totémisme La correspondance de noms s’établit généralement à partir du ‘totem’30 désigné par le même mot dans la plupart des langues guinéennes : « tana », en maninka, complété en pular par deux autres mots :« wadha » et « yehli ». Chez les Sossos, s’ajoute au mot « tana », le vocable « yèlè », toutes appellations généralement empruntées au règne animal, plus rarement aux espèces végétales dans les communautés guinéennes. Des Amériques à la Mongolie, en passant par l’Afrique, les origines du totémisme sont immémoriales. Englobant le règne du vivant dans la parenté humaine, ce mode de structuration sociale de nombre de peuples dits « premiers » dans leurs représentations sacrées et religieuses, a manifestement précédé l’arrivée des religions dites monothéistes. En effet et depuis la nuit des temps, l’utilisation du totem dans les croyances animistes était une référence courante par laquelle un groupe humain se plaçait sous les auspices d’un animal qui fondait la parenté. À l’origine, cet animal est considéré comme l’ancêtre ou le protecteur 30

Totem : mot d’origine amérindienne recueilli vers 1791 par un interprète indien dans la région des Grands Lacs canadiens qui désigne un clan de parenté couplé à son animal tutélaire chez les nations Inuit, Agniers, Algonquins, Mohegans, ou Chaouanons… tout comme en Afrique.

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du groupe. Selon les récits fondateurs, il pouvait avoir préservé une personne d’un péril, ou l’avoir miraculeusement guérie d’une maladie réputée incurable ou inéluctablement mortelle. Symboliquement, il pouvait en outre l’avoir gratifiée d’un pouvoir surnaturel ou doté d’une fortune prodigieuse. Dans une même « ethnie », dans des « ethnies » différentes ou même étrangères, les personnes liées au même totem se considèrent comme indissolublement apparentées, comme descendantes du même ancêtre éponyme qui nomme le totem. Revêtant un caractère sacré, ce totem se pose en tabou et en objet de devoirs particuliers, dont la violation entraîne un châtiment voué au transgresseur ou à son groupe, sa communauté ou la société à laquelle il appartient. Un animal ainsi homologué comme tabou est non seulement interdit à la consommation, mais doit être protégé en toutes occasions. Cet interdit ne se limite pas au seul animal, mais s’étend à ses dérivés. Ainsi, si la chèvre est totem, on ne peut ni en consommer la chair, ni non plus en boire le lait. Si l’abeille est totem, il est strictement interdit d’en déguster le miel. On doit s’éloigner, se détourner du tabou et parfois même taire son nom, profanation punissable. Le tabou appartient au clan ou à la communauté, jamais à un seul individu. Par la vertu du lien totémique qui les attache, ceux qui observent le même tabou sont à jamais frères et sœurs. Quand ils se trouvent en un même lieu, ils sont appelés à faire valoir cette fraternité, en paroles comme en actes. En Guinée forestière, le totémisme semble obéir à des règles plus strictes encore que dans les trois autres régions naturelles, et plus particulièrement chez les Tomas où, sauf à quelques rarissimes exceptions, les noms de famille se forgent à partir du totem du clan. L’adjonction du suffixe de négation « gui » au nom d’un animal 102

signifie que celui-ci est votre totem et que vous ne devez pas en manger la viande, puisque cet homologue forme votre nom de famille. Ainsi, Béavogui est le nom de famille de ceux qui ont pour totem le chevreuil, à qui il est interdit d’en consommer la viande ; les Zoumanigui ont pour totem le silure ; les Grovogui, ne touchent pas la viande du chimpanzé ; les Koïvogui, ne mangent pas la panthère et les Guilavogui ont pour totem le chien. Chez les Maninkas, par le même cheminement d’analogie des noms, Béavogui correspond à Keïta ou Mansarén (chevreuil) et à Barry au Fouta Djalon, Zoumanigui à Kourouma ou Doumbouya et à Bah ou Baldé au Fouta ; Koïvogui à Camara ou Diallo au Fouta (panthère) ; Guilavogui à Traoré (chien) ; Soropogui à Condé… Ce couplage de noms par le totem et l’observance d’un même tabou, en usage dans tout le pays, tisse et scelle des liens d’indéfectible fraternité entre personnes d’"ethnies" dites différentes. À leur première rencontre, il suffit à ces personnes de prononcer leurs noms ou d’énoncer leurs totems pour que les liens de fraternité se reconnaissent et s’activent aussitôt. En ces temps de questionnements écologiques sur le destin de l’humanité et notre interdépendance, nos totems proposent enfin des conduites millénaires de respect envers la nature, la préservation de ses espèces et d’équilibre de nos écosystèmes. 3. De la fraternité à plaisanterie Pour démultiplier nos dynamiques d’alliances indissolubles, ceux qui ne partagent pas le même totem ou sont attachés à des totems opposés — hyène et brebis, chien et chat, épervier et moineau, par exemple — sans être pour autant ennemis, ne sauraient être frères et sœurs. 103

Mais, sagement, pour éloigner tout spectre de division dans la société, par une autre connivence, on les a faits parents, frères, sœurs ou cousins à plaisanterie : des sanankouns. Les définitions de cette autre accointance sociale sont nombreuses. Elles ont en commun l’humour, le rire, l’esprit de tolérance sous-tendus par une entente tacite qui peut revêtir un caractère de pacte entre clans, tribus ou communautés. De manière avisée et efficiente, le « Sanankounya » conserve précieusement la mémoire et la solution d’un conflit dénoué, dédramatisé, sur lequel il est impossible de revenir et qui soude les parties à tout jamais, dans la bonne humeur. Le professeur Djibril Tamsir Niane dans ses « Recherches sur l’Empire du Mali au Moyen Âge »31, définit ainsi le Sanankounya : « un ensemble de liens conviviaux privilégiés établis par les ancêtres, activés dans une démarche personnelle renouvelée et qui fonctionne sur la base de l’humour et de la dérision courtoise. » Dans son essai, « La Parenté à Plaisanterie, le Sanankounya, un atout pour le dialogue et la cohésion 32 sociale en Guinée », l’ethnologue-clinicien guinéen, le Dr Alhassane Chérif, ajoute : « Relations entre deux individus ou groupe d’individus marquées par des comportements de familiarités non autorisés entre d’autres types de parents : provocations publiques ou privées sont comme normales et obligatoires sans réactions conflictuelles. » Quant à l’ethnologue et écrivain sénégalais Raphaël Ndiaye, dans son étude intitulée « Pluralité ethnique,

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Éditions Présence Africaine, Paris, 1975 Éditions L’Harmattan, Paris, 2014

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convergences culturelles et citoyenneté en Afrique de l’Ouest »33, il présente le « Sanankounya » comme : « un ensemble de liens conviviaux, privilégiés, établis par l’ancêtre, activés dans une démarche personnelle renouvelée et qui fonctionne sur la base de l’humour et la dérision courtoise ». Rejoignons les voix de ces chercheurs pour dire que dans nos civilisations de la parole que sont les sociétés africaines, la fraternité, la parenté ou le cousinage à plaisanterie s’expriment essentiellement par de brèves saillies verbales. C’est pourquoi nul n’aurait l’idée de rédiger ou de publier un pamphlet ou une satire, pour mettre en scène son sanankoun. Les formules en sont lapidaires, égrenées sous forme de proverbes, d’adages, de comparaisons flatteuses ou de sentences plus déplaisantes. La plupart du temps il s’agit d’anecdotes inventées sur-le-champ mais d’autres fois de faits réels volontairement grossis ou minimisés à l’excès, parodiés à tel point qu’ils sont difficiles à reconnaître. L’humour se doit d’être toujours à fleur de langue, et le but recherché est de provoquer le rire en raillant, dans une convivialité enjouée. Sans crier gare, au hasard d’une rencontre, à l’ouverture d’une réunion ou au moment de la conclure, le Sanankounya jaillit subitement pour détendre l’atmosphère, désamorcer une tension naissante ou simplement se croiser puis se séparer dans une sociabilité gracieuse et bienveillante. Dans l’histoire du Sanankounya en Guinée, l’illustration la plus souvent citée est celle que Peuls et Djakankés se disputent à longueur de retrouvailles. Les Peuls ne manquent aucune occasion de vanter le courage et l’habileté de l’un des leurs, qui, seul et sans la moindre assistance, aurait ligoté 33 Djakankés. Piqués au vif, les Djakankés, « tous marabouts sans exception, ici en 33

Éditions Enda Tiers-Monde, Dakar, 2004

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Guinée et ailleurs dans le monde », ne sont jamais en reste et rétorquent rituellement que la supercherie ne fut rendue possible que grâce aux 33 grains de chapelets de leur propre ancêtre, l’érudit et immortel Karamokoba ! Car seul un de ses talibés, comprenez élève et subalterne, pouvait parvenir à ficeler trente-trois Peuls au bord d’une rivière. Chaque fois qu’ils content l’épisode, Mouctar et Thierno Oumar, tous deux Bah, deux de mes amis et gentilhommes de Dalaba au Fouta-Djalon, s’en délectent malicieusement et précisent que les 33 Djakankés furent bel et bien encordés par un seul Peul, mais que le prodige s’inscrit justement comme une inconcevable prouesse, en vérité ! Dans l’histoire, prodige ou pas, la question que chez nous nul ne pose jamais… est de savoir si un homme seul peut en attacher 33 autres ? Or, personne ne cherche à savoir qui du Peul ou du Djakanké a raison, car ils sont sanankouns. Dans notre meilleur des mondes possibles, il suffit d’en rire. Plus qu’ancienne chez les Maninkas, faut-il rappeler que le Sanankounya remonte jusqu’au temps de Soundjata Keïta ? Le père fondateur de l’Empire du Mandingue le promulgua il y a près de 800 ans, en 1236, par la Charte de Kurukan Fuga, localité aujourd’hui située au Mali, aussi dite Charte du Mandé, qui se répandit très rapidement à travers l’Empire. Oui, avant l’ère de Soundjata notre ancestrale fraternité à plaisanterie avait cours, bien sûr. L’illustre souverain la codifia comme véritable socle d’union fondé sur les droits et devoirs requis entre nos clans. Le Sanankounya fut et conserve une séculaire puissance de relâche et de dédramatisation entre des groupes et des individus autrefois adversaires. Si la fonction facétieuse semble avoir pris le pas sur ses autres ressorts, le Sanankounya est de surcroît à l’origine de puissantes 106

alliances, parfois à caractère sacré et absolument inviolables entre les clans. Prévenant maintes guerres, y recourir nous a prodigué des solutions irremplaçables de paix et de concorde depuis plus de huit siècles. En Guinée forestière, dans les régions de Nzérékoré, de Lola et de Yomou chez les Guerzés, le Sanankounya qu’on appelle « kanala » revêt une dimension essentielle. C’est encore sur sa pratique que se fondent les pactes-intracommunautaires qui régissent et régulent aujourd’hui les relations dans la société. Dans les régions de Kissidougou et de Guéckédou, le Sanankounya fait autorité dans la société. L’emprise en est si vigoureuse que seul un cousin à plaisanterie peut, sans risque et sous les yeux du donneur d’ordre, ôter le sabre, l’arc ou le fusil des mains du bourreau prêt à exécuter un condamné à mort, puis prendre sa place sur l’échafaud, sachant bien qu’il aura la vie sauve, puisque son sang ne peut être versé par son sanankoun. C’est pourquoi le Sanankounya, cette intarissable richesse socioculturelle s’impose comme véritable contre-pouvoir dans les équilibres subtils de notre société. Pour magnifier la sagesse que recèle ce suprême mode de régulation sociale, rappelons le célèbre dicton kissi : « Éloignez-vous de tout pouvoir insensible au Sanankounya ! » Se souvient-on de la légendaire prouesse accomplie par le grand griot guinéen Sory Kandja Kouyaté ? Les présidents Moussa Traoré du Mali et Sangoulé Lamizana de Haute-Volta, (Burkina Faso), se livraient alors une guerre fratricide le long de la bande frontalière d’Agacher, âprement disputée par les deux pays. En 1974, sous les auspices du Président Sékou Touré, par le biais du Sanankounya, dans une version extraordinaire de la geste des braves « Djandjon », il sut leur rappeler l’épisode du pacte d’amitié entre leurs clans 107

respectifs samogo et bambara. Ainsi, cet artiste d’illustre mémoire parvint à réconcilier les deux chefs d’États belligérants. Quand bien même le Sanankounya appartient au patrimoine social propre aux Maninkas, son usage a fait florès sans se circonscrire au seul espace de son socle "ethnique". Il ne se cantonne pas non plus aux échanges inter "ethniques" et a largement rayonné pardelà la Guinée. Comme aux 18è et 19è siècles des « Lumières », en Europe, pour un assaut courtois, on défiait au duel « à fleurets mouchetés », dont l’épée d’escrime était munie à sa pointe d’une protection appelée mouche qui, en le ménageant, servait à ne jamais blesser l’adversaire. Bien d’autres pays africains l’ont en partage et il ne se restreint pas à l’exclusive de notre continent. Sous différents modes et désignations, la pratique s’étend à d’autres communautés, d’autres continents, car son usage dépasse même l’Afrique, pour se retrouver encore jusqu’en Nouvelle- Calédonie ou dans l’océan Pacifique. Entre Français et Belges, entre Normands et Bretons, ce peut être une pratique assez courante finalement, quand bien même elle ne laisse pas transparaître la belle fraternité qui constitue son essence en Guinée ou ailleurs en Afrique. Le Français qui raconte une de ces histoires belges, laisse entendre que ses cousins wallons et leurs concitoyens flamands ne sont pas des plus futés. Le Belge à son tour le lui rend bien et ne cesse de regarder ces bonnes gens de l’Hexagone comme des parangons dans l’art du dédain, de l’empêchement ou de l’embarras en situation limpide, d’éternels vaniteux en mal de fanfaronnade perpétuelle. Et si Wallons et Flamands du « plat pays » devenaient « sanankouns » à leur tour, des frères à plaisanterie, en nous empruntant cette noble tradition qui génère paix et entente ?

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À leur manière, les Allemands l’adoptent aussi en 1955. Quand la marque de véhicules automobiles Citroën lance la berline DS 19 qui présentait une innovation de pointe par son système de suspension hydraulique, les Allemands, sans doute envieux de cette performance, s’empressèrent de railler ces Français, « plus intelligents fabricants du monde », puisqu’ils avaient réussi à construire une voiture qui « cogite » aussi sagement avant de démarrer, persifflage en allusion au long délai que la DS devait prendre pour se soulever sur ses suspensions avant de pouvoir s’ébranler. Le Sanankounya, noble héritage de l’oralité, obéit à des règles assez strictes, fondées sur l’esprit chevaleresque, ou pour utiliser une expression d’aujourd’hui l’esprit de fairplay. Bien observées dans la société, ces règles sont, depuis des lustres, passées dans nos usages. En premier lieu, il y a l’humour. C’est le fondement du duel verbal, d’où l’expression de « fraternité à plaisanterie ». Une deuxième règle à observer : la non-violence. Quel que soit son courroux, il est exclu qu’un homme ou une femme injurie ou vitupère son sanankoun, porte la main sur lui, ou plus grave encore, verse son sang. Le cas échéant, l’auteur jette ainsi l’anathème sur toute sa lignée. Il n’est pas plus licite de s’irriter ou de laisser affleurer la moindre exaspération devant l’aimable défi de son sanankoun. Sur le même ton léger et flegmatique, on se doit de riposter en pimentant et en corsant davantage sa parade. C’est à qui déclenchera le plus de rires, et la « joute » prendra fin dans l’hilarité générale et les embrassades. Ici, il ne peut y avoir ni vainqueur ni vaincu, ce sont des partenaires qui savent étinceler par leur sens de l’humour, pour l’utiliser à bon escient. Dans le respect de la dignité de son sanankoun, on ne peut en aucune manière le blesser. Pour lui-même ou 109

pour autrui, la demande de pardon d’un sanankoun à son « frère » ne peut lui être refusée. S’il implore de pardonner à une épouse ou à un enfant fautif, quelle que soit la gravité, son sanankoun sera dans l’obligation de lui concéder ce pardon. Une autre règle, presque intangible, est celle du vêtement porté par mégarde à l’envers par tout sanankoun. Quand le vêtement est ainsi porté et que son sanankoun le constate, celui-ci jubile aussitôt, il prend l’assemblée à témoin et l’on a dès lors obligation de l’ôter et de le lui offrir, quelle qu’en soit la valeur ou la splendeur. Il existe bien d’autres règles du Sanankounya. Comment énumérer les innombrables plaisanteries entre Keïta et Touré en Guinée, entre Diop et Ndiaye au Sénégal, entre Camara et Sylla au Mali et en Guinée, entre Peuls et forgerons partout où ils se rencontrent ? La seule exception connue aux règles d’humour du Sanankounya a cours dans les pays de traditions mandingues. Une fois l’an, le dixième jour du premier mois lunaire musulman appelé en maninka « djonmendè » et en arabe « tchourar »34, les sanankouns peuvent alors s’affranchir de leurs obligations de tolérance mutuelle. Cette nuit-là, ils peuvent s’autoriser à se chicotter les uns les autres, obéissant ainsi à une pratique appelée « sanankoun gbessi lon » en maninka : « le jour où l’on peut frapper son sanankoun ». Mais, en cette nuit, c’est aussi dans les éclats de rire que les hostilités s’ouvrent puis prennent fin ; d’autant que ce même jour de l’année est encore appelé « baramô la fa lon », où chaque chef de famille est invité à partager un copieux repas avec les siens, dans une atmosphère toujours festive. 34

Ou ‘achoura’ dans les traditions moyen-orientales, cette nuit correspond à la célébration de l’anniversaire de l’exode de Moïse hors d’Égypte et à la fête du Pardon juif.

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Sous forme de plaisanteries innocentes, gaies et douces, c’est un feu d’artifices de dérision et de moqueries, sans intention malveillante, pour décocher les flèches susceptibles de provoquer le rire, de celui même qui est la cible à égratigner. Comme dans le cas du totémisme, par le Sanankounya, des personnes qui ne se connaissent pas ou à peine, ne se sont jamais croisées auparavant, ni n’appartiennent pas à la même "ethnie", deviennent frères ou sœurs le temps d’une rencontre fortuite et parfois au-delà. Assimilation, totémisme et Sanankounya forment trois piliers de soutènement de notre cohésion sociale. Ils articulent de précieux ressorts des mécanismes de régulation et de prévention des conflits dans la société. ou Dans nos relations interpersonnelles intercommunautaires, il nous suffit d’y puiser à satiété. « Il n’y a pas que la raillerie et la plaisanterie d ce cousinage. On ne doit pas faire de mal à un cousin à plaisanterie, on ne doit pas verser son sang ; on n’a même pas le droit de lui faire une injection de piqûre, on doit aide et protection au cousin à plaisanterie. Ainsi, la convivialité est sous-tendue par un échange de bons services ». Djibril Tamsir Niane, 2005. 4. De la Forêt Sacrée Dès l’indépendance de la Guinée, les forêts sacrées furent totalement bannies sur toute l’étendue du territoire de la République. Or cette interdiction par le gouvernement de la première République (1958-1984), s’avéra une erreur sitôt décrétée sans discernement. Telles qu’elles furent présentées à l’époque, les intentions qui la motivaient prétendaient épouser une « irréversible » évolution de la 111

société. De la sorte, on prit hâtivement le risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. Car ce faisant, on bannissait l’écrin d’un patrimoine culturel séculaire qui échappe toujours aux « tendances » du moment. Comme toutes les autres créations humaines, la forêt sacrée aurait naturellement évolué d’elle-même, restant utile à la société, tout en s’adaptant aux nouvelles exigences du temps. Les cultures forestières n’ont eu de cesse de s’ajuster et de s’accorder intelligemment au fil des siècles, nous l’avons vu. Par le gouvernement de la IIème République (19842008), la tentative de rétablissement, tout aussi brutal, de cette aire socio-culturelle fut une nouvelle maladresse. Les intentions qui animaient les dirigeants n’étaient pas plus mauvaises, le manque de préparation des mentalités au retour à ce passé, préalablement et officiellement déclaré comme caduc, ne permit guère plus d’aboutir au but recherché : la réhabilitation des pratiques anciennes. Vingt-cinq longues années écoulées sous le régime précédent, le temps vécu par plus d’une génération dépossédée de la fréquentation de notre forêt sacrée, ont effacé bien des traces qui sont venues à nous manquer. En soi, la forêt sacrée était un marqueur culturel majeur et un précieux conservatoire, une institution fondamentalement africaine. Elle était l’une des composantes cruciales de notre héritage socio-culturel. Elle était une école où l’on enseignait ce qu’était le totémisme, les tabous, l’assimilation, le Sanankounya, l’affranchissement ainsi qu’un très grand nombre d’autres traditions et coutumes. Plus encore, elle était une académie africaine, guinéenne, qui considérait l’éducation comme un processus propre, surpassant l’unique prisme de l’éducation formelle à l’européenne, plus récemment exportée avec le système colonial.

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Aux temps où la forêt sacrée et l’école républicaine de Jules Ferry35 instituée par la France coexistaient et se complétaient durant la période coloniale, elles n’étaient pas antinomiques. Leurs enseignements s’additionnaient. La pédagogie de la première reposait sur une connaissance approfondie de nos valeurs endogènes, de nos codes, de nous-mêmes et de notre milieu, et la méthode de la seconde préparait l’ouverture à l’universalisme. Rappelons au passage que les lois Jules Ferry sur l’école primaire votées en 1881-1882 sous la IIIème République, rendent l’école gratuite (1881), l’instruction obligatoire et l’enseignement public laïque (1882). La loi de 1886 les parachève en confiant à un personnel exclusivement laïc l’enseignement dans les écoles publiques, en lieu et place des instituteurs congrégationnistes. Mais il faut bien se souvenir aussi que le même Jules Ferry déclarait en 1885 à la chambre des députés : « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis- à - vis des races inférieures [...] parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures ». Toujours cette vision « raciale » qui sépare les hommes… En puisant aux sources de nos plus profondes traditions et cultures, nos forêts sacrées exaltaient nos valeurs propres, préparaient nos adolescents à entrer dans 35

Jules Ferry: homme d’État français, plusieurs fois ministre de l’Instruction publique (1879 et 1883), auteur des lois de « l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire ». Considéré comme l’un des pères fondateurs de l’identité républicaine de la France, il a défendu l’expansion coloniale, notamment au Tonkin, en Tunisie, à Madagascar et au Congo contre les conservateurs et la gauche républicaine de Georges Clémenceau.

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la vie adulte par un processus d’initiation riche et complexe, éminemment civilisé, quoi qu’en disent de ‘pseudo savants’ détracteurs des cultures et des civilisations africaines ! Les futurs initiés y apprenaient leurs droits et leurs devoirs mutuels, avant de prendre leur part de responsabilités dans la société de manière pleine, entière et unificatrice. Dans cette longue vision fédératrice, de manière empirique, mais savante, la forêt sacrée dispensait des enseignements sophistiqués dont les contenus éthiques et spirituels portaient, entre autres, sur la solidarité et l’entraide, la courtoisie et la tolérance, les catégories et hiérarchies sociales, l’hospitalité, l’hygiène de vie, la sexualité, la pharmacopée, l’environnement, les signes et les symboles, les sons et leurs significations, les mythes et les réalités, etc. En forêt sacrée, par la sociabilité inculquée et prodiguée, les initiés apprenaient aussi le bien-vivre ensemble. Car dans la retraite de ce semicantonnement, pour surmonter l’épreuve, il faut apprendre à partager avec les autres par un commerce aussi fructueux qu’agréable. L’organisation de la forêt sacrée se structurait autour d’une phase capitale de l’existence, le passage rituel de l’adolescence à l’âge adulte marqué par un événement majeur, la circoncision. On voit aujourd’hui des sociétés occidentales réinventer des « rites de passage » pour combler les carences d’initiation de la jeunesse et répondre à des enjeux d’une harmonie sociétale qui dépérit. Par le passé, en Haute et Basse-Guinée aussi, comme en Guinée forestière, officiaient des dispositifs éducatifs de forêts sacrées ou de cycles initiatiques anciens et finement codifiés. Leur existence dans ces deux régions est hélas moins familière au grand public et 114

souvent trop ignorée de l’étranger, pour n’avoir pas bénéficié des mêmes travaux anthropologiques que la Région forestière. Et ces cycles préparatoires des adolescents pour entrer armés dans la vie d’adulte, j’y fus soumis avec un immense bénéfice que je peux aujourd’hui partager. Dénommées « fafa » ou « fouwa » en maninka, « laga » en sosso et « avop » en baga, comme en Guinée forestière, le processus se déroulait autour de la même période de la vie marquée par la circoncision. À quelques rares différences près, les processus d’initiation reposaient dans les trois régions naturelles sur les mêmes principes et les mêmes fondements. Les pédagogies étaient analogues. Les domaines transmis puisaient aux mêmes sources et dans le même terreau : la vie sociale et le milieu naturel. L’initiation s’y opérait par groupes d’âge. Cycliquement, une famille élargie ou des familles alliées, un village ou des villages voisins, un clan ou des clans alliés, réunissaient les garçons d’une même classe d’âge pour être soumis aux épreuves d’initiation. Ils étaient conduits dans une clairière située à proximité d’une source, d’un ruisseau, d’une rivière ou d’un marigot, et au cœur d’une forêt, généralement choisie pour sa densité ou sa dimension sacrée. La durée incubatrice de la période d’immersion était sensiblement la même dans les trois régions. Après l’avènement et l’implantation de l’islam en HauteGuinée, cette durée fut progressivement écourtée. De deux à trois ans à l’origine, elle variait selon que l’on vivait en zone rurale ou urbaine ; ramenée à quelques mois, elle se stabilisera autour d’environ trois semaines. Chez les Sossos, l’étalon de la phase d’immersion se mesurait à la complète décoloration du bleu d’indigo qui teignait le pagne des initiés, leur « limbi ». Il 115

correspondait sommairement à la phase de cicatrisation des plaies des circoncis que constataient les sévères « séma »36, chefs de « laga » ou de « fafa », maîtres des lieux et instructeurs à la fois. De lignages forgerons, ils étaient réputés détenteurs des secrets de la nature environnante et savamment instruits de la faune, de la flore et des pharmacopées. Selon la région où prenait place l’initiation, variaient les modalités pratiques. En terre mandingue, le passage rituel en « forêt d’initiation » ouvrait à de nouveaux droits. Ainsi, celui de « la première nuit » ou du « bouré la kadi » de maturité sexuelle et celui du port des trois habits de l’homme ou du « kè fani saba ». Ainsi, un garçon au sortir de sa période d’initiation conquérait son viatique pour goûter sa première nuit avec la fille consentante qui lui accordait sa préférence. Gare à celui ou à ceux qui ne trouvaient pas de compagnes cette nuitlà ! Car il était dit de ceux qui avaient l’infortune de la passer seuls qu’ils risquaient de rester longtemps célibataires ou pire, de ne jamais convoler… Un droit parfaitement symbolique puisque ces simulacres de « fiançailles » restaient blancs, sous le strict contrôle de vigies, les mêmes redoutables « sémas ». Le second droit accordé aux jeunes initiés, était celui du port du pantalon, du boubou et du couvre-chef qui affichaient le statut d’homme. Fièrement ils pouvaient en outre laisser pousser leur barbe pour proclamer leur entrée dans l’âge d’homme. Les « trois habits de l’homme » remontent à ces temps anciens et révolus. Jusque dans les années de leur post adolescence, dans certaines sociétés traditionnelles mandingues, les jeunes gens étaient désignés par le vocable de « bilakoro » : non circoncis. Tant qu’ils n’avaient pas été soumis aux épreuves de l’initiation, 36

La dénomination est la même en sosso ou en maninka.

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interdiction leur était faite de se vêtir en adultes. Torse nu, ils ne portaient qu’une bande de cotonnade nouée au côté qui dissimulait leur intimité, une sorte de cachesexe ou « bila » en langue maninka. Lorsqu’ils devenaient des « kèba kôrô », majeurs et hommes initiés, ils étaient autorisés à porter les trois vêtements de l’homme adulte. L’islamisation et la christianisation de nos sociétés, doublées de la scolarisation dans ces trois régions, fit progressivement perdre leurs prérogatives aux forêts d’initiations, leur rigueur et leur caractère sacré. Parallèlement ou concomitamment aux garçons de leur âge, les filles étaient soumises à des épreuves similaires d’initiation au même objectif, la préparation du passage de l’adolescence à l’entrée dans la vie adulte. Si les rites sont différents, la base d’éducation repose sur les mêmes fondements, la solidarité et l’entraide, la courtoisie et la tolérance, les catégories et hiérarchies sociales, l’hospitalité, l’hygiène de vie, la sexualité, la pharmacopée, l’environnement, les signes et les symboles, les sons et leurs significations, les mythes et les réalités, etc. Comme les garçons, les futures initiées devaient apprendre à connaître leurs droits et leurs devoirs mutuels, avant de prendre leur part de responsabilités dans la société. L’initiation des filles, cela s’entend, comportait cependant des spécificités. Selon des critères d’âge, de lignage, de niveau de scolarisation et d’appartenance ethnique, elle durait de quelques semaines à quelques mois. Des savoirs sociaux, agraires ou de guérisons thérapeutiques y étaient dispensés, y compris dans des cycles d’initiations mixtes "èlèkèl" qui avaient cours avant 1954. La déshérence des rites initiatiques a mis fin à ces pratiques

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communes aux cycles d’initiations féminines qui prévalaient par : Une initiation de groupe en ‘forêt sacrée’ ; x x L’usage d’un nom conféré par la société à la place du nom de naissance ; x Une structure hiérarchique établie au sein d’une classe d’âge ; x Un vœu de secret vis-à-vis des hommes et des femmes non-initiées ; x Le socle fondateur d’un groupe cohésif au sein de la communauté ; x Des rites de passage de modes thérapeutiques sur la stérilité, la grossesse et l’accouchement, la divination et l’accès au monde invisible des ancêtres, les chants, les rythmes et les danses, les catégories ou récits ancestraux, et jusqu’au patrimoine foncier de la communauté. Avec l’excision, elles incluaient aussi des pratiques qui perdurent encore aujourd’hui en Guinée et sont désignées sous l’appellation de mutilations génitales féminines (MGF). À la cicatrisation de leurs blessures, les jeunes filles se voyaient instruites en matière de compétences domestiques, agraires, hygiéniques et artisanales, mais aussi initiées pour leur vie sexuelle et aux patrimoines de danse ou de médecine qui leur étaient transmis . La transformation morale de l’initiée, d’enfant en adulte, se déroulait en trois étapes (novice → vierge→ femme), marquées par des apparitions publiques, notamment lors d’une traversée figurée de l’eau, royaume des ancêtres. Nos jeunes filles émergeaient de la forêt vêtues de leurs plus beaux atours et portant de nouveaux noms qui témoignaient de leur entrée dans l’âge adulte et de leur rang dans la hiérarchie de la société rituelle. 118

L’archevêque de Conakry et l’imam de la grande mosquée de Conakry ont tous deux pris fermement position contre nos antiques pratiques d’excision. Aujourd’hui des cérémonies alternatives de passage de l’enfance à l’âge adulte sont promues en nouvelle norme sociale par des professionnels de santé en Guinée, afin de prévenir les séquelles sanitaires et les effets tragiques, voire mortels, de ces mutilations sur nos jeunes filles. Toujours plus nombreuses, des cérémonies d’abandon de l’excision communautaire se déroulent également dans la région de Conakry, de Guéckédou ou de Kissidougou en particulier, ainsi que des interventions ou simulations en milieu hospitalier, sous strict contrôle médical, à l’initiative éclairée des familles elles-mêmes. La complémentarité des rôles féminins et masculins pourrait être promue dans ces nouvelles formes d’initiations. Dans certaines sociétés coutumières, à l’issue du cycle initiatique, une classe d’âge successivement masculine, puis féminine, alternaient à la tête de la gouvernance politique et rituelle de « la terre » (du monde naturel et surnaturel) pour des périodes de trois et quatre ans, respectivement. Le legs transmis édictait des règles entre village (espace public) et forêt (espace secret), entre le temps ancestral (sacré) et le temps présent (profane). D’autres récits rapportent que ces sociétés féminines peuvent promouvoir un pluralisme religieux en association rituelle, qui invite à envisager le rôle des femmes dans la pratique et la transmission religieuses ainsi que leur capacité à parfois contrebalancer le pouvoir des hommes. Elles soulignent la nécessité de la continuation de pratiques rituelles de fidélité aux ancêtres, sans pour autant remettre en question la légitimité des pratiques musulmanes ou chrétiennes.

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Au plan politique, social ou religieux, les femmes constituent aujourd’hui des forces sociales émergentes en Afrique et singulièrement en Guinée. Ces cycles d’initiation revisités peuvent leur permettre de faire entendre leur voix dans l’espace social et politique. La forêt sacrée, institution ancestrale qui vécut et nous éduqua solidement des siècles durant, a laissé son empreinte profonde dans notre société guinéenne. Nos sociétés ou classes d’âge, « sèdè » ou « karis » en langue maninka, continuent d’exister en HauteGuinée, parfois même de s’épanouir de manière transversale dans tout le pays, elles appartiennent à cet héritage. Les condisciples d’une même promotion d’initiation ou de circoncision forment avec les femmes de leur génération une « confrérie », nos actuels « sèdè » ou « kari ». Essentiellement fondées sur l’entraide, ces associations entreprennent des actions utiles à la communauté dans laquelle vivent leurs membres. Ensemble et solidairement, ils entreprennent des travaux d’intérêt public, assistent les personnes vulnérables, et participent aux rituels sociaux de leurs affiliés : baptêmes, mariages, célébrations ou funérailles. Selon l’éthique de partage qui leur fut enseignée dans leurs confréries issues de notre forêt sacrée. Notre « forêt sacrée » conserve toute sa puissance aujourd’hui, y recourir en la repensant nous réconcilie avec notre passé, resserre nos rangs et retisse des liens qui soudent tous les Guinéens autour d’une Guinée indivisible. 5. De la noix de kola : fruit d’intégration & de concorde De l’aire soudanaise au Golfe de Guinée, la kola est une denrée agricole d’intense négoce, de transaction marchande et de médiation profane ou sacrée, de 120

courtoisie coutumière et de pharmacopée. Durant l’ère coloniale entre 1895 et 1960, stratégique dans une approche de géopolitique régionale, son dynamisme ancien a continué de relier forêts et savanes, populations forestières et soudanaises, malgré l’arbitraire des contraintes politiques et territoriales de l’ère coloniale. Rente économique et bienfait social Fruit du kolatier, arbre (sterculiacées) d’Afrique tropicale, la kola croît à foison sur nos terroirs les plus fertiles de Guinée forestière et de Basse-Guinée, de meilleure pluviométrie. Consommée dans toute la zone soudanaise qui n’en produit pas, c’est le seul stimulant admis par l’islam et sa fonction occupe une place centrale dans les rituels sociaux de don, d’accueil, ou de dot. Avant les désastreuses déforestations qui ont sinistré notre continent au cours des premières décennies du 20è siècle, le kolatier était planté un peu partout dans les autres régions naturelles de la Guinée. Sa culture étendue par la colonisation française et encouragée par l’administration pour en capter le profit par la taxation, elle prospérera à la création de nouvelles routes de commerce. Il existe plusieurs variétés de kolatier. La variante guinéenne est formée de deux cotylédons, tandis qu’au Nigeria la noix compte parfois trois ou quatre lobes. Ses couleurs sont essentiellement le blanc — annonciateur de bonheur et de bonnes nouvelles — ou le rouge — présage de malheur ou de mauvais augures. Plus rarement rose ou verte, de forme oblongue et régulière, son aspect parfois torse ou biscornu peut alerter et codifier des usages plus spécifiques. Dans les traditions forestières et mandingues amplement partagées par les autres ‘ethnies’ guinéennes, la noix de kola est porteuse de symbole millénaire et 121

central dans la société. Médiatrice de paix et de concorde, la kola est le fruit qui fédère les hommes et leurs communautés. Elle englobe un langage codifié, transculturel, maîtrisé par les griots et autres émissaires – dont les « neveux » du régime matriarcal en Région forestière — truchement essentiel dans mille circonstances : des plus courantes aux plus délicates, en passant par les occasions les plus heureuses ou décisives de la vie sociale. Des usages aussi variés perpétuent un rôle majeur de rapprochement qui sauvegarde et cimente la bonne entente dans la société. Courtoisie, code et langage Socialement, la kola matérialise la vertu cardinale d’hospitalité. Elle est offerte à l’étranger accueilli dans la famille en geste de bienvenue. En l’occurrence, ne pas la recevoir peut signifier qu’on est importun ou perçu comme insignifiant par ses hôtes. Les noix offertes aux invités de marque sont méticuleusement triées et sélectionnées parmi les plus grosses et les plus blanches. — Deux amis ou deux amants peuvent la partager pour se prêter un serment de fidélité. — La kola sert d’offrande première dans les transactions maritales. Déposée par un émissaire — griot, cousin ou neveu de filiation maternelle, en Région forestière — la demande et son agrément par les parents officialisent les futurs liens matrimoniaux. Pour solliciter la main d’une promise, dix noix de kolas blanches de bon calibre et qualité sont offertes. Le retour des kolas en l’état objecte un refus de la demande. À l’opposé, présenter quarante noix rouges à la belle-famille vaut répudiation ou demande de divorce. — La kola fait office de faire-part ou d’invitation dans la plupart des rituels sociaux : annoncer une naissance, un 122

baptême, des cérémonies d’initiation ou de conciliation, des noces… Dix noix blanches sont requises. Ne pas les recevoir signifie qu’une présence n’est ni désirée, ni valablement estimée par la famille invitante. — Recevoir ou envoyer neuf kolas rouges annonce un décès ou présente des condoléances. Dans nos pratiques sociales, aucun autre produit ne saurait faire concurrence à la noix de kola, par le besoin qui s’attache à sa saveur unique et aux bienséances comme aux vertus spirituelles qui lui sont conférées. La kola, autrefois monnaie d’échanges, est une denrée marchande prisée de toute l’Afrique occidentale et de nos diasporas de par le monde. Les grands marchands qui en font commerce peuvent en tirer d’immenses fortunes. Dans les pays producteurs, elle constitue l’archétype de l’offrande prodiguée aux dieux et c’est sur elle que l’on prête serment en gage de confiance — notamment dans les alliances inter ‘ethniques’. Médiation spirituelle, pharmacopée et pacte sacré Dans le domaine de la divination, la kola constitue une véritable manne pour nos chamans, marabouts et autres tradipraticiens. Dans les rituels divinatoires, les lecteurs de symboles recommanderont d’en offrir un certain nombre en dévotion, précisant couleur ou forme, pour attirer sur soi des oracles favorables ou solliciter la défaveur sur un rival. La cueillette de la noix de kola commence en décembre/janvier, le fruit loge dans des cabosses oblongues dont chacune contient huit à dix amandes de 10 à 30 gr. Ses éléments chimiques sont composés d’un alcaloïde particulier : la kolatine (forme de caféine à haute teneur) et de théobromine qui en font un tonique cardiaque qui optimise la tension artérielle. La noix de kola est donc

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utilisée comme un stimulant des performances cognitives, cérébrales, ou physiques. Les chauffeurs routiers, pour améliorer leur vigilance au volant lors d’un long périple, les étudiants pour se tenir en éveil en période de révision intensive, et ceux qui — privés de sommeil — souhaitent aiguiser leur concentration ou fouetter leur résistance, tous la croquent et la mâchent à satiété. On lui prête même des vertus aphrodisiaques. Grande facilitatrice dans la vie quotidienne, la kola obéit à d’autres fonctions majeures. Instrument de validation pour sceller des serments, des témoignages, des accords, des pactes, des traités entre des clans, des tribus, des peuples à travers leurs souverains et jusqu’entre des chefs en conflit armé, pour mettre un point final et définitif à une querelle et ratifier la paix. En ces circonstances, le geste de briser une noix de kola, d’en séparer ses lobes et de la scinder en morceaux, s’en partager les portions pour les croquer et les mastiquer aussitôt, vaut engagement solennel et sceau au bas d’un contrat moral. La kola joue un rôle social et économique tellement important en Afrique de l’Ouest qu’elle fait l’objet de nombreuses études et thèses dans les plus prestigieuses universités. En témoigne entre autres, l’excellente thèse de doctorat de l’universitaire sénégalais Brahima Ouattara, sous la direction du professeur Boubacar Barry à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar en 2010. « Le Commerce de la kola dans les territoires de l’A.O.F: 1881-1960 » puise dans les travaux du Pr. Paul Lovejoy de l’Université de York (Toronto). Ce distingué historien canadien éclaire le rôle-clé joué par la kola dans l’Histoire économique de l’Afrique de l’Ouest, mettant en relations commerciales réciproques les pays producteurs : Bénin, Côte d’Ivoire, Gambie, 124

Ghana, Guinée, Guinée- Bissau, Liberia, Togo, Nigeria, Sierra Leone, Sud Sénégal (Casamance) et les savanes septentrionales, du 15è au 20è s. Selon le Pr. Lovejoy, le commerce de la kola a constitué cinq siècles durant un facteur instrumental du rapprochement des populations puis des nouveaux États, avant la création de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), comme l’un des secteurs ou l’intégration économique et socio-culturelle s’avère la plus réussie. Du Sahara à l’Atlantique, de la Mauritanie au sud du Nigeria, on attache à ce fruit des vertus mystiques. Élément fédérateur d’offrande ou de dot, d’oracle ou d’ordalie, son commerce reste un puissant facteur de rapprochement civilisationnel, de stabilité, de dialogue et d’intégration des populations, la noix de kola — parfois par emprunt culturel — a tissé et soude des liens séculaires entre nos ‘ethnies’, nos réseaux familiaux, nos espaces et nos terroirs.

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Mutations politiques et administratives 1. De l’équilibre des pouvoirs Des mutations significatives et plus récentes procèdent des sphères politiques et administratives et s’inscrivent toujours dans le sens d’une plus grande cohésion sociale. Dans notre quête de cohésion, essentielle au maintien et au renforcement de l’unité nationale, les régimes politiques et gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays ont recherché l’équilibre "ethnique" dans la nomination des cadres aux postes administratifs, selon un arbitrage tempéré de partage des pouvoirs. Ainsi considérée comme stratégiquement « sensible » pour la consolidation de l’État, la répartition des fonctions de haute administration publique obéit à une règle non écrite de sauvegarde de l’équilibre des pouvoirs entre ‘ethnies’. Depuis l’aube de la République, sous la Présidence de Sékou Touré, l’attribution du « perchoir » à la tête de notre Assemblée nationale, les nominations au poste de Premier ministre, de présidents de notre Cour Constitutionnelle, de notre Conseil Économique et Social, de notre Cour des Comptes, de la Haute Autorité de la Communication, ou encore à la tête de la Grande Chancellerie, inclinent à une répartition équitable des pouvoirs entre nos ‘ethnies’ respectives. Sauf à de rares exceptions, de la première République jusqu’à nos jours, il est en effet notoire que le président de la République ne nomme pas une personne de sa propre ‘ethnie’ comme Premier ministre, ni à la présidence de l’Assemblée nationale, même quand son parti recueille la majorité des suffrages. 127

Également, doit-il prendre soin de répartir assez équitablement les portefeuilles ministériels, notamment régaliens même si cette circonspection ne fut pas toujours scrupuleusement observée, hélas. Sans qu’aucune disposition constitutionnelle ou législative ne le requiert formellement, un usage éminemment républicain progressivement établi semble faire « jurisprudence ». Une sorte de consocionalisme à la libanaise qui tait son nom, s’agissant ici d’"ethnies" et non de confessions religieuses, et que l’attribution de ces premières responsabilités n’est bien sûr ni figée, ni « réservée ». Elle est le corolaire de l’appartenance ‘ethnique’ du président de la République qui peut être issu de chacune de nos régions naturelles. Ainsi, au premier rang des cérémonies officielles d’État, l’usage veut que s’alignent nos quatre principales "ethnies" ou régions naturelles, incarnées par : le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le président de la Cour Constitutionnelle et le président du Conseil Économique et Social. Restant entendu que dans ce savant équilibre, la Région forestière se voit assimilée à une ‘ethnie’ et que de ce fait le choix peut pareillement se porter sur un Toma, sur un Guerzé, comme sur un Kissia. Lors d’une cérémonie ou de tout acte officiel, l’image forte et rassurante de personnalités issues de nos quatre "ethnies" ou de citoyens des quatre régions naturelles aux quatre premières places protocolaires ne doit cependant pas devenir l’arbre qui cache la forêt. De l’indépendance à nos jours, nos différents régimes politiques, nos différentes républiques ont-ils réussi à faire du partage du pouvoir un fidèle baromètre d’équité ? Malgré des efforts louables accomplis par les uns et les autres, difficile de répondre positivement à cette

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question, car la balance a, parfois légèrement, parfois plus fortement penché du côté du chef de l’État. Or, cette recherche d’équilibre des pouvoirs doit se manifester visiblement à tous les degrés, depuis l’échelon de la plus petite administration jusqu’au sommet de notre État. En miroir, offrant aux citoyens une plus juste perception des pouvoirs publics, c’est cette visibilité qui consolide durablement l’unité nationale. Le déséquilibre ostensible peut ouvrir la voie à l’enfermement communautaire et générer des conflits. C’est pourquoi nos présidents de la République doivent en faire une exigence de tous les instants. La concentration des ministères régaliens ou d’un nombre prépondérant de ministères entre les mains d’une seule ‘ethnie’ lance aussitôt un signal de division aux autres ‘ethnies’. Cet indice, clivant s’il en est, reste aisé à réformer, car il est à la source d’amères frustrations. Muettes ou invisibles, dangereusement, elles peuvent saper et fragiliser notre cohésion nationale. Jusque dans son hameau le plus reculé, à tout moment, chaque Guinéen doit éprouver que le gouvernement de la République est bien le sien, qu’il s’y trouve justement représenté par ses pairs, et s’en réjouir à juste titre. Ce qui est vrai de notre diversité ethnique, l’est tout autant de la parité homme-femme qui n’est malheureusement jamais respectée, quel que soit le régime en place. La règle relève au mieux d’un vague saupoudrage de circonstance qui s’attache plus au symbole qu’à l’effort d’un équilibre des genres et des capacités de la moitié de la population guinéenne. En dépit de toutes les mutations justement revendiquées par les femmes et de toutes les promesses politiciennes proclamées en retour, la composition des gouvernements

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successifs et de la représentation nationale ne satisfait pas à cette exigence impérieuse. Cela semble relever d’une rétrograde obstruction masculine qui se refuse obstinément à évacuer nos mentalités au 21è s. Évincer l’intelligence, la compétence des femmes, leurs immenses capacités et leur complémentarité avec les hommes, c’est décidé de se priver de plus de 50 % du potentiel de notre société. Une volonté politique puissante, déterminée et soutenue doit engager résolument cette parité indispensable au développement accordé et intégral de la Guinée. Par la même puissance volontariste, courageuse et énergique, la transformation graduelle de la société, avec la scolarisation intégrale des filles et la lutte contre les mariages précoces ou forcés, contribueront à atteindre cet objectif galvanisant. L’espoir est cependant permis. L’esprit d’un changement s’annonce aussi bien au plan de l’exécutif que du législatif. Les nombreuses nominations de femmes régulièrement effectuées par l’actuel chef de l’État, le professeur Alpha Condé, et les fortes dispositions prévues par l’Assemblée nationale vont dans le sens d’un meilleur équilibre femmes/hommes dans l’exercice des pouvoirs. Non seulement la représentation féminine est en augmentation sensible aux postes de responsabilités, mais les Guinéennes se voient plus souvent appelées à occuper des fonctions importantes, voire stratégiques : ministre de l’énergie, ambassadeurs auprès de grands pays partenaires, représentantes permanentes d’organisations internationales comme l’Organisation des Nations Unies, l’Union Africaine, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest, sans compter les directions générales d’infrastructures comme le port autonome, l’un des poumons économiques du pays. 130

Toutefois, dans ce domaine du genre, le fossé reste à combler. L’horizon de la pleine parité est encore lointain. L’équilibre des pouvoirs dans toutes ses composantes ne peut être le fait des seuls chefs d’États, il doit devenir un pacte républicain solennel, fruit d’un dialogue incluant toute la classe politique et la société civile guinéenne avec elle. 2. Des pistes et propositions pour débattre L’État peut et doit vigoureusement impulser l’avènement de transformations positives, progressives au sein de la société et garantir leur poursuite de génération en génération. Une action affirmative et incitative En adoptant des offres incitatives qui accordent des atouts aux couples mixtes issus d’"ethnies" différentes, l’État peut exhorter la jeunesse et placer la population sur l’essentiel chemin d’une meilleure entente nationale. À compétence égale, les conjoints de couples mixtes pourraient se voir offrir de salutaires opportunités d’action affirmative lors des nominations dans l’administration publique. De même, dans l’attribution de logements de fonction, l’attribution foncière de parcelles par l’État ou d’autres avantages dans les secteurs de l’habitat, de l’éducation et de la formation, de la santé ou des transports. L’élan naturel vers les unions mixtes inter ‘ethniques’ doit pouvoir s’épanouir librement dans les sentiments réciproques et sincères et sous la protection des dispositifs de l’État qui servent l’esprit d’une affirmation de diversité positive bien pensée. Pour marquer la mixité d’origines et l’encourager, on pourrait réglementer une refonte de l’état-civil, dotant les enfants nés de couples mixtes, de doubles noms de familles combinant le nom du père et de la mère. Ainsi, 131

aurions-nous : Alassane Barry — Kaba, Mamadouba Guilavogui — Soumah, Fatoumata Camara — Sow, Elizabeth Keïta-Koundouno, Bountourabi Doualamou — Bangoura ou Saïdou des Millimono — Bah etc. Pour une parité intégrale, ce mode s’étendrait peu à peu à tout l’état-civil guinéen. Aménagements communautaire

pluri

« ethniques »

de

vie

Les services de l’État peuvent et doivent œuvrer à l’aménagement de nouveaux pôles urbains, notamment à Conakry et dans nos plus grandes agglomérations. La construction de tels lotissements ingénieux visera la mixité par le bon voisinage de citoyens d’‘ethnies’, de cultes et d’origines différents. Dans ces quartiers ainsi conçus, les femmes feront leur marché côte à côte, en proximité ; les enfants étudieront ensemble à l’école et s’ébattront sur les mêmes aires de jeux ; les croyants pourront se recueillir et prier ensemble dans les lieux de culte communs et ouverts à toutes les confessions ; les institutions administratives pourront coordonner une action cohérente en tenant régulièrement conseil sur les questions partagées d’habitat, d’énergie, de voierie, de communauté éducative, cultuelle, sanitaire, culturelle ou commerçante de quartier. Ces habitats aménagés auront vocation à fraterniser, au bénéfice de la communauté nationale. Une telle politique préviendra la ghettoïsation de quartiers entiers, comme celui de « gnari-wada » (« chats sauvages ») dans la banlieue de Conakry, où la loi de la République ne s’applique pas. Une telle action publique déjouera la formation d’autres dangereuses enclaves de non-droit ou « hors-la-loi » dans nos villes, pour contrecarrer la cristallisation de véritables poudrières qui

132

couvent aujourd’hui Conakry et d’ailleurs.

dans

certaines

communes

de

Collectifs éducatifs et service de diversité civique Nos gouvernements auraient également vocation à redéployer des internats ruraux accueillant des élèves et étudiants de toutes les ‘ethnies’ venant des quatre coins du pays, depuis toutes les régions naturelles. Notre vivre-ensemble si menacé est à ce prix ; il refonde des collectifs éducatifs, à la fois généreux et exigeants, pour permettre aux enfants, filles et garçons, aux élèves et aux étudiants de s’émanciper de l’étroit cocon familial, de se mieux connaître et de s’ouvrir aux autres, de nouer de riches liens d’amitié, de circuler et de s’élancer vers d’autres horizons pour mieux embrasser et aimer notre extraordinaire diversité articulée à toutes nos similitudes séculaires. Hommes et femmes de plusieurs générations, nous avons partagé la primeur de nos vies avec tant d’autres camarades en internats, nous pouvons témoigner de l’immense bénéfice que nous en avons tiré, en plus des liens de solides amitiés, de fraternité et d’affections noués à travers tout notre pays, où nous sommes partout bienvenus. Dans une telle perspective, l’État dispose de l’autorité d’affecter tout sortant des institutions scolaires, des filières professionnelles et des cycles supérieurs, hors de son terroir d’origine pour un engagement à déterminer — une forme de contrat de service civique sous tutorat ou mentorat — afin d’acquérir une autre langue guinéenne, de s’imprégner d’autres us et coutumes, de baigner dans nos autres cultures pour se les approprier, en un mot de s’immerger totalement dans notre creuset de diversités. Quitte à rencontrer une âme-sœur et envisager de fonder un foyer mixte, le cas échéant. 133

Promotion du bilinguisme et plurilinguisme Les six principales langues du pays : kpwèlè, lomagwé, kissié, pular, sosso et maninka, constituent un trésor et l’un des principaux vecteurs d’interconnaissance, d’intercompréhension et de rapprochement entre nous ; l’État devrait en inscrire la pratique dans les programmes scolaires, par niveaux et par cycles, de l’école primaire à l’Université. Dans un futur envisageable à moyen terme, cette volonté pourrait s’étendre aux grandes langues africaines, au service de l’intégration sous-régionale, puis africaine. Pour prévenir les impasses qui ont provoqué par le passé l’échec de l’enseignement des langues et dans les langues de notre pays, des études approfondies et des phases d’expérimentation précèderont et se dérouleront parallèlement à la préparation des manuels d’apprentissage, du matériel didactique et des guides pédagogiques afférents. Le but ne sera en aucun cas de remplacer le français dans l’enseignement. Car notre langue officielle et de communication avec le reste du monde est devenue par sa transversalité un précieux support de bilinguisme dans un contexte mondialisé. Nos pratiques linguistiques permettent l’apprentissage des principales langues nationales à l’école. Les uns apprendront la langue des autres. La voie royale du rapprochement. Pour susciter le débat Dans l’exaltante entreprise qui nous engage contre ce « péril en la demeure Guinée », les risques de fractionnement et de deuils fratricides, tous et chacun, nous ne pouvons nous satisfaire de quelques demimesures cosmétiques. C’est un travail en profondeur et de longue haleine qui nous convoque au cœur et au service de notre société qui l’exige pour se perpétuer.

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Pour qu’un tel travail porte ses fruits, il doit nécessairement s’inscrire sur la durée et s’appuyer sur l’école de la République. L’éducation civique, morale et citoyenne orientée vers l’idéal d’une nation une et indivisible doit être le socle de cette école. Dans notre tradition séculaire de concertation et de consensus, les programmes doivent se fonder à la fois sur nos valeurs partagées par toute la société guinéenne et sur la pierre angulaire de l’humanisme universel, bien commun à tout le genre humain. Partant de ces analyses qui font retour sur le fait "ethnique" en Guinée, ici considéré comme schéma originel, nous faisons le pari fondé que ce contexte — parfois aiguillonné par d’autres intérêts de court terme — ne peut être vécu ni comme une fatalité, ni comme un obstacle infranchissable dans l’élan dynamique de la Guinée vers une plus grande cohésion nationale et l’unité de notre nation. Tous et chacun avons le stratégique devoir de faire de nos différences des ressources toniques et inclusives pour aiguiser la conscience de notre unité et étoffer notre éthique du partage, dans l’harmonie, chaque jour un peu plus. Nos élites, nos leaders politiques, notre société civile, nos faiseurs d’opinion, en un mot les hommes et les femmes avertis ou « instruits », doivent porter une conscience aiguë des responsabilités qui nous incombent, du rôle qu’il nous faut jouer pour consolider notre commune volonté de nous perpétuer par la sauvegarde et la promotion de la cohésion et l’unité nationale.

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II LE PHÉNOMÈNE PARTISAN

1. À la fin de l’ère coloniale Comme énoncé à l’ouverture de cet essai, au regard de nos civilisations séculaires, le phénomène partisan est, lui, d’apparition plus récente. Il ne date cependant pas, comme on pourrait le croire, de la conquête de l’indépendance de la Guinée, encore moins de notre vie politique actuelle. Il les précède. C’est à la fin de l’ère coloniale que ce concept prend naissance et commence d’être utilisé par une couche de la société guinéenne. Dès son commencement, ce phénomène partisan prend racine dans des structures à caractère régional plus que dans des communautés à coloration ‘ethnique’. Car les dénominations affectées aux premières associations d’obédiences politiques bâties sur le territoire durant la période coloniale n’étaient clairement pas de nature à épouser cet aspect. C’est à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, après la victoire des Alliés — États-Unis d’Amérique, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et Irlande du Nord, Union des Républiques Socialistes Soviétiques et France — contre les « forces de l’Axe » : Allemagne, Italie et Japon, que la loi constitutionnelle promue en 1945 par la métropole française accorde la liberté d’association aux colonies françaises, parmi d’autres avancées démocratiques notables. Sur notre territoire de Guinée française, sitôt conquise cette liberté, une bonne cinquantaine d’associations s’engouffrait dans la brèche, dont les quatre principales :

-

Le Comité d’Union de la Basse-Guinée ; L’Union Mandé pour la Haute-Guinée ; L’Union de la Guinée forestière ; L’Amicale Gilbert Vieillard pour la Moyenne-

Guinée. 139

On peut se demander pourquoi l’association de MoyenneGuinée fut dédiée à un étranger, Gilbert Vieillard, de surcroît fonctionnaire français de l’époque coloniale ? Ce personnage fascinant mérite une brève parenthèse, car, à sa manière, il appartient à l’Histoire moderne de la Guinée, autant comme acteur de la vie sociale que comme anthropologue, ethnologue, sociologue, linguiste et écrivain. Gilbert Vieillard (1899/1940)37 a servi durant les années1930 dans plusieurs localités du Fouta-Djallon, désignées à l’époque sous l’appellation de « cercles administratifs ». Dans le cadre et au-delà de ses fonctions, il s’est constamment passionné pour les habitants de cette région, au point d’avoir réclamé cette affectation, dit-on. Son aspiration était moins d’administrer que de poursuivre son travail de terrain en anthropologie sociale et culturelle. Il l’avait débuté au Niger, autre colonie française peuplée de la même ‘ethnie’ peule, où il avait entrepris ses premières recherches avant sa nomination en Guinée. Au cours de son séjour, il se fit muter de cercle en cercle en Moyenne-Guinée, nouant de solides amitiés dans toutes les couches de la société, des plus humbles aux têtes couronnées. Ainsi, bien intégré au sein du corps social de la région dont il parlait parfaitement la langue, il écrivit de nombreux essais sur la culture, les mœurs, les us et coutumes, le mode de vie, l’Histoire des habitants. Dans ses écrits, enquêtes, récits et traductions, il n’hésitait guère à rapporter les points de vue parfois critiques de ses interlocuteurs, celui des 37

Gilbert Vieillard, Récits peuls du Macina et du Kunari. Bulletin du Comité d’Études historiques et scientifiques de l’Afrique Occidentale Française, T. XIV, 1931 ; Notes sur les coutumes des Peuls au Fouta-Djallon [sic], Paris Larose, 1939, (Comité d’Études historiques et scientifiques de l’A.O.F., série A, n° 11).

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colonisés donc, sur le système colonial. Cette démarche et cette posture originales éclairent le choix de son nom pour baptiser la toute première association à caractère politique du Fouta-Djalon. Refermons cette brève parenthèse, en notant au passage que les leaders politiques guinéens d’alors, n’osaient encore franchir le pas d’adopter le nom de « partis » pour leurs formations, qui en portaient pourtant déjà toutes les caractéristiques. Précaution, censure ou simple crainte de se voir aussitôt interdits, l’appellation d’associations, biaisée par la férule coloniale, demeurera longtemps dans le lexique des hommes politiques de l’après-guerre. En plus de ces quatre principales associations, bien d’autres écloraient sur le territoire, notamment dans le cheflieu de Conakry. En effet, en Basse-Guinée seulement, en naîtront plus d’une dizaine dont plusieurs sises dans les îles de Loos, au large de Conakry. Suite à la conquête effective de la liberté d’association, une nouvelle loi constitutionnelle autorise chaque colonie française à élire un député pour la représenter. Yacine Diallo, un Peul natif de Toulel Nouma vers Thianguel Bori dans la région de Lélouma au Fouta-Djalon, fut le premier à occuper le siège de la Guinée à l’Assemblée nationale française, au Palais Bourbon. Il reçut l’unanime soutien de toutes les ‘ethnies’ du pays, en particulier à Conakry et en BasseGuinée plus encore que dans sa région natale. De l’ère coloniale à nos jours Yacine Diallo demeure le plus illustre de tous les Guinéens élus à la députation. Pendant de longues décennies, ce nom Yacine Diallo incarnait celui de député. Dans l’esprit des populations, son nom et sa fonction étaient synonymes. À l’unisson, dans la conscience collective, et pendant longtemps, le député c’était Yacine Diallo. 141

Par une accélération de l’Histoire, le 13 mars 1946 (Décret n° 46.432), une nouvelle loi est votée en métropole qui double le nombre de députés dévolus à chaque colonie. Yacine Diallo, et Mamba Sano, un Maninka natif de Kissidougou en région forestière, sont élus. En l’absence de formations portant officiellement le statut de partis politiques à proprement parler, c’est sur ces associations que s’appuient les candidats aux élections pour faire campagne et recueillir des suffrages. Ces embryons des formations politiques de la colonie cherchent peu à peu à bénéficier de l’appui et de la protection des partis de la métropole en s’y affiliant, devenant trop rapidement des formes d’excroissances partisanes issues, pour l’essentiel, du Parti communiste, du Parti socialiste et du Parti radical français. À la faveur de l’évolution poursuivie en 1946, prenant appui sur ces associations, les plus nombreuses en Basse-Guinée particulièrement, Fodé Mamoudou Touré, premier licencié en droit du territoire, crée un parti politique en bonne et due forme, dénommé le Parti Progressiste Africain de la Guinée (P.P.A.G). C’est le tout premier parti politique du territoire. Contrairement à une idée encore trop répandue, le PPAG a précédé toutes les autres formations dans l’arène politique guinéenne. À l’invitation de l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny, ce sont toujours les mêmes « associations », avec le PPAG de Fodé Mamoudou Touré et d’autres entités issues d’un embryon de société civile, qui désignèrent chacune en leur sein, un délégué pour créer à Bamako un parti d’envergure panafricaine, le Rassemblement Démocratique Africain (R.D.A), relayé par une section dans chaque colonie d’Afrique de l’Ouest. À savoir : 142

Le Comité d’Union de la Basse-Guinée ; L’Union Mandé ; L’Union de la Guinée Forestière ; L’Amicale Gilbert Vieillard L’Union des Métis ; Le Parti Progressiste Africain de Guinée ; Le Mouvement de la Réforme Démocratique ; Et le Groupe d’Études Communistes, auquel appartenaient secrètement le militant syndicaliste Sékou Touré avec certains de ses camarades qui deviendront ses compagnons de route. Lors de la fondation du RDA, cette apparence d’unité naissante de la jeune classe politique guinéenne ne résistera guère aux divers appétits qui s’aiguisent pour conquérir le leadership. Un an plus tard seulement et dès 1947, naît la section guinéenne du RDA, le Parti Démocratique de Guinée (P.D.G). Suivront le Bloc Africain de Guinée (B.A.G) de Diawadou Barry et le Mouvement Socialiste Africain (M.S.A) d’Ibrahima Barry, dit Barry III, tous deux issus de l’Amicale Gilbert Vieillard. Le MSA, devenu par la suite la Démocratie Socialiste de Guinée (D.S.G), fusionnera avec le BAG sous l’égide de Léopold Sédar Senghor du Sénégal, pour former un seul parti. Après cette fusion qui fit long feu, les anciens leaders de la Démocratie socialiste de Guinée et du BAG s’entendront avec d’autres leaders africains pour créer, à l’image du RDA, une formation d’ambition sous-régionale pour l’Ouest africain, le Parti du Regroupement Africain (P.R.A.). Cet ensemble de partis regroupés au sein d’un seul voulait contrebalancer l’influence grandissante du RDA sur le terrain dans la lutte pour l’émancipation africaine. À la veille de l’entrée d’Houphouët-Boigny au gouvernement Coty en France, comme ministre délégué, puis ministre d’État, la section guinéenne du RDA, le PDG, commença de s’émanciper de la tutelle de 143

sa matrice. Avec l’ascension de son fondateur dans la hiérarchie politique française, elle jugeait que les orientations du RDA se tournaient peu à peu vers la France. En gestation, l’idée du combat pour une égalité des colonies avec la métropole se préparait à éclore dans les esprits. L’événement de 1956, c’est la nomination de Gaston Defferre au poste de ministre de la France d’outre-mer au cabinet Guy Mollet jusqu’en 1957. Homme politique, militant socialiste de la première heure, résistant de la Deuxième Guerre mondiale, député puis sénateur, il reste plus connu comme maire de la ville de Marseille. Deferre contribuera fortement à l’accélération du processus d’évolution démocratique dans les colonies. Ainsi, le 23 juillet 1956, il défend et fait voter la LoiCadre qui porte son nom. Ce dispositif législatif d’envergure va profondément bouleverser le statut des territoires de l’Union française en leur octroyant une large autonomie vis-à-vis de la métropole38. En application de cette loi, sont mis en place des conseils de gouvernement, ou exécutifs locaux élus au suffrage universel. Le Gouverneur de la France préside ce conseil de gouvernement, tandis que le chef élu du parti majoritaire de la colonie occupe le poste de viceprésident. En Guinée, la victoire du PDG, section guinéenne du RDA aux élections de 1956, propulse Sékou Touré, secrétaire général de ce parti, à la viceprésidence du Conseil. Le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 sonne l’heure d’un autre événement déterminant. À la 38

Malgré ces avancées, Senghor dénoncera le spectre d’une balkanisation africaine qu’augure cette loi qui, selon lui, impute un émiettement des territoires, réduisant tout espoir de regroupement unificateur. En effet, cette Loi-Cadre mettra fin aux deux grandes fédérations de l’AOF et de l’AEF.

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faveur de la profonde crise politique causée par la guerre d’indépendance algérienne, la question coloniale s’impose au cœur de tous les débats. Le Général de Gaulle pose en effet le principe d’une communauté de la France et de ses colonies, bases arrière de la France Libre, dont les soldats ont vaillamment combattu au cours de deux guerres mondiales, ont consenti de lourds sacrifices et ne peuvent plus végéter dans une condition d’assujettis. L’inéluctabilité d’un changement s’impose à l’évidence, de surcroît cette transition fait partie des exigences du grand allié américain. Le visionnaire qu’était le général de Gaulle réfléchissait déjà à une évolution du statut des colonies sans affaiblir l’Empire français. Il pose la question : la métropole et ses colonies africaines sauraient-elles bâtir un destin commun ? Un an avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, devant l’imminence de la victoire alliée, du 30 janvier au 8 février 1944, quelques mois avant le débarquement allié en Normandie, de Gaulle avait organisé une conférence à Brazzaville, capitale de l’Afrique-Équatoriale française (AEF). La conférence rassemblait les gouverneurs généraux et ceux des colonies françaises d’Afrique noire et de Madagascar. Félix Éboué, l’un des principaux artisans de la conférence, y jouera un rôle instrumental. Natif de Cayenne en Guyane française, ce brillant administrateur est le premier homme noir nommé à d’aussi hautes fonctions dans les colonies. Gouverneur de Guadeloupe, puis du Tchad en 1938, il y prononce le ralliement à la France libre dès 1940. Il figure ainsi parmi les tout premiers compagnons à recevoir du général de Gaulle la croix de l’Ordre de la Libération en janvier 1941. Après son décès, aux côtés de l’abolitionniste Victor Schœlcher, sa dépouille entre au Panthéon en 1949 ; il 145

est gouverneur général de l’AEF quand la conférence prend place en 1944. Les travaux de la conférence aboutissent à la rédaction de recommandations décisives qui, en préambule, excluent toute virtualité d’autonomie ou d’autogouvernance, comme toute évolution politique hors de la France. En contrepoint, une large décentralisation administrative est proposée aux colonies. Par la montée en puissance d’élus africains dans les assemblées parlementaires de la métropole, outre son influence déterminante sur la future Constitution de l’Union Française de 1946, l’un des principaux acquis de cette Conférence de Brazzaville dans nos territoires est de contribuer à l’éclosion d’une élite qui acquiert une expérience politique, voire politicienne, calquée sur un régime de « partis » parfois qualifiée de « partitocratie » —, pour gouverner les futurs États indépendants de l’Afrique, pour l’heure encore française. Le discours prononcé par le général de Gaulle au cours de la séance inaugurale est resté dans les annales l’Histoire coloniale. Pour nombre d’historiens et d’observateurs de la vie politique de cette époque, c’est le premier acte de décès de l’ère coloniale39. Le général de Gaulle proposera un référendum à la France métropolitaine et aux colonies. Dès le lancement de la campagne, deux partis se détachent nettement, le Parti Démocratique de Guinée et le Parti Sawaba de Bakary Djibo du Niger. Tous deux plaident pour le « Non » à la Constitution proposée. C’est la section guinéenne du RDA, le PDG, qui, par un vote massif, obtient le 39

Pour lire le discours du général de Gaulle, cliquer sur : https://mjp.univ-perp.fr/textes/degaulle30011944.htm Écouter le discours sur le site de l’INA (France) : https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00311/discours-debrazzaville.html

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ralliement au mot d’ordre du « Non » avec 95,2 % des suffrages. Le Parti Sawaba, est battu, suite à d’âpres manœuvres d’intimidation, de sabotage et de diversion tramées par l’administration coloniale. C’est ainsi que la Guinée s’embarqua seule pour l’indépendance. Dans leurs choix, tous les autres territoires d’Afrique vont suivre la métropole qui a voté « Oui ». À l’exception de Madagascar (77 %), la future Djibouti, (75 %) et le Niger (78 %), pour ne citer que les chiffres les plus significatifs, les majorités dépassent généralement les 90 %. En revenant aux fondations sur lesquelles s’est bâti le régime des partis politiques guinéens, on se souvient qu’à la création du RDA à Bamako, ce sont les délégués des associations de toutes les régions du pays, un parti politique et deux regroupements qui représentaient la Guinée, sans la moindre différenciation à caractère "ethnique". En 1947, au congrès fondateur du Parti Démocratique de Guinée (PDG) à Conakry, c’est Mamadou Madeira Keïta, agent de l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) et fonctionnaire du Soudan français (actuel Mali), qui est élu secrétaire général. La liste des membres du premier comité directeur de ce même parti, proposée en annexe40, atteste encore très nettement, il faut le souligner, de l’absence de coloration « ethnique » du PDG. En examinant de plus près le paysage politique guinéen de l’époque, on réalise que la concentration des cadres de haut-rang l’élite guinéenne d’alors — provenait de toutes les régions et de toutes les « ethnies » du pays. Cet encadrement est pour l’essentiel regroupé à Conakry, la diversité d’origines et de terroirs y domine les 40

Cf. Annexe 4, p. 191

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structures et la composition des formations, beaucoup plus largement que la coloration « ethnique » ou régionaliste. Au fil de notre évolution démocratique, les grands rassemblements vont se structurer et investir le terrain jusqu’en 1958 et ainsi les bases des partis politiques s’élargissent pour épouser un caractère plus national que régional ou étroitement « ethnique ». En exemple éloquent : avant l’indépendance, le PDGRDA de Sékou Touré, un Maninka natif de Faranah en Haute-Guinée, fut longtemps considéré dans cette région comme un parti de Basse-Guinée, en raison du plus grand nombre de ses adhérents issus de cette partie du pays. Pour mémoire, les membres les plus connus de ce parti en Basse-Guinée étaient N’Famara Keïta, Bangaly Camara, Seydou Conté, Kassory Bangoura, Naby Youla et dans une moindre mesure Amara Soumah, qui fut contraint à l’exil dès les premières années de l’indépendance. Le Secrétaire général, Sékou Touré, eut pour plus proches compagnons de la première heure des hommes d’envergure venus d’autres régions : Saïfoulaye Diallo du Fouta-Djalon et Lansana Béavogui de Région forestière, pour ne citer qu’eux. De notoriété publique, il est avéré que ce sont les Sossos de Basse Guinée qui ont le plus massivement porté le Maninka Sékou Touré au pouvoir présidentiel et qui l’ont fidèlement soutenu durant toute sa carrière politique. Pareillement, c’est le leader du Bloc Africain de Guinée (BAG), Diawadou Barry, un Peul du Fouta-Djalon, que la grande majorité de la notabilité de Haute-Guinée a voulu adouber. Ses principaux fiefs électoraux étaient Kankan, Siguiri et Kouroussa, où son adversaire du PDGRDA, Sékou Touré, pourtant natif de la région, ne se trouvait pas toujours bienvenu. C’est en Haute-Guinée que les leaders politiques du Fouta-Djalon en campagnes électorales bénéficiaient 148

des meilleures audiences, et singulièrement au sein des notabilités. Le BAG était également bien implanté en Basse-Guinée, notamment à Coyah avec Karim Bangoura et à Dubréka avec l’Almamy David Sylla de TondonLabaya, ainsi qu’à Forécariah dans les grandes familles fondatrices de cette cité. Dans ce même esprit « trans-"ethnique" », c’est Saïfoulaye Diallo de Labé, Peul du Fouta-Djalon qui est colistier à la députation de Sékou Touré de HauteGuinée, pour siéger à l’Assemblée nationale française élue en 1956 sous la Loi-Cadre de Gaston Defferre. Dans le camp opposé, Koumandian Keïta de Kouroussa, d’‘ethnie’ maninka de Haute-Guinée, était le colistier de Diawadou Barry, Peul du Fouta-Djalon, lors des mêmes élections. Koumandian fut Secrétaire général du Bloc Africain de Guinée (BAG) et son co-fondateur avec Diawadou Barry. Dès les débuts du phénomène partisan en Guinée, au travers de ce qui précède, on observe que le préjugé trop répandu de la création de nos associations et de nos partis politiques sur des socles étroitement ‘ethniques’, n’apparaît ni dans l’implantation des partis dans le pays, ni dans les figures émergentes, ni dans les investitures aux élections, c’est un fait. On le voit, une étude approfondie de la composition des instances des premiers partis politiques du territoire et de leur base électorale effective pourrait contribuer fortement à battre en brèche le cliché d’une prééminence du fait « ethnique » dans la vie politique guinéenne à cette époque. Deux faits s’imposent décidément : d’une part, les options idéologiques en faveur d’une plus grande liberté se répartissent selon leurs affiliations au régime des partis de gauche ou de droite de métropole ; d’autre part, la mobilisation et le recrutement de cadres sans préférence 149

« ethnique », souvent à partir de Conakry, qui concentre les fonctionnaires aux grades les plus élevés dans la hiérarchie administrative de la colonie, autrement dit les plus « instruits » selon les critères de l’époque. Ces deux faits prennent formellement le pas sur toutes considérations « ethniques » à l’époque. À l’analyse des documents et des nombreux témoignages recueillis, ces deux aspects apparaissent prédominants devant ceux de polarisations sur des bases purement « ethniques » qu’on voudrait invoquer aujourd’hui. À bon escient, posons dès lors ces questions : ▪ Pourquoi ce qui fut possible et fondateur hier ne pourrait plus l’être aujourd’hui ? ▪ Pourquoi ce qui était naturel hier ne peut l’être pleinement aujourd’hui ? ▪ Régressons-nous ? Devons-nous continuer à régresser ? 2. Sous le monopartisme Après l’indépendance, la Guinée a traversé une longue période de monopartisme, durant toute la première République. Avec à sa tête le PDG-RDA du Président Sékou Touré, nous vécûmes sous le régime du parti unique de la proclamation de l’indépendance le 2 octobre 1958 jusqu’au 3 avril 1984, jour de la prise du pouvoir par l’armée. Au plus fort de la Révolution sous laquelle vivait notre pays à l’époque, le paroxysme de ce système monolithique fut institué. Ce fut la fusion du Parti et de l’État sous la néo-dénomination de « Parti-État », en dernier ressort, la prise de décisions majeures aboutissant invariablement à la prééminence du Parti sur l’État. Au cours de cette longue gouvernance de 26 ans du PDG-RDA, on ne peut nier que l’ethnicisme restait sans doute en filigrane des mœurs politiques guinéennes. 150

Mais, en sourdine, il était assez largement contenu. Tous nos textes de loi le condamnaient. Pour utiliser le vocabulaire de ce temps, les slogans multiples, variés et quotidiens le « flétrissaient ». Bien qu’il y ait eu des cas graves, la toute-puissance du Parti-État et une réelle volonté politique ont partout et vigoureusement lutté contre le fait ethnique. 3. Sous le multipartisme Tout autant à la veille de l’Indépendance où les toutes premières formations politiques entrent en lice, qu’au quart de siècle surplombé par le PDG-RDA comme PartiÉtat, le fait ‘ethnique’ reste réel, mais dompté par le champ politique, sans pouvoir prévaloir. C’est sous la IIème République, au retour du multipartisme intégral à partir de 1991, qu’il va se fortifier au fil de l’organisation d’élections présidentielles, législatives et communales, après l’adoption de la Loi fondamentale de 1990. Des périodes d’exacerbation voient alors les clivages déboucher sur des formes menaçantes de radicalisation des militants de tous bords sur l’échiquier politique de la Guinée. Ils furent hélas trop souvent conditionnés et aiguillonnés par certains de leurs dirigeants. Quand sonne l’heure de l’ouverture démocratique, le sombre visage offert par la classe politique guinéenne n’était pas, n’a jamais été celui qu’en attendaient les nouvelles autorités. Car celles-ci avaient prévu des dispositions idoines dans la nouvelle Loi fondamentale, afin de verrouiller d’éventuelles dérives pour consolider la cohésion sociale. En effet, dès le 3 avril 1984 et sa prise de pouvoir sans effusion de sang, l’armée, sous la conduite du colonel Lansana Conté coopté par ses frères d’armes comme président de la République, avait mis en place un Conseil Militaire de Redressement national 151

(C.M.R.N), sa haute autorité exclusivement composée de militaires. En janvier 1991, un Conseil Transitoire du Redressement National (C.T.R.N), très majoritairement composé de cadres civils et de quelques hauts gradés de l’armée, remplaça ce CMRN sans disposer cependant des mêmes prérogatives. Conçu pour jouer le rôle d’une Assemblée nationale provisoire, il fut chargé par le nouveau pouvoir de rédiger les dix-sept lois organiques contenues dans notre Loi fondamentale. Redoutant l’instauration immédiate d’un multipartisme intégral qui déboucherait sur une fragmentation de la société, la IIème République avec le Général Lansana Conté, voulut conjurer la création de partis politiques fondés sur des bases « ethniques » ou régionalistes dans les nouveaux textes de loi qui furent adoptés. S’inspirant en partie du système politique des ÉtatsUnis d’Amérique et de ses deux grandes formations politiques : Parti Démocrate et Parti Républicain, la Guinée opte pour une limitation à deux partis politiques, en bipolarité.41 Cette limitation du nombre de partis politiques, par l’article 95 de la même Loi fondamentale, fut remise en cause par les leaders de l’opposition naissante, cédant, sans préparation conséquente, à un multipartisme intégral avec une prolifération de partis politiques, en génération spontanée. D’une quarantaine au départ, on en compta jusqu’à plus de cent ! Dès le lancement du processus démocratique, dans une course contre la montre, chacun 41

Sans formellement limiter le nombre de partis politiques, la tradition fédéraliste bipartisane des USA est conçue dans l’esprit de la Constitution américaine de 1787. Elle s’est renforcée au fil du temps pour devenir une caractéristique du système politique américain à partir de 1830, et sa mise en pratique par Georges Washington dans le camp républicain et par Thomas Jefferson dans le camp démocrate.

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des leaders politiques convoitait fiévreusement les fonctions de président de la République. Aspirer à la magistrature suprême est certes une ambition légitime pour tout citoyen, mais y prétendre dans ces conditions d’impréparation ne s’avéra ni sage, ni même réaliste. Le résultat pour le pays fut de passer d’emblée et brutalement d’un monopartisme de règne absolu, intensément ancré dans les esprits, à un mode démesurément partisan générant des comportements et les réflexes sectaires qui découlaient du multipartisme intégral, voire débridé. Dans une autre des principales dispositions au Titre I de l’Article 3, l’alinéa 2 de la Loi fondamentale de 1990 stipulait que : « Les partis politiques concourent à l’éducation politique des citoyens et à l’expression du suffrage ». La loi organique 91/02 du CTRN portant charte des partis politiques, en son Titre I des dispositions générales, l’article 3 reprenait les mêmes dispositions en les renforçant. Elles invitaient les partis politiques à présider à l’éducation de leurs adhérents à l’exercice démocratique en cultivant : — un esprit de tolérance, — le respect de l’opinion d’autrui, — l’ouverture et la différence. C’est dans cette intention avisée qu’avait été aménagée une période transitoire de cinq ans dans la Loi fondamentale. Ainsi : Au Titre XII des dispositions transitoires, à l’article 92 : « Il sera procédé aux élections prévues aux articles 24 (présidentielles) et 47 (législatives) à l’issue d’une période transitoire qui n’excède pas cinq ans à compter de l’adoption de la présente Loi fondamentale, par le peuple de Guinée, par voie de référendum. »

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Sous leur égale pression, accompagnée de violentes manifestations, l’emballement des dirigeants de partis à entrer en action dans des échéances électorales écourtées ne permit pas d’observer cette indispensable période transitoire. Elle était dévouée à la maturation, au rodage des partis politiques à leurs missions, à l’indispensable pédagogie civique destinée aux adhérents et dédiée au déploiement d’une pratique encore novice du multipartisme en démocratie. Elle n’eut pas lieu. La dérogation à la lettre et à l’esprit de notre Loi fondamentale, et aux articles 92 et 95 précités, fut parmi les principaux facteurs déclencheurs des nombreuses violences qu’a débridées et que continue d’endurer la vie politique guinéenne au retour de la démocratie en 1991. 4. Démocratie et affaiblissement de l’État Ces impatiences parfois violentes ont déchaîné des crises à répétition qui ont déchiré notre tissu social et porté atteinte, parfois gravement, à notre cohésion nationale. Dans la gestion de ces crises, l’État s’est montré souvent d’une considérable faiblesse, en abdiquant une part cruciale de ses fonctions régaliennes. Au lieu d’appliquer les lois dont il s’est lui-même doté et qui régissent démocratiquement la société pour faire pleinement fonctionner notre cadre constitutionnel, l’État a choisi de recourir à des formes d’interventions de convenances biaisées. Bien que laïc, pour apaiser ainsi les tensions qui éclatent couramment en période électorale, il a souvent convoqué l’arbitrage des confessions musulmane, catholique ou protestante. À différents échelons, il a en outre fait appel à d’autres sphères traditionnelles : familles et collèges de notables, chefs coutumiers, doyens de villes « sotikèmô »... À Conakry, cette stratégie sommaire finit par donner naissance à des structures qui s’autoproclamèrent peu à 154

peu « coordinations régionales ». Et chacune des quatre régions naturelles s’en dota aussitôt. Surgie de cercles parfaitement informels, chacune de ces structures peut agir à sa guise. Frappées du péché originel d’absence de légitimité et d’auto-proclamation déliée de toute tutelle licite, ces entités se voient régulièrement débordées par des coordinations prétendument « parallèles ». Quelle structure est légitime ? Laquelle ne l’est pas ? Cette ambiguïté n’est jusqu’à présent levée par quiconque et n’est guère de nature à éloigner le spectre d’ethnocentrisme ou de communautarisme qui les hante et pourrait les compromettre, à tort ou à raison. Malgré ces travers, reconnaissons que par leurs prêches, sermons ou homélies dans les mosquées, les églises et les temples, les imams, les prêtres et les pasteurs ont souvent su jouer un rôle salutaire d’apaisement et de médiation lors de certaines crises. Les « coordinations » ont parfois elles aussi obtenu des résultats positifs quand elles durent cent fois éteindre des départs d’« incendie ». Bon nombre de leurs affiliés se sont cependant aventurés dans des dérives. Le plus souvent composées d’aînés qualifiés d’Anciens ou de Sages, au fil de la vie politique guinéenne, elles se sont érigées en incontournables leviers du dialogue politique et social. Sous les dehors de cercles d’influence plus ou moins puissants, elles se sont parfois efforcées de démontrer leur importance au point d’être consultées pour la formation des gouvernements de la République, parvenant même quelquefois à y imposer leurs « fils » ou leurs « candidats », un comble dans une démocratie de droit. L’État porte l’entière responsabilité de la situation d’opacité dans laquelle les coordinations ont vu le jour et de la manière dont elles ont évolué et continuent d’acter 155

sur le terrain. Car comment expliquer que l’État les sollicite continuellement sans les doter d’un statut officiel, légal et assermenté ? Aujourd’hui ne doit-on pas chercher à mettre de l’ordre dans ces structures et à instaurer la légalité en leur sein si elles doivent avoir vocation à se maintenir sous une forme ou une autre ? Que peut-on faire ? Il conviendrait de prime abord de fonder leur existence sur la légalité en les dotant d’un statut excluant toute ambiguïté de communautarisme. Il s’agira entre autres de définir par un texte de loi leur mode de création, leur champ d’action, les critères de désignation de leurs membres, leurs mécanismes de fonctionnement et de consultation de leurs mandants. Ainsi, les populations des différentes régions qu’elles représenteront ne s’étonneront pas de les entendre parler en leur nom à la radio et à la télévision et de les voir prendre des initiatives et des décisions en leur place. Cette étape franchie, si elles doivent continuer d’exister, ne peut-on les rattacher à une tutelle institutionnelle ? Celle du Grand Médiateur de la République paraîtrait la plus appropriée, en élargissant les compétences et attributions de la fonction. En s’appliquant à rechercher de meilleures pistes de solutions, on peut penser que les membres des coordinations nationales actuelles pourraient trouver leur place dans une telle institution publique et homologuée. Car, en soi, l’opportunité de leur utilité ne peut être contestée. Sans doute leurs fondateurs ont-ils été animés des meilleures intentions. Lors de crises graves, de bonne foi, ces coordinations ont dû s’employer à empêcher des dérives. Cependant, les leçons tirées d’expériences vécues ailleurs invitent à l’extrême circonspection en matière de structures informelles à caractère politique dans un État de droit. Celles qui 156

agissent en parallèle aux attributions dévolues aux organismes publics d’État, finissent immanquablement par les concurrencer, voire par chercher à les supplanter quand elles tentent de se faire admettre à prospérer pour occuper des places de pouvoir dans la société, sans règle ni bases légales. Que les Anciens d’un village ou du quartier d’une ville se réunissent autant que de besoin pour deviser des intérêts de leur communauté, cela s’entend et ne peut que fortifier notre ancestral arbre à palabre. Mais que des citoyens, parfois vétérans de notre vie politique, se positionnent sur des bases régionalistes en cellules officieuses, mais structurées, à terme cela peut mener à distiller le communautarisme au risque d’entamer et de nuire à la cohésion nationale. 5. Pour une nouvelle institution Dans un État moderne et démocratique, un Sénat de bonne et due forme pourrait inscrire dans ses missions le rôle que ces coordinations veulent investir. Rien ne nous empêche d’instituer une telle autorité, dénommée Chambre des Sages dans de nombreux pays à la démocratie mature, en lui assignant des procédures et spécificités africaines, inspirées du séculaire arbre à palabre, pilier de notre héritage civilisationnel. Dans un Sénat démocratiquement élu, bon nombre des personnes de qualité qui animent les coordinations actuelles pourraient trouver leurs places et exercer leurs compétences, en particulier les hauts fonctionnaires retraités. Et cela en toute légalité. Ne doit-on pas légitimement se poser la question de la création avant longtemps d’une telle institution dans notre pays ? Un sénat auquel on conférerait des attributions importantes dont celles de la validation ou non des nominations à des hauts postes de l’État, pourrait 157

constituer une véritable chambre d’équilibre et de partage du pouvoir. Dans l’actuel régime présidentiel guinéen, ce sénat pourrait faire contrepoids à l’omnipotence d’un chef d’État, quel qu’il soit, et atténuer considérablement les frustrations et l’impuissance d’une large frange de la classe politique, qui se voit exclue du processus de prises de décisions qui engagent l’avenir de la nation. Dans l’esprit, le Sénat guinéen pourrait s’inspirer du modèle des États-Unis d’Amérique, spécifié par des dispositions propres aux aspirations de nos populations. Dont le maintien et le renforcement de l’unité nationale fondée sur un pouvoir équilibré et partagé et sur l’activation d’un véritable dialogue permanent. Dès lors, dans notre pays, la fonction élective de présidentielle ne disposera pas automatiquement d’une majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat tout à l a fois. Le cas échéant, un président avisé se gardera de contribuer à faire élire des personnes de sa propre ethnie à la tête de ces deux chambres parlementaires élues, ni non plus les tenir sous son exclusive emprise. Si l’on n’y prend garde en disposant des garde-fous et des contre-pouvoirs dans les lois fondamentales, la concentration de la quasi-totalité des pouvoirs entre les mains du seul Président de la République laisse la porte ouverte à la marginalisation d’une bonne partie de la classe politique, comme dans la plupart des régimes présidentiels africains. Cette marginalisation, le plus souvent ressentie comme une exclusion est la source inéluctable de potentielles frustrations susceptibles de déboucher sur des conflits ouverts et fratricides. Dans les États africains, notamment d’héritage politique « à la française », il serait vital de rechercher et d’adopter des voies et moyens institutionnels d’association des oppositions à l’exercice du pouvoir. Souplement, cela contribuera à favoriser l’apaisement du climat social. La 158

voie est ouverte aux constitutionnalistes pour se saisir de cette cruciale question. 6. Les dialogues inter-guinéens et la sagesse du peuple Un autre dommage infligé à la démocratie guinéenne par la déficience de l’État, ce sont les fortes et incessantes pressions exercées, souvent de manière sur les extrême, par les partis d’opposition gouvernements. Nos gouvernants, dans leur ensemble, n’y trouvent nulles réponses adéquates. Reste absent cet indispensable esprit qui doit sous-tendre un dialogue constructif, franc et sincère mené dans l’intérêt supérieur de la nation. Ces pressions finiront par imposer à la démocratie guinéenne de désastreux accords dits politiques. Souvent anticonstitutionnels, et dans la lettre et dans l’esprit, ils polluent et accroissent les incertitudes du climat politique. Toutes choses qui ont généré ces dits et fameux « dialogues inter-guinéens », qui ne sont rien d’autre que des simulacres ou des stratagèmes de contournement des lois et des principes démocratiques, et laisseront la situation s’aggraver. Les dommages et aléas causés par les positions frileuses ou désinvoltes affichées par la classe politique, ou les réponses souvent impraticables dispensées par l’État, se hissent rarement à la hauteur de nos attentes ; en leur accordant toute l’importance qui sied, les sollicitations de notre classe politique, ne doivent pas acculer les Guinéens à méjuger le socle de notre vie sociale et politique : la sagesse effective du peuple de Guinée. Car cette sagesse fut toujours démontrée par les Guinéens pour surmonter les obstacles dressés sur notre chemin, depuis la naissance de notre État souverain. En effet, malgré les épreuves vécues, dues soit à une 159

excessive puissance du Parti-État, soit à la déliquescence ou à la défaillance de cet État en quête de pleine démocratie, on peut affirmer avec fierté que c’est grâce à la sagesse du peuple de Guinée, que les violences de nature politicienne qui ont trop souvent ébranlé notre pays, n’ont jamais été ourdies par les populations de nos quatre régions naturelles. Ces déchaînements ont toujours été tramés par certains gouvernants et leaders politiques de toutes obédiences, à commencer par les premiers d’entre eux, relayés par leurs auxiliaires et autres activistes trop zélés, sciemment placés en rivalités délétères. Dans un esprit de saine fraternité, ne pouvons-nous faire de nos formations politiques majoritaires et de nos partis d’oppositions des sanankouns ? Ne pouvons-nous faire du Sanankounya l’âme et le résonnateur de notre vie politique ? Dans notre pays, il n’y eut jamais la moindre confrontation globale entre deux ‘ethnies’ dans leur ensemble, grâce aux mille liens filiaux et toutes les attaches historiques et sociologiques profondes, largement développées dans cette réflexion au long cours. Chaque fois et d’une manière générale, nos conflits ont non seulement revêtu un caractère plus partisan qu’‘ethnique’, mais ont été en outre de portée finalement limitée dans le temps et dans l’espace, malgré la dureté de certains d’entre eux. 7. Maturité démocratique et éducation Depuis l’avènement de notre IIème République en 1984 et la décision de ses hauts dirigeants d’opter de manière irréversible pour le multipartisme, le phénomène partisan fait partie intégrante de la vie des Guinéens. Néanmoins, force est de reconnaître qu’au terme de 60 ans d’indépendance en Guinée, comme dans la très grande 160

majorité des pays africains, la maturation démocratique reste à l’étiage, assez basse sinon en net recul. Nous souffrons ensemble d’un réel déficit en la matière, dont nous n’avons plus les moyens de pâtir. Nous ne votons pas toujours pour le candidat au meilleur profil, au meilleur programme et offrant les garanties de plus solide réussite dans la fonction ; trop souvent notre suffrage va au « frère » ou à la « sœur » de notre « ethnie », ou même de notre village. Les campagnes organisées lors des élections présidentielles, législatives, municipales ou communales, la contestation quasi systématique de leurs résultats, parfois avant même leurs proclamations, donnent trop souvent lieu à des affrontements entre militants de partis adversaires ou entre des coalitions majoritaires et des partis d’opposition. Les manifestations publiques ou marches de protestation organisées par les partis d’opposition sont le théâtre de violences orchestrées et fréquemment hors de proportion. Du côté des formations majoritaires et des gouvernements qui en sont issus, ces violences sont couramment réprimées de manière tout aussi disproportionnée. En Guinée, comme dans la plupart des pays africains, la pratique démocratique est mise en échec par un trop bas niveau d’instruction des citoyens, dont, malgré les efforts accomplis, les moyens octroyés, (souvent d’aide extérieure) ne sont pas revalorisés de façon à satisfaire les véritables et criants besoins. Il faut se rendre à l’évidence, dans le domaine prioritaire — parfois sinistré — de l’éducation, la volonté et la priorité politiques ne sont jamais placées à la hauteur des immenses défis à relever. Le niveau éducatif des populations, associé à l’extrême pauvreté de certaines couches vulnérables – femmes, enfants, ruraux ou zones urbaines défavorisées 161

— offre un terreau éminemment fertile aux violences, aux conflits les plus inflammables, qu’ils soient dits ‘ethniques’ ou partisans42. Affirmer que « nul ne doit ignorer la loi », exige d’au moins pouvoir la lire, la comprendre et l’assimiler, ce que ne peut accomplir un illettré qui n’est placé en capacité ni de l’interpréter ni de l’observer, encore moins de l’intégrer à son comportement civique quotidien. C’est le soubassement du crucial déficit démocratique en Guinée. On peut même affirmer que nous accusons une nette régression, comparée à la période d’éclosion des premiers mouvements et associations politiques du 20è s., à la fin de l’ère coloniale. Les valeurs qui nous ont permis de bâtir notre nation indépendante sauront évidemment répondre aux défis que nous affrontons aujourd’hui, si nous les activons. Activons-les donc, sans tarder. C’est pourquoi on se doit d’espérer que l’éducation des Guinéens, des Africains en général dans toutes les catégories sociales, soit de plus en plus largement déployée pour que le citoyen se trouve en mesure de s’accomplir pleinement, et conduit à mieux comprendre sa démocratie pour l’exercer dans sa plénitude civique. Pour atteindre cette noble ambition qui se trouve à notre portée, l’éducation doit être la priorité de toutes les priorités pour nos gouvernements. Il nous faut œuvrer, tous et chacun avec une conscience aiguë de nos devoirs et responsabilités à tous les niveaux, pour que cet espoir ne reste pas un vain vœu, mais qu’il s’inscrive dans notre action citoyenne de tous les jours. 42

Rapport de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne: www.eods.eu/library/FR%20GUINEA%2025.02.2011_fr.pdf Mémorandum à l’ONU : www.guineeplurielle.com/2015/07/memorandum-adresse-a-l-onu-sur-la-crise-duprocessus-electoral-en-guinee.html

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III L’ESPOIR D’UN PEUPLE RÉCONCILIÉ SUR UNE TERRE DE DÉFIS

« C’est de la construction d’une nation dont il s’agit. Or le constat unanime qui s’impose, du simple citoyen au chercheur le plus averti, c’est que l’Histoire de la Guinée doit être écrite dans une forme d’urgence. Le temps qui passe joue contre cette édification. L’écriture de l’Histoire est, de toute manière un exercice difficile, mais, en Guinée, de très nombreux historiens ont depuis longtemps émis ce constat […] Le paradoxe est que tout le monde s’accorde sur le sujet et que rien ne bouge… » Daniel COURIOL, ancien directeur du centre culturel franco-guinéen. Sory Kandja Kouyaté, dans « Mieux vaut tard que jamais ».

Puisse cet essai sur nos "ethnies" et nos partis politiques contribuer à donner le signal du réveil à mes sœurs et frères Guinéens !

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1. Écrire l’Histoire pour réconcilier la Nation Depuis ses premiers pas sur le chemin de la démocratie et du régime des partis, la Guinée ne fut pas sans connaître des vagues de violences de masse. À différentes époques de son Histoire et sous tous les régimes, elle en a enduré plusieurs, dont au moins cinq considérées comme très graves. Comme annoncé en intentions d’avant-propos, l’objectif étant le renforcement de l’unité nationale par la réconciliation des Guinéens, nous avions initialement fait le choix de ne pas revenir dans le détail sur les épisodes de violences de masse commises et de violations des droits humains survenues lors de tragiques événements passés. Nous reproduisons dans cette deuxième édition, une synthèse des cinq principales vagues. Les faits les plus saillants, qui ont le plus fortement marqué nos esprits et ont laissé les traces les plus profondes dans nos mémoires, ont fait par ailleurs l’objet de nombreux écrits auxquels nous avons apporté notre contribution, et nous continuerons de le faire. La bibliographie43 établie pour cet essai mentionne également plusieurs ouvrages qui reviennent sur ces questions. Pour ne pas persister dans les transgressions où nous nous sommes collectivement fourvoyés, les générations présentes et à venir se doivent d’avoir connaissance de ce qui a ébranlé et fragilise encore la Guinée. De tels rappels offrent matière aux chercheurs, Guinéens ou étrangers. C’est ainsi que s’écrit notre Histoire puisée dans les expériences, les mémoires et les témoignages d’observateurs oculaires et de patriotes engagés.

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Cf : bibliographie

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L’écriture de l’Histoire contemporaine de la Guinée et la réconciliation nationale sont consubstantielles. Les écrits d’hier, d’aujourd’hui et de demain, objectifs ou passionnés, impartiaux ou partisans, virulents ou tempérés fournissent aux historiens un matériau précieux, digne d’être exploité pour éclairer notre sentier d’une lumière avivée par le temps. C’est une voie qui nous conduit vers de nouveaux destins à conquérir, vers un avenir que nous espérons éclatant dans une unité resserrée, une concorde retrouvée, dans la fraternité et la paix. Dans le même temps, ces écrits, par leurs approches parfois diamétralement opposées, ouvrent les générations présentes et futures aux raisons qui fondent notre réconciliation nationale et la rendent si indispensable. Pour parvenir à un récit consensuel de l’Histoire de la Guinée, l’entente des Guinéens est une étape inéluctable. Elle repose sur la mise en œuvre effective des mécanismes de justice transitionnelle, pour garantir un droit à la vérité, à la justice, à la réparation sous toutes ses formes, en nouant un pacte qui nous garde à jamais de toute funeste récidive. Nos efforts de réhabilitation ne pourront résulter que d’un processus national de réconciliation mené jusqu’à son terme dans un esprit de consensus, sain, pacifié. Dans le cas contraire, mené à contrecœur, parodique ou inachevé, il ne recueillerait pas l’indispensable consentement des victimes et de leurs descendants. Un tour biaisé, partisan ou tronqué, fera courir à la nation le terrible péril de la répétition, où nos douloureux contentieux passés ricocheront de génération en génération. Un écrasant héritage, une voie sans issue. La réconciliation que nous appelons instamment de nos vœux doit nécessairement s’appuyer sur l’application rigoureuse de normes internationales de justice ; il faut y insister, elle doit aussi porter le sceau de la spécificité 168

guinéenne, par le prix et l’importance qu’ensemble nous confèrerons au pardon et à la concorde. C’est pourquoi nous avons salué la mise en place de la Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation Nationale et, aux côtés de tous les citoyens guinéens, nous attendons avec un espoir immense les urgents travaux de la Commission de Réconciliation Nationale. Retarder plus longtemps son installation c’est prendre le risque de rendre notre avenir gravement incertain, à coup sûr de l’obscurcir par mille nuées qui chaque jour s’amoncellent sur notre horizon, voire d’en obstruer l’issue ou de la compromettre. Ce choix du courage et de la responsabilité face à l’Histoire empêchera la répétition des lourdes fautes commises par les uns et les autres, et donnera au précepte emblématique « Plus jamais ça ! », les meilleures préventions de rechute, pour le salut de la Guinée. De manière cyclique, sous quatre régimes successifs, la Ière et la IIème République, l’éphémère ère Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté, la IIIème et la IVème République, des violences politiques certes d’ampleurs et de caractères différents, ont été commises en Guinée. Cet héritage c’est le nôtre. Celui de la Guinée tout entière. L’Histoire d’un pays ne peut se construire exclusivement sur ses pages les plus glorieuses ni même sur les plus sombres. La Guinée n’échappe pas à cette règle. Pour ce faire, avec une légitime fierté, nous devons lire, relire et transmettre nos pages gravées en lettres d’or aux générations futures ; pour autant, nous faut-il aussi assumer l’héritage intégral en lisant, en relisant et en partageant avec les mêmes générations nos pages d’Histoire les plus obscures : c’est le legs, tout le legs de la Guinée qu’il faut endosser. 169

Nous avons été et demeurerons toujours le peuple fier du 28 septembre 1958, conduit dans l’unité et la concorde à l’indépendance par des dirigeants précurseurs de toutes obédiences politiques ; un peuple émancipé qui fit l’admiration du continent comme du reste du monde, mais qui a également consigné des pages plus ténébreuses, qui oblitéreraient le futur de la Guinée et resteraient ineffaçables si elles n’étaient reconsidérées et apurées. Sans appréhension, bravement, faisons face à notre passé et à notre présent. Sans crainte inhibitrice confrontons les faits. À cœur ouvert, parcourons notre part du chemin les uns vers les autres, Guerzés, Peuls, Tomas, Sossos, Kissias et Maninkas, victimes ou descendants de victimes, anciens exécuteurs des hautes œuvres ou leurs descendants. C’est le passage obligé vers la réconciliation nationale, il sera semé d’embûches, n’en doutons pas. Ce ne sera pas le premier défi que la Guinée relèvera dans son Histoire. Confortée par sa fraternité séculaire, notre Guinée franchira le cap incontournable de l’alliance qui conduit à la consolidation de l’unité de la nation, une fois encore rassemblée, en concorde et en paix. Dans ce processus de concertation et de conciliation, une importance insigne sera accordée au pardon et à la réhabilitation des victimes. Une saine vague de restauration balaiera ces violences, en s’achevant par une journée ou une semaine nationale de recueillement interreligieux et de prières œcuméniques dans tous nos lieux de cultes à travers toute la République ; victimes et acteurs réunis, nous méditerons et offrirons au monde un modèle d’alliance nationale. Au cours de ces journées, les détenteurs de nos traditions pourront nous remémorer et raviver nos dynamiques positives : alliances matrimoniales inter « ethniques »,

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cousinages multilingues, brassages intégrateurs, totems et parentés à plaisanterie… Ici, la réparation la plus légitimement attendue c’est la réhabilitation des victimes à quelque clan qu’elles aient appartenu, plus particulièrement de ceux et celles à qui la vie fut ôtée et ne sont plus de ce monde ni pour témoigner ni pour pardonner ; leur mémoire doit impérativement être honorée afin que nous nous pardonnions les uns les autres et qu’enfin la cohésion de la nation soit restaurée. Sans vraie réconciliation il n’y a pas de chance de franc pardon ancré au fond du cœur. Rien de plus noble pour la victime que de pardonner, même si l’on peut considérer, à juste raison, que le pardon ne prend tout son prix que quand il est sincèrement demandé. Il est vrai aussi que le pardon est un acte personnel qui ne peut être collectif. Demander le pardon grandit son auteur. Ne pas en attendre le vœu et tout aussitôt l’accorder élève encore plus. Et si le pardon n’était pas demandé, n’attendons jamais qu’il le soit. Pardonnons. Telle fut toujours notre attitude, nous qui avons déjà pardonné. À notre humble avis, en Guinée, sont victimes tous ceux qui furent frappés d’injustice d’État ; ceux qui n’ont pas bénéficié de la présomption d’innocence ; ceux qui ont été jugés coupables sans avoir accès à une justice équitable ou à la Justice tout court à quoi tout citoyen peut prétendre ; ou qui, contraints et forcés, ont dû prendre le pathétique chemin de l’exil pour échapper à l’injustice, sans droit.

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2. Espoir en terre de défis, « Won Tanara ! » La Guinée est un pays de défis : elle sait les relever. Elle l’a prouvé à chaque tournant crucial de son Histoire. Elle relèvera la gageure d’une réconciliation nationale accomplie dans sa plénitude, pour l’unité de la nation. Seul territoire à avoir fait le choix de la souveraineté nationale lors du référendum proposé par le général de Gaulle à la France incluant ses colonies le 28 septembre 1958, la Guinée a franchi tous les écueils dressés sur son chemin pour voter « Non » et conquérir son indépendance dans l’unité, la fraternité et la paix. La Guinée est un pays de défis : elle sait les relever. Au grand étonnement des observateurs de la vie politique africaine, des tempêtes maintes fois annoncées ont toujours avorté à diverses périodes d’une Histoire souvent mouvementée. La Guinée est un pays de défis : elle sait les relever. Qui pouvait songer qu’en 1984, à la mort du Président Sékou Touré, le pays aurait échappé à la désintégration ? Au lieu du chaos et du bain de sang tant redoutés, la prise du pouvoir par l’armée s’est déroulée pacifiquement. Feuilles vertes brandies comme les rameaux d’olivier arborés en symboles de paix dans d’autres civilisations, les Guinéens, femmes et hommes, jeunes et vieux, sont massivement sortis par les rues et places publiques pour saluer en liesse l’avènement d’une nouvelle ère. Auparavant, dans la dignité, ils avaient observé une semaine de deuil national à la mémoire de leur président défunt. Des arrestations, des exécutions extrajudiciaires furent cependant dénombrées après les scènes d’allégresse. La Guinée est un pays de défis : elle sait les relever. Qui pouvait penser qu’en 2008, à la mort du Président 173

Lansana Conté vaincu par la maladie qui l’avait affaibli les dernières années de son mandat, il laisserait derrière lui un bateau ivre sans capitaine ni gouvernail, un pays à la dérive… Qui aurait pu penser que « Sèkhoutoureya », notre palais présidentiel, changerait pacifiquement d’occupant, tombant comme un fruit mûr entre les mains du Capitaine Moussa Dadis Camara ? Des ambitions fortement antagonistes entre hauts gradés et soldats du rang, des desseins rétrogrades dissimulés sous les oripeaux de l’« ethnicisme » étaient il est vrai à peine voilées. La Guinée est un pays de défis : elle sait les relever. Qui pouvait imaginer qu’un jeune capitaine peut-être candide dans sa volonté de gouverner pour le bien de son pays, mais sans doute immature pour la fonction, auteur de propos incendiaires et journaliers, et qui n’hésitait guère à évoquer de possibles partitions du pays ou agiter le spectre de la guerre civile, perdrait le pouvoir en 2010, sans entraîner le chaos que laissait présager son passage au sommet de l’État44? La Guinée est un pays de défis : elle sait les relever. Sœurs et frères guinéens, tous ensemble pour notre unité, relevons ce défi de la réconciliation, de la consolidation de notre unité nationale. Ensemble, bâtissons notre cité nouvelle. La Guinée est un pays de défis : elle sait les relever. Les épreuves font partie de la vie des hommes et des nations. En Guinée, il y eut des crises. Sans que cela soit une fatalité, viendront d’autres crises encore. Mais aucune qui ne puissent être surmontée par la volonté d’une nation unie. Bien que dans les situations les plus dangereuses, la sagesse du peuple de Guinée l’a toujours 44

La justice guinéenne étant saisie des événements du stade de Conakry du 28 septembre 2009, il est préférable de ne pas commenter la procédure judiciaire pour attendre le verdict.

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emporté, il nous faut nous convaincre que, faute de nous investir individuellement et collectivement, cette sagesse tant réputée restera-t-elle notre phénix pour renaître et nous régénérer chaque fois ? Ensemble nous avons le devoir, l’impérieux devoir d’installer les balises pour remédier aux causes de nos périls. Fut-elle celle de tout un peuple, la sagesse a sans cesse besoin d’être nourrie, vivifiée, revitalisée par l’EDUCATION, une éducation plurielle, source de civisme, de bonheur, de justice, d’équité et de brassage continu de nos populations. Un peuple éduqué n’est plus seulement un peuple sage, c’est aussi un peuple fort qui fait face aux défis et les relève. « La Guinée est une famille », écrit le poète guinéen Nènè Moussa Maléya Camara dans son célèbre recueil éponyme. Lui emboîtant le pas, une représentante des Nations Unies, quittant la Guinée après y avoir servi plusieurs années et y avoir traversé de nombreuses crises auprès des Guinéens, disait : « La Guinée ressemble à une marmite qui bout, mais dont l’eau ne se verse jamais. » Fils et filles d’une seule nation, la Guinée, nous sommes les eaux de la même rivière. Par notre expérience de vie commune et séculaire, par les nobles vertus des valeurs ancestrales que nous partageons, des vertus fécondées par des brassages aux origines infinies, blotties au fond de nos mémoires les plus anciennes, par nos différences qui nous transcendent mutuellement en nous assimilant sans cesse, nous sommes des frères et des sœurs que rien ni personne ne doit, ne peut diviser. Et que tout doit unir. « WON TANARA ! », nous sommes ensemble !

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Remerciements Il m’est impossible passer sous silence ce qu’a dû nécessairement affecter le travail de réflexion mené ici depuis 2017. En effet, au cours de la rédaction de ce texte, au moment où je commençais le premier chapitre, j’ai été brutalement frappé par une terrible maladie, le syndrome de Guillain-Barré, qui a paralysé mes quatre membres, du jour au lendemain. Dès lors, arrêter d’écrire ? Poursuivre l’ouvrage ? La question ne se posait guère pour des mains invalides. La tête pensait, réfléchissait et incitait au travail. Heureusement. Les soucis de tous les jours ne laissaient place qu’à une seule préoccupation : guérir, comme pour tout malade. C’est après une longue lutte menée par les médecins, les kinésithérapeutes, les infirmières — ces infatigables et irremplaçables fantassins des hôpitaux — et un peu par moi en me conformant à leurs conseils et en observant leurs consignes, que j’ai progressivement recouvré l’usage de mes mains et de mes pieds. Je pus mettre à profit mon interminable séjour hospitalier pour reprendre la rédaction de cet essai avec l’encouragement de tous mes soignants. Au moment d’achever ce travail, je ne peux en tracer les dernières lignes, sans une pensée profonde, respectueuse et reconnaissante pour ce corps médical français, médecins et personnels soignants, pour leur prise en charge et leurs soins attentifs. Que tous en soient ici sincèrement remerciés : les docteurs Sophie Demeret et Laurence Marois, tous les infirmiers et notamment Flora et Jérémy de l’hôpital de la PitiéSalpêtrière de Paris ; les docteurs Daffa Keïta et Aurélien Amiot, la nutritionniste Laurence Bonnisseau dont le sourire radieux chaque matin valait une véritable 177

thérapie, les physiothérapeutes Julien Arnaud, Patrick Lelièvre devenu mon ami, et Benjamin Nunez, les infirmiers Christine Duzac et Florent Maoungou de l’hôpital Jean Jaurès ; le docteur Jean-François Rajoanary, l’infirmière Daloba Guirassi et les kinésithérapeutes Hélène de la Clinalliance aux Buttes-Chaumont, comme François et Aurore de la Clinique du Château à Versailles. Qu’ils trouvent tous ici l’expression de mes plus chaleureux remerciements. Je n’oublie pas mes médecins guinéens, en particulier mon neurologue le Dr Abdoul Aziz Bah, et les Dr Konaté Fatou Touré et Fantagbè Kaba. Je voudrais également emercier mes amis, l’ancien Premier Ministre guinéen Ahmed Tidiane Souaré et le Professeur Amadou Ly de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar pour leurs précieuses contributions. Nos nombreux échanges sur les problématiques posées par le sujet, notamment s’agissant des us et coutumes du FoutaDjalon, m’ont fort enrichi et éclairé sur maints points. Je voudrais adresser les mêmes remerciements à mes patients et méticuleux relecteurs, mes collègues les professeurs Ismaël Barry, Aly Gilbert Iffono et Jean-Marie Touré de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia à Conakry. Lors de nos discussions souvent âpres, ils m’ont fait l’honneur de se montrer sans complaisance. Il me faut leur dire ma gratitude. Leurs critiques, parfois incisives, m’ont permis d’améliorer la teneur de ce texte dans sa dernière mouture. Je remercie en outre de manière appuyée mon jeune et dévoué assistant M’Bemba Keïta, étudiant en sciences politiques à l’Université de Bordeaux, qui, jour et nuit, s’est entièrement mis à ma disposition lors de la saisie du texte. Enfin, je voudrais exprimer toute ma reconnaissance à mon jeune frère Amara Camara, ambassadeur de Guinée 178

à Paris, sans qui rien n’aurait pu s’accomplir. Son soutien, combien indispensable, ne m’a jamais manqué durant cette longue épreuve de la maladie et ce défi d’écriture.

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IV ANNEXES

Annexe 1 LES VAGUES DE VIOLENCE DE MASSE EN GUINEE. Dans l’évolution de la Guinée, l’apparence d’harmonie, de fraternisation ou d’absence marquante de conflits à caractère ethnique et/ou partisan qui semble transparaitre tout au long de l’essai, n’a pas toujours été la règle. La cohésion nationale, sans avoir été compromise par ces conflits a souvent été rudement mise à mal. 1/ La première grande vague de violence de masse : Vers la fin de la période coloniale, des violences à caractère politique ont éclaté. L’une des plus sanglantes et des plus meurtrières a eu lieu au cours des deux dernières années de l’ère coloniale française, durant la courte période de l’application de la loi-cadre du 23 juillet 1956 du ministre de la France d’outre-mer Gaston Defferre, durant le cabinet Guy Mollet (entre 1956 et 1957). Cette loi, dont nous avons déjà cité quelques dispositions, modifiait le statut des territoires de l’Union française en leur accordant certains droits qui ne s’exerçaient jusqu’alors qu’en métropole ; en leur permettant, par exemple de se doter d’une assemblée territoriale et d’un exécutif local. Au cours de la campagne et pratiquement durant tout le processus qui devait déboucher à la mise en place de ces nouvelles institutions et à l’élection des 183

représentants des populations, des troubles ont éclaté, qui se sont rapidement transformés en conflit ouvert entre les militants sossos de la Guinée maritime, du Parti Démocratique de Guinée, Rassemblement Démocratique Africain (PDG/RDA) - dont Sékou Touré était le leader - et les militants de l’ethnie peulh établie en Basse-Guinée, du Bloc Africain de Guinée (BAG) de Diawadou Barry et du Mouvement Socialiste Africain (MSA) de Ibrahima Barry dit Barry III. L’épicentre des affrontements se situa à Conakry, précisément dans la presqu’île de Kaloum et sa proche banlieue. Les atrocités commises alors ont été attribuées aux militants du PDG/RDA, population résidante à la supériorité numérique écrasante. Les morts et les blessés n’ont pu être dénombrés, ni les destructions de biens. Dans la gestion de ce conflit, l’administration coloniale française, dirigée à l’époque par le gouverneur Jean Ramadier, ne fut pas exempte de critique. Elle aurait pu empêcher l’éclatement du conflit ou ne pas le laisser s’étendre avant qu’il ne devienne quasi incontrôlable, mais les observateurs de l’époque accusèrent les forces de l’ordre coloniales, dont l’armée, soit d’avoir laissé faire, soit même d’avoir tiré les ficelles des hostilités. Les autorités coloniales furent accusées de préparer les esprits à une possible intervention militaire dont l’objectif aurait été de compromettre les aspirations à la souveraineté du peuple de Guinée. Il est vrai qu’un parfum d’indépendance 184

soufflait déjà dans l’air. 45 Le 28 septembre 1958, la colonie de Guinée votait Non au référendum proposé aux colonies et à la France métropolitaine par le Général Charles André Joseph Marie de Gaulle, le Général de Gaulle. Dans la foulée, Sékou Touré, leader du Parti Démocratique de Guinée (PDG), devint Président de la nouvelle République. 2 / La deuxième grande vague de violence de masse : On aurait pu espérer que le pays, en devenant une nation indépendante, aurait, dans l’unité, éloigné des Guinéens le spectre de la violence partisane ou ethnique. Mais il en fut tout autrement. La liberté, que nous étions censés avoir conquise en devenant indépendants, a été le premier des attributs de la souveraineté à disparaître. La justice, qui était censée être au cœur de la nouvelle devise, « 45

Selon André Levin, à la demande du leader du RDA Félix Houphouët Boigny, et suite à une rencontre sécrète entre Sékou Touré et le Haut-Commissaire de (l’A.O.F) Bernard Cornut Gentile –BCGles autorités françaises avaient pris la décision de ne plus s’opposer à la montée en puissance du (P.D.G-R.D.A) et de son chef Sékou Touré qui remportèrent les élections consécutives à l’application de la Loicadre Gaston Defferre de 1956 avec une majorité écrasante (57 députés sur 60 à l’Assemblée Territoriale.) André Levin a été le principal artisan de la réconciliation de la Guinée avec la France après plusieurs ruptures. Désigné envoyé spécial par l’Organisation des Nations Unies, ce fin diplomate mena avec succès jusqu’à son terme les négociations qui ont abouti à la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays. En reconnaissance de son mérite il fut nommé Ambassadeur de France en Guinée. Au cours de sa mission il a entretenu d’excellentes relations avec la président Sékou Touré. Il est l’auteur d’un ouvrage volumineux en huit tomes sur les relations franco guinéennes.

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Travail Justice Solidarité », n’a pas été rendue. Elle a cessé d’exister. D’année en année, diverses formes de violences endeuillèrent régulièrement le pays. À peine les braises des affrontements post loicadre Gaston Defferre éteintes, des violences d’une nouvelle nature firent irruption dans la vie des Guinéens. L’incandescence révolutionnaire, allumée dès le lendemain du vote référendaire, commença à tout consumer autour d’elle. Amorce de la dictature, le PDG/RDA, parti du Président Sékou Touré était devenu parti unique. Pour tuer dans l’œuf toute velléité d’opposition, tous les autres partis politiques guinéens - notamment le plus important, le Parti du Regroupement Africain de Guinée (PRAG) qui se composait BAG de Diawadou Barry et du MSA de Ibrahima Barry dit Barry III - avaient été dissous, auto-dissous, continuent de dire les thuriféraires nostalgiques du régime (PDG-RDA). Sous la férule de Sékou Touré, durant un quart de siècle, de 1958 à 1984, en cascade, les complots d’écrémage de cadres les plus compétents, de commerçants les plus riches, de grands notables, les plus respectés et les plus influents, les arrestations en masse, les emprisonnements par milliers, des spoliations innombrables de biens, les tortures, les exécutions en série, endeuillèrent le pays. Cela se déroula en dehors de tout cadre juridique. Plus de deux millions de Guinéens durent s’exiler, notamment dans les pays voisins, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Mali. 186

L’un des summums de ces agissements à caractère politico-ethniques a été atteint au cours de la décennie 1970-1980. Particulièrement au mois d’août 1976. Particulièrement au mois d’août 1976, suite à l’agression portugaise du 22 novembre 1970 qui a été suivie d’une purge sans précédent, et à l’arrestation en 1976 du premier Secrétaire Général de l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A) Telli Diallo et de ses compagnons dans le cadre du « faux complot peulh » inventé pour justifier l’élimination de centaines de hauts cadres civils et militaires. A propos de cette période de notre histoire, des pages et des pages ont été écrites, d’un côté par des victimes et des chercheurs pour dénoncer et flétrir les crimes commis, de l’autre, par des négationnistes du régime pour en faire l’apologie. Cela débuta dès 1959 par la dénonciation d’un premier complot qui ouvrit une longue liste qui ne cessera qu’en 1984, avec la disparition de Sékou Touré et de son régime. 3/ La troisième grande vague de violence de masse : L’ère du PDG-RDA révolue à la suite de la mort du Président Sékou Touré le 26 mars 1984, la prise du pouvoir, sans effusion de sang, par l’armée guinéenne le 3 avril, tout juste une semaine après, fit espérer que les violences à caractère politique ou ethnique allaient prendre définitivement fin. Hélas ! Il y en eut encore. Et de bien atroces. L’épouse du défunt président Sékou Touré, ses deux enfants, ses frères, cousins, neveux, ainsi que 187

de nombreuses personnes apparentées, furent arrêtés et jetés en prison. Il en fut de même des hauts dignitaires de son régime, ministres et secrétaires d’Etat de son gouvernement, responsables des instances de son parti, et en particulier tous les membres du bureau politique. Hormis l’épouse et les deux enfants du président qui ont été épargnés, grâce aux interventions de nombreux chefs d’Etats et Souverains, un très grand nombre de ces personnes, souvent en ciblant l’ethnie du président défunt, ont été passées par les armes après avoir subi des sévices abominables. 4 / La quatrième grande vague de violence de masse : Après cette vague meurtrière, les violences d’Etat n’ont pas pris fin sous la deuxième République. La tentative avortée de coup d’état d’un général de l’armée, Diarra Traoré, de l’ethnie malinké, en fut l’élément déclencheur. Les nouvelles autorités entreprirent une véritable « épuration militaire » d’officiers supérieurs, officiers subalternes et hommes de rang de l’ethnie malinké dans l’armée, en commençant par le putschiste. A ceux-là, vinrent s’ajouter de nombreux hauts gradés de la gendarmerie, de la police, de la douane et des fonctionnaires de la haute hiérarchie administrative, ainsi que de très nombreux opérateurs économiques, tous de cette même ethnie. Des biens de différentes natures, des propriétés privées furent vandalisées puis spoliées, des tortures innommables et des exécutions commises. Tout cela se déroula 188

également hors de tout cadre juridique. Cette vaste et profonde purge semblait s’inscrire dans la poursuite d’une vengeance des victimes faites par la première République, qui débuta juste après la disparition du Président Sékou Touré. Au plus fort des scènes dramatiques que vivaient les Malinkés de Conakry et de ses environs, une faute d’une gravité extrême fut commise au sommet de l’Etat. Le Président de la République, le Général Lansana Conté, pourtant connu pour sa grande pondération et son habituel maîtrise de soi en toute circonstance, s’adressant à la Nation s’est écrié, au beau milieu de son discours, dans sa langue, la langue sosso : « é fatara ! » (Ils ont bien fait !), comme pour justifier les agissements de ses partisans, les populations de la Basse-Guinée, en l’occurrence, particulièrement celles de la capitale, Conakry. Toute sa vie, l’homme regrettera profondément d’avoir prononcé cette phrase. Toute sa vie, il fera son mea-culpa, il tentera, fera tout pour en réparer les conséquences auprès de l’ethnie malinké. Mais en vain. Le mal était fait. Il laissera dans la société guinéenne des traces indélébiles, des traces qui soulèvent de vives passions quand on évoque les contentieux du passé. 5 / La cinquième grande vague de violence de masse : La cinquième grande vague de violence eut lieu lors du passage à la tête du pays, bien éphémère 189

mais désastreux, d’un capitaine de l’armée, Moussa Dadis Camara, à la suite du coup d’état de l’armée après la mort du Président Lansana Conté, le 22 décembre 2008. La particularité de ces violences est qu’elles ont été, pour le plus grand nombre, commises contre les femmes. Le 28 septembre 2009, dans le stade national de football à Conakry, un meeting organisé par les principaux partis d’opposition a été réprimé dans le sang, faisant d’innombrables victimes. Une atteinte d’une gravité extrême a été portée à la dignité des femmes. Selon Madame Asmaou Diallo, présidente de l’Association des Victimes, Parents et Amis du 28 septembre (AVIPA), il y aurait eu « 159 morts, 60 femmes violées en public et en pleine journée, 223 blessés, 18 détentions, 62 disparitions ». La commission désignée par l’Organisation des Nations Unies pour enquêter sur ce qui fut appelé « le massacre du 28 septembre », dans son rapport remis au Conseil de Sécurité, avance les chiffres de 156 personnes assassinées, en précisant que le nombre de victimes est très probablement plus élevé, et d’au moins 109 femmes ou jeunes filles victimes de viols.

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Annexe 2 Liste des membres du comité consultatif de la Commission provisoire de Réconciliation Nationale (CPRN) Djibril Tamsir NIANE, Historien et écrivain ; Lamine KAMARA, dit « Capi », Président de l’Association des Ecrivains de Guinée (AEG), ancien ministre des Affaires Étrangères et de la Fonction Publique ; Alpha Amadou Banou BARRY, ministre de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation, docteur en sociologie et ancien vice-recteur de l’université de Sonfonia ; Ismaël BARRY, historien ; Kozo ZOUMANIGUI, professeur, ancien ministre des Affaires Étrangères et de l’Éducation Nationale ; Mme Asmaou DIALLO, présidente de l’Association des Victimes, Parents et Amis du 28 septembre (AVIPA) ; Aly Gilbert IFFONO, historien, ancien député et ancien ministre des Arts et de la Culture ; Cécé LOUA, ancien maire de Nzérékoré, Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD) ; Hadja Mariama SOW, présidente de l’ExCommission de Réconciliation Nationale, présidente de l’Union des Femmes Oulémas de Guinée (UFOG) ; Dr Faya MILLIMONO, président du parti politique Bloc Libéral ; Alhassane DIAKITÉ, secrétaire permanent du RPG Arc-en-ciel ; Me Maurice Togba ZOGBÉLÉMOU, ancien ministre de la Justice, avocat au barreau et constitutionnaliste ; Dr Alhassane CHÉRIF, psychologue clinicien ;

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Mme Mariama Ciré KEÏTA, présidente de l’Association Guinéenne pour l’Équité et la Gouvernance (OSC AGUIFPEG) ; Aliou DIALLO, conseiller politique du parti politique de l’UFDG.

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Annexe 3 LES LANGUES DE GUINÉE En Basse-Guinée Dans le groupe ‘ethnique’ sosso, la langue du même nom est principale et plus largement usitée comme langue véhiculaire dans les communications intergroupes de cette région où l’on parle aussi le baga, le landouma, le nalou, le mikhiforè, le badjaranké, le biakanké, le djalonké, le djola et le mandéngni. Des populations sarakolé ou soninké y vivent en relativement importants et fractionnés, groupes notamment à Kindia dans le quartier Sarakoleya, absorbées par les ‘ethnies’ sosso, malinké et peule, elles ne parlent plus leur langue d’origine. Remarquons ici que les langues sosso, mikhiforè, diakanké, djalonké relèvent du groupe linguistique mandingue et qu’en voisinage avec la Sierra Leone, le sosso s’est teinté d’anglicismes d’emprunts. Car jusqu’à la fin du 19è siècle, au cœur des rivalités coloniales francoanglaises, la principale langue étrangère parlée par les Sossos était alors l’anglais. En usage dans le nord-est de la Guinée, le djola est l’un des idiomes les plus parlés en Guinée-Bissau en continuité spatiale en Casamance, au sud du Sénégal et en Gambie où il est fortement majoritaire. Cependant, l’environnement linguistique a fait évoluer certaines variantes du djola qui demeure une langue du groupe mandingue. En Moyenne-Guinée Du point de vue linguistique, la Moyenne-Guinée est plus homogène que les trois autres régions naturelles. La langue pular y est parlée par toutes les populations qui y 193

vivent, même quand le locuteur dispose d’une autre langue maternelle. Contrairement à la Basse-Guinée, à la Région forestière et à la Haute-Guinée il n’existe quasiment pas de variantes locales du pular dans l’espace foutanien. Néanmoins, outre le pular parlé par tous les habitants du Fouta-Djalon, une autre langue s’y apparente, c’est le toucouleur. Localisée dans la ville de Dinguiraye et ses alentours sous gouvernorat de Kankan (Haute-Guinée), puis de Faranah, elle empiète sur la Région forestière, la Haute–Guinée et le Fouta — Djalon. Il faut s’en souvenir, depuis sa fondation, Dinguiraye pratique le trilinguisme. Car outre le toucouleur et le pular, le maninka y est aussi largement pratiqué. En Moyenne-Guinée, à la jonction de la BasseGuinée, on trouve encore le koniagui, le tanda et le bassari, de moindre extension spatiale, parlés essentiellement dans les villes de Youkounkoun, Koundara et Gaoual. Enfin, l’autre contexte linguistique du Fouta-Djalon intègre la survivance de poches mandingues, les Djalonkés, gentilé des premiers habitants du Djalon, qui continuent de parler jusqu’aujourd’hui leur langue d’origine appartenant au groupe mandingue. Par le long brassage activé au fil des siècles, articulé à l’enracinement territorial, le djalonké de souche maternelle ou paternelle est enrichi de nombreux emprunts lexicaux au pular. En Haute-Guinée En pratique linguistique presque homogène, la Haute — Guinée s’approche des usages du Fouta-Djalon. En somme, une seule langue y est parlée, le maninka qui se décline en plusieurs prononciations variantes: « sankarankan » à Kouroussa et Faranah, « kouranko » et 194

« djalonké », proches du sosso à Faranah. Légèrement teinté de pular, le maninka de Dabola, dans le Woulada, se voit qualifié de « foula-maninkakan », soit « maninka parlé au Fouta ». Une zone se distingue par l’étendue de son expansion territoriale et son million de locuteurs : c’est celle du koniaké, autre variante du maninka parlé à Beyla de manière quasi exclusive, mais aussi dans presque toute la Région forestière, et plus largement jusqu’au Liberia et à la Côte d’Ivoire sous le nom de koyaga. Dans son déploiement actuel au gré d’une ample propagation, sans s’être scindé du maninka sa langue-mère, le koniaké voit croître son influence et sa latitude. Parlé à Kérouané et fortement apparenté au koniaké, les locuteurs du tronka se réclament fièrement de cette autre variante du maninka. À la fois suave, mélodique et tonique le koniaké est sans doute la plus gracieuse de toutes les variantes du maninka. Le maninka parlé dans la région de Siguiri et à Niani, l’ancienne capitale de l’Empire mandingue, semble avoir subi la forte influence du bambara, autre rameau du groupe mandingue de très vaste portée territoriale. Le parler de Siguiri, par son rayonnement progressif dans le temps et l’espace, sa tendance à articuler distinctement toutes les syllabes d’un mot, « à la marseillaise », pourrait même avoir engendré le bambara, ce qui semble historiquement et linguistiquement vraisemblable. En Région Forestière Par la multiplicité de ses parlers, la Région forestière s’apparente quelque peu à la Guinée maritime. Son bouquet linguistique se compose du kpwèlè des Guerzés de Nzérékoré et de Yomou, du toma ou lomagohé des Tomas de Macenta et du kissié des Kissias de Kissidougou et de Guéckédou. Sous sa forme koniaké, le maninka circule de manière quasi transversale à 195

Macenta, Nzérékoré, Lola et Youmou et sous sa forme générique à Kissidougou et Guéckédou. De périmètres plus restreints, on y trouve également le mano de Lola, le kono dérivé du kpwèlè, et le lélé autour de Kissidougou, qui emprunte à la fois au kissié et au kouranko. Le koniaké, parent du mandingue, est considéré comme une langue de Région forestière, car son berceau, la préfecture de Beyla, y est administrativement rattachée par son chef-lieu Nzérékoré. Plus encore, par sa transversalité, le koniaké sert de langue d’intercommunication entre communautés forestières. Rayonnement linguistique sous-régional en développement endogène Deux des langues guinéennes sont d’extension sous régionale : le pular et le maninka. Transfrontalières aussi, car, outre en Guinée, le pular est parlé dans huit autres pays : Mali, Sénégal, Gambie, Sierra Leone, GuinéeBissau, Nigeria, Niger, Cameroun et plus récemment et de manière limitée au Liberia et en Côte d’Ivoire. Le maninka est lui aussi parlé dans au moins huit pays : Mali, Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Burkina Faso, Gambie, Liberia, Sierra Leone ainsi que dans un petit périmètre au sud de la Mauritanie, sous le nom de wangara — djoula ; enfin, il a des locuteurs au Ghana, depuis la ville de Tamalé jusqu’à la frontière du Burkina Faso. De moindre rayonnement, le sosso est également pratiqué au nord-ouest de la Sierra Léone. Nos trois principales langues de Région forestière — kissié, lomagohé et kpwèlè — comptent elles-aussi des locuteurs dans trois pays limitrophes : Sierra Leone, Libéria et Côte d’Ivoire dans une moindre mesure. Nos langues guinéennes se développent de manière endogène en se dotant de leurs propres écritures et 196

s’illustrent par des ouvrages écrits dans leurs propres alphabets. C’est le cas du pular qui possèdent trois alphabets : en arabe harmonisé et enrichi de vocalisations phonétiques accordées aux nuances du parler, l’alphabet Adjami de graphie arabe enrichie de nouveaux signes, et plus récemment, l’alphabet ADLaM créé à partir de 1989, par Ibrahima et Abdoulaye Barry qui décidèrent que leur langue, le pular, nécessitait son propre alphabet. Ses inventeurs le définissent comme un alphabet qui « empêche le peuple de disparaître ou de rester dans l’ignorance ». C’est aussi le cas du sosso et son récent alphabet de 29 lettres qui enrichit la translittération de douze lettres initiales. Par leur aspect figuratif, ces blasons de la culture traditionnelle sosso rappellent les hiéroglyphes égyptiens. Son créateur, Mohamed Ben Bangoura y travaille depuis 1979 et le dénomme « korê sèbèli » ou « écriture du ciel ». C’est enfin le cas du maninka avec l’alphabet « nko » qui signifie « je dis », conçu à Kankan à partir de 1949 par l’érudit guinéen Karamo Solomana Kanté, également auteur de 185 œuvres écrites en maninka. Langues étrangères Langue française Le français est la langue officielle du pays. Le nombre de locuteurs peut varier selon les régions, les zones urbaines ou rurales. Parfois indispensable p o u r i n t e r a g i r e n t r e d i f f é r e n t s locuteurs, elle est enseignée dans les écoles, à tous les cycles. Il est aussi langue d’expression littéraire en Guinée, avec de grands noms tels que Fodéba Keïta, Camara Laye, Djibril Tamsir Niane, William Sassine, Tierno Monénembo, Ibrahima Baba Kaké, Alioune Fan Touré, Libar Fofana, Lansiné Kaba, Émile Cissé, et Mesdames Aïssatou Sirah Baldé, Zeïnab Koumanthio Diallo, Binta Ann, Mariame Barry pour ne citer que les plus connus. 197

Le français est également la langue utilisée par les représentants de la Guinée dans les sommets internationaux, notamment au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie, de l’Organisation des Nations Unies, de l’Union Africaine, de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest, de l’Organisation de la Coopération Islamique, etc. Langue arabe et autres langues étrangères L’arabe, seconde langue étrangère, occupe une place singulière dans le paysage linguistique guinéen. À la fois véhiculaire et support fondamental de la liturgie et de la pratique musulmanes, il est utilisé de manière plus savante que populaire. Il est traduit dans les langues nationales lors des sermons religieux, enseigné à l’école coranique, dans les établissements d’enseignement scolaire et universitaire, sans compter les médersas et l’éducation préscolaire, dans le secteur public ou privé. D’autres langues sont pratiquées en Guinée, dans des cercles plus restreints, chinois, anglais ou russe. Car aux premières décennies de l’indépendance, de nombreux Guinéens ont bénéficié de bourses pour étudier en Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) ou dans d’autres pays de l’Est où dominait la langue russe. Les cadres formés dans ces pays, dans les domaines essentiellement scientifiques, la parlent couramment. Plus récemment enfin, par sa nouvelle politique de coopération et de commerce tournée vers le continent africain, la Chine ouvre une voie au mandarin, gagnant un terrain que l’anglais semble peu à peu délaisser, malgré la proximité de deux pays anglophones et frontaliers, la Sierra Leone et le Liberia.

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Annexe 4 Liste des membres du Premier Bureau Politique du Parti Démocratique de Guinée (PDG) Section Guinéenne du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) : Le PDG, créé en mai 1947 à Conakry, sept mois après le Congrès constitutif de Bamako, son premier comité directeur était composé comme suit: Secrétaire général : Mamadou Madeira Keïta (agent de l’IFAN) Secrétaires : Framoï Bérété (Union Mandé), Amara Soumah (Comité Basse-Guinée), Ibrahima Sory Diallo (Amicale Gilbert Vieillard), Férébory Camara (Union forestière). Trésorier général : Richard Mbandja (employé de commerce), Trésoriers adjoints : Adama N’Daw (Foyer sénégalais), André Ahouloussou (Dahoméen, PTT). Affaires sociales : Sékou Touré (syndicat USCG), N’Fa Mohamed Touré (Finances), Hadja Ciré Bah (secrétaire du Greffe et des Parquets). Documentation et presse : Koundouno Saa Kosso (commis) et Moussa Cissé (Finances). Organisation : André Eyguem (GEC), Jean Peter (commis finances) et Abdourahmane Diallo (pharmacien). Propagande : Mamady Kourouma (commis expéditionnaire), Abdoulaye Diallo (Amicale Gilbert Vieillard). Éducation : Naby Youla (Comité de Basse-Guinée), Sidiki Aboubacar Keïta (Union forestière).

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Affaires administratives : Ibrahima Diané (commis expéditionnaire), Étienne Mourot (Union des Métis), Jean Marie Dugbé (commis aux finances) et Ibrahima Sall (commis aux finances). Conseillers : Mamba Sano (député), Mamadou Traoré dit Ray Autra (instituteur) et Mamadou Diallo (médecin). À l’issue de la présidence du Soudanais Mamadou Madeira Keïta, le PDG eut successivement pour secrétaires généraux : Amara Soumah (démission le 10 avril 1952) ; Fodé Kotigui Traoré (intérim d’avril à juin 1952) ; Sékou Touré du 3 juillet 1952 à 1984.

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x Guinée: Les forces de sécurité doivent cesser les attaques violentes contre les manifestants, rapport de Human Rights Watch sur le massacre du 28 septembre 2009 : www.hrw.org/fr/news/2009/09/29/guinee-les-forces-desecurite-doiventcesser-les-attaques-violentes-contre-les x Rapport Human Rights Watch sur le "Massacre du 28 septembre 2009": www.hrw.org/fr/news/2009/10/27/guinee-le-massacre-du28-septembre-etait- premedite x L’Utilisation pédagogique de l’Histoire Générale de l’Afrique, pour l’enseignement scolaire, Paris, Unesco 2009. Consulter en ligne : https://fr.unesco.org/general-history-africa/teaching x Rapport d’étude, Les pactes communautaires, outils de prévention des conflits et de consolidation de la paix : le cas de la Guinée forestière et des pays limitrophes, Liberia, Sierra Leone et Côte d’Ivoire, PNUD/PBF, Action pour le Développement Communautaire (ADC), 2016. x Mémoire Collective, une histoire plurielle des violences politiques en Guinée, regards croisés de journalistes, d’universitaires et de défenseurs des droits humains, sous la direction de Romain Tiquet et Martin Mourre, avec l’Union européenne, la FIDH/Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme, RFI, Gand (Belgique), FIDH, 2018 : www.memoire-collective-guinee.org

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Structures éditoriales du groupe L’Harmattan L’Harmattan Italie Via degli Artisti, 15 10124 Torino [email protected]

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Cet essai ouvre de nombreuses pistes en s’appuyant sur une profonde connaissance de l’histoire séculaire et contemporaine de la République de Guinée. Car cette société se pose aujourd’hui en modèle du genre sur le continent africain et c’est pourquoi l’auteur choisit de mettre en exergue les nombreux facteurs et dynamiques de rapprochement qui consolident la cohésion sociale et soudent les communautés d’Afrique de l’Ouest depuis des siècles. D’autres solutions proactives, puisées dans l’immense héritage social et culturel africain et sa pluralité fertile, sont proposées, telles que la « fraternité à plaisanterie », les pactes de « bon-vivreensemble » ou les forêts sacrées. Ce livre plaide ainsi pour une puissante relance de l’éducation, du civisme et d’une citoyenneté avertie, au service de pratiques démocratiques qui pérennisent l’existence d’États parfois clivés.

Romancier, autobiographe, essayiste, conteur, homme politique et diplomate chevronné, Lamine Kamara est un écrivain reconnu. Ancien président de l’Association des écrivains de Guinée, grand admirateur du poète David Mandessi Diop, du poète et savant persan Omar Khayyâm et de Jacques Prévert, il partage inlassablement son savoir, livre sa contribution éclairée aux enjeux africains et guinéens et trace son sillon littéraire depuis la fin de ses études à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, en 1965 Illustration de couverture : © serg99 - 123rf.com

ISBN : 978-2-14-028252-2

21 €

9 782140 282522

Lamine Kamara

À ce postulat, est venue se greffer une nouvelle donne, le phénomène partisan, à l’avènement des processus démocratiques sur le continent, depuis une soixantaine d’années. Dans ces pays, la moindre campagne électorale éveille des réflexes de repli identitaire qui s’exaspèrent et mettent le feu aux poudres.

Ethnies, partis politiques et cohésion nationale

Cet ouvrage nous plonge dans la problématique de l’unité nationale dans les États africains. Issus des processus de décolonisation européens, ces États-nations sont, par la définition de leurs composantes, « multi-ethniques ».

Lamine Kamara

Ethnies, partis politiques et cohésion nationale Essai Nouvelle édition Préface de Djibril Tamsir Niane